Marguerite de France: Comtesse de Flandre, d'Artois et de Bourgogne (1312-1382) : une vie de princesse capétienne au temps des Valois 9782503595146, 2503595146


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Table of contents :
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Introduction
Introduction de la première partie
Chapitre 1. Une enfance royale aux derniers temps des Capétiens (1312 ?-1320)
Chapitre 2. Les difficiles débuts de « madame de Flandres » (1320-1327)
Chapitre 3. Lys et lions réconciliés
Chapitre 4. Le retour de la guerre et l’exil
Chapitre 5. Le veuvage: temps de liberté, temps d’épreuves (1346-1361)
Chapitre 6. Marguerite de France au temps du roi Jean le Bon: face à la tourmente
Chapitre 7. Une succession contrariée (1361-1364)
Chapitre 8. Charles V, la paix, l’alliance française et la reconstitution d’un parti bourguignon (1364-1369)
Chapitre 9. Pertes et profits de l’alliance Valoise
Chapitre 10. Entre guerre et révoltes
Conclusion de la première partie
Introduction de la deuxième partie
Chapitre 11. Une vie d’itinérance
Chapitre 12. Vie de châteaux, vie urbaine
Chapitre 13. Tenir sa cour
Chapitre 14. Marguerite de France et les arts
Chapitre 15. « Pourveoir et subvenir en son vivant au remede et salut de s’amme »
Chapitre 16. Conscience de soi, communication et mémoire
Conclusion de la deuxième partie
Conclusion générale
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Marguerite de France: Comtesse de Flandre, d'Artois et de Bourgogne (1312-1382) : une vie de princesse capétienne au temps des Valois
 9782503595146, 2503595146

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Marguerite de France, comtesse de Flandre, d’Artois et de Bourgogne (1312-1382)

Burgundica XXXIV

Publié sous la direction de Jean-Marie Cauchies Centre européen d’études bourguignonnes (xive-xvie s.)

Marguerite de France, comtesse de Flandre, d’Artois et de Bourgogne (1312-1382) Une vie de princesse capétienne au temps des Valois

Jean-Baptiste Santamaria

F

Collection BURGUNDICA Peu de périodes, de tranches d’histoire ont suscité et continuent à susciter auprès d’un large public autant d’intérêt voire d’engouement que le « siècle de Bourgogne ». Il est vrai qu’à la charnière de ce que l’on dénomme aussi vaguement que commodément « bas moyen âge » et « Renaissance », les douze décennies qui séparent l’avènement de Phillipe le Hardi en Flandre (1384) de la mort de Philippe le Beau (1506) forment un réceptacle d’idées et de pratiques contrastées. Et ce constat s’applique à toutes les facettes de la société. La collection Burgundica se donne pour objectif de présenter toutes ces facettes, de les reconstruire – nous n’oserions écrire, ce serait utopique, de les ressusciter – à travers un choix d’études de haut niveau scientifique mais dont tout « honnête homme » pourra faire son miel. Elle mettra mieux ainsi en lumière les jalons que le temps des ducs Valois de Bourgogne et de leurs successeurs immédiats, Maximilien et Philippe de Habsbourg, fournit à l’historien dans la découverte d’une Europe moderne alors en pleine croissance.

Publié avec le concours financier de la Fondation pour la protection du patrimoine culturel, historique et artisanal (Lausanne). Illustration de couverture : Marguerite de France : lettrine ouvrant le compte du trésorier de Dole (1370-1371). ADCO B 1434 © 2022, Brepols Publishers n.v., Turnhout, Belgium. All rights reserved. No part of this publication may be reproduced, stored in a retrieval system, or transmitted, in any form or by any means, electronic, mechanical, photocopying, recording, or otherwise without the prior permission of the publisher. D/2022/0095/119 ISBN 978-2-503-59514-6 E-ISBN 978-2-503-59515-3 DOI 10.1484/M.BURG-EB.5.123982 ISSN 1780-3209 E-ISSN 2295-0354 Printed in the EU on acid-free paper.

En mémoire d’Yvette Santamaria, une maîtresse femme

Table des matières

Table des figures 11 Table des cartes 13 Introduction15 Première partie Fille, épouse, veuve, princesse : une vie de femme de pouvoir au XIVe siècle Introduction de la première partie

31

Chapitre 1 Une enfance royale aux derniers temps des Capétiens (1312 ?-1320)

33

Chapitre 2 Les difficiles débuts de « madame de Flandres » (1320-1327)

51

Chapitre 3 Lys et lions réconciliés L’avènement en Flandre de la comtesse

75

Chapitre 4 Le retour de la guerre et l’exil 1337-1346

99

Chapitre 5 Le veuvage: temps de liberté, temps d’épreuves (1346-1361)

111

Chapitre 6 Marguerite de France au temps du roi Jean le Bon: face à la tourmente

129

Chapitre 7 Une succession contrariée (1361-1364) Face au roi Jean le Bon

139

8

ta bl e d e s m at i è r e s

Chapitre 8 Charles V, la paix, l’alliance française et la reconstitution d’un parti bourguignon (1364-1369)

153

Chapitre 9 Pertes et profits de l’alliance Valoise Le temps de la remise en ordre (1369-1378)

169

Chapitre 10 Entre guerre et révoltes Protéger la succession (1377-1382)

191

Conclusion de la première partie

213

Deuxième partie L’art d’être princesse : mode de vie et identité d’une fille de roi de France au XIVe siècle Introduction de la deuxième partie

219

Chapitre 11 Une vie d’itinérance Géographie de Marguerite de France

221

Chapitre 12 Vie de châteaux, vie urbaine Manières d’occuper l’espace

253

Chapitre 13 Tenir sa cour Distraction, consommation et habillement entre quotidien et temps de fête

343

Chapitre 14 Marguerite de France et les arts Un mécénat oublié

367

Chapitre 15 « Pourveoir et subvenir en son vivant au remede et salut de s’amme » Piété, dévotion et identité princière

395

Chapitre 16 Conscience de soi, communication et mémoire La construction d’une identité

441

tab le d e s mat i è re s

Conclusion de la deuxième partie

467

Conclusion générale

469

Sources et bibliographie

477

Sources imprimées (sélection)

481

Ouvrages et travaux

487

Index519

9

Table des figures

Seule une partie des figures, cartes et tableaux est incluse dans cet ouvrage. La totalité est accessible en ligne via https://doi.org/10.1484/A.18850550 Figure 1 Arbre généalogique de Marguerite de France. Figure 3 Marguerite de France au sein de la famille de Flandre. Figure 8 papier et en ligne. Nombre de mentions de présence de la comtesse par année (1362-1382). Figure 9 papier et en ligne. Variation du nombre de km à vol d’oiseau entre les localités Figure 17 papier et en ligne. Gisant de Marguerite de France. Figure 18 papier et en ligne. Gisant de Marguerite de France. Détail Figure 24 Coffret à la devise « Amis amès. Amie Avès ». Figure 34 Femme au faucon. Bodleian Library, Douce 6, fol. 40v. Figure 35 Premier grand sceau pédestre de Marguerite de France et contre-sceau. Figure 42 papier et en ligne. Premier petit sceau de la comtesse. Figure 43 papier et en ligne. Deuxième petit sceau de la comtesse. Juin 1361. Figure 44 papier et en ligne. Deuxième grand sceau pédestre de Marguerite de France. 1367. Figure 45 papier et en ligne. Sceau rond armorié à l’ange. 1364. Figure 46 papier et en ligne. Premier signet de Marguerite de France. 1376. Figure 48 Jeton aux armes de Flandre et de France et à la devise.

Table des cartes

Carte 8 papier et en ligne. Localités visitées par Marguerite de France entre 1338 et 1346. Carte 23 papier et en ligne. Carte physique des séjours de la comtesse Marguerite de France (1312-1382). Carte 29 papier et en ligne. Localisation des attestations de la comtesse sur le réseau des voies du plan Cassini entre la Flandre et Paris. Carte 32 papier et en ligne. Résidences de la comtesse Marguerite de France utilisées entre 1361 et 1382. Carte 48 papier et en ligne. Châteaux de Marguerite de France en Franche-Comté. Carte 50 papier et en ligne. Les principales fondations de Marguerite de France. Note concernant les figures, cartes et tableaux. Seule une partie des figures, cartes et tableaux est incluse dans cet ouvrage. La totalité est accessible en ligne via https://doi.org/10.1484/A.18850550 Annexe 1 en ligne. Dossier cartographique (54 cartes) Annexe 2 en ligne. Dossier de figures (49 figures) Annexe 3 en ligne. Tableaux (37 tableaux) Nous avons adopté une numérotation commune sur papier et en ligne, de sorte que le numéro des figures, cartes et tableaux papier peut laisser apparaître des lacunes : on passera de la figure 1 papier à la figure 3 papier, car la figure 2 est en ligne. La totalité des carte, tableaux et figures est incluse dans la version en ligne.

Fig. 1.  Arbre généalogique de Marguerite de France.

Introduction « Marguerite, fille de roy de France, contesse de Flandres, d’Artois et de Bourgoingne Palatine et dame de Salins » : la titulature de Marguerite de France nous en dit long sur sa filiation, son rang, son rapport au pouvoir et aux domaines sur lesquels elle peut exercer une autorité. Fille de roi de France et plusieurs fois comtesse et paire de France, Marguerite de France est assurément une princesse à double titre, en tant que fille de roi de France mais aussi en tant que comtesse au titre de plusieurs comtés, dont au moins deux sont des comtés-pairies, la Flandre et l’Artois, auxquels on peut ajouter le Nivernais. Née vers 1312 et élevée à la cour des derniers Capétiens, morte en 1382 au début du règne de Charles VI, en un temps où s’amorce la mise en place d’un État bourguignon, Marguerite de France a accompagné nombre de transformations politiques d’un XIVe siècle tumultueux, marqué par les crises économiques, politiques, sanitaires et militaires qu’elle a dû souvent affronter en première ligne et qui l’ont touchée personnellement. De l’affaire des brus du roi au mariage de Philippe le Hardi avec Marguerite de Male, des révoltes nobiliaires contre Mahaut aux débuts de la guerre de Cent ans qui voient la mort de son mari lors de la bataille de Crécy, elle se trouve mêlée aux principaux évènements qui accompagnent le passage de la France capétienne à celle des Valois. Malgré cette place de choix, Marguerite de France fait partie des figures historiques sinon occultées, du moins minorées. Les deux comtés qu’elle a possédés en propre ont pu être éclipsés par leurs puissants voisins : l’Artois a pu paraître bien pâle à côté de la splendeur flamande, et le comté de Bourgogne a peut-être pâti de la comparaison avec le brillant duché de Bourgogne. Cet oubli s’explique également par la chronologie de la succession des principats : en amont, le gouvernement de Mahaut a assurément attiré les recherches. En aval Marguerite de France a eu la malchance de précéder de deux ans l’avènement de Philippe le Hardi, se trouvant ainsi éclipsée par la brillante histoire des ducs de Bourgogne, d’autant que l’histoire des femmes de pouvoir s’est souvent limitée à quelques figures bien identifiées. Sur ce point, l’intérêt des historiens s’est considérablement élargi, l’histoire des femmes ayant suscité un intérêt de plus en plus fort depuis les années 1960. Si la dimension anthropologique et sociale en a longtemps été dominante1, elle a cependant largement accru son assiette et pu rejoindre de nombreux terrains d’analyse, cherchant en particulier à comprendre la construction des rôles masculins et féminins dans une société fondamentalement marquée par la suprématie des premiers. Le Moyen Âge offre ainsi un terrain de choix bien exploré par Didier Lett où héritages juridiques, religieux et aristotéliciens se combinent2, même si les considérations trop générales et idéologiques sur un Moyen Âge tardif patriarcal et nationaliste fleurent bon la 1 G. Duby, Le Chevalier, la femme et le prêtre : le mariage dans la France féodale, Paris, 1981. 2 D. Lett, Hommes et femmes au Moyen Âge : histoire du genre, XIIe-XVe siècle, Paris, 2013.

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récupération politique3, faisant fi de nuances innombrables par rapport à une vision trop abstraite de domination. Pire, à ne chercher que ce qui défend la thèse d’une domination virile, on en vient à se priver des milles nuances d’un réel qui ne se soumet guère aux doctrines. Il faut noter ici les progrès réalisés dans l’étude des femmes de pouvoir qui occupent désormais une place particulière dans cette historiographie. Elles n’ont à vrai dire jamais été totalement oubliées ni occultées. Il est vrai qu’on a parfois valorisé les clichés de genre confinant l’étude des femmes à quelques anecdotes, s’appuyant en grande partie sur des chroniqueurs les réduisant à un rôle passif ou monstrueux4, mettant en garde contre le danger d’un pouvoir trop puissant et faisant de la femme forte une tyranesse ou lui attribuant, au mieux, des qualités viriles5. L’attrait pour l’histoire des femmes a cependant permis d’aller au-delà, la réflexion sur le genre ne pouvant manquer de s’intéresser à la société aristocratique. C’est dans ce cadre précis qu’a été développé le concept de queenship pour désigner ce pouvoir au féminin, notamment pour l’époque moderne6, mais aussi pour le Moyen Âge7. En effet, cette perspective ne peut manquer de trouver du grain à moudre dans un univers pétri de codes implicites, de manifestation d’identité, de jeux de pouvoir. Parce qu’il lui revient la mission de gouverner, l’aristocratie a en outre eu à régler la question du partage du pouvoir, notamment entre hommes et femmes, ce qui a assurément donné lieu à une répartition très inégal, notamment quant à la sphère publique. Pour autant, distinguer entre action publique revenant aux hommes, les « seigneurs », et fonctions domestiques revenant aux femmes, c’est aller vite en besogne, d’autant que la « dame » n’est autre qu’une domina, terme qui rattache autant l’ailleurs autorité à la maison que ne le fait son pendant masculin, le dominus. La distinction entre sphère privée féminine et sphère publique masculine est désormais rendue moins évidente en raison du jeu complexe entre privé et public, loin d’être strictement étanches : ils sont bien davantage séparés par une frontière mouvante dont princes et princesses savent jouer, en maîtres du secret8. Car si le XIVe siècle met en place de la loi salique (mais uniquement en France), c’est aussi un moment de promotion de la sphère privée en instrument de gouvernement et d’affirmation du pouvoir. Par ailleurs, la nature particulière des femmes nobles se traduit par leur capacité à transmettre la légitimité pour gouverner. Il est également 3 E. Viennot, La France, les femmes et le pouvoir, l’invention de la loi salique (Ve-XVIe siècle), Paris, 2006, p. 224-225. 4 Femmes de pouvoir, femmes politiques durant les derniers siècles du Moyen Âge et au cours de la première Renaissance, éd. É. Bousmar, J. Dumont, A. Marchandisse et B. Schnerb, Bruxelles, 2012. 5 É. Bousmar, « Jacqueline de Bavière, trois comtés, quatre maris (1401-1436) : L’inévitable excès d’une femme au pouvoir ? », dans Femmes de pouvoir, femmes politiques durant les derniers siècles du Moyen Âge, Bruxelles, éd. É. Bousmar, J. Dumont, A. Marchandisse et B. Schnerb, Bruxelles, 2012, p. 385-446. 6 Queenship in Europe 1660-1815: the role of the consort, éd. C. Campbell Orr, Cambridge, 2004. 7 R. Averkorn, « Women and power in the Middle Ages: political aspects of medieval queenship », dans Political systems and definitions of gender roles, éd. A. K. Isaacs, Pise, 2001, p. 11-32. 8 J.-B. Santamaria, Le secret du prince. Gouverner par le secret, France-Bourgogne, XIIIe-XVe siècle, Ceyzérieu, 2018.

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patent qu’on leur reconnait naturellement d’avoir à cœur de défendre les intérêts de leur lignage et surtout de leur progéniture. Tout ceci les conduit à recueillir des dignités qui sont par nature publiques, celles de comtesse, de duchesse, qu’elles peuvent transmettre, ou à exercer un pouvoir par le moyen de la régence9. En outre, leur proximité d’intérêt, sinon de cœur, avec le prince leur ouvre des moyens d’influence non négligeables : elles contribuent à l’intégration de leur propre réseau à la cour et gouvernent les terres en l’absence de leur mari, un phénomène favorisé par l’extension de certaines constructions comme l’État bourguignon10. L’articulation entre union personnelle et pouvoir féminin constitue sur ce point un champ d’études particulièrement important. Á ce titre la piété, les arts, et plus largement l’histoire curiale ou aulique ne peuvent manquer de faire sortir de l’ombre des actrices que les auteurs et les scribes sont loin d’ignorer11. En somme, la question de la domination masculine est désormais une replacée dans une perspective plus large qui inclut la différenciation (ou non) entre les genres et pose en termes plus subtils la complexité de leurs relations12.

Écrire l’histoire des femmes de pouvoir Assurément, l’angle biographique permet de mieux cerner ces figures féminines. Discréditée par une certaine histoire à prétention scientifique systémique parfois engoncée dans un structuralisme peu favorable à l’histoire politique, à l’individu, la biographie est rentrée en grâce par l’intérêt renouvelé de la méthode biographique en sciences sociales, permettant l’étude du subjectivisme et de l’interaction entre individus et contraintes sociales13. Il faut dire que parallèlement, la question du rapport du prince lui-même à l’incarnation du pouvoir, son implication personnelle dans le processus de décision et la pratique du gouvernement occupent plus que jamais la réflexion historique14. Plus largement, la biographie a permis de saisir les rapports entre un individus et son temps, son insertion ou ses oppositions en termes de mentalités et structures par le biais de l’un de ses acteurs, à l’instar du Saint Louis de Jacques le Goff15, approche d’ailleurs étendue aux icones artistiques et pop au



9 R. C. Gibbons, « Isabeau de Bavière : reine de France ou “lieutenant-général” du royaume ? », dans Femmes de pouvoir, femmes politiques durant les derniers siècles du Moyen Âge, éd. É. Bousmar, J. Dumont, A. Marchandisse et B. Schnerb, Bruxelles, 2012, p. 101-112. 10 M. Somme, « Les délégations de pouvoir à la duchesse de Bourgogne Isabelle de Portugal au milieu du XVe siècle », dans Les princes et le pouvoir au Moyen Âge. Actes des congrès de la Société des historiens médiévistes de l’enseignement supérieur public, Paris, 1993, p. 285-301. 11 M. Gaude-Ferragu, La reine au Moyen Âge : le pouvoir au féminin, Paris, 2014. 12 A.-H. Allirot, Filles de roy de France. Princesses royales, mémoire de saint Louis et conscience dynastique (de 1270 à la fin du XIVe siècle), Turnhout, 2010. 13 J. Joana, « Les usages de la méthode biographique en sciences sociales », Pôle Sud, vol. 1, no 1, 1994, p. 89-99. 14 W. Paravicini, « Ordre et règle. Charles le Téméraire en ses ordonnances de l’hôtel », Comptes rendus. Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, 1999, p. 311-359. 15 J. Le Goff, Saint Louis, Paris, 1996.

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travers de la figure de Johnny Halliday16. Un tel renouveau, pour contesté qu’il soit, ne peut manquer de rejoindre l’histoire politique via la figure du prince qui en est l’incarnation17. À la croisée de la micro-histoire, de l’histoire classique et culturelle, cette approche globalisante de la biographie princière s’est de plus en plus intéressée au monde des princesses18. On sait les pièges du récit biographique : rationalisation à l’extrême des décisions d’un individu sans contradictions ni hésitations et s’inspirant de modèles littéraires ou hagiographiques, entre visée téléologique et jugement moral. Il ne s’agit pas ici de faire le procès en canonisation de Marguerite de France ! Ni copie conforme ni génie affranchi, l’individu est à étudier dans ce rapport complexe entre subjectivité et appartenance, mais aussi rationalité et accident19. L’un des enjeux de l’analyse peut consister à cerner ce qu’il y a de « féminin » chez les princesses, de de la vie quotidienne à la prise de décision20. On a notamment cherché à comprendre comment elles ont pu participer à un pouvoir qui ne pouvait leur revenir que par défaut : l’une des pistes étant d’envisager comment elles jouèrent avec les codes et règles de leur temps, naviguant entre conformisme et transgression, acquérant souvent une forme de liberté au prix d’une exposition plus grande à la critique de leurs adversaires21. La question se pose également pour celles qui surent conserver une réputation intacte sans s’écarter d’un rôle actif, rôle souvent limité ou temporaire. C’est davantage à ces femmes là que nous rattacherons Marguerite de France. Les terres qui nous intéressent ont d’ailleurs été fécondes en la matière, notamment depuis la biographie d’Isabelle de Portugal due à Monique Sommé22. Le recours à une vaste documentation d’archives a permis de comprendre la place importante occupée par la duchesse : un modèle à suivre assurément. Plus récemment, la biographie de Mahaut d’Artois23 fournit un bon point de départ et de comparaison à notre étude, s’inscrivant dans une série de travaux solides, notamment ceux de Jules-Marie Richard et de Bernard Delmaire24. On rapprochera de ces travaux des analyses plus politiques qui ne relèvent pas exactement de la biographie mais sont attachées à des femmes de pouvoir sous l’angle de l’exercice du gouvernement,

16 Y. Santamaria, Johnny, sociologie d’un rocker, Paris, 2010. 17 Parmi les modèles du genre : F. Autrand, Charles V le Sage, Paris, 1994. 18 D. Lett et O. Mattéoni, « Princes et princesses à la fin du Moyen Âge », Médiévales. Langues, Textes, Histoire, no 48, 2005, p. 5-14. 19 G. Levi, « Les usages de la biographie », Annales, vol. 44, no 6, 1989, p. 1325-1336. 20 D. Lett et O. Mattéoni, « Princes et princesses à la fin du Moyen Âge », op. cit. 21 É. Bousmar, « Jacqueline de Bavière, trois comtés, quatre maris (1401-1436) », op. cit. 22 M. Sommé, Isabelle de Portugal, duchesse de Bourgogne : une femme au pouvoir au XVe siècle, Villeneuved’Ascq, 1998. 23 C. Balouzat-Loubet, Le gouvernement de la comtesse Mahaut en Artois (1302-1329), Turnhout, 2014 ; eadem, Mahaut d’Artois : une femme de pouvoir, Paris, 2015. 24 J.-M. Richard, Une petite-nièce de Saint-Louis, op. cit. ; B. Delmaire, « Le pouvoir de Mahaut, comtesse d’Artois et de Bourgogne, en Artois (1302-1329) », dans, Femmes de pouvoir, femmes politiques durant les derniers siècles du Moyen Âge, éd. É. Bousmar, J. Dumont, A. Marchandisse et B. Schnerb, Bruxelles, 2012, p. 247-268.

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en premier lieu celles de Michelle Bubenicek sur Yolande de Flandre25 et celle de Christelle Loubet sur le gouvernement de Mahaut en Artois26. Reste que l’exercice est demeuré inédit en ce qui concerne Marguerite de France, encore que sa mémoire n’ait pas été totalement oubliée. Même si on aura l’occasion d’y revenir au dernier chapitre, on peut déjà noter que la Chronique de Froissart et les Grandes Chroniques de France avaient déjà vu en elle une figure très influente, une alliée indéfectible de la royauté dans ses rapports avec la Flandre, un modèle de dévotion et d’autorité maternelle, une marieuse hors-pair et, non sans exagération, une femme de paix. Par la suite, c’est surtout en Franche-Comté que la comtesse a laissé une trace, d’ailleurs limitée, chez les historiens. Dès la fin du XVIe siècle Louis Gollut dessine un portrait plutôt flatteur de la comtesse, qu’il décrit comme particulièrement soucieuse des affaires comtoises et de son autorité, s’attelant à reconstituer patiemment le domaine et faisant rentrer dans le rang les vassaux27. Édouard Clerc propose dès le milieu du XIXe siècle, une image plus précise et très positive, celle d’une femme vertueuse éprouvée par les drames mais mettant toute son énergie à affronter les graves événements du XIVe siècle28, forte de sa double filiation comtoise et française. Car dès le XIXe siècle se pose la question de son identité : trois érudits avaient d’ailleurs avancé en 1861 l’hypothèse que la première occurrence du terme « France Comté » dans un acte de 1366, serait d’ailleurs l’expression de la « francité » de la comtesse et de ses conseillers face à l’Empire « germanique »29. Cet ancrage comtois explique l’intérêt que Lucien Febvre porte à Marguerite, dont le « cœur viril » lui permit d’affronter un déferlement d’épreuves personnelles et politiques ; on peut rattacher à cette lignée l’historien Maurice Rey, premier à fournir une étude propre à la comtesse qu’il appelle de manière erronée « Marguerite de Flandre ». Il se penche avant tout sur son action en Franche-Comté, dans un mouvement téléologique de francisation du comté. Assez marqué par l’image de la veuve dévote, Rey cède cependant à la facilité en la traitant de « bigote », terme sans doute peu adapté au temps, mais souligne avec une plus grande perspicacité son sens du devoir et du risque, sa largesse trop grande, sa fidélité à la couronne ; une figure de patriote avant l’heure, de femme de pouvoir généreuse, résumée dans le souvenir qu’elle laissa : « l’énergie indomptable, l’amour de sa patrie et de celui qui la représentait, le Roi »30. On retrouve encore cette analyse positive chez Pierre Gresser, qui en a

25 M. Bubenicek, Quand les femmes gouvernent : droit et politique au XIVe siècle, Paris, 2002. 26 C. Balouzat-Loubet, Le gouvernement de la comtesse Mahaut, op. cit. 27 L. Gollut, Les Mémoires historiques de la république séquanoise et des princes de la Franche-Comté de Bourgogne, Arbois, (1592) 1846, col. 757-759. 28 É. Clerc, Essai sur l’histoire de la Franche-Comté, 2 vol., Besançon, 1840-1846, t. 2, p. 127. 29 P. Bial, A. Delacroix et A. Castan, « Origine du mot Franche-Comté », Mémoires de la Société d’Emulation du Doubs, vol. 6, 3e série, 1862, p. 493-497. 30 M. Rey, « Marguerite de Flandres : une étape dans la pénétration française en Franche-Comté (13611382) », dans Provinces et États dans la France de l’Est. Le rattachement de la Franche-Comté à la France, Besançon, Strasbourg, 1978, p. 247-295.

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parfaitement d’ailleurs dressé la généalogie historiographique, à laquelle il souscrit en la qualifiant de « femme énergique » ayant fait l’unanimité31.

Quatre vies en une : l’incarnation du pouvoir Mais si ces historiens ont abordé le principat de la comtesse sous un jour administratif et strictement local, il faut bien constater que la femme elle-même a peu intéressé les historiens. Outre la place mal identifiée de la comtesse dans l’histoire politique, on peut aussi y voir un effet du caractère déroutant de sa trajectoire personnelle. Cette vie assez imprévisible et changeante la fait passer de fille de roi à comtesse de Flandre, avant qu’elle n’endosse les identités de veuve puis de princesse héritière, un parcours qui n’est en fait pas si rare pour les femmes. Ces changements de statut et d’identité ont pu tenir les chercheurs à l’écart d’une personnalité qui n’a que tardivement pu donner la mesure de ses capacités politiques, conquérant progressivement son autonomie au gré des changements de statut : fille de prince puis de roi, épouse rejetée puis intégrée, veuve et mère, enfin dame naturelle, elle a ainsi visité les multiples facettes du rapport au pouvoir de la princesse des derniers siècles du Moyen Âge. S’y lit une identité changeante et composite qui ne peut qu’intéresser l’historien cherchant à cerner le phénomène princier, tant y apparaissent avec force les problématiques de l’incarnation du pouvoir, de la relation entre union personnelle et dynamiques locales, la question des interactions entre différentes cultures administratives et curiales. Marguerite incarne donc un pouvoir dont la dimension publique et politique semble évidente, même s’il se traduit d’abord par un mode de vie spécifique, par une trajectoire propre. Or suivre du berceau à la tombe une personne princière permet de replacer au centre de l’analyse du phénomène princier celui ou celle qui incarne le pouvoir sous toutes ses formes, festives, culturelles, dévotionnelles, politiques32. Nous nous proposons donc d’étudier ici la manière de vivre, d’incarner la fonction princière, avant d’envisager pour une autre étude l’organisation des structures. Il s’agit ici de saisir la nature parfois changeante, souvent accidentelle des constructions politiques au gré des successions et des unions personnelles. La vie des princes est en somme ce sur quoi se bâtissent les constructions étatiques et le pouvoir princier. Or ce pouvoir est en pleine mutation entre XIIIe et XVe siècles : il change dans ses fondements théoriques et pratiques en même temps qu’il se territorialise plus profondément, en une dialectique complexe entre principes généraux et ancrages singuliers. La promotion de la res publica s’inscrit dans des processus particuliers et s’adapte à bien des moules locaux, d’autant que chaque principauté dispose de ses coutumes, de son histoire, dont le prince « naturel » est solidaire. Il doit en effet être entièrement mu par un amour spécifique pour ses sujets, amour s’ancrant dans

31 P. Gresser, La Franche-Comté au temps de la guerre de Cent Ans, Besançon, 1989, p. 174. 32 B. Schnerb, Jean sans Peur : le prince meurtrier, Paris, 2005, p. 17.

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la singularité du sol, dans le lignage, dans une histoire voire une langue partagées33. Un pouvoir princier procède donc de catégories universelles présentes en une forme singulière. Une telle articulation n’a évidemment rien d’impensable pour une société façonnée par une pensée théologique capable de penser l’Eucharistie comme le monde en termes de substance universelle et d’accident particulier. Car le pouvoir princier doit s’incarner. Ce lien politique est charnel, et passe par l’exaltation d’un lignage et de sa mémoire, par les rituels de cour, par une expérience partagée, qui s’inscrit dans des modèles et des héritages propres à chaque pays. Comprendre l’incarnation concrète du phénomène princier apparaît donc comme un enjeu majeur, ainsi qu’un préalable nécessaire à l’étude du fonctionnement concret du pouvoir. Cette recherche s’inscrit donc dans un projet plus vaste visant à comprendre le phénomène princier dans son ensemble à travers la vie et le gouvernement de Marguerite de France34. Notre étude vise en priorité à saisir ce que la possession de plusieurs terres par une seule personne entraîne pour cette personne et ces terres ; il s’agit en partie de comprendre ce qu’une union personnelle signifie à la fois dans l’incarnation et l’organisation des pouvoirs. Pour cerner les phénomènes d’union personnelle, il faut commencer par connaître les personnes, et notamment le poids sur la formation intellectuelle et les sensibilités des expériences familiales antérieures, tout à fait comparables : celle de sa grand-mère Mahaut, de ses parents, de sa sœur Jeanne de France et de son époux, d’ailleurs tous confrontés à des réalité politiques comparables dans la mesure où ils gouvernent des territoires composites, ce qui confère à ce groupe une expertise particulière. En somme, nous envisageons notre étude comme une tentative pour situer une personne (dans tout ce que le terme charrie de représentation sociale et d’individualité) au point de rencontre et d’alliance de plusieurs forces, plusieurs puissances, plusieurs traditions et usages, notamment entre France, Bourgogne, Flandre et Artois. Par l’étude de son action comme son mode de vie, on cherchera à mesurer les mécanismes d’intégration à la politique royale et aux réseaux bourguignons des terres flamandes, artésiennes et comtoises. Modestement, il s’agit dans ce volume de concentrer l’attention sur le rôle personnel joué par la comtesse elle-même, par son mode de vie et la manière dont elle incarne le pouvoir, avant d’envisager dans un futur volume la question de son entourage et des formes d’organisation administrative et institutionnelle qu’elle développe à partir de son conseil, et qui peuvent se traduire par des formes régionales, nous y reviendrons. Bien entendu, il ne s’agit pas de singulariser à outrance Marguerite de France, figure propre à un milieu avec ses normes et ses réseaux, par rapport auxquels la princesse doit être replacée : elle appartient à un groupe social, d’ailleurs restreint, celui de la société princière, en particulier des princesses et notamment des princesses du sang 33 J. Krynen, « Naturel. Essai sur l’argument de la Nature dans la pensée politique à la fin du Moyen Âge », Journal des Savants, 1982, p. 169-190. 34 Tel était l’objet du mémoire inédit en vue de l’habilitation à diriger les recherches que nous avons soutenu en novembre 2020 à l’université de Lille, dont le présent ouvrage reprend la première moitié. La seconde est consacrée aux pratiques de gouvernement et aux contours de l’entourage de la comtesse, objet d’une future publication.

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royal, avec ses spécificités d’un mode de vie conforme à un état et à une identité, dont la construction passe par des images (emblèmes, sceaux), des mots (titulatures), une manière de consommer, un rapport spécifique à la foi chrétienne… Un tel milieu n’est d’ailleurs nullement isolé de celui, plus large, de la noblesse avec lequel il partage mode de vie, représentations, éducation, et dont il est solidaire par ses alliances et ses liens vassaliques. Une telle analyse a été explorée avec succès pour les exemples cités plus haut, ou d’autres figures contemporaines comme Enguerrand de Bournonville35 permettant de mieux saisir la société politique noble du temps. Conformément aux usages de l’époque, mais d’une manière qui lui est propre, Marguerite est en effet, grâce à sa légitimité, à ses moyens à ses réseaux et compétences, une actrice majeure de la société politique et des jeux de pouvoirs qu’elle contribue à façonner de ses choix, dans le cadre du royaume mais plus encore des seigneuries qui lui reviennent. La première partie de cet ouvrage vise à tracer les lignes de faîte de la vie de Marguerite de France pour donner corps à une incarnation du pouvoir, avant d’en venir dans une deuxième partie à l’organisation concrète de la vie de la comtesse. Son étude partira de la culture matérielle associée à une vie d’itinérance, en mettant de côté les aspects alimentaires, que nous avons déjà abordés ailleurs36, avant d’en venir à la commande et artistique, pour en arriver aux manifestations de la piété et à la construction de l’identité de la comtesse. Cette identité changeante et multiple ne peut d’ailleurs être abordée qu’au prisme de sources elles-mêmes très éclatées.

Un embarras de richesses ? Des archives dispersées La perte quasi complète des comptes centraux pourrait laisser penser que la vie de Marguerite de France nous demeure à jamais mystérieuses, comme celle de tant d’autres princesses. Il est vrai que cette lacune et la dispersion des archives de la comtesse obligent à recourir à des sources extérieures provenant d’autres cours et plus encore à une myriade de pièces justificatives et de comptes locaux dispersés de Bruxelles à Besançon en passant par Lille, Arras, Paris et Dijon, mais aussi parfois Londres ou New York. Les chroniques n’accordent pour leur part qu’une place modeste à la vie de la comtesse, bien qu’ils ne l’ignorent pas, comme nous l’avons vu. Malgré tout, ce travail a été rendu possible par la survie d’une partie des archives de la comtesse grâce à leur absorption dans divers dépôts de l’État bourguignon. Il a cependant nécessité le dépouillement d’un large corpus inégalement réparti dans le temps, et souvent dispersé, constitué pour l’essentiel d’actes comtaux et de comptabilités. La principale lacune concerne la comptabilité générale des finances, qui fournit habituellement une matière considérable aux historiens des princes. Ainsi,

35 B. Schnerb, Enguerrand de Bournonville et les siens : un lignage noble du Boulonnais aux XIVe et XVe siècles, Paris, 1997. 36 J.-B. Santamaria, « Boire et manger aux frais de la princesse : la table à la cour de Marguerite de France (1361-1382) », Le Moyen Âge, t. CXXV, 2019, p. 315-335.

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un seul compte du clerc des briefs chargé de la dépense de l’hôtel nous est parvenu, couvrant quelques mois des années 1330. Pour autant, les voies de traverse ne manquent pas. Il est vrai que durant les trois premières périodes de la vie de Marguerite de France (son enfance, son statut de femme mariée, puis de veuve), la documentation disponible est rare, mais pas nulle. Les sources royales sont éclairantes sur la place de la comtesse à la cour durant les premières années. On possède également une série d’actes royaux relatifs aux alliances ayant pu l’impliquer. Après 1329 les sources royales restent précieuses, en particulier les actes mentionnant des décisions relatives à Marguerite et à son époux, tandis que ce qui reste de comptabilité royale éclaire sur le soutien financier dont la comtesse a joui, notamment au temps où elle devait demeurer à l’extérieur de la Flandre et en particulier à Paris. Les sources artésiennes, comtoises et duchoises sont également indispensables pour reconstituer la vie de la comtesse jusqu’en 1361 au moins. Les sources relatives à la Franche-Comté et à l’Artois sont ici utiles en raison de la présence de Marguerite auprès de sa mère et les nombreux comptes de l’hôtel de Mahaut d’Artois ont été exploités à partir de 1310 car ils font souvent allusion à la jeune princesse et à ses sœurs. À partir de 1329-1330, les sources concernant Eudes de Bourgogne et Jeanne de France, sœur de Marguerite sont également indispensables en raison de leurs liens avec la comtesse. Par ailleurs, quelques comptes relatifs à la gestion des terres dont la comtesse était la dame avant 1361 nous sont parvenus, en Bourgogne comme en Artois. Les sources flamandes fournissent également des indications dès les années 1320, en particulier sur les débuts désastreux du couple formé par Marguerite et son époux. Elles sont plus utiles encore à partir de 1329 quand la comtesse réside en Flandre, éclairant sur l’action personnelle de la comtesse, ses relations avec son mari, son train de vie à la cour et son entourage. Parmi ces pièces par la suite intégrées pour partie aux archives propres de la comtesse puis digérées par l’appareil bourguignon, figure le compte des « contresommes des despens madame faiz en allant en France », couvrant une partie de l’année 133837. Après 1346, les liens restent étroits entre Marguerite et le gouvernement de la Flandre, dont les archives éclairent sur les relations de la comtesse avec son fils Louis de Male. Enfin, sur la 1320-1361, les sources urbaines ne sont pas en reste, et les comptabilités gantoises, brugeoises et yproises apportent des éclairages sur les déplacements de Marguerite ou ses relations avec les puissantes villes flamandes. À partir de 1361, le bon qualitatif et quantitatif est spectaculaire. On dispose alors de « ressources propres » issues des administrations au service de la comtesse, principalement en Artois et en Bourgogne, en particulier d’une très abondante comptabilité. Là encore, cependant, la documentation comptable « centrale » fait largement défaut, hormis un très sommaire compte en rouleau (deux peaux) du receveur de toutes les finances en 1362-136338.

37 ADPDC A 575. 38 ADPDC A 705.

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Il faut donc se tourner vers les comptabilités locales correspondant aux grandes masses géographiques. C’est d’abord l’Artois qui nous fournit la documentation la plus riche39. Mais là encore, les lacunes sont patentes : les comptes du receveur général d’Artois sont perdus, alors que la fonction a existé durant la majeure partie du principat. On doit donc recourir aux seuls comptes rendus par les receveurs de bailliage entre Toussaint 1361 et Ascension 1382, arrêtés trois fois par an (Chandeleur, Ascension, Toussaint), hormis quelques comptes annuels, tout particulièrement celui de Bapaume. Cette documentation est incomplète, même si la majorité en est conservée. Elle présente cependant des déséquilibres selon les années (tableau 1 et figure 2 en ligne)40. 13 termes sur les 62 qui couvrent la période ne comprennent qu’un ou deux comptes parmi les 6 recettes principales, tout particulièrement entre la Chandeleur 1374 et la Chandeleur 1378 ; en revanche les années 1361-1374 et 1379-1381 sont bien représentées, ce qui est d’autant plus précieux que la comtesse passe alors beaucoup du temps en Artois. Cette documentation comptable est pour partie complétée par une vingtaine de comptes de travaux et plus encore par les pièces justificatives ou « acquits » fournis avec les comptes Ce très riche ensemble est constitué de 6812 pièces inventoriées41 (6634 en parchemin et 178 en papier), formées surtout de quittances pas toujours très instructives, mais aussi de quantité de mandements, ainsi que de quelques documents de travail et notamment de listes de fournisseurs de l’hôtel. Certains actes de chancellerie ont également été réunis dans le fonds des archives du Pas-de-Calais, et renseignent notamment sur les itinérances de la comtesse. La deuxième grande masse est formée par les archives comtoises. Parfois conservées à Besançon où elles ont été versées après la Révolution, beaucoup ont néanmoins été transférées dès l’Ancien Régime à la Chambre des comptes de Dijon, tout comme plusieurs comptabilités issues des terres nivernaises et champenoises de la comtesse. On y relève des sources comptables locales, en particulier les comptes des trésoriers d’Amont et Aval en Bourgogne-comté, qui peuvent à l’occasion financer la cour. On recense également des actes princiers, à peine 122 à Besançon, encore moins à Dijon qui possède cependant trois registres contenant copie de centaines d’actes de la comtesse sur l’ensemble des années 1362-1382, une source essentielle pour notre sujet. Enfin, une partie des fonds artésiens, comtois ou flamands se sont retrouvés aux Archives Nationales et plus encore à la Bibliothèque Nationale au gré des prélèvements effectués par l’administration royale dans les dépôts locaux, tandis que quelques pièce se retrouvent dans des collections étrangères42. Nous avons autant que possible tenté d’en consulter l’essentiel.

39 Elle provient au départ du Trésor des Chartes d’Artois conservé à Arras pour une petite part, mais l’essentiel des comptes a en fait été incorporé après 1386 au fonds de la Chambre des comptes de Lille, ce qui explique qu’il soit désormais aux Archives du Nord. 40 Pour les 4 recettes annuelles d’Avesnes, Aubigny, Quiéry et Bapaume, on conserve 27 comptes, soit 32% : pour les 8 bailliages principaux rendus 3 fois l’an, on possède 296 comptes, soit 60% du total théorique : Aire, Arras, Beuvry, Béthune, Éperlecques, Hesdin, Saint-Omer et Tournehem. Voir tableau 1 en ligne. 41 Et quelques dizaines d’autres qui ne le sont pas. 42 New York, Columbia University, Smith Documents, n° 126.

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À ces archives « internes » s’ajoutent des fonds issus d’autres structures : archives des villes d’Artois et notamment de Saint-Omer, des villes de Flandre, ou encore de la ville d’Arbois. Côté princier, les archives ducales de Philippe le Hardi, celles de Louis de Male et surtout les archives royales fournissent bien des éléments sur les rapports avec d’autres cours, voire les itinérances de la comtesse. Relevons l’apport, certes modeste, des fonds d’établissements ecclésiastiques, en particulier ceux de Haute-Saône ou de l’Aube, fournissant des originaux de chartes. L’un des résultats de cette longue enquête est d’avoir permis de collecter 2555 mentions de la présence de la comtesse sa vie durant, ce qui suppose de croiser les nombreuses sources déjà évoquées : mentions dans des sources externes, indications comptables sur les séjours et déplacements, et plus encore mentions géographiques dans l’expédition des actes43. Ces derniers sont en effet datés avec la mention d’un locus. Si Jean-Marie Cauchies a montré à propos de la chancellerie bourguignonne qu’il pouvait être ajouté par le secrétaire après la rédaction par un scribe ; encore le fonctionnement pratique de l’administration conduit-il à enchaîner les étapes44. Dans le cas des lettres patentes de Marguerite, les mentions de service précisent cependant bien si la comtesse était présente ou a fait rédiger les lettres « a la relacion » du chancelier, ou de conseillers45, et les croisements opérés entre mentions de chancellerie et sources comptables internes ou externes ne comportent que d’infimes contradictions, d’autant que la comtesse semble ne s’être guère séparée de ses sceaux.

Notes sur les monnaies L’utilisation de nombreuses monnaies de comptes et réelles, au sein d’une documentation éclatée, oblige à quelques explications sommaires sur la valeur desdites monnaies, afin notamment de pouvoir établir une évaluation globale des revenus de la comtesse. Les monnaies de compte royales sont employées dans la plupart des recettes de la comtesse qui concernent des terres relevant du royaume : il s’agit surtout de la lb parisis de France et de la lb tournois, 1,25 lb tournois valant 1 lb parisis. L’écu est très présent, d’abord comme monnaie réelle qui continue de circuler après 1360. L’écu d’or à la chaise de 1337, d’un poids théorique de 4,532 gr titre d’abord à 24 carats, puis descend entre 1348 et 1349 à 21 carats. L’écu d’or à la chaise de Jean le Bon est frappé à partir de 1351. Son cours est fixé à 20 s tournois. Il pèse 4,47 gr mais son titre est baissé de 21 à 18 carats. On distingue ainsi écu Philippe et écu Jean, qui peuvent aussi être qualifiés de florin à l’écu. On les emploie en tant que monnaie réelle encore en 1361,

43 L’essentiel de ces mentions sont accessibles en ligne : https://cour-de-france.fr/article4880.html. 44 J.-M. Cauchies, « Paris dans la législation flamande de Jean sans Peur », dans Paris, capitale des ducs de Bourgogne, éd. W. Paravicini et B. Schnerb, Ostfildern, 2007, p. 121-135. 45 Sauf exception, les lettres conservées ne sont pas rédigées « A vostre relacion » mais « Par madame en son conseil » ; « Par madame, présens X et Y ».

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au cours théorique de 16 s parisis ou 20 s tournois. Leur cours réel baisse cependant. En 1360 les écus Philippe sont comptés à 18 s 4 d t, les écus Jean à 15 s t, soit ¾ de franc. En 1361, l’écu Jean est même évalué 11 s 8 d parisis, soit 14 s 7 d tournois, puis à 10 s parisis entre 1362 et 1365. L’écu sert aussi de monnaie de compte, comme en Normandie et Picardie. Il est alors indexé sur le cours des pièces d’argent flamandes, 20 gros valant un écu : jusqu’à la Noël 1360, l’écu « de Jehan » est compté 16 s 8 d parisis (soit 200 deniers), car le gros de Flandre est à 10 deniers parisis, puis après cette date il est compté à 13 s 4 d (soit160 deniers), le gros étant à 8 d parisis de France46. Après 1365 l’écu tombe à 140 deniers, suivant la baisse du gros de Flandre de 8 à 7 deniers. Le mouton d’or frappé à partir de 1355 est une pièce plus lourde, de 4,71 gr au titre de 24 carats. Son cours est de 25 sous tournois, et il est imité par le mouton d’or de Flandre en 1356, à 28 gros de Flandre la pièce d’or. Leur cours de 1,25 lb tournois ou 1 lb parisis est toujours utilisé en 1378. En 1370 comme en 1377, il est évalué à 1,25 franc. Lorsque le franc est compté à 16 s parisis soit 20 s tournois, cela représente donc 1 lb ; mais en 1370 on rencontre un franc à 18 s qui donne le mouton à 1,125 lb parisis ; puis en 1377 un franc à 18 s 6 d, soit 1,1156 lb parisis le mouton. Le royal qui remplace en 1358 le mouton d’or, au cours légal de 20 s parisis se rencontre également, ayant cours à 13 s 4 d parisis, soit 160 deniers, même si les cours officieux le surévaluent puisqu’un franc vaut 1,1146 royal et non 1,2 : en effet, le royal vaut 24 gros, l’écu 20 gros, le franc 27,5 gros. Le franc est également utilisé dans les comptes. Cette monnaie créée en décembre 1360 est jusqu’en 1364 le « franc à cheval » à 3,885 gr au cours de 20 s tournois soit 16 s parisis, pour 3,89 gr la pièce. Au 12 décembre 1361 son cours est bien de 16 s parisis ou 20 s tournois, mais il prend ensuite de la valeur. Lui succède le franc à pied au K de Karolus, frappé en 1364 aux mêmes conditions par Charles V. Dans les comptes, le franc est pris à 16 s parisis, mais sa valeur conduit parfois à la compter à plus haut prix jusque 18 s 8 d en 1365-1368 et en 1370-1375 et parfois 18,5 s, surtout dans l’ouest de l’Artois. Ces divergences pourraient expliquer qu’on « bricole » une lb parisis indexée sur un franc à 16 s et une autre lb parisis au « franc pour XVIII s », voire 18,5 sous. En Flandre, la monnaie de compte est la lb parisis de Flandre, qui se confond avec la lb parisienne, ainsi qu’en lb de gros, à savoir une lb contenant 240 gros, soit 2880 deniers, du temps de Louis de Nevers. Par la suite, la dévaluation du gros de Flandre va entraîner un décrochage de la monnaie de compte flamande. La monnaie de compte est donc fonction de cette monnaie réelle47. Globalement, dans les années 1318-1337 cette politique entraîne une réelle stabilité, notamment par rapport au florin d’or, de sorte que l’on en reste à 12 gros par florin, en raison la qualité des gros flamands. Entre 1337 et 1388 les pièces d’argent de type gros ou ses subdivisions frappées en Flandre perdent en qualité plus vite que les pièces françaises, entraînant la monnaie de compte flamande dans leur baisse. Il faut alors bien distinguer la lb

46 Compte de Bapaume. ADN B 14400. 47 H. Van Werveke, « Monnaie de compte et monnaie réelle », Revue belge de philologie et d’histoire, vol. 13, no 1, 1934, p. 123-152.

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parisis de Flandre indexée sur une monnaie d’argent flamande de faible valeur, et la lb parisis de France indexée sur les « blancs » royaux, surtout sous Louis de Male. En 1361 le gros de Flandre (et donc le sou parisis de Flandre) ne vaut plus 12 deniers parisis de France mais seulement 8 (soit 2/3 du sou parisis de France), puis 7 en 1365. La baisse du titre des monnaies d’argent flamandes, gros, demi-gros ou double gros (patard) s’inscrit dans une tendance de long terme, passant de 1365 à 1384 de 64% à 30% d’argent48. Ce fait entraîne la baisse de l’écu (de compte) dans les comptabilités artésiennes : le compte d’Hesdin fini à la Toussaint 1368 évoque clairement « l’escu compté XX gros de Flandres pour l’escu », ou encore 10 patards ou « vatarons », un double gros qualifié de « blans de Flandres ». Le gros de Flandre est évalué à 8 deniers parisis de France au début des années 1360. Les dévaluations de 1365 (de 8 à 7 deniers parisis de France le gros), puis 1368 (5 deniers) affaiblissent l’écu. Pour cette raison, l’écu est désormais compté à 0,5 lb parisis. Il semble que l’écu perde ensuite de son usage. L’écu semble ici fonctionner comme la lb parisis de Flandre cachée derrière un nom bien français. Par ailleurs, on retrouve dans les comptes artésiens des monnaies réelles flamandes d’or imitant les pièces royales : mouton d’or, « franc de Flandre » comme on l’appelle parfois dans les comptes, lion d’or créé en 1365, pesant 4,41 gr et valant alors 40 sous parisis de Flandre. En Franche-Comté, la monnaie de compte est la livre estevenante, mais on note une partie des calculs en florins, le taux de change ne variant d’ailleurs pas de l’une à l’autre de 1361 à 1384, à 0,75 lb estevenante le florin49. En revanche la valeur en lb parisis de France de la lb estevenante fluctue, probablement en fonction du florin50. Retenir l’idée d’un taux de 0,9 lb parisis pour 1 lb est. semble donc raisonnable pour comparer les apports des divers comtés.

48 M. Bompaire et É. Lebailly, « Monnaies de compte et monnaies réelles dans les comptabilités médiévales : l’exemple du registre du connétable d’Eu (1311-1349) », dans Classer, dire, compter : Discipline du chiffre et fabrique d’une norme comptable à la fin du Moyen Âge, éd. P. Beck et O. Mattéoni, Vincennes, 2015, p. 45. 49 M. Rey, La Monnaie estevenante des origines à la fin du XIVe siècle, Mémoires de la Société d’émulation du Doubs, 1958. 50 Entre novembre 1363 et février 1368, la lb estevenante (est.) vaut 1,111 franc ; entre octobre 1369 et août 1372, elle monte à 11429 franc ; de décembre 1372 à décembre 1373, elle vaut même 1,14957 franc. Mais elle est retombée en novembre 1381 à 1,142857 franc.

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Première partie

Fille, épouse, veuve, princesse : une vie de femme de pouvoir au XIVe siècle

Introduction de la première partie Méconnue des historiens et des chroniqueurs, la vie de Marguerite est pourtant riche de changements qui bousculent à plusieurs reprises sa condition. Plus qu’une vie, Marguerite en a quatre : d’abord sous la tutelle de son père et surtout de sa mère, elle est ensuite l’épouse du comte de Flandre jusqu’en 1346, puis devient une veuve active dans la défense des intérêts de son fils, avant de se retrouver à 50 ans l’héritière des comtés d’Artois et de Bourgogne qu’elle gouverne de 1361 à 1382. Sa première force est sa longévité. Vivant jusqu’aux environs de 70 ans et traversant pas moins de huit règnes, Marguerite de France survit à nombre de membres de sa propre famille, ce qui lui procure de beaux et inattendus héritages, mais aussi nombre de deuils. Elle partage en cela un trait commun à de nombreuses femmes de pouvoir : la durée. Mahaut d’Artois et Yolande de Flandre meurent toutes deux à 69 ans. Il est vrai que Marguerite a dû patienter plus longtemps pour acquérir une influence comparable, mais elle a ici profité de capacités de survie remarquables au sein d’une famille décimée. Orpheline de père à 10 ans et de mère à 18 ans, elle est par la suite une des rares de sa génération à survivre aussi longtemps, échappant aux épidémies de Peste noire les plus meurtrières, celles de 1349 et 1361. D’abord partie prenante du parti « bourguignon » dominé par Mahaut, réunissant Jeanne de Bourgogne-comté, ses quatre filles ainsi que ses trois gendres, la comtesse fait face au repli de ce réseau après 1346, qui la met en difficulté ; l’heure du retour en grâce est à dater de l’avènement de Charles V, qui va lui permettre de nouer une alliance fort profitable avec les Valois.

Chapitre 1 

Une enfance royale aux derniers temps des Capétiens (1312 ?-1320) Les premières années de Marguerite pourraient sembler inaccessibles à notre compréhension ; il n’en est rien. Certes, l’enfance des princes n’intéresse que peu des chroniqueurs d’abord soucieux d’éclairer le rôle public des puissants. On peut néanmoins se tourner vers les comptabilités. Car malgré l’incendie de la chambre des comptes de Paris en 1737, il est possible de croiser les rares informations des chroniqueurs aux épaves de la comptabilité royale et à celle, plus riche, de Mahaut d’Artois, qui ouvre sur plusieurs facettes de l’enfance de Marguerite. Surtout, la prise en compte du contexte politique permet d’insérer sa trajectoire dans le jeu des alliances matrimoniales qui conditionnent pour partie son existence.

1. La politique matrimoniale des Capétiens et les comtés d’Artois et de Bourgogne Capétienne, membre d’un puissant lignage, Marguerite est le fruit de calculs diplomatiques. Les mariages aristocratiques sont un puissant instrument régulant la diplomatie médiévale ; la monarchie française en a fait un usage des plus habiles, comme plus tard les ducs Valois de Bourgogne1. Ces mariages servent évidemment à garantir les équilibres européens, à l’instar de la double union accompagnant le traité de paix de 1303 entre France et Angleterre. Mais ils permettent aussi à la royauté d’intégrer certaines principautés périphériques. C’est d’une telle union que sort le père de Marguerite, le roi Philippe V : Philippe IV avait en effet été marié par son père en 1284 à Jeanne, reine de Navarre. Né en 1293, Philippe V est leur deuxième fils. Marguerite est donc bien une Capétienne par son père, mais son ascendance paternelle de Marguerite ne s’y limite pas, ce qui la fait parente d’autres dynasties européennes. D’une part, Philippe IV a pour mère Isabelle d’Aragon, fille du roi Jacques Ier et de Yolande de Hongrie. Quant à la grand-mère paternelle de Marguerite, Jeanne de Navarre (1273-1305)2, elle est la fille aînée et héritière du roi Henri de Navarre, comte de Champagne et de Blanche d’Artois. Si Marguerite ne peut avoir connu cette aïeule, l’héritage champenois comptera beaucoup dans sa vie. Par ailleurs, Blanche d’Artois, tante de Mahaut, mère de Jeanne de Navarre et arrière-grand-mère de Marguerite, rattache cette dernière à la famille d’Artois.



1 C. A. J. Armstrong, « La politique matrimoniale des ducs de Bourgogne de la Maison de Valois », Annales de Bourgogne, vol. 40, 1968, p. 5-58, 89-139. 2 E. A. R. Brown, « The prince is father of the king: the character and childhood of Philip the Fair of France », dans The monarchy of Capetian France and Royal ceremonial, éd. E. A. R. Brown, Aldershot, 1991, p. 282-334.

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Le côté maternel de Marguerite renvoie quant à lui au monde des princes bordant la zone d’influence française. La mère de la comtesse, Jeanne de Bourgogne, née vers 1290, est en effet l’aînée des enfants nés du mariage d’Othon IV de Bourgogne et de Mahaut d’Artois3, ce qui en fait l’héritière de deux principautés. Son père Othon est en effet comte de Bourgogne, héritant de son père Hugues III de Chalon, comte de Bourgogne et d’Adélaïde Ière de Bourgogne. Marguerite de France descend donc de Jean de Chalon l’Antique. Sa grand-mère maternelle est quant à elle une Capétienne, Mahaut, fille de Robert II d’Artois, lui-même fils de Mathilde, fille du duc Henri II de Brabant, et de Robert Ier d’Artois. Quant à la mère de Mahaut, il s’agit d’Amicie de Courtenay, dame de Conches, Mehun, Selles, Châteaurenard et Charny (v. 1250-1275), fille de Pierre de Courtenay et de Perrenelle de Joigny. Ce mouvement de rapprochement des principautés périphériques à la Couronne a été renforcé par le mariage des parents de Marguerite, né des tractations entre Philippe le Bel et Othon IV, en quête d’appuis face à Rodolphe de Habsbourg. En juin 1291, un premier projet avait même destiné Jeanne de Bourgogne au fils aîné du roi. Le 2 mars 1295 Othon cédait l’administration du comté de Bourgogne contre une rente, mettant le roi face au seigneur d’Arlay. La naissance de deux autres enfants, Blanche puis Robert, compliqua cependant les affaires d’Othon. Jeanne devenant un parti moins intéressant, le roi choisit en 1300 de marier son fils aîné Louis à Marguerite, fille du duc Robert II de Bourgogne. La mort de Robert II d’Artois changea encore la situation, Mahaut héritant de l’Artois. Un nouveau projet naquit : le 13 septembre 1302 Othon déshéritait son fils Robert du comté de Bourgogne au profit de Jeanne, augmentant ainsi sa cote matrimoniale, peu avant de mourir en mars 1303. Robert devrait se contenter de l’Artois. À 14 ans, Jeanne était désormais une belle héritière. Après avoir obtenu en décembre 1306 que Mahaut ratifie les clauses du traité de Vincennes donnant le comté de Bourgogne à Jeanne, le roi autorisa le mariage de la jeune héritière avec son cadet Philippe en janvier 1307, à Corbeil. Jeanne avait 18 ans, Philippe moins de 15. L’union avait nécessité une dispense. L’année suivante, le futur Charles IV, épousait la sœur de Jeanne, Blanche. Peu après, en janvier 1308, Isabelle de France, fille du roi et désormais belle-sœur de Jeanne, épousait quant à elle Édouard II.

2. Une enfance au temps des « brus du roi » Le couple formé par Philippe et Jeanne semble avoir été heureux selon le témoignage fourni par Philippe V pour dédouaner son épouse le 9 octobre 13174. On a pu écrire que le couple n’a d’abord pas vécu en commun, Philippe restant au palais, Jeanne en

3 L. Delobette et N. Brocard, « Entre France et Empire : Le mariage d’Otton IV et de Mahaut d’Artois (1285) », La Franche-Comté et les anciens Pays-Bas, XIIIe-XVIIIe siècles 1, éd. L. Delobette et P. Delsalle, Besançon, 2009, p. 17-42. 4 G. Duhem, « Jeanne de Bourgogne, comtesse de Poitiers et reine de France », Mémoires de la société d’émulation du Jura, 12e série, 1, 1928 1929, p. 139-173.

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l’hôtel de Mahaut rue Mauconseil ; néanmoins, l’union est consommée sans grands délais : le 4 mai 1308 naît Jeanne de France. La Chronique parisienne anonyme rapporte après elle la naissance de Louis, mort enfant et enterré aux Cordeliers, d’Isabelle, de Marguerite puis de « Blance qui fu Cordeliere a Longchamp »5. Le testament de la reine Jeanne énumère également ses quatre filles dans le même ordre6, tout comme Bernard Gui qui qualifie Marguerite de tertia vero genita, suivie de Blanche. Le chroniqueur précise d’ailleurs qu’un Philippe était né aux environs du 24 juin 1316 et mourut avant un an. Il serait le sixième enfant. Marguerite naît donc entre Isabelle et Blanche, à une date inconnue. La Chronique de Bernard Gui nous indique cependant que Marguerite fut mariée en 1320 à l’âge de huit ans, vix octennis. Elle serait donc née en 13127. Cela paraît vraisemblable après les naissances de Jeanne, Isabelle et peut-être Louis. Elle ne peut en outre être née après 1312, car elle fut suivie dès 1313 par Blanche de France8. Si l’on suit les déambulation de sa mère Jeanne de Bourgogne (carte 1 en ligne), renseignées par une centaine d’occurrences jusqu’en 1316, on devine la petite Marguerite dans le bassin parisien, en particulier à Paris, puis Saint-Germain-en-Laye Carrières, Vincennes, Pont-Sainte-Maxence sur la route de l’Artois, Meaux sur la route de Champagne, ainsi que sur la route de la Bourgogne, à Corbeil, Dammarieles-Lys (16), Montereau. Bien entendu, en 1312, Jeanne de Bourgogne est encore peu mobile, ce qui pourrait confirmer l’hypothèse d’une maternité : jusqu’en septembre, c’est toujours à Paris qu’on la localise hormis en août où elle se rend à Vincennes. Marguerite est donc probablement née à Paris, où elle situe d’ailleurs son « air naturel » comme nous le verrons. Le jeune père joue-t-il avec ses filles, du moins les deux plus grandes ? Une mention dans le compte de son hôtel indique qu’il perd 6 florins le 18 octobre 1313 à Saint-Germain-en-Laye « saignéz ce jour pour joer a la griesche a nos dames »9. Visiblement, les dames accompagnent Jeanne qui est elle aussi attestée à Saint-Germain au même moment, avant de gagner Dammarie en décembre, rejointe par Mahaut le 31. Mais Jeanne de Bourgogne fréquente également beaucoup l’Artois, en particulier Hesdin, Avesnes-le-Comte et Arras (tableau 2 en ligne). Elle se rend également en Franche-Comté avec son époux en 1315 pour un joyeux avènement la conduisant dans les villes domaniales, notamment à Gray, Dole et Poligny (tableau 3 en ligne). Ainsi, le cadre géographique dans lequel la comtesse va inscrire ses itinérances est déjà pour partie posé, montrant l’importance des terres du côté maternel, côté qui se retrouve d’ailleurs rapidement mis en difficulté par une grave crise.

5 Chronique parisienne anonyme du XIVe siècle, éd. A. Hellot, Nogent-le-Rotrou, 1884, p. 65, n. 78. 6 J. Du-Tillet, Recueil des roys de France leurs couronne et maison, Paris, 1607, p. 351. 7 Bernard Gui, « E floribus chronicorum », éd. Joseph-Daniel Guigniaut et Natalis de Wailly, Recueil des historiens des Gaules et de la France, t. 21, Paris, 1855, p. 690-734. 8 Elle a en effet 5 ans en 1318, lors de son entrée en religion. 9 Compte de Guillaume de Péronne pour les dépenses de l’hôtel de Philippe, comte de Poitiers, édité par C. Leber, Collection des meilleurs dissertations, notices et traités particuliers relatifs à l’histoire de France, t. 19, Paris, 1838, p. 50.

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Toute jeune, Marguerite est en effet directement concernée par l’affaire des brus du roi qui éclabousse ses proches : sa tante Blanche est convaincue d’adultère, d’autant qu’on soupçonne sa mère Jeanne de l’avoir couverte. Qui plus est, Gauthier d’Aunay fait partie de l’hôtel de son père Philippe alors comte de Poitiers10. Les chevaliers fautifs ne l’ayant pas dénoncée, Jeanne n’est pas enfermée mais les soupçons du roi la rattrapent et elle est emprisonnée vers le 24 juin 1314 puis conduite à Dourdan, craignant pour sa vie11. Selon les chroniqueurs, elle reste seule : Marguerite est alors probablement chez Mahaut en Artois, d’autant que Philippe s’y rend fréquemment en septembre et octobre entouré d’une large compagnie, bénéficiant des largesses de sa belle-mère12. Il est fort probable que les filles aient donc été présentes en Artois, d’autant qu’une partie de l’entourage de Jeanne s’y trouve13. Purgée par une enquête au Parlement, Jeanne est reconnue innocente le 26 décembre14, et rejoint Mahaut à Paris le 29 au plus tôt. Il est possible que la mort de Philippe IV le Bel le 29 novembre ait facilité cette fin heureuse. Un tel épisode a certainement marqué une enfant de deux ans, privée d’une mère menacée et témoin d’une tension familiale hors norme. En outre, si la réputation de Jeanne de Bourgogne est blanchie après 1315, elle va continuer d’exciter les imaginations. Vers 1317, des rumeurs l’accusent d’avoir obtenu son salut en faisant avaler un philtre d’amour à son époux ; ce dernier doit alors l’innocenter, évoquant la bonne entente sexuelle et l’affection au sein de son couple, notoirement connues15. Pire, les accusations de bâtardise ont pu être utilisées contre Marguerite et ses sœurs : Artaud Flotte en aurait ainsi usé pour la discréditer auprès de Louis de Nevers. Quant aux bruits d’envoûtement et de mauvaise entente, très fréquentes dans les cours du début du XIVe siècle, ils rejailliront sur la place publique au sujet du propre mariage de Marguerite. Un autre effet probable de la crise est l’entrée dans la vie religieuse de Blanche, sœur de Marguerite, qui semble avoir été vouée à racheter les fautes familiales et surtout à faire bénéficier sa mère de ses prières et de la miséricorde divine. Entrée pour y recevoir une éducation, elle aurait dû en sortir pour épouser Louis de Nevers. Sa mère se serait alors opposée au mariage et elle serait ainsi restée Clarisse, décision que les Grandes Chroniques de France attribuent d’abord à la reine16.

3. Réconciliation et négociations sur l’héritage bourguignon Sortie de captivité à la fin 1314, Jeanne se retrouve d’abord à Paris ainsi qu’à Conflans, où elle fréquente assidument sa mère. Le temps de la réconciliation est venu,

10 G. Duhem, « Jeanne de Bourgogne », op. cit. 11 « Ex anonymo regum Francia Chronico », éd. N. de Wailly et L. Delisle, Recueil des historiens des Gaules et de la France, t. 22, Paris, 1865, p. 22. 12 Souper « avec monseigneur de Poitiers et moult autres ». ADPDC A 321. 13 ADPDC A 325. 14 « Chronique rimée attribuée à Geoffroi de Paris », Recueil des historiens des Gaules et de la France, op. cit., t. 22, p. 87-166. 15 Cité par G. Duhem, « Jeanne de Bourgogne », op. cit. 16 BN Fr. 2813, fol. 341.

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Philippe manifestant ostensiblement son affection et augmentant l’étendue du douaire de son épouse qui se voit accordée 6000 lb de rente sur les terres de Champagne17. Il a lui-même tiré profit de la crise, faisant reconnaître à sa femme la possession du comté de Bourgogne, ce que lui reconnaît l’administration de Mahaut début 131518, au détriment de Robert. Ce dernier est en théorie comte de Bourgogne depuis la mort d’Othon en 1303, et toujours vivant. Durant la captivité de Jeanne et les séjours de Philippe en Artois, sans doute en présence de Robert, le comté de Bourgogne a pourtant bien été accordé à Jeanne avec la bénédiction de Louis X : cela est confirmé par les propos lancés par les nobles artésiens révoltés à Robert et sa sœur Jeanne à Vis-en-Artois en octobre 1315 qui prédisent que Robert se fera dépouiller de l’Artois comme il l’a été de la Bourgogne, et ce au profit de Jeanne19. Réuni, le couple gagne rapidement la Bourgogne, atteignant Auxonne à la mi-avril. Marguerite découvre alors certainement son futur comté et plusieurs de ses parents, en particulier Hugues de Bourgogne, frère d’Othon IV et Renaud de Bourgogne, comte de Montbéliard, mais aussi son cousin Hugues Ier de Chalon-Arlay, les sires de Neufchâtel20 et de Montfaucon, qui les accompagnent lors de leur entrée à Dole. À Bracon, le 23 avril les époux sont reçus fastueusement par Mahaut, qui dispose d’un très solide douaire dans le comté, avant de poursuivre à Cromary puis vers Gray, Besançon, Apremont, Arbois, Poligny et Baume-les-Messieurs21. Encore en Bourgogne fin juin, Jeanne est à Montereau le 15 août aux côtés de Mahaut, en route pour assister aux épousailles de Louis X et Clémence de Hongrie, célébrée le 19 août22. Ce n’est cependant qu’une étape ; Philippe part vers le Poitou23, tandis que Jeanne gagne l’Artois avec Mahaut, accompagnée par le roi Louis X inquiet du climat de contestation nobiliaire24 ; dans un acte daté d’Arras en août 1315, il octroie d’ailleurs un avantage en faveur des filles de son frère Philippe, qui veut assurer la transmission de ses terres et notamment du Poitou, car il n’a alors pas d’héritier mâle. Le roi lui reconnait le droit de transmettre à ses filles25. Présente à Avesnes le 1er septembre avec ses gens26, Jeanne repart à Arras le 10 septembre, auprès de Mahaut où elle retrouve Robert, avant de gagner Avesnes le 20 septembre27. Sur cette période, l’hôtel de Jeanne engloutit 4 bœufs, 27 moutons, 7 porcs, 87 volailles et 25 lapins en 9 jours, sans compter poissons, céréales fournies par la comtesse et ses greniers, quantité de potage, pois, pain, mais aussi vinaigre et verjus. On confectionne force tartes et pâtés, probablement salés, faits à la fleur de farine. 17 ADD B 24. 18 ADPDC A 327. 19 G. Duhem, « Jeanne de Bourgogne », op. cit. 20 Thiébaut IV de Neufchâtel. 21 Ibid. 22 Ibid. 23 Un acte est daté de Poitiers le 25 août 1315. Recueil de documents concernant la commune et la ville de Poitiers, éd. É. Audouin, t. 1, Poitiers, 1923, p. 337. 24 ADPDC A 60. 25 Acte daté d’Arras en août 1315. Un autre acte nous indique qu’il est présent à Arras le 20. ADPDC A 60. 26 ADPDC A 502.1 non daté. 27 ADPDC A 334.

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Pour cet imposant entourage, il faut une trentaine de lits loués à diverses gens à 3 d par jour le lit, sans compter tous ceux qui sont envoyés loger chez divers habitants. On voit alors apparaître un hôtel très structuré avec le maître d’hôtel Jean de Courpalais (peut-être originaire de la Brie), 4 écuyers, Perrin de Gy, Pierre de Bièvre, Jean de Montouche, Joffroy de Lembry, une dame d’honneur, madame de Sully ( Jeanne de Vendôme, épouse d’Henri de Sully, proche de Mahaut), et nombre de gens « de métier ». L’accession à la couronne ne réduira évidemment pas ces usages. D’Avesnes, Jeanne atteint Hesdin le 26 septembre 1315, et y est attestée jusqu’au 1er octobre, d’abord avec Mahaut28. Elle rentre alors à Paris où elle loge chez Mahaut le 13 octobre, en compagnie de son mari, puis on la retrouve le 29 octobre à Montereau-Fault-Yonne, sur la route de la Bourgogne. Si Marguerite accompagne sa mère dans ce long séjour en Artois, elle doit être témoin du climat insurrectionnel suscité par les Ligues nobiliaires qui fleurissent durant le règne de Louis X. Une plainte de Mahaut mentionnée dans un document d’octobre 1317 évoque alors une agression contre Jeanne en Artois. L’affront semble avoir eu lieu en septembre ou début octobre 1315. Pourtant protégée en vertu d’un accord passé devant le roi avec les nobles artésiens à Péronne, Jeanne se rend alors chez Denis d’Hireçon à Vis-en-Artois à 12 km à l’est d’Arras, avec son frère Robert, en compagnie de chevaliers comtois et artésiens et de la dame de Sully. Elle est alors insultée par « grant planté de genz d’armes, les glaives es puins, les espées traites, courant leur chevaus aval la court ». Ces hommes en armes reprochent aux nobles de l’escorte de ne pas se joindre à leur rébellion et éclaboussent de boue la fourrure de vair et les draps de Jeanne, refusant de lui adresser la parole. Ils ciblent également Robert, à qui ils reprochent de se laisser déshériter, les laissant ainsi à la merci du frère du roi. Gagnant alors Hesdin pour rejoindre Mahaut, la princesse est encore harcelée au point que Jeanne de Vendôme, dame de Sully en aurait perdu l’enfant qu’elle portait. Une fois à Hesdin, après le départ de sa mère, Jeanne doit même subir un assaut destiné à libérer un noble rebelle29 ; elle finit par fuir pour sauver sa vie. Daté du 25 octobre 1315 par le continuateur de Gérard de Frachet, l’assaut ne coïncide cependant pas avec les itinérances de la comtesse arrivée à Hesdin le 26 septembre mais déjà Paris le 13 octobre. Humilié, Philippe obtient rapidement du roi son frère de convoquer les nobles à Compiègne aux environs de la Toussaint pour punir les rebelles30. Jeanne de Bourgogne retourne-t-elle en Franche-Comté à l’automne 1315 ? Son départ de Paris pour Montereau en octobre semble l’indiquer. On la retrouve néanmoins à Paris en janvier 1316, au Palais et au Louvre. Toujours mobile alors que sa grossesse est avancée, elle repart vers le 18 juin 1316 pour Gray. Il s’agit probablement pour elle de faire naître l’enfant en Franche-Comté. Elle y « ccou » he d’ailleurs aux environs

28 Ibid. 29 ADPDC A 61. 30 Continuation de la chronique de Gérard de Frachet, Recueil des historiens des Gaules et de la France, op. cit., t. 21, p. 45.

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du 24 juin (ou peut-être fin juillet) d’un fils prénommé Philippe31. C’est là qu’elle semble demeurer jusqu’au début de l’automne, avant de revenir vers l’Île-de-France dans un contexte complètement bouleversé.

4. Marguerite, fille de roi. L’avènement de Philippe V et le parti artéso-comtois En effet, de passage à Lyon sur la route d’Avignon, où il entend se rendre pour l’élection du pape, Philippe apprend la mort de son frère survenue à Vincennes le 5 juin 1316. Après avoir assisté au couronnement du pape Jean XXII le 8 septembre 1316, il prend le contrôle du gouvernement royal dans l’attente de la naissance de l’enfant porté par Clémence de Hongrie. Philippe fait en outre éloigner la fille de Louis X, Jeanne, qui est « menee en Bourgongne », probablement peu après la mort du petit Jean Ier le Posthume, datée du 20 novembre 131632. Revenue à l’automne 1316 en Île-de-France, Jeanne de Bourgogne émerge davantage dans la documentation qui montre que ses enfants la suivent partout, ce qui semble indiquer qu’il en allait ainsi auparavant : le 8 octobre elle est à Carrières-sur-Seine33, où Blanche tombe malade. Le 7 novembre elle gagne l’hôtel d’Artois et sa mère depuis Saint-Germain-en-Laye « et i furent les enfans ». Alors que la reine Clémence est sur le point d’accoucher, Jeanne est à Villers-Cotterêts le 15 novembre, puis apprend à Pont-Sainte-Maxence la naissance puis le décès du petit « Jean le Posthume »34. Le 27 novembre elle est à Saint-Denis, sans doute pour les funérailles de son neveu35. La situation a alors complètement changé car c’est la couronne de France qui s’offre à son époux. Jeanne reste d’ailleurs en Île-de-France dans les mois qui suivent36. On est alors en pleine préparation du sacre, auquel les filles doivent assister en plein hiver. Pour le trajet, on achète « I couvertoir et demi à chacune des IIII filles nostre sire le roi ». De Saint-Denis, le convoi part vers Reims où le 6 janvier 1317. Tout un clan bourguignon triomphe autour de Philippe V et de Mahaut. La comtesse d’Artois aurait d’ailleurs suscité l’indignation : on l’accuse d’avoir voulu voler la « vedette » lors du sacre en tenant la couronne37. Sa famille fera en tout cas l’objet des premières décisions royales, en particulier pour faire face à l’attaque du rival de Mahaut, Robert d’Artois, entré à Arras en septembre 1316 à la tête d’une grande armée. Une des premières décisions de Philippe V est donc de faire arrêter Robert d’Artois.

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G. Duhem, « Jeanne de Bourgogne », op. cit. Comptes de l’argenterie des rois de France au XIVe siècle, éd. L. Douët d’Arcq, Paris, 1851, p. 26. BN Clairambault 469. ADPDC A 351. G. Duhem, « Jeanne de Bourgogne », op. cit. ADPDC A 351. Continuation de la chronique de Gérard de Frachet, Recueil des historiens des Gaules et de la France, op. cit., t. 21, p. 47.

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De retour à Paris, la famille est frappée par la mort du petit Philippe, le 26 février 131738 qui laisse le roi sans descendance mâle. Puis aux environs du 3 ou 4 septembre 1317, Robert, frère de la reine, succombe39. Jeanne de Bourgogne devient l’héritière unique des comtés d’Artois et de Bourgogne. Le roi prend alors grand soin de son épouse, lui donnant le 27 septembre 1318 80 000 lb tournois que lui devait Mahaut d’Artois, qui devront revenir à leurs enfants communs40. Il veille également à contenter son jeune frère Charles, comte de la Marche, lui donnant les terres qu’il avait prévu d’accorder à ses filles lors de leur mariage. Le roi précise qu’il faudra leur trouver une compensation à hauteur de 10 000 lb. Une clause du don accordé à Charles prévoit cependant que ces terres, surtout situées en Poitou, puissent revenir aux filles du roi si Charles n’a pas d’héritier mâle41. Pour l’heure, ces dernières « pueent bien attendre »… Il faut surtout les marier. Les Grandes Chroniques font des « mariages des filles au roy » la principale affaire du règne après la question de l’Artois. Dans sa position nouvelle, Philippe V espère se rapprocher des principaux pairs du royaume et consolider sa position fragile. Le roi entend marier Blanche au fils du comte de Nevers, héritier probable de la Flandre ; il faut faire vite car la fille du comte d’Évreux est également sur les rangs. Ce projet est donc neutralisé, tandis que le roi demande l’appui du pape pour une union qui vise d’abord à assurer la paix avec la Flandre, mission qui s’annonce délicate42. En revanche, l’union de l’aînée Jeanne de France avec le jeune duc Eudes de Bourgogne avance rapidement. Le duc, premier pair de France, est en effet issu d’une lignée capétienne fidèle. Mais il est tenu de défendre l’héritage de Jeanne, fille de sa sœur Marguerite et de Louis X, évincée de la succession par Philippe V. Il pourrait donc être un obstacle : le roi entend le rallier en lui donnant sa fille aînée. Les jeunes gens sont fiancés avant le 8 novembre 131743 et mariés en 1318. Pour prix de son silence, Eudes a reçu des garanties sur le fait que Jeanne hériterait de l’essentiel de l’Artois et de la Bourgogne, au détriment des sœurs de son épouse. Cette décision pèsera lourd dans la vie de Marguerite. Le roi rend également le comté de Nevers au fils du comte Robert de Flandre, Louis de Nevers, terre confisquée en 1317 en raison des complots hourdis par ce dernier. En 1319, un procès est même lancé pour répondre aux prétentions de Robert d’Artois sur le comté de Nevers, peut-être pour le dédommager de ses déboires en Artois. Mais Louis de Nevers finit par l’emporter grâce au soutien de Pierre Bertrand, conseiller de Philippe V44, très proche de la reine Jeanne. Y a-t-il eu là une manœuvre de Mahaut et Jeanne contre Robert d’Artois et en faveur d’un futur allié ? C’est bien possible.

38 G. Duhem, « Jeanne de Bourgogne », op. cit. 39 C. Balouzat-Loubet, Mahaut d’Artois, op. cit., p. 141. 40 ADPDC A 63. 41 Ville sur Tonque, Niort, Montmorillon, Les bois Lénon, Mauléon, Fontenay-le-Comte, Benas et ses bois, la Terre de Courton. ADN B 415, n° 7191. 42 BN Fr. 2813, fol. 340-341. 43 Mémoire sur les relations de la France et de la Castille de 1255 à 1320, éd. G. Daumet, Paris, 1913, p. 135. 44 R. de Lespinasse, Le Nivernais et les comtes de Nevers, Paris, 1909, p. 441-449.

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Marguerite et ses sœurs constituent donc des atouts dans la main de leur père. Elles commencent à émerger plus nettement dans la documentation, au fur et à mesure que leur destinée s’individualise, même si elles se retrouvent très souvent à l’hôtel de leur mère (carte 2 en ligne). Le temps d’une vie totalement commune semble néanmoins s’achever dès 1317. Chacune est engagée par les décisions du couple royal. Aux environs de juillet 1317, la jeune Isabelle doit partir vers Vienne et la cour delphinale45, même si elle est de nouveau à la cour le 16 juin 131846. Jeanne est également mariée depuis 1318. Quant à Blanche, son entrée en religion au couvent franciscain de Longchamp se précise. Elle y est admise le 1er février 1319 : selon un « rituel monarchique » elle est vêtue en Clarisse, dans le chœur, devant l’autel. Outre le roi et son frère cadet sont notamment présents Charles de Valois, et bien entendu Mahaut d’Artois « aiole madame ». Blanche est vêtue par l’archevêque de Reims, aidée par la reine et par l’abbesse, en présence de frère Nicolas de Lyre et du couvent au complet47. Malgré tout, le 17 janvier 1319 le pape accorde une autorisation à Jeanne de Bourgogne pour visiter sa benjamine et passer la nuit avec elle autant qu’elle le souhaitera. Le même privilège est accordé le 17 décembre 1320 à Isabelle et Marguerite48. Probablement seule à demeurer à plein temps à la cour à partir de 1318-1319, Marguerite voit cependant arriver un petit frère, potentiel héritier de la couronne, dont la nouvelle est annoncée à Mahaut le 29 décembre 131949. De plus, ses sœurs aînées reviennent souvent : au début 1320 le roi continue d’entretenir une chambre de « nos jounes dames leurs filles » finançant les dépenses de Jeanne, d’Isabelle, de « madame Marguerite » et du petit dauphin, mais plus de Blanche50.

5. Le train de vie de « nos jeunes dames » À partir des années 1316-1322, « nos jeunes dames filles le roy » sont bien mieux renseignées par les comptes du roi et de Mahaut, y compris celle que l’on appelle « madame Marguerite » à l’âge de quatre ans51. On peut désormais suivre l’apprentissage de ses fonctions de représentation en tant que « fille de roi de France ». Les jeunes princesses font l’objet de dépenses importantes liées à leur confort et leur apparat, qui signalent une grande proximité avec la reine et une nette hiérarchie entre les deux aînées et les deux cadettes du point de vue des dépenses. Or c’est de Blanche que Marguerite sera la plus proche par la suite, et de très loin : certes, la benjamine

45 BN Clairambault 1052, fol. 87v. 46 Nouveau recueil de comptes de l’argenterie des rois de France, éd. L. Douët d’Arcq, Paris, 1874, p. 10. 47 A.-H. Allirot, Filles de roy de France, op. cit., p. 307. BN Fr. 11662, fol. 45v. 48 E. A. R. Brown, « The Ceremonial of Royal Succession in Capetian France. The Funeral of Philip V », Speculum, vol. 55, 1980, p. 266-293, p. 271. 49 ADPDC A 366. 50 Compte de Geoffroi de Fleury pour le roi, 1er janvier au 30 juin 1320 ; Collection des meilleurs dissertations, op. cit., p. 58. 51 BN Clairambault 469, fol. 269.

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n’est guère en compétition pour les héritages, mais une certaine solidarité se devine également entre les plus jeunes filles. L’un des postes de dépenses les plus importants est constitué par l’habillement. Les filles reçoivent des robes de livrées : cote, surcot, chape et manteau. C’est aussi le cas du petit dauphin Guigues, et des filles de Jeanne de Vendôme. Les draps importés du nord sont fournis par Mahaut et taillés par un Comtois, Jean le Bourguignon, tailleur de la reine. On observe deux dimensions dans la taille des habits : la première pour Jeanne et Isabelle, la seconde pour Marguerite et Blanche. À la livrée de la Toussaint 1316, Marguerite, plus petite, reçoit ainsi une robe ajustée à sa taille, mais dans des tissus similaires à ceux de ses sœurs aînées, un marbré de trois garnements, cote et surcot, et un corset rond à pourfil, avec une pelisse de gris couverte de cendal. Le tout est évidemment fourré de vair. Mais Jeanne et Isabelle sont davantage mises en valeurs : elles seules reçoivent chacune deux robes supplémentaires pour le sacre52. La reine complète par ailleurs la tenue de ses aînées en faisant réaliser une autre robe de « veluyau » (velours) jaune de trois garnements, qui rappelle celle portée par la reine la veille du sacre… Rien de tel pour Marguerite, Blanche et le dauphin. Marguerite a peut-être dû se contenter de la « livrée » de Noël 1316, une robe de vert gai de trois garnements, avec sa double fourrure. Malgré tout, une certaine homogénéité l’emporte et Marguerite a bénéficié de draps de laine de haute qualité, et de vêtements régulièrement changés au rythme des livrées : drap marbré (notamment de Bruxelles), en particulier marbré en graine ; drap mêlé ou merlé tissu de laines de diverses couleurs ; vert gai, c’est-à-dure un drap vert généralement produit à Louvain ou Bruxelles ; écarlate vermeille, spécialité bruxelloise de grand prix et à la symbolique très princière. Une robe d’écarlate vermeille avait été offerte à Mahaut par la ville d’Arras lors de son retour victorieux après les révoltes nobiliaires53. Durant le deuxième semestre 1317 Marguerite reçoit encore 13 paires de souliers et chausses semellées, qui devaient donc descendre aux pieds, et encore 9 paires de souliers feutrés, autant que Blanche mais moins que les deux aînées Jeanne et Isabelle ; les jeunes dames reçoivent également 12 paires de gants. Les autres achats renseignent sur l’importance du confort, de l’hygiène et de l’apparat : « paelles à piez laver », « bacins », « chaeres [chaises] à laver »… Pour le reste, on sait que deux coffres sont fournis le 24 novembre 1316 « pour madame Marguerite fille le Roy »54. En 1317 on acquiert 8 « quailiers », ou vaisseaux de bois : quatre pour les jeunes dames, un pour le dauphin, un pour la demoiselle de Dreux, un pour le maître d’hôtel des jeunes dames, Guillaume de Pressigny et un quatrième pour son épouse Marguerite de Pressigny : voilà peut-être le plan de table des repas que les filles prenaient en l’absence de leur mère… Marguerite doit d’ailleurs faire changer son « quailier » qui est brisé peu après. En outre, les trois

52 ADPDC A 351. 53 J.-M. Richard, Une petite-nièce de Saint-Louis, op. cit., p. 186. 54 Nouveau recueil de comptes, op. cit., p. 44.

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plus jeunes dames reçoivent trois coupes de madre (pierre précieuse) pour 12 lb, et possèdent chacune deux couteaux à manche d’ébène et à lame d’argent émaillés aux armes de France et de Bourgogne55. Voilà qui leur rappelle leur double identité et leur devoir de représentation. Marguerite dispose évidemment d’une « chambre », qui désigne non une pièce mais un ensemble formé par son lit et une tapisserie. Peu avant son mariage, le 7 juin 1320, 6 draps de cendal jaunes, pesant 73 onces sont achetées « dont l’en fist l’envers de la chambre madame Marguerite, fuille le roy »56. Le 8 avril 1321, deux pièces de taffetas de « tartaire vert », pesant 22 aunes sont achetés « dont l’en couvrit les carriaus de chambres nos jeunes dames, fuilles le roy »57. En dehors du choix de ces couleurs, la décoration des chambres des filles n’est pas connue. On est mieux renseigné sur celle de la reine qui laisse apparaître un goût prononcé pour l’héraldique : avant le sacre, elle fit notamment broder une chambre d’une valeur de 902 lb, comptant 10 tapis58. Brodés de 1321 papegais « amantelés des armes nostre sire le roy » et de 661 papillons brodés dont les ailes portaient les armes du comté de Bourgogne, « les helles des armes le conte de Bourgongne », ces « tapis » comportaient 7000 trèfles d’argent brodés entre les papillons et les papegais, pour 116 lb 13 s et 4 d. On sait le prestige attribué aux perroquets jusqu’à la cour pontificale du XIVe siècle, en raison de sa rareté et de ses capacités de communication59. Cette chambre disposait encore de 8 tapis vermeils brodés de vert pour les fenêtres et de 4 tapis pour les « sommiers », sans doute les animaux transportant la chambre, brodés aux armes de France et de Bourgogne. Encore en 1317, on livre 6 tapis vermeilles aux écussons de France et de Bourgogne60. Les jeunes princesses apprennent donc le confort et le luxe, mais aussi la mobilité. Elles se déplacent sans doute dans le char de leur mère, un tel véhicule pouvant contenir 4 à 6 personnes. Paré de drap écarlate et jaune, de toile verte, vermeille et blanche, il dispose d’un ciel de cinq velours verts et d’un « materaz » de pourpre.

6. Dans l’ombre de Mahaut et Jeanne : une éducation aux codes sociaux Pour cerner le climat dans lequel Marguerite grandit, il faut insister sur la figure de sa mère. Dans les années 1316-1322, elle demeure assez éloignée de la Bourgogne et se trouve surtout à Paris et en Artois. Mahaut est d’ailleurs souvent présente à ses côtés. Quelques évènements émergent, comme sa visite au Mont-Saint-Michel en juillet 1318 : il n’est pas à exclure que Marguerite l’accompagne, elle qui va se montrer très attachée à la figure de l’archange. Sur le règne de Jeanne, peu de données émergent 55 BN Clairambault 1052. 56 Nouveau recueil de comptes, op. cit., p. 11. 57 Ibid., p. 16. 58 6 de 5 aunes de long et de 2 de larges, et 4 de 4 aunes de long et de 2 de large. 59 A. Paravicini Bagliani, Le bestiaire du pape, Paris, 2018. 60 BN Clairambault 1052.

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néanmoins61 et les chroniques évoquent peu son action. Ce n’est que lorsque Philippe V endure sa très longue agonie qu’on la voit ordonner l’expédition d’actes royaux « a la relacion de madame la royne »62. Mais l’influence dont elle jouit ne se mesure pas aux mentions de chancellerie. Défendant ses intérêts, Jeanne obtient une augmentation de son douaire de 6 000 lb établi en Champagne, qui passe à 21 000 lb par un acte de mars 1317. En décembre, ces terres sont assignées en Picardie et Normandie. En août 1319 le douaire est encire augmenté de 7 000 lb en Languedoc, sur Roquemaur, Lunel, Sommières et Beaucaire63. La même année, Jeanne obtient l’hôtel de Nesle qu’elle lègue à sa mort au Collège de Bourgogne64. Le 18 janvier 1320 elle est autorisée à acquérir de nouvelles terres et reçoit le château et la ville de Cahilliaco65. On connaît bien l’entourage de Jeanne, proche de celui de Mahaut, entourage qui est aussi celui de Marguerite jusqu’à la fin des années 1320. Or les liens de confiance et d’amitiés tissés dans l’enfance et la jeunesse constituent pour les princes un vivier de confiance. Il importe donc de connaître cet environnement. On y retrouve d’abord le cercle aristocratique des parents et gens de leur rang : quand les « jeunes dames » sont invitées par leur grand-mère à l’hôtel d’Artois, en avril 1318, elles retrouvent le duc Eudes IV de Bourgogne, Amédée V de Savoie, Jean de Châtillon, comte de Saint-Pol, Jean II de Chalon, comte d’Auxerre, Raoul de Brienne, comte d’Eu, Bouchard, comte de Vendôme, Enguerrand V, sire de Coucy, ou encore Hugues Ier de Chalon-Arlay. À d’autres occasions on voit la comtesse de Lancastre, Alice de Lacy, veuve du comte Thomas, lui-même fils de Blanche d’Artois, le comte de Namur et l’évêque de Metz. Dans ces cercles figurent d’autres parents du côté Artois : Jeanne, veuve du comte de Foix, Catherine, comtesse d’Aumale et son époux Jean II, et même Robert d’Artois. D’autres viennent du côté Bourgogne, en particulier Robert et Henri de Bourgogne, en plus des Chalon66. On distingue également toute une jeune génération à la cour autour des enfants royaux, génération qui reflète des proximités politique : le jeune dauphin Guigues promis à Isabelle, né en 1309, la fille de madame de Sainte-Croix à qui Jeanne de France offre un chapeau d’argent le jour de Noël67 ; et surtout Jeanne, fille de Jean II de Dreux, mort en 1309 et de Perrennelle de Sully, fille d’Henri III seigneur de Sully et de Jeanne de Vendôme, une femme très proche de la reine. La petite Jeanne née en 1309, est sans doute cette « demoiselle de Sully » qui reçoit à la Noël 1316 une robe du même tissu que les filles du roi. Plusieurs occasions festives montrent la présence d’autres princesses. Le 16 juin 1318, des dons sont accordés en présence des filles aînées du roi à leur cousine Jeanne, fille de Louis X, dont Jeanne de France est en passe de devenir la tante, une fille de 61 G. Duhem, « Jeanne de Bourgogne », op. cit. 62 Ibid. 63 ADD B 24. 64 Les Capétiens, éd. F. Menant, op. cit., p. 428. 65 ADPDC A 64. 66 J.-M. Richard, Une petite-nièce de Saint-Louis, op. cit., p. 74. 67 BN Clairambault 1052, fol. 87.

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Charles de Valois, ainsi que Jeanne de Dreux68. La fille du comte de Montbéliard est également à la cour et reçoit une cotte et un manteau69. Ce cercle féminin est encore attesté en 1320 à l’occasion du mariage de Marguerite de France dans un poème de Watriquet de Couvin, Li dis de la feste du comte de Flandre. Âgée de 8 ans, Marguerite est assise aux côtés de la comtesse de Valois Mahaut de Châtillon, épouse de Charles de Valois, âgée de 27 ans, de sa sœur Jeanne duchesse de Bourgogne (12 ans), de la comtesse de Beaumont, Jeanne, fille de Charles de Valois et Catherine de Courtenay, mariée à Robert d’Artois (15 ans), de sa sœur Isabelle de France, dauphine, âgée de 11 ans, de Jeanne, fille du comte d’Évreux Louis de France, mariée en 1325 à Charles IV (15 ans), de la comtesse d’Aumale Catherine d’Artois, fraîchement mariée à Jean II (24 ans ?), et de madame de Beaufort épouse du comte de Dammartin, âgée de 12-13 ans70. Quant aux gens de l’hôtel de la reine, auxquels les enfants sont rattachés selon l’ordonnance royale du 10 juillet 131971, ils sont environ 200 titulaires, contre 500 pour celui de Philippe V. Ces effectifs élevés72 n’ont alors rien d’exceptionnel. Au sein de l’hôtel de Jeanne, on trouve des femmes issues du domaine royal, du bassin parisien, voire de l’ouest, mais aussi des Comtoises. Les gens de Jeanne de Bourgogne sont en effet nombreux à venir du comté de Bourgogne, chose unique parmi les hôtels réginaux73… Tel est l’environnement de Marguerite. Une place particulière est occupée par deux « dames la royne » à savoir madame de Courpalais et madame d’Atioles, et quatre « damoyseles la royne », Isabelle de Lille, Marguerite de Lambris, Yolande d’Yssi et Isabelle de Bailleul. On voit également graviter des suivantes de Mahaut, « Agnes et Beatrix, damoyseles la contesse d’Artoys » ainsi que les dames de SaintLeu, de Pressigny74 et de Rochefort. D’autres seigneurs et dames de Franche-Comté sont également présents fréquemment : Hugues Ier de Chalon-Arlay75, Guillemette de Ray76, proche de Mahaut. Venu de Valentinois, le comte Aymar IV est un autre proche de Mahaut qu’on retrouve dans l’entourage de Jeanne. De puissantes familles « françaises » sont également très présentes dont les Sully, bons représentants de cette « aristocratie royaliste » qui entoure Philippe V. Ainsi, on retrouve la jeune Jeanne, future comtesse de Dreux, et sa mère la comtesse de Dreux Perrennelle de Sully, proche de Jeanne de Bourgogne. Il en va de même de Jeanne de Vendôme, femme d’Henri de Sully, grand-bouteiller de France77. Enfin, Jeanne de Sully, épouse d’Adam, vicomte de Melun, gravite aussi dans ces cercles. Sa fille Isabelle épouse d’ailleurs le Comtois Jean de Montbéliard, chevalier, sire de

Nouveau recueil de comptes, op. cit., p. 10. Ibid., p. 11. Dits de Watriquet de Couvin, éd. A. Scheler, Bruxelles, 1868, p. 320. Ordonnances des roys de France de la troisième race, 22 vol., Paris, Imprimerie royale, 1723-1849, t. 1, p. 656 et suivantes. 72 BN Fr. 7855, fol. 245 et 249. 73 M. Gaude-Ferragu, La reine au Moyen Âge, op. cit., p. 205. 74 F.-A. Aubert de La Chesnaye-Desbois, Dictionnaire de la noblesse, t. 11, Paris, 1776, p. 515. 75 J.-M. Richard, Une petite-nièce de Saint-Louis, op. cit., p. 32. 76 Ibid., p. 53, 75, 79. 77 Ibid., p. 30.

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Montfaucon78. La Champagne et la Brie sont également présentes avec la dame de Courpalais, possessionnée à l’ouest de Jouy-le-Châtel, une des terres de Champagne dont Marguerite hérite plus tard.

7. Une éducation partagée Outre Mahaut et Jeanne, certains curiaux exercent une influence sur les filles : Perrennelle de Sully, comtesse de Dreux, par exemple, est connue à la cour comme une bonne chaperonne, et la reine lui fait confiance79. Simon de Gray, chapelain des filles de Jeanne et ancien clerc de chapelle puis chapelain de Mahaut jusqu’en 131680, a certainement aussi beaucoup compté81. Par son biais, la piété de la comtesse a pu influer sur celles des « jeunes dames ». Le principal clerc de la reine, Jean d’Argillières semble également avoir exercé un rôle auprès des enfants : chapelain, secrétaire, maître de la chambre aux deniers de la reine, il est très influent à l’hôtel82. On relèvera encore la présence d’autres religieux influents comme les Dominicains Nicolas de Clermont, prieur du couvent des Dominicaines de Poissy83, et Jean Viel, confesseur de la reine84. On a déjà vu également l’importance du franciscain Nicolas de la Lyre. Le premier responsable des enfants est cependant Guillaume de Pressigny « maistre de l’hostel de nosdictes dames »85, accompagné de son épouse Marguerite, par ailleurs demoiselle de l’hôtel de Jeanne86. Fils de Renaud de Pressigny, seigneur de Laleu puis de Pressigny87, ce noble tourangeau est le petit-fils d’un maréchal de France de Saint Louis. Ce fidèle chevalier a été blessé à Mons-en-Pévèle sous les ordres du maréchal de Bourgogne88. Par ailleurs, deux « damoiselles a nos jeunes dames » les chaperonnent, Jeanne de Nanton, certainement une bourguignonne, et Marguerite de Colombes, qui partagent un lit pour deux89. Les enfants de la reine bénéficient en outre de nourrices, en particulier une certaine Marguerite, attestée en 1316, et de la « vachière » Jeanne, peut-être là pour assurer du lait de vache aux enfants plus âgés, à moins qu’elle ait été recrutée pour s’occuper d’un animal offert aux jeunes filles, un cadeau assez commun alors. Enfin, la cour de France dispose au début du XIVe siècle de médecins renommés, comme Henri de Mondeville, qui s’occupe notamment des enfants de Philippe IV, et est très versé dans les arts de la cosmétique ; on sait également que de brillants médecins italiens comme Jean de 78 Ibid., p. 71. 79 A.-H. Allirot, « L’entourage et l’Hôtel de Jeanne d’Évreux, reine de France (1324-1371) », op. cit. 80 ADPDC A 193. 81 ADPDC A 193, 218, 274, 302 et 348. 82 P. Lehugeur, Philippe le Long roi de France (1316-1322), op. cit., p. 335. 83 X. de La Selle, Le service des âmes à la cour, op. cit., p. 267. 84 BN Clairambault 1052, fol. 86. 85 Ibid. 86 Nouveau recueil de comptes, op. cit., p. 37. 87 F.-A. Aubert de La Chesnaye-Desbois, Dictionnaire de la noblesse, op. cit, t. 11, p. 515. 88 E. Petit, Histoire des ducs de Bourgogne de la race capétienne, 9 vol., Paris, 1885-1905, t. 6, p. 111. 89 BN Clairambault 1052, fol. 137.

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Padoue ou Jacques de Sienne, sont aussi au service de Philippe V. Marguerite gardera l’habitude de bien s’entourer de médecins, notamment italiens.

8. L’instruction d’une jeune princesse : Marguerite escrit bien Les filles de France reçoivent une éducation solide ; les opinions d’un Philippe de Novare qui déconseille d’apprendre à lire aux filles ne sont en effet guère prises pour argent comptant90. Le début du XIVe siècle correspond d’ailleurs à un moment de réflexion poussée sur le sujet, en particulier dans le Speculum dominarum rédigé pour la grand-mère paternelle de Marguerite Jeanne de Navarre91. Le confesseur Durand de Champagne y valorise le rôle de la dame, qu’il invite à devenir un modèle de sagesse et à agir selon la justice et par bon conseil92. On connaît par ailleurs la variété des goûts littéraires de Mahaut, de l’histoire au roman de chevalerie93. Enfin, les parents de Marguerite montrent une grande attirance pour la littérature, les arts et la piété franciscaine : il n’est pas anodin de retrouver ces traits dans la vie de leur fille. L’influence des Franciscains est patente : Philippe V choisit de mourir à Longchamp, Jeanne de Bourgogne élit sépulture dans le couvent des Franciscains de Paris et fait entrer Blanche comme Clarisse à Longchamp. Les clercs de la chapelle de la reine ont également dû peser, d’autant que cette institution est réorganisée et accrue à l’époque de Jeanne : on connaît deux de ses chapelains, Jean de Montouche et Hue de Neauphle94 le premier servant d’aumônier95. Les jeunes dames disposent de leur propre chapelle desservie par Simon de Gray96. Leur mère veille en outre à encourager chez les fillettes la charité, notamment envers les clercs. En 1320, Isabelle et Marguerite reçoivent 6 florins « pour offrir a un prestre qui chanta messe nouvelle a Saint Germain en Laye »97. Il y a évidemment là aussi une éducation musicale : Marguerite y est sensible dès l’enfance, et y trouve un certain réconfort dans la maladie. La même année, on rémunère d’ailleurs « I menestre qui a joué du salterion et d’autres instrumens devant Madame Marguerite, fille le roy, tandis qu’elle a esté deshetié »98. Marguerite de France apprend sans doute à lire, et probablement à écrire. Les traces sont ténues en la matière, mais ont peut se demander si le manuscrit 1716 de la bibliothèque Mazarine ne fut pas l’un de ses premiers livres99. Rédigé dans une 90 É. Lequain, L’éducation des femmes de la noblesse en France au Moyen Âge (XIIIe-XVe siècle), Thèse de doctorat, Nanterre, 2005, p. 538. 91 Durand de Champagne, Speculum dominarum, éd. A. Flottès-Dubrulle, Paris, 2018. 92 É. Lequain, L’éducation des femmes, op. cit., p. 538. 93 C. Balouzat-Loubet, Mahaut d’Artois, op. cit., p. 36. 94 Localité qui correspond à un château des Yvelines. 95 X. de La Selle, Le service des âmes à la cour, op. cit., p. 73 96 Nouveau recueil de comptes, op. cit., p. 9. 97 F. Maillard et R. Fawtier (éds.), Comptes royaux (1314-1328), Paris, 1961, p. 152. 98 Ibid., p. 155. 99 La Vie de Sainte Geneviève de Paris. Poème religieux, éd. L. Bohm, Uppsala, 1955 ; La vie de sainte Geneviève : cinq versions en prose des XIVe et XVe siècles, éd. A. Bengtsson, Stockholm, 2006.

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écriture qui correspond aux tournants des XIIIe-XIVe siècles, il est écrit dans le parler d’Île-de-France et non en latin, ce qui est fréquent pour les filles. Il rassemble 23 vies de saints, 20 vies de saintes, le Pastoralet de Grégoire de Tours et l’Histoire de Barlaam et Josaphat, vie christianisée du Bodhisattva. On y trouve notamment une vie de sainte Marguerite (fol. 327v) et la plus ancienne vie dérimée de sainte Geneviève. Cette vie débute par une dédicace mystérieuse. « La dame de Flandres mande je meste en romanz la vie d’une beneurée vierge quele moult [texte manquant]… ». Sur l’un des plats de la couverture, on observe des mots tracés d’une écriture très ronde, presque enfantine, parfois décrite comme des essais d’écriture100 : « Madame est bonne dame » ; « Madame Ysabaus, fille le roy de France, est bonne dame » ; « Madame de Navarre » ; et enfin, ces mots : « Marguerite escrit bien ». On peut donc avancer que la main est celle d’une Marguerite, très proche d’une Isabelle, fille de roi de France. C’est ce qui a conduit à supposer qu’il s’agissait d’une Marguerite proche de l’épouse d’Édouard II101. Pourtant, cette Isabelle de France n’avait pas de sœur appelée Marguerite. Elle avait certes une tante ainsi prénommée, née vers 1279, devenue en 1299 reine d’Angleterre, et morte en 1307. Mais cette Marguerite avait 16 ans de plus et ne fut pas élevée avec elle. On a encore mentionné une identification avec Marguerite de Bourgogne, épouse du futur Louis X devenue en 1305 reine de Navarre, mais elle était âgée d’une quinzaine d’années quand elle devint belle-sœur d’Isabelle de France, dont elle n’était pas spécialement proche et que l’on suspecte d’avoir dénoncé ses amours adultères. En revanche, Marguerite de France a bien été élevée avec une autre Isabelle, sa sœur. Par ailleurs sa mère est proche de « madame de Navarre », à savoir Marguerite de Bourgogne ; ces origines navarraises sont même revendiquées par les filles de Philippe V : un manuscrit réalisé pour Blanche de France comporte le blason royal de Navarre. Enfin, Marguerite est liée à la maison de Flandre dès 1320, son mari étant alors désigné comme héritier du comté dont il hérite dès 1322. En outre, l’Augustin qui avait acquis le manuscrit 1716 en 1704, frère Léonard, avançait que l’ouvrage provenait de Longchamp. Quant à la « dame de Flandre » mentionnée par l’ouvrage, elle a parfois été identifiée à une épouse de Gui de Dampierre, Isabelle de Luxembourg, morte en 1264, à Mahaut de Béthune, morte en 1298, à l’épouse de Robert de Béthune, Blanche d’Anjou, morte en 1270 voire Yolande de Bourgogne, morte en 1280. Mais on notera qu’après 1298 et la mort de Mahaut, mère de Robert de Béthune, il n’y a plus aucune comtesse de Flandre avant 1322, date à laquelle le mari de Marguerite de France hérite du comté. Surtout, la dimension « française » est très forte dans les allusions du manuscrit et dans sa tradition : les références à Longchamp, à la Navarre et à la France sont renforcées par le fait que la vie rimée de sainte Geneviève qui a inspiré celle dérimée du manuscrit 1716 était dédiée à la « dame de Valois », peut-être une princesse ayant vécu vers 1310-1320102. Or on ne peut pas dire que les

100 Grégoire le Grand, Le Pastoralet : traduction médiévale française de la « Regula Pastoralis », éd. M. Pagan, Paris, 2007, p. 38. 101 Étude critique sur le texte de la vie latine de Sainte-Geneviève de Paris, éd. C. Kohler, Paris, 1881, p. LI. 102 La Vie de Sainte Geneviève de Paris. Poème religieux, op. cit., p. 25.

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liens entre les Dampierre et la Couronne aient été des plus cordiaux avant 1322… Tout indique donc que le manuscrit doit être relié à Marguerite associant cour de France et Flandre. Tel fut justement la fonction de Marguerite de France. S’il lui appartint, ce gros ouvrage ne devait pas être son premier, ni celui qui lui aurait appris à lire : on utilisait pour cela des tablettes et divers objets permettant d’apprendre les lettres, la lecture débutant par des textes simples, tels que les Psaumes103. En revanche, une telle trace pourrait indiquer que Marguerite avait appris à écrire. Certes, aucune lettre manuscrite ni signature de sa part n’est attestée. Mais c’est une chose banale au XIVe siècle, que l’on retrouve pour Philippe le Hardi.

9. Apprendre le métier de princesse Au moins autant que par l’écrit, l’éducation princière passe par une expérience de la vie, un apprentissage domestique et pratique, incluant le gouvernement, la gestion de la maison, y compris pour les femmes, mais aussi l’art de la chasse au faucon, la lecture des romans ou la maîtrise des échecs104. En l’occurrence, Marguerite n’a eu qu’à suivre l’exemple sa mère, qui dut gérer elle-même ses biens et possessions après 1322. On notera également le rôle de mentor joué par Mahaut, qui recevait ses petites-filles à l’hôtel d’Artois en grande compagnie et contribua à parfaire leur connaissance de ses réseaux105. Elle y a sans doute formé parallèlement le goût de ces jeunes filles. Adam de la Haye, ménestrel de Paris, joue ainsi devant Mahaut et sa fille le 26 janvier 1318106. La plus belle incarnation de cette relation se trouve sur le grand portail de l’église Saint-Jacques-aux-Pèlerins à Paris, où Mahaut fait sculpter entre 1319 et 1324 à Raoul de Heudincourt « I ymage de saint Jaques en l’estanfiche et une de madame la royne a genoux d’une part devant lui, et la contesse d’Artois d’autre part, et les IIII filles la royne »107. Preuve de l’importance du goût septentrional dans cette culture transmise par Mahaut, c’est un trouvère de Douai, Brisebarre, continuateur du roman d’Alexandre, qui est payé pour réaliser « les rimes et les dis de la roine et de plusieurs autres », et ainsi faire parler ces statues108. Marguerite est d’autant plus marquée par ce mécénat qu’elle assista en 1319 à la pose de la première pierre de l’hôpital par sa mère en compagnie de Mahaut, et de ses sœurs Jeanne et Isabelle109.

103 D. Alexandre-Bidon, « La lettre volée. Apprendre à lire à l’enfant au Moyen Âge », Annales. Économies, sociétés, civilisations, 44e année, n° 4, juillet-août 1989, p. 953-992. 104 D. Lett, Hommes et femmes au Moyen Âge, op. cit., p. 86. 105 ADPDC A 361. 106 ADPDC A 351. 107 J.-M. Richard, Une petite-nièce de Saint-Louis, op. cit. 108 H. L. Bordier, « La confrérie des pèlerins de Saint-Jacques et ses archives », Mémoires de la Société des Antiquaires de France, 1860, p. 185-397. 109 Ibid.

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Conclusion Loin de constituer une terra incognita, l’enfance de Marguerite révèle l’importance des héritages comtois et artésiens dans une éducation marquée par l’apparat d’une cour capétienne alors à son apogée. Ces années fondatrices lui font également connaître les terres auxquelles elle sera liée toute sa vie et lui ouvre un vaste réseau de relations. Quoique l’influence de Mahaut et de sa fille soit considérable, il ne faut pas non plus négliger l’importance de l’héritage paternel, voire des modèles hérités de la reine Jeanne de Navarre. Goût pour les arts et la magnificence, influence du franciscanisme, capacité à faire tenir ensemble des héritages culturels nordiques, parisiens et bourguignons : Marguerite reçoit une éducation solide et surtout adaptée à sa vie future. Il faut dire que sa fonction politique est déjà en train de se dessiner : réconcilier la Flandre et la Couronne, mission des plus périlleuses.

Chapitre 2 

Les difficiles débuts de « madame de Flandres » (1320-1327) L’éducation d’une princesse vise à lui permettre d’assurer ses fonctions d’épouse en lui fournissant les codes sociaux et culturels, ainsi qu’une piété et une morale exemplaires. Sur ce plan, Louis de Nevers va trouver une compagne parfaitement opérationnelle. Il n’est cependant pas certain que Marguerite ait été préparée à affronter les violences d’un mariage qui allait s’avérer rapidement catastrophique sur le plan humain. Ces débuts désastreux marquent chez elle la transition entre enfance et âge adulte et s’inscrivent dans de rudes luttes de pouvoir autour du contrôle du comté de Flandre. S’y combinent de fortes tensions internes à la cour flamande et des tentatives de contrôle provenant de la monarchie capétienne et du « parti bourguignon », tentatives qui suscitent en retour une grande inquiétude de la part des nombreux Flamands anglophiles. Marguerite de France va devoir faire un rapide apprentissage des interactions entre les aspects les plus intimes de la vie de couple et les impératifs de la diplomatie européenne, d’autant qu’on attend d’elle et de son époux la conception d’un héritier, sous peine de voir l’autorité comtale affaiblie, voire le mariage annulé. Elle peut certes compter sur le soutien de sa mère et de sa grand-mère, qui entendent néanmoins d’elle une parfaite adhésion à leurs projets politiques et dynastiques.

1. L’alliance avec une famille flamande déchirée En tant que fille du roi, Marguerite constitue un atout diplomatique. Le roi joue gros avec le mariage de ses filles : il mène en effet depuis son avènement des négociations dans quatre directions : la Bourgogne, le Dauphiné, la Flandre mais aussi la Castille. Une fois les deux aînées mariées, restent donc la Flandre et la Castille, dont les représentants n’ont pourtant pas caché pas leur préférence pour l’aînée Jeanne. Selon la Chronique de Jean de Saint-Victor, Philippe V entend cependant marier Marguerite au tout jeune roi Alphonse XI (1311-1350)1. Un projet de traité est établi le 8 novembre 1317 entre les envoyés du roi de Castille et trois commissaires royaux, Henri III, seigneur de Sully, cousin et proche de Mahaut, Pierre Bertrand, chancelier de la reine, et l’évêque de Mende Guillaume Durand2. Ce traité ne précise pas le nom de la future mariée, mais il semble clair pour la Chronique de Jean de Saint-Victor qu’il ne peut s’agir que de Marguerite, les deux aînées étant déjà « casées ».

1 Excerpta e memoralia Historiarum Johannis a San Victore, Recueil des historiens des Gaules et de la France, op. cit., t. 21, p. 671. 2 Mémoire sur les relations de la France et de la Castille de 1255 à 1320, op. cit., p. 135 et 231.

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Reste un quatrième projet, l’alliance flamande, destinée à mettre un terme à la situation très tendue entre le roi et son vassal. Pour Jean de Saint-Victor, l’intention du roi est de faire épouser Blanche à Louis, fils du comte de Nevers. Or la reine s’y oppose : il est vrai que reprendre un enfant promis à Dieu est assimilé par le chevalier de la Tour Landry à une violation d’une promesse qui ne peut apporter que le malheur3. Il ne reste donc plus qu’une fille à marier pour deux projets de mariage : selon Jean de Saint-Victor, le refus de la reine de marier Blanche conduit le roi à privilégier un mariage flamand pour Marguerite. Il reprend donc un projet esquissé en juillet 1317, qui pouvait d’ailleurs concerner sa fille aînée. Mais la discussion échoppe sur l’exigence des Flamands de récupérer la Flandre wallonne perdue au traité d’Athis en 1305. Entretemps, Eudes de Bourgogne est parvenu à épouser Jeanne de France. Le roi n’abandonne pas ; pour se concilier la maison de Flandre, il restitue le 13 septembre 1317 le Nivernais et le Rethélois au fils aîné du comte de Flandre. Pourtant, rien n’avance : le pape comme le roi pointent du doigt la responsabilité de Robert de Béthune et plus encore celle de son fils Louis de Nevers accusé de jouer double jeu. Au printemps 1318 l’interdit est jeté sur la Flandre et Philippe V prépare la guerre, avant que l’on ne s’accorde sur une trêve. Il semble que l’activité politique de Louis, comte de Nevers, ait causé divers remous. D’après les chroniques françaises, confirmées en cela par certains documents d’archives flamands, Louis de Nevers s’est mis à lever des hommes en Picardie, et menace depuis Rethel le comte de Bar en s’alliant avec l’évêque de Verdun et d’autres seigneurs4. Ces derniers comploteraient d’ailleurs contre le roi. Pire, le comte de Nevers tente de rallier le duc de Bourgogne pour mener un coup de main en Champagne5. Mais en Rethélois il se heurte à son épouse Jeanne de Rethel qui refuse d’armer le comté contre le roi6. Cité à comparaître à Compiègne le 15 août 1318, Louis aurait fui en Flandre avec ses enfants vers la fin juin, entraînant une nouvelle confiscation de ses terres. Après une tentative des légats en octobre 1318 puis une menace d’invasion royale début 1319, le comte finit par accepter de traiter le 20 août suivant. Une dernière manœuvre de Louis de Nevers le conduit à se rapprocher de son père à l’automne 1319, avec l’espoir d’affaiblir le parti pro-français, incarné par la ville de Gand. Mais la seule alternative au mariage français semble une guerre en Flandre : les villes flamandes n’en veulent pas et la sœur du comte de Nevers, la dame de Coucy Jeanne de Flandre, semble œuvrer dans le sens de la réconciliation. Le comte Robert et son fils Louis finissent par se rendre à Paris ; le 5 mai 1320 la paix est signée et la convention de mariage ratifiée par les villes flamandes qui ont poussé à cette alliance française, tout comme Jeanne de Flandre « sage dame qui fame avoit esté du seigneur de Courcy »7. Le fils du comte de Nevers, appelé Louis 3 L’art d’éduquer les nobles damoiselles : le Livre du chevalier de la Tour Landry, éd. A.-M. De Gendt, Paris, 2003, p. 227. 4 J.-B.-M.-C. Kervyn de Lettenhove, Histoire de Flandre, Bruxelles, 1847-1850, t. 3, p. 92. 5 BN Fr. 2813, fol. 341. 6 Continuation de la chronique de Gérard de Frachet, Recueil des historiens des Gaules et de la France, op. cit., t. 21, p. 50. 7 Les grandes chroniques de France, éd. P. Paris, Paris, 1836-1838, 6 vol., t. 5, p. 243.

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de Nevers, épousera donc la troisième fille du roi, en un mariage hypergamique assez classique8. Mentionnant l’action de la dame de Coucy et la volonté d’alliance des sujets flamands, le traité souligne que le roi a accédé aux requêtes du comte pour marier sa fille à l’héritier de la dynastie. La formule est assez rhétorique : on leur a forcé la main. Marguerite n’est pas une riche héritière, pas même un bon parti, en raison des promesses faites à Eudes IV. Mais elle apporte avec elle le sang royal, celui de Saint Louis ; elle permet surtout la paix même si elle marque l’échec d’une politique flamande autonome. Pour le roi, l’avantage de disposer d’un gendre qui lui est obligé est un précieux atout pour maintenir la paix en Flandre et contrôler la rétive dynastie de Dampierre. La paix apportera le « commun profit », mais elle n’est qu’un prélude au « saint voiage de terre sainte » : l’affaire relève donc à la foi du bien commun, de la paix et de la défense de la Chrétienté. Marguerite se marie pour sauver Jérusalem ! C’est ici à la fois un souhait réel des rois mais aussi un lieu commun de la diplomatie9. Plus terre à terre, les clauses prévoient que les Flamands versent 30 000 lb parisis au roi et refusent d’aider leur comte s’il va contre la paix. Louis de Nevers et Jeanne de Flandre jurent la paix et s’engagent à ce que leur frère Robert de Cassel fasse de même. Absent des négociations, il est pourtant le grand perdant de l’opération. En effet la royauté « sécurise » la transmission du comté au jeune époux : si son père le comte de Nevers meurt avant le comte de Flandre, le jeune Louis devra quand même hériter de son grand-père. Du moins s’efforcera-on d’y tendre en faisant entendre raison à Robert de Cassel10. On voit combien, en ce début du XIVe siècle, la monarchie capétienne n’hésite pas à tordre les coutumes de succession au gré de ses intérêts, que ce soit en Flandre, en Artois ou en Bourgogne. Philippe V a d’ailleurs lui-même procédé ainsi lors de la mort de son frère… Reste la question de la dot, qui consiste en une avance sur l’héritage de l’épouse ; depuis le XIIIe siècle, on préfère les dots en numéraire11 ; il arrive également que l’ascendance royale d’une princesse soit un prétexte pour revoir la dot à la baisse. Néanmoins, le roi ne peut se permettre de manifester sa pauvreté ni son avarice. Il s’engage donc à verser 60 000 lb parisis au comte. Mais il précis que la somme proviendra de ce que le pays de Flandre doit au roi… Sur cette somme, 40 000 lb serviront à acheter des terres au profit de Marguerite12. Les 21 et 22 juillet 1320, deux lettres royales précisent l’assignation, indiquant que l’argent devra permettre à la mariée de tenir son « estat » de fille de roi de France. Ces lettres furent précieusement conservées dans le Trésor des chartes des comtes de Flandre où elles figurent toujours à Lille13. Les Flamands paieront la dot en réglant ce qu’ils doivent au titre des taxes imposées sur eux par la royauté : 10 000 lb toute de suite, puis 12500 lb par an sur 4 8 M. Nassiet, « Parenté et successions dynastiques aux 14e et 15e siècles », Annales, vol. 50, 1995, p. 621-644. 9 ADN B 410. Vidimus sous le sceau de la prévôté de Paris, du 1er août 1337. 10 ADN B 410 et B 415. 11 S. Péquignot, Diplomatie, op. cit., p. 288. 12 A.-H. Allirot, Filles de roy de France, op. cit. p. 7. 13 AGR Chartes de Flandre, n° 2028 et ADN B 410, n° 5289 et 5290.

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ans. On a vu des dots plus solides et Louis de Male en tirera les leçons, obtenant en 1369 un paiement comptant des 100 000 lb promises par le roi Charles V pour que Philippe le Hardi puisse épouser sa fille Marguerite de Male. Peu coûteuse pour la monarchie, la dot de Marguerite de France va prendre un temps considérable à se réaliser. En outre, Marguerite n’est pas le meilleur parti d’Europe. Elle n’est que très loin dans l’ordre de succession des héritages artésiens et comtois. L’a-t-on imaginé alors ? Sans doute pas, d’autant que la Peste Noire n’est pas encore à l’ordre du jour… Il faut également préciser l’étendue du douaire de l’épouse, destiné à garantir son train de vie en cas de veuvage. À l’inverse de la dot, le douaire connaît une certaine inflation au sein de la monarchie depuis la fin XIIIe. Il est établi sous forme de rentes sur des biens dont la valeur a été préalablement « prisée » selon une logique de rentabilité plus que de cohérence politique14. En 1320, on prévoit ainsi d’assigner 6 000 lb tournois de terre de rente, qui monteront à 20 000 lb tournois si Louis de Nevers devient comte de Flandre. Ce point deviendra un autre dossier épineux pour Marguerite. Il s’agit au total d’un mariage de réconciliation et de paix, et c’est ainsi qu’il est perçu15. Deux lignages sans grand rapport s’unissent. Pour une fois, nul besoin de dispense ; pour trouver des ancêtres communs, il faut en effet remonter au 6e degré des ancêtres de Louis, plus de 150 ans en arrière, à savoir le comte Henri Ier de Champagne et Marie de France, fille de Louis VII16. Globalement, il s’agit d’une victoire pour la papauté qui regardera toujours Marguerite avec bienveillance, mais surtout pour la royauté. De fait, cette alliance s’est avérée bénéfique pour la monarchie, dans l’ensemble, sans doute moins pour la Flandre, ce qui prépare à la comtesse de sérieuses difficultés. De son point de vue, c’est en effet un véritable saut dans l’inconnu qui la fait dans une famille aux ramifications complexes à l’échelle du nord de l’Europe, et aux rudes rivalités internes. Car en désignant le jeune marié comme héritier de son grand-père le comte Robert, le traité crée un droit de représentation inédit en Flandre. Certes, le comte désintéresse son fils cadet Robert en lui créant l’apanage de Cassel en juillet 1320 ; celui qu’on appellera désormais Robert de Cassel renonce en retour à ses droits sur le comté au cas où son frère aîné mourrait avant son père. Mais il le fait sous la pression : 70 ans plus tard, sa fille Yolande aura encore du mal à l’accepter17. Contesté, l’accord doit en tout cas être rapidement scellé par un mariage, d’autant que la famille

14 J.-M. Cazilhac, « Le douaire de la Reine de France à la fin du Moyen Âge », dans Reines et princesses au Moyen Âge, vol. 2, éd. M. Faure, Montpellier, Cahiers du Crisima, 2001, p. 75-86 ; M. GaudeFerragu, La reine au Moyen Âge, op. cit., p. 40-42. 15 Continuation de la chronique de Gérard de Frachet, Recueil des historiens des Gaules et de la France, op. cit., t. 21, p. 54. 16 À partir de Marguerite on remonte par Philippe V, Jeanne de Navarre, Henri de Navarre, Thibaut Ier de Navarre (et IV de Champagne), Thibaut II de Champagne, et enfin Henri Ier de Champagne. 17 M. Bubenicek, « “Et la dicte dame eust esté contesse de Flandres …” Conscience de classe, image de soi et stratégie de communication chez Yolande de Flandre, comtesse de Bar et dame de Cassel (1326-1395) », dans Femmes de pouvoir, femmes politiques durant les derniers siècles du Moyen Âge, éd. É. Bousmar, J. Dumont, A. Marchandisse et B. Schnerb, Bruxelles, 2012, p. 311-324.

Fig. 3. Marguerite de France au sein de la famille de Flandre.

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flamande a habitué les rois à de soudains retournements ; même l’envoyé du pape s’inquiète. On fixe donc la célébration à la sainte Marie-Madeleine, le 22 juillet 1320 à Paris18. La veille, Robert de Cassel finit par confirmer la paix au tout dernier moment, ce qui n’est pas de bon augure. Côté flamand, le père du marié est gagnant, s’assurant la jouissance des comtés de Nevers et Rethel. Ces deux comtés, souvent considérés comme secondaires par rapport à la Flandre, ne sont pas à négliger. S’il a traîné les pieds, c’est peut-être pour ne pas forcer la main à un père avec lequel il est en mauvais termes. Il a probablement eu intérêt à laisser faire les choses, de puissantes forces allant dans son sens du côté du roi et de la papauté, et a peut-être attendu que son père se retrouve affaibli et dans une impasse totale, contraint de céder au détriment de Robert de Cassel. Du fait de ses louvoiements, Louis comte de Nevers laisse en tout cas aux Français l’image d’un homme vicieux et retors, hostile à la paix entre France et Flandre, cherchant à comploter au détriment du roi19. Il est vrai qu’il a dû jouer un double jeu en donnant des gages à la fois à son père et au roi, voulant éviter de se mettre trop à dos sa propre famille, et qu’un tel exercice d’équilibriste mené sans grand talent peut s’avérer désastreux. À moyen terme, il l’emporte tout de même. Quant à son fils, il semble pour l’instant jouer un rôle des plus passifs. Le jeune Louis de Nevers, alors sans titre, est pour l’heure un héritier plein de promesse. Ses quatre grands-parents sont côté paternel Robert de Béthune, comte de Flandre et Yolande de Bourgogne, et côté maternel Hugues IV de Rethel et Isabelle de Grandpré. Dans l’affaire, l’âge pose évidemment question. On peut célébrer des fiançailles dès l’âge de 7 ans, et des engagements peuvent être prévus dès la naissance. Mais les sources parlent bien de mariage. Si la consommation n’est pas envisagée avant 12 ans, on note que des célébrations plus précoces existent. La frontière entre fiançailles et mariage est en effet, selon le droit canonique, parfois vague, le consentement l’emportant sur la consommation : un engagement définitif peut ainsi être béni. Des enfants peuvent donc être qualifiés d’époux, notamment s’ils vivent ensemble : cela paraît le cas d’Isabelle et du futur dauphin Guigues. L’important est de s’assurer que l’engagement soit définitif. Ce n’est d’ailleurs pas un fait isolé puisque Jeanne, la sœur aînée de Philippe V, s’était mariée à 10 ans. Elle n’a d’ailleurs son fils Philippe qu’à 14 ans (mais était-ce le premier ?). Le roi voit en outre dans un engagement précoce un moyen d’éduquer son gendre à la cour de France, comme il le fait déjà pour Guigues ; l’avantage politique de nourrir un « Français » est évident et la suite lui donnera raison. Le jeune Louis de Nevers a d’ailleurs déjà grandi à Paris comme otage. Il ne maîtrise pas le flamand, a-t-on écrit20, ce qui est difficilement vérifiable même si à la différence de son fils, son administration révèle un usage quasiment exclusif du français.

18 « E floribus chronicorum », op. cit., p. 730. 19 D. M. Nicholas, Medieval Flanders, Londres et New York, 1992, p. 209. 20 D. M. Nicholas, Medieval Flanders, op. cit., p. 210.

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2. « la feste du comte de Flandres » Les noces sont la première occasion de voir Marguerite au centre de l’attention ; on les connaît grâce à la comptabilité et surtout à un texte poétique, « li dis de la feste du comte de Flandres » composé par Watriquet de Couvin21. Une enluminure montre d’ailleurs la mariée et les jeunes filles attablées à ses côtés dans le manuscrit conservé à l’Arsenal sous la cote 3525, exemplaire ayant été offert au roi Philippe VI (figure 4 en ligne). L’objet du poème n’est pas de narrer par le menu les festivités, mais de célébrer les nobles dames assistant au festin, qui devient un concours de beauté où il est quasiment impossible d’élire la plus belle. Watriquet affirme avoir assisté à la fête, et fait le portrait de celle qu’il décrit comme siégeant au « siege premerain », dont on peut supposer qu’il s’agit de la mariée. Watriquet y reprend sans vergogne la tradition littéraire du blason féminin pour évoquer la « taille souveraine » d’une dame âgée de 8 ans, dont la beauté et la mise l’enthousiasment. À l’image d’une reine, la mariée porte une couronne sertie des plus belles pierres, du diamant au rubis, éblouissant « li palais », allusion au palais de la Cité, lieu des noces confirmé par la Chronique parisienne anonyme22. Quant à ses habits du plus coûteux tissu ils semblent venir de paradis ou des plumes d’un paon, animal prestigieux en raison de la splendeur de son plumage. Cette reine d’un jour gouverne une cour resplendissante composée de ses jeunes compagnes que nous avons déjà évoquées : toute la jeunesse des dames de France est présente, toutes déjà mariées quoique souvent âgée de 14 à 20 ans. Parmi elles, Marguerite pourrait d’ailleurs faire figure de benjamine. Le faste de la noce n’est pas qu’une invention poétique. On a pu noter que les mariages qui ont suivi les scandales de 1314 semblent moins luxueux que ceux des années fastes, notamment celui d’Isabelle en 1302. Pourtant, Philippe V a choisi de fêter avec éclat son succès diplomatique. Le mariage est bien entendu célébré chez lui, sur l’île de la cité, d’autant qu’il est d’usage de choisir la chapelle du palais pour de telles cérémonies23. Un document financier mentionne plusieurs prêts contractés par le roi en 1320 car « il a convenu faire moult de despenz extraordinaires, especialement pour l’alee d’Amiens, pour les nopces madame Marguerite fille roy, et pour l’otroy madame la duchesse et faire paiemenz aus soldiers ». Pas moins de 100 000 lb ont été avancées durant le second semestre de l’année24. Le 24 juillet une joute est organisée par les bourgeois de Paris, « en amour et obéissance de leur seigneur le roy de France de Navarre ». Est présente « l’espouse Louys, filz Louys le conte de Nevers », en tant qu’invitée d’honneur. Bien des barons joutent dont Louis de Clermont et Robert d’Artois. Ces joutes organisées si « joieusement et honnourablement » ont lieu sur l’île aux juifs « en laquelle les

21 Paris, Arsenal, 3525 fol. 158-164v ; BN Fr. 2183, fol. 75-80v. Dits de Watriquet de Couvin, éd. A. Scheler, Bruxelles, 1868. 22 Chronique parisienne anonyme du XIVe siècle, op. cit., p. 49. 23 M. Gaude-Ferragu, La reine au Moyen Âge. op. cit, p. 25. 24 AN JJ 60.

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Juifz furent ars »25. Cette île située à proximité du palais, à l’ouest de l’île de la cité est celle où Jacques de Molay a été brûlé vif six ans plus tôt. Si l’on a pu douter du fait que cette île ait servi à des exécutions, cela semble en vérité ici très clair, même si le souvenir de ces supplices n’empêche pas d’y organiser des réjouissances. Contrairement à l’usage voulant que la nuit de noces prenne place peu après la cérémonie, le mariage n’a cependant pas été consommé, ce que l’âge explique, du moins dans un premier temps : il en est encore de même sept ans plus tard, alors que Marguerite a 15 ans. Pour l’heure, le mariage ne change donc rien à la vie de Marguerite qui demeure à la cour royale, même si les sources restent peu disertes sur les mois qui suivent la noce.

3. La mort de Philippe V et le clan bourguignon au temps de Charles IV En août 1321, Philippe V tombe malade à Conflans, et revient à Paris en septembre. Son état empirant, il est transporté à Longchamp, et décède dans la nuit du 2 au 3 janvier26. Le faste des cérémonies funèbres a marqué les esprits et sans doute ceux de Marguerite de France, qui exprima par la suite avec constance son intention d’être enterrée auprès de son père. La richesse des décorations où les fleurs de lys sont omniprésentes, l’usage de tapisseries et de « chapelles » construites et décorées pour abriter le corps puis les entrailles lors des cérémonies, les grandes quantités de luminaire (13 000 lb), tout cela se retrouve lors des obsèques que Marguerite organise pour un proche Antoine de Poitiers en 1382, puis pour ses propres funérailles27. La mort du roi affaiblit la famille, faute d’héritier mâle, et le climat devient vite délétère ; des rumeurs d’empoisonnement surgissent, pointant du doigt Charles de Valois sur fonds de règlement de compte pour d’obscures affaires financières28. Quant au clan de Mahaut, il semble avoir défendu dans un premier temps les droits à la succession de Jeanne de France, fille aînée du roi. Mais il semble risqué de réclamer la transmission aux femmes quand Philippe V a obtenu le trône contre la fille de Louis X. Rapidement, Eudes IV apporte son soutien à Charles IV, sacrifiant les droits fragiles de son épouse comme il l’a fait avec sa nièce Jeanne de Navarre29. Mais Charles IV s’avère plus récalcitrant à satisfaire les volontés du clan bourguignon, auquel il n’est plus lié que par son encombrante épouse Blanche de Bourgogne, désormais recluse. Il sait cependant devoir compter avec les figures montantes du « parti bourguignon », à

25 B. Bove, Les joutes bourgeoises à Paris, entre rêve et réalité (XIIIe-XIVe siècle), https://cour-de-france.fr/ article923.html. 26 G. Duhem, « Jeanne de Bourgogne », op. cit. 27 E. A. R. Brown, « The Ceremonial of Royal Succession in Capetian France. The Funeral of Philip V », op. cit. 28 I. Guyot-Bachy, « « Expediebat ut unus homo moreretur pro populo » : Jean de Saint-Victor et la mort du roi Philippe V » dans Saint-Denis et la royauté. Études offertes à Bernard Guenée, éd. F. Autrand, C. Gauvard et J.-M. Moeglin, Paris, 1999, p. 493-504. 29 G. Duhem, « Jeanne de Bourgogne », op. cit.

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savoir Jeanne de France et Eudes qui se montrent gourmands : ils réclament le comté de Poitiers, mais ils sont déboutés le 22 janvier 1323 par le Parlement30. Par ailleurs, le roi obtient l’annulation de son premier mariage31. Pour Mahaut, c’est un revers. Pire, des divisions apparaissent dans le parti, à l’occasion de la guerre entre Savoie et Dauphiné. Eudes se range avec son frère Robert, comte de Tonnerre, du côté du comte de Savoie contre Guigue VIII. La victoire du dauphin à Varey en 1325 permet à ce dernier de capturer et rançonner son beau-frère Eudes ainsi que Robert32… Le roi et Mahaut semblent avoir joué un rôle dans le règlement, comme Louis de Nevers. Un accord daté du 22 janvier 1326 établi à l’initiative du roi permet de libérer Robert sous caution : Louis de Nevers et Mahaut se portent garants de lui, avec d’autres, pour 200 000 lb tournois. Le 13 mai 1328, un nouveau traité est signé entre la reine Clémence et la comtesse Mahaut d’Artois, qui représente cette fois directement le dauphin, et Robert d’Artois représentant le roi : on remettra le prisonnier au roi comme otage jusqu’à Pâques 1329, avant de le restituer au dauphin, faute de paix entre le dauphin et le comte Aymon de Savoie, ou d’accord entre le dauphin, le duc et Robert33.

4. Une mariée chez sa mère Pour l’heure, le rôle de Marguerite reste limité dans ce vaste réseau chapeauté par Mahaut. La jeune fille continue de vivre auprès de sa mère. Cela n’a rien d’exceptionnel, mais ses sœurs aînées ont entamé assez tôt leur vie maritale, du moins ont-elles rejoint symboliquement les états de leurs époux. En revanche Marguerite ne se rend pas même en voyage chez son époux. Il est vrai que Louis n’est comte de Flandre qu’en 1322, et que le pays est loin d’être apaisé. Dans un premier temps, rien ne semble donc changer. Durant le premier semestre de l’année 1321, Marguerite tombe malade, et sa mère envoie une offrande à Saint-Martin de Tours, pour faire chanter une messe de Saint Esprit et fait également jouer du psaltérion devant elle34. Encore après la mort du roi, on retrouve les filles chez Mahaut le 7 novembre 1322, à l’hôtel d’Artois35. Marguerite est d’ailleurs toujours chez sa mère dont elle ne se détache guère dans les sources : on ne trouve pas de don ou de courrier de Mahaut à Marguerite, alors qu’elle écrit à la duchesse de Bourgogne et envoie souvent des dons à Blanche, notamment des « poires d’orange », du raisin de Corinthe et un quart de veau en avril 132336. En revanche, les liens sont étroits avec la reine douairière Jeanne37 ; le 6 avril 1323 Mahaut offre un gobelet à sa fille à Gray38. 30 ADPDC A 68. 31 Chronique parisienne anonyme du XIVe siècle, op. cit., P. 71-72. 32 A. Kersuzan, Défendre la Bresse et le Bugey : les châteaux savoyards dans la guerre contre le Dauphiné, 1282-1355, Lyon, 2005, p. 67. 33 Regeste dauphinois, éd. U. Chevalier, 7 vol. Valence, 1913-1926, t. 4, p. 855. 34 Comptes royaux (1314-1328), op. cit., p. 155. 35 ADPDC A 378. 36 ADPDC A 412. 37 Lettre du 4 septembre 1323 envoyée à Gray à la reine. ADPDC A 416. 38 ADPDC A 412.

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Une fois veuve, la reine douairière Jeanne a choisi de vivre davantage sur ses terres en Franche-Comté, particulièrement à Gray, mais aussi à Poligny au château de Grimont39. Marguerite la suit tout en fréquentant sa grand-mère, entre l’Artois, Paris et la Bourgogne (carte 3 en ligne). C’est en Bourgogne qu’elle se trouve quand le 22 mars 1322 est confirmé le traité de mariage d’Isabelle avec le dauphin. Le 17 mai, elle assiste d’ailleurs à leurs noces40. Cette période est formatrice pour la jeune fille âgée d’une dizaine d’années qui a l’occasion d’observer le gouvernement d’une veuve sur la Franche-Comté, leçon qui lui sera bien utile. L’action politique de Jeanne de Bourgogne est en effet importante : elle réunit le Parlement à Baume-les-Dames en octobre 1326, sous la présidence de son cousin Thomas de Savoie, et accorde plusieurs affranchissements. Elle aide à la reconstruction de Gray après un brutal incendie, et installe dans la ville des drapiers parisiens. Elle réalise également diverses fondations pieuses, comme l’hôpital de Bracon de concert avec Mahaut, et prépare la fondation du Collège de Bourgogne. Marguerite apprend également au contact de sa grand-mère et fréquente l’aristocratie locale. Mahaut organise de multiples repas à Bracon, Dole et Poligny en présence de la comtesse de Flandre, de chevaliers, dames et demoiselles. En 1327-1328, on y croise le duc et la duchesse de Bourgogne, le comte et la comtesse de Rougemont, Raoul de Neufchâtel, la comtesse de Ferrettes, les sires d’Aubigny et de Chauvry, la comtesse de la Roche et Thiébaut IV de Neufchâtel41. Pendant ce temps, Louis de Nevers s’impatiente. Il souhaite mener son épouse en Flandre. Mahaut joue alors un rôle important pour maintenir les liens entre Marguerite et sa mère, la Flandre, mais aussi Paris et les cours ducale et delphinale. C’est chez Mahaut que Jeanne et Marguerite se rendent en venant à Paris : le 3 février 1325, Mahaut y reçoit « en l’ostel madame la royne Jehanne et no jeunes dames »42. Le 31 décembre elle accueille de nouveau Marguerite en l’hôtel d’Artois. La jeune comtesse de Flandre est visiblement venue fêter Noël à Paris, une habitude que l’on retrouve tardivement chez elle. Si elle a suivi sa mère, ce qui semble probable, il s’agit d’un court voyage. Aux environs du Nouvel An, Mahaut fait envoyer quatre marbrés de Bruxelles de Paris vers la Bourgogne « a madame la royne et a nous gunes dames », ce qui indique que la mère et ses trois filles « du siècle » sont peut-être ensemble. Mahaut maintient ainsi des liens solides, notamment par ces « livrées », faisant réaliser des robes similaires pour elle, sa fille et ses trois petites-filles aînées43. Malgré tout, le mariage reste non consommé ; or à travers l’Europe, se pose la question de savoir si une telle situation ne permettrait pas une annulation. Le pape Jean XXII met ainsi fin aux espoirs de Charles d’Anjou, en mai 1323, peu de temps après le mariage de Guigues VIII et Isabelle en expliquant que les deux époux sont non seulement fiancés mais mariés, et même, dit-on, unis charnellement44. S’il a paru normal d’attendre que Marguerite grandisse, l’affaire commence à inquiéter les 39 Où on la trouve durant l’année 1325. 40 G. Duhem, « Jeanne de Bourgogne », op. cit. 41 ADPDC A 461 et 470. 42 ADPDC A 439. 43 ADPDC A 448. 44 Regeste dauphinois, éd. U. Chevalier, op. cit., t. 4, p. 549.

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Flamands. Les villes correspondent d’ailleurs avec leur comtesse : elle répond ainsi aux Yprois en juin 1326 conjointement à sa mère et à son mari45. Il est probable qu’un tel enjeu explique pour partie le voyage de Jeanne et Marguerite en Artois en 1326. Leur prudence s’explique par les tensions politiques du pays, mais pas seulement.

5. Un jeune mari sur les routes pour défendre son héritage « Entre l’abysse et le précipice »46, le comté de Flandre est en effet ingouvernable entre 1323 et 1328 : s’y combinent révoltes rurales, rivalités à l’intérieur des villes entre factions, conflits entre Bruges et Gand et divisions au sein de la famille comtale. Aux lendemains du mariage de 1320, Robert de Cassel s’estime lésé et s’oppose au partage imposé à son père par le roi47. Il parvient à convaincre le vieux comte que son fils aîné Louis l’a trahi48. Ce dernier aurait même voulu empoisonner son père, avant d’être arrêté par Robert de Cassel de retour d’une visite au duc de Brabant. Robert fait alors enfermer son frère aîné dans son château de Viane49. Il tente même de le faire exécuter par le vieux comte : après avoir scellé la lettre ordonnant la mise à mort, Robert de Béthune aurait fini par se rétracter. Désormais enfermé à Rupelmonde, Louis compte sur l’appui du roi qui réclame une réconciliation et la libération du beau-père de sa fille50, ainsi que l’application du traité de paix, notamment la destruction des châteaux de Courtrai et Cassel. Une première réconciliation assez sommaire se produit le 15 janvier 1322. Mais Robert de Cassel entend faire monter la pression. À Bruges, il s’appuie sur les milieux les plus antifrançais, notamment chez les artisans, mais semble débordé par une rébellion qu’il doit ensuite mater. Ses actions lui valent désormais une réelle hostilité des villes : on lui reproche de ne pas respecter les privilèges urbains, et Gand s’oppose à la répression de Bruges dès janvier 1322, les deux villes s’alliant le 8 mars. Le danger urbain favorise sans doute une réconciliation plus solide dans la famille princière. Un nouveau projet d’accord, non daté, indique la volonté d’aller plus loin. Il prévoit que le comte de Nevers prête serment à son père de ne plus lui nuire, quitte la Flandre et ne puisse y revenir sans son accord. Louis devra également promettre de changer les gens de sa maison et de celle de son fils pour y placer des fidèles du comte Robert. Ce projet de traité obligerait également Louis de Nevers à sceller le testament de son père, et en cas de contestation de ce dernier de suivre les conseils de ses parents le comte Jean de Namur, Guy de Blois, Jean de Flandre seigneur de Nesle, sa sœur Jeanne et son frère Robert de Blois-Châtillon, Guy Ier de Flandre, Jeanne de Flandre,

45 Comptes de la ville d’Ypres de 1267 à 1329, éd. G. Des Marez, Bruxelles, t. 2, 1909, p. 533. 46 D. M. Nicholas, Medieval Flanders, op. cit., p. 209. 47 ADN B 466 n° 5296, 5297, 5298, 5299. 48 H. van Werveke, « Lodewijk, graaf van Nevers en van Rethel, zoon van de graaf van Vlaanderen (1273?-1322). Een miskend figuur », Mededelingen van de Koninklijke Vlaamse Academie voor Wetenschappen, Letteren en Schone Kunsten van België, Klasse der Letteren, 1958, vol. 20, n° 7, p. 3-74. 49 R. de Lespinasse, Le Nivernais et les comtes de Nevers, op. cit., p. 449-455. 50 Les grandes chroniques de France, op. cit., p. 246.

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dame de Coucy, fille de Robert de Béthune. On ignore ce qu’il en est advenu, mais on sait que le comte obtint bien que son fils ne puisse revenir en Flandre de son vivant. Finalement, le 11 avril 1322, le comte de Flandre pardonne à son fils51. La situation se trouve alors bouleversée par deux décès. Tout d’abord le comte de Nevers s’éteint à Paris, le 17 juillet pour la Chronique parisienne anonyme52, un ambassadeur aragonais donnant quant à lui le mercredi avant la Madeleine, soit le 1853. Puis c’est au tour du comte Robert de Béthune de mourir le 17 septembre à Ypres. Le jeune Louis de Nevers doit donc hériter de leurs titres ; par conséquent, son épouse Marguerite devient d’abord comtesse de Nevers puis comtesse de Flandre. L’ambassadeur aragonais note que dès la mort du comte de Nevers, la crainte est grande d’une discorde entre son fils et Robert de Cassel, d’autant que le vieux comte de Flandre Robert de Béthune est déjà à l’article de la mort54. Les revendications sont en effet nombreuses. Le 21 juillet, Jeanne de Rethel renonce à la succession mais garde le comté de Rethel, qu’elle conserve jusqu’à sa mort55. Elle entend également récupérer la moitié du comté de Nevers et de la baronnie de Donzy, sans doute au titre de douaire. Méfiante vis-à-vis de son fils, elle s’appuie sur le bailli royal de Bourges pour mettre la main sur le comté jusqu’à l’issue du procès qu’elle a intenté56, et qui lui accorde en 1323 la baronnie de Donzy et ses 7 châtellenies57, que Marguerite de France récupérera d’ailleurs plus tard. D’après les Grandes Chroniques, le partage reste inégal, car elle aurait dû récupérer la moitié du Nivernais. On est alors passé à deux doigts d’une guerre en Rethélois entre la mère et le fils58. Louis enterre rapidement son père : « à poi de compagnie, present Louys son filz, le prevost de Paris, et des vallés de Paris, et dez sergens de Chasteleit, aux Cordeliers fut enterré ». On a dû recruter des agents de police pour faire du nombre et peut-être assurer la sécurité du jeune prince59… Après quoi, le 25 juillet, Louis décide de montrer patte blanche à son grand-père. Il s’excuse de ne pas être venu immédiatement après les obsèques de son père, ayant d’abord préféré prêter hommage au roi pour le Nivernais. Habilement, il demande à son grand-père de lui envoyer son oncle Robert de Cassel pour gouverner son nouveau comté de Nevers. Il en appelle à ses parents pour le soutenir, lui qui est alors seul avec sa sœur Jeanne à Paris, et sans appuis60. Robert de Béthune n’est cependant guère en état de l’aider ; agonisant, il s’éteint le 17 septembre. Louis de Nevers se voit désormais comte de Flandre. Il veut agir vite 51 E. Le Glay, Histoire des Comtes de Flandre jusqu’à l’avènement de la maison de Bourgogne, 2 vol., Paris, 1843, t. 2, p. 351. 52 Chronique parisienne anonyme du XIVe siècle, op. cit., p. 70-71. 53 Acta aragonensia: Quellen zur deutschen, italienischen, französischen, spanischen, zur Kirchen- und Kulturgeschichte aus der diplomatischen Korrespondenz Jaymes II. (1291-1327), éd. H. Finke, Berlin, 1908-1922, 3 vol., t. 1, p. 482. 54 « Comes vero est senex et laborat in extremis ». Ibid. 55 ADN B 1269, n° 5468. 56 R. de Lespinasse, Le Nivernais et les comtes de Nevers, op. cit., p. 461. 57 Ibid. 58 Les grandes chroniques de France, op. cit., p. 265. 59 Chronique parisienne anonyme du XIVe siècle, op. cit., p. 70-71. 60 ADN B 1269, n° 5471.

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et profiter du soutien des villes flamandes, hostiles à Robert de Cassel61. Mais le roi n’entend pas qu’on lui force la main. En effet, il souhaite étudier les réclamations de Matthieu de Lorraine marié à Mathilde de Flandre, fille de Robert de Béthune. Certes, défavorable au détricotage du traité de 1320, le roi n’a aucune intention d’accorder le comté de Flandre aux plaignants, mais il ne peut ignorer ces revendications, tant l’idée de partage ou d’apanage est ancrée en ce début de XIVe siècle62. Surtout, il veut rester maître du jeu. Aussi refuse-t-il à Louis de s’intituler comte de Flandre. Ce dernier part malgré tout vers le nord. Il est à Gand dès le 25 octobre63, et reçoit les hommages des seigneurs, délivrant également son grand-oncle le comte Jean Ier de Namur, frère de Robert de Béthune, capturé par les Flamands pour avoir livré plusieurs places fortes à Robert de Cassel. Il s’agit sans doute de se ménager un allié64. Mais Louis ne veut évidemment pas se couper de la royauté : il retourne à Paris où il est présent du 3 au 6 décembre. Il est cependant arrêté entre le 11 et le 15 pour ne pas avoir attendu la décision royale65. Dès le 24 décembre Charles IV lui accorde de pouvoir vivre en liberté dans Paris et ses faubourgs, suite à une intervention des « amis » du jeune Louis, sans doute liés au clan bourguignon actif en coulisses66. D’ailleurs, si roi fait saisir la Flandre, il désigne pour la gouverner un proche du duc Eudes, Miles de Noyers67. Dès le 29 janvier, le Parlement reconnaît le bien-fondé des droits de Louis en Flandre et au comté de Nevers, et le fait libérer68. L’hommage est prêté le jour-même, le roi ordonnant aux villes flamandes de reconnaître Louis comme leur nouveau comte. Charles IV se pose ainsi en « faiseur de comte », et autorise Louis de Nevers à quitter Paris69… Mais le Parlement préserve les droits des autres héritiers à un apanage en Flandre. Il veut ainsi protéger Robert de Cassel et surtout Jeanne de Flandre, dame de Coucy, dite la dame Saint-Gobain70. Le roi a vite compris que Louis de Nevers n’entendait pas partager. Libre, le comte est désormais puissant, mais la situation est loin d’être stable, d’autant que son action attise les braises. De retour en Flandre au plus tard début avril, il contrarie les Brugeois en donnant l’avant-port de L’Écluse à Jean Ier de Namur, désormais son soutien contre Robert de Cassel. Or L’Écluse est vitale au commerce des Brugeois et Jean de Namur est lié au patriciat gantois et au roi qui le subventionne71. La révolte de Bruges est d’une efficacité redoutable. Le comte est capturé, L’Écluse brûlée, Jean de Namur arrêté. Le 4 avril Louis retire le privilège et accorde un monopole de l’étape à Bruges pour les marchandises entrant dans le bras 61 D. M. Nicholas, Medieval Flanders, op. cit., p. 210. 62 ADN B 1269, n° 5610 et 5611. 63 M. Vandermaesen, De besluitvorming in het graafschap Vlaanderen, op. cit., t. 2, p. 5. 64 Les grandes chroniques de France, op. cit., t. 5, p. 255-261. 65 M. Vandermaesen, De besluitvorming in het graafschap Vlaanderen, op. cit., t. 1, p. 180. 66 ADN B 1269, n° 5493. 67 M. Vandermaesen, De besluitvorming in het graafschap Vlaanderen, op. cit., t. 1, p. 180. 68 E. Le Glay, Histoire des Comtes de Flandre jusqu’à l’avènement de la maison de Bourgogne, op. cit., t. 2, p. 351. 69 ADN B 1269, n° 5502 et 5503. AGR Chartes de Flandre, n° 2252. 70 AGR Chartes de Flandre, n° 721. 71 M. Vandermaesen, De besluitvorming in het graafschap Vlaanderen, op. cit., t. 1, p. 194.

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de mer reliant Bruges au grand large, le Zwin72. Méfiant sur l’attitude du nouveau comte vis-à-vis de ses cohéritiers, le Parlement exige dès le 31 mai qu’il assigne à son oncle Robert de Cassel un lieu sûr pour lui prêter hommage. Le 12 juillet le roi doit d’ailleurs envoyer des commissaires pour faire restituer les terres prises par Louis à Robert de Cassel au motif que son oncle a trop tardé à rendre hommage, alors que la cérémonie a pourtant eu lieu73. Dans ce bras-de-fer, Louis de Nevers peut compter sur sa belle-famille. Fin septembre 1323, il négocie à Saint-Omer auprès de Mahaut pour faire libérer Jean de Namur, avant que ce dernier ne s’évade de sa prison brugeoise. Tranquillisé à son sujet, Louis repart en France après le 8 octobre 1323 pour ne revenir en Flandre que le 2 février 1324. Durant son absence, se met à circuler une rumeur : le comte souhaiterait échanger son pays avec le roi contre le comté de Poitiers. Louis doit démentir par des courriers, expliquant qu’il n’aspire à rien d’autre qu’à vivre et mourir comte de Flandre74. La rumeur a pu se nourrir du fait que son épouse Marguerite avait été fille du comte de Poitiers Philippe le Long ; en termes d’image, la comtesse ne constitue donc pas qu’un atout tant le tropisme français du jeune prince nourrit d’inquiétudes. Si de nouvelles commotions éclatent dans le Franc de Bruges, elles semblent apaisées par Robert de Cassel et le chancelier de Louis, Artaud Flotte, personnage influent et fils du célèbre Pierre Flotte. On amnistie et on fait porter la faute sur les magistrats locaux, forcément coupables de détournements. Flotte est alors au sommet de son influence en Flandre, mais passe aux yeux du « parti bourguignon » comme trop favorable aux rebelles, voire déloyal aux intérêts de la cause française. Mahaut, Jeanne et Marguerite n’apprécient guère cet individu lié à Robert d’Artois75. Une paix est signée en avril 1324. Revenu à Male en juin, Louis accorde une amnistie et des privilèges au Franc, avant de quitter la Flandre le 3 juillet76. La révolte reprend cependant à la fin 1324, menée par des paysans hostiles au retour de nobles pro-français, paysans épaulés par les tisserands brugeois. Louis revient donc à la fin 1324 observer qu’il ne contrôle guère le pays brugeois. Il accuse alors Robert de Cassel ; mais les Grandes Chroniques soulignent surtout la responsabilité du comte qui aurait alors voulu faire assassiner son oncle77. Malgré tout, au début de l’année 1325, devant l’ampleur de la révolte à Bruges, les membres de la famille paraissent faire bloc, Louis de Nevers chargeant Robert de Cassel de les attaquer par le fer, le feu et l’eau pour les « occhire et tuer ». Robert échoue cependant à rétablir l’ordre au Franc de Bruges78. Louis de Nevers espère

72 D. M. Nicholas, Town and countryside: social, economic, and political tensions in fourteenth-century Flanders, Bruges, De Tempel, 1971, p. 161. 73 ADN B 468, n° 5587. 74 H. Pirenne, Le soulèvement de la Flandre Maritime de 1323-1328, Bruxelles, 1900. 75 M. Vandermaesen, « Toverij en politiek rond de troon », op. cit. ; D. M. Nicholas, Medieval Flanders, op. cit. 76 M. Vandermaesen, De besluitvorming in het graafschap Vlaanderen, op. cit., t. 1, p. 199. 77 Les grandes chroniques de France, op. cit., éd. P Paris, t. 5, p. 289. 78 J. Bovesse, « Le comte de Namur Jean Ier et les évènements du comté de Flandre en 1325-1326 », Bulletin de la Commission royale d’Histoire, vol. 131, no 1, 1965, p. 385-454.

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alors reprendre la main par une action militaire contre Bruges. Il se rend en juin à Courtrai, mais se heurte dans la ville à des Brugeois et à leurs partisans ; il finit par mettre le feu à la ville dans des conditions confuses, probablement en voulant détruire les ponts et les faubourgs au nord de la Lys. Ce désastre le fait passer pour un tyran sanguinaire, destructeur de son peuple, une image que la propagande urbaine sait exploiter : Courtrai puis Ypres se joignent à la révolte, et le comte est capturé le 13 juin. Les villes confient le gouvernement à Robert de Cassel79, contrecarrant la décision prise le 12 juin par le comte de désigner comme gouverneur Jean Ier de Namur, ce qui pourrait être le motif de sa capture80. Humilié, le comte doit assister à la mise à mort de six gentilshommes sous ses yeux, avant d’être confié le 22 juin aux Brugeois, ligoté sur un petit cheval ou une mule81. Il peut cependant rapidement compter sur les Gantois inquiets de la puissance brugeoise associée à celle de Robert de Cassel, ainsi que sur les réseaux français et bourguignons. Le roi fait prononcer l’interdit sur la Flandre, parvient même à retourner Robert de Cassel et menace d’une action militaire le comté82. L’évêque d’Arras Pierre De Chappes, qui avait contribué au traité de mariage de 1320 en tant que chancelier de Philippe V, et qui fréquente la table de Mahaut83, est envoyé pour négocier la rançon à Bruges84. Louis est libéré le 30 novembre85, ou le 12 décembre, et repart vers Paris86. Le 19 avril 1326 le roi impose la paix d’Arques, aux confins de l’Artois et de la Flandre, côté artésien, donc chez Mahaut. Cette paix ne répond pas aux causes économiques d’une crise profonde, notamment dans les campagnes. La division reste également forte dans la famille flamande. Le comte se montre toujours avide ; le 10 janvier 1327 Charles IV ordonne à ses officiers de contraindre Louis à accomplir le partage prévu avec son oncle87, ce qu’il ne semble guère accomplir de bonne grâce88. Dans ce climat, la révolte s’aggrave en 1327 ; les rebelles massacrent des nobles, tandis qu’un meneur paysan s’impose, Jacob Peit, guère contrôlé par les Brugeois. Après sa mise à mort, les tisserands brugeois reprennent le flambeau et le comte s’enfuit vers Paris. Charles IV tente de trouver un accord tout en préparant une éventuelle action militaire, mais meurt le 1er février 1328. Le régent Philippe de Valois tente de rouvrir les discussions, mais les Flamands ne se rendent pas à Thérouanne où ils ont été convoqués89. Reste la voie militaire pour le nouveau chef de la France, très proche du parti bourguignon, à ses débuts du moins. Ibid., t. 5, p. 289-290. M. Vandermaesen, De besluitvorming in het graafschap Vlaanderen, op. cit., t. 2, p. 43. L’art de vérifier les dates des faits historiques, Paris, 1818, p. 334. J. Viard, « La guerre de Flandre (1328) », Bibliothèque de l’École des chartes, vol. 83, no 1, 1922, p. 362-382. 83 J.-M. Richard, Une petite-nièce de Saint-Louis, op. cit., p. 75. 84 Abbé Fanien, Histoire du chapitre d’Arras, Arras, 1868, p. 201. 85 J. Viard, « La guerre de Flandre (1328) », op. cit. 86 M. Vandermaesen, De besluitvorming in het graafschap Vlaanderen, op. cit., t. 1, p. 200. 87 ADN B 410, n° 5782. 88 ADN B 470, n° 5809. 89 J. Viard, « La guerre de Flandre (1328) », op. cit. 79 80 81 82

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6. Mahaut, soutien indéfectible Alors que Marguerite paraît absente de ces affaires, sa grand-mère Mahaut veille sur les intérêts du clan et représente un fort soutien de Louis de Nevers. Son intérêt s’explique par la longue frontière entre Flandre et Artois, une frontière nullement étanche. Les Saint-Venant sont fort influents des deux côtés, les Picquigny ont servi Robert de Béthune, notamment quand il s’est agi d’emprisonner Louis de Nevers. Enfin, les villes flamandes peuvent constituer un exemple pour les villes artésiennes et les lendemains de la bataille de Courtrai ont secoué l’Artois. On peut même affirmer que Mahaut a appuyé, sinon inspiré, le joyeux avènement « clandestin » de Louis de Nevers en Flandre, malgré l’opposition du roi. En effet, le 17 octobre 1322, 37 hommes d’armes menés par quatre seigneurs ont été payés par la comtesse pour avoir servi le comte de Flandre durant trois jours, au moment même où Louis tente de reprendre pied dans son pays90. Durant l’année 1323, les contacts entre Louis et Mahaut sont nombreux ; en février Louis lui envoie son ménestrel91, et passe à Lens en mars 132392. Plus largement, son arrivée en Flandre a été appuyée de ce soutien « bourguignon » : un courrier arrive ainsi à Ypres aux environs du 19 mars 1323 portant « lettres a eschevins de par madame Jehanne, royne de Franche et de Navaire, contesse de Bourgoigne, palatine et dame de Salins »93. Dans les mois qui suivent, Louis de Nevers fait d’ailleurs la navette entre la Flandre et l’Artois et même la Franche-Comté, se trouvant le 10 juin à Lamarche-sur-Saône, alors que Jeanne de Bourgogne et Marguerite sont dans les environs. Passant par Auxerre, il est de retour à Ypres le 10 juillet, puis Mahaut lui écrit à Cambrai le 26, l’héberge à Lens le 27 toute la journée et fait un don à son ménestrel94. En août, alors que Louis séjourne à Bruges, la comtesse d’Artois ne cesse de lui écrire ainsi qu’à sa nièce la comtesse de Namur, Marie d’Artois, qui se trouve dans la même ville. Le 25 août Louis rejoint de nouveau Mahaut arrivée à Béthune depuis Saint-Pol. Le 19 septembre, Mahaut lui écrit à Ypres : elle a sans doute dû l’inviter car il vient manger chez elle à Saint-Omer le 23 septembre, en compagnie de Jean de Flandre, avant de revenir chez elle le 2695. Il est alors notamment question de la venue en Flandre de Marguerite, très attendue par les villes. En effet, à la fin août 1323, Gand envoie à Courtrai un émissaire discuter avec les autres villes de la probable et imminente venue de la comtesse en Flandre. Mahaut apparaît comme un mentor de Louis de Nevers, et tente de jouer un rôle d’arbitre des conflits flamands. D’après le chroniqueur probablement audomarois de l’Istore de Flandre, c’est justement à Saint-Omer qu’elle parvient à un accord, incluant

90 B. Delmaire, « Le pouvoir de Mahaut », op. cit. 91 ADPDC A 412. 92 « Extrait d’une chronique anonyme intitulée Anciennes chroniques de Flandre », éd. N de Wailly et L. Delisle (éds.), Recueil des historiens des Gaules et de la France, tome 22, op. cit., p. 414-415. 93 G. Des Marez, Comptes de la ville d’Ypres de 1267 à 1329, op. cit., t. 2, p. 291. 94 ADPDC A 416. 95 Ibid.

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Louis, Robert et Jean de Namur, alors enfermé, et ce grâce à l’épouse de ce dernier, Marie d’Artois, parente de Mahaut96. Au cours des discussions, l’annonce de la fuite de Jean de Namur aurait effrayé les Brugeois présents à Saint-Omer, qui n’avaient plus d’otage pour assurer leur propre vie : la comtesse garantit alors de les « conduire à sauveté ». Elle obtient également que « fu déposés l’abbé de Saint Mard de Soissons du conseil le conte de Flandres ». Il pourrait s’agir d’Artaud Flotte, alors abbé de Vézelay mais surtout connu dans le nord pour avoir jadis été abbé de Saint-Médard. Il faudrait donc dater de cette époque l’éviction de Flotte, ce qui pose problème tant il est impliqué dans les négociations diplomatiques de 1324. Il est possible que le chroniqueur se soit trompé en datant cette disgrâce des conférences de Saint-Omer, mais il souligne bien la haine que Flotte inspire à Mahaut ; on peut également penser que son éviction ait été progressive97. Elle bénéficie d’ailleurs à un Bourguignon, Guillaume d’Auxonne, qui prend sa place auprès de Louis de Nevers : on voit combien le comte de Flandre est tributaire de ses alliés. Repartant de Flandre après le 8 octobre, Louis se rend d’ailleurs pour Gray aux environs de la Noël 132398, où il rejoint la cour de Jeanne de Bourgogne, et donc Marguerite. Assurément, ce voyage est destiné à débuter une vie maritale puis à ramener la jeune comtesse en Flandre.

7. Quand le diable s’en mêle : de la panne sexuelle à la crise politique Il faut ici faire place à une histoire mêlant intimité et conflits politiques, sorcellerie et diplomatie. L’affaire réunit tous les ingrédients d’un scandale, et si elle a été partiellement explicitée par Maurice Vandermaesen99, elle est relativement méconnue des historiens français alors qu’elle éclaire les rapports entre Louis de Nevers et le « parti bourguignon ». Plus encore, elle nous renseigne sur les représentations liées au pouvoir princier, et met en lumière la dimension personnelle d’une affaire humiliante qui a marqué le jeune couple. Les rapports intimes sont assurément une question secrète, mais aussi politique. La sexualité est bien souvent une affaire publique, plus encore pour les princes : il s’agit d’assurer la perpétuation de la lignée, et de fournir un futur dirigeant. La question des affinités est donc prise très au sérieux dans les cours, y compris chez les médecins100. Certes, les mariages diplomatiques et précoces ne sont pas voués à l’échec, comme en atteste la vie maritale de Saint Louis, prolifique et paisible. Mais les affaires de 96 Istore et croniques de Flandres : d’après les textes de divers manuscrits, éd. J.-B.-M.-C. Kervyn de Lettenhove, 2 vol., Bruxelles, 1879-1880, p. 330. 97 M. Vandermaesen, De besluitvorming in het graafschap Vlaanderen, op. cit., t. 1, p. 380. 98 Comptes de la ville d’Ypres de 1267 à 1329, éd. G. Des Marez, op. cit., p. 374. 99 M. Vandermaesen, « Toverij en politiek rond de troon », op. cit. 100 C. Debris, « Apparences corporelles et politique matrimoniale chez les Habsbourg à la fin du Moyen Âge », Apparence(s), no 2, 2008.

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mésentente sont nombreuses et dangereuses, à l’instar des retentissants déboires de Philippe Auguste avec Ingeburge de Danemark. Il est cependant rare de toucher à l’intimité du couple en dehors des mentions de rumeurs. Or nous disposons en l’espèce de documents judiciaires et diplomatiques fort clercs à ce sujet, bien qu’il faille se méfier des stratégies documentaires et politiques présidant à leur rédaction. Ce corpus est d’abord constitué de plusieurs accords établis à Poligny en octobre 1327 entre Louis et sa belle-mère Jeanne et surtout Mahaut d’Artois. Ils sont complétés par un document résumant les accusations pesant sur deux proches de Louis de Nevers, Artaud Flotte et Gui Grimaud son complice, lorsqu’ils se trouvèrent en prison au Châtelet en 1331101. Cette source a notamment été exploitée par Maurice Vandermaesen102, qui n’a cependant pas eu accès à la totalité des documents d’octobre 1327, ni à d’autres sources relatives à l’affaire. L’accord daté du 17 octobre 1327 décrit une crise conjugale dans laquelle Louis de Nevers assume tous les torts. Le comte y répond aux inquiétudes légitimes de Jeanne et Mahaut : « Par aucunes vraies conjectures elles se doubtoient que nous ne la traictissions bien et dehuement, pour ce que quant nous l’enmenasmes autrez fois en nostre conté de Nevers, nous li feismes plusieurs gries et duretéz, par induction et exortations mauvaises d’aucuns qui adonques nous gouvernoient »103. Les termes sont sévères, même si le comte use de l’excuse facile du « mauconseil », faisant sans doute référence à l’abbé de Vézelay. Non content d’avouer l’échec de sa première tentative maritale, Louis confesse être à cette date dans l’incapacité de consommer le mariage… Il s’engage désormais à bien traiter son épouse « si longuement comme l’empeschement de couple charnel sera et durra entre nous et nostre dite compaigne ». Le comte admet implicitement s’être mal conduit et ne pas avoir aimé sa femme « de bon keur », ni honoré « de tout nostre povoir ». Il reconnaît lui avoir dit et fait dire « villenie », « injure » et « offense », termes extrêmement graves. Il ne lui a pas fourni « neccessités pour son cors », mais a au contraire écarté l’entourage fourni par Mahaut et Jeanne, l’a coupée de sa famille pour lui interdire de se plaindre et l’empêcher de rejoindre ses parentes. La conduite lamentable du mari est ainsi exposée dans un texte accablant et lu devant une vaste assemblée de conseillers du comte et de Mahaut. Le texte de 1331 apporte des précisions plus troublantes ; il s’agit cependant d’un acte d’accusation résumant les aveux de Péronnelle, mère d’un proche de Flotte, Gui Grimaud, une femme suspectée de sorcellerie dans l’affaire. Les années 1305-1331 sont riches en affaires de sorcellerie, d’envoûtement, de pactes avec le diable : la peur du complot maléfique est très présente et sert d’ailleurs à imposer le recours au crime de lèse-majesté, voire à la procédure inquisitoire et à l’extraordinaire contre les crimes occultes104. Le texte reprend toute une série de lieux communs dans lesquels se lisent 101 M. de Marolles et J. H. G. R. Soultrait, Inventaire des titres de Nevers de l’abbé de Marolles, Nevers, 1873, col. 652 et suivantes. 102 M. Vandermaesen, « Toverij en politiek rond de troon », op. cit. 103 ADN B 410, n° 5830. 104 J. Chiffoleau, « Le procès comme mode de gouvernement », dans L’età dei processi. Inchieste e condanne trà politica e ideologia nel’300, Rome, Istituto Storico per il Medioevo, 2009, p. 319-348 ; J.

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enjeux de pouvoir et mésentente conjugale. Selon le témoignage de Péronnelle, Artaud Flotte se serait livré à la magie après avoir été privé du sceau du comte de Flandre lors d’un séjour à Gray. Il aurait pour cela mobilisé divers acolytes, notamment Grimaud et sa mère. Venu chez elle et chez son fils à Lantilly, château ou maison forte du Nivernais peu éloigné du château comtal de Montenoison, Artaud lui demande son soutien pour obtenir l’amour du comte. Elle cueille alors « jeuchet, ysope, mante et hermise » la veille de la saint Jean, et prononce quelques formules innocentes : « je te cueille en l’honneur de la Vierge Dame et dou Saint-Esprit, et te conjure que l’amour de monseigneur le conte de Nevers soit tousjours perpetuelle a mon fils ». Après quoi Flotte et Grimaud font boire le breuvage au comte. Après avoir perdu la garde des sceaux, Flotte revient à Lantilly se livrer à des actes bien plus sulfureux : « En dépit de la reine Jeanne [de Bourgogne] nous ferons tel broet que li contes de Flandres ne gerra point a la comtesse, fors que par nostre volanté ». Péronnelle le décrit accompagné de deux moines, se livrant à d’étranges rituels. Mélangeant diverses plantes, Artaud et les moines profèrent des incantations incompréhensibles, décapitent un geai (coupant ainsi le petit oiseau) qu’ils enterrèrent sur le seuil de la maison de Lantilly en un pot contenant les herbes bouillies. Trois démons sont invoqués : Balconboeuf, Barran et Bertion. Il s’agit de stimuler l’aversion de Louis pour Marguerite, et son amour pour Flotte et Grimaud. On use d’un double sortilège afin que le comte « ne povet connoistre charnellement la comtesse de Flandres sa femme, l’autre que ledit comte ne se pouvoit departir de leur amour, ne faire autre chose que leur volonté ». Peu après, la comtesse serait arrivée à la cour comtale, semble-t-il à Donzy ; aussitôt, toutes les bonnes personnes qui l’accompagnaient sont renvoyées à l’instigation de Grimaud et de l’abbé qui obtient de faire cohabiter les époux en sa présence, afin de maintenir l’envoûtement. Plus grave encore, exploitant avec perfidie le souvenir des brus du roi, les deux comparses auraient cherché à faire croire à l’immoralité voire à la bâtardise de Marguerite : elle « n’estoit pas si bien née, bonne de son corps ne prude femme ». L’arrivée de la jeune princesse représente visiblement une crainte pour les deux hommes, notamment en raison de son entourage. Les aveux de la dame « Grimaud » rajoutent toute une série d’accusations mêlant meurtre secret, trahisons avec l’étranger, conspiration avec les éternels rebelles flamands, usurpation de pouvoir, manipulation, empoisonnement, bref la panoplie du parfait « mignon » : toute la face noire de la splendeur curiale. Grimaud aurait été le meurtrier à gages d’un clerc à Audenarde, Grimaud et Flotte auraient chercher à conduire Charles de Valois en Angleterre pour pactiser avec Edouard II : cela correspond en l’occurrence à la dernière campagne de Charles de Valois contre les Anglais, dans le sud-ouest entre juillet et décembre 1324105. Les traîtres auraient encore porté les sceaux du comte et scellé de fausses lettres afin de pouvoir vendre le comté de Nevers ; ils auraient même usé d’un deuxième grand sceau et d’un contre-sceau

Théry, « « Atrocitas/enormitas ». Per una storia della categoria di « crimine enorme » nel basso Medioevo (XII-XV secolo) », Quaderni storici, vol. 44, 2009, p. 329-376. 105 J. Petit, Charles de Valois (1270-1325), Paris, 1900, p. 218.

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pour forger de fausses lettres. Allant contre toutes les solidarités naturelles du sang et les règles de l’honneur, ils auraient éloigné du comte sa mère Jeanne de Rethel, sa sœur Jeanne de Flandre, ses oncles et cousins, et bien entendu Marguerite, Jeanne de Bourgogne et Mahaut. Pour faire bonne mesure, l’abbé se serait promené avec cinq ou six singes, ses « diables pris », accusation rappelant les démons familiers attribués à Boniface VIII dans la propagande royale106. Tout cela aurait été connu de tous en Flandre et Nivernais. Un tel scandale portait atteinte à l’autorité royale et comtale. À l’entendre, la mère Grimaud aurait été désolée de voir que le comte « ne povet affere a madame la comtesse sa femme ne habiter charnellement ». Elle voulut y remédier par la magie noire, convoquant le démon Balconboeuf qui la mit au tourment. Elle aurait tout avoué au comte et l’aurait convaincu d’appliquer son remède : se baigner en une rivière, d’en remonter le cours en tenant son sexe à trois reprise afin d’avoir « onques affere a fame charnellement, messires le fera a madame ». Convaincue de sorcellerie, elle finit néanmoins brûlée, hurlant « delivrez moi de par deables ». Cette affaire rappelle les accusations d’envoûtement formulées par les nobles artésiens contre Mahaut suspectée d’avoir fait préparer poisons et philtres d’amour pour protéger ses filles107. S’ils éclairent sur les débuts du couple, ces documents ne sont pas très précis sur le déroulé des faits. Le document de 1331 semble le plus précis : il évoque une tentative d’assassinat en 1330-1331 sur le comte et la comtesse alors en Flandre. Dame Grimaud situe l’envoûtement par l’abbé un an après l’adoubement de son fils, survenu en 1326, et place ensuite un 22 juillet sa propre tentative pour briser ce sort. Pourtant, Péronnelle semble se tromper sur l’adoubement : dès octobre 1324 Grimaud est qualifié de « miles ». En partant du principe que sa mémoire « vécue » est plus cohérente que sa connaissance des dates, il faudrait donc situer l’envoûtement un an après la cérémonie, soit vers la fin 1325 au plus tôt, 1326 au plus tard. Dame Grimaud place par ailleurs ce rituel à la suite d’un voyage à Gray, où réside effectivement très souvent Jeanne : c’est alors que l’abbé se serait vu retirer les sceaux. Il faudrait situer cette disgrâce elle-même peu avant l’envoûtement, soit en 1325-1326. La mère Grimaud mentionne également la prise de Courtrai ; mais en 1325 Guillaume d’Auxonne a déjà, selon elle, récupéré le sceau. Soit ce témoignage est exact, soit il n’est d’aucune précision, ce qui est possible, soit il est biaisé de diverses manières pour établir un lien de causalité entre la perte du sceau et l’envoûtement, désignant ainsi un coupable idéal. En l’espèce il est impossible de trancher. Si l’on suppose une cohérence au témoignage, ce serait donc entre la fin 1324 et juin 1325 que l’abbé aurait perdu la garde du sceau. On ne saurait en tout cas le fixer plus tôt, car jusqu’à cette date, Grimaud et l’abbé sont très actifs auprès du comte, ce que montre la correspondance entre le pape et Louis de Nevers. Si l’envoûtement suit la perte du sceau et s’il correspond bien au début de la vie commune du couple comtal, il faudrait donc situer les débuts de leur vie commune entre la fin 1324 et juin 1325, même si la mère Grimaud donne la date de 1327. Face

106 J.-P. Boudet, Entre science et nigromance, op. cit., p. 451. 107 C. Balouzat-Loubet, Le gouvernement de la comtesse Mahaut en Artois (1302-1329), op. cit., p. 187.

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à ces imprécisions, les itinérances de Louis, les comptes des villes flamandes et surtout de Mahaut offrent quelques éclairages : on sait que des négociations pour faire venir Marguerite en Flandre avaient eu lieu dès 1323. Louis est ensuite venu à Gray auprès de son épouse et de sa belle-mère, puis s’est rendu peu de temps à Donzy, peu après la Noël 1323 : il y est attesté le 7 janvier 1324, avant de gagner Paris puis la Flandre. Mais c’est un séjour bien bref pour correspondre aux débuts de la vie de couple. Un autre séjour coïnciderait mieux avec la trame exposée par dame Grimaud : Vandermaesen signale que le comte est le 5 août 1324 à Villeneuve-le-Roi, point de passage au sud de Paris sur la route vers le Nivernais, puis à Donzy le 6 octobre108, avant d’apparaître le 1er novembre en route entre Nivernais et Paris. On peut donc supposer un séjour assez long entre août et octobre 1324 en Nivernais. Or c’est le moment, semble-t-il, où les affaires de Flotte deviennent compliquées et où on commence à l’accuser auprès du pape de nuire à Marguerite. Encore le 16 mai 1324 Jean XXII considère l’abbé comme un acteur majeur pour arriver à la paix entre les Brugeois et le comte de Flandre109 ; mais en septembre 1324, la situation de Flotte se dégrade soudainement. La reine Jeanne adresse alors une plainte au pape relative à la situation de sa fille, plainte qui semble viser Artaud Flotte. Inquiet, le pape écrit le 27 octobre au doyen de Nevers qu’il fasse ajourner l’abbé « cessante dilactionis obstaculo »110. Le 5 novembre il ordonne au comte qu’il lui envoie enfin l’abbé. Il désigne au passage Gui Grimaud comme un chevalier du comte ; il vient d’être envoyé à Avignon afin d’obtenir un délai en faveur de Flotte, pourtant déjà convoqué par le pape « ad nostram presentiam personaliter ». Cette fois le pape refuse le délai111. Une autre lettre pontificale du 1er juin 1325 adressée à Mahaut explique que le pape a bien convoqué Flotte à la demande de cette dernière, mais que l’abbé s’est excusé112. Le 5 décembre Jean XXII répond à une nouvelle lettre de la reine concernant l’abbé : il prend au sérieux les accusations, mais reconnaît ne pas disposer d’éléments concluants113. Ce que l’on sait sur les rapports du couple est certes ténu en dehors de ces documents. Ils se sont sans doute fréquentés à la cour de France dès l’enfance, et Louis a eu de multiples occasions de voir son épouse dans les années suivant le mariage et d’apprendre à la connaître. Si l’histoire a imputé les torts au jeune comte, les arguments ne manquent pas dans ce sens. Il est vrai que Louis de Nevers fait l’objet d’une légende noire liée à sa politique pro-française vue par nombre d’historiens, depuis Froissart, comme une trahison. On a souvent imputé à ses débordements moraux les échecs d’un principat désastreux. Pour Joseph Kervyn de

108 M. Vandermaesen, De besluitvorming in het graafschap Vlaanderen, op. cit., t. 2, p. 36. 109 Lettres secrètes et curiales du pape Jean XXII, 1316-1334, A. Coulon et S. Clemencet éd., 3 vol., Paris, 1906-1967, 5 vol., t. 3, col. 507-508. 110 Lettres de Jean XXII (1316-1334), éd. A. Fayen, Rome, Paris, Bruxelles, 1908-1912, 2 t. en 3 vol., t. 1, p. 536. 111 Lettres secrètes et curiales du pape Jean XXII, op. cit., t. 3, col. 507-508. 112 Ibid., p. 70. 113 Ibid. p. 103.

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Lettenhove, disciple de Michelet, il s’agit d’un « prince égaré par ses courtisans et dégradé par ses honteuses prodigalité ». C’est certes là mélanger largesse princière et turpitudes114. Il est vrai que certains épisodes peu glorieux de la vie des princes flamands sont confirmés par les archives : ainsi de la virée au cours de laquelle, le 29 juin 1319 le père de Louis de Nevers, Robert de Cassel et le comte de Namur allèrent s’esbaudir avec diverses dames et demoiselles chez une Courtraisienne mariée qu’ils avaient débauchée, une affaire qui fut portée devant les tribunaux115. De fait, Louis de Nevers prend sa place dans une lignée de mâles dont les relations conjugales ont été catastrophiques, que ce soit Robert de Béthune, ou Louis de Male. Marguerite a peut-être été sauvée d’un désastre par Mahaut et Jeanne, imposant une séparation de corps parfaitement admise en cas de « saevitia », de sévices, et d’ « asperitas », à savoir de dureté116. Or Louis de Nevers reconnaît avoir commis « plusieurs gries et durtés », des termes qui ont assurément été imposés pour légitimer ce retrait. Malgré tout, c’est surtout l’impuissance de Louis de Nevers qui est mise en cause, car elle peut être une cause de nullité tout comme la non consommation, encore qu’une telle annulation demeure très rare117. Cette impuissance ne saurait en tout cas être liée à une infirmité permanente : le nombre de bâtards de Louis de Nevers semble indiquer que le problème n’est pas là. Se pose en revanche la question de l’alchimie entre les deux jeunes gens, qui fonctionne visiblement mal. La pression familiale, très documentée, a peut-être aggravé la mésentente, d’autant que faute d’enfant né de l’union de Louis et Marguerite, Robert de Cassel deviendrait l’héritier. Une telle perspective apparaît comme une catastrophe diplomatique pour la cour de France et le clan bourguignon. Il semble que Mahaut ait eu du mal à le supporter et se soit montrée assez pressante vis-à-vis du jeune couple. Enfin, il y a dans cette affaire une question de lutte d’influence concernant le contrôle des entourages de Marguerite mais aussi de Louis, différentes factions espérant éliminer au sein de ces hôtels des adversaires principalement politiques. Le fait est connu pour nombre de princesse arrivées avec leurs proches dans une cour étrangère. Blanche de Valois a connu de semblables déboires auprès de l’empereur Charles IV, et après elle Isabeau de Bavière. Reste que bien souvent les dames arrivent à faire valoir leurs vues : Isabeau parvient à faire revenir les Bavarois, et Isabelle de Portugal sait conserver des Portugais auprès d’elle118. En l’occurrence, c’est également la famille de Marguerite qui entend influencer l’entourage du mari, parvenant même à éliminer son chancelier. Son successeur Guillaume d’Auxonne, un Bourguignon, va s’avérer bien moins problématique ; une bonne partie de l’entourage de Louis de Nevers a donc raison de se méfier de la belle-famille.

114 J.-B.-M.-C. Kervyn de Lettenhove, Histoire de Flandre, op. cit., t. 3, p. 117. 115 ADN B 555. 116 D. Lett, Hommes et femmes au Moyen Âge, op. cit., p. 209. 117 M. Gaude-Ferragu, La reine au Moyen Âge, op. cit., p. 57. 118 M. Sommé, Isabelle de Portugal, op. cit. ; S. Péquignot, Diplomatie, op. cit., p. 266-267.

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Conclusion Que la crise ait eu lieu en 1324 ou un peu plus tard, elle laisse des traces durables ; désormais, le couple vit de nouveau à distance et ne se croise que par intermittence. Jeanne de Bourgogne s’inquiète-t-elle pour l’avenir de sa fille ? Elle décide en mai 1325 de modifier son testament en faveur de Marguerite et Isabelle : 1 000 lb de rente sur le comté de Bourgogne et la terre de Salins leur sont assignées à chacune, 2 000 devant suivre119. Pour autant, les ponts ne sont pas rompus entre Louis de Nevers et sa belle-famille. Il est hors de question de mettre à bas la politique élaborée par Mahaut et Jeanne, qui n’entendent pas sacrifier leur plan en mettant fin au mariage. Elles préparent une réconciliation selon leurs termes, qui aura pour Louis de Nevers le goût d’une reddition.

119 J. Du-Tillet, Recueil des roys de France, op. cit., p. 351.

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Chapitre 3 

Lys et lions réconciliés L’avènement en Flandre de la comtesse Suite à l’échec initial de la vie de couple et aux lendemains de l’humiliante pénitence de Louis de Nevers à Poligny, il s’agit désormais de faire de Marguerite une véritable comtesse de Flandre, unie à son époux. Il faut qu’elle paraisse dans son comté. Mais la situation y demeure encore très confuse, ce qui nécessite assurément une intervention royale. Encore faut-il pour cela disposer du soutien du nouveau roi Philippe VI de Valois. Rapidement, le changement dynastique s’avère cependant profitable au parti bourguignon et conduit à la victoire de Cassel qui permet l’avènement tant retardé de la comtesse en Flandre. On peut considérer cette arrivée comme la véritable entrée en scène politique de Marguerite de France qui a désormais atteint les dix-huit ans, sa position se trouvant renforcée par la naissance d’un héritier mâle. Presque au même moment, la mort des deux matrones du clan, Mahaut et Jeanne de Bourgogne signifie l’émancipation de la nouvelle génération, mais aussi le début des tensions dans la transmission de l’héritage artéso-comtois.

1. De longues manœuvres de réconciliation Si le faux départ du couple flamand a inquiété Mahaut, il ne modifie pas sa ligne politique : réconcilier la Flandre et la France et maintenir le rang du parti bourguignon. Il faut donc remettre Louis de Nevers à sa place et assurer à Marguerite un rang conforme à son état. Mahaut se montre toujours aussi inquiète sur le front flamand. Le 5 octobre 1325, elle écrit à Louis de Nevers à Bruges, durant sa captivité. Le 2 décembre elle récompense Baudouin de Houdain venu l’informer de sa délivrance, et correspond de nouveau avec le prince1. Louis vient d’ailleurs à Hesdin et Saint-Omer en février 132623, puis arrive à Dole le 3 mai4. Le 21 mai, une grande fête y rassemble Mahaut, sa fille, le duc et la duchesse, mais aussi le comte et sa comtesse qui se retrouvent brièvement, sous surveillance de la famille5… Le 18 août, Mahaut fait délivrer 60 lb « aux gens de nostre filz le conte de Flandres »6, manifestant le lien familial qui les unit, mais aussi la relative pauvreté de Louis, bien éloigné de la Flandre, dans laquelle il ne revient que le 5 octobre.

1 ADPDC A 448. 2 BN Flandre-Artois 189, fol. 59. 3 M. Vandermaesen, De besluitvorming in het graafschap Vlaanderen, op. cit., t. 2, p. 46-49. 4 Ibid., t. 2, p. 46-49. 5 E. Petit, Histoire des ducs, op. cit., t. 7, p. 110. 6 ADPDC A 453.

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Le rapprochement s’amorce vraiment en 1327. On négocie en Artois une réconciliation qui aura lieu en Franche-Comté. Louis continue de fréquenter Mahaut, notamment en février7. Parallèlement, les villes flamandes font toujours pression pour faire venir Marguerite. Des envoyés de Bruges, Ypres et Gand viennent d’ailleurs à Arras du 23 février au 1er mars discuter avec le comte de la venue de la comtesse8. Un temps accompagnée par Louis, Mahaut repart vers l’Île-de-France puis gagne Dole le 20 mai. Elle y rejoint sa fille et ses petites-filles Jeanne et Marguerite9, avec lesquelles elle festoie le 31 mai à Salins ; on consomme alors 9 bœufs, 135 moutons et deux cerfs. Marguerite et sa mère passent également l’été en Bourgogne, notamment entre Gray, Poligny, Bracon et Dole. Elles fréquentent souvent Mahaut. Mais Marguerite semble aussi parfois s’éloigner de sa mère : le 28 septembre, elle rejoint Jeanne de Bourgogne et Mahaut tout près de Salins, au château de Bracon, arrivant en compagnie de chevaliers, dames et demoiselles. L’heure semble à la réconciliation tant attendue : le 8 octobre, Mahaut réunit à Arbois le comte et la comtesse de Flandre. Tout le monde repart ensuite vers Bracon, rejoint par Hugues de Bourgogne, qui est toujours en vie. Du 11 au 15, Mahaut paie les dépenses de l’hôtel de Louis de Nevers installé à Salins où il mène grand train10. Le 15, Mahaut accueille à Bracon le comte, la comtesse, ainsi que plusieurs chevaliers, dames et damoiselles. Elle semble avoir voulu s’assurer des capacités viriles du comte qui se montre défaillant. Très en colère, Mahaut repart alors vers Poligny où elle réside avec la reine le 16 octobre. C’est là qu’est réglé le sort des époux, les 17 et 18 octobre, au couvent des Dominicains.

2. L’humiliation de Louis de Nevers à Poligny On a choisi un terrain un peu plus neutre que les châteaux de Mahaut, où le jeune comte vient de vivre un séjour éprouvant. Louis de Nevers est d’ailleurs très sensible à l’influence des Frères Prêcheurs : son testament rédigé en 1328 prévoit qu’il soit enterré aux Dominicains de Gand s’il meurt en Flandre11. Mahaut et Jeanne commencent par obtenir de Louis de Nevers des garanties pour Marguerite. Le 1712, le comte de Flandre s’engage sur les Évangiles à délivrer les terres pour lesquelles le roi avait alloué 40 000 lb parisis de dot, sous peine de voir Rethélois et Nivernais confisqués par la Couronnes. N’ayant guère d’argent, il accorde la baronnie de Donzy et Entrains, qui devront fournir 4000 lb de rente à Marguerite. Pour ce faire, il promet de réassigner le douaire qui y avait été assis « a son bon plaisir et vouloir ». Donzy sera désormais un « héritage » de Marguerite

7 ADPDC A 459. 8 Comptes de la ville et des baillis de Gand 1280-1336, op. cit., p. 539. 9 ADPDC A 459. 10 ADPDC A 461. 11 ADN B 451. 12 Un acte notarié en est conservé à Lille, dû à Pierre de Venat. ADN B 410, n° 5826 bis.

lys e t li o ns réco nci li é s

qui lui appartient en propre de son vivant, et non un douaire, même si cette donation semble avoir été plus tard annulée13. Le lendemain, Louis de Nevers fait de nouvelles concessions. Dans un deuxième acte, il promet explicitement que les terres cédées la veille demeureront à Marguerite et à ses héritiers14. Par un troisième acte, il s’engage à établir le douaire de la comtesse sur une autre terre, en particulier sur le douaire de sa mère Jeanne de Rethel en Nivernais, après sa mort, ou bien en Rethélois « se elle vient en nostre main », voire en Flandre. Il le fera avec l’accord de Mahaut et Jeanne ; si elles sont mortes, il consultera Jeanne de France, la fille aînée, en passe de prendre la tête de la famille avec son époux15. Rassurée, Mahaut fait alors rédiger le même jour un dernier acte qu’elle gardera en son trésor des Chartes16. Elle s’y présente comme protectrice de Marguerite à qui elle a d’ores et déjà transmis la lettre du 17. Elle certifie que Louis a bien respecté les engagements du mariage, et demande donc au roi de faire payer la somme promise au comte de Flandre en vertu du mariage. Louis s’est donc appliqué, sous la pression, à exécuter les clauses du mariage alors qu’il n’a pas encore touché l’argent promis par la royauté. Il est pieds et poings lié. Qui plus est, il ne reçoit que des créances sur ses propres sujets révoltés. Mahaut et Jeanne veulent enfin solder les mauvais traitements subis par leur « chiere fille ». Toujours le 18 octobre, une lettre de Louis, déjà évoquée, est lue publiquement17 : le comte de Flandre y prie humblement « tres hautes et tres nobles noz tres chieres dames et meres madame Mahaut contesse d’Artoys et de Bourgoigne palatine, et dame de Salins, et madame Jehanne, par la grace de Dieu royne de France et de Navarre », et les supplie de lui accorder son épouse. Reconnaissant ses torts, il se livre à une pénitence publique chez les Dominicains, habitués des confessions princières. Après avoir avoué ses torts et reconnu ses déboires, il s’engage à tenir Marguerite conformément à son rang et aux honneurs qui lui sont dus : « nous traicterons aimablement et courtemoisement aimerons de bon keur et honorerons de tout nostre povoir et li porterons bonne et loial compaignie et toutes ses neccessités pour son cors ». L’affection se double surtout d’une garantie : il fournira à sa femme un hôtel digne de ce nom et des moyens financiers, un sujet délicat pour un couple dans le besoin. Il accepte par avance le personnel que fourniront Mahaut et Jeanne. Marguerite pourra en outre dénoncer d’éventuels abus et pourra partir sous 40 jours si ses parentes la réclament. Buvant le calice jusqu’à la lie, Louis reconnaît publiquement qu’il continuera de respecter ces clauses « si longuement comme l’empeschement de couple charnel sera et durra entre nous et nostre dite compaigne »… Le scribe qui a par la suite noté l’acte dans un registre comtal, dont Maurice Vandermaesen suppose qu’il pourrait s’agir de l’un des témoins, n’est pas un inconnu :

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ADN B 410, n° 5826 bis. ADN B 410, n° 5828. BN Colbert 391, n° 618. ADN B 410, n° 5829. ADD B 25. ADN B 410, n° 5830.

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c’est Guillaume d’Auxonne, désormais chancelier du comte. Ce dernier y a ajouté une étrange notice qui éclaire les conditions de la lecture de cette lettre. Peu avant d’arriver à Poligny, on avait installé à Bracon le comte et la comtesse afin de faciliter leur union charnelle. Le mari n’avait pu remplir son devoir conjugal, au grand dam de Mahaut qui souhaitait que le mariage soit consommé sous son toit, et avait fait apprêter sa petite-fille pour cela. « Nec cognoscere potuisset » : les mots sont rudes de la part du chancelier de Louis de Nevers. Plus rude encore est la réaction de Mahaut, telle que la relate le chancelier. Elle entre dans une fureur qui effraie les conseillers venus avec Louis. Hors d’elle, elle tient des propos inquiétants qui la font ressembler à Salomé. Il s’agit de la mère de Jacques et Jean de Zébédée, l’archétype de la vieille mère courageuse et protectrice, elle qui selon Matthieu avait demandé au Christ d’accorder à ses fils qu’ils soient assis à sa droite et à sa gauche dans le royaume des cieux (Matthieu, 20, 20). La Légende dorée avait ajouté qu’elle aurait également fait mettre à mort tous les nobles qu’Hérode avait jetés en prison18… D’après Guillaume d’Auxonne, le comte et ses conseillers ont cru un temps se trouver dans la même situation que ces malheureux, craignant pour leur vie : « et ibi dominus propter defectum suum erat quasi desperatus, et nos cum eo »19. La leçon a dû être retenue. Certes, Marguerite semble n’avoir pas joué le premier rôle dans l’affaire. Elle y gagne cependant en autonomie et se retrouve dotée d’une relative base financière et matérielle sans que le mariage ne soit cassé.

3. De la bataille de Cassel au joyeux avènement : l’arrivée en Flandre de Marguerite de France L’accord de 1327 n’est pas immédiatement suivi d’effet. Mahaut et Jeanne attendent que Louis ait réglé la situation en Flandre avant d’envoyer Marguerite. Mahaut continue de résider en Comté, jouant d’ailleurs de l’argent les 18 et 22 octobre, preuve qu’elle n’était pas de si mauvaise humeur20… Fin octobre, elle prépare un voyage avec sa fille vers le Dauphiné, auquel Marguerite a pu se joindre21. Louis repart quant à lui seul, gardant le contact avec Mahaut. La mort de sa mère Jeanne, cette année, lui assure par ailleurs la possession du comté de Rethel et libère le douaire dont elle avait la jouissance en Nivernais. Durant ce temps, si l’on part du principe que Marguerite demeure avec sa mère, elle doit surtout résider en Bourgogne. Le 12 janvier 1328, Mahaut envoie d’ailleurs à Dole hareng et drap de livrée à la reine et à « nos jeunes dames »22. Jeanne de Bourgogne est ensuite surtout à Gray en 1328 puis une partie de 1329, avant de partir 18 Jacques de Voragine, La légende dorée, Paris, 1902, p. 57-61. 19 ADN B 1562, fol. 134 v°. Cité dans M. Vandermaesen, De besluitvorming in het graafschap Vlaanderen, op. cit., t. 1, p. 335. 20 ADPDC A 461. 21 ADPDC A 466. 22 ADPDC A 470.

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pour Poligny un long moment23. La reine douairière ne se rend en revanche pas au sacre de Philippe VI le 29 mai 1328. Elle proteste contre les prétentions du nouveau roi et fait au contraire valoir les droits de Jeanne de France24. Mais la présence de Mahaut à Reims indique combien tout cela reste de pure forme. Car l’avènement de Philippe VI va permettre de régler l’épineux problème flamand, et c’est peut-être un élément motivant la venue de Mahaut. Selon Froissart, Philippe de Valois hésite d’abord à attaquer la Flandre, et ne se résout à une action militaire qu’à la suite d’un esclandre causé par le comte de Flandre en plein milieu de la cérémonie25. Appelé par les hérauts le comte de Flandre ne répond pas : il entend montrer au roi qu’il a été dépossédé de son titre alors que le roi jouit du sien. Ce bel exemplum reprend à l’envers celui associé à l’avènement de Hugues Capet : «Qui t’a fait comte, qui t’a fait roi ?». Le nouveau roi élu va devoir « faire » Louis comte de Flandre26. En vérité, le conseil royal y réfléchit depuis longtemps27, et les Grandes Chroniques signalent que la décision aurait été prise avant le sacre, à Paris, peu après que Louis de Nevers eut prêté hommage pour la Flandre. Il faut cependant attendre le retour de la cour à Paris, après le sacre, pour qu’un mandement soit donné aux hommes de guerre de se rendre à Arras pour juillet28. Lors de la préparation de l’expédition, Louis fait rédiger son testament, daté du 10 juillet 1328 : il n’y oublie pas son épouse « karissime consorti nostre », à qui il confirme les dons qu’il lui a déjà accordés. Parmi les bénéficiaires, on note la présence de deux bourguignons, Guillaume d’Auxonne et Thierry de Montaigu29. Le clan bourguignon est alors bien utile à Louis de Nevers : il peut compter sur ses beaux-frères Eudes IV et Guigues VIII30. En revanche, la confiance du roi envers Louis est limitée : il est envoyé sur des positions secondaires lors de sa campagne de Flandre31, sans doute aussi pour moins l’exposer à une fin prématurée entre les mains de ses sujets. La victoire du 23 août 1328 à Cassel est d’abord celle du roi, qui à l’issue de la bataille avertit Louis de Nevers sur le fait qu’il lui revient de maintenir la paix qu’il n’avait pu conserver. Le comte peut désormais revenir dans un pays désormais pacifié au prix d’une brutale répression et de l’abrogation de multiples libertés urbaines. Il est renforcé, mais doit tout au parti royal et à son mariage32. La venue de la comtesse en Flandre est donc fortement soutenue par la royauté ; on n’ira pas jusqu’à dire que

23 G. Duhem, « Jeanne de Bourgogne, comtesse de Poitiers et reine de France », op. cit. 24 « Continuation de la Chronique de Gérard de Frachet », op. cit., p. 70. 25 Jean Froissart, Chroniques, éd. S. Luce, 12 vol., Paris, 1869-1931, t. 1, 2e vol., p. 296. Nous avons privilégié cette édition, qui sera abrégée en Jean Froissart, Chroniques, op. cit., éd. Luce. Lorsque nous recourons à l’édition de Kervyn de Lettenhove, nous l’abrégeons en Jean Froissart, Œuvres. Chroniques, op. cit., éd. Lettenhove. 26 J. Viard, « La guerre de Flandre (1328) », op. cit. 27 Ibid. 28 Les grandes chroniques de France, éd. J. Viard, 10 vol., Paris, 1920-1953, t. 9, p. 79. 29 ADN B 451, n° 5870. 30 J. Viard, « La guerre de Flandre (1328) », op. cit. 31 M. Vandermaesen, De besluitvorming in het graafschap Vlaanderen, op. cit., t. 1, p. 183. 32 Chronique parisienne anonyme du XIVe siècle, op. cit., p. 122.

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la bataille de Cassel a été menée pour permettre cet avènement, mais l’enjeu a pesé dans l’entourage du roi et le « parti bourguignon ». La Flandre est rapidement soumise par le comte à un gouvernement centralisé : administration des finances autour d’un maître des comptes, développement d’une cour de justice centrale dite de l’Audience, intervention dans l’audition des comptes des villes, le tout sous la férule du chancelier bourguignon Guillaume d’Auxonne33. Dans cette mainmise, le rôle de la comtesse et des intérêts qu’elle porte mérite donc quelque attention. Une fois rétabli dans ses droits, Louis envoie de forts signaux d’allégeance et au roi et au parti bourguignon, étant toujours dans l’attente de son épouse. Le 15 février 1329 il fait alliance avec le duc de Bourgogne contre tous, sauf le roi afin de « sauvey et gardey l’onour et l’estat dou réaume de France »34. C’est encore une fois en Artois que s’est préparé un grand changement dans la vie de Marguerite : la reformation du couple comtal et surtout son avènement en Flandre. On sait que Marguerite est à Arras le 16 octobre 1328, en l’hôtel de Mahaut, avec sa mère. Son nom n’est plus mentionné par la suite, mais Mahaut et la reine Jeanne restent en Artois, atteignant Calais le 2635. Marguerite semble les accompagner car le 29, à Hesdin, les Gantois envoient plusieurs échevins, accompagnés de représentants des autres villes. Ils viennent la supplier de venir en Flandre36. Sa venue suscite donc des espoirs : elle est un gage de paix, et la promesse d’un héritier pourrait réduire les divisions familiales, car Robert de Cassel reste le successeur potentiel de Louis de Nevers. On perd malheureusement la trace de Marguerite jusqu’au 30 septembre 1329, date à laquelle les Gantois lui envoient cinq échevins pour l’accueillir à Tournai37. Mais sa venue semble bien engagée début mai 1329 ; quatre bulles pontificales sont alors accordées conjointement à Louis et Marguerite, accordant plusieurs dispenses comme l’autorisation de disposer d’un chapelain pouvant administrer les sacrements38. Le couple a visiblement débuté une vie de cour commune entre le printemps et l’été. Les premières mentions de lettres de Marguerite dans la recette de Flandre datent du 31 août 1329, destinées à payer diverses dépenses assumées par Pierre des Essars. Le comte et la comtesse semblent désormais faire « compte commun ». Le prince s’est d’ailleurs endetté à Paris auprès des Bardi pour préparer son « retour en Flandres ». Bien que le couple soit désormais réuni, Louis reste très mobile : il est en juillet 1329 au comté de Rethel, et le 4 août à Gand où Mahaut lui envoie cinq daims et un cerf39.

33 P. Thomas, « Une source nouvelle pour l’histoire administrative de la Flandre : le registre de Guillaume d’Auxonne, chancelier de Louis de Nevers, comte de Flandre », Revue du Nord, vol. 10, 1924, p. 5-38 ; T. de Hemptinne et M. Vandermaesen, « De ambtenaren van de centrale administratie van het graafschap Vlaanderen van de 12e tot de 14e eeuw », op. cit. 34 ADN B 261, n° 5974. 35 ADPDC A 480. 36 Comptes de la ville et des baillis de Gand 1280-1336, op. cit., p. 650. 37 Ibid., t. 2, p. 650 et 706. 38 J. L. D. G. Saint-Génois, Inventaire analytique des chartes des comtes de Flandre, autrefois déposées au château de Rupelmonde, Gand, 1843-1846, p. 427. 39 ADPDC A 497.

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Le 29 septembre 1329, Mahaut paie les ménestrels de Louis, probablement en raison d’un nouveau séjour en Artois, où le comte de Flandre est venu chercher son épouse pour la mener en Flandre.

4. La joyeuse entrée de Marguerite en Flandre Accueillie par des échevins flamands à Tournai le 30 septembre 132940, Marguerite est sur le point d’entrer en Flandre. Elle entame sa tournée de joyeuses entrées par Audenarde, où elle ne s’attarde pas, gagnant rapidement Gand, le 1er octobre (carte 4 en ligne). Ce choix doit sans doute beaucoup à Louis de Nevers, qui peut ainsi marquer son estime pour une ville qui l’a fortement appuyée, d’autant que la joyeuse entrée a précisément lieu le jour de Saint-Bavon, patron de la ville. Quelques détails émergent sur cette joyeuse entrée grâce aux comptes de la ville de Gand. Ils soulignent le caractère inaugural et l’importance du passage de la porte. La ville a disposé 60 « zelscutters », tireurs ou arbalétriers aux 6 portes de la ville durant trois jours, une garantie de sécurité et une marque de prestige, qui montre que la ville garde elle-même la comtesse. La réception est à la fois sonore et visuelle : trois trompettes venus de Bruges ont l’occasion de trompeter, ainsi que deux autres trompettes, Persemiere Zinenzone et Lenvalen. On fait réaliser deux grandes bannières et quatre pennons pour les trompettes41. La ville paye en outre des livrées pour le bailli, les échevins, le conseil, les hoofdmans (chefs) des métiers, les doyens de la laine et des petits métiers, et offre à madame deux draps blancs pour 137 lb. La dépense totale représente près de la moitié du coût annuel des présents de la ville42. De Gand, Marguerite arrive à Male, château comtal où elle séjourne avant son entrée brugeoise, faisant ainsi attendre ces sujets souvent rétifs à l’autorité de Louis de Nevers. Elle gagne ensuite Ypres, troisième ville du pays, qui fait également partie de ce « Westflandres » si sévèrement réprimé en 1328. Elle y arrive le 21 octobre pour assister à des joutes, prenant place dans une tribune sous un ciel de drap. De nouveau les trompettes sonnent, ornées de pennons de cendal à franges peints par Alene Pinchallincs. La comtesse y reçoit un brochet43. Son tour de Flandre la conduit ensuite à Courtrai dont le rang politique vient après les trois premières villes, puis dans les confins orientaux à Grammont avant qu’elle ne retourne vers Gand pour y terminer l’année, peut-être en passant par Alost et Termonde44. Ces villes offrent quantité de vin et de nourriture : deux tonneaux de vin et 12 becquets à Audenarde, un bœuf gras donné par l’abbesse de l’abbaye de La Biloque à Gand. Les Gantois voient les choses en grand avec 16 grands luz (brochets), 20 grands bechets (encore des brochets), 100 grandes anguilles, 20 beaux bœufs,

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Comptes de la ville et des baillis de Gand 1280-1336, op. cit., p. 706. Ibid., p. 725. Ibid., p. 642-644. Comptes de la ville d’Ypres de 1267 à 1329, op. cit., p. 1014. Comptes de la ville et des baillis de Gand 1280-1336, op. cit., p. 699.

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10 tonneaux de vin de Saint-Jean-d’Angély et deux pièces de vin du Rhin. Une certaine hiérarchie s’affirme d’ailleurs entre les villes : Bruges se contente de 8 tonneaux et deux pièces de vin du Rhin. Encore plus coûteux, les dons de bijoux et d’orfèvrerie sont eux aussi nombreux : Audenarde offre un drageoir doré et émaillé et une louche dorée ; l’abbé de Furnes une nef dorée émaillée ; celui de Saint-André de Bruges une coupe d’argent dorée et un pochonnet (petit pot) à eau en argent doré et un pot d’argent doré. Gand n’offre pas de vaisselle, mais Bruges donne cinq douzaines d’écuelles d’argent, des plateaux d’argent et six pots d’argent. Le Franc se montre fort généreux offrant une couronne, et 100 lb de gros. Ypres donne à Marguerite deux coquilles perlées à couvercle émaillé et six pochonnets dorés pour l’eau. Enfin les tissus sont abondamment dispensés : pour Gand, quatre écarlates rouges, quatre autres de brun sanguin, 12 draps mêlés ; Bruges offre une couverture et quatre « capitre45 » d’écarlate, portant écus aux armes de monseigneur et de madame : lion et lys. Productions locales et marchandises d’importation sont ainsi mises en avant devant une connaisseuse initiée aux textiles brabançons. Parmi les donateurs figurent également des gens d’Église : les abbés de Saint-Bavon de Gand, de Saint-André de Bruges, de Ter Dost, des Dunes, les abbesses de la Biloque de Gand, de Doornzele, de Spermalie, ainsi que le prévôt de Saint-Martin d’Ypres. On relève également les cadeaux de nobles et de riches bourgeois comme Jean de Hillen, ou encore des marchands d’Allemagne de Bruges. Longtemps attendue par ses sujets, Marguerite est reçue avec tous les honneurs dus à son rang, apportant la paix, la prospérité, laissant rêver à un âge d’or retrouvé, selon une thématique traditionnelle des joyeuses entrées.

5. Marguerite et Louis Si la comtesse a bien pris ses quartiers en Flandre, son époux repart bien vite en Artois46, puis à Paris. On le retrouve dans l’escorte conduisant Jeanne de Divion à son exécution en 1331, et lors d’un tournoi en honneur de la chevalerie du fils du roi en 133247. Il revient cependant fréquemment en Flandre, y compris en 1337 et 1338. Quant à Marguerite, elle continue de se déplacer, nous y reviendrons. Les époux paraissent avoir été souvent séparés, selon un usage bien ordinaire et éloigné du bonheur domestique assez commun chez les bourgeois des villes48. Consciente de son rang, la comtesse doit d’ailleurs certainement subir, non sans stoïcisme, des rapports compliqués avec un époux qui l’a déjà maltraitée. En ces temps de bâtardocratie, les enfants illégitimes d’un prince sont une banalité, mais la chose est particulièrement courante en Flandre. Les miroirs aux dames soulignent d’ailleurs que

45 Il faut peut-être y reconnaître une « capite », c’est-à-dire une petite casaque. 46 ADPDC A 494. 47 I. Guyot-Bachy, La Flandre et les Flamands, op. cit., p. 134. 48 C. Frugoni, Vivre en famille au Moyen Âge, traduit par Jérôme Savereux, Paris, 2017.

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les épouses doivent apprendre à dominer leur jalousie face aux infidélités masculines, faute de quoi un mal supérieur peut en découler49, l’épouse devant même apprendre à aimer les enfants bâtards de son époux. Il semble que Marguerite ait ici montré plus de sang-froid que sa bru Marguerite de Brabant, suspectée d’avoir assassiné une maîtresse Louis de Male50. Marguerite de France viendra d’ailleurs participer aux délibérations ayant conduit à l’éviction de sa belle-fille, ce qui est peut-être un signe du fait qu’elle admet ces conceptions. Si on ignore ses sentiments, sa conception morale de l’amour conjugal est mieux renseignée : une fois veuve, Marguerite n’oublie pas son époux, même si peut se lire une certaine réticence à accomplir ce devoir. On ne trouve aucune mention de Louis de Nevers dans le testament de 1354. Le temps aidant, et l’héritage de Marguerite s’accroissant, elle consent cependant le 12 juin 1367 à fonder des chapellenies en sa mémoire « consideré le grant amour, affection et compaignie de mariage que par lonc temps avons eues a nostre tres chier seigneur et mari monseigneur Loys jadis conte de Flandres que Diex absoille, et encores avons et avoir devons quant au profit, memoire et sauvement de l’ame de li ». Elle accomplit ainsi son devoir d’épouse auprès de son mari en contribuant à sa mémoire et son salut, y compris après la mort51. Ce faisant, elle prolonge un service accompli auprès de son « tres chier seigneur et mari », auquel elle a donné ce qu’elle seule pouvait lui fournir, un héritier légitime.

6. La naissance de l’héritier Comme le rappelle Colette Beaune, « la première aide qu’une femme apporte à son mari, c’est son ventre pour engendrer des fils »52. L’enjeu est suffisamment grave pour avoir mis Mahaut d’Artois hors d’elle. Intervention efficace, car les choses reviennent progressivement dans l’ordre. On peut d’ailleurs se demander si la conception de l’enfant n’a pas été retardée pour des motifs politiques. La Flandre devait être sécurisée afin que la comtesse y accouche sereinement du potentiel héritier du comté. L’association de l’héritier avec la terre qu’il est amené à gouverner correspond à une véritable préoccupation politique au XIVe siècle. Marguerite de Male accouche ainsi dans le duché de Bourgogne à plusieurs reprises53, notamment de l’héritier Jean sans Peur. Le comte et la comtesse n’entendent pas faire passer l’héritier pour un français né et élevé à Paris ; Louis « de Nevers » est déjà considéré comme trop peu flamand. Le surnom du jeune garçon, Louis de Male, dit bien cette volonté de l’enraciner en Flandre.

49 A.-M. De Gendt, L’art d’éduquer les nobles damoiselles, op. cit., p. 216. 50 F. Quicke, « Les circonstances de la réclusion et de la mort de Marguerite de Brabant, comtesse de Flandre », dans Miscellanea Leonis van der Essen, Bruxelles, Paris, 1947, p. 391-407. 51 ADN B 1567, fol. 24r et ADCO B 401, fol. 102-103. 52 Femmes de pouvoir, femmes politiques durant les derniers siècles du Moyen Âge et au cours de la première Renaissance, op. cit., p. 637. 53 S. Laurent, Naître au Moyen Âge : de la conception à la naissance ; la grossesse et l’accouchement (XIIeXVe siècle), Paris, 1989.

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En revanche, sa conception a peut-être eu lieu ailleurs. Le jour de naissance correspondant à la date prévue, on peut penser que la grossesse a duré environ 280 jours, ce qui situerait la conception autour du 18 février 1330. On est peu après les funérailles de Jeanne de Bourgogne, auxquelles Marguerite a pu assister. À cette date, le sort de la Flandre est en tout cas assez stable. Durant les premiers mois de grossesse, la comtesse reste mobile. Si en raison de sa fragilité la femme enceinte doit être ménagée et à l’abri des soucis et du risque physique54, cela ne l’empêche nullement de suivre son époux sur les routes. Jeanne de Bourgogne traverse le royaume en 1336 avec Philippe VI55. Pour sa part, Marguerite est à Longchamp le 6 avril, enceinte de moins de deux mois. Par la suite, elle paraît cependant résider en Flandre où elle revient le 12 avril : on la retrouve à Gand en avril et août, puis Bruges de début septembre à début octobre, avant qu’elle ne gagne Male. Au 5 octobre 1330, la comtesse commence à envoyer des courriers. Elle est « empoint d’acouchier d’enffant a teille heure comme il li plaira, en ce moys de novembre, environ la sainte Katherine ». Il est d’abord à noter que c’est à l’enfant que Marguerite attribue la décision de la naissance56. La précision de la date est notable, car Louis naît effectivement le 25 novembre ! Il est certain que des spécialistes ont pu déterminer la date. Sans doute reconnaissante de la bonne tournure de l’accouchement, la comtesse manifesta sa vie durant une dévotion spécifique à sainte Catherine, tout comme son fils qui lui dédia la chapelle des comtes à Courtrai, dans laquelle il eut un temps le projet d’être enterré, invoquant précisément le jour de sa naissance57. Avant même l’accouchement, le baptême a été préparé avec soin. Il s’agit en effet de la première apparition publique du nouveau-né. Il doit avoir lieu si possible dans un délai de trois jours, ce qui nécessite une anticipation : il s’agit d’un évènement religieux et social qui requiert la présence de clercs, si possibles de prélats, mais aussi de membres de l’aristocratie par le jeu des parrains et marraines. L’enfant se trouve ainsi intégré dans une communauté religieuse et un groupe social58. Marguerite écrit à l’évêque de Tournai dont le diocèse intègre le château de Male. Elle souhaite qu’il vienne baptiser l’enfant, ce « fruit que Dieux nous donrra ». Le choix du parrain et de la marraine est quant à lui politique. Il s’explique par les logiques propres à la Flandre : on en a certainement discuté dans le couple. Guillaume Ier, comte de Hainaut, Hollande (sous le nom Guillaume III) et Zélande, qui s’est rapproché de Louis de Nevers, est pressenti pour être « compeires », si l’enfant est mâle. Marguerite le qualifie de « tres chier et amé cousins », pour lequel elle a « principal et singuliere affection ». Il est marié à Jeanne de Valois avec laquelle Marguerite entretient des liens. De même, le choix de la « commeire » dans l’hypothèse où l’enfant soit femelle est habilement soupesé : il s’agit de la duchesse de Brabant, ce qui renforce les liens de voisinage mais aussi les rapports avec la cour de France et 54 A.-M. De Gendt, L’art d’éduquer les nobles damoiselles, op. cit., p. 229. 55 M. Gaude-Ferragu, La reine au Moyen Âge, op. cit., p. 81. 56 ADN B 1595, fol. 136v. 57 F. van de Putte, La chapelle des comtes de Flandre à Courtrai, Bruges, 1875, p. 13. 58 T. Brero, « Le baptême des enfants princiers (XVe et XVIe siècles) », dans Le strategie dell’apparenza. Cerimonie e società alle corte di Savoia, éd. P. Bianchi et A. Merlotti, Turin, 2008, p. 17-38.

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la famille d’Artois. Il s’agit en effet de Marie d’Évreux, fille de Louis, comte d’Évreux et de Marguerite d’Artois. Les trois lettres envoyées ont été copiées dans un « registre aux chartes » flamand : rédigées sur le même modèle, les seuls changements concernent les noms et le rôle des destinataires. L’affaire ne relève donc guère de la spontanéité. Contrairement à l’usage savoyard, et afin que tout soit déjà planifié, on n’a pas attendu pas de connaître le sexe de l’enfant. C’est peut-être aussi une manière d’honorer davantage de personnes, quitte à faire des déçus… Marguerite se voit en tout cas chargée d’assumer les invitations. Pourtant, le comte est présent à Bruges59, d’où il part ensuite vers Alost avant de regagner Male entre le 8 et le 11 novembre, sans doute pour rejoindre son épouse. Il y reste au moins jusqu’au 25 et sans doute pour le baptême. Par la suite, il demeure à Bruges jusqu’au 5 décembre avant de se rendre à Paris. Comme prévu, l’accouchement survient le 25 novembre. La naissance du premier héritier constitue un évènement majeur de la vie de cour et fait l’objet de célébrations particulièrement somptueuses60. L’accouchement est un acte certes naturel, mais aussi social, voire politique, attestant de la pérennité du pouvoir et de la légitimité de l’enfant reconnu publiquement. En l’occurrence, tout s’est déroulé pour le mieux, semble-t-il ; sans doute a-t-on invoqué sainte Marguerite, patronne des femmes en couches. La naissance de Louis de Male est annoncée, comme c’est l’usage, aux parents, aux autres princes, et aux sujets dont on attend qu’ils manifestent leur joie : le 1er décembre un messager de la comtesse atteint Montbard et reçoit un don d’Eudes61. Les Gantois rémunèrent quant à eux grassement le porteur de l’annonce de la naissance du fils du comte de Flandre62. Ils sont en effet assurés que leur ennemi Robert de Cassel perde son statut d’héritier direct. Signe de son importance, la naissance de Louis de Male, a été préparée. Elle a donné lieu à ce « cérémonial de la naissance » entouré de luxe, notamment des frais importants pour la décoration de l’accouchée, selon un usage bien connu alors63, et repris à la cour des Valois de Bourgogne64. Plusieurs documents provisionnels ou « avis » en attestent, manifestant une certaine cohérence et un coût très élevé. Le premier, le plus simple, est un « avis de ce qui faut pour la gesine madame »65 : on prévoit non moins de « deus chambres » constituées de tapisseries, de tapis, de linge de lit pour parer la chambre de madame, l’une brodée, l’autre de cendal vert « toute plaine ». Il faut encore quatre oreillers de broderie, une « couvertoir de drap d’or » fourré d’hermine pour l’enfant, une autre couverture d’écarlate fourrée

59 M. Vandermaesen, De besluitvorming in het graafschap Vlaanderen, op. cit., t. 2, p. 112-135. 60 T. Brero, « Le baptême des enfants princiers (XVe et XVIe siècles) », op. cit. 61 ADCO B 315. 62 Comptes de la ville et des baillis de Gand 1280-1336, op. cit., p. 775. 63 S. Laurent, Naître au Moyen Âge : de la conception à la naissance ; la grossesse et l’accouchement (XIIXVe siècle), Paris, 1989. 64 M. Sommé, « Le cérémonial de la naissance et de la mort de l’enfant princier à la cour de Bourgogne au XVe siècle », dans Fêtes et cérémonies aux XIVe-XVe siècles. Publication du Centre Européen d’Études Bourguignonnes, Neuchâtel, 1994, p. 35-50. 65 ADN B 3231, n° 111700, 111702 et 11701.

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de menu vair, une troisième fourrée de gris, trois courtines, deux berceaux, l’un pour le jour et l’autre pour la nuit, deux « lians », l’un brodé des armes de Flandre et de France, l’autre pour la nuit, en soie sans broderie. Voilà qui rappelle la décoration de la chambre de Jeanne de Bourgogne lors du sacre. Un second document ajoute des « linceus » (draps) de fine taille pour mettre sur la courtepointe brodée, un ciel de lit et une couverture de « tartare ou de cordal tout d’une colour semé d’aucune chose », pour les parois de la chambre. Il prévoit encore de couvrir le sol de la chambre de tapis de même « semeure ». On recommande d’acheter deux lits qui seront mis l’un à côté de l’autre et placés dans un « épervier ». Il s’agit d’une structure solide fixée au plafond sur laquelle on dispose des tentures. Les lits seront reliés par une courtine de cendal portant les mêmes devises que les ciels des lits. Le tout sera orné de « semeures […] d’aucune œuvre nouvelle ». On prévoit encore deux lits simples pour la « gesine et un nouveau lit au mois des relevailles ». Une riche robe brodée est en outre prévue pour la comtesse « qu’elle aura vestue en son lit quant on la voudra lever ». On a donc prévu de fournir deux chambres distinctes, dont chacune témoigne d’un luxe singulier. En effet, l’une est une « chambre a parer », destinée à recevoir les visiteurs, autour d’un lit de parement. L’autre est sans doute plus « privée » mais répond également à un souci d’apparat : elle requiert des toiles diverses : de lin, de Reims et des toiles « bourgeoises », ainsi que 97 aunes « fine toille la plus riche que on pourra trouver pour faire deux draps a parer ». Enfin du personnel est requis : une « bonne norice », une « bonne garde de son corps », diverses « compenes et comeres », une centaine de torches pour le baptême de l’enfant, destinés à un cortège dans lequel « homes le portent en Flandres, femes en France ». Un document bien plus abouti chiffre ce projet à 4 650 lb ; il reprend d’ailleurs une bonne partie des précédents. Il distingue une chambre de velours, brodée et garnie de 16 tapis et 8 sièges bordés de velours de drap d’or, pour 1500 lb parisis ; cinq oreillers brodés et ornés de perles pour 700 lb, un épervier de cendal d’or, garni de 12 tapis, deux courtepointes et deux doubles pour 200 lb, et un « pavillon » pour le bain. La « robe de relevailles » sera de 4 garnements, brodée de perles avec un chaperon, pour un coût de 800 lb ; une deuxième robe de velours brodée valant 400 lb est prévue pour « le jour du regard », jour où la jeune mère se montrera de nouveau. L’enfant aura trois couvertures : de drap d’or fourré d’hermine, couverture d’écarlate fourrée de menu ver ; de drap vert fourrée de gris ; de pers fourré de peau de lapin (« blans de conins »), sans compter une pelisse d’hermine et une pelisse de vair « pour porter l’enfant bauptiser » et d’autres en peau de lapin « pour chauffer l’enfant » près du feu. Pour protéger le lit de l’enfant et de ses nourrices on déploiera « I esprevier de toille vert pour gesir l’enfant et les nourrices ». On achètera encore deux lits, un poêle, un pot d’argent pour le lait. et deux berceaux, comme à la cour Philippe le Bon, où un berceau d’apparat était doublé d’un autre destiné au sommeil la nuit. Les couvertures du petit prince témoignent d’une belle palette : or, vert, écarlate, pers, et non pas le blanc et le rouge que les nobles étaient censés préférer pour leurs bébés. Il faut encore assurer le salut du nourrisson. En la matière, on a prévu les choses à grand. Cela n’est pas systématique : tous les baptêmes princiers ne sont pas fastueux. Selon une chronique du XVIIe siècle, la célébration a lieu à Male le 30 novembre,

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jour de la Saint-André, en présence de l’évêque de Tournai. La chronique indique également la présence d’un autre prélat, l’évêque d’Arras Pierre Roger, le futur pape Clément VI, bien qu’il ait été élu archevêque de Sens en novembre 132966. Auraient encore été présents les abbés de Saint-Bertin, Saint-Bavon, Bergues et Saint-Nicolas de Furnes. Quant aux parrains, ils diffèrent de ceux mentionnés dans les courriers mentionnés plus haut : le duc Jean III de Brabant, Guy Ier, comte de Blois, époux de Marguerite de Valois et Gui de Flandre. Enfin, les marraines sont Marie d’Artois et Alise de Flandre, fille de Gui de Dampierre et épouse de Jean, seigneur de Fiennes. À chaque fois, un double parrainage « Flandre/France » a donc été retenu. Le choix du prénom rassemble également les deux lignages. Il n’est pas celui d’un parrain, mais du père et du grand-père paternel. Il a aussi le mérite d’ancrer le nouveau-né dans la lignée capétienne et la descendance de Saint Louis. Dans l’attente des relevailles, une période de confinement est en général respectée quoique nullement imposée par l’Eglise. Durant quarante jours, cette coutume n’isole pas vraiment la mère qui reçoit les visiteurs à son lit, et avec eux de nombreux cadeaux, dans un cadre si possible fastueux67. On retrouve à la cour de France des usages très voisins à ceux renseignés en Flandre : on dote chambre de parement et chambre de gésine de plusieurs lits, de pavillons, de courtines, de parures taillées dans des étoffes de luxe68. On a vu ce qui avait été prévu pour la comtesse. Nul doute que les visiteurs ont pu venir nombreux auprès de la jeune mère et de son enfant. Les relevailles de Marguerite ont lieu le 7 janvier, 43 jours après la naissance69. On n’en sait pas davantage, mais la tradition veut que la mère assiste alors à une messe, à l’écart, avant d’être bénie par le prêtre et de faire une offrande. On sait en revanche que ce fut l’occasion d’une grande distribution de livrées au comte, à ses parents comme Henri, seigneur de Lodi et Jean, seigneur de Termonde, au comte de Namur et à Gui de Flandre, et à bien d’autres, notamment le comte d’Aumale ou le vicomte de Melun. Sans qu’on sache s’ils furent présents, Eudes IV, le duc de Brabant ou Jean de Montfort reçurent eux aussi leurs livrées ainsi que les dames et demoiselles de la comtesse comme « madame Françoise » ou Sybille de Montaigu70.

7. Une mère et son fils Marguerite est désormais mère. Les devoirs maternels sont répétés à l’envi dans les traités et la littérature. Allaiter ou faire allaiter, consoler, chanter avec décence, laisser l’enfant jouer, concourir à sa bonne croissance, c’est aux mères que revient le devoir de procurer une attention quotidienne à leur enfant, qu’elles s’en chargent elles-mêmes ou recrutent des spécialistes71. Il n’y a ici nulle contradiction entre un 66 Ferreoli Locrii Paulinatis Chronicon Belgicum, Arras, 1616, p. 457. 67 T. Brero, « Le baptême des enfants princiers (XVe et XVIe siècles) », op. cit. 68 M. Gaude-Ferragu, La reine au Moyen Âge, op. cit., p. 85. 69 ADN B 1595, n° 2, fol. 91. 70 L’entourage et le gouvernement de la comtesse figureront dans un autre volume. 71 P. Riché et D. Alexandre-Bidon, L’enfance au Moyen Âge, op. cit., p. 94-99.

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Moyen Âge fondé sur la morale et l’existence d’un amour maternel. Bien davantage qu’un désintérêt pour l’enfant, les théoriciens redoutent surtout les dangers d’un amour excessif des mères72. L’éducation ne se réduit d’ailleurs pas à un face à face entre la mère et l’enfant. Il s’agit d’une tâche partagée, un devoir dicté par Dieu et la nature aux parents. Le lait étant assimilé au sang des femmes, l’enfant est façonné par la nature même de l’allaitante ; on encourage donc la « mère naturelle » à allaiter elle-même73. Marguerite de France, porteuse du sang de Saint Louis, allaite-t-elle son fils ? Cela n’est pas impossible si l’on prend pour argent comptant certains récits plus tardifs : au cours d’une entrevue avec son fils en 1368, elle l’aurait menacé de couper les seins dont elle l’avait nourrie et de les jeter aux chiens s’il ne mariait pas sa fille à Philippe le Hardi… Mais conformément aux usages aristocratiques, tout un personnel a été recruté pour aider Marguerite, en particulier nourrices et berceuresses. Le choix d’une nourrice représente un enjeu important : on doit absolument recourir à une « preudefemme nourrice, honneste », car une mauvaise femme pourrait avoir une influence néfaste. Le lien établi est d’ailleurs durable entre allaité et allaitante. La seule nourrice connue est une flamande, peut-être choisie aussi pour son influence linguistique : Béatrice d’Audenarde, que Louis de Male qualifie 25 ans après sa naissance, le 13 décembre 1355 de « nostre amée norriche » et qu’il pensionne sur le conseil de sa mère74. On connaît également le nom d’une berceresse de Louis, Helewis ou Heyellewis (Aloïs), qui obtint une récompense le 21 juillet 1331 de la part de Louis de Nevers, à savoir l’office de portier du château d’Omont situé dans les Ardennes, ce qui indique peut-être son origine75. Peut-être est-ce là aussi la preuve d’une volonté d’assurer au jeune prince un environnement bilingue, flamingant et francophone. Louis a-t-il été le seul enfant né de Marguerite, nouveau signe d’une mésentente conjugale ? Ce serait aller vite en besogne, et faire abstraction des possibles fausses couches ou de décès prématurés. Un document indique l’existence d’un autre fils. Non daté, il concerne diverses pièces d’orfèvrerie et de vaisselle ayant appartenu à la comtesse : y est mentionné le don d’une coupe offerte « pour la nativité de Jehan de Flandres », et un autre objet « que la damoiselle de Carny donna de le nativité Jehan de Flandres »76. On n’en sait malheureusement pas davantage. Marguerite reporte donc ses soins exclusifs sur son fils unique, rattaché à son hôtel. Si on la voit s’absenter quelques jours, cela ne dure jamais longtemps, un usage que l’on retrouve chez sa petite-fille Marguerite de Male77. Le petit Louis est attesté à ses côtés lorsqu’on dispose de quelques sources : c’est le cas lors de la venue de Marguerite à Gand le 2 novembre 1332. Louis de Male n’est d’ailleurs pas seul à vivre

72 A.-M. De Gendt, L’art d’éduquer les nobles damoiselles, op. cit. 73 P. Contamine, La noblesse au royaume, op. cit., p. 166. 74 Cartulaire de Louis de Male, comte de Flandre, éd. T. de Limbourg-Stirum, Bruges, 1898-1901, t. 2, p. 48. 75 ADN B 1595, n° 2, fol. 40 et 66. 76 AGR, Trésor des chartes, 1ère série, n° 2272. Le document peut être daté des années 1332-1336 voire 1337. 77 M. Gaude-Ferragu, La reine au Moyen Âge, op. cit., p. 94.

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avec Marguerite. Il a un « compaignon » qui reçoit une livrée similaire à celle de Marguerite et de Louis, son cousin Jean d’Enghien, fils de Gauthier III d’Enghien, et d’Isabelle de Brienne, fille de Gautier V de Brienne et Jeanne de Châtillon. Lié à la haute noblesse du nord de France, de la Flandre et du Hainaut, il est notamment attesté en 1336-1338. L’éducation du jeune Louis nous est renseignée par une charte relative à la refondation du couvent des Franciscains de Nevers en 135878. Elle précise que Louis de Male fut « nourri » dans l’ancien couvent franciscain au temps de son enfance. Un compte de l’hôtel de Marguerite daté de 1338 nous montre que la comtesse prend alors en charge ses dépenses et qu’il l’accompagne lors de son séjour en Nivernais, même si elle n’hésite pas à le laisser quelques jours. Louis est chaperonné par une certaine « madame Maris », à laquelle la comtesse fournit l’argent des « offrand pour Loys » l’incitant à se montrer généreux envers l’Église79. Il s’agit de l’épouse de Simon de Saint-Martin, un noble artésien passé du service de Mahaut à celui de Marguerite. Le couple a la charge de veiller sur le jeune Louis, au moins depuis 133380. La comtesse fait également acheter « un lectuaire pour Loys », une sorte de sirop médicamenteux. Elle veille même aux exercices guerriers, payant l’achat par le petit Louis de « cordes pour sa quintaine ». Il est saisissant que cela soit le seul jeu attesté pour l’enfant ; il faut dire que le goût des joutes et tournois est fort chez son père, mais aussi chez sa mère. Le statut de mère renforce la position de Marguerite ; il ne saurait désormais être question de l’évincer. Rapidement, se pose la question d’une alliance pour l’enfant. À peine âgé de 4 ans, Louis fait l’objet d’un premier projet dans lequel Marguerite semble impliquée, projet qui montre à quel point la question du partage des biens de Robert de Béthune et le sort de Robert de Cassel pèsent sur le gouvernement de la Flandre. Pour régler cette question, on songe en décembre 1334 à marier Louis à sa cousine Yolande de Flandre, fille du seigneur de Cassel âgée de 8 ans. Si la mère de Yolande devait quitter le pays, la petite sera confiée à Louis de Nevers et Marguerite de France. On prévoit d’abord des fiançailles avant Pâques 1335, une fois le pays de Flandre consulté, mais la cérémonie est reportée une première fois81 ; le 16 mars 1336, le pape accorde des bulles de dispense82. Le projet est finalement abandonné à une date inconnue.

8. La vie de cour d’une comtesse de Flandre « L’ostel de ung seigneur ne vault riens sans dame, ne homme sans femme » : on connaît cette parole attribuée à Jean de Berry83. Le domaine privé est essentiel pour 78 79 80 81 82 83

Cartulaire de Saint-Cyr de Nevers, éd. R. de Lespinasse, Nevers, 1916, p. 210.211. ADPDC A 575. ADN B 1565, fol. 38. ADN B 415, n° 6917. Ibid., n° 7059. Jean Froissart, Œuvres. Chroniques. op. cit., éd. Lettenhove, t. 13, p. 113.

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la réputation d’un prince, et sa femme y joue un grand rôle par son comportement qui doit être vertueux : sa réputation est son plus grand bien, comme le rappelle Saint Louis à sa fille. Sur ce plan, Marguerite demeure sans tache. Mais sa fonction ne s’arrête pas là. Elle contribue au prestige de la maison de Flandre par un train de vie somptueux. Tout indique en effet une vie de cour dispendieuse à laquelle la comtesse prend largement part. Il faut dire qu’elle-même a été éduquée dans une certaine magnificence. Le couple dépense énormément : les officiers de finances estiment ses dépenses à 550 000 lb parisis entre septembre 1328 et mars 133284. Cela correspond à un rythme annuel de 212 903 lb parisis. Déjà nombreux en 1330, à l’occasion de l’avènement de Marguerite en Flandre, les achats continuent dans les années suivantes, qui s’ajoutent aux nombreux dons d’orfèvrerie et d’argenterie en faveur de la comtesse. Pour sa venue en Flandre, Marguerite acquiert ainsi 12 tapis pour sa chambre, un ensemble qui rappelle celui acquis par sa mère lors du sacre de Philippe V85. Il en va de même des dépenses d’habillement sur lesquels nous reviendrons en 2e partie. Cette vie de cour se devine aussi au gré des tournois où elle se montre parfois, notamment lors de sa venue à Ypres, ainsi que lors d’un tournoi organisé à Gand le 7 août 133086. Néanmoins, elle n’est pas présente au tournoi de Valenciennes en 1335, aux environs de la Chandeleur, et on ne sait pas si elle assiste aux deux tournois que le comte organise en février 133687. Marguerite se met-elle au flamand ? Rien ne le prouve, d’autant que l’on parle surtout français à la cour et dans l’administration de Louis de Nevers. Il n’est pas même certain que le comte pratique lui-même la langue de ses sujets. En revanche Louis de Male maîtrise bien la langue, dont il fera par la suite un usage administratif88. Mais le fait de ne pas maîtriser la langue n’est pas forcément un obstacle dans les relations avec les Flamands dont les élites sont bilingues voire trilingues89. Cette cour n’est d’ailleurs pas toujours en Flandre : si on a opposé une phase flamande de la comtesse (1330-1337) à celle d’un exil parisien (1337-1346), il s’agit d’une vision erronée car simplifiée. La comtesse se déplace entre différents pôles durant les deux périodes, quoique de manière différente. En 1330-1337, la comtesse concentre ses déplacements sur deux zones : BrugesMale et Gand. Cette présence témoigne des rapports complexes du pouvoir comtal à l’espace flamand, et pourrait refléter une certaine dimension politique dans les résidences de la comtesse. À partir de 1328, Louis de Nevers est proche des Gantois, ses alliés contre Bruges, alors particulièrement frondeuse. Favorisée, Gand étend

84 M. Vandermaesen, De besluitvorming in het graafschap Vlaanderen, op. cit., t. 1, p. 251. 85 C. Dehaisnes, Documents et extraits divers concernant l’histoire de l’art dans la Flandre, l’Artois et le Hainaut avant le XVème siècle, 2 vol., Lille, 1886, t. 1, p. 283. 86 Comptes de la ville et des baillis de Gand 1280-1336, op. cit., p. 720. 87 AGR CC R 5. 88 H. Nowé, Les baillis comtaux de Flandre, op. cit., p. 184-185.M. Vandermaesen, De besluitvorming in het graafschap Vlaanderen, op. cit., p. 254-256. 89 M. Boone, « Langue, pouvoirs et dialogue : aspects linguistiques de la communication entre les ducs de Bourgogne et leurs sujets flamands (1385-1505) », Revue du Nord, vol. 379, no 1, 2009, p. 9-33.

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sa domination sur l’est de la Flandre : elle y établit des garnisons et renforce ses monopoles vis-à-vis de Termonde ou Grammont90. Les résidences du comte s’en ressentent : le comte est souvent à Gand. Mais il s’en éloigne à partir du 15 mai 1334, évitant la ville jusqu’au 18 novembre 133591. Il s’installe davantage à Bruges et plus encore au château de Male qui va concentrer le gouvernement de la Flandre92. La chronologie semble différente pour Marguerite. Elle est certes très présente à Gand et au Steen au début des années 1330. Signe de ce bon accueil, le 17 février 1331, les Gantois envoient chevaucher en direction de la comtesse une délégation des goede liede, les bons membres de la ville, afin de l’accueillir dignement lors du Mardi Gras93. Mais on la trouve plus encore entre Bruges et Male dès le début du principat, ce qui pourrait représenter des gages vis-à-vis des Brugeois de la part du pouvoir comtal (carte 5 en ligne). Cela ne signifie pas que Marguerite soit captive ou otage ! Elle ne se cantonne en effet pas à la Flandre : elle visite Jeanne de Valois, comtesse de Hainaut au Quesnoy les 14 et 15 mai 133194. Elle passe également souvent à Paris et Longchamp, où elle retrouve sa famille proche : dès avril 1330 elle est au couvent où elle retrouve ses sœurs Jeanne et Blanche au dîner, revenant encore en 1334 à Longchamp et Paris (carte 6 en ligne).

9. Le parti bourguignon sous Philippe VI Alors que Marguerite s’établit en Flandre, Mahaut d’Artois et Jeanne de Bourgogne meurent à quelques mois d’écart. Jusqu’à sa mort, Mahaut est restée en lien avec Marguerite. Elle s’enquiert de ses nouvelles le 18 juillet 1329, envoie du gibier au comte et reçoit une fois de plus ses ménestrels95. Lorsque la comtesse d’Artois tombe gravement malade dans la nuit du 24 au 25 novembre suivant, Marguerite et sa sœur Jeanne sont averties. Marguerite est probablement à Gand où elle est attestée le 15 novembre et le 25 décembre 1329. On ignore si elle participe aux obsèques. On sait en revanche qu’en janvier 1330 Louis de Nevers et Eudes de Bourgogne se rendent auprès du roi pour discuter de la succession96. La reine Jeanne part alors vers l’Artois, mais meurt sur la route le 21 janvier 1330. Son corps est conduit comme celui de sa mère aux Cordeliers de Paris et enterré le 28, tandis que son cœur est transféré à Saint-Denis97. Là encore, on ne sait rien sur la présence-possible- de Marguerite.

D. M. Nicholas, Town and countryside, op. cit., p. 168-170. M. Vandermaesen, De besluitvorming in het graafschap Vlaanderen, op. cit., t. 1, p. 192. Ibid., t. 1, p. 202. Comptes de la ville et des baillis de Gand 1280-1336, op. cit., p. 777. ADN B 3274 et H. J. Smit, De Rekeningen der Graven en Gravinnen uit het Henegouwsche Huis, Utrecht, 1939, p. 532. 95 ADPDC A 494. 96 I. Guyot-Bachy, La Flandre et les Flamands au miroir des historiens du royaume (Xe-XVe siècle), op. cit., p. 134. 97 G. Duhem, « Jeanne de Bourgogne, comtesse de Poitiers et reine de France », op. cit. 90 91 92 93 94

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C’est l’heure de vérité pour Jeanne de France qui a été systématiquement favorisée depuis 1318. Elle est donc destinée à hériter de l’essentiel des possessions de Mahaut et Jeanne de Bourgogne. Eudes choisit de temporiser pour l’Artois. Il préfère envoyer son épouse Jeanne vers la Franche-Comté en une grande tournée qui la mène aux confins du domaine à la fin janvier 1330, sous bonne escorte ; elle ne célèbre en revanche son joyeux avènement en Artois qu’en septembre 1330, après de longues discussions durant l’été à Bécoisel entre le roi, Louis de Nevers et Eudes98. Il vaut d’autant mieux éviter de se déchirer que Robert d’Artois émet lui aussi des prétentions. Celles-ci seront rejetées officiellement à la fin 1330, mais l’affaire est certainement tranchée dès l’été : après avoir rencontré le roi à Bécoisel, Eudes et Jeanne peuvent effectuer sans encombre leur joyeuse entrée en Artois, ce qui n’aurait pas été possible sans l’autorisation du roi qui avait placé le pays sous son autorité après la mort de Mahaut en novembre 132999. L’échec de Robert d’Artois, pourtant proche de Philippe VI, souligne la puissance de ses adversaires. Le duc Eudes de Bourgogne est désormais le chef du parti : petit-fils de Saint Louis, frère de la reine Jeanne de Bourgogne, premier pair de France, à la tête d’un vaste ensemble, il peut nuire au roi en revendiquant pour sa nièce Jeanne l’héritage de Louis X. Le parti bourguignon peuple alors de ses gens les institutions royales, en particulier le conseil qui compte dans ses rangs Hugues de Pommard et Miles de Noyers100. Le choix du roi de faire siéger Louis de Nevers en Parlement comme pair de France le 17 avril 1331, souligne l’influence du parti101. Robert d’Artois est alors sur le point d’être poursuivi puis condamné au bannissement en 1332 par ladite cour des pairs pour lèse-majesté suite à l’affaire du faux forgé par Jeanne de Divion, Durant ce procès, Artaud Flotte est d’ailleurs un des rares soutiens de Robert d’Artois102, ce qui pourrait expliquer que des accusations ressurgissent alors à son encontre. Mais le roi entend aussi arbitrer la succession car les sœurs de Jeanne de France pourraient se plaindre. Il met donc sa main sur des biens et notamment des joyaux de la reine douairière Jeanne de Bourgogne, qu’Eudes tente de récupérer le 6 janvier 1331103. Ce dernier s’avère rapidement peu soucieux des droits de ses belles-sœurs, une attitude courante dont Louis de Nevers a déjà fait preuve en Flandre. Or des tensions semblent apparaître. Louis Gollut indique même que Marguerite de France « se feit tituler et nommer comtesse de Bourgougne » après la mort de sa mère104. Nous n’en avons pas trouvé mention, mais Gollut semble avoir vu des actes, bien qu’il précise étrangement n’avoir jamais lu que Marguerite ait porté le titre de palatine. Il évoque en outre une opposition armée en Franche-Comté en 1331-1332 durant

98 J.-B. Santamaria, « Quand la duchesse devint comtesse. Jeanne de France et les débuts d’une union personnelle des deux Bourgogne (1329-1330) », Bourgogne Franche-Comté, la longue histoire d’une unité. Annales de Bourgogne, 2019, p. 15-28. 99 R. Cazelles, La société politique et la crise de la royauté sous Philippe de Valois, Paris, 1958, p. 79. 100 Ibid., p. 84 et 433. 101 ADN B 1270, n° 6280. 102 J. Favier, La Guerre de Cent ans, Paris, 1980, p. 42-46. 103 ADPDC A 1015, fol. 40. 104 L. Gollut, Les Mémoires historiques de la république séquanoise, op. cit., col. 683.

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laquelle Marguerite et Isabelle furent soutenus par des barons comtois comme Jean de Chalon, Thiébaut IV de Neufchâtel, le seigneur de Faucogney, ou encore Charles d’Évreux, comte d’Étampes ainsi que son frère Philippe, roi de Navarre. Il est vrai que ce n’est qu’à la suite d’une sentence du roi qu’Eudes se résout en 1331 à accorder en Artois et en Bourgogne sa part à Isabelle de France105. Le traité prévoit de donner les châteaux de Château-Chalon et Montmorot, ainsi que 1 000 lb de rente sur la saunerie de Salins. On ignore quels sont alors les rapports entre Marguerite et Isabelle, qui perd son époux en 1333, mais se remarie au seigneur de Faucogney. À la lecture de son testament daté de juin 1345, Isabelle ne semble pas très proche de Marguerite, qui est la seule sœur qu’Isabelle ne mentionne pas dans son testament de juin 1345106. Elle favorise surtout Jeanne, à la puissance de laquelle elle semble avoir cédé, une attitude à laquelle Marguerite a bien du mal à se plier, estimant avoir été lésée dans la succession. Isabelle apparaît également comme une véritable « comtoise », faisant de grands dons aux Franciscains de Besançons, de Gray, de Salins, aux Clarisses de Montigny-sous-Vesoul, aux Dominicains de Poligny et Besançon. Elle gratifie également de dons plusieurs des gens de son hôtel, où les Comtois sont très nombreux. Il va sans dire que cet enracinement la rendait dépendant de sa sœur aînée.

10. « un grant accroissement de biens » : le premier socle domanial de Marguerite de France La comtesse n’avait eu aucun revenu propre durant sa jeunesse, vivant sur les dépenses de l’hôtel de la reine Jeanne. Tout change entre 1327 et 1335, par une suite de successions et d’applications d’accords antérieurs ; il faut ici bien distinguer héritages, dot et douaire qui selon des logiques différentes contribuent à la position de l’épouse dans les jeux de la cour. Il importe également de rappeler que, sur toutes ces terres, l’époux a toute autorité pour gouverner les biens de son épouse comme « administrateur et usufruitier », ou « mambour ». L’usage veut néanmoins que l’épouse approuve les modifications substantielles et les décisions à valeur perpétuelle107. L’étude plus spécifique du gouvernement des terres de Marguerite, que nous réservons pour une étude postérieure, montre que Louis de Nevers a bel et bien exercé ce rôle de mambour, ce qui n’a pas forcément été à l’avantage de son épouse. La question de l’héritage est la plus complexe. Si en 1330 Louis de Nevers se félicite du « grant accroissement de bien » que lui a procuré son épouse, l’acquisition de cet héritage est tout sauf une partie de plaisir. Il implique plusieurs successions parfois imbriquées les unes dans les autres et est d’autant plus disputé que la politique

105 U. Plancher et alii, Histoire générale et particulière de Bourgogne, 4 vol., Dijon, 1739-1781, t. 2, p. 181. 106 F.-F. Chevalier, Mémoires historiques sur la ville et seigneurie de Poligny, Lons-le-Saunier, 1769, t. 1, p. 412. 107 E. Lalou, « Le gouvernement de la Reine Jeanne (1285-1305) », Les cahiers haut-marnais, vol. 167, 1986, p. 16-30

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de Mahaut, Philippe V et Jeanne de Bourgogne a été de transmettre l’Artois et la Franche-Comté à l’aînée Jeanne de France. Certes, le testament de la reine Jeanne, rédigé en 1318, prévoit pour Marguerite les manoirs de la Tombe et de la Grève, ainsi qu’un partage entre les filles de la reine des pierres, bagues et livres. Cela reste cependant bien maigre108. Lorsque l’on en vient à la transmission des grandes principautés, les complications se multiplient. Elles surviennent d’abord pour la succession de Jeanne de Bourgogne : dès 1330, Louis ou Marguerite font d’ailleurs doubler l’inventaire de l’exécution du testament, signe d’une saine méfiance vis-à-vis des autres parties prenantes109. Un accord est certes trouvé sous l’œil du roi entre Eudes et Louis, lors d’un séjour à Becoisel le 2 septembre 1330. Il s’agit précisément de prévenir les réclamations de Marguerite et de sécuriser les possessions de Jeanne avant le joyeux avènement en Artois. On y évoque l’existence d’un « débat » puis d’un accord « pour bien de pais et pour nourrir amour et accord entre nous », afin d’éviter les « perils, plais et esclandres ». Il est vrai que le choix de transmettre la quasi-totalité de l’héritage de Mahaut et Jeanne de Bourgogne à la duchesse Jeanne de France suscite des réactions hostiles. En Franche-Comté, la succession en faveur de l’aînée seule a été mal perçue, ce dont atteste un poème attribué à un frère dominicain de Poligny qui évoque le tort causé à Marguerite de France, « qui moult estoit puissante et aulte »110, mais aussi à Isabelle. Ce déshéritement est présenté comme un scandale « dont moult de gens, de pais, Furent dolens et ébays », au point de mener le pays au bord de la guerre. Si aucun document consulté ne semble confirmer la réalité d’une telle menace, Gollut affirme en avoir vu la trace. Marguerite n’a en tout cas jamais accepté ce qu’elle considère comme une spoliation : une fois veuve, elle se plaint au contraire de la faiblesse de son époux qui avait bradé son héritage. Elle n’est pas totalement dépossédée pour autant. À Becoisel, et dans l’hypothèse fort probable où Robert d’Artois serait débouté, Marguerite a obtenu 10 000 lb tournois de rente, en hommage du duc et de la duchesse : on lui en assignera 6 000 en Artois sur Bapaume et les environs : Rémy, Fampoux et Avesnes. 4 000 lui seront réparties en Comté, dont 3 000 sur les châtellenies d’Arbois et Quingey, et 1 000 sur Salins. Si Blanche de France réclame sa part en Artois, la comtesse Marguerite n’y récupérera que 3 000 lb ; si elle réclame sa part en Bourgogne, en revanche, Marguerite conservera les 4000 lb. Si jamais Robert d’Artois réclame sa part, une alliance défensive judiciaire et militaire sera organisée. Si le dauphin réclame la part d’Isabelle, le comte de Flandre refusera de lui faire guerre, et le duc dédommagera le comte si ce dernier doit céder une part des terres de sa femme au dauphin111. Chacun se réserve enfin les droits qu’Isabelle, Marguerite et Blanche pourraient

108 J. Du-Tillet, Recueil des roys de France, op. cit., p. 351. 109 « Item pour deniers baillies a maistre Jehan de Savoie pour doubler l’inventaire de l’execution ma dame la royne Jehanne VI s III d de gros. ». ADN B 3231. 110 L. Gollut, Les Mémoires historiques de la république séquanoise, op. cit., col. 694. 111 ADN B 1595, fol. 294v.

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avoir sur les terres de Normandie et de Champagne provenant de la succession de la reine Jeanne. Chacun aura également sa part des biens meubles de Mahaut et Jeanne, ainsi que des terres héritées des frères d’Othon IV, Hugues et Henri de Bourgogne112. Marguerite confirme l’accord le 11 septembre 1330 à Paris, se faisant lire la lettre d’Eudes et de Louis « de mot a mot » avant de prêter serment sur les Évangiles de respecter l’accord. Elle y fait ensuite mettre son sceau aux côtés de son époux113. Jeanne de France fait de même de son côté114. Le choix de Bapaume est intéressant de par sa position sur la route entre Paris et Bruges ou Gand. C’est une position de repli en raison de son château, mais aussi une très belle source de revenus notamment grâce au péage. Arbois et Quingey sont quant à eux au cœur du domaine comtal où Marguerite entend afficher sa présence, tandis que la saunerie de Salins fournit une rente en principe régulière. Il est prévu de compléter cette assiette si les domaines assignés ne suffisent pas, ou si d’autres éléments entrent dans la succession. Dès mars 1335, on y inclut de nouvelles terres comtoises, héritées d’Henri de Bourgogne115 : il s’agit de Liesle, Chissey et Buffard, qui forment un bloc cohérent dans la vallée de la Loue et prolongent les terres de Marguerite à Quingey. Louis de Nevers prête hommage à Eudes pour ces possessions aux environs du 28 juin à Maubuisson116. Le 9 juillet, le duc de Bourgogne ordonne à son bailli de les remettre au comte. La terre de Boismouchet ou Bois Mouchard, entre Arbois et Buffard, y est adjointe, suite à un accord trouvé entre Gérard de Mairy, agissant au nom du duc, et Guillaume d’Auxonne, représentant de Louis de Nevers117. Le comte écrit d’ailleurs le 10 juillet à ses officiers en Bourgogne de prendre possession des dites terres. La lettre est signée « Arboys », sans doute du nom de son clerc Philippe d’Arbois futur évêque de Tournai118. La transmission de l’héritage de Hugues de Bourgogne, qui comprend notamment Fraisans et Apremont, mais aussi bien d’autres terres119, va s’avérer encore plus épineuse. Marguerite de France obtient rapidement plusieurs maisons et terrains à Saint-Marcel près de Paris, peu avant la saint Thomas 1331120. Mais Louis de Nevers réclame davantage, d’autant que les terres déjà fournies ne suffisent pas à atteindre le niveau de rentes prévu lors des négociations. En 1341, suite à un « debas », on accroit donc la part de Marguerite. On complète les 300 livres de revenus manquantes sur les 6 000 lb tournois en Artois par la « gareinne de Fampoux » et la terre d’Aubigny. En Bourgogne, 82 livrées de terres sont assises à Pupillin, au sud d’Arbois, près des terres de Marguerite. La comtesse n’avait pu en jouir jusque-là car cette terre appartenait

112 U. Plancher et alii, Histoire générale et particulière de Bourgogne, op. cit., t. 2, p. 191 et CXCII. 113 ADN B 1595, n° 2, fol. 48v. 114 ADN B 925, n° 6163 et 6163 bis. 115 ADN B 1565, n° 613. 116 Ibid., n° 626. 117 ADD B 340. 118 ADN B 1565, n° 464. 119 F.-F. Chevalier cite Poligny, Chargey, Châtillon-le-Duc, Gendrey, Fraisans, Orchamp, Montjustin, Apremont, Montbozon, Étobon, Fondremand et Port-sur-Saône. 120 ADN B 1595, fol. 94v.

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aux chanoines de Dole, que le duc doit indemniser : 12 lb de rente seront pourvues sur des terres du domaine comtois121. Marguerite hérite encore de terres éparses ayant été données par Philippe V à son épouse, terres bien souvent aussitôt redistribuées, revendues, échangées : dans une lettre datée du 26 décembre 1331 Marguerite accorde une propriété transmise par sa mère à Carcassonne au chevalier Pierre du Mas, en accord avec Jeanne et Isabelle122. De même pour des biens sis à La Rivière de Corps près de Troyes, donnés à Jean de Frôlois le 17 septembre 1335123. La comtesse hérite aussi de droits sur les terres confisquées à Robert de Gagny à Léry en Normandie, qu’elle abandonne, comme l’avaient fait ses sœurs aînées, en faveur de Blanche de France, à l’occasion de sa visite à Longchamp le 25 avril 1334124. Marguerite peut également prétendre hériter de son père Philippe V : en 1317, ce dernier avait accordé à son frère Charles diverses terres en Poitou, estimées à 10 000 lb tournois de rente. Si ce dernier devenait roi, les terres devaient aller aux filles de Philippe V125. Le 3 juin 1333 Philippe VI décide d’appliquer ce partage, à la supplication de Louis de Nevers. Il assigne une rente perpétuelle de 3333 lb 6 s 8 d tournois sur le trésor à Paris, à titre provisoire, en attendant de donner deux villes flamandes dont le roi avait hérité par sa mère, Harelbeke et Biervliet126. Le 29 août 1337 l’assiette est ratifiée par les différentes parties, et le comte accepte les villes dont le revenu est évalué à 1600 lb, ce qui oblige le roi à lui conserver une rente de 1733 lb 6 s 8 d sur le trésor127. Le 10 septembre 1337 Louis et son épouse ratifient le transfert. Le premier insiste sur ses titres, la seconde sur sa filiation : « nous Loys conte de Flandres de Nevers et de Rethest, et Marguerite sa femme fille de feu monseigneur Phelippe jadis roy de France et de Navarre contesse des dis lieux »128. Il s’agit désormais des possessions flamandes personnelles de Marguerite, fait souvent oublié. Jeanne de France a quant à elle obtenu le 1er août 1334 des domaines d’une valeur équivalente : Villemaur, Chaource et d’autres terres qui vont former les « terres de Champagne » dont Marguerite hérite en 1361129. D’autres biens sont encore transmis à Marguerite par héritage de son père, au gré des décisions du roi. Avant le 6 mars 1342, Louis et Marguerite jouissent ainsi d’une rente assise sur le cens de Meaux et la prévôté de Jouy-le-Châtel, ainsi que sur le

121 BN Collection Bourgogne, 109, fol. 162. 122 AN JJ 55 fol. 413. ADN B 1595, n° 2, fol. 52v. 123 ADN B 1565, n° 258. 124 P. Goujon, « Histoire de la châtellenie et haute justice de Vaudreuil », Recueil des travaux de la société libre d’agriculture, sciences, arts et belles-lettres de l’Eure (IIIe série), vol. 9, 1864-1868, p. 278-712. 125 On signale aussi Ville-sur-Touques, qui pourrait désigner Neuville-sur-Touques. 126 Baudouin II de Courtenay, marquis de Namur, grand-père de Catherine de Courtenay, les lui avait transmises. Celle-ci étant la mère du futur Philippe VI, ce dernier obtint ces terres par accord avec son père le 24 avril 1315. Jean Bovesse, « Notes sur Harelbeke et Biervliet dans le cadre de l’histoire des Maisons de Namur et de France », Bulletin de la Commission royale d’Histoire, vol. 150, no 150, 1984, p. 453-474. 127 ADN B 415, n° 7191. 128 ADN B 1565, n° 586. 129 ADPDC A 76.

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cens d’« Ecrbire » ou « Ecribte »130. Ils détiennent également la terre de Luzarches pour laquelle le comte reconnaît en 1345 avoir fait hommage à l’évêque de Paris131. La dot constitue le second fonds ; en octobre 1327, Marguerite s’est vu remettre le Donziois et Entrains, évalués à 4 000 lb parisis de revenus. Il est cependant probable qu’elle ait perdu à un moment donné la possession de cette terre, comme nous le verrons. Ce don avait en outre entraîné la modification de son douaire, initialement prévu pour Donzy : il demeure donc à asseoir. Or la coutume prévoit jusqu’au tiers voire la moitié des biens de l’époux132. Le 6 novembre 1330, juste avant la naissance de son fils, Louis de Nevers décide de revoir ce douaire à la hausse, peut-être enthousiasmé par la venue d’un héritier. Reconnaissant la haute noblesse de son épouse, son sang royal, ses grandes vertus, son « bon port, deliey et loyautey » durant les « gras adversitéz » rencontrées durant leur mariage, il la remercie du « grant accroissement de bien » apporté par l’héritage de Jeanne de Bourgogne. Soucieux de lui permettre de tenir ce noble état, il augmente de 2 000 lb tournois les revenus du douaire initialement promis pour atteindre 10 000 lb de rente. 5 000 lb seront assises en Flandre, à Courtrai ; et 5 000 hors de Flandre, établies en accord avec elle133. Le roi sert de garant, et confirme l’assiette en Bourgogne en janvier 1332134. Ceci ne change rien pour l’heure ; les terres demeurent gouvernées par le comte135. Il faut malgré tout assigner précisément les terres non flamandes : Louis de Nevers compte sur le Nivernais et le Rethélois. Or il doit y composer avec les intérêts de sa sœur Jeanne de Flandre, épouse du comte de Montfort. Il faut donc d’abord régler ce sujet ; Louis parvient à un accord en juin 1332, validé par le roi. Jeanne obtient 5 000 lb de terre nettes de toute charge. Le comte se réserve de pouvoir échanger ces terres avec celles dont sa femme Marguerite pourrait hériter de la reine Jeanne, à Longjumeau, Chailly ou à Léry en Normandie et promet de faire approuver et tenir cet engagement par sa femme dont il se fait fort d’obtenir l’accord136. Désormais assuré de son domaine en Nivernais et Rethélois, Louis peut y assigner le douaire, mais l’affaire traîne. Parallèlement, Louis de Nevers attend toujours le versement de l’argent promis par Philippe V pour établir la dot de Marguerite. Il finit par obtenir une première partie du paiement par Philippe VI, qui joue ici les protecteurs de Marguerite en tant que chef de la famille de France. Le 7 mars 1331 le roi ordonne de faire payer directement 20 000 lb dues au comte et de transférer 40 000 lb prévues pour l’achat d’une terre en un coffre mis à Notre-Dame de Paris. Les clefs seront confiées à Martin des Essars, Parisien proche du comte et de la comtesse, et à Guillaume d’Auxonne137. Après

130 ADPDC A 80. 131 AN JJ 71, n° 13. 132 J.-M. Cazilhac, « Le douaire de la Reine de France à la fin du Moyen Âge », op. cit. 133 ADN B 1562, fol. 130v-133v et ADN B 1595, n° 2, fol. 152 (moins bon état). 134 ADPDC A 75. 135 ADN B 1595, n° 2, fol. 135. 136 AN JJ 66, fol. 382, n° 225. 137 ADN B 1595 (2), fol. 71.

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13 ans d’attente, le 27 août 1333 le comte donne quittance au roi pour les 20 000 lb138. Mais les 40 000 lb ne seront versées que 4 ans plus tard, le roi voulant s’assurer de la réalité du transfert des terres de la dot à Marguerite ; cela lui permet d’exercer une pression sur Louis de Nevers, dont il se méfie à juste titre. Si l’on se penche sur la valeur théorique de ces terres, on arrive à un montant assez élevé : la comtesse peut espérer récupérer 10 000 lb tournois en Nivernais et à Courtrai au titre de son douaire. Dores et déjà, elle dispose d’une assise territoriale non négligeable, quoique gérée pour l’essentiel par son mari : 5 000 lb t. en Nivernais, 6 000 lb t. pour Bapaume, accrue de Fampoux et Rémy, dont le gros provient du péage de Bapaume évalué à 3 500 lb t. [2800 lb parisis] par an dans les années 1300-1328139 ; 4000 lb tournois en Comté (3000 pour Quingey, 1000 sur la saunerie de Salins), auxquelles s’ajoutent Liesle, Chissey et Buffard ; 1600 lb t en Flandre à Biervliet et Harelbeke ; 1733,33 lb t sur le trésor ; enfin les cens de Meaux, les terres de Jouy et Luzarches. Ce revenu avoisine en théorie les 21 000 lb tournois, et pourrait atteindre 31 000 lb si Marguerite devenait veuve. Mais cela reste théorique : les terres ne rapportent sans doute pas autant, car la conjoncture est mauvaise, et la partie nivernaise a probablement, été retirée à la comtesse. Malgré tout, au moins sur les terres qui viennent de sa famille, ces possessions lui confèrent une implantation seigneuriale locale en Artois et en Franche-Comté, ainsi qu’un complément non négligeable pour un époux bientôt soumis à de rudes difficultés en Flandre (carte 7 en ligne).

Conclusion L’arrivée de la comtesse en Flandre est assurément un succès pour le comte, pour le roi, mais aussi pour les villes. Une fois la paix rétablie, s’ouvre une page nouvelle dans l’existence de Marguerite de France. Désormais installée au cœur d’un pouvoir curial solide, jouissant de relations particulières avec la royauté et d’une puissante parenté, elle dispose enfin d’un entourage bien constitué et d’une assiette territoriale propre. Cela lui permet d’espérer exercer une forme de pouvoir au féminin, malgré tout difficile à saisir et sans cesse tributaire de ses relations avec un époux avec lequel elle semble tout de même réconciliée. Enfin, en tant que mère de l’héritier elle exerce une influence considérable sur l’avenir, position qui ne peut être négligée par les curiaux elle peut développer sa propre influence sur la politique comtale, par le biais de ses réseaux et une participation personnelle aux affaires. Les années 1330-1337 sont bien celles d’un premier exercice du pouvoir140. Les débuts de la guerre de Cent ans y mettent cependant un terme provisoire.

138 ADN B 410, n° 6653 ; ADN B 1565, n° 663. 139 ADPDC A 176, 177, 211, 429, 486. 140 Nous développerons ce point dans une publication postérieure.

Chapitre 4 

Le retour de la guerre et l’exil 1337-1346 La situation flamande se retourne en effet au cours de l’année 1337. Les tensions entre le comte et Gand s’accroissent en raison de la rivalité franco-anglaise. Sur cette conjoncture, le comte et son épouse n’ont qu’une prise limitée, ne pouvant que constater l’inadéquation de leur alliance française avec les intérêts d’une bonne partie des sujets flamands. La situation devient rapidement critique et conduit le comte à plusieurs périodes d’exil. Durant ces années 1337-1346, la documentation se fait extrêmement rare. Il devient plus compliqué de suivre la comtesse (carte 8 papier). Pour autant, la vision donnée par les chroniqueurs d’une princesse prudemment mise à l’abri à Paris par son époux ne résiste pas à l’analyse. Marguerite continue d’être active, mobile, y compris en Flandre, tandis que l’importance de ses possessions et son rôle de courroie de transmission entre le roi et le comte augmentent son influence.

1. Allers et retours : face à la révolte gantoise Les Gantois estiment depuis longtemps que le comte a fait preuve d’ingratitude quand ils l’ont soutenu contre Bruges : ils montrent leur volonté d’autonomie en refusant de rendre compte de leur gestion, et reprochent au prince de ne pas respecter sa propre décision en 1324 de « capitaliser » leur part du Transport de Flandre, le considérant dès lors comme illégal. Pour répliquer à ce qu’il considère comme une désobéissance, Louis de Nevers leur retire l’autorisation de collecter les taxes urbaines, notamment les assises. Les tensions sont également fortes avec le Brabant, au sujet de la seigneurie de Malines. Louis de Nevers a en effet acquis en 1333 cette enclave de la principauté de Liège en pays brabançon, mais finit par devoir la restituer au duc de Brabant1. Enfin, l’action diplomatique des Anglais fragilise davantage le comté dans le cadre d’une course aux alliances entre France et Angleterre à l’échelle des Pays-Bas. Du fait de la dépendance des drapiers à la laine anglaise, les Anglais savent que la Flandre constitue un moyen de pression facile sur le roi. Les Anglais mettent en place un embargo sur la laine dès le 12 août 1336. L’économie des villes est frappée au cœur, faisant monter le parti pro-anglais, qui finit par s’imposer quand Jacques van Artevelde prend le contrôle de Gand et commence à rassembler les villes de Flandre au cours de la première moitié de l’année 1338.



1 D. M. Nicholas, Medieval Flanders, op. cit., p. 217.

Carte 8. papier et en ligne. Localités visitées par Marguerite de France entre 1338 et 1346. © J.-B. Santamaria

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La situation du comte devient intenable dans le pays. Dès juin 1337, il écourte sa visite à Gand pour se replier vers Paris, avant de se recentrer sur Courtrai et Bruges2. Les itinéraires de la comtesse montrent ici la justesse de Froissart lorsqu’il évoque l’envoi par Louis de Nevers de son épouse et de son jeune fils en France « pour le doubte des flamens »3. Marguerite est en effet attestée à Gand au 1er janvier 1337, mais se trouve à Paris le 23 mai : on peut la suivre grâce aux missives que lui adressent les Gantois, qui lui demandent conseil et aide sur leurs affaires4. Il est probable qu’elle assiste le 25 mai à la profession de foi de sa sœur Blanche à Longchamp, bien qu’elle ne figure pas dans les personnalités mentionnées dans les sources de l’abbaye5. Là où Froissart se trompe néanmoins, c’est quand il l’installe à demeure à Paris. En effet, elle est vite de retour vers le nord : elle est à Fampoux le 15 juillet 1337, quand les Gantois tentent de faire délivrer Sohier le Courtraisien, arrêté le 66. Son comportement reste cependant difficile à analyser : mobile, manifestant peu d’agressivité en face de ses adversaires, elle joue une partie délicate afin d’éviter de perdre tout contrôle. Son attitude peut être rapprochée de celle de son mari qui n’entend pas s’aliéner tous ses sujets sans vouloir rejoindre les vues anglophiles alors montantes en Flandre. Soucieux de maintenir son alliance, le roi de France multiplie de son côté les soutiens au comte dont l’assise territoriale se trouve compromise. Il est probable que Marguerite accompagne alors son mari dans le domaine royal pour des raisons politiques. Le roi motive d’ailleurs les faveurs qu’il prodigue au comte par son amour pour sa cousine. Durant le mois d’août 1337, en particulier au Moncel, près de PontSainte-Maxence, Philippe VI délivre de multiples lettres en faveur du comte et de la comtesse de Flandre, lettres dans lesquelles la patte « bourguignonne » peut d’ailleurs être relevée lorsqu’on note le nom de certains intervenants comme Miles de Noyers ou Hugues de Pommard. Le 16 août, le roi octroie à Louis, en retour de l’aide que le comte lui avait promise contre tous ses ennemis et notamment l’empereur Louis IV de Bavière, de le protéger contre toute attaque visant les terres du comte, dans le royaume et l’Empire7. Il entend en particulier protéger Louis contre le roi d’Angleterre et la famille de Bavière, proche des Anglais, dont l’influence est importante auprès d’un dangereux voisin de la Flandre, le comte Guillaume II de Hainaut. Les décisions visent également à renforcer l’assise territoriale du comte et ses moyens financiers. En Nivernais et Donziois, le roi restitue le fief de Saint-Vérain à la baronnie de Donzy8, et la garde des églises et prieurés de ces pays9. En Artois,

2 M. Vandermaesen, De besluitvorming in het graafschap Vlaanderen, op. cit., p. 192. 3 Jean Froissart, Œuvres. Chroniques, op. cit., éd. Lettenhove, t. 2, p. 382. 4 De rekeningen der Stad Gent: tijdvak van Jakob van Artevelde 1336-1349. Deel 2, 1340-1345, éd. N. de Pauw et J. P. Vuylsteke(éds.), Gand, 1880, p. 36 et 62. 5 A.-H. Allirot, Filles de roy de France, op. cit., p. 308 6 De rekeningen der Stad Gent, op. cit., p. 65. 7 AN JJ 70, fol. 108. 8 Ibid., fol. 197. 9 Ibid., fol. 108.

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Louis et Marguerite se voient octroyés de tenir leurs possessions en pairie10. Les rois ont en effet commencé à ouvrir le statut de pairie héréditaire à la fin du XIIIe siècle afin de récompenser de grands barons qui pouvaient ainsi n’être jugés qu’en cour des pairs11. En Flandre, le roi autorise Louis à fortifier Courtrai malgré les traités ; la mesure doit intéresser Marguerite car la ville est censée faire partie de son douaire12. Le 29 août, Philippe VI fait également mettre de côté les 40 000 lb prévues par le traité de mariage de 1320 pour l’achat d’une terre au titre de dot. Il assigne 18 000 lb sur ce que Bétuche Gui, jadis receveur de Flandre et neveu de Tote et Vanne Gui, doit au roi pour les besognes de ses oncles, et 22 000 lb sur ce que doivent les Brugeois. L’argent sera confié à Hugues de Pommard et Pierre des Essars, des proches du roi et du couple comtal13, bien souvent garants des intérêts de la comtesse. L’acte précise d’ailleurs que la comtesse n’a pas reçu délivrance des terres que son mari devait acheter pour elle au titre de sa dot. La donation de Donzy et Entrains en octobre 1327 n’a donc pas été réalisée. Le même jour, le roi remet également à la comtesse les villes de Biervliet et Harelbeke, pour une valeur de 1 600 lb tournois, terres pour laquelle Marguerite fera hommage à son mari14. La situation n’étant pas encore totalement incontrôlable, le comte remonte vers la Flandre, probablement poussé par le roi : il passe par une terre de la comtesse, Fampoux, le 10 septembre 1337, avant de se rendre surtout à Male et Bruges. Peut-être espère-t-il encaisser les sommes dues au roi. On le voit également à Courtrai15. Or Marguerite l’accompagne sur une partie du séjour. Avant le 8 novembre 1337 les échevins de Gand lui écrivent à Audenarde après son départ de Gand, ce qui montre qu’elle est bien venue dans la principale ville du pays, pourtant déjà en ébullition16… Malgré tout, elle se replie autour de Bruges : elle est à Male le 13 février 133817, puis entame un long voyage en Nivernais (carte 8 papier). Partie le 14 février, elle gagne l’Artois et Lens par Courtrai, puis Lille, s’installe à Conflans entre le 21 février et le 1er mars, avant de s’établir dans le nord du Nivernais, au plus près de Paris et de la Flandre : d’abord à Donzy et dans les environs, puis en juin à Druyes et Clamecy, elle séjourne en juillet à Mhers, puis en août à Montenoison avant de s’installer à Nevers du 25 août au 7 octobre. Le compte s’arrête après le 7 octobre, probablement en raison de la tenue d’un autre compte pour un nouveau voyage. À distance raisonnable, la comtesse s’inquiète régulièrement des affaires flamandes. Elle envoie début septembre « un varlet que madame envoya en grant haste de Nevers en Flandres ». Elle est en effet partie au moment d’une tentative de reprise en main du pays par des partisans du comte originaires de Bruges et du Franc. Regroupés à

10 Ibid. 11 M.-T. Caron, La noblesse dans le Duché de Bourgogne 1315-1477, Lille, 1987, p. 52. 12 ADN B 1377, n° 7193. 13 AN JJ 70, fol. 108. 14 Ibid., fol. 198v et 199r. 15 M. Vandermaesen, De besluitvorming in het graafschap Vlaanderen, op. cit., t. 2, p. 525. 16 De rekeningen der Stad Gent, op. cit., p. 173. 17 ADPDC A 575.

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Biervliet, ils échouent le 23 avril 1338. Pendant ce temps Louis demeure à Courtrai, point d’appui sur la route de la France utilisé à plusieurs reprises en période de crise. Ainsi, on ne peut que constater le caractère erroné des propos de Froissart qui explique qu’à l’été 1338 Marguerite est de nouveau envoyée avec son fils en France, en raison de la venue d’Edouard III, à Anvers le 25 juillet. Le chroniqueur évoque même une fuite nocturne fort dramatique du comte et de son épouse vers Paris, quand ce dernier est pressé par Jacques van Artevelde de rejoindre le roi en partant vers Anvers, le 22 juillet18. En vérité, Marguerite est depuis longtemps à l’abri en Nivernais. Quand Louis revient une fois de plus à la fin de l’été 1338 en Flandre, il n’est pas non plus accompagné de Marguerite, désormais à Nevers où il est possible qu’elle exerce une autorité sur le comté ; les sources font ici défaut. Le roi de France encourage Louis à une réconciliation avec les Flamands, tant il redoute que le pays bascule totalement dans le camp anglaise. Fin 1338, le roi dispense même les Flamands des derniers paiements dus depuis la paix d’Athis, et pousse le comte à mettre fin au régime autoritaire imposé aux villes flamandes depuis 132819. Louis est d’ailleurs à Courtrai en septembre-octobre, mais semble alors sous l’emprise des Gantois : il doit même défiler le 15 septembre à Tournai sous leurs couleurs, tandis que ses conseillers restent en exil. Toute puissante, la milice gantoise contrôle plusieurs châteaux comme Rupelmonde. Gand tente même en octobre d’obtenir du comte qu’il exige le retour de la Flandre wallonne et qu’il s’allie avec Jean III de Brabant contre la France. Le 13 novembre, Louis est encore à Gand20 ; le duc de Brabant l’y retrouve le 3 décembre. Mais le 4, Louis de Nevers s’enfuit vers Paris. C’est à l’occasion de ces affaires gantoises que nous voyons ressurgir Marguerite, établie à Mézières, sans doute pour gouverner le comté de Rethel mais surtout pour rester à l’abri des Flamands et de leurs alliés. La place est défendue par les troupes royales sous les ordres de Gauthier V de Brienne, qui n’est pas étranger aux cercles flamands21. Un épisode romanesque rapporté par la Chronographia regum Francorum nous apprend que Louis aurait écrit en secret à Marguerite afin de trouver un subterfuge pour quitter la Flandre, durant les négociations avec le Brabant22. Il aurait demandé à son épouse de lui envoyer un courrier alarmiste la déclarant « in lecto mortali », sur son lit de mort et le sommant de venir l’assister. Une fois la réponse de Marguerite parvenue à Gand, une lecture publique de la lettre aurait permis au comte de quitter la ville, contre la promesse de revenir. Bien entendu, il serait parti aussitôt vers Paris se plaindre au roi. C’est alors que les Flamands auraient demandé au roi d’Angleterre, alors à Anvers, de venir en Flandre. L’anecdote est compatible avec le compte de l’hôtel de 1338. La comtesse a effectivement quitté le Nivernais pour se rendre vers Mézières en octobre ou novembre 1338 : elle a du moins dépêché plusieurs de ses

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Jean Froissart, Œuvres. Chroniques, op. cit., éd. Lettenhove, t. 2, p. 444-445. D. M. Nicholas, Medieval Flanders, op. cit., p. 221. M. Vandermaesen, De besluitvorming in het graafschap Vlaanderen, op. cit., t. 2, p. 532. Ibid., t. 1, p. 206. Chronographia regum francorum. éd. H. Moranvillé, Paris, 1891-1897, t. 2, p. 88-89.

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gens vers la ville, en particulier son valet de la garde-robe, et Braconnier, garde de ses précieux perroquets23. Par la suite, on ne dispose d’aucune indication sur la localisation de la comtesse en 1339. Mais on sait que Louis de Nevers tente de nouveau de reprendre la main en Flandre, sans succès. Il prend même la fuite depuis Dixmude après un nouveau coup de force raté de ses partisans, dans la nuit du 13 au 14 février 133924. On le retrouve en mars à Bapaume, propriété de Marguerite, puis de nouveau à Male en octobre et même à Gand le 3 décembre 1339, puis le 16 mars 1340 à Paris25. Durant cette période, la comtesse continue de jouer un rôle politique. Le 11 janvier 1340 un messager parvient à Gand « van mire Vrouwen van Vlaendren » ; le 16 les Gantois lui répondent alors qu’elle est à Éclusier-Vaux ou Bapaume, venant probablement de Paris26. Au même moment, des messages du comte et du duc de Brabant arrivent d’ailleurs à Gand. En 1340, les données manquent encore sur Marguerite, dont on peut supposer qu’elle se replie plus au sud. L’affrontement se militarise, tandis que la monarchie décide de s’impliquer directement dans le conflit. Louis souhaite alors raffermir ses liens avec le roi, ce à quoi sa femme peut contribuer. En effet, le couple est à Paris à la mi-mars pour signer un accord avec Philippe d’Évreux et Jeanne II de Navarre. On projette de marier leur fille Blanche de Navarre, la future et brève épouse de Philippe VI à Louis de Male. Une dot de 50 000 lb est prévue pour la jeune fille. On voit d’ailleurs la différence avec le projet de 1334 qui prévoyait de faire épouser Yolande de Flandre au jeune Louis de Male : cette fois les alliances se cherchent du côté français, mettant certainement davantage en jeu l’influence de Marguerite de France. Marguerite connaît depuis longtemps Philippe d’Évreux, fils de Marguerite d’Artois. Son épouse Jeanne II de Navarre est d’ailleurs cousine germaine de Marguerite. Ce projet est cautionné par Philippe VI présent lors de la signature : il permettrait d’éviter un mariage anglais à l’héritier de la Flandre. Le mariage ne se fait cependant pas : une alliance brabançonne lui sera finalement préférée27. Marguerite et Louis sont encore à Paris au 15 avril 1340, avant que le comte ne rejoigne l’ost royal en mai. La guerre est là. Le roi entend attaquer le Hainaut allié à Edouard III, pour ensuite faire plier le Brabant et l’amener dans l’influence française. Une offensive anglo-hennuyère échoue en avril devant Tournai ; la contre-attaque de l’ost français permet la prise de Thun-l’Évêque le 23 juin. Mais le lendemain, une tentative pour contrer l’arrivée d’une armée anglaise en Flandre aboutit au désastre de l’Écluse. S’ensuit une contre-offensive anglo-flamande ; Robert d’Artois échoue cependant devant Saint-Omer le 26 juillet, et Tournai parvient à résister durant 2 mois à un siège. Le 25 septembre, la trêve est signée à Esplechin. Dans ce conflit, le château de Bapaume constitue une base importante : Louis de Nevers est d’ailleurs envoyé à Aire et Bapaume, puis à Escaudœuvres et Thun-L’Évêque

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ADPDC A 575. M. Vandermaesen, De besluitvorming in het graafschap Vlaanderen, op. cit., t. 1, p. 205. Ibid., p. 533-534. De rekeningen der Stad Gent, op. cit., p. 432. ADPDC A 78. Paris, BSG, ms. 898, fol. 3-5.

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en juin, enfin à l’ost de Bouvines28. C’est devant Thun-l’Évêque que son neveu Philippe Monseigneur est fait chevalier29. À Saint-Omer, plusieurs proches du comte sont aux côtés d’Eudes et des seigneurs comtois comme Jean de Chalon, notamment le seigneur de Ghistelles et Robert II de Wavrin, seigneur de Saint-Venant. L’alliance familiale fonctionne, notamment face à Robert d’Artois, même si chevaliers artésiens et flamands refusent de le charger, à la différence des Bourguignons30. Le comte refait une tentative de retour en Flandre suite à la trêve : il est reçu le 5 octobre par les trois villes, qui obtiennent de Louis de Male qu’il gouverne avec elles. Mais le comte doit repartir à l’expiration de la trêve, en juin 1341, menacé de mort31. Durant la trêve Marguerite est elle aussi très mobile : elle réside au 18 janvier 1341 à Arras, chez sa sœur, et reste en contact avec les Gantois. Elle prépare son retour en Flandre : le 27 elle se trouve à Courtrai où quatre échevins Gantois viennent lui souhaiter la bienvenue et lui recommander leur ville32. On perd alors de nouveau sa trace durant plus d’un an ; elle réapparaît à Longchamp le 6 mars 1342. Visitant sa sœur Blanche, elle prépare cependant un nouveau voyage. Elle est en effet à Courtrai le 28 mars 1342 ; mais à cette date, le voyage semble un échec, car le comte et la comtesse reprennent la route du sud, atteignant Lille, ville royale (carte 9 en ligne). Le comte part alors fêter Pâques en compagnie du duc de Normandie, d’Eudes et du comte d’Alençon33. La comtesse se rend quant à elle à Lens le 29, son escorte comptant environ 70 chevaux par jour, puis va dîner à Arras le 30 avant d’atteindre Bapaume le soir même. Mais elle repart aussitôt vers Saint-Germain-en-Laye où elle est présente le 4 avril au dîner, parcourant 308 km en 8 jours, près de 40 km par jour34. Pour autant le tropisme du nord demeure ! Aux environs du 20 mai, Marguerite est de retour à Bapaume, où les Gantois lui écrivent pour la prier de rentrer au pays35. Le comte est alors à Halluin. Bapaume joue ici un rôle majeur ; c’est là que le comte tient prisonniers plusieurs ennemis, notamment des Jacobins (probablement des espions gantois) que les échevins de Gand cherchent à faire délivrer en octobre 134236. La comtesse passe également à Aire avec le comte entre Ascension et Toussaint 134237. Dans les années 1343-1346, les informations sont encore plus lacunaires38, mais confirment cette attraction : le 22 juillet 1343 Marguerite est à Bapaume avec

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BN NAF 9239, fol. 191. Les grandes chroniques de France, op. cit., t. 5, p. 383. Ibid., t. 5, p. 388. M. Vandermaesen, De besluitvorming in het graafschap Vlaanderen, op. cit., t. 1, p. 206. De rekeningen der Stad Gent: tijdvak van Jakob van Artevelde 1336-1349. Deel 2, 1340-1345, éd. N. de Pauw et J. P. Vuylsteke, Gand, 1880 p. 59. 33 Nouveau recueil de comptes, op. cit., p. 32. 34 J.-B. Santamaria, « Quand la duchesse devint comtesse », op. cit. 35 De rekeningen der Stad Gent, op. cit., p. 121. 36  Ibid., p. 209. 37 BN Fr. 8535, fol. 62. 38 Une seule mention en 1343, deux en 1344, une en 1345, une en 1346.

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son mari39, le 3 mars 1344 à Arras40, le 22 mars à Fampoux41, avant de se replier, semble-t-il, vers Paris où la comtesse est attestée avec le comte le 22 novembre 134542 et le 14 février 134643. Durant ces années troublées, on est surpris de l’insistance des villes flamandes à faire venir la comtesse, à rebours de son image de « Française ». La présence du couple permettrait sans doute de ne pas avoir à assumer une rébellion totale contre un prince légitime. En outre, la situation n’est pas stable dans les villes flamandes où des factions s’opposent, en particulier à Gand où la population souffre d’un embargo français. Celle qui avait déjà joué un rôle de médiatrice peut être utile vis-à-vis du roi. Il existe d’ailleurs un parti favorable au comte qui parvient même à revenir en ville entre août et décembre 1342. Une révolte contre Artevelde a même lieu en janvier 1343, réprimée par des troupes rebelles ramenées de Bruges. Enfin, le 23 mars 1345 Artevelde, qui s’est fait beaucoup d’ennemis et est loin de représenter tous les intérêts gantois, et encore moins ceux des autres villes, est déposé. Les trois principales villes rappellent alors Louis, même si de nouveaux affrontements entre foulons et tisserands ensanglantent le Vrijdagmarkt le 2 mai 1345. L’assassinat de Jacques van Artevelde par Gérard Denis en juillet 1345 ne met cependant pas fin à l’alliance anglaise confirmée par les magistrats gantois, même si sa fin cruelle a probablement réjoui le comte et son épouse44. La situation n’est cependant plus entre leurs mains. Une tentative de Louis de Nevers à Termonde contre les Gantois, au cours de l’année 1345, tourne mal, et il ne doit son salut qu’à une médiation du duc de Brabant45. En principe allié aux Anglais, ce dernier est désormais travaillé par le roi de France, qui semble seul à pouvoir sauver le comte et la comtesse du désastre.

2. « Pour son vivre cotidien ». Un couple dans le besoin Privés d’une grand part des revenus de la Flandre, le couple se retrouve aux dires de Froissart en « pure nécessité », c’est-à-dire dans la misère, et de ce fait très dépendant du roi46. Cela est confirmé par une supplique de 1339 par laquelle Louis de Nevers explique que le roi devrait « bien administrer ce qu’il li faudra » s’il devait abandonner la Flandre. Il lui demande « pour son vivre cotidien LX lb pour chescune journee jusques adonc que li roys Englés s’en retorne en son pays, ou qu’il soit temps de comencier guerre encontre le pays »47. Le montant élevé correspond assez bien aux

39 ADPDC A 629. 40 E. Petit, Histoire des ducs, op. cit., t. 7, p. 304. 41 G. Langlebert, Précis historique sur la ville de Bapaume, Arras, 1883, p. 32. 42 ADN B 989. 43 ADN B 416. 44 Les grandes chroniques de France, op. cit., t. 5, p. 438. 45 Chroniques et Annales de Gilles Le Muisit, abbé de St. Martin de Tournai (1272-1352), éd. H. Lemaître, Paris, 1906, p. 146. 46 Jean Froissart, Œuvres, op. cit., éd. Lettenhove, t. 3, p. 117. 47 M. Vandermaesen, De besluitvorming in het graafschap Vlaanderen, op. cit., t. 1, p. 187.

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dépenses habituelles du comte et de la comtesse. Philippe VI y satisfait pour partie : en janvier 1345, une rente de 50 lb tournois par jour est versée par le trésor au comte48. Il reste certes le Nivernais. Les données des années 1360-1380 indiquent que le comté est alors d’un revenu brut inférieur à 8 000 lb tournois, avec « revenant-bon » d’à peine 2000 lb. Même si à cette époque la peste et les routiers ont fait chuter les recettes, on comprend que le pays ne peut suppléer à la perte de la Flandre. Le Rethélois n’est pas renseigné mais ses revenus (hors fiscalité) sont très faibles sous Philippe le Hardi. En outre, il est plus que probable que la guerre flamande a eu un impact très lourd sur deux autres revenus, le péage de Bapaume, tandis que l’instabilité en Franche-Comté pèse sur l’exploitation de la saunerie de Salins. On peut mesurer le niveau de vie de Marguerite grâce à un document qui semble correspondre aux années 1340, au plus tard 1349. Il s’agit des dépenses faites sur ordre de Pierre des Essars par un certain Vincent du Val-Richer49. Marguerite réside alors à Saint-Cloud, dans le manoir de Pierre des Essars. Son hôtel y consomme 270 litres de vin par jour, elle dépense à peine 20 lb par jour, un montant raisonnable même s’il n’indique pas une vie de privation et correspond à un entourage de plusieurs dizaines d’individus, peut-être même une centaine à observer la consommation de vin. Le couple, habitué à une forte dépense, ne parvient pas à tenir l’équilibre. Louis est très endetté. En 1340 il est aux prises avec les Crépins et autres usuriers d’Arras, dont il obtient la suspension des dettes sur les chevaliers flamands50. Le comte a même engagé le 25 août 1342 trois couronnes d’or garnies de pierreries auprès d’un Toscan, Jean Gérard de Aretio51. Marguerite peut compter sur le soutien de Pierre des Essars auprès duquel elle est endettée personnellement à hauteur de 4 000 florins au 9 juin 1342, qu’elle s’engage à rembourser sur les revenus comtois, fort dépendants de l’appui d’Eudes IV52.

3. Le parti bourguignon et la cour de France Affaibli, Louis de Nevers a plus que jamais besoin de ses alliés français. Pour cela, il dépend donc en partie de l’influence de sa femme et du parti bourguignon, encore puissant auprès de Philippe VI. Le service du roi unit bien entendu Louis et Eudes. Mais les enjeux de la succession de Mahaut et Jeanne de Bourgogne ne sont pas encore réglés. Fragilisé, Louis de Nevers continue de réclamer mollement des compensations pour son épouse. Il n’obtient que peu de chose, comme nous l’avons vu. En 1341, il exige encore le tiers

48 Les journaux du Trésor de Philippe VI de Valois, éd. J. Viard, Paris, 1899, p. 54. 49 ADPDC A 1015. 50 C. Dehaisnes, Documents et extraits divers, op. cit. ; G. Bigwood, « Les financiers d’Arras. Contribution à l’étude des origines du capitalisme moderne », Revue belge de Philologie et d’Histoire, 3 (3), 1924, p. 465-508. 51 G. Bigwood, Le régime juridique et économique du commerce de l’argent dans la Belgique du Moyen Âge, 2 vol., Bruxelles, 1921-1922, 2 vol., t. 1, p. 496. 52 ADPDC A 80, n° 9.

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des biens meubles en Artois, y compris les poissons des viviers ; mais le roi s’en remet à la bonne foi des agents du duc. Pour récupérer le paiement des arriérés accumulés sur les biens que Marguerite n’a obtenus qu’après bien des années de retard, le comte obtient néanmoins un contrôle renforcé de la saunerie de Salins. Il peut désormais en choisir le gérant et percevoir la totalité des revenus de Salins, hormis ceux de la chauderette. Ainsi le comte pourra être payé jusqu’à 3 000 florins de ce qui lui était dû. Cette mainmise temporaire sur la saunerie n’est pas rien… On confie également à des commissaires le soin d’enquêter sur les biens meubles de la reine Jeanne de Bourgogne en Comté. Concernant le tiers des meubles de Hugues de Bourgogne, on désigne des arbitres qui devront œuvrer avec le roi de Navarre. Le duc Eudes promet également de délivrer les « lettres, instrumens, munimens et escriptures » touchant les terres du comte et de la comtesse en Artois, en Bourgogne et ailleurs, ou les copies si les originaux peuvent servir à garantir des droits du duc. En cas de désaccord entre les commissaires des parties, on portera l’affaire devant Hugues de Pommard et Pierre des Essars. En 1342, le comte réclame pourtant encore des arrérages sur les terres cédées en 1337, 7 ans après Bécoisel. Il demande à ce que la prisée, correspondant à un montant en livre estevenante, soit portée au même chiffre en tournois avec les arrérages. Il continue de réclamer sa part des biens meubles de Mahaut et Jeanne. Il veut récupérer toute la justice en la châtellenie de Bapaume, avec les fiefs et ressorts mouvant de la châtellenie d’Arras, ainsi que le tiers des héritages de Hugues de Bourgogne. Le duc s’y oppose. Sont désignés pour traiter Hugues de Pommard et Pierre des Essars, d’autres conseillers du duc ainsi que Guillaume d’Auxonne et le connétable de Flandre Robert de Biaussart ou Beaussart, conseillers du comte53. Sur leur rapport, un nouvel accord est ratifié par le comte le 9 juin 1342, accord que son épouse va d’ailleurs regretter. Louis obtient la modique somme de 6 000 lb tournois, versées à Pierre des Essars son banquier54. Il récupère aussi les fiefs et arrière-fiefs des châteaux de Quingey et Bapaume. Mais on réserve la question de l’échoite de Hugues de Bourgogne. Enfin, le comte se réserve le droit de réclamer sa part sur les 30 000 lb que le roi Philippe V avait données à la reine Jeanne par son testament, les terres de Chailly et Longjumeau, la bastide Montguiart et 500 lb de terre de revenus à Chanteloup55. En 1343, une nouvelle discussion a lieu à Arras : elle concerne une fois de plus l’assiette des terres en Artois… Visiblement, Marguerite est loin d’avoir obtenu satisfaction. Eudes et Jeanne de France font traîner l’affaire. Le duc est en effet en position de force grâce à l’appui du fils aîné du roi, étoile montante de la cour de France. Fils de Jeanne de Bourgogne-duché, Jean, duc de Normandie est en effet le neveu d’Eudes. Dans les années 1340-1343, Jean, Louis et Eudes apparaissent d’ailleurs comme des compagnons d’armes et de livrées56. Dans le « parti » bourguignon, la position de Louis de Nevers est donc encore marginalisée.

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ADPDC A 80. Ibid. Ibid. Nouveau recueil de comptes de l’argenterie des rois de France, op. cit., p. 32.

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On mesure les limites de son influence dans l’attitude de Philippe VI concernant la succession de Bretagne : le roi décide de défendre Charles de Blois face à Jean de Montfort, beau-frère de Louis de Nevers. On peut cependant souligner que Louis de Nevers a peut-être été intéressé dans l’affaire qui lèse sa sœur Jeanne de Flandre. Louis obtient en effet du roi la promesse de récupérer les biens confisqués sur elle en Nivernais et Rethélois si le comte de Flandre marie son fils à Marguerite de Brabant57.

4. Marier Louis de Male pour sauver la Flandre : la piste brabançonne Arrimer le Brabant aux intérêts français permettrait en effet de contrer l’influence anglaise tout favorisant une reconquête de la Flandre. Dès 1345, l’alliance avec la fille de Philippe d’Évreux est abandonnée au profit d’un autre projet : marier Louis de Male à Marguerite, fille de Jean III de Brabant. Le duc de Brabant souhaite favoriser l’accès de ses marchands au royaume, et surtout s’assurer la possession de Malines, ce à quoi le roi est prêt à contraindre Louis de Nevers58. En février 1345, le roi confirme l’accord passé entre Louis de Nevers et le duc de Brabant, par lequel Louis renonce à la seigneurie de Malines contre la promesse que son fils épouse la fille du duc59. En novembre, le comte désigne ses commissaires. Il se fait fort de faire ratifier leurs décisions « par nostre tres chiere et amee compaigne la contesse »60. Il n’est cependant pas à la manœuvre. Des négociations franco-brabançonnes ont lieu à Saint-Germain-en-Laye en septembre 1345, puis à Binche le 3 février 1346. Parmi les commissaires du roi se trouve d’ailleurs Pierre des Essars, qui vit ses derniers jours de gloire61. Louis de Nevers obtient tout de même que le douaire de sa future bru soit pris en charge par le roi, qui s’engage parallèlement à faire renoncer Yolande de Flandre à ses prétentions sur Nieuport, Deinze, Bergues et Termonde. Philippe VI promet encore de donner au comte de Flandre 3 000 lb de terres dans le comté de Nevers et 2 000 dans le comté de Rethel prises sur Jeanne de Flandre. Cette manière peu élégante de récompenser Louis, en dépouillant sa sœur et sa cousine, convient cependant au comte de Flandre62. Le 14 février en l’« hostel madame de Valois » à Notre-Dame-des-Champs, Marguerite et son époux se rendent devant le roi, se font lire les articles du traité de Binche, puis acceptent l’accord63. Reste à célébrer le mariage, pour l’heure repoussé en raison des préparatifs de guerre contre l’Angleterre.

57 ADN B 416, n° 7522. 58 H. Laurent et F. Quicke, « La guerre de la succession du Brabant (1356-1357) », Revue du Nord, vol. 13, no 50, 1927, p. 81-121 59 AGR Chartes de Flandre, n° 2038. 60 ADN B 416. 61 Ibid. 62 Ibid. 63 Ibid.

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Conclusion Le silence relatif des sources au cours des années 1338-1346 ne doit pas tromper. L’état catastrophique de la documentation comtale donne une vision trompeuse de l’action de Marguerite. On est également bien loin de l’image donnée par Froissart, celle d’une princesse ballotée au gré des malheurs, protégée des catastrophes du temps par son cousin le roi et par son mari. Au gré des trouvailles, les itinéraires témoignent du maintien de relations avec les terres du nord, et du rôle potentiel de médiatrice de la comtesse qui garde toute sa place dans les réseaux tissés par le parti bourguignon au sein de la cour de France. Plus que jamais, elle se montre indispensable à la politique de Louis de Nevers. En un sens, son importance et peut-être son action ont pu être renforcées par cette période troublée, même si elle éprouve concrètement la fragilité de sa situation financière, sans pour autant renoncer totalement à un mode de vie princier. Elle en tire par ailleurs une expérience du combat qui va s’avérer très profitable pour affronter une nouvelle épreuve : le veuvage.

Chapitre 5 

Le veuvage: temps de liberté, temps d’épreuves (1346-1361) « Noble puissant prince de bonne memoire, monseigneur Louis, conte de Flandres, de Nevers et de Rethels, qui trespassa en l’an de grace mil trois cens quarante six le XXVI jour ou mois d’aoust. Priez pour l’ame de cy »1.

L’épitaphe relevée sur la tombe de Louis de Nevers en l’église Saint-Donatien de Bruges, peut-être rédigée à l’initiative de Marguerite, ne laisse pas de doute sur le décès du comte le jour de la bataille de Crécy. L’évènement modifie profondément la situation de la comtesse ; elle n’est plus sous la tutelle de son époux et doit également veiller sur les intérêts de son fils unique de 15 ans, désormais à la tête de trois comtés, un fils qu’il faut encore marier. La défaite de Crécy entraîne par ailleurs une crise politique qui balaie le parti bourguignon également décimé par la Peste noire. La guerre s’installe dans le royaume, menacé par les chevauchées anglaises. Dans ce temps d’épreuves marqué par les épidémies, la bataille de Poitiers, puis l’arrivée des compagnies, se forge et se révèle la personnalité d’une princesse qui tient bon dans la tempête.

1. « Des jeunes princesses vesves » Marguerite de France devient veuve à 34 ans. Le parallèle est saisissant avec Mahaut et Jeanne de Bourgogne, qui l’ont élevée et dans les pas desquelles elle va désormais marcher. Le veuvage féminin, tel que le décrit Christine de Pizan, qui parle d’expérience, est un temps où le deuil doit rapidement s’effacer. La princesse se retrouve vite exposée au péril et faire face sans se laisser aller, agissant par « raison et bon conseil » pour protéger ses enfants, défendre la mémoire de son époux et surtout combattre les ennemis et les rebelles susceptibles de profiter de la situation2. Un tel programme correspond assez à celui de Marguerite. Le statut de veuve lui confère une liberté juridique nouvelle, pourvu qu’elle réponde aux attentes de piété, de tempérance et de défense des intérêts de ses héritiers, lui permettant d’approcher la condition masculine, voire celle de chef de famille3. Plus de liberté mais aussi davantage de danger, tant les rumeurs peuvent miner la réputation d’une veuve.

1 Inscriptions funéraires et monumentales de la Flandre Occidentale. 1, Arrondissement de Bruges, 3 vol., Bruges, 1861-1866, p. 36. 2 Christine de Pizan, Le Livre des trois vertus : édition critique, Paris, 1989. 3 D. Lett, Hommes et femmes au Moyen Âge, op. cit., p. 47.

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Suivant le modèle commun décrit par Christine de Pizan, Marguerite s’installe sur son douaire et veille sur sa famille. Il ne semble guère dans ses projets de se morfondre ou d’entrer au couvent. Elle choisit de ne pas se remarier. Jeanne de Boulogne l’a pourtant fait en épousant Jean le Bon. Comment comprendre ce célibat ? Marguerite de France est de sang royal, et la tradition selon laquelle les reines veuves ne se remarient pas a pu l’inspirer, à l’instar de sa mère. Cependant, sa sœur Isabelle s’est remariée à 23 ans, même si le choix du seigneur de Faucogney n’est pas le plus prestigieux. L’exemple n’est peut-être pas très tentant pour Marguerite, veuve d’un pair de France, âgée de 34 ans et déjà mère d’un fils, ce qui n’était pas le cas de sa sœur. Comme le résume le chevalier de la Tour Landry un remariage doit produire un bien supérieur au veuvage ; pour espérer trouver un époux, une femme relativement âgée doit souvent accepter un homme de plus humble condition. Un tel choix peut entraîner une mésalliance aux conséquences funestes4. La défense des intérêts de Louis de Male et de l’édifice diplomatique franco-flamand a ici dû jouer ; c’est un argument assumé par les traités didactiques, et qui peut faire réfléchir des mères bien au fait des enjeux politiques5. Marguerite n’entend pas sortir de son rôle géostratégique : maintenir l’union des lys et des lions.

2. Un jeune héritier pour la Flandre Une semaine après Crécy, le 3 septembre, Louis de Male prête hommage au roi à Amiens6. Cette rapidité lui permet de montrer sa fidélité sans faille à ce « roi trouvé », que beaucoup contestent. Une telle attitude manifeste-t-elle l’influence de la mère de Louis de Male ? Un jeune prince venant d’hériter peut évidemment être placé sous l’autorité de sa mère quand il est mineur. Celle-ci exerce alors la garde de l’enfant, autorité qui peut être cumulée avec le bail de ses terres. Yolande de Flandre a ainsi joué ce rôle à partir de 1345 en devenant « mainbour et gouvernesse » de Robert de Bar7. Mais à 15 ans, Louis de Male est majeur ; c’est à cet âge que Robert de Bar est déclaré apte à gouverner. Philippe de Rouvres sera quant à lui émancipé à 14 ans. Cette majorité ne signifie pas pour autant que le jeune comte de Flandre s’affranchisse totalement de l’influence maternelle. Louis de Male a parfois été considéré comme le plus capable des Dampierre, une dynastie qui n’a certes pas toujours brillé8. On peut en partie imputer son habileté à l’autorité de sa mère : le fait apparaît clairement à ses débuts, puis ne se révèle que par intermittence. Après Crécy, la situation est grave : Anglais et Flamands poursuivent leur raid et prennent Thérouanne le 19 septembre, avant de débuter le siège de Calais. 4 A.-M. De Gendt, L’art d’éduquer les nobles damoiselles, op. cit., p. 221. 5 Ibid, p. 222. 6 Chroniques et Annales de Gilles Le Muisit, op. cit., p. 166. 7 M. Bubenicek, « Au “Conseil Madame”. Les équipes du pouvoir d’une dame de haut lignage, Yolande de Flandre, comtesse de Bar et dame de Cassel (1326-1395) », Journal des savants, vol. 2, no 1, 1996, p. 339-376. 8 D. M. Nicholas, Medieval Flanders, op. cit., p. 225.

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Parallèlement, une révolte de barons comtois éclate contre Eudes en novembre 1346, attisée par les Anglais. Le gouvernement royal est très affaibli : Jean le Bon perd le commandement en Artois en décembre 1346, l’administration est soumise à enquête. On cherche des coupables9. La levée d’une armée de secours destinée à Calais prend du temps : l’oriflamme est levée le 18 mars 1347. Jeune et non marié, Louis de Male lui-même constitue une proie pour le roi d’Angleterre10. En plein siège de Calais, en octobre 1346, Édouard III est accueilli par les villes flamandes, arrivant à Ypres le 18 avec ses alliés hennuyers11. Rapidement il propose au jeune comte un mariage avec sa fille Isabelle. Ayant grandi à proximité de la cour française, selon Jean le Bel, le « joeune conte » résiste à ces pressions, conseillé par Jean de Brabant. Grâce à son influence, Louis rentre en Flandre, aux environs de la Toussaint 1346 dans une ambiance de Joyeuse entrée, visitant les principales villes. Soutenu par les villes, Édouard III se fait alors insistant et tente de forcer la main au comte Louis de Male. Celui-ci aurait alors été mis sous bonne garde par les Flamands anglophiles car il « estoit francoys et mal conseillié ». Quasiment prisonnier, il obtient selon Jean le Bel le droit d’aller chasser, même s’il est tant surveillé « que a paine povoit il aler pissier »12. Il faut ici nuancer le chroniqueur. Plusieurs indices semblent montrer que Louis est davantage libre, au moins jusqu’en janvier 1347 ; par ailleurs il est possible que Marguerite l’ait accompagné à la fin 1346. En effet, en novembre 1347 Louis de Male « du commandement madame », c’est-à-dire sur ordre de sa mère, fait payer une pelletière de Bruges et le drapier Watier Skinke pour des achats effectués en Flandre lors des fêtes de Toussaint et Noël 1346 « tant pour nostre tres cheire dame et mere comme pour nous et nos compagnons »13. Il semble donc qu’elle soit venue en fin d’année 1346, notamment à Bruges qui se montre alors moins radicale que Gand, avant de repartir assez rapidement en Nivernais. Il est d’autant plus difficile de croire que le comte soit resté captif durant une longue période qu’en janvier 1347, le roi de France l’autorise à aller et venir en Flandre malgré la présence anglaise, afin de favoriser la paix14. Pis, le 13 janvier 1347, Louis de Male est à Nevers avec sa mère, siégeant à son conseil15. C’est en tout cas à Bergues, à la mi-mars 1347 que le jeune comte est mandé par le roi Édouard III et la reine Philippa de Hainaut, entourés de représentants des villes, afin d’accepter le mariage avec Isabelle d’Angleterre. Celui-ci doit être célébré le 8 avril. Acculé, le comte accepte puis cherche à gagner du temps : alors que la date du mariage approche, Louis se déclare malade le 28 mars, une ruse qu’il emploie de nouveau en 1368 pour ne pas marier sa fille. Peu de temps après, il part chasser au vol avec deux chevaliers flamands, Roland de Poukes et Louis de Le Walle. Gilles le 9 J. Sumption, The Hundred Years War, op. cit., p. 540 et 552-554. 10 Ibid., p. 563. 11 Chroniques et Annales de Gilles Le Muisit, op. cit., p. 168. 12 Chronique de Jean le Bel, éd. J. Viard et E. Déprez, 2 vol., Paris, 1904-1905, p. 134. 13 ADN B 1595, fol. 102r. 14 Chronique de Jean le Bel, op. cit., p. 136. 15 ADN B 1595, n° 2, fol. 39 et 57.

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Muisit situe ce départ le 28 mars, mais certains historiens le placent entre le 1er e le 8 avril, date prévue pour le mariage, voire le 14, ce qui semble étonnant vu l’ultimatum d’Édouard III16. Jean le Bel ne donne pas de date mais précise les conditions de la fuite, au cours d’une chasse au faucon à la rivière. Le comte aurait alors faussé compagnie à son escorte pour rejoindre « à un pas que l’on dit le gué de Fiennes » les deux chevaliers qui l’attendaient avec un coursier17. Les Grandes Chroniques datent l’évènement du 3 avril et soulignent que « le royaume de France et la mere dudit conte orent tres grant joie », replaçant Marguerite de France dans le jeu en tant que garante de l’union entre son fils et la royauté18. La présence de Louis de Le Walle pourrait confirmer ce rôle, car il s’agit d’un homme que l’on retrouve plus tard au service de la comtesse comme châtelain de Bapaume19. Quoiqu’il en soit, Louis de Nevers gagne Lille puis la cour du roi.

3. « Pour nourrir amour et affection naturelle qui est et doit estre entre mere et filz » : la succession flamande et le douaire Affaibli en Flandre, Louis de Nevers se trouve également dans une situation de dépendance vis-à-vis de sa mère. Veuve, Marguerite de France se retrouve à la tête de terres importantes, qu’il s’agisse de son propre patrimoine, désormais disjoint de celui du comte de Flandre son fils, ou de son douaire. Cela pourrait affaiblir son fils : elle s’avère compréhensive vis-à-vis de lui et accepte d’attendre en raison de l’état politique de la Flandre dont elle souhaite se désengager. La discussion est cependant délicate, et Marguerite affiche ses prétentions. Sa stratégie apparaît par un document rédigé peu avant le 18 septembre 134920. La comtesse n’accepte de reprendre les dettes de son époux qu’en échange de substantielles concessions : les 40 000 lb parisis de capital promises lors du mariage, avec les arrérages dus depuis 1346. Elle demande aussi les arrérages de 6 000 lb par an pour la châtellenie de Courtrai, soit 18000 lb, au titre de son douaire, ainsi que les compositions et confiscations récupérées par Louis de Male sur les Flamands s’étant rebellés du temps de Louis de Nevers. Elle réclame également la moitié de tout ce qui a été acquis avec les revenus du couple durant le mariage (Malines, Rupelmonde, divers hommages Beveren etc), ainsi que diverses dettes dues à Louis de Nevers à sa mort. De nombreuses autres sommes sont réclamées, provenant des héritages d’Henri de Flandre et d’autres parents. Ce document montre d’ailleurs la politique d’acquisition de Louis de Nevers, notamment par des rentes sur plusieurs tonlieux flamands via des confiscations et des achats, ainsi que sa volonté d’obtenir les hommages de 16 Chronique de Jean le Bel, op. cit., p. 138-139 ; Chroniques et Annales de Gilles Le Muisit, op. cit., p. 170 ; J. Sumption, The Hundred Years War, op. cit., p. 564. 17 Chronique normande du XIVe siècle, éd. A. et É. Molinier, Paris, 1882, p. 85. 18 Les grandes chroniques de France, op. cit., t. 5, p. 460. 19 En 1360. ADPDC A 693. 20 ADN B 451.

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nombreux seigneurs. En Rethélois et Nivernais, Marguerite réclame également des sommes d’argent investies du temps du mariage pour des achats de fiefs ou de terres. La comtesse douairière considère ainsi qu’il faut lui compter la moitié de la valeur des achats réalisés du temps du couple, ainsi que la moitié des revenus, chiffrant sa part en centaines de milliers de lb. Le 18 septembre 1349, à Courtrai, Louis de Male accepte donc les dettes de son père21. Il affirme ne pas vouloir entrer en conflit avec sa mère. Il ne s’agit pas que d’une formule rhétorique ; pour garantir l’application de l’acte, on demande d’ailleurs au roi de le confirmer. Politique, l’affaire a lieu en présence des parents flamands, notamment Siger II d’Enghien et Louis de Namur, et des bonnes villes. Des conseillers flamands sont présents, mais aussi trois Comtois, Hugues de Quingey, Thierry de Montaigu, et Philippe d’Arbois, et un artéso-flamand, le seigneur de Saint-Venant. En amont, on a procédé à des consultations publiques. Le seigneur de la Vichte, maréchal de Flandre possessionné près de Courtrai, et Thierry de Bersele, établi en Zélande, près de Biervliet, représentent la comtesse ; Josse de Hemsrode et le seigneur de Halluin défendent les intérêts du comte son fils22. Finalement, plutôt que d’attendre le résultat de l’enquête, la comtesse a proposé d’aider son fils et d’éviter « matiere de descorde », lui laissant le chois de prendre les dettes et les biens meubles. Elle préfère négocier « pour nourrir amour et affection naturelle qui est et doit estre entre mere et filz ». Quant au comte, il agit « consideré l’amour de nostre dite dame et mere ». Il se montre surtout inquiet de devoir fournir tant de terres à sa mère que cela entraînerait la « desmambrance » de ses terres. Dans une lettre datée du même jour, Marguerite de France s’engage à une série de concessions23. Elle y rappelle qu’elle aurait dû avoir au départ un douaire de 6 000 lb tournois en Flandre et autant en la baronnie de Donzy ; ce dernier aurait d’ailleurs dû être déplacé selon l’accord de 1327 qui prévoyait que Donzy ferait désormais partie de la dot de Marguerite. Mais cet accord semble n’avoir jamais été appliqué : la comtesse n’a pas reçu Donzy au titre de sa dot, de sorte que la baronnie est toujours disponible pour le douaire. Plutôt que d’exiger son dû, Marguerite renonce à réclamer les 5000 lb tournois de rente qui auraient dû lui être acquises avec l’argent de la dot de son mariage ; elle renonce également à deux hausses du douaire, l’une de 2 000 lb tournois décidée en 1330, l’autre de 5 000 lb tournois, hausse faite par « don de mariage » de son époux Louis de Nevers, qui semble en fait avoir compensé la non-application de l’achat de terres avec l’argent de la dot, prévu en 1327. Cédant à la supplique de son fils, Marguerite se contentera de la possession du Donziois à titre viager. La comtesse troque donc un héritage propre contre un viager, qui sert en somme de douaire. Bien entendu, cela risque d’aboutir au même résultat car elle a un fils unique et n’est pas remariée. Cette tendance à ramener le douaire à la dot valorise bien entendu la cohésion des biens obtenus par l’héritier du père. On y a vu une influence du

21 AN JJ 78, fol. 13-14. 22 Sans doute Roland, seigneur de Halluin. 23 ADN B 416, n° 7625.

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droit romain particulièrement sensible au XVe siècle : c’est de plus en plus le cas pour Isabelle de Portugal, Marguerite d’York24. La pratique est visiblement bien antérieure. La comtesse fait une énorme concession : là où elle aurait été en droit de disposer de 18 000 lb tournois en viager et 5 000 lb d’héritage, elle se contente d’à peine 12 000 lb tournois, partagés entre la Flandre et le Nivernais, sans compter les propriétés qui lui viennent de sa propre famille, en particulier de sa mère en Artois et Franche-Comté, et la terre de Biervliet donnée par Philippe VI au titre de l’héritage de Philippe V. Dans cette assiette figurent Courtrai et sa châtellenie25. Mais Marguerite se ravise. À sa demande, le 26 mai 1351, le comte accepte de transférer les 6 000 lb tournois en Nivernais, en raison des émeutes flamandes qui rendaient la terre difficile à gouverner et affaiblissait le domaine du comte lui-même26. Les commissaires, des proches de la comtesse comme Regnaut de Moulins, exposent le résultat de leur mission dans une lettre datée de Nevers, le 3 septembre 1351. Ils expliquent être venus dans cette ville « ou estoit nostre tres chiere et redoubtee dame madame la contesse dessus dite et en la presence de son conseil ». Après avoir exposé leur commission, ils se font apporter l’estimation de l’assiette de Jeanne de Flandre, comprenant Montreuillon, Moulins-Engilbert, Savigny-Poil-Fol, Saint Brisson, Liernais, Chevannes, auxquelles les gens de la comtesse font ajouter la châtellenie de Cercy avec le moulin de Bressaut27. Le 22 octobre 1351 le comte ratifie l’assiette, rappelant sa piété filiale. Certes, Louis de Male se réserve fief, ressort et hommage ; mais les possessions de Marguerite la placent en Nivernais à jeu égal avec son fils le comte. Une autre modification intervient encore après le mariage de Marguerite de Male, pour lequel Marguerite de France s’était engagée à livrer 6000 lb tournois de terre de son propre héritage (et non du douaire) pour doter sa petite-fille en Bourgogne et en Champagne. Elle en réclame donc dédommagement à son fils qui lui promet en 1358 de lui assigner de nouveau 6000 lb de terre en tournois en héritage propre28.

4. « Nostre tres redoubtee dame et mere » : Marguerite et son fils Marguerite de France ne se contente pas d’aider matériellement son fils ; elle compte bien lui procurer ses conseils et un soutien politique. Les mentions de chancellerie dans les actes du comte et de la comtesse montrent en effet une très grande proximité entre Louis de Male et sa mère. On dispose de 16 actes les impliquant conjointement entre le 13 janvier 1347 et le 12 mai 1348, ainsi que de trois actes de Marguerite qui impliquent son fils. Pour l’essentiel, ces décisions sont passées chez la 24 M. Sommé, Isabelle de Portugal, op. cit. ; J. Richard, « Le douaire de Marguerite d’York au duché de Bourgogne », dans Marguerite d’York et son temps. Publication du Centre Européen d’Études Bourguignonnes, Neuchâtel, 2004, p. 43-48. 25 ADN B 416, n° 7625. 26 Cartulaire de Louis de Male, op. cit., t. 2, p. 559-560. ADN B 416. AN JJ 81, fol. 150-151. 27 ADN B 416, n° 7687. 28 Cartulaire de Louis de Male, op. cit., t. 2, p. 566.

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comtesse douairière à Conflans et Bapaume, secondairement à Nevers et Tournai. La plupart sont datées d’avril à octobre 1347, soit après la fuite de Flandre et au moment où se prépare le traité de mariage. Cela semble indiquer que la comtesse a alors une certaine prise sur ces évènements. Parmi les trois actes de la comtesse impliquant son fils, une lettre est passée « par madame la contesse presens monseigneur le conte son filz » ; un « par madame la contesse de bouche », l’acte précisant que le jeune comte a été consulté ; un troisième est passé avec l’accord de Louis de Male « par madame la contesse en son conseil present le doien de Bruges », à savoir Philippe d’Arbois. On voit donc que la comtesse introduit son fils dans son conseil, mais de manière mesurée. En revanche, 16 actes de Louis signalent l’intervention de la comtesse. Cette dernière est surtout mentionnée comme présente au conseil (11). À deux occasions la mention « presens madame » est employée ; mais la plupart du temps la relation mère-fils est soulignée, sous une forme assez classique qui rappelle le plus souvent sa fonction maternelle (8 reprises) : « par monseigneur le conte presen madame la contesse sa mere… » (20 avril). Quatre actes signalent même une relation d’autorité. Une lettre du 18 juin 1347 est passée « par monseigneur le conte de l’assentement madame la contesse sa mere, presens monseigneur de Quingi et monseigneur Thierry de Montaigu ». Il s’agit d’une grâce. Deux lettres sont passées « par monseigneur le conte du commandement madame, vous present ». Or il ne s’agit pas de décisions touchant le domaine de Marguerite mais de celui de son fils, chargé d’assumer des dépenses de sa mère29. On voit donc que la comtesse n’hésite pas à jouer de son autorité. Certaines mentions à l’intérieur des actes sont encore plus explicites. Pour l’octroi d’une terre à Philippe d’Arbois, Louis de Male souligne l’acharnement de Marguerite, expliquant qu’il l’a accordé « « eue sur ce bonne et meure deliberacion et conseil tant de noz amis et noz conseilliers, comme par especial de nostre tres chiere dame et mere qui ce nous a loué, conseillié, dit et prié a grant instance ». On voit tout ce que le doyen de Bruges doit à la comtesse. Ces formes d’autorité maternelle rappellent ce que les Grandes chroniques de France disent de la mère de Saint Louis. On rappellera encore que Yolande de Flandre n’avait pas hésité à faire arrêter son fils Robert Ier pour le contraindre à rembourser une dette30. Résidant fréquemment ensemble, Louis et Marguerite partagent quatre conseillers. Tout d’abord, les Comtois Philippe d’Arbois, Eudes de Quingey, et Thierry de Montaigu ; mais aussi le connétable de Flandre Robert de Beaussart. Un même secrétaire signe pour les deux, Lienart (9 mentions), même si d’autres secrétaires leur sont propres, la comtesse recourant ainsi à un certain « Coppin ». Ces actes sont pour la plupart de dons et récompenses à des proches du feu comte, de son épouse et de Louis de Male : confesseur et chambellan de Louis de Nevers, clerc, demoiselle secrétaire, valet du char de la comtesse, etc31. On règle aussi les dettes

29 2 lettres du 6 novembre 1347. 30 M. Bubenicek, « “Et la dicte dame eust esté contesse de Flandres” », op. cit. 31 ADN B 988 et B 1595.

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accumulées par le train de vie du fils et de la mère, notamment à Bruges auprès des drapiers et fourreurs, On traite la question du douaire et des héritages, on organise également la gestion administrative des pays : les gages du bailli en Rethélois sont augmentés par le comte le 6 octobre 1347 « present madame ». En somme, le champ d’application de ces décisions couvre à peu près toutes les terres du comte, et une bonne part des héritages de la comtesse. Marguerite exploite d’ailleurs les ressources de son fils à la fois en Flandre, en Nivernais et en Rethélois, pour récompenser ses proches ou payer ses dettes. Par la suite, cette influence paraît se réduire rapidement, d’autant que le comte doit se déplacer loin de sa mère pour régler d’autres problèmes : le 15 décembre 1347 il est à Mézières où il règle la question des terres litigieuses de Blaton et Feignies avec le comté de Hainaut32. Au-delà de cette période, on ne retrouve plus une telle activité de Marguerite à son conseil. Malgré tout, elle continue d’appuyer son fils : elle accepte notamment le 7 novembre 1351 de payer elle-même 100 lb de rente promises par Robert II, comte de Flandre, au comte de Blamont, rente que le comte de Blamont avait donnée à sa fille, épouse de Gauthier, seigneur de Ray : elle assigne audit seigneur 120 lb est. sur les rentes d’Arbois, avec une option de rachat à 1 000 lb33. Enfin et surtout, la comtesse douairière s’active pour tenter de maintenir une certaine influence à la cour de France et survivre à l’affaiblissement du parti bourguignon.

5. Déclin et dissensions du parti bourguignon à Paris Le remplacement des Capétiens par les Valois a réduit les liens de sang entre Marguerite de France et la Couronne. Certes, Philippe VI, l’appelle « tres chiere cousine », mais il agit de même avec des dizaines d’autres parents. Cet éloignement a d’abord été compensé par l’appui que Louis de Nevers et Marguerite ont reçu du groupe de parenté dominé par Mahaut puis par Eudes de Bourgogne. Or le désastre de Crécy affaiblit ce parti bourguignon. On attribue à ce clan dominant la responsabilité de la défaite. Le crédit d’Eudes IV est atteint, d’autant qu’il ne maîtrise plus la situation en Artois ; même Jean le Bon, très proche de ce groupe, perd de son influence après l’échec d’Aiguillon. Il se brouille avec son père, aux dires de Froissart, et se voit peut-être menacé d’être écarté de la succession avant que sa situation ne se redresse au cours de l’année 134734. Accru par la mort de Louis de Nevers, le déclin du parti explique l’éviction d’un individu utile à la comtesse, Pierre des Essars, jusque là au cœur des affaires royales et désormais poursuivi par la justice35. La famille ne l’abandonne pas puisque c’est Louis de Male qui, sollicité par Étienne Marcel, est allé

32 Cartulaire des comtes de Hainaut de l’avènement de Guillaume II à la mort de Jacqueline de Bavière, éd. L. Devillers, 7 vol., Bruxelles, 1881-1896, t. 1, p. 311. 33 ADD B 320. 34 F. Autrand, Charles V, op. cit., p. 35 35 Ibid., p. 243.

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au début de l’année 1347 se jeter aux pieds du roi pour l’implorer de réduire de moitié l’amende de 50 000 florins, permettant à des Essars de sortir de prison. Pour le clan affaibli, le jeune Louis de Male constitue un espoir autant qu’un objet d’inquiétude car il n’est pas marié. Le roi lui fournit de l’argent : le 7 août 1347 il lui avance 1 000 lb tournois pour l’aider à se rendre en Brabant. La quittance du comte, datée du lendemain, nous informe qu’il est alors à Hesdin36, où il a accompagné le roi, se repliant depuis Sangatte où le jeune comte est venu en vain défendre le patrimoine de sa tante37. La perte de Calais est un coup très dur tant pour le roi que pour Eudes et Jeanne, alors en Bourgogne en raison de l’agonie de la duchesse qui meurt à la mi-août38. Quant à la comtesse, on ignore où elle se trouve : elle est à Tournai le 7 juillet, mais on perd sa trace ensuite. La perte de Calais et la mort de Jeanne aggravent encore la situation du « parti bourguignon » ; en outre, la disparition de la duchesse laisse face à face Marguerite et Eudes dont les rapports se dégradent. Le 16 octobre 1347 un mandement royal ordonne au Parlement d’ajourner les causes pendantes entre Marguerite et son fils d’une part, et Eudes d’autre part au sujet de l’héritage de l’Artois. Le roi doit d’abord déterminer à qui appartient le comté qu’il tient alors en sa main39. Il semble que Marguerite tente de manœuvrer pour obtenir l’Artois. Les biens meubles de Jeanne de France attirent également les convoitises, conduisant le roi à mettre sa main sur eux40. Impuissante, Marguerite assiste rapidement à la reconstitution d’un couple « dominant » capable de maintenir la mainmise sur l’héritage de Mahaut. Formé par Jeanne de Boulogne et Jean, duc de Normandie, ce couple est plus distant de la comtesse douairière. Si Marguerite s’était parfois opposée à Eudes et Jeanne de France, du moins la proximité de lignage était-elle forte avec eux. Marguerite observe d’abord la montée en puissance de Jeanne de Boulogne. Son mari Philippe Monseigneur était mort en 1346 en laissant un fils posthume, Philippe de Rouvres, héritier d’un vaste ensemble territorial ; c’est à lui que Jeanne entend assurer l’Artois et la Franche-Comté, en plus du duché de Bourgogne41. Une fois veuve, elle se remarie en 1350 à Jean, duc de Normandie, qui devient quelques mois plus tard roi de France. La nouvelle reine n’est pas dans les meilleures dispositions vis-à-vis de Marguerite de France ; toutes deux réclament le bail de Philippe de Rouvres et de sa sœur Jeanne de Bourgogne. Un mémoire de Marguerite en atteste. Non daté, le document est de 17 ans postérieur à la mort de la reine Jeanne de Bourgogne-comté, ce qui nous mène en 1347. Il est également postérieur à la mort de Jeanne de France à la fin de l’été 1347. Ce texte nous renseigne sur le litige qui oppose Jeanne de Boulogne et Marguerite, dont le règlement a été confié à « tres hautes nobles et poissans mes redoubtes dames

36 BN Fr. 20374, n° 21. 37 J.-M. Moeglin, Les bourgeois de Calais : essai sur un mythe historique, Paris, 2002, p. 27 38 E. Petit, Histoire des ducs, op. cit., t. 9, p. 496. 39 J. Viard, « Lettres d’état enregistrées au Parlement sous le règne de Philippe VI de Valois (13281350) », Annuaire Bulletin de la Société d’Histoire de France, vol. 35, 1898, p. 177-274. 40 ADPDC A 664. 41 B. Schnerb, Enguerrand de Bournonville et les siens, op. cit., p. 16.

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les roynes de France et de Navarre, comme aimables traicteresses »42. La reine de Navarre doit être la fille de Louis X et Marguerite de Bourgogne, cousine germaine de Marguerite de France, et nièce malheureuse d’Eudes IV. La reine de France est certainement Jeanne de Bourgogne-duché, sœur d’Eudes, mère de Jean le Bon. Ces deux princesses, qui mourront en 1349, sont donc du sang de Philippe de Rouvres. Marguerite leur demande de lui accorder le bail de Philippe pour ses terres en France héritées de Jeanne de France, particulièrement en Artois et en Champagne. Elle invoque une coutume française, selon laquelle on doit choisir le plus proche parent dans la lignée de succession de la terre en débat. Or en cas de décès des jeunes enfants, Philippe et sa sœur Jeanne, c’est Marguerite qui hériterait comme seule fille survivante de Jeanne de Bourgogne-comté (hormis Blanche, nonne à Longchamp). Au passage, Marguerite signale qu’elle ne renonce pas non plus à l’éventualité de contester la succession de tout l’Artois à Philippe… Elle ajoute que le défunt mari de Jeanne de Boulogne, Philippe Monseigneur, n’a jamais été saisi du bail, étant mort avant que Philippe de Rouvres n’hérite de sa grand-mère Jeanne de France. Elle fait encore savoir que Jeanne de Boulogne n’a aucun douaire dans ces terres, et que son mari n’y a jamais rien tenu, ce qui l’éloigne donc du bail. Cet argumentaire insiste sur la distinction entre bail familial et autorité naturelle de la mère sur l’enfant, selon une argumentation assez savante tirée de la jurisprudence, laquelle sert ainsi de témoin de la coutume. Les juristes de la comtesse ont fourni de multiples exemples de procès en Parlement touchant la terre de Chaumont en Artois, celle de Cassel ou les comtés de Tonnerre et Auxerre durant la minorité du comte Jean II de Chalon-Auxerre, dont le bail fut confié au comte de Nevers et non à la mère du comte d’Auxerre. Marguerite émet encore d’autres réclamations touchant l’héritage de Jeanne de Bourgogne-comté, sa mère. Se présentant en pauvre veuve menacée, elle s’en prend à Eudes IV mais aussi à son mari qui n’a pas assez défendu ses intérêts. Selon elle, on n’a pas tenu l’accord de 1330. Il a longtemps manqué 680 lb en Artois, délivrése seulement en 1338, suite à l’arbitrage du roi. Marguerite reprend d’ailleurs le compte fait entre Louis de Nevers et le duc le 5 novembre 1341, qui fixait les arrérages à 5 156 lb parisis : le duc doit encore 1 956 lb parisis. Elle y ajoute 3 000 lb parisis d’arriérés pour le semestre allant de la mort de Jeanne de Bourgogne à l’accord de Becoisel, que son mari avait également réclamées ; ainsi que 53 lb de revenus qui lui ont été prisées à Bapaume puis ôtées au Parlement. En Comté, sur les 4 000 lb tournois lui revenant, 341 lb n’ont pas été assises jusque 1337, et encore 94 lb après cette date. Elle réclame donc 6 720 lb t d’arriérés et 94 lb de rente. Il faut ajouter 24 lb 14 s t. de terre, car des aumônes perpétuelles n’avaient pas été déduites de la prisée. En raison du manque à gagner entre 1330 et 1347, il faut y adjoindre les arriérés. Elle réclame également 7 lb de terre que le sire de Sainte-Croix prenait sur Fraisans et les arrérages du four de Fraisans qui lui a été accordé avec du retard. La comtesse note par ailleurs une mauvaise volonté du duc qui n’a pas permis d’asseoir les arriérés reconnus le 6 août 1341 sur la saunerie de Salins. Enfin, elle exige 4 000 lb t pour la première année à 42 ADN B 925.

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partir de la mort de la reine Jeanne en 1330 dont Marguerite n’avait vu la couleur. On arrive ainsi à plus de 11 000 lb t d’arriérés, et 125 lb t de rente. Le duc ordonne sur ce dernier point une enquête le 5 janvier 134943. Marguerite déplore au passage la faiblesse de son mari qui a d’abord accepté pour tous ces arriérés une rente de 800 lb de terre, et 1/3 des biens meubles en Comté, avant de se résoudre à un accord honteux le 16 avril 1343 : il a alors troqué pour la somme de 6 000 lb tournois ses droits sur les biens meubles montant à 100 000 lb, sans compter 30 000 lb de biens, ainsi que d’autres joyaux, deniers et biens meubles pris par les commissaires du roi sur les biens de Mahaut, de Jeanne et sur l’exécution de Thierry d’Hireçon, biens délivrés au duc sans que Marguerite en ait vu la couleur. Enfin, elle réclame de détenir toute la châtellenie de Bapaume, un tiers des biens meubles et de l’héritage de Hugues de Bourgogne. Elle entend également obtenir sa part de l’héritage de la dauphine, à savoir la moitié des 4 000 lb de terre qu’Isabelle avait en Comté, la moitié du tiers de la terre et la moitié des biens de Hugues de Bourgogne qui avaient été transmis à la dauphine, les 6 000 lb de terre que la dauphine avait eu en Artois. Elle affirme encore avoir droit à la moitié des biens meubles que la dauphine aurait dû recevoir de la succession de Jeanne de Bourgogne-comté en Artois et Bourgogne, 1/6 des terres de Léry, Chanteloup et La Tombe ainsi que de l’hôtel d’Artois à Paris, le tout avec les arrérages. En 1347, le duc Eudes a beau jeu d’invoquer les accords précédents passés avec Louis de Nevers, ou de demander au roi de payer pour la période où son père tenait l’Artois. Sur les 8 720 lb d’arrérages en raison de la rente de 94 lb et du compte de janvier 1342, le duc dit vouloir voir le compte, et en paier ce qu’il devrait, en rabattant 4 000 lb t déjà versées à Pierre des Essars. Il accepte d’accorder les 94 lb, n’ayant pu le faire auparavant car les commissaires n’ont pas osé aller en Franche-Comté « pour les guerres ». Il cède ainsi sur quelques droits, mais s’en réfère à l’accord antérieur qu’il juge bien raisonnable en ce qui concerne les 130 000 lb. Il refuse encore les concessions sur l’héritage d’Hugues de Bourgogne. Celui-ci avait donné ses biens de son vivant à la reine Jeanne et à ses héritiers comtes de Bourgogne, s’en réservant l’usufruit. De même, il refuse de transiger sur les terres de la dauphine Isabelle, qui avait renoncé à la succession de la reine Jeanne et de Hugues contre 3 000 lb de rente et 1 000 lb sur Salins. Ces biens doivent d’ailleurs revenir au duc et à la duchesse car Isabelle n’a pas eu de descendance. Il en va de même pour ses terres en Artois. En ce comté, selon le duc, la coutume veut que si un des héritiers ayant eu « partaige ou appenaige » meurt sans héritier, les héritages reviennent à l’aîné, frère ou sœur et à ses héritiers : ainsi Jeanne de France a logiquement hérité d’Isabelle. La comtesse finit par réduire ses prétentions, mais indique que l’accord fait du temps de son mari par Hugues de Pommard n’avait pas reçu son agrément : « elle n’a mie remambrance qu’il a esté fait de son consentement ». Si elle s’en remet à ce que dictera la raison, elle se pose en victime de son mari qui ne l’a pas associée, notamment pour les 4 000 lb de revenus de l’année 1330. En somme, elle ne reconnaît comme valables les décisions prises par son mari que si elle y a donné son consentement. 43 ADD B 511.

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Elle exige sa rente de 1 000 lb à Salins, car la guerre au pays n’est que du fait du duc, dont elle sous-entend qu’il est responsable du désordre. Elle suspecte également un détournement de l’héritage de Hugues de Bourgogne, au nom de lettres imaginaires, une opération qui va contre le testament de la reine Jeanne qui prévoyait de transmettre à Marguerite un quart de ses droits sur l’héritage de Hugues. Elle exige toujours le tiers des héritages et meubles de la reine en Artois, Bourgogne, France, Champagne et Normandie, avec les arriérés depuis 1330. En outre elle continue de réclamer la moitié des biens de la dauphine. Là encore, elle invoque une forme de détournement, contestant la renonciation en faveur d’Eudes et Jeanne. Quant à la prétendue coutume de transmission de l’apanage d’un cadet vers l’aîné, faute d’héritier direct, elle l’estime peu fondée ; en outre le duc et la duchesse n’ont pas exprimé vouloir recueillir la succession de la cadette décédée. Or « n’est hoirs qui ne weut ». Ils n’ont d’ailleurs pas reçu les hommages des vassaux sur cette terre44. En somme, Eudes a menti et n’a respecté ni la coutume, ni la justice, ni la volonté des testateurs… La charge est rude. Mentionné par les Grandes Chroniques45, le règlement de ce litige est conservé. Daté de Sens le 4 avril 1349, il intervient au lendemain même de la mort d’Eudes IV. Ceux qui sont venus l’accompagner dans ses derniers moments ne perdent pas de temps. Les deux princesses choisies comme arbitres ne sont plus à la manœuvre : c’est à Jean le Bon qu’il revient de trancher. Pour la partie relative au bail, il décide en faveur de Jeanne de Boulogne. Quant au reste, il déboute Marguerite de ses demandes sur les héritages de Hugues de Bourgogne et d’Isabelle, reprenant les arguments d’Eudes46. Il établit une compensation a minima. Marguerite obtiendra 4 000 lb tournois de terre : 2 000 à Avesnes le Comte, et 2 000 lb en Champagne. La comtesse obtient encore 6 000 lb tournois d’argent frais que Jean le Bon paiera à Auxerre, en l’hôtel de Huguenin le Champenois. Sur les ressorts et obéissances dans la châtellenie de Bapaume, point secondaire, elle obtient satisfaction. Le duc Eudes était d’ailleurs déjà prêt à en convenir ; idem pour les enclaves de la châtellenie d’Arras. Le duc de Normandie lève enfin la main du roi sur l’Artois. Dans le duché de Bourgogne, Jeanne de Boulogne n’obtient en revanche pas le « bail et gouvernement » des terres de Philippe de Rouvres, qui est confié à l’épouse de Philippe VI, la reine Jeanne de Bourgogne-duché, grand-tante de Philippe de Rouvres. Cette parente « du côté de la terre » est par ailleurs mère de Jean le Bon. Elle exerce donc théoriquement ce bail jusqu’à sa mort en décembre 1349. On applique ici la coutume sur laquelle Marguerite de France s’appuyait pour réclamer le bail de Philippe de Rouvres en Artois, lequel lui a été refusé… D’ailleurs, le roi Philippe VI décide, au nom de son épouse, de confier le bail à… Jean le Bon47 ! L’arbitre finit même par épouser Jeanne de Boulogne et rafler le bail de toutes les terres de Philippe.

44 ADN B 668.8619. 45 Les grandes chroniques de France, op. cit., t. 5, p. 488-489. 46 E. Petit, Histoire des ducs, op. cit., t. 8, p. 478-490. ADPDC A 85, n° 9. 47 R. Cazelles, Société politique, noblesse et couronne sous Jean le Bon et Charles V, Genève, 1982, p. 227 ; P. Jugié, « L’activité diplomatique du cardinal Gui de Boulogne en France au milieu du XIVe siècle », Bibliothèque de l’École des chartes, vol. 145, no 145, 1987, p. 99-127.

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Cet arbitrage ne présente pas un bilan totalement négatif pour la comtesse, que Jean le Bon n’a pas voulu humilier. Elle arrondit ses possessions en Champagne et en Artois de 4 000 lb t. Mais on est loin de ses exigences. De même, ses prétentions en matière de liquidités sont rejetées en bloc. On devine que l’argent est allé, pour une bonne part, dans les caisses du roi et de son fils. En somme, la confiscation de l’héritage en faveur de Philippe de Rouvres se trouve confirmée. La comtesse peut se consoler en considérant qu’elle a fait mieux que son mari. En Franche-Comté, Marguerite a pu être tentée d’intenter une démarche similaire, qui aurait cependant dû être soumise aux grands du pays. Certains érudits du XIXe siècle ont affirmé que Marguerite avait été désignée pour prendre la présidence du conseil de Philippe de Rouvres en 134948, mais cela semble inconcevable au regard de l’arbitrage du duc Jean le Bon49. Sylvie Le Strat-Lelong n’en fait pas mention, et aucun des actes consultés n’en atteste. Au contraire, en 1349, Jeanne de Boulogne gouverne la Franche-Comté, confortée dans ses prétentions par l’appui de Jean le Bon, bien que son arbitrage ne concernât pas la Franche-Comté50. Mais on peut penser que la grande ordonnance par laquelle Jeanne de Boulogne décide de partager le pouvoir avec la noblesse comtoise doit un peu au risque d’une contestation de la part de Marguerite ; il ne s’explique ainsi pas seulement par la situation de régence par la peste ou le risque d’une révolte appuyée par les Anglais. La rapidité de l’action de la régente reflète peut-être aussi la crainte d’une entreprise de Marguerite en direction des grands comtois afin de se faire reconnaître le bail des terres de Philippe de Rouvres.

6. Marguerite et l’hécatombe du parti bourguignon : une survivante au temps des « grandes mortalités » Déjà politiquement discrédité, le parti bourguignon est physiquement atteint par la mort de la plupart de ses membres en quelques années. Louis de Nevers est tué en 1346 à Crécy, Jeanne de France décède en 1347, Eudes IV est emporté le 3 avril 1349, peut-être de la Peste ; sa sœur la reine Jeanne de Bourgogne meurt à son tour le 12 décembre. Dans ce contexte changeant, Marguerite a l’avantage de survivre. Sans grands-parents, sans parents, sans beaux-frères, sans sœurs à l’exception de Blanche alors au couvent, elle progresse dans l’ordre de succession. Plus encore, elle dispose avec Louis de Male d’un jeune héritier prometteur. Encore lui faut-il survivre à la grande mortalité qui frappe l’Occident. Durant les années 1348-1350, les terres et lieux de résidences de Marguerite sont tous frappés successivement. Présente à Lyon en avril 1348, la Peste sévit en Bourgogne à la mi-juillet. Certes, Besançon ne semble avoir été touchée qu’à la fin septembre et surtout

48 J.-B. Bechet, Recherches historiques sur la ville de Salins, 2 vol., Besançon, 1828, t. 2, p. 11. 49 E. Bousson de Mairet, Annales historiques et chronologiques de la ville d’Arbois, Arbois, 1856, p. 123. 50 S. Le Strat-Lelong, Le comté de Bourgogne d’Eudes IV à Philippe de Rouvres (1330-1361) : une principauté en devenir, 3 vol., thèse sous la direction de Michelle Bubenicek, Besançon, 2015, p. 333.

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en novembre51, mais plus à l’ouest, la Franche-Comté est rapidement et violemment frappée, notamment dans le domaine de la comtesse. Une lettre du lieutenant de son bailli, envoyée d’Arbois le 30 mai 1348 aux prévôts de Dole, La Loye et La Ferté en atteste. On suspecte un Savoyard d’avoir introduit volontairement la Peste ; cela pourrait s’expliquer par le passif entre les deux comtés, et par le fait que l’épidémie avait atteint la Maurienne début avril 1348, avec un pic de mortalité en juin. Un certain « Jehan de Chamberie en Savoie » reconnaît avoir empoisonné les puits de Dole, La Loye et La Ferté, le poison ayant été fourni par les Juifs de Lons-le-Saunier52. L’affaire montre la grande capacité de surveillance et de communication du réseau de prévôts irrigant le Comté et agissant de concert. Cependant, la comtesse est alors auprès de la cour royale. Or à Paris, l’épidémie éclate le 20 août 1348 ; d’après les délais habituels d’incubation, le bacille a dû commencer à contaminer fin juin 1348. Or Marguerite est le 15 juin à Conflans. On la retrouve néanmoins le 1er août à Nevers. A-t-elle quitté la ville à temps ? On pourrait invoquer la chance, bien peu de monde ayant dû comprendre que l’épidémie était là avant la seconde moitié d’août, quand la « mortalité » s’est développée. La comtesse a cependant pu être incitée à abandonner la grande ville, d’autant qu’elle compte parmi ses médecins un homme qui va s’intéresser de très près à l’épidémie, Pierre de Damouzy. De toute façon, Nevers n’est pas spécialement un lieu isolé, d’autant que la Peste sévit alors en Bourgogne. Si la comtesse avait voulu s’éloigner davantage, elle serait allée au nord, ce qui n’est pas attesté. L’épidémie ne s’y répand qu’à partir du 1349, arrivant à Valenciennes en juin 134953. La comtesse reste en tout cas mobile. En janvier 1349, Marguerite est en fait retournée à Paris, peut-être depuis le Nivernais, où elle se rend de nouveau en avril. On la retrouve ensuite en Flandre à Courtrai du 16 août au 9 octobre 1349, d’où elle ne semble pas bouger. Or à cette date, le nord est largement touché par une flambée épidémique : Tournai et Lille sont frappées en juillet. Mi-août à Bruges, on enterre déjà beaucoup de monde ; et à la même époque une hausse de la mortalité s’observe à Gand. Il est possible que la comtesse ne se soit pas avancée plus au nord en raison de la peste qui sévit à Bruges, puisqu’elle ne rejoint Male que le 3 novembre, une fois l’épidémie sur le reflux. Mais elle a bien été en Flandre au pire moment de l’épidémie. Elle a donc dû passer assez près du bacille. De cette période, Marguerite est sortie marquée : dans une lettre octroyant aux échevins de Bapaume le droit de renouveler trois de leurs collègues morts au milieu de leur mandat, la comtesse justifie cette décision « heue consideration à la fragilité [de l’]humaine creature, qui est si encline à la mort, comme chascun scet ad present ». La mortalité humaine lui apparaît désormais dans toute sa dureté. La mention est unique dans ses actes, peu portés sur la métaphysique54. 51 O. Jørgen Benedictow, The Black Death 1346-1353: The Complete History, Woodbridge, 2004, p. 96-109. 52 ADD B 108. 53 O. Jørgen Benedictow, The Black Death 1346-1353, op. cit., p. 97-109. 54 Recueil de documents relatifs à l’histoire du droit municipal en France des origines à la révolution : Artois, éd. G. Espinas, 3 vol., Paris, 1934-1943, t. 2, n° 258.

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7. Le mariage de Louis de Male et le soutien du roi à « nostre amée et feale cousine » Bien qu’isolée, Marguerite sait que la monarchie n’a aucun intérêt à la pousser, elle et son fils, vers l’alliance anglaise. Après Crécy, Philippe VI leur accorde divers privilèges, notamment au moment où on relance le projet de mariage brabançon. Le 27 août 1347, il érige en dignité de pairie tous les domaines de Marguerite et de son fils en Nivernais, Rethélois et Donzy, invoquant l’amour et obéissance témoignés par sa cousine et son fils55. Les journaux du trésor attestent du versement au comte et à sa mère d’une rente commune de 50 lb tournois en mars 1349, déjà versée l’année précédente56 : le roi a donc prolongé celle accordée à Louis de Nevers. La comtesse en perçoit la plus grosse part, soit 30 lb. C’est suffisant pour entretenir un train de vie princier. On ignore jusqu’à quand dure cette faveur, qui pousse la comtesse à rester dans les bonnes grâces du roi. Il est probable que Marguerite ait alors fréquemment résidé à Paris pour s’assurer des rentrées régulières. Elle dispose également de créanciers prêts à lui avancer les fonds et à se payer sur le trésor : Pierre de Laudis, bourgeois de Paris, encaisse ainsi pour elle 1 460 lb parisis le 23 septembre 1349. En outre, certains versements sont effectués pour elle par des receveurs royaux locaux, au gré des déplacements : en août-septembre 1348, un paiement est effectué par le receveur de Bourges alors qu’elle est à Nevers, le 12 octobre 1349 par le maître des monnaies de Tournai alors qu’elle est en Flandre. La grande affaire qui occupe le roi, la comtesse et son fils est alors le projet de mariage établi depuis 1345. Entre mai et juillet 1347, on y œuvre activement. Le 17 mai, Louis de Male, qui réside alors chez sa mère à Conflans, désigne Robert de Beaussart et l’incontournable Philippe d’Arbois pour traiter à Saint-Quentin, expliquant agir avec l’accord de son père défunt et de sa « tres redoubtee dame et mere »57. Le 6 juin, Louis promet de se rendre en Brabant pour épouser Marguerite58. C’est un succès pour l’alliance franco-brabançonne, qui avantage d’abord le Brabant. L’héritier du duc pourra en effet obtenir Malines sans payer les 86 500 royaux exigés par Louis de Nevers lorsque ce dernier avait remis cette seigneurie. Henri Laurent considère que Louis de Male n’est donc pas le grand vainqueur, en raison de l’inexpérience du jeune prince mais aussi de l’influence de sa mère et des anciens conseillers de Louis de Nevers, dévoués aux Valois59. Si on ne saurait contredire ce propos, on peut le nuancer. Certes, Louis n’obtient qu’une promesse d’appui en Flandre, quelques concessions

55 Trésor des chartes du comté de Rethel, éd. G. Saige, H. Lacaille et L.-H. Labande, Monaco, 19021916, 5 vol., t. 2, p. 77. 56 Les journaux du Trésor de Philippe VI de Valois, op. cit. p. 80, 263, 286. 57 ADN B 416. 58 AGR Chartes de Flandre, 2039. 59 H. Laurent, « Les conventions de Saint-Quentin (juin 1347). Contribution à l’histoire de la première phase de la Guerre de Cent Ans dans les Pays-Bas », Bulletin de la Commission royale d’Histoire, n° 91, 1927, p. 89-190.

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territoriales et la main d’une fille puînée, Marguerite de Brabant60. Malgré tout, il a beaucoup à gagner à une alliance qui rend possible la reconquête de ses territoires perdus. Le roi promet par ailleurs à Louis de Male d’acheter Termonde et de la lui donner (c’était déjà le projet de 1345), ou à défaut de lui fournir 2 000 lb tournois de rente ou 40 000 florins comptants61. En parallèle, les fils du duc de Brabant, Henri et Godefroy épousent Jeanne, fille du duc de Normandie et Bonne, fille du duc de Bourbon, le 21 juin62. Jean le Bon est donc partie prenante de cette alliance, ce qui manifeste une certaine convergence d’intérêts. L’histoire se répète donc ce 1er juillet 1347 à Tervuren, à l’est de Bruxelles : un Louis épouse une Marguerite. Il est probable que Marguerite de France s’y soit rendue. Elle est attestée à Conflans en juin 1347 avec son fils, réapparaît le 8 juillet à Tournai, en route vers Bapaume puis Paris, revenant donc de Flandre, probablement de Tervuren, dans le sillage de son fils. Désormais, Louis peut progressivement prendre le contrôle de la Flandre à partir de septembre 1348 depuis le Brabant. Sans grande résistance apparente, il profite des divisions entre Gand et ses adversaires, ainsi qu’entre Gantois. Il parvient même à traiter le 4 décembre 1348 à Dunkerque avec le roi Édouard III. Ce traité secret prévoit un éventuel soutien face à la France63. Un autre projet d’alliance conservé à Lille et rédigé par les mêmes négociateurs va plus loin, bien qu’on ignore s’il a abouti : le roi d’Angleterre fait de Louis son allié principal, et s’engage à lui obtenir du roi Philippe VI tout le comté d’Artois et la Flandre wallonne, en se gardant le Calaisis. Louis de Male est visiblement tenté de récupérer l’Artois, reprenant à son compte les réclamations de sa mère après le partage de 133064. Un tel rapprochement serait un prix bien lourd à payer de la part du roi de France pour maintenir tout l’héritage de Mahaut entre les mains de Philippe de Rouvres. La situation de Louis de Male est à tout compter bien meilleure que celle laissée par son père ; on peut y voir pour partie la patte de Marguerite, qualifiée par Paul Thomas de « fine mouche » en la matière65. Le 13 janvier 1349, le « bon jeudi » Louis peut s’emparer de Gand, soutenu par les factions hostiles aux tisserands et plus favorables à la France66. Par la suite il confirme les privilèges des villes mais exile nombre de partisans des Artevelde, exclut et taxe les tisserands. Ce faisant, il laisse s’installer des rancœurs que son gouvernement ne va qu’un temps apaiser.

60 H. Laurent et F. Quicke, « La guerre de la succession du Brabant (1356-1357) », op. cit. 61 P. Thomas, « Réponse du conseil du Roi Jean le Bon à une requête du Comte de Flandre, Louis de Male (1352) », Revue du Nord, vol. 11, no 43, 1925, p. 213-223. 62 Les grandes chroniques de France, op. cit., t. 5, p. 471. 63 P. Thomas, « Réponse du conseil », op. cit. L’auteur date le traité du 25 novembre 1348, mais le document indique le 4 décembre. 64 ADN B 268. 65 P. Thomas, compte-rendu de Henri Laurent « Les conventions de Saint-Quentin (juin 1347) », Revue du Nord, vol. 14, no 56, 1928, p. 286-288. 66 D. M. Nicholas, Medieval Flanders, op. cit., p. 224.

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Conclusion Au cours de ces rudes années, on ne peut que souligner la capacité de résilience de la comtesse qui observe la montée en puissance de Jean le Bon et la déliquescence d’un parti bourguignon. Elle tire au mieux profit de la situation changeante, investissant surtout dans l’avenir politique de son fils, au détriment de son propre patrimoine. Elle survit, et avec elle son lignage, progressant dans l’ordre de succession aux principautés d’Artois et de Bourgogne dans lesquelles elle continue de réclamer sa part. Plaçant son fils sur de bons rails, elle contribue à l’éduquer au pouvoir, lui que son père n’a probablement pas eu le temps de former aux usages politiques. Elle contribue à la mise en place de l’alliance brabançonne qui ancre son fils dans le « camp » français. Pour autant, si son emprise sur Louis de Male demeure réelle, ce dernier se retrouve rapidement confronté au paradoxe flamand, qui oppose attrait économique pour l’Angleterre et fidélité politique à la France. C’est encore une fois par un mariage, celui de sa petite-fille, que la comtesse douairière peut espérer régler la question des héritages artéso-comtois, et assurer la fidélité de son fils au roi. Le changement de règne de 1350 ne représente pourtant pas, dans un premier temps, une excellente nouvelle pour Marguerite.

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Chapitre 6 

Marguerite de France au temps du roi Jean le Bon: face à la tourmente Les années 1350-1361 constituent une nouvelle épreuve du feu pour la comtesse. L’avènement de Jean II en août 1350 confirme l’enracinement de la dynastie des Valois. Surtout, le nouveau roi s’avère soucieux de garder le contrôle sur l’héritage bourguignon, tandis que le fils de la comtesse manifeste des velléités de rapprochement avec l’Angleterre. Heureusement, la comtesse peut jouer une nouvelle carte : le 13 avril 1350, elle devient grand-mère du fait de la naissance de Marguerite de Male, et peut songer au mariage de celle qui apparaît déjà comme une très riche héritière. Cependant, la dégradation de la situation militaire puis politique à partir de 1355 montre sa dépendance vis-à-vis d’un pouvoir royal pas toujours en mesure de lui apporter des garanties sur ses terres. Cela conduit Marguerite à se mobiliser pour la défense du Nivernais : un apprentissage de la guerre dans laquelle elle semble suppléer son fils.

1. Entre France, Flandre et Angleterre : Marguerite et le « grand jeu » En 1349, Marguerite a déjà dû subir les arbitrages de Jean le Bon, également proche de Charles d’Artois, auquel la comtesse aura à se heurter plus tard. Mais la perspective du mariage de Marguerite de Male conduit à un jeu complexe entre le roi, le comte de Flandre et la comtesse douairière, valorisant le rôle de médiatrice de cette dernière, d’abord soucieuse de ses intérêts lignagers. Le jeune comte tente en effet de jouer d’une situation pivot entre France et Angleterre. En Flandre, il doit rapidement composer avec les jeux d’influence complexes du lignage paternel et des villes du pays. On trouve autour de lui, dès 1349, un cousin pro-anglais, Siger, seigneur d’Enghien, petit-fils de Yolande de Flandre, fille de Robert II de Béthune, ainsi que Guillaume Ier, comte de Namur. Le premier est cependant arrêté dès 1350, accusé d’un complot dirigé, semble-t-il, contre le comte et son épouse1. Mais Louis de Male n’est pas pour autant sous tutelle française : la même année, il refuse de prêter hommage au nouveau roi de France, en application du traité de Dunkerque. Il exige le retour des villes de Flandre wallonne ; Jean le Bon évite de fâcher ce vassal et envoie en avril 1351une grande ambassade en Flandre pour évoquer le mariage de la jeune Marguerite2. Le 24 juillet, le comte obtient de

1 M. Vandermaesen, De besluitvorming in het graafschap Vlaanderen, op. cit., t. 1, p. 254. 2 R. Cazelles, Société politique, noblesse et couronne sous Jean le Bon et Charles V, op. cit., p. 167.

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l’argent au traité de Fontainebleau. En 1352 il demande au roi de pouvoir mener du vin de Nivernais sans payer les droits de tonlieu, et réclame des privilèges pour Gand et Ypres. Fin janvier et en février 1354, Louis de Male est à Paris, alors que le roi discute avec Charles le Mauvais, et obtient une ceinture dorée d’une valeur de 2 000 écus. Par la suite, il se fait un zélé défenseur de la fiscalité royale en Nivernais, dont il récupère le quart3. Ce goût pour l’or du roi n’est pas un gage de fidélité. Aussi Jean II le Bon comptet-il sur l’influence de la mère du comte, qui continue de peser en Flandre. Les villes l’appellent « mire ouder vrouwen van Vlaendren », c’est-à-dire « madame de Flandre l’ancienne », ou simplement madame de Flandre, ce qui montre une influence au moins aussi grande que celle de la comtesse consort Marguerite de Brabant. Marguerite de France est souvent présente dans le pays : elle effectue un grand séjour à Courtrai du 16 août au 9 octobre 1349, correspondant avec les villes, renégociant son douaire4. Elle est encore à Male le 3 novembre5. Le 20 avril 1350, elle est probablement de retour pour le baptême de Marguerite de Male6. Durant ses visites, elle agit : le 3 novembre 1349 elle est chargée de recevoir l’amende de monseigneur Thierry du Chasteller, châtelain de Leuze-en-Hainaut, pour avoir pris un chanoine de Cambrai placé en la sauvegarde du comte de Flandre7. Cette mission de médiation entre Flandre et Hainaut revient par la suite : en effet, en 1353, le pape s’adresse à elle et à l’évêque de Cambrai pour régler les litiges frontaliers entre Louis de Male et la comtesse de Hainaut8. Le 23 avril 1354 Louis de Male et Marguerite II de Hainaut acceptent de désigner des arbitres sur leur différend9. Conscient du rôle exercé par la comtesse douairière, Jean II le Bon continue donc de satisfaire certaines de ses demandes. Le 19 mai 1354, il accorde une lettre de rémissions à Philippe de Belloies, clerc du diocèse de Langres à la supplication de Marguerite, sa « carissima consanguinea nostra »10. La meilleure option pour le roi et la comtesse serait une union entre Philippe de Rouvres et Marguerite de Male. Un tel mariage rassemblerait la totalité des droits hérités de Mahaut et Jeanne de Bourgogne, y adjoignant potentiellement la Flandre, Nevers et Rethel : Marguerite de France est à Beaune pour en discuter en mai 135411. Le 5 août, le roi autorise la reine à préparer un contrat de mariage avec les parents de Marguerite de Male, âgée de 4 ans12, qui est fiancée le 6 du mois à Philippe de Rouvres, 9 ans.

3 ADCO B 5498. 4 Cartulaire de Louis de Male, éd. de Limburg-Stirum, op. cit., t. 2, p. 283. 5 Ibid., t. 1, p. 137. 6 De rekeningen der Stad Gent, op. cit., p. 431. 7 Cartulaire de Louis de Male, comte de Flandre, op. cit., p. 137-138. 8 M. Maillard-Luypaert, « Marguerite d’Avesnes, madame de Hainaut (1346-1356) : “Faible femme” ou femme affaible ? », dans Femmes de pouvoir, femmes politiques durant les derniers siècles du Moyen Âge, 2012, p. 325-348 9 Cartulaire des comtes de Hainaut, op. cit., t. 1, p. 396. 10 AN JJ 82, fol. 362. 11 E. Petit, Histoire des ducs, op. cit., t. 9, p. 55. 12 U. Plancher et alii, Histoire générale et particulière de Bourgogne, op. cit., t. 2, p. 217.

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Marguerite ne se contente pas de servir le roi : elle exerce sur lui une pression, peut-être pour favoriser le mariage dans le sens qu’elle entend. Profitant de la situation politique après 1355, elle choisit de faire de nouveau valoir ses droits en Artois. Fin avril 1356, une révolte contre l’impôt est sévèrement réprimée à Arras. Le 25 août suivi, Marguerite se rappelle au bon souvenir des Arrageois alors que sévit la chevauchée anglaise. Elle écrit à l’échevinage d’Arras et lui envoie des conseillers bien connus du pays comme André de Monchy, pour rappeler ses droits à la succession du comté13 !

2. Le premier mariage de Marguerite de Male Marguerite de France et Louis de Male disposent d’un autre levier pour négocier au mieux le mariage. Édouard III est en effet prêt à faire monter les enchères. Jean le Bon continue de se montrer généreux, restituant Termonde au domaine comtal le 3 juillet 1355. En 1356, ce sont les châtellenies de Cambrai, Crèvecœur et Arleux qui lui sont accordées. Marguerite reste active dans les négociations. L’alliance qui se profile correspond à ses aspirations, mettant fin aux tensions nées des partages antérieurs en unissant les héritiers des deux branches qui n’avaient pas périclité, celle de Jeanne de France et de Marguerite. Tous les droits sur l’Artois et la Franche-Comté se trouveraient ainsi réunis, et la comtesse douairière peut espérer que sa descendance récupère ce dont elle s’estime avoir été lésée. Combinant homogamie et endogamie, le mariage reconstitue le patrimoine14. Retardé par la défaite de Poitiers le 16 septembre 1356, le projet prend forme définitive au cours de l’année 1357 : le 5 janvier, un accord est passé entre Louis de Male et Jeanne de Boulogne15. Le 21 janvier, le pape accorde une dispense16. La participation de la comtesse à l’élaboration de ce projet a généralement été minorée : elle est pourtant bien attestée17. Le traité du 21 mars 1357 qui finalise les termes de l’accord inclut la comtesse18. Marguerite de France, son fils Louis de Male et sa belle-fille Marguerite de Brabant s’accordent avec Jeanne de Boulogne. Le douaire de Marguerite de Male est pris sur les terres de Philippe de Rouvres : 14 000 lb réparties sur Poligny, Gray, Montcenis et Lens, auxquels s’ajouteront 2 000 lb en Boulonnais et Auvergne après la mort de la reine Jeanne de Boulogne. La dot doit monter à 10 000 lb tournois de rente en Flandre et Artois, à prendre sur les terres de Louis de Male mais aussi de Marguerite de France. Le mariage est prévu à Arras le 14 mai 1357. Jeanne de Boulogne arrive à la fin avril avec son fils et de nombreux nobles. Le choix d’Arras, non loin de la Flandre et du château de Bapaume, une ville où Marguerite avait fait valoir ses droits, symbolise 13 AMA AA 32. 14 M. Nassiet, « Parenté et successions dynastiques aux 14e et 15e siècles », op. cit. 15 AN J 258, 12. 16 E. Petit, Histoire des ducs, op. cit., t. 9, p. 78. 17 BN Collection Bourgogne, 109, fol. 174. 18 AN J 249, 11.

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la volonté de réunir la famille autour de ce qui fait litige, la succession de l’Artois. La comtesse connaît très bien la ville et sa venue semble déjà attestée en mai 135519. Arrivée probablement de Paris, Marguerite est à Arras en mai 135720. Consciente de l’intérêt de l’union et de l’importance d’une cérémonie fastueuse, la ville offre de beaux cadeaux le 13 mai 1357 pour l’arrivée des trois Marguerite à l’abbaye Saint-Vaast, lieu du séjour princier. La future mariée est accompagnée par « mesdames de Flandres le mere monseigneur de Flandres, et le feme monseigneur mere a le demisele ». Chacune reçoit un gobelet, un trempoir doré et un beau drageoir « pour l’amour de l’alyanche qui se devoit faire de nosseigneurs monseigneur le duc et ledicte demiselle par mariage »21. Le 14 mai, la cérémonie est célébrée par l’évêque de Tournai, Philippe d’Arbois. Il faut porter les jeunes mariés jusqu’à l’autel, tant l’église est pleine22. Après quoi le duc retourne en Bourgogne et sa petite épouse de 7 ans en Flandre. Marguerite de France reste d’ailleurs en contact avec Philippe de Rouvres23. Malgré ce rapprochement, on ne retrouve guère la comtesse douairière dans l’entourage de la reine, à la différence de Jeanne de Navarre24. Les deux dames ne sont pas les meilleures amies du monde, même si certains des officiers de Jeanne passeront au service de Marguerite, en particulier Jean Biset et Ancel de Salins.

3. Le retour des tensions en Flandre La comtesse semble un temps se détourner des affaires de la Flandre, alors que son fils s’engage dans une guerre de succession après la mort du duc Jean III de Brabant en 1355. Louis de Male exige un part pour son épouse Marguerite de Brabant et se heurte au frère de l’empereur, Venceslas de Luxembourg, époux de l’héritière Jeanne de Brabant. Le comte de Flandre n’a d’ailleurs pas reçu la totalité de la dot de sa femme, et affirme qu’on lui a promis Malines25. S’ensuit une guerre, et une victoire flamande à Asse le 17 août 1356, suivie d’un traité à Ath le 4 juin 1357. Louis conserve Malines et tient Anvers en fief de Venceslas. Mais la guerre désorganise le commerce et favorise la piraterie, conduisant la Hanse à imposer de nouveaux avantages suite à un blocus en Flandre. La situation intérieure se dégrade, d’autant qu’Étienne Marcel encourage les villes flamandes à rejoindre son combat26. Si la comtesse paraît alors peu attestée en Flandre, c’est cependant aussi du fait de l’état désastreux de la documentation, avec 0 à 5 mentions par an durant la fin des années

19 ADPDC A 680. 20 Voir les itinérances sur le site cour-de-france. 21 « Registre mémorial de la ville d’Arras de 1354 à 1383 », Mémoires de l’académie impériale des sciences, lettres et arts d’Arras, 2e série, tome 3, 1869, p. 199-324, p. 206. 22 E. Petit, Histoire des ducs, op. cit., t. 9, p. 81. 23 ADPDC A 695. 24 Ibid., p. 100-110. 25 D. M. Nicholas, Medieval Flanders, op. cit., p. 226. 26 Ibid., p. 226.

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135027. Elle semble en revanche de retour en novembre 1358, lorsqu’elle établit les privilèges de sa ville de Biervliet28, et réside à Termonde le 24 octobre 1361, auprès de son fils29. Elle est cependant surtout en Nivernais et à Paris, éventuellement en Artois entre Fampoux et Bapaume. Partout, elle tente d’agir face à une situation dégradée.

4. Marguerite de France et la crise de la monarchie La captivité de Jean le Bon et la période du gouvernement par le dauphin correspondent à une période de moindre tension face entre Marguerite et la monarchie, en raison du mariage de 1357. Mais la faiblesse du pouvoir royal expose la comtesse à de nombreux périls, ce qui la conduit d’ailleurs à se rapprocher du futur Charles V. Le 24 mai 1358, ce dernier accorde ainsi une lettre de rémission à Jean d’Arrablay ancien maître de la monnaie d’argent de Saint-Lô, soupçonné de fausse monnaie, sur intervention de la comtesse et des évêques de Langres et Nevers30. La fortune de cette famille venait de Jean dit l’ancien, seigneur d’Arrabloy en Gâtinais, également possessionné en Nivernais, du fait de sa femme Jeanne d’Anlezy. Jean a fait carrière dans le midi, comme officier royal à la fin du XIIIe siècle, avant d’œuvrer au Parlement, notamment sous Philippe V, laissant Jean le jeune, très proche du père de Marguerite dont il fut maître d’hôtel31. Cet exemple montre bien que les réseaux de la comtesse continuent d’exister dans l’appareil d’État royal. Conscient des difficultés financières de la comtesse, le dauphin lui accorde en septembre 1360 la terre de Liencourt, tenue du château d’Avesnes-le-Comte, confisquée au vicomte de Poix et à sa femme Jeanne d’Araines, « en recompensacion des grans pertes et dommages que nostre tres chier cousine Marguerite contesse de Flandres de Nevers et de Rethel a euz et soustenuz pour le fait des guerres »32. Ce vicomte de Poix figure parmi les 300 proches du roi de Navarre amnistiés le 2 décembre 136033. Le dauphin tente donc d’arrimer Marguerite dans son camp contre le Navarrais, mais les partis ne semblent pas si tranchés : un certain Focaut de Vertei, passe ainsi au service de Charles de Navarre le 14 septembre 1361 en s’engageant à le servir contre tous « sauf qu’il excepte la contesse de Flandres et de Nevers »34. Marguerite est en tout cas très présente autour de Paris dans ces années : elle est à Conflans en juin 1354, le 25 août 1356, du 21 au 25 mars 1357, le 17 décembre 1357, en mai 1358, du 2 novembre au 24 décembre 1360 au moins, ainsi que du 23 février au

27 1 en 1350, 5 en 1351, 1 en 1352, 0 en 1353, 4 en 1354, 4 en 1355, 2 en 1356, 5 en 1357, 6 en 1358, 3 en 1359. 28 Cartulaire de Louis de Male, comte de Flandre, op. cit., t. 2, p. 653. 29 ADN B 13877. 30 AN JJ 88, fol. 108. 31 O. Canteaut, Gouvernement et hommes de gouvernement sous les derniers Capétiens (1313-1328), Paris, 2007, p. 484. 32 AN JJ 88, fol. 65-66. 33 F. A. A. de la Chenaye Desbois, Dictionnaire de la noblesse … de France, 1774, t. 11, p. 145. 34 V. Lamazou-Duplan, A. Goulet et P. Charon, Le Cartulaire dit de Charles II de Navarre, Pampelune, 2010, p. 355.

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3 mars 1361, encore le 17 mai et le 18 juin suivants, probablement pour un long séjour car on la retrouve entre août et le 6 septembre à Conflans35. On retrouve sa trace dans le Paris dominé par Étienne Marcel, comme en atteste une lettre de ce dernier aux bonnes villes du nord datée du 11 juillet 1358. Il y signale la présence à Paris de plus de mille gentilshommes et gentilles femmes, dont « madame de Flandres, madame la reine Jehanne et madame d’Orléans, à qui on ne fit que bien et honneur ». Madame de Flandre désigne généralement Marguerite de France dans les sources françaises, même si on ne peut exclure qu’il s’agisse de Marguerite de Brabant. Étienne Marcel cherche alors à se distinguer des jacques que les nobles viennent d’écraser à Clermont-en-Beauvaisis. Il souligne son rôle de protecteur et d’allié des nobles, tout en s’adressant aux villes du nord qu’il considère comme des médiatrices entre lui et le comte de Flandre, qu’il souhaite ménager36.

5. De la grande chevauchée au retour du roi Aux lendemains de Poitiers, la guerre n’a pas pris fin avec la capture du roi et les terres de la comtesse se trouvent exposées. À Bapaume, la comtesse veille à la défense de son château artésien avec le soutien de son fils. Louis de Male prend d’ailleurs la liberté d’intervenir pour la défense de Bapaume : depuis Male, le 14 avril 1359, il ordonne à Jean de Lille, l’homme de Marguerite de France à Bapaume et en Flandre, d’organiser le ravitaillement de la place en raison d’une information récente, probablement venue d’espions en Calaisis37. L’alerte est loin d’être vaine, quoiqu’un peu précoce. La place est bien préparée, même si lorsque la véritable menace survient, ce sont des capitaines du roi, recrutés parmi les nobles artésiens qui dirigent les garnisons, en lien avec le châtelain de la comtesse. Oudart de Renty et Enguerrand d’Eudin gardent la place en 1359 face aux tentatives du duc de Lancastre38. Enguerrand est d’ailleurs proche de l’un des frères bâtards de Louis de Male, Rifflard de Flandre. L’Artois est bien une priorité pour le clan « burgondo-flamand », dont Louis de Male semble alors l’une des figures de proues. Son gendre Philippe de Rouvres est cependant encore sous la coupe de Jean le Bon, son beau-père et « bail ». Mais Philippe a grandi. Le roi se résout le 28 octobre 1360, depuis Calais, où il vient de débarquer, à émanciper le jeune duc âgé de 15 ans. On a vu là l’influence de Navarrais mécontents de l’influence du roi sur la Bourgogne ; il est vrai que Jeanne de Boulogne n’était pas totalement hostile à Charles de Navarre, qui avait passé bien du temps à sa cour durant la captivité du roi39. Pourtant, le roi affirme agir « pour contemplation et requeste de nostre cher et feal cousin le conte de Flandres son pere ». On peut 35 ADPDC A 90 et A 698. 36 R. Cazelles, Étienne Marcel, champion de l’unité française, Paris, 1984, p. 280. 37 Cartulaire de Louis de Male, op. cit., t. 2, p. 213. 38 Jean Froissart, Chroniques, op. cit., éd. Luce, t. 5, p. 202. 39 E. Champeaux, « La succession de Bourgogne à la mort de Philippe de Rouvres », Mémoires de la Société pour l’histoire du droit et des institutions des anciens pays bourguignons, comtois et romands, n° 3, 1936, p. 5-50.

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donc y voir une reprise en main d’une gestion « interne » de la famille burgondoflamande, qui tend à gagner en autonomie. Louis de Male a attendu d’ailleurs avec impatience que le roi passe la Manche ; peut-être l’a-t-il rejoint avant la fin octobre. Marguerite est pour sa part tout près : elle est le 22 octobre 1360 à Arras et le 24 à Bapaume. La famille entend reprendre la main sur ce « fils » appelé à gouverner un vaste ensemble unifié. Plus largement, le retour de Jean le Bon est un de ces moments politiques qu’il ne faut pas rater ; Marguerite en profite pour accompagner le roi à Paris. Elle y demeure jusqu’à Noël, étant encore attestée en 1361 le 23 février, le 10 mars, le 17 mai et le 18 juin, même si elle semble avoir effectué d’autres voyages mal renseignés, notamment à Arras. Elle est encore entre Conflans et Paris fin juin ainsi qu’à la fin août-début septembre 1361. À Paris, elle tente de mettre fin aux menaces pesant sur le Nivernais, et se rapproche du frère de l’évêque de Langres, Charles de Poitiers, qu’elle engage à son service le 6 septembre. Un front bien plus préoccupant s’est en effet ouvert dans ses terres du sud, menacées par les grandes compagnies.

6. La comtesse et l’Archiprêtre Signée le 23 mars 1357, la trêve de Bordeaux a libéré quantité de combattants que le dauphin tente de canaliser hors du royaume grâce à Arnaud de Cervole. Ce chevalier périgourdin, jadis brigand mais aussi capitaine du roi, est un bon connaisseur des gens de guerres. De nombreuses garnisons navarraises sont par ailleurs implantées sur la Seine. Un peu partout, Anglais et Bretons ont essaimé à travers la France, formant des garnisons vivant sur le pays. À la situation générée par la présence incontrôlée de ces gens de guerre, s’est ajoutée la venue de l’armée de Robert Knolles, qui sévit en Orléanais et Auxerrois, prenant en octobre 1358 Châteauneuf-sur-Loire puis Malicorne, pillant Auxerre, menant des raids vers Montbrison et le Puy. Après la paix de Brétigny, il faut encore racheter le départ de dizaines de garnisons anglaises, bretonnes, sans parler des pillards qui se disent pour les uns Anglais et pour les autres défenseurs du roi de France… Ces hommes évacuent certaines forteresses, mais pas toutes, et nombre d’entre eux quittent les châteaux pour former les « tard-venus », voire une « grande compagnie » qui sévit en Champagne et en Bourgogne en 136040. Le Nivernais se trouve particulièrement exposé. La comtesse y est aux commandes, Louis de Male semblant peu concerné. Son rôle apparaît dès 1358 dans une lettre de rémission accordée à Arnaud de Cervole par le dauphin. Celui-ci y souligne que la comtesse demeure en Nivernais où elle a tenté de protéger le pays et de le maintenir dans l’obéissance au roi. Sa présence est effectivement attestée le 22 août 1358 à Nevers. Or cette ville ne fait pas partie de son douaire, c’est la capitale politique du pays41. Consciente de la menace que représentent les routiers, la comtesse a fait appel à Arnaud de Cervole dont on sait qu’il a effectué un voyage entre le printemps et

40 G. Butaud, Les compagnies de routiers en France (1357-1393), Clermont-Ferrand, 2012, p. 5-10. 41 BN Latin 17130, n° 57.

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l’été 1358 en France, espérant s’établir en Nivernais pour protéger les terres de son épouse, Jeanne de Grancey. C’est à cette occasion qu’il croise la route de Marguerite de France, « femme intelligente et vraiment française » selon Aimé Chérest42. Peut-être grâce à elle, Cervole obtient du dauphin une lieutenance générale plus large en Berry et Nivernais, se fait payer puis repart en Provence jusqu’au début octobre 1358. Entre temps, il laisse ses gens au pays, mais ces routiers « ne le deffendoient pas mais pilloient et gastoient les habitanz d’icelui ». Incapables d’empêcher les Anglais et Bretons de s’emparer de châteaux et de forteresses, les hommes de Cervole laissent « la plus grant partie du plat païs gasté et exilié ». Appelé par Marguerite, l’Archiprêtre revient et rassemble hommes d’armes et piétons. À ses côtés on ne trouve pas que des routiers mais aussi Robert III de Wavrin, sire de Saint-Venant, proche de la comtesse. Les résultats de son action sont cependant mitigés. Cervole met le siège devant Malicorne, place que vient de prendre Robert Knolles. L’Archiprêtre échoue et est même capturé, mais Knolles épargne Nevers et repart vers le nord en janvier 1359, peut-être suite à un accord. Après la prise d’Auxerre le 10 mars 1359, une partie du butin de Knolles est déposée à Châteauneuf-Val-de-Bargis, un lieu auquel la comtesse est lié. Si l’Archiprêtre ne parvient pas à repousser l’ennemi ou à contrôler les routiers, du moins le Nivernais semble-t-il échapper aux pires assauts. Après sa capture durant l’hiver 1358-1359, Cervole devient plus inquiétant. À une date inconnue, probablement vers février-mars 1359, il se rend à Nevers avec une escorte peu rassurante mêlant Français, Anglais et Gascons. Il se heurte alors à la population qui lui refuse de s’installer et attaque sa troupe. Feignant par la suite de vouloir se réconcilier et d’obtenir pour eux le pardon du roi, du comte et de la comtesse, Cervole revient en force au nom du roi et des seigneurs de la ville. Il déchaîne alors sa colère à Nevers. Parmi les victimes de sa répression se trouve même le bailli comtal Huguenin Bouchette, torturé et mis à mort43. Tirant une imposition de 60 000 pièces d’or et diverses rançons, l’Archiprêtre délivre en mars 1359 des lettres de rémission aux Nivernais s’étant défendus. Il les présente comme des voleurs et des pillards ayant enfreint l’autorité du roi et de la comtesse, lettres confirmées par le dauphin44. Alertée, la comtesse se tourne d’abord vers le dauphin pour obtenir le pardon de la ville en juillet 1359. Elle cherche ensuite à se débarrasser de l’Archiprêtre et obtient à la fin de l’année 1359 qu’il soit remplacé par Charles de Poitiers. Entre temps elle ne reste pas inactive et soutient l’action de certains nobles qui continuent de défendre le pays : le 30 juillet 1359 elle autorise Laure de Borde, dame de Chastellux et de Montperroux à contraindre tous ses féaux et sujets, ainsi que les hommes de ses féaux, à contribuer au guet et à la garde de ses châteaux45. Mais l’Archiprêtre s’est assuré de diverses places comme Cosne, la Motte-Josserand et Dannemarie-en-Puisaye. Il s’en sert comme moyen de pression pour réclamer

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Aimé Chérest, L’archiprêtre, op. cit., p. 67. AN JJ 90, fol. 22. Ibid., fol. 135-136. Inventaire de la collection de Chastellux, éd. C. Porée, Paris, 1907.

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des gages, laissant ses garnisons piller le pays46. Les Anglais profitent du désordre et progressent en Nivernais, s’installant à Corvol-l’Orgueilleux. Il faut donc négocier le retrait d’Arnaud de Cervole. Là encore, la comtesse est à la manœuvre ; le 17 février 1361 elle écrit à son fils en Flandre au sujet de « l’archiprestre »47. Finalement le 28 juin à Paris, Marguerite, Louis de Male, Jean, comte de Tancarville et Arnaud de Cervole, passent un accord, la comtesse faisant figurer son nom en premier devant son fils48. Arnaud de Cervole affirme s’être déjà engagé à quitter Cosne, La Motte-Josserand, Bléneau, Dammarie-en-Puisaye, mais aussi, plus inquiétant, Donzy dont il paraît avoir pris le contrôle ! À l’est de la Loire et au contact de la Puisaye, une bonne part du pays est donc entre ses mains. Il reconnaît avoir quitté les lieux avec ses gens, et avoir remis au comte de Tancarville divers « gros contraulx » certainement des rançons. En retour, il obtient 16 000 royaux et des lettres de rémissions pour « touz deliz, exces, malefices, roberies, arsures, efforciemens de femmes et autres crimes ou meffaiz », y compris de lèse-majesté, valables pour lui et pas moins de 500 personnes. Le comte de Tancarville déclare avoir reçu en retour Cosne, Dammarie, Bléneau, le fort de Bonay, et les avoir remises au comte de Flandre ; l’Archiprêtre a également remis des obligations tenues de la comtesse, du clergé, des nobles et bourgeois. Cervole n’est pas le seul à s’être enrichi ainsi : le « poursuivant d’amour », Jacques Wyn s’est également livré au pillage lors de la prise de Clamecy au début de l’année 1360, comme Nicole Tamworth. Diplomate, le roi d’Angleterre reçoit des plaintes de Philippe de Rouvres et de Marguerite et ordonne d’abandonner ces prises. Il n’est pas sûr qu’il ait été bien obéi49. Le pays va de toute façon payer ces départs : Jean de Champdioux, gouverneur des terres de Marguerite en Nivernais et Hugues de Ternant, gouverneur du comté de Nevers pour Louis de Male, lèvent en effet un « subside du roy » de 16 000 écus, somme rappelant celle versée à l’Archiprêtre, et bien d’autres taxes du même ordre50. On voit à cette occasion un autre personnage favoriser la collecte : Tristan du Bois, alors sans doute au service du roi. Il devient par la suite un des principaux conseillers de la comtesse. Une autre recrue majeure se signale dans cette crise : Charles de Poitiers, seigneur de Saint-Vallier, fils du comte Aymar V de Valentinois, déjà âgé d’une trentaine d’années. Établi le 31 décembre 1359 capitaine général du comté de Nevers et de la baronnie de Donzy par le dauphin, dont il est proche, Charles a été recruté « a la supplicacion de nostre tres chiere cousine la contesse de Flandres et de Nevers ». Peu après, en août 1361, la comtesse l’engage à son service avec son épouse, une proche parente, contre le don de Jouy-le-Châtel et de la terre de Grève51. Charles de Poitiers va devenir le principal conseiller de Marguerite de France.

46 F.-A. A. de La Chesnaye-Desbois, Dictionnaire de la noblesse…, op. cit., t. 9, p. 171. 47 ADN B 14400. 48 ADN B 757, n° 8662. 49 E. Petit, Histoire des ducs, op. cit., t. 9, p. 196. 50 Ibid. ; ADCO B 5498. 51 ADPDC A 90.

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Conclusion Face aux compagnies, la comtesse acquiert une solide expérience de gestion de crises, agissant comme lieutenant de son fils. Si elle fait de son mieux face à une situation difficile, elle commet l’erreur de s’appuyer sur Arnaud de Cervole, erreur dont elle partage la responsabilité avec le dauphin, dont elle apparaît plus proche qu’elle ne l’est du roi Jean le Bon. Dans l’épreuve, la comtesse a en effet tissé des liens solides avec plusieurs familiers du dauphin, comme Charles de Poitiers, et a su rattacher ses intérêts à ceux du roi et de la branche dominante de l’héritage artésocomtois. Tout cela semble remis en cause en novembre 1361 avec la mort du jeune Philippe de Rouvres, qui ouvre cependant de nouvelles perspectives à la comtesse.

Chapitre 7 

Une succession contrariée (1361-1364) Face au roi Jean le Bon Depuis 30 ans, la comtesse pousse ses pions dans les comtés d’Artois et de Bourgogne. Héritière potentielle de Philippe de Rouvres depuis 1349, Marguerite s’est préparée à cette éventualité. Elle doit cependant compter avec le roi, qui a tenté de faire main basse sur le « parti bourguignon » et convoite l’héritage du duché de Bourgogne. Même s’il n’est pas a priori concerné par la succession de l’Artois et de la Franche-Comté, il s’est beaucoup investi dans le « bail et gouvernement » de ces terres pour son beau-fils, et n’entend pas forcément abandonner tout contrôle sur ces comtés. Par ailleurs, si la tradition d’une succession par les femmes à défaut d’héritier mâle est bien établie dans beaucoup de fiefs en Europe, particulièrement en Artois et en Comté, le précédent de 1328 a donné bien des idées à certains grands féodaux1. Au moment où s’ouvre la succession du duc Philippe de Rouvres, la comtesse dispose d’atouts en tant que survivante et dernière héritière de Mahaut et Jeanne de Bourgogne. Elle peut compter sur les usages de gouvernement féminin dans les terres dont elle hérite. Elle n’est pas la première veuve de choc à la tête de ces comtés. Ses 49 ans la mettent à l’abri d’un remariage contraint, mais pourrait susciter des difficultés. Auteurs littéraires et médecins peuvent prêter aux femmes ménopausées des humeurs dangereuses et venimeuses2. Elles se retrouvent souvent menacées par les appétits d’autres princes, voire de leurs propres héritiers qui peuvent invoquer l’incapacité féminine à mener une guerre, ou leurs faiblesses supposées3. Cependant, la comtesse est dans une position différente de celle d’une Jacqueline de Bavière face à Philippe le Bon ; son héritier est son fils Louis de Male, sur lequel elle exerce une emprise certaine. Qui plus est, priver une veuve expérimentée d’un droit à gouverner exigerait de prouver une incapacité voire un manque de moralité. En 1361, la réputation de Marguerite ne permet guère ce genre de manœuvre : nous reviendrons sur ce « capital symbolique » qu’elle a su construire. Ses dévotions, sa qualité de fille de roi, ses contributions aux mariages de 1347 et 1357 plaident en sa faveur, sans doute aussi sa capacité à influer dans les cours de Flandre et de France. Elle est loin d’être désarmée face à Jean le Bon qui se révèle rapidement son opposant en Bourgogne (carte 10 en ligne).

1 C. Beaune, « Conclusion » dans É. Bousmar, J. Dumont, A. Marchandisse et B. Schnerb (éds.), Femmes de pouvoir, op. cit., p. 635-642. 2 E. Bousmar, « Jacqueline de Bavière, empoisonneuse et tyrannicide ? Considérations sur le meurtre politique au féminin entre Moyen Âge et Renaissance », dans L’envers du décor. Espionnage, complot, trahison, vengeance. Publication du Centre Européen d’Études Bourguignonnes, 2008, p. 73-89. 3 E. Bousmar, « Jacqueline de Bavière, trois comtés, quatre maris (1401-1436) », op. cit.

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1. La mort de Philippe de Rouvres En octobre 1361, la comtesse est aux confins de la Flandre et du Brabant, alors que Louis de Male et Venceslas discutent encore de l’héritage de leurs femmes respectives. Le 23 octobre, le comte de Flandre est à Anvers4, et se trouve le 24 à Termonde avec sa mère5. Marguerite est cependant de retour dès le 3 novembre à Paris, écrivant en Flandre à son fils et à Marie d’Artois, mère du comte de Namur6. Guette-t-elle la situation bourguignonne ? On l’ignore. Il est sans doute notoire que la peste sévit en Bourgogne, et que Philippe de Rouvres, pour y échapper, s’est rendu à Gray avant de revenir à Rouvres fin octobre. Plusieurs morts sont signalées dans son entourage, et sa maladie semble avoir duré quelques temps : le 11 novembre, il dicte ses dernières volontés et meurt le 217. La nouvelle en arrive à Paris rapidement, et il est possible qu’on l’ait anticipée. Assez flou, le testament demeure vague sur l’identité des successeurs, « ceux et celles qui par droit ou coustume du païs le doivent et peuvent être »8. Inquiets, les conseillers du duc en Franche-Comté ordonnent aux prévôts et châtelains de ne pas annoncer son décès9. Aussitôt connue la nouvelle de la mort, le roi revendique le duché en tant qu’héritier et choisit comme gouverneur le comte de Tancarville10. Pour les autres territoires, des discussions démarrent à Paris. En Artois, le roi ne fait pas de difficultés. Cette terre ne présente nulle clause de retour au domaine faute d’héritier mâle. Qui plus est, ce serait un casus belli pour le comte de Flandre dont l’unique héritière se retrouve par ailleurs libre sur le marché matrimonial. Le 30 novembre le roi écrit aux Artésiens d’obéir à la comtesse qui lui a prêté hommage11. La différence est flagrante avec la Franche-Comté où l’hommage à l’empereur attendra 18 ans. Héritant des mêmes comtés en 1330, Jeanne avait choisi d’aller en Franche-Comté. Marguerite agit de même, consciente des risques dans ce pays. Elle commet donc deux lieutenants-généraux en Artois, deux proches du roi en lesquels elle a confiance : le seigneur Gaucher de Châtillon, et Mathurin Rogier, chanoine d’Aire puis de Béthune déjà à son service et bon connaisseur des lieux12. La comtesse l’a convoqué à Paris début novembre, alors qu’il se trouvait à Bapaume. Clerc des comptes et conseiller du roi mais aussi de la comtesse, il inspire confiance à Jean le Bon et Marguerite13. 4 Les gestes des ducs de Brabant, éd. J. F. Willems, 3 vol., Bruxelles, 1839-1869, t. 2, p. 583. 5 ADN B 13877. 6 ADN B 14402. 7 E. Petit, Histoire des ducs, op. cit., t. 9, p. 249-250. 8 B. A. Pocquet du Haut-Jussé, « La succession de Bourgogne en 1361 », Annales de Bourgogne, 1938, p. 54-63. 9 P. Gresser, La Franche-Comté au temps de la guerre de Cent Ans, op. cit., p. 172. 10 J. Gaudemet, « Les prétentions de Charles II, roi de Navarre, à la succession de Philippe de Rouvres », Mémoires de la Société pour l’histoire du droit et des institutions des anciens pays bourguignons, comtois et romands, n° 3, 1936, p. 51-81. 11 AMSO AB 8, n° 8. 12 Ibid. 13 ADPDC A 82, A 698, A 711.

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La mission des lieutenants est claire : « prenre pour nous la possession et saisine corperele et reelle dudit conté et des villes, chastiaulx et appartenances d’icellui ». Ils reçoivent pouvoir de commettre des officiers, d’entendre les comptes, de lever des aides. En Artois, tout se déroule convenablement, les envoyés étant accrédités par la comtesse mais aussi le roi. Ils se livrent à une tournée des grandes villes animée par une série de grands banquets. La première étape de Mathurin Rogier est Arras, capitale du comté. De là, via Lens et Béthune, il passe en vitesse par Aire-sur-la-Lys en route vers Saint-Omer, ville la plus riche et clé de la défense de l’Artois face au Calaisis. Après quoi vient l’importante ville d’Hesdin, tandis que le comté de Saint-Pol ne retient guère son attention. Le lieutenant veut voir ces « bonnes villes » dominant les états et finançant les aides, places stratégiques, centres de bailliage dominés par des échevinages puissants.

2. L’entrée en Bourgogne : rallier la noblesse et défendre ses droits Marguerite part quant à elle vers le sud, sans précipitation. Les funérailles du jeune duc sont célébrées à Cîteaux le 9 décembre, mais la comtesse est encore à Paris le 6 décembre, collectant des fonds provenant d’Artois pour aller « en Bourgogne »14. Pour cela, il faut passer par les terres de Champagne également héritées de Philippe de Rouvres. Elle en profite pour traverser les seigneuries qui lui avaient déjà été transmises en vertu du traité de 1349, comme si elle célébrait un nouvel avènement. Le 11 décembre elle est à Villemaur, dont elle était déjà la dame, et commence à y recevoir des hommages, notamment ceux du sire Ogier VIII d’Anglure15. Le 13 elle fait sa joyeuse entrée dans une nouvelle possession, Isle-Aumont. Symboliquement, elle se fait remettre les clés du château, et nomme les officiers locaux dont elle reçoit les serments. Elle gagne Chaource le lendemain et y procède de même, s’installant au château pour faire valoir ses droits : « se heberja de son plain droit es hostels es quelx habitoit et demouroit messire Jehans de Ligneres, chevalier ». Le lendemain, elle y reçoit les hommages de ses vassaux. Partie le 15 de Chaource, elle arrive à Jully-sur-Sarce, où elle se heurte cette fois à une certaine résistance, dans une région déstabilisée par la présence des compagnies où des capitaines royaux autoproclamés font la loi. Une conversation est engagée hors des barrières défendant l’approche du château avec l’écuyer Renier de Cuires « qui se disoit chastellain dou dit chastel ». La comtesse prend la parole, mêlant fermeté et manifestation de sa propre obéissance au roi : « auquel madite dame dist qu’il estoit s’entencion de entrer ou dit chastel pour l’en mettre en saisine et possession de tel droit comme elle povoit et devoit avoir ». Cela fonctionne : « lors ledit chastellain li ouvrit les dites barrières et les portes doudit chastel, parmi ce qu’elle li promist

14 ADPDC A 699.3. 15 Voyage décrit dans ADPDC A 90.25.

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qu’elle l’en garentiroit devers le roy, et leurs elle entra oudit chastel et print la saisie et possession de son dit droit ». On voit ici l’utilité de venir en personne ! Nous la retrouvons le 1er janvier 1362 à Dole ; elle est probablement passée par Villaines-en-Duesmois16, et ensuite par Dijon, peut-être en accompagnant le roi qui y est alors attesté17. Dans le même temps, elle fait régler la succession de Philippe de Rouvres en dépêchant le 13 janvier Guillaume de Poitiers, évêque de Langres, auprès du roi et du comte de Boulogne, afin de réclamer sa part des biens meubles. Elle obtient tous les biens meubles en Artois, à condition de payer les dettes en Artois, Bourgogne et Champagne, et de s’acquitter de la moitié des legs en argent de son testament, soit 4 500 florins. Elle refuse en revanche de payer 20 000 moutons d’or empruntés par le duc pour payer le roi d’Angleterre, estimant que cela ne concerne que le duché18. En Comté, Marguerite doit jeter les bases de son autorité dans un pays dévasté et menacé par les compagnies. Ce séjour est centré sur le cœur du domaine à l’ouest : elle est à Dole le 1er janvier, Bracon le 2, Arbois le 6, Poligny le 10, enchaînant les joyeuses entrées avant de s’installer à Bracon du 13 janvier au 1er février, puis à Dole du 2 au 13 février (carte 10). On conserve 16 actes datés de janvier et 13 de février, concernant tous la Bourgogne ; pour la première fois la comtesse y apparaît en princesse gouvernant un grand comté. Elle veut aller vite. Confirmant les privilèges, notamment à Poligny19, elle y règle divers litiges comme celui portant sur le service du guet dû par le bourg de Chamole20. S’opère alors une mue dans son entourage destiné à intégrer de nouveaux réseaux et à adapter son hôtel comme son conseil à son nouveau rang. Elle retient ainsi Jean Berruyer du Meel, en tant que nouveau maître valet de l’hôtel21. L’objectif principal de Marguerite est de rallier les nobles pour contrôler le pays. Le 6 janvier, le comte de Montbéliard est commis gardien du comté à Arbois22. Le 22 janvier ses pouvoirs sont étendus et il est reconnu garde et gouverneur car la comtesse doit partir « en nostre dit conté d’Artois ». La situation militaire inquiète cependant l’administration, qui souhaite tenir le pays. Plusieurs officiers ont d’ailleurs engagé des dépenses dès l’annonce de la mort de Philippe de Rouvres, sans ordre de la comtesse : Philippe seigneur de Demongeville, qui a tenu le château de Vesoul obtient 36 lb de revenus au titre des 600 florins de frais qu’il a avancés23. Tout cela a probablement été coordonné pas une poignée de fidèles passés de Philippe de Rouvres à Marguerite : peut-être Ancel de Salins, ou Pierre Cuiret.

16 Tristan du Bois, parti de Laon, se rend vers Villaines pour la rejoindre après le 15 décembre. ADPDC A 702. 17 Pièces fugitives pour servir à l’histoire de France avec des notes historiques et geographiques., 3 vol., Paris, 1759, t. 1, p. 609. 18 U. Plancher et alii, Histoire générale et particulière de Bourgogne, op. cit., t. 2, p. 245. 19 F.-F. Chevalier, Mémoires historiques sur la ville et seigneurie de Poligny, op. cit., vol. 1, p. 430. 20 ADPDC A 91.4. 21 ADPDC A 702. 22 ADPDC A 91.1. 23 ADCO B 1415.

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Tout danger n’est pas écarté et la comtesse multiplie les ordres militaires : le 1er janvier le bailli d’Amont Jean de Cusance reçoit l’ordre de se rendre en la ville et au château de Gray pour s’en saisir au nom de la comtesse et la faire garder24. Le 22 janvier la comtesse désigne Gui du Vernois châtelain et garde de Vadans, avec 4 hommes d’armes, 8 sergents, un guetteur et un portier25. Depuis son arsenal de Bracon, elle fait envoyer le 23 janvier vers Pontarlier deux arbalètes à corne et 1 000 « fleschons enferrez », puis le 31 janvier 1 000 autres fléchons de bois enferrés vers Vadans26. La comtesse paie cher les ralliements. Pensions, rentes et aliénations de terres vont durablement grever les finances. À chacun selon son poids politique. Parmi les petits nobles proches du domaine et fidèles du pouvoir comtal, Eudes de Salins obtient 10 lb de rente27. Pour récupérer le château de Vadans Marguerite accorde 50 lb de rente annuelle à Hugues de Vienne, seigneur de Pagny, à prendre sur la saunerie28. La ville d’Orchamp est cédée à Jean de Rye29, ainsi que 40 florins de rente sur les péages d’Augerans30 et 160 florins sur le passage de La Loue à Jacques de Thoraise. La comtesse entend renforcer ses attaches dans le cœur du domaine mais aussi à ses marges. Elle promet 3 000 florins pour que Jean de Neufchâtel devienne « nostre home a sa vie »31 ; pour l’heure elle s’engage à lui verser 300 florins par an sur la saunerie car « nous n’avons pas à present argent pour le paier ». Dans ce voyage, on retrouve à ses côtés des proches déjà à son service comme Humbert de la Platière ou Charles de Poitiers. S’y ajoutent des conseillers de Philippe de Rouvres, en particulier Pierre Cuiret et Ancel de Salins32. D’autres semblent des proches du roi chargés de garder un œil sur elle, comme le comte de Tancarville. On trouve enfin des Comtois destinés à rester sur place comme le comte de Montbéliard et d’autres nobles locaux comme Henri de Longwy qu’on ne retrouve que rarement par la suite aux côtés de Marguerite. Si Marguerite rassemble les nobles, c’est pour lutter contre les compagnies mais aussi éviter l’émergence de concurrents. Car son cousin Jean de Bourgogne menace le nord du comté. À une date inconnue, il se déclare comte de Bourgogne, peut-être pour négocier, à moins qu’il ne spécule sur une faiblesse de Marguerite, ce qui paraît moins probable car il la connaît. Ses prétentions paraissent étranges tant il semble loin dans l’ordre de succession : la comtesse est une collatérale ascendante au quatrième degré de Philippe de Rouvres quand il est le fils d’Henri, fils de Jean de Bourgogne, seigneur de Montaigu et frère d’Othon IV. On a avancé que certaines coutumes bourguignonnes favorisaient les parents en « pareil degré », au détriment des ascendants,

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ADD B 353. ADD B 149. ADCO B 3346. ADD B 214. ADD B 407. ADCO B 1064. 31 janvier 1362. ADD B 493. 24 février 1362. 31 janvier 1362. ADPDC A 91, n° 9. ADD B 87.

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qu’ils soient en ligne directe ou collatérale33, au motif que Jean de Bourgogne aurait été cousin « in pari gradu » de Philippe de Rouvres. Selon ce principe, le collatéral en pareil degré, séparé par le même nombre de degré que celui qui transmet le bien de l’ancêtre commun, succède même s’il existe un collatéral plus proche, mais d’un degré différent par rapport à l’ancêtre commun34. Cette règle pose le principe du « non ascendere », que l’on retrouve également dans un certain nombre de coutumes bourguignonnes, entre le duché et la Suisse romande35. Séduisante, l’hypothèse suppose une extension des coutumes de Dijon dans la « grande Bourgogne », mais rien n’indique que Jean de Bourgogne y ait fait référence. En outre, on peut objecter que même ainsi, les droits de Jean de Bourgogne sont très faibles. Certes, Marguerite de France est une grand-tante et on doit donc « remonter » depuis Philippe de Rouvres pour la retrouver, ce qui n’est pas l’idéal. Certes, elle n’est pas de pareil degré que Philippe de Rouvres : 1 degré sépare Marguerite de leur ancêtre commune, Jeanne de Bourgogne, Philippe de Rouvres en étant séparé de 3. Mais le nombre de degrés séparant Philippe de Rouvres et Jean de Bourgogne de leur ancêtre commune Adélaïde de Bourgogne est également différent. Si Henri de Bourgogne s’est fait appeler « oncle » par Philippe de Rouvres et « cousin » par Jean de Bourgogne, en fait Henri n’est ni frère ni même cousin germain de « Philippe Monseigneur », le père de Philippe de Rouvres. Le lien entre Jean de Bourgogne et Adélaïde se situe au 3e degré, celui entre Philippe de Rouvres et Adélaïde au 5e. Un autre argument en revanche aurait pu être avancé, même si c’est là encore pure supposition : Jean est le dernier héritier mâle de la branche aînée des Chalon en tant que petit-neveu d’Othon IV. Certes, nombre de coutumiers bourguignons avancent que l’on doit favoriser la transmission aux collatéraux paternels ; mais cette règle ne s’applique qu’en présence d’un collatéral de pareil degré36. De toute façon, en cet âge d’or des contestations successorales37, les affaires ne se règlent pas que sur le terrain du droit. Rapidement, Jean de Bourgogne agit par voie de fait. Il s’empare du château et du pont d’Apremont, au nord-ouest de la Bourgogne, et se voit ouvrir les portes de Gray. Il peut compter sur la dame de Châteauvillain qui contrôle Pesmes. Cette dernière va épouser en décembre 1362 l’Archiprêtre, ce qui indique qu’elle est dans des réseaux assez hostiles à Marguerite. Il est même question d’une sédition à Poligny matée par le bailli d’Aval38, et on s’inquiète de complicités à

33 E. Champeaux, « La succession de Bourgogne à la mort de Philippe de Rouvres », Mémoires de la Société pour l’histoire du droit et des institutions des anciens pays bourguignons, comtois et romands, n° 3, 1936, p. 5-50. 34 On préfère ainsi un cousin germain à un oncle, et on ne remonte pas en ligne collatérale tant qu’il existe un proche en degré sur le même rang que la personne décédée, et même un descendant dudit collatéral du pareil degré. 35 J.-F. Poudret, « La dévolution ascendante et collatérale dans les droits romands et dans quelques coutumes méridionales (XIIIe-XVIe siècle) », Revue historique de droit français et étranger, vol. 54, no 4, 1976, p. 509-532. 36 Ibid. 37 B. A. Pocquet du Haut-Jussé, « La succession de Bourgogne en 1361 », op. cit., p. 54-63. 38 É. Petit, Histoire des ducs, op. cit., t. 9, p. 273.

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Châtillon-le-Duc39. Michelle Bubenicek a daté la prise d’Apremont du 18 février40, suivie de celle de Gray sans coup férir, Jean de Bourgogne s’emparant également de Jussey à une date inconnue : la trame est juste, mais il faut avancer la chronologie, car à cette date la comtesse a déjà repris totalement en main la situation. Le rejet de Jean de Bourgogne peut s’expliquer par le mépris des barons comtois à l’égard d’un seigneur assez insignifiant, mais la détermination de Marguerite a certainement pesé. Encore à Dole le 13 février, Marguerite est attestée à Gray le 16, contrôlant visiblement la ville41 où elle demeure du 20 au 24 février42. Elle est accompagnée de puissants conseillers, comme les comtes de Montbéliard et Tancarville, Jacques de Vienne ou Charles de Poitiers43. Par conséquent, le grand traité d’alliance signé le 18 février contre les compagnies doit être daté de Gray44. Il est passé avec l’archevêque de Besançon Louis de Montbéliard, son prédécesseur Jean de Vienne devenu évêque de Metz, et de nombreux seigneurs comme le comte de Montbéliard, Jacques de Vienne, Thiébaut V, sire de Neufchâtel, Jean de Neufchâtel, seigneur de Vuillafans, Jean, sire d’Oiselet, Jean, seigneur de Ray, Henri de Longwy, sire de Rahon. Parmi les signataires, on note même « Jehan de Bourgogne », soit le seigneur de Montaigu ! Il a alors bel et bien renoncé à son projet pour se rallier, promettant d’aller combattre ceux qui l’ont soutenu. Jean de Bourgogne obtient même Buffard, Chissey et Liesle. Henri de Bourgogne, son père avait déjà réclamé ces terres à Marguerite auparavant. Il les avait engagées à Eudes mais contestait que celui-ci ait pu les céder à Marguerite pour régler les conflits d’héritage familiaux. En feignant la révolte, son fils Jean a en somme obtenu que les terres rejoignent son héritage. Elles sont d’ailleurs transmises en 1373 à son neveu Jean Ier de Neufchâtel45. Une fois de plus la revendication d’un titre sert de levier pour récupérer d’autres terres. Gray est soumise à une amende mais obtient le 23 février confirmation de « toutes les franchises, chartres, priviliges, libertéz que nostre tres chere dame et mere madame la royne Jeanne {…] a donné »46. Marguerite n’entend pas humilier ses nouveaux sujets et braquer le pays, ni encore moins la noblesse, notamment sur les frontières occidentales où la menace des routiers reste grande, d’autant que d’autres rivaux pourraient survenir. Le voyage est assurément un succès, même s’il est payé au prix fort. Marguerite se voit contrainte de reprendre le mode de gouvernement mis en place par Jeanne de Boulogne : elle aussi associe les barons et les grands du comté à sa politique. Une fois ses droits garantis, la comtesse repart vers le duché : le 25 elle est à Til-Châtel, cheminant résolument vers le nord.

39 M. Bubenicek, « De Jean l’Aîné († 1306) à Jean II de Bourgogne († 1373) », op. cit. 40 Elle est en tout cas mentionnée dans l’accord du même jour. 41 ADHS H 172. 42 ADD B 219. 43 ADD B 50, 407, 493. 44 ADPDC A 91.12. 45 F. De Gruben, Les chapitres de la Toison d’or à l’époque bourguignonne (1430-1477), Louvain, 1997, p. 54 ; ADCO B 1443. 46 J.-H. Gatin et L. Besson, Histoire de la ville de Gray et de ses monuments, Besançon, 1851, p. 433 et ADHS 279 E dépôt 2.

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3. L’avènement en Artois : joyeuse entrée et premiers accrocs arrageois Attestée à Paris du 22 mars au 11 mai 1362, Marguerite semble reproduire l’itinérance de sa sœur en 1330. Mais cette fois, le roi a déjà reconnu ses droits. Les circonstances de ce séjour parisien sont donc obscures. Une première annonce de venue a d’ailleurs circulé en Artois début mai, reportée le 6 mai au-delà du 18, sans qu’on sache pourquoi47. On profite cependant du retard pour préparer la joyeuse entrée : Marguerite se fait envoyer à Paris de l’argent et des chevaux depuis Bapaume, où le logis est réparé48. On prépare de grandes quantités de nourriture : le 13 mai le receveur d’Artois reçoit « C moutons lagnies sur le teste », cinq bœufs, deux génisses et une vache du receveur de Lens49. La comtesse arrive à Bapaume le 2150. Elle y est déjà chez elle, mais célèbre quand même son joyeux avènement en tant que comtesse, graciant un banni « a nostre nouvelle venue en nostre dit conté d’Artoys »51. Le 22 mai a lieu sa joyeuse entrée à Arras, ville qu’elle connaît bien. Elle y arrive avec son fils et héritier, ses vassaux et divers seigneurs. Une foule estimée à 1 100 personnes se rend vers elle : « moult honnerablement furent vestus des bourgois de le ville d’une cothes hardies parties et barees ». Les arbalétriers de la ville les escortent. À l’extérieur de la porte Saint-Michel « fist me dame le serment que elle maintenra le ville et les habitans et n’ira ne aler fera contre les chartres ne contre les privileges de le ville ». Une fois le serment prêté la comtesse peut entrer en ville « a heure de vespres ou environ », et donner à souper à « plusieurs bourgois ». La ville lui offre trois gobelets à couvercle doré, trois petits pots dorés, et 24 écuelles d’argent, en tout plus de 28 kilos de ce métal. Son fils soupe « a taule [table] avoec madame », et reçoit 12 plats de 4 marcs d’argent52. Confortant son statut de capitale du pays, Marguerite y demeure au moins jusqu’au 2 juin. Et y rencontre de premières difficultés en raison du prêt de 10 000 moutons d’or que Philippe de Rouvres y avait contracté en 136153. L’échevinage affirme avoir obtenu le droit de se rembourser sur les 400 lb de rente versées par la ville au titre du droit de tonlieu comtal, ainsi que sur la portion de l’assise revenant à l’autorité princière. Peu disposée à négocier son pouvoir dans une logique contractuelle, la comtesse s’y oppose : il y a « descort et débat ». Elle avance la notion d’inaliénabilité du domaine, idée introduite peu après dans le serment du sacre de Charles V : « ces choses fuissent et seront de nostre propriété, héritaige et domaine de nostre dit conté d’Artois, lequel nostre dit fils [Philippe de Rouvres] ne poeult aliéner, par le coustume du païs ». L’affaire est soldée à Hesdin par une lettre comtale du 2 juillet 1362, par laquelle la comtesse laisse la ville récupérer le quart des assises pour encore 47 ADN B 13877. 48 ADPDC A 699, n° 3. 49 ADPDC A 704. 50 ADN B 14401-14402. 51 AN JJ 105 fol. 250. 29 mai 1362. 52 « Registre mémorial de la ville d’Arras de 1354 à 1383 », op. cit., p. 221. 53 C. de Wignacourt, Observations sur l’échevinage de la ville d’Arras, Arras, 1864, p. 255.

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quatre années « pour bien de pais et de concorde ». Mais elle recouvre la jouissance des 400 lb de rentes. D’Arras, la comtesse gagne Lens le 5 juin, Béthune le 7, prêtant serment le 8 avec son fils54. Il ne faut pas faire attendre trop longtemps Saint-Omer. La ville est atteinte le 12 juin, via Aire-sur-la-Lys. Le dimanche de la Trinité, escortée du comte de Flandre et de ses vassaux, elle est accueillie par le maire et les échevins à Arques. Entrant en ville, Marguerite « vint faire sen serment sur le dossal a Saint Aumer », à la tribune placée dans un angle de la halle échevinale55. Elle reçoit alors un vase d’argent de 13 marcs et 3 onces. Le 15, elle confirme par écrit son serment, comme l’avaient fait Jeanne et Eudes IV puis Philippe56. Des réjouissances suivent, notamment un festin organisé en présence du magistrat à Saint-Bertin57. Le 17 la comtesse distribue encore 32 écus en aumône aux Franciscains58, mais a déjà commencé à faire préparer son séjour à Hesdin, écrivant notamment à l’abbé d’Anchin, au vidame de Chartre, au sire de Fosseux, à Jacques Sacquespée, et d’autres, de venir à « son prime advenement qu’elle faisoit a Hesdin »59. Passant par Thérouanne elle arrive certainement le 19 à Hesdin, où elle accorde une rémission à un prisonnier du château60. C’est en sa présence que les états acceptent le 23 juillet les demandes d’aide pour la rançon de Jean le Bon61. Profitant de cette splendide résidence, la comtesse y demeure jusqu’au 5 octobre au moins, hormis pour de courtes escapades. Les questions frontalières l’occupent. Certains vassaux ne semblent pas pressés de reconnaître l’autorité comtale : le conseil ordonne le 28 juillet 1362 la confiscation des fiefs dont les détenteurs n’auraient pas rendu hommage dans les bailliages d’Éperlecques et La Montoire, aux portes du Calaisis62. Le pays de Langle, aux confins de l’Artois et de la Flandre, est également disputé par les Anglais qui estiment l’avoir obtenu par les traités de Brétigny et Calais. La comtesse écrit le 10 août 1362 au gouverneur de Guînes pour lui dire qu’elle n’entend pas céder sur ce point à Jean le Bon. Elle attend des garanties d’Édouard III pour « que nous puissons joir du nostre sans empeschement, quar il nous samble que nous y avons asses mis, comme poes savoir », allusion probable à la perte de Calais confirmée par le traité de 1360. Un des efforts de l’administration comtale est d’éviter les tensions, y compris en signant des conventions d’extradition. Les Anglais proposent quant à eux aux Audomarois leurs services « s’ils voloient riens a Calas et es marches », appelant à une reprise 54 ADN B 1022. 55 J. G. Pagart D’Hermansart, Histoire du bailliage de Saint-Omer, 1193 à 1790, 2 vol., Saint-Omer, 1898, t. 1, p. 40. 56 Recueil de documents relatifs à l’histoire du droit municipal, éd. G. Espinas, op. cit., t. 3, p. 401, n° 690. AMSO 251, 11. 57 J. de Pas, « Entrées et réceptions de souverains et gouverneurs d’Artois à Saint-Omer », Bulletin historique de la Société des antiquaires de la Morinie, vol. 12, 1907-1911, p. 20. 58 ADN B 13633. 59 ADPDC A 699, n° 3. 60 AN JJ 91, fol. 259-261. 61 Ordonnances des roys de France, op. cit., t. 3, p. 96. 62 ADCO B 401, fol. 3v-4r.

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du commerce, et obtenant une copie des poids et mesures du grain et du vin de Saint-Omer pour Calais63. La comtesse effectue quelques séjours révélateurs du rôle qu’elle entend jouer entre Flandre, France et Angleterre : elle séjourne à Montreuil le 10 août64 et se rend à Coquelles le 7 octobre, manifestant sa présence aux Anglais. Elle part également à Bruges en août assister aux obsèques de Louis de Nevers. Ce séjour artésien lui permet aussi de régler les problèmes ordinaires, mais cette fois le terrain a été préparé par les deux lieutenants ; de plus, le pays est tenu et les concessions sont limitées. Il faut cependant s’acquitter des colossales dettes contractées par Philippe de Rouvres, notamment à son départ d’Arras en juillet 136165 : à Lens la part comtale dans les assises de la ville (1/4) et les tonlieux ne suffit pas à rembourser l’emprunt66. Il faut en outre accorder des déductions en raison des destructions anglaises : le censier des eaux d’Aubigny obtient un an de rabais en raison des inondations provoquées par le duc de Lancastre67. La comtesse doit également accorder son douaire à Marguerite de Male. Elle lui livre Lens et la châtellenie d’Hénin-Liétard le 8 août 136268. Néanmoins, de nouvelles menaces des compagnies semblent appeler la comtesse vers le sud, après leur victoire à Brignais en avril. Plus grave, le roi refuse de reconnaître la légitimité de la comtesse en Bourgogne.

4. L’appel du sud : la Franche-Comté menacée par le roi À partir du 28 novembre 1362, Marguerite séjourne de nouveau à Paris, d’où elle prépare un nouveau voyage en Comté. Ses droits commencent à y être contestés par Jean II le Bon qui l’appelle, dans une lettre de juin 1362 « nostre tres chiere et amee cousine la contesse de Flandres et d’Artoys », se dispensant de lui reconnaître son titre comtois69. Désormais duc de Bourgogne, il a d’autres projets : il obtient même le 15 janvier 1363 de l’empereur l’investiture de Philippe le Hardi en tant que comte de Bourgogne, par défaut d’héritier mâle70. Le 6 septembre 1363, Philippe reçoit de son père le duché de Bourgogne. Pour l’heure, à Paris, la comtesse organise ses finances et tente de mettre en place une caisse centrale confiée au parisien Simon Maillart71. Elle prépare surtout

63 J.-B. Santamaria, « Une principauté aux frontières de la guerre de Cent ans : l’Artois aux lendemains du traité de Brétigny-Calais », dans Les espaces frontaliers de l’Antiquité au XVIe siècle, éd. M. Suttor, Arras, 2020, p. 135-158. 64 ADCO B 401, fol. 2v. 65 Ordre au receveur d’Artois, 2 juin 1362. ADPDC A 702 n° 139. 66 ADPDC A 702, n° 135. 67 Ibid. 68 ADN B 416. 69 AN JJ 91 n° 344. 70 Copie dans BN Dupuy 467, fol. 49. 71 ADPDC A 91.19 et ADCO B 401, fol. 7v.

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son séjour en Bourgogne. Le 26 décembre plusieurs chevaux commencent à être acheminés de Béthune vers Paris72 dont elle part peu après le 11 février 1363. Elle se trouve à Troyes le 26 et y reste jusqu’au 7 avril au moins, y gouvernant ses terres champenoises, tout en gardant un œil sur Paris, la Bourgogne et l’Artois où elle lance une grande commission de réformation73. Elle gagne ensuite la Franche-Comté. La comtesse est à Arbois le 29 avril 1363, et commence aussitôt à préparer de grandes assemblées pour la défense du pays. Elle arrive aux environs du 21 mai à Salins, où elle est encore attestée le 6 juin. Dans ce séjour, elle est accompagnée de Tristan de Chalon, venu faire confirmer un transfert de rente à Thiébaut V de Neufchâtel74. Marguerite est ensuite à Dole le 10 juin. C’est là que le 12, avec Hugues II de ChalonArlay et Louis de Chalon, sire d’Arguel et Cusel, elle règle un litige sur la vente du château de Marnay par Jean de Chalon75. Du 24 juin au 13 juillet, elle se rend à Quingey, séjourne le 4 août à Dole, avant de retourner à Quingey le 11 et le 14. Le 31 elle est à Poligny, puis gagne Salins et Bracon, entre les 5 et 6 septembre et le 3 novembre, au moins. La menace se précisant au nord, elle se rend le 27 novembre 1363 à Gray, ce château qu’elle a beaucoup fréquenté dans son enfance et où elle passe la Noël, avant de redescendre vers Quingey. Elle est donc absente d’Hesdin en décembre 1363 pour la venue de Jean le Bon76. Le roi est cependant surveillé par les officiers comtaux fort inquiets de savoir s’il compte vraiment repartir en Angleterre77. Le 5 janvier 1364, Marguerite est à Châtillon-le-Duc, puis le 16 à Quingey, rejoignant Dole au moins du 20 janvier au 15 février. Ce long séjour comtois est occupé par des opérations militaires contre les hommes des compagnies qui remontent en Bourgogne. Ils vont d’ailleurs y trouver de nouveaux employeurs, à savoir le roi et Philippe le Hardi, quand ils n’œuvrent pas à leur compte comme Jean et Thiébaut de Chauffour depuis Dampierre-sur-Salon, au nord de Gray78. Les ordres militaires émanent directement de la comtesse et de son conseil, mais nombre de seigneurs se mobilisent aussi, notamment sous les ordres de Jacques de Vienne en tant que gardien d’Amont, et du comte de Montbéliard, gardien d’Aval. Mais Marguerite est également à la manœuvre. Le 24 juin 1363 elle ordonne au bailli d’Amont de prendre la maison de Sauvigneylès-Gray, prise par « plusieurs malfaicteurs », et ce « a toute force de gens d’armes et de sergent », en se faisant aider du bailli d’Aval79. On voit là les dégâts produits par Jean de Chauffour et son allié Jean de Sauvigney, ainsi que Jean de Corgeniron, qui sévissent le long de la Saône. Ils tiennent le château et le pont d’Apremont, mais aussi Dampierre et Montot80, incendiant Velesmes, au sud-est de Gray, aux environs

72 ADN B 14590. 73 ADCO B 401 fol. 8r-9v 4 avril 1363. 74 Ibid., fol. 12r. 75 Ibid., fol. 17. 76 R. Delachenal, Histoire de Charles V, op. cit., t. 2, p. 348. 77 ADPDC A 712. 78 G. Butaud, Les compagnies de routiers en France, op. cit., p. 14. 79 ADD B 491. 80 E. Clerc, Essai sur l’histoire de la Franche-Comté, op. cit., t. 2, p. 136.

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de la Noël 136381. Face à ce chaos, la comtesse est donc venue montrer son autorité dans le nord du comté. Elle demande également aux baillis d’Amont et d’Aval d’agir ensemble pour déloger les compagnies du château de Sauvigney, en vain. Les environs de Vesoul et Baume-les-Dames sont également exposés. Depuis Gray, le 2 décembre 1363, la comtesse ordonne aux officiers de Jussey de reprendre la maison forte de Ranzevelle aux confins de la Lorraine, appartenant à Hugues, sire de Rigney, prise par Jean de Deuilly et ses complices lorrains82. Le 5 janvier 1364, Baume-les-Dames et Chariez sont mises en défense « pour les doubtes qui ores sont »83. On parle d’Anglais dans les environs et il semble que certains aient des complicités locales : un écuyer, Jacquet de Saint Rémy, obtient par la suite une lettre de rémission pour avoir fait venir des « Anglais » et malfaiteurs à Chariez et Vesoul84. Plus au sud, les compagnies menacent Dole, depuis Saint-Aubin et Pesmes. Le 28 septembre 1363 la comtesse ordonne que les nobles et sujets de la châtellenie de Gray se rendent en armes devant Rahon et Gendrey85. Durant l’hiver, des travaux sont également lancés au Bourg-dessous-Salins86. Venue soutenir ses sujets, la comtesse est elle-même assiégée durant son séjour à Dole87. Dans un tel climat, la comtesse maintient sa stratégie destinée à fédérer les nobles, non sans rappeler ses droits « souverains ». Le 9 juillet 1363, elle confirme l’accord entre Thiébaut de Scey et Jean de Bolandoz, le second ayant le droit de tenir à vie Scey-en-Varais88. Mais les deux nobles reconnaissent que « la dite fortresse ensamble ses appartenances est du fiez de noble et puissant dame madame de Flandres », laquelle conserve un droit de rachat. Malgré tout, les finances comtales ont du mal à suivre. Même Jacques de Vienne ne peut être payé sur la saunerie de Salins de ses frais lors de sa venue en Artois en 1362 puis pour ses dépenses en Bourgogne. Il finit par obtenir un paiement étalé sur les revenus de Dole et Salins89. Marguerite garde toutefois l’appui des siens. Les nobles comtois mènent aussi des actions en retour, y compris dans le duché contre Philippe le Hardi tenu pour responsable. Édouard Clerc a montré le soutien des Montfaucon, de Jean de Neufchâtel, et des Chalon-Arlay autour de Dole puis sur la frontière de la Saône90. Unis, les Comtois reprennent du terrain, galvanisés par la présence de la comtesse et surtout par une menace regroupant des ennemis détestés : les Compagnies, le roi de France, le duc de Bourgogne. Au début de 1364, Pesmes est reprise, puis le 5 mars Sauvigney par Bertrand Dugast, capitaine de Gray. La place est rapidement

81 G. de Beauséjour et C. Godard, Pesmes et ses seigneurs du XIIe au XVIIIe siècle, Vesoul, 1909, p. 70. 82 ADD B 485. 83 ADD B 327. 84 ADCO B 401, fol. 12v. 85 ADD B 484. 86 E. Clerc, Essai sur l’histoire de la Franche-Comté, op. cit., t. 2, p. 139. 87 J. Theurot, A. Gay et H. Bertand, Histoire de Dole, op. cit., p. 41. 88 ADCO B 401, fol. 19. 89 Ibid., fol. 25 v et B 89. 90 E. Clerc, Essai sur l’histoire de la Franche-Comté, op. cit., t. 2, p. 136.

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« dérochée » et « mise à néant »91. Le 21 mars, le pont d’Apremont est rompu par la garnison de Gray menée par Bertrand Dugast et ses hommes qui ont « bien fait la besogne au profit de madame ». Le recrutement de ce dernier, un temps au service de Philippe le Hardi, semble cependant indiquer que ces succès bénéficient peut-être d’un désengagement du duc de Bourgogne. Reste Chauffour. On parlemente avec lui jusqu’au 24 juin 1364 et à la reddition d’Apremont. Mais il reprend le château de Dampierre et rejoint début juillet l’Archiprêtre qui rassemble les compagnies. Il est de nouveau présent le 15 juillet 1364 à Pesmes avec des Bretons qu’il entend mener à Gray, quand le comte de Montbéliard lui envoie son ancien compagnon Jean de Corgirnon. Finalement, on négocie la reddition de Dampierre. Le 21 ou le 22 juillet 1364, Chauffour est finalement arrêté à Auxonne, conduit à Langres le 5 août et exécuté92. Le duc de Bourgogne l’a lâché. La situation bascule en effet progressivement en faveur de la comtesse. Si les affrontements s’intensifient durant la première moitié de l’année 1364, la comtesse et la monarchie cherchent déjà à négocier. Dès la mi-février 1364, Marguerite de France se rend à Dijon où son adversaire Philippe le Hardi la gratifie d’un dîner93. C’est alors que Bertrand Dugast est recruté94. La mort de Jean le Bon le 8 avril puis la priorité accordée à la lutte contre les Navarrais accélèrent la réconciliation. Les combats continuent pourtant : les Comtois veulent pousser leur avantage. Le 4 mai 1364 le conseil choisit le comte de Montbéliard comme gardien et gouverneur de tout le comté95. Il n’est pas certain que la comtesse en ait été à l’initiative et on la voit mal œuvrer dans ce sens ; peut-être a-t-elle cependant laissé faire pour faire payer au duc ses tentatives. Sans doute considère-t-elle qu’il serait malvenu de s’aliéner les nobles pour protéger Philippe le Hardi ! De fait, le comte de Montbéliard continue d’être obéi par des fidèles de Marguerite, comme Eudes de Quingey qu’il envoie le 22 août dégager Orchamp assiégé par le seigneur de Pesmes96. Pourtant, la comtesse semble considérer que l’orage est passé. Le 9 mars elle est déjà à Arras. Elle conserve un regard sur les affaires du nord, où les princes français vont et viennent entre Calais et l’Angleterre, où son fils peut être tenté par un rapprochement. L’Artois joue d’ailleurs un rôle de plaque tournante et la comtesse entend y recevoir certains princes de passage. La duchesse d’Orléans est à Saint-Omer le 8 mars 1364, et encore le 17 juillet 1364, vivant au crédit de Marguerite97. Sa présence est liée à la libération du duc Philippe d’Orléans attesté à Hesdin aux environs de l’été 1364 « quant il vint darrainement d’Engleterre »98.

91 ADCO B 1418, fol. 20r. 92 G. de Beauséjour et C. Godard, Pesmes et ses seigneurs, op. cit., p. 74. 93 E. Petit, Itinéraires de Philippe le Hardi et de Jean sans Peur, ducs de Bourgogne (1363-1419), Paris, 1888, p. 7. 94 ADCO B 1415, fol. 15v-16r. 95 G. de Beauséjour et C. Godard, Pesmes et ses seigneurs, op. cit., p. 72. 96 ADD B 377. 97 Dépense rayée. ADN B 13633. 98 ADPDC A 712.

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Conclusion La prise de pouvoir en Artois semble ne se heurter à aucune difficulté, malgré quelques tensions à Arras. Marguerite bénéficie d’une excellente connaissance des lieux, de réseaux, de la proximité de son fils. Ne pouvant s’opposer à elle, le roi lui permet d’y être investie sans obstacle. Le contraste est frappant avec la FrancheComté dans laquelle la comtesse passe une grande partie de son temps entre 1361 et 1364. Contestée, elle parvient à y prendre pied grâce à son indéniable légitimité dynastique, par ses générosités, par sa présence au plus près du danger. Son ultime atout est cependant d’avoir en face d’elles des adversaires peu appréciés des barons. Dans l’affaire, les intentions de Jean le Bon sont d’autant plus difficiles à saisir qu’il décède rapidement. Mais son action paraît peu fructueuse, ce que saisit rapidement Charles V. Marguerite est en tout cas absente aux funérailles à Saint-Denis le 8 mai 1364. Elle ne se prive en revanche pas de venir assister au sacre de son successeur Charles V, espérant beaucoup du changement de règne99.

99 ADPDC A 708.102.

Chapitre 8 

Charles V, la paix, l’alliance française et la reconstitution d’un parti bourguignon (1364-1369) La réconciliation avec la monarchie semble éloigner Marguerite de la Bourgogne, la conduisant davantage à cultiver ses rapports avec la cour et à retrouver son rôle de médiatrice entre France et Flandre (carte 11 en ligne). En effet, un enjeu crucial revient alors sur le devant de la scène, le remariage de Marguerite de Male, que la mort de Philippe de Rouvres a rendu veuve et promue au titre de plus beau parti d’Occident, elle qui est désormais héritière de son père et indirectement de sa grand-mère Marguerite de France.

1. Marguerite, paire de France : le sacre de Charles V Pour la première fois, Marguerite de France est en position de faire valoir son rang de paire de France lors du sacre. Le 13 mai 1364, depuis Arras, empruntant à ses villes, elle rassemble 2 600 francs afin de financer son trajet1. Elle distribue non moins de 50 florins à son receveur d’Artois Regnaut Levoul afin qu’il achète robe et manteau fourré et l’accompagne au sacre2, tout comme ses chevaliers et conseillers, vêtus de cottes hardies de drap rayé « en graine » de vermeil3. La comtesse vient visiblement avec une grande partie des siens. Passant par Bapaume le 14, elle est au sacre le 19 mai à Reims, ce dont attestent la comptabilité, mais aussi les Grandes Chroniques de France qui la nomment, seule femme parmi les pairs4. Plusieurs enluminures témoignent de cette présence féminine dans le Livre du sacre de Charles V conservé à la British Library5. Reconnaissable à son voile de veuve, elle est discrète sur les enluminures mettant en scène le roi, non loin de son fils Louis de Male (fol. 59v). Elle est presque systématiquement présente aux côtés de la reine6, lors de la bénédiction de l’archevêque (fol. 67r), lui retirant une partie de ses habits avant l’onction (fol. 67v), présente lors de l’onction (fol. 68r) et lors de la remise de l’anneau puis du sceptre et de la verge (fol. 68v et 69r). Lors du couronnement (fol. 69v), elle s’efface certes devant les pairs masculins, mais revient près de la reine lors de l’intronisation (fol. 70r) et lors de la communion sous les

1 Quittance du 13 mai 1364. ADPDC A 708, n° 83. 2 1364. ADPDC A 708. 3 Les femmes de chambre en reçoivent dès le 21 avril. ADPDC A 708. 4 Les grandes chroniques de France, op. cit., t. 6, p. 233-234. 5 British Library, Cottin MS Tiberius B VIII/2. Le manuscrit est consultable en ligne : http://www. bl.uk/manuscripts/FullDisplay.aspx?ref=Cotton_MS_Tiberius_B_VIII/2. 6 R. Delachenal, Histoire de Charles V, op. cit., t. 3, p. 93.

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deux espèces (fol. 72r), figurant à l’avant-plan, en prière. Paire de France, elle est aussi une figure de prude veuve couvant la reine. Or le manuscrit est une commande du roi, qui l’a fait « coriger, ordener, escrire et istorier » en 1365. C’est lui qui a voulu honorer la comtesse, et l’unir à sa personne ainsi qu’à celle de la reine sur laquelle elle est susceptible d’exercer un ascendant moral. La fréquence des séjours de la comtesse à Paris laisse penser que cette proximité symbolique renvoie à une entente plus personnelle. Après le sacre, Marguerite repart probablement de Reims avec le roi. Elle s’est en effet déportée vers l’ouest de la route directe pour Arras, passant par Doullens ; or le roi est parti vers Soissons et Senlis avant de rejoindre Saint-Denis. Il est possible qu’on ait alors discuté : peu après le sacre, le 6 juin7, Charles V promet de garder les lettres de l’empereur et reconnaît de fait que Marguerite tient et possède pour l’heure le comté de Bourgogne. Il entend rétablir la paix parmi ses parents. De retour le 26 mai à Arras, la comtesse y demeure un temps, annulant le 29 mai un voyage vers Bapaume, avant de gagner Hesdin du 8 au 25 juin. Alors qu’elle aime y passer l’été, elle choisit cependant de repartir pour Paris où elle compte jouir de son crédit auprès du nouveau roi pour faire avancer les affaires bourguignonnes8. Lors de son séjour à Paris9, elle signe en effet le 25 juillet des préliminaires à la paix avec le roi, qui représente son frère. Charles V attribue la moitié de Chaussin à la comtesse, réservant l’autre moitié à un jugement ultérieur, tout comme le règlement d’autres points : une rente de 1 000 lb réclamée par le duc ou le paiement des dommages en Comté. La comtesse obtient que le duc accepte le principe d’une trêve avec le comte de Montbéliard et Jean de Neufchâtel ; s’ils refusent, la comtesse se désolidarisera d’eux et de leurs « aidans ». En retour, le duc devra évacuer les compagnies, rendre les prisonniers pris à Dole et plus largement les sujets directs de la comtesse10. On prévoit de se revoir vers la mi-novembre pour traiter. Édouard Clerc a avancé que la contrepartie aurait été un abandon d’une alliance anglaise de la part de Marguerite11 ; cela n’est pas mentionné, mais l’hypothèse n’est pas à exclure. On sait que les relations en Artois ne sont alors pas si mauvaises, notamment avec le comte de Northampton. Instigateur de la paix, Ancel de Salins est récompensé par la comtesse le 27 juillet 136412. On ignore en revanche si le projet de mariage commence à émerger, mais cela paraîtrait logique13. Une fois l’affaire bourguignonne réglée, la comtesse peut regagner Hesdin le 3 août et y demeurer jusqu’au 26 septembre14.

7 Lettre datée de Paris, le 6 juin 1364. AN J 371, n° 7. 8 ADPDC A 711. 9 H. d’Arbois de Jubainville, Voyage paléographique dans le département de l’Aube, Troyes, 1855, p. 394. 10 E. Petit, Ducs de Bourgogne de la maison de Valois : Philippe le Hardi. 1363-1380, Paris, 1909, p. 182. 11 E. Clerc, Essai sur l’histoire de la Franche-Comté, op. cit., t. 2, p. 144. 12 U. Plancher et alii, Histoire générale et particulière de Bourgogne, op. cit., t. 3, preuve XVIII. ADCO B 11913. 13 R. Delachenal, Histoire de Charles V, op. cit., t. 3, p. 136. 14 ADCO B 401, fol. 37 et ADN B 15787.

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2. Entre France, Angleterre et Empire : la diplomatie de la comtesse Occupée au nord où grossit la peur des grandes compagnies, la comtesse met en défense des bailliages, notamment celui de Saint-Omer : le 11 août 1364, ordre est donné de détruire les châteaux non tenables, et de veiller à ce que les habitants puissent s’armer15. La situation de la ville inquiète la comtesse qui s’y rend le 1er octobre après être passée par Aire16, avant de retourner à Hesdin le 11 octobre. Durant ce séjour audomarois, elle établit un nouveau bailli dont la confiance paraît éprouvée, Baudouin, sire de Sangatte, dont les terres ont été confisquées par les Anglais. Elle vient peut-être aussi surveiller les tractations de son fils avec les Anglais, qui aboutissent au traité de Douvres du 19 octobre 1364, lequel prévoit un mariage au 4 février 1365 entre Marguerite de Male et Edmond, un des fils d’Édouard III. La comtesse ne semble guère l’appuyer : la liste des nombreuses ambassades anglaises en Flandre dans les années 1360-1369 ne mentionne pas de voyage en Artois et les traces d’envoyés anglais dans les sources artésiennes sont rares17. Au contraire, la Chronographia regum Francorum souligne que c’est à l’initiative de la comtesse (« procurante Margareta, comitissa Arthesii ») que le traité est rompu (« ruptus est tractatus ») durant l’année 1364 (ancien style)18. De fait, Marguerite est dès le 14 novembre à Paris et y demeure jusqu’au 21 mars suivant, laissant la lieutenance de l’Artois à Charles de Poitiers19. Lorsqu’elle arrive, le roi est présent à Paris20. La comtesse assiste peut-être alors au mariage de Marie de France, sœur de Charles V, avec le duc Robert Ier de Bar21, avec la mère duquel Marguerite est en bons termes. Mais il est vrai que le roi voit dans ce mariage le moyen de favoriser un potentiel rival à la succession flamande face aux manœuvres de Louis de Male22. Charles V obtient au même moment que le pape refuse la dispense nécessaire au mariage de Marguerite et Edmond, comte de Cambridge23. Va-t-on plus loin, lors de la journée tenue vers le 20 mars 1365 et qui réunit le roi, le duc de Bourgogne et la comtesse24 ? La présence d’Ancel de Salins nous invite à le supposer, d’autant que la comtesse a l’habitude de s’en retourner chez elle juste après avoir réglé des affaires cruciales : or elle est à Arras du 25 mars

15 AMSO BB 167. 16 ADN B 15787 et ADCO B 401, fol. 38. 17 L. Mirot et E. Déprez, « Les ambassades anglaises pendant la guerre de Cent Ans. Catalogue chronologique (1327-1450) (suite) », Bibliothèque de l’École des chartes, vol. 60, no 1, 1899, p. 177-214 18 Chronographia regum Francorum. T. II. 1328-1380, op. cit., p. 335, qui évoque par erreur Jean, duc de Lancastre, déjà marié. 19 ADPDC A 93.3. 20 Pièces fugitives, op. cit., p. 611. 21 R. Delachenal, Histoire de Charles V, op. cit., t. 3, p. 145-146. 22 F. Autrand, Charles V, op. cit., p. 532. 23 Ibid., p. 533. 24 ADPDC A 714.

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au 7 avril, revenue pour la célébration de joutes annoncées un peu partout25. Elle repart cependant aussitôt à Paris (14 avril au 1er mai). Le duc est alors absent, mais pas le roi. On peut relier ce séjour à des manœuvres en direction de l’empereur. Le 20 mai, deux conseillers de la comtesse possessionnés dans l’Empire et proches du roi, Charles de Poitiers et Ancel de Salins sont alors envoyés auprès de Charles IV, sur le point d’arriver à Avignon26. Ce dernier effectue alors un grand voyage en Savoie, Dauphiné, Valentinois, ainsi qu’à Avignon et Arles. Il s’abstient de passer par le comté de Bourgogne, valorisant Amédée VI de Savoie, et le Dauphiné. Faisant son entrée le 22 mai à Avignon, l’empereur vient discuter des Compagnies et de la Croisade avec le pape, toujours suivi du comte Amédée VI27, avant de se faire couronner à Arles le 4 juin afin de rappeler que l’ancien « royaume de Bourgogne » fait partie de l’Empire. Or le comté de Bourgogne relève de ce royaume, et l’empereur s’est déjà permis d’intervenir au sujet de la succession. Il pourrait avoir d’autres projets, d’autant que la comtesse n’a toujours pas prêté hommage. D’où l’intérêt d’y dépêcher Salins et Poitiers, d’autant que parallèlement, les représentants du roi de France tentent d’obtenir pour Charles V le vicariat impérial. Finalement, l’empereur lui préfère le comte de Savoie28. Charles IV semble également favoriser un mariage entre Élisabeth de Hongrie et Philippe le Hardi, qu’il rencontre le 14 juin à Vienne29. Charles V fait pour l’heure mine de ne pas s’y opposer. Tout ceci mérite l’attention de la comtesse.

3. Un été artésien Libérée de l’agenda diplomatique, la comtesse peut revenir en Artois, qui tend à devenir son lieu de résidence principal et appelle son attention pour des raisons militaires. Revenue le 6 mai 1365 à Bapaume, la comtesse s’installe à Arras du 7 mai au 29 juin pour mettre le comté en défense face aux menaces des compagnies. Organisant la résistance par un acte du 5 juin pris « par avis et conseil des gens des estas », elle exige que tout sujet noble ou non, fieffé et arrière-fieffé soit mobilisable et listé, avec interdiction de quitter le pays et obligation de s’équiper. Instruite par son expérience de l’Archiprêtre, la comtesse veut éviter le mercenariat ; le pays se défendra lui-même30. L’Artois est également menacé par un autre événement, la mise à mort le 21 mars 1364 par Albert de Bavière d’un puissant vassal hennuyer allié

25 É. Van den Neste, Tournois, joutes, pas d’armes dans les villes de Flandre, à la fin du Moyen Âge, 13001486, Paris, 1996, p. 236. 26 ADPDC A 714. 27 E. L. Cox, The Green Count of Savoy. Amadeus VI and transalpine Savoy in the Fourteenth Century, Princeton, 1967, p. 197. 28 Ibid ; P. Contamine, « À l’ombre des fleurs de lis. Les rapports entre les rois de France Valois et les Angevins de Naples et de Provence (1320-1382) », dans Les princes angevins du XIIIe au XVe siècle. Un destin européen, éd. N.-Y. Tonnerre et É. Verry, Rennes, 2003, p. 117-130. 29 R. Delachenal, Histoire de Charles V, op. cit., t. 3, p. 214. 30 AMSO BB 167.

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d’Édouard III, Siger II d’Enghien. Ce geste conduit Louis de Male à s’investir dans le conflit à la demande des frères de Siger, duquel il était proche. Il remporte une victoire à Hoves, près d’Enghien, en juillet 136531. Le 1er juillet la comtesse s’installe pour l’été à Hesdin, où elle reçoit le duc et la duchesse d’Orléans, arrivés entre le 2 et le 8 juillet, pour lesquels des joutes sont organisées32. Plusieurs sergents des forêts d’Hesdin sont réquisitionnés « pour faire un entremet d’une chace ». La cour quitte Hesdin pour revenir à Arras le 28 juillet jusqu’au 31 août33, puis Marguerite gagne Béthune où elle assiste au bûcher d’un ermite qu’elle a fait arrêter près de Saint-Omer34. Du 15 septembre au 4 octobre, elle s’installe « en nostre chastel a Gosnay », résidence qu’elle ne semble pas avoir utilisée auparavant ; elle s’intéresse en effet de plus en plus aux Chartreuses35. Durant ce séjour elle organise aussi la venue de son fils qui la rejoint peu après son arrivée. Le 5 octobre elle repart pour Paris, via Bapaume, assemblant de grandes quantités d’argent en vue d’un long séjour36.

4. Dix mois à Paris pour conjurer les menaces Passant par Compiègne, Marguerite arrive à Paris le 27, d’où elle garde un œil sur le nord, envoyant un messager à Calais37. Elle règle également diverses transactions domaniales comtoises, et accorde la terre du Plessis-Brébant à sa demoiselle Marie d’Amillis38. Du 21 avril au 31 mai 1366, elle s’installe à Conflans et y organise le 29 la dépense d’un chevalier « a l’empereur de Constantinople en alant de Paris en Flandres par devers nostre filz »39. On parle alors beaucoup d’un soutien à Jean V Paléologue, et du projet de croisade dans les Dardanelles d’Amédée VI de Savoie, cousin de l’empereur byzantin. Le « comte vert » est à Pavie et se prépare à gagner Venise où affluent des seigneurs, notamment Jean et Gauthier de Vienne40. Ce très long séjour francilien est bien entendu l’occasion de raffermir les liens avec la cour. Le 7 juin 1366 la comtesse participe à Vincennes en tant que marraine au baptême de Jeanne, fille de Charles V41. Elle s’inquiète surtout des Compagnies, qui menacent la Bourgogne. L’appui du roi lui est nécessaire : c’est Du Guesclin qui doit les mener vers l’Espagne. Il est d’ailleurs dans le duché de Bourgogne en octobre 1365.

31 P. J. Blok, « De eerste Regeeringsjaren van Hertog Albrecht van Beieren 1358-1374 », Bijdragen voor vaderlandsche geschiedenis en oudheidkunde, vol. 2, 1885, p. 244-284. 32 ADPDC A 93, 8 bis. 33 ADPDC A 714, 715 et 719. 34 ADN B 15785. 35 ADCO B 401, fol. 16. 36 ADPDC A 714. 37 ADN B 14598. 38 6 février 1366. ADCO B 485 bis, fol. 58. 39 ADPDC A 720. 40 E. L. Cox, The Green Count of Savoy, op. cit., p. 210. 41 Les grandes chroniques de France, op. cit., t. 6, p. 242.

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On évoque peut-être aussi la Croisade d’Amédée VI, autre moyen de vider le pays42. Peut-être conscients de ce rapprochement entre le roi et la comtesse, les Anglais maintiennent leur pression diplomatique, envoyant notamment une délégation durant l’été 1365 en Flandre, ainsi qu’en mai et octobre 1366. Durant ce séjour, Marguerite gouverne à distance la Franche-Comté dont elle veut éviter la dislocation face aux Compagnies. Elle envoie le 17 mars Ancel de Salins43 et se résigne à vendre de nouveaux biens pour maintenir l’appui de ses avides alliés : Ornans et Baume-les-Messieurs sont cédés à Étienne de Montbéliard44. En outre, le comte de Montbéliard est autorisé à acquérir la châtellenie de Trame mouvant du fief de la comtesse45, ce qui le dédommage de la perte de Chaussin. Marguerite trouve même un allié inattendu. En atteste une mission du 28 octobre 1365 au 17 février 1366 menée par Nicolas de Tamworth, et Jean Wyn, « versus partes Burgundie ad evancuandum patrias illas de spoliatoribus »46 : Édouard III les a en effet commis le 24 octobre pour protéger les terres de Louis de Male et Marguerite de France qui « deveroient devenir par succession de heritage as mains de nostre dit filz et de la duchesse [Marguerite de Male] »47. Cette attitude ne met cependant pas les terres de la comtesse à l’abri. On négocie donc pour faire partir ces routiers que Du Guesclin a du mal à faire quitter la Bourgogne, où on le voit s’activer fin novembre48. La comtesse est pourtant prête à payer, et même à faire appel à Arnaud de Cervole qui se propose d’avancer l’argent ! Ancel de Salins, Charles de Poitiers, Hugues de Rigney et le bailli Jean de Montmartin arrivent à Corcondray le 2 décembre et passent un accord avec l’Archiprêtre et d’autres capitaines comme Lamy, qui tient Longwy, et Richard Tanton, qui tient Pesmes49. On leur promet 16 100 florins d’ici Noël ; pour cela, Cervole s’oblige à hauteur de 5 000 florins mais retient en gage Pesmes et Étrabonne ; Charles de Poitiers, les sires de Ray et de Rigny avancent 500 florins. L’argent n’est que difficilement levé. Une imposition est décidée lors d’une assemblée à Besançon le 27 mars 1366 pour racheter les forteresses. La collecte est laborieuse, puisque fin mai on en est encore à recouvrer à Quingey « finance envers seigneurs et nobles du pays pour accomplir les sommes qu’on devoit a l’Archeprebstre »50. Si Étrabonne est rachetée, l’Archiprêtre garde Pesmes ; quant aux routiers, leur départ ne semble guère réalisé lorsque le 25 mai 1366 Arnaud de Cervole est tué. La satisfaction de la comtesse a dû être de courte durée ; sans chefs pour les mener auprès du Comte Vert, on les revoit affluer en Franche-Comté dès le mois d’août51.

42 R. Delachenal, Histoire de Charles V, op. cit., t. 3, p. 290. 43 ADCO B 1425. 44 ADCO B 401, fol. 41v-42r pour les deux documents. 45 Ibid., fol. 48v. 46 L. Mirot et E. Déprez, « Les ambassades anglaises », op. cit. National Archives, E 101/314, n° 8. 47 T. Rymer, Foedera, conventiones, literae, et cujuscunque generis acta publica, inter reges angliae, et alios, La Haye, 1737, t. 3, 2e partie, p. 108. 48 É. Clerc, Essai sur l’histoire de la Franche-Comté, op. cit., t. 2, p. 154. 49 ADCO B 1419. A. Chérest, L’archiprêtre, op. cit., p. 403. 50 Ibid., p. 359. 51 G. Butaud, Les compagnies de routiers en France (1357-1393), op. cit., p. 16.

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5. De nouveau sur les routes Inquiète, Marguerite repart alors vers le sud : elle s’arrête à Jully-sur-Sarce. Toute une série de décisions sur le domaine comtois est d’ailleurs datée de ce séjour, comme la réduction des rentes, censes et moissons dues par les habitants de Lavans le 18 septembre 136652. En Champagne, elle reçoit plusieurs fois Philippe le Hardi en septembre53. On y prépare un traité contre les compagnies qui doit cependant être visé par le roi à Paris. C’est là que le 11 octobre, Marguerite signe un traité avec le duc de Bourgogne « pour le profit, paix, seurté et transquillité des diz duchié et conté de Bourgongne », avec une promesse d’alliance « contre toutes gens de compaignes qui vendront ». Sa conclusion a probablement poussé la comtesse à renoncer à un voyage jusqu’en Franche-Comté. Elle demeure ensuite à Paris jusqu’aux environs du 26 novembre puis prend la route du nord, probablement rassurée par le départ des Compagnies vers Avignon et l’Espagne. Elle retrouve son fils à Arras aux environs du 13 décembre54. La défense des villes, frappées par la mauvaise conjoncture économique, l’inquiète : le 24 décembre, elle autorise la tenue d’une franche foire à Saint-Omer55. Demeurée durant l’hiver à Arras, elle continue de veiller sur la Franche- Comté : le 23 mars 1367 elle établit un nouveau bailli avec autorité sur tout le pays, Huart de Raincheval, qui devient son nouvel homme fort une fois écarté Henri de Montbéliard56. Le 22 avril 1367, elle retourne à Gosnay où elle fréquente de nouveau les Chartreuses57, puis rejoint Saint-Omer via Aire. Toujours pour favoriser ses villes affaiblies, elle définit alors les règlements de la draperie d’Arras58. Ce séjour près du Calaisis et de l’Angleterre ne peut être décorrélé de la signature, le 26 mai 1367, d’un traité défensif et offensif entre Louis de Male et Édouard III59. Marguerite garde aussi l’œil sur la Bourgogne ; le 3 avril 1367, Henri de Trastamare est vaincu par le Prince Noir et Du Guesclin capturé60. Nombre de compagnies démobilisées refluent vers le nord, notamment en Nivernais, échouant début juin 1367 à passer en Bourgogne grâce à Philippe le Hardi61. On note que le rôle défensif joué désormais par le duc de Bourgogne conduit la comtesse à moins se rendre en Franche-Comté. Mais l’insécurité reste forte et certaines forteresses demeurent incontrôlées, notamment Pesmes, tenue par la veuve de l’Archiprêtre, Jeanne de Châteauvillain. Lorsqu’aux environs du printemps 1367, la veuve est arrêtée par le roi, la comtesse passe à l’action : le 12 juin, depuis Saint-Omer, elle informe Huart de Raincheval de l’arrestation de

52 ADCO B 1425. 53 E. Petit, Itinéraires de Philippe le Hardi, op. cit. 54 ADN B 13634. 55 ADCO B 401, fol. 98-99, AMSO BB 42, n°3. 56 BM Besançon, Droz 11. ADCO B 1448. 57 ADPDC A 95 pour l’original. 58 Ibid. 59 Th. Rymer, Foedera, op. cit., t. 3, 2e partie, p. 134. 60 G. Butaud, Les compagnies de routiers en France (1357-1393), op. cit., p. 19. 61 R. Delachenal, Histoire de Charles V, op. cit., t. 3, p. 447.

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la dame de Châteauvillain et lui ordonne de mettre la main sur Pesmes, y compris de force, affirmant avoir suffisamment payé62. Cette manœuvre peu élégante ne l’empêche pas de fonder le même jour deux chapelles en mémoire de Louis de Crécy à Saint-Donatien de Bruges63. Par la suite, Jeanne de Châteauvillain dut payer au prix fort son retour en grâce, vendant la moitié de la seigneurie d’Augerville-la-Rivière à un proche de la comtesse et du roi, Bureau de la Rivière64. Le début de l’été arrivant, la comtesse regagne Hesdin le 2 juillet : elle y demeure jusqu’au 14 septembre au moins. Elle gagne ensuite Gosnay avant le 27, où Louis de Male la rejoint de nouveau à la mi-octobre65. Elle part ensuite pour Bapaume66 en route pour Paris où elle séjourne aux environs du 19 octobre et ce jusqu’au 18 janvier 1368 au moins. Elle apprend alors du roi que « messire Charle d’Artois nous entent meffaire et porter dommaige soit en Artois en Nivernois en Bourgoingne ». Le fils de Robert d’Artois et Jeanne de Valois, qui a servi son cousin Jean II le Bon contre les Anglais à Poitiers67, semble mécontent du choix de Charles V de s’associer à Marguerite de France. S’estimant mal rémunéré de ses services, il se rapproche du roi d’Angleterre et recrute parmi les compagnies revenues d’Espagne vers l’Aquitaine. Il a l’appui du Prince noir désireux de les voir partir, et espère prendre l’Artois. Interrogé en 1375, un des chefs de bandes parle de 12 000 combattants. La menace est prise au sérieux, d’autant qu’elle est accompagnée de lettre de défis. Durant la première moitié de l’année 1368, via le Forez, ces bandes s’approchent de la Bourgogne. Craignant pour l’Artois, Marguerite fait convoquer les bonnes villes à Arras dès le 18 décembre 1367 par Tristan du Bois, chargé de la défense68, et fait mettre les villes et forteresses en état. Apprenant fin décembre que ses ordres n’ont pas été suffisamment appliqués autour de Saint-Omer, elle ordonne au bailli de faire immédiatement réparer les foreteresses69. Elle fait également venir son bailli de Bourgogne Huart de Raincheval aux environs de décembre 1367, pour connaître « l’estat » du pays70. Finalement, Charles d’Artois part en 1368 avec ses routiers, en direction de la Franche-Comté et de l’Artois, mais se replie au cours de l’été, laissant ses troupes qui remontent vers la Champagne. Son abandon a été rapproché de la préparation du mariage entre Marguerite de Male et Philippe le Hardi, qu’il a peut-être favorisé involontairement. Affaibli, il perd même son comté de Pézenas confisqué par le roi le 9 août 136871. Pour la comtesse, les motivations de ce séjour parisien de trois mois, sont probablement de s’assurer l’appui royal face à Charles d’Artois et de préparer le mariage bourguignon. L’affaire est en bonne voie. Le 3 novembre 1367, le pape Urbain V

62 ADD B 480. 63 ADCO B 401, fol. 101-103. 64 A. Chérest, L’archiprêtre, op. cit., p. 360. 65 ADCO B 401, fol. 104-105. 66 ADPDC A 727. 67 H. Moranvillé, « Charles d’Artois ». Bibliothèque de l’École des chartes, 1907, tome 68, p. 433-480. 68 ADN B 15792. 69 ADPDC A 95. 70 ADCO B 1428. 71 H. Moranvillé, « Charles d’Artois », op. cit., p. 458.

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relève Marguerite et Edmond de Langley de leurs engagements72. Le départ de la comtesse mi-janvier 1368 vers l’Artois coïncide avec celui de Philippe le Hardi vers la Bourgogne. Elle part en effet « retourner » son fils Louis de Male, hostile au mariage bourguignon qui se trame dans son dos.

6. 1368, l’année charnière De retour à Arras fin janvier, Marguerite s’éloigne pour longtemps de Paris, qu’elle ne regagnera qu’aux environs du 8 octobre 1369, et de la Bourgogne : elle y désigne un nouveau gardien, Jean, seigneur de Ray, le 23 mai 136873. Demeurant entre Flandre et Artois, elle entame un long travail de sape auprès de son fils (carte 12 en ligne). D’Arras, Marguerite gagne Béthune où elle fête Pâques le 9 en grande compagnie74, avant de s’installer à Saint-Omer du 12 avril au 8 juin. De nouveau, elle organise la défense du pays. Elle fait recruter 6 guetteurs armés à Aire « pour y gaitier le jour et de nuit »75. À Saint-Omer elle choisit un nouveau bailli, Warin, seigneur de Bécourt, investi en sa présence, et encourage la fortification76. Ces décisions s’expliquent par la montée des tensions entre France et Angleterre. Présente à Aire, la comtesse envoie le 18 avril le bailli Jean de Vaux vers Guînes pour « savoir le convines des Engles a Boulogne »77. Elle s’implique donc directement dans l’espionnage. Côté comtois, elle s’inquiète de Jean de Chalon-Auxerre, seigneur de Rochefort, le fils de Jean III de Chalon, comte d’Auxerre : la comtesse est avertie de ses méfaits par Eudes de Quingey, venu la trouver à Saint-Omer, avant d’aller parler directement au roi78. Ayant recruté des routiers, Jean de Chalon mène en effet des actions de pillage entre duché et comté. Entre juin et juillet, il ravage le pays de Dole où ses hommes sont vaincus au pont de Beaumont, ce qui permet aux forces de la comtesse et des barons de se diriger vers son château de Rochefort79. Mais la priorité est pour la comtesse le mariage de sa petite-fille. Le 30 mai 1368, elle est d’ailleurs brièvement présente à Gand80, avant de revenir à Saint-Omer le 31, où elle continue de veiller à la défense. Elle a d’ailleurs ramené un Flamand, Gérard de L’Ecluse, « nostre ouvrier et artilleur »81. Puis, conformément à son habitude, elle arrive pour l’été à Hesdin aux environs du 9-14 juillet82. La défense de l’Artois continue de la préoccuper, tout comme elle

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Ibid., t. 3, p. 504. ADCO B 401, fol. 113. ADN B 14610. ADPDC A 729. AMSO AB VIII, 24 et BB 1.23. ADPDC A 729. ADCO B 1411. É. Clerc, Essai sur l’histoire de la Franche-Comté, op. cit., t. 2, p. 164. ADN B 15793. ADPDC A 85. Attestée le 14 juillet : ADCO B 401, fol. 113.

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inquiète le roi. En août, un accord est passé pour fortifier la Cité d’Arras, sur ordre du roi. La fortification empiète sur le terrain du « pouvoir maître Adam », sur lequel la comtesse finit par accepter de faire passer les défenses de 120 pieds de large, contre 1 000 francs, et le maintien de « haute justice, ressort et souveraineté » en dehors du fossé et des murailles83. Marguerite semble avoir alors l’intention de partir vers le sud : vers la fin de l’été ou le début de l’automne, on fait en effet aménager le château de Jully pour sa venue84. Il n’en sera rien ; les manœuvres s’accélèrent au nord où le roi a l’intention de rejoindre Louis de Male. Marguerite s’implique dans cette tentative : elle part après le 28 août pour Tournai via Wazemmes, demeure de l’évêque. Elle est à Tournai le 7 septembre, y rencontre le roi le 10 dans la cathédrale. Charles V est venu convaincre son puissant vassal avec l’appui de la comtesse. C’est un échec. Pierre d’Orgemont avance que Louis de Male n’est pas venu à Tournai pour cause de maladie85. Les auteurs plus tardifs du XVIe siècle évoquent une feinte86, à juste titre. Louis de Male semble alors très actif à suivre ses nombreux déplacements et ses décisions. Il signe même le 10 septembre un traité avec Albert de Bavière, ce qui montre qu’il ne tient pas tant à l’alliance anglaise. Albert est en effet en conflit avec Édouard III. L’échec de la rencontre de Tournai est cependant un avertissement qui conduit Marguerite à se rendre chez son fils. Revenue un temps à Gosnay le 23 septembre, elle se prépare pour partir vers la Flandre, stationnant à Bapaume du 30 septembre au 21 octobre (carte 13 en ligne). Y attend-elle quelque avancée des discussions ? Le séjour est relativement long pour un château qui est généralement une étape. La comtesse en profite néanmoins pour faire fortifier l’Artois, notamment les châteaux de Béthune, Beuvry, Gosnay et La Buissière87, ainsi que ceux des environs de Saint-Omer, « pour les doubtes qui ad present sont en nostre comté d’Artois »88. Le 22 octobre, elle gagne finalement la Flandre via Douai. Louis de Male manifeste davantage d’égards pour sa mère que pour le roi, partant le 23 octobre dans sa direction et l’accueillant à Courtrai le 25, avant de demeurer avec elle89. La comtesse est à Gand le 27, à Malines le 30, et y demeure au moins jusqu’au 8 novembre, partant à Anvers le 14. Après un court passage par Bapaume le 18 novembre, elle est à nouveau à Malines le 30. Elle règle durant ce séjour de nombreuses questions relatives à l’Artois, désignant un nouveau bailli d’Hesdin, Guillaume de la Motte90. Elle continue de s’intéresser à la Bourgogne et entérine un amortissement concernant Hugues II de Chalon-Arlay91.

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Ibid., fol. 113-114. ADCO B 3854. Chronique des règnes de Jean II et de Charles V, éd. R. Delachenal, 3 vol., Paris, 1910-1920, t. 2, p. 58. Pierre d’Oudegherst et Jean d’Oudegherst, Les Chroniques et annales de Flandres, Anvers, 1571, p. 281-282. ADPDC A 96. ADPDC A 728. ADN B 1495, ADPDC A 731, ADN B 15276. 30 octobre 1368, depuis Malines. ADPDC A 96, n° 10. ADCO B 401, fol.115.

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Marguerite vient convaincre son fils. Dans ce qu’on imagine comme une longue négociation, tout se serait débloqué lors d’une entrevue à Malines. Telle est l’analyse de Pierre d’Orgemont, qui fut partie prenante dans les pourparlers92. Au vu des itinérances, cela pourrait être daté entre la fin octobre et la fin novembre 1368. La continuation des Chroniques de Baudouin d’Avesnes évoque, sans en préciser la date, un moment dramatique de « conversion » du fils aux injonctions maternelles. L’État bourguignon serait né d’une tirade chargée d’émotion et de menace, qui donnerait bien du travail à un psychanalyste. Après avoir prié en vain son fils de rejoindre le roi qui l’attendait à Tournai pour négocier le traité, Marguerite de France aurait recouru à un chantage aux accents dramatiques : « et adont jetta la dame jus son mantel, et ouvry sa robe par-devant et prinst sa dextre mamelle en sa main, et puis dist à son fils : Je, comme contesse d’Artois, vous prie et commande que vous fachiés le voulenté du roy, qui est vos sires et li miens, et vecy me mamelle dont je vous alaitay, et plus de mes enfans ne alaitay que vous, et je promès à Dieu que, se vous ne faites le voulenté du roy et le mienne, que tantost je le copperay ou despit de vous et le jetteray aux chiens, et se ne joïrés jamais de le conté d’Artois »93. Le comte aurait alors cédé : « Vous estes ma mères, faites ent à vostre bon plaisir ». Ce récit, dont Roland Delachenal notait le caractère suspect94, ne saurait être balayé d’un revers de main ; au moins doit-on souligner qu’il mythifie un travail diplomatique bien réel. En effet les sources contemporaines, insistent toutes sur le rôle de la comtesse marieuse : dans leur mémorial, les Arrageois considèrent que « madame d’Artoys […]le mariage avoit tout pourtraitié »95. Froissart indique que le comte de Flandre « qui estoit priiés d’autre part dou roy de France pour son frère le duch […] entendi, par le promovement de madame sa mère la contesse d’Artois au jone duch de Bourgongne »96. L’anecdote de la mère exhibant ses seins devant son enfant déviant n’est quant à elle pas isolée littérairement. Elle reprend la Légende Dorée dans laquelle Sainte Agathe interpelle sont tortionnaire en lui faisant honte de couper chez une femme ce qu’il a sucé chez sa mère97. L’épisode est repris par le chevalier de la Tour Landry qui lui associe le pouvoir maternel de ramener ses enfants dans le droit chemin. La fonction nourricière installe une autorité naturelle, établit une dette absolue, et rappelle que l’on doit honorer son père et sa mère bien après l’enfance98.

92 Chronique des règnes de Jean II et de Charles V, op. cit., t. 2, p. 59. 93 Continuation des chroniques de Baudouin d’Avesnes, cité dans J.-B.-M.-C. Kervyn de Lettenhove, Histoire de Flandre, op. cit., t. 3, p. 406-407. 94 R. Delachenal, Histoire de Charles V, 5 vol., Paris, 1909-1931, t. 3, p. 508. 95 Archives municipales d’Arras, BB 1, fol. 24r. 96 Jean Froissart, Chroniques, op. cit., éd. Luce, t. 7, p. 129. 97 E. Dehoux, « Couper les seins des femmes : du supplice à la monstruosité » dans Le corps en lambeaux : violences sexuelles et sexuées faites aux femmes, éd. F. Chauvard et alii, Rennes, 2016, p. 191-200. 98 A.-M. De Gendt, L’art d’éduquer les nobles damoiselles, op. cit., p. 228.

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Il est facile de relever une incohérence dans le récit. Lorsque Marguerite part pour Malines, le roi n’est plus à Tournai, dont il est reparti dès le 18 septembre99. De plus, la comtesse semble avoir eu besoin de temps pour convaincre son fils. Elle est encore à Anvers en décembre et à Gand du 17 janvier au 13 avril 1369, aux lendemains du traité accordé entre le roi et Louis de Male. Durant ce séjour elle accompagne son fils, mais continue de se faire expédier des vivres depuis l’Artois pour ne pas être à ses frais, marquant son autonomie (carte 14)100. L’épisode dramatise néanmoins un véritable travail de sape, une guerre d’usure de la part de la comtesse. Son influence se lit jusqu’au cœur des discussions. En atteste un avis fourni par la comtesse « sur les poins que l’on debatoit » entre le roi et le comte pour conclure l’accord du 12 avril 1369 permettant le retour à la Flandre de Lille, Douai et Orchies101. Sur les 10 points discutés, concernant notamment la souveraineté royale, la comtesse est désignée pour arbitre. Elle reçoit les propositions écrites, et discute chaque mot pour arriver à un compromis : elle donne raison au comte sur la valeur des monnaies, propose une solution mixte sur la formulation des frontières… La comparaison avec le document final102 montre que son avis est suivi en 6 des 10 points, le roi n’ayant cependant pas cédé sur la notion de souveraineté103. Marguerite de France veille en outre à son intérêt politique : au milieu des négociations, en mars 1369, Marguerite de Male est en effet incitée à faire un geste envers sa grand-mère. Elle renonce à lui réclamer 6 000 livrées de terre en comté de Bourgogne et Champagne, dues au titre du douaire de son premier mariage104. Ce n’est que le 12 avril 1369 qu’est signé un accord entre les négociateurs du roi et le comte, qui aboutit à la restitution de Lille, Douai et Orchies105. Le prix à payer est élevé, augmenté de 100 000 livres payées en or, moitié par le roi106. Enfin, ce rapprochement passe par des gestes symboliques. Marguerite envoie en mars 1368 cinq faucons à Philippe107. En avril elle lui prête son hôtel d’Artois à Paris pour un banquet somptueux, où est convié le duc de Clarence108. Début 1369, ce sont 6 queues de vin de Beaune qui sont offertes à la comtesse par le duc109. Le roi lui-même n’est pas avare, mais sa générosité se place sur le terrain fiscal, puisqu’il poursuit la politique d’exemption de l’impôt en Artois, contre paiement d’une aide fixe110 : là encore le gouvernement de la comtesse capitalise sur son rôle de médiatrice.

99 Ordonnances des roys de France, op. cit., t. 5, Paris, 1736, p. 136 ; Mandements et actes divers de Charles V (1364-1380), éd. L. Delisle, Paris, 1874, p. 235. 100 ADN B 15276. 101 ADN B 274, n° 10476.4. 102 AN J 571, n° 11. ADN B 274. 103 ADN B 274, n° 10476.3. 104 ADCO B 401, fol. 111. 105 AN J 571, n° 8. 106 En plus de ses deux valets et trois chevaux. Voyage du1er au 26 juin 1369. ADCO B 1430, fol. 158r. 107 Ibid., fol. 47r. 108 Une petite fête qui coûta à Philippe et à Jean de Berry 1556 livres. Ibid., fol. 16r. 109 ADCO B 1430-2, fol. 100v. 110 ADPDC A 96, n° 12.

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Durant le long séjour flamand de Marguerite, on note une inhabituelle activité de la chancellerie touchant la Franche-Comté. Nombre de Comtois sont venus en Flandre, profitant du passage fréquent du duc de Bourgogne avec qui il importe de renouer des liens. Le comté est en effet perturbé par le siège de Rochefort ; une fois le seigneur capturé, les défenseurs se rendent le 24 janvier 1369. C’est aussi pendant ce séjour que la comtesse passe un accord avec Philippe le Hardi sur Jean de Chalon, désormais prisonnier du duc, qui s’engage à ne le libérer qu’avec l’accord de la comtesse111. En réalité, Jean de Chalon est ramené de Rouvres vers Dole dès le 15 janvier 1369112 puis transféré à Poligny le 28 par le gardien et les principaux conseillers comtois de Marguerite, épaulés de 12 hommes d’armes113. C’est là qu’il meurt un an et demi plus tard, avant le 31 août 1370114. Le siège de Rochefort et la capture de l’héritier de la dynastie des Chalon-Auxerre ont beaucoup marqué la noblesse comtoise. La participation de Tristan de Chalon au siège lui vaut d’être tué début mai 1369 « en tres grant esclandre »115. L’action du gardien a également pu être considérée comme totalement illégitime : le 26 avril la comtesse doit confirmer la justesse de sa décision116. Parallèlement, la comtesse négocie d’ailleurs avec Hugues et Tristan de Chalon pour démanteler la saunerie de Grozon117. On note néanmoins que la position de la comtesse est en train de se renforcer : la préparation du mariage conduit bien des Comtois à revoir leurs ambitions à la baisse.

7. Une pression maintenue jusqu’au bout : l’Artois en gage Sans aller au martyr, la comtesse a bien choisi d’utiliser l’héritage artésien pour contraindre son fils à entériner le traité. Revenue en Artois, elle continue de faire pression sur son fils, en le menaçant de céder le pays au roi. Elle ne fait qu’à moitié confiance à Louis de Male. Parallèlement, elle renforce la défense du pays : elle fait venir les bailli et receveur de Saint-Omer à Arras pour discuter de la défense des châteaux audomarois118 ; elle accorde la levée des assises à Béthune pour y renforcer les fortifications119. Rien ne compte cependant plus que la réalisation du mariage. Le 20 mai 1369, à Arras, elle met dans la main du roi Saint-Omer, Béthune, Hesdin et Aire jusqu’à accomplissement du mariage ou restitution de Lille, Douai et Orchies au roi, en cas d’opposition de Louis à l’union120. Le 21 elle en avertit les habitants de

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ADCO B 401, fol. 110. ADCO B 1431. Ibid. ADCO B 1433. É. Clerc, Essai sur l’histoire de la Franche-Comté, op. cit., t. 2, p. 165. ADPDC A 733, n° 123. ADD B 270. ADN B 15796. ADCO B 401, fol. 118. ADN B 274, n° 10425.

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Saint-Omer et leur ordonne d’obéir au roi et à ses gens121. C’est une garantie pour Charles V car Louis de Male a déjà obtenu de prendre possession de la Flandre wallonne avant le mariage, ce qu’il fait dès le 13 juin à Lille122. La comtesse va cependant plus loin que l’accord initial en laissant en gage Arras123. Le 11 juin elle s’engage, elle et ses héritiers à laisser ses terres au roi si à l’avenir, faute d’héritier mâle en Flandre, le pouvoir comtal s’oppose à un rachat de Lille, Douai et Orchies. Marguerite se dispense cependant de cette clause de son vivant124. À l’approche du mariage, Marguerite se trouve aux premières loges ; le 13 juin, elle accueille Philippe le Hardi à Arras, dans une ambiance festive ; tous deux repartent le lendemain pour la Flandre via Douai et Tournai125. Le mariage est célébré le 19 à Gand par un vieil allié de la comtesse, l’évêque de Tournai Philippe d’Arbois. Le lendemain, Philippe offre un banquet fort coûteux, auquel il convie ses soutiens, en particulier le duc de Brabant Venceslas Ier de Bohème, son épouse Jeanne de Brabant, la comtesse Marguerite et d’autres seigneurs. Il distribue également des bijoux pour se concilier ceux qui comptent en Flandre, et récompenser ceux qui ont soutenu le projet, en particulier le prévôt de Harelbeke, qui n’est pas étranger à Marguerite de France126. Parmi les princes, Louis de Male a la meilleure part avec un bijou de 1700 francs ; presqu’au niveau de l’épouse de son fils, Marguerite de France se voit offrir un fermail de 600 francs. La comtesse est encore à Gand le 25 juin quand elle reçoit l’hommage de Hugues de Vienne, seigneur de Sainte-Croix, majeur depuis peu, pour ses terres et rentes mouvant de la comtesse en Bourgogne. Elle désigne enfin Guy de Cicons comme bailli d’Aval127. Outre ces vassaux, la comtesse a autour d’elle Humbert de la Platière, Charles de Poitiers, Ancel de Salins, mais aussi Pierre Cuiret, et même Jean, seigneur de Ray128. Présente à Gand jusqu’au 29 juin au moins, Marguerite regagne Arras avant le 4 juillet. Par la suite, la comtesse accorde à Philippe une grande latitude en Artois, où Philippe semble chez lui. En juillet 1369, assistant à la messe à Saint-Vaast d’Arras, il offre 50 francs au chapelain de Marguerite129. De son côté, le roi se montre généreux pour la comtesse : le 1er février 1370 il dénonce les empiètements de la justice royale en Artois durant la minorité de Philippe de Rouvres130.

121 AMSO AB 8, n° 8. 122 AMA BB 1, fol. 24. 123 ADN B 274. 124 U. Plancher et alii, Histoire générale et particulière de Bourgogne, op. cit., t. 2, preuve n° XL. 125 « Registre mémorial de la ville d’Arras de 1354 à 1383 », op. cit., p. 240. 126 ADCO B 1430-2, fol. 131. 127 ADCO B 401, fol. 120 et B 1431. 128 ADCO B 401, fol. 120 ; ADD B 219 et B 270. 129 ADCO B 1430-2, fol. 166. 130 ADCO B 401, fol. 22r.

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Conclusion Le règne de Charles V commence favorablement pour la comtesse, qui pèse de tout son poids pour conclure une alliance avec les Valois. Loin d’être anecdotique, l’analyse de ses séjours fournit une clef d’explication quant aux logiques diplomatiques. Marguerite mène une action personnelle, relayée par de multiples conseillers, tout particulièrement Ancel de Salins. Le rapprochement avec Philippe le Hardi renforce en outre la situation de la comtesse en Franche-Comté, pays dont elle s’occupe désormais surtout à distance. L’attraction des terres septentrionales s’inscrit ici dans un mouvement de fonds qui se confirme par la suite, notamment en raison de l’émergence d’un risque militaire de plus en plus grand et accru par le mariage qui expose désormais la comtesse aux représailles anglaises.

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Chapitre 9 

Pertes et profits de l’alliance Valoise Le temps de la remise en ordre (1369-1378) Après le bouleversement causé par la mort de Philippe de Rouvres, la situation patrimoniale de Marguerite de France s’est grandement améliorée. Mais il lui est devenu indispensable de s’arrimer à une puissance capable de résister aux pressions entraînées par le durcissement du conflit franco-anglais. Le choix de l’alliance royale a prévalu contre les vues de Louis de Male. Il était temps. Depuis le début de l’année 1369 les appels gascons nourrissent la rancœur anglaise, que le mariage flamand ne risque pas de calmer. Face à une reprise des hostilités dont elle ne maîtrise guère l’escalade, la comtesse se sait aux premières loges en raison du rôle stratégique de Calais. Désormais arrimée à la destinée des Valois dont un cadet est devenu son héritier, la comtesse entend également en tirer profit pour renforcer son autorité. Mais si à terme la puissance d’un nouveau « parti bourguignon » a le potentiel suffisant pour s’imposer sur l’échiquier européen, il s’agit pour l’instant d’assumer les conséquences douloureuses de l’alliance face à l’Anglais. Dans ces heures dramatiques, la comtesse peut cependant compter sur une maîtrise bien plus solide de ses possessions territoriales, fruit d’un long travail d’intégration et de réformation.

1. Le retour de la guerre : l’Artois en première ligne Depuis janvier 1369, les hostilités ont repris graduellement, surtout en Languedoc ; le 11 mai, le roi se résout même à un affrontement direct en relevant les appels gascons ; le 3 juin, Édouard III reprend le titre de roi de France1. La guerre s’installe durablement, au moins jusqu’en 1380. Elle n’épargne pas l’Artois. Au nord, la rupture s’effectue alors que Marguerite est encore à Gand. Les gens de Charles V s’emparent du Ponthieu puis d’Abbeville le 29 avril2. Probablement avertie des opérations, c’est dès le 2 avril qu’elle met en alerte ses châtelains, depuis Gand3. La progression des Français vers Calais améliore la défense du sud-ouest de l’Artois, notamment d’Hesdin. L’étape suivante est l’attaque d’Ardres et Audruicq. Là aussi la comtesse s’est préparée, désignant un nouveau châtelain à La Montoire, en la personne d’un noble local, Mathieu de Salperwic4. Elle reçoit également le 24 avril un rapport sur l’état des forces anglaises « au païs »5.

1 F. Autrand, Charles V, op. cit., p. 565-567. 2 Ibid, p. 571. 3 ADCO B 401, fol. 116. 4 Ibid. 5 ADN B 15796.

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Édouard III entend quant à lui faire payer à l’Artois l’échec de son projet de mariage. Les attaques se portent rapidement sur le pays de Langle contesté depuis le traité de Brétigny, alors que Robert de Fiennes et les forces françaises prennent Audruicq le 2 juin 1369 avant d’échouer devant Ardres6. La comtesse finance d’ailleurs la participation de Charles de Poitiers au premier siège7. Le 24 juin, le bailli de Saint-Omer sonne l’alerte sur l’action des Anglais, alors que la comtesse est encore à Gand8. L’ost royal est réuni sous l’autorité de Philippe le Hardi, qui arrive de Rouen à Hesdin le 14 août. Il s’installe « sur le mont de Tournehem » le 25, avant d’en repartir le 13 septembre sans avoir livré bataille9. La comtesse est aussi revenue en Artois, peut-être avec Philippe le Hardi qui dort à Arras le 1er juillet, après avoir demeuré à Lens, terre désormais tenue par Marguerite de Male qui est elle aussi en Artois dans les mois suivants. Le duc la fait venir depuis Lens vers Paris en novembre. Quant à la comtesse, elle continue d’assurer la défense du pays, faisant mettre une garnison de 10 hommes armés au château de Saint-Omer et à celui de Tournehem le 11 juillet10, envoyant le 15 son bailli de Bapaume11 avec au moins 6 lances vers Saint-Omer et Tournehem12. Le 28 septembre elle établit un châtelain à Lillers, Jean de Wisque, en accord avec les seigneurs de la ville13. Occupée à la défense de l’Artois, la comtesse néglige ses autres terres ; or la situation l’inquiète aussi en Nivernais. Des routiers ont déjà fait peser une menace au printemps 1368. Remontés en Champagne dans l’espoir de participer au projet artésien de Charles d’Artois, ils demeurent aux environs d’Épernay et Châlons, puis refluent vers Troyes. Ils franchissent l’Yonne et s’installent vers Étampes en juillet 1368, avant de s’éloigner vers l’ouest, puis le sud-ouest début 1369, attirés par la reprise de la guerre. Pour autant, d’autres routiers continuent d’agir en Bourbonnais, terre proche du Nivernais14. À l’été ou à l’automne 1369 le château de Belleperche, résidence d’Isabelle de Valois est pris par une bande de Gascons. Le 8 août, Marguerite nomme donc un capitaine général pour Donzy et Moulins-Engilbert, Gautier de Billy, chargé de l’entretien des forteresses et des montres d’armes15. Le 16 décembre, elle donne l’ordre de fortifier la ville d’Entrains-sur-Nohain, largement détruite16. Fin septembre 1369, la pression militaire retombant au nord, la comtesse part pour Paris, où elle est attestée à partir du 8 octobre. Elle suit de peu Philippe le Hardi arrivé le 22 septembre, et y demeure jusqu’au 24 février 1370, avant de partir pour Gand, où Philippe le Hardi la rejoint le 6 mars. Durant son séjour parisien, la comtesse voit 6 J. Sumption, The Hundred Years War, op. cit., t. 3, p. 35-42 ; A. Courtois, Le Livre des Usaiges et anciennes coustumes de la conté de Guysnes, Saint-Omer, 1856, p. 164. 7 ADN B 15796. 8 Ibid. 9 E. Petit, Itinéraires de Philippe le Hardi, op. cit., p. 58-59. 10 ADN B 15797. ADPDC A 734. 11 ADPDC A 96. 12 ADN B 15797. 13 ADCO B 485, fol. 6. 14 G. Butaud, Les compagnies de routiers en France (1357-1393), op. cit., p. 22. 15 ADCO B 485, fol. 1 et 2. 16 Ibid., fol. 7 et 8.

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certainement sa petite-fille, qui arrive à Paris le 21 novembre17. Marguerite y passe la Noël, probablement en compagnie du jeune couple. Ce séjour permet de régler certaines affaires comtoises. Se manifeste alors l’importance du soutien de Philippe le Hardi dans le pays : le 13 octobre en l’hôtel d’Artois, un traité d’assistance mutuelle unit ainsi la comtesse au duc de Bourgogne, au comte Amédée VI de Savoie et à Hugues II de Chalon-Arlay18. Il s’agit notamment d’éviter le regain de tensions entre nobles comtois et savoyards. En effet, Guillaume de Grandson, seigneur de Sainte-Croix en Suisse, vient de mener des opérations en Franche-Comté, ciblant Ancel de Salins et sa seigneurie de Vaulgrenant, près de Salins. Le sujet a été abordé par les conseillers et le gardien comtois à Quingey le 10 octobre, qui signalent également une implication d’Henri de Vienne, venu à Quingey. L’affaire ne semble guère progresser, suscitant une nouvelle réunion le 27 novembre qui ne produit aucune avancée, malgré la présence de Hugues II de Chalon-Arlay, parent du comte de Savoie et d’Henri de Longwy. On fait alors appel directement au comte Amédée en invoquant le traité récemment signé. Mais Guillaume de Grandson continue sa guerre, attaquant même le domaine comtal, aidé du bailli d’Amédée VI au pays de Vaud19. En mai, on met le pays en défense « pour ce que le conte de Savoye y davoit venir a force et a grant puissance de genz d’armes », ce qui semble avoir été évité par une visite à Bourg-en-Bresse le 17 mai de Charles de Poitiers, de Thiébaut de Rye et du gardien de Bourgogne. Pour l’heure, en cet automne 1369, l’autre grand dossier comtois est la captivité de Jean de Chalon ; on s’inquiète d’un coup de main sur Poligny. La comtesse désigne alors Philippe de Méry comme capitaine du château de Grimont le 4 novembre, avec mission de veiller sur le prisonnier20. Elle a d’ailleurs l’occasion de voir son capitaine à Paris avant son départ en Bourgogne, et lui avance ses frais21. Enfin, elle se soucie du conflit l’opposant en cour de Rome à un puissant établissement ecclésiastique situé au nord de la Franche-Comté, l’abbaye de Lure. En raison de ses privilèges, l’abbé se considère comme un prince d’Empire et non un « Comtois ». Ses nombreuses seigneuries occasionnent des litiges frontaliers avec le comté. Surtout, les Habsbourg ont acquis l’avouerie de l’abbaye en épousant la fille d’Ulrich III de Ferrette en 1324 ; ils refusent de prêter hommage à la comtesse. Pour l’heure on en reste à une coûteuse et interminable procédure romaine, exigeant un suivi et des fonds à l’automne 136922, mais l’affaire va bientôt dégénérer en conflit ouvert. En Artois, la menace est d’une toute autre ampleur, et exige une attention constante depuis Paris. Le 8 novembre, la comtesse commet ainsi Florent de Saint-Martin châtelain de Tournehem, avec une pension de 500 francs. Son contrat prévoit que les villes et forteresses qu’il prendrait reviendraient à la comtesse, avec l’artillerie, tandis qu’il conserverait le butin. Pour les prises lors des chevauchées et les rançons,

17 E. Petit, Itinéraires de Philippe le Hardi, op. cit., p. 59. 18 ADN B 921, n° 10452 ; BN Fr. 4628, p. 242. 19 ADCO B 1433. 20 BN NAF 3104, n° 25. 21 ADCO B 1431. 22 Ibid.

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la comtesse se réserve 2/3 des profits23. L’hiver est marqué par un sanglant épisode : la mutinerie des prisonniers anglais de Saint-Omer le 4 février 1370. Réunis au château sur l’avis de Philippe le Hardi, qui s’inquiétait de les voir espionner la ville, les Anglais prennent la grosse tour. Effrayés, les habitants massacrent tous les prisonniers, mais aussi un sergent comtal et un boucher, détruisant les ponts et portes qui relient le château à la ville, et une partie du château24. Pour autant, la comtesse ne s’inquiète pas trop, demeurant à Paris jusqu’à Pâques. Elle rejoint néanmoins l’Artois le 1er mai à Bapaume, ne s’arrête qu’une semaine à Arras avant de rejoindre la Flandre, comme elle le fait souvent en revenant de la cour royale. Elle atteint Gand le 12. Sa venue peut être rapprochée des pressions qu’exercer alors l’Angleterre pour neutraliser la Flandre ou du moins y arracher l’appui des villes. Cette pression anglaise va en outre se faire sentir sur les terres de la comtesse, qui s’y replie rapidement. De retour à Arras, elle anticipe sans doute une attaque. L’atmosphère est martiale à l’hôtel : le 3 juin 1370 la comtesse assigne 120 francs « a pluiseurs des officiers chevaliers et escuiers de madame aulzquelz elle avoit donné VIxx frans pour eulz armer »25. Tout en s’informant des affaires comtoises par courrier et en récompensant Philippe de Méry pour la garde de Jean de Chalon26, elle demeure à Arras jusqu’au 12 juillet au moins, mais finit par rejoindre Hesdin vers le 1527, conformément à son habitude estivale. Là, elle réorganise l’administration échevinale le 20 juillet, s’engageant de plus en plus dans une logique de « réformation » de ses états. L’armée anglaise commence alors à se rassembler à Calais, ce qui est vite connu en Artois. Le 17 juillet, les préparatifs militaires semblent s’accélérer : la comtesse ordonne à Charles de Poitiers d’acheter des arbalètes d’if à un artilleur d’Arras, Jehan Ghelles28. Le 20, le châtelain le plus exposé, celui de La Montoire est confirmé dans ses fonctions avec des garanties sur ses gages29. Le 3 août 1370, c’est encore le bailli de Saint-Omer qui avertit la comtesse à Arras « sur l’estat et convine des Englès, en grant haste »30. La comtesse abandonne alors sa résidence d’été le 8 août, et s’installe à Arras le 9, au moment où Robert Knolles quitte Calais pour entamer la rude chevauchée qui va le mener vers Arras, Noyon, Reims et Paris31. Si Marguerite se porte dans sa « capitale », peut-être informée de l’itinéraire ou instruite des chevauchées précédentes, ce n’est pas pour sa sécurité, mieux assurée à Hesdin, mais pour résister à l’ennemi. Reprenant sensiblement la même direction, les Anglais passent par Guînes, Ardres, Fauquembergues (brûlée), Tournehem et arrivent à Arras, sans doute durant la deuxième décade d’août. Là, Froissart note la présence

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ADCO B 485, fol. 6. Lettre du 4 février 1370. ADN B 15798. ADN B 15276. ADCO B 1433. ADN B 15276. ADPDC A 640. ADCO B 485, fol. 17. ADN B 15799. J. Sumption, The Hundred Years War, op. cit., p. 84.

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de la comtesse protégée par Charles de Poitiers. Elle est tout sauf passive, exigeant de ses sujets une attitude exemplaire. 8 ans plus tard, Gérard du Moulin d’Or, rebelle arrageois, se souvient de la présence de Marguerite dans la ville menacée, affairée à défendre la place et rudoyant ses sujets mal préparés et « en petite ordoenance »32. Malgré tout, les Anglais ne s’y attardent pas, préférant continuer vers la Picardie33. Le bilan des destructions est d’ailleurs limité en Audomarois par rapport à l’année précédente, mais leur périmètre est cette fois élargi à Aire et Lillers, totalement ravagée. Les environs d’Arras et même de Bapaume sont eux aussi touchés. Outre Charles de Poitiers et ses conseillers proches, Marguerite est alors entourée de Comtois venus exceptionnellement en Artois, comme Eudes de Quingey, Gilles de Montaigu et Thiébaut de Rye. Une fois la menace écartée, il est en effet temps de régler les nombreux problèmes de cette Franche-Comté que Marguerite n’a pas visitée depuis cinq ans.

2. Reprendre en main la Franche-Comté et panser les plaies de l’Artois Après le 23 août, l’orage anglais passé, la comtesse s’affaire à régler les dossiers comtois avec ses conseillers. La comtesse a convoqué ses conseillers, mais aussi des gens de finances comme Aubriet de Plaigne et Estevenin Vurry partis à la mi-août avec 4 chevaux pour conduire « plusieurs escriptures et comptes des Polingny à Arraz ». Ils annoncent d’ailleurs à Marguerite la mort de Jean de Chalon, survenue peu avant leur départ. Le 31 août, la comtesse ordonne de payer les Dominicains de Poligny « pour la sepulture de feu messire Jehan de Chalon son cousin, qui fust trespasséz a Pouligny et sepveliz en leur eglise »34. Philippe de Méry est récompensé de ses bons services de gardien par une rente de 100 lb sur les puits de Bourg-dessus-Salins35. Marguerite souhaite surtout rétablir une bonne organisation du domaine, le pays étant désormais sous contrôle, d’autant que son absence se fait sentir. Un nombre impressionnant de 28 actes conservés ou mentionnés entre le 23 août et le 3 septembre témoigne de ce souci d’apurer les finances comtoises. On travaille vite et dur36. Grâce aux documents financiers, la comtesse a pris connaissance de l’état du pays. Elle peut constater l’amélioration des revenus37. Les Comtois apportent d’ailleurs de l’argent « de boin or et de boin pois », comme la comtesse le note dans une quittance38. Malgré tout, la situation reste fragile ; le pays est grevé et la comtesse note « la diminucion des rentes et esmolumens de nostre dit païs de Bourgongne »39.

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ADPDC A 992, n° 1. Jean Froissart, Chroniques, op. cit., éd. Luce, t. 7, p. 232-233. ADCO B 1433. ADCO B 485 bis, fol.2 et ADD B 270. ADCO B 1433. ADCO B 1431. ADCO B 1429. ADCO B 485 bis, fol. 2, ADD B 214.

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De vieilles dettes sont acquittées ou réassignées, les comptes pendants apurés, divers dons consentis, des rentes déplacées d’une recette à l’autre. Des transactions entre nobles effectuées sans son accord sont entérinées, quelques pensions et privilèges accordés40. Quelques mesures destinées à alléger le fardeau des rentes et redevances dans des villages ravagés comme la Loye sont également adoptées41. Officialisant ce travail de « réformation », la comtesse promulgue le 1er septembre une vaste ordonnance sur le gouvernement du comté qui limite les missions du gardien dont les conseillers sont venus se plaindre. Elle réduit ses dépenses, son droit de percevoir directement les revenus, et promet de mettre fin aux abus d’autorité de nombreux officiers42. L’un des objectifs de la comtesse est aussi de pouvoir tirer de l’argent du comté, ce qui semble être le cas, l’argent affluant encore en novembre suivant43. La comtesse n’a d’ailleurs pas à revenir avant l’été 1374. En revanche, une autre terre nécessite sa présence. En effet le 25 août, l’évêque de Troyes Henri de Poitiers meurt. La comtesse s’est beaucoup appuyée sur lui pour ses affaires champenoises. Avertie, la comtesse prévoit d’abord de venir au pays pour réorganiser son gouvernement, mais reporte sa décision. Elle rechigne à quitter l’Artois et demeure à Arras jusqu’au 18 ou 20 janvier 1371, veillant à la défense tout en pansant les plaies du comté : elle fait réparer le château de Rihoult44 et dédommage le châtelain Pierre Dierkin car ses maisons ont « esté arses nagaires par le anemis du royaume »45. Le 16 novembre, elle accepte la reconstruction d’une maison de béguines de Béthune détruite par les Anglais46. Epargnée, Arras supporte cependant mal l’autorité de la comtesse. Des tensions étaient apparues dès 1362. Elles se sont accrues du fait des réprimandes de Marguerite en 1370. La ville se plaint aussi du comportement des officiers comtaux qui y agissent en maîtres. Le 2 janvier 1371, Marguerite accorde une lettre de non préjudice suite au non respect de la justice échevinale, et doit casser des jugements abusifs prononcés par ses maîtres d’hôtel contre des bourgeois ayant frappé un valet de la paneterie. En outre, les gens de la comtesse ont fait preuve d’une justice expéditive envers des Anglais pris « hors de Noefville », et auxquels le bailli « fist couper les testes » devant le pilori sans en avertir les échevins47. Il faut arrondir les angles. C’est en Artois enfin que la comtesse apprend l’élection le 30 décembre de Grégoire XI, auprès duquel elle envoie son physicien Guillaume Thouzé, porteur de « certaines impetracions pour elle et ses clercs »48. En effet, Pierre Roger de Beaufort, est le beau-frère du comte de Valentinois Aymar VI, choisi comme recteur du Comtat. Charles de Poitiers peut assurément tirer profit d’une telle situation.

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Ibid., fol. 2. Ibid., fol. 3. ADD B 363. ADCO B 485 bis, fol. 1. ADCO B 1433, Archives Municipales de Reims, série Tarbé, IV/20. ADN B 15802. ADPDC A 97. ADCO B 485 bis, fol. 5. ADCO B 485 bis, fol. 7-8. ADPDC A 745.

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3. La naissance de Jean sans Peur : retour en Bourgogne Alors que la pression militaire se réduit en 137149, la comtesse prépare un long voyage vers le sud pour visiter Marguerite de Male, enceinte du futur premier arrière-petit-enfant et héritier de la comtesse. L’évènement est capital à ses yeux. Elle se rend d’abord chez son fils, en Flandre, via Warneton où elle est attestée le 21 janvier. Revenue à Arras, elle repart dès le 10 février50. Elle gagne Troyes le 1er mars au plus tard51, où elle se fait expédier du marsouin depuis Saint-Omer. Débute alors en ce temps de Carême un long séjour champenois, durant au moins jusqu’au 10 mai, au cours duquel plusieurs officiers viennent « peller a madame » à Troyes. Elle entérine ainsi un accord des conseillers comtaux avec les habitants de Vandes qui se plaignaient de devoir trop payer pour leur droit d’usage du bois d’Isle52. Traitant les demandes locales, elle affirme par la grâce son autorité sur la noblesse. Une affaire atteste bien de cette posture : Jeanne de Sully, dame de Plancy, se voit réclamer une amende de 1 000 lb par le procureur de la comtesse pour avoir refusé au bailli l’entrée dans sa maison forte de Praslin. La dame vient supplier la comtesse de réduire l’amende de 1 000 lb et de récupérer sa maison, ce qui lui est accordé53. Autorité et compassion, tout est dit… Les affaires nivernaises sont également à l’ordre du jour, en particulier la commission d’un nouveau châtelain de Montreuillon, Philippon de Fains54. Mais la comtesse garde un œil sur l’Artois. Elle apprend que quatre hommes de la garnison de La Montoire, suspectés d’avoir « trahi le chastel » ont été arrêtés, puis livrés au roi55. Néanmoins, cette descente vers le sud permet surtout de prendre en charge les affaires comtoises. La comtesse reçoit à Troyes ses conseillers bourguignons, n’entendant pas gagner la Franche-Comté. Les décisions abondent, concernant les rapports avec l’Église et la noblesse, la gestion des villes comtales, les finances, les violences. Marguerite octroie ainsi des réductions sur la ferme de Baume-les-Dames le 13 mars56, ordonne de faire payer Hugues de Vienne seigneur de Sainte-Croix à qui on devait de l’argent sur la saunerie57. Elle accorde rémission à Hugues II de ChalonArlay pour la mort de messire Jean d’Arguel lors d’une tentative d’enlèvement58. Elle prend des mesures suite à la « la fortune des feuz que nagaires ont esté a Poligny, une grante partie de ladite ville a estez arse et destruite ». Elle reçoit en outre la visite du trésorier d’Aval porteur d’argent, des comptes et soucieux de « peller a madame de certennes et pluseurs besoignes touchant ley et son contee de Bourgogne »59.

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F. Autrand, Charles V, op. cit., p. 581. ADPDC A 747. ADN B 15802. ADCO B 485 bis fol. 10. Ibid., fol. 13. ADCO B 5070. ADN B 15802. BN Fr. 8552. ADD B 219. ADCO B 485 bis, fol. 14. ADCO B 1436.

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Cependant, son objectif est d’abord familial. Les 18 et 19 mai, Philippe le Hardi vient retrouver Marguerite à Troyes. Guère inquiète d’un accouchement précoce de sa petite-fille, la comtesse attend presque le dernier moment. Le 20 mai, elle est aux côtés du duc de Bar à Châtillon-sur-Seine60, avant de rejoindre Dijon vers le 23. Le 24 le duc de Bourgogne passe la journée à Dijon avec la duchesse et la comtesse d’Artois. Marguerite de France est accompagnée d’Ancel de Salins, Humbert de la Platière et Pierre Cuiret61. Le 28 mai 1371, elle assiste à la naissance de Jean, le futur Jean sans Peur, son héritier. Ce jour voit l’aboutissement des efforts qu’elle poursuit depuis 1364, voire depuis le mariage de Marguerite de Male avec Philippe de Rouvres en 1357. La comtesse demeure auprès de sa petite-fille, même lorsque le duc part pour Rouvres les 3 et 4 juin. Le 4, les deux princesses accueillent les invités au baptême, l’archevêque de Lyon, l’évêque de Carpentras et plusieurs chevaliers et dames avec lesquelles elles dînent. Le baptême a lieu le 5 juin : les parrains en sont Jean de Berry et Jean Roger, évêque de Carpentras envoyé par le pape, ainsi que l’archevêque de Lyon. Comme l’indiquent les Grandes chroniques de France : « madame Marguerite, contesse d’Artois, ayole de ladite duchesse de Bourgoigne, fu marraine »62. Marguerite de France porte en somme sur les fonts baptismaux l’État bourguignon naissant… Dans les jours qui suivent elle reste avec la jeune mère, tout en se consacrant aux affaires comtoises avec ses conseillers « locaux » Aubriet de Plaigne et Eudes de Quingey63. Le 7 juin, elle autorise une transaction touchant une rente sur le communal de Salins entre Guillaume de Belfort et Thiébaut de Rye64, le 8 elle ordonne au gruyer d’Aval de jurer de faire respecter les privilèges de Poligny65. Elle n’attend cependant pas les relevailles datées du 6 juillet pour retourner vers ses terres septentrionales. Laisse-t-elle des proches autour de la jeune mère ? C’est en tout cas une Artésienne, Marie, dame de Frévillers, qui est choisie par Philippe le Hardi comme gouvernante du petit Jean, le 23 juillet 137166.

4. L’attraction du nord Si elle quitte les siens, ce n’est pas pour le comté de Bourgogne mais le nord. Escortée par le duc jusqu’à Troyes atteinte le 13 juillet, elle gagne Paris où on la retrouve le 24 juin. Elle y accorde le 9 juillet 1371 une lettre de sauvegarde aux Juifs du Comté67, puis retrouve le duc de Bourgogne le 20 juillet. Elle fréquente probablement le roi, dont elle obtient la part d’1/8 qu’il détenait sur le château et la terre de Jully68.

60 E. Petit, Itinéraires de Philippe le Hardi, op. cit., p. 88. 61 ADCO B 5479. 62 Les grandes chroniques de France, op. cit., t. 6, p. 332. 63 ADCO B 1436. 64 ADD B 213. 65 ADCO B 485 bis, fol. 16 pour les deux. 66 B. Schnerb, Jean sans Peur, op. cit., p. 26. 67 L. Gauthier, « Les juifs dans les deux Bourgognes », Revue des études juives, vol. 49, 1904, p. 1-17. 68 ADCO B 485 bis, fol. 17.

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Présente le 21 juillet à Paris, elle est à Arras le 31 et y demeure jusqu’à la fin août. Elle y reçoit Philippe le Hardi du 16 au 23 août. C’est l’occasion de régler les affaires en suspens : elle accorde ainsi à la ville de Béthune de retrouver l’usage de la « loi », de la justice échevinale confisquée par le bailli, qui estimait que l’échevinage n’était pas assez sévère ; magnanime, la comtesse leur pardonne69. La défense du pays reste la priorité : la comtesse autorise les Arrageois à lever l’assise pour payer leurs murailles et les aides du roi et ordonne des réparations au château de Rihoult70. Fin août, elle part pour Gand avec le duc de Bourgogne et revient avec lui à Arras le 27 septembre. Elle appuie probablement les efforts du Hardi pour séduire les Flamands que le duc visite alors presque chaque année71, d’autant qu’elle ne s’y rend guère sans lui. Les enjeux sont peut-être aussi diplomatiques. Louis de Male commence en effet à être sollicité par le pape pour favoriser un rapprochement franco-anglais72. Cependant, la véritable cause de ce voyage de la comtesse pourrait être d’une toute autre nature. En effet, en septembre 1371 a lieu un événement aussi discret que capital à la cour de Flandre : la comtesse Marguerite de Brabant est reléguée dans le comté de Rethel. Ce départ a déjà été évoqué depuis avril, et Marguerite de Brabant semble en sursis, ne semblant pas en mesure de pouvoir rendre visite à sa fille lors de son accouchement. La mésentente du couple requiert une séparation, sur fonds de rumeurs d’un assassinat par la comtesse d’une femme enceinte de son mari. Il n’est pas même impossible que Marguerite de Brabant soit repartie de Flandre via l’Artois en compagnie de Marguerite de France et Philippe le Hardi, car elle parvient à Château-Regnault en octobre 1371. Elle y demeure probablement jusqu’à sa mort en 138073. Pour sa part, Marguerite réside à Arras du 27 septembre 1371 jusqu’en avril 137274. La comtesse s’installe dans le poste de commandement du pays, connectée à l’axe Paris-Gand. Elle y est toujours active sur le terrain de la « réformation » : elle réforme les privilèges d’Hesdin en mars 1372, interdisant les cumuls et réduisant les gages des divers officiers municipaux75. Elle met également la pression sur ses officiers pour défendre ses droits devant l’officialité de Thérouanne76. Sur le plan militaire, elle continue de veiller à l’entretien des châteaux d’un bout à l’autre du pays77, et envoie sous escorte plusieurs prisonniers depuis Arras vers Gand juste après la Noël 137178. Il s’agit probablement d’Anglais. Cet hivernage est aussi l’occasion d’organiser la réformation de ses terres nivernaises. Le 4 novembre 1371 Marguerite commet

69 Ibid, fol. 19. 70 Ibid. 71 R. Vaughan, Philip the Bold, op. cit., p. 17. 72 É. Perroy, « Louis de Male et les négociations de paix franco-anglaise », Revue belge de Philologie et d’Histoire, vol. 27, no 1, 1949, p. 138-150. 73 F. Quicke, « Les circonstances de la réclusion et de la mort de Marguerite de Brabant », op. cit. 74 ADN B 15804 et ADCO B 1437. 75 Ibid., fol. 23. 76 ADPDC A 98. 77 ADPDC A 751. 78 Ibid.

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Ancel de Salins pour réformer le pays, ne pouvant s’y rendre elle-même. Il s’agit quasiment d’une lieutenance générale mais l’objet est d’abord l’examen de l’action des baillis, receveurs, châtelains, prévôts, sergents, officiers et sujets, qu’il s’agit de punir et corriger79. La comtesse cherche également à accroître la rentabilité de ses terres : le 3 décembre, elle établit deux forges dans la forêt d’Othe80. Le 27 mars, le duc et de la duchesse s’arrêtent à Arras avant de gagner la Flandre, revenant au retour le 10 avril81. Marguerite de France a le plaisir de revoir brièvement sa petite-fille et son arrière-petit-fils. Après leur départ elle gagne Béthune (attestée le 30 avril)82, gardant un œil sur les négociations en cours entre France et Angleterre.

5. Calais, Paris, Bruges : la comtesse et le triangle diplomatique Le pape continue d’œuvrer pour la paix. Il a désigné Simon Langham, cardinal de Canterbury et Jean de Dormans, cardinal de Beauvais et chancelier de France83, dont un des conseillers de Marguerite, Jean Blarye, a été un familier84. Français et Anglais sont conviés à discuter à Calais. Parallèlement, Flandre et Angleterre mettent fin à leur guerre commerciale le 20 mars85. En route pour Calais, ambassadeurs français et anglais arrivent en Artois début avril, à savoir l’évêque de Londres et l’évêque de Laon, Pierre Aycelin de Montaigut, ancien évêque de Nevers86. S’amorce un dialogue qui doit mener à des conférences en janvier de l’année suivante. Les discussions diplomatiques intéressent la comtesse qui joue de sa proximité, les Français étant à Saint-Omer : elle y envoie plusieurs conseillers dont Charles de Poitiers en avril 1372, dépêché devant le cardinal de Beauvais. Le 6 avril il est en route vers le Calaisis pour rejoindre Guillaume III Roger de Beaufort, « frere no saint pere le pape ». Le 2 mai encore, il repart de Béthune avec d’autres « pour aller pardevers le cardinal de Beauvez ». Ce n’est sans doute pas un hasard si la comtesse cède alors la terre de Luzarches à Guillaume de Dormans, frère de Jean. De Béthune, la comtesse part s’installer entre le 2 mai et le 4 juin à Hesdin, puis gagne brièvement à Paris : le 15 juin87, elle passe un accord avec l’ordre des Hospitaliers afin de récupérer le contrôle et les droits sur les reliefs de fief en Artois88. Puis elle se rend en Flandre : le 24 juin 1372 elle est même à Bruges, alors que la ville commence 79 ADCO B 485 bis fol. 22. 80 Ibid. 81 E. Petit, Itinéraires de Philippe le Hardi, op. cit., p. 80-81. 82 ADCO B 1437. 83 É. Perroy, « Louis de Male et les négociations de paix franco-anglaise », op. cit. 84 L. Carolus Barré, « Le cardinal de Dormans, chancelier de France, “principal conseiller” de Charles V, d’après son testament et les archives du Vatican », Mélanges de l’école française de Rome, vol. 52, no 1, 1935, p. 314-365. 85 É. Perroy, « L’administration de Calais en 1371-1372 », Revue du Nord, vol. 33, no 132, 1951, p. 218-227. 86 É. Perroy, « Louis de Male et les négociations de paix franco-anglaise », op. cit. ADN B 15805. 87 ADCO B 485 bis, fol. 24. 88 Ibid., fol. 25.

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à focaliser l’attention diplomatique. Elle y arbitre la faide opposant Ghildolf, frère de Jean, seigneur de la Gruuthuse et Jean de Molembeke. Le conflit ensanglante en effet Bruges. Jean de Molembeke, ayant blessé Ghildolf, doit partir en pèlerinage à la cathédrale Notre-Dame de Naples, puis revenir à Bruges pour repartir à Saint-Gilles « de Provence ». Tout en démontrant sa connaissance des usages flamands dans cette résolution, Marguerite favorise au passage les Chartreux et les Clarisses dans les peines qu’elle inflige au uns et aux autres89. Début juillet, elle est de retour à Hesdin dont elle repart le 26 ou le 27 pour Arras. L’état de guerre continue de l’inquiéter. Elle doit recruter un nouveau capitaine et châtelain à La Montoire, Jean, seigneur de Hondrescoute, le 16 juillet, à qui elle promet de payer les dédommagements en cas de prise par l’ennemi90. Son prédécesseur Matthieu des Auprimes est en effet prisonnier. Comme à son habitude, Marguerite gouverne la Franche-Comté à distance en faisant venir ses officiers comtois91. À leur demande, elle modifie l’« ordonnance de reformation » rédigée deux ans auparavant : elle augmente légèrement les effectifs locaux qu’elle avait comprimés92. Surtout, le 24 juillet, elle prend une mesure radicale : plusieurs fiefs et arrière-fiefs du comté, notamment à Rochefort ayant été aliénés « senz nostre licence », elle ordonne que tous les fieffés apportent un dénombrement dans le mois, sous peine de saisie93. On mesure le chemin parcouru depuis 1361. Partout, l’effort de « réforme » est à son comble.

6. Un temps de réformation Durablement établie à Arras du 27 juillet 1372 au 26 février 1373, hormis un court séjour en septembre à Paris, sur lequel nous reviendrons, la comtesse se consacre largement à ses terres septentrionales94. Il faut veiller en effet aux bons rapports avec les villes, dans une situation tendue : au nord la menace anglaise demeure. À Arras la pesée de l’administration comtale crée des difficultés. L’Artois subit également une pression financière importante, fournissant l’essentiel des ressources. Dans ce climat assez lourd, la comtesse joue la carte de la « réformation », répétant une même stratégie : après avoir formulé de lourdes accusations, elle transige mais rappelle son autorité, en quête d’un équilibre entre la puissance des villes et l’influence de la royauté. Le 29 juillet 1372, elle accorde son pardon aux Audomarois, accusés d’avoir enfreint le 10 septembre 1371 la sauvegarde de la comtesse sur l’abbaye de Saint-Bertin, pour y arrêter « un conspirateur » qui prévoyait de « faire desruire et ardoir ladite ville ». Elle leur pardonne, sans doute pour éviter d’être dessaisie de l’affaire : le

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Ibid., fol. 36. Ibid., fol. 43. ADCO B 1437. ADCO B 485 bis, fol. 27. ADD B 44. ADCO B 485 bis, fol. 43.

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chancelier Jean de Dormans avait d’ailleurs établi l’accord entre la ville et l’abbaye95. La peur de la comtesse était que l’abbaye de Saint-Bertin s’en remette au roi seul pour sa sécurité : le 24 août elle fait écrire que l’abbaye demande à être dans la garde de la comtesse, une coutume qu’elle n’avait pas toujours respectée : le conseil fait alors instrumenter par un tabellion cet aveu, et le document est mis en la « chambre des comptes de madite dame »96. Le même jour, la comtesse pardonne les exactions lors de la mutinerie de janvier 1371. Le peuple était alors en pleine « mocion… pour doute de traison, perte et destruction d’icelle ville ». Il en coûte à peine 1 500 lb à la ville97. La comtesse est prudente, car le mécontentement gagne. À Arras, Marguerite constate les mauvais rapports entre ses gens et ses sujets. Pour apaiser la population, son procureur général entend mettre fin au gouvernement du bailli d’Arras Guy de Goy. Il l’accuse de corruption, de convoitise, d’abus de justice, de viols. Fait prisonnier, conduit devant le grand conseil, il est jugé. Tout le monde est invité à venir se plaindre. Autour du bailli émerge un clan : son neveu Guiot, ses frères le chevalier Jean de Goy et « le moine de Goy » suspectés d’agir contre les sergents comtaux, aidés par les Amion, riche famille arrageoise. Le bailli défendrait les intérêts de l’abbaye de Marchiennes, et rançonnerait le plat pays depuis le château de Bellemotte… Il est acquitté mais écarté du pouvoir98. Quelques jours plus tard, le 20 janvier 1373, un nouvel accord est trouvé entre la comtesse et la ville d’Arras. Marguerite désavoue ses sergents et leurs exactions99. Un autre accord est encore trouvé le 27 février 1373 pour de nouveaux empêchements commis par les officiers comtaux présents en ville100. Vers la même époque est promulguée une grande ordonnance, qui définit les salaires, les sceaux et émoluments en vigueur dans les différents sièges de bailliage de l’Artois, afin de mettre fin aux exactions des commissaires et sergents101. Relativement sûre de sa force, la comtesse souhaite également faire sentir sa poigne à la noblesse, comme elle le fait alors en Franche-Comté : elle fait saisir le comté de Fauquembergues, fief proche de Saint-Omer, vendu par Jean dit Sance de Beaumont à l’avoué de Thérouanne. Les héritiers de celui-ci l’avaient ensuite revendu sans avoir fait hommage, et sans s’acquitter des droits de vente. Le comté est saisi. Acquéreuse de la terre, la comtesse de Saint-Pol se rend en personne devant Marguerite, suppliant qu’on la lui rende. La comtesse d’Artois accepte pour 800 francs, le comté en valant 5 000102. Des mesures économiques sont également envisagées pour relancer les échanges. Dans le pays d’Hesdin Pierre du Chocquel est envoyé en août 1372 pour enquêter sur la possibilité de rendre la Canche plus navigable jusque Montreuil ou Beaurainville. Il remet son rapport à la comtesse fin février 1373.

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Ibid., fol. 29. Ibid., fol. 33. Ibid., fol. 30. Ibid., fol. 42. Ibid., fol. 51. Ibid., fol. 50. Ibid., fol. 39. Ibid., fol. 48.

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7. Marguerite et Yolande de Flandre : les solidarités flamandes Nous avons évoqué un bref voyage de Marguerite à Paris en septembre 1372 : il est motivé par son soutien à Yolande de Flandre, qui a été arrêtée par le roi le 25 avril 1371 pour avoir fait prisonnier sur les terres royales Henri de Bar en 1370, puis son propre fils le duc de Bar103. En septembre 1372, Yolande s’est enfuie avant d’être arrêtée par le seigneur de Longueval, peut-être près de Saint-Omer à en croire Louis de Male, donc en Artois. En représailles, à l’automne 1372, Louis le Haze, bâtard de Louis de Male et petit-fils de Marguerite, pille et boute le feu à Longueval, Foncqueviller et Bienvillers. Il a probablement agi avec la bénédiction de la comtesse ; on est à 10 km au sud de Bapaume, dont le Haze est un habitué, attesté plusieurs fois au château en 1373104. La venue de la comtesse à Paris peu après la seconde arrestation de Yolande semble indiquer une tentative auprès du roi105. C’est peut-être l’échec de cette première médiation qui expliquerait les représailles. Mais Marguerite n’oublie pas la cousine de son mari et de son fils. Début mars 1373, elle repart pour Paris. Retenu en Flandre par les négociations diplomatiques, Louis de Male compte sur les rapports envoyés par sa mère pour savoir quelle conduite adopter106. Le 26 octobre 1373, lorsque le roi finit par accorder son pardon à Yolande, il invoque d’ailleurs les requêtes insistantes de Marguerite de France à laquelle il ne peut refuser grand-chose107. Il a cependant pris son temps, voulant remettre le clan flamand à sa place sans se l’aliéner.

8. La chevauchée de Lancastre Une fois obtenue la grâce de Yolande, Marguerite demeure à Paris et en son hôtel de Conflans. Elle espère revenir au comté de Bourgogne : en mai 1373 ordre est donné à Poligny108 et Vesoul de commencer à faire provision de nourriture « pour la provision de l’ostel madame de Flandres qui devoit venir »109. Le voyage est cependant annulé. Les nouvelles d’Angleterre sont mauvaises. Arrivé à Paris le 22 juin, le bailli d’Aire apprend du chapelain de la comtesse, messire Martin, « des nouvelles des anemis qui devoient monter subz a Callais »110. La venue de Lancastre est déjà anticipée à Paris, alors qu’on ne s’y attend pas en Artois : cette fois-ci, les réseaux d’espions du roi ont été plus efficaces.

103 M. Bubenicek, « À propos d’une correspondance inédite de Charles V et de Louis de Mâle : étapes, moyens et enjeux d’une négociation politique », Revue historique, no 625, 2003, p. 3-42. 104 ADN B 14411. 105 ADCO B 485 bis, fol. 55. 106 M. Bubenicek, Quand les femmes gouvernent, op. cit., p. 270. 107 AN JJ 105.61. 108 ADD B 135. 109 BN Fr. 8552. 110 ADN B 13634.

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Pourtant, la comtesse demeure à Paris. Le 11 juillet, elle préfère envoyer un lieutenant en Artois contre « les Englois et ennemis du royaume ». Elle a d’abord pensé à Charles de Poitiers, mais ne peut s’en passer ; elle lui substitue le seigneur de Béthencourt111. Appelé Sarazin, ce noble est très enraciné dans l’Audomarois, déjà établi gouverneur du bailliage de Saint-Omer du 23 juillet au 5 août 1372. Il figure même parmi les chevaliers qui « portoient les armes de tournoy » du comte à Lille lors des obsèques de Louis de Male112. Béthencourt peut aussi compter sur Guillaume, bâtard de Poitiers, neveu de Charles de Poitiers, envoyé « pourvoir aux forteresses de madame »113. Le pays semble prêt pour la chevauchée de Lancastre qui passe devant Saint-Omer, campe à Helfaut le 5 août, gagnant ensuite Arras puis la Somme114. Si la comtesse ne repart pas en Artois, c’est sans doute qu’elle ne veut plus repousser son voyage en Franche-Comté. Le 1er juillet, elle envoie un nouveau message pour préparer sa venue à Gray115. Et pourtant, elle ne part toujours pas. Le 24 juillet, en l’église Saint-Pol, elle assiste au baptême de la fille de Charles V et de Jeanne de Bourbon, Isabelle, dont elle est marraine avec la duchesse de Bourbon116. Fin août elle établit de nouveaux préparatifs à Troyes117, mais demeure à Paris jusqu’à la fin octobre118, moment où Yolande obtient enfin son pardon. C’est alors qu’un nouvel incident la contraint à retourner en Artois119.

9. « le fait et commocion de le ville d’Arras » En effet, peu après la chevauchée du duc de Lancastre, les Arrageois ont été sollicités par le roi pour envoyer 35 arbalétriers à l’ost à Saint-Denis, menés par un personnage d’une famille bien connue, Regnaut Wyon ou Wion, connétable de la confrérie des arbalétriers arrageois. Alors qu’on rassemble les hommes, une mutinerie éclate à Arras le mercredi 21 septembre 1373, dans une ambiance assez « flamande », proche du « wapentake », de la prise d’arme. Ayant réuni les troupes au son des cloches « pour le vespre », à la fin de la journée de travail, les échevins ordonnent le départ des combattants soldés pour quinze jours et dotés d’une cotte. Assemblés au « grant marquiet d’Arras », ils sont « grant plenté d’arbalestriers et leurs banières desploiés ». Au moment où chacun fait ses adieux, des arbalétriers se soulèvent : ils exigent la remise de certaines amendes et la libération de l’un d’entre eux, Jean le Bochu ou le Bossu. Ils invoquent les privilèges des arbalétriers de leur confrérie

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ADPDC A 98. Istore et croniques de Flandres, op. cit., p. 347. ADN B 15809. Jean Froissart, Chroniques, op. cit., éd. Luce, t. 8, vol. 2, p. 147-151. ADCO B 3856. Les grandes chroniques de France, op. cit., t. 6, p. 339. ADCO B 3856. ADCO B 485 bis fol. 55 et ADN B 14411. ADPDC A 988 et AMA BB 2.

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bafoués par la comtesse. S’ensuit une émeute sur la place Saint-Géry au cours de laquelle le connétable Wion est agressé. Les rebelles, rejoints par le connétable des arbalétriers du « dehors » de la ville, « sembloient des gens de guerre et rangiés pour le combat ». Un des témoins évoque jusque 2 000 personnes et 100 arbalétriers « a grans routees et ordenances de assemblee, et avoient falos, les trompes de le ville, challemelles et cornemuses ». Finalement, l’échevinage est forcé de demander aux gens du conseil de la comtesse de relâcher « Le Bochu » ; ceux-ci obtempèrent. Les arbalétriers peuvent alors partir. Fort « mal contente » de l’incident, la comtesse ordonne le 8 octobre une enquête depuis Paris puis décide de tirer les choses au clair elle-même. Le 8 novembre elle est à Bapaume, le 9 au soir à Arras120. Elle s’y installe pour près de 6 mois. Laborieusement, un accord est trouvé le 26 juin 1374, imputant les turpitudes au bas peuple : la ville versera 3 000 francs, et effacera une dette de 1 000 francs auprès des fournisseurs de la cour. On promet encore d’envoyer 20 prisonniers à Bapaume et Bellemotte. L’affaire se solde par un pardon accordé par la comtesse le 17 mars 1375, depuis Bapaume, mais elle laisse des traces profondes. Lors de son retour en Artois, et au-delà du seul cas arrageois, la comtesse se préoccupe une fois de plus de la défense du pays, octroyant la levée d’assises à Saint-Omer « pour la fortificacion d’icelle ville comme pour leurs autres neccessitéz »121 ; elle tente également de redresser les régions les plus sinistrées comme le pays de Langle122. Elle vient aussi en aide à la ville d’Aire, ravagée par un incendie « de meschief » en 1373123. En mai 1374, Aire obtient de tenir une foire après le 2 novembre, jour des morts124. La comtesse lui rend également ses privilèges brûlés125. Le pays continue d’ailleurs de souffrir de la guerre : l’hôpital Saint-Jean de Béthune affirme qu’un afflux de pauvres nécessite une hausse de ses revenus, et obtient un amortissement126. Après avoir mis en ordre ses affaires en Artois et visité plusieurs bonnes villes, ainsi que la Chartreuse de Gosnay127, Marguerite de France repart vers le sud en s’arrêtant à Bapaume le 7 mai. Elle fait envoyer ses bagages à Troyes avant de quitter l’Artois vers le 18 mai. Elle arrive à Séry-lès-Mézières le 19 et se trouve à Troyes le 1er juin. Elle y demeure au moins jusqu’au 28, réglant diverses affaires champenoises : elle autorise ainsi les confrères du Saint-Sacrement dans la paroisse Saint-Jean de Bonneval à récupérer des futeaux dans les forêts d’Isle et Chaource, afin de faire « une couverture de may autour l’eglise »128. Déjà elle commence à s’intéresser aux affaires comtoises129 ; la Bourgogne est son véritable objectif.

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ADN B 14411. ADCO B 485 bis, fol. 55. AMSO BB 1, n° 26 (original). ADN B 15809. ADN B 13634. ADCO B 485 bis, fol. 65. Ibid., fol. 62-63. Ibid., fol. 57. ADPDC A 99. ADCO B 485 bis, fol. 60. Ibid.

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10. Un séjour pour réformer la Franche-Comté Le pays commence à se relever du creux de la décennie des années 1360, grâce au reflux de la guerre. La comtesse a déjà amorcé plusieurs réformes et commencé à redresser le domaine comtal. Elle continue de prendre multiples mesures, notamment pour reconstituer les bases d’un domaine solide : rachat d’une rente sur la saunerie de Salins tenue par Isabelle de Neufchâtel130, rachat de la ville d’Ornans engagée à Jean de Neufchâtel131. La situation s’est également améliorée sur le plan militaire : l’union de 1369 en est une des clefs, favorisant l’alliance de Philippe le Hardi, de la comtesse, de Hugues II de Chalon-Arlay et d’Amédée VI de Savoie. Jean de Chalon-Auxerre est également neutralisé. Désormais, la menace se réduit aux frontières du nord-est, où s’affrontent Montbéliard et Neufchâtel, mais aussi Bourgogne et Habsbourg. En août 1368 le comte de Montbéliard et Enguerrand VII, seigneur de Coucy, s’étaient unis pour que le second récupère l’héritage de sa mère Catherine de Habsbourg en Haute-Alsace. En retour, Habsbourg et « Allemands » se font plus menaçants en Comté. La prise d’Héricourt le 9 août 1368 crée la panique132. Le 21 août 1369, afin de susciter des troubles, les Habsbourg vendent la seigneurie de Châtelot et d’autres terres réclamées par le comte de Montbéliard à Thiébaut VI sire de Neufchâtel. Le conflit Neufchâtel-Montbéliard fragilise davantage le nord-est. Le 14 décembre 1372, deux officiers comtaux viennent à Blamont devant Thiébaut V, qui entend réconcilier « les Allemens et les gens de madame »133. Le 17 un accord est trouvé avec les Habsbourg134, qui conservent Héricourt135. Mais en septembre 1373 à Bâle ont encore lieu des négociations entre les gens du duc d’Autriche, les « Allemands » et les gens de madame, « sur le fait du signeur de Monjoie et ceulx de Mestneul qui corroient sur madame »136. D’autres discussions suivent en novembre, toujours à Bâle137. C’est dans un pays en cours de pacification mais ravagé que Marguerite de France effectue un dernier voyage. Passant par Langres, elle y entre par le nord. Son arrivée par Gray où sa mère aimait résider, mais qui s’était révoltée à son avènement n’est pas un hasard. Elle y arrive début juillet 1374, après 10 ans d’absence, avec sa petite-fille et héritière à ses côtés. Elle va par la suite visiter notamment Rochefort, Quingey et Salins138. Sa venue permet de régler une myriade de questions en suspens et d’affirmer sa stature « réformatrice ». Le retour de la princesse est l’occasion d’afficher une sorte

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Ibid., fol. 42. ADCO B 1439. BN Moreau 878, AMB Droz 17. É. Clerc, Essai sur l’histoire de la Franche-Comté, t. 2, p. 169. BN Fr. 8552. ADCO B 485 bis, fol. 53. Ibid. BN Fr. 8552. Ibid., fol. 34r. ADCO B 1443.

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de remise à plat : il est temps de payer les dettes, de dispenser la grâce et de réparer les torts en personne, bref de réformer. Les gens du commun viennent d’ailleurs la trouver en son château : c’est le cas le 19 août des habitants de Gray139. Durant son séjour au nord du comté, elle règle plusieurs affaires du bailliage d’Amont parfois vieilles de 13 ans : elle fait payer des fournitures de guerre à Gray-la-Ville pour le siège de Rochefort durant l’hiver 1368-1369, restitue une rente confisquée à Vesoul aux héritiers de Gilles d’Aichey, suspecté d’avoir été un soutien de Chauffour lors de la prise d’Apremont140. Elle pardonne également à Jean, seigneur de Digney d’avoir participé à la prise du château141. Elle opère des changements parmi les officiers du nord, faisant remplacer les châtelains de Baume-les-Dames et Jussey142. Elle entérine même le 26 juillet, un don fait par le duc Eudes le 3 février 1349 en faveur de Regnaut de Jussey143. Enfin, toujours au château de Gray, elle prête hommage le 2 août 1374 à l’archevêque de Besançon élu en 1371 pour Gray et Vesoul144. Elle descend ensuite vers le sud après le 19 août, en passant par Rochefort, où elle fait son entrée en tant que dame « nouvellement venue », accordant une rente de 6 lb pour la chapelle du château145. Elle est ensuite à Quingey du 30 août au 4 septembre, puis à Salins du 6 septembre146 au 2 octobre au moins147. On conserve une douzaine d’actes datés de ce séjour, De nouveau, Marguerite manifeste une volonté de pacification tout en montrant son autorité, désavouant au passage certains officiers : elle fait cesser les poursuites de son procureur contre messire Guillaume d’Arbonay, chevalier, accusé d’avoir capturé de nuit un habitant de Mesnay148. Elle fixe l’assise d’une rente pour Saint-Anatoile de Salins en vertu du testament de Philippe de Rouvres, à laquelle les gens des comptes s’opposaient car l’église de Saint-Anatoile était aussi sujette des Chalon. Elle rappelle qu’elle est souveraine dame de Salins et que ses cousins tiennent leurs biens d’elle seule149. L’affirmation de la souveraineté est d’ailleurs un point commun à nombre de ces actes. Cette soif réformatrice se traduit d’ailleurs par une volonté de reconstituer le domaine. Marguerite rachète Pontarlier engagé à Henri de Vienne par Philippe de Rouvres, et une rente sur la saunerie à Gauthier de Vienne150. L’affaire est plus compliquée avec les Montbéliard auprès desquels la comtesse a engagé bien des terres, notamment ses droits sur Chaussin. Ayant été reconnue par le roi détentrice légale de la moitié de la châtellenie, Marguerite avait obtenu qu’Henri 139 ADCO B 485 bis, fol. 66. 140 BN Fr. 8552. 141 Août 1374. ADCO B 485 bis, fol. 61. 142 BN Fr. 8552. 143 BN Collection Bourgogne 26, fol. 225. 144 J.-F.-N. Richard, Histoire des diocèses de Besançon et de Saint-Claude, 2 vol., Besançon, 1847-1851, t. 2, p. 69. 145 ADCO B 485 bis, fol. 60. 146 ADD B 412. 147 ADD B 474. 148 ADCO B 485 bis, fol. 67. 149 Ibid., fol. 68. 150 L. Gollut, Les Mémoires historiques de la république séquanoise, op. cit., col. 759.

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de Montbéliard lui restitue Chaussin, en échange de la châtellenie de Clerval ainsi que 200 lb de rente sur Baume-les-Dames et Ornans. L’assiette avait été approuvée le 27 juin 1366. Cependant les comtes Henri puis Étienne semblent avoir considéré que la totalité de la seigneurie d’Ornans leur revenait et non seulement les 200 lb de revenus promis. Étienne de Montbéliard y renonce contre 100 lb sur la châtellenie de Baume-les-Dames, et 100 sur la châtellenie d’Ornans, avec en outre « six vins dix sept maignies de hommes de le France conté ». C’est d’ailleurs là la première mention, très obscure, de la « Franche Comté », désignant ces hommes de la châtellenie d’Ornans151. Le 4 septembre 1374, la comtesse liquide enfin la « dette fiscale » due au titre du jet de 1365 par Montbéliard et ses vassaux152. Sa poigne se fait encore sentir dans la manière de solder l’affaire du château de Valempoulières. En effet, le 1er juin 1367, le gardien de la comtesse avait ordonné de prendre les châteaux de Valempoulières et Chavanne-sur-Suran « par quelconques voie ». Ces châteaux avaient été vendus par Tristan de Chalon, « homs liges de ma tres redoubtee dame », « senz la licence, auttoritey ou consement de madite dame ». Le 5 octobre 1374, la comtesse accepte de répondre aux supplications de l’acquéreur malheureux, Pierre, seigneur de Cly, mais ne lui rend pas le château qu’elle conserve. En dédommagement, elle lui octroie en viager le lointain château de Baume-les-Dames et 300 florins de revenus sur les alentours153… C’est enfin durant ce séjour qu’elle décide le 28 septembre l’expulsion immédiate des Juifs de Salins, mettant fin à la tolérance établie en 1362 et confirmée en 1371. À la demande du clergé local elle agit contre ces « très vils et perfides juifs dont le contact souillait les chrétiens et suscitait d’innombrables péchés ». Le délai d’expulsion est d’un mois seulement154. Deux siècles plus tard, Gollut la présente comme « le plus beau et sainct faict que ceste dame exequtat »155… La comtesse poursuit son voyage en rejoignant une de ses plus anciennes possessions, Arbois, avant d’achever sa tournée comtoise à Dole où elle arrive vers le 12 octobre. Elle accorde aux Dolois quittance de 80 florins qu’ils devaient payer pour la destruction d’un moulin démoli par la chute d’une tour sur le pont de Dole, dont l’entretien leur revenait, car les habitants y sont « de present moult grevéz de plusieurs grosses missions »156. À Mesnay, elle prolonge la réduction des tailles en raison de la perte massive d’habitants de 25 à 3 ou 4 foyers157 ! Si elle termine par Dole, près de Dijon, c’est qu’elle y a donné rendez-vous à Philippe le Hardi, qui arrive le 7 octobre 1374158. Le couple ducal s’est en effet installé à Montbard pour les derniers mois de la grossesse de Marguerite de Male. Il y a là comme un passage de relais : la comtesse quitte définitivement le comté, 7 ans avant

151 ADCO B 1064. 4 septembre 1374. 152 ADD B 60. 153 ADD B 410. 154 L. Gauthier, « Les juifs dans les deux Bourgognes », op. cit. 155 L. Gollut, Les Mémoires historiques de la république séquanoise, op. cit., col. 759. 156 ADD B 345. 157 ADD B 365. 158 E. Petit, Itinéraires de Philippe le Hardi, op. cit., p. 110.

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la fin de son principat159, s’apprêtant à confier une part du pays au duc. Reparti le 10 vers Auxonne, le duc y reçoit la comtesse le 15 avant de rejoindre la duchesse qui vient d’accoucher le 16 à Montbard. Si Marguerite n’a pas été présente le jour de la naissance, elle entend se joindre au baptême.

11. Vie de famille et manœuvres diplomatiques au nord Le duc et la comtesse partent donc vers Montbard puis Montfort le 21 octobre160. Le 22 a lieu le baptême de l’enfant, prénommée Marguerite, future comtesse de Hainaut, Hollande et Zélande. Même si on n’en a pas la preuve, il est raisonnable de penser que la comtesse fut sa marraine… Après quoi tout le monde regagne Montbard où la comtesse demeure peu de temps. Le nord l’appelle de nouveau. Dès le 28 octobre, elle est au sud de la Champagne, à Jully-sur-Sarce. Elle se prépare à gagner Paris où elle fait envoyer des draps d’Artois le 19 novembre161, avant de les faire venir à Troyes162 où elle passe la Noël163. Quittant Troyes le 9 janvier 1375, elle gagne Brie-Comte-Robert le 14 où elle retrouve Philippe le Hardi venu depuis Paris « vers madame la contese d’Artoys »164. Le 22, elle est installée à Paris165. Elle y accueille fréquemment le duc quand il n’est pas à Vincennes ou Melun avec le roi. Mais elle repart vite au nord : Charles d’Artois semble l’inquiéter, lui qui entend faire « guerre à madame de Flandres, contesse d’Artois, pour aucun semblant de titre qu’il pretendoit avoir en la conté d’Artoiz ou partage sur ycelle »166. Il s’agit également de régler le sort des Arrageois auxquels Marguerite accorde son pardon dès son arrivée en Artois, le 17 mars, depuis Bapaume167. La comtesse et ses conseillers espèrent aussi peser sur les négociation diplomatiques, sujet sans doute abordé lors du séjour parisien. L’ascendant de Marguerite sur la Flandre compte beaucoup aux yeux du roi. Durant son séjour comtois, elle est d’ailleurs restée en relation avec le sénéchal de Hainaut alors chargé de réaliser certaines « besongnes » au nom de « madame de Bavière », sans doute Marguerite de Brzeg, épouse d’Albert Ier. Le sénéchal envoie le 3 juin 1374 un messager « devers le roy, monseigneur de Bourgoingne et madame d’Artois pour acorder journée »168. Des discussions se tiennent alors à Bruges du 27 mars à la fin juin ; Édouard III y députe Jean de Gand. Louis de Male joue les médiateurs, même s’il s’implique peu dans les pourparlers. Philippe le Hardi représente Charles V : il est à Gand du 17 au

159 ADD B 365. 160 E. Petit, Itinéraires de Philippe le Hardi, op. cit., p. 110. 161 ADPDC A 758. 162 ADPDC A 760. 163 ADCO B 3858. 164 E. Petit, Itinéraires de Philippe le Hardi, op. cit., p. 113. 165 ADPDC A 760. 166 BN Fr 15515, fol. 346-348. H. Moranvillé, « Charles d’Artois… », op. cit., p. 273. 167 AMSO BB 2. 168 Cartulaire des comtes de Hainaut, op. cit., t. 2, p. 243.

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23 mars 1375, puis du 16 avril au 3 mai. Le roi de France finit par accepter une trêve devant courir de juillet 1375 à juin 1377169. Durant ces discussions, Marguerite se place d’abord à Bapaume, entre Paris et Bruges170. Si elle gagne ensuite Arras du 23 mars au 23 avril171, elle est à Gand le 1er mai avec Charles de Poitiers et Ancel de Salins. En ce jour se tiennent des joutes en l’honneur des ducs d’Anjou, de Lancastre et de Bretagne, auxquelles assistent son fils, sa petite-fille, Philippe le Hardi, le duc et la duchesse de Brabant, ainsi qu’Albert de Bavière et son épouse. Vient-elle également peser sur les discussions ? Elle en profite en tout cas pour solder une vieille affaire : le douaire du premier mariage de Marguerite de Male. En tant que veuve de Philippe de Rouvres, elle devait détenir Poligny, et les terres alentour pour 4 000 livrées de revenus. Marguerite de France, comtesse de Bourgogne, avait renâclé, voulant conserver une cohérence au domaine comtal. Elle avait bénéficié de la patience de son fils et de sa petite-fille. Elle finit par se résoudre à accorder son dû à sa petite-fille, mais déplace le douaire au baillage d’Amont pour maintenir l’unité domaniale au sud172. Philippe le Hardi, « veuillant faire le plaisir de madame d’Artois », y consent en 1375 : il obtient Montjustin, Jussey, Vesoul, Charey, Montboson, Baume-les-Dames (en principe laissé au seigneur de Cly), Châtillon-le-Duc. Le duc renonce aux énormes arrérages dus pour Poligny depuis 1361, mais obtient la châtellenie de Jonvelle sur Saône, confisquée sur la dame de Jonvelle pour avoir laissé la garnison commettre « pilleries et malefices ». Le sud du domaine reste donc une masse compacte mieux contrôlable, tandis que le nord si dur à défendre est protégé par Philippe le Hardi, qui marque tous les signes de déférence à la comtesse. Il suspend sa demande d’une rente de 1 000 lb sur Salins, rente qui fait partie du patrimoine du duché de Bourgogne, et des prétentions à l’hommage sur des terres de Comté mouvant, selon lui, du duché. La comtesse demeure ensuite jusqu’au 24 mai à Gand, revenant probablement par la Lawe à Béthune, avant de gagner Gosnay puis Hesdin où elle s’installe le 8 juin pour 2 mois. Elle rejoint ensuite Saint-Omer entre le 14 et le 27 août173, et en repart début octobre. Or les négociateurs français arrivent à Saint-Omer début octobre, notamment le duc d’Anjou attesté le 12. C’est chez la comtesse que les Français entendent négocier, assurant que Bruges ne fournit pas les garanties nécessaires de sécurité. Bien entendu, les Anglais refusent. Le comte de Flandre finit par convaincre les Français de venir à Bruges début décembre174. Or Marguerite gagne Gand le 13 octobre et y est encore le 26, repartant vers Béthune début novembre pour s’établir à Arras entre le 12 et le 14175.

169 F. Autrand, Charles V, op. cit., p. 616-618. 170 Inventaire chronologique des chartes de la ville d’Arras, éd. A. Guesnon, Arras, 1896, p. 139. 171 ADN B 14617. 172 U. Plancher et alii, Histoire générale et particulière de Bourgogne, op. cit., t. III, p. XXIX. 173 ADN B 14617 et 15282. 174 É. Perroy, « Louis de Male et les négociations de paix franco-anglaise », op. cit. 175 ADN B 14621, ADCO B 3858.

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Elle s’y installe pour 6 mois. Si la comtesse appuie sans doute les négociations côté français, sa position est plus subtile. Elle entend rappeler ses droits face à un roi de France prompt à se saisir des enjeux géopolitiques pour intervenir en Artois. C’est le motif qu’elle avance pour se faire accorder une aide destinée à défendre les quatre privilèges majeurs de l’Artois176. On la voit en revanche peu occupée par les affaires comtoises : elle autorise cependant les habitants du bourg communal de Salins à mener des travaux de fortifications177. Marguerite maintient le contact avec Philippe le Hardi. Elle l’accueille le 8 février 1376 à Arras alors qu’il revient de Gand, rejoint le 24 par la duchesse, le couple partant le 28 vers Bruges178. La comtesse est aussi en lien avec le duc d’Anjou, qui passe le 18 novembre 1375 à Arras, et obtient de Marguerite une lettre de rémission pour un proche179, avant de passer brièvement à Béthune le 19. Venu l’y chercher, Charles de Poitiers constate qu’il est déjà parti. Il y revient le 19 mars 1376, en route pour Aire et toujours en quête de Louis d’Anjou180. Ce ballet s’explique par les négociations ayant lieu à Bruges de décembre 1375 à mars 1376. La comtesse a un œil sur ces affaires qui avancent mal. Les propositions de trêve de quarante ans sont rejetées par les deux camps. Le rôle de Louis de Male est en outre affecté par le séjour de Jean de Montfort à la cour du comte entre janvier et mars 1376. C’est alors que l’on voit arriver Marguerite en Flandre181. Elle aurait rejoint sa petite-fille à Tournai non pas le 13 mars, comme stipulé dans les Croniques de Franche rédigées à Tournai, mais à la fin du mois. Marguerite de France est en effet encore à Arras le 19 mars quand elle envoie des provisions vers Gand182. Le 31 mars, elle y arrive avec sa petite-fille183. Le duc organise alors des joutes du 31 mars au 3 avril, au cours desquelles on peut compter sur les provisions artésiennes de Marguerite de France. On la retrouve ensuite à Arras le 1er mai. Dans la mesure où Philippe le Hardi quitte Gand le 4 avril pour Arras, il est probable que la comtesse est repartie avec lui, peu après les joutes. La comtesse se rend ensuite pour Paris où on la retrouve à la fin mai. Elle y fréquente Bureau de la Rivière184 ainsi que le duc et la duchesse arrivés le 29 juin de Bourgogne au gîte « vers madame d’Artoys ». Pour l’été, chacun rentre chez soi : le couple ducal en Bourgogne185, Marguerite à Hesdin où elle demeure de la mi-juillet jusqu’à la fin janvier 1377186, y passant « le feste du Noel »187. Ce séjour est encore consacré à la 176 AMSO BB 147. 177 ADD B 270. 178 E. Petit, Itinéraires de Philippe le Hardi, op. cit., p. 124. 179 ADPDC A 99. 180 ADN B 14626. 181 Croniques de Franche, d’Engleterre, de Flandres, de Lile et espécialment de Tournay, éd. A. Hocquet, Mons, 1938, p. 192. 182 ADN B 14626. 183 ADN B 14621. 184 ADPDC A 763. 185 E. Petit, Itinéraires de Philippe le Hardi, op. cit., p. 128. 186 ADN B 14627, ADCO B 3859. 187 ADN B 14627.

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défense du pays. La comtesse renforce le guet du château de Saint-Omer, sous la supervision de Willaume Boudevale188. Elle entend aussi défendre son autorité, non sans brutalité. Jeanne de Mailly, dame de Bours en fait les frais : ayant donné abri à son parent Jean de Bours, coupable d’un meurtre en pleine église, la dame de Bours s’était réfugiée à Saint-Pol, où les officiers comtaux viennent la chercher en force. Ramenée à Arras, elle y est exécutée peu avant le 29 août « par embrasement de feu pour ses démérites »189. Dans cette affaire, la comtesse aurait d’ailleurs écouté l’avis du duc d’Anjou de retour de Bruges où il négociait190. Moins mobile, Marguerite favorise l’implantation de Philippe le Hardi en Franche-Comté ; à l’automne 1376, au retour d’un pèlerinage à Saint-Claude, le duc vient visiter plusieurs villes d’Aval comme Poligny, Salins et La Loye191. Il a en cela été conseillé par les proches de la comtesse : à l’aller, le 11 novembre 1376 Ancel de Salins et Humbert de la Platière sont venus le trouver à Bletterans, pour le convaincre de passer par ces villes192.

Conclusion Les années 1369-1376 sont des années de résistance militaire, de reprise en main et de réformation, durant lesquelles l’action personnelle de la comtesse se lit également dans les discussions diplomatiques. Priorité est donnée à l’alliance avec les Valois Charles et Philippe. Le roi, le duc et la comtesse constituent désormais la tête de cette nouvelle alliance bourguignonne. La fermeté de la comtesse face à l’ennemi anglais est sans doute une de ses constantes. Pour autant, il ne s’agit pas d’un alignement : Marguerite compte bien maintenir son autorité en Artois face à un roi soucieux de souveraineté et intolérant à tout manquement dans la défense du pays. Pour garder sa légitimité, la comtesse veille à protéger l’Artois. Sans aller jusqu’à faire d’elle un chef de guerre, il y a chez elle une mise en scène de son implication personnelle, de sa prise de risque : la comtesse s’affiche personnellement dans la défense de ses états, s’exposant pour mobiliser. Elle maintient fermement l’autorité comtale, y compris vis-à-vis des villes. Ce tropisme nordique explique une moindre mobilité, davantage que l’âge, pour l’heure du moins, l’éloignement de la Bourgogne étant permis par une plus grande stabilité et la hausse de l’influence de Philippe le Hardi. Cela n’empêche pas la comtesse de continuer à entendre régler elle-même la plupart des problèmes, suivant son programme d’inspiration réformatrice. Résister, négocier, réformer : un programme politique proche de celui de Charles V, mené avec cohérence mais conditionné par les capacités limitées de la comtesse à peser dans le « grand jeu ».

188 ADN B 15814. 189 ADPDC A 763. 190 Annuaire-Bulletin de la Société de l’histoire de France, Vol. 20, No. 2, 1883, p. 246-275. 191 E. Petit, Itinéraires de Philippe le Hardi, op. cit., p. 128. 192 F.-F. Chevalier, Mémoires historiques sur la ville et seigneurie de Poligny, op. cit., t. 1, p. 425.

Chapitre 10 

Entre guerre et révoltes Protéger la succession (1377-1382) Durant les cinq dernières années de sa vie, Marguerite est plus que jamais proche de Marguerite de Male et Philippe le Hardi, avec lesquels elle forme un nouveau parti bourguignon solidement arrimé à la monarchie. À l’intérieur de ses états, la comtesse jouit d’une autorité plus affirmée. L’aboutissement de cette politique de pacification et de restauration de l’autorité comtale correspond à un épisode majeur du principat, la prestation de l’hommage à l’empereur Charles IV, reportée depuis 17 ans. En dépit de la dégradation de son état de santé, la persistance des menaces anglaises et le danger que représentent les révoltes flamandes lui interdisent de se retirer des affaires du monde, malgré un attrait de plus en plus fort pour la Chartreuse de Gosnay.

1. Le temps des hommages : un séjour parisien très politique D’Hesdin, Marguerite regagne en effet Arras à la fin janvier 1377, rappelée par les rumeurs de la guerre. Les négociations sont dans l’ impasse, ce dont la comtesse a peut-être été informée par l’abbé de Saint-Vaast d’Arras, Jean le Fèvre, émissaire de Charles V à la fin 1376. Marguerite de France effectue d’ailleurs un voyage en Flandre à la fin février 1377, après avoir accueilli le 12 février Philippe le Hardi à Arras. Le duc est en route pour Audenarde où il parvient le 28 avant de rejoindre Tournai le 8 mars, puis Paris. Même si les sources ne sont pas claires, la comtesse l’a probablement accompagnée en Flandre, favorisant son intégration dans le comté et les rapports entre les Valois et Louis de Male qui demeurent délicats. Ce rôle diplomatique accapare aussi ses proches dans un jeu triangulaire. Olivier de Jussey et surtout Ancel de Salins sont ainsi envoyés par Charles V en Flandre le 12 mars 1377 « pour certaines besoingnes que nous avons a cueur »1. La menace anglaise continue de la préoccuper en Artois : en mars, elle donne à la ville d’Aire la propriété des fossés, car ces derniers avaient été comblés, de sorte que l’assaillant pouvait atteindre les murs : la ville y remédiera2. Elle visite d’ailleurs plusieurs villes du nord : Béthune en avril, Saint-Omer en juin. L’échec des discussions et l’approche de l’expiration des trêves peuvent expliquer ses craintes3. Peu après la

1 Mandements et actes divers de Charles V (1364-1380), op. cit., p. 823. 2 ADCO B 385 bis, fol. 73. 3 F. Autrand, Charles V, op. cit., p. 618.

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mort d’Édouard III le 21 juin 1377, une réunion semble d’ailleurs se tenir à Gand, Philippe le Hardi et Marguerite de France y étant attestés fin juin4. De retour en Artois, peu rassurée par l’évolution de la situation, la comtesse multiplie les ordres défensifs, convoquant à Arras les châtelains de La Montoire et Tournehem5. Fin juillet, elle part néanmoins pour Conflans où elle demeure jusqu’au 22 septembre, puis à Paris jusqu’au 17 février 13786. Si elle quitte l’Artois, c’est que les combats sont désormais à l’initiative des Français. L’offensive en direction de Calais aboutit à la prise d’Ardres le 7 septembre 1377, suivie le lendemain par celle d’Audruicq7. S’y illustre un personnage que la comtesse connaît bien, Robert VI, seigneur de Wavrin8. La comtesse entend influer sur la politique royale tout en gardant un œil sur ses pays. À Paris, elle choisit de ne pas partir en Bourgogne alors que Marguerite de Male y fait naître le jeune Louis le 5 août9. Charles V se méfie alors de Louis de Male. Dans l’une de ses rares lettres autographes, il écrit à la comtesse le 11 novembre 1377 pour protester contre le refus du comte de renvoyer de la cour de Flandre Jean de Montfort10. Le roi n’y cache pas son mépris pour Louis de Male, dont les intentions lui sont connues par « notre frere de Bourgoine ». Charles V avertit la comtesse de la venue de Coucy et La Rivière, qui passeront d’abord chez elle. Il lui demande de l’aider car il compte sur son « amour, linage, hommage et tout ce en coy vous nous estes tenus ». Il espère ainsi que, grâce à elle, le comte de Flandre se comportera en « bon cousin et suget ». Si la comtesse est ménagée, son fils est menacé d’éprouver la défaveur du roi. On est loin d’une quelconque familiarité dans cette lettre où chaque mot est savamment pesé, la politesse demeurant au strict minimum. De fait, la comtesse réussit à faire partir Jean IV de Montfort en décembre 137711. Elle semble même avoir convaincu son fils de prêter hommage au roi à Paris, où Louis de Male se rend vers la Noël. La Chronographia explique que le comte aurait déclaré avoir agi pour « ne pas provoquer la colère de sa mère ». L’auteur se montre dubitatif sur le sujet. Il considère que le comte a surtout réagi à la menace exercée par 3 000 hommes conduits à Compiègne par Du Guesclin12. On nuancera ce propos en rappelant que Louis de Male n’était pas insensible aux injonctions de sa « dame de mère ». Toujours est-il que la comtesse est à Paris au moment de l’hommage. Depuis Paris, la comtesse veille à assurer aux villes les moyens de la défense, en accordant le 27 août 1377 à Saint-Omer le droit de faire courir des assises13. Se ravitaillant en venaisons artésiennes et en bétail champenois, elle veille sur les affaires du Donziois

4 E. Petit, Itinéraires de Philippe le Hardi, op. cit., p. 136 ; ADN B 14617 et 15813, ADCO B 1449 et 1458. 5 ADN B 15811. 6 ADCO B 4627. 7 J. Sumption, The Hundred Years War, op. cit., p. 292. 8 Chroniques de Froissart, t. 8.2, p. 243. 9 R. Vaughan, Philip the Bold, op. cit., p. 18. 10 BN Fr. 5044. 11 É. Perroy, « Louis de Male et les négociations de paix franco-anglaise », op. cit. 12 I. Guyot-Bachy, La Flandre et les Flamands, op. cit., p. 176. 13 AMSO BB 1, n° 28.

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dont elle convoque le receveur général à Paris « pour ses besogne » le 10 novembre, désignant le 16 son procureur en l’officialité de Nevers14. Bien entendu, c’est surtout la Bourgogne qui la préoccupe, à l’occasion de la venue de l’empereur à Paris. Si les hommages dans l’Empire ne sont guère systématiques15, une telle situation ne peut être interprétée que comme un signe de défiance entre la comtesse et son suzerain. L’occasion est trouvée lors de la visite de l’empereur à Paris. Atteint de la goutte, Charles IV n’est certainement pas venu pour l’hommage bourguignon. Il est davantage motivé par les nombreuses reliques conservées à Paris, et par la perspective de rappeler les liens familiaux et politiques entre France et Empire, face à l’Angleterre, tout en présentant Venceslas comme son héritier16… Malgré tout, le rapprochement avec la comtesse a bien lieu par l’entremise de Charles V, qui joue les arbitres en terrain neutre, à la manière de Saint Louis. Il met fin à 17 ans d’une crispation largement imputable à Jean le Bon. Une visite familiale permet souvent des rapprochements diplomatiques et vassaliques « impromptus » et prétendument spontanés17. Ici comme pour le reste de la visite, tout semble avoir été bien organisé, d’autant que le maître des cérémonies est Bureau de la Rivière18. Le dimanche 10 janvier 1378, Charles IV arrive à l’hôtel Saint-Pol et monte dans la chambre de la reine, qu’il trouve entourée de ses dames. C’est là qu’a lieu la rencontre avec sa vassale. Si les Grandes Chroniques mentionnent la présence de Marguerite en premier parmi les dames de compagnie, les versions enluminées ne mettent guère en valeur la comtesse, dans la mesure où elles représentent autour de la reine de jeunes princesses sans voile de veuve19. En revanche, un acte notarié de la prestation d’hommage se montre plus précis sur le déroulé de la rencontre, même s’il donne une impression de minimalisme20. Le notaire y rapporte qu’à la manière de ses prédécesseurs, la comtesse a bien prêté hommage de ce qu’elle tient de l’empereur dans le comté de Bourgogne, formulation assez vague d’ailleurs, ce à quoi l’empereur répond en acceptant l’hommage (hommagium). Les témoins sont Charles de Poitiers, Bureau de la Rivière et des nobles comtois, pour la plupart des conseillers comtaux : Jean de Vergy, seigneur de Fouvans, Jean, seigneur de Ray, Ancel de Salins, Pierre, seigneur de Norryaco, et Humbert de la Platière. La comtesse est encore à Paris pour la mort de la reine le 6 février. Elle accompagne le corps conduit le 14 au chœur de Notre-Dame puis est présente lors des vigiles des morts. Elle y est citée la première avant la duchesse d’Orléans, et Bonne de Berry21. Elle est encore là lors de la messe du 16 février en l’église des Frères Mineurs, malgré d’inquiétantes nouvelles venues du nord.

14 ADCO B 4627. 15 S. Péquignot, Diplomatie, op. cit., p. 175. 16 P. Monnet, Charles IV, Paris, 2020, p. 99. 17 S. Péquignot, Diplomatie, op. cit., p. 178. 18 F. Autrand, Charles V, op. cit., p. 788. 19 BN Français 2813, fol. 477. 20 ADD B 44. 21 Chronique des règnes de Jean II et de Charles V, op. cit., t. 2, p. 278.

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2. Un vent de révolte : Arras face à Marguerite Lorsqu’elle arrive début mars en Artois, la comtesse décide d’éviter soigneusement Arras (carte 15). Le 8 elle passe tout près, à Bellemotte, atteint Aix-Noulette puis Gosnay le 10 mars22, et rejoint Béthune le 20 mars au plus tard. De là, elle gagne la Flandre ; le 1er mai elle est à Male23, le 30 à Gand, où elle se trouve encore le 14 juin et le 15 juillet, date où elle envoie deux officiers à Paris24. Elle n’est attestée en Artois que le 24 juillet, mais reste de nouveau loin d’Arras, à Béthune25. Que se passe-t-il entre la comtesse et sa principale ville ? Des tensions sont déjà apparues à plusieurs reprises : la défense de la ville, l’exercice de la justice, la présence de la cour, l’exercice autoritaire du pouvoir semblent avoir ligué contre la comtesse un fort parti jusqu’au sommet de l’échevinage, parti soutenu par les guildes de métiers. Le différend se retrouve devant le Parlement, au grand dam de la comtesse qui a espéré arriver à un accord. L’approche d’un véritable procès la pousse à agir par voie de fait. Elle décide de passer à l’action quand il devient clair que le procès aura lieu. Selon la chronique tournaisienne dite « chronique de Franche », la comtesse serait allée en Flandre « pour guerryer chiaux d’Arras ». Les Arrageois auraient alors fait ajourner Marguerite devant le Parlement qui envoie un sergent. Passant près de Lille, « li sergant fu tuéz, si comme on dist, du commandement de madame d’Artois. » La comtesse étant effectivement en Flandre vers la fin mai début juin, c’est alors qu’elle aurait été ajournée. L’anecdote, nullement corroborée, offre des perspectives sur les méthodes que l’on pouvait prêter à la comtesse. Si la comtesse s’est éloignée, la situation ne semble devenir explosive à Arras qu’aux environs de la mi-juin 1378. Dans une lettre écrite le 18, des conseillers comtaux expliquent que plusieurs officiers, dont le bailli d’Arras, ont dû se replier vers Béthune aux environs du 14 juin. Ils fuient les émeutes, apportant avec eux un prisonnier, Gérard du Moulin d’Or, membre du Conseil des Vingt-Quatre d’Arras. Transféré à Gosnay, puis Chocques, Gérard est envoyé au « Pavillon » de Flandre, près de Gand avant le 18 juin « par mandement de madite dame »26. Il est possible que la vague d’arrestations des opposants soit à l’origine de l’émeute, d’autant que d’autres individus ont été faits prisonniers. Dans le cadre d’une enquête par un conseiller de la comtesse, Godefroy de Noyelle et Bernard du Jardin, ces hommes ont été arrêtés dans la ville au même moment que Gérard27, et comme lui menés en Flandre auprès de la comtesse, alors à Gand, pour être interrogés. Une quittance des habitants d’Arras s’estimant victimes de la comtesse nomme cinq individus « detenus prisonniers par

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ADN B 13878. ADN B 15280. ADPDC A 769. ADN B 15280. ADPDC A 769. Il est alors probablement bailli d’Aire. ADN B 14642.

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grant temps »28. Une lettre de rémission royale, plus précise, reprend les noms des captifs29 et y ajoute Jean du Moulin d’Or. Ces arrestations déclenchent une « rebellions contre madame », vers le 14 juin30, qui pousse ses gens à fuir vers Béthune pour sauver leur vie devant « la commocion et mouvement qui fu et estoit lors entre les gens de nostre dite dame et nostre tres redoubté seigneur monseigneur de Flandres son fils a l’encontre de ceuls de la ville d’Arras ». Louis de Male est lui aussi visé par les Arrageois qui lui prêtent une grande influence sur sa mère. Arrêté, Gérard du Moulin d’Or parle : sa confession datée du 29 juin à Gand est conservée. L’interrogatoire est réalisé par des proches du comte et de sa mère : outre 5 conseillers flamands comme Josse de Halluin, Gilles du Castel et Lambert de Waldeghenaire, on trouve Humbert de la Platière, le bailli d’Arras, et le secrétaire Thoronde qui sert de greffier31. Le prisonnier pointe l’action des échevins qui auraient produit des faux témoignages au bailli d’Amiens, lui-même bénéficiaire de beaux dons : l’échevinage cherche visiblement à saper l’autorité judiciaire comtale en invoquant des abus, afin d’arriver à un accord avec la comtesse pour obtenir de nouvelles garanties d’autonomie. Gérard affirme cependant que les guildes auraient bloqué tout accord, espérant aller plus loin. Elles auraient organisé une conspiration et conduit à l’émeute dans une ville où le ressentiment couve depuis longtemps, notamment depuis l’humiliation de la milice en 1373. Les Arrageois ne supportent pas que la comtesse décide seule des sanctions contre ceux qu’elle suspecte d’être des traîtres prêts à livrer la ville aux Anglais : sans s’accorder avec les échevins, elle menace de faire « perdre la teste » sans distinction à tous les auteurs de trahison. Les Arrageois ont donc décidé secrètement de désigner leurs propres capitaines car la comtesse s’est attribuée sans leur accord ce droit à l’occasion « des compaignes ». Ils auraient en outre falsifié l’ordonnance comtale sur la draperie pour appliquer à la ville le fruit des amendes. Attisé par la conduite autoritaire de Marguerite, ce mouvement est porté par une autre crainte : la comtesse étant « anchiene », son successeur Louis de Male risque de lui succéder sous peu. Or il représente une menace plus grande pour la ville. Il est donc temps d’agir. Si ces déclarations de Moulin d’Or sont notées et conservées, c’est sans doute que la comtesse entend justifier la répression de la ville. D’ailleurs, la trame narrative et l’argumentation apparues au fil d’un interrogatoire sans doute très orienté seront reprises dans la lettre de rémission qu’elle obtiendra du roi l’année suivante. Celle-ci reprendra le vocabulaire de la sédition des « desobeissances, mesusances, entreprises, machinacions et conspiracions » attentatoires à « son, estat, son honneur, ses droiz, noblesses et seigneuries ». L’administration comtale fait des révoltés des rebelles abusant d’un pouvoir judiciaire et s’appuyant sur de fausses preuves.

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Jean Nemery, Robert Wion, Michel Domre, Bernard Cauvin et Henri le Maistre. « Robert Wyon, Jehan Nemery, Jehan du Molin d’Or, Bernard Cauvin, Michel Domrne et autres ». ADN B 14634. ADPDC A 992, n° 1.

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En revanche, les révélations du captif s’arrêtent aux portes de la cour : lorsqu’il est interrogé sur l’existence de dons par la ville aux gens de Marguerite et Louis de Male, Moulin d’Or « dist que riens n’en scet »… Il dénonce en revanche beaucoup de complices arrageois : les quatre capitaines choisis secrètement en 137332, certains échevins impliqués33, des gens du Conseil des 2434, des conseillers de la ville35, le procureur36, les guildes, ainsi que les « promoteurs » de l’émeute. Il insiste notamment sur Sauwale le Borgne, personnage de grande envergure 4 fois échevin de 1368 à 1380 ou Simon Louchart, 5 fois échevin entre 1369 et 139137. Une bonne part de l’élite locale a visiblement conspiré. La comtesse aurait été personnellement atteinte par ce qu’elle considère comme une vaste conjuration contre son autorité. La lettre de rémission du roi précise qu’elle décide d’agir « moult esmeue d’ire et de courroux ». Elle fait alors mettre « sus une route de gens d’armes ». Ces hommes sont conduits par le Haze de Flandre, son petitfils bâtard, Nicolas de le Thee ou de le Choe, chevalier, Antoine de Poitiers, Humbert de la Platière, Jean du Gué, Jean du Champ, Godefroy de Noyelles, Bernard du Jardin et d’autres. La comtesse leur ordonne de faire la guerre à ses sujets en chevauchant à force d’armes sur la ville d’Arras pour la mettre « en sa mercy en s’obeissance ». Selon la « Cronique », le Haze défie les bourgeois et le commun d’Arras, accompagné de 500 chevaux et 800 hommes de pieds, qui viennent loger près d’Arras, et mènent un assaut en direction de la ville au cours duquel ils tuent une femme, tandis que les bourgeois « se deffendirent tres bien as portes et au crestiaulx ». Les assaillants se retraient ensuite à Lécluse à l’est d’Arras, place appartenant à Jean Ier de Bourbon, comte de la Marche, qui est prise d’assaut. Puis ils ravagent le plat pays en s’en prenant aux biens des Arrageois hostiles à la comtesse38. Une quittance délivrée par plusieurs personnes s’estimant victimes des exactions de la comtesse indique qu’il y a eu un ciblage, notamment contre les individus dénoncés dans la confession du 29 juin39. Sont particulièrement visés Thomas Amion, Jean le Mayeur, un des capitaines clandestins, Simon Faverel, ou Michel Augrenon. Dans les 15 km autour de la ville, on pille des réserves de vin et des maisons sont démolies : celle du maire d’Arras à Liévin, de Thomas Amion à Béthonsart, d’autres à Croisilles, Saint-Léger… Ces actions sont menées au début du mois de juillet 1377 ; or du 6 au 13 juillet, on note la présence de forces amassées à Avesnes-le-Comte, château qui semble le point de ralliement des combattants appelés au « mandement » de la comtesse, auquel répondent des combattants artésiens mais aussi flamands comme Jean de Mamines

32 Willaume de Roubaix, Rifflart du Mont, Willaume Wagon, Simon Faverel, maire d’Arras. 33 Willaume Wagon, Michel Augrenon, Henri Bechon, Jean Fastoul et leurs compagnons ; mais aussi Gérard de Paris pour une autre année non précisée. 34 Jean de Cambelinguoel, Baudouin de Maisières. 35 Jean Taquet. 36 Jacques Mulet. 37 Willaume Wagon, Regnaut Wion, Thomas Hamion ou Amion, même Colart de Goy sans doute lié au clan du bailli d’Arras évincé peu avant. 38 Ceux de Simon Faverel, Thomas Annon, Gilles Crespon, Michel Augrenon… ADPDC A 101. 8. 39 ADPDC A 101. 8.

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qui y reçoit un paiement pour 751 litres d’avoines donnés à un nombre visiblement élevé de chevaux40. Durant ce temps, la comtesse est demeurée en Flandre jusqu’au 15 juillet au moins, avec nombre de ses curiaux. Elle est de retour à Béthune, au plus tard le 24 juillet. C’est sans doute alors qu’elle impose aux Arrageois l’arrêt du procès en Parlement, et un rituel d’humiliation : elle fait venir à Béthune le maire, les échevins et plusieurs membres des différents états, pour qu’on lui remettre les clefs de la ville et de la mairie, ainsi que « leurs personnes singulieres et toute la loy et eschevinaige ». Les Arrageois doivent la reconnaître comme « leur droite dame », et se mettre à sa merci. Si la comtesse accepte de rendre les clefs aux maire et échevins, c’est en leur précisant qu’ils gouverneront sous ses ordres, « parmi notre dite main ». La lettre de pardon accordée par la comtesse de Flandre et confirmée par son fils le 29 juillet 1379 confirme cette soumission collective. La comtesse et son fils y reconnaissent avoir usé de la force pour remettre les habitants en leur obéissance et leur inculquer une juste crainte de leurs seigneurs, obtenant ainsi qu’ils acceptent de « demourer en le grace, amour, subjection et obeissance de nous ». La lettre confirme la remise des clefs, des fonctions de maire et échevins. La chronique tournaisienne précise que cette humiliation a été décidée 6 semaines après le raid du Haze, suite à laquelle Marguerite, son fils et Philippe le Hardi ont exigé que les Arrageois envoient non moins de cent notables en chemises pour implorer la comtesse de les épargner. Cette dernière est reconnue dans tous ses droits et franchises, afin que l’on rétablisse une« bonne paix », celle dont la princesse fixe les termes41 ! L’humiliation publique châtie une faute publique et collective42. Cette affaire s’intègre dans les usages du temps, et rappelle l’attitude d’Édouard III à Calais43 : usage de la force, soumission absolue au prince qui réserve son châtiment, humiliation, confiscation des privilèges et des clefs, pardon et restitution des privilèges. Après un premier pardon, il faudra cependant attendre près d’un an pour que la « main » de la comtesse soit retirée. Dans la première phase d’intimidation et de « contrevenge », Marguerite a pu montrer l’ampleur de ses réseaux familiaux : son fils le comte de Flandre, son petit-fils bâtard, envoyé faire le coup de poing comme il est d’usage. Mais à lire les plaintes et la lettre de rémission royale, la comtesse apparaît comme une ennemie de ses gens, pillant du bétail, détruisant les biens alentour, tuant une malheureuse. L’opération fonctionne mais laisse des traces. Malgré tout, la comtesse accepte de libérer tous les prisonniers, à l’exception de Gérard du Moulin d’Or « que l’en dit par froidure ou autre accident estre mort en ladite prison ». Mourir de froid au mois de juillet : l’explication est bien courte… Une fois les Arrageois humiliés, la comtesse part pour Hesdin où elle arrive le 3 août44. Elle continue d’avoir un œil sur ses nombreuses terres, et notamment 40 ADPDC A 769. ADN B 14284. 41 Croniques de Franche, d’Engleterre, de Flandres, de Lile et espécialment de Tournay, op. cit., p. 206-207. 42 « Registre mémorial de la ville d’Arras de 1354 à 1383 », op. cit., p. 256. 43 J.-M. Moeglin, Les bourgeois de Calais, op. cit. ; J. Dumolyn, « The Legal Repression of Revolts in Late Medieval Flanders », Tijdschrift voor rechtsgeschiedenis, vol. 68, 2000, p. 479-521. 44 ADPDC A 769.

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la Bourgogne : le 20 août elle donne l’ordre à tous les vassaux tenant leur fief d’un des châteaux remis à Philippe le Hardi de lui faire foi et hommage45, et presse ses conseillers de mettre fin au conflit juridique avec l’abbaye de Lure par un bon accord46, qu’elle ratifiera le 27 mars 137947. La défense de l’Artois reste cependant prioritaire : le 28 septembre 1378 la comtesse désigne Guillaume du Bois, châtelain de Tournehem avec 40 hommes48. Hésitant à venir à Saint-Omer obtenant de la ville 400 francs contre la promesse de ne pas user de son droit de payer le vin à trois deniers le lot49, elle lui préfère Hesdin où la vie de cour l’occupe durant l’automne et l’hiver, présence attestée par des achats de venaison, ou le don d’une sanguine écarlate pour le mariage du châtelain en janvier 137950. Pour autant, les soubresauts de l’affaire arrageoise ne sont pas terminés. En attaquant la ville alors que celle-ci s’était plainte devant le Parlement, la comtesse a enfreint la sauvegarde royale.

3. De la rémission de la comtesse à la « réformation » d’Arras Marguerite est alors dans le viseur de Charles V. Certes, Philippe le Hardi semble alors solidaire de la comtesse, à suivre la chronique tournaisienne. Il vient lui rendre visite début novembre 1378 à Hesdin, de retour de Flandre51, puis début décembre. Mais l’affaire a fait du bruit, et « certaines impetracions » ont été déposées auprès du roi, notamment contre le bailli Baudouin de la Motte et Jacquemin de Masières chambellan de la comtesse. Ces plaintes sont d’autant plus recevables que la comtesse et la ville étaient en procès au moment des faits : la sauvegarde a été violée. Pour ne pas être condamnée, la comtesse va devoir obtenir une lettre de rémission royale ; durant l’hiver, elle commence à œuvrer, envoyant un courrier en ce sens auprès du roi entre Toussaint 1378 et Chandeleur 137952. Dès la fin janvier 1379, elle commence à organiser sa venue « en France »53. Elle s’assure de la stabilité en Artois : le 6 mars, elle désigne un nouveau bailli à Hesdin et octroie une nouvelle assise, par crainte de voir s’élever « certains debas »54. Son départ est cependant repoussé : elle attend en effet d’obtenir le pardon du roi avant de comparaître à Paris. Hors de question de venir le demander en personne ! Charles V ne tient visiblement pas à lui imposer une entrevue humiliante. Il lui

45 ADN B 372. 46 ADD B 386. 47 ADD B 36. 48 ADPDC A 770. 49 1er décembre 1378. AMSO BB 26, n° 20. 50 ADN B 15815, ADPDC A 769, A 773. 51 E. Petit, Itinéraires de Philippe le Hardi, op. cit., p. 140. 52 ADN B 13880. 53 ADPDC A 773. Mandement du 31 janvier 1379. 54 ADN B 15281, ADPDC A 101.

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accorde une lettre de rémission, datée de Senlis le 16 mars 137955. Le roi y mentionne l’intervention de Philippe le Hardi, du sire de Coucy, et de Bureau de La Rivière, et rappelle que la comtesse a envoyé Charles de Poitiers et Ancel de Salins « ses messaigies », dont il souligne qu’ils œuvrent entre Flandre, Artois et France. Cette allusion permet de rappeler que des enjeux plus importants sont à l’œuvre dans l’équilibre entre la monarchie et les principautés du nord. Tous ces gens ont fait part au roi de courroux de la comtesse devant ses sujets désobéissants, tandis qu’elle-même a toujours manifestation amour et obéissance envers la Couronne. Rappelant « la grant prochaineté de lignaige », « la grant et tres bonne amour qu’elle nous a tenu tout son vivant et a nous et a nostre couronne », lequel s’est manifesté par bien des « peines et travaulx », le roi pardonne à sa cousine et à ses gens, avec amende corporelle, criminelle et civile. Une fois le pardon accordé par le roi, la comtesse rassurée décide finalement de ne pas se rendre à Paris mais à Arras pour y rétablir physiquement son autorité. Elle y arrive le 28 ou le 29 mars 137956, en plein Carême, un temps de pénitence particulièrement propice à la repentance mais aussi au pardon. Le registre mémorial d’Arras passe cependant l’événement sous silence. Ce séjour de cinq mois va pourtant permettre de mettre fin au contentieux en réaffirmant la domination comtale. Marguerite doit cependant compter avec le roi et avec le règlement du procès initié l’année précédente au Parlement et nourri par de nouvelles plaintes depuis, lequel intervient fin juin. Dans l’intervalle, il est probable qu’une forme de pardon ait eu lieu autour de Pâques (10 avril), puisqu’une amende est alors infligée à la ville. La comtesse obtient également le 19 avril 1379 que tous ceux qui avaient été lésés par la comtesse abandonnent leurs griefs57. Pour apaiser et réordonner la ville durablement, la comtesse confie à ses conseillers une « reformation de toute le dite loy et eschevinage ». L’enquête pointe les responsabilités locales, mais le résultat de la réformation s’avère assez mesuré. Le roi est d’ailleurs associé, via le premier président du Parlement, Arnaud de Corbie. Les commissaires vont élaborer un accord « passé par arrest de parlement entre madame d’Artois d’une part et la ville d’Arras d’autre » daté du 28 juin 1379, et accepté par les deux parties58. On parvient ainsi à respecter l’autorité du Parlement tout en assurant un accord négocié. Se présentant comme une « reformacion de la ville d’Arras » destinée à terminer les « debas et proces », le texte insiste en fait sur la défense des privilèges tout en reconnaissant le dominium de la comtesse, qui pourra remédier aux problèmes futurs mais « par raison et par justice et pour le bien et prouffit commun de la ditte ville, sans prejudice toutesvoies du roy nostre seigneur et de ses drois et des privilèges et anciens usages raisonnables de la ville ». Certes, le droit de prises de chars et charrettes est reconnu mais limité « pour la neccessité de l’ostel », et les sergents de la ville assisteront aux prises à l’intérieur des

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AN JJ 114, fol. 81. ADD B 386, ADN B 14633 et B 14281. ADPDC A 101, n° 8. ADPDC A 101.

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habitations des bourgeois. Certes, les sergents comtaux et des « familiers et serviteurs » seront soumis à la juridiction de la comtesse, mais uniquement dans l’exercice de leur office. En cas de menace sur la ville, le choix du capitaine restera à la comtesse mais devra être « agreable aux maire et eschevins », et le pouvoir échevinal pourra quand même faire ordonnances et défenses en cas d’« effroy de guerre ». Pour la draperie, l’ordonnance décidée unilatéralement par la ville sera remise à la comtesse qui y pourvoira avec les gens de la ville, mais les échevins auront connaissance des cas et en auront les amendes. Enfin, la comtesse obtient que ses gens puissent assister à l’audition des comptes de la ville, ce qui est « acoustumé ». En cas de fraude, elle pourra y remédier « par raison et par justice ». La comtesse reste donc justicière des manquements de la ville. C’est une base solide pour solder financièrement l’épisode. Sur ce plan, l’accord au Parlement fait moins preuve de retenue : après tout, les Arrageois ont bien été des rebelles ; le Parlement n’interdit pas une compensation. C’est ce que traduit la lettre de pardon accordée par la comtesse le 24 juillet 1379, à Arras, et confirmée le 29 à Gand par son fils. Elle y rappelle la responsabilité des autorités municipales et du commun dans les désobéissances et abus contre ses droits et la lourde amende de 20 000 francs imposée à Pâques. Contre de solides engagements, elle restitue la loi, la clef et l’échevinage, retirant sa main de la gestion locale. Cette affaire est à resituer dans un paysage d’ensemble des révoltes urbaines où la fiscalité est un élément important mais pas unique ; en Flandre et en Artois, la défense des privilèges et la motivation politique sont très fortes, ainsi que les conflits sociaux59. Il semble en être allé ainsi à Arras. Ici, l’émeute n’est pas affaire de marginaux, laissant plutôt l’impression d’une relative unité du corps urbain. C’est davantage une question de rapport entre pouvoir centralisateur et autonomie des villes. Le cas n’est pas isolé : le 8 mars 1379, l’octroi des assises à Hesdin, fort endettée, est l’occasion de rappeler les divisions sur la levée d’une taille en ville, conduisant la comtesse à agir « pour eschever les haynes, debas et perilx » L’argument est fréquent de la part des plus riches qui préfèrent les taxes sur la consommation, mais la précision, assez inhabituelle, témoigne d’un climat politique fragile60. Les villes d’Artois ne sont pas un havre de paix dans cette Europe touché par un vent de révoltes particulièrement fort à Gand. D’ailleurs, Louis de Male été marqué par l’affaire d’Arras, comme le témoigne le serment qu’il prête à son avènement en 1382, et où il mentionne « l’accord de Parlement » de 137961 qui précède de quelques mois la révolte des chaperons blancs, qui éclate le 5 septembre62. Aux origines de cette révolte, on retrouve la centralisation, mais aussi la répartition des pouvoirs entre les métiers, enfin la volonté des comtes de Flandre de favoriser Bruges au détriment de Gand grâce au canal reliant Bruges à la Lys. 59 J. Dumolyn et K. Papin, « Y avait-il des « révoltes fiscales » dans les villes médiévales des Pays-Bas méridionaux ? L’exemple de Saint-Omer en 1467 », Revue du Nord, vol. 94, 2012, p. 827-870. 60 ADPDC A 101. 61 « Registre mémorial de la ville d’Arras de 1354 à 1383 », op. cit., p. 260. 62 R. Demuynck, « De Gentse oorlog 1379-1385. Oorzaken en karakter », Handelingen der Maatschappij voor Geschiedenis en Oudheidkunde te Gent, vol. 5, 1951, p. 304-318.

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4. Marguerite de France et la révolte gantoise Partie d’Arras à la fin août, Marguerite est à Gosnay lorsque Gand se rebelle. Les échos doivent lui en parvenir rapidement, via la Lawe que les bateliers flamands fréquentent en nombre. Elle s’installe d’ailleurs à Béthune, au moins du 14 au 30 septembre63, jouissant d’un poste d’observation, en raison de la présence de nombreux marchands gantois et des liens fluviaux avec la principale ville flamande. Peut-être inquiète, la comtesse regagne d’ailleurs Arras et y demeure jusqu’à la fin février 138064. Elle entend garder le contrôle sur l’Artois tout en aidant son fils face aux rebelles. Cela pourrait être la raison de l’envoi de courriers à travers tout l’Artois le 18 octobre 137965. La comtesse compte sans doute mobiliser les nobles ; parallèlement, elle rassemble de l’argent via des aides et des emprunts66. Froissart souligne d’ailleurs son implication durant le siège d’Audenarde entamé par les Gantois en septembre 1379. La ville a accueilli de nombreux combattants nobles rassemblés pour attaquer les rebelles. Ces hommes se retrouvent encerclés et menacés par la famine. Courroucée par la situation de cette « bonne chevalerie » qui compte des seigneurs artésiens, Marguerite se décide à intervenir depuis Arras, usant de son autorité sur son fils, et de ses contacts avec le duc de Bourgogne. Froissart est ici renseigné : la comtesse est bien à Arras depuis la fin septembre et le duc la rejoint vers la première quinzaine de décembre67, avec Guy de la Trémoille, Jean de Vienne et Gui de Pontarlier. Selon Froissart qui loue sa sagesse, c’est à eux qu’elle expose sa volonté de mettre fin à cette guerre déraisonnable entre son fils, qu’elle compte remettre dans le droit chemin, et les Flamands rebelles. La mission est en tout cas un succès, provisoire certes, le siège étant levé le 3 décembre 1379, même si la ville est finalement prise le 22 février 138068. Il faut pourtant nuancer le topos auquel recourt Froissart, celui de la princesse médiatrice, usant de son « pouvoir des faibles » et intercédant par pitié en faveur de la paix. Dans un premier temps, la comtesse a voulu soutenir son fils dans la « voie de fait », au moins en octobre-novembre 1379 : pour combattre les Flamands, elle envoie son artilleur Gérard de L’Écluse69 et plusieurs de ses meilleurs hommes, dont Charles de Poitiers et son fils Antoine avec « grant quantité de gens d’armes […] devers Audenarde »70. Elle devient cependant plus prudente après l’échec de ces manœuvres, comprenant que son fils se retrouve enferré dans un face à face avec ses sujets.

63 ADPDC A 101, 23 et 24. 64 Encore attestée le 21 février 1380, elle est à Pont-Sainte-Maxence le 1er mars. ADPDC A 102, 2. 65 ADN B 15281. 66 ADPDC A 775. 67 E. Petit, Itinéraires de Philippe le Hardi, op. cit., p. 146. 68 C. Raynaud, « Les villes flamandes et la guerre (1379-1385) dans la Chronique dite des Cordeliers », dans Villes en guerre : XIVe-XVe siècles, éd. C. Raynaud, Aix-en-Provence, 2017, p. 137-159. 69 ADN B 15281. 70 ADN B 13880.

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Ce n’est que lorsque le conflit reprend en février 1380 que son attitude se fait plus diplomatique, d’ailleurs en partie à la demande de son fils et en raison des inquiétudes qui montent à Paris. Selon le continuateur de la chronique de Baudouin d’Avesnes, le roi convoque alors le comte à sa cour. Mais Louis de Male n’ose venir71 et va voir sa mère « que le roy moult aymoit », afin qu’elle l’accompagne ; une variante du texte rappelle que le roi n’apprécie guère Louis de Male notamment pour son soutien à Jean IV de Montfort, l’auteur soulignant que le comte espère que sa mère saura apaiser l’ire de Charles V72. Cette narration est en partie confirmée par les archives. Marguerite entame aux environs du 18 février 1380 les préparatifs d’un voyage « devers le roy »73, puis part pour Paris « avoec monseigneur de Flandrez son fils »74. Philippe le Hardi les rejoint de Bourgogne à Pont-Sainte-Maxence le 1er mars75. On sait qu’il arrive à Paris le 7, escortant probablement la comtesse et son fils. À Paris, Marguerite est également accompagnée de Charles de Poitiers et Ancel de Salins, avec lesquels elle prend des mesures relatives à la Franche-Comté. Selon le continuateur de Baudouin d’Avesnes, le roi leur fait bon accueil, prenant plaisir « aux devises du jeune conte ». Ce dernier est tout de même âgé de 49 ans ; sans doute cette jeunesse témoigne-t-elle de son statut de « mineur » face aux adultes dans la pièce, à savoir le roi et la comtesse ! Charles V promet en tout cas son aide au comte et à sa mère, les renvoyant après trois semaines couverts de « beauls dons »76. En vérité, il a déjà dépêché en Flandre Tristan du Bois, proche de la comtesse très implanté à Tournai, l’évêque de Laon, président du Parlement, et Guy de Honcourt. Ces derniers fournissent déjà un rapport au roi alors que le comte est encore à Paris77. Encore à Paris le 18 mars78, la comtesse arrive à Arras vers la mi-avril79. Son fils est avec elle. C’est là que les Brugeois viennent le trouver pour lui demander de venir chez eux. Finalement, le 11 avril, Louis se rend à Lille où les villes viennent « à mercy »80. Louis de Male se sent désormais fort de l’appui du roi. Le 29 mai, il reprend le contrôle de Bruges après une révolte urbaine, et une trêve est établie. De son côté la comtesse demeure à Arras jusqu’au 15 juin81 au moins, pour se rendre ensuite à Hesdin où elle ne reste que 2 semaines. Elle s’installe alors à Béthune du 2 juillet au 4 septembre, sans doute à l’affut des nouvelles flamandes et vigilante sur sa frontière face aux Anglais. Elle va ensuite habiter à Gosnay, jusqu’au 7 novembre au moins82 avant de rejoindre Saint-Omer avant le 2483, surveillant toujours le nord du pays. 71 Istore et croniques de Flandres, op. cit., t. 2, p. 233. 72 Ibid., t. 2, p. 188. 73 ADN B 15281. 74 ADN B 13881. 75 E. Petit, Itinéraires de Philippe le Hardi, op. cit., p. 147. 76 Istore et croniques de Flandres, op. cit., t. 2, p. 233. 77 Croniques de Franche, d’Engleterre, de Flandres, op. cit., p. 232. 78 ADCO B 1458. 79 ADN B 13881 et B 15819. 80 Croniques de Franche, d’Engleterre, de Flandres, op. cit., p. 232. 81 ADN B 14285. 82 ADN B 14644. 83 ADN B 14284.

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Cette inquiétude pour l’Artois se ressent dans son attitude vis-à-vis de la FrancheComté : les actes concernant cette terre désormais lointaine se font plus rares dans ces années 1379-1382. Il est vrai que Marguerite compte désormais sur Philippe le Hardi présent en janvier et février 1379 à Gray, Montbozon, Baume-les-Dames, Montbéliard et Vesoul84. Malgré tout, elle continue d’agir, en particulier depuis Paris : le 22 mars 1380, elle désigne un nouveau châtelain à La Châtelaine, Guillaume de Pupillin. Le 1er avril, elle fait livrer 25 chênes de la forêt de Mouchay ou Mochay aux échevins d’Arbois pour la reconstruction de l’église85. La priorité est cependant au nord, où quelques signaux appellent à la vigilance quant à une possible contagion de la révolte en Artois. Aux environs de l’Ascension 1381, un marchand de chevaux, Jaquemart de Cancourt est ainsi poursuivi par le bailli d’Arras. Refusant de payer la taille, il affirme que « s’il y avoit a Arraz telz XX comme il estoit, il en feroit une ville de Gand ». L’identification est claire, la menace destinée surtout aux agents de la comtesse et à l’échevinage. Elle lui vaut une forte composition86. La comtesse continue d’ailleurs de soutenir son fils. Vers la Chandeleur 1380, elle donne l’ordre d’acheter à Béthune un cheval bai pour Jean « sans terre », bâtard de Louis de Male, mort à Nicopolis. Reconnaissant, son fils Louis de Male lui fait envoyer après la bataille de Nevele, datée du 13 mai 1381, les bannières prises sur les Gantois. En juin, elle lui envoie du trait à Bruges87. Le 18 septembre, elle paie les frais de Jean le Borgne envoyé « vers monseigneur de Flandres en l’ost devant Gand »88. Louis de Male est quant à lui en contact avec la noblesse artésienne : entre Toussaint 1381 et Chandeleur 1382, plusieurs messagers sont envoyés à Hesdin de par le comte « a monseigneur de Fieules, monseigneur le maistre [des arbalétriers du roi ?] et a plusieurs autres grans seigneurs »89.

5. La comtesse et la chevauchée de Buckingham : faire face une dernière fois La révolte flamande n’a bien entendu pas mis fin à la menace anglaise. Or la papauté ne peut plus jouer son rôle d’apaisement en raison du schisme. La comtesse prend rapidement fait et cause pour le pape d’Avignon. En octobre-décembre 1379, elle envoie son clerc Jean Blarye à Avignon, et obtient non moins de 62 bulles, prébendes, dignités, lettres pour ses familiers, indulgences et une « lettre d’absolution de madame », malheureusement perdue90.

84 E. Petit, Itinéraires de Philippe le Hardi, op. cit., p. 142-143. 85 AM Reims, Tarbé, Carton 4, n° 47. 86 ADN B 13883. 87 ADN B 15283.2. 88 ADN B 14642. 89 ADN B 15283.3. 90 ADPDC A 771.

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Une fois de plus, l’Artois est mobilisé. Durant l’année 1379, la comtesse a continué de veiller à l’entretien de ses châteaux : le 6 juillet, elle dédommage Philipe Lescot pour avoir inspecté le château d’Éperlecques et réalisé l’inventaire de l’artillerie91. Les préparatifs semblent s’intensifier au printemps 1380. Le 22 mai, 10 000 viretons sont achetés en Vermandois et répartis dans les forteresses d’Artois par Gérard l’Artilleur92 ; le 27 mai, la comtesse ordonne toute une série de réparations au château de Béthune93. Le pays est sous tension : en 1380, le mariage du comte de Saint-Pol Waleran de Luxembourg avec Maude Holland, sœur utérine de Richard II, sème la terreur car on dit le comte « devenus Englès »94. Il est vrai qu’une des clauses du mariage était de reconnaître Richard II comme seigneur lige pour les terres en France. Charles V confisque cependant ses seigneuries, qui sont distribuées à Jean de Luxembourg. On redoute plus encore une nouvelle expédition anglaise. Le 29 juin, le bailli de Saint-Omer et le seigneur de Sempy lancent l’alerte : les Anglais sont « descenduz a Callais ». Si Buckingham n’arrive à Calais que le 19 juillet et ne dresse son étendard aux limites du « pale » que le 22, une avant-garde est déjà partie et a gagné Clérysur-Somme95. Froissart signale que la préparation de l’expédition a été assez longue et que les Boulonnais ont vu passer « grant gens d’armes » et averti les garnisons. Le pays est donc bien défendu et renforcé par les soldats du roi. Le seigneur de Sempy se trouve ainsi à Thérouanne le 31 juillet. La comtesse est quant à elle à Arras jusqu’au 16 juin 1380, jour où elle prend la route d’Hesdin96. Elle n’y demeure cependant pas, fait exceptionnel : le 1er juillet elle part vers Béthune97. Sur le chemin, elle fait ordonner des réparations au château d’Hesdin « pour l’effroy des ennemis qui sont nouvellement passez la mer »98. Arrivée à Béthune, elle continue la mise en défense, payant l’achat de baudriers, d’arbalètes d’if à pied, de poudre à canon pour les châteaux de Béthune, Beuvry, Gosnay, Chocques et La Buissière99. Contrariée dans son séjour estival, la comtesse se mobilise donc aux frontières. Une fois lancée, la chevauchée de Buckingham passe devant Ardres le 28 juillet, campe à Nordausque, visant la « tour de Flolant », ou Vroland (Recques-sur-Hem), gardée par le sire de Vroland lui-même, campe le 29 à Éperlecques puis passe devant Saint-Omer, trop bien défendue100. La comtesse a d’ailleurs envoyé des proches sur place, Antoine de Poitiers et Anieux de Nédonchel venus servir sous Enguerrand VII de Coucy101.

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ADN B 15281. ADPDC A 779. ADPDC A 102. ADPDC A 778. J. Sumption, The Hundred Years War, op. cit., p. 387. ADN B 14285. ADPDC A 102 et ADN B 15820. ADPDC A 102. ADPDC A 780. Jean Froissart, Chroniques, op. cit., éd. Luce, t. 9, p. 237 et suivantes. ADPDC A 780.

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Buckingham est le 1er août devant Béthune défendue par des gens du roi envoyés par Coucy, notamment des Picards comme Jean V de Hangest. Mais la comtesse est bien présente : la veille, elle a aidé son héraut le « roy d’Artois », à acheter un cheval. Buckingham poursuit sa route vers Arras ; le 2, l’armée dort à Avesnes où elle semble avoir causé de gros dégâts. Mais le château demeure à la comtesse qui l’a garni de nobles, dont le châtelain d’Hesdin Laigle de Sains102. Le pays semble avoir été ravagé autour de Béthune103, notamment vers Bruay où des « maisons ont esté arses par les dis Angloiz »104. Charles de Poitiers paraît être à la manœuvre : sur son ordre 8 arbalétriers de la ville d’Arras sont envoyés à Hesdin « al effroy de la venue des Anglais »105. Somme toute, le pays tient, largement soutenu par le roi. Une fois l’alerte terminée, la comtesse décide de passer du temps à Gosnay, y fréquentant les Chartreuses106. C’est là qu’elle apprend la mort de Charles V, survenue le 16 septembre, annonce à l’occasion de laquelle elle multiplie les dons aux établissements franciscains de l’Artois107.

6. Ultimes combats Si l’entente entre la comtesse et le roi défunt était excellente, Marguerite peut désormais compter sur l’influence grandissante de Philippe le Hardi sur son neveu, le jeune Charles VI. Pour l’heure, la comtesse ne quitte pas Gosnay : elle n’assiste ni aux funérailles de Charles V, ni au sacre de Charles VI. Le temps a passé depuis 1364, et les déplacements de la comtesse se font plus rares : elle n’a plus poussé en Bourgogne depuis 1374, ni même à Troyes depuis 1375. Depuis son retour de Paris en 1380, elle ne semble même plus quitter l’Artois. Après ce long séjour à Gosnay, elle part vers Saint-Omer, en novembre108, y demeurant jusqu’à la fin janvier 1381109. Elle accorde alors une remise de rentes aux habitants d’Éperlecques dont plusieurs maisons avaient été « ars et destruiz » durant « la derraine chevauchee que les Angloiz ont fait par le royaume de France »110. Elle dispense de relief une « fillette de l’aage de XI ans nommee Agnes », fille de feu Malin Chartin de Rely, « tué et occis quant la maison de Vroyelant fu prise et destruite nagaires par les Angloys et tous les biens meubles dudit Malin qui y estoient ars et destruiz »111. Pourtant, elle n’entend pas favoriser les tensions : on

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ADN B 14287. ADN B 14624. ADN B 14651. ADN B 14624. ADN B 15820 et 15283. ADN B 15283, 2 et B 15820. ADN B 14644 et B 14284. ADN B 15292. ADPDC A 102. Ibid.

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la voit envoyer de la venaison à Calais le 6 janvier 1381, alors que la chevauchée de Buckingham n’est pas encore terminée112. Marguerite de France repart ensuite vers l’est et le sud via Aire, où elle fait réparer le château, puis Béthune, atteignant Arras le 28 février. Elle y demeure jusqu’au 6 juillet, et s’y consacre aux affaires du Nivernais113 et de Franche-Comté114. Mais on observe un déclin des mentions de mandements comtaux, alors que la documentation est bien conservée. La comtesse s’intéresse surtout à la Flandre, envoyant plusieurs courriers à son fils115. Elle continue également de négocier avec l’administration royale, donc probablement avec Philippe le Hardi pour obtenir en Artois un statut particulier pour la collecte des aides établies en juin 1381 : satisfaits, les Audomarois lui font don de 400 francs pour sa peine116. En ce printemps 1381, la comtesse est en forme et entend continuer à se déplacer : le 22 mai elle ordonne un paiement pour « une litiere noeve faite pour madame »117. Le 6 juillet elle part profiter d’un été pacifique dans sa retraite hesdinoise où elle réside du 9 juillet au 22 septembre. Elle prend alors plusieurs décisions pour son comté de Bourgogne vis-à-vis duquel elle manifeste de nouveau une volonté réformatrice : le 4 septembre, elle impose la régie directe des prévôtés, un changement profond ans la gestion118. Elle procède à la crue des gages de plusieurs officiers119, fait racheter l’étang d’Apremont. Elle s’inquiète particulièrement de la dégradation des relations avec l’archevêque de Besançon et fait payer les frais pour obtenir du pape de faire arrêter la frappe de monnaie par l’archevêque au château de Gy120. Marguerite regagne Arras le 23 septembre 1381121. Elle y est avertie le 28 octobre par un messager comtois, Guillaume Grassot, que des routiers remontent le Rhône en direction de la Bourgogne, ce qu’ont appris Ancel de Salins et les Dauphinois122. Elle profite de l’occasion pour prendre diverses décisions relatives au Comté, en particulier le don d’une maison en ruines à Arbois à Humbert de la Platière, et le paiement de vieilles dettes des guerres de 1364123. Si la santé de la comtesse ne semble pas montrer de défaillance depuis une mention pour ses 9 ans, les sources indiquent une dégradation à partir de juin 1381, quand Louis de Male lui envoie ses médecins personnels, Jean d’Hesdin et

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ADN B 15821. Commission d’un châtelain à Liernais le 29 avril. ADCO B 5072. ADCO B 1458. ADN B 14652. AMSO BB 54, 24 octobre 1381. ADN B 15283. ADCO B 1458 bis. ADCO B 1458 et 1458 bis. ADCO B 1458. ADPDC A 789. ADCO B 1458. ADCO B 1458 bis, fol. 74, le 28 novembre 1381.

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Nicole Tourne124. Or le religieux de Saint-Denis signale que sa mort a été la suite d’un épuisement occasionné par une grave maladie125. La nouvelle est connue en Bourgogne : en juillet 1381, les gens du conseil envoient Nicolas de Blaigny, clerc d’Ancel de Salins, « pour savoir l’estat de madite dame qui lors estoit malaide »126. Autre signe inquiétant, une fois arrivée à Arras en septembre, la comtesse n’en bouge plus de son vivant, bien qu’elle ait ordonné des travaux à Hesdin, notamment à la gayole, ce qui semble indiquer son intention d’y retourner127. Mais les signes de déclin se multiplient ; le 5 novembre, elle fait « faire vin de medicine pour madite dame »128. Le 9 décembre, elle engage « Girard d’Opitge dit de Trévise, maistre en medecine » qui l’avait déjà visité plusieurs fois lors de ses « maladies ». Il est prévu qu’il vienne chaque mois pour 8 jours « en nostre conté d’Artois ou païs de Flandres se nous y estiens » ; la comtesse entend aussi qu’il la suive si elle choisit de « demourer a Paris ou ailleurs pour nostre santé et pour estre en nostre air naturel » ! Malgré les années, elle reste parisienne, espérant se ressourcer à l’air de son pays129. Du mal qui l’atteint, nous ne savons rien. Ernest Petit a souligné cependant que la goutte fait des ravages dans sa famille, causant la mort de sa grand-mère Mahaut, de sa petite-fille Marguerite de Male, qui en est effectivement atteinte à la jambe dès 1396130, et touchant Jean sans Peur131. Début 1382 la cour est en outre endeuillée par la mort d’Antoine de Poitiers, jeune fils de Charles de Poitiers, âgé de 17 à 20 ans au plus132, peut-être durant les guerres flamandes. L’évènement donne lieu à des funérailles au couvent des Cordeliers d’Arras133. Malgré sa faiblesse, la comtesse veille sur tous ses pays : le 18 janvier, elle accède à la requête des gens des trois états ayant des rentes sur le puits de Bourg-Dessous-Salins, refusant d’interdire la vente du sel de ce puits, projet qui avait été « advisé » par ses conseillers134. Surtout, alors que sa dernière heure approche, elle contribue à la fondation de la collégiale d’Arbois. Le 23 mars 1382, à sa demande, le pape désigne à cette fin l’abbé de Baume-les-Messieurs Jean de Maupré. Elle demeure en son hôtel jusqu’au bout. Rien n’indique par exemple qu’elle ait revêtu l’habit de moniale malgré son attrait pour Gosnay : jusqu’à la fin mars on rédige des mandements pour régler l’achat de vin de Franche-Comté, d’oignon, ou d’ail135.

124 ADN B 4071, fol. 46r. 125 Chronique du religieux, op. cit., t. 3, p. 156. 126 ADCO B 1458. 127 ADN B 15283.2. 128 ADCO B 1458. 129 ADPDC A 103. 130 L. Baveye, « Exercer la médecine en milieu princier au XVe siècle », op. cit., p. 222. 131 E. Petit, Histoire des ducs, op. cit., t. 6, p. 138. 132 17 ans plus tôt, plusieurs nourrices d’Antoine de Poitiers sont attestées. ADPDC A 714. 133 3 janvier 1382. ADPDC A 788. 134 ADD B 203. 135 ADN B 14653 et ADCO B 1458 bis.

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7. La mort de la comtesse La dégradation s’accélère soudainement vers le 12 avril, quand le clerc des briefs de l’hôtel est obligé d’ordonner une dépense par des lettres scellées de son propre sceau « pour le occupacion de le maladie de la dite dame »136. Personne n’a visiblement osé utiliser le sceau comtal sans l’accord de Marguerite, qui est en train de mourir. En raison d’une confusion avec les dates de funérailles, le décès a été daté du 9 mai par erreur. Les Franciscains de Nevers conservèrent quant à eux la date du 13 avril, affirmant à tort qu’elle avait alors 80 ans137, ce qu’on trouve aussi chez Jacques de Meyer138. L’obituaire de Saint-Donatien de Bruges indique pour sa part le 17 avril139. La date du 14 doit cependant être retenue grâce à une mention dans un compte de la châtellenie de Mhers en Nivernais courant de 1381 à 1383 : « madite dame fu trespassee le XIIIIe jour d’avril apres Pasques l’an MCCCIIIIXX et II »140. Elle est confirmée par l’obituaire de la Chartreuse de Basseville141. Il faut ici souligner la longévité de Marguerite de France, au moins 70 ans. Sans compter les morts violentes ou de la Peste, son père était décédé à 29 ans, sa mère sans doute à moins de 40, ses sœurs Jeanne et Blanche à 39 et 45 ans. Louis de Male meurt quant à lui à 54 ans, sa petite-fille Marguerite à 55. Même Mahaut n’avait guère atteint plus de 60 ans. Dès la mort de la comtesse, des messagers sont envoyés partout, de la Flandre à la Bourgogne : il est de coutume de prévenir sujets et parents, parfois par des centaines de lettres142, en raison des funérailles et des implications politiques. En l’occurrence, si l’on s’attendait certainement à une fin prochaine depuis des mois, la dégradation finale a été plutôt rapide. Le comte de Flandre est alors à Bruges, tentant de faire plier Gand. Devenu capitaine des Gantois, Philippe van Artevelde tente alors le tout pour le tout, et prend d’assaut Bruges le 3 mai, au moment de la fête du Saint Sang, poussant le comte à fuir dans un épisode rocambolesque. Un paramètre n’a guère été pris en compte au sujet de la prise de Bruges. À cette date, Louis de Male est déjà en deuil, ce que l’erreur sur la date du décès de Marguerite a jusqu’à présent occulté. On ne saurait négliger l’influence de sa mère sur ce personnage, qui lui survit à peine plus d’un an et demi. De fait, Louis manifeste son deuil avec force. Dès le 17 avril il verse 15 lb à Saint-Donatien de Bruges, où sa mère avait fondé une chapellenie pour Louis de Nevers, 12 lb à Notre-Dame de Bruges, figure maternelle s’il en est, autant à Saint-Sauveur et 6 lb aux Chartreux et autant aux Chartreuses. Il écrit également à l’évêque de Liège et aux « dux de Lucembourc »,

136 ADPDC A 789. 137 P. Gallemant, Provincia Sancti Dionysii fratrum minorum recollectorum in Gallia, Châlons, 1649, p. 84. 138 J. De Meyer, Commentarii sive Annales rerum flandricarum…, Anvers, 1561, p. 183. 139 W. H. J. Weale, « Inventaires du trésor de la collégiale de Saint Donatien à Bruges, 1347-1539 », Le Beffroi, vol. 2, 1864-1865, p. 323-337. 140 ADCO B 5239. 141 Obituaires de la province de Sens. Tome III, éd. A. Vidier, L. Mirot et A. Longnon, Paris, 1909, p. 453-454. 142 M. Gaude-Ferragu, D’or et de cendres : la mort et les funérailles des princes dans le royaume de France au bas Moyen Âge, Villeneuve-d’Ascq, 2005, p. 106.

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probablement pour signifier cette nouvelle majeure143. Fin avril, il est en grand deuil à Bruges, faisant acheter quantité de drap noir pour réaliser une « noire cambre », bel exemple de chambre de deuil, que l’on a tendance à attribuer aux veuves144. Ici se manifeste la douleur d’un fils désormais orphelin, qui fait également tendre de noir sa litière, débordant du strict cadre d’un deuil privé, pourtant recommandé145. Avec lui « Jehan le bastard monseigneur » reçoit aussi du drap noir et Marguerite de Male fait acheter 16 aunes de drap pers pour tendre son char « pour le trespassement de madame de Flandres, d’Artois et de Bourgongne »146. Immédiatement connue en Artois, la nouvelle parvient rapidement en Bourgogne. Présent aux côtés de la comtesse à Arras, Ancel de Salins écrit au plus vite pour mettre le pays en défense et attendre l’avènement de Louis de Male147. Réunis à Salins, à 486 km d’Arras, les gens du conseil ouvrent ensemble son courrier le vendredi 25 avril148. Ils s’assurent aussitôt que le comté soit fidèle au nouveau prince, car ils redoutent une situation similaire à celle de 1361. Ils envoient le 26 avril un rapport au comte et reçoivent le 1er mai les serments des officiers et échevins des villes venus à Salins. Au nord, les funérailles se préparent lentement. Il s’agit d’un rituel majeur pour le salut du défunt, la transmission des pouvoirs, la manifestation de la puissance du lignage, en un temps marqué par la complexification des rituels dont témoignent les obsèques de Louis de Male en 1384149. Le tour fastueux pris par les funérailles des reines a marqué les esprits. Or Marguerite était aux premières loges pour celles de Jeanne de Bourbon. Les religieux de Saint-Denis ont conservé la mémoire des funérailles de Marguerite ; il est vrai que c’est souvent le cas dans les sources pour les princesses héritières à la différence des « simples épouses »150. Une partie des dépenses est par ailleurs connue par un rouleau de papier en mauvais état, comptabilisant des règlements pour « l’oseque madame d’Artois » à un marchand d’Arras, Gilles de Wavran, à hauteur de 149 francs151. On paie alors 56 torches et 50 lb de cire pour le luminaire, six aunes de samit, tissu à l’aspect trame, un cendal noir, étoffe de soie d’armure taffetas, et du boucassin noir, toile de coton gommée qui sert ici « a couvrir le car ». On achète vernis, azur et papier pour « fere les escussons » et de la feuille d’or, de la toile cirée (qui pouvait servir éventuellement à contenir le corps) ainsi que cinq aunes de drap noir. On est certes loin des dépenses du comte de Saint-Pol en 1482, avec ses 3 000 aunes de drap noir et 550 de drap d’or, ses 10 000 blasons et 2 000 lb de cire152. Mais ces 149 francs ne sont qu’une petite partie des dépenses. Louis de Male a en effet désigné un proche de Marguerite, Jean Blarye afin d’assurer

143 ADN B 4071, fol. 35. 144 M. Gaude-Ferragu, D’or et de cendres, op. cit., p. 158. 145 Ibid., p. 101 146 É. Picard, L’écurie de Philippe le Hardi, duc de Bourgogne, Paris, 1906, p. 124. 147 ADCO B 1458 bis. 148 Ibid. 149 P. Contamine La noblesse au royaume, op. cit., p. 289. 150 M. Gaude-Ferragu, D’or et de cendres, op. cit., p. 297. 151 ADPDC A 808, n° 2. 152 P. Contamine, La noblesse au royaume, op. cit., p. 289.

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« les missions de l’enterement et obseque de ma tres redoubtee dame la contesse », sous la supervision d’Ancel de Salins, Josse de Halluin, Jacques Hanin, et Henri de Donzy153. Le 30 avril Blarye perçoit en tout 7 684 lb 5 s parisis et dépense 5 755 lb pour les funérailles, malgré l’état catastrophique des finances de Louis de Male, héritier auquel revient l’organisation des obsèques154. Ce montant ne compte pas les draps d’or et 12 « brunettes » envoyés de Bruges pour les obsèques, ni les frais des messes basses dites à Saint-Vaast le 4 mai, quand « le corps de madite dame en fut enlevé », ou encore les étoffes de cottes de ceux qui portèrent les torches, et celles dont on « couvrit de noir le char du corps de madite dame » ainsi que les harnois des chevaux155. Quoiqu’incomplet, ce montant situe ces funérailles parmi les plus coûteuses, même comparées à celles ayant pris place un siècle plus tard : les funérailles des duchesses de Bretagne dans les années 1460 sont d’un montant comparable156 ; celles de Philippe le Bon avoisinent les 13 000 lb tournois, moins du double. Morte à Arras le 14 avril, la comtesse souhaitait que l’on porte son corps à SaintDenis et que la date de sa venue soit celle de son obit. Le corps demeure cependant longtemps à Arras, probablement jusqu’au 4 mai. Peut-être après avoir été placé dans la chapelle de la Cour-le-Comte, sa dépouille est portée en l’église de l’abbaye Saint-Vaast, vers le 24 avril, quand on achète du drap et des ornements pour le char. Il s’agit alors de bénéficier de célébrations de messes et de récitations du psautier157. En l’occurrence les moines de Saint-Vaast font effectivement « messes basses ». On note la présence de grands cierges, probablement disposés sur des chandeliers placés aux quatre coins du cercueil, ainsi que la distribution de torches tenues par 56 porteurs, des pauvres ou des valets en vêtement de deuil, tenant jour et nuit les torches et étendards, à l’instar de la veillée de Jean de Berry158. Ces paiements font d’ailleurs écho aux dépenses des obsèques d’Antoine de Poitiers. Elles rappellent les souhaits exprimés par Blanche, duchesse d’Orléans, dans son testament de 1392 : important luminaire, présence de torches portées par des pauvres, présence des armoiries sur des draps d’or159. La présence du drap d’or et de draps noirs a pu servir, comme c’est souvent le cas, à confectionner un grand poêle recouvrant le cercueil. On ignore tout de la chapelle ardente, mais un tel dispositif démontable et réutilisable avait été installé lors des funérailles d’Antoine de Poitiers chez les Franciscains d’Arras. On sait aussi qu’un char a été orné aux environs du 24 avril. Il a dû servir à amener la comtesse à Saint-Vaast d’Arras et à la conduire à Saint-Denis. Tendu de noir, orné d’écussons de papier peint et vernis, il permet d’identifier la défunte. On a d’ailleurs acheté de la couleur azur et or, fort utiles pour les armes de France, de Flandre et d’Artois. 153 154 155 156 157 158 159

BN Collection Bourgogne, t. XXVI, fol. 105. M. Gaude-Ferragu, D’or et de cendres, op. cit., p. 104. BN Collection Bourgogne, t. XXVI, fol. 105. M. Gaude-Ferragu, D’or et de cendres, op. cit., p. 223 et 304. Ibid., p. 130. Ibid., p. 132. A.-H. Allirot, Filles de roy de France, op. cit., p. 180.

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La période d’exposition dure ici davantage que les quelques jours habituels, ce qui est rare et souvent lié à une situation politique particulière ou à la nécessité d’un long voyage160, deux conditions ici remplies. On a en effet certainement attendu la venue du comte de Flandre de Bruges à Arras, venue retardée par la menace gantoise. Le 4 mai, Arras est sans doute avertie de la défaite du comte mais personne ne sait où il se trouve, car il se cache chez la veuve Bruynaert dont il ne part que dans la nuit du 4 au 5 mai, avant d’attendre Roulers le lendemain, puis Lille161. Plutôt que d’attendre indéfiniment, on choisit donc d’emporter le corps vers Saint-Denis, sans que Louis de Male n’ait vu « sa dame de mere ». Du 4 au 9 mai sont parcourus les 168 km entre les deux abbayes, à un rythme d’une trentaine de kilomètres par jour qui peut s’expliquer par des arrêts ou la lourdeur du convoi. Arrivée à Saint-Denis le 9 mai, l’abbé et les moines lui accordent une procession. Fille de roi de France, elle est honorée de la présence de Charles VI signalé par les Grandes Chroniques de France162. On ignore si Philippe le Hardi, est présent, mais Louis de Male n’est pas là, contrairement à l’usage qui veut que l’héritier suive le corps du défunt dans le convoi163. Il a cependant pu envoyer une petite délégation : ses hommes sont encore à Paris le 20 mai, notamment Josse de Halluin, mais aussi Jacques Hanin, chanoine d’Arras, et un noble comtois, le fidèle Ancel de Salins164. On peut même supposer la présence d’une bonne part de l’hôtel formant le cortège jusqu’à ce qu’il soit cassé ; tel fut le cas pour Jean de Berry165. Les funérailles ont probablement été l’occasion d’une distribution de 5 sous à chaque frère mendiant présent, prévue depuis son testament de 1354 et destiné à lui obtenir les prières, mais aussi des messes. Marguerite est enterrée dans la chapelle où elle avait fondé un service et une messe quotidienne166. Son corps a dû recevoir une forme de traitement. Lors de la profanation de sa tombe le 18 janvier 1794, causée par la destruction du tombeau de François Ier par les révolutionnaires, on ouvre le caveau de la comtesse, décrit comme bien construit. On ouvre également le cercueil de plomb, posé sur des barres de fer, où on trouve des ossements bien conservés, que l’on s’empresse sans doute de jeter dans une fosse. Le prêtre qui assiste à la scène note alors des restes de planches en bois de châtaignier, traces peut-être d’un premier cercueil. Le transfert d’un cercueil de bois vers un cercueil de plomb a pu se faire lors de son déplacement pour poser le tombeau de François Ier167 ; mais ce cercueil de plomb a pu été utilisé dès 1382, en raison du délai avant l’inhumation, d’autant que ce type de cercueil est employé pour la plupart des dépouilles princières168. En revanche, à l’inverse des rois et reines, la

160 M. Gaude-Ferragu, D’or et de cendres, op. cit., p. 128. 161 Jean Froissart, Chroniques, op. cit., éd. Luce, t. 10, p. 232-238. 162 Chronique des règnes de Jean II et de Charles V, op. cit., t. 3, p. 17. 163 M. Gaude-Ferragu, D’or et de cendres, op. cit., p. 152. 164 BN Bourgogne 26, fol. 105. 165 F. Autrand, Jean de Berry, op. cit., p. 312. 166 Chronique des règnes de Jean II et de Charles V, op. cit., t. 3, p. 156-159. 167 G. d’Heylli, Extraction des cercueils royaux à Saint-Denis en 1793, Paris, 1866, p. 126. 168 M. Gaude-Ferragu, D’or et de cendres, op. cit., p. 125.

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comtesse ne semble pas avoir été inhumée avec des ornements particuliers, à moins que ces derniers n’aient été dérobés à un moment ou un autre. Ces funérailles organisées de longue date ont fait honneur au rang et au sang cette femme de pouvoir, marquant les esprits. Son mariage puis son avènement en 1361 n’ont rien changé à sa volonté de demeurer auprès de son père et de ses ancêtres capétiens, refusant même les inhumations multiples pourtant fréquentes pour les princes liés à plusieurs territoires. Personnalité entière, Marguerite de France a montré jusqu’au bout qu’elle était d’abord, devant l’éternité, « fille de roi de France ».

Conclusion de la première partie Marguerite a affronté bon nombre d’épreuves : très tôt plongée dans une crise à la fois familiale et politique, l’affaire des brus du roi, elle se retrouve affectée par un mariage particulièrement difficile. Elle est alors portée par le soutien d’autres femmes de sa famille, en particulier Mahaut et Jeanne de Bourgogne qui représentent pour la jeune fille des modèles de princesses actives dans le gouvernement. Privée de ces protectrices à partir de 1330, elle peut désormais compter sur le poids que lui confère la mise au monde d’un héritier mâle, Louis de Male. C’est sans doute là une rupture majeure dans son existence. Après quelques années d’un faste certain entre la Flandre et Paris, revient cependant le temps des exils face à la Flandre révoltée, qui est loin de la voir abandonner l’exercice du pouvoir. Marguerite de France peut compter sur des réseaux et sur son action personnelle dans le gouvernement de ses propres terres et de celles de son mari. Elle reste cependant à un rang inférieur au sein du parti bourguignon, face à une sœur aînée et à son mari, Eudes de Bourgogne, qui veillent à capter l’essentiel de l’héritage. L’appui de la royauté lui reste cependant indispensable, plus encore lorsqu’arrive le veuvage en 1346. Sans doute plus libre, elle se retrouve en première ligne face à la Grande Peste, à l’affaiblissement du clan bourguignon à la cour du roi, ainsi qu’aux menaces pesant sur son fils puis sur ses propres terres avec l’arrivée des Compagnies. Soucieuse de rétablir sa position, Marguerite milite pour arrimer son fils à la monarchie par son mariage avec la fille du duc de Brabant, puis peut compter sur le mariage de sa petite-fille avec Philippe de Rouvres en 1357. Ce dernier constitue un aboutissement qui assure à sa descendance une position solide et permet de réparer les injustices dont elle s’estime victime. Cette alliance strictement capétienne est brisée en 1361 par la mort du jeune duc. Décisif dans la vie de la comtesse, l’événement a des effets ambivalents : il met à bas cet édifice solidement construit, suscitant de soudaines ambitions chez les Valois. Mais il conduit aussi Marguerite à hériter des comtés d’Artois et de Bourgogne à l’âge de 50 ans, alors qu’elle dispose désormais d’une très solide expérience qui lui permet de résister un temps aux ambitions des Valois en Bourgogne. Dans la guerre pour le contrôle du Comté, elle sait rallier à sa cause la noblesse locale, fidèle à sa dame naturelle et inquiète de la poussée des Valois. Il faut l’intelligence de Charles V pour favoriser la réconciliation, puis la perspective d’une nouvelle alliance Valoise pour Marguerite de Male. Soutenu par la comtesse, le mariage de Philippe le Hardi et Marguerite de Male reconstitue un très puissant parti bourguignon, arrimé aux Valois. Il contribue aussi à la reprise de la guerre anglaise sur les frontières artésiennes en 1369. Mais la comtesse maintient le cap, parfois avec rudesse, soucieuse de ne pas être prise en défaut par un roi intraitable sur la sécurité des frontières nord. La Franche-Comté n’est pas abandonnée, mais la comtesse s’y fait plus rare, s’appuyant sur ses conseillers et Philippe le Hardi. Il lui reste à tenir et à maintenir la Flandre sous contrôle et dans la sphère française. C’est le sens de son action dans les dernières

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années de sa vie, lorsqu’elle se fait médiatrice entre Charles V et Louis de Male. Mais il ne faudrait pas pour autant en faire une pacifiste ; elle sait l’utilité de la force, reste vigilante sur la frontière du Calaisis, n’hésite pas à mobiliser les populations en se rapprochant des combats et à traiter avec vigueur les tentatives de révolte. L’analyse des déplacements de la comtesse montre qu’elle s’inscrit dans le jeu politique de son temps. La concordance de ses séjours en Flandre, à Paris ou Saint-Omer avec les évènements diplomatiques permet de mieux faire émerger sa contribution aux affaires du siècle. Il est indéniable qu’il s’agit là de la vie d’une femme de pouvoir, un pouvoir acquis très progressivement au gré des fluctuations de sa situation personnelle. Ce long parcours nous renseigne donc sur la place que peut occuper une princesse dans le jeu politique, sur sa capacité d’action, tributaire des rôles et statuts qui lui sont assignés. La comtesse atteint ainsi au paroxysme de son influence en tant que veuve et matrone d’un groupe familial dans lequel elle use avec autorité de son ascendant sur son fils, une fois débarrassée de sa sœur aînée Jeanne de France et de son époux Louis de Nevers, qui n’a guère brillé par ses talents politiques. L’action de Marguerite ne peut se lire sous un prisme strictement ni peut-être même principalement féminin. Elle incarne l’autorité princière : les comptes béthunois continuent de l’appeler « le seigneur ». Elle mène une politique qui doit d’abord à l’application de principes généraux constants, destinés à maintenir une autonomie, à naviguer dans les jeux d’alliance et d’intérêts en s’insérant dans des cercles qu’elle anime avec fidélité. Ces cercles s’inscrivent dans la longue durée d’une politique « bourguignonne » imitée de Mahaut et qui vise à unir Artois, Flandre et Bourgogne autour de la monarchie, pour le profit des pays sans doute mais surtout la gloire d’un lignage et l’influence d’une famille dont elle est devenue l’une des têtes avec Philippe le Hardi. Comment d’ailleurs imaginer qu’une telle expérience n’ait pu contribuer à forger un authentique sens politique, quand on voit la capacité de rebond et d’adaptation de Marguerite de France à des évènements dramatiques tout au cours de sa vie ? Jamais l’énergie ne semble lui avoir manqué, jusqu’aux dernières années où elle continue de soutenir son fils. Faire valoir ses droits n’a pas été une mince affaire pour une cadette : le pouvoir revient d’abord aux hommes, plus encore en ce siècle où l’exemple de la loi salique a pu inspirer d’autres héritiers mâles. Le pouvoir revient également aux aînés : ses rapports avec Jeanne de France semblent avoir été particulièrement compliqués. La force de la comtesse est ici d’avoir duré et d’avoir bien saisi les rapports de puissance. Prudente, elle sait jouer de sa position dans le jeu des alliances, se plaçant à la rencontre de réseaux, d’histoires locales, de lignages, de cultures et d’intérêts, entre France et Flandre, Artois et Bourgogne. Ce désir de défendre ce qui lui revient et ce qu’elle entend transmettre est, avec le soutien à la royauté, le principal moteur de sa détermination. Naviguant au milieu de forces qui la dépassent, elle ne manifeste pas de versatilité quant à son appui à la monarchie, à la défense des ses intérêts, à l’application de principes et vertus dans lesquels elle avait été éduquée, sans pour autant reculer devant la voie de fait, peut-être parfois à la limite de la légalité. Jouissant d’une santé solide qui lui permet de remonter dans l’ordre des successions, Marguerite a également su tirer tout le profit possible de son fils, lui-même

co n c lu s i o n d e la pre mi è re part i e

capable d’engendrer une fille, Marguerite de Male ; cette descendance lui confère une légitimité certaine en Flandre, puis une capacité d’influence considérable. De par sa position, les autres acteurs du jeu politique ne peuvent la voir que comme un élément incontournable. Le mariage de Louis de Male en 1347 la replace dans le jeu politique, et plus encore ceux de Marguerite de Male en 1357 et 1369. L’autre atout personnel est sa compétence, tirée d’une éducation solide et de l’expérience d’une vie passée à observer des femmes de pouvoir puis à démontrer sa capacité d’adaptation, son intelligence des situations. Incarnation vivante d’une identité complexe, à la fois française, flamande, artésienne et comtoise, elle a su s’adapter aux évolutions de son statut et de circonstances parfois extrêmes qui l’ont obligée à se réinventer sans se trahir, démontrant une grande maîtrise dans l’art d’être princesse.

215

Deuxième partie

L’art d’être princesse : mode de vie et identité d’une fille de roi de France au XIVe siècle

Introduction de la deuxième partie « Gouverne-toi toi-même » : tel est le premier conseil que les auteurs de miroirs prodiguent aux princes. À la fin du Moyen Âge, la réflexion sur le pouvoir part de l’éthique, d’où procèdent le gouvernement de la maison, c’est-à-dire l’économique, et le gouvernement de la cité, le politique, dans une veine aristotélicienne développée par Gilles de Rome au temps des derniers Capétiens1. Ce gouvernement de soi et des siens passe par la maîtrise de son quotidien, de l’oratoire à la chambre en passant par les cuisines. L’objet de cette seconde partie est de voir à l’œuvre la « fabrique » d’un pouvoir princier par un mode de vie, cet art d’être princesse et de se faire reconnaître comme telle par la maîtrise des usages curiaux. Un art qui consiste d’abord à habiter un espace dans un dispositif savant, où alternent séjours et itinérances. Il requiert donc une maîtrise du mouvement. C’est aussi savoir tenir son rang, jouer de ses différents statuts, construire une image. En cela, il est indispensable de maîtriser aussi bien la magnificence de l’apparat que les voies du salut, et de forger et diffuser une image de soi s’adaptant aux changements de statuts. Le pouvoir princier doit d’abord s’incarner, se donner à voir et sentir pour exister. Il ne peut le faire qu’en prenant en compte les différentes strates de l’identité de la personne occupant cet « office » que représente la fonction de princesse pour Christine de Pizan. Pour cerner la construction de cette identité, il faut être sensible à la question des continuités, vis-à-vis des générations antérieures comme à l’intérieur d’une vie, et des ruptures liées aux changements de statuts. Telle est la condition pour saisir ce qui fait la vie et le statut d’une princesse qui appartient à une société des princes dans laquelle elle s’insère avec son histoire singulière composite, mêlant des héritages bien distincts quoique pas nécessairement incompatibles. Ici, la maxime selon laquelle la femme ne peut faire « pont et planche » ne s’applique guère, tant elle contribue au contraire à la circulation des usages. Dans la manière d’incarner sa fonction, de tenir son « estat », Marguerite contribue à la fois à maintenir vivants et à enrichir des usages locaux, tout en œuvrant à l’intégration des différents espaces, porteurs de leurs propres traditions aristocratiques, à une maison commune, une koiné curiale comme il existe une koiné administrative2. Bien entendu, il importe d’articuler cette analyse aux conditions spécifiques d’un pouvoir au féminin auquel bien des comportements sont prescrits, sans être insensible aux évolutions d’un temps marqué par toute une série d’évolutions dans la commande artistique, les formes de la piété, afin de nous placer au cœur des relations culturelles complexes unissant Paris, la Flandre, l’Artois et les Bourgogne bien avant la constitution de l’État bourguignon. 1 L. Scordia, « Le roi, l’or et le sang des pauvres dans Le livre de l’information des princes, miroir anonyme dédié à Louis X », op. cit. 2 G. Castelnuovo, « Service de l’État et identité sociale », Revue historique, no 618, 2001, p. 489-510.

Chapitre 11 

Une vie d’itinérance Géographie de Marguerite de France Observer Marguerite de France dans son quotidien nécessite d’abord de la suivre sur les routes qu’elle hante durant les soixante-dix années d’une vie empreinte des « habitudes invétérées de nomadisme »1 propres aux Capétiens comme aux cours septentrionales2, aux rois comme aux seigneurs franc-comtois3. Cette vie changeante se déploie sur un vaste territoire, né des unions personnelles, fruit de la généalogie et des alliances dynastiques. L’itinérance de la cour pose la question du rapport d’un pouvoir incarné par une femme, et relayé par son entourage, à un espace hétérogène formé de ses propres possessions, mais aussi de terres « étrangères », où la comtesse se sent souvent chez elle. Il s’agit donc d’un terrain d’observation privilégié pour cerner le caractère central de la personne comtale dans un gouvernement qui passe par l’écrit mais aussi par l’apparat de l’hôtel, et où tout ne peut se régler à distance, tant la réactualisation de contacts directs est essentielle au bon gouvernement. Les itinérances relèvent à la fois de relations sociales et diplomatiques, de nécessités d’intendance ou de motivations personnelles. Il faut d’ailleurs interroger sur tous ces plans la dimension genrée du rapport à l’espace : les femmes ont-elles une manière spécifique de se déplacer, notamment quant à leur périmètre d’action, et qu’est-ce que cela dit sur leur place ? Il s’agit également d’interroger un rapport au temps en raison de la lenteur des rythmes de transport, ainsi que la manière dont s’organise une culture matérielle du voyage où se lisent des influences multiples permettant de résoudre les difficultés d’intendance inhérentes à la circulation curiale.

1. Cartographie d’une vie itinérante Quoiqu’incomplètes, les mentions d’archives fournissent un matériel solide et relativement cohérent. En ne gardant que les mentions associant un lieu et un jour, on dispose d’un corpus de 2 555 occurrences présentant un degré variable de certitude4, auxquelles on peut ajouter une douzaine de lieux dont la date exacte n’est pas certaine, comme Bruxelles, Mézières voire le Mont-Saint-Michel (cartes 16, 17 et 18 en ligne, carte 23 papier). 869 correspondent à une présence personnelle attestée (catégorie A), en particulier par des dépenses de l’hôtel comtal ou d’autres hôtels, qui ne présentent guère de distorsions avec les autres mentions moins précises, qui 1 P. Contamine, La noblesse au royaume, op. cit., p. 143. 2 M. Vale, The princely court, op. cit., p. 138. 3 Le nomadisme châtelain IXe-XVIIe siècle, éd. N. Faucherre, D. Gautier et H. Mouillebouche, Chagny, 2018. 4 https://cour-de-france.fr/article4880.html.

Carte 23. papier et en ligne. Carte physique des séjours de la comtesse Marguerite de France (1312-1382). © J.-B. Santamaria

u ne vi e d’i t i né rance

Fig. 8. papier et en ligne. Nombre de mentions de présence de la comtesse par année (1362-1382).

sont cependant plus fines : ainsi de 467 localisations par des actes expédiés après intervention de la comtesse (catégorie B), la chancellerie réalisant cependant peu d’actes en chemin (cartes 19 et 20 en ligne). La même cohérence s’observe pour les 1 044 mentions les moins précises, extraites de mandements ne précisant pas une intervention de la comtesse ou de mentions de chroniques peu certaines (catégorie C), même si la chancellerie ne reflète pas une image toujours très fiable de tous les trajets. Elle a tendance à dater les actes de quelques lieux où l’on a traité à la chaîne les affaires courantes, minorant certainement la micromobilité de quelques dizaines de kilomètres, car on n’expédie pas toujours des actes à chaque petit voyage. On a enfin mis à part les 175 mentions (catégorie D) qui correspondent à une indication indirecte, essentiellement lorsque la présence de sa mère en particulier est attestée, en dehors de sa captivité). Proche des autres, leur cartographie valorise le bassin parisien, la Basse Bourgogne et la Champagne (cartes 21 et 22 en ligne). Cette répartition est bien entendu inégalement répartie dans le temps (tableau 4 en ligne). Avec 36 mentions par an, on est proche de 10% du temps de vie, avec des disparités allant de 0 à 236 jours par an. Les années 1361-1382 sont toutes au-dessus de la moyenne. Auparavant, 38 années ne comportent que 10 mentions ou moins, 25 moins de 4, et 3 aucune mention. Avant 1361, on tourne à 10 mentions en moyenne ; les années 1312-1318 sont cependant assez bien connues, ainsi que 1327 et 1338 (figures 5 et 6 en ligne et tableaux 5, 6 et 7 en ligne) La situation s’améliore après 1346 (figure 7 en ligne et tableau 8 en ligne), notamment en 1347 et 1349, mais les sources demeurent rares et on compte encore une année blanche en 1353. Après 1361, les séries comptables, les actes et les sources externes offrent enfin une bonne précision (figure 8 papier et tableau 9 en ligne) avec 90 mentions par an,

223

224

cha p i tr e 1 1

même si plusieurs n’en comportent qu’une cinquantaine, hausse due à de nombreuses mentions de type C, qui en fournissent plus de la moitié (tableau 10 en ligne). Un espace cohérent et très politique

La cohérence de l’espace arpenté durant 70 ans est évidente à la lecture des cartes (carte 18 en ligne et carte 23 papier). Cet espace part des confins du Brabant, inclut la Flandre, notamment Gand et Courtrai, se densifie en Artois, suit la route de Bapaume à Paris avec quelques variants, s’élargissant à quelques positions « atypiques » à Mézières à l’est et au Mont-Saint-Michel à l’ouest. Paris constitue le deuxième grand pôle élargi à un assez vaste bassin parisien, notamment les vallées de la Seine et de la Marne. De là, une fourche se dessine : un axe part vers le sud en direction du nord et de l’ouest du Nivernais. Un second suit l’Yonne, vers Troyes puis Dijon, toujours par l’Yonne, et rejoint un autre pôle, la Franche-Comté. C’est là presque un calque de la titulature de la comtesse : fille de roi de France, elle fait de Paris le centre de son réseau ; comtesse de Flandre et de Nevers, elle y fait des séjours importants (le Rethélois étant mal renseigné) ; enfin, comtesse d’Artois et de Bourgogne, et dame de seigneuries champenoises, elle investit ces territoires de sa présence, quasiment jusqu’aux confins de ses terres, de Coquelles à Poligny, mais guère au-delà. Cela rappelle l’habitude de Philippe le Bel d’arpenter le royaume de la Flandre aux Pyrénées, allant rarement à l’étranger et gardant une « zone de confort » de 200 km5. Globalement, il s’agit d’un quart nord-est de la France actuelle, pays de plaines ou de bas plateaux facile à parcourir de la Flandre au bas pays comtois, suivant de grands axes de circulations, notamment les rivières, contournant les obstacles comme le Morvan ou le haut pays comtois (carte 23 papier). Dès les premières années, l’Île-de-France, l’Artois et la Bourgogne émergent ; avec la vie maritale, l’horizon s’élargit à la Flandre et au Nivernais, très fréquenté, tout comme l’est encore Paris. Si la Bourgogne s’éloigne, l’Artois demeure présent à Bapaume, ainsi d’ailleurs que le Hainaut. Devenue veuve, Marguerite demeure mobile et continue de fréquenter les comtés de Flandre, d’Artois, de Bourgogne et de Nevers, ainsi que Paris. L’importance du Nivernais est alors flagrante : c’est une véritable base de repli en raison de la présence du douaire. La comtesse réside cependant peu en Franche-Comté, et bien davantage à Paris et en Artois, avec un goût marqué pour le sud-est de ce comté, un espace situé entre la Flandre et Paris (carte 24 en ligne). Enfin, à partir de 1361, la carte démontre un évitement total du Nivernais, un renforcement de l’axe Artois-Paris-Comté de Bourgogne, qui n’oublie cependant pas la Flandre, et une augmentation des liens avec le duché de Bourgogne (carte 25 en ligne). L’Artois s’y fait dominant autour d’Arras et Hesdin, devant Paris, puis la Flandre, la Franche-Comté et la Champagne. Cette mobilité rappelle celle de Mahaut d’Artois, ici encore un modèle pour Marguerite : comme sa petite-fille, Mahaut se rend fréquemment de Paris ou Conflans vers l’Artois, arpentant ses villes et châteaux et privilégiant Hesdin, bien plus que la

5 É. Lalou, R. Fawtier et F. Maillard, Itinéraire de Philippe IV le Bel, op. cit., t. 1, p. 65.

u ne vi e d’i t i né rance

Bourgogne. Malgré tout, Mahaut se rend davantage en Franche-Comté que Marguerite qui survalorise au contraire l’Artois. Autre caractéristique, le caractère très domestique de ces séjours, où « l’étranger » se réduit surtout au contact avec des proches : son fils en Flandre, le roi à Paris, sa petite-fille dans le duché. Un profil voisin semble marquer les itinérances de sa sœur Jeanne de France6 quand le duc Eudes IV va bien plus loin, notamment en Languedoc7, et que Philippe le Hardi se déplace sur un ensemble très vaste. L’activité politique et militaire des princes accentue leur rayon d’action, les princesses étant d’abord impliquées dans la gestion des terres et l’entretien des liens familiaux. Cette répartition s’applique d’ailleurs à Marguerite, dont le mari se rend davantage en Hainaut, en Brabant, dans la principauté de Liège, ou à Avignon8. Un autre élément émerge : l’importance des résidences urbaines, à l’exception de Conflans à proximité de Paris. Deux des principales résidences sont dans de grandes villes : Arras et Paris. Le fait est fréquent dans les terres du nord. Le comte de Saint-Pol est à Saint-Pol quand il le peut, le comte de Flandre à Bruges ou Gand… Les grandes villes sont d’ailleurs souvent sous l’autorité du roi, des princes, ou des évêques, plus que de seigneurs locaux. Il est donc normal que la comtesse se retrouve dans les principales « bonnes villes » de l’Artois, à Arras, Béthune ou Saint-Omer, et même Hesdin. Les résidences rurales y sont rares, à l’exception de Gosnay. La situation est différente en Franche-Comté car Besançon n’appartient pas au comté. Néanmoins, là aussi et comme sa mère, la comtesse réside à Dole, Gray, Bracon près de Salins. Elle y a grandi, et ses rares séjours en Bourgogne ont d’abord l’objectif politique d’afficher sa présence auprès de ses sujets. Cette dimension urbaine se retrouve bien moins en Nivernais, hors de Nevers : les châteaux de Druyes ou Donzy sont particulièrement favorisés par la comtesse, loin d’un véritable cadre urbain. Dans l’ensemble, cependant la tendance à une résidence urbaine est forte : rien d’étonnant pour une fille de roi ayant vécu à Paris, une comtesse de Flandre installée à Gand, et une comtesse d’Artois vigilante vis-à-vis de ses « bonnes villes ». Enfin, une certaine saisonnalité est attachée aux itinérances : les séjours à Hesdin ont généralement lieu durant l’été. La comtesse passe très souvent la Noël à Paris, hormis à la fin de son principat. Ces grandes fêtes sont en effet propices à la manifestation de la piété, mais aussi à la réunion de la cour autour de la comtesse, enfin au renforcement des liens avec la famille royale et Philippe le Hardi. Entre stabilité et mobilité : étapes et séjours

On dénombre 157 localités différentes où Marguerite est attestée (tableaux 11, 12 et 13 en ligne). Elles correspondent à 24 départements actuels et 2 régions belges. Elles sont d’abord situées en Artois (29), en Île-de-France (27), en Nivernais (21) et en Franche-Comté (14). Viennent ensuite la Picardie (12), la Flandre (9), la Champagne (8). 6 J.-B. Santamaria, « Quand la duchesse devint comtesse », op. cit. 7 H. Dubois, « Un voyage princier au XIVe siècle (1344) », dans Voyages et voyageurs au Moyen Âge. Actes de la SHMESP, Paris, 1996, p. 71-92. 8 Voir la carte de M. Vandermaesen, De besluitvorming in het graafschap Vlaanderen, op. cit.

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2 26

cha p i tr e 1 1 Tableau 14. papier et en ligne. Répartition des occurrences par territoire.

Territoire

Pourcentage

Artois

57%

Région parisienne

17%

Comté de Nevers

9%

Comté de Bourgogne Champagne

7% 4,5%

Flandre (plus Anvers et Malines)

3%

Duché de Bourgogne

2%

Autres (Picardie, Flandre wallonne surtout)

1%

En moyenne, la comtesse est attestée en chaque lieu sur 17 dates différentes, mais 83 localités ne sont attestées qu’une fois et représentent donc 3% des 2 555 mentions ; 45 sont mentionnées 2 à 10 fois ; 11 entre 11 et 28 fois ; 13 entre 30 et 93 fois ; enfin trois localités sont de 303 à 628 fois, correspondant à plus de la moitié des mentions. Les 15 premières cumulent même 89% du total. La répartition par ensemble territorial est elle aussi très inégale. Tout indique l’importance de l’Artois dans cette géographie comtale avec 57% des occurrences, presque deux fois plus que Mahaut (31%)9. Ce comté concentre le plus grand nombre de résidences principales (classées aux rangs 1, 2, 4, 6, 8 et 9). Paris vient en troisième place, et constitue 15% des occurrences si on y ajoute Conflans. Avec les autres villes d’Île-de-France, cela représente 431 mentions. Troyes occupe un rôle non négligeable avec 93 jours différents (3,6%). En incluant les autres localités champenoises on atteint 116 mentions (4,5%). Les trois principales résidences comtoises font en revanche pâle figure, totalisant 119 occurrences. La plus importante est Dole, suivie de près par Gray et Salins, loin devant Poligny. En élargissant à toutes les localités comtoises, on atteint les 176 mentions (7%). Le Nivernais est quant à lui fort bien représenté, atteignant les 235 (9%), mais uniquement jusqu’en 1361, en fait surtout en 1338, avec Donzy (84 mentions), Nevers (53), Druyes (28), Montenoison (26) et Clamecy (11). La Flandre ainsi qu’Anvers et Malines ne sont pas négligées : d’abord Courtrai et Gand (61 mentions chacune) suivies de Bruges (23), devant Anvers (6), Malines et Audenarde (4). En revanche le Rethélois n’est attesté que par une mention sans date exacte à Mézières. Les autres territoires sont des lieux de passage entre ces grands ensembles : Picardie (27 mentions en tout), Flandre wallonne (10 occurrences, dont 6 à Lille), l’Aisne (3 fois) ou le Hainaut (Le Quesnoy, 1 fois). Cette cartographie n’offre que peu d’éclairage sur la micromobilité princière, pourtant attestée pour Philippe le Hardi, laquelle est réservée au prince et à quelques proches au sein de son hôtel. Quand la cour et l’administration restent à Paris, le duc 9 C. Balouzat-Loubet, Mahaut d’Artois, op. cit., p. 318.

u ne vi e d’i t i né rance Tableau 15. papier et en ligne. Répartition des mentions de présence de la comtesse entre novembre 1361 et 1382 (par province).

Territoire

Nombre d’occurrences

Pourcentage

Artois

1 323

70,3

Région parisienne

246

13

Champagne

101

5,3

Comté de Bourgogne

90

4,8

Flandre (plus Anvers et Malines)

60

3,2

Duché de Bourgogne

45

2,4

Picardie

10

0,5

Flandre wallonne

7

0,4

se déplace en effet beaucoup dans les environs, pour de petits déplacements, souvent à la journée10. Pour Marguerite de France, la seule période où un tel comportement puisse être approché est l’année 1338, lors du séjour en Nivernais, pour lequel les dépenses de l’hôtel sont renseignées, et où de très brefs déplacements sont mentionnés vers Avallon, Auxerre, Beaularris, Bonnay, notamment auprès de communautés monastiques, un aspect qui resterait méconnu à s’appuyer sur les seules mentions de chancellerie11. D’ailleurs, entre 1361 et 1382, cette mobilité « intrajournalière » n’est renseignée que pour les déplacements entre Paris et Conflans, même si on devine de courts voyages à Vincennes ; cela reste un point obscur. Les itinérances entre 1361 et 1382 : une géographie changeante

Si l’on s’en tient à la période la mieux documentée, on obtient des chiffres encore plus saisissants entre novembre 1361 et 1382 (tableau 15 papier et 16 en ligne). Avec 70% des mentions, l’Artois est loin devant Paris et ses environs (13%), suivie par la Champagne (5,3%) devant le comté de Bourgogne (4,8%), la Flandre (3,2%), le duché étant encore derrière (2,4%). La différence est notable avec les séjours de Mahaut qui ont lieu à 56% en Île-deFrance et 31% en Artois. On peut y voir une différence politique dans la participation de Mahaut aux affaires royales, et une le reflet d’une situation familiale particulière : Mahaut a ses filles et petites-filles à Paris, quand Marguerite a son fils et sa petite-fille en Flandre. Arras représente 30% du total, Hesdin 23%, suivies de Paris, loin derrière à 11%. Suivent Béthune, Troyes, Saint-Omer, Gosnay, Bapaume, Gand, Charenton/ Conflans, Dole et Salins devant Dijon, Gray, Quingey et Jully-sur-Sarce.

10 U. C. Ewert, « Changer de résidence sans vraiment quitter la ville. Paris et l’Ile-de-France dans les itinéraires des ducs de Bourgogne », dans Paris, capitale des ducs de Bourgogne, 2007, p. 107-120. 11 ADPDC A 575.

227

228

cha p i tr e 1 1

À vrai dire, la part de l’Artois domine dès 1362 puis ne fait que croître. Durant la période 1361-136412, la comtesse ne néglige aucune de ses nouvelles terres en Artois (57%), en Champagne (5,3%) et en Comté (21%), tout en venant à Paris (9,6%), ainsi d’ailleurs qu’à Reims pour le sacre, plus marginalement dans le duché(1%). Marguerite privilégie rapidement Hesdin (74 occurrences), puis Arras (34) devant Paris (23), Dole (18 mentions) et Salins (12). La période 1365-1374 marque un attrait bien plus fort pour le nord (carte 26 en ligne). Si l’Artois ne progresse que légèrement (59,6%), Paris devient le deuxième pôle (17,8%), traduisant le rapprochement avec les Valois. Viennent ensuite la Champagne, en progression (8,8%), la Flandre, non négligeable (4,5%) comme le duché (4,3%), notamment en raison du mariage puis des naissances. Perdante, la Franche-Comté se retrouve en position marginale (3%). Enfin la période 1375-1382 est marquée par une rétractation nette (carte 27 en ligne). Moins mobile, elle n’est attestée en 23 localités contre 54 entre 1365 et 1374. Duché et comté de Bourgogne sont désertés, la comtesse fréquentant à peine Troyes. Même Paris en pâtit. La comtesse fréquente encore un peu la Flandre (2,6%) et Tournai, dont l’évêque est Philippe d’Arbois. Surtout elle se concentre sur l’Artois (89%). Hesdin devient sa principale résidence (36%) devant Arras (31%), Béthune, dont l’importance progresse (9,5%). Paris ne compte plus que pour 5,9% des mentons, presqu’autant que Gosnay (5,7%) ou Saint-Omer (4,8%). Les séjours par région

Au-delà des mentions par jour, on peut esquisser une estimation de la durée du séjour au sein de chaque grande région, en prenant la première occurrence dans une région et la dernière et en supposant que la comtesse n’en est pas sortie. C’est une hypothèse raisonnable car les voyages sont longs et peu fréquents entre les différentes terres de la comtesse. On dispose de renseignements sur près d’un tiers des jours de l’année. Quand la comtesse est attestée en Artois tous les quatre ou cinq jours, on peut penser que sa cour et elle y demeurent. D’autant que la comtesse a tendance à se poser dans chaque « pays », en dehors de quelques lieux plus vite parcourus comme la Champagne, la Picardie et dans une moindre mesure la Flandre (tableau 17 en ligne). Cette méthode est relativement cohérente avec les mentions ponctuelles mais offre quelques données supplémentaires. On dénombre ainsi 69 séjours « régionaux » de 1361 à 1382, faisant alterner 7 pays. La comtesse reste dans chacun d’eux en moyenne 96 jours d’affilée : 74 jusque juin 1376, contre 287 après cette date. L’Artois représente ainsi 64,3% des séjours régionaux renseignés, soit 57% du temps total. On relève d’ailleurs une surreprésentation de l’Artois dans les mentions ponctuelles de journées (70%). Le biais des sources montre également une sous-représentation dans les mentions individuelles de Paris qui correspond à 20,6% du temps renseigné selon la méthode des « plages de séjour », et pas moins de 18% du temps réel, contre 13% des mentions de jour de présence. La même méthode 12 Carte 10 en ligne.

u ne vi e d’i t i né rance Tableau 18. papier et en ligne. Part de chaque province dans les séjours de la comtesse d’après les « plages » de séjour régional entre 1361 et 1382.

Nombre de jours13

Part du territoire parmi les jours renseignés (%)

Part du territoire dans le nombre total de jours (%)

Artois

4249

64,3

57

Paris

1364

20,6

18,3

Comté

 419

 6,3

 5,6

Flandre

 300

 4,5

4

Champagne

 240

 3,6

 3,2

Duché

  38

 0,6

 0,5

Total des jours réellement écoulés

7452

Total des jours comptés

6611

100 100

place le comté de Bourgogne en troisième position bien devant la Champagne. 6,3% du temps de séjour renseigné s’y déroule, 5,6% du temps total, au moins, contre 4,8% des attestations isolées. Dans les mentions ponctuelles, ce comté est sous-représenté, à la différence de la Champagne qui correspond à 3,6% du temps des séjours attestés et 3,2% du temps total contre 5,3% des mentions de date : cela signifie d’ailleurs que sur une durée donnée, la comtesse date davantage de lettres de Troyes, qui joue donc un rôle important dans la prise de décision. Concernant la Flandre, les « plages » de séjour indiquent une présence plus longue (4,5% des séjours renseignés et 4% du temps total) qu’en Champagne alors que le pourcentage de mentions individuelles est de 3,2% en 1361-1382. Les séjours y sont donc sous-estimés. Enfin, si la durée des séjours dans le duché est plutôt courte (38 jours, 0,5%) elle est très renseignée (2,5% des mentions), en raison de la bonne conservation des sources du duché de Bourgogne. L’intérêt des plages de séjour est également de permettre quelques déductions sur les phases lacunaires entre deux séjours, lacunes qui correspondent à 10% du temps durant lequel on n’a aucune donnée. Plus de la moitié des lacunes précèdent ou suivent des séjours parisiens, laissant penser que la présence parisienne, moins documentée par la perte des archives de l’hôtel, est plus importante. L’autre « trou noir » concerne les rapports entre l’Artois et la Flandre : la comtesse disparaît ainsi des sources en Artois avant de ressurgir en Flandre après une lacune de plusieurs jours, et réciproquement. Les voyages liés à la Flandre font donc baisser la « traçabilité » de la comtesse : il est certain que la présence en Flandre est sous-estimée, que ce soit dans le nombre de séjours mais aussi sûrement quant à l’action politique qu’elle y mène, les sources princières flamandes étant très incomplètes. Les séjours entourant le comté de Bourgogne sont

13 Durée entre la première et la dernière occurrence dans une même région entre novembre 1361 et avril 1382.

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également lacunaires, qu’il s’agisse des séjours Champagne et Comté, Paris et le Comté, mais ils représentent à peine 15% des lacunes, qui sont aussi dues au déficit de sources sur Paris. Je ne pense donc pas qu’il faille déplorer une grosse « présence cachée » en Franche-Comté, à la différence de Paris ou de la Flandre (tableau 19 en ligne).

2. Les motifs de déplacement : essai de synthèse Le mode de vie itinérant des membres de la noblesse s’explique par une multitude de motifs : ils sont d’abord politiques et militaires, entre service du suzerain, et gouvernement de ses propres terres. Il faut encore contribuer à l’entretien des rapports d’amour avec les alliés et parents, à l’occasion des grandes fêtes notamment. La mobilité est pour partie affaire de caractère, ou de santé, mais le mode de vie nobiliaire a ses exigences. Le cas de Philippe le Bel permet d’en avoir une bonne idée : motivations religieuses (pèlerinages, culte de saints propres aux lignages), politiques et militaires, distractions (chasse en particulier) et évènements familiaux dictent les itinérances14. Si le fait d’être une femme a un impact sur cette mobilité, il serait fallacieux d’y voir l’expression d’une simple conduite privée. Une immense majorité des séjours a lieu sur les terres de la comtesse (à peu près les trois quarts du temps) et à plus de 90% dans ses propres résidences. Il s’agit de vivre chez soi et même de « vivre du sien », manifestation d’un bon gouvernement, qui permet de profiter de certains droits de prise et d’utiliser les stocks de blé ou de vin. Certes, ces contraintes sont limitées car une bonne part de l’approvisionnement est monétarisé, et l’argent circule entre la comtesse et ses différentes terres, mais le poids financier de l’Artois est certainement à prendre en compte. La comtesse ne peut en revanche vivre longtemps sur le seul pays comtois. Les enjeux diplomatiques expliquent également une bonne part des déplacements des princes, se mêlant à la fréquentation de parents : c’était d’ailleurs le cas aussi pour Louis de Nevers15. Malgré tout, le champ d’action de Marguerite de France est plus limité. On la voit dans bien peu de territoires « étrangers » : brièvement en Hainaut, un peu en Brabant mais pas en Angleterre comme son fils Louis de Male, ni à Avignon comme son mari. En dehors de chez elle, elle ne va pas bien loin : auprès du roi à Paris, du duc de Bourgogne, ou de son fils en Flandre. Son seigneur, sa famille, son domaine : l’horizon est limité. En outre, et à la différence de son mari qui pratique des voyages « sportifs » car il fréquente les tournois, les problèmes familiaux expliquent souvent ces déplacements, même s’ils comportent aussi une dimension politique voire diplomatique : réconciliation avec son époux en 1327-1329 entre Bourgogne, Artois et Flandre, action diplomatique pour persuader son fils de renoncer à une alliance anglaise pour sa fille Marguerite, en 1368-1369, nouveau séjour en Flandre en 1371 afin d’exfiltrer Marguerite de Brabant brouillée avec Louis de Male. Cela ne lui est d’ailleurs pas

14 É. Lalou, R. Fawtier et F. Maillard, Itinéraire de Philippe IV le Bel (1285-1314), 2 vol., Paris, 2007. 15 M. Vandermaesen, De besluitvorming in het graafschap Vlaanderen, op. cit., p. 186.

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propre : Philippe le Hardi participe aux discussions autour de Marguerite de Brabant, et Louis de Nevers a dû subir un humiliant séjour comtois auprès de Mahaut pour tenter de récupérer son épouse. La comtesse fait également de nombreux voyages pour assister à des baptêmes : en 1371 en Bourgogne pour la naissance de Jean sans Peur, et en 1373 à Paris pour celui d’Isabelle, fille de Charles V16. Mêlant proximité familiale et participation d’une vassale à la cour de son seigneur, on trouve évidemment les séjours auprès de la cour royale, phénomène qui rappelle les itinérances de Mahaut, Louis de Nevers et Philippe le Hardi. C’est également pour remplir ses fonctions de paire de France que la comtesse effectue son voyage à Reims en 1364 lors du sacre de Charles V. Cette présence personnelle a un fort poids politique : en 1378 elle profite de la venue de Charles IV pour lui prêter hommage pour la Franche-Comté. Encore en 1380, c’est à la demande de son fils qu’elle l’accompagne à Paris pour solliciter l’aide du roi contre les Gantois. Il y a bien entendu un biais à tout rattacher aux événements politiques, faute d’informations précises sur des motivations plus personnelles, même si les deux ne s’excluent pas voire se recouvrent parfois. La présence de la comtesse peut cependant être corrélée à des fêtes religieuses. On observe un certain tropisme pour Hesdin à la fin août, au moment de la Saint Louis dont des reliques sont conservées sur place. L’attrait pour des lieux de pèlerinage comme Notre-Dame de Mont-Roland, lors des séjours à Dole, est également patent pour la comtesse, même si cela témoigne souvent d’une micromobilité, par ailleurs très mal renseignée en dehors de l’année 1338, où elle apparaît davantage. De pèlerinages lointains, on ne retrouve pas facilement la trace et la comtesse est contrainte par ses fonctions à les limiter, se contentant d’envoyer des pèlerins, par exemple à Saint-Lazare d’Autun17. On retrouve également certains schémas dans la circulation de la comtesse qui semblent témoigner de ses goûts : sa présence à Hesdin correspond généralement à l’été, et s’explique par l’intérêt du parc dans lequel la comtesse passe beaucoup de temps, y mangeant si fréquemment qu’on y fait construire une cuisine. De même, sa venue à Conflans est liée à la volonté d’y jouir de l’été, qui la voit moins souvent à Paris. En revanche, la comtesse privilégie des séjours dans la capitale au moment de la Noël. Si les grandes fêtes incitent la comtesse à fréquenter la cour royale, comme elle le faisait enfant, c’est aussi un moment où elle y retrouve des parents, notamment le duc et la duchesse de Bourgogne. La comtesse entretient également des rapports avec certains ordres où la tradition familiale compte beaucoup : les Clarisses à Longchamp, où sa sœur Blanche est entrée enfant, les Chartreuses à Gosnay, où elle passe de plus en plus de temps. L’état de santé de la comtesse influe aussi sur sa mobilité, qui décline avec le temps, à l’instar de Philippe le Bel, dont les dernières années sont plus posées, et qui passe davantage de temps à Maubuisson18. La comtesse se replie pour sa part sur un triangle Hesdin-Arras-Béthune, se rapprochant de la Chartreuse de Gosnay.

16 R. Delachenal, Histoire de Charles V, op. cit., t. 4, p. 170. 17 ADCO B 4627. 18 É. Lalou, R. Fawtier et F. Maillard, Itinéraire de Philippe IV le Bel, op. cit., p. 149.

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Pourtant, presque jusqu’au bout, la comtesse continue de se déplacer. Ce n’est pas un cas unique : Édouard Ier continue de se rendre jusqu’à sa mort au plus près des combats lors de sa campagne finale contre les Ecossais19. Philippe V, quoique très affaibli à la fin de sa vie, continue un temps de se déplacer, même s’il finit par se rapprocher de Longchamp où il termine ses jours. Être malade pourrait même favoriser certains voyages. La lettre par laquelle la comtesse retient à son service le médecin Gérard de Trévise, prévoit qu’elle puisse se rendre et « aler demourer a Paris ou ailleurs pour nostre santé et pour estre en nostre air naturel ». Nous sommes alors en décembre 1381, à une date où sa santé se dégrade20. Il s’agit de l’espace de la naissance et de l’enfance, ainsi que du père ; l’Artois et la Franche-Comté, dont Marguerite est pourtant « dame naturelle » ne sont pas concernés par cette prescription. Marguerite se sent d’abord « fille de roy de France », voire « française ». Rétrospectivement, ce document nous invite d’ailleurs à penser que certains des séjours antérieurs de Marguerite ont pu avoir une motivation médicale. Le même souci de santé se retrouve chez les ducs de Bourgogne, puisqu’en 1408 Jean sans Peur envoie ses fils vers la Bourgogne « pour y avoir meilleur air et nourrissement qu’ilz n’avoient en nostre païs de Flandres »21. Là encore, il s’agit de renvoyer le comte de Charolais là où il est né. Enfin, Marguerite n’hésite pas à faire acte de présence dans des circonstances difficiles pour manifester sa légitimité, et garder son droit. C’est le cas en 1361-1362 en Franche-Comté, en particulier à Gray face à Jean de Bourgogne. Elle revient encore en 1363-1364 quand Philippe le Hardi la défie à son tour. En Artois, une attitude similaire se lit : dès son avènement, la comtesse se rend ainsi aux confins du Calaisis à Coquelle. En temps de guerre, en août 1370, lorsqu’elle apprend que Robert Knolles marche sur l’Artois, elle abandonne sa résidence d’été à Hesdin, pourtant sûre, pour attendre l’Anglais dans sa capitale, à Arras, où elle passe la milice urbaine en revue22. Elle reproduit un comportement similaire en 1380 à Béthune. Être présent constitue une démonstration de force et permet de mobiliser ses alliés. C’est aussi se rendre disponible auprès de ses sujets. « La terre que le roi ne fréquente pas retentit des clameurs et des gémissements des pauvres »23. De fait, les motifs politiques et militaires sont les plus influents sur les itinéraires et séjours des rois et des princes24. Il s’agit de se montrer, d’apprendre à connaître ses pays : un défi posé aux rois de France vis-à-vis du lointain Languedoc, obligeant à de « lointaines marches ». Cité par Froissart, Bureau de la Rivière conseille néanmoins à Charles VI de s’y rendre pour « cognsoitre ses gens et scavoir et apprendre comment ils estoient

19 M. Vale, The princely court, op. cit., p. 138. 20 ADPDC A 103. 21 Die Hofordnungen der Herzöge von Burgund. Band 1, Herzog Philipp der Gute 1407-1467, op. cit., p. 10. 22 ADPDC A 992. 23 Article « Roi » dans J. Le Goff et J.-C. Schmitt, Dictionnaire raisonné de l’Occident médiéval, Paris, 1999. 24 P. Contamine La noblesse au royaume, op. cit., p. 143.

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gouvernés »25. Or on sait les liens entre Bureau et Marguerite. Mobiles, les princes peuvent cependant décider de loin par leurs ordonnances ; l’absence ne signifie pas l’indifférence26. Mais si la comtesse, à l’instar de Philippe le Bel, voyage avec son conseil et peut décider partout27, elle demeure sensible à l’idée d’un gouvernement de proximité. Une telle étude relève des rouages du gouvernement, réservé à un second volume, mais on doit relever ici une corrélation entre le lieu de résidence et le lieu de décision. Dans les « registres aux chartes » de la chancellerie comtale, les décisions touchant l’Artois sont prises à 80% en Artois, les autres surtout à Paris. Si la comtesse demeure loin de Bourgogne, 18% des décisions relatives au pays sont prises sur place, bien davantage que le temps passé au pays, les autres étant souvent prises au plus près, à Paris ou en Champagne (14%), contre à peine 1/3 lors de séjours en Artois. Presque toutes les décisions relatives à la Champagne sont prises à Troyes ou Jully. Un bel exemple de la volonté de décider au plus près et de l’usage politique des déplacements est donné par une feuille de papier contenant les délibérations du conseil le 30 septembre 1366, à Jully-sur-Sarce. Les conseillers, très ancrés dans le pays comme l’évêque de Troyes, siègent en présence de la comtesse. On prend alors onze décisions liées à la situation locale comme la réduction des gages des châtelains de Jully, Chaource et Arcis-sur-Aube, mais aussi la venue de la comtesse à Arcis-sur-Aube, décision qu’elle approuve, et où l’on convoque tous les fieffés au château pour qu’ils viennent reprendre leur fief de la comtesse28. Un autre exemple éclairant est constitué par le dernier séjour comtois de Marguerite de France, au cours duquel tous les champs d’action du pouvoir sont abordés : changements d’officiers29, récompenses de fidèles30 octrois de prébendes dans ses chapelles31, règlements de litiges entre habitants sur la perception de la taille32… Des dizaines de décisions touchent ainsi presque toutes les localités. La comtesse passe littéralement en revue les affaires les plus locales. Ce programme de « réformation » où la comtesse s’octroie bien entendu le beau rôle de redresseur de torts et voit affluer devant elle ses sujets, gens d’Église, nobles et gens du commun33. Elle met ainsi fin aux empiètements « griefs, tors, oppressions et nouvelletéz » des officiers comtaux à Poligny et Toulouse-le-Château contre le prieuré Notre-Dame de Vaux sur Poligny34. « Veni, vidi, edixi » : ainsi pourrait-on résumer ce dernier séjour comtois. Abolissant le temps et l’espace, elle remet tout à plat, en somme, réforme au sens propre, quitte à désavouer les actions menées par ses sergents et prévôts. On aurait presque l’impression que la moindre décision favorable 25 F. Autrand, « L’allée du roi dans les pays de Languedoc : 1272-1390 », La circulation des nouvelles au Moyen Âge. Actes des congrès de la SHMESP, vol. 24, Paris, 1993, p. 85-97. 26 J.-M. Cauchies, « Droit édictal, gestion et domaine : la Flandre sous le duc de Bourgogne Jean sans Peur (1405-1419) », dans Pouvoir et gestion, Toulouse, 1997, p. 87-96. 27 É. Lalou, R. Fawtier et F. Maillard, Itinéraire de Philippe IV le Bel, op. cit., p. 103. 28 ADPDC A 94. 29 BN Fr. 8552, ADCO B 14 443, B 3857. 30 ADCO B 485 bis, fol. 66. 31 ADD B 392. 32 ADCO B 485 bis, fol. 66. 33 Ibid, fol. 67. 34 14 octobre 1374 à Dole. ADD B 517. Copie du XVIIIe siècle.

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a été ainsi retardée jusqu’à sa venue, ce qui n’est pas sans rappeler les méthodes de communication moderne. La venue de la comtesse est d’ailleurs attendue pour prendre une décision définitive. Avant ce séjour, le bailli de Bourgogne Guillaume, bâtard de Poitiers, accorde ainsi une réduction de moitié de la taille due par les hommes taillables de Baume-les-Dames, jusqu’à « la venue ou voluntei de madame »35.

3. Un mode de vie mobile : organiser l’itinérance Habituée depuis l’enfance à voyager, la comtesse adapte donc son mode de vie à l’itinérance. Ainsi de sa piété : dès le 5 mai 1329 Marguerite et Louis de Nevers obtiennent le droit de faire célébrer le service divin en des lieux interdits et excommuniés, à porte close, sans son de cloche et à voix basse, pour eux et les gens de leurs maisons36. La ressource la plus nécessaire à ce mode de vie itinérant demeure cependant l’argent. Les déplacements coûtent cher, doublant les dépenses de l’hôtel de Charles VI37. Ce surcoût se retrouve chez Jeanne de France38. La venue de la comtesse en Artois en mai 1362 conduit ainsi à apporter « finanches d’argent contre la venue de madame »39. L’usage est donc de prélever sur les recettes locales, qui alimentent le clerc des briefs, ce que faisait déjà Jeanne de France40. Une comtesse en mouvement

En reliant à vol d’oiseau les localisations successives attestées, on arrive à 32 290 km parcourus entre 1312 et 1382, soit 459 km par an, avec d’énormes disparités entre 0 et 2 600 km (tableau 22 online). De 1361 à 1382, période où l’essentiel des itinérances semble être renseigné, cela représente 862 km par an. De même, les « jeunes années », lorsqu’elles sont bien renseignées comme en 1338, montrent elle aussi un haut degré de mobilité. Il arrive que les distances parcourues grimpent, surtout au début des années 1360 : 1 402 km en 1362, et même 2 606 km en 1364, un record. Entre 1362 et 1371, la moyenne annuelle est de 1 071 km, puis de 793 km entre 1372 et 1376. En revanche, entre 1377 et 1381, la moyenne retombe à 447 km par an, en raison de l’âge de la comtesse et de son repli sur le nord. Malgré tout, à l’intérieur de cet espace limité, la comtesse reste active, et dépasse les 400 km par an à l’exception de l’année 1379. Les longs voyages ne lui font assurément pas peur. On la voit parcourir de février à novembre 1338 plus de 1 300 km depuis la Flandre vers le Nivernais puis le comté de

35 ADD B 327. 36 5 mai 1329. Jules Ludger Dominique Ghislain Saint-Génois, Inventaire analytique des chartes des comtes de Flandre, op. cit. p. 427. 37 F. Autrand, « L’allée du roi dans les pays de Languedoc : 1272-1390 », op. cit. 38 J.-B. Santamaria, « Quand la duchesse devint comtesse », op. cit. 39 ADN B 13877. 40 F. Autrand, « L’allée du roi dans les pays de Languedoc : 1272-1390 », op. cit. ; J.-B. Santamaria, « Quand la duchesse devint comtesse », op. cit.

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Fig. 9. papier et en ligne. Variation du nombre de km à vol d’oiseau entre les localités mentionnées chaque année.

Rethel. Entre le 8 avril 1374 et le 22 mars 1375, la comtesse part de Béthune, traverse l’Artois avant de gagner Troyes puis Gray, accomplit une tournée en Franche-Comté, avant de rejoindre le duché via Dole, rejoignant Montbard, Montfort puis Troyes, et de là Paris via Bray-sur-Seine et Brie-Comte-Robert. Le retour en Artois par Bapaume en mars 1375 met fin à ce long voyage d’au moins 1 100 km, hors « microdéplacements » (carte 28 en ligne). Les routes de la cour

Curiaux et seigneurs arpentent souvent les mêmes routes au cours de leur vie, reprenant les usages de leurs prédécesseurs : Philippe le Bel pouvait ainsi fréquenter les routes du bassin parisien « quasiment les yeux fermés »41. Marguerite a parcouru pour sa part des dizaines de fois la route de Paris à Bapaume depuis son plus jeune âge. Cette mémoire est également vivante dans son hôtel, peuplé d’anciens serviteurs de ses parents et de Mahaut. Valets et nobles de son entourage parcourent ces mêmes chemins en dehors des voyages de la cour. L’origine géographique de leur recrutement, que nous réservons pour un second volume, dessine une carte correspondant à ce même espace. Marguerite est ainsi assurée de trouver dans son train quelques Flamands, Artésiens, Parisiens, Champenois et Bourguignons : partout l’hôtel est sinon chez lui, du moins en terrain connu.

41 É. Lalou, R. Fawtier et F. Maillard, Itinéraire de Philippe IV le Bel, op. cit., t. 1, p. 61.

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L’impression d’une relative stabilité des trajets et même des arrêts est ici nette ; elle s’inscrit dans le sillage de sa grand-mère, elle-même habituée à quelques itinéraires routiniers, malgré des nuances dans les arrêts42. L’hôtel se rend en des séjours bien connus et inscrits dans une longue mémoire curiale. Les logis sont préparés à l’avance, chez des personnes de confiance, ou en des bâtisses dont on connaît les capacités ; on accomplit des étapes dont on connaît grossièrement la durée. On pratique également les routes les plus adaptées. Les Coutumes de Beauvaisis43 soulignent en effet l’existence d’une hiérarchie du réseau du sentier pour les piétons à la grande route de 10 m de large reliant les cités, en passant par le grand chemin où deux charrettes peuvent se croiser44. Le pavement et un entretien régulier concernent surtout les grandes routes, éventuellement les grands chemins, et un lourd convoi de charriots doit souvent s’y limiter. Heureusement, ces routes relient assez bien les résidences principales de Marguerite, qui sont souvent situées dans des villes importantes. Certains des logis favoris correspondent même à de véritables carrefours, que ce soit dans le tracé des routes ou dans la géographie des itinéraires. Les deux principaux nœuds sont en effet Paris et Arras. Les carrefours secondaires sont Hesdin, Béthune, Saint-Omer ou encore Dole en Bourgogne, localités très fréquentées et bien connectées. Quant à Troyes, il s’agit d’un relais incontournable entre Paris et la Bourgogne. On peut observer au mieux cette régularité sur les routes entre le nord et Paris, des routes qui traversent surtout le domaine royal et voient passer quantités de seigneurs et de marchands depuis des siècles. Il s’agit d’un atout pour la mobilité de la comtesse (carte 29 papier et en ligne). Ainsi l’axe Bruges-Paris-Champagne, passe précisément par Arras avant de continuer vers Bapaume, Péronne, Roye, Compiègne, Senlis, Paris, Lagny, Provins et Troyes45. La stabilité de ces itinéraires a été constatée à la fin du XIIIe siècle pour le comte de Flandre46. Ce n’est certes pas l’itinéraire favori de Philippe IV qui passe par Amiens en allant en Flandre ; il lui arrive malgré tout aussi de passer par Arras, deuxième grand carrefour de ses voyages septentrionaux47. C’est donc d’abord par voie terrestre que la comtesse gagne l’Artois puis s’y déplace. Certes, un lourd convoi peut rapidement souffrir d’un relief même modéré. De fait, les modestes collines de l’Artois poussent à passer par le seuil de Bapaume où convergent les voies de communication. Il arrive à la comtesse de prendre alors vers Eclusier-Vaux à l’ouest de Péronne, l’Oise étant franchie entre Liancourt et Gouvieux. Mais elle préfère prendre par Péronne, Lihons, Crapeaumesnil, Ressons, Estrees-Saint-Denis. Une fois l’Oise franchie à Pont-Sainte-Maxence, on continue vers Senlis, La Chapelle-en-Serval, Louvres, le Bourget. Cela rappelle clairement

42 J.-M. Richard, Une petite-nièce de Saint-Louis, op. cit., p. 55. 43 Philippe de Beaumanoir, Coutumes de Beauvaisis, 2 vol., Paris, 1899. 44 R.-H. Bautier, « La route française et son évolution au cours du Moyen Âge », Bulletin de la Classe des Lettres et des Sciences Morales et Politiques (Belgique), vol. 73, 1987, p. 70-104. 45 H. Laurent, La draperie des Pays-Bas en France et dans les pays méditerranéens (XIIe-XVe siècle) : un grand commerce d’exportation au Moyen Âge, Paris, 1935, p. 258. 46 M. Vale, The princely court, op. cit., p. 148. 47 É. Lalou, R. Fawtier et F. Maillard, Itinéraire de Philippe IV le Bel, op. cit., t. 1, p. 76.

Carte 29. papier et en ligne. Localisation des attestations de la comtesse sur le réseau des voies du plan Cassini entre la Flandre et Paris. © J.-B. Santamaria

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l’itinéraire de Mahaut48. L’administration comtale qualifie d’ailleurs cette voie de « chemin d’Artois »49. Cet itinéraire est également goûté par la comtesse de Hainaut pour relier le Quesnoy à Paris50. La route entre l’Artois et Paris confirme donc cette importance des grands chemins et de Bapaume où se rejoignent, en direction de Paris, les routes venant d’Arras et de Flandre. Il lui arrive cependant de venir directement d’Hesdin à Paris par Amiens, suivant une voie déjà empruntée par Mahaut. Celle-ci passe alors par Doullens ou Vaux, Amiens, Creil (ou éventuellement par Pontoise et Beaumont), Luzarches, et Saint-Denis51. La route Paris-Amiens est en effet très fréquentée. Mais si on peu facilement gagner Arras depuis Amiens, cette voie ne semble pas avoir été pratiquée par la comtesse, tout comme la route Amiens-Béthune-Bruges passant par Aubigny. On ne trouve pas non plus mention d’un axe répertorié, le Paris-Amiens-Noyellesen-Chaussée-Montreuil, qui permet pourtant de relier l’ouest de l’Artois ; il posait peut-être des difficultés en raison de la menace anglaise, en particulier à Montreuil, après 136052. Pour aller plus au sud et relier Arras à Troyes et la Bourgogne, il n’est pas nécessaire de passer par Paris comme le fait pourtant la comtesse, le plus souvent : le chemin est plus court via Reims. On manque de données sur un tel trajet, peut-être utilisé en avril 1374 quand la comtesse relie Troyes depuis Bapaume. Mais messagers et conseillers l’empruntent prioritairement en temps de paix, du moins dans les années 1360. Au printemps 1371 en effet, Biset et Jean Blarye y renoncent, préférant passer « par Paris pour ce que on disoit et estoit renommée que le chemin de par-devers Raims n’estoit pas sour »53. L’année 1371 a beau être une année d’accalmie mais la situation n’est visiblement pas complètement sécurisée. Dans les faits, c’est de toute manière depuis Paris que la comtesse gagne ses terres du sud, par la route du Nivernais ou celle des deux Bourgognes (carte 30 en ligne). La première passe par Villeneuve-Saint-Georges, Corbeil, Perthes, Recloses, sans doute Nemours, Dordives, Ferrières-en-Gâtinais, Montargis, Ouzouer et conduit sur la rive droite de la Loire à Briare (entre Ouzouer et Bonny-sur-Loire). La Loire est ensuite longée jusqu’à Nevers, à moins que l’on s’en éloigne au niveau de Cosne pour gagner Donzy, plus à l’est. Là encore, l’axe correspond à l’état des routes du XVIIIe siècle54. C’est également le cas de la deuxième route qui mène en Bourgogne via la Champagne. En passant probablement par Melun, voire plus à l’est dans la Brie, on atteint Montereau avant de remonter grossièrement la Seine jusque Bray-sur-Seine, puis Troyes, d’où l’on repart vers le sud-est via Isle-Aumont, Jully-sur-Sarce, Gyésur-Seine, Châtillon-sur-Seine, suivant la Seine et la route de Troyes à Dijon. On

48 C. Balouzat-Loubet, Le gouvernement de la comtesse Mahaut en Artois (1302-1329), op. cit., p. 306. 49 ADCO B 1428. 50 H. J. Smit, De Rekeningen der Graven en Gravinnen uit het Henegouwsche Huis, op. cit., p. 573. 51 J.-M. Richard, Une petite-nièce de Saint-Louis, op. cit., p. 55. 52 A. Derville, « La première révolution des transports continentaux (c. 1000-c. 1300) », Annales de Bretagne et des pays de l’Ouest, vol. 85, no 2, 1978, p. 181-205. 53 ADPDC A 745. 54 Carte n° 9.

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observe là une forte concentration de localités visitées. La comtesse y dispose de ses résidences puis des belles demeures ducales du nord de la Bourgogne, comme Aignay. De Dijon, la direction d’Auxonne est la plus favorable pour ensuite franchir la Saône vers Dole, au pont de Losne, comme le font Mahaut55 et Jeanne de France (carte 31)56. Tout ceci semble très structuré, et on peut même penser que la constitution du domaine et du réseau castral de Marguerite répond pour partie à la volonté de disposer d’un axe cohérent qui permet de gagner du temps. Une cour plutôt véloce

La relative rapidité avec laquelle les cours se déplacent a déjà été soulignée : 30 km par jour pour Philippe IV le Bel, à un rythme probable de 4 km par heure, même si on peut aller bien plus vite57. Cette vitesse se retrouve chez Mahaut dont la cour peut parcourir entre 7 et 45 km, tout en alternant courtes et longues étapes, 51 km semblant la distance maximale58. L’année 1338 permet de suivre très précisément les rythmes de Marguerite en hiver (carte 8 papier) : partie de Male le 13 février, la comtesse arrive à Conflans le 21, à 35 km par jour, rythme régulier qu’on trouve en Flandre et en Picardie, avec une pointe à 40 km sur la route de Lens à Bapaume, via Arras, ainsi que de Bapaume à Lihons. De Conflans à Donzy 195 km sont parcourus en 6 jours, soit 32,5 km, le plus souvent 30 km par jour, jusque 44 km entre Recloses et Montargis. Entre le 28 mars au 4 avril 1342, le voyage de Courtrai à Saint-Germainen-Laye présente une amplitude allant pour l’essentiel de 30 à 40 km, voire 51 km entre Ressons et Gouvieux, via Pont-Sainte-Maxence. 50 km correspondent an rythme maximal des déplacements de Jeanne de France59. Les données sur les routes de la Bourgogne manquent, mais on retrouve une célérité voisine dans les voyages de Jeanne de France. On notera que la comtesse se cantonne aux zones les plus basses, où le domaine se concentre. Ce rythme de croisière posé, on peut relever les voyages où la comtesse choisit de voyager plus lentement, notamment sur ses terres entre Arras et Hesdin60 ou à l’automne 1374 entre Dole et Montbard, quand elle avance de 20 km par jour avec Philippe le Hardi. En rythme de croisière, si Arras est ainsi à quelques jours d’Hesdin, Saint-Omer ou Gand, à moins d’une semaine de Paris, Dole est à une vingtaine de jours, l’allerretour prenant un mois et demi… Au total, de 1361 à 1382, la comtesse a pu passer 600 jours sur les routes, peut-être 10% de son temps, ce qui requiert un certain confort.

55 J.-M. Richard, Une petite-nièce de Saint-Louis, op. cit., p. 55. 56 J.-B. Santamaria, « Quand la duchesse devint comtesse », op. cit. 57 Y. Renouard, « Routes, étapes et vitesses de marche », op. cit. ; É. Lalou, R. Fawtier et F. Maillard, Itinéraire de Philippe IV le Bel, op. cit., t. 1, p. 77. 58 C. Balouzat-Loubet, Le gouvernement de la comtesse Mahaut en Artois (1302-1329), op. cit., p. 305. 59 J.-B. Santamaria, « Quand la duchesse devint comtesse », op. cit. 60 Du 6 au 9 juillet 1381.

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Une logistique entre planification et souplesse

Le caractère répétitif des étapes, leur longueur souvent voisine incitent à penser que la cour vise des haltes connues et préparées à l’avance. Lors des voyages de 1338 et 1342, l’étape du dîner est atteinte après 10 à 18 km, une distance irrégulière mais plus courte que celle qui sépare dîner et gîte, à savoir entre 20 et 22 km. Sans doute la pause du dîner est-elle prise relativement tôt, mais ces données laissent à penser qu’on avance jusqu’assez tard dans l’après-midi, même en février ou mars. Mais cela n’est pas systématique : le 29 mars 1342, la comtesse traverse d’une traite les 30 km de Lille à Lens où elle arrive au « disner », donc assez tôt, car elle souhaite y demeurer, quitte à retarder le repas. Le 2 avril, la comtesse atteint Pont-SainteMaxence depuis Ressons avant le dîner, parcourant 30 km, puis en effectue encore 20 après dîner. L’heure de départ doit sans doute jouer. On peut supposer que tout cela est grossièrement calculé d’après l’expérience, et tributaire de la durée du jour, même si les étapes d’hiver ne semblent pas forcément plus courtes. Il est clair que la motivation d’un séjour chez soi pousse à faire accélérer la cadence ou entraîner un départ plus précoce. Les distances plus longues correspondent souvent à des séjours prisés comme Arras. En outre, les itinéraires sont guidés par la volonté d’atteindre une étape du dîner relativement fiable. On adapte donc le rythme aux étapes prévues. La planification des voyages est une affaire délicate : prévoir le parcours d’une centaine de personnes, s’adapter aux changements de dernière minute de la comtesse, c’est là, le rôle des maîtres d’hôtel. Lorsqu’un voyage à Avesnes est annulé le 29 mai 1364, Humbert de la Platière prévient les agents chargés d’accueillir la comtesse et d’assurer l’approvisionnement qu’il faut écouler les stocks de pain61. Intendance contre réactivité, temps long contre temps court : cette contradiction dans l’exercice du pouvoir est au cœur du nomadisme châtelain et complexifie toute l’organisation. On retrouve cette tension chez Marguerite, capable de planifier plusieurs mois à l’avance sa venue à Paris, comme de décider au dernier moment de rejoindre sa petite-fille après l’accouchement. Prévoir trop tôt n’est pas toujours un bon calcul car les circonstances changent vite. Plusieurs voyages en Bourgogne sont annoncés puis annulés : en octobre 1372, on prépare les provisions de vin et de bûche à Troyes « pour les provisions de madite dame environ Pasques CCCLXXIII »62, mais elle ne vient pas, tout comme elle annule le voyage prévu en mai 1373 en Bourgogne, probablement en raison des menaces anglaises. Les voyages entre l’Artois et Paris sont également souvent planifiés : deux mois avant son départ vers Paris, en février 1379 la comtesse fait envoyer du sel et 1 000 harengs saurs, indispensables en temps de Carême63 ; elle attend alors la lettre de rémission du roi pour ses actions violentes contre les Arrageois, et ne souhaite se montrer à la cour en suppliante. Une fois la lettre obtenue, elle décide finalement de rester chez elle pour y affermir son autorité. En revanche, le départ vers Paris début mars 1380, à la demande de Louis de Male,

61 ADPDC A 708. 62 ADCO B 3856. 63 ADN B 13879 et 14633.

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n’est annoncé que quelques semaines à l’avance : cela contrarie l’administration et oblige à collecter en vitesse de l’argent pour le « voiaige que madite dame entendoit adont a faire briefment par devers le roy »64. Une des compétences attendues de l’hôtel est donc la souplesse. On doit modifier les plans au gré de la conjoncture et des décisions sont prises au fur et à mesure pour le détail : c’est le cas pour des déplacements plus courts décidés en conseil. Le document daté du 30 septembre 1366 et qui planifie depuis Jully le passage à Arcis en présence des fieffés le montre bien ; tout ceci est décidé au fur et à mesure65. Même si on est loin des effectifs des cortèges royaux, l’hôtel avoisine une centaine de personnes, de sorte que les curiaux ne voyagent pas forcément d’un bloc. L’intendance exige en effet une avant-garde chargée de la préparation des logis, le « venir avant »66. L’arrivée de la cour est préparée par des officiers de l’hôtel, notamment des fourriers, qui « vont avant ». En septembre 1364 les maîtres d’hôtel et plusieurs officiers partent à Saint-Omer « aviser les hosteux »67. Mais on peut aussi s’appuyer sur les officiers locaux, receveurs ou châtelains : le receveur de Jully est chargé fin août 1368 de mettre « touz li hostel mis en bon estat, et que l’en feist bonne garnisons de feins et de letiere, de buche et de charbon »68. Les départs peuvent également être perlés. Si le droit de gîte n’est guère attesté pour Marguerite, le droit de prise, courant chez les seigneurs, est bel et bien coutumier en Artois : la mobilisation des chars et charrettes en relève, occasionnant des abus. L’accord passé en Parlement en juin 1379 mentionne d’ailleurs les « prises de chars et charrettes et autres choses pour la neccessité de l’ostel de madite dame » à Arras. Il en limite l’abus : on ne pourra procéder à la prise dans l’hôtel d’un bourgeois sans la présence d’un sergent à verges, mais ailleurs, les gens de l’hôtel pourront agir « promptement ». Madame n’aime pas attendre. Concernant les produits de consommation, le droit de prise correspond à un prix standard, semblable au « prix du roi » : en Artois, la coutume autorise la comtesse à acheter le lot de vin en plusieurs villes à un prix très inférieur au marché, ce qui conduit les villes à racheter temporairement ce droit. De toute façon, si les princes peuvent compter sur les dons des villes et quelques droits coutumiers, cela ne couvre qu’une petite partie de la consommation, et sur une période brève69. On en profite cependant. Lorsqu’un voyage est planifié en Franche-Comté en 1373, le retour semble avoir entraîné un certain enthousiasme : les habitants des villages autour de Poligny, Arbois et Pupillin convoient ainsi 48 queues de vin vers Gray, soit plus de 70 km, « de courtoisie »70. Des séjours trop fréquents peuvent cependant entraîner des complaintes : c’est le cas à Saint-Omer et dans d’autres villes d’Artois où le droit d’acheter le lot de vin bien en dessous du prix du marché est fréquemment dénoncé. L’hôtel doit donc aussi compter sur des ressources propres. 64 65 66 67 68 69 70

ADN B 14642. ADPDC A 94. J.-B. Santamaria, « Quand la duchesse devint comtesse », op. cit. ADN B 13633. ADCO B 3854. F. Autrand, « L’allée du roi dans les pays de Languedoc : 1272-1390 », op. cit. ADCO B 1439.

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L’un des défis est de trouver des lits, chose attestée par la royauté qui compte sur les villes71. À Hesdin, il faut payer en novembre 1365 « plusieurs lis qui avoient esté pris en ledite ville de Furienez »72, 8 autres « pris a Conchy » par Simon de Maisières, fourrier de la comtesse, ou encore des « keutes et draps de lis pris en ledite ville d’Aubrones pour l’ostel ». On fait appel aux bourgeois d’Hesdin comme Pierre Nasploie, payé en décembre 1376 pour des lits73. On ne dispose pas de données sur le nombre de lits nécessaires, à la différence du temps de Louis de Male qui fait réquisitionner en 1382 85 lits chez les Arrageois ainsi que bassins et « pos lavoirs »74. On cherche encore du bois, et surtout des vivres, transférant les stocks de vin non consommés : en novembre 1347 il faut « conduire les vins de madame » de Liesle à Quingey75. En août 1362 le receveur de Bapaume reçoit un courrier de celui d’Arras pour « qu’ils feist venir les vins contre la venue de madame »76. On envoie également chasser car il faut parfois plusieurs semaines avant de ramener « venoison » : en février 1363 la cour envoie un veneur du roi, Jean Abraham, chasser avec le sergent de la comtesse dans les forêts d’Othe « pour la venue de madame a Troyes »77. La venue de la cour occasionne surtout un grand nettoyage, notamment des cuisines, des chambres, des conduits, des « aisements » et des cours. En 1362 on dépense deux écus à Bapaume « pour nettoyer le sale et les cambres du chastel a le venue de madame quant elle vint a Bappaumes, du command et ordonance de monseigneur Humbert de la Platiere » ; on recrute des aides qui portent les lits et vont « saquier yauwez [les eaux] » de chambre en chambre78. Si une partie de la cour part « avant », d’autres restent en arrière, notamment pour revendre les stocks au rabais, souvent à des proches. C’est le cas pour quatre des sept queues stockées à Troyes et revendues au printemps 1373 pour 16 lb à Jean de Cambrai, « gouverneur » de Charles de Poitiers79. Mais on peut vendre au détail « a broque » une queue de vin français laissée au château de Bapaume en octobre 136680. Une autre difficulté du départ est le règlement de la note qui conduit Philippe le Bel à laisser en arrière gens de métier, clercs et conseillers81. Les fournisseurs s’inquiètent de voir partir la princesse, qui doit multiplier les mandements, en fait des promesses de paiement devant encore être honorées par le receveur local, qui reste lui à portée des créanciers. On assiste alors à un surcroît d’activité scripturale : fin juillet 1365, quand la comtesse s’apprête à quitter Hesdin, elle adresse au moins 11 ordres de paiement au receveur d’Hesdin pour des livraisons en bois, charbon, 71 F. Autrand, « L’allée du roi dans les pays de Languedoc : 1272-1390 », op. cit. 72 ADPDC A 716. 73 ADPDC A 763. 74 ADPDC A 787. 75 ADD B 115. 76 ADN B 13877. 77 ADCO B 3852. 78 ADN B 14402. 79 ADCO B 3856. 80 ADN B 14405. 81 É. Lalou, R. Fawtier et F. Maillard, Itinéraire de Philippe IV le Bel, op. cit., t. 1, p. 79.

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vin et prêts divers82… En revanche, on ne semble pas laisser en arrière le clerc des briefs, financier de l’hôtel, pour payer les fournisseurs ; tout semble déchargé sur les officiers locaux avant que la cour ne parte83. La comtesse laisse aussi en arrière ceux qui ne peuvent prendre la route en raison de leur état de santé : en mai 1366 le valet de pied Colin Ferrant reste à Arras alors que la cour est à Conflans pour cause de blessure84 ; une des demoiselles ayant accouché à Béthune y demeure en septembre 1368, ne pouvant visiblement suivre le train de la cour85. Enfin, les charrois peuvent voyager séparément et non en un convoi unique : le phénomène est connu86. Le « petit char » de madame arrive à Arras au 12 mars 1375, quand la comtesse réside encore à Bapaume, n’arrivant dans sa « capitale » que le 2487. En effet, la cour dispose d’une multitude de moyens de locomotion. Manières d’avancer : chars, chariots, litières et bateaux

Voyager permet au prince de « voir et être vu », ce qui suppose un certain décorum apparenté au théâtre88. Le transport de la cour s’intègre dans un dispositif complexe puisant dans des usages anciens et répondant à des impératifs matériels, tout en contribuant à la communication politique, notamment lors des joyeuses entrées des princes du nord du royaume et des Pays-Bas89. Le souci de mettre en avant le statut princier de Marguerite est manifeste : le luxe d’ornement du char en est un témoignage. Les villes savent également accueillir la comtesse, on l’a vu à Gand. S’il lui est certainement arrivé de chevaucher, pour avancer plus vite, comme le fait sa grand-mère Mahaut90, Marguerite de France utilise essentiellement des véhicules pour se déplacer avec sa cour : charrettes, chars, charriots et litières, comme le fait Philippe IV le Bel91. Quatre ou cinq types de véhicules émergent : char, petit char, chariot, charrette, litière. Ses chars sont souvent tirés par quatre voire six chevaux, usage classique repéré ailleurs Élodie Lecuppre pour les chariots qui signale une charge utile de 500 à 1200 kilos. Cet ancêtre du carrosse est souvent luxueusement orné quand il transporte le prince, disposant d’au moins quatre places, de sorte que la comtesse doit voyager en compagnie de quelques proches. On sait également qu’il est doté de suspension à partir du XIVe siècle Quant aux charrettes, elles sont a priori équipées de deux roues et requièrent deux à trois 82 ADPDC A 715 et 719. 83 ADPDC A 716. 84 Mai 1366. ADPDC A 720. 85 ADN B 14613. 86 H. Dubois, « Un voyage princier au XIVe siècle (1344) », op. cit. 87 ADPDC A 760. 88 É. Lalou, « Voir et être vu : le voyage royal ou un art de gouvernement para-théâtral. L’exemple de Philippe le Bel », dans Formes teatrals de la tradicio medieval, éd. F. Massip i Bonet, Barcelone, 1996, p. 119-124. 89 É. Lecuppre-Desjardin, La ville des cérémonies. Essai sur la communication politique dans les anciens Pays-Bas bourguignons, Turnhout, 2004. 90 C. Balouzat-Loubet, Le gouvernement de la comtesse Mahaut en Artois (1302-1329), op. cit., p. 313. 91 É. Lalou, R. Fawtier et F. Maillard, Itinéraire de Philippe IV le Bel, op. cit., p. 84.

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chevaux pour une charge utile de 600 kilos92. Marguerite recourt également pour son transport personnel aux litières, tirées par des chevaux d’un nombre non renseigné : il en faut généralement un à l’avant et un à l’arrière93. Les chars de la comtesse donnent lieu à un travail soigné et coûteux, à l’instar de ceux de Mahaut qui voyageait dans un char peint et sculpté, avec intérieur de cuir et de soie tendue94. Déjà en 1331-1332, la comtesse dépense la forte somme de 1 200 lb pour « le char et hernay madame »95. En 1372 on œuvre à « la facon d’une litiere nuesve pour madame », en bois, commande confiée à Philippe Cirasse, « lictier ». Jean de Bruges œuvre à « paindre la dite litiere » ; il a touché en septembre 1373 95 francs, somme dont on ignore si elle est complète ; Geoffroi Poreau est également payé en 1372 et 1376 pour « lormerie [petit ouvrage de fer travaillé par les cloutiers et selliers] et cloeterie » pour 85 francs, et Jean de Cossigny pour les « selles, gorreaulx [colliers de cheval] et autres harnoys »96. Les « gorreaulx » confirment que ces litières sont portées par des chevaux. Elles sont très fréquentes chez les nobles dames, notamment âgées, enceintes ou menées à leurs noces, mais pas seulement. Mahaut voyageait parfois en litière97. En vérité, la comtesse n’a pas attendu d’être âgée pour se déplacer en litière : elle en possède déjà une en 1338 : peut-être entend-elle parfois voyager seule. En avril 1376, la comtesse passe commande pour un « char neuf », auquel travaille Gobert, sellier de Bapaume98. En 1381, c’est « une litiere noeve » qui est commandée à l’un de ses fabricants de meuble préférés, Vincent le Huchier d’Hesdin, qui se charge du fût, de « cuirier et nerver » le front pour 16 florins, tandis que le ferronnier Andrieu le Feuvre va « forer et bonder »99. La décoration coûte 20 francs en couleurs et 20 mailles d’or employées par un orfèvre « pour dorer les pommeaux », qui nécessitent encore du vif-argent et de l’ « argent a faire les esmailles des dis pommiaux » (ce qui montre que l’on savait émailler en dehors de Paris). On paie 10 francs à Pierre du Bois pour les peintures, tandis qu’on ajoute les « torchons des seelles et les astelles des collers »100. On emploie encore beaucoup de peinture du « fin or double », tandis que Laurent de Boulogne achète de la colle, de l’huile, du vernis blanc et de la toile, et paie deux peintres, Guillaume Normant, pour 99 jours et Pierre du Bois, pour 16 jours. Marguerite transporte avec elle un certain nombre de biens et de proches, pour lesquels elle dispose d’autres véhicules, parfois en convois, ce « charoy », qui l’accompagne en Artois en mai 1365101. En 1338, elle utilise un « char des damoiselles »

92 É. Lecuppre-Desjardin, La ville des cérémonies, op. cit., p. 27. 93 Ainsi de l’empereur Charles IV. BN Fr. 6465, fol. 442. 94 C. Balouzat-Loubet, Le gouvernement de la comtesse Mahaut en Artois (1302-1329), op. cit., p. 313. 95 ADN B 1569, fol. 68v. 96 ADPDC A 745. 97 J.-M. Richard, Une petite-nièce de Saint-Louis, op. cit., p. 55-59. 98 ADPDC A 762. 99 ADN B 15283. 100 5 septembre 1381. 101 ADPDC A 714.

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de l’hôtel, un char de la comtesse, une litière, plusieurs charriots, des chars menant le « harnas madame », conduits par des charretiers flamands ou arrageois102. On n’est pas loin des convois de Philippe le Bel comptant 6 charriots et autant de charrettes103. Marguerite se soucie de sa suite : en 1338 le « char des damoiselles » est tendu de toiles. À l’hiver 1372-1373 la comtesse commande à Vincent le Huchier un « car noef pour mes dames et demoiselles de l’ostel de madame » en frêne et en chêne104. Probablement désireuse de faire venir sa petite-fille Marguerite de Male, elle lui envoie depuis Hesdin à Châtillon-sur-Seine un char réalisé par Vincent le Huchier, le ferronnier Andrieu le Feuvre qui ferre les quatre roues, et par Michel d’Amiens qui couvre le char de 37 aunes de toiles105. On retrouve d’autres chars, comme le « petit char de madame »106. Quelques-uns de ces convois de transport émergent : en avril 1369 un char à 4 chevaux transporte les nattes, un autre à 6 chevaux des venaisons d’Hesdin à Arras, enfin 4 personnes sont chargées de mener les « papegaux »107. En mai 1374 sont également recrutés deux charretiers qui conduisent « trois gibes de madame », c’est-à-dire des ballots, d’Arras à Troyes108. La comtesse déplace une partie de ses meubles précieux : des « aornemens d’une chambre » sont menés d’Arras en Franche-Comté par le valet de litière109 ; en mai 1365 Humbert de la Platière fait conduire le « vaisselement de la cuisine et de le bouteillerie » d’Hesdin vers Arras110. Hesdin fait particulièrement office de garde-meuble ; c’est de là que Vincent de Boulogne conduit un « coffre de l’euvre de Damas » vers la comtesse à Paris en janvier 1365111. Bien des affaires sont également emballées dans des « gibbes », paquets ou sacoches que l’on transporte entre la Champagne et Paris en 1377112 ; ils contiennent notamment des étoffes, et sont parfois supervisés par les valets de la garde-robe113. La voie de terre est clairement favorisée sur la voie fluviale, ce qui est aussi le cas d’Eudes IV de Bourgogne114. Comme lui, la comtesse navigue un peu, mais uniquement sur des rivières, en particulier entre Béthune et la Flandre. Marguerite de France descend en effet la Lawe, rejoignant la Lys à La Gorgue, pour atteindre Gand comme le font les grains artésiens115. Revenue de Gand en octobre 1375, elle paie « Ernoul Donescal, bathelier et bourgois de Tournay, pour le louaige de III bateaulz esquelz

102 ADPDC A 575. 103 É. LALOU, R. FAWTIER et F. MAILLARD, Itinéraire de Philippe IV le Bel, op. cit., p. 84. 104 ADN B 15279. 105 ADPDC A 763. 106 ADPDC A 760. 12 mars 1375. 107 ADN B 15276. 108 ADCO B 3857. 109 ADCO B 3852. 110 Lettre du 2 mai 1365. ADPDC A 714. 111 Lettre du 12 janvier 1365. ADPDC A 713. 112 ADCO B 3859. 113 24 mars 1378. ADN B 15280. 114 H. Dubois, « Un voyage princier au XIVe siècle (1344) », op. cit. 115 Histoire de Béthune et de Beuvry, éd. A. Derville, Dunkerque, 1986, p. 50.

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il avoit amené par yaue de Gand à Bethune les gens et garnisons de madame »116. Peu avant le 19 mars 1376 la comtesse fait parvenir « par yaue de Bethune a Gand » 11 queues de vin, 16 muids de grains, 400 carpes et autres poissons117. L’autre voie d’eau mentionnée est constituée de l’Yonne et de la Seine, reliant ainsi Clamecy et Paris, résidences de la comtesse. On voit surtout leur usage pour le transport du vin : 85 queues partent de Clamecy vers le « port » de Vincelles, en aval de l’Yonne, puis Paris118. Enfin les trajets par la Seine entre Paris et Conflans sont attestés pour quelques individus de l’entourage de la comtesse. La pompe de certains cortèges apparaît lors des joyeuses entrées en Flandre en 1329, et en Artois en 1362, comme nous l’avons, particulièrement à Arras le 22 mai 1362 quand la comtesse est accompagnée de son fils, de ses féaux et de divers seigneurs et accueillie par 1 100 personnes. En dehors de ces moments, accueillir la comtesse reste une affaire où se joue l’honneur de la ville. Quelques éléments de ces voyages ordinaires apparaissent : ce sont les trompettes qui résonnent lorsque la comtesse arrive à Gand dans les années 1330, tandis que d’importantes délégations de bourgeois sont à chaque fois envoyées accueillir la comtesse hors les murs. Les convois peuvent également être escortés hors des villes par les gens de la comtesse et des bourgeois, mais aussi des nobles, élément de prestige et de protection. Début août 1364, la comtesse bénéficie de l’escorte du bailli de Bapaume, et de ses gens d’armes qui la retrouvent à Amiens et l’accompagnent jusqu’à Doullens119 ; on se trouve dans une zone guère éloignée des Anglais. Dans un contexte plus troublé, ces escortes peuvent aussi concerner des voyages entre Arras et Hesdin : c’est le cas en juillet 1370 où, le bailli de Bapaume Jean de Vaux escorte la comtesse en compagnie du seigneur de Vaux son parent120. Les chevaux de madame

Nous ne disposons que de mentions éparses sur les chevaux employés par la comtesse et sa cour, loin de la masse documentaire concernant Philippe le Hardi121. L’étude des chevaux permet cependant de montrer une grande fluidité dans le fonctionnement de la cour. Il faut ici distinguer les « chevaux madame » qu’elle possède des « chevaux estans en l’hostel » qu’elle nourrit. C’est moins la propriété d’un cheval que sa présence « en l’hostel » ou au service de madame qui entraîne le paiement de frais d’entretien ou de restor. Le nombre de chevaux des convois est renseigné en 1342 : le comte et la comtesse partent le 28 mars de Flandre avec 107 chevaux, la comtesse se retrouvant ensuite

116 ADN B 14621. 117 ADN B 14626. 118 ADCO B 4627. 119 ADN B 14403 et ADPDC A 709. 120 ADN B 14407. 121 N. Thouroude, « Jean sans Peur, Paris et les chevaux (1399-1419) », dans Paris, capitale des ducs de Bourgogne, éd. W. Paravicini et B. Schnerb, Ostfildern, 2007, p. 137-163.

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« seule » avec 75 chevaux122. Durant l’été 1354, les « chevaux et mules de madite dame demourés à Mhers », dans le comté de Nevers, consomment 105 bichots par jour123, environ 1 000 litres : en Nivernais, le bichot représente environ 9,8 litres, ou ½ boisseau124 de 19,58 l125. Lors d’un séjour à Gosnay, en 1367, durant entre 21 et 34 jours126, on consomme 281 mencauds sur les stocks. À 1,238 hl le mencaud de Béthune, cela fait encore une consommation de 1 000 à 1 656 litres par jour. Les autres mentions varient entre 2,6 à 4 mencauds d’Arras par jour, 530 à 804 litres127. À 800-1 000 litres par jour, soit 360 à 450 kg par jour environ, on peut sans doute nourrir une trentaine ou une quarantaine de chevaux, si on se réfère à la consommation d’un boisseau (11,7 kilo) par jour pour un coursier malade en 1372128. On y ajoutera la consommation en foin et les fers : sur environ un mois, « 10 000 » de foin sont consommés entre septembre et octobre 1367 ; 50 fais du 7 au 31 mai 1365 à Arras, près de deux fais par jour129, proportions qu’on retrouve en août suivant130. Sur le mois d’août 1365, les dépenses de forge pour ferrer les chevaux correspondent à 19 lb parisis, dont se charge un maréchal de la ville, nullement attaché à l’hôtel. La comtesse dispose de « séjours » pour ses chevaux comme Mhers en Nivernais, Hesdin ou encore Béthune131. Nous manquons cependant de précisions sur ces derniers. Il est également difficile de déterminer quels chevaux appartiennent à la comtesse parmi les « chevaux de nostre hostel »132, chevaux nourris à charge de l’hôtel : il peut s’agir de chevaux loués, réquisitionnés ou appartenant à ses serviteurs. Cet usage apparaît lorsqu’en 1366 la comtesse exige une réduction du nombre de chevaux des gens de l’hôtel, conduisant son huissier de chambre Hugues de Relampont à revendre à perte le sien, même si Marguerite le rembourse en partie de la mévente. Ce serviteur proche utilise donc son propre cheval133. Ces serviteurs doivent souvent acheter leurs chevaux. Ils constituent d’ailleurs un réservoir dans lequel la comtesse peut elle-même piocher. Mais leur entretien est pris en charge, selon une hiérarchie qui fixe le nombre de chevaux autorisés par officier, et précise si leurs frais sont remboursés quand l’officier est en mission hors de l’hôtel. Le conseiller Jean Blarye expose dans une quittance le détail de ces frais qu’il entend se faire rembourser « pour la despense de mes deux chevalz que j’ay tenus a Arras ». Il se base sur un tarif de 0,125 franc par jour en raison du fait qu’il est en mission loin de la cour. Le cheval est une haquenée baie, monture classique pour un clerc, achetée par ses soins, ainsi qu’un, cheval « fauve ». Scrupuleux, l’officier 122 ADPDC A 810, n° 2. 123 ADPDC A 679. 124 100 rasières de froment pour 200 bichots. ADCO B 4412. 125 G. Gauthier, Les anciennes mesures du Nivernais comparées à celles du système métrique, Paris, 1905. 126 ADN B 15607 et 15608. 127 ADN B 14404, ADPDC A 716. 128 ADCO B 3855. 129 ADPDC A 714. 130 ADPDC A 715. 131 En septembre 1380 les chevaux restent à Béthune. ADN B 14642. 132 ADPDC A 715. 133 ADPDC A 720.

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exclut du compte un voyage privé ainsi qu’un séjour auprès de la comtesse durant lequel le cheval a été à la charge de l’hôtel, nourri par le service de l’écurie134. Les curiaux bénéficient de dons pour s’équiper. Guillaume Thouzé, clerc et médecin de la comtesse, reçoit 32 francs pour acheter une haquenée135 ; Louis de Beaujeu, seigneur d’Amillis, écuyer, reçoit 32 lb pour l’achat d’un roncin en 1371136. La comtesse veille à ce que chacun ait une monture en fonction de son « estat ». Cette pratique est courante pour des conseillers en mission, des proches de l’hôtel, même si nous n’avons retrouvé qu’une douzaine de cas, faute de comptes de l’hôtel. La comtesse paie également pour le restor des chevaux perdus ou inutilisables, ou compense lors de la revente la perte due à une blessure. En bénéficie l’huissier Hugues de Relampont pour un cheval acheté 25 francs revendu 8 francs, « affolé » sur le chemin entre l’Artois et la Bourgogne137. Si le prix d’achat ne peut être prouvé, on demande une certification au maître d’hôtel ou au maître d’écurie, voire un serment de l’officier propriétaire138. Les montants témoignent d’une grande variété de prix : 5 écus pour le cheval d’un pauvre charreton139, 17 francs pour le conseiller Pierre Cuiret en octobre 1362, après certification du maître de l’écurie Jean des Granges140. Le chevalier Humbert de la Platière dispose de montures plus coûteuses, dont au moins une a un nom : il obtient 40 francs « pour le restor d’un ronchin con appelloit Brigant »141. Jean des Granges monte également des roncins142. Un autre poste coûteux concerne les chevaux malades restant en arrière de la cour pour guérir : en 1372, un coursier de Charles de Poitiers reste ainsi en pension 192 jours à Jully, « pour estre assejour juisquez il fust gariz »143. Quant aux chevaux achetés par la comtesse elle-même, on les retrouve à son usage personnel : pour la litière144 ou le char, pour lequel on note notamment l’achat d’un « courcier morel », payé 100 florins145. Ces montants élevés se retrouvent pour deux chevaux de la litière et du char achetés le 31 août 1365 à Lécluse près de Douai, pour 120 francs : l’un est gris et l’autre brun bai146. La comtesse peut aussi acquérir « un mulet pour la litiere madame », à 40 lb de Flandre (40 s de gros) en 1330147. Ces achats concernent également les chevaux de ses messagers, comme Perrot Barat, qui reçoit un roncin de 22 francs en 1365-1366148.

134 ADPDC A 757. 135 1er juin 1367. ADN B 14607. 136 ADN B 14410. 137 ADCO B 3857. 138 5 décembre 1378. ADN B 13878. 139 1365. ADPDC A 714. 140 ADN B 14589. 141 1364. ADN B 14403. 142 ADN B 14411. 143 ADCO B 3855. 144 1360-1361, achat d’un cheval à messire de Wingle pour la litière de madame. ADPDC A 695. 145 ADCO B 1415. 146 ADPDC A 715. 147 ADN B 3231. 148 ADN B 14404.

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Le choix des chevaux est bien pesé, constituant un enjeu financier, pratique et symbolique149. Destriers et coursiers manifestent l’autorité princière et la guerre noble. Si on note l’absence de destriers, appellation d’ailleurs rare y compris chez Jean sans Peur150, on retrouve des coursiers, de grande valeur, et réservés à des personnages importants de la cour, ainsi que des haquenées, habituellement utilisées pour les dames, les clercs, mais aussi d’autres fonctions comme le transport du sceau à la cour du roi. On rencontre encore des roncins, d’un rang souvent inférieur mais pas toujours : ils forment une catégorie large remplacée au XVe siècle par l’appellation « cheval ». La comtesse possède enfin des palefrois qui consomment environ deux bichots d’avoine par jour151. Les sources d’acquisition de ces chevaux sont variées. La comtesse récupère à l’occasion les chevaux confisqués, rappelant alors sa « seigneurie » notamment sur les nobles : après la pendaison de Hue de Bournonville en 1367, ses coursiers sont « menés a madame »152. Elle en achète beaucoup à des proches, dans l’urgence, en fonction des besoins du moment. Ancel de Salins doit céder son coursier « pour mestre au cher de madite dame » en novembre 1363, durant la tournée bourguignonne de la comtesse153. L’écuyer de l’écurie Jean des Granges doit faire parfois l’avance des frais et acheter certains chevaux sur ses propres deniers154. Il est hors de question qu’un tel problème d’intendance arrête la comtesse. On voit ici fonctionner la cour comme un espace de transaction commerciales, phénomène courant en matière de chevaux. En dehors de ces proches, on rencontre des vendeurs de chevaux occasionnels, comme le châtelain de Lécluse, des inconnus comme Robert l’Eskuelier à Bapaume155 ou Antoine de Croisette à Gosnay156. On notera le rôle joué par Béthune, grand marché de chevaux, où la comtesse acquiert notamment auprès de Broyart de Givenchy un cheval de 52 lb 14 s pour son char en 1380157. Achats ou locations se font souvent sur les axes de passage, notamment en certaines localités « nodales » comme Bapaume, ou Troyes158. On y loue un roncin à Seguin de Troyes, messager, en janvier 1375, lequel tombe malade puis guérit, avant d’être confié à l’huissier de salle Baudet, et de mourir « par fortune » sur la route de Paris à Arras en avril 1375159. On laisse à Troyes des chevaux « en hostelage » quand ils sont malades, comme la haquenée de l’une des suivantes de la comtesse, madame Marie d’Amillis, qui reste 54 jours chez Oudinet le maréchal160. En outre, les lieux de résidence de la cour ou 149 C. De Mérindol, « Le prince et son cortège », dans Les princes et le pouvoir au Moyen Âge. Actes des congrès de la SHMESP, Paris, 1993, p. 303-323. 150 N. Thouroude, « Jean sans Peur, Paris et les chevaux (1399-1419) », op. cit. 151 ADPDC A 679. 152 ADN B 13634. 153 ADCO B 1415. 154 ADPDC A 715. 155 15 février 1366. ADPDC A 719. 156 ADPDC A 715. 157 ADN B 14642. 158 ADCO B 3857. 159 ADCO B 3858. 160 27 août 1375. ADCO B 3858.

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des conseillers, comme Arras161, bénéficient de l’achat de chevaux de la part de la comtesse mais aussi de ses serviteurs, qui doivent avancer en l’absence de l’hôtel des dépenses d’hôtellerie, comme c’est le cas pour Jean Blarye. Ici cependant, le rôle de Paris, faute de sources, demeure un mystère alors que les premiers ducs Valois y achètent un quart de leurs chevaux. Les chevaux appartenant à la comtesse ou à ses gens sont loin de suffire à la cour, et nourrir des centaines de chevaux entre deux voyages serait trop coûteux. On mobilise donc des chevaux appartenant à d’autres personnes. Il faut envoyer valets et messagers solliciter les propriétaires, surtout en Artois. C’est à un messager de madame, Colin Fraimault, que revient le plus souvent cette tâche. Quelques lettres de la comtesse font sentir une certaine impatience de sa part : le 10 avril (sans doute en 1370), elle envoie Fraimault en Artois chercher « sommiers et chevaux à chevauchier », ce qui indique bien qu’une part de la cour chevauche. Il doit obtenir des engagements fermes des propriétaires, à charge pour le receveur d’Artois de les lui envoyer à Paris pour le 21 avril. Elle met d’ailleurs en garde le receveur : « et gardez bien que il n’y ait point de deffaut, si chier que vous aves, et que par vous ne demeure qu’il ne soient le jour et l’eure que l’en lor mande vers nous »162. Lorsque l’on prévoit de partir d’Artois, les maîtres d’hôtel mobilisent les sergents du bailliage de Bapaume163. Les grands propriétaires, notamment les gens d’Eglise, se voient sommés par lettre de contribuer : le 1er octobre 1365 pas moins de 26 paires de lettres sont adressées « de madame a pluiseurs gens d’Eglize et autres pour avoir quevaux et harnas au departir de madame a Gosnay »164. Mais on fait également venir des chevaux d’Artois à Paris pour permettre à la cour de retourner chez elle : c’est le cas en avril 1365 quand le messager Fraimault conduit « plusieurs chevaux qu’il maine d’Artois a Paris pour le venue de madite dame »165. Ces rassemblements hétéroclites et précipités peuvent entraîner des accidents. En 1365, afin de transférer des bêtes sauvages d’Hesdin au parc de La Buissière, un accident est causé par l’excitation d’un étalon attelé avec des juments. On doit dédommager « Robert Marlet, poure homme voiturier », pour la modique somme de 5 écus166. Les serviteurs recourent aussi à des loueurs, notamment des hôteliers d’Arras comme « Jehan Louchier hoste de l’escu d’Or, bourgois d’Arras », qui loue 3 sous par jour « I cheval a louage » à un valet de la litière arrivé de Bourgogne en route pour la Flandre. Celui-ci laisse en pension à l’hôtel des gouverneurs un cheval qu’il avait amené de Bourgogne. 3 sous par jour : c’est plus de 50 lb par an, montant supérieur au prix d’un cheval de qualité167. Une fois arrivés avec la cour, ces chevaux repartent soit en des convois exprès, soit au gré des déplacements des officiers ; quand la cour est à Paris, on cherche à les 161 162 163 164 165 166 167

ADN B 13885. ADPDC A 719. ADPDC A 714. ADN B 14598. Mandement du 18 avril 1365. ADPDC A 714. ADPDC A 716. ADPDC A 758.

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renvoyer à leurs propriétaires ou aux séjours comtaux. Entre Ascension et Toussaint 1362 le maître d’hôtel renvoie un cheval de Paris vers son propriétaire à Avesnes ; un autre est envoyé à Hesdin « au sejour de madame »168. Cette mobilisation complexe et opportuniste exige des gens de l’hôtel une grande souplesse afin de contenter une princesse véloce et impatiente sans immobiliser une masse importante d’animaux inutilisés, qui consomment déjà aisément une demi-tonne de céréales par jour pour les seuls animaux stabulant à l’hôtel… Un gouvernement en mouvement : diriger sur les routes

Une dernière caractéristique essentielle de ces voyages doit être soulignée. La comtesse se déplace avec son conseil, et le pouvoir demeure là où elle est. La question de savoir où réside un prince est primordiale : ses sujets réclament sa présence, et là où il se trouve se trouve le pouvoir. À ce titre, on ne saurait systématiquement trouver de « capitale » médiévale, pour des princes itinérants. La capitale étant marquée par l’accumulation d’une fonction symbolique et d’une réelle présence du pouvoir, centralité démographique, économique et intellectuelle, concrétisée par la présence de la cour et des institutions169, on ne rencontre guère cette situation sous la comtesse. Ce sont davantage des institutions pérennes qui fixent le pouvoir, éventuellement aussi la cour quand elle devient stable. Rien de tel pour Marguerite qui voyage avec les gens de son hôtel mais aussi les « conseillers estant a l’hostel », même si des embryons de stabilisation des archives se devinent autour des « chambres des comptes » ou des trésors des chartes d’Arras à Poligny. En vérité, le processus de « capitalisation » n’est que très imparfaitement accompli, et le terme n’est guère adaptée au principat de la comtesse, qui constitue en elle-même la capitale mobile de ses états. Les actes de la comtesse témoignent de bien des décisions prises en route, au cours d’une brève halte : à Senlis, entre Arras et Paris, Ancel de Salins reçoit un mandement comtal qui lui accorde les terres confisquées sur Jean de Bours170. C’est à Tincquette171, entre Hesdin et Arras, que la comtesse remet la moitié d’une amende de 60 s à un habitant d’Hesdin ayant coupé du bois dans ses forêts172. Il faut donc en permanence envoyer des courriers « vers madame », sur « le chemin ». Bien des messagers se retrouvent ainsi à déambuler au hasard, courant après la cour sur les itinéraires supposés : en juin 1364 un messager envoyé par le gouverneur d’Artois vers madame cherche entre « Corbie et Doullens », car on sait qu’elle voyage d’Hesdin vers Paris. Aux environs de janvier 1368, des charretiers venus de Troyes voyagent de nuit pour « attaindre madame ou chemin d’Artois » avec leur lourd convoi de vin venu du Vignoble comtois173. 168 ADN B 13877. 169 W. Paravicini, « Paris, capitale des ducs de Bourgogne ? », dans Paris, capitale des ducs de Bourgogne, éd. W. Paravicini, Ostfildern, 2007, p. 471-477. 170 19 mai 1376. ADPDC A 99. 171 Commune de Tincques. 172 23 septembre 1381. ADPDC A 103. 173 ADCO B 1428.

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Conclusion La mobilité de la comtesse constitue une donnée essentielle de cet « art d’être princesse » jonglant avec le poids des contraintes matérielles, des usages traditionnels, des goûts. Cette itinérance pose assurément des défis d’intendance et l’entourage de la comtesse est soumis à rude épreuve : comme le souligne Eustache Deschamps, « Trop de périls sont à suir la cour »174. Cette mobilité n’est cependant pas un caprice, elle témoigne du fait que le pouvoir de la comtesse exige un contact avec l’ensemble de ses pays, et que la décision se prend là où elle est. On est frappé par le poids des motivations politiques dans la cartographie du principat, laquelle manifeste la volonté de Marguerite d’affirmer son autorité là où elle est contestée ou de jouer son rôle de médiatrice entre Valois et Flandre… Les itinérances sont révélatrices de ses choix et soulignent le rôle individuel de la comtesse : là où va sa personne, là va la cour, là est le pouvoir. Cela démontre le caractère central de sa personne d’où procèdent la décision et la redistribution de bienfaits, d’honneurs et de revenus : les conseillers « estant en son hostel » sont clairement les plus influents. L’itinérance est un donc enjeu à la fois technique et politique. Elle est loin d’être une errance, s’inscrivant dans des plans mûrement réfléchis quoique sans cesse adaptés aux circonstances : s’y expriment des constantes, montrant la dépendance vis-à-vis des héritages anciens, en particulier le réseau des résidences et l’attrait pour les terres les plus riches. Quoiqu’elle-même se sente d’abord parisienne, Marguerite a acquis depuis l’enfance une connaissance physique des paysages, des routes, des sujets qu’elle gouverne, nourrissant un lien charnel, un lien d’amour, qui en fait la dame « naturelle » de ses terres. Cet espace traversé n’est pas désincarné, il est chargé d’histoire, d’une dimension religieuse, dynastique surtout, tout en traduisant les enjeux propres au principat d’une comtesse qui ne ménage pas sa peine et qui aime sans doute voyager. Déjà avec elle, s’exprime la puissance d’attraction septentrionale ; le poids financier de l’Artois n’y est pas pour rien, mais aussi l’enjeu militaire de la défense de cette frontière, enfin la mise en place, inédite depuis la fin du XIIe siècle, d’un rapprochement avec la Flandre. Par sa mobilité, la comtesse maintient dans la longue durée des liens parfois distendus entre Flandre, Artois et Bourgogne, qu’elle relie également à Paris. Sa cartographie révèle une capacité à résister dans le temps aux forces centrifuges et aux tensions, à s’adapter aux changements politiques et à établir de nouvelles connexions, comme elle le fait en accompagnant physiquement le duc de Bourgogne vers la Flandre ou le comte de Flandre vers Paris. Cette itinérance est donc autant politique que personnelle, contribuant assurément à tenir ensemble des lieux et des forces disparates mais unis dans son mode de vie et dans son existence. Cette union se concrétise tout particulièrement dans les lieux de résidence dans lesquels se déploie sa « vie de château ».

174 Eustache Deschamps, Œuvres complètes, 11 volumes, t. 2, Paris, 1880, p. 94-95.

Chapitre 12 

Vie de châteaux, vie urbaine Manières d’occuper l’espace Le mode de vie princier s’appuie sur des lieux de résidence prestigieux et chargés d’histoire, aptes à accueillir le déploiement du faste de la cour tout en répondant à d’autres impératifs, en particulier militaires. Extrêmement coûteuses, menacées par les guerres et plus encore l’usure, ces bâtisses permettent au pouvoir princier de manifester sa présence physique, de se déplacer dans ses pays en étant chez soi, de continuer de se montrer même absent par la présence de ses armes… Ces résidences forment un patrimoine pléthorique utilisé de manière très inégale. Pour la comtesse, une trentaine de résidences principales émergent, avec de grandes différences d’usages et de statuts. Les châteaux incarnent les fonctions politiques et militaires du seigneur, comme les maisons fortes voire les palais. Hôtels, manoirs, loges ou maisons renvoient d’abord à la résidence, notamment dans un cadre urbain et là où le prince ne revendique pas l’exercice d’un pouvoir seigneurial1. Cette dichotomie juridique se lit pour la comtesse entre Paris et ses villes. Les châteaux sont confiés au soin d’un châtelain, voire d’un garde ; les demeures de Paris et Conflans relèvent d’un concierge, fonction qu’on retrouve à la Cour-le-Comte. Bien entendu, seule une minorité de châteaux est apte à accueillir une cour d’une certaine taille, phénomène flagrant dans le Languedoc royal2. Et ce d’autant plus que le XIVe siècle est marqué par une spécialisation et une multiplication des espaces intérieurs. Or dans cet usage se mesure le statut de la princesse et sa capacité à se mettre au goût du jour. S’y jouent également bien des éléments constitutifs de l’art d’être prince, en particulier dans l’agencement intérieur qui permet de jouer des limites entre public et privé. La gestion de ses demeures constitue assurément un défi pour Marguerite qui doit se montrer capable de bien gouverner sa maison, et ses héritages. La diversité des terres oblige ici à une approche par ensembles géographiques.

1. Un vaste parc de résidences : approche globale La comtesse aux 69 châteaux et « hôtels »

On l’a vu, la comtesse passe l’écrasante majorité de son temps dans ses propres résidences. Résider là où l’on est maître est souvent l’expression d’un dominium (carte 32 papier et en ligne). De 1361 à 1382, on dénombre ainsi 11 résidences en Artois, 7 en Franche-Comté, 3 en Champagne et 2 en Île-de-France. Auparavant, Marguerite a

1 Ibid. 2 F. Autrand, « L’allée du roi dans les pays de Languedoc : 1272-1390 », op. cit.

Carte 32. papier et en ligne. Résidences de la comtesse Marguerite de France utilisées entre 1361 et 1382. © J.-B. Santamaria

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également logé à Fampoux en Artois, ainsi qu’en Nivernais à Donzy, Druyes, Entrains, Montenoison, Nevers, et en Flandre à Bruges, Courtrai, Gand et Male). Cette trentaine de résidence est surtout constituée de châteaux, en dehors d’Arras, Paris et Conflans, ainsi probablement que Bruges. La comtesse demeure surtout là où elle exerce son pouvoir seigneurial, que ce soit en Artois (à Hesdin par exemple) ou en Franche-Comté dans les châteaux de Bracon ou Gray. À l’inverse Arbois n’est pas véritablement un lieu de séjour mais de passage, faute de château. Si l’hôtel d’Artois à Paris est établi hors de la juridiction de la comtesse, il s’agit tout de même de sa propriété. Cette manière d’occuper l’espace manifeste l’autonomie matérielle de Marguerite. Les séjours qu’elle passe hors de chez elle sont rares et familiaux : chez son fils en Flandre, chez Philippe le Hardi, dans le duché. En dehors de cela, les quelques logis extérieurs sont des étapes, par exemple sur les routes de Picardie, avec une exception : Troyes. Marguerite a disposé de 69 bâtisses à un moment ou l’autre de sa vie : 63 châteaux, une maison de ville3, une maison forte4, une tour5, trois hôtels au moins6. Son réseau castral est particulièrement dense. En Bourgogne elle a détenu 25 châteaux différents, plus Arbois et la tour de Santans, même si le nombre fixe est plutôt d’une quinzaine. En Artois elle a possédé 19 châteaux, et une maison forte, ainsi que l’hôtel d’Arras dont 18 fixes. En Nivernais, elle a tenu 19 châteaux différents. Les deux tiers du parc ont une vocation seigneuriale et militaire : c’est le cas de 9 des 19 châteaux en Artois, ainsi que la maison forte de Montgardin ; de 15 des 19 qu’elle détient en Nivernais7, en plus de ceux appartenant à son mari puis à son fils8 ; de 19 des 25 en Franche-Comté, ainsi qu’à la tour de Santans. En revanche, Marguerite est attestée dans les trois châteaux champenois de Chaource, Isle-Aumont et Jully et dans ses trois beaux hôtels urbains d’Arras, Conflans et Paris, ainsi que dans la maison d’Arbois. Ces résidences fonctionnent donc le plus souvent loin de la cour et servent à autre chose. En l’absence de la comtesse, on loge souvent dans sa chambre le châtelain, notamment en Franche-Comté9. Plus ou moins entretenu, le château se réveille à l’annonce de l’arrivée de la princesse et de sa cour. Il faut alors trouver de la place, et bien entendu réparer. La question se pose en 1371-1372 à Dole, quand le trésorier de Dole lance des travaux au « chaffaul [tour de bois servant au flanquement des murs] devant la tour de Dole », afin d’y « faire la demorance du chastellain pour ce que l’on dit que madame y doit venir et il n’auroit autre part ou li retire oudit chastel »10.



3 Arbois. 4 Montgardin. 5 Santans. 6 Rien n’est dit sur l’existence d’une bâtisse à Luzarches et La Tombe. 7 Elle y est surtout attestée en 1338, en un temps où il n’est pas clair qu’elle les ait bien possédés, mais ils finissent par entrer dans son patrimoine : ainsi de Clamecy, Donzy, Entrains et Druyes. On ne l’y trouve plus après 1361. 8 Nevers, Montenoison, Mhers. 9 P. Contamine La noblesse au royaume, op. cit., p. 152. 10 ADCO B 1437.

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La difficulté est donc moins de trouver des résidences que de faire vivre l’existant ; ici Marguerite n’a guère les frénésies de construction d’un Charles V, ou l’audace de Mahaut. Conservatrice, elle affronte des temps durs et privilégie ce dont elle hérite, sans négliger quelques aménagements. Une certaine convergence

Le XIVe siècle est marqué par le goût des vastes demeures princières, dont Vincennes constitue une forme de modèle avec ses 9 grandes et 13 petites pièces séparant davantage fonctions privées et publiques11. Cette valorisation des fonctions d’ « hôtel » est flagrante également à Dijon12. Dans les demeures de Marguerite, on retrouve certaines caractéristiques connues avec un vocabulaire homogène : chapelles, salle (aula), offices et notamment la cuisine, chambres, garde-robe, latrines… C’est cependant moins la présence d’un type de pièce que son ampleur qui manifeste l’importance d’un lieu, comme la grande chapelle à Hesdin, voire la duplication des pièces : on compte ainsi plusieurs salles à Arras. Au sein de ce parc, la tendance à la spécialisation est flagrante, traduction architecturale de la distinction entre chambre et salle entre XIe et XIVe siècle, peut-être sur le modèle de Westminster13. Partout, on retrouve chambres, salles, chapelles, cuisines… On retrouve une salle d’Hesdin à Salins en passant par Saint-Omer, Béthune, Gosnay, Bapaume, Paris, Druyes ou Gray, parmi bien d’autres. Le terme est d’ailleurs complexe, et son caractère politique indéniable ne signifie pas qu’elle soit totalement publique, son accès étant souvent contrôlé. La salle peut désigner la plus grande pièce, surplombant au premier étage des réserves (cellier, lardier etc) ou pièces de service14. Le mot désigne aussi le bâtiment abritant ladite salle, intégrée au donjon autour de la « haute-cour » ou préau, contre la courtine et souvent entre la grande tour et une tour maîtresse, quand la salle n’est pas dans la tour. Enfin la salle peut renvoyer au château, comme c’est le cas de la « Salle d’Aire ». Les « chambres », souvent constituées de suites de pièces, permettent de vivre non pas une vie privée mais « moins publique »15 : elles sont nommément attribuées à certaines personnes dont la comtesse, surtout dans les résidences principales. Cette singularisation se retrouvait déjà à Male où on distinguait chambre du comte et de la comtesse16. Le terme de « chambre de madame » revient d’un bout à l’autre des terres comtales : en Artois on le retrouve à Arras, Bellemotte, Béthune, Gosnay, Hesdin, Saint-Omer ; attesté en Nivernais à Clamecy, il est également récurrent en Bourgogne à Bracon, Dole, Gray et Rochefort. À l’inverse, à La Montoire ou Tournehem on évoque la chambre du châtelain. Cette appellation porte donc le 11 J. Chapelot, Le château de Vincennes : une résidence royale au Moyen Âge, Paris, 1994, p. 58-82. 12 H. Mouillebouche, L’hôtel des ducs de Bourgogne à Dijon, mémoire d’HDR, Dijon, 2019, t. 2, p. 720. 13 M. Vale, The princely court, op. cit., p. 63. 14 A. Kersuzan, Défendre la Bresse, op. cit., p. 275. 15 M. Vale, The princely court, op. cit., p. 62. 16 M. Cafmeyer, « Het kasteel van Male », Annales de la Société d’Emulation de Bruges, vol. 83, 1947, p. 112-131

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souvenir du corps de Marguerite, y compris dans des châteaux récemment acquis : c’est flagrant à Rochefort où la comtesse a séjourné, et où on loge les prisonniers de marque ailleurs. On distingue des chambres de parement ou d’apparat qui sont souvent des pièces de réception17 : on les mentionne d’Hesdin à « la grant chambre de parement madame » à Gray. On trouve également mention de chambres de retrait terme pouvant s’appliquer à de véritables espaces privatifs à Dijon18 : on le rencontre à Hesdin, Arras, Male, Paris, Druyes, Bracon, Quingey. Il arrive également que l’on précise encore davantage l’existence d’une chambre où « gist » madame », comme à Hesdin ou Arras. Une autre caractéristique commune est la présence de pièces donnant lieu à un traitement héraldique, qu’il s’agisse de la « chambre basse » de Gray ou des nouvelles galeries d’Arras. Enfin, on retrouve toute une série de chambres réservées à des proches : confesseur, médecin, famille de Charles de Poitiers. Il ne faut pas ici croire à une trop grande « avance » de la monarchie qui aurait conçu au XIVe siècle un modèle palatial qui n’aurait été adopté qu’au XVe siècle par les princes19. Bien des indices démontrent une relative complexité des « chambres » de la comtesse et une organisation voisine. Des châteaux toujours défensifs

La fonction défensive et politique des châteaux exige l’entretien de structures anciennes et une adaptation aux changements techniques et aux menaces qui courent sur la Franche-Comté durant tout le principat, et s’aggravent en Artois à partir de 1368. Coûteux et longs à mettre en place, les réseaux castraux témoignent souvent de l’intégration de systèmes défensifs hétérogènes20. Ceux dont hérite Marguerite sont déjà structurés : en Artois Robert II l’organise à partir d’un noyau « royal » des débuts du XIIIe siècle parti d’Hesdin et Saint-Omer et accru notamment de l’ancienne seigneurie de Béthune), réseau pour lequel Mahaut a beaucoup investi, mais qui subit les ravages de la guerre à partir de 1340. Beaucoup sont du type château-cour : aux courtines sont adossés les logis, écuries, communs, parfois la chapelle. Le modèle du château cour à l’intérieur dégagé domine dans ce vaste ensemble. Il se retrouve ainsi à Druyes, le plus ancien de ce type (1170)21. On retrouve ce modèle correspondant aux exigences du XIIIe siècle en Artois où les tours sont nombreuses, permettant de neutraliser l’assaillant et pas seulement à le ralentir. Ces châteaux plutôt quadrangulaires sont souvent adossés à des villes, et adaptés aux sites peu élevés (à Saint-Omer, Aire, Hesdin). Ils reposent sur un réseau de tours rondes de 7 à 12 mètres de diamètre, « commandant » les

17 H Mouillebouche, L’hôtel des ducs de Bourgogne à Dijon, op. cit., t. 2, p. 728. 18 Ibid, t. 2, p. 720. 19 B. Bove, « Les palais des rois à Paris à la fin du Moyen Âge (XIe-XVe siècles) », dans Palais et pouvoir. De Constantinople à Versailles, éd. M.-F. Auzépy et J. Cornette, Saint-Denis, 2003, p. 45-79, p. 61. 20 A. Kersuzan, Défendre la Bresse, op. cit., p. 109. 21 A. Châtelain, Châteaux forts, images de pierre des guerres médiévales, Paris, 1983, p. 35.

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courtines et se flanquant mutuellement22. Ces tours gardent souvent des fonctions d’habitation. Le nombre de tours y est particulièrement élevé, notamment à Hesdin, Béthune, Saint-Omer, Bapaume, alors qu’il semble plus limité dans des châteaux isolés. En Franche-Comté, le réseau est également solidement tenu depuis le XIIIe siècle, et renforcé durant le principat d’Eudes et Jeanne23. Il s’appuie aussi sur des configurations de type quadrangulaire, dans des zones basses comme à Gray et Bracon, mais on trouve des sites inexpugnables d’éperons et de rebords de plateaux, comme La Châtelaine près d’Arbois, ou dans une moindre mesure Dole qui s’appuie sur la « roiche ». Leur forme est souvent plus trapue et met en valeur le donjon, à Bracon, Poligny notamment, bien qu’on trouve à peu près partout mention de plusieurs tours. Ce n’est qu’à Gray que ces dernières semblent très nombreuses. C’est d’ailleurs un château adossé à une ville et servant de lieu « curial » ; on en mentionne également plusieurs à Quingey, Bracon ou Poligny, moins à Dole et La Châtelaine. Au gré de la documentation comptable, on retrouve le terme de donjons, tout particulièrement en Bourgogne, mais aussi en Artois, notamment à Saint-Omer, Hesdin, Béthune, Bapaume ou Beuvry. Le donjon a pu désigner un premier état du château avant l’extension des courtines et tours d’enceinte24 ; il en vient parfois à désigner la tour la plus forte, mais surtout un ensemble architectural symbolisant la puissance princière, autour de la haute cour, près de laquelle on retrouve la Salle, la tour maîtresse, la chapelle25. Un tel usage est flagrant à Saint-Omer, à Poligny et Bracon. Son rôle défensif est certain, car il constitue un ultime « château dans le château » séparé de la basse-cour par une muraille et doté de sa propre porte, mais il est également particulièrement important pour la résidence. Partout, on le verra, les efforts se déploient pour réduire la capacité de l’assaillant à venir au contact des portes et pont-levis, des murs et des tours par des fossés, des palissades, des « barrières » et de nombreux buissons d’épines. Partout on maintient voire surélève les courtines. Partout enfin se dressent ces constructions avancées destinées à protéger les murs, les tours et les portes : bretèches en bois surplombant notamment les ouvertures, chaffauts en Franche-Comté, destinés à protéger les abords des murs et des tours, et « eschiffes », surtout utilisées dans les angles des courtines et que l’on retrouve en Bresse et Bugey26. Si l’essor des mâchicoulis de pierre est alors général, on a ici une grande insistance sur le bois. Enfin, on retrouvera l’importance des chemins de ronde couverts de toiture, et des meurtrières destinées aux arbalètes, ou encore le succès du pont-levis27. L’un des efforts poursuivis par les gens de la comtesse est d’ailleurs l’adaptation à la balistique, surtout en Artois. Le principe de faire circuler l’artillerie d’un château à l’autre, avec quelques points fixes constituant des réserves autour des sièges de bailliage 22 Ibid., p. 31. 23 F. Vignier, Dictionnaire des châteaux de France. Franche-Comté, pays de l’Ain, Paris, 1979 ; S. Le StratLelong, Le comté de Bourgogne d’Eudes IV à Philippe de Rouvres (1330-1361), op. cit. 24 A. Châtelain, Châteaux forts, images de pierre des guerres médiévales, op. cit., p. 19. 25 A. Kersuzan, Défendre la Bresse, op. cit., p. 258. 26 Ibid., p. 225. 27 A. Châtelain, Châteaux forts, images de pierre des guerres médiévales, op. cit., p. 47.

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se retrouve à Béthune, Saint-Omer, et de plus en plus Hesdin ; un rôle similaire se retrouve à Bracon pour le sud de la Franche-Comté pour l’artillerie à corde. Cette dernière demeure très importante : elle voit dominer les arbalètes à arc de bois (if surtout) ou de corne, où l’on distingue les arbalètes à tour ; beaucoup d’espringales, grosses arbalètes sur châssis, se retrouvent en Artois. Mais on rencontre encore des bricoles en Bourgogne28 des machines à balancier équipées de contrepoids, pouvant lancer des pierres de 30 kg à 80 m.

2. Le bastion artésien Un territoire en réseau doté d’une forte assise résidentielle et castrale

De 1361 à 1382, il n’est pas une année sans que l’on compte un voire plusieurs séjours en Artois, d’une durée moyenne de 169 jours. Les cinq séjours « régionaux » les plus longs concernent l’Artois. Quatre durent plus d’un an, et un de plus de deux ans. Ils concernent d’abord le sud avec Arras et Hesdin, rappelant le temps de Mahaut. Cependant, la comtesse s’impose dès son avènement une circulation à travers tout son domaine (cartes 33 et 34 en ligne). Plusieurs sièges de bailliage dominent, comme Béthune et Saint-Omer. Gosnay fait figure d’exception dans ce paysage urbain. Les villes ne relevant pas du domaine sont quant à elles rapidement traversées, comme Thérouanne, ou Saint-Pol. En Artois, la comtesse hérite d’un riche patrimoine issu des comtes d’Artois, mais aussi de Philippe Auguste voire des comtes de Flandre, et d’autres seigneuries intégrées comme le comté de Guînes. Le réseau est formé de siège de bailliages, renforcé d’autres places sur la frontière flamande et les confins du Calaisis autour de Saint-Omer et Béthune (carte 35 en ligne). Dans ce réseau, les itinérances comtales montrent que Saint-Omer et Béthune sont reliés à la Flandre, tout comme Arras. Dans le comté, si Saint-Omer fait figure de cul-de-sac, Hesdin relie Saint-Omer, Arras mais aussi Paris. Autre carrefour, Béthune est à la croisée des routes Saint-Omer-Aire Arras et Hesdin-Gand. Surtout, Arras fait figure de nœud principal commandant l’accès à Bapaume et Paris au sud, à Gand vers l’est, ainsi qu’à Béthune-Gosnay et Hesdin. La déambulation comtale se superpose d’ailleurs assez bien aux cartes de Cassini (carte 36). On retrouve ainsi le trajet Arras-Hesdin via Haute-Avesnes, Aubigny, Tincques, et bien entendu Saint-Pol. Ces indications semblent montrer l’importance de quelques itinéraires bien balisés dans les déplacements de la cour. Il en va de même des accès vers la Flandre, via Douai, Lille ou Tournai. À l’intérieur du comté, Marguerite préfère passer par ses propres résidences : les itinéraires entre Arras et Saint-Omer passent plutôt par Béthune et Aire que par Thérouanne, expliquant la faible présence comtale à Bruay ou La Buissière au profit de Béthune et Gosnay. Dans ce réseau castral, une certaine hiérarchie commande aussi les séjours, favorisant ainsi les sièges de bailliage aux 28 ADD B 485.

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châteaux périphériques : Marguerite va à Saint-Omer mais guère autour à Eperlecques ou Tournehem. C’est aussi à l’aune de ces réseaux que l’on peut mesurer les logiques de déplacement à l’intérieur du comté et comprendre les motivations de la comtesse. Hesdin : entretenir la mémoire

Au cours de sa vie, la comtesse est attestée à Hesdin durant 17 années, trois avant son avènement, et 14 entre 1361 et 1382 (figure 10 et tableau 23 en ligne). C’est le lieu avec lequel elle entretient le lien le plus fort. À partir de 1361, elle y vient deux années sur 3, et tous les ans après une absence en 1373-1374, privilégiant les longs séjours estivaux, à la différence de Mahaut qui y vient en toute saison mais assez brièvement29. La plupart des arrivées s’échelonne entre début juin et mi-juillet, le départ souvent après la Saint Louis. Les courts séjours y sont surtout dus à des facteurs extérieurs comme les raids anglais30, les absences à des séjours lointains, notamment en Bourgogne. S’installant jusque 189 jours en 1376-1377 voire 234 en 1378-1379, Marguerite fait d’Hesdin un repère et un repaire dont elle ne se lasse pas. La préservation d’une vaste demeure adaptée à la vie de cour

Hesdin commandait jadis un comté autonome, réintégré au comté de Flandre au milieu du XIIe siècle31, avant d’être finalement incorporé dans le domaine comtal artésien. Jadis l’un des plus beaux sinon le plus beau de France, il a été détruit et demeure mal connu malgré des sources importantes. Édifié par Philippe Auguste, ou son fils, sa forme est généralement décrite comme celle d’un trapèze avec 6 tours d’angles, s’étendant sur 130 m d’est en ouest et 150 du nord au sud après les agrandissements de Robert II. Il a pu compter avant sa destruction pas moins de 75 pièces32. Résidence de prestige, il accueille les comtes d’Artois comme Eudes et Jeanne de France, et voit passer les rois ; sa dimension résidentielle l’emporte de plus en plus à partir de Robert II qui l’agrandit et lui donne ses contours pour longtemps. Mahaut en fait d’ailleurs un mémorial dédié à son père33. Marguerite de France s’inscrit dans cette logique et y agit comme une conservatrice. On proposera ici une description de son action à partir des comptes et des plans proposés par Alain Salamagne, qui correspond surtout à l’état sous Mahaut d’Artois34. Les nombreux travaux de toiture attestent de l’importance des frais engagés : à l’Ascension 1366, on retrouve des travaux de couverture pour la maison de la bouteillerie, celle de la fruiterie, la saucerie, la « poultrie », effectivement très proches les unes

29 C. Balouzat-Loubet, Le gouvernement de la comtesse Mahaut en Artois (1302-1329), op. cit., p. 319. 30 En 1380 en particulier. 31 Histoire d’Hesdin, éd. B. Béthouart, Lillers, 2013, p. 42. 32 J. Thiébaut, Dictionnaire des châteaux de France. Artois, Flandre, Hainaut, Picardie, op. cit. 33 C. de Mérindol, « Le décor peint et armorié en France à l’époque médiévale : les château et résidences des comtes d’Artois ; bilan et perspectives », dans FS Raphael de Smedt 2, 2001, p. 1-18. 34 Histoire d’Hesdin, op. cit., p. 89.

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des autres si l’on suit le plan d’Alain Salamagne35… En 1367 on œuvre aux toitures surplombant la chambre de madame, la chambre du confesseur, la chambre aux rois, dans le corps des logis, donc, mais aussi à la salle au cerf, à la montée de la salle d’Inde et à la salle d’Inde, à la chapelle et à l’oratoire, aux allées des engins, à la première et à la deuxième porte… En 1371-1372 suite aux grands vents, on doit travailler aux toitures de plusieurs chambres et maisons du château et du ménage, à la grande chapelle, à la porte du parc, à la grange du châtelain, à la grande salle au cerf, à la salle d’Inde36… Maintenues en état, les grandes pièces du début du XIVe siècle gardent leur dénomination : salle d’Inde, salle aux cerfs, salle aux écus ou salle aux rois, chambre aux rose, chambre aux fleurs de lys. Leur décor est fréquemment remis à neuf : c’est le cas de la chambre aux fleurs de lys dans laquelle Laurent de Boulogne est chargé de « paindre en le cambre as fleurs de lis oudit chastel »37. En 1381 il attache « couronnes de roys, fleurs de lis et autres coses », continuant cette œuvre pieuse38. Le même soin se retrouve dans la réparation des verrières : en 1372, Laurent de Boulogne pose de nombreux panneaux de verre peints, qui reprennent à chaque fois le style de ceux qui avaient été cassés (« pains comme les autres »). Dans la grande gloriette il met deux panneaux de 7 pieds, qu’il peint ; en la salle du cerf un panneau de 4 pieds ; en la salle du manage 6 fenêtres de verre39. L’un des corps principaux se trouve à l’ouest du château, adossé à l’enceinte entre la tour du Manage et la tour Plombée : il est formé de la grande salle, accolée à la chapelle Saint-Jean. Il dispose d’un sous-sol avec ses celliers, d’un rez-de-chaussée regroupant paneterie, saucerie et fruiterie en une pièce, une cuisine dans une autre pièce, dont le dressoir est à l’entrée d’une « salle basse » ; pièce d’apparat décorée de têtes de sangliers et de dépouilles de cerfs, cette salle au cerf est suivie d’une chambre et d’une garde-robe adossée à la chapelle. À l’étage se trouvent plusieurs pièces dont la salle haute ou salle aux écus, chambre aux écus ou salle de parement ornée des armoiries et devises du comte, et une garde-robe. Cette partie est liée aux grandes réceptions de la vie de cour. Entre 1361 et 1382 on continue d’entretenir et d’utiliser les pièces consacrées aux offices, « maison de la bouteillerie »40, « grande cuisine » avec son puits41, située près du « donjon » et de la maison du second portier du château42, expression désignant la porte arrière, près du parc43, garde-manger44, « maison de la fruiterie », dont on refait la couverture45, paneterie46, « maison de la sausserie »47, « poultrie » pour la 35 36 37 38 39 40 41 42 43 44 45 46 47

ADN B 15274. ADN B 15278. ADN B 15283.3. ADN B 15283. ADN B 15279. ADN B 15274. Ascension-Toussaint 1380. ADN B 15282. Ascension-Toussaint 1381. ADN B 15283.2. ADN B 15280. ADN B 15283.2. ADN B 15274. 1371, Ascension-Toussaint. ADN B 15278.

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volaille48, dressoir de la salle49, « petit celier » dont on refait la poulie en 136650. À proximité de la cuisine et du garde-manger on signale l’existence d’un lieu « la ou on fait l’amosne », signalant des distributions de nourriture51. Ces pièces sont protégées de serrures, rachetées en 1381 pour la chambre de cuisine, la saucerie, la bouteillerie, la fruiterie, la grande cuisine et le cellier au sel52. On continue d’utiliser la cave où sont entreposées les queues de vin53, sans qu’on sache si le mécanisme attesté auparavant est en état. Quant à la salle au cerf, on continue d’y manger ; la pièce est alors ornée de verre peint54 « devers la cour », et est équipée d’un nouveau dressoir placé en une « chambre du drechois servant en la sale au cerf »55. La comtesse dispose d’une « chambre » dans ce corps ouest, d’où la comtesse fait faire une allée rejoignant son oratoire à la grande chapelle située au nord de la grande salle56. Il est peu probable qu’il s’agisse de la chambre nord du premier étage, toujours qualifiée de chambre aux écus. Il faudrait donc plutôt situer cette chambre au rez-de-chaussée, toujours au nord, vers la chapelle. On trouvait d’ailleurs là sous Mahaut une chambre et une garde-robe. Cette chambre de Marguerite était peut-être liée aux réceptions. En outre, il est possible que l’on ait procédé à des agrandissements dans la partie nord-ouest : à proximité de la porte ou de la tour du manage, située au sud de la grande chapelle, on travaille en 1366 à un logis « en la neuve chambre fète près de la porte du manege »57. Toujours à l’ouest, tantôt appelée « grande chapelle », tantôt chapelle Saint-Jean, la chapelle située dans le prolongement de la grande salle, au nord-ouest, est dotée d’un autel neuf en 136658, et repeinte au moins en partie en 1369 par Vincent de Boulogne59. Quant au cadran solaire installé par Mahaut, il est toujours là, appelé « l’auloge de le cappelle de madame »60. Près de l’une des deux chapelles, peut-être la principale, est établi un « tresor delez nostre chapelle de Hedin » contenant notamment le coffre « de l’euvre de Damas »61. C’est peut-être là que se trouvent les armoires « lau on met les reliques saint Louys » dont les serrures sont changées en 138162. Le deuxième grand corps est le logis des chambres neuves adossé au mur nord et prolongé sur le mur est. Alain Salamagne situe en bas, en partant de l’ouest, la chambre Robert (fils de Mahaut), la chambre aux demoiselles et leur garde-robe.

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ADN B 15274. ADN B 15279. ADN B 15274. ADN B 15282. ADN B 15279. ADN B 15281. ADN B 15279. Ibid. ADN B 15283. ADN B 15274. Ibid. ADN B 15276. ADN B 15283. ADPDC A 713. ADN B 15279.

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Le premier étage est celui des appartements comtaux, courant de la gaiole à la tour d’angle nord-est. On trouve là d’ouest en est armurerie, garde-robe, puis chambre monseigneur, ou chambre aux fleurs de lys, avec ses têtes de rois de France couronnées. Suivent une chapelle (dite chapelle de verre sous Marguerite), la chambre madame, sa garde-robe, enfin la taillerie de madame, au-dessus de la seconde porte du château, porte à deux tours dite du parc. Longeant le côté sud de ce corps, deux galeries conduisent de la chapelle vers deux oratoires, l’un dans la chambre de monseigneur, l’autre dans celle de madame. Au second étage, dans les combles, en partant de l’ouest, on trouve deux pièces, puis la salle d’Inde avec son décor peint en vert, le haut de la chapelle, la chambre aux roses avec ses roses d’étain aux murs, ces pièces étant desservies par deux galeries côté nord séparées entre elle par la chapelle, la seconde aboutissant à l’angle nord-ouest et desservant une autre galerie menant à la gloriette. Ces pièces sont entretenues par la comtesse, qui fait couvrir en 1367 « le cambre as ros ». La « salle d’Inde » est dotée de plusieurs portes, dont on change la serrure en 136663. Une « montée de la sale d’Ynde »64 est d’ailleurs mentionnée. Les sources indiquent encore des allées de la garde-robe situées près de la salle d’Inde, ce qui laisse penser qu’il existait à l’ouest une autre garde-robe, symétrique de celle située par Alain Salamagne à l’est. Marguerite dispose dans ce corps d’une « chambre de madame »65, et de « le cambre du retrait ». La « chambre madame » est semble-t-il distincte de la chambre aux fleurs de lys du premier étage, de la salle d’Inde et de la chambre aux roses du second. Cette « chambre madame » correspond en fait à la « chambre madame » du temps de Mahaut, à l’est du premier étage. En effet les travaux précisent que cette chambre est située « pres de la Gloriete », comme la chambre de Mahaut66. On apprend également l’existence des « aloirs de madame », terme pouvant désigner la galerie côté sud attestée sous Mahaut qui permet de gagner la chapelle, ou peut-être un couloir côté nord permettant de gagner la garde-robe et la gloriette. Quant à la « chambre de Flandres », refaite en 1381, probablement utilisée par Louis de Male, on pourrait avancer l’hypothèse qu’il s’agissait de l’ancienne « chambre monseigneur » ayant appartenu à Robert II d’Artois, ou celle occupée par le fils de Mahaut au rez-de-chaussée67. D’autres chambres sont mentionnées au château, dont plusieurs se trouvent dans ce corps de logis nord, pour son confesseur, pour Charles de Poitiers68, dont la cheminée est partiellement refaite et le sol repavé en 137169, pour son épouse madame de Saint-Vallier qui jouit également d’une garde-robe en 138170. Cette chambre est située entre celle de son fils Antoine de Poitiers, et la « cambre du

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ADN B 15274. ADN B 15280. ADN B 15279. ADN B 15283. Ibid. En 1371. ADN B 15278. ADN B 15276. ADN B 15283.

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confessor madame »71, restaurée en 1367 après un incendie accidentel durant un séjour comtal72, puis repavée en 137173. Le médecin Guillaume Thouzé74 dispose encore d’une chambre, comme « Marote », logée au premier étage, près d’un escalier descendant de la salle d’Inde. Sa chambre dispose d’une grande huche et sert au rangement ; or une garde-robe près de la « chambre monseigneur » est attestée auparavant au premier étage75. On rencontre également une « chambre des chapellains » en 137976, celle d’Ancel de Salins en 138077. Ces appartements sont pour partie intégrés à la Gloriette, tour située sur le mur nord, vers l’est, où se trouve une partie des engins d’ébattement, et qui fait l’objet de travaux d’entretien, notamment pour en refaire les verrières78. La « chapelle de verre » dénommée d’après sa verrière et située près de la porte du parc et de l’étable, doit être identifiée à la chapelle du logis des neuves chambres79, au nord. On y refait le plancher80, et on en répare les bancs en 137181. On l’appelle aussi « cappelle as roys » lorsqu’on refait les verrières en 1379-138082. Enfin, le côté est demeure moins construit, bien qu’il semble disposer de davantage de bâtiments et de structures que ne l’indique le plan d’Alain Salamagne. Ce dernier signale des tours (la tour de Bapaume au nord-est) et la porte du parc ou porte de derrière, toujours mentionnée en 1361-1382. On peut y ajouter au moins deux structures. En 1367, il faut couvrir l’ « estable d’empres le porte sur parc », près de la « chapelle de verre », donc bien au nord-est et hors de la basse-cour83. Près de cette étable se trouve une grande cuisine près de la maison du second portier84 dite près du « donjon » : il doit s’agir d’une construction distincte de la cuisine de la salle, proche du logis des neuves chambres et de la gloriette85. En 1371-1372 sont également évoqués des travaux de toitures en « les sales de Feriens », et dans les « chambres de Ferienes »86 situées non loin de la chapelle de verre. Ces chambres donnent d’un côté sur la grande cour, et de l’autre sur le parc87 ; elles sont construites contre la « tour contre les sales de Ferienes »88. Ferienes ou Fillièvres est située au sud-est de Vieil-Hesdin. C’est vers cette direction (est) que 71 72 73 74 75 76 77 78 79 80 81 82 83 84 85 86 87 88

En 1371. ADN B 15278. ADN B 15279. ADN B 15276. ADN B 15283. ADN B 15280. ADN B 15282. ADN B 15283. Ibid. ADN B 15277. ADN B 15274. ADN B 15277. ADN B 15283. Ibid. ADN B 15283. ADN B 15280. ADN B 15276. ADN B 15280. ADN B 15283.

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regardent les chambres de Ferienes, ce qui semble indiquer qu’on trouve plusieurs pièces le long de ce mur est. Côté sud, vers l’ouest, le logis du châtelain continue d’être entretenu, qualifié de « maison du chastellain »89. On y trouve une « estable aux vaches le chastellain », servant également de chenil au veneur quand la comtesse est à Hesdin90. Toujours sur le côté sud, au centre, se trouve la porte de ville qualifiée de « première porte » dans les comptes. On y retrouve le logement du garde de la porte, mais aussi en 1378 la résidence de Jean des Granges, écuyer d’écurie. Or les écuries jouxtent ladite porte à l’est, dans la basse-cour91, où on note la présence des prisons, et d’une grange. Les sources de 1361-1382 mentionnent d’ailleurs les « estables de la basse cour »92, ainsi que la maison de l’artillerie de Gérard de L’Écluse93, et une maison du « plaidoir » qui disposait également de prisons94. Peut-être peut-on situer vers ce côté sud certains éléments mentionnés dans la basse-cour : grenier à avoine95, greniers et moulins à blé, maison du four96. D’autres éléments demeurent non localisables, comme la « chambre du conseil » attestée en 1381. Celle-ci témoigne de l’importance du château comme lieu de décision. En 1371-1372 une « cambre des comptes » sous les toits doit servir à conserver la documentation comptable. Elle est mentionnée en même temps que des travaux dans des chambres joignant aux murs de la tour de Caumont. Enfin, la « cambre as Croques » reste mystérieuse97. Concentré au nord et à l’ouest, une bonne part de l’habitat bénéficie d’un éclairage sud et est. Adossées aux murs sud et est, les constructions sont moins prestigieuses mais probablement assez nombreuses, témoignant d’un entretien vigilant, voire de possibles agrandissements pour un château très fréquenté, notamment en raison de ses divertissements. Engins, jardins et parc : une nature domestiquée au service d’un mode de vie aristocratique

Les extérieurs d’Hesdin constituent l’un des cadres les plus prisés d’Occident. On les a comparés aux parcs d’attraction comme aux jardins andalous, mais ils furent d’abord liés à la chasse avant d’être complétés de multiples divertissements. Il s’agit d’un cadre « naturel » très aménagé et partiellement bâti dans lequel Marguerite s’investit pleinement. Elle s’intéresse beaucoup aux engins d’ébattement qui n’on pas disparu après les attaques anglaises de 1346 et 1355. Disséminés en plusieurs endroits, ils sont constitués

89 90 91 92 93 94 95 96 97

ADN B 15276. ADN B 15279. ADN B 15280. Ibid. ADN B 15279. ADN B 15281. ADN B 15279. ADN B 15283, n° 2. ADN B 15282.

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de sculptures de bois et de métal intégrant des tuyauteries et des mécanismes. La galerie dans laquelle Mahaut avait installé un « miroir des engins », jeu de miroirs déformant, est entretenue par Marguerite : « les alees des engins d’esbatement » font l’objet de travaux de couverture98 et sont repeints en 1372 par Laurent de Boulogne qui emploie ocre, or fin, vermeille, vert-de-gris et huile99. Les engins sont refaits à neuf, en particulier ceux qui reposent sur des tuyauteries, que l’on trouve dans ces allées. En 1372 le plombier Bernard Canestel, assisté de Laurent de Boulogne, constate qu’ils sont en mauvais état et remplace 130 lb de plomb de canalisations alimentant « III testes qui jectent yauwe es aloirs, au soel des dis aloirs ». À la Gloriette, située au nord-est du château et relié par une galerie au logis des neuves chambres, se trouvent la gayole et une fontaine depuis Robert II. Marguerite refait faire trois toises de conduits servant à « l’arbre de le gloriette », pour lequel on réalise un « tonoire », et « deux clefs servant aus diz engins », sans doute pour contrôler l’eau100. Cet arbre réparé en 1344 est un arbre-fontaine peint au naturel, chargé d’oiseaux sculptés, vers lesquels des tuyaux amènent de l’eau101. En 1366 Vincent de Boulogne refait d’ailleurs « les couleurs des oissiaux de l’arbre de la Gloriette »102. De nouveaux travaux sont réalisés en juillet-août 1378, au moment de l’arrivée de la cour à Hesdin103 : on achète des clés de cuivre pour l’arbre de la Gloriette et pour les trois têtes de la galerie. On réalise encore un « pas nouvel », sorte de passage sous les eaux, avec 20 pieds de conduit et « le cuve pour jeter l’iaue oudit pas », à proximité de l’arbre de la Gloriette104. En somme, le plaisir de ces jets et jeux d’eau est loin d’être épuisé après plus d’un demi-siècle, Marguerite de France réalisant mêmes de nouvelles attractions, qui semblent éloignées des mécanismes brutaux qui amusaient Philippe le Bon. La Gloriette abrite également la « gayole » à savoir une volière, attestée depuis Robert II. En 1378 on emploie du « fil d’arcal » ou « arcaulz », c’est-à-dire du fil de laiton, probablement pour réaliser une cage. La gayole n’est pas une cage simple ; on y effectue des travaux en dur, notamment de plomberie en 1380 « autour la gaoyele »105. On est également renseigné sur l’usage du « manage », situé au sud-est du château, au nord de la Canche, non loin des remparts de la ville. Il est constitué d’un « ostel du manage », et de jardins106. On y accède par une « porte du manege » proche de la « tour du manage », porte disposant d’un garde. Le bâtiment semble d’une certaine importance, les sources mentionnant une « salle de manage », disposant même

98 ADN B 15274. 99 ADN B 15278. 100 ADN B 15278. 101 J.-M. Richard, Une petite-nièce de Saint-Louis, op. cit., p. 342. 102 ADPDC A 720. 103 ADPDC A 768. 104 ADPDC A 769. 105 ADN B 15283. 106 C. Beck, P. Beck et F. Duceppe-Lamarre, « Les parcs et jardins des ducs de Bourgogne au XIVe siècle. Réalités et représentations », Actes des congrès de la Société d’archéologie médiévale, vol. 7, no 1, 2001, p. 97-111.

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d’une chapelle. À son arrivée, Marguerite en fait refaire les verrières par Matthieu le Verrier107. En 1372, Laurent de Boulogne refait 6 fenêtres de verre à la salle et à la chapelle du « manage »108. Les jardins du manage sont également bien entretenus. On trouve des mentions de treilles, de rosiers et une maison de Dedalus, dotée d’un labyrinthe de vignes, qualifié en 1369 de « esbatement de la maison Dedalus »109. En 1372 on refait ainsi les treilles des vignes et la maison de Dedalus « au manage »110. On y plante en 1378 « III botes de groisilliers plantés en l’esbatement de le maison Dedalus au manage de madame »111. Pour assurer l’entretien du lieu, la comtesse désigne son receveur d’Hesdin Colard Rumet le 26 février 1373, qui pourra en retour jouir des revenus du lieu, sauf lors des séjours de la comtesse112. On ignore en revanche ce que devient la ménagerie. On sait cependant que des grilles sont utilisées : on achète ainsi en 1365 un « rastel » ou herse de fer, pour contrôler l’ouverture du ménage, ce qui pourrait signaler la présence d’animaux113. Au-delà de ces extérieurs proches, le parc du château et ses 900 hectares exige un lourd entretien témoignant de préoccupations cynégétiques. Employant pierre, chaux, eau et sable114, les murs sont refaits régulièrement ; en 1366 on les restaure au « Coqueriaunot », mais également près de la porte du marais et sur 30 pieds de long du côté contre le bois Saint-Jean, situé hors du parc115. En 1367, 82 pieds sont refaits près de la croix d’Auchy, sans doute vers la porte du Marais. En 1371-1372 on œuvre vers « le Longueroie » pour empêcher la fuite des bêtes et l’entrée des « males bestes »116. Durant les travaux on dispose des haies sur 130 pieds de long, sans doute à titre provisoire. De nouveaux travaux de maçonnerie ont lieu en en 1378 sur le grand mur ouest, vers le nord, au niveau de la Ternoise, car les renards ont fait un trou117. En 1380 il faut refaire les murs entre la Poterne de Lestocquoy et Auchy, au nord-est118. En 1381, on comble des brèches entre la porte du « val Tahon » au nord-ouest et la « porte « cappellain », et on refait les murs du parc « contre les bois d’entre deux yaues ». Celui-ci est donc à l’extérieur du parc, ainsi que les murs contre le « bois monseigneur Jehan », au nord-ouest, et ceux « contre les bois d’Auchi » au nord-est119. On veille aussi aux portes : porte « Heudebrouc »120 appelée « Hendebourg » sur le plan d’Anne Van Buren et placée au sud-est ; porte du parc « par lequelle porte les denrees se vident », qui sert aux approvisionnements du château, et dont un marchand

107 108 109 110 111 112 113 114 115 116 117 118 119 120

ADPDC A 702. ADN B 15279. Histoire d’Hesdin, op. cit., p. 42. ADN B 15279. ADN B 15280. Ibid. ADPDC A 714. Ibid. ADN B 15274. ADN B 15278. ADN B 15280. ADN B 15283. Ibid. En 1366. ADN B 15274.

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a la clef121 ; porte du côté de Grigny (sans doute celle du Val-Tahon) par laquelle les sergents du parc entrent et sortent ; poterne du pont de la garenne, près de l’angle sud-est du château122. En 1381 on renforce les portes du Val-Tahon, de « Hendebourc », ainsi que la « porte cappellain » qu’Anne Van Buren ne relève pas, et qui pourrait être une porte inconnue, voire la porte du Baile d’enfer, au sud de la porte du Val-Tahon. Ce parc traversé par la Ternoise est en outre doté de plusieurs ponts. Début 1367 on en refait trois : le pont près du « bouge des mares », le pont « sous le versoire », le pont près de « le fontaine as dains »123. On restaure encore en 1372-1373 le pont sur la rivière du parc, c’est-à-dire sur la Ternoise124. On refait également l’une des trois granges du parc où l’on mettait la « garnison », la réserve de foin pour les « bestes »125. Mais c’est surtout le pavillon du marais qui reçoit le plus d’attention, car il est un des lieux favoris de Marguerite qui fréquente également les jardins alentour. Elle y passe beaucoup de temps l’été, accompagnée de proches. Cet espace situé au nord du parc est traversé par la Ternoise126. Clos de palissades et de haies, il dispose de rosiers et de vignes, avec des préaux placés autour des fontaines disposant de sièges de grès et d’un pavillon dit du marais, appelé sous les ducs Valois pavillon des fontaines. Des fontaines y sont déjà attestées, « le fontaine as dains »127, près d’un pont. Quant au pavillon, il semble une structure solide redressée en 1367 et appelée la « maison manable » du Pavillon128. Le 6 août 1364 Marguerite y a ordonné la construction d’un « hangar a vaches »129. On fait encore faire une « estable » neuve aux fontaines, de 70 pieds de long sur 24 de large, en 1380130. Surtout la comtesse fait réaliser au plus tard en 1372 une « noeve maison de bois » mobile, qu’on pouvait ranger en un « hanart » (hangar) « en lequelle maison madite dame disne et souppe d’empres les fontaines quant il li plaist »131. Ce type de maisons de bois va se développer surtout au XVe siècle, notamment dans les camps militaires. On établit également une « neuve cuisine emprès les fontaines du pavillon au parc », chantier entamé le 3 août 1378 à l’arrivée de madame132 et complété de deux dressoirs en 1379133. Philippe le Hardi reprend cet usage et vient manger près des fontaines après 1384134. On se rend au pavillon en chevauchant, franchissant la Ternoise par le grand pont passant la « grande riviere », près de la maison du pavillon, sur environ 60 pieds, pont adapté au cheval135. 121 122 123 124 125 126 127 128 129 130 131 132 133 134

ADN B 15279. ADN B 15281. ADN B 15274. Toussaint 1372-Chandeleur 1373. ADN B 15274. A. Van Buren-Hagopian, « La roulotte de Philippe le Bon », op. cit. ADN B 15274. ADN B 15279. ADPDC A 709. ADN B 15283. ADN B 15279. ADN B 15280. ADN B 15281. P. M. De Winter, « Castles and town residences of Philip the Bold, duke of Burgundy (13641404) », Artibus et historiae, vol. 8, 1983, p. 95-118. 135 ADN B 15274, B 15279.

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Au-delà du parc, le Bois entre deux eaux est lui aussi doté d’aménagements : on y refait les haies entourant la maison de « le tourelle du bos entre deux yaues », où vivent les sergents de ce bois136, et les « maisons du bos ». On y édifie un four à chaux en 1367137, actif en 1380138. On peut également penser que c’est dans cette zone que Marguerite fait reconstruire en décembre 1371 une maison brûlée par les Anglais, longue de 32 pieds et large de 24, près du four de la maison dite « le loge Cornillot », où vit le sergent Jehan Lengle139. Sont également entretenus deux viviers identifiés sur le plan d’Anne Van Buren, l’un à l’est de la ville d’Hesdin, alimenté par la Canche, dont on refait le pont140, l’autre à l’intérieur du parc, dans le coin sud-est, près du couvent franciscain, dont on refait également le pont « contre les ventailles » côté couvent. On retrouve également toute une série de moulins très coûteux à entretenir : moulins à blé de madame, moulin du croquet141 ; deux moulins à drap142, moulin Saint-Georges. Au moins l’un d’entre eux, le moulin à bras, est situé dans la cour du château. Enfin, le séjour des chevaux est toujours en activité, dans la continuité de Robert II. Une dimension militaire renforcée par la reprise de la guerre

Le château avait été construit selon les principes du temps de Philippe Auguste comme une véritable forteresse, avec ses grosses tours d’angle (Bapaume, Plombée, Manage, des Prisons…). Cette dimension militaire redevient importante en 1340, quand on creuse des fossés du côté du parc, qui n’existaient pas. L’enjeu reste crucial au temps de la comtesse, surtout à partir de 1369. De son temps, la tour principale à l’est du château est associée au « donjon ». Située près de la « grande cuisine » et de son puits143, elle est près de la porte arrière144. Le donjon désigne ici un dispositif complexe, autour de la haute cour. Y est peut-être associée la tour de Bapaume, placée au nord de la porte ; ainsi que la tour placée sur le plan de Salamagne à la jonction de la haute-cour et de la basse-cour, sur le mur est. En effet, on refait les créneaux des murs du donjon « contre la bassecour » afin d’y ménager des archères ; par ailleurs les prisons, situées dans l’angle sud-est du château, donnaient sur le fossé du donjon145. Ce « donjon » est donc plus qu’une simple tour mais bien un complexe défensif englobant une bonne part du mur est. Le donjon s’intègre dans un ensemble plus large ; un vaste chantier de réparation en 1367-1368 énumère dans un ordre circulaire contraire aux aiguilles d’une montre146 un 136 137 138 139 140 141 142 143 144 145 146

ADN B 15277-15278. ADN B 15274. ADN B 15282. ADN B 15278. ADN B 15274. ADPDC A 714. ADN B 15274. ADN B 15282. ADN B 15280. ADN B 15283. ADN B 15275.

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grand nombre de tours. D’abord la tour des cornus ou cornins, près de la grande salle, donc sur le mur ouest du château147, puis la tour plombée, bien identifiée à l’angle sud-ouest, la tour contre le grand préau (haute-cour), que l’on situera sur le mur sud car elle est suivie de la tour des prisons au sud-est, puis de la tour de Bapaume au nord-est. En 1371 on refait les couvertures des deux tours près de la « tour as cornins », tour qui n’est donc pas isolée, notamment la tour « contre les sales de Ferienes », sur le mur est probablement, mais aussi la « tour de Caumont ». Durant l’hiver 1371-1372 on travaille à une « tourelette » servant au guet148 près de la tour des prisons, et au plancher du premier étage de l’une des tours derrière la salle au cerf, au milieu du mur ouest, tour inconnue qui doit être entre la tour du manage et la tour plombée. Une autre tour « contre la chambre de madame », probablement sur le mur nord, vers l’est, est alors distinguée d’une tour près des cheminées de la salle d’Inde, donc légèrement plus à l’ouest sur le même mur. On arrive ainsi à 8 ou 9 tours au moins. Concernant les portes, on note l’entretien d’un pont-levis en 1366149, couvert en 1372 de 17 pièces de « cuir vert »150. En 1380, sa chaîne est refaite et le bois rénové. Cette partie mobile ou « pont volant » est prolongée par un « pont dormant ». Entre les tours, les murs sont entretenus, ainsi que les créneaux et des « allées » en partie couvertes. Un chantier est consacré en 1367 au sud-ouest et au sud : on refait les murs derrière la salle aux cerfs, ceux du « grand praiel » (haute-cour) sur le côté sud et les murs des prisons du côté du parc, en tout pour 60 pieds151. On entend alors faciliter la montée vers les coursives depuis la maison du châtelain. On veille aux chemins de ronde en aménageant huit archères aux allées ; et on effectue des travaux de couverture à une allée placée sous les tours à l’avant de la gayole, donc dans l’angle nord-est. On parle également des « allées de la gloreiete » en 1371152. En 1368 les réparations des murs et des créneaux sont massives, sous la supervision de Charles de Poitiers153. On recouvre également de tuiles les allées contre la grande cuisine au sud-ouest, près de la tour plombée. Cet espace est encore l’objet de gros travaux en 1380, tout comme le mur entre le « donjon » et la tour de Bapaume, donc vers la porte du parc, « au temps que li Englès estoient sur le pays »154. Portes, murs et tours sont également protégés de nombreuses constructions légères. Les bretèches, logettes rectangulaires en surplomb permettant de tirer par une ouverture au sol, sont nombreuses à Hesdin. Quant aux guérites, elles désignent sûrement des plateformes sur les tours mais aussi des constructions placées sur les murs. En 1367 on refait la guérite de la tour de Bapaume, et une bretèche155. En 1368 on établit une nouvelle bretèche sur la deuxième porte du château, celle du parc, « pour

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ADN B 15280. ADN B 15278. ADN B 15274. ADN B 15279. ADN B 15274. Chandeleur-Ascension 1371. ADN B 15277. ADN B 15275. ADN B 15282. ADN B 15274.

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la deffense d’icellui »156. Durant l’hiver 1372-1373, les murs sont couverts de bretèches près de la tour de Bapaume, près de la tour contre la gayole, près de la porte du parc157. En 1378 on construit plusieurs « guerites et bretesques sur les murs du chastel pour fait de fortrece et de deffense »158 ; 7 guérites sont installées l’année suivante sur les murs159, notamment pour « le get de nuit »160. Durant l’hiver 1381-1382, on veille d’ailleurs à monter du bois « pour chaufer les velleurs veilant sur les murs »161. Les fossés sont tenus en état, accueillant l’eau de pluie : on les signale du côté est au niveau de la porte du parc et du donjon162. Ils sont puissamment remaniés en 1380 : les anciens sont approfondis et on en crée un nouveau « au quarré de LV pies », partant des barrières devant la porte du parc, et un autre partant de là pour rejoindre le manage, en avant du mur nord163. Durant l’hiver 1380-1381 on œuvre encore à creuser de « noes fossés contre le bassecourt du castel comme contre les prisons »164. En 1381 des fossiers d’Aire travaillent entre les deux portes, sur les flancs sud et ouest165. Ces fossés sont protégés contre les bêtes et les assaillants. Les palissades de haies ou de pieux sont communes166. À Hesdin, « au dehors et d’empres les murs du chastel », se dressent des « soifs », palissades de planches. En 1380, elles sont refaites à neuf sur tout le pourtour, sur 900 pieds167. Lors du creusement des nouveaux fossés protégeant les murs est, au niveau de la basse-cour, on installe à l’hiver 1381 une grande haie neuve de 300 pieds de long bien « espinee » pour empêcher bêtes et hommes de gagner le fossé168. Des passages sont aménagés dans ces palissades : en 1381, Charles de Poitiers ordonne une « nouvelle forterece et defence qu’on nomme tapecul, estaque mise et assise au debout des pans de le porte du parck et au dehors devers ycelli parck ». On déplace une ancienne défense « une barrière tournans qui estoit au lieu », laquelle est mise au « debout du pont levich de ledite porte du parc ». Enfin, l’artillerie occupe une place croissante. On la conserve en 1371 en la « maison en laquelle on met l’artillerie », vers la basse-cour. On loge alors le responsable en la « chambre du nouvel artiller » : Gérard de l’Écluse en fait un redoutable atelier de fabrication d’arcs et d’entretien des armes de jet. Il s’y fait clouer une « auge a adouchier et ploiier ses ars », et installe une « soiette a arker et II estoignes »169. Cependant, l’artillerie à poudre est bien présente. En 1379 on travaille à « I grant

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ADN B 15275. Toussaint 1372-Chandeleur 1373. ADN B 15279. ADN B 15280. ADN B 15281. ADN B 15283. Ibid. Ibid. ADN B 15282. ADN B 15282. ADN B 15283. A. Kersuzan, Défendre la Bresse, op. cit., p. 213 ADN B 15282. ADN B 15282. ADN B 15277.

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canon acaté de nouvel »170. En 1380 on œuvre à la « courbe du piet du grant canon du castel » et on achète cinq boutefeux pour « la deffense et forterece du chastel »171. En somme, le principat de Marguerite de France correspond pour Hesdin à une phase défensive, mais aussi conservatrice. Malgré quelques innovations, la comtesse cultive le souvenir des temps de Mahaut, une attitude que l’on retrouve pour partie à Arras. Arras : une capitale incomplète

Marguerite a fréquenté Arras dès l’enfance, puis au temps de son mariage comme de son veuvage. Déjà avant 1361, elle possède également une résidence proche à Fampoux. Devenue comtesse d’Artois, elle y vient à 36 reprises, tous les ans hormis en 1363 et 1378. Cette tendance se renforce encore durant les dernières années. Si l’on se réfère aux plages de séjour probables, on atteint 2 225 jours, soit 30% du temps entre 1361 et 1382, plus de 100 jours par an ! Là où Mahaut pratiquait de courts séjours, Marguerite s’installe davantage. Si elle passe 38 jours pour les années 1362-1366, on atteint 137 pour les années 1367-1373, puis 119 jours en 1374-1382, et même 200 en rythme annuel en 1380-1382 (figure 11 et tableau 24 en ligne). L’amplitude de ces séjours est large, allant de 1 à 235 jours. 8 durent de 4 à 7 mois ; 16 un à trois mois, une dizaine moins d’un mois : Arras est autant une destination qu’une étape par sa position de carrefour (carte 37 et tableau 25 en ligne). Marguerite vient à Arras en revenant de Paris ou en s’y rendant, passant toujours par Bapaume, comme elle le fait en 1380. Arras est aussi parfois une étape entre Paris et Gand, comme Béthune. En Artois, Arras joue aussi un rôle central dans les déplacements : les itinérances connectent d’abord Arras à Hesdin, puis Béthune, Gosnay, Saint-Omer. Arras sert ainsi de carrefour entre divers lieux du pouvoir de la comtesse, d’où l’existence de courts séjours en plus des résidences durables. La ville voit aussi passer des envoyés du roi et du comte de Flandre, informant alors la comtesse ou ses gens : en mars 1371, le comte d’Étampes informe les officiers de la bonne santé de Louis de Male, ce qui est rapporté à la comtesse172. La Cour-le-Comte : un palais urbain choyé à la dimension très politique

L’« hostel de madame à Arras » ou « Cour le conte » n’est certes pas d’un château, mais le terme « cour » renvoie à l’exercice d’un pouvoir judiciaire ; on serait tenté de parler de palais si le terme n’était pas ignoré par nos sources. L’ancienne « maison le comte », à deux pas de l’église Saint-Vaast pourrait remonter à la fin du IXe siècle173. Limitée au sud par la rue Saint-Aubert, à l’ouest par le Crinchon, vers la rue des Agaches, au nord par la place Saint-Vaast, au nord-est par l’église de la Madeleine (désormais 170 ADN B 15281. 171 ADN B 15282. 172 ADPDC A 1006, n° 15. 173 J. Lestocquoy, « Étapes du développement urbain d’Arras », Revue belge de philologie et d’histoire, vol. 23, no 1, 1944, p. 163-185.

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place de la Madeleine), elle regarde à l’est vers la maison du châtelain174. Cela laisse un beau rectangle d’environ 120 m de long (ouest-est) et 80 mètres (nord-sud). La comtesse hérite d’une construction en bon état : quelques travaux de toiture et de pavement apparaissent en 1361-1362 ainsi qu’à la cuisine. Par la suite, les travaux de toiture sont les plus fréquents. Le « grant vent » du 15 août 1362 fait ainsi des dégâts175. Les murs peuvent également s’effondrer, comme c’est le cas pour la maison de la fourrière en 1365176. Cet hôtel est l’une des rares demeures à subir d’importants travaux d’agrandissements : début 1365 des travaux sont lancés pour des « galleries qui venront de le cambre madame de le Court le Comte par desure le praiel en se cappelle ». On réalise en particulier une « nouvelle entree des galleriez en le capelle »177, chantier toujours en cours en novembre suivant178. Plus vaste est le celui débuté en avril 1374 pour les « nouvelles galeries la Cour le Conte », qui traversent le préau pour mettre en relation plusieurs espaces. Ce ne sont pas de simples allées mais des pièces de réception, à la manière de ce que Mahaut avait réalisé à Paris et surtout Conflans. Un devis pour un pan de mur nous indique que cette galerie partait des fenêtres d’une chambre de la comtesse et mesurait au moins 70 pieds de long. Ce mur est établi sur de solides fondations, et comporte trois arcs de 10 pieds de de long et autant de haut179. Du grès est utilisé, y compris pour les colonnes, assises sur du plomb. Ces galeries sont surplombées de combles couverts de tuiles180. Elles semblent partir à angle droit du coin sud-est de la chambre de la comtesse. À cet angle, on a prévu « I porge a l’entree de le cambre de madame par lequel on enterra es nouvellez galleries que on a fait ou praiel de le court le conte ». Ce porche monumental comporte une charpente, un toit rejoignant celui des galeries et devant être « empointié de telle fachon que le comble des dites galleries ». On y entre par une porte à double battant et l’intérieur est lambrissé de bois de Danemark. On prévoit une huisserie de maçonnerie « au bout du mur ou les arques sont des nouvelles galleries que on fait a le court le conte, par lequelle on deschendera en le cambre de nostre dite dame »181. La chambre de la comtesse semble donc se situer plus bas que la galerie, elle-même à une hauteur de 10 pieds, ce qui correspond à un étage. On a d’ailleurs fait faire un escalier de grès, permettant de gagner les galeries depuis l’entrée de la chambre comtale182. Par ces galeries on se rend « vers l’ostel des gouverneurs »183, lui-même relié au préau de la Cour-le-Comte par un escalier. La galerie dessert au passage des « aisements » mis dans l’extension de la chambre de madame de Saint-Vallier, mais 174 175 176 177 178 179 180 181 182 183

Histoire d’Arras, éd. P. Bougard, Y.-M. Hilaire et A. Nolibos, Dunkerque, 1988, p. 42. ADN B 13877. ADPDC A 718. ADPDC A 718. ADPDC A 722. ADPDC A 760. Décembre 1374. ADPDC A 758. ADPDC A 758. Ibid. Avril 1375.

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aussi la chambre de retrait de la comtesse, et le « nouvel aisement…pour le corps de nostre dite dame », du côté des prisons de la Cour-le-Comte184. Durant le voyage de la comtesse vers le sud, les travaux avancent : en avril 1374, charpentiers et hucheurs s’activent à la galerie et au porche. En octobre, les hucheurs couvrent de lambris l’intérieur des galeries185. On travaille également dès avril aux verrières186. On recourt à de la pierre, livrée par le carrier Henri de Cambrai, en particulier de la pierre blanche, peut-être pour le parement. On utilise également 1700 lattes de chênes187, et les galeries sont couvertes de tuile188 En février 1375 on dispose des nattes « partout les nouvelles galeries »189, et on commence à livrer les pierres de grès pour faire « nouvelles cheminees […] vers la maison des gouverneurs »190. En avril 1375, on livre 25 panneaux de verre peints et armoriés de plusieurs armes, mis sur deux châssis : l’un à l’entrée du porche et l’autre du côté de l’hôtel des gouverneurs. Cela indique l’ampleur de ces galeries fermées, qui doivent comporter un programme héraldique191. Chauffées, ouvertes sur la lumière, lambrissées, elles deviennent un élément important de l’hôtel. Construite peu après, une « nouvelle salle » est attestée en 1377192. Reliée par un escalier à l’hôtel des gouverneurs pour lequel on utilise 800 planches de bois de Danemark193, cette salle adossée à un « mur aux ars [arcs] » est dotée d’un porche situé au sommet d’un escalier venant du préau, ce qui rappelle la nouvelle galerie. Du porche, une allée mène par la cour des gouverneurs vers la grande chambre de la maison des gouverneurs, donc vers le nord. Là encore le porche est lambrissé de planches du Danemark. L’allée, l’escalier et le porche sont couverts de 8 500 tuiles neuves, et les gouttières requièrent 559 lb de plomb ; on réalise des gargouilles à la tête étamée pour écouler les eaux du toit du porche vers le préau. Le porche est peint et on dispose 32 « tjongles », ou « thinglez »194 en « lambroussement », moitié « d’asur a fleuz de lis d’estain doré », et les autres « vermeilles a chastellez d’autelle estoffe en maniere des armes de le conté d’Artois », À Arras, Marguerite rappelle son attachement à la royauté et au comté195. Salle, offices, chapelle et chambre de la comtesse : le cœur du palais

Bien des indications permettent de localiser une part des pièces principales sur les côté nord et ouest du quadrilatère, donnant sur le préau. La cuisine est ainsi mitoyenne de « l’hostelerie Saint Vaast », un hôpital situé en 1636 dans l’enclos, près du Crinchon,

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Ibid. ADPDC A 758. ADPDC A 757. ADPDC A 758. Une nouvelle dépense le signale le 24 septembre 1374. ADPDC A 760. Ibid. Ibid. Ibid. ADPDC A 766. Des tingles peuvent désigner des bandes, à moins qu’il ne s’agisse de tringles. ADN B 13879.

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vers l’angle nord-ouest196. Or on sait qu’au début du XVe siècle, la cuisine de la Courle-Comte est toujours proche du Crinchon197. La bouteillerie se trouve quant à elle à proximité de la salle et de la chapelle, laquelle est reliée à la chambre de la comtesse elle aussi proche de la Salle. On peut ainsi supposer que la Salle est le long du mur ouest, tandis que sur le côté nord se succèdent offices, chapelle, et une « chambre de madame ». Celle-ci est reliée à partir de 1374 par la nouvelle galerie d’orientation ouest-est, qui court au sud de chambres donnant sur la place Saint-Vaast et qu’elle dessert, avant de rejoindre l’hôtel des gouverneurs situé sur le côté est, plutôt au nord. Dans ce « cœur » de l’hôtel, la Salle avec sa cheminée198 et ses combles199 est toujours employée. On en refait d’ailleurs le pavement en 1363200. On y entre par « l’uis de la salle » placé sous un porche surmonté de combles201. À la fin des années 1370, on la qualifie de « grande salle », pour la distinguer de la « nouvelle salle ». Autour de la grande salle se trouvent les offices : on peut en effet passer de la salle à la bouteillerie202, elle-même proche de la chapelle et d’un puits203, bouteillerie qui comporte des « armoires pour mettre le vaisselle »204 et est le point de départ d’un escalier, refait en 1381205. Quant à la cuisine, faisant face à l’hôpital Saint-Vaast, elle est dotée d’équipements neufs. Le four est refait entre mars et mai 1363, en pierre blanche et grès de Bellemotte, et couvert de tuiles206. On fait alors à la cuisine un « yauwier » servant à écouler les eaux usées. Elle comporte également une « chaudière » refaite en 1360, et placée sur le fournil207. En 1381 on y fait un « I esquay nuef » et une « estaulie », et plusieurs « hestaux ». On y trouve d’ailleurs un « estaule Adenet » du nom d’un des valets de la cuisine. Une fourrière est également attestée. Disposant d’un cellier voûté208, elle donne sur une rue209 et sur la place Saint-Vaast. Cette « maison de la fourrie » possède une verrière de verre blanc « armoiee de couleurs » ; elle est voisine de la cuisine210. Sont encore attestées une saucerie surmontée de combles211, une fruiterie dotée d’une huche212, une paneterie avec ses mesures de grains213. 196 G. de Hauteclocque, Étude historique : Arras et l’Artois sous le gouvernement des archiducs Albert et Isabelle (1598-1633), Arras, 1873, p. 159. 197 N. Deruelle, « Ouvrages et réparations ordonnés par le duc de Bourgogne dans les résidences à Arras entre 1401 et 1417 », dans Arras au Moyen Âge. Histoire et littérature, éd. M.-M. Castellani et J.-P. Martin, Arras, 1993, p. 53-70. 198 ADN B 13880. 199 ADPDC A 758. 200 ADN B 13877. 201 ADPDC A 758. 202 ADN B 13880. 203 ADN B 13884. 204 ADN B 13882. 205 ADN B 13886. 206 ADN B 13877. 207 Ibid. 208 Ibid. 209 ADN B 13877. 210 ADPDC A 738. 211 ADPDC A 758. 212 ADPDC A 787. 213 ADPDC A 745.

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L’hôtel dispose de sa chapelle surplombée de combles214, voisine de la bouteillerie et peu éloignée de la Salle : en mai 1374 des ouvrages de maçonnerie sont réalisés à la chapelle du côté de la cour à l’entrée de « l’huis de la salle »215. La comtesse peut accéder à la chapelle depuis sa « grande chambre » sans sortir, et son oratoire possède sa cheminée216. Marguerite de France dispose évidemment de pièces personnelles. On signale la « grande chambre madame », aussi appelée « haute chambre », surmontée de combles dans lesquelles est installée une « parmenterie », probablement destinée à l’usage du tailleur ou à la garde-robe217. Cette « grande chambre » n’est pas donc pas au niveau du sol218, et la comtesse doit descendre par un escalier pour arriver au préau219. C’est visiblement « la haute chambre de madame la contesse » attestée dès 1361-1362220. Proche de la Salle, elle communique avec l’oratoire et la chapelle221. De cette chambre part la galerie édifiée en 1365 en direction de l’oratoire, galerie desservant aussi une autre pièce, la « chambre ou gist madame », distinguée d’ailleurs de la « chambre de retrait ». En décembre 1365 on réalise « une huisserie nouvelle en le cambre lau madame gist lau il soloit avoir II frenestres, pour entrer es nouvellez alees pour aler en se capelle »222. On voit donc, outre la grande chambre, un ensemble de pièces voisines ou incluses dans la même suite. Lors des travaux de 1374, l’expression « chambre de madame » réapparaît mais désigne une pièce à un niveau visiblement inférieur. On fait en effet partir les nouvelles galeries d’une « chambre de madame » récemment rénovée pour permettre l’accès auxdites galeries223. On constate alors que ces galeries sont situées plus haut que la chambre qu’elles obscurcissent. Entre octobre et décembre 1374 on crée donc une fenêtre « pour donner veue et clarté en ycelle », fenêtre dotée d’une « chymaise », à savoir une moulure : en effet, les anciennes fenêtres « perdoient leur clarté par les nouvelles galleries qui sont a l’encontre d’icelles ». Il faut alors remaçonner de grès et de pierre blanche, affaire délicate car on est près de l’arête du mur et on craint les reproches de la comtesse : « icelles ont mestiers d’estre bien faites ». On décide alors de payer les ouvriers au temps et non à la tâche. La localisation de la chambre demeure visiblement sur le mur nord, près de la chapelle, mais on a l’impression d’être descendu à l’étage inférieur. Toujours en 1374, existe également « une cambre lau madame fait son retrait », une chambre de retrait, qui dispose dans les nouvelles galeries d’une entrée distincte de la « grande chambre ». Cette chambre de retrait est située près de celle de madame

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ADPDC A 758. ADPDC A 757. ADN B 13885. ADN B 13884. ADPDC A 758. ADN B 13879. ADN B 13877. ADN B 13884. ADPDC A 718. ADPDC A 760.

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de Saint-Vallier, également établie sur le côté nord224. On semble être ici à l’étage car l’accès ne mentionne pas d’escalier pour rejoindre la galerie. En 1379, les travaux signalent l’existence d’une chambre à coucher que la comtesse vient d’abandonner, la « chambre ou madame soloit gesir », située sous la garde-robe. La pièce est alors refaite ; des plâtriers arrivent de Compiègne avec « I mentel a cheminee tout de plastre », pesant le poids de deux tonneaux de vin225. Désormais Marguerite espère dormir en la « sallette lau madite dame couchera »226, pièce parfois qualifiée de « la chambre du retrait de madame », ce qui pourrait laisser penser que cette chambre de retrait pouvait inclure une chambre à coucher. Avant septembre 1379, on y fait refaire les lambris « lau […] la contesse de Flandres et d’Artois gerra ». Cette pièce communique avec la chambre de monseigneur de Saint-Vallier, par un « enclos » ou « entrefens » couvert d’« ays Danemarche » et on réalise deux peintures étamées « sur l’huis de l’enclos dudit retrait ». Partant de chez elle, la comtesse peut ainsi gagner « l’huis de la chambre de monseigneur Charles de Poitiers, au bout de l’enclos » : Marguerite est visiblement très proche de son plus fidèle serviteur ! Les comptes signalent également un « petit retrait de madame » qui joint ses « chambres coies », ce qui semble indiquer que la « sallette » est plutôt une suite qu’une modeste chambrette. En tout cas, on distingue désormais bien cet ensemble de la « grande chambre de madame », surmontée d’une « parmenterie » disposant de fenêtres227, désignant probablement l’espace préalablement occupé en 1365. La complexification des espaces intérieurs et l’idée d’une variété de degrés dans le privé ne sont décidément pas l’apanage des rois… Une place limitée pour la cour

Si on ne retrouve pas toutes les 70 chambres et espaces privés dénombrés début XVe siècle, l’usage de réserver certaines pièces à des membres de la cour, voire de véritables suites228 aux plus proches de la comtesse, déjà attesté à Hesdin, se retrouve à Arras, notamment vers le nord-est. La famille de Poitiers s’y taille la part du lion, notamment Simone de Méry, épouse de Charles de Poitiers qui possède sa chambre donnant sur la place Saint-Vaast, et ses aisements229, lesquels sont agrandis en 1374 par le « rallongement des aisemens de le cambre madame de Saint Valier »230, ou « nouvel rallongement des chambres coyes appartenans a le cambre madame de Saint Valier », au-dessus des prisons. Il s’agit donc d’un appartement. Cette extension pourrait être liée à la mise à disposition d’une chambre pour ses enfants, attestée en

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Ibid. ADN B 13879. Ibid. ADN B 13884. Ibid. ADPDC A 760. ADPDC A 760.

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1382, elle aussi située au-dessus des prisons et donnant sur la place Saint-Vaast231. Simone de Méry obtient également en 1374 une garde-robe dans les combles de la porte de la Cour-le-Comte232. Quant à Charles de Poitiers, il dispose d’une autre chambre qui communique avec celle de la comtesse, et à laquelle on ajoute en 1380 de « nouveaux aisements servant a la chambre de monseigneur de Saint Valier » au-dessus des prisons, donc à proximité des appartements de son épouse233. D’autres chambres se retrouvent du côté des offices. Pierre Cuiret dispose ainsi d’une chambre située en septembre 1371 au-dessus de la maison de la fourrière, donnant sur la place Saint-Vaast234. Impossible en revanche de situer la « cambre des dames et damoiselles de nostre dite dame »235, parfois appelée « chambre des dames », dont un côté donnait sur le préau, et qui disposait de fenêtres236. Idem pour bien d’autres : la « cambre maistre Guillaume le phisiciien », pour Guillaume Thouzé237, la chambre des maîtres d’hôtel238, et celle de leurs valets239, ou encore celle du clerc des briefs Pierre Dargent. Juste après la mort de Marguerite, beaucoup ont dû être réattribuées : l’une au seigneur de Coucy, une autre pour le harnois de Louis de Male240… Ces nombreuses chambres ne servent visiblement qu’à loger le premier cercle de la comtesse ; les autres curiaux vont donc à l’extérieur. La présence de visiteurs tels que le comte de Flandre ou le duc de Bourgogne doit également exiger de la place. Mais si Louis de Male réserve dès 1382 une chambre à Philippe le Hardi, Marguerite de France ne semble pas avoir procédé ainsi avec son fils, aucune pièce ne semblant lui être attribuée en permanence. L’aile est : de l’hôtel des gouverneurs à la nouvelle salle, un besoin de place

Nous avons surtout vu les côtés ouest et nord. La Cour-le-Comte ne s’y limite pas. Au nord-est se trouve en effet l’hôtel des gouverneurs. En ville, quatre maisons étaient en effet situées « devant le porte de l’ostel des gouverneurs, tenans à la rue de Putimuche », rue chaude reliant l’actuelle rue de la gouvernance à la place du châtelain. Actuellement appelée la rue Putevin, cette rue débouche en effet à l’ouest sur la rue de la Gouvernance, qui marquait la limite de la Cour-le-Comte à l’époque moderne241. De plus, une indication de 1394 mentionne une maison de la « capellerie de le Court le Conte », à l’ouest de l’église de la Madeleine, maison donnant sur « une petite ruelle estant a l’opposite de l’ostel des gouverneurs »242. 231 ADPDC A 787. 232 ADPDC A 758. 233 ADN B 13882. 234 ADPDC A 718. 235 ADPDC A 758. 236 ADN B 13885. 237 ADPDC A 758. 238 ADPDC A 758. 239 ADN B 13885. 240 ADPDC A 787. 241 E. Morel, Essai de topographie arrageoise, Arras, 1914, p. 422 242 Ibid., p. 420

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Malgré son nom, l’hôtel n’est pas un centre administratif autonome. Relié par les nouvelles galeries à la chambre de la comtesse et à d’autres logements en 1375, puis en 1377 à la nouvelle salle du préau, il est intégré au reste de la bâtisse et employé à des usages domestiques. Dès 1361-1362 on y signale des travaux en la « garde-robe » de la chambre de la maison de « monseigneur le gouverneur ». En 1380, la comtesse fait faire « une verriere de toille » et une perche pour mettre ses oiseaux de proie « en le cambre de la dicte maison des gouverneurs »243. Elle y fait également loger son fils244. Les chambres occupées par les Poitiers semblent proches de cet hôtel, étant notamment situées au-dessus des prisons contigües dudit hôtel. Les comptes mentionnent d’ailleurs plusieurs prisons : celles du Caillelet situées « vers le fossé de la court le conte d’Arras », d’où un prisonnier put s’échapper par un conduit et où l’on acheta en 1380 « une grosse caine pour acainer les prisonniers » ; ou encore la « maison des prisons de ledite court », dans laquelle se trouvent des « prisons as femes » situées en-dessous des combles245. Plus au sud, le long du côté est, on pourrait également placer la « nouvelle salle » édifiée en 1377, car celle-ci communiquait avec l’hôtel des gouverneurs par un escalier. Il est possible que cette salle soit elle aussi du côté nord, bien que celui-ci semble déjà très chargé. La porte de la Cour-le-Comte n’est pour sa part guère localisée, mais on serait tenté de la placer vers l’est. On décrit en effet le côté est comme l’avant de la Cour et l’ouest comme l’arrière. On trouvait en effet en ville un jardin « seant devant le court le conte », et donnant sur la rue de Putimuche246. Il est probable que la principale entrée se trouvait quelque part par là. En outre, il existait en partant de la rue Saint-Aubert, située au sud de la Cour-le-Comte, deux ruelles : une allant « derrière le court le conte » à l’angle de laquelle se trouve « le faucon » et une autre « par lequelle on va a le court le conte »247, où l’on trouvait la maison Jean Harache qui fait « le touquet ». Cette porte était d’importance, dotée d’un toit et logeant son portier248. Elle disposait d’un étage surmonté de combles, étage où se trouvait un dépôt d’archives durant les années 1370, « la chambre des comptes »249 ou « cambre lau on met les escrips et les comptes de le contee d’Artoiz »250. Dans les années 1360, la « chambre des comptes » était située près de la bouteillerie, plus à l’ouest251. Restent quelques incertitudes : un même escalier permettait de monter vers les combles, la chambre des comptes et la chambre de madame de Saint-Vallier252. Cette dernière disposait de pièces à sa disposition donnaient sur la place Saint-Vaast, au

243 ADPDC A 778. 244 ADN B 13882. 245 ADPDC A 758. 246 Ibid. 247 E. Morel, Essai de topographie arrageoise, op. cit., p. 380. 248 ADPDC A 765. 249 ADPDC A 758. 250 Ibid. 251 ADPDC A 718. 252 ADPDC A 758.

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nord. Peut-être ses appartements se déployaient de part et d’autre de l’angle nord-est, débordant dans l’hôtel des gouverneurs pour atteindre la porte… Les jardins et le préau

L’extérieur enclos dans le carré de la Cour-le-Comte offrait un cadre privilégié en milieu urbain. On y mentionne le préau, espace naturel aménagé ou artificiel souvent associé à la haute cour, au centre des constructions253. Les arbres de ce préau avaient jadis fourni pommiers, poiriers et pruniers à Hesdin254. Tout bel hôtel urbain se doit de disposer de jardins : ceux de la Cour-le-Comte témoignent d’un soin particulier. C’est par un mandement passé « par madame », que Marguerite commande en 1372 1 500 verges de « la plus bele et de la plus verde » pour faire les treilles aux jardins de l’hôtel255, dans le préau. Au moins jusqu’en 1374, une vigne monte ainsi sur un des murs256. Le préau est aussi un espace utile, accueillant les matériaux lors des chantiers, ainsi probablement que des chevaux, et recevant une partie de l’eau des gouttières. Près de la chambre de Pierre Cuiret, on trouve ainsi le « mur du jardin beaupere », peut-être en raison proche de la résidence du confesseur (nous ne sommes pas loin de la chapelle) mais aussi une pièce pour ranger les fagots et « l’estable ou mettoit le dit maistre Pierre ses chevaux »257. En revanche, on ne rencontre pas encore de terrain de jeu de paume. Les autres bâtiments dans la ville

Marguerite dispose encore à Arras d’une maison de la châtellenie plus à l’est. Parfois qualifiée d’hôtel, elle nécessite d’importants travaux en 1361. On y fait refaire en 1362 un fût pour 10 queues de vin258, et une bonne part de la cuisine. Dotée d’une cour fermant par une porte verrouillée259, la bâtisse comporte une chambre du portier, sous lequel se trouve une cave, une haute prison, une « salle » desservie par des escaliers, où l’on trouve une grande échelle et de hautes fenêtres, et surmontée de combles, une « sallette » située « au dessus les degrés » des aisements, ou « sieges des aisemens » auxquels on parvient par un couloir260, ainsi que d’une chambre à l’arrière261. Une cheminée de pierre est attestée en 1374. Ses murs sont par endroits enduits de torchis et son toit de tuiles (il en fallut 1150 pour le réparer en 1362). Là

253 O. Chapelot et B. Rieth, « Dénomination et réparation des espaces », op. cit. 254 C. Beck, P. Beck et F. Duceppe-Lamarre, « Les parcs et jardins des ducs de Bourgogne au XIVe siècle », op. cit. 255 ADPDC A 98. 256 ADPDC A 760. 257 Ibid. 258 ADN B 13877. 259 ADN B 13878. 260 ADPDC A 758. 261 ADPDC A 745.

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se trouvent les greniers de « l’avoine du gaule », redevance versée à la comtesse262, un grand jardin et un jardinet263 ou « jardin de la porte »264. Tout près de là, la comtesse détient encore un hôtel ayant appartenu à Jean de Courcel avec son écurie, au-dessus de laquelle une pièce servait à stocker du foin et où on aménagea en 1373 une chambre de bonne265. Un pan de ses murs s’effondre aux environs de septembre 1374, envoyant des gravats dans les maisons de Jean de Danninville et Gillos Castelles266. On y installe Jean Blarye, au moins à partir de décembre 1374267. Son écurie est par ailleurs utilisée en mars 1375 pour loger « les chevalx du petit char de madite dame »268, conduisant Blarye à faire nettoyer un petit cellier pour y mettre ses propres chevaux. Partout se pose donc le manque de place. Enfin, la maison du bailliage, assez modeste, dispose d’une cuisine contenant deux queues de vin269, une chambre du bailli, son « estude », une « chambre par terre », un cellier pour le bois, une « loge au foin »270. Bellemotte : un château périphérique

Près d’Arras, la comtesse dispose depuis 1330 du château de Fampoux ; mais elle ne s’y rend plus guère après 1361. Elle lui préfère la Cour-le-Comte, ou encore le château de Bellemotte acheté en 1333 par Eudes IV puis restauré en 1338-1342271. Bellemotte est proche du monastère de la Thieuloye que Marguerite fréquene à l’occasion, disposant même de maisons à la Thieuloye272. Il s’agit d’une annexe du séjour urbain, peu fréquenté et appelé « Bellemotte nostre chastel les Arraz », parfois utilisé lors des travaux à la Cour-le-Comte273. Quand Marguerite y établit son séjour en mars 1378, c’est pour boycotter Arras alors révoltée. En regard, Marguerite de Male fera un bien plus grand usage du château274. Entre 1361 et 1382, il s’agit pourtant d’une bâtisse d’ampleur, dotée d’un donjon couvert d’ardoise, avec plusieurs étages, le dernier étant ouvert de « VIII fenestre beauvisiennes »275. Sont mentionnés au moins une tour cornière, quatre tourelles, plusieurs ponts-levis, des fossés en eau du côté de la basse-cour276 qui accueille des étables et une grange proche des cuisines, lesquelles forment un bâtiment à part avec

262 Ibid. 263 ADPDC A 757. 264 ADN B 13877. 265 ADPDC A 754. 1373. 266 ADPDC A 758. 267 Ibid. 268 ADPDC A 760. 269 ADN B 13879.2. 270 ADN B 13878. 271 E. Petit, Histoire des ducs, op. cit., t. 8, p. 345. 272 ADN B 13877. 273 ADPDC A 757. 274 N. Deruelle, « Ouvrages et réparations », op. cit. 275 ADPDC A 760. 276 ADN B 13885.

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son propre toit277. Cette basse-cour est séparée par une grande paroi du « jardin » du préau, dans la haute-cour. L’enceinte du donjon est donc distincte de la basse-cour. Dans ce donjon, on retrouve la salle, sous les toits, la « chambre de madame », bien entendu, surmontée par une « grande chambre » précédée d’un porche278 et dotée de plusieurs cheminées. On y retrouve une chapelle et une chambre pavée à proximité279. Bellemotte possède des carrières que l’on aménage280. La comtesse a donc surtout investi la Cour-le-Comte, en raison de l’emplacement, mais aussi de son grand confort. Les « nouvelles galeries » sont chauffées, les cheminées sont nombreuses dans les chambres, les fenêtres de verres omniprésentes : à la fin du chantier des « neuves galeries » de 1375, on fait d’ailleurs refaire de nombreuses verrières en la chambre de la comtesse, aux vieilles galeries, à la chapelle, à la chambre de madame de Saint-Vallier, et en bien d’autres lieux281. La comtesse dispose en outre des « estuves de l’ostel de madite dame »282, aménagement également attesté dans les résidences flamandes des ducs Valois283. Beaucoup de chambres disposent enfin de leur aisement que l’on fait « dégorger » en 1379 dans les chambres de madame, de madame de Saint-Vallier, du confesseur, des dames et damoiselles. Saint-Omer et le nord-ouest de l’Artois : aux frontières du royaume

Loin d’attirer autant la comtesse, Saint-Omer n’est pas pour autant négligée. Marguerite y vient tous les deux ans environ entre 1362 et 1368 pour des séjours de quelques jours, qui s’allongent à partir de 1367 lorsque le risque de guerre augmente, au point que Marguerite y demeure trois mois en 1368. Le retour des hostilités l’éloigne cependant de ce point chaud du front jusqu’en 1375, d’autant que le château abrite de nombreux soldats royaux. Il est possible que la comtesse ne s’y sente pas à l’aise. Mais elle n’entend pas abandonner le terrain : revenant 1 mois et demi à l’été 1375, puis encore en 1377 elle y demeure une bonne partie de l’hiver 1380-1381, réaffirmant ses liens avec la ville alors que les relations avec Arras se sont dégradées. Marguerite n’oublie pas cette ville de front dans laquelle elle se rend spécialement : ses voyages n’y sont que rarement de simples passages, car la ville est excentrée. C’est plutôt un détour entre deux séjours à Arras et Hesdin avant le début de l’été, ou à l’automne au retour d’Hesdin, en venant de Béthune et Gosnay (en 1380), ou avant d’aller en Flandre (à l’été 1375). La ville est ainsi reliée à plusieurs lieux majeurs du principat.

277 ADN B 13877. 278 ADPDC A 760. 279 ADPDC A 758. 280 ADN B 13877. 281 ADPDC A 760. 282 ADN B 13879. 283 K. De Jonge, « Estuves et baingneries dans les résidences flamandes des ducs de Bourgogne », Bulletin monumental, vol. 159, no 1, 2001, p. 63-76.

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Un château urbain entretenu Un vaste espace de résidence aux contours encore flous

Le château de Saint-Omer est établi par le futur Louis VIII, pour défendre la ville à l’ouest, côté qui n’était pas protégé par les marais. Constitué d’une grosse tour, il finit par former un château de style Philippe Auguste. Il occupe encore à l’époque moderne un grand quadrilatère de 65 mètres de côté, avec des tours circulaires aux angles, deux tours sur la porte orientale, dominées par un châtelet284. On situe généralement la tour blanche à l’angle sud-ouest, la tour rouge au nord-ouest, la tour du chevalet au nord-est et celle de la Natte au sud-est. Historiens et archéologues y décrivent un donjon au centre de la forteresse, associé à la grosse tour, entouré d’un fossé et ceinturé par une courtine elle-même flanquée de tours, accessible par un pont-levis, possédant un étage, puis deux en 1319 et enfin trois en 1434285. La grosse tour disparaissant des archives après 1552, il est cependant délicat de spéculer sur sa position286. Une hypothèse est parfois avancée, celle d’un donjon et d’une grosse tour situés au sud. Le problème pourrait venir de confusions et de l’usage de mentions relatives une « grosse tour blanche » ou tour payelle de la fin du XVe siècle287. Certes, la tour payelle est alors une grosse tour, comme le signale Molinet, mais on distingue bien en 1480-1481 « le tour noeve le payelle, le blanque tour, la rouge tour, et le tour derriere la grant chambre »288. À supposer que l’ordre de la liste soit circulaire, la tour rouge étant au nord-ouest et la tour blanche au sud-ouest, il faut effectivement placer la tour payelle sur le mur sud, d’autant qu’une autre mention indique qu’elle donne « sur les saillies et portes de ladite ville ». Qualifiée de « grosse », mais aussi de « neuve », la tour payelle fut-elle une nouvelle tour édifiée sur l’ancienne grosse tour du XIVe289 ? On l’ignore. Celle-ci est bien distinguée dans les comptes des « II tours cornieres dudit chastel », nord-ouest et sud-ouest290, mais on sait aussi qu’elle dispose de fossés au sud et à l’ouest. Ces fossés donnent-ils sur l’extérieur ou sur la basse-cour ? On laisse à plus savant le soin d’explorer ce dossier par l’étude systématique des nombreux comptes et de futures fouilles, même si les travaux de fortification du XVIe siècle ont réduit nos chances. Malgré tout, la disposition des autres pièces ne paraît pas aller dans ce sens. Il est possible que le « donjon » corresponde donc à l’angle nord-ouest dans lequel un carré délimiterait la haute cour, carré fermé à l’ouest 284 G. Coolen, « Le château de Saint-Omer », Bulletin trimestriel de la Société Académique des Antiquaires de la Morinie, vol. 22, 1974, p. 181-192. 285 D. Paris, Le château de Saint-Omer, Saint-Omer, 1997. 286 J.-M. Willot, « L’apport de l’archéologie préventive à la connaissance de sites castraux régionaux : Les exemples de la motte Sithiu et du château comtal de Saint-Omer et du château d’Hardelot. Intérêt et limites de l’approche », dans Places fortes des Hauts-de-France –1– , éd. C. Aubry et T. Byhet, Villeneuve-d’Ascq, 2018. 287 Erreur que l’on trouve dans l’article de Jean-Michel Willot. 288 ADN B 15910. 289 ADPDC A 681. 290 ADN B 15820.

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et au nord par l’enceinte extérieure, au sud par la tour nord de la porte ouest et par la grande salle, la grande tour se trouvant à l’angle sud-est de cette haute cour… Cela pourrait correspondre avec une grosse tour au centre du château. Entre 1361 et 1382, les comptes se montrent malheureusement imprécis. Ils opposent le côté derrière, vers les champs, avec sa porte arrière à l’ouest, et le côté avant, vers la ville avec la porte avant à l’est. Ils distinguent également le côté sud du château comme celui de la porte boulnizienne, porte du mur de la ville sur laquelle donne le château. La documentation évoque en revanche bien peu le côté nord. Ces comptes donnent beaucoup de renseignements sur la « grosse tour du castel » associée au « dongon » dont la configuration reste méconnue. On peut y accéder par « le montee de le grosse tour » dotée d’un « premier huys »291. La grande tour dispose d’un puits, de son propre « pont de le grant tour »292, d’un « pont levich de le grant tour »293, bien distinct du « pont derriere », qui doit donc communiquer avec la basse-cour294. Le « pont du dongon » attesté en 1383 correspond sans doute à la même structure. On signale en outre des fossés aux côtés ouest et sud de la grosse tour295, dont on ne sait pas s’ils donnent sur l’extérieur ou sur la basse-cour296. Le « dongon » signalé en 1383 invite à penser que la grosse tour regroupe autour d’elle un complexe singulier, qui inclut la salle, mais aussi la chapelle et des chambres comtales, d’autant que des travaux conjoints concernent souvent ces divers espaces297. En 1367, des travaux sont réalisés aux plomberies extérieures « de le salle, et de le chappelle, et a le paielle de le terraisse de le grosse tour »298. En 1380, de nouveaux travaux montrent que la grosse tour est à proximité immédiate de la grande salle, desservie par une allée299 et de la « cambre haulte », toutes deux repavées en raison de la venue de la comtesse300. Reste à les relier au reste. Or ces autres éléments traditionnellement associés au donjon, en particulier grande salle et chambre comtale, ainsi que la chapelle, semblent plutôt tirer vers le nord-ouest. En 1380 on mentionne ainsi des travaux à deux tours « derrière la grande salle, du costé de le porte derriere [ouest], au lez devers nord ». Il est donc envisageble que la grande salle relie la grosse tour à l’enceinte extérieure, au nord de la porte ouest, et soit en partie abritée par une des tours de la porte arrière. C’est possible, d’autant que les 2 tours de la porte semblent de bonne taille. En 1383 une grande et une petite chambre sont refaites dans une tour de la porte derrière « la ou il y a II kemineez »301. Il apparaît également que le logis du bailli, dit loge de la salle est situé au-dessus de la grande salle302, et pour 291 292 293 294 295 296 297 298 299 300 301 302

ADN B 15775. ADN B 15811. ADN B 15821. ADN B 15788. ADN B 15801. ADN B 15807. ADN B 15822. Ibid. ADN B 15820. 1362. ADN B 15776. ADN B 15821. ADN B 15781.

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partie installé dans une tour de la porte arrière303. Cela pourrait laisser penser que la salle y est également intégrée304. On peut donc suggérer que la grande salle serait entre la grosse tour et la tour nord de la porte arrière ou ouest. Grande salle et logis du bailli sont associés à des chambres : en 1363 on mentionne une « chambre par terre de la grant salle », pièce au rez-de-chaussée visiblement située sous la salle, dotée d’une cheminée dont le manteau est recouvert de brique ; on évoque également une « chambre a costé la salle » au premier étage305, et la « haute chambre »306, que l’on pourrait situer au deuxième étage, près de la loge du bailli307. S’agit-il de la chambre de la comtesse ? En 1371, on évoque un aisement derrière la « cambre de madame », situé à l’arrière de la chapelle, ainsi qu’un « « I grant treu qui estoit en l’aissement deriere le cambre de madame, u fondement du mur deriere le cappelle »308. La chapelle est par ailleurs décrite comme adossée au « mur derriere » et proche de la paneterie elle-même reliée à la grande salle309. On voit donc que l’on est toujours à l’ouest. Coolen situe d’ailleurs la chapelle près de la tour rouge au nord-ouest310. Un autre repère est fourni par la tour de l’artillerie, qui communique par une voie avec la grosse tour311. Cette tour est reliée par un mur à la chapelle312. Une dépense de 1383 évoque pourtant des travaux à « une des tours de le porte du castel devers la ville [à l’est], au lez devers le tour de l’artillerie ». Mais à cette date on évoque également la tour de « viese artillerie », qui partage un mur avec la chapelle313. On pourrait ainsi envisager que la chapelle se trouve contre le mur ouest, au nord de la grande salle, des divers offices et des appartements de la comtesse. Assurément, les composantes du « donjon » paraissent bien se situer vers le nord-ouest ; on voit donc assez mal comment il pourrait être lié au mur sud. D’autres bâtiments confèrent à ce château un certain volume, vers l’est. Distincte de la « grant sale derriere », on trouve ainsi une « sale devant », vers la ville, avec sa cheminée314 et son cellier315. Elle est située devant une tour surmontant la porte avant, côté ville316. On note également une loge près de la cuisine, sous laquelle se trouve également une chambre, une « loge qui est dedens le castel joingnant le tour d’esquiree » mentionnée en 1380317, ainsi que « le maison devant dudit castel ou monseigneur le bailli demeure », avec son toit de tuile, maison proche de la porte

303 ADN B 15775. 304 ADN B 15778. 305 ADN B 15781. 306 Ibid. 307 Ibid. 308 ADN B 15811. 309 ADN B 15808. 310 G. Coolen, « Le château de Saint-Omer », op. cit. 311 En 1383. ADN B 15821. 312 ibid. 313 ADN B 15822. 314 Ibid. 315 ADN B 15817. 316 ADN B 15813. 317 ADN B 15821.

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de devant318, tout comme la maison du portier. On retrouve enfin des pièces de service ou de stockage, guère localisables : pièce où l’on met l’avoine, tour où l’on met la chaux…319. Près du mur de la ville, on signale enfin des jardins « vers le rue des bouchiers »320. La primauté de la vocation militaire

Quasiment continus de 1361 à 1382, les travaux témoignent surtout de préoccupations militaires. Après les importantes rénovations voulues par Philippe de Rouvres en mai 1361, puis le chantier de couverture en 1362, les travaux s’accentuent en juillet 1363 : craignant d’être prise en défaut par le roi, la comtesse ordonne une mise en état immédiate321. Les chantiers gagnent surtout en ampleur à partir de 1368, coûtant cette année 2 819 écus, somme rarement atteinte dans les châteaux comtaux. L’attention se porte surtout sur les deux portes extérieures et leurs tours. En 1366 on refait la porte est, « toute pourie ». Chaque porte extérieure compte un pont double incluant pont-levis et pont dormant appelé à l’est « grand pont », tandis que la grosse tour dispose de son propre pont-levis. En 1363, on refait entièrement les ponts avant et arrière322 : celui de l’ouest a en effet été détruit lors des « guerres ». En 1367, on change des deux côtés les chaînes des pont-levis et le dispositif de levage : celui côté ville requiert 493 livres de poids323. De ce côté, on change alors 2 cordes servant à lever la « porte couliche », herse située entre le château et le pont-levis324. Ces « deux ponts devant » peuvent être empruntés par les chevaux et les gens du guet325. Chacune des portes est défendue par des tours, attestées à l’est par l’archéologie et à l’ouest par les comptes de 1362-1382 et de 1383326. En 1365, on refait les fondations des tours de l’est, abîmées par les gelées, et parées de grès ; on remaçonne aussi les tours de la « porte de derrière »327. La grosse tour fait l’objet d’attention : en 1362 on y transfère provisoirement l’artillerie au « haut estage de la grosse tour » ; en 1366 on y comble des trous avec de la pierre, du mortier et de la brique car les chauves-souris creusent la maçonnerie328. Après 1362, l’artillerie est établie dans une tour « de l’artillerie », puis dans une nouvelle tour avant 1383 ; on mentionne encore tour de l’étable, tour de la chaux proche de l’artillerie329 aménagée en 1362 en prison, « tour suivant la tour de l’artillerie »330 et 318 319 320 321 322 323 324 325 326 327 328 329 330

Ibid. ADN B 15775. ADN B 15788. ADPDC A 95. ADN B 15779. ADN B 15791. ADN B 15812. ADN B 15817. ADN B 15822. ADN B 15781. ADN B 15782. ADN B 15775. ADN B 15813.

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deux tours situées derrière la grande salle du côté de la porte arrière. En 1375, on lance la construction d’une nouvelle tour là où les murs de la ville rejoignent un mur du château allant vers la porte de devant. Cette « noeve tour » proche de la « maison Willame Bonewel »331 remplace la « viese tour » dont les murs s’étaient effondrés en raison d’un grand gel ayant sévi dans tout l’Artois332. Démarré le 14 avril, le chantier prévoit d’abord 61 pieds de hauts, en comptant les fondations, puis est réhaussé de 28 pieds. La tour comporte au moins « II estages » dotés d’huis et fenêtres, le « premier estage », et « une moienne estage ». En 1379 cette « noeve tour » donne encore lieu à des travaux de maçonnerie, de plomberie et de couverture (en tuiles) et à l’édification d’une cheminée en briques. Courtines et créneaux s’effondrent souvent. En 1367 on refait le parement d’un pan de mur, ainsi que créneaux et archères, toujours utilisées, en recourant à la brique333. En 1371-1372 on refait la « maisière en la voie devant la tour de l’artillerie », se trouvant « a l’encontre de la grande tour »334. En 1379, on redresse un pan de mur tombé côté ville contre la maison de Willaume du Chelier, de nouveau à la brique335. En 1380, on achète encore 4 000 briques pour un autre pan. On signale également des râteliers sur les créneaux336, et beaucoup de « fenestres » sont aménagées aux tours et aux créneaux « encontre la venue des Englais » en 1380337. Nombre de bretèches sont édifiées, en particulier aux deux tours cornières en 1380, avec des planches de chênes338. Des tuiles sont également employées à couvrir les chemins de ronde. Même si les achats d’artillerie semblent moins nombreux qu’à Hesdin, on déploie des espringales339 et Gérard l’artilleur installe un « arc de merveilles »340. Malgré tout l’artillerie à poudre prend de l’importance : on achète 12 lb de poudre en 1369 à une épicière locale341 ; en 1380 on note l’achat de deux livres de poudre pour « faire les assais des V canons estans oudit chastel », ainsi que 98 galets de plomb. Un réseau défensif avancé face à Calais : les confins nord

Autour de Saint-Omer se déploie un véritable réseau défensif, guère fréquenté par la comtesse. Vers l’est, le château de Rihoult est inhabitable en 1364 « ereilliés, ars et abatus par les Flamens du tamps des werres ». La comtesse doit alors débourser 603 écus : on répare une chambre au premier étage, au bout du château, côté nord, pour héberger un châtelain, et une pièce au-dessus dotée d’une cheminée, faisant

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ADN B 15820. ADPDC A 759. ADN B 15791. ADN B 15801. ADN B 15817. ADN B 15811. ADN B 15820. Ibid. Ibid. ADPDC A 732 et 737. ADN B 15802.

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venir par bateau des briques de Saint-Omer et du bois des alentours. On refait les tuyaux d’une « fontaine » « qui li Flament avoient hostee »342. En 1365, une autre chambre est remaçonnée, on draine les fossés pour refaire le pont-levis, on déplace l’autel qui était tombé et qui bloquait l’accès à la chapelle, on répare l’étable343. Le château est entretenu par la suite, doté en février 1380 de guérites344. Plus au nord-ouest, le château d’Éperlecques doté de 6 tours flanquant son enceinte, fait l’objet de travaux d’entretien tout au long du XIVe siècle345. L’artillerie à corde, les tourelles, les guérites sont remises à neuf en 1369 : on replace une espringale sur la terrasse, on fixe un arc à tour et de « grands arcs » ; on relie alors les fossés par un nouveau fossé pour contrôler les eaux et empêcher une attaque par nef : on est ici proche des marais et de l’Aa. L’année suivante, guérites et pont-levis sont refaits346. En février 1380, on remplace une barrière de la porte à l’avant de la basse-cour, devant « l’us de le poesterne vers Solleig », on refait la chambre dite de Robert le Chevalier à côté de la grande salle au nord, ainsi que des guérites sur les murs du château, des échelles, le pont-levis de la basse-cour et le fossé au nord à l’angle de la basse-cour347. Éperlecques est équipé d’au moins 6 canons en 1370348. Même inquiétude vers l’ouest, à Tournehem, sur lequel nous sommes mal renseignés : on sait que 6 arbalètes et 1800 traits y sont envoyés d’Hesdin en novembre 1371349. La position la plus avancée est cependant celle de La Montoire, un château rectangulaire régulier, d’un petit côté de 25 mètres et d’un grand de 40, avec 4 tours d’angles et une au milieu de chaque grand côté, et deux autres tours côté nord défendant l’entrée. Mahaut y a investi beaucoup d’argent350, et Marguerite de France l’entretient. En 1365 on y œuvre aux tourelles, aux guérites, à la porte, à la cuisine351. En 1370 suite à des dégradations des Anglais, on doit refaire le plancher de la « vieille salle », et on restaure pont et bretèches352. En 1369, on y entrepose 6 arcs de cor à tour, trois arbalètes de bois à tour et trois arcs d’arbalète a cheval (chevalet ?). On y ajoute en 1372 cinq arcs de bois blanc et trois d’if, un arc périlleux une trompette de bois, 32 livres de poudre, et de nombreuses pièces pour les canons et les armes de trait. Des arbalètes d’if sont également livrées sur ordre de madame en 1378353. Enfin, une bâtisse apparaît très peu dans les sources, pourtant qualifiée de château au début du XIVe siècle : Montgardin, au sud-ouest de la Montoire, qualifié désormais

342 ADN B 15782. 343 ADN B 15783. 344 ADPDC A 777. 345 J. Thiébaut, Dictionnaire des châteaux de France. Artois, Flandre, Hainaut, Picardie…, op. cit. 346 ADPDC A 723, 732, 737,742. 347 ADPDC A 777. 348 Ibid. 349 ADN B 15278. 350 J.-M. Richard, Une petite-nièce de Saint-Louis : Mahaut comtesse d’Artois et de Bourgogne (1302-1329), Paris, 1887, p. 278. 351 ADPDC A 716. 352 ADPDC A 736. 353 ADN B 15816.

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de « maison », mais dotée d’un garde, Jean du Marès, sergent à cheval des garennes de Tournehem354. Béthune, Gosnay et les châteaux alentours : aux portes de la Flandre La comtesse à Béthune

En termes d’occupation, Béthune arrive après Saint-Omer. La comtesse s’y est probablement rendue dès 1328 en compagnie de sa mère et de sa grand-mère. Après 1361, elle y séjourne d’abord rarement : de passage en 1362, elle reste une douzaine de jours en septembre 1365 puis s’absente 9 ans. Le lien se renforce ensuite, avec des séjours plus nombreux et plus longs, notamment en 1378 et 1380. La ville peut être une étape à l’intérieur de l’Artois, entre Arras et Saint-Omer. Elle sert aussi de porte entre Flandre et Artois : en novembre 1375 la comtesse y revient de Gand avant d’atteindre Arras, tandis qu’en mars 1378 elle s’y arrête en revenant de Paris avant de gagner Gand : la voie de l’eau entre Béthune et la Flandre joue ici un rôle important. Mais la ville peut être une destination en soi : en 1365 la comtesse gagne Béthune et Gosnay depuis Arras avant de revenir vers le sud. À l’été 1380, Marguerite quitte Hesdin pour Béthune au moment où la ville est menacée par la chevauchée anglaise. Les liens entretenus par la comtesse avec l’église Saint-Barthélemy et le couvent des Franciscains de Béthune nourrissent cet attrait, comme la volonté de renforcer les relations politiques avec cette ville exposée où réside une colonie de marchands de grain gantois. Surtout, ces séjours sont souvent couplés à une présence à Gosnay, dont le château attire la comtesse. Cela s’explique en grande partie par la présence de deux couvents : celui des Chartreux du Val Saint Esprit, et celui des Chartreuses du Mont-Sainte-Marie, fondés par Mahaut. 67 mentions de séjours à Béthune sont attestées, dont une en 1328. Après 1361, la comtesse s’y rend pour environ 3 semaines à l’automne 1365, puis de manière plus brève en 1367, 1368, 1375, 1378 et 1379. L’année suivante, elle y demeure du 11 septembre au 7 novembre. On relèvera sa présence à deux reprises (1367 et 1380) le 6 octobre, jour de la saint Bruno, fondateur de l’ordre des Chartreux. Une résidence confortable et solidement défendue

Construit dans les années 1200-1230, le château de Béthune est d’après les plans modernes une enceinte à 8 tours, 4 d’angles et 4 au milieu des courtines, sans donjon ni châtelet355. On reviendra cependant sur la mention d’un « dongon » sous Marguerite. Demeure des seigneurs de Béthune, son entrée dans le domaine artésien en 1311 a pourtant marginalisé son rôle résidentiel. Selon l’historiographie, il devient d’abord une forteresse, et le siège du bailliage, un propos à nuancer.

354 ADPDC A 719. 355 Histoire de Béthune et de Beuvry, op. cit., p. 46.

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De 1361 à 1382, les travaux s’enchaînent, témoignant d’un beau volume intérieur, d’un certain confort et d’un attrait de la cour. Le château est couvert de tuiles, qui requièrent de fréquentes interventions356, notamment lors des grands vents. On y retrouve une grange357, un puits358, plusieurs prisons (la « kartre a l’yauwe », la prison du cellier et la prison des femmes359), une chapelle à laquelle conduit un couloir360, une « basse cambre » une pièce dite « le belle warde »361, une paneterie et une bouteillerie dotées de dressoirs362. La salle doit être d’une belle dimension ; en 1376 on y refait une paroi sur 80 pieds de long363. Une « chambre des écuyers » est signalée près de la tour de Noée364 ainsi qu’une chambre du portier365, une chambre du bailli proche d’une « grande cambre »366 et une « chambre de madame ». On y installe en 1380 de quoi « y tendre sa cambre »367, c’est-à-dire les tapisseries. La pièce dispose d’une entrée du côté de la cuisine, et on peut en descendre vers la salle du château, notamment par deux « escheles » situées en une tour368. On retrouve là la superposition de la chambre et de la salle. Militairement, le château se signale par de nombreuses tours : on y refait les fenêtres « bellevizmes » de 6 tours en 1375, parmi lesquelles la tour du Noe, la tour a le Cauch, la « toure deseure le cartre », « la tour derriere les greniers », du côté du puits369 ; en 1377 on désigne la tour cornière et la grosse tour devant l’entrée de la chambre du bailli370 ; et en 1379 la « tour carrée »371. On signalera encore la tour Bellewarde, la tour d’Adoin et la tour Montaillet. En outre, on trouve mention d’un « dongon », incluant probablement la grosse tour372. En 1380, les fossés font l’objet d’un important creusement côté champs, sur 12 pieds de côté, 4 de « parfont », et 562,5 pieds de long373. Dès 1368, on construit 6 bretèches « as tours du chastel de Bethune », et deux autres côté ville. La bretèche de la tour derrière les greniers est refaite sur 26 pieds de longs en 1375 ; après une tempête, les charpentiers édifient en 1377 une nouvelle bretèche à la Tour d’Adoin longue de 80 pieds et saillante de 2,5 pieds. On répare celles de la tour cornière et de la « tour Noée », on fait une « noeve montee de 356 357 358 359 360 361 362 363 364 365 366 367 368 369 370 371 372 373

Ibid. ADN B 14611. Ibid. Ibid. ADPDC A 1017. ADN B 14618. ADN B 14642. ADN B 14626. ADN B 14692. ADN B 14642. ADN B 14692. ADN B 14642. Ibid. ADN B 14617. ADN B 14692. ADN B 14634. ADN B 14642. Ibid.

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VI pies de lonc » à la bretèche entre la tour cornière et la tour Noee, et une montée de 14 pieds pour celle entre la tour de Noée et la chambre des écuyers374. En 1379-1380 une autre bretèche est édifiée sur la tour de l’artillerie, ainsi qu’une guérite sur les murs derrière la grange375. Des abris ou cloyes sont également construits pour les veilleurs dans certaines tours376. En 1379-1381, on refait la « porte avant », côté ville, en bois, protégée par une « noeve bretesque ». On réalise alors une « noeve barriere de bos à l’entrée dudit chastel »377. Une poterne est également signalée près de la chambre des écuyers, non loin de la tour de Noée, protégée par une « planche tournante » placée sur un poteau378. L’artillerie s’étoffe après 1368 : en 1373 on trouve cinq espringales aux « quatre tours », probablement les tours cornières, et trois canons. Le château possède encore deux grands arcs de cor à tour et 8 petits arcs de cor à canque, arcs en bois renforcés par un contre-plaqué de corne. On compte alors 27 300 traits placés en 23 coffres, dont 2 500 gros garrots (dards) à espringales et à arcs à tour, ainsi que 1 700 autres non enferrés mais déjà empennés, 300 gros garrots d’espringales empênés d’airain, et 300 gros garrots sans fer ni airain. Utilisant 24 lb de salpêtre et 6 lb de « vif soufre » venus de Saint-Omer, Gérard de l’Écluse y fabrique de la poudre, dont on porte 6 lb à La Buissière, Gosnay et Chocques, 6 à Beuvry et 6 à Béthune379. En 1380 on dénombre encore trois canons simples, un moyen canon utilisant des garrots en fer blanc d’Espagne, donc des projectiles lancéolés, et un grand canon380. Pour disposer cette artillerie, le château fait la part belle aux ouvertures : sont mentionnées une « masière » à trois archères devant la barrière du château, une autre entre la chambre de madame et les greniers du château, une autre à la tour de Bellewarde, ainsi qu’une archère de la bouteillerie. On place des canons au « donjon » sur une guérite : en 1380 sont « tailliet XIII grans rons garroz pour ledit grant canon avoir sole une garotte [guérite] noeve faite contre le dongon et sole ledite bariere l’un l’autre »381. Il faut 112 quilles de fer « pour ataquier les gistes des garittes » du grand canon. Gosnay : une vaste demeure encore agrandie

Béthune est à la tête d’un réseau de châteaux aux usages variés. Entretenu avec soin, Gosnay est d’abord une résidence. En 1365, on y refait les conduits ou pippes de la fontaine « pour donner yawe a le cuisine et as offichines ». Le caractère résidentiel est attesté cette même année lorsque le maître d’hôtel fait dresser des parois dans la « galerie » pour y faire une garde-robe, une fruiterie, un dressoir et un « cloistre »

374 375 376 377 378 379 380 381

ADN B 14692. ADN B 14642. ADN B 14634. ADN B 14642. ADN B 14617. ADPDC A 1017. ADN B 14642. ADN B 14642.

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pour les offices. Trois chambres (dont la fruiterie et le « cloistre ») y sont attenantes à la cuisine, à proximité de la porte de la salle. On refait encore la galerie et la « cambre au rost » avant la venue de la comtesse en 1367382. Une bouteillerie et une paneterie sont également mentionnées383. Sous la galerie se trouve un cellier dont on refait les « boviaux », les anciennes pierres étant employées pour redresser les « sieges » [fondations ?] de la grande salle384, laquelle dispose d’au moins trois cheminées. En 1380 encore on édifie un dressoir neuf à l’entrée de la salle, et un autre avec 4 étagères pour le saucier385. Outre la chapelle dont la toiture est refaite en 1375386, on mentionne encore les « cambres du cloistre » et la « cambre corniere »387, la chambre « d’en costé le capelle », une « neesve cambre »388, ainsi qu’une salle neuve dite « le cambre l’evesque »389 ou « sale de l’evesque » qui dispose d’une garde-robe logée dans une tour. Plusieurs chambres se trouvent entre la cuisine et la porte du donjon, dans ce qui correspond aux loges390. La petite salle, la chambre du conseil et celle de madame sont également mentionnées, au-dessus des « coyes cambres »391. On compte encore la « cambre Anthoine de Poitiers », et la « cambre Hayne »392. On lance de gros travaux en 1380-1381 : le « nouvel ouvrage » des« grandes loges » ou hautes loges, qui correspond au même espace entre la cuisine et la porte du donjon dite de devant où se trouve la chambre de Charles de Poitiers. Avec toujours deux niveaux (hors cave) et au moins 80 pieds de long, on y œuvre encore en mai 1382 en suivant les instructions de la défunte comtesse : apparaissent alors les allées le long du mur, les 11 cheminées de pierre et le « noef drechoir ». On achète alors 52 000 tuiles et beaucoup de grès : 4 000 carreaux, 9 manteaux pour les cheminées, ainsi qu’un « grant mantel de gries prins a Bruay » de 11 pieds pour la cheminée « ordenee à tourner le rost », ainsi que 28 « planches » de grès pour « commenchier les aistres ». Le gré sert encore aux escaliers des loges. On édifie enfin 4 tourelles au-dessus de la porte de devant et une autre sur la cuisine. Le levage est assuré par « un engien de quoy on lieve les quesnes des ouvraigez »393. En 1380 on change également 60 pieds de verre, colorés pour partie, aux chambres et à la salle. La chapelle est dotée en 1380 d’un « nouvel crucefis et II ymaiges »394. Le château compte évidemment sa prison (le « chep »), et un jardin395, ainsi qu’une

382 383 384 385 386 387 388 389 390 391 392 393 394 395

ADN B 14607. ADN B 14607. ADN B 14598. ADPDC A 781. ADN B 14618. ADN B 14599. ADN B 14607. ADN B 14618. ADN B 14695. ADN B 14642. Ibid. ADPDC A 787. ADN B 14642. ADN B 14607.

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basse-cour disposant d’une porte. On comprend que Louis de Male ait installé ses nombreux bâtards dans cette vaste demeure, probablement après la mort de sa mère. Château de cour oublié, Gosnay est aussi un lieu de pouvoir avec sa salle du conseil396. Sa dimension militaire est également patente à partir de 1368. En 1375 deux des tours cornières sont mentionnées derrière les chambres, notamment celle de l’évêque397, ainsi que la tour carrée et le donjon398. On construit en 1377 une « noeve montee de VII pies de lonc » pour accéder à une bretèche du « haut dongon », entre la cuisine et la salle de l’évêque. On installe une bretèche sur le pan de mur des chambres, de 15 pieds sur 10, dotée de 4 ouverture, et une autre sur le dessus des salles, tout en restaurant celle placée sur la porte du château et une autre sur la cuisine, vers l’avant. La porte du donjon fait l’objet de réfections avec de « noefs murs » en 1378399. Le pont de la porte du donjon est doté d’une nouvelle barrière de 26 pieds de long et d’une petite porte. On approfondit les fossés alentours protégés par des défenses en bois. En 1380 un flamand, Phelippe Oudenarde, vient mettre en eau les fossés autour du château, œuvrant à une écluse située vers les prés « pour le doubte des Englès ». On assèche alors les fossés pour réparer les trous « es fons des dites coyes cambres », trous qui menacent d’effondrement la chambre de madame, la chambre du conseil, la petite salle et la tour du moulin400. L’artillerie est remise en état dès 1368, notamment les espringales401. En 1380 Gillot le Roy, artilleur, y fabrique beaucoup de corde et des boutefeux pour les canons. Beuvry, Chocques, La Buissière, Bruay : des châteaux secondaires

Hormis un passage à La Buissière en 1328, la comtesse ne semble pas fréquenter les autres châteaux du Béthunois. Beuvry est pourtant une importante forteresse du début du XIIIe siècle restaurée au XIVe. Construction quadrangulaire avec quatre tours d’angles et des tourelles au niveau des portes, La Buissière possède elle aussi un donjon. Marguerite de France ne le néglige pas ; en 1368, on répare les toits et les murs, les guérites sur la porte et au-dessus du pont, et on fabrique de nouvelles bretèches402. En 1377, de gros travaux éclairent sur son agencement : sur la hauteur du donjon, terme qui paraît ici associé à une grande tour, se trouvent deux tourelles dotées d’échelles permettant de « monter a le garde dudit castel ». Une des tourelles est dotée d’une bretèche de 8 pieds sur 6. Son haut étage est percé de trois fenêtres neuves, et on y signale un moyen étage. De là, un mur doté d’une allée de 34 pieds permet d’atteindre la tour de la chapelle avec haut et moyen étage, elle-même reliée par une allée couverte de 40 pieds à une tourelle sur la porte du château. La porte est quant à elle surmontée d’une allée de 20 pieds. 396 397 398 399 400 401 402

ADN B 14660. ADN B 14618. ADN B 14634. ADPDC A 769. ADN B 14642. ADN B 14611. ADN B 14611.

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Au-dessus de la salle on dispose alors une nouvelle bretèche, comme sur la chambre des « ores ». On signale encore la tour « sanz comble » avec haut et moyen étage, et la tour des clercs, d’où on peut aller depuis le haut étage vers la garde du château, donc au donjon ; la tour moyenne est quant à elle équipée de bretèches sur son « haut étage », et mène par une allée de 100 pieds jusqu’à la porte arrière. Cette porte dispose de deux étages, et deux tourelles, avec leurs bretèches, proches de la maison du châtelain ; après quoi on accède par une allée de 90 pieds à la tour cornière séparée de la chapelle par une autre allée de 100 pieds. Est également évoquée une tour de « portevivre ». En tout ce sont ainsi 386 pieds d’allées qui sont mentionnés403. En 1380, le receveur local finance la réfection d’un mur en grès devant le pontlevis, joignant la barrière du château, sur 42 pieds de long et 7 à 8 de haut, disposant de 4 archères, ainsi qu’une « noeve maison contre les murs dudit castel », située devant la porte. On prépare également l’artillerie, qui comporte des canons et on fait construire un four en la cour « pour le refuge des gens de le ville »404. À La Buissière, se trouve un château attesté depuis 1217, résidence des seigneurs de Béthune. Il devient avec Mahaut une solide forteresse et un lieu de résidence405. Ce château est réparé, notamment à partir de 1368. On y œuvre à la tour du colombier, au mur séparant celle-ci de la « grosse tour », aux bretèches, on refait les « gambes » (jambes) du pont-levis406. Le parc accueille en outre des bêtes sous la responsabilité d’un garde, Jean de Lécluse407. En 1365-1366 la comtesse y fait édifier en chêne une maison de 40 pieds sur 16 « ou pauli a le Bouxiere pour lez bestes qui nouvelement y sont mises »408. À Chocques, la comtesse dispose encore d’un autre château ancien409. En 13721373 on y dépense beaucoup d’argent pour construire une nouvelle tour et un pont, ainsi qu’un très grand fossé de 800 pieds de long, 7 de large et 3 de profondeur. La comtesse y fait également placer deux « bannerettes armoiiés des armes de madame, paintes a or et a asur et a olle des armes de Flandres et d’Artoys »410. En 1375 les ouvriers travaillent encore au mur le long du fossé allant au pont-levis, au mur entre le pont-levis et la porte du donjon, et à celui de la neuve tour, ainsi qu’au fossé de la vieille motte, dont une écluse sert à contrôler les eaux. La comptabilité évoque la porte de la basse-cour, la maréchaussée couverte de paille, la « tour de Feru »411. En 1380, on fait mettre des guérites et l’artilleur Gillot le Roy y œuvre aux cordes de l’artillerie, dotant le château de trois poêles d’artillerie, signe de la présence de canons412. Durant l’hiver 1381-1382 on creuse un fossé depuis le pont-levis jusqu’à la

403 ADN B 14637. 404 ADN B 14646. 405 J. Thiébaut, Dictionnaire des châteaux de France. Artois, Flandre, Hainaut, Picardie, op. cit. 406 ADN B 14611. 407 En 1377. ADPDC A 766. 408 ADN B 14599. 409 J.-F. Nieus, « Stratégies seigneuriales anglo-flamandes après 1066. L’honor de Chocques et la famille de Béthune », Revue belge de philologie et d’histoire, n° 95-2, 2017, p. 163-191. 410 ADN B 14692. 411 ADN B 14624. 412 ADN B 14649.

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porte de la basse-cour puis à la maison du curé et à l’étang, courant sur 2 442 pieds, pour 12 de large et 3 de profondeur, puis un autre fossé de 754 pieds allant de l’étang jusqu’à la « tenure du chastelain de Lens »413. Enfin, au château de Bruay, les dépenses sont très rares. On sait surtout qu’il est doté en 1381 d’un mur neuf de 100 pieds, du côté de l’hôpital et du courtil de Gillet du Seellez », devant les haies du parc414. Les autres résidences et châteaux en Artois

En dehors d’Arras, Hesdin, Béthune et Saint-Omer, les autres localités artésiennes font davantage figure d’étape, contrôlant souvent des axes importants. Entre Flandre, France et Artois : Bapaume

Bapaume occupe une place singulière avec 65 occurrences : Marguerite y séjourne souvent entre 1338 et 1343, mais aussi entre 1347 et 1360. Une fois comtesse d’Artois, elle ne s’en désintéresse cependant pas : on l’y retrouve quasiment tous les ans jusqu’en 1378, bien moins au-delà. C’est presque une étape systématique entre le Nord et Paris, et la comtesse s’y arrête à peu près toujours entre Arras et Paris, comme le faisait Mahaut, mais aussi quand elle prend la route de la Flandre via Douai et Tournai. Les séjours y durent un à quelques jours, hormis quand en octobre 1368 la comtesse attend des nouvelles de la France et de la Flandre pour favoriser le mariage. Mahaut n’avait pas négligé ce château415, faisant bâtir la grande salle en 1311-1314416. Elle se préoccupa en particulier de sa chapelle, où elle fit réaliser un retable par Jean de Lagny417. Marguerite de France s’y intéresse beaucoup après 1330, car c’est le premier château provenant de sa grand-mère qu’elle ait personnellement possédé. Elle est alors parfois qualifiée de « dame de Bapaume ». Louis de Nevers en accroît les défenses ; il forme au XIVe siècle un grand carré, une porte communiquant avec la ville au moyen d’un pont. Le donjon s’élève sur une hauteur et regarde vers Gaudecourt. Le comte l’a doté d’artillerie, et fait entourer la ville de fossés et d’un mur d’enceinte avec quatre portes munies de tours crénelées : portes de Péronne ou de France, d’Arras, de Beugnâtre et d’Amiens418. Marguerite continue ensuite de le restaurer, notamment les toitures et créneaux emportés par les grands vents en 1361-1362419. Une bonne partie des bâtiments sont couverts d’ardoises, notamment le donjon et la salle420.

413 ADN B 14650. 414 ADN B 143651. 415 ADPDC A 429. 416 J.-M. Richard, Une petite-nièce de Saint-Louis, op. cit., p. 260-284 et 389. 417 ADPDC A 429. 418 G. Langlebert, Précis historique sur la ville de Bapaume, Arras, 1883, p. 39. 419 ADN B 14402. 420 ADN B 14405.

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Sous Marguerite, la « grande salle » est toujours intégrée au donjon et associée à la grande tour, notamment dans les travaux de toiture et plomberie. L’expression « haute salle » semble utilisée pour la même pièce. Entourée d’allées421, elle dispose de « II granz fenestre » pour lesquels on achète 352,5 pieds de verrière422. Cette salle donne d’un côté sur une des entrées de la chambre de la comtesse423. On évoque en outre une tourelle de la grande salle sur les champs, et une autre « devers le burk », vers la ville, ornée de fausses cheminées424. Une « vieille sale » est encore mentionnée, ornée d’un pignon425 et d’une voûte426. La chapelle et l’« oratoire de madame » sont également signalés427. Autour de la grande salle se trouvent des « maisons »428, recouvertes de 6 000 tuiles en 1362429. Les autres pièces décrites sont la « chambre saint Thomas »430, les « autres cambres », ainsi qu’une « cambre de madame » donnant sur le préau, soit la hautecour431 ; en 1371-1372 on mentionne « le cambre de madame par terre » surmontée de la « cambre monseigneur de Flandres deseures le cambre de madame », preuve de la familiarité du comte Louis de Male avec ce château. De cette chambre dotée d’un « puye »432, on accède d’ailleurs aux allées de la salle par un escalier, ce qui confirme que la chambre basse de madame est proche de ladite salle. On signale encore une « chambre derriere la grande salle »433 ; mais aussi une chambre des clercs disposant d’une « arque »434. Quant au terme « ostel » il désigne sans doute un lieu d’hébergement, ou un ensemble de chambres formant un corps435. Le château dispose dans la grosse tour, du côté de la porte avant, d’« I jumel condist le tresorrie », trésorerie fermée à clé436. On retrouve encore dans le château une bouteillerie437, une cave abritant le vin438, une paneterie439, une étable aux chevaux, près de la « grande cuisine »440, et une « cuisine de madame » bien distincte qui prend feu vers 1374, ce qui entraîne l’incendie d’une maison voisine, celle de Jean de Clary441. Les comptes

421 422 423 424 425 426 427 428 429 430 431 432 433 434 435 436 437 438 439 440 441

ADPDC A 695. ADN B 14403. ADN B 14406. ADN B 14408. ADN B 14409. ADN B 14409. ADN B 14408. ADN B 14402. Ibid. Ibid. Ibid. ADN B 14411. ADN B 14403. ADN B 14410. ADN B 14409. ADN B 14410 et ADPDC A 769. ADN B 14402. ADN B 14401. ADN B 14402. ADN B 14411. Ibid.

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mentionnent également la maison du bailli avec sa cuisine442, celle « d’en costé » du bailli, celle du portier du château443. Attestant du rôle politique et judiciaire, se trouve une pièce « lau on tient les plais », du côté du « cabaret de combles »444. On y trouve évidemment une prison445, dont il faut refaire la porte qu’un prisonnier du Hainaut a réussi à démonter avant de descendre les murs au moyen de ses draps446. En 1373-1374, des Anglais s’enfuient en creusant leur « cartre »447. Beaucoup de fenêtres et de verres sont attestés au château : en 1371-1372 on emploie 101 pieds de verre neuf en la salle, la chapelle, la chambre de madame à terre, la haute salle et la fausse porte448. On évoque encore le jardin devant la porte du château en 1373-1374. L’entretien militaire du château n’est pas négligé, et même renforcé à partir de 1369, notamment en faveur des murs, des tourelles, de l’artillerie. On avait d’ailleurs déjà procédé aux lendemains de la paix de Brétigny à une lourde campagne de réparation, preuve d’une confiance limitée en la fin de la guerre. Il faut dire qu’une bonne part des destructions antérieures était imputée aux Anglais, notamment à la chambre où l’on tenait les plaids449. Le château est doté de trois portes : « porte des camps »450 à l’arrière porte « vers la ville » à l’avant que l’on rénove en 1360-1361451 ; et enfin « porte Heluin », ouvrant sur la rue Helluin, distincte de la porte de la ville. Une des portes au moins dispose d’un pont-levis452. On mettra à part la « fausse porte » disposant d’un « haut estage », qui se trouve par-dessus l’artillerie453, équipée de créneaux à « fenêtres » et d’une bretèche dotée de fenêtres. Les murs sont surmontés de chemins de ronde entretenus formant « l’alee des murs du chastel »454. Créneaux455 et murs sont en partie refaits : 2 100 pierres des carrières de Bayencourt, à 23 km à l’ouest sont charriées en 1363. On travaille ensuite durant 6 mois à refaire « derrière le cambre de madame » les « murs par dedens ledite fortreche », les « crestiaux autour de le forteresche », et les allées autour des créneaux de l’une des tours de la porte d’avant. On distingue particulièrement les « IIII tours couronnees autout du chastel », dont on refait les « senerondes », c’est-à-dire la partie de la couverture avancée rejetant les eaux pluviales, ainsi que la « viese tour du dongon » en 1376, ce qui

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ADPDC A 695. ADN B 14406. ADN B 14402. Ibid. ADN B 14407. ADN B 14410. ADN B 14409. ADN B 14402. ADN B 14405. ADPDC A 695. ADN B 14404. ADN B 14411. ADN B 14406. ADN B 14402.

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paraît indiquer que le donjon ne se limite pas à la grosse tour456, même s’il lui est systématiquement associé. Celle-ci est couverte d’ardoise et de tuile457, et dotée d’une guérite. Elle abrite une « chartre » située sous une voûte458, et donne « au les devers le porte devant du chastel »459. On signale également la « tour du baille au lez devers le rue Hellin », refaite en 1364. On l’appelle aussi « grosse tour devers le porte Heluin »460. On rencontre encore une « tour de Paupringue »461. Le château dispose de tourelles462 nombreuses : on fait réaliser 7 entrées et 29 fenêtres pour les tourelles et la porte côté ville en 1371-1372463. L’une est dite « la tourelle du waite » (du guetteur), ornée de fenêtres464. Ces fenêtres des tourelles sont également garnies de 16 paires de « pentures », pièces équipées également la tourelle du guetteur destinées à fixer des volets que l’on pouvant entrebâiller de l’intérieur en cas d’attaque. La grande salle est en outre surmontée d’une tourelle « sur les camps », et d’une autre « devers le burk »465. Par ailleurs, 7 tourelles sont dotées d’espringales en 1372-1373466. Plusieurs guérites sont déjà attestées en 1362467. On les refait en 1372-1374 derrière la maison du bailli ou devant la porte avant. On rénove alors les 4 montées permettant d’aller aux « allees sur les murs » et on dispose devant les murs une haie d’épine du côté des champs ainsi qu’autour du « jardin du roy ». Placée dans la grosse tour et bien fermée, l’artillerie est sérieusement étoffée après 1370 sous la supervision de Lotard, « artilleur de Cambrai », venu refaire espringales, arcs et canons468. En 1372-1373 on achète 256 lb de corde de poil, 28 de fil délié pour les arcs, 9,5 lb de poudre à canon, un ciel pour couvrir les arcs, taillé par « Maroie de Lens », de la corde et de la graisse pour espringales, ainsi que 22 sacs de charbon pour les canons et « II poussons de fer et I martel pour quarquier les canons ». Le compte signale au même moment l’achat d’une louche et d’un bassinet de fer pour fondre le plomb et quatre mèches de fer « a faire jeter les canons » En 1373-1374 on recrute « le cloqueteur de Croisillez […] pour juer des canoins se besoings fust »469. Deux châteaux d’étape : Aire-sur-la-Lys et Avesnes

Aire-sur-la-Lys est encore moins fréquenté que Bapaume, la comtesse y faisant de brèves haltes entre Saint-Omer et Béthune ou Arras. Édifié sur un modèle philippien

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ADPDC A 769. ADN B 14406. ADN B 14411. ADPDC A 769. ADN B 14410. ADN B 14409. ADPDC A 715. ADN B 14409. Ibid. Ibid. Ibid. ADN B 14402. ADN B 14408. ADN B 14410.

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par Baudouin IX de Flandre, le château d’Aire forme un quadrilatère flanqué de tours rondes, à l’ouest de la ville, près de la porte de Biennes470. Qualifié sous Marguerite de « salle d’Aire » ou « salle de madame d’Artois à Aire » on y relève alors la loge, un porche desservant la « grande salle du chastel », qui est la pièce de réception et de pouvoir et dispose d’un « grand siege » et d’au moins une cheminée. Elle fait sous Marguerite de France l’objet d’importants travaux de pavage, de charpenterie et de couverture (3 700 tuiles), le toit menaçant de tomber471. On dénombre encore la petite salle, une cuisine « au les vers le court de noeve soelle », un garde-manger, un dressoir de la grande salle, une « montee d’Inde » menant à la Chambre d’Inde jouxtant une pièce donnant sur le jardin. La documentation signale également bouteillerie et paneterie près de la cuisine, une « devise des officiers », ainsi qu’une chambre du dressoir472. Outre de récents greniers, le château dispose d’une maréchaussée ; mangeoires et râteliers des étables sont refaits en 1367473. Les comptes mentionnent encore une « grande chambre »474, probablement la même que celle décrite comme la « maistre cambre », proche de la grande salle, une « salle des osteux de la salle », dotée d’une garde-robe475 ; une « chambre des chevaliers » et les hautes chambres sont évoquées en 1369-1370476, proches de la chambre d’Inde mais aussi de la salle et de la « cambre de madame »477. Certaines chambres se trouvent entre la grande salle et la chapelle dotée en 1359 d’une clochette « a sonner au sacrement ». Sont encore signalées en 1368 la chambre du concierge, la chambre aux grains près de la cuisine, la chambre où on met l’avoine, plusieurs garde-robes, la chambre du queux ainsi que les garde-robes de la salle « derriere sur l’iauwe »478. L’ensemble est donc assez vaste. Une partie des chambres semble proche de la salle. Mais « les ostels de la salle d’Aire »479 ou « salle des osteux » constituent une aile ou un corps séparé. Une chambre par terre avec sa garde-robe donne également sur le jardin de la salle. On aménage en 1369 des « voyes et chemins » entre la cuisine et la salle, et d’une étable à l’autre, passant par la cour, parfois qualifiée de préau donnant côté du « soleil » et côté jardins480. Exposé, le château fait l’objet de gros travaux défensifs dès 1359-1360, en particulier vers l’ouest doté de bretèches aux tours cornières du côté du « mont de Bienne », aux deux tours sur la porte arrière, du même côté, vers les champs. L’administration de Philippe de Rouvres fait alors une « loige a deffense » entre les tours, surplombée 470 B. Delmaire, « Les fortifications d’Aire au Moyen Âge », Bulletin de la Commission des monuments historiques du Pas-de-Calais, t. IX, 1971, p. 147-153. 471 ADN B 13634. 472 Ibid. 473 Ibid. 474 Ibid. 475 Ibid. 476 Ibid. 477 Ibid. 478 Ibid. 479 Ibid. 480 Ibid.

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d’un étage contenant l’artillerie lui-même dominé par une tourelle « pour veoir dedens le ville et dehors se besoings fust »481. À cette date, on signale également trois tours du côté de la mer (vers le nord), et une tour cornière vers la « porte de Viennes ». Les travaux ne s’arrêtent pas durant les années 1360. On répare un pont du château durant l’été 1363, puis le parement de grès et le « moyelon » d’un pan de mur effondré dans les fossés durant l’hiver 1364-1365 entre la porte avant (côté ville) et « la tour cornière ». On refait également deux cordes de 6 toises servant à « le pont levich lever » en 1365482. Les fossés en eau font aussi l’objet de soins483. Deux tours font l’objet de réfections en 1366, l’une du côté du fossé et l’autre vers la porte de Vienne ; l’année suivant, on rénove le « pont de la salle ». Dès 1368, alors que les tensions augmentent avec l’Angleterre, les travaux s’accélèrent sur les tours, les portes et les murs, tandis que l’artillerie est accrue. En mai 1368, un maître Jehan fabrique de la poudre à canons. Entre le 30 novembre 1368 et avril 1369 Gérard de l’Écluse répare tous les arcs, refait trois espringales, ainsi que sept arcs « de cor », avec leurs étriers de fer, cinq « arcs à cauke », arbalètes tendues au moyen de planches de bois484 et « les fust et encassemens de VI canons tous noeus ». Gérard fond alors 100 lb de galets de plomb, et confectionne trois lots de poudre à canon pour 12 lb de poids, outre la poudre mise « es boistes des canons ». Cinq « canons de cornières » sont placés aux tours cornières avec des espringales, sept autres canons de fer étant mentionnés485. On voit donc l’importance accordée à ce château d’Aire, très menacé par le Calaisis mais aussi la Flandre. Enfin, le château artésien le moins fréquenté est celui d’Avesnes-le-Comte à 20 km d’Arras, sur la route d’Hesdin. On y retrouve une « grant cambre de madame », sous les toits, de belle taille : un pan de mur 50 pieds de long et 13 de haut situé contre ladite chambre est refait en 1380, mur doté de deux tourelles486. On recense évidemment chapelle et oratoire, mais aussi une maison de la cense, liée au stockage des grains, des écuries près de la logette487, un logement du bailli, une cuisine et des prisons488. Ses capacités semblent cependant limitées, ce qui pousse les officiers à loger chez des particuliers dans le bourg d’Avesnes489. Il est cependant entretenu : en 1376, la couverture requiert 4 400 tuiles490 ; on signale alors un donjon, disposant d’un puit. En 1378 on édifie des bretèches « autou du chastel et des toureles »491. Charles de Poitiers veille à examiner le château avant l’arrivée des Anglais à Avesnes le 1er août 1380 : il fait refaire les fenêtres des bretèches, rénover le premier pont et celui

481 482 483 484 485 486 487 488 489 490 491

ADN B 13634. Ibid. Ibid. AN KK 393, fol. 17. ADN B 13634. ADN B 14287. ADPDC A 702. ADN B 14285. ADPDC A 708. ADPDC A 763. ADPDC A 769.

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du donjon, fait tendre de cuir un pont-levis, refaire les tourelles contre la chambre de la comtesse et une autre servant « a l’aisement de la chambre du bailli ». Il fait également acheter 6 arbalètes d’if et du trait en abondance492. L’Artois constitue au total un véritable bastion avec son maillage de forteresses couvertes de tours, de créneaux et de bretèches, dotées d’artilleries mais combinant souvent aspects résidentiels et militaires. Les résidences d’Hesdin, d’Arras, de Gosnay se signalent par leur haut niveau d’équipement, de confort, et d’importantes capacités d’hébergement, qu’il est difficile d’identifier dans les autres territoires.

3. « Comtesse de Flandre, de Nevers et de Rethel » Marguerite nourrit des liens forts avec les terres du lignage de son mari avant et après 1361, en Flandre, Nivernais et Rethélois. Dans le comté de Rethel, l’ignorance est cependant complète, hormis un séjour probable en 1338 à Mézières, et non ChâteauRegnault où fut plus tard recluse sa belle-fille Marguerite de Brabant. Détruit lors de l’incendie de 1328, le château de Mézière avait donc visiblement été reconstruit493. Ville importante, Mézières accueillit d’ailleurs un couvent de Franciscains avec son appui en 1337. Les informations sont plus abondantes en Flandre et Nivernais. Des liens durables avec la Flandre

Mieux établis, les séjours flamands sont nombreux à partir de 1329, et souvent longs (cartes 38 et 39). Avec environ 300 jours attestés, la Flandre est une destination non négligeable, sans doute sous-évaluée. On peut ainsi identifier 9 séjours à destination de la Flandre à partir de celui de 1368-1369, lequel dure d’ailleurs 6 mois. Les autres ne sont renseignés que sur quelques jours à trois semaines, sauf le dernier qui dure un mois et demi en 1378. Il s’agit aussi bien de séjours d’hiver, de printemps, d’été ou d’automne. Venant d’Artois, la comtesse s’y rend surtout après un séjour parisien : ainsi en 1371, 1375 et 1378. Elle joue ici son rôle de médiatrice entre Flandre et France. Marguerite demeure à Gand, Bruges, Courtrai surtout, mais visite aussi son fils à Malines et Anvers. Durant les années 1330, elle se rend souvent au Gravensteen de Gand494. Ce château dispose de fait de deux salles superposées, dont celle du dessus est adaptée à la résidence, plutôt confortable pour l’époque où Philippe d’Alsace la fait édifier à la fin du XIIe siècle ; c’est sous Louis de Nevers la seule résidence comtale à Gand495. Louis de Male ayant acquis de nouveaux bâtiments, il est possible que Marguerite ait logé ailleurs après 1346 : la question se pose pour les deux maisons

492 ADN B 14285. 493 Trésor des chartes du comté de Rethel, op. cit. 494 Comptes de la ville et des baillis de Gand 1280-1336, op. cit., p. 699. 495 M. Boone et T. de Hemptinne, « Espace urbain et ambitions princières : les présences matérielles de l’autorité princière dans le Gand médiéval (XIIe siècle-1540) », dans Zeremoniell und Raum, éd. W. Paravicini, Ostfildern, 1997, p. 279-304.

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dites « hostelz d’Artois et de Flandres »496, dont le nom pourrait être en lien avec Marguerite. On la retrouve encore dans l’hôtel comtal à Bruges, à Courtrai, et bien entendu à Male, grand château dont l’aile ouest abrite une grande salle et les pièces liées aux services « alimentaires », l’autre aile comprenant la chapelle, diverses pièces de service, les chambres du comte et de la comtesse ainsi qu’un « retrait »497. Si nous avons relevé la mention d’une « chambre du retrait » de Louis de Nevers vers 1330498, et d’une chambre de monseigneur499, celle de la comtesse n’apparaît guère hormis dans les projets d’achat pour la naissance de Louis de Male, déjà évoqués. Malgré tout, il apparaît difficile de mesurer l’influence de la comtesse sur ces demeures flamandes, alors que ses liens avec les châteaux du Nivernais s’avèrent plus durables. Les châteaux oubliés du Nivernais

Les relations avec le Nivernais sont bien mieux renseignées. Marguerite de France a longtemps résidé dans ce territoire lors de son exil loin de la Flandre en 1338, puis à de nombreuses reprises entre 1346 et 1361. Elle en a alors probablement fait son principal lieu de résidence, en particulier l’été, notamment à Nevers. Après 1361, elle ne revient pourtant plus du tout. Si le pays est ravagé par les compagnies, cela ne l’avait pourtant pas rebuté à la fin des années 1350 (cartes 40 et 41 en ligne). La comtesse y dispose d’un solide réseau de places fortes. Plusieurs d’entre elles comme Donzy, Cosne ou Druyes faisaient partie du douaire de Jeanne de Rethel. Mais les châteaux de Marguerite couvrent en réalité la totalité du comté à l’exception du sud-ouest, base du pouvoir de Louis de Male. Marguerite détient ainsi 16 des 33 sièges de bailliage et châtellenie attestés en Nivernais500. Certains sont d’une taille remarquable, comme Moulins-Engilbert501. Remontant au Xe siècle, il a progressivement acquis un aspect imposant : juché au nord sur son éperon rocheux, côté haute cour, il donne sur la ville côté sud avec sa basse-cour entourée d’une courtine et de tours rondes et sa porte défendue par deux tours. Avec 140 m de long sur 20 à 50 de large, il forme un centre militaire et politique. Pourtant, la comtesse n’y est guère attestée, à la différence de 7 autres châteaux : d’abord Donzy puis Nevers, mais aussi Druyes ainsi que Mhers et Montenoison502. Marguerite vit donc surtout à l’extrême nord (Druyes et Donzy, ainsi que Clamecy) et à l’ouest du comté (Nevers).

496 Ibid. 497 M. Cafmeyer, « Het kasteel van Male », op. cit. 498 ADN B 1595, 2, n° 133. 499 ADN B 1562, fol. 260-269. 500 F. Bonhomme, « Le château de Moulins-Engilbert (Nièvre) : approche et étude du bâti d’un cheflieu de châtellenie », dans Chastels et maisons fortes en Bourgogne : actes des journées de castellologie de Bourgogne 2008-2009, éd. H. Mouillebouche, Dijon, 2010, p. 19-39. 501 Ibid. 502 APDDC A 575.

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Si on s’en réfère à Léon Mirot, ce réseau castral est dans un piteux état aux débuts des années 1380503. L’absence de la comtesse a visiblement eu un effet sur l’état de conservation. On dispose de données comptables sur quatre d’entre eux au temps de Marguerite. Donzy fait figure de résidence favorite : forteresse ancienne située sur le Nohain, elle est le centre d’une importante baronnie relevant de l’évêque d’Auxerre, qui d’ailleurs en exige l’hommage504. La bâtisse est dotée d’un donjon, de chambres hautes, de chambres latérales et d’une très grande salle dite chambre de la Rivière (Bureau de la Rivière en a en effet été châtelain), située devant la grosse tour, ainsi que d’une chapelle avec son oratoire. On y trouve également des prisons et plusieurs maisons. La chapelle est consacrée à Notre-Dame, au moins du temps de Louis de Nevers505. L’autel de l’oratoire est doté de verrières que Philippe le Hardi fait refaire à l’identique après en avoir pris possession : elles représentent les 7 scènes de la vie de Sainte Anne, et pourraient donc dater de l’époque de la comtesse. Une tour contient en outre en 1383-1384 le trésor des chartes du comté de Nevers et de la baronnie de Donzy, signalant l’importance politique de ce château. Dans l’ordre des résidences fréquentées par la comtesse, le château de Nevers vient ensuite. Propriété de son mari, puis de son fils, Marguerite s’y sent chez elle dans les années 1338-1361. Cette bâtisse semble bien adaptée à la vie de cour avec grande salle, bouteillerie, cuisines, écuries, greniers, galerie, chapelle de la Madeleine et diverses chambres. On y trouve un jardin et un verger, et même un « pavillon » vitré, ce qui semble signaler une construction en dur. Le château communique par une porte avec le couvent des Cordeliers, dont la comtesse a largement favorisé la reconstruction. Marguerite réside encore au château de Clamecy qui lui appartient : ce « chastel de madame » est connu par un compte de 1378-1379 qui signale une paneterie, une bouteillerie près de la grant salle, une « chambre dessoubz » qui dispose d’une cave. La comptabilité y signale également de véritables appartements, qui doivent remonter au temps où Marguerite y venait : donnant sur la cour, une grande chambre était suivie d’une chambre de retrait dotée d’une garde-robe506. La comtesse vient enfin résider à Druyes, dans la baronne de Donzy. À la Pentecôte 1338, elle y tient une cour brillante puis y reçoit en juin le comte d’Auxerre507. Dans les années 1370, la bâtisse semble impressionnante, peut-être en assez mauvais état, les dépenses semblant parer au plus pressé : sont mentionnés des fossés, la tour du Sault, la tour Jehan Martin, la grosse tour, la tour du Crot, la tour de bon an ou bonon. Le compte de 1370-1374 évoque les « IIII tours » dont on refait le parement ou galandage « pour doubte des Angloiz ». Les officiers ont en effet observé des trous dans la grosse tour du portail et dans un pan de mur de la salle donnant sur le préau. À l’intérieur on retrouve une « grant sale madame » et une chapelle, séparées 503 Léon Mirot a publié toute une série de comptes des châteaux du Nivernais auxquels nous nous référons ici : voir bibliographie sur le site Brepols. 504 R. de Lespinasse, Le Nivernais et les comtes de Nevers, op. cit., p. 461 505 M. de Marolles et J. H. G. R. Soultrait, Inventaire des titres de Nevers de l’abbé de Marolles, op. cit., p. 505. 506 ADCO B 4627. 507 ADPDC A 575.

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par une « chambre de retrait ». Pour asseoir la couverture de la grande salle et de la chambre de retrait, il faut 64 000 « aissels » (planches ou madriers) de cinq pieds et demi de long et 12 600 clous508. Sont encore évoquées une « chambre des comptes », des « estables » touchant les cuisines, et de « grandes étables » jouxtant la chapelle, un four surmonté d’une maison « dedens le chastel ». Cela témoigne d’un logement d’une certaine ampleur.

4. Paris : une ville capitale ? Comme de très nombreux princes et grands seigneurs, les comtes de Flandre, d’Artois et de Bourgogne ont des hôtels dans la capitale des rois de France. Mahaut en a fait un centre de son pouvoir comme les deux premiers ducs Valois de Bourgogne. Marguerite entretient pour sa part un rapport très personnel à Paris. Un pays naturel

Presque toute sa vie, la comtesse fréquente Paris et ses environs (carte 42 en ligne). Elle a en effet pour partie grandi à Paris, à l’hôtel d’Artois, et dans les résidences du roi, même après son mariage, y retournant encore lors des révoltes flamandes. Une fois veuve, elle s’y rend encore fréquemment, notamment entre 1357 et 1360 (carte 43 en ligne). De 1361 à 1378, elle y est de nouveau attestée presque tous les ans, et même trois fois en 1365. Elle s’y fait néanmoins plus rare à la fin de sa vie : effet de l’âge, peut-être, mais aussi de relations plus compliquées avec Charles V. Marguerite ne vient en tout cas plus que pour des raisons diplomatiques précises, comme la venue de l’empereur Charles IV. On la retrouve aussi à Longchamp, surtout entre 1330 et 1354, quand sa sœur Blanche y vit, à Saint-Germain-en-Laye, notamment durant son enfance et en 1342. Elle fréquente bien d’autres résidences royales comme Dammarie, Meaux, Carrières, Poissy, Chanteloup ou Vincennes. Mais elle réside surtout à « Conflans », actuellement Charenton-le-Pont, et ce dès son enfance y revenant en 1338 puis entre 1346 et 1361 et même au-delà, au détriment d’autres séjours des environs (carte 44 en ligne). Une quinzaine de séjours franciliens sont attestés entre 1361 et 1382, d’une durée de deux mois en moyenne (figure 10 en ligne). À cinq reprises, la comtesse s’installe pour plus de 100 jours, notamment en hiver. Plus nombreux sont les séjours de deux semaines à trois mois environ (sept occurrences). Enfin trois séjours indiquent une durée de moins d’une semaine : la comtesse considère donc rarement Paris comme une simple escale. Elle y dépense certainement beaucoup d’argent : elle laisse ainsi en 1365 une créance d’au moins 1 120 francs pour un séjour d’à peine plus de deux semaines509.

508 ADCO B 4627. 509 ADPDC A 715.

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Ses trajets répondent à plusieurs logiques : à sept reprises, elle s’y rend exprès depuis l’Artois pour un séjour de 110 jours en moyenne, avec souvent de longues résidences et plus rarement des missions diplomatiques ponctuelles (en 1380). Paris est cependant aussi une étape : à huit reprises, Marguerite s’y arrête entre Artois et ses terres méridionales, pour une étape plus courte de 74 jours en moyenne. Ces voyages ont pour près de moitié lieu durant l’hiver, notamment à Noël, période propice aux étrennes, surtout dans les années 1360 ; après quoi elle reçoit davantage de visites chez elle en Artois, y compris de sa petite-fille et de Philippe le Hardi. Entre 1361 et 1382, 203 mentions concernent Paris, contre 24 pour Conflans, lesquelles sont toujours associées à un séjour parisien. La résidence de Conflans semble servir de résidence d’été occasionnelle lors des séjours parisiens, lesquels sont d’abord centrés sur l’hôtel d’Artois. Une micromobilité nous échappe peut-être ici, d’autant que sur certaines périodes de fréquents allers et retours sont attestés : entre mars et août 1373, la comtesse alterne à 7 reprises entre les deux, résidant d’abord à Paris puis de plus en plus à Conflans lorsque le printemps arrive, ne revenant à Paris que quelques jours à la fin juin, avant de s’y réinstaller durablement à la fin juillet, quand elle revient assister au baptême d’Isabelle, fille de Charles V. Quand elle le peut et que le temps est agréable, la comtesse part donc vers Conflans, ce qui peut d’ailleurs correspondre à des séjours du roi à Vincennes. Y passant un temps comparable à celui d’un Philippe le Hardi (19%) ou d’un Jean sans Peur (29%), Marguerite fait donc bien de Paris à la fois une ville de séjour, à défaut d’être une véritable capitale, ainsi qu’une étape entre les terres du nord et du sud. Cet attrait s’explique également par le confort de ses résidences. Des résidences royales à l’hôtel d’Artois

Fille de roi de France, Marguerite a connu les demeures royales de Paris dans sa jeunesse. Après 1322, elle se rend aussi à l’hôtel d’Artois, ainsi probablement qu’à l’hôtel de Nesle, propriété de sa mère depuis 1319 située sur la rive gauche, face au Louvre510. Mariée, Marguerite dispose encore de l’hôtel de Flandre, mais nous ne savons rien de ces séjours. Issu de plusieurs maisons acquises progressivement, il se trouve au coin des rues Coquillière et du Coq-Héron, près de l’hôtel d’Artois avec lequel il partage certaines caractéristiques. Un compte des années 1370 y signale un donjon et deux tours appartenant à l’enceinte de Philippe Auguste, sa grande salle, sa petite et sa grande chapelle, ses chambres (grande chambre, chambre de parement, retrait, chambre de monseigneur), ses grandes galeries et jardins, ses offices (bouteillerie, paneterie). C’est alors une des plus belles résidences parisiennes511.

510 A. de Champeaux et P. Gauchery, Les travaux d’art exécutés pour Jean de France, duc de Berry, Paris, 1894 ; H. Cordier, « Annales de l’hôtel de Nesle », Mémoires de l’Académie des inscriptions et belleslettres, vol. 41, 1920, p. 19-158. 511 G. Huisman, « Un compte des réparations effectuées à l’hôtel du comte de Flandre à Paris, 13741376 », Bulletin de la Société de l’histoire de Paris et de l’Île-de-France, vol. 37, 1910, p. 257-272.

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C’est également le cas de l’hôtel d’Artois, dont Marguerite hérite personnellement. Édifié par Robert II, étendu progressivement de part et d’autre de l’enceinte de Philippe Auguste, ce complexe est agrandi par Mahaut. Il forme un ensemble de bâtiments et de jardins entre la rue à la comtesse d’Artois la Grand-rue de Paris, la rue Mauconseil et les rues Pavée et du Petit-Lion512. Rue Tiquetonne, des jardins sont séparés des bâtiments majeurs par l’enceinte urbaine, dont deux tours font partie de la propriété. La marque de la comtesse sur cet hôtel a été négligée par l’historiographie. Il appartient pourtant à son patrimoine dès 1361 au plus tard. Représentant jusqu’à 10 000 m2, l’hôtel préfigure la forme de l’hôtel Saint-Pol avec ses demeures s’articulant sur des cours et des jardins513. Le cœur en est le bâtiment de la salle, où se trouve au rez-de-chaussée la grande salle de 283 m2 de surface514, surmontée de petites pièce et donnant sur les espaces verts. La salle est reliée par des galeries à d’autres bâtiments, courant notamment le long du mur d’enceinte de Philippe Auguste, d’ouest en est. L’hôtel dispose de deux chapelles avec leurs oratoires, dont celui de la grande chapelle est relié à une chambre de Mahaut. Celle-ci a imprimé sa marque sur l’hôtel : elle y a possédé deux chambres personnelles, disposant de verrières, puis une seule chambre après l’incendie de 1317. Pour agrandir cette résidence, la reine Jeanne de Boulogne rachète au couvent artésien de la Thieuloye une maison proche de l’hôtel d’Artois ayant appartenu à Thierry d’Hireçon. Le bien a coûté « une grant somme d’argent » et le paiement n’est pas achevé en 1361515. Entre 1351 et 1361, l’hôtel subit d’autres travaux supervisés par le concierge Laurent de la Folie. On œuvre à la fourrière, on travaille à la cheminée des « guerniers » située sur la couverture « qui respont en la chambre aux fleurs de liz ». On fait réparer le pavement de pierre de la cuisine en l’hôtel de la conciergerie et diverses mangeoires « par devers le rue de Mauconseil ». On travaille au côté de la salle donnant sur la cour à « enfester » 6 000 tuiles, et on s’active aux plombs situés entre la grande salle et la conciergerie, à la couverture des allées et des « chambres d’en costé », enfin aux gouttières des « chambres de devers les jardins ». Marguerite investit des fonds dans l’entretien de l’hôtel. Entre 1371 et 1373, le receveur d’Artois, le receveur d’Arras et le trésorier de Dole fournissent ainsi 1 797 francs pour financer un chantier auquel contribue un grand maçon de Paris, Renault Thiboust. Employé également à l’hôtel de Flandre, il s’agit d’un maître expert juré de la ville de Paris ; il est également maître maçon du duc d’Anjou, et frère de Jean Thiboust, ingénieur et maître d’œuvre du roi en Touraine516. Cette résidence offre un grand confort : la garde-robe y occupe ainsi plusieurs chambres, auxquelles la comtesse ordonne des réparations en 1378517. En 1379 on œuvre à la réparation de la cheminée de la chambre de la comtesse mais aussi aux chambres voisines de celle de Charles de Poitiers. Ancel de Salins dispose lui 512 C. Balouzat-Loubet, Le gouvernement de la comtesse Mahaut en Artois (1302-1329), op. cit., p. 328. 513 O. Chapelot et B. Rieth, « Dénomination et réparation des espaces », op. cit. 514 Ibid. 515 ADPDC A 698. 516 ADPDC A 753. F. Berland, « La Cour de Bourgogne à Paris, 1363-1422 », op. cit., p. 78. 517 ADPDC A 769.

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aussi de sa chambre dont on refait les lambris en 1377518. Avant même 1384, le duc de Bourgogne y est déjà chez lui : il dispose de sa chambre avec sa cheminée et sa garde-robe. D’autres pièces apparaissent : chambre au-dessus du préau, chambre au-dessus des galeries…519. On voit déjà en place la spécialisation des pièces que l’on retrouvera avec Philippe le Hardi et Jean sans Peur520. Concernant la cour intérieure, plusieurs aménagements attestés avant comme après la comtesse doivent être présents en son temps, comme le grand jardin avec treilles et fontaines, du préau, et diverses petites maisons521. Enfin, Marguerite détient d’autres maisons dans le quartier : elle en donne une en viager à son pelletier puis à son valet de litière Henri Waignon et à sa femme, maison dont le jardin est séparé par un mur de celui de l’hôtel d’Artois522. L’hôtel d’Artois n’est pas un château, d’autant que la comtesse n’est pas sur ses terres. Mais il n’en reste pas moins un lieu de pouvoir. C’est un centre d’archives et peut-être d’épargne : communiquant par une porte à la salle, s’y trouve en effet un trésor, dans lequel on range lettres, boîtes et cassettes. La clef de la pièce est confiée en 1374 à Marie d’Amillis, proche de la comtesse523. La dimension seigneuriale se voit également grâce aux bannières de fer peintes installées sur la salle524. Enfin, d’importants travaux réalisés en 1374-1375 semblent accréditer l’hypothèse d’une nouvelle construction, dont M.  Richard a suggéré qu’il s’agisse de la base de la tour Jean sans Peur. L’hôtel parisien constitue d’ailleurs un point de ralliement des soutiens de Marguerite à Paris, abritant parfois ses conseillers ayant affaire à la cour royale, notamment Ancel de Salins et Charles de Poitiers. En août 1372, ce dernier y loge avec ses deux valets, Jean de la Croix et Copin Lalemant. Une lettre de rémission nous raconte leurs méfaits alors qu’ils s’en retournent après avoir dansé durant la fête de la Saint-Eustache et déambulent dans les rues après le couvre-feu. En revenant vers l’hôtel d’Artois accompagnés d’un certain Jehannin Loisin, ils rencontrent rue Tiquetonne deux « jeunes femmes de vie que il cognoissoient ». Pendant qu’ils discutent à la porte des deux dames, un sergent à verge du Châtelet et un clerc d’Andries le Prieux les arrêtent et les mènent en prison pour violation du couvre-feu. Sur le trajet, Jean de la Croix est blessé en tentant de s’enfuir ; il appelle à la rescousse Copin Lalemant qui attaque les gardes. Lalemant est blessé, ainsi que le sergent qui meurt 10 jours plus tard525. Grâce à Charles de Poitiers, les valets obtiennent leur pardon. L’hôtel d’Artois est en outre mis au service du duc Philippe le Hardi, qui y possède un appartement, y donne des soupers, et utilise ses écuries526. Il y occasionne d’ailleurs quelques dommages.

518 ADPDC A 766. 519 ADPDC A 717. 520 F. Berland, « La Cour de Bourgogne à Paris, 1363-1422 », op. cit., p. 79. 521 Ibid. 522 ADCO B 485 bis, fol. 57. 523 Ibid., fol. 58r. 524 ADPDC A 766. 525 AN J 106, n° 364, fol. 188. 526 F. Berland, « La Cour de Bourgogne à Paris, 1363-1422 », op. cit., p. 79.

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Conflans : au plus près de Vincennes

Selon un schéma banal, cette résidence urbaine est doublée d’une demeure plus champêtre : hérité des comtes d’Artois527, l’hôtel de Conflans se trouve à un kilomètre de Vincennes sur l’actuelle commune de Charenton. Au confluent de la Seine et de la Marne, il est à proximité d’un port qui facilitet l’approvisionnement en vins, et du pont de Charenton qui permet de relier Paris à Melun, à la Champagne mais aussi à la Bourgogne. Connu par les seules archives, cet « hostel » parfois appelé manoir ou maison est d’abord résidentiel, même si la symbolique seigneuriale n’en est pas absente. Reprenant les habitudes de Marguerite, Philippe le Hardi utilisera Conflans pour ses séjours auprès du roi entre Paris et Vincennes, séjour très apprécié du roi528. On trouve à Conflans même d’autres bâtiments appartenant à la haute aristocratie, mais aussi au roi qui y possède un logement et le Séjour du roi pour ses chevaux. Philippe V a d’ailleurs résidé à Conflans. Bien plus vaste que le logis royal, l’hôtel comtal est situé à moins de deux cent mètres en aval de celui-ci. Il occupe une surface de 7 hectares529. Créé par Robert II sur des terres allant du pont de Charenton à la tour de Bercy, le manoir s’étend sur le terrain situé entre la rivière et le chemin de Paris à Saint-Maur. Mahaut y réside et y accouche d’ailleurs de la mère de Marguerite. En 1330, il semble passer au moins pour partie à Jeanne de France530, peut-être en indivision, mais c’est bien Marguerite qui en est propriétaire dès 1340, sans doute à défaut de l’hôtel d’Artois531. Tel est toujours le cas en 1354532. Au début du XIVe siècle, l’hôtel est composé de plusieurs maisons, dont une formée de trois niveaux de chambres avec une chapelle, de vieilles galeries le long de la « voie » au nord, et d’un hôtel de la conciergerie. En 1313, le côté ouest est doté d’un nouveau bâtiment, dû à Evrard d’Orléans. Ce corps comporte trois tourelles et trois escaliers et est appelé la salle en raison de sa pièce de réception de 130 m2 avec son pavement à motifs de lions. La pièce sera utilisée par Mahaut mais aussi Philippe V533. Du temps de Marguerite, on ignore l’usage qui en est fait mais on trouve encore dans « la salle » une chambre du bas et une chambre du haut utilisée par la comtesse, avec garde-robe et latrines. Au sud, côté rivière, le grand logis également édifié par Mahaut est surmonté de tourelles et protégé par des fossés. Il abritait la chambre de Mahaut située dans 527 O. Chapelot et B. Rieth, « Une résidence disparue des comtes d’Artois : le manoir de Conflans (Val-de-Marne) 1270-1329 », Texte et archéologie monumentale. Approches de l’architecture médiévale, éd. P. Bernardi, A. Hartmann-Virnich et D. Vingtain, Montagnac, 2005, p. 66-77. 528 J. Chapelot, « Les résidences des ducs de Bourgogne capétiens et Valois au XIVe siècle au Bois de Vincennes : nature, localisation, fonctions », Paris, capitale des ducs de Bourgogne, op. cit., p. 39-83. 529 Ibid. 530 C. Beck, P. Beck et F. Duceppe-Lamarre, « Les parcs et jardins des ducs de Bourgogne au XIVe siècle », op. cit. 531 G. Hartmann, « Le château de Conflans », Revue d’histoire et d’Archéologie de la banlieue sud-est, no 2, 1929, p. 15-31 ; O. Chapelot et B. Rieth, « Une résidence disparue des comtes d’Artois », op. cit. 532 ADPDC A 86. 533 O. Chapelot et B. Rieth, « Une résidence disparue des comtes d’Artois », op. cit.

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une tour carrée dominant la Seine et lambrissée de bois de Liufland534. Elle était desservie par des galeries édifiées au même moment, pavées et peintes, en hommage à Robert II, les piliers décorés de fleurs de lys d’étain et d’argent sur fond rouge. On a vu la reprise de ce type de galeries à Arras. Mahaut ajouta alors des chambres sur les piliers des galeries, notamment du côté ouest… À l’est demeure l’ancienne chapelle, complétée par la chapelle principale peinte par Evrard d’Orléans, qui dispose d’un oratoire et de beaux vitraux imagés, un bâtiment indépendant relié par les galeries à la salle côté ouest. Enfin au nord, on trouve la cour, des galeries et des communs, pour partie hérités des structures antérieures et un pavillon dit « préau de motes devers le bos de Vincennes », un vivier, un jardin avec des treilles, des vignes et arbres fruitiers, ainsi que des rosiers. Une douzaine de chambres sont attestées sous Mahaut535. Nombre d’entre elles sont côté sud, profitant de l’exposition et de la vue sur la Seine. Le tout donne l’impression d’une hétérogénéité caractéristique du temps536, même si le côté sud est relativement imposant et visible depuis la rivière avec sa tour, ses tourelles et ses murs. Marguerite de France y effectue quelques travaux, notamment entre juillet 1371 et juillet 1373 : travaux de charpente, couverture, serrure, notamment pour « graver la theraisse de la tour de l’hostel », sans doute celle où se trouve la chambre de la comtesse. Viennent ensuite des travaux de couverture en 1376, de maçonnerie et serrurerie en 1377537. En janvier 1379, la remise en état de l’hôtel est décidée en raison du projet de la comtesse de venir « en France » : la comtesse ordonne au concierge de réparer sa chambre, les « chambres coyes » de la chambre de Charles de Poitiers, les chambres aisées derrière le four, le mur au bout de la cuisine538… Le 30 juillet, Berthelot Berthelin fournit 18 500 tuiles « pour les reparacions en la grant chambre de madame et en la salle et es grans galleries et autres lieux dudit hostel » : le plan de Mahaut semble n’avoir guère bougé, sa petite-fille demeurant d’ailleurs dans sa chambre, dans la tour sud, toujours confortable, pavée de carreaux, avec sa cheminée et son lambris en bois de Liufland (Lituanie)539. À Paris, Marguerite de France est donc proche de la cour royale mais reste chez elle, héritière de la tradition artésienne et du souvenir omniprésent de Mahaut. C’est moins le cas en Champagne.

5. La Champagne : plus qu’une étape La présence de la comtesse en Champagne semble a priori étonnante, avec pas moins de 7 séjours entre 1361 et 1375, pour une durée moyenne de 35 jours, deux 534 J. Chapelot, « Les résidences des ducs », op. cit. 535 C. Beck, P. Beck et F. Duceppe-Lamarre, « Les parcs et jardins des ducs de Bourgogne au XIVe siècle », op. cit. 536 O. Chapelot et B. Rieth, « Dénomination et réparation des espaces », op. cit. 537 ADPDC A 763 et 766. 538 ADPDC A 733. 539 O. Chapelot et B. Rieth, « Dénomination et réparation des espaces », op. cit.

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dépassant même les deux mois540. La Champagne n’est pas une simple étape ; y compris quand la comtesse y passe en route vers la Bourgogne, comme en 1364 et 1371, elle peut s’y installer plus d’un mois. Il arrive même que la Champagne puisse être un « substitut » à un séjour bourguignon, la comtesse n’allant pas plus loin mais y réglant les affaires bourguignonnes. Malgré tout, après 1375, la comtesse renonce à venir et en Champagne et en Franche-Comté. Si lors de son avènement de 1361 Marguerite essaie de visiter un grand nombre de châteaux dont Chaource ou Isle-Aumont, son choix se porte surtout sur deux résidences : Troyes, ville royale, avec 74 occurrences, qui correspondent parfois à des séjours de plusieurs mois ; Jully, avec 13 mentions, où elle passe même en septembre-octobre 1366 (carte 45 en ligne). La comtesse à Troyes : un séjour hors de ses terres

La présence de la comtesse à Troyes pose pourtant des problèmes logistiques : Marguerite ne dispose que de maigres ressources aux environs, et ne possède pas de résidence dans la ville. Elle n’y est pourtant pas sans attaches. Son conseiller Charles de Poitiers dispose d’un hôtel, où la comtesse réside trois mois en 1371 : la « maison de la Montée » ou « hostel de la Montée » relève de l’autorité du chapitre Saint-Étienne. Charles en a hérité de son frère l’évêque de Troyes Henri de Poitiers, également proche de Marguerite, qui l’avait acheté. À l’issue de son séjour de 1371, la comtesse doit cependant déclarer que les actes de juridiction qu’elle y a passés ne sauraient porter préjudice aux droits du chapitre, comme si le fait d’acter en princesse sur leurs terres pouvait attenter à leur autorité541. Marguerite utilise également une autre résidence pour elle ou les siens, l’hôtel du roi : le 17 mai 1371, alors qu’elle est en ville, elle gratifie d’un don le concierge royal en raison des services qu’il lui a rendus542. Il s’agit donc d’un séjour compliqué : il faut trouver des lits dans l’urgence. En janvier 1375 on sollicite les prieuses de l’Hôtel-Dieu-le-Comte, l’église Saint Nicolas de Troyes, et l’aubergiste de l’hôtel du Paon qui héberge également « gens et chevaulx de madite dame »543. On recourt aussi aux hôtels de la coupe et de l’écu de France, ainsi qu’aux services du conseiller Jean Biset originaire de la ville544. Les châteaux champenois de la comtesse : une résidence très occasionnelle

Les choses sont plus simples lorsque la comtesse s’avance plus au sud. Vers la Bourgogne, à 30 km au sud de Troyes, Marguerite détient en effet le château de Chaource, bien défendu. Il dispose de barrières à l’avant du pont, d’un pont, avec sa porte bâtie, de créneaux ; il possède des arbalètes, et est doté en juin 1363 de

540 541 542 543 544

En 1371 et 1374-1375. ADA G 3640. ADCO B 485 bis. ADCO B 3858. ADCO B 3857.

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canons après l’arrivée de routiers Bretons à Villers-aux-Bois, plus au nord545. Mais la comtesse réside peu sur place : elle préfère Jully-sur-Sarce, également sur la route de Troyes vers la Bourgogne, résidence utilisée par Philippe de Rouvres entre Paris et le duché546. Apprenant l’arrivée probable de la comtesse en août 1368 à Jully, ses gens veillent à ce que « la maison neuve et les chambrez de madite dame fuissent bien assuyes et touz li hostel mis en bon estat et que l’en feist bonne garnison »547. Faute de comptes antérieurs, on ne peut que supposer que cette maison neuve soit une construction récente destinée à recevoir la cour. Il est vrai que la comtesse investit de l’argent dans cette résidence. De gros travaux sont entrepris en 1371-1372548 à la paneterie du donjon, au grenier, aux granges, pour lesquels on envoie 26 000 tuiles depuis la tuilerie de Jully. On répare par la suite les combles de la tour aux chanoines, et on œuvre en juin 1373 au garde-manger, au dressoir, à la cheminée, au pressoir et dans les chambres, dans l’attente de la comtesse. En 1373-1374 on réalise « ung angin » doté de deux grandes poulies de cuivre, et d’une grosse corde, lequel est utilisé pour réparer les tours549. En 1374-1375, 521 charretées de bois sont employées pour la maçonnerie, et 24 000 tuiles en couverture550, puis 32 000 autres en 1377-1378551. Grande salle, chapelle, cuisine et garde-manger attenant, « dressour qui est devant la cuisine », paneterie, « chambres courtoises qui sont empres les chambres de madite dame », « chambre neuve madame » située par-dessus la « chambre cligne », et « chambre aux escuiers » : tout cela donne l’impression d’un vaste logis552. Les travaux de défense ne sont d’ailleurs pas négligés. En 1371-1372, on refait les ponts avant et arrière, dont l’un est doté d’un pont-levis protégé d’une barrière. On réalise le « couronnement » de 14 tours « a l’environ dudit chastel », parmi lesquelles on distingue quatre « grosses tours ». On restaure l’allée passant « sur la voie du donjon », devant la chapelle, et qui part de la grande salle553. En 1373 on refait encore quatre tours allant de la tour aux chanoines jusqu’à la tour du querron, et trois guérites au-dessus de la porte (sans doute la porte avant). On rebouche une fausse poterne, on rehausse certains murs, on fait faire une « nef » afin de se déplacer sur les fossés en eau « ou temps que les Anglois passoient par Ricey »554. En 13741375 les fossés sont entretenus grâce aux habitants de Villemaur, Jully et Virey, on rebouche 30 toises de murs du château « devers Fouchieres », et on réhausse la tour de la Bonde. Cette année-là, certaines réparations concernent également l’enceinte de la « ville », certaines tours appartenant à des particuliers : celle de la maison

545 ADCO B 3852. 546 E. Petit, Histoire des ducs, op. cit., t. 9, p. 235. 547 ADCO B 3854. 548 ADCO B 3855. 549 ADCO B 3857. 550 ADCO B 3858. 551 ADCO B 3860. 552 Ibid. 553 ADCO B 3855. 554 ADCO B 3856.

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du curé, celle de Nicolas de Ricey, celle du « Moustier ». On refait la guérite près de la « tour au Cyoines », bien distinguée de la tour aux colons « qui est a madite dame ». Enfin, une dernière campagne de réparations apparaît en 1377-1378, qui concerne les « rampemans » de deux tours et de cinq « demies tours », ainsi que des « eschiffes » pour flanquer les murs depuis les angles. De l’artillerie est amenée voire construite sur place. En 1371-1372 Étienne Jacquet, « mestre d’appareiller artilleriez » est appelé depuis Cézy, château de Bureau de la Rivière situé 83 km à l’ouest. Il réalise 5 arbalètes, en répare 16 autres ainsi que 4 espringales. En 1373, c’est au tour d’un certain Jean de Paris. Lorsque la menace se fait sentir en septembre 1373, on fait venir des arbalétriers de la forêt d’Othe ou des écuyers555. La pression des compagnies puis des Anglais sur la région reste forte, mais n’empêche donc pas la comtesse de venir ni de maintenir dans la région un chapelet de résidences sur la route de la Bourgogne.

6. Marguerite de France dans le comté de Bourgogne : des séjours épisodiques et ciblés Avec la Franche-Comté, terre qu’elle connaît depuis l’enfance, Marguerite entretient des rapports fluctuants. Son vaste réseau castral est entretenu, tant bien que vaille, malgré des moyens limités, la présence de la cour se concentrant sur quelques châteaux bien équipés. Une présence très sélective au sein d’un vaste réseau castral

De 1361 à 1382, la comtesse ne se rend en Comté qu’à trois reprises, pour des séjours d’une durée moyenne de 139 jours : 38 jours en 1362, 287 en 1363-1364 et 94 en 1374. Voilà qui semble indiquer un attrait limité pour ce pays, déjà habitué à être négligé par ses princes, notamment avec Eudes IV et plus encore Jean le Bon. Marguerite s’inscrit dans cette forme d’absentéisme, bien plus que dans les pas de Mahaut, de Jeanne de Bourgogne et de Jeanne de Boulogne, qui semble y être fortement intervenue. Si sa condition de veuve contraint Marguerite à ne compter que sur elle-même, elle aurait pu s’installer en Bourgogne et s’appuyer sur son fils en Artois : cela ne semble pas l’avoir tentée… Durant ces voyages, la comtesse fréquente toujours les mêmes localités : Dole, Gray, Bracon-Salins et Arbois sont systématiquement visitées. Poligny et Châtillonle-Duc ne sont mentionnés qu’en 1362 et Quingey en 1363-1364 et 1374 (cartes 46 et 47 en ligne). Pourtant, Marguerite dispose d’un très grand nombre de résidences potentielles et de forteresses (carte 48 papier et en ligne). 26 châteaux et une tour ont à un moment ou un autre été possédés par la comtesse. Leur organisation fait apparaître le rôle des vallées de l’Ognon et du Doubs, et la volonté de tenir les frontières, avec une priorité 555 ADCO B 3858.

Carte 48. papier et en ligne. Châteaux de Marguerite de France en Franche-Comté. © J.-B. Santamaria

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donnée au nord et à l’ouest. Ce réseau a été structuré par ses prédécesseurs afin de défendre le domaine comtal et d’épouser la géographie du pays, notamment le cours des vallées556. Après 1361, on observe que la comtesse opère un certain désengagement au nord et à l’est, au profit du sud-ouest et des terres basses. Dans la vallée de l’Ognon, la comtesse est moins implantée que ses prédécesseurs ; elle compte sur Montbozon. Elle ne contrôle en revanche plus Fondremand, cédé à Jean de Bourgogne557, et qui ne semble pas récupéré après sa mort. Plus en aval, rive sud, Montmirey n’est pas non plus mentionné dans les sources comme ayant appartenu à la comtesse. En revanche Vadans côté nord, acquis en 1357, est donné à Charles de Poitiers, relais de l’autorité de la comtesse dans cet espace proche du royaume. Dans la vallée du Doubs, la comtesse détient Fraisans, Dole et Chaussin, récupérée non sans mal en 1366, et qui renforce sa position. Mais elle laisse au comte de Montbéliard Clerval, et un temps Baume-les-Dames. Montbéliard le restitue après 1366 mais récupère une partie des revenus alentours, signe d’un affaiblissement à l’est du comté, même si Marguerite conserve Châtillon-le-Duc. Dans le haut-Doubs, Marguerite peut après 1375 compter sur Philippe le Hardi et Marguerite de Male auxquels elle transmet Baume-les-Dames, Châtillon et Montjustin. En aval, la confiscation de Rochefort en 1369 la renforce. Sur la Loue, la comtesse ne laisse qu’un temps le contrôle d’Ornans aux Neufchâtel en amont ; mais elle n’a pas le contrôle direct de Scey-en-Varais, cédé dès 1359. En revanche en aval, elle demeure maîtresse de Quingey. Si Chissey est remise à Jean de Bourgogne pour prix de son ralliement, Marguerite conserve la tour de Santans. On est là au cœur du dispositif comtal, centré sur l’ouest et les zones basses. Vers les frontières, le nord-ouest ne voit pas d’affaiblissement sur la Saône avec Jussey, Gray et Apremont au sud, du moins jusqu’en 1375 quand Jussey passe à Philippe le Hardi. Au nord-est, le recul est en revanche sensible, amorcé avant 1361 : Étobon est récupéré par les Montbéliard en 1349, ainsi que Clerval558, Château-Lambert est possédé par Henri de Longwy, seigneur de Rahon, époux de Jeanne, héritière des Faucogney559. Le transfert de Montjustin au duc de Bourgogne en 1375 doit compenser cette faiblesse relative. Le Hardi obtient aussi Vesoul et Chariez : c’est toute la frontière nord et nord-est qui lui est confiée, et même Châtillon-le-Duc en aval. En revanche Marguerite garde l’accès vers le duché et la France, avec le château de Gray qu’elle apprécie. Au sud, le réseau reste sensiblement le même : Bracon, Arbois (un bourg-château qui n’est guère une résidence châtelaine), La Châtelaine, Poligny, Château-Chalon et Montmorot gardent le passage vers le Haut-Jura : en adjoignant ses châteaux au domaine comtal 1361, Marguerite a d’ailleurs réunifié ce réseau, puisqu’elle-même avait tenu depuis 1330 plusieurs places séparément du domaine. Cette marche sud-est, près des terres des Chalon, est renforcée par la confiscation de Valempoulières. Enfin à l’est, Pontarlier avait été engagé, à suivre Gollut560, à Henri 556 S. Le Strat-Lelong, Le comté de Bourgogne d’Eudes IV à Philippe de Rouvres (1330-1361), op. cit., p. 120. 557 ADCO B 1426. 558 ADD B 339. 559 H. Baumont, Étude historique sur l’abbaye de Luxeuil : 590-1790, Luxeuil, 1895, p. 37. 560 L. Gollut, Les Mémoires historiques de la république séquanoise, op. cit., col. 757.

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de Vienne par Philippe de Rouvres, pour une valeur de 700 lb est. par an avec la châtellenie et la ville. La comtesse l’aurait récupéré en 1374. Si la comtesse a d’abord accepté un recul sur les confins orientaux et en amont du Doubs et de l’Ognon en faveur des grands barons, elle parvient en partie à reprendre la main, hormis à Clerval ; elle se renforce surtout au cœur du domaine avec Rochefort, Chaussin, Valempoulières, déléguant le contrôle du nord-est à Philippe le Hardi à partir de 1375. Son parc n’est cependant pas toujours maintenu à un niveau optimal en raison d’une absence récurrente de la princesse et de l’état déplorable des finances comtoises. Marguerite ne réside que dans une petite partie de ce vaste patrimoine. Elle s’inscrit dans un espace restreint, constitué d’un quadrilatère Gray-Châtillon-le-Duc-PolignyDole, au centre-ouest du pays. Il s’agit du cœur du domaine comtal, avec des axes balisés et des altitudes peu élevées. Elle apprécie particulièrement certaines résidences situées aux bords du plateaux ou aux reculées, de Poligny à Quingey en passant par Arbois et Bracon. On ne la voit pas s’enfoncer vers le haut pays. Dans cet espace, Dole fait figure de charnière avec le duché, tandis que la région de Salins à Poligny est plus densément occupée, à l’inverse du nord où émergent des localités très espacées, Quingey, Châtillon et Gray, seule résidence très fréquentée en dehors des villes plus méridionales. S’il lui arrive d’aller à Châtillon, château pour lequel nous ne disposons d’aucune précision sur la période, Marguerite ne vient guère à Besançon. Sa sœur Jeanne ne s’y était pas non plus rendue en 1329-1330. Mais elle avait fréquenté d’autres localités plus éloignées, aux limites du domaine, malgré un contexte tendu. Marguerite de France s’avère plus prudente. Dole, la ville favorite : amorce d’une centralisation

Avec 41 occurrences, dont la moitié après 1361, Dole est le château le plus visité du comté, peut-être le premier que Marguerite ait habité lors de l’entrée de ses parents le 15 avril 1315561. Elle y revient dès les années 1320, et y séjourne à chaque fois qu’elle visite le pays après 1361. Elle y demeure plus longtemps que dans les autres localités comtoises, notamment à l’été 1363 et à l’hiver 1364, même si on est loin de la fréquentation d’Hesdin ou Paris. Dole est la première ville visitée en 1362. Marguerite y scelle en outre, le 12 juin 1363, un acte commun avec Hugues II de Chalon-Arlay et son frère Louis, ce qui démontre le prestige attaché à ce château qui incarne l’autorité comtale562. Cette présence est à relier à l’essor administratif de Dole, à l’échelle du bailliage d’Aval dont elle accueille le trésorier, puis à l’échelle du comté quand s’y réunit le Parlement563. Un incendie semble l’avoir frappé en 1380, à une date où la comtesse l’a depuis longtemps déserté. Cela ne met pas fin à la fonction politique de la ville qui continue de croître sous les ducs Valois.

561 A. Rousset et F. Moreau, Dictionnaire géographique, historique et statistique des communes de la Franche-Comté, 6 vol., Besançon, 1853-1858, t. 2, p. 439. 562 ADCO B 401, fol. 17. 563 J. Theurot, A. Gay et H. Bertand, Histoire de Dole, op. cit., p. 41.

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Situé au sud-ouest de la ville, le château de Dole a été construit dans les années 1160 par Frédéric Barberousse, qui y a résidé. Avec son donjon carré centré sur la Tour Magne surplombant le Doubs, il a fait l’objet de nombreuses constructions défensives dans les années 1354-1358564. Ce rôle militaire continue d’être valorisé par la comtesse, qui a éprouvé en personne la solidité de la forteresse lors d’un siège des compagnies à l’hiver 1364. Au printemps 1366 on travaille aux « ouvraiges necessaires ou chastel de Dole »565, puis en 1367 au chaffaut « dessus le porte du chastel »566. Ce terme de chafaud semble ici désigner des galeries en bois avancées et autres dispositifs en encorbellement placés à l’avant des tours et des murs. L’année suivante, on refait le mur arrière et les créneaux, et on recouvre le « chaffaut » situé devant la grosse tour du château de 3 000 tuiles567. En 1371-1372 ce « chaffaul devant la tour de Doule » est modifié pour pouvoir y utiliser des arbalètes568. En 1370-1371 le pont-levis de la grande tour est restauré569. Encore en 1380-1381 on réhausse les murs du château entre le « chaffaut » devant la grosse et celui sur la porte du château570. Sont encore signalées la tournelle blanche571 et la « tour ronde »572. L’approche du château est quant à elle protégée par des épines accrochées à de gros pieux de chênes barrant le passage entre le Doubs et la ville, devant la grosse tour, le long du verger « par dessus la douve des fousses » et jusqu’à la porte du château, ainsi que de la grosse tour au Doubs, enfin du verger à la première tourelle de la ville573. Pas d’artillerie à poudre ici, mais des arbalètes réparées en 1372-1373 par l’artilleur Jean de Quingey et son fils574. À l’intérieur, la place manque : lorsqu’en 1371-1372 le châtelain apprend que la comtesse prévoit de venir, il doit laisser la chambre qu’il occupe et faire des travaux car il n’y a nul lieu pour l’accueillir575. On en profite pour refaire les parois de la « chambre de madame » et réparer cheminées, gouttières et gargouilles « a l’environ de la tour »576. On note la présence d’un puits577, d’un lardier578, d’une maison du four579, d’une maison des maréchaussées580, de la prison de la colombiere581, d’une « rechoite dessus les engins devant le chastel », où sont conservés des appareils582, 564 565 566 567 568 569 570 571 572 573 574 575 576 577 578 579 580 581 582

Ibid., p. 35. ADCO B 1425. ADCO B 1428. ADCO B 1433. ADCO B 1437. ADCO B 1436. ADCO B 1458. ADCO B 1436. ADCO B 1425. ADCO B 1458. ADCO B 1439. ADCO B 1437. Ibid. ADCO B 1436. Ibid. ADCO B 1437. Ibid. ADCO B 1436. ADCO B 1437.

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enfin d’une prison pour femmes583. Peu loquaces, les comptes du trésorier laissent deviner une résidence moins confortable que celles d’Artois ou que le château de Gray. Gray et le bailliage d’Amont : une relation contrariée

Gray constitue une autre voie d’entrée depuis le nord-ouest : Marguerite y arrive de Troyes en 1374 via Langres. Seule résidence attestée au bailliage d’Amont, Gray figure en bonne place parmi les villes comtoises fréquentées par Marguerite avec 30 mentions de jours. Son château avait accueilli Mahaut et Jeanne de Bourgogne. Marguerite y vint peut-être aussi en 1315 et y vécut assurément une partie de sa jeunesse. Sa mère y est en effet très présente dans les années 1320584. Elle n’y retourne qu’en février 1362 afin de mettre un terme aux prétentions de Jean de Bourgogne, y passe encore un mois à la fin 1363, et environ 40 jours à l’été 1374. Sur une terrasse dominant la Saône, ce château attesté au IXe siècle est à l’origine de la ville de Gray-le-Château, distincte de Gray-la-Ville. Fief tenu par les comtes de l’archevêque de Besançon, il en subsiste des soubassements, la porte d’entrée, la tour carrée avec une porte haute côté cour585. En 1324, le château est frappé par un incendie586. On a parfois daté la reconstruction de 1333, mais Jeanne de Bourgogne y réside souvent dès la fin des années 1320, recevant Mahaut en novembre 1327, en compagnie de Marguerite et de ses sœurs Jeanne et Isabelle587. Peu occupé dans les années 1360, le château se détériore. De gros travaux sont lancés à partir de 1367-1368 à la chapelle, à la grande salle et aux chambres. En 1372-1373 un projet de séjour entraîne une grosse rénovation. Un four à chaux est construit à Gray car le château est proche de la « ruyne ». 60 voitures de chaux sont conduites, 13 000 tuiles achetées et menées par corvée. Beaucoup de murs intérieurs sont refaits en torchis. On distingue alors un haut niveau, abritant les « chambres de madame »588. Ces appartements sont couverts par le « grand toit devers la rivière » : ils sont donc au nord. S’y distingue la « chambre de madame », peinte et ornée de verrières, avec sa voute décorée d’étoiles blanches en étain, tout comme l’oratoire situé en-dessous d’elle, tirant davantage vers l’est, semble-t-il. Une autre pièce est mentionnée, la « chambre haute » ou « grande chambre », voire « grant chambre dessus la cuisine », établie dans « la tour de la grande chambre ». Cette pièce d’apparat est qualifiée de « grant chambre de parement madame ». En-dessous se situe un autre niveau, au-dessus du cellier. On y trouve, probablement à l’ouest, la cuisine sous la « grande chambre », dans la même tour, également dite « tour de la cuisine ». Les offices mentionnés, en particulier la bouteillerie, ainsi que les « dressours », sont certainement à proximité.

583 ADCO B 1458. 584 1323, 1324, 1327 (7 occurrences) et 1328. 585 F. Vignier, Dictionnaire des châteaux de France. Franche-Comté, pays de l’Ain, op. cit., p. 99. 586 J. H. Gatin et L. Besson, Histoire de la ville de Gray et de ses monuments, op. cit., p. 40. 587 G. Duhem, « Jeanne de Bourgogne, comtesse de Poitiers et reine de France », op. cit. 588 BN Fr. 8552.

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Près de la cuisine, la grande salle donne sans doute aussi sur le côté nord : elle voisine en effet avec une série de pièces allant vers l’est, les « chambres entre ladite chapelle et la grant saule »589. Un couloir les relie à la cuisine, les « allees devant les basses chambres vers la cuisine », qui fait également communiquer « la salle et ladite cuisine ». Au moins une de ces « basses chambres madame » donne sur la Saône, la « grande chambre basse », ou « chambre basse dessous celle de madame de Flandres ». La grande salle et cette « chambre basse » donnent lieu en 1372-1373 à la réalisation d’un programme artistique par « Huot de Gray, pointurier » payé 6 francs590. La grande salle est dotée d’une décoration héraldique associant par le jeu des armoiries la comtesse, son héritier direct le comte de Flandre, et le duc de Bourgogne, tout en faisant courir autour de la pièce une « tresse » ou frise « des armes de Bourgoigne ». On voit ainsi rappelée l’autorité de Marguerite sur le comté de Bourgogne dans cette ville qui lui avait un temps échappé. Flandre, Bourgogne-duché, Bourgogne-comté sont peut-être pour la première fois associés à Gray. Déjà l’année précédente la comtesse avait fait faire une bannière et un pennon de cendal à Gray « armoié des armes de madite dame de son contei de Bourgoingne ». Ces bannières sont destinées à accompagner les troupes à la guerre591. Peu de renseignements émergent en revanche sur la haute et la basse cour. La maréchaussée est établie « devant la porte »592 et on évoque des « estables » et une grange pour le foin. Un bâtiment singulier se détache, le « pavillon » dont on replâtre en 1372-1373 les 4 chambres et les allées. Situé au centre du château, il donne vers le nord sur les « chambres de madame » dont il est d’ailleurs séparé par des treilles. Au fil de ces travaux de 1372-1373, de multiples tours apparaissent, couvertes de tuiles, en particulier la tour derrière et la grande tour. On veille surtout aux deux portes. Celle de l’arrière, la « porte neuve » donne sur le couvent des Cordeliers, à l’est du château. Elle est refaite, ainsi que le pont ; on restaure également la porte et le grand pont « devant », de l’autre côté à l’ouest, qui correspond à la « tour du Parvis » actuelle, réputé être la porte d’entrée du château. Enfin, une fausse poterne avec sa porte est restaurée. Le luxe et la complexité des appartements se conjuguent ici à la dimension politique d’un château aux frontières de la Bourgogne ; malgré tout, Gray se retrouve marginalisé par l’absence de la comtesse, d’autant que les autres châteaux du nord ne sont guère fréquentés, à suivre la documentation : on ne voit pas la comtesse à Vesoul, Baume-les-Dames, Jussey, ou Apremont. Là, les menaces sur le bailliage d’Amont entraînent cependant des réparations fréquentes. En 1363-1364, le château de Baume-les-Dames fait l’objet de réfections sur 5,5 toises du mur avant, au pont-levis ainsi que sur sa salle et ses tours593 ; l’année suivante on refait à neuf les galeries devant la salle, qui étaient tombées, et une partie

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ADD B 97. ADD B 99, BN Fr. 8552. BN Fr. 8552, fol. 8r. ADD B 97. ADCO B 1415.

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des murs de la tour du donjon. La même année, celui de Montbozon reçoit 48 nouvelles guérites et trois autres sont réparées, tandis qu’on y fait garnison de 700 « fleuchons empainnés et encarellés ». Maître Guillaume l’artilleur de Vesoul y fait refaire les deux espringales. La barrière et la palissade devant la porte sont rénovées, et deux cordes et une chaîne de fer achetées pour le pont-levis ; l’année suivante on refait le pont-levis, une partie des murs sur lesquels il repose, ainsi que ses chaînes, et des abris sur les murs pour « gesir par nuit desuer ycelli chastel », ainsi que deux échelles. À Vesoul, en 1364-1365 on recouvre la grande salle et « les III tours d’icelli chastel », ainsi que les toits de la maréchaussée, on œuvre à la chambre du châtelain, on refait la corde du pont-levis, on répare les « eschiffes » et la tour de la porte du château. Parmi ces forteresses du nord, le château de Montjustin est encore plus stratégique, aux confins nord-est, exposé à l’arrivée des « Allemands » depuis la Lorraine. Il fait l’objet de comptes séparés, mal conservés : celui de 1367-1368 mentionne de nombreux gardes affectés à plusieurs lieux stratégiques : deux échauguettes « du chastel », deux autres sur le donjon, et une au bourg. On mentionne également des guetteurs, les portiers de la première et seconde porte du bourg, un homme au château, un châtelain, et « grant quantité de artillerie la plus belle et la mailleur du contee »594. Mais les données manquent sur les chantiers. Celui d’Apremont, le plus à l’ouest, donne quant à lui lieu à de lourds travaux en 1374 qui concernent le pont de l’entrée du château, et son pont-levis, une cuisine, une « eschiffe » entre la grande tour et celle du poix. On y mentionne encore la salle, au-dessus de laquelle sont conservées 12 arbalètes, et quatre tours : tour de la garde-robe, tour abritant la chambre du châtelain, dans laquelle on fait une trappe « pour gutier pierres de faix sur la portine [poterne] de la chapelle », grande tour suivant celle du châtelain, « tour galenniche »595. Cet effort se retrouve à Jussey, aux frontières nord-ouest. Le château est présenté par l’historiographie comme correspondant à la ville haute, sa grande enceinte abritant maisons de bourgeois et de nobles ; il aurait été doté d’un donjon en 1364596. Cette année on retrouve surtout des dépenses pour les huisseries de la tour de la porte du château597. En 1364-1365 on œuvre à des allées de bois autour de la tour « Machion », de la fausse tour derrière chez Jean de Melun, de la tour derrière chez Simonet et de la tour des Lombards, afin de garder le château. On y fait 4 nouvelles bretèches à la tour Blanche et la tour aux Lombards et on rappareille la porte « par devers l’estre ». La maison du portier est recouverte, on redresse 32 toises de mur du côté du « val ». L’artilleur Humbert de Jussey y répare 4 espringales, livrant des cordes mais pas de poudre. Les pourtours sont également protégés d’une « soix d’espine » sur 192 toises. Tout ceci reste strictement défensif.

594 ADD B 134. 595 BN Fr. 8552, fol. 19r. 596 F. Vignier, Dictionnaire des châteaux de France. Franche-Comté, pays de l’Ain, op. cit., p. 99. 597 ADCO B 1415.

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Bracon et Salins

Après Dole et Gray, le troisième pôle d’attraction comtois est constitué par l’ensemble Bracon-Salins. Le château de Bracon au sud de Salins surplombe la rive gauche de la Furieuse et la ville de Salins. Mahaut l’a souvent fréquenté. Marguerite s’y fait un peu plus rare. À Salins même, on dénombre 6 mentions en 1327 et 15 après 1361. À Bracon, 16 mentions sont établies, dont 8 en 1315 et 1327. Lors de l’avènement de 1362, Bracon joue un rôle important, la comtesse s’y installant pour régler ses affaires avant de partir vers le nord ; en 1363 elle passe encore 2 mois à Salins et Bracon, un séjour long pour la Bourgogne. Les rares comptes conservés offrent quelques éclairages à la fin des années 1370598. Recourant surtout à la pierre, on refait les murs en 1375, notamment du côté des engins, de la grande salle « pardevers le parc », ainsi qu’aux chambres adossées au mur « pardevers la maison es Lombars »599. La grande salle donnant sur le parc et la maison des lombards dispose d’une grande cheminée600, et est proche des offices, notamment de la « cuisine du donjon » avec son toit, ses « chambres aisées » attenantes, son « four du donjon » et sa cheminée. Une fontaine avec son auge arrive devant la cuisine, près de l’escalier du donjon qui dispose d’un puits. La grande salle est même appelée « saule du donjon », distinguée d’une « petite saule du donjon ». Ce donjon désigne donc encore un château dans le château associé à une tour, à la salle et à une cour où se trouve la fontaine. La grande salle dispose de nombreuses fenêtres dont on refait les verrières donnant sur les engins, sur la tour Dampsymon, et du côté de la maison des Lombards où se trouvent deux « ogives qui tiengnent la quarre de la grant saule »601. On relève également les « piles » de la salle et les « vieses chambres » se trouvant à proximité. Le nombre de chambres est impressionnant. Le donjon et sa grande tour abritent la « chambre de madame de Flandres ou dongeon, ou gist messire li chastellains »602, desservie par un escalier couvert qui monte à « la grande tour » et à la « chambre li chastellains » ; mais aussi la chambre au-dessus de la cuisine, et une chambre à l’entrée de la petite salle du donjon, près de la dépense603. Près de la salle se trouvent la « chambre du contour desconte la grant saule », et la « longe chambre desconte la grant saulle »604. Deux autres bâtisses abritent des chambres : le petit pavillon « par devers la porte palost » et le grand pavillon605 proche de la grande salle, avec sa chambre du dessous, sa « chambre du pavillon » et peut-être « la chambre du retrait desconte le grant pavoillon »606, dont on ne sait si elle est sur le côté du pavillon ou si elle donne sur lui.

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ADCO B 3346 à 3352. ADCO B 3346. Ibid. En 1380. ADCO B 3347. ADCO B 3349. Ibid. Ibid. Ibid.

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D’autres sont plus difficiles à localiser, comme l’ancienne chambre de Jean Quillet, jadis receveur de Bracon et garde de l’artillerie607, la « longe chambre » ou la chambre d’Henri de Rye, seigneur de Corcondray608. On évoque également la chambre de mademoiselle, celle de monseigneur Jean, celle d’Henri Pérénet, receveur du péage de Salins en 1347609, d’Aymonin Borne, receveur de Bracon. La « chambre ou gesoit la dame de Jonvile »610 désigne quant à elle le lieu de captivité de la dame de Jonvelle, à qui Marguerite reprochait d’avoir consenti à diverses « pilleries et malefices » depuis son château. Une action militaire avait été entreprise en 1372-1373 « pour mettre la main de madame a la ville et forteresse de Jonville ». La dame fut probablement arrêtée alors611. On signale enfin une « chambre du retrait par devers le pairement [parement] »612, qui renvoie encore à cette succession d’espaces privatifs dans les châteaux. Outre le donjon avec sa grosse tour, ses salles et les appartements comtaux, on signale la tour de la quarre dont un côté donne « vers les angins »613 ; le « noef donjon » (construction à part ?) ; la « tour Dampsymon » (du nom des trois femmes épousant trois des fils Haimon) dont la couverture est refaite en 1379-1380 ainsi que les « deux tornelles du donjon », par-devers la porte Loyrel ou Loreau où se trouve la loge du portier. On mentionne également la porte de chêne, la porte de fer, la porte de l’entrée du donjon, avec sa serrure, la « porte de la vigne as chiens » donnant sur le vignoble614. On édifie ici encore de nombreuses guérites et « chaffaults » sur les remparts ou le toit de la grande salle, au-dessus du pont ; en 1381-1382 on achète « une grant eschielle pour monter ou chauffault Vuybert ». Enfin, Bracon fait figure d’arsenal : le receveur y tient le compte des « arbalestes et artilz de Bracon que l’on a portéz feurs du chastel de Bracon et envoyéz en pluiseurs chasteaulx de la ducey et contey de Bourgoingne ». Il envoie des arbalètes à corne, et des flèches vers Dole en 1360, d’autres arbalètes à Dole, Talant, Vadans et Pontailler en 1362, 2 000 « fleschons enferréz » à Vaulgrenant quand Ancel de Salins combat le « seigneur de Grantson »615. On mesure ainsi le triple rôle de Bracon : résidentiel, militaire et économique, en raison des engins servant à acheminer le matériel vers la saunerie. C’est sans doute le grand château du sud. Arbois, Poligny, Quingey, Châtillon : des résidences occasionnelles

Les autres résidences méridionales de la comtesse semblent marginales, mais montrent un souci de manifester son autorité sur ce réseau important de châteaux et notamment sur ses acquisitions récentes.

607 ADCO B 3345. 608 U. Plancher et alii, Histoire générale et particulière de Bourgogne, op. cit., t. 2, p. 387. 609 ADCO B 3346 et ADD B 123. 610 ADCO B 3347. 611 BN Fr. 8552. 612 ADCO B 3349. 613 ADCO B 3348. 614 ADCO B 3346 et 3347. 615 ADCO B 3346.

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Arbois est la quatrième localité à laquelle la comtesse rend systématiquement visite. C’est une de ses premières seigneuries personnelles et Marguerite de France ne manque d’y passer, sans forcément y dormir, hormis pour une nuit le 4 octobre 1374. L’hébergement y est limité et nous sommes à 10 km de Bracon à l’est, et 9 km de Poligny au sud. Il n’y a pas de châtelain et le terme de château y désigne en fait une partie de la ville et des habitants616. Les travaux signalent d’autres bâtiments : moulins, « vote de madame Arbois »617, et « maisons de madame a Arbois »618. Les travaux sont modestes, notamment la maison de la voûte, où une partie des vendanges est stockée, ou encore « la maison du truilz [ou truil] de madame empres la vote »619. On ignore où la comtesse dort : dans ses maisons ou peut-être chez Humbert de la Platière, bien établi en ville. En revanche, Marguerite ne se rend pas au château voisin de La Châtelaine, bien fortifié, relativement entretenu620, mais difficile d’accès. À 5 km au sud-est d’Arbois, sur un éperon défendu à l’ouest et au nord par une falaise de 242 m de haut, La Châtelaine couvre un rectangle de 120 mètres sur 160. Occupant cinq hectares, il est particulièrement fortifié sur le côté exposé, à l’est, et doté d’une porte à deux étages. Avec sa haute muraille, il est donc bien défendu. Le donjon est séparé du reste du château par un fossé. Il comporte une grande salle dont la cheminée est encore visible. Marguerite l’entretient : entre 1370 et 1372 ses officiers font refaire la couverture de la tour sur la porte de devant et la grande tour du donjon, le pont-levis du donjon, le sol du château et la « chambre de Poloigny »621 avec sa cheminée et la « chambre d’en costé la salle ». On travaille également à la garde-robe, à la grande salle et à la salle basse, à la dépense et aux allées des « chambres aisées » ainsi qu’à la cuisine. Un « chaffau » est installé sur la grosse tour622. Cinquième des villes visitées, Quingey est attestée à 15 reprises. Sa position centrale, le rôle politique du châtelain local Eudes de Quingey, le caractère ancien du lien entre Marguerite et cette seigneurie expliquent cette présence. La comtesse y réside en 1355, puis s’y rend en 1363 pour un séjour relativement long, puis près d’une semaine du 31 août au 4 septembre 1374. Le château connaît des dégradations. Il arrive souvent qu’une partie des constructions soit « desrochéz » du côté de la rivière623. Plusieurs tours sont mentionnées, dont certaines au contact des maisons de la ville : tours « devers la salle », « devers chez Aymonin de Charie », « grande tour » à laquelle on accède par trois grandes échelles refaites à neuf en 1370-1371624, enfin « tour Saint Georges » avec sa « columbiere ». En 1370-1371, on refait la porte, qui ne pouvait plus fermer625. L’année suivante on aménage le conduit d’eau sous la grande porte, effondré, empêchant l’évacuation vers la Loue. 616 617 618 619 620 621 622 623 624 625

ADCO B 1434. Louis Stouff, Les comtes de Bourgogne et leurs villes domaniales, op. cit., p. 44. ADCO B 1420. ADCO B 1428. ADCO B 1431. ADCO B 1428, 1431, 1458… ADCO B 1434 et B 1436. ADCO B 1439. ADCO B 1458. ADCO B 1436. ADCO B 1431.

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La salle donne sur la Loue et un de ses côtés est tourné vers la ville « chiez Rosselin »626 ; sa toiture est refaite en 1368-1369627 ; elle est ornée de cinq gargouilles pour l’évacuation628. Près de la salle se trouve la cuisine avec sa cheminée629. À un niveau inférieur se situe la salle basse « ou gist le chastelain », à côté d’une chambre630. Outre des chambres aisées du côté de chez « le Rosselin », et d’autres « devers l’arbelestrier », on retrouve une « grant chambres qui est empres la chambre de retrait de madame »631. À Poligny, Marguerite est attestée par 7 occurrences, surtout en 1327, ainsi que du 10 au 12 janvier 1362 pour sa joyeuse entrée. Autant dire qu’elle fréquente bien peu le château de Grimont pourtant lié au souvenir de ses parents : placé à l’entrée de la reculée de Poligny, sur le plateau, il se trouve à l’est de la ville à laquelle il est relié par des murailles. Philippe le Long l’avait fait restaurer. C’est alors qu’il commença à servir de Trésor des chartes pour le comté632. Sous Jeanne de Boulogne, on y mentionne la chambre de la reine et son oratoire en la chapelle, la garde-robe, la salle et la chambre de la grande salle, les deux chambre de la maison neuve des étables, qualifiée de loges, où résident notamment son confesseur, son physicien et « pluseurs autres de son hostel ». Le châtelain de Marguerite veille quant à lui à son entretien. Malheureusement, on ne dispose d’aucune précision dans les comptes des premières années qui signalent tout de même 80 lb de travaux par an633. La documentation s’affine ensuite et mentionne la grande porte devant la cuisine634, une seconde porte, défendue par un « chaffaut »635, ainsi qu’une porte de la poterne devant la porte du trésor, enfin une poterne du côté du bourg636, avec une « porte devant » fermée à clef637. On note la présence d’ « étables » et deux « curtils », petites cours visiblement séparées, probablement dans la basse-cour : le « curtil des engins », sur lequel on construit « II portes es potelles » en 1370, et le « curtil du regard »638. On peut confronter ces données à une description de la fin du principat de Philippe le Bon évoquant depuis le donjon une « première porte » au sud protégée par une petite tour carrée, suivie par une « seconde porte », « belle et bonne », que l’on doit franchir pour arriver sur la basse-cour. Cette description précise que la première porte permet d’entrer dans le donjon et la haute-cour, dans laquelle l’on trouve le grand pavillon du côté de Notre-Dame-de-Vaux, donnant accès à la « belle sale » au bout de laquelle se trouve une « belle chambre » avec garde-robe et retrait où résident les capitaines. Sous la salle se trouve une chapelle. Entre le donjon et les « sales et pavillon » arrive une fontaine alimentée depuis Chamole. Aux environs de la

626 627 628 629 630 631 632 633 634 635 636 637 638

ADCO B 1431. Ibid. Ibid. Ibid. ADCO B 1433. ADCO B 1439. G. Duhem, « Jeanne de Bourgogne, comtesse de Poitiers et reine de France », op. cit. ADCO B 1414, 1425, 1428, 1431. ADCO B 1433. ADCO B 1439. ADCO B 1433. ADCO B 1439. ADCO B 1433.

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fontaine commence un escalier menant au donjon côté nord, avec ses deux tours rondes et sa tour carrée. Ce donjon abrite les archives du comté dans la plus haute des deux tours. Cette description correspond assez à l’état du bâti sous Marguerite : on retrouve le pavillon dont un côté donne vers le donjon639 et l’autre « devers la roiche »640, pavillon dont on doit relever la galerie « a force d’engin »641 et qui a tendance à s’affaisser vers l’aval. Le donjon est également évoqué642, mais guère ses tours. À l’intérieur du château, on repère une cuisine, un tonneau pour saler les « bacons », et surtout la fontaine, souvent réparée avec ciment, tuiles643, fer et poix644. On retrouve la « grant saule » » dont on refait la porte645 puis dont on répare le « seul » (seuil) incendié le 23 janvier 1370646. Juste à côté la « chambres es Tampliers »647, fait l’objet de réparations de son « toulain » en novembre 1369 puis après l’incendie, tout comme une « chambre coye » ; une chambre se trouve enfin à l’arrière de la salle. D’autres pièces ne sont guère localisées : « saule nuesves »648, « chambre blanche » sous les toits649 ; chambre du châtelain650 ; trésor651 abritant certainement les archives. Équipées de fer, les prisons sont entretenues, surtout durant la captivité de Jean de Chalon652. Enfin, on installe en mai 1373 15 arbalètes à corne et 6 arbalètes à tour, mais toujours pas de poudre653. Au sud, un réseau en expansion

Parmi les châteaux non fréquentés au sud, les dépenses semblent plus réduites encore. La « tour de Chateau Chalon » paraît bien modeste ; on y relève quelques travaux de toiture et au pont-levis654, tout comme pour la tour de Santans655, notamment en février 1369 alors que l’on craint les agissements de Jean III de Chalon. On refait alors le pont-levis devant la porte de la tour, deux petits ponts devant l’entrée des « lices de la tour », et on place des protections de fer pour protéger les fenêtres656. En 1372-1373 le toit surplombant la chapelle de Santans est refait « pour ce qu’il pluvoit sur l’autel »657.

639 640 641 642 643 644 645 646 647 648 649 650 651 652 653 654 655 656 657

Ibid. Ibid. Ibid. Ibid. ADCO B 1439. ibid. ADCO B 1433. ibid. ibid. ADCO B 1458. ADCO B 1436. ADCO B 1433. ibid. ibid. ADCO B 1439. ADCO B 1436. Ibid. ADCO B 1431. ADCO B 1439.

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Un château très éloigné vers l’est comme Ornans bénéficie de quelques dépenses, qui signalent une grande tour sur la porte et une « maison de madame »658 ; à Montmorot, l’on rénove la « salle du chastel » en 1372-1373659. Un peu partout, on agit de manière limitée au gré des dégradations : à Montrond en 1380-1381 le bois pourri est remplacé à la grande salle, à la salle neuve, en la grande tour, tandis qu’on refait les murs de la cuisine, des chambres aisées du côté de la grande salle, et qu’on répare la première porte660. La différence est nette avec le château de Rochefort, conquis en 1369661 : durant les années suivantes, maçons et couvreurs réparent les destructions causées par le siège. On travaille en particulier à la tour de la lanterne, à la tour de Barey, au pavillon et au « tornalle d’encosté », à la cuisine, au « chaffaut » situé après la chapelle et à celui de la tour rouge, au-dessus de ce qu’on appelle désormais « la chambre de madame et les garde robes d’icelles », ainsi qu’au chaffaut de la chapelle qui n’a pas été abîmé par les hommes de la comtesse mais, assure-t-on, par « le grand vent ». On évoque la première et la deuxième porte, la « porte du bourg saint Vienn », le donjon et son pont-levis. On poursuit d’ailleurs des travaux lancés par Jean de Chalon-Auxerre, permettant de circuler sur les murs de la tour de la lanterne à la « tour du bareil » afin de mener une contre-offensive si le « palais » est pris. Ce « palais » semble correspondre au donjon ou à une partie du donjon autour de la haute-cour. Il est défendu par un pont-levis situé devant « le deuxième uis par qui l’on entre au palais », sans doute depuis la bassecour, avec un système de porte double qui rappelle Poligny, d’autant que les comptes mentionnent le « premier uis qu’on trouve au monter au palais par la chapelle », porte détruite par les assiégés. Un nouveau chaffaut est par ailleurs construit entre la tour de la lanterne et la tour Barel ou « Jehan de Barel », pour abriter les guetteurs. En 1380-1381, de nouveaux travaux viennent réparer les dégâts d’un incendie survenu dans la ville en mars 1376. On travaille aux « voutes du palais » dont la toiture a été brûlée et le « maisonnement » endommagé, à la Tour rouge, aux prisons, au guet et à un chaffaut doté de trois « fenestres deffendables », recourant à un engin « a tour virant ». Il faut refaire la toiture de la grande salle, située au-dessus du cellier, « et y a bien IIIIxx toises de toit », ainsi que la chambre de madame, les deux garde-robes, les deux pavillons, la cuisine, la chapelle662… Marguerite soigne donc cette belle prise témoignant de sa remise en ordre du comté. Elle agit de même au château de Valempoulières, qui s’avance au sud-est vers les terres des Chalon. Confisqué en 1367 suite à une vente non autorisée du château par Tristan de Chalon-Auxerre, cadet de Jean II663, le château a été ensuite cédé par la comtesse au seigneur de Cly. Il lui est ensuite repris de force au motif que celui-ci ne veut pas le rendre à la comtesse lorsque celle-ci en a besoin. Son châtelain est alors tué par les troupes comtales664. Cédé un temps à Jean de Ray665, il finit par revenir au domaine vers 1371. 658 659 660 661 662 663 664 665

Ibid. Ibid. ADCO B 1458. ADCO B 1436 et B 1439. ADCO B 1458. É. Clerc, Essai sur l’histoire de la Franche-Comté, op. cit., t. 2, p. 190 ; ADD B 432. ADD B 410. ADCO B 1436.

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Cette année-là, aux environs d’octobre, de gros travaux sont entrepris au pont-levis, à la toiture de la grande tour, aux murs réhaussés de 6 toises entre la grande tour et le chaffaut surveillant le pont-levis « affin que l’on n’y peust eschieller ». On aménage également la grande salle et la salle hébergeant le châtelain666. En 1372-1373 de grosses sommes sont investies667 pour y enfermer Gui de Vienne dans la salle basse. Fils de Philippe de Vienne, seigneur de Pymont, Gui passait pour le plus violent chevalier de son temps ; il aurait même tenu Hugues de Chalon par les pieds au sommet du donjon de l’Étoile668. Accusé de divers « maléfices », il avait été arrêté par ordre direct de la comtesse et demeura « longument as prison fermee au chastel de la Valampoliere et autre part »669. Il avait d’ailleurs participé avant juin 1371 à la capture d’un bourgeois de Poligny, et la comtesse avait refusé sa grâce670. Pour l’accueillir, Valempoulières subit quelques travaux : on installe des verrous à la porte de la chapelle et à la porte entre salle basse et « chambres aisiés ». Un buffet est disposé pour qu’il puisse tenir « son hostel et son estat »671. Finalement libéré à une date inconnue, il se reconnaît « homs de madite dame », et promit 1 000 francs de « bon our ». D’autres travaux sont encore réalisés à la grande salle et on répare les murs de la grande tour qui avaient été « desrochiéz ». On refait un pont neuf à l’avant, à la porte « dessus le bourg » ; on dispose encore des « restiaux » pour empêcher l’échelage de la grande tour. Enfin on édifie un nouveau bâtiment, « maisonnement fait de nuef oudit chastel », et on installe une « banniere de soye armoyee des armes de madame ». À Valempoulières comme ailleurs en Franche-Comté, Marguerite entend montrer qu’elle tient de nouveau le pays. Son programme castral s’inscrit dans une perspective plus large de remise en ordre qui fait parfois des châteaux des prisons pour les nobles les plus remuants. Mais il s’agit aussi de maintenir une certaine « habitabilité » pour la cour, avec des intérieurs parfois confortables malgré leur faible fréquentation. La dimension militaire est également très nette, avec une différence par rapport à l’Artois : d’un accès souvent difficile, avantagés par le relief, les châteaux comtois ne comportent aucune pièce d’artillerie à poudre, une exception parmi les places de Marguerite.

7. Hôtes, tavernes et abbayes : la comtesse et les siens hors des résidences princières Parfois loin de chez elle, la comtesse a pu avoir besoin de demander l’hospitalité. On a du mal à retrouver les usages de Mahaut, logée à Maubuisson, au Mont-Saint-Éloi ou à Cherlieu672 : lors de ses séjours à Longchamp auprès de Blanche, il est impossible de savoir si Marguerite dort dans l’abbaye ou à proximité. Idem quand elle réside 666 ADCO B 1437. 667 254 lb est. 668 G. Pelot, Les derniers grands feux (?) d’une maison comtoise, op. cit. t. 1, p. 203. 669 ADD B 432. 670 ADCO B 485 bis, fol. 15. 671 ADCO B 1439. 672 C. Balouzat-Loubet, Le gouvernement de la comtesse Mahaut en Artois (1302-1329), op. cit., p. 306.

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au Mont-Saint-Éloi du 5 au 9 octobre 1365673, ou le 18 octobre 1374 à Saint-Seine674. Même ignorance concernant ses séjours à Gosnay auprès des Chartreuses. Mieux renseignés sont ses séjours chez des particuliers ou des hôteliers, pratique noble peu étudiée675 mais attestée sous Mahaut. Très vague, l’expression hôte de madame se rencontre deux fois. L’une correspond curieusement à un séjour à Bapaume de Charles de Poitiers en juillet 1371 chez Philippe le Fèvre, qui tient l’hôtel de l’Angle676. L’autre correspond en revanche à une étape de Marguerite à Thérouanne chez Denis Ghizelin « oste de madame a Trewane », du 1er au 2 juillet 1367677. Ce sont en fait d’abord les gens de la comtesse qui couchent chez les hôteliers. Troyes fait partie de ces lieux de passage où l’on retrouve Ancel de Salins avec ses gens le 5 novembre 1373 chez « la dame de More, taverniere de Troyes »678. Lorsque la cour y séjourne du 1er au 27 juin 1374, elle recourt aux hôtels du Paon, de la Coupe, de l’écu de France679… La comtesse n’a en effet pas de demeure en ville. Pont-SainteMaxence fait également figure d’étape pour les officiers comtaux qui dorment chez « Willaut le Chandelier, hostel de l’ostel du Bar »680. Même sur ses terres, Marguerite fait souvent loger ses gens en « hostellerie ». Alors qu’elle réside à Arras en juillet 1369, certains vont vivre à l’hôte du Constantin681. Durant l’absence de la comtesse, on n’utilise d’ailleurs pas forcément les résidences princières pour loger les officiers : à Arras, ses gens vont à l’hôtel de l’Oliphant682, à l’hôte du Constantin, à « l’hostel as floges d’Argent »683 ou chez de riches bourgeois comme Jean Agache684, la femme de Jean de Saint-Omer685 ou Jean Thélus686. En 1365, Étienne du Pen est rémunéré « pour cause d’ostage de ses cappelains et clers de se capelle » arrivés avant la comtesse en ville687. Certains peuvent séjourner « en la cité les Arras », à l’hôtel du faucon, comme le bailli et le receveur de Béthune en décembre 1368688. On évoquera encore l’hôtel du Coquelet à Aire689, et quatre maisons à Bapaume, ville de passage : « l’oste de l’eschequier », « l’oste dou cerf », « l’ost dou Chine »690, ou « l’oste du paaige » en septembre 1366691, c’est-à-dire chez 673 ADPDC A 716. 674 E. Petit, Itinéraires de Philippe le Hardi, op. cit., p. 110. 675 P. Contamine La noblesse au royaume, op. cit., p. 161. 676 ADN B 14409. 677 ADN B 13634 et ADPDC A 726. 678 ADCO B 3856. 679 ADCO B 3857. 680 ADCO B 3855. 681 ADPDC A 735. 682 ADPDC A 709. 683 ADN B 13877. 684 ADPDC A 748. 685 ADPDC A 714. 686 Ibid. 687 Ibid. 688 ADN B 14614. 689 ADN B 13634. 690 ADPDC A 714. 691 ADN B 14405.

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Philippe le Fèvre, péageur de la comtesse, qui héberge fréquemment les officiers de passage692. Même à Hesdin on les trouve chez Jehan de la Court693 ou à l’hôtel du Pot d’Etain694. À Béthune, l’hôtel du faucon est un des plus fréquentés par Charles de Poitiers695, et on fréquente les hôtels du heaume696, de « l’esclaire d’Anequin »697, de Jean Denis698, les maisons d’Hue le Cirier, bourgeois699, Jean de Hauchin700. Jacques Esmenault héberge le 30 septembre 1365 « les gens du conseil », clercs et autres de l’hôtel701 alors que madame est à Gosnay702. Ces hôteliers jouissent d’une certaine confiance, car ils abritent des proches de la comtesse au fait de ses affaires et bénéficient de la dépense curiale. On retrouve des individus gravitant dans la sphère comtale comme le péager de Bapaume ou Regnaut le Roux d’Hesdin, ancien receveur703. Ils fournissent aussi des chevaux de location comme « Jehan Louchier, hoste de l’escu d’or, bourgois d’Arras », lors d’un voyage de Baude de la litière depuis la Bourgogne vers la Flandre en 1374704. Leurs clients sont les conseillers les plus mobiles comme Charles de Poitiers ou Ancel de Salins, des agents locaux venus au rapport ou en tournée d’inspection comme le procureur d’Artois ou les baillis, des gens de l’hôtel laissés en arrière pour une visite de la comtesse à Gosnay ou en Flandre705. Les malades qui ne peuvent suivre le train sont également logés comme de Massart du Bois, écuyer de la comtesse resté au « Heaume » à Béthune en mai 1367706.

8. Un réseau de résidences nécessitant des moyens considérables L’entretien voire l’expansion d’un tel ensemble immobilier nécessite une surveillance permanente et des efforts financiers ; les moyens ne suivent pas toujours, de sorte qu’on agit souvent dans l’urgence. Les travaux : une mobilisation de toute la chaîne de commandement

Les travaux ne répondent pas à un schéma unique de décision. De la comtesse au châtelain, beaucoup peuvent prendre l’initiative selon l’urgence ou l’importance 692 693 694 695 696 697 698 699 700 701 702 703 704 705 706

ADN B 14401-14403 et 14407. ADPDC A 702. ADPDC A 702. ADN B 14652. ADN B 14613. ADN B 14626. ADN B 14593. ADN B 15277. ADN B 14614. ADN B 14600. ADPDC A 715 et ADCO B 401. ADN B 15279. ADPDC A 758. ADPDC A 769. ADN B 14605.

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des dépenses. Il faut parfois agir vite, parfois attendre la venue de la comtesse. Les alertes remontent cependant souvent, notamment sur le plan militaire. En Artois, elles parviennent au conseil comtal, qui envoie alors des ordres de mise en défense ; en Bourgogne, le gardien, puis le bailli et enfin les conseillers dans les années 1370 se chargent de cette veille. Autre inquiétude : la venue de la comtesse. Il faut parfois se précipiter pour rien, les voyages étant annulés, notamment en Bourgogne. Un château qui n’est pas fréquenté court le risque de se dégrader assez rapidement : en Comté, après une décennie d’absence, il faut dépêcher à Gray une véritable inspection menée par Charles de Poitiers et les conseillers locaux épaulé de certains des plus influents conseillers comtois comme Thiébaut de Rye, le bailli de Bourgogne et Eudes de Quingey, qui arrivent à Gray le 23 avril 1373707. Parfois lente, l’usure se traduit aussi par des dégradations soudaines : tempêtes hivernales en Artois et Bourgogne, grand froid qui entraîne le gel à Saint-Omer. La vigilance concerne notamment les toitures et la base des murs. Les châtelains et officiers locaux sont alors les plus à même de réagir. En Artois, ils peuvent s’appuyer sur les ressources du receveur établi dans le siège de bailliage, et parviennent facilement solliciter la cour comtale, souvent proche. En Bourgogne, il revient bien souvent aux châtelains de décider. À La Châtelaine et à Poligny, les travaux sont quasiment toujours réalisés « au commandement » du châtelain. Quelques uns disposent d’une autonomie financière : c’est le cas de Bracon où le châtelain paie les réparations. En 1375 Thiébaut de Rye en est à l’initiative, et organise les enchères avec le receveur de la saunerie Perrin de Laule et maître Geoffroy de Saint Martin, charpentier « maistres des euvres de la contee de Bourgogne »708. Mais la plupart des châtelains n’ont pas de ressources pour payer. Ils font appel au trésorier d’Amont qui est souvent à Vesoul ou Gray, ou à celui d’Aval à Dole. Eux ont autorité financière sur les prévôts locaux, de simples fermiers. L’avis des trésoriers est donc décisif, mais on consulte aussi conseillers, bailli et gardien. D’ailleurs, nombre de châtelains sont aussi conseillers comme Eudes de Quingey à Quingey, Thiébaut de Rye à Bracon, ou baillis comme le châtelain de Montjustin. On consulte rarement la comtesse, qui peut cependant être représentée par des proches comme Ancel de Salins ou Humbert de la Platière. Enfin, les châtelains appliquent des directives envoyées par les baillis et gardiens, notamment pour mettre les châteaux en état de défense. Au-delà des simples réparations, l’autorité du châtelain ne suffit pas. Le trésorier prend souvent la relève, en tant que responsable du domaine, mais on voit surtout à l’œuvre le gardien et le bailli dans le contexte menaçant des années 1360. Dans le bailliage d’Amont, à Jussey, les travaux de 1364-1365 sont ordonnés par le gardien et le châtelain, mais aussi par le bailli ou le trésorier. À Vesoul, Montbozon, Baumeles-Dames, on répare surtout par ordre du bailli, épine dorsale du dispositif, le gouverneur intervenant rarement. Dans les années 1370, les conseillers présents en Comté et le trésorier interviennent davantage. À Valempoulières, le trésorier d’Aval, conseillé par Aubriet de Plaigne et un maître des œuvres, organisent la réfection

707 BN Fr. 8552. 708 ADCO B 3348.

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du château en 1371. À Poligny, les travaux de 1371-1372 sont décidés avec Ancel de Salins et les gens des comptes attachés à ce dépôt d’archives, ainsi que le maître des œuvres désormais consulté fréquemment. Déjà attestée en 1358-1359, ce titre avait d’abord désigné un intervenant ponctuel sur un chantier709. Au début des années 1370, le « maistre des œuvres » est payé par la comtesse 10 lb à l’année pour être « maistre de nos œuvres »710. Il s’agit de « Vuillemin Brisemortier, de Raigue, chappuis, maistre des euvres de madame », officier sans ressort géographique qu’on retrouve sur les grands chantiers du sud à Poligny, Valempoulières, Rochefort où il vient « veoir l’ouvraige que lidit tresorier faicoit faire ». Il va aussi à Fraisans surveiller les travaux du moulin, puis à Grozon, « pour mettre a pourfit de madame le bois de la salnerie »711. Vers 1375 le titulaire est maître Geoffroy de Saint Martin, également charpentier. Certaines assemblées permettent de réfléchir aux grands travaux : ainsi pour la venue de Marguerite à Gray vers 1373 se réunissent les trésoriers, conseillers et officiers de l’hôtel envoyés en avant712. Ces conseillers peuvent aussi ordonner des réparations mineures : ainsi de travaux coûtant 30 s à Bracon en 1376-1377. Ce fonctionnement décentralisé et collégial se retrouve en Champagne : les travaux à Chaource et Jully sont initiés par les châtelains qui les surveille avec son portier et le soutien du receveur713, mais aussi ordonnés par le conseil, notamment par Charles de Poitiers. Rares, les ordres directs existent néanmoins : en 1368-1369 le trésorier envoie deux maçons réparer la cuisine de Quingey et réaliser d’autres ouvrages « lesquels madame mandoit estre faiz, appelléz le tresourier »714. Certaines décisions des conseillers du gardien sont également l’application d’ordres venus directement de la comtesse, active depuis l’Artois. Pour certains travaux, la comtesse dispose en Franche-Comté d’un droit de corvée qui concerne les retrayants des châteaux, notamment à Bracon, Rochefort, Dole. Mobilisés pour le charroi, nourris « en pain et en vin » pour 9 deniers, les corvéables sont 40 charretons en 1377 venus des environs de Bracon pour mener du bois de Mochay au château. Mais on recourt alors aussi aux « ouvriers de braz » pour porter une part du bois, à deux sous715. Les femmes employées pour porter de l’eau en reçoivent un seul716. Le recrutement de spécialistes est évidemment nécessaire et souvent local, comme ces maçons employés à Jussey717. Mais certains artisans viennent de Dole pour le chantier de Rochefort, de Poligny vers Valempoulières718. Dans l’ensemble, ces travaux s’avèrent bien moins coûteux qu’en Artois.

709 710 711 712 713 714 715 716 717 718

ADCO B 1406. ADCO B 485 bis, fol. 27. ADCO B 1436. BN Fr. 8552. ADCO B 3857. ADCO B 1431. ADCO B 3346. Ibid. ADCO B 1427. ADCO B 1431.

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Dans ce pays, les chantiers sont conçus au sommet du pouvoir, ce qui semble différent de la situation comtoise, puis dispersés en une multitude d’intervenants, à la manière des chantiers des ducs Valois719. Chaque année, de nombreux mandements sont émis par la comtesse et son conseil pour de multiples réparations ou extensions. La latitude des agents locaux est limitée : on n’accepte guère que le receveur prenne l’initiative de dépenses. Marguerite a été bien éduquée par Mahaut, déjà prompte à s’impliquer dans ses travaux720. Elle émet d’innombrables mandements, y compris pour des châteaux modestes comme Rihoult721, ou des demeures lointaines comme l’hôtel d’Artois722 ou Conflans, pour lequel Marguerite ordonne des travaux en janvier 1379 en vue de son séjour prochain723. Elle se montre souvent très précise : la réfection des peintures de la chambre aux fleurs de lys d’Arras, confiée à Laurent de Boulogne « par madame en son conseil », est ainsi détaillée et sa surveillance confiée au receveur et au châtelain : « avisez les choses dessus dites et regardez comment les couleurs y seront employees et que les choses dessus devisees soient bien et deuement faites »724. On retrouve cette attitude chez Marguerite de Male à Germolles725, même si sa grand-mère se montrait plus conservatrice. En Artois, les travaux de réparation sont décidés en fonction de la défense et surtout de la venue de la cour : en 1362, avant la venue de la comtesse à Bapaume, il faut œuvrer de charpenterie à la chambre Saint-Thomas, relater la grande cuisine, poser 6 000 tuiles sur les maisons, refaire les serrures du donjon, de la prison (la chartre) et des chambres726. Les constructions neuves d’importance sont davantage planifiées, comme celles de 1374-1375 à Arras727, durant l’absence de la comtesse728. Ce projet a été pensé par la comtesse et son conseil « en l’hostel », les modalités étant ensuite décidées localement. Les gens du conseil demeurés à Arras donnent les instructions, réalisent les devis, choisissent les artisans, les ouvriers étant surveillés par le bailli et surtout le receveur, chargé du paiement et qui réunit à l’avance des matériaux729. La quarantaine d’intervenants comprend charretiers, brouetteurs, manœuvres, maçons, plâtriers, plombiers, charpentiers et « soyeurs d’ais » (scieurs de planches), huchiers œuvrant également sur des lambris, couvreurs. Une hiérarchie émerge chez ces artisans. Un manœuvre, Simonet Wafflart, est rémunéré 1 s 8 d parisis par jour, environ 10 s la semaine, même s’il n’est employé que quelques jours. Un maçon très qualifié, « Waillis 719 C. Beck et P. Beck, « L’exploitation et la gestion des ressources naturelles dans le domaine ducal bourguignon à la fin du XIVe siècle », Médiévales. Langues, Textes, Histoire, no 53, 2007, p. 93-108. 720 O. Chapelot et B. Rieth, « Une résidence disparue des comtes d’Artois », op. cit. 721 ADN B 15802. 722 ADN B 13634. 723 ADPDC A 773. 724 ADPDC A 789. 725 É. Picard, « Le Château de Germolles et Marguerite de Flandre », Mémoires de la Société Eduenne, vol. 40, 1912, p. 147-218. 726 ADN B 14402. 727 ADPDC A 718, 758 et A 760. 728 ADPDC A 718. 729 ADPDC A 718, 758 et 760.

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maçon », touche 4 s par jour, 24 s par semaine. Quelques individus reviennent régulièrement et touchent des sommes importantes, qui incluent néanmoins les matériaux : le verrier Huart le Fevre livre et installe tous les panneaux des nouvelles galeries pour 54 francs ; le plombier Colart Regnaut fournit 4 717 lb de poids de plomb, les pose et les soude pour 70 lb 5 s. Jean du Ries prend en charge l’essentiel des travaux des murs des galeries pour un contrat de 100 francs, à charge de fournir les pierres de grès et autres matériaux. C’est un trait commun à ces personnages que d’être rémunéré sur la main-d’œuvre et les matériaux, qui doivent être une bonne source de rémunération et permettent de devenir fournisseurs. Le livreur de clous Gilles de Wavran fournit également une partie des achats liés aux funérailles de la comtesse, le maçon Willaus fournit des pierres pour les aisements de madame de Saint-Vallier, et inspecte les travaux de son collègue Jean du Ries aux nouvelles galeries. Ces contractants privilégiés sont aussi envoyés à Bellemotte. Beaucoup sont résidents d’Arras : Gilles de Wavran est « bourgeois d’Arras ». Mais deux charpentiers viennent de Douai, André de Ternois et Gilles de Lescluze. Apprécié pour ses travaux à Hesdin, Vincent le Huchier d’Hesdin vient à Arras pour la délicate réalisation du porche et le lambrissage. En 1379, pour la cheminée de la chambre de la comtesse, on fait venir des plâtriers de Compiègne730. En somme, les ordres de paiement répondent à deux logiques : un circuit militaire mobilise les châtelains qui décident de petites réparations, faisant remonter les informations et attendant les décisions d’un niveau plus central, formé par les baillis, les gardiens et les conseillers en Bourgogne, le conseil comtal en Artois, avec dans les deux cas le rôle majeur de Charles de Poitiers. Ces ordres s’inscrivent dans le circuit de l’organisation de la défense qui concerne aussi l’espionnage, l’envoi de troupes, de garnisons, d’artillerie etc, selon un schéma connu en Bresse et Bugey731. L’autre logique concerne les enjeux résidentiels : les déambulations de la cour, les ordres comtaux, les décisions du maître d’hôtel et de conseillers l’emportent. Les proches conseillers sont en effet au cœur des commandes, et Charles de Poitiers s’y distingue : à Hesdin, il veille aux aspects militaires comme aux engins d’ébattement ; mais une grande partie des opérations est menée par les maîtres d’hôtel en charge du fonctionnement de la cour. Des conseillers techniques peuvent intervenir comme Jean Blarye732. Malgré tout, les agents locaux jouent un rôle important, alertant sur la situation locale, circulant, enquêtant. On retrouve souvent l’association d’un agent local, connaisseur des marchés, et d’un conseiller proche de la comtesse pour choisir les artisans : une verrière à une fenêtre de la salle au cerf d’Arras est « marcandé par maistre Jaque Hanin [un conseiller] et le receveur pour V francs ». Les receveurs surveillent les travaux, et contribuent à la fourniture de matériaux à Arras comme

730 ADN B 13879. 731 A. Kersuzan, Défendre la Bresse, op. cit., p. 145. 732 ADPDC A 769.

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Hesdin. À Hesdin, le châtelain intervient aussi, certifiant les travaux733. Après le départ de Charles de Poitiers, il se charge de faire aboutir le creusement des fossés avec l’aide du receveur734. Pour ces agents, c’est sûrement un moyen de renforcer leur influence locale. Des spécialistes sont cependant investis d’une mission de contrôle. On a vu à Arras que Willau le maçon supervise les travaux de ses collègues. À Hesdin, la comtesse recrute le 24 février 1372 un maître charpentier pour 24 lb parisis par an, Pierre le Jone, chargé d’œuvrer lui-même mais aussi de « prendre garde a tous les ouvrages de carpenthes et d’autres ». L’existence d’une « régie interne » avec des ouvriers salariés à l’année ne se retrouve cependant que pour des demeures de grande ampleur comme Hesdin ; là une part des travaux nécessite également des installations lourdes dans l’enceinte ou les bois : un fournil est utilisé pour faire cuire le verre pour les verrières en 1366735, et des fours à chaux installés dans les bois. Ces méthodes semblent parfois prises au dépourvu, entraînant des tensions : à Jully, après la venue de la comtesse en octobre 1374, le châtelain Renier de Cuves est convoqué aux grands jours de Troyes et devant les réformateurs royaux pour avoir battu certains ouvriers désireux de quitter un chantier736. La comtesse soutient cet agent rendu brutal de peur de voir s’enliser un chantier : il faut dire que c’est elle qui a précipité les choses en annonçant sa venue. Or Marguerite n’apprécie guère les délais ou les contretemps. Il faut dire qu’elle y investit son l’argent, même si elle se montre assez parcimonieuse. Un coût relativement modéré

Entretenir le patrimoine est une problématique commune à toute la noblesse737. En l’occurrence, il en va de l’honneur de la comtesse, de sa capacité à manifester sa présence et à conserver le patrimoine laissé par ses devanciers. Maintenir ce tissu castral lui permet de démontrer ses capacités matérielles comme son autorité. Les comptes des receveurs d’Artois complétés de quelques comptes particuliers de travaux, les comptes des trésoriers de Bourgogne et ceux de châtelains comme Bracon nous renseignent assez bien, malgré des lacunes et l’absence de comptes centraux. L’ampleur totale des dépenses ne peut être établie mais on peut proposer une moyenne des dépenses par château pour les années renseignées. Dans l’état des sources, rien d’équivalent au château de l’Écluse (200 000 francs) ou aux aménagements de Germolles qui engloutissent 23 500 francs entre 1382 et 1392738. Les chiffres obtenus montrent une grande modestie par rapport aux 300 000 francs du chantier de Mehun-sur-Yèvre par Jean de Berry, encore que le prix ordinaire d’une maison 733 ADPDC A 789. 734 ADN B 15282. 735 ADN B 15274. 736 ADN B 3858. 737 P. Contamine La noblesse au royaume, op. cit., p. 137-142. 738 C. Beck et P. Beck, « L’exploitation et la gestion des ressources naturelles dans le domaine ducal bourguignon à la fin du XIVe siècle », op. cit.

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forte de qualité avoisine plutôt 5 000 à 10 000 francs739. Marguerite de France n’est pas une « bâtisseuse » ex nihilo. Elle adapte sa dépense à ses revenus, conservant surtout le souvenir de ses prédécesseurs, notamment Mahaut d’Artois. On est bien loin des 20 000 francs par an dépensés par Philippe le Hardi… Le réseau du bailliage d’Aval en Franche-Comté : priorité aux résidences et aux conquêtes

En Franche-Comté, les montants sont limités par rapport à la situation antérieure : le compte de 1358-1359 révèle qu’on dépense cette année 1 535 lb dans le ressort de la trésorerie d’Aval, dont 1 283 lb pour Dole, 120 pour Poligny et 99 pour Château-Chalon. Dans les années 1361-1382, les montants sont bien plus bas. Pour la trésorerie d’Aval, hors Bracon compté à part, la dépense est de 224 lb par an, oscillant entre 24 lb en 1366-1367 et 510 lb en 1372-1373. La tendance est néanmoins à la hausse, les trois années les plus coûteuses sont entre 1370 et 1381 (figure 13 en ligne). Ces sommes très faibles correspondent à 6 ou 7 châteaux, ainsi qu’Arbois, où une seule dépense de 6 lb est mentionnée, même si le receveur d’Arbois a dû payer d’autres travaux. Les dépenses à Ornans sont ainsi rares et infimes, comme à Château-Chalon, à la maison de Blandans, à Fraisans. À Châtillon-le-Duc les dépenses ont pu faire l’objet d’un compte particulier perdu. On doit se limiter ici aux quelques demeures et châteaux ayant fait l’objet de dépenses suivies dans le temps ; Dole, Poligny, Montmorot, La Châtelaine, Quingey, Valempoulières et Rochefort au bailliage d’Aval, Jussey, Vesoul, Gray, Baume-les-Dames, Apremont au nord, Bracon étant compté à part. Cela représente 13 châteaux sur 27 bâtisses ayant fait partie du domaine à un moment ou un autre entre 1361 et 1382. Marguerite investit surtout dans ses acquisitions à Rochefort, avec 75 lb par an et Valempoulières (124 lb). Viennent ensuite Poligny (41 lb en moyenne), Quingey (36), La Châtelaine et Dole (26 lb chacune), avec au maximum 130 lb sur un an à Dole ou La Châtelaine. Hormis ce dernier, ce sont là les principaux châteaux résidentiels. Malheureusement les comptes des années où Marguerite séjourne (1362-1364, 1374) sont perdus au baillage d’Aval, ce qui réduit probablement les chiffres même si l’absence de la comtesse ne met pas fin à l’entretien : la fin du principat est marquée par une augmentation des dépenses, notamment à Dole (92 lb) ou Rochefort (126). Bracon occupe une place à part, avec ses ressources propres prélevées sur les produits des salines, des rentes, des ventes de vin et la location des chars et chevaux. De 1375 à 1382, on y dépense 173 lb est. Par an, jusque 548 lb en 1377-1378. Cela souligne le rôle stratégique de cette résidence assurant la défense du précieux site de Salins. Le bailliage d’Amont : des montants limités et concentrés

Au bailliage d’Amont, 6 années sont renseignées entre 1363 et 1374. Avec 167 lb par an, et un maximum de 350 lb en 1372-1373, on observe un doublement d’une 739 Ibid., p. 137.

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décennie à l’autre. Les places concernées sont Jussey, Vesoul, Baume-les-Dames, Gray, Apremont et Montbozon. Aucune n’est totalement négligée, la moins coûteuse étant Montbozon avec 8,5 lb par an. Mais l’effort est porté sur Gray : 82 lb par an y sont consacrées par an. L’annonce de la venue de Marguerite joue beaucoup : le projet de voyage de 1372-1373 fait monter la dépense à 308 lb, contre 62 lb en 1380-1381. Après Gray vient Vesoul mais uniquement durant la décennie 1360, avec 46 lb en 1364-1365 et 100 lb en 1368-1369. Ici, les motifs sont militaires, comme à Baume-les-Dames en 1363-1365. Après le retour au domaine de la place confiée un temps au comte de Montbéliard, on observe de menus travaux en 1372-1374, mais rien de notable. Enfin Apremont donne lieu à des dépenses d’une cinquantaine de lb par an en 1372-1374. On est également surpris par les montants ridicules des travaux dans les comptes de Montjustin, place frontalière isolée confiée au bailli d’Amont à plusieurs reprises, notamment en 1370740. Les comptes conservés de 1364-1365741 et 1367-1368742 indiquent le paiement de guetteurs et de soldats, mais à peine 16,9 lb est. de travaux par an pour le premier et aucun pour le second, sur une enveloppe de 167 lb. On ignore ce qu’il en est de Châtillon, organisée sur le même modèle, ou de Pontarlier, dont les revenus du péage donnaient lieu à un compte d’un receveur local, capable de financer l’entretien du château. Au total, on arrive à 583 lb est. par an à l’échelle du comté pour une douzaine de bâtisses renseignées, dont 173 lb pour Bracon. Partielles, les données montrent une frilosité en dehors de Gray et Bracon, secondairement Dole et Poligny, demeures favorites à l’exception de places stratégiques comme Vesoul ou La Châtelaine, et des forteresses acquises en 1369-1372. L’état des sources donne l’impression d’un sous-investissement. L’Artois : des chantiers coûteux et mieux renseignés

En Artois, les sommes s’avèrent bien plus importantes, peut-être parce que mieux renseignées. Aire, Avesnes, Bapaume Bellemotte, Béthune, Beuvry, Chocques, Éperlecques, Gosnay, Hesdin, La Buissière, La Montoire, Rihoult, Saint-Omer, Tournehem : tous ces châteaux, ainsi que la Cour-le-Comte offrent des données chiffrées, même partielles. En spéculant à partir des dépenses annuelles connues pour chaque bâtisse, on arrive à 2 308 lb parisis par an. Les châteaux peu ou pas fréquenté, à usage militaire, sont entretenus ; certains comme Rihoult nécessitent des investissements lors de la prise en main du comté, mais l’année 1368 constitue souvent un tournant. Plus au sud, le château d’Avesnes, coûte 88 lb en travaux par an entre 1361 et 1381, notamment 261 lb cette dernière année. Là encore, les dépenses augmentent entre les années 1361-1363 et les années 1377-1381 (27 contre 119 lb).

740 ADCO B 485 bis, fol. 1. 741 ADD B 91. 742 ADD B 134.

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Tournehem est un cas typique : on y dépense déjà 100 lb par an entre 1361 et 1368, avec un pic en 1367-1368 de 299 lb. Après l’Ascension 1369, un compte particulier est tenu par Pierre du Chocquel. Ce document est perdu, mais on sait que la caisse a été alimentés les 12 et 21 juin 1370, sur ordre de la comtesse à hauteur de 279 lb pour « ouvrages et artilleries » ; le chantier a sans doute aussi été financé par des assises, peut-être à Aire743. Cet exemple montre que les comptes particuliers de travaux correspondent à des pics de dépense ; ils ont en outre des financements variés. On en déduit que les seules dépenses inscrites dans les comptes de bailliage minorent leur coût réel. Le château d’Éperlecques est dans la même position et fait l’objet d’un effort permanent, à 170 lb de dépense par an, effort qui varie avec la conjoncture militaire. De 1361-1366, la dépense est de 145 lb par an, à peu près autant qu’en 1356-1361, contre 358 lb par an après 1366. Dès 1366-1367 les dépenses s’envolent à 365 lb puis 648 lb pour la seule période Ascension-Toussaint 1367. On redescend à 65 lb en 1372-1377 malgré de gros travaux entre Chandeleur et Ascension 1377 (135 lb). À La Montoire, les dépenses pour les années 1361-1368 atteignent même 177 lb parisis par an, avec un gros chantier de rattrapage de 730 lb en 1363-1364, puis 299 lb en 1367-1368 alors que la situation militaire se tend. Hors de ces postes avancés, les dépenses des châteaux secondaires sont réduites. Le château de Rihoult coûte en moyenne 47 lb pour la quinzaine d’année documentée, les travaux étant nuls ou faibles la plupart du temps, à l’exception notable d’une grosse réfection après les destructions des années 1340, entre Ascension et Toussaint 1364 (402 lb), et d’une mise en défense en 1369 (115 lb). En Béthunois, documenté sur tout le principat, si le contact avec la Flandre exige quelques précautions, on reste également mesuré. Beuvry coûte annuellement 63 lb, souvent quelques lb par an hormis en 1367-1368 (308 lb) 1378-1379 (122 lb) et 1380-1381 (242 lb). Ici, le tournant du retour de la guerre a pesé. L’ouest de Béthune est quant à lui défendu par Chocques, dont le coût des travaux est de 92 lb sur le principat. Une première campagne de travaux intervient dès 1361-1362 avec 169 lb, mais le château est laissé en viager après 1363 et jusqu’en 1371 à Robert III de Wavrin, seigneur de Saint-Venant744. Mal entretenu, il nécessite des dépenses de 400 lb en 1373-1374, après quoi la dépense redescend sans s’arrêter, atteignant encore 90 lb en 1381-1382. La Buissière au sud-ouest de Béthune représente un entretien de 67 lb par an, assez homogène, hormis en 1374-1375 avec 242 lb745. Dans les résidences fréquentées, comme Gosnay, la situation est différente, la présence de la comtesse pesant directement sur les dépenses. On y emploie 104 lb par an, mais seulement 38 lb jusque 1366, 10 en 1367-1368, contre 162 lb en 1371-1382, lorsque la comtesse vient davantage. 1 215 lb sont dépensées entre Chandeleur et Ascension 1382 afin d’édifier les nouvelles loges, probablement en raison de la proximité de la Chartreuse, loges qui vont bientôt accueillir les bâtards de Louis de Male. En regard, le château de Béthune est peu coûteux avec 80 lb par an, même si une lacune en 1368 explique en partie cet état de fait. On y dépense seulement 32 lb

743 ADN B 13634. 744 ADPDC A 792. 745 A La Buissière, Gosnay et Béthune les années retenues vont de l’Ascension à l’Ascension.

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en 1361-1366, contre 122 lb en 1367-1368, temps fort des travaux, et 97 lb en 1371-1382. Un gros chantier de l’Ascension-Toussaint 1380 explique cette hausse, correspondant là encore à un séjour sur place. À Arras, sur 5 années renseignées, la moyenne est de 248 lb parisis. La comtesse y investit 203 lb dès la première année, et on atteint un maximum de 537 lb lors de la construction de la nouvelle galerie en 1379-1380. À Bellemotte, les travaux sont limités mais continus avec 38 lb par an en moyenne, particulièrement en 1379-1380 (106 lb). Plus à l’est, à Bapaume, les dépenses semblent plus lissées quoiqu’irrégulières (figure 14 en ligne). La comtesse y dépense 124 lb parisis par an, avec une légère hausse entre les années 1360 et les années 1370 (113 contre 135 lb), peut-être en raison des nécessités de défense. Saint-Omer est également bien loti avec 221 lb par an, 11 années ne dépassant pas 150 lb. La période 1367-1368 se distingue par l’ampleur des travaux liés au risque de reprise des combats. Entre Toussaint 1367 et Toussaint 1368, ils représentent 1 672 lb, la plus grosse dépense annuelle de notre corpus, laquelle s’explique aussi par une longue résidence au printemps 1368. Les années « creuses » entre 1370 et 1373 correspondent d’ailleurs à une période d’absence. En regard, le château voisin d’Aire, peu fréquenté, coûte moins : des travaux ont lieu au début du principat confiés à un « commis aux ouvrages de la Salle », Pierre du Chocquel. Le receveur d’Aire abonde chaque année 77 lb en moyenne entre 1361 et 1365, puis reprend le paiement : les travaux aux tours et fossés font alors monter les dépenses à 154 lb. Domine ici la dimension militaire. Enfin Hesdin représente un gouffre financier à la mesure de son rôle résidentiel comme défensif (figure 15 en ligne). Les dépenses annuelles y montent à 583 lb parisis, bien au-dessus de tous les autres, avec de grosses variations. Là encore, le pic de 1368 lié à la mise en défense du pays se retrouve, mais les séjours pèsent très régulièrement, de sorte que l’on dépasse toujours 200 lb, et même 500 lb pour la majorité des années complètes renseignées. Cela n’est pas sans rappeler le coût d’une autre demeure associée au pays, l’hôtel d’Artois de Paris qui avec le manoir de Conflans engloutit des sommes importantes, attestées sur 19 mois en 1371 et 1373, correspondant à 750 lb parisis par an. De la Champagne au Nivernais : des dépenses très faibles pour des châteaux peu visités

Dans les seigneuries plus éparses, les travaux s’avèrent limités. Deux châteaux font l’objet de quelques dépenses dans la recette générale des terres de Champagne : Villemaur, à peine 4,4 lb par an du fait d’un seul chantier de 40 lb t en 1377-1378 et Jully-sur-Sarce avec 42 lb t par an en particulier en 1372-1373, pour un séjour comtal, et en 1377-1378, pour des raisons militaires. En Nivernais, les places sont plus nombreuses, mais malgré des sources abondantes la dépense y semble limitée. La comtesse est certes soucieuse de l’état de la quinzaine de châteaux qu’elle détient, comme le montre l’enquête de 1375746 ; pourtant, cette 746 Qui inclut étrangement Decize, appartenant à Louis de Male.

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enquête ne donne guère lieu à un vaste investissement. Les enquête postérieures lancées par Louis de Male et Philippe le Hardi révèlent le délabrement de nombreuses places comme Moulins-Engilbert. Ce réseau est également victime de nombreuses attaques des compagnies et des Anglais, notamment au sud-ouest près de Decize : en 1357-1358 le compte du receveur de Nivernais évoque une centaine de forteresses occupées entre Nivernais, Berry et Bourbonnais747. Modestes, ces travaux ne sont pas nuls, en particulier dans sept places plus surveillées. Druyes, ancienne demeure de la comtesse, est la plus dotée avec au moins 149 lb en 1373-1374748, puis 73 lb par an en 1377-1380, notamment en 1377-1378. Il s’agit de la forteresse la plus au nord du domaine. Suivent Moulins, siège d’une vaste châtellenie (51 lb par an), Donzy, centre de sa baronnie (29,4 lb), Cosnes (23,2) et « Mehere », généralement identifié à Metz-le-Comte, au nord-est (16,9), devant Liernais (6,5) et Clamecy (5,8). Au total, ces dépenses telles qu’elles apparaissent sur la période bien documentée de 1377-1380 semblent limitées : 205 lb tournois par an en moyenne. On voit que l’enquête de 1375 n’a pas entraîné de lourds investissements. On devine là une logique défensive et politique : les lieux du pouvoir et les places les plus exposées ont la priorité. Mais la région semble sous-dotée : l’absence de séjour de la comtesse a pu être un facteur négatif, ainsi peut-être qu’un moindre intérêt stratégique. Au total, on peut additionner chaque moyenne annuelle par château pour les années où des dépenses locales sont renseigner, et ainsi obtenir un cumul théorique annuel qui offre une vision assez nette des choses bien qu’hypothétique (Tableau 26 en ligne). Il est à majorer, au moins en Franche-Comté, mais constitue une indication intéressante de la prudence de la comtesse : on atteint ainsi en lb parisis 2 318 lb en Artois, 583 en Bourgogne, 164 en Nivernais et 37 en Champagne, et pas moins de 750 pour Paris et Conflans. Avec 3656 lb, on atteint 7,5% de revenus que l’on peut estimer à environ 50 000 lb.

Conclusion Dans ce rapport aux résidences se construit un élément majeur de la « fabrique » du pouvoir princier ; il s’agit de tenir son rang et d’incarner sa légitimité dynastique en maintenant son « estat » et en perpétuant les ancrages artésiens et comtois, mais aussi la filiation royale. Car « la première qualité d’un château est d’être immémorial » afin d’enraciner l’autorité du seigneur dans le passé749. C’est le cas d’Hesdin et Conflans, où Mahaut avait exalté le souvenir de son père. La comtesse continue d’entretenir ce patrimoine, tout en se projetant sur l’avenir, notamment dans le château de sa mère à Gray, où elle mêle à ses armoiries celles de Louis de Male et Philippe le Hardi. Elle privilégie un subtil équilibre entre

747 ADCO B 4406. 748 Versées par le châtelain de Billy. 749 H. Mouillebouche, « Châteaux et routes en Bourgogne », op. cit.

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conservatisme et adaptation au présent, ainsi qu’aux contraintes : loger une cour parfois nombreuse, accueillir ses proches, intégrer certaines innovations militaires, répondre aux difficultés financières. Dans l’ensemble, la prudence l’emporte, dictée par l’état des finances et la volonté de préserver l’héritage de Mahaut, même si plusieurs chantiers d’importance sont à signaler, pour l’essentiel en Artois, à Arras et Gosnay. Une autre dimension à souligner concerne les formes d’hybridation et de circulation des usages d’un territoire à l’autre. On écartera l’idée d’une « homogénéisation » globale, la réalité locale dominant du fait de l’héritage des structures antérieures et de l’organisation des chantiers. Mais on voit aussi s’exprimer les effets d’une union personnelle sur les principautés, contribuant à la construction d’une « koiné » curiale, souvent liée aux usages royaux et dont Marguerite n’est pas l’initiatrice. Les rapports entre l’Artois et la Couronne remontent à Philippe Auguste, et ceux entre la Franche-Comté, l’Artois et la royauté à Mahaut. Sous le principat de Marguerite, ce lien se renforce : les techniques se diffusent, d’autant que les châteaux voient venir à eux des personnes d’horizons différents, parfois lointains, comme Charles de Poitiers présent un peu partout. D’un bout à l’autre, on retrouve des caractéristiques communes : fossé, tours, créneaux, obstacles avancés. Presque partout, on retrouve le donjon avec sa grande tour et sa haute-cour auxquelles sont liées salle, chapelle, cuisine, chambres, dépenses, celliers, caves, greniers ; et la basse-cour avec étables, moulins, parfois vivier et étangs ou parc fermé de mur750. Beaucoup d’aspects n’ont rien d’original : la répartition entre espace commun et espace privé se retrouve dans les maisons fortes bourguignonnes de petits nobles751. Néanmoins, la complexification et le développement des parties privées sont flagrants, et à rattacher au monde de la haute aristocratie. Là où la comtesse demeure, on retrouve généralement des appartements individuels organisés entre espace de représentation (chambre de parement), espace intermédiaire donnant accès aux pièces intimes (chambre de retrait), pièces privées (chambre « ou madame gist », garde-robe), espace sacré avec oratoire ou chapelle privée, pièces d’apparat plus officielles avec ces salles servant à la justice ou aux réceptions, souvent connectés aux offices. On a pu voir dans cette spécialisation une diffusion du modèle royal, notamment au XVe siècle752 : le processus est déjà bien avancé. Le goût du confort se retrouve également, expression des exigences du moment, des attentes de la comtesse et du souci des siens. Le verre occupe logiquement une place majeure dans cette seconde moitié du XIVe siècle marquée par leur valorisation, y compris vers l’extérieur753. Peint ou non, ce verre se retrouve spécialement en Artois où la comtesse montre une attention particulière à la lumière du jour comme à l’usage héraldique du verre, en particulier à Arras. En matière de confort, la proximité est nette avec les usages royaux, voire avec ceux des papes en ce qui

750 P. Contamine La noblesse au royaume, op. cit., p. 155. 751 H. Mouillebouche, Les maisons fortes en Bourgogne du nord du XIIIe au XVIe s., Dijon, 2002, p. 380 et suivantes. 752 P. Contamine La noblesse au royaume, op. cit., p. 137-138. 753 J. Mesqui, Châteaux forts et fortifications en France, Paris, 1997, p. 75.

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concerne les étuves. À la manière des reines, Marguerite ne semble en revanche pas disposer d’une bibliothèque ou d’une étude, bien qu’elle gouverne. Sans doute travaille-t-elle dans ses appartements. Ce confort est partagé. Dès qu’elle le peut, Marguerite cherche à accueillir dignement, auprès d’elle, un petit groupe de proches, notamment Charles de Poitiers et les siens, Louis de Male semblant parfois accueilli avec moins de faste. L’attribution spécifique des chambres est à rapprocher des usages de Philippe le Hardi au château de Rouvres754. Mais comme à Rouvres, la place est limitée et la totalité des curiaux ne peut résider au château, peut-être à l’exception d’Hesdin. Quelques résidences d’ampleur apparaissent : Gray voire Dole ou Bracon ont probablement eu un potentiel « curial » d’ailleurs sous-exploité, quand Paris et Conflans font figure de résidences d’un grand raffinement, tout comme les vastes et coûteuses demeures d’Artois : Hesdin, la Cour-le-Comte qui fait l’objet d’agrandissements, Béthune et surtout Gosnay, avec ses vastes loges, enfin Bapaume. Partout, se retrouve le goût pour l’héraldiques, la peinture et les décorations à l’étain, d’Hesdin à Gray en passant par Arras. Marguerite reprend ici une tradition familiale comme elle le fait pour la construction de galeries. Cette mémoire est aussi la sienne propre : la comtesse investit les lieux de son enfance à Hesdin, Paris ou Gray, associant souvent résidence urbaine et rurale, à Béthune et Gosnay comme à Paris et Conflans. Immense, ce vaste parc immobilier pose cependant problème, n’étant pas en excellent état en 1361 : il faut faire des choix, notamment en fonction des séjours de la comtesse. Cela peut conduire à une situation parfois critique comme à Gray ou en Nivernais. Pourtant, l’information circule sur l’état des châteaux : très vite, la cour ou le conseil local sont avertis des effets d’un grand vent ou des menaces d’invasion. Mais il faut sans cesse arbitrer. Dans cette politique patrimoniale, priorité est donnée à la conservation et à la défense : c’est la patte de la comtesse mais aussi de conseillers en phase avec l’action militaire défensive de Charles V, comme Ancel de Salins et surtout Charles de Poitiers, l’homme fort de ces châteaux dans lesquels il semble avoir toujours sa chambre. Partiellement centralisée, cette politique repose sur les savoir-faire locaux : brique à Saint-Omer, pierre à Béthune, Arras ou Hesdin. Artillerie à poudre en Artois, en Champagne et en Nivernais mais pas en Bourgogne. La topographie joue ici, mais on notera qu’en Artois la compétition est rude : il s’agit de résister à l’Anglais et d’éviter d’être pris à défaut par Charles V. On y profite des compétences locales de maîtres flamands et cambrésiens. En revanche, on retrouve partout l’artillerie à cordes, l’importance des archères, et de multiples avancées en bois, pour l’essentiel, guérites au nord, « chaffauds » et « eschiffes » au sud. Presque partout, on observe la structure articulant donjon et haute-cour d’une part, basse-cour de l’autre. La protection des accès se retrouve dans l’usage des fossés, des buissons d’épines, même si l’Artois recourt à de vastes réseaux inondables, particulièrement autour de Béthune,

754 G. Frignet, « Le château et la châtellenie de Rouvres à l’époque des deux premiers ducs Valois de Bourgogne », dans Chastels et maisons fortes en Bourgogne : actes des journées de castellologie de Bourgogne 2008-2009, éd. H. Mouillebouche, Dijon, 2010, p. 83-94.

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Saint-Omer ou Aire, grâce à l’aide de Flamands. La démilitarisation des places nobles n’est pas à l’ordre du jour, d’autant que l’état de guerre se retrouve partout, pesant sur les dépenses notamment à partir de 1368. Cette chronologie rappelle celle de la défense du Dauphiné par Charles V755, que connaît parfaitement Charles de Poitiers. Ce n’est sans doute pas un hasard. On observe donc ici des effets de l’union personnelle sur les usages locaux, même s’ils s’inscrivent dans des évolutions plus larges de diffusion qui passe aussi par l’imitation, la proximité géographique entre châteaux, la circulation des artisans et des conseillers. Parmi ces tendances, on note en particulier la mise en valeur d’espaces intérieurs complexes où se devine un mode de vie fondé sur le faste et glorifiant l’incarnation matérielle du pouvoir, entre fêtes et vie quotidienne.

755 N. Nicolas, « Les travaux de défense des châteaux delphinaux pendant la guerre de Cent ans. Étude des réparations d’après les comptes de châtellenies au XIVe siècle », Archéologie médiévale, vol. 30-31, 2001, p. 175-198.

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Chapitre 13 

Tenir sa cour Distraction, consommation et habillement entre quotidien et temps de fête La construction d’un pouvoir princier passe pour une grande partie par des moments, des gestes, des relations directes et personnelles tant ce pouvoir est incarné et interpersonnel. La culture matérielle en est donc un élément essentiel qui se manifeste dans le cadre de la cour, milieu dans lequel se tisse une bonne part de ces rapports. Cela concerne à la fois le quotidien et les grands événements par lesquels s’incarnent des concepts abstraits permettant de manifester la fonction princière dans les actes1 : libéralité, ordre et honneur s’y donnent à voir. Il s’agit ici d’observer dans la vie curiale le mouvement de politisation, de mise en scène et de solennisation du spectacle de la cour, mouvement bien connu pour la royauté2 et les ducs de Bourgogne3, et qu’on a déjà vu à l’œuvre en suivant Marguerite sur les routes et dans ses résidences. On peut y observer concrètement un processus d’acculturation entre des usages curiaux flamands, français, artésiens et bourguignons qui participent d’une identité singulière et hybride, à l’image de la comtesse. Pour ce faire, et en l’absence des comptes de l’hôtel, nous disposons d’informations éparses mais nombreuses permettant de donner une idée de ce qu’est la cour, des loisirs qui s’y déroulent et surtout de la place qu’y occupe l’habillement. L’alimentation constitue un autre pan de cette culture matérielle que nous avons déjà traité ailleurs, et que nous n’évoquerons ici que rapidement4.

1. La vie de princesse Les manifestations publiques du pouvoir princier jouent un rôle majeur dans la vie des princes mais aussi des princesses dont le rôle de représentation est essentiel. Mises au service du discours politique, les cérémonies mettent ainsi en avant la figure du monarque en France5, mais donnent lieu à des appropriations de la part des sujets, notamment des villes, dans les terres du nord et des Pays-Bas6. Or la comtesse est à la croisée de ces traditions.



1 R. E. Giesey, Cérémonial et puissance souveraine : France, XVe-XVIIe siècles, Paris, 1987. 2 B. Guenée et F. Lehoux, Les entrées royales françaises 1328-1515, 2 vol., Paris, 1968. 3 É. Lecuppre-Desjardin, La ville des cérémonies, op. cit. 4 J.-B. Santamaria, « Boire et manger aux frais de la princesse , op. cit. 5 B. Guenée et F. Lehoux, Les entrées royales françaises, op. cit. 6 W. Blockmans, « Le dialogue imaginaire entre princes et sujets : les joyeuses entrées en Brabant en 1494 et en 1496 », Publication du Centre Européen d’Études Bourguignonnes, no 34, 1994, p. 37-53 ; É. Lecuppre-Desjardin, La ville des cérémonies, op. cit.

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Quand madame tient sa cour

La vie de cour de Marguerite reste très mal renseignée. On y retrouve cependant la coutume de tenir à date fixe « la cour » à laquelle sont « mandés » les nobles des environs, dans le cadre d’un usage féodal. Ces moments sont précisés dans les privilèges que la comtesse reconnaît au sénéchal de Bourgogne en 13647 : Toussaint, Noël, Pâques et la Pentecôte. Pareil usage se retrouve en Artois, Flandre et Hainaut : c’est souvent l’occasion de cérémonies et notamment de prestations d’hommage. La cour y apparaît comme « une occasion plutôt qu’une institution », selon le constat fait pour la Flandre par Malcolm Vale8. Si l’auteur y voit un usage flamand qui aurait ensuite dépeint en Artois, il ne s’agit guère d’une particularité « nordique » puisque de telles pratiques se retrouvent en Nivernais et en Bourgogne. Elles sont en fait assez communes. Les comptes comtaux confirment cet usage de tenir ainsi « sa cour » en Flandre, en Artois, en Bourgogne, en Nivernais et en Champagne. C’est d’ailleurs une des rares occasions où la documentation mentionne « la cour », qui désigne d’abord un afflux de nobles. Ces fêtes sont l’occasion de grandes dépenses en nourriture mais aussi en avoine en raison de la venue de nombreux chevaux. Il est coutumier d’y apporter à la comtesse des « bestes » et autres présents pour aider à la dépense. Lors du séjour de Marguerite en Nivernais, le samedi et le dimanche de Pâques 1338 à Donzy « furent encore madame et Loys a Donzi ou il tindrent court a IIICLII chevaux ». Des « trompeurs » viennent d’ailleurs y égayer les festivités. Le jour de la Pentecôte 1338, la comtesse et son fils sont à Druyes : « madame et Loys et y hot plusieurs chevaliers et escuiers et dames et damiselles du païs que madame manda »9. En Flandre, en novembre 1329 c’est au Gravensteen de Gand que madame tient sa cour ou « of » le jour de Noël : les Gantois lui envoient deux lasts de vin du Rhin10. Depuis Arbois, le 29 avril 1363, la comtesse ordonne la préparation d’une telle fête à Salins car elle entend « avoir en nostre hostel a ceste Penthecoste prouchain grant quantité des nobles et autres bonnes gens de nostre dit conté ». Elle les convoque aussi pour gouverner avec eux et selon le vieil usage féodal « avoir conseil et avis avecques euls sur la seurté de nostre dit païs »11. La comtesse fait acheter pas moins de « vint et cinq grosses bestes les meilleurs et plus crasse que l’an pourra trover, et C bons moutons »12. Certaines fêtes se tiennent même en son absence, comme à la Pentecôte 1367 au château de Dole, où résident « plusieurs gentiz hommes estrangiers qui estoient a Dole pour unes jostes qu’il facoient », fête qui ne plaît guère aux gens des comptes inquiets qu’on dépenses ainsi l’argent13.

7 ADCO B 401, fol. 23. 8 M. Vale, The princely court, op. cit., p. 28. 9 ADPDC A 575. 10 Comptes de la ville et des baillis de Gand 1280-1336, op. cit., p. 699. 11 Ibid. 12 ADD B 370. 13 Besançon, BM Droz 11, fol. 442r.

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Pour ces grandes fêtes, Marguerite se tient souvent à Paris, notamment Noël, probablement à la cour du roi. Mais elle est surtout chez elle en Artois : à Béthune, on dépense 111 écus le soir de Pâques 1368 puis le lendemain au dîner14. En 1376, lors de la « feste du Noel » à Hesdin, on achète des provisions de bœuf gras, de poisson d’eau douce, « de poulaille et autres coses », pour 114 lb15. Un autre aspect de ce cérémonial et de ce faste est la remise de livrées, notamment à Pâques et à Noël, sur lesquelles nous reviendrons, ainsi que la présence de réjouissances. Loisirs, occupations, divertissements et réjouissances : tournoi, musique et animaux

Une noble dame doit être occupée, entre dévotion, travail et « esbattement ». Les miroirs des dames nous éclairent sur un certain idéal de vie rythmée sur le modèle monastique : la princesse se lève tôt, prie, dit ses heures, suit les offices, fait ses aumônes, puis va dîner en la grande salle en bonne compagnie, avant de filer, coudre ou broder en tenant honnête conversation. Elle assiste ensuite aux Vêpres, va souper et se coucher16. Mais on sait aussi que toute bonne princesse doit savoir chanter, danser, jouer aux échecs17, et trouver d’honnêtes loisirs en gardant une juste mesure18. Il s’agit de faire preuve de libéralité, de maîtriser les codes culturels de la haute noblesse, de tenir son rang, d’entretenir l’affection des siens tout en créant une saine émulation. Trois de ces loisirs émergent ici : les tournois, la musique, et le goût pour les animaux que l’on peut relier à la chasse. Marguerite de France témoigne d’un intérêt certain pour le monde des joutes. Il n’est d’ailleurs pas impossible à une femme de promouvoir des tournois, et les dames sont impliquées en tant que spectatrices, ou pour la remise des prix19. De tels évènements ne se résument d’ailleurs pas à des combats, incluant défilés des combattants, banquets et autres occasions pour les dames de contribuer aux festivités. À l’instar de son mari et de son fils, mais en spectatrice, Marguerite de France semble affectionner ces réjouissances : du moins y assiste-t-elle et est-elle mise en valeur dans leur organisation. On la retrouve de manière répétée à des tournois, dont certains ne sont pas organisés pour son mari mais pour elle. L’une de ses premières apparitions littéraires correspond aux joutes des bourgeois de Paris le 24 juillet 1322, qui combattent « en amour et obeissance de leur seigneur le roy de France et de Navarre, l’espouse Louys filz Louys le conte de Nevers, et Louys de Clermont20,

14 ADN B 14610. 15 ADN B 14627. 16 Le livre des Trois vertus ou trésor de la cité des dames de Christine de Pizan, éd. C. Traverso et L. Vogel, en ligne, 2008, chapitre XI. 17 É. Lequain, L’éducation des femmes, op. cit., p. 511. 18 Le livre des Trois vertus, op. cit., chapitre XI. 19 J. K. Rühl, « Hommes et femmes dans les tournois du Moyen Âge », Clio. Femmes, Genre, Histoire, no 23, 2006. 20 Le futur Louis Ier de Bourbon.

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Robert d’Artoiz, filz feu Philippe d’Artoiz conte de Biaumont, et d’aultres barons presens »21. Lors de son arrivée en Flandre en 1329 des joutes sont organisées à Ypres22. L’année suivante, on construit à Gand une tribune couverte de draps de laine pour qu’elle puisse suivre les joutes durant le mois d’août23. La comtesse revient également lors des joutes organisées à Gand en 1375 en l’honneur des ducs d’Anjou, de Lancastre et de Bretagne. Elle est alors aux côtés de son fils, de Philippe le Hardi, de Marguerite de Male24. Des joutes se tiennent même en Artois devant elle et pour elle : en septembre 1362 Marguerite fait venir d’Arras à Hesdin « III paire de harnas de jouste »25. La tenue des joutes d’Arras fin mars 1365 correspond à la courte période durant laquelle elle réside dans la ville26 : elles ont été annoncées par « un hiraut d’Arras » le 18 à Valenciennes27. Le 29 juin suivant, alors qu’elle entend recevoir à Hesdin le duc et la duchesse d’Orléans, la comtesse fait venir d’Arras « trois hernois a jouster et des lances » envoyés « pour joustter devant madame d’Artois ». On ignore quel chevalier en a bénéficié28. À l’occasion, Vincent de Boulogne supervise la réalisation d’entremets, un charpentier fait « personnages devant nous », et un sergent des forêts et trois compagnons viennent « faire un entremes d’une chace »29. Bien qu’isolée, cette mention sauvée des destructions archivistiques laisse supposer une vie curiale riche et animée. La musique constitue un autre élément de la libéralité curiale et du divertissement festif ou quotidien. Elle joue un rôle important à la cour de Louis de Nevers, mais aussi dans celle de France où grandit Marguerite. Déjà à 8 ans, elle donne avec sa sœur Isabelle 6 florins « a un prestre qui chanta messe nouvelle a Saint Germain en Laye »30. En 1321, elle est distraite de sa maladie par « un menestre qui a joué du salterion [ou psalterion, instrument à cordes] et d’autres instrumens »31. Ce goût est connu et en 1331 les échevins de Gand lui envoient à Male 8 musiciens pour jouer de la trompette, de l’orgue et du violon devant elle et madame de Gueldre32. La présence de la musique semble liée aux cérémonies « publiques », notamment aux entrées et aux déplacements, à la tenue des grandes « cours », mais aussi à des usages plus quotidiens au sein des châteaux. La comtesse paie souvent des

21 Chronique parisienne anonyme du XIVe siècle, op. cit., p. 49. 22 Comptes de la ville d’Ypres de 1267 à 1329, op. cit., n° 1012-1016. 23 Comptes de la ville et des baillis de Gand 1280-1336, op. cit., p. 720. 24 Jean Froissart, Chroniques, op. cit., éd. S. Luce, t. 8, p. 217-218. 25 ADN B 13877. 26 ADN B 13633. 27 É. Van den Neste, Tournois, joutes, pas d’armes, op. cit., p. 236. 28 ADPDC A 715. 29 Ibid. 30 Comptes royaux (1314-1328), op. cit., p. 152. 31 Ibid., p. 155. 32 L. Gilliodts Van Severen et E. Gailliard, Inventaire des archives de la ville de Bruges. Section première, Inventaire des chartes, 8 vol., Bruges, 1878-1882, t. 2, p. 425. Peut-être Marie de Flandre, fille de Guy de Dampierre, qu’on fait habituellement mourir en 1329, voire Sophia Berthout, épouse du comte Renaud II.

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musiciens : elle fait venir trompettes et ménestrel à la Pentecôte 1338. Elle croise en vérité des artistes un peu partout cette année-là : ménestrels de Lihons en Santerre, d’Entrains, de Bourgogne, ménestrels de l’évêque d’Auxerre… Elle apprécie notamment les musiciennes et femmes saltimbanques, récompensant un ensemble de trois « chanteresses » ou de « joueresses de bateaux ». À Perthes elle donne deux sous à « une fame que madame fist chantier ». Elle dispose également d’un joueur de tambour, « mestre Jehan le taboreau »33, et est escortée jusqu’en Nivernais des « taboureurs monseigneur » qui retournent ensuite en Flandre. Elle dispose aussi de son follet, Anekin, avec sa cloche, et d’un « fol » dit Tabortin. Cette diversité et cette circulation ne sont pas sans rappeler les usages à la cour hennuyère. Elles montrent d’ailleurs en la matière une plus précoce « titularisation » des fonctions musicales dans l’hôtel34. Le goût pour les animaux de Marguerite de France est quant à lui mieux renseigné. Il est commun à de nombreuses princesses35. Dans le cas de Marguerite de France, cet intérêt s’inscrit dans une histoire familiale riche d’influences variées : celle des comtes d’Artois et de Bourgogne côté maternel, celle de la cour de France côté paternel, celle des usages flamands côté marital. Deux des représentations les plus significatives de la comtesse la montrent aux côtés d’animaux : le faucon de son premier grand sceau (figure 34 papier et en ligne) et les petits chiens de son tombeau (figures 17-18 papier et en ligne). On retrouve également en abondance ces animaux dans le psautier Douce 5-6 (figure 33 papier et en ligne). Faucon et chiens sont éminemment associés à la noblesse et à la chasse : comme l’exprime le Doctrinal de Noblesse, « noble homme vivant noblement doit […]amer les chiens et les oiseaux »36. Un principe qui s’applique également aux dames ! Ces représentations iconographiques sont confirmées par les comptes. La comtesse apprécie particulièrement les chiens, et la chose se sait. Rien d’étonnant ici : la fidélité qu’on attribue au chien et ses compétences lui donnent une place à part dans la société médiévale. Sa présence est attestée dans tous les milieux, notamment au sein de la noblesse37. Il est difficile de distinguer les chiens qui suivent la cour de ceux assignés à la chasse auprès des veneurs. Mais Marguerite reçoit beaucoup de petits chiens ou de chiots, don commun dans l’univers aristocratique38. Son entourage, ses vassaux, voire des clercs lui en offrent : le chanoine Mathurin Rogier achète 7 écus le 16 février 1362 « un chiennet qu’il deboit envoier a madame »39. 33 ADPDC A 575. 34 L. Nys, « Donné as menestrels…qui juerent devant monseigneur d’une rotte et d’unez orghes portatives. Chanteurs, musiciens et ménestrels à la cour de Hainaut sous les Bavière, 1345-1417 », Revue du Nord, vol. 101, n° 432, 2019, p. 707-754. 35 B. Chevalier, « Marie d’Anjou, une reine sans gloire, 1404-1463 », dans Autour de Marguerite d’Écosse, éd. G. et P. Contamine, Paris, p. 81-98. 36 BNF NAF 1017, fol. 44. 37 C. Beck et F. Guizard éd., Une bête parmi les hommes, le chien, Amiens, 2014, p. 31 ; N. Guilbert, Le chien de chasse à la fin du Moyen Âge : l’émergence d’un art des chiens (XIII-XVe siècle), Villeneuved’Ascq, mémoire de Master, 2018, p. 2. 38 Ibid., p. 55. 39 ADN B 14402.

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En avril 1364, Martine de Villers reçoit 10 francs pour avoir donné deux petits chiens à la comtesse40. En octobre 1365 Pierre de Wavrin offre « I kienet » qui est porté à Marguerite à Bapaume41. La comtesse possède encore les « levriers de madite dame » promenés à Hesdin par Colin de la Falise, « au deduit en son park et ailleurs »42. Ils semblent accompagner leur maîtresse : en mai 1374 deux lévriers sont envoyés vers elle d’Arras à Paris43. De tels chiens sont employés à la chasse, notamment pour leur vitesse44. C’est la seule race sur laquelle les documents donnent une précision, mais on sait que les « petits chiens » peuvent désigner des races chassant les oiseaux. D’autres chiens de chasse sont entretenus à l’hôtel, comme ceux confiés à David le Hardi, sergent d’Hesdin en septembre 137645, et qui sont nourris avec du blé46. De beaux effectifs sont par ailleurs confiés aux veneurs qui ont probablement parfois la charge d’animaux suivant la cour. Le veneur Jean Bernard en entretient une douzaine et Jean le Houpilleur six, tous voués aux chasses47. On fait construire au printemps 1374 un « chiennil » à Hesdin, car on ne sait où les mettre48. On trouve donc des effectifs relativement importants, à rapprocher de la trentaine de chiens de Philippe de Rouvres en 1360, même si on est loin des immenses meutes de Charles VI ou des ducs Valois. Pour les nobles, les chiens ne vont pas sans oiseaux de proie. Associés au ciel, les volatiles sont en effet tenus pour nobles dans la hiérarchie animale. Des faucons accompagnent la comtesse toute sa vie : Marguerite de France possède en 1338 un « faucon madame » et son sceau la représente alors un faucon au poing49. Ses gens lui envoient régulièrement des oiseaux de chasse : le 18 août 1336 Jean de Hemsrode, fauconnier, lui apporte un épervier à Fampoux50. Elle-même en réclame : en 1360-1361, elle se fait expédier à Paris depuis Bapaume deux éperviers51. Entre mars et avril 1361, elle fait acheter à Bruges « II faucons pour madame »52. Au gré des sources, on dénombre ainsi une trentaine de rapaces de 1361 à 1382 : 4 éperviers, 13 faucons, dont deux faucons sors et deux « faucons gentils », quatre autours, 8 tiercelets et deux « oiseaux laniers ». La plupart proviennent de la forêt ou de la garenne d’Hesdin, deux de Bruges et trois de la garenne de Mofflaines. Ils sont souvent capturés par son fauconnier Jean d’Otheraisse dit Thyeresche, nom qui renvoie à la Thiérache proche de l’Artois, et par plusieurs tendeurs d’oiseaux dont « Jehan d’Hesdin », ou Jean de la Ruelle. 40 ADPDC A 708. 41 ADN B 14598. 42 ADN B 15279. 43 ADPDC A 757. 44 N. Guilbert, Le chien de chasse à la fin du Moyen Âge, op. cit., p. 60. 45 ADPDC A 763. 46 É. Picard, La vénerie et la fauconnerie des ducs de Bourgogne, Paris, 1881, p. 29. 47 ADN B 15283. 48 ADPDC A 757. 49 ADPDC A 575. 50 AGR CC R 5. 51 ADPDC A 695. 52 Ibid.

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Certains sont portés à Louis de Male en Flandre, à Charles de Poitiers ou à Robert III de Wavrin, redoutable veneur, et surtout à la comtesse. En 1379 Marguerite se fait envoyer à Arras ou Béthune deux faucons gentils, six tiercelets et deux éperviers. Généralement, les comptes précisent bien qu’ils sont envoyés sur son ordre, ou « pour madame », ou « porté à Arras en l’ostel de madame ». Les primes versées pour leur prise ou leur valeur d’achat sont stables : les moins chers sont les tiercelets et éperviers, à 3,5 lb, les autours à 5 lb, les faucons gentils coûtant 5 à 6 lb. Les oiseaux de madame reçoivent notamment des pigeons comme ces deux autours gardés par Jean Thyersche : ils lui ont été laissés « pour muer » et doivent être nourris « ladite mue durant »53. Ces oiseaux sont évidemment utilisés à la chasse : au printemps 1373, le fauconnier part chasser deux mois en Champagne, avec « les oisiaux de madite dame »54. On ne dispose pas d’information sur la participation de la comtesse à des chasses, en dehors de son premier grand sceau, mais on sait que les nobles dames chassent au vol55. Ces faucons semblent en tout cas souvent accompagner la comtesse. En 1380, quand la cour est à Arras, on fait faire par un huchier « une verriere de toile et une perche pour mettre oysiaux de proye en le cambre de ledite maison des gouverneurs » d’Arras56. Marguerite collectionne également des oiseaux exotiques : des oiseaux rares comme le perroquet sont un élément de prestige57. Marguerite dispose de « pappagaux » en cages qui l’accompagnent en Nivernais en 133858. Ils sont alors confiés à « Braconnier ». Comtesse d’Artois, Marguerite de France profite de la « gayole » d’Hesdin, vaste volière, attestée du temps de Robert II59, toujours entretenue avec soin jusqu’en 138260. Là résident ses « oyziauls », perroquets et oiseaux chantants, pour lesquels on achète de la graine de chanvre61. Ils sont sous la supervision de Vincent de Boulogne62, qui les prend parfois chez lui, ce qui lui permet de se faire payer le chauffage l’hiver63. Le 14 mars 1372 Jean Tubet, dit Chocquelet est chargé de ces « oiziaux chantans et autres », en tenant « le gayole du chastel » pour 8 francs par an. Il est en poste en novembre 137864. D’autres oiseaux font l’objet de cadeaux : un aigle capturé dans la garenne de Mofflaines en 1363 est offert à l’évêque d’Arras, un autre à l’abbé de Saint-Vaast65. En 1379, une perdrix blanche est donnée à Marguerite de Male lors de son séjour à

53 ADN B 14626 et ADPDC A 763. 54 ADCO B 3856. 55 P. Contamine La noblesse au royaume, op. cit., p. 180. 56 ADN B 13881. 57 A. Paravicini Bagliani, Le bestiaire du pape, Paris, 2018. 58 ADPDC A 575. 59 J.-M. Richard, Une petite-nièce de Saint-Louis, op. cit., p. 331. 60 ADN B 15283. 61 ADBN B 15274. 62 ADN B 13634. 63 ADN B 15276. 64 ADPDC A 770. 65 ADN B 13877.

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Hesdin66. Tout un milieu familial participe à cette passion : son époux, son fils, sa petite-fille et Philippe le Hardi. On trouve en outre des « paons du chastel » qui ont leur propre « gouverneur » en 137967, ou encore des cygnes, notamment dans les eaux entourant le château de Béthune : quatre d’entre eux sont capturés en avril 1364 et envoyés à Aire68. Les cygnes béthunois sont sous la surveillance de « Brunot le pescheur » en 1381, qui les fait enfermer durant l’hiver et les nourrit69. Ces usages existaient dans les demeures de Robert II. La comtesse reprend également l’usage d’entretenir des animaux semi-sauvages en Artois : à Hesdin, ils sont abrités dans un enclos du bois et nourris durant les hivers rudes. On achète des pois de fourrage « pour les bestes du park », entre le 15 décembre 1366 et 30 mars 136770. Ce sont probablement des daims, si on en juge par les venaisons expédiées d’Hesdin vers Bruges en 137971. L’autre parc est celui de La Buissière. On y transfère d’ailleurs 17 « bestes vives » depuis Hesdin en juillet 136572. On ne dispose en revanche que de peu d’informations sur les jeux pratiqués par la comtesse, qu’il s’agisse de jeux de plateaux ou de dés, de sport ou d’autres amusements communs chez les reines comme la seconde épouse d’Édouard Ier, une autre Marguerite de France73. La comtesse disposait bien d’un jeu d’échecs offert à son arrivée en Flandre par Goldolf de Bruges74. Mais on n’en sait pas plus. Au total, les divertissements de la comtesse participent d’une culture commune aux cours, valorisant chasse, tournois et musique, loisirs fort goûtés notamment en Hainaut et en Flandre75. Marguerite de France est parfaitement imprégnée de ces usages septentrionaux du reste largement partagés par les rois de France. La table de la princesse

C’est cependant la table qui constitue le dossier le plus renseigné, que nous avons déjà traité ailleurs76, et dont nous nous bornerons ici à souligner les grands traits : placée sous la responsabilité du maître d’hôtel, des officiers de cuisine et de bouteillerie principalement, la pratique nourricière de Marguerite démontre une grande adaptation aux contraintes financières et aux enjeux de l’itinérance. S’y devinent les goûts fort composites de la comtesse et pas toujours « localistes », à l’image de son identité : Marguerite apprécie le raisin noir et les vins du Vignoble

66 ADN B 15281. 67 ADN B 15280. 68 ADN B 14594. 69 ADN B 14653. 70 ADPDC A 708. 71 ADN B 15281. 72 ADN B 15274. 73 M. Vale, The princely court, op. cit., p. 172. 74 ADN B 3231, n° 111699. 75 M. Vale, The princely court, op. cit. 76 J.-B. Santamaria, « Boire et manger aux frais de la princesse , op. cit.

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du Jura, les fromages gras d’Aire-sur-la-Lys, les épices et le sucre acquis auprès des épiciers, qu’elle soit en Nivernais ou en Artois, et elle n’hésite pas à se faire expédier marsouin ou hareng en Bourgogne ou des venaisons artésiennes à Paris. La part considérable accordée à la viande y nécessite l’abattage régulier de dizaines de moutons, plus rarement de porcs et de bœufs, pour des coûts importants permettant à certaines familles comme les Wardavoir d’Arras de réaliser de beaux profits. Le poisson occupe également un grand rôle, en particulier lors des jours maigres et durant le Carême, la comtesse recourant en particulier au hareng de Boulogne, à la pêche à la baleine et surtout au marsouin le long de la mer du Nord. Une grande attention est en effet portée par la comtesse à vivre du sien, y compris à Paris ou en Flandre, ce qui l’amène à recourir aux stocks importants de céréales fournis par les revenus en nature des domaines artésiens afin de fournir 200 à 350 kilos de pain par jour. La grande plasticité des approvisionnements se retrouve également dans la fourniture de vin qui repose en partie l’autoconsommation des vins comtois, notamment depuis Arbois, acheminés pour un prix élevé jusqu’en Artois. Mais le vin de Beaune a sa place à la cour de Marguerite, souvent acheté auprès des hôteliers d’Arras, Saint-Omer ou Hesdin : on prévoit souvent 2 litres de vin par personne et par jour, et ce pour 100 à 175 personnes environ. Les fournisseurs doivent cependant faire face à une certaine rapacité de la cour qui utilise les vestiges des droits seigneuriaux pour acheter le vin bien en-dessous du marché. La comtesse veille ainsi à faire preuve de ses qualités de bon gouvernement en manifestant sa largesse, ainsi que la charité par des distributions de nourriture au château, notamment à Hesdin. Le choix de cette résidence s’explique d’ailleurs aussi par l’accès abondant à toutes les ressources nécessaires, du poisson de mer venu de Boulogne au gibier des forêts alentours. Mais il ne s’agit pas seulement de nourrir les siens : il faut encore les vêtir.

2. « Soy vestir noblement » Livrées et dépenses d’habillement L’importance symbolique et sociale du vêtement n’est plus à démontrer. Il distingue les catégories, les âges, les sexes, répond au goût et à la mode et aux normes sociales. L’apparence d’un prince épié de tout côté constitue un élément fondamental de sa capacité à dominer. La dimension morale associée au vêtement féminin est encore plus forte : si son usage excessif peut être associé à l’orgueil ou la luxure, il faut dépenser suffisamment pour assurer sa dignité. Tout est affaire de mesure. Une princesse doit non seulement veiller à son habit, mais aussi à celui des siens pour manifester son statut et sa largesse en distribuant des livrées unissant les gens de sa maison. Livrée de Pâques et de Toussaint engloutissent chez Mahaut 12 à 35% des dépenses de l’hôtel77. Dans une perspective d’histoire des cultures matérielles, l’étude du vêtement permet donc de cerner la place de Marguerite dans la haute aristocratie,

77 C. Balouzat-Loubet, Le gouvernement de la comtesse Mahaut en Artois (1302-1329), op. cit., p. 315.

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sa capacité à fédérer, tout en révélant l’impact économique d’une telle consommation entre Pays-Bas et marché parisien78. Les tenues de la comtesse : un goût affirmé pour le luxe

Selon Christine de Pizan, une princesse doit pour être bien vêtue veiller à être « richement atournee » afin faire honneur à « l’office où Dieu l’a assise », tout en faisant preuve de « sobresse »79. L’habit doit être proportionné au rang. La hiérarchie des tissus telle qu’elle peut apparaître dans les livrées princières suit ainsi un ordre convenu : velours, soie, camocas, satin, drap, drap rayé, drap rayé brun80… Quant aux couleurs, le rouge domine, ou le bleu, puis les couleurs sombres, le gris, le noir (avant son essor au XVe siècle) voire le blanc souvent parti, les rayés pour les offices subalternes. Marguerite a très tôt appris ces codes, étant entourée d’hommes et plus encore de femmes soucieuses des questions vestimentaires, femmes dont elle a partagé les tenues, apprenant le sens des hiérarchies et la valeur des choses en matière de tissus. Ainsi, durant l’hiver 1325-1326, Mahaut d’Artois achète cinq marbrés à un vendeur de Bruxelles pour elle-même, sa fille, et trois des « gunes dames », sans doute Jeanne, Isabelle et Marguerite, alors âgée d’environ 14 ans81. Dès 1330, on observe de sa part de fastueuses dépenses pour la naissance de Louis de Male, à travers le projet d’achat de deux « robes ». Ce terme désigne un ensemble formé d’une cotte, d’un manteau, d’un chapon, parfois jusqu’à 6 vêtements pouvant être portés ensemble ou séparément82. La première robe devait coûter 800 lb parisis, et devait comporter 4 garnements brodée de perle, avec un chaperon « pour ses relevailles », la deuxième 3 garnements à velours brodé de 400 lb parisis « pour le jour du regard ». D’autres achats confirment ce goût, qu’ils soient ordonnés par la comtesse ou par son mari comme ces « VII camocas pour nostre tres chiere compaigne la contesse », acquis par le comte à Paris en 133383. Dans la livrée de Pâques 1336, la robe de la jeune princesse avec sa pelisse requiert 1 646 ventres de fourrure et 14 hermines84. Le drap utilisé est probablement le même que celui du jeune Louis, de l’écarlate rayée, drap de laine luxueux teint dans des tons rouges (vermeil, violet, rose), ici acheté à un drapier de Bruges85. Visiblement excessif, le goût du luxe que manifeste

78 F. Lachaud, « Les livrées de textiles et de fourrures à la fin du Moyen Âge. L’exemple de la cour du roi Édouard Ier Plantagenêt », dans Le vêtement. Histoire, archéologie et symbolique vestimentaires au Moyen Âge, Paris, Cahiers du Léopard d’Or, n° 1, 1989, p. 169-180. 79 Le livre des Trois vertus ou trésor de la cité des dames de Christine de Pizan, op. cit., chapitre X. 80 C. De Mérindol, « Le prince et son cortège. La théâtralisation des signes du pouvoir à la fin du Moyen Âge », op. cit. 81 ADPDC A 448. 82 M. Vale, The princely court, op. cit., p. 98. 83 ADN B 1565, n° 532. 84 AGR CC 46. 85 AGR CC R 5.

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le couple comtal est critiqué par les conseillers comme une des causes du déficit des années 133086. Sujet politiquement sensible : un prince trop dépensier est « revêtu du sang des pauvres »87. Une fois veuve, Marguerite de France dispose de moins de moyens, mais peut compter sur son fils : à la Toussaint et la Noël 1346, Louis de Male dépense 15 lb de gros de Flandre pour elle, lui-même et ses compagnons en « draps peins de lys »88. Après 1361, les informations demeurent occasionnelles : ce sont trois draps d’or de Bruges achetés « pour madame » en septembre 136289, des robes commandées en 1364 pour le sacre, fourrées de menu vair90. Pour la livrée de Noël 1364, la comtesse fait acheter du drap pour elle et madame de Saint-Vallier, manifestant ainsi avec sa cousine et amie une proximité réservée aux sœurs et aux mignonnes91. D’autres ont des livrées du même tissu que madame : pour le mariage de Marguerite de Male la comtesse fait acheter draps d’or et de soie pour les nobles de son hôtel pour « faire gipons »92. Les étoffes de la comtesse sont parmi les plus nobles, comme le marbré en 1325, drap tissu avec des laines de diverses couleurs, notamment commandé à Bruxelles93. Il est le plus cher après l’écarlate parmi les draps achetés pour les rois. On retrouve encore le camocas, riche étoffe de soie proche du satin, acheté à Paris ; un drap d’or de Bruges ; des robes de cendal pour la Pentecôte 1334, achetées pour le comte et son épouse auprès de Pierre des Essars94, et même de l’écarlate en 1367, peut-être pour la comtesse95. Quant aux fourrures, elles requièrent de nombreux ventres de menu-vair et se signalent par l’achat de « létices », bandes dont l’emploi était de border ou « pourfiller » certains habits96. La comtesse dispose enfin de « couvrechiefs pour nous a mettre de nuit »97. La coupe reste en revanche méconnue. Les représentations iconographiques peuvent ici nous éclairer ; même si elles n’ont pas vocation à être réalistes, elles ont tendance à suivre les modes. La comtesse s’est-elle ralliée à l’essor du décolleté au cours du XIVe siècle ? Les sceaux ne le suggèrent guère, répondant d’ailleurs à des canons très normés ; ils la font apparaître avec de longues robes ajustées mais montant haut sur le premier grand sceau ou sur le second créé après 1361. Les femmes du manuscrit Douce 5-6 des années 1330, parmi lesquelles pourrait se trouver la comtesse, portent de longues robes montantes, et un voile couvrant cou et buste (figures 37-40 en ligne), hormis celle allongée avec son amant, dont la poitrine est dénudée dans l’intimité 86 A. Van Nieuwenhuysen, Les Finances du duc de Bourgogne, op. cit., p. 385. 87 P. Aladjidi, Le roi, père des pauvres, op. cit., p. 232. 88 ADN B 1595, 2, n° 103. 89 ADN B 14589. 90 ADPDC A 708. 91 J.-B. Santamaria, Le secret du prince, op. cit., p. 110. 92 ADPDC A 734. 93 Comptes de l’argenterie des rois de France au XIVe siècle, op. cit., p. 390. 94 ADN B 1565, n° 524. 95 ADN B 15791. 96 Comptes de l’argenterie des rois de France au XIVe siècle, op. cit., p. 286. 97 ADPDC A 709.

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de la chambre. Dans le Livre du sacre de Charles V, Marguerite porte également une longue robe avec de longues manches, et un voile couvrant épaules et poitrine, qui contraste avec la gorge plus dénudée de la reine. Plus largement, les représentations postérieures à 1346, qu’il s’agisse du sceau, des miniatures ou du tombeau mettent en valeur la sobriété du veuvage. Sur son gisant, Marguerite porte ainsi une très longue robe aux nombreux plis, nullement cintrée, des manches couvertes, et un voile couvrant les cheveux, les oreilles et le menton et tombant sur les épaules. De semblables représentations se retrouvent dans les dessins d’artistes modernes comme Arnoul de Wuez, réalisés à partir d’œuvres inconnues et qui représentent Marguerite avec de hautes robes, un manteau fourré, et le voile de la veuve. Telle est l’image qu’on a formé pour elle et qu’elle s’est sans doute plu à construire. On observe enfin une dimension héraldique dans certaines tenues comme les « draps peins de lys » achetés pour Marguerite et son fils et rappelant le lien de sang de la famille avec la Couronne et les Capétiens, alors que le roi d’Angleterre compte faire épouser sa fille au comte de Flandre. Cette dimension politique peut être démultipliée lorsque c’est toute une cour qui se trouve vêtue par la magnanimité princière. Les livrées : vêtir les siens

La livrée est d’abord une « liberatio », un don manifestant la largesse et la reconnaissance du prince vis-à-vis de ses serviteurs98. Elle affirme l’autorité du chef de maison sur ses domestiques, voire sur les nobles de son entourage. Elle n’est cependant pas réservée à l’hôtel : Louis de Nevers peut la distribuer à tous les nobles qui fréquentent sa cour. De plus en plus unifiées depuis la fin du XIIIe siècle, ces livrées rendent ainsi visible un lien et se caractérisent progressivement au XIVe siècle par un effort de mise en scène99. L’usage en est bien établi en Flandre au XIIIe siècle, à la Toussaint, à Noël et à Pâques. Draps rayés pour écuyers et valets, draps mêlés pour les demoiselles, mais aussi la comtesse et ses enfants, toute une grammaire est déjà en place jouant sur les tissus et couleurs100. En Artois, Robert II livre même parfois des livrées à la Toussaint, Noël, Pâques et Pentecôte, pour plusieurs milliers de lb101. Mahaut reprend ces usages, achetant à Saint-Omer, Bruges, Gand, Louvain et Paris. Ces livrées atteignent à l’époque de Louis de Nevers d’énormes montants, entre 4 000 et 5 000 lb. En 1330, elles concernent 441 personnes, dont 36 livrées de bannerets, 61 de chevaliers, 180 d’écuyers, une centaine pour les gens de métier. Ces catégories correspondent à des standards comptables, car des valets peuvent être retenus à livrées d’écuyers, etc. La comtesse reprend ces usages : durant l’été 1365 on effectue les paiements d’une livrée « laquelle livree a esté donnee a ses chevaliers, conseilliers, dames, damoisellez

98 Ibid., p. 94 99 F. Lachaud, « Les livrées de textiles et de fourrures à la fin du Moyen Âge », op. cit. 100 M. Vale, The princely court, op. cit., p. 115. 101 Ibid., p. 123.

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et a ses clers »102. En 1363, côté Bourgogne, Marguerite de France fait préciser que la coutume comtoise est de fournir des livrées aux chevaliers de l’hôtel et du conseil aux « quatre festes annuelles, ch’est assavoir la Toussains, la Nativité nostre Seigneur, Pasques et Pentecoustes »103. Ces usages sont donc proches d’une région à l’autre, peut-être fusionnés au sein de l’hôtel, mais certains officiers héréditaires disposent de leurs propres droits d’usage, tout comme des officiers ne figurant pas dans l’hôtel. À suivre les comptes, c’est cependant d’abord la livrée de Noël qui apparaît chaque année104, tandis qu’une livrée pour Pâques est prévue au début de l’année 1382105. Certains évènements exceptionnels peuvent aussi justifier une livrée comme le sacre ; la comtesse achète alors robes et manteau pour ses conseillers et le receveur d’Artois106. Elle dépense également sans compter pour les noces de Marguerite de Male. Le plus souvent on précise que chacun reçoit « une robe et mentel » avec les fourrures107. En 1364 chevaliers, conseillers mais aussi femmes de chambre reçoivent « cottes hardies et manteaux » fourrés. La cote hardie est une robe à manches, employée en extérieur, notamment pour chevaucher, fort utile pour aller au sacre. On mentionne parfois des couvre-chefs108. Il n’est d’ailleurs pas nécessaire que les livrées soient fournies déjà taillées : même si on a également la trace de travaux de taille, il s’agit d’abord de fournir les étoffes. La hiérarchie des draps est assez nette quant aux tissus et aux couleurs, répondant à la nécessité de donner à chacun selon son rang, et de bien identifier son statut. Des catégories standardisées émergent qui servent de référence pour décider du type de robe : un receveur peut avoir une livrée de « clerc », usage qu’on retrouve chez Louis de Nevers. Les mentions de catégories de livrées, assez rares, sont à recouper avec les achats de drap, de fourrure et les frais de tondage, ainsi qu’avec les noms de ceux qui les reçoivent. Dans les achats de draps apparaissent ainsi certaines catégories : « chevaliers et conseillers » ; « conseillers » ; « clercs et conseillers » ; chapelains ; écuyers ; valets. L’année 1374 fournit des données assez précises grâce aux dépenses de fourrure109, achats de drap110 et frais de tondage111. Les frais de tontes semblent assez complets, intervenant à la fin des opérations en février 1375. Ils mentionnent 579,5 aunes de drap, soit 405 mètres à 70 cm l’aune112. À titre de comparaison, 700 aunes ont servi à la livrée de 133 personnes de l’hôtel de Jean, comte de Nevers113, soit cinq aunes par personne. On aurait donc peut-être ici une centaine de personnes, mais ces 102 ADPDC A 715. 103 ADCO B 401, fol. 23. 104 En 1368, 1369, 1373, 1374,1375, 1376, 1377, 1378, 1379. 105 ADN B 13886. 106 ADPDC A 708. 107 Ibid. 108 ADN B 13633. 109 ADPDC A 760. 110 Ibid. 111 Ibid. 112 0,68 m à Arras, Bruges, Bruxelles, Gand, 0,72 m à Saint-Omer. 113 B. Schnerb, Jean sans Peur, op. cit., p. 134.

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quantités sont inégalement réparties. On y trouve huit catégories : chevaliers (trois draps longs, 72 aunes), dames (3,5 draps, 82 aunes), clercs et demoiselles (80 aunes), écuyers (140 aunes), officiers (100 aunes), « beau-père », c’est-à-dire le confesseur (20 aunes), avocats (24 aunes), valets (48 aunes), 10,5 aunes n’étant pas attribuées spécifiquement. Le compte des fourrures correspondant signale d’abord un groupe de 7 individus avec 600 voire 800 ventres de menu vair, regroupant un chevalier conseiller et six conseillers. S’ils ont les mêmes fourrures, on a vu que leur drap n’est pas le même puisque le chevalier conseiller obtient des draps de chevalier ; il s’agit de Tristan du Bois. Les 6 autres à recevoir la même quantité (entre 600 et 800 ventres) mais un drap différent, sont les conseillers114. Ce sont des conseillers de haut niveau, comme Jean Biset, Mathurin Rogier, Jean Blanchet, Jacques le Fort, le prévôt de Harelbeke, ainsi qu’un roturier laïc, lui aussi très écouté, Jean Biset. Cela reste des livrées coûteuses d’une valeur comprise entre 25 francs et 50 florins par tête. On ignore à quel groupe les rattacher dans le compte des tontes, mais on verra qu’il est possible de les rattacher aux « écuyers ». Un autre groupe est formé de deux nobles, d’ailleurs maîtres d’hôtel : Humbert de la Platière et Jean le Berruyer, pour lesquels on achète une penne de gros vair et 350 dos de gris. Cette catégorie n’apparaît pas dans les frais de tonte des draps, mais on note qu’ils ont pu être absorbés dans les draps de chevaliers : ils auraient alors les mêmes draps que Tristan du Bois, mais une fourrure spécifique. Ce n’est qu’une hypothèse : les 2 chevaliers ayant reçu du drap en plus de Tristan du Bois pourraient être Ancel de Salins et Charles de Poitiers, même si leur nom n’apparaît pas dans les dépenses de fourrure. On sait pourtant qu’ils reçoivent ordinairement de belles livrées : c’est le cas de Poitiers à Pâques 1366115, et de Salins pour la Noël 1371116 Après les maîtres d’hôtel sont signalés 10 individus pour lesquels on achète gros vair et ventres de menu vair comme Pierre de Montaigu, Jean Blarye, Jacques de Muserode, Étienne Bosquet, roturier spécialiste du droit, l’avocat et conseiller Guy Ponce, une dame, Marie d’Amillis et 4 demoiselles : Marguerite des Fontaines, Isabelle de Liestres, épouse de Louis de Beaujeu, Perrine des Bordes et demoiselle Isabelle [ ?]. Du côté des achats de drap et des frais de tonte, ce groupe correspond clairement au groupe des « clercs et conseillers »117, ainsi qu’à celui des « clercs et damoiselles » du compte de la tonte de 1374 (80 aunes en tout), auxquels s’ajoute une « dame », Marie d’Amillis. Les dépenses de fourrure distinguent également 6 chapelains, bénéficiaires de fourrures d’écureuils noirs, usage qu’on retrouve en 1380 pour 7 individus118. En tête, deux reçoivent une penne de gros vair et 250 écureuils noirs, Pierre de Cosne et Pierre Haton. Viennent ensuite les chapelains avec une penne de pourpre et 250

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ADPDC A 714. ADPDC A 720. ADN B 15803. ADPDC A 708. Ibid.

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écureuils noirs pour Jean Brunel, messire Denis, Martin d’Aire et Pierre Crestien. Cette catégorie n’apparaît pas dans les tontes de drap, mais est recensée dans les achats de drap des autres années ; elle sert de référence pour la livrée du médecin Guillaume Thouzé qui obtient une livrée semblable à celle des chapelains119. Après les chapelains, viennent en 1374 les « escuyers de l’hostel », pour lesquels 16 fourrures d’agneau blanc sont achetées. Les achats de drap antérieurs évoquent le même groupe à un niveau de dépense voisin des conseillers : ils reçoivent chacun en 1365 un drap ample et un drap rayé, respectivement de 3,5 et 3 aunes par personne par cotte, soit 7 écus120. Cette catégorie compte au moins 3 véritables écuyers, à en juger par les achats des années 1367 et 1369, qui avoisinent 20 à 25 aunes de drap121. On peut penser à l’écuyer tranchant de la comtesse, Louis d’Amillis. Cette catégorie est aussi présente dans les frais de tontes ou les achats de drap qui mentionnent les draps des « escuiers ». Mais il s’agit d’une catégorie fourre-tout, nous le verrons. La liste des fourrures mentionne ensuite des femmes de chambre qui reçoivent une penne de pourpre. Les achats de fourrure de 1374 évoquent enfin le clerc des briefs Pierre Dargent, qui reçoit une penne de gris. À quelle catégorie est-il rattaché ? Peut-être celle des clercs et conseillers, qui pourrait inclure les secrétaires, à moins qu’ils ne constituent un groupe à part. Ces secrétaires reçoivent en tout cas bien une livrée : Lengret reçoit une cotte d’une valeur de 4 écus seulement en janvier 1367122. La liste des fourrures s’arrête là. Bien que ces catégories soient présentes dans les frais de tonte ou les achats antérieurs, on n’y trouve ni les dames, ni même les valets, ni le confesseur, sans parler des avocats. Il faut donc compléter par ces mentions éparses. Le confesseur et son compagnon reçoivent bel et bien la livrée123, généralement des étoffes peu coûteuses : pour la livrée de Noël 1374, d’ailleurs, quand tous ceux mentionnés dans le compte des fourrures reçoivent du beau drap de Saint-Omer, le confesseur frère Jean Pinaut se contente d’une étoffe modeste, un drap gris d’une drapière d’Hesdin124. Baillis et receveurs n’apparaissent pas non plus en 1374. Ils sont en fait probablement inclus dans d’autres catégories, notamment les écuyers qui comprend d’ailleurs en 1365 le receveur de Bapaume125 et ceux de Saint-Omer, Béthune et Hesdin en 1366126 D’autres officiers locaux ont droit aux livrées des « conseillers estans en nostre hostel » : c’est le cas du bailli Étienne Bosquet en 1365127. Les officiers peuvent encore recevoir les mêmes dons de draps que les « clercs et gens de conseil » comme le receveur d’Artois Regnaut Levoul avant le sacre ; il faut dire qu’il est lui-même prêtre128.

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ADPDC A 716. ADN B 15788. ADN B 15799. ADN B 15788. ADN B 15806. ADPDC A 760. ADN B 15787. ADN B 15788. ADPDC A 714. ADPDC A 708.

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Les valets de madame sont également ignorés dans la liste des fourrures. Ils reçoivent pourtant une livrée : en 1371, ce sont 3 draps rayés achetés à Baudin Brecequepot, bourgeois d’Aire, pour 45 francs, somme non négligeable, mais probablement employée pour un nombre important de valets129. Les achats distinguent en 1372 les « valets de mestier de madame »130, et en 1373 les « petits valets »131. Aux côtés des livrées, enfin, la comtesse achète des vêtements liturgiques : l’inventaire de la chapelle d’Hesdin en 1384 montre que la comtesse avait fait mettre ses armes sur les ensembles de messe constitués notamment d’une chasuble pour le célébrant, d’une dalmatique pour le diacre, d’une tunique pour le sous-diacre. Les armes de France et de Flandre se trouvent aussi alors sur un ensemble de soie rouge semé d’yeux de paon et de glands, doublée de cendal vert, alors dans un triste état132. Un autre ensemble en drap de soie de Lucques semé de demi-écus de France pourrait également être lui attribué. Enfin, certains achats de toiles servent à empaqueter les bagages et du gros drap sert de couvertures pour les chevaux133. Afficher l’ordre de l’hôtel et la largesse de la dame : étoffes et couleurs

À la différence des tenues de la comtesse, les soieries sont rares dans la livrée, hormis pour les draps d’or des noces de Marguerite de Male. Il est alors probable que la comtesse soit habillée des mêmes tissus que ses nobles. Les draps de laine sont en revanche nombreux, mais ils répondent à une hiérarchie très claire au sein de chaque livrée. Pour la Noël 1374 on distingue une première catégorie, la plus luxueuse qui correspond pour une bonne part aux livrées des catégories des « chevaliers et conseillers », ainsi que celles des dames pour lesquelles on tond des « draps lons » identiques. Ce premier niveau correspond d’abord à l’achat de 7 draps chez un marchand de Bruxelles, Gilles de Mares, pour 396 francs : cinq draps « merles » et un drap vermeil fin sans escarlate, tous « de la grant moison », ainsi qu’un drap merle de « courte moison ». Les draps merlés ou mêlés sont tissus de laines de diverses couleurs ; la grande moison correspond à la longueur des draps de Bruxelles, standard international. On a donc ici affaire à de beaux draps à 57 francs pièce. La même catégorie est également concernée par des draps d’un prix équivalent achetés à Paris : 1,5 drap et deux aunes de sanguin, spécialement pour les « chevaliers », et 4 autres draps à 58 francs le drap, soit 92 francs. Ces livrées sont donc faites de plusieurs types de drap associés entre eux. Au-delà du cas de 1374, on retrouve chaque année les draps les plus coûteux pour les chevaliers (et assimilés) : en 1364 il s’agit de drap

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ADN B 13634. Ibid. Ibid. Anne van Buren-Hagopian, « Trois inventaires de la chapelle du château d’Hesdin (1384-1469). Vêtements liturgiques, manuscrits et un reliquaire de Saint Louis », dans Activités artistiques et pouvoirs dans les États des ducs de Bourgogne. Publication du Centre Européen d’Études Bourguignonnes, Neuchâtel, 1985, p. 33-55. 133 ADN B 15788.

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marbré et de « roié vermel en graine ». La « graine » désigne généralement du cendal en graine, teint avec la graine d’écarlate. Un deuxième niveau apparaît « pour clers et damoiselles », qui ont droit à des « draps merles comme ceulx de Brousselles », mais produits à Saint-Omer, à 38 francs. On en a acheté cinq draps, dont quatre de 20 aunes servant aux clercs et conseillers, de quoi habiller probablement 80 personnes. Après eux viennent des tissus de coût similaire : les rayés de Gand pour deux prix différents, 39 francs (6,25 draps) et 29 francs (2,25 draps), Ces draps sont combinés à des draps « pleins » ou unis, afin de réaliser des robes mi-parties : trois rayés et quatre pleins servent aux robes de la catégorie générique des « écuyers » (140 aunes, 28 personnes ?), trois rayés et deux pleins pour les « officiers » (100 aunes, 20 personnes ?). On descend ensuite de catégorie avec des draps venant des autres villes d’Artois, comme le drap rayé d’Aire d’une valeur de 15 francs, tondu « pour varlez » : en 1374, on en achète trois draps (soit 66 aunes). 10,5 autres aunes de draps de Paris sont acquises pour parfaire les livrées des valets de métier, du valet du confesseur et des lavandières, pour 10,5 francs pièce. Enfin les draps d’Hesdin, « draps vermaulx » à 28 francs pièces, sont d’un standing intermédiaire mais on ignore leur usage. On observe ainsi trois niveaux : les draps les plus coûteux acquis à Bruxelles et Paris, sont réservés au premier groupe. Les draps venus de Gand et Saint-Omer, draps rayés et draps mêlés, servent au groupe des clercs, des conseillers, des demoiselles. Enfin les achats locaux à Hesdin et à Aire, voire Paris concernent les moins bien dotés. En outre, les quantités pour les valets paraissent faibles vu leur nombre : 48 aunes, contre 84 pour les seules dames. En plus des livrées, la comtesse habille dignement ceux qui la représentent : maître Pierre de Laigle, son procureur à Avignon, obtient ainsi robe et manteau fourré de menu-vair qui lui sont envoyés en 1365134. La comtesse offre aussi des robes à ceux qu’elle veut honorer ou récompenser. Pour son mariage, le châtelain d’Hesdin Laigle de Sains reçoit même 20 aunes d’écarlate sanguine de Saint-Omer, d’une valeur de 67,5 francs135. Enfin, certains petits officiers reçoivent des draps voire des robes au titre de leur rémunération : à Saint-Omer, il faut payer les draps des sergents à cheval, du clerc du bailli, des sergents à masse de la ville pour la modique somme de 11 lb136. Certains officiers gagés reçoivent leurs draps « par contrat », qui peuvent leur être payés en argent : ainsi de Gui Ponche avocat et conseiller en 1371, retenu « de sen conseil et de ses draps pour acater se livree de ceste presente anee XXX frans d’or »137. Une confusion entre le paiement des draps et la livrée semble ici exister, la livrée étant parfois considérée comme un revenu coutumier. Les livrées entretiennent alors une relation confuse avec le droit de robe, revenu supplémentaire dû à certains

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ADPDC A 715. ADN B 15815. ADPDC A 716. ADN B 15802.

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officiers des cours, en plus des gages138. Il semble alors que la fourniture d’une livrée soit pour la comtesse l’occasion de s’acquitter du droit de robe à ceux qui y ont droit, tout en concernant à titre « gratuit » d’autres individus. Car au-delà de ces statuts, les princes aiment à distribuer des livrées homogènes par leurs couleurs, changeantes au fil du temps et dans lesquelles on peut lire un message politique ou spirituel, comme l’est le noir du deuil de son père pour Philippe le Bon139. Marguerite valorise surtout le rouge, notamment associé au blanc, ou au bleu, plus rarement au vert. Philippe le Hardi a lui aussi recours au rouge et au blanc dans ses livrées140. Ce sont des couleurs associées à la marguerite ; la comtesse a peut-être inspiré ces usages. À la Noël 1374 des achats de draps blancs et vermeil sont signalés, ce qui pourrait laisser penser à un mi-parti blanc-rouge141. Une hiérarchie émerge alors : draps mêlés et sanguins pour chevaliers et dames, rayés de qualité pour les écuyers et officiers, et rayés plus légers pour les valets. Cela n’exclut pas alors des achats, pour des officiers inférieurs ou le confesseur, de gris, de gris blanc et de camelin brun. Pour la Noël 1376, les draps de Bruxelles achetés pour les plus éminents membres de la cour sont 9 draps pers et un drap sanguin, bien qu’une autre mention indique 7 draps pers, donc bleus, et deux « roses », vus comme des nuances du rouge. Cette année est donc dominée par le bleu et le rouge, couleurs évoquant l’Artois. À la Noël 1378, le rouge et le vert l’emportent. Les plus beaux draps de la livrée sont vermeils142 mais on achète aussi 9 draps verts, un drap gris et un drap blanc pour le confesseur, et 4 draps sanguins roses, probablement pour les clercs et conseillers de l’hôtel143. Les chapelains reçoivent des draps de Malines d’ « yraine vermeilles », teints selon un motif de toile d’araignée dans un rouge vermeil, profond. C’est encore un motif mi-parti qui l’emporte. Alors que les 9 draps vert semblent communs à une bonne part de la cour, c’est par le choix des draps portant l’autre teinte que s’opère une hiérarchie dans l’hôtel. Marguerite de France emploie encore une livrée mi-partie pour la Noël 1380, usant du rouge et du vert, ainsi que de draps de couleurs non identifiées. Les écuyers reçoivent ainsi « neuf draps de couleur de folet pour parture d’escuiers comme pour les femmes de chambres, et les aultres huit de vert pour la contreparture des dis escuiers »144. Les valets de métiers reçoivent des draps « de couleur sanguine vermeille pour parture » et « drap beguins pour contreparture »145. On voit donc la récurrence du rouge ou du rose et du style mi-parti, évoquant l’Artois en rouge-bleu ou la Marguerite en rouge-vert. Le vert est quant à lui une couleur moins consensuelle au Moyen Âge, jugée plutôt versatile mais associée à la jeunesse146. Employé à l’occasion par Philippe le Hardi, qui l’associe au printemps, 138 S. Jolivet, « Pour soi vêtir honnêtement », op. cit., p. 546-548. 139 Ibid., p. 718. 140 (2013). « Rouge/blanc ». Devise - CESCM - Les familles | Maison de Bourgogne | Philippe II de Bourgogne. [En ligne] Publié en ligne le 28 septembre 2013. 141 ADPDC A 758. 142 ADPDC A 775. 143 ADPDC A 778. 144 ADPDC A 784. 145 ADPDC A 784. 146 M. Pastoureau, Vert : histoire d’une couleur, Paris, 2013.

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notamment en mai 1382, après la mort de la comtesse147, il est déjà présente chez Marguerite. En revanche, la comtesse semble insensible au gris, couleur d’espérance que la génération des frères de Charles V promeut dans les années 1370. L’intendance de la livrée : un enjeu économique majeur

Les circuits d’achat sont complexes et opportunistes, mobilisant divers acteurs : spécialistes, gens de métier de l’hôtel, nobles, mais aussi officiers de finances et conseillers. Dans les années 1330, ce sont des gens de l’hôtel, notamment Baud Maykin et « Willet le tailleur madame de Flandres » qui se chargent de ses achats148. Le tailleur joue un rôle important, se procurant des échantillons et négociant les avances149. Après 1361, outre le tailleur Gilles d’Orange, on voit intervenir Guilbert Paste « pelletier de madame » établi à Bapaume150, ou Grossart, logé près de l’hôtel d’Artois à Paris avant 1374151. En 1381 « Jehan de Guingnan » « pelletier de madame », est établi à Arras152. Les décisions d’achat émanent cependant de la comtesse et de proches, usage encore présent chez les ducs Valois. Marguerite s’appuie alors sur des proches comme Tristan du Bois qui fait acheter du drap à Ypres153. Humbert de la Platière, maître d’hôtel, est plus souvent encore à la manœuvre154. La comtesse confie également à Gillet d’Orange l’exécution des livrées : il paie la livraison des draps des valets en 1372155, part à Bruxelles pour celle de Noël 1380, et est envoyé par Marguerite à Paris au début de l’année 1382 négocier avec les marchands la future livrée de Pâques156. Il opère surtout à Arras157. Plus passif, le valet de la garde-robe Jean le Cambier reçoit parfois les draps commandés par le tailleur pour les mettre en garde-robe à Arras158. Si les receveurs locaux interviennent dans le paiement, celui de Saint-Omer semble même choisir certains fournisseurs locaux dans sa ville, marché majeur pour l’’approvisionnement de la cour en tissus comme en fourrure. La commande d’une livrée requiert du temps et du travail. Celle de la Toussaint 1368 fait dès juillet l’objet de tractations avec un drapier de Gand, Jean le Charpentier, qui veut une avance pour des draps rayés dont le tailleur conserve des échantillons159. Pour la livrée de Noël 1374, on doit assembler des draps de Saint-Omer, Aire, Hesdin, mais aussi Gand, Bruxelles et Paris. On fait ainsi venir des échantillons de rayé d’Aire 147 (2013). « Vert ». Devise - CESCM - Les familles | Maison de Bourgogne | Philippe II de Bourgogne. [En ligne] Publié en ligne le 28 septembre 2013. 148 AGR CC R 4 et 5. 149 ADPDC A 734. 150 ADCO B 485 bis, fol. 23. 151 Ibid., fol. 57. 152 ADN B 13886. 153 ADN B 14592. 154 ADPDC A 763. 155 ADN B 13634. 156 ADN B 13886. 157 ADN B 15281. 158 ADPDC A 784. 159 ADPDC A 734.

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pour les valets ; commandé en juillet, le drap de Bruxelles doit arriver à Arras début novembre à la Toussaint ou à la saint Martin (11 novembre)160. Il faut ensuite envoyer les draps de Saint-Omer et Hesdin tout empaquetés vers Arras où ils sont tondus par Jean de Beaune pour 29 lb161. Parallèlement, on achète des fourrures à Arras mais aussi à Paris162. Après quoi on descend 24 draps et les fourrures vers Paris aux environs de la Noël, pour 17,5 francs163, tout en laissant 8 draps à Arras « pour ceulx de la livree d’Artoys et de Flandres ». Bien qu’Arras fasse figure de point de convergence des étoffes et que le tailleur s’y trouve souvent, celui-ci peut aussi utiliser la « taillerie » attestée à l’hôtel d’Artois et à Hesdin, au gré des déplacements de la comtesse. Si les fournisseurs reçoivent des avances dès le printemps, il faut souvent attendre janvier, février ou mars suivant la Noël pour les derniers paiements. Les princes font appel à la patience de leurs fournisseurs, qui se font alors créanciers, étant donnés les montants importants. La livrée de Noël 1374 coûte 1 288 francs pour les draps seuls, 501 francs pour une partie des fourrures montant en 1381 à 700 francs164. Avec les 36 francs de tonte, et le transport on avoisine les 2 100 francs, pour une seule livrée, 7% des dépenses centralisées et 3,5% des revenus, sans compter les achats de vêtements pour la comtesse. L’habillement constitue une part non négligeable des dépenses, à rapprocher des 5,8% des dépenses de la recette générale qui lui sont consacrés par Philippe le Bon165. Cette dépense princière contribue donc au commerce textile, élément fondamental de l’économie médiévale. Si le poids des lieux de résidence principaux se ressent, la qualité des draps, les goûts forgés hérités de l’expérience l’emportent. L’attrait pour la draperie des Pays-Bas est ici flagrant comme il l’était pour Mahaut ou Jeanne de France. Il témoigne aussi d’un goût pour les tissus flamands et brabançons qui est lié à la propre histoire de Marguerite. La Flandre pèse assurément quand la comtesse y demeure dans les années 1330 : elle y achète à Gautier Stinkel, bourgeois drapier de Bruges166, à des Italiens établis en Flandre comme « Sapience Guydouce », sœur du receveur de Flandre. Elle y achète également des sayes d’Irlande et du drap à Denis Marie de Tournai167. Éloignée, la comtesse demeure fidèle au marché brugeois. En 1346 encore, elle achète à la pelletière brugeoise Catherine la jeune, et à Gautier Skinke168. En 1362, elle acquiert chez Franssekin Alloes, marchand de Bruges, des draps d’or169, et d’autres en 1369 chez Nicolas Chaure, marchand de Bruges170. Cette ville fait donc bien figure de marché du luxe pour la comtesse. Elle fait aussi acheter du drap à un marchand

160 ADPDC A 758. 161 ADPDC A 720. 162 ADPDC A 760. 163 Ibid. 164 ADN B 13883. 165 S. Jolivet, « Pour soi vêtir honnêtement », op. cit., p. 609. 166 AGR CC R 5. 167 Ibid. 168 ADN B 1595, n° 2, fol. 102r. 169 ADN B 14589. 170 ADPDC A 734.

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d’Ypres en 1363171, et à Gand en 1369172. Un autre fournisseur gantois, Robert Dicque, est attesté dans les années 1374-1378173. Le Brabant n’est pas oublié ; Marguerite continue d’y faire d’importantes commandes chez Gilles de Mares, drapier et bourgeois de Bruxelles174. À partir de 1376 elle s’adresse à Godefroy Nacque175, encore sollicité en 1379 pour des draps de grande qualité pour la comtesse et ses proches176. La même année, la comtesse acquiert également du drap de Malines, auprès de Jean Patin, notamment des « yraines » (araignées) vermeilles pour ses chapelains177. Comme sous Mahaut178, l’Artois joue lui aussi un rôle majeur, notamment Saint-Omer où Eudes IV et Jeanne de France commandaient déjà du drap179. Durant l’hiver 1368-1369, la comtesse fait ainsi parvenir en Flandre du drap de Saint-Omer, acheté à Jean Lucas180. Les achats y sont récurrents entre 1369 et 1380 : « draps de Saint-Omer » surtout mais aussi draps importés de Bruxelles comme l’écarlate sanguine achetée en 1364 pour 105 royaux à Jean de Morcamp181. Ce dernier est un fournisseur historique de la cour, vendant dans des proportions considérables dès 1334182 : Eudes IV le désigne comme « nostre drapier »183 et lui commande certaines livrées184. Il investit alors dans les forêts domaniales et se fait marchand de bois185. Âgé de 62 ans en 1367186, il est proche des gens de la comtesse qui viennent chez lui187, et accompagne à Gand le receveur de Saint-Omer et Tristan du Bois188 venus trouver la comtesse. S’effaçant, il est remplacé vers 1367 par Willaume Bourgois, drapier, et en 1368 par Jean Lucas, bourgeois de Saint-Omer qui domine les années 1370. Il vend alors de la laine « preste a filler »189 et honore surtout de nombreuses commandes, comme la livraison de 15 draps de Saint-Omer en 1378 pour 526 francs190. En 1381 Marguerite s’adresse cependant à d’autres fournisseurs pour du drap de la façon de Saint-Omer dans d’autres teintes191. 171 172 173 174 175 176 177 178 179 180 181 182 183 184 185 186 187 188 189 190 191

ADN B 14592. ADPDC A 734. ADPDC A 770. ADPDC A 758. 12 mai 1376. ADPDC A 763. ADPDC A 775. ADPDC A 777. ADPDC A 461. ADPDC A 552. ADN B 15795. ADN B 15787. ADPDC A 543. ADPDC A 573. ADPDC A 617. En 1342. ADPDC A 576. ADPDC A 95. ADPDC A 714. ADN B 13633. ADN B 15810. ADPDC A 784. Laurent Sagart, Guillaume Mettewin, Arnoul Fausseur, Gilles de le Pierrerue et Jean le Fevre. ADPDC A 784.

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La comtesse achète en d’autres villes d’Artois, notamment où elle réside : à Arras, où elle acquiert peu de draps mais beaucoup de fourrures prises chez le pelletier et bourgeois Robert le Louchier192. La draperie béthunoise, qui demeure modeste et n’exporte pas193, apparaît très occasionnellement avec Barthélémy de l’Esclune194. En revanche Hesdin fournit davantage la cour, surtout la drapière Catherine Tasselle195, comme Aire qui fournit des draps du cru pour des livrées de valets chez « Jehan de Tiremande, bourgeois et drapier d’Aire »196 et Jean Mucheri197. La comtesse achète aussi en Artois les draps des aumônes fondées par Mahaut : dans le bailliage d’Arras elle s’adresse à des vendeurs locaux comme Mathieu Engoulevent de Blangy ou Tassart Froumentin198. À Paris, quelques noms émergent : la comtesse achète du camocas via Pierre des Essars dans les années 1330199. Pour la livrée de Noël 1374, elle s’adresse à deux bourgeois drapiers, Nicole le Flamand et Antoine Brun. Paris livre de nombreuses fourrures : pour la livrée de Noël 1373, Gérard Braier reçoit 868 francs pour une grosse commande comprenant 9 270 ventres de menu vair et 1 000 dos de gris200.

Conclusion Même sans les comptes d’hôtel, on mesure bien que la vie de cour de Marguerite répond parfaitement aux exigences de distinction et à l’intégration des gens de la comtesse dans un mode de vie curial. À travers la vie quotidienne et les fêtes, celui-ci se déploie, selon des modalités proches de la vie des autres princes de son temps. La comtesse doit en effet manifester sa largesse dans un contexte très concurrentiel : les gens de sa cour sont appelés à fréquenter, pour des raisons familiales et diplomatiques, les fastueuses cours de Philippe le Hardi, Louis de Male et Charles V. Marguerite participe ainsi d’une société aristocratique dont l’émulation est un puissant ressort de la dépense, qui conduit à un renouvellement fréquent des livrées et sans doute à la circulation des modes. Princier, ce mode de vie s’appuie sur la noblesse que Marguerite accueille à ses côtés et dont elle partage le goût pour les animaux de chasse et les tournois. À son échelle, la comtesse consent à un effort financier considérable pour affirmer son rang et maintenir son emprise sur le réseau de ses plus proches, qu’ils soient membres de l’administration de l’hôtel ou non. Pour « garder son estat », elle n’hésite pas à recourir aux tissus les plus luxueux pour elle et les nobles de son hôtel, jouant habilement des différences de matière pour maintenir l’unité

192 ADPDC A 760 et A 789. 193 A. Derville, « L’héritage des draperies médiévales », Revue du Nord, vol. 69, no 275, 1987, p. 715-724. 194 ADPDC A 715. 195 ADPDC A 758. 196 ADPDC A 757. 197 ADPDC A 777. 198 ADPDC A 770. 199 ADN B 1565, n° 532. 200 ADPDC A 757.

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de ton et le sens des hiérarchies lors de chaque livrée, qui intervient visiblement au moins une fois par an, à Noël. Ces livrées contribuent à renforcer l’unité de la cour, à intégrer des personnalités originaires d’horizons divers, stratégie que l’on retrouve chez Philippe le Bon201. Ces usages se déploient sans doute à l’ombre des châteaux, et souvent dans un cadre urbain202, en particulier au nord où ces fêtes rapprochent le prince de la ville203. Les joutes impliquent d’ailleurs les bourgeois et sont l’occasion d’entretenir de bons rapports avec des sujets, mais aussi des créanciers, des fournisseurs et des familiers dans les grandes villes. Ces fournisseurs tissent également des relations durables et sans doute profitables en nourrissant et en vêtant une cour dispendieuse pour laquelle la culture matérielle participe de la fabrique d’un pouvoir princier fondé sur la libéralité. Ainsi se construit un mode de vie à la fois conforme à des normes globales et teinté de particularismes locaux mêlant des traditions et usages parisiens, artésiens, flamands et bourguignons. Assurément, l’habillement et la consommation participent de l’intégration des espaces dans un ensemble politique centré sur la personne de la comtesse qui en incarne matériellement l’unité. D’ailleurs, si elle se coule dans l’image iconique de la veuve, la comtesse est loin de pratiquer une austérité ostentatoire : on mange, on boit et on s’amuse à sa cour. Le noir n’est que peu présent dans cet univers surtout coloré de rouge, de blanc et de vert. En somme, Marguerite sait vivre.

201 S. Jolivet, « Pour soi vêtir honnêtement », op. cit., p. 681. 202 B. Bove, « Les joutes bourgeoises à Paris, entre rêve et réalité (XIIIe-XIVe siècle) », op. cit. 203 É. Van den Neste, Tournois, joutes, pas d’armes, op. cit., p. 199.

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Chapitre 14 

Marguerite de France et les arts Un mécénat oublié La commande artistique contribue également à la libéralité des grands, et manifeste la maîtrise des exigences d’un certain goût aristocratique. Oublié entre Mahaut et les ducs Valois, le principat de Marguerite pâtit ici encore de la documentation et de l’ombre de plus prestigieux parents. Il ouvre pourtant des pistes intéressantes sur les mutations du XIVe siècle, en particulier sur le marché du luxe et de la consommation, et permet de questionner l’idée d’une commande princière qui aurait permis d’émanciper l’artiste de l’artisanat1. L’étude des mécanismes de la commande et des rapports entre ville et cour doit ainsi être envisagée en fonction des résidences mais aussi de la spécialisation des centres de production. Elle doit également envisager toute la chaîne unissant le prince aux fournisseurs via les réseaux des officiers et serviteurs. Il faut encore prendre en compte le rapport de la comtesses aux traditions locales artisanales, dont les princes cherchent surtout à profiter bien plus qu’ils n’entendent développer leur propre écosystème2. L’implication des femmes dans ce « mécénat » constitue un objet d’études pour historiens et historiens de l’art, témoignant d’une volonté d’affirmation de leur rang, voire de leurs prétentions politiques, contribuant à construire une image publique susceptible de justifier leur influence voire leur singularité. Les commandes féminines s’inscrivent certes dans des logiques dynastiques, mais témoignent aussi d’un goût particulier et d’un sens du confort évident3. Ce mécénat témoigne à la fois d’usages communs mais d’une grande diversité en fonction des cours, les princesses opérant souvent des rapprochements entre des traditions éloignées. Le rôle de médiatrice de l’épouse de Philippe III, Marie de Brabant, dans la circulation des modèles et idées a ainsi été souligné, y compris durant son veuvage, imprimant sa marque sur la génération antérieure à notre comtesse4. L’exemple de Mahaut est également bien connu et l’a certainement inspirée5. Dans cette continuité, nous aurons à interroger la spécificité du rapport à la création littéraire, artistique, intellectuelle de Marguerite de France, au gré d’un parcours entre France, Flandre, Artois et Bourgogne, qui s’inscrit dans l’évolution des cours du XIVe siècle. On peut 1 M. Warnke, L’artiste et la cour : aux origines de l’artiste moderne, Paris, 1989. 2 P. Stabel, « For mutual benefit? Court and city in the Burgundian low countries », dans The court as a stage. England and the Low Countries in the later Middle Ages, éd. S. Gunn et A. Janse, Woodbrige, 2006, p. 101-117. 3 Le mécénat féminin en France et en Bourgogne, éd. L. Fagnart et E. L’Estrange, Bruxelles, 2011. 4 T. Chapman Hamilton, Pleasure and politics at the Court of France: the artistic patronage of Queen Marie de Brabant (1260-1321), Londres, 2019. 5 C. Balouzat-Loubet, « « Fere granz despens covenablement en granz euvres » : le mécénat de Mahaut, comtesse d’Artois (1302-1329) », Bulletin de la Commission départementale d’Histoire d’Archéologie du Pas-de-Calais, vol. 30, 2012, p. 53-73.

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se demander ce qui relève de l’affirmation de son rang, de ses devoirs de chrétienne, d’un éventuel projet politique mais aussi de la nécessité de tenir ensemble des filiations multiples et complexes pour affirmer son identité.

1. Sculpture, peinture et vitraux : un goût septentrional Marguerite de France et les artistes des grandes villes du nord : une longue histoire

Héritière d’une tradition royale mais aussi artésienne de commande artistique, la comtesse a grandi entourée de personnalités comme Mahaut, qui l’a même associée à la construction de l’église Saint-Jacques-aux-Pèlerins à Paris. Sur le portail, Mahaut se fait représenter près de saint Jacques avec la reine Jeanne et « les IIII filles la royne »6. Marguerite est même présente le 18 février 1319 pour la pose de la première pierre7. Devenue adulte, qu’elle vive en Flandre, en Artois ou à Paris, Marguerite demeure dans un univers où les liens entre commande princière et monde des métiers sont forts8, même si certains artistes semblent s’être affranchis du cadre « corporatif » par leur relation avec Louis de Male, à l’instar de Melchior Broederlam9. Le mécénat de Louis de Nevers est néanmoins mal documenté, celui de Marguerite encore plus en 1330-1346 : on sait qu’entre 1334 et 1337 Jean Bernard réalise pour le comte l’image du jeune Louis de Male, mais on ignore l’implication de la comtesse, tout comme pour l’achat d’une « image de Marguerite »10. Elle apparaît alors comme un objet de représentations picturales chez ses sujets flamands ; en 1323 la ville d’Ypres paie « Hannin, soier, pour faire les ymages de monseigneur le conte et de madame la contesse en le cambre d’eschevins »11. En 1342, de nouveaux portraits sont peints dans la salle échevinale par Jean de la Zaide puis encore en 139412. Le portrait yprois de la comtesse a été photographié avant 1914, et un relevé peint par Camille Tulpinck13. Mais il semble postérieur ; il la représente avec son époux, à proximité de Louis de Male et Marguerite de Brabant, de Philippe le Hardi et Marguerite de Male. Elle y est présentée comme « Mergriete, graefnede Artois, Bourgoenje en Nevers ende Retheers », une titulature assurément postérieure à 1361 mais qu’elle n’a jamais portée. Il faudrait donc la dater du programme de 1394 plutôt que de celui de 134214.

6 J.-M. Richard, Une petite-nièce de Saint-Louis, op. cit., p. 319. 7 H.-L. Bordier et L. Brièle, Les archives hospitalières de Paris, Paris, 1877, p. 66. 8 M. Warnke, L’artiste et la cour, op. cit. 9 M. Vale, The princely court, op. cit., p. 271. 10 C. Dehaisnes, Documents et extraits divers, op. cit., t. 1, p. 303 et 327. 11 Comptes de la ville d’Ypres, op. cit., t. 2, p. 312. 12 C. Dehaisnes, Documents et extraits divers, op. cit., p. 161. 13 Bruxelles, Musées royaux d’art et d’histoire, inventaire n° 185 (catalogue Rousseau). 14 F. Van de Putte, « De quelques œuvres de peinture conservées à Ypres », Annales de la Société historique, archéologique et littéraire de la ville d’Ypres, vol. 2, 1862, p. 175-213.

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Des artistes de cour ?

Après 1361, quelques peintres commencent à émerger autour d’elle. Plusieurs sont liés aux métiers urbains artésiens, ce qui n’exclut pas des liens plus anciens avec le mécénat princier. Jacquemon le Croquemacre, peintre de Saint-Omer réalise des entremets pour la venue de la duchesse d’Orléans à Hesdin en 136415. Probablement fils de Clay le Croquemacre, peintre de Mahaut16, il est « keure (inspecteur) de painterie et de scelerie » à Saint-Omer. Cette ville est alors réputée pour ses peintres, notamment en armoirie17. D’autre artistes apparaissent en lien avec les villes, sans être intégrés à l’hôtel comme Jean le Breton, peintre à Arras, qui peint la chambre de Pierre Cuiret à la Cour-le-Comte en 137118, ou « Haquette » recruté pour peindre les écussons lors d’un service pour Marguerite de Brabant à Arras19. En 1382, Marguerite fait dorer sa litière par Jean de Bruxelles, d’Abbeville, et recrute le peintre Guillaume Normant durant 78 jours à 4 s par jour, salaire assez élevé, sans les intégrer davantage. Ces artisans extérieurs travaillent cependant avec un des rares artistes intégrés à l’hôtel, Laurent de Boulogne qui peint aussi cette litière20. Établis à Hesdin, les Boulogne servent depuis longtemps les comtes. Encore jeune, « Vincennet » de Boulogne est en 1340 peintre au château avec un parent, Laurent21, œuvrant à embellir la Gloriette. Vincent est encore peintre du château en 1364, à 2 sous tournois par jour. En 1365 il est qualifié de maître des engins. Il peint notamment en 1369 à la chapelle Saint-Jean et à la chambre aux roses22, et collabore avec Gérard l’artilleur à fabriquer des cordes pour les arbalètes23. On n’est pas loin du peintre-ingénieur ! Tombé malade dans les mois précédant sa mort survenue peu avant le 18 novembre 137124, il a déjà passé le relais à son fils Laurent25 qui devient ensuite « peintre du chastel et garde des engiens d’esbattement », perpétuant la mémoire comtale et la tradition familiale26. Les Boulogne ne se limitent pas à l’entretien : en 1366 Vincent est chargé de « paindre une noeve cappelle et un autel nouvellement ordené en le grande cappelle ». Ce chantier donne lieu à des achats de peinture à Arras : « petre asur », « boin asur », « vermillon », « vere de gris », « blanc de plonc », « mine », « blanc d’Espagne », « ocre pour faire l’asise de l’or », étain doré, et même « fin or » acheté à Abbeville27.

15 ADN B 15787. 16 M. Gil et L. Nys, Saint-Omer gothique, op. cit., p. 92. 17 Ibid. 18 ADPDC A 718. 19 ADPDC A 779. 20 ADN B 15283.3. 21 J.-M. Richard, Une petite-nièce de Saint-Louis, op. cit., p. 341. 22 C. Dehaisnes, Documents et extraits divers, op. cit., t. 1, p. 491. 23 ADN B 13634. 24 ADPDC A 729 et 748. 25 ADN B 15278. 26 ADPDC A 749 et 751, ADN B 15278 et B 15279. 27 ADPDC A 720.

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En 1372 Laurent travaille aux verrières du château et du ménage28, et aux peintures des allées des « engins d’esbatement »29. En 1379 il contribue à peindre la litière de madame et la grande chapelle d’Hesdin30 ainsi que la chambre aux fleurs de lys31. En 1380, en raison de travaux de maçonnerie, il suggère de « refaire les paintures ainsi que elles estoient par avant ». Il redore à l’or 300 fleurs de lys et en refait certaines avec 20 lb de plomb. Il recloue avec 1 650 petits clous les couronne et les fleurs de lys, et emploie 24 lb de plâtre de Paris « pour refaire les testes des rois »32. Son futur successeur, Pierre du Bos, participe à la réalisation de la litière en 138233. Autre figure de ce « mécénat », Jean Bondolf dit de Bruges, célèbre peintre parisien, peint une litière de la comtesse commandée en 1372 pour 95 francs34. Peintre et valet de chambre du roi, il compose également en 1376 les cartons de la tapisserie de l’Apocalypse d’Angers pour le duc d’Anjou35. Il n’est pas intégré dans l’hôtel de la comtesse, mais dans celui du roi, qui l’autorise à œuvrer pour des proches dont Marguerite. L’importance des vitraux en Artois

Le chapitre 12 a montré la présence récurrente dans les résidences comtales de verrières peintes (vitraux) ou non peintes (vitres de fenêtres), notamment en Artois : à Arras, pour les nouvelles galeries de la Cour-le-Comte sont commandés « XXV peniaulx de voirre pains et armoyés de pluiseurs armes » au verrier Huart le Fevre36. À Hesdin Willaume Noel, refait en 1366 toutes les verrières du château et du Manage et y met « plusieurs peniaux de noef voirre couloures et armoiés ». En 1371 Laurent de Boulogne et ses aides travaillent sur deux panneaux à la grande gloriette, « pains comme les autres », un panneau à la salle au cerf « tout paint sienable auz autres peneaux », six fenêtres de verre au manage et en la chapelle de la salle du manage. Il semble que l’on reproduise surtout les panneaux anciens au fur et à mesure de leur destruction37. Le château de Gosnay se voit quant à lui doté par Pierrot le Verrier de « LX pies de noef voirre parmy les couleurs » pour remplacer les vieilles verrières38. Verres neufs et verres colorés sont coûteux, d’autant qu’un important travail de peinture est réalisé, notamment par Laurent de Boulogne, pour valoriser décors armoriés et figuratifs dans les chapelles, les salles, les galeries en un temps où l’héraldique est un des décors les plus répandus.

28 ADN B 15279. 29 ADN B 15278. 30 ADN B 15281. 31 ADN B 15283. 32 ADPDC A 789. 33 ADN B 15283.3. Il est attesté en 1391. ADN B 1127. 34 ADPDC A 745. 35 C. Sterling, La peinture médiévale à Paris : 1300-1500, 2 vol., Paris, 1987-1990, t. 1, p. 194. 36 ADPDC A 760. 37 ADN B 15279. 38 ADN B 14642.

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Fig. 17. papier et en ligne. Le gisant de Marguerite de France. Photo libre de droit (Wikipédia)

Ailleurs, la comtesse exporte les talents des verriers artésiens : en 1371, pour établir un four à verre en Champagne, on cherche à Arcis un verrier disponible pour aller en Artois « conseiller comment en pouist faire I four a verres »39. La comtesse paie également des vitraux pour la chapelle Saint-Michel de Saint-Denis, aux armes de France et de Flandre40, et finance pour 100 francs le vitrail principal de l’église franciscaine de Nevers41. Jean de Liège et le gisant de Marguerite de France

Pour cerner plus précisément cette commande, il faut se tourner vers le gisant de la comtesse, une des rares pièces conservées (figures 16 à 22 en ligne). Les mains jointes en prière, Marguerite y est couchée, portant le voile d’une veuve, avec deux petits chiens reposant couchés à ses pieds sur un douillet plissé. Le gisant était encore au XVIIe siècle posé « sur un tombeau de marbre noir environné d’une grille de fer, et orné d’un ouvrage gothique, terminé en pyramide d’un travail singulier » selon Félibien, qui note l’absence d’épitaphe42. 39 40 41 42

ADCO B 3855. M. Félibien, Histoire de l’abbaye royale de Saint-Denys en France, Paris, 1706, p. 281. Cartulaire de Saint-Cyr de Nevers, op. cit. M. Félibien, Histoire de l’abbaye royale de Saint-Denys en France, op. cit., p. 560.

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Fig. 18. papier et en ligne. Gisant de Marguerite de France : à ses pieds, deux petits chiens tenant un os, sur les plis de la robe. Photo libre de droit (Wikipédia)

Ce gisant est à rapprocher d’autres commandes de filles du sang royal, comme le gisant de Jeanne d’Évreux, aussi à Saint-Denis (figure 20 en ligne), ou celui des entrailles de cette princesse, dû à Jean de Liège, où l’on retrouve de petits chiens placés aux pieds de la princesse (figures 21 et 22). Or comme Charles V, Jeanne d’Évreux appréciait Marguerite à qui elle réserva après sa mort un anneau d’or43. On peut encore le comparer au tombeau commandé par Blanche, duchesse d’Orléans pour elle-même et sa sœur Marie, à Saint-Denis, également dû à Jean de Liège44 : Blanche y est voilée, la tête posée sur un coussin, les mains jointes sur la poitrine ; le plissé de la robe en est très semblable (figure 19). Là encore, la duchesse d’Orléans fréquente Marguerite. Ces comparaisons ont conduit les historiens d’art à attribuer le gisant de Marguerite à Jean de Liège, fameux sculpteur, né à Liège et installé à Paris depuis 1361 au moins, à qui on doit le tombeau du cœur de Charles V réalisé en 1368. Or les archives artésiennes mentionnent un paiement de 100 francs « a Hennequin du Liege, tombier demourant a Paris […] seur l’ouvrage de la tombe et sepulture madame ». Il est daté de juin 1363, alors que la comtesse prépare sa sépulture à Saint-Denis. Ce montant inquiète les auditeurs des comptes qui veulent savoir si ce « tombier » 43 C. Leber, Collection des meilleurs dissertations, Tome 19, Paris, 1838, p. 129 et 166. 44 A.-H. Allirot, Filles de roy de France, op. cit., p. 184.

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a bien travaillé, une réaction bureaucratique qu’on retrouve pour les sommes que Philippe le Bon verse à Jan Van Eyck. Avec Charles V, Jeanne d’Évreux et Blanche de France, Marguerite fait partie d’un même milieu qui apprécie grandement ce tombier. En 1363, il commence déjà à être connu, puisqu’il avait achevé en 1361 à Paris le tombeau de Jeanne de Bretagne, épouse de Robert de Flandre dit de Cassel. On peut avancer que Marguerite fut ici un pont entre Flandre et France. Au sein du « sang royal », elle figure parmi les commanditaires précoces, inspirant peut-être d’autres commandes : ce n’est qu’après son avènement que Charles V fait appel à lui pour l’escalier du Louvre, Jeanne d’Évreux le recrute en 1372. Le gisant de Marguerite motiva peut-être aussi Blanche, duchesse d’Orléans, qui commanda le sien vers 1381.

2. Tapisseries, tapis, chambre et meubles : une attention pour le confort et le paraître Dans leurs nombreuses résidences, les membres de la haute noblesse recourent abondamment à diverses étoffes somptueuses, colorées, décorées, afin de draper les murs, mais aussi les sièges ou les lits de leur logis. Ils couvrent également le sol de tapis, ou « nattes », attestées pour la comtesse45. Tout cela voyage souvent, « enfardelé » et chargé dans les charriots de la comtesse : il faut d’ailleurs « tendre » les logis de ces draps et tapisseries avant son arrivé. Le projet de 1330, « pour la gesine madame » offre une grande précision en la matière. Un premier document décrit une chambre brodée et une autre de cendal vert. On y évoque deux lits, dotés chacun d’un ciel de la largeur du lit et couvrant le premier tiers de la longueur, un ciel semé, motif prisé à partir du XIVe et plus encore au XVe. Cloué aux poutres ou suspendu par des cordes au plafond, un tel ciel redescend derrière la tête. Le projet mentionne également la construction d’un épervier protégeant les lits : ce dais circulaire, rarement figuré avant la fin du XVe siècle, est surtout réservé aux lits royaux, pour les accouchements. Il forme un pavillon luxueux, en forme de cône prolongé par des rideaux, dont le sommet est fixé au plafond. Sont encore mentionnés des draps pour les parois, un tapis pour le sol, quatre oreillers, trois courtines, une couverture de drap d’or fourrée d’hermine pour l’enfant, et une autre d’écarlate fourrée de menu-vair. L’autre projet évoque une chambre de velours brodée, garnie de 16 tapis et huit sièges bordés de velours, avec cinq oreillers ornés de perle, un épervier, et 12 autres tapis. Au total, la chambre, les oreillers brodés de perle et l’épervier de 12 tapis devaient représenter 2 400 lb sur les 4 850 lb parisis prévues pour la naissance. Ces projets évoquent des semis et une œuvre nouvelle, mais le reste de la chambre et les achats de meubles indiquent surtout la présence des armes de France et de Flandre ; le projet héraldique l’emporte ici sur d’autres, religieux comme la Nativité, voire antiques, attestés ailleurs. Ce goût pour les lourdes chambres aux motifs semés d’héraldique rappelle d’ailleurs les chambres de la mère de Marguerite. Le rôle de 45 ADN B 15276.

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ces tentures est autant sanitaire qu’ostentatoire, cette « gésine » étant le témoignage assez précoce d’un luxe singulier appelé à se répandre. Marguerite acquiert sa vie durant des tapisseries, y compris de seconde main : en 1356, à la mort de Marguerite II de Hainaut, elle rachète quatre « tapis » vermeils, quatre tapis verts, et trois tapis bleus, ainsi que deux carpettes46. Mais elle s’intéresse beaucoup à la production réputée d’Arras, bien connue à Paris et en Flandre. Vers 1330, la comtesse y acquiert une chambre, probablement similaire à celles de sa mère quant à la fonction, composée de 12 « tapis », auprès d’Henri le Grant47. En 1360-1361, elle achète pour 208 lb une chambre de haute lice à Thomas Amion, bourgeois d’Arras, pour la donner au seigneur de Saint-Venant48. Une fois comtesse d’Artois, elle continue de s’adresser à des Arrageois, mais c’est d’abord la qualité locale qui l’a menée à s’intéresser à cette production. C’est à Arras qu’elle fait refaire 10 jours durant les « tapis » de « nostre chambre » par Jean le Tapisseur de Cambrai à la Cour-le-Comte en mai 136449. Sans qu’on en sache plus, elle est déjà en affaire avec Jean Cosset50, qui fournit par la suite Philippe le Hardi51 en tapisseries de haute lisse historiées comme l’ Histoire de Guillaume d’Orange, ou l’Histoire de Sainte Marguerite offerte en 1388 à Marguerite de Male…52. Malgré tout, il n’est pas possible d’identifier une commande précise à Cosset, qui vend aussi à Marguerite des bûches53. Homme de fief54, il est également aubergiste et marchand de vin. Peut-être ses talents de tapissier lui ont-ils permis de fournir la comtesse en bien des produits, comme il le fait avec Philippe le Hardi55. Marguerite connaît également bien un certain André de Monchy, son receveur en Artois attesté en 135656. Or deux homonymes sont connus au XIVe siècle, l’un échevin puis receveur d’Artois en 1319132957, l’autre tapissier d’Arras ou marchand de tapisserie et fournisseur de Philippe le Hardi58. Il est enfin possible de rapprocher Jean Armory, fruitier de la comtesse et bourgeois d’Arras59, de Jean Armory, tapissier d’Arras travaillant pour Philippe le Hardi en 1397, qui serait passé de la fourniture au service de la comtesse (comme fruitier), stratégie bien connue de plusieurs marchands proches de Philippe le Hardi. Arras sert aussi de lieu de stockage de tapisseries : depuis la Franche-Comté, en 1363, la comtesse fait ainsi venir à elle « les aornements d’une chambre admenéz d’Arraz »60. 46 J. Guiffrey, E. Müntz et A. Pinchart, Histoire générale de la tapisserie, III, Pays-Bas, Paris, 1885, p. 6-7. 47 C. Dehaisnes, Documents et extraits divers, op. cit., t. 1, p. 282. 48 ADN B 14499. 49 ADPDC A 708. 50 ADPDC A 725. 51 Katherine Wilson, « Paris, Arras et la cour », op. cit. 52 J. Guiffrey, E. Müntz et A. Pinchart, Histoire générale de la tapisserie, III, op. cit., p. 8. 53 ADN B 14588. 54 AN JJ 97, fol. 93. 55 K. Wilson, « Paris, Arras et la cour », op. cit. 56 AMA AA 32. 57 J. Lestocquoy, Les dynasties bourgeoises d’Arras du XIe au XVe siècle, op. cit. 58 K. K. Wilson, « Paris, Arras et la cour », op. cit. 59 ADPDC A 777. 60 ADCO B 3852.

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On peut cerner certaines compositions de ces tapisseries par les mentions postérieures. Louis de Male dispose ainsi en juillet 1382 d’un « tapis de cambre aux marguerites », qu’il fait réparer à Arras, probablement après l’avoir trouvé après la mort de sa mère61. L’inventaire des biens de Philippe le Hardi en 1404 mentionne quatorze tapis aux armes « de France et de Flandres »62, et « ung grant tappis de haulte lice, à moutons, ou sont pourtraiz madame d’Artois et monseigneur de Flandres ». L’inventaire des biens de Marguerite de Male évoque même « II grans viés tapis semés de brebis et y est Monseigneur de Flandres qui porte I lion et madame d’Artois, sa mère ». D’autres tapisseries de Philippe le Hardi et Marguerite de Male proviennent certainement de Marguerite de France sans qu’on puisse le démontrer. Quant aux meubles et objets du quotidien, ils sont souvent bien ordinaires par leurs coûts : nappes, pots, poêles, bassins lavoirs et autres « estorements », pour la « pourveance du castel de Saint Omer » en 136363, « II noeves tables pour le cambre ma dame » en 136764. Après le départ de la cour, on met tables et sièges du château « en lieu sauf au chastel »65. Certaines chaises d’une valeur supérieure ont peut-être donné lieu à un travail de marqueterie : Jean de Fenain, « tailleur d’images », réalise pour la chapelle du château de Bapaume trois « estapleaux » (lutrins) et deux chaises « de fust » et de chêne, disposant de serrures66. Ces meubles utilisés par les desservants sont a priori destinés à demeurer sur place. Beaucoup de châteaux possèdent un ou plusieurs dressoirs, qui semblent des constructions massives et immobiles. Le château de Gosnay est doté d’un « noef drechoir » devant la porte de la salle mais aussi « I autre petit drechoir de IIII aisselles pour le saussier », c’est-à-dire à quatre étagères67. Certains dressoirs désignent même des pièces requérant des travaux de maçonnerie, notamment à Arras en 138068. Plus ou moins mobiles, coffres et huches sont très présents : en 1338 Marguerite fait acheter à Paris un coffre, un bahut et une malle pour « mettre les robez madame »69. Les châteaux sont également meublés de huches comme ce « huchel » acheté pour « mettre draps, linges et pluiseurs autres estoremens qui sont a madame ou castel a Saint Omer » en 136670. En 1381 Marguerite commande deux grands coffres à Jean le Huchier et « Piere Biavallet » pour les ornements de chapelle de Bapaume, pour 13,5 francs71. Son artisan préféré demeure, avec les Boulogne, Vincent le Huchier d’Hesdin, à qui on passe commande « par ordre madame » d’une grande table et de

61 ADPDC A 790. 62 J. Guiffrey, E. Müntz et A. Pinchart, Histoire générale de la tapisserie, III, op. cit., p. 15. 63 ADN B 15787. 64 ADN B 15279. 65 Ibid. 66 ADN B 15282. 67 ADPDC A 781. 68 ADPDC A 780. 69 ADPDC A 575. 70 ADPDC A 719. 71 ADN B 15283.

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Fig. 24. Coffret à la devise « Amis amès. Amie Avès ». Photo : Catalogue des objets d’art et de haute curiosité rédigé pour la mise en vente des collections de Camille Lelong en 1902. Les arts, n° 19, juillet 1903, p. 29. Image du site Gallica.

menues pièces réglées en 137772. Il travaille aussi à Arras et intervient sur des lambris, des litières, des chars et des meubles. Certains coffres possèdent un style particulier, comme ce « coffre de l’œuvre de Damas » du trésor de la chapelle à Hesdin mené en janvier 1365 à Paris par Vincent de Boulogne73. Surtout, l’un d’eux nous est parvenu, ayant appartenu à l’antiquaire Camille Lelong jusqu’à sa mort en 1902, puis à la marquise Arconati-Visconti74, qui en fit don au Louvre en 1914 (figures 23 à 27 en ligne, figure 37 papier)75. Il était probablement destiné à abriter des valeurs. En fer forgé, de 13 cm de haut sur 27,5 cm de long et 20,5 cm de large, cet objet rectangulaire est décoré sur la face et les deux côtés latéraux d’arcatures gothiques en haut relief. La face antérieure comporte une serrure à moraillon, l’entrée de la clef étant cachée par une pièce mobile ornée d’un écu semé de fleurs de lis à un lambel de 72 73 74 75

ADN B 15281. ADPDC A 713. Revue mensuelle Les Arts, n° 19, juillet 1903, et n° 20, août 1903. Catalogue de la collection Arconati Visconti, Paris, 1917, p. 99, n° 111. N° d’inventaire 6954.

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quatre pendants, écu surmonté d’une couronne. Le couvercle est décoré d’un compartiment contenant deux rosaces ajourées auxquelles une poignée mobile est fixée, compartiment entouré de plaques sur les quatre côtés. Sur la plaque du haut se trouve une devise ; de chaque côté de cette devise, deux écus armoriés en relief. Seul celui de gauche est conservé : il s’agit d’un écu mi-parti à dextre à trois fleurs de lis, à senestre semé de fleur de lis à un lambel à quatre pendants. Les fins décors gothiques rappellent le grand sceau de la comtesse. Sur le couvercle, se lit la devise « Amis Amès, Amie Avès », qu’on rencontre sur les jetons de la comtesse, mais aussi ceux de Jeanne d’Évreux76. Les armes sont plus claires : sur la serrure, un semé de fleurs de lis à un lambel, qui évoque l’Artois. Le couvercle comportait également deux écus, dont l’un mi-parti est conservé. Un tel schéma héraldique est souvent utilisé par Marguerite. Or l’écu conservé peut correspondre : le mi-parti (à dextre à trois fleurs de lis, à senestre semé de fleur de lis à un lambel à quatre pendants) renvoie à deux éléments de sa titulature : fille de roi de France, et comtesse d’Artois. L’absence de la Flandre et de la Bourgogne-Comté pourrait s’expliquer par la perte du second écu. De telles armes excluent en tout cas Jeanne d’Évreux.

3. Orfèvrerie, argenterie et bijoux : cadeaux, exigence de rang et goût personnel L’importance de l’orfèvrerie, de l’argenterie et des joyaux dans le mode de vie aristocratique n’est plus à démontrer, tout comme la complexité des usages d’objets précieux77 : consommation ostentatoire, esthétisation du quotidien ou de la fête, thésaurisation financière mais aussi mémorielle. Ils sont aussi des objets de plaisir collectionnés ou offerts à des pairs ou aux serviteurs, et indispensables à la piété, les reines léguant souvent aux églises des objets d’or et d’argent doré78. Ils participent ainsi de la notion complexe de trésor qui peut au Moyen Âge inclure bijoux, chartes et restes de saints. Le mécénat de Mahaut permet ici une comparaison. On sait qu’il a favorisé artistes reconnus et objets originaux79 avec une commande centrée sur Paris et l’Artois. Mahaut a également acheté dans des ventes après décès80. On sait aussi que Jeanne de Bourgogne et Philippe V déploient également un luxe considérable. Le retour en grâce de Jeanne se traduisit par de nombreux achats de luxe pour rétablir son état. La consommation de Marguerite ne peut qu’être influencée par cette pratique familiale qui a marqué son enfance de fille de roi. Elle est renforcée par les dépenses somptuaires de la cour de Flandre. 76 A. A. L. Chassant, Dictionnaire des devises historiques et héraldiques, tome I, Paris, 1878, p. 15. 77 D. Gaborit-Chopin, « Orfèvres et émailleurs parisiens au XIVe siècle », dans Les orfèvres français sous l’ancien régime, éd. C. Arminjon et A. Erlande-Brandenburg, Nantes, 1994, p. 29-35. 78 M. Gaude-Ferragu, La reine au Moyen Âge, op. cit., p. 229 79 F. Baron, N. Borcard et M.-H. Lavallée, L’enfant oublié : le gisant de Jean de Bourgogne et le mécénat de Mahaut d’Artois en Franche-Comté au XIVe siècle, Besançon, 1997. 80 C. Balouzat-Loubet, « Fere granz despens », op. cit.

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Une logique ostentatoire : l’esthétisation du quotidien

Qu’il s’agisse de bijoux destinés à orner son corps, de vaisselle de cuisine ou de table, la comtesse aime l’orfèvrerie, l’argenterie et les « joyaux ». Les conseillers de Louis de Nevers le lui reprochent déjà vers 1330. Dès cette date, plusieurs achats de « vaisselez pour ma dame » en argent, d’un « coustiaus a trenchier » d’une valeur de 7 livres, de « la nef d’argent ma dame, ses II plas, son hanap et sa fonteinne » qu’elle emporte avec elle dans ses déplacements sont attestés81. L’inventaire des années 1330 évoque plusieurs cadeaux utilisés personnellement par Marguerite : une coup d’or « gernetée » donnée par la dame de Coucy, une nef d’argent dorée82. On signalera également les « bacins madame » dorés par un orfèvre83. Pour la naissance de Louis de Male, on prévoit une poêle d’argent, un pot d’argent pour le lait, et une cuiller d’argent. Quatre écuelles d’argent de 24 cm de diamètre, pesant 450 à 500 grammes découvertes en 1865 à Maldegem, tout près de Male, méritent de lui être associées (figure 28)84. Elles sont armoriées et poinçonnées. Deux de ces assiettes creuses et profondes faites pour le service de table portent en effet sur l’aile un écu gravé mi-parti de Flandre et de France A et D). Les deux autres portent sur le revers les armes de Flandre (B et C). Datant toutes de la première moitié du XIVe, ces écuelles portent pour deux d’entre elles le poinçon d’un orfèvre parisien. Il est formé d’une fleur de lys, marque du métier et d’un B pour les écuelles B et C. Ceux aux armes de Marguerite sont d’une provenance différente : le A porte un poinçon au rat typique des orfèvres arrageois, surmonté d’un T. Le D est quant à lui poinçonné d’une fleur de lys et d’une main bénissante, marque qui associe un symbole royal à un poinçon bisontin. Marguerite disposait donc d’une écuelle provenant soit de Besançon, soit d’un Bisontin établi à Paris, et d’une autre arrageoise. Elles furent peut-être perdues à l’occasion d’une révolte flamande. Les villes d’Artois connaissent ces goûts et lui offrent de l’argenterie à son avènement, un don coutumier : 29 kilos d’argent à Arras dont trois gobelets à couvercles dorés, 12 plats d’argent et 24 écuelles85. Cette précieuse vaisselle entraîne des vols réprimés par les officiers de l’hôtel : en 1364 Hanin Leurench est exécuté à Béthune pour avoir « emblé vaisselle en l’ostel de madame »86. Après 1382, certaines pièces de la comtesse sont utilisées personnellement par Philippe le Hardi et Marguerite de Male : un gobelet d’or « en facon de lampe, armoyé des armes de madame d’Artoys, pesant trois mars deux onces », « une cuvette d’or armoyée des armes de Madame d’Artoys, a laquelle monseigneur

81 ADN B 453 ; AGR, 1ère série du Trésor des chartes, n° 2272. 82 Ibid. 83 ADN B 453 ; AGR, 1ère série du Trésor des chartes, n° 2272. 84 J. Destrée, « Quatre écuelles en argent, trouvées en 1865, à Maldegem, près d’Eecloo », Bulletin des Musées Royaux d’Art et d’Histoire, no 6, 1930, p. 158-163. D. Gaborit-Chopin, « Le trésor de Maldegem », dans Plaisirs et manières de table aux XIVe et XVe siècles. Musée des Augustin, 23 avril-29 juin 1992, Toulouse, 1994, p. 224-226. 85 « Registre mémorial de la ville d’Arras de 1354 à 1383 », op. cit., p. 221. 86 ADN B 14595.

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de Bourgoingne boit ». Cet usage personnel et ce lien mémoriel évitent à cette « cuvette » d’être fondue pour financer la guerre contre Gand87. Bijoux, rubis, couronnes et bagues apparaissent davantage, s’inscrivant dans une tradition très forte des cours du nord : contemporaine, la comtesse de Hainaut est capable de dépenser 7 297 lb tournois à Paris en 1323 pour une couronne sertie de saphirs et bien d’autre pièces88. Le goût pour les couronnes, dont attestent les trésors des reines, n’est en effet pas réservé aux têtes royales. En témoigne un inventaire rédigé vers 1332-1336 pour la comtesse89 qui signale une grande couronne à rubis et à émeraudes, achetée pour elle par son mari à la duchesse de Bourgogne sa sœur, une couronne à grands saphirs et à perles, une couronne achetée par le comte à Paris « sur II verges a saffirs et a petis rubis ». On compte également un chapeau émaillé « a grant besant [au sens de bouton] de perles et a saffirs et a bales » également racheté à la duchesse, un autre à besants à deux rubis et une émeraude, un troisième à trois perles, un rubis et une émeraude, un quatrième à un besant, une émeraude et un rubis. La liste mentionne encore deux rubis dont un offert par l’évêque de Thérouanne, un diamant, deux saphirs et une émeraude. On conçoit que les conseillers aient été inquiets d’un tel luxe, mais les dépenses de son mari sont plus importantes encore. Ces couronnes constituent les pièces les plus coûteuses : en 1335-1336 on signale l’achat d’une couronne à Nicolin d’Amiens « pour madame de Flandres », d’une valeur de 1 200 lb parisis. C’est d’ailleurs un capital au moins autant qu’une collection90. La comtesse met ainsi en gage une couronne d’or pour emprunter 2 000 francs aux généraux des aides après 136191. Signe de pauvreté passagère ? Possible, mais l’usage est banal, même chez le roi92. Quelques œuvres imagées se distinguent dans les années 1330, comme « une ymaige qui est d’ivoire et le tablel d’argent ou li ymage siet, que monseigneur li dona » et « I petit tablel esmaillié que la contesse de S Pol donna ». La comtesse fait alors également acheter sur la succession de sa mère un petit livret, un « tabelet d’or », un miroir de calcédoine, une « paternostres de gest a signaux d’or », « I tablieau ou il a sanctuaires et I fermaillet d’or », une « saincte Marguerite ». Se mêlent ici ostentation, goût personnel, vie privée, mémoire mais aussi piété. Ornements de chapelle et objets offerts aux églises : de Saint-Denis à Bruges

Ce goût se retrouve en effet dans quelques inventaires d’églises ayant bénéficié de ses générosités. Ces dons d’objets précieux et travaillés s’inscrivent dans les usages

87 Dom Plancher, Histoire Générale et particulière de la Bourgogne, op. cit., t. 3, p. LXIII. 88 ADN B 1584. 89 D’après les noms de Guillaume Morel et Nicolas Guidouche. AGR 1ère série du Trésor des chartes n° 2272. 90 E. Taburet-Delahaye, « L’orfèvrerie », op. cit. 91 ADPDC A 705. 92 P. Henwood, « Administration et vie des collections d’orfèvrerie royales sous le règne de Charles VI (1380-1422) », Bibliothèque de l’École des chartes, vol. 138, no 2, 1980, p. 179-215.

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des princesses et des reines, notamment à Saint-Denis, où les donatrices sont souvent identifiables sur les reliquaires93. À Saint-Denis, ces objets étaient visibles en 1706 : un calice et une paterne de vermeil, une paix, terme pouvant désigner une plaquette représentant un sujet de la Passion, des chandeliers, des bassins, des burettes et une lampe en argent, et d’autres meubles. Le mauriste Félibien note surtout une « image de Saint-Denis » de vermeil aux armes de France et de Flandre94. Un inventaire de 1726 la décrit « elevée sur piedestal quarré, dont le milieu est remply des armes de Marguerite de France, comtesse de Flandre ». À son pied se trouve un petit reliquaire contenant un ossement de Saint-Denis. Le tout fait 19 pouces de haut, et pèse 21 marcs et 7 onces95. La gravure de Félibien montre effectivement le saint debout, tenant sa tête des deux mains, les pieds posés sur un petit coffre, sous lequel un piédestal présente deux écus aux armes de France et de Flandre (figure 29 en ligne). Dom Doublet précise qu’au pied de « l’image » l’os de Saint Denis était enchâssé dans l’argent à la façon d’un « reliquaire plat » couvert de cristal, garni d’améthystes, d’émeraudes, d’une agate et d’une calcédoine, avec « ses armes ». La comtesse offrit un autre reliquaire, en or cette fois, dont le luxe avait impressionné Doublet, pour une phalange du doigt de Saint Louis d’Anjou. La relique y était enchâssée dans une « table longuette », soutenue par deux anges encadrant une femme couronnée à genou, en orante, le tout en or massif. Ces figures reposaient sur un entablement à trois pieds reposant sur six lions d’argent doré, entablement garni de chatons d’or remplis de rubis et d’émeraudes, de perles « orientales » et de saphirs ainsi que d’un camée en agate en forme de tête d’homme aux cheveux noirs. La couronne elle-même comportait émeraudes, rubis, saphirs et perles, ainsi que les armoiries émaillées de la comtesse, mi-parties des armes de France et de Flandre96. La présence assez flamande des lions, le goût des couronnes ou encore la proximité des anges n’ont rien d’étonnant pour qui connaît la comtesse. Quant aux armes, si elles sont celles arborées avant 1361, elles furent encore utilisées pour les vitraux de la chapelle après 1363. À donner une date, on pencherait pour 1363, quand la comtesse fonde sa chapelle et paie son gisant. La comtesse a également fait don de plusieurs objets lors de la fondation de deux chapellenies à Saint-Donatien de Bruges. L’envoi de « joyaux » vers « monseigneur de Saint Donat » est attesté en décembre 1365, ce qui permet de dater cette commande97 par ailleurs décrite par les inventaires postérieurs. Ils signalent la grande qualité artistique et le poids de deux pièces rappelant celles de Saint-Denis : une « tabula » d’argent en partie dorée comportant une « image » de Dieu dorée, à pied d’argent, appelée le « groote God » dans l’inventaire en flamand de 1488. Ce plateau était orné de trois écus armoriés de madame d’Artois et de France et contenait 93 M. Gaude-Ferragu, La reine au Moyen Âge, op. cit., p. 230. 94 M. Félibien, Histoire de l’abbaye royale de Saint-Denys en France, op. cit., p. 281. 95 B. de Montesquiou-Fezensac et D. Gaborit-Chopin, Le trésor de Saint-Denis, 3 vol., Paris, 19731977, t. 2, p. 104-106 et 284. 96 J. Doublet, Histoire de l’abbaye de Saint Denys en France, Paris, 1625, p. 337. 97 ADN B 14598.

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12 apôtres d’argent brillants, décrits en 1539 comme d’une exécution admirable, supportés par des pieds aux armes « des donateurs ». Des colonnes (pilaribus ou columnis), supports (sustentaculis) et chapiteaux (capitellis) d’argent sont également attestés, probablement pour porter le plateau. Un inventaire de 1462 précise qu’il s’agit des armes de « domine Margarete, comitisse Arthesie », et celui de 1488 indique que le tout pesait plus de 70 marcs, soit 17 kilos. Le deuxième objet était une croix en or ornée de pierres précises et de perles, dans laquelle se trouvait du bois de la Vraie Croix et qui comportait une chaîne en or précisant qu’elle avait été donnée par madame d’Artois98. On sait enfin que Marguerite fit don en 1372 d’un encensoir d’argent à écusson à fleur de lys et à lion à la collégiale Saint-Cosme de Luzarches99. L’ensemble présente visiblement une cohérence artistique. Mais si de tels dons sont destinés à constituer un « trésor dans le ciel », d’autres s’inscrivent dans une logique plus sociale et politique. Dons, contre-dons et circulation des objets précieux

Bijoux et pièces d’orfèvrerie sont porteurs d’une charge émotionnelle et mémorielle ; on les transmet, mais on peut aussi les dissiper. Marguerite a probablement très tôt reçu des objets de ses parents. Jeanne de Bourgogne avait promis de donner la couronne de son couronnement à Saint-Denis, un anneau à sa mère Mahaut, son plus beau rubis à sa cousine la comtesse de Dreux, un saphir à l’abbé de Baume-les-Messieurs et au seigneur Henri de Sully100… Mais elle avait aussi prévu dès 1319 de partager ses pierres, ses bagues, reliques et livres entre ses filles101 : un ensemble considérable dont la meilleure a dû revenir à Jeanne de France, ce qui pourrait expliquer que Marguerite lui ait racheté des pièces dans les années 1330. Ces objets tissent des liens à l’intérieur de la famille, notamment entre femmes, ainsi qu’avec des établissements ecclésiastiques. Marguerite s’insère à son tour dans des cercles de legs, d’achats et de dons, en particulier entre princesses du sang royal. Elle rachète plusieurs bijoux à sa sœur Jeanne dans les années 1320-1330, venant peut-être de la famille. Plus tard, sa tante Jeanne d’Évreux prévoit également de lui léguer un anneau d’or à un rubis, et un rubis longuet offert par Charles V102, et une « ymage de Notre Dame que le roy avoit donné à madite dame laquelle clost a porte et a dedans une ymage enlevee de l’an »103. D’autres objets lui parviennent par des dons de parents ou membres de la très haute noblesse. Ils témoignent des cercles successifs dans lesquels elle s’intègre après l’enfance, passant de la Flandre à la Bourgogne. Les bijoux lui viennent d’abord de son mari, on l’a vu, notamment une couronne et des chapeaux, mais aussi de Jeanne 98 W. H. J. Weale, « Inventaires du trésor de la collégiale de Saint Donatien à Bruges, 1347-1539 », op. cit. 99 E. Müller, Inventaire de la collégiale Saint-Cosme de Luzarches aux XIVe et XVe siècles, Pontoise, 1893, p. 9. 100 Jean Du-Tillet, Recueil des roys de France, op. cit., p. 351. 101 A.-H. Allirot, Filles de roy de France, op. cit., p. 216. 102 C. Leber, Collection des meilleurs dissertations, op. cit., p. 166. 103 A.-H. Allirot, Filles de roy de France, op. cit., p. 214.

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de Flandre, fille aînée de Robert de Béthune ; enfin de la comtesse de Saint-Pol, soit Jeanne de Fiennes soit la douairière Marie de Bretagne104. Après 1364, les liens se resserrent avec Philippe le Hardi qui lui offre un bijou lors de son mariage ; encore en 1378 Philippe le Hardi achète à Guy de la Trémoille une croix en or garnie de pierres et perles qu’il offre à Marguerite de France105. Ces liens se répètent lors des étrennes. Cette pratique fondamentale du XIVe siècle occasionne d’importantes dépenses chez princes. Le 1er janvier 1336 le receveur de Flandre paie ainsi 46 lb de gros pour deux chapeaux noirs donnés pour les étrennes, dont l’un par madame106. En 1379 Philippe le Hardi lui offre un tableau d’or garni de pierreries, acheté 240 francs chez Henriet Orlant, changeur et marchand parisien107. La duchesse lui offre également alors un anneau d’or à un diamant et deux rubis, pour 120 francs108. En 1380 le duc offre à Marguerite de France un gobelet d’or « lié de terceaux » d’une valeur de 156 lb109, et l’année suivante un rubis et un diamant de 120 lb parisis110. Ces échanges lient également Marguerite à ceux dont elle est la « dame ». Prélats, nobles et gens de cour, villes de Flandre : la liste des années 1330 mentionne les objets offerts par ses sujets de la comtesse et les redistributions auxquelles elle s’est livrée dans son entourage. Coupes, drageoirs dorés, hanaps, fioles d’argent mentionnés dans ce document ont pour beaucoup été offerts lors son joyeux avènement par l’abbé des Dunes, plusieurs nobles et les villes, notamment de l’ouest de la Flandre récemment matées (Cassel, Ypres). Idem en 1362 pour Saint-Omer et Arras111. Cette pratique se retrouve en Languedoc à la fin du XIVe siècle, enrichissant la collection royale112. Les villes entendent tenir leur rang et montrer leur amour du prince113. Le mouvement conduisant à ne plus offrir que de riches pièces d’orfèvrerie semble bien établi dans la Flandre du début du XIVe siècle, favorisé par le contexte de soumission et par la joie de voir enfin venir une comtesse longtemps retenue au loin. La comtesse n’hésite pourtant pas à les redistribuer à ses dames, avocats et médecins, notamment la vaisselle offerte par les villes114. D’autres objets partent vers la cour royale : une coupe à pierre donnée par Gilles d’Atrike va à la nourrice d’une fille de Philippe VI, suggérant des relations qui nous demeurent inconnues.

104 AGR, 1ère série du Trésor des chartes, n° 2272. 105 Bernard Prost, Inventaires mobiliers et extraits des comptes des Ducs de Bourgogne de la Maison de Valois (1363-1477)., 2 t., Paris, 1903-1916., t. 2, p. 37. 106 AGR CC 46. 107 A. Châtelet, « Les commandes artistiques parisiennes des deux premiers ducs de Bourgogne de la maison de Valois », dans Paris, capitale des ducs de Bourgogne, éd. W. Paravicini et B. Schnerb, Ostfildern, 2007, p. 165-181. 108 ADCO B 1454. 109 E. Petit, Itinéraires de Philippe le Hardi, op. cit., p. 509. 110 BN Bourgogne 21, fol. 12. 111 « Registre mémorial de la ville d’Arras de 1354 à 1383 », op. cit., p. 221. 112 P. Henwood, « Administration et vie des collections d’orfèvrerie royales… », op. cit. 113 B. Guenée et F. Lehoux, Les entrées royales françaises 1328-1515, op. cit. 114 AGR 1ère série du Trésor des chartes n° 2272.

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La comtesse achète aussi pour remercier ses proches ou célébrer un baptême : en 1334 elle acquiert une coupe d’argent de 5,5 marcs pour son physicien Wautier de Rouvroy et une autre pour sa demoiselle, Richarde de Bleine115. Sa demoiselle Simonette de Précy ou la fille de « Bernard Stevel » en bénéficient encore en 1335-1337116. Un marché du luxe : Paris, Bruges, Arras

Opportuniste, la comtesse achète également des objets à des proches, quand elle ne leur demande pas d’avancer les fonds : son physicien maître Wautier est payé en 1334-1335 « pour une cope doree qu’il li venda », ainsi que Richarde de Bleine117. Mais pour l’essentiel la comtesse s’approvisionne auprès de marchands. Paris, capitale de l’orfèvrerie, s’est imposée très tôt comme son principal centre d’approvisionnement : le seul orfèvre mentionné en 1329-1330 est un Parisien réputé, Nicolas de Neelle, qui a déjà travaillé pour son père comme pour Mahaut118. Au moins deux des écuelles de Maldegem portent un poinçon parisien. En 1334-1337, l’approvisionnement se diversifie : certes, Paris reste attractive pour Marguerite via Pierre des Essars119, ce qui montre l’attraction de ce marché. Mais elle se tourne surtout vers le nord, entre Flandre et Picardie si on s’en réfère aux noms : Adam de Saint-Quentin, qui travaille aussi pour la comtesse de Hainaut120, puis Louis de Male121, Gilles le Corembittere, qui porte un nom plus flamand et vend aussi à Louis de Nevers122, et enfin Nicolas d’Amiens. D’autres individus apparaissent, souvent employés par Louis de Nevers comme Nicolas Barette, Nicolas Barbeule ou Barbezale, Bethe de le Mude ou Jean Bernard qui fournit la comtesse mais aussi Louis de Nevers puis Louis de Male123. De manière plus constante, Arras joue un rôle majeur, déjà attesté par une des écuelles de Maldegem : en 1365 Marguerite fait acheter un godet d’argent à couvercle doré de 4,5 marcs à Simon Mehaut, orfèvre et bourgeois d’Arras, pour 43 écus124. Un autre Arrageois, Wautier le Fier, réalise des ouvrages d’orfèvrerie sur le char neuf de 1376125. Ce « Wautier l’orfèvre », est réputé : l’évêque d’Arras Jean Canard lui commande en 1405 un nouveau reliquaire en or pour le « chef Saint-Vaast »126.

115 116 117 118 119 120 121 122 123 124 125 126

AGR CC R 4. AGR CC R 5. Ibid. J.-M. Richard, Une petite-nièce de Saint-Louis, op. cit., 1887. ADN B 1565, n° 532. C. Dehaisnes, Documents et extraits divers, op. cit., t. 1, p. 446. Ibid., p. 478. AGR CC R 5. C. Dehaisnes, Documents et extraits divers, op. cit., t. 1, p. 327 et 361. ADPDC A 713. ADPDC A 762. J.-M. Richard, « Un reliquaire de l’ancienne cathédrale d’Arras », Revue de l’art chrétien, V, 2e série, 1876, p. 257-272

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Enfin Simon Criquot n’est pas localisé, mais sa femme et les enfants reçoivent un don à Arras en janvier 1380127. Enfin, la comtesse a participé, directement ou par son influence, au renforcement des liens artistiques tissés dès le XIVe siècle entre Paris, la Flandre et la Franche-Comté. Les preuves directes manquent hors de l’écuelle à la main bénissante, mais on peut penser au reliquaire de l’église Saint-Just d’Arbois, en la chapelle dite de Tournai liée à la figure de Philippe d’Arbois, dont la carrière doit tout à Marguerite. Cette croix d’autel en argent doré ornée d’émaux, où le Christ est entouré de la Vierge et saint Jean, conservée à Florence est assurément d’un style flamand, comme une autre pièce offerte à la même église, la Vierge à l’Enfant128.

4. Marguerite de France et les livres L’intérêt pour l’éducation des enfants royaux, garçons ou filles, est patent depuis Saint Louis. La cour donne d’ailleurs aux femmes, à travers la figure de Blanche de Castille, un rôle majeur dans une éducation d’abord centrée sur la foi chrétienne, et qui passe par la promotion de figures exemplaires qui peuvent être des femmes de pouvoir129 : ancêtres, saintes, femmes de l’Ancien Testament… En outre, les penseurs favorables à un enseignement des filles sont nombreux chez les derniers Capétiens, comme Gilles de Rome et surtout Nicolas de Lyre, proche de Jeanne de Bourgogne que Marguerite a dû côtoyer : or il livre dans les années 1322-1339 une réflexion sur les figures bibliques de princesses, notamment les filles du roi Salomon130. La question d’une spécificité des bibliothèques féminines est toujours débattue : on les associe particulièrement à la transmission familiale et à la mystique131, même s’il ne faut pas sous-estimer la diversité des centres d’intérêt. Il est vrai que l’ampleur de ces bibliothèques nous échappe souvent du fait de la dispersion ou de l’intégration des bibliothèques de princesses dans celles de leurs époux ou de leurs héritiers, dans la mesure où elles sont moins sujettes à un phénomène de patrimonialisation et de stabilisation.

127 ADN B 15282. 128 R. Didier, M. Henss et J. A. Schmoll-Eisenwerth, « Une Vierge tournaisienne à Arbois ( Jura) et le problème des Vierges de Hal. Contribution à la chronologie et à la typologie », Bulletin Monumental, vol. 128, no 2, 1970, p. 93-113. 129 A.-H. Allirot, Filles de roy de France, op. cit., p. 228. 130 P. Buc, « Exégèse et pensée politique : Radulphus Niger (vers 1190) et Nicolas de Lyre (vers 1330) », dans Représentation, pouvoir et royauté à la fin du Moyen Âge, éd. J. Blanchard, Paris, Picard, 1995, p. 145-164 131 D. Alexandre-Bidon, « Prier au féminin ? Les livres d’heures des femmes », dans Mélanges Jean Delumeau, 1997, p. 511-518 ; A.-M. Legaré, « Livres d’heures, livres de femmes. Quelques exemples en Hainaut », dans Le livre dans les pays du nord de la France. Douze siècles de médiation culturelle, éd. F. Barbier et M.-P. Dion, Valenciennes, 1998, p. 53-68.

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Désormais bien connu, l’accès des femmes de la haute noblesse aux livres est très fort dans l’entourage de la jeune Marguerite. On ne peut que deviner l’influence familiale, mais les goûts littéraires éclectiques de Mahaut viennent ici à l’esprit : ouvrage de piété, littérature courtoise, récits de voyage et croisade, histoire des rois… Plus directement pour Marguerite, sa mère Jeanne de Bourgogne a certainement été un modèle, elle qui prévoyait un partage de sa bibliothèque entre ses filles132. On sait qu’elle commande des ouvrages comme l’Ovide moralisé, et que le chanoine d’Arras Thomas le Myésier, médecin et disciple de Raymond Lulle, lui dédie un Breviculum qui constitue un résumé en latin des œuvres de son maître133 vers 1325. Le mysticisme contemplatif du Franciscain catalan, sa promotion de l’Immaculée conception, ont peut-être marqué l’éducation de la jeune femme. Les livres de dévotion de Marguerite

Comme bien souvent pour une princesse, les ouvrages de piété de la comtesse figurent parmi les très rares livres sur lesquels on dispose de données. Ils démontrent la filiation entre Mahaut, Jeanne et les « jeunes dames », très tôt dotées de livres précieux réalisés dans l’entourage de Jean Pucelle. C’est le cas de Marguerite et Blanche de France. Si j’ai émis l’hypothèse que Marguerite ait possédé le manuscrit 1716 de la bibliothèque Mazarine, en français, le seul ouvrage conservé qu’on puisse lui attribuer directement est un exemplaire des Concordances des Évangiles de Victor de Capoue134. Réalisé vers 1320-1325, présent dans les inventaires des ducs de Bourgogne, il a parfois été associé à Mahaut135. Il porte pourtant les armes de Marguerite de France. Dans l’inventaire de 1418, il lui est d’ailleurs attribué. Il est présenté comme un livre de prières de saints et saintes, couvert de « semence de perles, par losenges blanches et aseurées, et, ou milieu, ung chappel d’or, et est armoé des armes de France et d’Artois, et, en l’autre costé, de France et de Flandres, et y a deux fermeillez d’or, esmailléz l’un de France et de Flandres, et l’autre de France et d’Artois, et sont les tessuz d’or batu à deux boutons de semence de perles »136. Ouvrage à reliure en veau de 302 feuillets, aux dimensions de 160 x 110 mm, copié sur du vélin, il se distingue par la grande qualité de sa calligraphie et de ses enluminures, constituées de deux initiales et 13 miniatures, qui comportait en outre cinq miniatures pleine page désormais perdues. D’une grande finesse, les miniatures comportent plusieurs initiales historiées.

132 Jean Du-Tillet, Recueil des roys de France, op. cit., p. 351. 133 Ovide métamorphosé. Les lecteurs médiévaux d’Ovide, éd. L. Harf-Lancner, L. Mathey-Maille et M. Szkilnik, Paris, 2009, p. 107-122 ; A. Stones, « Le débat dans la miniature : le cas du Breviculum de Thomas le Myésier », dans Qu’est-ce que nommer ? L’image légendée entre monde monastique et pensée scolastique, éd. C. Heck, Turnhout, 2010, p. 189-200. 134 Bruxelles, BRB ms. 11053-11054. 135 Les fastes du gothique : le siècle de Charles V. Galeries nationales du Grand Palais, 9 octobre 1981-1er février 1982, Paris, 1981, p. 290. 136 ADN B 1444.

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Ces évangiles harmonisés137 sont une version dite « Harmonie de Munich »138, parfois considérée comme une version latine rédigée par Victor de Capoue des Harmonies évangéliques d’Ammonios d’Alexandrie. Le livre contient également des Méditations en français que l’on attribuait à saint Bernard de Clairvaux139, puis des oraisons et antiennes en latin, adressées à divers saints ; ce n’est pas un livre d’heures. Il repose en outre sur la maîtrise du français comme du latin. Les miniatures conservées représentent saint Jean évangéliste, l’Annonciation, le mariage de la Vierge, l’adoration des Mages et la purification, la trahison de Judas, la flagellation, le portement et la descente de la croix, les saintes femmes au tombeau du Christ, Jésus apparaissant à ses disciples et un portrait de saint Bernard. La figure du Christ et celle des femmes de sa vie, notamment la Vierge, dominent. L’illustration, de taille très réduite, manifeste le sens des proportions, de la composition, une grande maîtrise des plis, des mains, des visages, usant d’une riche palette140. On l’attribue à un disciple de Jean Pucelle, auquel on rattache des enluminures du bréviaire de Blanche de France conservé au Vatican141. Transmis aux ducs Valois via Marguerite de Male, l’ouvrage est longtemps resté associé à un manuscrit plus petit, perdu après sa transmission à Philippe le Beau. Ce second livre est signalé en 1404 comme « armiéz aux armes de Flandres et de madame d’Artois ». C’est un petit livre d’heures contenant des prières en français, avec une reliure précieuse bordée de fil d’or, garnie de perles et pourvue de fermoirs d’or qui rappelle le premier livre. Confié au confesseur de Jean sans Peur Martin Porée, il est donné en 1418 à Marguerite de Bavière142 dont l’inventaire après décès signale aussi un tuyau, baguette sans doute en or destinée à tourner les pages, et une vieille bourse. Cet inventaire indique encore que le livre débute par « l’euvangile saint Jehan » et se termine par « Pater Noster »143, que la reliure est ornée d’une grande quantité de perles blanches et azurées, que les armoiries émaillées sur les fermoirs sont brodées sur les plats, d’un côté de France et de Flandre, de l’autre de France et d’Artois. L’inventaire de 1467 précise que le deuxième feuillet commence par « in nobis et vidimus » ( Jean, 1 : 14) et s’achève par « vraye fin », témoignant de ce bilinguisme. L’inventaire de 1487 précise qu’il est perdu, mais dispose d’un « manuscrit frere », contenu dans un étui de velours brodé, alors décrit par erreur comme un livre d’heures, le manuscrit 11053-11054144.

137 BRB ms. 11053-11054, fol. 1-241. 138 U. Schmid, « Lateinische Evangelienharmonien: die Konturen der abendländischen Harmonietradition », dans Evangelienharmonien des Mittelalters, éd. C. Burger, A. den Hollander et U. Schmid, Assen, 2004, p. 18-39. 139 BRB ms. 11053-11054, fol. 242-298. 140 C. Gaspar et F. Lyna, Les Principaux manuscrits à peintures de la Bibliothèque royale de Belgique, Paris, 1937, p. 290. 141 Bibliothèque vaticane, ms. Urb. lat. 603. 142 J. M. Hand, Women, manuscripts and identity in Northern Europe, 1350-1550, Farnham, 2013, p. 226. 143 P. M. De Winter, La Bibliothèque de Philippe le Hardi, duc de Bourgogne, 1364-1404, Paris, 1985, p. 15. 144 H. Wijsman, « Philippe le Beau et les livres : rencontre entre une époque et une personnalité », dans Books in Transition at the Time of Philip the Fair, éd. H. Wijsman, Turnhout, 2010, p. 17-92.

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Hanno Wijsman date ce dernier des environs de 1325 d’après le style et suggère que la paire de manuscrits dévotionnels fut commandée pour (par ?) Marguerite de France aux débuts de sa vie maritale. On ne peut qu’appuyer cette analyse. Un autre élément stylistique va dans ce sens : l’artiste est sans doute le même que celui du livre de Blanche de France, proximité soulignée sur le strict plan artistique par Kathleen Morand145. On peut penser à des commandes simultanées de la part de Mahaut ou Jeanne de Bourgogne, dont Pucelle était proche, lui qui avait d’ailleurs participé à l’illustration du bréviaire de Blanche de France146. Gravitent dans son orbite des princes de Bourgogne, Flandre (Yolande de Flandre), Navarre, ainsi que plusieurs petites-filles de Philippe IV. Textuellement, la Concordance contient des oraisons et antiennes en l’honneur de saint Loup, saint Ghislain, saint Lambert, saint Louis d’Anjou, canonisé en 1317, sainte Sixte, saint Didier, saint Charlemagne, saint Joseph et saint Siméon. Sainte Sixte pourrait relier le manuscrit à une église associée à Mahaut et Marguerite, Saint-Jacques-aux-Pèlerins, où est dressée une statue de la sainte147. Fondateur de l’abbaye qui porte son nom en Hainaut, saint Ghislain est plutôt vénéré dans le nord. Saint Charlemagne, fêté le 28 janvier et saint Louis d’Anjou148 nous renvoient aux dévotions des rois Capétiens auxquelles Marguerite est très sensible. Si le livre d’heure est perdu, le bréviaire de Blanche nous donne quelques pistes sur les dévotions promues auprès des filles de Philippe V. L’ouvrage met ainsi en valeur sainte Claire mais aussi Saint Louis. On le verra, Marguerite appartenait au cercle des princesses lui vouant un culte. En outre, Mahaut avait fait réaliser un recueil des Heures de saint Louis en 1327, une époque où elle était proche de Marguerite149. Des manuscrits insistant sur l’éducation, le sacre et la piété du roi ont donc marqué sa jeunesse. Par la suite, les sources manquent : on sait que Marguerite récupère en 1377, après la mort de la dame de Bours-Pol, un « petit livre lau l’office de le messe du Saint Esprit est tenu », ainsi qu’un « petit roman » que l’on ne vendit pas150 : bien maigre trace de cette vie littéraire profane. Néanmoins, une autre piste mérite d’être creusée, côté flamand. Une hypothèse flamande : le psautier Douce 5-6

Un célèbre manuscrit contenant des psaumes, enluminé de multiples drôleries, le Bodleian Douce 5-6 pourrait lui avoir appartenu. Il semble avoir été commandé

145 K. Morand, Jean Pucelle, Oxford, 1962, p. 46. 146 M. Gil, « L’enlumineur Jean Pucelle et les graveurs de sceaux parisiens : l’exemple du sceau de Jeanne de France, reine de Navarre (1329-1349) », dans, Pourquoi les sceaux ? La sigillographie, nouvel enjeu de l’histoire de l’art, éd. M. Gil et J.-L. Chassel, Villeneuve-d’Ascq, 2011, p. 421-436. 147 K. Morand, Jean Pucelle, op. cit., p. 46. 148 Bernard Guenée, « Le vœu de Charles VI. Essai sur la dévotion des rois de France aux XIIIe et XIVe siècles », Journal des Savants, vol. 1, no 1, 1996, p. 67-135. 149 B. Guenée, « Le vœu de Charles VI. Essai sur la dévotion des rois de France aux XIIIe et XIVe siècles », Journal des Savants, vol. 1, no 1, 1996, p. 67-135. 150 ADN B 13878.

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dans les années 1320 à un enlumineur gantois d’une grande créativité pour une femme proche de Louis de Nevers dont les armes apparaissent à plusieurs endroits. Ce type de manuscrits aux marginalia illuminées s’inscrit d’ailleurs une tradition septentrionale promue par les Dampierre à la fin du XIIIe siècle151. Dans ce psautier, la représentation du comte est fréquemment associée à une belle jeune femme. Elle représentée en prière derrière le comte, alors que celui-ci est en train de terrasser un chevalier rouge (fig. 30 en ligne, Douce 6, fol. 44). On la voit sous un dais comme une sainte, couronnée de fleurs avec son amant agenouillé (fig. 31 en ligne, fol. 89). Une noble dame accueille également son aimé de retour de la chasse depuis la fenêtre du château (fig. 32, Douce 5 fol. 126), ou déménage en faisant porter son lit vers un château (fig. 33, Douce 6 fol. 160v), ce qui n’est pas sans rappeler le projet longtemps mûri par Louis de Nevers de faire venir Marguerite en Flandre. Au prétexte que les scènes galantes seraient réservées aux maîtresses, on y a vu une allusion aux nombreuses amours adultères de Louis de Nevers. Des livres de dévotion peuvent cependant contenir des allusions à un amour galant entre l’épouse et le mari. Pour des raisons stylistiques, Elizabeth B. Moore a avancé l’idée qu’un manuscrit aussi luxueux ait été commandé pour Marguerite de France car les jeunes mariées recevaient parfois ce type de manuscrits caractérisé par scènes quotidiennes ou des allusions érotico-mystiques telles que la licorne séduite par la vierge. Le caractère flamand apparaît en tout cas dans les dessins humoristiques illustrant des proverbes locaux et même des recettes flamandes, sans parler des allusions à Saint-Pierre de Gand152. L’idée est séduisante, d’autant que l’hypothèse adultérine s’appuie sur un préjugé lié à l’image de veuve bigote accolée à Marguerite, femme que les historiens ont parfois jugée trop austère pour correspondre à cette belle dame. On sait son goût pour le luxe, la chasse, les fêtes et les tournois. De même, le calendrier liturgique gantois du livre serait incompatible avec une princesse réputée vivre à Male : elle réside pourtant très souvent à Gand alors ! Le jeune comte, comme ses villes et la cour, avaient d’ailleurs fait beaucoup de cadeaux à la jeune comtesse pour fêter son arrivée tardive en France. Certes, on ne trouve pas de fleur de lys. Mais une représentation de femme tenant sa robe de la main droite et un faucon de la gauche dans une niche gothique n’est pas sans rappeler le sceau de la comtesse, réalisé dans les années 1320. La ressemblance est même troublante (fig. 34, Douce 6, fol. 40 et fig. 35).

151 E. Moore Hunt, Illuminating the borders of northern French and Flemish manuscripts, 1270-1310, New York, 2007, p. 48. 152 E. B. Moore, « The urban fabric and framework of Ghent in the margins of Oxford, Bodleian Library, MSS Douce 5-6 » dans, ‘Als ich can’. Liber amicorum in memory of Professor Dr. Maurits Smeyers, éd. B. Cardon, J. Van der Stock et D. Vanwunsberghe, Louvain, 2002, p. 983-1006.

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Fig. 34. Femme au faucon. Bodleian Library, Douce 6, fol. 40v. Photo : site de la Bodleian Library. Source : https://digital.bodleian.ox.ac.uk/objects/ffa��f��-fde�-�f��-��e�-�c���f�f�b��/

Fig. 35. Premier grand sceau pédestre de Marguerite de France et contre-sceau. AN, J 250, n° 11. Photo de moulage prise par les Archives Nationales. AN Collection supplément (ou St) 8597. Source : http://www.sigilla.org/sceau-type/marguerite-france-comtesse-flandre-premier-grand-sceau-�����

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On trouve par ailleurs deux lettrines contenant la tête d’une femme couronnée (fig. 37 en ligne, Douce 5, fol. 7 ; fig. 38 en ligne, Douce 6, fol. 6). Quant aux scènes représentées, elles correspondent bien à la vie de Marguerite, même si beaucoup d’aspects sont assez peu originaux : sa charité envers les aveugles (fig. 39 en ligne, Douce 6, fol. 99r), ses déménagements, les références à la chasse et aux tournois, ou son goût pour les petits chiens qui fait écho à plusieurs représentations (fig. 40-42, Douce 6, fol. 81, 84v, 99v). Quant à l’usage du latin, il n’étonne pas quand on connaît le contenu du manuscrit bruxellois. La représentation de figures féminines lisant dans une initiale confirme d’ailleurs que l’artiste du Bodleian 5-6 a voulu souligner l’importance de la lecture féminine153. Certes, on ne résoudra pas définitivement ici la question de l’attribution. Mais on aimerait laisser une chance à cette hypothèse d’un ouvrage réalisé pour la comtesse voire le jeune couple qui fait penser à des dons similaires, comme le livre de prière offert par Jean, seigneur de Ville, pour le mariage d’Enguerrand IV de Coucy et Jeanne de Flandre, tante de Louis de Nevers154. La comtesse et la littérature profane

La cour de Flandre a-t-elle également exercé une influence sur son rapport à la littérature profane ? Il s’agit d’un des foyers majeurs de la création littéraire en langue d’oïl depuis le XIIe siècle155. À en croire les sources pontificales, Louis de Nevers ne parle que français, sa « lingua materna »156. Sa cour est donc francophone, encore que le flamand n’ait pas mauvaise presse dans ce milieu : Mahaut apprécie ainsi en 1320 « I chanteur qui chanta devant madame en Flament » lors d’un séjour à Saint-Omer157. Du vivant de Marguerite, on connaît seulement ses vagues liens avec Watriquet de Couvins, originaire de Hainaut et proche de Guy Ier de Blois-Châtillon, lui-même lié aux comtes de Flandre, ainsi que de Gaucher de Châtillon. Mais si on connaît les relations entre Louis de Male et Eustache Deschamps ou Guillaume de Machaut, on ne trouve pas de liens avec Marguerite de France158. En revanche, la comtesse continue de fréquenter partout de nombreux ménestrels, lesquels ont probablement une influence par le chant sur son rapport à la poésie. Beaucoup sont attachés ou associés à des princes, des seigneurs, des villes mais fréquentent d’autres publics : la cour de Flandre voyait ainsi affluer des ménestrels de partout tout en pensionnant artistes francophones et néerlandophones159.

153 Douce 6, fol. 105v. 154 Richard Leson prépare une publication à ce sujet. 155 O. Collet, « Littérature, histoire, pouvoir et mécénat : la cour de Flandre au XIIIe siècle », Médiévales, vol. 19, no 38, 2000, p. 87-110 156 J. Saint-Génois, « Relation de l’entrevue de Louis de Crécy, comte de Flandre, avec le pape Benoît XII, à Avignon », Messager des sciences historiques de Belgique, vol. 14, 1846, p. 71-78. 157 ADPDC A 386. 158 M. Lacassagne, « Le Lai de Franchise d’Eustache Deschamps ou de l’autre côté du miroir », Le Moyen Âge, Tome CXVI, no 3, 2010, p. 645-656. 159 M. Vale, The princely court, op. cit., p. 293.

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Ses héritiers nous offrent pourtant quelques pistes. On sait que la tradition littéraire est toujours vivace sous Louis de Male160, dont la fille semble même avoir eu davantage de livres que Philippe le Hardi, par achat mais aussi qu’elle avait hérité de ce riche fonds flamand161. Sans doute la proximité de goût entre Mahaut et Marguerite de Male est-elle à imputer pour partie à Marguerite de France qui servit de passeuse ; ainsi de l’intérêt pour le Roman de Renart. Ce lien est d’autant plus logique que certains livres de Marguerite de Male furent réalisés entre Paris et la Flandre, dans les années 1320-1330, époque où Louis de Nevers et sa femme commandent beaucoup dans ces espaces. Parmi les livres de Marguerite de Male, une continuation du Roman des sept sages écrite et enluminée vers 1335 à Paris pourrait correspondre à l’époque de notre comtesse162 ; idem pour le Roman de la Rose parfois attribué à Richard de Montbaston qui se retrouve dans la bibliothèque de Bourgogne (BRB 9576), après avoir été réalisé à Paris vers 1335163. On a encore supposé qu’un manuscrit de Marguerite de Male datant de la fin du XIIIe siècle ou du début du XIVe contenant un fragment de pénitentiel, un Chevalier au lion, un Chevalier de la Charette, un Cligès, et une pièce de 36 vers164, avait été transmis par Louis de Male ou Marguerite de France165. D’autres romans arthuriens de l’inventaire de 1405 sont probablement d’origine flamande. En revanche, le BRB 10479 parfois attribué à une « madame Marguerite d’Artois » date plutôt des années 1400166. Certaines mentions des inventaires bourguignons pourraient elles aussi renvoyer vers la comtesse : un livre de « Marguerite contesse de Flandres » est indiqué dans les inventaires de 1487 et 1504, même s’il a pu appartenir à Marguerite de Brabant ; en revanche un abécédaire « fait pour dame Margrite de Flandres » doit plutôt être à Marguerite de Male, voire Marguerite de Brabant167. Marguerite de France n’est jamais appelée ainsi. On peut également rapprocher de la comtesse l’artiste l’ayant représentée dans un cartulaire de Louis de Nevers pour orner une copie de la lettre de soumission des Brugeois au roi de France et au comte de Flandre après la bataille de Cassel168. 160 P. De Winter, La Bibliothèque de Philippe le Hardi, op. cit. 161 H. Wijsman, « Bibliothèques princières entre Moyen Âge et humanisme. À propos des livres de Philippe le Bon et de Matthias Corvin et de l’interprétation du XVe siècle », dans Matthias Corvin. Les bibliothèques princières et la genèse de l’État moderne, éd. J.-F. Maillard, I. Monok et D. Nebbiai, Budapest, 2009, p. 121-134. 162 BRB ms. 9401. 163 Encore qu’il ne soit pas certain qu’il s’agisse bien du « rouman de la rose » de l’inventaire de Marguerite de Male. B. Bousmanne, C. van Hoorebeeck et J. van Hoorebeeck, La Librairie des Ducs de Bourgogne, 5 vol., Turnhout, 2010-2015, t. 2, p. 141. 164 BN Fr. 12560. P. De Winter, La Bibliothèque de Philippe le Hardi, op. cit., p. 250-251. 165 The Arthur of the French: the Arthurian legend in medieval French and Occitan literature, éd. G. Burgess et K. Pratt, Cardiff, 2009, p. 32. 166 B. Bousmanne, T. van Hemelryck et C. van Hoorebeeck, La Librairie des Ducs de Bourgogne 4, Turnhout, 2010, p. 215. 167 H. Wijsman, « Femmes, livres et éducation dans la dynastic burgondohabsbourgeoise. Trois Marguerites à la loupe », dans Marguerite d’York et son temps. Publication du Centre Européen d’Études Bourguignonnes, Neuchâtel, 2004, p. 181-198. 168 La Haye, Bibliothèque royale, Ms 75D7, fol. 3v.

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Ce type de « chartes ornées » se retrouve à la chancellerie royale de Philippe III à Louis XI, mais aussi chez les comtes de Flandre du XIVe siècle. Un couple princier y est placé dans deux médaillons formés de branches arrondies en haut à gauche du cadre formé de branches entrelacées qui entoure le texte. Les deux têtes affrontées sont placées derrière un château où sont réunis des princes, dont l’un tient une charte scellée, face aux Brugeois agenouillés faisant reddition sans condition169. Dans ce couple, l’ordre favorise la femme, à gauche, suivie de l’homme, comme le roi de France précède le comte de Flandre dans la reddition. Tous deux sont couronnés, renvoyant au caractère politique de l’acte, et la comtesse est associée à cet acte de soumission, qui lui permet de rejoindre la Flandre désormais de nouveau unie au royaume. Le style est proche de Jean de Grise, peintre ayant participé à l’illustration du Roman d’Alexandre en vers, copié probablement à Tournai par Jean de Bruges170. Jean de Grise est l’enlumineur des manuscrits BN Fr. 1422-1444 contenant des récits arthuriens, ou du pontifical de Gui de Boulogne171, et d’un Roman de la rose de Gui de Mori172.

Conclusion Faute d’inventaires ou de comptes, les maigres éléments ici collectés ne rendent pas justice au mécénat de Marguerite de France, dont on devine cependant l’ampleur et la qualité dans ses reliquaires et manuscrits. On sait d’ailleurs que le gestionnaire principal de ses affaires était un certain Jean le Cambier, qui n’avait rien d’un clerc ni d’un bureaucrate. Valet de garde-robe, individu d’ailleurs modeste173, il est toujours en place sous Jean sans Peur, quand des soupçons sur sa gestion apparaissent. Dans une supplique au duc174, il explique vivre encore à Hesdin, « chargié de femme et de XI enfans ». Il a servi « de sa jonesse bien l’espace de XL ans […] bien et loyaument a son povoir, sanz aucun reproche, en la garde des biens de la vaisselle d’or et d’argent, tappisseries et chambres feux ma dame la contesse d’Artois, monseigneur le conte Louis vostre ayeul, et monseigneur le duc vostre peire […] lesquels biens lui furent [baillies] de leur temps par inventoire ». On ne lui a jamais ordonné d’en tenir un compte ou de les délivrer par mandement… On peut également reconnaître l’arbre à ses fruits ; pratiquant une charité estudiantine, Marguerite a fortement encouragé l’étude et les lettres dans son entourage, dans la tradition de sa mère qui avait fondé le collège de Bourgogne. Marguerite donne ainsi 30 francs au receveur d’Hesdin pour l’achat de livres et de nourriture pour

169 W. Prevenier, « Kanselarijregisters als ambtelijk geheugen en als politiek instrument. Het register van de Vlaamse graaf Lodewijk van Nevers uit 1328-1338 », dans FS Johan Decavele, Gand, 1996, p. 417-429. 170 Oxford, Bodleian, ms. 264. Notice « enlumineur anonyme tournaisien de l’entourage de Jean de Grise » : http://jonas.irht.cnrs.fr/intervenant/2538). 171 BRB, ms. 11140. 172 Tournai, BV 101, copié en 1330. 173 ADPDC A 784, n° 71. 174 Vers 1409. ADN B 14611.

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« I sien fil qu’il tient auz escoles »175. Elle finance une partie des études des enfants de Charles de Poitiers. Elle a pu encore influencer Marguerite de Male, qui disposa de la plus riche bibliothèque qu’une princesse ait amassé au XVe siècle. Après 1382, les livres de Marguerite de France ont contribué à former le noyau des collections bourguignonnes, quitte à être oubliées. Dans ce que l’on devine de son mécénat, Marguerite valorise sans surprise la Flandre, l’Artois et Paris, démontrant un attrait pour les artistes septentrionaux, dont certaines productions se retrouvent en Franche-Comté. L’influence sur les fournisseurs arrageois est certainement plus forte que sur les artisans parisiens, qui comptent sur bien d’autres commandes, même si Arras a aussi fourni d’autres cours. L’état de la documentation ne valorise en revanche pas les artisans bourguignons ; ainsi, est-il impossible de rapprocher de la comtesse un peintre réputé comme Jean d’Arbois, recruté par Philippe le Hardi qui le fit venir de Lombardie. Les liens possibles avec l’évêque de Tournai, et la ville d’Arbois, sa présence en Flandre dans les années 1370 sont autant de facteurs ayant pourtant pu favoriser une telle rencontre176. Dans l’ensemble, ces goûts semblent marqués par l’influence de Mahaut, de Jeanne de Bourgogne, de la brillante cour de France des années 1310-1330, d’ailleurs très liée aux artistes septentrionaux. Il ne faut pas non plus mésestimer l’importance de la cour flamande, qu’il s’agisse de la culture matérielle, de la tapisserie ou de l’orfèvrerie tant le luxe semble débridé dans les années 1330-1346, dont datent nombre d’objets encore conservés dont les écuelles de Maldegem. Cette commande a connu une seconde grande période après 1361, marquée par la construction du tombeau, l’achat de tapisseries et la commande de pièces majeures d’orfèvreries. La fortune variable de Marguerite a pesé, les années 1340-1361 étant plus austères, non par choix mais par nécessité. En somme, ce mécénat épouse les variations d’une vie mouvante qui combine les origines royales aux ascendances comtoise et artésienne, puis au mariage flamand. Le rôle de la comtesse dans la circulation artistique entre Flandre, Artois et Paris, voire la Bourgogne explique une continuité de ce mouvement entre Mahaut et Philippe le Hardi. On est d’ailleurs saisi par l’importance du legs à Marguerite de Male en matière de tapisserie et d’orfèvrerie, voire de manuscrits, un point souvent sous-évalué en raison des sources, mais aussi de l’image d’une veuve sévère éloignée de toute libéralité, image reposant sur une contradiction artificielle entre piété et magnificence.

175 ADN B 15281. 176 A. Châtelet, « Les commandes artistiques parisiennes des deux premiers ducs de Bourgogne de la maison de Valois », op. cit.

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Chapitre 15 

« Pourveoir et subvenir en son vivant au remede et salut de s’amme » Piété, dévotion et identité princière Les enseignements de Saint Louis à sa fille Isabelle sont clairs : avant de vouloir être une bonne princesse, il faut être bonne chrétienne et placer Dieu, la justice et la paix au cœur de sa propre vie. L’étude de la piété des princes ressort donc d’abord de l’histoire religieuse. On est désormais sensible aux dévotions plus personnelles des princes1, au croisement de l’histoire culturelle, religieuse, sociale et politique : pratiques de charité, rôle mémoriel, importance de la confession, évolution de la liturgie et des pratiques plus quotidiennes de dévotion, fondations princières, et rapports aux divers ordres ecclésiastiques2. Cette piété s’inscrit bien entendu dans l’histoire des croyances et dévotions de l’ensemble de la Chrétienté et de la noblesse. L’Église et l’opinion publique ont des attentes vis-à-vis de cet ordre qui domine mais qui doit aussi montrer l’exemple, lui dont les richesses viennent de la Providence, ce qui l’engage : une vision à laquelle la comtesse adhère parfaitement. Une grande charité est d’ailleurs attendue de la part des riches qui doivent gagner leur salut par des actions plus grandes que celles des pauvres. La piété relève aussi d’une dimension politique : en effet, elle imprime sa marque sur l’art de gouverner. En outre, la promotion de certains cultes comme celui de Saint Louis revêt une dimension idéologique3. Les dévotions contribuent à renforcer les liens avec des territoires, des sujets, des établissements et participe du bien commun, tout en exprimant la nature du pouvoir princier. Une telle étude doit donc veiller à la compréhension de ce qui relève de choix personnels, des héritages, des exigences du temps vis-à-vis de la noblesse. Autant le souvenir du mécénat de Marguerite de France a disparu, autant l’image de dévote qu’elle a laissée auprès des moines de Saint-Denis est forte. On ne peut cependant en rester à l’image de la pieuse veuve, car il s’agit d’un aspect essentiel de sa vie, de l’expression de son identité comme de la manifestation concrète d’un idéal de vie chrétienne conforme à son « estat ». Il s’agit d’en saisir la richesse, l’évolution, l’ancrage familial et local. Pour ce faire, nous disposons d’une riche documentation : outre son testament rédigé en 1354, Marguerite a laissé de multiples chartes de fondations de chapellenies et de messes, complétées par les mentions comptables de dons charitables, les inventaires de plusieurs églises ou encore les chroniques, qui insistent souvent sur cet aspect de sa personnalité. 1 B. Schnerb, « La piété et les dévotions de Philippe le Bon, duc de Bourgogne (1419-1467) », Comptes rendus des séances de l’année. Académie des inscriptions et belles-lettres, no 4, 2005, p. 1319-1344. 2 P. Aladjidi, Le roi, père des pauvres, op. cit.; B. Schnerb, « Un acte de Jean sans Peur en faveur des dominicaines de La Thieuloye (1414) », Revue du Nord, no 356-357, 2004, p. 729-740 ; A.-H. Allirot, Filles de roy de France, op. cit. 3 F. Autrand, Charles VI, op. cit., p. 378.

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Cette piété est à confronter à celle de Mahaut. Les dons inscrits au testament de celle-ci en mars 1329 en résument les enjeux qu’il s’agisse du choix des saints et des ordres religieux, de la géographie, des formes de dévotion. Ces dons touchent abbayes et couvents mendiants, notamment Augustins, Chartreux, Carmélites, frères de la Sainte-Croix de Paris, sœurs de Longchamp, Clarisses de Saint-Omer4. Ils favorisent les œuvres charitables : hôpitaux de pauvres, Maisons Dieu, léproseries en Artois pour 1 000 lb, dons pour les pauvres à marier, orphelins et veuves (500 lb), sans compter les dons aux pauvres à Arras, Saint-Omer, Hesdin, Arbois, Paris… Pratique ancienne dans la noblesse, les fondations pieuses sont innombrables, en faveur de monastères fondés par les ancêtres devenus lieux de sépultures, ou de nouveaux établissements mendiants, de collégiales, de chapellenies établies dans les églises paroissiales voire les châteaux du seigneur5. La perpétuation des obits contribue à l’identité lignagère pour une noblesse qui donne une grande importance à l’entretien d’une mémoire généalogique. Grâce aux multiples sources, il est possible de saisir l’espace des dévotions « institutionnelles », établissant des liens durables avec la comtesse par des fondations coûteuses, mais aussi les pratiques plus fugaces de la foi au quotidien dans le cadre de la cour.

1. « Fragilité de l’humaine creature » : la comtesse, la mort et le salut Faute d’une parole directe, on ne sait pas comment Marguerite de France a elle-même envisagé son rapport à Dieu et au salut, même si on connaît les cadres de son éducation religieuse. On peut cependant percevoir au détour de certains actes les conceptions que la comtesse et ses clercs se faisaient de la foi, du salut, et des œuvres, conceptions articulant la conscience de son statut spécifique à la banalité de sa condition humaine. Un sentiment d’urgence face à la mort s’y retrouve, notamment aux débuts de la Grande Peste qui l’a marquée. Répondant aux demandes de renouvellement de l’échevinage de Bapaume décimé par l’épidémie, la comtesse énonçait qu’elle agissait « heue consideracion a la fragilité de l’humaine creature, qui est si encline à la mort, comme chascun scet ad present »6. Elle exprimait ainsi ce sentiment d’inquiétude en une année où tant de proches de sa génération avaient succombé, la laissant désormais « seule en sa saison », pour reprendre Lamartine. La même logique se retrouve dans son testament de 1354. Certes les formules sont loin d’y refléter une sensibilité originale, mais s’y lisent les inflexions de la 4 A. Le Mire, Opera diplomatica et historica, 4 vol., Bruxelles, 1723-1748, t. 4, p. 267. 5 P. Contamine « La piété quotidienne dans la haute noblesse à la fin du Moyen Âge », dans P. Contamine, De Jeanne d’Arc aux guerres d’Italie. Figures, images et problèmes du XVe siècle, Orléans, 1994, p. 205-212 ; P. Contamine, La noblesse au royaume, op. cit., p. 254. 6 Recueil de documents relatifs à l’histoire du droit municipal en France des origines à la révolution, éd. Espinas, op. cit., t. 2, n° 258.

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piété, permettant de les situer dans leur époque7. En l’occurrence, le testament est motivé par le fait que « toute humaine creature en qui dieux ha vie inspiree convient venir aus termes et a la fin par li ordenez liquel ne pevent estre trespassé et que tout corps terrien qui est palpable de neccessité est corrupable par quoy nule chose n’est plus certeine de la mort »8. La comtesse entend user « dou sans, de la reison et de l’atendement que Dieu nous ha donné en ceste mortele vie, en convenables œuvres » afin de s’accorder avec Dieu de ses méfaits, pour obtenir « salut et remede de nostre arme », c’est-à-dire « que l’arme de nous li soit representee et menee et conduyte a la destre de Dieu le père en tel manière que le grant jour du jugement nous puissions avec les autres bieneureus voir la glorieuse face et avoir fruyciun de la joie pardurable ». Cette expression limpide des attentes de salut est des plus classiques : rien n’est plus certain que la mort et plus incertain que son heure9. En 1354, les soubresauts de la Peste doivent assurément avoir marqué des esprits conscients de l’imminence possible de la mort. Cette urgence a pour conséquence la multiplication des œuvres, « vertige quantitatif » dont Jacques Chiffoleau a analysé les fondements spirituels, intellectuels et sociaux10. Elle est parfaitement exprimée dans la fondation de la chapelle à Saint-Denis présentée comme une nécessité rationnelle et individuelle : « a chascun appartient et est neccessaire de pourveoir et subvenir en son vivant au remede et salut de s’amme ». Or Marguerite reconnaît son statut social et politique des plus élevés : Dieu l’a élevée aux « plus grans estaz et honeurs en cest monde » ; l’honneur renvoie ici à une fonction dans l’ordre politique, au sens romain du terme plus encore qu’à la réputation, quand l’ « estat » désigne les moyens de tenir son rang. Consciente de sa position, Marguerite proportionne ses devoirs à son statut : « nous sommes plus tenue » envers Dieu, en raison de ses bienfaits. Faire son devoir, c’est d’abord perpétuer la « memoire » de Dieu, au sens où le Christ demande de célébrer la Messe « en mémoire de moi », concourir à l’augmentation du service divin, enfin servir le Christ par la charité et en multipliant les bienfaits. Tout cela dans un but affiché : « acquerir nostre sauvement ». En tant qu’héritière de terres et principautés, Marguerite de France a également une dette : elle doit entretenir les fondations établies par ses ancêtres et prédécesseurs comme Mahaut, sous peine de trahir leur volonté et leur mémoire, voire d’exposer leur âme au châtiment. Ces fondations « a perpetuité » reposent sur des revenus fonciers grevant le domaine. Continuer cette œuvre contribue cependant à manifester la pérennité de la décision princière, action relevant de la construction d’une sphère publique et affirmant un principe, l’État ne meurt jamais, idée dont la dimension religieuse ne saurait être balayée d’un revers de main tant on sait les emprunts du

7 J. Chiffoleau, La comptabilité de l’au-delà : les hommes, la mort et la religion dans la région d’Avignon à la fin du Moyen Âge : vers 1320 - vers 1480, Rome, 1980. 8 ADPDC A 86. 9 M. Gaude-Ferragu, D’or et de cendres, op. cit., p. 94. 10 J. Chiffoleau, La comptabilité de l’au-delà, op. cit.

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Carte 50. papier et en ligne. Les principales fondations de Marguerite de France. © J.-B. Santamaria

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politique à la mystique sacrée11. Mais comme toute princesse, Marguerite de France jouit aussi d’une liberté dans ses dévotions. Ses décisions l’inscrivent certes dans une filiation et témoignent de l’affirmation d’un statut social, mais elles relèvent aussi, peut-être plus que dans d’autres domaine, d’affinités personnelles car il s’agit bien d’assurer son propre salut. Marguerite compte affirmer ses propres projets de fondation, se heurtant là encore à des difficultés matérielles considérables qui peuvent nuire à sa réputation. Il importe ici de distinguer entre dons casuels et fondations stables, mais aussi œuvres de piété et de miséricorde incluant le soin ou le réconfort pour les malades, les captifs, les étrangers, les pauvres, la protection de la veuve et de l’orphelin, œuvres qui ne se limitent pas à l’argent. Elles sont fréquemment rappelées dans les miroirs des princes, comme La Somme le Roi rédigée au temps de l’enfance de Marguerite12. Globalement, l’espace de sa piété coïncide avec l’espace dynastique, politique mais aussi résidentiel de la comtesse qui fréquente beaucoup des établissements concernés (carte 49 en ligne et carte 50 papier). Six ensembles émergent : Flandre, Artois surtout, Île-de-France, Champagne du sud, comté de Nevers totalement quadrillé, comté de Bourgogne enfin, surtout au sud-ouest et près des résidences comtales. On retrouve ici le schéma des « filles de roi de France » qui se partagent entre des sites parisiens et royaux, souvent liés à Saint Louis, et les terres qu’elles possèdent à titre de douaire ou de domaine personnel13. Mahaut a aussi privilégié Artois, Bourgogne et région parisienne14. On observe à ce titre trois dimensions dans les fondations et donations de la comtesse : l’héritage capétien, en Île-de-France mais aussi en Champagne ; l’héritage artésien et comtois, maternel ; l’ancrage flamand lié à son mariage puis à son fils et à sa petite-fille, qui concerne d’ailleurs aussi le Nivernais. Il est indispensable de les distinguer en fonction de leur logique propre, tout en cherchant à mesurer leur part commune.

2. « Fille de roy de France » : mémoire royale et culte de Saint Louis L’Île-de-France : du berceau à la tombe

La « France » est la région que Marguerite considère comme « naturelle », où elle est née et souhaite être enterrée. Elle y reproduit des usages attestés par les testaments des reines, qui privilégient Paris, lieu central de la cour, un phénomène accru par la « mémoire testamentaire » qui conduit à imiter les usages antérieurs15 :

11 E. Kantorowicz, « Mystères de l’État. Un concept absolutiste et ses origines médiévales (bas Moyen Âge) », dans Mourir pour la patrie, Paris, 1974, p. 93-125. 12 P. Aladjidi, Le roi, père des pauvres, op. cit., p. 125. 13 A.-H. Allirot, Filles de roy de France, op. cit., p. 188. 14 Ibid., p. 189. 15 M. Gaude-Ferragu, La reine au Moyen Âge, op. cit., p. 229.

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couvents mendiants, abbayes de Longchamp et Saint-Denis, cathédrale Notre-Dame, les similitudes sont ici nombreuses. La proximité avec Longchamp

Longchamp, abbaye féminine fondée par Isabelle, sœur de Saint Louis, a accueilli de nombreuses princesses capétiennes comme Jeanne, fille de Philippe de Navarre en 133716. Il est d’ailleurs permis à la famille royale d’y résider, ce que fait Philippe V, qui finit ses jours à proximité dans la maison d’Isabelle. L’intérêt de la comtesse pour le couvent est surtout lié à la présence de sa sœur Blanche devenue religieuse à la demande de sa mère, influencée par Nicolas de Lyre présent le 1er février 1319 lors de la vêture de Blanche et de cinq religieuses entrées pour la servir, dont Jeanne de Lyre, parente probable de Nicolas17. Marguerite se rend souvent au couvent, ayant obtenu d’y venir en compagnie de dames de la cour, comme avant elle sa mère Jeanne. Comme Mahaut, elle se montre généreuse envers les religieuses et sa sœur, envoyant de la nourriture. D’autres religieuses bénéficient de ce soutien d’ailleurs intéressé. Blanche et Marguerite donnent ainsi en 1349 la terre dite Jalaines à leur cousine Catherine de Méry18, tant qu’elle sera religieuse, afin qu’elle puisse « pryer pour nous et pour ce que nous entendrons a faire pryer, et qui pour che l’avons là mise ». Daté de Longchamp, le 24 juin 1349, le don est pris en un conseil très féminin, fait unique : « Par madame de Flandres et son conseil, presens madame Blanche de France, sa seur, et seur Agnes de Saint Serguel. Jehan du Pont »19. Catherine avait été vêtue le 7 mars 1349 ; elle était fille de Robert de Méry et de Jeanne de Beaujeu « cousine de la reine Jehanne de Bourgogne, mère de madame sœur Blanche de France »20. Elle était aussi parente de Simone de Méry, épouse de Charles de Poitiers, elle-même très marquée par la piété franciscaine. La réputation de piété et de dévotion de Simone se répandit après sa mort à Romans en Dauphiné, où son mari était influent, et à Troyes, lieu de séjour de Marguerite qui abritait un couvent affilié à Longchamp. Selon une tradition du XVIIe siècle, Simone était même morte en odeur de sainteté et enterrée aux Cordeliers de Romans vers la fin du XIVe siècle. En 1421, plusieurs personnes se confiaient à ses prières, et espérant qu’elle était sainte, présentèrent dans l’église des offrandes de cire à son corps. Le martyrologe de l’Église des Cordeliers de Troyes marque quant à lui son anniversaire, le 4 juillet, en la déclarant « fille tres speciale de l’ordre »21.

16 A.-H. Allirot, « Longchamp et Lourcine, deux abbayes féminines et royales dans la construction de la mémoire capétienne (fin XIIIe moitié du XIVe siècle) », Revue d’histoire de l’église de France, vol. 94, 2008, p. 23-38. 17 S. Delmas, « Nicolas de Lyre franciscain », dans Nicolas de Lyre, franciscain du XIVe siècle, exégète et théologien, éd. G. Dahan, Paris, 2011, p. 17-28. 18 AN JJ 91, fol. 1 à 3. 19 Cartulaire de Louis de Male, op. cit., p. 55. 20 H.-G. Duchesne, Histoire de l’abbaye royale de Longchamp, Paris, 1905, p. 142. 21 A. Du Chesne, Histoire généalogique des ducs de Bourgogne de la Maison de France, Paris, 1628, p. 81.

« pourveoir et subvenir en son vivant au remede et salut de s’amme »

Un dense maillage autour de Paris

La comtesse entretient encore bien des liens avec de nombreuses autres églises des environs de Paris, et pas seulement du fait de ses origines capétiennes (carte 51 en ligne). Dès l’enfance, elle fréquente l’abbaye royale du Lys à Dammarie, fondation de Blanche de Castille, où son grand-père Othon IV a d’ailleurs été enterré jusqu’en 131022. Elle est également liée à Royaumont, pour laquelle elle verse une rente de beurre23. Mais en tête des dons prévus par le testament de 1354 figurent les Franciscains de Paris, chez qui repose sa mère Jeanne de Bourgogne : ils recevront 1 000 florins et devront célébrer le jour de l’obit de Marguerite une messe anniversaire solennelle au chœur, pour l’âme de « nostre tres chier seigneur et pere, de madame nostre mere et de nous ». Ce jour-là chaque frère prêtre dira une messe des morts et chaque laïc 100 Pater Noster et 100 Ave Maria. Viennent ensuite Dominicains, Augustins, Carmes, Chartreux et frères du Valdes-Écoliers qui doivent se contenter de 30 lb parisis de don pour faire chanter chacun 30 messes pour son âme. Ces églises seront également fréquentées par les ducs Valois de Bourgogne. L’Hôtel-Dieu reçoit quant à lui 100 lb, avec obligation de prier pour la comtesse et ses devanciers. Le testament témoigne d’une évolution du début du XIVe siècle : à des donations globales par catégorie (léproserie, Maison-Dieu…) les derniers Capétiens préfèrent des dons pour des établissements précis notamment à Paris24. 300 lb doivent également aller aux autres ordres et paroisses de Paris pour prier et faire chanter des messes. Enfin, Longchamp doit recevoir une rente de 20 lb pour « prier pour nous », l’hôpital de Charenton proche de l’hôtel de Conflans une autre de 10 lb pour le lit des pauvres, et la collégiale de Luzarches 100 s par an pour un anniversaire solennel. Ce panorama éclaire sur les dévotions parisiennes de Marguerite, mal renseignées par ailleurs même si après 1361 on sait que des gens de l’hôtel fréquentent la paroisse Saint-Eustache, notamment pour la fête du saint25. Des rentes sur l’hôtel d’Artois reviennent d’ailleurs à cette église, en faveur de la chapelle Saint-André, antérieure à l’avènement des ducs Valois26. La chapelle Sainte Marie et Saint Michel à Saint-Denis

Déjà à la date de son testament de 1354, Marguerite de France a choisi d’être inhumée à Saint-Denis. son père et le cœur de sa mère reposent déjà dans cette sépulture classique des filles de roi après 1270, liée au culte de Saint Louis27. Le choix du père et non de l’époux souligne son statut de « fille de roy de France », mais c’est aussi une tradition familiale : Mahaut a voulu être enterrée aux pieds du tombeau de 22 C. Balouzat-Loubet, « Fere granz despens », op. cit. 23 ADN B 15819. 24 P. Aladjidi, Le roi, père des pauvres, op. cit., p. 190. 25 AN J 106, n° 364, fol. 188. 26 W. Paravicini et B. Schnerb, « Les « investissements » religieux des ducs de Bourgogne à Paris. », Paris, capitale des ducs de Bourgogne, Ostfildern, 2007, p. 185-218. 27 A.-H. Allirot, Filles de roy de France, op. cit., p. 174-176.

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son père à Maubuisson, revendiquant d’être « fille de très haut prince Robert, jadis comte d’Artois, neveu du roi Saint Louis »28, tandis que son époux repose à Cherlieu. Marguerite a probablement assisté aux funérailles de son père dans l’église abbatiale. En 1354 elle expose son intention d’y fonder une chapelle pour reposer au plus près de son père, quel que soit le lieu de son décès. Une messe quotidienne y sera célébrée : le dimanche en fonction du temporal, le lundi messe des anges, le mardi et le mercredi messe des morts, le jeudi messe du Saint-Esprit (ou à la dévotion du prêtre), le vendredi messe des morts et le samedi messe de Notre-Dame. Cet ordre est repris presque entièrement pour une fondation au Mont-Roland, en 1363, la messe du vendredi devenant une messe de la Sainte-Croix. La comtesse a également prévu de financer le vivre de deux moines dionysiens. Une messe anniversaire solennelle est en outre prévue pour le jour où son corps sera apporté. Les moines doivent enfin prier pour l’âme de la comtesse, de son père mais aussi de sa mère. Une charte en français « ad hoc » datée de 1363 précise la fondation29. Marguerite insiste sur la « singuliere affection et devocion a l’eglise monseigneur Saint Denis en France », en raison d’abord des reliques, puis des « sufrages » des moines. Elle entend ainsi bénéficier des bienfaits de l’abbaye comme ceux des siens qui y sont enterrés, son père et « plusieurs de nos autres seigneurs et dames, roys et reynes de France dont nous sommes astraite et descendue ». La chapelle est fondée près de la sacristie, et sera élevée à la louange de Dieu « nostre createur », de la « glorieuse vierge Marie », de la cour de paradis, et en honneur de Saint Michel. Située à l’ouest du portail du bras sud du transept, c’est la première fondation d’une fille de roi pour son propre souvenir au sein de la nécropole. Marguerite reprend des usages très récents : les anniversaires multiples ou le principe d’une fondation autonome et distincte du testament pour la mémoire d’un individu, introduits par Jeanne d’Évreux en 134330. Cette fondation de 1363 est autorisée « par l’ottroy et licence de monseigneur le roy » Jean II le Bon, rappelant le lien avec la royauté. Dès la fondation, deux messes y seront célébrées chaque jour par les moines ou à défaut des chapelains et serviteurs. Deux cierges d’une livre brûleront alors et on allumera une torche lors de l’élévation de l’hostie, et une lampe y brûlera jour et nuit. Du vivant de la fondatrice, on célébrera deux messes solennelles, l’une du Saint-Esprit, l’autre de Notre Dame, puis après sa mort deux anniversaires : le jour de son obit et à une date convenant aux moines. Quatre cierges de quatre livres y brûleront auprès de la sépulture. Marguerite avait déjà eu recours à un anniversaire double pour une chapelle du château de Quingey en 135431. Ces anniversaires multiples se retrouvent chez Blanche d’Orléans en 1391 qui précise que la messe y sera célébrée comme « il est acoustumé de faire en ycelle eglise aus anniversaires de nostre tres chiere amee cousine la contesse de Flandres et d’Artois »32, anniversaires auxquels elle a pu se rendre après 1382. 28 C. Balouzat-Loubet, « Fere granz despens », op. cit. 29 J. Doublet, Histoire de l’abbaye de Saint Denys en France, Paris, 1625, p. 1005. 30 D. Berné, « La place du testament dans l’économie de la mémoire capétienne à Saint-Denis », Le Moyen Âge, Tome CXIX, no 1, 2013, p. 11-25. 31 ADPDC A 86. 32 A.-H. Allirot, Filles de roy de France, op. cit., p. 195.

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Dans une perspective mémorielle et dynastique ces deux anniversaires sont fondés « en perpetuel memoire registrees et escriptes ou martrologe de la dicte eglise, et chacun an doivent estre recitees en plein chapitre, comme les services de nos seigneurs les roys et roynes de France ». La fondation prévoit alors de fournir 12 lb de pitance pour le couvent et 10 lb en aumônes aux pauvres, à deux deniers par pauvre (soit 1 200 pauvres), et autant à la Saint-Michel. La veille de la Saint-Denis, à heure de vêpres, on dressera un cierge de 8 livres « seméz d’escucons de nos armes » devant l’autel de Saint-Denis, qui brûlera jusqu’à l’octave de la fête33. La comtesse obtient de pouvoir nommer deux nouveaux moines à l’abbaye dont elle bénéficiera des prières. Elle choisit notamment un moine artésien, Guillot Lescot, frère de son fourrier Philippe34. Le couvent devra désigner leurs successeurs. Coûteuse, la fondation est financée avec minutie : Marguerite donne la seigneurie de Jouy-le-Châtel, évaluée à 310 lb parisis de rente, le roi la dispensant d’amortissement. 90 lb serviront pour les deux messes quotidiennes, soit 2,5 s pour chaque célébrant payé par le sous-prieur, qui aura en outre 10 lb par an ; 30 lb pour les aumônes ; 25 lb pour les « pitances ». Cette chapelle est également ornée : la comtesse fournit « messel, calice et platine d’argent doréz, paix, chandeliers, basins, burettes et lampier d’argent, les vestemens de draps de soye et les aubes et amits, pour prestre, diacre, sous diacre et trois chapes, tout ensamble draps et toiiailles et parement de soye pour autel »35. En outre, 25 lb par an sont prévues pour les réparer et remplacer. 120 lb serviront au vivre des deux moines36. Jouy-le-Châtel ne suffit pas : le contexte économique est déprimé. D’autres rentes et revenus sont ajoutés à Maraye-en-Othe, bois en Champagne, prisés en 1363-136437. La comtesse paie également le gisant à Jean de Liège et fait d’autres dons à l’abbaye : deux reliquaires déjà évoqués mais aussi des vitraux de la fenêtre donnant sur la chapelle. Plutôt qu’à un texte d’épitaphe, Marguerite confie sa mémoire à son image et aux armoiries présentes sur les cierges, appelant ainsi sur elle les prières des vivants. Contrairement à ses parents, Marguerite de France n’exprime pas la volonté d’inhumations multiples : elle aurait pu déposer son cœur auprès de son époux à Bruges. Sans doute son amour conjugal ne va-t-il pas jusque-là. Elle est d’abord « fille de roi de France », une et indivisible, qu’elle soit épouse du comte de Flandre ou par la suite comtesse d’Artois et de Bourgogne. La Champagne du sud et la cathédrale de Langres : l’ancrage « navarrais »

L’héritage paternel de Marguerite avait aussi une dimension champenoise, héritée de Jeanne de Navarre. Marguerite était possessionnée près de Troyes où elle résidait parfois. Son intérêt pour l’église Saint-Urbain y est attesté. Le 20 juillet 1364

33 M. Félibien, Histoire de l’abbaye royale de Saint-Denys en France, op. cit., p. 281. 34 Attesté le 7 décembre 1370. ADPDC A 741. 35 M. Félibien, Histoire de l’abbaye royale de Saint-Denys en France, op. cit., p. 281. 36 Manquent 10 lb. 37 ADCO B 3852.

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elle amortit sans frais un don de terre en la châtellenie d’Isle-Aumont fait par Pierre Garnier, premier époux de la femme de Pierre Cuiret, contre une participation aux bienfaits et célébrations38. Elle en consent un autre en 1371, contre une participation aux prières et la célébration d’une messe solennelle du Saint Esprit, puis une messe anniversaire après sa mort39, ainsi qu’au chapitre cathédral40. Son enracinement local ne s’arrête pas là. En 1374, alors que la comtesse est à Troyes, la confrérie du Saint-Sacrement de l’église paroissiale de Saint-Jean de Bonneval reçoit le droit de ramasser du bois pour couvrir un « may » lors de leur procession du Saint Sacrement. La comtesse fréquente en effet cette église qu’elle affectionne41, laissant deviner une certaine micromobilité locale. Elle donne encore une rente de 9 lb aux religieuses de Jouy-le-Châtel42 et remet une amende encourue par l’abbaye cistercienne de Notre-Dame de Mores à Celles-sur-Ource, contre une messe annuelle. Plus au sud, Marguerite apprécie particulièrement Saint-Mammès de Langres, aux confins des terres comtoises, cathédrale très liée à la royauté. Ancel de Salins avait été chanoine de cette église, dont l’évêque fut de 1345 à 1374 Guillaume de Poitiers, frère de Charles de Poitiers et conseiller de Marguerite43. Le 12 septembre 1374, deux mois après son passage à Langres et quelques jours après la mort de l’évêque, Marguerite donne une rente de dix charges de sel de Salins, dispensée de gabelle par le roi peu après44. Cette fondation est motivée par une dévotion ancienne et l’affection témoignée par le chapitre qui accepte en échange de célébrer et chanter une messe solennelle de Notre-Dame le 16 août, puis une messe anniversaire après le décès de la comtesse, à la manière dont on y célèbre les anniversaires des rois, rappelant clairement l’appartenance de Marguerite au sang royal45.

3. Mémoire du lignage maternel et gouvernement des principautés : Artois et Comté de Bourgogne. Si Marguerite est bien fille de roi de France, elle revendique naturellement un héritage maternel qui est la base de son patrimoine, et nourrit sa dévotion. L’héritage artésien : dans les pas de Mahaut, et au-delà

Les dévotions de Marguerite s’inscrivent en Artois dans les pas de celles de Mahaut, phénomène déjà évoqué par Anne-Hélène Allirot, qui signale une petite partie des dons et fondations en faveur des Chartreuses de Gosnay ou des béguines

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ADCO B 401, fol. 28. ADCO B 485 bis, fol. 12. ADCO B 485, fol. 18. ADCO B 485 bis, fol. 60. ADCO B 485, fol. 8. ADPDC A 94. AD Haute-Marne, G 4. ADD B 521.

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de Saint-Omer46. Comptabilité et actes comtaux permettent d’élargir l’analyse et de montrer toute la richesse des dévotions artésiennes de Marguerite (carte 52 en ligne). Dès 1354, le testament prévoit la célébration d’anniversaires dans les châteaux d’Avesnes et Fampoux, mais aussi dans des églises proches de résidences à Bapaume, Avesnes et Fampoux, ainsi qu’à l’église des Chartreuses de Gosnay, le tout restant assez modeste : 16 lb de rente et 100 lb de don en une fois47. Après 1361, le maillage s’étend et se diversifie sans faire disparaître certaines préférences. Chartreux et Chartreuses de Gosnay

Saint Louis avait manifesté son soutien aux Chartreux, repris en cela par Mahaut d’Artois à Gosnay, mais aussi Jeanne de Bourgogne48. À Gosnay, Marguerite valorise Chartreuse des hommes et Chartreuse des dames avant 1361, mais ce lien s’approfondit au fil du temps, la comtesse fréquentant davantage Béthune et Gosnay, faisant souvent ses dons lors de ces séjours49. Elle doit notamment tenir les promesses de Mahaut : en mai 1374, elle assigne sur la recette de Béthune 100 lb de rente promises par Mahaut aux religieuses pour accroître le service divin, soutenir l’ordre en général, accomplir la volonté de son aïeule et favoriser le salut de son âme. L’acte est scellé du « grant seel d’Artois », comme souvent pour les chartes à valeur perpétuelle50. Marguerite avait déjà ajouté de son initiative en 1367 une rente de 8 mencaudées de blé et 14 chapons, en raison de la pauvreté des religieuses51 ; elle fournit encore plusieurs lettres d’amortissements entre 1362 et 138152, insistant sur la fondation de « nostre tres chiere dame et aieul de bonne memoire madame Mehoud », et espérant participer au salut de son âme et de ses prédécesseurs53. Les Chartreux obtiennent quant à eux une rente de 20 lb sur le bailliage de Bapaume en 1365, rente donnée par Thierry de Montaigu54. Lors d’un séjour à Gosnay, le 29 septembre 1365, Marguerite accorde d’autres rentes sur Gosnay au couvent « de nostre fondation », afin d’en accroître les moyens et favoriser le service divin55. Le 4 janvier 1367, elle l’autorise à acquérir 60 lb de terre en Artois, puis leur donna diverses rentes en blé, poules et champons56 La comtesse accorde également quelques avantages aux Chartreux du Val de Sainte-Aldegonde, près de Saint-Omer, qui n’est pas une fondation des comtes mais d’une famille audomaroise : le 26 octobre 1364 elle les autorise à acquérir 40 lb en 46 47 48 49 50 51 52 53 54 55 56

A.-H. Allirot, « Dévotions de deux comtesses d’Artois au XIVe siècle », op. cit. ADPDC A 86. A.-H. Allirot, Filles de roy de France, op. cit., p. 198. Ainsi d’une rente en 1367. ADCO B 401, fol. 100. ADPDC A 99. ADCO B 401, fol. 100. ADPDC 30 H 3. ADCO B 401, fol. 4v. ADPDC 29 H 1. ADCO B 401, fol. 46. ADPDC 29 H 1.

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Artois en raison des destructions subies durant les guerres, demandant en retour des prières pour elle57. La Thieuloye et les Dominicains en Artois

Le couvent des dames de la Thieuloye, au faubourg Saint-Sauveur d’Arras, près des Dominicains d’Arras, est une autre fondation de Mahaut58 que Marguerite appuie. En 1334, la comtesse et son époux utilisaient déjà leur pouvoir dans la seigneurie de Bapaume pour y défendre les intérêts des sœurs59. Encore en 1381, Marguerite fait verser aux religieuses leurs 100 lb parisis sur son domaine arrageois60. Résidant souvent à Arras, elle dispose également d’un « manoir de la Thieuloye »61. La comtesse fréquente les sœurs, au moins la prieure, qui obtient en août 1364 4 francs pour avoir gardé ses deux petits chiens62. Elle fait peut-être découvrir le couvent au duc Philippe, qui y vient pour la première fois en 1371, alors qu’il séjourne chez elle. Visiblement, le couvent n’a pas été brûlé par Knolles63. En outre, sa petite-fille Catherine, bâtarde de Louis de Male y entre en mai 138364. Quant aux Dominicains, ils apparaissent moins souvent : ceux de Saint-Omer obtiennent certes quelques dons. D’autres mentions assez floues, datées des fêtes de saint Thomas le 7 mars, et de saint Dominique le 4 août pourraient désigner des aumônes en faveur des Prêcheurs. Malgré tout, les liens avec les Franciscains semblent davantage favorisés. Présence franciscaine en Artois

Les Franciscains d’Artois figurent en très bonne place avec 16 des 88 aumônes comtales que nous avons recensées, sans compter 9 dons aux Clarisses de Saint-Omer. En tête vient le couvent de Béthune puis ceux d’Arras, Hesdin et enfin Saint-Omer. Jean le Prévost dit de Béthune, Franciscain de la ville, bénéficie d’ailleurs d’une pension dès 1364 au plus tard65. Le couvent des Clarisses près de Saint-Omer, abbaye-fille de Longchamp, ne peut quant à lui qu’attirer les faveurs de Marguerite : édifié par Robert II, il est reconstruit par Mahaut en 1322. Marguerite y soutient fréquemment les Clarisses contre les échevins. Présente en ville le 26 juin 1367, elle leur accorde une rente de 6 rasières et d’un quarteron et demi d’avoine à Disque, décision prise « Par madame seulement » et motivée par la pauvreté du couvent et le souhait de bénéficier, là encore, de prières66.

57 ADCO B 401, fol. 37. 58 A.-H. Allirot, Filles de roy de France, op. cit., p. 150. 59 ADN B 1565, fol. 17. 27 mars 1334. 60 ADN B 13385. 61 ADCO B 485 bis, fol. 42. 62 ADPDC A 709. 63 B. Schnerb, « Un acte de Jean sans Peur en faveur des dominicaines de La Thieuloye », op. cit. 64 Ibid. 65 ADPDC A 714. 66 ADCO B 401, fol. 103.

« pourveoir et subvenir en son vivant au remede et salut de s’amme »

Les autres ordres et églises en Artois : logiques dynastiques et bon voisinage

Marguerite de France veille en Artois à soutenir un large ensemble d’établissements, favorisant tout de même le domaine et les fondations comtales. Elle continue d’assumer le paiement de rentes décidées du temps de Mahaut : ainsi de la rente de 50 s payée au couvent de l’ordre de Saint-Augustin de Hénin-Liétard67. Elle accomplit la promesse faite par Philippe de Rouvres d’accorder 20 florins de rente à l’église des Carmes d’Arras68. Ses dons à des communautés monastiques sont plus nombreux. Avant 1361, elle promet aux religieuses de Notre-Dame d’Avesnes-lès-Bapaume 75 mencauds d’avoine, mais doit exiger en 1364 que ses officiers en paient la totalité et non la moitié : « et que l’en n’en retourne plus a nous, car il nous en despleroit »69. Fondation comtale remontant à 1128, le couvent détient des droits sur Avesnes, construite en partie sur ses terres. Son abbesse est en 1350 Catherine de Montigny, proche de Marguerite de France. Elle fréquente également l’abbaye augustinienne du mont Saint-Éloi, près d’Arras70. Ses rapports à Saint-Bertin sont plus complexes et se placent sur un terrain plus juridico-politique. Marguerite s’intéresse aux collégiales de ses grandes villes, celles liées à ses clercs ou celles acquérant des biens sur ses terres comme Saint-Géry de Cambrai, qui obtient l’amortissement d’une maison au bailliage de Bapaume contre une messe du Saint-Esprit puis une messe anniversaire71. Marguerite soutient beaucoup Saint-Barthélemy de Béthune, appliquant une décision de Philippe de Rouvres qui l’avait placée sous protection comtale le 15 septembre 136172. La comtesse intervient en sa faveur face aux échevins, qui réclament une contribution aux fortifications73, ou bafouent l’obligation de verser à l’église 4 sous par garçon et 2 sous par fille scolarisés hors des écoles du chapitre74. La collégiale obtient des amortissements divers. Comme souvent, la comtesse attend des messes, notamment « une messe de Saint-Esprit par semaine » durant le Carême de l’année 137575. Le soin des « pauvres » : priorité aux villes

Le soutien aux différentes figures de pauvreté, du pèlerin au malade en passant par le mendiant est une des faces de la charité royale et princière, entre pérennisation des institutions d’accueil et aumônes quotidiennes ; ici, la figure de Saint Louis exerce une attraction considérable. Comme lui, Marguerite encourage des

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ADPDC A 698. ADPDC A 698. ADPDC A 708. ADPDC A 727. ADDO B 401, fol. 104. ADPDC 5 G 8. ADPDC 5 G 14. ADPDC 5 G 106. ADN B 14626.

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structures existantes, mais planifie au moins une fondation propre, à l’instar de sa mère qui avait prévu de fonder des hôpitaux à Pontarlier et Vesoul76. Veuve, Marguerite entend en 1353 établir un hôpital au château de Bapaume ou aux environs. Elle a pour cela obtenu du pape d’y ériger une chapelle avec campanile, prêtres, clercs et autres offices pour elle et ses héritiers, afin d’y faire dévotions de jour et de nuit, une chapelle où les infirmes et familiers du lieu pourront recevoir les sacrements77. Son testament de 1354 prévoit deux rentes de 10 lb pour l’hôpital et pour la Maison-Dieu de Bapaume. Comtesse d’Artois et de Bourgogne, Marguerite de France poursuit cette œuvre dans le sillage de Mahaut, qui avait accordé des aumônes durables que Marguerite continue de payer, comme la rente de 40 s à l’hôpital Saint-Pierre d’Ais, près de Lens,78. Les pauvres du bailliage d’Aire, notamment 18 pauvres femmes nobles continuent de receveur leurs draps79. Le don de vêtements est une action charitable inspirée du Christ, évitant de recourir à l’argent, ici sous forme de cotes pouvant témoigner l’identité du donataire à l’instar des livrées80. De même, la comtesse fait continuer les distributions similaires de cottes et de draps « as pourez gentilz femmes » et aux « communs pourez » à Tournehem, en 136581, Bapaume en 137182, Arras en 137883. La comtesse soutient également l’hôpital Saint-Jean de l’Estrée à Arras, qui se trouve dans un état déplorable en 1364. Une lettre comtale dresse alors un tableau inquiétant : la « mortalité » a décimé ses membres, les survivants sont accablés de travail dans une ville remplie de pauvres, et le patrimoine de l’hôpital est partiellement détruit par les guerres alors que les aumônes diminuent. Marguerite accorde une réduction des effectifs à 4 frères et 8 sœurs, contre 8 et 12 auparavant, autorisant les sortants à revendre leurs prébendes aux restants84. Elle maintient l’exemption d’assise malgré l’opposition des échevins qui affirment que les membres seraient « laics et seculiers, faisant marchandise » ; ils ne seront taxés que s’ils commercent réellement85. La comtesse a également l’occasion de manifester un soutien aux béguines des villes d’Artois, victimes de destructions des guerres, en particulier dans les faubourgs. Celles de Béthune ont vu leur maison et leur chapelle brûlées lors du siège des Anglais en 1370. Elles obtiennent de ne pas payer d’amortissement pour la nouvelle maison qu’elles ont acquises, promettant de faire bénéficier la comtesse et ses successeurs de leurs oraisons et du service divin qu’elles financeront86.

76 P. Aladjidi, Le roi, père des pauvres, op. cit., p. 186. 77 Suppliques d’Innocent VI. 1352-1362, op. cit., n° 178-186. 78 ADPDC A 698. 24 décembre 1361. 79 ADN B 14633. 80 ADN B 14633. 81 ADPDC A 716. 82 ADPDC A 746. 83 ADPDC A 770. 84 ADPDC A 92. 85 ADCO B 401, fol. 26. 86 ADCO B 485 bis, fol. 5.

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Les châteaux d’Artois, lieux de mémoire et de piété

Associant dévotion et pouvoir seigneurial, la chapelle du château est un cadre ordinaire de la piété comtale. Marguerite poursuit ici encore l’œuvre de ses prédécesseurs. En présence de son confesseur, elle complète ainsi en 1370 les 25 lb nécessaires à une fondation prévue par Eudes IV d’une chapelle à Bellemotte, en l’honneur de saint Michel87. À Hesdin, la comtesse achète pour 4 francs un psautier pour les heures des chapelains en 136488, et établit en 1376 un autel dédié à sainte Marguerite doté de 25 lb de rentes pour cinq chapelains, et 20 sous de luminaire89. Le château est aussi lié à Saint Louis, Mahaut y ayant légué par testament des os et des cheveux du saint90. En 1362 et 1368, elle part d’ailleurs peu après le 25 août, et est encore présente à cette date en 1364, 1367, 1376, 1378 et même en 1381 alors qu’elle est déjà malade. L’Artois correspond aussi à sa vie de couple, en particulier au château de Bapaume, qui concentre un autre projet de fondation que l’hôpital. En février 1382, Marguerite y fonde 6 chapellenies et une clergie dans la chapelle, afin de remercier en action de grâce le Christ, la Sainte-Trinité, la Vierge Marie et « tous saints et toutes saintes » pour les bienfaits reçus sa vie durant91. Elle souhaite également entretenir la mémoire et favoriser « le salut et allegement des ames » de ses parents, de son époux (rarement évoqué ailleurs), d’elle-même, de son fils, de ceux de son sang « et autres ». Le souvenir du sang est donc très présent, mas centré sur les trois générations au cœur de la vie de la comtesse. Un des six chapelains devra être prêtre avant d’obtenir la collation, laquelle demeurera « a nous et a nos hoirs et successeurs ». Chapelains et clercs résideront sur place et diront chaque jour « a note » les heures canoniales. On célébrera une messe basse le matin puis « la grant haute messe a note de mors » et chaque dimanche, après vêpres, vigile des morts à neuf leçons, à note, chaque lundi la grande messe des morts, morts qui sont au cœur de cette fondation. Les moyens sont conséquents : 60 lb d’argent par an, et 300 mencauds de grain. La comtesse a par ailleurs accumulé début janvier 400 francs dans ses coffres pour doter lesdites chapelles92. Les terres comtoises

En Franche-Comté comme en Artois, Marguerite de France doit assumer de nombreuses rentes fondées par ses prédécesseurs ou elle-même (carte 53 en ligne). Le trésorier de Dole doit ainsi débourser chaque année 354 lb de rentes93. Parmi les institutions charitables on compte des maladreries à Dole, Poligny et La Loye 87 88 89 90 91 92 93

ADCO B 485, fol. 17. ADPDC A 710. ADN B 996. A.-H. Allirot, Filles de roy de France, op. cit., p. 150. ADPDC A 104. ADN B 13886. ADCO B 1431.

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ou l’hôpital du Saint-Esprit de Besançon (120 lb de rente). On dénombre encore des chapelles des châteaux (Ornans, Quingey), des rentes à des ordres monastiques bénédictins (Saint-Vincent de Besançon, Jouhe, Saint-Renobert de Quingey) et cisterciens (Cîteaux, Acey…), aux églises paroissiales et collégiales (Notre-Dame de Pontarlier, Notre-Dame de Dole…) et aux ordres mendiants (Cordeliers de Lons-leSaunier et Dominicains de Poligny). Ces rentes montrent certes une implantation liée au domaine, mais aussi à Besançon ou Lons-le-Saunier, contribuant probablement à l’influence de la comtesse. Marguerite a d’ailleurs eu du mal à s’acquitter du testament de Philippe de Rouvres, qui avait promis 100 s à chaque abbaye située sur ses terres. Elle priorise certaines donations selon ses liens avec les établissements. Dès le 16 février 1362, l’abbaye cistercienne de Bellevaux, obtient sa rente94. En 1369, l’abbaye Notre-Dame d’Acey, à l’est de Pesmes, réclame encore d’être pourvue de sa rente. Le 16 mars Marguerite écrit depuis Gand à son gardien d’y pourvoir « au mains de dommaige pour nous que vous pourrez, se qu’il ne reviennent plus a nous ». On a vu plus enthousiaste95… La comtesse approuve finalement ce don à Dijon, le 6 juin 137196. Ces difficultés ne sont pas isolées : la rente de l’abbaye de Cherlieu n’est plus versée depuis deux ans en octobre 1366, quand la comtesse ordonne le paiement « sens difficulté ne autre mandement attendre »97. Il faut attendre moins longtemps, à savoir le second voyage comtois de la comtesse en 1363 pour que la comtesse fasse appliquer une autre clause du testament : une rente de 10 lb est. à chaque église collégiale. Marguerite ordonne d’établir sur la saunerie de Salins les rentes de Saint-Anatoile de Salins, et envoie d’autres lettres pour Saint-Maurice et Saint-Michel de Salins, ainsi que les collégiales de Dole et Gray. Dès 1364 le collège des chanoines du château de Gray obtient sa rente sur le tabellionage local98. Cependant, la comtesse n’en reste pas à cette seule conception conservatrice, et manifeste le souhait de nouvelles fondations dès les années 1350, avant d’hériter du pays. La comtesse et les abbayes bénédictines

Parmi les établissements bénédictins dotés par la volonté de Marguerite seule, l’église Notre-Dame de Mont-Roland est favorisée. Dans cette église qui dépend du prieuré voisin de Jouhe, Marguerite fonde le 1er décembre 1357 une messe de NotreDame au grand autel99. Le 1er février 1364, en visite à Dole, elle fonde en l’honneur de Dieu, de la Vierge et de tous les saints une messe quotidienne au grand autel, et deux messes les jours de fête, « entre prime et tierche lorsque l’on verra qu’il haurra 94 ADHS H 172. 95 ADD B 505. 96 Ibid. 97 ADD B 507. 98 ADHS G 25. 99 L. Jeannez, Notes historiques sur Notre-Dame de Montroland et sur le prieuré de Jouhe, Lons-le-Saunier, 1856, p. 47.

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en ladite eglise plus grant quantité de pelerins », afin d’obtenir le plus de prières de leur part. Le type de messes prévu au cours de la semaine est proche de la fondation de Saint-Denis déjà évoquée100. Marguerite marche dans les pas de sa mère qui avait fondé trois messes hebdomadaires en 1324, alors que la jeune comtesse de Flandre vivait avec elle. Marguerite rappelle d’ailleurs « la bonne et speciale affection qu’elle a pour la chapelle de Montroland » associée à une autre figure de reine-mère, « la mere de Dieu, reine du paradis »101. Ailleurs, quelques indications montrent le souci de défendre les biens des abbayes et prieurés en ces temps troublés par la guerre et la crise. Les Cisterciens sont mis en valeur : l’abbaye féminine d’Ounans obtient un droit de pâture sur la forêt de la Chaux le 15 octobre 1374, et une charge de bouillon de sel sur la saunerie de Salins102. L’abbaye de Cherlieu près de Jussey, fille de Clairvaux, est également favorisée : elle abritait d’ailleurs le grand-père de Marguerite Othon IV. La comtesse autorise l’abbaye à retraire ses biens et sujets de Montigny derrière les défenses comtales de Jussey103. Dans l’un des rares documents en latin de sa chancellerie, la comtesse confirme également les privilèges accordés par sa mère104. L’abbaye des Prémontrés de Corneux, richement possessionnée autour de Gray105, obtient pour sa part le 18 janvier 1378 le droit de collecter du bois pour sa maison de Gray, la comtesse soulignant l’origine comtale de la fondation et comptant bénéficier de ses « messes, oroyons et bienfaiz »106. Malgré sa dévotion, la comtesse sait aussi se montrer « souveraine » avec ces abbayes qu’elle apprécie pour financer la défense du pays : dans une lettre du 27 décembre 1363 à l’abbé de Bellevaux son « cher amy », elle lui ordonne de verser immédiatement 40 florins promis à titre de « don » pour réparer le château de Châtillon-le-Duc107. Par comparaison, les liens avec les plus puissantes abbayes semblent plus politiques : avec Luxeuil, enclave autonome bien distinct de la Franche-Comté, les rapports se limitent à des échanges fonciers108. Quant à l’abbaye clunisienne de Lure, fondée d’abord par un disciple de Colomban puis refondée par l’empereur en 959, elle constitue également une enclave spécifique soumise aux juridictions impériale et pontificale, mais pose davantage problème : l’avouerie en revient aux Habsbourg qui refusent l’hommage, entraînant des guerres et de nombreux « debas, plais et questions » réglés pour partie par un accord le 20 juin 1379. La comtesse s’engage à régler 1 000 lb pour solde de tout compte. Une fois la relation pacifiée, la comtesse semble s’en rapprocher, accordant une rente de 10 charges de sel sur Salins en aumône,

100 ADCO B 401, fol. 24. 101 É. Montial, Notre-Dame de Mont-Roland, Paris, Bruxelles, 1866, p. 72. 102 A. Rousset et F. Moreau, Dictionnaire géographique, historique et statistique, op. cit., t. 5, p. 8. 103 ADCO B 485, fol. 18. 104 ADHS H 285. 105 D. Grisel, Guide des archives de la Haute-Saône, Vesoul, 1984, p. 108. 106 ADHS H 838. 107 ADHS H 192. 108 ADHS H 673.

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afin d’obtenir les prières des moines et un anniversaire au lendemain de l’Assomption ou à l’octave, signe de la dévotion particulière de Marguerite à Marie109. Confréries, paroissiales et collégiales

La comtesse accorde quelques modestes générosités à de nombreuses églises paroissiales dans son testament de 1354 : Quingey, Dampierre (sur Doubs), Chissey, Arbois, Montigny, Mesnay ou encore Chaussin, des lieux qu’elle a pu fréquenter, et que pour beaucoup elle a possédés avant même la mort de Philippe de Rouvres. Il s’agit de fondations modestes allant d’une livre pour une messe anniversaire perpétuelle à Dampierre et Chissey, à 2 lb pour des prières à Montigny, Chaussin et « Meyenney » [Mesnay], et pour un anniversaire à l’église de Quingey, enfin 5 lb pour un anniversaire perpétuel à Arbois. La comtesse se montre également soucieuse de soutenir à Dole les confréries du Saint-Esprit, de l’Eucharistie, de Notre Dame, de Saint Nicolas et de Saint Eloi, dispensées de 24 bichots qu’elles devaient payer lors de leur fête, contre une participation de la comtesse aux bienfaits de leurs prières, oraisons et messes110. Les collégiales sont elles aussi surtout liées à son domaine : le chapitre de NotreDame de Dole obtient en 1371 une rente de 60 lb, destinée à parfaire la dotation du chapitre fondé en 1277111. Ce sont surtout « les chanoines en nostre chappelle de nostre chastel de Gray » qui bénéficient de ses faveurs à l’occasion de ses séjours en Bourgogne. En 1374, Marguerite fait enquêter sur l’état de la chapelle alors qu’elle séjourne au château. Elle observe avec satisfaction que la chapelle a été « continulement bien deservie par les diz chanoines et le divin service fait et celebré chascun jour en ycelle, tant en nostre presence come en nostre absence ». En raison des pertes de revenus « pour le fait des guerres », elle octroie aux chanoines 300 francs d’or pour acquérir des terres « pour le salu et remede de nous et de noz predecesseurs qui l’ont fondee et institutée »112. En mai 1377 les chanoines obtiennent la réfection du clocher à leur charge, malgré l’opposition du trésorier pour éviter que « la dite chapelle ne puisse choir en plus grant ruyne »113. La comtesse contribue surtout à la fondation de la collégiale Notre-Dame d’Arbois, approuvée le 23 mars 1382 par une bulle du pape Clément VII. Le maître d’hôtel Humbert de la Platière est le principal fournisseur des fonds, mais on y joint les sommes laissées par son parent l’évêque de Tournai Philippe d’Arbois114. Le pape précise toutefois que la demande émane bien de la comtesse, désireuse de promouvoir l’honneur et la louange de Dieu et de la glorieuse Vierge Marie, et de toute la cour céleste et l’augmentation du divin service, ainsi que son salut, celui de ses parents et de ses successeurs. Avec ses 12 chanoines réservés à la collation des comtes, choisis parmi des habitants d’Arbois ou de Franche-Comté, et son doyen élu par les chanoines, la

109 110 111 112 113 114

ADHS H 582. ADCO B 401, fol. 25. ADD B 502. ADHS G 28 bis. ADHS G 29. BN Colbert n° 64, p. 315.

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nouvelle collégiale est attachée à la construction politique de la principauté, tout en valorisant cette ville avec laquelle la comtesse entretient un rapport particulier ; c’est le pendant comtois de la fondation des 6 chapellenies de Bapaume, quasi simultanée, en un moment où la comtesse pense que ses jours sont comptés. Franciscains et Dominicains en Comté

Les ordres mendiants sont implantés depuis longtemps en Franche-Comté et dans le domaine comtal : les Franciscains sont à Salins depuis 1230, à Gray depuis 1284. Proche de Jeanne de Bourgogne, Nicolas de Lyre est d’ailleurs ministre provincial en Bourgogne en 1325, supervisant les custodies de Besançon et Dijon115. Ici aussi, les Frères mineurs sont avantagés par la comtesse. Sous son principat, un couvent émerge à Dole en 1372116 près du château, suite à un don d’un proche de la comtesse, Thiébaut de Rye, et avec le soutien comtal117. Le lien étroit entre couvents et châteaux comtaux est d’ailleurs déjà flagrant à Gray, Poligny, Salins118. Le couvent de Gray est particulièrement soutenu : les frères obtiennent ainsi, en raison de leur « grande pauvreté », de pouvoir prendre une charretée de bois chaque jour dans les forêts de la comtesse119. En 1374 ils obtiennent la réfection d’une « planchete », sorte de passage allant de l’arrière du couvent à leur vigne. Nécessitant deux clefs, l’une étant remise aux échevins et l’autre aux Cordeliers, le passage devait rester fermée en temps de guerre. Les frères obtiennent aussi de la comtesse l’arrêt de l’exploitation d’une carrière par l’échevinage, l’extraction ayant engendré « grant corruption d’yaue » dans leur puits120. Le Parlement comtal veille aussi sur les couvents : lorsque l’écuyer Oudet, bâtard de Sauvigney donne son cheval aux Franciscains de Lons, le trésorier de la comtesse commence par exiger le cheval. Après supplique du couvent au Parlement, les conseillers font rendre le cheval contre promesse de prières pour Marguerite et Oudet. Là encore, la volonté de la comtesse d’accumuler les prières, notamment des Franciscains, est suffisamment connue pour motiver la décision d’une cour de justice121. Les Dominicains paraissent moins protégés. Marguerite fonde cependant une messe annuelle de Notre-Dame en leur église de Poligny, en 1370122, contre une charge de sel, qui doit devenir un obit après la mort de la comtesse123. 115 S. Delmas, « Nicolas de Lyre franciscain », dans Nicolas de Lyre, franciscain du XIVe siècle, exégète et théologien, éd. G. Dahan, Paris, 2011, p. 17-28. 116 L. Mercier, « Salins et le couvent des Cordeliers au Moyen Âge », dans La ville et l’Eglise du XIIIe siècle à la veille du concile de Trente, éd. N. Brocard et J. Theurot, Besançon, 2008, p. 281-314. 117 J. Theurot, « Les Mendiants et les villes dans le comté de Bourgogne (début XIIIe - début XVe siècle) : approche de leur implantation et de leur influence religieuse », dans L’Eglise et la vie religieuse, des pays bourguignons à l’ancien royaume d’Arles. Publication du Centre Européen d’Études Bourguignonnes, Neuchâtel, 2010, p. 165-191. 118 Ibid. 119 ADCO B 401, fol. 24v. 120 ADHS H 868. 121 ADD B 517. 122 ADCO B 485, fol. 13. 123 Ibid.

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Au total, le principat de Marguerite de France est caractérisé par une intensification du soutien princier aux ordres mendiants, reprise par les ducs de Bourgogne124. Œuvres charitables en Franche-Comté : aider un pays ravagé

Enfin, la comtesse manifeste son souci de charité via le soutien à des institutions existantes, dans un contexte urbain marqué par les destructions, en partie pour perpétuer les œuvres de Mahaut. On continue de distribuer les gros draps et souliers aux pauvres d’Ornans125, les robes des pauvres à Arbois et La Châtelaine126. Cette charité s’accroît sous Marguerite dans un contexte dégradé : présente en Bourgogne en janvier 1364, Marguerite offre à la Maison-Dieu d’Arbois une maison hors des murailles, l’ancienne ayant été rasée pour protéger la ville « pour le profit de nostre dite ville, pour la seurté d’icelle […] a ce que les pouvres, impotans et mandians puissent estre receuz, habergiéz et soustenuz de ladite ville, et pour remede des ames de nos predecesseurs et de nous ». Un tel geste combine en somme bien des facettes de la princesse, qu’il serait anachronique de séparer tant ils relèvent d’un bon « gouvernement » de soi autant que des hommes : soutien à une bonne ville qui a fait un effort pour la défense du pays, imitation du Christ par la « réception » des pauvres, infirmes et mendiants (mais hors les murs), continuité dynastique et salut de son âme. Finalement, lorsque l’hôpital s’installe dans la ville en 1373, c’est suite à la donation d’un habitant, Guillaume d’Estavayer et de son épouse127. La comtesse contribue encore à accroître les biens du Saint-Esprit de Poligny en 1372, accordant en particulier du bois parce qu’il reçoit « grande quantité de povres et femmes gissantes »128. Le don de bois est déjà bien pratiqué par Mahaut, notamment à Bracon129. Cette attention pour les parturientes n’a d’ailleurs rien d’anodin de la part d’une princesse appelée Marguerite. Elle se retrouve dans une fondation en faveur du prieuré Notre-Dame de Château-sur-Salins en 1366130. Proche de Bracon, cette église est liée au pouvoir comtal. Marguerite donne au prieuré le grand pré de « Lotton », à Bracon, pour que les moines puissent « donner par aumosne à toutes les femmes gesantes d’enfants en la seigneurie et justice du prieuré, pendant leur gésine, de deux jours l’un alternativement, une pinte de vin et une michotte de pain, tels que le boivent et le mangent lesdits religieux ». Le patronage de Marie n’est pas anecdotique dans la symbolique de cette charité, ni le choix du pain et du vin, aliments eucharistiques que les moines doivent partager avec chaque femme ayant accouché.

124 J. Theurot, « Les Mendiants et les villes dans le comté », op. cit. 125 ADD B 382. 126 L. Stouff, Les comtes de Bourgogne et leurs villes domaniales, op. cit., p. 25 ; ADD B 337. 127 La ville et l’Eglise du XIIIe siècle à la veille du concile de Trente, op. cit., p. 257-280. 128 Ibid. 129 N. Brocard, Soins, secours et exclusion : établissements hospitaliers et assistance dans le diocèse de Besançon : XIVe et XVe siècles, Besançon, 1998, p. 129. 130 B. Gaspard, Supplément à l’Histoire de Gigny, Chalon, 1858, p. 163.

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4. L’ancrage flamand : de Nevers à Bruges Une lecture du testament de 1354 pourrait laisser croire que la comtesse a tourné le dos à la Flandre à cette date, comme si Marguerite en gardait un mauvais souvenir personnel. Une analyse plus large permet de corriger cette impression, d’autant que les traités d’éducation rappellent qu’une épouse doit veiller à compenser les inconduites du mari pour adoucir à son égard « l’ire de Dieu »131. Plus qu’une affaire de sentiment, c’est une exigence morale et religieuse, dont la comtesse s’acquitte avec soin, d’autant que les années passées en Flandre et en Nivernais lui ont permis d’établir des relations profondes avec de nombreuses entités religieuses. Le Nivernais (et le Rethélois) : entre dévotions personnelles et devoirs d’une veuve.

L’investissement religieux de la comtesse sur le Nivernais est ainsi considérable : il s’agit de la terre de son mari et de son fils, elle y a souvent vécu avant 1361, et y possède de nombreux châteaux. En 1338, elle est en rapport avec les Cordeliers de Nevers, fait une offrande « as reliques saint Benoit », rend visite avec son fils aux Chartreux de Beaularris. Son testament de 1354 se révèle lui aussi très largement centré sur le Nivernais (carte 54 en ligne). Le pays concentre 42 mentions sur 61. Avec 1 723 lb tournois et 20 lb de rente, le Nivernais fait jeu égal avec Paris (1 587,5 lb tournois, et 35 lb de rente)132. Nevers comporte ainsi des dons pour le chapitre de la cathédrale, les curés de Saint-Victor et Saint-Étienne, ceux de chaque paroisse, les Franciscains, les Dominicains, l’hôpital Saint-Didier, les moines de Saint Victor, Saint Étienne et enfin Saint Martin, placée sous la garde du comte de Nevers. Dans le reste du comté, le maillage est d’une finesse sans équivalent ailleurs, tout particulièrement sur les marges nord, dans l’est, et près de Nevers, démontrant une familiarité remarquable allant au-delà de son douaire. Parmi les collégiales et paroissiales, on retrouve l’église Saint Carradoc de Donzy abritant les reliques d’un ermite breton ainsi que Clamecy (50 lb de don chacune), puis Billy, Chevannes, Entrains, Mhère133, Monceaux-le-Comte, Montreuillon, Saint-Brisson, Savigny-Poil-Fol. Ce sont souvent des résidences comtales, mais certaines sont établies dans de petits villages, comme James près de Moulins-Engilbert, qui dispose d’une chapelle. Plusieurs abbayes et prieurés sont valorisés : à Nevers, les religieux de SaintÉtienne obtiennent 100 lb, les religieuses de Notre-Dame 200 lb. La comtesse favorise encore les Cisterciens de Notre-Dame des Roches, proche de Donzy, abbaye où la comtesse se rend, mais aussi Notre-Dame et Saint-Paul de Bellevaux (Prémontrés), fondation comtale et les religieuses de Corbigny (50 lb). Elle n’oublie pas non plus les abbayes augustiniennes à Saint-Satur et Saint-Laurent-l’Abbaye, étape de pèlerinage

131 A.-M. De Gendt, L’art d’éduquer les nobles damoiselles, op. cit., p. 218. 132 ADPDC A 86. 133 Ou Mhers ? Les deux localités sont assez voisines.

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de Compostelle où la comtesse s’était déjà rendue en 1338, en raison de sa proximité avec Donzy et de la présence de reliques du saint. On peut le relier à l’intérêt familial pour saint Jacques bien attesté pour Mahaut. D’autres sources confirment cette importance du Nivernais, comme la fondation d’une chapelle en mémoire de Louis de Nevers dès 1353 en l’église cistercienne de Notre-Dame des Roches, à Myenne, 18 km au nord-ouest de Donzy134. Marguerite donne en outre 10 lb au chapitre de Clamecy par an « pour l’anniversaire de la contesse [de Nevers] Mahaut et du conte de Nevers »135. Elle fonde aussi un anniversaire solennel « pour la contesse Mahaut », à Saint-Satur à l’ouest de Donzy. Il s’agit de Mathilde de Courtenay (1219-1257). Marguerite a peut-être ainsi encouragé la reconstruction de Saint-Satur, débutée en 1367136. Elle fonde encore une chapelle Saint-Ladre dans la châtellenie de Corvol l’Orgueilleux en 1368137, veille sur les religieuses de l’abbaye cistercienne Notre-Dame de Confort ou Réconfort, fondée par Mathilde de Courtenay, donnant une rente en avoine avant 1355138. Elle autorise l’abbaye masculine de Notre-Dame de Reigny à acquérir une maison à Clamecy en 1371, pour y protéger ses biens139. Les mieux dotés appartiennent cependant en 1354 aux ordres favoris, Chartreux et Franciscains. Les Chartreux de Basseville obtiennent 600 lb, la comtesse promettant de subvenir aux besoins de deux moines et d’édifier deux nouvelles celles. D’autres établissements ont droit à d’importantes fondations pour un ou deux anniversaires perpétuels : Franciscains de Nevers (200 lb), Chartreux d’Apponay et Bellary, Dominicains de Nevers (100 lb chacun). Basseville joue un rôle singulier : Marguerite s’y rend d’ailleurs le 27 juin 1338. Ce couvent est une fondation intimement liée à Marguerite et son époux, près du beau château de Druyes. Elle est pour partie due à un chanoine de Furnes, Jean le Grand, aumônier et chapelain de Louis de Nevers140. Mais la comtesse l’a soutenue. Elle dispense encore le couvent, sa vie durant, d’une rente à Pousseaux en raison de « l’especial faveur que nous avions et avons encore aux religieux chartreux de Basseville », considérant qu’ils sont « fondéz et estans en la protection et sauvegarde de nous et de nos predecesseurs »141. Dans leur obituaire, les moines la mentionnent en tant que « fondatrice » au jour de sa mort le 14 avril ainsi qu’au 24 septembre, jour de la saint Anatole, date choisie de son vivant (peut-être pour sa naissance ?)142. La comtesse favorise encore la Chartreuse d’Aponnay et celle de Bellary au Val-deBargis près de Donzy. Du vivant de son mari, elle obtient que les Chartreux fassent en 134 La rente ne fut que partiellement payée, entraînant un rattrapage en 1378-1379. ADCO B 4627. 135 ADCO B 4627. 136 H. Denifle, La désolation des églises, monastères et hôpitaux en France vers le milieu du XVe siècle, Macon, 1897, p. 659. 137 P. de Maumigny, « Extrait des inventaires de l’abbé de Marolles », Bulletin de la Société nivernaise des sciences, lettres et arts, vol. 2, 1855, p. 35-36. 138 ADPDC A 680. 139 ADCO B 485 bis, fol. 16. 140 Abbé Lebeuf, Memoires concernant l’histoire ecclésiastique et civile d’Auxerre, Paris, 1743, p. 446. 141 ADCO B 485 bis, fol. 43. 142 Obituaires de la province de Sens. III, op. cit., p. 453

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son nom chaque jour une offrande de deux pains, ce qui fut révoqué par le chapitre de l’ordre comme préjudiciable à ladite Chartreuse en 1338143. Le 22 mai 1358, depuis Nevers, elle ordonne à son maître des forêts et au châtelain de Châteauneuf-Val-deBargis de laisser les Chartreux emmener leurs bêtes en pâture dans ses forêts144. Le prieur et les définiteurs du chapitre général de l’ordre lui octroient même en 1351 la célébration de 30 messes pour elle et feu son mari dans toutes les maisons de l’ordre, pour ses bienfaits à la maison de Bellary145. En 1361 encore, le prieur Elisarius et les définiteurs du chapitre général lui accordent le droit d’avoir part à leurs prières, et d’être traitée après sa mort comme un prieur146. Le couvent des Franciscains de Nevers occupe enfin une place considérable : dès 1338, plusieurs des frères de Nevers sont présents auprès d’elle, notamment à Druyes. En août 1348, elle passe un acte « en la maison des Cordeliers »147. La présence de deux Franciscains près de Marguerite dans les années 1360, à savoir le confesseur et son socius, en dit long sur ces liens. C’est d’ailleurs encore à des Franciscains de Nevers qu’elle demande d’aller en pèlerinage vers 1380 à Saint-Lazare d’Autun. Un document souligne ce rapport, précisant que les frères ont également éduqué Louis de Male. Il concerne la reconstruction de l’église après sa destruction vers 1358, décidée en 1363 par la comtesse : mue par sa piété, elle obtient que son fils les reloge en offrant le terrain de la Gloriette, notamment afin que Yolande de Nevers puisse disposer d’une tombe. Ce terrain est situé dans le château de Nevers148. Il est béni le 18 mai 1363 par l’évêque. La comtesse pousse encore son fils à accorder l’amortissement de biens acquis par le couvent, ce qu’il fait « pour la contemplacion de nostre tres chiere dame et mere » le 4 puis le 27 octobre 1365149. La surface que l’église devait occuper est mesurée au sol le lundi 9 juin 1371, une première messe célébrée sur place le lendemain et les fondations ouvertes. La première pierre est posée par Louis II de Bourbon, le lendemain de la fête de Saint-Antoine de Padoue, soit le samedi 14 juin. Le promoteur du projet est un frère du couvent, qui n’est autre que Jean Pinaud, confesseur de la comtesse. Parmi les bienfaiteurs, on trouve des habitants de la ville150, des religieux comme les frères Guillaume de la Chapelle, Jean Mouton et Pierre Leporis qui financent par l’aumône un vitrail, et une moniale, Jeanne de Chantemerle151. La comtesse achète elle-même le vitrail principal et accorde encore 100 francs pour les travaux. Pour rassembler les 200 francs nécessaires au second vitrail, le confesseur verse la moitié, l’autre moitié étant réunie conjointement par son socius André de Maigny et Marotte ou Marette de Maisières, femme de chambre de la

143 L. Charrault, Châteauneuf-Val-de-Bargis et la Chartreuse de Bellary, Nevers, 1908. 144 BN Latin 17130, n° 57. 145 ADPDC A 85. 146 ADPDC A 90. 147 ADD B 420. 148 Cartulaire de Saint-Cyr de Nevers, op. cit., p. 210-211. 149 ADN B 1566, fol. 146-147. 150 Regnaut Louppier et Adeline de Albignico y ajoutèrent leurs maisons et le terrain attenant, Jeanne Abonnelle, qui donna sa maison pour une valeur de 300 francs… 151 100 francs.

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comtesse. Louis de Male paie le vitrail de l’est, et Charles V verse 100 livres pour un autre vitrail. Philippe d’Arbois débourse 100 francs pour les travaux et autant pour un vitrail près de l’autel majeur, côté sud. Marguerite organise en outre la translation du corps de Yolande de Nevers : elle envoie pour cela Jean Despouillettes et Jean Blarye, qui arrivent le 5 juin 1379 à Nevers et la font mener « de l’euglise ancienne des Freres meneurs de Nevers en la neuve »152. Par comparaison, les liens avec les Dominicains font pâle figure, même si ceux de Nevers ne sont pas oubliés dans le testament de 1354. On peut ici noter une différence avec Louis de Nevers, plus proche de l’Ordre des Frères Prêcheurs, lui qui déclare en 1328 vouloir être enterré dans un de leurs couvents153. Quant au comté de Rethel, il est plus difficile d’y apprécier les fondations de la comtesse, faute d’archives. Certes, son testament ne l’évoque pas et elle n’y possède guère de terres. Malgré de rares séjours, Marguerite agit tout de même en faveur des Franciscains de Maisières, contribuant à la fondation de leur couvent hors les murs en intervenant auprès du roi pour l’amortissement de la terre que la famille comtale leur avait donnée154. Les sources flamandes sont en revanche plus éclairantes sur le maintien des relations de « madame de Flandres » avec les terres les plus septentrionales. Les devoirs d’une veuve : Saint-Donatien de Bruges

Mal connue, la vie religieuse de la comtesse en Flandre apparaît surtout dans sa dimension politique, mémorielle et maritale, du fait d’une fondation à Saint-Donatien de Bruges en faveur de Louis de Nevers. Après sa mort, le comte avait été enterré dans l’église de Crécy, puis à Saint-Riquier. Il devait cependant revenir en Flandre. Si on ignore la part qu’elle joua dans cette translation-là, Marguerite se rendit bien à Bruges pour ses obsèques à la fin août 1362155, probablement aux environs de la date du 26, jour du décès qui fut retenu pour son office funèbre jusqu’au XVIIIe siècle156. Détruit en 1785, le gisant de Louis de Nevers est connu par Antoine de Succa et généralement daté de la seconde moitié du XIVe, peut-être des années 1370157. La comtesse veille au salut de son époux. Le 12 juin 1367, aux côtés du prévôt de Harelbeke, elle donne ses biens sis à Zuydcoote pour le financement de deux chapellenies à Saint-Donatien de Bruges, invoquant « le grant amour, affection et compaignie de mariage que par lonc temps avons eues » avec son mari. Elle pratique ici une forme morale d’amour dictée par le devoir que « encores avons et avoir devons » et consistant à perpétuer « memoire, et sauvement de l’ame de li ». La fondation est faite en l’honneur de Dieu, de la Vierge, de « tous saints et de toutes saintes » et de saint Donatien. Les chapellenies serviront au salut du comte, de la comtesse, 152 ADCO B 4627. 153 ADN B 451. 154 AN JJ 71, n° 3495. 155 ADPDC A 701. 156 Jean Froissart, Œuvres, op. cit., éd. Lettenhove, t. 21, p. 250. 157 L. Quarré-Reybourbon, Les mémoriaux d’Antoine de Succa, Paris, 1888, p. 67.

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de leur fils et de toute la lignée des comtes de Flandre. Le service hebdomadaire de quatre messes sera célébré par deux chapelains à l’autel de la chapelle que Louis de Male avait fait faire. Deux messes solennelles du Saint-Esprit sont prévues ; la première le 26 août, la seconde le jour de la mort de la comtesse ; dans l’attente, on retiendra la date du 2 septembre, jour de la Saint Étienne, mais aussi de la mort de Sainte Marguerite de Louvain. Un « cloquemane » devra faire sonner les cloches à cette occasion pour que les Brugeois s’en souviennent, et on distribuera 12 lb parisis au chœur de l’église pour ceux qui y reçoivent leur pitance et pour les deux chapelains, ainsi que 100 s aux pauvres. Le tout sera financé par une cinquantaine de livres de revenus. Un prêtre idoine sera choisi par Marguerite puis les comtes, lequel résidera sur place. Marguerite désigne son chapelain Pierre Haton pour une des chapellenies, avec dispense de présence. Enfin elle annule la fondation de deux chapellenies précédemment fondées au château de Bapaume, sans doute à l’époque où la dépouille n’est pas encore revenue à Bruges158. La comtesse prévoit de fournir calices, livres et chasubles, comme elle l’avait fait à Saint-Denis. Elle offre également deux objets de grande valeur, déjà évoqués : le plateau d’argent et la croix en or contenant un morceau de la Vraie Croix, qui pourrait provenir d’Hesdin : cela témoigne de l’intérêt pour cette fondation159. En dehors de cette fondation, la présence flamande reste plus limitée. Le chapitre de Notre-Dame-de-Lille, de l’ordre du Val des Écoliers, promet en mars 1362 de célébrer une messe annuelle de Requiem, et des vigiles « ob remedium anime ipsius et parentum suorum », pour le remède de son âme et celle de ses parents160. Mais à cette date, Lille fait partie du domaine royal.

5. La cour, cadre de la piété princière quotidienne La piété de la comtesse peut se lire dans le déploiement de ce vaste réseau de fondations et de donations, dont la dimension territoriale est fondamentale. Mais le cadre ordinaire de la cour n’est pas seulement lié à des lieux, il relève d’une piété quotidienne mobile centrée autour de la personne de la comtesse qui se doit tenir une maison exemplaire quant à la dévotion. Les sources sont ici plus rares mais quelques indications subsistent, montrant l’importance de certains saints, des aumônes, le rôle de la prière. Le caractère de Marguerite laisse penser que ses dévotions n’étaient peut-être pas éloignées du régime rigoureux décrit par le chevalier de la Tour Landry pour les nobles veuves : la dame se lève tôt pour réciter ses heures à l’oratoire, entendre chanter mâtines, suivre plusieurs messes. Après dîner elle part rendre visite aux malades, se levant trois fois la nuit pour prier Dieu pour les morts de sa famille161. 158 ADN B 1567, fol. 24r. 159 W. H. J. Weale, « Inventaires du trésor de la collégiale de Saint Donatien à Bruges, 1347-1539 », op. cit. 160 A.-H. Allirot, Filles de roy de France, op. cit., p. 213. 161 Geoffroi de la Tour Landry, Le Livre du chevalier de La Tour Landry, pour l’enseignement de ses filles, Paris, 1854, p. 274.

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La piété de Marguerite est assurément riche et exigeante, dans un cadre princier et fastueux, combinant dimension collective et dévotion personnelle, associant héritages familiaux et évolutions de son temps. Une piété privilégiée et itinérante

La mobilité de la cour entraîne celle de sa chapelle, qui a déjà ses propres chevaux en 1336162. Elle s’appuie sur des privilèges pontificaux faisant de la cour un monde à part, à l’instar de la cour de France qui constitue un diocèse mobile163. Ces exemptions permettent de ne pas être dépendants des évêques et des interdits locaux, mouvement amorcé au XIIe siècle et dont les rois profitent depuis le XIIIe siècle : choix du confesseur, exemption de l’interdit, célébration des offices dans les chapelles. L’administration des sacrements par le confesseur fait de ce dernier un prêtre dédié au roi. Si le nombre des bulles augmente dans la première moitié du XIVe siècle pour le roi164, d’autres princes obtiennent des exemptions voisines, notamment les fils du roi au temps de Philippe le Bel165. Marguerite bénéficie de cette évolution en faveur du sang royal. Dès le 5 mai 1329, se préparant à la vie maritale, elle obtient des dispenses relatives aux vœux, à l’action du confesseur, à la célébration du service divin en tout lieu, au rôle de ses chapelains, privilèges renouvelés après son veuvage et complétés grâce à ses bons rapports avec la papauté qui en limite cependant l’ampleur. Ainsi de la possibilité de convertir des vœux divers en autres œuvres pies, sauf pour les vœux d’Outre-Mer ou ceux faits à Saint Pierre, Paul et Jacques166. En 1353, Marguerite demande que son confesseur puisse relever des vœux, privilège épiscopal, pour elle et ses familiers, ce que le pape ne lui accorde que pour elle, et pas pour les trois vœux majeurs. Un tel privilège rappelle celui obtenu par Saint Louis en 1265 puis par Charles IV avec la même exception167. Concernant le rôle du confesseur, la comtesse obtient dès 1328 le droit d’en choisir un pouvant absoudre ses péchés, sauf cas exigeant la consultation du pape. Le pape accorde le 15 mars 1345 aux deux époux de disposer d’un confesseur autorisé à donner pleine rémission de leurs péchés à l’article de la mort168, privilège accordé au roi en 1322. Le troisième type de dispense relève de l’ « extraterritorialité ». Dès 1329, la comtesse peut faire célébrer le service divin en lieux interdits et excommuniés, à porte close, sans son de cloche et à voix basse. En 1353 elle demande à disposer d’un autel portatif et faire célébrer « cum nota vel sine nota » partout où elle se rendra où elle possède une maison. Cela lui est accordé mais à huis clos, et sans note. En cas d’urgence, elle pourra faire célébrer « coram » avant le jour, là encore une dispense 162 AGR CC R 5. 163 X. de La Selle, Le service des âmes à la cour, op. cit. p. 34, 44, 74. 164 Ibid., p. 44. 165 Ibid., p. 74 166 Inventaire analytique des chartes des comtes de Flandre, op. cit., p. 427. 167 X. de La Selle, Le service des âmes à la cour, op. cit., p. 48. 168 Lettres de Clément VI (1342-1352), op. cit., éd. P. Van Isacker et U. Berlière, Rome, 1924, n° 1458.

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accordée aux rois. Le quatrième concerne son chapelain, autorisé à administrer les sacrements en 1329169. En 1353 ses chapelains ou un religieux de son choix peuvent administrer les sacrements pour elle et ses familiers, privilège tardivement acquis par les rois en 1322 et qui n’est accordé que la même année qu’elle au dauphin. La comtesse profite du même mouvement, ce qui montre ses liens avec la royauté, à laquelle ses privilèges l’assimilaient, lui permettant de profiter du crédit des rois auprès des papes. La comtesse veille encore à pouvoir visiter des monastères féminins : d’abord Longchamp, où lui sont accordées des visites qu’elle aurait souhaité fréquentes, longues, et en compagnie mixte. Le pape limite sa venue à des visites en journées accompagnée de quelques femmes. Le 17 février 1371 la comtesse obtient encore de visiter des monastères de religieuses recluses en compagnie d’une dizaine de femmes honnêtes de sa suite170. Elle a alors en tête les Dominicaines de la Thieuloye et les Chartreuses de Gosnay. Figure centrale de la cour, le confesseur que la comtesse qualifie de« biau père »171 est au cœur de ces privilèges. Cette fonction voit son influence politique progresser chez les rois au XIVe siècle, notamment pour l’attribution des bénéfices172. Le confesseur de Marguerite est accompagné par un socius, une pratique classique chez les Franciscains vivant hors du couvent. Celui-ci joue un rôle de sous-confesseur selon un usage attesté à la cour de France, où il prend plusieurs fois la suite de son maître, situation que nous retrouverons auprès de la comtesse173. L’influence de Jean Pinaut est perceptible : désigné par Marguerite comme ayant la « garde et cure de nostre conscience »174, il dispose, comme ceux du roi, d’une chambre particulière dans certaines résidences, où nombre de curiaux sont influencés par la piété franciscaine, notamment Simone de Méry. Ce confesseur est autorisé à délivrer les sacrements à tous les familiares, et on ne rencontre pas de confesseur du commun alors attesté auprès du roi. Il est également présent au conseil lors de certaines donations pieuses comme la dotation de la chapelle de Bellemotte, le 12 juillet 1370, avec des conseillers175. Le confesseur royal apparaît lui aussi dans les mentions hors teneurs à partir de Philippe V pour des actes similaires. L’absence de mention de l’aumônier pourrait laisser penser que la fonction est occupée par la même personne, fort influente, d’autant qu’à la différence de son père et des rois Valois, Marguerite fait mentionner dans ses actes le nom propre de son confesseur. Quant à la chapelle, son organisation est connue par son personnel, que nous réservons à une autre étude. On sait néanmoins que les « cappellains et clers de se capelle » forment une chapelle domestique, réservoir de clercs pour l’administration, distincte des chapelles de chaque château, sans qu’on en saisisse les contours exacts.

169 Inventaire analytique des chartes des comtes de Flandre, op. cit., p. 427. 170 Lettres secrètes et curiales du pape Grégoire XI (1370-1378) relatives à la France, éd. L. Mirot et H. Jassemin, Paris, 1935-1957, 5 vol. , t. 1, n° 583. 171 ADN B 13879. 172 X. de La Selle, Le service des âmes à la cour, op. cit., p. 69 et 255. 173 Ibid., p. 63. 174 ADCO B 485, fol. 13. 175 ADCO B 485, fol. 17.

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On peut les reconnaître aux titres de chapelain de madame, aux gages qu’ils doivent « prandre sur nostre hostel »176, au fait qu’ils suivent la cour même s’ils peuvent disposer d’une prébende de chapelain d’un château comtal. En 1381, Jeannin Martin est ainsi « clerc de la chapelle de madite dame et chapellain de la chapelle de son chastel de Moncealz le Conte »177. Ces clercs forment un groupe parfois logé collectivement : en mai 1365 ils sont hébergés chez Étienne du Pen, bourgeois d’Arras. Les usages liturgiques de la chapelle sont quant à eux difficiles à cerner. L’inventaire du château d’Hesdin de 1384 donne l’impression d’une certaine sobriété, voire d’une relative modestie178. La vaisselle et le linge sont à peine suffisants pour les offices et les messes, les pièces d’orfèvrerie sont rares, les vêtements liturgiques précieux en assez mauvais état pour certains, tout comme les orgues vieux de 150 ans. Hormis deux calices d’or et le reliquaire de Saint Louis, peu de pièces notables, pas de croix ni de statue de la Vierge, ce qui contraste avec le temps de Mahaut. Cependant, on a eu le temps depuis 1382 d’en disperser les objets ; restent ici ceux servant à demeure au service quotidien de la chapelle, ce qui ne préjuge pas des ornements de chapelle que la comtesse pouvait amener avec elle lors de sa venue. D’ailleurs, même en son absence, Marguerite reste vigilante à la célébration du « divin service » y compris dans des châteaux éloignés comme Gray, où elle fait réaliser une enquête. Une piété collective : donner l’exemple

Des liens spirituels entre la comtesse et ses proches doublent parfois les relations de service ou de sang. Marguerite souhaite souvent être marraine, offrant alors un cadeau comme cette aiguière à couvercle d’argent doré donnée à la fille de Tristan du Bois que madame « a tenue » sur les fonds en 1364179. Marguerite encourage les dévotions et donations similaires aux siennes : l’ancien receveur de Jully obtient ainsi 3 francs en mars 1372 pour acheter des tuiles pour couvrir une maison qu’il avait « faite lever et edifer en acroissent de la maison Dieu dudit Juilli a gesir les poures »180. Abbayes et couvents favorisés par la comtesse le sont aussi par son entourage. Ce qu’on observe pour les Franciscains de Nevers se retrouve à la Chartreuse de Basseville où sont célébrés plusieurs obits pour des proches : au 12 juin pour Thierry de Montaigu, chevalier, et son épouse Sybille, deux compagnons de longue date de la comtesse, qui avaient légué 200 lb lors de la fondation ; au 14 juillet pour Philippe d’Arbois, qui avait fait faire les murailles, la sacristie, le trésor, une maison de Chartreux et donné de nombreux objets181. Thierry de Montaigu donne également 40 lb tournois de rente aux Chartreux de Gosnay, amortis par la comtesse en septembre 1365182. 176 177 178 179 180 181 182

ADPDC A 719. ADCO B 383. A. van Buren-Hagopian, « Trois inventaires de la chapelle du château d’Hesdin », op. cit., p. 33-55. 20 août 1364. ADPDC A 709. ADCO B 3855. Obituaires de la province de Sens. III, op. cit., p. 453. ADN B 1566, fol. 30r.

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La fondation de la collégiale d’Arbois est également une œuvre commune à la comtesse et deux proches, Philippe d’Arbois et son parent Humbert de la Platière, maître d’hôtel, l’un des chanoines choisis étant son fils Hugues. On a également rappelé l’appui à la piété franciscaine de la famille des Méry, partagée avec Jean de la Rivière, dont le confesseur est l’ancien compagnon du confesseur de Marguerite183. La comtesse fait également rentrer à la Thieuloye une nièce de son bouteiller nivernais Barthélémy de Fains, Jeanne de Fains « que nous avons vestue et mise religieuse a la Thieuloie », et à laquelle elle donne une maison à Béthune « pour aide d’avoir ses necesistez en ladite religion », décision prise en présence du confesseur184. Cette proximité avec le couvent dominicain se diffuse au sein de la famille de Marguerite : une de ses petitesfilles, Catherine, entre à La Thieuloye185, une autre, Marguerite, dame de Wavrin, est liée au couvent tout comme Louis de Male, Marguerite de Male, et Philippe le Hardi. La comtesse prend également en charge les obsèques de proches comme Antoine de Poitiers le 3 janvier 1382 aux Cordeliers d’Arras, pour 183 lb 4 s 3 d, obsèques dont le caractère chevaleresque n’est pas sans annoncer celles de Louis de Male. Pas moins de 300 lb de cire sont brûlées et un cheval est conduit dans l’église, portant des armoiries. En tout sont réalisés 69 écussons « de batture » et 76 de peinture, et on achète 69 aunes de drap, dont on fait 24 cotes et 24 chapons pour ceux qui tiennent les 24 torches. On loue également un drap (linceul) « dont on fit la représentation du corps », et on dresse une « chapelle que on mist sur le corps, la quelle estoit de saint Vaast ». Cette chapelle ardente conservée à Saint-Vaast avait dû être dressée par six ouvriers et un valet. Elle était peinte en noire et complétée par du bois blanc pour en faire le ciel. Des femmes furent payées pour faire venir les habitants au service186. Adoration de Dieu, vénération des saints : particularismes de la dévotion comtale

La seule attestation précise de cette piété quotidienne est la mention dans les inventaires de son livre d’heures contenant des prières en français débutant par « l’euvangile saint Jehan » et s’achevant par « Pater Noster »187. Malgré tout, on sait qu’elle favorise certaines dévotions assez fréquentes chez les reines et princesses de son temps comme la Vierge et le Christ, sainte Catherine, ou encore Saint Louis188, même si là aussi les variantes sont nombreuses, fonction des traditions familiales et locales. La figure du Christ est fort présente : elle fonde ainsi une messe de la Croix le vendredi au Mont-Roland. On a relevé son intérêt pour les reliques de la Passion, notamment la Vraie Croix. Cette piété est également liée à l’héritage de Saint Louis. Marguerite de France invoque encore la Sainte Trinité dans son testament de 1354, 183 ADCO B 4627. 184 ADCO B 401, fol. 111v-112r. 185 P. de Lichtervelde, « Les Bâtards de Louis de Male », Annales de la société d’Émulation de Bruges, vol. 78, no 1-2, 1935, p. 48-58. 186 ADPDC A 788. 187 P. De Winter, La Bibliothèque de Philippe le Hardi, op. cit., p. 15. 188 A.-H. Allirot, Filles de roy de France, op. cit., p. 136.

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et fait acheter deux chandelles de cire pour la chapelle de la Cour-le-Comté pour le dimanche de la Trinité 1378189. Elle fonde plusieurs messes du Saint Esprit, comme à Mont-Roland en 1364 le jeudi. On a également relevé le « groote God » offert à Saint-Donatien de Bruges. La dévotion à la Vierge paraît forte chez la comtesse, notamment en de hauts lieux du culte marial, comme Notre-Dame du Mont-Roland. Sa chapelle de SaintDenis est placée sous les vocables de la Vierge et de Saint-Michel. Encore en 1382, les chapellenies de Bapaume sont fondées en l’honneur du Christ, de la Trinité, de la Vierge Marie et de tous les saints et saintes, pour reprendre l’écriture inclusive de la chancellerie comtale. La collégiale d’Arbois est placée sous le vocable de Notre-Dame. Marguerite fête également dignement la « Nostre Dame mi aoust », l’Assomption190 ; c’est d’ailleurs le 15 août 1371 que la comtesse accorde sa grâce à une certaine Marie Cuvellone191. Saint Michel joue également un grand rôle. Jeanne de Bourgogne s’était rendue au Mont-Saint-Michel, peut-être accompagnée de ses filles. L’archange est une figure complexe associant le juge, le chevalier, le messager. Sa dimension combattante n’est nullement négligée par la comtesse dont un sceau rond montre l’archange terrassant le dragon. Marguerite l’associe également au salut et au Jugement Dernier, dans sa dimension de juge et de messager angélique « psychopompe ». Son testament évoque ainsi tous les anges et archanges, dont Saint-Michel192, afin que « l’arme de nous li soit representee et menee et conduyte à la destre de Dieu le pere » en vue de figurer « le grant jour du jugement » avec les bienheureux. La chapelle de Saint-Denis lui est d’ailleurs vouée, avec brûlement de cierge et aumône le jour du saint. Outre saint Michel, Marguerite a d’ailleurs fait représenter des anges sur le reliquaire de saint Louis d’Anjou et fondé une messe « des anges » à Mont-Roland193. En regard, saint Georges est surtout évoqué pour des fondations dans ses châteaux comtois comme Ornans, qui possède aussi sa chapelle Saint-Jacques. Plusieurs saints sont à rattacher à la tradition royale capétienne, plus encore que saint Michel. Tel est le cas de saint Denis, invoqué lors du choix de sa sépulture, et célébré en Artois : la comtesse achète pour lui des chandelles à Arras le 9 octobre 1362194. Cet intérêt pour saint Denis se retrouve chez sa petite-fille Marguerite de Male, qui fonde à l’abbaye Saint-Denis une messe annuelle devant être célébrée la veille de la Saint-Michel, le 28 septembre195. Saint Louis occupe une place considérable, notamment à Hesdin où Marguerite refait faire en 1381 les vitres des « armoires lau on met les reliques saint Louys »196. On notera également la présence de prières à

189 ADN B 13878. 190 ADN B 13877. 191 ADPDC A 748. 192 ADPDC A 86. 193 ADCO B 401, fol. 24. 194 ADN B 13877. 195 W. Paravicini et B. Schnerb, « Les « investissements » religieux des ducs de Bourgogne à Paris. », op. cit. 196 ADN B 15283.2.

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saint Charlemagne dans le manuscrit offert au temps de sa jeunesse. Au carrefour des dévotions capétiennes et franciscaines, saint Louis d’Anjou fait également l’objet d’une vénération particulière attestée par ce manuscrit et le reliquaire offert à Saint-Denis. On reste en revanche peu informé sur les célébrations relatives à François ou Claire, même si la présence d’un confesseur franciscain encouragea ce type de dévotions. Certaines figures sont en outre davantage attachées à la Bourgogne et au Nivernais ; la comtesse fait célébrer une messe solennelle le 24 septembre au Val-de-Bargis, jour des saints Andoche, Tyrse et Félicien, évangélisateurs de la Bourgogne, ainsi qu’un anniversaire pour Saint Lazare ou Saint Ladre197. Des dévotions moins politiques et pour certaines plus genrées en apparence se retrouvent, associées à la maternité et l’accouchement, en particulier la vénération de sainte Marguerite, qu’elle partage avec sa mère, rachetant sur la succession de cette dernière une « saincte Marguerite »198. La comtesse fonde d’ailleurs un autel dédié à sa patronne à Hesdin, au plus tard en 1376199. Le culte de sainte Catherine semble moins genré. Marguerite lui porte une attention particulière. Elle se montre généreuse pour l’ordre du Val-des-Ecoliers, dont l’église parisienne est liée à la sainte. L’inventaire de la chapelle d’Hesdin en 1384 mentionne « une relique et ymagene de Sainte Kateline d’albastre acompaignié de pluiseurs ymagenes d’albastre apparentans audit ymagene cloans et fremans comme I livre »200. Cette dévotion est à relier au fait que Louis de Male soit précisément né le 25 novembre, jour de la sainte. Lui-même y restera profondément attaché. D’autres figures semblent plus ordinaires. Marguerite fait ainsi une offrande aux reliques de saint Benoît lors de son séjour en Nivernais en 1338201. La saint Valentin est également marquée en 1363 par des achats spécifiques de chandelles à Arras202. Quant aux pèlerinages, on peine à les identifier. Certes, les itinérances des princesses et des reines n’ont pas que des motivations politiques, et les pèlerinages constituent un aspect important de la vie d’Isabeau de Bavière. De même, Philippe le Hardi n’hésite pas à se rendre à Saint-Claude. Mais pour sa part, Marguerite semble se contenter de pèlerinages de proximité comme Notre-Dame de Montroland, ou accessibles sur son itinéraire comme Vézelay en 1338. Fort occupée, la comtesse recourt à des pèlerins-vicaires : on ignore si elle en envoie à Saint-Jacques de Compostelle, comme ses deux grands-mères203, mais elle expédie des Franciscains de Nevers en son nom à Autun auprès des reliques de l’évêque Saint Lazare d’Aix-en-Provence204. Concernant le temporal, l’importance du cycle des fêtes religieuses imprime sa marque sur la charité. À observer les dates des aumônes « extraordinaires », on relève l’importance de l’Avent et de Noël, de Carême et de Pâques, à l’instar de Saint

197 ADCO B 4627. 198 C. Dehaisnes, Documents et extraits divers, op. cit., t. 1, p. 282. 199 ADN B 996. 200 A. van Buren-Hagopian, « Trois inventaires de la chapelle du château d’Hesdin », op. cit. 201 ADPDC A 575. 202 ADN B 13877. 203 D. Péricard-Méa, Compostelle et cultes de saint Jacques au Moyen Âge, Paris, 2000, p. 199-220. 204 ADCO B 4627.

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Louis205. Dons de vin aux Clarisses « pour l’avent », achat de chandelle de cire pour la chapelle de la Cour-le-Comte avant la Noël 1362206, dons de livrées et aux fêtes réunissant une cour nombreuse à Paris ou en Artois : décembre est un moment majeur. Beaucoup de dons sont également effectués durant la Semaine Sainte, comme le don de 20 francs à deux Dominicains de Lausanne le jour de Pâques 1370207. On signalera un autre don le dimanche de Quasimodo (ou octave de Pâques) 1377 à Saint-Barthélemy de Béthune pour réparer son clocher208, ainsi qu’en 1380 en faveur de l’église d’Arbois qui reçoit 25 chênes209. La « semaine peineuse » est aussi un moment de célébrations : à Hesdin on célèbre « la Cene en la cappelle du castel le joedi absolu », achetant vin et « gallettes »210. La dimension alimentaire du Carême est également forte. La comtesse fait liquider les stocks de viande avant l’entrée en Carême puis ne fait acheter que des poissons, y compris du porc de mer ou marsouin, un « poisson gras ». La comtesse fait également dire des messes : en 1375, elle demande à Saint-Barthélemy de Béthune de célébrer durant le Carême, chaque semaine, une messe de Saint-Esprit211. Le temps du Carême est encore mentionné dans les dons de vin, de céréales aux Clarisses de Saint-Omer, aux Chartreuses de Gosnay, aux Dominicaines de la Thieuloye. La charité est en effet une dimension essentielle de la piété de la comtesse. L’aumône et la charité au quotidien

Par l’aumône, les grands expriment leur piété individuelle, mais accomplissent encore un geste rituel qui exprime la nature de leur pouvoir charitable et libéral, tout en s’ancrant dans un territoire et en donnant l’exemple212. La charité est liée au gouvernement qui doit être guidé par l’amour. S’y exprime une forme de supériorité sociale qui place aussi le prince à la merci des pauvres, « juges des princes » dont les malédictions peuvent coûter cher au pouvoir car Dieu les écoute213. La pitié est en outre une vertu attendue des princesses dotées par la nature d’un « cœur pitoyable »214. Enfin, les malheurs du temps offrent un vaste champ d’action à Marguerite de France, tout en alourdissant ses devoirs politiques et moraux. Les cours de France et de Flandre ont vu le développement des services administratifs de l’aumônerie, disposant de moyens financiers propres215. Pourtant,

205 P. Aladjidi, Le roi, père des pauvres, op. cit., p. 132. 206 ADN B 13877. 207 ADCO B 1433. 208 ADPDC A 773. 209 AM Reims, Tarbé carton IV, n° 47. 210 ADN B 15284, n° 1. 211 ADN B 14626. 212 P. Aladjidi, « Les espaces du don au Moyen Âge : l’exemple de la charité princière », Construction de l’espace au Moyen Âge : pratiques et représentations. Actes des congrès de la SHMESP, Paris, 2006, p. 349-356. 213 P. Aladjidi, Le roi, père des pauvres, op. cit., p. 34. 214 M. Gaude-Ferragu, La reine au Moyen Âge, op. cit., p. 219. 215 W. Prevenier, « En marge de l’assistance aux pauvres : l’aumônerie des comtes de Flandre et des Ducs de Bourgogne (13e-début 16e) », dans Liber amicorum Jan Buntinx, Louvain, 1981, p. 97-120.

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la fonction d’aumônier semble inconnue à la cour de Marguerite de France. Deux figures peuvent cependant être rattachées aux distributions d’argent et de vivres, ou à la surveillance d’établissements charitables : celle de deux valets de l’aumône, Jean Warlequin, attesté en 1361, et Simon Haton, mentionné en 1372216, exerçant en 1379 « l’office de l’aumône »217. S’agit-il d’aumôniers ? Rien ne le précise. On pourrait penser qu’ils assistent le confesseur. On ne les qualifie pas non plus de sous-aumônier, fonction pourtant connue à la fin du XIIIe siècle auprès du roi218. On ignore même s’ils sont des clercs, même si deux autres Haton, Pierre et Étienne, le sont. Quant aux aumônes quotidiennes, elles sont mieux connues pour Jeanne de France, sœur de la comtesse grâce aux comptes de l’hôtel219. Quid de visites aux pauvres, aux malades, si importantes pour les rois220 ? Il faut ici s’appuyer sur de trop rares mentions : en 1338, on signale quelques dons modestes : 6 sous à un pauvre homme dont les chiens du comte avaient tué trois agneaux, 2 sous à un pauvre aveugle, 20 à deux Carmes « pour Dieu et en aumosne », 2,5 sous « a un poure menestre pour Dieu, du commandement madame ». On dispose d’ailleurs de « corbeilles […] pour l’aumosne » destinées à ces distributions. Ces « aumosnes madame » sont aussi attestées dans le compte tenu par Pierre des Essars221. Elles se font notamment au gré des rencontres. Gui Villain paie les « aumosnes apres madame », c’est-à-dire sur les chemins, comme les pratique Jeanne de France. Sans doute les pauvres ont-ils soit directement reçu des pièces, soit un billet donnant droit à paiement, de sorte qu’il faut à certains clercs passer « apres madame » : il arrive aussi que les aumônes soient directement distribuées par des serviteurs et non le roi, mais les dons directs existent aussi, notamment pour les reines222. On ne dispose en tout cas pas de mention de don « par la main de madame ». Après 1361, au gré des comptes domaniaux émergent 88 mentions d’aumônes. Souvent assez importantes, elles ignorent généralement les piécettes distribuées sur les chemins, dans la mesure où elles ont donné lieu à des mandements comtaux adressés au receveur. Elles présentent malgré tout l’intérêt de nous éclairer sur les bénéficiaires, les lieux, les circonstances, les préférences de la piété, enfin le calendrier. On peut les confronter aux usages des rois qui donnent souvent quelques dizaines de livres au jour le jour aux établissements religieux et hospitaliers, pour restaurer les bâtiments et quelques livres à diverses catégories d’individus : pauvres, malades, impotents, veuves, femmes pauvre enceintes, orphelins223. Le parallèle est flagrant, même si des nuances sont à apporter. Les aumônes concernent d’abord les ordres mendiants. Certaines peuvent être pour tout l’ordre : en 1336 les Dominicains reçoivent 180 lb de Flandre « pour donner as freres de l’ordene

216 ADPDC A 752. 217 ADN B 14285. 218 X. de La Selle, Le service des âmes à la cour, op. cit., p. 63. 219 J.-B. Santamaria, « Quand la duchesse devint comtesse, op. cit. 220 P. Aladjidi, Le roi, père des pauvres, op. cit., p. 197. 221 ADPDC A 1015. 222 P. Aladjidi, Le roi, père des pauvres, op. cit., p. 132. 223 X. de La Selle, Le service des âmes à la cour, op. cit., p. 190.

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des Jacobins qui tinrent leur capitle general a le Penthecouste l’an XXXVI »224. Les dons à des frères de passage sont également attestés : en 1370 deux Dominicains de Lausanne transitant en Bourgogne obtiennent un don « pour faire priere pour nous en leur chapitre provincial »225. Mais ce sont surtout des dons aux couvents des terres de la comtesse : les Augustins de Pontarlier reçoivent du vin226, les Carmes d’Arras et d’Hesdin des sommes d’argent (respectivement 100 et 24 lb) et du bois… Les Dominicains reviennent plusieurs fois, en particulier les couvents de SaintOmer (trois fois), et Poligny (deux fois), notamment pour la sépulture de Jean de Chalon227. Ces dons sont tous en argent, et même bien souvent en or (florins ou francs), alors que les Dominicaines de la Thieuloye reçoivent du vin avant la Noël 1381228. Les Franciscains sont cependant avantagés. Les Clarisses de Saint-Omer reçoivent à elles seules 9 dons : deux fois seulement de l’argent, plus souvent du bois « pour elles caufer » durant les mois d’hiver ou par provision en août, et surtout du vin : une queue de bon vin en mars 1378, puis une autre les deux années suivantes. Ces dons de vin interviennent souvent en période de Carême. Quant aux Frères mineurs, ils reçoivent des dons et aumônes de la comtesse à Saint-Omer « a sa nouvelle venue » en juin 1362229, à Béthune avec pas moins de 11 mentions, ce qui s’explique par la bonne conservation des comptes, à Arras (2) et Hesdin (1). Le 18 avril 1369 en particulier, le gardien du couvent d’Arras, Jean le Prévost reçoit 50 francs en faveur de la province de France assemblée en chapitre au couvent230. En dehors de l’Artois, les dons sont plus rares, effet des sources mais aussi probablement de l’absence de Marguerite : un don à Salins, un autre à Nevers. Ces dons sont non seulement en bois, mais aussi en argent : 15 écus à Béthune en janvier 1365, jusque 100 lb à Salins en 1368. Les Chartreux sont les seuls à bénéficier d’une attention aussi soutenue, avec pas moins de 7 dons aux Chartreuses de Gosnay » entre 1375 et 1381231, en blé, avoine et vin surtout, trois aux Chartreux de Gosnay, en bois et en vin de Bourgogne232. Quelques autres abbayes féminines sont concernées : l’abbaye de Baume-les-Dames, les religieuses de Bouchem en 1367233, et celles d’Avesnes-le-Comte dont au moins une nonne reçoit 5 francs en 1374234. On retrouve également plusieurs prieurés : Fouchères près de Troyes en 1374235, surtout Saint-Georges d’Hesdin avec des dons pour le chauffage ou la réfection de l’église en 1364 et 1365236, comme Saint-Barthélemy 224 AGR CC R 5. 225 ADCO B 1433. 226 P. De Lisle du Dreneuc, Musée Thomas Dobrée. Catalogue général des collections, Nantes, 1906, p. 803. 227 ADCO B 1431 et 1433. 228 ADN B 13886. 229 ADN B 13633. 230 ADPDC A 733. 231 ADN B 14617, 14633, 14642, 14651, 15811. 232 ADN B 14605 et B 15811, ADPDC A 773. 233 ADN B 15794. 234 ADN B 14411. 235 ADCO B 3858. 236 ADPDC A 711 et 716.

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de Béthune en 1377237 et 1379238. Ponctuellement, on note d’autres dons : pour le curé de Beuvry en 1379239, l’église d’Arbois240, le chapelain du château d’Hesdin Jean de Moustier en 1382241. Enfin quelques béguinages obtiennent des dons, notamment à Saint-Omer pour la « maistresse et béguines du grant guet » en 1379242. En regard, les dons aux établissements hospitaliers sont bien modestes : intervenant surtout en hiver, ils consistent d’abord en bois de chauffe pour les malades et les pauvres. L’hôpital de Bruay reçoit 1 000 fagots en septembre 1364 et autant en octobre 1367 « pour chauffer les povres dudit hospital » durant l’hiver243. Idem à Béthune244, Chocques245, au couvent et hôpital Saint-Firmin d’Auchy246. On retrouve cependant un don de 4 écus à l’Hôtel Dieu de Bapaume en 1365247 et de 4 livres à la maladrerie de Béthune le 11 décembre 1373248. La comtesse favorise également des individus pauvres au sens large, à savoir ceux qui ont besoin d’aide et la demandent249. La dimension économique est bien entendu mise en avant : figurent ceux qui ont la charge d’autres individus, et pour lesquels la charité « ruisselle » : les femmes enceintes en bénéficient comme« Jaquante femme dudit Adenin, encinte d’amfant […] pour voir ces necessités plus convenablement en sa gesyne »250. La charité envers les soutiens de familles et les mères indigentes est également valorisée par les rois251. Les veuves ont droit à l’attention de la comtesse, notamment celles dont le mari est mort à son service, comme la veuve d’un fermier de Maraye en Champagne qui obtient 5 lb de madame pour elle et ses petits enfants252. Marguerite est particulièrement charitable envers les pauvres nobles, notamment pour favoriser le mariage des jeunes filles. Cette solidarité au sein de la noblesse fait du prince un protecteur des nobles en ces temps difficiles. Sa promotion est récente, remontant à la fin du XIIIe siècle pour les rois, notamment chez Philippe V qui les qualifie de « pauvres secrets » et honteux253, chez Mahaut, ou Jeanne de France, comme d’ailleurs chez le chevalier de la Tour Landry254. Marguerite soutient particulièrement les femmes nobles, comme le font souvent les princesses255. Elle valorise aussi les 237 ADN B 14633. 238 ADN B 14634. 239 Ibid. 240 AM Reims, Tarbé, carton IV, n° 47. 241 ADN B 15283.3. 242 ADN B 15816. 243 ADN B 14588, ADPDC A 92 et 727. 244 1373. ADPDC A 1014. 245 ADN B 14652. 246 ADN B 15282. 247 ADPDC A 714. 248 ADN B 14411. 249 P. Aladjidi, Le roi, père des pauvres, op. cit., p. 51. 250 ADCO B 3858. 251 P. Aladjidi, Le roi, père des pauvres, op. cit., p. 158. 252 Le 14 novembre 1375. ADCO B 3858. 253 P. Aladjidi, Le roi, père des pauvres, op. cit., p. 148. 254 A.-M. De Gendt, L’art d’éduquer les nobles damoiselles, op. cit., p. 174. 255 P. Aladjidi, Le roi, père des pauvres, op. cit., p. 137.

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pauvres méritantes et dévotes comme ces « IIII pauvres femmes de devotion » à Hesdin en 1381256, ou certains prisonniers, notamment des femmes comme celle de Mathieu de Salperwic, prisonnière et sans argent en 1373, qui reçoit 20 francs257. Ceux dont le handicap entrave la capacité à subvenir à leurs besoins ou à tenir leur état reçoivent aussi l’aumône, notamment les aveugles, selon une tradition christique ravivée par Saint Louis : Hanekin du Sart, « home aveugle » reçoit ainsi du blé en avril 1378258. Ce motif est aussi invoqué pour des réductions de taxes sur les transactions foncières : en août 1380, Pierre de la Planque, chevalier « ancien hommes aveugle » peut ainsi transférer à son fils et unique héritier Renaut un fief à Drounain tenu du château de Béthune, valant 28 s de revenus, en ne payant que deux francs259. La comtesse veille aussi aux ouvriers blessés à son service : en mars 1375 elle fait livrer deux setiers de blé à un homme blessé à la jambe en « faisant service de brouete en nostre chastel de Hedin »260. Elle n’oublie pas ses vieux serviteurs comme le sergent d’Hesdin Jean Poulain gratifié « par compacion de sa vieillece et en aumosne »261. L’aumône constitue même une source d’inspiration dans le gouvernement de sa maison et de ses pays, une matrice des rapports entre la comtesse et sujets lorsqu’il s’agit de porter secours aux victimes des guerres et des aléas politiques, reprenant le lexique de la charité et de la pauvreté, à l’instar des habitants du pays de Langle, aux confins du Calaisis, ravagés par l’Anglais et qui obtiennent du bois pour refaire leur halle en 1367262. Du côté des motifs, la rhétorique entourant ces dons s’inspire de l’administration royale263 : don « pour Dieu et en aumosne », soutien pour service rendu, « grace », on retrouve les mêmes logiques. Beaucoup de dons sont encore associés au maintien de l’existant, quand les établissements ne peuvent assurer leur propre survie immobilière : réfection d’un moulin à Baume-les-Dames, travaux aux « édifice du couvent » des Carmes d’Arras en 1370 puis réfection de l’église en 1371, don « pour Dieu et en aumosnes pour refection et ouvrages neccessaires a faire en leur dortoire et refroitoire de leur lieu et de leur eglise » pour les Carmes d’Hesdin en 1380264. D’où des dons fréquents aux églises : celle d’Arbois reçoit 25 chênes en 1380265, celle de la paroisse du Petit Moutier à Saint-Georges d’Hesdin 10 lb en 1365266. Les chanoines de Saint-Barthélemy de Béthune obtiennent 30 francs en 1377 pour leur clocher, don répété en 1379267. Les dégâts causés par la guerre conduisent Marguerite à se 256 ADN B 15283.2. 257 ADN B 15810. 258 ADPDC A 768. 259 ADPDC A 102. 260 ADPDC A 760. 261 26 août 1381. ADN B 15283.2. 262 15 mai 1367. Don de bois. ADN B 15794. 263 X. de La Selle, Le service des âmes à la cour, op. cit., p. 191. 264 ADN B 15278 et B 14285. 265 AM Reims, Tarbé, carton IV, n° 47. 266 ADPDC A 715. 267 ADN B 14633 et ADPDC A 733.

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pencher sur des communautés auxquelles elle est parfois peu liée comme l’hôpital Saint-Firmin d’Auchy, qui reçoit 20 francs le 28 mars 1379 après avoir été brûlé par les Anglais268, et le curé de Beuvry269. Fidélité et souffrance partagée face à l’ennemi soudent la comtesse et son espace politique. En somme, ces dons manifestent la volonté de répondre directement aux besoins des pauvres, reprenant l’Évangile (Mt. 25, 31-46) : nourrir, vêtir, chauffer plutôt que payer. Une minorité de ces dons est en argent (41 sur 88), avec des sommes modestes allant de deux à 6 francs, hormis quelques dons plus importants de 20 à 50 francs, très rarement au-delà (jusque 100 francs). Près d’un tiers (25 sur 88) sont des dons en bois, suivis de nombreux dons de vin et de blé. On ne saurait y lire une vision purement comptable de la charité. Les aumônes en argent sont d’ailleurs encore plus rares chez les reines au XIIIe-XIVe siècle, sans être inexistantes. Marguerite entend manifester matériellement sa protection et tisser un rapport concret avec ses pauvres : les chauffer, les loger, enfin distribuer deux denrées aussi symboliques qu’essentielles, le pain et le vin. En retour, la comtesse espère obtenir les prières des pauvres, notamment des frères mendiants si agréables à Dieu. Son vieux chapelain Jean de Moustier reçoit 3 francs « afin de prier pour nous », les Dominicains de Poligny obtiennent un don « pour qu’il soient tenuz de prier nostre signeur pour madite dame et ses predecesseurs ». L’espace de la charité comtale rappelle celui des rois : chemins et villes dominent pour les dons à des particuliers270. Les usages de Jeanne de France en sont d’ailleurs également proches271. Souvent liée à une relation directe, la charité favorise les villes, même si le compte de 1338 montre que la comtesse donne partout, y compris sur les chemins. On y ajoutera les couvents, notamment féminins, que Marguerite fréquente aussi, comme les Chartreuses de Gosnay qui obtiennent des dons lors de ses visites mais aussi quant elle est à Arras, voire Hesdin272. Les dons sont malgré tout souvent faits sur place, favorisant l’Artois et notamment Arras, Béthune, Hesdin, ou Bapaume : lors de son passage en ville le 7 mai 1365 Marguerite y fait un don à l’hôpital. Les passages en Champagne sont l’occasion de quelques générosités : une femme dont le mari est condamné à Villemaur reçoit la moitié de l’amende lors d’un séjour à Troyes, le 13 décembre 1374273. Les dons en Bourgogne correspondent surtout aux rares séjours comtois : pour l’abbaye de Baume-les-Dames depuis Salins le 3 novembre 1363, pour le couvent des Augustins de Pontarlier depuis Salins le 23 septembre 1374… Les dons à distance existent cependant, même s’il ne s’agit alors guère de dons modestes à des particuliers : l’abbesse cistercienne d’Ounans reçoit ainsi depuis Gand 30 florins pour refaire un moulin274.

268 ADN B 15282. 269 ADN B 14634. 270 P. Aladjidi, « Les espaces du don au Moyen Âge », op. cit. 271 J.-B. Santamaria, « Quand la duchesse devint comtesse », op. cit. 272 ADN B 14617 et B 14633. 273 ADCO B 3858. 274 ADCO B 1433.

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Ces dons reflètent assez les modalités d’occupation du territoire de la comtesse, tout en montrant sa compassion275. Ils reflètent d’ailleurs ses priorités politiques, la Bourgogne se trouvant ainsi symboliquement négligée, malgré ses souffrances, même si le gouvernement à distance par le conseil et la présence d’un gardien, compense en partie cette absence. Certains dons sont accomplis en son nom par ses représentants, notamment des dons de bois276, et les rares séjours permettent de manifester cette charité sur place. Ajoutons que la miséricorde, vertu fondamentale inculquée aux chrétiens et aux princes, qui ouvre leur cœur à la souffrance des autres277, n’est pas réservée à l’aumône : vertu agissante, elle est un fondement du gouvernement. Elle se retrouve dans les lettres de rémissions : celle accordée en février 1374 une pauvre mère, nourrice de surcroît, qui avait perdu son bébé en dormant avec lui, en atteste. Devant ce drame bien banal, la comtesse exprime sa compassion avec une emphase peu commune : « ne voulons pas croistre paine ne douleur a ceulx qui sont tourmentéz par tel cas de meschief ; ains leurs voulons nostre misericorde estre preferee a rigeur de justice en vraie pitie et compacion ». Un tel geste ne doit pas être artificiellement distingué des aumônes quotidiennes278. Il montre un continuum entre gouvernement et exercice quotidien de la piété. Quant à sa dimension féminine, on ne saurait évidemment la négliger, même s’il faut la nuancer. De tels dons ne sont pas sans évoquer ceux de princes comme Philippe le Bon qui se montre charitable envers les veuves et les jeunes accouchées en plus des infirmes, pauvres clercs, moines victimes des malheurs du temps, au gré des rencontres fortuites279. Mais si la contingence semble avoir guidé la comtesse dans ses rapports avec les particuliers, les dons aux ordres mendiants, aux Chartreux et Chartreuses revêtent un caractère quasiment régulier, témoignant d’une action réfléchie.

6. Entre foi et politique La piété de la comtesse est intimement liée à sa position politique et sociale, et se traduit en outre par une intervention sur des enjeux liés à la noblesse et aux jeux de pouvoir entre princes, qu’il s’agisse du gouvernement des Juifs, de la participation aux Croisades ou des relations avec la papauté, autant d’enjeux majeurs de la seconde moitié du XIVe siècle où s’observent héritages capétiens et adaptation à une situation mouvante. Un christianisme de combat ?

L’héritage de Saint Louis est aussi celui d’un rude défenseur de la foi. Sur ce plan, la comtesse manifeste une intransigeance répondant aux critères du temps, mais aussi 275 P. Aladjidi, « Les espaces du don au Moyen Âge », op. cit. 276 On les observe dans les comptes des gruyers, de la part du gardien puis du conseil durant les années 1370. 277 P. Aladjidi, Le roi, père des pauvres, op. cit., p. 46. 278 ADCO B 485 bis, fol. 57. 279 B. Schnerb, « La piété et les dévotions de Philippe le Bon, op. cit.

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un certain louvoiement lié aux changements dans la politique royale, encore qu’elle anticipe nettement le durcissement de la fin du XIVe siècle, surtout vis-à-vis des Juifs. Saint Louis représente sur ce point un modèle de sévérité auquel les rois suivants ont tenté de se conforter tout en apportant à l’occasion quelques correctifs. La tendance est dans l’ensemble à la dégradation du statut de communautés considérées comme protégées mais totalement soumises au bon vouloir de l’autorité. On ne trouve aucune indication de mesures spécifiques dans les terres du royaume, notamment en Artois, ce qui peut s’expliquer par une absence des Juifs suite aux expulsions royales du début du XIVe siècle, qui ont d’ailleurs conduit certains d’entre eux à partir dans le Comté de Bourgogne280. Dole, Poligny, Baume-les-Dames281, plus encore Gray et Vesoul abritent quelques familles juives. Défendus par Mahaut, proche d’Héliot de Vesoul, qui est par ailleurs un de ses créanciers, les Juifs subissent une tentative d’expulsion de Philippe V en 1321, mesure vite oubliée après sa mort par Jeanne et Mahaut. La Peste de 1348 va en revanche entraîner le déchaînement d’une violence extrême sur les Juifs, poussant Eudes IV à les faire arrêter et bannir « pour ce que l’on ne les tuest et deroubest ». Le 29 avril 1349 Jeanne de Boulogne décide de nouveau l’expulsion conjointe des Juifs et des Lombards282. L’application de cette mesure a été questionnée, même si on ne trouve pas de traces de leur présence dans les années suivantes283. Face à ces héritages, l’attitude de Marguerite est ambigüe. Elle passe parfois pour l’instigatrice d’un durcissement ayant conduit Jean le Bon à décréter l’expulsion des Juifs et des Lombards du comté en 1350, une affirmation relayée sans preuve précise, tout comme celle d’une expulsion généralisée à son avènement en 1361284. Les sources disponibles donnent une vision plus complexe, au gré d’un contexte mouvant. En 1362, le roi décide en effet de mener dans le royaume et le duché une politique plus ouverte, qui semble avoir inspiré la comtesse285. En effet, le 9 juillet 1371, Marguerite octroie sa sauvegarde aux Juifs du comté. Ce document important n’est d’ailleurs pas signalé dans l’étude de Gauthier sur les Juifs de Bourgogne286. Il est à rapprocher de l’ordonnance prise par le roi en mars 1361, qui comporte une limite de durée et une imposition, et fait suite à une demande d’un Juif comtois, Manecier de Vesoul, chargé de la collecte de la taxe montant à 14 florins, dont 7 la première année. Ce document avait été confirmé en 1370 par Charles V à la demande du même Manecier, « procureur général » des Juifs de langue d’oïl, puis d’une autre ordonnance de juillet 1372 dans le même sens.

280 J.-B. J. Crestin, Recherches historiques sur la ville de Gray, Besançon, 1788. 281 C. Thuriet, « Étude historique sur le bourg de Rougemont (Doubs) », Mémoires de la société d’émulation du Doubs, 5e série, 1er volume,1876, p. 197-290. L’auteur évoque un acte de rappel des Juifs dans le nord du comté vers 1377, qu’il attribue à Philippe le Hardi. 282 L. Gauthier, « Les juifs dans les deux Bourgognes », op. cit. ; P. Gresser, La Franche-Comté au temps de la guerre de Cent Ans, op. cit., p. 377. 283 R. Kohn, Les Juifs de la France du Nord dans la seconde moitié du XIVe siècle, Louvain, Paris, 1988, p. 10. 284 J.-B. J. Crestin, Recherches historiques sur la ville de Gray, op. cit. 285 L. Gauthier, « Les juifs dans les deux Bourgognes », op. cit. 286 Ibid.

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C’est dans ce contexte que Marguerite donne sa sauvegarde de 1371287, qui est loin d’être le décalque des mesures royales, car elle présente des privilèges supérieurs : la comtesse protège les Juifs contre toute oppression, violence ou nouvelleté pour 12 ans, contre 8 florins par feu la première année, suivis de 4 l’année suivante. La somme est inférieure à celle exigée par le roi. Marguerite accorde encore aux Juifs comtois d’être quittes d’ost, de chevauchée, de garde des villes et châteaux. Elle les autorise à commercer, à prêter sur gages et sans gages, par lettres et sans lettres, et « faire leur profit ainsi que bon leur semblera ». Leurs débiteurs peuvent être contraints à payer par lettres scellées des sceaux de la comtesse. Leur est en revanche interdit de recevoir pour gages ornements de maison, armures des hommes de la comtesse ou de ses gens. Ils bénéficient en revanche des privilèges des bourgeois dans leurs villes, et répondront non pas devant le prévôt ou le maire mais directement devant le bailli, et ne pourront être arrêtés que s’ils ont commis des méfaits. Disposant des privilèges des Juifs d’Empire, ils peuvent posséder écoles et cimetières, acheter et vendre des biens immobiliers, hormis les fiefs. Enfin, ils sont autorisés à circuler dans toute la baronnie et comté de Bourgogne288. Cette mesure n’est motivée en aucune manière, chose rare pour un acte ayant une portée sur tout le comté. La motivation fiscale est cependant évidente, peut-être aussi la nécessité de revivifier un pays exsangue, motivations qui furent également celles de la monarchie à la même époque289, notamment en facilitant les échanges et le crédit. Par rapport à l’ordonnance de 1361, les parallèles sont d’ailleurs nombreux : fiscalité, droit d’employer des lettres scellées des autorités princière, clause sur l’acquisition de biens immobiliers ou lieux « pour leurs corps enterrer ». Mais la référence au statut des Juifs d’Empire est ici mise en avant, et les droits de propriété bien plus vastes. Il n’y a pas non plus de restriction sur les taux d’intérêt. Au total, c’est un statut très protecteur qui évite notamment aux Juifs de faire les frais d’une justice trop locale, la protection comtale s’exprimant directement par le bailli. Pourtant, la comtesse ne tient pas promesse. Arrivée à Salins lors de sa tournée « réformatrice » en Bourgogne en 1374, elle répond le 26 septembre aux plaintes formulées contre les Juifs par les chapitres de Saint-Anatoile, Saint-Michel et SaintMaurice, les curés de Saint-Anatoile, Sainte-Marie, Saint-Jean, Saint-Maurice, les prieurs de Sainte Marie-Madeleine, Saint-Nicolas, ainsi que les Franciscains et le grand hôpital sous Bracon. Tous dénoncent les atteintes commises contre les Chrétiens de la ville par les « très vils et très perfides Juifs ». Les clercs réclament une expulsion complète et sans retour290, promettant à Marguerite une messe anniversaire solennelle. La comtesse accepte. Cette fois, l’opposition est totale avec la monarchie qui en octobre 1374 prolonge jusqu’en 1397 les privilèges de 1361 qui devaient s’éteindre en 1387. On s’est interrogé

287 R. Kohn, Les Juifs de la France du Nord dans la seconde moitié du XIVe siècle, op. cit., p. 4. 288 ADCO B 485 bis, fol. 17. 289 R. Kohn, Les Juifs de la France du Nord dans la seconde moitié du XIVe siècle, op. cit., p. 3-54. 290 ADD B 404.

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sur le motif de cette demande au roi, formulée encore par Manecier291. La décision de Marguerite de France a probablement beaucoup inquiété les Juifs de France et du duché : Philippe le Hardi répond d’ailleurs à l’inquiétude par des mesures prises pour le duché dès le 31 décembre 1374, contre redevances292. On observe alors un afflux de Juifs à Paris en 1375, notamment de Vesoul293. Faut-il ici opposer une Capétienne réactionnaire à des Valois progressistes ? En vérité, Marguerite a anticipé le retournement. Si Charles V s’avère constant dans sa protection, le sort des Juifs se dégrade avec Charles VI, suivi par Philippe le Hardi qui, plus mesuré, finit par suivre le mouvement d’expulsion en 1394. Nous sommes en revanche bien moins renseignés sur son attitude vis-à-vis de l’hérésie ou de l’Islam. La défense de la foi passe pour les princes par le combat contre diverses formes de déviance, de la sorcellerie à l’hérésie ; depuis Saint Louis la tendance à une récupération par les justices laïques des crimes de lèse-majesté divine est forte. Un épisode témoigne d’une rigueur certaine de la comtesse : en 1365, un « hermite » mis à la prison de Saint-Omer suscite l’attention de la comtesse qui le fait mener devant elle à Béthune ». Visiblement, la rencontre se passe assez mal : « lequelle hermites fu ars en le dite ville de Bethune »294. Prenant exemple sur Saint Louis, les filles du sang royal sont des promotrices de la Croisade à l’instar de Mahaut295. On sait que nombre de nobles comtois sont partis reprendre Gallipoli aux Turcs en 1366 avec Amédée VI de Savoie, venu aider son cousin Jean V Paléologue, fils de Jeanne de Savoie. La comtesse semble soutenir cette expédition : elle fournit son appui logistique à un « chevalier » envoyé par « l’empereur de Constantinoble » dont elle règle les dépenses à Paris et en Artois296. Ce chevalier rejoint ensuite Louis de Male en Flandre. En 1374 la comtesse valide une transaction impliquant une rente à Salins entre le seigneur de « Prusilloy »297 Regnaud de Tranclay, et Tristan de Chalon, expliquant que le requérant était « venant du viage d’outremer », ce qui semble avoir incité la comtesse à accepter cette opération immobilière réalisée initialement sans l’accord des agents comtaux298. La comtesse témoigne enfin de son soutien aux Hospitaliers par une transaction datée du 15 juin 1372, sur conseil de son fils. Alors que le chapitre général de l’ordre est assemblé à Paris, Marguerite rachète le droit des reliefs de fief en Artois, détenu par l’Ordre, contre une rente de 133 lb 6 s 8 d parisis, afin de mieux connaître les services dus par ses fieffés299. Les reliefs de fiefs de Flandre avaient été cédés à l’ordre du Temple au XIIe siècle, l’Artois étant alors intégré au comté ; ils étaient passés aux

291 R. Kohn, Les Juifs de la France du Nord dans la seconde moitié du XIVe siècle, op. cit., p. 37 292 Ibid. 293 R. Kohn, « Les Juifs de Paris (1359 ?-1394) ; problème de topographie urbaine », dans, Proceedings of the seventh world Congress of Jewish Studies, éd. Y. Gutman, Jérusalem, 1980, p. 1-8. 294 ADN B 15785. 295 A.-H. Allirot, Filles de roy de France, op. cit., p. 345. 296 ADPDC A 720. 297 Prusly près de Montbard ? Prusly-sur-Ource, près de Châtillon-sur-Seine ? 298 ADCO B 485 bis, fol. 15 et ADD B 214. 299 ADCO B 485 bis, fol. 25.

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Hospitaliers au XIVe siècle. Louis de Male avait racheté les fiefs de Flandre en 1365, faisant dresser une longue liste des fiefs300. Marguerite dut s’en inspirer, faisant peut-être rédiger un document similaire. Ce soutien était donc limité et intéressé. Prébendes, privilèges et soutien politique : les rapports à la papauté

En un temps de promotion de l’autorité pontificale et de centralisation des prébendes et dispenses, il est également indispensable de saisir les liens unissant la comtesse à la papauté. Certes, la faiblesse de la présence comtoise et duchoise à la cour pontificale est connue301 en dehors du cardinal Androin de la Roche actif entre 1342 et 1378, proche de Gui de Boulogne. Deuxième fils de Jean, comte de la Roche et de Marguerite de Neufchâtel, il se trouve lié à nombre de personnages influents du comté (Montbéliard, Neufchâtel…). Mais il ne figure guère dans l’entourage de la comtesse. Si l’influence du cardinal de Boulogne est considérable au sein de la cour pontificale auprès du roi comme dans le clan bourguignon, ce prélat n’est pas proche de Marguerite de France mais d’une rivale, Jeanne de Boulogne. Gui de Boulogne comme le cardinal de la Roche figurent ainsi parmi les exécuteurs testamentaires de Philippe de Rouvres mais ne passent pas au service de Marguerite. La comtesse utilise d’autres leviers, associant ses demandes à d’autres personnalités laïques comme son fils : le 17 février 1371 la papauté traite ainsi des demandes de la comtesse d’Artois, de son fils et de Marguerite de Brabant, puis du doyen de Saint-Donatien de Bruges302. Il faut également insister sur l’influence certaine de Charles de Poitiers, la famille des comtes de Valentinois pesant lourdement à Avignon. Marguerite peut surtout compter sur l’appui royal. La proximité de Marguerite avec les Valois n’a pu que faciliter ses rapports avec les papes d’Avignon. Cette convergence de vue s’est concrétisée dans l’action diplomatique menée par la papauté, Charles V et la comtesse et qui aboutit au mariage de 1369. De fait, les privilèges affluent en faveur de la comtesse dès 1329, puis encore en 1342-1345. Son nom est un des plus fréquents dans les suppliques à Innocent VI concernant la Belgique, et les privilèges et prébendes qu’elle reçoit montrent l’efficacité de ces demandes. Enfin, elle dispose d’un levier économique. La cour d’Avignon nécessite des importations en céréales depuis la Provence mais aussi la Bourgogne. Le pourvoyeur de blés en Bourgogne, Jean Rousset, y achète durant 37 ans blé, poisson, vin et draps303. Nommé en 1371, il paie ces achats avec l’argent provenant des collecteurs pontificaux. Il se heurte parfois à la rapacité ou à l’inquiétude des agents locaux, notamment Jacques Reboul, prévôt de Gray304, qui considère que ces exportations perturbent

300 ADN B 3679. 301 P. Jugie, « Les liens privilégiés de quelques cardinaux avec les duché et comté de Bourgogne dans la seconde moitié du XIVe siècle », dans L’Eglise et la vie religieuse, des pays bourguignons à l’ancien royaume d’Arles. Publication du Centre Européen d’Études Bourguignonnes, Neuchâtel, 2010, p. 41-52. 302 Lettres secrètes et curiales du pape Grégoire XI (1370-1378) relatives à la France, op. cit., t. 1, n° 580 à 583. 303 J. Favier, Les papes d’Avignon, Paris, 2006, p. 354. 304 Lettres secrètes et curiales du pape Grégoire XI (1370-1378) relatives à la France, op. cit., n° 1709, 1847 et 1964.

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l’approvisionnement intérieur305. Grégoire XI sollicite donc la comtesse pour importer du blé du comté, le 16 octobre 1374 « pro usu palatii apostolici », et encore en avril et septembre 1375 via Jean Rousset, devenu chanoine de Chalon-sur-Saône, et Pierre Chapuis, chanoine de Besançon. Cette politique du grain n’est pas à négliger. On peut mesurer concrètement l’efficacité de ces leviers en octobre-décembre 1379, moment où leur mécanique s’éclaire par un compte de voyage : Marguerite envoie Jean Blarye à Avignon306 porteur de « deux escarlatez [vermeilles] qui furent par madite dame envoyees a nostre dit saint pere », d’un gobelet d’or et une aiguière, de cadeaux pour « l’abbreviateur », et le « grossaire ». Blarye vient obtenir des « bullez des graces qui eust esté faites a madite dame ». La moisson est excellente : 62 lettres « bulléz », notamment une lettre d’« absolution de madame », coûtant 2 florins, qu’on est tenté de rapprocher des violences commises contre les Arrageois, voire contre un des huissiers royaux. On note une lettre des « indulgences de la petite messe », une autre des « indulgences a ceulx qui prient pour elle », une troisième des « indulgences a ceulx qui sont es predicacions », ainsi que 28 prébendes, 14 dignités et une lettre pour « XVI familiers de madame pour avoir leurs gros fruis », à 1 florin la lettre.

Conclusion : une piété flamboyante, à la fois personnelle et politique. La connaissance que nous avons des dévotions de la comtesse est assurément incomplète. Elle peut néanmoins être appréciée dans la mesure où elle a donné lieu à un effort de mise par écrit destiné à lui assurer une pérennité, caractéristique propre à l’enjeu dévotionnel comme aux exigences politiques de la construction d’une memoria. Les donations font l’objet d’un soin archivistique remarquable, beaucoup étant enregistrées dans les registres aux chartes. On peut y voir, bien entendu, une volonté de noter tout ce qui porte atteinte au domaine. Mais il faut comprendre que ces fondations et dons, assortis de promesses de prières et de messes représentent un patrimoine spirituel dont il faut noter l’exactitude pour l’éternité avec un souci comptable et conservatoire. Reste une inconnue de taille : le testament de 1354 a pu être modifié ou complété, ce qui serait logique au vu des nombreux changements dans son statut et dans son entourage. Certains documents ont été parfois indexés comme « testaments », mais il s’agit de confirmation dont on ignore s’ils concernent le premier ou un autre : ainsi d’une lettre par laquelle Louis de Male confirme « l’ordenance du testament ou darraine volenté » de sa mère, lettre datée du 9 juin 1365307 dans une version, mais du 9 juin 1381 dans une autre, moment où la santé de la comtesse s’était dégradée308. 305 A. Le Roux, « Les collecteurs pontificaux, des curialistes non résidants », dans Église et État, Église ou État ? Les clercs et la genèse de l’État moderne, éd. C. Barralis, J.-P. Boudet, F. Delivré et J.-P. Genet, Paris, Rome, 2014, p. 199-214. 306 ADPDC A 771. 307 ADN B 1566, fol. 28r. 308 BN NAL 2299, n° 48.

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Malgré ces incertitudes, les traits saillants de la piété de Marguerite sont nets : concernant les fondations et l’aumône, dominent le soutien aux hôpitaux, aux Franciscains et aux Chartreux. Les dévotions de Marguerite valorisent assurément Saint Louis, saint Michel et plus largement les anges, si importants au XIVe siècle, saint Louis d’Anjou, la Vierge Marie et la Vraie Croix. Cette piété correspond aux grandes évolutions du XIIIe-XIVe siècle, qu’il faut cependant appréhender à travers la condition particulière de la comtesse, dont la vie et l’identité correspondent à un feuilletage complexe, dont sa foi est pour partie la traduction. Jouent simultanément les différents ancrages dynastiques, la relation à l’époux, l’individualité, et pour partie les enjeux relatifs à son sexe. Encore ne faut-il pas noircir le trait sur ce point. On ne saurait négliger l’importance des usages dynastiques et aristocratiques, qui ne sont pas tous, loin de là, « genrés », ni spécifiques aux veuves. Le rôle des femmes dans la construction de la mémoire familiale est indéniable dans la haute noblesse et chez les princesses du sang royal : sur ce plan la comtesse a joué un rôle majeur309. Mais le détail de ses dévotions ne peut toujours être lu sous ce prisme. Marguerite de France témoigne parfois dans ses donations et fondations d’une habitude plus propre aux rois qu’aux reines : on a ainsi souligné que les rois étaient surtout soucieux dès le XIVe siècle de doter des hôpitaux, tandis que les reines étaient restées plus favorables aux dons à des catégories de pauvres310. Le testament de la comtesse se rattache assurément à la première tendance, tandis que son comportement quotidien démontre qu’elle n’en oublie pas les pauvres rencontrés au jour le jour. Et si parmi eux les veuves et femmes enceinte ont son attention, c’est aussi le cas des hommes aveugles ou infirmes. Quant à son intérêt pour les béguines, il se retrouve chez son mari. La piété des époux mérite d’ailleurs d’être rapprochée plus que distinguée. Le testament du comte présente des similarités, valorisant le Nivernais et les Franciscains : outre 1 000 lb données à des pauvres, il mentionne comme choix de sépulture la cathédrale de Nevers devant l’autel de Sainte Marie, s’il meurt en Nivernais ; l’église des Franciscains aux pieds de son père, s’il meurt à Paris. Que de similitudes ! Enfin il laisse à ses exécuteurs testamentaires le choix de diverses fondations sur des églises en Flandre et Nivernais. Parmi ses exécuteurs, la présence d’un théologien dominicain, frère Pierre de Baume ou de Palma, signale une différence avec Marguerite, mais il s’agit d’un comtois comme Guillaume d’Auxonne311. La proximité de Louis avec les Franciscains se lit encore dans le fait qu’une de ses sœurs bâtardes soit Clarisse à Bruges312. Son confesseur est d’ailleurs en 1346 un Franciscain, probablement yprois313 Vincent Nachtegale, que Marguerite apprécie : elle est présente lorsque Louis de Male lui octroie une rente de 40 lb par an en 1348, en vertu du testament de son père314.

309 A.-H. Allirot, Filles de roy de France, op. cit., p. 24. 310 P. Aladjidi, Le roi, père des pauvres, op. cit., p. 137. 311 ADN B 451. 312 ADN B 1565. 313 Comptes de la ville d’Ypres de 1267 à 1329, op. cit., t. 2, p. 16 et 177. 314 ADN B 1595, n° 2, fol. 61.

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La volonté de multiplier les anniversaires, les messes et les prières contre des amortissements, des aumônes, des dons de tuiles, de bois, de vin, ou des fondations plus durables sont caractéristiques d’une époque où la piété est marquée par l’accumulation. Rien de très « féminin » : son mari avait déjà procédé ainsi lorsqu’il avait accordé un privilège de sauvegarde aux béguines d’Yzendyck, l’associant d’ailleurs aux prières315. On aimerait ici introduire de l’ambivalence dans le regard du XXIe siècle sur le Moyen Âge. Si la figure de la Vierge Marie est associée à la maternité, elle dépasse le public féminin ; même sainte Marguerite, associée à la protection des femmes enceintes, jouit d’une aura plus large. À l’inverse, Saint Michel emprunte certes à une figure martiale mais aussi à celle de l’ange facilitant l’accès au salut. Concernant le culte des saints « royaux », il est d’abord lié à l’ancrage dynastique. Bien entendu, le souci de la mémoire et du salut de son mari est réel chez les veuves, mais il s’inscrit dans une forme de piété qui valorise au moins autant les parents et les princes ayant précédé la comtesse dans ses terres. Marguerite ne porte pas que le deuil de son mari : la vague de mortalité l’a profondément affectée, qu’il s’agisse de ses proches morts au combat ou de maladie, ou de ses sujets décimés par la Peste. Attention également au mirage de la veuve austère. Lorsqu’on dispose de quelques éléments sur la période antérieure à 1346, qu’il s’agisse d’aumônes, de relations avec les Clarisses, des demandes de privilèges aux papes, on note que beaucoup de pratiques sont déjà bien ancrées. De même, l’intérêt pour les couvents de religieuses n’est pas réservé aux femmes : celui de Longchamp est ainsi fréquenté par son père. Mais il est vrai que la comtesse se rapproche sensiblement davantage des Chartreuses de Gosnay que des Chartreux dans les années 1370. En outre, le veuvage lui apporte de la liberté, et une autonomie financière : après 1346, Marguerite semble gagner en autonomie et investit davantage dans son salut. Les principales fondations sont toutes postérieures à la mort de Louis de Nevers. Cela peut cependant être un effet des sources : certaines fondations chez les Chartreux semblent avoir été réalisées conjointement avec son mari, mais le fait est que les documents vont dans ce sens. Si le veuvage favorise une piété plus libre, c’est cependant surtout l’héritage des comtés d’Artois et de Bourgogne qui permet sa traduction sonnante et trébuchante. Le seul testament connu est daté de 1354, mais les grandes fondations au Mont-Roland et à Saint-Denis sont de 1363, suivies de Bruges en 1367 et enfin Bapaume et Arbois en 1382. Les finances sont ici un facteur majeur. Vécue dans un cadre curial où la comtesse entend donner l’exemple, cette piété est autant privée que publique : la comtesse encourage ses familiers sur un certain chemin du salut, valorisant les fondations et les vocations et en lien avec l’idéal franciscain. Son action se fait même politique tant le modèle de la charité s’applique aux rapports avec les sujets et à la pratique d’un « gouvernement par la grâce »316. Donner au gré des chemins, au château, dans les villes et les couvents, c’est également dominer l’espace, rappeler le lien avec les fondations comtales, et réactiver l’amour avec des sujets soumis à de rudes épreuves. La comtesse cherche à être présente, y compris

315 ADN B 1562, fol. 89r. 316 Suppliques et requêtes : le gouvernement par la grâce en Occident, éd. H. Millet, Rome, 2014.

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lors de fondations, qui sont tout sauf des actes administratifs impersonnels. L’espace vécu est aussi un espace spirituel, reliant la comtesse à des églises, des reliques et des saints, à une mémoire familiale, dynastique, mais aussi personnelle marquée par des évènements marquants : chapelles castrales d’Hesdin ou Gray pour sa grand-mère et sa mère, église abbatiale de Saint-Denis pour son père, église Saint-Donatien de Bruges pour son époux, église franciscaine de Nevers pour son fils. Marguerite privilégie d’ailleurs les lieux de son enfance et ceux où elle a été très tôt la « dame naturelle » qu’elle associe à sa jeunesse et à une longue fidélité. Ses dernières fondations concernent ses premières possessions : Arbois et Bapaume. Les longues absences en Nivernais et Franche-Comté posent d’ailleurs un problème politique, mais le réseau de fondations entretient une présence comtale par ses distributions, ses paiements, la célébration de messes en présence de ses armoiries, présence destinée à perdurer dans une autre forme d’absence, la mort. Ces dévotions s’inscrivent dans des filiations. Celle qui la relie à la royauté française est sans doute importante, que ce soit par le choix d’une sépulture dionysienne, par la nature de ses fondations dans la promotion du culte de Saint Louis. Marguerite pratique bien l’imitatio regis. Mais sa piété n’est pas que celle d’une « fille de roy de France ». La mémoire maternelle est importante, associant autant Mahaut que Jeanne de Bourgogne, dont Marguerite entend poursuivre et achever l’œuvre en Artois comme en Bourgogne, comme elle le fait d’ailleurs avec Philippe de Rouvres. Il ne s’agit pas seulement d’exalter les ancêtres mais bien la perpétuation de l’autorité comtale. Marguerite intègre aussi l’ancrage dévotionnel du lignage de Louis de Nevers, tout particulièrement en Nivernais, mais aussi en Flandre. Elle tisse ainsi des liens visibles et invisibles entre elle et ces terres. Dans ces traditions variées, se lit d’ailleurs une convergence : les dispenses pontificales sont partagées par un milieu aristocratique large, les pratiques funéraires ou fondatrices se rejoignent bien souvent. La comtesse contribue encore une fois à une acculturation entre espaces politiques princiers, mais n’en est pas l’instigatrice, en particulier entre Artois, France et Bourgogne. Le rapprochement avec la Flandre est sans doute plus propre à son temps, mais peut déjà se lire chez Louis de Nevers éduqué en partie à Paris. S’il fallait retenir une figure dévotionnelle, ce serait celle de saint Michel, auquel Marguerite associe son tombeau mais aussi ses sceaux, élément essentiel de reconnaissance de son autorité, démontrant combien la foi est en effet un élément majeur de cette construction de soi et plus encore d’une communication forgeant une identité complexe et hybride, singulière tout en répondant à une stricte grammaire sociale.

Chapitre 16 

Conscience de soi, communication et mémoire La construction d’une identité Fille d’une victime collatérale de l’affaire des brus du roi, Marguerite de France a très tôt appris à maîtriser les enjeux relatifs à l’image et à la réputation. Réceptive à l’argument de l’honneur et du blâme, elle est d’ailleurs interpellée sur ce terrain par ses conseillers dès les années 1330 en raison d’un risque de faillite. Pour lui faire réduire son train de vie, l’argument est tout trouvé : « car a ce que les choses sont, vous ne le povez plus faire pour honneur et se bien le povies si em parle on de blasme de vous »1. Comme toute personne publique, la comtesse a intégré l’idée que son influence dépendait aussi de sa capacité à répondre aux attentes formulées par la littérature didactique de son temps et relative aux « preudes femmes », capables de tenir leur corps et leur honneur. Modestie et élégance, intelligence et empathie, tout est affaire d’équilibre et le faux-pas n’est jamais loin… Bien que la force physique ne soit guère valorisée chez les dames, on attend d’elles une rigueur et une force d’âme et de caractère. Comme les princes, les princesses disposent d’une personnalité publique et juridique qu’il faut faire reconnaître en employant le vocabulaire et les symboles admis par les autres pouvoirs, en se coulant dans des modèles connus dont la transgression doit être bien réfléchie. La question se pose notamment pour les femmes d’une capacité à se définir par leur action et non leur appartenance à un lignage et leurs rapports aux hommes2. Sur ce point, aucun doute n’est permis. Marguerite a construit sa réputation sur des actes, nous l’avons vu, en particulier face au danger. Elle a également bâti l’image d’une dévotion impeccable et d’une grande largesse. Elle dispose enfin d’autres marqueurs pour affirmer son identité, son statut et son rang via une communication reposant sur la titulature, l’héraldique ou la sigillographie, mais aussi les textes. Il s’agit ici de saisir la manière dont la comtesse a été reconnue, identifiée, et si possible d’y lire des stratégies de communication.

1. « Marguerite, fille de roy de France, contesse de Flandres, d’Artois et de Bourgoingne » C’est à partir de sa titulature que la comtesse se donne d’abord à connaître, en particulier à tous ceux qui ne peuvent la voir mais sont destinataires de ses lettres. Cette titulature répond à une codification complexe qui témoigne de l’identité construite de la comtesse.

1 ADN B 1569, fol. 71v. 2 D. Lett, Hommes et femmes au Moyen Âge, op. cit., p. 56.

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L’art de se présenter constitue un élément essentiel de l’identité sociale, transmettant l’appartenance à un lignage, à un milieu. Il est d’abord fonction du nom, nomen proprium qui véhicule le souvenir d’ancêtres pieux, relie à un saint, rattache aux parents et aux parrains qui l’ont choisi. Nommer un enfant princier est un acte important, qui répond à des règles non écrites et témoigne de stratégies familiales mêlant intentions politiques, volonté d’honorer certains parents et pratiques dévotionnelles. Anthroponymie et héraldique tiennent un discours sur la parenté, la transmission de biens, et les valeurs auxquelles adhère la famille. La possibilité d’une transmission des prénoms féminins et des signes d’identité par voie féminine existe3. Ce n’est pourtant pas le cas ici. Le prénom Marguerite témoigne de la domination paternelle, liée à l’inégalité entre le sang capétien du père et le lignage artéso-comtois de la mère. Les prénoms féminins du côté de Jeanne de Bourgogne sont surtout Alix, Jeanne, Blanche (filles de Mahaut et Othon), Mahaut, Amicie (mère de Mahaut), Adélaïde (mère d’Othon). La seule Marguerite est la sœur d’Othon IV, donc pas une ancêtre directe. On ne trouve pas non plus d’Isabelle. Les prénoms des filles de Philippe V et Jeanne correspondent en revanche parfaitement aux usages capétiens : les prénoms Isabelle, Blanche et Marguerite ont déjà été donnés par Saint Louis et Marguerite de Provence. Philippe III et Marie de Brabant ont deux filles, Marguerite et Blanche ; Philippe IV et Jeanne de Navarre une fille, Isabelle… Marguerite porte donc d’abord le prénom de sa trisaïeule Marguerite de Provence, épouse de Saint Louis. Le prénom est évidemment insuffisant, surtout que celui de la comtesse est très fréquent, et qu’elle le partage avec sa bru et sa petite-fille. À ce titre la titulature constitue un élément clé de l’identité fondé sur des considérations politiques et sociales4. Celle de Marguerite change au gré de son statut et de ses titres (tableau 27). La titulature débute presque toujours par la mention « fille de roy de France », qui n’est pas un titre mais se retrouve presque toujours après le nom, hormis sur le premier petit sceau, malgré les changements de titre. Cette mention maintient ce lien avec la couronne et le sang royal. L’expression est due à une évolution récente parmi les descendants de Saint Louis : d’abord les fils de roi puis, à l’époque des derniers Capétiens, les filles de roi de France5. La référence au lignage du père est de toute manière forte chez les femmes mariées en-dessous de leur rang social. Les filles de Philippe V peuvent donc s’intituler « fille du roy de France », mais aussi « fille de roy de France », ce qu’elles font toutes, y compris Blanche de France6. C’est cette dernière appellation, dont le « de » évoque une catégorie abstraite et pas un lien avec un roi particulier, qu’utilise Marguerite jusqu’à sa mort.

3 J.-L. Chassel, « Le nom et les armes : la matrilinéarité dans la parenté aristocratique du second Moyen Âge », Droit et cultures. Revue internationale interdisciplinaire, no 64, 2012, p. 117-148. 4 A.-H. Allirot, Filles de roy de France, op. cit., p. 51. 5 A. W. Lewis, Le sang royal : la famille capétienne et l’État, France, Xe-XIVe siècle, Paris, 1986. 6 A.-H. Allirot, Filles de roy de France, op. cit., p. 65.

co n s c i e n c e d e s o i , co mmu ni cat i o n e t mé mo i re Tableau 27. papier et en ligne. Les variations de la titulature de Marguerite de France

Titulature

Début Fin Source d’utilisation d’utilisation

Date de l’exemple

MARGUERITE : CO(n)TESSE . D(e) . FLANDRES . Z(=et) . D’(e) . NEVERS.

Avant 1325 ?

1328 voire 1361

Premier petit sceau

Gravé vers 1325 ?

« MARGARETE . FILIE . 1329 ? R/EG(is). FR/ANC(ie) COMITISSE . FL/AND’(rie) . N/ IVERN’(ensis) . ET REGISTE(n) S(is) »

1361

Premier grand sceau

Gravé vers 1329

MARGARETE F(ilie) REG(is) FRANCIE CO(m)ITISSE FLANDRIE

1382

Gravé vers Premier et 1329 deuxième contre-sceau

MARGVERITE FILLE DE ROY 1361 DE FRANCE CONTESSE DE FLANDRES DE NEVERS ET DE RETERS

1361

Deuxième petit sceau

Gravé avant 1362

Marguerite, fille de roy de France contesse de Flandres, de Nevers et de Rethest

1328 au plus tôt

Après 1355

ADN B 1595, fol. 136v

1330

Marguerite, fille de roy de France, contesse de Flandres, d’Artois et de Bourgoingne palatine et dame de Salins

1361

1382

AMSO BB 1.20

19 septembre 1364

MARGVERITE FILLE DE ROY DE FRANCE CTESSE DE FLANDRES D’ARTHOIS ET DE BOURGOIGNE PALATINE ET DAME DE SALINS

1362

1382

Sceau rond armorié

Gravé après novembre 1361

MARGVERITE FILLE DE ROY DE FRANCE COTESSE DE FLADRES DARTHOIS ET DE BOURGOIGNE PALATINE ET DAME DE SALINS

1362

1382

Deuxième grand sceau

Gravé après novembre 1361

Marguerite, fille de roy de France, contesse de Flandres, de Nevers et de Rethest, dame de Bappaumes

Ponctuel

ADN B 1595, f 57v

Septembre 1347

Marguerite, fille de roy de France Ponctuel et de Navare, contesse de Flandres, de Nevers et de Rethest

AN JJ 77, fol. 172

1348

Marguerite, fille de roy de France, Ponctuel contesse de Flandres, d’Artois et de Bourgoingne et dame de Salins et de Roichefort

ADCO B 485 bis, fol. 55

13 octobre 1373

1329 ?

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Vient ensuite le titre de « contesse de Flandres » titre marital comme ceux de comtesse de Nevers et de Rethel. Il est avec le prénom le seul point commun à la totalité des titulatures même après 1346, ce titre étant toujours placé avant les autres. Il lui confère le statut de paire de France : c’est une des pairies les plus anciennes, la plus prestigieuse parmi les comtés. Marguerite est donc d’abord celle qui unit France et Flandre. Lorsqu’elle recourt à une forme abrégée sur ses contre-sceaux, elle fait graver « Sigillum Margarete, filie regis Francie, comitisse Flandrie », et ce jusqu’en 1382. Après ce noyau stable, qui se retrouve en héraldique, viennent des éléments plus mobiles : d’abord les comtés « annexes » de son époux, à commencer par Nevers. Marguerite a d’abord été uniquement comtesse de Nevers du 22 juillet au 17 septembre 1322, même si aucun document de cette époque n’en atteste. Dans son premier sceau connu, ce comté est en tout cas bien inclus : elle y est « Marguerite, comtesse de Flandre et de Nevers ». Après la mort de Jeanne de Rethel, et à l’imitation de son époux, elle complète la titulature du comté de Rethel pour aboutir à une forme stable de 1328 à 1361 : « Marguerite, fille de roy de France, contesse de Flandres, de Nevers et de Rethest », qu’on trouve en français sur son second petit sceau et en latin sur son grand sceau. L’ordre des comtés est hiérarchique : d’abord un comté-pairie, ensuite deux comtés secondaires rangés selon un ordre d’importance politique et peut-être d’ancienneté supposée, mais aussi d’après un usage diplomatique. L’ordre Nevers-Rethel se retrouve déjà dans la chancellerie flamande pour le père de Louis de Nevers, qui affiche son titre propre puis celui venant de sa femme. Le caractère secondaire de ces titres est flagrant puisqu’ils s’effacent après 1361, quand la comtesse hérite des comtés d’Artois et de Bourgogne. Jusqu’à sa mort on l’appellera ainsi : « Marguerite, fille de roy de France, contesse de Flandres, d’Artois et de Bourgoingne palatine et dame de Salins ». Alors que Marguerite est plus implantée en Nivernais, qu’en Flandre, elle conserve le seul titre de comtesse de Flandre : elle allège ainsi sa titulature pour valoriser les titres dont elle a hérités, tout en continuant à faire ressortir l’importance de la Flandre dans sa politique. Elle entend maintenir l’alliance franco-flamande, alors que se pose déjà la question du mariage de son fils puis de Marguerite de Male. Marguerite compte rappeler à tous, peut-être aussi à son fils, qu’elle n’oublie pas la Flandre, et signale son statut de veuve douairière. Elle adjoint bien entendu les deux comtés hérités en 1361, dans un ordre que l’on trouve chez Mahaut, Jeanne de France et Philippe de Rouvres. L’Artois vient en premier, renvoyant à la dignité d’un comté-pairie, et à la primauté du sang royal en tant qu’héritage de Robert, frère de Saint Louis. Le comté de Bourgogne et la dignité de « dame palatine » sont ainsi marginalisés : l’appartenance à l’Empire paraît bien secondaire. La titulature est complétée par la seigneurie de Salins, comme pour ses prédécesseurs ; elle est en effet rémunératrice et distincte du domaine comtal, quoique rattachée à lui par héritage. Cette titulature s’affiche sur la totalité des actes officiels, ainsi que sur le deuxième grand sceau et le sceau rond armorié. Ponctuellement, la comtesse adapte cette titulature déjà complexe en la rallongeant : en 1348 elle rappelle sa double ascendance royale française et navarraise, cas unique qui lui permet de réhausser sa dignité au moment où sa position est fragilisée. Rare,

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cet emploi se retrouve chez sa cousine Blanche, duchesse d’Orléans7. La mémoire de la double couronne de Philippe IV et de ses fils n’est donc pas totalement perdue. D’autres variantes sont liées à des mesures concernant une seigneurie particulière : très rares, elles concernent la châtellenie de Bapaume au temps où il s’agit de la principale terre en propre de la comtesse, rappelant ses liens avec l’Artois. L’autre occurrence renvoie à une seigneurie autonome annexée au domaine comtois, Rochefort. Faisant rédiger un acte pour cette seigneurie Marguerite se coule habilement dans le cadre seigneurial pour indiquer qu’elle agit comme dame légitime du lieu et non comme comtesse8. Reste à faire reconnaître ces titres. Sur ce point, une titulature complexe et changeante ainsi qu’un nom très répandu peuvent désarçonner certains chroniqueurs ou entraîner une certaine mauvaise volonté de la part de rivaux. La titulature est très vite adoptée par ceux qui doivent soumission à Marguerite : dès décembre 1361 les habitants de Saint-Omer l’appellent par sa titulature exacte et complète9. En revanche, en juin 1362 le roi la qualifie de « nostre tres chiere et amee cousin la contesse de Flandres et d’Artoys »10, préparant peut-être le terrain à la désignation impériale de Philippe le Hardi au comté de Bourgogne. Il en va encore ainsi en plein conflit entre les deux Bourgogne, en janvier 136411, alors que Charles V utilise la titulature complète. Hors des chancelleries, Marguerite de France est surtout « madame de Flandres », titre prestigieux lié à sa mission première, l’alliance des lys et des lions. Les villes de Flandre ne l’appellent d’abord que « miere vrouwen van Vlandren »12, même après Crécy13, au risque d’une confusion avec Marguerite de Brabant. On commence certes à voir apparaître « mire ouder vrouwen van Vlaendren », madame de Flandre l’ancienne, mais pas systématiquement14. De manière plus surprenante, Marguerite continue d’être appelée par ses officiers « madame de Flandres » dans les comptes de Bourgogne en 1363-136415, ou ceux d’Artois en 136216. Dans les comptes comtois, le phénomène perdure bien au-delà, sans doute pour partie entretenu par l’ordre de la titulature17. Ancel de Salins l’appelle encore en 1378 « ma tres redoubtee dame madame de Flandrez, contesse d’Artois et de Bourgoigne »18, expression qui montre le poids de l’ordre dans la titulature. L’ascendant pris par Marguerite de France sur le titre de comtesse de Flandre montre a contrario combien Marguerite de Brabant a eu du mal à se l’approprier ; son départ en exil en Rethélois n’y est pas pour rien. 7 A. Babeau, Le village sous l’Ancien Régime, Paris, 1891, p. 341. 8 ADCO B 1433. 9 AMSO, Registre au renouvellement de la loi, 6, fol. 23. 10 AN JJ 91 n° 344. 11 AN JJ 95, fol. 71. 12 Comptes de la ville et des baillis de Gand 1280-1336, op. cit., p. 339. 13 De rekeningen der Stad Gent, op. cit., p. 308. 14 Ibid., p. 417. 15 ADCO B 1415. 16 ADN B 15031. 17 ADCO B 1432 ; BN Fr. 8552. 18 ADN B 1288, n° 14564.

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Entre ces deux Marguerite, les auteurs du temps, comme probablement Louis de Male, choisissent la belle-mère dont l’influence est plus forte. En revanche, on l’appelle rarement « madame de Bourgoigne » : peu présente dans le comté, la comtesse laisse cette appellation à Marguerite de Male, toujours désignée ainsi dans les sources artésiennes, flamandes et bourguignonnes19, d’autant que celle-ci est duchesse de Bourgogne depuis son premier mariage en 1357. Lorsqu’un courrier est envoyé vers Paris par les officiers comtois, il apporte des lettres « a madame, a monseigneur de Bourgongne, a madame de Bourgongne ». Malgré tout, l’expression « madame de Bourgongne » finit par être attestée, discrètement, dans la comptabilité comtoise : en 1380 un courrier est envoyé « pour peller a madame de Bourgongne et a son conseil »20, remplaçant « madame de Flandres ». Il a fallu du temps et l’expression ne s’impose guère hors de ce cercle local. Progressivement, émerge une autre appellation, madame d’Artois, qui ne pose pas de problème de confusion à l’époque mais a pu en créer ensuite. Les Flamands finissent par l’identifier ainsi : les comptes gantois la désignent en 1377 comme « mier vrouwen van Artoys »21. Les sources artésiennes en font un usage massif aux côtés de « madame de Flandres », d’ailleurs plus rare qu’en Bourgogne. Dans leurs requêtes, ses sujets l’appellent d’ailleurs « madame de Flandres et d’Artoys »22, appellation reprise par ses « genz des comptes madame de Flandres et d’Artois estant a Arraz »23. L’expression « madame d’Artois » semble s’imposer dès 1361-1362 de la part des receveurs de Béthune24 et Saint-Omer25 et dans la plupart des documents de travail26. Sa présence massive en Artois conduit en somme à l’assimiler dans le nord à une autre « madame d’Artois », Mahaut. Et ce pour longtemps : l’inventaire des biens de Marguerite de Male en 1405 la désigne toujours comme « madame d’Artois », mère de « monseigneur de Flandre ». Les sources françaises la qualifient diversement : « Margarete […] filie quondam Regis Philippi Magni », insistant sur son lien avec la couronne et la dynastie capétienne ; comtesse de Flandre, madame la comtesse mère du comte, et bien souvent Marguerite de France, véritable patronyme l’inscrivant dans la maison de France. On en trouve mention dès 1349 en latin dans les journaux du trésor royal pour le paiement de sa pension, où il est adjoint à son titre de comtesse de Flandre : « comitissa Flandrie, domina Margareta de Francia »27. Ce lien se comprend évidemment dans le cadre du versement d’une telle pension. En août 1361, Charles de Poitiers l’appelle « tres

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ADN B 1567, fol. 54r. ADCO B 1458. De rekeningen der Stad Gent, t. 4, p. 73. ADPDC A 100, n° 1. ADPDC A 711. ADN B 14589. ADN B 15776. ADPDC A 711. Les journaux du Trésor de Philippe VI de Valois, op. cit., p. 80, 263, 286.

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haute, tres puissante et tres esxcellente dame madame Marguerite de France, contesse de Flandres, de Nevers et de Rethest »28. Néanmoins, pour la plupart de ses contemporains, elle est bien madame de Flandre, et de plus en plus madame d’Artois. On la distingue bien de sa petite-fille, guère de sa bru quelque peu écrasée, et de plus en plus on l’assimile au souvenir de Mahaut. Postérité et chroniques se rangeront à cette interprétation. On ne dispose en revanche pas de signature de la comtesse ; les dames signaient souvent de leur nom de baptême mais on ne saurait ici s’engager : pour authentifier ses lettres, Marguerite use de ses sceaux.

2. Les sceaux de la comtesse Capables de véhiculer des prétentions, une identité, chaque sceau est le fruit d’une mûre réflexion dosant tradition et innovation, d’autant que s’y déploie une certaine créativité au XIVe siècle29. Combinant figurations héraldiques et iconographiques, le sceau contribue à manifester l’identité des femmes de pouvoir et leur personnalité juridique30. Son caractère est plus personnel que le nom ou la titulature, sans échapper aux usages ni aux règles héraldiques. L’usage des sceaux s’est développé chez les princesses depuis le XIe siècle31. Marguerite de France hérite ici d’une tradition royale, mais aussi des usages des comtés de Flandre et de Bourgogne, qui avaient attribué plus tôt des sceaux aux grandes dames32. Depuis 1250, la tradition des sceaux de princesses royales les représente entourées par les armoiries du père et celles de l’époux, qui a souvent la place d’honneur, sur la droite de la princesse (côté gauche pour l’observateur). Mahaut associait sur son premier sceau en tant que comtesse de Bourgogne l’écu de son époux (Bourgogne-comté) à gauche, et celui d’Artois (nom de son père) à droite. Elle inverse l’ordre quand elle hérite de l’Artois en 1302, faisant passer Artois avant Bourgogne en titulature33. Dans le cas de Marguerite, le rôle du sceau est d’autant plus important qu’elle ne bat pas monnaie : il va reproduire ses armoiries à des milliers d’exemplaires, s’adaptant à sa situation (figure 35, chapitre 14, figures 42-47 dans le cahier couleur final).

28 ADPDC A 90. 29 M. Bubenicek, « “Et la dicte dame eust esté contesse de Flandres…” », op. cit. 30 L. Jarnot, Sceller et gouverner. Pratiques et représentations du pouvoir des comtesses de Flandre et de Hainaut (XIIIe-XVe siècle), Rennes, 2020, p. 38. 31 J. Roman, Manuel de sigillographie française, Paris, 1912 ; M. Gil, « Question de goût, question de “genre” ? », op. cit. 32 M.-A. Nielen, Corpus des sceaux français du Moyen Âge, t. 3, Les sceaux des reines et des enfants de France, Paris, 2011, p. 29. 33 A.-H. Allirot, Filles de roy de France, op. cit., p. 439.

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Fig. 42. papier et en ligne. Premier petit sceau de la comtesse. a, acte de 1330 (ADN B 471) ; b, acte de 1351. (ADN B 416, n° 7687).

Fig. 43. papier et en ligne. Deuxième petit sceau de la comtesse. Juin 1361. ADN B 757, n° 8662.

Fig. 44. papier et en ligne. Deuxième grand sceau pédestre de Marguerite de France. 1367. AMSO BB 200, n° 2.

Marguerite de France adapte ses sceaux à la modification de sa titulature et de son statut, donnant ainsi des éclairages sur la construction de cette identité, d’autant qu’elle recourt à plusieurs sceaux simultanément. Les changements de statuts de la comtesse ont conduit à l’adoption de deux armoiries, visibles dans les sceaux : un premier modèle franco-flamand correspond à sa titulature après 1322, le second plus complexe apparaît après 1361 quand elle hérite elle-même de l’Artois et de la

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Fig. 45. papier et en ligne. Sceau rond armorié à l’ange. 1364. ADPDC A 708.

Fig. 46. papier et en ligne. Premier signet de Marguerite de France. 1376. ADPDC A 763.

Bourgogne-comté. Il lui revient alors, en tant que chef d’armes, d’aînée du lignage, de porter les armes pleines. À ce titre, la transmission des armes aux femmes par défaut est un phénomène banal du XIVe siècle34. La complexité de ces sceaux témoigne du recours à des artistes de talent ; les princes recourent souvent à des orfèvres graveurs, mais ils sont ici anonymes, hormis pour le signet payé 6 lb en 1334-1335 à « maistre Jehan le faiseur de seauls », pour « sygnes de monseigneur et de madame »35. Cette commande commune avec celle du comte montre la nécessité pour la comtesse de recourir à un signet personnel alors qu’elle dispose déjà d’un grand sceau. Quant au graveur, si on aimerait y voir Jean Pucelle, actif dans ce domaine, il est peu probable que cet artiste déjà reconnu ait été ainsi qualifié… Reste éventuellement le tailleur de sceaux et orfèvre Jean de Tournai, actif auprès du roi et du duc de Bourgogne36 appelé en 1326 « Jehan de Tournay taillator sive scultor sigillorum »37. Une autre piste serait Jehan Bernard, actif en 1334-1337 en Flandre et présenté parfois comme l’artiste préféré de Louis de Nevers38. Enfin « Jehan le saieleur » ou « Jehan le seleur, ymagier » est un artiste à qui Mahaut a commandé plusieurs objets d’ivoire39. Peut-être est-il le graveur de ce sceau. Pour les sceaux postérieurs, on ne peut qu’avancer quelques hypothèses reposant sur le fait qu’un certain nombre d’orfèvres surtout établis à Paris, sont en lien avec de proches parents de la comtesse : Jean de Vaux, orfèvre parisien ayant fait le sceau du M. Nassiet, « Parenté et successions dynastiques aux 14e et 15e siècles », op. cit. AGR CC R 5. M. Gil, « L’enlumineur Jean Pucelle et les graveurs de sceaux parisiens », op. cit. J. Roman, Manuel de sigillographie française, op. cit., p. 361. A. Pinchart, Recherches sur la vie et les travaux des graveurs de médailles, de sceaux et de monnaies des Pays-Bas, Bruxelles, 1858, p. 68. 39 C. Dehaisnes, Documents et extraits divers, op. cit., p. 495.

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secret de Louis de Male ; Jean de Nogent qui grave en 1369 le sceau de Marguerite de Male ; Ghislain le Carpentier qui grave le sceau de Louis de Male devenu comte d’Artois en 1382 ; voire Jean Fovet qui grave des sceaux pour la Franche-Comté quand Philippe le Hardi en hérite40. Heureusement, nous pouvons nous appuyer sur les empreintes en les distinguant selon leur chronologie et leur type, notamment grands et petits sceaux, tout en mettant en lumière le rôle joué par un sceau rond d’un format intermédiaire et par divers signets d’un usage plus privé. Premier grand sceau et contre-sceau

Le premier grand sceau est en navette, caractéristique des sceaux de femmes de pouvoir ; de 82 mm sur 57, il est plutôt grand parmi les sceaux de comtesses de Flandre (fig. 35)41. Il est connu par un exemplaire du 1er juin 1337, très fragmentaire, par un dessin de Vredius42, ainsi que par une empreinte abimée du 21 mars 135643. Ce grand sceau au faucon donne à voir la comtesse en pied dans un décor gothique entouré d’une légende correspondant à sa titulature latine : MARGARETE . FILIE . R/EG(is). FR/ANC(ie) COMITISSE . FL/AND’(rie) . N/IVERN’(ensis) . ET REGISTE(n)S(is). Il a donc été réalisé après la mort de Jeanne de Rethel, datée de 1328. Louis de Nevers fait d’ailleurs réaliser en 1329 un nouveau grand sceau, y incluant la mention « ET REGISTEST ». Les deux ont pu être gravés conjointement pour la venue de la comtesse en Flandre, époque où on commence à trouver des lettres scellées par elle. Ce grand sceau représente Marguerite debout, tenant un faucon de la main gauche, accostée de deux écus : à gauche au lion de Flandre, à droite semé de fleur de lis. Le sceau pédestre montrant une dame tenant une fleur, plus rarement un oiseau, est très fréquent du milieu du XIIe à la fin du XIVe siècle44. La niche dans laquelle elle se tient est gothique, et surmontée de clochetons, décor qu’on trouve déjà sur le sceau de Jeanne de Navarre45 mais qui se complexifie au tournant du siècle sur les monuments funéraires et dans l’art précieux en Flandre, en Artois et chez les derniers rois Capétiens, en somme le milieu de Marguerite46. Le faucon reprend le motif ancien de la dame à l’oiseau, mais n’a guère d’équivalent chez les reines et filles de rois. En regard, le sceau de sa sœur Jeanne présente un aspect plus classique, avec un sceptre fleurdelisé, comme pour Mahaut ; celui de la duchesse d’Orléans ressemble bien davantage au 2e grand sceau de Marguerite, plus austère et proche du type classique47. 40 A. Pinchart, Recherches sur la vie et les travaux des graveurs de médailles, op. cit., p. 363. 41 L. Jarnot, Sceller et gouverner, op. cit., p. 48. 42 O. de Wrée, Genealogia comitum Flandriae a Balduino Ferreo usque ad Philippum IV Hisp. regem, Bruges, 1642, p. 50 ; R. Laurent, Les Sceaux des princes territoriaux belges du Xe siècle à 1482, Bruxelles, 1993, t. 1, p. 193. 43 AN J 205, n° 11. Moulage ST 8597 (fig. 35). M.-A. Nielen, Corpus des sceaux français, op. cit., t. 3, p. 201. 44 J. Roman, Manuel de sigillographie française, op. cit., p. 101. 45 M.-A. Nielen, Corpus des sceaux français, op. cit., t. 3, p. 39. 46 M. Gil, « L’enlumineur Jean Pucelle et les graveurs de sceaux parisiens », op. cit. 47 A.-H. Allirot, Filles de roy de France, op. cit., p. 606.

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On serait tenté d’y voir une note flamande : Jeanne de Flandre utilisait un sceau rond à cheval, où elle portait un faucon sur sa main gauche48. Ce motif fut repris par les descendants de sa sœur Marguerite de Flandre, notamment Robert de Béthune et Louis de Nevers. Un sceau réalisé avant la mort de son père le présente à cheval, tenant un faucon sur sa main gauche, accompagné d’un chien49. On le retrouve également côté « Nevers » sur le sceau de Mahaut de Bourgogne, comtesse de Nevers (1254-1262), avec une attitude déhanchée proche de celle de Marguerite50. Ce type pédestre au faucon est souvent utilisé par les épouses d’un lignage supérieur au mari comme Mahaut, tandis que le type équestre revient aux héritières du pays comme Jeanne51. La touche « personnelle » est donc difficile à cerner. Quant aux armes associant en deux écus celles du père et du mari, il s’agit d’un usage fréquent. Le premier contre-sceau rond de 38 mm (fig. 35) s’inscrit dans la même logique, comportant un écu mi-parti au 1 de Flandre et au 2 de France, dans un polylobe bordé de feston inscrit dans un polylobe brisé qui forme une étoile à six branche, décoré de motifs à fenestrage, au pourtour inscrit dans un cercle orné d’une frise de quintefeuilles52. Sa légende réduit la titulature à l’union France-Flandre, évacuant Nevers et Rethel : + SECRETU(m) MARGARETE F(ilie) REG(is) FRANCIE CO(m)ITISSE FLANDRIE. Le parti combinant le blason du mari et du père est un sème d’alliance classique. Pas de prétention à l’héritage ici, car alors les armes sont écartelées53 ; en outre, le parti n’est guère transmis à la génération suivante, celle de Louis de Male. Le lion au 1 indique une domination du titre comtal. Pourtant, une épouse mariée à un homme d’un rang inférieur valorise souvent les armes de son père. C’est ici le mari qui obtient la place d’honneur, rattachant davantage la comtesse à la Flandre que ne le fait sa titulature ; on serait tenté d’y lire la patte du mari, car la comtesse y reviendra… Marguerite n’arbore pas les armes maternelles, n’étant pas l’héritière de Jeanne de Bourgogne ; elle ne semble pas afficher de prétention, ce qui est logique car en 1328-1329, sa mère Jeanne de Bourgogne est vivante. Le premier et le second grand sceau équestre rond de Louis de Nevers sont très différents, quoique probablement contemporains. Le comte y est identifiable au lion de Flandre sur l’écu et la housse du cheval. Et si le premier contre-sceau est graphiquement proche de celui de la comtesse, il n’en va pas de même du second dans lequel l’écu au lion est pris dans une rosace de quatorze ogives. En revanche, il existe un point commun majeur : sceaux et contre-sceaux du comte et de la comtesse ne reprennent pas les armes de Nevers et de Rethel, soulignant la primauté de la Flandre, celui de Marguerite ajoutant les lys. Le sceau de Marguerite de France intègre bien l’imaginaire flamand, tout en rappelant les sceaux féminins français de sa sœur aînée, ou de Mahaut. Il est donc le témoin d’une identité subtilement composée.

48 O. de Wrée, Sigilla comitum Flandriæ, op. cit. p. 29. 49 Ibid., p. 48. 50 Attesté par un document de mai 1259. AD Yonne H 1565, n° 10. 51 L. Jarnot, Sceller et gouverner, op. cit., p. 277-280. 52 M.-A. Nielen, Corpus des sceaux français, op. cit., t. 3, p. 201. 53 M. Nassiet, « Parenté et successions dynastiques aux 14e et 15e siècles », op. cit.

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Premier et deuxième petit sceau

Marguerite possède rapidement un premier petit sceau datant également de l’époque de Louis de Nevers (fig. 42), dont la légende est la suivante : + [S’] MARGUERITE : CO(n)TESSE . D(e) . FLANDRES . Z(=et) . D’(e) . NEVERS. Il présente un écu mi-parti dont l’ordre est inversé par rapport au grand sceau (au 1 de France, au 2 de Flandre)54, écu inscrit dans un trilobe à redents décoré d’une frise de flanchis. Rond, de 27 mm, sa composition simple insiste sur l’alliance du lion et du lys, mais met en valeur la lignée française. D’une fonction moins politique que le grand sceau, il permet d’exprimer la singularité de Marguerite. Il a probablement été gravé avant la mort de Jeanne de Rethel en 1328, mais son premier usage connu date de 1330  ; on le retrouve encore le 16 juin 133555 et même jusqu’en 135556. Le deuxième petit sceau de 33 mm est plus élaboré (fig. 43). Il est postérieur à 1328 car il inclut dans sa titulature, toujours en français, le comté de Rethel. Sa seule attestation date de 1361, avant la réalisation du sceau rond armorié qui servira à la comtesse quand elle devient comtesse d’Artois et de Bourgogne. Un écu mi-parti en occupe toujours le centre, mais c’est désormais à la place d’honneur, au 1, qu’est placé le lion, et au 2 les fleurs de lis. La Flandre se trouve de nouveau valorisée, les autres comtés (Nevers, Rethel) oubliés. La décoration se complexifie également. Un ange à mi-corps supporte l’écu des deux mains en chef, et un dragon le porte en pointe, deux hommes étant placés sur les côtés. On les a dits sauvages. Le dessin de l’empreinte que nous avons trouvée est peu lisible ; celui de gauche semble avoir une barbe et celui de droite un turban. L’écu est en outre accosté dans la partie supérieure de deux aigles aux ailes déployées, et dans la partie inférieure de deux lions ailés. La titulature est toujours en français, quoique difficilement déchiffrable, et inclut désormais Rethel : « MARGVERITE FILLE DE ROY DE FRANCE CONTESSE DE FLANDRES DE NEVERS ET DE RETERS ». La présence de l’ange, des aigles et du dragon rappelle le sceau de Jeanne de Bourgogne-duché, épouse de Philippe VI, dont la majesté exceptionnelle a marqué les contemporains ; mais ici la comtesse ne se fait pas représenter elle-même, ni ses attributs. Au contraire, la présence de l’ange est centrale. Cette figure se retrouve sur les sceaux de reines comme Marguerite de Provence ou d’ailleurs de Jeanne de Bourgogne-duché. Les anges sont de plus en plus présents au début XIVe siècle dans l’iconographie57. Leur rôle de médiateurs entre terre et Ciel, de combattants contre le mal, la dévotion à saint Michel et la figure de l’ange gardien personnel sont des thèmes fortement promus58. Cette présence angélique précède d’ailleurs chez les reines et princesses leur utilisation par les rois. Ils tiennent souvent les arma Christi, les instruments de la Passion, notamment dans des œuvres commandées par Mahaut. 54 ADN B 4065, n° 6966. 55 ADN B 471, n° 6182. 56 ADPDC A 680. 57 M.-A. Nielen, Corpus des sceaux français, op. cit., t. 3, p. 39. 58 P. Faure, « Les anges gardiens (XIIIe-XVe siècles). Modes et finalités d’une protection rapprochée », Cahiers de recherches médiévales et humanistes. no 8, 2001, p. 23-41.

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Ils sont associés au motif de la messe de Saint Grégoire qui développe la figure du Christ souffrant, et à la Vierge montant au ciel, soulignant l’élection divine du lignage capétien, ses liens avec les reliques de la Passion, la proximité des femmes du sang avec Marie59. Les armoiries de Mahaut étaient d’ailleurs portées par des dragons depuis 1302, comme c’était le cas pour Robert d’Artois, peut-être en allusion à la Croisade60. Ici, le dragon permet de reconnaître ce saint Michel auquel Marguerite voue une dévotion particulière, comptant aussi sur lui pour la guider dans son gouvernement. Deuxième grand sceau en pied

Attesté après 1361, le 2e grand sceau en navette (fig. 44) est proche des dimensions du premier (90x54 mm). La légende correspond exactement à la titulature utilisée dans les actes à partir de novembre 1361 : MARGUERITE FILLE DE ROY DE FRANCE COTESSE DE FLADRES DARTHOIS ET DE BOURGOIGNE PALATINE ET DAME DE SALINS. Comme son prédecesseur, ce grand sceau représente toujours la comtesse en « style pédestre » dans une niche d’architecture, sous un riche dais gothique bien plus complexe que le premier par le nombre de voutes et de clochetons. Le processus de complexification de ces décors est un phénomène connu des sceaux au cours du XIVe siècle : le premier grand sceau de Marguerite représentait un stade intermédiaire par rapport au décor assez simple du sceau de Mahaut61. L’autre différence avec le précédent concerne l’attitude de la princesse. De face, portant une longue robe à plis amples, sans ceinture, sa tête tournée vers la gauche est désormais recouverte d’un voile, rappelant son veuvage, et son corps est bien plus droit voire hiératique par rapport au déhanché de sa jeunesse. Le faucon a disparu : la main gauche tient le fermail du manteau, ouvrant délicatement un pan de la main droite. Au temps de la jeunesse et des joies mondaines succède celui du veuvage, et surtout du plein pouvoir. Sur chaque côté, dans des niches gothiques latérales, deux anges tiennent un écu parti, rappelant les sceaux de Marguerite de Provence et de la reine Jeanne II de Navarre. On retrouve ces deux anges soutenant les armoiries de Blanche, duchesse d’Orléans. L’écu mi-parti de gauche est chargé au 1 d’un lion et au 2 d’un semé de fleurs de lis. Dans la valorisation du titre flamand, on ne saurait ici voir la patte d’un mari mort depuis 15 ans, ni d’un fils de 16 ans alors sous sa coupe. Celui de droite est au 1 d’Artois et au 2 de Bourgogne-comté (lion sur champ semé de billettes). La Flandre arrive en premier, contrairement à la titulature, suivie de la filiation au sang royal ; après quoi viennent l’Artois et la Bourgogne. La comtesse fait entrer dans ses armoiries les

59 A.-H. Allirot, Filles de roy de France, op. cit., p. 446. 60 M. Dalas-Garrigues, « Le bestiaire sigillaire des Capétiens au Moyen Âge », Revue française d’héraldique et de sigillographie, 54/59, 1984-1989, p. 111-119 ; A.-H. Allirot, Filles de roy de France, op. cit., p. 445. 61 J. Roman, Manuel de sigillographie française, op. cit., p. 104.

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deux comtés dont elle a hérité, alors qu’elle n’avait pas inclus Nevers et Rethel. Elle est désormais comtesse en titre. Sous l’ange de gauche, dans une armature carrée, apparaît une tête de lion, de face, et sous l’ange de droite une tête d’homme barbu. Le piédouche porte encore deux lions couchés, adossés, séparés d’un macaron, et la niche d’architecture mord sur l’exergue. Les écus sont souvent supportés par des lions et des hommes sauvages dans les années 1350, mais ici ces figures sont reléguées au registre inférieur. Ce sont les anges qui sont mis en avant. Ce deuxième grand sceau semble quasiment identique à celui de Blanche, duchesse d’Orléans62. Or les deux princesses sont très proches dans les années 1360 et les goûts de Marguerite inspirent Blanche, plus jeune de 16 ans. Le sceau fait aussi penser à un autre, antérieur, celui de Jeanne de France, le sceptre en moins. Dans l’imitation de ce style plus « français » par rapport au premier grand sceau, Marguerite se rapproche de sa sœur aînée dont elle est l’héritière en Artois et Franche-Comté. Elle s’inscrit dans un moule commun aux filles des derniers rois Capétiens, ainsi d’ailleurs qu’à Mahaut et même à Jeanne de Bourgogne, à la différence près que cette dernière, reine de France, exhibe deux sceptres. Plus « français », ce sceau sans faucon montre également un statut différent : au temps plus frivole de la chasse et des oiseaux s’oppose celui du voile de la veuve magnifiée par l’épreuve, image dont elle joue. Cependant, la tête d’homme sauvage rappelle un goût contemporain, celui de sa rivale Jeanne de Boulogne dont elle s’est rapprochée par le premier mariage de Marguerite de Male. Quant aux anges, ils viennent encore supporter son autorité. Pour modérer ce changement, et peut-être maintenir un lien avec son statut antérieur, la modification n’affecte pas le contre-sceau qui reprend le précédent. Il porte, dans un entourage d’ogives, un écusson mi-parti de France et de Flandre, et dont la légende est « + SECRETV MARGARETE F REG FRAN COITISSE FLADRIE. Sceau rond armorié

Majestueux, le second grand sceau de Marguerite est peu utilisé, à la différence d’un sceau rond armorié qui va devenir le principal instrument pour sceller les actes entre 1361 et 1382 (fig. 45). Ce sceau rond constitue une évolution du deuxième petit sceau. Sa taille de 41 mm le distingue des petits sceaux antérieurs. Son format constitue une innovation parmi les sceaux de comtesses de Flandre que l’on retrouve parallèlement en Hainaut, et qui sera reprise par les duchesses de Bourgogne pour le format de leur grand sceau63. Ce type de sceau secondaire offre davantage de liberté que les grands sceaux à navette. La comtesse y met davantage en valeur sa piété, sans avoir à sacrifier l’héraldique. Sa composition rappelle celle du deuxième petit sceau rond. Un ange y est placé derrière un grand écu qu’il tient de sa main droite et est situé au centre du sceau. L’écu

62 M.-A. Nielen, Corpus des sceaux français, op. cit., t. 3, p. 46. 63 L. Jarnot, Sceller et gouverner, op. cit., p. 51.

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est mis en valeur par sa taille, sa position centrale et le geste de l’ange : il est mi-parti au 1 de Flandre et au 2 de France comme dans le petit sceau antérieur, dont on revoit l’inspiration dans les deux aigles latérales, qui remplacent désormais les hommes ; aux ailes pointant vers l’extérieur, de chaque côté de l’écu, les aigles ont chacune une patte posée sur l’écu inférieur, l’autre patte étant relevée vers l’intérieur. Chaque aigle sépare verticalement deux écus qui remplacent les figures du petit sceau précédent. Au registre supérieur gauche et inférieur droit, ces figures sont remplacées par deux écus aux armes d’Artois, au registre inférieur gauche et supérieur droit, par les armes de Bourgogne-comté : ces quatre écus sont plus petits que l’écu central (Flandre-France), mais cette hiérarchie est atténuée par la répétition de Bourgogne-comté et Artois, selon un principe de symétrie, la place d’honneur revenant à l’Artois comme dans la titulature. Le tout est inscrit dans un entourage de cintres et d’ogives. La légende sur le pourtour reprend la titulature en français, de manière identique au deuxième grand sceau rond armorié. Les signets

La comtesse utilise encore deux signets dans un usage très différent. Le premier de 24 mm est octogonal (fig. 45), une forme très différente des sceaux. La légende circulaire se lit difficilement en raison de l’usure, mais on distingue M. FILLE D. ROY DE FRANCE COTESSE DE FLANDRES, titulature tronquée valorisant l’identité centrale. Au centre, la lettre M identifie la comtesse. Formée d’une haste décorée d’un semé de fleurs de lis, et par deux jambages figurés par des lions affrontés, la lettre associe habilement Flandre et France, reprenant l’emplacement de l’écu central des sceaux ronds64. Elle est cantonnée de quatre écus en losange reprenant les territoires dont la comtesse a hérité, qui forment un écartelé aux 1 et 4 semés de fleurs de lis au lambel de trois pendants (armes de l’Artois), au 2 et 3 au lion sur champ de billettes (Bourgogne-comté), le tout en un quadrilobe à redents orné de motifs floraux et de motifs à fenestrage. L’organisation reprend donc le dispositif armorial du grand sceau rond armorié. Le deuxième signet est bien plus petit (14 mm) et sommaire : il s’agit d’une intaille octogonale portant un lion (armes de Flandres), dont la légende entre deux filets pleins est difficile à déchiffrer : au XIXe siècle, on y a lu MARGUERITE DE FRANCE à partir d’une empreinte datant du 2 octobre 136765, sur laquelle nous n’avons pu distinguer que les lettres GUERI. Ces dimensions laissent penser qu’il pourrait s’agir d’une bague-signet. Porteurs de fines nuances valorisant saint Michel et l’union Flandre-France, tout en déployant un discours changeant dans le temps, ces sceaux permettent de démultiplier les armoiries à destination d’un grand nombre de personnes, des parents aux nobles et même aux habitants des villes. Ils ne sont cependant qu’un « medium » parmi bien d’autres.

64 Ibid., p. 207 65 G. Demay, Inventaire des sceaux de l’Artois et de la Picardie, Paris, 1877, p. 59.

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3. Déployer ses armoiries dans l’espace Un des privilèges de la noblesse est de pouvoir porter « escu en son sceel et en ses platz et en ses escuelles »66, ce dont témoigne la vaisselle de Maldegem. Ce lien entre les armes, le statut social et l’autorité sur un territoire est patent pour Marguerite de France. De nombreuses mentions témoignent d’une stratégie de communication destinée à manifester son autorité princière, spécialement quand elle peut être contestée. On retrouve ainsi les armes comtales dans un contexte militaire, montrant la présence du pouvoir dans un lieu disputé. Il faut rassurer les populations, montrer que le pays est tenu : à Arras en 1380 lorsque « l’effroi des Engles » se répand, la comtesse fait peindre « I pignon armoét des armes de madame » par Melun de Paris67. En mai 1368 « bannieres armoieez des armez madame [sont] mises sur les chasteaulx de Bethune, Beuvry et Gosnay […] pour ce que l’on disoit que les grans compaigniez venoient sur le païs »68. En 1372 on dispose au château de Chocques « II bannerettes armoiés des armes de madame paintes a or et a asur et a olle des armes de Flandres et d’Artoys »69. Il est intéressant de noter que cette présence « flamande » prépare la succession et s’explique par la proximité des deux terres, ainsi que par le rôle de Louis de Male en Artois. En Bourgogne, les comptes évoquent aussi les armes « de madame » ou « de madame et de son contey ». En 1369-1370, après la prise de Rochefort, la comtesse s’intitule « dame de Roichefort » et fait faire « un seaul et un contreseaul mis a Roichefort aus armes de madame et de son contey de Bourgoigne fait a Paris », et « une banniere aus armes que dessus »70. En 1372-1373, dans le château fraîchement acquis de Valempoulières on place « une banniere de soye armoyee des armes de madame »71. Le sceau et la bannière : deux manifestations de l’autorité comtale sur ces terres annexées. D’autres bannières sont commandées pour les sergents des villes, et confiées au prévôt voire au châtelain : en 1369, on achète à un couturier de Besançon, Jean de Pré Sotenne, « une banniere qu’il a fait faire es armes du contey de Bourgongne pour ceuls de Gendrey» pour les mener « en ses host et en ses chevauchiees »72 ; à Étienne Purincet de Besançon « une banniere et I panoncel mis à Quingi fait par mandement de monseigneur le gardien » ainsi que deux lances et deux fers de glaives employés aux bannières73. En 1372-1373 le prévôt de Gray achète du cendal renforcé à Besançon pour « une baniere et ung pennon a Gray armoié des armes de madite dame de son contei de Bourgoinge » peinte par

66 M.-T. Caron, La noblesse dans le Duché de Bourgogne 1315-1477, op. cit., p. 45. 67 ADN B 13882. 68 ADN B 14611. 69 ADN B 14692. 70 ADCO B 1433. 71 ADCO B 1439. 72 ADCO B 1433. 73 ADCO B 1431 et 1433.

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« Huot le painturier »74. En 1381 un pennon « armoié aux armes de la conté de Bourgongne » est acheté à Salins pour les sergents de la Loye75, et pour les sergents de Salins et de Santans une « banniere de cendal ournee et armoiee aux armes de la contee de Bourgongne » à Bourg-dessus-Salins. La vendeuse est Pérenelle, « borderesse » de Salins76. On retrouve aussi ces armes dans un cadre intérieur, pratique attestée chez la mère de Marguerite, ainsi que dans les diverses fondations, selon des combinaisons héraldiques exprimant certaines nuances. La première configuration associe Flandre et France. Elle est de rigueur avant 1361. Pour la naissance de son fils en 1330, on prévoit ainsi deux « lieus » (linceuls, draps ?), l’un aux armes de France et de Flandre pour le jour, et l’autre de soie plaine pour la nuit. Mais cette alliance franco-flamande est parfois encore employée après 1361. Les reliquaires de saint Denis et saint Louis d’Anjou la reprennent comme l’encensoir d’argent donné à Luzarches en 1372 ou les cierges et le vitrail de la chapelle Saint-Michel à Saint-Denis. Ces dons de verrières aux armoiries du prince sont également pratiqués par Philippe le Bon77. Une autre configuration y ajoute les armoiries artésiennes et comtoises : on l’observe sur le coffret du Louvre, sur le plateau d’argent donné à Saint-Donatien de Bruges avec 3 écus de France, de Flandre et de « madame d’Artois » (mi-parti d’Artois et Bourgogne, probablement). Marguerite entend ici montrer qu’elle n’est pas seulement comtesse de Flandre… D’autres combinaisons sont possibles selon les territoires qu’elle entend valoriser : en Franche-Comté, les armes comtoises sont mises en avant. Nous l’avons vu, c’était le cas des bannières et pennons exhibés par les prévôts : à Gray ce sont les « armes de madite dame de son contei de Bourgoinge »78. À la Cour-le-Comte, la comtesse fait mettre au porche de la nouvelle salle 32 « thinglez », aux armes de France et d’Artois79. Elle fait également mettre de multiples armoiries non précisées sur les 25 panneaux de verre de ses nouvelles galeries. À Hesdin, outre les armoiries des rois de France, on retrouve des verrières armoriées au « manage » en 136780. On peut enfin souligner l’originalité du château de Gray destiné à valoriser l’union programmée des héritages flamands, bourguignons, artésiens et comtois en 1374 dans la grande salle « painturié en deux lieux des armes de madite dame et du comté de Bourgoingne et de monseigneur de Flandres et de monseigneur de Bourgoigne »81. Cet ensemble héraldique nouveau préfigure les armes de Marguerite de Male et Philippe le Hardi.

74 BN Fr. 8552. 75 ADCO B 1458. 76 Ibid. 77 M. Damen, « Vorstelijke vensters. Glasraamschenkingen als instrument van devotie, memorie en representatie (1419-1519) », Jaarboek voor middeleeuwse geschiedenis, vol. 8, 2005, p. 140-200. 78 BN Fr. 8552, fol. 8r. 79 ADN B 13879. 80 ADN B 15274. 81 BN Fr. 8552.

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4. Hermétisme et revendications inavouées : les jetons de la comtesse Si les sceaux sont destinés à être publics, ce n’est pas le cas des jetons émis pour les calculs de l’administration voire ceux du prince qui peut y recourir pour contrôler ses comptes. Ces jetons portent des devises relevant d’une tradition propre, ayant quelque parenté avec la numismatique, mais s’en distinguant par une liberté de ton parfois humoristique, une insistance sur les devoirs de fidélité, d’honnêteté, tout en incluant souvent des armoiries82. Leur dimension hermétique pose d’ailleurs quelques difficultés d’interprétations, pour partie volontaires. Toute une série de jetons sont attribuables à la comtesse, datant d’avant et après 1361. Parmi les premiers se trouvent des jetons mi-parti au 1 de Flandre et au 2 de France, qui rappellent les sceaux. Le plus étonnant comporte au droit un écu mi-parti de Flandre et de France, auxquels font échos deux fleurs de lis au pied posé dans la légende (fig. 48 papier et en ligne)83. Le revers semble assez classique avec sa croix fleuronnée, évidée en quadrilatère arqué renfermant une rosace à quatre lobes comporte cette légende : « + AMIS: AMES: AMIE: AVES » (Amis, aimez, amie ayez). Elle se retrouve sur le coffret conservé au Louvre, on peut la considérer comme une devise de Marguerite. Elle serait un résumé d’un quatrain du trouvère Moniot d’Arras : « Qui ame sans tricherie Ne panse n’a troiz n’a doz ‘D’une seule est désireux Cils que loyals amorz lie ». On peut aimer plusieurs amis, mais on ne peut avoir qu’une seule amie. Il serait tentant d’y lire une sorte d’éloge de la monogamie, sujet sensible pour la comtesse ! On peut aussi comprendre qu’une amie telle qu’elle est plus sûre car on l’a vraiment, alors que les amis masculins ne paient pas forcément en retour. On peut aussi deviner que Marguerite attend une fidélité assez exclusive de ses alliés. Elle ne souhaite pas être trahie en faveur de rivales : songeons à Jeanne de France… Le coin du revers a pu être utilisé par d’autres princesses. Mais le droit présente une grande originalité. Les armes semblent indiquer qu’on est avant 1361. La légende a d’abord été lue ainsi : « +GAR. DE FAIR (gardez de faillir). RAETSIA ». Le mot RAETSIA a été interprété d’abord comme une erreur pour ARTESIA. Pourtant, on le retrouve répété sur plusieurs jetons différents. Redgy Dewulf a proposé une autre lecture84 : au lieu de lire GARDES DE FAILLIR RAETSIA, il faudrait lire GAR DERAIR RAETSIA, un cryptage intentionnel pour GARDERAI ARTESIA. Dewulf 82 A. Schärlig, Compter avec des jetons : tables à calculer et tables de compte du Moyen Âge à la Révolution, Lausanne, 2003. 83 J. Rouyer et E. Hucher, Histoire du jeton au Moyen Âge. première partie, Paris, 1858, p. 103 ; M. Mitchiner, Jetons, Medalets ands Tokens: The medieval period and Nuremberg, Londres, 1988, p. 250. 84 R. Dewulf, « Un jeton de Marguerite de France : artésien ou flamand ? », Bulletin du cercle d’études numismatiques, vol. 47, n° 2, 2010, p. 275-276.

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Fig. 48. Jeton aux armes de Flandre et de France et à la devise. GAR. DE FAIR RAETSIA. Jules Rouyer et Eugène Hucher, Histoire du jeton au Moyen Âge, première partie, planche X. Photo : site Gallica.

y a vu un jeton de Louis de Nevers réclamant la souveraineté flamande sur l’Artois. Mais les armes sont sans conteste celles de Marguerite. Or on a vu les prétentions fréquentes qu’elle a émises sur cet héritage après 1330 : elle entendrait donc garder ARTESIA sans défier ouvertement sa sœur aînée ou ses héritier. On aurait affaire à une revendication « cryptée » antérieure à 1361. Ces revendications sont fréquentes dans les devises, mais ce serait un cas unique pour des jetons armoriés. Il s’agit d’ailleurs d’un habile dérivé d’une devise de jetons adressée aux comptables, comme nous le verrons. Cette devise au « RAETSIA » à l’avers se retrouve sur d’autres jetons aux armes de Flandre et de France que l’on peut identifier grâce à la Nationale Numismatische

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Collectie, et au catalogue de Dugniolle85. Au revers de l’un d’eux on lit : IEVRDETOUS ET SENR DE [ou DG]. Cette nouvelle devise pourrait faire allusion au Christ-roi (Ie[h]u R[oy] de tous), témoignant en tout cas d’un goût pour les énigmes. Un autre jeton issu de la même collection et généralement attribué à Louis de Male porte les mêmes armes et une version plus banale à l’avers : GARDES DE FAILR FaTS P’ : garde de faillir, faites par loisir. Cette devise ordinaire des comptables met en garde contre l’erreur de calcul ; c’est d’elle que dérive la version RAETSIA. Au revers, on retrouve une croix évidée renfermant une fleur de lis, avec pour légende DOMINV-SVO-BICE, Dominus vobiscum, renvoyant à la messe86. Un autre indiquée par Rouyer et Hucher présente encore des devises religieuses très classiques : à l’avers +AVE : MARIA : GRACIA : PLEA, et au revers, la même croix évidée avec la formule PATER : NOSTER : QVI :ES :IN87. Enfin, après 1361, Marguerite a fait frapper des jetons différents oubliant son « RAETSIA » (fig. 49 en ligne)88. L’écusson est désormais un classique écartelé au 1 de Flandre, au 2 de France, au 3 d’Artois et au 4 de Bourgogne-comté, tandis que la devise porte ¨+FANCE. FLANDRES. ARTOIS. BOVRGOIGNE. Le revers porte une légende similaire et une croix à triple nervure, fleuronnée, évidée au centre en rosace à quatre lobes, cantonnée de quatre fleurs de lis89. Au total, ces jetons destinés au fonctionnement de l’administration des finances et de l’hôtel ne sont que peu diffusés. Ils témoignent de l’importance de l’héraldique et puisent dans un répertoire propre au monde des jetons, avec ses devises religieuses ou relatives à la fidélité et à l’honnêteté. Ils ne sont pas des calques des sceaux et servent peut-être de « substitut » à une frappe monétaire inexistante. Leur circulation confidentielle a permis d’y inclure des mots rappelant des prétentions cachées et de témoigner de la culture littéraire savante et courtoise dans laquelle Marguerite a évolué et qui nous est largement inconnue : faute de chroniqueur attitré, la construction de son image est tributaire d’autres cours ainsi de la mémoire construite par ses successeurs, encore que ces témoignages extérieurs reprennent la représentation qu’elle a construite d’elle-même.

5. De la fleur de lys à la marguerite : mémoire et identité Les chroniqueurs témoignent globalement d’une vision positive de la comtesse sur le plan religieux voire politique, se montrant sensibles à l’image qu’elle veut donner, même si des nuances locales sont à souligner. 85 https://nnc.dnb.nl/dnb-nnc-ontsluiting-frontend/#/numis/object/1088164 N° de catalogue : Mitchiner, vergelijk 782, J.-F. Dugniolle, Le jeton historiques des dix-sept provinces des Pays-Bas, t. 1, Bruxelles 1876, cote n° 5. 86 Dugniolle, cote n° 6. Voir le site de la Nationale Numismatische Collectie et www.dugniolle.com. 87 J. Rouyer et E. Hucher, Histoire du jeton, op. cit., p. 105. 88 J. Rouyer et E. Hucher, Histoire du jeton, op. cit., p. 199. Dugniolle, cote n° 40. Voir Nationale Numismatische Collectie et www.dugniolle.com. 89 Ibid. Un jeton récemment vendu confirme le dessin : http://www.inumis.com/us/vso//artoiscomte-d--marguerite-de-france-jeton-de-compte-sd-a35167.html.

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Les chroniqueurs flamands présentent ainsi une attitude complexe. À partir de 1369 et plus encore de 1384, Marguerite apparaît comme l’artisane de la transmission bourguignonne. Critiquer son action peut sembler une remise en cause de la légitimité de Philippe le Hardi. Cela n’empêche pas d’indiquer qu’elle est bien l’instrument de la volonté royale, parfois contre les Flamands ; globalement, Marguerite a le beau rôle, celui de la paix, surtout par comparaison avec Louis de Male accusé de louvoyer et d’affamer son peuple en 1382. Autant l’attitude du fils est trouble, autant la position « francophile » de la mère est vue comme cohérente avec son statut, et on la crédite d’intentions justes et pacifiques. La continuation de la chronique de Baudouin d’Avesnes souligne son rôle de médiatrice entre Charles V qui « moult aymoit » la comtesse, et Louis de Male, peu apprécié à Paris, ce qui permet une entrevue profitable en 1380. Une variante précise d’ailleurs que le roi est courroucé par l’accueil fait à Jean de Montfort par le comte de Flandre : sommé de venir à Paris, le comte refuse « mais Marguerite contesse d’Artois sa mere le mena au roy a Paris, et le rechupt le roy moult honnourablement et admirablement »90. Datant de l’époque de Philippe le Hardi, la Chronique rimée des troubles de Flandre la présente sous ses attributs traditionnels : elle est la mère du comte Louis de Male, qu’elle fait naître en Flandre, à Male, elle est de sang royal et « plaine de bonaireté et de foy »91. En revanche, elle est perçue lors du mariage de 1369 comme l’instrument de la monarchie contre la volonté des Flamands dans la chronique bien plus tardive de Wielant92. Connu pour ses affinités avec l’Angleterre et fin connaisseur de la situation du nord du royaume, Jean Froissart est une source plus diserte que les chroniques flamandes, soulignant souvent le rôle majeur de Marguerite en tant que comtesse de Flandre puis d’Artois. Il la fait surgir en 1337, et l’associe à l’orientation de Louis de Nevers, « trop françois » pour ses sujets au point qu’il doive l’envoyer en France et à Paris « dalès le roi », dès que les Gantois se montrent menaçants. Idem à l’été 1338 quand Louis « se parti de Flandres et emmena madame Margherite sa femme et Loeis leur fil et s’en vint en France d’allés le roy Philippe »93. Ce rôle est passif, mais essentiel, car elle incarne le lien entre le comte et la France. Elle est toujours celle qui rend impossible l’alliance anglaise. Froissart lui confère une épaisseur bien plus grande en tant que veuve et comtesse d’Artois, l’appelant Marguerite d’Artois, peut-être parce qu’elle est surtout connue de lui à partir du moment où on l’appelle « madame d’Artois » dans le nord, après 136194. Il rapporte notamment son intervention lors du siège d’Audenarde pour sauver les nobles assiégés et sortir son fils de l’impasse. Ce jugement positif est ici à l’unisson avec les chroniqueurs français dont Froissart ne partage pourtant pas toujours leurs vues. En France, Marguerite est très tôt présente dans les chroniques. Elle émerge d’abord en tant que petite-fille puis fille de roi de France, ainsi que petite-fille de Mahaut. À ce titre, elle jouit du prestige des filles de 90 Istore et croniques de Flandres, op. cit., t. 2, p. 188 et 233. 91 E. Le Glay, Chronique rimée des troubles de Flandre à la fin du XIVe siècle, suivie de documents inédits relatifs à ces troubles, Lille, 1842, p. 18. 92 Ibid., p. 28. 93 Jean Froissart, Œuvres, op. cit., éd. Lettenhove, t. 2, p. 444-445. 94 Ibid, p. 381-382.

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roi comme sa cousine Blanche, duchesse d’Orléans : ces femmes inspirent d’abord respect par leurs vertus et leur piété95. Les mêmes observations reviennent : elles ont vécu dans la souffrance, sans se plaindre, charitables, dévotes, exemplaires, aux limites de la sainteté. Associées à la Vierge, elles incarnent des figures pacificatrices, médiatrices entre les hommes guerriers96. Certains éléments plus précis pointent son rôle politique. Pierre d’Orgemont la présente dans les Chroniques des règnes de Jean II et Charles V comme « contesse de Flandre et contesse d’Artois » lors du sacre de 1364 où elle est rangée parmi les pairs, et en 1373 pour le baptême d’Isabelle, fille de Charles V. Mais elle est surtout « Marguerite contesse d’Artois » en 1366, 1371, ou « la contesse d’Artois » en 1378, un titre français la rattachant à Robert d’Artois, à Mahaut et donc aux Capétiens. Son autonomie politique semble assez établie et son ancrage septentrional net. Son titre de « fille de roy de France » ne lui est désormais plus donné à la différence de la duchesse d’Orléans. Elle se définit par son implication dans le jeu politique du nord. Il faut dire que la comtesse a fait souche, son lignage se distingue : en 1366, il elle est « mère du conte de Flandres Loys », et en 1371 « aoyle de la dite duchesse de Bourgoigne ». Malgré tout, à lire les Grandes Chroniques de France, Marguerite reste considérée comme une fidèle de la monarchie par le cœur comme par l’esprit, et une femme pacifique. À tort, on lui prête un comportement prudent et soumis durant les révoltes flamandes, la conduisant à se replier auprès du roi dans les années 1338-1346. Cette attitude de fidélité est soulignée en 1346-1347 : on lui attribue d’avoir obtenu que les villes flamandes prêtent serment de ne pas marier son fils sans son accord ou celui du roi, ce qu’elles ne respectèrent pas d’ailleurs. Après la fuite de Louis de Male, elle exprime sa satisfaction et représente l’état d’esprit du royaume de France : apprenant son arrivée, « le royaume de France et la mere dudit conte orent tres grant joie »97. Pour les Français, elle est surtout celle qui a fait aboutir le mariage de 1369. Comme le résume la Chronographia Regum Francorum, son ascendant maternel lui permet de briser le projet de mariage anglais98. Cet épisode s’inscrit dans une vision globale de la comtesse comme garante morale et politique de la droiture d’une famille flamande encline à toutes les turpitudes : le religieux de Saint-Denis souligne sa grande piété et son autorité sur un fils qu’elle accuse en public d’être indigne et dégénéré. Elle est une cheville ouvrière efficace du mariage, écartant de la France le péril anglais. Protectrice du royaume, elle en accroît la vertu par son attitude exemplaire : « in regno exemplar contiencie »99. Elle est même déjà une fondatrice de la puissance bourguignonne, patente au temps de Michel Pintoin, motif repris par les autres auteurs. La Chronique attribuée à Jean Juvénal des Ursins reprend ce portrait flatteur, opposé à celui d’un fils inconstant et faible. Le récit de sa mort rappelle qu’elle fut la

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A.-H. Allirot, Filles de roy de France, op. cit., p. 78. Ibid., p. 372. Les grandes chroniques de France, op. cit., éd. P. Paris, t. 5, p. 467. Chronographia regum Francorum. T. II. 1328-1380, op. cit., p. 335. Chronique du religieux, op. cit., t. 1, p. 158.

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garante du lien entre Flandre et France contre son fils : « à chaque foi la bonne dame luy rompoit son propos et volonté, en lui monstrant la haute folie qu’il voloit »100. Ce faisant, elle a fait la fortune du duc de Bourgogne, « lequel par ce moyen fut comte de Flandres, d’Artois et de Rethest ». Le comté de Bourgogne est ici oublié pour rester dans le seul cadre du royaume. Un autre texte de Juvénal des Ursins va plus loin, signalant que Marguerite avait transmis des prétentions capétiennes sur la Couronne à Louis de Male et aux ducs de Bourgogne, droits supérieurs à ceux d’Édouard III, et égaux à ceux de Charles le Mauvais. À ses yeux, les filles de Louis X et Philippe V auraient pu être des héritières, car « Charles le bel, le tiers frere, demoura roy non obstant les filles desdits Loys et Phelippe et leurs filz [en réalité nés plus tard] »101. Plus locale, la chronique tournaisienne pro-française dite Chroniques de Franche d’Engleterre, de Flandres, de Lile et espécialement de Tournay102, qui désigne la comtesse comme « dame d’Artois », reprend les mêmes éléments. Mais elle les mâtine d’une vision moins irénique. Certes, elle souligne bien son rôle de médiatrice en 1368-1369, et sa fonction de chaperon de son fils en 1379. Mais chez cet auteur tournaisien, plus au fait de son mode de gouvernement, Marguerite apparaît comme une femme brutale : elle se rend en Flandre « pour guerryer chiaux d’Arras » en 1378, s’en prenant à son peuple, et est suspectée d’avoir fait tuer à Lille un sergent royal venu s’immiscer dans ses affaires à l’occasion de cette crise. C’est évidemment une vision plus éthérée qui finit par l’emporter chez les auteurs bourguignons, par le biais de motifs floraux auquel le prénom de la comtesse se prête particulièrement. Après 1384, on souligne son rôle de princesse fondatrice d’une union puisant dans les héritages français, artésiens et comtois et intégrant la Flandre. Cette mémoire se cristallise autour du prénom Marguerite qui s’installe jusqu’à l’époque moderne dans la dynastie bourguignonne, sans doute plus qu’aucun autre, un prénom qui nourrit l’imaginaire en raison du lien entre femmes et fleurs, bien ancré dans la littérature médiévale103. Marguerite de France a elle-même été sensible à cet univers, comme semblent en témoigner certaines couleurs de livrées. Mais ce sont les auteurs proches des ducs Valois qui vont s’en emparer. Dans l’entreprise consistant à faire de la marguerite un pendant bourguignon de la fleur de lys, la comtesse fait figure de greffe, voire de transmutation du lys en marguerite. Le lien entre fleurs de lys et marguerites devient un topos littéraire dès 1369 lorsque Guillaume de Machaut rédige son « dit de la fleur de lis et de la marguerite », qui souligne les grandes vertus des deux fleurs, mais précise « que le lis est fleur masculine, la marguerite est femenine »104. Ce n’est cependant qu’en 1459, chez Guillaume

100 Choix de chroniques et mémoires sur l’histoire de France, éd. J.A. Buchon, Paris, 1839, p. 335. 101 Écrits politiques de Jean Juvénal des Ursins, 3 vol., éd. P. Lewis, Paris, 1978, t. 2, p. 50. 102 Croniques de Franche, d’Engleterre, de Flandres, de Lile et espécialment de Tournay, éd. A. Hocquet, Mons, 1938. 103 A. Planche, « La belle était sous l’arbre », dans L’arbre. Histoire naturelle et symbolique de l’arbre, éd. M. Pastoureau, Paris, Cahiers du Léopard d’Or, n° 2, 1993, p. 93-103. 104 Guillaume de Machaut, Quatre dits, éd. I. Bétemps, Paris, 2008.

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Filastre qu’émerge le thème des quatre marguerites repris par Molinet105 : le bouquet de principautés tenues par Philippe le Bon est formé de quatre marguerites et trois fleurs de lys, qui renvoient aux vertus cardinales et théologales. Parmi elles, Filastre rappelle que le duc a accédé « par madame Marguerite, dicte madame d’Artois, a la conté d’Artois et de Bourgoingne, et monseigneur de Nevers aux contés de Nevers et de Rethel ». Viennent ensuite Marguerite de Brabant, Marguerite de Male et Marguerite de Bavière106. On lui attribue non seulement son héritage personnel mais aussi deux comtés venant en réalité du côté de Louis de Nevers. Molinet reprend ce modèle pour exalter dans le prologue de ses Chroniques les « quatre nobles Marguerites » dont sont issus les ducs de Bourgogne, attribuant un rôle fondateur à la comtesse : « Et premier, Marguerite de France, fille du roy Philippe le Long, espeuse d’ung comte de Flandres, le aherita des II comtés d’Arthois et de Bourgoigne ». Il fait le parallèle entre les « franchoises Marguerites », si exquises par leurs mœurs suaves et leur « roial plantage de haulte generosite », et celles « de nostre quartier », citant en premier lieu « Marguerite d’Arthois », appellation assez défrancisée. La comtesse se trouve même coupée de ses racines royales dans le Chappellet des dames, rédigé en 1478, une fois la rupture consommée avec la France ; après lui Jean Lemaire de Belges y recourt encore dans La concorde du genre humain107.

Conclusion Par leur souplesse, l’héraldique et l’onomastique ont permis d’adapter l’identité de la comtesse aux changements politiques, matrimoniaux, dynastiques tout en rappelant son rang, ses droits et même ses prétentions. Marguerite a ici joué sur une pluralité de niveau de publicités, sur des configurations variables de sa titulature voire de son héraldique. La dimension iconographique permettait d’ailleurs à un œil averti de détecter sa présence et ses titres sur une bannière flottant sur un château comtois, un cierge brûlant à Saint-Denis, une écuelle, un sceau ou un jeton. Le déploiement d’images, loin de s’adresser à des analphabètes, redouble, enrichit, nuance parfois le message verbal, intégrant Marguerite dans ses héritages locaux, la rattachant à la monarchie, et ouvrant la voie à l’avenir. Dans l’ensemble, jouant d’une stratégie complexe qui la rapproche de Jeanne de Brabant, toujours soucieuse de l’intégrité du Brabant vis-à-vis des Luxembourg108,

105 M. Prietzel, « Rhetoric, politics and propaganda: Guillaume Fillastre’s speeches », dans The ideology of Burgundy. The Promotion of National Consciousness, 1364-1565, éd. J. Dacre Boulton D’Arcy et J. R. Veenstra, Leyde, Boston, 2006, p. 117-129. 106 Guillaume Fillastre, Ausgewählte Werke, éd. M. Prietzel, Ostfildern, 2003, texte 1, paragraphes 17 et 18. 107 Jean Lemaire de Belges, La concorde du genre humain, Bruxelles, 1964. 108 M. Margue, « L’épouse au pouvoir. Le pouvoir de l’héritière entre dynasties et politique impériale à l’exemple de la maison de Luxembourg (XIIIe-XIVe s.) », dans Femmes de pouvoir, femmes politique, op. cit., p. 269-310.

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Marguerite de France a malgré quelques ratés réussi à établir une certaine vision de son autorité comme de sa personne. Elle a pour cela également usé de mots, notamment ceux de sa titulature, où s’exprime à l’occasion une nuance et un sens des hiérarchies valorisant telle seigneurie locale, la priorité donnée à l’Artois sur la Bourgogne, et surtout l’union de la France et de la Flandre. Il en va de même des mots des chroniqueurs qui confirment cette dimension politique et morale à travers des jugements très positifs. Bien qu’il soit risqué de reconstituer la genèse de cette vision, on est frappé de la convergence entre le propos des auteurs et ce qu’expriment très tôt les sources d’archives royales ou d’établissements ecclésiastiques comme Saint-Denis, les abbayes de Chartreux et les couvents franciscains. Fidélité à la Couronne et dévotion en sont les principaux traits, suivis de peu par le portrait d’une maîtresse femme voire d’une fondatrice de la maison des Valois de Bourgogne. Nous n’avons en revanche guère trouvé de trace de son action dans les chroniques anglaises qui installent un conflit national francoanglais peu ouvert aux nuances ou désireux de valoriser un adversaire féminin : nulle mention dans la vie du Prince Noir rédigée par John Chandos qui évoque cependant son mari109, ou dans la Chronicon Angliae composée à Saint-Alban110. Si le succès durable de cette mémoire doit beaucoup au regard porté sur elle par la monarchie et ses successeurs bourguignons, la chancellerie de la comtesse n’a pas été en reste dans la construction de cette image. Dans ses chartes et ses actes, Marguerite et ses gens œuvrent à intégrer la comtesse dans une filiation, dans une mémoire plurielle : c’est le cas pour le don fait à l’église Saint Mammès de Langres assorti d’une célébration solennelle d’un obit « en la fourme et maniere que acoustumé est de faire en leur eglise pour les roys de France »111. Mais ce n’est pas le seul héritage dont la comtesse se réclame : le privilège d’exemption de guet pour certains de ses hommes est accordé au couvent de Vaux-sur-Poligny en vertu du fait qu’il s’agit d’une « fondacion de noz predecesseurs », et qu’il a été doté de privilèges « par noz tres chiers et redoubtes seigneurs et dame Phelippes, par la grace de Dieu roy de France nostre pere et Jehanne royne des dis royaulmes nostre mere lors qui estoient contes et contesses de Bourgongne »112. Plus largement, c’est l’ensemble des actes qui contribue à définir un portrait idéal de princesse, mêlant justice et grâce, ce qui constitue un autre terrain d’analyse de cette identité, que nous réservons à une étude ultérieure.

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John Chandos, Life of the Black Prince, Oxford, 1910. Chronicon Angliae, éd. E. M. Thompson, Londres, 1874. ADD B 521. ADD B 517.

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Conclusion de la deuxième partie Marguerite de France est passée experte dans cet « art d’être princesse ». Par sa manière d’être et de vivre, elle contribue à incarner sa fonction, à maintenir son « estat », et parvient à être considérée selon son rang, malgré les crises. L’union personnelle a ici des effets importants. Par son rapport à l’espace, par l’occupation de ses résidences, l’entretien des châteaux, la symbolique qu’elle déploie, par sa piété et sa culture matérielle, Marguerite contribue à créer un lien entre des territoires unis par sa personne, ainsi rassemblés politiquement et voyant converger des modèles curiaux. Ce faisant, elle s’inscrit dans une filiation à la fois locale et déjà « transnationale » héritée de sa grand-mère et de sa mère, tout en renforçant symboliquement et physiquement ses liens avec la royauté et en se rapprochant de la Flandre et de la Bourgogne ducale. Cette expérience a préparé le terrain à la culture politique et à l’art curial des ducs de Bourgogne. Marguerite joue assurément un rôle de passeur entre d’une part l’époque de Mahaut et des Capétiens et d’autre part la Bourgogne de Philippe le Hardi et Marguerite de Male. Conservatrice, Marguerite l’est assurément, mais elle modifie par petites touches les héritages, participant à l’intégration de nouveautés comme l’usage massif de l’artillerie ou prolongeant les ramifications de la culture curiale vers la Flandre et la Champagne. Elle manifeste ses préférences personnelles en matière de dévotion ou d’utilisation des résidences, sans bouleverser les usages. La matérialité de son mode de vie itinérant fait tenir ensemble un espace cohérent, superposant titulature, héraldique, consommation matérielle, espace économique, mécénat, résidence et circulation, un espace marqué par le sacré et la mémoire. Ce feuilletage dessine une géographie en phase avec les intérêts patrimoniaux, dynastiques et politiques de la comtesse. Dans ce mode de vie se construit quelque chose qui n’est assurément pas un État et demeure strictement personnel, mais où les échanges et les solidarités donnent une certaine cohérence, qui se traduit par la diffusion de certains usages. Sans exclure une consommation plus lointaine, la comtesse entend vivre du sien, ce qui concourt à brasser les productions à sa cour. Toute une culture matérielle hybride est ainsi solidement établie, associant sur la table vins du Vignoble comtois et de Clamecy et venaisons d’Artois, une culture qui valorise le goût des tournois hérité des usages parisiens et flamands mais aussi l’attrait pour la musique et les ménestrels que l’on retrouve à travers tous les pays, comme le goût pour la chasse. C’est également par toute une symbolique que se trouvent associés Artois et Flandre, depuis les écuelles jusqu’aux bannières. Tenir ensemble ces usages locaux est d’autant moins difficile que l’essentiel des valeurs semble commun en ces pays, qu’il s’agisse du rapport à la foi ou des mœurs nobiliaires. L’intégration de ces usages locaux à un mode de vie princier plus international est d’ailleurs patente dans les dévotions qui mêlent ancrages locaux associés à la mémoire des différents comtés et lignages, objets de dévotion communs comme la

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Vierge Marie, et une vie dévotionnelle « hors sol » rendue possible par la proximité avec la papauté qui accorde ses dispenses. D’un château à l’autre, la diffusion de modèles architecturaux dans l’utilisation des galeries ornées et la complexification des appartements contribuent également à la diffusion plus générale d’une koiné culturelle qu’on aurait tort de réduire aux terres septentrionales. Les usages curiaux, en particulier le rôle des grandes fêtes réunissant la noblesse, se retrouvent à la fois en Flandre et en Franche-Comté. Marguerite de France s’intègre manifestement, par le mode de de vie de sa cour, à un phénomène plus large d’« esthétisation » de la vie princière. Cette « mise en beauté » du pouvoir1 passe par la sollicitation du goût et de l’odorat, de la vue, au travers des armoiries, des objets d’arts, de l’orfèvrerie, mais aussi de l’ouïe par la musique et les chants. Il est ici pertinent d’invoquer une imitation du modèle royal. Mais on ne réduira jamais Marguerite à une seule identité de « fille de roi de France », d’autant que de multiples jeux d’aller et retour parfois anciens sont à l’œuvre : l’exemple monarchique se diffuse depuis déjà longtemps dans la société aristocratique, et imprègne certainement les comtes d’Artois, qui en sont les héritiers, mais aussi ceux de Bourgogne, au moins depuis le mariage d’Othon et de Mahaut puis de Philippe V et Jeanne de Bourgogne. Côté flamand, le rapprochement est sans doute plus récent, passant par l’influence de Louis de Nevers, qui a grandi à Paris, et par celle de Marguerite. Surtout, on note un tropisme constant et grandissant pour les terres septentrionales dans cette culture de cour qui n’est pas sans écho chez les ducs Valois. L’une des questions les plus difficiles est celle de l’identité féminine ou encore de l’influence du statut de veuve sur la vie de la comtesse. Tranchées sur le sujet, l’iconographie et les chroniques valorisent un comportement genré en faisant d’elle la garante de la mémoire, une fondatrice de lignées, un modèle de dévotion, de charité et de continence. Auteurs et enlumineurs rappellent aussi son autorité maternelle, sa défense farouche de l’alliance française, sa capacité de marieuse et de médiatrice, autant de topoi renvoyant à une certaine réalité mais évacuant une propension certaine, et fort banale du reste, à recourir à la violence. Plus globalement, du mécénat aux usages festifs, la cour de la comtesse participe d’ailleurs d’un processus bien plus large de diffusion de normes correspondant à la libéralité et dans lesquelles la dimension féminine est parfois difficile à cerner. Là où Marguerite de France est également experte, c’est en effet dans l’art de tenir ensemble les siens, au sein de sa famille et de son entourage, par une intense circulation, par une libéralité constante où compte peut-être moins le statut de la princesse, qui reste « fille de roy de France » et comtesse sa vie durant, que l’état des finances. La circulation des princes n’est en effet pas le seul élément conduisant à fabriquer du « commun » entre des états dispersés. Les clercs s’inscrivent dans des réseaux au long cours, et la comtesse n’est pas la seule à créer ce lien ; les officiers se déplacent inlassablement d’une province à l’autre ; même les marchands et artisans vont et viennent entre Flandre et Paris, Bourgogne et Artois. La comtesse y contribue d’ailleurs par l’ampleur de sa dépense. 1 F. Autrand, Jean de Berry, op. cit., p. 471.

Conclusion générale Loin de constituer un exercice formel, la reconstitution de la vie de Marguerite montre assurément combien sa personne a été essentielle dans la formation d’un ensemble territorial et d’une politique dynastique réussie. Capable de défendre et d’incarner de manière simultanée des héritages distincts et des principautés particulières, de jouer des équilibres complexes d’un âge troublé, Marguerite démontre par son existence même une obstination dans la défense de ses droits. Fidèle à une certaine vision de son rang et de sa mission, elle entend agir directement sur les évènements, souvent en personne. Elle doit pour cela se livrer à un va-et-vient permanent, et rechercher un point d’équilibres des forces, un équilibre qui concerne également les différentes logiques territoriales qu’elle doit incarner concrètement par son action et son image. La composition d’une telle identité hybride est cependant facilitée par le caractère banal d’une telle situation à tous les niveaux de l’aristocratie, particulièrement pour les femmes dont la vocation est de circuler d’une cour à l’autre par leur mariage. Elle se traduit évidemment dans l’héraldique mais aussi dans la vie quotidienne : les usages alimentaires comme les pratiques dévotionnelles de la comtesse ont une dimension syncrétique d’autant plus évidente que les traditions dont elle est l’héritière ne sont pas forcément éloignées : de la Flandre à la Bourgogne elles relèvent d’une culture aristocratique, francophone pour l’essentiel, catholique bien entendu, au sein d’un espace fortement polarisé par la monarchie, d’autant que de multiples rapprochements ont existé par le passé. Le parcours et la vie quotidienne de Marguerite de France la conduisent le plus souvent à reproduire les usages artésiens, comtois et français dans lesquels elle a grandi, poursuivant une tradition d’échanges culturels attestés sur plusieurs générations : celle de sa grand-mère, de sa mère, de ses sœurs, puis de Philippe de Rouvres. L’une des interrogations formulées initialement concernait la singularité de l’exercice du pouvoir chez Marguerite de France, et son articulation à la question de l’union personnelle au féminin. Son statut a souvent dépendu de sa position vis-à-vis des hommes de sa famille, entre la période de la jeunesse, celle du mariage puis du veuvage. Ce statut de veuve mais aussi de mère et de grand-mère a constitué la base d’un gouvernement personnel à partir de 1346 et plus encore de 1361. Mais le poids d’autres femmes a également compté dans la trajectoire de la comtesse : sa grand-mère, sa mère ainsi que ses sœurs. Mais est venu un temps où la comtesse est devenue elle-même une matrone, exerçant une influence considérable sur son fils, sur Marguerite de Male auprès de laquelle elle a joué un rôle de mentor, probablement aussi sur Philippe le Hardi. De même, sa capacité à influencer les pratiques dévotionnelles de sa cour témoigne d’un certain charisme auprès de ses proches. La pratique religieuse démontre d’ailleurs l’ascendant de certaines femmes sur les choix dévotionnels et notamment l’importance de la spiritualité franciscaine de la Flandre jusqu’en Dauphiné. De même, l’expression d’une charité tournée notamment vers

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les veuves n’est peut-être pas à négliger. Elle s’inscrit dans un modèle principalement hérité des usages de la cour de France tels que promus par Saint Louis en particulier. À son échelle, Marguerite fut aussi une « mère des pauvres » à l’instar du roi « père des pauvres ». Concernant le mécénat, l’entretien des châteaux, les usages alimentaires ou les dépenses d’habillement de la cour, là encore, les mécanismes à l’œuvre ne permettent pas de relever une dimension strictement féminine au mode de vie princier. On notera cependant l’une des fonctions volontiers attribuées aux femmes veuves, celle d’entretenir la mémoire du lignage et de contribuer par ses prières au salut des âmes des défunts. Marguerite de France a rempli jusqu’au bout ces fonctions en faveur de son père mais aussi de Louis de Nevers, en faveur duquel elle ne s’est pas montrée avare de fondations. Il ne s’agit cependant pas d’une tâche réservée aux femmes, ni d’ailleurs d’une fonction strictement privée, tant sa portée peut être politique tant elle ancre le pouvoir dans la durée et l’espace. Sur ce plan, la comtesse a laissé une trace durable, et ses choix religieux témoignent des usages de la haute noblesse, qu’il s’agisse de ses liens privilégiés avec les Chartreux et Franciscains, de sa dévotion à Marie et aux anges, particulièrement saint Michel. Sa piété témoigne des évolutions de son temps et du poids des héritages paternels et maternels. On rappellera d’ailleurs que la dévotion aux saints est moins genrée qu’on ne le pense, et que l’on peut expliquer le choix de tels protecteurs par l’évolution globale de la dévotion laïque mais aussi par une coloration politique attachée à l’héritage capétien, comme l’est bien entendu le culte de Saint Louis. C’est moins le cas de la dévotion à sainte Marguerite, certainement plus féminine en raison de ses liens avec l’accouchement, mais cette pratique semble moins affichée. Ainsi, ces dévotions s’inscrivent dans un comportement plus général, celui de tout prince chrétien soucieux du salut de son âme d’une part, de donner un exemple à son entourage. Selon les recommandations de Christine de Pizan « a saige princesse tout ainsi que le bon pasteur se prent garde que ses brebis soyent maintenues en santé »1. Là encore s’entremêlent éthique, économique et politique. Les séparer est également discutable quand on s’intéresse aux dépenses quotidiennes ou exceptionnelles liées au train de vie de la cour ; celles-ci témoignent assurément d’un goût personnel qui s’inscrit dans des traditions familiales, et contribue à la solidarité d’un milieu princier, tout en contribuant à la promotion des valeurs de largesse. En témoignent l’achat des livrées aux couleurs changeantes qui manifestent l’ampleur de sa « mesnie », ou encore la possession de vastes collections de bijoux et notamment de couronnes. Là pèsent également des modes, des logiques économiques qui valorisent les centres de production capables de fournir ce marché du luxe. Ces centres recoupent d’ailleurs pour partie les lieux de vie et les terres de la comtesse, notamment en Artois, contribuant à son attractivité. De même, l’attrait moins bien renseigné de Marguerite de France pour les livres est à mettre au compte de l’essor de l’éducation lettrée au sein de l’aristocratie, une éducation plus tardivement promue dans la maison de France qu’en Castille ou en Sicile, mais désormais largement 1 Christine de Pizan, Le Livre des trois vertus, op.cit. chapitre XVII.

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répandue. Tout n’est donc pas à lire sous l’angle du genre, qui influe sur le modèle princier, certes, mais ne se traduit pas nécessairement par une différence fondamentale dans le fonctionnement quotidien d’une cour, encore moins dans le cas d’une veuve, d’autant que les structures organisant l’hôtel et le conseil sont assez comparables. Par ailleurs, il faut considérer avec précaution le regard parfois stéréotypé des chroniques, promptes à concentrer leur propos sur la dignité morale de la veuve du sang royal, ou sur son rôle de médiatrice entre Flandre et France. Une telle image n’a pourtant rien d’imaginaire : la réputation de piété célébrée par le religieux de Saint-Denis n’est pas usurpée, ni le rôle d’intermédiaire de la comtesse entre Louis de Male et Charles V. Ces chroniques donnent également à voir une figure plus autoritaire, celle d’une matrone chef de lignage à sa manière, consciente de la nécessité de réprimander un fils lorsqu’il menace les équilibres politique : en cela, les auteurs puisent allègrement dans un modèle auquel la comtesse s’est elle-même conformé, à savoir Mahaut d’Artois, avec laquelle elle finit par être confondue sous l’appellation de « madame d’Artois ». Il est même flagrant de voir combien les chroniques ont intégré la comtesse dans des constructions « nationales » différentes, ce qui s’explique par sa position à la croisée des jeux d’influence. Elles mettent le plus souvent en lumière sa dimension « française », ce qui pourrait paraître réducteur, limitant la part flamande de son identité et plus encore l’héritage artésien et comtois provenant de Mahaut, dans les pas de laquelle Marguerite de France a bien souvent marché, qu’il s’agisse de sa dévotion ou de la décoration des châteaux, mais peut-être aussi de la manière d’exercer le pouvoir et de commander aux jeunes hommes de la famille. On est tenté par le parallèle entre l’attitude de Mahaut vis-à-vis du jeune Louis de Nevers qu’elle remet vertement à sa place en 1327, et celle de Marguerite vis-à-vis de Louis de Male. Il faut pourtant reconnaître que ce modèle « matronal » et marial combinant autorité, piété, intercession et pacification ne dit pas tout, et masque une certaine propension à régler brutalement les désaccords, en particulier avec les sujets désobéissants ; la rudesse de la comtesse s’exprime particulièrement dans les dernières années vis-à-vis d’Arras, quand elle recourt aux exécutions arbitraires et secrètes… Cela n’a rien d’original et relève même d’un assez banal exercice du pouvoir, mais mérite d’être rappelé, tant cette dimension peut être vite oubliée à la lecture de sources désireuses de valoriser la figure de « médiatrice ». On aura ainsi du mal à faire coïncider le tableau pacifique laissé par Froissart de l’action de Marguerite dans la première phase de la révolte gantoise, en 1379-1380, avec la réalité de son appui militaire à son fils Louis de Male. La face noire de la comtesse semble malgré tout bien limitée : elle émerge discrètement à l’occasion des documents de la pratiques, sources comptables et judiciaires ou lettres de rémission royale. On constate alors que l’hôtel d’Artois abrite des individus louches, que les curiaux se comportent parfois en terrain conquis à Arras, que la comtesse n’est pas toujours en règle avec ses créanciers, et s’avère sévère avec ceux qui la défient. Tout ceci est néanmoins banal chez les princes comme chez les princesses. On resituera Marguerite de France au sein d’une galerie de comtesses à poigne, des femmes proches d’elle géographiquement et familialement: Mahaut d’Artois, sa belle-sœur Jeanne de Flandre, sa cousine la comtesse de Hainaut Jeanne

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de Valois, sans oublier la cousine germaine de son mari, Yolande de Flandre. Malgré tout, ce souvenir semble avoir plus rapidement disparu, laissant la place à la bonne et pieuse comtesse. Ce travail de « recréation » de la mémoire a d’ailleurs été à l’œuvre très tôt, y compris dans des sources peu littéraires et extérieures au pouvoir comtal. Longtemps en conflit avec la comtesse, la ville d’Arras célèbre dès 1382 la dame « de boine mémoire » : une mémoire courte, ou en tout cas changeante. Il faut malgré tout reconnaître une fragilité au statut de la comtesse sur le plan militaire, qui n’est pas des moindres quand on sait l’importance de la guerre dans la légitimité de la noblesse. Dans la pratique, et à la différence d’Eudes de Bourgogne ou de Philippe le Hardi, Marguerite ne peut partir à la tête de son ost ni servir de lieutenant général du roi, ce qui pèse certainement dans les liens personnels que l’expérience combattante peut tisser. Que l’on songe aux rapports étroits entre Jean le Bon et Philippe le Hardi après Poitiers... Malgré tout, on peut rapprocher la comtesse d’autres figures féminines martiales, en particulier Jeanne de Flandre, épouse de Jean de Montfort. Les déplacements de Marguerite la montrent au plus près de l’action, face aux Anglais ou aux rebelles bourguignons. Reste qu’elle est alors toujours sur la défensive. La dimension genrée apparaît encore dans la géographie de ses déplacements qui exclut largement les voyages à l’étranger, les opérations de conquête, les missions lointaines pour le roi : domine l’impression d’une itinérance domestique ou familiale, qui est quand même la manifestation d’un rôle politique. À travers l’exemple de Marguerite de France, on devine ainsi tout le jeu subtil auquel les femmes de pouvoir doivent se livrer vis-à-vis des normes attendues : ce jeu ne permet certes pas tout mais offre une part d’autonomie, d’autant que la séparation entre public et privé, sphère domestique et action politique est tout sauf étanche. Qui plus est, si les femmes sont souvent assignées à l’imitation des comportements exemplaires de leurs parentes, la comtesse ne manque pas de références fort dynamiques et « de bonne mémoire » : Mahaut a été à ce titre précieuse à la construction de l’image de Marguerite. Il s’agit également d’un jeu entre l’image qu’elles renvoient, et dans lequel elles sont soucieuses de montrer leur déférence envers les règles, et les formes plus complexes de leur intervention pratique qui nous échappe parfois. Ce jeu entre l’image du pouvoir et son exercice devient d’autant plus subtil que la société politique et l’espace public prennent de l’importance, que l’information écrite se diffuse. Maîtriser l’opinion, jouer avec les codes, cacher ce qu’il ne faut montrer : voilà un art dans lequel les nobles des derniers siècles du Moyen Âge ont tout intérêt à être des maîtres sous peine de voir anéantis leur crédit et leur renommée2. Si les princes sont scrutés avec attention, les princesses le sont davantage : il n’est que de voir le traitement différencié des affaires d’adultère, dont Marguerite de France put être témoin personnellement dès sa tendre enfance. Cela a pu peser sur un certain conservatisme : sans doute la cour d’une noble dame ne saurait-elle se parer impunément des extravagances d’un Louis de Nevers ou d’un Jean de Berry, qui ont d’ailleurs laissé une réputation sulfureuse. On connaît le discrédit qui frappe les dames ne faisant pas preuve de discrétion ni de conformisme ; Jacqueline de 2 J.-B. Santamaria, Le secret du prince, op. cit., p. 314.

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Bavière l’apprend à ses dépends dans sa lutte contre Philippe le Bon3. Loin de devoir manifester une individualité, la femme se doit plus encore que l’homme de correspondre à des catégories bien définies4. Sur ce plan Marguerite de France semble avoir totalement joué la carte du conformisme, non sans succès politique, accédant même à une certaine gloire posthume. Si la comtesse n’a guère laissé filtrer de légende noire dans les sources littéraires, ce n’est pas faute d’avoir su user de certaines ruses voire de violence. Il est vrai qu’elle a pour elle d’être du côté des vainqueurs de l’histoire, ce qui assure souvent une certaine impunité. Elle a par ailleurs su répondre aux attentes de son temps, manifestant une solidité sans faille dans la recherche du salut, le soin pour les défunts, la maîtrise de sa « mesnie », la nécessité de connaître personnellement ses pays et ses sujets. Ce jeu entre le public et le privé, mais aussi entre le respect de la norme et la part de liberté, se retrouve dans les représentations dont la comtesse a le mieux maîtrisé le contenu, en particulier les sceaux : reproduisant les attentes sociales vis-à-vis des femmes de l’aristocratie, aux filles du sang royal, aux épouses et aux veuves, ces sceaux lui permettent d’introduire quelques éléments de choix dans la disposition héraldique qui permet d’insister sur l’héritage capétien et le rôle de médiatrice entre France et Flandre, sur la dimension active de la jeune femme chasseresse au faucon ou l’incarnation volontaire de la figure hiératique de la veuve autoritaire. Il paraît cependant téméraire de chercher à retrouver l’individu Marguerite de France dans sa singularité. Certes, l’émergence de l’individu est un phénomène dont on peut retrouver des éléments à toute époque, et le XIVe siècle ne manque pas d’arguments en sa faveur, notamment le fameux portrait du (futur) roi Jean II le Bon conservé au Louvre. On peut se demander si Marguerite a préféré assurer son autorité morale au détriment de l’originalité ou si notre incapacité à mieux saisir sa fantaisie est un effet du manque de sources. On sait en effet que l’ individuation des représentations masculines est plus avancé que celui des femmes pour lesquelles l’idéalisation l’emporte sur le réalisme5. Jouer sur ces multiples identités et modèles en fonction des circonstances lui a en tout cas permis de dégager un espace de liberté, du moins de démontrer un sens de la fortuna, du moment, si nécessaire à l’exercice du pouvoir. Car la comtesse a bien été une femme de gouvernement, et même plus, une femme de pouvoir, au moins à partir de 1361, un pouvoir qui a atteint son maximum d’influence entre 1368 et 1382. Sa capacité d’action personnelle est d’abord à mettre en relation avec le déploiement d’un art consommé dans la maîtrise de l’éthique (son mode de vie), de l’économique (sa cour) et du politique (l’exercice du pouvoir et le jeu diplomatique). Bien entendu, il ne faut pas surestimer sa capacité à entièrement organiser un gouvernement extrêmement chronophage en raison des multiples déplacements et de la place qu’y occupe l’écrit, un gouverment parfois très technique dans le maniement

3 E. Bousmar, « Jacqueline de Bavière, trois comtés, quatre maris (1401-1436) », op. cit. 4 J.-C. Schmitt, Le corps, les rites, les rêves, le temps, Paris, 2001, p. 255. 5 M. Gaude-Ferragu, La reine au Moyen Âge, op. cit., p. 27.

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des écrits documentaires. L’étude administrative de son principat permettra néanmoins de montrer qu’elle a su également garder la main dans le fonctionnement du conseil et en matière financière. Mais sa vie en dit déjà long quant à son interventionnisme, qu’il s’agisse de sa présence concrète sur ses terres au plus près des lieux concernés par la décision ou de la volonté de garder le contact avec les lieux de la diplomatie telle qu’elle se joue entre France, Bourgogne, Flandre et Angleterre dans les années 1350-1382. Au total, c’est peut-être aux résultats qu’il faut mesurer ce principat et la vie de la comtesse. Son bilan est remarquable en raison de sa forte capacité d’adaptation au service d’une vision constante des enjeux politiques et dynastiques. Prendre la mesure de l’expérience politique et humaine de 70 années aussi chargées est assurément délicat. Le premier constat, le plus évident, est sa capacité à durer. Dans une union personnelle et dans un gouvernement princier, il s’agit d’une donnée capitale, comme l’a montré la durée de certains règnes comme ceux de Philippe Auguste ou Saint Louis, qui ne sont pas pour rien dans la formation d’un puissant État monarchique. Cette durée a permis à Marguerite d’accumuler des réseaux, de l’influence, et plus encore de l’expérience. La comtesse a appris d’une vie traversée très tôt par des crises graves qui semblent résumer tous les malheurs du XIVe siècle et lui donnent parfois un ton dramatique : affaire des brus du roi, extinction de la dynastie capétienne, Guerre de Cent ans, Peste noire, crise économique… Marguerite de France a assurément appris et changé. En témoigne son rapport à l’argent : la comtesse témoigne d’une certaine prodigalité dans sa jeunesse flamande. Ce faisant, elle ne semble pas avoir retiré beaucoup de sagesse des enseignements de Nicolas de Lyre, pourtant proche de sa mère, et qui préconisait la thésaurisation pour le bon gouvernement des princes6. La leçon de l’expérience a été mieux écoutée que celle du théologien : la période de disette financière qui suit l’exil de la comtesse loin de la Flandre puis le temps du veuvage ont assurément été de bon conseil. Ils pourraient en partie expliquer le caractère modéré et conservateur manifesté dans l’entretien de ses résidences, ou encore son soutien à la politique fiscale du roi. Marguerite semble appris avec le temps les vertus du trésor même si elle fut loin de renoncer au faste ! Durer constitue donc un avantage politique indéniable. Marguerite survit à ses sœurs, ses beaux-frères, ses parents, sept rois, huit papes et trois empereurs, intégrant le cercle restreint des filles du sang royal dépositaires de la mémoire capétienne. Elle échappe à bien des dangers : les risques de la grossesse et de l’accouchement, la Peste noire surtout, dans une moindre mesure les violences de l’année 1358 puis les chevauchées anglaises ; sans doute son sexe lui a-t-il au moins évité le risque d’une fin tragique sur le champ de bataille. Défendant inlassablement ses droits, elle protège pourtant vaillamment son héritage et la construction politique qu’elle met en place à partir de 1361. Celle-ci survit à l’opposition initiale du roi Jean le Bon et de son fils Philippe le Hardi alliés à l’empereur, sans oublier celle d’un cousin rival,

6 L. Scordia, « Le roi doit vivre du sien » : la théorie de l’impôt en France, XIIIe-XVe siècles, Paris, 2005, p. 66.

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Jean de Bourgogne, mais aussi à l’Archiprêtre et aux routiers, aux menaces anglaises et aux révoltes flamandes. Ce bilan est d’autant plus remarquable qu’on sait que les veuves sont si souvent la proie des convoitises. Il faut ici souligner qu’elle doit ces succès à trois constantes de son action : le maintien d’un cap politique fondé sur le soutien à la royauté française face à l’Angleterre ; la préservation de l’alliance franco-flamande, quitte à payer le prix fort en 1369 ; enfin la volonté constante de s’insérer dans un réseau princier dominant, en particulier après l’effondrement du premier « parti bourguignon » en 1347-1349 : d’abord par un premier mariage bourguignon avec Philippe de Rouvres, puis par le second obtenu grâce à l’appui de Charles V. Ce mariage reconstitue en effet un parti soutenu par le roi et où elle apparaît comme la tête pensante avec Philippe le Hardi. Ici, il faut introduire un élément strictement conjoncturel à mettre au crédit de la comtesse, d’autant qu’il a été fondamental dans la perspective d’une union personnelle susceptible d’être démantelée entre plusieurs héritiers : Marguerite de France a depuis 1330 un fils unique, Louis de Male, lui-même père d’une fille qui est l’unique héritière des terres de la comtesse et de son fils. Cela confère à son mariage une importance fondamentale, et donne une perspective de transmission en un seul bloc des terres comtales, dont l’intégration était favorisée par la perspective d’un maintien de leur unité au-delà de la mort de la comtesse, motivant ainsi les serviteurs à tenir ensemble cet espace. L’unique héritier est souvent une clef d’explication de la pérennité des unions personnelles, y compris dans le cadre de l’État bourguignon7 : à partir de Jean sans Peur, l’existence à chaque génération d’un successeur unique a contribué l’administration à penser l’ensemble comme un tout. La comtesse a de fait passé sa vie à affirmer avec détermination et constante son statut, ses droits et son honneur, manifestant son acharnement à maintenir puis reconstruire un réseau familial puissant, non sans s’appliquer à faire son salut et celui des siens. Elle l’a fait avec un sens certain de la communication politique, jouant du conformisme sans se lier les mains dans la répétition de l’existant. On conçoit dès lors que la comtesse ait été célébrée par la mémoire bourguignonne comme une des quatre marguerites fondatrices. Philippe le Hardi lui doit en partie son beau mariage ; sa présence au baptême de Jean sans Peur, premier prince à unir personnellement les héritages flamands, artésiens, duchois et comtois permet à bon titre de considérer Marguerite de France comme la marraine de l’État bourguignon. Il serait en outre injuste de succomber à l’illusion : la splendeur de la cour de Bourgogne ne doit pas nous aveugler sur les décennies antérieures, particulièrement fécondes dans l’art d’incarner le pouvoir princier, même si la comtesse a été plus discrète. Cette attitude témoigne peut-être d’une forme d’humilité, encore qu’elle sache se montrer hautaine, mais sans doute davantage d’un sens habile des limites que la société pouvait fixer à un pouvoir féminin. En la matière, la comtesse aurait sans doute pu se retrouver dans le portrait de la princesse habile décrite par Christine de Pizan comme maîtresse en « discrete dissimulacion et prudente cautelle »8.

7 A. Uyttebrouck, « Phénomènes de centralisation dans les Pays-Bas avant Philippe le Bon », op. cit. 8 Christine de Pizan, Le Livre des trois vertus, op.cit. chapitre XV.

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À l’heure de clore cette étude, il importe de rappeler une conviction, à savoir la nécessité pour l’historien de tenir ensemble la trajectoire individuelle au devenir de la société dans laquelle elle prend place. C’est pourquoi la présente réflexion ne constitue qu’un premier temps d’une démarche plus globale, car phénomène princier ne peut se découper en tranches, particulièrement dans le cas d’une construction territoriale reposant sur une union personnelle. Une fois mieux saisie la personne de la comtesse, et de sa manière d’incarner la fonction princesse, il appartiendra d’exposer les rouages et les soubassements humains d’un gouvernement au féminin d’union personnelle capable d’articuler dans sa prise de décision global et local, en un siècle marqué par de profonds changements dans l’organisation des pouvoirs princiers.

Sources et bibliographie Sources manuscrites Columbia University, New York Smith Documents 126. Archives générales du Royaume, Bruxelles (AGR) Chambre des comptes. Chartes du Trésor de Flandre, 1ère série 2272 (Trésor des chartes des comtes de Flandre). Chambre des comptes (CC) CC 46. Chambre des comptes. Rouleaux (CC R) CC R 4-5. Bibliothèque royale de Belgique, Bruxelles (BRB) 11053-11054 (Livre de prière de Marguerite de France, par erreur qualifié de livre d’heures). Archives Nationales, Paris (AN) Série J. Trésor des chartes du roi de France : layettes J 250, 293, 371 (n° 8 et 10). Série JJ. Trésor des chartes du roi de France : registres de chancellerie JJ 55, 60, 66, 70, 71, 77, 78, 81, 82, 88, 90, 91, 92, 97, 98, 99, 105, 107, 111, 113, 116. Série KK. Chambre des comptes. KK 393 (comptes d’Artois). Série S. Biens des établissements religieux supprimés S 5207, n° 16. Bibliothèque Mazarine, Paris 1716 (Recueil de vies de saints et de saintes, Barlaam et Josaphat, Pastoralet, fin XIIIe-début XIVe siècle). Bibliothèque Nationale, Paris (BN) Arsenal 3525 (Dits de Watriquet de Couvin). Bourgogne 21, 26 (Extraits de comptes et copies de pièces).

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Clairambault Clairambault 50, 94, 469, 1052. Colbert Flandre-Artois 188, 189 (notamment le compte du bailliage de Bapaume du 17 juillet 1358 au 17 juillet 1359). Colbert 350 (n °132), 391 (n° 618 et 625). Français (Fr.) Fr. 2663 (Chroniques de Froissart), 2813 (Grandes Chroniques de France), 4628 (Recueil d’actes et copies concernant la Bourgogne), 7855 (Ordonnances de l’hôtel royal), 8535 (Comptes du bailliage d’Aire, Ascension-Toussaint 1342), 8552 (Compte du trésorier du bailliage d’Amont en Franche-Comté, du 29 septembre 1372 au 29 septembre 1373, puis du 29 septembre 1373 au 29 septembre 1374), 20374 (Pièces originales concernant le duché de Bourgogne et le Nivernais réunies par Gaignières), 20882 (Pièces originales concernant les archevêques et évêques réunies par Gaignières), 22404 (Pièces originales et copies concernant les princesses du sang, notamment Marguerite de France, réunies par Gaignières). Latin 17104, 17130. Moreau 900. Nouvelles acquisitions françaises (NAF) NAF 3104 (notamment des quittances de Marguerite de France, et d’autres lettres de la comtesse), 9176 (pièces justificatives du compte des trésoriers comtois), 22379 (fol. 7-8, fragment du compte du bailliage d’Aval en Franche-Comté). Nouvelles acquisitions latines (NAL) NAL 1110, 2283, 2299, 2330. Archives départementales de l’Aube, Troyes (ADA) Série G G 2902, 2904, 3640. Empreintes de sceaux 42 Fi 115. Archives départementales de Côte-d’Or, Dijon (ADCO) Série B (Chambre des comptes de Dijon) – Trésor des chartes des ducs de Bourgogne B 50, 260, 383, 398 (cartulaire du comté de Bourgogne), 401 (1er registre de chancellerie de Marguerite de France), 485 (2e registre de chancellerie de Marguerite de France), 485 bis (3e registre de chancellerie de Marguerite de France), 585, 1064, 1065, 1171, 3444, 4852, 10436, 11913 (succession du comté de Bourgogne). – Comptes B 315, 1406, 1409, 1411, 1414, 1415, 1418, 1420, 1421, 1425-1429, 1431, 1432, 1434, 1443, 1433, 1436, 1437, 1439, 1448, 1449, 1458, 1458 bis, 3346-3348, 3852-3860, 4003, 4364-4365, 4626-4627, 4642, 5070-5072, 5237-5238, 5479, 5492, 5498, 6397.

so u rce s e t b i b li o graphi e

Archives départementales du Doubs, Besançon (ADD) Série B (Trésor des chartes du comté de Bourgogne) – Chartes, lettres, décharges, quittances B 20, 24, 36, 44, 50, 53, 60, 61, 71, 72, 73, 87, 89, 201, 203, 213, 214, 219, 248, 261, 262, 263, 270, 314, 320, 327, 328, 337, 338, 339, 340, 345, 352, 353, 354, 355, 358, 359, 363, 365, 370, 371, 372, 377, 378, 382, 386, 388, 391, 392, 404, 407, 412, 414, 420, 421, 432, 451, 469, 474, 480, 484, 485, 491, 493, 501, 502, 504, 505, 507, 511, 517, 518, 519, 521, 522, 536, 537, 540, 581, 2265. – Comptes B 25, 90-94, 96-100, 108-111, 115, 123, 131, 134. Archives départementales de Haute-Saône, Vesoul (ADHS) Série G (clergé séculier avant 1790) G 25, 28, 43, 48. Série H (clergé régulier avant 1790) H 172, 192, 285, 582, 673, 838, 868. Archives départementales du Nord, Lille (ADN) Série B (fonds de la Chambre des comptes) – Trésor des chartes de Flandre (et transferts du Trésor des chartes d’Artois) B 251, 471, 615, 668, 757, 1288, 1562,1569, 1595, 3231, 3232. – Comptes B 13633-13634 (Aire-sur-la-Lys), 13877-13886 (Arras), 14400-14412 (Bapaume, mais aussi Aubigny, Avesnes, Chocques, Fampoux, Quiéry), 14284-14288 (Avesnes, Aubigny), 14581-14660 (Béthune, Beuvry, Chocques), 14663-14664 (Beuvry, Chocques), 14689-14672 (Béthune, Beuvry, Chocques), 15029-15042 (Beuvry), 15134-15199 (Éperlecques) 15222-15531 (Lens) 15274-15284 (Hesdin), 15770-15822 (Saint-Omer), 16081-16104 (Tournehem). Série G, sous-série 4 G (chapitre métropolitain de Cambrai) 4 G 123, n° 1783. Archives départementales du Pas-de-Calais (ADPDC) Série A (Trésor des chartes d’Artois)1 – Trésor des chartes (chartes, lettres, minutes…) A 80, 83, 85, 86, 90-105. – Informations et procédures devant le conseil en Artois A 975-993, 996-999.



1 Si les mandements remis lors de l’audition des comptes ont été séparés des autres lettres comtales rangées dans les cotes A 90-105, témoignant ainsi de l’activité de la chancellerie et relevant davantage du « chartrier » ou du Trésor des chartes, cette répartition est parfois artificielle. Nous en avons cependant repris le principe qui structure la série A. Nous avons par ailleurs distingué les pièces comptables et les comptes qui sont pourtant classés en une même série continue selon l’ordre chronologique dans la série A.

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– Comptes (y compris exploits de justice, comptes de travaux…) A 261, 263, 270, 280, 293, 298, 316, 329, 334, 351, 361, 368, 374, 378, 386, 396, 403, 412, 416, 428, 439, 448, 458, 461, 474, 480, 494 (comptes de l’hôtel de Mahaut), 570, 575 (compte de l’hôtel de Marguerite de France), 661, 686, 695, 699, 701, 704, 705, 707, 712, 717-718, 723, 728, 732, 736-737, 742-745, 750, 753, 755-756, 759, 761, 764, 767, 771-772, 776-777, 782-783, 785-787, 792, 808, 810, 1003, 1017. – Pièces justificatives des comptes (mandements, quittances, certifications…) A 664, 679-680, 693-694, 696-698, 700, 702-703, 706, 708-711, 713-716, 719-722, 724-727, 729731, 733-735, 738-741, 746-749, 751-752, 754, 756-758, 760, 762-763, 766, 768-770, 773-775, 778-781, 784, 788-789, 1006. Série H H 2050 (Titres de Méaulens et Boves). Archives municipales d’Arras Série AA AA 3, 6, 11, 32. Série BB BB 1-2. Archives municipales de Besançon Droz Droz 11. Archives municipales de Reims Tarbé Tarbé, Carton IV, n° 20, 23 et 44. Archives municipales de Saint-Omer Série AB AB 8, 21, 27. Série BB BB 1, 2, 5, 8, 13, 26-27, 42, 46, 53, 55, 59, 101, 101 bis, 104, 134, 137, 144, 153, 154, 161, 163, 167, 192, 200, 203, 216, 220, 227, 234, 251, 262, 281, 292.

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Index Abbeville, 169, 369 Abraham, Jean, 242 Acey, abbaye Notre-Dame d’, 410 Agache, Jean, 327 Aichey, Gilles d’, 185 Aignay-le-Duc, 239 Aire-sur-la-Lys, 104, 105, 141, 147, 155, 159, 165, 173, 181, 183, 189, 191, 206, 256, 257, 259, 271, 298, 299, 327, 335, 337, 341, 350, 357, 358, 359, 361, 364, 408, 478 Aire, Martin d’, chapelain, 357 Aix-Noulette, 194 Alloes, Franssekin, marchand de Bruges, 362 Alost, 81 Amiens, 57, 112, 195, 236, 238, 245, 246, 347, 379, 383 Amiens, Michel d’, 245 Amiens, Nicolas d’, 383 Amillis, Marie d’, 157, 249, 307, 356 Amion, Thomas, 196, 374 Anchin, abbé d’, 147 Angleterre, 48, 69, 99, 101, 103, 106, 113, 123, 126, 127, 129, 135, 137, 142, 147, 148, 149, 150, 151, 155, 158, 160, 161, 169, 170, 172, 173, 174, 177, 178, 188, 193, 202, 204, 230, 232, 246, 297, 312, 338, 340, 354, 408, 461, 472, 474, 475 Angleterre, Édouard d’, duc d’Aquitaine, prince de Galles, dit le Prince Noir, 159, 465 Angleterre, Édouard Ier, roi d’, 232, 350, 352 Angleterre, Édouard III, roi d’, 103, 113, 126, 131, 147, 157, 159, 169, 170, 187, 197, 463 Angleterre, Isabelle d’, fille d’Édouard III, 113 Angleterre, Richard II, roi d’, 204 Anjou, Blanche d’, 48

Anjou, Charles d’, 60 Anjou, Louis Ier, duc d’, 189 Anjou, saint Louis d’, évêque de Toulouse, 424 Anlezy, Jeanne d’, 133 Anvers, 103, 162, 164, 226, 227, 301 Apponay, Chartreuse d’, 416 Apremont, 37, 144, 149, 151, 185, 206, 314, 318, 319, 334, 335 Aragon, Isabelle d’, 33 Aragon, Jacques Ier, roi d’, 33 Araines, Jeanne d’, 133 Arbois, 37, 76, 94, 95, 118, 124, 142, 149, 186, 203, 206, 207, 241, 255, 258, 312, 314, 315, 322, 334, 344, 384, 396, 412, 414, 426, 429, 430, 439, 440 Arbois, collégiale d’, 207, 412, 423, 424 Arbois, Philippe d’, doyen de SaintDonatien, évêque de Tournai, 95, 117, 125, 132, 162, 166, 228, 384, 393, 412, 418, 422, 423 Arbois, Saint-Just d’, 384 Arbonay, Guillaume d’, 185 Arcis-sur-Aube, 241 Ardres, 169, 170, 172, 192, 204 Aretio, Jean Gérard de, Lombard, 107 Argillières, Jean, chapelain et secrétaire de la reine Jeanne de Bourgogne, 46 Arguel, Jean d’, 175 Arles, 156, 413, 436 Arleux, 131 Armory ou l’Amoury, Jean, tapissier d’Arras, 374 Arques, 65, 147 Arrabloy, Jean d’, 133 Arras, 24, 35, 37, 38, 39, 42, 65, 79, 80, 87, 105, 106, 107, 108, 122, 131, 132, 135, 141, 146, 147, 148, 151, 152, 153, 154, 155, 156, 159, 161, 162, 163, 165, 166, 172,

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173, 174, 177, 179, 180, 182, 187, 188, 189, 191, 194, 195, 196, 197, 198, 199, 200, 201, 202, 204, 206, 207, 209, 210, 211, 225, 227, 228, 231, 232, 236, 238, 239, 240, 242, 243, 245, 246, 247, 249, 250, 251, 255, 256, 257, 259, 272, 273, 275, 277, 278, 279, 281, 282, 289, 295, 298, 300, 306, 309, 327, 328, 331, 332, 333, 337, 339, 340, 346, 348, 349, 355, 361, 362, 364, 369, 370, 374, 375, 376, 378, 382, 383, 385, 393, 396, 406, 407, 408, 422, 423, 428, 430, 437, 446, 456, 458, 471 Arras, Cour-le-Comte, 210, 253, 272, 273, 278, 280, 335, 339, 340, 369, 370, 374, 424, 426, 457 Artois, Amicie de Courtenay, comtesse d’Artois, 34 Artois, Catherine d’, comtesse d’Aumale, 44, 45 Artois, Charles d’, fils de Robert d’Artois, 129, 160, 170, 187 Artois, Jeanne d’, comtesse de Foix, 44 Artois, Mahaut, comtesse d’, 15, 18, 19, 23, 31, 33, 34, 35, 37, 38, 39, 40, 41, 42, 43, 45, 47, 49, 50, 51, 59, 60, 64, 65, 66, 67, 68, 70, 71, 72, 73, 75, 76, 77, 78, 79, 80, 83, 91, 92, 94, 95, 108, 111, 118, 119, 121, 126, 130, 139, 207, 208, 213, 214, 224, 226, 227, 231, 235, 238, 239, 243, 244, 256, 257, 259, 260, 262, 263, 266, 272, 273, 288, 294, 304, 305, 306, 308, 309, 317, 320, 331, 334, 339, 351, 352, 354, 362, 363, 364, 367, 368, 369, 377, 381, 383, 385, 387, 390, 391, 393, 396, 399, 400, 401, 404, 405, 406, 407, 408, 409, 414, 422, 429, 433, 435, 440, 442, 444, 446, 447, 449, 450, 451, 452, 453, 454, 461, 467, 468, 471, 472 Artois, Marguerite d’, comtesse d’Évreux, 85, 104 Artois, Marie d’, comtesse de Namur, 66, 67, 87, 140 Artois, Robert d’, 39, 40, 44, 57, 59, 64, 92, 160, 346, 453

Artois, Robert Ier, comte d’, 34 Artois, Robert II, comte d’, 34, 257, 260, 263, 269 Atioles, dame d’, 45 Atrike, Gilles d’, 382 Aubigny, 60, 95, 148, 238, 259 Aubigny, seigneur d’, 60 Auchy, 267, 429, 431 Audenarde, 69, 81, 82, 88, 102, 191, 201, 226, 461 Audenarde, Béatrice d’, nourrice, 88 Audruicq, 169, 170, 192 Augerans ( Jura), 143 Augrenon, Michel, 196 Aumale, Jean II, comte d’, 44, 87 Aunay, Gauthier d’, 36 Auprimes, Matthieu des, châtelain de La Montoire, 179 Autun, Saint-Lazare d’, 231, 417 Auxerre, 44, 122, 135, 161, 165, 227, 303, 347 Auxerrois, 135 Auxonne, 67, 70, 72, 78, 79, 80, 95, 97, 108, 151, 239, 438 Auxonne, Guillaume d’, conseiller, chancelier, évêque de Cambrai, 67, 70, 72, 78, 79, 80, 95, 97, 108, 438 Avallon, 227 Avesnes-le-Comte, 35, 37, 38, 94, 122, 130, 133, 163, 196, 205, 240, 251, 259, 300, 335, 405, 407, 461 Avignon, 39, 71, 156, 159, 203, 225, 230, 359, 397, 436, 437 Bailleul, Isabelle de, 45 Bapaume, 24, 26, 94, 95, 98, 104, 105, 106, 107, 108, 114, 117, 120, 121, 122, 124, 126, 131, 133, 134, 135, 146, 153, 154, 156, 160, 162, 170, 172, 173, 181, 183, 187, 188, 224, 227, 235, 236, 238, 239, 242, 243, 244, 246, 249, 250, 258, 264, 269, 270, 272, 295, 298, 327, 328, 331, 335, 337, 340, 348, 357, 375, 396, 405, 407, 408, 409, 413, 419, 424, 429, 439, 440, 445, 478 Bar, Robert Ier, duc de, 112, 155 Barberousse, Frédéric, empereur, 316

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Barbeule, Nicolas, 383 Barette, Nicolas, 383 Basseville, 208, 416, 422 Baume-les-Dames, 60, 150, 175, 185, 186, 188, 234, 314, 318, 329, 334, 335, 428, 430, 431, 433 Baume-les-Messieurs, 37, 158, 207, 381 Baume, Pierre de, maître en théologie, 438 Bavière, Albert de, 156, 162, 188 Bavière, Isabeau de, reine de France, 17, 72, 425 Bavière, Jacqueline de, 16, 18, 139, 473 Bavière, Louis IV de, empereur, 101 Bavière, Marguerite de, duchesse de Bourgogne, 386, 464 Bayencourt, 297 Beaucaire, 44 Beaufort, comtesse de Dammartin, 45 Beaufort, Guillaume III Roger de, vicomte de Turenne, 178 Beaujeu, Jeanne de, 400 Beaujeu, Louis de, seigneur d’Amillis, écuyer de la comtesse, 248, 356 Beaune, 130, 164, 362 Beaurainvillé, 180 Beaussart, Robert de, dit de Wingles, connétable de Flandre, 108, 117, 125, 248 Bechon du Lion d’Or, Henri, 196 Bécoisel, 94 Becourt, Warin, sire de et d’Enkin, chevalier, 161 Belfort, Guillaume de, 176 Bellary, Chartreuse de, 227, 415, 416, 417 Bellemotte, 180, 183, 194, 256, 275, 281, 332, 335, 337, 409, 421 Bellevaux, 410, 411, 415 Belloies, Philippe de, clerc, 130 Bergues, 87, 109, 113 Bernard, Jean, veneur, 348, 449 Berruyer ou Berruiel Jean, dit du Meel, 142 Berry, Bonne de, comtesse de Savoie, 193 Berry, Jean de France, duc de, 89, 164, 176, 210, 211, 468, 472

Bersele, Thierry de, 115 Bertrand, Pierre, évêque de Nevers puis Autun, 40, 51 Besançon, 37, 93, 123, 145, 206, 225, 315, 410, 413, 437, 456 Besançon, archevêque de, 145, 185, 206 Béthencourt, Jean dit Sarrasin, seigneur de, gouverneur du bailliage et du château de Saint-Omer, garde de la châtellenie d’Hesdin, 182 Béthonsart, 196 Béthune, 48, 56, 62, 63, 66, 72, 141, 147, 149, 157, 161, 162, 165, 174, 177, 178, 183, 188, 189, 191, 194, 197, 201, 202, 203, 204, 205, 206, 225, 227, 228, 231, 235, 236, 238, 243, 245, 247, 249, 256, 257, 258, 259, 272, 289, 290, 291, 294, 295, 298, 327, 328, 335, 336, 340, 349, 350, 357, 364, 378, 382, 405, 406, 407, 408, 423, 426, 428, 429, 430, 435, 446, 451, 456 Béthune, Mahaut de, 48 Béthune, Saint-Barthélémy de, 289, 407, 426, 429, 430 Beuvry, 162, 204, 245, 289, 291, 293, 335, 336, 429, 431, 456 Bienvillers, 181 Biervliet, 96, 98, 102, 103, 133 Bièvre, Pierre de, 38 Billy, 170, 415 Binche, 109 Biset, Jean, conseiller, 132, 238, 310, 356 Blaigny, Nicolas de, clerc d’Ancel de Salins, 207 Blanchet, Jean, 356 Blandans, 334 Blarye, Jean, chanoine de Beauvais, maître des comptes, 178, 203, 209, 238, 247, 250, 281, 332, 356, 418, 437 Blaton, 118 Bleine, Richarde de, 383 Bléneau, 137 Bletterans, 190 Blois-Châtillon, Guy Ier de, 61, 87, 390 Blois, Charles de, 109

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Bohème, Venceslas Ier, duc de Brabant, 132, 166, 188 Bois, Pierre du, 244 Bonnay, 227 Bonny-sur-Loire, 238 Borde, Laure de, dame de Chastellux et Montperroux, 136 Bordeaux, 135 Bordes, Perrine des, demoiselle, 356 Bosquet, Étienne, bailli de Béthune, bailli d’Arras, conseiller, 356, 357 Bouchem, 428 Bouchette, Huguenin, bailli de Nevers, 136 Boudevale, Willaume, 190 Boulogne, Gui de, cardinal, 122, 392, 436 Boulogne, Jeanne de, reine de France, 112, 119, 120, 122, 123, 131, 132, 145, 306, 312, 323, 433, 436, 454 Boulogne, Laurent de, peintre et garde des engins d’ébattement d’Hesdin, 244, 261, 266, 267, 331, 369, 370 Boulogne, Vincent de, peintre et maître des engins à Hesdin, 245, 262, 346, 349, 369, 376 Bourbon, Jean Ier, comte de la Marche, seigneur de Bucquoy et Carency, 196 Bourbon, Jeanne de, reine de France, 153, 182, 209 Bourbon, Louis Ier, duc de, 345 Bourbon, Louis II, duc de, 417 Bourbonnais, 170 Bourg-dessous-Salins, 150 Bourg-dessus-Salins, 173, 457 Bourg-en-Bresse, 171 Bourges, 62, 125 Bourgogne (comté), Jeanne de, reine de France, 23, 31, 34, 35, 36, 38, 40, 44, 45, 47, 59, 60, 67, 73, 75, 84, 86, 91, 92, 97, 108, 111, 119, 120, 121, 130, 144, 213, 223, 305, 317, 373, 377, 384, 387, 393, 401, 405, 440, 442, 451, 454 Bourgogne (duché), Jeanne de, reine de France, 122

Bourgogne (duché), Jeanne de, reine de France, épouse de Philippe VI, 92, 120, 123, 452 Bourgogne, Alix ou Adélaïde de Méranie, comtesse de, 34, 144 Bourgogne, Blanche de, fille d’Othon IV et Mahaut d’Artois, 34 Bourgogne, Charles le Téméraire, duc de, 17 Bourgogne, Eudes IV, duc de, 23, 40, 44, 52, 53, 59, 91, 118, 119, 120, 122, 123, 147, 185, 213, 225, 245, 258, 260, 312, 314, 363, 433, 472 Bourgogne, Henri de, 44, 95 Bourgogne, Hugues de, seigneur de Fraisans, frère d’Othon IV , 76, 95, 108, 121, 122 Bourgogne, Jean de, seigneur de Montaigu, 143, 144, 232, 314, 317, 475 Bourgogne, Jean sans Peur, duc de, 20, 25, 83, 207, 231, 232, 249, 307, 355, 386, 392, 395, 406, 475 Bourgogne, Jeanne de, fille de Philippe Monseigneur et Jeanne de Boulogne, 119 Bourgogne, Mahaut de, comtesse de Nevers, Auxerre et Tonnerre, 451 Bourgogne, Marguerite de, épouse du futur Louis X, 48 Bourgogne, Othon IV, comte de, 34, 143, 144, 401, 411, 442 Bourgogne, Philippe de Rouvres, duc de, 112, 120, 122, 123, 126, 130, 131, 134, 137, 140, 141, 142, 143, 144, 148, 169, 176, 185, 188, 213, 258, 286, 311, 314, 315, 348, 407, 410, 440, 444, 469, 475 Bourgogne, Philippe le Beau, héritier de la maison de Bourgogne, prince des Pays-Bas, 386 Bourgogne, Philippe le Bon, duc de, 210, 268, 323, 362, 365, 395, 432, 457, 464, 473, 475 Bourgogne, Philippe le Hardi, duc de, 15, 49, 54, 88, 148, 149, 150, 151, 154, 156, 159, 160, 165, 166, 170, 172, 176, 177,

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186, 187, 188, 190, 191, 198, 199, 202, 203, 205, 206, 211, 213, 214, 225, 226, 231, 232, 239, 246, 255, 268, 278, 303, 307, 308, 314, 315, 338, 340, 346, 360, 374, 375, 378, 382, 386, 391, 393, 423, 425, 433, 435, 445, 450, 457, 461, 467, 472, 474, 475 Bourgogne, Renaud de, comte de Montbéliard, 37 Bourgogne, Robert de, 44 Bourgogne, Robert de, fils d’Othon IV et Mahaut d’Artois, 34, 38 Bourgogne, Yolande de, 48, 56 Bourgois, Willaume, drapier de SaintOmer, 363 Bournonville, Enguerrand de, 22 Bournonville, Hue de, 249 Bours, Jean de, 190, 251 Brabant, 84, 99, 103, 104, 109, 119, 126, 132, 166, 188, 225, 230, 343, 363, 464 Brabant, Jean III, duc de, 87, 103, 106, 109, 113, 132 Brabant, Jeanne, duchesse de, 132, 166, 188, 464 Brabant, Marguerite de, comtesse de Flandre, 83, 109, 126, 131, 132, 134, 177, 230, 301, 368, 369, 391, 436, 445, 464 Brabant, Marie de, reine de France, 367, 442 Brabant, Mathilde de, comtesse d’Artois, 34 Bracon, 37, 60, 76, 78, 142, 225, 255, 256, 257, 258, 259, 312, 314, 315, 320, 321, 322, 329, 330, 334, 340, 414, 434 Bray-sur-Seine, 235, 238 Bretagne, Marie de, comtesse de SaintPol, 382 Brie-Comte-Robert, 187, 235 Brienne, Gauthier V, connétable de France, comte de Brienne, duc d’Athènes, 103 Brienne, Isabelle de, 89 Brisebarre, trouvère de Douai, 49 Broederlam, Melchior, peintre, 368 Bruay-La-Buissière, 205, 293, 295, 429

Bruges, 61, 63, 64, 65, 75, 76, 81, 82, 84, 85, 95, 99, 101, 102, 106, 111, 117, 118, 124, 148, 160, 178, 187, 188, 200, 208, 209, 210, 225, 226, 236, 238, 255, 301, 302, 348, 350, 352, 353, 354, 355, 362, 379, 380, 383, 403, 415, 418, 419, 436, 438, 439, 440 Bruges, abbaye Saint-André de, 82 Bruges, Goldolf de, 350 Bruges, Jean Bondolf dit de, peintre, 244, 370, 392 Bruges, Saint-Donatien de, 111, 160, 208, 380, 418, 424, 436, 440, 457 Brun, Antoine, drapier de Paris, 364 Brunel, Jean, chapelain, 357 Bruxelles, 221 Bruxelles, Jean de, d’Abbeville, peintre, 369 Brzeg, Marguerite de, duchesse de Bavière, 187 Buckingham, Thomas de Woodstock, comte de, 203, 204, 205, 206 Buffard, 95, 98, 145 Bugey, 59, 258, 332 Calais, 151, 169, 172, 181, 192, 197, 204, 206 Calaisis, 178, 214, 232, 259, 430 Cambelinguoel, Jean de, 196 Cambrai, 66, 130, 131, 242, 274, 374, 407, 479 Cambrai, Jean de, maréchal, 242 Canard, Jean, avocat au Parlement de Paris, 383 Canche, la, rivière, 180, 266, 269 Canestel, Bernard, 266 Capoue, Victor de, 385, 386 Carcassonne, 96 Carrières-sur-Seine, 304 Castel, Gilles Du, 195 Castille, Alphonse XI, roi de, 51 Castille, Blanche de, reine de France, 384, 401 Castille, Henri de Trastamare, roi de, 159 Cauvin, Bernard, 195 Cercy, 116

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Cervole Arnaud de, dit l’Archiprêtre, 135, 136, 137, 138, 144, 151, 158, 475 Cézy, 312 Chailly (Normandie ?), 97, 108 Chalon-Arlay, Hugues Ier, seigneur d’Arlay, 37, 44, 45 Chalon-Arlay, Hugues II, seigneur d’Arlay, 149, 162, 171, 175, 184, 315, 326 Chalon-Auxerre, Jean de, fils du comte, 161, 165, 184, 325 Chalon-Auxerre, Jean II d’, comte d’Auxerre, 44, 120, 303, 325 Chalon-Auxerre, Jean III, comte d’Auxerre, 161, 324 Chalon-Auxerre, Tristan de, seigneur d’Orgelet et Châtel-Belin, 149, 165, 186, 325, 435 Chalon, famille de, 44, 144, 165, 314, 325 Chalon, Hugues III de, comte de Bourgogne, 34 Chalon, Jean Ier de, dit l’Antique, comte de Chalon et d’Auxonne régent du comté de Bourgogne, 34 Chalon, Louis de, seigneur d’Arguel et Cuiseaux, 149 Chamole, 142, 323 Champ, Jean du, 196 Champagne, 33, 35, 37, 44, 46, 52, 54, 95, 96, 116, 120, 121, 122, 123, 141, 142, 160, 164, 170, 174, 187, 223, 225, 227, 228, 229, 233, 236, 238, 245, 309, 330, 337, 340, 344, 349, 371, 399, 403, 429, 431, 450, 467 Champagne, Durand de, 47 Chanteloup-les-Vignes, 304 Chanteloup, commune de FranquevilleSaint-Pierre, 108, 121 Chantemerle, Jeanne de, moniale, 417 Chaource, 96, 141, 183, 233, 255, 310, 330 Chapuis, Pierre, chanoine de Besançon, 437 Charenton-le-Pont, 58, 102, 117, 124, 125, 126, 135, 157, 181, 192, 224, 225, 226, 227, 231, 239, 243, 246, 253, 255, 273, 304, 308, 337, 340 Chariez, 150, 314

Chariez, Aymonin de, 322 Charles V, dauphin puis roi de France, 153, 158, 162, 163, 164, 169, 178, 181, 188, 193, 379, 385 Charles VI, roi de France, 379, 387, 395 Charleville-Mézières, 103, 118, 221, 224, 226, 301 Chasteller, Thierry du, châtelain de Leuze-en-Hainaut, 130 Château-Chalon, 93, 314, 324, 334 Château-Regnault, 177, 301 Château-sur-Salins, 414 Châteauneuf-sur-Loire, 135 Châteauneuf-Val-de-Bargis, 136, 417 Châteauvillain, Jeanne de, 144, 159, 160 Châtelot, 184 Châtillon-le-Duc, 145, 149, 188, 312, 314, 315, 334, 411 Châtillon-sur-Seine, 176, 238, 245, 435 Châtillon, Gaucher de, seigneur de La Ferté, gouverneur d’Artois, 140, 390 Châtillon, Jeanne de, comtesse de Brienne, 89 Châtillon, Mahaut de, comtesse de Valois, 45 Chauffour, Jean de, routier, 149, 151 Chaure, Nicolas, marchand de Bruges, 362 Chaussin, 185 Chauvry, seigneur de, 60 Chavanne-sur-Saran, 186 Chelier, Willaume du, de Saint-Omer, 287 Cherlieu, abbaye de, 326, 402, 410, 411 Chevannes, 116, 415 Chissey, 95, 98, 145, 314, 412 Chocques, 194, 204, 291, 293, 294, 335, 336, 429, 456 Cicons, Guy de, chevalier, seigneur de Chevigney, bailli d’Aval, châtelain de Dole, châtelain de Rochefort, 166 Cirasse, Philippe, litier, 244 Cîteaux, 141, 410 Clamecy, 102, 137, 226, 246, 255, 256, 302, 303, 338, 415, 416, 467

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Clément VI, pape, 87, 420 Clément VII, pape, 412 Clermont-en-Beauvaisis, 134 Clermont, Louis de, 57 Clermont, Nicolas de, Dominicain, 46 Clerval, 186, 314 Cléry-sur-Somme, 204 Cly, seigneur de, châtelain de Baume, 186, 188, 325 Colombes, Marguerite de, demoiselle des jeunes dames, 46 Compiègne, 38, 52, 157, 192, 236, 277, 332 Conchy-sur-Canche, 242 Coquelles, 148, 224 Corbeil, 34, 35, 238 Corbie, 251 Corbie, Arnaud de, 199 Corbigny, 415 Corcondray, 158 Corneux, abbaye de, 411 Corvol, 137, 416 Cosne, Pierre de, 356 Cosset, Jean, tapissier d’Arras, 374 Cossigny, Jean de, 244 Coucy, Enguerrand IV, seigneur de, 390 Coucy, Enguerrand V, seigneur de, 44 Coucy, Enguerrand VII, seigneur de, 184, 192, 199, 204, 278 Courcel, Jean de, d’Arras, 281 Courpalais, dame de, 45 Courpalais, Jean de, 38 Courtenay, Mathilde de, comtesse de Nevers, 416 Courtenay, Pierre de, 34 Courtrai, 65, 66, 70, 81, 97, 98, 101, 102, 103, 105, 114, 115, 124, 162, 224, 226, 239, 255, 301, 302 Couvin, Watriquet de, 45, 390 Crapeaumesnil, 236 Crécy, 15, 111, 118, 123, 160, 418, 445 Creil, 238 Crépins, usuriers d’Arras, 107 Crestien, Pierre, secrétaire, 357 Crèvecoeur, 131 Crinchon, le, rivière, 272

Criquot, Simon, 384 Croisette, Antoine de, 249 Croisilles, 196 Cromary, 37 Cuires, Renier de, prétendu châtelain de Jully, 141 Cuiret, Pierre, maître, conseiller, 142, 143, 166, 176, 248, 278, 280, 369, 404 Cusance, Jean, seigneur de, bailli de la comtesse de Flandre en Bourgogne, gruyer d’Amont, 143 Cuves, Renier de, châtelain de Jully, 333 Dammarie-les-Lys, 35, 137, 304 Dampierre (sur Doubs), 412 Dampierre-sur-Salon, 149 Dampierre, 151 Danemark, Ingeburge de, 68 Dannemarie-en-Puisaye, 136 Dargent, Pierre, clerc des briefs de l’hôtel, 278, 357 Dauphin de Viennois, Guigues VIII, 42, 44, 56, 59, 60, 79, 94 Dauphiné, 51, 59, 156, 469 Decize, 338 Demongeville, Philippe, seigneur de, chevalier, châtelain de Vesoul, 142 Denis, Jean, hôtel, 328 Dierkin, Pierre, châtelain de Rihoult, 174 Dijon, 46, 142, 144, 151, 176, 186, 224, 227, 238, 256, 257, 410, 413 Divion, Jeanne de, 82, 92 Dole, 37, 60, 75, 78, 96, 124, 142, 145, 149, 150, 154, 161, 165, 186, 225, 226, 227, 228, 231, 233, 235, 236, 239, 255, 256, 258, 306, 312, 314, 315, 316, 321, 329, 330, 334, 335, 340, 344, 409, 410, 412, 413, 433 Domre, Michel, 195 Donzy, 62, 69, 71, 101, 102, 125, 137, 170, 210, 225, 226, 238, 239, 255, 302, 303, 338, 344, 415, 416 Donzy, baronnie de, 62, 97, 101, 137, 303 Doornzele, abbaye de, 82 Dordives, 238 Dormans, Guillaume de, 178

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Dormans, Jean de, évêque de Beauvais, chancelier de France, 178, 180 Douai, 49, 162, 164, 165, 166, 248, 259, 332 Doubs, le, rivière, 27, 312, 314, 316, 433 Doullens, 238, 246, 251 Dourdan, 36 Dreux, Jean II, comte de, 44 Dreux, Jeanne, comtesse de, 45 Druyes-les-Belles-Fontaines, 102, 225, 226, 255, 257, 302, 303, 338, 344, 416, 417 Du Bois, Guillaume, écuyer, châtelain de Tournehem, 198 Du Bois, Tristan, seigneur de Raincheval et Famechon, conseiller, 137, 142, 202, 356, 361, 363, 422 Du Chocquel, Pierre, bourgeois d’Aire, receveur d’Aire, 180, 336, 337 Du Guesclin, Bertrand, connétable, 157, 158, 159, 192 Du Mas, Pierre, 96 Dugast, Bertrand, dit Alexandre, capitaine de Gray, 150 Durand, Guillaume, 51 Eclusier-Vaux, 236 Enghien, Gauthier III d’, 89 Enghien, Jean d’, futur duc d’Athènes, fils de Gauthier III, compagnon de Louis de Male, 89 Enghien, Siger II d’, duc d’Athènes, connétable de France, 129, 157 Engoulevent, Mathieu, drapier de Blangy, 364 Entrains, 97, 102, 170, 347, 415 Éperlecques, 147, 204, 205, 288, 335, 336 Esmenault, Jacques, hôtelier à Béthune, 328 Essars, Pierre des, 80, 102, 107, 108, 109, 118, 121, 353, 364, 383 Estavayer, Guillaume d’, 414 Eudin, Enguerrand d’, 134 Évreux, Charles d’, comte d’Étampes, 93 Évreux, Jeanne d’, reine de France, 377, 381, 402

Évreux, Marie d’, duchesse de Brabant, 85 Évreux, Philippe, roi de Navarre, comte d’, 93, 104 Fains, Barthélémy de, bouteiller, écuyer de madame, 423 Fains, Jeanne de, 423 Fains, Philippon de, 175 Fampoux, 94, 95, 98, 101, 102, 106, 133, 255, 272, 348, 405 Fastoul, Jean, 196 Faucogney, Jeanne de, 314 Faucogney, seigneur de, 93, 112 Fausseur, Arnoul, 363 Faverel, Simon, maire d’Arras, 196 Feignies, 118 Fenain, Jean de, faiseur d’images, 375 Feriens, 264 Ferrant, Colin, valet de pied, 243 Ferrette, comtesse de, 60 Fienne, 382 Fiennes, Jeanne de, comtesse de SaintPol, 382 Filastre, Guillaume, 464 Flandre, 13, 15, 23, 26, 40, 50, 51, 52, 53, 54, 56, 59, 60, 61, 63, 64, 65, 66, 67, 70, 71, 75, 76, 77, 78, 79, 80, 81, 82, 83, 84, 89, 91, 97, 98, 99, 101, 102, 103, 104, 105, 109, 112, 113, 114, 118, 124, 125, 126, 130, 131, 132, 134, 137, 147, 155, 157, 158, 161, 162, 165, 166, 172, 175, 178, 187, 189, 191, 194, 197, 200, 202, 206, 208, 213, 214, 215, 219, 224, 225, 227, 228, 229, 230, 232, 233, 234, 236, 237, 245, 246, 250, 252, 259, 289, 295, 301, 302, 328, 344, 347, 350, 354, 362, 377, 382, 384, 388, 391, 392, 393, 399, 415, 418, 435, 438, 440, 444, 449, 451, 461, 463, 465, 467, 468, 469 Flandre, Alise de, dame de Fiennes, fille de Gui de Dampierre, 87 Flandre, Catherine, bâtarde de, fille de Louis de Male, 406 Flandre, Gui de Dampierre, comte de, 48, 346

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Flandre, Henri de, seigneur de Lodi, 87, 114 Flandre, Jean de, bâtard de Louis de Male, dit Jean sans Terre, 203 Flandre, Jean de, fils de Louis de Nevers et Marguerite de France, 88 Flandre, Jean de, seigneur de Nesle, 61 Flandre, Jean de, seigneur de Termonde, 87 Flandre, Jeanne de, comtesse de Montfort, 97, 472 Flandre, Jeanne de, dame de Coucy, fille de Robert de Béthune, 53, 62, 63, 70, 378, 382, 390, 471 Flandre, Louis de Male, comte de, 23, 27, 31, 54, 72, 83, 85, 88, 89, 104, 109, 112, 113, 115, 116, 117, 118, 123, 125, 129, 130, 131, 132, 133, 134, 135, 137, 153, 157, 159, 160, 161, 162, 164, 165, 166, 169, 177, 178, 181, 182, 187, 189, 191, 192, 195, 200, 202, 208, 209, 211, 213, 214, 215, 230, 242, 263, 272, 278, 293, 296, 301, 302, 338, 340, 349, 350, 352, 353, 364, 368, 375, 378, 383, 391, 406, 415, 418, 419, 423, 435, 437, 450, 451, 456, 461, 462, 463, 471, 475 Flandre, Louis dit de Nevers ou de Crécy, comte de, 36, 40, 51, 52, 53, 54, 56, 59, 60, 62, 64, 66, 67, 68, 70, 72, 73, 75, 76, 77, 78, 79, 80, 81, 84, 88, 89, 90, 91, 92, 95, 96, 97, 99, 101, 104, 107, 109, 110, 111, 114, 117, 120, 121, 123, 125, 148, 160, 214, 230, 231, 234, 301, 302, 303, 346, 350, 354, 355, 368, 378, 383, 388, 390, 391, 403, 416, 418, 439, 440, 444, 449, 451, 452, 459, 461, 464, 468, 470, 471, 472 Flandre, Louis le Haze, bâtard de, 181 Flandre, Marguerite de, dite de Male, duchesse de Bourgogne, 15, 54, 83, 88, 116, 129, 130, 131, 148, 160, 164, 170, 175, 186, 188, 189, 192, 207, 209, 213, 215, 245, 314, 331, 346, 349, 353, 355, 358, 374, 378, 391, 393, 423, 424, 444, 446, 450, 454, 467, 469

Flandre, Mathilde de, épouse de Matthieu de Lorraine, 63 Flandre, Robert de Béthune, comte de, 52, 54, 61, 62, 118, 451 Flandre, Robert de, seigneur de Cassel, 53, 56, 61, 62, 63, 64, 65, 72, 80, 85, 89 Flandre, Yolande de, comtesse de Bar et dame de Cassel, 19, 31, 89, 109, 112, 117, 155, 181, 387, 472 Flotte, Artaud, abbé de Vézelay, 36, 64, 68, 69, 71, 92 Fondremand, 314 Fontainebleau, 130 Fontaines, Marguerite, demoiselle, 356 Fontenay-le-Comte, 40 Fraimault, Colin, messager de madame, 250 Fraisans, 120, 314, 330, 334 France, Blanche de, duchesse d’Orléans, 151, 157, 193, 210, 346, 369, 372, 402, 445, 450, 453, 454, 462 France, Blanche de, nonne à Longchamp, 35, 36, 42, 47, 48, 94, 96, 120, 208, 385, 386, 387, 400, 442 France, Charles IV, roi de, 34, 41, 45, 58, 63, 65, 156 France, Charles V, dit le Sage, dauphin puis roi de, 31, 54, 133, 136, 146, 152, 153, 154, 155, 156, 157, 160, 166, 167, 169, 182, 187, 191, 192, 193, 202, 204, 205, 213, 231, 256, 341, 364, 372, 418, 433, 435, 436, 445, 461, 462, 471, 475 France, Charles VI, roi de, 15, 205, 211, 234, 348, 435 France, Isabelle de, dauphine de Viennois, 35, 41, 45, 60, 93, 94, 112, 121, 122, 317 France, Isabelle de, fille de Charles V, 305, 306 France, Isabelle de, reine d’Angleterre, 34 France, Jean II le Bon, roi de, 25, 108, 113, 118, 120, 122, 123, 126, 127, 129, 130, 131, 133, 134, 138, 139, 147, 148, 149, 160, 312, 402, 433, 472, 473, 474

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France, Jeanne de, duchesse de Bourgogne, 23, 35, 40, 44, 52, 58, 76, 79, 91, 92, 94, 95, 96, 119, 120, 121, 123, 131, 208, 214, 225, 234, 239, 260, 362, 363, 381, 387, 427, 429, 444, 450, 454 France, Jeanne de, fille de Charles V, filleule de la comtesse, 157 France, Louis de, fils de Philippe (V) et Jeanne de Bourgogne, 35 France, Louis IX, dit Saint-Louis, roi de, 17, 46, 67, 87, 88, 92, 117, 193, 231, 260, 358, 380, 384, 395, 399, 400, 405, 407, 409, 420, 422, 423, 424, 426, 430, 432, 435, 438, 440, 442, 444, 470, 474 France, Louis VIII, roi de, 283 France, Louis X, roi de, 39, 40, 44, 48, 58, 92, 120, 463 France, Marie de, 54, 155, 372 France, Philippe de, fils de Philippe (V) et Jeanne de Bourgogne, 35 France, Philippe II Auguste, roi de, 68, 259, 260, 269, 305, 306, 339, 474 France, Philippe III, roi de, 367 France, Philippe IV le Bel, roi de, 33, 34, 224, 230, 231, 233, 235, 236, 239, 242, 243, 245, 387, 420, 442, 445 France, Philippe V le Long, roi de, 34, 39, 40, 45, 47, 48, 52, 53, 54, 57, 58, 64, 65, 90, 96, 108, 133, 232, 308, 323, 377, 400, 421, 433, 442, 463, 464, 468 France, Philippe VI de Valois, roi de, 57, 75, 79, 84, 91, 96, 104, 107, 109, 118, 125, 382, 452 Froumentin, Tassart, 364 Frôlois, Jean de, 96 Furieuse, la, rivière, 320 Furnes, 82, 87, 416 Gagny, Robert de, 96 Gallipoli, 435 Gand, 52, 61, 63, 66, 76, 80, 81, 82, 84, 85, 88, 90, 91, 95, 99, 102, 103, 104, 105, 113, 124, 126, 130, 161, 162, 164, 166, 169, 170, 172, 177, 187, 188, 194, 195, 200, 201, 203, 208, 224, 225, 226, 227, 239, 243, 245,

246, 255, 272, 289, 301, 344, 346, 354, 359, 361, 363, 379, 388, 410, 461 Gand, Saint-Bavon de, 82 Garnier, Pierre, 404 Gaudecourt, 295 Gendrey, 150, 456 Germolles, 331, 333 Ghizelin, Denis, hôte de la comtesse à Thérouanne, 327 Givenchy, Broyart de, 249 Gobert, sellier de Bapaume, 244 Gosnay, 157, 159, 160, 162, 183, 188, 191, 194, 202, 204, 205, 207, 225, 227, 228, 231, 247, 249, 250, 256, 259, 289, 291, 301, 327, 328, 335, 336, 339, 340, 370, 375, 404, 405, 421, 422, 426, 428, 431, 439, 456 Gouvieux, 236, 239 Goy, Colart de, 196 Goy, Guiot de, 180 Goy, Guy de, sire de Falesque, chevalier, bailli d’Hesdin, bailli d’Arras, 180 Goy, Jean de, chevalier, 180 Goy, le moine de, 180 Grammont, 81, 91 Grandpré, Isabelle de, comtesse de Rethel, 56 Grandson, Guillaume, seigneur de, 171, 321 Granges, Jean des, 248, 249, 265 Gray-la-Ville, 185, 317 Gray, 37, 38, 46, 47, 59, 60, 67, 69, 70, 71, 78, 93, 131, 140, 143, 144, 145, 149, 150, 151, 182, 184, 185, 203, 225, 226, 227, 232, 235, 241, 255, 256, 257, 258, 312, 314, 315, 317, 318, 329, 330, 334, 335, 340, 410, 411, 412, 413, 422, 433, 436, 440, 456, 457 Gray, Huot de, peintre, 318 Gray, Simon de, 46, 47 Grégoire XI, pape, 174, 436, 437 Grigny, 268 Grimaud, Gui, 68, 69, 70, 71 Grise, Jean de, enlumineur, 392 Grozon, 165, 330 Gué, Jean du, 196 Guidouche (Guiddicioni) Sapienta, 362

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Guînes, 147, 161, 172, 259 Guingnan, Jean de, pelletier de madame, 361 Gy, Perrin de, 38 Habsbourg, Catherine de, 184 Hainaut, 84, 91, 101, 118, 130, 187, 224, 225, 226, 230, 297, 344, 347, 350, 384, 471 Hainaut, Guillaume Ier, comte de, 84 Hainaut, Guillaume II, comte de, 101 Hainaut, Marguerite II comtesse de, impératrice, 130, 374 Hainaut, sénéchal de, 187 Halliday, Johnny, 18 Halluin, 105 Halluin, Josse de, 195, 210, 211 Halluin, Roland, seigneur de, 115 Hangest, Jean V, seigneur de, 205 Hanin, Jacques, official et chanoine d’Arras, conseiller, 210, 211, 332 Harache, Jean, 279 Harelbeke, 96, 98, 102, 166, 356, 418 Haton, Pierre, chapelain, chanoine d’Aire, 356, 419 Haton, Simon, valet d’aumône, 427 Hauchin, Jean de, hôtelier à Béthune, 328 Haute-Avesnes, 259 Helfaut, 182 Hellewis, berceresse de Louis de Male, 88 Hemsrode, Josse de, conseiller de Louis de Male, 115 Hénin-Liétard, 148, 407 Héricourt, 184 Hesdin (Vieil-Hesdin), 27, 35, 38, 75, 80, 119, 141, 146, 147, 149, 151, 154, 155, 157, 160, 161, 162, 165, 169, 170, 172, 178, 180, 188, 189, 197, 198, 200, 202, 204, 206, 224, 225, 227, 228, 231, 232, 236, 238, 239, 242, 244, 250, 251, 255, 256, 257, 259, 260, 262, 264, 265, 266, 267, 269, 270, 271, 277, 280, 282, 287, 288, 289, 295, 300, 301, 315, 328, 332, 333, 335, 337, 340, 345, 346, 348, 349, 350, 357, 358, 359, 361, 364, 369, 370, 375, 376, 392,

396, 406, 409, 419, 422, 425, 426, 428, 430, 431, 440, 457 Hesdin, Jean d’, tendeur d’oiseaux, 348 Hesdin, maître Jean d’, médecin de Louis de Male, 206 Heudincourt, Raoul de, 49 Hillen, Jean de, 82 Hireçon, Thierry d’, 121, 306 Holland, Maude, comtesse de Saint-Pol, 204 Hollande, 84, 187 Honcourt, Guy de, 202 Hondrescoute, Jean, seigneur de, chevalier, châtelain de La Montoire, 179 Hongrie, Clémence de, reine de France, 37, 39 Hongrie, Élisabeth de, 156 Hongrie, Yolande de, reine d’Aragon, 33 Hospitaliers, 178, 435 Innocent VI, pape, 408, 436 Isle-Aumont, 141, 238, 255, 310 Jacquet, Étienne, maître artilleur, 312 Jaquante, femme d’Adenin, 429 Jardin, Bernard du, 194, 196 Jean XXII, pape, 60, 71 Jeanne, vachère au service des jeunes dames, 46 Jérusalem, 53 Joigny, Perrenelle de, 34 Jonvelle-sur-Saône, 188, 321 Jouhe, 410 Jouy-le-Châtel, 46, 96, 98, 137, 403, 404 Jully-sur-Sarce, 141, 159, 162, 176, 187, 227, 233, 238, 241, 248, 255, 311, 330, 333, 337, 422 Jussey, 145, 150, 185, 188, 314, 318, 319, 329, 330, 334, 335, 411 Jussey, Humbert de, artilleur, 319 Jussey, Olivier de, gouverneur en Donziois et Nivernais, bailli d’Aval, 191 Jussey, Renaud de, bailli d’Aval, 185 Juvénal des Ursins, Jean, 462

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Knolles, Robert, 135, 136, 172, 232, 406 L’Ecluse, Gérard de, dit l’artilleur, 161, 291, 369 La Capelle, Regnaut de, évêque de Laon, 202 La Chapelle-en-Serval, 236 La Chapelle, Guillaume de, 417 La Châtelaine, 203, 258, 314, 322, 329, 334, 335, 414 La Court, Jean de, 328 La Croix, Jean de, valet de Charles de Poitiers, 307 La Folie, Laurent de, concierge de l’hôtel d’Artois à Paris, 306 La Gorgue, 245 La Grève, 94 La Gruuthuse, Ghildolf, 179 La Haye, Adam de, ménestrel, 49 La Loye, 124, 190, 409 La Montoire, 147, 169, 172, 175, 179, 192, 256, 288, 335, 336 La Motte-Josserand, 136, 137 La Motte, Baudouin de, 198 La Motte, Guillaume de, bailli d’Hesdin, 162 La Platière, Humbert de, maître d’hôtel, 143, 166, 176, 190, 193, 195, 196, 206, 240, 242, 245, 248, 322, 329, 356, 361, 412, 423 La Rivière, Bureau de, 160, 189, 192, 193, 199, 303, 312 La Roche, Androin de, abbé de Cluny, cardinal, 436 La Roche, Jean, comte de, 436 La Thieuloye, 281, 306, 395, 406, 421, 426, 428 La Tombe, 94, 121, 255 La Trémoille, Guy de, 201, 382 La Zaide, Jean, peintre, 368 Laigle, Piere de, procureur à Avignon, 359 Lalemant, Copin, valet de Charles de Poitiers, 307 Lambris, Marguerite de, 45

Lamy, routier, 158 Lancastre, Jean dit de Gand, duc de, 134, 148, 182, 187 Langham, Simon, cardinal de Canterbury, 178 Langle, pays de, 147, 170, 183, 430 Langley, Edmond de, fils d’Édouard III., 155, 161 Langres, 130, 135, 142, 151, 403, 404, 465 Laule, Perrin de, trésorier de Salins, 329 Lausanne, 426, 428, 458 Lavans, 159 Lawe, la, rivière, 188, 245 Le Becke, Sohier de, prévôt de Harelbeke, conseiller, 166, 356, 418 Le Bochu, Jean, 182 Le Borgne, Jean, avocat à l’officialité d’Arras, 203 Le Borgne, Sauwale, 196 Le Bossu, scieur, 182 Le Bourguignon, Jean, tailleur de Jeanne de Bourgogne, 42 Le Breton, Jean, peintre à Arras, 369 Le Cambier, Jean, 361, 392 Le Carpentier, Ghislain, graveur de sceaux, 450 Le Chandelier, Willaut, hôtelier à PontSainte-Maxence, 327 Le Chevalier, Robert le, 288 Le Cirier, Hue le, bourgeois et hôtelier de Béthune, 328 Le Courtraisien, Sohier, 101 Le Crockemacre, Clay, 369 Le Croquemacre, Jacquemon, peintre de Saint-Omer, 369 Le Feuvre, Andrieu, ferronnier, 244, 245 Le Fevre, Huart, verrier, 332, 370 Le Fevre, Philippe, hôte de l’angle à Bapaume, 327 Le Fier, Wautier, orfèvre d’Arras, 383 Le Fort, maître Jacques, conseiller, 356 Le Grant, Henri, fournisseur de tapisserie, 374 Le Hardi, David, 348 Le Houpilleur, Jean, veneur, 348

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Le Huchier, Vincent, huchier, 244, 245, 332, 375 Le Jone, Pierre le, entrepreneur, 333 Le Louchier, Robert, pelletier et bourgeois d’Arras, 364 Le Maistre, Henri, 195 Le Mayeur, Jean, 196 Le Mude, Bethe de, 383 Le Myésier, Thomas, 385 Le Pierrerue, Gilles de, 363 Le Prévost, frère Jean de Béthune, Franciscain, 406, 428 Le Quesnoy, 91, 226 Le Roux, Regnaut, 328 Le Roy, Gillot, artilleur, 293, 294 Le Tapisseur, Jean, de Cambrai, 374 Le Thee, ou le Choe, Nicolas de, chevalier, 196 Le Verrier, Matthieu, verrier, 267 Le Verrier, Pierrot, verrier, 370 Le Walle, Louis de, chevalier, conseiller de Louis de Male, châtelain de Bapaume, 113 Lécluse, 196, 248, 249, 294 Lécluse, Jean de, 294 Lemaire de Belges, Jean, 464 Lembry, Joffroy de, 38 Lengret, Étienne, de Dole, clerc, receveur des menues rentes de Dole, secrétaire, 357 Lens, 66, 102, 131, 141, 146, 147, 148, 170, 240, 295, 298, 408 Leporis, Pierre, 417 Léry, 96, 97, 121 Lescluze, Gilles de, 332 Lescot, Guillot, 403 Lestocquoy, 267 Leurench, Hanin, 378 Leuze-en-Hainaut, 130 Levoul, Regnaut, receveur général d’Artois, 153, 357 Liancourt, 236 Liège, 99, 225, 372 Liège, Jean de, tombier, 371, 372 Liernais, 116, 206, 338

Liesle, 95, 98, 145, 242 Ligneres, Jean, seigneur de, chevalier, capitaine du château de Chaource, 141 Lihons, 236, 239, 347 Lille, 102, 105, 114, 126, 164, 165, 166, 182, 194, 202, 211, 226, 240, 259, 419, 463 Lille, Chambre des comptes, 24 Lille, Jean de, chevalier, gouverneur de madame de Flandre en Artois, bailli de Bapaume, 134 Lillers, 170, 173 Longchamp, 35, 41, 47, 48, 58, 84, 91, 96, 101, 105, 120, 231, 232, 304, 326, 396, 400, 401, 406, 421, 439 Longjumeau, 97, 108 Longueval, 181 Longwy, Henri de, seigneur de Rahon, 143, 145, 171, 314 Lons-le-Saunier, 93, 124, 410, 413 Louchier, Jean, hôte de l’écu d’or, bourgeois d’Arras, 250, 328 Loue, la, rivière, 314, 322, 323 Louvain, 42 Lulle, Raymond, 385 Lure, abbaye de, 171, 198 Luxembourg, Charles IV de, empereur, 72, 148, 156, 191, 193, 231, 304, 474 Luxembourg, Isabelle de, comtesse de Flandre, 48 Luxembourg, Waleran de, comte de Saint-Pol, 204 Luxeuil, abbaye de, 314, 411 Luzarches, 97, 98, 178, 238, 381, 401 Lyre, Jeanne de, nonne à Longchamp, 400 Lyre, Nicolas de, 41, 384, 400, 413, 474 Lys, la, rivière, 65, 200, 245 Maigny, frère André de, compagnon de Jean Pinot, 417 Maillart, Simon, receveur de toutes les finances, 148 Mailly, Jeanne de, dame de Bours, 190 Maisières, Baudouin de, 196 Maisières, Marette de, 417

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Maisières, Simon de, fourrier, 242 Maldegem, 378 Male, 81, 84, 86, 102, 104, 124, 130, 134, 194, 239, 255, 256, 257, 302, 346, 461 Malicorne, 135 Malines, 99, 109, 114, 125, 132, 162, 163, 226, 301, 360, 363 Mamines, Jean de, chevalier, 196 Marcel, Étienne, 118, 132, 134 Marchiennes, abbaye de, 180 Mares, Gilles de, drapier et bourgeois de Bruxelles, 358, 363 Marlet, Robert, voiturier, 250 Marnay, 149 Marote, lavandière, 264 Martin, Jeannin, clerc, 422 Maubuisson, 95, 231, 326, 402 Mauléon, 40 Maupré, Jean de, abbé de Baume-lesMessieurs, 207 Maykin, Baudouin, valet de la comtesse, 361 Meaux, 35, 96, 98, 304 Mehaut, Simon, orfèvre d’Arras, 383 Melun, 308 Melun, Jean II, vicomte de Melun, comte de Tancarville, conseiller, 87, 137, 140, 143, 145 Méry, Philippe de, garde du château de Poligny, 171, 172, 173 Méry, Robert de, 400 Méry, Simone de, dite madame de Poitiers ou de Saint-Vallier, 263, 273, 277, 279, 282, 353, 400 Mesnay, 185, 186, 412 Mettewin, Guillaume, 363 Metz-le-Comte, 338 Metz, 44, 145 Mhère, 415 Mhers, 102, 208, 247, 302 Mochay, 330 Mofflaines, 348, 349 Molembeke, Jean de, 179 Monceaux-le-Comte, 415

Monchy, André de, receveur des terres de la comtesse en Artois, 131, 374 Mondeville, Henri de, chirurgien, 46 Mont-Roland, Notre-Dame de, 231, 402, 410, 411, 423, 424, 439 Mont-Saint-Éloi, 326 Mont-Saint-Michel, 43, 221, 224, 424 Mont, Rifflart du, 196 Montaigu, Gilles de, licencié en lois, conseiller, 173 Montaigu, Thierry de, chevalier, conseiller, 79, 117, 405, 422 Montaigut, Pierre Aycelin de, évêque de Nevers puis Laon, 178 Montargis, 238, 239 Montbard, 85, 186, 187, 235, 239, 435 Montbaston, Richard de, 391 Montbéliard, Étienne de Montfaucon, comte de, conseiller, gardien du comté de Bourgogne, 158, 186 Montbéliard, Henri de Montfaucon, comte de, conseiller, gardien du comté de Bourgogne, 151 Montbéliard, Louis de, archevêque de Besançon, 145 Montbozon, 95, 203, 314, 319, 329, 335 Montenoison, 69, 102, 226, 255, 302 Montereau-Fault-Yonne, 35, 38, 238 Montfort, 187 Montfort, Jean IV, duc de Bretagne, 192, 202 Montfort, Jean, comte de, époux de Jeanne de Flandre, 87, 109, 189, 192, 461, 472 Montgardin, maison de, 255, 288 Montguiart, 108 Montigny-lès-Cherlieu, 411 Montigny, Catherine de, abbesse de Notre-Dame d’Avesnes-lèsBapaume, 407 Montjoie, seigneur de, 184 Montjustin, 188, 314, 319, 329, 335 Montmartin, Jean, seigneur de, châtelain de Dole, bailli d’Amont, 158

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Montmirey, 314 Montmorillon, 40 Montmorot, 93, 314, 325 Montot, 149 Montouche, Jean de, 38, 47 Montreuil, 148, 180, 238 Montreuillon, 116, 175, 415 Montrond, 325 Morcamp, Jean de, 363 Morcamp, Jean de, drapier de SaintOmer, 363 More, dame de, tavernière à Troyes, 327 Mori, Gui de, 392 Mouchet, bois (Mouchard), 95 Moulin d’Or, Gérard du, rebelle arrageois, membre du conseil des 24, 173, 194, 195, 197 Moulin d’Or, Jean du, 195 Moulins-Engilbert, 116, 170, 302, 338, 415 Moustier, Jean de, 429, 431 Mouton, Jean, 417 Myenne, 416 Naccque, Godefroy, drapier de Bruxelles, 363 Nachtegale, Vincent, confesseur de Louis de Nevers, 438 Namur, Guillaume Ier, comte de, 129 Namur, Jean Ier, comte de, 61, 63, 64, 65, 67 Nanton, Jeanne, demoiselle des jeunes dames, 46 Nasploie, Pierre, bourgeois d’Hesdin, 242 Navarre, Blanche de, reine de France, 104 Navarre, Charles II, roi de, dit le mauvais, 130, 133, 463 Navarre, Henri, roi de, 33, 54 Navarre, Jeanne de, reine de France, 33, 47, 50, 54, 58, 132, 403, 442, 450 Navarre, Jeanne II, reine de, 104, 453 Navarre, Thiébaut Ier roi de, 54 Neauphle, Hue de, 47 Nédonchel, Anieux de, 204 Neelle, Nicolas, orfèvre de Paris, 383 Nemery, Jean, 195

Neuchâtel, Isabelle, comtesse de et dame de Nidau, 184 Neufchâtel, Jean de, 143, 145, 150, 154, 184 Neufchâtel, Marguerite de, 436 Neufchâtel, Raoul de, 60 Neufchâtel, Thiébaut IV, seigneur de, 37, 60, 93 Neufchâtel, Thiébaut V, seigneur de, 145, 149, 184 Neufchâtel, Thiébaut VI, seigneur de, 184 Nevers, 255, 302, 303, 371, 415, 416, 417, 422, 425, 428, 438, 440, 444, 451, 454, 464 Nevers, comté de, 15, 40, 52, 62, 63, 68, 69, 77, 97, 98, 101, 102, 103, 107, 109, 113, 115, 118, 124, 125, 129, 130, 133, 135, 136, 137, 159, 170, 206, 208, 224, 225, 226, 227, 234, 247, 255, 256, 302, 303, 337, 338, 344, 347, 349, 399, 415, 425, 438, 440, 444, 478 Nevers, couvent des Franciscains de, 371, 415, 417, 418, 422, 440 Nevers, Louis, comte de, père du comte de Flandre Louis de Nevers, 52, 61 Nevers, Yolande de, 417, 418 Nicopolis, bataille de, 203 Niort, 40 Nivernais, 15, 40, 52, 62, 77, 97, 98, 101, 102, 103, 107, 109, 113, 115, 118, 124, 125, 129, 130, 133, 135, 136, 137, 159, 170, 177, 206, 224, 225, 226, 227, 234, 247, 255, 256, 302, 303, 337, 338, 340, 344, 347, 349, 399, 415, 425, 438, 440, 444, 478 Noel, Willaume, verrier, 370 Nordausque, 204 Normandie, 44, 95, 96, 97, 105, 108, 119, 122, 126 Normant, Guillaume, peintre, 244, 369 Norryaco, Pierre, seigneur de, 193 Notre-Dame des Roches, 415, 416 Novare, Philippe de, 47 Noyelle, Godefroy de, chevalier, bailli de Béthune, 194, 196 Noyelles-en-Chaussée, 238 Noyers, Miles de, 63, 92, 101

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Noyon, 172 Nuremberg, 458 Oiselet, sire d’, 145 Omont, 88 Orange, Gilles d’, maître tailleur de madame, 361 Orchamp, 151 Orchies, 164, 165 Orlant, Henriet, marchand de Paris, 382 Orléans, Philippe duc d’, 157, 346 Ornans, 158, 184, 186, 314, 325, 334, 410, 414, 424 Othe, forêt d’, 178, 242 Ounans, abbaye féminine cistercienne d’, 411, 431 Ouzouer-sur-Trézée, 238 Padoue, Jean de, médecin, 47 Paléologue, Jean V, empereur byzantin, 157, 435 Paris, 13, 35, 45, 47, 49, 57, 60, 62, 65, 71, 90, 91, 95, 97, 101, 102, 103, 106, 132, 135, 146, 154, 159, 160, 170, 172, 176, 177, 181, 188, 191, 205, 207, 213, 219, 223, 224, 225, 226, 227, 228, 229, 230, 231, 232, 233, 235, 236, 237, 238, 240, 244, 245, 246, 250, 251, 252, 253, 255, 257, 272, 273, 289, 305, 311, 340, 345, 352, 354, 359, 361, 362, 370, 372, 378, 384, 393, 401, 446, 449, 456, 461, 468 Paris, Gérard de, échevin d’Arras, 196 Paris, Jean de, artilleur, 312 Paris, Jean de, banni, 312 Paris, Sainte-Geneviève de, 47, 48 Paste, Guilbert, pelletier de la comtesse, 361 Patin, Jean, 363 Pavie, 157 Pen, Étienne du, 327, 422 Perenet Henri, receveur du péage de Salins et de Fraisans, 321 Péronne, 38, 236 Perthes, 238, 347 Pesmes, 144, 150, 151, 158, 159, 410

Picardie, 44, 52, 173, 225, 226, 228, 255, 383 Pinaut, Jean, Franciscain, confesseur de la comtesse, 357, 421 Pinchallincs, Alene, 81 Pizan, Christine de, 111, 112, 219, 345, 352, 470, 475 Plaigne, Aubriet de, clerc, gruyer d’Aval, trésorier, conseiller en Bourgogne, 173, 176, 329 Plessis-Brébant, 157 Poissy, 46, 304 Poitiers, Antoine de, 58, 196, 204, 207, 210, 263, 292 Poitiers, Charles de, seigneur de SaintVallier, conseiller, 135, 136, 137, 138, 143, 145, 155, 156, 158, 166, 170, 171, 172, 174, 178, 182, 188, 189, 193, 199, 201, 205, 207, 242, 248, 257, 263, 270, 271, 277, 292, 300, 306, 307, 309, 310, 314, 327, 328, 329, 330, 332, 333, 340, 341, 349, 356, 393, 400, 436, 446 Poitiers, Guillaume de, évêque de Langres, 135, 142, 404 Poitiers, Guillaume, bâtard de, chevalier, bailli de Bourgogne, 182, 234 Poitiers, Henri de, évêque de Troyes, lieutenant de la comtesse en Donziois, lieutenant dans les terres de Champagne, conseiller, 174, 310 Poitou, 40 Poligny, 37, 60, 68, 75, 76, 78, 79, 93, 94, 131, 142, 144, 149, 171, 173, 175, 176, 181, 188, 190, 224, 226, 233, 241, 258, 312, 314, 315, 321, 322, 323, 329, 330, 334, 335, 409, 413, 414, 428, 431, 433, 465 Pommard, Hugues de, 92, 101, 102, 108, 121 Ponce, Guy, avocat et conseiller pensionné en Artois, 356 Pont-Sainte-Maxence, 35, 39, 101, 201, 202, 236, 239, 240, 327 Pontarlier, 143, 185, 201, 314, 335, 408, 410, 428, 431 Pontoise, 238 Poreau, Geoffroi, 244

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Porée, Martin, 386 Portugal, Isabelle de, duchesse de Bourgogne, 116 Poulain, Jean, sergent du bailliage d’Hesdin, 430 Pousseaux, 416 Praslin, 175 Pré Sotenne, Jean, couturier de Besançon, 456 Pressigny, Guillaume de, maître d’hôtel des jeunes dames, 42, 46 Pressigny, Marguerite de, 42, 46 Pressigny, Renaud de, 46 Provence, 136, 179, 436, 442, 453 Provence, Marguerite de, reine de France, 442, 452, 453 Pucelle, Jean, enlumineur, 385, 386, 387, 449, 450 Puisaye, 136, 137 Pupillin, Guillaume de, châtelain de La Châtelaine, 203 Purincet, Étienne, de Besançon, 456 Quillet, Jean de Choisey, prêtre, receveur de Bracon, 321 Quingey, 94, 95, 98, 108, 149, 158, 171, 184, 185, 227, 242, 257, 258, 312, 314, 315, 322, 329, 330, 334, 402, 410, 412, 456 Quingey, Eudes de, chevalier, châtelain de Quingey, bailli d’Aval, gruyer d’Aval, gruyer d’Amont, conseiller, 117, 151, 161, 173, 176, 329 Quingey, Hugues de, 117 Quingey, Jean de et son fils, artilleurs, 316 Raincheval, Huart de, châtelain de Dole, bailli de Bourgogne, 159, 160 Ranzevelle, 150 Ray, Gauthier seigneur de, gardien, 118 Ray, Guillemette de, 45 Ray, Jean, seigneur de, gardien, 145, 161, 166, 193, 325 Reboul, Jacques, prévôt de Gray, 436 Recloses, 239

Réconfot, abbaye cistercienne du, à Saizy, 416 Regnaut, Colart, plombier, 332 Reigny, abbaye Notre-Dame de, 416 Reims, 39, 41, 153, 154, 172, 174, 228, 231, 238, 381, 426, 429, 430, 480 Relampont, Hugues, huissier de chambre, 247, 248 Rely, Agnès fille de feu Malin Chartin de, 205 Rely, Malin Chartin de, 205 Rémy, 94, 98 Renty, Oudart de, seigneur d’Embry, chevalier, conseiller, gruyer d’Artois, châtelain de Tournehem, 134 Ressons-Sur-Matz, 236, 240 Rethel, 52, 56, 61, 62, 70, 77, 78, 80, 103, 109, 130, 133, 177, 235, 301, 302, 418, 444, 451, 452, 454, 464 Rethel, comté de, 52, 56, 62, 77, 97, 109, 115, 118, 125, 130, 224, 226, 415, 445 Rethel, Hugues IV, comte de, 56 Rethel, Jeanne de, comtesse de Nevers et Rethel, 52, 62, 70, 77, 302, 444, 450 Ries, Jean du, entrepreneur, 332 Rigney, Hugues, sire de, 150, 158 Rihoult, château de, 174, 177, 287, 331, 335, 336 Robert, 308 Rochefort, 45, 161, 165, 179, 184, 185, 256, 314, 315, 325, 330, 334, 445, 456 Roger, Jean, évêque de Carpentras, 176 Rogier, Mathurin, clerc, lieutenant général en Artois, conseiller, 140, 347, 356 Romans, 400 Rome, Gilles de, 384 Roquemaur, 44 Roubaix, Willaume de, 196 Rougemont, comtesse de, 60 Roulers, 211 Rousset, Jean, chanoine de Chalon-surSaône, pourvoyeur de blé à la cour pontificale, 436 Rouvres-en-Plaine, 140, 176, 340

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Rouvroy, Wautier de, médecin de la comtesse, 383 Roye, 236 Rumet, Colard, receveur d’Hesdin, 267 Rupelmonde, 80, 103, 114 Rye, Henri de, seigneur de Corcondray, fils de Jean de Rye, 321 Rye, Jean de, seigneur de Balançon, frère de Thiébaut, 143 Rye, Thiébaut seigneur de, châtelain de Bracon, conseiller, 171, 173, 176, 329, 413 Sacquespée, Jacques, 147 Sagart, Laurent, 363 Sains, Colart dit Laigle de, chevalier, seigneur de Riquemesnil sur l’Authie, châtelain d’Hesdin, 205, 359 Saint-Aubin, 150 Saint-Bertin, abbaye de, 87, 147, 179, 407 Saint-Brisson, 415 Saint-Claude, 185, 190, 425 Saint-Cloud, 107 Saint-Denis, 39, 91, 152, 182, 207, 209, 211, 371, 372, 379, 381, 395, 397, 401, 402, 403, 411, 419, 424, 439, 440, 457, 464, 465 Saint-Germain-en-Laye, 35, 39, 105, 109, 239, 304 Saint-Jacques de Compostelle, 425 Saint-Jean de Bonneval, 183, 404 Saint-Jean de l’Estrée, hôpital de, 408 Saint-Jean-d’Angély, 82 Saint-Léger, 196 Saint-Martin, Florent de, écuyer, châtelain de Tournehem, 171 Saint-Martin, Simon de, dit Hideux, 89 Saint-Maur, 308 Saint-Nicolas, Léonard de, clerc et secrétaire de la comtesse, 117 Saint-Omer, 64, 66, 75, 147, 151, 155, 159, 161, 162, 165, 170, 172, 173, 178, 179, 180, 181, 182, 183, 188, 190, 191, 192, 198, 200, 202, 204, 205, 206, 214, 225, 227, 228, 236, 239, 241, 256, 257, 258, 259, 282, 283, 285, 287, 289, 291, 295, 298, 327, 329, 335, 337, 340, 355, 357, 359, 361, 363,

369, 375, 382, 390, 396, 405, 406, 426, 428, 429, 435, 445, 446, 480 Saint-Omer, femme de Jean de, 327 Saint-Pol-Sur-Ternoise, 141, 190, 225, 259 Saint-Pol, Jean de Châtillon, comte de, 44 Saint-Quentin, Adam de, orfèvre, 383 Saint-Riquier, 418 Saint-Satur, 415, 416 Saint-Sauveur, 208, 406 Saint-Seine-l’Abbaye, 327 Saint-Serguel, Agnès de, nonne à Longchamp, 400 Saint-Vaast, abbaye (Arras), 166, 191, 210, 369 Salins-les-Bains, 73, 76, 93, 94, 98, 107, 108, 120, 150, 171, 176, 184, 185, 186, 188, 189, 190, 209, 225, 226, 227, 228, 312, 320, 334, 344, 404, 410, 411, 413, 428, 431, 434, 444, 457 Salins, Ancel de, seigneur de Montferrand, conseiller, chancelier, 132, 142, 143, 154, 158, 166, 167, 171, 176, 178, 190, 191, 193, 199, 206, 207, 209, 210, 211, 249, 251, 264, 306, 307, 327, 328, 329, 330, 340, 356, 404, 445 Salins, Saint-Anatoile de, 185, 410, 434 Salperwic ou Saulpwic, Mathieu de, châtelain de La Montoire, 169 Salperwic, Mathieu de, sa femme, 430 Sangatte, Baudouin de, chevalier, bailli de Saint-Omer, 155 Sart, Hanekin du, aveugle, 430 Sauvigney, Jean de, routier, 149 Sauvigney, Oudet, bâtard de, 413 Savigny-Poil-Fol, 116, 415 Savoie, Amédée V, comte de, 44 Savoie, Amédée VI, dit le Comte vert, 156, 157, 171, 184, 435 Savoie, Aymon, comte de, 59 Savoie, maître Jean de, 94 Saône, la, rivière, 149, 150, 239, 314, 317, 318 Scey-en-Varais, 150, 314 Scey, Thiébaut de, gardien des terres de la comtesse de Flandre en Bourgogne, 150

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Seine, la, fleuve, 135, 224, 238, 246, 308, 309 Sellez, Gillet du, 295 Sempy, Jean, seigneur de, 204 Senlis, 199, 236, 251 Sens, 87, 122 Séry-lès-Mézières, 183 Soissons, 67 Sommières, 44 Spermalie, abbaye de, 82 Stinkel, Gautier, drapier de Bruges, 362 Sully, Henri III seigneur de, 38, 45, 51, 381 Sully, Jeanne de, dame de Plancy, 175 Sully, Jeanne de, épouse d’Adam, vicomte de Melun, 45 Sully, Perrennelle de, comtesse de Dreux, 44, 45, 46 Tanton, Richard, routier, 158 Tasselle, Catherine, drapière d’Hesdin, 364 Termonde, 81, 87, 91, 126, 131, 133 Ternoise, la rivière, 267, 268 Thélus, Jean, 327 Thérouanne, 65, 147, 177, 180, 204, 259, 327, 379 Thiboust, Renaut, maître d’œuvre du roi, 306 Thoraise, Jacques de, chevalier, garde de la tour de Santans, 143 Thoronde, Pierre, secrétaire, 195 Thouzé, Guillaume, médecin de la comtesse, 174, 248, 264, 278, 357 Thun-l’Évêque, 105 Thyeresche, Jean, 348 Til-Châtel, 145 Tincques, 251, 259 Toulouse-le-Château, 233 Tournai, 80, 84, 87, 103, 117, 119, 125, 126, 132, 162, 163, 164, 166, 189, 202, 228, 259, 384, 392 Tournai, Jean de, graveur de sceaux, 449 Tournehem-sur-la-Hem, 170, 171, 172, 192, 198, 256, 288, 289, 335, 336, 408, 512 Tranclay, Regnaut de, seigneur de Prusilloy, 435

Trévise, Gérard d’Opitge dit de, médecin de la comtesse, 207, 232 Troyes, 96, 149, 170, 174, 175, 176, 183, 187, 205, 224, 226, 227, 228, 229, 233, 235, 236, 238, 240, 242, 245, 249, 251, 255, 310, 327, 333, 400, 404, 428, 431 Troyes, Saint-Étienne de, 310 Tubet, Jean, 349 Urbain V, pape, 160 Vadans, 143, 314, 321 Val de Sainte-Aldegonde à Longuenesse, Chartreux de, 405 Val-Richer, Vincent du, bourgeois de Paris, 107 Valempoulières, 314, 315, 325, 329, 330, 334, 456 Valenciennes, 90, 346 Valentinois, Aymar IV de Poitiers, comte de, 45 Valentinois, Aymar V, comte de, 137 Valentinois, Aymar VI de Poitiers, comte de, 174 Valois, Charles, comte de, 41, 45, 58, 69 Valois, Isabelle de, duchesse de Bourbon, 170 Valois, Jeanne de, comtesse de Beaumont, épouse de Robert d’Artois, 160 Valois, Jeanne de, comtesse de Hainaut, 84, 91, 472 Valois, Marguerite de, épouse de Gui Ier, comte de Blois, 87 Van Artevelde, Jacques, 99, 103 Van Artevelde, Philippe, 208 Vaulgrenant, 171, 321 Vaux, Jean de, écuyer, bailli d’Aire, bailli de Béthune, bailli d’Hesdin, 161, 246, 449 Venat, Pierre de, maître des comptes, 76 Vendôme, Jeanne de, épouse d’Henri de Sully, 38, 42, 44, 45 Venise, 157 Vergy, Guillaume de, 185

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Vergy, Jean de, 193 Vernois, Gui du, châtelain de Vadans, 143 Vertein, Focaut de, 133 Vesoul, 93, 142, 150, 181, 185, 188, 203, 314, 318, 319, 329, 334, 335, 408, 411, 433 Vesoul, Manecier de, Juif, 433 Vézelay, 68, 70 Viel, Jean, confesseur dominicain de la reine Jeanne de Bourgogne (comté), 46 Vienne, Gauthier de, 157, 185 Vienne, Gui de, fils de Philippe de Vienne, seigneur de Pymont, 326 Vienne, Henri de, gardien, 185, 315 Vienne, Hugues de, seigneur de Pagny, 143 Vienne, Hugues de, seigneur de SainteCroix, 166, 175 Vienne, Jacques de, seigneur de Longwy-sur-le-Doubs, gardien, 145, 149, 150 Vienne, Jean de, amiral de France, 201 Vienne, Jean de, archevêque de Besançon, évêque de Metz, 145 Vienne, Philippe de, seigneur de Pymont et Chagny, 326 Villain, Gui, chapelain, 427 Villaines-en-Duesmois, 142 Ville, Jean, seigneur de, 390 Villemaur, 96, 141, 311, 337 Villeneuve-Saint-Georges, 238 Villers-Cotterêts, 39 Vincelles, 246 Vincennes, 27, 34, 35, 39, 157, 256, 304, 305, 308, 309 Virey, 311 Vis-En-Artois, 37 Vorland, 204

Vuillafans, 145 Vurry, Estevenin, clerc, trésorier d’Aval, trésorier de Salins, gruyer d’Aval, 173 Wagon, Willaume, 196 Waignon, Henri, valet de litière, 307 Waillis, maçon, 332 Waldeghenaire, Lambert de, 195 Warlequin, Jean, valet d’aumône, 427 Warneton, 175 Wavran, Gilles de, 209, 332 Wavrin, Robert II de, seigneur de SaintVenant, maréchal de France, mort entre mai et novembre 1348, 105 Wavrin, Robert III seigneur de Saint Venant, 136, 336, 349, 374 Wavrin, Robert VI seigneur de Wavrin, Lillers et Malannoy, 192 Wazemmes, 162 Westminster, 256 Willet, tailleur de madame, 361 Wion Regnaut, connétable des arbalétriers d’Arras, 182, 196 Wion, Robert, 195 Wuez, Arnoul de, 354 Wyn, Jacques, dit Poursuivant d’amour, 137 Wyn, Jean, 158 York, Marguerite d’, duchesse de Bourgogne, 116 Ypres, 61, 62, 65, 66, 67, 76, 81, 82, 130, 346, 361, 363, 368, 382 Yssi, Yolande d’, 45 Zélande, 84, 187 Zuydcoote, 418