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L’historiographie romaine
Recherches sur les Rhétoriques Religieuses Volume 33 Collection dirigée par Gérard Freyburger & Laurent Pernot
L’historiographie romaine. Morphologie, thématiques et postérité d’un genre littéraire Hommages à Martine Chassignet
Textes réunis et édités par ALBAN BADOU MOUNA ESSAIDI YVES LEHMANN
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© 2020, Brepols Publishers n.v., Turnhout, Belgium. All rights reserved. No part of this publication may be reproduced, stored in a retrieval system, or transmitted, in any form or by any means, electronic, mechanical, photocopying, recording, or otherwise without the prior permission of the publisher. D/2020/0095/232 ISBN 978-2-503-59054-7 eISBN 978-2-503-59055-4 DOI 10.1484/M.RRR-EB.5.120839 ISSN 0770-0210 eISSN 2566-0004 Printed in the EU on acid-free paper.
Préface La collection RRR n’avait pas encore eu jusqu’ici l’occasion d’accueillir parmi ses publications un ouvrage sur l’historiographie : elle se réjouit de pouvoir le faire avec le présent livre. Martine Chassignet, Professeur Émérite à l’Université de Strasbourg, à qui il est offert en hommage, a mené d’importantes recherches dans ce domaine et notre recueil réunit toute une série d’enquêtes de philologues et d’historiens qui précisent et approfondissent le concept d’historiographie. Celui-ci est encore assez peu connu du grand public et le terme n’est pas d’un emploi courant. D’origine grecque, il désigne étymologiquement « le fait d’écrire l’histoire » et, alors que l’histoire est l’exposé des faits du passé, l’historiographie est pour nous de nos jours dans son essence, selon une définition des trois éditeurs du présent ouvrage dont on lira l’avant-propos avec profit, « l’art de dégager par l’écriture littéraire les messages humains que renferment les brumes du passé ». On verra que cet art est par nature rhétorique. Divers procédés de la mise en forme de l’histoire sont analysés dans les différentes contributions du livre : ainsi la faculté de dégager des portraits marquants de personnages, souvent exemplaires, et de brosser des images parlantes et se voulant instructives de certains peuples ; ainsi l’étude de la structure d’écrits historiques, annalistique ou biographique, ou encore l’examen des zones de confluence du genre historique avec l’épopée, l’éloquence ou la caricature. La religion de la Rome antique est maintes fois abordée dans ces études. Mais on constatera que c’est surtout la morale, souvent liée à la religion, qui est au cœur de l’historiographie romaine : celle-ci s’est notamment donné pour but de dégager, à travers l’observation des comportements humains, ce que les hommes de l’Antiquité déjà recherchaient avant tout, à savoir des leçons de l’histoire. C’est donc à tous ceux qui s’intéressent à la fois à l’histoire et à la mise en forme de l’histoire que ce livre s’adresse. Les lecteurs d’aujourd’hui sont particulièrement ouverts à cette thématique : en témoignent les nombreuses publications actuelles portant sur l’appréciation du passé, sur ses multiples présentations et sur sa variable perception. Jean d’Ormesson s’est fait l’interprète talentueux de cet intérêt de nos contemporains en donnant dans son ultime Et moi, je vis
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Préface
toujours la parole à l’histoire elle-même qui se raconte et jette un regard distancié sur ce qu’elle est depuis qu’elle existe dans l’humanité et sur les formes parfois variées, parfois permanentes qu’elle a revêtues tout au long des grandes étapes de son développement dans le temps. Gérard Freyburger & Laurent Pernot
Avant-propos Spécialiste d’historiographie romaine, éditeur aux Belles Lettres dans la Collection des universités de France de quatre forts volumes – consacrés le premier aux Origines de Caton l’Ancien, les trois autres à L’annalistique romaine (« ancienne », « moyenne » et « récente »), Martine Chassignet a bien mérité des études latines. De fait, elle a exploré par le menu un genre littéraire qui consistait – depuis ses débuts laborieux à la fin du IIIe siècle av. J.-C. jusqu’à son essor lumineux sous le Haut-Empire – en une relation de faits vécus et mémorables. Qu’il s’agisse soit d’annales (retraçant, selon un ordre chronologique rigoureux, les événements d’un passé quelquefois immémorial), d’historiae (entendues au sens de chroniques quasi contemporaines, où transparaît le souci des causes et des desseins) et de res gestae (récits d’actions accomplies dans les domaines tant civil que politique et militaire) – matière par excellence de la grande histoire –, soit d’ouvrages spécialisés comme les monographies, les abrégés, les mémoires, les biographies voire les autobiographies, aucun de ces sous-genres historiques majeurs ou mineurs n’est demeuré étranger à la dédicataire du volume d’hommages intitulé : L’historiographie romaine. Morphologie, thématiques et postérité d’un genre littéraire. * * * Dans l’ensemble de la littérature latine, l’histoire se présente comme un genre majeur. Il fallut cependant attendre sept siècles, depuis la fondation légendaire de la Ville, pour voir apparaître une littérature historiographique digne de ce nom. Là comme ailleurs, l’influence grecque a joué un rôle déterminant dans l’éclosion de ce genre littéraire romain. Mais n’est-il point paradoxal que la République romaine ait entrepris de célébrer son passé au moment même où elle s’effondrait ? N’est-il pas surprenant que ces monu-ments littéraires aient été des actes de nostalgie ? En tout état de cause, qu’il consacre son œuvre à la chronique de son époque, ou qu’il entende parcourir tout l’itinéraire qui mène des origines de la Ville à son actualité, l’historien romain ne pratique pas l’histoire comme une science, mais l’historiographie comme un art – l’art de dégager par l’écriture
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Avant-propos
littéraire les messages humains que renferment les brumes du passé. Il s’intéresse davantage aux acteurs de l’histoire qu’aux faits historiques. Les modernes parlent d’histoire non événementielle ; un historiographe romain en revanche ne saurait concevoir une histoire sans événements, sans péripéties, sans héros. L’effort de rationalisme et d’analyse politique n’est cependant jamais absent – tant il est vrai que le savoir historique est nécessaire à la clairvoyance politique ; or l’historiographie romaine s’adresse à l’homme d’État, à l’homme d’action : elle dispense un savoir utile et partant respectable. * * * S’agissant des formes littéraires revêtues par l’historiographie romaine, une réflexion générale sur les rapports des auteurs anciens avec le genre historique s’imposait. David Engels s’est ainsi intéressé aux préfaces des historiens de Rome et notamment à celle que Polybe a placée en tête de son Histoire, et où il explique comment la conquête romaine l’a poussé à écrire une « histoire universelle ». S’il a pris pour point de départ chronologique la CXLe Olympiade (220-216 av. J.-C.), c’est que « jusqu’à cette date, l’histoire du monde était restée en quelque sorte compartimentée, car entre toutes les actions humaines, il n’y avait pas plus d’unité de conception et d’exécution que d’unité de lieu. À partir de ce moment au contraire, l’histoire du monde s’est mise à former comme un tout organique et à tendre vers une fin unique » (I, 3). De même, il convenait d’examiner passim le positionnement d’un Cicéron face à l’histoire de Rome. On sait que l’Arpinate aurait voulu écrire des ouvrages historiques : il en a plusieurs fois exprimé le désir dans sa Correspondance. Il a même commencé à le faire, en réunissant des matériaux, en esquissant des projets. Mais, chaque fois, pour quelque raison, il avait dû y renoncer. Son intention pourtant est significative non seulement des besoins de ce temps, qui éprouvait la nécessité de se justifier à lui-même alors que l’État tout entier se désintégrait, mais encore de la manière dont il sentait instinctivement quelle sorte de réponse il fallait donner à cet appel. Tite-Live, quelques années plus tard, le fera avec son immense Histoire, Virgile avec l’Enéide. Mais Cicéron avait préparé leur venue. Il avait rendu présents les héros du passé, dans leur réalité quotidienne et aussi leur inspiration profonde, le génie qui les animait. Ce n’est pas sans raison qu’il insiste si souvent sur la nécessité pour l’orateur de connaître
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l’histoire. Cela servira moins à lui fournir des ornements littéraires, des anecdotes ou des exemples qu’à lui ouvrir le monde, à la fois pareil et autre, d’un passé que l’on veut maintenir vivant. Parmi les formes historiographiques retenues dans ces miscellanées figurent d’abord les Logistorici de Varron – des dialogues en prose, mi-historiques, mi-philosophiques, dont les éponymes appartenaient la plupart à l’histoire de Rome et qui constituent le domaine d’étude partagé d’Aude et d’Yves Lehmann. Du point de vue de l’historiographie romaine, le IIIe siècle apr. J.-C. est l’époque des encyclopédies, des résumés d’histoire, des monographies érudites comme le livre – écrit en 238 – De die natali (Sur la célébration des anniversaires), excellemment édité dans la CUF aux Belles Lettres par Gérard Freyburger en collaboration avec A.-M. Chevallier, et dont la source principale est Varron. Connu de Sidoine Apollinaire et de Cassiodore, il informe le lecteur des connaissances et des réflexions des contemporains sur la conception et la naissance de l’enfant, l’influence des astres sur celle-ci, leur notion du temps et de ses divisions périodiques. Au cours du même siècle, mais un peu plus tard, Solin publie un Recueil de faits remarquables puisés pour l’essentiel dans l’Histoire naturelle de Pline et qui fait l’objet d’une pénétrante édition critique par Robert Bedon également aux Belles Lettres dans la CUF. Mais le volume de mélanges accueille aussi – dans sa section « érudition historique et philologique » – une très riche contribution d’Alban Baudou sur Servius (c. 400), le commentateur de Virgile, dont l’œuvre exégétique accumule des connaissances de toute sorte, non seulement grammaticales, au sens le plus large du terme, mais encore historiques, philosophiques et religieuses. Il importait enfin de s’intéresser – avec Marie-Laure Freyburger – à l’ultime représentant de l’histoire annalistique de Rome : Dion Cassius (160-235), un Grec de Bithynie, brillant haut fonctionnaire dans l’administration impériale et dont l’œuvre historique visait à rassembler tout ce qui concerne les Romains « depuis le moment où il a recueilli les récits les plus sûrs jusqu’au point où la Fortune le lui permet » (LXXII, 23), c’est-à-dire jusqu’à la mort d’Élagabal en 222. Et de fait, à la différence d’Appien, Dion reste globalement fidèle à un plan de type annaliste. Mais il indique également des divisions par décades, en faisant coïncider à titre d’exemple le début du livre XI avec le début de la première guerre punique. Il marque surtout une césure radicale entre la République et l’Empire par le récit de la bataille d’Actium à la fin du livre L. À partir de là, son histoire prend
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la forme d’une série de biographies des empereurs, où l’essentiel des informations sur le caractère du souverain et sur son gouvernement se trouve regroupé de manière systématique au début et à la fin. Mais s’il diffère d’Appien par la forme, Dion s’accorde avec lui sur le fond et sur les mérites du principat. Son éloge funèbre d’Auguste est une apologie d’un régime qui combine les avantages de la tyrannie et de la démocratie. Car l’Empire n’est plus pour Dion Cassius ce qu’il était pour Aelius Aristide et Appien, « une fédération de cités dont Rome était la clef de voûte ». Quand il exprime son credo politique à travers le discours qu’il prête à Mécène (LII, 2-40), Dion se prononce nettement en faveur d’une centralisation accrue et d’une restriction de l’autonomie financière et politique des cités. Cette vision d’un empire intégré, traduite concrètement par l’édit de Caracalla qui accordait la citoyenneté romaine à tous les sujets de l’Empire, contribue sans doute à assurer l’unité de l’œuvre. Au nombre des techniques d’expression et des méthodes de pensée qui sous-tendent l’historiographie romaine antique on retiendra en particulier le recours à l’exemplarité historique – un procédé rhétorique visant à prendre un personnage d’exception ou son œuvre pour modèle et à s’en inspirer dans l’ordre intellectuel, moral voire artistique. Tel est précisément le mécanisme d’imitation ou de représentation de la réalité historique qu’a analysé finement Pascale Fleury dans la Correspondance de Fronton avec les empereurs entre 139 et 166. Les lettres à Marc Aurèle avec ses réponses occupent 9 livres. Elles traitent parfois de questions politiques et militaires (les guerres parthiques, par exemple, dans le texte intitulé Principia historiae), mais la plupart d’entre elles concernent des sujets rhétoriques. Certaines constituent des exercices de sophistique, que le professeur Fronton a proposés à son impérial élève comme des « modèles » ou des « corrigés ». Les lettres à Lucius Vérus (2 livres) et celles adressées à Antonin le Pieux (1 livre) revêtent un caractère plus officiel et ressortissent quelquefois à la grande éloquence. Enfin, le recueil contient 2 livres de lettres adressées ad amicos. Ainsi le penseur romain (historien, philosophe ou rhéteur) entretient avec le passé de l’Vrbs des liens très profonds, quasi affectifs. Il y cherche et y trouve des modèles de conduite à reproduire. Ce qui l’intéresse, ce sont les leçons de l’histoire, les messages du passé. Il y a du mysticisme dans cet hommage respectueux des descendants à leurs ancêtres, dans cet attachement indéfectible aux rapports normaux censés exister entre membres d’un même groupe humain – familial ou national – et qui en latin s’appelle pietas.
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Mais si l’historiographie à Rome traite le passé historique comme un patrimoine prestigieux, précieux, à conserver aux fins d’imitation intellectuelle et morale, force est de constater qu’elle a intégré également le caractère critique et railleur de la satire – autre genre typiquement romain. De là une certaine proximité avec la caricature ou la parodie : témoin le poème 10 du Catalepton virgilien consacré à l’éloge ironique d’un certain Sabinus et dont Jeanne Dion a montré avec talent qu’il visait sans doute un de ces fidèles lieutenants de César à l’ascension politique controversée. Il importait encore de relever les affinités de l’historiographie romaine proprement « littéraire » avec d’autres catégories d’œuvres – notamment les genres en vers telle l’épopée, conçue comme un long poème où le merveilleux se mêle au vrai, la légende à l’histoire, et qui se propose de célébrer un héros ou un événement de caractère sublime. Conjonction générique dont la prégnance a été remarquablement mise en relief par John Marincola dans son essai très stimulant sur la tradition épique nationale et impériale, des Annales d’Ennius à l’Énéide de Virgile. Pareillement il convenait de prendre en considération l’apport de la puissance oratoire au genre historiographique telle qu’elle se manifeste dans le discours direct déjà chez les premiers historiens romains. Car, même si le style reste pauvre, sobre en tout cas, on y reconnaît, selon le jugement de Cicéron, un souci d’expressivité qui se traduit par le recours aux figures du discours et à certains ornements enseignés par la rhétorique. Tout le mérite revient à John Rich d’avoir explicité cette technique littéraire naissante qui établit un lien étroit entre la réalité politique et le texte historique. Et c’est aussi à une semblable confluence de l’historiographie romaine avec les genres annexes et connexes que ressortit la réflexion de Federico Santangelo sur les sources annalistiques des écrits de Salluste – menée dans le sillage des éditeurs modernes du corpus sallustéen. De fait, ce goût de l’archaïsme s’explique par le contenu même du projet littéraire de l’auteur : exaltant les vertus antiques de Rome face à la décadence contemporaine, celui-ci est naturellement porté à emprunter au passé le plus ancien une forme rudimentaire d’historiographie procédant par accumulation de données objectives : principaux événements politiques et militaires, faits religieux, informations économiques. Faut-il rappeler enfin la perte – pour cause d’accidents de l’histoire ou de mauvaise qualité du support papyrique des livres – d’une partie non négligeable de la production historiographique en langue latine –
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ainsi les trois quarts de l’œuvre de Tite-Live et d’importants textes de l’historiographie républicaine. D’où l’existence de toute une littérature historiographique fragmentaire et testimoniale qui a suscité l’intérêt de Kaj Sandberg. * * * Rien d’étonnant si toute enquête d’ordre historiographique à Rome s’ouvre par une exaltation des origines de la Ville et de son fondateur. Du reste, cette démarche valorisante s’inscrit dans la longue durée, puisque, à la fin du Moyen Age latin encore, la haute figure de Romulus continue d’interpeller les chroniqueurs, comme le montre Jacques Poucet dans une remarquable contribution. Mais l’historiographie – entendue comme discours historique sur un sujet ou une période – s’avère également indissociable de l’ethnographie ou étude descriptive d’un groupe humain. C’est ce qu’ont vérifié Dominique Briquel et Mouna Essaidi – respectivement chez l’historien Tite-Live dans sa représentation des peuples rebelles de l’Italie primitive, ainsi que chez le poète Ovide à travers son évocation des habitants rudes et frustes de sa terre d’exil. Au nombre des sujets d’étude abordés par l’historiographie romaine se trouve également la question centrale, cruciale, de la royauté et de ses détenteurs. De fait, la tentation de créer des rois est restée toujours aussi forte au sein du peuple romain : la mesure en est donnée par l’horreur même qui s’attache à ce nom – témoin le grand « récit national » de l’expulsion de Tarquin le Superbe. Si l’on redoute tellement qu’un magistrat ou même un particulier ne s’empare du pouvoir royal, c’est que l’on sent confusément que celui-ci est toujours prêt à renaître. À cet égard, Romulus – incarnation idéale de Rome, dont il porte le nom – hantait les imaginations et, à plusieurs reprises, parut sur le point de se réincarner : en Camille, au temps de la victoire sur Véies, en Scipion, lorsque fut consommée la victoire sur Carthage, en Sylla, en César, et ce fut seulement par une habile manœuvre parlementaire que le jeune Octave, vainqueur d’Antoine, évita le périlleux honneur d’être proclamé un « nouveau Romulus ». Telle est l’ample matière (complétée par un catalogue des petits rois gréco-orientaux vassaux ou rivaux de Rome) qu’a embrassée avec un grand souci de rigueur et d’exhaustivité la contribution de Yasmina Benferhat.
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Mais l’historiographie romaine a élargi également son périmètre disciplinaire aux aspects les plus significatifs de la vie économique et sociale comme la législation agraire sous les premiers Antonins – ingénieusement décryptée par Ella Hermon. On sait qu’à la fin du er I siècle seuls le blé, l’élevage, l’exploitation des bois, et près des villes les cultures fruitières et maraîchères devaient être rentables pour le paysan moyen. Martial, contemporain de Domitien, note que le paysan avait de quoi subsister, mais sans disposer d’argent liquide : tendance à une économie autarcique et qui se replie sur elle-même. Quelques années plus tard, les alimenta de Trajan, qui offraient aux propriétaires des prêts à faible intérêt, ont peut-être eu pour but de permettre une relance des investissements productifs. Dernier (mais non le moindre) des thèmes d’étude sur lequel se focalise l’historiographie romaine antique : le rôle des grands hommes dans l’histoire. À cet égard, la figure d’Auguste – telle que la révèlent non seulement son Autobiographie perdue, dont Luciano Canfora a de bonnes raisons de penser qu’elle imprègne tout le livre 3 de la Guerre civile d’Appien, mais encore d’autres sources dignes de foi – a retenu l’attention de Christopher Smith, qui s’est employé à dresser de manière pleinement convaincante un portrait intellectuel et moral du Prince aux étapes clés de sa vie. * * * Une enquête sur l’historiographie romaine ne saurait méconnaître non plus le problème de la survie des œuvres historiques et de leur réception par les littératures anciennes, françaises et européennes de l’âge classique. C’est le cas entre autres de l’Histoire universelle de Justin (IIe siècle apr. J.-C.) qui se présente comme un résumé des 44 livres d’Histoires philippiques de Trogue Pompée, un historien de l’époque d’Auguste. Or c’est un fait bien établi que l’abrégé de Justin jouissait d’une certaine notoriété au début du XVIIe siècle. On ne sera donc pas surpris si Corneille en a tiré la matière de ses deux seules tragédies à sujet hellénistique : Rodogune et Nicomède, comme l’a montré brillamment François-Xavier Cuche dans son examen de la genèse des deux pièces. Car, en dépit d’un art de la déformation historique à des fins dramaturgiques (respect de la règle des trois unités et de celles de la bienséance, souci de valorisation des protagonistes respectifs : Cléopâtre et Nicomède), Corneille s’y conforme globalement au schème d’action transmis par Justin : des souverains,
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parents dénaturés, sont prêts à tuer leurs enfants pour assurer leur pouvoir. En définitive, Justin apparaît comme une source privilégiée de Corneille dans la mesure où – par sa critique des monarchies grécoorientales et corrélativement de l’impérialisme romain – il influence la vision historique et politique du dramaturge français. * * * Assurément les coéditeurs scientifiques des mélanges d’articles réunis et dédiés à Martine Chassignet par ses collègues, ses amis et ses disciples, n’ont pas la prétention d’avoir épuisé la totalité des questions relatives à l’historiographie romaine, à ses méthodes et à ses recherches. Tout au plus ont-ils le sentiment d’avoir aidé le lecteur à prendre conscience de l’extrême complexité d’un genre littéraire, que la critique historique actuelle – par réaction contre le « scientisme » des générations antérieures d’historiens – tend à réhabiliter en prônant un retour vers l’histoire événementielle. Antiquité et modernité de l’historiographie ! Alban Baudou (Université Laval de Québec) Mouna Essaidi (Université de Tunis) Yves Lehmann (Université de Strasbourg)
PREMIÈRE PARTIE FORMES ET SIGNIFICATIONS DE L’HISTORIOGRAPHIE À ROME
Historical Praefationes between Individual Programme and Literary Genre. The prooemium to Polybius’ Histories David Engels
1. Historical Prefaces in Antiquity We can safely assume that the beginnings of literary texts from Classical Antiquity were considered by their writers to be of the utmost importance; much more so than in the modern world. Indeed, when we recall the impossibility of simply browsing through an ancient book-scroll with the same ease one is used to when handling a modern book, it is quite understandable that most ancient authors devoted a particular care to the writing of the initial lines of their texts, as these were what the reader inevitably had to read first in order to know what the following text was about and to assess if it was worthwhile reading through. Whereas most technical texts could do without elaborate introductions, as their usefulness resided mainly in practical data, more literary texts had to be particularly meticulous in not only defining their general subject, but also in convincing the reader about the author’s scholarly and stylistic competence. Hence, those introductions quite often present the essence of the following investigations in a nutshell and thus impart us with invaluable data about what seemed most important to the eyes of the writer. It does not come as a surprise that much scholarly care has been devoted to the analysis of most extent ancient prefaces;1 and the modern literature concerning the literary structure and topical character of texts such as the prooimion to Homer’s Iliad or Livy’s praefatio is considerable. Nevertheless, curiously, there are still some major works whose introductions have escaped attention until now, although their authors are by no means obscure or devoid of interest. 1 On prefaces in Antiquity see in general R. Böhme, Das Prooimion, Bühl, 1937;
T. Janson, Latin Prose Prefaces, Stockholm, 1964; E. Herkommer, Die Topoi in den Proömien der römischen Geschichtswerke, Tübingen, 1968 (PhD); J. Lallot, « Le προοίμιον est-il un proème ? », in M. Costantini et al. (eds.), Le texte et ses représentations, Paris, 1987, p. 13-27. 10.1484/M.RRR-EB.5.121306
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One of these texts is the preface to Polybius’ well-known history, one of our major sources for third and second century Hellenistic history and the Punic Wars. Of course, there has been a considerable number of studies and commentaries devoted to Polybius’ work, examining nearly every single aspect of the author’s political and constitutional thought, and most of these studies inevitably also consider the material present in the preface. Nevertheless, it seems that the preface as such has, until now, not yet been investigated with regards to the inner coherence of its structure, to the presence of literary topoi and to its place in historiographical tradition.2 We will try, in the following, to sketch how this gap could be filled. Nevertheless, before addressing the question of Polybius’ preface, some remarks on the literary genre of prefaces in general seem in order. Unfortunately, most ancient testimonies exposing the literary rules prefaces had to comply with are much later than Polybius, and as most of them concern rhetorical prefaces, the literary form of historiographic prefaces is only discussed by Lucian and an anonymous passage of the Rhetores Latini Minores. It might seem anachronistic, at least at first view, to begin our investigation of Polybius by summing-up literary rules put down much later than our author’s lifetime. Nevertheless, the scarcity of our material does not leave us with much of a choice, so that we may deplore the state of evidence, but nevertheless are bound to work with the few testimonies we have. Furthermore, there are some reasons to suppose that our material on prefaces, scarce and disseminated as it is, might be of some relevance to the study of Polybius. Indeed, on the one side, we have to consider that much material collected in Late Republican or imperial times goes ultimately back to practical instructions already systematised in Late Classical and Early Hellenistic rhetorical schools. Although these texts are now lost, we may conjecture with some probability that, given the inherent conservatism of ancient literary theory, most of what we possess now might already have been considered as canonical by Polybius’ contemporaries. On the other side, it is doubtful that there ever was a large number of stylistic instructions to the writing of historiography, and even theoretical works now lost, such as the 2 Neither the short monograph by K. Lorenz (Untersuchungen zum Geschichtswerk des Polybios, Stuttgart, 1931), though at least partially devoted to Polybius’ prooemia (p. 1-28), nor the monumental commentary by F. W. Walbank (A Historical Commentary on Polybius 1-6, Oxford, 1957, for the prooemium, see p. 31-46) are particularly concerned with the examination of the general structure, the use of topoi and the implicit references to other prefaces.
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diverse writings περὶ ἱστορίας attributed to Theophrast, Praxiphanes of Mytilene, Metrodoros, Caecilius, Theodorus and Tiberius, very probably did not deal with compositional,3 but rather scholarly matters, as an author as late as Cicero deplored the general lack of useful literary instructions for historians.4 Like most ancient prose genres, historiography thus depended throughout its whole existence on features developed for rhetorical practice,5 and hence, most elements pertaining to orational prefaces and particularly to prefaces to judiciary orations are valid for historiography as well.6 These rhetorical instructions, mainly conserved through Aristotle (Rhet. 3,14) and Quintilian (Inst. 4.1), define the etymology of ‘prooimion’ (προοίμιον) as related to οἴμη or οἶμος and deduce that a preface should be a prelude of the following or pave the way towards what is to come. A prooemium, exordium or praefatio to judiciary orations should be intent on gaining the sympathy of the judges and the public and on preparing the audience for the following, making it beneuolus, docilis and attentus.7 Benevolence is assured by dealing with the orator (a nostra persona) in order to show his motivation, his absence of arrogance and his humility; by dealing with the adversary (ab aduersariorum persona) in order to blame him; by dealing with the public or judge (ab iudicum or auditorum persona) in order to flatter them; and finally, by dealing with one’s own party (a rebus ipsis) in order to praise it. As to docility, it is guaranteed by presenting a short summary of the following narratio’s content; and attention, finally, is gained by stressing the importance, novelty, surprise or agreeableness of the following and by arousing the public’s emotion. Rhetorical prefaces thus became highly stylised texts, whose formalism contributed to their sometimes rather impersonal and topical nature, making possible the confection of whole corpora of readymade prefaces for direct use which are attested through a collection of 56 prefaces handed down under the name of Demosthenes. Similar corpora also existed in Latin, as shown by a letter by Cicero (Ep. 3 Cf. G. Avenarius, Lukians Schrift zur Geschichtsschreibung, Meisenheim-Glan,
1965, p. 170-172. 4 Cic., De or. 2.15.62: Neque eam (i.e. historiam) reperio usquam separatim instructam rhetorum praeceptis. 5 Cf. E. Norden, Die antike Kunstprosa, 5th ed., Darmstadt, 1958, p. 81-91; A. D. Leeman, Orationis ratio, Amsterdam, 1963, p. 25. 6 Cf. Avenarius, Lukians Schrift…, p. 173. 7 Cf. H. Lausberg, Elemente der literarischen Rhetorik, 2nd ed., München, 1963, § 263-279.
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16.6.4), who apologises for having sent a manuscript in which he used a preface excerpted from a rhetorical collection without remembering he already did use it to introduce another work. Concerning instructions on how to write historiographical prefaces, we first have to cite Lucian’s πῶς δεῖ ἱστορίαν συγγράψσειν, a polemic writing directed against the inflation of mediocre histories celebrating the recent Parthian War from AD 162-165. Lucian devotes some attention to the writing of prefaces and relies not only on Herodotus, Thucydides and Polybius, but also seems inspired by ideas probably originating from the Peripatus and the Second Sophistic.8 Nevertheless, it would be dangerous to over-estimate Lucian and believe he went into great bibliographical efforts, as we cannot exclude that he merely reproduces the rhetorical instruction he underwent himself.9 In paragraphs 53-54, Lucian refers to the already mentioned three rhetoric categories of the beneuolem, docilem and attentum facere and insists that prefaces have to assure that the reader will be attentive (προσεκτικός) and docile (εὐμαθής), but, quite curiously, explains that it is not necessary to make him benevolent (εὔνους), a rather unique request. In order to gain the reader’s attention (προσοχή), the historian should stress the greatness, necessity, patriotic importance or general usefulness of his subject (ἤν δείξη ὡς περὶ μεγάλων ἢ ἀναγκαίων ἤ οἰκείων ἤ χρησίμων ἐρεῖ); categories which directly correspond to similar topoi in rhetorical instructions. In order to assure the reader’s docility (εὐμάθεια), the historian has to outline as well the origins as the main points of the events he announces to narrates (τἀς αἰτίας προεκτιθέμενος καὶ περιορίζων τὰ κεφάλαια τῶν γεγενημένων); a technique equally important in the introduction of rhetoric prefaces.10 The only other attested instruction for the writing of prefaces comes from an anonymous treatise labelled De historia and conserved through the Rhetores Latini Minores (588.31-589.2). The short text not only requests truthfulness, clearness and brevity (ueras res, ut dilucide, ut breuiter) from the historian, and defines its necessary usefulness in its contribution to general knowledge (sequendas aut 8 H. Homeyer, Lukian. Wie man Geschichts schreiben soll, München, 1965, esp. p. 45-60, supposing that the (lost) manual of Parthenius (quoted by Lucian in ch. 57) exerted an important influence on Lucian. 9 Avenarius, Lukians Schrift…, p. 165-178. 10 See Arist., Rhet. 3.14.1415b1; Anax., Rhet. Graec. 1.2.66; Anon. Graev., Rhet. Graec. 1.2.354-355; ad Her. 1.4.7; Cic., Inv. 1.16.23; Quint., Inst. 4.1.33-34 and 10.1.48.
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fugiendas res cognoscamus) and eventual rhetorical application (ad usum eloquentiae adiuuemur), but also differentiates prefaces dependent on if the subject chosen mainly relates to the praise of history (historia), the person of the author (persona) or the subject of the work itself (materia), referring to Cato, Sallust and Livy as best examples for these different types. If we try now to resume the presented material and confront it to the empirical evidence of ancient prefaces, we may insist on the presence of the following topoi, which have been convincingly outlined by Herkommer who separated these topoi in three groups.11 The first one concerns the author itself and may comprise dedication (1), justification (2), presentation of the author (3), emphasis of his humility (4) and allusions to his lifetime (5). The second group is related to the content of the work and may refer to the subject of the work (6), the activity of writing it (7), a (mostly critical) discussion of predecessors and sources (8), the methods followed (9) and the transition to the account itself (10). The third group of topoi advertises the qualities of the work and may underline its general usefulness (11), truth (12), (rarely) shortness (13) as well as its importance (14) and difficulty (15), to which I, personally, would add, as a further, separate category, the praise of history (16). We will try to show in the following how these categories can help us to better understand the topical as well as the original features in Polybius’ preface, focussing mainly on the differences and similarities with the two other, most important extent historiographical prefaces,12 Herodotus and Thucydides,13 though we should stress that Herodotus could rely on a series of models developed not only for poetry (Homer and Hesiodus), genealogy (Hecataeus) or ethnography (Antiochus of Syracuse), but also for rhetoric.14 11 Cf. Herkommer, Die Topoi... 12 Indeed, between Thucydides and Polybius, no full preface to a genuine historio-
graphical account has been preserved, as Xenophon’s sequel to Thucydides’ histories begins almost in mid-phrase, and subsequent fourth and third century histories have been mostly lost, so that it is very difficult to attribute the scattered fragments to such a specific narrative context as the preface. Cf. in general J. P. V. D. Baldson, « Some Questions about Historical Writing in the Second Century BC », in CQ, 3, 1953, p. 158-164; P. Derow, « Historical Explanation. Polybius and his Predecessors », in S. Hornblower (ed.), Greek Historiography, Oxford, 1994, p. 73-90. 13 Needless to say that Polybius knew, of course, both historians; cf. e.g. Polyb. 8.11.3 (Thucydides) and Polyb. 12.2.1 (Herodotus). 14 On the preface(s) of Herodotus, cf. T. Krischer, « Herodots Prooimion », Hermes 93, 1965, p. 159-167; D. Hagel, Das zweite Prooimion des herodoteischen
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2. Polybius’ prooemium 2.1. The praise of history Already the first section of Polybius’ prooimion,15 running from the beginning till 1.3, reserves us some surprises. One first difference from Herodotus and Thucydides seems quite clear: Polybius does not begin his preface by indicating his name (topos n. 3) and the subject of his work (topos n. 6), but rather reflects upon the necessity of praising history as such.16 This obvious difference probably may not only have stylistic, but also practical reasons. Indeed, on the one hand, it seems that one of the major innovations of fourth and third century editorial practices has been the introduction of titles written on the visible part of the outer rim of book scrolls and the fastening of a small label (sillybos/titulus) to the manuscript, enabling the reader to determine author, title and book number without opening the scroll; an innovation doubtlessly motivated by the growing number of private and Geschichtswerkes, Erlangen-Nürnberg, 1968 (PhD); on the preface of Thuycides, see H. Erbse, « Über das Prooimion des thukydideischen Geschichtswerkes », RhM 113, 1970, p. 43-69; L. Canfora, « La préface de Thucydide et la critique de la raison historique », REG, 90, 1977, p. 455-461. 15 On Polybius, cf. in general P. Pédech, La méthode historique de Polybe, Paris, 1964; K. Eisen, Polybiosinterpretationen. Beobachtungen zu Prinzipien griechischer und römischer Historiographie bei Polybios, Heidelberg, 1966; K. E. Petzold, Studien zur Methode des Polyios and zu ihrer historischen Auswertung, München, 1969; F. W. Walbank, Polybius, Berkeley, 1972; E. Gabba (ed.), Polybe, Genève, 1974 (Entretiens Hardt 20); S. Mohm, Untersuchungen zu den historiographischen Anschauungen des Polybios, Saarbrücken, 1977; K. Sacks, Polybius and the Writing of History, Berkeley, 1981; K. Stiewe-N. Holzberg (eds.), Polybios. Wege der Forschung, Darmstadt, 1982; B. McGing, Polybius’ Histories, Oxford, 2010; V. Grieb-Cl. Koehn (eds.), Polybios und seine Historien, Stuttgart, 2013. 16 On te debate concerning the usefulness of history (and the historian) in Antiquity in general and Polybius in particular, cf. McGing, Polybius’ Histories…, p. 51-94; Sacks, Polybius and the Writing of History…; H. Straßburger, Die Wesensbestimmung der Geschichte durch die antike Geschichtsschreibung, Wiesbaden, 1966; F. K. Maier, Die Kontingenz historischer Prozesse bei Polybios, München, 2012, esp. p. 334-340. Concerning the specific position of Herodotus and Thucydides, cf. J. de Romilly, « L’utilité de l’histoire selon Thucydide », in W. den Boer (ed.), Histoire et historiens dans l’Antiquité, Genève, 1958, p. 41-81; C. Dewald, « Practical Knowledge and the Historian’s Role in Herodotus and Thucydides », in M. H. Jameson (ed.), The Greek Historians, Saratoga, 1985, p. 4763. J. Grethlein, « Historia magistra vitae in Herodotus and Thucydides? The Exemplary Use of the Past and Ancient and Modern Temporalities », in A. Lianeri (ed.), The Western Time of Ancient History, New York, 2011, p. 247-263.
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official libraries and the necessity of organising the piling of books.17 On the other hand, the quantitative increase in the production of literature in general, and historiography in particular, probably diminished the novelty of much that was written and made the pride of beginning one’s book with one’s own name, so obvious in Herodotus and Thucydides, appear somewhat preposterous since the fourth century. Thus, since the age of Plato and Xenophon, authors could do without indicating their name in the first line of the narrative and gained thus more liberty in the writing of prefaces. Nevertheless, we should note that the fashion of placing one’s name in a historiographical preface did not disappear altogether, as later historians, such as Dionysius of Halicarnassus, Josephus and Appianus resumed the tradition, though influenced perhaps rather by the archaising tendencies of the Second Sophistic than by practical purposes. While some literary commonplaces obviously disappeared, other came into existence. Thus, one element whose presence was still embryonic in Herodotus (1.1) and circumstantial for Thucydides (1.31) seems to have gained so much importance that its presence was, at the time of Polybius, quite inevitable: the praise of history (topos n. 16); an element which very probably did not always emanate from an outright interest in the specific nature of historiography, but evolved out of the endeavour to show the reader the importance of the book he was just holding by means of a general apology of the numerous benefits of history in general. This more rhetoric than philosophical aim is implicit also in Polybius and justifies why, under the cover of skipping the praise of history, Polybius is doing exactly what he announces to avoid; an attitude copied later by Dionysius of Halicarnassus (1.1). Indeed, the diverse elements of the praise of history had become a commonplace in late classical and Hellenistic thought; nevertheless, it is difficult to determine whom Polybius alludes to when mentioning the previous authors (τοῖς πρὸ ἡμῶν ἀναγράφουσι)18 and all historians, one may say without exception (οὐ τινὲς οὐδ´ ἐπὶ ποσόν, ἀλλὰ πάντες), who mentioned the praise of history at the beginning and the end of their work (ἀρχῇ καὶ τέλει), a proverbial phrase which might indeed 17 On the material aspect of books in Antiquity, cf. in general H. Blanck, Das
Buch in der Antike, München, 1992; G. Cavallo (ed.), Libri, editori e pubblico nel mondo antico, 4th ed., Roma-Bari, 2004. 18 Translations from Polybius are from W. R. Paton (Loeb Classical Library, 1922-1927).
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underline the idea of an omnipresence19 of those elements in historical writings, but also implies a direct allusion to traditional prefaces. If we recall Herodotus (1.1.), we remember how he underlined, at least implicitly, the necessity of history as the only means to ascertain that the γενόμενα as well as the ἔργα would not20 become ἐξίτηλα and ἀκλεᾶ, though this attitude can hardly be considered as a full-fleshed praise of history in the spirit of Polybius. Another candidate Polybius might be thought of as alluding to could be Thucydides, who judged serious history as a κτῆμά τε ἐς αἰεί (1.31), enabling the reader to understand the present and to predict the future which are bound to repeat the patterns of the past; but again, the praise of history in Thucydides does not seem important enough to justify Polybius’ allusion. Therefore, it has been supposed in the middle of the twentieth century Polybius’ might allude to Ephorus, whose work has been considered as the main source of Diodorus’ praise of history21 which, in some respects, seems quite similar to Polybius. However, it seems much more likely to suppose Diodorus referred not to Ephorus, but rather to Poseidonius, who was a contemporary of Cicero and hence wrote well after Polybius.22 Other possible sources for Polybius’ praise of history might be Theopompus, Theophrastus and Demetrius of Phalerum,23 but as these writers are only conserved through fragments and testimonies not directly related to the issue at stake, it seems impossible to get any further. Concerning the reasons for the praise of history, Polybius refers implicitly to its immediate usefulness,24 an idea which may seem, at first view, commonplace, but which probably originated from the Stoic request that everything had to be useful in order to be valuable.25 19 Lorenz, Untersuchungen…, p. 76, n. 33. 20 See also R. Laqueur, Polybius, Leipzig, 1913, p. 257. Walbank, Commentary…,
p. 39, however, explains: ‘The sense is not local, but qualitative’. 21 G. L. Barber, The historian Ephorus, Cambridge, 1935; B. L. Ullman, « History and Tragedy », in TAPA, 73, 1942, p. 25-53, p. 30, n. 31. Concerning the prooimion of Diodorus’ work, cf. e.g. M. Kunz, Zur Beurteilung der Proömien in Diodors historischer Bibliothek, Zürich, 1935 (PhD). On Polybius’ view on Ephorus, cf. K. Meister, Historische Kritik bei Polybios, Wiesbaden, 1975, p. 67-80. 22 On Diodorus’ use of Posidonius, cf. J. Malitz, Die Historien des Poseidonios, München, 1983, esp. p. 38 and 409-416. 23 Lorenz, Untersuchungen…, p. 10-11; see also R. von Scala, Die Studien des Polybios, vol. 1, Stuttgart, 1890, p. 164 and, in general, Meister, Historische Kritik… 24 In Pol. 3.4.11 and 9.20.6, he expresses this idea directly. 25 Cf. Cic., off. 1.7: Placet Stoicis, quae in terris gignantur, ad usum hominum omnia creari.
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Polybius quite tritely names the providing of a preparatory lesson (ἑτοιμοτέραν διόρθωσιν), elaborated further by the pairing of the soundest education and training for a life of active politics (παιδείαν καὶ γυμνασίαν πρὸς τὰς πολιτικὰς πράξεις) on the one hand, and the surest and indeed the only method of learning how to bear bravely the vicissitudes of fortune (ἐναργεστάτην δὲ καὶ μόνην διδάσκαλον τοῦ δύνασθαι τὰς τῆς τύχης μεταβολὰς) on the other hand; ideas which will be repeated many times throughout the histories.26 Of course, the idea of ‘History as school for politics’ offers nothing new, as it similarly appears in Thucydides, Isocrates and Aristoteles27 and will later be referred to by Diodorus, Sempronius Asellio, Sallust and many other historians.28 History as a means of helping to bear the strokes of the τύχη though seems more interesting, as the term τύχη was largely absent in Thucydidean historiography, trying to show at the contrary the fundamental importance of the κατὰ τὸ ἀνθρώπινον. τύχη of course is one of the key terms in Polybius and has clear Stoic allusions, as we will have to discuss later. At this point however, the idea seems quite restricted to the private domain, and refers in a very general way only to a general divine force outside of human power; an attitude not unlike the position of the Isocrateans Theopompus and Theophrastus or of the early Peripatus, as conserved through the fragments of Demetrius of Phaleron and his work Περὶ τῆς τύχης.29 Though Polybius tries to eschew what had been the usual first sentence of classical prefaces, he nevertheless provides us with at least some clues about what is to follow, as he qualifies his writing as part of τῶν τοιούτων ὑπομνημάτων (topos n. 7), a term somewhat unusual, as it seems to qualify rather the writing of memoirs like Aratus’ than the redaction of full-fleshed history. Yet before opposing Polybian hypomnemata to Herodotus’ ἱστορίης ἀπόδεξις and trying to deduce Polybius’ approach towards history from such a comparison, one should consider the direct context: Polybius tries to circumvent the ‘praise of history’ and refuses to compete with his predecessors in this respect, as he would be the least qualified (ἥκιστα δ´ ἡμῖν) to enter 26 Pol. 1.35.97; 2.56.11f.; 3.7.4; 5.75.1-6; 7.11.2; 10.21.4; 11.19a. 27 Thuc. 1.22; 2.48.3; Isocr., Nic. 35; Arch. 59; Arist., Rhet. 1.1368a29. 28 Diod. 1.1; Sempr. Asellio, HRR fr. 2 = FRHist 20 F 2; Sall., Iug. 4.5-6; see also
Cic., de orat. 2.9.36; Plin., Epist. 5.8.11. 29 On Demetrius of Phaleron, cf. E. Bayer, Demetrios Phalereus, der Athener, Stuttgart-Berlin, 1942; W. Fortenbaugh-E. Schütrumpf (eds.), Demetrius of Phalerum: Text Translation and Discussion, New Brunswick, NJ, 2000.
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such a competition. The formula ἥκιστα δ´ ἡμῖν of course suggests the author’s apparent humilitas (topos n. 4) and has to be seen as a tribute to the captatio beneuolentiae, a topos not yet apparent in Herodotus and only slightly insinuated by Thucydides (1.31), but very well elaborated in Polybius and reappearing somewhat later in the preface, as we will see. Nevertheless, the decision to skip the praise of history shows Polybius also wants to place his work in quite another category as the writings of his predecessors and contemporaries; the captatio beneuolentiae thus also underlines the uniqueness of Polybius’ historiographical efforts and serves as a further advertisement. The straightforward identification of his own work with τῶν τοιούτων ὑπομνημάτων might be seen in the same perspective. 2.2. Enunciation and importance of the subject Subsequent to the praise of history, Polybius continues his narrative on quite another line of thought which reaches from 1.4 to 2.1. Absent at the very beginning of the preface for the benefit of the topical praise of history, Polybius finally provides the reader at last with the precise subject of his book (topos n. 6); and, as the subject would already be known to the reader thanks to the title of the scroll, the author can allow himself to dwell to some extent on the signification of this subject, which is encapsulated in the formula by what means and under what system of polity the Romans […] have succeeded in subjecting nearly the whole inhabited world to their sole government (1.5: πῶς καὶ τίνι γένει πολιτείας ἐπικρατηθέντα σχεδὸν ἅπαντα τὰ κατὰ τὴν οἰκουμένην [...] ὑπὸ μίαν ἀρχὴν ἔπεσε τὴν Ῥωμαίων). This is obviously the precise enunciation of the subject, and as such, it is a quite recurrent formula in Polybius30 and directly corresponds to the ἱστορίης ἀπόδεξις [...] τά τε ἄλλα καὶ δι’ ἣν αἰτίην ἐπολέμησαν ἀλλήλοισι in Herodotus (1.1.) and to the πόλεμον τῶν Πελοποννησίων καὶ Ἀθηναίων in Thucydides (1.1.). The 53 years correspond to the time from 220 to 16731 and recalls as well the Athenian Pentecontaetia in Thucydides (1.118.2)32 as Demetrius of Phalerum’s reflections on the fall of Persia and the rise of Macedonia in 50 years, incidentally quoted by Polybius (29.21.4). Nevertheless, Polybius intertwines the statement of the subject with numerous references to its interest for the reader; a formula 30 Pol. 1.2.7; 1.4.1; 3.1.4; 1.9; 2.6; 3.9; 4.2; 118.9; 6.2.3; 8.2.3; 39.8.7. 31 Polybius later extended the scope of his histories until 145. 32 See Lorenz, Untersuchungen… p. 14; contra Walbank, Commentary…, p. 40.
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referring not only to the praise of history in general, but also to the specific importance of the presented subject (topos n. 14). We thus find on the one hand the mention of τὸ παράδοξον τῶν πράξεων,33 the amazing nature of the facts, based on its absence in former times (πρότερον οὐχ εὑρίσκεται γεγονός), and on the other hand its superior importance (προυργιαίτερον), exceeding the usefulness of all other disciplines of learning (topos n. 11)34; and at the beginning of the sentence introducing the justification of these claims, Polybius repeats the παράδοξον and associates it to the category of greatness (μέγα) of the related events. Interestingly, παράδοξον and μέγα are in direct symmetry to the categories used by Herodotus and Thucydides, as the first one qualified the ἔργα he prepared to relate as μεγάλα τε καὶ θωμαστά (1.1.), whereas the second defined the war of the Peloponnesians and Athenians as μέγαν [...] καὶ ἀξιολογώτατον (1.1.). Hence, all three historians seem to concur about the importance of the ‘greatness’ of historical events in order to claim their reader’s attention, but differ about the nuances related to this greatness. Instead of the Herodotian marvellous θωμαστά or the Thucydidean purely rational ἀξιολογώτατον, Polybius’ idea of memorable history involves the presence of the παράδοξον, a word omnipresent in his histories35 and meaning literally a fact which seems opposed to the natural course of things. The παράδοξον, even if ostensibly borrowed from the vocabulary of contemporary Hellenistic historiography, often indulging in these features,36 refers to the manifestation of principles apparently contradictory to commonsense and traditional historico-political thought, but based on philosophically preordained principles with moral implications. This does not imply the relation of fabulous stories as in Herodotus, as Polybius, like Thucydides, is quite opposed to the intermingling of political and miraculous history and often criticises predecessors such as Timaeus of Tauromenium for their lack 33 On Polybius’ notion of paradoxy, cf. F. Frazier, « L’inattendu et l’extraordinaire. Les emplois de ‘paradoxos’ dans les Histoires de Polybe », Ktèma, 27, 2002, p. 79-85; Maier, Die Kontingenz…, p. 17-72 (on ‘katalogy’) and 83-208 (on ’paralogy’). 34 Incidentally, the precise formulation θεαμάτων ἢ μαθημάτων also occurs in Thuc. 2.39.1, though the parallelism does not extent to the content of the passage and thus seems of little importance. 35 Lorenz, Untersuchungen…, p. 80, n. 57 counts 51 instances of the word in the first 3 books only. 36 On the popularity of the literary genre of paradoxography, cf. K. Ziegler, s.v. « Paradoxographoi », RE, 18.3, 1949, cols. 1137-1166.
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of discretion.37 Nor should the Polybian παράδοξον seen as a reference to Aristotle’s definition of the παράδοξον in tragedy as designed in order to arouse fear and pity (Poet. 9.1452a4), as Polybius rejects tragic history38 (2.56-64; 3.47.6ff.) as represented by Duris and Phylarchus.39 Polybius’ understanding of παράδοξον, in opposition to the biographical turn generally operated by Hellenistic historiography,40 refers, as will be made clear not only somewhat later in his preface, but also in other passages of his work (2.37.6; 8.2.3f.; 9.6.5; 29.22.2), to the action of the Stoic τύχη, whose appearance in history is as well utterly divine as utterly rational. Indeed, the preordained fate of a logical universe and the presence of the divine logos in each human being inevitably implies the retribution of good and evil and leads world history from scattered dissemination to gradual unification and rationalisation; an evolution which thus may seem παράδοξον at first view, and sometimes may be averse to the immediate interest of the individual, but which is clearly explicable by the historian and foreseeable by the philosopher. 2.3. The subject’s quantitative importance Quite logically follows now the justification of this claim in what probably is the section of Polybius’ preface best studied in contemporary scholarship, running from 2.2 till 2.8.41 The whole passage is dedicated to prove the allegation that a study of the Roman empire may be useful for any reader and thus the supposition that none might be so fascinated by other studies that he would neglect the acquisition of the data (ὃς προυργιαίτερον ἄν τι ποιήσαιτο τῆσδε τῆς ἐμπειρίας) compiled by Polybius. This statement, corresponding to the rhetorical counsel that a preface has to stress the following’s utilitas for the reader, has no parallel in Herodotus, as the pater historiae preferred to 37 On the criticism of Timaeus of Tauromenium, cf. K. Meister, Historische
Kritik bei Polybios…, p. 3-55. On Polybius’ attitude toward religion and divination, cf. D. Engels, Das römische Vorzeichenwesen, Stuttgart, 2007, esp. p. 111-114. 38 On tragic history, cf. e.g. P. Pédech, Trois historiens méconnus : Théopompe, Duris, Phylarque, Paris, 1989. 39 Cf. Herkommer, Die Topoi…, p. 15. On Polybius’ attitude towards Phylarchus, cf. Meister, Historische Kritik…, p. 93-126. 40 Cf. e.g. Theopompus, FGrHist 115 F 27. 41 On Polybius’ general vision of Roman history and politics, cf. D. Musti, Polibio e l’imperialismo romano, Napoli, 1978. F. Millar, « Polybius between Greece and Rome », in J. M. T. Koumoulides-J. Braedmas (eds.), Greek Connections, Notre Dame, Indiana, 1989, p. 1-18; D. W. Baronowski, Polybius and Roman Imperialism, Bristol, 2012.
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underline the interest of immortalising the past for itself instead of advertising history’s direct usefulness for the individual reader, if one excepts the interest the reader implicitly might have in learning the reasons for the war between Greeks and Barbarians. Thus, Polybius resembles more Thucydides, who tried to proof the extraordinary dimensions of the Peloponnesian War through a short recapitulation of early Greek history and a syncrisis of different hegemonic attempts,42 even though the famous statement of the κτῆμά τε ἐς αἰεί is not directly deduced from the immediate importance of the chosen topic for the reader, but from its paradigmatic nature for the study of history and its objectivity. Polybius, however, does not only explicitly claim the great and manifold advantages (topos n. 11) of his specific methodological approach of history (ὁμοίως δὲ καὶ περὶ τοῦ πόσα καὶ πηλίκα συμβάλλεσθαι πέφυκε τοῖς φιλομαθοῦσιν ὁ τῆς πραγματικῆς ἱστορίας τρόπος), a topic fully developed only a bit later, but hints to a more direct and immediate importance of the related facts for his contemporary reader. Indeed, while Thucydides presents the Peloponnesian War as a past event, whose study has mainly pedagogical interest for the centuries to come, Polybius insists on the present and even future importance of the Roman Empire, whose universal domination as the last one in a series of world empires is just about to begin and is not likely to end soon.43 Hence, the study of its expansion is of immediate relevance for all its contemporaries (topos n. 5). But the use of a syncrisis at this point of Polybius’ narrative serves not only advertising purposes or merely topical interests,44 as the theme of the sequence of the world empires has a long history in classical thought.45 It appears not only in the anti-Roman sibylline 42 The parallel is already stressed by Lorenz, Untersuchungen…, p. 81, n. 74. 43 On the link between Polybius and later concepts of growth (and decline) of the
Roman state, cf. D. Engels, « Déterminisme historique et perceptions de déchéance sous la république tardive et le principat », Latomus, 68, 2009, p. 859-894; F. W. Walbank, « The Idea of Decline in Polybius », in id., Polybius, Rome and the Hellenistic World: Essays and Reflections, Cambridge, 2002, p. 193-211; K.-E. Petzold, « Kyklos und telos im Geschichtsdenken des Polybios », in id., Geschichtsdenken und Geschichtsschreibung, Stuttgart, 1999, p. 48-85. 44 Cf. O. Hense, Die Synkrisis in der antiken Literatur, Freiburg, 1893 (Rektoratsrede); F. Fockem, « Synkrisis », Hermes 58, 1923, p. 327-368. 45 On the idea of translatio imperii, cf. J. M. Alonzo-Núnez, The Idea of Universal History in Greece: from Herodotus to the Age of Augustus, Amsterdam, 2002; J. Wiesehöfer, « Polybios und die Entstehung des römischen Weltreicheschemas », in V. Grieb-Cl. Koehn (eds.), Polybios und seine Historien, Stuttgart, 2013, p. 59-70.
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literature (Orac. Sibyll. 3.158-193), based on a re-interpretation of the Danielic prophecies (Dan. 7.17), but also characterises other Greek prefaces such as Dionysius of Halicarnassus (1.2-3) and Appianus (Hist. praef. 8-11), followed by Aelius Aristides (or. 26.15-27).46 This question has been studied often enough, so that there is no need to dwell more than absolutely necessary on all its features. Let us just resume Polybius’ very selective attitude in considering as worthy of comparison (αἱ τῆς παραβολῆς ἄξιαι) only the Persian, the Lacedemonian and the Macedonian hegemonies, leaving out not only the great oriental monarchies such as the Assyrians and the Medes, but also Athens, who anyway counts only little for Polybius (6.44), and even Carthage (present later in Orosius), although Polybius seems to considers it, some sentences later, as only worthy antagonist of the Roman Mediterranean hegemony. We also may stress the somewhat unconvincing argumentation of Polybius’ syncrisis of empires clearly destined to magnify the Roman Empire: On the one side, he underlines the Persian Empire’s failed attempts to dominate Europe (a current topos in Greek thought since Aeschylus [Pers. 790ff.] and Herodotus [6.10], later instrumentalised by the Romans against Antiochus III47) and the Macedonian kingdom’s limited influence over the Western Mediterranean, not to speak of the short-lived Lacedemonian hegemony in order to minimise the pre-Roman empires;48 on the other side however, Polybius omits to verbalise that the Roman Empire had not yet established a direct military presence in Asia. Hence, the claim that the Romans possess not only a part (οὐ τινὰ μέρη), but the ‘whole’ Oikoumene sounds somewhat unconvincing (if we are not to suppose a gradual westward shift of what is considered by Polybius as ‘Oikoumene’). Indeed, even though there was scarcely any Eastern or Western state which might hope to challenge the Roman military power towards the middle of the second century, as Polybius points out, and though the Romans them46 Cf. similarly Aem. Sura, HRR 1 = FRHist 103 F 1; Vell. 1.6.6; Plut., Fort. Rom. 317f.; Dexippus, FGrHist 100 F 12; Amp., Lib. mem. 10; Bruttius, HRR 2 = FRHist 98 F 2; Choricius 21; Claud., Stilich. 3.159ff.; Zos. 1.1-5; Aug., Civ. Dei. 4.7; 12.11; 20.23. 47 On the presentation of the Seleucids as successors of the Achaemenids, cf. D. Engels, Benefactors, Kings, Rulers. Studies on the Seleukid Empire between East and West, Leuven, 2017. 48 The 12 years refer to the span between the battles of Aegospotami (405) and Cnidus (394), also considered as end of the Spartan hegemony by Theopompus (Diod. 14.84.7), Justin (6.4.1); Nepos (Conon 4).
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selves advertised their new quality as rulers over the Oikoumene,49 one might hardly hold up, at least from an oriental point of view, that the Roman empire hold any sway over the major part of the old Achaemenid territories. As Polybius hardly ignored this, one can safely assume the exaggerations are due to the necessity of proving a pre-established philosophical concept pertaining to a gradual growth of imperial states, culminating in the Roman Empire; a concept whose roots may lie in the Middle Stoic specific understanding of history as shall be shown later. 2.4. The subject’s qualitative importance Having thus sketched the general framework, Polybius sets now on to define and justify the starting point of his histories and link it with their general qualitative importance. The short sketch of the succession of great empires was designed to show the sheer quantitative dimension of the Roman Empire, then to deduce the improbability of its downfall in a nearer future and thus to prove the subject’s importance (topos n. 14) as well as the utmost interest its investigation might hold for anyone who lives under Roman sway. Section 3.1-3.6, however, dwells on the qualitative change brought over the Oikoumene by the Roman hegemony, as it merged regional histories into a single organic world history. This interpretation of abstract entities as organic bodies can be traced back to Plato’s and Aristotle’s ideal of considering a literary work as a unique ‘body’.50 Nevertheless, the equation of historical with organic entities does not only reflect contemporary considerations on poetry, as Walbank showed by stressing direct parallels with other historians who treated historical events as corporal unities.51 Indeed, as we will see later when discussing Polybius’ notion of fate, we might suspect some Stoic influences in the formulation of this statement, as the idea of the inherent pantheist unity of the natural and political universe and the claim each man has to be seen as a kosmopolites count among the basic points of Stoic political philosophy. Already Zenon, the founder of Stoicism, explained that man should not live neither κατὰ πόλεις nor κατὰ 49 Plut., Tib. Gracch. 9.5. 50 Plato, Phaedr. 264c; Arist., Poet. 23.1.1459a17f., where history is excepted;
cfr. Walbank, Commentary…, p. 43. 51 Dion. Hal., Pomp. 3; De Thuc. 5-6 and 10; Diod. 20.1.5; Cic., Fam. 5.12.4. See in general D. Engels, Von Platon bis Fukuyama. Biologistische und zyklische Konzepte in der Geschichtsphilosophie der Antike und des Abendlandes, Bruxelles, 2015.
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δήμους, but as citizens of a united world, living the same life (Fr. 262), an idea often repeated later on52 and most influent for the formation of Hellenistic and Roman imperial ideology as well as historiography and antiquarianism.53 Concerning the allusion to the date of the 140th Olympiad, corresponding to 220-216 B.C., Polybius shows his respect for the architect of the Achaean league, Aratus of Sicyon, a respect even more underlined by the fact that Polybius used the word ὑπομνήματα not only to define the precise nature of his own work, but also attributes it as title to the memoirs of Aratus (2.40.4; see also Plut., Arat. 7.11). Furthermore, his mention also corresponds to the usual prooemial topos of defining one’s own position in relation to one’s predecessors (topos n. 8). On the one hand, this reference could show the author’s apparent humilitas, as we saw it when discussing Polybius’ feigned inability of contributing anything noteworthy to the praise of history. On the other hand, a reference to predecessors helped historians to show their readers lines of continuity and affiliation, as is the case here, even though, a part from Aratus, Polybius also can be considered as successor to Timaeus (Polyb. 1.5.1; 39.8.4).54 And finally, a reference to predecessors enabled historians like Polybius to criticise their colleagues (and competitors), as we will see in the next section. 2.5. Usefulness of an introduction to early Roman history The next section, running from 3.7 till 3.8, could be termed, at first view, as a methodological digression, but represents, in fact, a sequel 52 Sen., De vita beat. 25.5; Tranq. an. 4.4; Epist. mor. 68.2; Marc. Ant. 3.11.2, 4.4.1f.,
6.44, 19.15; vgl. J. Kaerst, Die antike Idee der Oikumene, Leipzig, 1903, p. 13ff. and 32, n. 25; H. C. Baldry, The Unity of Mankind in Greek Thought, Cambridge, 1965; V. Gaziano, « Cosmopolitismo e individualismo nella cultura ellenistica », ALGP, 5-6, 1968-1969, p. 81-94; H. Schulz-Falkenthal, « Ich bin ein Weltbürger. Zum Kosmopolitismus in der Antike », WZHalle, 28, 1979, p. 29-39; E. Kunikata, « The Origin of Cosmopolitanism », JCS, 57, 2009, p. 65-77. 53 Cf. D. Engels, « Polemon von Ilion. Antiquarische Periegese und hellenistische Identitätssuche », in K. Freitag-Chr. Michels (eds.), Athen und / oder Alexandreia? Aspekte von Identität und Ethnizität im hellenistischen Griechenland, Köln-WeimarWien, 2014, p. 65-98. 54 Similarly, for example, Xenophon, Theopompus and Cratippus continued the work of Thucydides (Polyb. 8.11.3; Dion. Hal., De Thuc. 16), whereas Xenophon expected continuators of his own work (Hell. 7.5.27), and Polybius himself found successors in Posidonius and Strabo (Pos., FGrHist 87 T 1 and 12; Strabo, FGrHist 91 F 12b). See in general A. Mehl, « Geschichte in Fortsetzung », in V. GriebCl. Koehn (eds.), Polybios und seine Historien, Stuttgart, 2013, p. 25-48.
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to the demonstration how useful the chosen subject might be for the potential reader. It also introduces the second part of Polybius’ prooemium, which deals more closely with the specific nature of the presented book; a separation also made clear by the use of the same syntactical structure as in the first sentence of the histories (εἰ μὲν ..., ἴσως. ἐπεὶ δὲ ...); a rather complicated formulation visibly familiar to Polybius and referring perhaps, as thought Lorenz, to Stoic theories of syllogism.55 Whereas the meaning of these few sentences is obvious and does not seem to need any further explanation, it is interesting to underline the implicit historical teleology Polybius seems to advocate, as he makes it quite clear that the eventual hegemony of the Roman Empire was neither the fruit of simple hazard, nor the consequence of the weakness of its enemies, but the result of fundamental material as well as ideological premises; an assumption very influential for the further development of the idea of a Roman imperial expansion planned since before the beginning of the Second Punic War.56 Nevertheless, the ultimate reason behind this expansion was not, for Polybius, pure human reason, as it might have been for Thucydides, but the performance of τύχη, as will clearly be shown in the next section. Furthermore, the allusion to the material preparedness to plan and achieve hegemony (εὐλόγοις ἀφορμαῖς χρησάμενοι) may implicitly refer to Thucydides’ awareness of the Peloponnesian War’s prospective greatness because of the dimension of the preparations for war on both sides (1.1.: ἀκμάζοντές τε ᾖσαν ἐς αὐτὸν ἀμφότεροι παρασκευῇ τῇ πάσῃ), even though the used vocabulary clearly differs. Similarly, the necessity of introducing the subject itself by a short introduction to the events leading up to the main narrative has also been parallelised with Thucydides description of the Pentecontaetie and its propaedeutic function.57 In some ways, Polybius’ statement that his contemporaries were still rather unacquainted with Roman history might be seen as another topical allusion to his predecessors (topos n. 8). One might object that Rome, strictly speaking, had already gained some historiographical attention at least in the context of the Punic Wars, and not only from Roman historians writing in Greek for a Hellenic audience like Fabius Pictor or Cincius Alimentus, but also from genuine Greek historians 55 Lorenz, Untersuchungen…, p. 76, n. 27. 56 Note the contradiction in Pol. 3.2.6 where this plan is only a consequence of
the victory over Hannibal. 57 Lorenz, Untersuchungen…, p. 19.
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such as Philinus of Acragas, Sosylus of Lacedaemon, Chaereas, Timaeus of Tauromenium, Eumachus of Naples, Xenophon and Silenus of Caleacte or poets like Lycophron. Nevertheless, Polybius is right inasmuch as he was, without any doubt, the first one to put Rome in a larger Mediterranean context, even though the present section, above all, complies with the usual requirement that a preface mainly has to demonstrate the following treatise’s usefulness for the reader and thus is likely to dwell on the absence of anything comparable. 2.6. Criticism of predecessors and novelty of historical method Finally, after having, in separate chapters, defined the aim of his work and sketched its usefulness not only with reference to history in general, but also in terms of the quantitative dimension of the chosen topic (size of empires) as well as its qualitative dimension (unicity of history), and dwelled on the usefulness of a digression on early Roman history, Polybius, in 4.1-11, endeavours to combine these different approaches by describing his method and his position in comparison to his predecessors by dwelling on his understanding of the concept of τύχη. As in the ‘Engführung’ of a fugue, where the themes exposed and developed during the major part of the piece are now directly combined and played with only slight overlapping, all major elements of the preface culminate in this complicated last section and are shown as closely interrelated, even though re-examined in subordination to the topoi of the exposition of the author’s method and his position visà-vis of his predecessors.58 So far, as we have shown, Polybius had deduced the importance of his work from the empirical importance of the subject itself, marked by a gradual, even though still largely unexplained unification of the world; now, he also insists on the novelty of his historiographical approach (topos n. 9), exactly designed in order to demonstrate this evolution through a synoptic and synchronic attitude towards history. This originality is further underlined by the chiasmic symmetry of ἡμετέρας πραγματείας ἴδιον59 and τὸ θαυμάσιον τῶν καθ´ ἡμᾶς 58 On Polybius’ criticism of his predecessors, cf. R. Koerner, Polybios als Kritiker früherer Historiker, Jena, 1957; Meister, Historische Kritik…; Derow, « Polybius and his Predecessors ». 59 On Polybius’ notion of ‘pragmatic’ history, cf. M. Gelzer, « Die pragmatische Geschichtsschreibung des Polybios », in K. Stiewe-M. Holzberg (eds.), Polybios. Wege der Forschung, Darmstadt, 1982, p. 273-280; B. Meissner, « Pragmatike Historia. Polybios über den Zweck pragmatischer Geschichtsschreibung »,
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καιρῶν (4.1.), introducing by way of θαυμάσιον a category of appraisal redolent of Herodotus’ μεγάλα τε καὶ θωμαστά (1.1.) and completing the attributive sequences we found when dealing with Polybius’ qualification of the importance of the chosen subject (topos n. 14), characterised until now by mentioning mainly the παράδοξον and the μέγα. Indeed, whereas the concept of τύχη was, until now, only once indirectly alluded too, and furthermore in a way strictly reduced to the private individual, the following explanations make it very clear that it is fate that has to be seen as ultimate dynamics of the sequence and increasing size of the great empires, the expansion of the Roman state and the subsequent unifying of the world. For Polybius, this process does not seem due to simple hazard, but to an underlying philosophical teleology, clearly expressed in the ᾧ κέχρηται πρὸς τὴν τῶν ὅλων πραγμάτων συντέλειαν (4.2.); a teleology implying also the truthfulness of the narrated events (topos n. 12). Of course, τύχη as major element in Polybius’ histories has often been investigated, and it is not the aim of the present paper to propose a new explanation, but only to study the structure of Polybius’ preface and its place in Greek literary history. Let it thus be sufficient to underline the undeniably Stoic influences on Polybian thought, as τύχη was one of the major concepts of Stoic philosophy.60 As is well known, Stoicism61 is a holistic response to the fundamental transformation the classical polis-world underwent after the Macedonian expansion and tries to redefine the place occupied by the Saeculum, 37, 1986, p. 313-351; J. Deininger, « Die Tyche in der pragmatischen Geschichtsschreibung des Polybios », in V. Grieb-Cl. Koehn (eds.), Polybios und seine Historien, Stuttgart, 2013, p. 71-113. 60 On the concept of τύχη, cf. F. Rösiger, Die Bedeutung der Tyche bei den späteren griechischen Historikern, besonders bei Demetrios von Phaleron, Konstanz, 1880; G. Herzog-Hauser, s.v. « Tyche », RE, 7A2, 1948, p. 1643-1689; Pédech, La méthode…, p. 331-354; A. Roveri, « Tyche bei Polybios », in K. Stiewe/ N. Holzberg (eds.), Polybios. Wege der Forschung, Darmstadt, 1982, p. 297-326; L. Hau, « Tyche in Polybios. Narrative Answers to a Philosophical Question », Histos, 5, 2011, p. 183-207; Maier, Die Kontingenz…, p. 210-247; Deininger, « Die Tyche… ». 61 On Stoicism, cf. in general M. Pohlenz, Die Stoa: Geschichte einer geistigen Bewegung, 2 vols., Göttingen, 1948-1949; J. Rist, Stoic Philosophy, Cambridge, 1969; A. Erskine, The Hellenistic Stoa: Political Thought and Action, London, 1990; A. A. Long, Stoic Studies, Cambridge, 1996; L. C. Becker, A New Stoicism, Princeton, 1998; K. Vogt, Law, Reason and the Cosmic City: Political Philosophy in the Early Stoa, Oxford, 2008 and the general introduction in D. Engels, s.v. « Stoicism », EAH, 2013, 6400-6402.
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human being. Stoicism is based on a rigorous empiricism, nature (φύσις/natura) and reason (λόγος/ratio) being considered not as contradictory, but as concordant, with individual happiness depending on the correct orientation of life according to nature. Stoic physics seems materialist, but as it is based on the perfect equation between nature and reason, both generated by and identical with a divine creator (who is simultaneously creator/δημιουργός and world-soul), it nevertheless has a transcended compound. The world is, without exception, constructed by means of rational causality, a causal teleology identified with divine providence (πρόνοια) and fate (τύχη). Herefrom follows the necessity of strict predestination, though Stoicism believed in individual responsibility and hence, at least from a subjective perspective, free will (developing thus the theory of compatibilism). As man is not only part of the animal realm, but also has, despite the necessity to conserve his autonomy, to take over his place in established institutions like family, city and state in order to fulfil the requirements of his given individual nature, Stoic ethics and its, what may be called constructive conservatism provides ideal moral legitimacy for the elaboration of civic consciousness in the new Hellenistic states, as well for the ruled as for the governing classes. As Stoicism saw men as citizens not only of single states, but as parts of a unified and benevolent cosmos, it tended to favour the elaboration of ever more-encompassing states guaranteeing the rational realisation of those cosmic patterns, explaining thus not only the positive appreciation of Alexander the Great, but also the enthusiastic absorption of Stoic ethics by the Roman aristocracy and the teleological interpretation of history as culminating in the Roman Empire.62 This attitude is undoubtedly reflected in Polybius’ preface, whose partly inconsistent use of τύχη is somewhat typical of the whole work. Indeed, τύχη appears, on the one side, as erratic factor in the individual life of human beings, reflecting involuntarily the use of τύχη by the Peripatetician Demetrius of Phaleron or by Theopompus and Theophrastus,63 the latter’s convictions cited by Cicero as Vitam regit fortuna, non sapientia (Tusc. 5.9.25). But on the other side, τύχη also 62 W. Weber, Zur Geschichte der Monarchie, Tübingen, 1919, p. 17f.; 23f. On the teleological dimension of Polybius, cf. U. Hoffmann, « Der Anfang reicht bis zum Ende. Drei Bemerkungen zu Polybios’ teleologischer Denkweise », Saeculum, 53, 2002, p. 193-225. 63 On Demetrius’ concept of τύχη, see still Rösiger, Die Bedeutung der Tyche... On Polybius’ position towards Theopompus, cf. Meister, Historische Kritik…, p. 5666.
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figures as ultimate impulse of history and reason for the expansion of the Roman empire; an idea recurrent throughout the whole work (Polyb. 2.37.6; 8.2.3f.; 9.6.5). Hence, also the words τὸ κάλλιστον ἅμα δ´ ὠφελιμώτατον ἐπιτήδευμα τῆς τύχης (4.4.), imply a certain orderliness of history and are recurrent not only throughout Polybius,64 but also in Stoic thought in general.65 Thus, it is quite understandable that for Polybius, the historian is not only the chronicler of human achievements, as in Herodotus, nor simply the analyst of eternal political laws, as in Thucydides, but also has to see himself as personal biographer of fate itself, or, as Diodorus has it, reflecting Stoic philosophy,66 the historian becomes ‘servant of the divine providence’ (Diod. 1.1.3: ὥσπερ τινὲς ὑπουργοὶ τῆς θείας προνοίας γενηθέντες). This objective even induces Polybius to evocate typically Herodotean categories of history, as his wish to contribute that the performances of Fortune are not to leave unnoticed or allow to pass into oblivion (4.4.: μὴ παραλιπεῖν μηδ´ ἐᾶσαι παρελθεῖν) (topos n. 16), which seems rather similar to Herodotus’ aim, that neither human exploits become ἐξίτηλα, nor the deeds of Greeks and Barbarians remain ἀκλεᾶ. Furthermore, Polybius endeavours to define a similarly original methodological approach, mainly based on a synoptical attitude of history (topos n. 9), not unlike that of Thucydides, who deduced the claim to a κτῆμά τε ἐς αἰεί from his critical attitude towards his sources and his refusal to mix political and religious events. Polybius, now, claims to be the first historian of his generation to consider Mediterranean history as a whole, a restriction to contemporary historiography necessary in order to exclude not only Herodotus from the competition (though his compilation of digressions may scarcely be deemed as really ‘synoptical’67), but also Ephorus, whom Polybius held in some esteem (5.33.2), despite his somewhat disorderly structure κατὰ γένος (5.1.4) At the same time, this definition of his own originality enables Polybius to dwell again on his own humility in order to renew his captatio beneuolentiae: Whereas he had insisted, at the beginning of the preface, that he would be the last qualified (ἥκιστα δ´ ἡμῖν) in competing with the praise of history formulated by his predecessors (topos n. 4), he now insists similarly that he would 64 Polyb. 3.4.11; 31.13; 6.2.3; 1.19a2; 15.36.3; 24.12.2; 38.5.3. 65 R. Hirzel, Untersuchungen zu Ciceros philosophischen Schriften, vol. 2,
Leipzig, 1882, p. 851ff. 66 Lorenz, Untersuchungen…, p. 27. 67 Cf. nevertheless Lorenz, Untersuchungen…, p. 25.
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have been much less eager to undergo the efforts (4.2.: πολὺ γὰρ ἂν ἧττον ἔγωγε πρὸς τοῦτο τὸ μέρος ἐφιλοτιμήθην) if there had already been one who had written a comparable account. Indeed, this formulation suggests on the one hand the possible, even probable superiority of an eventual predecessor, but stresses, on the other hand, the important pains Polybius took with his work and underlines thus his merits and motivation (topos n. 2) as well as the difficulty of the study undertaken (topos n. 15); a strategy taken over later by Livy68 and his direct juxtaposition of in tanta turba scriptorum mea fama in obscuro sit (praef. 3) on the one hand, and the res est praeterea et immensi operis on the other (praef. 4). Furthermore, it is also interesting to note the sharp criticism of Polybius expresses against those who believe that by studying isolated histories they can acquire a fairly just view of history as a whole (4.7: οἱ πεπεισμένοι διὰ τῆς κατὰ μέρος ἱστορίας μετρίως συνόψεσθαι τὰ ὅλα παραπλήσιόν τι πάσχειν). Though the reproach of writing isolated histories applied to most contemporary historians (topos n. 8), the allusion to a claim of paradigmatic importance is difficult to trace. One might consider it as directed against Thucydides’ assertion that the story of even a single war like the Peloponnesian may serve as paradigm for the larger understanding of history itself. Nevertheless, Polybius’ interjection might, of course, also have been addressed against most other authors of historical monographs now lost, or even against contemporary rhetorical formulations; nevertheless, the ending of this section and, at the same time, the last words of the preface seem to withhold another allusion to Thucydides, as Polybius’ project of procuring both benefit and pleasure to his readers by writing history (4.11.: καὶ τὸ χρήσιμον καὶ τὸ τερπνὸν ἐκ τῆς ἱστορίας ἀναλαβεῖν) seems rather redolent of (and slightly opposed to) Thucydides’ wish of having created a possession for all time, and not only a showpiece for singular consumption (1.31: κτῆμά τε ἐς αἰεὶ μᾶλλον ἢ ἀγώνισμα ἐς τὸ παραχρῆμα ἀκούειν ξύγκειται); a juxtaposition of the qualities of usefulness and agreeableness that might suggest an implicit allusion to Thucydides.69 68 On the preface of Livy’s Ab urbe condita, cf. e.g. Engels, « Déterminisme historique… ». 69 Finally, concerning the transition to the main narrative (topos n. 10), we see that Polybius in some ways adopts Herodotus’ and Thucydides strategy of introducing the historiographic part proper by defining the starting point of his study: Herodotus defines the first (causal and thus chronological) reasons for the conflict between Greeks and barbarians; Thucydides, through his ‘Archaeology’,
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3. Conclusion In conclusion, concerning Polybius’ philosophical orientation, it seems quite clear from his views on τύχη that Stoic philosophy was not the only, but the most important inspiration for his understanding of the dynamics of history. Of course, many elements of the preface are dependent of contemporary Hellenistic historiographical and rhetorical commonplaces, whose triviality makes it often difficult, if not impossible to reconstruct with any certainty a specific origin in one of the many contemporary schools of thought. Nevertheless, the overall scheme based on a rational understanding of τύχη and on a universal tendency towards the political unification of the world is undoubtedly influenced by Stoicism. If we try to look out for more precise sources, we might consider the close proximity between the ideas expressed in Polybius and those appearing in Diodorus with his elaborate praise of history. Diodorus knew Polybius and used his histories; thus, it does not come as a surprise that he might have drawn also on his preface. Nevertheless, much of the material expressed in Diodorus’ preface has been retraced to the fragments of Posidonius’ histories (who, by the way, continued Polybius’ histories). Yet Posidonius was a pupil of Panaetius whom Polybius knew rather well, as both frequented at the same time the house of Scipio Africanus the Younger and discussed political and constitutional issues,70 if we believe the stylised depiction of the (somewhat overrated) ‘Scipionic circle’ in Cicero’s De re publica.71 As Panaetius was the founder of the Middle Stoa and one of the figureheads of the introduction of political Stoicism into Roman thought, he may also figure as one of the major inspirational sources for Polybius’ philosophy of history. Concerning the structure and argumentation of Polybius’ preface, it has often been deplored that the loss of most of the Hellenistic literature made it impossible to understand the evolution of Greek historiography leading from Thucydides and Polybius. Nevertheless, a resumes Greek history up to the point when wars become truly noteworthy and historical knowledge satisfying; and Polybius explains why the 140th Olympiad marks the starting point of the unification of the history of the Oikoumene. 70 Cf. Hirzel, Untersuchungen…, p. 850ff. and 882f.; Fr. Taeger, Die Archäologie des Polybios, Stuttgart, 1922, p. 2; G. Mohay, « Imperium iustum. Panaitios’ Theorie bei Polybios », AAntH, 47, 2007, p. 175-184. 71 On the ‘Scipionenkreis’, cf. H. Strasburger, Der « Scipionenkreis », Hermes, 94, 1966, p. 60-72; J. E. G. Zetzel, « Cicero and the Scipionic Circle », HSCP, 76, 1972, p. 173-179.
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close examination of the preface of Polybius and a comparison with what we know of his predecessors shows that most of the technical subjects and literary commonplaces present in classical historiography still seemed to have been considered as valid by Polybius two centuries later. The overall structure – enunciation and importance of the subject, demonstration by a syncrisis, method and personal philosophy of history – remains identical, as well in Herodotus as in Thucydides and Polybius, and even the topical features enumerated at the beginning of this paper are largely identical. However, some elements, such as the presentation of the author (topos n. 3), disappeared or declined from Thucydides to Polybius, while others, like the emphasis on the author’s humilitas (n. 4), the difficulty of the subject (n. 15) and the praise of history (n. 16), became even more important. The same can be said about the description of the methods (n. 9), an element initially only related to the author’s subjective competence, but gradually justified by elaborate reflections on historiographical problems. Nevertheless, most topical key elements remained remarkably unchanged from Herodotus to Polybius, and numerous implicit allusions suggest that the continuities between classical (most of all, Thucydidean) historiography and Polybius were not only the result of an indirect transmission of tradition, but of immediate reading. Thus, the short enunciation of the subject at the very beginning of the preface (n. 6), allusions to the author’s lifetime (n. 5), and the circumlocution in order to describe the action of writing down history (n. 7) remained the same from Herodotus to Polybius, as did the justification of the work (n. 2), the critical discussion of predecessors and sources (n. 8) or the emphasis on the following’s usefulness (n. 11) and truth (n. 12). Even the general importance of the work (n. 14) is described by using very similar categories such as the described event’s importance and curiosity, even though the latter idea varies in conformity with the author’s view on history. To conclude, we should not pass over in silence that the abovementioned topical categories are not only of antiquarian importance, but are valid still today and could be used to analyse any given preface in contemporary historiography. Furthermore, even though some elements such as the definition of the subject or the discussion of method and sources seem, to our modern understanding, directly dependent on scholarly approach itself and are thus self-evident, others still reflect stylistic rules emanating from ancient rhetoric theory and thus represent somewhat anachronistic atavisms in our modern, seemingly rationalised world. Indeed, even when dealing with the most obscure
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questions of our already somewhat obscure discipline, we still tend to magnify our subject’s usefulness and importance; and even the most renowned historians try to show, even if sometimes without great conviction, their humility, and tend to stress the many difficulties of their investigations. Thus, if we look somewhat more closely into this matter, we should not forget that these prooemial commonplaces we mostly use without giving them a second thought are all but selfevident, and that their elaboration was the fruit of at least three centuries of literary history, spanning from Hecataeus of Miletus to Polybius of Megalopolis, showing once again that a historian’s importance does not necessarily reside in his faculty of turning away from tradition, but of filling old forms with a new life. Bibliographie Alonzo-Núnez, J. M., The Idea of Universal History in Greece: from Herodotus to the Age of Augustus, Amsterdam, 2002. Avenarius, G., Lukians Schrift zur Geschichtsschreibung, Meisenheim-Glan, 1965. Baldry, H. C., The Unity of Mankind in Greek Thought, Cambridge, 1965. Baldson, J. P. V. D., « Some Questions about Historical Writing in the Second Century BC », CQ 3, 1953, p. 158-164. Barber, G. L., The Historian Ephorus, Cambridge, 1935. Baronowski, D. W., Polybius and Roman Imperialism, Bristol, 2012. Bayer, E., Demetrios Phalereus, der Athener, Stuttgart-Berlin, 1942. Becker, L. C., A New Stoicism, Princeton, 1998. Blanck, H., Das Buch in der Antike, München, 1992. Böhme, R., Das Prooimion, Bühl, 1937. Canfora, L., « La préface de Thucydide et la critique de la raison historique », REG, 90, 1977, p. 455-461. Cavallo, G. (ed.), Libri, editori e pubblico nel mondo antico, 4th ed., Roma-Bari, 2004. Deininger, J., « Die Tyche in der pragmatischen Geschichtsschreibung des Polybios », in V. Grieb-Cl. Koehn (eds.), Polybios und seine Historien, Stuttgart, 2013, p. 71-113. Derow, P., « Historical Explanation. Polybius and his Predecessors », in S. Hornblower (ed.), Greek Historiography, Oxford, 1994, p. 73-90.
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Rencontre de l’histoire et de la religion dans le Logistoricus « Calenus » de Varron Yves et Aude Lehmann
Du Logistoricus « Calenus » on ne connaît guère que le titre (réduit de surcroît à la simple mention de l’éponyme du dialogue varronien), puisque le sous-titre explicatif manque. Par ailleurs, on ne saurait conjecturer du seul fragment transmis à la postérité le contenu global de l’œuvre1. Faut-il dès lors conclure à un non liquet aussi définitif que désespéré ? Il s’en faut de beaucoup, car l’identité du personnage qui donne son nom à la pièce ne laisse planer aucun doute : il s’agit, en l’occurrence, de Q. Fufius Calenus, consul en 47 av. J.-C., dont la forte individualité tranche avec celles des autres éponymes du recueil2. Tout donne à penser en effet que Calenus fut un homo nouus, qu’il commença à s’intéresser aux affaires politiques dès l’époque de Cinna, et qu’il accomplit l’intégralité de son cursus honorum sous le patronage de César, dont il fut l’un des lieutenants durant la guerre civile3. 1 C’est du moins l’opinion avancée par B. Zucchelli dans son Varro Logistoricus.
Studio letterario e prosopografico, Università degli Studi di Parma, Istituto di lingua e letteratura latina, 1980, p. 69, et qui mérite pleinement créance. 2 F. Ritschl (Opuscula philologica, III, Lipsiae, 1877, p. 414 sqq.) penche plutôt pour C. Subernius Calenus, qui lors de la guerre civile accompagna Varron en Espagne ultérieure (dont ce dernier avait accepté de Pompée le gouvernement) : cf. Cicéron, Fam., IX, 13, 1. Mais H. Dahlmann (« Bemerkungen zu den Resten der Briefe Varros », dans Museum Helveticum 7, 1950, p. 205, n. 13) réfute cette hypothèse sous prétexte que Calenus ne désigne pas le surnom de Subernius, mais son nom ethnique (« originaire de la ville de Calès en Campanie [renommée pour la qualité de ses vins] »). 3 Cf. R. Syme, La révolution romaine [traduit de l’anglais par R. Stuveras], nrfGallimard, collection « La suite des temps », Paris, 1967, p. 72, 111, 191. E. S. Gruen (The Last Generation of the Roman Republic, Berkeley-Los AngelesLondres, University of California Press, 1974, p. 115 sq. et n. 79, p. 171) toutefois conteste la qualité d’« homme nouveau » à Calenus – descendant en ligne directe du tribun Fufius qui exerça sa charge vers le milieu du IIe siècle av. J.-C. 10.1484/M.RRR-EB.5.121307
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On sait que les ides de mars 44 avaient arraché Varron une fois encore à ses occupations savantes, et que ses chères bibliothèques furent pillées4. Le détail des événements, en 44 et 43, est d’une complexité qui souvent confine à l’absurde. Le fait est que le Réatin, à la fin de 43, fut inscrit sur la liste des proscriptions. Mais pourquoi, se demande Appien ? « Philosophe et historien, avec de beaux états de service comme soldat et comme commandant d’armée, c’est peut-être ce qui le fit proscrire comme ennemi de la monarchie5. » Peut-être aussi ses fameux « trésors » excitèrent-ils la convoitise. Toujours est-il que, proscrit, il fut caché et sauvé par un des agents d’Antoine et celui que Cicéron dénonce comme son « procurateur »6, Q. Fufius Calenus précisément. On a pensé, de façon très vraisemblable, que Calenus et Varron étaient tous deux partisans, contre Cicéron, d’une politique d’apaisement et d’accommodement. En tout état de cause, le calme revenu, Octave fit élever la statue de Varron, seul d’entre les écrivains vivants, dans ses bibliothèques7. En somme, si l’on admet par déduction que le proscripteur du Réatin fut Lépide, c’est un fait bien établi que 4 Aulu-Gelle, Nuits Attiques, III, 10,17 : Tum ibi addit, se quoque iam duodecimam annorum hebdomadam ingressum esse et ad eum diem septuaginta hebdomadas librorum conscripsisse, ex quibus aliquammultos, cum proscriptus esset, direptis bibliothecis suis, non comparuisse. = « Il ajoute alors là qu’il a abordé la douzième série de sept années de sa vie et que, jusqu’à ce jour, il a écrit soixante dix séries de sept livres, dont un assez grand nombre a disparu quand il fut proscrit, ses bibliothèques ayant été pillées. » (traduction R. Marache). 5 Appien, Guerres civiles, IV, 47. En vérité, les proscriptions aveugles du second triumvirat ressortissent à des raisons moins idéologiques que ne l’avait pensé Appien. Car Varron ne manifesta jamais d’hostilité aux dictatures : c’est ainsi qu’il revint à Rome au temps de Sylla, aida Pompée à renforcer son pouvoir, et, après la défaite de ce dernier, rejoignit le parti de César, qui le nomma directeur des bibliothèques publiques de la Ville avec pour mission « d’acquérir, de classer et de mettre à disposition du public des bibliothèques grecques et latines aussi riches que possible » (Suétone, Vie de César, 44, 4). 6 Cicéron, Philippiques, XII, 18. 7 Pline l’Ancien, Histoire naturelle, VII, 115 : « Dans la première bibliothèque publique du monde, établie à Rome par Asinus Pollion grâce à ses prises de guerre, la seule statue d’un personnage vivant était celle de M. Varron ; je pense que celui-ci ne tira pas moins de gloire d’avoir reçu cette sorte de couronne, seul parmi la multitude des hommes de génie qui vivaient alors, de la part d’un orateur et d’un citoyen de premier plan, que d’avoir obtenu du grand Pompée la couronne navale après la guerre contre les pirates. » (traduction Stéphane Schmitt dans Pline l’Ancien, Histoire naturelle. Texte traduit, présenté et annoté par Stéphane Schmitt, nrfGallimard, Bibliothèque de la Pléiade, Paris, 2013, p. 338). Quant à la bibliothèque dont il est question ici, tout désigne celle établie dans l’Atrium Libertatis après le triomphe d’Asinius Pollion sur les Parthes en 39 av. J.-C.
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son sauveur Q. Fufius Calenus appartenait au camp antonien – tant il est vrai que le vieux Varron, jadis soldat et gouverneur de provinces, maintenant paisible érudit, avait trouvé refuge dans la maison de Calenus. La position politique de ce dernier – beau-père de l’un des consuls de 43, C. Vibius Pansa8 – était assez solide pour lui permettre de défendre au sénat la thèse d’un rapprochement avec Antoine – thèse diamétralement opposée à celle de Cicéron qui prônait l’affrontement9. C’est l’époque de la guerre de Modène : Antoine était en conflit avec les meurtriers de César, avec le sénat et avec Octavien, tandis que Cicéron s’efforçait d’incliner le sénat dans le sens de la fermeté et attaquait Antoine avec violence. Ainsi donc l’adversaire politique le plus résolu de l’Arpinate durant les années noires 44-43 se montra l’ami le plus fidèle de Varron, qui lui écrivait des lettres pleines de drôlerie comme celle-ci : « tu ressembleras au personnage d’Antiphon dans la palliata de Clodius Quintiporus, et en te gargarisant de ses poèmes tu diras : O Fors Fortuna ! Combien ce jour se révèle propice10 ! », ou encore cette autre : « si tu ne viens pas aujourd’hui, fais en sorte du moins de venir demain à midi – le jour anniversaire de Fors Fortuna11 ». Les relations privilégiées entre ces deux hommes – le consulaire et l’antiquaire –, l’amitié sincère qui les sous-tendait, mais surtout l’engagement idéologique de Varron aux côtés de Calenus, partisan déclaré d’Antoine, contribuèrent à sauver la vie du Réatin12 – en dépit de l’incident de 47 où les hordes d’Antoine s’étaient scandaleusement établies dans la villa de Varron à Casinum. On sait en effet qu’après Pharsale les vétérans ramenés par Antoine réclamèrent les terres qu’il leur avait promises en Campanie, et que, dans la vente à l’encan des biens des Pompéiens, une bande de mimes
8 Cf. Cicéron, Philippiques, VIII, 19 ; X, 6. 9 Cf. Id., ibid., V, 2 sqq. 10 Nonius, 117, 4 ; 425, 20 édition J. Mercier : Quintiporis Clodi Antipho fies ac
poemata eius gargaridians dices : o Fors Fortuna, quantis commoditatibus hunc diem. 11 Id., 144, 2, édition J. Mercier : si hodie noenum uenis, cras quidem, sis, ueneris meridie natalis Fortis Fortunae. Cf. P. Cugusi, « Le epistole di Varrone », dans Rivista di Cultura Classica e Medievale, IX, 1967, p. 79. On signalera que H. Dahlmann (« Bemerkungen zu den Resten der Briefe Varros », dans Museum Helveticum 1950, p. 216, n. 46) regroupe les deux citations épistolaires varroniennes en un fragment unique. 12 Ingénieuse interprétation des liens tant privés que publics qui unissaient Varron et Calenus chez F. Della Corte, Varrone, il terzo gran lume romano, Florence, La Nuova Italia Editrice, 2a edizione accresciuta, 1970, p. 204.
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et de courtisanes se déchaîna contre cette propriété13. Ainsi quand Decimus Brutus (l’un des correspondants de Cicéron) parle de Varron comme d’un homme immensément riche14, capable de subvenir tout seul à l’entretien d’une armée, il croit devoir ajouter que les césaricides n’ont jamais cherché à solliciter son aide pour le financement de la guerre. Davantage : l’ancien Pompéien ne manquait pas d’honorer la mémoire du Grand Pompée, de vénérer Caton d’Utique et même de composer un éloge de sa sœur Porcia – sans pour autant se rallier aux césaricides. À cet égard, il avait tiré les leçons de son expérience malheureuse de la guerre civile précédente qui avait opposé Pompée à César, et dans laquelle il dut livrer sans gloire l’Espagne ultérieure dont il était depuis 50 légat propréteur15. En tout état de cause, César lui pardonna comme, dans le même temps, il pardonnait à Cicéron. Bien plus : il le nomma directeur des bibliothèques publiques de Rome – fonction qui s’accordait remarquablement avec son idéal d’une vie contemplative vouée aux travaux scientifiques et littéraires. Envers Junius Brutus il éprouvait de la jalousie et de l’irritation : de fait, Varron constatait avec amertume que c’est à ce jeune homme que Cicéron avait dédié dans les années post-phrasaliennes une œuvre philosophique d’envergure, les Paradoxes des stoïciens, et un traité de rhétorique majeur : l’Orator – valorisant ainsi Brutus, dont il finit par armer le bras en vue des ides de mars. On ne saurait cependant valider automatiquement le compte rendu des événements de 43 établi par Dion Cassius sur la base des deux discours, rhétoriquement antithétiques, de Cicéron et de Calenus (respectivement en XLV, 18, 47 et en, XLVI, 1-28, 6). De fait, dans le premier discours, celui qu’il prête 13 Un passage célèbre de la deuxième Philippique (103 sq.) de Cicéron décrit les
excès auxquels ces histrions et ces femmes de mauvaise vie s’étaient livrés : « Varron, dit-il, en avait fait un lieu de retraite et d’études, et non le repaire de la débauche. Tout y respirait la vertu. Quels entretiens ! Quelles méditations ! Quels écrits ! C’était là qu’il expliquait les lois du peuple romain, les monuments des anciens, les principes de la philosophie et de toutes les sciences ! » 14 Cf. Cicéron, Fam., XI, 10, 5. À noter que Francesco Della Corte (Varrone, il terzo gran lume romano, p. 202) tient cette opulence pour la « vraie cause » de la proscription du Réatin. De fait, les césaricides comme les triumvirs connaissaient les plantureuses exploitations rurales et les vastes troupeaux que Varron possédait en Sabine ainsi que ses somptueuses villas de Tusculum, de Baïes et de Casinum. 15 On connaît les pages d’ironie mordante dans lesquelles César (B.C., II, 17-21) a décrit les troubles de conscience de cet administrateur d’ailleurs honnête et compétent qui, devant la menace d’une catastrophe inéluctable, se quoque ad motus Fortunae mouere coepit, et jugea sage de remettre sa province intacte au vainqueur : cf. A. Haury, « Ce brave Varron (César, B.C., II, 17-21) » dans Mélanges Carcopino, Paris, 1966, p. 507-513.
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à Cicéron, l’historien grec de Rome s’appuie sur des sources très partiales empruntées aux Philippiques et qui contenaient tous les racontars ainsi que toutes les calomnies dirigés contre Antoine ; quant au second discours, il se présente également comme une diatribe fictive ressortissant à une idéologie partisane : celle anticicéronienne d’Antoine, dont Calenus était l’ami et l’affidé. Toutefois on ne parvient pas à comprendre clairement pourquoi Fufius Calenus, le confident d’Antoine, sauva Varron. Tant il est vrai qu’un fervent césarien, devenu le lieutenant d’Antoine et son homme de confiance, n’avait a priori aucune affinité avec un ancien pompéien comme Varron. À cet égard, une hypothèse inédite formulée par F. Della Corte16 emporte l’adhésion : la rupture du Réatin avec le parti pompéien – dont il dénonce les erreurs et les fautes au livre IV de son traité De uita populi Romani, rédigé précisément au cours de l’année terrible 43. Dans cette enquête sur la vie culturelle de Rome (depuis les origines jusqu’à la guerre civile) Varron vise en effet à conforter les affirmations des historiens et des philosophes qui tenaient le déclin des institutions – imputable, selon eux, à l’ambition forcenée des grands capitaines – pour la cause des crises politiques17. L’anticicéronianisme commun à Calenus et à Varron, l’amitié tout à fait surprenante née entre les deux hommes, les liens étroits et quasi familiers qui les unirent – l’ensemble de ces données relationnelles et personnelles suffit à expliquer pour quelle raison, assurément plus subjective qu’objective, Varron, qui avait été mis par Antoine sur la liste des proscrits18, fut sauvé contre toute attente par son agent. À l’arrière-plan de cet épisode dramatique se trouve posée la question 16 Cf. Varrone, il terzo gran lume romano, p. 208. 17 En particulier le fragment 114 de l’œuvre, qui stigmatise les fauteurs
d’affrontements civils et sociaux dans la Rome tardo-républicaine. Cf. Benedetto Riposati, M. Terenti Varronis De Vita Populi Romani. Fonti – Esegesi – Edizione critica dei frammenti, Milan, Società Editrice « Vita e Pensiero », Pubblicazioni dell’Università Cattolica del S. Cuore, Serie quarta : scienze filologiche – volume XXXIII, 1939, p. 233 : « I primi di essi [frammenti] riflettono apertamente i bagliori sinistri delle guerre civili et sociali, il periodo piu travaglioto della storia interna di Roma. » 18 Quant au commanditaire de cette mise hors la loi du Réatin, il ne saurait être Octave (qui le gratifia, dès son vivant, d’une statue dans la bibliothèque publique organisée par Asinius Pollion, de manubiis, sur le butin de la guerre civile), ni Antoine (puisque Varron fut sauvé entre autres par un de ses agents), mais tout désigne Lépide – le plus féroce des triumvirs en matière de répression – comme le responsable présumé de l’inscription de Varron sur le registre des proscrits : cf. F. Della Corte, Varrone, il terzo gran lume romano, p. 202.
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des rapports entre Varron et Cicéron – particulièrement tendus au lendemain du meurtre de César. Car tout se passe comme si le Réatin, en contribuant par sa collaboration avec l’antonien Calenus à éliminer politiquement Cicéron – par ailleurs son rival dans les domaines de la rhétorique et de la philosophie – s’était acheté en quelque sorte le salut. Encore convient-il de rappeler les circonstances probables de la rencontre entre Varron et Calenus : la participation en 59 du Réatin, avec Cn. Tremelius Scrofa19, choisi pour sa science d’agronome, à la commission des Vigintiuiri chargés de la distribution des terres dans l’ager Campanus. De fait, sa présence à Capoue est attestée par une sorte de miracle dont il fut le témoin20. Tout suggère que c’est à cette occasion qu’il se lia avec Q. Fufius Calenus, qui, comme l’indique son cognomen, était originaire de Calès, à une dizaine de kilomètres de Capoue, et qui d’ailleurs était cette année-là préteur. Il reste à expliquer l’articulation entre l’unique fragment du Logistoricus « Calenus » conservé grâce à un citateur ancien et le thème général de la pièce. De fait, tout donne à penser qu’il est question, en l’occurrence, d’une cérémonie magico-religieuse de déclaration de guerre à l’ennemi : Duces cum primum hostilem agrum introitum ierant, ominis causa prius hastam in eum agrum mittebant, ut castris locum caperent21. Pourtant, force est de constater que le Réatin ne reproduit pas ici le rituel archaïque de la lance jetée sur le sol ennemi par le pater patratus, le président d’une délégation de fétiaux, aux fins d’ouverture des hostilités, mais une de ses variantes modernes, contemporaines des guerres civiles. Car on ne manquera pas d’y relever trois différences notables avec le rite oublié du fétial22, dont le javelot dardé en terre adverse spécifiait la légitimité de la cause latine tout en vouant l’adversaire à la défaite : 1) l’accomplissement du lancer non par un fétial, mais par un général qui intervient sur la frontière ; 2) la procédure même de l’indictio belli, de nature plus divinatoire qu’opératoire (sans référence à une quelconque injustice 19 Cf. Varron, Economie rurale, I, 2, 10. 20 Cf. Pline l’Ancien, Histoire naturelle, VII, 176 : en l’occurrence, il s’agit d’un
phénomène de mort apparente. 21 Varron, Logistoricus « Calenus », frg. 2 éd. F. Semi. = Servius, ad Aen., IX, 53 : « Les chefs de guerre, dès qu’ils s’étaient préparés à entrer dans le territoire ennemi, envoyaient – à titre de présage – une lance dans ce territoire, afin de choisir l’emplacement de leur camp. » 22 Sur les fondements et le fonctionnement de cette institution, cf. G. Dumézil, La religion romaine archaïque (avec un appendice sur la religion des Étrusques), 2e édition revue et corrigée, Paris, Payot, collection « Bibliothèque historique », 1974, p. 579-581.
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subie par le peuple romain et donnant droit à des réparations) ; 3) la finalité du geste symbolique – le jet sur le sol ennemi d’une lance armée de fer ou d’un cornouiller à la pointe durcie au feu –, qui obéit à des considérations d’ordre purement militaire. Quoi qu’il en soit, la laïcisation de ce rite traditionnel relatif aux rapports de l’Vrbs avec l’étranger apparaît comme un signe des temps – hautement caractéristique de la religion tardo-républicaine23, où prévalait une croyance inébranlable en l’héroïsation des imperatores pour prix de leurs plus signalés exploits dans le domaine des armes. On connaît à cet égard le diagnostic sans complaisance posé par Varron, dès la rédaction de ses Satires Ménippées, sur le déclin du culte public – imputable, selon lui, à la divinisation scandaleuse des grands hommes de pouvoir : signa tunc sacra esse desierunt posteaquam homines sunt facti 24.
En définitive, si l’on confronte le sujet présumé du Logistoricus « Calenus » – l’évocation des proscriptions triumvirales de 43 à partir de l’exemplum historicum de l’un des lieutenants d’Antoine – avec l’unique fragment de l’œuvre transmis à la postérité et qui concerne l’instrumentalisation à des fins personnelles du vieux rite d’ouverture des hostilités par les grands généraux de la République, force est d’admettre que le dialogue varronien traitait de la délicate question des rapports entre les guerres civiles et la religion. Vaste réflexion plurielle sur un aspect, parmi d’autres, de la crise des pratiques religieuses immémoriales et qui témoigne de la dégradation voire de la décomposition du culte romain. Car on sait que pour Varron la décadence de la religion nationale ressortit à un faisceau convergent de causes dûment identifiées comme telles : l’utilisation politique des principales divinités du panthéon gréco-romain (de Vénus par Sylla, de Dionysos par Antoine, d’Apollon par Octave), l’essor des croyances 23 S’agissant de cette crise de la conscience religieuse romaine, on se reportera au
tableau qu’en propose G. Dumézil, ibid., p. 521-544. 24 Varron, Ménippée « La loi Maenia », frg. 241 édition F. Della Corte : « alors, les statues des dieux ont cessé d’être sacrées depuis que les hommes le sont devenus ». D’où l’on voit que le Réatin se montre très critique envers les tentatives de divinisation à l’orientale d’un Pompée ainsi que des autres chefs civils et militaires de Rome, qu’il tient pour responsables de l’irréligion contemporaine : cf. Yves Lehmann, Varron théologien et philosophe romain, Bruxelles, Latomus – Revue d’études latines, Latomus, 237, 1997, p. 95.
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et des idées religieuses en provenance de la Grèce et de l’Orient hellénisé, l’engouement pour toutes les formes de divination (prophéties, oracles, songes et autres signes prémonitoires), la foi dans les présages les plus divers avec une certaine rouerie à s’en servir, la confiance insolente en leur étoile des grands faiseurs d’histoire, ou encore la critique rationaliste de la représentation mythologique des enfers – toutes pratiques déviantes qui composent un paysage religieux passablement ruiné. Ainsi donc le Logistoricus « Calenus » apparaît comme un dialogue voisin, dans son esprit, des Satires Ménippées mais entièrement en prose. Varron y avait développé, sur la base d’exempla particulièrement significatifs et empruntés à l’histoire de Rome, une vaste enquête philosophique à plusieurs voix concernant l’état religieux très délabré de l’Vrbs au temps des dernières luttes fratricides de la République. Car l’idée de conflit armé entre citoyens d’un même État s’avérait proprement insupportable à ses yeux. C’était déjà la thèse qu’il soutenait avec conviction dans l’une de ses Ménippées, et l’on ne s’étonnera pas dès lors s’il persiste et signe dans cet autre écrit de philosophie populaire. Bibliographie Cugusi, P., « Le epistole di Varrone », dans Rivista di Cultura Classica e Medievale, IX, 1967, p. 78-85. Dahlmann, H., « Bemerkungen zu den Resten der Briefe Varros », dans Museum Helveticum, 7, 1950, p. 200-220. Della Corte, F., Varrone, il terzo gran lume romano, Florence, La Nuova Italia Editrice, 2a edizione accresciuta, 1970. Dumézil, G., La religion romaine archaïque (avec un appendice sur la religion des Etrusques), Paris, 2e édition revue et corrigée, Payot, collection « Bibliothèque historique », 1974. Gruen E.S., The Last Generation of the Roman Republic, Berkeley-Los AngelesLondres, University of California Press, 1974. Haury, A., « Ce brave Varron (César, B.C., II, 17-21) » dans Mélanges Carcopino, Paris, 1966, p. 507-513. Lehmann, Y., Varron théologien et philosophe romain, Bruxelles, Latomus – Revue d’études latines, Latomus, 237, 1997. Riposati, B., M. Terenti Varronis De Vita Populi Romani. Fonti – Esegesi – Edizione critica dei frammenti, Milan, Società Editrice « Vita e Pensiero », Pubblicazioni dell’Università Cattolica del S. Cuore, Serie quarta : scienze filologiche – volume XXXIII, 1939.
Rencontre de l’histoire et de la religion dans le Logistoricus « Calenus » de Varron
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Ritschl, F., Opuscula philologica, III, Lipsiae, 1877. Syme, R., La révolution romaine [traduit de l’anglais par R. Stuveras], Paris, nrfGallimard, collection « La suite des temps », 1967. Zucchelli, B., Varro Logistoricus. Studio letterario e prosopografico, Università degli Studi di Parma, Istituto di lingua e letteratura latina, 1980.
Les annalistes dans l’enquête de Censorinus sur les Jeux Séculaires Gérard Freyburger
À partir du chapitre 17 de son De die natali, composé en 238 ap. J.-C., Censorinus analyse, sans doute en suivant le plan d’un ouvrage de Varron1, les principales subdivisions chronologiques pratiquées dans le monde gréco-romain : le siècle, les différentes grandes années, l’année, le mois et le jour. Son analyse du concept de « siècle » à Rome est pour nous un témoignage particulièrement précieux. En effet, si pour nous, modernes, le siècle est tout bonnement un espace de 100 ans, les choses étaient plus complexes chez les Anciens. Censorinus définit d’abord le siècle comme « la durée la plus longue de la vie humaine, durée déterminée par la naissance et la mort2 ». Puis il examine à combien d’années peut s’élever cette durée : il écarte des évaluations trop hautes (300 ans), mais juge possibles des longévités de 112 à 120 ans. Ensuite il ajoute : « Mais, alors que la vérité est enveloppée dans les ténèbres, les livres liturgiques étrusques semblent enseigner ce que sont dans chaque cité les siècles naturels. Il y a été consigné, dit-on, que les débuts de siècles étaient fixés de la manière suivante : parmi ceux qui étaient nés le jour de la constitution d’une ville, celui qui vivait le plus longtemps déterminait par sa mort la longueur du premier siècle ; puis à nouveau la mort de celui qui vivait le plus longtemps parmi ceux qui ce jour-là subsistaient dans la cité, constituait la fin du deuxième siècle ; la durée des siècles suivants était établie de la même manière ; mais, du fait que des
1 Sans doute le De saeculis signalé dans Servius auct., ad Aen. 8, 526, p. 274, 16-
17 (éd. Thilo-Hagen). Pour ce traité de Varron, cf. H. Funaioli, Grammaticae Romanae fragmenta, vol. I, Leipzig, Teubner, 1907, n° 70, p. 215-217. Il devait faire partie des Antiquités humaines : on a essayé de reconstituer, pour les livres 15 à 19 qui traitaient – d’après Augustin, C. D. 6, 3 – de temporibus, la succession de aeuo, de saeculis, de annis, de mensibus et de diebus : cf. A. Hahn, De Censorini fontibus, Iéna, G. Neuenhahn, 1905, p. 34 sq. 2 17, 2 : Saeculum est spatium uitae humanae longissimum partu et morte definitum. 10.1484/M.RRR-EB.5.121308
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hommes ignoraient cela, les dieux – était-il écrit – envoyaient des présages pour les avertir de la fin de chaque siècle3. »
Et il continue : « Les Étrusques ont consigné ces présages, soigneusement observés grâce à leur expérience de la science de l’haruspicine, dans leurs livres. Ainsi les “Histoires Étrusques”, écrites, comme l’atteste Varron, au e VIII siècle étrusque, indiquent tant le nombre de siècles accordés à ce peuple que la longueur de chacun de ceux qui se sont écoulés et les prodiges ayant signalé leur fin : il y a été noté que les quatre premiers siècles avaient été de 100 ans, le cinquième de 123 ans, le sixième de 119 ans, le septième d’autant, que le huitième était en cours, que le neuvième et le dixième restaient à courir et que, quand ils seraient écoulés, ce serait la fin du peuple étrusque4. ».
Puis Censorinus passe au monde romain : « Quant aux siècles romains, leurs limites se distinguent, selon certains, par les Jeux Séculaires. Mais, si on se fie avec certitude à ce critère, la longueur du siècle romain n’en est pas moins incertaine, car non seulement on ignore la longueur qu’ont eue dans le passé les intervalles auxquels doivent correspondre ces jeux, mais on ne connaît même pas la longueur qui devrait être la leur5. »
Censorinus entreprend alors un examen serré de la question de la durée du siècle romain en produisant les données historiques dont il 3 17, 5. Sed licet ueritas in obscuro lateat, tamen in unaquaque ciuitate quae sint naturalia saecula, rituales Etruscorum libri uidentur docere, in quis scriptum esse fertur initia sic poni saeculorum: quo die urbes adque ciuitates constituerentur, de his qui eo die nati essent, eum qui diutissime uixisset die mortis suae primi saeculi modulum finire, eoque die qui essent reliqui in ciuitate, de his rursum eius mortem qui longissimam egisset aetatem, finem esse saeculi secundi. Sic deinceps tempus reliquorum terminari. Sed ea quod ignorarent homines, portenta mitti diuinitus, quibus admonerentur unumquodque saeculum esse finitum. 4 17, 6. Haec portenta Etrusci pro haruspicii disciplinaeque suae peritia diligenter obseruata in libros rettulerunt. Quare in Tuscis historiis, quae octauo eorum saeculo scriptae sunt, ut Varro testatur, et quot numero saecula ei genti data sint, et transactorum singula quanta fuerint quibusue ostentis eorum exitus designati sint, continetur. Itaque scriptum est quattuor prima saecula annorum fuisse centum, quintum centum uiginti trium, sextum undeuiginti et centum, septimum totidem, octauum tum demum agi, nonum et decimum superesse, quibus transactis finem fore nominis Etrusci. 5 17, 7. Romanorum autem saecula quidam ludis saecularibus putant distingui. Cui rei fides si certa est, modus Romani saeculi est incertus : temporum enim interualla, quibus ludi isti debeant referri, non modo quanta fuerint retro ignoratur, sed ne quanta quidem esse debeant scitur.
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dispose et qui consistaient principalement en des passages d’annalistes romains, que M. Chassignet a tous publiés et avec le texte desquels nous sommes toujours en accord. Dans la première partie de cet article, nous présenterons l’enquête de notre auteur ; dans une deuxième, nous dégagerons la méthode qu’il utilise ; dans une troisième, nous apprécierons cette méthode. En conclusion, nous essayerons de dégager une conception religieuse du siècle qu’avait Censorinus. L’enquête de Censorinus L’auteur du De die natali opère d’abord une distinction entre deux sortes de siècles : les siècles naturels, qui répondent à la définition qu’il a donnée (« la durée la plus longue de la vie humaine »), et les siècles civils6, dont la durée était fixée par l’autorité publique. Les siècles naturels Les siècles naturels de 100 ans Il cite en premier lieu une tradition qui disait que les siècles naturels devaient avoir, comme les siècles civils, une durée de 100 ans, se terminant – admettait-on en général – par des Jeux Séculaires : Nam ita institutum esse, ut centesimo quoque anno fierent, id cum Antias aliique historici auctores sunt, tum Varro "de scaenicis originibus" libro primo ita scriptum reliquit7… « En effet, d’une part Valerius Antias et d’autres historiens attestent qu’il a été d’usage que les jeux aient lieu tous les cent ans, d’autre part Varron a laissé le texte suivant au livre premier de ses Origines scéniques… »
Ce passage est le fragment 19 de Valerius Antias dans l’Annalistique récente de M. Chassignet8, où le texte latin s’arrête à primo. L’éditrice donne en note la suite du texte, c’est-à-dire les propos de Varron qui rapportent le décret des Livres Sibyllins, sans doute de 249 av. J.-C., ordonnant à la suite de prodiges menaçants la célébration de Jeux et 6 17, 1 : Et quoniam saecula aut naturalia sunt aut ciuilia, prius de naturalibus dicam. 7 17, 8. 8 L’annalistique romaine, tome III, L’annalistique récente, l’autobiographie politique (fragments), texte établi et traduit par M. Chassignet, Paris, Les Belles Lettres, Collection des Universités de France, 2004.
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spécifiant qu’ils devaient avoir lieu tous les 100 ans9. M. Chassignet indique ensuite, avec une bibliographie, le débat sur la double tradition des Jeux Séculaires que nous allons aborder dans le point suivant, celle selon laquelle ces jeux aient eu lieu tous les 100 ans et celle selon laquelle ils avaient lieu tous les 110 ans, et exprime l’avis que cette deuxième tradition n’a été introduite qu’à l’époque augustéenne10. Les siècles naturels d’une durée autre que de 100 ans Censorinus expose ensuite cette deuxième tradition selon laquelle les Jeux Séculaires avaient lieu tous les 110 ans : « Au contraire, aussi bien les actes des quindécemvirs que les édits du divin Auguste semblent attester qu’on renouvelait les jeux tous les cent dix ans »11 et observe : « Si l’on consulte les Annales des Anciens, cette divergence sur les durées se révélera encore plus problématique12. » Il va en effet indiquer ce que disent d’une part les Annales, d’autre part les Acta du collège sacerdotal des quindécemvirs. Malheureusement, cette partie du De die natali nous est parvenue très mutilée. a) À propos des premiers Jeux Séculaires dont il ait été fait mention, notre auteur écrit : Primos enim ludos saeculares exactis regibus post Romam conditam annis CCXLV a Valerio Publicola institutos esse < … >, ad XV uirorum commentarios anno CCXCVIII M. Valerio Spurio Verginio cons13 ; « < … > que les premiers Jeux Séculaires ont été institués, après la chute des rois, en l’an 245 de la fondation de Rome (= 509 av. J.-C.) par Valerius Publicola ; < … > en l’an 298 (= 456 av. J.-C.), sous le consulat de M. Valerius et de Spurius Verginius, d’après les actes des quindécemvirs » ; 9 17, 8… (tum Varro "de scaenicis originibus" libro primo ita scriptum reliquit) : « Cum multa portenta fierent et murus ac turris, quae sunt inter portam Collinam et Esquilinam, de caelo tacta essent et ideo libros Sibyllinos Xuiri adissent, renuntiarunt uti Diti patri et Proserpinae ludi Tarentini in campo Martio fierent tribus noctibus et hostiae furuae immolarentur utique ludi centesimo quoque anno fierent ». 10 L’annalistique récente, p. 112. 11 17, 9. Contra ut decimo centesimoque anno repetantur, tam commentarii XVuirorum quam Diui Augusti edicta testari uidentu. 12 17, 10 : Quae dissensio temporum, si ueterum reuoluentur annales, longe magis in incerto inuenietur. 13 17, 10.
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M. Chassignet n’a pas fait figurer ce passage dans son édition et avec raison, car aucun annaliste n’y est cité. Cependant certaines éditions ont suppléé la lacune. Ainsi, celle de K. Sallmann14 et celle toute récente de K. Brodersen15 écrivent : . Mais, s’il est vrai que la lacune donnait nécessairement le sujet et le verbe dont dépend la proposition infinitive primos ludos…institutos esse et que la mention de Valerius Antias est tentante, cet ajout nous a semblé à nous aussi aller au-delà de ce que permet une stricte méthode ecdotique. b) Censorinus poursuit à propos des deuxièmes Jeux : anno post urbem conditam octauo et quadringentesimo, ut uero in commentariis XV uirorum scriptum est, anno CCCC et decimo M. Valerio Coruino II C. Poetilio cons16. « < … > que < les deuxièmes > ont eu lieu en l’an 408 de la fondation de Rome (= 346 av. J.-C.), en l’an 410 (= 344 av. J.-C.), sous le consulat de M. Valerius Corvinus, consul pour la deuxième fois, et de C. Poetilius, d’après les actes des quindécemvirs ».
Dans ce passage, il nous manque non seulement le sujet et le verbe de la principale, mais même le sujet de la proposition infinitive ! On supplée ce dernier sous la forme secundos ludos. Notons que, là aussi, plusieurs éditeurs ont ajouté des incises telles que : c’est ce qu’ont font notamment K. Sallmann et K. Brodersen. Mais M. Chassignet a eu raison de ne pas suivre cette restitution. Les deux éditeurs italiens de Censorinus, C. A. Rapisarda17 et V. Fontanella18, ne l’ont pas fait non plus. c) Viennent ensuite les troisièmes Jeux : Tertii ludi fuerunt Antiate Liuioque auctoribus P. Claudio Pulchro L. Iunio Pullo cons, anno quingentesimo duodeuicensimo P. Cornelio Lentulo C. Licinio Varo cons19. « Les troisièmes furent selon Valerius Antias et Tite-Live célébrés sous le consulat de P. Claudius Pulcher et de L. Junius Pullus (= 249 av. J.-C.) ; 14 Censorini De die natali liber ad Caerellium, Leipzig, B. G. Teubner, 1983, ad loc. 15 Censorinus, Über den Geburtstag, Darmstadt, Wissenschaftliche Buchgesellschaft,
2012, ad loc. 16 17, 10. 17 Censorini de die natali liber ad Q. Caerellium, Bologne, Pàtron editore, 1990, ad loc. 18 Censorini, Il Giorno natalizio, Bologne, Zanichelli editore, 1993, ad loc. 19 Ibid.
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< d’après les actes des quindécemvirs >, ce fut en l’an 518 (= 236 av. J.-C.), sous le consulat de P. Cornelius Lentulus et de C. Licinius Varus. » La partie jusqu’à Pullo cons. est le fragment 23 de de Valerius Antias dans l’Annalistique récente. M. Chassignet y mentionne le problème d’une discordance possible entre la date (de 249 av. J.-C.), donnée pour Valerius Antias et appuyée sur Tite-Live, et la Periocha correspondante qui indique une date pouvant être 252 av. J.-C.20. Elle nous fait l’amabilité de citer notre article21 qui évoque cette question. d) À propos des quatrièmes Jeux, notre auteur écrit : De quartorum ludorum anno triplex opinio est. Antias enim et Varro et Liuius relatos esse prodiderunt L. Marcio Censorino M’ Manilio cons post Romam conditam anno DCV. At Piso Censorius et Gnaeus Gellius, sed et Cassius Hemina, qui illo tempore uiuebat, post annum factos tertium adfirmant Cnaeo Cornelio Lentulo Lucio Mummio Achaico cons, id est anno DCVIII ; in XV uirorum autem commentariis notantur sub anno DCXXVIII Aemilio Lepido L. Aurelio Oreste cons22. « Pour ce qui est de l’année des quatrièmes jeux, il existe trois versions : selon Valerius Antias, Varron et Tite-Live, ils ont eu lieu à leur tour sous le consulat de L. Marcius Censorinus et de M’ Manlius, en l’an 605 après la fondation de Rome (= 149 av. J.-C.) ; cependant Pison le Censeur et Gnaeus Gellius, mais aussi Cassius Hemina, qui vivait à cette époque, affirment qu’ils n’ont été célébrés que trois ans après, sous le consulat de Cnaeus Cornelius Lentulus et de Lucius Mummius Achaicus, c’est-à-dire en l’an 608 (= 146 av. J.-C.) ; les actes des quindécemvirs quant à eux, les notent pour l’an 628 (= 126 ac. J.-C.), sous le consulat de M. Aemilius Lepidus et de L. Aurelius Orestes. »
Censorinus ne peut ici que relever la divergence de ses sources avec d’un côté un groupe a priori fiable, constitué de Valerius Antias, Varron et Tite-Live, affirmant que ces jeux ont eu lieu en 149 av. J.-C., et de l’autre un second groupe constitué de Calpurnius Pison,
20 L’annalistique récente, p. 114. 21 G. Freyburger, « Jeux et chronologie à Rome », Ktèma XVIII, 1993, p. 92-
101 ; la question est également traitée dans Gagé, J., Recherches sur les Jeux Séculaires, Paris, 1934 et P. Brind’Amour, « L’origine des Jeux Séculaires », ANRW II, 16, 2, Berlin-New York, 1978, p. 1355-1364. F. Coarelli, « Note sui ludi saeculares », Actes de la table ronde « Spectacles sportifs et scéniques dans le monde étruscoitalique », Rome, Collection de l’École Française de Rome n° 172, 1993, p. 211-245. 22 17, 11.
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Gn. Gellius et Cassius Hemina, témoin oculaire, déclarant qu’ils ont eu lieu en 146 av. J.-C. Notre passage fournit le fragment 56 de Valerius Antias dans l’Annalistique récente et le fragment 42 de Cassius Hemina, le fragment 42 de Calpurnius Pison et le fragment 29 de Gn. Gellius dans l’Annalistique moyenne23. Nous sommes aussi démunis que Censorinus devant cette divergence. M. Chassignet rappelle en outre que la date de 146 n’est donnée qu’au prix d’une correction des manuscrits24. e) Pour les jeux suivants, les cinquièmes, de l’an 737 de la fondation de Rome (= 17 av. J.-C.), les sixièmes de l’an 800 (= 47 ap. J.-C.), les septièmes de l’an 841 (= 88 ap. J.-C.) et les huitièmes de l’an 957 (204 ap. J.-C.), Censorinus a nécessairement eu recours à d’autres sources. Il les donne pour les cinquièmes jeux25, mais ne le fait plus pour les suivants. Mais il ne constate plus aucune divergence sur les dates. Mais le lecteur du De die natali constatait clairement que la durée des siècles naturels était, dans l’ensemble de la tradition romaine, extrêmement disparate. Les siècles civils La situation était toute différente pour les siècles civils : « Mais du fait que nos ancêtres n’ont pas exploré quelle était la durée par nature d’un siècle, ils ont fixé le siècle civil à un nombre déterminé de 100 années26. » Nous allons voir un peu plus loin ce que notre auteur dit encore à ce propos.
23 L’annalistique romaine, tome 2, L’annalistique moyenne, texte établi et traduit par M. Chassignet, Paris, Les Belles Lettres, CUF, 1999. 24 Ibid. p. 112. Les manuscrits donnent DCIII : cette leçon est conservée par A. Baudou dans son édition de Calpurnius Pison (thèse, Université Laval, Québec, 1993). M. Chassignet ne suit pas ce maintien, mais juge qu’il peut effectivement s’expliquer dans le système de datation de cet auteur. 25 Dans 17, 9 : Tite-Live, livre 136, ainsi que les actes des quindécemvirs et les édits du divin Auguste. 26 17, 13. Sed nostri maiores, quod natura saeculum [CCXLIIII] quantum esset, exploratum non habebant, ciuile ad certum modulum annorum centum statuerunt.
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L’analyse du bilan par Censorinus Censorinus analyse alors ce bilan. Les siècles naturels Concernant la longueur des siècles naturels et leur lien avec les Jeux Séculaires, il estime que le bilan interdit quelque conclusion que ce soit : « De cela on peut constater que la répétition de ces jeux n’a été fixée ni au bout de 100 ans ni au bout de 110 ans. Du reste, même si l’une ou l’autre périodicité avait été observée dans le passé, ce ne serait pas encore un argument suffisant pour affirmer que les siècles étaient constamment séparés par ces jeux, d’autant que personne n’indique qu’il y en ait eu depuis les débuts de la Ville jusqu’à la chute des rois, soit pendant 244 ans, espace de temps sans conteste supérieur à un siècle naturel27. »
Mais l’adjectif « séculaire » de l’expression « Jeux Séculaires » ne signifie-t-il pas que ces jeux devaient marquer la fin d’un siècle ? Censorinus conteste même cette idée généralement reçue : « Et si l’on croit, en se laissant guider par la seule origine du terme, que les siècles < sont clos > par des jeux séculaires, qu’on sache qu’on a pu dire ceux-ci « séculaires » du fait qu’ils n’ont normalement lieu qu’une fois dans la vie d’un homme, de même que l’usage dit de beaucoup d’autres faits rares qu’ils surviennent “après un siècle”28. »
Les siècles civils En revanche, les données rassemblées ont convaincu Censorinus, nous l’avons vu, que le siècle civil a bien déjà été dans le passé de 100 ans, même s’il juge regrettable que cette durée ait été fixée arbitrairement. Rappelons qu’il dit : « Mais du fait que nos ancêtres n’ont pas exploré 27 17, 12. Hinc animaduertere licet neque post centum annos ut hi referrentur
ludi statum esse, neque post centum decem. Quorum etiamsi alterutrum retro fuisset obseruatum, non tamen satis id argumenti esset quo quis his ludis saecula discerni constanter adfirmet, praesertim cum ab urbis primordio ad reges exactos, annos CCXLIII, factos esse auctor sit nemo, quod tempus procul dubio naturali maius est saeculo. 28 17, 13. Quodsi quis credit < cludi > ludis saecularibus saecula, sola nominis origine inductus, sciat saeculares dici potuisse quod plerumque semel fiant hominis aetate, ut multa alia, quae rara sunt, post saeculum euenire loquentium consuetudo.
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quelle était la durée par nature d’un siècle, ils ont fixé le siècle civil à un nombre déterminé de 100 années29. » ll ajoute un témoignage d’annaliste : Testis est Piso, in cuius annali septimo scriptum est sic : « Roma condita anno DC septimum saeculum occipit his consulibus, qui proximi sunt consules : M. Aemilius M. filius Lepidus, G. Popilius II30. » « En témoigne Calpurnius Pison dont le 7e livre des Annales comporte : “En l’an 600 de la fondation de Rome commence le septième siècle, sous ces consuls, qui sont les suivants dans l’année : M. Aemilius Lepidus, fils de Marcus, et C. Popilius, consul pour la deuxième fois, absent”. »
Ce passage est le fragment 39 de cet auteur dans l’Annalistique moyenne de M. Chassignet. Celle-ci expose la difficulté que soulève le chiffre donné par les manuscrits, incompatible avec la date de 158 av. J.-C. donnée par les noms des deux consuls. Le chiffre doit donc être corrigé, mais celui de 600 implique que Calpurnius plaçait la fondation de Rome non pas en 753 av. J.-C., mais en 758 av. J.-C. Mais, malgré cette incertitude, il est clair que ce passage prouve que, aux yeux de Censorinus, il existait un comput séculaire civil ancien de 100 ans. La Rome ancienne a arrêté délibérément, estime notre auteur, ce chiffre de 100 ans et il voit deux raisons probables à cette décision, auxquelles il en ajoute une troisième, plus hypothétique : « Cependant, si nos ancêtres ont arrêté ce nombre d’années, ils ne l’ont pas fait sans raison : d’abord ils voyaient que beaucoup de leurs concitoyens menaient leur existence jusque là ; ensuite ils voulaient, sur ce point, comme sur les autres, d’une manière générale, imiter les Étrusques, dont les premiers siècles étaient de 100 ans31. »
La première raison nous étonne, car les centenaires sont peu nombreux de nos jours, alors que notre longévité est bien supérieure à celle de l’Antiquité. Mais Censorinus avait des raisons de penser ainsi, car Pline rapporte que, lors du recensement de Vespasien et de Titus en 74 (dont parle notre auteur dans 18, 14), dans la 8e Région de l'Italie, 54 personnes se sont fait enregistrer avec l’âge de 100 ans et 29 Pour le texte latin, cf. supra, note 26. 30 Cf. supra, note 26. 31 Ibid. Sed ut hunc annorum numerum constituerent nostri, non nihil causae
fuit : primum quod multos suorum ciuium ad hunc aetatem perducere uidebant, dein quod Etruscos, quorum prima saecula centenum fuerunt annorum, etiam hic ut in aliis plerumque imitari uoluerunt.
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un nombre notable avec un âge encore plus avancé, trois d’entre elles ayant déclaré avoir 140 ans32 ! La deuxième raison nous convainc bien et devait avoir une résonance d’autant plus forte au IIIe siècle que la disciplina étrusque faisait alors pleinement partie de la religion officielle33. Censorinus ajoute une possible troisième raison : « Il se peut par ailleurs que soit exact ce que rapporte Varron et qu’a noté l’astrologue Dioscoride, à savoir qu’il est établi parmi les embaumeurs de corps d’Alexandrie que l’homme ne peut vivre au-delà de 100 ans et que cela est prouvé par le cœur des individus morts indemnes de toute altération physique car, en pesant sur de nombreuses années des cœurs de tout âge, ils ont collationné les augmentations et les diminutions de poids : or le cœur d’un enfant d’un an, disent-ils, pèse deux drachmes, celui d’un enfant de deux ans, quatre drachmes et, ainsi, jusqu’à l’âge de 50 ans, s’ajoutent chaque année deux drachmes ; de la même manière, à partir de ces cent drachmes et de l’âge de 50 ans, le cœur diminue, est-il dit, tous les ans de deux drachmes. Il serait donc clair que le cœur revient au cours de la centième année au poids qu’il a eu la première année et qu’il ne peut vivre au-delà34. ».
Manifestement, notre auteur considère que cette donnée est fort hypothétique. Appréciation de la méthode d’analyse de Censorinus On observera d’abord que, tant pour le siècle naturel que pour le siècle civil, Censorinus rassemble des données historiques et raisonne à partir de celles-ci : c’est la confrontation des indications des annalistes à la fois entre elles et avec celles des quindécemvirs qui l’amène à la conclusion qu’il est impossible de parvenir à des connaissances sur la 32 NH 7, 163-164. Cf. la note ad loc. dans l'édition R. Schilling. 33 Cf. D. Briquel, « La religion étrusque », Religions de l’Antiquité, Y. Lehmann
éd., Paris, PUF, Collection Premier Cycle, 1999, p. 66-67. 34 17. 14. Praeterea fieri potest quod refert Varro quod Dioscorides astrologus scripsit, Alexandriae inter eos qui mortuos sallunt, constare hominem plus centum annos uiuere non posse, idque cor hominum declarare eorum qui integri perierunt sine corporis tabe, ideo quod multis annis pendendo cor omnis aetatis incrementa et deminutiones conseruere : et anniculi pendere duas dragmas, bimi quattuor, et sic in annos singulos usque ad quinquaginta accedere binas ; ab iis centum dragmis aque anno quinquagensimo item decedere in unoquoque binas ; ex quo perspicuum sit, centesimo anno redire ad anni primi pondus nec longius uitam posse producere.
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durée des siècles naturels et sur leurs rapports avec les Jeux Séculaires. Cette position est d’autant plus remarquable qu’elle s’oppose à celle d’auteurs faisant autorité : Valerius Antias, Tite-Live et même Varron, associé à ces auteurs en 17, 7 avec une citation de lui rapportant le décret des Livres Sibyllins spécifiant que les Jeux Séculaires devaient être célébrés tous les 100 ans35. Plus précisément encore, Varron écrit dans le De lingua Latina : « On appelle siècle (saeculum) une période de 100 ans ; le terme vient de senex (« vieillard ») parce qu’on a pensé que c’était la durée de vie la plus longue des hommes dans leur vieillesse36. » L’érudit de Réate estimait donc, lui, que tous les siècles étaient de 100 ans, y compris les naturels. Or Censorinus fait un éloge appuyé de Varron en 21, 5 et la recherche moderne souligne à l’envi combien Censorinus dépend de Varron et le suit très fidèlement. Cela est maintes fois vrai, mais nous avons ici la preuve que le grand respect que témoigne notre auteur au Réatin n’est pas de la servilité et qu’il garde toute sa liberté de jugement. Ajoutons que Censorinus ne présente que comme fort hypothétique la théorie de Dioscoride, rapportée par Varron, qu’il y a chez l’être humain une croissance et une décroissance du cœur sur un espace de 100 ans. Il est vrai qu’il est possible que Varron déjà présentait ce point de vue comme hypothétique. Censorinus présente en revanche comme une donnée sûre la durée de 100 ans du siècle civil. Il se fonde sur l’indication de Calpurnius Pison et certainement aussi sur le discours officiel : ainsi le 800e anniversaire de Rome a été célébré avec faste sous Claude, en partie par les soins de Tacite, qui était alors quindécemvir37. Censorinus pouvait donc considérer que cet usage était inscrit dans les institutions romaines. Ainsi, on est frappé par le caractère rationnel, scientifique même, de la méthode avec laquelle notre auteur analyse la question fort complexe de la durée des siècles anciens à Rome. On note aussi avec intérêt son indépendance d’esprit puisqu’il prend sur ce point ses distances même avec Varron. Mais cette démarche rationnelle ne l’empêche pas d’avoir aussi une approche religieuse du siècle.
35 Cf. supra, note 9. 36 De lingua Latina 6, 11 : Saeculum spatium annorum centum uocarunt, dictum
a sene, quod longissimum spatium senescendorum hominum id putarunt. 37 Annales, 11, 11.
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Conclusion En conclusion, nous voudrions en effet évoquer la dimension religieuse que revêtait manifestement la notion de saeculum pour Censorinus et qui apparaît à la fin du chapitre 17. Notre auteur a déploré, nous l’avons dit, le fait que « nos ancêtres n’ont pas exploré quelle était la durée par nature d’un siècle38 ». Il considèrait certainement que la pratique étrusque du siècle correspondait à la véritable nature de cette institution, au concept de « génération » qui est son sens véritable. Or, chez les Étrusques, « les dieux envoyaient aux hommes des présages pour les avertir de la fin de chaque siècle39 ». Il était donc d’un grand intérêt pour une cité de célébrer soigneusement le passage d’un siècle à un autre, d’autant plus que le nombre de siècles qui lui était dévolu était limité. Ce n’est assurément pas un hasard si le chapitre XVII se termine par la célèbre prédiction de l’augure Vettius : « Il ne m’appartient pas de dire combien de siècles sont destinés à la ville de Rome, mais je ne passerai pas sous silence ce que j’ai lu chez Varron ; celui-ci dit dans le livre XVIII de ses Antiquités qu’il y avait à Rome un homme, Vettius, fort renommé dans l’art augural, une grande intelligence, qui se prononçait à l’égal de tous les savants et qu’il l’a entendu dire que, s’il en était bien des auspices de la fondation de Rome par Romulus et des douze vautours comme le rapportaient les historiens, le peuple romain parviendrait, puisqu’il avait passé sain et sauf 120 ans, jusqu’à 1200 ans40. » Censorinus estimait donc qu’un nombre déterminé de siècles était destinés, exactement « dus » (debeantur), à Rome par les dieux. On comprend donc pourquoi il a accordé tant d’attention à leur dénombrement.
38 Cf. supra, note 26. 39 17, 5. mitti diuinitus, quibus admonerentur unumquodque saeculum esse finitum. 40 Quot autem saecula urbi Romae debeantur, dicere meum non est ; sed quid
apud Varronem legerim, non tacebo. Qui libro Antiquitatum duodeuicensimo ait fuisse Vettium Romae in augurio non ignobilem, ingenio magno, cuiuis docto in disceptando parem : eum se audisse dicentem, si ita esset ut traderent historici de Romuli urbis condendae auguriis ac XII uulturis, quoniam CXX annos incolumis praeterisset populus Romanus, ad mille et ducentos peruenturum.
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Aspects de l’historiographie dans le chapitre I des Collectanea rerum memorabilium et du Polyhistor du grammaticus Solin Robert Bedon
Introduction Le terme d’historiographie peut paraître au premier regard inadapté pour ce qui concerne les Collectanea rerum memorabilium de Solin et leur réédition sous le titre de Polyhistor. Il se justifie toutefois dans la mesure où l’on y observe que cet auteur, qui n’est évidemment pas un écrivain de premier plan, mais mérite mieux que la réputation qui lui est communément faite et que démentent des travaux de plus en plus nombreux, a consacré une partie importante de son long chapitre I à l’histoire de Rome et à ses antécédents (sections 1 à 50). Il ne s’efforce pas d’y composer de façon résumée une histoire à visée complète, mais procède à des choix et concentre son propos sur des volets particuliers. Souvent, de plus, il ne se limite pas à des prélèvements chez les écrivains qu’il met à contribution, mais exprime une attitude critique, manifestant son accord, son respect et son admiration, mais aussi parfois son désaccord avec les auteurs des opinions et des affirmations qu’il trouve dans leurs œuvres. C’est de plusieurs aspects présentés par sa manière d’écrire l’histoire qui apparaissent dans cette partie de son ouvrage qu’il sera traité dans ces lignes, aspects qui ont été choisis parce qu’ils semblent les plus significatifs de sa vision du passé de Rome, et de ce qu’il a voulu transmettre de celui-ci, tout en révélant qu’il ne reste pas neutre et indifférent à l’égard de ce passé. * * *
10.1484/M.RRR-EB.5.121309
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Solin et son livre Solin n’est pas un historien, mais selon toute vraisemblance, un grammaticus1 qui résidait très probablement à Rome2. Je n’aborderai pas ici la difficile question de la date où les Collectanea et leur réédition un peu modifiée, le Polyhistor, ont été écrits, mais je continue à pencher plutôt pour le premier quart du IIIe siècle, les arguments, y compris d’ordre sémantique, qui soutiennent une datation plus tardive et que j’ai regardés longuement et de très près ne me paraissant pas vraiment décisifs3. Les motifs et les circonstances qui l’ont conduit à écrire son livre et celles qui l’ont poussé à en réaliser une seconde édition demeurent dans l’obscurité, ce qui ne laisse place qu’à des hypothèses se fondant sur la logique : une initiative personnelle ou une demande reçue ? une intention visant un dédicataire à la personnalité spéciale, dans lequel il faudrait reconnaître cet Adventus ami de l’éphémère empereur Macrin, ou bien s’adressant à un homonyme sans rapport avec lui, ou d’emblée à un lectorat plus étendu ? une seconde édition réellement entraînée par le vol et la diffusion d’un état imparfait de ses Collectanea, ou bien réalisée pour une autre cause, que le motif présenté aurait servi à masquer ? 1 Cette profession se trouve indiquée dans les subscriptions des certains manuscrits, et pour Th. Mommsen, C. Iulii Solini Collectanea rerum memorabilium, Berlin, 1895, Introduction, p. V, potestque appellatio ea proficisci aut ab auctore ipso aut a librario aequaevo, « cette désignation peut provenir ou bien de l’auteur lui-même ou bien d’un copiste qui lui était contemporain ». 2 Les passages qui vont faire l’objet de cette étude révèlent de sa part une bonne connaissance des quartiers, des rues et de plusieurs petits monuments de Rome, qu’il propose à l’occasion comme points de repère. D’autre part, l’équilibre entre elles des notices consacrées à d’autres régions de l’empire fait apparaître qu’aucune de ces dernières n’est favorisée, ce qui n’aurait pas manqué d’arriver si Solin avait été un auteur provincial dédiant son livre à un protecteur, forcément local, dont il aurait fallu éveiller l’intérêt, et qu’il lui aurait même été nécessaire de flatter en accordant une place privilégiée à leur commune petite patrie. 3 J’observe en particulier une surinterprétention du travail effectué par Ira David Hyskell, A Study of the Latinity of Solinus, Chicago, 1925, utile à d’autres égards, mais qui n’apporte pas de réponse vraiment déterminante à cette question. Du reste, l’auteur n’a tiré aucune conclusion chronologique de son étude. Si l’on retire les facteurs d’originalité du style d’un grammaticus, les parallèles avec des formations de mots attestées chez lui-même et plus généralement à son époque, et si l’on pense à l’importante quantité de textes disparus et qui auraient pu contenir des attestations, il ne reste presque rien qui puisse vraiment appuyer une datation tardive, habituellement adoptée sans examen réel de ce travail. Les autres arguments invoqués, d’ordre historique, se révèlent tout aussi incertains.
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Un choix dans les périodes, les hommes et les régimes évoqués : Eu égard à l’objectif annoncé par Solin de consacrer ses Collectanea à la constitution d’un fermentum cognitionis, un levain de savoir, comme il l’annonce dans sa lettre de dédicace à Adventus (Lettre, 2), sans qu’il définisse pour eux de limites thématiques, la nécessité s’imposait de les ouvrir plus ou moins à l’ensemble des domaines de la connaissance, donc d’y consacrer une certaine place à l’Histoire. Mais dans la mesure où son ouvrage allait consister en un compendium (ibid.), il fallait que l’espace occupé par celle-ci demeure limité. Deux possibilités s’offraient donc à Solin : soit réaliser un tableau général constitué de notices brèves, comme l’a fait par exemple Ampelius pour son Liber memorialis, soit sélectionner certaines composantes représentant des res particulièrement memorabiles, des notions spécialement dignes d’être retenues, et leur accorder ainsi un espace plus étendu. Il a pris le second parti, en focalisant son propos sur l’histoire de Rome, considérée au sens large (urbs et territoires dominés), justifiant ce choix par la conviction que partageaient les habitants de l’empire romain selon laquelle il s’agissait de la première ville du monde, conviction qu’il affirme être également la sienne dans sa lettre de dédicace, ce qui l’a également conduit à lui consacrer le début de son ouvrage : a capite orbis, id est ab urbe Roma principium capessemus, « nous commencerons notre entreprise à partir de la tête du monde, c’est-à-dire par la ville de Rome (ibid., 7) ». Cependant, il a limité son propos à une partie seulement de cette histoire, annoncée comme correspondant à son origine : originem eius quanta ualemus persequemur fide, « dans la mesure où nous en sommes capable, nous exposerons consciencieusement son origine (ibid., 8) ». En fait, nous verrons qu’il étend son exposé jusqu’à y inclure le principat d’Auguste. Il commence par une séquence relativement longue sur le nom de la Ville (1, 1-6)4, qu’il fait suivre par une autre, consacrée à la présence d’Hercule avant sa fondation et à son conflit avec Cacus (1, 7-11). Il accorde ensuite une rapide attention aux secteurs du Capitole et du Palatin, et à aux connaissances les plus anciennes qu’on y localise (1, 13-15). Dans les sections suivantes, il évoque la création de Rome, 4 Je renonce à mettre dans les notes de cet article la très abondante bibliographie attachée aux personnages et aux lieux mentionnés dans les passages de Solin cités dans ces lignes : la fournir n’est pas l’objet de ce travail, et elle lui donnerait une longueur excessive. On trouvera un bon nombre de références dans les notes infrapaginales de F. J. Fernández Nieto, Solino. Colección de hechos memorables o El Erudito, Madrid, 2001.
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son implantation, et ses rois successifs (1, 16-26). Après quoi, il expose des calculs détaillés concernant notamment la fondation de la Ville (1, 27-30), et la durée écoulée jusqu’au premier consulat d’Octave (1, 28-33). Il poursuit avec un long développement sur l’évolution du calendrier romain (1, 34-47), et termine son tableau historique par des éléments de la vie d’Auguste (1, 48-50). À l’intérieur de ces cinquante sections, Solin a inséré des éléments biographiques sur les rois et plus particulièrement sur Romulus. Ses successeurs font l’objet de rapides mentions, où il se limite à croiser leur lieu de résidence dans Rome avec la durée de leur règne et parfois l’année de leur décès (1, 21-26), alors que sur Romulus, il précise qu’il habita dans la cabane de Faustulus, rappelle son traçage des premiers remparts de la Ville à l’âge de dix-huit ans, la durée de son règne, plusieurs de ses hauts faits, et sa disparition finale près du marais de la Chèvre (1, 18-20). Cependant, on observe que la place la plus importante, supérieure à celle occupée par Romulus, se trouve réservée à Auguste. Mais à la différence du premier, pour lequel Solin indiquait sa nature divine, l’accent est cette fois mis sur la dimension humaine du second, et le passage qui lui est consacré consiste presque uniquement, outre le rappel de sa réforme du calendrier, en une énumération des malheurs qu’il a connus, tanta et tot in uita eius (…) aduersa, « si grands et si nombreux dans sa vie », sur les plans politique, militaire, familial et personnel (1, 47-49)5. Donc, Solin attire spécialement l’attention de son lecteur sur deux fondateurs, celui de Rome et celui du régime impérial. En revanche, il garde un silence à peu près complet sur les grands hommes de la période républicaine, sauf une allusion, non nominative, aux décemvirs ayant rédigé les lois des Douze Tables (1, 31), et une courte mention de César (1, 45). Le motif en est de toute évidence qu’il a tenu à éviter tout ce qui aurait pu le faire considérer comme un partisan ou un nostalgique du régime républicain, et donc un opposant au pouvoir impérial. Pour ce qui concerne les événements des périodes royale et républicaine, il évoque seulement les guerres et les victoires de première importance : celles de Romulus (1, 20), puis les trois guerres puniques et la guerre sociale (1, 31), et encore ne le fait-il que très brièvement. Cette interruption après Auguste, autrement dit après l’instauration du régime impérial, résulte peut-être d’un sentiment personnel sur la 5 Données prises en majorité dans Pline l’Ancien, NH VII, 147-149.
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période originelle de Rome, dans la mesure où sa propre vie se situe sous l’Empire, et à une époque déjà avancée de celui-ci. Mais il est possible également d’y voir un alignement sur une coutume observée chez d’autres auteurs6. Du reste, si Solin ne s’y était pas conformé, il lui aurait fallu créer une longue liste de notices consacrées à la plupart des empereurs, et s’étendant jusqu’au prédécesseur de celui qui régnait au moment où les Collectanea ont été rédigés. Dès lors se serait présentée une incompatibilité avec son intention affirmée de réaliser un compendium. Et comment aurait-il pu traiter, par exemple, le cas des empereurs ayant fait l’objet d’une damnatio memoriae ? Une forte présence des dates et des durées Solin, dans la partie de son œuvre consacrée à l’histoire romaine, se signale par un souci de fournir une chronologie, et il le fait en ayant le plus souvent recours au système des olympiades7. La raison la plus simple et la plus directe en est sans aucun doute qu’il l’a trouvé utilisé par sa source principale pour les passages concernés, à savoir très probablement Suétone et s’est borné à le reprendre, mais aussi parce qu’il lui permettait des calculs de dates et de durées, ce que n’autorisaient pas les datations officielles romaines, qui se bornaient à utiliser les noms des consuls de l’année. C’est ainsi qu’il situe la mort du roi Titus Tatius au cours de la 27e olympiade (1, 21), celle de Tullus Hostilius durant la 35e (1, 22) et celle d’Ancus Marcius pendant la 41e (1, 23). Cependant, il ne date la disparition de Romulus que des nones de juillet, sans préciser de quelle l’année (1, 20). Il avait déjà procédé ainsi en relatant une des opérations liées à la fondation de Rome, à savoir l’établissement des murorum fundamenta, des fondements de ses remparts initiaux, la situant seulement au 11 des kalendes de mai (1, 18), allant toutefois jusqu’à indiquer que Romulus l’avait effectué hora post secundam ante tertiam, « après la deuxième heure et avant la troisième », mais ce silence constaté à deux reprises devait répondre à un motif : éviter de se répéter. En effet, le grammaticus porte par la 6 Par exemple dans l’Epitome rerum Romanorum de Florus et le Liber memorialis d’Ampelius, le précepteur de Macrin. Au sujet de ce dernier, voir l’opinion de M.-P. Arnaud-Lindet, Introduction, dans Lucius Ampelius. Aide-mémoire (Liber memorialis), Paris, Les Belles Lettres, 1993, p. XVIII, et note 35 : « sans doute une tradition de découpage scolaire ». 7 Utilisé pour la première fois, du moins à notre connaissance, par l’historien Timée de Tauroménion, dont la vie se situe au IVe s. av. notre ère.
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suite une forte attention, et insère alors des explications détaillées, sur l’année de cette fondation, en commençant par sélectionner pour elle une proposition parmi celles, divergentes, de plusieurs auteurs : le début de la 7e olympiade, choix qu’il dit avoir été effectué avant lui par Cornélius Népos et un certain Lutatius (1, 27)8. Il présente ensuite un calcul en années et en olympiades, qu’il semble avoir personnellement refait ou du moins contrôlé : il précise qu’elle a eu lieu durant la 433e année après la prise de Troie, et vérifie cette chronologie en repassant par les olympiades. Il rappelle à ce sujet qu’elles ont commencé avec le rétablissement par Iphitus d’Élée des Jeux Olympiques, au cours de la 408e année suivant la chute de Troie, et pour arriver au début de la 7e olympiade, son hypothèse préférée, il en ajoute 6, soit 24 années, plus une commencée, vérifiant ainsi que Rome a bien été fondée au cours de cette la 433e année après la prise de Troie (1, 28). Ne se bornant pas à cette vérification, il en effectue une autre afin de la confirmer, en partant cette fois du consulat de Gaius Pompeius Gallus et Quintus Veranius, dont il rappelle qu’il se trouve officiellement situé dans la 801e année de la fondation de la Ville, et que l'année de leur consulat, des actes publics ont été datés de la 207e olympiade (1, 29)9. Il multiplie le nombre de 206, correspondant aux olympiades complètes, par le nombre d’années que chacune contient, soit 4, obtenant un résultat de 824 ans, y ajoute l’année engagée, et retire les 24 ans des 6 olympiades séparant la restauration des jeux par Iphitus de la fondation, ce qui ramène à la 801e année, ce calcul lui permettant de montrer l’accord existant entre la chronologie officielle et son choix de date pour la fondation de Rome, donc justifiant celui-ci (1, 29-30). Sa conviction concernant l’année de fondation de Rome une fois exposée, Solin indique ensuite en partant d’elle d’autres dates, en commençant par celle où ont été nommés les décemvirs ayant rédigé les lois des Douze Tables, à savoir, écrit-il, la 302e, et précisant les années où ont commencé les grandes guerres qui ont mis en péril le destin de Rome, plus précisément la 489e pour la Première Guerre Punique, la 535e pour la Seconde, la 604e pour la Troisième, et la 662e 8 Deux personnages peuvent correspondre au nom de Lutatius, sans rien qui permette vraiment de trancher : Q. Lutatius Catulus, né vers 150, consul en 102 et auteur notamment d’épigrammes, de discours ainsi que d’un ouvrage d’Histoire ; Lutatius Daphnis, esclave du précédent vers 87, et affranchi par lui, auteur d’une Communis historia. Sur les deux, H. Bardon, La littérature latine inconnue, I, Paris, 1952, p. 115-124. 9 Donc sous le règne de Claude.
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pour la Guerre Sociale (1, 31). Il poursuit ses datations en citant deux consuls ordinaires et éponymes, Aulus Hirtius et de Gaius Pansa, et en spécifiant la distance qu’il attribue à l’année de leur consulat par rapport à la fondation de Rome, à savoir 710 ans, une date fondatrice pour le régime impérial, puisqu’il s’agit de l’année où Octavien, qu’il nomme d’ailleurs César Auguste, pour des raisons simplificatrices et par anticipation, a lui-même a été élu consul pour remplacer l’un d’entre eux (1, 32)10. Outre ces dates, certaines durées lui apparaissent comme méritant de trouver place dans son ouvrage. Il en fournit en particulier à propos des périodes durant lesquelles les rois ont exercé leur pouvoir : trentesept ans pour Romulus (1, 19), quarante-trois pour Numa (1, 21), trentedeux pour Tullus Hostilius (1, 22), vingt-quatre pour Ancus Marcius (1, 23), trente-huit pour Tarquin l’Ancien (1, 24), quarante-deux pour Servius Tullius (1, 25), et vingt-cinq pour Tarquin le Superbe (1, 26). Il précisera plus loin, après ses calculs sur la date où Rome fut fondée et en disant prendre appui sur eux, la durée totale de la royauté : deuxcent quarante-et-un ans (1, 31). En revanche il n’a pas jugé utile d’indiquer la longueur des guerres dont il fait mention, pas plus qu’il ne cite l’année où chacune a pris fin, données très vraisemblablement tenues par lui comme non indispensables dans un compendium, puisque leur issue victorieuse faisait partie des connaissances universelles et dispensait d’en introduire davantage, du moins dans un fermentum cognitionis, laissant au lecteur l’évolution éventuelle de ce fermentum vers un désir et une recherche d’informations supplémentaires. La fin d’un épisode de la première guerre civile reçoit bien une allusion, mais qui reste vague 1, 33), tempus (…) quo (…) arma cessauerint, (…) bellis quiescentibus, « le temps où les armes se sont tues, les guerres s’étant apaisées », sa date pouvant toutefois se déduire du contenu de la phrase précédente, qui mentionne, comme je viens de l’indiquer, le consulat d’Aulus Hirtius et de Gaius Pansa, et le situe 710 ans après la fondation de Rome11.
10 Les deux consuls, éponymes de 43, ont été tués lors de la campagne contre Antoine, près de Modène. 11 Donc, l’année 43 avant notre ère.
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Une histoire du calendrier romain La présence des nombres dans la partie des Collectanea et du Polyhistor consacrée à l’histoire de Rome ne se limite pas aux dates et aux durées, qui y tiennent déjà une place non négligeable. Solin y propose en outre un assez long exposé sur l’évolution et les réformes successives du calendrier annuel romain (1, 34-47)12. Tout d’abord, il fait état d’un regard général et attentif des Romains (1, 33-34), après l’épisode des guerres civiles que j’ai évoqué voici quelques lignes, regard portant sur l’organisation de l’année dont il déclare que a rerum origine profunda caligine tegebatur, « elle était recouverte depuis l’origine d’une profonde obscurité ». Il accompagne cette affirmation par plusieurs exemples de cette situation confuse et obscure, chez les Égyptiens, les Arcadiens, les Acharnaniens et, effectuant un rapprochement en Italie, chez les Laviniens, et la situe en outre comme existant ante Augustum Caesarem, annonçant ainsi celui qui allait la réformer (1, 34). Solin décrit ensuite la composition initiale de l’année à Rome, en précisant qu’elle était antérieure à Numa (1, 35-37). Puis il détaille, sans la dater, une première réforme romaine consistant à ajouter cinquante-et-un jours au décompte lunaire, à en enlever un à chacun des six premiers mois et à rattacher ces six jours aux cinquante-et-un, puis à former deux nouveaux mois à partir des cinquante-sept jours ainsi obtenus (1, 37-38). Il relate ensuite diverses tentatives accomplies pour faire entrer le calendrier mensuel dans le cycle solaire et ses trois cent soixante-cinq jours plus un quart, en adressant un blâme aux prêtres à qui avait été remis le pouvoir de procéder aux intercalations nécessaires (1, 39-45). Il les accuse en effet d’avoir effectué celles-ci selon leur bon plaisir, précisant qu’ils favorisaient ainsi les intérêts des fermiers publics et évoquant une conséquence extrême de ces complaisances : l’arrivée de mois hivernaux durant l’été ou l’automne (1, 43-44). Solin termine son tableau par l’intervention qu’a effectuée 12 La source qu’il utilise pour sa présentation historique du calendrier romain
semble être Suétone, De anno Romanorum. Elle est également mise à contribution par Macrobe, Saturnales, I, 12, mais de manière plus détaillée et en reprenant les éléments utilisés par Solin dans un ordre tantôt identique, tantôt différent. Voir à ce sujet Ch. Guittard, « Présence de Suétone chez un antiquaire et compilateur tardif : Macrobe et l’histoire du calendrier romain », dans R. Poignault, éd., Présence de Suétone, Caesarodunum, 38-39 bis, Clermont-Ferrand, 2009, p. 185-199 (p. 190 et notes 57-58). Et aussi J. Champeaux, « Questions sur le calendrier romain : l’année de ‘dix mois’ ? », REL. 97, 2019, à paraître.
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César pour réorganiser l’année romaine, précisant qu’une erreur des prêtres se produisit alors et resta ensuite en vigueur pendant trente-six ans jusqu’à ce qu’Auguste introduise une dernière réforme, qui mit enfin les choses en ordre. Au sujet de cette dernière, Solin expose que ex qua disciplina omnium postea temporum fundata ratio est, « à partir de ce principe le décompte de tous les temps à venir a été fondé », indiquant par là que cette réforme était encore en vigueur à son époque et qu’il n’était pas envisagé de la remettre en question (1, 44-47). Cette histoire du calendrier romain contient en outre la seule référence à la philosophie du passage examiné dans ces lignes, plus précisément un conseil attribué à Pythagore, celui de préférer les nombres impairs : Solin le donne pour cause du fait que certains mois au contenu impair de jours sont à Rome dédiés aux dieux d’en haut, tandis que février, du fait de son nombre pair, est assigné à ceux d’en bas (1, 39). La religion dans l’historiographie de Solin On relève dans la partie examinée ici des Collectanea et du Polyhistor une présence relativement importante de la religion traditionnelle romaine. La première divinité citée, en association avec le rappel de l’impératif adressé à ceux qui connaissent le nom secret de Rome de ne pas le divulguer, se nomme Angérona, dont Solin mentionne un sacellum, et dont il écrit qu’elle fait l’objet de pratiques religieuses appartenant aux plus anciennes, parmi lesquelles, précise-t-il, un sacrifice annuel, effectué le douzième jour avant les calendes de janvier, soit le 21 décembre. Il expose sa fonction de présider au silence, et décrit un aspect original de la statue qui la représentait : la bouche fermée par un nœud et cachetée par un sceau13 (1, 6). Relevant des questions suscitées à propos de certains cultes qui existaient sur le site et au voisinage de la future Rome, multo ante Romulum, « longtemps avant Romulus », Solin évoque ensuite Hercule, dans son conflit avec Cacus, et l’autel qu’il dédia là à son père, après avoir châtié le voleur de ses bœufs et récupéré ces derniers, ce qui fournit à notre auteur l’occasion de citer Jupiter (1, 15). Il mentionne également un autre autel dédié par le même Hercule, cette fois à sa propre essence divine, de même que sa localisation dans un sacellum, sur le Boarium forum, le Marché aux Bœufs, et le culte qui 13 La source au moins partielle, directe ou indirecte, est sans doute ici Pline l’A., NH III, 65.
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s’y exerçait, dont il précise que la famille des Potitius a reçu la charge (1, 10). Il a jugé utile d’ajouter que l’accès de ce sanctuaire était fermé aux mouches et aux chiens, à cause d’une invocation à une nouvelle divinité citée par lui, au nom significatif de Myagrius, et du dépôt de la massue d’Hercule, à l’odeur repoussante (1, 11). Passant d’Hercule aux compagnons de ce dernier, Solin rappelle la tradition selon laquelle ils ont établi un autre temple, de première importance parmi ceux de Rome, à savoir l’aerarium de Saturne, ce qui lui fournit un motif pour intégrer ce dieu dans son ouvrage, ainsi que pour rappeler qu’il avait été un habitant de la région de Rome. Les mêmes compagnons, ajoute-t-il, ont donné le nom de mont Saturnien au Capitole, et celui de Saturnienne à une porte renommée ensuite Pandana. Pour finir, il fait état de la déesse Carmenta et du fanum de celle-ci, qu’il localise dans la partie basse de cette colline, afin d’expliquer l’origine du nom porté par une autre porte, dite Carmentale (1, 12-13). Passant ensuite de cette colline à celle du Palatin, Solin évoque à propos du nom de cette dernière, au nombre des hypothèses existant sur son origine, une petite divinité, présentée comme une pastoralis dea, une déesse pastorale (1, 15). Il retourne ensuite à des dieux de premier rang, pour insérer dans son texte Mars, en tant que père de Romulus (1, 17), et Jupiter Férétrien, à propos des dépouilles opimes qui lui sont consacrées, et dont il rapporte l’attribution au fondateur de Rome la première offrande et la désignation (1, 20). Plusieurs autres dieux ne se trouvent cités qu’à propos d’un endroit dédié à leur culte, lui-même utilisé comme repère pour une localisation dans la ville. Apollon apparaît ainsi à cause d’un sanctuaire qui lui est dédié et sert à indiquer aux lecteurs une limite de la Roma Quadrata (1, 18). Junon Moneta se voit mentionnée parce que le lieu de résidence du roi Titus Tatius était voisin de son temple (1, 21) ; celui de Vesta, pour le motif que Numa habitait initialement dans sa proximité, sur un site occupé, de son temps encore, adhuc, précise notre auteur, par la Regia (1, 21). Solin introduit ensuite dans son texte l’aedes des dieux Pénates afin d’indiquer l’endroit où figurait, sur la Velia, la demeure de Tullus Hostilius (1, 22), tout comme une autre aedes, celle des Lares, en haut de la voie Sacrée, pour localiser celle d’Ancus Marcius (1, 23). Outre ces mentions, Solin fournit encore au lecteur une évocation, cette fois générale et non nominative : celle des dieux d’en haut et des dieux d’en bas, et que j’ai déjà mentionnés plus haut, à propos du nombre de jours, pair ou impair, des différents mois (1, 15).
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Donc, Solin ne donne à ces dieux et à ces déesses que deux formes de présence : pour Hercule, celle d’acteur d’une série d’actions ayant joué un rôle dans les antécédents de Rome, donc dans l’Histoire, et pour les autres une position secondaire, essentiellement à cause de temples ou de sanctuaires qui leur sont consacrés et servent de repères topographiques pour la localisation de différentes parties de la Rome primitive, puis de résidences royales. Mais il n’insère pas sur eux de notice destinée à les présenter, indiquant de la sorte qu’il considère que les lecteurs qu’il vise possèdent déjà, en tant que Romains (et même habitants de Rome), une connaissance suffisante de leurs dieux, ainsi que des sanctuaires et des temples où se situent leurs cultes. Il évoque encore la religion traditionnelle romaine dans la partie des Collectanea et du Polyhistor examinée ici à propos de fêtes, rappelant qu’il ne s’effectuait pas de sacrifices le jour des Parilia, le 11e des calendes de mai, anniversaire de la fondation de Rome (1, 19). Il ménage également une place à celles du 1er mars, en rappelant les coutumes qui s’y trouvaient associées, allumage de feux sur les autels des Vestales et remplacement de couronnes en laurier vert, ainsi que celle pour les matronae de servir à dîner aux esclaves de leur familia, ce qu’il met à profit pour mentionner brièvement les Saturnales, par une comparaison avec une attitude analogue des domini, lors de celles-ci, envers les mêmes esclaves14. Un dernier aspect de la religion traditionnelle romaine se voit accorder une place, au demeurant limitée, par Solin dans les cinquante premières sections de son ouvrage : la consultation des dieux et l’interprétation de signes à propos des événements à venir. Il indique que la science augurale a été apportée aux Sabins par un compagnon de Cacus, le Phrygien Mégalès (1, 9), fait allusion à un heureux présage, prosperum augurium, ayant précédé la fondation de Rome (1, 16), et à l’inverse aux événements ayant été considérés comme annonciateurs de maux imminents à l’approche de la mort d’Auguste (1, 50). Quant au clergé, il ne le mentionne que pour dénoncer d’une 14 Mais une formulation proche, seruis cenas apponebant matronae, ut domini
Saturnalibus, chez Macrobe, Saturnales, I, 12, dans un passage très vraisemblablement issu du De anno Romanorum de Suétone, ouvrage qui paraît bien compter au nombre des sources utilisées par Solin, suggère que ce dernier n’a que peu réécrit cet endroit, où il a trouvé le parallèle avec les Saturnales. D’autre part, une évocation de ces coutumes liées aux Matronalia et aux Saturnales avec un recours à des verbes mis au passé pourrait suggérer qu’au temps de Solin elles s’étaient vidées d’une grande partie de leur substance, ce qui s’expliquerait pour les premières par le déplacement du début de l’année du 1er mars où elles avaient lieu au 1er janvier.
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manière générale, comme nous l’avons vu plus haut, les manipulations commises par les prêtres à propos du calendrier antérieur à la réforme de César (1, 43). Donc, nous observons dans ce début historiographique des Collectanea et de leur réédition une présence de la religion, mais évoquée par des aspects qui restent mineurs, et surtout de façon ponctuelle, dans le quotidien et l’univers familier des habitants de Rome, à l’exception d’actions divines ayant précédé la fondation de la Ville et contribué à sa naissance ainsi qu’à sa localisation. Les différentes positions de Solin à l’égard de ses sources De par leur nature, les Collectanea et leur réédition, le Polyhistor, comme tous les ouvrages d’une nature comparable, ne pouvaient se réaliser qu’à partir d’œuvres antérieures, et éventuellement, dans le cas du grammaticus qu’était Solin, par l’intermédiaire de fiches établies auparavant pour son enseignement. Selon une coutume dont il n’est pas le seul représentant15, cet auteur ne cite nommément que ses sources considérées comme offrant une très forte garantie d’authenticité pour les informations fournies, ou à défaut des opinions de haute qualité, et provenant d’écrivains qu’il qualifie parfois d’auctores16, et non pas ses sources intermédiaires, telles que les ouvrages de Pomponius Méla, de Pline l’Ancien et de Suétone, qui pour lui n’ont fait que reprendre, directement ou déjà indirectement, et transmettre les premières, qu’il a du reste trouvées lui-même chez eux pour la plupart. Il sera du reste traité de la même façon par divers auteurs17 qui le mettront à contribution, ne le citant que très rarement de manière nominale, ce qui, entre autres, contribue à rendre difficile à localiser l’époque de sa vie et de la rédaction de son ouvrage. Solin n’introduit du reste pas aussi souvent qu’il l’aurait pu de telles références nominales d’auctores, mais seulement, à ce qu’il 15 Observée aussi dans le De die natali de Censorinus : G. Freyburger, « Sénèque et les problèmes de la transmission du savoir antique : le témoignage du De die natali de Censorinus », dans R. Chevallier et R. Poignault (éd.), Présence de Sénèque, Caesarodunum, XXIV bis, Paris, 1991, p. 143-154, et « Le savoir ‘philologique’ du grammairien Censorinus », Ktèma, 13, 1988, p. 149-154 (p. 150). Même constatation chez Macrobe : Ch. Guittard, « Présence de Suétone... », p. 185. 16 L’exemple le plus fréquent étant Varron. 17 Repérés seulement par des reprises sans changement ou presque d’expressions plus ou moins longues chez Ammien Marcellin, Augustin, dans sa Cité de Dieu, Martianus Capella, ou encore Isidore de Séville.
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semble, quand il ressent le besoin (ou la nécessité, du fait d’un contexte que nous ignorons) d’un appui fort pour une affirmation, ou celui de se situer par rapport à une opinion plus ou moins répandue qu’il se voit obligé d’intégrer dans son travail. À la limite, il évoque alors parfois, nous le verrons, des références non nominales, qui semblent renvoyer à des opinions formulées en partie au moins par les sources intermédiaires qu’il utilise. Mais il demeure très possible qu’il pense également à d’autres auteurs, ou à des connaissances relevant de sa profession, ou à des opinions répandues dans la société cultivée18. Il évoque du reste l’ensemble de ses sources livresques, tant premières qu’intermédiaires, dans sa lettre de dédicace, par la formule suivante : exquisitis enim aliquot uoluminibus, que je propose de traduire par « à partir d’un certain nombre de livres soigneusement choisis »19. Il insiste un peu plus loin sur l’autorité des œuvres qu’il a mises à contribution, laquelle, de scriptoribus manat receptissimis, « émane d'écrivains très appréciés20 », et ajoute encore que constantia ueritatis penes eos est quos secuti sumus, « La constance dans la vérité est le propre des auteurs que nous avons suivis (Lettre, 6)21 ». Il 18 Voir à ce sujet l’article récent d’A. Apps, « Source Citation and Authority in Solinus », dans K. Brodersen (éd.), Solinus. News Studies…, p. 32-42. 19 La traduction traditionnelle, « à partir de quelques livres », provient d’une interprétation numériquement réductrice de aliquot, apparemment parce qu’on n’identifiait dans ses sources que deux auteurs, Pline l’Ancien, le plus fréquemment mis à contribution, suivi par Pomponius Méla. Mais depuis quelques décennies, bien d’autres ont été reconnues, en particulier, pour ce qui concerne le passage historique que j’examine ici, Suétone, avec son De regibus et son De anno Romanorum, ce qui éclaire cette formule d’un jour nouveau. Voir à ce propos la traduction allemande, mehrere Bücher, choisie par K. Brodersen, dans son édition récente de Solinus. Wunder der Welt, Darmstadt, 2014, p. 17. En outre, un peu plus loin, Solin fait usage d’un autre terme, en l’occurrence nonnulli, 1, 17, afin de d’exprimer la notion numériquement faible de « quelques ». On ne négligera pas la quasi certitude qu’il habitait à Rome, donc dans la proximité de plusieurs grandes bibliothèques publiques et qu’en tant que grammaticus, il vivait et travaillait au contact des livres, dont il possédait à coup sûr une certaine quantité, impossible à déterminer, mais qui n’atteignait sans doute pas celle, exceptionnelle du grammaticus Graecus Marcus Mettius Epaphroditus, qui résidait à Rome, vers la fin du Ier s. de notre ère, avait fini par posséder trente mille uolumina, d’après la Souda, éd. A. Adler, II, Leipzig, 1931, 334-5. 20 Ces scriptores, non nommés, sont à distinguer des auctores, ces derniers étant nommément cités par Solin lorsqu’il reprend des passages tirés de leurs œuvres, chaque fois brefs, et le plus souvent par l’intermédiaire des premiers. 21 Sol., Lettre à Adventus, 6. Expression présente également chez Tertullien, et sur laquelle Z. von Martels, « Between Tertullian and Vincentius Lirinensis : on the concept constantia ueritatis and other Christian Influences on Solinus », dans A. A. MacDonald et alii, Learned Antiquity, Louvain, 2003, p. 63-79, prend appui
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n’en cite aucun dans cette lettre, ce qui est normal car elle devait rester d’un propos général, mais fait penser qu’il évoque là à la fois ses sources premières et intermédiaires. Toutefois, vis-à-vis de ces sources, il exprime à diverses reprises dans son texte, et surtout dans les notices étudiées dans ces pages, des avis et des jugements variés. Dès les premières phrases des Collectanea ainsi que du Polyhistor, et à propos de l’origine du nom de Rome, on observe, en même temps que le désir éprouvé par Solin de présenter toutes les opinions dont il a connaissance (très probablement parce qu’il considère que son lecteur en a entendu ou en entendra parler), plusieurs attitudes différentes, qui se retrouveront plus loin dans son texte : l’expression d’un désaccord avec certaines, d’une prise de distance avec une autre, et d’une certaine préférence personnelle pour l’une d’entre elles, dans un contexte toutefois d’incertitude. Plus précisément, l’ouvrage, et donc sa partie étudiée dans ces pages, commence par l’expression sunt qui uelint, qui signale la pluralité (restant numériquement indéfinie) de ceux qui partagent la première opinion citée, la volonté de les laisser dans l’anonymat, et la suggestion, grâce à l’emploi du subjonctif, que leur proposition échoue à convaincre Solin, qui invite ainsi à la rejeter (1, 1). Dans la deuxième phrase, il en va différemment, l’anonymat cesse, et apparaît le nom d’Héraclide (1, 2)22, mais accompagné du verbe placet, ce qui révèle indirectement que cette opinion, respectable puisque son auteur se trouve nommé, non placet spécialement à Solin, ce que confirme le fait qu’il expose immédiatement ensuite une troisième proposition. À nouveau il relie nommément celle-ci à un auteur, Agathoclès (1, 3)23. Cette seconde mention nominale, plus le pour attribuer une datation tardive à l’ouvrage de Solin. Mais rien n’indique qu’elle n’était pas en usage au début du IIIe siècle à Rome. Dans ce cas, Tertullien et Solin (en admettant alors que ce soit à l’intention de l’Adventus ami de Macrin, qu’il ait écrit sa dédicace) l’auraient utilisée simultanément. 22 Héraclide Lembos, historien hellénistique : F. Jacoby, FGrHist, 840 F13 b, p. 111 = FGH, III, p. 168, frag. 1 (ap. Servius auctus, Ad Aen., I, 273) et frag. 2 (ap. Festus, p. 329 L). Voir à son sujet M. Humm, « Aristote et les Romains : entre hellénisme et barbarie, une vision grecque de Rome du IVe siècle avant J.-C. », dans Y. Lehmann, éd., Aristoteles Romanus. La réception de la science aristotélicienne dans l’empire gréco-romain, Turnhout, Brepols, 2013, p. 425-462 (p. 438-439), qui penche pour situer cet auteur dans la première moitié du IIe siècle av. J.-C., et indique qu’il a pris cette version de la fondation de Rome chez Aristote, dans ses Politeiai ou dans ses Nomima barbarica. 23 Cf. Festus, loc. cit. Agathoclès de Cyzique, historien de la fin du Ve et du début du IVe siècle. F. Jacoby, FgrHist, II, 472 F5(8). Un des premiers auteurs grecs connus à faire mention de la fondation de Rome. J. Poucet, « La diffusion de la
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verbe employé, scribit, paraissent indiquer que dans un domaine qui demeure d’une forte incertitude, elle reçoit de manière discrète une certaine préférence de la part de Solin sur les précédentes. Il a de nouveau recours plus loin (1, 27) à placet, pour présenter la première, et de façon moins visible les suivantes, de quatre propositions concernant l’année de fondation de Rome, qu’il va toutes rattacher à des auteurs nommément désignés. Il attribue la deuxième à Fabius Pictor, la troisième à deux savants du monde hellénistique, Ératosthène et Apollodore, indiquant que deux Romains, Cornélius Népos et Lutatius, ont pris leur suite dans son adoption, et la quatrième à Pomponius Atticus et Cicéron. C’est à l’avant-dernière qu’il déclare se ranger, ce que pouvait laisser prévoir le nombre très supérieur d’auteurs qu’il citait à son propos par rapport à ceux qu’il rattachait aux trois autres propositions : un seul pour chacune des deux premières, Cincius, puis Fabius Pictor, et deux, Atticus et Cicéron, pour la dernière. Il justifiera du reste son choix par une vérification personnelle, qu’il exposera en détail dans les trois sections suivantes (1, 28-30). La même expression que dans la première phrase, sunt qui uelint, se retrouve plus loin (1, 15), à propos de l’origine du nom porté par le mont Palatin, pour laquelle Solin évoque, apparemment de façon dubitative, deux versions, avant d’en attribuer une troisième à un autre auteur, dont il fournit cette fois le nom, Silénus24, montrant ainsi qu’il exprime pour lui une considération plus forte qu’à ceux évoqués avant lui, dont il laisse le nom et même le nombre dans l’obscurité. Mais cette fois, il renonce à exprimer ou à laisser entendre une préférence nette, et déclare que les explications fournies congruant, « se rejoignent ». D’autre part, dans deux phrases successives (1, 4-5), où il évoque l’existence d’un nom secret pour Rome, puis le châtiment infligé à Valérius Soranus qui l’avait révélé, il prend quelque distance à l’égard des données qu’il transmet, sans marquer ni approbation ni opposition, en faisant référence à une opinion non seulement anonyme, mais plus encore vague et générale, par le recours à deux passifs impersonnels, traditur et datum (est). Ailleurs, un accord de Solin avec cette fois l’ensemble des sources qu’il connaît, et aussi avec tous ses lecteurs, se trouve curieusement présenté sous une forme contournée, à l’aide d’une double négation, nemo dubitauerit, à propos de l’origine du légende d’Énée en Italie centrale et ses rapports avec celle de Romulus », Les Études Classiques, 57, 1989, 3, p. 227-257 (p. 246-248). 24 Tradition obscure également rapportée, de façon rapide et vague, par Varron, L.L., V, 53.
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nom du Palatin, en même temps que l’exclusion de l’éventualité d’une opinion différente (1, 14). À la différence de ces désaccords, de cette suggestion de distance, de cette prudence, et parallèlement à de simples accords exprimés à d’autres endroits, dont il convient par ailleurs de rester conscient que pour une certaine part, les formules qui les expriment doivent traduire également une recherche de varietas stylistique, Solin proclame enfin pour deux auteurs une forte admiration. Il a recours dans ce but à une accumulation de deux moyens : un adjectif à la signification élogieuse et sa mise au superlatif. De ces auteurs, il qualifie le premier, Varron, d’auctor diligentissimus, « une autorité très scrupuleuse (1, 17) », à propos de Romulus, dans une phrase où celui-ci est présenté comme fondateur de Rome et fils de Mars ainsi que de Rhéa Silvia, sans refuser toutefois une opinion partiellement différente, relevant comme celle de Varron d’un domaine incertain. Mais il rattache cette dernière à nonnulli, quelques-uns, encore une fois sans les nommer. Quant au second, qu’il cite sous le nom de Lucius Tarruntius (1, 18), il l’honore du titre de mathematicorum nobilissimus, « le plus illustre des mathématiciens », pour avoir calculé non seulement le jour, le mois, mais aussi l’heure où Rome fut fondée. En fait, plutôt qu’un auteur de source livresque à proprement parler, il s’agit d’un savant, qui comptait au nombre des amis intimes de Varron, à en croire Plutarque25. Le Réatin aura relaté ses travaux et leurs résultats à l’intérieur d’une de ses œuvres de nos jours disparues, le passage qui en traitait ayant été repris ensuite selon toute vraisemblance par Suétone dans son De anno Romanorum. La lecture des lignes qui précèdent pourrait conduire à penser que Solin exprime fréquemment dans son texte une position personnelle. En réalité, le plus souvent, dans ses notices sur Rome, il n’intervient pas, se bornant apparemment à reprendre un auteur qu’il ne cite pas, du fait qu’il ne le considère que comme un intermédiaire, à savoir occasionnellement Pline l’Ancien, mais surtout Suétone, et plus particulièrement certains passages de son De regibus ainsi que son De anno Romanorum. 25 Il semble que le véritable nom de ce mathématicien ait été Lucius Tarutius Firmanus. Son amitié avec Varron est évoquée par Plutarque, Romulus, XII, 3-5. Cicéron, De diuinatione, II, 47, 98, le mentionne également. Dans la mesure où il avait apporté, avec les résultats de ses calculs, des connaissances nouvelles, il était considéré par Solin comme un auteur premier, et méritait donc de se voir nommément cité, Varron et Suétone n’étant dans son cas que des intermédiaires.
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Conclusion Je n’ai étudié ici, avec la mise en lumière d’une présence de l’historiographie dans l’œuvre de Solin, qu’un aspect de cette dernière26. D’autres auraient mérité de l’être, par exemple une certaine recherche stylistique de sa part, ou un côté littéraire, avec entre autres la reprise d’expressions issues d’auteurs tels que Plaute27, Virgile28, voire peutêtre Lucrèce, Horace, ou Lucain, mais elles auraient demandé une place trop importante, et correspondraient moins aux thèmes retenus pour ce volume d’hommages. Il apparaît que Solin, même s’il fait un large appel à des sources livresques, recours inévitable eu égard à la nature de son ouvrage, et déjà effectué par la majorité des auteurs ayant composé les sources en question, notamment Pline l’Ancien et Suétone pour ce qui concerne la partie des Collectanea et du Polyhistor étudiés dans ces lignes, fait montre d’une réelle personnalité d’écrivain, ce qui ne surprendra pas, étant donné sa profession et sa culture de grammaticus. Cette personnalité se manifeste par ses choix, qui se montrent conformes aux annonces qu’il a exprimées dans sa lettre de dédicace à Adventus, de réaliser un compendium et un fermentum cognitionis , ainsi que de manifester une constantia ueritatis : celui de traiter en place initiale de Rome et de son histoire, et dans cette dernière de ne retenir que certains éléments, qu’il développe ou restreint pour des motifs qu’il paraît possible de restituer avec vraisemblance ; accorder de l’importance à la chronologie, ce qui le conduit à un développement détaillé sur le calendrier romain ; ménager une place à des aspects de la religion traditionnelle qu’il a dû estimer peu connus ou en phase de désuétude ; et en outre marquer son désaccord, sa distance par rapport à certaines de ses sources, ou à l’inverse son acceptation voire son admiration pour d’autres. Même si une partie de ses choix correspondait à ceux des auteurs qu’il a utilisés, et plus particulièrement sans doute dans ceux de Suétone, Solin ne s’est pas limité à recopier de manière servile : il apparaît qu’il a déployé des qualités 26 Quelques autres indications d’ordre historique, avec datation, figurent dans
plusieurs chapitres consacrés à des territoires provinciaux, mais elles restent extérieures aux limites choisies pour cet article. Par exemple, 7.6 (Arion sauvé par un dauphin), 7.9 (guerre entre les Lacédémoniens et les Argiens), et 40, 4 (naissance d’Alexandre). 27 F. Feraco, « La fortuna di Plauto : l’esempio di Solino », Giornale Italiano di Filologia, 65, 2013, Brepols, p. 229-246. 28 F. Feraco, « Echi virgiliani nei Collectanea rerum memorabilium di Solino », dans Bolletino di Studi Latini, 36, 2006, 2, p. 460-488.
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qui donnent de la valeur à son travail, et permettent de placer, bien qu’à un niveau modeste, les cinquante sections de son premier chapitre au rang des travaux d’histoire rédigés par des écrivains romains. Bibliographie Éditions de Solin utilisées pour cette étude : Mommsen Th., C. Iulii Solini Collectanea rerum memorabilium, Berlin, 1895 (2e éd.). Plus récentes (à partir du texte établi par Th. Mommsen pour son édition de 1895) : Brodersen, K., Solinus. Wunder der Welt, Darmstadt, 2014. Fernández Nieto F. J., Solino. Colección de hechos memorables o El Erudito, Madrid, 2001. Livres et articles Apps, A., « Source Citation and Authority in Solinus », dans K. Brodersen (éd.), Solinus. News Studies, Heidelberg, Verlag Antike, 2014, p. 32-42. Arnaud-Lindet M.-P., Introduction, dans L. Ampelius. Aide-mémoire (Liber memorialis), Paris, Les Belles Lettres, CUF, 1993. Bardon, H., Littérature latine inconnue, I, Paris, 1952. Champeaux, J., « Questions sur le calendrier romain : l’année de ‘dix mois’ ? », REL, 97, 2019, à paraître. Feraco, F., « Echi virgiliani nei Collectanea rerum memorabilium di Solino », Bolletino di Studi Latini, 36, 2006, 2, p. 460-488. _, « La fortuna di Plauto : l’esempio di Solino », Giornale Italiano di Filologia, 65, 2013, p. 229-246. Freyburger, G., « Le savoir ‘philologique’ du grammairien Censorinus », Ktèma, 13, 1988, p. 149-154. _, « Sénèque et les problèmes de la transmission du savoir antique : le témoignage du De die natali de Censorinus », dans R. Chevallier et R. Poignault, éd., Présence de Sénèque, Caesarodunum, XXIV bis, Paris, 1991, p. 143-154. Gasti, F., « I Collectanea di Solino come fonte del libro XI delle Etymologiae di Isidoro », Atheneum, 66, 1988, p. 121-129.
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Guittard, C., « Présence de Suétone chez un antiquaire et compilateur tardif : Macrobe et l’histoire du calendrier romain », dans R. Poignault, éd., Présence de Suétone, Caesarodunum, XXXVIII-XXXIX bis, Clermont-Ferrand, 2009, p. 185-199. Humm, M., « Aristote et les Romains : entre hellénisme et barbarie, une vision grecque de Rome du IVe siècle avant J.-C. », dans Y. Lehmann, éd., Aristoteles Romanus. La réception de la science aristotélicienne dans l’empire grécoromain, Turnhout, Brepols, 2013, p. 425-462. Hyskell, I. D., A Study of the Latinity of Solinus, Chicago, 1925. Jacoby, F., Die Fragmente der Griechischen Historiker, Leiden, 1969 (rééd.). Lehmann, Y., dir., Religions de l’Antiquité, Paris, 1999. Martels, Z. von, « Betwen Tertullian and Vincentius Lirinensis : on the concept constantia ueritatis and other Christian Influences on Solinus », dans A. A. MacDonald et alii, Learned Antiquity, Louvain, 2003, p. 63-79. Poucet, J., « La diffusion de la légende d’Énée en Italie centrale et ses rapports avec celle de Romulus », Les Études Classiques, 57, 1989, 3, p. 227-257. Racine F., « Teaching with Solinus : Martianus and Priscian », dans K. Brodersen, éd., Solinus. News Studies, Heidelberg, Verlag Antike, 2014, p. 157-170. Zehnacker, H., « La description de Rome dans le livre 3 de la NH », dans J. Pigeaud, J. Oroz, éd., Pline l’Ancien témoin de son temps, Salamanque-Nantes, 1987, p. 307-320. _, Pline l’Ancien, Histoire naturelle, livre III, Paris, Les Belles Lettres, CUF, 1998.
« †aius matris deum (Serv., Ad Aen. VII, 188) : petite enquête sur la Grande Mère » Alban Baudou
Au moment où l’on s’engage sur les itinéraires de la Mère des dieux, il est important de souligner le fait que nous sommes confrontés à l’évanescence de l’espace d’origine1. « Talisman », « garant », « fétiche », « totem », « amulette », les mots ne manquent pas pour désigner les animaux ou objets tabous qu’un individu ou une communauté dote d’un pouvoir protecteur sacré2. Fusion de crainte primitive, de crédulité infantile et de croyance religieuse, l’idée qu’un être ou une chose révérée puisse apporter protection et pérennité à un groupe ou à l’un de ses membres est universelle ; ses concrétisations sont multiples, mais toutes relèvent du même principe prodigieux de préservation circonscrite et définie. Rome naturellement n’échappa pas à ces superstitions et l’on peut compter à travers les siècles un certain nombre d’objets qui furent institués garants de la puissance et de la perpétuation de la ville. L’un des témoignages les plus surprenants de ces croyances nous provient du commentaire de Servius à l’Énéide. Dans ce passage du livre VII, Virgile relate comment Énée et ses compagnons abordent aux rives du Tibre, puis décrit le temple de Picus où le roi Latinus reçoit l’ambassade troyenne. Une statue y figure le dieu laurente, vêtu d’une trabée, dit le poète, tenant le bâton augural et portant l’ancile :
1 P. Borgeaud, La Mère des dieux, de Cybèle à la Vierge Marie, Paris, Éditions du Seuil, 1996, p. 21. 2 C. Lévi-Strauss, Le totémisme aujourd’hui, Paris, PUF, 1962, p. 27-28, rappelle l’« opposition entre relation personnelle et relation collective » qui amène à bien distinguer « les totems collectifs des esprits gardiens individuels » ; les pignora imperii Romani – s’il est permis de les rapprocher des êtres ou objets totémiques – entrent dans la première catégorie, qui relève de rites éminemment sociaux ou nationaux. 10.1484/M.RRR-EB.5.121310
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Ipse Quirinali lituo paruaque sedebat succinctus trabea laeuaque ancile gerebat Picus. « Lui-même, avec le bâton d’augure quirinal, était assis, portant relevée une courte trabée, et il tenait à gauche un bouclier, Picus3. »
Après avoir commenté le terme trabea (toga est augurum de cocco et purpura), la notice servienne, reproduite ici dans la version qu’en propose l’édition de Georg Thilo, s’intéresse à l’ancile : ANCILE : scutum breve. regnante Numa caelo huius modi scutum lapsum est et data responsa sunt illic fore summam imperii, ubi illud esset. quod ne aliquando hostis agnosceret, per Mamurium fabrum multa similia fecerunt, cui et diem consecrarunt quo pellem uirgis feriunt ad artis similitudinem. dicimus autem ‘hoc ancile’ et ‘haec ancilia’, ‘anciliorum’ uero usurpauit Horatius dicens anciliorum et nominis et togae oblitus. septem fuerunt pignora, quae imperium Romanum tenent : [†aius Matris deum, quadriga fictilis Veientanorum, cineres Orestis, sceptrum Priami, uelum Ilionae, palladium, ancilia].
« ANCILE : c’est un bouclier court. Sous le règne de Numa, du ciel tomba un bouclier de cette sorte et les réponses données furent que la tête de l’empire serait à l’endroit où il se trouverait. Afin que jamais un ennemi ne puisse le reconnaître, de nombreuses copies furent réalisées par le forgeron Mamurius, à qui on consacra aussi le jour où l’on frappe une peau avec des baguettes en imitation de sa technique. Nous disons par ailleurs ancile au masculin, et ancilia au féminin, mais Horace a utilisé abusivement anciliorum en disant anciliorum et nominis et togae oblitus, ‘oublieux des anciles, du nom et de la toge’ [Hor., Od. III, 5, 10-11]. [Il existait sept talismans qui garantissent la puissance romaine : † de la Mère des dieux, le quadrige d’argile des Véiens, les cendres d’Oreste, le sceptre de Priam, le voile d’Ilioné, le palladium, les anciles]. »
Comme c’est souvent le cas dans les commentarii serviens, la glose explique le terme ancile sous plusieurs points de vue. Le premier est matériel : description de l’objet, simple bouclier court ; le second, historique : présentation de deux récits traditionnels sur l’ancile, tombé du ciel sous le règne de Numa et reproduit à de nombreux exemplaires par le forgeron Mamurius ; le troisième point est religieux : mention – assez obscure – d’un rituel en l’honneur de Mamurius ; le quatrième, enfin, grammatical : précision sur les deux termes masculin 3 Virg., Aen. VII, 187-189 (trad. pers.).
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ancile, is, et féminin ancilia, ae, dont Horace aurait méconnu l’usage. La liste des sept pignora imperii suit cet exposé, sans transition4. Nous ne saurions reprendre ici en détail les différents éléments de cette liste, dont la plupart ont déjà fait l’objet de recherches avancées, dans divers ouvrages, depuis de nombreuses années. Peu de savants toutefois se sont attachés à étudier l’ensemble des sept talismans de la notice servienne : après la disputatio soutenue en 1786 par Ernest Ludovic August Eisenhart, la première étude complète sur la question est rédigée par Francesco Cancellieri en 1812 ; il faudra ensuite attendre 1935 pour que paraisse l’ouvrage de Karl Gross consacré aux sept pignora, puis en 1954 un bref article de Marcus Van Doren et en 1988 l’analyse plus substantielle de Giuseppe Martorana ; la dernière étude d’envergure est celle d’Anouk Delcourt, qui réalise en 1996 à l’UCL sous la direction de Jacques Poucet un mémoire de licence particulièrement bien mené5.
4 Selon G. Thilo, la liste des pignora imperii doit être attribuée au Servius auctus, dont le texte fut publié pour la première fois en 1600 par Pierre Daniel. G. Ramires cependant, dans son édition du livre VII, Commento al libro VII dell’Eneide di Virgilio. Con le aggiunte del cosidetto Servio Danielo, Bologne, Pàtron editore, 2003, indique dans l’apparat critique que le passage se trouvait déjà dans le texte de Robert Estienne de 1532 (cf. également « Il ‘Servius Danielinus’ prima di Pierre Daniel. L’edizione di Robert Estienne (Stephanus) e i manoscritti della classe a », Eruditio Antiqua 4, 2012, p. 142). La liste des pignora apparaît également dans au moins deux éditions subséquentes (1575 et 1585) antérieures à 1600. Comme le note A. Cameron, The Last Pagans of Rome, Oxford, Oxford University Press, 2011, p. 613, note 222, on ne peut cependant en déduire que l’évocation des septem pigora imperii serait, comme d’autres dans ce cas, à replacer dans le texte premier de Servius – même si l’absence de tout terme de liaison tendrait à confirmer l’idée : dans le texte du Servius auctus, le passage abrupt à un sujet d’un tout autre ordre est très souvent marqué par l’adverbe sane, « d’autre part », absent ici. Parmi la nombreuse littérature consacrée à la distinction entre Servius et le Servius auctus, on peut se reporter au récent article de D. Vallat, « Les métamorphoses d’un commentaire : ‘Servius’ et Virgile », Rursus [en ligne] 9, 2016. 5 E. L. A. Eisenhart, De Pignoribus Imperii Romani locus Servii grammatici Ad Virgil. Aen. L. VII. v. CLXXXVIII expensus, Helmstadt, Leuckart, 1796 ; F. Cancellieri, Le sette cose fatali di Roma antica, Rome, Luigi Perego Salvioni, 1812 ; K. Gross, Die Unterpfänder der römischen Herrschaft, Berlin, Junter und Dünnhaupt Verlag, 1935 ; M. Van Doren, « Pignora imperii, de goddelijke symbolen van het Romeinse Rijk », Handelingen VIII, 1954, p. 75-82 ; G. Martorana, « I septem pignora imperii Romani. L’ideologia dell’imperium », Mito, storia, ideologia nella Roma antica, Palerme, Università degli studi di Palermo, 1988, p. 73-120 ; A. Delcourt, Les pignora imperii, talismans de l’Empire, Mémoire de licence non publié, Louvain, Université Catholique de Louvain, 1996.
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Notre attention se portera seulement sur le premier de ces pignora, et plus précisément sur la lettre – les lettres, devrions-nous dire – du texte qui le mentionne ; dans certains manuscrits en effet le texte présente manifestement à cet endroit une lacune, raison pour laquelle G. Thilo l’édite avec la séquence †aius matris deum. I. Magna Mater à Rome Le commentaire servien explique ainsi qu’existait à Rome un objet Matris deum tenu pour un pignus imperii6. Cette très brève allusion servienne invite à un rapide rappel de cette figure divine. La Mère des dieux s’inscrit dans la lignée polydémoniste des « divinités supérieures » primitives telles qu’il en existe sur tous les continents et dont « la plus importante paraît être la Terre, considérée dans ses forces productrices, principe féminin de vie, déesse de fécondité et de fertilité, mère et nourricière de tout ce qui naît et meurt ici-bas7 ». Dans le monde méditerranéen, on connaît bien sûr Neit ou Isis en Égypte, la Grande divinité minoenne et la déesse aux serpents crétoise, Rhéa en Grèce8, ou encore la Grande mère phrygienne Cybèle et son parèdre Attis. C’est plus particulièrement cette dernière que l’on retrouve à Rome sous les noms de Magna mater ou Mater deum, souvent également désignée, en latin comme en grec, par les qualificatifs toponymiques « phrygienne » ou « pessinontienne », voire plus spécifiquement oronymiques « bérécyntienne », « idéenne », « cybélienne » ou « dindymienne »9. e
6 À l’époque de rédaction du commentaire, soit probablement le début du
siècle apr. J.-C., ces talismans ne sont plus en vigueur, puisque le grammairien utilise le parfait fuerunt dans sa phrase de présentation liminaire. Rutilius Namatianus, De reditu suo II, 55-56, rapporte que les talismans de Rome furent détruits par Stilicon (Stilicho aeterna fatalia pignora regni uoluit praecipitare), précisant que si Néron avait tué seulement sa propre mère, le général avait détruit, lui, « la mère du monde », mundi matrem perculit (v. 60). 7 H. Graillot, Le culte de Cybèle, Mère des Dieux, à Rome et dans l’Empire romain, Paris, Fontemoing et Cie, 1912, p. 2 ; malgré son ancienneté et une approche parfois trop généralisante, l’ouvrage reste l’une des sources les plus complètes sur le culte métroaque à Rome. 8 Sur les différents noms de la déesse-mère en Grèce, cf. N. Robertson, « The Ancient Mother of the Gods : A Missing Chapter in the History of Greek Religion », Cybele, Attis and Related Cults. Essays in Memory of M. J. Vermaseren, edited by E. N. Lane, Leyde-New York-Cologne, E. J. Brill, 1996, p. 239-240. 9 Elle est également qualifiée de « déesse aux lions », souvent figurée en compagnie de ces fauves, comme plusieurs « déesses matronales et nourricières », telle la V
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Les chercheurs ont de longue date analysé les nombreux textes mentionnant l’événement majeur que constitua l’arrivée de Magna mater à Rome en 204 av. J.-C., tandis que le danger carthaginois menaçait encore. Si quelques-uns ont livré des témoignages plus détaillés, l’épisode apparaît chez nombre d’auteurs, parfois simplement de manière allusive – signe de sa notoriété. L’anecdote présente diverses caractéristiques propres aux récits romains et les relations de l’épisode sont exemplaires et typiques : l’historique se pare de légendaire, le religieux s’imprègne de politique, le spectaculaire atteint à l’édifiant. La trame minimale en est assez simple : pour faire face aux difficultés du moment, les livres Sibyllins demandèrent que l’on se rendît en Asie chercher Magna Mater, afin que sa puissance tutélaire pût préserver Rome de la menace punique ; l’ambassade romaine obtint d’Attale Ier qu’il laissât partir la déesse, convoyée sur la mer puis sur le Tibre jusqu’à Rome. Symboles genrés de la perfection romaine, la pura Claudia Quinta et l’optimus Scipio Nasica aidèrent à mener à bien l’entreprise ; un moment enlisée à l’embouchure du fleuve, la divinité entra enfin dans l’Vrbs. Il ne s’agit pas ici de revenir sur les caractéristiques de chacun des récits et sur les nombreuses divergences que révèlent les « variantes » de ce « véritable roman »10. On peut en effet énoncer une série de questions portant sur divers points plus ou moins importants, pour lesquels existent d’abondantes études historiques ou littéraires. La consultation oraculaire concernait-elle la guerre ou des chutes de pierres récentes ? Interrogea-t-on l’oracle de Delphes ou les Livres sibyllins ? Attale futil ouvert ou réticent au départ de la déesse ? Magna Mater provenaitelle de Pergame, de Pessinonte ou des montagnes avoisinantes ? Des Galles vinrent-ils à Rome pour s’occuper du culte ? Le navire fut-il bien arrêté par la vase du Tibre ? La femme vertueuse qui l’en sortit était-elle Claudia Quinta ou Valéria ? Était-elle matrone ou vestale ? Tira-t-elle le navire avec sa ceinture, une corde ou ses cheveux ? Procéda-t-on vraiment à une lauatio ? La déesse fut-elle déposée en premier lieu chez Scipion Nasica, puis dans le temple de la victoire ? Fut-elle portée par des matrones ? Des vierges ? Nous ne tenterons pas de démêler dans les textes l’historique et le légendaire, non plus que divinité de Çatal Hüyük, antérieure à 5000 av. J.-C., représentée en compagnie de félidés : cf. R. Turcan, Les cultes orientaux dans le monde romain, Paris, Les Belles Lettres, 1989, p. 35-36. 10 G. Dumézil, La religion romaine archaïque, Paris, Payot, 2000 (1974), p. 483 ; « la légende enjoliva à plaisir cette marche triomphale », ajoute l’auteur à la page suivante.
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d’en déceler les motifs, notamment politiques ou sociaux, mis en avant par de nombreux chercheurs11. Nous souhaitons seulement essayer de déterminer sous quelle forme matérielle la déesse phrygienne était présente à Rome : nous nous attacherons donc à analyser les termes qu’emploient les auteurs pour désigner, plus particulièrement dans le cadre de la transuectio de la Phrygie à l’Italie, l’objet sacré honoré dans la ville12. De Varron à Sidoine Apollinaire en passant par les longs récits de Tite-Live et Ovide, ce sont plus d’une trentaine de textes qui relatent ou évoquent l’arrivée à Rome de la Grande Mère13. Pour le sujet qui nous intéresse, on peut les diviser en deux types. Le premier regroupe ceux qui mentionnent seulement la déesse, par le générique dea/¹ q◊ος 11 Ces recherches confrontent souvent les récits des divers auteurs, afin d’en
souligner les traits distinctifs sur ce plan, selon les visées ou les époques ; cf. entre autres T. Köves, « Zum Empfang der Magna Mater in Rom », Historia, 12, 1963, p. 321-347 ; F. Bömer, « Kybele in Rom. Die Geschichte ihres Kults als politisches Phänomen », MDAI(R) 71, 1964, p. 130-151 ; J. Gérard, « Légende et politique autour de la mère des dieux », RÉL 58, 1980, p. 153-175 ; C. Torre, « Ritratti di signora (per un’interpretazione di Ovidio, « Fasti » IV 247-349) », Debita Dona. Studi in onore di Isabella Gualandri, a cura di Paola Francesca Moretti, Chiara Torre, Giuseppe Zanetto, Naples, M. D’Auria Editore, 2008, p. 471-501. Sur le contexte culturel, religieux et politique de la fin du IIIe siècle et son expression dans les récits, cf. E. S. Gruen, Studies in Greek Culture and Roman Policy, Leyde-New YorkCopenhague-Cologne, E. J. Brill, 1990, Chapitre I, « The Advent of the Magna Mater », p. 5-33 ; voir aussi la perspective comparatiste de J. Bremmer, « The Legend of Cybel’s Arrival in Rome », Studies in Hellenistic Religions, edited by M. J. Vermaseren, Leyde, Brill, 1979, p. 9-22 ; cf. J. Scheid, « Claudia the Vestal Virgin », Roman Women, Chicago, University of Chocago Press, 2001, p. 25-26. 12 L’étude détaillée de l’iconographie ne paraît pas pertinente, car elle est avant tout fondée sur les divers récits. 13 Varr., L.L. VI, 15 ; Cic., Cael. 34 ; Har. Resp. XIII, 27-28 ; Diod. XXXIV, 33, 23 ; Liv. XXIX, 10, 4-11, 8 ; 14, 5-14 ; Ov., Fast. IV, 189-372 ; D. H. II, 19 ; Prop. IV, 11, 49-54 ; IV, 11, 49-54 ; Strab. XII, 5, 3 ; Val. Max. I, 1, 1 ; VIII, 15, 3 ; Sén., De matrim. fr. 80 Haase ; Plin., NH VII, 120 ; XVIII, 16 ; Sil. Ital., Pun. XVII, 147 ; Stat., Silv. I, 2, 245-246 ; Mart. III, 47, 2 ; Suét., Tib. 2, 6-7 ; App., VII, 56 ; Tert., Apol. XXV, 4-5 ; Hérod. I, 35 ; Min. Fel., Oct. VII, 3 ; Arnob., Ad nat. VI, 11, 1 ; VII, 32, 6 ; VII, 49, 1-2 ; VII, 50, 4-6 ; Lact., Inst. div. II, 7, 12 ; Dio XVII, 61 (Zon. IX, 11) ; Solin. I, 126 ; Amm. XXII, 9, 5 ; XXIII, 3, 7 ; Prud., Perist. X, 154-160 ; Aug., C. D. II, 4 ; III, 12 ; X, 16 ; Jul., Matre deor. 158d-161b ; Aurel. Vict., Vir. ill. 46 ; H. A., Hel. III, 4 ; VII, 1 ; Ambr., Epist. I, 18, 30 ; Episc. epist. III, 48 ; Claud., Gild. 117-120 ; Carm. 30 (Laus Serenae), 14-18 ; 28-30 ; Vib. 21 ; Sid. Apol., Carm. 24, 41-43. Voir également dans le CIL, I, 316, les Fastes de Préneste pour le mois d’avril. Les textes ont été analysés en détail par E. Schmidt, dans le premier chapitre, « Die Übertragung der Magna Mater nach Rom » de l’ouvrage Kultürbertragungen, Giessen, Alfred Töpelmann, 1910, p. 1-30.
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ou par d’autres désignations14, même dans les descriptions très concrètes du voyage en navire, du débarquement, du transport vers la ville ou de la lauatio dans les eaux de l’Almo ; on trouvera ainsi, pour ne prendre que ces exemples, des formulations du type « la déesse, assise, est portée sur un char », dea sedens plaustro est inuecta (Ovide), « la déesse de Pessinonte transportée à Rome », t¾n qeÕn t¾n œk Pesinoàntoς komizomέnhn œς tÕ ¥stu (Dion), « Scipion reçut dans ses mains la Mère idéenne », P. Cornelius Scipio Matrem idaeam manibus excepit (Valère Maxime), ou encore « l’Almo, où la mère des dieux est lavée », Almo ubi Matrem deum lauatur (Vibius Sequester). Dans le strict cadre de la transuectio, on peut recenser ainsi ces appellations génériques ou nominales : dea ou ¹ q◊ος/alma/domina/ Mater deum/Cybele ou Cybela/Mater Idaea/Rhea/Vesta Phrygia. Le deuxième groupe de textes est plus pertinent pour la question qui nous occupe. Il rassemble les récits où, parfois de concert avec la désignation de la déesse, est mentionnée sa représentation, l’objet emporté de Phrygie, bloqué sur le navire enlisé, débarqué puis porté à Rome ou nettoyé dans l’Almo ; l’appellation est parfois abstraite : « représentation », simulacrum, typus, ¢fidrÚma15, ou « image », imago16 ; le terme peut être général : « objets sacrés », t¦ ≤er£, sacra17, ou bien plus précis : « pierre » lapis, silex18 ou « statue, sculpture », ¥galma, xόanon, brέtaς19 ; mais l’idée reste parfois obscure : 14 Dans l’ensemble des vers 179 à 372 du livre IV des Fastes, Ovide est l’auteur qui use des appellations les plus nombreuses, désignant la déesse par les termes Idaea parens, dea, Cybeleia, dea Magna, Mater, Mater diuum, alma, domina, Rhea, genetrix deorum, Berecynthia. 15 simulacrum : Sénèque, Ammien, Aurélius Victor ; Augustin ; typus : Histoire Auguste ; ¢fidrÚma : Strabon. 16 imago : Ovide. 17 t¦ ≤er£ : Diodore ; sacra : Cicéron, Ovide, Suétone, Solin, Histoire Auguste. 18 lapis : Tite-Live, Arnobe, Prudence ; silex : Arnobe. 19 ¥galma : Hérodien, Julien ; xόanon : Julien ; brέtaς : Appien ; ce dernier terme apparaît déjà chez Apollonios de Rhodes, Arg. I, 1119, pour désigner l’objet sacré en bois de vigne que sculpta Argos à l’image de la Mère des dieux : δαίμονος οὐρείης ἱερὸν βρέτας. Julien, Matr. deor. 161a, utilise également le terme gÁ, mais c’est précisément pour affirmer qu’il ne s’agissait pas d’une simple statue sculptée : ... oÜte ¥yucon gÁn.... « ... ce n’était pas une argile privée d’âme... » (trad. G. Rochefort, CUF, 1963). Notons enfin le passage du Pseudo-Plutarque, De fluv. XII, 2, où l’anonyme mentionne une autoglyphe : genn©tai d'œn aÙtù l∂qoς aÙtόglufoς kaloÚmenoς : eujr∂sketai g¦r tetupwmέnhn cwn t¾n Mht◊ra tîn qeîn, « le fleuve [Sagaris] donne naissance à une pierre qui porte le nom d’autoglyphe (gravure spontanée) : quand on la trouve, elle porte déjà gravée sur elle
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comment interpréter chez Martial l’expression ferrum matris20, « le fer de la Mère » ? Parmi tous les textes, les récits de Tite-Live, d’Ovide, d’Hérodien, d’Arnobe et de Julien sont les plus détaillés et seraient précieux s’ils n’étaient contradictoires en divers points, dont précisément la forme que revêtait la Mère des dieux transportée à Rome. Quoiqu’il s’agisse, dit Tite-Live en XXIX, 14, 9, d’« une affaire ensevelie par le temps » (res uetustate obruta), l’historien relate cependant avec force précisions la prédiction des Livres sibyllins à propos d’Hannibal (eum pelli Italia uincique posse si Mater Idaea a Pessinunte Romam aduecta esset), l’ambassade auprès d’Attale confortée par l’oracle de Delphes (responsum esse ferunt per Attalum regem compotes eius fore quod peterent) et l’accueil favorable du roi, qui leur remit à Pessinonte une pierre sacrée (sacrumque iis lapidem quam Matrem deum esse incolae dicebant tradidit). Aucun terme aussi précis n’apparaît ensuite dans le récit, qui mentionne seulement « la déesse » lors des délibérations au Sénat (consultatio de Matre Idaea), lors de l’intervention de Scipion Nasica, qui la reçut des prêtres et la débarqua (ab sacerdotibus deam accepit extulitque in terram), puis à l’arrivée des premières matrones, dont la célèbre Claudia Quinta, qui la reçurent à leur tour (matronae primores ciuitatis, inter quas unius Claudiae Quintae insigne est nomen, accepere) avant de l’emmener en procession vers le temple de la Victoire (in aedem Victoriae, qui est in Palatio, pertulere deam). Ovide présente sans conteste le récit le plus circonstancié, à cause sans aucun doute des ornements de la création poétique, mais aussi en raison du genre particulier des Fastes, destinés à expliquer les éléments les moins connus du culte et ainsi toujours plutôt détaillés. À la question unde petita uenerit an nostra semper in Vrbe fuit, l’imaginaire dux operis ovidien répond en une centaine de vers, reprenant l’ensemble des épisodes liviens en présentant toutefois quelques l’image de la mère des dieux » (trad. C. Delattre) ; cf. également les chapitre IX et X, respectivement sur le Méandre et le Marsyas. 20 Mart. III, 47, 1-2 : Capena grandi porta qua pluit gutta / Phrygiumque Matris almo qua lauat ferrum..., « À la porte Capène, où il pleut à grosses gouttes et où l’Almo lave le fer phrygien de la mère... ». F. Cancellieri, Le sette cose, p. 22, et P. Piranesi, Li bassirilievi antici di Roma, tome 1, Rome, Francesco Bourlié, 1808, p. 89, voyaient l’un et l’autre dans le terme ferrum une allusion « al colore » ; cf. H. Graillot, Le culte de Cybèle, p. 328-329, note 4. Dans la CUF, ad loc., H. J. Isaac traduit Matris ferrum par « le couteau de Cybèle », expliquant qu’il s’agit du couteau des sacrifices ; le Pseudo-Plutarque, De fluv. X, 2, relate que le Mont Bérécynthe « engendre une pierre appelée ‘couteau’ », genn©tai d' œn aÙtù l∂qoς kaloÚmenoς m£caira, « proche du fer », sidhrJ paraplsioς.
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particularités telles que le refus premier d’Attale et sa crainte face au courroux de la déesse elle-même, les nombreux détails géographiques du voyage vers Rome, les gestes de Claudia Quinta face à la déesse et les paroles qu’elle adressa à son image21 (uoltus in imagine diuae figit et hos edit crine iacente sonos), le miracle du navire désenvasé22 ou bien encore la description de la lauatio dans l’Almo. Hérodien pour sa part se montre plus précis dans son évocation de l’objet : selon ce qu’on dit (λέγουσιν), il s’agit d’une statue (tÕ ¥galma) issue du ciel (diopet◊ς), dont on ne connaît ni le bois (oÜte dὲ t¾n Ûlhn), ni l’ouvrier (oÜte tecnitîn Óstiς), qui n’est pas de facture humaine (oÙde yaustÕn ceirÕς ¢nqrwp∂nhς), et qui tomba jadis du ciel (p£lai œx oÙranoà katenecqÁnai) en Phrygie (œx tina tÁς Frug∂aς cîron)23. Dans le reste du texte, qui relate la demande présentée au Phrygiens par les Romains, puis le transport et l’arrivée à Rome, le terme employé est toujours ¥galma. Les propos d’Arnobe dans le Ad nationes sont quant à eux polémiques, naturellement destinés à dénoncer l’inanité d’une telle idole. En un premier passage, il moque les temps reculés (temporibus priscis) où les Pessinontiens adoraient un silex comme la Mère des dieux (coluisse silicem pro deum matre). Plus loin sa critique se fait plus mordante, tandis qu’il ne voit dans les récits historiques (historiae) que l’exposé de l’envoi par le roi Attale (missum rege ab Attalo) d’une 21 Le seul terme plus concret qu’emploie Ovide est donc imago (v. 317), auquel
toutefois A. Delcourt, Les pignora imperii, p. 25, adjoint domina (v. 340), qui « semble suggérer l’existence d’une statue », tandis que le pronom ipsa (v. 186) pourrait « désigner l’aérolithe assimilé à la déesse » ; R. Schilling en revanche dans l’édition de la CUF, p. 115, note 95, considère que le vers 277, illa sui per aquas fertur tutissima nati, « elle-même est portée à l’abri de tout danger sur les eaux de son fils », « suggère une statue de Cybèle plutôt que le bétyle signalé par TiteLive ». A. Delcourt cependant conclut bien à l’existence d’un lapis Matris deum parmi les sacra de la déesse, ajoutant que « l’expression servienne, au génitif éloquent, paraît le confirmer » ; Servius ferait ainsi partie des rares auteurs qui auraient suivi Tite-Live en mentionnant un bétyle : « C’est le cas toutefois d’Arn., VII, 11 ; Prud., Perist., 10, 156 et bien sûr, Serv. ad Aen., VII, 188 » (n. 30, nous soulignons). Le commentaire aux Géorgiques, I, 163, évoque in globo les sacra de la Mère des dieux : ... nam ipsa est etiam Ceres. Romae quoque sacra huius deae plaustris uehi consueuerant, « ... car [la Mère des dieux] est aussi Cérès. À Rome également on avait l’habitude de transporter sur des chars les objets sacrés de cette déesse. » 22 Le poète en atteste la véracité au vers 326 par les représentations scéniques de l’épisode : mira sed et scaena testificata loquar, qu’il évoquait déjà au vers 187 : scaena sonat ludique uocant : spectate, Quirites. 23 L’historien reprend alors l’étymologie qui rattache le nom de Pessinonte au verbe p∂ptw, « tomber » (ἐκ τοῦ πεσόντος ἀγάλματος ἐξ οὐρανοà).
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petite pierre (lapis quidam non magnus), facilement portée dans la main (ferri manu hominis sine ulla impressione qui posset), de couleur foncée et noirâtre (coloris furui atque atri), irrégulière avec des angles faisant saillie (angellis prominentibus inaequalis) ; Arnobe ajoute qu’à son époque (hodie), brute et rugueuse (indolatum et asperum), elle est enchâssée dans la statue à la place du visage (in signo oris loco positum), lui donnant une apparence nullement réaliste (faciem minus expressam simulatione praebentem). La critique s’achève sur une question rhétorique : qui croira qu’une pierre prise de la terre (terra sumptum lapidem), qu’aucun sens n’anime (sensu agitabilem nullo), d’un noir de suie et de petite taille (fuliginei coloris atque atri, parui corporis), était la Mère de dieux ? Le récit de Julien, enfin, mentionne dans un premier temps la statue sacro-sainte de la désse (tÁς qeoà tÕ ¡giώtaton ἄγαλμα), chargement sacré emporté sur un navire marchand (tÕn ≤erÕn fÒrton œnq◊nteς eÙreίᾳ fortίdi), puis, lorsque le navire s’enlise dans le Tibre, il évoque la force de cette statue, qui n’est certes pas inanimée (mὴ xόanon ἄyucon), mais douée d’une force supérieure et toute divine (dύnamίn tina meίζw kaὶ qeiot◊ran) ; Julien enfin expose les deux leçons que la déesse donna alors aux Romains (dύo taàta ᷾Rwmaίoiς ἔdeixen ἡ qeÒς), dont la principale est que ce chargement phrygien (ἀpÕ tÁς Frugίaς fÒrton) n’est pas humain mais bien divin (oὔte ὡς ἀnqrώpinon toàton, ἀllὰ ὄntwς qe√on), un être vivant et un bon génie (ἔmpnoun ti crÁma kaὶ daimόnion)24. On peut déduire de l’ensemble de ces textes que les anciens sont loin de s’accorder sur la nature de l’objet ou des objets qui symbolisaient à Rome la puissance de la déesse phrygienne ; les contradictions en effet sont importantes : s’agit-il d’une statue, d’une pierre, d’une pierre enchâssée dans une statue ? S’il s’agit d’une pierre, est-elle à la semblance d’un visage ? Doit-on la croire tombée du ciel ou tirée de la terre ? Rien ne nous permet d’en décider sans appel, car les anciens eux-mêmes ne sont pas catégoriques. Seuls les auteurs chrétiens semblent avoir réellement vu la représentation romaine de la Mère des dieux : au texte d’Arnobe s’ajoute la description moqueuse de la lauatio chez Prudence25, en un récit dont l’orientation doit nous rendre 24 Le récit s’achève en 161b tandis que Julien, face à certains « esprits forts », tineς tîn lίan sofîn, selon lesquels ce sont là « des ragots insupportables de petites vieilles », Ûqlouς graϊdίwn oÙk ἀnektoύς, exprime au contraire sa confiance envers « les traditions des cités », ta√ς pόlesi (trad. G. Rochefort). 25 Prud., Perist. X, 156-157 : lapis nigellus euehendus essedo/muliebris oris clausus argento sedet, « La pierre noire semblable à une tête de femme, transportée
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circonspects, puisqu’il s’agit dans ce cas également de ridiculiser l’adoration d’une idole, dès lors forcément décrite de manière péjorative. On a pu évoquer, pour expliquer les contradictions des descriptions, le caractère secret des objets sacrés de la déesse asiatique, inaccessibles aux non-initiés, tel qu’on peut le lire dans l’Histoire Auguste à propos d’Héliogabale26. Mais pour avoir été à l’origine plus mystérieux et inaccessible aux Romains, le culte métroaque n’en évolua pas moins au cours des siècles et l’on peut à juste titre s’étonner du fait qu’aucun autre auteur ne mentionne de façon parfaitement explicite l’image, quelle qu’elle fût, de la divinité27. Sans doute convient-il d’ailleurs de distinguer plusieurs représentations, l’une toujours conservée dans le sanctuaire de la déesse à Rome, d’autres utilisées, en divers lieux, lors des cérémonies en son honneur où sa présence était requise28. sur un char, est enchâssée dans l’argent ». Sur ce passage expliquant le mutisme de Cybèle chez Lucrèce, II, 265, voir K. Summers, « Lucretius Roman Cybele », Cybele, Attis and Related Cults. Essays in Memory of M. J. Vermaseren, edited by E. N. Lane, Leyde-New York-Cologne, E. J. Brill, 1996, p. 364. 26 H. A., Hel. III, 4 : sed ubi primum ingressus est urbem, omissis quae in prouincia gerebantur, Heliogabalum in Palatino monte iuxta aedes imperatorias consecrauit eique templum fecit, studens et Matris typum et Vestae ignem et Palladium et ancilia et omnia Romanis uerenanda in illud transferre templum, « Mais aussitôt entré dans Rome, délaissant les affaires de l’administration provinciale, il sacralisa Héliogabale au Palatin, à côté des appartements impériaux, et lui fit bâtir un temple. Il voulait y transférer l’image de la Grande Mère, le feu de Vesta, le Palladium, les boucliers sacrés et tout ce que les Romains vénèrent » ; VII, 1 : Matris etiam deum sacra accepit et tauroboliatus est, ut typum eriperet et alia sacra quae penitus habentur condita, « Il se fit initier aux mystères de la Mère des dieux et taurobolier, afin de dérober son image et d’autres objets sacrés que l’on garde cachés dans les profondeurs du sanctuaire » (trad. R. Turcan). 27 G. Thomas, « Magna Mater and Attis », ANRW II, 17, 3, p. 1508, revient sur l’idée de pratiques cultuelles orientales dont les « excès » auraient bridé les auteurs des IIe et Ier siècles. 28 Augustin, C. D. II, 4, évoque ainsi ses souvenirs d’adolescence à Carthage, lorsqu’il assistait aux « représentations sacrilèges » et « [se délectait] des jeux parfaitement dégradants qu’on offrait aux dieux et aux déesses, à la Vierge céleste, la Bérécynthienne, la Mère universelle » : ante cuius lecticam die sollemni lauationis eius talia per publicum cantitabantur a nequissimis scaenicis, qualia, non dico matrem deorum, sed matrem qualiumcumque senatorum uel quorumlibet honestorum uirorum, immo uero qualia nec matrem ipsorum scaenicorum deceret audire, « Et le jour solennel de sa purification, devant son brancard, on entendait psalmodier par des histrions sans vergogne, devant tout le monde, des choses telles qu’elles n’étaient pas audibles, je ne dirai même pas par la Mère des dieux, mais par la mère de n’importe quel sénateur ou honnête homme, voire par la mère des histrions en question » (trad. L. Jerphagnon).
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On notera enfin que la même disparité règne chez les modernes lorsqu’ils évoquent l’arrivée de Magna Mater à Rome ou les cérémonies annuelles en son honneur ; l’effigie de la déesse y est décrite de façon multiple : statue, simple pierre, aérolithe, météorite ou bétyle, statue incrustée, hystérolithe29... Les conjectures – ou les assertions définitives – ne sont pas toujours modérées par la prudence qu’imposent ces sources divergentes, dont les informations partielles ou partiales sont dès lors tenues pour vérités historiques, tant en synchronie qu’en diachronie. Prenons le seul cas de l’argent, mentionné uniquement par Prudence dans la formule clausus argento : le matériau devient une composante assurée de l’effigie, voire sa matière principale, et l’on peut lire ainsi des affirmations telles que : « Le char et les bœufs, encore ornés de fleurs printanières, revenaient au sanctuaire du Palatin, avec le mystérieux météorite, emblème de la Déesse, dans son cadre d’argent », ou bien « Les prêtres vont chercher la statue cultuelle, icone (sic) d’argent dont la pierre sacrée forme le visage30 » ou encore « Là on put adorer, enchâssée dans une statue d’argent dont elle constituait la face, la pierre noire en qui Servius n’hésite pas à voir l’un des gages sacrés de la perpétuité de Rome. » Le détail du poème de Prudence n’est pourtant en rien historique, trop vague qui plus est pour que l’on sache ce que désigne exactement le terme argentum31. Cet exemple est révélateur d’une certaine tendance des chercheurs à masquer l’incertitude des textes par une généralisation excessive. À mi-chemin de notre enquête, on voit combien il est difficile d’établir avec quelque certitude la forme que put revêtir la déesse phrygienne lors de son arrivée à Rome en 204 av. J.-C. tout autant que dans les siècles qui suivirent. Statue anthropomorphe, pierre figurative ou autre objet sacré, assemblage des deux : aucun chercheur ne saurait se montrer catégorique. On peut cependant admettre que le nombre de témoignages et les multiples précédents historiques rendent probable l’hypothèse d’un symbole lithique.
29 Cf. P. Saintyves, Les reliques et les images légendaires, Paris, Mercure de
France, 1912, Chapitre 5, « Talismans et reliques tombés du ciel », p. 208 : « Cette pierre fameuse était noire, de forme irrégulière, avec des angles saillants, assez petite pour qu’à Rome, où elle fut transportée par la suite, on ait pu la placer dans la bouche de la statue de Cybèle qu’elle défigurait. » 30 H. Graillot, Le culte de Cybèle, p. 139. 31 Dans l’édition de la CUF, ad loc., M. Lavarenne traduit clausus argento par « enfermée dans un coffret d’argent » ; cf. A. Ortega, dans la plus récente édition de la Biblioteca de autores cristianos (1981) : « encerrada en cofre de plata ».
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II. L’apparat critique servien et l’aiguille de Magna Mater Parmi les témoignages anciens évoquant la représentation de la Mère des dieux à Rome, la notice servienne, objet premier de cette étude, a également entraîné une grande diversité d’opinions chez les chercheurs qui se sont attachés à en éclaircir la teneur. Nous avons présenté le texte naguère tel que le publia G. Thilo dans l’édition Teubner de 1881, resté pour de nombreux livres des Commentarii le texte de référence. A. Delcourt note à juste titre le caractère « déroutant » de la séquence aius dans le texte servien32. En regard de l’incompréhensible aius du manuscrit F (Parisinus Latinus 7929), l’apparat critique de G. Thilo présente cependant trois termes : - acus, « aiguille », que Thilo présente comme issu des exemplaires imprimés qu’il a consultés33 ; - cestus, « ceinture », proposé en 1829 par Christian Auguste Lobeck34 ; 32 A. Delcourt, Les Pignora imperii, p. 20 ; l’auteure poursuit : « Dès lors, qui lit
acus, qui cestus, qui lapis ». Nous ne partageons pas en revanche l’idée selon laquelle la troisième interprétation est « la plus répandue », non plus que la note 1 affirmant que « depuis L. Preller, Römische Mythologie, Berlin, 1858, p. 544, note 5, prévaut la lecture lapis Matris deum » (traduit en page 2, note 1, par « le bétyle de la Mère des Dieux »). Les chercheurs, peu nombreux, qui conservent la crux dans le texte servien s’intéressent à d’autres éléments de la liste : cf. P. Assenmaker, « Pignus salutis atque imperii. L’enjeu du Palladium dans les luttes politiques de la fin de la République », LEC 75, 2007, p. 381 ; A. Pasqualini, « Oreste nel Lazio : percorso della leggenda e funzioni del mito », Οὐ πᾶν ἐφήμερον. Scritti in memoria di Roberto Pretagostini offerti da colleghi, a cura di C. Braidotti, E. Dettori, e E. Lanzillotta, Rome, Quasar, 2009, p. 1106. 33 On trouve ainsi la leçon acus dans l’édition de 1680 (Lugdunum Batavorum, apud Jacobum Hackium), puis notamment dans celles de P. Maaswyck (1717), P. Burman (1746) et A. Lion (1826). 34 C. A. Lobeck, Aglaophamus, sive de theologiae mysticae Graecorum causis liber tres, Göttingen, Duehrkohp und Radicke, 2001 (1829), p. 304 : « Num forte cestus latet ? » Si divers textes mentionnent bien une ceinture – cingulum chez Sénèque et Lactance, ἡ μίτρα chez Appien, ἡ ζώνη chez Hérodien et Julien –, c’est celle dont usa Claudia pour tracter le navire. Plus ambigu est le terme uittae employé par Solin, nauis a Phrygia gerula sacrorum, dum sequitur uittas castitatis, contulit Claudiae principatum pudicitiae, « Un navire de Phrygie, porteur d’objets sacrés, en suivant les bandelettes de la chasteté donna à Claudia le premier rang de la pudicité » : E. Schmidt, Kultürbertragungen, p. 7, note 2, considère qu’il s’agit des cheveux de Claudia (contra J. Gérard, « Légende et politique », p. 168) ; les cheveux sont clairement mentionnés par Claudien, Carm. 30, 17-18 (eodem flumine ducens/Claudia uirgineo cunctantem crine Cybelen) et par Sidoine Apollinaire, Carm. 24, 41-43 (qualis nec Phrygiæ dicata Vestæ,/quæ contra satis Albulam tumentem/duxit virgineo ratem capillo).
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- lapis, « pierre », conjecture de Ludwig Preller apparue en 188335. Dans son édition du livre VII des Commentarii et son article sur l’édition de Robert Estienne36, Giuseppe Ramires note, comme G. Thilo, que la leçon aius apparaît dans le manuscrit F, mais aussi dans le manuscrit Pa2 (Parisinus Latinus 7959). Comme la plupart des chercheurs citant ce passage, il choisit cependant la leçon acus, dont il précise qu’elle se trouve dans les deux manuscrits Le (Leidensis Voss. Lat. F25) et Pc (Parisinus Lat. 7961), ainsi que dans les notes marginales, désignées par le sigle Linc1, apposées au XVIe siècle par Robert Flemming dans le manuscrit Lincoln College 91 de la Bodleian Library37. Giuseppe Ramires signale par ailleurs dans l’apparat critique quatre conjectures supplémentaires : - ἄγαλμα, « statue», suggéré à Georg Thilo par son collègue Friedrich Schöll38 ; - βαίτυλος, « bétyle », évoqué par Wilhem Heraeus en 189939 ; - currus, « char », que propose l’année suivante Robert Benson Steele40 ; - nauis, « navire », défendu par Silvio Ferri en 195741. À ces sept propositions peuvent être ajoutées les quatre suivantes, que n’ont mentionnées aucun des deux éditeurs : 35 L. Preller, Römische Mythologie. Zweiter Band, Berlin, Weidmannsche
Buchhandlung, 1883, p. 170, note 2. (1958, p. 544, note 5), qui dit préférer lapis à cestus. Des trois termes acus, cestus et lapis, rappelons que seul le dernier se retrouve dans les textes anciens, chez Tite-Live, Arnobe et Prudence. 36 Cf. l’aparat critique de son édition, ad loc. et « Il ‘Servius Danielinus’ », p. 142. 37 Cf. G. Ramires, « Il ‘Servius Danielinus’ », p. 142, note 54 ; « Servio e l’Umanesimo inglese : Robert Flemmyng, allievo di Guarino Veroneses », Servius et sa réception de l’Antiquité à la Renaissance, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2011, p. 546. 38 Les vifs remerciements de G. Thilo apparaissent dans le volume II, Praefatio, p. III, de l’édition des Commentarii ; la suggestion d’amendement pour le commentaire ad VII, 188 est mentionnée en page IV. 39 W. Heraeus, « Zur Kritik und Erklärung der Serviusscholien », Hermes 34, 1899, p. 170. 40 R. B. Steele, « Notes on Servius », AJPh 21, 1900, p. 176 : « No satisfactory word resembling this in form has been suggested, and currus might as well be read ». 41 S. Ferri, « Esigenze archeiologiche e ricostuzione del testo III », SCO 6, 1957, p. 233 : « L’ogetto relativo alla Mater deum non è nè ‘acus’ nè ‘cestus’ (cfr. Thilo), ma deve sicuramente supplirsi n]auis Matris D. ; trattasi della famosa nave che trasportò il noto meteorite della ‘Mater Idaea’ da Pessinunte – Pergamo a Roma ».
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caus, = cos, « pierre dure »42 ; ἀκίς, « aiguillon »43 ; agdus, « roche »44 ; LIQOC, « pierre »45.
Ce sont là toutes les leçons et restitutions qui, à notre connaissance, constituent le dossier éditorial de la brève séquence servienne évoquant le pignus de la Mère des dieux. Les propositions d’amendement de la majorité des chercheurs restent prudentes et les lectures proposées sont le plus souvent présentées comme hypothétiques. Dans les études consacrées aux septem pignora imperii Romani, le terme lapis est retenu par P. Gross et A. Delcourt, tandis qu’acus est conservé par G. Martorana et suggéré par M. Van Doren. Pour les quelques chercheurs qui se sont intéressés à cet élément de manière plus incidente mais citent néanmoins le texte de Servius, la répartition se fait à peu près également entre acus et lapis – lorsque le passage n’est pas présenté en latin, on ne peut bien sûr être certain du terme à l’origine de la traduction46. De plus, selon l’auteur ancien suivi, l’analyse varie et le pignus Matris deum change de forme, mais le plus souvent, le questionnement historiographique est absent, la crédibilité des textes ou l’orientation des auteurs trop peu interrogées et dès lors les descriptions frappantes sont plus souvent préférées ; c’est ainsi que l’on parlera volontiers avec emphase d’une étrange pierre de foudre, d’un météorite mystérieux, d’un bétyle ou d’un aérolithe merveilleux, à partir surtout des textes de Tite-Live, d’Arnobe et de Prudence, dont on doit rappeler qu’ils ne sont pas en cohérence. 42 M. Falconet, « Dissertation sur la Pierre de la mère des Dieux », Mémoires de
littérature, tirés des registres de l’Académie royale des Inscriptions et BellesLettres 38, 1770, p. 385-386. 43 E. L. A. Eisenhart, De pignoribus imperii Romani locus Servii Gramm. ad Virgil. Aen. VII, v. CLXXXVIII expensus, Diss., Halmstad, 1786, p. 8. 44 E. L. A. Eisenhart, De pignoribus, p. 10 ; Agdus est le nom de la roche phrygienne d’où Deucalion et Pyrrha, pour repeupler le monde, jetaient des pierres dont l’une devint Magna mater : cf. Timothée ap. Arn., Ad Nat. V, 5, 2. 45 W. Heraeus, « Zur Kritik », p. 170 ; l’auteur tient lapis pour une lecture certes plus satisfaisante, mais peu vraisemblable. 46 Cf. par exemple C. Ando, « The Palladium and the Pentateuch : Towards a Sacred Topography of the Later Roman Empire », Phoenix 55, 2001, p. 394 : « ... the stone of the Mother of the Gods » ; même expression en anglais chez A. Cameron, The Last Pagans of Rome, p. 613 ; ou bien en allemand chez A. Hartmann, Zwischen Relikt un Reliquie. Objectbezogene Erinnerungspraktiken in antiken Gesellschaften, Berlin, Verlag Antike, 2010, p. 545 : « ... der Stein der Großen Mutter ».
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Quoi qu’il en soit, dans les éditions des commentarii la leçon acus est la plus fréquente, ce que l’on comprend aisément tout d’abord parce qu’elle est effectivement présente dans certains manuscrits, mais aussi parce que, pour ceux qui considère le texte lacunaire †aius, c’est la restitution la plus satisfaisante du point de vue paléographique. Comment justifier dès lors le terme acus – si c’est celui que l’on retient – dans la notice servienne ? Le sens du terme pose en effet question. Festus47 en donne la définition suivante : acus dicitur qua sarcinatrix uel etian ornatrix utitur ; paleae etiam quaedam de frumento acus dicuntur ; exercitus quoque instructio, quod ea pars militum uehementissima est ad hostem uulnerandum acumine telorum. « acus, ‘aiguille’, se dit de l’objet qu’utilise la couturière ou la maquilleuse ; certains fétus aussi, provenant du froment, sont appelés acus ; le front aussi d’une armée, parce que cette partie des soldats est celle qui blessera l’ennemi par la pointe des traits avec le plus de force. »
Parmi les dictionnaires modernes, tandis que le Gaffiot propose quatre traductions – « aiguille »/« épingle pour la chevelure »/« aiguille de chirurgien »/« ardillon d’une boucle » –, l’Oxford Latin Dictionary s’en tient à deux principales seulement : « A needle or pin »/« A hair pin ». Le Thesaurus Linguae Latinae, sous le générique « instrumentum » distingue six entrées48, et le passage de Servius est cité dans la catégorie « crinium retinendorum ornandorumve instrumentum49 ». Peut-on penser cependant qu’était conservée à Rome, comme gage de la puissance de l’Empire, une épingle à cheveu, une barrette, voire une fibule de la déesse Mère, ou son seul ardillon ? Certains ont pu le croire50, mais quoique ce fétichisme soit plausible – il en est de plus 47 Paul. Diac. ap. Fest. I, s. v. acus. Isidore, Orig. XX, 13, ne mentionne que le fer à friser, calamistrum acus est quae calefacta et adhibita calefacit et intorquet capillos : cf. Serv., ad Aen. XII, 100. 48 T.L.L., s. v. acus : 1. pungendi figendique instrumentum ; 2. crinium comendorum instrumentum ; 3. crinium retinendorum ornandorumue instrumentum ; 4. suendi instrumentum ; 5. varii usus instrumenta ; 6. proverbialiter. 49 « Serv. auct. Aen. 7, 188 septem fuerunt pignora quae Romanum imperium tenerent : acus (aius F) matris deum ». 50 Cf. A. Nadal, « Du Luxe des Dames Romaines », Mémoires de littérature tiréz des registres de l’Académie royale des Inscriptions et Belles-Lettres 4, 1723, p. 230 : « Les prestres de Cybele, au rapport de quelques auteurs, la coëffoient avec art. L’éguille, dont ils se servoient pour cet effet, est devenue, pour ainsi dire, miraculeuse. Servius la compte parmi les gages de la durée, & de la gloire de l’empire Romain, c’est-à-dire, avec les cendres des Veïens, le sceptre d’Oreste, çeluy de Priam, les boucliers sacrez, &c. Septem fuerint paria quae imperium
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surprenant –, il paraît cependant peu probable que le terme acus ait eu ce sens dans le commentaire servien et il est préférable de chercher ailleurs une interprétation plus satisfaisante. Giuseppe Ramires pour sa part rapproche le terme acus de la lapis Pessinuntae, précisant qu’il faut le saisir « metaforicamente, come una sineddoche51 » : la pointe de la pierre en représenterait l’ensemble. Si l’objet en question était bien une roche volcanique ou une météorite, « pierres auxquelles le caprice de la nature ou l’action des éléments attribuait des formes étranges d’idole52 », l’idée d’un pignus ainsi désigné n’est certes pas inepte. S’il est question de synecdoque, on peut aussi penser, avec à l’esprit la description d’Arnobe, que l’acus, « pierre saillante », représentait bien le seul visage de la déesse en regard de l’ensemble de la statue. Le terme cependant reste inusité, c’est en ce sens un hapax dont on doit se demander pourquoi il en vint à désigner cette pierre dans le seul texte servien. H. Graillot justifie le terme par la forme de l’objet : « C’est une pierre de petites dimensions et d’un poids léger, de forme irrégulière, mais plutôt conique, si bien qu’on la dénommait parfois ‘l’aiguille de la Mère des dieux’53 », sans préciser toutefois que ce « on » est unique. Une hypothèse expliquant l’emploi singulier du terme acus pour désigner cette pierre – et aucune autre –, nous semble se trouver chez le commentateur lui-même, mais aussi dans le poème qu’il glose. On trouve en effet le mot acus ailleurs chez Servius, toujours dans un contexte semblable, à quatre reprises. En III, 484, Virgile évoque le don que fit Andromaque à Ascagne d’une chlamyde phrygienne, Phrygiam chlamydem : Servius ad loc. en donne deux explications : PHRYGIAM CHLAMYDEM : aut acu pictam : huius enim artis peritos ‘phrygiones’ dicimus secundum Plautum ; in Phrygia enim inuenta est
Romani tenent, acus matris Deum. Tel est l’effet de la superstition, qui consacre toutes choses, qui en déguise l’origine & la destination, & les expose d’âge en âge à la crédulité des peuples, & au sourire des sages » ; L. Lacroix, Recherches sur la religion des Romains d’après les Fastes d’Ovide, Paris, Joubert, 1846, p. 257 : « Le temple de Pessinonte avait conservé son ancienne célébrité et ce fut de ce sanctuaire vénéré que les Romains firent venir la Mater Idaea pour la mettre au nombre des dieux tutélaires de leur patrie. Cette nouvelle superstition alla si loin qu’on en vint à placer parmi les sept gages fatals de Rome l’aiguille avec laquelle les Galles attachaient les cheveux de leur déesse quand ils lui faisaient sa toilette. » 51 G. Ramires, « Servio e l’Umanesimo inglese », p. 546. 52 H. Graillot, Le culte de Cybèle, p. 329. 53 Id., p. 328 ; on sait par ailleurs que de nombreux modelés montagneux acérés ou pointus portent le nom d’« aiguille ».
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haec ars : aut ob hoc addidit 'Phrygiam', quasi per quam patriae memoria retineretur. PHRYGIAM CHLAMYDEM : « soit ‘brodée à l’aiguille’ : selon Plaute en effet, nous appelons phrygiones ceux qui sont habiles en cet art » – c’est en effet en Phrygie que fut inventé cet art ; soit [Virgile] a ajouté ‘phrygienne’ pour cette raison que grâce à cette chlamyde, il conservait le souvenir de sa patrie ».
Au vers 582 du livre IX, c’est cette fois Virgile qui utilise le terme acus : alors que les Troyens combattent vaillamment, l’un deux porte une chlamyde brodée à l’aiguille, pictus acu chlamydem ; comme en écho, Servius explique qu’il s’agit d’une chlamyde phrygienne, chlamydem Phrygiam, citant à l’appui le vers III, 484 : PICTVS ACV CHLAMYDEM :
hoc est habens chlamydem Phrygiam, ut « et Phrygiam Ascanio chlamydem ».
PICTVS ACV CHLAMYDEM :
à savoir « portant une chlamyde phrygienne », comme dans « et une chlamyde phrygienne pour Ascagne ».
Les deux passages suivants sont plus troublants encore. Au livre IX encore, quelques vers après le précédent, Virgile relate le premier combat d’Ascagne, face au Rutule Numanus, qui défie les Troyens par ces mots : « Vous, vous aimez les étoffes rehaussées de safran et de pourpre brillante, vous aimez la fainéantise, vous vous plaisez aux danses où l’on s’abandonne, vos tuniques ont des manches, vos mitres, des rubans54. » Commentant l’expression « les étoffes rehaussées de safran », picta croco, le Servius auctus expose à son tour l’origine phrygienne de la broderie à l’aiguille : VOBIS PICTA CROCO :
uituperatio Troianorum, in qua utitur argumentis quae in rhetoricis commemorat Cicero, a gente, ab habitu, a gestu, ab animo. [(...) sane uestes acu pictas coloribus Phryges primi inuenerunt : nam ideo et artifices talium uestium phrygiones appellati sunt].
VOBIS PICTA CROCO :
c’est une vitupération des Troyens dans laquelle il utilise les arguments que Cicéron rappelle dans ses ouvrages rhétoriques : par la famille, par la tenue, par le geste, par l’esprit. [(...) D’autre part, les Phrygiens ont inventés les premiers les vêtements bridés de couleurs].
Or dans son apostrophe au Troyen, le Rutule avait qualifié les Troyens de « Phrygiens », avant de poursuivre : « Ô Phrygiennes – vraiment, car Phrygiens vous ne l’êtes – allez sur les sommets du Mont Didyme, 54 Virg., Aen. IX, 614-616 (trad. P. Flobert).
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vous y retrouverez vos habitudes, le chant de la flûte double. Les tambourins vous appellent et le buis bérécynthien de la Mère de l’Ida55 ». L’insulte est forte : pour les Rutules, les Troyens, avec leurs étoffes brodées à l’aiguille, acu pictae, ne sont que des Phrygiens adorateurs de Magna mater. La dernière notice servienne où apparaît acus confirme remarquablement ce rapprochement. C’est à nouveau Virgile qui emploie le terme en XI, 777, décrivant les armes du Troyen Chlorée : « il étincelait dans ses armes phrygiennes », dit le poète, « éblouissant dans l’éclat sombre d’une pourpre exotique (...) sa chlamyde safranée, les plis frémissants de sa robe de lin, (...) tout était broderie sur ses tuniques et sur ses braies barbares56 », pictus acu tunicas et barbara tegmina crurum. Le commentaire servien évoque à nouveau le caractère phrygien de cet habit : : 'pictus tunicas, pictus crurum barbara tegmina', id est habebat uestem phrygionis arte perfectam.
PICTVS ACV TUVNICAS ET BARBARA TEGMINA CRVRVM
PICTVS ACV TUVNICAS ET BARBARA TEGMINA CRVRVM :
« brodé quant à sa tunique, brodé quand à ses braies barbares », c’est-à-dire qu’il portait un vêtement ouvragé selon l’art d’un phrygion, « brodeur ».
Or précisément Chlorée, « prêtre jadis », avait dit Virgile au vers 768, était « consacré au culte de Cybèle » : sacer Cybelo Chloreus olimque sacerdos. Le propos virgilien dans tous ces passages est clair, tout comme sont explicites les explications de ses commentateurs : les Troyens, et dès lors leurs descendants romains, sont des Phrygiens, Cybèle est leur Magna Mater, déesse dont Rome avait acquis en 204 av. J.-C. la protection sacrée en recevant une pierre effilée la figurant. Est-il trop audacieux dès lors de voir dans les simples termes acus Matris deum désignant l’objet figurant la déesse une possible allusion à cet art de la broderie qui caractérise dans l’Énéide les Troyens, rudes guerriers aux tuniques brodées en l’honneur de la divinité des montagnes de leur enfance phrygienne ? On sait que le commentaire s’emploie fréquemment à dévoiler les allusions que Virgile a dissimulées dans son poème latenter, per transitum, clam, per silentium, non aperte, tacite, subtiliter... Il a pu rappeler ainsi l’importance qu’avait la Mère des
55 Virg., Aen. IX, 617-620 (trad. P. Flobert). 56 Virg., Aen. XI, 769-777 (trad. P. Flobert).
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dieux dans l’œuvre de Virgile57 et les mentions que le poète en fit au cours de son récit ; l’acus Matris deum, pierre sacrée, évoque ainsi, par sa forme tant que par le nom qui la désigne, l’aiguille brodeuse de Phrygie. Bibliographie Ando, C., « The Palladium and the Pentateuch : Towards a Sacred Topography of the Later Roman Empire », Phoenix 55, 2001, p. 369-410. Assenmaker, P., « Pignus salutis atque imperii. L’enjeu du Palladium dans les luttes politiques de la fin de la République », LEC 75, 2007, p. 381-412. Bömer, F. « Kybele in Rom. Die Geschichte ihres Kults als politisches Phänomen », MDAI(R) 71, 1964, p. 130-151. Borgeaud, P., La Mère des dieux, de Cybèle à la Vierge Marie, Paris, Éditions du Seuil, 1996. Bremmer, J., « The Legend of Cybel’s Arrival in Rome », Studies in Hellenistic Religions, edited by M. J. Vermaseren, Leyde, Brill, 1979, p. 9-22. Cameron, A., The Last Pagans of Rome, Oxford, Oxford University Press, 2011. Cancellieri, F., Le sette cose fatali di Roma antica, Rome, Luigi Perego Salvioni, 1812. Delcourt, A., Les pignora imperii, talismans de l’Empire, Mémoire de licence non publié, Louvain, Université Catholique de Louvain, 1996. Dumézil, G., La religion romaine archaïque, Paris, Payot, 2000 (1974). Eisenhart, E. L. A., De Pignoribus Imperii Romani locus Servii grammatici Ad Virgil. Aen. L. VII. v. CLXXXVIII expensus, Helmstadt, Leuckart, 1796. Falconet, M., « Dissertation sur la Pierre de la mère des Dieux », Mémoires de littérature, tirés des registres de l’Académie royale des Inscriptions et BellesLettres 38, 1770, p. 514. Ferri, S., « Esigenze archeiologiche e ricostuzione del testo III », SCO 6, 1957, p. 231-242. Gérard, J., « Légende et politique autour de la mère des dieux », REL 58, 1980, p. 153-175. Graillot, H., Le culte de Cybèle, Mère des Dieux, à Rome et dans l’Empire romain, Paris, Fontemoing et Cie, 1912. 57 Cf. T. P. Wiseman, « Cibele, Virgil and Augustus », Poetry and Politic at the Age of Augustus, edited by Tony Woodman ans David West, Cambridge, Cambridge University Press, 1984, p. 117-128.
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Dion Cassius, le dernier des « Annalistes » romains Marie-Laure Freyburger-Galland
Pour avoir participé en compagnie de Martine Chassignet à un colloque organisé à Nantes et Angers en 20031 et lu avec grand intérêt les introductions aux trois volumes de la CUF que cette collègue a consacrés aux « annalistes » latins, c’est avec plaisir que je voudrais m’associer à ce recueil d’hommages en questionnant de manière un peu paradoxale l’auteur qui m’est cher, Dion Cassius. En effet, un historien de langue grecque et d’époque sévérienne, héritier de toute la tradition historiographique et rhétorique grecque et latine, n’a sans doute pas, à première vue, beaucoup de ressemblances avec un Fabius Pictor ou un Postumius Albinus. Et pourtant, à y regarder de plus près… Dion Cassius écrit à la fin du IIe et au début du IIIe siècle de notre ère un ouvrage gigantesque, en 80 livres, consacré à l’histoire des Romains depuis l’arrivée d’Enée en Italie jusqu’à son époque, c’est-àdire le règne d’Alexandre Sévère. En cela, il s’inscrit dans la tradition livienne de l’Ab Vrbe condita. Mais peut-il être comparé aux prédécesseurs de l’historien latin ? Il sera intéressant de voir quelle(s) méthode(s) il utilise selon les périodes envisagées, du passé légendaire jusqu’au présent contemporain. Dion Cassius, un « annaliste tardif » ? Pour reprendre les éléments du débat, rappelés par Martine Chassignet dans son introduction au premier volume qu’elle consacre aux Annalistes2, on pourra s’interroger tout d’abord sur la dénomination même de cette œuvre monumentale. S’agit-il d’« histoire(s) » ou d’« annales » ? On pourrait répondre, dans un premier temps qu’il s’agit d’« Annales », au sens où l’entendent Aulu-Gelle3 et Isidore de 1 Grecs et Romains aux prises avec l’histoire, représentations, récits et idéologie, PUR, 2003. 2 L’Annalistique romaine, tome 1, p. VII-XIX. 3 N.A. 5, 18. 10.1484/M.RRR-EB.5.121311
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Séville4, c’est-à-dire d’une œuvre relatant des événements importants qui se sont produits sur le temps long, mis en ordre chronologique : Quaequae enim digna memoriae domi militiaeque, mari ac terrae per annos in commentariis acta sunt, ab anniuersariis gestis annales nominauerunt5.
Mais, si l’on en croit les participants antiques à ce débat, cette dénomination ne pourrait être valable que pour l’histoire du passé. Or, pour notre auteur, comme pour Tite-Live d’ailleurs, les derniers livres de leur œuvre sont contemporains et pourraient donc s’apparenter au genre des « Histoires », c’est-à-dire un récit reposant sur une expérience vécue et un jugement personnel concernant des événements contemporains, puisque … Historia est eorum temporum quae uel uidimus uel uidere potuimus, dicta ἀπὸ τοῦ ἱστορεῖν, id est a uidere uel cognoscere6…
Il s’agit donc d’un genre mixte auquel les Anciens eux-mêmes se sont efforcés de donner un titre et l’on trouve ainsi, en latin, des « Res gestae » et en grec des Ῥωμαῖκα7, ce qui est un titre commode qui n’engage en rien son rédacteur. De fait, en ce qui concerne Dion Cassius8, lorsqu’il parle de son œuvre, il ne l’appelle pas vraiment. Dans quelques fragments conservés, dans lesquels il expose son programme historiographique9, il utilise ἱστορία au singulier dans un contexte un peu mélodramatique, où Septime Sévère lui apparaît en songe et lui intime l’ordre d’« apprendre exactement ce qui se dit et ce qui se fait et d’en faire le récit » : Ἐν γὰρ πεδίῳ μεγάλῳ τινὶ πᾶσαν τὴν τῶν Ῥωμαίων δύναμιν ἐξωπλισμένην ὁρᾶν τεθνηκότος αὐτοῦ ἤδη ἔδοξα, καὶ ἐνταῦθα τὸν Σεουῆρον ἐπί τε γηλόφου καὶ ἐπὶ βήματος ὑψηλοῦ καθήμενον διαλέγεσθαί τι αὐτοῖς. καί με προσστάντα ἰδὼν ὅπως τῶν λεγομένων ἀκούσω, "δεῦρο" ἔφη, "Δίων, ἐνταῦθα πλησίον πρόσελθε, ἵνα πάντα καὶ τὰ λεγόμενα καὶ τὰ γιγνόμενα καὶ μάθῃς ἀκριβῶς καὶ συγγράψῃς"10. 4 Origines, I, 44. 5 Origines, I, 44, 3. 6 Cf. Isidore, Or. I, 41, 1. 7 Cf. e.g. Denys d’Halicarnasse à propos de Fabius Pictor, A.R. VII, 71, 1. 8 Sur la méthode historique de Dion Cassius, cf. M.-L. Freyburger-Galland, Aspect
du vocabulaire politique et institutionnel de Dion Cassius, Paris, 1997, p. 13-15. 9 Cf. M.-L. Freyburger-Galland, « La conception de l’histoire chez Dion Cassius » in Grecs et Romains aux prises avec l’histoire, tome I, PUR, 2003, p. 110-111. 10 78, 10, 1-2.
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« J’ai cru voir dans une grande plaine toutes les forces romaines en armes et Sévère assis sur une colline à une tribune élevée discuter avec les troupes. En me voyant me placer auprès de lui pour entendre ce qui se disait, il me dit : “Viens ici, Dion, approche-toi, pour apprendre exactement ce qui se dit et ce qui se fait et en faire le récit”. »
Toujours dans une mise en scène onirique, la Tyché lui apparaît pour lui ordonner « d’écrire l’histoire » : …καί μοι καθεύδοντι προσέταξε τὸ δαιμόνιον ἱστορίαν γράφειν. καὶ οὕτω δὴ ταῦτα περὶ ὧν νῦν καθίσταμαι ἔγραψα. καὶ ἐπειδή γε τοῖς τε ἄλλοις καὶ αὐτῷ τῷ Σεουήρῳ μάλιστα ἤρεσε, τότε δὴ καὶ τἆλλα πάντα τὰ τοῖς Ῥωμαίοις προσήκοντα συνθεῖναι ἐπεθύμησα· καὶ διὰ τοῦτο οὐκέτι ἰδίᾳ ἐκεῖνο ὑπολιπεῖν ἀλλ´ ἐς τήνδε τὴν συγγραφὴν ἐμβαλεῖν ἔδοξέ μοι, ἵν´ ἐν μιᾷ πραγματείᾳ ἀπ´ ἀρχῆς πάντα, μέχρις ἂν καὶ τῇ Τύχῃ δόξῃ, γράψας καταλίπω. τὴν δὲ δὴ θεὸν ταύτην ἐπιρρωννύουσάν με πρὸς τὴν ἱστορίαν εὐλαβῶς πρὸς αὐτὴν καὶ ὀκνηρῶς διακείμενον, καὶ πονούμενον ἀπαγορεύοντά τε ἀνακτωμένην δι´ ὀνειράτων, καὶ καλὰς ἐλπίδας περὶ τοῦ μέλλοντος χρόνου διδοῦσάν μοι ὡς ὑπολειψομένου τὴν ἱστορίαν καὶ οὐδαμῶς ἀμαυρώσοντος, ἐπίσκοπον τῆς τοῦ βίου διαγωγῆς, ὡς ἔοικεν, εἴληχα, καὶ διὰ τοῦτο αὐτῇ ἀνάκειμαι. συνέλεξα δὲ πάντα τὰ ἀπ´ ἀρχῆς τοῖς Ῥωμαίοις μέχρι τῆς Σεουήρου μεταλλαγῆς πραχθέντα ἐν ἔτεσι δέκα, καὶ συνέγραψα ἐν ἄλλοις δώδεκα· τὰ γὰρ λοιπά, ὅπου ἂν καὶ προχωρήσῃ, γεγράψεται. « … La divinité m’enjoignit durant mon sommeil d’écrire l’histoire. C’est ainsi que je me mis à écrire le récit qui m’occupe actuellement (= le récit des guerres civiles qui ont suivi la mort de Commode) … et désirai faire un récit complet de tous les autres événements concernant les Romains. Et pour cette raison je décidai de ne pas laisser ce travail à part mais de l’intégrer dans cette histoire et de laisser rédigés en un seul ouvrage tous les événements depuis le début jusqu’où il paraîtra bon au Destin11… »
On voit bien que dans ce texte le terme ἱστορία, toujours au singulier, domine pour désigner le grand œuvre entrepris, avec le sens ancien qui remonte à Hérodote, celui d’« enquête12 » tandis que le récit des guerres civiles de 192, qui ont amené sur le trône Septime Sévère est appelé simplement συγγραφή, alors que ce pourrait être l’équivalent des historiae… Dans un fragment susceptible d’appartenir à la préface de son ouvrage, Dion précise : 11 72, 23, 1-4. 12 Cf. M.-L. Freyburger-Galland, art. cit., note 8, p. 111.
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« J’ai l’ambition de faire le récit de tout ce que les Romains ont accompli en temps de paix comme en temps de guerre, de sorte qu’eux-mêmes ou les autres peuples n’aient à regretter l’absence d’aucun événement important13. »
et, sans doute un peu plus loin, indique : « Je raconterai jusqu’au bout les affaires des Romains (τὰ τῶν Ῥωμαίων) selon mes possibilités14… »
Rien d’étonnant alors que l’on trouve en référence à ce que nous appelons l’Histoire romaine, l’expression très vague Τὰ Ῥωμαῖκα. Cette œuvre rapporte les événements de près de mille ans de l’histoire des Romains, en 80 livres, mais seuls 25 nous sont parvenus en entier. Il s’agit des livres 36 à 60, c’est-à-dire ceux qui relatent les événements de 79 avant J.-C. jusqu’en 46 de notre ère, du « règne » de Pompée à celui de Néron. Pour les autres, nous possédons des résumés d’époque byzantine qui, comme pour les Periochae de Tite-Live, nous permettent de nous faire une idée d’ensemble du récit, ainsi que de nombreux fragments d’intérêt très inégal. Il nous manque donc le récit des origines et celui de l’essentiel de la République romaine, ainsi que la plus grande partie du Haut-Empire. Mais, en nous fondant sur ce grand quart conservé de l’œuvre entière, nous pouvons constater que, hormis les livres 36 et 58 amputés de leur début dans tous les manuscrits, chacun se présente muni d’un « chapeau » contenant un sommaire et une datation très précise comme en témoignent les exemples que nous allons donner. Ainsi au début du livre 41, on trouve ce texte : Τάδε ἔνεστιν ἐν τῷ M̅A̅ τῶν Δίωνος Ῥωμαικῶν α. Ὡς Καῖσαρ ἐς τὴν Ἰταλίαν ἦλθε καὶ Πομπήιος ἐκλιπὼν αὐτὴν ἐς Μακεδονίαν διέπλευσεν. β. Ὡς Καῖσαρ Ἰβηρίαν παρεστήσατο. γ. Ὡς Καῖσαρ ἐς Μακεδονίαν ἐπὶ Πομπήιον διέπλευσεν. δ. Ὡς Καῖσαρ καὶ Πομπήιος περὶ Δυρράχιον ἐπολέμησαν. ε. Ὡς Καῖσαρ Πομπήιον περὶ Φάρσαλον ἐνίκησεν. Χρόνου πλῆθος ἔτη β', ἐν οἷς ἄρχοντες οἱ ἀριθμούμενοι οἵδε ἐγένοντο Λ. Κορνήλιος Π. υἱ. Λεντοῦλος καὶ Κ. Κλαύδιος Μ. υἱ. Μάρκελλος ὓπ. Γ. Ἰούλιος Γ. υἱ. Καῖσαρ, τὸ β' καὶ Π. Σερουίλιος Π. υἱ. Ἰσαυρικός ὓπ. « Voici ce que contient le quarante et unième livre de l’Histoire romaine de Dion : 13 I, 1 14 1, 2, 4.
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1. Comment César vint en Italie et comment Pompée la quitta et fit voile vers la Macédoine. 2. Comment César soumit l’Espagne. 3. Comment César fit voile contre Pompée en Macédoine. 4. Comment César et Pompée combattirent près de Dyrrachium. 5. Comment César vainquit Pompée près de Pharsale. Durée de deux années pendant lesquelles ont été comptés comme magistrats les personnages suivants : L. Cornelius P.f. Lentulus et Claudius M. f. Marcellus, consuls C. Iulius C.f. Caesar pour la deuxième fois et P. Seruilius P.f. Isauricus, consuls15. »
Cette datation qui correspond aux années 49-48 est rigoureusement exacte et est conforme aux données des Fasti Consulares. Elle est en outre reprise, en abrégé, à l’intérieur même du livre. Ainsi, lorsqu’on aborde l’année 49, on trouve la phrase : …ἐν αὐτῇ τῇ νουμηνίᾳ ἐν ᾗ ὅ τε Λέντουλος ὁ Κορνήλιος καὶ ὁ Κλαύδιος ὁ Γάιος τὴν ἀρχὴν ἐνεστήσαντο (41, 1, 1). « … aux calendes, précisément le jour où Cornelius Lentulus et Caius Claudius entrèrent en charge ».
Puis pour annoncer l’année 48, on lit : Τῷ δὲ ἐχομένῳ ἔτει διττοί τε τοῖς Ῥωμαίοις ἄρχοντες παρὰ τὸ καθεστηκὸς ἐγένοντο, καὶ μάχη μεγίστη δὴ συνηνέχθη. Οἱ μὲν γὰρ ἐν τῷ ἄστει καὶ ὑπάτους τόν τε Καίσαρα καὶ Πούπλιον Σερουίλιον, καὶ στρατηγοὺς, τά τε ἄλλα τὰ ἐκ τῶν νόμων ᾕρηντο (41, 43, 1). « L’année suivante, les Romains eurent des magistratures doubles, contrairement à la pratique établie et il se livra une très grande bataille. À Rome on avait élu au consulat César et Publius Servilius, à la préture et aux autres magistratures conformément à la règle… »
Prenons un autre exemple, celui du livre 50 : Τάδε ἔνεστιν ἐν τῷ πεντηκοστῷ Ν̅ τῶν Δίωνος Ῥωμαϊκῶν. α. Ὡς Καῖσαρ καὶ Ἀντώνιος πολεμεῖν ἀλλήλοις ἤρξαντο. β. Ὡς Καῖσαρ Ἀντώνιον περὶ Ἄκτιον ἐνίκησεν. Χρόνου πλῆθος ἔτη δύο ἐν οἷς ἄρχοντες οἱ ἀριθμούμενοι οἵδε ἐγένοντο Γν. Δομίτιος Λ. υἱὸς Γν. ἐγγ. Ἀηνόβαρβος Γ. Σόσσιος Γ. υἱὸς Τ. ἐγγ. ὕπ. Καῖσαρ τὸ γʹ Μ. Οὐαλέριος Μ. υἱὸς Μεσσάλας Κορουῖνος ὕπ. « Contenu du livre 50 de l’Histoire romaine de Dion : 15 Trad. V. Fromentin dans la CUF.
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1. Comment César16 et Antoine ont commencé à se combattre. 2. Comment César vainquit Antoine à Actium. Période de deux années pendant lesquelles furent dénombrés comme magistrats les personnages suivants : Gn(aeus) Domitius Ahenobarbus, fils de L(ucius) et petit-fils de Gn(aeus) et G(aius) Sosius, fils de G(aius) et petit-fils de T(itus), consuls César, pour la troisième fois et M(arcus) Valerius Messala Corvinus, fils de M(arcus), consuls17. »
On notera l’extrême précision de la filiation de Domitius Ahenobarbus et de Sosius puisque sont indiqués les prénoms des pères et grandspères. Ces renseignements sont aussi confirmés par les documents officiels18. Le texte grec traduit exactement le latin : Cn. Domitius L.f. Cn.n. Ahenobarbus et C. Sosius C. f. T. n.
Là encore, le passage des années est signalé au moment opportun dans le livre puisqu’on lit, pour le début de l’année 32 : μέχρις οὗ ὅ τε Δομίτιος ὁ Γναῖος καὶ ὁ Σόσσιος ὁ Γάιος, ἀμφότεροι τῆς τοῦ Ἀντωνίου μερίδος ὄντες, ὑπάτευσαν (50, 2, 2). « … jusqu’au moment où Cn. Domitius et C. Sosius, tous deux partisans d’Antoine, devinrent consuls ».
Puis, un peu plus loin, nous lisons, pour annoncer l’année 31 : μετὰ δὲ δὴ ταῦτα ἦσαν μὲν ὕπατοι ἐς τὸ ἐχόμενον ἔτος ὅ τε Καῖσαρ καὶ ὁ Ἀντώνιος προαποδεδειγμένοι τότε ὅτε ἐς τὰ ὀκτὼ ἔτη τὰς ἀρχὰς ἐσάπαξ προκατεστήσαντο, καὶ τό γε τελευταῖον ἐκεῖνο ἦν· παραλυθέντος δὲ τοῦ Ἀντωνίου, ὥσπερ εἶπον, ὁ Μεσσάλας ὁ Οὐαλέριος ὁ προγραφείς ποτε ὑπ´ αὐτῶν ὑπάτευσε μετὰ τοῦ Καίσαρος (50, 10, 1). « Après ces événements devaient être consuls pour l’année suivante Octavien et Antoine, qui avaient été désignés d’avance au moment où ils avaient établi une fois pour toutes les charges pour huit années dont c’était alors la dernière. Mais, comme Antoine avant été destitué de sa charge, ainsi que je l’ai dit, c’est Valerius Messala, proscrit naguère par eux, qui devint consul avec Octavien. »
16 Dion appelle « César » entre les livres 45 et 53 celui que nous appelons « Octavien », avant de l’appeler « Auguste », conformément à la titulature officielle. 17 Traduction M.-L. Freyburger dans la CUF. 18 Cf. A. Degrassi, Fasti Capitolini, p. 121, 137 et 171.
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Une présentation annalistique sujette à caution ? On peut légitimement se demander si cette présentation très « pédagogique » ressortit à l’auteur lui-même. Elle figure en tout cas dans tous les manuscrits conservés et repose sur une étude objective et du contenu de chaque livre et sur une datation très précise confirmée par les Fasti Consulares. Elle est certainement ancienne car, dans le manuscrit le plus ancien que nous ayons conservé, le Vaticanus Graecus 1288, qui contient des parties importantes des derniers livres de l’Histoire romaine et que l’on date du Ve siècle de notre ère, on trouve le « chapeau » qui appartient sans doute au livre 79 et couvre en tout cas les cinq années du règne d’Héliogabale, soit 218-22219. On peut traduire comme suit l’annonce de la chronologie du livre : Durée du restant du consulat de Macrin et d’Adventus et des quatre années suivantes années pendant lesquelles ont été comptés comme magistrats les personnages suivants : Le Faux Antonin, pour la deuxième fois et Q. Tineius Sacerdos Le Faux Antonin pour la troisième fois et M. Valerius Comazon C. Vettius Gratus Sabinianus et M. Flavius Vitellius Seleucus Le Faux Antonin pour la quatrième fois et M. Aurelius Severus Alexander20.
Précisons que Dion appelle successivement Varius Avitus Bassianus, qui prit volontairement le nom syrien de prêtre du dieu-Soleil, Elagabal ou Héliogabale, de surnoms variés comme le « Faux Antonin » (Ψευδαντωνῖνος) ou encore « Sardanapale ». Il est choqué en effet que, comme Caracalla, il ait usurpé le nom d’Antonin resté dans la mémoire des Romains comme celui d’un excellent empereur. Nous avons donc de bonnes raisons pour penser que les livres rapportant l’histoire de la République et celle de l’Empire présentaient ces indications chronologiques, probablement dès 509, et donc sans doute dès le livre III puisque les deux premiers livres semblent consacrés à la fondation de Rome et à la période royale. Pour les livres dont nous n’avons que le résumé, quelques passages montrent bien la structure annalistique et la datation par les consuls éponymes, même s’il arrive à l’abréviateur d’estropier l’un ou l’autre nom. Ainsi, dans ce qui correspond au livre 6 de l’Histoire romaine, 19 Cf. Attilio Degrassi, I fasti consolari dell'impero romano dal 30 avanti Cristo al 613 dopo Cristo, Rome, 1952. 20 Traduction personnelle.
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on trouve chez Jean Zonaras21 la notation suivante : « L’année suivante, quand Marcus Genucius et Gaius Curtius étaient consuls22… » (ce qui correspond à l’année 445) ; plus loin, au livre 1023, on lit « Sous le consulat de Quintus Fabius et Aemilius (erreur pour Mamilius) », ce qui correspond à l’année 265 ; plus loin encore, Zonaras écrit en résumant le livre 11 : « L’année suivante, Publius Gaius et Aurelius Servilius allèrent en Sicile24… » Il s’agit bien de l’année 252, mais l’abréviateur, peu au fait des tria nomina, mélange les noms de Publius Servilius et Gaius Aurelius. Pour les livres impériaux, si par exemple, nous n’avons plus le « chapeau » du livre 58, qui est le deuxième consacré au règne de Tibère, le contenu suit bien la chronologie avec indication des consuls. Ainsi en 58, 17, on lit : « … L’année suivante quand Gnaeus Domitius et Camillus Scribonianus devinrent consuls ». Il s’agit de l’année 32 de notre ère. Puis, en 20, 5 : « … L’année suivante, quand Servius Galba (qui plus tard devint empereur) et Lucius Cornelius devinrent consuls. » Il s’agit de l’année 33. En 24, 1, Dion indique : « La 20e année du règne de Tibère… les consuls Lucius Vitellius et Fabius Persicus… » Nous sommes en 34. En 25, 2, « Après cela, Gaius Gallus et Marcus Servilius devinrent consuls. » Il s’agit de l’année 35. En 26, 5, « Sous le consulat de Sextus Papinius et de Quintus Plautius… » Il s’agit de l’année 36. Et, en 27, 1, Dion indique que l’empereur mourut au printemps suivant, « sous le consulat de Gnaeus Proculus et de Pontius Nigrinus », donc en 37. Pour le livre 60, qui nous est parvenu sans « chapeau » et amputé à la fin de six bons paragraphes, et qui correspond au règne de Claude, nous lisons dans le cours du récit que « Claude devint consul avec Gaius Largus » (10, 1), ce qui correspond au début de l’année 42, puis « Après cela, Claude redevint consul, pour la troisième fois » (17, 1), ce qui correspond au début de 43, puis « Plus tard, quand Gaius Crispus et Titus Statilius (pour la deuxième fois) étaient consuls » (23, 1), donc en 44, puis encore « L’année suivante, Marcus Vicinius (pour la deuxième fois) et Statilius Coruinus devinrent consuls » (25, 1), donc en 45, puis « À la fin de cette année-là, Valerius Asiaticus (pour 21 Historien byzantin du XIIe siècle qui écrivit une histoire du monde de la
Création jusqu’en 1143 qu’il intitule Epitomè Historion. Pour l’époque romaine, il suit de près Dion Cassius mais il ne possède déjà plus les livres 22 à 43. 22 Zonaras, 7, 19. 23 Zonaras, 8, 7. 24 Zonaras, 8, 14.
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la deuxième fois) et Marcus Silanus devinrent consuls » (27, 1), ce qui annonce l’année 46. Mais, à partir de la fin du paragraphe 28, le livre est lacunaire et c’est l’abréviateur Jean Xiphilin qui résume ce qui correspondait au paragraphe 29 en écrivant : « L’année suivante qui était la 800e année de Rome, Claude devint consul pour la quatrième fois et Lucius Vitellius pour la troisième »25, ce qui correspond à l’année 47, mais c’est la dernière indication chronologique du livre qui se termine avec la mort de Claude, en 54, dont la datation est rapportée en ces termes : μετήλλαξε, τῇ τρίτῃ καὶ δεκάτῃ τοῦ Ὀκτωβρίου, ζήσας ἑξήκοντα καὶ τρία ἔτη καὶ μῆνας δύο καὶ ἡμέρας τρεῖς καὶ δέκα, αὐταρχήσας δὲ ἔτη τρία καὶ δέκα καὶ μῆνας ὀκτὼ καὶ ἡμέρας εἴκοσι. « … il mourut le 13 octobre, après avoir vécu soixante-trois ans et régné treize ans, huit mois et vingt jours26 ».
La division en livres, quant à elle, semble très ancienne et probablement due à l’auteur lui-même, tant la répartition paraît harmonieuse et logique, que ce soit pour les origines, la période républicaine ou l’Empire. En effet, comme nous l’avons vu, les origines de Rome sont évoquées par les deux premiers livres, tandis que le récit de la République se développe sur les 48 suivants. Pour autant que l’on puisse reconstituer la trame chronologique, les Guerres Puniques occupent dix livres, de 11 à 21. Les événements de la fin de la République nous sont rapportés intégralement et l’on voit que l’affrontement entre Pompée et César occupe les livres 36 à 41, le « règne » de César les livres 42-44, l’affrontement entre Antoine et Octavien cinq livres (45-50) le « règne » d’Auguste cinq livres (5156), celui de Tibère deux livres (57-58), celui de Caligula, un (59), celui de Claude, un (60), celui de Néron trois (61-63), et ainsi de suite, nous semble-t-il, pour tous les empereurs jusqu’à Alexandre Sevère. Dion Cassius, un biographe malgré lui ? Nous noterons cependant qu’insensiblement, à partir du « règne » de Pompée la présentation devient nettement biographique, tout en se coulant dans le moule annalistique. D’ailleurs l’abréviateur Xiphilin ne s’y est pas trompé puisque il rédige au XIe siècle un « Résumé de l’histoire romaine de Dion de Nicée qu’a composé Jean Xiphilin, 25 Xiphilin 141, 30. 26 Xiphilin, 146, 5 = Dion Cassius, 60, 34, 3. Traduction personnelle.
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comprenant les règnes des 25 Césars depuis Pompée le Grand jusqu’à Alexandre, fils de Mammaea27 ». Remarquons que, pour arriver à 25 Césars, il compte Octavien et Auguste comme deux personnages différents… Pour Dion, c’est au livre 51 que commence le Principat qu’il date très exactement du 2 septembre de l’année du consulat d’Octavien et de Valerius Messala Corvinus, c’est-à-dire de la bataille d’Actium : Τοιαύτη τις ἡ ναυμαχία αὐτῶν τῇ δευτέρᾳ τοῦ Σεπτεμβρίου ἐγένετο. τοῦτο δὲ οὐκ ἄλλως εἶπον (οὐδὲ γὰρ εἴωθα αὐτὸ ποιεῖν) ἀλλ´ ὅτι τότε πρῶτον ὁ Καῖσαρ τὸ κράτος πᾶν μόνος ἔσχεν, ὥστε καὶ τὴν ἀπαρίθμησιν τῶν τῆς μοναρχίας αὐτοῦ ἐτῶν ἀπ´ ἐκείνης τῆς ἡμέρας ἀκριβοῦσθαι. « Telle fut à peu près la bataille navale qu’ils se livrèrent le 2 septembre. Si j’ai donné cette date précise, contrairement à mon habitude, c’est parce que, pour la première fois alors Octavien détint seul tout le pouvoir. Aussi le dénombrement des années de son règne (τῆς μοναρχίας αὐτοῦ) se fait-il exactement de ce jour28 » (51, 1, 1).
De la même façon, nous trouvons au livre 56, après le récit de la mort d’Auguste la précision suivante : Kαὶ ὁ μὲν οὕτω τῇ ἐννεακαιδεκάτῃ τοῦ Αὐγούστου, ἐν ᾗ ποτε τὸ πρῶτον ὑπάτευσε, μετήλλαξε, ζήσας μὲν πέντε καὶ ἑβδομήκοντα ἔτη καὶ μῆνας δέκα καὶ ἡμέρας ἓξ καὶ εἴκοσι (τῇ γὰρ τρίτῃ καὶ εἰκοστῇ τοῦ Σεπτεμβρίου ἐγεγέννητο), μοναρχήσας δέ, ἀφ´ οὗ πρὸς τῷ Ἀκτίῳ ἐνίκησε, τέσσαρα καὶ τεσσαράκοντα ἔτη, δεκατριῶν ἡμερῶν δέοντα. « Le 19 août, le jour où il devint consul pour la première fois, il mourut après avoir vécu soixante-quinze ans dix mois et vingt-six jours (il était né le 23 septembre) et avoir régné à partir de sa victoire près d’Actium quarante-quatre ans moins treize jours29 » (56, 30, 5).
Le livre 57 commence par une présentation du successeur d’Auguste qui occupe le premier chapitre. La mort de Tibère est rapportée à la fin du livre 58 et datée de façon précise : οὕτω μετήλλαξε τῇ ἕκτῃ καὶ εἰκοστῇ τοῦ Μαρτίου ἡμέρᾳ. ἐβίω δὲ ἑπτὰ καὶ ἑβδομήκοντα ἔτη καὶ μῆνας τέσσαρας καὶ ἡμέρας ἐννέα, ἀφ´ ὧν ἔτη μὲν δύο καὶ εἴκοσι μῆνας δὲ ἑπτὰ καὶ ἡμέρας ἑπτὰ ἐμονάρχησε.
27 U. P. Boissevain, Cassius Dio, tome III. 28 Traduction M.-L. Freyburger pour la CUF. 29 Traduction personnelle.
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« Il mourut le 26 mars30, vécut soixante-dix-sept ans, quatre mois et neuf jours, et régna vingt-deux ans, sept mois et sept jours31 » (58, 28, 5).
Le livre 59 présente un portrait moral de Caligula qui occupe les six premiers chapitres et l’on peut y lire : « C’est à un tel empereur que les Romains furent livrés » (59, 5, 1). Mais ce livre est amputé de sa fin et c’est grâce à Xiphilin que nous apprenons qu’il régna trois ans neuf mois et vingt-huit jours32, comme il nous apprend que Claude « mourut le 13 octobre, après avoir vécu soixante-trois ans, deux mois et treize jours et régné treize ans, huit mois et vingt jours33 ». μετήλλαξε, τῇ τρίτῃ καὶ δεκάτῃ τοῦ Ὀκτωβρίου, ζήσας ἑξήκοντα καὶ τρία ἔτη καὶ μῆνας δύο καὶ ἡμέρας τρεῖς καὶ δέκα, αὐταρχήσας δὲ ἔτη τρία καὶ δέκα καὶ μῆνας ὀκτὼ καὶ ἡμέρας εἴκοσι.
C’est toujours à Xiphilin que nous devons de savoir que Vespasien ἔζησε δὲ ἔτη ἐννέα καὶ ἑξήκοντα καὶ μῆνας ὀκτώ, ἐμονάρχησε δὲ ἔτη δέκα ἡμερῶν ἓξ δέοντα, « vécut soixante-neuf ans et huit mois et régna dix ans moins six jours34 ». Mais l’abréviateur ajoute une notation chronologique intéressante : Κἀκ τούτου συμβαίνει ἐνιαυτόν τε καὶ δύο καὶ εἴκοσιν ἡμέρας ἀπὸ τοῦ θανάτου τοῦ Νέρωνος μέχρι τῆς τοῦ Οὐεσπασιανοῦ ἀρχῆς διελθεῖν. Ἔγραψα δὲ τοῦτο τοῦ μή τινας ἀπατηθῆναι, τὴν ἐξαρίθμησιν τοῦ χρόνου πρὸς τοὺς τὴν ἡγεμονίαν ἔχοντας ποιουμένους. Ἐκεῖνοι μὲν γὰρ οὐ διεδέξαντο ἀλλήλους, ἀλλὰ ζῶντός τε καὶ ἔτι ἄρχοντος ἑτέρου ἕκαστος αὐτῶν ἐπίστευσεν αὐτοκράτωρ, ἀφ´ οὗ γε καὶ ἐς τοῦτο παρέκυψεν, εἶναι· δεῖ δ´ οὐ πάσας σφῶν τὰς ἡμέρας ὡς καὶ ἐφεξῆς ἀλλήλαις ἐκ διαδοχῆς γενομένας ἀριθμεῖν, ἀλλ´ ἐφάπαξ πρὸς τὴν ἀκρίβειαν τοῦ χρόνου, καθάπερ εἴρηταί μοι, λογίζεσθαι. Τούτου δὲ τελευτήσαντος ὁ Τίτος τὴν ἀρχὴν διεδέξατο. « Il résulte de cela que de la mort de Néron jusqu’au règne de Vespasien il s’écoula un an et vingt-deux jours. J’ai écrit cela pour que certains ne se trompent pas en faisant le décompte du temps concernant ceux qui détenaient le pouvoir. Car ils ne se sont pas succédé, mais chacun d’eux, alors que son prédécesseur était encore vivant et au pouvoir, s’est cru empereur à partir du moment où il l’envisageait. Il ne faut donc pas compter tous les jours de leurs règnes comme s’ils s’étaient suivis par 30 Il semble que ce soit une erreur de notre historien : Tibère serait mort le 16 mars. 31 Traduction personnelle. 32 172, 20-22. 33 146, 5. Traduction personnelle. 34 211, 1-2 = Dion 66, 17.
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succession, mais calculer en une fois selon le laps de temps précis, comme je l’ai établi35. »
Cette réflexion concernant la crise de 68-69 et les règnes de Galba, Othon et Vitellius est assurément empruntée directement à Dion Cassius. Cette « année des quatre empereurs », puisqu’il faut encore ajouter Vespasien qui s’impose en décembre 69, évoque très certainement pour lui une autre année dont il a été le témoin direct, l’année 193, où, entre la mort de Commode et l’avènement de Septime Sévère, sont proclamés ou se proclament Pertinax, Didius Julianus, Pescennius Niger et Clodius Albinus. La dernière notation de ce genre, authentiquement dionéenne, concerne la mort de Macrin et notre auteur écrit de façon lapidaire : …τῆς γὰρ μοναρχίας, μηδ´ ὄνομα βουλευτοῦ ἔχων, ὀριγνηθεὶς καὶ τάχιστα καὶ βαρυσυμφορώτατα αὐτὴν ἀπέβαλεν· ἐνιαυτῷ τε γὰρ καὶ δύο μησίν, τριῶν ἡμερῶν, ὥστε καὶ μέχρι τῆς μάχης λογιζομένοις συμβῆναι, δέουσιν, ἦρξεν. « Ayant aspiré au pouvoir suprême (μοναρχία) sans même avoir le titre de sénateur, il le perdit très rapidement et de façon extrêmement désastreuse. Il régna en effet un an et deux mois moins trois jours36 » (79, 41, 4).
Il est clair que ce genre d’indications biographiques n’apparaît qu’à partir de l’Empire. En effet, que ce soit pour Pompée et pour César, l’historien ne semble pas intéressé par de telles données, au contraire de Suétone qui ne manque pas de préciser que César periit sexto et quinquagesimo aetatis anno, « mourut dans sa cinquante-sixième année37 » et donne à la fin de son Diuus Augustus des indications assez différentes de celles de Dion38 : Obiit … duobus Sextis, Pompeio et Appuleio cons. XIIII. Kal. Septembr.hora diei nona, septuagesimo et sexto aetatis anno, diebus V et XXX minus… « Il mourut … sous le consulat de deux Sextus, Pompée et Appuleius, le quatorzième jour avant les calendes de Septembre, à la neuvième heure du jour, à l’âge de soixante-seize ans, moins trente-cinq jours39. »
35 211, 3-5. Traduction personnelle. 36 Traduction personnelle. 37 Diuus Iulius LXXXVIII, 1. 38 Cf. supra, p. 10. 39 Diuus Augustus, C, 1. Traduction H. Ailloud pour la CUF.
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On notera qu’entre l’époque de Suétone et celle de Dion, l’on est passé de la datation par les jours du mois et non plus à partir des trois références traditionnelles (Calendes, Ides et Nones). En ce qui concerne le règne de Tibère, Suétone semble plus précis, puisqu’il indique : … obiit octauo et septuagesimo aetatis ann, tertio et uicesimo imperii, XVII. Kal. Ap. CN. Acerronio Proculo C. Pontio Nigrino conss… « Il mourut durant la soixante-dix-huitième année de son âge et la vingttroisième de son principat, le dix-septième jour avant les calendes d’avril, sous le consulat de Cn. Acerronius Proculus et de C. Pontius Nigrinus40. »
De même, pour le règne de Claude et, plus précisément, pour la datation de sa mort, Suétone nous fournit des renseignements assez proches de ceux, très succincts, de Xiphilin : Excessit III Id. Octob. Asinio Marcello Acilio Auiola coss. Sexagesimo quarto aetatis, imperii quarto decimo anno… « Il mourut le troisième jour avant les ides d’octobre, sous le consulat d’Asinius Marcellus et d’Acilius Aviola, dans la soixante-quatrième année de sa vie et la quatorzième de son principat41… »
Quant au règne de Caligula, Suétone est presque aussi peu prolixe que Xiphilin puisqu’il nous indique simplement : Vixit annis viginti nouem, imperauit trienno et decem mensibus diebusque octo. « Il vécut vingt-neuf ans et fut empereur pendant trois ans, dix mois et huit jours42… »
Même si certaines données ne correspondent pas tout à fait, et cela est sans doute imputable à la source consultée, il est probable que la datation par année consulaire devait être indiquée dans le « chapeau » du livre concerné de Dion et que la longévité et la durée de règne des empereurs devaient être des éléments importants pour leurs biographes. * * * 40 Tiberius, LXXIII, 2. Traduction H. Ailloud pour la CUF. 41 Diuus Claudius, XLV, 2. Traduction H. Ailloud pour la CUF. 42 Caligula, LIX, 1.
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Force est donc de constater que, alors que pour la période républicaine les événements priment sur leurs acteurs, pour la période impériale, c’est la figure du prince qui l’emporte sur les événements et cela change quelque peu la méthode de ceux qui veulent « écrire l’histoire », pour reprendre les termes mêmes de Dion Cassius. Pourtant, inlassablement, notre historien s’appuie sur la trame chronologique la plus stricte, même si à l’intérieur d’un livre il se permet ici ou là de regrouper les événements domi militiaeque pour une meilleure compréhension de ses lecteurs. Assurément, ce qui fait de Dion Cassius un héritier direct de TiteLive, c’est l’originalité de sa méthode puisqu’il ambitionne d’appliquer à un récit linéaire chronologique une organisation plus critique qui l’apparente aux auteurs d’Historiae, car, pour lui, comme pour l’auteur de l’Ab Vrbe condita, l’empire romain est animé par une puissance expansionniste quasi surnaturelle et s’appuie progressivement sur un pouvoir personnel original et efficace qui aboutira au Principat. Il reste cependant fidèle à la tradition annalistique romaine, dont certains représentants ont été des hommes politiques actifs et proches du pouvoir comme Fabius Pictor ou Postumius Albinus en leur temps, comme lui-même, amis et conseiller des princes de la dynastie des Sévère. Mais, pour lui, le récit chronologique « annalistique » doit être accompagné de réflexions morales et politiques destinées à expliquer au lecteur du IIIe siècle de notre ère la genèse et le développement de ce processus. Tite-Live a arrêté son analyse en 9 avant notre ère, tandis Dion la poursuit jusqu’en 225 après J.-C. et cela donne à son récit une dimension plus large. Pour notre « annaliste tardif », ajouter plus de deux siècles d’histoire de l’empire romain, avec ses hauts et ses bas, ses bons et ses mauvais gouvernants, ses succès et ses revers dans l’expansion territoriale, permet de tracer un tableau qui sera sans doute le dernier avant des changements complets de perspective, un tableau d’un empire qui, de presque rien, s’est construit petit à petit, s’est développé au gré des opportunités et a atteint une dimension critique sans doute au premier siècle de notre ère. Ayant vécu et écrit à la fin de cette période glorieuse et conscient de la fragilité d’un tel édifice, notre historien en évoque le passé lointain et récent conformément à la plus ancienne tradition romaine, celle des « Annalistes ».
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Bibliographie Chassignet, M., L’annalistique romaine, tome I, Les Annales des Pontifes. L’annalistique ancienne, texte établi et traduit par M. Chassignet, Paris, Les Belles Lettres, CUF, 1996, p. VII-XIX. Freyburger-Galland, M.-L., Aspect du vocabulaire politique et institutionnel de Dion Cassius, Paris, 1997. _, « La conception de l’histoire chez Dion Cassius » in Grecs et Romains aux prises avec l’histoire, récits et idéologie, tome I, PUR, 2003, p. 109-121. Degrassi, A., I fasti consolari dell’impero romano dal 30 avanti Cristo al 613 dopo Cristo, Rome, 1952. _, Fasti Capitolini, Turin, G.B. Paravial, 1954.
Le fonctionnement de certains exempla historiques dans la correspondance de Fronton Pascale Fleury
L’exemple historique est, comme on le sait, un procédé rhétorique apprécié des auteurs latins en général, car il permet de reproduire à l’échelle de l’écrit la relation éducative et mimétique présente au sein de la famille et de l’école1. Il n’est donc pas étonnant de trouver à l’intérieur de la correspondance de Fronton avec son élève ce type de procédés et de constater que l’exemplum est utilisé presque uniquement par le professeur. Dans son éloge de l’insomnie (Ad Marcum I, 4), Marc utilise les personnages mythologiques, qui traditionnellement portent moins l’enseignement moral que les personnages historiques, bien que la limite entre histoire et mythe soit parfois difficile à cerner. Toutefois, si l’on compare les lettres de Fronton avec les autres recueils épistolaires (Cicéron, Sénèque, Pline), l’exemplarité historique paraît largement sous-représentée. Cette situation peut en partie s’expliquer par la nature de l’échange épistolaire ; alors que Cicéron peut utiliser sa correspondance pour créer une communauté de valeurs, que Sénèque vise l’élévation philosophique et que Pline tisse des liens culturels2, Fronton enseigne la rhétorique et, malgré sa proximité avec le pouvoir, ne s’aventure que très rarement sur le
1 Pour l’importance de l’exemplum en monde romain, cf. entre autres, Polybe VI, 53-54 ; Cicéron, Tusculanes I, 1 ; III, 56-57 ; Sénèque, Lettres 6, 5. 2 Cf. entre autres, J.-M. David, « Maiorum exempla sequi. L’exemplum historique dans les discours judiciaires de Cicéron », MEFR (Moyen Age) 92, 1980, p. 67-86 ; R. G. Mayer, « Roman Historical Exempla in Seneca », dans B. L. Hijmans (éd.), Sénèque et la prose latine, Entretiens de la Fondation Hardt, Genève, 1991, p. 141169, remarque une quantité moindre d’exempla dans les lettres que dans les traités du philosophe et émet l’hypothèse que le ton familier de la lettre se prêtait moins à un procédé associé à la prose littéraire ; dans ce contexte, Sénèque privilégie des expériences vécues par les correspondants (p. 159) ; N. Méthy, « Ad exemplar antiquitatis : les grandes figures du passé dans la correspondance de Pline le Jeune », REL, 81, 2003, p. 200-214 ; I. Cogitore, « Les exemples historiques dans les lettres de Sénèque », dans F. Guillaumont, P. Laurence (éds.), La Présence de l’histoire dans l’épistolaire, Rennes, 2012, p. 193-212. 10.1484/M.RRR-EB.5.121312
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terrain du conseil politique3. Il va donc de soi que les personnages historiques servent en premier lieu à délimiter le canon des auteurs à imiter et, dans ce cas, ne sont pas vraiment conçus comme des exempla uirtutis (De eloquentia I, 2 et II, 12)4, même si la forme que Fronton donne à ces listes s’apparente beaucoup à l’utilisation courante du procédé (nom propre accompagné d’une vertu, d’une qualité ou d’un verbe d’action)5. D’autres personnages historiques servent à parler de morale, d’éloquence et d’action politique, mais, dans ce cas, en tant que modèles à imiter dans l’action et non dans le style. C’est ce second groupe qu’il nous semble intéressant d’analyser pour mieux saisir les leçons que veut donner Fronton et ainsi poursuivre la réflexion sur l’utilisation de l’histoire dans le corpus6. Pour illustrer la façon frontonienne de travailler les exempla, nous analyserons d’abord les exemples républicains, puis un passage qui met en parallèle des empereurs, des rois mythiques et des philosophes. Les exemples républicains : modèles littéraires et contre-modèles Les exempla d’époque républicaine se trouvent tous dans les lettres à sujet historique (Ad Verum II et Principia historiae). La présence d’exemples dans ces lettres n’est pas surprenante, car on a souvent remarqué que cet ensemble, écrit pendant les guerres parthiques de Lucius Vérus, se distinguait par une perspective optimiste sur le présent et des sujets absents du reste de la correspondance. De plus 3 Les conseils politiques sont toujours donnés de façon informelle, cf. entre autres, J.-P. Martin, « Fronton magister imperatorum », dans A. del Real (éd.), Vrbs aeterna : actas y colaboraciones del coloquio internacional « Roma entre la literatura y la historia » : homenaje a la profesora Carmen Castillo, Pampelune, 2003, p. 65-81. 4 On peut rappeler à ce propos le fameux développement de l’auteur de la Rhétorique à Herennius (IV, 1-10) sur l’utilisation d’exemples d’auteurs ou d’exemples créés. 5 Sur le canon frontonien, cf. entre autres, R. Marache, La Critique littéraire de langue latine, Plihon, 1952, p. 153-173 ; G. P. Selvatico, « Lo Scambio epistolare tra Frontone e M. Aurelio. Esercitazioni retoriche e cultura letteraria », Memorie dell’Academia delle scienze di Torino, V, 1981, p. 225-301. 6 Pour l’analyse des occurrences du terme exemplum chez Fronton, cf. P. Fleury, « L’Argument de la nature : définitions et rôles de la fable dans le corpus frontonien », LEC, 74, 2006, p. 115-141. Nous avons analysé ailleurs l’histoire de l’éloquence impériale de l’Ad Verum II, cf. « Des modèles pour jeunes gens à la guerre : l’histoire de l’éloquence impériale dans l’Ad Verum II de Fronton », Mélanges Ferrary, à paraître.
(…) certains exempla historiques dans la correspondance de Fronton
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l’utilisation des exempla en contexte historique est traditionnelle. Ces exemples servent à montrer ce que devrait faire un bon général, un bon empereur : Dans le camp : les dés souvent, le sommeil toute la nuit ou les veilles dans le vin. Par quels ordres réprimerais-tu des soldats de ce tonneau et les ferais-tu revenir à la tempérance et à l’assiduité ? La fermeté (duritia) d’Hannibal, la discipline (disciplina) de l’Africain, les exemples (exempla) de Metellus, consignés dans les ouvrages historiques, ne t’en ont-ils pas instruit ? Et cette résolution, prise avec une solide prudence, de ne pas en venir aux mains en bataille rangée avec l’ennemi avant d’avoir éprouvé ton armée par de légers engagements et de petites victoires, n’est-ce pas Caton, à la fois grand orateur et grand général, qui te l’a apprise ? (Ad Verum, II, 19-20). Même Viriathe, même Spartacus furent habiles à la guerre et hommes d’action. Mais si tu veux les compter, tu trouveras à peine trois cents hommes, parmi tous les hommes mis ensemble, qui, depuis la fondation de Rome, se révélèrent orateurs, y compris ceux que Cicéron, dans ses œuvres rhétoriques, gratifie en groupe du droit de cité en éloquence, alors que, de la seule famille des Fabii, trois cents soldats des plus courageux, en un jour, périrent au combat (Ad Verum, II, 23). Du reste, pour savoir si l’empereur Trajan doit être considéré plus illustre dans la guerre ou dans la paix, je reste incertain, si ce n’est que même Spartacus et Viriathe possédaient quelques habilités guerrières : dans les arts de la paix, c’est à peine si quelqu’un fut auprès du peuple mieux vu que Trajan, si même il y eut quelqu’un qui l’égala (Principia historiae, 20).
Les trois premiers exemples (Hannibal, Scipion l’Africain, Metellus) sont somme toute assez attendus7, d’autant plus que Fronton restreint la comparaison à la capacité des trois hommes à redresser la discipline militaire8 et qu’il glisse assez rapidement vers un autre raisonnement 7 Fronton lui-même cite les passages de Salluste relatifs à Scipion et Metellus (Ad Antoninum III, 1). Les deux généraux sont cités ensemble comme exemple de paroles sages et d’actions avisés chez Valère-Maxime, VII, 2, 2-3 ; l’anecdote de la rencontre entre Scipion et Hannibal et leur discussion sur qui est le meilleur général (Appien, Syriaque X, 38-42) inspira Lucien (Dialogue des morts XII), qui lui-même influença probablement Julien (Banquet des Césars). Cf. B. Baldwin, « Alexander, Hannibal, and Scipio in Lucian », Emerita, 58, 1990, p. 51-60. 8 Tite-Live (XXVI, 51, 4) et Polybe (X, 20) relatent le régime d’entraînement particulier des soldats par Scipion. Q. Caecilius Metellus Numidicus, vainqueur de Jugurtha, employa des mesures énergiques pour réorganiser l’armée romaine d’Afrique, qui était à son arrivée dans un état lamentable (Salluste, Jugurtha 43-45, dont Fronton cite une partie en Ad Antoninum III, 1, 8). La remise en forme des troupes est un topos de la littérature historiographique (e.g. Vespasien et Corbulon chez Tacite Histoires II, 5, 1 ; Annales XIII, 35 ; Trajan chez Pline, Panégyrique 13).
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qui institue la littérature comme source première d’apprentissage pour la guerre9. Cette dernière leçon mène à l’évocation de Caton, suivie d’une citation directe sur la façon dont le général préparait ses troupes10. Les exempla sont liés par le fait qu’ils concernent un même moment historique, particulièrement marquant dans la mémoire romaine11, et sont probablement plutôt une allusion littéraire À noter que le topos est également associé à Hadrien (Dion Cassius 69, 9, 1-5 : Histoire Auguste, Vie d’Hadrien, 10 et 11 : l’auteur décrit Hadrien comme s’occupant personnellement de la discipline des hommes, avec les caractéristiques topiques d’un bon général : nourriture et habillement simples ; longues marches avec les hommes ; respect des âges et des hiérarchies, « à l’instar de Scipion Émilien, de Metellus et de son père spirituel, Trajan » ; il accuse les mauvais princes après Octavien d’avoir laissé la discipline militaire se relâcher), ce qui est en nette opposition avec la mollesse militaire du Prince esquissée par Fronton, Principia historiae 11. 9 L’idée que la littérature est à la base de la formation, entre autres, du général est également présente dans le De bello Parthico, où, selon M. L. Astarita (« Roma e l’oriente. La ciceroniana De imperio Cn. Pompei nella lettura di Frontone », Romanobarbarica, V, 1980, p. 5-35), Fronton conseille à Marc de lire le De imperio de Cicéron pour mieux choisir ses généraux. Comme le souligne R. Poignault, « Historiographie et rhétorique dans la correspondance de Fronton », dans G. Lachenaud, D. Longrée (éds.), Grecs et Romains aux prises avec l’histoire, Rennes, 2003, p. 472, n. 31, la même idée se trouve chez Thémistios (Discours XVIII, 53 et 246) : ce sont les ouvrages d’histoire, et ses connaissances géographiques, qui ont appris à Julien à haranguer les soldats. La question de la formation des généraux est difficile (cf. R. Combès, Imperator, recherches sur l’emploi et la signification du titre d’imperator dans la Rome républicaine, Paris, 1966, p. 299-303), mais, pour les affaires militaires, les auteurs valorisent généralement la pratique au détriment de la théorie (e.g. Polybe, IX, 12 ; Cicéron, De imperio Pompei 8 ; Pro Fonteio 43 ; Salluste, Jugurtha 85). Notons l’exception de Lucullus qui apprit sur le bateau qui le menait en Asie grâce aux livres et à sa consultation d’hommes compétents tout l’art du combat ; Cicéron souligne toutefois le caractère exceptionnel de la mémoire de Lucullus qui lui permit ce type de formation (Académiques II, 1, 2). Cf. également C. Guérin, Persona, l’élaboration d’une notion rhétorique au Ier siècle av. J.-C., Paris, 2009, II, p. 217-218. 10 Caton, fr. 25 Sblendorio-Cugusi, note ad loc. et le commentaire p. 260-261. Cf. également les témoignages de Tite-Live, XXXIV, 13, 3, et d’Appien, Ibérique XL, 161. 11 Sur l’importance des Guerres puniques au moment de la constitution des recueils d’exempla, cf. M. Coudry, « La Deuxième guerre punique chez Valère Maxime : un événement fondateur de l’histoire de Rome », dans J.-M. David (éd.), Valeurs et mémoire à Rome : Valère Maxime ou la vertu recomposée, Paris, 1998, p. 45-53, et, dans le même volume, M. Chassignet, « La Deuxième guerre punique dans l’historiographie romaine : fixation et évolution d’une tradition », p. 55-72, ainsi que l’introduction de J.-M. David (p. 9-17).
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qu’historique12, ce qui expliquerait la mention surprenante d’Hannibal dans cette énumération. En effet, Hannibal est rarement présenté sous un angle positif dans les sources romaines13, qui soulignent bien sûr les qualités stratégiques du général carthaginois, mais insistent plutôt sur son incapacité à retrouver la discipline de ses troupes après l’hivernage à Capoue (e.g. Tite-Live, XXIII, 18 et 45). Fronton fait peut-être référence à la discipline personnelle d’Hannibal, présentée de façon paradoxale par Tite-Live (XXI, 4). Cela est d’autant plus probable que la duritia est généralement associée à la force du corps, moins valorisée que la constance de l’esprit (patentia ou disciplina)14. R. Poignault pense que l’inspiration littéraire de Fronton est ici l’œuvre de Caton, plus que les histoires de Tite-Live ou de Salluste ; l’auteur ajoute qu’il y a peut-être un dialogue avec le discours de Marius chez Salluste (Jugurtha 85), où une nette opposition entre facta et dicta est mise en place15. Selon ce que l’on sait des modèles littéraires de Fronton, Caton et Salluste sont tous deux des références possibles. Quelques lignes plus loin, Fronton fait allusion aux guerres contre les Lusitaniens, dont le persécuteur Ser. Sulpicius Galba, préteur en 151 av. J.-C., avait été poursuivi par Caton en 149 av. J.-C. Le discours, intégré dans les Origines16, était connu de Fronton (Ad Marcum II, 21, 4), comme l’ensemble de l’œuvre historiographique et 12 Méthy, « Ad exemplar antiquitatis… », p. 203-206, remarque le même type d’utilisation des exemples littéraires chez Pline ; Cogitore, « Les exemples historiques dans les lettres de Sénèque… », p. 196-197, analyse l’utilisation des personnages du De republica de Cicéron chez Sénèque. 13 G. Brizzi, « Carthage and Hannibal in Roman and Greek Memory », dans B. Dexter Hoyos (éd.), A Companion to the Punic Wars, Chichester, 2011, p. 483498, souligne que les vers de Naevius et d’Ennius, comme la comédie de Plaute, ne dépeignent pas les Carthaginois comme des ennemis perfides et émet l’hypothèse que la construction de la figure d’un opposant méprisable commence au moment de la préparation de l’intervention en Afrique (p. 497). La présentation d’Hannibal comme incarnation de la ruse, de la cruauté et du vice moral est constante à l’époque impériale, cf. E. Giazzi, « La Figura di Annibale nella prosa di Seneca », dans Studi su Seneca e Properzio : offerti a Roberto Gazich da allievi e collaboratori, Milan, 2012, p. 53-73. Notons peut-être l’exception de Juvénal (X, 147-159), qui présente Hannibal comme un grand général, qui a senti la nécessité de pousser l’action jusqu’au bout, mais dont la gloire ne sert à rien, car elle est effacée par la mort et le personnage devient un sujet de déclamation pour les enfants. Les sources grecques sont plus modérées (e.g. Polybe, II, 36 ; Appien, Ibérique VI, 23). 14 Cf. Plaute, Asinaria 574 ; Mostellaria 154 ; Pseudolus 151 ; Cicéron, Divisions de l’art oratoire 81 ; Tusculanes V, 74 ; Pline, Panégyrique 82, 6. 15 « Historiographie et rhétorique dans la correspondance de Fronton… », p. 462463. 16 Livre VII, cf. M. Chassignet dans son édition.
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rhétorique du Censeur, notamment les livres IV et V des Origines qui traitaient des Guerres puniques et particulièrement de la menace d’Hannibal. Grâce à l’exorde cité par Aulu-Gelle (XIII, 25, 15), on peut savoir que Salluste (Jugurtha 31, 1) avait imité le discours contre Galba. Les deux modèles peuvent donc être dans l’esprit de Fronton au moment de l’écriture. Dans cette série, ce n’est donc pas tant les personnages qui sont donnés comme modèles à l’imitation, mais bien l’œuvre qui en décrit les actions, sans doute les Origines de Caton, même si le caractère fragmentaire de cette dernière empêche toute conclusion définitive sur ce point. Les exemples de Viriathe et de Spartacus sont donnés deux fois par Fronton pour montrer que la vertu militaire est à la portée de tous, mais pas l’éloquence ni les travaux de la paix. Le couple ne se trouve joint que chez Fronton et Ammien : après la mort de Gallus, Ammien donne des exemples de revirement de fortune et conclut que « les nobles personnages par l’effet des caprices de la fortune ont plié le genou devant un Viriathe et un Spartacus » (XIV, 11, 33). L’idée est la même que chez Fronton : Viriathe et Spartacus sont pris comme des exemples d’un statut social bas, chez Ammien pour montrer la force de la fortune, chez Fronton pour montrer que les exploits guerriers sont moins admirables que les activités de la paix. Il est également intéressant de souligner que les deux ennemis de Rome sont présents chez Appien17 (Spartacus : BC I, 539-559 ; Viriathe : Ibérique 251-317), où ils sont valorisés pour le partage égal des butins et le souci de leurs compagnons ; les deux récits historiques se terminent par la mort des deux étrangers, qui est présentée comme un acte de courage, digne d’un général romain18 ; l’impossibilité de traiter avec les Romains est 17 Sur les thèmes communs chez Fronton et Appien, cf. M. L. Astarita, « Appiano e Frontone : rapporti sociali e culturali », dans Miscellanea di studi in onore di Armando Salvatore, Pubbl. del Dipartimento di Filologia classica dell’Univ. degli Studi Federico II, no. 7, Univ. degli Studi di Napoli, 1992, p. 159-171. 18 La projection de valeurs traditionnelles romaines sur les barbares ennemis est bien sûr assez courante dans l’historiographie latine, cf. entre autres, J. Alvar, « Héroes ajenos : Aníbal y Viriato » dans J. Alvar, J. M. Blázquez (éds.), Héroes y antihéroes de la Antigüedad Clásica, Madrid, 1997, p. 139-141 ; F. J. Guzmán Armario, O. Lapeña Marchena, « Espartaco : un paradigma de barbarie en la literatura grecolatina de época imperial », Latomus, 66, 2007, p. 99-109 (p. 101-102 sur les passages frontoniens). Sur les vertus de Spartacus, cf. également Pline l’Ancien, Histoire naturelle XXXIII, 49 ; Florus II, 8, 9 et 14. Salluste dans les Histoires (III, 60-67 McGushin) soulignait l’absence de violence gratuite dans le comportement du chef des gladiateurs, qui s’opposait au comportement violent de sa
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également soulignée. Ce dernier trait est particulièrement présent dans le récit d’Appien sur Viriathe, qui insiste sur la traîtrise des Romains19 : elle explique l’impossibilité de la paix entre les Lusitaniens et Rome. Ce couple de contre-exemples20 ne semble pas choisi au hasard : Fronton, dans les Principia historiae (18), reproche à Trajan d’avoir fait mettre à mort le roi parthe Parthamasiris, venu le supplier, et d’avoir refusé la paix offerte par les ambassadeurs21. Fronton reprend donc un trait assez courant du récit sur Viriathe, le manque de bonne foi des Romains, l’associe à Trajan pour relever son propre modèle de la bonne façon de gérer la guerre, avec diplomatie et loyauté et éventuellement, éloquence. Les exempla républicains sont donc extrêmement peu nombreux, ce qui est déjà une originalité en regard du corpus traditionnel. Bien que la pratique ne soit pas exceptionnelle, le choix d’ennemis de Rome comme exempla place les comparés dans des positions extrêmes, qui apporte une certaine dramatisation à la démonstration. Il semble que la leçon donnée soit une condamnation globale du manque de bonne foi, ce qui serait renforcé également par la façon dont est présenté Hannibal, qui évacue complètement la perfidie topique. La fides, particulièrement en amitié, est un thème récurrent dans la correspondance frontonienne ; le professeur l’utilise particulièrement dans l’affaire autour de l’héritage de Censorius Niger, où le pouvoir et l’amitié le mettaient devant un dilemme de fidélité22 ; dans son bilan à l’occasion de la mort de son petit-fils, il souligne sa propre pratique de la fides23. troupe et probablement à celui de Crassus (décimation et crucifixion). Sur les vertus de Viriathe, cf. Diodore, XXXIII, 1 ; Tite-Live, Periochae LIV ; Dion Cassius, fr. 73 ; 75 ; 77. 19 La perfidie romaine dans ce cas est fréquemment soulignée, cf. ValèreMaxime IX, 6, 4 ; Velleius Paterculus II, 1 ; Florus I, 33, 17-18. 20 Il est intéressant de remarquer que Marc Aurèle utilise lui-même les exempla traditionnels souvent comme contre-modèles (e.g. Pensées, IV, 33, 1 ; VIII, 3 ; IX, 29, 7). 21 N. Méthy, « Le Personnage de Trajan dans les Principia historiae de Fronton », dans G. Lachenaud, D. Longrée (éds.), Grecs et Romains aux prises avec l’histoire : représentations, récits et idéologie, Colloque de Nantes et Angers, Vol. II, Rennes, 2003, p. 557, émet l’hypothèse que Fronton ne veut pas donner une leçon morale sur le meurtre de Parthamasiris, mais bien une leçon politique ; les exemples de Spartacus et de Viriathe tendent à conforter cette idée. Sur cet épisode des Guerres parthiques de Trajan, cf. également Dion Cassius, LXVIII, 17-20. 22 Cf. P. Fleury, Lectures de Fronton, Paris, 2006, p. 148-151. 23 De nepote amisso, 2, 8 : « il n’est, dans le fil de mon âge, aucun acte de cupidité, aucun acte de perfidie (perfidum facinus) à mon passif ; mais au contraire, beaucoup de mes décisions furent prises par générosité, beaucoup par amitié,
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La leçon n’est pas particulière ni originale, mais elle insiste sur la nécessité pour le général, surtout pour l’empereur-général, d’utiliser les arts de la paix, même en temps de guerre, pour être en mesure de réellement dépasser les barbares. Une leçon morale : l’importance du repos Seul un passage utilise les exemples historiques pour donner une leçon morale ; il se situe dans la grande lettre sur les congés d’Alsium, où Fronton, dans une surenchère de procédés rhétoriques, tente de convaincre Marc Aurèle de prendre du repos. Après quelques remarques ironiques, jeux de mots et images qui montrent l’impossibilité pour un objet de toujours rester sous tension, Fronton fait l’histoire des hommes qui ont dirigé l’État en partant des Antonins (Trajan, Hadrien, Antonin), en remontant ensuite à César et Auguste et à Romulus et Numa ; il termine par les exemples de Chrysippe et Socrate (De feriis Alsiensibus III, 5-6)24. Le travail sur l’exemple se fait ici par accumulation et l’insistance est mise sur trois thèmes : les femmes, le vin et la bonne chère, les plaisirs du théâtre. La démonstration s’avère plus développée et convaincante dans les liens formellement établis par Fronton entre les qualités de dirigeants de Trajan, excellent homme de guerre, Hadrien, prince diligent, et Antonin, qui combine toutes les vertus morales d’un bon empereur, et les activités de repos qu’il leur prête : tous trois prennent le temps d’être divertis par les comédiens et bouffons ; Trajan boit, Hadrien mange et Antonin fréquente la palestre et pêche. Les relations amoureuses sont absentes des comportements attribués aux Antonins, mais se révèlent essentielles dans la description de César (acerrimus Cleopatrae hostis), Auguste (Liuiae uir)25, Socrate (Aspasiae discipulus, Alcibiadi magister) beaucoup par fidélité (fideliter), beaucoup par constance, souvent même face aux plus grands dangers. » 24 Cf. J.-M. André, « Le De otio de Fronton et les loisirs de Marc-Aurèle », REL, 49, 1971, p. 228-261. R. Poignault, « Les Diui au miroir de Fronton », REL, 77, 199, p. 236-239, dans son analyse du passage souligne combien cet encouragement au repos correspond également à une leçon politique de la nécessité du loisir dans la gestion du peuple, leçon qui est également présente dans les Principia historiae. 25 Pour Poignault (« Les Diui… », p. 239), Fronton, en associant César et Auguste à des femmes, évoque les plaisirs sexuels et considère que le maître n’encourage pas son élève dans ce sens : les fondateurs sont de moins bons exemples que les Antonins.
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et, dans une moindre mesure, dans celle de Romulus (…induxisset uirgines adultas de spectaculis rapere). Cette présentation laisse perplexe : Fronton ne veut visiblement pas mettre l’accent sur les plaisirs charnels dans ses portraits des trois Antonins, alors que les rumeurs sont nombreuses sur les relations entretenues par Trajan et par Hadrien26. Ce thème devient cependant central dans la suite de son exposé, où la relation avec des femmes et, dans le cas de Socrate, avec un jeune homme, suffit à révéler qu’à toutes les époques les grands hommes se sont adonnés aux loisirs. Il est possible que Fronton, sans vouloir explicitement associer les Antonins à des pratiques de loisirs amoureux, reprenne l’association courante de Trajan/Romulus et Antonin/Numa27 pour parler indirectement de celles-ci ; dans ce cas, l’enlèvement des Sabines, mis au compte de l’intempérance positive de Romulus, serait également attribué à Trajan et évoquerait une certaine forme de laisser-aller ; de même, le portrait détourné des gestes religieux de Numa ajouterait la bonne chère à la peinture des activités d’Antonin. Cette hypothèse n’expliquerait cependant pas la réduction opérée pour César et Auguste. Si l’on peut comprendre que, dans l’imaginaire du lecteur, la relation entre César et Cléopâtre parle d’un moment où l’homme d’État s’est écarté de son devoir, la longue relation d’Auguste avec Livie, même si ses prémisses furent entourées d’un parfum de scandale, se prête plus difficilement à une lecture égrillarde, d’autant plus que les 51 ans de mariage ont été marqués par la propagande officielle de rétablissement des vertus ancestrales et de mise en valeur de la pudicitia de la mater patriae28. Est-ce une mauvaise analogie 26 K. H. Waters, « Trajan’s Character in the Literary Tradition », dans J. A. S. Evans (éd.), Polis und Imperium. Studies in Honor of E. Togo Salmon, Toronto, 1974, p. 233-252 ; Méthy, « Le Personnage de Trajan… », p. 558. 27 Fronton associe ailleurs Antonin et Numa (Principia historiae 12) pour leur pacifisme, mais il présente également Romulus et Rémus comme modèles à Marc Aurèle et à Vérus : ce sont des chefs qui ont reçu leur pouvoir non par la naissance, mais par les auspices des dieux, ce que le professeur rapproche des pratiques de succession chez les Antonins (Ad Verum II, 6) : on classera cet exemplum dans les leçons politiques. 28 Le portrait de Livie dans la littérature est contrasté, mais insiste surtout sur le caractère vertueux de l’Augusta (e.g. Ovide, Tristes IV, 2, 11-14 ; Pontiques IV, 13, 29 ; Velleius Paterculus II, 130, 5 ; Suétone, Vie d’Auguste 62-63 ; Tacite, Annales V, 1 : Dion Cassius LVIII, 2 ; soulignons l’exception notable de Tacite, Annales I, 3 et 6). Cf. S. Wood, Imperial Women, Leyde, 1999, p. 75-141. Antonin avait fait restaurer le temple d’Auguste et de Livie, comme l’atteste une frappe de monnaie représentant le monument.
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frontonienne, qui ne fonctionnerait que parce qu’elle se situe au milieu d’une accumulation d’exempla dont le sens est clair ? Ou alors est-on dans une construction qui voulait privilégier le lien qui existe entre César et Auguste, entre Romulus et Numa, entre Socrate et Chrysippe, comme les premiers et seconds d’un ordre nouveau, et qu’il fallait dans cette perspective trouver un équivalent à Cléopâtre dans la vie d’Auguste ? Pour appuyer cette seconde hypothèse, il faudrait que l’on puisse établir une binarité également dans l’ensemble des exempla présentés, mais le professeur ne nous aide pas sur ce point. La présentation par couple de la seconde partie de la démonstration pourrait laisser penser que la première partie sur les Antonins est également construite de cette façon : dans cette perspective, Marc Aurèle, qui est la suite logique de l’énumération (Fronton utilise d’ailleurs les relations filiales pour présenter ses prédécesseurs, proauus, auus, pater), serait l’équivalent d’Auguste, de Numa et de Socrate29. Même si cette association est fragile, elle est assez séduisante : Fronton placerait Marc Aurèle, tout jeune empereur30, en compagnie des hommes les plus illustres de sa liste, par leur longévité, leur piété et leur vertu. De plus, l’association expliquerait assez bien la présentation d’Auguste comme uir de Livie, qui n’incarnerait pas un loisir qui détourne l’homme d’État de son devoir, mais comme le bonheur conjugal et familial, nécessaire à l’accomplissement du devoir, valeur qui se retrouve dans la propagande officielle d’Antonin et de Marc Aurèle31. Le passage se termine avec la filiation établie entre Aspasie, Socrate et Alcibiade. La présence d’Aspasie et d’Alcibiade semble être une autre moquerie de Fronton, car il est évident que, par-delà la mention de Socrate et son association avec Marc Aurèle dans le schéma que nous venons d’établir, l’association dans des liens d’enseignement des trois personnages (discipulus, magister) sert à remettre de l’humanité,
29 Chrysippe est bien sûr le second dans l’ordre chronologique, mais Fronton le présente en premier et termine sa démonstration avec Socrate, ce qui permet le rapprochement avec Marc Aurèle. 30 La lettre date de 162 selon C. R. Haines ; M. P. J. van den Hout (A Commentary of the Letters of M. Cornelius Fronto, Leyde, 1999, p. 509) suit E. Champlin, « The Chronology of Fronto », JRS, 44, 1974, p. 136-159, pour une datation entre 161 et 167. 31 Cf. entre autres, M. T. Boatwright, « Faustina the Younger, Mater castrorum », dans R. Frei-Stolba, A. Bielman, O. Bianchi (éds.), Les Femmes antiques entre sphère privée et sphère publique : actes du diplôme d’études avancées, Universités de Lausanne et Neuchâtel, 2000-2002, Berne, 2003, p. 249-268.
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sur plusieurs plans, dans le portrait du philosophe32. Les deux personnages sont marqués par l’ambiguïté : les auteurs anciens trouvent difficile de définir la relation complexe entre Aspasie et Périclès, tandis qu’ils n’arrivent pas à un jugement clair sur la personnalité d’Alcibiade33. Fronton exploite sans doute ces réputations sulfureuses et instables pour compléter sa démonstration sur la nécessité des loisirs. Le rôle que jouent les exemples historiques dans la leçon morale que veut donner Fronton est complémentaire des autres procédés présents dans l’ensemble de la lettre : le correspondant choisit des exemples qui ne sont pas fortement caractérisés par la tradition ; dès lors, les analogies, notamment dans la seconde partie du développement, ne se comprennent que par l’accumulation qui est opérée. Si la signification de certains exempla, notamment les plus obscurs, pouvait être évidente pour Marc Aurèle, le manque de délimitation, de détails, d’indications, qui relève de la breuitas, entraîne une certaine perte au niveau de la persuasion34. Cette utilisation de l’exemplum se distingue de la profusion descriptive caractéristique de l’imago chez Fronton. Les images frontoniennes ne sont pas toujours justes, notamment lorsqu’elles veulent décrire des comportements humains ; toutefois, lorsqu’elles sont utilisées pour décrire des pratiques rhétoriques, elles sont étonnamment cohérentes à travers l’ensemble du corpus35. Cette dichotomie, et l’utilisation extrêmement restreinte 32 Socrate institue lui-même Aspasie comme son maître de rhétorique dans le Ménèxène (235e) ; cf. aussi Xénophon, Mémorables II, 6, 36 ; Plutarque, Vie de Périclès 24. 33 Valère-Maxime présente par deux fois le jeune homme comme l’incarnation de l’union de forces adverses sur laquelle il est impossible de statuer d’un point de vue moral (III, 1, ext. 1 ; VI, 9, ext. 4) ; il rapporte également une anecdote, dans le chapitre sur « Le repos honorable », où Socrate déclenche le rire d’Alcibiade lorsqu’il joue avec ses enfants (VIII, 8, ext. 1). Cornelius Nepos, Vie d’Alcibiade 1, commence sa biographie en affirmant la personnalité extrême, autant d’un point de vue positif que négatif de l’Athénien. Comme le montre ces utilisations du personnage, Alcibiade n’est pas un exemplum facile, car il ne porte pas de valeur morale fixe. 34 David, « Maiorum exempla sequi… », p. 76-86, explique très bien comment Cicéron arrive à contourner ce problème en renouvelant les exemples tout en réitérant les valeurs du mos maiorum. 35 L’exemple le plus évident de l’approximation des images morales chez Fronton se situe dans une lettre à Domitia Lucilla, où il compare Domitia à Héra et Marcus à Héphaïstos : l’auteur lui-même souligne la difficulté de cette image (Ad Marcum II, 3, 4). Sur la cohérence des images rhétoriques, cf. Fleury, Lectures…, p. 53-61.
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d’exemples historiques pour exhorter à des comportements vertueux ou perçus comme tels, suggère que Fronton utilisaient certaines images dans son enseignement rhétorique – ce qui expliquerait la cohérence de celles-ci sur un très long laps de temps –, mais que les images et les exemples moraux pouvaient recevoir une construction plus lâche. Il est possible que cette sous-utilisation soit une réaction en regard de la pratique des moralistes36 : ne voulant pas reprendre la tradition philosophique, Fronton utilise des exemples originaux, qui ne sont pas immédiatement décodables parce que coupés de cette tradition. L’analyse des exempla historiques chez Fronton révèle une pratique particulière, qui s’écarte, à la fois par le choix des exemples et par leur utilisation, de ce que l’on trouve dans les recueils exemplaires, dans les genres oratoires et épistolaires. Ces écarts en regard de la tradition parlent probablement d’une volonté de renouveler les exemples usés et associés à la littérature philosophique pour atteindre à une plus grande force persuasive, mais l’originalité dans ce domaine peut au contraire mener à une confusion dans les valeurs que l’on veut transmettre. Fronton compense en partie cette perte en construisant des passages exemplaires par accumulation, comme dans le cas du De feriis Alsiensibus III, ou en annonçant le point qui sera mis en comparaison, comme dans les exemples républicains. Les exempla, peu nombreux, trouvent cependant une certaine cohérence : les exemples républicains servent à la fois comme illustration de la hiérarchie des compétences et comme rappel thématique de l’importance de la bonne foi ; la liste du De feriis Alsiensibus III parle de façon simple de valeurs aussi présentes dans la politique antonine, entre autres l’harmonie nécessaire entre le negotium et l’otium. Dès lors, tout semble montrer que l’exemplum virtutis est pour Fronton un outil secondaire et difficile à manier : il n’est pas son mode privilégié pour construire les démonstrations morales et politiques. En plus de la distance prise en regard des philosophes et moralistes, cet écart par rapport à la tradition pourrait en partie s’expliquer par le statut et la situation très particuliers des destinataires, pour lesquels il est difficile de trouver des modèles adéquats.
36 Cf. Mayer, « Roman Historical Exempla in Seneca… », p. 166-168, et la discussion suivant l’article ; Cogitore, « Les exemples historiques dans les lettres de Sénèque… », p. 205-208.
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Un exemple d’historiographie parodique : Sabinus le muletier Jeanne Dion
Il est fort difficile de parler d’histoire et d’historiographie devant Martine Chassignet qui y excelle, en particulier dans ses éditions des Origines1 de Caton, de La conjuration de Catilina de Salluste2, et de l’Annalistique romaine3. Mais peut-être est-il possible d’espérer divertir quelques instants celle qui s’intéresse plutôt aux liens de l’historiographie et du grand style épique4, en lui proposant un exemple d’historiographie parodique trouvé dans le Catalepton / Catalecton5 à propos d’un certain Sabinus, voyageant dans la Cisalpine6 qu’elle aime aussi.
1 Caton, Les Origines (fragments), texte établi et traduit par M. Chassignet, Paris, Les Belles Lettres, CUF, 1986, rééd. 2002, LXVII-179 p. 2 Salluste, La Conjuration de Catilina, texte établi et traduit par A. Ernout, introduction de M. Chassignet, Paris, Les Belles Lettres, Coll. Classiques en poche, 1999, rééd. 2012, XXII-162 p. 3 L’annalistique romaine. tome I : Les Annales des Pontifes. L’annalistique ancienne, texte établi et traduit par M. Chassignet, Paris, Les Belles Lettres, CUF, 1996, rééd. 2003, CXXXV-112 p. L’annalistique romaine, tome II : L’annalistique moyenne, texte établi et traduit par M. Chassignet, Paris, Les Belles Lettres, CUF, 1999, XCV-183 p. L’annalistique romaine, tome III : L’annalistique récente. L’autobiographie politique, texte établi et traduit par M. Chassignet, Paris, Les Belles Lettres, CUF, 2004, CLIX-295 p. 4 M. Chassignet, « Historiographie et écriture épique », Euphrosyne XXVI, 1998, p. 155-163. 5 L’œuvre apparaît sous ces deux noms dans les divers manuscrits ; pour plus de détails, voir J. Dion, « Relire le Catalecton / Catalepton : l’étonnante composition d’une œuvre attribuée à Virgile », (Re)lire les poètes grecs et latins, Nancy, A.D.R.A.-Paris, De Boccard, 2018, p. 173-191. Mais pour plus de commodité nous utiliserons le titre ordinaire de Catalepton. 6 M. Chassignet, « Gaule Cisalpine et Gaule chevelue, ‘pays de Cocagne’. Le témoignage de l’historiographie romaine de la République », dans R. Bedon et N. Dupré (edd.), ‘Rus amoenum’. Les agréments de la vie rurale en Gaule romaine et dans les régions voisines, Actes du colloque de Limoges 7-8 juin 2002, Caesarodunum XXXVII-XXXVIII, 2003-2004, p. 217-237. 10.1484/M.RRR-EB.5.121313
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Cet ensemble de poèmes de métrique variée est-il une œuvre de jeunesse de Virgile et notre Sabinus est-il alors un portrait virgilien ? Cette question est au cœur des éditions de Virgile depuis l’Antiquité. Il suffit d’en esquisser ici seulement quelques mots, puisque nous préférons nous consacrer au personnage de Sabinus lui-même. Les principaux biographes7 du IVe siècle comme Aelius Donatus et Maurus Servius Honoratus attribuent à Virgile le Catalepton et, à la source de Donat, il y a sans doute la vie de Virgile écrite par Suétone. Or cette attribution, comme celle d’autres œuvres de jeunesse de Virgile citées par Donat et Servius, est tantôt confirmée8, tantôt contestée9 chez les 7 Pour les éditions des vies de Virgile, voir l’édition ancienne de J. Brummer, Vitae Vergilianae, Leipzig, Teubner, 1912, 74 p. ; voir aussi C. Hardie, Vitae Vergilianae Antiquae, Oxford, Clarendon Press, 1966, 40 p. ; J.-J. Van Dooren, Vie de Virgile par Donat-Suétone, Bruxelles, Arscia, 1961, 45 p. ; G. Brugnoli, F. Stok, Vitae Vergilianae Antiquae, Rome, Istituto Poligrafico e Zecca dello Stato – Archivi di Stato, 1997, 352 p. ainsi que J. M. Ziolkowski, M. C. J. Putnam, The Virgilian Tradition. The First Fifteen Hundred Years, New Haven & Londres, Yale University Press, 2008, 1082 p. 8 Un fragment « Sur l’épode octosyllabe » (Fragmenta Sangallensia : H. Keil Grammatici Latini, vol. VI, p. 640) appuie son commentaire métrique sur une référence explicite à Virgile (ut facit Vergilius) pour un vers des poèmes 12 et 13 évoquant Thalassius. Et bien des modernes sont aussi favorables à l’attribution à Virgile d’œuvres mineures, surtout si elles correspondent à celles que nomment Donat et Servius : ainsi F. Vollmer (voir son édition dans les Poetae Latini minores I, Leipzig, 1910), M. Lenchantin de Gubernatis (« L’autenticità dell’Appendix Vergiliana », Rivista di filologia e d’intruzione classica, n. s. 38, 1910, p. 201-220), M. Rat (Virgile : La fille d’auberge suivi des autres poèmes attribués à Virgile, Paris, Garnier, 1935, 403 p.), A. Rostagni (Virgilio minore, Torino, 1933, réédition Roma : Edizioni di storia e letteratura, 1961, XII-450 p.), A. Salvatore (voir en particulier son édition de l’Appendix : Ciris, Culex, Turin, Paravia, tome I, 1957, XXI-133 p. et tome II Dirae, Copa, Moretum, Catalepton, 1960, XLV-123 p. ; nombreuses autres éditions, puis en collaboration avec A. De Vivo, L. Nicastri, I. Polara, Appendix Vergiliana, Rome, Libreria dello Stato, 1997, XXX-337 p.). On peut rattacher à l’édition d’A. Salvatore celle de M. G. Iodice, Appendix Vergiliana, préface de L. Canali, Milan, Mondadori 2002, LVI-460 p. car elle reprend A. Salvatore mais se prononce toutefois moins nettement sur l’auteur du Catalepton qu’elle considère cependant comme la section « la plus intéressante » des œuvres mineures (« la sezione la più interessante », p. 310). 9 Au IVe siècle le grammairien Aphthonius ajoute « dit-on » à son commentaire du même vers des poèmes 12 et 13 du recueil : « ce n’est pas autrement qu’a fait, diton, notre Virgile avec son épigramme iambique : ‘pour Thalassius, pour Thalassius, pour Thalassius’ » (haud alias quam ut aiunt fecisse Vergilium nostrum iambico epigrammate, thalassio, thalassio, thalassio : H. Keil, Grammatici Latini vol. VI, 137 qui attribue alors ce passage à Marius Victorinus ; dans l’édition récente du Corpus Grammaticorum Latinorum en ligne on en revient à Aphthonius). Parmi les modernes K. Büchner (« P. Vergilius Maro », Realencyclopädie Pauly Wissowa VIII
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grammairiens anciens et les critiques modernes, et elle a donné lieu aux multiples variations des éditions : ne citons ici que les plus illustres où figurent d’une part celles qui veulent publier les œuvres mineures du poète, comme y tendent l’édition princeps10 de 1469 ou bien plus tard en 1572 l’édition que Scaliger11 nomme Appendix, et d’autre part celles des puristes12 qui, dès la Renaissance, voudraient s’en tenir à la trilogie des Bucoliques, Géorgiques, Enéide, mais ne peuvent longtemps maintenir ce choix face à la concurrence... L’histoire de notre Sabinus pourrait-elle à sa manière éclairer ces débats ? Gardons-en la question à l’esprit en présentant d’abord ce poème, puis en découvrant la virtuosité de sa parodie : éclairerait-elle aussi l’identité du personnage ? * * *
A 1, 1955, p. 1062-1180), E. Paratore (Virgilio, Firenze, G. C. Sansoni, 1961, XV390 p.), F. Della Corte (« Dirae », Enciclopedia Virgiliana, II, 1985, p. 91-94) par exemple, sont aussi sceptiques. Quant à R. E. H. Westendorp-Boerma (P. Vergilii Maronis libellus qui inscribitur Catalepton, Assen, 1949 pars prior XLIX-168 p., 1963 pars altera 115 p.), il doute de la Ciris et du Culex (p. XXXII), mais juge presque tous les poèmes du Catalepton (1 à 8 et 10 à 12) « dignes de Virgile » (Vergilio digna p. XLVII-XLVIII). 10 Elle est imprimée à Rome en 1469 chez K. Sweynheym et A. Pannartz, en collaboration avec J. A. de Buxis évêque d’Aléria. Après l’épître dédicatoire au pape Paul II, elle propose dans cet ordre : Culex, Dirae, Copa, Est et non, Vir bonus, De Rosis, Moretum, Versiculi Vergilii « Nocte », Versus in Balistam latronem, Versus Ovidii, Summa Vergilianae narrationis in tribus operibus, Bucolica, Georgica, Aeneis, Versus Sulpitii Carthaginiensis : « Iusserat », Carmina Caesaris Augusti : « Ergo ne », Epitaphia illustrium virorum, Versus de Musarum inventis, Elegia in Maecenatis obitu, quae dicitur Vergilii, cum non sit. On remarquera la précision donnée à la fin à propos de l’Élégie sur la mort de Mécène : « qui est dite de Virgile alors qu’elle ne l’est pas ». Sur les six exemplaires qui restent probablement de cette édition princeps, deux sont aisément consultables, l’un dans les incunables de la Bibliothèque Ste Geneviève sous la cote OEXV 68 RES, l’autre à la Bibliothèque Vaticane sous la référence Stamp. Ross 771 (rares manques dans chacun). 11 Publii Virgilii Maronis Appendix, Cum supplemento multorum antehac nunquam excusorum Poematum veterum Poetarum. Iosephi Scaligeri in eandem Appendicem Commentarii et castigationes, Lugduni, apud Guliel. Rovillium 1572-1573, 548 p. + index non paginé (les majuscules sont celles de l’édition). 12 Ainsi à Venise Alde Manuce : en 1501 il répugne à publier les opuscules virgiliens comme étant « indignes de son petit manuel » qui était pour la première fois un in-octavo (non censuimus digna enchiridio), mais dès 1505 il publie une édition augmentée des œuvres mineures, reprise par ses successeurs en 1517.
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Sabinus ille13, quem uidetis, hospites, ait fuisse mulio celerrimus, neque ullius uolantis inpetum cisi nequisse praeterire, siue Mantuam opus foret uolare, siue Brixiam ! Et hoc negat Typhonis aemuli domus negare nobilem insulamue Caeruli, ubi iste, post Sabinus, ante Quinctio, bidente dicit attodisse forcipe comata colla, ne quid Orion iugo premente dura uolnus ederet iuba ! Cremona frigida, et lutosa Gallia, tibi haec fuisse et esse cognitissima, ait Sabinus ; ultima ex origine tua stetisse dicit in uoragine, tua in palude deposisse sarcinas, et inde tot per orbitosa milia iugum tulisse, laeua siue dextera strigare mula siue utrumque coeperat ! Neque ulla uota semitalibus deis tibi esse sancta praeter hoc nouissimum : paterna lora proximumque pectinem ! Sed haec prius fuere : nunc eburnea sedetque sede seque dedicat tibi, gemelle Castor, et gemelle Castoris ! L’illustre Sabinus que vous voyez, passants, fut, dit-il, le plus rapide muletier, ne se laissant surpasser par la vitesse d’aucun cabriolet volant, qu’il eût besoin de voler vers Mantoue, ou vers Brescia ! Et il nie que sur ce point les demeures de Typhon son rival lui apportent un démenti, ou le noble îlot d’Azur, où ton futur Sabinus, auparavant Quinctio, dit avoir tondu aux ciseaux des encolures chevelues, pour qu’un Orion ne leur fît pas de blessure quand le joug presse leur raide crinière ! Crémone froide, fangeuse Gaule aussi,
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13 Ce texte latin est celui de l’édition que j’en ai faite dans Virgile, Œuvres complètes, édition bilingue établie par Jeanne Dion et Philippe Heuzé, avec Alain Michel pour les « Géorgiques », Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade, 2015, LXXXIX-1386 p. à un détail près : le tibi du vers 21 qui corrige la coquille de l’édition Gallimard. Quant au texte français il reprend aussi en majeure partie l’édition Gallimard.
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ces faits te furent et te sont très connus, dit Sabinus ; dès sa plus lointaine origine, il s’était tenu sur ton gouffre, dit-il, dans ton marais il avait déchargé des paquets et, de là, à travers tant de milliers d’ornières, il avait mené son attelage, que la mule de gauche ou celle de droite ait commencé à se reposer, ou les deux animaux ! Jamais pour les dieux des sentiers tu n’avais d’offrandes sacrées, sauf celle-ci, très récente : les rênes de tes pères et ta dernière étrille ! Mais ce fut jadis : à présent sur un siège d’ivoire il siège et se consacre à toi, jumeau Castor, et à toi, jumeau de Castor !
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Ce poème se présente comme l’éloge d’un personnage nommé Sabinus : dans les cinq premiers vers « le plus rapide » conducteur (il l’affirme lui-même !), dans les six derniers vers assis sur une chaise curule. Beau sujet de prosopographie certes que cette irrésistible ascension en si peu de temps, belle ironie aussi de passer du conducteur volant à son assise ! Quatorze vers intermédiaires rapportent d’autres propos du grand homme rappelant ses hauts faits ! Cette apparente célébration est écrite en iambes, et ce dixième poème du recueil suit un véritable éloge, écrit au poème 9 en distiques élégiaques, d’un Messala, vainqueur et poète : très probablement Messala Corvinus14 (64 av. J.-C. -8 après J.-C.). Le changement métrique des iambes n’est pas innocent mais souligne les pointes lancées contre Sabinus. De plus, dans le cas de Messala la célébration venait d’autrui : un poète inspiré par les Muses, alors que dans celui de Sabinus, elle vient essentiellement de lui qui se glorifie lui-même ! Mais ses propos sontils vraiment les siens ? Jouons alors ici, comme l’auteur de ce poème, avec Catulle, et mettons en parallèle le poème 4 de Catulle (première colonne du tableau) avec celui de Sabinus (seconde colonne) : tous deux sont écrits en iambes mais un bateau fait face au muletier !
14 Voir ainsi le Panégyrique de Messala : Corpus Tibullianum, III 7.
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Catulle, poème IV vers 1-5
Catalecton/Catalepton, poème X vers 1-5
Phaselus ille, quem uidetis, hospites, ait fuisse nauium celerrimus neque ullius natantis impetum trabis nequisse praeterire, siue palmulis opus foret uolare siue linteo.
Sabinus ille, quem uidetis, hospites, ait fuisse mulio celerrimus, neque ullius15 uolantis inpetum cisi nequisse praeterire, siue Mantuam opus foret uolare, siue Brixiam !
L’illustre bateau que vous voyez, passants, fut, dit-il, le plus rapide des navires ne se laissant surpasser par la vitesse d’aucune coque flottante, qu’il eût besoin de voler à la rame, ou à la voile.
L’illustre Sabinus que vous voyez, passants, fut, dit-il, le plus rapide muletier, ne se laissant surpasser par la vitesse d’aucun cabriolet16 volant, qu’il eût besoin de voler vers Mantoue, ou vers Brescia !
La retractatio est évidente mais l’humour diffère. Chez Catulle, il vient de la parole donnée à un navire, dans la tradition de bien des textes alexandrins qui animent ainsi un objet, par exemple une porte devant laquelle pleure un amoureux et qui sait ses amours (les auteurs du XVIIIe siècle en feront un Sopha ou des Bijoux indiscrets !). « L’illustre bateau » n’est pas davantage un modèle de discrétion mais ses vantardises portent sur sa vitesse ! L’humour du Catalepton est alors qu’un homme remplace le navire : belle chute pour qui se croit héros, d’autant que le nom du bateau (phaselus), imagé chez Catulle, renvoie à une coque de taille variable, mais effilée à un bout et recourbée à l’autre, comme une sorte de légumineuse, la dolique mongette, qu’on consomma abondamment avant l’arrivée du haricot en Europe. Notre Sabinus aurait-il quelque rhumatisme, lui qui croit aussi « voler » ? Quant à Mantoue et Brescia, elles évoquent des contrées de Cisalpine chères à Virgile. Et il y avait au nord de Brescia une vallée alpine peuplée de Sabini : le nom du muletier y fait-il allusion ? 15 La leçon ullius est la plus utilisée actuellement ; mais dans certains manuscrits
du Catalepton (B : Bruxellensis 10676 du XIIe siècle, qui est le plus ancien presque complet) et de Catulle (G : Germanensis, Parisinus 14137 de 1375, O : Oxoniensis Bodl. Canon. lat. 30 du XIVe siècle, M : Marcianus, biblioth. S. Marci, class. XII, lat. 80, Venetiis du XVe siècle), on trouve une leçon plus ancienne illius, qui insiste sur la qualité ou la célébrité de la « coque flottante » / ou du « cabriolet volant ». 16 Le « cabriolet » est évidemment une traduction approximative du cisium : véhicule gaulois léger à deux roues, adapté au transport rapide de passagers plus qu’à celui de bagages ; la leçon inpetum au lieu de impetum est celle du manuscrit B.
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Voyons alors les témoins que produisent le bateau et Sabinus, en sept vers chez Catulle, six dans le Catalecton / Catalepton : Catulle, poème IV 6-12 Et hoc negat minacis Adriatici negare litus insulasue Cycladas Rhodumque nobilem horridamque Thraciam Propontida trucemque Ponticum sinum, ubi iste post phaselus antea fuit comata silua : nam Cytorio in iugo loquente saepe sibilum edidit coma.
Catalepton, poème X 6-11 Et hoc negat Typhonis aemuli domus negare nobilem insulamue Caeruli, ubi iste post Sabinus, ante Quinctio, bidente dicit attodisse forcipe comata colla, ne quid Orion iugo premente dura uolnus ederet iuba !
Et il nie que sur ce point le rivage de l’Adriatique menaçante lui apporte un démenti, ou les îles des Cyclades, Rhodes la noble, l’effrayante Propontide de Thrace, le sauvage golfe du Pont, où ton futur bateau fut auparavant
Et il nie que sur ce point les demeures de Typhon son rival lui apportent un démenti, ou le noble îlot d’Azur, où ton futur Sabinus, auparavant Quinctio, dit avoir tondu aux ciseaux des encolures chevelues, pour qu’un bois chevelu ; car sur la cime du Cytore Orion ne leur fît pas de blessure quand le joug presse leur il fit souvent un sifflement par sa loquace raide crinière ! chevelure.
Les témoins du bateau sont alors des lieux : comment pourraient-ils nier, eux qui n’ont pas la parole ? Catulle s’amuse à animer, comme le bateau, tout ce qui le côtoie. Et en plus d’une parole virtuelle, voici que les lieux ont des caractères : menaçant, noble, effrayant, sauvage. Que cache ce développement que ne reprendra pas l’auteur du Catalepton ? De l’Adriatique au Pont (la mer Noire), un itinéraire s’y dessine et il va vers l’Orient avec crainte, en passant par Rhodes et la Propontide de Thrace (la mer de Marmara) ; son but est, sur la rive sud du Pont, un massif montagneux de Paphlagonie17, près de la ville du même nom : le Cytore d’où provient le bois du bateau, à son tour sifflant « par sa loquace chevelure ». Est-ce un buis, dont on sait par Virgile18 et Pline l’Ancien qu’il abonde sur le Cytore ? Le vent dans les 17 On peut lire une description générale de ces terres par exemple chez
Pomponius Mela, Chorographie I 19. 18 Sur les monts du Cytore où poussent les buis, voir Virgile, Géorgiques, II 437 : undantem buxo... Cytorum ainsi que Pline l’Ancien, Histoire naturelle livre XVI, XXVIII, 70-71 ; ville et monts sont près d’Amastris.
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branches d’arbres-nymphes pouvait être porteur de sens, mais ici ce n’est pas à Dodone qu’il conduit : ce trajet dont les adjectifs soulignent le caractère inquiétant, va vers l’Orient et il n’est pas sans évoquer les terribles campagnes menées par Pompée contre Mithridate VI, puissant ennemi de Rome dont la résistance dura jusqu’en 63 av. J.-C. ; car si l’on en croit Pline l’Ancien, plus à l’est du Cytore, se trouvait Amisum qui prit alors le nom de Pompéiopolis19. Toujours est-il que notre bateau est paphlagonien d’origine et en appelle à des contrées qu’illustrait alors le grand Pompée. Et depuis que Nicomède IV avait légué son royaume aux Romains en 74 av. J.-C., la Bithynie s’y rattachait pour constituer avec le Pont en 63 av. J.-C. une province romaine. Quelques années plus tard, en 57 av. J.-C., Catulle y accompagnait alors C. Memmius, nommé propréteur : son bateau semble s’en souvenir... Notre Sabinus peut-il rivaliser avec lui ? Un vers de moins caractérise certes ses propos et ses témoins sont moins nombreux. Peut-être même le contredisent-ils, car la leçon Et du vers 6, couramment adoptée par les éditeurs, est une reconstruction de Scaliger faite pour souligner la parenté entre les deux textes alors que les manuscrits plus anciens portent son contraire Neque : « Et il ne nie pas » ! Sabinus cite deux lieux d’apparence assez modeste : des « demeures » (avec un pluriel sans doute poétique20) et un « îlot » (l’ambiguïté du mot rappelle certes Catulle), mais leurs propriétaires ne le sont pas : le premier est Typhon, monstre né de Gaia et du Tartare, si grand que ses bras touchent orient et occident, qu’il déclenche des tornades et que les dieux l’écrasent avec peine sous l’Etna ! Voilà un premier jeu où la géographie et Sabinus avec elle, « rival » de Typhon, deviennent titanesques ! Son second témoin n’est autre qu’Azur (de ce Caerulus on peut essayer de traduire ainsi le nom) ! D’ouest en est, puis de la terre au ciel, toutes les dimensions sont cette fois nécessaires à Sabinus qui recourt même au surhumain ! Pareille amplification caractérisera-telle aussi ses origines ? Son nom initial y est donné, avec un suffixe en –io : Quinctio et non Quinctus. Pareil suffixe pourrait caractériser
19 Pline l’Ancien, Histoire Naturelle, livre VI, II 7. Quant à Rhodes, Pompée y fit plusieurs séjours pour voir Posidonius, avant et après la guerre contre Mithridate. Strabon précise qu’après sa victoire Pompée n’intégra pas dans la province du Pont quelques cantons de Paphlagonie dont il fit don aux descendants de Pylaménès (Géographie, livre XII, III 1). 20 La forme domus figure en effet dans les manuscrits.
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un esclave ou un affranchi d’après certaines inscriptions du CIL.21 ; pour C. Kircher22 sa valeur pourrait être celle d’un sobriquet sous la République, étendu à la plèbe et aux affranchis ensuite, avec peut-être une valeur affective : une sorte de « Quinti » ! Ses hauts faits consistent en effet à tondre les « encolures chevelues » des mules et l’on serait bien loin du « bois chevelu » du Cytore, si un « Orion23 » ne métamorphosait à nouveau les propos de Sabinus, soucieux de préserver ses bêtes de ce chasseur mythique devenu constellation : auraient-elles à leur tour atteint les étoiles pour être ses victimes ? Belle hyperbole en tout cas, soulignée par une métrique à trois longues pour Orion ! Est-ce alors pour y restituer un iambe que certains proposent à sa place par exemple24 un Cytorio iugo tiré de Catulle, comme était changé en Tryphonis le Typhonis du manuscrit B ? Le voyage se poursuit par une adresse directe aux témoins. Catulle, poème IV 13-21
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Amastri Pontica et Cytore buxifer tibi haec fuisse et esse cognitissima ait phaselus ; ultima ex origine tuo stetisse dicit in cacumine, tuo imbuisse palmulas in aequore, et inde tot per impotentia freta erum tulisse, laeua siue dextera uocaret aura, siue utrumque Iupiter simul secundus incidisset in pedem.
Cremona frigida, et lutosa Gallia, tibi haec fuisse et esse cognitissima, ait Sabinus ; ultima ex origine tua stetisse dicit in uoragine, tua in palude deposisse sarcinas, et inde tot per orbitosa milia iugum tulisse, laeua siue dextera strigare mula siue utrumque coeperat !
Amastris du Pont et toi Cytore porteur de buis, ces faits te furent et te sont très connus, dit le bateau ; dès sa plus lointaine origine il s’était dressé sur ta cime, dit-il, il avait trempé ses rames dans ta mer plane
Crémone froide, fangeuse Gaule aussi, ces faits te furent et te sont très connus, dit Sabinus; dès sa plus lointaine origine, il s’était dressé sur ton gouffre, dit-il, dans ton marais il avait déchargé ses paquets et de là par tant de milliers d’ornières il avait
21 Voir le Corpus des Inscriptions Latines pour Quintio (C. I. L. X, 1, 947. 5 ;
ibid. 1327. 6. ; un certain Quintio uiator est peut-être un affranchi : ibid. XI 2 5442) ; voir aussi Quartio (C. I. L. XI, 2, 5506, ibid. 6126, 9). 22 Grammaire fondamentale du latin, tome IX Création lexicale : la formation des noms par dérivation suffixale textes rassemblés et édités par C. Kircher-Durand, Peeters Publishers, 2002 ; voir en particulier les cognomina en -(i)o : p. 311 sq. 23 C’est la leçon de B : ne quid Orion (quid s’y rapporte à uolnus). 24 Voir ainsi R. E. H. Westendorp Boerma, ibid. tome II p. 28 ; l’édition aldine de 1517 proposait ne qua sordidum.
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Catulle, poème IV 13-21 et de là par tant de flots déchaînés il avait porté son maître, que la brise de gauche ou de droite l’appelât, ou qu’un Jupiter favorable fût tombé en même temps sur ses deux écoutes.
Catalepton, poème X 12-19 mené son attelage, que la mule de gauche ou de droite se fût mise à se reposer, ou les deux animaux25 !
Le bateau de Catulle est à nouveau un peu plus bavard26 que Sabinus. Il s’adresse à la ville d’Amastris en Paphlagonie, fondée par synécisme de quatre petites colonies ioniennes : Cytore, Tios, Cromna et Sesamos, centre de la nouvelle cité. Notre bateau semble aimer l’étiologie savante, et l’appliquer ensuite à ses propres origines puisqu’il prend les lieux à témoin de l’arbre qu’il fut avant d’être navire, puis de ses voyages en mer, en terminant sur son « maître » (Catulle et/ou Memmius ?), la brise et Jupiter ! Sabinus en revanche paraît plus ordinaire, en n’invoquant que Crémone, important nœud routier en Italie du nord, et la Gaule. Mais cette direction ne serait-elle pas celle des campagnes d’un autre imperator : désormais César, face à Pompée sur les rives du Pont et de la Bithynie ? Toujours est-il que le poète du Catalepton remplace les évocations amusées de grand style chez Catulle (cime, mer, flots déchaînés, maître, brise, Jupiter favorable à la manœuvre des cordages permettant à gauche et à droite d’orienter la voile), par des remarques triviales de style bas (gouffre, marais, ornières, attelage, mule) ! En croyant se louer, notre Sabinus s’enferre ! On signalera cependant encore que cette finale avec la mule pour sujet (mula) au vers 19 est une leçon tardive plutôt rare (éd. Antonius Zarot(h)us, Milan XVe siècle, ou Scaliger, Lyon XVIe siècle) alors que le manuscrit B du XIIe siècle et beaucoup d’autres ensuite ont mulas comme accusatif pluriel ; le sens est alors différent : « que sa main gauche ou droite / se fût mise à se reposer à l’égard des mules, ou les deux ! » Dans ce cas, on se rapproche de Catulle et Sabinus joue le rôle de la brise ou de Jupiter ! Quelle que soit la leçon retenue, on pourrait se croire loin du bateau paphlagonien si l’insistance sur les mules et sur la géographie 25 Le neutre inattendu de utrumque pourrait-il suggérer qu’il s’agit non seulement
des mules mais de Sabinus ? 26 Le texte du Catalepton répond en effet à celui de Catulle avec un vers de moins une seconde fois (voir les vers 6-11 qui précèdent, face aux vers 6-12 de Catulle).
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n’y ramenait étonnamment. L’explication s’en trouve d’abord chez Homère, dans un passage de l’Iliade27 qui évoque les Paphlagoniens : « Les Paphlagoniens obéissent à Pylémène au cœur viril. Ils viennent de chez les Énètes, du pays des mules sauvages. Ce sont les gens de Cytôre et ceux du pays de Sésame, et ceux qui ont leurs illustres demeures sur les bords du Parthénios, et ceux de Crômne et d’Égiale et de la haute Érythines. »
Pour qui est savant, le lien est désormais manifeste : entre le bateau paphlagonien de Catulle et Sabinus, il y a un premier point commun : les mules ! Et l’auteur du Catalepton s’en amuse d’autant plus qu’il inclut cette étiologie rare et savante dans la recherche que bateau et Sabinus font de leurs propres origines ! Construction en abîme, oserait-on dire, pour le héros du gouffre marécageux et des ornières28 ! Et il y a plus encore si l’on ouvre la Géographie de Strabon ; au livre XII, il décrit le Pont dont il est originaire et, après avoir rappelé ce texte de l’Iliade, il mentionne diverses hypothèses sur les (H)énètes en privilégiant celle de l’arrivée des Hénètes Paphlagoniens en Transpadane, avec Anténor après la prise de Troie : ...Suivant l’opinion la plus accréditée, ce nom d’Hénéti dans Homère désigne la principale des tribus paphlagoniennes, celle à laquelle appartenait Pylaeménès : la plus grande partie de la tribu, dit-on, avait suivi ce héros à Troie ; or, après la prise de cette ville, quand elle se vit privée de son chef, il est probable qu’elle passa en Thrace et gagna de proche en proche le pays connu aujourd’hui sous le nom d’Hénétie. Quelques auteurs ajoutent même qu’Anténor et ses fils s’étaient joints aux Hénètes fugitifs et que c’est ainsi qu’ils purent créer au fond de l’Adriatique l’établissement dont nous avons parlé dans notre description de l’Italie. On s’explique par-là, suivant nous, que les Hénètes aient disparu de la Paphlagonie sans y laisser de traces29.
Des Hénètes paphlagoniens à la Transpadane, il n’y a plus qu’un pas ! Pour qui connaît du moins Homère, les mythes de fondation des cités après la guerre de Troie, et les jeux étymologiques vrais ou imaginaires,
27 Iliade, II, 851-855, traduction de P. Mazon, Les Belles Lettres. 28 Strabon aussi va souligner le caractère fangeux de la Transpadane : « Toute la
Transpadane, mais surtout la partie occupée par les Hénètes, abonde en cours d’eau et en marais » (Géographie, livre V, 1, 5, traduction A. Tardieu, Paris, Hachette, 1867). Le géographe survivra certes à Catulle, mais il en est chronologiquement assez proche puisqu’il est né vers 64-63 av. J.-C. et mourra en 24-25 apr. J.-C. 29 Strabon, Géographie, livre XII, 3, 8, traduction A. Tardieu.
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qui se plaisent à rapprocher Hénètes et Vénètes30. Strabon renvoie de plus à sa description de l’Italie au livre V, où il commence par développer le nord de l’Italie avec la Transpadane, peuplée de Celtes et d’Hénètes ; allons-y avec lui pour de nouvelles surprises : ... « Il existe deux traditions différentes sur l’origine des Hénètes. Certains auteurs voient en eux une colonie de cette nation celtique des bords de l’Océan qui porte aussi le nom d’Hénètes ; suivant d’autres, une bande d’Hénètes-Paphlagoniens serait venue, après la prise de Troie, et sous les auspices d’Anténor, chercher un refuge jusqu’ici. On cite même comme preuve à l’appui de cette opinion le goût des habitants du pays pour l’élève des chevaux. Aujourd’hui, à vrai dire, cette industrie n’existe plus dans le pays, mais elle y est restée fort longtemps en honneur, comme un souvenir apparemment des soins que donnaient à leurs cavales mulassières ces anciens Paphlagoniens dont parle Homère, ces Paphlagoniens-Hénètes ‘venus du pays qui le premier vit naître la farouche hémione’. Ajoutons que Denys, le tyran de Sicile, avait recruté son fameux haras de chevaux de course dans les pâturages mêmes de la Transpadane, de sorte que les chevaux hénètes acquirent une renommée brillante jusqu’en Grèce et que la supériorité de leur race y fut pendant longtemps proclamée31. »
De la géographie, Strabon est passé aux hémiones et chevaux hénètes dont s’enorgueillissait même Denys : notre Sabinus peut être fier de ses mules, même si l’on doute que, faisant halte avec elles par tant d’ornières, leur équipage vole encore autant que les chevaux de course du tyran ! Toujours est-il que ces allusions étiologiques aux peuples et aux textes homériques, cachées sous la légèreté d’un humour apparemment badin, suggèrent un auteur fort savant et habile pour rapprocher, à coup de science et d’humour, un bateau et un muletier, la Paphlagonie et la Transpadane... Voyons alors la fin de nos deux poèmes.
30 À propos de Cromna en Paphlagonie, Pline l’Ancien rappelle ainsi Cornélius Népos : Cromna, quo loco Enetos adicit Nepos Cornelius, a quibus in Italia ortos cognomines eorum Venetos credi debere putat (« Cromna, lieu où Cornélius Népos situe les Énètes dont, pense-t-il, il faut croire que sont issus les Vénètes d’Italie qui portent le même nom », Histoire Naturelle, livre VI, II 5, traduction S. Schmitt, Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade, 2013, p. 256). 31 Strabon, Géographie, livre V, 1, 4, traduction A. Tardieu.
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Catulle, poème IV 22-27
Catalepton, poème X 20-25
Neque ulla uota litoralibus diis sibi esse facta cum ueniret a marei nouissime hunc ad usque limpidum lacum. Sed haec prius fuere ; nunc recondita senet quiete seque dedicat tibi, gemelle Castor et gemelle Castoris !
Neque ulla uota semitalibus deis tibi esse sancta praeter hoc nouissimum : paterna lora proximumque pectinem ! Sed haec prius fuere : nunc eburnea sedetque sede seque dedicat tibi, gemelle Castor, et gemelle Castoris !
Jamais aux dieux des rivages il n’avait fait d’offrandes, alors que de la mer il vint très récemment jusqu’à ce lac transparent. Mais ce fut jadis ; à présent dans le calme à l’écart il vieillit et se consacre à toi, jumeau Castor et à toi, jumeau de Castor !
Jamais pour les dieux des sentiers tu n’avais d’offrandes sacrées sauf celle-ci, très récente : les rênes de tes pères et ta dernière étrille ! Mais ce fut jadis : à présent sur un siège d’ivoire il siège et se consacre à toi, jumeau Castor et à toi, jumeau de Castor !
Les jeux de mots continuent, marqués par des reprises à l’identique, en apparence du moins : neque ulla uota...diis, sed haec prius fuere, seque dedicat tibi / gemelle Castor, et gemelle Castoris ; car le sens est parfois opposé : tandis que le bateau de Catulle n’a fait aucune offrande aux « dieux des rivages » (comme Portunus, Glaucus, les Lares Marini peut-être), Sabinus le muletier offre les insignes de son ancienne occupation et de celle de sa famille (rênes et étrille) aux divinités qu’il croise, les Lares des chemins (Lares semitales), de moindre importance sans doute que ceux des routes et carrefours (uiales, compitales) ou que Trivia. Aurait-il alors plus de piété que le bateau ? Bien des différences32 les ont caractérisés dans le passé, et continuent de le faire au présent, évoqué aux derniers vers de chaque poème : alors que le bateau revient au lac de Garde cher à Catulle33 pour une retraite calme baignée de transparence, Sabinus poursuit une ascension politique notoire puisque son nouveau siège d’ivoire évoque
32 L’édition aldine de Virgile en 1517 veut au contraire minimiser l’écart entre
bateau et Sabinus, en remplaçant le tibi des manuscrits par sibi et le sancta des manuscrits par facta, pour rejoindre le texte de Catulle : « Jamais... il n’avait fait... » 33 Où se situait exactement la demeure du poète puisque certains doutent aujourd’hui que ce soit la villa dite « Villa de Catulle » à Sirmione ?
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la chaise curule34, à l’origine en bois avec incrustations d’ivoire, emblème des plus hauts magistrats. Jusqu’où n’ira-t-il pas ? Sa piété relève peut-être alors plutôt du désir de cacher son passé. Et tandis que le voyage du navire évoque une sorte de retour de tradition épique, mais réussi puisqu’il parvient enfin à une calme vieillesse (senet quiete), Sabinus siège sur son siège (sedetque sede)35 ; à la sage grandeur du premier s’oppose l’élévation du second : assis ! Belle chute pour une épigramme ! Tous deux cependant se consacrent aux Dioscures : le bateau parce qu’ils sont protecteurs de la navigation36, Sabinus parce qu’ils sont de remarquables cavaliers, Castor en particulier « le dompteur de chevaux »37. Mais à Rome les Dioscures à cheval ne sont-ils pas aussi présents sur les monnaies républicaines et leur temple principal, consacré au forum en 484 av. J.-C. pour les remercier de leur mystérieuse intervention au secours des Romains lors de la bataille du lac Régille en 499 av. J.-C. d’après Tite-Live, n’abrite-t-il pas bureau des poids et mesures, banquiers ? Il y avait là un patronage bien intéressant pour Sabinus ! De plus, juste au sud de Brescia, entre Crémone et Mantoue se trouvait un lieu-dit ad Castoris38 ou Castorum39 à cause d’un vieux temple à Castor et Pollux : sur la route de Sabinus qui cite ces trois villes ? sans doute ; sur celle de Virgile ? Il est temps d’en venir aux identifications possibles de Sabinus. *
* * Comme il s’agit dans le Catalepton d’une épigramme très ironique sur une ascension politique majeure, le nom complet du personnage visé peut être caché, par prudence ou par jeu. Or à ce jour les historiens ne 34 Voir de même Nonius chez Catulle, poème 52 vers 2 : sella in curulei struma
Nonius sedet (« Nonius le scrofuleux siège sur une chaise curule », trad. G. Lafaye, Paris, Les Belles Lettres, 11e édition 1984). 35 Remarquons l’allitération en se qui est même triplée dans le Catalepton à la première syllabe de chaque mot consécutif : se(detque) se(de) se(que) : « lui... lui... lui... » ! 36 Voir par exemple l’Hymne homérique aux Dioscures I vers 6-8 : (Léda) « enfanta ces fils pour le salut des hommes de la terre, et pour celui des vaisseaux rapides, quand les tempêtes d’hiver fondent sur une mer implacable » (traduction J. Humbert, Paris, Les Belles Lettres, 6e édition 1976, p. 252). 37 Hymne homérique aux Dioscures I vers 3. 38 Voir Suétone, Vie d’Othon, IX. 39 Tacite, Histoires, II 24.
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semblent pas proposer de Romain qui soit à la fois muletier et nommé Sabinus... Deux grandes interprétations en résultent : la plus traditionnelle fait état d’un muletier devenu consul (mais il ne s’appelle pas Sabinus), la plus récente d’un Sabinus (mais il n’est pas muletier). Tous deux sont des proches de César. L’hypothèse la plus ancienne et souvent retenue par des critiques et historiens modernes aussi40 fait donc état de P. Ventidius Bassus (né vers 89 av. J.-C. et mort vers 38 av. J.-C.), « homme nouveau » parti de rien. L’enfance même de ce Picénien41 fut en effet difficile, puisqu’il avait été fait prisonnier tout bébé avec sa mère durant la Guerre sociale par Cn. Pompeius Strabo, le père du grand Pompée, à la bataille d’Asculum en 89 v. J.-C. et qu’il fut ainsi mené « dans le cortège triomphal de ce Cn. Pompéius »42. Adolescent et misérable, il dut « acheter des mulets et des chariots qu’il louait à l’État pour la translation des magistrats partant pour leurs provinces », ce qui le fit connaître de César « qui l’emmena avec lui dans les Gaules »43. Son talent et l’appui de César lui permirent alors d’être tribun de la plèbe puis, même après la mort de César, de gravir la carrière des honneurs : préteur44 et consul suffect45 en 43 av. J.-C., pontife. Sa fidélité envers César puis Antoine, jointe à la bassesse de ses origines lui valurent pourtant bien des attaques, dont témoignent par exemple une lettre46 de Plancus à Cicéron, évoquant « ce muletier de Ventidius » et surtout l’ironie des Romains : 40 Voir ainsi P. Vettori (1499-1584), mais aussi Th. Mommsen et K. Büchner par exemple : cf. R. E. H. Westendorp Boerma, Catalepton, tome II, p. 33. Sur Ventidius, voir également F. Hinard (dir.) avec la collaboration de D. Briquel, G. Brizzi, J.-M. Roddaz, Histoire romaine. Des origines à Auguste, Paris, Fayard, 2000, p. 877-881. 41 Le Picenum n’est certes pas près de Crémone mais il jouxte au nord un morceau d’ager Gallicus. C’est cependant un des arguments qui peuvent faire rejeter cette interprétation. 42 Voir Pline l’Ancien, Histoire naturelle, VII, XLIV, 135 (traduction S. Schmitt, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 2013, p. 343). 43 Aulu-Gelle, Nuits attiques, XV, IV (Œuvres complètes, trad. MM. De Chaumont, Flambart et Buisson, nouvelle édition revue par MM. Charpentier et Blanchet, Garnier Frères, 1920. 44 Voir Dion Cassius, Histoire romaine, XLVII, 15. 45 Il remplaça de fait Q. Pedius, mort dans l’exercice de sa charge : voir E. Babelon, Description historique et chronologique des monnaies romaines de la République romaine vulgairement appelées monnaies consulaires, tome II, ParisLondres, 1886, p. 526-528. 46 Cicéron, ad Familiares X, 18, 3 : Ventidii Mulionis.
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« Le peuple romain, qui se souvenait d’avoir vu Ventidius Bassus gagner sa vie à soigner des mulets, fut tellement choqué de cette élévation, que dans les rues de Rome, on lisait en maint endroit: “Accourez tous, augures et haruspices, un prodige inouï vient d’éclater : l’homme qui étrillait les mulets a été fait consul”47. »
C’est pourtant ce même P. Ventidius Bassus qui, légat d’Antoine en Asie, remporta d’éclatantes victoires contre Labiénus et les Parthes, et fut ainsi le premier général romain à triompher des Parthes en 38 av. J.-C.48. Un denier frappé en Orient en 38 av. J.-C. témoigne de ses titres et de sa victoire49 : à l’avers Marc Antoine triumvir, au revers un soldat nu, tenant une lance et une branche d’olivier, entouré de l’inscription PONT IMP (pontifex imperator) à gauche et à droite P VENTIDI. Controversé, P. Ventidius Bassus pouvait donc faire l’objet de louanges mais aussi de pamphlets : était-ce le cas dans le Catalepton ? Ou un autre « homme nouveau » était-il plutôt la cible des attaques ? L’autre hypothèse50 porte alors sur C. Calvisius Sabinus, préteur en 46 ou 44 av. J.-C. Lieutenant de César, il devint en 45 avant J.-C. gouverneur de la province d’Africa uetus et, lors de l’assassinat de César aux ides de 44 avant J.-C. le défendit51 avec Lucius Marcius Censorinus. Tous deux en furent remerciés en 39 avant J.-C. par un titre de consul, et la carrière militaire de C. Calvisius Sabinus se poursuivit sous Octavien jusqu’à un triomphe en 28 avant J.-C. pour ses victoires en Hispanie. Peut-être avait-il été aussi candidat52 à un consulat en 25 av. J.-C. mais l’épigramme avait probablement été écrite bien plus tôt, au temps où C. Calvisius Sabinus suscitait aussi l’ironie cinglante de Cicéron pour son alliance avec T. Statilius Taurus : en
47 Aulu-Gelle, op. cit. XV, IV ; en voici le final : nam mulas qui fricabat, consul factus est. 48 Voir Aulu-Gelle, Nuits attiques, XV, IV : ces faits nous sont connus par Suétone, précise Aulu-Gelle qui ajoute qu’à sa mort Ventidius fut enterré aux frais de l’État. Voir aussi Plutarque, Vie d’Antoine, 34-35. 49 Voir E. Babelon, op. cit. p. 526-528. 50 Th. Birt, E. Galletier, A. Rostagni, R. Syme s’opposent en effet à l’hypothèse de Ventidius : cf. R. E. H. Westendorp Boerma, Catalepton, tome II, p. 33. Voir en particulier R. Syme, « Sabinus the Muleteer », Latomus, 17, 1958, p. 73-80. 51 Il n’y en eut pas d’autre pour prendre la défense de César, d’après R. Syme, The Augustan Aristocracy, Oxford University Press, 1986, p. 33. 52 Voir R. Syme, op. cit. p. 33.
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jouant sur leurs noms l’orateur la nommait « Minotaure » dans une lettre53 à Q. Cornificius vers 43 av. J.-C. Sans doute les « hommes nouveaux » ne se ménageaient-ils pas entre eux dans ce contexte de guerres civiles, et le peuple, autant que l’aristocratie romaine, y ajoutait sa part de critiques et de mépris. Le pamphlet du Catalepton en témoigne aussi. Mais n’y aurait-il pas alors une troisième interprétation possible ? Et l’auteur du Catalepton ne jouerait-il pas, en virtuose exceptionnel, non seulement avec Catulle, mais avec Cicéron comme il l’a d’ailleurs déjà fait dans un autre poème54 du Catalepton où il reprend un mot cinglant de Cicéron ? Ici, dans le poème 10 du Catalepton, il aurait à son tour composé un monstre : fait cette fois du nom de Sabinus et du passé de Ventidius, pour réunir deux fidèles de César devenus tous deux préteurs, promis à un brillant avenir, et emblématiques des changements de société pendant les guerres civiles. *
* * Qui pouvait alors oser pareille parodie et qui pouvait en avoir le talent ? Ce poète devait bien connaître la Gaule Cisalpine et ses itinéraires, ses terres baignées d’eau : entre Crémone et Mantoue, le lieudit « aux Castors » à cause d’un ancien temple, puis plus au nord Brescia. Il devait entendre parler des milieux du pouvoir et de ceux qui se hissaient auprès des grands. Il devait pourtant avoir la légèreté des « poètes modernes » qui se réclamaient de l’alexandrinisme, pour être fin et plein de sel tout en étant profondément savant, connaisseur d’Homère et des origines des peuples et cités, en semblant rechercher les aitia d’un bateau ou d’un muletier ! Il devait surtout surpasser Cicéron et Catulle en imitant la raillerie de l’un par une chimère nouvelle « Sabinus le muletier », et la technique poétique de l’autre par un 53 Cicéron, Ad Familiares, XII 25 a : offensione Minotauri, id est Calvisii et Tauri : « le mécontentement du Minotaure, c’est-à-dire de Calvisius et Taurus ». 54 Il s’agit du poème 2 du Catalepton, cité par Quintilien comme étant de Virgile (Institution oratoire VIII, III, 26-28). En faisant semblant de se moquer d’un mauvais rhéteur le poète y aggrave la pointe féroce de Cicéron contre C. Annius Cimber : Germanum Cimber occidit (« C’est son frère germain qu’un Cimber a tué / c’est un Germain qu’un Cimbre a tué », Philippique XI, 6, 14). Le poème, toujours attribué à Virgile, sera ensuite retravaillé par Ausone (Technopaegnion, XIV, 5-8). Voir J. Dion, « Magie et politique dans le poème 2 du Catalecton / Catalepton : le pouvoir des mots », à paraître à Strasbourg dans les Hommages à G. Freyburger.
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poème presque semblable dont les mules étaient un point commun secret ! Mais pourquoi le composer avec deux vers en moins ? Était-ce pour mettre face aux 27 vers de Catulle (5 / 7 / 9 / 6) une nouvelle partition en 25 vers (5 / 6 / 8 / 6), qui permet d’intégrer le poème dans la construction générale55 du Catalepton ? Et ce poète était-il alors Virgile, lorsqu’il se trouvait à Naples près de l’Épicurien Siron avec ses amis56 Quintilius Varus (de Crémone), M. Plotius Tucca, P. Alfénus Varus, tandis que L. Calpurnius Pison, protecteur de Philodème de Gadara, était aussi beau-père de César ? Était-ce plus tard encore, puisqu’on sait les jeux de nombres57 inscrits dans les Bucoliques ? Sans doute cette épigramme est-elle plus fictive que véritablement inscrite comme accompagnement d’une peinture ou statue offerte aux Dioscures. Mais sous l’apparence d’un jeu et d’une chimère, elle écrit la moquerie que faisait naître l’ascension rapide de certains « hommes nouveaux » de la fin de la République. Son historiographie parodique raille moins des actes (caricaturés alors qu’ils pouvaient être souvent remarquables) que des hommes, qu’une société n’acceptait guère. Mais elle ne se contente pas de dire une histoire sociale. Elle montre aussi que le principe aristotélicien d’imitation poétique suscite des dialogues imaginaires entre auteurs (Catulle, Cicéron, Virgile ?) et fonde l’histoire des œuvres : faut-il alors inclure l’histoire littéraire dans l’historiographie ? Bibliographie Aulu-Gelle, Nuits attiques, XV, IV, Œuvres complètes, trad. MM. De Chaumont, Flambart et Buisson, nouvelle édition revue par MM. Charpentier et Blanchet, Garnier Frères, 1920. Babelon, E., Description historique et chronologique des monnaies romaines de la République romaine vulgairement appelées monnaies consulaires, tome II, Paris-Londres, 1886, p. 526-528. Brugnoli, G., Stok, F., Vitae Vergilianae Antiquae, Rome, Istituto Poligrafico e Zecca dello Stato – Archivi di Stato, 1997, 352 p. 55 On ne saurait développer ici la construction générale de l’œuvre en 225 vers (9 x 25 ou 15 x 15) mais elle suppose une figure en 60 vers (4 x 15), 75 vers (5 x 15) et 90 vers (6 x 15) ; voir J. Dion, « Relire le Catalecton / Catalepton : l’étonnante composition d’une œuvre attribuée à Virgile », (Re)lire les poètes grecs et latins, Nancy, A.D.R.A. et Paris, De Boccard, 2018, p. 173-191. 56 Certains figurent dans des poèmes du recueil. 57 Voir P. Maury, « Le secret de Virgile et l’architecture des Bucoliques », BAGB Lettres d’Humanité III, 1944, p. 71-147.
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Musing on the Past: Historical Epic and Epic History at Rome* John Marincola
As is all too well known, the study of early Roman literature is bedevilled by the extremely fragmentary nature of the evidence. The contributions of Martine Chassignet in this realm have brought great clarity and illumination, and her editions of the early Roman historians are models of care and good judgement.1 All of us who work in this area are in her debt, and I offer this brief series of observations as one who has learned so much from her work, in the hope that she may find here something of interest about the interplay of early Roman poetry and historiography. For historiography and poetry are closely intertwined in the beginnings of Latin literature. Indeed, it is noteworthy that unlike the Greeks, the Romans from the very beginnings of their literary endeavours display a persistent fascination with historical poetry. Naevius’ Bellum Punicum in the third century BCE, Cicero’s Marius in the first century BCE, and Lucan’s Civil War in the first century CE all stand as witness to the Romans’ consistent interest in thinking about their history through the medium of poetry. This seems distinctly Roman: it is true that the Greeks had historical poetry at the beginnings of their own literature, but once prose history began to be written, Greek historical epic largely faded.2 For the Romans, however, * Earlier versions of this paper were given at St Andrews and at the College of Charleston. I thank the audiences in both places for their helpful comments and criticisms. 1 M. Chassignet, Caton. Les Origines (Fragments), Paris, 1986; ead., L’Annalistique romaine I : Les Annales des Pontifes, L’Annalistique ancienne, Paris, 1996; ead., L’Annalistique romaine II : L’Annalistique moyenne, Paris, 1999; ead., L’Annalistique romaine III : L’Annalistique récente, l’autobiographie politique, Paris, 2004. 2 On Greek historical epic see E. L. Bowie, « Early Greek Elegy, Symposium and Public Festival », Journal of Hellenic Studies, 106, 1986, p. 13-35; id., « Ancestors of Historiography in Early Greek Elegiac and Iambic Poetry? », in N. Luraghi (ed.), The Historian’s Craft in the Age of Herodotus, Oxford, 2001, p. 45-66. It was once thought that historical poetry flourished in the Hellenistic era, but the demolition of this view by A. Cameron, Callimachus and his Critics, Princeton, 1995, p. 277-289 seems decisive. 10.1484/M.RRR-EB.5.121314
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historical epic remained for a long time both a viable way of thinking about the Roman past and a valuable medium with which to meditate on Rome’s achievements and challenges.3 Reconstruction of early Roman history or poetry is hazardous, and reconstruction of their relationship may be thought a fool’s errand. Nonetheless, the material is of such interest and the issues are so important that some attempt should be made, even if the results can only be suggestive and must of necessity fall far short of any notion of proof. What follows, therefore, are suggestions, which, if not very convincing themselves, may at least lead to others that are. It is important to emphasise at the outset, however, that I shall not argue for direct influence from history to poetry or the other way round. Given the state of our evidence, that would be difficult, if not impossible, to demonstrate. I use the terms « historical » and « poetic » in the sense of what we would expect from later times when generic consistency may have been more established. So, for example, when I say that this is a « historical » move, what I mean is that this is the kind of thing that is later associated with what we think of as historical accounts; the same with my use of the term « poetic ». I am aware as well that even the term we use, « historical epic », is itself problematic: is the Aeneid a historical epic? It is full of what the Romans (and we) would recognise as historical events, even if those events are not themselves the main subject of the poem. Yet calling it historical epic would not be entirely appropriate. In any case, I shall mainly refer to shared interests and approaches between historiography and poetry rather than influences directed from one genre to another. Cicero’s de Legibus, written in the late 50s, offers a sophisticated discussion about historiography and poetry, taking Cicero’s own historical epic, the Marius, as its starting point.4 The dialogue contains an amusing and urbane give-and-take amongst the three speakers – Cicero himself, his brother Quintus, and Atticus – and touches on topics of great interest and importance. Moving from Atticus’ initial question about whether the oak he sees is that which appeared in Cicero’s Marius, the dialogue takes up the issue of just how « historical » an 3 On Roman historical epic see R. Häussler, Das historische Epos der Griechen und Römer, 2 vols., Heidelberg, 1976-1978; S. M. Goldberg, Epic in Republican Rome, New York and Oxford, 1995. 4 See A. R. Dyck, A Commentary on Cicero, de Legibus, Ann Arbor, 2004, p. 4688; C. B. Krebs, « A Seemingly Artless Conversation: Cicero’s de Legibus (1.1-5) », Classical Philology, 104, 2009, 90-106; A. J. Woodman, « Poetry and History: Cicero, de Legibus 1.1-5 », in From Poetry to History, Oxford, 2012, p. 1-16.
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epic poem needs to be. Quintus and Marcus defend the poet’s right not to be held to the same standard as the historian, given the role that imagination plays in poetic composition; as for stories of old that have been handed down, Marcus says that « one should not inquire too diligently into matters that have been handed down in this way » (I, 4). Atticus counters, however, by pointing out that the subject of the Marius was not distant history, but events of the recent past, and also that Cicero, as a « native » source (since he and Marius were both from Arpinum) ought to be able to know whether the local tradition is true or not (ibid.). There is no resolution of the issue, and after Quintus intervenes to tell us that Cicero believes in different standards for poetry and history, Cicero himself gives his famous reply that they are, of course, different, since one is judged with a view towards pleasure, the other towards truth.5 It is noteworthy that Cicero recognises through Atticus a certain kind of disconnect between history – or at the very least, contemporary history – and poetry. For Atticus’ question about the oak tree, and whether or not it is the particular oak tree mentioned in Cicero’s poem, suggests a one-to-one relationship between events of the past and their literary representation. Despite the fact that Atticus’ attitude is mildly ridiculed, it is one that we might feel entirely appropriate to the man, who was, after all, himself a historian who laboured over exact chronology and the correct version of history’s events.6 At the same time, one can hardly fail to notice that Atticus is made to appear a bit unworldly in asking the questions that he does, since it seems to be assumed that an urbane and sophisticated reader would already know clearly how poetry worked and would be reluctant to ask such questions. In any case, it is by no means certain that any clear notion of historical as opposed to poetical truth emerges, though the suggestion is assuredly there. It is not even clear, from the open-ended nature of this conversation that any differences between poetry and historiography would be affected by whether the events were recent or of long ago. A poet writing of earlier history might be granted greater license than one writing on events of just a generation or two before, but here one must emphasise « might », for we cannot be certain. In some ways, that is the most noteworthy thing of all.
5 de Legibus I, 5: cum in illa ad ueritatem , Quinte, referantur, in hoc ad delectationem pleraque. 6 On Atticus’ historical work see FRHist 33 TT 1-5.
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Let us turn now to early historiography and poetry, and begin with something that we are pretty certain that we know. In his Roman Antiquities Dionysius of Halicarnassus tells us about the structure of the history of Fabius Pictor, the first Roman historian: it treated the founding of Rome fully, then ran over intervening events, then treated the events of Fabius’ own times more fully again (Antiquitates Romanae I, 6, 2).7 I say that we are « pretty certain » because it comes in a polemical passage of Dionysius, one in which he is justifying his own history of precisely that « run over » period, and historians are not always to be taken at their word when engaged in this type of polemic.8 So exactly how much Fabius « ran over » these events is uncertain; but let us assume that it was such as Dionysius says, and that after his fuller treatment of the founding of Rome, Fabius gave a summary account of events until his own time, when the narrative again became fuller. Though Fabius Pictor is undoubtedly the first Roman historian, he is not necessarily the first Roman to have treated historical events in a literary work, an honour that may belong instead to Cn. Naevius and his Saturnian epic on the First Punic War.9 It is impossible to determine whether Fabius or Naevius published his work first, and perhaps in some ways the more important thing is that both works should have appeared around the same time.10 Yet it hardly needs saying that it would be significant if the first treatment of Roman « history » appeared in poetry rather than prose. We are, of course, hampered in our reconstruction of this work by the fact that we have but sixty fragments, none longer than three lines.11 Originally a single 7 For the structure of Fabius’ history see M. Chassignet, L’Annalistique romaine
I, p. LXII-LXIX. W. Suerbaum, Die archaische Literatur von den Anfängen bis Sullas Tod, Munich, 2002, p. 112 points out that this « hourglass » shape of Roman history mirrors what oral historians have demonstrated to be the case for the ways in which societies remember events. 8 On the need for care when reading historiographical polemic, see J. Marincola, Authority and Tradition in Ancient Historiography, Cambridge, 1997, p. 218-236. 9 For an excellent overview of Naevius and his work, see Suerbaum, Die archaische Literatur, p. 104-119. 10 For the importance of the First Punic War on Roman literature see M. Leigh, « Early Roman Epic and the Maritime Moment », Classical Philology, 105, 2010, p. 265-180. 11 There are numerous editions of the fragments of the Bellum Punicum: see E. V. Marmorale, Naevius Poeta, Firenze, 1950, p. 233-259; W. Strzelecki, Cn. Naevii Belli Punici Carminis quae supersunt, Warsaw, 1959; M. Barchiesi, Nevio Epico, Padua, 1962, p. 547-558; W. Strzelecki, Cn. Naevii Belli Punici Carmen, Leipzig, 1964; J. Blänsdorf, Fragmenta Poetarum Latinorum, 4th ed., Stuttgart and
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roll, it was divided by a later scholar into seven books; its overall length remains disputed.12 Naevius mastered other genres as well, and he was likely the first writer to put on historical drama, the so-called fabula praetexta, at Rome; and he was, of course, an important influence on his successor Ennius, whose Annales are perhaps the most famous example of Roman historical epic. To return to Fabius and the « hour-glass » shape of his history. We know too little of the shape of either Naevius’ or Ennius’ poetry to say that either or both conformed to the Fabian type.13 It is also assumed that Naevius passed over the events of Roman history after its foundation and before the beginning of the First Punic War in 264, though we cannot be certain. But the significant point I wish to emphasise here is that Naevius in Book 1 of the Bellum Punicum portrayed a striking scene:14 in primo Aeneidos tempestas describitur, et Venus apud Iouem queritur de periculis filii, et Iuppiter eam de futurorum prosperitate solatur. hic locus totus sumptus a Naeuio est ex primo libro belli Punici. illic enim aeque Venus, Troianis tempestate laborantibus, cum Ioue queritur, et sequuntur uerba Iouis filiam consolantis spe futurorum. In Book 1 of the Aeneid a storm is described, and Venus complains to Jupiter about the dangers her son faces, and Jupiter comforts her by telling her that her posterity will flourish. All of this is taken from Book 1 of Naevius’ Punic War: there too Venus complains to Jupiter while the Trojans are beset by a storm, and after her complaint Jupiter comforts her by speaking of her posterity’s great expectations. Leipzig, 2011; E. Flores, Commentario a Cn. Naevi Bellum Poenicum, Naples, 2014. I cite the fragments from Blänsdorf’s edition with Flores’ numbers added. For discussions of the poem, there is a full bibliography to the year 2000 in Suerbaum, Die archaische Literatur, p. 111. 12 Suetonius, de grammaticis et rhetoribus, 2, 2; F. Leo, Geschichte der römischen Literatur, Berlin, 1913, p. 81 thought that the work was about 4,000-5,000 lines; Suerbaum, Die archaische Literatur, p. 112 says it cannot have been much more than 2,000 lines. M. von Albrecht, Roman Epic: an Interpretative Introduction, Leiden, 1999, p. 50 thinks it was about as long as Apollonius’ Argonautica. 13 It has usually been assumed that Ennius, at least, progressed through his narrative in a linear fashion with fuller treatment as he approached his own times, but see J. Elliott, Ennius and the Architecture of the Annals, Cambridge, 2013, p. 67-69 for some cautionary words on this. Naevius’ structure may not have been simply linear, however, but instead have relied on analepses and flashbacks: see Goldberg, Epic, p. 51-52. 14 F 14 = X Flores = Macrobius, Saturnalia VI, 2, 31 (R. A. Kaster text and translation).
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It is also clear from other testimonia about the poem that Naevius at least mentioned Dido and her sister Anna in the epic, though we have no direct evidence that Naevius had Aeneas encounter Dido, much less that he made the « causal » link, as Virgil does, between the earlier encounter of Aeneas and Dido and the later enmity between Rome and Carthage. If he did, of course, that would be an extremely important piece of evidence in his understanding his notions of historical causation and his attempt to link past and present.15 But we may already be getting ahead of ourselves. Denis Feeney has recently tried to de-familiarise the early literary history of Rome that we think we know, and has argued persuasively that much about the development of Latin literature – indeed its very existence – is striking and should not be taken for granted.16 With Naevius, then, we ought not simply to assume that this was the expected way of doing things: on the contrary, what is striking is that Naevius, in a poem about the Punic War, thought it necessary or desirable to go back and deal in some way with earliest times: with Aeneas’ flight from Troy and Romulus’ founding of Rome. Quite apart from trying to determine the possible Aeneas/Dido relationship in Naevius, we must not overlook the fact, which seems noteworthy in itself, that Naevius felt the need to tell the story of Aeneas at all, whether he did this in flashback or not. We are so used to thinking of Romans as regularly narrating their history ab urbe condita that we may not appreciate here the imagination displayed by Naevius in doing this in an epic on a contemporary event. It must be emphasised that the story of Aeneas did not need to have any particular relevance to the story of the First Punic War, and one can easily imagine a treatment without it. But given the fact that Naevius has a prophecy of future Roman greatness from Jupiter, in the context of Venus’ concern for her son’s life, it is clear that Naevius already made some sort of « historical » link between Rome’s earliest history – indeed, her prehistory, since Aeneas belongs to the time when the city was not yet founded – and the contemporary world of the Punic Wars. Now we know that Naevius accepted that Romulus was the grandson of Aeneas, and so it is clear that his entire view of Roman history was somewhat foreshortened compared with 15 For Dido and Anna, F 17 = XVIII Flores; I find von Albrecht, Roman Epic,
p. 49-50 persuasive that Naevius did indeed use the failed love affair of Aeneas and Dido as justification for the Punic Wars. 16 D. Feeney, Beyond Greek: The Beginnings of Latin Literature, Cambridge, Mass., 2016, passim.
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later accounts.17 This perhaps made it easier to see the past in the present; but however that may be, the presence of then and now, of past and present as being of immediate relevance to the story of the First Punic War is, as I said before, already a « historical » gesture by Naevius.18 And whether or not Dido and Anna played an important role in his epic, Naevius can only have mentioned them in connection with the history of Carthage itself, which again suggests that, in a manner that can be called historical, he felt that the early history of Carthage, like that of Rome, was relevant and necessary to his audience if they were to appreciate the First Punic war appropriately. It has been argued that Naevius was influenced by foundation (ktisis) poems on historical themes as they are known from the Hellenistic world, and that his poem thus represented a fusion of the ktisis poem with contemporary historiography. To this, however, two things need to be said: first, we know of no ktisis poem to have made such a long historical connection between past and present, or indeed even to have progressed to current times; second, if Naevius’ work predates Fabius’, then the poet had no Roman predecessor in writing contemporary Roman history.19 Again, we must not minimise what Naevius did: it was he who treated Aeneas and Romulus not as stories told for their own sake, but as the preliminary (and, quite possibly, the causal preliminary) to the events of his own lifetime. That, by any measure, is a long « historical » view. In his poem Naevius also noted that he had served in the first Punic War, whose history he was composing. This knowledge, which we owe to Varro via Gellius, is given to us without a context, alas, so it is not possible to be certain where it appeared in the poem or what the purpose of mentioning it was.20 Nonetheless, the remark is 17 F 27 = XXXVI Flores. See Flores, Commentario, p. 78, n. 115 for discussion. 18 Compare, for example, the very different chain of causation at the beginning of
the Iliad, where the background to the quarrel of Achilles and Agamemnon is an event – the dishonouring of the priest Chryses – that occurred only recently. (Of course, longer chains of causation are suggested as the Iliad progresses.) 19 Cf. Suerbaum, Die archaische Literatur, p. 112, «…Naevius habe zwei verbreitete Formen der literarischen griechischen Geschichtsschreibung, die κτίσις(origo-) Literatur und die Zeitgeschichte, miteinander verbunden.» We do not know Naevius’ sources for his account of the war: I do not find persuasive the notion of some unknown Latin chronicler: see F. Bömer, « Naevius und Fabius Pictor », Symbolae Osloenses, 29, 1952, p. 34-53; F. Altheim, « Naevius und die Annalistik », in Festschrift J. Friedrich, Heidelberg, 1959, p. 1-34. 20 F 2 = II Flores (Aulus Gellius XVII, 21, 450: M. Varro in libro de poetis primo stipendia fecisse ait [Naeuium] bello Poenico primo, idque ipsum Naeuium dicere in
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important even if we do not know its context or exact location, since the information makes Naevius no longer just the chronicler of events but also a participant, like many of the Greek and (later) Roman historians. A historian might give some such information about himself in the preface of his history, but that is not always the case; Naevius might have saved it for a second preface or the like, when he came to narrate the First Punic War proper.21 But wherever he gave that information, it seems hard to see it as anything other than as a way of establishing some kind of authority to narrate the events that he does. Polybius, of course, was later to express the belief that this kind of experience was absolutely essential to a historian, a point he makes with some vehemence.22 But it is not clear why a poet would have to do this – that is, if we are thinking in terms of our usual dichotomies that poets rely on the Muses, historians on their inquiry and experience. It has long been noted that in early Greek historiography, beginning with Hecataeus, the Muses of poetry are absent, their authorising function being given over to the historian’s own mental powers of rationalisation or his inquiries which will yield a kind of truth.23 Yet we know that Naevius invoked the Muses in his poem: this line, although usually appearing first in our editions of the Bellum Punicum, did not necessarily open the poem, but there can be little doubt that Naevius invoked them, and it is hard to see why he would have done so except as a way of establishing his poetic authority.24 We might be tempted to separate the two and say that he may have used different types of validation for different types of events, those of the distant past and those of more recent history. Yet such divisions, with a « mythological » first half and a « historical »
eo carmine quod de eodem bello scripsit. (« Marcus Varro says in the first Book of his On Poets that Naevius served in the First Punic War and that Naevius himself makes that statement in the poem which he wrote on that same war. ») 21 Scholars have placed it at the beginning, in the middle, and at the end; see the survey of opinions in Barchiesi, Nevio Epico, p. 512-513 (he himself would place it tentatively at the beginning of Book 4). For the historian’s experience as validation, see Marincola, Authority and Tradition, p. 175-216. 22 See, e.g., Polybius XII, 25g, 1-2, with Marincola, Authority and Tradition, p. 133-148. 23 See, e.g., Hecataeus, FGrHist 1 F 1a with Jacoby’s commentary ad loc. 24 See Barchiesi, Nevio epico, p. 511-512; W. J. Latacz, « Zum Musen-Fragment des Naevius », Würzburger Jahrbuch für die Altertumswissenschaft, n.s. 2, 1976, p. 119-134.
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second part, may be invalid,25 and in doing this we are perhaps asserting categories that have meaning for us or for later authors in antiquity but not necessarily for those writing in early times: what if Naevius thought the two means of establishing his authority – the Muses and his service in the war – were complementary or even – and this might require a real leap of imagination for us – interdependent?26 That might force us to re-configure our categories pretty seriously. Let us consider two other fragments briefly. One concerns an unknown figure who reflects on the fortune of mankind (F 18 = XIV Flores): ei uenit in mentem hominum fortunas (« there came into his/her mind the fortune of men »). Much ink has been spilled on the person to whom ei refers, some thinking that it is Dido asking about Aeneas’ travels (this for those scholars who think that Dido and Aeneas were portrayed together in Naevius), some that it was Latinus asking Aeneas after the latter’s arrival in Latium.27 Again, what seems noteworthy is that a figure, whoever it may be, is shown as reflecting on the fortunes of mankind. This is a theme well known from Polybius’ history, where distinguished leaders, when they are about to capture or have already captured an enemy, reflect at the moment of their success on the fortunes of mankind: Aemilius Paullus with Perseus (XXIX, 20), for example, or Scipio Aemilianus at the taking of Carthage (XXXVIII, 21). Polybius’ preface indicates, however, that this was a common theme in Greek historiography, where he notes that « all historians » more or less have argued this (I, 1, 2), and so we might see Naevius’ remarks, even without knowing the context, as having a certain common interest and kinship with ideas and modes of expression that we know from historiography. Finally, there is a brief piece of battle narrative from Book 4, where C. Atilius Regulus attacks the island of Malta in 257. The style is brisk, with five verbs in two lines (F 37 = XLIII Flores):
25 Elliott, Ennius, p. 198-210 has a good discussion of the difficulty of separating
« mythical » from « historical » material. 26 One might compare Phemius’ claim at Odyssey XXII, 347-8 that he is both self-taught (αὐτοδίδακτος) and inspired by a god; on the passage see J. Russo et al., A Commentary on Homer’s Odyssey Volume III: Books XVII-XXIV, Oxford, 1992, p. 279-281; cf. C. P. Segal, Singers, Heroes, and Gods in the Odyssey, Ithaca, 1994, p. 138: « The ancient poet views his art as coming both from his own power and from a god » (emphasis original). 27 See Flores, Commentario, p. 26-27.
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transit Melitam Romanus [exercitus], insulam integram urit, populatur, uastat rem hostium concinnat. The Roman crosses over to Malta, an island unimpaired; he sets it afire, he plunders it, he lays waste to it, he sets in order the affairs of the enemy.
One notices that the verbs are all in the present tense, a mannerism that is quite common in Roman historiography (it is not uncommon in Greek as well), and that the action is told in a vivid style, with the accumulation of actions moving quickly.28 Now we cannot know whether or not this was Naevius’ manner everywhere in a military narrative; one would rather doubt it. But this straightforward and seemingly unadorned manner was, according to Cicero, characteristic of the early Roman historians; and although it was a complaint of Cicero’s that the early historians wrote in this way, his views were clearly not shared by many Latin writers.29 The vigorous movement of Naevius’ lines here offers a useful model for the rapid overview of a military event. Let us turn back again to Fabius Pictor. One aspect of Fabius’ history that comes through, even with the wretched state of his fragments, is his interest in omens and dreams. If we are looking for ways in which these early prose and poetic treatments have similar approaches, this seems an important one. Cicero in the de diuinatione tells us that Fabius asserted in his treatment of Aeneas, that « everything that was done by Aeneas and everything that happened to him were things that appeared to him in his sleep ».30 This prominent role for dreams is noteworthy in its comprehensiveness: was it really everything? Now one finds dreams in historiography from Herodotus onwards, and Polybius found fault with Timaeus for filling his history with them; but it is not common otherwise in the Hellenistic historiography that has come down to us (even conceding that much of Hellenistic historiography is lost) and the dreams that we do find are
28 On Naevius’ use of the historical present see Barchiesi, Nevio Epico, p. 333; cf. p. 338-339. 29 Cicero, de Oratore II, 52ff.; de Legibus, I, 7. 30 Cicero, de Divinatione, I, 43 = F 3 Chassignet: Fabii Pictoris Graecis annalibus eius modi est, ut omnia, quae ab Aenea gesta sunt quaeque illi acciderunt, ea fuerint, quae ei secundum quietem uisa sunt. See Chassignet, L’Annalistique romaine I, p. 76.
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not prophetic in this way, or if they are, they are not giving directions in the way that Pictor’s Aeneas seems to have experienced.31 To see just how « intrusive » such dreams might be, Diodorus’ summation of Fabius’ treatment of the foundation of Alba Longa is valuable:32 φησὶ γὰρ Αἰνείᾳ γενέσθαι λόγιον, τετράπουν αὐτῷ καθηγήσεσθαι πρὸς κτίσιν πόλεως· μέλλοντος δ᾿ αὐτοῦ θύειν ὗν ἔγκυον τῷ χρώματι λευκήν, ἐκφυγεῖν ἐκ τῶν χειρῶν, καὶ διωχθῆναι πρός τινα λόφον, πρὸς ᾧ κομισθεῖσαν τεκεῖν τριάκοντα χοίρους. τὸν δὲ Αἰνείαν τό τε παράδοξον θαυμάσαντα καὶ τὸ λόγιον ἀνανοούμενον ἐπιχειρῆσαι μὲν οἰκίσαι τὸν τόπον, ἰδόντα δὲ κατὰ τὸν ὕπνον ὄψιν ἐναργῶς διακωλύουσαν καὶ συμβουλεύουσαν μετὰ τριάκοντα ἔτη κτίζειν, ὅσοσπερ ὁ τῶν τεχθέντων ἀριθμὸς ἦν, ἀποστῆναι τῆς προθέσεως. [Fabius] says that Aeneas received an oracle, to the effect that a fourfooted animal would lead him to the place for the foundation of the city. When he was about to sacrifice a pregnant sow, white in colour, it escaped from his hands, was pursued to a certain hilltop, and, having reached it, gave birth to thirty piglets. Aeneas was astonished at this remarkable event, and, recalling the oracle, he set to work on founding a city on the spot. But in his sleep he saw a vision which clearly prohibited him from doing so, and counselled him to carry out the foundation after thirty years, corresponding to the number of piglets born, and he accordingly abandoned the project.
This is, to say the least, a somewhat complicated story, not least because an initial oracle must then be clarified by a monitory dream, such that the oracle seems only to have given the location for the future city, while the dream indicates the time. But whatever the circumstances, the active presence of the divine here is unmistakable. A dream plays a similar role in a further fragment, which concerns the gods’ displeasure at an interrupted celebration of votive games during the Latin war. In this story, « there appeared to a certain Roman rustic, while he slept, a figure who said that he had not liked the leading dancer at the games … », a reference to a slave who had been beaten and was led through the circus carrying stocks. The dream also said that the rustic was to report this to the senate but he held back and 31 E. Bispham and T. J. Cornell, in T. J. Cornell, ed., Fragments of the Roman
Historians, 3 vols., Oxford, 2015, vol. III, p. 13 say that this is « a feature borrowed from Hellenistic historiography », but they offer no comparanda, and I think it unlikely. For Polybius’ criticism of Timaeus’ dreams, XII, 24, 4. 32 Diodorus VII, 5, 4-5 = F 5 Chassignet = FRHist 1 F 5; translation as in FRHist.
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after a series of misfortunes (including the death of his son and his own illness) visited him, he finally gave way and reported it to the senate, after which he himself was restored to health. The senate then, of course, repeated the games.33 If we recall Naevius’ conceit of having Jupiter give his prophecy on the future greatness of Rome, we can see here, I believe, an analogue in Fabius’ work, a way for the historian (who does not allow himself to have a colloquy of the gods) to maintain the presence both of the divine and of the guiding hand of heaven in the actions of the Roman state. The divine protection over Rome is maintained, indeed extended, and in the world of both epic and prose history the divine ensures that the Romans will do what is needed for them to maintain the pax deorum (even if they need a bit of prodding now and then) and to retain the favour of the gods in their rise to empire. Looked at in this way, the divine interventions of oracles and dreams, I am suggesting, allow Fabius to work out in a similar way the grand future prophesied by Jupiter in the first book of Naevius’ poem. Again, I do not claim a one-to-one correspondence between the two authors, but rather call attention to the similar way in which both authors are concerned with the relationship of the gods and the Romans, and to the different means whereby that interest may have played out in their works, the epic offering a colloquy of gods, the history guiding dreams. Nor was it simply Fabius who employed dreams in his history, as witness a similar kind of story from Cato’s Origines, in which the sow gives birth to thirty piglets at the future site of Lavinium. When Aeneas hesitated to found the city because of the sterility of the soil, the Penates appeared to him in a dream and exhorted him to found the city; and that after thirty years the Trojans would migrate to a more fertile place and found the most renowned city in Italy.34 Here again, now with a slight twist, a dream appears to Aeneas to tell him what he is to do: prophecy, as with Fabius, is uttered not by a god to a goddess in direct colloquy with a human, but nevertheless by divine entities to a human being. The divine presence is maintained but in a different way; and the passage goes on to state that Latinus, the king of the Aborigines, was also visited by dreams informing him that he would be more secure against his enemies if he joined his forces with those 33 Cicero, de Div. I, 55 = F 19 = FRHist 1 F 14. See Chassignet, L’Annalistique romaine I, p. 84. 34 Origo Gentis Romanae 12.5–13.2 = Chassignet, Caton, I, F 14b = FRHist 5 F 10.
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of strangers, and because of this came to an agreement with the Trojans. So it is not just Romans on whom the gods visit these dreams, but also on those who find themselves to be part of the Roman destiny. Let us turn now to Ennius.35 Given constraints of space, I can consider only two passages here, but both seem to me to be of interest for the interplay of prose history and epic poetry in these early days of the Romans’ construction of their past. The first passage is quoted by Varro in the de re rustica (154-5 Skutsch): septingenti sunt, paulo plus aut minus, anni augusto augurio postquam incluta condita Roma est. It is seven hundred years, a little more or less, since renowned Rome was founded with august augury.
The lines have occasioned much discussion, with commentators pointing out that if Ennius had said this in his own person he would have assumed that Rome had been founded around 880. They go on to say that since Ennius (like Naevius) made Romulus a grandson of Aeneas, he must have been thinking of a date around 1100, since he would have followed Eratosthenes’ canonical date for the fall of Troy in 1184. That being the case, the lines (it is further argued) are probably spoken by a character in the narrative sometime around the year 400, and they have been linked with Livy’s portrayal of Camillus rejecting the suggestion of moving to Veii after the Gallic sack of Rome, where there are perhaps some verbal echoes.36 Yet there is reason to be hesitant about such a reconstruction. Feeney has pointed out the mysterious nature of Ennius’ chronology, including his 700-year periods, and more recently Elliott has made a strong case that Ennius may have been influenced by Timaeus’ date 35 Ennius has had an astonishing renaissance of interest of late: four books in the last several years, including V. Fabrizi, Mores veteresque novosque: rappresentazioni del passato e del presente di Roma negli Annales di Ennio, Pisa, 2012, on the relationship of Roman cultural memory to Roman hegemony; Elliott, Ennius, a massive re-examination of the entire tradition about the Annales (with far-reaching implications for any who engage in trying to reconstruct the work); N. Goldschmidt, Shaggy Crowns: Ennius’ Annales and Virgil’s Aeneid, Oxford, 2013, on Virgil’s struggle with Ennius as keeper of Rome’s memory; and J. Fisher, The « Annals » of Quintus Ennius and the Italic Tradition, Baltimore, 2014, on the specifically Italic elements in Ennius’ construction of the Roman past; not to mention the series of commentaries on the Annales overseen by E. Flores, 5 vols., Naples, 2000-2009. 36 See O. Skutsch, The Annals of Q. Ennius, Oxford, 1985, p. 314-315.
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of 814.37 That possible relationship with Timaeus would have interesting consequences for our notions of how Ennius researched his epic and indeed how he saw his role. But although that and the larger questions here are interesting and relevant to our topic, I want merely to focus on those four words paulo plus aut minus. Otto Skutsch in his magisterial commentary says that « the modification of the numeral sounds rather prosaic ».38 Possibly so; but rather than judge the phrase’s poetic merits, I would call attention to the very fact of the qualification. For whether it appeared in Ennius’ voice (as the context of Varro’s remarks strongly suggests) or in the speech of one of his characters, the qualification adds a note of uncertainty, a striving for some scholarly accuracy, and a recognition that the round number 700 is only an approximation. Why this would be thought necessary in a poem that was invoking the Muses for its authority strikes us as unusual only if we have already established categories that would strongly define and delineate the poetic mode of expression over against that of historiography. It would, of course, have been very easy for Ennius simply to say (or have his character say) « 700 » and be done with it. Yet Ennius’ modification of the number, whether or not it is the « influence » of historiography on epic poetry, can be seen as an attempt to display a kind of historical precision – or, if we do not wish to put it in such strong terms, to display that he is aware that such matters are subject to the kinds of dispute that one finds in historical works. Contemporary debates about chronology here make their influence felt. A final passage is suggestive for what is missing. At the beginning of Book 7, Ennius refers to his predecessor Naevius’ Bellum Punicum with the well-known lines (206-7 Skutsch): scripsere alii rem uorsibus quos olim Faunei uatesque canebant others have written of the matter in verses which formerly Fauns and seers used to sing
The verses are quoted by Cicero in a discussion in which he notes that Ennius, although having treated « all our wars », passed over (reliquisset) the First Punic War. Much has been written on these lines, and what 37 D. Feeney, Caesar’s Calendar: Ancient Time and the Beginnings of History,
Berkeley, 2007, p. 99; Elliott, Ennius, p. 65 with n. 158. 38 Skutsch, The Annals, p. 315, who places the fragment in Book IV; cf. the discussion of E. Flores et al. (ed.), Quinto Ennio: Annali (Libri IX-XVIII), Naples, 2006, p. 449-451, who place the fragment in Book XVIII.
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reliquisset might cover: does it mean that Ennius provided only a brief treatment of the war or completely omitted it? Either is possible and since Book 7 had material from the Second Punic War in it, Ennius must have, if he did treat the war, done so rather briefly indeed.39 But Elliott has pointed out that the belief that Ennius must have treated the First Punic War rests on the assumption that he was writing a comprehensive historical account and would thus have felt the need to treat everything, or at least everything major, in Roman history. She herself has called that notion into question, and has argued instead for an Annales that highlighted developed episodes rather than felt the need to treat every incident from Roman history, and I think that she is largely successful in this attempt.40 I mentioned above the fact that the First Punic War must have loomed large in Fabius Pictor’s history, if we are to judge by Polybius’ treatment of it in the first two books of his history. Pictor, of course, may have used Naevius as a source for his account of the war, but any thought of Pictor here seems ruled out by the fact that Ennius is thinking simply of poetry, vorsibus, not of prose history; nor, as Skutsch pointed out, need we think of anyone other than Naevius despite the plural alii.41 What might strike us as strange in Ennius’ decision to pass over the First Punic War, however, is not only the belief that he must have, or ought to have, treated all the major events of Roman history, but also that his practice seems at odds with what we know of later writers who come to events that have been treated by others. Livy in his preface famously remarks that later writers always believe they will exceed their predecessors either in new information or superior style (praef. 2), and Livy himself rewrote the whole of Roman history in his own style, hardly deterred by previous historians. But his situation was different in kind: for he was writing when there were already numerous other histories of Rome, either monographs on particular wars and events, or wholesale treatments beginning from Romulus and Remus. Ennius’ situation, by contrast, was different: he did not have a series of previous attempts which he was then going to correct or improve; on the contrary, he was a pioneer (and saw himself as such). But Naevius too, he must have realised, was also a pioneer, and his work, even if it might have been seen by later generations as 39 See the discussion in Skutsch, The Annals, p. 366-369; E. Flores, et al. (ed.), Quinto Ennio Annali (Libri I-VIII), Naples, 2002, p. 179-181. 40 See Elliott, Ennius, p. 38-40. 41 See Skutsch, The Annals, p. 371; cf. Flores, et al., Quinto Ennio, p. 183.
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« crude », was a full account of what many considered the greatest war in history (again, to judge by Polybius’ remarks). His reaction is much more akin to that of, say, Thucydides who began his work from where Herodotus left off and who satisfied himself with a few critical remarks about his predecessor and left it at that.42 Thucydides’ work too became a monument of its sort, a work that was early on recognised for its greatness and was given a great deal of room by those who came after. People might try to complete the account, but they did not go back and redo it; or, if they did, it was in a much different context. Plutarch in his Life of Nicias begins by saying that he is not so great a fool as Timaeus who tried to outdo Thucydides’ account, but that he himself will instead be content to fill in the portrait of Nicias with information that he has gathered from other sources and that Thucydides chose not to use.43 So in the case of Ennius one must wonder too whether the fact that Naevius was a contemporary and a participant in the war – the two things, after all, that Polybius had said were most important in a historian – gave him a status that mattered, whatever one thought of the aesthetic value of his language. * To sum up, then. As I said at the outset, I have not presented a developed thesis in this paper which I wished to argue and/or demonstrate. Theses about early Roman literature are always hazardous and must remain so, given the state of our evidence. I have tried instead to point out, by citing just a few cases, that there is much of interest in the way the earliest writers on the Roman past went about their task and struggled to give meaning and shape to their people’s history. That some of these might strike us as unusual is perhaps more revealing of the gulf between us and them, but it shows as well the success that later Roman writers had in forging different ways of telling the story of their past, ways that in the end came to be seen as more appropriate and satisfying, and that cast the efforts of these first writers into the shade. Because of this we can only dimly perceive them. But it remains an important part of our task – a task greatly helped by the works of Martine Chassignet – not to lose sight of them. 42 Thucydides I, 20 (critical remarks on Herodotus); I, 89 (beginning from Sestos,
where Herodotus had ended); on the phenomenon of historical continuators, see L. Canfora, « Il ciclo storico », Belfagor, 26, 1971, p. 653-670; English translation in J. Marincola (ed.), Greek and Roman Historiography, Oxford, 2011, p. 365-387. 43 Plutarch, Nicias 1, 1; cf. 1, 6.
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Speech in the Early Roman Historians John Rich
Martine Chassignet’s four-volume edition of the fragmentary early Roman historians is a superb achievement, providing for the first time a modern treatment of the highest quality to replace for these writers the long-outdated work of Hermann Peter.1 I and my fellow members of the team led by Tim Cornell which recently produced an anglophone edition of these and the later fragmentary Roman historians were constantly aware of how much we owed to Mme Chassignet’s work.2 It is a pleasure to offer her here some reflections on a relatively neglected aspect of the early historians to whose study she has contributed so much. In what follows, the fragments of these writers are cited by the numerations of Chassignet and of the Cornell team, indicated (where the fragment numbers differ) by the abbreviations ‘Ch.’ and ‘Co.’ Other references to our edition use the standard abbreviation FRHist. Speech played an essential part in all Greek historical writing and took a variety of forms, ranging in scale from brief remarks and exchanges to full-length orations and debates, and employing sometimes solely direct or indirect discourse and sometimes a combination of the two. The same is true of extant Roman historical works from Sallust on, but how far did this apply also to the earlier historians whose works are preserved for us only in fragments? In this paper I shall consider what can be established about the part played by speech in these histories and how early it featured in the Roman historiographical tradition. In two famous passages in his dialogues, Cicero argued (putting his opinions in the mouths of respectively Antonius and Atticus) that only an accomplished orator could write a satisfactory history and, although outstanding works had been produced on Greek history, no 1 H. Peter, Historicorum Romanorum reliquiae, vol. 1, 2nd ed., Leipzig, 1914 (hereafter, HRR); M. Chassignet, Caton : Les origines (fragments), Paris, 1986; L’Annalistique romaine, vols 1-3, Paris, 1996-2004. H. Beck and U. Walter, Die Frühe Römischen Historiker, vols. 1-2, Darmstadt, 2001-4, reproduces Chassignet’s text, with valuable commentary. 2 T. J. Cornell et al., The Fragments of the Roman Historians, Oxford, 2013. 10.1484/M.RRR-EB.5.121315
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adequate Roman history had yet been composed. Thus in the De oratore (2.53-4) he tells us that the early Roman historians, citing Fabius Pictor, Cato and Piso as instances, ‘left just records of dates, persons, places and events without any adornments’ (sine ullis ornamentis monumenta solum temporum, hominum, locorum, gestarumque rerum reliquerunt), and only limited improvement was achieved by Coelius Antipater, who ‘raised himself a little and imparted to history a loftier tone’ (paulum se erexit et addidit maiorem historiae sonum uocis). Similarly, in the De legibus (1.6-7), adding Fannius and the obscure Vennonius to his previous list of early historians, he asks ‘what could be as plain as all of them?’ (quid tam exile quam isti omnes?), and goes on to criticize Coelius and his successors as still leaving much to be desired by oratorical standards. These claims about their oratorical limitations might suggest that the first Roman historians did not include speeches in their histories in the Greek manner. Peter indeed held that Coelius was the first to introduce invented speech, and some recent writers have taken the same view.3 However, as has long been recognized, Cicero’s characterization of the early histories is distorted, and Briscoe has recently presented a more nuanced view of the part played by speech in these works.4 In this paper, I seek to expand on Briscoe’s interpretation. Our knowledge of the early historians is largely shaped by the character and interests of the sources citing the fragments.5 The majority of these comprise either historians and biographers who cite the early historians as historical sources, generally without verbatim quotation, or lexicographers, grammarians and the like who cite short passages verbatim to illustrate points of language. Only a few writers like Aulus Gellius cite some more extensive passages verbatim. This citation pattern has particularly negative consequences for our knowledge of the early historians’ use of speech: the non-verbatim citations by historians and biographers are only rarely of use for this enquiry, and, while linguistic indicators like first or second person pronouns or verb forms indicate that some verbatim fragments are in 3 Peter, HRR 1, p. ccxviii; R. Brock, « Versions, “inversions”, and evasions: classical historiography and the “published” speech », Papers of the Leeds International Latin Seminar 8, 1995, p. 209-224, at p. 224, n. 46; Beck and Walter, Die Frühe Römischen Historiker 2, p. 38; A. Mehl, Roman Historiography, Malden, 2011, p. 52, 58. 4 J. Briscoe, at FRHist 1, p. 262. 5 For full discussion of the citing authorities see FRHist 1, p. 38-137.
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or include direct speech, the context often remains unknown. However, despite these drawbacks, some progress can be made. Q. Fabius Pictor, who composed the first Roman history around the end of the third century BC, wrote his pioneering work in Greek, and this example was followed by his immediate successor L. Cincius Alimentus and two further writers working in the mid second century, A. Postumius Albinus and C. Acilius.6 No verbatim fragments of these Greek histories survive and we have no direct evidence as to whether their works included speech. However, various indications suggest that (contrary to Peter’s assumption) Fabius’ work included speech, and, if so, the same is likely to be true for the later histories in Greek. As is now generally recognized, Fabius is likely to have taken as the principal model for the structure and character of his history not, as Cicero claimed in the passages cited above, the so-called Annales Maximi, the annual record of events posted outside his house by the pontifex maximus, but rather Greek historical writing.7 This debt in itself makes it likely that he included speech in his history, since he could hardly have omitted such a characteristic and central feature of Greek historiography. One of the principal indicators of Fabius’ debt to Greek historical writing is the long narrative of the conception, birth and early life of Romulus and Remus given, in broadly similar versions, by Dionysius of Halicarnassus in his Roman Antiquities (1.76-83) and by Plutarch in his life of Romulus (3-8) and attributed by each of them to Fabius (Fabius F7a-b Ch., 4a-b Co.). (Dionysius claims that Fabius’ version was followed by most of his successors, including Cincius, Cato and Piso.) The vivid and dramatic character of this narrative itself betrays Greek influence, and Plutarch asserts that Fabius was here mainly 6 A few fragments in Latin purporting to be cited verbatim from the histories of Fabius Pictor and Postumius are most probably from translations of their works. 7 On Fabius’ debt to Greek historiography see especially J. Dillery, « Quintus Fabius Pictor and Greco-Roman historiography at Rome », in J. F. Miller, C. Damon, and K. S. Myers (eds), Vertis in Usum: Studies in Honor of Edward Courtney, Munich, 2002, p. 1-23, and « Roman historians and the Greeks: audiences and models », in A. Feldherr (ed.), The Cambridge Companion to the Roman Historians, 2009, p. 77-107; D. Feeney, Beyond Greek: The Beginnings of Latin Literature, Cambridge, Mass., and London, 2014, p. 173-177. On the relationship of the early historians to the pontifex maximus’ record see my remarks at FRHist 1, p. 156-158, and in « Fabius Pictor, Ennius and the origins of Roman annalistic historical writing », in K. Sandberg and C. J. Smith (eds), Omnium Annalium Monumenta: Historical Writing and Historical Evidence in Republican Rome, Leiden and Boston, 2017, p. 17-65.
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following a Greek writer, the otherwise little-known Diocles of Peparethos.8 Both Dionysius’ and Plutarch’s accounts of the final phase in which the identity of Romulus and Remus is discovered include some direct speech, accorded by Dionysius to Numitor, Amulius and Faustulus (1.81.5, 82.1, 82.6, 83.1) and by Plutarch to Remus (Rom. 7.6-8).9 It is thus highly likely Fabius’ account of this part of the story also included some direct speech. Dionysius also includes a quite lengthy report in indirect discourse of speeches made by Numitor and Amulius at a council held at the time of the twins’ birth (1.78.2-4), and Fabius too may have given such a report, using either indirect or direct speech. Another fragment of Fabius which may show Greek influence relates to Coriolanus. Livy, commenting on the variant accounts of Coriolanus’ end, states: ‘I find in Fabius, by a long way the most ancient authority, that he lived to old age; at any rate he reports that in advanced age he frequently used to say that exile is much more wretched for an old man.’10 Similar sentiments occur in Greek sources, and Fabius’ treatment has been taken as showing the influence of Hellenistic ‘tragic’ historiography.11 It seems likely that Fabius used direct speech in recording Coriolanus’ lament. Thus Fabius certainly reported some short utterances, and surely used some direct speech for this purpose. His history may also have included more extended speeches. Such speeches may in particular have found a place in the later part of his history, in which, as Dionysius tells us (1.6.2), he gave a more detailed account of his own times.12 One context for which he may have introduced extended speeches is the preliminaries of the Second Punic War. As we shall 8 On the interpretation of Plutarch’s claim see now FRHist 1, p. 174 (E. H. Bispham and T. J. Cornell). 9 On the divergences between Dionysius’ and Plutarch’s accounts see FRHist 3, p. 18-20 (Bispham and Cornell). 10 Livy 2.40.10-11: apud Fabium, longe antiquissimum auctorem, usque ad senectutem uixisse eundem inuenio; refert certe hanc saepe eum exacta aetate usurpasse uocem multo miserius seni exsilium esse (= Fabius F21 Ch., 16 Co.). 11 B. W. Frier, Libri Annales Pontificum Maximorum: The Origins of the Annalistic Tradition, Rome, 1979, 264. Cf. Chassignet, L’Annalistique romaine 1, p. xlix, n. 169; FRHist 3, p. 33 (Bispham and Cornell). 12 Dionysius’ statement that Fabius gave only a summary account to the period ‘after the foundation of the city’ does not imply, as often supposed, that he gave more detailed treatment to the foundation period: see Chassignet, L’Annalistique romaine, 1, p. lxii-lxviii; FRHist 1, p. 169-172 (Bispham and Cornell); Rich, « The origins of Roman annalistic historical writing », p. 17-65.
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see below, the later historical tradition included debates before the war at both Carthage and Rome. Polybius (3.20.1-5), who did not believe that there had been a debate at Rome about whether to go to war after the fall of Saguntum, spoke scathingly of earlier historians who reported such a debate and supplied speeches, but the fact that he refers only to the Greek writers Chaereas and Sosylus probably indicates that Fabius did not include a debate with speeches at this point.13 However, Polybius is also critical of Fabius for claiming that Hannibal was acting on his own and had no support at Carthage for his attack on Saguntum (3.8 = Fabius F31 Ch., 22 Co.). This suggests that the later Roman tradition’s reports of debate at Carthage in which views hostile to Hannibal were expressed may go back to Fabius: Fabius is unlikely to have portrayed Carthaginian opinion as so unanimously opposed to Hannibal as Polybius claims.14 The first literary accounts of the Roman past in Latin were not histories, but epic poems, a genre in which speech generally plays an essential part. The extended narrative of Roman origins in the early books of Naevius’ Bellum Punicum included some speech: in one fragment Venus addresses her father and others report speech acts by Aeneas and Amulius (F15, 23, 24 Morel). No trace of speech survives in the meagre fragments from the account of the First Punic War which took up most of the poem, but this may be merely the accident of survival. The more plentiful fragments of Ennius’ Annales show that speech featured throughout the poem: the speakers are often uncertain, but several can be confidently identified. Numerous directspeech fragments survive from the account of Roman pre-history in Ennius’ first book, with speakers including Aeneas (Ann. 26), Ilia (3450, 58-60) and Romulus.15 A good many such fragments are also preserved from the later books. For many the context is uncertain, but identifiable contexts include Pyrrhus’ speech to Fabricius’ embassy, returning prisoners, but (by contrast with the later tradition) insisting 13 So W. V. Harris, War and Imperialism in Republican Rome 327-70 BC, Oxford, 1979, p. 269; B. D. Hoyos, Unplanned Wars: The Origins of the First and Second Punic Wars, Berlin and New York, 1998, p. 234 (reporting other views). 14 See further J. W. Rich, « The origins of the Second Punic War », in T. Cornell, B. Rankov and P. Sabin (eds), The Second Punic War: A Reappraisal, London, 1996, p. 1-37, at p. 13. 15 Other direct-speech fragments from the first book are Ann. 17, 32, 54-5, 93-5, 97, 99-104, 106-9. These and subsequent citations use the line numbering of O. Skutsch, The Annals of Quintus Ennius, Oxford, 1985. J. Elliott, Ennius and the Architecture of the Annales, Cambridge, 2013, rightly stresses the uncertainty of editors’ identifications of context for many of the fragments of the Annales.
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on the continuation of the war (183-90), Ap. Claudius Caecus’ speech successfully opposing peace with Pyrrhus (199-200), and Hannibal’s offer of Carthaginian citizenship to men serving in his army (234-5).16 The first prose history in Latin was Cato’s Origines, a highly original work which differed in several respects from both its predecessors and its successors. One of these distinctive features was the work’s scope: it included the origins not just of Rome but also of the other communities of Italy, and passed over more or less completely events between the regal period and the First Punic War. Another eccentricity was the omission of commanders’ names. Yet another unique feature was that Cato, a noted orator, included at least two of his own speeches in his history, namely his speech in the senate in 167 arguing that war should not be declared against Rhodes, and the speech delivered in the assembly in 149, shortly before his death, supporting a tribune’s bill seeking to establish a special court to try Ser. Sulpicius Galba for misconduct as governor of Further Spain.17 Marincola has suggested that in including these speeches Cato was consciously following the example set by Xenophon in the Anabasis.18 However, the parallel is not close. Cato will have explicitly presented these speeches as his own, whereas the Anabasis is a third-person narrative and was apparently published pseudonymously. The numerous speeches attributed to Xenophon in the Anabasis are typical of those composed by Greek historians for the protagonists in their narratives, and readers cannot have been expected to take them as verbatim reports of the words actually used. By contrast, later writers’ references make it clear that Cato presented the texts of his speeches for the Rhodians and against Galba in the Origines as reproducing the speeches as delivered, and further confirmation is provided by the fact that that he also published the Rhodian speech separately, as Livy and Gellius (cited in n. 17) attest. Thus by reproducing the texts of these speeches in his Origines Cato was diverging radically from Greek and from later Roman 16 Other direct-speech fragments are 119, 122, 131-5, 150, 154-5, 167, 180-2, 191-3, 218, 232-3, 256-7, 336-41, 371-3, 385-6. Ennius probably included Hannibal’s citizenship offer in a speech before the battle of Ticinus (so Livy 21.45.6), rather than Cannae (so Silius Italicus, Punica 9.209-11); cf. Skutsch, The Annals … 414-6. 17 Inclusion in the Origines is attested for the speech for the Rhodians by Livy 45.25.3 and Aulus Gellius, Noctes Atticae 6.3.7, and for the speech against Galba by Cicero, Brutus 89 and De orat. 1.227; Livy, Periocha 49; Valerius Maximus 8.1. absol. 2. For the fragments see F V.3, VII.1-4 Ch. = 87-93, 104-7 Co. 18 J. Marincola, Authority and Tradition in Ancient Historiography, Cambridge, 1997, p. 194, cited with approval by Cornell, at FRHist 1, p. 213, n. 69.
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historiographical practice.19 Both the anomaly of these speeches and his avoidance of personal names make it unlikely that Cato included extended speeches purporting to be delivered by others in the Origines. However, he did include shorter direct-speech utterances, attested in verbatim fragments for a horse in a fable (F III.5 Ch. = 42 Co.) and for Hannibal and his cavalry commander (F IV.13-14 Ch. = 78-9 Co.).20 Most subsequent Roman historians followed Cato’s example in writing in Latin, and several writers in the later second century composed comprehensive Roman histories from the foundation to their own day. The earliest were probably those of L. Cassius Hemina and L. Calpurnius Piso. These histories were quite short: Hemina’s work seems to have occupied just four or five books; Piso gave a yearby-year narrative for the whole of the Republican period, probably the first Roman historian to do so, but had reached only his seventh book by 158 BC.21 This may mean that they did not have space for extended speeches, particularly for the period down to the early third century which each treated relatively briefly.22 However, both of these writers made some use of direct speech. A direct-discourse fragment cited by Servius Danielis from Hemina’s second book, to illustrate Virgil’s use of the word fremunt at Aeneid 1.56, formed part of a sentence with political content: ne quis regnum occuparet, si plebs nostra fremere imperia coepisset (F25 Ch. = 15 Co.: ‘lest anyone should seize kingship, if the people started to complain about our commands’). Rawson took it to be from ‘a (conciliatory?) speech by a patrician of the fifth or fourth century’.23 However, as Forsythe acutely observed, the context is more likely to be the interregnum after the death of Romulus, since Livy’s account of
19 So rightly A. E. Astin, Cato the Censor, Oxford, 1978, p. 233-236; W. Kierdorf, Römische Geschichtschreibung der republikanischen Zeit, Heidelberg, 2003, p. 22. Fannius may have followed Cato’s example: see below, p. 110. 20 Two other verbatim fragments attributed to the Origines include first person forms (F V.6, VI. 1 Ch. = 102-3 Co.), but their context cannot be identified, and they may be either from speech or authorial statements. Aulus Gellius (Noct. Att. 3.7 = F IV.7 Ch., 76 Co.) includes direct speech in his lengthy report of Cato’s account of a military tribune’s exploit in 258 BC, but only in the opening section which does not purport to reproduce Cato’s own words. 21 See further Rich, « Fabius Pictor, Ennius... », p. 49-53. 22 Hemina’s second book extended from Romulus (F14) down to at least 281/0 (F24), Piso’s included at least the period 509-304 (F21, 30 Ch. = 20, 29 Co.). 23 E. Rawson, « The first Latin annalists », Latomus, 35, 1976, p. 689-717, at p. 701 (= Roman Culture and Society, Oxford, 1991, p. 256).
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that episode provides a striking verbal parallel.24 According to Livy, the interregnum lasted for a year, with successive senators taking turns to hold the regal insignia. ‘The people then complained that their servitude had been multiplied, with a hundred masters replacing one, and it seemed that they would no longer accept a king unless elected by themselves’ (Livy 1.17.7: fremere deinde plebs multiplicatam seruitutem, centum pro uno dominos factos; nec ultra nisi regem et ab ipsis creatum uidebantur passuri). The senate accordingly conceded popular election, and the appointment of Numa followed. If this is the correct context, the fragment’s speaker will be a senator urging the concession, but, as Rawson noted, we cannot say how long or formal a speech Hemina supplied. The plainness of Piso’s style derided by Cicero was cherished by Aulus Gellius for its simple charm, and a passage which he cites verbatim as illustrating this quality includes a brief direct-speech exchange between Romulus and fellow-diners about his moderate drinking (Gell. Noct. Att. 11.14.2 = F10).25 Another such humorous tale (evidently a feature of Piso’s work) concerned the acquittal of the successful farmer Cresimus from a charge of magic: as reported by Pliny (NH 18.43 = F36 Ch., 35 Co.), it included direct speech by Cresimus, and, although the citation is not verbatim, Piso’s original no doubt did the same. Two fragments of Piso report speech using indirect discourse (F20, 21). Little is known of the apparently comprehensive histories written in the later second century by Q. Fabius Maximus Servilianus, C. Sempronius Tuditanus and Vennonius. Nothing can be said about Servilianus’ and Vennonius’ use of speech. Tuditanus is one of the authorities cited by Aulus Gellius on the fate of Regulus as a Carthaginian captive: Gellius represents Tuditanus as reporting in some detail on Regulus’ speech to the Roman senate, but it is not clear 24 G. Forsythe, « Some notes on the history of Cassius Hemina », Phoenix 44, 1990, p. 326-344, at p. 334-335. On the interpretation of the fragment see C. Santini, I frammenti di L. Cassio Emina, Pisa, 1995, p. 157; Briscoe, at FRHist 3, p. 168; A. J. Woodman, Lost Histories: Selected Fragments of Roman Historical Writers (Histos Supplement 2), Newcastle upon Tyne, 2015, p. 97-98. (In the translation at FRHist 2, p. 255, ‘our people’ should read ‘the people’). 25 This fragment of Piso is illuminatingly discussed by J. Linderski, « Isto vilius, Immo carum: anecdotes about King Romulus », American Journal of Philology, 123, 2002, p. 587-599 (= Roman Questions II: Selected Papers, Stuttgart, 2007, p. 20-30). For Cicero’s condemnation of Piso’s history as written exiliter see Brutus 106, and the passages cited above.
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whether Tuditanus gave him a direct-discourse speech (Gell. Noct. Att. 7.4.1 = F5 Ch., 8 Co.). We are somewhat better informed about one other comprehensive history written in this period, that of Cn. Gellius. The most remarkable feature of Gellius’ work was its huge length: transmitted book numbers show that it was vastly greater than those of his predecessors, and more extensive in the proportion of books to years than any later Roman history, even Livy’s. An event of 389 is cited as from Book 15 and an event of 216 from Book 33 (F24, 27 Ch. = 8-9 Co.), and, if the number is correctly transmitted, the grammarian Charisius cites two fragments from Book 97 (F30-1 Ch., 10-11 Co.). Rhetorical expansion and perhaps invention must have been one of the main means by which Gellius contrived to write on such a massively enlarged scale, and it is accordingly likely that he included at least some and perhaps numerous extended speeches.26 The verbatim fragments of Gellius’ work are unfortunately meagre: most are brief citations by Charisius (67-9 Barwick) to illustrate word endings. The only traces of speech occur in two fragments relating to the aftermath of the rape of the Sabine women, but these suffice to illustrate the substantial part which direct speech probably played in Gellius’ history. Five fragments (F11-15 Ch., 1-5 Co.) survive from Gellius’ account of the rape and its sequel, showing that he narrated the rape in Book 2 and the resolution of the ensuing war in Book 3. The last of these fragments is cited by Aulus Gellius (13.23.13), who tells us that, in Cn. Gellius’ third book, scriptum est Hersiliam, cum apud T. Tatium uerba faceret pacemque oraret, ita precatam esse:‘Neria Martis, te obsecro, pacem da, te uti liceat nuptiis propriis et prosperis uti, quod de tui coniugis consilio contigit uti nos itidem integras raperent, unde liberos sibi et suis posteros patriae pararent.’ It is written that Hersilia, when she was speaking before Titus Tatius and pleading for peace, prayed thus: ‘I beseech you, Neria wife of Mars, give us peace, I beseech you that we may enjoy long-lasting and successful marriages, because it was the plan of your husband that brought it about that they should seize us in the same way, when we were virgins, from whom they could acquire children for themselves and their relations, and future generations for their fatherland.’
Our extant sources give two versions of the intervention of the women, led by Hersilia, which succeeded in reconciling their Sabine fathers 26 See further FRHist 1, p. 253-254 (Briscoe).
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and Roman husbands. Livy and others give it a dramatic setting at the height of the battle in Rome, but Dionysius (2.45) and Appian (Reg. 5) locate it after the battle, with the women going as ambassadors to the Sabine king Titus Tatius.27 Aulus Gellius’ statement that in his namesake’s account Hersilia’s prayer to Neria formed part of her speech to Titus Tatius shows that Cn. Gellius gave the embassy rather than the battle version of the women’s intervention. He is thus our earliest source for this version, and may indeed have invented it, possibly attracted by the possibilities it offered for more extended and formal speech. Aulus Gellius’ citation forms part of a discussion of Nerio Martis. As he recognizes, this was properly an attribute of Mars. However, he adduces this passage of Cn. Gellius and a fragment of the playwright Licinius Imbrex to show that the alternative view that Nerio/a was the wife of Mars was not a comic invention of Plautus (Truculentus 515).28 He accordingly limits his verbatim citation from Cn. Gellius to Hersilia’s prayer to Neria, since this was all that was relevant for his purpose. Cn. Gellius himself may possibly have given just the prayer to Neria in direct discourse, and restricted himself just to indirect reporting for the rest of Hersilia’s speech to Titus Tatius. However, it is surely more likely that he gave an extended direct-discourse version of the speech, with the prayer to Neria perhaps forming its climax.29 Dionysius, who elsewhere refers to Cn. Gellius seven times, is likely to have been using him as his source at this point, and may give an indication of the scale of the speech when he tells us that Hersilia ‘delivered a long and pathetic plea’ (D. H. 2.45.6: μακρὰν καὶ συμπαθῆ διεξῆλθε δέησιν).
27 Intervention during the battle: Livy 1.13.1-4; Ovid, Fasti 3.215-28; Plut. Rom. 19; Florus 1.1.14; Dio F5.5-7. On the origin of this version (which may well have been given by Fabius) see now D. Pausch, « Livy’s Battle in the Forum between Roman monuments and Greek literature », in K. Sandberg and C. J. Smith (eds), Omnium Annalium Monumenta: Historical Writing and Historical Evidence in Republican Rome, Leiden and Boston, 2017, p. 279-300. It is not clear which version is implied by Cicero, De re publica. 2.13. 28 On Nerio Martis see Skutsch, The Annals …, p. 245-249; Briscoe, at FRHist 3, p. 230. As Aulus Gellius noted, his namesake’s spelling Neria was unique. Aulus Gellius’ discussion also cites a prayer to Nerio Mavortis from the first book of Ennius’ Annales (99 Skutsch): this too was no doubt spoken by Hersilia, but it does not follow that Ennius gave the embassy rather than the battle version of the women’s intervention. 29 Cf. Kierdorf, Römische Geschichtschreibung..., p. 30.
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Hersilia’s speech to Titus Tatius may have been only the last in a sequence of speeches in Cn. Gellius’ narrative of the episode. Dionysius’ account of the preliminaries of the women’s embassy to Titus Tatius (2.45.1-4) reports successively their consultation with each other, their audience with the senate at which ‘they made long pleas’ (μακρὰς ἐξέτειναν δεήσεις), and the senate’s decree authorizing their mission. Dionysius’ summary version uses indirect discourse throughout, but Gellius is likely to have used direct speech for the women’s address to the senate, and perhaps at other points. A fragment cited by Charisius from Cn. Gellius’ third book (F14 Ch., 4 Co.) relates to an early point in the women’s planning. As transmitted, it is in direct speech: capite cum aliis paucabus consilium (‘decide on a plan with a few other women’). As Briscoe puts it, ‘one could imagine that the speaker was approached by some of the women and urged them to bring a few others into their plan’. However, this implies a tortuously complicated account of the consultations, and it may be preferable to follow Kiessling in emending the plural imperative capite given by Charisius’ sole manuscript to capit, with Hersilia as the subject (‘she decides on a plan with a few other women’).30 The later second century also saw the production of the first Roman histories dealing with more limited periods. C. Fannius’ work probably and Sempronius Asellio’s certainly dealt just with recent times, while L. Coelius Antipater wrote a seven-book account of the Second Punic War. Both Fannius and Asellio are known to have made some use of speech in their accounts of Tiberius Gracchus. A fragment of Asellio (F8) cited verbatim by Aulus Gellius (Noct. Att. 2.13.5) gives an indirect-discourse report of Gracchus’ final speech. Cicero, in his brief assessment of the oratory of Q. Caecilius Metellus Macedonicus in the Brutus (81 = Fannius F5 Ch., T2 Co.), first mentions Metellus’ defence speech for L. Cotta, and then adds ‘other speeches of his exist, and the one against Tiberius Gracchus is set forth in the Annals of C. Fannius’ (cuius et aliae sunt orationes et contra Ti. Gracchum exposita est in C. Fanni annalibus). Metellus’ speech against Gracchus is probably to be identified with the one mentioned by Plutarch (Tiberius Gracchus 14.4), but it is not clear from Cicero’s wording how Fannius treated it in his history. Malcovati took Cicero to mean that Fannius did not reproduce it verbatim but simply 30 See further Chassignet, L’annalistique romaine, 2, p. 155-156, and Briscoe, at FRHist 3, p. 230, both retaining the reading of the Naples manuscript.
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gave a brief summary.31 However, Cicero elsewhere (De orat. 1.227) uses the same word, exponere, of Cato’s inclusion of his speech against Galba in the Origines, and he is unlikely to have mentioned Fannius’ work here if it gave a mere summary. It is thus more probable that Fannius reproduced what purported to be Metellus’ speech either in full or at least in substantial extracts, so giving it striking prominence in his narrative.32 Fannius may perhaps have composed the speech himself on the basis of what he recalled (if himself present) or had been told about what Metellus had said, but other speeches by Metellus survived and Cicero appears to have taken Fannius’ version for Metellus’ own words. Thus it seems likely that Fannius, at least in this case, followed Cato’s example by including an authentic speech in his history, perhaps the only later historian to do so.33 On Coelius’ use of speech we are better informed. Cicero, as we saw, regarded his style as showing some improvement over his predecessors, and it attracted a good deal of interest from grammarians and the lexicographer Nonius Marcellus: as a result, we have no fewer than 45 verbatim fragments, of which a good many are or may be in direct discourse. Most are tantalizingly short, but they nonetheless enable us to conclude with confidence that both brief and extended speeches, all evidently invented, were prominent features of Coelius’ work.34 Clear evidence of Coelius’ use of extended speech is provided by various fragments which must derive from one or more such speeches before the outbreak of the Second Punic War. Two Roman embassies were sent out before the war. The first went to Hannibal in Spain and then on to Carthage: according to Polybius, it was sent to warn Hannibal not to attack Saguntum, but the extant Roman accounts portray it as sent out in protest against his attack, and no doubt this 31 E. Malcovati, Oratorum Romanorum fragmenta liberae rei publicae, 3rd. ed., Turin, 1953, p. 107 (‘orationem … non ipsis verbis relatam sed in brevius contractam’). 32 Cf. A. E. Douglas, M. Tullii Ciceronis Brutus, Oxford, 1966, p. 71, translating exposita as ‘reproduced’ and adding ‘perhaps with a suggestion of abridgement’. On the problematic questions of Fannius’ identity and political stance see Cornell, at FRHist 1, p. 244-249. 33 Contra Brock, « Versions, “inversions”, and evasions … » (op. cit., supra, n. 3), p. 224, n. 49, taking Fannius’ version to have been a paraphrase of Metellus’ original. 34 On speech in Coelius’ history see the brief remarks of Kierdorf, Römische Geschichtschreibung..., p. 37, and Briscoe at FRHist 1, p. 262.
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was Coelius’ version.35 The second embassy was sent to Carthage after the fall of Saguntum to offer them the alternative of surrendering Hannibal or war.36 Polybius, as we have seen, rejects reports of debates at Rome and Carthage. However, our Roman sources report debates and supply speeches: in their accounts such debates take place at Rome before the despatch of either the first or the second embassy, and at Carthage following the arrival of the first embassy, and in the version of Cassius Dio and his epitomator Zonaras following that of the second as well.37 Two short verbatim fragments in direct discourse cited from Coelius’ first book must, in view of their content, come from one or more speeches from such debates: qui cum is ita foedus icistis (F7 Ch., 5 Co.: ‘you who concluded a treaty with them in such a way’) and cum iure sine periculo bellum geri poteratur (F8 Ch., 4 Co.: ‘at a time when the war could be waged justly and without danger’). A third such fragment cited without book number is likely to come from the same context: tantum bellum suscitare conari aduersarios contra bellosum genus (F6 Ch., 55 Co.: ‘opponents try to stir up so great a war against a warlike race’). It has usually been supposed that all three fragments come from a speech arguing against the war by Hannibal’s principal opponent, Hanno, who is given such a speech by Livy, Silius Italicus and Dio.38 However, as Briscoe has recently pointed out, a pre-war debate at Rome is also a possible context, and the first two fragments could have occurred in a speech arguing in favour of war. Another verbatim direct-discourse fragment from Coelius’ first book (F4 Ch., 3 Co.) has been attributed to an 35 Polybius 3.15; Cicero, Philippics 5.27; Livy 21.9.3-11.2; Sil. Pun. 2.1-24, 270390 (conflating the two embassies); Appian, Hisp. 11.40-2; Eutropius 3.7.3; Zonaras 8.21.7-9. 36 Polyb. 3.20.6-21.8, 33.1-4; Livy 21.18; Frontinus, Strategemata 1.11.4; App. Hisp. 13.48-50; Dio F55.9-10; Zonar. 8.22.7. Coelius F9 Ch., 6 Co., reporting the arrival of an embassy, no doubt refers to this mission. 37 Livy 21.6.6-7, 10.1-11.1; Sil. Pun. 1.675-94, 2.270-380; Dio F55.1-9; Zonar. 8.21.9, 22.1-7. Cf. App., Hisp. 11.43 (debate at Rome after return of the first embassy). On these traditions and on the reconstruction of events see especially Rich, « The origins of the Second Punic War »…; Hoyos, Unplanned Wars..., p. 196-259; H. Beck, « The reasons for the war », in D. Hoyos (ed.), A Companion to the Punic Wars, Malden, 2011, p. 225-241. I discuss Dio’s handling of the debates before this war at « Speech in Cassius Dio’s Roman History Books 1-35 », in C. Burden-Strevens and M. Lindholmer (eds), Cassius Dio’s Secret History of Early Rome, Leiden and Boston, forthcoming. 38 So W. Herrmann, Die Historien des Coelius Antipater, Meisenheim am Glan, 1979, p. 57-63; Chassignet, L’annalistique romaine, 2, p. 52, 135; Beck and Walter, Die Frühe Römischen Historiker 2, p. 43-44. Cf. Peter, HRR 1, p. 159.
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earlier speech by Hanno warning against Hannibal, like that given by Livy (21.3.4-6), but this too may come from a speech made in the preliminaries of the war. Although these fragments are too brief for confident attribution to a precise context, they clearly show that Coelius included at least one extended speech in his account of the preliminaries of the war. Like the later sources, he probably reported debates at both Rome and Carthage. Although his first book continued as far as the battle of Cannae, he may nonetheless have made space for extended speeches for both debates.39 Two other short Coelius fragments in direct discourse can be identified as likely to come from extended speeches. F17 Ch. = 20 Co. (illis facilius est bellum tractare, ‘it is easier for them to drag out the war’), cited as from Coelius’ first book, has usually been identified as from a speech by Hannibal to his army before the first battle, at the River Ticinus, because of the apparent similarity with the argument attributed to Hannibal’s speech on that occasion by Polybius (3.63.13) and Livy (21.44.8), that the Carthaginians had only themselves to rely on, but the Romans did not have to be so brave because they could withdraw to their own land.40 This may well be the correct context, but alternatives are possible, for example a speech by an opponent of Fabius’ delaying strategy.41 Whatever the occasion, the fragment must come from a speech developing its argument at some length. F28 CH = 24 CO. (nullae nationi tot tantas tam continuas uictorias tam breui spatio datas arbitror quam uobis, ‘I think that no nation has been given so many, so great, and so continuous victories in so short a time as you have’), is cited by Priscian without book number, but, as has been generally recognized, its context was almost certainly the speech made by Mago reporting the victory at Cannae to the Carthaginian
39 See further Briscoe at FRHist 3, p. 243-245 (and, on Coelius’ book structure, ibid. 1, p. 259-260). A further fragment (F5 Ch., 21 Co.: qui intellegunt quae fiant dissentiuntur, ‘those who understand what is happening disagree’) may relate to one of these debates or, if in direct discourse, come from one of the speeches. 40 So Peter, HRR 1, p. 162; Herrmann, Die Historien..., p. 94-97; Chassignet, L’annalistique romaine, 2, p. 137; Beck and Walter, Die Frühe Römischen Historiker 2, p. 50-51. On Polybius’ and Livy’s speeches for Hannibal and P. Scipio before this battle see now E. Adler, Valorizing the Barbarians: Enemy Speeches in Roman Historiography, Austin, 2011, p. 64-72, 87-98. Livy 21.45.4-8 reports a second speech by Hannibal, evidently from a different source (see above, n. 16). 41 So rightly Briscoe at FRHist 3, p. 250-251.
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senate.42 Livy merely reports his announcement in indirect discourse (23.11.8-12), but Coelius seems to have accorded him direct speech. Several further verbatim fragments of Coelius are clearly in direct discourse, but their contexts cannot be confidently identified (F24, 45, 55 Ch. = 18, 30, 45 Co.). However, one fragment with certain context shows Coelius deploying brief direct-discourse utterance, namely a commander’s promise to Hannibal after Cannae, that, if he gave him a cavalry force and followed with the rest of the army, he would cook him dinner at the Capitol in five days’ time (F27 Ch., 22 Co.). As Aulus Gellius, our source, notes, Coelius was here following Cato (FIV.13 Ch. = 78 Co.), with verbal borrowings such as the word diequinti, but Coelius has introduced prose rhythm and more complex syntax.43 Another occasion for brief direct discourse in Coelius must have been Flaminius’ retort to the chicken-keeper before the battle of Trasimene, when the chickens failed to grant favourable auspices by eating. Although we do not have a verbatim citation and Cicero (De Divinatione 1.77-8 = F20b Ch., 14b Co.) only cites Coelius as his source for the natural disasters which coincided with the battle, Coelius must have been his source for his whole account of the ill omens associated with the battle, and must surely, like Cicero, have given Flaminius direct speech.44 The early first century saw the production of both comprehensive and recent histories, and also the first Roman political memoirs. The few fragments of the autobiographies of Scaurus, Catulus and Rutilius Rufus give no indications of speech, but an elaborately worded fragment in direct discourse from Sulla’s is preserved by Aulus Gellius (Noct. Att. 20.6.3 = F3), cited as from the second of his twenty two books. The speakers express the hope that they may be regarded as citizens rather than enemies, which suggests a context in the Social War, but this seems too late for the transmitted book number.45 No
42 This context was first identified by O. Meltzer, De L. Coelio Antipatro belli
Punici secundi scriptore, Leipzig, 1867, p. 35. 43 The fragments are cited by both Gell. Noct. Att. 10.24.6-7 and Macrobius, Saturnalia 1.4.25-6, but Macrobius is following Gellius. 44 For Coelius as Cicero’s source throughout see Briscoe at FRHist 3, p. 248. 45 See further Chassignet, L’annalistique romaine, 3, p. 241, and FRHist 3, p. 290 (C. J. Smith). The suggestion of R. G. Lewis, « Sulla’s autobiography: scope and economy », Athenaeum, 79, 1991, p. 509-519, at p. 516, that Sulla himself was here addressing his readers is most implausible.
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doubt Sulla’s work included further speeches of which no trace has survived.46 The Historiae of L. Cornelius Sisenna covered the Social War and the ensuing civil wars. No fewer than 145 fragments survive from this work, but 117 of these are short passages cited verbatim by Nonius Marcellus from Sisenna’s third and fourth books, which served as one of the texts from which Nonius selected quotations for his dictionary. These two books probably covered the events of 90-89 BC, and, like Sisenna’s work overall, must have been mainly devoted to war narrative. However, five of the fragments cited by Nonius from these books are in direct discourse and, although their precise context is in each case unrecoverable, they clearly derive from impassioned political speeches (F10, 96, 100, 101, 126 Ch. = 37, 72, 81, 56, 104 Co.). The first seems to be spoken by representatives of the Italian rebels, the second and third to relate to internal Roman politics, and the fourth to be supporting a citizenship proposal.47 Other early first century writers covered either the whole of Roman history from the foundation to their own day (thus Valerius Antias) or very extended portions: Q. Claudius Quadrigarius began with the Gallic Sack and continued down to his own time, while Licinius Macer began with the foundation, but seems not to have reached the Second Punic War. Like Macer’s, Tubero’s history, composed in the mid first century, began with the foundation, but may not have continued beyond the third century. These works evidently differed widely in their character, but all of them were composed annalistically, by the consular year, and all surely deployed both brief and extended speech. However, the surviving fragments provide only patchy evidence for their use of speech. Fronto (Epistulae 134 van den Hout) praised Quadrigarius for writing ‘pleasantly’ (lepide), and his contemporary Aulus Gellius took particular pleasure in Quadrigarius’ style, devoting a whole chapter (Noct. Att. 17.2) to short extracts from his first book selected for their elegance, and citing no less than 43 passages verbatim. Nonius too cites him frequently, and overall we have 87 (mostly short) verbatim fragments from this writer. A number of these are in or include direct discourse, but only one has a clearly identifiable context as speech, 46 Cf. P. Scholz, « Sullas commentarii – eine literarische Rechtfertigung », in
U. Eigler et al., Formen römischer Geschichtschreibung von den Anfängen bis Livius, Darmstadt, 2003, p. 172-195, at p. 184. 47 See further the commentaries on the individual fragments by Chassignet and by Briscoe (in FRHist), with references to earlier, often speculative, identifications.
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namely the query quid postea? (‘What next?’) posed by Q. Fabius Maximus, consul in 213, to his father who had failed to dismount before him (F56 Ch., 57 Co., from Book 6).48 An unknown speaker, presumably at the time of Marius’ murderous return to Rome in 87, asks C. Mari, ecquando te nostrum et rei publicae miserebitur? (F84 Ch., 86 Co.: ‘Gaius Marius, when will you ever pity us and the state?’, from Book 19). A fragment from Book 21 is clearly from a political speech made a few years later: crudeliter ille, nos misericorditer; auariter ille, nos largimur (F89 Ch., 90 Co.: ‘he cruelly, we in pity; he greedily, we give generously’). Other direct-discourse fragments are F9, 25, 59, 90, 94 Ch. = 26, 23, 60, 91, 95 Co.: most of these are probably from speeches, though some may be authorial observations. Further fragments show Quadrigarius deploying indirect discourse, and for some of these contexts can be plausibly conjectured, as for F17 Ch., 12 Co. sese ne id quoque quod tum suaderet facturum esse (‘that he also would not do what the other was urging’), which may, as Peter suggested, report the rejection by the Samnite commander C. Pontius of his father’s suggestions for the treatment of the trapped Roman army in 321, and for F42 Ch., 43 Co. ii dum conciderentur, hostium copias ibi occupatas futurum (‘that, while they were being slaughtered, the enemy forces would be occupied there’), which must report the words of a heroic military tribune in 258.49 Antias’ transmitted book numbers show that he wrote on a larger scale than any of his predecessors other than Cn. Gellius, and his work is accordingly likely to have included a good deal of speech.50 However, Fronto (loc. cit.) judged that he wrote ‘without charm’ (inuenuste), and this lack of stylistic distinction led grammarians to take little account of his work. As a result, we have only nine verbatim fragments, all brief. Only one of these appears to be in direct discourse, namely quod nouissime nobiscum foedus fecissent (F59 Ch., 12 Co., ‘because they had made a treaty with us very recently’), cited as from Book 22. Since another fragment cited from the same book (F58 Ch., 13 Co.) relates to the humiliating treaty made with the 48 The most extended direct-discourse passage surviving from Quadrigarius is in fact a letter, from the consuls of 278 to Pyrrhus (Gell. Noct. Att. 3.8.8 = F40b Ch., 41 Co.). 49 F26 Ch., 25 Co. is in indirect discourse, but the context lacks identifiable context. On speech in Quadrigarius see further Briscoe at FRHist 1, p. 291-292. 50 On the character of Antias’ work see my discussions at « Valerius Antias and the construction of the Roman past », Bulletin of the Institute of Classical Studies, 48, 2005, p. 137-161, and FRHist 1, p. 293-304.
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Numantines in 137 and subsequently repudiated, this fragment is likely to refer to the same episode. Although Antias could be speaking of the Romans authorially as ‘us’, the fragment is more likely to have come from a speech, which must then have been of some length. The speaker could be a representative of the Numantines, speaking either at the time of the treaty’s conclusion or on their subsequent embassy to Rome, or alternatively a Roman participant in the debate on the repudiation.51 Antias’ work doubtless included not only such extended speeches, but also brief utterances. One likely instance is the tale of Jupiter’s instructing Numa on how to avert a thunderbolt omen. As retailed by Arnobius (5.1 = Antias F8), the story includes direct-speech exchanges, and, although Arnobius is not citing Antias verbatim, his original no doubt did the same. It has generally been held that the historian Licinius Macer was identical with the politician C. Licinius Macer who is credited by Sallust with a fiery popularis speech as tribune in 73 and held the praetorship probably in 68, but Cornell has recently mounted a powerful challenge to the identification.52 In his discussion of recent historians in De legibus 1.7, Cicero makes scathing comments about Macer. These include a highly critical asssessment of his speeches: the passage is unfortunately corrupt, but is best emended by Mommsen, reading in orationibus autem multa sed inepta elatio, summa impudentia (‘in his speeches there is much but inappropriate striving after sublimity, and the greatest effrontery’). This judgement is usually taken as applying to the speeches in Macer’s history.53 This must be the case if the historian and the politician (an orator of some note) were different people, and indeed one of Cornell’s strongest arguments is the apparent discrepancy between this negative comment 51 P. G. Walsh, Livy: His Historical Aims and Methods, Cambridge, 1961, p. 236,
takes Antias as the source of the speech for Scipio Africanus cited by Gell. Noct. Att. 4.18.3. However, Gellius here must be quoting or drawing on the (no doubt spurious) speech attributed to Africanus and mentioned by Livy 38.56.6, of which Antias was certainly not the author: see further J. Briscoe, A Commentary on Livy. Books 38-40, Oxford, 2008, p. 176, 183. 52 T. J. Cornell, « Which one is the historian? A neglected problem in the study of Roman historiography », in K. Sandberg and C. J. Smith (eds), Omnium Annalium Monumenta: Historical Writing and Historical Evidence in Republican Rome, Leiden and Boston, 2017, p. 182-201. 53 So e.g. S. Walt, Der Historiker C. Licinius Macer: Einleitung, Fragmente, Kommentar, Stuttgart and Leipzig, 1997, p. 144; A. R. Dyck, A Commentary on Cicero, De Legibus, Ann Arbor, 2004, p. 80; FRHist 1, p. 330 (S. P. Oakley).
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and the qualified praise Cicero accords to the politician’s oratory at Brutus 238. However, if we are dealing with a single individual, it is less certain than is usually supposed that Cicero’s reference in the De legibus is to the speeches in the history: he passes there from Macer to Sisenna, and his comment on Sisenna as an orator certainly refers to his performance as a speaker rather than to his history.54 Two verbatim fragments of Macer cited by grammarians are in direct discourse and clearly come from speeches of some length: an unknown speaker at the time of the war with Pyrrhus asserts that peruersum esse alii modi postulare Pyrrum in te atque in ceteris fuisse (F21 Ch. = 7 Co.: ‘that it is perverse to wish that Pyrrhus had been in different in your case from that of others’),55 and an evidently senatorial speaker says omnium nostrum neglegerit auctoritatem (F23 Ch. = 8 Co.: ‘he will have neglected the authority of us all’). Both fragments present problems of attribution. The second is cited by Diomedes and Priscian as from Aemilius Macer’s sixteenth book: the didactic poet Aemilius Macer is often confused with the historian Licinius Macer, and this citation must be from the historian. The first fragment is cited three times by Priscian from the second book of C. Licinius. Obstacles to attributing the fragment to Macer are that all other citations from him include his cognomen and none include a praenomen, and that his treatment of the Pyrrhic War must have come long after his second book. If the fragment is from Macer, the book number must be erroneous, but the alternative attribution to the later historian Clodius Licinus is not out of the question.56 The historian Tubero also presents problems of identification.57 Only one obscure fragment is in direct discourse (F15 Ch. = 14 Co.). This survey has been dogged throughout by the limitations and difficulties of the surviving fragments of the early Roman historians, but conclusions can nonetheless be drawn. Fragments of Cato, Piso, Coelius and Quadrigarius show that their histories included brief remarks or exchanges in direct discourse, and further considerations make it likely that these had occurred already in Fabius Pictor’s work: 54 Leg. 1.7 (Atticus speaking): is tamen neque orator in numero uestro unquam est habitus, et in historia puerile quiddam consectatur ... (‘Sisenna, however, has never been regarded as an orator in your [i.e. Cicero’s] class, and in his history he aims for something immature ...’). 55 On the interpretation of the fragment see Woodman, Lost Histories …, p. 123. 56 So Walt, Der Historiker..., p. 297-298; too cursorily dismissed by Oakley, at FRHist 3, p. 423-424. 57 See Oakley, at FRHist 1, p. 361-364.
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brief direct-discourse utterances were thus probably a characteristic feature of all Roman historical writing from Fabius on. Fragments deriving from invented extended speeches can be identified for Coelius and for a number of the first century historians, but it does not follow, as has sometimes been claimed, that Coelius was the first Roman historian to include this feature. Cato, whose practice of inserting the texts of some of his own speeches was unprecedented, probably did not include extended speeches for other speakers, and the brief works of Hemina and Piso may not have included such speeches. However, there is good reason to suppose that Cn. Gellius made much use of extended speeches in producing his massively inflated history, and such speeches may already have been included by Fabius and his immediate successors. Fannius may have followed Cato’s example by including some authentic speeches in his history, but other Roman historians surely conformed to the Greek model of giving speeches which they themselves had composed, either freely or on the basis of such evidence was available. These conclusions provide further illustration of the great debt which the early Roman historians from Fabius on owed to Greek historical writing, and of the misleading character of Cicero’s dismissive assessment of their achievement. They should remind us too how much the extant historians of Rome owed to their predecessors: all of these writers were working in a long established tradition, and, although the speeches of writers like Livy, Cassius Dio, and especially Dionysius, included some novelties, many, perhaps most, of them will have been reworkings (sometimes radical) of speeches composed by earlier historians of Rome. Bibliography Adler, E., Valorizing the Barbarians: Enemy Speeches in Roman Historiography, Austin, 2011. Astin, A. E., Cato the Censor, Oxford, 1978. Beck, H., « The reasons for the war », in D. Hoyos (ed.), A Companion to the Punic Wars, Malden, 2011, p. 225-241. Beck, H. and Walter, U., Die Frühe Römischen Historiker, vols. 1-2, Darmstadt, 2001-4. Briscoe, J., A Commentary on Livy. Books 38-40, Oxford, 2008.
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Sallust and the Annalists from Manuzio to Peter Federico Santangelo
L’Annalistique romaine has served students of Roman Republican history to an extent that few other scholarly works produced over the last quarter of a century can claim to have equalled. It is a privilege and a pleasure to be able to pay tribute to its author with some thoughts on the place of Sallust vis-à-vis his predecessors in Roman historiography, by pursuing two complementary angles that are both close to Professor Chassignet’s interests: Sallust’s own comments on earlier Roman historians, and especially the place of Sallust in the early editions of the fragments of the Roman historians. Sallust is, of course, a fragmentary author too. His longest and most ambitious work, the Historiae, is known chiefly through indirect tradition. In the opening book it included comments on the merits of some of his predecessors: the Elder Cato was praised for his outstanding eloquence (Romani generis disertissimus), while Fannius was singled out for his commitment to truth (veritatem). We know about these remarks from a highly condensed summary in a mid-fourth century commentary on Cicero’s De inventione by the North African rhetoric teacher Marius Victorinus (1.20 M. = 1.18 R.).1 According to one of the foremost modern interpreters of Sallust, Antonio La Penna, they were part of a sustained reflection on, and critique of, Sallust’s predecessors in the historical genre that was one of the centrepieces of the first book of the Historiae, in which the author tied in his assessment of the tradition of historical writing in Republican Rome with a discussion of his own methodological choices.2 Another fragment that is traditionally placed in the first book (1.5 M. = 1.49 R.) reveals a polemical reference to an unnamed historian who falsely 1 The text of the Historiae is drawn from B. Maurenbrecher (ed.), C. Sallusti Crispi Historiarum reliquiae, II, Leipzig, 1893; references to the recent Loeb Classical Library edition by J. T. Ramsey (Sallust. Fragments of the Histories. Letters to Caesar, Cambridge, Mass.-London, 2015) are also provided. 2 For a full illustration of this hypothesis see A. La Penna, in A. La Penna – R. Funari (eds.), C. Sallusti Crispi Historiae. I: Fragmenta 1.1-146, Berlin-New York, 2015, p. 124-127. The presence of an overview of Roman historiography in Tac. Hist. 1.1.1 is invoked as the weightiest argument in its favour. 10.1484/M.RRR-EB.5.121316
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reported a number of good deeds and turned them into evil ones. Sallust certainly regarded his main work as a project that belonged in a wider literary and intellectual tradition: the Historiae were a continuation of L. Cornelius Sisenna’s work, which covered the period between the Social War and the death of Sulla. It is unclear, however, how Sallust engaged with that important predecessor. He certainly had strong views on his work: in introducing his portrayal of Sulla in the Bellum Jugurthinum, he remarked that Sisenna had produced an excellent account of the Sullan period, but had failed to speak with sufficient intellectual freedom.3 The actual meaning of such a comment, however, is at best a matter of guesswork. Sallust’s early choice to discuss important historical problems carptim (BC 4.2), choosing a monograph format and without providing either a general account of the history of Rome since its origins or a comprehensive discussion of a specific historical period, was distinctive, but not unprecedented. Cassius Hemina may have devoted a whole book to the Hannibalic War, effectively introducing a monographic mode into an annalistic account.4 Coelius Antipater’s work was a focused account of that war, which marked a further turning point in the development of Roman historical writing. In spite of their different choices, these authors were all regarded as part of a shared literary and intellectual tradition: they engaged in the same literary genre, and were assessed according to their ability to engage with that specific mode of historical writing. Sallust was read, admired, or criticised by his ancient readers against the background of the Roman historical tradition within which he belonged. A thoughtprovoking example comes from a passage of the Historia Augusta, where examples are given of the archaising literary taste of the emperor Hadrian (16.5-6): amavit praeterea genus vetustum dicendi, controversias declamavit. Ciceroni Catonem, Vergilio Ennium, Salustio Coelium praetulit eademque iactatione de Homero ac Platone iudicavit (« Moreover, he loved the archaic style of writing, and used to take part in debates. He preferred Cato to Cicero, Ennius to Vergil, 3 Sall. BJ 95.3: L. Sisenna, optime et diligentissime omnium, qui eas res dixere, persecutus, parum mihi libero ore locutus uidetur. It is in principle possible that Hist. 1.2 M. = 1.4 R. (recens scrip) might be a reference to Sisenna (La Penna, C. Sallusti…, p. 127). 4 M. Chassignet, L’Annalistique romaine, tome II, L’Annalistique moyenne, Paris, 1999, p. xvi. Cf. J. Briscoe, in T. J. Cornell (ed.), The Fragments of the Roman Historians I, Oxford, 2013, p. 222, who argues that book 4 of Hemina’s work began with the outbreak of the Hannibalic War, but carried on to at least 181 BC.
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Caelius to Sallust, and with the same self-assuredness he would adjudicate about Homer and Plato »). The historicity of this notice is immaterial to our purposes:5 while it is possible that Hadrian did not have such literary inclinations, there is no reason to doubt the view that a reader with a taste for an old-fashioned style might have found Coelius more to his liking than Sallust. Those who had access to the full suite of Roman Republican historical writing were in a position to assess the extent and success of Sallust’s archaising strategy more effectively than we can hope to do today. In light of this background, it is not surprising that the connection between Sallust and the earlier historical tradition has been a focus of special interest for many modern readers of Sallust. Efforts were further stimulated by the distinctive nature of Sallust’s own work. The awareness that a fully satisfactory interpretation of Sallust could only derive from an understanding of what survives of the Historiae set in early on in the history of the modern readings of his work, and is fascinatingly tied in with the wider ambition to provide a reconstruction of what survives of Roman historical writing. The engagement with this material gradually became more detailed and methodologically aware through several experimental approximations. The first printed edition of Sallust in which a systematic attempt to collect and order the fragments of the Historiae was produced in Venice by Aldo Manuzio the Younger (1547-1597) in 1563.6 It is a far from successful undertaking, even by the standards of the time, and even bearing in mind the prodigiously young age of the author.7 The logic that underpins it, however, is worthy of close attention: as he makes clear in the dedicatory letter to Francesco Morando Sirena, Manuzio’s ambition was to produce a comprehensive collection of « all the fragments of ancient authors » (fragmenta omnia veterum scriptorum, p. 129).8 He chose to turn to Sallust because he found him an especially congenial author (cuius lectione vehementer delector): his philological interest in the text is apparent from the set of Scholia 5 A. R. Birley, Hadrian. The Restless Emperor, London-New York, 1997, p. 78
accepts this account. 6 A. Manutius, C. Sallustii Crispi Coniuratio Catilinae et Bellum Iugurthinum. Fragmenta eiusdem historiarum et scriptoribus antiquis, Venice, 1563. 7 La Penna, C. Sallusti…, p. 37. 8 P. J. Osmond-R. W. Ulery, « Sallustius Crispus, Gaius », in V. Brown (ed.), Catalogus Translationum et Commentariorum: Mediaeval and Renaissance in Translations and Commentaries. Annotated Lists and Guides, VIII, Washington D.C., 2003, p. 183-326, esp. p. 208 stress the significance of this project.
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that he printed in the same edition. However, the focus of his attention is much broader, and potentially omnivorous. To mention one example: a note (p. 141-143) on the brief fragment of the Historiae that is now 2.50 M. = 2.52 R. (occurrere duces et proelium accendere, adeo uti Metello in sagum, Hirtuleio in brachium tela venirent) starts from the discussion of the best variant for the name of Metellus’ opponent (Herculeius, Hirculeius, or indeed Hirtuleius), continues with a reference to the poem in which Catullus mentions a Herculeius (61.8283), and then argues that the best reading is actually Arunculeia (which is now currently accepted), Aruncana, or Aurunceia; that leads in turn to the full quotation of an inscription from Zagarolo mentioning a C. Aurunceius Cotta (CIL, 14, 2979) and of one from Interamna Nahars where there is mention of an Aurunceia Felicula (CIL, 11, 4251). The fragments are not numbered in sequence, but are divided according to the sources from which they are drawn (Ex D. Augustino, Ex Ammiano Marcellino, Ex Festo, and so forth): a dispersive arrangement for anyone wishing to get a sense of the overall layout and focus of the lost work, but in fact helpful if one wishes to achieve a sense of the makeup of the ancient reception of Sallust and of the indirect tradition on the Historiae. There is, however, a division of the fragmentary material into books, which reflects an ambition to provide a syste-matic reconstruction9. No detailed commentary is provided, but keen attention is given to the identification of parallel passages, especially from a linguistic point of view: for instance, a passage of Gellius (NA 2.27) in which Sertorius’ scar is mentioned leads to a list of the discussion of other late Republican passages mentioning scars (p. 155). That is even more clearly apparent in the scholia with which the edition ends: the historical contextualisation of the material receives little attention. The two monographs are followed by the lieux célèbres from the Historiae (four speeches and two letters), the two suasoriae to Julius Caesar, the Declamatio against Catiline ascribed to Porcius Latro, and the alleged exchange of invectives between Sallust and Cicero: a sequence that had already been laid out in a number of earlier editions of Sallust, since that published in 1490 in Rome by Pomponio Leto.10 9 As noted by A. C. Dionisotti, « On Fragments in Classical Scholarship », in G. W. Most (ed.), Collecting Fragments-Fragmente sammeln, Göttingen, 1997, p. 133, esp. p. 25. 10 See P. J. Osmond-R. Ulery, « Sallustius Crispus, Gaius », p. 199-200; the first printed edition of the speeches and letters from the Historiae was produced by Arnold Pannartz (Ex libris Historiarum orationes et epistolae, Rome, 1475). Cf. also
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Arguably, though, the appetite for a comprehensive collection of what survives from ancient literature, and notably in ancient historical writing, is the main legacy of Manuzio’s pioneering effort. Only five years later, Antonio Riccoboni (1541-1599) put the study of Roman historical writing on a new footing.11 He shared the craving for comprehensiveness that underlay Manuzio’s effort – an approach that was also central to antiquarian scholarship, an intellectual practice of growing importance in the second half of the sixteenth century. It was compounded by an even bolder ambition, which was shared and pursued by many scholars of the day: that of producing a full-scale reflection on historical writing, its aims, its potential, and its limitations.12 Riccoboni laments that the works of many ancient historians survive only in part, and that the works of other authors no longer survive at all: inter ceteros Catonem, Quadrigarium, Sisennam, Salustium quod attinet ad libros historiarum, et Varronem (p. 5). Hence the ambition to produce a collection of their fragments and elucidate them briefly. Riccoboni’s project is the first edition of the Roman fragmentary historians, and its roots are, on the one hand, in the intellectual ambitions of the editor and, on the other, in the close engagement with the work of Riccoboni’s mentor, Carlo Sigonio. There is also a further, broader set of preoccupations, splendidly brought out by Anthony Grafton: the mid-sixteenth century is an age in which chronology is both a strong intellectual interest and a contagious fashion, and the collecting and elucidating of fragments is a scholarly domain that mobilizes some of the best minds of the time. Riccoboni may not have been the most original student of ancient
the useful overview of the earlier editions of the spurious Invectives of Sallust and Cicero in A. A. Novokhatko, The Invectives of Sallust and Cicero: Critical Edition with Introduction, Translation, and Commentary, Berlin-New York, 2009, p. 130136. Dionisotti, « On Fragments in Classical Scholarship », p. 28-29 views the 1544 edition of the Historiae by Robert Estienne as a watershed: it is the first one to include some fragments along with the speeches and the letters; Osmond-Ulery, « Sallustius Crispus, Gaius », p. 208 emphasise the greater ambition and reach of Manuzio’s project. 11 Antonii Riccoboni Rhodigini de Historia Commentarius cum fragmentis ab eodem Antonio summa diligentia collectis, Venice, 1568. 12 This major strand of early modern intellectual history is masterfully explored in A. Grafton, What Was History? The Art of History in Early Modern Europe, Cambridge, 2007.
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history, but the operation he carried out in the appendix to his De historia commentarius was undoubtedly, and radically, new.13 Mark Pobjoy and John Rich have recently shown the significance and importance of Riccoboni’s work, in their masterful survey of the editions of the Roman fragmentary historians before Peter’s Historicorum Romanorum Reliquiae.14 What determines Riccoboni’s interest is the format in which the works of some authors survive: the fragment. Sallust is included in his edition qua fragmentary author. The edition follows the commentarius on the writing of history, in which Riccoboni reflects at length on what history can offer orators and philosophers, and whose closing section (p. 44-46) is devoted to the loss (iactura) of the works of many great historians from the past: if those lost works survived, the dignitas and utilitas of history would be even more strongly apparent than is already the case. The Elder Cato is the starting point, and Riccoboni offers a preliminary instance of how he understands the difference between testimonia and fragments: before the compilation of the fragments of the Origines, there is a quotation from Cicero, Brutus 68 and 294, where Cicero’s judgement is set out, followed by a further quotation from Pliny the Elder (Nat. 7.27). The project of the collection of the fragments is, first and foremost, a transition from the familiar to the less familiar: arranging passages that are already known to help the understanding of problems that were previously not on the map. Only the fragments of the Historiae feature in this edition, which does not include the monographs: unlike Manuzio, Riccoboni integrates the speeches and the letters among the shorter fragments that belong to the relevant books, and seeks to provide coherent arrangements for each of them. That in itself would have warranted a new edition. Moreover, in a brief preface, Riccoboni states his familiarity with Manuzio’s work, but claims that his own study of the fragments had been completed by the time of its appearance (at p. 104 he pointedly states that many, including Sigonio, could pay witness to that). As Riccoboni does not fail to note, the collection he produced was much more detailed and far-reaching than Manuzio’s. Yet, there is a fundamental limitation to it: it does not 13 A. Grafton, « Fragmenta historicorum Graecorum: Fragments of some lost Enterprises », in Most (ed.), Collecting Fragments-Fragmente sammeln, p. 124-143, esp. 134-136 (135, n. 4 on Riccoboni); see also id., What Was History?…, p. 81. 14 M. P. Pobjoy – J. W. Rich, « From Riccoboni to Roth: Early Editions of the Fragments of the Roman Historians, in T. J. Cornell (ed.), The Fragments of the Roman Historians, I, Oxford, 2013, p. 652-660, esp. 652-654.
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include any general discussion of the scope of the Historiae, and of their contribution to the historical understanding of the late Roman Republic. There is, however, a useful set of comments and crossreferences in the scholia on the longer passages, notably the letters, which is not limited to textual parallels. The edition of Fragmenta historicorum by Antonio Agustín (15161586), published posthumously in Rome nearly three decades later (1595), does not show any awareness of Riccoboni’s work.15 It also contrasts sharply with it in a very significant respect: while Riccoboni is very clear about his methodological assumptions, Agustín takes his readers in medias res by presenting them with the edition of the fragments, no introduction supplied. The project follows very different lines to those of Riccoboni. The starting point is Fabius Pictor; Licinius Macer is edited before Sempronius Asellio; most strikingly, Cato is omitted. The endpoint of the collection is Sisenna. Sallust’s fragments are not included. The second part of the volume of Agustín’s Fragmenta is taken up by lengthy essays of his friend and collaborator Fulvio Orsini (1529-1600) on historical works that do survive, from the corpus Caesarianum to Livy, Velleius, Tacitus, until the Historia Augusta. This time Sallust is also covered: the two monographs, the fragments of the Historiae, and even the suasoriae to Caesar. All these pieces are not discursive essays, but notes elucidating specific aspects of the texts, which may still be read with some profit. The extent of their debt to the recent work on Sallust’s text by his Spanish friend Petrus Ciacconius (Pedro Chacon, 15261581) is openly stated (p. 4).16 The focus of the discussion, however, is not exclusively literary, nor merely derivative. Mention is made of coins, as is the case in the references to A. Manlius and Sisenna (p. 344). The opening note on the first book of the Historiae contains a reference to the consuls of the year 78 BC, and corroborates it with a quotation from the opening lines of the senatus consultum de Asclepiade (p. 349, descriptus est in veteri apud me Senatusconsulto), which Orsini had edited in 1583.17 In this project, Sallust is sharply 15 Fragmenta historicorum collecta ab Antonio Augustino, emendata a Fulvio Ursino, Antwerp, 1595. 16 On the relationship between Orsini and Chacon see Osmond-Ulery, « Sallustius Crispus, Gaius », p. 208. 17 Notae ad leges et senatus consulta quae in ueteribus cum lapidum aerisque turn scriptorum monumentis reperiuntur, no. 24, published as a supplement to A. Augustinus, De legibus et senatus consultis liber, Rome, 1583; see A. Raggi,
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differentiated from the tradition of the earlier fragmentary historians, and brought into the canon of authors for whom a continuous body of work survives. For all its idiosyncrasies, the edition by Agustín marked an expansion of the range of fragmentary historians: the trend was further developed in the collection by Ausonius van Popma (1563-1613), published (also posthumously) in 1620, where the number of authors included (thirty-seven, from Fabius Pictor to Tanusius Geminus and Egnatius: see p. 181) and the range of testimonia are considerably greater.18 Sallust is included among the fragmentary historians, two entries after Sisenna, and is excluded in the same breath, with an extraordinary rationale: Sallustii Historiarum fragmenta, quia sunt in manibus, hic omisimus (p. 102). The main purpose of Popma’s edition is to enable access to material that would be otherwise out of the way, for most readers at least: since the Historiae are typically included in the widely available editions of Sallust, especially that of the Flemish scholar Ludovicus Carrio (Louis Carrion, 1547-1595: C. Sallustii Crispi Historiarum Lib. VI, Antwerp, 1573), long considered the most authoritative, they do not need to be reprinted.19 That having them printed along with the rest of the evidence for Roman fragmentary historiography might benefit the understanding and appreciation of that material, and that the two bodies of evidence might in fact shed light on each other, is a possibility that is not contemplated here; nor is the ambition to recover and preserve long-lost texts, which had led Manuzio and Riccoboni, on Popma’s mind. It had far from disappeared from the debate, though: it is in fact the aim of the great compilation of another Dutch scholar, Gerardus Vossius (Gerrit Janszoon Vos, 1577-1649), whose three books De historicis Latinis (1627) provide a comprehensive account of the writing of history in Latin, from Fabius Pictor to Innocenzo Casari.20 This overview of unprecedented scope is not grounded in a new edition of the fragments, but in a series of biographical essays, where the sources that we nowadays would consider as testimonia play a « Senatus consultum de Asclepiade Clazomenio sociisque », ZEP, 135, 2001, p. 73116, esp. p. 74. 18 Fragmenta historicorum veterum Latinorum ab Ausonio Popma Frisio, Amsterdam, 1620. See Pobjoy-Rich, « From Riccoboni to Roth … », p. 654-656. 19 On the importance of Carrio’s work see Osmond-Ulery, « Sallustius Crispus, Gaius », p. 309-312 and La Penna, « Prolegomena », in La Penna-Funari, C. Sallusti Crispi Historiae…, p. 37-38. 20 G. I. Vossius, De historicis Latinis libri III, Leiden, 1627 (2nd ed. 1651).
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central role. Sallust receives close attention, of course (p. 69-71, ch. 15), in an admirable piece that strikes a very effective balance between biographical information and critical discussion of some major aspects of his work (especially on the authorship of the suasoriae and the style). The whole, however, turns out to be much more than the sum of its parts. Vossius’ work had the great merit of creating a coherent historical and analytical framework that encompassed the whole of Roman historiography, and vividly alerted readers to the extent and significance of the littérature latine perdue. Sallust’s pivotal role in the development of Latin historiography was clearly recognised, not least through the careful scrutiny of ancient reactions to his work from Asinius Pollio to Augustine: a study whose importance has recently been shown from a different angle in La Penna’s prolegomena to the edition of the Historiae that he recently published with Rodolfo Funari.21 After Vossius, the body of work produced by the fragmentary historians and by Sallust is part of the same historical and intellectual development, and their study can be mutually reinforced. It is surely not fortuitous that, less than a decade later, another Dutch scholar, Marcus Zuerius Boxhorn (1612-1653), produced an edition of Sallust in which a long appendix consisted of a new edition of veteres historici.22 Sallust is treated with the same criteria with which fragmentary historians are dealt with: the edition is opened by a series of iudicia et testimonia, which closes with the comments of John of Salisbury, Petrarch, and Iulius Scaliger. It goes on to include, after the monographs, the fragments of the Historiae, without consecutive numbering and without commentary, followed by the familiar set of the suasoriae to Caesar and the Invectives, but without the Declamatio in Catilinam. The edition of the veteres historici is preceded by a brief note of explanation (p. 218): si antiquissimo non minus quam antiquitatis, etiam in verbis, studioso, visum fuit veterum Historicorum, quae supersunt hactenus, Fragmenta, collectore Popma, hic addi. Quibus, cum autorum causa, qui Historias scripserunt, aliis ex libris, quod in Fabio Pictore, Maximoque, ac aliis hic factum, 21 See Vossius, De historicis, 1651, p. 76. Cf. La Penna, « Prolegomena », in La Penna-Funari, C. Sallusti Crispi Historiae…, p. 34-42. See also Osmond-Ulery, Sallustius Crispus, Gaius…, p. 187-192. Vossius’ attempt to build a comprehensive overview of historical writing in Latin is part of his wider ambition to make a mark on the contemporary debate on historical method, the ars historica, on which see Grafton, What Was History?... (esp. p. 20-21, 45, 246-247, on Vossius’ contribution). 22 M. Z. Boxhorn, C. Sallustius Crispus cum veterum Historicorum fragmentis, Leiden, 1634.
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quaedam alia, quae ad Historiam non spectant, inseri videbis, scito ipsos, quamquamforte non eorum omnia, quae tamen pauca sunt, eodem spectare. The justification for the inclusion of such a substantial appendix is predominantly literary: Sallust is not just interested in the past, but has a strong interest in ancient style. Boxhorn is prepared to concede that his selection criteria may have been overly generous, but stresses that other scholars who had worked upon comparable material applied even more inclusive, and potentially dispersive, methods.23 Popma’s recent project provided an inevitable reference point, and Boxhorn makes no claim to philological originality. There are, however, significant limitations to the project: no notes and commentary are given, and the substantial florilegium locutionum with which the volume ends covers only Sallust’s text. Boxhorn’s reliance on Popma is testimony to the importance of that compilation, and is part of a wider process whereby the canon begins to consolidate and stabilise: the model that he devised was reproduced in a number of later editions of Sallust, in the Netherlands, in Britain, and in Italy. It was not until 1710, with the appearance of the edition of Sallust by Joseph Wasse (1672-1738), that the debate was reopened.24 This work engaged in depth with the earlier philological tradition, first and foremost with Popma, but was also shaped by an original degree of intellectual and scholarly ambition. The introduction provides a substantial overview of previous editions of Sallust, and then discusses the reasons for including the fragments of the veteres historici: he declares his debt to Popma’s edition, and points out that the section on Cato does not just include the fragments of the Origines, but encompasses his other works, again drawn from an edition produced as a free-standing volume by Popma.25 Sallust’s admiration for Cato’s work is invoked as the reason for the inclusion of that material. Wasse makes an interesting digression by confronting the objections that he expects to receive from some readers, who will not have any interest in that material: he contends that the value of the evidence of the fragmentary historians to the understanding of Sallust is comparable to the contribution that Ennius and Lucretius can make to the appreciation of Virgil.26 Wasse’s work stands out as an edition 23 He singles out Francesco Robortello (1516-1567): the allusion is perhaps to his De vita et victu populi Romani, Bologna, 1559. 24 J. Wasse, C. Crispi Sallustii quae exstant, cum notis, Cambridge, 1710. 25 A. Popma, M. Porcii Catonis quae extant, Leiden, 1590. 26 J. Wasse, C. Crispi Sallustii, p. xi: sunt qui consilium nostrum hac in parte reprehendunt, neque cui inserviant usui haec, et hujusmodi ramenta satis se
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of unprecedented learning and ambition, especially for the large body of annotations that it provides, both on matters of language and content, and for the liveliness of its style. The debt to his predecessor, however, is considerable. The opening note reproduces a metaphor, already used by Carrio, comparing the work of the editor of the Historiae to that of someone who is piecing together the fragments of a shipwreck, in the knowledge that they will not be able to restore the ship to its pristine state (p. 1): ita haec historiae Sallustianae fragmenta, et veluti e naufragio tabulas, componemus, ut si navem integram et sartam tectam esse praestare non possimus: (quis enim id speret?) saltem efficiamus, ut minus lacera, minusque dissipata, et in partes pauciores dissoluta est videatur.27 It also marks a not insignificant departure from previous editions by including the brief work of Julius Exuperantius on the wars of the Eighties and the Seventies, which he regards as derivative from the Historiae. That feature, and the overall arrangement of the fragments, will be followed up in later editions of Sallust for the rest of the eighteenth century. Giuseppe Volpi, in his 1722 edition, lamented that the text of the veteres historici provided by Wasse was so imperfect that the work of revision he had to carry out could be compared to Hercules’ labour in Augias’ stables; however, the structure of the work reproduced the same sequence.28 A significant change in focus was marked by the edition published in 1825 by Karl Heinrich Frotscher (1796-1876), who stressed the need for an improved text of the veteres historici, and also made some additions to the body of fragments that had been printed in previous intellegere profitentur. At ipse enim nescio, quem in finem isti animum ad legendum appellant? Si ut Latine scribant; ut Hujus indolem intimis percipiant sensibus; Eorum quos stylo expresserit reliquias ne statim pro nihilo habeant; neu quos Critici veteres ob Historiam quandam reconditam, ob Ritum aliquem remotiorem, Constructionem insolitam cum laude citaverint, eorum collecta Monumenta criminentur. Quin potius crebro secum ipsi revolvant, quantum Virgilio lucis, vel unius Ennii λείψανα infundant; quanta verborum amoenitates in hoc tanto Scriptorum dispendio nos fugerent, ni superesset Lucretius. 27 See Carrio, C. Sallustii Crispi Historiarum Lib. VI…, p. 105. Cf. OsmondUlery, « Sallustius Crispus, Gaius », p. 310. The shipwreck metaphor goes as far back as the closing sentence of the preface to Flavio Biondo’s Italia illustrata (1451; first printed edition: Rome, 1474), and also occurs in Francis Bacon’s The Advancement of Learning (London, 1605): see R. Fubini, Storiografia dell’umanesimo in Italia da Leonardo Bruni ad Annio da Viterbo, Rome, 2003, p. 47 (on Biondo) and Grafton, What Was History?..., p. 84, 91, 95-96. 28 G. Volpi, C. Crispi Sallustii quae exstant, Padua, 1722; see esp. p. 6 of the Epistola ad lectorem (unnumbered).
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editions, while admitting in the same breath that much more material still awaited to be located in veterum hominum monumentis (p. x). The selection of fifty-five authors that is presented in the final section of the work makes a bold, if reasonable claim to greater accuracy and comprehensiveness than any of the preceding attempts, and reaches well into the imperial period, covering Augustus’ autobiography and the works of Masurius Sabinus (no. 54) and Julius Hyginus (no. 55).29 The brief of the edition is to present the fragments without annotation; however, five years later Frotscher published the third instalment of a series of Doctorum hominum commentaria on Sallust, the pseudoSallustian works, the Declamatio in Catilinam, Julius Exuperantius, and the fragmentary historians.30 The discussion of the latter set of material (p. 272-344) reproduces extensive stretches of the notes produced by Riccoboni, Popma, and Wasse. The sources are duly declared: the chief aim of this anthology is to support the elucidation of the text. Less than a decade later, another major turning point intervened. In 1833 August Krause (b. 1808) published a short book in which an edition of the Roman fragmentary historians was provided, along with a full complement of historical and literary introductions. The combination of philological and biographical interests was clearly spelled out in the title; more importantly, the collection was a project that was neither adjoined to the edition of an author of the canon nor linked with the all-encompassing edition of the fragments from lost literary works in Latin.31 Krause worked in the mould of the new approach to Roman history heralded by Niebuhr, whom he acknowledged at the outset of the introduction to the collection (p. v: magnus Niebuhrius), where the work of the previous editors of the fragments of the Roman historians receives rather harsh criticism. The slim volume that he produced is not immune from flaws and idiosyncrasies, but marks an altogether new approach to the task of organising and collecting the fragments of the Roman fragmentary historians. First, they are assembled as a free-standing corpus, without any link with the work of canonical authors; secondly, and as a result of that working assumption, they are presented in a format that places at its core the study of the development of historical writing at Rome. The introduction is an effort to chart that trajectory, and to offer a 29 See Pobjoy-Rich, « From Riccoboni to Roth… », p. 658-659 on the philological merits of this edition. 30 Doctorum hominum commentaria in C. Sallustium Crispum, III, Leipzig, 1830. 31 A. Krause, Vitae et fragmenta historicorum Romanorum, Berlin, 1833.
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periodisation of how the historiographical genre developed in Roman culture, especially with respect to the impact of Greek models. The central assumption of the discussion is rather simplistic, if coherently developed. Roman historical writing went through a slow and painstaking development, and was rough and imperfect in its early history: the turning point Krause identifies is the age of Sisenna and Sallust (p. 17); until then, the Roman historians could be said to have stuttered (balbutisse facile dixeris). As he makes clear shortly afterwards, those were the first two Roman historians who firmly engaged with the lessons of Greek historiography (p. 18: Graecarum artium periti). Sallust, in fact, is one of the greatest practitioners of the historical genre, along with Tacitus: a true pupil of Clio. He is therefore sharply separated out from the crowd of the annalists, chiefly on literary considerations: he is a far superior author to anyone else who had previously come to the fore in the Republican period. An arguably even more significant implication of Krause’s project is the redefinition of the canon of the fragmentary historians. The edition provided an altogether new selection, in which previously overlooked authors make their appearance – most notably C. Sempronius Tuditanus, cos. 129 BC (p. 178-182). Cato retains of course pride of place (p. 89-125), but the edition does not include his non-historiographical works. On the other hand, the collection is opened by two entries on Naevius (p. 34-36) and Ennius (p. 36-38): their fragments are not printed, but a general discussion is offered of their place in the development of the Roman historical tradition. Krause’s project was a fundamentally original undertaking, marking a significant departure from previous practice. It belonged in a wider attempt to confer greater depth to the study of Roman fragmentary historiography, which did not apply only to the older annalists, but also extended to the study of Sallust. After Charles de Brosses’s 1777 edition, a number of attempts to collect the fragments of the Historiae were produced in the nineteenth century, eventually culminating with the classic edition by Berthold Maurenbrecher in 1895.32 However, the core of Krause’s lesson on how to frame the study of the Roman fragmentary historians was not immediately taken up. The edition produced by Carl Ludwig Roth (1811-1860) in 1852 was the second 32 B. Maurenbrecher (ed.), C. Sallusti Crispi Historiarum reliquiae, I, Leipzig,
1895, p. 6-7; cf. La Penna, « Prolegomena », p. 38-40. The ambition and importance of de Brosses’s contribution are discussed in A. Marcone, « Charles de Brosses studioso di Sallustio », RSI, 165, 2013, p. 475-496, esp. p. 479-483 on the edition of the Historiae.
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part of a collection of writings of Sallust by Franz Dorotheus Gerlach (1793-1876).33 In an important respect, it followed in a well-established sequence of scholarly editions, but it marked an important departure from the past in two major respects. Firstly, it was based on a new periodisation. Instead of covering the whole of Roman historical writing, it ranged from Fabius Pictor to Livy; in his introduction, Gerlach made clear that it was intended as a tool for the study of the origins of Rome and its later development as an imperial power. As Pobjoy and Rich have noted (p. 660), it diverted the focus from Sallust to Livy. The divide, however, was political as much as literary: Gerlach stresses that the endpoint is the age of Augustus.34 Secondly, it provided a new selection, where the focus is squarely on prose writers, and the starting point is again Fabius Pictor, but there is still scope for further additions: most importantly, Sulla’s memoirs were for the first time included in a selection of veteres auctores (no. XXII, p. 334-338). Roth’s collection is no longer focused on the annalistic works, and – while retaining a strong link with Sallust – it does not establish a direct connection between him and his predecessors. These two factors played a major role in determining its importance to later scholars; on the other hand, the lack of commentary, or even of a set of notes, left plenty of scope for further work. In their own different ways, both Krause and Roth performed a major service to the study of the Roman fragmentary historians. However, in the preface to the first edition of the Veterum Historicorum Romanorum Relliquiae, published in 1870, Hermann Peter (18371914) expressed his dissatisfaction with their work in the most emphatic terms. Krause’s compilation fell short, in his assessment, of the most basic standards of scholarly rigour, and was practically useless. Roth was, on the other hand, a scholar of far greater ability, but he did not fulfil his brief with sufficient ability: his edition proved far less helpful than it could have been, especially when it came to discussing the traces of lost Latin authors in later Greek texts. As Peter wryly points out, there was small comfort to be found in going back in time. No one had done original work on Roman fragmentary historians since Popma; Wasse and his successors had apparently 33 F. D. Gerlach, Gai Salusti Crispi Catilina Iugurtha Historiarum reliquiae incertorum auctorum Epistolae ad Caesarem Invectivae Declamatio in Catilinam. Accedunt historicorum veterum Romanorum reliquiae a Car. Lud. Roth collectae et dispositae, Basle, 1853. 34 Gerlach, Gai Salusti Crispi…, p. xi. See Pobjoy-Rich, « From Riccoboni to Roth… », p. 660.
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regarded the edition of their fragments as a sort of parergon (p. viii) of far lesser significance than the task of editing Sallust.35 The time had come, therefore, for a new project. In this programmatic statement, at the outset of his first instalment of a project that would eventually lead to the standard edition of the Historicorum Romanorum Reliquiae, Peter definitively extricates the philological study of Sallust from that of the Roman fragmentary historians.36 He also takes a further step: the canon of the Roman fragmentary authors is moved beyond the chronological boundaries that had been used until that time by the editors of veteres historici – those of the libera res publica – to encompass the whole of Roman history: a task that no one had attempted until that time. The study of the fragments of the Roman historians is no longer a pursuit that can benefit mainly the understanding of the origins of Rome, or might shed light on the process that led to the demise of the Republic. It is not even a pursuit that can serve the reading of widely revered masters of Latin historical prose like Sallust, Livy, or even Tacitus. The new ambition is to open up the discussion to any sort of historical writing in Latin that does not survive in full, whatever its outlook might be. Neither Sallust nor the annalists are central to Peter’s undertaking. The study of Roman historiography has entered an altogether new phase. The scholarly tradition to which Professor Chassignet would later make such a distinguished contribution had firmly taken shape.37 Bibliography Augustinus, A, Fragmenta historicorum collecta ab Antonio Augustino, emendata a Fulvio Ursino, Antwerp, 1595. _, De legibus et senatus consultis liber, Rome, 1583. Birley, A. R., Hadrian. The Restless Emperor, London-New York, 1997.
35 Cf. Grafton, Fragmenta historicorum..., p. 143 on the tendency of Creuzer,
Heyne, and other early nineteenth-century students of Greek historiography to rely uncritically on the work of the likes of Scaliger and Vossius. 36 A second edition of the first volume was eventually published in Leipzig under the title Historicorum Romanorum Reliquiae in 1914; the second volume (starting with Cicero and ending with Valens, an author of uncertain dating, excluded from FRHist) had appeared in 1906. 37 I am greatly indebted to Mattia Balbo, Katherine East, Patricia Osmond, and Robert Ulery for their comments on previous drafts of this paper.
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Boxhorn, M. Z., C. Sallustius Crispus cum veterum Historicorum fragmentis, Leiden, 1634. Carrio, L., C. Sallustii Crispi Historiarum Lib. VI, Antwerp, 1573. Chassignet, M., L’annalistique romaine, tome II, L’annalistique moyenne, texte établi et traduit par M. Chassignet, Paris, Les Belles Lettres, CUF, 1999. Cornell, T. J. (ed.), The Fragments of the Roman Historians I, Oxford, 2013. Dionisotti, A. C., « On Fragments in Classical Scholarship », in G. W. Most (ed.), Collecting Fragments-Fragmente sammeln, Göttingen, 1997, p. 1-33. Frotscher, K. H., Doctorum hominum commentaria in C. Sallustium Crispum, III, Leipzig, 1830. Fubini, R., Storiografia dell’umanesimo in Italia da Leonardo Bruni ad Annio da Viterbo, Rome, 2003. Gerlach, F. D., Gai Salusti Crispi Catilina Iugurtha Historiarum reliquiae incertorum auctorum Epistolae ad Caesarem Invectivae Declamatio in Catilinam. Accedunt historicorum veterum Romanorum reliquiae a Car. Lud. Roth collectae et dispositae, Basle, 1853. Grafton, A., « Fragmenta historicorum Graecorum: Fragments of some lost Enterprises », in Most (ed.), Collecting Fragments-Fragmente sammeln, Göttingen, 1997, p. 124-143. _, What Was History? The Art of History in Early Modern Europe, Cambridge, 2007. Krause, A., Vitae et fragmenta historicorum Romanorum, Berlin, 1833. La Penna, A., Funari R. (eds.), C. Sallusti Crispi Historiae. I: Fragmenta 1.1-146, Berlin-New York, 2015. Manutius, A., C. Sallustii Crispi Coniuratio Catilinae et Bellum Iugurthinum. Fragmenta eiusdem historiarum et scriptoribus antiquis, Venice, 1563. Marcone, A., « Charles de Brosses studioso di Sallustio », RSI, 165, 2013, p. 475496. Maurenbrecher, B. (ed.), C. Sallusti Crispi Historiarum reliquiae, II, Leipzig, 1893. _, C. Sallusti Crispi Historiarum reliquiae, I, Leipzig, 1895. Novokhatko, A. A., The Invectives of Sallust and Cicero: Critical Edition with Introduction, Translation, and Commentary, Berlin-New York, 2009. Osmond, P. J., Ulery, R. W., « Sallustius Crispus, Gaius », in V. Brown (ed.), Catalogus Translationum et Commentariorum: Mediaeval and Renaissance in Translations and Commentaries. Annotated Lists and Guides, VIII, Washington D.C., 2003, p. 183-326. Pannartz, A., Ex libris Historiarum orationes et epistolae, Rome, 1475. Peter, H., Veterum historicorum Romanorum Reliquiae, Leipzig, 1870.
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_, Historicorum Romanorum Reliquiae, II, Leipzig, 1906. _, Historicorum Romanorum Reliquiae, I, Leipzig, 19142. Pobjoy M. P., Rich, J. W., « From Riccoboni to Roth: Early Editions of the Fragments of the Roman Historians », in T. J. Cornell (ed.), The Fragments of the Roman Historians, I, Oxford, 2013, p. 652-660. Popma, A., M. Porcii Catonis quae extant, Leiden, 1590. Ramsey, J. T., Sallust. Fragments of the Histories. Letters to Caesar, Cambridge, Mass.-London, 2015. Raggi, A., « Senatus consultum de Asclepiade Clazomenio sociisque », ZPE, 135, 2001, p. 73-116. Riccoboni, A., Antonii Riccoboni Rhodigini de Historia Commentarius cum fragmentis ab eodem Antonio summa diligentia collectis, Venice, 1568. Robortello, F., De vita et victu populi Romani, Bologna, 1559. Volpi, V., C. Crispi Sallustii quae exstant, Padua, 1722. Vossius, G. I., De historicis Latinis libri III, Leiden, 1627 (2nd ed. 1651). Wasse, J., C. Crispi Sallustii quae exstant, cum notis, Cambridge, 1710.
On future Fragmenta and Testimonia Notes on the Extra-Literary Evidence for Roman Republican Historiography Kaj Sandberg
One of the most fundamental issues underlying the study of the history of the republican period concerns the nature and scope of early Roman historiography. Even if an extensive broadening of the sources used for studying the past stands out as a conspicuous characteristic in the development of classical studies over the last two centuries, the historical writings of the Romans will always remain a core element of the evidentiary basis for Roman history. No other kinds of written testimonies are as helpful in providing the chronological and contextual frameworks for historical events. Likewise, considering the shaping of the historical traditions in antiquity, no other body of written texts (whether literary or non-literary) or representational materials can have played a role comparable to that of the historical writings when it came to assigning contexts and meanings to historical data. Even if it is nowadays stressed, and quite rightly so, that the products of literacy – in the form of records, documents and written accounts – only constituted one medium among several others transmitting historical information from one generation to the next, it is hard to conceive of any cultural process performing the function of preserving reasonably accurate and meaningful historical data as efficiently as that of recording history in writing.1 Whatever significance we might be inclined to attach to “the alternatives to written history”,2 the central importance of historical writing can hardly be overstated. 1 See my conclusions in K. Sandberg, « Monumenta, Documenta, Memoria.
Remembering and Imagining the Past in Late Republican Rome », in K. Sandberg, C. J. Smith (eds.), Omnium Annalium Monumenta: Historical Writing and Historical Evidence in Republican Rome, Leiden, 2017 (forthcoming). 2 H. I. Flower, « Alternatives to Written History in Republican Rome », in A. Feldherr (ed.), The Cambridge Companion to the Roman Historians, Cambridge, 2009, p. 65-76. Recent research has stressed the importance of lieux de mémoire, monuments and urban topography, see K.-J. Hölkeskamp, « Capitol, Comitium und Forum: öffentliche Räume, sakrale Topographie und Erinnerungslandschaften », in 10.1484/M.RRR-EB.5.121317
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Just a few decades ago it would have been superfluous to remark upon the centrality of historical writing in classical studies, but we note that nowadays even authors of introductions to Roman historiography see fit to make a case for the importance of their subject.3 A tantalizing material that holds many of the keys to further progress in understanding the development of historiography at Rome, between its inception in the late third century BCE and the first works which substantially survive, is constituted by the fragmenta of and the testimonia pertaining to the lost historians. We know of at least fifty individuals producing accounts of Roman history between Fabius Pictor, the first (prose) historian, and Livy about two centuries later. No single scholar has contributed as much to advancing our understanding of this crucial material as the dedicatee of these Mélanges, who has devoted much of her professional career to the study of the fragmentary historians of the Roman Republic. Professor Chassignet can pride herself on having strengthened the principal foundation on which future progress in her chosen field of study will depend.4 This S. Faller (Hrsg.), Studien zu antiken Identitäten, Würzburg, 2001, p. 97-132 and Id., « History and Collective Memory in the Middle Republic », in N. Rosenstein, R. Morstein-Marx (eds.), A Companion to the Roman Republic, Oxford, 2006, p. 478-495. For a discussion of “the Nora/Hölkeskamp hypothesis about monuments carrying memory”, see T. P. Wiseman, « Popular Memory », in K. Galinsky (ed.), Memoria Romana. Memory in Rome and Rome in Memory, Ann Arbor, 2014, p. 4362 along with the response in K.-J. Hölkeskamp, « In Defense of Concepts, Categories and other Abstractions. Remarks on a Theory of Memory (in the Making) », in K. Galinsky (ed.), Memoria Romana... (op. cit., supra) p. 63-70. 3 A. Mehl, Roman Historiography, Chichester, Malden, 2011, p. 2: “The increase in knowledge from archaeological, inscriptional, and other documentary sources may seem to diminish the importance of the historiographical traditions and literary texts of the Greeks and Romans, but this is hardly the case: non-literary documents, physical objects, and art-works may indeed provide detailed information, but only in regard to specific points. Now, as ever, our knowledge concerning ancient political history as a chronological sequence of circumstances rests almost entirely on Greek and Roman literature, primarily historiographical. Only in the broader context provided by this extensive continuum have we been able to make the specific advances in the knowledge that we have derived from the alternative sources just enumerated, and we may in fact appreciate their full historical value only when we anchor them in the wider web of history.” 4 M. Chassignet (ed.), L’annalistique romaine, I-III, Paris, 1996-2004. Other efforts to replace H. Peter (ed.), Historicorum Romanorum reliquiae I2-II, Leipzig, 1914/ 1906 have been multi-authored projects: H. Beck, U. Walter (Hrsgg.), Die frühen römischen Historiker I-II, Darmstadt, 2001-04; T. J. Cornell et al. (eds.), The Fragments of the Roman Historians I-III, Oxford, 2013. The last few decades have seen a boom in fragment studies, which has also produced editions (usually with
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is not to deny that progress will be made along other paths as well. Quite clearly, the study of social/cultural memory and of various expressions of historical culture has yielded many new insights that are of relevance as we pursue a deeper understanding of the nature of recorded historical data and of the interpretative narratives into which they have been inserted, but it is important to stress that the formal products of Roman historiography still deserve our full attention.5 There are still many problems to be addressed, including some very basic ones. For instance, the very definition of Roman historiography is still somewhat fluid. Two hundred years after Niebuhr pioneered the critical study of the foundations of Roman historical traditions, scholars are still to some extent divided as to how the diversity of historical writing in the republican period should be dealt with. Only treatises written in prose have usually been qualified as historiography by modern scholars,6 while the epic poems covering historical themes tend to be regarded as intrinsically something else. Just like the great Thucydides, Naevius wrote an account of a contemporary war, but he did so in metre and is therefore not considered a historian. Also Ennius is usually regarded as first and foremost a poet,7 even if he in his Annales – presenting an account of Roman extensive commentaries) of the fragments of individual historians: M. Chassignet, Caton. Les Origines (Fragments), Paris, 1986; G. Forsythe, The Historian L. Calpurnius Piso Frugi and the Roman Annalistic Tradition, Lanham, 1994; C. Santini, I frammenti di L. Cassio Emina. Introduzione, testo, traduzione e commento, Pisa, 1995; S. Walt, Der Historiker C. Licinius Macer. Einleitung, Fragmente, Kommentar, Stuttgart, 1997. 5 For a discussion of Gedächtnisgeschichte, see K. Sandberg, « Monumenta, Documenta, Memoria… » (op. cit., supra, n. 1). 6 T. J. Cornell et al. (eds.), The Fragments of the Roman Historians I, Oxford, 2013, p. 7 (the emphasis is mine): “[W]e have identified as “Roman historians” all Roman authors of prose works dealing with some or all of the history of Rome and presented primarily in the form of a chronological narrative of political and military events.” 7 According to Gildenhard, Ennius “shares little with the Roman ‘annalists’ apart from the title”, see I. Gildenhard, « The ‘Annalist’ before the Annalists. Ennius and his Annales », in U. Eigler et al. (Hrsgg.), Formen römischer Geschichtsschreibung von den Anfängen bis Livius. Gattungen – Autoren – Kontexte, Darmstadt, 2003, p. 113. This verdict has been contested by Jackie Elliott, who in a recent study has argued that Ennius, despite his choice to compose his Annales in epic verse, can be seen as an exponent of the ancient historiographic tradition: J. Elliott, Ennius and the Architecture of the Annales, Cambridge, 2013. For valuable overviews of Ennian studies, see M. von Albrecht, Geschichte der römischen Literatur I, München, 1994, p. 106-119 and W. Suerbaum, Ennius in der Forschung des 20. Jahrhunderts. Eine kommentierte Bibliographie für 1900-1999, Hildesheim, 2003.
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history from the heroic past down to his own time – created nothing less than the very format for annalistic historiography.8 Only that he did not compose his work in prose, but in hexameters; however, in this connection it is interesting to note that Lucan’s epic on the struggle between Caesar and Pompey was regarded as a work of history in antiquity.9 As for the prose works, the whole question of genre diversification (historiae, annales, res gestae) is still to some degree open.10 Considering this state of affairs, it is absolutely essential that we keep studying the evidence for lost Roman historiography. There is no doubt that the philological and historical study of the known literary sources will continue to advance our knowledge of Roman historiography, but there is at least theoretically a limit to how much new information can be obtained by studying a limited corpus of texts. The canon of Greek and Latin literature is not likely to expand significantly, even if we can hope for a few additions as more of the excavated papyri of the Ptolemaic and Roman periods are published. It is easy to forget that only a small percentage of these texts have been made available for research.11 Moreover, since specimens of Roman historiography have already surfaced in this 8 H. Beck, U. Walter (Hrsgg.), Die frühen römischen Historiker I, Darmstadt,
2001, p. 40-41; U. Walter, Memoria und res publica. Zur Geschichtskultur im republikanischen Rom, Frankfurt am Main, 2004, p. 259-263; H. Beck « The Early Roman Tradition », in J. Marincola (ed.), A Companion to Greek and Roman Historiography, Oxford, 2007, p. 262. 9 Serv. Aen. 1.382: Lucanus … in numero poetarum esse non meruit, quia videtur historiam composuisse, non poema. Alan Gowing observes that “for the Romans historia is less a genre than a definition of subject matter” and Karl Galinsky notes that history, or the preservation of memory (memoria), “could take on the shape of poetry as well as prosaic historiography”, see A. M. Gowing, Empire and Memory. The Representation of the Roman Republic in Imperial Culture, Cambridge, 2005. p. 11 and K. Galinsky (ed.), Memoria Romana. Memory in Rome and Rome in Memory (Memoirs of the American Academy in Rome, suppl. 10), Ann Arbor, 2014, p. 1. 10 We note that also the conventional distinction between historiography and antiquarianism has been questioned, see D. MacRae, « Diligentissumus investigator antiquitatis? Antiquarianism and Historical Evidence between Republican Rome and the Early Modern Republic of Letters », in K. Sandberg, C. J. Smith (eds.), Omnium Annalium Monumenta: Historical Writing and Historical Evidence in Republican Rome, Leiden, 2017 (forthcoming). 11 According to a recent estimate, about 72,500 papyri have been published so far while there are still between one million and one million and a half unpublished texts in more than 1,400 known collections, see P. Van Minnen, « The Future of Papyrology », in R. S. Bagnall (ed.), The Oxford Handbook of Papyrology, OxfordNew York, 2009, p. 644-645.
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material and since it is known “that the number of unpublished texts far outstrips that of published texts and that the number of publishable texts is now far larger than ever before”,12 it is altogether possible that more material of relevance for the study of Roman historiography will appear. As for the carbonized papyri from Herculaneum, which have already yielded fragments of a Latin epic on a historical theme,13 we can only hope for a few more texts with some kind of bearing on the historiography and historical culture of Rome.14 However, whatever future discoveries may bring forth in terms of literary texts, it is an unescapable certainty that there is a limit approaching. The best prospects for obtaining significant new data elucidating Roman historiography and Roman historical and literary culture lay in additional archaeological and epigraphic finds. Here we can expect just about anything. I suppose no one ever anticipated that details about the contents of a lost work of Roman historiography would emerge during the course of an archaeological excavation, but that was exactly what happened in Sicily almost fifty years ago. In the summer of 1969, during the construction of a swimming pool for the Park Hotel at Taormina, six inscriptions, painted in red colour, were found on three fragments of wall-plastering. It turned out that the plastering once covered the wall of a building that must have been the library of the gymnasium of ancient Tauromenion. The dipinti in question, dating to about 130 BCE, were part of a catalogue of the 12 P. Van Minnen, « The Future of Papyrology » (op. cit., n. 11), p. 658. The specimens in question are P.Oxy. IV 668 (containing the periochae of Livy, books 37-40 and 48-55 and P.Oxy. XI 1379 (a passage from Livy’s first book). 13 The preserved portion of the poem conventionally known as Carmen de bello Actiaco (P.Herc. 817) deals with the defeat and deaths of Mark Antony and Cleopatra. Its implications for Roman historiography have been considered by G. Zecchini, Il Carmen de bello Actiaco. Storiografia e lotta politica in età Augustea, Stuttgart, 1987. For the history of the scholarship on the papyrus fragments themselves, and many valuable bibliographical references, see R. T. Macfarlane, « P.Herc. 817 from Facsimiles to MSI: A Case for Practical Verification », T. Gagos (ed.), Proceedings of the Twenty-Fifth International Congress of Papyrology, Ann Arbor 2007, Ann Arbor, 2010, p. 455-462. 14 There are, in the Biblioteca Nazionale Vittorio Emanuele III of Naples, about eight hundred still-unopened scrolls that are now being studied by means of computer-assisted tomography, see D. Sider, « The Special Case of Herculaneum », in R. S. Bagnall (ed.), The Oxford Handbook of Papyrology, Oxford-New York, 2009, p. 314. As for the opened scrolls, their legibility has for some time now been improved with the aid of multi-spectral imaging techniques (or digital infrared imaging technology): S. W. Booras, D. R. Seely, « Multispectral Imaging of the Herculaneum Papyri », Cronache Ercolanesi, 29, 1999, p. 95-100; Sider (op. cit.).
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books contained in the library. Divided into columns, each of which is dedicated to one author, the catalogue also provides short descriptions of their lives and works. Remarkably, one of the columns contains a fragmentarily preserved summary of the work of Fabius Pictor. It reveals that he, in his account of Rome’s pre-urban past, included the story of Heracles’ visit in Italy; this is a piece of information that was not known from any of the fragments that survive in the manuscript tradition.15 The discovery at Taormina may too easily be dismissed as an exceptional find that will not be paralleled, but we note that there are other examples of ancient libraries which provided inscribed catalogues of their holdings. A marble stele of the late Hellenistic period, from a library in Piraeus, preserves on two sides a list providing authors’ names and titles of works; most of the authors in the list are dramatists, but also Homer as well as Demosthenes are included.16 Another lapidaric inscription of approximately the same period, from Rhodes, lists authors, works and also the numbers of books in each of them; in this conspectus of the library’s holding rhetorical and philosophical works predominate.17 Hence, considering the sheer unlikelihood that every library catalogue that was made in antiquity has already been found, it is not only possible but also quite probable that additional inscriptional citations of literary works will be recovered.18 Moreover, we note that also other kinds of epigraphs have furnished independent evidence for lost literature, including lost historiography. 15 SEG XXVI 1123, XLVII 1464, frg. iii, col. A: [Κοί]ντος Φάβιος ὁ Πι|[κτω]ρῖνος ἐπικαλού|[μεν]ος, Ῥωμαῖος, Γαίου | [υἱό]ς· | [ὃς] ἱστόρηκεν τὴν | [Ἡρ]ακλέους ἄφιξιν | [εἰς] Ἰταλίαν καὶ δ’ ἔτι | [νός]τον Λανοΐου συμ|[μάχ]ου τε Αἰνεία καὶ | [Ἀσκα]νίου· πολὶ ὕστε|[ρον] ἐγένετο Ῥωμύλος | [καὶ Ῥ]έμος καὶ Ῥώμης | [κτίσις ὑ]πὸ Ῥωμύλου, [ὃς] | [πρῶτ]ος βεβασί[λευκεν]. For an account of the discovery, along with the editio princeps of the dipinto, see G. Manganaro, « Una biblioteca storica nel ginnasio di Tauromenion e il P.Oxy. 1241 », La Parola del Passato, 29, 1974, p. 389-409. 16 IG II/III3 2363. For a discussion, see D. Petrain, Homer in Stone. The Tabulae Iliacae in their Roman Context, Cambridge-New York, 2014, p. 148ff. 17 J. Platthy, Sources on the Earliest Greek Libraries with the Testimonia, Amsterdam, 1968, T117; W. Höpfner, Antike Bibliotheken, Mainz, 2002, p. 68-72. For a discussion, see D. Petrain, Homer in Stone (op. cit., supra, n. 16), p. 148ff. 18 Important discussions of the epigraphic evidence for ancient libraries include M. Burzachechi, « Ricerche epigraphiche sulle antiche biblioteche del mondo greco », Rendiconti dell’Accademia Nazionale dei Lincei, 18, 1963, p. 75-96, and Id., « Ricerche epigraphiche sulle antiche biblioteche del mondo greco », Rendiconti dell’Accademia Nazionale dei Lincei, 39, 1984, p. 307-338.
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The best known example is, of course, the Lyon Tablet, which was found in 1528. This bronze inscription contains the transcript of a speech given by the emperor Claudius to the senate in Rome in 48 CE.19 In defending his decision to admit Roman knights of Gallic descent to the Senate, Claudius points out that many things in the Roman state were originally innovations. He goes on to provide examples from history of how flexibly Rome always had admitted foreigners and how these had played an important role. Already Romulus’ successor, Numa Pompilius, was a foreigner from the Sabine country (vicinus quidem, sed tunc externus), whereas Tarquinius Priscus was the son of a Corinthian father and a mother from Tarquinii.20 As he proceeds to Servius Tullius, he notes that Roman and Etruscan writers (auctores … nostros … Tuscos) contradict each others on this king. In an enticing reference to information contained in Etruscan historiography, of which nothing survives,21 Claudius preserves a non-Roman tradition on the successor of the elder Tarquin. According to this tradition, Servius Tullius was not a Roman, the son of the captive Ocresia, but an Etruscan named Mastarna and a comrade of Caelius Vibenna.22 – Famously, more evidence for the 19 CIL, XIII, 1668 = ILS, 212. The date is known thanks to Tacitus (Ann. 11.23-
24), who both quotes the speech and places it in its context. For a lengthy treatment of this inscription, see P. Fabia, La table claudienne de Lyon, Lyon, 1929. Among later discussions we note P. Sage, « La Table claudienne et le style de l’empereur Claude : essai de réhabilitation », Revue des études latines, 58, 1980, p. 274-312; D. Briquel, « Claude, érudit et empereur », Comptes rendus des séances de l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, 132.1, 1988, p. 217-232; N. Badoud, « La table claudienne de Lyon au XVIe siècle », Cahiers du Centre Gustave Glotz, 13, 2002, p. 169-195. 20 CIL, XIII, 1668, lines 9-16: Quondam reges hanc tenuere urbem, nec tamen domesticis succes|soribus eam tradere contigit. Supervenere alieni et quidam exter|ni, ut Numa Romulo successerit ex Sabinis veniens, vicinus qui|dem, sed tunc externus; ut Anco Marcio Priscus Tarquinius. [Is] | propter temeratum sanguinem, quod patre Demaratho C[o]|rinthio natus erat et Tarquiniensi matre generosa sed inopi, | ut quae tali marito necesse habuerit succumbere, cum domi re|pelleretur a gerendis honoribus, postquam Romam migravit. | Regnum adeptus est. 21 On the evidence for Etruscan historiography, see W. V. Harris, Rome in Etruria and Umbria, Oxford, 1971, p. 4-31 and, especially, T. J. Cornell, « Etruscan Historiography », Annali della Scuola Normale Superiore di Pisa, ser. 3, 6.2, 1976, p. 411-439. 22 CIL, XIII, 1668, lines 16-24: Huic quoque et filio nepotive eius (nam et | hoc inter auctores discrepat) insertus Servius Tullius, si nostros | sequimur, captiva natus Ocresia, si Tuscos, Caeli quondam Vi|vennae sodalis fidelissimus omnisque eius casus comes, post|quam varia fortuna exactus cum omnibus reliquis Caeliani | exercitus Etruria excessit, montem Caelium occupavit et a duce suo | Caelio ita
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personage of Mastarna has turned up later, in a tomb found at Vulci in 1857.23 The Lyon Tablet is also an example of how testimonia pertaining to the annalistic tradition survive outside the literary sources, inscribed in bronze or stone. Other examples include the Fasti Capitolini (consulares and triumphales),24 as well as the elogia of clari viri. These inscriptions document Augustus’ endeavour to elicit patriotic feelings in the people with the help of the glorious past of Rome. This exertion is also documented in the literary sources. Suetonius reports that Augustus, next to the immortal gods, honoured the memory of the leaders who had raised the estate of the Roman people from obscurity to greatness and that he, accordingly, restored the works of such men with their original inscriptions, and in the two colonnades of his Forum dedicated statues of all of them in triumphal garb.25 Putting the Roman past on display in a monumental way, Augustus adorned his Forum with statues representing heroes from the Roman past, each accompanied with an inscription recording his achievements. Fragments of these elogia have been recovered in situ, i.e. in the Forum appellita[vit], mutatoque nomine (nam Tusce Mastarna | ei nomen erat) ita appellatus est, ut dixi, et regnum summa cum rei | p(ublicae) utilitate optinuit. Claudius could have added, which he in fact does in Tacitus’ version of the speech, that also his own family, the gens Claudia, immigrated to Rome from the Sabine country in the early years of the Republic (Ann. 11.24.1): maiores mei, quorum antiquissimus Clausus origine Sabina simul in civitatem Romanam et in familias patriciorum adscitus est. 23 In the wall paintings of the so-called François-tomb (dated to the end of the fourth century BCE), in the Ponte Rotto necropolis, there are representations of episodes from Greek mythology paralleled by depictions of events from the history of Etruria. The mythological and historical personages in question are labelled with their names written out. In one of the representations a certain Caele Vipinas, obviously Caelius Vibenna, frees from captivity a man, whose name is given as Macstrna. See M. Pallottino, « Il fregio dei Vibenna e le sue implicazioni storiche », in F. Buranelli (a cura di), La tomba François di Vulci, Roma, 1987, p. 225-233. 24 CIL, I2, 1, p. 16-29 (Fasti consulares), p. 43-50 (Acta triumphatorum); A. Degrassi, Inscriptiones Italiae XIII.1. Fasti consulares et triumphales, Roma, 1947. For a study of the implications of the fasti for the chronological schemes of the Roman annalists, see F. Mora, Fasti e schemi cronologici: la riorganizzazione annalistica del passato (Historia Einzelschriften, 125), Stuttgart, 1997. A valuable survey of research on the fasti is provided in R. T. Ridley, « Fastenkritik: A Stocktaking », Athenaeum, 58, 1980, p. 264-298. 25 Suet., Aug. 31.5: Proximum a dis immortalibus honorem memoriae ducum praestitit, qui imperium p(opuli) R(omani) ex minimo maximum reddidissent. Itaque et opera cuiusque manentibus titulis restituit et statuas omnium triumphali effigie in utraque fori sui porticu dedicavit. Cf. Plin. Nat. 22.6.13.
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Augusti itself, but the majority of the extant fragments – pertaining to personages such as Aeneas, Lavinia, Silvius Aeneas, Romulus, M’. Valerius Maximus, M. Furius Camillus, L. Albinius, L. Papirius Cursor and Ap. Claudius Caecus – have been found in other parts of Italy, where copies were set up in public. The most important find locations are Pratica di Mare (Lavinium), Pompeii and, above all, Arezzo (Arretium).26 There is a most intriguing parallel to the Roman elogia in a set of inscriptions found at Tarquinia (Tarquinii) shortly after World War II. The so-called elogia Tarquiniensia, though written in Latin and dating to the beginning of the Empire, are no records of Roman history but document local historical traditions pertaining to prominent families and individuals in the Etruscan city before the Roman conquest.27 We can certainly hope that more elogia will surface in future excavations or in connection with urban redevelopments. Again, the probability that every specimen that was produced in antiquity has been unearthed must be deemed as slim. Undoubtedly, there will also be more epigraphic finds elucidating the nature of historical documentation in the pre-literary period. One example will suffice to illustrate how important new epigraphic data can be for appreciating specific information contained in works of historiography. Polybius reports that there was, still in his day (ἔτι νῦν) and engraved on brass in the treasury of the aediles (ἐν τῷ τῶν ἀγορανόμων ταμιείῳ) in the Temple of Iuppiter Capitolinus, a treaty between Rome and Carthage that had been made in the year of the first consuls after the expulsion of the kings (L. Iunius Brutus and M. Horatius).28 His observation that the text, on account of its oldfashioned language, was difficult to read even for the most learned men among the Romans themselves,29 clearly substantiates his view that it was a genuine old document, but does not actually confirm the date he assigns to it. Some scholars used to doubt that Polybius really 26 CIL, I2, 1, p. 183-202; A. Degrassi, Inscriptiones Italiae XIII.3. Elogia, Roma,
1937. 27 The inscriptions were first published in P. Romanelli, « Tarquinia: Scavi e ricerche nell’area della città », Notizie degli Scavi, 73, 1948, p. 193-270 (260ff.). A new edition, one which also includes fragments found later, is M. Torelli, Elogia Tarquiniensia (Studi e materiali di etruscologia e antichità italiche, 15), Firenze, 1976, p. 25-44. For a short but well-informed discussion of the material, see T. J. Cornell, « Principes of Tarquinia », Journal of Roman Studies, 68, 1978, p. 167-173 (review article on Torelli’s work). 28 Pol. 3.26.1. 29 Pol. 3.22.3. See also, ad loc., F. W. Walbank, A Historical Commentary on Polybius I-III, Oxford, 1957-79.
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saw a document that had been created more than three centuries earlier, but a few decades ago an epigraphic discovery changed the general attitude towards the documentary foundation for the history of the Early Republic. In 1964, during archaeological excavations of a sanctuary at Pyrgi (Santa Severa), the port of the Etruscan city of Caere, three inscribed gold plaques dating to around 500 BCE were found.30 The so-called Pyrgi Tablets, two of which are in Etruscan and one in Phoenician, record a dedication to the Phoenician goddess Astarte on the part of Thefarie Velianas, ruler of Caere. Obviously, the recovery of documents dating to about the time of the establishment of the Republic in nearby Rome and attesting to contacts between Carthage and a city in Tyrrhenian Italy has lent a great deal of additional credibility to Polybius’ testimony.31 The unearthing of the Pyrgi Tablets, which has been termed “the most important Etruscan epigraphic discovery of the second half of the twentieth century”,32 was an unusually significant find with extraordinarily far-reaching implications for the study of the docu-mentary culture of Early Rome, but every single new epigraphic text from the archaic period containing more than a few words along with some onomastic material sheds new light on historical data transmitted by works of historiography and other literary sources. For instance, the short text contained in the Lapis Satricanus has provided crucial new 33 evidence about specific historical traditions. Even if it is uncertain 30 M. Pallottino, « Nuova luce sulla storia di Roma arcaica dalle lamine d’oro di Pyrgi », Studi Romani, 13, 1965, p. 1-13. 31 There is a good overview of the discussion and the issues involved in T. J. Cornell, The Beginnings of Rome. Italy and Rome from the Bronze Age to the Punic Wars, c. 1000-264 BC, London, 1995, p. 210-214. Among more recent discussions we note M. Pittau, « Gli Etruschi e Cartagine: i documenti epigrafici », in M. Khanoussi et al. (a cura di), L’Africa romana. Atti dell XI convegno di studio, 1518 dicembre 1994, Cartagine III, Sassari, 1996, p. 1659-1666; D. F. Maras, Il dono votivo. Gli dei e il sacro nelle iscrizioni etrusche di culto, Pisa-Roma, 2009, p. 349354; G. Colonna, « A proposito del primo trattato romano-cartaginese (e della donazione pyrgense ad Astarte) », Annali della Fondazione per il Museo “Claudio Faina”, 17, 2010, p. 275-303. 32 M. P. Baglione, « The Sanctuary of Pyrgi », in J. M. Turfa (ed.), The Etruscan World, Milton Park, 2013, p. 618. 33 CIL, I2, 2832a: [---]iei steterai Popliosio Valesiosio | suodales Mamartei. The terminus ante quem of the inscription, which was found in 1977 at Satricum (Le Ferriere, Latina), has been established archaeologically as it necessarily predates the second phase of the Temple of Mater Matuta. For a thorough discussion of the historical implications of the inscription, see H. Versnel, « Historical implications », in C. M. Stibbe et al. (eds.), Lapis Satricanus. Archaeological, Epigraphical, Linguistic,
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whether Poplios Valesios can be identified with Publius Valerius Publicola, later remembered as one of the first consuls of Rome, the attestation of the onomastic elements in question – in a late sixth- or early fifth – century context – has important implications for the historical traditions on the Early Republic.34 As for the contribution of archaeology,35 we note that some of the most significant changes in our understanding of Roman historiography and Roman historical culture can be associated with new archaeological data. Just over a century ago a majority of scholars were most sceptical with regard to the veracity of the annalistic tradition on Early Rome, which was widely perceived as a collection of mere legends. This kind of view, which culminated with the hypercriticism of E. Pais,36 nowadays has few advocates. A. Grandazzi acutely notes that “Pais’s conclusions have been invalidated by the progress of archaeology”.37 In the course of the twentieth century excavations have yielded important finds that have corroborated many specific data conveyed by Roman historical traditions on the regal and and Historical Aspects of the New Inscription from Satricum, ‘s-Gravenhage, 1980, p. 95-150. For a recent guide to the extensive literature on the Lapis Satricanus, see the bibliography in G. Rocca, G. Sarullo, « The Lapis Satricanus as evidence of an Italic writing context in the Latium vetus? », in R. Giacomelli – A. Robbiati Bianchi (a cura di), Le lingue dell’Italia antica oltre il latino: lasciamo parlare i testi, Milano, 2014, p. 167-170. 34 For the problems pertaining to attempts at identifying individuals named in archaic inscriptions with persons appearing in literary sources, see M. Di Fazio, « Figures of Memory. Aulus Vibenna, Valerius Publicola, and Mezentius between History and Legend », in K. Sandberg, C. J. Smith (eds.), Omnium Annalium Monumenta: Historical Writing and Historical Evidence in Republican Rome, Leiden, 2017 (forthcoming). 35 Among discussions of the archaeological material as evidence for early Roman history, a topic of relevance also for the study of the historiography on Early Rome, we note T. J. Cornell, The Beginnings of Rome (op. cit., supra, n. 31), p. 26-30; G. Forsythe, A Critical History of Early Rome. From Prehistory to the First Punic War, Berkeley-Los Angeles, 2005, p. 82-93; R. T. Scott, « The Contribution of Archaeology to Early Roman History », in K. A. Raaflaub (ed.), Social Struggles in Archaic Rome. New Perspectives on the Conflict of the Orders, second, expanded and updated edition, Malden, 2005, p. 98-106; J. M. Hall, Artifact and Artifice. Classical Archaeology and the Ancient Historian, Chicago-London, 2014, p. 207220. For a very valuable assessment of the impact of archaeology on the study of the history of, and the ancient historiography on, Early Rome, see A. Grandazzi, The Foundation of Rome. Myth and History, Ithaca-London, 1997, p. 23-34. 36 E. Pais, Storia di Roma I-II, Torino, 1898-99; Id., Storia critica di Roma I-II, Torino, 1913-20. 37 A. Grandazzi, The Foundation of Rome (op. cit., n. 35), p. 19.
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early republican periods. I have discussed some of the most important examples elsewhere,38 and here I merely note that we now know for certain that the ancient historical accounts of early Roman history convey a fair amount of factually and chronologically sound data – and that future archaeological finds will be crucial in expanding our knowledge of the evidentiary foundations of Roman historiography. Even if the annalistic tradition can be said to have been rehabilitated, in the sense that much of it demonstrably rests on genuine documentary sources (each confirmed date of traditional chronology has strengthened the validity of this position), scholars still argue over how much misinterpretation of historical records, antiquarian speculation and outright fabrication have shaped the historical traditions that have come down to us.39 This question remains one of the fundamental ones in the study of Roman republican historiography. Whereas philological work with the literary sources still yields improved editions of texts and a better grasp of their contents, and whereas historical research provides new insights into the cultural mechanisms at work in the diachronic transmission of historical traditions, some of the greatest leaps forward in our understanding of the historiography and the historical and documentary culture of 38 K. Sandberg, « Monumenta, Documenta, Memoria… » (op. cit., n. 1). 39 The positions in the debate are clearly defined, and argued for and against, in a
famous discussion that followed the publication of T. P. Wiseman, Clio’s Cosmetics. Three Studies in Greco-Roman Literature, Leicester, 1979, a work in which a strong case for the general unreliability of the annalistic tradition on the pre-literary period is made. The conclusions were criticized in a review of the book by T. J. Cornell, Journal of Roman Studies, 72, 1982, p. 203-206, but Wiseman restated his position in « The Credibility of the Roman Annalists », Liverpool Classical Monthly, 8, 1983, p. 20-22. Cornell has tenaciously and resourcefully continued to defend the view that the historical traditions on Early Rome are basically sound, see, for instance, T. J. Cornell, « The Formation of the Historical Tradition of Early Rome », in I. S. Moxon et al. (eds.), Past Perspectives. Studies in Greek and Roman Historical Writing, Cambridge, 1986a, p. 67-86; Id., « The Value of the Literary Tradition Concerning Archaic Rome », in K. A. Raaflaub (ed.), Social Struggles in Archaic Rome. New Perspectives on the Conflict of Orders, Berkeley-Los Angeles, 1986b, p. 52-76; Id., The Beginnings of Rome (op. cit., n. 31), p. 1-30. Among scholars (others than Wiseman) who have taken issue with Cornell’s views, we note K. A. Raaflaub, « The Conflict of the Orders in Archaic Rome. A Comprehensive and Comparative Approach », in Id., (ed.), Social Struggles in Archaic Rome. New Perspectives on the Conflict of Orders, Berkeley-Los Angeles, 1986, p. 1-51 (p. 47-51); B. W. Frier, Libri annales pontificum maximorum. The Origins of the Annalistic Tradition (Papers and Monographs of the American Academy in Rome, 27), second edition, Ann Arbor, 1999, p. xiii-xiv; G. Forsythe, A Critical History of Early Rome (op. cit., n. 4), p. 60-64.
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republican Rome have occured when altogether new empirical data have been recovered. The extra-literary evidence that has accumulated over the years has been of immense importance. It is certain that this kind of material will continue to accumulate. Bibliography Albrecht, M. von, Geschichte der römischen Literatur I-II, München, 1994. Badoud, N., « La table claudienne de Lyon au Gustave Glotz, 13, 2002, p. 169-195.
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DEUXIÈME PARTIE LES QUESTIONNEMENTS DE L’HISTORIOGRAPHIE ROMAINE ANTIQUE
La figure de Romulus, fondateur de Rome, chez Jean d’Outremeuse, chroniqueur liégeois du XIVe siècle Jacques Poucet
Introduction Jean d’Outremeuse est un auteur liégeois du XIVe siècle (1338-1400), qui écrivit notamment une chronique universelle en moyen français intitulée Ly Myreur des Histors, c’est-à-dire une histoire du monde depuis la création jusqu’aux événements contemporains de l’auteur1. Ce monumental ouvrage n’a guère retenu l’attention du monde savant, sinon pour la partie concernant le Moyen Âge et l’histoire de Liège. Les sections traitant de l’Antiquité orientale, grecque et romaine ont été, sinon ignorées, en tout cas fort négligées. Depuis quelques années, nous nous intéressons à l’image que ce chroniqueur liégeois donne de l’Antiquité romaine, non pour y trouver des informations nouvelles sur l’histoire de Rome bien sûr, mais pour tenter de dégager sa méthode de travail et son rapport aux sources. Nous lui avons déjà consacré plusieurs articles dans la revue électronique de Louvain (Folia Electronica Classica)2 et nous sommes en train, avec Anne-Marie Boxus, de mettre la dernière main à la traduction en français moderne de l’intégralité (586 pages) du texte publié dans le premier tome de l’édition A. Borgnet3. Nous espérons rendre 1 Pour des informations sur cet auteur et son œuvre, on verra sur la Toile le site
Arlima (France) [http://www.arlima.net/il/jean_doutremeuse.html], le site Narrative Sources (Belgique) [http://www.narrative-sources.be/about_en.php] ainsi que le site La Vie en Prose (Italie) [http://users2.unimi.it/lavieenproses/index.php/titres/133myreur-des-histors-de-jean-d-outremeuse]. 2 C’est une revue fondée en 2001 et accessible sur la Toile [http://bcs.fltr.ucl. ac.be/FE/default.htm]. On trouvera les articles sur Jean d’Outremeuse dans les tomes 22 (2011), 23 et 24 (2012), 25 et 26 (2013), 28 (2014), 30 (2015), 31 et 32 (2016) et 33 (2017). 3 Ly Myreur des Histors. Chronique de Jean des Preis dit d’Outremeuse, publiée par A. Borgnet, tome 1, Bruxelles, 1864, 684 p. (Publications de la Commission Royale d’Histoire de Belgique. Collection des chroniques belges inédites. Corps des chroniques liégeoises). Accessible sur la Toile [http://books.google.be/books?id= 10.1484/M.RRR-EB.5.121318
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Jacques Poucet
ce travail très prochainement disponible sur la Toile : il contient le texte original, la traduction française et quelques notes de présentation. Pour l’instant, nous mettons au point un gros article qui analyse la manière dont Jean d’Outremeuse retrace les primordia de Rome, depuis l’arrivée sur le site des rescapés du déluge jusqu’au début de la République. Les textes concernant cette période sont dispersés sur plus de 90 pages (p. 6 à 99) du tome I de l’édition A. Borgnet, un émiettement qui s’explique par le procédé annalistique appliqué par le chroniqueur. Les événements dont ils rendent compte s’étendent en effet, dans le comput de l’auteur, de l’an 2752 a.C.n. (date de l’arrivée sur le site de la future Rome de Japhet, un des fils de Noé) aux environs de 510 a.C.n. (date de l’exil de Tarquin et du début de la République). Cet article comporte sept parties, qui abordent successivement : (a) l’histoire des premiers peuples venus occuper la zone après le déluge et dirigés par des governeurs de pays d’Ytalie ; (b) l’arrivée de Saturne et l’organisation de la région en trois royaumes ; (c) la diaspora troyenne, amenant Énée et Ascagne dans l’Italie centrale ; (d) la longue série des rois dits latino-albains, d’Ascagne à Amulius ; (e) la naissance de Romulus et Rémus ; (f) la fondation de Rome et le règne du premier roi-empereur ; (g) l’histoire des successeurs de Romulus jusqu’à Tarquin le Superbe et enfin (h) le passage à la République, avec l’avènement des premiers consuls, la description du pouvoir consulaire et quelques événements des premières décennies de la République. Ce travail dépassant – et de beaucoup – le nombre de pages souhaité par les éditeurs, nous avons choisi d’en détacher la partie qui traite de Romulus, et de la présenter en hommage à notre collègue française qui a consacré tant de savants travaux à l’historiographie romaine. Idéalement cette partie devrait s’apprécier par rapport aux autres, à sa juste place dans un ensemble beaucoup plus large. Malheureusement ce ne sera possible qu’après la publication de l’article complet des Folia Electronica Classica (FEC). On y trouvera le texte original de tous les passages sur lesquels nous avons travaillé, ainsi que leur traduction en français moderne. Pour des raisons de brièveté, la partie présentée dans le volume de Mélanges ne présente que des citations en traduction française.
DX5BAAAAcAAJ&printsec=frontcover&hl=fr&source=gbs_ge_summary_r&cad= 0#v=onepage&q&f=false].
La figure de Romulus, fondateur de Rome, chez Jean d’Outremeuse
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Le statut de ces récits médiévaux – Les sources Faut-il préciser que notre travail n’aborde pas le problème de l’histoire authentique (« ce qui s’est réellement passé ») ? Il évolue au niveau de l’historiographie (« comment les faits sont racontés »), de deux historiographies différentes d’ailleurs, puisqu’il traite d’auteurs antiques et d’auteurs médiévaux. C’est une banalité de dire que, lorsqu’ils abordent des périodes aussi anciennes que les primordia de Rome, les chroniqueurs médiévaux racontent ce qu’ils croient être l’histoire authentique à partir de ce qu’ils lisent dans les textes anciens. C’est une autre banalité de dire que, toujours pour ce type de périodes, ces textes anciens ne contiennent eux-mêmes qu’une histoire interprétée, retravaillée, partiellement imaginée même, que nous appellerons tradition. Nous parlerons donc moins d’histoire que de tradition. C’est en effet sur une « tradition romaine », déjà historiquement très contestable, quelle que soit la date de son apparition – nous parlons toujours de la période des primordia –, que les auteurs médiévaux ont travaillé, sans toujours bien la comprendre d’ailleurs et en n’hésitant pas à la transformer (omissions, additions, développements). C’est le cas de Jean d’Outremeuse. Sa narration reflète la tradition romaine antique, mais avec de très nombreuses différences. Certaines sont secondaires, d’autres moins, mais ce qui frappe le lecteur familiarisé avec le récit antique, ce sont les transformations et les additions, parfois massives, apportées par Jean. Les plus intéressantes sont évidemment celles qui nous mettent en contact avec sa méthode de travail. Notre effort a donc essentiellement porté sur la manière dont notre auteur comprend, retravaille, réinterprète ses sources médiévales et les morceaux de tradition ancienne qu’elles conservaient. * * * Écrivant au XIVe siècle, dans un milieu de culture comme Liège, Jean d’Outremeuse avait beaucoup de documents à sa disposition4. Entre autres, il a utilisé l’importante Chronicon Pontificum et Imperatorum
4 Un mémoire de maîtrise en Histoire a été présenté en 2010 à l’Université de Liège : A.-P. Courtoy-Collins, La sphère intellectuelle liégeoise au XIVe siècle à travers l’œuvre de Jean d’Outremeuse, 181 p. Il est encore inédit.
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de Martin d’Opava5 écrite en latin au XIIIe siècle et dont un exemplaire – il le signale lui-même (Myreur, IV, 358) – existait dans la bibliothèque de sa cathédrale. Pour la période qui nous occupe, c’est cette Chronique qui lui a servi de guide, ce qui ne signifie pas que Jean l’a recopiée textuellement. En matière de sources en effet, notre chroniqueur est assez éclectique et on n’arrive d’ailleurs pas toujours à retrouver les textes dont il s’est directement inspiré ; d’autre part, il n’éprouve aucun scrupule à inventer des données de toutes pièces, sans le signaler bien sûr. Nous n’en dirons pas davantage ici. Sinon que Jean d’Outremeuse est également un poète, peut-être pas un grand poète, mais en tout cas un versificateur prolifique. Il avait en effet écrit, quelque vingt ans avant Ly Myreur, une œuvre intitulée Geste des eveques de Tongres et de Liege ou simplement Geste de Liege dont nous n’avons conservé qu’une partie (quelque 53 000 alexandrins répartis en laisses monorimes). Elle racontait en trois livres l’histoire des évêques de Tongres et de Liège depuis la fondation de Tongres jusqu’à son époque (les derniers vers se rapportent à l’année 1390). Mais seul le premier livre (quelque 40 000 vers) qui va jusqu’à l’élection de Hugues de Pierrepont (1200) nous est parvenu pratiquement intact6. Entre la Geste et Ly Myreur, il existe de nombreux points de contact, en ce sens que les deux œuvres traitent partiellement des mêmes sujets. L’histoire de Tongres et de Liège ne fait-elle pas partie de l’histoire du monde ? La Geste a été, elle aussi, une des sources d’inspiration du Myreur, variable selon les périodes envisagées. Sur les primordia de Rome déjà, son influence, quoique fort réduite, est perceptible.
5 Martini Oppaviensis Chronicon Pontificum et Imperatorum edidit L. Weiland, Hanovre, 1872, p. 377-475 (Monumenta Germaniae Historica, S.S., 22). Cette édition critique, considérée aujourd’hui comme insatisfaisante, doit être remplacée par celle à laquelle travaille A.-D. von den Brincken, pour les MGH, depuis 2002. L’édition de L. Weiland est facilement accessible sur le site des MGH : [http://www. dmgh.de/de/fs1/object/display/bsb00000867_00005.html?sortIndex=010%3A050%3 A0022%3A010%3A00%3A00]. La partie qui concerne les primordia de Rome se trouve aux p. 397-403. 6 La partie de la Geste qui nous intéresse a été éditée dans le même volume que le Myreur (cf. supra, note 3), aux p. 587-638. Elle est donc elle aussi accessible sur la Toile.
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Observations chronologiques Précisons que, sur le plan de la chronologie, Jean d’Outremeuse utilise la périodisation, courante au Moyen Âge, qui répartit l’histoire du monde en six âges, rappelés ci-dessous avec leur durée, les années qu’ils recouvrent depuis la création et leur équivalent dans le comput avant Jésus-Christ propre à Jean : 1) de la création du monde au déluge : 2242 ans, c’est-à-dire de l’an 1 à l’an 2242 de la création, soit de 5200 à 2958 a.C.n. 2) du déluge à la naissance d’Abraham : 942 ans, c’est-à-dire de l’an 2242 à l’an 3184 de la création, soit de 2958 à 2016 a.C.n. 3) de la naissance d’Abraham au couronnement de David : 940 ans, c’est-à-dire de l’an 3184 à l’an 4124 de la création, soit de 2016 à 1075 a.C.n. 4) du couronnement de David à l’exil de Babylone : 486 ans, c’est-àdire de l’an 4124 à l’an 4610 de la création, soit de 1075 à 589 a.C.n. 5) de la transmigration à Babylone à l’incarnation du Christ : 589 ans, c’est-à-dire de l’an 4610 à l’an 5199 de la création, soit de 589 a.C.n. à l’an 1 de l’incarnation. 6) de l’incarnation du Christ à la fin du monde.
Le chroniqueur utilise aussi à l’occasion des périodisations secondaires, comme celle de la naissance de Joseph, qui commence en l’an 246 d’Abraham. Elles n’ont pas été reprises dans la liste ci-dessus. De toute manière, quel que soit le système utilisé par le chroniqueur, pour chaque date qu’il donne, nous avons choisi de donner systématiquement son équivalent en années avant Jésus-Christ (calculé dans le système de Jean), et cela pour faciliter les comparaisons. Un mot encore. Jean d’Outremeuse est un accro des dates précises (parfois au mois, voire au jour près). Il n’est pas rare que son lecteur se voie confronté à une débauche, presque obsessionnelle, de précisions chronologiques, dans la plupart des cas, fantaisistes. Nous aurons l’occasion de nous en rendre compte. Il est maintenant temps de passer à la section de notre article que nous avons sélectionnée en hommage à Martine Chassignet. Il s’agit, rappelons-le, non pas de l’ensemble des primordia de Rome, mais uniquement de la vie et du règne de Romulus.
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A. La naissance de Romulus et de Rémus Commençons, comme il se doit, par le récit de la conception et de la naissance des jumeaux fondateurs de Rome, où se manifeste déjà très bien la liberté créatrice de Jean et sa fantaisie romanesque. Il propose en effet une vision très personnelle et très originale, fort différente de celle de la tradition ancienne. Peut-être en a-t-il conscience. En tout cas, il la tient en réserve, car c’est la vision traditionnelle des choses qu’il livre en premier lieu à ses lecteurs, non sans quelques imprécisions d’ailleurs. Il s’agit de l’histoire bien connue de Rhéa Silvia. C’est la fille du roi des Latins Numitor évincé par Amulius, qui, engrossée par le dieu Mars, met au monde deux jumeaux. Ceux-ci sont allaités par une louve, puis recueillis et élevés par un couple de bergers, nommés Faustulus et Larentia. Jean date l’histoire de l’an 282 de David, soit 793 a.C.n., dans le comput qui lui est propre : [p. 50] [Mars engrosse Rhéa, qui était vierge, et lui fait deux enfants : Romulus et Rémus] En l’an 282 de David (793 a.C.n.), Amulius, le roi des Latins, détrôna son frère nommé Numitor. Ce Numitor avait une fille, appelée Rhéa, une vierge très belle. Il l’avait fait entrer, entièrement dévêtue, dans le temple de Mars, leur dieu, et celui-ci, en secret et comme s’il était son époux, avait couché avec elle et l’avait connue charnellement. Il l’avait rendue enceinte de deux enfants mâles, dont l’aîné fut appelé Romulus et l’autre Rémus, deux jumeaux dont nous reparlerons. La mère avait été enterrée vive pour cet inceste, conformément à la loi, et son père Numitor avait été banni, car on ne pouvait le conserver (dans la cité). C’était un grand clerc. Il avait agi de la sorte, sachant bien que sa fille concevrait des enfants de grande importance. [Prodige : une louve allaite les deux enfants] Dès leur naissance, ces jumeaux, sur ordre du roi Amulius, furent jetés dans des broussailles, à l’orée d’une grande forêt, le long du Tibre ; là, ils furent allaités durant plus de huit jours par une louve. Ensuite un berger, nommé Faustulus, les découvrit, les emporta dans sa maison et les confia à sa femme, qui avait pour nom Larentia. Celle-ci les nourrit et les éleva. [La belle Larentia nourrit ensuite les enfants] Cette Larentia était la plus belle femme de tout le pays ; mais elle s’offrait à tous les hommes pour de l’argent, [p. 51] et elle en gagna en quantité prodigieuse. C’est parce qu’elle donnait son corps à tous que ses voisins l’appelèrent ‘louve’ et sa maison ‘lupanar’. D’où le nom de toutes les maisons où des femmes se laissent connaître à tout venant pour de l’argent. Ainsi Romulus et Rémus furent allaités par deux louves : d’abord par un animal et ensuite par Larentia.
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L’essentiel de la tradition romaine antique est là, à quelques imprécisions près, dont une, relativement importante – la seule que nous épinglerons –, concerne le rôle joué par Numitor. Dans le récit classique en effet, l’initiative de la rencontre de Mars avec Rhéa revenait entièrement au dieu. Numitor n’intervenait pas ; il n’avait pas arrangé en pleine connaissance de cause la rencontre de sa fille avec Mars et ne savait pas quelles en seraient les conséquences. Martin d’Opava, censé être la source de Jean, proposait lui aussi (p. 399), avec assez bien de détails, la version romaine traditionnelle de la naissance et de l’enfance de Romulus et de Rémus. Si Jean s’en est inspiré, il ne l’a en tout cas pas suivie intégralement, car, en ce qui concerne la rencontre de Mars et de Rhéa Silvia, Martin suivait la version classique : Numitor n’est pas considéré comme le responsable de la rencontre. Rhéa est une Vestale et Mars « couche en secret avec elle » (cum ipsa occulte concubuisset). Jean, on le constate souvent, conserve beaucoup de liberté vis-à-vis de ses sources. * * * Après cette tradition romaine, un peu aménagée, vient la version personnelle de Jean, très originale, comme nous l’avons annoncé. Pour la comprendre pleinement, il faut savoir qu’elle se greffe sur un épisode qu’il avait imaginé plus haut dans son œuvre (I, 51-52) et que nous ne pouvons que résumer ici. Amulius, le roi latin, en lutte contre les Gaulois, avait tué au combat Yborus, le duc de Gaule, puis épousé sa veuve, appelée Oderne. C’est de ce mariage que vont naître des jumeaux homonymes de ceux de Rhéa et de Mars : [p. 52] En l’an 306 de David (769 a.C.n.), le roi des Latins, Amulius, était allé jouter dans la ville de Remech [une ville qu’il avait fondée ; cfr I, p. 51], et là, le 15 mai, avec sa femme, il engendra deux enfants en même temps. Ces jumeaux, au terme de la gestation, naquirent dans une autre cité, qui s’appelait Romech [une ville qu’il avait également fondée ; cfr I, p. 51]. Quand le roi vit que sa femme Oderne avait mis au monde deux enfants mâles, il donna au premier le nom de Romulus, d’après celui de la ville de Romech, l’endroit de la naissance. Il appela l’autre Rémus, d’après le nom de la ville de Remech, où ils avaient été conçus. Par leur mère, ces deux enfants Romulus et Rémus étaient les frères du duc Hector de Gaule. Ils furent nourris et élevés en fils de roi. Les autres Romulus et Rémus, qui étaient les enfants du dieu Mars, avaient été, comme nous l’avons [p. 53] dit, conçus dans le corps de
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Rhéa, fille de Numitor, le frère du roi Amulius, et nourris dans les bois, par Larentia, la femme du berger [cfr I, p. 50].
Ici, on a quitté complètement la tradition classique. Le récit d’une violente opposition militaire entre les Latins d’Amulius et les Gaulois d’Yborus n’a aucun appui dans la tradition romaine ni même dans la tradition médiévale. C’est une pure invention de Jean, qui, dans sa reconstruction pseudo-historique, suit un certain programme qui lui est propre : notamment celui d’introduire très tôt dans son récit des Gaulois qu’il décrit comme supérieurs aux Latins. On a vu que Jean avait prolongé l’épisode militaire en envisageant un mariage entre le roi latin et l’ancienne épouse du roi gaulois vaincu. Le climax du récit – nous sommes toujours en pleine fiction – est atteint lorsque des jumeaux du nom de Romulus et de Rémus naissent de cette union. Les deux villes de Romech et de Remech citées dans le passage appartiennent également à la fiction. On ne les trouve que dans Ly Myreur. Mais pour le chroniqueur, tous les personnages importants doivent fonder des villes. Quoi qu’il en soit, selon le « roman de Jean », il existe désormais, au royaume latin, deux couples de jumeaux portant les noms de Romulus et de Rémus. Le couple divin, né de Mars et de Rhéa, était né en 793. Le couple humain, né d’Amulius et d’Oderne, engendré le 15 mai (on appréciera la précision !) 769, a dû naître quelque neuf mois plus tard. Jean laisse ici à son lecteur le soin d’effectuer le calcul, mais on peut penser que la naissance a eu lieu en février 768. Les enfants de Mars, qui vivaient avec le berger Faustulus, ont donc quelque 25 ans de plus que ceux d’Amulius, nés au palais. Les choses pouvant difficilement en rester longtemps à ce stade, le chroniqueur imagine une substitution/métamorphose qu’il attribue au dieu Mars : [p. 53] [Grand miracle : la transformation opérée par Mars] En l’an de David 325 (750 a.C.n.), Mars, dieu des batailles et dieu des Latins, métamorphosa ses propres fils Romulus et Rémus, en leur donnant intégralement l’apparence de Romulus et Rémus, les fils du roi Amulius : corps, vêtements, parole, intelligence. Il les fit demeurer avec le roi pendant une nuit de sommeil, et le matin ils furent aussi à l’aise à la cour [p. 54] que s’ils avaient été les vrais fils du roi. Quant à ces derniers, il les installa à demeure chez Larentia, dans la maison du berger, métamorphosés eux aussi. Il avait agi ainsi, car il savait que le roi Amulius était près de mourir, ce qui arriva en l’an de David 326 (749 a.C.n.).
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Le fait qu’on soit toujours dans la fiction n’interdit pas de s’interroger sur le détail de la substitution. Existerait-il dans la tradition antique des antécédents sur lesquels Jean aurait pu s’appuyer ? Le motif apparaît à deux reprises dans la tradition historiographique romaine, chez Denys d’Halicarnasse7 (Antiquités romaines, I, 84, 2) et dans l’Origo gentis Romanae8 (XIX, 6-7). Il s’y applique aux jumeaux fondateurs mais dans un contexte totalement différent de celui du récit du chroniqueur. En fait, Denys et l’auteur de l’Origo font référence à des auteurs romains de la fin de la République (Marcus Octavius et Licinius Macer) représentant un courant de pensée qui cherchait à « rationaliser » les anciennes légendes. Dans cette interprétation antique rationaliste, les enfants de Rhéa Silvia, fille de Numitor, ne sont pas du dieu Mars, mais d’un homme. Cette grossesse indésirable étant perçue par Amulius comme une menace pour son trône, le roi ordonne de mettre à mort la prêtresse et de se débarrasser des nouveau-nés. Intervient alors Numitor qui substitue à ses petits-fils d’autres nouveau-nés du même âge. Ce sont ces derniers qui seront jetés au Tibre, les autres étant confiés au berger Faustulus et à son épouse Larentia, une prostituée. Cette version revue et corrigée fait évidemment disparaître du récit le dieu Mars comme géniteur et la louve comme animal salvateur. Denys d’Halicarnasse (I, 77, 1-2) ne se prononce pas formellement sur l’identité du père des jumeaux, mais signale que certains y voyaient un des membres de la suite de la jeune fille et que, selon 7 Rhéteur grec, né avant 53 a.C.n. et mort après 8 p.C.n., Denys d’Halicarnasse a écrit en grec une histoire ancienne de Rome (intitulée Antiquités romaines) constituée à l’origine de vingt livres, dont les onze premiers ont été conservés. Il y racontait l’histoire des origines légendaires de Rome jusqu’au début de la première guerre punique (264 a.C.n.). L’ouvrage est accessible dans la collection des Hodoi Electronikai de Louvain [http://mercure.fltr.ucl.ac.be/Hodoi/concordances/intro. htm#Denys_hal]. 8 L’Origo gentis Romanae forme la première partie d’un corpus tripartite (Historia tripertita), attribué à Sextus Aurelius Victor et composé au IVe siècle de notre ère. Outre l’Origo gentis Romanae, il comportait le De viris illustribus urbis Romae et le De Caesaribus. C’est un recueil à caractère « doxographique », qui propose une synthèse des vues des annalistes républicains. Grâce à lui, nous avons conservé, sur certaines périodes abordées ici et notamment sur les rois latinoalbains, des notices de date républicaine parfois très détaillées. Nous avons utilisé pour l’Origo, l’édition de J.-Cl. Richard, Pseudo-Aurélius Victor. Les origines du peuple romain, Paris, 1983, 193 p. (Collection des Universités de France). Le texte est accessible sur le site The Latin Library [http://www.thelatinlibrary.com/victor. origio.html].
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d’autres, Amulius lui-même aurait violé sa nièce. L’auteur de l’Origo Gentis Romanae ne connaît que cette dernière version. Jean d’Outremeuse en aurait-il eu connaissance ? Aurait-il extrait de ce récit le seul détail de la substitution, en laissant tomber un contexte qui était évidemment très différent du sien ? Aurait-il eu luimême l’idée de la substitution ? L’aurait-il trouvée quelque part ? C’est difficile à dire, voire impossible, mais il faut toutefois signaler que Jean ne fait pas seulement intervenir le motif de la substitution, comme dans les versions romaines, mais aussi celui de la métamorphose, qui est d’une grande importance. Quoi qu’il en soit, dans la version de Jean, en 750 a.C.n., lors de la transformation/substitution, les jumeaux d’origine divinenés 43 ans plus tôt, prennent la place et la forme exacte des jumeaux humains âgés alors de 18 ans. Romulus et Rémus sont donc à ce moment-là dans la force de l’âge, prêts à prendre la succession de leur « père putatif », Amulius, lorsque celui-ci meurt l’année suivante, en 749. Quant aux fils « humains », restés dans la maison du berger, ils disparaissent de la narration. Le chroniqueur en effet n’envisage plus que le sort des fils de Mars après la mort d’Amulius. Il raconte leur dispute pour le trône, l’exil de Rémus, puis la mort de celui-ci, en des termes qui correspondent grosso modo à la version antique traditionnelle. Il innove toutefois sur un point, la fondation de Reims par Rémus, utilisant en cela un motif solidement installé au Moyen Âge et basé sur une pseudo-étymologie (Reims - Rémus). Cette donnée nouvelle, Jean réussit à la placer dans le droit fil de sa notice précédente sur le remariage d’Oderne avec Amulius : [p. 54] [Romulus chasse son frère Rémus] Après Amulius, les deux jumeaux Romulus et Rémus devinrent rois ; mais Romulus, parce qu’il était né le premier, voulait régner seul. Il chassa son frère et fit proclamer dans tout le royaume qu’il rendrait riche l’homme qui réussirait à tuer Rémus. En apprenant cela, Rémus s’enfuit dans les terres du duc de Gaule, qui n’était pas soumis au roi des Latins. Arrivé à Lutèce, il y trouva le duc Hector, son frère, car il croyait être le fils d’Amulius et d’Oderne, mère d’Hector. Il lui raconta comment son frère Romulus l’avait chassé, parce qu’il voulait tout le royaume pour lui seul. Hector lui répondit : « Beau frère, ne vous inquiétez pas, car je vous donne toute la terre de Champagne, qui est un beau pays ». Rémus l’en remercia beaucoup. [Rémus, le frère de Romulus, fonde Reims en Champagne] Il habita en Champagne, où il y avait déjà beaucoup de villes. Il y fonda une cité
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célèbre, qu’il appela Reims, d’après son nom. C’est Reims en Champagne, qui fut achevée le 4 mars de l’an 328 de David, ce qui correspond à l’an 4452 de l’origine du monde (747 a.C.n.). Quand Reims fut achevée, Rémus alla trouver Romulus son frère pour le prier et lui demander de consentir à libérer des gens qui viendraient peupler sa cité. Mais, alors qu’il se trouvait à l’entrée d’Énéoch, un berger, qui gardait des animaux, prit un râteau, le frappa et le tua. Ainsi mourut Rémus ; quand Romulus apprit cela, il le fit ensevelir, puis agit contrairement à son ordre, car il fit pendre le berger.
Chez Jean, on l’a dit, l’histoire de la fondation de Reims par Rémus s’intègre donc bien, en le prolongeant, dans l’épisode du mariage d’Amulius avec Oderne. C’est lui qui justifie l’étroit lien de parenté entre Rémus et son frère Hector devenu duc de Gaule. Jean introduit donc ses innovations personnelles dans la tradition romaine antique avec une certaine aisance. In fine, il va revenir sur l’histoire des jumeaux pour faire état de certaines différences entre son récit et les modèles antiques : [p. 54] Nous venons de vous raconter tout ce qui concerne la conception de Romulus et Rémus, leur naissance et leur situation, la royauté de Romulus, d’après les chroniques de Tite-Live et de Martin, le pénitencier du pape [= Martin d’Opava]. Orose dit la même chose, sauf qu’il ne parle pas des deux jumeaux qu’Amulius avait eus de sa femme Oderne ; il conclut que, en l’an 326 de David (749 a.C.n.), Romulus et Rémus, devenus adultes, devinrent des brigands et des maraudeurs dans les bois. (Il dit aussi) qu’un jour où ils savaient que le roi Amulius [p. 55] devait aller chasser dans le bois où ils habitaient, ils rassemblèrent tous les bergers et les brigands qu’ils purent réunir. Ils attaquèrent alors le roi Amulius, qui avait banni leur aïeul, Numitor, le père de leur mère Rhéa. Cet Amulius avait enterré vivante leur mère Rhéa et les avait jetés, eux, sur la rive du Tibre, comme cela a été dit. Ils le tuèrent et devinrent rois. Ils firent alors revenir leur aïeul, qu’ils remirent sur le trône.
Ce passage illustre d’abord le peu de confiance à accorder aux déclarations de notre chroniqueur sur ses sources. En fait ce que Tite-Live (I, 4-6) et Martin d’Opava (p. 399) livrent, chacun à sa manière d’ailleurs, c’est la version traditionnelle des choses (la conception divine des jumeaux par le dieu Mars, le châtiment de Rhéa, la décision de se débarrasser des enfants en les jetant au Tibre, la louve qui les sauve, puis Faustulus et Larentia qui les élèvent, le rôle de prostituée de Larentia). Ils ne disent absolument rien des deux jumeaux qu’Amulius aurait eus avec sa femme Oderne, rien non plus de la fuite de Rémus auprès de son beau-frère Hector, duc de Gaule, et de la fondation de Reims par
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Rémus. Consciemment ou non, Jean place sous la garantie de ses prédécesseurs d’importantes innovations qui lui sont propres. Comme s’il n’osait pas revendiquer son originalité ! Quant à Orose9, c’est vrai qu’il ne parle pas des enfants d’Amulius et d’Oderne (per forza, pourrait-on dire, puisque le motif avait été inventé par Jean d’Outremeuse !), mais il ne connaît pas non plus l’histoire des futurs fondateurs de Rome prenant la tête de bergers et de brigands pour aller attaquer Amulius, le renverser et remettre Numitor sur le trône. C’est plutôt Tite-Live et Martin d’Opava à sa suite, qui fournissent ces détails. Bref, le chroniqueur liégeois est très peu fiable lorsqu’il mentionne ses sources. On remarquera toutefois que Jean a soin de placer la mort d’Amulius et donc l’accession au pouvoir de Romulus et de Rémus à la même date (749 a.C.n.), à la fois dans la tradition romaine qu’il évoque ici et dans sa version personnelle qu’il a présentée plus haut. Le chroniqueur recherche généralement une certaine cohérence en matière de chronologie. La Geste de Liege évoque aussi Romulus et Rémus, mais d’une manière très superficielle, les qualifiant de germeax d’unne porture (v. 146), les considérant l’un et l’autre comme felonable (« violents », v. 145). Il y est dit que Romulus decachat (« chassa ») son frère (v. 152), qui s’enfuit en Champagne où il fonda Reims et lui donna son nom (v. 153-155). Un détail intéressant n’apparaît que dans la Geste. Rémus ne revient pas à Rome et n’est donc pas tué sur ordre de son frère. Il reste à Reims où il épouse une certaine Mirable, le filhe a duc de Galle (v. 155), qui lui donne un fils, Laudas, lequel sera l’ancêtre lointain de Tongris, roi de Tongres (v. 156-162). Dans la Geste, Jean d’Outremeuse travaille dans une tout autre perspective, celle d’un lien entre Reims et Tongres. On aura noté que la Geste n’annonce en rien les développements du Myreur, qu’il s’agisse de la version traditionnelle de la naissance ou des variations particulièrement originales de Jean d’Outremeuse sur la question. Mais revenons au Myreur.
9 Un auteur latin chrétien qui écrivit au début du Ve siècle p.C.n. un Contra
Paganos en sept livres. Nous avons utilisé l’édition de M.-P. Arnaud-Lindet : Orose. Histoires (Contre les Païens), 3 tomes, Paris, 1990-1991. Accessible sur le site The Latin Library [http://www.thelatinlibrary.com/orosius.html].
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B. La fondation de Rome, Romulus, son règne et sa disparition Dans Ly Myreur donc, Romulus et Rémus ont pris le pouvoir à la mort d’Amulius en 749 a.C.n. Ils sont âgés de dix-huit ans. Mais leur entente n’a pas duré longtemps. Rémus, banni, s’est réfugié en Gaule chez le duc Hector, qui lui donne la Champagne. Rémus y avait fondé Reims le 4 mars 747. Il fut tué un peu plus tard en voulant rentrer à Rome. Romulus se retrouve donc seul au pouvoir. Selon Jean, il reste roi pendant quatre ans, de 749 à 745, date à laquelle il reçoit le titre d’empereur, qu’il portera pendant 36 ans, jusqu’à sa mort le premier avril 709. Jean évoque cette étape importante de son règne dans le texte suivant : [p. 55] [Le premier empereur que se donnent les Latins] À cette époque, le peuple des Latins était devenu si grand, si puissant et si fier qu’il en était méconnaissable. Les Latins s’avisèrent un jour que presque toutes les nations du monde leur étaient soumises, que Romulus était le roi suprême et le plus puissant du monde, et que, vu sa célébrité, il devait bien monter en dignité. Alors de l’avis général et d’un commun accord, ils nommèrent leur roi empereur. Jadis, ils avaient eu de simples rois, depuis le temps de Saturne, avant la destruction de la Grande Troie et jusqu’à Romulus. Énée n’était pas de cette nation : il était Troyen, mais comme Romulus était un descendant d’Énée, tous les empereurs de Rome furent nommés Énéades. Bref, Romulus fut le premier empereur désigné par son peuple, comme on l’a dit, après avoir été roi quatre ans, en l’an 330 (745 a.C.n.) de David. Il fut empereur pendant trente-six ans. [...]
On retrouve dans le premier paragraphe un aspect de ce que nous pourrions appeler le programme historiographique de Jean, à savoir l’affirmation d’une suprématie – presque originelle – des Latins d’abord, des Romains ensuite. Inutile de préciser que la tradition romaine antique ne partage pas cette thèse. Au contraire, elle a une conscience nette, pour Rome, d’un développement progressif, lent et parfois très difficile. Inutile de dire non plus que la tradition romaine n’a jamais envisagé pour Romulus un titre d’empereur. Mais apparemment, pour le Moyen Âge et en tout cas pour le chroniqueur, la chose devait aller de soi. Dans Ly Myreur, les successeurs de Romulus porteront tous le titre d’empereur. Il en était déjà ainsi dans la Geste de Liege (v. 180182 et 192). Quoi qu’il en soit, ce n’est pas l’avis de Martin d’Opava,
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qui considère toujours Romulus et ses successeurs comme des rois. Sur ce point aussi, comme sur la question de l’enfance des jumeaux fondateurs, Jean se sent très libre vis-à-vis de son modèle. Mais venons-en à la construction de Rome Dans Ly Myreur, celle-ci commence en 728 a.C.n., dix-sept ans donc après l’accession de Romulus à la dignité impériale. Romulus avait alors trente-neuf ans. Voici comment le chroniqueur voit les choses : [p. 56] [Romulus commence la ville de Rome] En l’an 347 du couronnement de David (728 a.C.n.), Romulus se mit à construire la grande cité de Rome, rassemblant tous les matériaux dont il avait besoin pour cela. Il fit entourer de murailles les cités fondées par ses prédécesseurs. La plus grande était Énéoch, une construction d’Énée, mais il y avait aussi les autres cités installées tout autour, à une lieue et demie à la ronde. Il supprima leurs anciens noms et en fit une seule ville, à laquelle, au terme de son œuvre, il donna le nom de Rome, d’après son propre nom. Ce nom de Rome, elle le porte encore aujourd’hui.
Romulus est donc censé entourer d’une enceinte unique les établissements qu’il avait trouvés sur le site et donner son nom au nouvel ensemble. Le récit fait par Jean des périodes précédentes signalait effectivement que, dans la région de la future Rome, les gouvernants précédents avaient fondé un certain nombre de cités, plus ou moins importantes. Il est question ici d’Énéoch, une « construction d’Énée » ; un passage précédent nommait Remech et Romech, des créations d’Amulius, mais il y en avait beaucoup d’autres. Même les premiers occupants du lieu, Japhet, fils de Noé, puis Rachem, son fils, pour ne citer qu’eux, étaient responsables de divers établissements (I, p. 6 et 9). Le plus souvent, dans la tradition romaine antique, Romulus fonde Rome ex nihilo. Ici, étant donné toutes les constructions antérieures, il était normal pour le premier roi de recourir au « synécisme » (entendez : la formation d’une ville par regroupement d’établissements plus anciens), formule assez peu répandue dans la tradition antique sur les origines de Rome. Romulus fusionne donc ce qui existe et donne son nom à l’ensemble. L’éponymat et la pseudo-étymologie sont couramment utilisés dans la tradition romaine antique. Cette vision des choses rappelle assez bien celle que Jean proposait déjà dans la Geste et que nous transcrivons ici (v. 170-174) :
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Trestoutes les vilhettes, casteals et fermeteit (= fortifications), Que tuis ses ancesseurs orent devant fondeit, Si en fist de son regne (= royaume) le cathedral citeit, Romme apres le sien nom l’at Romulus nommeit.
Pour en revenir à l’auteur du Myreur, celui-ci considère-t-il ce synécisme, couronné par l’octroi d’un nom au nouvel ensemble, comme l’acte fondamental de la véritable fondation de Rome ? Cela ne semble pas être le cas. Du moins si l’on examine de près les questions de date. En effet Jean va préciser un peu plus loin que la construction ne sera achevée que dix-huit ans10 plus tard en 710 a.C.n. et que la ville fut cette année-là inaugurée solennellement (solonc leur loy) le 1er juin par une grande fête (I, p. 58). Dans la Geste de Liege, Jean plaçait la fondation (fondeit) en l’an 4444 de la création, en d’autres termes (autreteit) 735 ans avant l’Incarnation (vv. 175-179). Il n’envisageait d’ailleurs qu’une seule fois la question. Il n’en est pas de même dans Ly Myreur, qui revient un peu plus loin sur l’événement, avec une seconde mention qui se caractérise par la richesse du système de datation utilisé : [p. 58] La grande Rome fut fondée, comme nous vous le disons, en l’an 4484 de l’origine du monde, qui était l’an 2242 du déluge de Noé, l’an 1300 de la naissance d’Abraham, l’an 1200 de la naissance d’Isaac, fils d’Abraham, l’an 1540 de la naissance de Jacob, fils d’Isaac, l’an 1052 de la naissance de Joseph, fils de Jacob, l’an 465 de la destruction de la Grande Troie, l’année 365 du couronnement de David, la troisième année de la treizième Olympiade, la vingtième année du couronnement du roi de Judée Ézéchias, fils d’Achas ; elle fut achevée le premier jour de juin et inaugurée solennellement, selon leur loi, par une grande fête. Elle fut appelée Rome, d’après Romulus, et devint la capitale de tout l’empire de Rome.
Cette longue concordance convoque plusieurs systèmes de calcul : la création, le déluge, la naissance d’Abraham, celle d’Isaac, celle de Jacob, celle de Joseph, la destruction de Troie, le couronnement de David, les Olympiades, l’avènement du roi Ézéchias. Pareil procédé n’est pas rare dans Ly Myreur, où il souligne toujours un événement d’importance. On notera que Jean utilise ici le terme de fondation (Romme la grant fut fondée), alors que plus haut il parlait simplement d’édification (edifier). 10 Douze ans (par erreur ?), en I, p. 56 (mist XII ans al faire).
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L’an 4484 de l’origine du monde, c’est exactement la date proposée par Martin d’Opava (p. 398) : Tempus quo Roma incepit fuit postquam fluxerunt a creatione orbis anni 4484. Celui-ci toutefois ne se limitait pas à cette référence, puisqu’il faisait aussi intervenir le comput de la chute de Troie : anno post eversionem Troie 454, ainsi que l’histoire biblique, quando regnavit in Iudea rex Achaz (« quand Achaz régnait en Judée »). Il y a fort à parier que Jean, par cette série impressionnante de concordances, a voulu montrer qu’il pouvait faire infiniment mieux que son modèle. Nous avons déjà évoqué le goût, presque obsessionnel, de Jean pour la chronologie et les dates. Il se manifeste encore ici. Nous n’entamerons pas de discussions chronologiques détaillées. Le lecteur aura peut-être remarqué la discordance entre les computs de Martin et de Jean : l’an 4484 de l’origine du monde était pour le premier l’an 454 de la chute de Troie, pour l’autre l’an 465. Nous n’examinerons pas non plus les autres positions, notamment celle de Paul Diacre11 (I, p. 6 : 419 ans après la chute de Troie) ou celle d’Orose (II, 3-5 et 4, 1 : 414 ans après la chute de Troie). * Quoi qu’il en soit, selon le comput de Jean, la ville, dont la construction avait commencé en 728 a.C.n., est fondée le 1er juin de l’année 710. Le lecteur aura peut-être remarqué les différences, chez Jean d’Outremeuse lui-même, entre la date de fondation dans la Geste (735 a.C.n.) et celles du Myreur (728 ou 710). Nous ne nous en occuperons pas, tant on a proposé, déjà dans l’Antiquité, de dates différentes pour la fondation de Rome ! Celle de 754/753, qui nous est familière, fut calculée par l’érudit romain Varron à la fin de la République romaine. Elle est devenue, si l’on peut dire, canonique mais, quoi qu’en pensent certains archéologues modernes, elle est aussi arbitraire que les autres (814, 788/787, 758, 752, 728, etc.). L’indication du jour et du mois (1er juin) est plus curieuse. On n’en voit pas très bien l’origine. La tradition historiographique romaine, 11 Paul Diacre est un moine bénédictin, historien et poète du VIIIe siècle, d’origine
lombarde, auteur notamment d’une Historia romana, qui continue le Breviarium (= « Abrégé d’Histoire romaine ») d’Eutrope, rédigé dans la seconde moitié du e IV siècle p.C.n. Nous avons consulté ces deux auteurs dans les Monumenta Germaniae Historica. (Auctores Antiquissimi, 2) : Eutropi Breviarium ab urbe condita cum versionibus Graecis et Pauli Landolfique additamentis éd. H. Droysen, Berlin, 1879, 430 p. Accessible sur la Toile [http://www.dmgh.de/de/fs1/object/ display.html?sortIndex=010:010].
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beaucoup plus stable sur le jour et le mois que sur l’année, fixe en effet la fondation de Rome à la date du 21 avril et la célèbre chaque année à la fête des Parilia. La position de Jean étonne un peu, mais il arrive que le chroniqueur liégeois, féru de chronologie comme on le sait, n’hésite pas à dater les événements, modo suo, sans tenir compte des textes antérieurs qu’il ne connaît peut-être pas nécessairement. Martin d’Opava ne disait rien à ce sujet, Paul Diacre par contre proposait très correctement X kal. Maias (« le dixième jour avant les calendes de Mai »), ce qui correspond au 21 avril. * * * Sur les réalisations de Romulus, en tant que roi ou en tant qu’empereur, le chroniqueur n’est pas très explicite. On trouve toutefois (I, p. 55-56), avant même que ne soit envisagée la fondation de Rome, la mention très brève d’une tentative romuléenne (vaine) de conquérir la Grèce : « En l’an 344 de David (731 a.C.n.), Romulus alla en Grèce et voulut la conquérir, mais il ne réussit pas à le faire cette fois-là. » Cette information ne bénéficie d’aucun appui ni dans la tradition romaine antique, ni dans les chroniques médiévales, Geste de Liege comprise. Elle doit être jugée à l’aune du programme historiographique de Jean, qui n’hésite pas à « internationaliser » très vite les activités des personnages et à vanter leurs mérites. Par contre la création par Romulus d’un sénat de cent membres est une donnée solidement ancrée dans la tradition. La Geste de Liege (v. 167-169) ne donne pas le chiffre de cent, mais il est largement attesté dans la tradition romaine. En fait, Jean fait état de la création du sénat à deux reprises : une fois (I, p. 56), avant la fondation de Rome, et une autre fois, beaucoup plus loin (I, p. 85-86), après une longue digression, dont nous ne dirons que quelques mots ici. * * * Dans la biographie de Romulus, après avoir fait état de la fondation de Rome, Jean a inséré la traduction en moyen français de deux traités latins, intitulés respectivement Mirabilia urbis Romae (XIIe siècle) et Indulgentiae ecclesiarum urbis Romae (un peu plus récent). Le premier
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décrit aux visiteurs de Rome les « curiosités » de la ville (littéralement « les choses à voir, dignes d’être vues ») ; le second énumère les indulgences qu’offraient aux visiteurs les principales églises de Rome12. Il s’agit là à la fois d’une longue digression et d’une subtile anticipation. L’acte de fondation, point de départ de Jean, sert en quelque sorte de prétexte. En effet, la Rome décrite dans les Mirabilia n’est pas la Rome de Romulus, mais la Rome qu’ont laissée aux gens du Moyen Âge les successeurs de Romulus. Le caractère d’anticipation est plus net encore avec les Indulgentiae, où les églises qui accordent aux pèlerins des milliers et des milliers d’années d’indulgences sont celles des papes. Jean d’Outremeuse a toutefois conscience du fait qu’en procédant ainsi il quitte l’époque de Romulus. Il écrit en effet, à l’endroit où il passe des Mirabilia aux Indulgentiae : [p. 69] Ces constructions, et d’autres, tels les temples ou palais des empereurs, des consuls, des sénateurs, des citoyens de Rome, toutes d’une merveilleuse beauté, faites d’or, d’argent, d’ivoire, d’albâtre, de pierres précieuses et de marbres de diverses couleurs, furent successivement réalisées, au fil du temps, par les empereurs et leurs différents successeurs. Bien que nous ayons présenté le tout ensemble, ce qui a été dit plus haut et ce qui va suivre n’a évidemment pas été fait en une seule fois. Nous avons procédé ainsi et continuerons à le faire dans notre description des églises et des autres bâtiments de Rome, pour rassembler en un seul endroit toute la matière et en faciliter ainsi la mémorisation.
Ce n’est pas le seul cas où il intègre dans Ly Myreur la traduction de traités entiers. Ces insertions fonctionnent tantôt comme des anticipations, tantôt comme des retours en arrière, tantôt comme de simples « arrêts sur image », en marge de la ligne du temps qu’il suit. À sa décharge, si l’on peut dire, il suivait ici son modèle. Martin d’Opava avait lui aussi, au même endroit, introduit dans sa Chronique le traité des Mirabilia urbis Romae. Mais Jean, une fois de plus, a pris la liberté d’« en rajouter » en faisant suivre les Mirabilia des Indulgentiae. *
* * 12 On trouvera dans les FEC 25 (2013), sous le titre Jean d’Outremeuse, traducteur des « Mirabilia » et des « Indulgentiae », un dossier suffisamment étoffé sur ces deux œuvres et leurs rapports avec le chroniqueur liégeois pour que nous puissions nous borner ici à les présenter très rapidement.
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Mais, comme dit Jean d’Outremeuse, revenons à nostre matiere où nos le lasammes (I, p. 85), c’est-à-dire à la seconde mention du sénat romuléen. Elle reprend, chiffre compris, ce qui avait été dit plus haut. Mais – ce qui nous intéresse ici – elle se prolonge par une notice portant sur la création d’une force militaire de mille hommes (milh chevaliers qui defendoient le pays « mille chevaliers chargés de défendre le pays »). Une variante manuscrite introduit même une pseudo-étymologie, expliquant le latin milites (« soldats ») par mille (« mille »). Cette notice sur les « mille combattants » n’appartient pas à la tradition proprement romaine, qui attribue à Romulus la création de 300 cavaliers (Liv., I, 13, 8). Elle provient probablement de Martin d’Opava, qui vient de citer les cent sénateurs et qui, sur ces deux points, s’inspire certainement de Paul Diacre (p. 6). Reste que l’insertion des Mirabilia et des Indulgentiae à l’intérieur de la biographie de Romulus s’est manifestement faite d’une manière plutôt brutale, sans beaucoup de précaution stylistique. Jean d’Outremeuse ne fait guère d’efforts en matière de style. Ce n’est pas un grand écrivain. Mais laissons là les digressions des Mirabilia et des Indulgentiae pour revenir au texte du Myreur et à la biographie de Romulus. Le reste de son règne et sa disparition La seule autre information que le chroniqueur livre sur Romulus concerne sa mort. Il la date de 709 a.C.n., un an donc après la fondation solennelle de Rome (I, p. 85). Martin d’Opava (p. 402) avait également signalé cette disparition mystérieuse, mais il l’avait complétée par la mention, bien attestée dans la tradition romaine antique, de la divinisation de Romulus sous le nom de Quirinus (nomine Quirini inter deos conservatus est). Jean n’a pas retenu cette divinisation, qui, peut-être, heurtait ses convictions de chrétien13. Quoi qu’il en soit, nous relèverons deux détails dans le texte que voici : [p. 85] [Romulus, premier empereur de Rome, meurt de façon extraordinaire] En l’an 366 du couronnement de David (709 a.C.n.), le premier jour d’avril, Romulus, premier empereur de Rome, mourut sans héritiers après un règne de quarante ans : quatre ans comme roi des Latins, et 13 Orose non plus n’a pas enregistré la disparition de Romulus, bien attestée pourtant chez Tite-Live (I, 16) et Paul Diacre (p. 7).
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trente-six ans comme empereur. Il périt à Palude, lors d’une tempête où s’étaient manifestés tonnerre et éclairs. Son corps fut saisi et entièrement enveloppé d’un nuage, au point qu’on ne vit plus rien de lui. C’est ainsi qu’il fut tué. Lorsque la clarté revint, ses sujets le découvrirent mort, avec son cheval, et ils l’emportèrent à Rome. Ainsi mourut Romulus, qui fut un empereur très valeureux, hardi et entreprenant.
Il s’agit d’abord du lieu de la disparition. La tradition romaine la situe à Rome dans un lieu-dit appelé Palus Caprae (« Le Marais de la Chèvre »). Tite-Live (ad Caprae paludem), Paul Diacre (apud paludem Caprae) et Martin d’Opava (apud paludem Capree) transmettent correctement l’information. Mais Jean n’a pas bien compris et a pris le lieu-dit – dans sa première partie du moins – pour une ville, d’où sa traduction à Palude. Le chroniqueur liégeois a souvent beaucoup de mal à gérer les noms propres latins, de lieux ou de personnes. L’autre détail est celui du cheval qu’aurait monté Romulus au moment de son enlèvement et qui seul aurait été retrouvé. Il semble s’agir d’un de ces « enjolivements » chers au chroniqueur. En tout cas, aucun cheval n’est présent ni chez Tite-Live, ni chez Paul Diacre, ni chez Martin. La Geste de Liege, quant à elle, ne contient qu’une allusion à cet événement, tellement brève qu’elle est quasiment incompréhensible pour des non-initiés : D’un effoudre morut apres crueusement (v. 187) : « Romulus, après [= après avoir tué Rémus], mourut cruellement, frappé par la foudre ». * * * Mais, au-delà de ces points de détail, ce qui frappe surtout les spécialistes de l’Antiquité, ce sont les motifs antiques absents du récit du chroniqueur. En ce qui concerne Romulus, on vient d’évoquer l’omission par Jean de la divinisation du roi-empereur, pourtant présente chez Martin. Mais il y a des absences autrement plus importantes. On ne prendra qu’un seul exemple : celui de l’épisode sabin qui contient tant d’événements hauts en couleur, comme l’enlèvement des femmes sabines venues assister à des jeux à Rome, l’histoire de Tarpéia, la guerre avec les Sabins menés par leur roi Tatius, l’accord sur une royauté double romano-sabine. À ces motifs, Tite-Live consacre de longs développements, Paul Diacre aussi, Martin d’Opava un peu moins, mais Jean n’en dit strictement rien. Les Sabines, les Sabins, Titus Tatius et Tarpéia sont curieusement absents du Myreur. On
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peine à croire à un simple oubli de sa part, étant donné l’importance que les affaires sabines occupent dans l’ensemble de la tradition. Mais il est difficile d’expliquer la raison de leur absence. En guise de conclusion provisoire L’analyse à laquelle nous venons de procéder sur une section bien précise mais très limitée du Myreur révèle déjà quelques caractéristiques intéressantes de Jean d’Outremeuse. On peut dire que le récit qu’il offre sur Romulus est, très globalement parlant, fidèle à la tradition ancienne. Le lecteur initié toutefois doit constater des lacunes très importantes (cfr l’affaire sabine, par exemple). Il doit constater aussi que Jean livre un récit transformé, très personnel même sur certains points par rapport à la tradition romaine et même à la tradition médiévale (cfr les deux couples de jumeaux). Sa source immédiate est Martin d’Opava, mais il n’hésite pas à s’en écarter ; et quand il cite nommément l’un ou l’autre auteur, son témoignage n’est guère fiable. Souvent les textes antérieurs (antiques ou médiévaux) nous permettent de faire le tri entre ce que Jean a fidèlement retranscrit de ses prédécesseurs, ce qu’il a pris chez eux, mais en le transformant, et ce qu’il a entièrement inventé. Tout cela, redisons-le, sans rapport précis avec l’histoire authentique. Ces textes antérieurs permettent non seulement d’identifier les différences de contenu mais de repérer l’existence chez Jean d’un « programme historiographique » très personnel qui se manifeste ça et là au fil du texte. On songe notamment à son souci de faire intervenir très tôt dans le récit la Gaule et les Gaulois, ou de valoriser dès le début les Romains dont il transforme en empereurs les rois de la tradition ancienne. Une autre caractéristique du chroniqueur est son souci exagéré de la chronologie. Chaque notice est datée avec précision à l’intérieur du comput retenu (création, déluge, naissance d’Abraham, année de Joseph, couronnement de David, transmigration à Babylone, etc.). Et pour souligner l’importance particulière d’une date, comme celle de la fondation de Rome (I, p. 58), Jean recourt même au système des concordances multiples. On peut parler chez lui d’une obsession de la datation. Les événements de la vie de Romulus, pour ne citer qu’eux, sont datés avec une précision qui ne se rencontre nulle part ailleurs. Jean connaît même la
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date précise où Amulius et Oderne ont conçu les jumeaux fondateurs (le 15 mai 769). Tout est à l’avenant. Reims en Champagne a été fondée par Rémus le 4 mars 747 ; Romulus, roi de Rome depuis 749 à la mort d’Amulius, a été sacré empereur en 745 et disparaît mystérieusement le 1er avril 709, après un règne de 40 ans. Romulus a commencé à construire Rome en 728, à l’âge de 39 ans, et elle fut achevée dix-huit ans plus tard (ou douze ans plus tard : la cohérence interne n’est donc pas toujours au rendez-vous) et rituellement inaugurée le 1er juin de l’an 710, une date curieuse alors que, pour toute la tradition romaine antique, et même des auteurs tardifs, comme Paul Diacre, Rome a été fondée le 21 avril à la fête des Parilia. Notre lecteur comprendra que ce ne sont là que quelques pistes de réflexion, basées sur l’examen d’une partie seulement du matériel. La consultation de l’article complet, à paraître dans les Folia Electronica Classica de Louvain, lui fournira des informations beaucoup plus détaillées et beaucoup mieux argumentées. Les limites précises fixées par les éditeurs ne nous permettaient pas d’en faire davantage. Bibliographie Arnaud-Lindet, M.-P., Orose. Histoires (Contre les Païens), 3 tomes, Paris, 19901991. Accessible sur le site The Latin Library [http://www.thelatinlibrary.com /orosius.html]. Eutropi Breviarium ab urbe condita cum versionibus Graecis et Pauli Landolfique additamentis éd. H. Droysen, Berlin, 1879, 430 p. Accessible sur la Toile [http://www.dmgh.de/ de/fs1/object/display.html?sortIndex=010:010]. Ly Myreur des Histors. Chronique de Jean des Preis dit d’Outremeuse, publiée par A. Borgnet, tome 1, Bruxelles, 1864, 684 p. (Publications de la Commission Royale d’Histoire de Belgique. Collection des chroniques belges inédites. Corps des chroniques liégeoises). Accessible sur la Toile [http://books.google.be/ books?id=DX5BAAAAcAAJ&printsec=frontcover&hl=fr&source=gbs_ge_su mmary_r&cad=0#v=onepage&q&f=false]. Martini Oppaviensis Chronicon Pontificum et Imperatorum edidit L. Weiland, Hanovre, 1872, p. 377-475 (Monumenta Germaniae Historica, S.S., 22). Richard, J.-Cl., Pseudo-Aurélius Victor. Les origines du peuple romain, Paris, 1983, 193 p. (Collection des Universités de France). Le texte est accessible sur le site The Latin Library [http://www.thelatinlibrary.com/victor. origio.html].
L’image des Samnites chez Tite-Live. La vision des Italiens ennemis de Rome chez un auteur provincial Dominique Briquel
Les Samnites ont probablement été, parmi les Italiens, ceux de leurs adversaires italiens que les Romains ont eu le plus de mal à vaincre. Avant que l’Vrbs ne parvienne à imposer son contrôle sur leur territoire, la lutte se prolongea à travers ce qu’on définit traditionnellement comme les trois guerres samnites – la première, consécutive à la deditio des Capouans en 343 (dont la question de la réalité historique ne nous retiendra pas ici1), la seconde, de 327 à 304, qui fut marquée par le retentissant désastre des consuls Titus Veturius Calvinus et Spurius Postumius aux Fourches Caudines, la troisième, de 298 à 290, qui ne parvint même pas à assurer définitivement la domination de Rome, puisque Hannibal allait y trouver des appuis et, plus tard encore, le Samnium constituerait le dernier bastion des insurgés de la guerre sociale, avant que Sulla massacrât des milliers de Samnites qui s’étaient rangés dans le camp marianiste lors de la bataille de la Porte Colline2. Dans ses Ab Vrbe condita libri, Tite-Live décrit longuement les péripéties de cet affrontement qui, même à s’en tenir aux trois guerres traditionnelles, s’étagea sur plus d’un demi-siècle – du moins avant que la perte de la deuxième décade n’interrompe son récit au cours de la troisième guerre samnite, puisque le récit s’interrompt en 293 et que les dernières années du conflit et la victoire finale, que narrait le livre XI, ne nous sont plus accessibles qu’à travers la courte notice qui nous en est parvenue dans les Periochae. Mais nous avons au moins son témoignage en ce qui concerne la première guerre samnite (7, 31-37), la deuxième (8, 32-9, 45) et la partie initiale de la troisième (10, 11-46). 1 Sur ce point, E. T. Salmon, Il Sannio e i Sanniti, Turin, 1995 (édition italienne, revue, de Samnium and the Samnites, Cambridge, 1967), p. 201-228, S. P. Oakley, A Commentary on Livy. Books 6-10, Vol. II, Book 7-8, Oxford, 1998, p. 307-361. La réalité historique de cette guerre a été niée p. ex. dans F. E. Adcock, « The Conquest of Central Italy », dans Cambridge Ancient History, 7, Cambridge, 1928, p. 588. 2 Sur les derniers développements de la résistance du Samnium à la mainmise de Rome sur le pays, Salmon, Il Sannio e i Sanniti, p. 358-417. 10.1484/M.RRR-EB.5.121319
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Rome fut loin d’être toujours victorieuse. Nous avons déjà évoqué le désastre des Fourches caudines, survenu en 321, qui fut ressenti comme une des pires humiliations que la Ville connût au cours de son histoire, pire en un sens que Cannes ou les autres grandes défaites romaines, puisque les légions, coincées dans le défilé par les troupes de Gaius Pontius avaient capitulé sans avoir combattu, aboutissant à l’acceptation d’une paix considérée comme ignominieuse, contraire au principe selon lequel Rome, même après des revers aussi cuisants qu’Héraclée ou Cannes, n’avait jamais accepté de se voir imposer des conditions de paix qui auraient scellé sa défaite3. Tite-Live s’évertue il est vrai à minimiser la portée de l’événement, en prétendant, contre la vérité historique4, que la paix n’avait pas été entérinée par Rome5 et en construisant l’ensemble du livre IX, où il relate les faits, comme une revanche sur l’ennemi qui, par cette capitulation rapidement expédiée au chapitre 6 d’un livre qui en compte 46, avait cru avoir définitivement écrasé l’Vrbs, laquelle saura progressivement redresser la situation et forcer l’adversaire samnite à conclure une paix dans les termes voulus par elle, ce qui sera fait au chapitre 45, l’avant dernier chapitre du livre6. Mais cette reconstruction complaisante, qui passe 3 La singularité de la défaite des fourches Caudines et la honte qui en découle
sont soulignées par Tite-Live lorsqu’il évoque les réactions des Romains lors de l’annonce du désastre et décrit la consternation de la cité lors du retour des légions vaincues (9, 6 : Iam et Romae sua infamis clades erat. Obsessos primum audierunt ; tristior deinde ignominiosae pacis magis quam periculi nuntius fuit, « À Rome aussi, on était déjà sous le coup de la honte du désastre qui frappait la cité. On apprit d’abord que l’armée avait été encerclée ; puis, encore plus affligeante que celle du danger encouru, vint l’annonce de la paix infamante »). 4 Sur ce point, voir p. ex. A. Piganiol, La Conquête romaine, 5e éd., Paris, 1967, p. 621, Salmon, Il Sannio e i Sanniti, p. 238-243, S. P. Oakley, A Commentary on Livy. Books 6-10, Vol. III, Book 9, Oxford, 2005, p. 34-38, 651-654, L. Grossmann, Roms Samnitenkriege. Historische und historiographische Untersuchungen zu den Jahren 327 bis 290 v.Chr., Düsseldorf, 2009, p. 74-83. 5 Le raisonnement de l’historien est que la forme juridique de la paix conclue par les consuls lors de la capitulation était une sponsio, non un foedus, et donc que la res publica romaine n’était pas engagée par elle (c’est le sens du discours qu’il prête au consul Postumius devant le Sénat en 9, 8, 3-9) ; cette réfection de la réalité juridique de l’accord se ressent de ce qui s’est passé lors de la capitulation de Numance en 137 et du refus du Sénat d’entériner la pax Manciana (A. Magdelain, Essai sur les origines de la sponsio, Paris, 1943, p. 71-74, M. H. Crawford, « Foedus and sponsio », Papers of the British School at Rome, 41, 1973, p. 1-7, Oakley, A Commentary…, Book 9, p. 27-31, 648-651, Grossmann, Roms Samnitenkriege, p. 72-74). 6 Tite-Live donne le beau rôle à Rome, dont la magnanimité envers l’ennemi vaincu se traduit par le fait que, loin de vouloir lui faire payer l’humiliation subie aux fourches Caudines, elle accepte la reconduction de l’ancien traité d’alliance (9,
L’image des Samnites chez Tite-Live (…)
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par la fiction d’une reprise immédiate des hostilités par Rome (chapitre 12), d’une revanche imaginaire, dès l’année suivante, à Lucérie, de l’armée romaine qui aurait à son tour forcé les Samnites à passer sous le joug et récupéré les enseignes perdues aux Fourches Caudines et les chevaliers livrés en otage à la suite de la capitulation (chapitre 15), et le sommet rhétorique que constitue l’affirmation, encore davantage dénuée de la moindre réalité historique, que l’Vrbs aurait été capable de l’emporter sur celui qui, alors, était considéré comme le plus grand chef militaire de tous les temps, Alexandre, si d’aventure il avait prétendu parachever sa victoire sur l’Orient en tournant ses armes vers l’Occident et avait voulu affronter les Romains7, est le signe même de l’extrême difficulté que Rome eut à 45, 1-4 : P. Sulpicio Sauerrione P. Sempronio Sopho consulibus Samnites, seu finem seu dilationem belli quaerentes, legatos de pace Romam misere. Quibus suppliciter agentibus responsum est, nisi saepe bellum parantes pacem petissent Samnites, oratione ultro citro habita de pace transigi potuisse : nunc, quando uerba uana ad id locorum fuerint, rebus standum esse. P. Sempronium consulem cum exercitu breui in Samnio fore ; eum, ad bellum pacemne inclinent animi, falli non posse ; comperta omnia senatui relaturum ; decedentem ex Samnio consulem legati sequerentur. Eo anno cum pacatum Samnium exercitus Romanus benigne praebito commeatu peragrasset, foedus antiquum Samnitibus redditum. « Sous le consulat de Publius Sulpicius Saverrio et de Publius Sempronius Sophus, les Samnites, cherchant à obtenir soit la fin de la guerre, soit une suspension des hostilités, envoyèrent des ambassadeurs à Rome traiter de la paix. Comme ils faisaient cette demande en suppliant, on leur répondit que si, à maintes reprises, les Samnites n’avaient pas demandé la paix tout en préparant la guerre, on aurait pu conclure la paix par des discussions entre les deux parties ; mais puisque les paroles étaient restées vides de contenu jusqu’à présent, il fallait s’en tenir aux faits. Le consul Publius Sempronius serait bientôt dans le Samnium avec son armée ; pour déterminer s’ils penchaient pour la guerre ou pour la paix, ils ne pourraient pas le tromper ; il ferait un rapport au Sénat sur tout ce qu’il aurait examiné ; à son retour du Samnium, une ambassade n’aurait qu’à accompagner le consul. Cette année, une fois que l’armée romaine eut parcouru le Samnium sans rencontrer d’hostilité, son ravitaillement lui étant obligeamment fourni par les habitants, on renouvela l’ancien traité avec les Samnites »). Le chapitre 46, le dernier du livre, est consacré aux affaires intérieures, et à l’abrogation par Q. Fabius Maximus Rullianus et P. Decius, censeurs en 304, des mesures pernicieuses introduites par Appius Claudius lors de sa censure de 312 – ce qui est une manière de souligner que, même dans ce livre dont le fils directeur est la lente remontée de Rome après le désastre de 321 et qui donc est centré sur les affaires militaires, ce qui se passe militiae reste subordonné à ce qui se passe domi, et donc reste conditionné par la bonne santé de l’État et le sain fonctionnement de la res publica. 7 Sur les trois chapitres de l’excursus sur Alexandre (17-19) et sur la construction d’ensemble du livre IX, nous nous permettons de renvoyer à ce que nous avons écrit dans « À propos de l’excursus Alexandri de Tite-Live : les chefs romains poten-
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triompher de son ennemi méridional. On dira la même chose de rencontres que l’historien padouan présente comme des succès de Rome, ou au plus des combats indécis, alors que ce furent de toute évidence des échecs pour elle (ce que d’autres sources, moins timorées devant l’idée que les légions aient pu être défaites par l’ennemi, avouent crûment) : c’est ce qu’on peut dire de la bataille de Lautulae, en 315, que Tite-Live présente comme une sorte de match nul, en concédant, du bout des lèvres, que certains y reconnaissaient une défaite romaine8, alors que son propre récit indique que la domination romaine en Campanie en fut ébranlée9, ou encore d’un guet-apens tendu par les Samnites dans la montagne en 311, en se servant d’un tiellement vainqueurs d’Alexandre dans le livre IX des Histoires », Bulletin de l’Association Guillaume Budé, 2015, 1, p. 143-172. Sur l’excursus, on verra en particulier M. Mahé-Simon, « L’enjeu historiographique de l’excursus sur Alexandre (IX, 16, 11-19, 17) », dans Le Censeur et les Samnites. Sur Tite-Live, livre IX, Paris, 2001, p. 37-63. 8 Tite-Live, 9, 23, 4-5 : Obuiam itum hosti atque ad Lautulas ancipiti proelio dimicatum est. Non caedes, non fuga alterius partis sed nox incertos uicti uictoresne essent diremit. Inuenio apud quosdam aduersam eam pugnam Romanis fuisse atque in ea cecidisse Q. Aulium magistrum equitum (« On alla à la rencontre de l’ennemi et on combattit à Lautulae, avec un résultat indécis. Ce ne fut pas le massacre, ce ne fut pas la fuite d’un des deux partis, mais la nuit qui sépara les adversaires, sans qu’ils sussent s’ils étaient vaincus ou vainqueurs. Je trouve chez certains auteurs que cette bataille fut une défaite pour les Romains et que c’est là que tomba le maître de cavalerie Quintus Aulius »). La défaite romaine est relatée, avec force détails, par Diodore en 19, 72, 7 -8. Sur cette bataille et ses conséquences, Salmon, Il Sannio e i Sanniti, p. 244-249, Grossmann, Roms Samnitenkriege, p. 92-96. 9 En 9, 25, 1-2, puis 5, il évoque la révolte des Ausones et des Campaniens au lendemain de la bataille de Lautulae (Consules ab Sora profecti in agros atque urbes Ausonum bellum intulerunt. Mota namque omnia aduentu Samnitium cum apud Lautulas dimicatum est fuerant, coniurationesque circa Campaniam passim factae nec Capua ipsa crimine caruit, « Partis de la région de Sora, les consuls portèrent la guerre sur le territoire et dans les villes des Ausones. En effet, il y avait eu une agitation générale à l’arrivée des Samnites, au moment de la bataille de Lautulae, et on avait ourdi des complots un peu partout en Campanie ; Capoue elle-même ne fut pas à l’abri de cette accusation » ; (douze jeunes nobles ausones) docent suos iam pridem exoptantes Samnitium aduentum, simul ad Lautulas pugnatum audierint, pro uictis Romanos habuisse, iuuentute, armis Samnitem iuuisse, « ils expliquent que leurs compatriotes, qui souhaitaient depuis longtemps voir arriver les Samnites, aussitôt reçue la nouvelle de la bataille de Lautulae, ont considéré les Romains comme vaincus et ont fourni aux Samnites l’assistance de volontaires ») ; en 9, 26, 5, l’historien reconnaît l’étendue des troubles (Eodem anno, cum omnia infida Romanis essent…, « La même année, alors que l’infidélité envers les Romains était générale… »). Sur les troubles subséquents à Capoue, présentés par Tite-Live comme l’effet d’un complot, voir 9, 26, 5-8.
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troupeau de bovins comme d’un appât pour l’armée du consul Gaius Junius Bubulcus, guet-apens dont Tite-Live affirme que les Romains le transformèrent en une grande victoire10, quand bien même il relate qu’il donna lieu à la dédicace par le chef romain d’un temple au dieu Salus11, ce qui se comprend si l’armée romaine a, au mieux, échappé à une situation où elle a failli périr, mais non pour de qui aurait été une victoire incontestable. Ces déformations témoignent de ce que l’historiographie romaine, telle qu’elle nous apparaît à travers l’œuvre livienne, n’était guère capable d’une vision objective de ce que les Samnites avaient représenté dans le passé de l’Italie et qu’elle avait du mal à admettre l’ampleur des défaites qu’ils avaient fait subir aux futurs maîtres de l’oikouménè. Corrélativement, on ne s’en étonnera pas, l’image qui en est donnée n’est guère positive et on peut faire un catalogue des nombreux défauts qui leur sont reprochés. Ils ne sont même pas toujours présentés comme de bons soldats : à l’occasion de l’affrontement entre l’armée conduite par Papirius Cursor, en 310, et les deux corps distincts de l’armée samnite, celui composé des éléments d’élite vêtus de lin blanc de la « légion de lin », portant des armes étincelantes d’argent, et les reste de l’armée, muni d’un armement orné d’or, le dictateur tourne en dérision cet étalage ostentatoire de richesse, inutile à la guerre, l’opposant à la sobriété fonctionnelle de leurs adversaires romains, qui sitôt le combat engagé mettent en déroute leur adversaire et font main basse sur tous ces objets précieux12. Le 10 Tite-Live, 9, 51, 6-16 ; mais Zonaras, 8, 1, reprenant le récit de Dion Cassius, présente l’événement comme une sévère défaite des Romains. Nous avons proposé de mettre cette rencontre en relation avec une peinture tombale de Paestum (« La tombe Andriuolo 114 de Paestum », dans Le Censeur et les Samnites. Sur Tite-Live, livre IX, Paris, 2001, p. 135-146). Sur le récit livien, J. M. Libourel, « A Battle of uncertain outcome in the Second Samnite War », American Journal of Philology, 94, 1973, p. 71-78. Sur la bataille, Grossmann, Roms Samnitenkriege, p. 103-107. 11 Tite-Live, 9, 43, 25 et 10, 1, 9. 12 Tite-Live, 9, 40, 4-7 : Notus iam Romanis apparatus insignium armorum fuerat doctique a ducibus erant horridum militem esse debere, non caelatum auro et argento sed ferro et animis fretum : quippe illa praedam uerius quam arma esse, nitentia ante rem, deformia inter sanguinem et uolnera. Virtutem esse militis decus : et omnia illa uictoriam sequi et ditem hostem quamuis pauperis uictoris praemium esse (« L’ostentation d’armes splendides n’était pas inconnue des Romains et leurs chefs leur avaient enseigné qu’un soldat devait avoir un aspect farouche, sans ciselures d’or et d’argent, mais qu’il devait s’appuyer sur le fer et sur son moral ; en effet ces objets étaient en vérité plus une proie que des armes : ils brillaient avant l’action, mais s’enlaidissaient au milieu du sang et des blessures. Le courage était la parure du soldat : tous ces beaux objets constituaient le cortège de la victoire et un
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combattant samnite, avec son luxe ridicule, ne fait pas le poids face au légionnaire romain ! Même lorsque l’ennemi samnite recourt à la ruse, comme cela se passa lors de l’embuscade de 311, ses stratagèmes ne lui permettent pas de vaincre (au moins dans la version livienne de l’événement !), mais le courage et la discipline des soldats de Rome leur assurent le succès13. L’exemple de cette bataille de 311 le montre, pour l’emporter à la guerre, les Samnites n’hésitent pas à recourir à la ruse ; ils n’hésitent pas non plus à recourir à des moyens déloyaux, et à faire preuve ensuite de cruauté : lors de la prise de Frégelles, en 320, ils font croire aux combattants qui se rendront qu’ils leur laisseront la vie sauve, alors que, une fois que ceux-ci se seront rendus, ils les feront périr de la plus cruelle manière, par le feu14. C’est là un grief beaucoup plus important. Les Samnites se comportent avec perfidia, ne reconnaissent pas la valeur suprême de la fides15. Pas plus que les Carthaginois, coutumiers de la fides Punica, ils n’ont aucun respect de cette loyauté qui, aux yeux des Romains, conditionne les relations entre les hommes et les dieux et dont la transgression représente la pire impiété. Dès 322, les Samnites eux-mêmes sont bien obligés de le reconnaître : le fait qu’ils aient manqué à la fides en ne respectant pas le traité qu’ils avaient conclu avec Rome en riche ennemi était la récompense du vainqueur, tout pauvre qu’il fût »). La formation de la légion de lin est décrite en 10, 38. Pour une étude minutieuse de cette bataille, A. Rouveret, « Tite-Live, Histoire romaine, IX, 40 : la description des armées samnites ou les pièges de la symétrie », dans A.-M. Adam, A. Rouveret (éds.), Guerre et sociétés en Italie (Ve-IVe s. avant J.-C.), Paris, 1988, p. 91-120. 13 La capacité de l’armée romaine à l’emporter même dans de telles conditions est soulignée par B. Minéo, Tite-Live et l’histoire de Rome, Paris, 2006, p. 253-254. 14 Tite-Live, 9, 12, 7-8 : Fraus deinde rem inclinauit, quod uocem audiri praeconis passi sunt incolumem abiturum qui arma posuisset. Ea spes remisit a certamine animos et passim arma iactari coepta. Pertinacior pars armata per auersam portam erupit tutiorque eis audacia fuit quam incautus ad credendum ceteris pauor, quos circumdatos igni nequiquam deos fidemque inuocantes Samnites concremauerunt (« Une traîtrise fit ensuite pencher la balance du combat, car (les Frégellans) laissèrent un héraut faire entendre une proclamation promettant à qui déposerait les armes qu’il quitterait la ville sain et sauf. Cet espoir relâcha le courage des combattants et on se mit un peu partout à déposer les armes. Une partie, plus opiniâtre, fit une sortie les armes à la main par la porte opposée et son audace lui apporta plus de sécurité que la crainte imprudente qui les avait portés à se fier à l’ennemi aux autres : après avoir allumé un feu tout autour d’eux, alors qu’ils invoquaient en vain les dieux et la bonne foi, les Samnites les firent périr dans les flammes »). 15 Sur la notion, on se reportera à l’étude classique de G. Freyburger, Fides : étude sémantique et religieuse depuis les origines jusqu’à l’époque augustéenne, Paris, Études anciennes, série latine, 182, 1986.
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déclenchant la guerre en 327 était une gravissime impiété, qui n’avait pu que déclencher contre eux la colère des dieux et leur faire subir une série de défaites méritées16. Les Samnites ne respectent pas donc les dieux, n’ont pas le comportement religieux que les Romains se targuent de manifester en toute circonstance. Pire, ils sont capables de dévoyer la religion : on le voit dans le rituel par lequel, dans le récit livien, ils mettent en place les formations d’élite de la légion de lin17. Le récit livien accumule les détails qui prouvent un dévoiement complet des formes religieuses, aux antipodes de la saine procédure qui, à Rome, fait du ciuis un miles par le sacramentum qu’il prête au moment où il est appelé à prendre les armes et à servir dans la légion18. Dans le rituel samnite, le soldat n’agit pas librement, mais est contraint à prêter serment, la prestation du serment se fait dans le secret, a donc des allures de conjuration, les recrues sont assimilées à des victimes qu’on mène à l’autel (et donc la procédure prend des allures de sacrifice humain, dont on sait quelle abomination il représentait pour les Romains), la formule prononcée par le prêtre est assimilée à un chant maléfique (dirum carmen), le serment implique une menace non seulement pour 16 Tite-Live, 8, 39, 10 : Hoc demum proelium Samnitium res ita infregit, ut omnibus conciliis fremerent minime id quidem mirum esse, si impio bello et contra foedus suscepto, infestioribus merito deis quam hominibus nihil prospere agerent : expiandum id bellum magna mercede luendum esse (« Ce combat non seulement abattit si bien les forces samnites que, dans toutes les assemblées des murmures s’élevèrent : il ne fallait absolument pas s’étonner de n’obtenir aucun succès dans une guerre impie, engagée à l’encontre d’un traité, où les dieux étant plus hostiles à juste titre que les hommes : il fallait expier à grand prix cette guerre et s’en purifier »). On retrouve le thème dans le discours de Gaius Pontius en 9, 1, qui fait référence en 4 à la colère des dieux provoquée par la rupture du traité (quidquid ex foedere rupto irarum in nos caelestium fuit). 17 Le récit livien et la question de la « légion de lin a sucité » une vaste bibliographie. Nous pouvons citer C. Saulnier, « La coniuratio clandestina : une interprétation livienne des traditions campaniennes et liviennes », Revue des Études Latines, 59, 1961, p. 102-120, M. Sordi, « Il giuramento della legio linteata e la guerre sociale », dans I canali della propaganda nel mondo antico, Milan, 1976, p. 160-168, A. La Regina, « Aspetti istituzionali nel mondo sannitico », dans Sannio. Pentri e Frentani dal VI al I sec. A.C., Atti del convegno, Isernia 10-11 novembre 1980, Campobasso, 1984, p. 23-25, Salmon, Il Sannio e i Sanniti, p. 197-201, 282, F. Coarelli, « Legio linteata : l’iniziazione militare nel Sannio », dans L. Del Tutto Palma (éd.), La tavola di Agnone nel contesto italico, Convegno di Studi, Agnone 13-15 aprile 1994, Florence, 1996, p. 3-16, G. Tagliamonte, I Sanniti. Caudini, Irpini, Pentri, Carricini, Frentani, Milan, 1995, p. 183-185, S. P. Oakley, A Commentary on Livy. Books 6-10, Vol. IV, Book 10, Oxford, 2005, p. 392-406. 18 Sur la procédure romaine, C. Nicolet, Le Métier de citoyen à Rome dans la Rome républicaine, Paris, Gallimard, 1976, p. 133-143.
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ceux qui le prêtent, mais même pour leur famille, l’engagement, loin de stipuler une discipline librement consentie, porte principalement sur le fait de tuer ses propres concitoyens qui fuiraient, le refus de prêter serment est immédiatement puni de mort, les cadavres de ceux qui ont été ainsi tués se mêlant aux victimes animales offertes aux dieux19. Les Samnites sont donc des sauvages, dont la religion, et les 19 Tite-Live, 10, 38, 2-13 : Apparatuque omni opulentia insignium armorum bellum adornauerant ; et deorum etiam adhibuerunt opes ritu quodam sacramenti uetusto uelut initiatis militibus, dilectu per omne Samnium habito noua lege, ut qui iuniorum non conuenisset ad imperatorum edictum quique iniussu abisset caput Ioui sacraretur. Tum exercitus omnis Aquiloniam est indictus. Ad sexaginta milia militum quod roboris in Samnio erat conuenerunt. Ibi mediis fere castris locus est consaeptus cratibus pluteisque et linteis contectus, patens ducentos maxime pedes in omnes pariter partes. Ibi ex libro uetere linteo lecto sacrificatum sacerdote Ouio Paccio quodam, homine magno natu, qui se id sacrum petere adfirmabat ex uetusta Samnitium religione, qua quondam usi maiores eorum fuissent cum adimendae Etruscis Capuae clandestinum cepissent consilium. Sacrificio perfecto per uiatorem imperator acciri iubebat nobilissimum quemque genere factisque ; singuli introducebantur. Erat cum alius apparatus sacri qui perfundere religione animum posset, tum in loco circa omni contecto arae in medio uictimaeque circa caesae et circumstantes centuriones strictis gladiis. Admouebatur altaribus magis ut uictima quam ut sacri particeps adigebaturque iure iurando quae uisa auditaque in eo loco essent non enuntiaturum. Iurare cogebant diro quodam carmine, in exsecrationem capitis familiaeque et stirpis composito, nisi isset in proelium quo imperatores duxissent et si aut ipse ex acie fugisset aut si quem fugientem uidisset non extemplo occidisset. Id primo quidam abnuentes iuraturos se obtruncati circa altaria sunt ; iacentes deinde inter stragem uictimarum documento ceteris fuere ne abnuerent. Primoribus Samnitium ea detestatione obstrictis, decem nominatis ab imperatore, eis dictum, ut uir uirum legerent donec sedecim milium numerum confecissent. Ea legio linteata ab integumento consaepti, in quo sacrata nobilitas erat, appellata est ; his arma insignia data et cristatae galeae, ut inter ceteros eminerent. Paulo plus uiginti milium alius exercitus fuit nec corporum specie nec gloria belli nec apparatu linteatae legioni dispar (« Les Samnites avaient paré la guerre de toute la richesse d’armures remarquables et recouru à la puissance des dieux, en faisant, en quelque sorte, par un certain rite antique du serment, de leurs soldats des initiés. On leva des troupes dans tout le Samnium, suivant une loi nouvelle disant que tout mobilisable qui n’aurait pas rejoint l’armée suivant l’édit des généraux, ou qui l’aurait quittée sans leur ordre, aurait sa tête consacrée à Jupiter. Puis l’armée entière fut convoquée à Aquilonia. Environ quarante mille soldats, ce qu’il y avait de plus robuste dans le Samnium, s’y réunirent. Là, vers le milieu du camp, on établit, avec des claies et des panneaux, un enclos qu’on couvrit de toiles de lin ; il avait tout au plus deux cents pieds en tous sens. En ce lieu, suivant ce qu’on avait lu dans un vieux livre de lin, on sacrifia, le prêtre étant un certain Ovius Paccius, homme âgé, qui affirmait emprunter cette cérémonie aux vieilles pratiques samnites qu’avaient observées leurs aïeux, quand ils avaient projeté secrètement d’enlever Capoue aux Étrusques. Le sacrifice achevé, le général fit appeler, par un héraut, tous les hommes les plus connus par
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coutumes en général ne peuvent qu’inspirer une sainte horreur à des civilisés comme les Romains20. Les Samnites passent en effet pour en être restés, pour l’Italie, à un type de développement économico-social, fondé sur la guerre (et une forme primitive de guerre)21 qui apparaît complètement dépassé et que des secteurs comme le Latium avaient depuis longtemps abandonné. Un passage du livre VII de Tite-Live évoque le « brigandage criminel », nefarium latrocinium, auquel ils se livraient aux dépens des autres peuples22 et un autre, au livre IX, leur attribue une économie prédatrice, fondée sur les razzias qu’ils lançaient périodiquement sur les régions
leur famille et leurs exploits ; on les introduisit un à un. Il y avait là, outre l’appareil d’une cérémonie propre à pénétrer l’âme d’émotion religieuse, dans cette enceinte entièrement couverte, au milieu, des autels, tout autour, des victimes égorgées, et, à l’entour, des centurions, l’épée nue. On faisait approcher l’arrivant des autels plutôt comme une victime que comme participant au sacrifice et on le liait par le serment de taire ce qu’il aurait vu et entendu en ce lieu ; puis on le forçait à prononcer une formule, vraiment effrayante, d’imprécations contre sa tête, sa famille et sa race, pour le cas où il n’aurait pas marché au combat, là où ses généraux l’auraient conduit, où il se serait enfui lui-même de la bataille, ou bien, voyant fuir quelqu’un, ne l’aurait pas tué sur-le-champ. Au début, certains, refusant de prêter ce serment, furent égorgés autour des autels ; et ensuite leurs cadavres, gisant au milieu des corps des victimes, apprirent aux autres appelés à ne pas refuser. Les principaux des Samnites enchaînés par cette imprécation, le général en désigna dix ; on leur dit de choisir chacun un homme, et ainsi de suite, jusqu’à ce qu'on atteignît le nombre de seize mille. Leur légion fut appelée légion de lin, du nom de la couverture de l’enclos dans lequel la noblesse avait été consacrée, on donne à ses membres des armures remarquables et des casques à aigrettes, pour qu’ils dépassent les autres combattants. Le reste de l’armée compta un peu plus de vingt mille hommes, qui, ni pour leur aspect, ni pour leur réputation militaire, ni pour leur équipement, n’étaient inférieurs à la légion de lin »). 20 Sur l’image des Samnites (et des autres peuples montagnards de l’Italie) dans la littérature latine, et déjà auparavant grecque, voir E. Dench, From Barbarians to New Men. Greek, Roman and Modern Perception of the Peoples of the Central Appenines, Oxford, 1995 ; sur la place des traditions de uer sacrum, assimilés à un substitut de sacrifice humain, Tagliamonte, I Sanniti, p. 17-21. 21 Sur la question, C. Ampolo, « Roma e i Sabini nel V sec. a.C. », dans Identità e civiltà dei Sabini, Atti del XVIII Convegno di Studi Etruschi ed Italici, RietiMagliano Sabina, 30 maggio-3 giugno 1993, Florence, 1996, p. 87-103, Tagliamonte, 1996, I Sanniti, p. 13-17. 22 Tite-Live, 7, 30, 12 (à propos des Sidicins, victimes des déprédations répétées des Samnites, que les Romains viennent secourir) : … cum uideremus finitimum populum nefario latrocinio Samnitium peti (« … car nous voyions le brigandage criminel des Samnites menacer un peuple voisin »).
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voisines23. L’historien fait intervenir ici un déterminisme géographique : étant établis dans des zones montagneuses, ils ne pouvaient qu’envier les richesses de peuples installés dans des zones côtières, qui pouvaient bénéficier d’une agriculture prospère. On leur applique donc un schéma ethnographique classique24, ce qui se dénote aussi que le texte leur attribue un habitat « par bourgades », reprenant donc l’expression grecque κωμηδόν, qui caractérise un stade de civilisation préurbain, antérieur à l’émergence de la polis et donc d’une véritable civilisation25. Bien sûr, cela n’empêche pas l’historien de parler régulièrement de villes à propos des Samnites : mais cela prouve que, dans la représentation courante, ils étaient des arriérés par rapport aux Grecs, aux Romains ou à d’autres peuples de l’Italie auxquels on attribuait une civilisation fondée sur la cité, comme par exemple les Étrusques, qui selon l’expression grecque étaient organisés en une dodécapole, une fédération proprement de douze cités26. Dans ces conditions, on ne sera pas étonné de ce qu’on ne leur prête pas une véritable capacité de réflexion. Le récit livien des Fourches Caudines l’illustre : le chef samnite refuse de suivre le conseil judicieux que lui avait donné son père, vénérable vieillard plein de sagesse, de laisser partir les Romains pris au piège sans leur infliger la honte du passage sous le joug, en s’en faisant ainsi des amis pour toujours, sinon, à défaut, de les massacrer jusqu’au dernier pour que la ville mette très longtemps à retrouver des forces, et choisit la voie moyenne qui consiste à les laisser partir en les humiliant27 – choix qui va bientôt 23 Tite-Live, 9, 13, 7 (à propos des Apuliens) : Nam Samnites, ea tempestate in montibus uicatim habitantes, campestria et maritima loca contempto cultorum molliore atque, ut euenit fere, locis simili genere ipsi montani atque agrestes depopulabantur (« En effet les Samnites, qui à cette époque vivaient dispersés par bourgades dans les montagnes, par mépris pour le tempérament plus indolent et, comme cela se produit souvent, assorti au pays de leurs habitants, eux qui étaient des montagnards incultes, se livraient au pillage des régions de plaine de la côte »). 24 K. Trüdinger, Studien zur Geschichte des griechisch-römischen Ethnographie, Bâle, 1918, p. 118-126, et, pour Tite-Live, M. Girod, « La géographie chez TiteLive », Aufstieg und Niedergang der Römischen Welt, Berlin-New York 30, 2, 1982, p. 1190-1279, en particulier p. 1122-1225. 25 Dans ce sens, on verra l’« archéologie » de Thucydide, 1, 5 (cf. aussi 2 et 7). 26 Sur la dodécapole étrusque, voir nos remarques dans « La tradizione storiografica sulla dodecapoli », dans M. Iozzo (éd.), La lega etrusca, dalla dodecapoli ai quindecim populi, Atti della giornata di studi, Chiusi, 9 ottobre 1999, Pise-Rome, 2001, p. 9-18. 27 Tite-Live, 9, 3, 2-4. Plus tard, après le refus des Romains d’entériner l’accord conclu au moment de la capitulation, les Samnites regretteront amèrement leur manque de réflexion d’alors (9, 12, 7 : sero ac nequiquam laudare senis Pontii
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se révéler désastreux tant les Romains vont être assoiffés de vengeance, ce qu’ils concrétiseront (au moins dans la fiction livienne) dès l’année suivante par la victoire de Lucérie. Sans doute les dieux sontils derrière l’aveuglement qu’ils manifestèrent : il n’en reste pas moins que l’historien peut employer des expressions très fortes, dire qu’ils avaient perdu l’esprit, qu’ils avaient manqué de la sana mens qui aurait été nécessaire, autrement dit qu’ils avaient fait preuve d’insania, de folie28. On assiste donc à une présentation négative de l’adversaire samnite – et se trouve donc en présence d’une entreprise de dénigrement qui peut paraître assez banale : on ne s’attend certes pas à ce qu’un auteur romain chante les louanges d’un ennemi, surtout lorsque celui-ci, comme c’est le cas ici, causa tant de difficultés à sa patrie, représenta même, sans doute, l’obstacle majeur auquel l’Vrbs se heurta dans son processus de conquête de la péninsule. Une telle image des Samnites est donc attendue et elle ne mériterait pas qu’on s’attarde beaucoup sur elle si, étrangement, certains passages liviens ne venaient pas démentir cette vision simpliste et manichéenne d’une Rome, parangon de toutes les vertus, et d’un Samnium, à l’image systématiquement négative. Ainsi, lorsque Tite-Live fait parler le chef ennemi, Gaius Pontius, au début du livre IX, pour expliquer la reprise des hostilités après la tentative d’accord proposée par les Samnites à la fin du livre précédent, et que les Romains, ont refusée, il reconnaît sans doute les torts de ses compatriotes, et le fait que ce sont eux qui ont déclenché le conflit, en bafouant les termes du traité conclu entre les deux peuples. Mais il fait grief aux Romains de ne pas avoir accepté les propositions de paix des Samnites29. Ceux-ci pourtant avaient fait tout ce qu’il utraque consilia, « ils louaient, mais trop tard et en vain, le double conseil que leur avait donné le vieux Pontius »). 28 Tite-Live, 9, 9, 4 (discours du consul Postumius) : … dii immortales et uestris et hostium imperatoribus mentem ademissent (« … les dieux immortels avaient fait perdre l’esprit à vos généraux et à ceux des ennemis » ), si sana mens fuisset (« s’ils avaient alors été sains d’esprit »). 29 Tite-Live, 9, 1, 3-11: Is, ubi legati qui ad dedendas res missi erant pace infecta redierunt, « Ne nihil actum, inquit, hac legatione censeatis, expiatum est quidquid ex foedere rupto irarum in nos caelestium fuit. Satis scio, quibuscumque dis cordi fuit subigi nos ad necessitatem dedendi res quae ab nobis ex foedere repetitae fuerant, iis non fuisse cordi tam superbe ab Romanis foederis expiationem spretam. Quid enim ultra fieri ad placandos deos mitigandosque homines potuit quam quod nos fecimus ? Res hostium in praeda captas, quae belli iure nostrae uidebantur, remisimus ; auctores belli, quia uiuos non potuimus, perfunctos iam fato dedidimus ; bona eorum, ne quid ex contagione noxae remaneret penes nos, Romam portauimus. Quid ultra
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fallait pour que les Romains soit satisfaits : ils avaient reconnu leurs torts, admettant qu’ils avaient mené une guerre impie, bafouant le tibi, Romane, quid foederi, quid dis arbitris foederis debeo ? Quem tibi tuarum irarum, quem meorum suppliciorum iudicem feram ? Neminem, neque populum neque priuatum, fugio. Quod si nihil cum potentiore iuris humani relinquitur inopi, at ego ad deos uindices intolerandae superbiae confugiam et precabor, ut iras suas uertant in eos quibus non suae redditae res, non alienae accumulatae satis sint ; quorum saeuitiam non mors noxiorum, non deditio exanimatorum corporum, non bona sequentia domini deditionem exsatient, placari nequeant, nisi hauriendum sanguinem laniandaque uiscera nostra praebuerimus. Iustum est bellum, Samnites, quibus necessarium, et pia arma, quibus nulla nisi in armis relinquitur spes. Proinde, cum rerum humanarum maximum momentum sit quam propitiis rem, quam aduersis agant dis, pro certo habete priora bella aduersus deos magis quam homines gessisse, hoc quod instat ducibus ipsis dis gesturos. » (« Lorsque l’ambassade qui avait été envoyée pour donner satisfaction aux Romains fut rentrée sans que la paix eût été conclue, il déclara : « Ne croyez pas que cette ambassade n’ait eu aucun résultat : elle a apaisé tout ce que les dieux avaient conçu de colère contre nous du fait que nous ayons rompu le traité. Je suis sûr que, quels qu’aient été les dieux qui se sont plu à nous voir réduits à la nécessité d’accorder satisfaction aux réclamations qui nous avaient été faites d’après le traité, ils ne se sont pas plu à voir les Romains mépriser aussi orgueilleusement la réparation que nous leur offrions conformément à ce traité. Qu’aurait-il en effet été possible de faire de plus pour apaiser les dieux et fléchir les hommes que ce que nous avons fait ? Les biens des ennemis que nous avions pris en butin, dont le droit de la guerre paraissait nous attribuer la propriété, nous les avons restitués ; les responsables de la guerre, comme nous n’avons pas pu le faire lorsqu’ils étaient en vie, nous les avons livrés une fois qu’ils avaient accompli leur destin ; leurs biens, afin que, par leur contact, rien de la faute commise ne demeure parmi nous, nous les avons apportés à Rome. Que te dois-je de plus, Romain, que dois-je de plus au traité, que dois-je de plus aux dieux qui sont les témoins du traité ? Qui pourrais-je te proposer, pour juger de tes motifs de colère et de mes supplications ? Je ne récuse personne, ni aucun peuple, ni aucun individu. S’il n’y a plus rien à attendre de la justice humaine pour le malheureux qui a affaire à plus puissant que lui, c’est pour ma part vers les dieux, eux qui punissent l’orgueil insupportable, que je me tournerai et je les prierai de tourner leur colère contre des êtres tels que pour eux ni la restitution de leurs biens, ni la livraison par surcroît de biens qui ne leur appartenaient pas ne peut être suffisante, des êtres tels que ni la mort des coupables, ni la remise de leurs corps sans vie, ni les biens accompagnant la remise de leur propriétaire ne peuvent assouvir leur cruauté, des êtres tels qu’ils ne peuvent être satisfaits, si nous ne leur offrons pas notre sang pour qu’ils en vident nos corps, nos entrailles pour qu’ils les déchirent. C’est une guerre juste, Samnites, que mènent ceux qui y sont forcés et c’est légitimement que prennent les armes ceux à qui il ne reste plus aucun espoir si ce n’est dans les armes. C’est pourquoi, puisque ce qui pèse le plus dans les affaires des hommes, c’est de savoir dans quelle mesure les dieux sont favorables ou dans quelle mesure ils sont opposés à leur action, soyez convaincus que, si, lors des guerres précédentes, vous avez eu comme adversaires les dieux encore plus que les hommes, celle qui s’engage, c’est avec les dieux euxmêmes pour vous conduire que vous la mènerez »).
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traité qui les liait (impio et contra foedus suscepto), ils leur avaient rendu tout ce qui avait été pris au cours des hostilités et, s’ils n’avaient pas pu leur livrer le principal instigateur de la guerre, Brutulus Papius, qui s’était suicidé, ils leur avaient au moins remis, outre son corps, tous ses biens ; ils ont ainsi répondu à ce qu’exigeait la justice humaine et divine (agissant secundum ius fasque) et respecté le traité30. Mais les Romains avaient fait preuve d’un « intolérable orgueil » et, loin de manifester leur clementia envers l’ennemi qui venait ainsi à résipiscence, avaient préféré poursuivre les hostilités. Certes, l’historien ne précise pas s’il accepte l’argumentation de son personnage et, après tout, on peut considérer que Rome n’était pas tenue d’agréer à une telle demande, émanant de ceux qui avaient été responsables du conflit et de la violation du traité que cela impliquait, qu’elle continuait à mener une guerre juste, un iustum bellum31. Mais la suite des événements semble prouver que les dieux furent sensibles à la dureté que Rome manifesta alors, puisqu’avant qu’à leur tour, par leur comportement irréfléchi aux Fourches Caudines, les Samnites ne se mettent en tort, ils ont obtenu la capitulation de l’armée des deux consuls pris au piège. On peut penser que Tite-Live ne dénie pas toute validité aux griefs qu’il met dans la bouche de celui qui, juste après, va infliger cette humiliation sans précédent à l’Vrbs. Il est encore plus probable qu’il partage le jugement qu’il fait porter à Gaius Pontius dans un autre épisode, lorsque celui-ci refuse d’accepter la remise que les Romains lui ont faite des consuls vaincus et des autres signataires de la capitulation, que le Sénat et le peuple ont refusée d’entériner et de transformer en une paix définitive. Dans le discours qu’il lui fait tenir au chapitre 1132, il souligne la disparité 30 Tite-Live, 8, 39, 10-13. 31 Sur la notion de guerre juste et son évolution d’une conception purement
formelle à des considérations morales, J. Rüpke, Domi militiae. Die religiöse Konstruktion des Krieges in Rom, Stuttgart, 1990, M. Mantovani, Bellum iustum. Die Idee des gerechten Krieges in der römischen Kaiserzeit, Berne, 1990, L. Loreto, Il Bellum iustum e i suoi equivoci. Cicerone ed una componente della rappresentazione romana del Völkerrecht antico, Naples, 2001, N. Rampazzo, Iustitia e bellum. Prospettive storiografiche sulla guerre nella Repubblica romana, Naples, 2012. 32 Tite-Live, 9, 11, 1-13 : Tum Pontius « Nec ego istam deditionem accipiam, inquit, nec Samnites ratam habebunt. Quin tu, Sp. Postumi, si deos esse censes, aut omnia inrita facis aut pacto stas ? Samniti populo omnes quos in potestate habuit aut pro iis pax debetur. Sed quid ego te appello, qui te captum uictori cum qua potes fide restituis ? populum Romanum appello; quem si sponsionis ad Furculas Caudinas factae paenitet, restituat legiones intra saltum quo saeptae fuerunt. Nemo quemquam deceperit ; omnia pro infecto sint ; recipiant arma quae per pactionem
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tradiderunt ; redeant in castra sua ; quidquid pridie habuerunt quam in conloquium est uentum habeant ; tum bellum et fortia consilia placeant, tum sponsio et pax repudietur. Ea fortuna, iis locis quae ante pacis mentionem habuimus geramus bellum ; nec populus Romanus consulum sponsionem nec nos fidem populi Romani accusemus. Nunquamne causa defiet cur uicti pacto non stetis ? Obsides Porsinnae dedistis; furto eos subduxistis. Auro ciuitatem a Gallis redemistis ; inter accipiendum aurum caesi sunt. Pacem nobiscum pepigistis ut legiones uobis captas restitueremus ; eam pacem inritam facitis. Et semper aliquam fraudi speciem iuris imponitis. Non probat populus Romanus ignominiosa pace legiones seruatas ? Pacem sibi habeat, legiones captas uictori restituat ; hoc fide, hoc foederibus, hoc fetialibus caerimoniis dignum erat. Vt quidem tu quod petisti per pactionem habeas, tot ciues incolumes, ego pacem quam hos tibi remittendo pactus sum non habeam, hoc tu, A. Corneli, hoc uos, fetiales, iuris gentibus dicitis ? Ego uero istos quos dedi simulatis nec accipio nec dedi arbitror, nec moror quo minus in ciuitatem oblactam sponsione commissa iratis omnibus dis, quorum eluditur numen, redeant. Gerite bellum, quando Sp. Postumius modo legatum fetialem genu perculit. Ita di credent Samnitem ciuem Postumium, non ciuem Romanum esse et a Samnite legatum Romanum uiolatum ; eo uobis iustum in nos factum esse bellum. Haec ludibria religionum non pudere in lucem proferre et uix pueris dignas ambages senes ac consulares fallendae fidei exquirere. I, lictor, deme uincla Romanis ; moratus sit nemo quo minus ubi uisum fuerit abeant. » (« Alors Pontius dit : « Ni moi je n’accepterai la remise de ces hommes ni les Samnites ne la tiendront pour valable. Pourquoi donc toi, Spurius Postumius, si tu penses qu’il existe des dieux, ou bien ne fais-tu pas en sorte que tout soit annulé, ou bien ne t’en tiens-tu pas aux termes de l’accord ? Ce qui est dû au peuple samnite, c’est la totalité de ceux qu’il a eus en son pouvoir, ou bien, à leur place, la paix. Mais pourquoi est-ce à toi que j’adresse cette réclamation, toi qui te constitues à nouveau prisonnier entre les mains de ton vainqueur, de la manière aussi loyale que tu peux ? C’est au peuple romain que je l’adresse : s’il se repend de l’engagement qui a été pris aux Fourches Caudines, qu’il replace ses légions à l’intérieur du défilé où elles se sont trouvées encerclées. Que personne n’ait trompé personne ; que tout soit tenu pour non avenu ; que les Romains reprennent les armes qu’ils ont remises par suite de l’accord ; qu’ils retournent dans leur camp ; qu’ils aient tout ce qu’ils ont eu la veille du jour où on a engagé la négociation. Décidons alors de faire la guerre, de prendre des résolutions courageuses et rejetons engagement et paix. Faisons la guerre avec les chances et les positions qui furent les nôtres avant qu’il fût question de paix et ne reprochons plus, ni le peuple romain à ses consuls l’engagement qu’ils ont pris ni nous au peuple romain sa mauvaise foi. Mais serez-vous jamais à court d’arguments pour, lorsque vous avez été vaincus, ne pas vous en tenir aux termes d’un accord ? Vous avez livré des otages à Porsenna : vous les avez repris subrepticement ; vous avez racheté à prix d’or votre cité aux Gaulois : ils ont été massacrés au moment où ils prenaient livraison de cet or ; vous avez conclu une paix avec nous, afin que nous vous rendions vos légions prisonnières : vous annulez cette paix. Et toujours vous dissimulez votre faute sous quelque fauxsemblant juridique. Le peuple romain n’approuve pas que ses légions aient été sauvées par une paix déshonorante ? Qu’il dispose à sa guise de la paix, mais qu’il rende ses légions prisonnières au vainqueur : voilà ce qui aurait été digne de la bonne foi, digne des traités, digne des rites des fétiaux. Vraiment, que tu aies toi ce
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scandaleuse de l’échange par lequel Rome estimerait être quitte de sa dette envers son ennemi victorieux : quelques individus à la place de toute une armée, tandis que les mêmes soldats qui avaient capitulé et étaient à sa merci seraient autorisés à reprendre immédiatement les hostilités contre lui. Outre cette casuistique spécieuse, il a beau jeu de dénoncer le honteux stratagème dont Postumius, au moment de la livraison des garants de l’accord, aurait usé en frappant le fécial romain33, en affirmant que, étant devenu samnite puisqu’il avait fait l’objet d’une deditio, il s’était rendu coupable d’une atteinte au caractère sacré de l’ambassadeur de Rome et que celle-ci aurait donc un juste motif de faire la guerre aux Samnites34. Il est difficile de ne que tu as demandé par cet accord, le salut de tant de tes concitoyens, mais que moi, la paix que j’ai posée comme contrepartie en te les rendant, je ne l’aie pas, c’est ce que toi, Aulus Cornelius, ce que vous, fétiaux, vous affirmez être conforme au droit entre les nations ? Quant à moi, ces individus que vous faites semblant de nous livrer, je ne les accepte pas, je ne considère pas qu’ils nous sont livrés et je ne m’oppose pas à ce qu’ils retournent dans une cité qui a été liée par l’engagement souscrit, sous le poids de la colère de tous les dieux dont la majesté est tournée en dérision. Faites la guerre, puisque Spurius Postumius vient de frapper l’ambassadeur et fétial de son genou. Ainsi les dieux croiront que Postumius est un citoyen samnite, et non un citoyen romain, et que c’est un Samnite qui a fait violence à l’ambassadeur romain : par là, ils croiront que la guerre que vous faites contre nous est devenue une guerre juste pour vous ! Mais, de telles moqueries envers la religion, comment ne pas rougir de les étaler au grand jour et, pour des vieillards et des anciens consuls, imaginer des ruses à peine dignes de petits enfants pour manquer à la bonne foi ! Va, licteur, délivre ces Romains de leurs liens ; que personne ne s’oppose à ce qu’ils partent dès qu’il leur semblera bon. ») 33 Tite-Live, 9, 10, 9-10 : Tum ubi in coetum Samnitium et ad tribunal uentum Ponti est, A. Cornelius Aruina fetialis ita uerba fecit : « Quandoque hisce homines iniussu populi Romani Quiritium foedus ictum iri spoponderunt atque ob eam rem noxam nocuerunt, ob eam rem quo populus Romanus scelere impio sit solutus hosce homines uobis dedo. » Haec dicenti fetiali Postumius genu femur quanta maxime poterat ui perculit et clara uoce ait se Samnitem ciuem esse, illum legatum fetialem a se contra ius gentium uiolatum ; eo iustius bellum gesturos (« Puis, dès qu’on arriva devant les Samnites rassemblés et auprès de la tribune où siégeait Pontius, le fétial Aulus Cornelius Arvina prononça ces mots : « Attendu que ces hommes, sans ordre du peuple romain des Quirites, se sont portés garants de la conclusion d’un traité et ont en cela fauté, pour cette raison, afin que le peuple romain soit libéré d’un crime impie, je vous livre ces hommes. » Tandis que le fétial parlait ainsi, Postumius lui frappa la cuisse de son genou le plus violemment qu’il pouvait et s’écria d’une voix forte qu’il était un citoyen samnite et que cet homme, qui était ambassadeur et fétial, avait subi de sa part une violence contraire au droit international : de ce fait la guerre que mèneraient les Romains n’en serait que plus juste. ») 34 Le comportement de Spurius Postumius, que Gaius Pontius dénonce (9, 11, 11), répond à la logique d’un droit purement formel, indépendamment de l’équité,
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pas penser que Tite-Live fasse sien le jugement formulé par le chef ennemi : avec cette histoire que l’historien avait dû trouver dans ses sources mais dont il est clair qu’il ne partageait pas la conclusion que Postumius en avait tiré, il s’agit d’une moquerie envers les règles de la religion, d’une ruse puérile qui dissimule une atteinte à la bonne foi, à la fides. On n’est plus ici en présence d’un argumentaire que le Padouan aurait mis dans la bouche d’un chef ennemi par un simple souci littéraire, celui de présenter un avis divergent, celui d’un adversaire de Rome. La conclusion pour le moins mitigée de l’épisode montre que, s’il reconnaît le courage personnel de ceux qui n’ont pas hésité à retourner se livrer à l’ennemi, Tite-Live est loin d’être persuadé du bien-fondé moral de l’attitude de ses compatriotes dans cette affaire35. Ainsi l’auteur des Ab Vrbe condita libri paraît parfois sortir d’une vision étroitement partisane du passé de Rome et en arriver parfois à donner tort à ses compatriotes (et à la manière dont ses prédécesseurs avaient dû présenter les faits) dans leur comportement envers leurs ennemis. Chez lui, le Samnite n’est pas toujours cet être brutal, méprisant les règles juridiques et religieuses, qu’on est habitué à rencontrer dans nos sources : il peut se produire que la justice et le bon droit soient de son côté. Mais faut-il attribuer cette largeur d’esprit qui transparaît de temps en temps dans le récit à un simple souci de rigueur morale de l’auteur, n’hésitant pas à désapprouver la conduite des Romains lorsque celle-ci lui semble s’écarter des valeurs qui devraient la dicter ? Ce n’est pas seulement en termes d’objectivité qu’il convient de jauger ces moments où l’historien sort de la vision univoquement favorable à l’Vrbs qu’on attend de la part d’un représentant de l’historiographie romaine. Un dernier passage sur les Samnites nous retiendra, dans qui caractérise l’ensemble de l’attitude du consul et est avancé pour justifier la décision romaine dans cette affaire. Par la deditio, Postumius n’appartient plus à Rome, mais à l’ennemi (Cicéron, Pro Caecina, 34, 98 : quem pater patratus dedidit... cum est acceptus, est eorum, quibus est deditus). Il peut donc apparaître susceptible de poser un acte qui contribue au caractère de iustum bellum attribué à la guerre menée par Rome. Cependant la qualification de Samnis ciuis appliquée à Postumius est juridiquement inacceptable : Postumius appartient désormais aux Samnites, mais sans être un citoyen samnite. D’autre part il faudrait que sa deditio soit acceptée par le peuple samnite – comme le montre la formulation de Cicéron – pour qu’il l’engage par son comportement ; or cette deditio va être refusée. 35 Tite-Live, 9, 11, 13 : Et illi (Postumius et ses compagnons) quidem, forsitan et publica, sua certe liberata fide ab Caudio in castra Romana inuiolati redierunt (« Et eux, après que, peut-être, le peuple romain aussi se fut acquitté de ses obligations envers la bonne foi, mais qu’eux, au moins, se fussent acquittés des leurs, ils s’en retournèrent de Caudium au camp romain sans avoir subi aucun mauvais traitement. »)
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lequel l’auteur, arrivé aux faits de 295, jette un regard rétrospectif sur les 45 années au cours desquelles Romains et Samnites s’étaient déjà affrontés jusque-là36 : « Il me reste encore à raconter de ces guerres samnites, dont le récit, sans cesse poursuivi, nous a amenés déjà à mon quatrième volume, et à la quarante-sixième année de leur durée, depuis le consulat de Marcus Valerius et d’Aulus Cornelius, qui, les premiers, portèrent les armes dans le Samnium. Et, pour ne pas rappeler maintenant tant d’années de défaites subies par les deux peuples et de peines qui ne purent, cependant, vaincre ces cœurs endurcis, la dernière année dont nous avons parlé, les Samnites, sur le territoire de Sentinum, chez les Péligniens, à Tifernum, dans les plaines de Stella, avec leurs seules légions ou joints à des troupes étrangères, avaient été taillés en pièces par quatre armées, quatre généraux romains ; ils avaient perdu leur chef le plus célèbre ; leurs alliés, Étrusques, Ombriens, Gaulois, ils les voyaient dans le même état qu’eux ; ni leurs forces, ni des forces étrangères ne leur permettaient plus de rester debout ; pourtant ils ne renonçaient pas à la guerre ; tant la défense, même malheureuse, de leur liberté était loin de les lasser, tant ils préféraient être vaincus à ne pas tenter la victoire ! Quel est donc l’homme que rebuterait, comme écrivain ou comme lecteur, la longueur de ces guerres, qui ne lassèrent pas ceux qui les faisaient ? »
Un tel passage est surprenant. Pour reprendre l’expression de S. P. Oakley, on se trouve en présence d’un « remarkable and extended tribute to the bravery of the Samnites », isolé dans l’œuvre livienne, où elle n’a pas de parallèle37. Les Samnites sont certes des braves, mais on ne s’attend pas à ce que cette bravoure soit à ce point soulignée, ni surtout mise en balance avec celle des Romains, puisque le texte renvoie en quelque sorte dos-à-dos les deux protagonistes du conflit, en évoquant leurs succès et les revers alternatifs, autrement dit 36 Tite-Live, 10, 31, 10-15 : Supersunt etiam nunc Samnitium bella, quae continua
per quartum iam uolumen annumque sextum et quadragesimum a M. Valerio A. Cornelio consulibus, qui primi Samnio arma intulerunt, agimus ; et ne tot annorum clades utriusque gentis laboresque actos nunc referam, quibus nequiuerint tamen dura illa pectora uinci, proximo anno Samnites in Sentinati agro, in Paelignis, ad Tifernum, Stellatibus campis, suis ipsi legionibus, mixti alienis, ab quattuor exercitibus, quattuor ducibus Romanis caesi fuerant ; imperatorem clarissimum gentis suae amiserant ; socios belli, Etruscos, Vmbros, Gallos, in eadem fortuna uidebant qua ipsi erant ; nec suis nec externis uiribus iam stare poterant, tamen bello non abstinebant. Adeo ne infeliciter quidem defensae libertatis taedebat et uinci quam non temptare uictoriam malebant. Quinam sit ille quem pigeat longinquitatis bellorum scribendo legendoque quae gerentes non fatigauerunt ? 37 Oakley, A Commentary on Livy… Book 10, p. 343.
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en mettant sur le même plan les victoires romaines et leurs défaites, les défaites samnites et leurs victoires. Sans doute Rome devait-elle sortir victorieuse de ces longues hostilités, mais le passage met en relief la résistance de ses adversaires, que les échecs n’abattaient pas, leur acharnement à poursuivre la lutte38 : or c’est là une caractéristique bien connue des Romains, que « ni Caudium, ni Cannes ne brisèrent », autrement dit que les pires désastres, ne soumirent jamais et qui, au contraire, trouvèrent dans l’adversité une force nouvelle39. Les Samnites, dans ces lignes, sont mis sur le même plan que leurs adversaires romains. Qui plus est, ils défendent leur libertas. Ils font donc tous leurs efforts pour préserver cette caractéristique essentielle de la res publica romaine. Il est vrai que le terme peut avoir ici le sens d’indépendance, mais même dans ce cas, le parallélisme avec l’Vrbs qui a toujours su bander ses forces pour résister à un envahisseur étranger est patent. C’est la libertas de Rome, aussi bien interne qu’externe, que par exemple Horatius Cocles défend contre l’armée étrusque venue tenter de rétablir le tyran40. Les Romains ne sont évidemment pas des tyrans, qui voudraient imposer un régime despotique aux Samnites, mais la volonté de résister à l’invasion externe que les Samnites manifestent n’en est pas moins identique à celle qu’eux-mêmes, dans ce cas comme dans d’autres, ont manifestée. Le parallélisme ainsi établi entre Samnites et Romains est un point important. Évoquer le courage de ce peuple est relativement banal, on trouve des notations dans ce sens chez bien des auteurs, aussi bien grecs41 que latins42 et ses qualités militaires pouvaient être prises en mauvaise 38 On notera que dans ce passage sur l’acharnement des Samnites à poursuivre la lutte, la terminologie n’est pas négative comme elle l’est chez Florus, qui, rappelant que les Romains célébrèrent vingt-quatre triomphes sur eux en cinquante ans de conflit (1, 11, 8), évoque leurs opulentia, fallacia, rabies, furor, pertinacia (1, 11, 7). 39 Le trait est souligné dans l’excursus sur Alexandre (Tite-Live, 9, 19, 9 : Romanum, quem Caudium, quem Cannae non fregerunt, quae fregisset acies ?, « Le Romain, que ni Caudium, ni Cannes ne brisèrent, quelle armée rangée en ligne de bataille aurait pu le briser ? »). 40 Tite-Live, 2, 10, 8. 41 Strabon, 5, 4, 2 (241) (à propos des Frentans, qui sont de souche samnite et d’autres peuples voisins, comme les Vestins, Marses, Péligniens, Marrucins) : ἔθνη ταῦτα μικρὰ μέν, ἀνδρικώτατα δέ (« ces peuples sont petits, mais très courageux ») ; Diodore de Sicile, 19, 101, 1 : τὰ μαχιμώτατα τῶν κατὰ τὴν Ἰταλίαν ἐθνῶν (« les plus combattifs des peuples d’Italie ») ; Plutarque, Vie de Sulla, 29, 5 : τὰ ἔχθιστα τῇ Ῥώμῃ καὶ τὰ πολεμικώτατα φῦλα (« les populations les plus hostiles à Rome et les plus guerrières »). 42 Dans la géographie du livre III de Pline l’Ancien, les peuples de la région IV de l’Italie, qui regroupe les Sabins et les Samnites, sont qualifiés de gentes
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part, dans la mesure où elles s’exercèrent à l’encontre des Romains43. Mais ce n’est pas le cas chez Tite-Live. L’historien de Padoue n’est sans doute pas explicite à ce sujet ; mais nous serions enclins à comparer ce jugement porté sur les anciens adversaires de Rome à l’attitude qui était celle d’un autre Italien du Nord de la péninsule, Romain non natif de Rome comme lui, son contemporain Virgile. Dans l’éloge de l’Italie du livre II des Géorgiques, le poète de Mantoue célèbre une Italie qui en réunit toutes les composantes, celles du Sud aussi bien que celles du Nord, celles de l’ancienne Italie dont la frontière s’arrêtait au Rubicon et celles de l’ancienne Gaule Cisalpine et des régions préalpines, jusqu’à la limite naturelle des Alpes : le Mare Inferum qu’est la Tyrrhénienne fait écho au Mare Superum qu’est l’Adriatique, jusqu’au caput Adriae, et les lacs Lucrin et Averne de Campanie font pendant aux grands lacs du Nord, le lacus Larius et le lacus Benacus (lac de Côme et lac de Garde)44. Et la force de sa population, ce qui en fait un genus acre uirum, est loin de se limiter à sa seule composante romaine, ou latine45 : mais il est remarfortissimae Italiae (3, 17 (12), 106) ; cf. Silius Italicus, 10, 314 : Samnis belliger ; Prudence, Contre Symmaque, 2, 515 : asper Samnis. Voir Tagliamonte, I Sanniti, p. 14-15. 43 On peut citer le mot cruel de Sulla lors du massacre des prisonniers samnites après la bataille de la porte Colline, tel que le rapporte Strabon en 5, 4, 11 (250) : ἅπαντας ἀπέσφαξε,προγραφάς τε ποιούμενος οὐκ ἐπαύσατο, πρὶν ἢ πάντας τοὺς ἐν ὀνόματι Σαυνιτῶν διέφθειρεν ἢ ἐκ τῆς Ἰταλίας ἐξέβαλε· πρὸς δὲ τοὺς αἰτιωμένους τὴν ἐπὶ τοσοῦτον ὀργὴν ἔφη καταμαθεῖν ἐκ τῆς πείρας, ὡς οὐδέποτ´ ἂν εἰρήνην ἀγάγοι Ῥωμαίων οὐδὲ εἷς, ἕως ἂν συμμένωσι καθ´ ἑαυτοὺς Σαυνῖται (« Il les fit égorger jusqu’au dernier et n’arrêta pas dès lors ses proscriptions avant que tout ce qui portait le nom de Samnite ne fût soit exterminé, soit chassé hors d’Italie. À ceux qui lui faisaient grief de se laisser entraîner si loin dans sa colère, il répondait qu’il avait appris par l’expérience qu’aucun Romain n’aurait jamais la paix tant que les Samnites demeureraient unis en une nation »). 44 Virgile, Géorgiques, 2, 158-164 : An mare quod supra memorem, quodque adluit infra ?/ Anne lacus tantos ? Te, Lari maxime, teque,/ fluctibus et fremitu assurgens, Benace, marino ?/ An memorem portus Lucrinoque addita claustra/ atque indignatum magnis stridoribus aequor/ Iulia qua ponto longe sonat unda refuso/ Tyrrhenusque fretus inmittitur aestus Auernis ? (« Rappellerai-je la mer qui la baigne au nord et celle qui la baigne au sud ? Ou encore ses grands lacs ? Toi, Larius, le plus grand, et toi, Benacus, dressant tes flots et frémissant comme la mer ? Rappellerai-je nos ports, et les digues ajoutées au Lucrin, et la mer indignée avec ses sifflements énormes aux lieux où l’onde Julienne résonne du bruit des flots qu’elle refoule au loin, et où la vague Tyrrhénienne s’élance aux eaux de l’Averne ? »). 45 Virgile, Géorgiques, 2, 169-170 : Haec genus acre uirum, Marsos pubemque Sabellam/ adsuetumque malo Ligurem Volscosque uerutos/ extulit, haec Decios Marios magnosque Camillos,/ Scipiadas duros bello et te, maxime Caesar (« C’est
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quable que les peuples non romains que le poète mentionne soient les peuples sabelliens, comme les Marses dont le nom éveillait le souvenir de la guerre sociale, dont le premier nom fut Marsicum bellum46, les Ligures, qui passaient pour des sauvages arriérés et que Rome eut du mal à soumettre, et les Volsques, dont les incursions répétées scandent l’histoire du Ve siècle. À ses yeux donc, la force de l’Italie, ce qui en fait la nation maîtresse du monde, repose au moins autant que sur l’élément romain, sur ses anciens adversaires, désormais rassemblés sous sa bannière, dans une péninsule unifiée – conforme à celle qui fut mise en place par la réorganisation augustéenne. Les gentes fortissimae Italiae, selon l’expression de Pline47, et parmi elles en premier lieu les lui qui a produit une race d’hommes ardente, les Marses, et la jeunesse sabellienne, et le Ligure endurci à la peine et les Volsques armés d’épieux ; c’est lui qui a produit les Decius, les Marius, les grands Camille, les Scipions durs à la guerre et toi, le plus grand de tous, César »). 46 Ce point, et les rapports alternés entre Rome et les Marses et les peuples voisins sont mis en relief dans les lignes que Strabon consacrait à ces populations en 5, 4, 2 (241) : Ἔστι δὲ τὰ ἔθνη ταῦτα μικρὰ μὲν, ἀνδρικώτατα δὲ καὶ πολλάκις τὴν ἀρετὴν ταύτην ἐπιδεδειγμένα Ῥωμαίοις, πρῶτον μὲν ἡνίκα ἐπολέμουν· δεύτερον δὲ, ὅτε συνεστράτευον· τρίτον δ´, ὅτε δεόμενοι τυχεῖν ἐλευθερίας καὶ πολιτείας μὴ τυγχάνοντες ἀπέστησαν καὶ τὸν Μαρσικὸν καλούμενον ἐξῆψαν πόλεμον, Κορφίνιον, τὴν τῶν Πελίγνων μητρόπολιν, κοινὴν ἅπασι τοῖς Ἰταλιώταις ἀποδείξαντες πόλιν ἀντὶ τῆς Ῥώμης, ὁρμητήριον τοῦ πολέμου, μετονομασθεῖσαν Ἰταλικήν, καὶ ἐνταῦθα δὴ τοὺς συνεπομένους ἀθροίσαντες καὶ χειροτονήσαντες ὑπάτους καὶ στρατηγούς· δύο δ´ ἔτη συνέμειναν ἐν τῷ πολέμῳ, μέχρι διεπράξαντο τὴν κοινωνίαν, περὶ ἧς ἐπολέμουν. Μαρσικὸν δὲ ὠνόμασαν τὸν πόλεμον ἀπὸ τῶν ἀρξάντων τῆς ἀποστάσεως (« Ces peuples sont faibles numériquement, mais très courageux et les occasions ne leur ont pas manqué de de prouver aux Romains leur vaillance, une première fois quand ils leur firent la guerre, une deuxième fois quand ils combattirent à leurs côtés, une troisième fois enfin quand ils se révoltèrent contre eux et déclenchèrent la guerre dite marsique parce qu’ils n’obtenaient pas la liberté et le droit de cité qu’ils demandaient »). Dans le même sens, on rappellera l’expression proverbiale citée par Appien à propos des Marses (à propos d’une victoire remportée sur eux par les Romains au cours de la guerre sociale : Μάρσοι μὲν δὴ δίκην θηρίων, τῷ πταίσματι προσαγανακτοῦντες, αὖθις ὡπλίζοντο καὶ παρεσκευάζοντο αὐτοῖς ἐπιέναι, προεπιχειρεῖν μὴ θαρροῦσι μηδὲ ἄρχειν μάχης· ἔστι γὰρ τὸ ἔθνος πολεμικώτατον, καὶ φασι κατ' αὐτοῦ θρίαμβον ἐπὶ τῷδε τῷ πταίσματι γενέσθαι μόνῳ, λεγόμενον πρότερον οὔτε κατὰ Μάρσων οὔτε ἄνευ Μάρσων γενέσθαι θρίαμβον (« Les Marses, semblables à des bêtes féroces, écumants de rage de leur échec, s’armèrent de nouveau et se disposèrent à attaquer de nouveau les Romains, qui n’osèrent rien entreprendre de leur côté, ni engager l’action les premiers : car les Marses sont extrêmement belliqueux. On dit que c’est la seule et unique fois qu’ils furent battus ; et qu’auparavant c’était un proverbe, qu’on n’avait jamais triomphé ni des Marses, ni sans les Marses »). 47 Pline l’Ancien, 3, 17 (12), 106.
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Samnites, manifestèrent jadis leur vigueur en s’opposant à Rome : maintenant elles la mettent au service de l’imperium Romanum, en constituent la composante la plus vigoureuse. Elles irriguent l’Vrbs : il est significatif que, parmi les chefs romains que Virgile cite ensuite et dont la liste culmine bien sûr sur le prince, avant les noms attendus des Scipions, au souvenir lié aux guerres puniques, de Camille, qui s’empara de Véies et punit les Gaulois de Brennus, et de Marius, vainqueur de Jugurtha, des Cimbres et des Teutons48, on trouve la mention des Decii. Or ceux-ci, célèbres pour la deuotio par laquelle deux, sinon trois de leurs représentants, chacun à leur génération, se seraient sacrifiés pour assurer la victoire des armes romaines, au Veseris, à Sentinum et – selon certaines traditions au moins – à Héraclée49, n’étaient pas des Romains de Rome. J. Heurgon avait naguère bien mis en relief le destin de cette famille campanienne, venue se fixer à Rome où ses représentants occupèrent rapidement les plus hautes fonctions50. La puissance romaine, ce n’est pas anodin qu’un provincial comme le poète de Mantoue le souligne, repose désormais sur les Italiens qui se sont intégrés dans une unité italienne, telle qu’Auguste, qui était parti affronter Antoine et Cléopâtre fort du serment que lui avait prêté l’ensemble de ses habitants51. C’est là le sentiment du poète mantouan : mais on n’hésitera pas à penser qu’il était partagé par l’historien padouan. Ce dernier, on ne s’en étonnera pas, faisait jouer un rôle privilégié à sa petite patrie vénète, au point que ses livres, consacrés à l’histoire de Rome, débutent en réalité par une référence au fondateur de sa ville natale, Anténor, dont la geste est évoquée avant celle d’Énée, l’ancêtre des Romains52. Les Vénètes, descendants des Troyens comme les Romains, 48 Les noms de Camille et de Marius sont mis à un pluriel qui leur donne une valeur typologique, dépassant leur propre personne. 49 Sur le rituel de la deuotio et le sacrifice des Decii, R. Bloch, C. Guittard, TiteLive, Histoire romaine, livre 8, édition CUF, Paris, 1987, p. LV-LXXXVIII (p. LIXLXVIII pour les Decii). 50 J. Heurgon, Recherches sur l’histoire, la religion et la civilisation de Capoue préromaine des origines à la deuxième guerre punique, Bibliothèque des Écoles françaises d’Athènes et de Rome 154, Paris, 1942, p. 260-277. 51 Res gestae diui Augusti, 25, 2 : Iurauit in mea uerba tota Italia sponte sua et me be[lli] quo uici ad Actium ducem depoposcit (« Spontanément, l’Italie entière m’a prêté serment d’allégeance et m’a demandé de prendre le commandement lors de la guerre que j’ai remportée à Actium »). 52 Nous avons étudié la présentation de Padoue chez Tite-Live dans « Un provincial dans l’Italie augustéenne : un autre regard sur la “patavinité” de TiteLive », Acta Antiqua Academiae Scientiarum Hungaricae, 55, 2015, p. 255-272.
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avaient certes été les alliés de l’Vrbs tout au long de leur histoire : mais ce que Tite-Live disait des Samnites dans ce passage du livre X, de même que les passages où, étonnement, il semble leur donner raison vis-à-vis des Romains, suggère que même des anciens adversaires, eussent-ils été aussi acharnés que ces Samnites, sont susceptibles de mettre désormais les mêmes qualités dont ils avaient dans le passé preuve en tant qu’ennemis53, au service d’une Italie romanisée54. Bibliographie Adcock, F. E., « The Conquest of Central Italy », dans Cambridge Ancient History, 7, Cambridge, 1928, p. 581-616. Ampolo, C., « Roma e i Sabini nel V sec. a.C. », dans Identità e civiltà dei Sabini, Atti del XVIII Convegno di Studi Etruschi ed Italici, Rieti-Magliano Sabina, 30 maggio – 3 giugno 1993, Florence, 1996, p. 87-103. Bloch, R., Guittard, C., Tite-Live, Histoire romaine, livre 8, CUF, Paris, 1987. Briquel, D., « La tombe Andriuolo 114 de Paestum », dans Le Censeur et les Samnites, sur Tite-Live, livre IX, Paris, 2001, p. 135-146. _, « La tradizione storiografica sulla dodecapoli », dans M. Iozzo (éd.), La lega etrusca, dalla dodecapoli ai quindecim populi, Atti della giornata di studi, Chiusi, 9 ottobre 1999 (Biblioteca di « Studi Etruschi », 37), Pise-Rome, 2001, p. 9-18. _, « Un provincial dans l’Italie augustéenne : un autre regard sur la “patavinité” de Tite-Live », Acta Antiqua Academiae Scientiarum Hungaricae, 55, 2015, p. 255-272. _, « À propos de l’excursus Alexandri de Tite-Live : les chefs romains potentiellement vainqueurs d’Alexandre dans le livre IX des Histoires », Bulletin de l’Association Guillaume Budé, 2015, 1, p. 143-172.
53 Un parallèle est offert par les rapports alternés entre les Marses et les Romains ; voir plus haut n. 46. 54 Cette constatation n’empêche pas que Tite-Live adopte une position particulière dans un débat qui eut cours à la fin de la République et à l’époque augustéenne, portant sur la part que les différentes composantes de la péninsule eurent dans l’affirmation de la puissance romaine. Dans ce débat, dont D. Musti dégagea remarquablement l’importance (Tendenze nella storiografia romana e greca su Roma arcaica. Studi su Livio e Dionigi d’Alicarnasso, Rome, 1970), TiteLive, au contraire de Denys d’Halicarnasse, adopta une position plus favorable à l’élément étrusque et moins à l’élément sabin.
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L’image des Gètes aux Ier et IIe siècles ap. J.-C. : tradition géographique et historiographique vs vision ovidienne Mouna Essaidi
Les Gètes, qui étaient installés depuis l’âge de bronze dans la région correspondant à la Dobroudja actuelle, et dont la contrée était bordée par le Danube à l’ouest et au nord, le Pont-Euxin à l’est, sont un peuple de l’Antiquité qui reste mystérieux pour nous1, comme il l’était déjà pour les Anciens. De fait, notre connaissance des Gètes repose avant tout sur des sources littéraires antiques : si certaines, grecques, sont antérieures à l’époque chrétienne, l’essentiel date des Ier et e II siècles de notre ère car proches de l’époque à laquelle Rome est à son tour entrée en contact avec les Gètes. Cette tradition est multiforme, d’une part géographique et historiographique, d’autre part poétique, plus exactement ovidienne. Notre contribution se propose de confronter les deux volets de cette tradition en nous fondant sur les textes antiques majeurs des deux premiers siècles qui parlent expressément des Gètes – Γέται, Getae –, mais aussi sur ceux qui se rapportent aux Daces, lorsque l’expression désigne clairement le peuple vivant dans la région de Tomes, aujourd’hui Constantza. Cette confrontation ne se bornera pas à recenser les données présentes dans nos sources et à les comparer ou
1 Voir par exemple le débat qui divise les Modernes, essentiellement roumains, à propos du rapport Gètes/Daces. En faveur de la théorie qui fait des Gètes et des Daces un seul et même peuple, voir entre autres C. C. Giurescu, Formarea poporului român, Craiova, 1973, p. 53 (en roumain) ; en faveur de celle qui considère les Gètes et les Daces comme deux peuples différents, parlant la même langue, voir notamment L. Boia, La Roumanie. Un pays à la frontière de l’Europe, trad. du roumain par L. Rossion, Paris, 2003, p. 43-53 (nouvelle éd. revue et augmentée, 2007). 10.1484/M.RRR-EB.5.121320
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les opposer : nous nous efforcerons en fait de cerner « l’image des Gètes2 » suivant une approche spécifiquement littéraire3. L’intérêt des Anciens pour les Gètes, il est vrai, remonte à une date bien antérieure aux Ier et IIe siècles, puisque les Grecs sont entrés en contact avec eux dès le VIIe ou VIe siècle av. J.-C.4. Les premiers à les avoir évoqués dans leurs écrits sont donc logiquement des Grecs. Le premier d’entre eux est Hérodote, dont les Histoires datent de 445 av. J.-C. : il les mentionne parmi les peuplades soumises par Darius Ier lors de sa campagne contre les Scythes. Son approche relève de la géographie et de l’ethnographie. D’abord de la géographie, du moment qu’il fournit des indications sur la localisation des Gètes, à savoir « avant l’Ister/Danube », mais plus au nord que les villes d’Apollonia et de Mésembria5, ainsi que sur le climat de la contrée en insistant sur le froid rigoureux qui y sévit6. Ensuite de l’ethnographie : les Gètes sont présentés par le Père de l’histoire comme « les plus vaillants et les plus justes parmi les Thraces7 », ces derniers étant euxmêmes, d’après lui, à distinguer des Scythes. Sont également évoqués leur religion, le rôle religieux et politique joué par Zalmoxis, le Pythagoricien, appelé Dieu, sans oublier leur croyance en l’immortalité8. Hérodote sera à la tête d’une longue lignée d’écrivains intéressés par les Gètes9 ; ils corroboreront peu ou prou les indications fournies par l’auteur des Histoires. 2 Par « image » nous entendons « vision intérieure plus ou moins exacte (d’un
être ou d'une chose) » : cf. Le Grand Robert de la langue française, 2e édition revue et enrichie par A. Rey, Paris, 1985, tome V, s. v. « image », sens II. 2, p. 373. 3 Notre approche se distingue ainsi de celle de Ph. H. Blasen, « De Getis apud Nasonem… La poésie d’Ovide comme source pour l’étude des Gètes », Analele Banatului 19, 2011, p. 109-144, qui envisage avant tout la question sous l’angle ethnographique. 4 Bon nombre de villes de la côte Ouest du Pont-Euxin ont été fondées par les Grecs. Parmi elles, la ville de Tomes dont la fondation remonte aux environs du e VII siècle av. J.-C. 5 Hérodote, Histoires IV, 93-96, trad. Ph.-E. Legrand, Paris, Les Belles Lettres, 1932, 4e tirage 2003. 6 Ce froid est si rigoureux qu’il transforme l’Ister en glace : cf. Hérodote IV, 28. 7 Hérodote IV, 93. 8 Cf. Hérodote IV, 59, 4. 9 Pour la Grèce classique, on mentionnera encore Thucydide. Évoquant l’invasion des Chalcidiens de Thrace par l’Odryse Sitlacès, l’auteur de la Guerre du Péloponnèse cite les Gètes au nombre des peuplades que le prince odryse a enrôlées. Il précise que les Gètes habitent la même région, située entre les Monts Hémus, les rives de l’Ister et le Pont-Euxin, que les Thraces et les Scythes, mais ne forment pas un seul et unique peuple avec eux. Les Gètes sont par ailleurs présentés par
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Les géographes et historiens des deux premiers siècles de notre ère ont considérablement enrichi les données fournies par Hérodote et ses successeurs immédiats. Cet enrichissement a été en grande partie rendu possible par le fait que, essentiellement poussés par le désir de consolider les frontières de l’empire du côté du Danube, les Romains ont multiplié les expéditions dans cette région, d’abord au Ier siècle ap. J.-C. puis au moment des guerres daciques. Leur intérêt pour cette population, qui s’est développé de manière concomitante, apparaît clairement dans le texte des géographes et des historiens de l’époque, même si leurs motivations sont différentes. Leurs textes contiennent un premier ensemble d’indications : elles portent sur le nom et la composition de l’ethnie ainsi que sur sa localisation géographique, sujet déjà abordé par Hérodote qui faisait des Gètes une peuplade thrace, dont la frontière méridionale était l’Hémus. Géographes et historiens des Ier et IIe siècles vont fournir des données nouvelles, qui ne sont pas sans faire difficulté. Un des points qui posent problème est le rapport des Gètes avec les Daces : Gètes et Daces sont-ils un seul et même peuple ? Si on en juge par Strabon, les Gètes sont une peuplade thrace10, qui habite de part et d’autre de l’Ister/ Danube et forme en fait un seul et même peuple avec les Daces, la distinction Gètes/Daces remontant, selon lui, ἐκ παλαιοῦ11 et reposant uniquement sur une question de situation géographique : pour le géographe grec, le territoire des Gètes se situe πρὸς τὸν Πόντον ... καὶ πρὸς τὴν ἕω12, celui des Daces est localisé εἰς τἀναντία πρὸς τὴν Γερμανίαν καὶ τὰς τοῦ Ἴστρου πηγάς13. Pline l’Ancien, de son côté, dans son Histoire Naturelle14, situe les Getae, Daci Romanis dicti15, au-delà de l’Hémus, sur la rive sud de l’Ister/Danube, à l’ouest du Pont-Euxin16. Le rapport des Gètes avec les Mésiens, encore appelés Thucydide comme des guerriers, connus pour être de grands tireurs à l’arc, « des archers à cheval » (II, 96). 10 L’affirmation selon laquelle les Gètes sont des Thraces, déjà présente chez Hérodote, apparaît également chez Pline, Histoire Naturelle IV, 40-41 et chez Pausanias, Description de La Grèce I, 9, 5. 11 Strabon, Géographie VII, 3, 12 : « à une époque reculée », trad. R. Baladié, Paris, Les Belles Lettres, 1989, 2e tirage 2003, cf. passim. 12 Ibid., « en direction du Pont-Euxin et de l’Orient ». 13 Ibid., « à l’opposé vers la Germanie et les sources de l’Istros ». 14 Nous avons rangé Pline parmi les géographes puisque l’érudit romain ne consacre pas moins de quatre livres de son encyclopédie à la géographie du monde habité, parmi lesquels le livre IV qui traite entre autres des Gètes et de la région. 15 Plin., NH IV, 80 : « les Gètes, appelés Daces par les Romains ». 16 Plin., NH IV, 42.
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Moesiens ou Mysiens, est un autre sujet de débat. Pour Dion Cassius, Gètes et Mésiens ont habité « la région située entre l’Hémus et le Danube17 », avant d’être divisés entre Mésiens et Daces18 ; les premiers habitent un côté du fleuve, tandis que les seconds se situent sur l’autre rive. L’historien grec précise en outre que les Daces, qu’ils soient « Gètes ou Thraces », sont les voisins les plus proches des Mésiens19. En dépit de ces divergences, il semble cependant acquis que les Gètes, assimilés ou non aux Daces, ont habité la région comprise entre l’Ister/Danube et le Pont-Euxin, avec l’Hémus comme limite méridionale et qu’ils sont voisins proches des Mésiens, voire qu’ils habitent le même territoire qu’eux. Il va sans dire que géographes et historiens des Ier et IIe siècles ne se sont pas cantonnés aux points qui viennent d’être évoqués. Ils se sont également attachés à décrire la contrée occupée par les Gètes, le territoire expliquant en partie le tempérament de l’habitant. Le territoire gète est d’abord caractérisé selon eux par la présence de l’eau. Cette dernière est constituée de différents éléments. D’abord, la présence de l’Ister/Danube, relevée aussi bien par Hérodote que par ses successeurs. Le fleuve possède deux noms : il est Ἴστρος/Istros, Histros pour sa partie inférieure (celle qui traverse le territoire des Gètes) et se jette dans le Pont-Euxin et Δανούιον/Danubius, Danuvius, pour sa partie haute, qui prend sa source en Germanie (celle qui coule chez les Daces)20. Il se distingue aussi par l’étendue de son delta21. On relèvera enfin, pour en rester au thème de l’eau fluviale, que, d’après nos sources, la contrée des Gètes était entourée d’un bon nombre de fleuves22. Cette omniprésence de l’eau est incontestablement un 17 Dion Cassius, Histoire Romaine LI, 27, 2 : trad. M.-L. Freyburger-Galland et
J.-M. Roddaz, Paris, Les Belles Lettres, 1991, 2e tirage 2002. L’Histoire romaine de Dion Cassius a été composée entre 207 et 235. Bien qu’elle déborde légèrement du cadre chronologique retenu pour notre corpus, nous l’y avons néanmoins intégré dans la mesure où l’historien romain d’expression grecque est né en 155. 18 Cass. Dio XVII, 6. 19 Id., LI, 22, 7 et 27, 2 ; Plin., NH IV, 41. 20 Pour Strab. VII, 3. 13, il est Danube jusqu’aux cataractes ; pour Plin., NH IV, 79, la limite du Danube est repoussée jusqu’à l’Illyrie. Appien, Illyrique 22, met l’identification Ister/Danube en relation avec l’expédition d’Octave en Pannonie (35 av. J.-C). 21 Le nombre des bouches du delta varie selon les sources : sept selon Strab. VII, 3,13, six chez Plin., NH IV, 79, cinq d’après Arrien, Anabase I, 1, 3. Pour R. Baladié, ad Strab. loc. cit., p. 195, cette divergence s’explique par le fait que, suivant les époques, certaines bouches se sont fermées par un ensablement ou se sont ouvertes sur la mer. De nos jours, le Danube comporte trois bras et cinq bouches. 22 Strab. VII, 3 et Plin., NH IV, passim.
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leitmotiv. Le deuxième élément marquant de l’espace gète est en effet le Pont-Euxin, qui en constitue la frontière. Son ancienne appellation a retenu l’attention de Strabon et de Pline qui renvoient tous deux au fait que le Pont était Axenus – « inhospitalier23 » – avant de devenir Euxinus – « hospitalier » –. Pline fournit par ailleurs d’autres indications sur le Pont-Euxin : cette mer, dit-il, inonde les terres et engloutit une partie des continents sous ses eaux24 ; l’auteur de l’Histoire Naturelle décrit également la forme du Pont, délimite ses différentes parties et donne des valeurs chiffrées sur son tour en se fondant sur les données de ses prédécesseurs25. Cette présence de l’eau, qu’elle soit fluviale ou maritime, ne doit pas occulter une autre caractéristique du pays Gète. Son paysage est constitué de plaines, de forêts et de montagnes. La description qu’en fait Strabon est originale à cet égard puisqu’elle combine des éléments géographiques qui existent réellement dans la géographie du Pont, à savoir les Monts Hémus, la forêt Hercynienne et la plaine du désert des Gètes, et des items qui relèvent de la fiction des mythographes, tels que les Monts Rhipées26. Il va sans dire que les forêts et les montagnes relèvent d’une nature sauvage. Or, qui dit montagnes dit évidemment climat rigoureux. Le pays gète n’échappe pas à la règle. La région pontique était connue dans l’Antiquité pour son froid rigoureux. Hérodote, en son temps, l’avait déjà évoqué27. Strabon y revient avec plus de détails28, en mettant l’accent sur les effets du froid sur la nature et notamment sur l’Ister29, mais également son impact sur les animaux, leur élevage et leur aspect30. Telle est donc l’image du pays gète donnée par les géographes et historiens des Ier et IIe siècles. Reste à savoir quelle est l’image qu’ils donnent des Gètes eux-mêmes. Les sources de cette partie de notre
23 Strab. VII, 3, 6 ; Plin., NH IV, 76. Sur le sens d’Ἄξεινος, cf. P. Chantraine, Dictionnaire Étymologique de la Langue Grecque. Histoire des Mots, Paris, nouvelle édition avec supplément 1999 (1re édition 1968), p. 386, qui renvoie à une étymologie populaire d’un emprunt iranien signifiant « sombre ». 24 Plin., NH VI, 1-2. 25 Plin., NH IV, 77-78. 26 Strab. VII, 3, 14-15. Plin., NH IV, 78, pour sa part, considère les Monts Rhipées comme réels. 27 Cf. supra, n. 6. 28 Strab. VII, 3, 18. 29 Même affirmation chez Florus, Épitomé II, 28. 30 Strab. VII, 3, 14-15.
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corpus indiquent que les Gètes parlent la même langue que les Daces31, en l’occurrence un idiome commun aux ethnies thraces32, et qu’ils sont connus pour leur « sentiment religieux33 », pour leur croyance en l’immortalité34 et pour le respect qu’ils éprouvaient pour Zalmoxis, éléments qu’Hérodote avait déjà mentionnés quelques siècles auparavant. Plus intéressantes pour notre propos sont les indications qui mettent en lumière le mode de vie et le tempérament du Gète. De fait, la population gète a un mode de vie conforme aux habitudes des peuplades des régions septentrionales35. Leurs migrations sont fréquentes, comme l’atteste Strabon : οἱ Γέται γνωρίζονται μᾶλλον διὰ τὸ συνεχεῖς τὰς μεταναστάσεις ἐφ' ἑκάτερα τοῦ Ἴστου ποιεσποιεσθαι καὶ τοῖς Θραξί καὶ τοῖς Μοισοῖς ἀναμεμῖχθαι36. Leurs déplacements continuels sont notamment dus à un environnement géographique défavorable et à des conditions climatiques rigoureuses37. Ce même environnement et l’âpreté du climat ne sont évidemment pas sans effet sur les habitants et leur tempérament. On sait que les Anciens établissaient une correspondance presque totale entre la géographie, les conditions climatiques38 et les caractères des peuples39. La vision que les géographes et les historiens des Ier et IIe siècles donnent des Gètes n’échappe pas à la règle. Ce qui est sûr c’est que cette image n’est en aucun cas monolithique : le Gète possède aussi bien des qualités que des défauts. Parmi les qualités, on compte la bravoure, le courage et le sens de l’amitié 31 Strab. VII, 3, 12. Cf. à ce propos S. Janakieva, « La notion de ΟΜΟΓΛΩΤΤΟΙ chez Strabon et la situation ethnolinguistique sur les territoires thraces », Études Balkaniques, 4, 2002, p. 75-79. 32 Strab. VII, 3, 10. 33 Strab. VII, 3, 4. 34 Arr., Anabase I, 3, 1. 35 E. Wolff, « Espaces du sauvage et nomades », dans Les espaces du sauvage dans le monde antique : approches et définitions. Actes du colloque (Besançon, 45 mai 2000), Besançon, 2004, p. 21-28. 36 Strab. VII, 3, 13 : « On connaît les Gètes surtout parce que, dans leurs migrations, ils passent continuellement d’une rive à l’autre de l’Istros et qu’ils sont venus se mêler aux Thraces et aux Moesiens. » 37 Flor. II, 28 ; Strab. VII, 3, 17-18. 38 Exemple : Cicéron, Sur la loi agraire II, 95 : Non ingenerantur hominibus mores tam a stirpe generis ac seminis quam ex eis rebus quae ab ipsa natura nobis ad uitae consuetudinem suppeditantur : « Ce qui détermine le caractère des peuples, ce n’est pas tant l’origine et le sang que ce que la nature nous fournit pour l’ordinaire de la vie », trad. A. Boulanger, Paris, Les Belles Lettres, 1re édition 1932, 2e édition 1960, 2e tirage de la 2e édition 2002. 39 E. Wolff, « Espaces du sauvage et nomades », p. 25.
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évoqués à l’époque d’Hérodote et de Thucydide40 : ses qualités de guerrier apparaissent ainsi chez Pausanias41, tandis que Strabon insiste sur l’importance de la notion d’amitié42. Sa piété, teintée de pythagorisme, qui est telle qu’il s’abstient de consommer la chair des animaux, est également remarquable43. Ses défauts sont tout aussi évidents. Si la bravoure s’impose dans un environnement difficile, un certain nombre de défauts sont également à mettre en parallèle avec le cadre. L’aspect géographique du territoire gète explique le tempérament du Gète44. L’ancienne appellation du Pont Ἄξεινος/Axenus45, célèbre pour sa feritas46, les forêts ténébreuses de la contrée47 et les montagnes escarpées sont en adéquation avec l’image du Gète sauvage qui, malgré ses qualités, peut facilement se transformer en un être farouche et barbare, voire intempérant48. Le comportement du Gète lui vaut d’être qualifié de βάρβαρος par Strabon et Arrien, pour ne citer qu’eux. L’auteur de l’Anabase compte par ailleurs les Gètes au nombre des peuples « les plus belliqueux » – ἔθνη μαχιμώτατα49 –. Quant à Pline, il insiste sur la cruauté du Gète. Ce dernier, connu pour être un bon archer, n’est autre que le voisin du Scythe qui imprègne ses « flèches de venin de serpent et de sang humain » pour rendre doublement mortels les tirs de ses arcs50. L’impression de catalogue qui ressort des données fournies par la tradition géographique et historiographique des Ier et IIe siècles ne saurait faire oublier qu’elles sont tirées, non pas de manuels de géographie ou d’histoire modernes, mais bel et bien d’ouvrages littéraires, 40 Voir supra, n. 7 et 9. 41 Pavs. I, 9, 5. 42 Strab. VII, 3, 8. 43 Strab. VII, 3, 4. À noter que cette piété se manifeste essentiellement chez les
hommes mariés, et plus encore chez les polygames puisque ce sont les femmes qui poussent leurs maris aux excès dans le culte des dieux (loc. cit.). 44 Voir à ce propos Y. A. Dauge, Le Barbare. Recherches sur la conception romaine de la barbarie et de la civilisation, Bruxelles, 1981, p. 749. 45 Voir supra, n. 23. 46 Voir supra, n. 24. 47 Flor. I, 39 : Curio Dacia tenus uenit, sed tenebras saltuum expauit : « Curion vint jusqu’en Dacie, mais fut effrayé par les ténèbres des forêts », trad. P. Jal, Paris, Les Belles Lettres, 1967, 2e tirage 2002. 48 Sur l’intempérance du Gète, cf. Strab. VII, 3, 4. 49 Arr., Anabase I, 3, 1. 50 Plin., NH XI, 279 : sagittas tingunt uiperina sanie et humano sanguine, trad. de A. Ernout et R. Pépin, Paris, Les Belles Lettres, 1947, 2e tirage 2003. À rapprocher de Thvc. II, 96 : cf. supra, n. 9.
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d’où la notion d’« image » sur laquelle nous avons souhaité nous pencher. À aucun moment, les données ne sont livrées à l’état brut. Premier constat : les Gètes sont systématiquement présentés en relation avec un ou des faits historiques. Si la démarche est logique de la part d’un historien, elle l’est moins venant d’un géographe, du moins de notre point de vue de Moderne. De fait, l’historien éclaire sa relation des faits par des commentaires ou digressions géographiques ; le géographe explique certaines caractéristiques du pays ou du peuple décrit par des rappels de faits historiques. C’est ainsi qu’Arrien, dans son Anabase, qui rend hommage à Alexandre le Grand, évoque les Gètes parmi les peuplades barbares soumises au roi de Macédoine. Appien, rapportant les victoires de M. Licinius Lucullus contre Mithridate Eupator VI, la soumission des Besses et des Mésiens, voisins proches et habitant la même région des Gètes51, est lui aussi amené à mentionner les Gètes ; il en va de même pour Florus et Dion Cassius52. Les mêmes Florus et Dion Cassius reviennent sur la question lors de leur récit de l’expédition de M. Licinius Crassus en territoire gète en 29/28 av. J.-C. et de la mise en place des fondements de la nouvelle province de Mésie entre 9 av. J.-C. et 6 ap. J.-C.53. Enfin, Dion Cassius traite une nouvelle fois des Gètes lorsqu’il relate les défaites des généraux de Domitien face aux Gètes et les guerres qui ont permis à Trajan de venir à bout des Géto-Daces et créer la province de la Dacie. Le récit des conflits qui ont opposé les Grecs et les Romains aux Gètes met en évidence tout à la fois les facultés de résistance de cette ethnie et l’importance de son territoire, toujours convoité. Inversement un Strabon ne manquera pas de consacrer des développements historiques à sa description du territoire et de ses habitants : venue en terre gète d’Alexandre le Grand54, de l’un de ses successeurs, Lysimaque55, avènement de Burébista, ce chef Gète qui a réussi à rassembler autour de sa personne différentes tribus pontiques et a été considéré comme une menace pour les Romains56. Deuxième constat : géographes et historiens, en dehors de quelques points de divergence minimes, s’accordent sur leur présentation des Gètes : localisation de leur territoire, liens avec les Daces, zèle religieux, tendance à migrer et tempérament. C’est sans doute là que la 51 App., Ill. IX, 85. 52 Flor. I, 39 ; Cass. Dio XXXVII, 10, 3. 53 Flor. II, 28 ; Cass. Dio LI, 29. 54 Strab. VII, 3, 8. 55 Strab. VII, 3, 8 et Paus. I, 9, 5. 56 Strab. VII, 3, 11.
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notion d’« image » est la plus pertinente : les Gètes sont systématiquement présentés comme des guerriers courageux, qui peuvent facilement tomber dans les excès et se transformer en êtres sauvages, belliqueux. Les textes que nous avons passés en revue mettent quasiment sans exception l’accent sur le côté barbare du Gète, dans une volonté de présenter l’autre en insistant sur ses vices, comme tout habitant des confins du monde : le Gète est manifestement l’homme des excès57. Les auteurs de la tradition se retrouvent également dans le souci de vérité et de précision indéniable qui les animent. D’où leur volonté de s’appuyer sur des sources pour mieux étayer leurs affirmations : tel est le cas notamment de Strabon, qui se réfère par exemple à Posidonios et Ménandre pour ce qui est du zèle religieux, de la polygamie et de l’intempérance des Gètes58. Ce goût pour la précision apparaît aussi dans le recours, plus spécialement des géographes, à des indications chiffrées, ce qui confère une valeur scientifique aux données qu’ils fournissent, au risque d’aboutir parfois à un style sec et énumératif, à l’instar de Pline, qui donne les distances exactes séparant les parties du littoral pontique, le tour du Pont, la longueur des différents bras de l’Ister59. Il en va de même pour les indications de toponymes, qui sont gages de sérieux scientifique ou des noms des ethnies voisines : Scythes, Sarmates, Bastarnes, sans oublier les noms d’individus, comme celui de Zalmoxis. Ce souci de vérité connaît, il est vrai, quelques limites. La preuve en est principalement le flou qui persiste sur les frontières du territoire gète, et surtout la difficulté à distinguer les Gètes des Daces et des Mésiens. Enfin, il ressort clairement de nos textes que la présentation des Gètes, qu’elle soit le fait des géographes ou des historiens, ne pouvait que servir le politique. Les géographes ont ainsi permis une meilleure connaissance du monde habité qui satisfaisait la curiosité de leurs contemporains mais fournissait aussi des données pour une meilleure gouvernance des pays conquis60. Les historiens de leur côté, à travers leurs narrations, ont facilité la connaissance de l’histoire des peuples, 57 Y. A. Dauge, Le Barbare…, p. 750. 58 Posidonius : VII, 3, 4 ; Ménandre, qui aurait lui-même puisé « dans des études
sérieuses » : VII, 3, 4. 59 Plin., NH IV, 79. 60 Cf. Strab. I, 1, 16 : ῆλονοὖνὅτι ἡ γεωγραφικὴ πᾶσα ἐπὶ τὰς πράξεις ἀνάγεται τὰς ἡγεμονικάς : « Dans ces conditions, il est clair que la géographie toute entière est orientée vers la pratique du gouvernement », trad. G. Aujac, Paris, Belles Lettres, 1969, 2e tirage 2003.
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des exploits romains surtout, mais ont également réussi à faire passer un message « indispensable à la clairvoyance politique61 ». C’est le cas par exemple du récit du retour sur les exploits d’Alexandre d’Arrien et l’accent mis sur les expéditions romaines du temps de César, d’Auguste et de Trajan chez Dion Cassius : les deux ouvrages montrent implicitement le modèle des grands chefs à suivre par les hommes politiques pour une meilleure gouvernance. Si géographes et historiens des Ier et IIe siècles en ont été réduits à recourir à une documentation fournie par des tiers pour évoquer les Gètes62, il en va tout autrement du poète Ovide. Sa relégation à Tomes, aujourd’hui Constanza63, l’a amené à côtoyer les Gètes, comme en témoignent ses deux recueils composés en 9 et 13 ap. J.-C. sur les bords de la Mer Noire, les Tristes et les Pontiques64, communément appelés recueils pontiques ou encore recueils de l’exil. Ces deux recueils, qui expriment la souffrance du poète causée par son éloignement de Rome, font sans cesse référence au cadre, essentiellement gète, dans lequel vit dorénavant le natif de Sulmone. Au fil de ses pièces, il égrène le nom des différents peuples établis sur les bords du Pont-Euxin, à savoir les Scythes, les Sarmates, les Tomitains, les Besses, les Bastarnes, les Colchidiens, les Iazyges, les Ciziges, les Cimmériens, les Coralles, les Bistones, les Thraces et les Parthes65 ; ce sont cependant incontestablement les Gètes qui ont la part belle puisqu’ils sont mentionnés pas moins de cinquante fois dans l’ensemble des deux ouvrages et que 61 R. Martin et J. Gaillard, Les genres littéraires à Rome, Paris, 1990, p. 110. 62 Si on omet Hérodote, qui ne fait pas partie de notre corpus. Cf. D. Gondicas,
J. Boëldieu-Trevet, Lire Hérodote, Paris, 2005, p. 15 : « Tout semble indiquer qu’il a fréquenté les rives du Pont-Euxin. » 63 La relégation infligée à Ovide a été promulguée par Auguste en l’an 8. Le poète, malgré ses suppliques, n’a jamais revu Rome ; il est mort sur les bords de la Mer Noire en 16 ou 17. Sur les motifs de cette relégation, cf. entre autres, L. Aldo, N. N. Berrino, Carmen et error, nel bimillenario dell’esilio di Ovidio, Bari, 2008. 64 Sur le pays de l’exil, les rapports d’Ovide avec ses habitants et ce que d’aucuns appellent une « gétisation » du poète romain, voir par exemple B. Poulle, « Le regard porté par Ovide sur les Gètes », BAGB, 1990, p. 345-355 ; A. Videau-Delibes, Les Tristes d’Ovide et l’élégie romaine, Paris, 1991, p. 105-175 ; S. Laigneau, « Le poète face aux Barbares : l’utilisation rhétorique du thème du barbare dans les œuvres d’exil d’Ovide », REL, 80, 2002, p. 115-128 ; X. Darcos, Ovide et la mort, Paris, 2009, p. 47-77, plus spéc. p. 53-61. 65 Voir à ce sujet D. Mantzilas, « Le témoignage d’Ovide sur les peuples de la région du Pont-Euxin », dans P. Brezina (éd.), Pontus Euxinus : commentarii Pilsnenses. Actes du colloque de Pilzen 21-24 mai 2014, Srní, 2014, p. 15-36 ; l’auteur de l’article procède à un relevé exhaustif des mentions des populations vivant autour de Tomes mais ne se prononce pas sur leur historicité.
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l’adjectif « gétique » apparaît vingt-six fois. Tomes a un statut particulier puisque la ville est une fondation milésienne en terre gète, comme le rappelle Ovide dans les Tristes III, 9 : Huc quoque Mileto missi uenere coloni Inque Getis Graias constituere domos66.
Le peuplement gète est cependant clairement majoritaire : si, dit-il, dans une autre pièce du même recueil, « la population de côte est mêlée de Grecs et de Gètes », « les Gètes mal pacifiés dominent » néanmoins67. La ville de Tomes elle-même est localisée avec précision par le poète : Tomes se trouve sur la rive occidentale du Pont-Euxin68, aux embouchures de l’Hister69 ; elle est située au-dessous du Bosphore, du Tanaïs et des marais de Scythie70, mais plus au nord que les villes d’Apollonia et de Mésembria, indication qui figurait déjà chez Hérodote71. De fait, la lecture des recueils pontiques montre que la présentation ovidienne des Gètes et de leur pays présente un grand nombre de points communs avec la tradition géographique et historiographique examinée plus haut. On constatera tout d’abord qu’Ovide s’est intéressé à la géographie du pays des Gètes, en évoquant, tout comme les auteurs de la tradition géographique et historiographique, l’une des composantes essentielles de l’espace occupé par les Gètes, en l’occurrence l’élément liquide, qu’il soit fluvial ou maritime. Fluvial d’une part, puisque le poète situe lui aussi le pays des Gètes sur les rives de l’Hister, fleuve qui, écrit-il, a « deux noms » – binominis72 – et « sept bras » – septemplicis73 –, et qu’il énumère les cours d’eau se jetant dans le Pont-Euxin74. Maritime d’autre part, du moment que la Mer Noire est présentée par le poète comme la frontière est du pays ; tout comme le font Strabon et Pline, 66 Ovide, Tristes III, 9, 3-4 : « ici aussi sont venus des colons envoyés de Milet
qui bâtirent des maisons grecques chez les Gètes », trad. J. André, Paris, Les Belles Lettres, 1968, 3e tirage 2003. Cf. passim. 67 Ov., Tr. V, 7, 11-12. Cf. également Tr. V, 10, 27-30. 68 Cf. Ov., Tr. I, 2, 83 ; II, 197 ; IV, 8, 42 ; IV, 10, 97 ; Pont. II, 2, 2. 69 Cf. Ov., Tr. II, 189 ; V, 1, 21. 70 Cf. Ov., Tr. III, 4b, 3-4. 71 Cf. Ov., Tr. I, 1, 10, 35-37. Cette pièce 1 est consacrée au récit de l’itinéraire d’Ovide de Rome à Tomes. 72 Ov., Pont. I, 8, 11, trad. J. André, Paris, Les Belles Lettres, 1977, 2e tirage 2002. Cf. passim. 73 Ov., Tr. II, 189. 74 Ov., Pont. IV, 10, 46-58 : Ovide ne cite pas moins de seize fleuves de la région.
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le Sulmonais renvoie par ailleurs à l’ancienne appellation du Pont Axenus75 et évoque sa réputation de sauvagerie. Qui dit géographie dit aussi climat. La question du climat de cette région, située aux frontières de l’Empire, et en particulier la rigueur de ses hivers, est bien présente dans la tradition géographique et historiographique ; elle l’est également chez le poète de l’exil. Ovide met ainsi l’accent sur « le froid immodéré » – immodicum frigus – de la région, sur les effets du gel sur la nature, avec notamment la transformation de l’Hister en chaussée, empruntée en hiver par « les chariots barbares »76, ainsi que sur ses répercussions sur les animaux77. Les similitudes que l’on peut relever entre géographes et historiens des Ier et IIe siècles et Ovide portent encore et surtout sur la présentation des Gètes eux-mêmes. Parmi elles, celle qui concerne la langue parlée par les Gètes : c’est ainsi qu’Ovide relève qu’« autour de , entend presque seulement parler thrace et scythe78 ». Autre point commun : le poète décrit les autochtones comme des nomades, connus pour leurs déplacements continuels, dus aux conditions climatiques ; comme le fait Strabon, il les montre s’adonnant à des pillages et des meurtres, à l’instar des peuplades environnantes79. L’image du Gète serait incomplète sans l’évocation de son tempérament. C’est ce que fait Ovide : pour l’exilé, l’homme gète est réputé pour sa sauvagerie80 ; il est le barbare par excellence, comme cela a été le cas dans la tradition géographique et historiographique. Les points communs entre les écrits des géographes et historiens des deux premiers siècles et les recueils pontiques sont incontestables. Il n’en est pas moins vrai que les œuvres ovidiennes se différencient de cette tradition géographique et historiographique à plusieurs égards. Elles s’en distinguent en premier lieu par une certaine ambiguïté. De fait, si, dans certains passages, le poète déclare vivre « sur le rivage gète » – in Getico litore81 – ou « au milieu des Gètes » – in 75 Ov., Tr. IV, 4, 55-56 : dictus ab antiquis Axenus ille fuit : « les Anciens appelaient “inhospitalière” ». 76 Ov., Tr. III, 10, 34 : barbara plaustra. 77 À la différence de la tradition géographique et historiographique, Ovide ne mentionne pas les effets du gel sur la faune terrestre et privilégie le renvoi à l’élément aquatique. 78 Ov., Tr. III, 14, 47 : Threicio Scythicoque fere circumsonor ore. 79 Cf., entre autres, Ov., Tr. III, 10, 53-56. 80 Pour le poète, il s’agit d’un « peuple sauvage » : fera gens. Cf. Ov., Tr. III, 10, 5 ; III, 11, 9. 81 Exemples : Tr. III, 12, 14 ; V, I, 1.
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mediis Getis82 –, il prétend ailleurs se trouver sur leurs frontières83 : le Gète devient alors un voisin de Tomes84. On est loin de la rigueur géographique que semblaient revendiquer les autres auteurs. Plus notables que l’ambiguïté du poète exilé sont cependant les amplifications auxquelles il recourt. Elles concernent essentiellement deux thèmes qui s’apparentent à des leitmotive. Le premier a pour objet l’emplacement de la ville de Tomes et ses conséquences sur le climat. Les indications de géolocalisation relevées plus haut sont complétées, voire effacées, par une notion essentielle aux yeux d’Ovide, celle d’une relégation au « bout du monde », avec toute l’exagération que cela comporte ; l’idée est parfaitement exprimée par l’utilisation récurrente des superlatifs ultimus, extremus et nouissimus85, peu présents dans la tradition géographique et historiographique et tous aptes à rendre compte de l’éloignement extrême de la contrée, « la dernière sous la dépendance ausonienne86 ». Dans le même ordre d’idées, on relèvera l’insistance du Sulmonais sur l’emplacement septentrional de la ville, située, à l’entendre, au Pôle Nord87 ou en Scythie88, cette dernière incarnant dans la pensée antique le pays nordique par excellence. Les descriptions ovidiennes de l’hiver chez les Gètes donnent elles aussi dans l’excès et deviennent, « une des principales composantes du décor » des lieux89. L’hiver gète dure éternellement dans les recueils pontiques : c’est ainsi que, selon le poète, …quod iners hiems continuatur hiems90. La saison est par ailleurs décrite comme saeua, horrida et même dura91, adjectifs tous destinés à souligner la rigueur du froid, sans oublier la neige qui devient presque éternelle elle aussi92. La terre des Gètes est, selon Ovide, « brûlée » par le froid, le gel et la glace93. 82 Cf. Ov., Tr. III, 3, 6 ; III, 11, 55 ; V, 5, 28 ; Pont. IV, 10, 70. 83 Cf. Ov., Tr. III, 12, 16. 84 Cf. Ov., Tr. IV, 10, 110 ; V, 3, 8 ; III, 14, 42. 85 Exemples pour ultimus : Tr. I, 3, 83 ; III, 4b, 6 ; IV, 4, 83 ; pour extremus : Tr.
III, 1, 50 ; IV, 9, 9 ; Pont. I, 3, 49 ; I, 7, 5 ; pour nouissimus : Tr. III, 13, 27 ; V, 2, 31. 86 Ov., Tr. II, 199 : Haec est Ausonio sub iure nouissima. 87 Cf. Ov., Tr. III, 2, 12 ; III, 11, 7-8 ; V, 3, 7-8. 88 Cf. Ov., Tr. I, 3, 61 ; III, 2, 1 ; V, 1, 21 ; V, 6, 47 ; V, 10, 48. 89 P.-J. Dehon, Hiems Latina, Études sur l’hiver dans la poésie latine, des origines à l’époque de Néron, Bruxelles, 1993, p. 205. 90 Ov., Pont. I, 2, 24 : « … l’hiver succédant à l’hiver engourdi ». 91 Exemple pour saeua « cruelle, sauvage » : Tr. V, 13, 6 ; pour horrida « affreuse, sauvage » : Pont. IV, 10, 39 ; pour dura « dure, cruelle » : Tr. III, 10, 44. 92 Ov., Tr. III, 10, 15. 93 Ov., Tr. III, 4b, 1-2.
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À la contrée et au climat volontairement présentés comme extrêmes doivent nécessairement correspondre des hommes hors du commun eux aussi. Les amplifications ovidiennes concernent en fait la sauvagerie des Gètes. Le poète insiste sur leur feritas – « violence, barbarie » – en forçant le trait et en l’accompagnant de détails suggestifs. Les détails portent en premier lieu sur leur aspect physique. Ovide les présente ainsi comme des individus « hirsutes » – hirsuti Getae94 –, au « visage farouche » – trux uultus –, portant la barbe, à la voix « sauvage » – fera95 – détails qui ne sont pas sans intérêt. Leur apparence, tout comme les sonorités rugueuses émises par les Gètes inspirent en effet de la crainte, sentiment qu’on retrouve dans l’évocation de la « horde de Gètes porteurs de braies » – bracata turba Getarum96 – et du port de peaux de fourrure car elle lui permet de comparer les Gètes à des bêtes sauvages comme les ours ou les loups97. Le portrait physique du Gète brossé par Ovide est à mettre en rapport avec son portrait moral. Selon le poète, le Gète est le type même du barbare : il est barbarus, ferus, ferox, inhumanus, insoumis et mal pacifié98, saeuus et durus comme le paysage qui l’entoure. Son caractère belliqueux, qui lui vaut d’être qualifié de « portrait vivant de Mars99 » par le Sulmonais, est illustré par son arme de prédilection, l’arc et les flèches100 ; le fait que les Gètes enduisent leurs flèches de venin de vipère pour rendre leurs blessures doublement mortelles101, semble en faire des êtres d’autant plus cruels aux yeux de l’exilé. Cette pratique, également évoquée par Pline, prend une dimension autre chez Ovide. En effet, si l’auteur de l’Histoire naturelle présente le recours à des flèches empoisonnées comme un apanage typiquement scythe, Ovide en fait avant tout une pratique répandue dans la région et chez les Gètes en premier lieu. Ambiguïté, amplifications et souci du détail suggestif ne sont pas les seuls points qui font qu’Ovide s’écarte des historiens et géographes. La présentation ovidienne se caractérise également par des 94 Ov., Pont. I, 5, 74 ; III, 5, 5-6 ; IV, 2, 2. 95 Ov., Tr. V, 12, 55. 96 Ov., Tr. IV, 6, 47 : « La horde des Gètes porteurs de braies ». Cf. également
Tr. III, 10, 19-20 ; V, 7, 49-50 ; Pont. IV, 10, 2 97 Ov., Tr. IV, 1, 80 ; III, 11, 11-14. Dans Tr. V, 7, 46, il déclare qu’ils sont quam…lupi saeuae plus feritatis habent : « plus sauvages et plus féroces que les loups ». 98 Cf. Ov., Pont. II, 2, 3-4 ; II, 7, 2 ; III, 4, 92 ; IV, 14, 14 ; Tr. V, 7, 12. 99 Ov., Tr. V, 7, 17 : uerissima Martis imago. 100 Cf. Ov., Tr. III, 10, 63-64 ; Pont. III, 1, 25-28 ; III, 3, 106 ; IV, 9, 83 ; IV, 10, 31. 101 Ov., Pont. I, 2, 15-16.
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ajouts qui portent sur la toponymie. C’est le cas d’abord du développement qu’il consacre à l’ancienne appellation du Pont-Euxin : non content de rappeler le nom axenus attribué par les Anciens à la Mer Noire, il profite de l’occasion pour rattacher la réputation de sauvagerie des lieux aux vents furieux et à l’absence de ports tranquilles dans la région102. Il en va de même de l’origine du nom de la ville de Tomis103 : un jeu de mots sur l’étymologie grecque du nom de la ville lui permet de faire de cette dernière l’endroit dans lequel Médée a découpé les membres de son frère Apsyrtos104; l’explication étiologique avancée par le poète105, tout comme le développement sur le Pont-Euxin sont incontestablement à mettre en relation avec la barbarie qui caractérise la région. On est évidemment en droit de s’interroger sur les raisons qui peuvent expliquer l’originalité d’Ovide. La première est sans aucun doute le fait que les recueils pontiques sont l’œuvre d’un exilé. Si les informations concernant les Gètes et leur pays présentées par le poète sont, dans l’ensemble, conformes aux données fournies par la tradition géographique et historiographique contemporaines, il n’en est pas moins vrai que le portrait qu’il en fait est l’œuvre d’un homme qui souffre de se retrouver dans ce qui était alors considéré comme le bout du monde, loin de la Ville, centre de la civilisation, comme en témoignent ces deux distiques des Pontiques : Mitius exilium faciunt loca : tristior ista Terra sub ambobus non iacet ulla polis. Est aliquid patriis uicinum finibus esse : Vltima me tellus, ultimus orbis habet106.
102 Ov., Tr. IV, 4, 57-58. Cf., également Ov., Tr. III, 2, 11 ; III, 12, 38. 103 Cf. P. Chantraine, Dictionnaire Étymologique…, p. 1103, s. v. τέμνω. Le
substantif τομή signifie « coupure ». Le verbe τέμνειν veut lui-même dire « couper, fendre, trancher ». La forme τόμος « morceau coupé » est la plus proche du nom Tomes. 104 Ov., Tr. III, 9, 33-34 : Inde Tomis dictus locus hic, quia fertur in illo / membra soror fratris consecuisse sui. « Le pays s’est donc nommé Tomis parce qu’une sœur, dit-on, y découpa les membres de son frère. » 105 Cf. notre article : « Entre drame mythique et drame personnel : l’étiologie au service de la poésie. L’exemple de Tomes (Ovide, Tristes III, 9) », dans « L’étiologie dans la pensée antique » Actes du colloque international, Strasbourg du 23 au 25 novembre 2006 (M. Chassignet éd.), Turnhout, 2008, p. 115-126. 106 Ov., Pont. II, 7, 63-66 : « Le lieu de l’exil peut le rendre plus doux : il n’est pas sous les deux pôles de terre plus désolée que celle-ci. C’est quelque chose d’être près des frontières de sa patrie : je suis au bout de la terre, au bout du monde. »
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Le mot « image » prend ici tout son sens. Sous le poids de la relegatio, le Sulmonais fait de Tomes, le pays des Gètes, un locus horridus, hostile et barbarus. Tout est à l’opposé du locus amoenus dont il a été chassé par le bon vouloir d’Auguste ; à la douceur de Rome s’oppose un pays où règne un froid éternel107, dont les habitants sont des hommes sauvages, farouches, inhumains et même stupides puisqu’ils rient des mots latins qu’ils ne comprennent pas108. Cet environnement lui fait dire qu’il vit in media barbaria109. Le Gète devient le barbare par excellence. L’opposition est nette entre le passé heureux et paisible à Rome et le présent triste et mortifère au pays des Gètes : Quique prius mollem uacuamque laboribus egi In studiis uitam Pieridumque choro, Nunc procul a patria Geticis circumsonor armis110.
Incontestablement l’image du Gète chez Ovide est également originale de par le genre littéraire dont relèvent les recueils pontiques. Ovide est un exilé mais c’est également un homme qui a été l’élève des célèbres rhéteurs Arellius Fuscus et Porcius Latro ; c’est aussi et surtout un poète, élégiaque de surcroît. Sa présentation du Gète est en fait le résultat d’un jeu à la fois rhétorique et poétique. Rhétorique d’abord, dans la mesure où le poète met tout en œuvre pour plaider sa cause, obtenir un changement du lieu de relegatio, ou au moins susciter la pitié à travers la mise en place de ce qu’on pourrait appeler une « miseratio oratoire111 », destinée à émouvoir ses lecteurs112, proches et moins proches, en se décrivant malade, vieillissant, voire agonisant, comme le montre cet exemple : 107 L’exemple le plus explicite est celui de l’élégie 12 du livre III des Tristes dans laquelle le poète évoque le printemps de Rome et le compare au printemps gète qui n’est autre qu’une manifestation de dégel. 108 Ov., Tr. V, 10, 37-38 : Barbarus hic ego sum, qui non intellegor ulli, / Et rident stolidi uerba latina Getae. « Ici le barbare, c’est moi que nul ne comprend, et les Gètes stupides rient des mots latins. » 109 Ov., Tr. III, 10, 4 : Me sciat in media uiuere barbaria : « qu’il sache que je vis au milieu des barbares ». 110 Ov., Tr. V, 3, 9-11 : « Moi qui jadis ai mené une vie douce et sans fatigues dans les études et dans le chœur des Piérides, maintenant, loin de ma patrie, j’entends retentir autour de moi les armes des Gètes. » 111 L’expression est d’A. Michel (à propos de Cicéron exilé) dans son ouvrage, Rhétorique et philosophie chez Cicéron. Essai sur les fondements philosophiques de l’art de persuader, Paris, 1960. 112 Exemples : Ov., Tr. III, 3 ; IV, 3.
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Nec caelum nec aquae faciunt nec terra nec aurae, Ei mihi perpetuus corpora languor habet ! Seu uitiant artus aegrae contagia mentis, Siue mei causa est in regione mali, Vt tetigi Pontum, uexant insomnia uixque Ossa tegit macies nec iuuat ora cibus ; Quique per autumnum percussis frigore primo Est color in foliis quae noua laesit hiems, Is mea membra tenet, nec uiribus adleuor ullis, Et nunquam queruli causa doloris abest113.
Poétique ensuite, puisque déformée sous le prisme de la subjectivité élégiaque : le paysage, dans lequel vit le Gète, devient état d’âme du poète. Tout est sujet de plainte, et par-dessus tout l’image de l’habitant de la région pontique qui suscite crainte et inquiétude. Contrairement aux auteurs de la tradition historiographique et géographique, Ovide part d’une réalité vécue, pour composer une œuvre poétique et personnelle comme le prouve incontestablement l’implication du « je » dans le discours. Un « je » qui se décrit à la fois déchiré, dépossédé d’une part de lui-même en raison de son éloignement de Rome, mais surtout à la porte de la mort suite aux horreurs de l’exil114. Le comble de l’ironie et l’apogée de la subjectivité sont dans l’image d’un poète qui se considère lui-même comme barbare115 puisque incompris, franchit le seuil de l’autre langue, apprend le gétique, va même jusqu’à composer une œuvre en langue barbare et déclare avoir plu116. Ovide semble « se convertir » au barbare, en se trouvant un public parmi ces gens qu’il a tant dénigrés et considérés comme des sous-hommes. Dès lors, la subjectivité tend à se transformer en universalité de l’art et ouverture vers l’autre, le différent et le barbare. Ce qui est sûr c’est que les Gètes n’ont pas laissé les Anciens indifférents. L’image qui ressort de l’ensemble de nos sources des Ier et IIe siècles est celle d’une population vivant entre l’Ister/Danube et le 113 Ov., Tr. III, 8, 23-32 : « Ni le ciel ni les eaux ni la terre ni les vents ne me conviennent. Hélas ! mon corps est la proie d’une langueur perpétuelle. Que la contagion de mon esprit malade altère ma santé, ou que la source de mon mal soit dans le pays, depuis que j’ai touché le Pont, l’insomnie me tourmente, ma maigreur couvre à peine mes os et aucun aliment ne flatte mon palais ; telle en automne est la couleur des feuilles frappées par le premier froid, qu’a blessées l’hiver nouveau, telle est la couleur de mes membres ; rien ne peut me soulager et j’ai toujours un motif de douleur et de plainte. » 114 Exemples : Ov., Tr. III, 7, 45-46 ; Pont. III, 7, 13-14. 115 Cf. supra, n. 108. 116 Ov., Pont. IV, 13, 21.
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Pont-Euxin, un espace naturel sauvage, au climat rigoureux, et qui se caractérise par un mode de vie nomade et la barbarie. Cette image globale ne saurait occulter des différences de vision et d’approche. L’approche des géographes mais aussi des historiens se caractérise par une recherche de l’objectivité : exposé ou description « neutre » s’apparentant par certains aspects à ce qu’on désigne aujourd’hui par les termes d’ouvrages de géographie physique ou humaine et d’ethnographie, recherche de la précision, recours systématique à des sources, littéraires il est vrai, parfois explicitement désignées, mises en relation avec l’histoire pour les géographes, avec la géographie pour les historiens pour apporter un éclairage susceptible d’enrichir la connaissance de ce peuple. L’approche ovidienne est bien évidemment essentiellement poétique à travers le recours au genre élégiaque qui implique une subjectivité certaine et une intervention directe dans le discours ; si les données fournies par le Sulmonais sur le pays gète et ses habitants ne sont pas en contradiction avec celles présentes dans la tradition géographique et historiographique, tout chez Ovide n’est qu’amplification, recherche de détails évocateurs, prétexte à des jeux de mots étymologiques ou recours à la mythologie et surtout moyen de renforcer sa plainte. En évoquant le Gète, Ovide veut rendre compte des tourments de son « je » plaintif et triste : dès lors le Gète n’est pas objet d’étude comme dans la tradition géographique et historiographique mais moyen de traduire un état d’âme. Bibliographie Aldo, L., Berrino, N. N., Carmen et error, nel bimillenario dell’esilio di Ovidio, Bari, 2008. Blasen, Ph. L., « De Getis apud Nasonem… La poésie d’Ovide comme source pour l’étude des Gètes », Analele Banatului 19, 2011, p. 109-144. Boia, L., La Roumanie. Un pays à la frontière de l’Europe, trad. du roumain par L. Rossion, Paris, 2003 (nouvelle éd. revue et augmentée, 2007). Chantraine, P., Dictionnaire Étymologique de la Langue Grecque. Histoire des Mots, Paris, nouvelle édition avec supplément 1999 (1re édition 1968). Darcos, X., Ovide et la mort, Paris, 2009. Dauge, Y. A., Le Barbare. Recherches sur la conception romaine de la barbarie et de la civilisation, Bruxelles, 1981. Dehon, P.-J., Hiems Latina, Études sur l’hiver dans la poésie latine, des origines à l’époque de Néron, Bruxelles, 1993.
L’image des Gètes aux Ier et IIe siècles ap. J.-C.
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Rois, roitelets et aspirants à la royauté Yasmina Benferhat
Des aspirants à la royauté, il y en eut un certain nombre dans la Rome républicaine : on doit à Martine Chassignet1 une étude sur la question2. Mais à côté de ces hommes accusés de vouloir devenir rois en prenant le pouvoir, et exécutés de ce fait, il y eut des personnages hauts en couleur qui se prenaient pour de véritables rois et en manifestaient tous les défauts traditionnels. Paul-Marius Martin évoque ainsi les vices royaux, au sens moral et politique, avant de les passer en revue3 : il s’agit de la superbia et de la crudelitas. De la superbia il écrit que c’est, comme l’hybris grecque4, « le désir effréné d’une excessive grandeur et la volonté de l’imposer aux hommes et aux dieux ». Il donne ailleurs plusieurs exemples de la crudelitas, comme le recours au meurtre, y compris aux dépens des plus proches sans respecter les liens familiaux. Il conviendrait d’ajouter l’adrogantia même si ce terme n’apparaît ni dans sa liste ni dans la synthèse de J. Hellegouarc’h5 : il relève en effet du même champ lexical que la superbia. César l’emploie volontiers pour désigner la présomption d’un individu6, et de manière générale l’adrogantia fait partie des défauts reprochés à ses adversaires, confits dans leur orgueil 1 Je suis heureuse d’offrir ces pages à Martine Chassignet, que je connais de longue date pour l’avoir entendue tout d’abord dans le cadre du séminaire de notre maître commun, Hubert Zehnacker, et qui en particulier m’a fait l’honneur de participer à mon jury d’habilitation. 2 Voir M. Chassignet, « La ‘construction’ des aspirants à la tyrannie : Sp. Cassius, Sp. Maelius et Manlius Capitolinus », in M. Coudry, Th. Späth (éds.), L’invention des grands hommes de la Rome antique, Paris, 2001, p. 83-96. 3 Voir P. M. Martin, L’idée de royauté à Rome, Clermont-Ferrand, 2004, t. 2, p. 71-77. 4 Voir cependant J. M. Murphy, « Hubris and superbia: differing Greek and Roman attitudes concerning ‘arrogant pride’ », AncW, 28, 1997, p. 73-81 qui opère une distinction entre les deux notions. 5 Voir J. Hellegouarc’h, Le vocabulaire latin des relations et des partis politiques sous la République, Paris, 1972, p. 439-441 en particulier. 6 C’est plus net dans les premières œuvres que dans le Bellum Ciuile, cf. BC 1, 85 (Afranius et Petreius) et 3, 59 (les deux traîtres) contre trois occurrences dans le seul premier livre du De Bello Gallico (1, 36 ; 1, 40, 1, 44) et BG 7, 52. Tacite décrit un haut fonctionnaire comme adrogans minoribus cf. Ann. 11, 21. 10.1484/M.RRR-EB.5.121321
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et leur arrogance. Cette description renvoyait à l’histoire politique de Rome et à ses clichés. Notre étude se concentrera sur une famille extrêmement célèbre à Rome et qui est considérée comme ayant incarné ces travers au plus haut point : la gens Claudia, dont l’image a été souvent étudiée7. Cette famille d’origine patricienne semble particulièrement représentative puisque son histoire court depuis les débuts de la République jusqu’au Haut-Empire. Mais comme la liste de ses membres est assez longue, nous nous limiterons à trois personnages : Appius Claudius Inregillensis, le premier consul issu de cette gens en 495, puis Appius Claudius Pulcher le consul de 54 bien connu en particulier grâce aux lettres de Cicéron, et enfin Tibère. Appius Claudius Inregillensis Qui était Appius Claudius Inregillensis8 ? Un immigré d’origine sabine, selon son lointain descendant l’empereur Claude9, venu à Rome en 504 avant J.-C. avec tout son clan d’après la tradition reprise par TiteLive10. Cette version est discutée11 : être patricien supposait d’avoir un ancêtre membre du Sénat sous les rois, ce qui amènerait à penser que cette famille était peut-être arrivée bien avant la date officielle. D’autre part, le motif même de son installation – un désaccord avec ses concitoyens sabins qui s’opposaient à Rome – est contesté : Jürgen von Ungern-Sternberg12 voit ainsi en lui un exemple de ces condottieri à la recherche d’un territoire pour eux et leur clan. 7 Cf. Tacite, Ann. 1, 4 : uetere atque insita Claudiae familiae superbia. Voir, à propos des Claudii, M. Humm, Appius Claudius Caecus. La République accomplie, Rome, 2005, pour la bibliographie et l’historique de la question qu’il offre, ainsi que J. von Ungern-Sternberg, « Adelsstolz und Republik : Die gens Claudia », in E. Stein-Hölkeskamp, K.-J. Hölkeskamp (éds.), Erinnerungsorte der Antike. Die römische Welt, Munich, 2006, p. 290-299 et 749-750. On consultera également F. Bücher, Verargumentierte Geschichte. Exempla Romana im politischen Diskurs der späten römischen Republik, Stuttgart, 2006, p. 182-185 et S.P. Oakley, A Commentary on Livy. Books VI-X, vol. I, Oxford, 1997, p. 98-99 et vol. III (appendix). 8 RE, 321. 9 Cf. Ann. 11, 24. 10 Tite-Live, 2, 16. 11 Voir le commentaire de R. M. Ogilvie, A Commentary on Livy. Books 1-5, Oxford, 1965, p. 273 sqq. 12 Voir Ungern-Sternberg, « Adelsstolz und Republik : Die gens Claudia », p. 290-299 et 749-750.
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Mais on voit bien l’intérêt de la datation traditionnelle avec la suite de la vie d’Appius, qui après avoir été admis parmi les patriciens en même temps que parmi la population de Rome, devint consul peu après : Ap. Claudius deinde et P. Seruilius consules facti. Insignis hic annus est nuntio Tarquini mortis. Mortuus Cumis, quo se post fractas opes Latinorum ad Aristodemum tyrannum contulerat13.
C’est en 495 avant J.-C. qu’Appius est élu consul : la même année Tarquin le Superbe meurt à Cumes où il s’était réfugié auprès du tyran Aristodème. On n’a pas assez souligné, pensons-nous, l’importance de cette « coïncidence » : de la même manière que les Romains se plaisaient à faire coïncider la mort d’un poète avec la naissance d’un autre considéré comme son successeur, ainsi Térence censé naître l’année au cours de laquelle Plaute mourut14, de même symboliquement Appius arrive au pouvoir le plus élevé quand le dernier roi de Rome s’éteint. Il y a, selon nous, une sorte de passage de témoin d’autant plus marquante qu’Appius est censé être arrivé à Rome quelques années après la fuite de Tarquin. Or il prend sa succession, en somme, pour ce qui est du caractère et de sa conception tyrannique du pouvoir. Tite-Live indique d’ailleurs tout de suite que la joie commune des plébéiens et des patriciens fait place à l’opposition entre ceux qui dominent et ceux qui sont asservis15. Cette opposition est aggravée par l’attitude d’Appius qui veut mater par la force les plébéiens – nous sommes un an avant la sécession de la plèbe – alors que son collègue au consulat cherche à calmer la situation : Appius, uehementis ingenii uir, imperio consulari rem agendam censebat ; uno aut altero arrepto, quieturos alios : Seruilius, lenibus remediis
13 Liv. 2, 21, 5 : « Ensuite, Ap. Claudius et P. Servilius devinrent consuls. Cette année fut rendue fameuse par l’annonce de la mort de Tarquin. Il mourut à Cumes, où après l’échec des forces des Latins il s’était réfugié auprès du tyran Aristodème. » Voir la note de Ogilvie, A Commentary on Livy, p. 291 sur Aristodemus, tyran de Cumes, qui recueillit Tarquin dans l’espoir de garder Rome dans des liens commerciaux maritimes. 14 De même, dit-on, Virgile prit la toge virile l’année de la mort de Lucrèce en 54 avant J.-C. 15 Cf. Liv. 2, 21 : Eo nuntio erecti patres, erecta plebes ; sed patribus nimis luxuriosa ea fuit laetitia ; plebi, cui ad eam diem summa ope inseruitum erat, iniuriae a primoribus fieri coepere.
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aptior, concitatos animos flecti quam frangi putabat cum tutius tum facilius esse16.
La uehementia n’apparaît pas ici dans son sens positif de « force », mais bien en tant que défaut : Appius est de caractère emporté, il ne sait pas se maîtriser ce qui correspond au cliché du tyran. Comme il ne peut imposer ses vues, il se venge en quelque sorte en l’absence de son collègue par sa manière de rendre le droit à propos des dettes : Fusis Auruncis, uictor tot intra paucos dies bellis Romanus promissa consulis fidemque senatus exspectabat, cum Appius et insita superbia animo et ut collegae uanam faceret fidem, quam asperrime poterat ius de creditis pecuniis dicere17.
C’est la première fois que le substantif superbia apparaît pour décrire un Claudius, faisant d’Appius l’égal d’un Tarquin : on relèvera qu’une fois de plus la construction – avec l’adjectif insita – souligne le côté inné de son orgueil après l’emploi de l’expression uehementis ingenii uir. De fait, Appius était seul à Rome à ce moment, puisque Servilius était parti combattre les Volsques, puis les Aurunques. On voit, à ce propos, un autre défaut apparaître : le refus de respecter la parole donnée. En effet, pour convaincre les plébéiens de s’enrôler dans l’armée, Servilius avait pris des engagements à propos des nexi. Or ceux-ci furent rendus à leurs créanciers dès la fin des opérations militaires et d’autres furent arrêtés sur ordre d’Appius. Le problème des dettes pourrit la fin du consulat, Appius n’hésitant pas à faire arrêter un des meneurs de la plèbe par ses licteurs, qu’il ne libéra que sous la pression de ses pairs. Après son consulat, Appius se montre toujours partisan de la manière forte lors des débats au Sénat. Il plaide, devant l’agitation de la plèbe, pour la nomination d’un dictateur et l’on imagine qu’il se voyait bien se charger de cette magistrature, que de fait les patriciens 16 Liv. 2, 23 : « Appius, homme de caractère emporté, était d’avis qu’il fallait gérer la situation avec le pouvoir consulaire ; une fois l’un ou l’autre aux arrêts, les autres se tiendraient tranquilles. Servilius, qui était plutôt porté à des solutions douces, pensait qu’il était à la fois plus sûr et plus aisé de fléchir des esprits agités que de les briser. » Voir Ogilvie, A Commentary, p. 293-300, en particulier pour la mise au point sur la question des Nexi. 17 Liv. 2, 27 : « Une fois les Aurunques vaincus, les Romains qui avaient été vainqueurs dans ces guerres en si peu de jours comptaient sur les promesses du consul et la loyauté du Sénat, quand Appius du fait de l’orgueil bien ancré dans son esprit et par désir de rendre vaine la parole donnée de son collègue, rendit le droit sur les dettes de la manière la plus féroce possible. »
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qui en avaient fait leur champion lui auraient bien confiée. La description que Tite-Live fait de lui, et natura immitis et efferatus hinc plebis odio, souligne que sa violence naturelle est exacerbée par la haine que lui voue désormais la plèbe. Cette violence apparaît dans ses propos : ‘Agedum’ inquit, ‘dictatorem, a quo prouocatio non est, creemus ; iam hic quo nunc omnia ardent conticescet furor. Pulset tum mihi lictorem qui sciet ius de tergo uitaque sua penes unum illum esse cuius maiestatem uiolarit’18.
La dictature est une magistrature normalement réservée aux temps de guerre et de déroutes face à un ennemi extérieur : Appius fait donc la guerre à ses propres concitoyens. Bien plus, il s’agit de faire sentir aux plébéiens dans leur chair – tergum – qui commande, ce qui se rapproche de la cruauté. Et de fait son discours est jugé excessif : horrida et atrox sententia19. Il obtint néanmoins gain de cause puisque l’on nomma un dictateur ; mais par un de ces jeux d’équilibre plus fréquents qu’on ne croirait à Rome, les sénateurs décidèrent de compenser cela en choisissant comme dictateur Valerius, un homme réputé pour sa douceur. L’opposition entre Valerius et Appius mise en valeur par l’historien par la description de la réaction de la plèbe20 – nihil ex ea familia triste nec superbum timebat – est d’autant plus intéressante que l’on attribue le plus souvent à Valerius Antias la mise au point de cette véritable légende noire des Claudii du début de la République21. Une légende noire, disons-nous : oui, dans la mesure où la figure du consul de 495 est en quelque sorte dédoublée par celle de son fils, le consul de 471, élu par les patriciens sur son nom et dans le souvenir ému des « prouesses » d’Appius contre la plèbe. Ce personnage, que plusieurs identifient avec le décemvir de 451, est un clone – pour ainsi dire – de son père, ce qui permet de répéter les accusations désormais traditionnelles contre les Claudii – familia 18 Liv. 2, 29 : « Allons, dit-il, nommons un dictateur, qui n’est pas soumis à l’appel ; désormais cette rage qui embrase tout en ce moment se calmera. Et qu’il bouscule alors un licteur celui qui saura que le droit dont relève son dos et sa vie est entre les mains de l’homme dont il aura transgressé l’autorité. » 19 Liv. 2, 30. 20 Ibidem. 21 Voir T. P. Wiseman, Clio’s Cosmetics, Leicester, 1979, qui défend l’attribution à Valerius Antias, néanmoins avec une datation beaucoup plus tardive que celle généralement admise. Nous remercions ici vivement D. Briquel pour cette référence et son aide dans l’achèvement de ce travail.
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superbissima ac crudelissima in plebem Romanam22 – mais aussi d’introduire une uariatio avec son passage à l’armée. On notera cependant l’accent mis sur la cruauté et les supplices : Appius fils est traité de carnifex, bourreau, lors de l’exercice de ses fonctions à Rome. Puis on retrouve cette idée lorsqu’il est nommé général : Eadem in militia saeuitia Appi quae domi esse, liberior quod sine tribuniciis uinculis erat23.
La cruauté d’Appius est renforcée par son ressentiment et sa colère : Haec ira indignatioque ferocem animum ad uexandum saeuo imperio exercitum stimulabat. Toute la narration de son échec à l’armée est marquée par le champ lexical de la férocité24 : contumaciter, acerbitas, ferox Appi animus, saeuire, saeuitia… Et il se venge des soldats en leur infligeant les supplices certes traditionnels mais rarement employés : les verges et la décapitation, la décimation… Bref, il se comporte en dominus, en tyran. Appius Claudius Pulcher Voilà pour le début de la République et le premier membre de la gens Claudia. Sautons à présent par-dessus les siècles pour arriver à la fin de la République : on trouve alors un descendant lointain d’Attius Clausus, Appius Claudius Pulcher25, qui effectua lui aussi une belle carrière et fut lui aussi un parfait représentant des défauts des Optimates. Ce personnage a acquis l’immortalité grâce à des lettres de Cicéron écrites lors de son proconsulat en Cilicie, où Appius avait été gouverneur juste auparavant, mais il convient sans doute de commencer par un rappel biographique. 22 Liv. 2, 56 : voir Ogilvie, A Commentary p. 376 qui identifie le consul de 471
au decemvir de 451. 23 Liv. 2, 58 : « Appius fit preuve à l’armée de la même férocité qu’à Rome, étant plus libre du fait qu’il n’avait pas les chaînes du tribunat. » 24 Liv. 2, 59-60. Le portrait d’Appius lors de son procès juste après est du même type, cf. Liv. 2, 61 : consueta asperitas orationis, eadem contumacia in uoltu… 25 RE, 297. Ce personnage a été étudié par A. Constans, Un correspondant de Cicéron : Appius Claudius Pulcher, Paris, 1921. Il a fait l’objet de deux mises au point plus récentes : voir la notice de J. M. David, Le patronat judiciaire au dernier siècle de la République romaine, Rome, 1992, p. 825-826 et celle de E. Deniaux, Clientèles et pouvoir à l’époque de Cicéron, Rome, 1993, p. 396-397. On trouve dans R. Syme, La Révolution romaine, traduction française, Paris, 1967, quelques notations acidulées sur Appius : voir p. 46 sqq.
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Né en 97 de l’union d’Appius Claudius Pulcher, consul en 79, et de Caecilia Metella fille du Balearicus, il avait trois sœurs et deux frères : les trois Claudia dont celle qui préféra écrire son nom Clodia, Caïus préteur en 56 et le cadet Publius, qui est plus connu comme le tribun de la plèbe de 58 Clodius. Cette branche de la gens Claudia étant désargentée26, les trois filles furent mariées avec des hommes susceptibles d’aider la carrière de leurs beaux-frères : Lucullus, Marcius Rex (consul en 68) et Q. Metellus Celer (consul en 60). Appius commença donc comme tribun militaire en Asie sous le commandement de Lucullus27 en 72-70 avant J.-C., puis il devint membre du collège des augures28 en 63, avant d’exercer la préture en 57. Cette charge fut suivie par un an en Sardaigne comme propréteur29. En 56 on le retrouve à Lucques assistant à la reconduction du premier « triumvirat ». Les années suivantes furent sans doute les plus brillantes : Appius Claudius Pulcher fut consul en 54, puis proconsul en Cilicie, prouincia ornata selon les termes de Cicéron30, ce qui lui permit manifestement de s’enrichir au passage. En 50 il exerça la charge de censeur, avec Pison le consul de 58, et se montra assez intraitable : non seulement il en profita pour exclure du Sénat Salluste, mais il prit très au sérieux son rôle dans la limitation du luxe à Rome avec semble-t-il un projet de loi sur les statues. Il est vrai qu’il y avait une réputation familiale à soutenir… Cette série de succès ne s’expliquerait certainement pas sans ses alliances31. Ayant épousé une Servilia, il avait marié une de ses filles à Cnaeus, l’aîné de Pompée, et l’autre à Brutus : c’est d’ailleurs probablement Pompée qui lui fit obtenir la censure. Il était donc au cœur du parti des Optimates hostile à César, comme R. Syme l’a fort justement fait remarquer32. Au moment où la guerre civile éclate, il prit le parti de Pompée qu’il suivit en Grèce avec la charge de proconsul33 : il disparaît avant la bataille de Pharsale sans atteindre sa cinquantième année. 26 Cf. Varron, RR 3, 16, 1 sqq. : une des filles fut mariée sans dot à Lucullus. 27 Cf. Plutarque, Lucullus 19, 21 et 23. 28 Voir MRR 2, 171. 29 Cf. Plutarque, César 21. 30 Cf. Cicéron, Fam. 15, 4, 13. 31 Voir R. Syme, The Augustan Aristocracy, Oxford, 1986, pour l’arbre généa-
logique : VII. 32 Voir R. Syme, La Révolution romaine, p. 53. 33 Cf. Cicéron, Phil. 13, 29.
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Curieusement, il n’y a aucune mention de lui dans le Bellum ciuile : il est vrai qu’il mourut avant août 48, mais il est probable que César chercha aussi à ménager en lui le frère de Clodius, d’autant qu’Appius avait soutenu la politique de son frère34 lors de sa préture en 57 en particulier, et plus largement durant toutes les années 50. De ce fait, c’est la correspondance de Cicéron35 qui offre le plus de renseignements sur le caractère d’Appius et sa façon d’exercer le pouvoir. Comme ce sont des lettres écrites au moment où les événements eurent lieu, mais également des documents qui circulaient, les choses y sont présentées de façon beaucoup plus complexe que dans le récit livien des premières années de la République. Les termes superbia et crudelitas ne sont quasiment jamais employés, mais Appius apparaît néanmoins comme un digne descendant d’Attus Clausus. Si l’on suit la chronologie, Appius entre en scène dès 57 lorsqu’il appuie son frère contre Cicéron en tant que préteur : Cicéron lui reproche surtout de la temeritas, le fait de parler inconsidérément. Les lettres de l’année 54 laissent une image peu flatteuse du personnage dans l’exercice du consulat : goût de l’intrigue, cupidité, voilà ce qui ressort… Appius est craint surtout parce que protégé des « triumvirs », et en particulier de Pompée, comme le signale assez clairement Cicéron36. Lorsqu’il acheva son mandat, il était un homme très décrié avec son collègue Domitius à cause d’une affaire de corruption impliquant les candidats au consulat. Cela ne l’empêcha pas d’obtenir la province qu’il souhaitait – la Cilicie37 –, une province riche qu’il s’appliqua à laisser pauvre… Cela rejoint les précédentes accusations de cupidité déjà formulées à propos de son consulat : Cicéron évoque différents moyens de soutirer de l’argent à ses administrés – tributa acerbissima, grauissimae usurae et autre falsum aes alienum38 – mais en prenant toujours garde de ne jamais les attribuer nommément et directement à Appius dans ses
34 Il avait en particulier marqué son opposition au retour de Cicéron : en 57 il avait aidé son frère à créer l’agitation dans les rues, cf. Att. 4, 2, 3. Mais déjà en 59 les deux frères forment un tandem (cf. Att. 2, 22, 2) qui n’avait rien à envier à la paire des frères Cicéron. En 58, Cicéron s’inquiète à l’idée qu’Appius puisse être chargé de l’enquête dans le cadre d’un procès intenté à Quintus, cf. Att. 3, 17, 1. 35 Sur les lettres de Cicéron à Appius, voir R. Schuricht, Cicero an Appius (Cic. Fam. III). Umgangsformen in einer politischen Freundschaft, Trèves, 1994. 36 Cf. Q. Fr. 2, 10, 2. 37 Cf. Att. 4, 18, 4 et Fam. 1, 9, 25. 38 Cf. Fam. 15, 4, 2.
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lettres39. Il utilise ainsi l’expression suivante : acerbitas atque iniuriae imperii nostri40. L’on dira qu’il n’était pas besoin d’être un Claudius pour se comporter en gouverneur de province cupide et désagréable : certes… En fait, le champ lexical utilisé renvoie beaucoup plus aux effets de l’orgueil et de la cupidité qu’à l’orgueil lui-même : iniuria, contumelia, iniquitas… Mais le terme iniuria apparaît également à propos des relations entre Cicéron et Appius, lorsque celui-ci se montre odieux avant son départ de la province41 : Cicéron ne parle surtout pas de superbia, il utilise la litote non belle. C’est un peu plus tard, alors que les relations se sont encore envenimées davantage, qu’il joue sur les mots et avec la tradition claudienne : Scilicet contempsi te, nec potest fieri me quicquam superbius42 ! Cicéron répond de manière très ironique aux reproches d’Appius, comme cela peut se noter dès le début avec scilicet : l’allusion à la superbia des Claudii, placée à la chute, est mordante. Cette lettre marque l’acmé de la querelle entre les deux hommes : elle commence avec querela iniquissima pour décrire le comportement d’Appius et contient une critique de la noblesse qui renvoie Appius à ses glorieux ancêtres. Il faut enfin se tourner vers un autre acteur de la vie politique à Rome pour voir se confirmer ce portrait d’Appius : le jeune Caelius43, édile curule en 50, eut maille à partir avec lui et s’en plaignit vivement, en particulier dans une lettre44 de septembre 50. On relèvera que lui non plus ne parle pas de superbia : il évoque d’une part la cupidité d’Appius, d’autre part il parle d’injustices, iniuriae, en décrivant son adversaire comme incapable de se maîtriser. Néanmoins, l’adjectif insolens, employé pour Appius et Domitius, ex-collègue d’Appius au consulat et tout aussi hostile aux Césariens, fait partie du champ lexical de l’orgueil. Au total, il y a un faisceau d’indices qui convergent tous dans la même direction – le mauvais caractère des Appii Claudii – mais 39 Cela est valable surtout au début de son proconsulat et dans des lettres ad Familiares ; en revanche, un peu plus tard, et sans doute du fait de l’exaspération croissante devant l’attitude d’Appius Cicéron se montre beaucoup plus direct en écrivant à Atticus, cf. Att. 6, 1, 2. 40 Fam. 15, 1, 5. 41 Att. 5, 17, 6. 42 Fam. 3, 7, 4. 43 Sur M. Caelius Rufus, voir M. H. Dettenhofer, Perdita Iuventus. Zwischen den Generationen von Caesar und Augustus, Munich, 1992 et P. Cordier, « Marcus Caelius Rufus : le préteur récalcitrant », MEFRA, 106, 1994, p. 533-577. 44 Cf. Fam. 8, 12.
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aucune charge directe, à l’exception de la pique envoyée par Cicéron au moment où, sans doute, son exaspération est à son comble devant l’attitude de son collègue en Cilicie. Ce que l’on constate avec Appius Claudius Pulcher, c’est que le cliché de la superbia était connu, et bien présent dans les pensées de tous, mais qu’il valait mieux éviter de le mentionner, semble-t-il. Ce que l’on voit aussi avec le tandem qu’il forma plusieurs années durant avec Domitius Ahenobarbus, le vaincu de Corfinium, c’est que l’orgueil n’était pas le défaut des seuls Claudii45 : Domitius apparaît comme tout aussi insupportable, ce que confirme sans ménagement l’historien Suétone au début de la Vie de Néron. Il parle alors d’adrogantia plutôt que de superbia : les Domitii sont décrits comme pénibles, et le consul de 54 est dit ingenio truci46. Néanmoins, c’est sans commune mesure avec la légende noire des Claudii, et cela ne peut que renforcer l’idée d’un traitement particulier, peut-être dû à des traditions hostiles, venues des premiers siècles de la République. Ces hommes, tous réunis dans le même camp, créaient comme une sorte de halo autour de leur parti qui fut soigneusement utilisé par la propagande césarienne : Appius n’est jamais évoqué, Domitius est rarement nommé sauf au moment de Corfinium et du siège de Marseille47, mais l’ensemble des Pompéiens se vit accoler une réputation d’orgueil et de cruauté. Les césariens dénoncent la crudelitas de leurs adversaires, qui se manifeste par le massacre de soldats en Espagne et plus tard en Grèce48 ; Caelius évoque l’insolentia et la iactantia de certains Optimates49. Même Cicéron de retour de Grèce évoque lourdement la crudelitas des Pompéiens50. C’est ainsi qu’une tradition familiale finit par être recyclée dans la propagande de la guerre civile. Tiberius Claudius Nero Après la guerre civile, arrive Tibère, ou plutôt Tiberius Claudius Nero… Que ce soit dans la biographie que lui consacre Suétone ou dans le 45 Cf. Salluste, J. 5, 1 : nobilitatis superbia et 64, 1 : superbia, commune nobilitatis malum (pour Metellus, cf. 82, 3). 46 Cf. Suétone, Néron 2, 4. 47 César, BC 1, 15-23 (Corfinium) et 1, 34 et 36 (puis 1, 56-58 et 2, 22). 48 BC 1, 76 et 85. 49 Cf. Fam. 8, 16, 4 : dans la mesure où Appius Claudius était sa bête noire, on peut imaginer que Caelius pensait ici à lui. 50 Cf. Att. 11, 6, 2 : tanta crudelitas… crudelissime…
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récit tacitéen de son règne, les origines familiales de Tibère sont largement soulignées : Ex hac stirpe Tiberius Caesar genus trahit et quidem utrum : paternum a Tiberio Nerone, maternum ab Appio Pulchro qui ambo Appi Caeci filii fuerunt51.
Le père de Tibère était Tiberius Claudius Nero52, qui atteint la questure en 48 : césarien convaincu, il fut en charge de la flotte de César à Alexandrie, peut-être avec le rang de proquesteur, avant d’être préteur en 42. S’étant rallié à Marc Antoine après les Ides de mars, il fut engagé dans la Guerre de Pérouse contre Octave et dut s’enfuir, avant de pouvoir revenir après le traité de Brindes. Octave tomba amoureux de son épouse Livie qu’il épousa rapidement : celle-ci avait pour père un Appius Claudius Pulcher qui fut adopté au sein de la gens Livia par Marcus Livius Drusus, fils du tribun de la plèbe. Tacite lui aussi rappelle cette généalogie53 : Pater ei Nero et utrimque origo gentis Claudiae… Cependant, une différence notable entre les deux historiens est que Suétone choisit d’insister très longuement sur les « exploits » de la gens Claudia au début de sa biographie comme pour mettre en condition ses lecteurs54, de façon à ce qu’ils aient déjà un préjugé négatif et n’attendent rien de bon de Tibère. Tacite ne cesse en revanche d’insérer dans la trame de son récit des allusions répétées aux Claudii, depuis le début du livre I – uetere atque insita Claudiae familiae superbia55 – jusqu’à la fin du livre VI lorsqu’après la description des derniers instants de l’empereur l’historien propose une laudatio funebris qui n’a pour le coup rien d’élogieux56. Ainsi la généalogie de Tibère est rappelée lors de la description des funérailles de Drusus, son fils, où l’on voit selon la coutume promener les portraits des ancêtres : Attus Clausus ceteraeque Claudiorum effigies57. De même le livre V 51 Suétone, Tib. 3, 1 : « C’est de cette souche que Tibère tirait son origine et même à double titre : du côté de son père il descendait de Tiberius Nero, du côté de sa mère d’Appius Pulcher qui tous deux étaient fils d’Appius Caecus. » 52 RE, 254. 53 Tacite, Ann. 6, 51, 1. 54 Et de fait, le portrait de Tibère suit la même logique : aux quelques lignes consacrées aux Claudii dignes d’éloge correspond la première partie de sa biographie qui semble assez positive, tandis que la seconde partie fait de lui un héritier tout à fait représentatif des défauts de sa gens. 55 Ann. 1, 4, 3. 56 Ann. 6, 51, 1-3. 57 Ann. 4, 9, 2.
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s’ouvre sur la mort de Livie, belle occasion de rappeler les liens avec la gens Claudia : Iulia Augusta mortem obiit, aetate extrema, nobilitatis per Claudiam familiam et adoptione Liuiorum Iuliorumque clarissimae58.
Une dernière référence se trouve dans le discours au Sénat du chevalier M. Terentius ami de Séjan : il décrit celui-ci comme pars Claudiae et Iuliae domus du fait de son deuxième mariage avec une parente de Tibère59. Ce motif répété sert à créer une sorte de halo autour de Tibère qui se retrouve taxé de cruauté, d’orgueil et d’arrogance par nature. Suétone remonte ainsi à son enfance : saeua ac lenta natura ne in puero quidem latuit60. Puis il multiplie les anecdotes pour mettre en lumière les défauts de Tibère lors de ses jeunes années sous Auguste qui aurait remarqué son caractère difficile – morum eius diritas61 – et son arrogance62. Enfin, il présente la cruauté de Tibère en pente ascendante : une étape aurait été les intrigues de la cour – et surtout de Séjan – aux dépens de la famille de Germanicus63, puis la révélation des circonstances criminelles de la mort de Drusus64 aurait constitué une autre étape. Le biographe met donc en scène les défauts de Tibère sous la forme d’un développement organique, comme s’il s’agissait d’un végétal : de graine cela devient une jeune pousse puis une plante qui prend tout l’espace. La présentation de Tacite est marquée, elle aussi, par cette idée d’une montée en puissance des défauts de Tibère. Mais l’historien est beaucoup plus systématique dans sa volonté d’envelopper Tibère d’un halo « claudien » afin de déconsidérer même ses actions les plus modérées : on retiendra d’ailleurs la très belle antithèse adrogans moderatio65 décrivant Tibère face aux flagorneries des sénateurs au moment des funérailles d’Auguste. Tacite oppose la courtoisie de Germanicus aux manières déplaisantes de son oncle et père adoptif : 58 Ann. 5, 1, 1 : « Julia Augusta mourut, à un âge très avancé, elle qui était d’une noblesse très illustre du fait de sa famille, les Claudii, et de son adoption par les Livii et les Julii. » 59 Ann. 6, 8, 3. 60 Suétone, Tib. 57, 1 : « Même dans son enfance il ne put dissimuler son caractère cruel et lent. » 61 Ibidem 21, 4. Cf. ibidem 51, 3 : acerbitas et intolerantia morum eius. 62 Ibidem 68, 4 : arrogantia. 63 Suétone, Tib. 52, 7 et 61, 1. 64 Ibidem 62, 1. 65 Tacite, Ann. 1, 8, 5.
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Nam iuveni ciuile ingenium, mira comitas et diuersa a Tiberii sermone, uultu, adrogantibus et obscuris66.
L’arrogance de Tibère est liée à son orgueil67, sa superbia : Tacite souligne qu’il répond avec hauteur, superbius, à la demande d’aide d’Hortalus tombé dans la pauvreté68. Et l’historien se fait un malin plaisir de donner de l’écho à des vers anonymes reprochant au Prince son orgueil69. Ailleurs, Tacite évoque les oreilles orgueilleuses de Tibère en soulignant le danger qui en résulte pour ceux qui le vexeraient : apud aures superbas et offensioni proniores70. Et plus Tibère s’efforce de se montrer modéré et respectueux des lois, en mettant en avant sa moderatio et sa modestia71, plus Tacite s’efforce de détruire cette image : un premier exemple se trouve au début des Annales quand Tibère se présente au Sénat de façon très modeste. Juste auparavant Tacite a insinué qu’Auguste aurait été conscient des défauts de son successeur72, adrogantia saeuitiaque. Le second exemple est particulièrement frappant, qui se rapporte aux débats au Sénat après des émeutes dues à la cherté du blé : Silentium ipsius non ciuile, ut crediderat, sed in superbiam accipiebatur73. Tibère qui assiste aux débats ne dit rien pour laisser les sénateurs libres de leurs décisions, mais Tacite qui considère la présence du Prince au Sénat comme la fin de la liberté présente son silence comme une marque d’orgueil. Le passif a une valeur impersonnelle et générale, comme si la désapprobation était partagée de tous les présents : en réalité, c’est surtout Tacite qui se cache derrière. Le troisième défaut typique des membres de la gens Claudia qui est reproché à Tibère est la cruauté. Il est à noter que Tacite n’emploie 66 Ann. 1, 33, 2. Sur Germanicus et Tibère, voir A. Caballos Rufino, W. Eck, F. Fernandez, Das Senatus Consultum de Cn. Pisone Patre, Munich, 1996. 67 Par élargissement aux autres Claudii, les mêmes défauts sont reprochés au jeune Drusus, fils de Tibère cf. Ann. 3, 59, 2 : Recitatae et Drusi epistulae, quamquam ad modestiam flexae, pro superbissimis accipiuntur. On retrouve plus loin le terme adrogantia (Ann. 3, 59, 4) pour critiquer le jeune homme. 68 Ann. 2, 37, 1. 69 Ann. 1, 72, 4. 70 Ann. 4, 29, 3. 71 Nous nous permettons de renvoyer ici le lecteur à notre étude Du bon usage de la douceur en politique dans l’œuvre de Tacite, Paris, 2011, p. 264-290 : nous avons essayé de montrer en particulier que la modestia de Tibère renvoyait à une image de Prince républicain respectueux des lois. 72 Ann. 1, 10, 1. 73 Ann. 6, 13, 2 : « Son silence n’était pas perçu comme venant d’un concitoyen, comme il le croyait, mais comme de l’orgueil. »
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pas le terme crudelitas, que l’on trouve chez Suétone en revanche74, mais préfère saeuitia75, sans doute parce que ce mot renvoie au comportement d’une bête sauvage. Les deux historiens reprochent à Tibère sa cruauté lors des procès76 et surtout contre la famille de Germanicus77. Et les deux achèvent leur récit du règne de ce Prince par la description d’un pic de cruauté : chez Tacite c’est la répression de la conjuration de Séjan78, tandis que Suétone évoque les prisonniers envoyés au supplice le jour même de la mort de Tibère79. C’est la cruauté, plus encore que l’orgueil80, qui permet de transformer Tibère en tyran. Suétone achève son récit du dernier jour de Tibère en décrivant le supplice des derniers condamnés : Creuit igitur inuidia, quasi etiam post mortem tyranni inuidia permanente81. L’enfant aux mauvaises dispositions est devenu Prince et son règne s’achève en tyrannie : c’est la note finale qui résume toute sa vie et laisse au lecteur l’impression d’un monstre alors même que la première partie de la biographie était beaucoup plus équilibrée. Tacite choisit de faire référence à la philosophie et plus précisément à la description du tyran selon Platon : son âme est déchirée par la cruauté82. Les plaintes de Tibère dans une lettre adressée au Sénat sont présentées par l’historien comme un aveu de ses propres faiblesses : les tourments qui le torturent sont ceux du tyran en proie à ses vices. Longue est la liste des membres de la gens Claudia : il serait facile de multiplier les exemples en ayant ainsi l’occasion de voir d’autres défauts des élites dirigeantes de Rome. Ainsi le decemvir fit preuve d’une libido tyrannique vis-à-vis de Virginie83, Claudius le consul de 249 av. J.-C. fit preuve d’impiété en jetant les poulets sacrés à l’eau84 ; 74 Cf. Suétone, Tib. 61, 1 et 75, 1. 75 Cf. Tacite, Ann. 1, 10, 7 ; 1, 72, 4 ; 6, 19, 3. 76 Cf. Suétone, Tib. 58, 1 : atrocissime, renforcé par l’expression saeue et atrociter
factitauit (ibidem 59, 1). 77 Cf. Tacite, Ann. 6, 23, 2 et Suétone Tib. 61, 1. 78 Ann. 6, 19, 3. 79 Suétone, Tib. 75, 1-4. 80 L’orgueil et l’arrogance sont liés à la tyrannie quand il s’agit d’Agrippine : selon ses détracteurs, Séjan en tête, son arrogance – contumacia, adrogantia – et sa superbia révèlent sa volonté de dominer (cf. Ann. 4, 12, 3). Cf. Ann. 5, 3, 2. 81 Suétone, Tib. 75, 4 : « La haine crût donc, devenant pour ainsi dire même après la mort du tyran une haine permanente. » 82 Tacite, Ann. 6, 6, 2. 83 Cf. Liv. 3, 44, 4 : Hanc uirginem adultam forma excellentem Appius amore amens pretio ac spe perlicere adortus, postquam omnia pudore saepta animaduerterat, ad crudelem superbamque uim animum conuertit. 84 Cf. Cicéron, Nat. 2, 7 ; Suétone, Tib. 6.
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ainsi sa sœur Claudia85 se montra insultante pour ses concitoyens en souhaitant une seconde défaite navale qui permettrait de circuler plus aisément dans la Ville. Manque de respect envers les dieux, manque de respect envers les hommes : on est bien dans le registre de la superbia ou de l’hybris si l’on préfère son équivalent grec. Néanmoins les trois personnages étudiés ici – le fondateur de la dynastie, son lointain descendant consul en 54 et Tibère – permettent de dégager des permanences d’abord chez ces roitelets : l’orgueil, la superbia, associé souvent à la cruauté, est un défaut habituel des grandes familles de Rome, les Claudii en étant l’exemple le plus frappant selon la tradition mais non le seul86. Cette attitude blessante envers leurs concitoyens fait d’eux des héritiers spirituels du dernier roi de Rome, Tarquin le Superbe87, dans le cadre des institutions républicaines qu’ils acceptent – en général – tout en durcissant les antagonismes d’une manière telle que la stabilité politique ne pourrait durer si d’autres n’intervenaient pas. On pourrait se demander pourquoi on constate une telle présentation négative des Claudii : il est probable que, comme l’a bien montré M. Humm88, il y a eu accumulation de traditions négatives inspirées par des familles adverses comme les Valerii. Il y a donc une tradition qui remonte aux premiers siècles de la République. Mais cette légende noire de la gens Claudia a sans doute été réactivée, en quelque sorte, par les historiens de l’Empire, du fait du hold-up sur le pouvoir suprême qui s’effectua avec le choix de Tibère comme héritier par Auguste. Les Claudii, héritiers des pires défauts de la monarchie avec la superbia, devinrent les successeurs de Tarquin à la tête de l’État en pérennisant la révolution augustéenne : c’est parce qu’il apparaît comme le véritable fossoyeur de la République que Tibère fut à ce point haï des historiens romains nostalgiques de ce régime. Les Claudii sont ainsi le maillon central de la chaîne qui va d’un régime monarchique à un autre : ils furent les rois symboliques de la période républicaine jusqu’au moment où l’un des leurs, un peu par défaut il est vrai, devint Prince. Tous les historiens de Rome connaissaient cet ensemble de traditions hostiles aux Claudii et s’en servirent : 85 Periochae 19. 86 On a cité plus haut les Domitii, mais on pourrait également songer aux
Calpurnii – plus connus pour leur amour des lettres que pour leur mauvais caractère – dont une branche hérita cependant du cognomen Bestia, sans parler de l’irascible Cn. Pison ennemi de Germanicus. 87 Cf. Liv. 3, 39, 3 : les decemvirs sont appelés les dix Tarquins. 88 Voir M. Humm, Appius Claudius Caecus.
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Tite-Live insista peut-être particulièrement dessus en voyant Livie devenue épouse d’Auguste avec deux garçons en âge de lui succéder. Même s’il a écrit ses premiers livres avant la désignation de Tibère comme héritier, la réputation des grandes dames de la noblesse romaine pour ce qui était de servir les intérêts de leur famille et de leurs enfants en premier était bien établie. César a puisé à ce fond commun avant lui pour discréditer les Optimates, même s’il a évité de viser Appius nommément. Et Tacite à son tour, comme Suétone un peu plus tard, joua de cette légende noire pour encore davantage déprécier l’action de Tibère. Le détour effectué par la correspondance de Cicéron ne fait que mieux mettre en lumière les choix de ces différents historiens. Bibliographie Chassignet, M., « La ‘construction’ des aspirants à la tyrannie : Sp. Cassius, Sp. Maelius et Manlius Capitolinus », in M. Coudry, Th. Späth (éds.), L’invention des grands hommes de la Rome antique, Paris, 2001, p. 83-96. Cordier, P., « Marcus Caelius Rufus : le préteur récalcitrant », MEFRA, 106, 1994, p. 533-577. Constans, L. A., Un correspondant de Cicéron : Appius Claudius Pulcher, Paris, 1921. David, J. M., Le patronat judiciaire au dernier siècle de la République romaine, Rome, 1992. Deniaux, E., Clientèles et pouvoir à l’époque de Cicéron, Rome, 1993. Dettenhofer, M. H., Perdita Iuventus. Zwischen den Generationen von Caesar und Augustus, Munich, 1992. Caballos Rufino, A., Eck, W., Fernandez, F., Das Senatus Consultum de Cn. Pisone Patre, Munich, 1996. Hellegouarc’h, J., Le vocabulaire latin des relations et des partis politiques sous la République, Paris, 1972. Humm, M., Appius Claudius Caecus. La République accomplie, Rome, 2005. Martin, P. M., L’idée de royauté à Rome, Clermont-Ferrand, 2 vol., 1994. Murphy, J. M., « Hubris and superbia: differing Greek and Roman attitudes concerning ‘arrogant pride’ », AncW, 28, 1997, p. 73-81. Ogilvie, R. M., A Commentary on Livy. Books 1-5, Oxford, 1965. Schuricht, R., Cicero an Appius (Cic. Fam. III). Umgangsformen in einer politischen Freundschaft, Trèves, 1994.
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La loi agraire de Nerva entre la tradition littéraire et gromatique : d’un mythe à un paradigme de gestion Ella Hermon
On s’accorde à dire que la loi agraire de Nerva (96-98 ap. J.-C.), qui date des dernières années du Ier siècle de notre ère, met fin à la tradition des lois agraires républicaines votées par les comices. Le fait que cette loi a été votée par les comices près d’un siècle après la fin de la République n’est pas sans intriguer la recherche moderne. S’agit-il d’une rupture ou d’une continuité avec le concept républicain de l’ager publicus, inhérent aux lois agraires et revendiqué encore par la dynastie précédente des Flaviens au nom du dominium Populi Romani, bien que ce fût pour des raisons fiscales et par des opérations diverses, ou bien est-il question de l’amorce d’une propagande impériale pour la nouvelle dynastie des Antonins, dont Nerva est le fondateur ? Cette loi agraire, est-elle, étape préparatoire de l’élaboration de l’institution des Alimenta destinée à constituer sous Trajan un fond d’assistance pour les enfants pauvres d’Italie à partir de l’hypothèque des patrimoines ? En quoi la tradition littéraire et la tradition juridicotechnique des traités d’agrimensure des Gromatici1 sur les lois agraires se complètent-elles pour livrer une vision homogène de la loi agraire de Nerva comme instrument de propagande axé sur le symbolisme des 1 Dénommés ainsi selon leur instrument d’arpentage (la groma), les Gromatici sont les auteurs des traités d’agrimensure. Ces traités composés initialement à l’époque flavio-antonine, fruit d’une longue transmission des manuscrits, entre la fin du Ve siècle jusqu’au XIIIe siècle, sont conservés dans le Corpus agrimensorum Romanorum (CAR), avec d’autres documents − des fragments de lois, géométrie, listes partielles de colonies, en parties structurés dans des corpus homogènes. Ce corpus comprend des anonymes et des homonymes des Gromatici, des fragments difficilement séparables des gloses et des traités plus complets d’agrimensure qui sont identifiés et édités individuellement. Nous nous référons ici à ces traités d’agrimensure des Gromatici, identifiés en deux étapes : la génération flavioantonine, des parfaits inconnus. Leurs chronologies sont relatives : Hygin, le Gromatique, Frontin, Siculus Flaccus, Hygin et leurs principales compilations entre e e IV et VI siècle, dues à Agennius Urbicus et au Commentum anonyme de Frontin. Un deuxième document majeur du CAR est constitué par les Libri Coloniarum, la liste fragmentaire des colonies en Italie, fruit de la compilation des archives impériales, notamment au IVe siècle. 10.1484/M.RRR-EB.5.121322
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lois agraires républicaines et combiné avec l’amorce d’une nouvelle politique fiscale impériale ? S’agit-il, enfin, d’une coïncidence du fait que les Gracques − que le mythe littéraire présente comme ayant révolutionné la politique de Rome et de la réaffirmation du dominum populi Romani sur l’ager publicus italien −, ont fait l’objet des archives les plus anciennes enregistrées par les arpenteurs ? En réalité, il s’agit de deux facettes différentes pour exprimer une vision unitaire issue du monde intellectuel de la fin de la République et du siècle d’Auguste pour concevoir la destinée de la loi agraire comitiale depuis les temps des Primordia. Comment ces deux traditions parallèles convergent-elles pour décliner l’histoire de la colonisation et du partage de l’ager publicus en Italie durant la République ? Quels sont les traits communs qui émergent de la confrontation de ces deux visions différentes de la loi agraire ? Comment ces coordonnées sontelles présentes dans la représentation de la dernière de la série, la loi agraire du premier empereur antonin, Nerva, qui prétendait restituer la Libertas ? Quelle est la place respective du symbole et du pragmatisme dans cette loi agraire ? Pour trouver des éléments de réponse à ces interrogations, je tenterai en premier lieu de me livrer à une rapide confrontation entre la tradition littéraire et la littérature technicojuridique des Gromatici, porteuse du double caractère de la loi agraire républicaine, celle de mythe d’une part, mais qui, de l’autre, s’évalue en fonction des marqueurs du territoire. J’essayerai de montrer ensuite comment la littérature technico-juridique permet peut-être de mieux cerner la nature de la loi agraire de Nerva, qui se situe entre le mythe d’une politique sociale et le pragmatisme de la fiscalité impériale. Cet article est une réflexion sur des questions traitées par mes travaux relatifs à l’histoire de l’ager publicus et de la colonisation romaine durant la République et récemment intégrés dans mon ouvrage en voie de rédaction, La colonie romaine : espace, territoire, paysage durant la République romaine, qui se propose d’évaluer le poids de l’héritage républicain sur la représentation de la portée de la loi agraire de Nerva déjà brièvement envisagée dans l’article « Libertas restituta : de la politique agraire à la politique alimentaire de Nerva », publié dans Veleia Romana, Bologne, 2014. Le présent essai vise également à valoriser la portée historique des sources techniques et juridiques des traités d’agrimensure des Gromatici flavio-antonins, qui ont gardé la mémoire des lois agraires républicaines, ainsi que des listes de colonies (Libri coloniarum), les principales composantes du
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Corpus Agrimensorum Romanorum (CAR)2. Tout comme les fragments des Annalistes romains, dont les travaux d’édition et de traduction de Martine Chassignet ont facilité la recherche historique, ces textes sont à présent plus facilement accessibles à la recherche grâce à la parution récente de travaux d’édition et de traduction3 ainsi que de codicologie4. En dédiant cet essai à Martine Chassignet, savante et amie, je voudrais souligner l’importance du travail patient de la reconstitution des textes pour la reconstitution de l’histoire. Deux visions complémentaires du rôle de la loi agraire dans l’histoire républicaine La distribution des terres publiques par la loi agraire est une préoccupation centrale qui modèle l’histoire républicaine, mais la loi agraire revêt un double caractère en fonction de sa représentation dans la tradition littéraire d’une part, et dans la littérature technique administrative des Gromatici de l’autre : si la tradition littéraire présente la loi agraire comme un symbole de la souveraineté populaire 2 F. Blume, K. Lachmann & A. Rudorff, Gromatici veteres, Die Schriften der römischen Feldmesser, I : Text und Zeichnungen, Olms, Hildesheim, 1967 (1848) ; C. Thulin, Corpus Agrimensorum Romanorum. Opuscula agrimensorun ueterum, Stuttgart, Teubner, 1971 (1913), qui a édité les quatre traités fondamentaux des Gromatici veteres (Hygin le Gromatique, Frontin, Hygin et Siculus Flaccus). 3 Nous utilisons ici l’édition de B. Campbell, The Writings of the Roman Land Surveyors. Introduction, Text, Translation and Commentary, Londres, Society for the Promotion of Roman Studies, 2000 (= Ca) ainsi que les éditions françaises : Hygin, L’Œuvre gromatique, texte établi et traduit par O. Behrends, M. Clavel-Lévêque, D. Conso, A. Gonzales, J.-Y. Guillaumin & S. Ratti, Luxembourg, OPOCE, 2000 (= Besançon, 2000) ; Hygin, Siculus Flaccus, Les Arpenteurs romains II, texte établi et traduit par J.-Y. Guillaumin, Paris, Les Belles Lettres, 2010 ; Libri coloniarum, texte établi, traduit et annoté par C. Brunet, D. Conso, A. Gonzales, T. Guard, J.-Y. Guillaumin & C. Sensal, Besançon, Presses universitaires de Franche- Comté, 2008 (= Besançon, 2008). 4 Entre le Ve siècle et VIIIe siècle, deux familles de manuscrits ont assuré la transmission des principaux traités des Gromatici veteres : l’apparition des premiers manuscrits des écrits gromatiques de type Arcerianus B se situe à la fin du Ve siècle en milieu monacal, alors que les familles de manuscrits de type Arcerianus A et de type Palatinus s’y ajoutent jusqu’au VIIIe siècle. Un troisième groupe de manuscrits de type mixte se développe vers la fin du IXe siècle jusqu’au XIIIe siècle en zone rhénane et en France orientale. L. Toneatto, Codices artis mensoriae. I Manoscritti degli antichi opuscoli latini di agrimensura (V-XIX sec.), Spoleto, Centro italiano di studi sull’alto Medioevo, 1994-1995 ; S. Del Lungo, La Pratica agrimensoria nella tarda antichità e nell’alto Medioevo, Spoleto, Centro italiano di studi sull’alto Medioevo, 2004.
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et de ses mythes, ainsi qu’une expression de l’organisation des territoires conquis, la littérature gromatique décrit sous ce titre les pratiques de gestion des terres ; si la tradition littéraire bâtit à travers une narration dramatique l’émergence du mythe de la loi agraire depuis le conflit patricio-plébéien, tout en suivant son évolution jusqu’à la fin de la République, la littérature gromatique ne garde l’écho de cette époque mouvementée qu’à partir des Gracques dans les Libri coloniarum. Par ailleurs, les traités d’agrimensure attribuent à certaines catégories de terres la condition d’ager publicus en faisant ainsi l’objet des revendications des lois agraires, sans pourtant enregistrer explicitement les différents moments historiques ayant donné naissance aux lois agraires. De ce fait, il s’agit de dégager les éléments qui composent le mythe et ses retombées pragmatiques sur le terrain encore d’actualité à l’époque de Nerva. Tradition littéraire et création du mythe5 La littérature annalistique et le dominum populi Romani/ex iure Quiritium Durant le conflit patricio-plébéien, les agitations de la plèbe pour l’obtention de terres sont ponctuées par deux lois, plébiscites circonstanciels bénéficiant dans la narration de Tite-Live, qui les distingue des innombrables rogationes agraires. Malgré leur caractère ponctuel, 5 Pour ce paragraphe je renvoie à mes travaux : E. Hermon, Habiter et partager les terres avant les Gracques, Paris-Rome, 2001, ouvrage qui prend en compte mes publications antérieures sur le sujet, ainsi qu’à mes publications postérieures consacrées surtout aux Gromatici : ead., « Les Gromatici entre fictions et faits », dans M. Garrido-Hory (éd.), 2003, Histoire, espaces et marges de l'Antiquité. I. Mélanges M. Clavel-Lévêque, Besançon, 2003, p. 133-160 ; ead., « Le concept d’ager publicus et l’équivalence ager occupatorius/ager arcifinius chez les Gromatici, dans D. Conso, A Gonzales, J.-Y. Guillaumin (éds.) Le vocabulaire technique des arpenteurs romains. Besançon, 2005, p. 183-192 ; ead., « La Lex Cornelia agraria dans le Liber Coloniarum I », dans A. Gonzales, et J.-Y Guillaumin (éds), dans Autour des Libri Coloniarum. Colonisation et colonies, Besançon, 2006, p. 31-43 ; ead., « L’Édit de Domitien dans l’histoire de l’ager publicus chez les Gromatici Veteres », dans Studi per Giovanni Nicosia, IV, Milano, 2007, p. 255-274 ; ead., « Municipalisation et colonisation de Sylla a César dans les Libri Coloniarum», Ius Antiquum, 22, 2008, p. 58-75 ; ead., « Colonisation romaine et la construction des espaces ripariens en Italie », dans J. Pelgrom, T. Stek, Roman Colonization under The Republic: Towards A New Interpretative Framework, Rome, 2014, p. 193-210 ; ead., « Libertas restituta ; de la politique agraire à la politique alimentaire de Nerva », dans L. dall’aglio, C. Franceschelli, L. maganzani (éds), Veleia Romana, Bologne, 2014, p. 169-177, avec bibliographie afférente.
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ce statut est symptomatique des préoccupations liées à la distribution des terres conquises et soumises encore aux directives d’un traité fédéral aux alentours de la codification des XII Tables qui a établi le principe de base du droit romain – celui du dominium populi Romani. En l’occurrence, nous avons suggéré que la lex Icilia de Aventino publicando (456 av. J.-C.) puisse être mise en rapport avec la coutume agraire de potestate colendi comme principe d’éthique agraire pour la gestion des pratiques de l’occupation des terres et que la lex de agro Coriolano (446 av. J.-C.) ait le mérite d’évoquer la question du statut des terres conquises, en précisant les règles de l’occupatio. À l’époque des XII Tables se cristallise ainsi une autre forme du domimium, celle du dominium ex iure Quiritium comme prémisse de la définition du concept d’ager publicus. Bien que le concept de dominium ex iure Quiritium ne soit pas formellement défini à cette occasion, son substrat, envisagé dans un sens plus large de dominum populi Romani, est la base de la gestion des terres confrontée avec trois formes d’occupatio − gentilice, fédérale et une demande accrue de distributions viritanes des nouvelles conquêtes, l’ager publicus. Deux éléments essentiels du concept de loi agraire se mettent ainsi en place : sa nature de loi comitiale qui symbolise le consensus populaire pour des questions de principe et le cas de figure de l’ager publicus, comme l’objet des lois agraires. Caton l’ancien et le concept d’Italie comme espace d’application de la loi agraire Le concept d’Italie − la terra Italia − né dans la tradition littéraire après la guerre de Pyrrhus et adopté ainsi par Caton (Aulu Gelle, NA, 2, 6, 76) − gagne un statut officiel et localisable géographiquement aux fins du recensement de l’ager publicus prévu par la lex agraria de Tibérius Gracchus. Cette formule est inscrite dans la loi épigraphique de 111 av. J.-C.7 La question est de taille, car il s’agissait de distinguer 6 Aulu Gelle, Noctum Atticarum Commentarius, http;// remacle.org : M. Catonis uerba sunt ex oratione, quam De Achaeis scripsit: « Cumque Hannibal terram Italiam laceraret atque vexaret « M. Caton, dans son discours Sur les Achéens, s'exprime ainsi : ‘Lorsqu’Hannibal ravageait et désolait l’Italie’ ». 7 Voir en dernier les travaux de S. Sisani. L’ager publicus in età graccana (133111 A.C.). Una rilettura testuale, storica e giuridica, Rome, pour le contenu italien de cette loi ; et la synthèse récente de G. Chouquer, Les catégories du droit agraire et la fin du IIe siècle av. J.-C. (Sententia Minuciorum de 117 av. J.-C. et la Lex agraria de 111 av. J.-C.), livre électronique édité par L’observatoire des formes du foncier, Paris, décembre 2016.
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la terre italienne de celle ennemie à conquérir ou de celle des provinces. Le problème de l’inclusion dans le concept d’Italie de l’ager Gallicus et Picenus désigné comme sphère d’action par la lex Flaminia a été déjà posé dans l’évaluation de la tradition littéraire sur cette loi, notamment à propos du témoignage de Caton sur l’inclusion de ces deux régions comme territoire destiné à la colonisation viritane de la terra Italia8. La création du mythe de la loi agraire des Gracques jusqu’à la fin de la République La question de la souveraineté populaire éclate au grand jour avec les lois agraires des Gracques, qui deviennent aux yeux des hommes politiques, dont Cicéron, « la révolution gracchienne », le moteur des transformations de la République. De plus, les lois agraires de ces tribuns révolutionnaires, Tibérius et Caius Gracchus, définissent les enjeux des lois agraires, ainsi que l’espace de leur application (terra Italia), tout en laissant planer une ambiguïté fondamentale entre les distributions individuelles (viritanes) et la fondation des colonies. Ils construisent néanmoins le modèle des lois agraires à venir : le nombre et la qualité des colons, la grandeur des lots à distribuer, la nomination et la composition de la commission agraire chargée de l’application de la loi. Ce modèle devient canonique dans la reconstitution des autres lois agraires républicaines. Ce survol rapide de l’histoire de la loi agraire républicaine met en lumière comme éléments-clés : la souveraineté/légalité ; la définition du territoire comme espace d’application de la loi agraire ; son mythe pour exprimer la valeur idéologique du dominium populi Romani sur lequel reposent des mesures concrètes, liées à la distribution des terres conquises, ses composantes, à savoir la qualité des colons, la condition des terres et des communautés qui varient selon les circonstances.
8 Caton ap. Varron, RR, 1, 2, 7 = Origines, fr. 43 Peter = II, 14 Chassignet, ager Gallicus romanus uocatur, qui uiritim cis Ariminium datus est ultra Picentium (Hermon, Habiter et partager…, p. 245 sqq.). Il désigne une section géographique, de la terra Italia.
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Les cycles agraires de la tradition gromatique : le pragmatisme de la loi agraire républicaine La définition des territoires pour l’application des lois agraires se fait dans les sources gromatiques par l’identification et l’enchaînement des espaces : celui de l’ager, comme zone d’application de l’autorité d’un magistrat avec des « espaces intégrés » − politiques, économiques, culturels, environnementaux en interaction − pour identifier des cycles agraires ponctués par les lois agraires comme symbole de la légalité des actes de nature diverse. En l’occurrence, la mention générique de lex Sempronia, lex Sullana/Cornelia ou lex Iulia dans les Libri coloniarum, qui mêle souvent des mesures de nature diverse, reste floue pour l’identification des intervenants, mais décline les lois agraires selon les cycles agraires qu’elle engendre. Ces termes condensent ainsi les faits historiques et la tradition littéraire qui les rapportent. Le cycle gracchien : une confirmation de la tradition littéraire En effet, les archives publiques à l’origine des Libri coloniarum ne sont pas antérieures aux Gracques et les conditions de terres qui occupent les traités d’agrimensure portent en filigrane le souvenir des moments historiques, dont celui des Gracques. Il n’est pas impossible que « l’idéologie de la victoire » − un trait culturel commun de la narration littéraire qui « vide » matériellement le territoire conquis des structures antérieures par la destruction et l’extermination, situation traduite par les juristes par l’abstraction du res nullius et par les Gromatici par le territoire ex hostibus captus, libre des contraintes antérieures − soit liée à la configuration du cas de figure de l’ager publicus depuis les Gracques. Le cycle Syllanien : un complément indispensable de la tradition littéraire Le nombre imposant des vétérans installés en Italie après la guerre sociale et les proscriptions à l’époque de Sylla révélés par la tradition littéraire ne sont pas confirmés par des données concrètes sur leur installation. À cet effet, le cycle syllanien et la lex Sullana des Libri Coloniarum nous a semblé un complément précieux d’information par l’interprétation des formules gromatiques obscures qui intègrent le droit/servitude de passage (iter) entre les termes symbolisant la cité et son ager. De ce fait, la formule urbs-iter-ager nous a paru opérante
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pour illustrer, dans certains cas, les communautés distinctes installées sur le territoire colonial, différentes du chef-lieu. Ces communautés distinctes sont une réalité des guerres civiles depuis Sylla et les formules gromatiques suggèrent le sort mouvant des colonies de vétérans installées sur le territoire colonial, souvent en conditions précaires. Mais l’intérêt des Gromatici réside dans l’identification des traces sur le sol des grandes interventions agraires matérialisées par le bornage (termini, limites) dont le caractère sacré assure la légalisation des actes. Le compromis des cycles et lois agraires entre la fin de la République et l’Empire Il s’agit en fait, d’un paradigme de gestion comme un mélange de mythe faisant office d’instrument politique, des normes agrimensorales de gestion (catégories de terres et du bornage, la représentation graphique du territoire). La loi agraire « gromatique » n’est pas identique à la lex agraria publique votée par les comices. Elle est de plus en plus composée des mesures diverses, de portée régionale ou générale. Elle comporte le principe de la souveraineté et de la légalité associée à la sacralité des marqueurs du terrain (le bornage) et son espace d’application s’identifie à la terra Italia. En revanche, et ce depuis les Gracques, la loi agraire comitiale est un modèle de loi agraire par les normes qu’elle comporte et vraisemblablement par l’idéologie de la victoire avec laquelle les Gromatici habillent des situations historiques, en suggérant dans le même esprit d’autres cycles agraires à l’époque impériale. La lex Cocceia agraria dans le cycle agraire flavio-antonin De la sorte on pourrait déduire un cycle agraire flavio-antonin parsemé des actes agraires depuis Vespasien, dominé par l’édit de Domitien et la loi agraire de Nerva. Le témoignage des Gromatici, contemporains de cette époque, acquiert ainsi la valeur de sources de première main, malgré sa nature technico-juridique9. 9 L’époque flavio-antonine, berceau de la littérature gromatique, est celle d’une révision des droits de propriété sur les terres et la récupération de l’ager publicus historique en vertu du dominium populi Romani par les empereurs Flaviens. Les traités d’agrimensure reflètent le concept de l’ager publicus et la transposition de ses
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La « guerre des subsécives » – ces terres non assignées, ni vendues, mais restées à l’intérieur des parcellaires ou laissées en dehors des agri limitati dans le territoire colonial et revendiquées par les Flaviens −, c’est un conflit dont les Gromatici sont les seuls à nous faire part et qui s’est achevé avec l’édit de Domitien10. On revendiquait alors pour le fisc impérial et au nom du dominium populi Romani les revenus des terres restées publiques et on affirmait de ce fait le droit à l’occupatio des subsécives dans la foulée d’une politique fiscale pratiquée par les équivalences établies entre les catégories de terres. Dans ces circonstances, une loi agraire de Nerva sous le signe de la libertas restituée au Sénat et à la bourgeoisie municipale italienne, lésés par le règne de son prédécesseur, apparaît comme une réplique à la politique flavienne. Le fut-elle vraiment ? Par la procédure constitutionnelle de la promulgation d’une loi agraire ? Par la définition d’une banque d’ager publicus à distribuer aux indigentes de Rome ? Par la nomination d’une commission agraire de agris dandis iudicandis ? En identifiant chacun de ces trois éléments dans la tradition littéraire et en les confrontant avec les données de nature juridico-technique, je tenterai de cerner davantage la portée de la loi agraire de Nerva et d’identifier quelques traces de son application, comme des indices sur sa nature et son impact à son époque.
composantes aux catégories gromatiques de terres relevant de l’ager publicus historique. C’est le cas de l’ager occupatorius qui signifie plutôt l’acte de l’occupatio des terres issues de la conquête, une sorte de définition de l’ager publicus historique, et l’ager arcifinius, qui n’est pas inclus, en principe, dans les patrimoines, ni dans le parcellaire, en raison de la natura loci. 10 Hygin 133, 15 La : Domitianus [imp.] per totam Italiam subseciua possidentibus donauit, edictoque hoc notum uniuersis fecit. Cuius edicti uerba, itemque diui Neruae, in uno libello contulimus, « Domitien, sur l’étendue entière de l’Italie, a fait donation des subsécives à leurs possesseurs, et il l’a porté à la connaissance de tous par un édit », trad. Besançon 2000, p. 87, phr. 195-6 ; CUF 3, 31. L’édit de Domitien établit une sorte d’équivalence fiscale entre deux catégories de terres ager arcifinius/occupatorius par la licentia arcifinalis uel occupatorius destinée à régulariser le droit d’occupation des subsécives (Hermon, « Le concept d’ager publicus… », p. 183-192 ; ead., « L’Édit de Domitien… », p. 255-274, et comme étape dans la généralisation de la valeur censitaire des terres (forma censualis) en Italie, Hermon « Libertas restituta… », p. 169-177).
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La portée de la loi agraire Loi publique ou constitution impériale ? Pour faire voter cette loi, Nerva aurait dû ressusciter les comices tributes, institution tombée depuis longtemps en désuétude, et créer une commission sénatoriale de agris emendis dividendis à l’instar des commissions républicaines de agris dandis adsignandis qui, de plus, devait acheter des terres à l’échelle de l’Italie pour les distribuer aux citoyens démunis de Rome. Cette initiative aurait ainsi clos le cycle des lois agraires romaines votées par les comices11. Un siècle plus tard, Dion Cassius est le seul à donner quelques détails liminaires sur cette intervention agraire de Nerva, sans lui attribuer pour autant le statut de loi et en nous informant que Nerva « assigna aux citoyens pauvres de Rome des terres pour le prix d’environ quinze cent mille drachmes (60.000.000 sesterces), dont il confia l’acquisition et la distribution à des sénateurs12 ». S’agirait-il d’une loi ou une constitution impériale ? L’arpenteur Hygin, qui aurait vécu à la même époque, avoue avoir transcrit dans les archives l’édit de Domitien et les « constitutions » de Nerva, sans faire, non plus, allusion à une loi13. Cette mesure est identifiée comme loi agraire par le juriste de l’époque de Septime Sévère, Callistrate, avec la mention d’une clause sur les bornages de terres (de termine motu) conservée dans le Digeste
11 G. Rotondi, Leges publicae... p. 471 sqq. qui émet cependant quelques doutes sur la question du vote de comices. En effet, il pourrait s’agir d’un cas similaire à la soi-disant loi de Caligula de vectigalibus en 40 ap. J.-C., qui serait plutôt un édit suivant les comices électorales, p. 466. Il est d’ailleurs intéressant de constater que la clause retenue de cette « loi agraire » de Nerva consiste notamment dans le bornage à l’instar d’autres lois agraires gromatiques du Liber coloniarum I, plutôt des distributions effectives de terres que d’une démarche législative. 12 Dion Cassius, Histoire romaine, 68, 2 : Tοῖς τε πάνυ πένησι τῶν Ῥωμαίων ἐς χιλιάδα καὶ πεντακοσίας μυριάδας γῆς κτῆσιν ἐχαρίσατο, βουλευταῖς τισι τήν τε ἀγορασίαν αὐτῶν καὶ τὴν διανομήν, cit., remacle.org. 13 A. Garzetti, Nerva, Rome, 1950, p. 71, n. 3, ne retient pas ce passage, car il ne se réfère pas à la lex. Parmi les constitutions de Nerva mentionnées par Hygin, celle de l’autorisation des legs aux municipalités, ne peut pas être mise en rapport, ni avec l’édit de Domitien sur les subsécives, ni avec la loi agraire. Le passage cité n. 10 est attribué à Hygin déjà par les premiers éditeurs, Latchman et Thulin ainsi que par les éditions récentes. En fait, son attribution à Hygin gagne en authenticité par l’affirmation de cet auteur, vraisemblablement contemporain de Domitien et de Nerva, d’avoir transcrit aussi bien l’édit de Domitien que les constitutions de Nerva.
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pour avoir apporté une innovation de forme14. Mais pour le Digeste toute décision de l’Empereur, notamment l’édit, a l’autorité d’une loi, legis vicem obtinet (Digeste, 1, 4, 1 pr.) et cette évolution se met en place notamment à l’époque de Nerva15. Il n’est donc pas à exclure que cette loi agraire aurait suivi la procédure régulière de son temps, comme cela semble avoir été le cas pour la lex agraria de Caligula, vraisemblablement un édit, et qui est citée dans le même passage que la loi agraire de Nerva. Hygin, nous l’avons vu, aurait transcrit des documents relatifs aux opérations agraires, dont des constitutions de Nerva qui peuvent inclure une série d’actes, édits, décrets16. Elles auraient pu affirmer le caractère sacré du bornage des terres et incriminer le délit du déplacement des bornes, de motu termini, éléments qui ont fait l’objet d’une règle juridique, ayant intéressé le juriste Callistrate. La question du bornage des terres a pu néanmoins être soulevée en raison d’un recensement des propriétés sous l’effet de l’intervention agraire de Nerva. Par ailleurs, la commission sénatoriale pour l’achat et la distribution des terres a pu être nommée, selon la pratique républicaine, par le Sénat. L’éventualité que la loi agraire de Nerva soit appliquée sous forme de constitution impériale mérite d’être prise en considération, bien que l’esprit des lois agraires républicaines soit indéniable pour cette initiative singulière à cette époque. De plus, le budget octroyé par Nerva pour son application, trop modeste pour la constitution d’une vaste banque d’ager publicus et pour l’installation de colons indigents de Rome, nous incite à considérer cette loi dans la même foulée que l’impact financier sur les patrimoines affectés par la politique sociale 14 Digeste, XLVII, 21, 3 : Alia quoque lege agraria, quam divus Nerva tulit, cavetur, ut, si servus servave insciente domino dolo malo fecerit, ei capital esse, nisi dominus dominave multam sufferre maluerit « Par une autre loi agraire de Nerva, un esclave de l’un ou de l’autre sexe qui a commis un stellionnat à l’insu de son maître, est condamné à la peine de mort ; à moins que son maître ou sa maîtresse ne veuille payer l’amende ». Callistrate, apporte cette information sur la question de déplacement des bornes (de termine motu) de la loi de Nerva comme amendement à la clause correspondante de loi agraire de Caligula mentionnée dans le passage précédent. L’introduction de l’esclave, qui n’est pas une personne juridique, dans la clause en question, ne serait qu’un subterfuge pour le maître d’échapper à l’amende. Sur ces questions, voir, Rotondi, Leges publicae..., 1912, p. 387 sq. 15 A. Berger, Encyclopedic Dictionnary of Roman Law…, 1953, p. 410. 16 Il en va de même pour une constitution de Nerva citée par Pline, Ep., X. 66, qui confirme que les concessions individuelles de Domitien (argent, terres) ne sont pas remises en question par Nerva, mais qu’elles ne relèvent pas d’une constitution impériale plus générale comme l’édit.
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des Alimenta, dont Nerva en fut également le précurseur17. Quels sont les éléments de la politique agraire de Nerva qui ont facilité la structuration de l’institution d’Alimenta comme fonds hypothécaire sur les patrimoines dans le but d’assurer la subsistance aux enfants italiens pauvres ? La question des « achats » de terres est à mon sens une clé de lecture. Les achats de terres et le bilan de la condition précaire des possessions en Italie durant la République Des projets de lois − celui du tribun Rullus en 63 av. J.-C. et la loi Iulia agraria de César de 59 av. J.-C. − ont prévu des achats de terres en vue de les distribuer aux colons. Néanmoins, l’histoire agraire républicaine montre plutôt que ces achats de terres ne se font pas sur une base volontaire, car, dans la plupart des cas, il s’agit de possessions en condition précaire, sur la base de contrats de location (locatio-conductio), d’occupation abusive ou même d’assignations non enregistrées sur le registre colonial (la forma). Ces achats peuvent être réalisés en dehors des cadres de la colonie romaine dans des cités de statut de municipe ou même des agglomérations secondaires (fora, lieux de réunion et de marchés et conciliabula, lieux religieux), comme ce fut le cas durant les guerres civiles en Italie. Un exemple classique est l’ager Campanus, un ager publicus depuis la soumission de Capoue en 210 av. J.-C. avec la structure des districts censitaires (pagi) et ayant subi depuis des empiètements successifs. Il fut confié au consul de 162, P. Cornelius Lentulus (Cicéron, De lege agraria, II, 82), pour « récupérer », aux dires de Granius Licinius18, les terres publiques occupées, en indemnisant leurs possesseurs. L’intervention agraire de Nerva s’inscrit dans cette tradition en témoignant, au demeurant, de la condition des terres restées précaires en Italie, comme suite de la colonisation souvent éphémère des guerres civiles et à répétition sur les mêmes sites encore durant l’Empire. De plus, deux indices d’ordre financier évoqués par Dion Cassius nous permettent néanmoins de situer cette intervention agraire dans l’histoire agraire de son temps : l’achat des terres et le montant de 17 M. M., Pagé « La politique socio-agraire de l’empereur Nerva », MEFRA, 1211, 2009, p. 209-240 ; Hermon, « Libertas restituta... », p. 170 sq. 18 Sur ces questions et sur le passage assez obscur de Granius Licinius, éd. Criniti, Leipzig, Teubner, 1981, livre XXVIII, lignes 29 sq. p. 8 sq., voir la discussion de C. Moatti, Archives et partage de la terre dans le monde romain (IIe siècle avant-Ier siècle après J.-C.), Paris-Rome, 1993, p. 82-89 et n. 16bis et 17, p. 84.
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60.000.000 sesterces attribué à l’opération. En effet, le montant de l’argent qui aurait été octroyé au programme agraire de Nerva est relativement modeste pour un tel projet19. Il présuppose l’existence théorique d’un ager publicus concédé sous diverses formes, notamment par des contrats de locatio-conductio, pour permettre « l’achat » des terres, car il est difficilement concevable que l’opération ait pu se réaliser par la vente des patrimoines sur une base volontaire. Par ailleurs, l’opération a pu se faire sur une base censitaire, selon les dires de Dion Cassius lui-même, ce qui devait être une incitation pour des transactions financières d’achat-vente connues à l’époque de Nerva, dont nous fait part Pline le Jeune. Il se trouve que ce juriste et administrateur averti a eu recours à une vente fictive à un agent du fisc municipal d’une propriété sur la base d’une valeur censitaire inférieure à celle déclarée au cens pour la reprendre grevée d’une hypothèque à verser à une fondation alimentaire privée de la ville de Côme (Pline le Jeune, Epistulae, VII, 18, 2). De fait, il est tentant d’envisager une allusion à ces fictions financières dans l’éloge de Martial à Nerva, (Epigrammata, XII, 6), passage interprété d’ailleurs comme faisant allusion à la loi agraire de Nerva, qui attribue à ce dernier le fait d’« arrondir des patrimoines » par le cens : breves extendere census, alors que la loi agraire était destinée à distribuer des terres aux pauvres. Nerva propose d’engager les finances de l’État, vraisemblablement le patrimonium principis, pour acheter des terres, dédommager les possessores en plus d’installer les colons indigents. Cette proposition d’achat-vente avec un budget réduit aurait dû inclure d’autres incitations pour la vente qui sont à rechercher à mon sens dans la généralisation à l’époque de Nerva de la forma censualis (la déclaration des patrimoines sans rapport avec les cadastres) comme principe équivalent au recensement de l’ager publicus auquel ont eu recours encore les Flaviens, mais en impliquant les autorités municipales davantage que l’administration impériale.
19 Selon les calculs de J. D. Grainger, Nerva and the Roman Succession Crisis of AD 96-99. Londres-New York, 2003, p. 58, ce programme aurait pu affecter 1,2 % de la population de Rome, soit entre 2.000-3.000 colons. La question des ventesachats est déjà envisagée pour le projet de loi de Rullus en 63 av. n.è., Cicéron, de lege agraria et reprise par la Lex Iulia agraria de César en 59 av. n.è. L’idée des ventes des terres sur une base volontaire et leur achat par l’État moyennant le prix déclaré au dernier registre du cens est, en effet, attribuée par Dion Cassius, 67, 1, à la lex agraria de César.
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La commission sénatoriale de agris emendis dividendis et la bourgeoisie municipale D’ailleurs, cette intervention agraire a laissé des traces provenant de témoignages contemporains concordants. Une lettre de Pline le Jeune fait référence à la commission agraire en action20, information confirmée par une inscription fragmentaire mentionnant un personnage nommé dans cette commission21. Mais une autre lettre de Pline le Jeune (Epistulae, VII, 18, 2), nous l’avons vu, laisse entendre qu’à l’époque de Nerva sont connues des fondations privées dans un cadre municipal qui opéraient des transactions d’achats-ventes sur la base du système hypothécaire des propriétés et en fonction des déclarations censitaires. La conjonction de ces deux critères est à la base du programme social des Alimenta envisagé également par Nerva et pleinement réalisé par Trajan. Quant à la loi agraire, tout laisse croire que la commission agraire agissait pour l’installation de nouveaux colons en étroite collaboration avec la bourgeoisie municipale et moyennant la forma censualis, soit par le système des achats-ventes utilisé par Pline le Jeune, soit en accordant un prix au-delà de l’évaluation censitaire (arrondir les patrimoines ?) pour stimuler la vente. La cooptation des membres à cette commission semble se faire aussi par l’initiative privée. Quoi qu’il en soit, l’achat des terres par la loi agraire serait une opération fiscale dans l’esprit de son temps et la fondation privée rapportée par Pline le Jeune nous est apparue comme une étape intermédiaire entre la loi agraire et l’élaboration dans l’entourage juridique de Nerva de l’institution publique des Alimenta en engageant les finances de l’État22. 20 Pline, Epistulae, VII, 31, […] 4. […] Quod quidem paulisper cum magna sua laude intermisit et posuit, a Corellio nostro ex liberalitate imperatoris Neruae emendis diuidendisque agris adiu or adsumptus, « Il [Claudius Pollion] a pourtant quitté sa retraite et l’a interrompue quelque temps dans des conditions très flatteuses : notre ami Corellius lui a demandé de participer à l’achat et à la distribution des terres qu’on devait à la libéralité de l’Empereur Nerva. » 21 CIL, VI, 1548; ILS, 1019 : [- - - - - missio a] divo Nerva ad agros dividendos [- - - - comiti imp.] Caesaris Nervae Traiani Aug. Germ. Dacic. [- - - - - dum] exercitus suos circumit leg. propr. provinc. Belgic[ae adlecto inter] patricios ab impertorib. Divis Vespasianos et [Tito - - - - - ]. 22 L. Mainino (L.), « Veleia, Plinio Il Giovane e la ‘Tabula Alimentaria’ per il diritto romano », dans N. Criniti (a cura di), Tradizione, società e territorio sull'Appennino Piacentino, Parme, 2003, p. 117-130 ; sur ces questions, voir Hermon, Libertas restituta..., p. 170 sq.
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Une application limitée, mais diversifiée L’opération fiscale d’achat et de vente dans un cadre municipal en fonction de la forma censualis semble être le dénominateur commun de la loi agraire et de l’institution des Alimenta. Elle autorise à considérer Nerva comme le précurseur de l’institution des Alimenta, tout en étant le promoteur de la colonisation et fondateur de colonies. En revanche, l’application de la loi agraire ne semble pas se concrétiser uniquement par la fondation de nouvelles colonies, mais également par d’autres opérations agraires réalisées dans un cadre municipal23 : la colonie Minerva Nervia Augusta Scolacium dans le Bruttium serait une nouvelle fondation sur le site prospère de l’ancienne colonie gracchienne Minerva Scolacium. Le site est bien choisi pour sa prospérité, reconnue à l’époque Julio-Claudienne, mais aussi aux fins de propagande en rattachant Nerva directement au mythe des Gracques24. Quant à l’ager publicus communautaire du municipe de Verulae (Veroli) dans la plaine montagneuse qu’elle partageait avec Aletrium et Frusino, il fut restitué au municipe par Nerva25. La notice sur la cité de Verulae dans le Liber coloniarum − suggérant que le municipe aurait été dépourvu auparavant de son ager communautaire et en stipulant que ce territoire fût restitué aux colons par Nerva − ager eius redditus − s’éclaire ainsi d’un jour nouveau. Proscription de Sylla ? L’état décrit par la notice n’est pas sans rappeler la situation analogue de l’oppidum samnite Caudium qui avait perdu son territoire en faveur de Bénévent lors de la colonisation 23 J. D. Grainger, Nerva and the Roman Succession Crisis of AD 96-99, Londres-
New York, 2003, p. 59, et 64-65, considère que l’ensemble des fondations coloniales qui sont attribuables à Nerva en Italie et dans l’Empire peuvent se rattacher à la loi agraire. Les données que nous avons pu rassembler ici révèlent des opérations agraires plus diversifées que la fondation de colonies. 24 ILS., 5750 cit., Garzetti, Nerva..., p. 73 sq. ; K. Lomas, Roman Italy 338BC-AD 200. Source book, Londres, 1996, 2003 (en ligne) cite une inscription (361. CIL, X, 103) qui fait état de la construction d’un aqueduc par Antonius Pius dans la colonie Minerva Nervia Augusta de Scolacium. 25 Liber Coloniarum 239 La, Ca Veruale, oppidum muro ductum. Ager eius limitibus Gracchanis in nominibus est adsignatus, ab imperatore Nerua colonis est redditus, Campbell (= Ca), n. 155, p. 427 : Verulae (Veroli) cité du Latium dans les montagnes Herniques à la confluence des cours d’eau et de la via Latina avec statut municipal (Morciano Maria Milvia Brill (on ligne, 2013, 04.3.). Elle est située dans les plaines entre Aletrium (Alatrium), Frusino (Frosinone). De fait, on a relevé à cet endroit des traces de plusieurs divisions cadastrales superposées qui ne peuvent pas être attribuées avec certitude à l’une ou autre de ces communautés.
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triumvirale et augustéenne26 et suggère une colonisation de la région par Sylla plutôt au profit des communautés voisines27. L’éventualité de l’installation de nouveaux colons à Veroli par Nerva à l’occasion de la restitution de l’ager communautaire, confisqué auparavant, semble écartée par la formulation de la notice. Racheté par Nerva aux anciens occupants et rendu à la communauté de Veroli ? Une telle éventualité permettrait de rattacher l’intervention de Nerva aux retombées des opérations financières d’achats et de ventes engendrées par la lex agraria, voire même « arrondir le patrimoine » communautaire de Veroli ! Dans le même ordre d’idées, les quelques milliaires attribués à Nerva nous conduisent à supposer que des opérations agraires ont eu lieu en rapport avec l’aménagement des côtes traversées par des voies, territoire qui pouvait être en situation de subsécives des colonies limitrophes comme Capoue28 (Via Appia), Naples et Pouzzoles (Via Domitiana)29. Leur achat aux municipalités adjacentes et leur attribution à des citoyens pauvres auraient pu avoir un but utilitaire engendrant la même catégorie des viasii vicani pour l’entretien des voies incluses ou limitrophes à leur lot de terre, à l’exemple des lois agraires républicaines30. La clause attribuée à la lex agraria de Nerva par le Digeste sur les sanctions contre le déplacement des bornes existantes a toutes les chances de se référer à de telles opérations, le 26 M. Tarpin, Vici et pagi dans l’Occident romain, Paris, Rome, 2002 ; M. M. Pagé,
« Le cadastre de la colonie latine de Beneventum (268 av. J.-C.) », dans Agri Centuriati, 8-2011 (2012), p. 37-51. 27 La terminologie mure ducto pour les trois communautés − Alatrium (Ca 179), Frosinone (Ca 183) et Veroli (Ca 187) − peut plaider pour une intervention syllanienne en faveur des deux dernières colonies qui comportent de plus la formule iter populo non debetur ; nous ne l’avons cependant pas inclus dans l’échantillon des fondations assurées de Sylla, Hermon, « La Lex Cornelia agraria.. », p. 31-43. 28 CIL, X, 6877 (près de Caserte) attribué à l’empereur Nerva, vraisemblablement une jonction avec la Via Appia. 29 CIL, X, 6926-28 (entre Pouzzoles et Naples) attribués à Trajan qui a diuo Nerva patre suo pergagenam curauit montrent que l’aménagement de la voie Domitienne ne s’arrête pas à la mort de Domitien et qu’elle est l’un des legs que Nerva laisse à Trajan. 30 La condition des viasiei vicanei apparaît dans la Lex Agraria 111 à l’époque des Gracques, mais ce cas de figure traduit une situation antérieure caractéristique pour la colonisation rurale sans deductio coloniale (Chouquer). Cet état des choses a pu être envisagé aussi bien le long de Via Curia et via Flaminia en Italie au e III siècle (Hermon, Habiter et partager…). Une colonisation rurale sans deductio a pu se matérialiser également durant la colonisation désordonnée de la fin de la République dans le cadre des communautés mixtes qui partagent le même territoire.
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milliaire restauré sur la Via Appia sur un terrain à assécher31 pourrait en témoigner. La lex agraria de Nerva apparaît ainsi comme une réaction à la « guerre des subsécives » de Domitien, en ramenant à l’ordre du jour le principe de l’utilité de l’ager publicus pour les plus démunis. Cette politique agraire ne serait pas à confondre avec le système des Alimenta, dont Nerva est considéré également le promoteur32. En revanche, elle n’est pas à dissocier du mécanisme administratif et financier mis en place notamment par ses prédécesseurs flaviens pour le réaliser partiellement et rapidement dans le cadre de différentes cités italiennes sans devoir imaginer une reprise intégrale de la procédure des lois agraires républicaines33. Conclusion Les aléas de la souveraineté populaire du conflit patricio-plébéien à l’empereur Nerva sont transmis par la tradition littéraire avec l’affirmation du principe de la légalité de la loi agraire, la symbolique du cas de figure de l’ager publicus et les objectifs sociaux pour son partage. Ils se traduisent dans la littérature technico-juridique des Gromatici par le caractère sacré du bornage des divisions agraires et par l’intégration avec des procédés analogiques de « l’idéologie de la victoire » comme symbole du dominium populi Romani régissant le droit sur les terres et le statut des communautés. Les enjeux politiques mouvants des moments politiques majeurs de l’histoire républicaine, amplement documentés par la narration littéraire, ont des échos dans la littérature gromatique par des cycles agraires qui perpétuent souvent les marqueurs du terrain au-delà de l’existence du moment agraire qu’ils 31 Via Appia : Nerviana patrimonio Appiae à Decennovium (Galieti Massa ??), Bull. comm. arch. LXXII, 1946-48, p. 121, cit. Garzetti, p. 73. 32 E. Lo cascio, « Gli alimenta, agricoltura italica e l’approviggionamento di Roma », Il principe e il suo Impero. Studi di storia amministrativa e finanziaria romana, Bari, 2000, p. 223, n. 1 en réplique à la position de Hammond 1953, « A statue of Trajan represented on the ‘Anaglypha Traiani’ », MAAR, 21, 1953, 147 sqq. cit., attribue à Nerva l’intervention en faveur des familles pauvres d’Italie dans le cadre des alimenta, alors que cet acte est l’objectif avoué de la loi agraire. 33 C’est l’approche généralement suivie depuis Garzetti 1950. Dans ce sens, Grainger, 2003, p. 59, procède à une véritable reconstitution des étapes connues par la mise en application des lois agraires selon le modèle institutionnel de la miRépublique pour imaginer l’application de cette loi. Néanmoins, la fin de la République a connu des assignations bien plus expéditives dans le cadre des communautés mixtes italiennes (Hermon, 2007a, 2008).
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représentent. À mon sens, et aussi paradoxal que cela puisse paraître, c’est la littérature gromatique qui synthétise le mythe de la loi agraire par « l’idéologie de la victoire » en le transférant à des catégories de terres relevant de l’ager publicus populi Romani et qui ont fait l’objet des revendications successives. Ces principes, transposés sur le territoire, engendrent la valeur rétrospective du cycle agraire gracchien qui amalgame les lois agraires des deux Gracques, organisent les marqueurs du terrain et surtout le bornage autour de l’autorité d’une loi agraire. En effet, les cycles et les lois agraires des Libri Coloniarum sont une clé de lecture pour dégager le paradigme de gestion du territoire colonial comme un mélange de mythe, d’instrument politique, avec des normes agrimensorales de gestion. Cette supposition m’a incitée à identifier un cycle agraire flavio-antonin dominé par le symbolisme de l’ager publicus comme pour les cycles républicains, alors que la loi agraire républicaine se ramifie dans des constitutions, édits, lettres impériales, faiseurs de droit. C’est la littérature technico-juridique qui fait revire le mythe de la loi agraire avec la loi agraire de Nerva et l’associe au fort aspect de propagande attribué par la tradition littéraire à la politique sociale des Antonins. Les enjeux financiers de cette politique sociale sont déjà présents avec Nerva, le fondateur de la dynastie, mais ils sont coiffés des éléments du mythe de la loi agraire. Dans la brève reconstitution de la loi agraire de Nerva qui a précédé, j’ai identifié les éléments suivants comme porteurs de la tradition du passé dont certains sont des ferments de la construction future des Alimenta de Trajan : 1) achats de terres pour leur attribution aux pauvres avec la même ambiguïté entre distributions individuelles ou regroupées en colonie que la loi de Caius Gracchus, 2) l’attribution d’un ager publicus communautaire à Vélitres qui aurait dû être récupéré des veteres possessores tout comme l’ager Campanus de la lex Iulia agraria, mais en mettant en place un mécanisme financier d’achat-vente, 3) un choix symbolique de site comme l’ancienne colonie garcchienne Minerva Scolacium dans le Bruttium, 4) mais également des travaux utilitaires le long des voies par l’installation des viasii vicani chargés de leur entretien en échange d’un lot de terre. L’intervention agraire de Nerva inaugure ainsi la propagande impériale des Antonins avec l’emblème de la Libertas restituta et ses libéralités dirigées vers la politique sociale et financière de la dynastie. Traditions littéraire et gromatique se complètent ainsi pour dégager la portée de la la loi agraire de Nerva, entre le mythe des lois agraires républicaines et la réalité de son temps.
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The Lives of Augustus Christopher Smith
Martine Chassignet’s Budé edition of the Roman fragmentary historians is a landmark edition.1 Sober but careful, it traverses the phenomenally complex terrain of the nature of Roman historiography, and the difficulty of producing an edition which reflects the way fragmentary authors survive, with elegant precision. Her third volume arrives at Republican autobiography, a discrete group of works within the corpus as a whole, of which the life of Sulla was the most extensive and fraught with parallels for the future of the genre.2 One of the most lamented gaps in the flotsam of ancient literature is the autobiography of the life of Augustus.3 The volume was in thirteen books and went up to the Cantabrian War. It is variously entitled hypomnemata, de vita sua, de memoria vitae suae, or commemoratio vitae suae (I shall refer to it throughout as the Autobiography). As far as we can tell it was a first-person narrative, and it did not eschew omens, therefore setting it apart from Julius Caesar’s commentaries. Whether it would have been a gripping read, we cannot tell – Augustus was interested in style,4 but there are no fragments of sufficient length to inform us as to its qualities as a literary text. Would it have let us glimpse the equivocations, compromises and self-justifications necessary to account for the trickiest part of Augustus’ long life? This essay, offered in friendship to a colleague who has shared the often self-denying experience of saying only what we actually know about works which survive in citations by others, derives in part 1 M. Chassignet, Caton. Les origines (fragments), Paris, Les Belles Lettres, 1986; L’annalistique romaine, vols 1-3, Paris, Les Belles Lettres, 1996-2004. I am grateful to Hannah Cornwell, Fred Drogula, Oliver Hekster, Carsten Hjort Lange, Costas Panayotakis, John Rich and Nicholas Wiater, who made many valuable suggestions and improvements, but are not responsible for any errors which remain. 2 Chassignet, L’annalistique romaine, vol. 3, p. 172-184. See for a recent reading of the life H. Flower, « Sulla’s Memoirs as an Account of Individual Religious Experience », Religion in the Roman Empire, 1.3, 2015, p. 297-320. 3 C. Smith, A. Powell (eds.), The Lost Memoirs of Augustus and the Development of Roman Autobiography, Swansea, 2009; FRHist. 60 Augustus with full bibliography. 4 Suet., Aug. 86; Macr. Sat. 2.4.12 parodying Maecenas; Gell. 15.7 for his careful Latin. 10.1484/M.RRR-EB.5.121323
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from work on the English language edition of the fragmentary Roman historians,5 and in part from some recent work on Augustus himself. My specific point of reference is Luciano Canfora’s 2015 book Augusto, figlio di Dio.6 Canfora has the luxury of a more discursive approach, which permits him to argue through the possibilities of the influence of the autobiography. In his hands, the Autobiography of Augustus takes a more expansive form. I will then examine the influence of the Autobiography on Appian’s Illyrian books, before moving to some thoughts about how Augustus might have treated the battle of Actium. Canfora’s work is fundamentally a very detailed study of Appian, but it is founded on two principal ideas: first, that Appian extensively used the older Seneca’s Histories; and second that Augustus’ Autobiography played a major part in the work. Neither idea is new (or uncontroversial), but none has been pursued in such depth or with such tenacity.7 There are many other riches in the book – including a wonderful excursus on how Marx knew his Appian – but that is beyond the scope of this essay. Canfora’s approach to Appian is strongly conditioned by his belief that Appian clearly signalled that he had a single main source.8 This is derived from a reading of Appian’s preface 12: Καὶ τάδε πολλοὶ μὲν Ἑλληνων πολλοὶ δὲ Ῥωμαίων συνέγραψαν… ἀλλ᾿ ἐντυγχάνοντά με, καὶ τὴν ἀρετὴν αὐτῶν ἐντελῆ καθ᾿ ἕκαστον ἔθνος ἰδεῖν ἐθέλοντα, ἀπέφερεν ἡ γραφὴ πολλάκις ἀπὸ Καρχηδόνος ἐπὶ Ἴβηρας καὶ 5 T. J. Cornell et al. (eds.), The Fragmentary Roman Historians, Oxford, 2013 (hereafter FRHist.). 6 L. Canfora, Augusto, figlio di Dio, Rome, 2015. 7 On Appian and Seneca, see I. Hahn, « Appien et le cercle de Sénèque », AAntHung. 12, 1964, p. 169-206; G. Zecchini, « Seneca il Vecchio fonte di Appiano? », Aevum, 51, 145-8; R. Westall, « The Sources for the Civil Wars of Appian of Alexandria », in K. E. Welch (ed.), Appian’s Roman History: Empire and Civil War. Roman Culture in an Age of Civil War, Swansea, 2015, p. 125-167. For Appian and Augustus, see A. Migheli, « Le memorie di Augusto in Appiano, Illyr. 14-28 », AFLC, 21.1, 1953, p. 197-217; and the balanced view of E. Gabba, « The historians and Augustus », in F. Millar, E. Segal (eds.), Caesar Augustus: Seven Aspects, Oxford, 1984, p. 61-88 at p. 68-70. The whole discussion has been put on a new footing by J. W. Rich, « Appian, Polybius and the Romans’ war with Antiochus the Great: A study in Appian’s sources and methods », in Welch (ed.), Appian’s Roman History, p. 65-124. 8 See for a similar but more carefully argued approach Rich, « Appian, Polybius and the Romans’ war with Antiochus the Great ». This argues for the importance of Dionysius of Halicarnassus to 265 BC, and Polybius from then to 146 BC, and hints at an argument for Posidonius’ centrality thereafter.
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ἐξ Ἰβήρων ἐπὶ Σικελίαν ἢ Μακεδονίαν ἢ ἐπὶ πρεσβείας ἢ συμμαχίας ἐς ἄλλα ἔθνη γενομένας…
The Loeb translation runs as follows: These things have been described by many writers, both Greek and Roman... Being interested in it, and desiring to compare the Roman prowess carefully with that of every other nation, my history has often led me from Carthage to Spain, from Spain to Sicily or to Macedonia, or to join some embassy to foreign countries, or some alliance formed with them;
If we start with the phrase ἐντυγχάνοντά με, Canfora insists that this refers to the process of reading.9 Although LSJ also offers something along the lines of ‘encountering this material’, I think it is probably correct that this indeed refers to reading. I find less convincing Canfora’s idea that the subject of this sentence, he graphe, means someone else’s writing.10 Canfora’s argument is that the writing is the authoritative source for Appian’s work. My translation would be something like: As I read, and wanted to see a full picture of the virtue of each ethnos, one by one, my writing took me often from Carthage to Spain, etc.
In other words, it is Appian’s own process of writing, not someone else’s script, which guides him. Canfora’s reading is difficult, especially because the first preface reveals quite serious uncertainties about how the work will actually develop, and does not well describe the actual outcome. Bucher, whose article on Appian remains perhaps the best attempt to understand Appian’s compositional techniques, shows the discrepancies and weaknesses of the first preface and from this point of view, it makes more sense to see Appian as presenting himself as working out the way his history would develop as he went along.11 The graphe of the first books therefore is no other than Appian’s own writing. However, let us for the moment assume that there was a single source; how does this relate to the rest of Canfora’s argument on Augustus? I think the intention is to suggest that Appian’s method was to have a single source which dominated. This used to be a fairly 9 Canfora, Augusto, p. 85-97. 10 This view is also held by Rich, « Polybius and the Romans’ war with Antiochus
the Great », p. 70: « he speaks of “the account” (ἡ γραφὴ), and his description sounds very like Polybius’ history… ». 11 G. Bucher, « The Origins, Program, and Composition of Appian’s Roman History », Transactions of the American Philological Association, 130, 1974, p. 411-458.
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common view of ancient historical compositions, sometimes known as Nissen’s Law. Canfora’s basic position, if I correctly understand it, is that the dominant source in Appian Civil Wars Books 1 and 2 is Seneca the Elder, and from Book 3 is Augustus’ Autobiography. The major issue with the argument that Seneca drives the earlier part of the Civil Wars is the debate over the starting point of the histories. Barbara Levick in FRHist took the view that Seneca began from 49 or 43 BC. Canfora argues that ab initio bellorum civilium pushes back the starting point further, arguing that initium means arche, a first point of origin.12 This does not take us as far as Canfora would like, I suggest. One problem is the famous Lactantius passage, which may or may not be from the Histories.13 As has long been recognised, these kinds of divisions of time are not uncommon, and have as much a philosophical as a historical weight.14 So it is by no means certain that this was part of the Histories, but even if it was, the passage suggests a rather more complex approach. A key turning point for Appian, as for Sallust in his Histories which are sometimes thought to be heavily influenced by Posionius, was the defeat of Carthage and the removal of the metus Punicus,15 but the passage goes on to argue that Rome then conquered all the kings and peoples and then turned on itself. This does not fit the Gracchan period, when there were still the external wars against Mithridates, the conquest of the east, and of Gaul, and of Egypt to come. The other difficulty is the remarkable phrase, again in the life of Seneca, on the nature of the Histories, that they began from the civil wars unde primum veritas retro abiit.16 Now this is too general to be indisputably associated with any one point in time, but the phrase is striking. One obvious consequence of placing this in the time of Gracchi is that it is not flattering to Cicero, and we may well wonder if this was deliberate. There is no doubt that Cicero was still immen12 FRHist 74 L.(?) Annaeus Seneca (Maior), esp. vol, 1, p. 506-508; Canfora, Augusto, p. 138-147. 13 FRHist 74 F2 ap. Lact. Inst. 7.15.14. 14 Livy 39.6-7 argues for a change around 187 BC; Pol. 31.25.3 attributes a change to around 168 BC; Piso FRHist. F40 ap. Pliny NH 17.244 to 154-3 BC. All start their histories form a different date. See also Cic. rep. 2, and T. J. Cornell, « Cicero on the origins of Rome », in J. G. F. Powell, J. A. North (eds.), Cicero’s Republic, London, 2001, p. 41-56. 15 Cf. Sall. Hist. 111 McGushin. See also Sall. Iug. 41; Cat. 10.1 and P. McGushin, C. Sallustius Crispus Bellum Catilinae: A Commentary, Leiden, 1977, p. 87-88, with further bibliography on Posidonius at p. 292-295. 16 FRHist 74 T1 ap. Sen., vita patr. Fr 15 Haase.
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sely important, and used in schools,17 but it is not so clear that he was a universal hero, either for Seneca the Elder, or indeed for Seneca the Younger.18 However, there is an equally good argument that it was the imperial system which killed truth, and such a criticism may have been precisely the sort of thing which persuaded Seneca the Elder not to publish his work in his lifetime. It is exactly what Tacitus says at the beginning of his Histories; after Actium, veritas pluribus modis infracta.19 It is entirely possible that Seneca sketched in the broad history of Rome, just as Sallust did in his works, before deepening the level of detail with the collapse into civil war in the 40s.20 The truth is we cannot tell. Not enough of the work survives. Canfora’s introduction of Florus into the argument does not help either. Florus, who certainly followed Livy, may have used Seneca, but he may have used other sources too, and although there is a clear similarity between Florus’ periodization in his epitome and the Lactantius passage, they can again be seen as generalised opening statements. Florus begins Book 2 with the Gracchi, which might suggest that from that point he was using Seneca, and Appian similarly began again with Seneca in hand around 133 BC, but it equally might not.21 What is at stake in this is the attempt to recover a slightly more logical approach on Appian’s behalf to the complexity of the period, and specifically to the proscriptions. Schwartz, Kornemann and Gabba have little positive to say about Appian.22 That tide has now definitively turned, though Canfora chooses not to cite the more recent scholarship 17 S. McGill, « Seneca the Elder on Plagiarizing Cicero’s Verrines », Rhetorica:
A Journal of the History of Rhetoric, 23.4, 2005, p. 337-346. 18 R. A. Kaster, « Becoming “Cicero” », in P. E. Knox, C. Foss (eds.), Style and tradition: studies in honor of Wendell Clausen, Stuttgart, 1998, p. 248-263; A. Gowing, « Tully’s boat: Responses to Cicero in the imperial period », in C. Steel (ed.), The Cambridge Companion to Cicero, Cambridge, 2013, p. 233-250. 19 Tac. Hist. 1.1, ‘historical truth was impaired in many ways.’ 20 Cf. Sall. Cat. 6-13; hist. F10-12 McGushin. 21 For general scepticism on Seneca’s history starting early, and the link with Florus, see M. Griffin, « The Elder Seneca and Spain », JRS, 62, 1972, p. 1-19. 22 E. Schwartz, « Appianus (2) », RE, 2. 1.216-37; E. Kornemann, « Die historische Schriftsstellerei des C. Asinius Pollio. Zugleich ein Beitrag zur Quellenforschung über Appian und Plutarch », Jahrbucher für classische Philologie (Suppl. 22), 557692; E. Gabba, Appiano e la storia delle guerre civili, Florence, 1956. For an overview see K. Brodersen, « Appian und seine Werk », ANRW, 2.34.1, 1993, p. 339-363; I. Hahn, G. Németh, « Appian und Rom », ANRW, 2.34.1, 1993, p. 364402 for summaries of the scholarship.
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which has dealt with this at length.23 If anything, modern scholarship such as Gowing’s comparison of Appian and Dio suggests an even more complex interweaving of sources than Canfora does. Canfora is right then that Appian is a much better historian that he used to be considered, but is he perhaps even better than Canfora thought? The next question then is what can we learn about the Autobiography of Augustus? At this point we should look at another recent edition, Bringmann and Wiegandt’s Augustus: Schriften, Reden und Aussprüche.24 This edition includes over 300 fragments of Augustus’ works. It is the most complete account we have and the range of writing which is represented is impressive. Poetry, letters, notes, edicts, mandates, speeches in all sorts of contexts, a work against Brutus, and geographical and historical works are all represented. This is a picture of the princeps as writer, as author. The inevitable question is that with so many of Augustus’ pronouncements, some quite personal, in circulation, how can we be sure that the Autobiography is the only source which Appian used? Appian does cite Augustus’ life specifically, but he cites other works too, especially letters. Herein lies one of the great challenges for the editor. When Appian cites a letter to Sextus Pompeius, should we include it as a testimony for a separate item or as a fragment of the autobiography from which it is perhaps most likely to have come? There is no evidence that Appian had a cache of the emperor’s letters, but at the same time he might have picked up a reference from an intermediary source – Asinius Pollio?25 Seneca reading Asinius Pollio? Yet they may not have had an actual letter either; it could be simply a description of a historical action. As often, we lack a defensible methodology here. It is unsafe to assume that any expression of Augustus’ thoughts or opinions come from Augustus, even if one restricts this to positive expressions. This would deprive Appian of any capacity to construct a narrative. 23 B. Goldmann, Einheitlichkeit und Eigenständigkeit der Historia Romana des Appian, Hildesheim, 1988; A. Gowing, The Triumviral Narratives of Appian and Cassius Dio, Ann Arbor, 1992; K. Welch (ed.), Appian’s Roman History... There are important articles in individual works in ANRW, 2.34.1, 1993. 24 K. Bringmann, D. Wiegandt, Augustus, Schriften, Reden und Aussprüche, Darmstadt, 2008 (hereafter B-W). This replaces E. Malcovati, Imperatoris Caesaris Augusti operum fragmenta, third edition, Turin, 1948. 25 The role of Pollio as a potential source goes back to the mid-nineteenth century, was championed by Kornemann, « Die historische Schriftsstellerei des C. Asinius Pollio », and more recently by Gabba, Appiano, 1956, on which see the sharp review of E. Badian, Classical Review, NS 8.2, 1958, p. 159-162.
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Similarly, documentary evidence might come from the Autobiography but it might be repeated across a range of sources. At that point, the existence of the document might be accepted, but it is too simplistic to assume that Appian was following Augustus, and indeed the very idea that Appian had a work on the desk at the time of writing may be problematic. I have a dozen books by me as I write, but the ancient world was a culture of memory. Our understanding of the processes of ancient composition remains weak.26 So what is the evidence that Appian had direct access to Augustus’ Autobiography? There are nine references in Bringmann and Wiegandt’s collection from Appian. They miss, in my opinion, FRHist 60 Augustus F7c; several sources report the dream of Octavian before Philippi, including App. BC 4.110, who cites it from the Autobiography. In their classification, two come from Augustus’ early life; the first is Octavian’s acceptance of the will of Julius Caesar, with his heightened references to the Iliad.27 The second is Octavian’s speech to the people, introduced by the tribune, Cannutius, in 44 BC.28 Four are classed as letters; a letter from Octavian to Antony’s mother before the peace at Brindisi; two letters accusing Sextus Pompey of encouraging piracy; and a letter sent to all the legions in 36 BC relating to slaves who had enlisted as soldiers.29 Shortly after this Octavian entered the city and made various speeches, which he wrote down in a biblion.30 The most significant and only direct reference to the Autobiography in the Civil Wars is Appian’s citation of the speeches by L. Antonius and Octavian before Perusia.31 Finally, Appian refers directly to the Autobiography in his work on the Illyrian Wars.32 We will come to this later. Looked at another way, there are a small number of very clear references in Appian to the Autobiography; BC 4.110 on Octavian’s dream; the speeches at Perusia and the reference in the Illyrica. Everything else we choose to attribute to the Autobiography we do so without evidence. The account of the speeches at Perusia is clearly the most straightforward from one point of view, but from another it has challenged 26 See J. P. Small, Wax Tablets of the Mind: Cognitive Studies of Memory and Literacy in Classical Antiquity, London, 1997. 27 App. BC 3.13 = B-W F283. 28 App. BC 3. 41 = B-W F159. 29 App. BC 5.63, 77, 80, 131 = B-W F70-3. 30 App. BC 5.130 = B-W F 161. 31 App. BC 5. 42-5 = B-W F199 = FRHist 60 F8. Cf. Dio 48.14.3-6. 32 App. Ill. 14 = f 201.
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modern scholars. It does not provide the one-sided Augustan point of view one might have expected, but this assumes that we know what the tone of the Autobiography was.33 We should rather I think recalibrate our expectations. The Perusine massacre was a dark moment in the young Augustus’ career and perhaps required a more subtle treatment. Some reflection of the complexities is perhaps to be expected. What Appian does with this is another matter. Knowing there was a speech between the two, perhaps from Augustus, how did he construct L. Antonius’ speech? At least part of the speech should prepare for Octavian’s actions a few chapters later where he does indeed pardon Antonius’ troops, as Antonius had requested.34 But it may have been Appian who created the connection between Antonius’ acknowledgement that Octavian had won the argument by making it about land distribution, which Octavian then repeats.35 And finally, Antonius’ unanswered comment about the failure of Octavian to bring back regular magistracies might come from an alternative source, not necessarily as part of this speech, but as part of a general attitude – and of course it is part of what Augustus himself would eventually claim to do, so it was not beyond Appian to have thought this up himself. This is all necessarily speculative. Canfora is right to argue that this whole sequence must have appeared in the Autobiography, and that it is no argument against the incorporation of this as a fragment in our collections that it includes opinions probably not uttered by Antonius in his speech in that work.36 However, a detailed consideration shows how complex and layered the process must have been whereby the account we see in Appian was constructed. In a sense it is hard even to say what the original was – every account was mediated though layers of invention and ideology. Bringmann and Wiegandt’s classification of the fragments is inevitably questionable. The letters are not cited by our sources as documents but as actions, and in the case of the accusations against 33 R. Ridley, « Augustus: The emperor writes his own account », in G. Marasco
(ed.), Political Autobiographies and Memoirs in Antiquity: A Brill Companion, Leiden, 2011, 267-314 declares that the inclusion of Antonius’ long speech of eulogy is ‘improbable’, 274. For a full recent account with further references see U. Livadiotti, « Lucio Antonio, Appiano e la propaganda augustea », SemRom N. S. 2.1, 2013, p. 65-92. 34 App. BC 5.44; cf. 47. 35 App. BC 5.43; cf. 47. 36 Canfora, Augusto, p. 233-237.
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Sextus Pompeius are part of an argument about Pompeius’ behaviour. This was not without importance; it was difficult to justify a triumph over a compatriot, and so the Romans made significant efforts to reclassify internal enemies as external foes. This is part of the reason for the requalification of Pompeius and his troops.37 The letters no doubt existed – whether they were transmitted in any form other than in the context of historical narratives seems less certain. The same to an extent goes for the speeches. The Biblion of Octavian’s selected orations may have circulated, but it is equally possible that the speeches were also included in the autobiography, perhaps amended for a historical genre. The question therefore of whether and to what extent the autobiography really underpins Appian is very complicated and largely unanswerable. Equally, even if Appian moves from one main source to another between books 2 and 3, some aspects of a more equivocal approach to Augustus continue in the later part of the Civil Wars. When it comes to Augustus’ youth, the situation is complicated by another potential source, Nicolaus of Damascus. We now have a substantial rethinking of this source by Toher, who grapples with the problem of the relationship between Nicolaus’s Life of Augustus and the Autobiography on the one hand, and Nicolaus and other sources on the other.38 Toher rightly notes that the debate over Nicolaus’ life has been shaped by Jacoby’s assumption that it was written shortly after and under the heavy influence of Augustus’ work.39 Arguments for this are hard to find, and Toher is right to note that the suggestion that the debates over responsibility and guilt in the triumviral period were irrelevant later on ignores the fact that the original work was much broader in scope. Toher’s strategy is to point out the unhelpfulness of the question. There is no explicit evidence that Augustus’ work underpins Nicolaus’ Life, and there are passages which seem to come 37 C. H. Lange, Triumphs in the Age of Civil War: The Late Republic and the Adaptability of Triumphal Tradition, London-New York, 2016, p. 115-121; the accusation is still there at RG 25. See also K. E. Welch, Magnus Pius: Sextus Pompeius and the Transformation of the Roman Republic, Swansea, 2012, p. 294298, who argues that the initial campaign to portray Pompeius as a pirate was unsuccessful and was revisited only later. 38 M. Toher, « Divining a lost text: Augustus’ autobiography and the ΒΙΟΣ ΚΑΙΣΑΡΟΣ of Nicolaus of Damascus », in Smith, Powell (eds.), Lost Memoirs of Augustus…, p. 125-144; id., Nicolaus of Damascus, The Life of Augustus and The Autobiography¸Cambridge, 2017. 39 F. Jacoby, Die Fragmente der griechischen Historiker, Zweiter Teil C, Kommentar zu Nr. 56-105, Leiden, 1926, p. 263-265.
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from other sources40 (though there Toher is himself making assumptions), but ultimately the extent of the influence and the nature of Augustus’ Autobiography cannot be recovered from Nicolaus. ‘To assert that Nicolaus might have used the autobiography of Augustus in composing the Bios is at once plausible and insignificant. Serious consideration of the proposition only leads to aporia and the ghost of a lost work ought not to define how an extant text is understood. Better guides to comprehending the nature of the Bios are the facts of N.’s own life and the evidence in the text itself.’41 This is especially relevant then to the complexity of the source tradition over the young Augustus’ reaction to news of Caesar’s will and his own inheritance. Nicolaus suggests that the decision was taken between Apollonia and Brindisi and largely conducted via letters. It is not at all clear that he ever presented the scene in Rome when Octavian quotes Achilles in the Iliad, which is the emotional high point of Appian’s account. Dio glosses over all the familial discussion, yet Appian omits a key feature which we find in Dio, the halo around the sun seen at Octavian’s entrance into the city. This is consistent with Appian’s general avoidance of omens.42 It is quite possible that Augustus, in a highly expansive account, is the source of all this – the family debates, the omen, and the quotation from Homer. His work was after all thirteen books long, and we know that he used the omen of the comet seen at Caesar’s funeral games.43 However, again, we cannot make a sound methodological case for assuming that everything we find about the young Octavian was from the Autobiography. Canfora’s book is a full account of the sorts of areas where Augustus may have influenced the tradition. Equally, and partly because of his insistence on the importance of Seneca the Elder’s Histories and assumption that these were more sceptical, he makes a good case for an oppositional line from time to time, especially around the awkwardness of the proscriptions.44 What is perhaps surprising is 40 Octavian’s fear (117); ill health (19-20); sexual abstinence (36); criticism of
Julius Caesar (67); claim to have the power and offices of Caesar (53, 113). 41 Toher, Nicolaus of Damascus…, p. 26. 42 Nic. Dam. Bios 51-5; App. BC 3.13 citing Hom. Il. 18.98; Dio 45.4; Gowing, Triumviral Narrative…, p. 59-64. The omen is found at Suet., Aug 95; Sen. Nat. 1.2.1; Pliny NH 2.98; Oros. 6.20.5; Obseq. 68. For Appian’s avoidance of omens in his narrative see A. Gowing, Triumviral Narrative…, p. 16, n. 25. 43 FRHist 60 Augustus F1-2. 44 Canfora, Augusto, e.g. p. 257-284, 371-393.
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that he spends practically no time on the indisputable fact that Appian relied on Augustus for his whole account of the Illyrian Wars from 36 BC.45 Moreover, it is likely that these wars were significant for Augustus structurally in the composition of his work. Appian is very clear that with the defeat of Lepidus, the civil wars were over and he imputes the same thought to Octavian, who had already accepted an honorific column covered in ship’s beaks, surmounted with a gold image dressed as Octavian had been when he entered the city, and with the inscription ‘peace, long disturbed, he reestablished on land and sea’.46 It is precisely at this point that Octavian is said to have offered to hand the government back to individual magistrates, thus finally answering L. Antonius’ complaint after Perusia.47 All that remains in the Civil Wars is to narrate the fall of Sextus Pompeius. However, the Illyrian Wars, which preceded the Civil Wars in Appian’s account, are flagged at the end, and constitute our best chance of seeing Augustus’ life in detail.48 First, the fact that Appian specifically says that even in the Autobiography he could not find anything about the early history of Pannonia suggests that Augustus did offer a brief ethnographic digression, but perhaps more on origins than on subsequent activity, since Appian goes on to say that his work focused on his own achievements.49 The successes were enumerated through the lists of tribes, some now very obscure. The list is comparable with but not identical to the list at Pliny NH 3.142-4, and also needs to be read alongside Strabo’s account which itself reflected the position after subsequent campaigning.50 Liburnian piracy is mentioned, so Augustus stakes his claim for continuing to safeguard the seas. The Salassi resisted. Augustus himself admitted he was not prepared to undertake a lengthy war because he was expecting a renewal of hostilities with Antony. So first he allowed their independence, but then punished their transgressions through Messala Corvinus. We know from Strabo 4.6.7. and Dio 53.25 that the 45 M. Šašel Kos, Appian and Illyricum, Ljubljana, 2005 for a very full and
illuminating commentary. 46 App. BC 5.132; cf 5.128, and 5.130 for the column and its inscription. 47 App. BC 5.132; cf App. BC 5.43. 48 App. BC 5.145; App. Ill. 14-28. 49 App. Ill. 15. 50 Strabo 7.5; S. Pothecary, « The European provinces: Strabo as evidence », in D. Dueck, H. Lindsay, S. Pothecary (eds.) Strabo’s Cultural Geography: The Making of a Kolossourgia, Cambridge, 2005, p. 161-179 at p. 173-175.
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job was finished off by A. Terentius Varro Murena in 25 BC, but this came after the probable cut-off of the Autobiography and possibly after its composition. The Iapydes were also tough opponents. One of the interesting elements of the narrative here is the attribution to Augustus of foresight – a critical virtue of the good general. Against the Metulians, we find a complex description of a siege, and the remarkable detail that the Metulians were using war engines seized from Decimus Brutus. There is a mention of Augustus’ personal inspection of the battle front, and how he encouraged his soldiers by leading personally – his leap into battle is Alexander-like.51 The result was slightly comical; all the soldiers rushed after him and their weight collapsed the bridge. Augustus was injured but showed himself to his men to preserve their confidence. Campaigning moved on to Dalmatia. Augustus displays cunning in his siege warfare and then ferocity against a cohort of his own army who had abandoned their position. An injury intervened and Augustus returned to Rome for political business, started off the next year, and then returned to complete the job. He recovered standards taken by the Dalmatians from Gabinius. There is a lacuna in the text before we learn that Augustus was granted a triumph. It is impossible to tell how many books Augustus used to narrate the Illyrian command, though on the basis of a suggested dating for a fragment from Book 13 we calculated about two books per year from 44 to 25 BC.52 There is no doubt that he used it as an important demonstration of his legitimacy as a general, which is important given that he had cut a poor figure at Philippi.53 It is interesting that Appian repeatedly says that Augustus hoped that the tribes would come across willingly, that is, he was not fighting for the sake of it. Sasel Kos sums up very well when he writes: ‘Appian’s narrative preserves for posterity a decidedly exalted image of Octavian as a military leader. He emerges as an experienced and capable general, taking personal part in combat, despising danger and even incurring severe injuries. … He knew how to mete out punishment at the right moment in order to maintain the necessary discipline in the army, … and above all his clemency was emphasized, a virtue that was to become important in the imperial propaganda, especially after Actium.’54 51 Arrian, Anab. 6.9. 52 FRHist 60 Augustus, vol. 1 p. 457. 53 Pliny NH 7.147-8. 54 Šašel Kos, Appian and Illyricum …, p. 397.
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It is also likely that this sort of detail, almost certainly repeated for the Gallic and Spanish wars, helped situate the Autobiography within its genre. For the most part, what we can see of autobiography was that it emphasised military value, and I have argued that autobiographies often culminated in triumphs.55 However that raises a question as to whether there is any trace of the post-Illyrian War narrative? Canfora uses Photius’ account of Appian’s work, along with the two prefaces BC 1.6 and BC. 5.1, both of which imply that the battle of Actium formed part both of the Civil Wars and of the four books on Egyptian affairs, to argue that there is a missing part of Appian BC 5, which dealt with Actium.56 This seems less persuasive than the suggestion that Appian changed his mind and did not change his preface. The books on Egypt will presumably have begun before Actium and then continued through to the fall of Alexandria, and in this they followed Appian’s practice, for instance in the Illyrian and Iberian books.57 How Augustus presented the battle of Actium in the Autobiography is not recoverable, though by analogy with the Illyrian books, we might imagine a heavy focus on military detail. The battle also had immense ideological significance; later authors made of Actium a turning point in world history. However, this sense that Actium changed everything may not have been the Augustan line (or the initial one); the Autobiography did not stop here.58 Actium was at the time in so many ways a compromised victory. It was a civil war battle.59 Neither Octavian nor Antony had an absolutely clear position in law.60 In the triple triumph the final and most 55 C. Smith, Sulla’s Memoirs, in Smith, Powell (eds.), Lost Memoirs of Augustus,
p. 65-85. 56 Canfora, Augustus, p. 108-124. 57 See F. J. Gómez Espelosín, « Appian’s ‘Iberiké’. Aims and Attitudes of a Greek historian », ANRW, 2.34.1, p. 403-427. Appian does however carry his Spanish account into Augustus’ time however; see App. Iber. 102. 58 Suet., Aug. 85.1. For the problems of Actium, and the argument that the Actium myth developed over time, see R. Gurval, Actium and Augustus: The politics and emotions of civil war, Ann Arbor, 1995. 59 C. H. Lange, « Res publica constituta »: Actium, Apollo and the accomplishment of the triumviral assignment, Leiden, 2009, p. 82-90. 60 This is now a hotly contested topic. Vervaet has argued that Octavian’s triumviral powers did not in fact lapse until 27 BC; see F. J. Vervaet, « The secret history: The official position of Imperator Caesar Divi filius from 31 to 27 BCE », AncSoc. 40, 2010, p. 79-152; Lange, « Res Publica constituta »…, p. 53-60; J. W. Rich, « Making the Emergency Permanent: auctoritas, potestas and the Evolution of the Principate of Augustus », in Y. Rivière, Des réformes augustéennes. Rome, 2012,
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splendid day of celebrations was for the conquest of Egypt, which was far less fraught.61 The myth-making around Actium in a sense reflects the attempt to justify the unjustifiable, and the battle generated both poetic and visual descriptions and allusions to an unprecedented degree.62 We will conclude with two of the latter. The first is the victory monument at Nicopolis.63 The monument is on two terraces facing south. Above a retaining wall, 71m in length, is a second wall c. 63 m wide adorned originally with 36 bronze rostra. At the top was a monumental inscription. The wall was part of the support for a broad Π-shaped Stoa, with a peristyle of 38 m by 38 m. Towards the front was an altar in local limestone measuring 6 by 22 meters with two levels of frieze decorating the lower one of spolia, and the upper, about a metre in height, representing a procession. The monument was part of an even wider project of city foundation. The generally accepted date for the monument is the early 20s BC, and possibly in time for Octavian’s visit in 29 BC. Lange however
p. 37-121, and further below. Augustus’ other autobiography, the Res Gestae, clearly saw the oath as a critical moment of legitimization, but this comes from a later time, and is perhaps bound up with the problem of the terminal date of the triumviral powers, on which see C. R. B. Pelling, « The Triumviral Period », in CAH X (2nd edition), p. 1-69 at p. 67-68; K. M. Girardet, « Der Rechtsstatus Oktavians im Jahre 32 v. Chr. » Rheinisches Museum für Philologie, 133, 1990, p. 322-350; id. « Per continuos annos decem (res gestae divi Augusti 7, 1) : zur Frage nach dem Endtermin des Triumvirats », Chiron, 25, 1995, p. 147-161; E. Gabba, Appiani Bellorum civilium liber quintus, Florence, 1970, p. lxviii-lxxix; R. T. Ridley, The emperor’s retrospect: Augustus’ « Res gestae » in epigraphy, historiography and commentary, Leuven, 2003, p. 172-177. 61 W. Havener, Imperator Augustus: die diskursive Konstituierung der militärischen persona des ersten römischen Princeps. Studies in ancient monarchies, 4, Stuttgart, 2016 (non vidi) argues that the second day of triumph was over Antony, which is surely wrong – see J. W. Rich’s review at http://bmcr. brynmawr.edu/2016/ 201611-49.html, with my thanks to John Rich for drawing this to my attention. 62 Gurval, Actium and Augustus…; J. F. Miller, Apollo, Augustus, and the poets, Cambridge, 2009; C. J. Nappa, Reading after Actium: Vergil’s « Georgics », Octavian, and Rome, Ann Arbor, 2005. The inscription on the Solarium Augusti, CIL, VI, 702, reminded everyone of Actium again over twenty years later (H. Cornwell, pers. comm.). 63 W. M. Murray, M. Petzas Photios, Octavian’s campsite memorial for the Actian War, TAPhS, 69.4, 1989; K. L. Zachos, « The “tropaeum” of the sea-battle of Actium at Nikopolis: interim report », JRA, 16.1, 2003, p. 64-92 (a revised interpretation is said to be forthcoming); J. Pollini, From Republic to Empire: Rhetoric, Religion, and Power in the Visual Culture of Ancient Rome, Norman (Okla.), 2012, p. 191-196; Lange, Triumphs…, p. 125-153.
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suggests that the text of the inscription may have been earlier. The text reads: Vacat Imp · Caesa]r · Div[i · Iuli · ]f · vict[oriam · consecutus · bell]o · quod per [· r]e [·] p[u]blic[a] · ges[si]t · in · hac · region[e · cons]ul [· quintum · i]mperat[or · se]ptimum · pace [·] parta · terra [· marique · Nep]tuno · [et Ma]rt[i · c]astra [· ex ·] quibu[s · ad · hostem · in]seq[uendum · egr]essu[s · est · navalibus · spoli]is [· exorna]ta · c[onsecravit vacat.64
Lange sees this as reflecting the laurelled letter which accompanied a request for a triumph.65 Indeed what is interesting about the inscription is that it mentions no enemy at all, neither Cleopatra nor Antony – even ad hostem is restored.66 The second is easier to explain. Lange has shown that the traditional view that one could not triumph in a civil war is incorrect, but in so doing has also shown that the Romans felt obliged to make significant efforts to conceal the enemy.67 Hence, as we have seen, Sextus Pompeius was tarred with the charge of leading pirates.68 Having concluded his war against the Dalmatians, Octavian and Antony spent 32 and 31 BC heading towards war. The break came in October 32, after the senate had split, and after Octavian had been able to read out Antony’s will (or what he claimed to be the will) in what was left of the senate and then again in the assembly.69 According to Dio, war was declared on Cleopatra, without mention of Antony, and the same is said in Plutarch’s Life of Antony.70 This ‘war against Cleopatra’ has often been assumed to have been the provincia which was assigned to Octavian, and it would appear that he engineered two triumphs from it, which was unusual.71 The consequence of the line 64 H. Cornwell tentatively proposes Vacat Imp Caesa]r · div[i Iuli ·] f · victor · bel[lo ·Actiac?]o ·quod ·pro [re pu]blic[a] · ges[si]t in her important new book, Pax and the Politics of Peace: Republic to Principate, Oxford, 2017. 65 Lange, Triumphs…, p. 139-141. 66 H. Cornwell (pers. comm.) notes the avoidance of the names of enemies is also found in the Res Gestae. 67 Lange, Triumphs…; for the traditional view see Val. Max, 2.8.7; C. H. Lange, « Triumph and Civil War in the Late Republic », PBSR, 81, 2013, p. 67-90 at 69-72 with references. 68 App. BC 5.77, 80 and see above; Welch, Magnus Pius... p. 262-265. 69 Dio 50.4; for chronology see M. Reinhold, From Republic to Principate: An Historical Commentary on Cassius Dio’s Roman History Books 49-52 (36-29 BC), Georgia, 1988, p. 85. 70 Dio 50.4; Plut. Ant. 60; Strabo 7.7.6 has both as conquered enemies. 71 Girardet, « Der Rechtsstatus Oktavians... » on imperium and provincia, see F. Drogula, Commanders and Command in the Roman Republic and Early Empire,
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taken by Vervaet and others however is that as Antony was stripped of his powers, all the provinces reverted to Octavian. Nicopolis may help us understand how Augustus played this hand of cards; the inscription may very well have been a lapidary summary of the line taken in the Autobiography. The critical phrase is pace parta terra marique, also used in the Res Gestae.72 Actium was not just about Cleopatra – it was about a much broader recovery of the east from Antony, a claim which might have been even clearer if Octavian was presented as restoring control over provinciae formerly in the hands of Antony. As Virgil noted, Antony fought at Actium variis armis – the might of the east, Egyptians, Bactrians, Indians, Arabians and Sabaeans.73 This complex patchwork of opponents was regularly set in contrast to the Italian forces of Octavian, and indeed Kromayer established that fully a third of Antony’s forces were not Roman, part of the consequences of Octavian’s success in preventing Antony from recruiting in Italy.74 In other words, this was a fact about Actium, and not Virgilian invention. Actium led to the conquest of Alexandria, and the deaths of Antony and Cleopatra – but that left the settlement of the east. This took time of course, but critically, Octavian started straightaway with some of his re-ordering, including in northern Greece with Nicopolis, in Crete and Cyprus, in the near East with the meeting with Herod, in the Anatolian plateau with readjusments of the local rulers, and through the establishment of the border with Parthia.75 The contemporary coinage has the legends ASIA RECEPTA and AEGVPTO CAPTA,76 Chapel Hill, 2015. The consequence of the line taken by Vervaet and others is that as Antony was stripped of his powers, all the provinces reverted to Octavian. 72 RG 3.1; 13; cf. Livy 1.19.3, Suet., Aug. 22; App. BC 5.130, cited above. See Rich, « Making the emergency permanent… » p. 47 for this argument. 73 Virg. Aen 8.685-8; Gurval, Actium and Augustus... 209-48. C. R. Whittaker, Rome and its Frontiers: The Dynamics of Empire, London, 2004, p. 144-145. 74 J. Kromayer, « Kleine Forschungen zur Geschichte des Zweiten Triumvirats », Hermes 33.1, 1898, p. 1-70. 75 F. Millar, The Roman Near East: 31 B.C.-A D. 337, Cambridge (Mass.), 1993, p. 27-43; B. M. Levick, « Greece (including Crete and Cyprus) and Asia Minor, » in CAH X (second edition), p. 641-675 at p. 641-663. 76 RIC (second edition), 275a, 276. On the synoecism of Nicopolis, see Str. 7.7.6; Dio 51.3.1; Pausanias 7.18.8-9, and N. Purcell, « The Nicopolitan Synoecism and Roman Urban Policy », in E. K. Chrysos (ed.) Nicopolis I: Proceedings of the first International Symposium on Nicopolis (23-29 September 1984), Preveza, 1987, p. 71-90. See now the important collection of essays, L. Cavalier, M.-C. Ferriès, F. Delrieux (eds.) Auguste et l’Asie Mineure, Bordeaux, 2017.
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and the first perhaps reflects the Actian situation. Gurval has argued perhaps over strongly that the propagandistic presentation of Actium came later, but it is interesting to look again at Nicopolis, and its Actian Games, as a moment of old-fashioned Hellenistic power politics. Dio’s account in Book 51 shows just how complex this settlement was. So whilst it was unavoidable that Augustus’ autobiography placed a great deal of attention on Cleopatra, it is at the same time plausible that Augustus also emphasised the magnitude of the forces opposing him. Marek rather evocatively wrote of Actium: ‘the East marched against the West in Greece… From Asia Minor, the kings of Tarkondimontos of Cilicia, Archelaos of Cappadocia, Deiotarus Philadelphos of Paphlagonia, and Mithridates (the son of Antiochos) of Commagene were present in Antony’s army; Polemon of Pontos and Lesser Armenia and Amyntas of Galatia had sent troop contingents.’77 Given Augustus’ punctiliousness in enumerating all the Illyrian and Dalmatian peoples he had conquered, it is reasonable to think that he would not have refrained in his account of Actium. The Nicopolis inscription then is more accurate perhaps than the poetic focus on Cleopatra, at least some of which comes later – Octavian brought peace to land and sea in this region, but against multiple enemies. The abundance of spoils in the lower register of the Nicopolis frieze alludes to the scale of the task. So for that matter may the Actian Arch. This controversial monument cannot detain us for long, but if the now lost inscription ILS, 81, recorded in the sixteenth century, does record accurately the arch’s dedication, it echoes the sense of a broader danger averted: Senatus populusque Romanus / imp(eratori) Caesari divi Iuli f(ilio) co(n)su(li) quinct(um) co(n)su(li) design(ato) sext(um) imp(eratori) sept(imum) re publica conservata. The Senate and People of Rome to Imperator Caesar, son of the divine Julius, consul for the fifth time, designated for the sixth time, imperator for the seventh time, for the republic having been saved.
If Rich is right that the same arch was used to celebrate the return of the standards lost to the Parthians, we might see a continuity with Actium as a war against a wider foe. This is not incompatible with the acknowledgement that the war was also against Romans and brought 77 C. Marek, In the Land of a Thousand Gods: A History of Asia Minor in the Ancient World, Princeton, 2016, p. 308.
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civil wars to a close, but it would also permit an emphasis on the defeat of a broader eastern coalition.78 This more complex picture was perhaps present in the difficult Actian day of the triple triumph.79 The little we know of the second day of the triumph is that Alexander of Emesa, one of Antony’s clientkings, was paraded in the triumph before being killed (Dio 51.2); and that Adiatorix, son of Domnecleius, tetrarch of the Galatians, together with his wife and two sons, were paraded, again before Adiatorix’s execution (Strabo 12.3.35). This was the safe path in 29 BC, but it was also to some extent true – the Bellum Actiacum was against a different constellation of enemies to the Bellum Alexandrinum.80 In due course, the figure of Cleopatra would outshine all the rest, just as Apollo of Actium would become increasingly visible, but even here, the lavish temple of Apollo can be read as referring to a much wider conquest than that over Cleopatra alone. As well as perhaps a subtle hint via the portico of the Danaids, who were the daughters of Aegyptus, the temple’s references are to the broader Greek world – Perseus and Medusa, Hercules and Apollo striving for the Delphic tripod – and the ivory reliefs on the double doors show the expulsion of the Gauls from Delphi in 278 BC, whence they made their way into Asia Minor to become the Galatians, whose cavalry pulled out from Antony’s side just before the battle of Actium.81 In another visual reference to the life of Augustus, the Medinaceli relief, we see a visual representation of Augustus’ life from Actium to his death.82 There are scenes from the battle for Actium, and the sequence seems to end with a procession after Augustus’ death. Much about this frieze is unknown, even its date is disputed. Lange argues 78 J. W. Rich, « Augustus’s Parthian honours, the temple of Mars Ultor and the arch in the Forum Romanum », Papers of the British School at Rome, 66, 1998, p. 71-128; P. Baas, « Fasti Capitolini, Parther- und Actiumbogen: Monumente augusteischer Siegespropaganda », BABESCH, 90, 2015, p. 109-124. 79 Dio 51.21; Gurval, Actium and Augustus, p. 25-36; I. Östenberg, Staging the world: Spoils, captives, and representations in the Roman triumphal procession, Oxford, 2009, p. 287-288 with full reference to the sources. 80 Lange, « Res Publica constituta »…, p. 73-79 for the careful differentiation between the two bella in some sources, no doubt reflecting the need to see them as two different campaigns leading to two different triumphs. 81 Miller, Apollo, Augustus and the Poets, p. 185-252. 82 Lange, Triumphs…, p. 171-194; M. Trunk, P. Witte, Die « Casa de Pilatos » in Sevilla : Studien zu Sammlung, Aufstellung und Rezeption antiker Skulpturen im Spanien des 16. Jhs., Mainz, 2002; T. Schäfer, « Ciclo di rileievi Medinaceli », in E. La Rocca (ed.) Augusto, Milan, 2013, p. 321-323.
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for a Claudian origin, and one of his arguments is that the representation of Actium as a battle between Romans, since they are all wearing the same armour, would not have worked for the Augustan period. This would fit the admittedly hypothetical argument presented here that in the Autobiography, Augustus may have emphasised a broader achievement of peace against a wide coalition of forces, following the line that other sources say that Antony was not made a hostis83 and that the war was declared against Cleopatra, even if the erasure of Antony’s name and other marks of disgrace would have kept the memory live in other contexts. Actium may have been presented as a more general defeat of a threat from the east, followed by the specific conquest of Egypt, perhaps even before Virgil presents it as such. However, Suetonius’ inclusion of Actium in a list of the civil wars in which Augustus fought, or indeed Augustus’ own admission that in his sixth and seventh consulships he brought an end to civil war represent a different standpoint.84 And local views could be brutal, as in the Fasti Amiternini and its unflinching description of the bellum Actiese classiarium cum M. Antonio.85 There were after all many versions of the life of Augustus. Bibliography Allély, A., La déclaration d’hostis sous la République romaine, Bordeaux, 2012. Baas, P., « Fasti Capitolini, Parther- und Actiumbogen: Monumente augusteischer Siegespropaganda », BABESCH, 90, 2015, p. 109-124. Bringmann, K., Wiegandt, D., Augustus, Schriften, Reden und Aussprüche, Darmstadt, 2008. Brodersen, K., « Appian und seine Werk », ANRW, 2.34.1, 1993, p. 339-363. Bucher, G., « The Origins, Program, and Composition of Appian’s Roman History », Transactions of the American Philological Association, 130, 1974, p. 411-458. Canfora, L., Augusto, figlio di Dio, Rome, Editori Laterza, 2015. 83 See A. Allély, La déclaration d’hostis sous la République romaine, Bordeaux, 2012, p. 110-112. 84 Suet., Aug. 9.1; RG 34.1. It is noteworthy that Dio gives every impression of scepticism over the exclusion of Antony. 85 Fasti Amiterni = A. Degrassi, Inscriptiones Italiae, XIII : Fasti et elogia, I : Fasti consulares et triumphales, Rome, 1947, p. 170-171, on which see Lange, Triumphs…, p. 133-139. Other Fasti mention the wars but not the enemy.
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TROISIÈME PARTIE PERMANENCE ET RÉMANENCE DE L’HISTORIOGRAPHIE ROMAINE AUX TEMPS MODERNES
Justin, source ou ressource de Corneille François-Xavier Cuche
À lire les Examens ou Avis au lecteur de Corneille, au sein de son immense production dramatique, deux tragédies trouvent une source dans l’œuvre de Justin : Rodogune et Nicomède1. Pourquoi ce recours à Justin ? On peut noter qu’une traduction de l’Abrégé des Histoires Philippiques de Trogue Pompée2 avait été publiée en 1627, soit un peu plus d’une quinzaine d’années avant la rédaction de Rodogune. Elle atteste surtout de la – relative – notoriété de Justin en ce début de e XVII siècle, car Corneille n’a sans doute pas eu besoin de cette traduction pour approcher l’historien latin. Ce qui frappe en revanche, c’est l’existence de tout un réseau de relations qui rapprochent Rodogune et Nicomède. Tout d’abord les deux tragédies portent sur un sujet tiré de l’histoire du monde hellénistique. Ce sont les deux seuls exemples véritables de tels sujets dans l’œuvre de Corneille3, et, pour de tels sujets, il était tout naturel de se référer à Justin4. Ensuite, dans les deux pièces, des souverains, parents dénaturés, sont prêts à tuer leurs enfants pour assurer leur pouvoir. On pourrait ajouter que, dans le récit de Justin, les enfants non seulement projettent le même sort 1 Cf. l’Examen de Rodogune, p. 199, et l’Avis Au lecteur de Nicomède, p. 639640. Les pages renvoient au tome II de l’édition des Œuvres complètes de Corneille par G. Couton, Paris, Bibliothèque de la Pléiade, 1984 (tome I, 1980, et tome III, 1987). Toutes nos citations de Corneille seront tirées de cette édition. 2 Il peut paraître paradoxal de rédiger pour un volume d’hommage à Martine Chassignet un article portant, même indirectement, sur les Histoires Philippiques de Trogue Pompée. En effet, pour la communauté universitaire M. Chassignet est notamment l’auteure d’une remarquable et savante édition de L’Annalistique romaine (Paris, les Belles Lettres, 3 tomes : tome I, 1996 ; t. II, 1999 ; t. III, 2004). Comme elle l’explique elle-même (tome I, p. XXII), cette annalistique traite de l’histoire romaine, et l’annalistique ancienne le fait en grec. Or Trogue Pompée écrit des historiae, non des annales et, d’une façon complètement symétrique, sans doute à dessein, de celle des annalistes, traite de l’histoire grecque et le fait en latin ! Mais son œuvre est perdue, et nous ne la connaissons qu’à travers l’Abrégé qu’en a fait Justin. 3 On pourrait ajouter La Mort de Pompée, dont l’action se situe à la cour du royaume d’Égypte. Mais il est bien clair que c’est à un épisode de la guerre civile entre César et Pompée et donc à l’histoire romaine que s’intéresse alors Corneille. 4 Bien que le projet du livre soit en réalité plus vaste, Histoires Philippiques est généralement entendu comme un équivalent de Histoire des royaumes hellénistiques. 10.1484/M.RRR-EB.5.121324
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pour leurs parents, mais passent même à l’acte. Corneille, il est vrai, s’est refusé à attribuer ce crime à ses personnages, nous verrons pourquoi. Néanmoins ce rapport horrible entre parents et enfants a pu attirer son attention sur ces épisodes. D’autres éléments qui sont, eux, de l’invention de Corneille contribuent à rapprocher ces pièces. Ce sont, par exemple, deux tragédies de l’amour fraternel, un thème assez rare dans la tragédie en général, quand le thème tragique par excellence, c’est au contraire, en conformité avec les préceptes d’Aristote, celui des frères ennemis5. De même encore les deux tragédies mettent en scène des princesses de sang royal, quasi prisonnières dans une cour ennemie, mais promises en principe au trône par (ou : et à) un mariage avec le fils du souverain local, qui, lui, s’efforce de son côté de contrarier ce mariage. Bref, on voit à quel point les deux tragédies constituent une sorte de diptyque. On pourrait penser que le statut de Justin y est très différent, puisque il n’est allégué que comme source complémentaire dans le cas de Rodogune, Corneille donnant Appien d’Alexandrie comme source principale, alors que Justin est l’unique source citée par Corneille pour Nicomède6. Cependant, à y regarder de plus près, cette distinction s’estompe vite, tant Corneille emprunte peu à Justin pour bâtir l’intrigue de Nicomède, tout comme d’ailleurs à Appien pour Rodogune, alors qu’au contraire, dans chacune des deux pièces se lisent des emprunts bien plus profonds à Justin et même certaines parentés de choix littéraires. Corneille a, de fait, exercé un travail intense sur ses sources, procédant par ajouts et par modifications. À vrai dire, les ajouts constituent la quasi-totalité de ses intrigues. Lui-même confesse à propos de Rodogune qu’« il n’y a rien que l’histoire avoue » dans les actes II à IV7. Cependant, si l’acte I comporte des rappels historiques qui doivent en effet beaucoup aux sources antiques, il comporte déjà bien des éléments de l’invention de Corneille. Quant à l’acte V, il se rapproche de l’histoire, mais au prix de modifications majeures. En dehors de la fameuse coupe de poison que Cléopâtre s’efforce de faire boire à son fils, toute l’action repose sur l’invention de Corneille. La 5 Corneille, en fait, n’a jamais traité le thème tragique des frères ennemis. On sait, au contraire, quelle place il occupe dans le théâtre de Racine, depuis sa première pièce, La Thébaïde, jusqu’à Mithridate, en passant par Britannicus et Bajazet. 6 Cf. l’Examen de Rodogune (éd. cit. p. 198-199) et l’Avis Au Lecteur de Nicomède (éd. cit. p. 640-641). 7 V. Appian Alexandrin, avertissement précédant Rodogune dans l’édition de 1647, qui disparaît dans les nouvelles éditions après 1655 (la référence citée est donnée dans l’édition de la Pléiade, p. 196).
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présence de la princesse parthe Rodogune, quasi prisonnière, à la cour de Cléopâtre, la persécution que Cléopâtre lui inflige, l’intention de Démétrius, premier époux de Cléopâtre, de détrôner celle-ci ainsi que ses enfants, la gémellité de ces deux enfants, Séleucus et Antiochus, le secret gardé sur l’ordre de leur naissance, qui doit fixer le droit de l’un d’eux à la succession au trône, leur amour commun pour Rodogune, le traité d’alliance entre la Syrie et les Parthes qui destine Rodogune à l’héritier du trône, les pactes proposés aux jumeaux par Cléopâtre, qui donnera le trône à celui des deux qui tuera Rodogune, et par la princesse parthe, qui, elle, promet sa main au jumeau qui tuera sa mère, le message inachevé de Séleucus qui, trop tôt saisi par la mort, dit périr assassiné par une « main chère », sans pouvoir énoncer de nom, tout cela, qui fait presque tout le tragique et tout le saisissant enchaînement dramatique de Rodogune, tout cela est sorti de l’imagination de Corneille. Et pourtant Corneille va encore plus loin dans Nicomède. Des personnages aussi essentiels pour l’action que Laodice, reine d’Arménie, retenue comme une captive à la cour du roi du Pont Prusias, dont elle aime le fils Nicomède, ou qu’Attale, demi-frère de Nicomède, fils de Prusias et de sa seconde épouse Arsinoé, ou encore qu’Arsinoé elle-même, sont des créations du dramaturge, quoique Justin parle bien d’une seconde épouse de Prusias et de ses enfants, sans nommer ni l’une ni les autres, ni encore moins leur attribuer un rôle dans les événements. Or, dans la pièce, toute l’action repose sur eux, à commencer par le complot d’Arsinoé pour perdre Nicomède avec l’aide de l’ambassadeur romain Flaminius – personnage historique, lui, mais complètement innocent des manœuvres que lui prête Corneille –, la libération de Nicomède par Attale, ou l’insurrection populaire suscitée par Laodice, tous épisodes inventés, bien entendu. Mais ces ajouts ne sont rien à côté des modifications que Corneille fait subir aux données de Justin qui sont censées lui servir de source. Nous assistons à une transformation complète du personnage historique de Nicomède. Selon Justin, celui-ci, averti que son père avait l’intention de le tuer, prit les devants et assassina Prusias. Le Nicomède de Justin est un personnage antipathique et sans scrupule, un parricide. Celui de Corneille est un héros parfait, qui ne peut rien susciter d’autre dans le spectateur que l’admiration, un conquérant glorieux, que son respect absolu des droits de Prusias, comme père et comme roi, condamne paradoxalement à l’impuissance, ce qui explique que toute la résistance aux desseins infâmes d’Arsinoé se concentre dans l’action de Laodice ou d’Attale. Nicomède, lui, n’agit que par la
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contagion de l’héroïsme : elle sera assez forte pour convertir son frère, élevé à Rome et adulateur des Romains, en défenseur de l’indépendance nationale et des droits souverains des monarques. Dans la tragédie de Corneille, ni Prusias (à une nuance près que nous verrons), ni a fortiori Nicomède n’ont envisagé le parricide, ni encore moins, ne l’ont commis. La pièce s’achève par une fin heureuse et une forme de réconciliation générale. Cette modification du dénouement réel est infiniment plus forte que ce que nous constatons à la fin de Rodogune : dans cette pièce, Séleucus ne meurt pas parce qu’il a voulu s’emparer du trône, Cléopâtre ne lui survit pas plusieurs années, elle ne meurt pas contrainte par Antiochus de boire la coupe empoisonnée qu’elle avait préparée à son intention, mais par un geste suicidaire. Tout cela contredit partiellement le récit des historiens antiques, Appien, tout comme Justin, mais préserve les « effets » de l’histoire, pour reprendre l’expression même de Corneille8 : Séleucus meurt bien victime de sa mère, Cléopâtre périt bien pour avoir bu la coupe empoisonnée qu’elle destinait à son fils. Rodogune respecte au fond les principes de Corneille : du moment que le dénouement de l’intrigue aboutit à la même fin que l’histoire réelle, pour les « circonstances » ou les « acheminements » qui conduisent à cette fin, le dramaturge est libre d’inventer9. Nicomède va bien plus loin dans l’audace et la liberté. « J’ai beaucoup osé dans Nicomède », confesse Corneille10. C’est le moins que l’on puisse dire ! Et cela va l’amener dans le Discours de la tragédie à admettre le droit à « falsifier l’histoire » et à inventer le notion d’« impossible croyable ». « Il est impossible que (les choses) se soient passées comme nous les représentons, puisqu’elles se sont passées autrement, et qu’il n’est pas au pouvoir de Dieu même de changer quelque chose au passé ; mais elles paraissent manifestement plausibles quand elles sont dans la vraisemblance générale, pourvu qu’on les regarde détachées de l’histoire ; et qu’on veuille oublier quelque temps ce qu’elle dit de contraire à ce que nous inventons11. » Et le premier exemple que donne alors Corneille, c’est Nicomède… Cette « vraisemblance générale » semble être interne à la pièce dans l’esprit de Corneille.
8 Appian Alexandrin, éd. cit., p. 197. 9 Ibidem. Cf. Discours de la tragédie, éd. cit., t. III, p. 159. 10 Discours de la tragédie, éd. cit., p. 160. 11 Discours de la tragédie, p. 169.
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Si toutes ces notions théoriques regardent le travail du dramaturge, il faut noter qu’elles prennent aussi en compte le point de vue du spectateur. C’est lui en définitive qui autorise ou non, par son adhésion ou son refus, les entorses à la vérité historique. L’art du dramaturge, par la « vraisemblance générale », va être de créer une autre vérité, aussi « plausible » que celle de la réalité et donc acceptable par le spectateur. Pour la même raison, Corneille évite de heurter ce dernier en brutalisant les conventions morales qui fondent son rapport avec lui. Les modifications apportées à l’histoire, aussi bien dans Rodogune que dans Nicomède, obéissent aux « bienséances ». Quoi que rapporte l’histoire, il serait impossible que des héros positifs, comme Nicomède ou Antiochus, soient des fils parricides, quand bien même ils agiraient en quelque sorte en légitime défense. Même les crimes de Cléopâtre sont d’une certaine façon atténués, du moins sur scène. Elle a bien tué (ou seulement fait tuer ?) son mari, infidèle, il est vrai, Démétrius (et là, Corneille suit Appien plutôt que Justin) et son fils Séleucus, mais le spectateur ne le voit pas, et ce à quoi il assiste en revanche, c’est à son suicide, un crime, certes, pour une société chrétienne, et, de surcroît, commis avec des intentions monstrueuses, mais qui ne manque pas de grandeur et qui ne fait qu’une victime : la criminelle elle-même. Crime et châtiment, ici, coïncident totalement… À la vraisemblance générale, aux bienséances, Corneille ajoute ailleurs une autre justification possible des modifications de l’histoire au théâtre : c’est la « nécessité », c’est-à-dire l’obligation pour l’auteur de prendre les moyens qui conduiront l’action au point où il veut la voir aboutir12. En fait, d’une manière plus générale, Corneille affirme la primauté de la logique et de l’effet dramatiques sur le respect de la vérité historique. De ce point de vue, nos deux tragédies fournissent un exemple particulièrement remarquable du traitement dramatique de la matière fournie par l’historiographie antique. On trouve d’ailleurs des traits communs dans les deux pièces. Ainsi en va-t-il par exemple de la très forte concentration dramatique à laquelle procède Corneille dans les deux cas. Il est en cela fidèle, non seulement à l’esthétique de la tragédie classique, mais, contrairement à une opinion qui traîne encore par-ci par-là, à ses propres convictions. Corneille ne s’est jamais voulu esclave des « règles » entendues d’une façon étroitement normatives, ni d’ailleurs, ce qui importe pour notre sujet, de l’imitation des Anciens, mais son idéal reste bien celui d’un resserrement du 12 Sur la notion de nécessaire, voir Discours de la tragédie, éd. cit., p. 170 ; cf. p. 162-166.
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temps, de l’espace, de l’action, en tant que cela permet de donner une vigueur particulière aux effets dramatiques. Dans Rodogune, la tragédie accomplit même la prouesse de faire absolument coïncider le temps de l’action et celui de la représentation13. Nous devons à cet exploit technique de Corneille l’effet impressionnant du célèbre acte V qui rassemble en une demi-heure de temps la préparation de la coupe empoisonnée par Cléopâtre, l’offre de cette coupe à Antiochus, l’annonce de l’assassinat de Séleucus, l’hésitation sur la « main » qui a commis ce crime, l’effort de Cléopâtre pour convaincre son fils de boire la coupe et son suicide final, quand elle boit elle-même le poison pour essayer – en vain – d’entraîner Antiochus (et Rodogune) avec elle dans la mort. Surcroît de concentration et de jeu sur les émotions, ces scènes terribles prennent place au cours de la cérémonie festive qui doit conclure à la fois la ratification du traité de paix entre la Syrie et les Parthes, et – conditions de cette ratification – le couronnement de l’héritier du trône de Syrie et son mariage avec Rodogune. Le « jour14 » dans lequel s’inscrit l’action est donc surchargé de sens et d’enjeux. Nous sommes évidemment loin des récits d’Appien et de Justin qui situent les mêmes événements – traité avec les Parthes, assassinat de Séleucus, mort de Cléopâtre par le poison –, sur une période de plusieurs années. Dans Nicomède, les événements, à vrai dire majoritairement inventés par Corneille lui-même, sont également rapprochés d’une manière à la fois vraisemblable et saisissante : le retour de Nicomède en Bithynie, l’accusation portée contre lui par Métrobate et Zénon à l’instigation de sa belle-mère Arsinoé, son arrestation, l’insurrection du peuple en sa faveur, l’envoi du héros en exil à Rome, sa libération par Attale avant même qu’il n’ait quitté Nicomédie, tout cela se fait dans la même journée, quand le récit de Justin, pourtant moins chargé en événements, donne l’impression d’une durée bien plus longue, qui aboutit « enfin15 » au meurtre de Prusias. 13 Voir le Discours des trois unités, éd. cit., p. 184. Corneille justifie l’unité de temps, non par « l’autorité d’Aristote », qui pourrait être « tyrannique », mais par le souci de porter la ressemblance la plus grande possible entre le monde de la représentation et le monde réel : « resserrons l’action du poème dans la moindre durée qu’il nous sera possible, afin que sa représentation ressemble mieux, et soit plus parfaite » (ibidem). 14 « Je ne puis oublier que c’est un grand ornement pour un poème que le choix d’un jour illustre et attendu depuis quelque temps » (Discours des trois unités, éd. cit., p. 186). Parmi les exemples que cite Corneille figure Rodogune. Cf. l’Examen de Rodogune, éd. cit., p. 200. 15 Avis Au lecteur de Nicomède, éd. cit., p. 640.
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À ce resserrement dans le temps correspond une intrication remarquable d’actions, d’intrigues et de complots. Là aussi Corneille renchérit sur les données de l’histoire au profit de l’effet dramatique. Dans Rodogune, par un redoublement d’horreur, au complot de Cléopâtre contre ses fils et contre Rodogune, dont Appien et Justin lui donnent le sujet, il ajoute la rivalité amoureuse des deux frères, le chantage de leur mère (le trône ira au meurtrier de Rodogune), mais aussi celui de leur bien-aimée : elle donnera sa main à celui des deux frères qui tuera sa mère... D’une façon analogue, dans Nicomède, au conflit du père et du fils que lui fournit l’histoire, Corneille mêle le complot d’Arsinoé pour perdre Nicomède et l’action défensive en retour de Laodice, sans même parler des phénomènes de conversion héroïque, dont l’évolution d’Attale est le plus remarquable exemple. Par un paradoxe apparent, le resserrement du temps s’accompagne d’effets saisissants de « suspension16 », pour reprendre le langage de Corneille, dont on aurait plutôt attendu qu’ils dilatent le temps. Le renversement de l’acte I à l’acte II du salut apparent de Rodogune à sa perte décidée par Cléopâtre, les exigences barbares successives imposées par Cléopâtre, puis par Rodogune aux jumeaux pour obtenir ou le trône ou le mariage avec l’aimée, créent une attente angoissée du spectateur continuellement renouvelée. Le sommet de ce jeu dramatique se situe évidemment à l’acte V, autour de cette coupe, qu’Antiochus manque plusieurs fois de boire, alors que le spectateur la sait empoisonnée. De la même façon Corneille joue avec les nerfs du spectateur dans Nicomède. Le héros semble d’abord perdu par les fausses révélations de Métrobate et de Zénon. À peine a-t-il trouvé la parade et le spectateur repris son souffle que la colère de Prusias l’envoie en exil à Rome ; à peine l’insurrection du peuple semble-telle l’avoir sauvé de l’exil que Prusias menace de le tuer, pour se contenter finalement de le faire embarquer pour l’Italie par une voie détournée. Ainsi tout danger, à peine est-il écarté, en voit un autre lui succéder. Là encore cet usage du temps ne se trouve pas dans les sources historiques, à une exception près cependant, qui concerne Rodogune et qui provient précisément de Justin, nous le verrons. Ce n’est pas contradictoire avec la réputation justifiée qu’a Corneille de brosser de splendides tableaux historiques. Mais il les peint avec les moyens du théâtre. Le temps de Corneille, c’est le temps dramatique, non le temps historique. 16 Sur l’usage du mot « suspension » par Corneille, voir la notice de G. Couton sur Rodogune, éd. cit., p. 1277.
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Un autre aspect frappant de la transformation des données historiques par Corneille dans les deux pièces se remarque dans le relief extraordinaire qu’il a donné à ses personnages, et en particulier aux deux protagonistes, Cléopâtre et Nicomède. Aucun des deux n’a d’envergure marquante dans les récits des historiens. Corneille va les grandir tous deux dans deux directions totalement opposées, preuve encore de la capacité d’invention et de renouvellement qui caractérise son théâtre. Si la transformation de la reine de Syrie en monstre fascinant peut trouver quelques préparations dans les récits d’Appien et surtout de Justin, la métamorphose de Nicomède en héros généreux et quasi parfait est nous l’avons déjà vu, un renversement complet des données de l’histoire, d’autant plus frappant que celles-ci auraient pu conduire au contraire à faire de Nicomède (ou de Prusias) un autre monstre dans la lignée de Cléopâtre précisément. On peut se demander s’il est encore possible pour le spectateur de s’intéresser à des personnages qui sortent tellement de son champ d’expérience. Nous sommes très éloignés des personnages ni tout à fait bons ni tout à fait méchants voulus par Aristote (et, plus tard par Racine !). Peut-on éprouver autre chose que de l’horreur pour Cléopâtre ? Oui manifestement, et Corneille l’explique très bien : « Tous ses crimes sont accompagnés d’une grandeur d’âme qui a quelque chose de si haut qu’en même temps qu’on déteste ses actions, on admire la source dont elles partent17. » Cependant comment pourrait-elle susciter de la pitié ? et surtout de la crainte, étant entendu que, pour Corneille, la purgation des passions ne vient pas de la crainte que l’on ressent pour le personnage mais de celle que le spectateur éprouve de connaître les mêmes malheurs en commettant la même faute ? La réponse de Corneille est assez étonnante. Loin des idées courantes sur l’instinct maternel, elle établit un rapport inquiétant entre les mères « normales » et les mères monstrueuses et montre encore une fois combien la psychologie des auteurs du XVIIe siècle pressent souvent les découvertes futures de la psychologie des profondeurs. Certes, dit-il, peu de mères sont capables d’envisager consciemment le meurtre de leurs enfants pour éviter de leur rendre un bien auquel elles tiennent par-dessus tout (le pouvoir, pour Cléopâtre), « mais il en est assez qui prennent goût à en jouir, et ne s’en dessaisissent qu’à regret, et le plus 17 Discours du poème dramatique, éd. cit., t. III, p. 129. Cléopâtre s’inscrit dans la galerie des grandes criminelles cornéliennes, inaugurée dès la première tragédie du dramaturge. « Cette seconde Médée », appelle-t-il la reine de Syrie (Appian Alexandrin, éd. cit., p. 197).
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tard qu’il est possible18 ». L’on n’éprouve donc pas de pitié pour Cléopâtre, mais son sort peut inspirer la crainte. C’est exactement l’inverse pour Nicomède : les périls qu’il court inspirent la pitié, mais non la crainte, puisqu’il ne commet aucune faute. Le spectateur ne peut donc croire qu’il soit menacé lui-même de connaître de semblables épreuves en commettant une faute similaire19. Mais, dans les deux cas, une des émotions que veut susciter l’action tragique dans le spectateur est produite, et cela suffit, aux yeux de Corneille. La fidélité de Corneille aux éléments historiques est donc subordonnée à ses visées dramatiques. Ajoutons qu’il joue certainement sur la pluralité des sources et sur leurs éventuelles variations, voire leurs contradictions. Pour Rodogune, nous avons déjà dit qu’il invoque prioritairement Appien, et Justin seulement en complément. Il fait aussi allusion au premier livre des Maccabées dans la Bible, auquel il a emprunté certains traits des récits de Laonice à l’acte I, par exemple l’allusion à Tryphon. Il mentionne encore Flavius Josèphe et le livre XIII de ses Antiquités Judaïques : c’est peut-être là qu’il a trouvé le surnom de Nicanor donné au Démétrius époux de Cléopâtre (Josèphe dit en fait Nicator). Pour Nicomède, seul Justin est cité comme source par Corneille, et nous avons vu combien peu il retient de l’historien. En revanche, il est évident qu’il recourt à de nombreuses autres sources antiques, ne serait-ce, par exemple, que pour évoquer la figure de ce véritable personnage invisible de Nicomède qu’est Hannibal. Et il ne faudrait pas oublier les sources modernes, les histoires de l’Antiquité du début du XVIIe siècle, comme celle de Scipion Dupleix, ou, sur les thèmes plus que sur les faits, le Discours de Machiavel sur la première décade de Tite-Live20. C’est de cette pluralité que naît en définitive sa liberté. On pourrait encore se demander pourquoi après tout Corneille tient tellement à traiter des sujets empruntés à l’histoire – ou à la mythologie à laquelle il prête un statut somme toute peu différent21 –, alors 18 Discours de la tragédie, éd. cit., p. 147. On notera au passage que c’est bien son attachement au pouvoir qui explique la monstruosité de la reine et non sa haine de Rodogune. 19 Ibidem. 20 Sur ces sources de Nicomède, voir le développement sur la « genèse de Nicomède » dans la notice que G. Couton consacre à la pièce (éd. cit., p. 1459-1471). 21 Corneille écrit par exemple : « La fable et l’histoire de l’Antiquité sont si mêlées ensemble que pour n’être pas en péril d’en faire un faux discernement, nous leur donnons une égale autorité sur nos théâtres » (Discours de la tragédie, éd. cit., p. 157). Un peu plus loin il semble considérer comme un événement historique le meurtre de Clytemnestre par Oreste (p. 161).
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qu’il se révèle si désinvolte dans le traitement des données. Pourtant il a deux raisons fondamentales de ne pas renoncer à l’histoire. La première est d’ordre dramaturgique : lorsque l’action suppose des situations invraisemblables ou extrêmement choquantes, par exemple une mère qui veut assassiner ses fils, il faut au dramaturge pour entraîner l’adhésion du spectateur la garantie de l’histoire : en établissant que les faits se sont réellement produits, elle donne à l’intrigue la crédibilité obligée qu’entraîne la vérité22. La seconde est que, quelles que soient les libertés qu’il prend par rapport à tel ou tel événement particulier, Corneille ne renonce nullement à donner d’une façon plus générale une véritable leçon d’histoire et à fonder sur l’histoire une philosophie politique ou morale et, bien évidemment, une philosophie de l’histoire. Le cas de Nicomède est particulièrement significatif de ce point de vue. Il est peu de pièces où Corneille contredise aussi violemment ses sources historiques, Justin en l’occurrence. Or rarement, autant que pour cette pièce, a-t-il soutenu aussi nettement que son projet, quand il écrivait, relevait d’abord de l’histoire : « Mon principal but a été de peindre la politique des Romains au-dehors, et comment ils agissaient impérieusement avec les rois leurs alliés (…)23. » Et c’est alors que l’on retrouve toute l’importance de Justin dans la création cornélienne. Nous parlions tout à l’heure d’Hannibal comme un personnage invisible de Nicomède. On pourrait parler, à côté de sa présence visible, en définitive assez pauvre, d’une présence invisible, peut-être bien plus considérable, de Justin dans la genèse de Rodogune et de Nicomède. Si l’on prend les deux aspects les plus forts de Rodogune, c’est-àdire le personnage de Cléopâtre et le dénouement de l’acte V, on s’aperçoit à quel point Corneille est en fait redevable à Justin. En ce qui concerne Cléopâtre, Appien donne pour motif à ses crimes sa haine de Rodogune et son « indignation » devant le second mariage de Démétrius. Même le meurtre de Séleucus et la tentative d’empoisonnement d’Antiochus sont rapportés à cette cause24. Il n’est pas question 22 Corneille s’appuie pour soutenir cette position sur l’autorité d’Aristote. Voir le Discours de la tragédie, éd. cit., p. 161. 23 Examen de Nicomède, éd. cit., p. 641. 24 Corneille traduit ainsi le récit d’Appien : « Démétrius retourné en son royaume fut tué par sa femme Cléopâtre, qui lui dressa des embûches en haine de cette seconde femme Rodogune qu’il avait épousée, dont elle avait conçu une telle indignation que pour s’en venger elle avait épousé ce même Antiochus, frère de son mari » (Appian Alexandrin, éd. cit., p. 195). Appien explique ensuite le meurtre de Séleucus soit par la peur qu’il ne veuille venger son père, soit pas une extension de la haine de Cléopâtre du père sur le fils (p. 196). Au contraire, la Cléopâtre de
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de nier que Corneille reprenne quelque chose de cette haine dans sa tragédie. Mais ce qui fait la sombre « grandeur d’âme » de Cléopâtre, ce qui fait que l’on admire « la source dont partent (ses actions)25 », c’est la passion pour le pouvoir de la Reine, une passion pour laquelle elle est prête à supprimer non seulement la vie de ses fils, mais jusqu’à la sienne propre26. Or cette passion, c’est dans Justin que Corneille l’a trouvée. C’est lui qui traite Cléopâtre de « femme affamée de pouvoir ». Si elle tue Séleucus, c’est « parce qu’il avait pris le diadème sans l’autorisation de sa mère ». Et, si elle cherche plus tard à empoisonner Antiochus-Grypos, qui n’avait d’abord eu « que le nom de roi » afin que « tout le pouvoir fût entre les mains de sa mère », c’est qu’il s’est émancipé et que Cléopâtre, « après avoir trahi son mari, Démétrius, et tué un de ses fils, souffrait de voir son autorité diminuée par la victoire de l’autre » (sur un roi rival nommé Alexandre)27. Le caractère grandiose dans le mal de Cléopâtre est déjà tout entier dans le récit de Justin. Quant à la dramatisation de la scène de la coupe empoisonnée, elle est absente du texte d’Appien, on ne peut plus sec, mais on en trouve un peu plus qu’une ébauche dans Justin, avec des coups de théâtre, des dissimulations, une « suspension » et une esquisse de dialogue qui annoncent la théâtralisation future de l’épisode : « Elle lui présente une coupe de poison. Mais Grypos, averti du piège, la prie de boire elle-même, comme s’il voulait rivaliser de tendresse avec sa mère. Elle refuse ; il insiste ; à la fin il produit le dénonciateur et accuse sa mère, affirmant qu’elle n’a qu’un moyen de se justifier du crime, c’est Corneille dit à Laonice : « Sans violence aucune / J’aurais vu Nicanor épouser Rodogune / Si content de lui plaire et de me dédaigner, / Il eût vécu chez elle en me laissant régner » (éd. cit., v. 463-466). On notera que le verbe « régner », ici en position forte à la rime, revient d’une façon obsessionnelle dans le langage de Cléopâtre et, d’une façon plus générale, dans toute la pièce. 25 Voir la note 17. 26 Jean Miernowski synthétise ainsi le rôle de Cléopâtre dans Rodogune : « Le savoir occulte que la reine cache aux yeux du monde est l’union intime de l’amour pour le pouvoir et de la haine pour tous ceux qui pourraient mettre en péril sa puissance » (cf. son article, « Le plaisir tragique de la haine. Rodogune de Corneille », Revue d’Histoire littéraire de la France, 103, 4, 2003, p. 809). 27 Toutes les citations de Justin sont données dans la traduction par E. Chambry et L. Thély-Chambry de l’ouvrage de Justin : Abrégé des Histoires philippiques de Trogue Pompée et Prologues de Trogue Pompée, Paris, Garnier, 2 tomes, 1936. Les textes cités se trouvent au livre XXXIX, successivement au chapitre II (éd. cit., p. 207), au chapitre I (p. 205), et de nouveau au chapitre II (p. 207). La nouvelle traduction, en cours de publication, de B. Mineo, ne couvre malheureusement pas encore le livre XXXIX.
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de boire ce qu’elle a offert à son fils28. » Certes, Corneille a évité de faire d’Antiochus-Grypos un parricide29, il a donné la force du suicide à la mort de Cléopâtre, librement choisie par elle pour y entraîner ceux qu’elle hait parce qu’ils la privent du pouvoir, mais le mouvement de son acte V mime d’assez près le récit de Justin, intensément dramatique, au sens premier du terme. La conclusion de Justin a pu d’ailleurs inspirer fortement l’auteur français du XVIIe siècle : « Ainsi la reine vaincue voit son crime se tourner contre elle et meurt par le poison qu’elle avait préparé pour un autre30. » Si, selon Corneille, Nicomède tire son origine d’un récit de Justin, nous avons vu combien le dramaturge avait transformé ce récit, au point qu’on pourrait presque se demander ce qu’il lui doit réellement. Mais l’influence de Justin ne gît peut-être pas d’abord là où elle est avouée. Notons au passage un point secondaire, mais révélateur de l’attention avec laquelle Corneille a lu l’historien latin. Il n’est pas question d’une Laodice quelconque dans le récit fait par Justin de la révolte de Nicomède contre Prusias. Mais il existe bien un couple Nicomède-Laodice dans l’Abrégé des Histoires philippiques de Trogue Pompée. Il a régné à peu près un siècle après les héros de Corneille, et surtout il présente de curieuses analogies avec le couple de la pièce. Ce Nicomède, roi de Bithynie, fut bien un héros conquérant à la différence du fils de Prusias, il a même conquis la Cappadoce, exploit que Corneille prête à son homonyme. Quant à la Laodice historique, sa ressemblance avec le personnage de Corneille est moindre, mais il s’agit cependant aussi d’une princesse menacée de captivité et qui trouve son salut dans le mariage avec Nicomède31. Il est difficile de ne pas penser que Corneille a opéré une contamination entre les deux Nicomède et emprunté sa Laodice à Justin. Bien plus profondément, c’est l’orientation politique, historique et morale de Nicomède qui trouve une source dans Justin. On se rappelle que Corneille dit que « son principal but » a été de peindre la politique extérieure des Romains, en particulier à l’égard des « rois leurs alliés, leurs maximes pour les empêcher de s’accroître, et les soins qu’ils prenaient à traverser leur grandeur quand elle commençait à leur devenir suspecte à force de s’augmenter et de se rendre considérable 28 Abrégé, traduction citée, livre XXXIX, chapitre II, p. 207. 29 Pour les mêmes raisons et contrairement à ce qu’affirme Justin (op. cit., livre
XXXIX, chapitre I), il lave Séleucus et Antiochus de toute responsabilité dans la mort de leur père. 30 V. livre XXXIX, chapitre II, p. 207. 31 Tout ceci se trouve dans le livre XXXVIII de l’Abrégé, au premier chapitre.
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par de nouvelles conquêtes32. » C’est bien en effet ce que l’on voit dans la pièce. Mais cette dénonciation de la politique de Rome « audehors » et de sa volonté de tenir en laisse des rois qu’elle ne laissait plus mériter le titre de souverains, encore une fois, Corneille a pu la lire dans Justin. Le remarquable discours de Mithridate à ses troupes aux chapitres IV, V, VI et VII du livre XXXVIII de l’Abrégé contient déjà tous ces thèmes. On peut en résumer l’esprit par cette citation : « Car ce que [les Romains] poursuivent, ce ne sont pas les fautes des rois, mais leur force et leur majesté33. » En un sens on peut dire que, dans Nicomède, Corneille complète, voire corrige Justin par Justin. La situation du discours de Mithridate au livre XXXVIII de l’Abrégé attire l’attention sur le rôle déterminant que semble avoir joué ce livre dans la genèse invisible de Rodogune et de Nicomède. Il faudrait plutôt parler de la séquence du livre XXXVIII et des trois premiers chapitres du Livre XXXIX. C’est dans cette séquence que se trouve l’histoire de Cléopâtre, reine de Syrie, même si Corneille ne désigne pas Justin comme source principale de Rodogune. C’est là encore donc que l’on peut lire le discours de Mithridate, une source majeure sans aucun doute de l’orientation historique et idéologique de Nicomède. C’est toujours là que nous retrouvons une Laodice donnant sa main à un Nicomède. C’est encore là, pourrait-on ajouter, qu’il est question d’une reine d’Égypte, qui règne après la mort de son mari, avec le pouvoir de transmettre la couronne « à celui de ses deux fils qu’elle choisirait34 », une situation qui rappelle d’une façon évidente celle de Cléopâtre dans Rodogune, situation absente en revanche du récit d’Appien et du reste de celui de Justin pour les événements de Syrie. Tout se passe en définitive comme si Corneille avait lu toute cette séquence en préparant sa Rodogune et avait réutilisé son dossier pour rédiger Nicomède35. Une fois encore le lien qui unit les deux
32 Avis Au Lecteur, éd. cit., p. 641. 33 Abrégé, éd. cit., livre XXXVIII, chapitre VI, p. 187. C’est peut-être aussi à
Justin que Corneille emprunte l’idée des v. 1727-1728 placés dans la bouche de Laodice : « Aussi bien Annibal nommait une folie/ De présumer la (Rome) vaincre ailleurs qu’en Italie ». Justin attribue en effet cette affirmation à Hannibal (Abrégé, livre XXX, chapitre V). 34 Abrégé, éd. cit., livre XXXIX, chapitre III, p. 208. 35 G. Forestier a déjà émis l’hypothèse que « c’est en travaillant sur le sujet de Rodogune » et en lisant alors Justin que Corneille avait découvert le sujet de Nicomède. V. G. Forestier, Essai de génétique théâtrale. Corneille à l’œuvre, Paris, Klincksieck, 1996, p. 264.
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pièces, et dont Corneille était tout à fait conscient36, apparaît clairement. Paradoxalement c’est un Justin caché, plus que le Justin avoué de l’avis Au lecteur de Nicomède, qui en est l’occasion. Cette impression se confirme quand l’on prête attention à un certain nombre de traits qui trahissent cette influence cachée. Même lorsqu’il modifie profondément les données historiques reçues, y compris de Justin, Corneille laisse subsister des traces du récit latin originel. Ainsi, dans Rodogune, par respect des bienséances et afin d’éviter que l’amour des deux jumeaux pour Rodogune n’ait quelque chose d’incestueux, Corneille veut que Démétrius Nicanor n’ait pas épousé la princesse parthe, contrairement à ce que rapporte Justin. Mais, dans la pièce, Rodogune parle bien de Démétrius comme d’un « époux », et Cléopâtre comme d’un « époux infidèle »37, et Laonice elle-même souligne qu’en Rodogune « l’un et l’autre frère/Trouve encor les appas qu’avait trouvés leur père38 ». L’inceste nié est suggéré. La pièce laisse entrevoir d’autres abîmes d’horreur que celles qu’elle expose explicitement... Si l’on prend Nicomède, l’on se rappelle que, selon le récit de Justin, et Prusias et Nicomède ont voulu la mort l’un de l’autre, et que Corneille dit avoir voulu écarter de sa pièce ces sentiments repoussants. Mais, dans la tragédie, Prusias déclare bien à un moment vouloir faire décapiter son fils39. Passe encore, pourrait-on dire pour le méprisable Prusias, mais le vertueux Nicomède de Corneille est insoupçonnable. L’est-il vraiment à ce point ? Arsinoé bâtit son complot sur la ressemblance de caractère entre le père et le fils40. Ce Nicomède « prompt et bouillant » n’hésitera d’ailleurs pas à dire à son père qu’il mourra comme un autre et qu’alors lui, Nicomède, montera sur le trône41. Et quand le machiavélique conseiller de Prusias, Araspe, proclame Nicomède trop vertueux pour correspondre au portrait qu’il dessine d’un fils impatient de régner à la place de son père et prêt à tout pour y parvenir, nous savons à la fois que, si l’on suit le déroulement explicite de la pièce, il 36 Les deux pièces sont souvent rapprochées dans le Discours de la tragédie. Voir p. ex., p. 148, 150, 153, 160, 172. On notera qu’une troisième pièce leur est souvent associée : Heraclius. Est-ce un hasard s’il s’agit encore d’une pièce à sujet oriental ? 37 Voir respectivement v. 1154 et v. 1515. G. Couton, dans une note sur le v. 1154, rappelle le sens ancien de « fiancé » qu’a eu le mot « époux » (éd. cit., p. 1305), mais, quand Corneille publie la pièce, c’est bien le sens actuel qui s’est imposé, comme le prouve d’ailleurs le v. 1515. 38 V. 235-236. 39 Voir le v. 1588 : « Sur ses nouveaux sujets, faisons voler sa tête ». 40 Voir le v. 357 : « S’il est prompt et bouillant, le Roi ne l’est pas moins » 41 V. Acte IV, scène 4, v.1351-1358.
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a raison de dire que Nicomède a trop de vertu pour pouvoir être factieux, mais que ce qu’il veut insinuer, c’est qu’il n’en est rien : or, dans l’histoire réelle, c’est Araspe qui aurait eu raison, et Nicomède fut bien l’assassin de son père42. Ainsi, dans l’une et l’autre tragédie, de même que le rôle véritable de Justin comme source de Corneille est occulté mais transparaît par moments, de même les intrigues des deux pièces transforment-elles profondément les données de Justin pour les laisser transparaître par moments, comme si Corneille voulait suggérer qu’une autre tragédie était possible, qu’il donnerait à lire par allusions, comme si Corneille dramaturge voulait jouir à la fois de la fiction et de l’histoire, des transformations des faits et des sources originales, comme s’il voulait écrire deux pièces à la fois. Et, d’une certaine façon, c’est encore par son travail même d’élaboration littéraire à partir d’un texte original que Corneille se rapproche de Justin. Celui-ci, ne l’oublions pas, remodèle lui aussi un texte original antérieur : les Histoires Philippiques de Trogue Pompée. Même sa manière de le faire peut se rapprocher de celle de Corneille. Paul Jal a montré que le titre de l’Abrégé ne rendait pas un compte exact du travail de Justin. Celui-ci ne se contente pas de résumer, il sélectionne, il choisit, il développe ce qui l’intéresse, élimine le reste43. Corneille aussi, d’une certaine façon, choisit les faits qui conviennent à son dessein, écarte les autres. Plus libre que l’historien, il peut en ajouter qu’il invente, mais la différence est peut-être moindre qu’il ne semble au premier abord : bien des discours de l’Abrégé, à commencer par celui de Mithridate, sont des créations littéraires de Justin44, selon un usage d’ailleurs légitime pour les historiens de l’Antiquité. C’est 42 V. acte II, scène 2. Il est frappant aussi que dans l’Examen de Nicomède (éd. cit., p. 644), Corneille semble regretter d’avoir fait revenir Prusias sur scène à la fin de l’acte V, et révèle que, dans une première version du dénouement, il avait laissé « sa mort en incertitude ». Certes, cela ne suffisait pas à faire de Nicomède un assassin, mais « cela ne démentait point l’effet historique » (la conclusion réelle du conflit du point de vue de l’histoire), contribuant ainsi à rapprocher le Nicomède de la scène du Nicomède historique. Or Corneille dit n’avoir modifié ce premier dénouement qu’à cause « du goût des spectateurs » qui aiment « voir rassembler tous (les) personnages à la conclusion de cette sorte de poème »… 43 V. son article « À propos des Histoires Philippiques : quelques remarques » in Revue des Études Latines, t. 65, 1987, p. 194-209 (en particulier ici, p. 196-197). 44 Justin dit qu’il n’a fait que traduire le discours de Mithridate, tel que Trogue Pompée l’a rédigé. La chose est discutée. Peu importe que le mérite du texte doive revenir à Trogue Pompée ou à Justin : nul ne doute en tout cas que ce discours est une composition littéraire et non la transposition exacte d’un discours de Mithridate. Pour P. Jal, « Justin est plus rhéteur qu’historien » (art. cit., p. 199).
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même sans doute vrai, au moins pour leurs détails, de certains récits comme celui de l’empoisonnement de Cléopâtre. L’intérêt de Justin se porte surtout vers les mirabilia, les horribilia. La liste qu’en dresse P. Jal conviendrait presque parfaitement au tableau que nous livre Corneille dans les deux tragédies : « assassinats, complots, exils, parjures, supplices atroces, empoisonnements, le tout souvent à l’intérieur d’une famille royale45 ». N’est-ce pas le monde de Nicomède et – encore plus – de Rodogune ? Toujours selon P. Jal, Justin, dans son travail de sélection, n’hésite pas à éliminer les systèmes de causalité, les enchaînements46. Là encore, n’y a-t-il pas une similitude avec le curieux usage de l’histoire auquel procède Corneille ? Celui-ci considère qu’il préserve suffisamment la vérité historique s’il maintient les « effets », alors que tout ce qui conduit à la conclusion des événements, les « circonstances », relève de la liberté d’invention du dramaturge. Cette conception sauve la vraisemblance dans la perception du spectateur, mais elle réduit à rien un travail fondamental de l’historien qui consiste à établir la logique historique qui explique l’enchaînement des événements. Justin ne semble pas très éloigné de partager la conception de Corneille. Mais n’est-il pas autant écrivain qu’historien, en tout cas au sens actuel de ce dernier mot ? L’histoire est l’un des genres littéraires sous l’Antiquité et l’est encore au XVIIe siècle. Les préoccupations d’un Justin ne sont pas d’abord scientifiques, même si cela ne revient pas à dire qu’il ne cherche pas sérieusement à tirer un enseignement des faits historiques : on pourrait dire la même chose de Corneille, même si, dans son cas, la nature d’abord littéraire de son travail apparaît avec bien plus d’évidence. Cependant les éditeurs de la plus récente édition de l’Abrégé donnent dans leur introduction à son édition un remarquable critère de sélection de Justin dans sa sélection des faits : « En fait Justin semble avoir privilégié dans son choix ce qui ressemblait à du roman ou à de la tragédie47. » De la tragédie : la voie était ouverte à Corneille… Les affinités entre Justin et Corneille s’étendent, semble-t-il, jusqu’à leur vision de l’histoire antique. L’œuvre de Justin comme les tragédies hellénistiques de Corneille nous peignent un Orient corrompu, criminel, rempli de vices, des cours royales chargées d’intrigues et de complots, où les sentiments les plus naturels sont quotidiennement 45 Article cité, p. 199. 46 Ibidem. 47 V. Justin, Abrégé des Histoires Philippiques de Trogue Pompée, livres I-X,
traduction et commentaire de B. Mineo, notes historiques de G. Zecchini, Paris, Les Belles Lettres, 2016. Introduction, p. XLVI.
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bafoués. Des hommes intègres et courageux subsistent encore, mais ils sont de ce fait même constamment menacés, car un tel monde les considère immédiatement comme un péril pour lui-même. Face à ces monarchies la Rome d’avant les empereurs brille par sa vertu48 (et Justin, pour sa part, considère même peut-être que la conquête de l’Orient met à risque la préservation de l’identité romaine). Pour autant Justin et Corneille n’en sont pas moins critiques tous deux visà-vis de l’impérialisme romain. La vertu romaine s’accompagne paradoxalement d’un machiavélisme, si l’ose cet anachronisme pour ce qui regarde Justin, tout à fait assumé et conscient en matière de politique étrangère. Ainsi l’on peut dire de Rodogune et de Nicomède ce que ses derniers éditeurs disent de l’Abrégé de Justin : c’est une critique et des monarchies hellénistiques et, dans le cas de Nicomède, tout à la fois de la domination romaine49. On voit la fécondité des rapports entre Corneille et Justin. Celui-ci, malgré les apparences, n’est pas seulement une simple ressource du dramaturge français qui y trouverait quelques traits qui viennent compléter le récit d’Appien, fondement avoué de l’intrigue de Rodogune, ou le point de départ d’une pièce, Nicomède, qui prendrait ensuite le contre-pied de cette origine. Justin apparaît au contraire comme une source profonde : profonde en ce qu’elle est cachée en profondeur, n’affleurant que par moments d’une façon visible, profonde aussi en ce qu’elle influence les fondements mêmes de la représentation historique et politique de Corneille. Le fait même qu’elle soit si souvent invisible montre à quel point Corneille a intériorisé les influences de Justin, les a mêlées avec d’autres, pour constituer une œuvre qui est totalement sienne et dont les exigences sont d’abord d’ordre dramatique. L’on ne peut que rester impressionné par la culture de Corneille, surtout si l’on songe qu’elle n’est pas seulement antique, mais encore humaniste et moderne. Même au XVIIe siècle Justin n’était pas un auteur majeur connu de tous les honnêtes gens. C’est d’ailleurs sans doute une raison pour laquelle Corneille peut faire appel à lui sans crainte et aussi modifier et même bouleverser certaines données venues de son texte : la mémoire du spectateur n’est pas en état de jouer un 48 L’Attale de Corneille dira aussi bien à Arsinoé : « Madame, je n’ai vu que des vertus à Rome » (Acte III, scène 1, v. 1116) que, dans un monologue, après son entretien privé avec Flaminius : « Attale, était-ce ainsi que régnaient tes ancêtres ? / Veux-tu le nom de roi pour avoir tant de maîtres ? » (Acte IV, scène 6, v. 14671468). La vertu romaine ne s’oppose pas à une domination impitoyable exercée sur des rois, qui ne sont plus souverains qu’en apparence. 49 Voir l’introduction à l’édition citée de 2016 de l’Abrégé, p. XX sq.
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rôle critique face aux références à un écrivain aussi secondaire50. Mais, de toute façon, les influences exercées par Justin, les affinités éventuelles avec lui, n’enlèvent rien à la puissante originalité de Corneille. Au contraire elles montrent le génie qu’on dirait d’innutrition, d’inculturation, de Corneille, sa remarquable capacité à assimiler les diverses matières empruntées pour les faire entièrement siennes, pour les plier à ses lois, pour les mettre au service de ses objectifs littéraires, dramatiques et idéologiques propres. Corneille a revendiqué avec fierté la liberté de l’écrivain51 et fait preuve d’une conscience aiguë de la nature exacte de son travail. Ses trois Discours sont à cet égard d’une lucidité exemplaire. Découvrir l’importance du rôle d’un écrivain secondaire de l’Antiquité dans la genèse de deux de ses chefs-d’œuvre, découvrir le côté stimulant et fécond de la possession d’une vaste culture antique pour la création d’une œuvre moderne, ce n’est pas diminuer le mérite et l’originalité de Corneille, c’est au contraire les mettre dans leur jour exact, dans tout l’éclat de la lumière. Bibliographie Chambry, E., Thély-Chambry L., traduction de l’ouvrage de Justin : Abrégé des Histoires philippiques de Trogue Pompée et Prologues de Trogue Pompée, Paris, Garnier, 2 tomes, 1936. Couton, G., Œuvres complètes de Corneille, Paris, Bibliothèque de la Pléiade, 1984 (tome I, 1980, et tome III, 1987). Forestier, V. G., Essai de génétique théâtrale. Corneille à l’œuvre, Paris, Klincksieck, 1996. Jal, P., « À propos des Histoires Philippiques : quelques remarques », Revue des Études Latines, 65, 1987, p. 194-209. Miernowski, J., « Le plaisir tragique de la haine. Rodogune de Corneille », Revue d’Histoire littéraire de la France, 103, 4, 2003, p. 789-821. 50 Corneille est bien conscient de l’avantage que lui confère le choix d’un sujet rapportant des faits relatés par un écrivain peu connu et donc ignorés de la majorité des spectateurs. Parlant dans la conclusion du Discours de la tragédie du « privilège » « qu’a le poète d’aller contre la vérité » (historique) et « contre la vraisemblance », il répond : « Il m’était beaucoup moins permis dans Horace, et dans Pompée, dont les histoires ne sont ignorées de personne, que dans Rodogune et dans Nicomède, dont peu de gens savaient les noms avant que je les eusse mis sur le théâtre » (éd. cit., p. 172). 51 Corneille proclame la « liberté du poète » à plusieurs reprises dans le Discours sur la tragédie. V. par exemple p. 162 ou p. 172 (éd. cit.).
Index Cette table alphabétique (de sujets traités, de noms cités, de mots-clés et de rubriques) ressortit au choix des éditeurs de ce volume. A Aelius Aristide, 4, 24 ager publicus, 319, 320, 322, 323, 325-327, 329-331, 333, 335, 336 Alimenta, 319, 330, 332, 333, 335, 336 annales, 1, 107, 108, 218, 226, 365 annaliste(s), 3, 53, 55, 59, 60, 107, 120, 243, 365 Antoine, 6, 42, 45, 47, 71, 112, 115, 151, 152, 277 Appien (Appian), 3, 4, 7, 42, 91, 97, 126, 128, 129, 184, 276, 284, 288, 340-351, 366, 368-375, 377, 381 Appius Claudius Inregillensis, 302-305 Appius Claudius Pulcher, 302, 306-311 Arrien, 284, 287-290 Auguste (Augustus), 4, 7, 54, 57, 67, 68, 71, 73, 75, 91, 112, 115, 116, 118, 130, 131, 208, 210, 222, 277, 289, 290, 296, 312, 313, 315, 316, 320, 339, 340, 342, 344-351, 354, 355, 357, 358 Aulu-Gelle (Aulus Gellius), 108, 128, 152, 176, 182-185, 189-191, 194, 200
autobiographie (autobiography), 1, 7, 189, 208, 339, 340, 342, 344-352, 354, 355, 357 B barbare/barbarie, 103, 130, 287-290, 292- 298, 371 biographie(s), 1, 4, 133, 251, 253, 311, 314 C
Calenus, 41-43, 46, 47 Catalepton/Catalecton, 5, 137, 138, 142, 143, 145-147, 149, 150, 152-154 Caton l’Ancien (Cato), 1, 15, 125-128, 137, 168, 176, 177, 180, 181, 186, 189, 193, 194, 197, 199, 202, 203, 206, 209, 323, 324 causality, 162 Censorinus, 51-62, 76, 152 Chronicon Pontificum et Imperatorum, 237, 238 chronologie (chronology), 56, 63, 69, 70, 81, 113, 114,
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159, 169, 201, 226, 239, 246, 250, 251, 255, 308 Cicéron (Cicero), 2, 5, 13, 14, 18, 31, 34, 42, 44, 79, 91, 102, 123, 125-127, 133, 151154, 157-159, 166, 170, 175177, 182, 185, 186, 189, 192-194, 197, 199, 200, 202, 211, 286, 296, 302, 307-310, 316, 324, 330, 331, 343 Claudius Quadrigarius, Q., 190, 191, 193 Coelius Antipater, L., 176, 185-189, 193, 194, 198, 199 Corneille, 7, 365-374, 376-382 Cornelius Sisenna, L., 190, 193, 198, 203, 204, 209 D Daces, 281, 283, 284, 286, 288, 289 Dion Cassius (Dio Cassius), 3, 44, 107, 108, 114, 115, 118, 120, 187, 194, 261, 284, 288, 290, 328, 330, 331, 344, 348, 350, 356, 357 Denys d’Halicarnasse (Dionysius of Halicarnassus), 17, 24, 108, 160, 177, 243, 278, 340 dreams, songes, 48, 166-169
Index
E Ennius, 5, 127, 161, 169-171, 179, 180, 184, 199, 206, 209, 217, 229 experience, 164 F Fabius Maximus Servilianus, Q., 182 Fabius Pictor, 28, 79, 107, 108, 120, 160, 166, 167, 171, 176, 177, 193, 203, 204, 210, 216, 220 fabula praetexta, 161 Festus, 100 Flavius Josèphe, 373 Florus, 69, 274, 285, 288, 343 fortune, 19, 128, 165 Fronton (Fronto), 4, 123-134, 190, 191 G Geste de Liege, 238, 246-251, 254 Gètes/gétique, 281-297 Géto-Daces, 288 H Hérodote, 14-18, 20-24, 29, 31, 33, 34, 109, 166, 172, 282284, 286, 290, 291 Histoires philippiques, 7, 365, 376, 379
Index
historiae (histories, histoires), 1, 4, 23, 93, 110, 120, 124, 125, 129, 181, 190, 197-200, 202-205, 207, 209, 218, 365 historical present, 166 historical reconstruction, 160, 169, 187 historiography, contemporary, 159, 162 historiography, early Roman, 157-172 historiography, vs. poetry, 158 I inspiration, 3, 33, 127, 238 Ister/Danube, 282, 283, 284, 297 J Jean d’Outremeuse, 235-239, 244, 246, 250, 252, 253, 255 Jeux Séculaires, 52-54, 58, 61 Justin, 7, 365-367, 369-381 K ktisis poetry, 163 L Licinius Macer, C., 190, 192, 193, 203, 217, 243 Logistoricus/Logistorici, 3, 41, 46-48
385
Lucain, 81 Lucius Tarruntius, 80 Lucrèce, 81, 95, 303 Ly Myreur des Histors, 235, 238, 242, 247-249, 252 M Magna Mater (Grande Mère)/ Cybèle, 88-90, 92, 93, 9597, 103 Martin d’Opava, 238, 241, 245247, 250-255 N narrative historiographical, 164 narrative manner, 166 narrative, historiographical, 347 narrative, mythological, 165 Nerva, 319, 320, 322, 326-336 Nicomède, 7, 144, 365, 367374, 376-378, 380-382 O omens, 166, 189, 339, 348 omissions, 170, 171 oracles, 48, 167, 168 Ovide, 6, 90-93, 282, 290-298 P Pausanias, 283, 287 Plaute, 81, 102, 127, 303
386
Pline l’Ancien (Pliny the Elder), 68, 76, 77, 80, 81, 143, 148, 182, 202, 275, 283, 349 Plutarque (Plutarch), 80, 172, 177, 178, 185, 353 poetry, epic, 15, 25, 157-171, 179, 217, 218, 219 polemic, 14, 160, 198 Pomponius Mela, 76, 77, 143 Pont-Euxin, 281-284, 290, 291, 295, 298, 299 Praefationes (préfaces/ prefaces), 11-24, 28-30, 3235, 110, 164, 165, 171, 202, 210, 340, 341, 351 predecessors, 28 prooemium, 11-13, 16, 27 prophétie (prophecy), 48, 162, 168 R res gestae, 1, 218, 352, 353 revision, of earlier authors, 172, 207 Rodogune, 7, 365, 366, 368371, 373- 375, 377, 378, 380-382 roi(s), 6, 54, 68, 71, 74, 85, 92, 93, 124, 129, 184, 185, 236, 240-249, 251, 254-256, 288, 301-303, 367, 374- 377 roi(s) de Rome, 6, 58, 68, 69, 71, 72, 74, 221, 222, 236, 247, 253, 303, 304, 315, 316 Rome (origines de), 6, 28, 45, 48, 54-57, 59, 61, 62, 65, 67-
Index
72, 75, 78-81, 113, 115, 125, 160, 162, 168, 169, 210, 211, 235-239, 246-253, 255, 256, 342, 343 Romulus, 6, 62, 68, 69, 71, 73, 74, 79, 80, 130, 131, 162, 163, 169, 171, 177, 179, 181, 182, 221, 223, 235, 236 Romulus et Rémus, 236, 240247 royauté, 6, 71, 245, 254, 301 S Salluste (Sallust), 5, 15, 19, 125, 127, 128, 175, 192, 197-211, 307, 342, 343 Samnites, 257, 259-275, 277, 278 satire, 5 Sempronius Tuditanus, C., 182, 183, 209 Servius, 3, 51, 85, 87, 93, 96, 99-102, 114, 138, 181 siècle(s), 51-53, 57-62 Solin, 3, 65-70, 72-81, 91, 97 Strabon, 26, 144, 147, 148, 275, 276, 283, 285, 286, 288, 289, 291, 350, 356 T Thucydide, 16, 38, 266, 282, 287 Tiberius Claudius Nero, 114116, 119, 302, 311-316
Index
Tite-Live (Livy), 2, 6, 11, 15, 32, 55, 56, 61, 90-93, 98, 99, 108, 110, 120, 126, 127, 150, 169, 171, 178, 180-184, 187-189, 194, 203, 210, 211, 216, 219, 245, 246, 253, 254, 257-261, 265-267, 269, 272, 275, 278, 302, 303, 305, 316, 322, 343 Trajan, 7, 125, 129-131, 288, 290, 319, 332, 334-336 Trogue Pompée, 7, 365, 376, 379
387
V Valerius Antias, 53, 55-57, 61, 190-192, 305 Varron (Varro), 3, 41-45, 47, 51- 53, 56, 60-62, 76, 79, 80, 90, 163, 169, 250 Virgile (Virgil), 2, 3, 5, 81, 85, 87, 101-103, 137-139, 142, 143, 149, 150, 153, 154, 162, 181, 207, 275, 277, 303, 354, 357
Table des matières Préface
I
Avant-propos
1
Première partie Formes et significations de l’historiographie à Rome Historical Praefationes between Individual Programme and Literary Genre. The prooemium to Polybius’ Histories David Engels (Université libre de Bruxelles) Rencontre de l’histoire et de la religion dans le Logistoricus « Calenus » de Varron Yves Lehmann (Université de Strasbourg) Aude Lehmann (Université de Haute Alsace) Les annalistes dans l’enquête de Censorinus sur les Jeux Séculaires Gérard Freyburger (Université de Strasbourg) Aspects de l’historiographie dans le chapitre I des Collectanea rerum memorabilium et du Polyhistor du grammaticus Solin Robert Bedon (Université de Limoges) « †aius matris deum (Serv., Ad Aen. VII, 188) : petite enquête sur la Grande Mère » Alban Baudou (Université Laval-Québec) Dion Cassius, le dernier des « Annalistes » romains Marie-Laure Freyburger-Galland (Université de Haute Alsace)
11
41
51
65
85 107
390
Table des matières
Le fonctionnement de certains exempla historiques dans la correspondance de Fronton Pascale Fleury (Université Laval-Québec) Un exemple d’historiographie parodique : Sabinus le muletier Jeanne Dion (Université de Lorraine) Musing on the Past: Historical Epic and Epic History at Rome John Marincola (The Florida State University – Tallahassee)
123 137
157
Speech in the Early Roman Historians John Rich (University of Nottingham)
175
Sallust and the Annalists from Manuzio to Peter Federico Santangelo (Newcastle University)
197
On future Fragmenta and Testimonia Notes on the ExtraLiterary Evidence for Roman Republican Historiography Kaj Sandberg (Åbo Akademi University Finland)
215
Deuxième partie Les questionnements de l’historiographie romaine antique La figure de Romulus, fondateur de Rome, chez Jean d’Outremeuse, chroniqueur liégeois du XIVe siècle Jacques Poucet (Académie royale de Belgique/ Université de Louvain) L’image des Samnites chez Tite-Live. La vision des Italiens ennemis de Rome chez un auteur provincial Dominique Briquel (Université de Paris-Sorbonne, Paris IV/École Pratique des Hautes Études, Section des Sciences Historiques et Philologiques)
235
257
Table des matières
391
L’image des Gètes aux Ier et IIe siècles ap. J.-C. : tradition géographique et historiographique vs vision ovidienne Mouna Essaidi (Université de Tunis)
281
Rois, roitelets et aspirants à la royauté Yasmina Benferhat (Université de Lorraine)
301
La loi agraire de Nerva entre la tradition littéraire et gromatique : d’un mythe à un paradigme de gestion Ella Hermon (Université Laval-Québec) The Lives of Augustus Christopher Smith (British School at Rome/ University of St Andrews)
319 339
Troisième partie Permanence et rémanence de l’historiographie romaine aux temps modernes Justin, source ou ressource de Corneille François-Xavier Cuche (Université de Strasbourg)
365
Index
383
Table des matières
389
VOLUMES PARUS DANS LA COLLECTION RECHERCHES SUR LES RHETORIQUES RELIGIEUSES (RRR) 1 Bibliographie analytique de la prière grecque et romaine (1898-1998), par les membres du C.A.R.R.A., sous la direction de Gérard FREYBURGER et Laurent PERNOT. Deuxième édition complétée et augmentée (1898-2003), par les membres du C.A.R.R.A., sous la direction de Gérard FREYBURGER, Laurent PERNOT, Frédéric CHAPOT, Bernard LAUROT. Supplément à la deuxième édition (années 2004-2008), par les membres du C.A.R.R.A., sous la direction de Yves LEHMANN, Laurent PERNOT, Bernard STENUIT. Deuxième Supplément à la deuxième édition (années 2009-2013), par les membres du C.A.R.R.A., sous la direction de Bernard STENUIT 2 Corpus de prières grecques et romaines, Textes réunis, traduits et commentés par Frédéric CHAPOT et Bernard LAUROT. 3 Anima mea. Prières privées et textes de dévotion du Moyen Age latin, par Jean-François COTTIER. 4 Rhétorique, poétique, spiritualité. La technique épique de Corippe dans la Johannide, par Vincent ZARINI. 5 Nommer les Dieux. Théonymes, épithètes, épiclèses dans l’Antiquité, Textes réunis et édités par Nicole BELAYCHE, Pierre BRULE, Gérard FREYBURGER, Yves LEHMANN, Laurent PERNOT, Francis PROST. 6
Carmen et prophéties à Rome, par Charles GUITTARD.
7
L’hymne antique et son public, Textes réunis et édités par Yves LEHMANN.
8 Rhétorique et littérature en Europe de la fin du Moyen Age au et édités par Dominique DE COURCELLES. 9
XVIIe
siècle, Textes réunis
L’étiologie dans la pensée antique, Textes réunis et édités par Martine CHASSIGNET.
10 Supplicare deis. La supplication expiatoire à Rome, par Caroline FEVRIER. 11 La rhétorique de la prière dans l’Antiquité grecque, Textes réunis et édités par Johann GOEKEN. 12 Julius Valère, Roman d’Alexandre, Texte traduit et commenté par Jean-Pierre CALLU. 13 L’enseignement de la rhétorique au d’Ælius Aristide, par Jean-Luc VIX.
IIe
siècle après J.-C. à travers les discours 30-34
14 Rhétorique et poétique de Macrobe dans les Saturnales, par Benjamin GOLDLUST. 15 Ælius Aristide et la rhétorique de l’hymne en prose, par Johann GOEKEN.
16 Lessico, argomentazioni e strutture retoriche nelle polemica di età cristiana (III-V sec.), a cura di Alessandro CAPONE. 17 Aristoteles Romanus. La réception de la science aristotélicienne dans l’Empire grécoromain, Textes réunis et édités par Yves LEHMANN. 18 La déesse Korè-Perséphone: mythe, culte et magie en Attique, par Alexandra DIMOU. 19 Ælius Aristide écrivain, Textes réunis et édités par Laurent PERNOT, Giancarlo ABBAMONTE, Mario LAMAGNA, avec l’assistance de Maria Consiglia ALVINO. 20 Poétique de la prière dans les œuvres d’Ovide, par Virginie SUBIAS-KONOFAL. 21 Religion de Rome. Dans le sillage de Robert Schilling, Textes recueillis et édités par Nicole BELAYCHE et Yves LEHMANN. 22 La prière dans la tradition platonicienne, de Platon à Proclus, par Andrei TIMOTIN. 23 Le combat d’Arnobe contre les païens. Religion, mythologie et polémique au après J.-C., par Jacqueline CHAMPEAUX.
IIIe
siècle
24 Les Mystères. Nouvelles perspectives. Entretiens de Strasbourg édités par Marc PHILONENKO, Yves LEHMANN et Laurent PERNOT. 25 Rhétorique et thérapeutique dans le De medicina de Celse, par Aurélien GAUTHERIE. 26 Langage des dieux, langage des démons, langage des hommes dans l'Antiquité, Textes réunis et édités par Luciana Gabriela SOARES SANTOPRETE et Philippe HOFFMANN. 27 Figures mythiques et discours religieux dans l'Empire gréco-romain, Textes réunis et édités par Frédéric CHAPOT, Johann GOEKEN, Maud PFAFF-REYDELLET. 28 Homère rhétorique. Études de réception antique, Textes réunis et édités par Sandrine DUBEL, Anne-Marie FAVREAU-LINDER et Estelle OUDOT. 29 Savoir/Pouvoir. Les bibliothèques de l’Antiquité à la modernité, Textes réunis et édités par Yves LEHMANN. 30 La fortuna umanistica di Elio Aristide, par Daniela CASO. 31 Segetis certa fides meae. Hommages offerts à Gérard Freyburger, Textes réunis et édités par Catherine NOTTER et Maud PFAFF-REYDELLET. 32 Passeurs de culture. Études sur la transmission de la culture grecque dans le monde romain des Ier-IVe siècles après J.-C., Textes réunis et édités par Anne-Marie FAVREAULINDER, Sophie LALANNE et Jean-luc VIX.