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French Pages 183 [188] Year 1949
L'ÊTRE ET LE TRAVAIL
BIBLIOTHÈQUE DE PHILOSOPHIE CONTEMPORAINE PSYCHOLOGIE ET SOCIOLOGIE, SECTÎON diRÏGÉE PAR MAURÎCE PRADINES
L'fTRE ET
LE TRAVAIL LES CONDITIONS DIALECTIQUES DE LA PSYCHOLOGtE ET DE LA SOCIOLOGIE
PAR
JulEs VUILLEMIN
PRESSES UNIVERSITAIRES DE FRANCE 108, BoulevARd SAiNT-GERMAiN, PARis 1949
DÉPOT LÉGAL l'• édition.
28 trimestre 1949 TOUS DROITS
de lraduction,de reproduction et d'adaptation
rèstirvés pour tous pays. COPYHIGHT by Preases Universitaire, de France, 1949
CHAPITRE PREMIER
LE PROBLÈME DU PSYCHOLOGISME
L'histoire du psychologisme, c'est celle du Cogito. Au moment où Descartes découvre dans la pensée la source de toute évidence et de toute certitude, au moment où il assigne à la vérité son origine dans cette adéquation cfo soi avt!c soi qui s'exprime dans l'expérience du doute, une d•mblc tradition philosophique s'instaure. D'une part le .Tc pense constitue la validité universelle de toute connaissance; en lui commence cette longue chaîne de raisons qui de proche en proche nous conduit à Dieu et à la nature. De l'autre il indique au moi son intimité; il rend l'âme plus aisée à connaître que le corps; il privilégie l'expérience psychologique en découvrant la spécificité du sens interne. Pour indiquer cette dualité du Cogito, Descartes en fait le type de toute évidence et lui confie ainsi le critère dernier de la vérité; mais il le réalise en même temps dans une substance qui est le lieu des faits de conscience. Ce sont ces deux traditions qui cheminent tantôt unies, tantùt distinctes dans l'histoire de la philosophie. Si Kant par la célèbre distinction des phénomènes et des noumènes, qui sert de principe à sa réfutation de l'idéalisme et à sa théorie du sens interne, refuse d'avantager l'expérience psychologique, et la prive même de l'objectivité phénoménale qui appartient aux objets des sciences naturelles, en la rejetant hors de l'espace dans la simple forme du temps, Maine de Biran cherche au contraire à rendre au sens intime sa signification métaphysique et pense trouver dans l'effort non seulement l'expérience du moi, mais la source jamais tarie de toute certitude et de cet absolu qui naît de la coïncidence parfaite entre la conscience de l'objet et la conscience de soi. Le dilemme est clairement défini : Kant ne nie pas l'existence d'une analyse psychologique, mais il prétend qu'elle ne nous apprend rien sur l'être en soi, sur la nature de notre âme et sur la signification de la vérité. Au contraire, Maine de Biran ne consent pas à dissocier l'analyse psycholo3, VUILIE'.\rlN
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gique de la recherche de la vérité. Dans un cas, on. admet bien, un Je pense au principe de tous les jugements synthétiques a priori; mais ce Je pense trânscendantal n'a rien de commun avec le sens intérne à travers lcqnd les phénomènes temporels du moi ·nous àpparaissent. Dans l'autre, on consent à dépouiller certaines apparences de la vie psychologique de toute certitude apodictique, mais 011 rfsf'T,•c c en général, ni en particulier sur la conscience du temps hors du présent actuel (2). Qu'il s'agisse de la représentation, qu'on retrouve sous tous les modes de conscience, des jugements ou des volontés, l'évidence n'habite donc que l'actualité de ces phénomènes et elle ne s'attache à eux qu'autant qu'ils sont vécus; par exemple l'amour et la haine tirent leur justesse ou leur fausseté, non pas de leur relation à un monde irréel de valeurs éternelles, mais de l'être même qui est immanent à la perception interne (3). Or, cette dernière conclusion condamne justement au psychologisme la psychologie descriptive. Quel sera en effet le critère de la fausseté ou de la justesse du vécu interne? Au moment où le psychologisme cherche à fonder l'évidence sur une conscience interne qu'il conçoit comme un redoublement à l'intérieur du moi d'une perception intentionnelle, il manque précisément ce qu'il dèmande. Sans doute affirme-t-il l'identité de lu conscience de soi et de la conscience de l'objet; mais, comme il entend psychologiquement cette identité, elle se scinde immédiatement en une dualité et une régression infinies, la conscience psychologique de soi comme objet ne pouvant jamais rejoindre adéquatement la conscience psychologique de soi comme sujet (4). L'intentionnalité qui définit la conscience n'est point une seule et même chose avec l'objectivité; mais le psychologisme vit de leur confusion (5). Et c'est parce qu'il confond le vécu (Erlebnis), seul objet possible d'une perception adéquate et d'une évidence, avec l'objet de ce vécu ( Gegensland) qui est susceptible de tous les degrés de l'approximation, c'est parce qu'il imagine des con(!)
(2) (3) (4) (5)
Wahrheit und Evidenz, I, S. 35-36; III, S. 6, 14, 20. ID., Jl,id., S. 24, 93. In., Ursprung der sitllichen Erkenntnis, S. 17. HussERL, Logische Untersuchungen, II, 1, S. 356. In., ibid., Il, I, S. 348-349, 371, 378.
BRE:'-ITANO,
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tenus de conscience, que la régression à l'infini est néœssaire pour rejoindre idéalement, une conscience de soi trahie en chose avec son fondement de validité et; que la perception interne_ se trouve injustement privilégiée au dctriment de la perception externe, à laquelle toute véritè est rd usée (1 ). Sans doute ne faudrait-il pas profiter de celle nouvelle J Mais dès lors une couche intentionnelle se distingue à l'intérieur de la conscience psychologique d'une couche non intentionnelle : « Les vécus intentionnels existent comme unités pour conférer le sens. Les data sensibles se donnent comme matières (Sloll) pour les formations et les constitutions de sens intentionnelles de degré différent (4). » ( 1) 1-IussERL, Logische Untersuchzmgen, Ire partie, chap. II. (2) lo,, Ibid., S. 172; II, 1, S. 392-393; :\lax ScHF.LER, Der Formalismus ... , S. 246-247, 252-2f>:l, 271-27'l; Zur PlzJ par laquelle l'ètre produit la représentation, comme on semble y incliner? Mais ce rapport de la conscience de l'objet avec la conscience de soi relève à son tour d'un acte destiné à fonder ontologiquement la conscience de. l'objet, qu'on ne peut admettre à litre de fétiche définitif par l'illusion d'un idéalisme renversé; les fictions de la représentation ne font que reculer le problème de la vérité. S'agit-il donc du fondement de cette vérité? On ne comprend pas alors comment un acte de conscience suffirait à justifier et à légitimer l'affirmation aveugle de la volonté de vivre. Si une solution existe au problème du psychologisme, elle doit consister, comme l'avait entrevu Lachelier, dans une dialectique vivante, (1) SCHELER, Die Stellung des Menschen im Kosmos, S. 220. (2) ID., Probleme einer So:ziologie des Wisscns, S. 29.
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dans un rapport concret de l'être à son sens, dans un acte ontologique dont nous n'avons trouvé la présence ni ùans la conscience réflexive, ni dans la conscience transcendantale, ni enfin dans le Cogito phénoménologique. _Le même retour à l'existence apparaît également - et c'est ce qui fait la valeur du rapprochement entre les deux phénoménologies - dans la dernière pensée de Husserl(l), dans le passage de la « constitution statique ii à la constitution « génétique )). Le sens du monde ne naît plus d'un Cogito intemporel, par lequel Ie temps reste une forme indifférente au contenu, mais l'histoire appartient à l'essence des actes ontologiques. Il y a une origine de la géométrie et l'invention des géomètres ne consiste qu'à « réactiver ii l'inspiration originaire de son créateur, en répétant l'acte opératoire sur des contenus et des symboles toujours nou-, veaux. Or comment cette constitution génétique pourrait-elle s'accorder avec la réduction phénoménologique, du moins si l'on entend celle-ci comme la séparation de l'essence et de l'existence, d'un monde noético-noématiquc et d'un univers sensible privé d'intentionnalité? N'est-il pas remarquable d'apercevoir dans les mathématiques et leur philosophie le même mouvement que dans l'éthique des valeurs? Le signifié cesse désormais de constituer un univers platonicien, comme il risquait de le faire dans la mesure où on l'enfermait dans un noème relatif à une noèse intentionnelle; l'historicité du Cogito rappelle au philosophe que l'existence est là, présente sous l'essence, et que l'acte ontologique qu'il recherche avec l'évidence ne pourra que lui échapper, tant qu'il mettra entre parenthèses, comme inutiles et dénués de signification, ces symboles sensibles dont il faut découvrir le lien véritable aux significations. Du même coup s'éclaire la nature de cette« couche non intentionnelle de la conscience ii, où nous avions rangé, pour éviter la confusion de l'objet et du vécu, les sensations et les sentiments sensibles. Si Ie problème du psychologisme nous a en effet conduit à cette conclusion paradoxale que le monde tout entier est impliqué par l'acte ontologique, un tel acte ne laisse originellement aucune place à des entités telles que la sensation et que le sentiment sensible. Nous devons donc retourner les principes de la psychologie descriptive, et dire que tous les vécus véritables sont intentionnels, mais que, précisément pour cette raison, ils ne peuvent apparaître à une intuition interne. C'est parce que la phénoménologie adoptait le postulat du psychologisme qu'elle a cru devoir distinguer deux couches de conscience et opérer la (1) HUSSERL, Die Frage nach der Ursprung (for Geometrie.
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c·o11crd d artud des actes, tels que les saisit l'évidcn!'c phéno-
mt'•1wlogiq1w après avoir opéré la réduction et avoir n\jct{~ dans la lransctmdance psychique du Je l'univers naturel, le corps et en g{·néral toutes les données objectives de l'intuition interne. La distinction schelerienne entre l'acte de Sentir (Fühlen) et la fonction du sentiment ( Gejühl) correspond donc terme à terme à la distinction que Husserl établit entre une couche intentionnelle et une couche proprement cc psychique» de la conscience; comme Husserl oppose la « simple représentation » à la représentation authentiquement intentionnelle (1), de même Scheler, pour éviter le psychologisme de Brentano, affranchit les actes de la personne qui sont donnés concrètement dans la perception immanente après la réduction, des fonctions du Je qui ne sont susceptibles que d'une connaissance probable et d'une approche par esquisses dans la perception interne (2). Là l'Ego cogito concret prend possession de l'évidence dans la relation de la noèse au noème; ici la personne concrète parvient immédiatement à l'adéquation du visé et du donné dans la relation des actes aux valeurs matérielles, et la rencontre des deux pensées est corroborée par le fait que Husserl comptait nommément les valeurs parmi les noèmes, les rattachant à la noèse du sentir. Sans doute la psychologie descriptive avait, par rapport à l'empirisme, accompli un progrès en refusant d'absorber la totalité de la vie psychique dans ses contenus : Brentano avait raison d'opposer à l'observation interne la perception interne qui lui demeure incommensurable, et même de maintenir l'irréductibilité du Je, qui correspond aux fonctions comme leur pôle subjectif, à une forme transcendantale et impersonnelle (3). En ce sens, la psychologie descriptive accomplissait réellement l'analyse réflexive. Mais les prétentions ontologiques qu'elle n'a cessé d'émettre demeurent sans fondement; car l'intuition interne appartient déjà à l'univers de l'objectivation, au monde des. objets et non au monde des vécus ou, si nous traduisons ces termes dans le langage de la phénoménologie émotionnelle, au monde des« valeurs de vécus» (Erlebniswerte) et non au monde· des cc vécus de valeurs» (Werterlebnisse). La méthode phénoménologique semble retrouver ainsi l'unité du Sum et du Cogito; une synthèse s'institue enfin entre la tradition psychologique et la tradition transcendantale, entre l'être· concret du Je pense et son être constituant. L'épochè phénoménologique« est la méthode universelle et radicale par laquelle je ( 1)
HusSERL,
Logische Untcrsllchungen, II, 1,
(2) SCHELER, Der Formalismus ... , S. 402.
(3) ID., Ibid., S. 391-394.
S.
4al6-459.
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me saisis moi-même comme moi pur avec la vie de conscience pure qui m'est propre, vie dans et par laquelle le monde objectif tout entier existe pour moi, tel justement qu'il existe pour moi, c'est-à-dire vaut pour moi, du fait même que j'en fais l'expérience, le perçois, le remémore, y pense de quelque mani~re, porte sur lui des jugements d'existence ou de valeur, de désir et ainsi de suite (1) >>. Et cependant cette même réduction phénoménologique par laquelle doit apparaître le sens ontologiquement constituant du Cogito, risque précisément de dédoubler le monde, de reformer un univers immanent, qui a sans doute sur l'univers psychique de la psychologie descriptive l'avantage de ne plus privilégier l'expérience interne, mais qui risque à tout moment de ressusciter le dualisme platonicien et de donner lieu à cet argument du troisième homme, par lequel on rend le Cogito à la régression infinie de la forme au contenu, comme dans l'analyse transcendantale, ou du sujet à l'objet, comme dans la tradition réflexive. Dans la phénoménologie de Husserl cette difficulté apparaît avec la dualité de la cc réduction éidétique » et de la et manifestent des capacités d'adaptation étonnantes sous l'action du dressage et de la sélection. Mais cette intelligence pratique demeure fort limitée et elle ne distend pas vraiment l'immédiateté naturelle, parce qu'elle ne saisit pas les raisons d'être, les ordres, les idées dans les formes perçues. Pour que le besoin devienne besoin du besoin. pour qu'il se transmue en liberté, il faut en effet que le particulier se justifie dans le tout et que la fixité de l'instinct fasse place à la plasticité du travail. II faut enfin que le besoin change non seulement d'objet, mais de nature. C'est donc parce que le travail est l'acte ontologique constituant du monde, que la psychologie comparée constate une « discontinuité n, un « changement de plan », un « changement de niveau n et une c< mutation )), lorsqu'elle passe du comportement animal au comportement humain. Si elle doit se garder soigneusement du délire anthropomorphique, en n'introduisant pas dans les conduites etle . Qu'est-cc à dire, sinon qu'on ne peut concevoir de tendances donm'••.•i, par la nalure, mais qu'elles surgissent du mouvement même d~ la liberté Iorsqu\•n fondant le sens ontologique du monde, œlle-ei susdlc précisément les limites d'une nature qu'elle rapporte à sa tolalité justificatrice? La tendance porte en elle la « mutation » du travail; aussi figure-t-elle l'unité du psychique et de l'ontologique et elle est l'acte par lequel la liberté se confère l'être en fondant l'être du monde. Nous n'en donnerons pour preuve que la « mutation esthétique» dans les sens de la vue et de l'ouïe : « Les sens de l'ouïe et de la vue sont, par première destination, des instruments de la défense, radicalement hétérogènes aux mécanismes de sympathie qui sont à la base des sens de l'appropriation; leur première fonction pouvait déposséder leurs sensations de quelque naturelle puissance d'accès à nos âmes ... , que la mutation qui les arrache à cette fonction leur rend automatiquement (2). » On dira donc qu'un besoin se restaure sur les ruines d'une défonse et qu'une tendance se crée par une mutation; mais on entend par là la justification de la limite dans la totalité, l'homme s'appropriant le monde au lieu de l'animal· dominé par la nature, le .travail à la place de l'instinct. La > L'acte primaire de temporalisation, qui fonde nécessairement toutes les cc transcendances psychiques» ( 1) Maurice PRADINES, Traité de psychologie générale, III, p. 77; Essai stzr la signification de la mort, p. 170-187.
LEML',,
VurL-
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telles que les conduites temporelles et les structures i~ternes du temps représenté, du moment qu'il figure lui-même l'unité du psychologique et de l'ontologique, se confond finalement avec la « concaténation )) universelle dans le destin. La transmutation s'opère : le futur devient notre présent, et, dans le mouvement rétrograde de la justification, il. constitue le sens du passé qu'il s'approprie. Le souvenir implicite, qu'implique naturellement toute utilisation du passé, si l'existence humaine ne se réduit pas à une subjectivité abstraite et impuissante, ne trouve donc pas le passé devant lui comme une chose; mais la mémoire le vit actuellement et le réactive sans cesse, encore qu'elle ne le vise pas encore thématiquement. Dans la mesure où l'existence se définit dans le travail par son passé, ce passé est du même coup arraché à la nature; il ex:iste ontologiquement. Je suis mon passé puisque j'agis : la représentation devient existence, l'externe clevicnt l'intérieur. Le travail nous découvre ainsi l'origine du temps avec l'origine du monde, en transformant leur sens naturel en un sens humain et en réalisant le mouvement du destin et de l'extase. C'est en effet parce qu'il est le seul être historique que l'homme est aussi le seul être éternel. Apparemment situé dans le temps, il apprend par le travail qu'il constitue ontologiquement le sens de cette situation et de cette histoire, et l'éternité n'est rien d'autre que ce passage de l'évolution ontique à l'histoire ontologique, du temps naturel au temps humain. La joie naît de ce passage : être dans le temps, c'est d'abord, semble-t-il, se situer hors de soi-même; mais la nostalgie qui incarne le sentiment prèmier du temps en exprime aussi la négation, .car c'est en vain que le présent court après l'avenir et cherche à retenir le passé; de là naît le faux infini dans le pathos romantique et quiétiste du temps. En dévoilant l'illusion de la nostalgie, le travail nous montre créateurs de ces extases que nous croyions étrangères. C'est dans la destinée la plus historique que nous découvrons notre liberté et notre puissance la plus haute. Nous sommes déplacés de la sujétion au temps dans la création du sens dµ temps. Nous saisissons la solennité de l'histoire totale. L'extase, sens ontologique originel, réalise donc l'unité de la conscience de soi et de la conscience de l'objet. Elle transmue le besoin en liberté en le proposant à lui-même comme fin. Mais dès lors elle révèle au sein de l'immanence la présence d'une transcendance : elle indique l'humanité dans la nature, l'intériorité dans l'extériorité. L'individu animal est dans son espèce et trouve hors de lui la condition qui satisfera son instinct. L'instinct qui le lie à son congénère est tout de besoin, de ser-
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C'est la mutation ontologique du travail qui explique de même la spécificité de l'effort humain. L'énergie animale obéit aux sollicitations extérieures de la nature et s'épuise dans son débat avec l'étrangeté. Par son extériorité même, l'instinct animal se trouve soumis à la loi du « tout ou rien >> : sa satisfaction dans son objet est un simple assouvissement; aussi sa répétition infinie ne parvient ni à le cultiver ni à le changer; c'est la même faim du même chat qui depuis des millénaires se satisfait dans la même nourriture : en elle s'exprime l'aveugle volonté de vivre, le malheur de l'espace et la fausse infinité du besoin animal, puisque ce. dernier se fuit lui-même au moment de sa plénitude et qu'il affirme contradictoirement sa visée du tout et son essence particulière. Au contraire si l'énergie humaine semble buter contre les résistances extérieures, si les forces de l'univers semblent la dépasser infiniment, si l'expérience de la fatigue nous enseigne d'abord que nous disposons d'une quantité limitée, c'est-à-dire naturelle, de puissance et si le travail nous paraît alors un fardeau et comme la punition d'un péché, l'effort nous révèle en nous-mêmes la source d'un mouvement qui paraissait d'abord s'imprimer de l'extérieur dans notre privation et notre servitude, il nous montre que nous et nous seuls dans le monde, sommes capables de « transformer >> les énergies naturelles, et surgi des pressions de l'extériorité, il se retrouve soudain à leur origine et nous fait auteurs du monde. Naguère objet dans la nature, il caractérise désormais la fécondité ontologique de l'existence humaine. De là provient la nature paradoxale de la conscience de l'effort; sans doute ne saurait-elle être donnée dans une sensation et la réponse de Maine de Biran à Hume n'a fait à cet égard qu'inventer un cc mythe psychologique (1) »; mais dans la mesure où nous percevons la résistance des choses, c'est l'effort humain qui en fonde le sens ontologique et qui en fait apparaître l'extériorité même à partir de son fondement total, par où nous retrouvons la signification de l'entreprise de Biran, l'affinité de l'effort et du Cogito et l'unité de l'ontologique et du psychologique dans la transmutation du travail. Tel est le miracle, la véritable dialectique des forces extérieures, auxquels nous fait assister le passage tude contemplative, mais seulement que le travail doit toujours être saisi dans sa dignité humaine comme liberté ontologique et non dans une donnée irréductible du psychisme et de la nature. De même, la priorité de l'aspiration sur la volonté ne sert da'ns l'éthique schelerienne qu'à légitimer les attitudes esthétiques de la conscience comme le souhait (Wünschen) le plus stérile, au lieu d'indiquer seulement que la volonté humaine ne doit pas s'aliéner au service des choses et qu'elle ne doit vaincre les obstacles que pour libérer le monde et l'homme de leurs limites naturelles. (1) SARTRE, L'E:lre et le néant, p. 388.
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de l'histoire naturelle à la préhistoire humaine; ce que nous lisons dans les silex taillés par nos ancêtres, c'est cette transmutation de l'environnement animal et de sa morne répétition dans le monde humain et sa constitution progressive, c'est cette genèse de la liberté dans la nécessité dont le signe est l'effort, la transfiguration de la douleur en joie et la transformation de la créature en créateur. Le besoin humain crée des « objets >> précisément parce qu'il ne saurait être lui-même un « objet »; il produit une culture et une civilisation parce qu'il est un besoin du besoin et parce que le travail justifie dans la totalité de ses œuvres la nature particulière de laquelle il semblait jaillir. L'animal est désir d'objet; l'homme est désir de soi, et de cette différence naît la fausse infinité du premier et la liberté « matérielle » du second, l'intentionnalité de son· effort et l' > un environnement perceptif déterminé, tandis que l'homme éclaire le champ où il vit en cc comptant avec » la totalité qui le justifie en le constituant; tel est le rapport originel du champ à la valeur et par là de la perception au travail. Seules sont perçues les choses que me découvre un intérêt; par exemple la mère est sensible aux moindres variations de la respiration de l'enfant malade; les objets qui sont susceptibles d'être perçus se trouvent donc a priori criblés par le renvoi permanent qu'elles font à leur totalité. C'est pourquoi l'horizon sur lequel se profile le champ n'est nullement déterminé par les objets perçus; il tient compte des possibles, de l'orage qui menace la moisson ou qui troublera. la pêche; il figure ainsi, par son double rapport à la valeur et au temps, un être irréductible aux objets concrets qu'il fait surgir de sa totalité inépuisable, et il inscrit jusque dans la singularité des perspectives existentielles la dilatation dialectique du travail. Ce renvoi de la totalité à la singularité qui caractérise le champ perceptif humain est donc lié à la genèse ontologique du monde dans le travail et à la dialectique de l'effort, au passage du besoin d'objet au besoin du besoin. Ce que l'effort nous enseigne en effet, c'est que ·pour prendre place dans l'espace, notre corps doit d'abord «l'habiter», c'est-à-dire constituer le sens de l'espace lui-même, et que la condition de possibilité de quelque corps objectif que ce soit, même le nôtre, ne peut se trouver que dans un corps-sujet. La totalité du monde et son horizon y renvoient : ce corps que je suis avant de l'avoir comme mien, cette incarnation originelle, c'est l'effort arrachant à l'extériorité son propre fondement ontologique. Aussi le corpssujet n'est autre que l'horizon total et la dialectique du particulier en universel; il ne peut nous apparaître à titre de chose transcendante, puisqu'il est l'origine de toute transcendance; il ne peut pas non plus devenir objet du monde, puisqu'il est le moyen de communiquer avec lui, « comme horizon latent de notre expérience (1) », mais on ne peut même pas ici parler de sa « permanence i,, ce qui le constituerait en une totalité donnée et nous renverrait à une régression infinie par la nécessité de lui découvrir un fondement constituant. De ce corps-sujet, nous n'avons donc pas véritablement conscience, mais par lui nous avons conscience de la totalité du monde (2). « En un mot, la conscience du corps est latérale et rétrospective; le corps est le négligé, le passé sous silence, et cependant c'est ce qu'elle est; elle n'est même rien d'autre que le corps, le reste est néant et ( I} l\IERLEAU-PONTY, Phénoménologie de la perception, p. 109. (2) Essai sur la signification de la mort, p. 173.
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silence. La conscience du corps est comparable à la conscience du signe. Le signe, d'ailleurs, est du côté du corps, c'est une des structures essentielles du corps. Or, la conscience du signe existe, sinon nous ne pourrions comprendre la signification. Mais le signe est le dépassé vers la sig11ification, ce qui est négligé au profit du sens, ce qui n'est jamais saisi pour soi-même, ce au-delà de quoi le regard se dirige perpétuellement (1). » Qu'est-ce à dire, sinon que dans le corps-sujet nous saisissons la négativité du travail, la vérité du corps-objet particulier, comme la signification nous fournit la vérité et la nécessité des signes matériels arbitraires? La subjectivité et la spatialité du corps propre sont donc tout le contraire d'une contingence injustifiable, puisqu'elle se définissent par la glorification et la reprise du particulier à l'horizon du monde. Les réduire à ~a >. Or, n'est-ce point subrepticement ·recourir aux insaisissables données de la nature humaine? Cette liberté et cette articulation de l'existence historique, qui permettent justement à l'historien de discerner à partir de l'horizon du travailla singularité d'un milieu, ne sont-elles pas réduites à la fixité ·de principes abstraits? Ne sommes-nous pas une fois de plus renvoyés de l'universitas à l'universalitas, de l'historisme à la nature et de la singularité à une particularité universelle aussi \injustifiable que vide? L'incertitude de la psychologie descrip'tive chez Dilthey vient de ce qu'il n'aperçoit pas dans le travail la réalité unique qui fonde à la fois l'universalité de l'horizon historique, la singularité des milieux et de leurs objectivations culturelles et cette articulation qui permet à l'historien de se cc dépayser» par la sympathie et de changer de milieu. Ou bien, s'il t'entrevoit c·onfusément, c'est au prix de la méthode intuitive, le type idéal se transformant naturellement en cc type génétique » et se rapportant à la dialectique du travail. Ainsi, dit-il, cc il y a dans la pensée qui réfléchit sur la façon dont un système téléolofgique peut mener à bonne fin les tâches qu'il comporte, une -dialectique interne, qui, à travers les tendances historiques et les formules qui leur correspondent, fait progresser cette pensée vers l'universalité de la pensée historique; ici, comme partout, la pensée historique elle-même devient créatrice, du fait qu'elle soustrait l'activité de l'homme dans la société aux limitations temporelles et spatiales (1) ». Mais n'est-ce pas reconnaître qu'il ne peut s'agir de fonder l'histoire sur une psychologie, qu'elle soit descriptive ou explicative, à moins qu'on lui permette non seulement de saisir des « données transcendantes », mais aussi de les constituer ontologiquement? Si les types idéaux renvoient .aux types génétiques, c'est que la liberté humaine est toujours en jeu dans l'histoire, c'est que l'homme ne se découvre pas tout fait sous la forme d'une chose psychologique ou sociologique, mais qu'il se constitue dans le procès du travail, la genèse de l'histoire nous permettant de toucher juste cet instant du destin où l'unité se fait du psychologique, du sociologique et de l'ontologique. Cette universalité que conquiert l'existence temporelle en se dépassant dans l'anticipation du futur et dans le souvenir du passé s'exprime précisément par la singularité du champ temporel qui, mutatis mutandis, s'organise de la même façon que le champ perceptif. S'il était vrai que la permanence de l'objet ;perçu défiât les lois de l'optique géométrique et fît appel à des ·l!
:.(1)
DILTHEY,
Origine et dévdoppement de l'herméneutique, ibid., l, p. 34.
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valeurs et des possibles qui par définition ne pouvaient apparaître à l'intérieur du champ comme données, à plus forte raison il faut bien faire appel à la totalité du travail pour constituer l'horizon créateur d'un temps dont la présence matérielle s'écroule au fur et à mesure de son écoulement et pour permettre aux souvenirs et aux projets de s'objectiver, la rémanence de ces « objets » dans la mémoire ou l'anticipation se maintenant en dépit de l'éloignement progressif du passé et du futur. A la structure « chose-horizon » correspond la structure « temporalisation-reconnaissance ». Jene puis fixer tel ou tel événement que parce que j'ai constitué préalablement en me > sans néanmoins jamais trahir la présence constituante de l'homme. Si l'on admet que ce n'était ni un jeu ni un masque, pour Beet(I) Voir p. 68. (2) Essai sur la signification de la mort, p. 96.
(3) Par exemple Fichte, Hugo, Beethoven.
hoven, que l'écriture de ses Symphonies, on a du même coup vaincu les apories de la réflexion et l'on a conquis dans les œuvres cette unité de la conscience de soi et de la conscience de l'objet, cette transcendance concrète du singulier vers l'universel qui porte le sceau du travail et que nous ne pouvions atteindre au .niveau de la conscience. ·Ce passage du masque à la vocation n'est autre que celui de :Ja réflexion à la raison, de ce que Hegel appelait l'Esprit subjectif à l'Esprit objectif, de la représentation à l'œuvre. Nous apercevons maintenant pourquoi la Révolution fournissait à l'amour son sens et la condition de son accomplissement; car si l'unité de la conscience de soi et de la conscience d'objet ne se .réalise que dans le nous, on peut renverser cette proposition, et Je nous, la transparence réciproque du je et du tu ne surgissent ·qu'au moment où ceux-ci se réunissent pour transformer en commun l'environnement animal en monde humain. A la division du travail est départi ce rôle. Aussi nous affranchit-elle des idoles de la connaissance de soi, de ces tendances, dispositions, instincts et sentiments, que la psychologie de la conscience iinagine complaisamment privés de la pleine intentionnalité ontologique du travail et qu'elle replie sur eux-mêmes pour engendrer l'égoïsme à la source du comportement humain. La psychologie réelle ne naît qu'avec la raison et ses œuvres, lorsque la division du travail la libère du dilemme formaliste et hédoniste qui l'obligeait de choisir entre la spontanéité de l'égoïsme et la contrainte ·de la loi et permet l'établissement d'une éthique « concrète » et « matérielle » en découvrant la liaison réelle du particulier et de -l'universel, ce don du génie à son œuvre et de la raison à son travail qu'on pourrait appeler un intérêt désintéressé parce qu'il nous hausse de l'affectivité particulière à la totalité et qu'il nous four·nit la seule justification de la joie : la création. L'œuvre transfi'.gure le moi en amour. et la (< présence représentative » à la « représentation pure (2) », qu'on commente enfin ces genèses fonctionnelles par la genèse des œuvres, et que la psychologie du langage distingue en l'histoire de celui-ci une phase d'expression sensible, une phase d'expression intuitive et une phase d'expression conceptuelle (3), ou encore une expression mimique, analogique et symbolique (4), une mimique vocale, un langage d'expression et un langage de spéculation, ce sont là autant de commentaires de la division ontologique du travail et de la recherche des origines dans les œuvres. Lorsque le psychologue constate par exemple en étudiant l'éducation des enfants ou à propos de troubles pathologiques que l'objectivation se forme et s'effondre avec le langage, cette liaison d'expérience ne signifie nullement une puissance magique des mots, mais elle requiert à son explication le rapport fondamental de la fonction et de l'œuvre, l'articulation du champ objectif sur le champ mythique de la perception enfantine réactivant implicitement la genèse du langage conceptuel et du récit; de même si l'on explique le rapport intime de la mémoire au symbolisme et si, pour interpréter le passage de la « mémoire des images » (Errinerung) à la « mémoire des signes » ( Gedachtnis ), on en appelle en fait non pas à la création subjective et incompréhensible d'une nouvelle faculté en notre âme, mais à l'apparition d'un système (1) E. CASSIRER, Philosophie der LEAU-PONTY, Phénoménologie de la
s.ymbolischen Formen, III, S. 80; MERperception, p. 337; M. PRADINES, Traité
de psychologie générale, I, p. 69-186, 187-250, 251-261. (2) R. HôNIGSWALD, Grundlagen der Denkpsychologie. (3) E. CASSIRER, Philosophie der symbolischen Formen, I, die Sprache, Kap, Ut, Ill, IV. (4) ID., Ibid., Kap. II, § 2.
d'institutions, du calendrier et de l'histoire écrite, à la naissance d'une œuvre. C'est donc l'être de l'œuvre qui permet l'apparition objective d'autrui, une fois qu'il a conceptualisé le temps et le symbolisme. Déjà le sentiment de tact nous le révèle par son effet contraire à celui que nous avons analysé. Naguère il obligeait dans les relations de familiarité à procéder par allusion; au contraire dans les relations de politesse et de civilité, il oblige à user de formes relativement rigides et obligatoires, à s'évader de la communauté intuitive du nous et de son système existentiel d'allusions, le symbolisme exprimé mesurant le degré de pt>rfectionnement du bon ton. Ce qui choquait dans la familiarité, c'était l'emploi des symboles; dans la civilité c'est l'usage de l'allusion. Ici l'immédiateté; là, le détour. Sans doute est-ce la présence d'autrui qui nous objective; mais cette objectivation resterait une pure illusion si elle demeurait fixée au jeu subjectif des reflets du regard; à vrai dire, ce n'est pas le regard d'autrui qui conditionne l'objectivation réelle de la personne et !a genèse de son être en soi et pour soi, mais au contraire cette objectivation qui rend possible le regard par la présence commune de l'œuvre. De même que, par la réactivation du récit, le concept du temps se détache de ses évidences intuitives, de même, le tiers social, « lui », surgit au lieu du et le « motif de liquidité », constitue en réalité le sens de la situation de marché et contient dialectiquement en elle le développement du capitalisme. Elle permet de passer des contrats relatifs aux placements· des capitaux, ce qui distingue le système capitaliste du système de 1a propriété en général; mais du même coup elle « divise » la classe dominante en classe épargnante et en classe d'affaires; eUe sépare la propriété et l'action, ou plutôt par la dépréciation constante de la monnaie elle remplace aux leviers de commande les créanciers par les débiteurs et « chaque génération peut dépouiller en partie les héritiers de ses prédécesseurs (1) ». Les fonctions psychologiques que dégage 1a divi-
,e
(I) J. :.\1. KEYNES, La Réforme monétaire, p. 27 sq.; BOAS, The Mind of Primitive Man ... ; G. DAVY, La Foi jurée: étude sociologique du problème du contrat; Des C'lans aux empires, p. 107; M. MAuss, Essai sur le don forme primitii'e de l'échange; J. R. GOMMONS, Legat Foundations of capitalism,
68
L'ETRE ET LE TRAVAIL
sion du travail vont de pair avec la constitution des groupes; dès l'instant où la monnaie institue un rapport nouveau entre la production et la consommation et qu'avec la valeur d'échange le temps prend une dimension neuve dans l'économie, la classe des capitalistes proprement dit apparaît, et avec elle les premières « crises ». Mais l'exemple même d'institution que nous avons choisi pour illustrer le rapport du groupe à l'œuvre ne montre-t-il pas les classes en lutte dans la division du travail, et ne contredit-il pas ainsi les propres critiques que nous adressions à la philosophie ùc la réflexion? Cette contradiction apparente naît de ce que nous avons semblé identifier la lutte fondamentale; je suis précisément en me déplaçant hors de moi dans le projet existentiel, dans l'avenir. Du même coup, l' « être-dans-le-monde », exprime la spécificité de l' existence humaine et sa temporalité; c'est lui qui fait de l'homme l'unité indissoluble d'une conscience de soi et d'une conscience d'objet en le définissant par l'être dans les lointains, par ce monde qui lui annonce ce qu'il est, son projet et son intention originels. Toutefois, ce monde où nous sommes ne se manifeste d'abord que par les rapports d'ustensilité du travail sur le mode du souci, qui nous renvoie perpétuellement de projet en projet et d'ustensile en ustensile; le monde et l'existence s'échappent
ORGANISME ET EXISTENCE
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de toute part, et loin que l'être-dans-le-monde parvienne à fonder ontologiquement ce monde et lui-même, loin qu'il les ressaisisse comme une totalité, il se découvre au milieu d'eux, délaissé parmi les objets ontiques, renvoyé de toute part hors de soi et de ces objets mêmes. Cette fuite et ce divertissement décrivent l'existence inauthentique, où la conscience de soi n'adhère qu'apparemment à la conscience de l'objet, et où en réalité elle se trouve constamment expulsée de celle-ci et d'ellemême. L'être par lequel l'homme se définit alors se situe non pas à la source ontologique du monde, mais au milieu de lui, non pas à la source de la temporalité, mais au milieu d'elle, comme existence indéfinie, partielle et détotalisée. Mais qui ne retrouverait ici une transcription du monde bergsonien des images? L'être différencié est une chute, une absence de sens, bien plus, un défaut d'être. Retrouver la totalité et le surgissement ontologique du monde lui-même, n'est alors rien d'autre que de retourner à l'existence totale, à l'acte authentique qui fonde la totalité de l'horizon du monde en ressaisissant la totalité de sa temporalisation : cet acte est l'être pour la mort. Ainsi la seconde proposition bergsonienne, qui concerne l'inconscient indéterminé et l'émotion, trouve à son tour à s'appliquer : la totalité ontologique du monde, c'est le néant, c'est l'angoisse. cc C'est dans le néant seul qu'on peut dépasser l'être; en même temps, c'est du point de vue de l'au-delà du monde que l'être est organisé en monde, ce qui signifie d'une part que la réalité humaine :rnrgit comme émergence de l'être dans le non-être et d'autre part que le monde est en suspens dans le néant : l'angoisse est la découverte de cette double et ,perpétuelle néantisation (1). » La conscience de soi ne rejoint la c0nscience del' objet que dans l 'unité indifférenciée de l'existence authentique, c'est-à-dire du néant. Cependant un paradoxe apparent semble renverser les termes de la psychologie et le rapport de l'universel au particulier, lorsqu'on passe à la sociologie existentielle. Ici, en effet, c'est le sujet indéterminé, le c< On » qui· est l'inauthentique, tandis que la communauté authentique n'apparaît que dans le destin des sociétés particulières. C'est là toutefois une simple apparence. D'une part le au . Pour que le néant contienne une visée particulière vers tel ou tel et de l'imperceptible rien qui renvoie de la conscience reflétée à la conscience reflétante par la contingence propre à la néantisation du cc ceci » déterminé, le Cogito se temporalise; les ek-stases du temps lui permettent de ne pas être ce qu'il est et d'être ce qu'il n'est pas. Mais loin de trouver dans le passé, dans le présent et dans l'avenir le fondement de son être, il n'y rencontre que le fondement de son néant : « La liberté; c'est l'être humain mettant son passé hors de jeu, en secrétant son propre néant... Dans la liberté l'être humain est son propre passé (comme aussi son avenir propre) sous forme de néantisation (1). >> L'angoisse de l'instant alourdit donc entre les ek-stases du temps le néant pour ainsi dire infinitésimal qui renvoyait de la conscience reflétante à la conscience reflétée. Pour fuir ,sa propre contingence temporelle, le Cogito est alors chassé de son immédiateté; pour se justifier, il se replie sur soi dans la réflexion; mais au lieu de se découvrir au fondement de son être, une nouvelle facticité lui apparaît : en se constituant en quasi-objet psychologique, il se dédouble imparfaitement en un Cogito réflexif et en un Cogito réfléchi, et la constitution de ce quasi-objet ne fait qu'accroître entre le réflexif et le réfléchi le néant et la distance toute ponctuelle et inobjectivable de la temporalisation. Le surgissement d'autrui dans l'expérience du regard va-t-il donc réunir le fondement de néant et le fondement d'être, puisqu'il semble doubler les consciences et réaliser ainsi leur égalité? Mais l'inadéquation perpétuelle du regardant et du regardé, de la « transcendance transcendante » et de la cc transcendance transcendée » aggrave la contingence et la facticité du Cogito, car jusqu'ici la néantisation de l'être déterminé était effectuée sous la forme d'une« négation interne >> par la conscience; mais voici qu'un être me vient (1) SARTRE, L'iître et le néant, p. 65,
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d'une conscience située hors de moi, d'un regard; je possède un être hors de moi, et loin de pouvoir en devenir le fondement, je ne puis le néantiser qu'indirectement, je ne puis qu'essayer contradictoirement de surgir comme transcendance sous le regard d'autrui ou faire surgir autrui comme transcendance sous mon regard; mais l'impossibilité ontologique d'une égalité des consciences, l'univocité irrémédiable du regard rendent ces tentatives impossibles et renvoient l'amour tantôt au masochisme, tantôt au sadisme, la haine apparaissant comme le ballottement de l'un à l'autre échec. C'est la mort qui est la vérité de l'amour, puisque je découvre en elle cet être totalem.ent irréalisable, où ce que je suis me fuit absolument et où cette fuite aspirée par les Vivants futurs et par l'absence même d'autrui ne fait que porter à son comble l'inadéquation du Cogito et de son projet, du fondement de néant et du fondement d'être, de l'absurdité et de la raison. Ce qui ébranle la conscience vers l'absurde projet de se justifier, c'est donc sa présence contingente à soi, c'est la priorité de l'en-soi par rapport au pour-soi. La « preuve ontologique >> que le Cogito vérifie à chaque instant dans son intentionnalité est fondée a contingentia mundi. Cette contingence une fois donnée, l'homme se fuit de toute part au moment même où il se recherche, et tous ses efforts pour retrouver sa totalité ne servent qu'à mieux le « détotaliser i,. Parce que le néant est second par rapport à l'être, la détermination particulière de l'existence semble sauvée; que l'homme indique une cc totalité-détotalisée 1,, cela ne rappelle pas son authenticité, mais sa nature même, son incapacité a priori de ressaisir sa fuite de soi. Mais si c'est le souvenir de l'en~soi dans le pour-soi qui le détotalise, inversement le surgissement du pour-soi désintègre et détermine la sphère indifférenciée et parménidienne de l'en-soi, cette sphère qui se définit uniquement par ce qu'elle est. L'acte ontologique du pour-soi, le , au moment où la réflexion constitue le monde qu'elle devait seulement régler; de même l'existentialisme retombe constamment à l'organicisme, par ce, qui lui fait confondre le projet existentiel et sa magie symbolique avec l'efficience de la liberté. Tantôt 1~ particulier devient l'universel et la brutalité des dissociations organiques reparaît dans un univers de Terreur; tantôt, la conscience de soi, assurée de ses limites, ne parvient pas à retrouver la conscience de l'objet. Jacob combat l'ange absent d'un Dieu impossible, ou peut-être lutte-t-il contre son ombre. Mais la colère nous empêche d'accéder à l'être ou, si elle en suscite l'illusion, c'est pour nous précipiter dans la peur qu'elle voulait fuir. De l'organicisme, nous avons été renvoyés vers l'existentialisme, comme de l'être au néant, comme de la bestialité à l'aliénation. A aucun moment nous n'avons touché l'être du monde: si l'organicisme faisait éclater les limites de l'environnement animal, c'était pour nous projeter dans les ténèbres de I'aevum. et si l'existentialisme transcendait le néant vers l'être, c'était pour · singer magiquement le mundus et nous précipiter en réalité dans la stupéfaction de l'univers organique. Or, d'où provient cette première antinomie des sciences lmmaines, sinon de ce q'u'on a méconnu ressence ontologique du travail, soit qu'avec l'organicisme on ait expulsé la négativité du monde en le réduisant à l'environnement animal, soit qu·avec l'existentialisme on ait confondu négativité et négation en réduisant le mundus à l' aevum? Pris entre la Restauration et la Révolte, l'homme manque son but propre, la Révolution. C'est pourquoi nous pouvons appeler psychologisme son illusion. Elle consiste à reléguer le travail soit dans l'univers déchu de la dissociation organique et de la manipulation des solides (Bergson), (1)
SARTRE,
L'Ptre el le néant, p. 68.:3-689.
ORGANISME ET EXISTENCE
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soit dans le monde ïnauthentique du souci, de l'aliénation et de la fuite de soi (Heidegger), soit dans l'être indifîérent des« tâches» quotidiennes d'où la totalité humaine se trouve a priori exclue (Sartre). Ainsi se trouve irrémédiablement caché le sens ontologique du travail, sous son revêtement sociologique et psychologique, sous son concept choséifié, objectivé et aliéné, c'est-àdire sous la forme qu'il prend dans la société capitaliste. Mais en étendant à tout travail cette définition particulière et en écartant a priori l'herméneutique existentielle du travail libre, on s'accule soi-même au dilemme de l'être et du néant, et l'on place au principe ontologique de la constitution du monde des structures qui en réalité l'impliquent sur le mode de l'aliénation et n'en expriment qu'une déviation et une déformation. On postule ce· qu'on veut prouver : le travail bergsonien, le souci heideggerien et les tâcheschezM.Sartre, loin d'épuiser la signification ontologique de l'action, ne font qu'expliciter le sens sociologique de la lutte des classes pour une pensée «bourgeoise», c'est-à-dire pour une pensée qui promeut cette lutte et son origine, la transmutation du travail en une marchandise et du travailleur en une denrée, comme la vérité et le péché éternel de l'existence humaine. Le psychologisme transforme la situation en monde, le produit de l'histoire en sa condition et l'homme en une chose. La mort est à son principe comme elle est à son terme et son erreur n'ira que s'aggravant avec son désespoir.
CHAPITRE
VI
NATURE ET DONNÉE
L'organicisme réduit la transcendance génétique du monde à la transcendance statique de la situation; aussi méconnaît-il le sens de l'une et de l'autre. Et le fétichisme de la situation ne fait qu'un avec le relativisme de l'histoire. C'est en effet parce que nous projetons inconsciemment notre milieu dans le passé que nous y découvrons une raison d'incertitude et de scepticisme : nous sommes relativistes, pour ignorer la relativité radicale des situations humaines, et pour demeurer aveugles à l'essence de notre liberté et de notre histoire. La vérité de l'historisme, c'est la négation de l'histoire. Dès lors, l'émotion fait irruption dans la bestialité, et de la philosophie de la nature procède nécessairement, pour témoigner de son erreur, la philosophie de la nature humaine. Ce que l'organicisme essayait encore de saisir comme l'unité d'une vie se déchire soudain. Incapable de réunir dans l'unité dialectique du travail l'être en soi et l'être pour soi de l'existence, l'émotion, perçant sous le masque de l'identité romantique, cristallise dans la solitude de leurs substances ennemies la nature humaine et son histoire. Elle pose ici l'objet changeant, là l'immuable sujet, ici les circonstances extérieures, là le principe universel, ici la peur, là la colère. Elle pense ainsi se libérer du relativisme : ce qui est relatif est rejeté dans l'extérieur, tandis que ce qui est absolu est approprié par le sujet. Mais la dialectique du travail, méconnue, se venge en épuisant ce jeu dans une pure fiction; La relativité de l'existence ne trouve de solution réelle que dans le mouvement de la genèse; l'homme s'aperçoit qu'il en est l'auteur, et l'acte du temps qui la crée la supprime aussi dans la transmutation progressive de la nature en humanité. Or, chassée du sujet de la vie, elle reparaît au principe de l'objet, dans ce qui fournit à une nature humaine vide, angoissée et indéfinis. sable un contenu et une nourriture. Comme la philosophie de
NATURE ET DONNÉE
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· la vie était déchirée par le relativisme, la philosophie de la nature humaine le sera par le formalisme. · L'émotion partage donc l'existence humaine. Elle laisse à l'extériorité les faits positifs, l'objet des constatations empiriques, et elle découvre, pour les critiquer ou les justifier, un . « état naturel », dont elle s'assure l'indépendance eu égard aux institutions civiles et à leurs transformations historiques, en le référant à un kosmos étranger aux caprices humains, à son auteur et souverain législateur et à l'instrument naturel que l'homme possède dans la raison pour communiquer avec le monde et avec Dieu. Dans l'état de nature, la raison ·rencontre un fond de vérité identique et immuable, auquel participent plus ou moins confusément toutes les sociétés historiques. Qu'il s'agisse de théologie naturelle, de droit naturel, d'économie politique abstraite, de philosophie, de poétique ou de pédagogie naturelles, nous nous heurtons à l'évidence d'un bien commun à toute l'humanité. Ainsi, affranchi des limites imposées :i.ux communautés particulières, Ie droit naturel s'identifie au jus gentium; en se rapportant par la raison aux réalités absolues de la nature et de Dieu, l'homme constitue une législation universelle, un jus commune. Mais les faits eux-mêmes manifestent l'ambiguïté de cet état de nature, dès qu'il s'agit d'en définir le contenu. Tantôt le droit naturel se formalise de plus en plus et se vide peu à peu des implications matérielles, auxquelles semblaient l'avoir définitivement associé l'idéal de la nature élaboré par la Renaissance aussi bieh que les conceptions particulières du« birthright i> si populaires en Angleterre, lorsqu'elles s'étendirent des barons au reste de la nation; cette évolution .aboutit par exemple à la législation rationnelle du Code civil français, où la conscience souveraine, pour la première fois libérée de tout préjugé historique, cherche à légiférer en se guidant seulement sur la lumière naturelle. Tantôt l'idéal de rationalité formelle se précise et se trahit matériellement, en se mettant au service des conceptions utilitaires. Ainsi la langue juridique anglaise infléchissait dès l'origine le vocable « reasonable >) dans le sens de « ce qui est pratiquement avantageux ». Ce passage d'une signification formelle à une signification matérielle de la raison, toujours manifeste lorsqu'il s'agit de légitimer un droit matériel et économique, rend bien compte des transformations que la théorie canoniste a fait subir à l'idée du justum pretium. Fixé d'abord de manière à ce que la valeur du travail assure des moyens suffisants de subsistance, le prix naturel s'établit peu à peu au voisinage du prix de concurrence sur un marché libre, par opposition avec les prix de monopole.
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L'l:.'TRB ET LE TRAVAIL
C'est sous cette dernière forme que le juste prix a exercé son influence dans la pensée puritaine, bien mieux assuré par son origine « naturelle » de favoriser l'idéal de libre-concurrence que les théories proprement utilitaires d'un Bastiat (1). L'histoire du droit naturel théorique à partir du xv1e siècle illustre philosophiquement et fait comprendre ce double mouvement du matérialisme au formalisme et du formalisme au matérialisme. Les droits de nature reçoivent primitivement un contenu déterminé, variant avec les intuitions du monde. Ils représentent la part inaliénable de l'ensemble des pouvoirs dont la nature nous a dotés et qui n'avaient à l'origine d'autres limites que celles de nos forces. Ils figurent même la raison d'être de la limitation spontanée que la volonté s'impose quand elle quitte l'état naturel, et l'ordre civil vise seulement à les protéger. Mais faut-il alors comprendre sous ces droits les lois mêmes de la religion avec Théodore de Bèze, le faisceau des garanties de sécurité, le droit de résister à ceux qui nous attaquent de vive force pour nous ravir l'existence ou nous blesser, nous enchaîner, nous emprisonner, avec Hobbes, le droit de propriété avec Locke, ou l'essence même de l'individu et 13! liberté de penser avec Spinoza? Bien plus, l'incertitude matérielle des droits naturels n'implique-t-elle pas contradiction, dans la mesure où l'aliénation partielle de nos pouvoirs originels dans le contrat risque toujours d'être remise en question, ce que la nature fait, la nature pouvant toujours le défaire? Dans le Contrat social, Rousseau démontre péremptoirement contre les partisans du > et > de conscience écartés qui encombraient la psychologie; mais cette transcendance absolue n'est autre que l'ouverture de la c'Onscience sur la valeur dans l'amour. Sans doute les sociologues peuvent opérer avec des concepts qu'ils croient emprunter à la psychologie; mais c'est qu'ils ont subrepticement introduit l'intentionnalité et la personnalité au principe de la fonction psychologique et du moi. On distinguera par exemple communauté et société en se référant à la volonté organique (Wesenswille) et à la volonté réfléchie (Kürwille); mais c'est qu'on entend alors par le mot de volonté le noyau constituant de la personne et de ses actes constituant les valeurs (1 ). La preuve en est assez administrée, quand on dérive de ces catégories soi-disant psychologiques l'opposition de deux formes de droit, le statut et le contrat, car ces deux formes n'apparaissent qu'en liaison avec des valeurs et par-delà le « type idéal» qu'elles peuvent réaliser historiquement elles se réfèrent à l'acte a priori par lequel la personne constitue le monde (2). La volonté individuelle et la volonté collective échappent donc à toute entreprise psychologique d'objectivation; du même coup elles peuvent être saisies adéquatement dans la perception immanente de leur évidence; et, dans la mesure où elles n'épuisent pas la sphère de la personne, d'autres intentionnalités peuvent être découvertes, telles que l'alliance de communion (Bund) (3). Loin que ces actes de conscience puissent être tirés empiriquement du champ de l'expérience historique, fût-ce à titre de « formes » ou de « relations », ce sont eux qui nous permettent de comprendre l'histoire et de constituer cette expérience psychologique, d'où l'on ne tente de les abstraire que par un véritable coup de force philosophique. Cependant c'est précisément ,ce noyau constituant du Cogito phénoménologique, dans lequel va se renouer la contradiction de l'évidence et du contenu, de la conscience de soi et de la conscience de l'objet. Quelle est en effet la matière de la sociologie?« Il existe une théorie de toutes les unités sociales d'essence (1) F. TôNNIES, Communauté et société, p. 81-118; SCHELER, Der Formalismus ... , S. 549 (note I); Th. GEIGER, Gemeinschaft (Dictionnaire de VrnnKANDT),
S. 175.
(2) Max WEBER, Wirtschaft und Gesellschaft (distinction du Zweck-kontrald et du Status-kontrakt), S. 417 sq. ,3.l ScHMALENBACH, Die soziologischc I{ategorie des Bundes.
INDIVIDU ET SOCIÉTÉ
129
possibles, dont le plein développcmenL et ensuite l'application en vue de comprendre les unités sociales empiriques (mariage, famille, peuple, nation, etc.) constituent le prohli·me fondamental de la sociologie philosophique et la présupposition de toute éthique sociale ... Il nous suffira ici simplement pour fonder plus profondément encore le concept de personne collective, de rappeler au moins les principes de division de cette théorie de l'essence sociale. Le premier de ces principes consiste dans les différents modes de l'être et du vivre en com~nunauté, dans lesquels se constitue le type considéré d'unité sociale; le second consiste clans la nature et le rang des valeurs, dans la direction desquelles les membres de l'unité sociale regardent « ensemble », pour agir ensemble conformément à elles suivant des normes. De même que tous les concepts et propositions d'essence non induits, ces unités et systèmes d'essences ne sont jamais purement et pleinement réalisés dans les données de fait de l'expérience, mais servent en tant que présuppositions contemporaines (ais gleichzeitige Voraussetzung) à comprendre la possibilité objective de cette donnée d'expérience (1). » Mais dès lors on devra distinguer trois niveaux sociologiques, que la phénoménologie confond. En premier lieu, l'évidence de Tu, dont partait l'analyse de la sympathie pour marquer, contre le détour de I'Einsfühlung l'immédiateté de l'existence d'autrui, ne parvient à l'adéquation de la perception immanente que dans la mesure où 1' époclzè phénoménologique élimine le problème de la singularité d'autrui, de son être hic et nunc : « Si cet acte transcendant trouve ou non un « remplissage )) dans une expl;rience effective, cela est indifférent pour le sens et l'essence de cette conscience de (2) )); la sympathie ne possède donc de privilège réel qu'eu égard aux essences et non aux. existences, et ces dernières relèvent de la psychologie et à ce titre d'un moi empirique et naturel soumis aux erreurs eL aux rectifications d'un procès de vérification indéfinie (3). Restent en second lieu les « modes » de conscience immanente du Tu; ce sont la masse, la société, la communauté et la personne collective; leur ensemble constitue le premier principe des essences sociales. Or, l'immanence absolue de ces formations sociales ne nous permet à aucun moment de sortir de la conscience de soi. La certitude est acquise grâce à l' épochè. Dans un premier moment, la sympathie, la conscience de soi trouvait son fondement dans son (1) Max SCHELER, Der Formalism[ls ... , S. 5-47. (2) ID., Ibid., S. 542. (3) Karl BüHLER, Die J(rise der Psychologie, S. \37 sq.; Frli, Nlelhodenlehre der Sozialwissm.~clwflen, S. 1G21. J. Yli[l.LC:\il~
KAUDIANN;
être pour-autrui; mais la réduction phénoménologique corrige cette apparence et les modes (Arien) de conscience résorbent l'être d'autrui dans l'être pour-soi. La sociologie philosophique devra-t-elle donc, fidèle à l'inspiration du nominalisme, refuser toute réalité véritable a11x groupes sociaux? « Nulle part, dit-on, le caractère objectif de la formation n'indique une existence choséifiée au-dehors et au-dessus des hommes, mais il n'exprime qu'une relation aux hommes particuliers. Or, le caractère objectif des formations sociales ne repose pas sur leurs objectivations, c'est-à-dire sur les créalions collectives : les biens culturels, les symboles, les ordres, les normes, etc., les « institutions » de Durkheim. II faut d'autres conditions expérimentales pour que ces formations sociales de deuxième ordre fassent subir à l'observateur l'activité objective de la société et pour qu'elles représentent aux yeux du membre du groupe la formation en tant que telle : ces objectivations ne sont pas elles-mêmes la substance de la société, mais elles sont les contenus de la vie sociale. L'objet de la sociologie n'est ni l'œuvre d'art, ni les dogmes de la foi religieuse, mais l'ensemble des procés de socialisation qui se produisent par rapport à ces créations quand les hommes les créent, les transmettent, les acceptent, les transforment (1). » Or la question se pose de savoir comment se constituent intentionnellement ces · formations sociales de deuxième ordre et à quelles lois obéit le « second principe » des essences sociales. Si l'on relègue en effet dans la psychologie et dans les sciences naturelles les « contenus l) de la vie sociale, pour ne réserver que la substance de la personne à la sociologie philosophique, on pourra sans doute parler d'une volonté eollective ( Gesamilville ), d'une opinion collective ( Gesamlmeinung ), on pourra affirmer que l'observation phénoménologique «montre au même titre que la conscience du Je une -conscience du Nous, qui est vécue dans l'état de communauté (2) », on pourra référer les valeurs collectives ( Gesamiwerte) à une participation dans le sentir et dans le vouloir (Mitfühlen et Mitwollen) (3). Bien plus, on semblera dégager la réalité sociale de ses porteurs individuels : > implique dialectiquement celle du « Cela est» et celle du « Nous sommes (3) » et c'est dans le développement de l'être pour autrui que ·1a conscience réflexive, le Je pense que je pense ou conscience d'acte ( Aktbewusstsein) reçoit son objet et se conquiert elle-même en s'actualisant dans la conscience objective ( Gegenstandsbewusstsein), dans le Je pense quelque chose (4). La déduction transcendantale de la pluralité des grées les pures essences matérielles (lVasheiten) des choses physiques, psychiques et idéales » (Der Ji'ormalismus ... , S. 313). Mauvaise défense qui n'est qu'une mauvaise conscience de la contradiction entre l'idée d'une typologie psychologique et ridée de la réduction phénoménologique! (I) Essai sur la signification de la mort, p. 154 sq.; Paul HELwm. Charaklerologie, S. 48-50. (2) Theodor LITT, lndividuum und Gemeinschaft, S. 119. (3) Richard Ho:•nGSWALD, Grwzcllagen der Denkpsychologie, passim. (4) J. CoHN, Theorie der Dialektik, S. 202 et passim.
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personnes, naguère réservée à une soc.iologie pure, n'est donc possible que par la dialectique de leur rédprocité, par cet échange psycholegiquc des perspectives qui implique le rapport des consciences à un objet universel, par le passage de la physiognomonique à la symboliqae (1). L'évidence qae la conscience prend d'elle-même et des autres ne nous renvoie plus comme dans la phénoménologie à une épochè qui vidait de tout contenu la conscience de soi; mais elle ne se produit que dans le mouvement paradoxal par lequel la conscienee de soi se dépasse symboliquement vers l'autre et vers les institutions communes. C'est la dialectique de la conscience qui se trouve au principe de l'évidence phénoménologique. Ainsi semble terminé le procès qui nous a conduit du système de l'imitation à la sociologie dialectique, à travers le système des . relations et le système phénoménologiqae. Mais au moment même de son dépassement la philosophie de la réflexion noue son antinomie fondamentale. Car la sociologie ne se dégage dialectiquement de la psychologie qu'en symbolisant et en dé-personnalisant l'expression de soi en expression de quelque chose (2). La réciprocité des perspectives ne porte que sur la surface des choses, sur une délégation du moi dans l'universel abstrait d'un rôle, d'un masque ou d'un jeu; dans leur réalité métaphysique, les individus comme les instants du temps demeurent séparés; on ne peut échanger les points de vue : sur la cc solidarité organique » est donc destinée à ruiner tous les essais nominalistes qui veulent déduire la conscience objective du nous à partir de la conscience subjective de soi. Elle ne remplit pas d'autre rôle que la célèbre règle de la méthode sociologique qui nous impose « de considérer les faits sociaux comme des choses (2) ». Aussi, à travers la psychologie individuelle et sa méthode favorite, l'introspection, c'est tout le nominalisme que vise la nouvelle méthode sociologique. « Il y a entre la psychologie et la sociologie la même solution de continuité qu'entre la biologie et les sciences physico-chimiques; par conséquent toutes les fois qu'un phénomène social est directement expliqué par un phénomène psychique, on peut être assuré que l'explication est fausse (3). » La sociologie « précède » donc la psychologie au double sens de ce mot. Elle est première dans l'ordre du temps, car la solidarité organique n'est possible qu'à partir de la solidarité mécanique; elle est première dans l'ordre de la genèse réelle, parce que l'individu est second par rapport aux « choses sociales ». Le mirage de la réflexion (1) DuRKHErn, Dfoision du travail social, p. 261-262. (2) In., Les Règles de la méthode sociologique, p. 20. (3) lu., Ibid., p. 128. ·
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et de ce Cogito solitaire, dont le nominalisme ne pouvait franchir les bornes, semble définitivement écarté. Le Nous collectif se situe d'emblée dans l'objectivité; être objet et être social ne font qu'un : « On peut en effet, sans dénaturer le sens de cette expression, appeler institution toutes les croyances et les modes de conduite instituées par la collectivité; la sociologie peut alors être définie : la science des institutions, de leur genèse et de leur fonctionnement (1). ii La discipline sociologique nous place à l\ opposé de la psychologie et de la phénoménologie. Celles-ci n'attendaient l'évidence que de la coïncidence puremerit formelle et vide de la conscience de soi avec elle-même. Tel était le sens de l' épochè phénoménologique : elle purgeait le monde de sa transcendance. Au contraire le réalisme sociologique ne produit la plénitude de la conscience que dans l'aliénation absolue de la chose. L'être est, lorsqu'il est hors de nous. La spécificité du social par rapport à l'individuel illustre précisément la transcendance de la chose, c'est-à-dire de la conscience véritable de l'objet. Seules, la contrainte et l'extériorité sont capables d'atteindre ce que visait en vain la psychologie : l'être. La sociologie nous découvre donc les catégories ontologiques; c'est l'être collectif qui arrache l'être individuel à sa faiblesse et à son incertitude pour le conduire à la vérité. S'il importe de « ne jamais prendre pour objet de recherche qu'un groupe de phénomènes préalablement définis par certains caractères extérieurs qui leur sont communs et de comprendre dans la même recherche tous ceux qui répondent à cette définition ll, cette règle de la méthode n'indique rien d'autre qu'un retour au Cogito véritable, à ce foyer des objectivations que nous avons en vain tout à l'heure recherché dans la réflexion (2). Car ce sont les institutions qui sont au principe de toute notre activité objective; si les valeurs possèdent par rapport aux appréciations individuelles cette indépendance et cette universalité, sans laquelle elles ne seraient pas ce qu'elles sont, elles le doivent précisément à leur origine institutionnelle(3); et c'est aussi par la médiation de celle-ci que l'objectivation «naturelle)) est possible dans les sciences de l'objet et dans la psychologie. L'être remplit la conscience de soi parce qu'il a d'abord hanté la conscience du Nous : « La société est pour les consciences un objectif transcendant. En effet elle déborde l'individu de toutes parts. Elle le dépasse matériellement puisqu'elle résulte de la coalition de toutes les forces individuelles. Mais à (I) IB., Ibid., préface à la 2• éd., p. xxm. (2) Io., Ibid., p. 45. (3) Io., Sociologie et philosophie, p. 109 sq.
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elle seule cette grandeur matérielle serait insuffisante. L'uniYers lui aussi dépasse l'individu, l'écrase de son énormité, et pourtant l'univers n'est pas moral. Seulement la société est autre chose qu'une grande puissance matérielle, c'est une grande personne morale. Elle nous dépasse non pas seulement physiqüement, mais matériellement et moralement (1). » L'objectivation, la constitution ontologique du sens trouve donc son lieu propre dans la transcendance sociale; l'individu n'est qu'entouré par l'univers physique et cette disparité des « deux infinis» ne peut certes le hausser à la conscience véritable de l'objet, c'est-à-dire à l'égalité de la conscience avec elle-même, mais il rencontre une transcendance intérieure, une extériorité et une contrainte qu'il sent enfin de même nature que lui-même dans l'obligation morale. Si la sociologie doit procéder des éléments les plus extérieurs aux éléments les plus intérieurs, des institutions qui ressemblent le plus à des choses à celles qui se rapprochent le plus des représentations, de ce qui est consolidé à ce qui est immobile, du fixé au fluent et enfin des manières d'être aux manières de faire (2), cette règle n'est pas seulement établie en vue de la commodité mais elle répond à la structure même de la constitution ontologique du monde, qui va du sens de l'être aux êtres particuliers, de l'organe à la fonction (3), des catégories par lesquelles sont formés les valeurs et les objets aux choses constituées. La chosification du social qui a fait accuser Durkheim de matérialisme est au contraire le meilleur témoignage de son spiritualisme (4) et de l'irréductibilité des faits de conscience aux objets de la nature; mais le réalisme sociologique a pu donner prise aux critiques à cause du paradoxe même de sa méthode : retrouver l'activité constituante de l'objet dans ce qui semble le plus objectif et attendre l'illumination du Cogito de ce qui paraît être son contraire, l'institution la plus figée, la plus transcendante et la plus extérieure. Ainsi le sens constituant et catégorial de la réalité sociale nous oblige à la distinguer de la chose naturelle,. dont elle apparaît comme la condition d'objectivation. « Il n'est pas nécessaire de soutenir que la vie sociale est faite d'autre chose que de représentations; il suffit de poser que les représentations individuelles ou collectives ne peuvent être étudiées scientifiquement qu'à la condition d'être étudiées objectivement (5). » L'être en soi (1) DURKHEIM, Bulletin de la société française de philosophie, avril l 90G, p. 131. (2) ID., Règles de la méthode sociologique, p. 57 sq. (3) lo., Ibid., p. 117. (4) ID., Sociologie et philosophie, p. 43. (5) ID., Règles de la méthode sociologique, préface à la 2• éd., p. KIL.
devient un être pour nous; mais pcut-JÏl r-onserver dans ce mouvement son objectivité première? Lorsque la société passe de la solidarité mécanique à la solidarité organique, le lien d'intégration de l'individu au groupe se transforme profondément : on peut dire que ce lien, d'abord vécu immédiatement, est ensuite représenté. L'individualisme naît ainsi de la dissolution du communisme primitif. Or ce procès ne figure pas nécessairement un progrès. Durkheim lui-même a peu à peu atténué l'opposition des deux solidarités, et il a noté combien la divi~ion du travail, tout en accentuant la rigueur des contraintes par l'extension monstrueuse du social, ne faisait que libérer apparemment l'individu et en réalité achevait son aliénation. Si primitivement le passage de l'être à la représentation, de la solidarité mécanique à la solidarité organique indiquait la mutation de la transcendance sociologique en l'immanence psychologique, désormais l'interprétation inverse se dessine. « Plus nous avançons dans l'histoire, plus la civilisation humaine devient une chose énorme· et complexe, plus, par conséquent, elle déborde les consciences individuelles, plus l'individu sent la société comme transcendante par rapport à lui. Chacun des membres d'une petite tribu australienne porte en lui l'intégralité de sa civilisation tribale; de notre civilisation actuelle, chacun de nous ne parvient à intégrer qu'une faible part (1). » L'histoire des sociétés, reproduite par celle des individus (2), semble donc intercaler entre l'intégration sociale vécue immédiatement, entre la « valeur subie » et cette même intégration représentée, la présentes dans tout comportement humain. . Mais du même coup la sociologie objective se transforme; le nous se réforme à travers le moi. Lorsqu'on traitait les phénomènes sociaux comme des choses, les institutions, unique objet de la sociologie, r10Ltvaient être interprétées par la simple application des méthode:3 physiques. Par exemple il suffisait de rapporter le nombre des suicides à la forme extérieure du groupement social et en particulier religieux pour découvrir les causes du suicirk; il rnffisait pour établir les lois de la formation des salaires et des prix de les référer aux mouvements de la population et aux variations de la production et de la consommation qui en découlent. Mais comment apercevoir que tel ou tel groupement est précisément religieux? Comment même apercevoir qu'il exist.e? Cherche-t-on la cause de l'aversion qu'éprouvent les catholiques pour le suicide non pas dans le dogme ou dans les croyances, mais dans la forme de leur groupement religieux? La difficulté apparaît quand on veut isoler ce groupement sans faire appel, par un cercle évident, aux notions qui en sont la raison d'être et la fin : le dogme et la croyance. Dans la pensée de Durkheim, « il n'est pas douteux que ce soit le caractère religieux de cette association qui passe au premier plan. Seulement. lorsque, comme Durkheim, on s'attache aux pratiques extérieures de la religion pour reconnaître l'existence et mesurer la cohésion d'un groupe confessionnel, il est bien difficile de distingtier fos habitudes religieuses et les autres coutumes, parce qu'eHes forment Ie plus souvent un tout indécomposable (1). » Cependant, loin de renvne;:r à la méthode naturaliste, le sociologue voudra sauver, contre les atermoiements et les renoncements de la psychologie behavioriste, la pureté d'une méthode naturaliste dont il pense que ses propres critiques lui ont fourni une confirmation. C'est uniquement la notion ambiguë de représentation collective qui est responsable de l'incertitude d'une tentative en soi absolument valable. On a échoué parce qu'on a voulu isoler les causes proprement sociales du suicide, par exemple la structure des groupes reli,~ieux, et les causes individuelles du suicide, celles-là précisément qu'allèguent les dernières lettres des hommes qui se donnent la mort et qu'on a qualifiées arbitraiiement de simples prét'extes psychologiques. Réintégrons au contraire les accidents particuliers dans le social; étendons la méthode objective; voyons dans ces événements particuliers non (c
( 1) Maurice
HAï..E:\L\Cï';.
Le.- C'ci!i.'e,· du suicide, p. 288.
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plus des prétextes illusoires, mais de Vt'ritables motifs et l'exactitude des résultats se mesurera à l'universalité de la méthode. c< Il ·se peut que, parmi tous les hommes qui auraient des raisons de se suicider, ceux-là seuls se tuent qui sont irritahles, susceptibles, peu capables de se maîtriser. Mais ce n'est point par hasard qu'ils se rencontrent en plus grand nombre dans les professions libérales, industrielles et commerciales et dans les groupes urbains que dans les autres (1 ). i> Ainsi la COi;!,science de soi, la conscience d'autrui et la conscience d'objet se rejoignent enfin, et l'application des méthodes naturelles aux sciences humaines apaise le conflit qui s'était élevé entre la psychologie et la sociologie. Ce n'est pas voir toutefois qu'un gain de surface se solde par une perte en profondeur et en précision. L'inextricable combinaison des causes en histoire, qui rend impossible la détermination purement expérimentale des groupes religieux rend précisément aléatoire l'imputation du suicide à des formes sociales définies, et la méthode objective disparaît avec la notion de causalité. Veut-on cependant maintenir des lois naturelles en utilisant des statistiques? Mais la difficulté rencontrée tout à l'heure, lorsqu'on voulait isoler les séquences particulières aux groupements religieux, reparaît au moment où nous sérions les groupes statistiques, et les embûches sont les mêmes pour mesurer et exprimer en termes de choses l'intégration religieuse et l'intégration sociale en général. Bien plus, elles se multiplient, puisque désormais les accidents individuels du suicide ne sont plus ravalés au rang de simples prétextes, mais élevés à celui de motüs. La contradiction devient flagrante entre une méthode qui veut expliquer les choses et une méthode qui décrit phénoménalement les motifs. Si l'on se donne en effet la mort à la suite d'une maladie ou parce qu'on a perdu sa situation, ces motifs sont assurément sociaux. Ce qui importe toutefois, c'est qu'ils mettent en œuvre non- pas un rapport naturel entre des faits bruts, mais la relation de l'homme au monde par l'intermédiaire de son travail et des idéologies qui accompagnent celui-ci. La statistique peut traduire en eourbes et en chiffres ce déséquilibre vécu par l'existence humaine entre l'homme et son univers. Elle ne peut cependant par elle-même découvrir la cause du suicide, si l'appartenance à une classe sociale exprime la réussite ou l'échec de l'acte ontologique fondamental. S'arrêter à la statistique et lui prêter une vertu mystérieuse de découverte représenterait une entreprise aussi vaine que d'expliquer le suicide fréquent des citadins (1) Mnurice
lIALDWACHs,
Les Causes dans l'acte ontologique du trl:).vaiJ, .Walson, empétré dans les préjugés du naturalisme crut la saisir suflisamment dans une genèse purement mécanique; la théorie du réflexe conditionné répond à cette croyance. Or c'était revenir honteusement, en se contentant de le matérialiser, à l'associationisme des faits de conscience. C'était introduire l'extériorité dans le comportement. Sans doute, Watson refusait de « localiser » ce dernier dans le cerveau; il allait même jusqu'à le concevoir comme un échange organique entre l'individu et le milieu. Mais à l'idéalisme de la conscience, succède un matérialisme qui n'est qu'un idéalisme renversé, chaque terme associatif étant remplacé par un réflexe. La difficulté du behaviorisme commence à apparaître au moment où l'on s'interroge sur la nature de ces réflexes, et cù l'on s'aperçoit que ce sont non pas des choses observables dans le comportement naturel, mais des résultats d'expériences artificielles, préparées dans les laboratoires, en somme des hypothèses scientifiques. De même le milieu, à partir duquel il faut comprendre l'individu, se trouve irréductible à une sommation de stimuli isolés. La genèse ontologique du travail oblige ainsi le behaviorisme à reconnaître l'existence de signaux et d'intentions (1) qui ne font qu'exprimer sous la forme aliénée de la conscience de soi la mutation en monde que l'homme fait subir à l'environnement animal. A la genèse physique succède en réalité une genèse qui pour demeurer matérielle, n'en est pas moins conceptuelle. Avec les espèces animales, l'environnement objectif se transforme, et les concepts valables pour une espèce déterminée ne peuvent être transposés dans l'univers des autres, le passage à l'homme indiquant la liberté non plus seulement de réagir au milieu, mais de le constituer par son travail. Le même mouvement dialectique fait éclater l'idée de (1) Voir p. 1-11.
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genèse dans la sociologie objective. Comme la psychologie behavioriste construisait le comportement ttvec l'atome du réflexe, la. sociologie doit admettre au principe de classification des sociétés, qu'« on commence par classer les sociét(•s d'après le degré de composition qu'elles présentent en prenant pour base la société parfaitement simple ou à segment unique; il l'intérieur de ces classes, on distinguera des variétés différentes suivant qu'il se produit ou non une coalescence complète des segments initiaux (1) ». Mais de même que le beha~forisme primitif ne figure qu'un idéalisme renversé, la sociologie objective ne fait c1ue transposer dans un langage réaliste .les illusions individualistes de Spencer et son principe de l 1instabilité de l'homogène. Or l'atome collectif est comme l'atome comportemental, non le produit d'une observation, mais une image constructive, une hypothèse physique : > ne font qu'un, et c'est donc une seule et même chose que de se passer des intentions de conscience et (1) La comparaison entre les formes et les modèles physiques c,st fréquente dans la Gestallpsychologie : Vv. KŒHLER, Die Physischen Gestallen -in Ruhe und im stationaren Zustand, S. xv1 sq.; Psychologische Probleme, ,S. 88 : « On verse de l'huile dans un liquide, avec lequel elle ne se mélange pas. En dépit de la violente action réciproque des molécules à la limite des . 'deux liquides, cette surface limite des deux liquides demeure nettement , coupée, non pas comme si l'exacte séparation avait été obtenue par la violence de dispositifs spéciaux, mais justement à cause des phénomenes dynamiques qui se produisent à la surface de séparation entre l'huile et l'autre liquide. Si la densité spécifique des deux liquides est la même, les forces superficielles changent la forme de la limite jusqu'à ce que l'huile flotte _. comme une sphère régulière dans l'autre substance. " _ (2) KœHLER, An Aspect of Gestalt Psrrchology, in Ps11chologies of 1925, ,:p. 192 et 118 sq.; KOFFKA, Principles of Gestalt Psychology, p. 56 sq.
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d'appliquer à la psychologie la loi physique des équilibres naturels : à l'unité des vécus cc correspond dans les processus physiologiques fondamentaux une unité dynamique cohérente ou un: tout de devenir (1) », de telle sorte que « si un sujet examiné dit : ce livre que voici est plus grand que cc livre que voilà, ses: paroles peuvent être interprétées comme l'expression d'un vécu de comparaison en lui; mais elles peuvent également servir de signe à l'existence d'une relation dynamique et fonctionnelle exactement correspondante dans les proce~sus physiologiques qui s'y rattachent (2) ». La méthode cc physicaliste » s'étend même aux phénomènes symboliques et à ces formes particulières qu'on appelle des sens. Tandis que la théorie du réflexe conditionnel, attachée à l'analyse causale rendait compte à la rigueur du dressage aux signaux par l'idée d'une réaction différée (delayed reaction), mais ne pouvait expliquer l'intelligence des symboles, la psychologie de la forme définira simplement l'entendement des symboles par la capacité toute physique de transposer des réactions acquises d'un domaine de signes à un autre. C'est même parce que le langage est une nature objective, qu'il assure la communication entre les hommes : cc Si nous comprenons par : cc la soif de S » non pas un état physique déterminé de son corps, mais une sensation de soif, donc quelque chose de non physique, alors la soif de Sl est pour S2 fondamentalement inestimable, donc fondamentalement incompréhensible, sans signification (3). »• C'est aussi la structure physique du symbolisme, et non le recoursimaginaire à la conscience qui permet de tracer entre l'homme et l'animal une ligne exacte de démarcation : tandis que l'animal ne peut opérer en effet que certaines transpositions « intramodales >> à l'intérieur d'une sphère unique de sensations, l'homme est seul capable de transpositions cc inter-modales >} infinies qui jouent entre les différents sens. Ce sont ainsi les différents rapports et équilibres physiques qui déterminent l'être de la conscience et de la communication existentielle, sans qu'on invoque jamais rien qui ne puisse être éprouvé dans ces totalités du monde sensible qu'on appelle les c< formes n. Mais d'attribuer à l'homme une capacité infinie de transpo ( 1) KŒHLER, Psychologische Probleme, p. 41. (2) lo., Ibid., S. 42. (3) CARNAP, Die physilwlische Sprache ais Universal8prache der Wissenschaft, S. 454; Testabilil!J and Meaning; etc.: OUo N1mRAT11. Plu1.sir.alisme; Eino KAiLA, Ph//Sicalismus und Ph,ïnommalismus, S. 85-t:i,,. avec renvoi aux travaux de Lashley, Tolman, \Vhceler et Pcrkins (S. 8~). ù l'ér>iphénoménisme de \V. Kœhler (S. 105) et où Kaïla reconnait qu'il faut associer « physicalisme » et « phénoménalisme », juxtaposition contradictoire, pire qu'un choix.
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L'l::TRE ET LE TRA. V AIL
sition intermodale ne fait-il pas éclater le naturalisme? Car comment apprécier de l'extérieur des changements dont l'essence est précisément de n'apparaître qu'en liaison avec un sens et une intention? Et quelle signification l'interprétation physicaIiste du langage peut-elle conserver, là où le symbolisme parvient à sa pleine expression, c'est-à-dire là où il est fait plutôt d'un rapport de symboles que d'une correspondance de sensations? Aussi la psychologie de la forme a-t-elle dialectiquement -évolué dans un sens i>arallèle au behaviorisme : les formes où l'on apercevait primitivement les champs de forces physiques -sont peu à peu devenus des systèmes de significations. Ils ont de plus en plus servi, non pas à expulser le sens de la psychologie, mais à le libérer de la solitude de 1a conscience, à le réintégrer dans l'être et à l'assujettir au travail humain. Si par exemple la théorie juridique des formes a rendu l'immense service de substituer le principe d'organisation à la catégorie de causalité, si elle a permis d'aborder le problème du droit sous un jour nouveau, en expliquant l'organisation juridique par l'équilibre qui s'institue entre les intérêts à l'intérieur d'un tout unifié, le passage explicite qu'elle est obligée d'accomplir du comportement réflexe au comportement systématique ( systematic behavior) n'est fécond que parce que les concepts de signification, de valeur et d'intuition disciplinée (trained intuition) hantent les manières de réagir des agents de droit et commentent les cc formes 11 qu'elles arrachent du même coup à la neutralité du monde physique (1). De même que dans la notion de comportement, c'était la genèse ontologique qui surgissait progressivement au détriment de la genèse mécanique, de même l'atomisme des formes le cède continûment aux totalités du travail. Déjà les pionniers de la Gestalttheorie, qui, à travers ces formes, visaient en fait le sens des cc situations 1> vécues par l'homme dans le travail, apercevaient la nature particulière et humaine de totalités où « chaque événement local connaît dynamiquement les autres (2) 1>. Les recherches expérimentales sur la perception des changements de formes montraient bientôt que la distinction entre les cc bonnes » et les cc mauvaises 11 formes relevait non d'une différence dans les équilibres physiques, mais d'une cc prégnance 11 symbolique plus ou moins marquée : les figures riches de sens sont plus sensibles aux changements que les figures pauvres et nous percevons (!) lsAY, Rechtsno1•m und Entscheidung, S. \M; POUND, The The01·11 r.f Juridical Decisian, p. 95; Co1-mN, Reason and Nature, p. 224-2"2,'.'; JoNX,~, Historical Introduction ta the Theory of Law, p. 201-202. (2) W. KŒHLER, Die physischen Geslaltcn in Ruhe und im stationaren Zustand, S. 180.
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d'autant plus finement une forme que sa signification est plus hautement signilicatricc au point do vue géométrique. Mais ce sont surtout l'attention au phé1101111~1w Lemporel et la réintégration des formes dans le tout de la pcrsonnalit:é qui ont forcé la Gestallpsyclwlogie à abandonner les 111od.dcs physicalistes. L'étude « expérimentale » des sentiments par Je Cercle de Leipzig (Strukturpsychologie) montrait le lien qui existe entre les structures partielles et la structure totale de la personnalité, l'ordre hiérarchique qui les unit et doue celles-là d'une importance et d'une valeur dont nos affections tt nos volitions nous transmettent l'écho. i.\fais en se replaçant au sein de la temporalisation humaine, les formes quittent non seulement le temps objectif, mais aussi leur signification purement physique, l'épiphénoménalisme accompagnant nécessairement la représentation extérieure du temps (1). Comme le comportement abandonnait le réflexe, de même la forme abandonne l'équilibre : « Les formes phénoménales se donnent comme des formes perceptives par exemple à partir du procès de forme totale qui comprend l'individu structuré de façon déterminée avec son milieu donné de façon égale.meut concrète; c'est un système fermé fonctionnel et dynamique. Elles changent donc avec le sens de ce devenir total et avec la position qu'elle occupent en lui. Le concept de forme se trouve ainsi dynamisé et en mêmti temps l'homme est conçu au milieu d'un« champ»; il n'est plus une substance fermée sur soi, mais on ne peut le comprendre que dans son rapport avec son milieu (2). » Du tout physique, nous sommes passés à la totalité ontologique, au travail. Enfin, en troisième lieu, la psychologie différentielle, la psychotechnique et tout ce qu'il est en général convenu de ranger dans la psychologie et Ja sociologie appliquées ont manifesté Ja même évolution que le behaviorisme et que la psychologie de la forme. Les recherches expérimentales ont en effet pris d'abord la succession de la psycho-physique de Fechner et de Weber. Lorsque Galton voulut établir les lois d'hérédité du génie en usant de l'« index de co-relation », il utilisa les temps de réactions et les seuils que Fechner avait établis pour la sensation de pesanteur; il crut pouvoir affirmer que la discrimination des poids montrait une corrélation positive avec l'intelligence des adultes. Les « tests >> naquirent ainsi d'expérimentations de laboratoire et de l'hypothèse commune à la première psychologie expérimentale, à la premh~re psychologie de la forme et au (1) Erwin STRAUS, Vom Sinn d,,r 8inne, S. 227; J{oFn,A, Die Grundlagm del' psrJchischen En!rvickhtnq, S. 7!, 8q. (2) °F. 1-{EJ;','E~IA"IN, :Vi,111: 1r, ge ri,,[' Phiio,,,_,_,>hfo, S. ~'.!9-300. 0
premier behaviorisme, que le complexe stimulus-réponse suffisait à déterminer l'existence humaine. c< Les tests utilisés par Catte! en Amérique, par Kraepelin ou Ebinghaus en Allemagne, n'étaient que des ensembles d'épreuves, sélectionnées parmi les expériences analytiques, classiques dans les laboratoires de psychologie et dont on avait l'espoir qu'elles pourraient jeter quelque lumière sur la question des aptitudes différentielles des individus. L'expérience s'est chargée de montrer que c'était trop leur demander et les résultats ont été négatifs. C'est alors que Binet eut l'idée toute naturelle, semble-t-il, dans le cadre de la psychologie français(\ de combiner de nouvelles épreuves dont la réussite était liée au fonctionnement des processus supérieurs et qui, d'autre part, mettaient en jeu des activités beaucoup plus complexes que les expériences de laboratoire d'alors (1). » La détermination des types subjectif et objectif, sans doute suggérée par la distinction de l'introverti et de l'extroverti chez Jung, ne put être menée à bien par Binet qu'une fois écartée la méthode physique, qui à force de compliquer les expériences les rendait étrangères .à la vie. « L'analyse des facteurs >> qui est née de ces essais a constamment évolué vers une compréhension vivante des individus, et c'est en réalité le principe ontologique de la division du travail qui lui confère sa validité et son objectivité. Ainsi, le second fondateur de la méthode expérimentale en psychologie difiérentielle, Spearman, a tenté d'établir que chaque test cognitif - répéter des nombres, répéter des sentences, discriminer des poids ou des lignes, construire un carré, dessiner un losange, réciter, dicter, faire des comparaisons esthétiques - contient deux facteurs mentaux : le facteur géné-: ral de l'intelligence et un facteur particulier spécifique eu égard à chacun de ces tests; en multipliant les tests les plus hétérogènes, les facteurs spécifiques se neutralisent les uns les autres et l'on finit par ne plus mesurer que le facteur commun, l'intelligence générale. Sans doute cette méthode a-t-elle été attaquée de deux côtés. D'une part « l'hypothèse de quantité » de Thorndike prétend revenir aux méthodes purement naturelles, en mesurant la difiérence d'intelligence entre deux personnes, non par référence à un « facteur général ll, mais en établissant simplement le nombre plus ou moins grand de connexions physiologiques, dont ces personnes sont expérimentalement capables. Mais déjà Binet avait fait remarquer que le nombre des cc connexions ll, loin de mesurer objectivement le niveau mental d'un sujet, pouvait au contraire indiquer, lorsque ces connexions (1) M. M1cnoTTE, Discours pour le centenaire de Ribot, p. 55.
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étaient établies à tort et à travers et n'importe comment une déficience mentale caractérisée. D'aulrt! part l'« hypothèse du modèle» (sampling hypothesis). de Thomson et Thurstone, non contente de trouver l'origine de l'énergie nerveuse et du facteur « g » dans l'émotivité plutôt que dans l'intelligence, ajoute que le tesL stimulus n'opère pas suivant une méthode sélective, mais suivant des modèles. aveugles, par la méthode des essais et erreurs. Mais ce qui rend fructueux le trial n'est-ce point précisément ce que Binet appelait « l'idée dire~trice »? Les expériences réalisées par Koffka ont d'ailleurs montré que la méthode des essais et erreurs n'est employée que lorsque le test est trop difficile pour le sujet, mais qu'en temps normal, lorsqu'on interroge les personnes dans leur milieu naturel, l'intelligence se manifeste en percevant cc immédiatement » le problème, puis la solution (1). La loi d'après laquelle un test simple ne révèle que des caractères très généraux et ne trouve d'application réelle que pour des niveaux ou des âges mentaux inférieurs, tandis qu'il faut employer des tests compliqués pour individualiser vraiement les résultats de la psychologie différentielle, rejoint d'ailleurs parfaitement la vie pratique : les cc concours » des grandes écoles ne sont que des tests géants, parce que le travail et les capacités qu'ils doivent servir à déceler chez un individu se réfèrent en fait, non pas à la réaction simple et comme réflexe d'un organe déterminé ou d'une faculté à un stimulus isolable, mais à une constitution ontologique du monde, dont il importe de retrouver le mouvement et les articulations. Si l'étude pratique des tests rejoint actuellement la caractérologie, c'est parce que l'une et l'autre discipline ont renoncé à cc réaliser » en facultés les « facteurs >> ou les cc qualités >> par la mesure et la composition desquels elles cherchent à rejoindre les individus concrets. Qu'est-ce en effet qu'un type caractérologique'? Loin que je puisse l'abstraire des actions particulières dans lesquelles il se manifeste, il n'est autre que le style commun qui rend la compréhension de ces actions possible; l'Avare de Molière ne résulte pas de la comparaison de ses réactions du « Sans dot », de la querelle avec son fils, de la conception du mariage comme une propriété ou des caractères érotiques prêtés à la cassette - , mais c'est l'acte ontologique qui constitue le sens universel de ces situations particulières. Retrouver le sens d'un caractère, c'est donc remonter à la division du travail et à la signification fonctionnelle qui en naît. Aussi ne peut-on cc reconstruire » un caractère à partir de propriétés qui lni préexis(1) Cyril BuRT, Binel's Worlc on lntelligenc,i, p. 181.
teraient, pas plus qu'on ne peut saisir des « aptitudes ;; à partir de facteurs indépendants des situations où ces aptitudes se réalisent. Les aptitudes et les modèles factoriels ne sont en réalité rien d'autres que des cc formes (1) )); et il ne s'agit nuUement, lorsqu'on parle de « facteur verbal )) d'identifier celui-ci à un cc centre verbal >> dans le cerveau ou à une « faculté verbale » dans l'esprit (2), cédant ainsi aux prestiges du réalisme matérialiste ou de son contraire apparent, le réalisme spiritualiste, à la construction de la phrénologie ou de l'associationi.sme. cc Rigoureusement parlant, les facteurs ne peuvent pas être regardés comme des substances ou comme des parties de substances, ou même comme des all:rihuts de causation inhérents à une substance. Ce ne sont pas des « organes » séparés ou des « propriétés» isolées de l'esprit; ce ne sont pas .des > Tel est le principe de la loi de dissolution de la mémoire : les structures formées les dernières sont aussi les plus fragiles, et elles sont les premières à se désagréger. De même l'attention spontanée, alertée par une sensation efficiente, résiste plus longtemps aux traumatismes que l'attention volontaire. On pourrait donc définir la pathologie la science des régressions ontologiques, et, parce qu'elle s'opposerait point par point à la psychologie, science des genèses ontologiques, elle lui fournirait aussi miraculeusement les cc expériences >> que leur enfouissement dans la préhistoire humaine nous a rendues pour le moment inaccessililes. Mais la chose n'est pas si simple. Et ne voit-on pas que ce serait retourner honteusement à une genèse mécanique dans le genre de celle que développait le behaviorisme? On suppose en effet que l'homme, s'il retourne à un stade dépassé de l'histoire humaine, retrouvera telle quelle son existence; on réduit ainsi le temps à une simple forme du progrès, sans s'apercevoir que l'acte ontologique du travail par lequel on passe de l'environnement animal au monde humain, implique précisément une transformation totale de la situation. Mais si le comportement n'est point lié à des stimuli isolés, s'il n'est point composé de réflexes qui se composeraient les uns aux autres par voie de sommation et de combinaison mécanique, s'il se rapporte enfin au sens universel d'un monde qu'il constitue, autre chose sera le comportement du malade retourné à un environnement disparu sans que la situation « objective » ait changé, autre chose sera un comportement qui aujourd'hui nous semble arriéré, mais qui se trouvait parfaitement cc adapté » et cc adaptant » à son époque. La rechute actuelle dans le' magique est en réalité tout le contraire de la magie, et l'on sait le ridicule qui s'attache au démodé et en général aux survivances sociales, témoignant par son existence même la différence de nature qui sépare la dissolution pathologique et le simple retour à des niveaux de comportement dépassés. C'est l'erreur des sociologies objectives de la foule. d'expliquer les phénomènes d'emportement collectif en invo(1) RrnoT, Méthode de la pS!Jchologie dans De la méthode dans les sciences, Paris, Alcan, 1909, p. 252.
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quant des « stades primitifs », alors que les violences qu'on prête à la foule nmdent précisément. incompr(\hensible l'adaptation d'un tel comportement collecl.if n(•ccssairc, même à un degré rudimeulaire, à son adoption par une socidé primitive. La maladie, encore qu'elle présente des phénom(~ncs de dissolution et ) ou des « penchants >> qui constituent l'infra-structure humaine. La psychologie freudienne découvre ainsi le Moi et la Libido, puis les instincts de Yie et les instincts de mort (4). D'autre part la (1) MERLEAU-PONTY, op. cil., p. 128, us. (2) ID., Ibid., p. 126, 157. (3) SARTRE, Les Chemins de la libcrlé, lnnrn TT. (4) Essai sur la signi,'ication