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French Pages 176 Year 2023
Les virus
Dorothy H. Crawford
Les virus Traduit de l’anglais par Alan Rodney
ChronoSciences Collection destinée à un large public qui invite le lecteur à découvrir de façon très complète mais de manière abordable un sujet ou une thématique précise.
« Dans la même collection » L’Intelligence artificielle, M. A. Boden, 2021 La Théorie quantique, J. Polkinghorne, 2021 Les Marées, D. G. Bowers et E. M. Roberts, 2021 L’Anthropocène, E. C. Ellis, 2021 L’Odorat, M. Cobb, 2021 Le Changement climatique, M. Maslin, 2022 Les Énergies renouvelables, N. Jelley, 2022 L’écologie, J. Ghazoul, 2022 Le temps, Jenann Ismael, 2022 La physique, Sidney Perkowitz, 2022 La théorie des nombres, Robin Wilson, 2023 Les ondes, Mike Goldsmith, 2023 Les insectes, Simon Leather, 2023 Viruses – 3rd edn: A Very Short Introduction was originally published in English in 2022. This translation is published by arrangement with Oxford University Press. © Dorothy H. Crawford 2011, 2018, 2022 © Pour la traduction française, EDP sciences 2023 Composition et mise en page : Desk (www.desk53.com.fr) Imprimé en France Papier : 978-2-7598-3054-1 E-book : 978-2-7598-3055-8 Tous droits de traduction, d’adaptation et de reproduction par tous procédés, réservés pour tous pays. La loi du 11 mars 1957 n’autorisant, aux termes des alinéas 2 et 3 de l’article 41, d’une part, que les « copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective », et d’autre part, que les analyses et les courtes citations dans un but d’exemple et d’illustration, « toute représentation intégrale, ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause est illicite » (alinéa 1er de l’article 40). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles 425 et suivants du code pénal.
Table des matières Remerciements...............................................................................................
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1. C’est quoi un virus ?.............................................................................
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2. Tuer ou être tué, voilà la question......................................
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3. Les infections virales émergentes : transmission par les vertébrés................................................
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4. Les infections virales émergentes : transmission par les arthropodes.........................................
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5. Infections virales émergentes : les coronavirus..........................................................................................
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6. Transmission et éradication d’un virus...........................
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7. Virus persistants...................................................................................... 112 8. Virus tumoraux......................................................................................... 133 9. Virus passés et à venir...................................................................... 153 Glossaire.................................................................................................................. 160 Lectures supplémentaires................................................................... 166 Remerciements de l’éditeur............................................................. 169 Index........................................................................................................................... 170 5
Remerciements Je remercie sincèrement le Dr Karen McAulay pour sa révision critique du manuscrit et pour avoir fourni des informations essentielles sur les virus transmis par les arthropodes.
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1 C’est quoi un virus ? The microbe is so very small You cannot make him out at all, But many sanguine people hope To see him through a microscope. His jointed tongue that lies beneath A hundred curious rows of teeth; His seven tufted tails with lots Of lovely pink and purple spots, On each of which a pattern stands, Composed of forty separate bands; His eyebrows of a tender green; All these have never yet been seen — But Scientists, who ought to know, Assure us that they must be so. Oh! let us never, never doubt What nobody is sure about. “The Microbe” (1896), Hilaire Belloc Traduction littérale : Le microbe est tellement petit / Qu’on peine à le distinguer / Mais nombreux sont les obstinés / Qui espèrent le
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C’est quoi un virus ?
voir, par microscope / Une langue fourchue surmonte / Une centaine de rangées de dents / Il arbore sept queues à plume avec / Plein de points rose et violets / Et sur chacune, quarante bandes nettes / Ses sourcils sont d’un vert tendre / Et rien de tout cela n’a été vu à ce jour / Mais les savants, qui devraient le savoir / Nous assurent qu’ils doivent être ainsi… / Ah ! Ne doutons jamais, au grand jamais / De ce dont personne n’est certain.
Les microbes primitifs existaient et évoluaient déjà sur Terre il y a environ trois milliards d’années, mais ils n’ont été isolés par l’homme qu’à la fin du xixe siècle, environ 20 ans avant que Hilaire Belloc n’écrive son poème « Le Microbe ». Écrit pour amuser, le poème reflète néanmoins le scepticisme de l’époque. Il a dû falloir une énorme dose de foi pour que les gens Les gens de l’époque dont dû faire preuve d’une grande ouverture d’esprit pour admettre que de minuscules organismes vivants étaient responsables de maladies jusqu’alors attribuées à la volonté des dieux, à l’alignement des planètes ou aux miasmes émanant des marécages et de la décomposition des matières organiques. Bien sûr, cette prise de conscience ne s’est pas faite du jour au lendemain ; à mesure que l’on identifiait de plus en plus de microbes, la « théorie des germes » s’est imposée et, au début du xxe siècle même les milieux non scientifiques ont fini par admettre que les microbes pouvaient être à l’origine de maladies. Les développements techniques des microscopes réalisés par le fabricant de lentilles néerlandais Antonie van Leeuwenhoek (1632-1723) au xviie siècle ont été déterminantes pour ce bond en avant dans notre compréhension. Il a été le premier à observer les microbes, mais ce n’est qu’au milieu du xixe siècle que Louis Pasteur (1822-1895), à Paris, et Robert Koch (1843-1910), à Berlin, ont établi que les germes étaient la cause de maladies infectieuses. 9
Les virus
Koch a découvert la première bactérie, Bacillus anthracis 1, en 1876, et bientôt les microbes responsables de maladies redoutées comme le charbon, la tuberculose, le choléra, la diphtérie, le tétanos et la syphilis ont été identifiés et caractérisés. Toutes ces maladies étaient causées par des bactéries, mais il restait un groupe de maladies infectieuses pour lesquelles on ne pouvait pas trouver d’organismes responsables, telles que la variole, la rougeole, les oreillons, la rubéole et la grippe. Ces microbes étaient manifestement très petits, et passaient à travers les filtres capturant les bactéries ; ils ont donc été appelés « agents filtrables ». À l’époque, la plupart des scientifiques pensaient qu’il ne s’agissait que de minuscules bactéries. Ce n’est qu’avec l’invention du microscope électronique en 1939, capable de grossir plus de 100 000 fois, que les virus ont été observés pour la première fois et que leur structure a été déterminée, démontrant qu’ils constituaient ainsi une classe unique de microbes. Les virus ne sont pas des cellules mais des particules. Ils sont constitués d’une enveloppe protéique, la « capside », qui entoure et protège une partie du matériel génétique. L’ensemble de la structure s’appelle un « virion ». Les capsides sont de formes et de tailles différentes, selon la famille à laquelle appartient le virus. Elles sont constituées de sous-unités protéiques appelées « capsomères » et la disposition de celles-ci autour du matériel génétique central détermine la forme du virion. Par exemple, les virus de la variole ont la forme d’une brique de construction, les virus de l’herpès sont icosaédriques (polygones à 20 côtés), le virus de la rage prend la forme d’une balle et le virus de la mosaïque du tabac est long et fin comme une tige (voir la figure 1).
1. Bacillus anthracis, ou bacille du charbon, est l’agent responsable de l’anthrax.
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C’est quoi un virus ?
A
B
C
D
E
G
F
H
K
J
I
M
L
N
O A B C D E
Orthopoxvirus Parapoxvirus Rhabdovirus Paramyxovirus Herpèsvirus
F G H I J
Orthomyxovirus Coronavirus Togavirus Coliphage de type T Adénovirus
K Réovirus L Papovavirus M Picornavirus N Parvovirus O Virus mosaïque du tabac
Fig. 1 La structure des virus.
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Les virus
Certains virus possèdent une couche extérieure entourant la capside, appelée « enveloppe », qui se forme en bourgeonnant à travers la membrane de la surface cellulaire. La plupart des virus sont trop petits pour être vus au microscope optique. En général, leur taille varie de 20 à 300 nanomètres (nm) de diamètre (1 nm est un millième de millionième de mètre) (voir la figure 2).
E. coli Poxvirus
Rhabdovirus
Herpèsvirus
Adénovirus
Parvovirus 1 000 nm
Fig. 2 Comparatif des tailles d’une bactérie typique et de plusieurs virus représentatifs.
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C’est quoi un virus ?
Toutefois, le type de virus dits « géants » constitue une exception. Le « mimivirus » (abréviation de microbe-mimicking virus en anglais) a été le premier découvert, en 1992, et mesure 600 nm, soit plus que certaines bactéries. À l’intérieur de la capside du virus se trouve le matériel génétique, ou génome, qui est soit de l’ARN, soit de l’ADN, selon le type de virus (voir la figure 3). Le génome contient les gènes du virus, qui portent le code permettant de fabriquer de nouveaux virus, et transmet leurs caractéristiques héréditaires à la génération suivante. Les virus possèdent généralement entre 4 et 200 gènes, mais là encore, les virus géants sont inhabituels car ils en ont entre 600 et 1 000, soit plus que de nombreuses bactéries. Dès lors que l’on avait compris que les virus étaient porteurs soit d’ADN soit d’ARN, mais jamais les deux simultanément, un système de classification a été défini sur la base des critères suivants pour répartir les virus en familles, genres et espèces : • le type d’acide nucléique (ADN ou ARN) ; • la forme de la capside du virus ; • le diamètre de la capside et/ou le nombre de capsomères ; • la présence ou non d’une enveloppe virale. Depuis le début des années 1980, lorsque le premier génome de virus a été entièrement cartographié, le séquençage du génome est devenu une technique éprouvée permettant de fournir des informations précieuses pour la classification des virus. En effet, grâce aux méthodes de plus en plus sophistiquées utilisées pour la découverte des virus, nombre d’entre eux sont désormais identifiés bien avant que leur structure physique réelle ne soit observée. Dans ces cas-là, la structure moléculaire de l’ADN ou de l’ARN est comparée à celle d’autres virus connus afin de classer le nouveau virus dans une famille. 13
Les virus
S
P S
A
T
G P
S
S C
T
S
P
A
P S
P
C
G
S
S P
Fig. 3 Structure de l’ADN, avec les deux brins complémentaires qui forment l’hélice. L’épine dorsale de chaque brin est composée de molécules du sucre désoxyribose (S) liées entre elles par des molécules de phosphate (P). Chaque sucre est relié à une molécule de nucléotide, qui constitue les « lettres » de l’alphabet génétique. Ce sont l’adénine (A), la guanine (G), la cytosine (C) et la thymine (T). La structure de l’ARN est similaire à celle de l’ADN, mais ses nucléotides sont l’adénine, la guanine, la cytosine et l’uracile ALAN complète, pour être cohérent [U].
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C’est quoi un virus ?
Les cellules des organismes vivants, y compris les bactéries, contiennent une variété d’organites essentiels à la vie : les ribosomes qui fabriquent les protéines, les mitochondries ou d’autres structures qui produisent de l’énergie, et des membranes complexes permettant aux molécules de traverser la paroi cellulaire vers l’intérieur de la cellule. Les virus – qui ne sont pas, rappelons-le, des cellules – ne possèdent aucun de ces éléments et sont donc inertes jusqu’à ce qu’ils infectent une cellule vivante. Une fois à l’intérieur, ils détournent les organelles de la cellule et utilisent ce dont ils ont besoin pour achever leurs cycles de vie, tuant souvent la cellule au passage. C’est pourquoi on les appelle des parasites obligatoires. Même le « mimivirus », qui infecte les amibes, doit utiliser les organelles de l’amibe pour fabriquer ses protéines afin d’assembler de nouveaux mimivirus. Les virus des plantes pénètrent dans les cellules par une brèche dans la paroi cellulaire ou sont injectés par des insectes vecteurs, suceurs de sève, comme les pucerons. Ils se propagent ensuite très efficacement de cellule en cellule via les plasmodesmes, des pores qui acheminent les molécules entre les cellules. En revanche, les virus animaux infectent les cellules en se liant à des molécules réceptrices spécifiques de la surface cellulaire. Le récepteur cellulaire est comme une serrure, et seuls les virus qui possèdent la bonne clé de liaison au récepteur peuvent l’ouvrir et pénétrer dans cette cellule particulière. Les molécules réceptrices diffèrent d’un type de virus à l’autre, et si certaines sont présentes sur de nombreux types de cellules, d’autres ont une distribution beaucoup plus restreinte. Deux virus pandémiques illustrent ces cas : le virus de l’immunodéficience humaine (VIH), à l’origine du syndrome d’immunodéficience acquise (sida), et le syndrome respiratoire aigu sévère, coronavirus-2 (SARSCoV-2), à l’origine du Covid-19. Le récepteur cellulaire du VIH est la molécule CD4, principalement exprimée sur les 15
Les virus
cellules immunitaires appelées cellules T auxiliaires. Cette interaction spécifique définit l’effet de l’infection par le VIH, puisqu’elle entraîne la destruction des cellules T CD4-positives, essentielles à la réponse immunitaire. Sans traitement antiviral, le système immunitaire finit par s’effondrer et des infections opportunistes mortelles s’ensuivent. En revanche, le récepteur cellulaire du SARS-CoV-2, l’ACE-2 (enzyme de conversion de l’angiotensine-2), est largement exprimé dans l’organisme, en particulier sur les cellules des voies respiratoires, des vaisseaux sanguins, du cœur et des reins, et cette distribution détermine les manifestations du Covid-19 grave (voir le chapitre 5). Une fois qu’un virus s’est lié à son récepteur cellulaire, la capside pénètre dans la cellule et son génome (ADN ou ARN) est libéré dans le cytoplasme cellulaire. Le principal « objectif » d’un virus est de se reproduire, et pour ce faire, son matériel génétique doit « télécharger » les informations qu’il transporte. La plupart du temps, cela se passe dans le noyau de la cellule, où le virus peut accéder aux molécules dont il a besoin pour fabriquer ses propres protéines. Certains grands virus, comme le virus de la variole, portent les gènes des enzymes dont ils ont besoin pour fabriquer leurs protéines ; ils sont donc plus autonomes et peuvent accomplir l’ensemble du cycle de vie dans le cytoplasme. À l’intérieur d’une cellule donnée, les virus à ADN se font simplement passer pour des morceaux d’ADN cellulaire, et leurs gènes sont transcrits et traduits en utilisant toute les mécanismes de la cellule dont ils ont besoin. Le code ADN viral est transcrit en messages ARN (transcription) qui sont lus et traduits en protéines virales individuelles (traduction) par les ribosomes de la cellule. Les différents composants du virus sont ensuite assemblés en des milliers de nouveaux virus qui sont souvent si 16
C’est quoi un virus ?
serrés dans de la cellule que celle-ci finit par éclater en les libérant et tuant ainsi la cellule. Il est également possible que les nouveaux virus sortent de la cellule plus tranquillement en traversant la membrane cellulaire et en acquérant ainsi une enveloppe. Dans ce dernier cas, la cellule peut survivre et sert de réservoir d’infection. Les virus à ARN ont une avance sur les virus à ADN, dans le sens où leur code génétique est déjà sous forme d’ARN. Ils sont porteurs d’enzymes qui permettent à leur ARN d’être copié et traduit en protéines, ce qui les rend moins dépendants des enzymes cellulaires. Leur cycle de vie se déroule en général dans le cytoplasme, sans causer de perturbation majeure à la cellule. Cycle de vie du rétrovirus Maturation
Attachement Point d’entrée
Éclosion Assemblage
Transcription inverse Traduction
Transcription
Intégration
Fig. 4 Le cycle infectieux du rétrovirus : entrée du virus dans une cellule, suivie de la transcription inverse, intégration, transcription et traduction du génome, assemblage du virus et bourgeonnement de nouvelles particules à partir de la surface cellulaire.
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Les virus
Les rétrovirus forment une famille de virus à ARN, tel que le VIH, ayant développé une méthode unique pour infecter à vie une cellule, tout en se cachant des attaques immunitaires. Les particules de rétrovirus contiennent une enzyme appelée transcriptase inverse qui, une fois à l’intérieur d’une cellule, convertit leur ARN en ADN (voir la figure 4). Cet ADN viral peut ensuite rejoindre la chaîne d’ADN de la cellule grâce à une autre enzyme virale appelée intégrase, selon un processus dit d’intégration. La séquence virale intégrée est appelée provirus et est de fait stockée dans la cellule, où elle reste en permanence pour être copiée avec l’ADN cellulaire lorsque la cellule se divise. Les deux cellules filles héritent du provirus, constituant ainsi une réserve de cellules infectées à l’intérieur de son hôte. À tout moment, un provirus peut fabriquer de nouveaux virus qui bourgeonnent à la surface de la cellule, mais dans ce cas, il tue la cellule. Dans les cellules de mammifères, le processus de copie de l’ADN au cours de la division cellulaire est fortement régulé, grâce à un système de relecture et des points de contrôle pour détecter les ADN endommagés ou mal copiés, et corriger les erreurs. Si les dommages sont trop importants, les cellules disposent d’un programme d’« autodestruction » appelé apoptose, qui provoque la mort cellulaire plutôt que de permettre à la cellule de transmettre son ADN défectueux. Malgré ces contrôles, des erreurs se glissent, entraînant des mutations qui sont répliquées et transmises aux générations futures (voir la figure 5). Les génomes des virus mutent beaucoup plus rapidement que le génome humain, en partie parce que les virus se reproduisent en un jour ou deux avec plusieurs milliers de descendants. De plus, les virus à ARN n’ont généralement pas de système de « relecture critique », de sorte que leur taux de mutation est plus élevé que celui des virus à ADN. 18
C’est quoi un virus ?
Évolution moléculaire Les gènes viraux accumulent des mutations avec le temps A . . .GAAGCACTCTACCTCGTGTGCGGGATCGAGGCTTATTCTACACACCAAGC. . . X X X X X B . . .GAAGCTCTCTACCTAGTGTGCGGGAACGAGGCTTCTTCTACACACCAAGA. . . X X X X X X X X X X C . . .GAGGCGCTGTACCTGGTGTGCGGGAGCGCGGCTTTTTTTATACACCAAGT. . .
A vs. B : 5 mutations avec 50 sites = 10 % de différence B vs. C : 10 mutations avec 50 sites = 20 % de différence A B C temps
Fig. 5 Évolution moléculaire d’un gène viral avec le temps. L’importance des différences accumulées entre les séquences est utilisée pour construire un arbre évolutif, dans lequel les longueurs des branches horizontales, dessinées à l’échelle, indiquent le temps écoulé depuis les ancêtres communs (représentés par des cercles).
Ainsi, chaque fois qu’un virus infecte une cellule, son ADN ou son ARN peut être repliqué des milliers de fois, et comme chaque nouveau brin est incorporé dans une nouvelle particule virale, chaque cycle d’infection produit plusieurs virus mutants. Ce taux de mutation élevé des virus est leur bouée de sauvetage ; pour certains, il est essentiel à leur survie. Chaque cycle d’infection produit des virus non viables, car les mutations interrompent la fonction de certains gènes essentiels, et d’autres virus dont les mutations n’entraînent aucun changement de fonction. Mais quelques-uns des descendants subiront des mutations bénéfiques, leur donnant un avantage sélectif sur leurs « frères ». Cet avantage peut provenir 19
Les virus
d’un certain nombre d’évolutions, notamment d’une capacité accrue à se cacher des attaques immunitaires, à infecter l’hôte plus facilement, à résister aux médicaments antiviraux ou à se reproduire plus rapidement. Quelle que soit cette évolution, elle conduira à ce que ce virus mutant particulier dépasse ses « frères » et s’impose dans la population. Le virus de la rougeole, par exemple, infecte la population humaine depuis au moins 2 000 ans, mais les scientifiques estiment que la souche actuelle de la rougeole est apparue beaucoup plus récemment (voir le chapitre 7). On peut supposer que cette souche virale était, d’une certaine manière, plus « apte » que la précédente et qu’elle a fini par la remplacer dans le monde entier. Et à l’heure où nous écrivons ces lignes, pendant la pandémie de Covid-19, nous assistons régulièrement à l’émergence de nouvelles souches de SARS-CoV-2, des souches plus adaptées à la transmission entre hôtes et remplaçant leurs prédécesseurs dans le monde entier (voir le chapitre 5). L’analyse des mutations du génome d’un virus est une manière de suivre son histoire. L’hypothèse de l’horloge moléculaire, développée dans les années 1960, stipule que le taux de mutation par génération est constant pour un gène donné. En d’autres termes, appliquée aux virus, deux échantillons du même virus isolés au même moment à partir de sources différentes auront évolué pendant la même durée depuis leur ancêtre commun (voir la figure 5). Comme ils auront tous les deux subi des mutations à un rythme constant, le degré de différences entre leurs séquences génétiques permet de mesurer le temps écoulé depuis leur ancêtre commun. Les scientifiques utilisent l’horloge moléculaire pour estimer la date d’origine de certains virus et tracer des arbres évolutifs (ou phylogénétiques) montrant leur degré de parenté avec d’autres virus. Les virus ayant un taux de mutation élevé, les évolutions importantes, estimées à environ 1 % par an pour le VIH, peuvent être mesurées sur une 20
C’est quoi un virus ?
courte échelle de temps. Cette technique a permis de découvrir l’origine animale du VIH, elle est actuellement utilisée pour rechercher l’origine du SARS-CoV-2. Les particules virales étant inertes et incapables de produire de l’énergie ou de fabriquer des protéines de manière autonome, elles ne sont généralement pas considérées comme des organismes vivants. Néanmoins, ce sont des morceaux de matériel génétique qui parasitent les cellules, exploitant très efficacement les mécanismes internes des cellules pour se reproduire. Comment et quand ces « pirates cellulaires » sont-ils apparus ? Nous ne connaissons pas encore la réponse à cette question, mais il existe trois théories : la théorie du premier virus, la théorie progressive et la théorie régressive ; aucune n’explique les différentes caractéristiques de tous les virus que nous observons aujourd’hui. Il est désormais généralement admis que les virus sont véritablement anciens. Le fait que des virus partageant des caractéristiques communes infectent des organismes dans les trois domaines du monde vivant – Archées, Bactéries et Eucariotes – suggère qu’ils ont évolué avant que ces domaines ne se séparent de leur ancêtre commun, appelé le « dernier ancêtre cellulaire universel » (LUCA en anglais pour Last Universal Cellular Ancestor). Il est également généralement admis que la première molécule réplicative à évoluer a été l’ARN plutôt que l’ADN. La théorie des « virus-premiers » suggère donc que les virus à ARN ont évolué avant les cellules plus complexes, bien qu’elles en dépendent aujourd’hui pour leur survie. Les virus à ADN pourraient donc avoir évolué à partir de leurs homologues à ARN plus anciens. Cette hypothèse est étayée par l’existence des rétrovirus, qui ont la capacité de transcrire l’ARN en ADN. Ce faisant, ils inversent le flux habituel de l’information génétique de l’ADN à l’ARN puis aux protéines. 21
Les virus
La théorie régressive propose que les grands virus à ADN, par exemple les virus de la variole et les mimivirus, peuvent représenter des formes de vie autrefois autonomes qui ont depuis perdu leur capacité à se reproduire de manière indépendante. En revanche, la théorie progressive suggère que les virus dérivent de fragments de matériel génétique « échappés » qui ont acquis une enveloppe protéique et sont devenus infectieux. Quoi qu’il en soit, aucune de ces théories ne peut expliquer l’évolution des virus à ARN et à ADN, il est donc possible qu’ils aient évolué séparément.
DÉTECTION DES VIRUS ET DIAGNOSTIC À l’origine, le diagnostic des maladies causées par un virus était basé sur la recherche du virus responsable par microscopie électronique. Cependant cette méthode était largement inefficace et prenait beaucoup de temps. Dès que l’on a compris que les virus sont des parasites qui se développent à l’intérieur des cellules, des techniques de culture cellulaire ont été mises au point pour identifier les différents types de virus. Parmi ces techniques, la croissance dans des œufs de poule et dans des cellules en culture montrent toutes deux les changements provoqués par le virus dans les cellules, appelés effet cytopathique (ECP), qui sont caractéristiques de virus ou de familles de virus spécifiques. Mais même ces techniques prenaient plusieurs jours et n’étaient efficaces que pour une partie des virus pathogènes. Ainsi, jusqu’à une date relativement récente, de nombreuses maladies causées par des virus n’étaient jamais diagnostiquées, ou du moins trop tard pour aider les malades. Puis, dans les années 1970, une technique a été découverte pour produire et faire croître des quantités illimitées 22
C’est quoi un virus ?
d’anticorps. Appelés anticorps monoclonaux, ils ne réagissent qu’avec une séquence protéique particulière. Ils ont ainsi fourni des réactifs permettant d’identifier des protéines virales individuelles directement dans les tissus malades, et de détecter des anticorps dirigés contre des virus spécifiques dans les échantillons de sang. Cette méthode est devenue la base de l’identification des virus jusqu’à ce que la révolution moléculaire permette un diagnostic rapide grâce à la détection de quantités infimes d’ADN ou d’ARN viral dans les échantillons prélevés sur les patients. L’invention de la réaction en chaîne par polymérase (PCR) 2 dans les années 1980 a constitué une autre avancée notable. Cette technique utilise une enzyme naturelle, l’ADN polymérase, qui peut construire de nouveaux brins d’ADN à partir d’un modèle, et ainsi amplifier des séquences d’ADN spécifiques à des niveaux détectables en quelques minutes. Dans le contexte clinique, cela signifiait un diagnostic le jour même et l’évaluation rapide des charges virales et de la sensibilité aux médicaments antiviraux. Tout en révolutionnant le diagnostic médical et vétérinaire des maladies virales, les techniques moléculaires ont également permis à la virologie d’aller au-delà des études axées sur les maladies et de procéder à un échantillonnage à grande échelle du génome environnemental. Ces travaux ont donné lieu à des résultats étonnants. Nous savons maintenant que les virus ont envahi tous les recoins où la vie existe, y compris les endroits les plus inhospitaliers comme dans les cheminées hydrothermales, sous les calottes polaires, dans les marais salants et les lacs 2. L’amplification en chaîne par polymérase (ACP) ou réaction de polymérisation en chaîne généralement siglée PCR (de l’anglais Polymerase Chain Reaction).
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Les virus
acides. Ce sont tous des endroits privilégiés par certaines espèces d’archées appelées « extrêmophiles », et les virus les infectent autant qu’ils infectent les autres êtres vivants. Les virus représentent une biomasse énorme, d’une variété et d’une complexité considérables dans la nature ; cet ensemble s’appelle la virosphère. Il est impossible d’en estimer la taille, car nous ne connaissons qu’une infime partie de l’ensemble, mais il suffit de dire que les microbes en général sont de loin la forme de vie la plus abondante sur Terre. On estime à 5 × 1030 le nombre de bactéries dans le monde, et les virus sont au moins 10 fois plus nombreux. En effet, il y a plus de virus dans le monde que la somme de toutes les autres formes de vie réunies, et ils sont également d’une diversité stupéfiante, avec environ 100 millions de types différents. L’eau naturelle non traitée regorge de virus et, de fait, ils sont la forme de vie la plus abondante dans les océans, atteignant jusqu’à 10 milliards par litre d’eau de mer. Ainsi les océans contiennent environ 4 × 1030 virus. L’étude de l’océanographie microbienne n’en est qu’à ses débuts, mais en utilisant des robots pour collecter des séries d’échantillons au fil du temps et dans les profondeurs, et en procédant à des analyses génomiques à grande échelle, nous commençons à entrevoir cette « ménagerie » (sic) sous- marine, avec des indices qui suggèrent qu’elle joue un rôle vital dans le maintien de la vie sur Terre. Des découvertes récentes indiquent que les virus marins ont également des effets cachés sur l’environnement marin et ceux-ci ont profondément influencé notre vision de l’écologie, de l’évolution et des cycles géochimiques. Le plancton, qui constitue la « population flottante » des océans, est composé de minuscules organismes, dont des virus, des bactéries, des archées et des eucaryotes. Bien qu’elle semble dériver sans but au gré des courants marins, 24
C’est quoi un virus ?
cette population est très structurée et forme des communautés et des écosystèmes marins interdépendants. Le phytoplancton est un groupe d’organismes qui utilisent l’énergie solaire et le dioxyde de carbone pour produire de l’énergie par photosynthèse. Le sous-produit de cette réaction constitue près de la moitié de l’oxygène mondial, c’est donc d’une importance vitale pour la stabilité chimique de la Terre. Le phytoplancton constitue la base de l’ensemble du réseau alimentaire marin, car il alimente le zooplancton et les jeunes animaux marins, qui deviennent à leur tour des proies pour les poissons et les carnivores marins supérieurs. En infectant et en tuant les microbes du plancton, les virus marins contrôlent la dynamique de toutes ces populations essentielles et leurs interactions. Par exemple, le phytoplancton commun Emiliania huxleyi connaît régulièrement des efflorescences qui donnent à la surface de l’océan une couleur bleue opaque sur de vastes zones. Ces efflorescences disparaissent aussi vite qu’elles sont apparues, et ce cycle d’expansion et de ralentissement des efflorescences est orchestré par les virus qui infectent et tuent spécifiquement E. huxleyi. Le nombre de virus pouvant croître en quelques heures, ces « équipes d’intervention rapide » tuent la plupart des microbes des efflorescences en quelques jours seulement. La majorité des virus marins sont des phages, des virus qui infectent et contrôlent les populations de bactéries. Mais ce n’est pas tout : les phages incorporent par erreur des fragments d’ADN d’un hôte et les transmettent au suivant, propageant ainsi rapidement le matériel génétique entre leurs bactéries hôtes. Dans ce processus aléatoire, les gènes capturés ne seront que rarement utiles à leur nouvel hôte, mais lorsqu’ils le sont, ils peuvent devenir étonnamment courants. Ils peuvent, par exemple, aider leurs hôtes 25
Les virus
à s’adapter rapidement à des changements dans les niveaux de nutriments ou à des conditions extrêmes telles que les températures, les pressions et les concentrations chimiques élevées que l’on trouve dans les cheminées sous-marines, leur permettant ainsi de coloniser un nouvel environnement. En plus d’agir comme des banques de gènes mobiles, certains phages portent des gènes qui donnent une impulsion métabolique à leur proie. Par exemple, de nombreux cyanophages, virus qui infectent les cyanobactéries photosynthétiques, portent leurs propres gènes photosynthétiques. Ces gènes contrecarrent l’effet d’autres gènes viraux conçus pour désactiver les gènes de l’hôte afin de produire des protéines virales plutôt que les protéines de l’hôte. Une inhibition trop précoce de la photosynthèse couperait la ligne de vie de la cellule et empêcherait l’achèvement du cycle de vie du virus, c’est pourquoi les cyanophages fournissent les composants clés du processus. Ces virus ont si largement diffusé leurs gènes de photosynthèse qu’on estime aujourd’hui que 10 % de la photosynthèse mondiale est réalisée par des gènes issus de cyanophages. Comme le phytoplancton a besoin de la lumière du soleil pour produire de l’énergie, ces microbes occupent les couches supérieures de l’océan, mais les virus n’ont pas de telles restrictions. On trouve environ 106 espèces virales différentes dans un kilogramme de sédiment marin, où elles infectent et tuent les bactéries corésidentes. Dans l’ensemble, les virus marins tuent environ 20 à 40 % des bactéries marines chaque jour et, en tant que principaux tueurs de microbes marins, ils affectent profondément le cycle du carbone par le biais du « shunt viral » 3. 3. Le « shunt viral » est un mécanisme qui empêche les particules organiques microbienne de migrer vers les niveaux tropiques.
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C’est quoi un virus ?
En tuant d’autres microbes, les virus dissolvent leur biomasse en carbone organique particulaire qui est réutilisé par les communautés microbiennes. Cela accroît leur viabilité et leur production de dioxyde de carbone au détriment de celles situées plus haut dans la chaine alimentaire. Sans cette dérivation virale, une grande partie du carbone organique particulaire coulerait et serait piégé au fond de la mer. L’effet net est de libérer des milliards de tonnes de CO2 chaque année, contribuant ainsi à l’accumulation de CO2 dans l’atmosphère et au réchauffement de la planète. En considérant l’abondance et de la diversité des virus marins, il est probable que des réservoirs similaires existent dans d’autres repaires microbiens, comme l’intestin humain, où les bactéries sont extrêmement nombreuses, dans l’ensemble du corps, elles sont 12 fois plus importantes que les cellules humaines. Ainsi, malgré leur taille minuscule, les virus sont d’une importance capitale pour la stabilité des écosystèmes du monde entier. Dans le chapitre 2, nous allons examiner la lutte pour la survie entre virus et hôtes, ainsi que la « course aux armements » qu’ils se livrent et qui a contribué à la sophistication du système immunitaire humain, assurant ainsi notre survie.
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2 Tuer ou être tué, voilà la question Les virus parasitent tous les êtres vivants, souvent au détriment de leurs hôtes, mais ils n’ont pas que des avantages. Toutes les plantes et tous les animaux, aussi petits ou primitifs soient-ils, ont développé des moyens de reconnaître et de combattre ces envahisseurs microscopiques. Pour la plupart des virus, chaque cycle d’infection est une course contre la montre : ils doivent se reproduire avant que l’hôte ne meure ou que son système immunitaire ne les reconnaisse et les élimine. Ensuite, leur descendance doit trouver de nouveaux hôtes à infecter et répéter le processus à l’infini si l’espèce veut survivre. Même les virus qui ont choisi d’esquiver les attaques immunitaires et de vivre tranquillement à l’intérieur de leur hôte pendant toute sa vie doivent finalement se déplacer pour éviter de mourir avec lui. Le succès de ce mode de vie précaire dépend essentiellement de la capacité des virus à se propager efficacement entre les hôtes sensibles. Or, il s’agit d’un processus que les virus doivent laisser entièrement au hasard, puisque leurs particules sont totalement inertes. Si l’on ajoute à cela le fait qu’après une infection par un virus donné, tous 28
Tuer ou être tué, voilà la question
les vertébrés et plusieurs organismes plus primitifs sont immunisés contre une nouvelle infection, au moins pendant un certain temps, il semble plutôt surprenant que les virus puissent survivre. Les virus perdurent parce qu’ils sont très adaptables. Leur taux de reproduction rapide et le grand nombre de leurs descendants signifient qu’ils peuvent évoluer rapidement pour s’adapter à des circonstances changeantes. Il ne fait aucun doute que de nombreuses espèces de virus ont disparu lorsque leurs voies de propagation ont été bloquées, mais, dans le même temps, d’autres ont trouvé de nouvelles voies et ont saisi l’occasion de proliférer. Les populations de virus sont très dynamiques, l’une d’entre elles remplaçant rapidement l’autre si sa « forme » convient le mieux au climat ambiant. Nous avons vu comment, par exemple, les populations de virus phages marins changent constamment en fonction de l’avantage qu’elles peuvent obtenir en volant des gènes à leurs hôtes, et notre dernière découverte, le SARSCoV-2, a évolué rapidement, produisant de nouvelles souches virales présentant des avantages de survie par rapport à leurs prédécesseurs. Les virus se propagent entre hôtes par presque toutes les voies possibles et trouvent ensuite des portes d’entrée dans l’organisme qui correspondent à cette propagation (voir la figure 6). Ceux qui peuvent survivre hors de leur hôte pendant un certain temps peuvent voyager dans l’air et pénétrer par les voies respiratoires, comme les virus de la grippe, les coronavirus humains et les virus du rhume. D’autres, comme les norovirus et rotavirus, qui contaminent les aliments et l’eau, accèdent à l’organisme par la bouche et peuvent provoquer des épidémies massives de diarrhée et de vomissements, en particulier lorsque les normes d’hygiène sont basses. 29
Les virus
Oreille Bouche Peau lésée Piqûre d’insecte Urètre Anus
Conjonctive de l’œil Nez Organe ou os Greffe de moelle osseuse Transfusion sanguine Placenta des femmes enceintes Vagin (chez les femmes) Pénis (chez les hommes)
Fig. 6 Portails d’entrée des virus dans le corps humain.
En évoluant constamment, ces virus semblent avoir affiné leur capacité à se propager d’un hôte à l’autre pour atteindre un degré de sophistication étonnant. Par exemple, le virus du rhume (rhinovirus), en infectant les cellules qui tapissent les cavités nasales, chatouille les terminaisons nerveuses pour provoquer des éternuements. Lors de ces « explosions », environ 40 000 gouttelettes de mucus porteuses de virus sont éjectées avec force, à une vitesse de plus de 300 kilomètres par heure. Ces gouttelettes infectieuses flottent alors dans l’air, prêtes à être inhalées par d’autres hôtes sensibles. De même, en détruisant les feuillets de cellules qui tapissent l’intestin, le rotavirus empêche l’absorption des liquides de la cavité intestinale. Cela provoque des diarrhées et des vomissements sévères qui ont pour effet d’expulser la descendance du virus dans l’environnement pour atteindre de nouveaux hôtes. D’autres virus très efficaces s’accrochent à des vecteurs, c’est-à-dire à des organismes qui les transportent d’un hôte 30
Tuer ou être tué, voilà la question
à l’autre. Les virus des plantes peuvent être propagés par des pucerons qui puisent dans la sève de la plante et, de la même manière, les insectes piqueurs aspirent les virus d’un hôte et les injectent dans un autre en se nourrissant de sang. C’est le cas du virus de la dengue et de celui de la fièvre jaune, tous deux transportés d’un hôte à l’autre par des moustiques femelles qui ont besoin de sang pour nourrir leurs œufs (voir le chapitre 4). Les virus ne peuvent pas infecter les couches externes mortes de notre peau, ni pénétrer à travers les multiples couches d’une peau intacte, mais une abrasion microscopique suffit pour permettre l’entrée des virus de la verrue (papillome) et de l’herpès (herpes simplex), deux infections très courantes attrapées directement d’un hôte infecté. Mais les virus qui sont trop fragiles pour vivre longtemps en dehors du corps de leur hôte peuvent être transmis directement de l’un à l’autre par contact étroit, comme un baiser. C’est un moyen très efficace de transmettre des virus présents dans la salive, comme le virus d’Epstein-Barr qui provoque la fièvre glandulaire, également appelée « maladie du baiser ». Certains virus, comme le VIH et l’hépatite B (VHB), sont transmis par la voie sexuelle, en particulier lorsque d’autres microbes sexuellement transmissibles, comme le Gonococcus et le Treponema pallidum (responsable de la syphilis), offrent un accès facile en provoquant une ulcération de surface. Ces virus exploitent même les interventions modernes comme la transfusion sanguine et la transplantation d’organes, et peuvent également contaminer les instruments chirurgicaux et les forets et fraises des dentistes, ce qui leur permet de passer d’un hôte à l’autre. En effet, le VHB est si hautement infectieux qu’une quantité microscopique de sang suffit à transmettre le virus, ce qui constitue un grave danger pour les professionnels de la santé en contact avec des porteurs du VHB. 31
Les virus
Tous les organismes vivants possèdent des défenses contre les virus envahisseurs. Bien que cette immunité protectrice soit la plus avancée chez les vertébrés, atteignant un sommet de sophistication chez l’homme, nous savons maintenant que même les organismes les plus simples possèdent des mécanismes immunitaires, dont beaucoup sont très différents de ceux des vertébrés et ne sont pas encore totalement compris. La bataille entre les humains et les microbes n’a jamais cessé depuis l’évolution de l’espèce humaine. Les microbes développent de nouveaux moyens d’attaque et notre système immunitaire riposte en améliorant ses défenses dans une « course aux armements » qui s’intensifie. Le temps de génération d’un virus étant beaucoup plus court que le nôtre, l’évolution de la résistance génétique à un nouveau virus humain est désespérément lente et laisse constamment l’avantage aux virus. Un exemple de résistance génétique a été identifié au cours de recherches visant à déterminer pourquoi certaines personnes sont résistantes à l’infection par le VIH. Cette résistance s’est avérée liée à un gène de réponse immunitaire appelé CCR5, qui code une protéine essentielle à l’infection par le VIH. Environ 10 % des personnes d’origine européenne et asiatique sont porteuses d’une délétion intragénique, et les personnes qui ont hérité de cette version du gène de leurs deux parents (les homozygotes, soit environ 1 % de la population) présentent une résistance à l’infection par le VIH. La façon dont cette délétion a atteint un niveau aussi élevé dans cette population humaine reste un mystère, car le VIH a infecté l’homme bien trop récemment en termes d’échelle de l’évolution pour avoir produit cet effet. Les scientifiques pensent que la délétion CCR5 a dû conférer un avantage sélectif dans le passé en protégeant contre un 32
Tuer ou être tué, voilà la question
microbe mortel, peut-être la peste ou la variole, toutes deux ayant été de grandes « tueuses » pendant plus de 2 000 ans. Le système immunitaire humain est une redoutable machine de combat qui utilise deux modes de fonctionnement : un mode de réponse rapide non spécifique, et une force de destruction plus lente mais hautement spécifique qui se souvient de l’agresseur et qui prévient le virus ou le rend plus « tolérable » s’il infecte à nouveau. Les virus pénètrent souvent dans l’organisme en infectant les cellules des voies respiratoires, intestinales ou génito-urinaires, les couches profondes de la peau, la surface de l’œil ; de là, elles peuvent ensuite se disséminer pour infecter les organes internes. À l’endroit de l’infection, les cellules envoient des « messagers » chimiques, appelés cytokines. Le plus important de ces premiers messagers est l’interféron, il rend les cellules environnantes résistantes à l’infection tout en alertant le système immunitaire de l’invasion, il déclenche aussi la réponse immunitaire en attirant ses cellules constituantes dans la zone concernée. Des cellules semblables à des amibes, appelées polymorphes et macrophages, sont les premières à arriver sur les lieux, où elles engloutissent les virus et les cellules infectées par des virus, tout en produisant davantage de cytokines pour attirer les contingents de lymphocytes, un élément essentiel de la réponse immunitaire humaine. Traditionnellement, ces derniers sont appelés lymphocytes B et T en fonction du type de réponse immunitaire qu’ils provoquent. Chaque partie du corps est protégée par des glandes lymphatiques qui agissent comme des garnisons de millions de lymphocytes B et T. Les amygdales et les adénoïdes, par exemple, sont stratégiquement placées autour des entrées des voies respiratoires et intestinales, et des glandes similaires dans l’aine, l’aisselle et le cou protègent respectivement 33
Les virus
les jambes, les bras et la tête. Les macrophages digérant les virus transportent les protéines virales « hachées menu » du site de l’infection vers ces glandes lymphatiques locales où lymphocytes B et T déclenchent une réponse immunitaire spécifique. Chaque lymphocyte B et T est doté de récepteurs uniques qui ne reconnaissent qu’un petit segment d’une protéine particulière, appelé antigène. Pour couvrir tous les antigènes microbiens possibles, notre corps contient environ 2 × 1012 lymphocytes B et T qui circulent dans notre sang et sont constamment renouvelés à partir des des cellules sanguines fabriquées par notre moelle osseuse. Les lymphocytes se rassemblent dans les glandes lymphatiques et restent en sommeil sous la forme d’un macrophage porteur d’un antigène qui correspond exactement à leur récepteur unique. Lorsque les lymphocytes sont réactivés, l’ensemble du récepteur et de l’antigène stimule la division rapide du lymphocyte, formant un clone de cellules avec des récepteurs identiques. Ces cellules sont généralement prêtes à agir environ une semaine après l’infection initiale. Les lymphocytes T (ou cellules T) constituent le principal moyen de défense de l’organisme contre les virus. Il existe deux principaux types de cellules T, les cellules T auxiliaires, caractérisées par la molécule CD4 à leur surface, et les cellules T tueuses (ou cytotoxiques), caractérisées par la molécule CD8. Les cellules T CD4 et CD8 tuent les cellules infectées par un virus en produisant des substances chimiques toxiques qui rompent la membrane cellulaire. Les cellules T CD4 produisent également des cytokines qui aident les cellules T CD8 et les lymphocytes B à se développer, à mûrir et à fonctionner correctement. Une fois les lymphocytes B (ou cellules B) animés par leur antigène spécifique, ils fabriquent des anticorps ; ces 34
Tuer ou être tué, voilà la question
anticorps, molécules solubles, circulent dans le sang et passent dans les tissus et sur des surfaces telles que la paroi de l’intestin. Les anticorps se lient aux virus et aux cellules infectées, contribuant ainsi à empêcher la propagation des envahisseurs. Dans certains cas, des anticorps appelés anticorps neutralisants empêchent les virus d’infecter les cellules en bloquant leur récepteur d’entrée ; ils sont donc importants pour prévenir une réinfection ultérieure. L’importance relative des cellules T et B dans le contrôle des infections virales est particulièrement illustrée par certaines mutations rares qui éliminent l’un ou l’autre type de lymphocytes. Les bébés nés avec une mutation qui élimine leurs cellules T meurent très rapidement d’infections virales, à moins de vivre dans une bulle exempte de germes jusqu’à ce qu’ils reçoivent une greffe de moelle osseuse. En revanche, les bébés porteurs d’une mutation qui empêche le développement des cellules B supportent assez bien les infections virales mais souffrent d’infections bactériennes et fongiques graves et persistantes. Cependant, ils sont généralement protégés de ces infections au cours des premiers mois de leur vie (tout comme les bébés en bonne santé) par des anticorps provenant du sang de leur mère, également présents dans le lait maternel, qui traversent le placenta en fin de grossesse. La réponse immunitaire aux microbes est une opération complexe mais finement équilibrée, l’action des cellules qui combattent les envahisseurs étant contrebalancée par un groupe de cellules appelées cellules T régulatrices. Celles-ci produisent des cytokines qui désamorcent le mécanisme de destruction des lymphocytes T et les empêchent de se diviser, de sorte qu’une fois le microbe vaincu, les cellules combattantes meurent et la réponse s’arrête, ne laissant qu’une équipe réduite de lymphocytes T et B à mémoire, prêts à agir rapidement si le microbe devait réapparaître. 35
Les virus
Au plus fort de son activité, la réponse immunitaire peut être si prononcée qu’elle nuit à l’organisme. En réalité, les symptômes typiques et non spécifiques d’une grippe aiguë, comme la fièvre, les maux de tête, l’hypertrophie des glandes et la fatigue générale, sont souvent causés non pas par le microbe envahisseur lui-même, mais par les cytokines libérées par les cellules immunitaires pour le combattre. En de rares occasions, ces réactions induites par le système immunitaire peuvent causer des lésions graves aux organes internes, un résultat connu sous le nom d’immunopathologie. Parmi les exemples, on peut citer les lésions du foie lors d’une infection par des virus de l’hépatite, ou la grande fatigue ressentie par les personnes souffrant de la fièvre glandulaire causée par le virus d’Epstein-Barr. Par ailleurs, les lymphocytes T ou les anticorps spécifiques des protéines virales peuvent, par hasard, reconnaître ou avoir une réaction croisée avec une protéine hôte similaire. Cela peut entraîner des lésions ou la mort des cellules exprimant la protéine. Ce processus auto-immun peut être à l’origine de maladies telles que le diabète, dans lequel les cellules bêta productrices d’insuline du pancréas sont détruites, et la sclérose en plaques, qui résulte de la destruction des cellules du système nerveux central. Certains virus ont appris à se cacher des cellules immunitaires en se protégeant de l’attaque et en restant dans leur hôte pendant de longues périodes, voire à vie. Les stratégies employées par ces virus sont aussi variées qu’ingénieuses. Elles consistent notamment à échapper à la reconnaissance immunitaire et/ou à entraver la réponse immunitaire. Ces stratégies sont décrites en détail dans le chapitre 7, mais il suffit de dire que pratiquement toutes les étapes de la cascade immunitaire, de la libération initiale d’interféron à l’attaque des lymphocytes T tueurs, puis à l’action calmante des lymphocytes T régulateurs, peuvent être modifiées par un virus ou un autre pour favoriser sa propre survie. 36
Tuer ou être tué, voilà la question
De nombreux virus, tels que ceux responsables de la rougeole, des oreillons et de la rubéole, abordés au chapitre 6, induisent une immunité à vie de sorte qu’une fois guéri d’une infection, l’hôte est résistant à toute nouvelle attaque du même virus. Cette immunité naturelle peut être imitée par des vaccins, qui peuvent être soit un virus entier inactivé ou modifié, soit une partie d’un virus. Une fois dans l’organisme, cet antigène trompe le système immunitaire qui réagit alors comme s’il s’agissait d’une infection naturelle, empêchant ainsi toute attaque ultérieure. Au fil des ans, cette stratégie ingénieuse a été mise en œuvre pour prévenir des maladies virales dévastatrices et même pour éradiquer complètement certains virus pathogènes. La première méthode connue pour prévenir une maladie virale a été l’inoculation de la variole, utilisée en Chine et en Inde pendant des centaines d’années avant d’atteindre l’Europe occidentale dans les années 1700. La technique, également appelée variolisation ou greffe, consistait à gratter la peau avec une aiguille préalablement trempée dans le pus provenant d’une lésion de la variole. Contrairement au virus acquis par inhalation, cette méthode produisait généralement une infection cutanée localisée qui était suivie d’une immunité à long terme. L’inoculation a été introduite en Grande-Bretagne dans les années 1720 par Lady Mary Wortley Montagu (16891762), qui l’a vue pratiquée alors qu’elle vivait à Constantinople (aujourd’hui Istanbul, Turquie) où son mari, Sir Edward, était ambassadeur britannique de 1716 à 1717. Leur fils Edward, âgé de 5 ans, a été inoculé le premier, puis leur fille Mary, sans effets secondaires. À son retour à Londres en 1718, Lady Mary a promu l’inoculation comme un moyen de prévention de la variole. Lorsqu’une épidémie a éclaté en 1721, George Ier a donné son accord pour que ses 37
Les virus
deux petites-filles soient inoculées, la technique est alors devenue populaire, jusqu’à ce qu’Edward Jenner mette au point une méthode plus sûre. Jenner était un médecin de campagne de Berkeley, dans le Gloucestershire. La rumeur voulait que la peau sans tache des laitières soit due au fait qu’elles avaient contracté la vaccine (variole de la vache, une infection naturelle des pis de vaches), et qu’elles étaient donc immunisées contre la variole. Jenner décida de tester cette théorie et chercha la preuve la plus directe possible. Dans le cadre de ses expériences, désormais célèbres dans le monde entier – selon les normes actuelles des raisons éthiques auraient empêché de telles expériences –, il a prélevé la variole sur le bras d’une laitière infectée, Sarah Nelmes, pour inoculer un enfant, James Phipps, qui n’avait pas eu la variole. Quelques semaines plus tard, il inocula à Phipps une variole vivante pour vérifier s’il était protégé. Heureusement, Phipps est resté en bonne santé, et lorsque plusieurs autres enfants testés avec la vaccine ont également été protégés contre la variole, Jenner comprit qu’il avait fait une découverte révolutionnaire pouvant sauver des milliers de vies. Cependant, lorsque Jenner a publié ses résultats en 1798, il a provoqué un tollé auprès des professionnels et des profanes. Certains ne croyaient tout simplement pas à l’efficacité de la vaccination. L’Église s’y opposa car « cela va à l’encontre de la volonté de Dieu », tandis que le public refusait l’utilisation d’animaux (vaches) pour prévenir une maladie chez l’homme (voir la figure 7). Malgré cette opposition, la vaccination antivariolique, plus sûre que l’inoculation, s’est rapidement répandue et, en 1801, plus de 100 000 personnes avaient été vaccinées au Royaume-Uni. Au cours des 50 années suivantes, les décès dus à la variole à Londres sont passés de plus de 90 à 15 pour 1 000. 38
Tuer ou être tué, voilà la question
Fig. 7 The Cow-Pock-or-The Wonderful Effects of the New Inoculation, par James Gillray, 1802.
Le débat éthique entourant le recours à la vaccination antivariolique à l’époque de Jenner a évolué mais n’a certainement pas disparu. Il y a toujours des sectes religieuses qui refusent la vaccination, mais d’autres questions majeures ont maintenant pris le dessus. L’une d’entre elles est l’« hypothèse de l’hygiène », plus récemment appelée « hypothèse de l’épuisement du microbiome », invoquée pour expliquer l’augmentation récente de nombreuses maladies auto-immunes et allergiques dans les pays occidentaux. Ces deux types de maladies sont causés par un déséquilibre de la réponse immunitaire, que la théorie de l’hygiène attribue à un manque de stimulation immunitaire pendant l’enfance, que ce manque résulte de la vaccination généralisée contre les infections infantiles, de l’élévation du niveau de vie ou de l’utilisation d’antibiotiques. Selon cette théorie, tous ces facteurs entraînent un manque d’exposition aux microbes 39
Les virus
inoffensifs qui ont évolué avec les humains (le microbiome), ce qui diminue la stimulation antigénique pendant l’enfance et prédispose ainsi les individus à des réponses immunitaires anormales. Cette hypothèse est très débattue, mais il n’existe actuellement aucune preuve irréfutable pour la soutenir. Les vaccins empêchent la propagation d’une maladie infectieuse dans une communauté en induisant une « immunité collective ». Ce niveau est atteint lorsque suffisamment de personnes sont immunisées, à la suite d’une vaccination ou d’une infection naturelle, pour empêcher le microbe de circuler. La proportion de personnes immunisées nécessaire pour atteindre l’immunité collective est unique pour chaque microbe, l’une des plus élevées étant celle du virus de la rougeole, à environ 95 %. Cela signifie que lorsque 95 % de la population a été vaccinée, les 5 % restants sont protégés. Mais atteindre ce niveau est un problème constant dans la planification de la santé publique, car aussi sûrs que soient les vaccins, ils ne seront jamais totalement exempts d’effets secondaires potentiels. Ainsi, à mesure qu’ils continuent à prévenir une maladie infectieuse, les taux de mortalité diminuent et, à terme, les effets indésirables d’un vaccin peuvent dépasser ceux de la maladie qu’il est censé prévenir. À l’heure actuelle, alors que l’éradication mondiale de la rougeole est en cours et que l’infection est désormais un événement rare dans le monde développé, certains considèrent que le risque de développer une encéphalite associée à un vaccin, qui est d’une chance sur un million, ne vaut pas la peine d’être pris. Néanmoins, si suffisamment de personnes sont de cet avis et que le taux de vaccination tombe en dessous du niveau critique pour l’immunité collective, les épidémies de rougeole réapparaîtront, entraînant inévitablement des décès. C’est exactement ce qui s’est passé au Royaume-Uni après la publication d’un rapport dans la revue médicale The Lancet 40
Tuer ou être tué, voilà la question
en 1998, suggérant un lien entre la vaccination contre la rougeole et l’autisme infantile. La publicité qui en a résulté a entraîné une baisse immédiate du nombre de vaccinations contre la rougeole et, bien que le lien ait été finalement réfuté, il a fallu 12 ans pour que l’auteur principal du rapport soit reconnu coupable de malhonnêteté et de non-respect des protocoles éthiques et soit radié de l’Ordre médical britannique. Entre-temps, le virus de la rougeole s’est réinstallé, avec une augmentation de 30 % des cas dans le monde. Depuis la fin des années 1990, la méfiance à l’égard des vaccins s’est transformée en une croisade internationale contre la vaccination en général, la campagne dite « antivax ». Avec la nouvelle utilisation des médias sociaux pour diffuser la désinformation, l’hésitation à se faire vacciner figure actuellement parmi les dix principales menaces pour la santé mondiale recensées par l’OMS. Plus récemment, les « anti-vax » se sont attachés à empêcher la vaccination contre le Covid-19, en diffusant des théories du complot et en organisant des manifestations se terminant parfois par des émeutes, dans des villes du monde entier. Cette situation a été un facteur important rendant difficile la tâche d’atteindre l’immunité de groupe pour le virus SARS-CoV-2 (voir le chapitre 5). Traditionnellement, il n’existait que deux types de vaccins viraux, l’un utilisant un virus vivant atténué (affaibli) et l’autre un virus inactivé. Mais aujourd’hui, poussés par le besoin urgent de produire un vaccin pour contrôler la pandémie de Covid-19 en 2020, plusieurs techniques révolutionnaires ont été développées (voir le chapitre 5). Il s’agit notamment des vaccins sous-unitaires et recombinants qui utilisent soit une protéine de liaison au récepteur viral soit une séquence d’ADN ou d’ARN qui code une telle protéine. Les molécules du vaccin peuvent être insérées dans le génome 41
Les virus
d’un virus porteur inoffensif faisant office de vecteur, ou entourées d’une enveloppe lipidique, pour être injectées dans l’organisme. Là, elles accèdent aux cellules où la protéine est exprimée, ce qui induit une réponse immunitaire qui bloque l’infection par le virus. Malgré ces diverses approches de la production de vaccins, il existe encore plusieurs virus pathogènes pour lesquels il n’existe pas de vaccins, notamment les virus émergents comme le VIH et le SARS-CoV, ainsi que le virus respiratoire syncytial (VRS) touchant en particulier les enfants, et les virus persistants que sont l’hépatite C et le virus d’EpsteinBarr. Il faut espérer que le regain d’intérêt et de financement pour la production de vaccins, suscité par le succès des nombreuses approches différentes pour produire un vaccin contre le Covid-19, se traduira par d’autres succès dans ce domaine. Dans les trois chapitres suivants, nous nous pencherons sur les infections émergentes et sur la manière dont elles peuvent être contrôlées.
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3 Les infections virales émergentes : transmission par les vertébrés Les infections émergentes sont définies comme celles dont l’incidence chez l’homme a augmenté au cours des deux dernières décennies. Cette définition couvre de nombreuses infections virales dans le monde entier, mais celles qui émergent pour la première fois sans prévenir d’une source inconnue suscitent une peur parfois proche de la panique car elles tuent apparemment sans distinction. Aujourd’hui, ces « nouveaux » microbes, généralement des virus, apparaissent de plus en plus fréquemment. Jusqu’à présent, au xxie siècle, nous avons assisté à l’émergence du syndrome respiratoire aigu sévère (SARS) en 2002, d’une pandémie de grippe porcine en 2009, du syndrome respiratoire du Moyen-Orient (MERS) en 2012, de la plus grande épidémie de maladie à virus Ebola de tous les temps en 2014-2016, d’une épidémie de virus Zika en 2016 et, plus récemment et plus mortellement, de la pandémie actuelle de SARS-CoV-2 causant la maladie Covid-19, qui a débuté fin 2019. Tout cela s’ajoute à la pandémie de VIH 43
Les virus
qui se poursuit. Alors que ce chapitre couvre les infections émergentes acquises à partir d’hôtes vertébrés, le chapitre 4 se concentrera sur celles transmises par des non-vertébrés et le chapitre 5 sera consacré aux infections émergentes à coronavirus. Les virus nouvellement découverts qui provoquent des maladies bien établies sont aussi parfois qualifiés d’infections émergentes. Il s’agit notamment de certains virus tumoraux qui font l’objet du chapitre 8. Les nouveaux virus qui émergent et se propagent avec succès dans une population hôte qui n’a jamais rencontré le virus peuvent produire une petite épidémie locale ou une épidémie plus importante, toutes deux définies comme « une infection survenant à une fréquence plus élevée que prévu », qui peut évoluer vers une pandémie si elle se propage sur plusieurs continents à la fois. Toutefois, ces définitions ne donnent aucune indication sur l’étendue ou la durée d’une épidémie. Comme nous le verrons, les différents schémas des épidémies de virus émergents dépendent de facteurs viraux, notamment la période d’incubation, les manifestations de la maladie et le mode de propagation, et de facteurs importants liés à l’hôte, tels que les conditions de vie, la propension à voyager et le succès de toute mesure préventive. Un virus qui se propage pour la première fois dans une nouvelle espèce hôte doit surmonter une série d’obstacles avant de pouvoir s’établir dans la population. Tout d’abord, il doit infecter les cellules du nouvel hôte, ce qui implique de trouver une molécule réceptrice dans la cellule hôte à laquelle s’accrocher. De nombreuses infections virales potentielles échouent à ce stade, ce qui explique la barrière des espèces de la plupart des virus. Même si le virus parvient à déverrouiller et à pénétrer dans les cellules de l’hôte, il peut ne pas être en mesure de s’y reproduire, l’infection est alors avortée. 44
Lesinfectionsviralesémergentes :transmissionparlesvertébrés
Toutefois, il arrive que des virus pénètrent et se répliquent avec succès dans les cellules d’une nouvelle espèce hôte. Dans chaque épidémie qui se développe, le premier nouvel hôte infecté est appelé le « cas index ». Il peut s’agir d’une infection sans issue, soit que le virus tue l’hôte, soit que l’immunité de l’hôte élimine le virus avant qu’il ne puisse se propager. Mais si la barrière à la propagation entre les hôtes est surmontée, une épidémie s’ensuit. Par exemple, bien que le virus de la maladie à virus Ebola (VME) et le virus H5N1 de la grippe aviaire aient tous deux réussi à passer à l’homme à plusieurs reprises, ils ont jusqu’à présent réussi de manière très différente à se propager entre nous. Alors que le virus Ebola peut se propager parmi les humains et provoquer une épidémie, la grippe H5N1, qui est passée pour la première fois des oiseaux aux humains en 1997, en est actuellement incapable. La plupart des virus apparemment nouveaux qui infectent les humains ne le sont en réalité pas. Il s’agit soit de virus qui ont muté ou se sont recombinés suffisamment pour être méconnaissables par notre système immunitaire, comme les nouvelles souches du virus de la grippe, soit, plus fréquemment, de virus provenant d’autres animaux, qui saisissent l’occasion de passer d’une espèce animale à une autre lorsque les deux entrent en contact. Ces derniers sont appelés virus zoonotiques, et les maladies qu’ils provoquent sont des zoonoses. Certains virus zoonotiques peuvent se propager directement de leur hôte animal à l’homme, tandis que d’autres ont besoin d’un hôte intermédiaire, tel qu’un insecte vecteur, pour passer d’un hôte à l’autre. Lorsqu’une nouvelle infection virale est identifiée au sein d’une population, les épidémiologistes moléculaires s’emploient à déterminer d’où elle vient et comment elle s’est propagée à l’homme. L’origine du virus est découverte en comparant son génome (ADN ou ARN) à celui d’autres virus 45
Les virus
pour identifier sa famille de virus, et trouver sa place dans l’arbre évolutif de la famille. Comme décrit dans le chapitre 1, cela permet d’identifier les plus proches parents du nouveau virus et d’indiquer quand il a divergé d’eux. Ces informations devraient aider à identifier l’hôte naturel probable du virus. En même temps, les épidémiologistes qui suivent l’épidémie de virus s’efforcent de découvrir son mode de propagation, qu’il soit aérien, vectoriel ou sexuel, ainsi que sa vitesse de propagation. Pour ce dernier point, les épidémiologistes utilisent le nombre R, le taux de reproduction du virus. R0, le taux de reproduction de base, est le nombre moyen de nouveaux cas engendrés par un seul cas au début d’une épidémie, lorsque personne n’est immunisé. Ce chiffre est une constante pour tout virus particulier (voir le tableau 1) ; cependant, au fur et à mesure que l’épidémie progresse et que les gens deviennent immunisés, cette valeur change. Appelé R, le nombre de reproduction des cas est étroitement Tableau 1 Comparaison du taux de reproducteurs (R0) avec le seuil d’immunité collective (HIT, venant de l’anglais Herd Immunity Threshold). Maladie
46
R0
HIT %
Rougeole
Aérienne
Voie de transmission
12-18
92-95
Rubéole
Aérienne
6-7
83-86
Variole
Aérienne
5-7
80-86
Polio
Féco-orale
5-7
80-86
Oreillons
Aérienne
4-7
75-86
Fièvre jaune
Vecteur
4,8
60-80
Covid-19
Aérienne
2,5-4
60-75
SARS
Aérienne
2-5
50-80
Ebola
Fluides corporels
1,5-2,5
33-60
Grippe
Aérienne
1,5-2,8
33-44
Lesinfectionsviralesémergentes :transmissionparlesvertébrés
surveillé pendant l’épidémie pour fournir de précieuses informations prédictives. Si la valeur de R est supérieure à 1, l’épidémie se développe et une intervention plus importante est nécessaire. Si sa valeur est inférieure à 1, l’épidémie est en déclin, les interventions ont l’effet désiré et le nombre de cas diminue. Récemment, R s’est avéré particulièrement utile pour surveiller les vagues successives de Covid-19 qui ont frappé tous les pays du monde, et pour informer les gouvernements des actions préventives. Les chauves-souris constituent l’une des plus grandes familles de mammifères, avec plus de 1 400 espèces dans le monde. Grâce à leurs membres antérieurs adaptés au vol, les chauves-souris ont un rayon d’action très étendu. Cette caractéristique, associée à leur propension à vivre en colonies de plusieurs millions d’individus, permet aux virus qu’elles transportent de se propager rapidement entre elles. Et comme nous l’avons vu récemment, certains virus de chauves-souris peuvent parfois passer à l’homme et provoquer des maladies dévastatrices. Dans ce chapitre, nous abordons le virus Nipah et le virus EDV dérivés des chauves-souris, tandis que les coronavirus humains dérivés des chauves-souris sont traités dans le chapitre 5.
LE VIRUS NIPAH L’une des premières maladies dangereuses transmises par les chauves-souris est apparue en 1997, lorsqu’un groupe d’éleveurs malaisiens a signalé une épidémie de maladie respiratoire chez leurs porcs. Cette maladie s’est ensuite propagée aux éleveurs ainsi qu’aux ouvriers des abattoirs de Malaisie et de Singapour, qui ont développé une encéphalite. Aucune transmission directe de personne à personne n’a été identifiée dans cette épidémie, qui a ensuite été contrôlée par l’abattage de plus d’un million de porcs en 1999. À cette 47
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époque, 265 cas d’encéphalite avaient été recensés, dont 105 mortels. Un nouveau paramyxovirus à ARN a été isolé du cerveau d’une victime et nommé virus Nipah d’après le village dans lequel elle vivait. Le virus a été attribué à des chauves-souris frugivores et sa transmission à l’homme a probablement commencé lorsqu’une colonie de chauves-souris s’est retrouvée sans abri à cause de la déforestation. Les chauves-souris se sont réinstallées dans des arbres situés à proximité des élevages de porcs et le virus s’est transmis aux porcs par les déjections des chauves-souris, puis des porcs aux agriculteurs et aux ouvriers des abattoirs par contact direct avec les animaux infectés. Depuis la première identification du virus Nipah, plusieurs épidémies humaines ont eu lieu, notamment au Bangladesh et en Inde. Dans la plupart des cas, le virus a été contracté par contact direct ou indirect avec des chauves-souris frugivores, souvent par la consommation de fruits contaminés, d’eau ou, le plus souvent, de sève brute de palmier dattier. Dans certaines de ces épidémies, le virus s’est propagé à des contacts proches et au personnel hospitalier. Il n’existe pas de traitement spécifique pour l’infection par le virus Nipah et le taux de mortalité reste élevé (50-75 %).
LE VIRUS DE LA MALADIE EBOLA Le virus de la maladie Ebola est un virus à ARN monocaténaire appartenant à la famille des filovirus. Il a été découvert en 1976 après une épidémie explosive à Yambuku, un village isolé du nord du Zaïre (aujourd’hui République démocratique du Congo, RDC), et nommé d’après la rivière Ebola locale. Cette épidémie a commencé lorsque l’instituteur du village s’est senti mal après une excursion dans la brousse. Il a été traité pour le paludisme à l’hôpital de la mission locale, mais 48
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ses symptômes ont évolué vers une véritable fièvre hémorragique virale avec une température élevée, de fortes douleurs abdominales, des diarrhées, des vomissements, des crampes musculaires et des hémorragies généralisées. Il est mort en quelques jours. La maladie s’est ensuite propagée à la famille de l’enseignant, à d’autres patients de l’hôpital et au personnel, pour finalement infecter 318 villageois et en tuer 280. Le virus se transmet d’une personne à l’autre par les fluides corporels (principalement le sang, les vomissures, la salive, l’urine, les matières fécales, le lait maternel et le sperme). Les facteurs de risque d’infection comprennent le fait de soigner un patient atteint d’Ebola sans équipement de protection individuelle (EPI) suffisant et de participer aux rites funéraires d’une victime d’Ebola (comme le nettoyage du corps et le lavage des orifices corporels). Les directives de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) pour faire face aux épidémies d’Ebola comprennent trois impératifs majeurs : l’identification rapide et l’isolement des cas avec des soins infirmiers stricts en isolement, la recherche de tous les contacts des patients et leur mise en quarantaine pendant 21 jours (la période d’incubation maximale d’Ebola) avec surveillance de la température corporelle, et l’engagement du public, en particulier sur des questions sensibles comme les coutumes funéraires locales. Le respect de ces directives a permis de contrôler avec succès une vingtaine de foyers ruraux d’Ebola en RDC, en Ouganda, au Gabon et au Soudan entre 1976 et 2014, sans que la maladie ne se propage au-delà du voisinage immédiat. En mars 2014, une épidémie d’Ebola a débuté dans un coin reculé de la Guinée, en Afrique de l’Ouest, près de ses frontières avec la Sierra Leone et le Liberia. Comme Ebola n’était pas connu en Afrique de l’Ouest, la maladie n’a pas été identifiée immédiatement et l’EDV (Ebola Diseuse Virus) s’est 49
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propagé en Sierra Leone et au Liberia avant que le diagnostic ne soit posé. Ces trois pays sont parmi les plus pauvres du monde et, en 2014, ils sortaient tout juste de décennies de troubles. Les services de santé étaient totalement inadaptés pour faire face à Ebola ; les hôpitaux ont donc été débordés et, sans EPI, des centaines de personnels de santé ont attrapé la maladie de leurs patients. Si l’on ajoute à cela la profonde méfiance de la population à l’égard de son gouvernement, des médecins et des médicaments occidentaux, il n’est pas si surprenant que les services des guérisseurs traditionnels aient été privilégiés, que les cas d’Ebola aient été cachés dans la communauté et que les enterrements traditionnels se soient poursuivis. Pendant plus de six mois, le virus s’est propagé de manière incontrôlée et, en août 2014, l’OMS a déclaré une urgence de santé publique de portée internationale en Afrique de l’Ouest et a commencé à coordonner une réponse internationale. À ce moment-là, l’épidémie avait envahi les capitales des trois pays concernés et, avant la fin 2014, Ebola avait atteint le Nigeria, le Mali et le Sénégal. Pour la première fois, le virus s’est propagé en dehors de l’Afrique, car des volontaires rapatriés et infectés ont transmis le virus à des professionnels de la santé aux États-Unis et en Espagne. Néanmoins, une fois l’aide internationale arrivée et les nouveaux centres de traitement et laboratoires de diagnostic opérationnels, les directives de l’OMS ont pu être appliquées. Les communautés locales en ont peu à peu apprécié les avantages et soutenu l’effort international. L’épidémie a finalement été déclarée terminée en janvier 2016, date à laquelle 28 637 cas avaient été signalés, avec un taux de mortalité global de 40 % (voir la figure 8). Au cours des dernières phases de l’épidémie d’Ebola de 2014-2016, il est apparu clairement que l’EDV reste parfois 50
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dans l’organisme après la guérison de la maladie aiguë. Ses cachettes sont notamment l’œil, où il peut provoquer une inflammation et une éventuelle cécité, le cerveau, entraînant une encéphalite potentiellement mortelle, et les voies génitales masculines, par lesquelles l’EDV peut être transmis lors de rapports sexuels, provoquant alors la maladie chez un partenaire, et déclenchant éventuellement une nouvelle épidémie. Nombre de cas d’Ebola rapportés chaque semaine GUINÉE ÉQUATORIALE Base de données des patients 600
LIBÉRIA Base de données des patients
SIERRA LEONE Base de données des patients
500 400 300 Déclaration 200 de l’épidémie d’Ebola 100 0
2015 23 Mars 2014
3 Jan 2015 2016 23 Mars 2014
3 Jan 2015 2016 23 Mars 2014
3 Jan 2016
Fig. 8 Graphiques des cas d’Ebola en Guinée équatoriale, au Liberia et en Sierra Leone, 2014-2016.
On a longtemps supposé que l’EDV était zoonotique, mais son hôte animal est toujours contesté. L’EDV peut infecter certains animaux domestiques (par exemple, les chèvres et les porcs) et a également provoqué des épidémies chez les grands singes. Pourtant, comme tous ces animaux souffrent 51
Les virus
de maladies dévastatrices, il est peu probable qu’ils servent de réservoir viral à long terme. Pour ce rôle, les chauves-souris ont été suspectées. En effet, des séquences du génome de l’EDV et des anticorps ont été détectés chez diverses espèces de chauves-souris, mais le virus vivant n’a jamais été isolé chez elles. Les recherches se poursuivent donc, et tant que le ou les coupables n’auront pas été trouvés, des épidémies soudaines et inattendues de cette maladie mortelle risquent de se poursuivre et le risque que le virus devienne endémique chez l’homme augmente. Bien qu’il n’y ait pas de médicaments homologués pour traiter Ebola, des essais de vaccin ont été menés avec succès au cours des dernières phases de l’épidémie de 20142016 et son utilisation est désormais approuvée. En effet, la vaccination a été utilisée lors d’une épidémie au Kivu, en 2018-2020, en RDC, où un conflit militaire a contribué à prolonger l’épidémie et menacé la vie des professionnels de la santé, de sorte que les mesures de contrôle n’ont pas pu être mises en œuvre dans leur intégralité. Dans ce contexte, la vaccination en anneau, c’est-à-dire la vaccination rapide de tous les contacts d’un cas nouvellement identifié, a contribué à l’arrêt final de la propagation du virus. L’épidémie a entraîné 3 470 cas déclarés et 2 287 décès, soit la plus grande épidémie jamais enregistrée en RDC.
VIRUS DE L’IMMUNODÉFICIENCE HUMAINE Contrairement à l’EDV, le VIH provoque une infection chronique avec une très longue période de sommeil avant l’apparition des symptômes. La pandémie de VIH se poursuit chez l’homme depuis le début des années 1900 et, malgré les médicaments qui permettent de contrôler l’infection, elle sévit toujours dans de nombreuses régions du monde, plus particulièrement en Afrique subsaharienne. À la fin 2020, 52
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l’OMS fait état de 37,7 millions de personnes vivant avec le VIH dans le monde, dont 66 % en Afrique subsaharienne. Et malgré les progrès réalisés en matière de prévention et de traitement du VIH, pour cette seule année, 1,5 million de personnes ont contracté l’infection par le VIH et 680 000 sont décédées de conséquences du VIH. Depuis le premier cas de sida provoqué par le VIH, celui-ci est à l’origine d’environ 36,3 millions de décès. Si l’infection par le VIH n’est pas traitée, elle conduit au sida au bout de 10 ans en moyenne. Ce syndrome a été reconnu pour la première fois en 1981 à San Francisco, lorsque plusieurs homosexuels sont morts d’infections inhabituelles combinées à une immunosuppression sévère induite par le VIH. Le VIH se transmet par contact avec le sang d’un porteur et, à mesure que l’ampleur de la pandémie est devenue évidente, trois groupes à risque, distincts, sont apparus : les personnes ayant des partenaires sexuels multiples, tant hétérosexuels qu’homosexuels, les personnes atteintes d’hémophilie ou d’autres troubles nécessitant des perfusions régulières de sang ou de produits sanguins, et les usagers de drogues injectables. En utilisant des échantillons de sang pour remonter à l’origine du VIH chez l’Homme, l’Afrique subsaharienne, en particulier Kinshasa en RDC, a été désignée comme l’épicentre de la pandémie. Les scientifiques ont calculé que le VIH infecte les populations de cette région depuis environ 100 ans et que, vers 1966, une souche virale unique présente chez une personne infectée a été transportée de la RDC à Haïti où elle a déclenché une épidémie. Puis, environ deux ans plus tard, un autre individu a transporté le virus d’Haïti aux États-Unis, où il s’est implanté, principalement dans les communautés « gays », et s’est rapidement propagé en Europe et au-delà. Ainsi, lorsque le VIH a été découvert en 53
Les virus
1983, la pandémie connaissait déjà une croissance exponentielle et s’est avérée très difficile à contrôler. Le VIH est un rétrovirus et, pendant la recherche de son origine, il est rapidement apparu que plusieurs VIH différents existaient, mais qu’ils étaient tous étroitement liés aux rétrovirus des primates appelés virus de l’immunodéficience simienne (VIS). Nous savons maintenant que ces VIH sont passés des primates aux humains en Afrique centrale à plusieurs reprises dans le passé, donnant lieu à des infections humaines par les VIH-1 de types M, N, O et P ainsi que par le VIH-2. Pourtant, un seul de ces virus, le VIH-1 de type M, a réussi à se propager à l’échelle mondiale. L’ancêtre de ce virus a été retracé jusqu’à une sous-espèce de chimpanzés (Pan troglodytes troglodytes), chez qui il peut provoquer une maladie semblable au sida. Ces animaux de brousse étant chassés pour leur viande, il est très probable que l’infection humaine se soit produite par contamination sanguine lors de la mise à mort et du dépeçage. Cet événement a probablement eu lieu dans le sud-est du Cameroun, où vivent des chimpanzés porteurs d’un SIV très proche du VIH-1 de type M. Le virus (dans le corps humain) a ensuite probablement voyagé du sud-est du Cameroun le long de la rivière Sangha, un affluent du fleuve Congo, pour atteindre Léopoldville (aujourd’hui appelée Kinshasa), capitale de l’ancien Congo belge, vers 1959. D’autres aspects du sida et de l’infection par le VIH sont traités dans les chapitres ultérieurs : l’infection persistante, le traitement et les stratégies de prévention dans le chapitre 7 et les tumeurs associées au VIH dans le chapitre 8.
VIRUS DE L’INFLUENZA (GRIPPE) Les virus de la grippe sont des virus à ARN appartenant à la famille des orthomyxovirus. Il existe trois types de grippe, A, B et C, qui provoquent des maladies chez l’homme, mais 54
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alors que les infections par les virus B et C causent généralement des symptômes légers, semblables à ceux du rhume, la grippe A entraîne les symptômes typiques de la grippe, à savoir fièvre, mal de gorge, toux et douleurs générales, qui durent tous plusieurs jours. Ce virus est responsable d’épidémies récurrentes de grippe et de pandémies occasionnelles. Le virus de la grippe A est un parfait exemple de virus qui mute fréquemment, un processus appelé dérive antigénique. En circulant, le virus accumule des modifications génétiques qui lui permettent d’échapper partiellement à l’immunité de l’hôte, provoquant ainsi des épidémies hivernales régulières, avec des épidémies plus importantes tous les 8-10 ans. Les pandémies de grippe se produisent lorsqu’une nouvelle souche de la grippe A est introduite chez l’homme et, comme personne n’est immunisé, elle peut se propager dans le monde entier. Bien que la grippe A infecte un certain nombre d’autres animaux, notamment la volaille domestique, les porcs, les chevaux, les chats et les phoques, les oiseaux aquatiques, en particulier les canards, sont les hôtes naturels de ce virus. Les pandémies de grippe surviennent lorsqu’un tout nouveau virus de la grippe passe des oiseaux à l’homme, provoquant une infection zoonotique. La grippe A se réplique dans l’intestin des oiseaux sauvages et le virus est évacué avec leurs excréments, ne provoquant généralement aucun symptôme mais se propageant efficacement à d’autres populations d’oiseaux. Le génome ARN des virus de la grippe contient huit gènes segmentés, ce qui signifie qu’au lieu d’être une chaîne d’ARN continue, chaque gène forme un brin séparé. Les gènes H (hémaglutinine) et N (neuraminidase) stimulent de manière importante l’immunité de l’hôte, leur composition dans un virus est donc primordiale pour déterminer s’il se propagera ou non dans une communauté. Il existe 55
Les virus
16 gènes H et neuf gènes N différents, qui forment toutes les combinaisons dans les virus de la grippe aviaire. Les gènes de la grippe étant des segments séparés et non la chaîne génomique continue habituelle, il arrive qu’ils se mélangent ou se recombinent. Ainsi, si deux virus de la grippe A possédant des gènes H et/ou N différents infectent une seule cellule, la descendance sera porteuse de combinaisons variées de gènes provenant des deux virus parents. Ce processus, appelé recombinaison génétique, se produit couramment chez les oiseaux, et la plupart des virus en résultant sont incapables d’infecter l’homme. Mais il arrive parfois qu’une nouvelle souche virale apparaisse, capable de passer directement à l’homme. Par ailleurs, comme les porcs peuvent être infectés à la fois par des virus de la grippe aviaire et humaine, une recombinaison chez ces animaux peut être nécessaire au virus aviaire pour infecter l’homme. Quelle que soit la voie empruntée par un virus de la grippe, s’il peut infecter l’homme et que personne n’est immunisé, il est susceptible de provoquer une pandémie. Les quelque cent dernières années ont connu cinq pandémies de grippe : pour la grippe dite « espagnole » H1N1 de 1918, les huit gènes provenaient d’oiseaux ; la grippe « asiatique » H2N2 de 1957 a reçu trois nouveaux gènes, dont H et N, provenant d’oiseaux ; et la grippe « de Hong Kong » H3N2 de 1968 a reçu deux nouveaux gènes provenant de canards sauvages. La grippe « russe » de 1977, probablement « échappée » d’un laboratoire en Russie, était une version des années 1950 du H1N1, tandis que la grippe « porcine » H1N1 de 2009, qui aurait débuté au Mexique, comporte six gènes d’origine nord-américaine et deux gènes provenant de virus de la grippe porcine eurasienne. En moyenne, les épidémies et les pandémies de grippe A tuent environ une personne infectée sur 1 000, les jeunes, 56
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les personnes âgées et les personnes atteintes de maladies chroniques étant particulièrement exposées. Les pandémies peuvent en outre cibler les jeunes adultes : lors de la pandémie de grippe russe de 1977, les jeunes ont été les plus durement touchés car ils n’étaient pas immunisés auparavant, alors que la plupart des personnes âgées ont été épargnées car elles s’étaient déjà immunisées pendant la pandémie précédente de H1N1. De même, lors de la pandémie de grippe porcine de 2009, la maladie a été la plus grave chez les jeunes adultes et les femmes enceintes. Le virus de la grippe le plus virulent jamais enregistré est, de loin, la souche pandémique « espagnole » de 1918, qui a touché les jeunes adultes et tué 50 à 100 millions de personnes dans le monde, soit entre 2,5 et 5 % des personnes infectées. Par rapport au virus H1N1 non pandémique, la souche de 1918 présentait plusieurs mutations qui ont renforcé son degré d’infectiosité et son taux de croissance dans les cellules humaines. Une nouvelle mutation importante dans un gène appelé NS1 a empêché les cellules infectées par le virus de produire de l’interféron, la cytokine essentielle pour empêcher la propagation du virus dans l’organisme, et déclenchant toute la cascade immunitaire. La mutation NS1 trouvée dans la souche de la grippe espagnole est déjà présente dans le virus H5N1 de la grippe aviaire, apparu pour la première fois chez des oies d’élevage en Chine en 1996, ce qui explique le taux de mortalité élevé chez les oiseaux, en particulier les poulets. Après son émergence, ce virus s’est rapidement propagé, provoquant une panzootie (une pandémie chez les animaux) qui, à l’heure où nous écrivons ces lignes, continue de se propager. Les infections humaines par le H5N1 ont été peu nombreuses, avec 854 cas signalés à l’OMS en juillet 2016, principalement chez des personnes manipulant des oiseaux, sans transmission 57
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interhumaine soutenue. Mais la maladie est grave, avec un taux de létalité rapporté d’environ 60 %. L’émergence de presque tous les nouveaux virus grippaux récents a été située en la Chine, où ils circulent librement parmi les animaux élevés dans des conditions exiguës dans des fermes industrielles et sur les marchés d’animaux vivants. Au cours des années qui ont suivi l’apparition du virus H5N1 de la grippe aviaire, plusieurs autres virus virulents ont été identifiés, tous contenant le gène H5 mais avec des gènes N différents, désormais tous désignant sous le nom de H5Nx les virus de la grippe aviaire hautement pathogène (en anglais HPAI). Leur transmissibilité à l’homme est faible, mais la menace d’une pandémie humaine demeure car une dérive ou une mutation génétique pourrait à tout moment générer un virus hautement transmissible chez l’homme. Outre les virus H5 de la grippe aviaire, plusieurs virus non-H5, appelés virus de la grippe aviaire faiblement pathogènes, sont apparus récemment. Faiblement pathogènes chez les oiseaux, certains peuvent infecter l’homme, bien que sans transmission soutenue à ce jour. Le plus virulent de ces virus est le H7N9, apparu en 2013, en 2020, il avait provoqué plus de 1 000 infections humaines avec un taux de mortalité d’environ 39 %. En revanche, une épidémie de H7N7 aux Pays-Bas n’a provoqué qu’une légère maladie chez l’homme. En l’absence de vaccins contre ces virus potentiellement dangereux, la stratégie consiste à abattre les troupeaux infectés. La grippe peut être traitée à l’aide de divers médicaments antiviraux qui reposent sur deux modes d’action : l’un inhibe l’enzyme neuraminidase du virus et l’autre bloque l’entrée du virus dans les cellules hôtes. Pendant la courte durée du traitement pour guérir la grippe, la résistance aux médicaments n’est généralement pas un problème, mais elle peut l’être 58
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en cas d’épidémie ou de pandémie. Pendant la pandémie de grippe porcine H1N1 de 2009, de nombreux gouvernements des pays développés ont fait des stocks du médicament Tamiflu® (Oseltamivir, un inhibiteur de la neuraminidase). Ce médicament a bien fonctionné au début de la pandémie, mais des souches résistantes ont ensuite commencé à circuler. On espérait que le médicament comblerait le manque pendant la préparation d’un vaccin ; cependant, la souche de grippe pandémique s’est avérée globalement bénigne, cette stratégie n’a donc pas été réellement éprouvée. Entre deux pandémies, la plupart des pays développés ont établi une stratégie de vaccination annuelle pour prévenir l’infection par la grippe pendant les épidémies hivernales. Cette stratégie s’adresse aux personnes âgées et aux malades chroniques, à qui l’on propose des vaccins contenant trois composants qui varient en fonction des souches virales les plus répandues parmi celles en circulation. À cette fin, l’OMS dispose depuis longtemps d’un système mondial de surveillance de la grippe et de riposte, composée d’instituts nationaux dans plus de 100 États membres, dont la surveillance continue de la grippe permet d’identifier de nouvelles souches. C’est sur la base de ces informations, provenant notamment d’Extrême-Orient, qu’est élaborée la formule de chaque vaccin annuel. Chaque automne au Royaume-Uni, ce vaccin est offert gratuitement aux personnes de plus de 65 ans, et cette pratique permet de diminuer le nombre de décès dus à la grippe d’environ 50 %.
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4 Les infections virales émergentes : transmission par les arthropodes Les virus propagés par les insectes, appelés arbovirus, sont transmis par des insectes piqueurs suffisamment petits pour passer inaperçus. Ces insectes ne sont pas seulement des porteurs passifs des virus, ils leur sont également nécessaires pour que ceux-ci achèvent leur cycle de vie. Actuellement, les arbovirus se répandent largement, provoquant de grandes épidémies chez l’homme et les animaux domestiques, avec une morbidité et une mortalité croissantes et de graves répercussions économiques. La densité des populations de vecteurs impacte directement la transmission des arbovirus. Pendant de nombreuses années, l’insecticide DDT (dichloro-diphényl-trichloroéthane) a permis de contrôler les populations de vecteurs et donc la propagation de ces virus. Mais en 2004, la convention de Stockholm sur les polluants organiques persistants en a restreint l’utilisation, et les moustiques de certaines régions tropicales et subtropicales ont connu une explosion démographique. 60
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Le changement climatique est un autre facteur important pour déterminer la localisation des insectes vecteurs, car le climat plus doux et/ou plus humide dans certaines régions permet aux insectes de s’étendre au-delà de leurs territoires traditionnels. L’ensemble de ces changements a provoqué l’émergence et la réémergence de plusieurs virus transmis par les insectes.
LE VIRUS DE LA FIÈVRE JAUNE Le virus de la fièvre jaune (VFJ) a été le premier arbovirus découvert et, bien qu’il existe un vaccin pour prévenir l’infection depuis le début du xxe siècle, la fièvre jaune provoque encore régulièrement des épidémies dans les zones rurales d’Amérique du Sud et d’Afrique et il est actuellement en train de réapparaître sur ces deux continents. Le VJF infecte naturellement les primates non humains dans les forêts tropicales d’Afrique de l’Ouest et d’Amérique centrale et du Sud, où il présente un cycle d’infection typique de plusieurs arbovirus émergents découverts plus récemment, tels que les virus Zika et Chikungunya (CHIKV). Les moustiques femelles (Aedes africanus en Afrique et les moustiques des genres Haemagogus et Sabathes en Amérique) intègrent les virus transmis par le sang bu sur un hôte infecté. Les virus se répliquent ensuite dans l’estomac du moustique et pénètrent dans ses glandes salivaires, prêts à être déposés et dupliqués par sa prochaine victime. C’est ce qu’on appelle le « cycle de la jungle » (ou sylvatique), mais le YFJ a également un cycle urbain qui touche les humains (voir la figure 9). Ce cycle commence lorsque l’homme est piqué par un moustique porteur du virus dans la jungle. Le virus peut ensuite être transmis entre humains par un moustique diurne, Aedes aegypti, qui vit à proximité des 61
Les virus
habitations humaines et se reproduit dans des réservoirs d’eau, pouvant ainsi provoquer une épidémie. Le virus de la fièvre jaune a réussi à passer de l’Afrique à l’Amérique du Sud au xviie siècle, grâce à des moustiques porteurs du virus qui se sont reproduits dans des réservoirs d’eau et ont propagé le virus à bord de navires négriers. Les insectes ont ensuite établi un cycle de transmission dans la jungle chez les primates d’Amérique du Sud et un cycle urbain chez l’homme, provoquant de nombreuses et sérieuses épidémies de fièvre jaune avant le développement du vaccin. Cycle de la jungle
Cycle urbain
Fig. 9 Le cycle de transmission de la fièvre jaune.
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Lesinfectionsviralesémergentes :transmissionparlesarthropodes
L’infection par le VJF peut être asymptomatique ou provoquer une maladie bénigne accompagnée de fièvre, de maux de tête, de douleurs musculaires, de nausées et de vomissements, et parfois d’un ictère manifeste donnant à la peau une teinte jaune. Dans une petite proportion de cas, la maladie évolue vers une maladie hémorragique aiguë accompagnée d’une forte fièvre, d’une jaunisse et de saignements du nez, de la bouche, des yeux et des organes internes. Il n’existe pas de traitement spécifique pour cette maladie et environ 50 % des cas signalés sont mortels. Le vaccin contre la fièvre jaune est sûr, efficace et confère une immunité à vie. C’est le pilier de la protection contre la maladie et la base de la stratégie de l’OMS « Éliminer les épidémies de fièvre jaune » (EYE) qui vise à vacciner un milliard de personnes dans les populations à risque afin d’enrayer les épidémies et d’empêcher leur propagation internationale.
LE VIRUS DE LA DENGUE Traditionnellement limité à l’Asie du Sud-Est, le virus de la dengue s’est propagé à de nouvelles zones géographiques au cours des 60 dernières années et constitue désormais un problème majeur en Afrique tropicale et en Amérique du Sud (voir la figure 10). Le virus de la dengue infecte souvent sans déclencher de symptômes, mais il peut provoquer la dengue classique, caractérisée par une température élevée, des maux de tête sévères, des douleurs musculaires, osseuses et articulaires, des vomissements et une éruption cutanée. Pour des raisons évidentes, la maladie est surnommée « fièvre des os brisés », elle est certes désagréable, mais la guérison complète est habituelle. 63
Les virus
Zone présentant un risque d’infection par le virus Zika Zones sans risque connu d’infection par le Zika
Transmission locale de la dengue signalée
Fig. 10 Répartition mondiale des virus zika, de la dengue et du chikungunya.
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Lesinfectionsviralesémergentes :transmissionparlesarthropodes
Répartition actuelle ou passée du virus Chikungunya Pays où des cas de CHIKV transmis localement ont été signalés
Fig. 10 Suite.
Toutefois, dans 1 à 2 % des cas, la maladie évolue vers la fièvre hémorragique de la dengue, avec des hémorragies au niveau de la peau, du tube digestif et des poumons, entraînant une insuffisance circulatoire, appelée syndrome de choc toxique de la dengue. En l’absence de traitement spécifique, ce syndrome conduit à un taux de mortalité élevé. L’OMS estime que, dans le monde, jusqu’à 400 millions d’infections par la dengue se produisent chaque année ; en 2019, 5,2 millions de cas de dengue ont été signalés. Il existe quatre types de virus de la dengue et tous sont transmis par les moustiques vecteurs Aedes aegypti et albopictus. Les quatre types circulent en Asie alors que seul le type 2 est présent en Afrique, ce qui suggère que le virus est originaire d’Asie et a été transporté sur le continent africain. La dengue est aujourd’hui une menace dans 129 pays, de nombreuses régions étant classées comme hyperendémiques en raison de leurs taux d’infection élevés et persistants, et servant ainsi de réservoirs majeurs pour le transfert du virus vers d’autres régions du monde. 65
Les virus
À la suite d’une campagne d’éradication menée dans les années 1960 et 1970 sur le continent américain, le nombre de cas signalés a considérablement diminué, mais l’arrêt de la campagne, le changement climatique, l’augmentation des voyages et l’urbanisation ont provoqué une résurgence du virus en Amérique du Sud et en Amérique centrale. Les Amériques ont maintenant l’incidence de la dengue la plus élevée au monde, avec des flambées épidémiques tous les trois à cinq ans. L’Europe est jusqu’à présent restée largement exempte de la maladie, mais le changement climatique en cours, qui favorise la reproduction et la propagation du moustique vecteur, augmente le potentiel d’une épidémie européenne significative à l’avenir.
LES VIRUS DU CHIKUNGUNYA (CHIKV) ET DU ZIKA Les virus du chikungunya et du zika ont récemment surgi de l’obscurité, ils représentent des risques de santé publique mondiaux touchant des millions de personnes (voir figure 10). Comme le VYF, les virus CHIKV et Zika se maintiennent dans un cycle de jungle entre les moustiques vivant dans les forêts (espèces Aedes) et les primates non humains, et n’apparaissent chez l’homme que lorsqu’une piqûre d’insecte déclenche un cycle urbain. Le CHIKV provoque la fièvre du Chikungunya, une maladie de type grippal associée à de fortes douleurs articulaires, souvent diagnostiquée à tort comme de la dengue ou du paludisme. La guérison est généralement rapide, mais des douleurs articulaires débilitantes sporadiques peuvent persister pendant des années. En fait, Chikungunya signifie « celui qui se courbe » en langue bantoue, en référence à la posture voûtée provoquée par des douleurs articulaires persistantes. Il n’existe pas de traitement ou de vaccin spécifique pour 66
Lesinfectionsviralesémergentes :transmissionparlesarthropodes
cette maladie. La prévention par la lutte antivectorielle est donc la seule option. Signalé pour la première fois en 1952 dans la région du plateau Makonde, à la frontière de la Tanzanie et du Mozambique, le CHIKV a depuis provoqué des épidémies en Afrique, en Asie, en Europe, dans le Pacifique Sud et, plus récemment, en Amérique. Il est intéressant de noter que l’étude détaillée d’un foyer sur l’île de La Réunion, dans l’océan Indien, en 2005, a montré qu’une nouvelle souche était apparue, avec une aptitude virale accrue chez les moustiques Aedes albopictus, plus abondants. Premier foyer documenté dans un climat subtropical et dans une zone où Aedes albopictus est la seule espèce vectrice, cette souche virale s’est depuis propagée, notamment dans le nord de l’Italie. Cette espèce de moustique est désormais présente dans 20 pays européens, ce qui augmente le potentiel de transmission du CHIKV dans les régions plus tempérées. Le virus Zika a été isolé pour la première fois chez des singes rhésus en Ouganda en 1947 et a été nommé d’après la forêt locale de Zika. Jusqu’à une date relativement récente, le cycle de jungle du virus était limité à l’Afrique équatoriale et à l’Asie. L’infection humaine était sporadique et généralement asymptomatique, ne provoquant la fièvre Zika, une maladie légère ressemblant à la grippe, que dans une minorité de cas. Puis, en 2007, le virus, porté par des humains infectés, s’est propagé vers l’est, provoquant des épidémies dans les îles du Pacifique, pour atteindre l’Amérique du Sud en 2015. En 2015-2016, le virus Zika a provoqué de grandes épidémies de fièvre au Brésil et dans d’autres pays d’Amérique du Sud et dans les Caraïbes, avec des millions d’infections (voir la figure 10). Bien que la maladie soit bénigne, les études 67
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sur l’infection par le Zika chez les femmes enceintes ont mis en évidence de graves malformations congénitales chez leurs bébés, et des cas occasionnels de syndrome de Guillain-Barré causant des dommages neurologiques chez les adultes ; ces études ont incité l’OMS à déclarer une urgence de santé publique de portée internationale en février 2016. Depuis, le lien entre le virus et les malformations congénitales, en particulier la microcéphalie (signifiant petite tête avec un développement cérébral restreint), a été confirmé par la démonstration que le virus peut traverser le placenta et infecter le fœtus, provoquant des lésions tissulaires. En outre, le virus a été détecté dans le sperme d’une partie des hommes ayant guéri de la fièvre Zika et quelques cas de transmission sexuelle ont été enregistrés. Au cours des mois plus froids de 2016-2017, les épidémies de Zika ont décliné. Cependant, comme pour le CHIKV, le virus a élargi son choix de moustiques vecteurs pour inclure des espèces non-tropicales. Alors que des vaccins contre le Zika sont en cours de production, il s’agit actuellement de mettre l’accent sur le contrôle des vecteurs – par des pulvérisations d’insecticides pour les tuer et détruire leurs gîtes larvaires.
LE VIRUS DE LA FIÈVRE DE LA VALLÉE DU RIFT Le virus de la fièvre de la vallée du Rift (RVFV) est un virus transmis par les moustiques, créant une zoonose chez l’homme. Le virus infecte principalement les ruminants, notamment les moutons, les bovins, les chèvres, les chameaux et les buffles, provoquant une maladie grave caractérisée par une incidence accrue de mortalité néonatale, d’avortement et d’anomalies fœtales. Cela entraîne souvent des pertes économiques importantes. 68
Lesinfectionsviralesémergentes :transmissionparlesarthropodes
L’infection humaine est généralement asymptomatique mais peut provoquer une courte maladie fébrile. Dans une petite minorité de cas, des symptômes plus graves peuvent apparaître, notamment une hépatite aiguë, une insuffisance rénale et des complications hémorragiques. La RVF a été signalée pour la première fois en 1930 et les premières épidémies se sont limitées géographiquement à la côte de l’Afrique de l’Est. En 1948, il a été confirmé que les moustiques constituent un vecteur important de la maladie en Ouganda, bien que le RVFV n’ait été identifié comme agent causal qu’en 1950. En Afrique subsaharienne, la maladie a tendance à se manifester après des pluies excessives et prolongées dans les savanes herbeuses et boisées, tandis que les épidémies en Afrique de l’Est sont étroitement associées aux événements météorologiques liés à l’oscillation australe El Niño, qui entraîne des précipitations anormales pouvant durer plusieurs mois. Les inondations qui suivent provoquent l’éclosion des œufs de moustiques, ce qui génère une importante population de moustiques infectés par le virus, capables de transmettre le VFVR à des hôtes vertébrés et de déclencher ainsi un cycle épizootique. À ce jour, il a été démontré que plus de 30 espèces de moustiques, ainsi que des phlébotomes, des moucherons et des tiques, hébergent et transmettent le VFVR. Au cours des 50 dernières années, le VFVR s’est propagé en dehors de sa région endémique traditionnelle, dans plus de 30 pays, dont certaines parties de l’Afrique occidentale, l’Égypte et Madagascar. Il s’est étendu à la péninsule arabique en 2000, marquant la première épidémie hors d’Afrique. Jusqu’à récemment, les cas de FVR chez l’homme pendant les épidémies de ruminants étaient rares, généralement bénins et survenant chez des personnes en contact direct avec les animaux. La première épidémie majeure impliquant 69
Les virus
la population est survenue en Égypte après l’achèvement du barrage d’Assouan, construit en 1977 pour réguler le débit du Nil, qui a considérablement augmenté les sites de reproduction des moustiques. On estime que cela a provoqué 20 000 à 200 000 cas humains et 600 décès. Plusieurs épidémies humaines avec une mortalité importante ont suivi en Afrique de l’Est entre 1997 et 2008, suggérant une virulence accrue du RVFV chez l’homme. La propagation géographique potentielle, l’impact sur la santé humaine et le bétail, et l’utilisation possible comme agent bioterroriste ont suscité un intérêt mondial pour le VFVR, en particulier pour le développement de vaccins et le diagnostic. À l’heure actuelle, il n’existe pas de vaccin homologué pour l’homme, bien qu’il en existe plusieurs à usage vétérinaire dans les zones endémiques.
VIRUS DE LA FIÈVRE CATARRHALE OVINE ET DE SCHMALLENBERG Les virus de la fièvre catarrhale du mouton et de Schmallenberg infectent tous deux les ruminants domestiques et sont transmis entre eux par les moucherons Culicoides. Les maladies ont tendance à frapper pendant les mois d’été, lorsque les moucherons connaissent une explosion démographique, et les deux infections ont de graves conséquences socio-économiques. La fièvre catarrhale infecte principalement les moutons et provoque de la fièvre, une salivation excessive, de l’écume à la bouche, un écoulement nasal et un gonflement du visage et de la langue. La teinte bleutée de la langue du mouton, due à un faible taux d’oxygène dans le sang, donne son nom à la maladie, « maladie de la langue bleue ». La boiterie est un autre symptôme, et une pneumonie peut se développer, 70
Lesinfectionsviralesémergentes :transmissionparlesarthropodes
éventuellement fatale. Le plus souvent, le rétablissement est lent, et la croissance de la laine est altérée. La fièvre catarrhale du mouton a été enregistrée pour la première fois en Afrique du Sud et s’est traditionnellement limitée aux zones tropicales et subtropicales, les moucherons africains ne pouvant survivre à des hivers rigoureux. Cependant, le moucheron a récemment étendu son territoire au sud de l’Europe, où le virus a été attrapé par des moucherons européens plus robustes. Chaque année, le virus se déplace vers le nord et a été enregistré en Allemagne, en France, aux Pays-Bas et en Belgique en 2006, où il a survécu à l’hiver. Il a atteint le Royaume-Uni et le Danemark en 2007, la Suède en 2008 et la Norvège en 2009. L’infection par le virus de Schmallenberg (SBV) a été constatée pour la première fois chez des bovins laitiers dans la région frontalière de l’Allemagne et des Pays-Bas en août 2011. Cette infection a provoqué de la fièvre, une réduction du rendement laitier, une perte d’appétit, une perte d’état corporel et des diarrhées. Les tests de dépistage des causes communes se sont révélés négatifs et, en l’espace de trois mois, le nouveau virus a été identifié, un test de diagnostic a été mis au point puis distribué. Le virus a été baptisé « virus de Schmallenberg », du nom de la ville allemande où il a été identifié pour la première fois. L’infection par le SBV des ruminants adultes est généralement subclinique ou bénigne, mais en 2011-2012, on a constaté que l’infection des animaux en gestation provoquait le syndrome d’arthrogrypose-hydranencéphalie chez les descendants, entraînant des malformations congénitales, des avortements et des mort-nés. Depuis son identification fin 2011, le SBV s’est rapidement propagé en Europe continentale, les infections signalées s’étendent de l’Irlande à la Turquie. Fin 2013, une infection 71
Les virus
par le SBV avait été signalée et confirmée dans 27 pays européens, avec une prévalence de plus de 80 % dans les troupeaux infectés. L’analyse des trajectoires des vents suggère que les déplacements des moucherons sont responsables de la propagation du SBV à travers l’Europe. L’origine du SBV reste indéterminée. Les facteurs favorisant l’émergence et la réémergence des arbovirus sont généralement similaires à ceux d’autres virus, notamment la mutation virale, la surpopulation des hôtes, le changement climatique et les voyages internationaux, mais les arbovirus sont, par définition, limités par l’espace géographique occupé par les espèces vectrices. Ainsi, pour qu’un arbovirus colonise un nouveau territoire, il faut généralement soit qu’un insecte porteur du virus voyage et trouve à destination un hôte potentiel, soit qu’un hôte infecté se déplace, le virus étant ensuite récupéré et propagé par les insectes locaux à son arrivée. Bien que cela semble improbable, ces deux scénarios ont été documentés, bien que le rayon d’action des insectes soit limité, car ils ne transportent généralement pas de virus sur de grandes distances. Néanmoins, nous savons que le virus de la fièvre jaune est passé de l’Asie à l’Amérique du Sud via des bateaux d’esclaves dans les années 1700 et, plus récemment, que le virus Zika a traversé l’océan Pacifique de l’Afrique à l’Amérique du Sud en passant par la Polynésie française grâce à des voyageurs humains infectés ; la dernière étape du voyage a apparemment été parcourue par un visiteur à l’occasion Championnats du monde de canoë-kayak en 2014-2015. Le passage d’Israël aux États-Unis du virus de la fièvre du Nil occidental en 1999 est un autre exemple de transfert intercontinental très réussi, bien que son mode de transport reste incertain. Le virus infecte les oiseaux et se propage par les moustiques, qui infectent ensuite l’homme par une 72
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piqûre. L’infection chez l’homme est généralement asymptomatique mais peut parfois provoquer un syndrome grippal et, très occasionnellement, une encéphalite. À ce jour, le virus ne s’est pas transmis d’une personne à l’autre, de sorte que l’infection humaine est généralement une impasse pour le virus. Dans ces conditions, le virus a dû parvenir jusqu’aux États-Unis au travers d’un oiseau ou d’un moustique voyageant sur le continent, puis trouver des moustiques américains indigènes pouvant le transmettre aux oiseaux locaux à leur arrivée. Les arbovirus qui infectent les animaux peuvent également se déplacer à l’intérieur de leurs hôtes et, avec l’augmentation du commerce international d’animaux, cela devient une méthode efficace de propagation, à condition que des insectes vecteurs appropriés soient disponibles à destination. Par ailleurs, comme on l’a vu avec les virus de la fièvre catarrhale ovine et de Schmallenberg, la propagation sur de longues distances est souvent le fait de générations d’insectes porteurs du virus portés par le vent et/ou localement par transfert du virus à des insectes adaptés. Les récents changements climatiques ont fortement accentué ces mouvements, avec de graves conséquences économiques. L’émergence et la réémergence des virus étant de plus en plus fréquentes, il est urgent de mettre au point des vaccins pour protéger les humains et les animaux domestiques afin d’empêcher la propagation des virus. Jusqu’à présent, ce besoin de nouveaux vaccins a été ignoré par les fabricants, inquiets quant à leur viabilité commerciale. Cependant, suite à la désastreuse épidémie d’Ebola de 2014-2016, alors qu’aucun traitement ou moyen de prévention n’était disponible, la Cepi (Coalition for Epidemic Preparedness Innovations) a été créée dans le but exprès de développer de manière préventive des vaccins contre les microbes qui représentent des menaces 73
Les virus
épidémiques. Le projet est soutenu par d’importants bailleurs de fonds, dont le Wellcome Trust et la Fondation Gates, ainsi que par plusieurs pays agissant séparément. Parmi les premières cibles figurent les virus Nipah, MERS, SARS, Ebola et Zika. Cette entreprise est essentielle pour la santé et la prospérité futures de nombreux pays en développement et, des progrès rapides des nouvelles technologies vaccinales pendant la pandémie de Covid-19, cela rend optimiste quant à sa réussite.
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5 Infections virales émergentes : les coronavirus Les coronavirus sont une famille de virus à ARN de grande taille, par le passé bien connus des vétérinaires et des scientifiques, mais qui ont été ignorés par les virologistes médicaux. Jusqu’en 2002, les coronavirus étaient surtout connus pour ne provoquer que des infections bénignes chez l’homme, comme le rhume. Mais cette famille de virus infecte également un large panel de mammifères et d’oiseaux, y compris des animaux d’élevage chez lesquels des épidémies généralisées ont entraîné de graves pertes économiques et financières. Le premier coronavirus connu a été isolé en 1937 lors d’une épidémie de maladie respiratoire chez les poulets, et a été nommé virus de la bronchite infectieuse aviaire. Depuis, des coronavirus pathogènes similaires ont été identifiés chez les chats, les chiens, les porcs, les bovins et les oiseaux, provoquant tous des bronchites ou des gastro-entérites pouvant être fatales. Aujourd’hui, il est courant de vacciner les animaux sensibles contre ces infections. 75
Les virus
Le premier coronavirus humain (HCoV) a été isolé en 1961 au cours de recherches sur le virus du rhume. Ce virus provoquait bien les symptômes du rhume, mais les chercheurs ne l’ont pas étudié plus avant car il ne correspondait pas au virus habituel du rhume qu’ils recherchaient. Après cette découverte, d’autres HCoV présumés ont été identifiés et, en 1967, June Almeida, une microscopiste électronique travaillant à Londres, a observé ces virus, et décrit les pointes distinctives en forme de massue qui donnent aux particules une apparence de couronne. Cette forme lui a valu le nom de coronavirus. Aujourd’hui, il existe dans le monde quatre HCoV identifiés qui provoquent généralement de légers symptômes de rhume ; ils ne sont pas encore officiellement nommés et sont donc désignés par : 229E et OC43, isolés dans les années 1960, NL63, isolé en 2003, et HKU1, isolé en 2004. La liste des HCoV est complétée à ce jour par les virus qui peuvent provoquer des maladies graves chez l’homme, à savoir le coronavirus du syndrome respiratoire aigu sévère (SARS-CoV), le Middle East Respiratory Syndrome (MERS)CoV et le SARS-CoV-2, apparus respectivement en 2002, 2013 et 2019. Les chauves-souris et les oiseaux sont les hôtes naturels et les porteurs à long terme des coronavirus et, même si l’âge de l’ancêtre commun le plus récent de la famille des coronavirus est estimé entre 10 000 et plusieurs millions d’années, il est clair qu’ils sont répandus chez ces espèces animales. En tant que vertébrés volants pouvant couvrir une étendue mondiale, les oiseaux et les chauves-souris sont idéaux pour propager les virus au sein des espèces et entre espèces. Ainsi, selon l’arbre évolutif des CoV, si le MERS-CoV a évolué d’un virus de chauve-souris pour infecter les dromadaires il y a plusieurs siècles, le SARS-CoV n’a divergé qu’en 1986. 76
Infections virales émergentes : les coronavirus
Étonnamment, les scientifiques ont calculé que le HCoV-OC43 est issu du CoV bovin et qu’il a infecté l’homme pour la première fois à la fin des années 1880, une date qui coïncide avec une pandémie de grippe en 1889-1890 appelée « grippe russe ». En l’absence d’isolats du virus de cette pandémie, certains postulent qu’elle a été causée par le CoV-OC43. Cette hypothèse est étayée par des données cliniques indiquant que les symptômes courants comprenaient des maux de tête, de la fièvre, une perte du goût et de l’odorat et des infections thoraciques, et par le fait que la plupart des décès concernaient des personnes âgées. Cela fait certainement penser davantage à une infection par le HCoV qu’à une grippe, mais en l’absence d’isolats de virus à analyser, nous n’en serons probablement jamais certains.
SYNDROME RESPIRATOIRE AIGU SÉVÈRE À CORONAVIRUS En novembre 2002, une épidémie de pneumonie atypique (c’est-à-dire non causée par une bactérie) a soudainement frappé la ville de Foshan, dans la province de Guangdong, en Chine. La maladie pouvait être si grave que les patients devaient souvent être hospitalisés et mis sous ventilation artificielle. La maladie a été appelée syndrome respiratoire aigu sévère (SARS) et le coronavirus, rapidement isolé des premiers cas et dont le génome a été séquencé, a été nommé SARS-CoV. Au départ, la maladie s’est propagée localement, notamment parmi les membres de la famille des patients et le personnel hospitalier. Mais la situation a évolué en février 2003 lorsqu’un médecin qui avait traité des cas de SARS dans la province de Guangdong s’est rendu à Hong Kong. Il a passé une nuit à l’hôtel Métropole avant d’être admis à l’hôpital où il est mort du SARS quelques jours plus tard. Le virus s’est 77
Les virus
propagé au personnel hospitalier et aux visiteurs, déclenchant une épidémie à Hong Kong. Un visiteur de l’hôpital a transporté le virus dans un lotissement privé où plus de 300 personnes ont développé le SARS et 42 en sont mortes. Au total, l’épidémie à Hong Kong a entraîné 1 755 cas de SARS et 298 décès (voir la figure 11).
100 80 60 40
3/6
28/5
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0
21/2 27/2
20 15/2
Nombres de cas rapportés
120
Début de l’épidémie (2003)
Fig. 11 L’émergence du SARS à Hong Kong. La figure montre le nombre de nouveaux cas par jour, de février à juin 2003.
Le médecin de Guangdong a également transmis le SARSCoV à au moins 17 clients de l’hôtel Métropole, qui l’ont ensuite transmis dans cinq pays différents, déclenchant des épidémies au Canada, au Vietnam et à Singapour. Cette dissémination rapide du virus menaçait de provoquer une pandémie et, début mars 2003, l’OMS a émis une alerte sanitaire mondiale appelant à l’isolement des cas de SARS, à l’utilisation d’EPI (ou PPE) et à la mise en quarantaine des contacts des cas, tandis que des restrictions de voyage étaient également imposées. Ces précautions ont suffi à interrompre la propagation du virus et, en juillet 2003, la pandémie était 78
Infections virales émergentes : les coronavirus
terminée, le bilan final étant d’environ 8 000 cas et 800 décès impliquant 29 pays sur les cinq continents. Le SARS-CoV se propage dans l’air ; après une période d’incubation de 2 à 14 jours, les victimes développent de la fièvre, des malaises, des douleurs musculaires et une toux, évoluant parfois rapidement vers une pneumonie virale qui nécessite des soins intensifs, avec une ventilation mécanique dans environ 20 % des cas. Le R0 du SARS-CoV est de 2 ou 3, de sorte que, livré à lui-même, ce virus aurait pu provoquer une pandémie. Mais plusieurs de ses caractéristiques ont contribué à sa disparition rapide. Il est important de noter que le virus provoque surtout des maladies dont les symptômes sont facilement détectables, de sorte que les cas et leurs contacts ont pu être rapidement identifiés et isolés. Les victimes n’étant infectieuses qu’une fois les symptômes apparus, toute propagation ultérieure a pu être évitée. Lors du SARS, le virus se développe dans les poumons et se propage par la toux. Les gouttelettes de mucus expulsées sont relativement lourdes et ne se propagent pas loin dans l’air ; c’est pourquoi les contacts à risque sont principalement les contacts étroits comme les membres de la famille et le personnel hospitalier, ils constituent plus de 20 % des cas dans le monde. Une fois tous ces facteurs pris en compte, l’utilisation stricte des EPI/PPE pour le personnel hospitalier et l’isolement des patients et de leurs contacts ont suffi à stopper la propagation du virus et à prévenir une pandémie. Plusieurs des premiers cas de SARS ayant travaillé sur le marché local des animaux vivants de Foshan, la recherche d’une origine animale pour le CoV-SARS s’est concentrée sur ce marché. Ce type de marchés propose de nombreuses espèces de mammifères, qu’ils soient d’élevage ou capturés dans la nature. Plusieurs d’entre elles, notamment les civettes palmistes communes de l’Himalaya et les chiens viverrins, 79
Les virus
ont été testées positives pour des virus similaires à celui du SARS. Cependant, le réservoir naturel du virus SARS-CoV a été identifié par la suite comme étant la chauves-souris fer à cheval, avec un transfert du virus des chauves-souris aux chats-civettes. Ce dernier saut s’est probablement produit sur le marché, où les animaux sont entassés dans des cages surpeuplées, ce qui facilite ce type de transfert. Par la suite, les tests de dépistage des anticorps du SARS effectués sur les commerçants du marché de Foshan ont montré que 40 % des marchands d’animaux sauvages et 25 % des abatteurs étaient positifs, ce qui indique une infection antérieure. En revanche, le taux de positivité n’était que de 5 % chez les marchands de légumes, ce qui laisse fortement supposer que l’épidémie a été déclenchée par la propagation du virus d’un hôte intermédiaire à un marchand d’animaux. Depuis l’épidémie de SARS-CoV de 2002-2003, le virus a refait surface chez l’homme à trois reprises. Dans tous les cas, il s’agissait de virus provenant de laboratoires où les règles de sécurité étaient insuffisantes ou non respectées. Dans deux de ces cas, le virus ne s’est pas propagé à partir des cas index et aucun décès n’a été enregistré. Mais une épidémie centrée sur l’Institut national de virologie de Pékin a commencé par l’infection de deux étudiantes diplômées, dont l’une a transporté le virus à son domicile dans la province d’Anhui, où le virus s’est propagé à sept contacts et a entraîné un décès. Il n’existe actuellement aucun vaccin pour se protéger du SARS.
SYNDROME RESPIRATOIRE DU MOYEN-ORIENT CORONAVIRUS Le MERS-CoV est apparu pour la première fois en Arabie saoudite en 2012, lorsqu’une petite épidémie d’une maladie 80
Infections virales émergentes : les coronavirus
ressemblant au SARS s’est répandue à Jeddah, en Arabie saoudite. Les symptômes incluaient de la fièvre, une toux avec des difficultés respiratoires et parfois des diarrhées. La maladie évoluait souvent vers une pneumonie, en particulier chez les personnes âgées et celles ayant des problèmes de santé sous-jacents, et nécessitait alors une hospitalisation et une ventilation mécanique. Le taux de mortalité global de cette épidémie était d’environ 35 %. Le virus identifié alors, le MERS-CoV, circule dans tout le Moyen-Orient, où, depuis 2012, il a provoqué de nombreuses petites épidémies. En 2021, l’OMS a signalé environ 2 500 cas répartis dans 27 pays, et 858 décès. Le taux de mortalité global est d’environ 36 %. Les cas diagnostiqués en Asie, en Europe et aux États-Unis ont été soit directement migrés du Moyen-Orient, soit liés à un cas migré. À ce jour, la plus grande épidémie de MERS en dehors du Moyen-Orient s’est produite en Corée du Sud en 2015, avec environ 186 cas sur 55 jours, dont 32 décès. Il s’agissait d’une épidémie provenant du milieu hospitalier, pendant laquelle le retard dans la mise en œuvre des mesures de contrôle a prolongé la propagation du virus. Avec une valeur R0 inférieure à 1 (estimée à 0,4-0,9), le MERS-CoV ne se transmet pas facilement entre humains et, bien qu’il semble occasionnellement passer des patients aux membres de la famille et aux soignants non protégés, aucune transmission communautaire soutenue n’a été signalée. Les études phylogénétiques (comparaisons de génomes montrant les relations évolutives entre les organismes) montrent que le MERS-CoV est apparu chez les chauves- souris et qu’il est passé aux chameaux et dromadaires il y a plusieurs siècles. Le virus circule désormais parmi ces animaux, provoquant une infection asymptomatique des voies nasales. Les chameaux sont le principal foyer du virus et la 81
Les virus
source de la plupart des infections humaines, c’est pourquoi le MERS est souvent appelé « grippe du chameau ». Il n’existe pas de traitement spécifique pour le MERS et aucun vaccin n’est disponible pour sa prévention. Ainsi, comme pour le SARS, l’isolement des cas et la mise en quarantaine des contacts sont les mesures de contrôle les plus efficaces.
SARS-CORONAVIRUS-2 En décembre 2019, une autre épidémie de maladie respiratoire grave est apparue en Chine, cette fois à Wuhan, dans la province du Hubei. Le virus responsable, SARS-CoV-2, un nouveau HCoV, a été isolé en janvier 2020 et la maladie qu’il provoque a été baptisée « coronavirus disease-19 » (Covid-19). Après sa découverte, le génome du virus a été rapidement séquencé, révélant un virus identique à 79,5 % au SARS-CoV. L’OMS a été alertée de l’apparition d’une nouvelle maladie respiratoire alors que seulement 59 cas s’étaient déclarés à Wuhan, mais il était déjà trop tard pour contenir le virus. Malgré le confinement strict imposé à Wuhan et dans d’autres villes touchées de la province du Hubei, et la mise en place d’une interdiction de voyager, le virus s’est rapidement propagé au niveau international, transporté par des voyageurs en provenance directe de Chine. Les pays limitrophes de la Chine ont été presque immédiatement envahis par le virus ; sans le savoir à l’époque, le SARS-CoV-2 avait atteint les États-Unis, l’Italie, l’Allemagne et probablement de nombreux autres pays en janvier 2020, comme l’ont révélé plus tard les données de suivi du virus. L’Italie a beaucoup souffert de cette première vague d’infections et est devenue l’épicentre de la propagation en Europe. L’OMS a déclaré une 82
Infections virales émergentes : les coronavirus
urgence de santé publique le 30 janvier 2020 puis l’a surclassé en pandémie le 11 mars 2020. Le Covid-19 se propage principalement par voie aérienne, avec l’inhalation de particules de mucus porteuses du virus, libérées sous forme d’aérosol par la bouche et le nez d’une personne infectée, en particulier lorsqu’elle tousse, éternue, parle ou chante. Moins fréquemment, l’infection peut se transmettre par les yeux et par la contamination de surfaces par le virus. Une fois dans les voies respiratoires, le SARS-CoV-2 se fixe aux cellules épithéliales de surface et y pénètre en utilisant sa protéine spike pour s’attacher à un récepteur cellulaire appelé en anglais angiotensin-converting enzyme-2, ACE-2 (enzyme de conversion de l’angiotensine-2). Cette interaction permet un premier cycle de réplication du virus et, comme l’expression de l’ACE-2 est très répandue dans l’organisme, la descendance du virus se dissémine pour infecter les cellules qui tapissent les vaisseaux sanguins, les cellules des poumons, des reins, de l’intestin et d’autres organes. C’est la distribution de l’ACE-2 qui détermine le profil de la maladie du Covid-19. La période d’incubation du Covid-19, c’est-à-dire le temps écoulé entre l’infection et l’apparition des premiers symptômes, varie de 1 à 10 jours, mais la plupart des personnes développent des symptômes 5 à 6 jours après l’infection. Les premiers symptômes les plus courants sont la fièvre, la toux, l’essoufflement et la perte du goût et de l’odorat, mais, point critique pour la propagation du virus, les personnes atteintes deviennent infectieuses quelques jours avant l’apparition de ces symptômes. La gravité de l’infection est très variable, allant d’un état asymptomatique dans environ 20 % des cas à une infection respiratoire grave, potentiellement mortelle, nécessitant une hospitalisation, des soins intensifs et une 83
Les virus
ventilation mécanique, en passant par des symptômes légers de type grippal. Ces manifestations potentiellement mortelles de Covid-19 sont causées par un choc cytokinique (comme celui décrit lors de la pandémie de grippe de 1918, voir le chapitre 3) ; en conséquence, les sacs alvéolaires des poumons se remplissent de liquide, ce qui empêche ainsi les échanges gazeux vitaux. Parmi les autres symptômes graves, citons un trouble généralisé de la coagulation sanguine, éventuellement causé par une réaction d’autoanticorps qui peut affecter le fonctionnement d’organes vitaux comme le cerveau, les poumons et les reins. En outre, un syndrome appelé Covid long est une complication à long terme de l’infection. L’Institut national britannique pour les soins de santé et l’excellence a proposé en octobre 2020, pour cette maladie récemment reconnue, la définition suivante : « signes et symptômes qui se développent pendant ou après une infection compatible avec le Covid-19, qui se poursuivent pendant plus de 12 semaines et qu’un autre diagnostic ne peut pas expliquer par un ». Le syndrome touche environ 5 % des personnes atteintes de Covid-19, mais il est plus fréquent chez les personnes âgées. Il englobe une grande variété de symptômes, dont la fatigue, l’essoufflement, la douleur généralisée et les problèmes psychiatriques. Actuellement, la cause de la maladie Covid-19 est inconnue et il n’existe pas de traitement spécifique. La gravité du Covid-19 augmente avec l’âge ; elle est le plus souvent légère ou asymptomatique chez les moins de 25 ans, et plus grave chez les personnes âgées et celles souffrant de maladies chroniques. Les taux de mortalité reflètent cette différence liée à l’âge : au début de la pandémie, les chiffres vont de moins de 0,1 % chez les moins de 50 ans à 25 % chez les plus de 85 ans, et le taux global est d’environ 1 % (voir la figure 12). 84
Infections virales émergentes : les coronavirus
Depuis son origine à Wuhan, le Covid-19 a rapidement envahi le monde, avec plus de 100 millions de cas dans l’année qui a suivi son apparition. Taux de mortalité dû au coronavirus en Chine
Taux (%)
15 14 13 12 11 10 9 8 7 6 5 4 3 2 1 0
Moins de 9
10-39
40-49
50-59 60-69 Age (ans)
70-79
80+
Taux de pourcentage
Fig. 12 Graphique du nombre de décès dus au Covid-19 rapporté à l’âge. Données fournies en février 2020.
Dans le même laps de temps, 2,5 millions de décès ont été signalés, et ce chiffre a atteint 5 millions en novembre 2021. En l’absence de traitement ou de mesures préventives efficaces au début de la pandémie, les services de santé du monde entier ont été débordés, avec une pénurie de PPE, de ventilateurs et d’alimentation en oxygène. Et bien que des tests de diagnostic aient été mis au point au début de la pandémie, ils étaient souvent insensibles, trop chers ou indisponibles. La plupart des pays ont fini par imposer des mesures de confinement national et des interdictions de voyager pour stopper la propagation du virus, tandis que des systèmes de 85
Les virus
suivi, de localisation et d’isolement étaient rapidement mis en place pour identifier les propagateurs potentiels du virus. Lors de la première vague, certains États insulaires comme l’Australie et la Nouvelle-Zélande ont bien réagi et imposé des interdictions strictes de voyager. Les pays qui avaient connu le SARS en 2002-2003, comme la Chine, Hong Kong, Singapour, Taïwan et le Japon, ont été avantagés car leurs plans de préparation à la pandémie avaient été mis à jour, contrairement à la plupart des pays occidentaux qui avaient des plans basés sur les pandémies de grippe précédentes. Lorsque le SARS-CoV-2 est apparu, sa valeur R0 a été estimée à environ 2-3. Le suivi de la valeur de R tout au long de la pandémie a été essentiel pour permettre aux épidémiologistes et aux modèles mathématiques de prévoir les fluctuations des taux d’infection, et de conseiller les gouvernements sur les mesures appropriées. Dans les années 2020-2021, les mesures de confinement, de distanciation sociale, le port du masque, l’interdiction de voyager et le travail à domicile sont devenus familiers dans de nombreux pays à mesure que des variants émergeaient du virus initial. Avec des valeurs R0 plus élevées, et donc des taux de transmission plus importants, chaque nouvelle souche virale a remplacé la souche précédente en circulation, dans le monde entier. Le premier variant préoccupant a été repéré au RoyaumeUni en décembre 2020. Désormais appelée variant alpha, il présente une valeur R0 de 4 à 7. Depuis lors, plusieurs variants préoccupants sont apparus (nommés bêta, gamma, delta, omicron, etc.). En septembre 2021, au moins neuf variants étaient surveillés, le variant delta, dont la valeur R0 est d’environ 5, étant dominante. Cependant, en janvier 2022, le variant omicron, hautement transmissible, avec une valeur R0 estimée à environ 7, s’était répandu dans le monde entier. Le SARS-CoV-2 ayant un génome à 86
Infections virales émergentes : les coronavirus
ARN, il est très sujet aux mutations. Il ne fait donc aucun doute que des variants du virus continueront à apparaître jusqu’à ce que la propagation du virus soit enrayée dans le monde entier. Dès le début de la pandémie, la valeur thérapeutique de centaines de médicaments potentiels a été testée pour le traitement du Covid-19, y compris des agents antiviraux connus et des remèdes traditionnels chinois. Les résultats des essais cliniques ont d’abord été décevants, peu d’entre eux ayant montré un effet bénéfique significatif sur la gravité ou la durée de la maladie. Prélevé chez des survivants du Covid19, le plasma convalescent contenant des anticorps contre le virus s’est avéré inutile, mais une combinaison d’anticorps monoclonaux ciblant la protéine spike du virus a montré une certaine efficacité chez les patients à haut risque. Parmi les autres médicaments utiles, citons ceux qui atténuent la réponse immunitaire inappropriée qui se manifeste par un choc cytokinique. Dans ce cas, le corticostéroïde dexaméthasone réduit d’environ 33 % le taux de mortalité chez les patients hospitalisés présentant des symptômes respiratoires graves, tandis que les anticorps monoclonaux ciblant des cytokines individuelles, comme l’interleukine 6, se sont également révélés efficaces. Plusieurs médicaments antiviraux ciblés sont également en cours de développement et, au moment où nous écrivons ces lignes, les deux premiers ont été autorisés au Royaume-Uni. Ces deux médicaments inhibent directement les processus essentiels du virus, peuvent être administrés par voie orale et réduisent les hospitalisations de 50 à 89 %. La mise au point et la disponibilité de vaccins ont sans aucun doute changé la donne en matière de contrôle de la propagation du Covid-19 dans le monde. Les scientifiques chinois ont publié la séquence du génome ARN du 87
Les virus
SARS-CoV2 en janvier 2020 et, en quelques mois, plus de 100 vaccins étaient en cours de production, utilisant toutes les méthodes traditionnelles et quelques technologies révolutionnaires (voir le chapitre 2). La plupart utilisaient la protéine de spicule pour induire une réponse immunitaire qui bloquerait la liaison virus/récepteur et empêcherait ainsi l’infection cellulaire. En particulier, l’utilisation de l’ARN messager de la protéine de spicule comme vaccin s’est avérée non seulement nouvelle, mais aussi rapide et finalement spectaculaire pour prévenir ou soigner le Covid-19 et sauver des vies. Plusieurs vaccins candidats ont fait l’objet d’essais cliniques moins d’un an après l’apparition du virus, et les précurseurs ont été autorisés en janvier 2021. La vaccination a considérablement réduit les cas graves de Covid-19 et les hospitalisations, diminuant ainsi d’environ 90 % le taux de mortalité chez les personnes de plus de 50 ans. En outre, la plupart des vaccins ont été bien tolérés et efficaces, même contre les variants viraux émergents, même avec parfois des taux de protection légèrement réduits. Néanmoins, ces vaccins de première génération ne constituent pas une solution idéale à long terme. Ils n’induisent ni une immunité à vie ni, surtout, une immunité collective. Cela signifie que les vaccins ne préviennent pas l’infection et n’empêchent donc pas la propagation du virus dans la communauté. C’est la raison pour laquelle l’immunité collective, calculée lors de l’apparition du virus à 67 % dans la communauté, n’a pu être atteinte. Et aujourd’hui, en raison de l’émergence de variants viraux plus transmissibles avec des valeurs R0 plus élevées, couplée avec des actions internationales « anti-vax » très médiatisées pour décourager les gens de se faire vacciner, l’immunité collective n’est pas réalisable. Afin de prévenir l’émergence future de virus potentiellement pandémiques de type SARS-CoV2, il est important 88
Infections virales émergentes : les coronavirus
d’identifier l’hôte primaire de ce virus et de découvrir la voie utilisée pour infecter l’homme. Étant donné que les chauves-souris sont porteuses de nombreux coronavirus apparentés et qu’à ce jour, le virus le plus proche du SARSCoV-2 est le virus de la chauve-souris RaTG13, dont le génome est identique à 96 %, il semble probable que l’hôte primaire du SARS-CoV-2, comme du SARS-CoV, soit une chauve-souris. Néanmoins, il est important de découvrir les détails exacts de ce transfert, qui pourrait, comme pour le SARS-CoV, impliquer un hôte intermédiaire. Certains suggèrent que le pangolin a joué ce rôle puisque, comme les chauves-souris, ces animaux sont porteurs de nombreuses souches de CoV et sont vendus sur les marchés asiatiques. En effet, des études sur les pangolins de Malaisie ont permis d’identifier des coronavirus présentant une similitude de séquence génomique d’environ 85 à 92 % avec le SARSCoV-2. Ces animaux sont très demandés en Chine, tant comme source de nourriture que pour leurs écailles, utilisées dans la médecine traditionnelle chinoise. Pour déterminer le parcours du virus, une équipe internationale d’experts nommée par l’OMS s’est rendue à Wuhan au début de 2021. Leurs investigations se sont concentrées sur l’Institut de virologie de Wuhan, où les coronavirus des chauves-souris sont à l’étude, et sur les marchés de fruits de mer et d’animaux vivants de Huanan, où de nombreux animaux sont vendus, y compris ceux connus pour être porteurs de coronavirus semblables à ceux du SARS, comme les chauves-souris et les chiens viverrins. L’équipe a exclu l’Institut de virologie comme origine possible de la pandémie, mais n’est parvenue à aucune autre conclusion définitive ; les recherches se poursuivent donc. Cependant, l’identification des premiers cas de Covid-19 à Wuhan fin 2019 a fourni des données intéressantes. Les premières études ont rapporté que 66 % des 41 premiers cas travaillaient sur le marché de 89
Les virus
Huanan, l’avaient visité ou y avaient des liens dans les jours précédant l’apparition des symptômes du Covid-19. Étant donné que de nombreuses infections sont asymptomatiques et que le virus s’était très probablement largement répandu avant que les premiers cas hospitalisés ne soient signalés, ce chiffre désigne le marché de Huanan comme l’épicentre de la pandémie. Malheureusement, le marché de Huanan a été fermé et désinfecté le 1er janvier 2020, avant que les animaux vivants aient pu être soumis à un dépistage des coronavirus suspects. Une autre enquête importante vise à déterminer quels animaux domestiques et sauvages sont sensibles au SARSCoV-2, car une propagation à tout autre hôte ouvre la possibilité d’un retour à l’homme, sous la forme d’un variant muté. Cela peut sembler un scénario catastrophe, mais c’est exactement ce qui s’est produit aux Pays-Bas, au Danemark, aux États-Unis et dans plusieurs autres pays. Les études montrent que le SARS-CoV-2 infecte un large éventail d’animaux domestiques et sauvages, mais dans l’ensemble, la barrière qui empêche un retour de l’animal à l’homme est élevée. Encore plus surprenant, au milieu de l’année 2020, une propagation rapide du virus parmi les visons d’élevage, avec quelques infections mortelles, a été signalée aux Pays-Bas, où une contagion inverse a infecté deux ouvriers agricoles. Entre-temps, des visons positifs au virus ont été signalés dans la région, probablement évadés et non sauvages, ce qui laisse entrevoir la possibilité que l’infection s’établisse chez un nouvel hôte sauvage. Il est intéressant de comparer les caractéristiques de l’émergence des trois nouveaux HCoV, SARS-CoV, MERSCoV et SARS-CoV-2, pour comprendre en quoi ils diffèrent dans leur capacité à infecter et se propager chez l’homme 90
Infections virales émergentes : les coronavirus
(voir le tableau 2). Parmi les similitudes, citons leur origine zoonotique à partir de chauves-souris (origine présumée dans le cas du SARS-CoV-2) et la proximité étroite de leurs génomes à ARN : la séquence génomique du SARS-CoV-2 est identique à 79,5 % à celle du SARS-CoV et à 50 % à celle du MERS-CoV. En outre, ce sont tous des virus transmis par voie aérienne, qui infectent les voies respiratoires et peuvent provoquer une maladie grave et mortelle, généralement en déclenchant un choc cytokinique. Cependant, la transmissibilité est un facteur important pour déterminer l’évolution d’une épidémie et, à cet égard, les virus diffèrent considérablement. Les valeurs de R0 varient de 0,4-0,9 pour le MERS à environ 5 pour le variant delta du SARS-CoV-2, en passant par 2-3 pour le SARS-CoV. Il est clair que le SARS-CoV-2 se transmet plus efficacement entre les hôtes humains ; cela est dû en partie à sa force de liaison à l’ACE-2, accrue pour certains variants, et à la taille des gouttelettes de mucus éjectées contenant le virus. Chez les personnes atteintes du Covid-19, les petites gouttelettes légères produites dans les voies respiratoires supérieures restent plus longtemps dans l’air et voyagent plus loin que chez les patients atteints du SARS et du MERS, où les gouttelettes sont plus lourdes et produites plus profondément dans les voies respiratoires, infectant principalement les contacts proches. En outre, le SARS et le MERS provoquent tous deux des maladies graves qui nécessitent souvent une hospitalisation, ce qui limite encore une fois l’infection aux soignants et aux membres de la famille. En revanche, dans le cas du Covid-19, la propagation silencieuse se produit avant l’apparition des symptômes et à partir d’infections asymptomatiques, ce qui n’est pas le cas du SARS et du MERS. Ces différences permettent au SARS-CoV-2 de se propager largement dans la communauté, rendant plus probable l’émergence de variants plus transmissibles. 91
Les virus
Tableau 2 Comparaison de SARS-CoV, MERS-CoV et SARS-CoV-2. SARS-CoV
MERS-CoV
SARS-CoV-2
Lieu et date des premières infections
Foshan, China, 2002
Arabie saoudite, 2012
Wuhan, China, 2019
Hôte primitif
Chauvesouris chinoise
Chauvesouris
Chauve-souris ?
Hôte intermédiaire
Civette masquée, chat ?
Dromadaire
Pangolin ?
Diffusion
Aérienne
Aérienne
Aérienne
2-3
> 1
2-7 (selon le variant)
ACE-21
DPP42
ACE-2
2-7 jours
4-7 jours
R0 Récepteur de la cellule Temps d’incubation
Fièvre, toux, syndrome respiratoire aigu, perte du goût et de l’odorat
Complications
Pneumonie atypique
Pneumonie atypique
Pneumonie atypique, trouble de la coagulation sanguine, défaillance de plusieurs organes
Mortalité (%)
10
30-40
Approx. 1
Infections asymptomatiques (%)
0
Principaux symptomes ressentis
Groupes à risque Induit une poussée de cytokines
20
Les seniors et les malades chroniques
Les seniors et les malades chroniques
Les seniors et les malades chroniques
oui
oui
oui
Enzyme de conversion de l’angiotensine-2. 2 Dipeptidyl peptidase-4.
1
92
4-10 jours
Fièvre, Fièvre, toux, toux, syndrome syndrome respiratoire respiratoire aigu aigu
Infections virales émergentes : les coronavirus
Il est clair que ces trois coronavirus, qui provoquent des maladies graves chez l’homme, sont étroitement liés, mais ils diffèrent fondamentalement dans leur impact sur nos vies en raison de leur capacité variable à se propager parmi nous. Que réserve l’avenir à ces virus émergents ? La technologie du vaccin à ARNm ayant permis de juguler rapidement le Covid-19, des vaccins similaires contre le MERS-CoV et le SARS-CoV devraient être disponibles à court terme. Mais le problème du Covid-19 est d’une toute autre ampleur ; le SARS-CoV-2 est désormais établi dans le monde entier et ne sera pas éliminé de sitôt. Comme nous l’avons laissé entendre plus haut dans ce chapitre, l’immunité collective sera très difficile à atteindre et, à défaut, des variants viraux plus transmissibles ou échappant à notre immunité acquise par la vaccination continueront d’apparaître. Cette situation rappelle celle des virus de la grippe (abordés dans le chapitre 3), qui mutent fréquemment mais ont longtemps été gérés efficacement. Aujourd’hui, le Covid-19 doit être géré de manière similaire, avec une surveillance mondiale constante des variants du virus et la production de vaccins appropriés pour des rappels réguliers. À cet égard, la technologie des vaccins à ARNm permet de modifier, de produire et de mettre à l’échelle rapidement les vaccins candidats, de sorte que le perfectionnement des vaccins actuels améliorera certainement le contrôle du virus. En outre, des vaccins fabriqués à partir de protéines virales entières sont désormais disponibles, ce qui devrait offrir une protection contre un plus large éventail de de virus mutants. Et même si ni l’immunité à long terme ni l’immunité collective ne peuvent être atteintes, le respect de la stratégie de prévention de la grippe, qui a fait ses preuves, devrait finir par endiguer la pandémie. La lutte efficace contre les virus émergents qui ont frappé nos ancêtres il y a des milliers d’années est abordée dans le chapitre suivant. 93
6 Transmission et éradication d’un virus Dès lors qu’un virus émergent aigu, tel qu’une nouvelle souche de grippe, s’est établi avec succès dans une population, il s’installe généralement dans un mode d’épidémies cycliques au cours desquelles de nombreuses personnes sensibles sont infectées ; soit elles en meurent, soit elles deviennent immunisées contre toute nouvelle attaque. Lorsque l’immunité collective est atteinte, le virus se déplace et ne revient que lorsqu’une nouvelle population sensible est apparue, généralement constituée de personnes nées depuis la dernière épidémie. Avant la généralisation des programmes de vaccination, les jeunes enfants souffraient d’une série de maladies infectieuses bien connues, collectivement appelées « maladies infantiles ». Elles se caractérisaient toutes par leur capacité à induire une immunité à vie ; il s’agit des maladies causées par des virus, telles que la rougeole, les oreillons, la rubéole et la varicelle, ainsi que les infections bactériennes que sont la coqueluche et la scarlatine. Parmi ces maladies, seule la varicelle reste répandue en Occident aujourd’hui. Pour savoir quand et comment l’homme a été confronté à ces infections infantiles aiguës, il faut remonter quelque 94
Transmission et éradication d’un virus
10 000 ans en arrière, jusqu’à la révolution agricole. Celle-ci a commencé dans la région située entre le Tigre et l’Euphrate, connue sous le nom de « Croissant fertile », dans les actuels Irak et Iran, et s’est rapidement étendue, transformant nos ancêtres de chasseurs-cueilleurs nomades en agriculteurs vivant dans des communautés fixes. Ce changement spectaculaire a eu des conséquences importantes sur les microbes qui les infectaient ; cela a entrainé une période d’épidémies sans cesse croissantes d’infections graves et souvent mortelles, y compris celles qui ont été reconnues plus tard parmi les maladies aiguës de l’enfance. Cette vague d’épidémie était directement liée au changement de mode de vie. Les campements nomades ont été remplacés par des habitations permanentes très exiguës dans des villages surpeuplés, permettant aux microbes en suspension dans l’air d’accéder facilement à leurs hôtes, tandis que la nourriture et l’eau, auparavant collectées quotidiennement, étaient désormais stockées dans des conditions peu hygiéniques, favorisant la transmission féco-orale des microbes infectieux intestinaux. Cependant, le principal facteur favorisant ces nouveaux microbes a été la proximité entre les nouveaux agriculteurs et les animaux récemment domestiqués, qui partageaient désormais leurs habitations, et qui étaient porteurs de leurs propres zoos microbiens. La technique dite de l’horloge moléculaire, décrite dans le chapitre 1, montre que le virus de la variole est très proche des virus de la variole des chameaux et des gerbilles, et indique que la variole des gerbilles a probablement été transmise aux humains et aux chameaux au début de l’ère d’élevage, il y a 5 000 à 10 000 ans. En revanche, le plus proche parent du virus de la rougeole est le virus rinderpest, responsable de la peste bovine, les deux virus s’étant écarté d’un ancêtre commun il y a environ 2 000 ans. Il semble donc 95
Les virus
que ces virus et de nombreux autres microbes animaux aient infecté l’homme au début de l’ère agricole. Au début, chaque épidémie commençait par le transfert du virus de l’animal à un hôte humain et se terminait lorsque la plupart des personnes sensibles de la population étaient infectées, le virus étant incapable de s’implanter durablement dans son nouvel hôte. Mais avec le développement des échanges commerciaux entre les villages, les villes et les pays, ces « nouveaux » virus ont suivi, provoquant des épidémies de plus en plus importantes et étendues, et l’équilibre s’est transformé. Des études sur les épidémies de rougeole dans des populations insulaires de tailles diverses, telles que l’Islande, le Groenland, les îles Fidji et Hawaï, montrent qu’il faut une population d’environ 500 000 habitants pour que le virus circule de manière continue dans une communauté, un chiffre probablement similaire pour d’autres virus aériens. Les premières villes de cette taille sont apparues vers 5 000 avant notre ère dans le Croissant fertile, et c’est donc quelque temps après cette date que des virus comme celui de la rougeole ont pu rompre le lien avec leurs hôtes animaux pour devenir des agents pathogènes entièrement humains. Les virus se propagent entre les hôtes par de nombreuses manières différentes, mais ceux qui provoquent des épidémies aiguës utilisent généralement des méthodes rapides et efficaces, telles que les voies aériennes ou féco-orales. La première est la méthode de propagation la plus efficace dans les pays industrialisés où les gens ont tendance à vivre dans des villes surpeuplées, tandis que la seconde est la plus efficace dans les pays non industrialisés, en particulier lorsque les normes d’hygiène sont faibles. D’une manière générale, les infections virales se distinguent par les organes qu’elles touchent ; les virus transmis 96
Transmission et éradication d’un virus
par voie aérienne provoquent principalement des maladies respiratoires, comme la grippe, le rhume ou la pneumonie, tandis que ceux transmis par contamination féco-orale provoquent des troubles intestinaux, avec nausées, vomissements et diarrhées. Il existe des milliers de virus capables de provoquer des épidémies chez l’homme, mais seuls quelquesuns provoquent des maladies infantiles caractéristiques comme la rougeole, les oreillons, la rubéole, la varicelle et, jusqu’à une date relativement récente, la variole.
LES INFECTIONS INFANTILES Le virus de la variole est dans une classe à part, celle des virus les plus meurtriers au monde. Après avoir infecté l’homme pour la première fois il y a au moins 5 000 ans, il a tué environ 300 millions de personnes rien qu’au cours du xxe siècle. Jusqu’à 30 % des infections étaient mortelles, et ceux qui en réchappaient restaient défigurés ou aveugles en raison des cicatrices laissées par les lésions. Après des siècles de dévastation, le virus de la variole a finalement été éliminé en 1980. La vaccination antivariolique, décrite dans le chapitre 3, a été la clé de cette importante réussite. Jusque dans les années 1960, presque tous les enfants souffraient de la rougeole, des oreillons et de la rubéole, mais depuis l’introduction des programmes de vaccination, ces maladies sont devenues rares, en particulier dans les pays développés. Ces trois virus ont un génome à ARN et pénètrent l’organisme par le nez et la bouche pour coloniser les glandes lymphatiques locales. Puis, après une période d’incubation de deux semaines, les virus se déplacent dans le système sanguin vers les organes internes. Cette virémie induit des symptômes non spécifiques tels que fièvre, malaise, maux de tête et écoulement nasal, tandis que chaque virus se concentre sur des organes cibles particuliers ; les 97
Les virus
signes caractéristiques de la maladie apparaissent alors : éruptions cutanées révélatrices pour la rougeole et de la rubéole, glandes parotides douloureuses et gonflées pour les oreillons. Ces maladies sont bénignes dans la plupart des cas et la guérison entraîne une immunité à vie, mais chacune est associée à de graves complications qui rendent essentiel l’objectif de prévention à l’échelle mondiale. De ces trois virus, la rougeole est le plus infectieux et produit la maladie la plus grave. Elle tuait des millions d’enfants chaque année avant la vaccination, principalement par pneumonie, déshydratation causée par la diarrhée et encéphalite. La plupart des décès survenaient dans les pays en développement, où les personnes faibles et sous-alimentées étaient les plus vulnérables. En outre, l’infection par la rougeole peut affaiblir le système immunitaire, rendant les enfants incapables de combattre d’autres maladies infectieuses. Parce que l’homme est le seul hôte du virus de la rougeole et que le vaccin est sûr et très efficace, il est possible d’éradiquer la rougeole à l’échelle mondiale, et cela a même été réalisé aux États-Unis, au Royaume-Uni et en Australie sur des périodes prolongées. L’Initiative contre la rougeole de 2001, mise en place avec, pour objectif final, l’élimination de la rougeole dans le monde, avait déjà permis de réduire de 74 % le nombre global de décès dus à cette maladie en 2005, principalement en augmentant la couverture vaccinale en Afrique subsaharienne et dans les régions de la Méditerranée orientale et du Pacifique occidental. L’objectif de l’époque était d’éradiquer le virus en 2020, mais la plus faible incidence de décès dus à la rougeole dans le monde a été atteinte en 2016, et depuis, les cas et les décès ont augmenté. En Occident, l’hésitation à se faire vacciner (voir le chapitre 3) en est la principale cause, et dans les pays en développement, 98
Transmission et éradication d’un virus
c’est le résultat de l’augmentation des migrations humaines, des conflits, des catastrophes naturelles et de la pandémie de Covid-19, empêchant l’accès aux vaccins. L’OMS a signalé plus de 140 000 décès dus à la rougeole en 2018, et la même année, plusieurs pays européens ont perdu leur statut de « pays sans rougeole ». L’objectif est désormais de voir disparaitre la rougeole d’ici 2030. La rubéole est communément appelée rougeole allemande car elle a été décrite pour la première fois par un médecin allemand, Friedrich Hoffmann (1660-1742), au xviiie siècle ; elle a été différenciée de la rougeole et de la scarlatine par un autre médecin allemand, George de Maton, au xixe siècle. L’infection est généralement bénigne, de courte durée et passe souvent inaperçue. Ce serait sans importance s’il n’y avait pas des conséquences plus graves. Dans les années 1940, un médecin australien, Norman Gregg (1892-1966), a remarqué un rapport entre la rubéole chez les femmes enceintes et les malformations congénitales chez leurs enfants, généralement des anomalies cardiaques et oculaires, et une perte d’audition. Le virus de la rubéole présent dans le sang de la mère traverse le placenta et infecte le fœtus, endommageant ses organes en développement. La période à risque coïncide avec la formation des organes entre la 10e et la 16e semaine de grossesse. Le vaccin contre la rubéole est généralement administré en même temps que les vaccins contre la rougeole et les oreillons avec le vaccin trivalent ROR (acronyme pour les trois maladies rubéole, oreillons et rougeole), ce qui a pratiquement éliminé la rubéole congénitale dans les pays où la couverture vaccinale est élevée, mais cette affection reste un problème dans les pays en développement. Comme ces vaccins sont combinés, le plan d’élimination mondiale de la rubéole de l’OMS partage avec la rougeole l’objectif de 2030. 99
Les virus
Les oreillons sont également une maladie relativement bénigne, en particulier dans l’enfance, où elle peut, comme la rubéole, être asymptomatique. La vaccination est conseillée pour prévenir les complications graves que sont la méningite, l’encéphalite et l’orchite (inflammation des testicules). Cette dernière survient chez environ 30 % des hommes qui développent les oreillons après la puberté et est souvent bilatérale, ce qui peut entraîner une infertilité masculine. La varicelle est encore une maladie infantile courante au Royaume-Uni et l’une des infections virales aiguës de l’enfance les plus courantes dans le monde. Elle frappe régulièrement les crèches et les écoles, infectant presque tous les enfants sensibles. Cependant, un vaccin efficace existe, il est proposé à tous les enfants aux États-Unis, au Canada, en Australie et dans certains pays européens. D’autres pays, dont le Royaume-Uni, réservent le vaccin aux personnes présentant un risque d’infection grave en raison d’une immunité affaiblie ou d’autres conditions sous-jacentes. Bien que la varicelle se comporte comme une maladie infectieuse aiguë classique analogue à la rougeole, aux oreillons et à la rubéole, le virus – le varicelle-zona (VZV) de la famille des herpèsvirus – reste dans l’organisme toute la vie et peut refaire surface plus tard pour provoquer un zona. Ce virus est traité plus en détail, ainsi que d’autres virus persistants, au chapitre 7. La plupart des gens souffrent de deux ou trois rhumes par an, ce qui laisse penser que le système immunitaire, qui nous protège si bien contre une deuxième attaque de rougeole, d’oreillons ou de rubéole, est vaincu par le virus du rhume. Mais ce n’est pas tout à fait le cas. En réalité, il existe tellement de virus qui provoquent les symptômes typiques de nez bouché, maux de tête, malaises, maux de gorge, éternuements, toux et parfois fièvre, que 100
Transmission et éradication d’un virus
même si nous vivons 100 ans, nous ne les connaîtrons pas tous. Le virus du rhume, le rhinovirus, compte à lui seul plus de 100 types différents, et il existe de nombreux autres virus qui infectent les cellules tapissant le nez et la gorge et provoquent des symptômes similaires, souvent avec des variations subtiles. Par exemple, contrairement à la plupart des virus respiratoires qui se propagent mieux pendant les mois d’hiver, les virus Coxsackie provoquent souvent des rhumes d’été, et les écho- et adénovirus peuvent produire en plus des conjonctivites, rendant les yeux rouges et douloureux. Tous ces virus produisent des symptômes locaux qui durent trois à quatre jours, après une période d’incubation de deux ou trois jours, et ne nécessitent aucun traitement. Cependant, l’infection entraîne souvent une perte de temps au travail ou pendant les études, et comme ces infections sont très courantes, le coût économique mondial est énorme. Tout parent le sait, les jeunes enfants sont très sujets aux infections des voies respiratoires supérieures. Ils sont sensibles au grand nombre de virus respiratoires qui circulent dans la communauté à tout moment, y compris les virus du rhume mentionnés ci-dessus, dont beaucoup peuvent provoquer des maladies plus graves, en particulier chez les nourrissons. Une infection qui se propage aux bronches inférieures et provoque une bronchiolite, une pneumonie ou un croup (toux rauque chez les enfants) peut être alarmante et nécessiter un traitement hospitalier. Des virus tels que le parainfluenza et le virus respiratoire syncytial (VRS) sont particulièrement associés à ces problèmes chez les nourrissons, provoquant régulièrement des épidémies et un pic d’admissions dans les hôpitaux. En effet, dans le monde entier, les infections respiratoires aiguës, principalement virales, sont à l’origine d’environ 1,9 million de décès par an chez les enfants de moins de 5 ans. 101
Les virus
Toute personne qui affirme avec assurance avoir été en arrêt de travail pendant quelques jours à cause de la « grippe » a probablement souffert de l’un des nombreux virus responsables du rhume, car une véritable attaque de grippe causée par les virus de l’influenza A ou B est tout à fait différente (voir le chapitre 3). Bien que produisant des symptômes respiratoires similaires, la grippe a des effets sur le corps plus graves, avec des douleurs musculaires et une fièvre additionnelle, qui durent souvent sept jours. Même après la guérison, les personnes atteintes peuvent se sentir apathiques et déprimées pendant un certain temps, ce qui retarde d’autant leur retour au travail. Dans les climats tempérés, des épidémies de grippe A et B se produisent la plupart des hivers, avec une mortalité importante, principalement due à la pneumonie, chez les très jeunes, les très âgés et les personnes atteintes d’autres maladies invalidantes. En outre, la charge économique liée à la perte de travail et aux services de santé est suffisamment importante pour que les gouvernements encouragent la vaccination des personnes âgées et constituent des stocks d’agents antiviraux en prévision d’une épidémie ou d’une pandémie.
TRANSMISSION FÉCO-ORALE Les virus qui ciblent l’intestin sont tout aussi diversifiés que les virus respiratoires et, de la même manière, les centaines de types de virus intestinaux différents peuvent attaquer tout au long de la vie. Ces virus se propagent soit directement par les mains non ou mal lavées, soit par l’intermédiaire de l’eau potable, des aliments et des objets contaminés tels que les ustensiles et les draps de lit. Ils sont également très bien adaptés à notre corps et à notre mode de vie, ils survivent à l’environnement acide de l’estomac qui tue pourtant la plupart des autres « envahisseurs ». Ils 102
Transmission et éradication d’un virus
attaquent ensuite la paroi intestinale, tuent les cellules et stoppent ainsi la production d’enzymes digestives, empêchant l’absorption des liquides. Tout cela induit les symptômes désagréables de la gastro-entérite. Rotavirus et norovirus. Après une période d’incubation d’un à deux jours, les rotavirus et les norovirus provoquent l’apparition soudaine de crampes abdominales, de vomissements violents et d’une diarrhée liquide abondante, qui contamine efficacement l’environnement. Au cours de l’infection, ces virus produisent un grand nombre de descendants qui peuvent survivre pendant de longues périodes en dehors de l’organisme et infecter avec une très faible dose de virus, assurant ainsi leur propre survie. Les rotavirus sont une cause majeure de gastro-entérite dans le monde, qui touche particulièrement les enfants de moins de 5 ans. La maladie est de gravité variable mais dure généralement de quatre à sept jours, le principal problème étant la déshydratation. Avec jusqu’à cent milliards (1011) de particules virales dans chaque millilitre de fèces produit par un enfant infecté, et seulement 10 particules virales nécessaires pour transmettre l’infection, il n’est pas surprenant que les épidémies de rotavirus soient fréquentes et difficiles à contrôler. Avant l’introduction d’un vaccin contre les rotavirus en 2006, ceux-ci étaient à l’origine de millions de décès de nourrissons par an et dans le monde, principalement dans les pays en développement où les virus se propagent facilement et où des procédures de réhydratation d’urgence ne sont pas toujours mises en place. Aujourd’hui encore, le taux annuel de mortalité infantile dans le monde est d’environ 440 000. Lorsqu’ils circulent dans la communauté, les rotavirus, comme les virus de la grippe, subissent une dérive génétique, accumulant des mutations ponctuelles jusqu’à ce qu’ils soient suffisamment différents pour infecter les personnes 103
Les virus
déjà immunisées contre la souche virale mère. En outre, de nombreuses souches de rotavirus provoquent des gastro- entérites chez les jeunes animaux tels que les veaux, les porcelets, les agneaux, les poulains, les poulets et les lapins, qui peuvent servir de réservoirs de rotavirus. Comme les virus de la grippe, les rotavirus humains subissent de temps à autre une mutation génétique par ajustement génétique et mélange avec des rotavirus animaux. Cela peut produire une souche entièrement nouvelle, susceptible de provoquer une épidémie généralisée. Les norovirus sont la cause la plus courante de gastro-entérite virale, affectant à la fois les enfants et les adultes dans le monde entier. Ces virus sont responsables de plus de 650 millions de cas de gastro-entérite chaque année, dont environ 200 millions chez les enfants de moins de 5 ans. Ils provoquent environ 50 000 décès par an, principalement dans les pays en développement. Dans les pays développés, les norovirus provoquent des épidémies généralement centrées sur les maisons de retraite, les hôpitaux, les crèches, les campings et les écoles. La mémoire immunologique des norovirus (la capacité du système immunitaire à se « souvenir » d’une exposition antérieure) tend à être courte, et les infections répétées sont donc fréquentes. Les épidémies parmi les passagers et le personnel des navires de croisière font souvent la une des journaux, non seulement parce qu’elles gâchent les vacances de luxe des passagers, mais aussi parce qu’elles entraînent un manque à gagner important pour la compagnie de croisière, car les navires doivent souvent être retirés du service (en quarantaine) le temps d’identifier la source de l’épidémie et de désinfecter le navire. Le poliovirus est inhabituel en ce sens qu’il se propage par voie féco-orale, infectant l’intestin et étant excrété dans 104
Transmission et éradication d’un virus
les selles, mais il ne provoque une maladie clinique que s’il se propage à d’autres organes. Dans ce cas, la maladie peut s’avérer mortelle, mais seulement chez environ 1 personne infectée sur 1 000. Comme d’autres virus entériques, le poliovirus peut survivre tranquillement pendant de longues périodes dans l’eau courante et les eaux usées et, lorsque les normes d’hygiène sont faibles, il se propage rapidement chez les jeunes enfants. Les poliovirus se développent dans les cellules qui tapissent l’intestin et les glandes lymphatiques associées, sans produire de symptômes. Mais chez quelques malchanceux, le virus se loge dans le cerveau, provoquant une méningite (polio non paralytique), ou dans la moelle épinière, où il détruit les cellules nerveuses et paralyse les muscles correspondants (polio paralytique). Cette dernière peut entraîner un handicap grave et devenir mortelle dans environ 5 % des cas, principalement lorsque la paralysie touche les muscles respiratoires, entraînant une insuffisance respiratoire. Avant le xxe siècle, la polio ne constituait pas un problème. Les poliovirus circulaient librement dans les communautés et infectaient pratiquement toute la population pendant la petite enfance. Dans cette situation, le caractère silencieux de l’infection résultait probablement des anticorps maternels qui traversent le placenta in utero et protègent l’enfant des manifestations de la polio en empêchant la propagation virale en dehors de l’intestin. Cependant, avec l’amélioration des normes d’hygiène en Occident, les infections pendant l’enfance sont devenues moins fréquentes, souvent les mères n’avaient donc plus d’anticorps pour protéger leurs enfants. Le virus a alors provoqué de terrifiantes épidémies estivales, semblant frapper sans distinction des enfants en parfaite santé, au lieu de se propager de personne à personne. À cette époque, dans les pays en développement, 105
Les virus
l’infection silencieuse des enfants était la règle mais, à l’instar du modèle occidental, l’incidence de la poliomyélite a augmenté avec l’industrialisation de chaque nation. Le premier vaccin contre la polio a été autorisé dans les années 1960 et a eu un effet immédiat, réduisant le nombre de cas de polio aux États-Unis de 20 000 à environ 2 000 par an. Néanmoins, ce vaccin, basé sur le virus de la polio inactivé (IPV), devait être administré par injection et était assez peu puissant. Il a donc été remplacé au début des années 1960 par un vaccin vivant atténué, contenant une forme affaiblie et non pathogène du virus, qui pouvait être administré par voie orale (OPV), ce qui constituait un grand avantage, notamment pour les pays en développement. En outre, l’administration orale utilise la voie naturelle d’infection du virus de la polio sauvage, de sorte que la souche vaccinale vivante se réplique dans l’intestin et est excrétée dans les fèces. Il se propage donc dans la communauté, vaccinant efficacement les personnes qui n’ont pas reçu officiellement une dose de vaccin. Mais le virus du vaccin se développe dans l’organisme, il peut donc muter en une souche pathogène. Un tel vaccin muté provoque une poliomyélite paralytique dans environ un cas sur un million de vaccinations. L’Initiative mondiale pour l’éradication de la poliomyélite lancée par l’OMS en 1988 visait une couverture de plus de 80 % avec le vaccin oral pour obtenir une immunité collective. Cette initiative a permis d’éradiquer le virus sauvage, et l’incidence mondiale de la polio a diminué de 99 % en 2005. En 2016, il ne restait que quelques foyers d’infection, mais à mesure que l’incidence de l’infection par le virus sauvage diminuait, le risque relatif de poliomyélite causée par le virus mutant du vaccin augmentait, de sorte que la plupart des cas de poliomyélite paralytique ont finalement été causés par la souche vaccinale. De plus, avec cette souche circulant dans la 106
Transmission et éradication d’un virus
communauté, il était impossible d’éradiquer complètement le virus. Pour ces raisons, il a été décidé d’utiliser à nouveau le vaccin inactivé, dans le monde entier, afin de parvenir à une éradication complète. Malheureusement, en 2020, la pandémie de Covid-19 a interrompu le programme de vaccination, mais celui-ci a été repris aujourd’hui ; les quelques cas de polio sauvage restants sont actuellement limités au Pakistan et à l’Afghanistan.
INFECTIONS VIRALES NOSOCOMIALES De nombreux virus infectieux aigus se développent dans les hôpitaux et les maisons de retraite, provoquant des épidémies d’infections nosocomiales qui peuvent être suffisamment graves pour entraîner la fermeture de services. Malheureusement, dans la proximité étroite d’un service hospitalier, les patients sont des proies faciles pour les virus. Ceux-ci circulent dans la communauté et provoquent des infections silencieuses ou bénignes qui peuvent être dévastatrices pour les bébés prématurés, les personnes affaiblies par un cancer ou une maladie chronique, les personnes âgées et les personnes immunodéprimées. Le plus souvent, c’est un patient récemment admis qui est à l’origine de l’infection, mais il n’est pas rare que ce soit un membre du personnel en bonne santé qui ignore totalement qu’il propage un virus potentiellement mortel. Le norovirus, avec l’apparition soudaine de vomissements en jets, est particulièrement difficile à contrôler. Sa période d’incubation d’un à deux jours est trop courte pour permettre d’identifier la source à temps et d’éviter une propagation secondaire ; il est souvent à l’origine de la fermeture de services. Dans certaines épidémies, les hôpitaux peuvent même être responsables de l’amplification d’une infection, en la 107
Les virus
propageant à la communauté en dehors de l’hôpital avant que le problème ne soit identifié. C’est ce qui s’est produit avec le SARS à Hong Kong, lorsqu’un visiteur de l’hôpital a transporté le virus dans un lotissement privé, où il s’est propagé de manière incontrôlée (voir le chapitre 3). De même, avant qu’une épidémie de virus Ebola ne soit reconnue comme telle, l’infection est souvent transmise d’un patient hospitalisé à la communauté par le personnel ou les visiteurs (voir le chapitre 6). Récemment, la rougeole est devenue un problème en milieu hospitalier. En raison de la rareté de la rougeole dans les pays où la couverture vaccinale est élevée, les cas ne sont souvent pas diagnostiqués avant l’apparition de l’éruption cutanée ; à ce stade, le patient est infectieux depuis plusieurs jours. Désormais, la plupart des cas de rougeole dans les hôpitaux sont importés, principalement par du personnel non vacciné ou des patients qui reviennent de pays où la couverture vaccinale est faible, ou qui s’y sont rendus récemment. Dans un exemple récent, un homme s’est présenté au service des urgences d’un hôpital britannique : il se sentait globalement mal, avec une éruption cutanée. Il a été traité pour une réaction allergique et a été renvoyé chez lui. Le lendemain, il est revenu en ambulance avec de la fièvre, une toux et une conjonctivite ; il a été admis dans l’unité médicale des cas aigus. Quarante-huit heures plus tard, il a été transféré aux soins intensifs pour insuffisance respiratoire, où il a dû être placé sous ventilation artificielle. Ce n’est qu’alors que le diagnostic de pneumonie rougeoleuse a été posé et confirmé par des tests de laboratoire, et que des mesures de contrôle de l’infection ont été mises en œuvre. Cet incident a provoqué une épidémie de rougeole, avec sept autres cas parmi le personnel hospitalier et dans la communauté. 108
Transmission et éradication d’un virus
De la même manière, pendant les premières vagues de Covid-19 en 2020, les infections nosocomiales étaient courantes, atteignant jusqu’à 24 % de tous les patients hospitalisés pour le Covid-19. Quel que soit le virus, ces exemples soulignent le fait que des soins barrières stricts doivent être mis en œuvre immédiatement pour éviter la propagation à d’autres personnes, en particulier les personnes âgées et celles dont le système immunitaire est affaibli, chez qui les taux de mortalité sont élevés.
L’ÉLIMINATION MONDIALE DES VIRUS En 1966, lorsque l’OMS a annoncé la campagne mondiale d’éradication de la variole, le virus avait déjà été éliminé d’Europe et des États-Unis. Mais il était encore endémique dans 31 pays, donnant lieu à environ 10 millions de cas et 2 millions de décès par an. La campagne s’annonçait coûteuse, mais la maladie étant manifestement mortelle, même les pays qui avaient éliminé le virus vivaient dans la crainte que des cas importés ne provoquent une nouvelle épidémie. Ils étaient donc disposés à fournir des fonds pour la campagne d’éradication mondiale. Le succès de cette entreprise ambitieuse, très complexe et coûteuse dépendait essentiellement de caractéristiques spécifiques du virus de la variole, de la maladie elle-même et du vaccin. Premièrement, le virus n’a pas de foyer animal, il n’a infecté que les humains, provoquant une maladie aiguë sans persistance du virus chez les survivants. Ainsi, si le virus n’a nulle part où se cacher, l’interruption de sa chaîne d’infection devrait finalement conduire à son élimination. Deuxièmement, la maladie n’était pas infectieuse jusqu’à l’apparition des symptômes, qui étaient alors suffisamment graves pour maintenir le patient relativement isolé chez lui. La maladie elle-même était facile à diagnostiquer à partir des 109
Les virus
caractéristiques cliniques, en particulier l’éruption cutanée typique, et comme aucune infection silencieuse ne se produisait, pratiquement tous les cas pouvaient être identifiés et isolés. En outre, la période d’incubation d’environ deux semaines permettait de rechercher les contacts de chaque cas et de les isoler jusqu’à ce qu’ils soient considérés comme non infectieux. Enfin, le vaccin, qui était absolument essentiel au succès de la campagne, était sûr et très efficace. Le virus de la variole étant un virus ADN stable avec un seul type principal, il y avait peu de chances qu’il mute en une souche résistante au vaccin. Une préparation vaccinale qui restait active sous les climats tropicaux a été produite et distribuée dans les quatre dernières zones endémiques du monde : le Brésil, l’Indonésie, l’Afrique sub-saharienne et le sous-continent indien. L’objectif était d’augmenter la couverture vaccinale à plus de 80 %, le niveau critique pour l’immunité de groupe. Cela a si bien fonctionné qu’en dix ans, la transmission de la variole a été définitivement interrompue, l’Éthiopie étant le dernier pays endémique. L’éradication mondiale de la variole a été déclarée en 1980. Au cours des siècles, le virus de la peste bovine, rinderpest, a probablement été à l’origine de plus de pertes et de malheurs que tout autre virus. Le virus de la peste bovine est, comme nous l’avons noté précédemment, étroitement lié au virus de la rougeole, mais la maladie qu’il provoque est très différente. Le virus infecte les animaux à sabots fendus tels que les bœufs, les buffles, les yacks, les moutons, les chèvres, les porcs, les chameaux et plusieurs espèces sauvages comme l’hippopotame, la girafe et le phacochère. Il se propage généralement par contact direct, en entrant par la bouche, il se développe dans les glandes lymphatiques du nez et de la gorge, et produit un écoulement nasal. De là, l’infection 110
Transmission et éradication d’un virus
s’étend sur toute la longueur de l’intestin, provoquant de graves ulcérations. La peste bovine est classiquement décrite par les trois D en anglais : discharge (écoulements), diarrhoea (la diarrhée), et death (la mort), cette dernière étant causée par la perte de fluide avec déshydratation rapide. La maladie tue environ 90 % des animaux infectés. Historiquement, la peste bovine était un problème majeur en Europe et en Asie, principalement contrôlée par l’isolement ou l’abattage des animaux infectés, jusqu’à ce qu’un vaccin efficace soit développé en 1960. La maladie a alors pratiquement disparu dans la plupart des pays, mais elle est restée problématique en Afrique depuis son apparition à la fin du xixe siècle. En 1994, le programme mondial d’éradication de la peste bovine mis en place consistait à utiliser le vaccin pour débarrasser le monde du virus à l’horizon 2010. Ce programme a été couronné de succès, le dernier cas a été signalé au Kenya en 2003.La maladie a été officiellement déclarée éradiquée en 2010. Dans ce chapitre, nous avons examiné de nombreux virus à l’origine d’une morbidité et d’une mortalité importantes chez l’homme, dont plusieurs figurent sur la liste des virus à éliminer au niveau mondial. Dans le chapitre 7, nous allons examiner les infections virales qui, après la primo-infection, dorment dans l’organisme pendant toute la vie de l’hôte et qui seraient donc beaucoup plus difficiles à éliminer.
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7 Virus persistants Les virus livrent une bataille constante contre l’immunité de l’hôte. Pour la plupart d’entre eux, il n’existe qu’une petite « fenêtre de tir » pour se reproduire et s’enfuir avant d’être anéantis par le formidable éventail de défenses de l’hôte. Mais certains virus ont développé des stratégies pour surmonter ces mécanismes immunitaires et survivre dans leur hôte pendant des périodes prolongées, voire toute une vie. Bien que les mécanismes impliqués dans ces stratégies d’évasion soient très complexes et variés, ils se composent globalement de trois manœuvres de base ; trouver une niche dans laquelle se cacher des attaques immunitaires, manipuler les processus immunitaires au profit du virus et déjouer les défenses immunitaires en mutant rapidement. La plupart des virus persistants ont évolué de manière à provoquer des infections bénignes, voire asymptomatiques, car si une maladie mortelle serait préjudiciable à l’hôte, elle priverait également le virus de son foyer. En effet, certains virus ne provoquent apparemment aucun effet nocif et n’ont été découverts que par hasard. C’est le cas des mini-virus de type TTV-like (proches du TTV) , dont presque tous les humains, les primates non humains et une variété d’autres vertébrés sont porteurs, mais qui n’ont jusqu’à présent été 112
Virus persistants
associés à aucune maladie. Grâce aux techniques moléculaires modernes et très sensibles permettant d’identifier les virus non pathogènes, nous pouvons nous attendre à trouver davantage de ces passagers silencieux à l’avenir. La fréquence à laquelle les virus persistent dans leurs hôtes après la primo-infection est variable. Les herpèsvirus établissent presque toujours une relation à vie qui ne cause en général aucun dommage à l’hôte. Habituellement, les rétrovirus infectent aussi leurs hôtes à vie, mais ils peuvent, comme le VIH, provoquer une maladie chez ceux qu’ils infectent après une période de sommeil prolongée. D’autres virus persistants, comme le virus de l’hépatite B, luttent pour échapper à la réponse immunitaire, et de nombreux hôtes parviennent finalement à éliminer l’infection. En outre, il existe quelques virus qui sont généralement éliminés après une infection primaire mais qui, en de rares occasions, persistent dans l’organisme. Le virus de la rougeole, par exemple, pour des raisons inconnues, persiste après l’infection aiguë dans environ 1 cas sur 10 000, provoquant une maladie cérébrale mortelle appelée panencéphalite sclérosante subaiguë.
LA FAMILLE DES HERPÈSVIRUS Les herpèsvirus forment une famille ancienne dont l’ancêtre commun a probablement évolué au cours de la période dévonienne, il y a environ 400 millions d’années, lorsque des organismes marins sortaient tout juste des mers pour habiter la terre ferme. Ce faisant, ils ont rencontré une série de « nouveaux » microbes, parmi lesquels les virus primitifs de type phage, considérés comme les ancêtres des herpèsvirus actuels. Dès le début, les herpèsvirus ont évolué conjointement avec leurs hôtes, chaque partenaire exerçant une pression sélective sur l’autre jusqu’à ce qu’ils soient remarquablement 113
Les virus
adaptés à leur mode de vie respectif, ce qui leur permet de prospérer à long terme, généralement sans nuire à leurs hôtes. Au fur et à mesure que les espèces hôtes ont divergé, les herpèsvirus ont divergé également, de sorte qu’aujourd’hui, presque toutes les espèces de mammifères, d’oiseaux, de reptiles, d’amphibiens, de poissons, et même certains non-vertébrés, possèdent leur propre cocktail d’herpèsvirus. À ce jour, plus de 150 herpèsvirus différents ont été identifiés. Ce sont tous de grands virus à ADN enveloppés, codant entre 80 à 150 protéines. Ce sont des virus fragiles qui ne peuvent pas survivre longtemps de manière indépendante et qui ont donc tendance à se propager par contact étroit entre des hôtes infectieux sensibles. Sans exception, les herpèsvirus établissent une infection à vie, souvent appelée infection latente. Les virus survivent à l’intérieur des cellules de l’hôte dans un état dormant, leur production de protéines est stoppée, ils deviennent ainsi invisibles pour le système immunitaire de l’hôte. De temps en temps, au cours de la vie de l’hôte, cette infection latente se réactive pour produire de nouveaux virus, assurant ainsi que la génération suivante atteigne une population d’hôtes jeunes et sensibles et garantissant en même temps leur survie. Nous avons hérité de huit herpèsvirus humains de nos ancêtres primates. Chacun d’entre eux a donc un homologue chez les primates, avec lequel il est plus étroitement lié qu’avec les autres herpèsvirus humains. Ayant co-évolué avec nous, les herpèsvirus infectent toutes les populations humaines du monde, y compris les tribus amérindiennes les plus isolées. Il est probable que, dans le passé, les huit herpèsvirus humains étaient omniprésents, mais aujourd’hui leur prévalence varie, la hiérarchie reflétant peut-être leur succès dans la propagation entre hôtes dans le monde moderne. 114
Virus persistants
Les herpèsvirus humains peuvent se propager de différentes manières : ils peuvent être transmis directement de la mère à l’enfant dans le lait maternel (cytomégalovirus, CMV) ou se propager entre les membres de la famille et les contacts proches par la salive (herpès simplex virus -1 HSV-1, CMV, le virus d’Epstein-Barr EBV, les herpèsvirus humains -6 et -7 HHV-6 et -7, herpèsvirus du sarcome de Kaposi KSHV). Parmi ces virus, les HHV-6 et -7 sont les plus performants, infectant presque tout le monde à travers la planète. La prévalence de l’EBV, du HSV-1 et du CMV est également élevée, mais chacun d’eux a connu une décroissance récente dans les régions où les normes d’hygiène élevées tendent à bloquer leur transmission. Il est intéressant de noter que la prévalence du HSV-2 et du KSHV est beaucoup plus faible que celle des autres herpèsvirus humains et que leur répartition géographique est plus restreinte, puisqu’ils sont plus fréquents dans certaines régions d’Afrique. Ces virus reposent sur une transmission salivaire dans l’enfance (KSHV) et/ou une transmission sexuelle entre adultes. Les scientifiques supposent qu’ils sont les plus vulnérables aux récents changements de culture et de mode de vie et que, par conséquent, leur diffusion mondiale est la première à s’éroder de manière significative. Les ADN des HSV-1 et -2 sont identiques à 85 %, mais habituellement, le HSV-1 provoque des boutons de fièvre sur le visage alors que le HSV-2 provoque un herpès génital. Bien que cela soit encore généralement vrai, en réalité, les deux virus peuvent infecter la peau du visage et la zone génitale, et une minorité croissante de cas d’herpès génital est désormais causée par le HSV-1. Les HSV-1 et -2 pénètrent dans l’organisme par une coupure ou une éraflure et ciblent les cellules de la peau où ils se répliquent, tuant les cellules infectées à mesure que de 115
Les virus
nouveaux virus sont produits. La majorité des primo-infections par le HSV sont silencieuses, mais elles provoquent parfois une éruption de minuscules cloques dans et autour de la bouche ou dans la zone génitale, souvent douloureuse. Chaque vésicule contient des milliers de particules virales, nous voyons comme il est facile au virus de se propager à d’autres individus. L’infection cutanée par le HSV attire rapidement les cellules immunitaires et les lésions guérissent rapidement ; mais auparavant, certaines particules virales infectent silencieusement les terminaisons nerveuses de la peau, elles remontent les fibres nerveuses jusqu’au noyau de la cellule nerveuse où elles s’établissent pendant le temps de latence. Le HSV d’une infection faciale (principalement le HSV-1) devient latent dans les ganglions du trijumeau à la base du crâne, tandis que les virus des lésions génitales (principalement le HSV-2) se dirigent vers les ganglions sacrés le long de la colonne vertébrale inférieure. Comme les cellules nerveuses survivent pendant toute la durée de vie de l’hôte sans jamais se diviser, elles constituent un site idéal pour qu’un virus y dorme pendant un certain temps. Pour assurer sa survie à long terme, le virus doit tôt ou tard se réactiver et entamer un autre processus. Ainsi, de temps en temps, de nouveaux virus sont produits et se déplacent le long des fibres nerveuses ; ils sont excrétés dans la salive ou les sécrétions génitales. Cette réactivation peut être silencieuse ou se manifester par un bouton de fièvre sur le visage, classiquement sur ou près des lèvres, chez environ 40 % des personnes porteuses du HSV-1, et par un herpès génital chez environ 60 % des personnes porteuses du HSV-2. Les facteurs déclenchant la réactivation du HSV sont souvent assez clairs et reconnaissables : baisse de l’immunité due à des médicaments ou à une maladie, fièvre, augmentation du niveau d’ultraviolet 116
Virus persistants
(classiquement précipitée par un séjour au ski), règles ou stress ; pour autant, les mécanismes moléculaires impliqués ne sont pas compris. La varicelle, une infection aiguë très courante chez l’enfant, a été abordée dans le chapitre 6, mais le VZV étant un herpèsvirus, il établit une infection latente chez pratiquement toutes les personnes qu’il infecte. Comme les HSV, le VZV se cache dans les cellules nerveuses, mais l’éruption de la varicelle est répandue sur tout le corps, le virus peut donc se loger dans les ganglions rachidiens liés à l’un ou à tous les nerfs de la peau. Le VZV latent peut se réactiver et provoquer un zona à tout moment de la vie, mais cela est plus fréquent chez les personnes âgées. La réactivation se produit généralement dans une seule cellule nerveuse, provoquant l’éruption douloureuse typique du zona, constituée de minuscules cloques le long du nerf en question, le plus souvent sur le thorax, le cou ou la tête, où elle peut atteindre l’œil, provoquant des lésions cornéennes. Comme des virus infectieux sont excrétés par ces lésions, les personnes qui n’ont jamais eu la maladie auparavant peuvent attraper la varicelle par leur intermédiaire. Mais le zona ne se transmet pas à partir de cas de zona ou de varicelle, car il est le résultat de la réactivation de virus internes latents. Comme pour les HSV, les mécanismes moléculaires impliqués dans la réactivation du VZV sont inconnus ; cependant, la réactivation est plus fréquente chez les personnes immunodéprimées, celles qui ont subi une transplantation d’organe ou qui sont sous chimiothérapie. Dans tous ces groupes, l’éruption cutanée peut être grave, étendue et même représenter une menace vitale, mais plusieurs agents antiviraux, dont l’aciclovir, peuvent avoir un effet bénéfique. Autorisé dans les années 1970 l’aciclovir, a été le premier antiviral mis sur le marché et il est encore 117
Les virus
largement utilisé aujourd’hui. Le médicament agit en bloquant spécifiquement la réplication du virus. Alors que les HHV-6 et -7 ne causent aucun problème de santé important, le CMV, bien qu’infectant la plupart des gens de manière silencieuse, provoque occasionnellement une maladie de type fièvre glandulaire lors de la primo-infection. Mais surtout, le virus présent dans le sang d’une femme enceinte peut, en de rares occasions, traverser le placenta et infecter l’enfant à naître. Dans ce cas, il provoque la maladie des inclusions cytomégaliques chez environ 10 % des nourrissons affectés, induisant un large éventail de symptômes, notamment un retard de croissance, une surdité, des anomalies de la coagulation sanguine et une inflammation du foie, des poumons, du cœur et du cerveau. Le CMV établit une latence dans les cellules souches de la moelle osseuse qui se transforment en monocytes sanguins, cellules immunitaires qui circulent et arrivent à maturité en macrophages tissulaires. Ces cellules transportent le virus latent via le sang vers les tissus où la réactivation du virus est fréquente. Chez les hôtes sains, le système immunitaire fait face à ce phénomène sans causer de maladie, mais la réplication du CMV produit une pathologie importante chez les patients immunodéprimés ; il était responsable de la cécité, de diarrhées graves, de pneumonies et d’encéphalites chez de nombreuses personnes infectées par le VIH avant le développement d’antiviraux efficaces au début des années 1990. L’EBV et le KSHV sont tous deux des virus tumoraux et, à ce titre, sont traités dans le chapitre 8. Cependant, bien que le KSHV (également appelé HHV-8) ne semble causer aucun problème lors de la primo-infection, l’EBV peut provoquer une fièvre glandulaire, également appelée mononucléose infectieuse. L’EBV infecte généralement de manière silencieuse pendant l’enfance, un schéma qui était probablement 118
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omniprésent chez nos premiers ancêtres. Mais avec l’introduction de pratiques hygiéniques modernes dans le monde développé, l’infection peut être retardée jusqu’à l’adolescence ou le début de l’âge adulte. Dans ce cas, elle provoque une fièvre glandulaire dans environ 1 cas sur 4. Comme l’infection infantile est encore pratiquement omniprésente dans les pays en développement, et qu’elle est également très fréquente dans les groupes socio-économiques faibles des pays développés, la fièvre glandulaire est plus courante dans les groupes socio-économiques élevés des pays développés. Dans ces situations, elle est assez commune chez les élèves de l’enseignement supérieur et les étudiants universitaires. Selon une étude britannique, elle toucherait environ 1 étudiant universitaire sur 1 000 par an. L’EBV infecte et établit une latence dans les cellules B du sang, et peut-être parce que ces cellules font elles-mêmes partie du système immunitaire, l’infection engendre une réponse exagérée des lymphocytes T. En effet, les symptômes de la fièvre glandulaire, qui comprennent généralement des maux de gorge, de la fièvre, des glandes hypertrophiées dans le cou et de la fatigue, sont de nature immunopathologique, causés par une production massive de cytokines provenant de la réponse des cellules T, plutôt que directement par l’infection virale elle-même. Bien que la maladie disparaisse généralement en 10 à 14 jours, la fatigue peut persister jusqu’à six mois et perturber parfois gravement le mode de vie de la personne atteinte. Dans de rares cas, l’EBV provoque des tumeurs (voir le chapitre 8) et, fait intéressant, il semble que le virus joue également un rôle dans l’apparition de la sclérose en plaques (MS), maladie auto-immune. Cette maladie débilitante du système nerveux affecte généralement les jeunes adultes, et a été liée à une primo-infection EBV tardive puisque 119
Les virus
l’épidémiologie de la SEP et de la fièvre glandulaire associée à l’EBV sont similaires. Les deux maladies sont plus répandues dans les groupes socio-économiques élevés des pays riches, et la SEP est nettement plus fréquente chez les personnes ayant souffert de la fièvre glandulaire. Bien qu’il soit difficile d’établir un lien de causalité direct entre une maladie rare comme la SEP et un virus qui infecte plus de 80 % des adultes dans le monde, il est certain que la SEP ne survient pratiquement jamais chez un individu négatif pour l’EBV. Cependant, les preuves de la présence de l’ADN du virus dans la SEP font actuellement défaut.
LA FAMILLE DES RÉTROVIRUS Les rétrovirus infectent un large panel d’espèces animales, agissant souvent comme un passager silencieux, mais provoquant parfois une immunodéficience, une leucémie ou des tumeurs solides. Il existe plusieurs rétrovirus à l’origine de l’immunodéficience chez l’homme, qui ont tous été contracté auprès de primates. Comme nous l’avons vu dans le chapitre 3, les VIH humains, y compris le VIH-1 du groupe M, la souche pandémique du VIH, et les souches N, O et P du VIH-1, et le VIH-2, sont tous passés récemment des primates à l’homme en Afrique centrale, mais n’ont été isolés que dans les années 1980. Le VIH-2, découvert en 1986, n’est identique au VIH-1 qu’à 40 % et a une origine bien distincte, puisqu’il a été contracté à partir du singe vert mangabey fuligineux de l’Afrique de l’Ouest. Bien que ce virus se propage de la même manière, infecte les mêmes types de cellules que le VIH-1 et provoque le sida, il est moins infectieux que le VIH-1 et est resté localisé en Afrique occidentale. 120
Virus persistants
L’homme n’ayant contracté le VIH-1 que récemment, il n’a pas de résistance génétique au virus, de sorte que pratiquement toutes les infections non traitées finissent par entraîner la mort par le sida. Seuls quelques individus chanceux sont résistants à l’infection ; le mécanisme de cette résistance est abordé au chapitre 4. D’autres aspects du VIH-1 ont également été abordés précédemment : la biologie des rétrovirus et l’utilisation des récepteurs du VIH au chapitre 1, et l’origine du VIH chez les chimpanzés, le moment de son transfert à l’homme, sa propagation ultérieure et sa découverte finale au chapitre 4. Dans ce chapitre, nous nous concentrons sur les conséquences de l’infection par le VIH-1 et sur la pathogenèse du sida. Bien que le sida ait été décrit pour la première fois chez les homosexuels aux États-Unis, et que peu de temps après on ait constaté que les consommateurs de drogues injectables et les hémophiles étaient également à risque, dans le monde entier, le virus est principalement transmis par des rapports hétérosexuels. Le virus a envahi pratiquement tous les pays du monde, avec un impact écrasant dans les pays en développement : en 2021, plus de 37 millions de personnes ont été recensées comme vivant avec le VIH en Afrique subsaharienne. Mais même ces chiffres surprenants ne reflètent pas la tragédie des pays les plus touchés d’Afrique subsaharienne. La mort massive d’adultes, auparavant en bonne santé et productifs, a fait tomber l’espérance de vie en dessous de 40 ans dans les années 1990, ce qui a entraîné une récession économique et une grande pauvreté. L’espérance de vie n’est remontée à 54 ans en moyenne qu’une trentaine d’années plus tard. Le VIH infecte les cellules immunitaires portant le marqueur CD4, principalement les cellules T auxiliaires et les macrophages tissulaires. L’infection virale se produit par contact avec le sang ou les sécrétions génitales d’un 121
Les virus
porteur, généralement via une déchirure ou une brèche dans l’épithélium qui tapisse les voies génitales. À l’entrée, le virus cible d’abord les cellules de Langerhans, le sous-ensemble de macrophages qui circulent dans la peau et les surfaces épithéliales, y compris la muqueuse des voies génitales. Ces cellules transportent ensuite le virus vers les glandes lymphatiques locales, où des millions de lymphocytes T CD4 se rassemblent et arrêtent de circuler dans le sang. L’infection de ces cellules à longue durée de vie permet non seulement de disséminer le virus dans tout l’organisme, mais aussi de le faire persister, car le provirus s’intègre dans leur ADN. L’évolution clinique d’une infection par le VIH non traitée se divise naturellement en trois phases : la phase aiguë, la phase asymptomatique et la phase symptomatique ; cette dernière se manifestant par le sida (voir la figure 13). Les personnes infectées par le VIH présentent souvent une maladie primaire connue sous le nom de syndrome rétroviral aigu entre une et six semaines après l’infection. Il s’agit d’une maladie assez peu spécifique accompagnée de fièvre, de maux de gorge, de ganglions enflés, d’une éruption cutanée et de douleurs générales, qui dure généralement jusqu’à 14 jours et est suivie d’un rétablissement complet. Au départ, le virus se multiplie librement dans les cellules T CD4, en détruisant plus de 30 millions d’entre elles chaque jour. Les niveaux de virus dans le sang (appelés charge virale) atteignent un pic au cours des premières semaines, après quoi la réponse immunitaire entre en jeu, contrôlant mais n’éliminant pas complètement le virus. La charge virale diminue ensuite et, au bout de six mois, elle s’est généralement stabilisée à un « point de bascule », dont la hauteur dépend de la force de la réponse immunitaire. Ce point de bascule est très important pour prédire l’évolution de la maladie : plus il est élevé, plus l’évolution vers le sida est rapide. 122
Virus persistants
Infection primitive par le HIV
0
Asymptomatique
12 semaines
Symptomatique/sida
10 ans Temps écoulé depuis l’infection par le HIV
Charge virale
Niveau de lymphocytes CD4
Fig. 13 Énumération des CD4 et charge virale pendant les phases aiguë, symptomatiques et symptomatiques de l’infection par le VIH.
Chez une personne non traitée, la phase asymptomatique de l’infection par le VIH dure entre 6 et 15 ans, selon le seuil viral. Bien que pendant cette phase, les porteurs se portent généralement bien, le VIH poursuit sa lutte contre le système immunitaire, causant des dommages cumulatifs. Au début, le génome du VIH dans les cellules infectées est assez uniforme, mais plus il se réplique, plus il produit des mutants, dont certains peuvent échapper à la réponse immunitaire. Au fur et à mesure que ces mutants prospèrent, une « course aux armements » s’opère entre les cellules T et les anticorps du système immunitaire, d’une part, et une série de mutants du virus capables d’échapper à la réponse immunitaire, d’autre part. Les cellules T CD4 sont essentielles à la réponse immunitaire en constante évolution, mais le VIH se réplique dans ces cellules et les détruit à un rythme tel 123
Les virus
que l’organisme ne peut pas suivre. La chaîne de production des cellules CD4 finit par s’épuiser et leur nombre diminue. En l’absence de médicaments antiviraux pour contrôler la réplication du virus, la capacité de l’organisme à reconstituer les cellules CD4 finit par s’épuiser, et lorsque le niveau tombe en dessous du seuil critique de 200 cellules CD4 par millilitre de sang, l’immunité contre d’autres agents pathogènes s’affaiblit et ceux-ci peuvent alors envahir l’organisme. Le déclin de l’immunité et l’apparition rapide de la phase symptomatique de l’infection par le VIH, le sida, se manifestent souvent par une perte de poids, des sueurs nocturnes, des infections pulmonaires récurrentes, des lésions cutanées telles que des verrues, des ulcères buccaux et des infections telles que le muguet et les boutons de fièvre. Viennent ensuite les assauts constants d’une pléthore d’infections opportunistes, notamment la réactivation de microbes persistants comme le CMV, le HSV, le VZV et la tuberculose, ainsi que des tumeurs causées par le virus du papillome humain (voir le chapitre 8), le KSHV et l’EBV. L’une des caractéristiques du sida est l’infection par des microbes qui ne posent aucun problème aux personnes dont le système immunitaire est sain, par exemple la pneumonie causée par la tuberculose aviaire ou le champignon Pneumocystic jirovecii (anciennement P. carinii) ; ce dernier a constitué l’indice permettant d’identifierle sida comme une nouvelle maladie, en 1980. Les manifestations du système nerveux central sont également fréquentes avec le sida, car le VIH envahit le cerveau à un stade précoce de la maladie, infectant et tuant les cellules, provoquant des changements dégénératifs progressifs menant à l’encéphalopathie et à la démence associées au sida. En outre, le CMV et un autre virus très courant, persistant et généralement asymptomatique appelé JC (d’après les initiales du patient chez qui il a été isolé pour la première fois), peuvent 124
Virus persistants
provoquer une maladie dégénérative progressive du cerveau chez les personnes atteintes du sida. La mort causée par l’une de ces infections est inévitable, souvent en quelques mois. Toutes les tentatives pour produire un vaccin contre le VIH au cours des 30 dernières années ont échoué, probablement parce qu’il s’agit d’un virus à ARN persistant qui se cache dans les cellules et mute fréquemment. Si le défi de la fabrication d’un vaccin efficace se poursuit, heureusement, la thérapie antirétrovirale, introduite en 1996, a transformé le sombre tableau décrit plus haut. Il s’agit désormais d’une infection chronique traitable permettant une durée de vie normale, à condition que les médicaments antiviraux soient pris à vie. Comme indiqué au chapitre 1, le VIH code trois enzymes, la transcriptase inverse, l’intégrase et la protéase, chacune étant essentielle à l’infection et à la reproduction du virus. Les médicaments ciblant l’une de ces trois enzymes peuvent stopper la progression de la maladie, mais seulement de façon temporaire, jusqu’à ce que des mutants résistants du virus se développent. Mais lorsqu’ils sont combinés, ce que l’on appelle la thérapie antirétrovirale, ART, cela peut généralement contrôler l’infection à long terme, bien que cela n’élimine pas le virus de l’organisme. Pour les personnes qui suivent un traitement antirétroviral, il est essentiel de surveiller la charge virale dans le sang et les niveaux de cellules T CD4 pour détecter la progression de la maladie due à des mutants du virus, ce qui nécessite alors un changement immédiat de la combinaison de médicaments. S’inspirant des protocoles de prévention du paludisme, où l’aspect préventif et les traitements associés sont la norme, les personnes à haut risque d’infection par le VIH, comme les partenaires de personnes vivant avec le VIH, peuvent désormais se protéger en prenant des médicaments antirétroviraux. En outre, la prophylaxie post-exposition utilisée par les 125
Les virus
professionnels de la santé après une exposition accidentelle au VIH est une option après des rapports sexuels à haut risque, à l’instar de la pilule contraceptive du lendemain. Cependant, la plupart des transmissions du VIH ont lieu dans les quelques mois qui suivent la primo-infection, lorsque la charge virale est extrêmement élevée et que la plupart des personnes ignorent qu’elles sont infectées. Des programmes de dépistage plus efficaces des groupes à risque, y compris des tests en auto-exclusion, permettraient de détecter ces infections précoces et de les traiter rapidement. Toutes ces stratégies de traitement et de prévention constituent de grandes avancées dans la lutte contre le VIH, mais elles ne sont pas sans conséquences. En 2021, seuls environ 67 % des porteurs du VIH dans le monde avaient accès à ces médicaments, et les schémas thérapeutiques complexes et coûteux sont impossibles à administrer par les services de santé dans certains pays en voie de développement où les besoins sont importants. Dans ces régions, l’OMS recommande des programmes d’ART plus simples, avec des combinaisons à dose fixe bien tolérées, qui peuvent être administrées dans le cadre des soins primaires. Parallèlement, l’introduction récente d’une combinaison d’antiviraux à action prolongée, administrée par injection tous les deux mois, devrait également réduire ces difficultés. En ce qui concerne le contrôle de la propagation du VIH, l’OMS a fixé un objectif mondial de 95-95-95 d’ici 2025, visant à diagnostiquer 95 % des personnes porteuses du VIH, à traiter 95 % des cas et à obtenir une élimination du virus chez 95 % des personnes traitées,
VIRUS DE L’HÉPATITE L’hépatite, c’est-à-dire l’inflammation du foie, peut être causée par divers virus ainsi que par des produits chimiques 126
Virus persistants
toxiques comme l’alcool et le paracétamol. Le foie est un organe énorme qui dispose d’une grande capacité de réserve, de sorte qu’une inflammation légère passe souvent inaperçue. La principale indication d’une atteinte plus grave est la décoloration jaune de la peau, appelée jaunisse, souvent plus visible dans le blanc des yeux. Plusieurs virus, dont l’EBV et le HSV, peuvent provoquer une hépatite dans le cadre d’une infection généralisée, mais pour d’autres, le foie est leur principal site de réplication, ce qui explique qu’ils soient regroupés sous le nom de « virus de l’hépatite », bien qu’ils appartiennent à des familles de virus très différentes. À ce jour, cinq virus de l’hépatite humaine ont été découverts et nommés A, B, C, D et E. À l’exception du VHD, tous ces virus infectent silencieusement ou produisent une hépatite clinique dont la gravité varie de légère et autolimitative à fulminante, c’est-à-dire une insuffisance hépatique aiguë qui est généralement fatale, à moins qu’une transplantation de foie puisse être effectuée en urgence. Les virus de l’hépatite A et E se propagent par la voie fécoorale, provoquant des épidémies de « jaunisse infectieuse », et là où les normes d’hygiène sont faibles, la plupart des enfants sont infectés à un âge précoce. Bien que la maladie puisse se prolonger, la guérison est la règle et les virus ne persistent pas par la suite. En revanche, les virus de l’hépatite B et C peuvent persister après une primo-infection, ce qui peut entraîner une hépatite chronique, une cirrhose (lésions et scarifications du foie) et un cancer du foie. Le virus de l’hépatite D (VHD), également connu sous le nom de virus delta, est unique parmi les virus humains car il est défectueux et nécessite l’aide du VHB pour sa transmission. Plus précisément, les particules du VHD sont constituées d’un génome d’ARN entouré de sa propre enveloppe protéique, mais enveloppé dans l’antigène de surface du VHB qui lui 127
Les virus
sert de récepteur pour entrer et sortir des cellules du foie. Ce virus ne peut donc se répliquer que dans les cellules déjà infectées par le VHB et fabriquant l’antigène de surface du VHB. Le VHD peut être transmis en même temps que le VHB ou infecter un porteur du VHB. Dans les deux cas, il tend à aggraver l’infection en augmentant les lésions hépatiques et en accélérant l’apparition d’une maladie chronique du foie. Avant la découverte fortuite du VHB en 1964, la transfusion sanguine était une procédure dangereuse. L’hépatite post-transfusionnelle, qui se développait entre un et quatre mois après la transfusion, était une complication courante et grave, mais une fois que ce nouveau virus a été identifié comme étant la cause du problème, le dépistage des donneurs est devenu la norme et, par conséquent, la transfusion est devenue une procédure beaucoup plus sûre. Le VHB est extrêmement infectieux et les porteurs ont des charges virales élevées dans le sang et les liquides organiques. Le virus se propage par contact étroit, notamment, de la mère à l’enfant, lors des rapports sexuels, par la contamination sanguine des instruments médicaux, des forets dentaires et des aiguilles utilisées pour les injections. En outre, les ustensiles ménagers tels que les rasoirs et les brosses à dents peuvent transmettre le virus, tout comme les tatouages, les piercings et l’acupuncture. Les toxicomanes sont particulièrement exposés au risque d’infection par des injections intraveineuses, ainsi que les homosexuels. Environ 350 millions de personnes dans le monde sont porteuses du VHB, et plus encore présentent des signes d’une infection passée. La prévalence varie géographiquement, l’Asie du Sud-Est et l’Afrique subsaharienne présentent les taux les plus élevés. Comme les autres infections par le virus de l’hépatite, la primo-infection par le VHB est généralement silencieuse, et 128
Virus persistants
la plupart des adultes en bonne santé éliminent le virus en six mois. Seuls 1 à 5 % des cas chez l’adulte entraînent une persistance à vie, ce qui peut provoquer des lésions hépatiques, une cirrhose et/ou un cancer plus tard au cours de leur vie. La plupart des infections persistantes sont le résultat d’une infection précoce, notamment lorsque le virus est transmis par une mère, infectée de manière persistante, à son enfant au moment de la naissance. En raison de l’immaturité du système immunitaire, plus de 90 % de ces cas périnataux deviennent persistants s’ils ne reçoivent pas un traitement rapide à la naissance. Avec plus de 10 millions de copies d’ADN par millilitre de sang, la propagation à d’autres enfants est un phénomène courant. Les niveaux d’infection par le VHB ont chuté à la suite du dépistage du sang et des produits sanguins, et le vaccin introduit en 1982 a permis de rompre le cycle de transmission de la mère à l’enfant dans les pays où cette voie de transmission était la plus importante. Cependant, le VHB reste un problème majeur dans le monde entier car environ 10 % des personnes ne répondent pas au vaccin et de nombreux porteurs ne reçoivent pas de traitement précoce, car ils ne sont pas conscients de leur infection jusqu’à ce qu’ils développent des conséquences fatales. Le premier médicament efficace contre le VHB a été la cytokine interféron-α, qui a des effets à la fois immunostimulants et antiviraux. Cependant, le traitement implique une longue série d’injections avec des effets secondaires désagréables, principalement des symptômes grippaux, ce qui amène de nombreux patients à abandonner le traitement sans le terminer. Récemment, des médicaments antiviraux qui stoppent la réplication du VHB et empêchent ou ralentissent ainsi la progression de la maladie ont été introduits, 129
Les virus
mais ces médicaments n’éliminent pas complètement le virus de l’organisme. Avec ce contrôle efficace du virus, le dépistage est justifié pour toutes les personnes appartenant à des groupes à risque. Cela permettrait d’identifier et de traiter rapidement les porteurs et de prévenir par la vaccination les personnes non infectées. Le virus de l’hépatite C se propage principalement par contamination sanguine. Dans les années 1970, les tests de routine sur le sang des donneurs ont exclu l’utilisation de la plupart des unités infectées par le VHB ; le VHC est alors devenu la cause la plus courante d’hépatite virale après une transfusion sanguine. Mais après sa découverte en 1989, lorsque le sang et les produits sanguins ont été soumis à un dépistage du VHC, la voie de transmission la plus courante est devenue le partage de seringues par les toxicomanes. Environ 10 % des mères porteuses transmettent le virus à leur nouveau-né, et les pratiques sexuelles risquent d’entraîner une infection si elles impliquent une exposition au sang. Le VHC infecte actuellement environ 58 millions de personnes dans le monde, avec environ 1,5 million de nouvelles infections par an. L’infection se produit dans le monde entier mais présente des variations géographiques marquées, avec 1 à 2 % de la population infectée aux États-Unis, en Europe du Nord et en Australie, et des taux allant jusqu’à 5 % en Europe centrale et méridionale, au Japon et dans certaines régions du Moyen-Orient. Environ un quart seulement des personnes atteintes d’une primo-infection par le VHC développent une hépatite, dont les symptômes comprennent de la fièvre, des nausées et des vomissements, des douleurs abdominales, une urine de couleur foncée, des selles de couleur pâle et une jaunisse. Mais qu’ils soient symptomatiques ou non, environ 80 % des cas de VHC aigus évoluent vers une phase chronique. 130
Virus persistants
On ne sait pas si les lésions hépatiques causées par l’infection par le VHC sont directement dues à la réplication du virus dans les cellules du foie ou à l’immunopathologie, mais quel que soit le mécanisme, on observe des signes de lésions hépatiques permanentes chez tous les porteurs chroniques du VHC (dont beaucoup ne sont pas conscients de l’infection), qui évoluent vers une hépatite chronique active et/ou une cirrhose dans 10 à 20 % des cas. Le VHC a de nombreux moyens d’esquiver l’immunité de l’organisme. En tant que virus à ARN, comme le VIH, le VHC mute rapidement, ce qui, combiné à son taux de réplication extrêmement élevé, génère toute une série de variantes génétiques mineures, appelées quasi-espèces, chez un seul individu. Certains de ces variants parviennent à échapper aux cellules T du système immunitaire et aux anticorps générés spécifiquement pour combattre le virus, et ces mutants prospèrent jusqu’à ce que la réponse immunitaire les rattrape. Ensuite, un autre variant viral s’imposera, et cette évolution induite par le système immunitaire continuera à déjouer l’immunité de l’hôte à l’infini. De plus, le VHC échappe à l’immunité de l’hôte en bloquant les mécanismes antiviraux à l’intérieur des cellules infectées, empêchant la production de cytokines, comme l’interféron, qui pourraient autrement freiner sa propagation dans le foie. Le virus induit également une activité des cellules T régulatrices qui diminuent la réponse immunitaire anti-VHC. Pour toutes ces raisons, aucun vaccin pour prévenir l’infection par le VHC n’a été mis au point, mais les récentes avancées en matière de traitement médicamenteux ont permis de traiter l’infection et même d’éradiquer le virus dans la majorité des cas. Les virus persistants sont des parasites bien adaptés dont le mode de vie est intimement lié à celui de leur hôte. La 131
Les virus
plupart maintiennent une présence bénigne pendant toute la vie de l’hôte, mais dans quelques cas, l’équilibre est rompu et la maladie, y compris le cancer, s’installe. Dans le chapitre 8, nous examinerons les mécanismes qui sous-tendent le d éveloppement du cancer associé aux virus.
132
8 Virus tumoraux L’histoire de la virologie des tumeurs a véritablement commencé en 1911, lorsque le scientifique américain Peyton Rous a transplanté un extrait d’une tumeur d’un poulet porteur à d’autres poulets sains. Cette découverte indiquait qu’un « agent filtrable » est impliqué dans le développement des tumeurs, mais elle est antérieure à l’identification et à la caractérisation des virus. Il a donc fallu un certain temps avant que cette découverte soit prise au sérieux, et Rous a dû attendre plus de 50 ans avant de recevoir le prix Nobel pour la découverte de ce qui a été baptisé le « virus du sarcome de Rous ». Dans l’intervalle, d’autres virologues spécialisés dans les tumeurs ont commencé à découvrir les mécanismes moléculaires complexes impliqués dans le développement des tumeurs. En utilisant une combinaison de souches d’animaux de laboratoire sensibles aux tumeurs et de techniques de culture cellulaire, ils ont identifié des gènes viraux spécifiques, capables de convertir ou de transformer dans une boîte de culture des cellules normales en cellules tumorales, ils ont aussi pu les inciter à former des tumeurs chez les animaux de laboratoire. Ces gènes sont appelés oncogènes viraux et la compréhension des différentes façons dont ils 133
Les virus
transforment les cellules a contribué à la découverte des mécanismes moléculaires impliqués dans le développement du cancer en général. Il est important de noter que la découverte, dans les années 1980, que les oncogènes viraux ont des équivalents dans le génome cellulaire normal (appelés proto-oncogènes) a permis de comprendre que, dans un passé lointain, ces VIH ont dû prélever, ou transduire, leurs oncogènes à partir des cellules qu’ils infectent. Les cellules saines sont soumises à de nombreux contrôles et équilibres chimiques complexes qui garantissent qu’elles ne croissent et ne se divisent, ne vieillissent et ne meurent qu’au moment opportun. Il n’est donc pas surprenant que le développement d’une cellule cancéreuse implique des mutations qui altèrent la fonction des gènes qui régulent ces contrôles cellulaires vitaux. L’augmentation de l’action des gènes qui favorisent la prolifération cellulaire (appelés oncogènes cellulaires, y compris les proto-oncogènes que certains virus tumoraux ont repris) et la diminution de la fonction des gènes qui inhibent la division cellulaire ou induisent la mort cellulaire (appelés gènes suppresseurs de tumeurs) auront pour effet de libérer la cellule des contraintes normales au profit d’une prolifération incontrôlée. Cependant, l’apparition d’un cancer n’est pas un processus brutal résultant d’un événement cellulaire unique, mais un long parcours au cours duquel la cellule subit une série de « chocs » qui induisent des mutations et finissent par la transformer en cellule cancéreuse. L’un de ces chocs peut être l’exposition au tabac, aux rayons UV ou à l’amiante. Maintenant que l’ensemble du génome humain a été séquencé, les scientifiques ont catalogué les mutations des cellules cancéreuses et ont découvert qu’il y en avait des milliers. L’infection par un virus peut être l’une des attaques cellulaires induisant un cancer, mais il en faut beaucoup d’autres 134
Virus tumoraux
pour produire une cellule cancéreuse, il est donc rare qu’une tumeur résulte d’une infection par un virus dit « tumoral ».
VIRUS TUMORAUX HUMAINS Il est très difficile d’apporter une preuve irréfutable de l’origine virale d’un cancer humain, ou même d’établir les critères qui permettraient d’étayer cette association. En effet, chaque virus utilise un mécanisme différent et le développement d’une tumeur fait souvent intervenir des cofacteurs ayant leurs propres caractéristiques. Cependant, en général, les critères suivants devraient s’appliquer : • la distribution géographique du virus coïncide avec celle de la tumeur ; • l’incidence de l’infection virale est plus élevé chez les sujets porteurs de tumeurs que chez les sujets sains ; • l’infection virale précède le développement de la tumeur ; • l’incidence de la tumeur est réduite par la prévention de l’infection virale ; • l’incidence de la tumeur est augmentée chez les personnes immunodéprimées. Pour une suspicion de virus tumoral : • le génome viral est présent dans la tumeur mais pas dans les cellules normales ; • le virus peut transformer les cellules (induire une croissance incontrôlée) dans un système de culture ; • le virus peut induire des tumeurs chez les animaux de laboratoire. Jusqu’à présent, tous les virus de tumeurs humaines découverts sont des virus persistants qui réussissent à échapper à l’attaque immunitaire de leurs hôtes et restent dans le corps à long terme. Il s’agit d’une position plutôt 135
Les virus
confortable pour un virus, et il est difficile de voir pourquoi il devrait développer des propriétés tumorigènes puisque tuer son hôte n’est pas un avantage pour sa survie. Mais maintenant que les mécanismes impliqués dans l’oncogenèse virale sont au moins partiellement compris, il est clair que la transformation cellulaire résulte généralement d’une mauvaise utilisation des fonctions vitales pour la survie du virus et qu’elle implique généralement un certain nombre de cofacteurs. Les exceptions à cette règle sont les membres oncogènes de la famille des rétrovirus qui portent des oncogènes agissant directement pour transformer une cellule.
LES RÉTROVIRUS ONCOGÈNES Bien que la plupart des virus tumoraux humains connus aujourd’hui soient des virus à ADN persistant, les premiers virus tumoraux animaux découverts, dont le virus du sarcome de Rous, étaient pour la plupart des rétrovirus, qui ont un génome à ARN. Fait unique, lorsque ces virus infectent une cellule, ils produisent une copie ADN de leur génome ARN, un provirus, qui s’insère dans le génome cellulaire et se réplique ensuite avec l’ADN cellulaire (voir le chapitre 1). Non seulement cet exploit remarquable protège le virus de l’attaque immunitaire et assure sa survie pendant toute la durée de vie de la cellule, mais il lui permet également de reprogrammer l’expression génétique de la cellule, influençant ainsi ses mécanismes de contrôle de la croissance. Le seul rétrovirus oncogène humain identifié à ce jour est le virus lymphotrope des cellules T humaines (HTLV), qui appartient à un groupe de grands rétrovirus comprenant également les virus de la leucémie simienne et bovine. Ces trois virus ne contiennent pas de gènes transmis par leurs hôtes, mais ont 136
Virus tumoraux
une région particulière dans le génome, appelée pX. Celle-ci contient des gènes ayant diverses fonctions, dont la transformation cellulaire. Cependant, ces trois virus ne provoquent que rarement des tumeurs, et seulement plusieurs années après l’infection initiale. Cela suggère que l’infection ne suffit pas à elle seule et que certaines mutations cellulaires encore inconnues doivent jouer un rôle dans la progression de la tumeur. Le HTLV-1 infecte environ 10 millions de personnes dans des zones géographiques distinctes dans le monde entier. Il a été isolé pour la première fois en 1980 par Robert Gallo et son équipe à Baltimore, aux États-Unis, au cours d’une recherche intensive sur les rétrovirus tumoraux humains. Ces scientifiques ont utilisé le facteur de croissance des cellules T récemment identifié, l’interleukine-2, pour cultiver pour la première fois des cellules T leucémiques et ont combiné cette méthode avec de nouveaux tests pour la transcriptase inverse (TI), l’une des enzymes produites par les rétrovirus en réplication. Ils ont trouvé une culture de cellules leucémiques d’un seul patient qui produisait la RT et ont finalement isolé le HTLV-1 des cellules de ce patient. L’infection par le HTLV-1 est plus fréquente au Japon, où elle tend à provoquer chez les adultes un lymphome à cellules T (ATL) plutôt qu’une leucémie. Au total, environ 1,2 million de personnes sont infectées au Japon, l’incidence atteignant jusqu’à 15 % dans la région du sud-ouest. Les autres zones de forte incidence du HTLV-1 incluent l’Afrique subsaharienne, les Caraïbes et certaines régions d’Amérique du Sud, le Moyen-Orient et la Mélanésie (voir la figure 14). On ne sait pas exactement comment le virus a atteint ces populations disparates. Cependant, des études moléculaires montrent que les plus proches parents du HTLV-1 font partie des rétrovirus simiens portés par plusieurs espèces de singes de l’Ancien Monde en Afrique et en Asie, et apportent 137
Les virus
les preuves de plusieurs transmissions passées du virus de ces animaux à l’homme. Les virus qui ont prospéré dans leur nouvel hôte ont probablement été disséminés par les anciennes migrations humaines.
45 % 35 % 25 % 15 % 10 % 5% 2%
Fig. 14 Carte des zones de haute incidence des tumeurs associés à des virus. Proportion de cancers imputables à des infections virales, 2012.
Le HTLV-1 infecte principalement les cellules T du sang et se propage par trois voies principales : de la mère à l’enfant, par les rapports sexuels et par contact sanguin ; ce dernier notamment se fait par la transfusion de sang et de produits sanguins cellulaires et par le partage de seringues entre toxicomanes. Au Japon, la transmission de la mère à l’enfant est la voie la plus courante, principalement par l’allaitement, où 25 % des bébés de mères porteuses du virus sont infectés. Le HTLV-1 persiste à vie dans les cellules T du sang, mais l’infection est généralement inoffensive. Cependant, entre 2 et 6 % des cas évoluent vers un ATL ou un lymphome, deux maladies généralement agressives, difficiles à traiter et rapidement mortelles. L’ATL est une maladie de l’adulte, mais presque tous les patients qui en souffrent ont acquis le virus de leur mère dans leur enfance, ce qui indique que la maladie nécessite une 138
Virus tumoraux
longue période d’incubation. Cela suggère que l’infection par le HTLV-1 n’est que l’un des éléments d’une série d’événements cellulaires qui conduisent à l’ATL. Des études ont identifié le gène « tax » du HTLV-1 comme étant le principal gène transformateur. Ce gène code la protéine « tax » qui a une multitude de fonctions, notamment celle de stimuler la prolifération cellulaire, de réduire la mort cellulaire et d’augmenter la réplication du virus. Une fonction particulièrement importante est la production d’une boucle de croissance auto-stimulatrice qui amène la cellule infectée à produire le facteur de croissance des lymphocytes T, l’interleukine-2. En même temps, il régule à la hausse l’expression du récepteur du facteur de croissance des lymphocytes T à la surface de la cellule. Toutes ces fonctions favorisent la survie du virus en augmentant le nombre de cellules infectées dans l’organisme et en augmentant également les chances que des mutations aléatoires se produisent dans les cellules infectées. Il n’existe pas de traitement très efficace contre l’ATL, ni de vaccin contre le HTLV-1 qui permettrait de prévenir l’infection. Cependant, dans la plupart des pays, le sang destiné aux transfusions est systématiquement soumis à un dépistage du HTLV-1, ce qui bloque cette voie de propagation. En outre, la plupart des transmissions de la mère à l’enfant peuvent être évitées par un test prénatal et en conseillant aux mères HTLV-positives de ne pas allaiter. Ce test est en place au Japon, mais son effet sur l’incidence de l’ATL ne sera pas effectif avant plusieurs décennies.
LES HERPÈSVIRUS ONCOGÉNIQUES Les deux herpèsvirus humains oncogènes, le virus d’Epstein-Barr (EBV) et l’herpèsvirus associé au sarcome de Kaposi (KSHV), se propagent tous les deux par contact étroit, 139
Les virus
principalement par contact salivaire pendant l’enfance. Chez les adultes, le KSHV se propage par voie sexuelle, notamment entre partenaires homosexuels masculins. Ces virus établissent une latence dans les cellules B du sang et l’EBV se réplique également dans les cellules épithéliales tapissant les muqueuses, tandis que le KSHV se développe dans les cellules endothéliales tapissant les vaisseaux sanguins. Par rapport à d’autres virus, les herpèsvirus sont de grande taille, codant 80 à 150 gènes, et l’EBV et le KSHV portent tous deux leur propre ensemble de gènes latents qui induisent la prolifération cellulaire. On pense que l’expression de ces gènes aide le virus à établir une infection persistante dans l’organisme. Certains de ces gènes latents sont des oncogènes viraux, mais contrairement aux rétrovirus qui ont transduit leurs oncogènes à partir du génome de leur hôte, ceux-ci sont propres au virus. L’EBV et le KSHV provoquent tous deux des tumeurs qui sont géographiquement limitées, ce qui suggère l’implication de cofacteurs locaux. Les personnes dont le système immunitaire est supprimé risquent également de développer des tumeurs causées par ces virus, car elles sont incapables de contrôler l’infection virale latente. L’EBV a été découvert en 1964 après que le virologue londonien Anthony Epstein a passé deux ans à chercher un virus dans du matériel de biopsie provenant d’un lymphome de Burkitt (BL). Le BL, la tumeur infantile la plus courante en Afrique centrale, a été décrit pour la première fois par un chirurgien britannique, Denis Burkitt, en 1958, alors qu’il travaillait en Ouganda. Cette tumeur, composée de cellules B, touche principalement les enfants âgés de 7 à 14 ans et est plus courante chez les garçons. La présentation clinique est frappante, avec des gonflements des tissus à croissance rapide, le plus souvent autour de la mâchoire, et elle est rapidement mortelle si elle n’est pas traitée. 140
Virus tumoraux
Burkitt a délimité la géographie de la tumeur aux zones de basse altitude de l’Afrique équatoriale où les précipitations dépassent 55 cm par an et où la température ne descend pas en dessous de 16 °C (voir la figure 15). En raison de cette restriction géographique stricte, Epstein a proposé une cause infectieuse pour la tumeur et a commencé ses recherches. Lui et son étudiante diplômée, Yvonne Barr, ont fini par isoler le nouvel herpèsvirus, qui porte désormais leur nom, à partir de cellules BL cultivées. Mais il est vite apparu qu’il s’agissait d’un virus ubiquitaire, ce qui rendait difficile de prouver qu’il était à l’origine d’une tumeur limitée aux enfants d’Afrique centrale. Lymphome de Burkitt : données provenant de 35 registres du cancer en Afrique subsaharienne
Taux d’incidence (pour 100 000)
1-20 1-00 0-80 0-60 0-40 0-20 0-00
0-4
5-9
10-14
15-19
20-24
Tranche d’âge Mâle
Femelle
Fig. 15 Graphique de l’incidence du lymphome de Burkitt en Afrique, en fonction de l’âge
141
Les virus
Nous savons maintenant que le BL est également fréquent dans les régions côtières de Papouasie-Nouvelle-Guinée et qu’environ 97 % de toutes les tumeurs BL tropicales contiennent l’EBV. Le BL est également peu fréquent dans les régions tempérées, où seulement 25 % des tumeurs sont associées à l’EBV. Il est surprenant de constater que les oncogènes viraux ne sont pas exprimés dans les cellules BL, de sorte que le rôle de l’EBV dans la transformation cellulaire n’est pas clair. En revanche, une anomalie génétique cellulaire est présente dans toutes les cellules tumorales de BL, qu’elles soient associées ou non à l’EBV. Il s’agit d’une translocation chromosomique qui déplace un oncogène cellulaire appelé c-myc de son emplacement normal sur le chromosome 8 vers un autre emplacement. Ce faisant, l’oncogène est dérégulé, c’est-à-dire que le contrôle de son expression est perdu, ce qui entraîne une prolifération cellulaire incontrôlée, étape manifestement importante dans le développement des tumeurs. Les conditions climatiques locales du BL en Afrique, telles que définies par Burkitt, s’appliquent également en Nouvelle-Guinée et reflètent celles de l’infection palustre tout au long de l’année. Pour le paludisme, ces conditions sont déterminées par les exigences de reproduction de son vecteur, le moustique. L’EBV n’est pas propagé par les moustiques, mais il semble que le paludisme soit un facteur de risque supplémentaire pour le développement du BL, peut-être parce que l’inflammation chronique associée favorise la survie et la prolifération des cellules B infectées par l’EBV. Cependant, nous ne savons toujours pas exactement comment l’infection palustre, la dérégulation du gène c-myc et l’infection par l’EBV interagissent pour favoriser le développement de la tumeur. La situation est beaucoup plus claire pour les tumeurs associées à l’EBV qui surviennent chez des personnes dont 142
Virus tumoraux
l’immunité est supprimée, soit en raison d’un défaut immunitaire congénital soit par des médicaments immunosuppresseurs. La suppression de l’immunité des lymphocytes T en particulier permet aux cellules infectées par l’EBV exprimant des oncogènes viraux de survivre et de proliférer, et de provoquer parfois une tumeur. Cela semble une forme très directe de production de tumeurs, mais le fait que seule une minorité de personnes immunodéprimées développent des tumeurs suggère que des facteurs supplémentaires, très probablement des mutations cellulaires, sont nécessaires à la croissance des tumeurs. En 1973, l’EBV a été identifié dans le carcinome nasopharyngé, une tumeur des voies nasales. Il s’agit d’une tumeur rare dans le monde mais très fréquente dans le sud-est de la Chine, à Taïwan et à Hong Kong, où l’incidence atteint 40 pour 100 000 par an. Le lien entre l’EBV et la tumeur est pratiquement de 100 %, et bien que la raison de sa limitation géographique ne soit pas connue, on soupçonne qu’un composant alimentaire local puisse agir comme cofacteur dans la croissance de la tumeur. L’EBV est également présent dans environ 10 à 20 % des cancers de l’estomac et dans 50 % des cas de lymphome de Hodgkin, en particulier chez les enfants des pays en développement, chez les personnes séropositives et chez les personnes âgées. Le KSHV a été découvert en 1994 par Yuang Chan et Patrick Moore à Pittsburgh, aux États-Unis, après une recherche motivée par l’épidémie de sarcome de Kaposi (KS) chez les personnes infectées par le VIH. Le sarcome de Kaposi se présente sous trois formes ; la première étant la forme « classique » décrite par le dermatologue austro-hongrois Moritz Kaposi en 1872, qui se caractérise par de multiples taches brun rougeâtre sur la peau d’hommes âgés, d’origine 143
Les virus
méditerranéenne, est-européenne ou juive. Il se développe lentement et n’envahit que rarement les organes internes. Le deuxième type est la forme « endémique » du KS, que l’on trouve en Afrique de l’Est et qui est similaire à la forme classique, mais dans laquelle l’invasion des organes internes est plus fréquente. Le troisième type de KS est « associé au sida » et a connu une épidémie chez les homosexuels occidentaux dans les années 1980 et 1990. Mais si son incidence y a diminué suite à l’introduction de la thérapie rétrovirale contre le VIH, il reste fréquent en Afrique sub-saharienne. Les lésions du KS sont composées de cellules endothéliales infectées par le KSHV, appelées cellules fusiformes. En outre, le virus produit des facteurs qui stimulent la formation excessive de nouveaux vaisseaux sanguins, donnant à la tumeur sa coloration rouge caractéristique. Le génome viral contient des oncogènes ainsi que des gènes de facteurs de croissance et de récepteurs de facteurs de croissance, qui stimulent tous la prolifération des cellules tumorales. Le KSHV est également à l’origine des rares tumeurs à cellules B que sont la maladie de Castleman multicentrique et le lymphome primaire d’effusion. Tous ces types de tumeurs apparaissent plus fréquemment en cas d’immunosuppression. Pour découvrir le KSHV, Yuang et Moore ont utilisé une technique appelée « analyse des différences de représentation », qui a permis de repérer une séquence d’ADN présente dans une lésion de KS mais absente de l’ADN de la peau normale du même individu. Il s’agissait de l’ADN d’un herpèsvirus inconnu, le KSHV. Cette technologie astucieuse a été appliquée à de nombreuses autres tumeurs, mais un seul nouveau virus associé à une tumeur a été découvert jusqu’à présent, le polyoma virus des cellules de Merkle (MCV), présent dans le carcinome des cellules de Merkle. Le MCV est un petit virus à ADN, membre de la famille des virus polyoma, 144
Virus tumoraux
qui contient plusieurs virus tumoraux animaux connus, mais seulement quatre virus humains identifiés, dont aucun n’est oncogène. Le carcinome à cellules Merkle est une forme rare et agressive de cancer de la peau, qui se manifeste souvent au niveau de la tête et du cou et qui est associée à une exposition excessive aux rayons ultraviolets. Dans l’ensemble, environ 86 % de ces tumeurs contiennent du MCV.
LES VIRUS ONCOGÉNIQUES HÉPATIQUES Le cancer primaire du foie est un problème de santé majeur à l’échelle mondiale, puisqu’il fait partie des dix cancers les plus fréquents dans le monde. Plus de 840 000 cas sont diagnostiqués chaque année dans le monde, et seuls 10 % des malades survivent après plus de cinq ans. La tumeur est plus fréquente chez les hommes que chez les femmes et est plus répandue en Afrique et en Asie du Sud-Est. Jusqu’à 80 % de ces tumeurs sont associées à une infection par un virus de l’hépatite, le reste étant lié à des lésions hépatiques dues à des agents toxiques comme l’alcool. Comme décrit dans le chapitre 7, il existe cinq virus de l’hépatite humaine, les virus de l’hépatite B et C étant liés au cancer du foie. Ces deux virus n’ont aucun lien entre eux, le VHB étant un petit hépadnavirus à ADN, tandis que le VHC est un flavivirus à génome à ARN. Cependant, tous deux se reproduisent principalement dans le foie, provoquant soit une hépatite manifeste, soit une infection silencieuse lors de la première infection. Chez certaines personnes, ces virus persistent, provoquant souvent des lésions hépatiques continues, une cirrhose voire chez quelques malheureux un cancer du foie. Le lien entre le VHB et le cancer du foie est confirmé par la coïncidence géographique entre les niveaux les plus 145
Les virus
élevés d’infection par le virus et la fréquence des tumeurs ; ces niveaux élevés se situent en Amérique du Sud, en Afrique subsaharienne et en Asie du Sud-Est (voir la figure 14). En outre, une vaste étude menée sur 22 000 hommes à Taïwan dans les années 1990 a montré que les personnes infectées de façon persistante par le VHB avaient plus de 200 fois plus de risques que les non-porteurs de développer un cancer du foie, et que plus de la moitié des décès dans ce groupe étaient dus à un cancer du foie ou à une cirrhose. Le mécanisme de développement des tumeurs par le VHB n’est pas complètement déterminé. Étant donné que la tumeur se développe plusieurs années après l’infection initiale, des événements rares doivent être nécessaires à la croissance de la tumeur. Le virus ne code aucune protéine qui transformerait les cellules hépatiques en culture tissulaire ou induirait des tumeurs chez l’animal, mais il porte un gène appelé X qui peut activer des gènes cellulaires et peut donc influencer les mécanismes de contrôle de la croissance de la cellule. Par ailleurs, la majorité des tumeurs contiennent une ou plusieurs copies du génome du VHB intégrées dans l’ADN cellulaire. Cette intégration s’effectue au hasard et se produit probablement par accident lors de la division d’une cellule infectée par le VHB puisque, contrairement aux rétrovirus, l’intégration ne fait pas partie du cycle de vie naturel du VHB. Cet événement peut se produire à plusieurs reprises dans le cas d’une infection à vie, mais ne peut favoriser le développement d’une tumeur que si le site d’intégration permet au gène X d’influencer les gènes cellulaires, faisant ainsi pencher la balance en faveur de la croissance cellulaire. De plus, l’inflammation chronique causée par l’infection persistante des cellules du foie, avec des cycles récurrents d’infection des cellules, de destruction immunitaire et de régénération 146
Virus tumoraux
des cellules du foie qui conduisent parfois à la cirrhose, peut fournir des facteurs de croissance qui favorisent le développement des tumeurs. Enfin, certaines toxines peuvent contaminer des aliments mal conservés et en conséquence provoquer des cancers du foie chez les animaux. L’aflotoxine B1 produite par des champignons en est un exemple ; elle pourrait donc agir comme un autre cofacteur de la maladie chez l’homme. L’utilisation d’un vaccin contre le VHB a déjà entraîné une baisse des cancers du foie liés au VHB à Taïwan, où un programme de vaccination a été mis en place dans les années 1980. Comme pour le VHB, l’infection persistante par le VHC est associée au risque de cancer primaire du foie. Dans les pays où les taux de cancer du foie ont récemment diminué grâce à un programme de vaccination contre le VHB ciblant les groupes à haut risque, le VHC est désormais la cause la plus fréquente de cette maladie mortelle. Le mécanisme de développement des tumeurs dues au VHC n’est pas non plus très clair ; jusqu’à récemment, le virus ne pouvait pas être cultivé, cela a sérieusement entravé les programmes de recherche. Il est important de noter qu’une recherche approfondie des tissus tumoraux n’a pas permis de trouver des traces du virus et qu’aucun gène viral transformant n’a été identifié. Ces faits suggèrent que le rôle du virus dans le développement des tumeurs est indirect. Peut-être les processus inflammatoires chroniques stimulés par le virus pendant des décennies peuvent-ils, en de rares occasions, déclencher une évolution maligne.
LES PAPILLOMAVIRUS ONCOGÈNES Presque tout le monde a souffert, à un moment ou à un autre de sa vie, de verrues disgracieuses sur les mains ou de 147
Les virus
verrues douloureuses sous la plante des pieds. Ces lésions sont causées par les papillomavirus humains (HPV), une très grande famille de virus qui compte plus de 100 types différents. L’infection par les VPH est très courante et bien que la plupart d’entre eux, comme ceux qui causent les verrues, soient inoffensifs, quelques types peuvent provoquer un cancer, le plus souvent celui du col de l’utérus chez les femmes. Les VPH ciblent les cellules épithéliales squameuses, c’està-dire l’épaisse couche de cellules qui composent la peau à l’extérieur de notre corps et qui tapissent certaines cavités internes telles que les voies génitales, la bouche, la gorge et le larynx supérieur. La couche basale de l’épithélium contient des cellules souches auto-renouvelables capables de se diviser toute leur vie. L’équilibre de cette chaîne de production est normalement maintenu par l’élimination régulière des cellules mortes à la surface de la peau. En pénétrant par une petite coupure ou une abrasion, les HPV établissent une infection persistante dans ces cellules souches épithéliales. Le génome du HPV se réplique chaque fois que la cellule se divise, une copie étant conservée dans la descendance de la cellule souche, assurant ainsi sa survie à long terme dans l’hôte. La deuxième cellule fille infectée progresse dans l’épithélium, et sa maturation est le signal pour le HPV de commencer la production de virus, de sorte que lorsque la cellule meurt et se détache de la surface, elle contient des milliers de particules virales prêtes à infecter de nouveaux hôtes, transmis par contact étroit, comme les rapports sexuels. Le lien entre le VPH et le cancer du col de l’utérus a été découvert par Harald zur Hausen, un virologue allemand de Nuremberg qui a reçu le prix Nobel pour ces travaux en 2008. Nous savons maintenant que l’ADN du VPH, en particulier celui des types 16 ou 18, est présent dans les cellules de presque tous les cancers du col de l’utérus, ainsi que dans 148
Virus tumoraux
les cancers moins courants du vagin, de la vulve, du pénis, de l’anus, de la peau, de la bouche, de la gorge et du larynx. Le génome ADN du VPH est petit, avec seulement huit gènes principaux. Dans l’infection naturelle, le rôle des gènes appelés E6 et E7 est de pousser la cellule à se diviser afin que le virus ait accès à la machinerie cellulaire dont il a besoin pour propager son propre génome. Cependant, ce phénomène ne conduit pas à lui seul au cancer ; pour qu’une modification maligne se produise, d’autres facteurs sont nécessaires, notamment l’intégration du génome viral dans celui de la cellule hôte. Cette intégration, comme celle du VHB, est un phénomène rare et aléatoire qui résulte vraisemblablement d’une erreur au cours de la division cellulaire. Elle dérégule l’expression des gènes viraux, entraînant une surexpression de E6 et E7 et une augmentation du taux de division cellulaire. Ces résultats de laboratoire sont corroborés par l’observation clinique des types 16 et 18 du HPV dans le col de l’utérus de certaines femmes ne souffrant pas de cancer. En effet, des tests effectués sur des Américaines de 18 à 25 ans en bonne santé montrent que jusqu’à 46 % d’entre elles sont porteuses du VPH, dont les types 16 et 18 représentent environ un tiers. En outre, le dépistage régulier du cancer du col de l’utérus mis en place dans les années 1960 a permis d’identifier des lésions précancéreuses où les cellules anormales, infectées par le virus, restent dans la couche épithéliale. Ces lésions sont appelées « néoplasie cervicale intra-épithéliale » (NCI) et sont classées sur une échelle de gravité de 1 à 3. L’ADN du HPV est présent à tous les stades et, bien qu’une régression à la normale puisse se produire à n’importe quel stade, un grand pourcentage des stades 2 et 3 non traités évoluent vers un cancer invasif. Les facteurs qui augmentent les risques d’infection par le VPH et de cancer génital sont le premier rapport sexuel à un 149
Les virus
jeune âge, le nombre élevé de partenaires sexuels, l’utilisation de contraceptifs oraux et la présence d’autres infections sexuellement transmissibles. Une fois infecté, le risque de développement du cancer est plus élevé chez les fumeurs, les personnes immunodéprimées et les femmes ayant un parent atteint, ce dernier cas indiquant une prédisposition génétique à la maladie. L’incidence du cancer du col de l’utérus varie selon les régions géographiques, les plus fortes incidences étant observées en Afrique du Sud et en Amérique centrale, où il s’agit du cancer le plus fréquemment diagnostiqué chez les femmes (voir le tableau 3). Dans le monde, on estime à 570 000 le nombre de nouveaux cas et à plus de 300 000 le nombre de décès annuels dus au cancer du col de l’utérus. Si les taux d’incidence et de mortalité ont diminué dans le monde occidental depuis l’introduction du dépistage, ce n’est pas le cas dans les pays en développement, qui enregistrent aujourd’hui la majorité des cas. À partir de 2008, un vaccin contre les VPH 16 et 18 a été proposé aux garçons et aux filles âgés de 12 à 13 ans aux États-Unis et en Europe, suivi d’un programme de rattrapage chez les filles âgées de 14 à 18 ans. En 2021, une étude britannique a révélé une réduction du cancer du col de l’utérus allant de 34 % chez les personnes vaccinées à l’âge de 16-18 ans à 87 % chez celles vaccinées à l’âge de 12-13 ans. En outre, les réductions correspondantes du risque de NIC 3 étaient de 39 % dans le groupe des 16-18 ans et de 97 % dans le groupe des 12-13 ans. Compte tenu de ces données encourageantes et du fait que la vaccination est plus facile à administrer et moins chère que le dépistage du cancer du col de l’utérus, l’OMS estime que ce cancer ne sera plus un problème de santé publique d’ici une génération. 150
Tableau 3 Statistiques mondiales de cancer cervical, par région, 2018. Rang
Zone
Taux pour 1 000 femmes
1
Afrique australe
43,1
2
Afrique de l’Est
40,1
3
Afrique de l’Ouest
29,6
4
Mélanésie
27,7
5
Afrique centrale
26,8
6
Micronésie
18,6
7
Asie du Sud-Est
17,2
8
Europe de l’Est
9
Caraïbes
15,5
10
Amérique du Sud
15,2
11
Monde
13,1
12
Amérique centrale
13
13
Asie du Sud
14
Polynésie
16
13 12,6
15
Asie centrale
12,2
16
Asie orientale
10,9
17
Europe du Nord
9,5
18
Europe du Sud
7,8
19
Afrique du Nord
7.2
20
Europe occidentale
6,8
21
Amérique du Nord
6,4
22
Australie et Nouvelle-Zélande
6
23
Asie occidentale
4,1
Actuellement, environ 1,8 million de cancers associés à des virus sont diagnostiqués chaque année dans le monde, ce qui représente environ 15 % de tous les cancers. Comme 151
Les virus
plusieurs des virus tumoraux humains n’ont été identifiés que très récemment, il est possible qu’il y en ait plusieurs autres qui attendent d’être découverts. Si c’est le cas, il est important de les trouver, car le succès spectaculaire du programme de vaccination contre le VPH illustre la manière dont on peut prévenir les tumeurs associées aux virus.
152
Virus passés et à venir
9 Virus passés et à venir Il y a moins de 100 ans que la structure des virus a été déterminée, mais les virus eux-mêmes sont des parasites anciens dont l’histoire et l’évolution sont étroitement liées à la nôtre. Jusqu’à la révolution agricole, il y a quelque 10 000 ans, nos ancêtres chasseurs-cueilleurs vivaient en petits groupes, se déplaçant constamment d’un endroit à l’autre. La population était clairsemée, mais elle pouvait tout de même entretenir des virus persistants comme le papillomavirus et l’herpèsvirus Ces virus sont manifestement bien adaptés au mode de vie des chasseurs-cueilleurs et parviennent à infecter presque tout le monde en attendant de pouvoir se transmettre directement d’une génération à l’autre. Les virus persistants représentaient probablement une faible menace pour leurs hôtes, mais le passage à un mode de vie agricole plus sédentaire a annoncé l’arrivée des zoonoses. De nombreux « nouveaux » virus, comme la rougeole et la variole, sont passés des animaux domestiques aux premiers agriculteurs, provoquant de graves maladies les infections émergentes de l’époque. À mesure que la population de l’Europe et de l’Asie a augmenté et que les villages se sont transformés en villes, ces virus émergents sont devenus des visiteurs réguliers, finissant par couper les liens avec leurs hôtes animaux et circulant entièrement parmi les humains. Puis, à partir du xvie siècle, 153
Les virus
ils ont été propagés dans le monde entier par les marchands d’esclaves, les voyageurs, les migrants et les aventuriers. Sans immunité ni résistance génétique, les populations autochtones ont gravement souffert. Pourtant, au fil des siècles, nous avons lentement maîtrisé ces tueurs, de sorte que, pour beaucoup, l’élimination globale est un objectif réaliste. Nous sommes maintenant entrés dans une nouvelle ère d’infections émergentes, principalement des virus provenant d’animaux sauvages, qui se propagent rapidement parmi nous et provoquent des maladies graves, voire mortelles. Pourquoi en est-il ainsi ? Et que pouvons-nous faire ? Le transfert des virus zoonotiques à l’homme est facilité par certaines pratiques comportementales ou culturelles, un risque particulier étant nos interactions étroites avec les animaux sauvages, dont beaucoup sont porteurs de virus susceptibles de nous infecter et de se transmettre entre nous. Nous avons déjà connu l’émergence des VIH, du VDE, du SARS-CoV, du SARS-CoV-2, qui sont passés à l’homme lorsque leurs hôtes naturels (ou hôtes intermédiaires) ont été chassés et tués pour être consommés. Et dans plusieurs cas, les marchés humides d’Asie de l’Est, avec leur grande variété d’espèces animales sauvages et d’élevage maintenues dans des conditions de surpopulation, ont agi comme des zones sensibles pour le transfert de virus. Une fois qu’un cas index humain est infecté par un virus émergent, la proximité d’autres personnes est essentielle pour déclencher une épidémie locale. De nombreux facteurs liés au mode de vie moderne augmentent ce risque, et la plupart d’entre eux sont liés à l’expansion de notre population. La population mondiale a approximativement doublé tous les 500 ans entre le début de l’ère commune et 1900, où elle a atteint 1,6 milliard d’habitants. Mais au xxe siècle, 154
Virus passés et à venir
l’espérance de vie a fortement augmenté et la population a quadruplé, atteignant 6 milliards d’habitants en 2000. Si ce taux de croissance se maintient, nous devrions atteindre 9 à 10 milliards d’habitants en 2100. Une population de cette taille entraîne de nombreux problèmes, notamment la diminution des ressources naturelles, l’augmentation de la pollution, la perte de biodiversité et le réchauffement de la planète. Mais en ce qui concerne les virus émergents, notre principal problème est la surpopulation. Nous avons déjà constaté qu’en envahissant les territoires des animaux sauvages, que ce soit pour abattre la forêt tropicale, chasser pour se nourrir ou étendre l’espace urbain, on risque de contracter des virus inconnus, parfois mortels. Et aujourd’hui, alors que plus de 50 % d’entre nous vivent en ville et que des mégapoles comme Tokyo, Delhi et Shanghai comptent chacune 25 à 30 millions d’habitants, les nouveaux virus, une fois arrivés sur place, se propagent facilement parmi nous. Le problème est particulièrement aigu pour les citadins pauvres des pays aux faibles ressources, où, selon le mode de propagation d’un virus particulier, le manque de circulation d’air ou d’eau propre, ou l’absence d’élimination sûre des déchets et des eaux usées, offrent un accès facile aux microbes de toutes sortes. Comme l’illustrent le VIH-1, le SARS et la grippe porcine, une propagation locale réussie conduit rapidement à une dissémination internationale. Et, plus récemment et de façon spectaculaire, fin 2019, le SARS-CoV-2 a entamé sa course autour du globe en profitant de toutes les inégalités qui, nous le savons, prédisposent aux infections. Avec plus de 4 milliards de personnes dans le monde embarquant sur des vols internationaux chaque année (avant les restrictions de voyage liées au Covid-19), les nouveaux virus disposent d’un 155
Les virus
mécanisme efficace et rapide de propagation, traversant le globe via le corps d’un voyageur avant même qu’il ne réalise qu’il est infecté. Les virus animaux profitent également de la surpopulation et des voyages. L’élevage intensif d’animaux équivaut à des mégapoles grouillantes, ce qui offre la possibilité au virus de se propager facilement. L’épidémie de fièvre aphteuse survenue en Grande-Bretagne en 2001 en est un exemple frappant : les tentatives de lutte contre la propagation du virus ont abouti à la confection de bûchers d’animaux de ferme abattus dans la campagne. Le virus, qui est hautement infectieux, se propage par contact étroit, sous forme d’aérosol et sur des objets inanimés. Il infecte les bovins, les moutons, les porcs, les chèvres et les cerfs, provoquant des lésions cutanées autour de la bouche et des sabots. Ces lésions entraînent des boiteries et, bien qu’elles ne soient généralement pas mortelles, la perte de condition physique est très préjudiciable sur le plan économique. Le Royaume-Uni est généralement une zone exempte du virus de la fièvre aphteuse FMDV, mais en 2001, le virus est arrivé, probablement dans de la viande importée illégalement. Ces produits n’ont pas été correctement stérilisés avant d’être donnés aux porcs, puis les animaux infectés ont été déplacés dans tout le pays, déclenchant ainsi une épidémie très difficile à contrôler. Les virus animaux traversent généralement les frontières internationales dans leurs hôtes, sans que l’on s’en aperçoive, et passent parfois à l’homme en arrivant à destination. L’apparition soudaine du virus de la variole du singe aux ÉtatsUnis en 2003 en est un exemple. Contrairement à ce que son nom indique, ce virus infecte naturellement les rongeurs africains et passe parfois à l’homme, provoquant une maladie semblable à la variole, qui ne met généralement pas la vie en 156
Virus passés et à venir
danger. L’épidémie américaine a touché plus de 70 personnes avant d’être attribuée à des rats géants de Gambie importés du Ghana. Les rats étaient hébergés dans une animalerie aux côtés de chiens de prairie, qui ont attrapé le virus et l’ont transmis à leurs nouveaux propriétaires. Aujourd’hui, alors que nous écrivons ces lignes, en 2022, la variole du singe se propage en dehors de l’Afrique, avec plus de 1 000 cas confirmés dans une trentaine de pays. On ne sait pas encore comment a commencé cette surprenante propagation du virus sur de longues distances, mais le virus se propage par contact étroit, jusqu’à présent principalement chez les hommes homosexuels. Le vaccin antivariolique étant efficace à 85 % environ contre la variole du singe, certains pays recourent à la vaccination en anneau des cas contact afin d’éviter toute nouvelle propagation. La lecture de tout cela serait très déprimante si nous ne savions pas que notre combat est en bonne voie. Nous vivons une époque passionnante de progrès technologiques rapides, un peu comme la révolution industrielle du xixe siècle en Grande-Bretagne. La révolution génomique qui a débuté dans les années 1980 a eu un impact énorme sur la virologie, en fournissant des tests de diagnostic rapides, des vaccins plus sûrs et ciblés, et des médicaments antiviraux de conception nouvelle. Ainsi, lorsque le SARS a frappé de manière inattendue en 2002, il a été identifié comme un coronavirus, son génome a été séquencé et des tests de diagnostic ont été préparés, le tout en l’espace de quelques mois. Il en va de même pour la pandémie de grippe porcine de 2009, où le séquençage rapide du génome du virus a permis la mise à disposition immédiate d’antiviraux et d’un vaccin en six mois. Mais après que le Covid-19 a frappé un monde non- préparé en décembre 2019, ces avancées technologiques sont passées à la vitesse supérieure. Alors que le virus a balayé 157
Les virus
le globe un mois après son apparition, tuant des milliers de personnes, la riposte la plus remarquable était en cours. La séquence du génome viral a été disponible presque immédiatement, plus de 100 vaccins étaient en préparation un ou deux mois plus tard, et au moins 40 d’entre eux faisaient l’objet d’essais cliniques en moins d’un an. À l’aube de 2021, les premiers vaccins Covid-19 étaient déployés dans le cadre de programmes de vaccination de masse, destinés à protéger les plus vulnérables des ravages du virus. Tout cela était certainement sans précédent, mais il faut aller plus loin. Le SARS-CoV-2 est là pour durer et, au moment d’écrire ces lignes, il est en train de muter pour produire des souches toujours plus transmissibles qui finiront par échapper à l’immunité des vaccins actuels. Ce scénario se poursuivra jusqu’à ce que nous contrôlions la propagation du virus dans le monde entier. Nous avons besoin de toute urgence d’une stratégie mondiale pour surveiller les mutants du virus, et produire et distribuer les vaccins appropriés pour stopper leur propagation. La technologie requise est utilisée en permanence par le réseau mondial de surveillance de la grippe de l’OMS ; si l’on veut contrôler le Covid-19, nous devons faire de même pour le SARS-CoV-2. Le contrôle rapide d’un virus émergent est une chose, mais le Covid-19 ainsi que le SARS et la grippe porcine s’étaient propagés bien au-delà de leurs cas index avant que la menace ne soit identifiée. La prévision d’une épidémie est donc le maillon faible de notre stratégie de prévention des virus émergents. Bien que nous sachions que la plupart des virus émergents se propagent à partir des animaux, nous sommes loin de pouvoir prédire quand, où et à partir de quelle espèce animale la prochaine menace virale apparaîtra. L’idéal serait de disposer d’un réseau mondial de surveillance des virus, mais avec une estimation de 500 000 158
Virus passés et à venir
virus inconnus capables d’infecter l’homme quelque part, dont peut-être 10 000 capables de se propager de manière épidémique, ce serait une tâche très longue et coûteuse. Néanmoins, en se concentrant sur la détection précoce des cas de propagation aux animaux d’élevage et aux humains, en particulier dans certains points chauds tels que les zones d’élevage intensif et les marchés humides d’Asie de l’Est, et en veillant à ce que chaque pays dispose des mécanismes de surveillance nécessaires pour repérer une infection émergente, on contribuera grandement à freiner un tel événement la prochaine fois. Nous serions avisés de tenir compte de l’avertissement de feu le virologue George Klein : « Le virus le plus stupide est plus intelligent que le plus malin des virologues ».
159
Glossaire Les mots inscrits en italiques dans le glossaire indiquent que ces termes apparaissent également en tant que motsclés et qu’il est donc possible de s’y référer pour obtenir une définition, plutôt que de répéter les définitions. adénovirus : virus à ADN nommé d’après l’adénoïde humain, d’où il a été isolé pour la première fois. Le virus provoque des infections respiratoires et oculaires et a été utilisé comme vecteur de séquences d’ADN dans le cadre de la thérapie génique expérimentale. ADN : (acide désoxyribonucléique) molécule auto-réplicative qui porte le matériel génétique de tous les organismes, à l’exception des virus à ARN. anticorps : molécule fabriquée par les lymphocytes B qui circule dans le sang et les liquides organiques et qui peut se lier à un antigène spécifique et le neutraliser. anticorps monoclonal : anticorps monospécifiques fabriqués à partir d’une culture de lymphocytes B clonés. antigène : substance étrangère, généralement une protéine, capable de provoquer une réponse immunitaire dans l’organisme. 160
Glossaire
ARN : (acide ribonucléique) l’un des deux types d’acide nucléique existant dans la nature, l’autre étant l’ADN. Il constitue le matériel génétique de certains virus. bactérie : micro-organisme unicellulaire du domaine des bactéries. bactériophage (phage) : groupe de virus qui infectent les bactéries. cas index : le premier cas d’une maladie infectieuse dans une population dont tous les autres sont issus. CD4 : molécule présente à la surface des lymphocytes T qui indique leur fonction d’aide. CD8 : molécule située à la surface des cellules T qui indique leur fonction cytotoxique (tueuse). cellule T (lymphocyte) : type de lymphocyte qui génère la réponse immunitaire spécifique à médiation cellulaire essentielle au contrôle des infections virales. Voir également cellules T auxiliaires, tueuses et régulatrices. cellule T : auxiliaire lymphocyte T (voir cellule T) qui porte le marqueur CD4 et aide d’autres sous-ensembles de lymphocytes à générer une réponse immunitaire. cellule T régulatrice : cellule T qui contrôle l’ampleur de la réponse immunitaire en produisant des cytokines inhibitrices. cellule T tueuse ou cellule T cytotoxique : lymphocyte T (voir cellule T) ayant la capacité de tuer les cellules infectées par un virus. Ces cellules portent généralement le marqueur CD8. charge virale : mesure du niveau d’un virus dans le sang. chromosome : structure filiforme d’ADN et de protéines qui porte les gènes. Se trouve dans le noyau de la cellule. 161
Les virus
cirrhose : scarification du foie causée par une toxine ou un virus et conduisant à une insuffisance hépatique. croup : toux sévère de l’enfant due à une infection du larynx et de la trachée, souvent due au virus parainfluenza [HPIV] ou au virus respiratoire syncytial. cytokine : un messager chimique soluble qui régule les réponses immunitaires. cytoplasme : partie de la cellule entourant le noyau et contenant les organites. encéphalite : inflammation du cerveau. endémique : que l’on trouve régulièrement dans une zone géographique ou une population particulière. épidémie : augmentation temporaire à grande échelle d’une maladie dans une communauté ou une région. flavivirus : famille de virus transmis par les insectes, dont le virus de la fièvre jaune, dont le nom est dérivé du latin « flavus », qui signifie jaune. gène : partie d’un chromosome, généralement de l’ADN, qui code pour une protéine spécifique. génome : le matériel génétique (ADN et ARN) d’un organisme. horloge moléculaire : mesure de la différence moléculaire entre deux génomes pour évaluer la distance évolutive qui les sépare. hôte intermédiaire : animal qui transmet un virus de son hôte naturel à une autre espèce. immunité collective : niveau d’immunité au sein d’une population auquel toute personne, immunisée ou non, est protégée d’une maladie infectieuse particulière parce que l’agent infectieux ne peut pas se propager. Cette valeur varie selon les microbes. 162
Glossaire
intégration : le processus d’incorporation d’une séquence d’ADN dans une autre chaîne d’ADN. C’est une étape essentielle du cycle de vie des rétrovirus. interféron : famille de cytokines ayant des propriétés antivirales. interleukine 2 : cytokine essentielle à la croissance et à la survie des lymphocytes T. lymphocyte B ou cellule B : cellule productrice d’anticorps qui se développe à partir de cellules souches dans la moelle osseuse, circule dans le sang et arrive à maturité dans les ganglions lymphatiques. lymphocytes : globules blancs comportant divers sous-ensembles fonctionnels qui orchestrent la réponse immunitaire spécifique (voir cellule B, cellules T auxiliaires, tueuses et régulatrices). macrophage : cellule immunitaire mobile présente dans les tissus où elle déclenche une réponse immunitaire par la production de cytokines. Les macrophages engloutissent et détruisent les matières étrangères et mortes, leur nom signifiant « grand appétit ». maladie auto-immune : maladie causée par des cellules immunitaires ou des anticorps qui réagissent avec les structures normales de l’organisme et les endommagent. microbe : un terme général utilisé pour couvrir tous les organismes microscopiques, y compris les virus, les bactéries, les archées et les parasites unicellulaires. microscope électronique : microscope qui utilise un faisceau d’électrons au lieu de la lumière. Il permet de grossir plus de 100 000 fois. mutation : un changement génétique qui est transmis à la descendance, donnant une variation héréditaire. 163
Les virus
nombre de reproduction (R) : nombre de nouveaux cas dérivés d’un seul cas pendant une épidémie ou une pandémie. R0 est la valeur de R au début d’une épidémie, et est constant pour un virus ou une souche virale particulière. oncogène : gène qui peut transformer une cellule normale en cellule tumorale. orage cytokinique : libération massive mal-venue de cytokines à la suite d’une surstimulation du système immunitaire. organelle : structure subcellulaire telle que le noyau, la mitochondrie ou le ribosome. pandémie : une épidémie qui se propage sur plus d’un continent à la fois. parasite : un organisme qui vit sur ou dans un autre et qui en profite à ses dépens. pathogène : organisme qui provoque une maladie. période d’incubation : la période de temps entre l’infection et l’apparition des symptômes. pneumonie : inflammation des tissus pulmonaires. primo-infection : maladie provoquée par un organisme lors de sa première infection chez un individu. Caractérisée par une réponse en anticorps de type immunoglobuline M. provirus : séquences virales intégrées dans le génome de l’hôte. rétrovirus : famille de virus qui contient les VIH. On les appelle ainsi parce qu’ils peuvent effectuer une transcription inverse de l’ARN en ADN et s’intégrer au génome de l’hôte. rhinovirus : le virus commun du rhume. Il s’agit d’un picornavirus, dont le nom dérive du grec rhis, qui signifie nez. 164
Glossaire
ribosome : organite cellulaire qui assemble les protéines à partir des acides aminés. rotavirus : groupe de virus qui provoquent des gastro-entérites chez les nourrissons. Le nom dérive du latin « rota », qui signifie roue, et désigne leur structure en forme de roue. translocation chromosomique : transfert incorrect de matériel génétique d’un chromosome à un autre, provoquant une anomalie chromosomique. vecteur : moyen de transport viral d’un hôte à un autre, par exemple via un insecte. Le terme est également utilisé pour le transfert artificiel de matériel génétique dans des cellules ou des organismes, par exemple le vecteur adénovirus utilisé pour délivrer de l’ADN « étranger » comme vaccin. virus zoonotique : un virus qui est passé à l’homme à partir d’un hôte animal. zoonose : maladie infectieuse de l’homme acquise à partir d’une source animale.
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Lectures supplémentaires Chapitre 1 : C’est quoi un virus ? D. H. Crawford, The Invisible Enemy: A Natural History of Viruses (Oxford University Press, Oxford, 2021). B. La Scola, S. Audic, C. Robert, L. Jungang, X. De Lamballerie, M. Drancourt, R. Birtles, J. M. Claverie, et D. Raoult, « A Giant Virus in Amoebae », Science, 299 (2003): 2033. C. A. Suttle, « Viruses in the Sea », Nature, 437 (2005): 356-61. L. Ledford, « Death and Life Beneath the Sea Floor », Nature, 545 (2008): 1038. K. M. Oliver, P. H. Degnan, M. S. Hunter, et N. A. Moran, « Bacteriophages Encode Factors Required for Protection in a Symbiotic Mutualism », Science, 325 (2009): 992-4. Chapitre 2 : Tuer ou être tué, voilà la question P. Klenerman, The Immune System (Oxford University Press, Oxford, 2018. F. Fenner, D. A. Henderson, I. Arita, et al., Smallpox and its Eradication (WHO, Geneva, 1988). A. J. Wakefield, S. H. Murch, A. Anthony, et al., « Ileal-Lymphoid- Nodular Hyperplasia, Non-Specific Colitis, and Pervasive Development Disorder in Children », Lancet, 351 (1998): 637-41.
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Lectures supplémentaires
C. Dyer, « Lancet Retracts MMR Paper after GMC Finds Andrew Wakefield Guilty of Dishonesty », British Medical Journal, 349 (2010): 281. Chapitre 3 : Infections virales émergentes : transmission par les vertébrés P. M. Sharp et B. H. Hahn, « Origin of HIV and the AIDS Pandemic », Cold Spring Harbor Perspectives in Medicine, 1 (1) (Sept. 2011): a006841. doi: 10.1101/cshperspect.a006841. D. H. Crawford, Virus Hunt: The Search for the Origin of HIV (Oxford University Press, Oxford, 2013). D. H. Crawford, Ebola: Profile of a Killer Virus (Oxford University Press, Oxford, 2016). D. T. S. Hayman, « As the Bat Flies », Science, 354 (2016): 1099-100. D. MacKenzie, « The Coming Plague », New Scientist, 25 February 2017: 29-33. Chapitre 4 : Infections virales émergentes : transmission par les arthropodes M. Stewart, « A Spotlight on Bluetongue Virus », Microbiology Today, 16 November 2016: 162-5. C. I. Paules et A. S. Fauci, « Yellow Fever: Once Again on the Radar in the Americas », New England Journal of Medicine, 376 (2017): 1397-9. J. R. Powell, « Mosquitoes on the Move », Science, 352 (2016): 971-2. G. Vogel, « One Year Later, Zika Scientists Prepare for a Long War », Science, 354 (2016): 1088-9. Chapitre 5 : Infections virales émergentes : les coronavirus M. Worobey. « Dissecting the Early COVID-19 Cases in Wuhan », Science, 10.1126/science.abd4454 (2021). A. M. Aluwaimi, I. H. Alshubaith, A. M. Al-Ali, et S. Abohelaika, « The Coronaviruses of Animals and Birds: Their Zoonosis,
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Les virus
accines, and Models for SARS-CoV and SARS-CoV-2 », FronV tiers of Veterinary Science, 7 (2020). S. Mallapaty, « The Hunt for Coronavirus Carriers », Nature, 591 (2021). Chapitre 6 : Acquisition et éradication de virus J. Diamond, Guns, Germs and Steel: A Short History of Everybody for the Last 13,000 Years (Vintage, New York, 1998). L. Berry, T. Palmer, F. Wells, E. Williams, B. Sibal, et J. Timms, « Nosocomial Outbreak of Measles amongst a Highly Vaccinated Population in an English Hospital Setting », Infection Prevention in Practice (2019), 100018. Chapitre 8 : Virus tumoraux Y. Chang, P. S. Moore, et R. A. Weiss, « Human Oncogenic Viruses: Nature and Discovery », Phil. Trans. Roy. Soc. B, 372 (2017). D. H. Crawford, A. B. Rickinson, et I. Johannessen, Cancer Virus (Oxford University Press, Oxford, 2014). M. Falcaro, A. Castanon, B. Ndtela, et al., « The Effects of the National HPV Vaccination Programme in England, UK, on Cervical Cancer and Grade 3 Cervical Intraepithelial Neoplasia Incidence: A Register-Based Observational Study », The Lancet, 398 (2021): 2084-92. Chapitre 9 : Virus passés et à venir A. S. Fauci, « Pathogenesis of HIV Disease: Opportunities for New Preventive Interventions », Clinical Infectious Diseases, 45 (Suppl. 4, 2007): S206-12.
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Remerciements de l’éditeur « Le microbe » extrait de More Beasts (for Worse Children) d’Hilaire Belloc, réimprimé avec l’autorisation de Peters Fraser & Dunlop () au nom de la succession d’Hilaire Belloc.
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Index Pour les utilisateurs numériques, les termes indexés qui couvrent deux pages (par exemple, 52-53) peuvent, à l’occasion, apparaître sur une seule de ces pages.
A Aciclovir 117 Adénovirus 101, 160 ADN 13, 16, 18, 19, 21, 23, 25, 41, 45, 110, 115, 120, 122, 129, 136, 144, 146, 148, 149, 160 ADN, virus 145 Agents antiviraux 87, 102, 117 Allaitement 138 Allaiter 139 Ancien Monde 137 Animaux de laboratoire 133, 135 Anticoprs monoclonal 160 Anticorps 23, 34, 52, 80, 87, 105, 123, 131, 160 Anticorps monoclonal 23, 87 Anticorps monoclonaux 87 Antigène 34, 37, 127, 128, 160 Anti-vax 41, 88 170
Arbovirus 60, 61, 72, 73 Archées 24 Archées 21 ARN 13, 16, 18, 19, 21, 23, 41, 45, 48, 54, 55, 75, 87, 88, 91, 93, 97, 125, 127, 131, 136, 145, 161 ARNm 93 ARN, virus 18, 21
B Bactérie 161 Bactéries 10, 13, 24, 25, 27 Bactériophage 161 Barrière 45, 90 Barrière des espèces 44 Barr, Yvonne 141 Bataille 112 Bataille contre les virus 32 Belloc, Hilaire 9
Index
Bronchiolite 101 Burkitt 140-142
C Cancer 107, 127, 129, 132, 134, 135, 145, 147, 148, 150 Cancer cervical 149 Cancers 143 Capside 10, 16 Cas index 45, 80, 154, 158, 161 CCR5 32 CCR5 récepteurs 32 Cellules B 34, 119, 140, 142, 144 Cellules de Langerhans 122 Cellules épithéliales 83, 140, 148 Cellules T 16, 34, 119, 121, 123, 125, 131, 136 Cellule T 161 Cervical 151 Chameaux 68, 81, 95, 110 Chauve-souris 76, 89 Chimpanzé 54, 121 Choc cytokinique 84, 87, 91 Choléra 10 Cirrhose 127, 131, 145, 162 Conjonctivite 101, 108 Coronavirus 15, 29, 47, 77, 80, 89, 90, 93, 157 Coronavirus 82 Covid 15, 20, 41, 47, 74, 82, 83, 87, 88, 91, 93, 99, 107, 109, 155, 157 Covid long 84 Croup 101, 162 Culture de cellules 137 Cytokine 162
Cytokines 33, 34, 87, 119, 131 Cytomégalovirus, CMV 115
D DDT 60 Défense 34 Défenses aux virus 32 De Maton, George 99 Dengue 31, 63, 65 Dérive antigénique 55 Diabète 36 Diagnostique 109 Diagnostiquer 126
E Eau 24, 48, 62, 102, 105, 155 Effet cytopathique 22 Emiliania huxleyi 25 Encéphalite 40, 47, 48, 51, 73, 98, 100, 118 Environnement marin 24 Épidémie 29, 37, 43, 44, 46-48, 49, 50, 52, 53, 55, 56, 58-62, 66-69, 73, 75, 77, 78, 80-82, 91, 94-96, 101, 102, 104, 107-109, 127, 143, 154, 156-158 Épidémies 40, 63, 103 Epstein 141 Epstein, Anthony 140 Epstein-Barr 31, 36, 42, 115, 139 Éradication 40, 66, 109, 111 Éradication d’un virus 94 Eucaryotes 24 Évolution 20, 22, 24, 32, 91, 122, 131, 147, 153 171
Les virus
F Fièvre aphteuse 156 Fièvre aphteuse FMDV 156 Fièvre glandulaire 31, 36, 118-120 Flavivirus 145 Foie 118, 126-128, 131, 145, 147 Foie, atteinte au 36
G Gallo, Robert 137 Gastro-entérite 75, 103, 104 Génome 13, 16, 18, 20, 23, 41, 45, 52, 55, 77, 82, 86, 87, 89, 91, 97, 123, 127, 134-137, 140, 144-146, 148, 149, 157, 158 Gonococcus 31 Gregg, Norman 99 Grippe 10, 29, 36, 45, 54, 56-59, 67, 77, 82, 84, 86, 93, 94, 97, 102104, 158 Grippe A 55, 56, 102 Grippe aviaire 45, 56-58 Grippe B 102 Grippe espagnole 57 Grippe porcine 43, 155, 157, 158 Grippe russe 56, 57, 77 Guillain-Barré (syndrome de) 68
H H1N1 57 H1N1 virus de la grippe A 55-57, 59 Hémaglutinine 55 Hépatite 36, 126, 128, 130, 145 172
Hépatite aiguë 69 Hépatite A (VHA) 127 Hépatite B (VHB) 31, 113 Hépatite C 42 Hépatite C (VHC) 130 Hépatite D (VHD) 127 Herpès 10 Herpès (boutons de fièvre) 115, 124 Herpès génital 115, 116 Herpes simplex 31 Herpès simplex 115 Herpèsvirus 113, 139, 153 Hodgkin (lymphome) 143 Hoffmann, Friedrich 99 Horloge moléculaire, hypothèse 20, 95 Hygiène 29, 39, 96, 105, 115, 127 Hygiène (hypothèse) 39
I Immunité 32, 41, 55, 88, 93, 98, 100, 112, 116, 124, 131, 143, 158 rhume 100 VIH 118, 121 Immunité collective 40, 88, 93, 94, 106, 110 Immunité collective 162 Immunité (système) 37, 45, 63, 154 Immunopathologie 36, 131 Incubation (période de) 44, 49, 79, 83, 97, 101, 103, 107, 110, 139 Infection latente 114, 117 Infection silencieuse 106, 110, 145
Index
Infections virales émergentes 60 Infection virale émergente 43, 44, 153, 154, 159 coronavis 75 transmise par les insectes 61, 72 transmise par les vertébrés 43 Infection virale émergentes coronavirus 44 Insectes 15, 31, 60, 61, 62 Insecticide 60, 68 Interféron 33, 36, 57, 129, 131, 163 Intestin 27, 30, 35, 55, 83, 102, 104, 105, 106, 111
J Jenner, Edward 38
K Kaposi, Moritz 143 Kaposi (sarcome herpèsvirus (KSHV)) 115, 139, 143 Klein, George 159 Koch, Robert 9
L Leucémie 120, 136 Leucémie, Burkitt (BL) 140 LUCA dernier ancêtre universel cellulaire 21 Lymphocytes 33, 34, 35, 36, 119, 122, 139, 143, 163
M Maladies infantiles 94, 97, 100, 119 Médicaments 20, 23, 50, 52, 58, 87, 116, 124, 125, 126, 129, 143, 157 Médicaments antirétroviraux 125 Méningite 100, 105 Merkle (virus de cellule polyoma (MCV)) 144 MERS 43, 74, 81, 82 MERS coronavirus 76, 80, 81, 90, 93 Microbes 9, 10, 24, 25, 26, 27, 31, 32, 35, 39, 43, 73, 95, 96, 113, 124, 155 Microbiome, déclin (hypothèse) 39 Microscope électronique 10, 163 Microscopes 9 Mimivirus 15, 22 Mimivirus (microbe-mimicking virus) 13 Montagu, Lady Mary Wortley 37 Moore, Patrick 143, 144 Moustiques 31, 60, 61, 62, 65, 66, 67, 68, 69, 70, 72, 73, 142 Mutations 18, 19, 20, 35, 57, 87, 103, 134, 137, 139, 143
N Neuraminidase 55, 58 Nipah (virus) 47, 48, 74 Norovirus 29, 103, 104, 107 Nosocomiale (infection) 109 Nosocomiales, infection 107 Nucléotide 14 173
Les virus
O Océans 24 Oiseaux 45, 55, 56, 57, 58, 72, 73, 75, 76, 114 OMS Organisation mondiale de la Santé 41, 49, 50, 53, 57, 59, 63, 65, 68, 78, 81, 82, 89, 99, 106, 109, 126, 150, 158 Oncogènes 133, 134, 136, 139, 140, 142, 143, 144, 147 Oreillons 10, 37, 94, 97, 99, 100 Orthomyxovirus 54
P Paludisme 48, 66, 125, 142 Pandémie 20, 41, 43, 44, 52, 53, 55, 56, 57, 58, 59, 74, 77, 78, 79, 83, 84, 85, 86, 87, 89, 93, 99, 102, 107, 157, 164 Panencéphalite sclérosante subaiguë(SSPE) 113 Pangolins 89 Papillomavirus 147, 153 Paramyxovirus 48 Parasites 15, 22, 131, 153 Pasteur, Louis 9 Pauvreté 121 PCR 23 Peste bovine, virus 95, 110, 111 Phages 25, 26, 29 Photosynthèse 25, 26 Phytoplancton 25, 26 Picornavirus 164 Placenta 35, 68, 99, 105, 118 174
Plancton 24, 25 Pneumonie 70, 77, 79, 81, 97, 98, 101, 102, 108, 118, 124, 164 Poliomyélite 106 Population 20, 25, 29, 32, 40, 44, 45, 50, 53, 55, 60, 69, 70, 94, 96, 105, 114, 130, 137, 153, 154, 155 Professionnels de la santé 31, 52 Prophylaxie 125 Protéines 15, 16, 17, 21, 23, 26, 34, 36, 93, 114 Provirus 18, 122, 136, 164 Pucerons 15, 31
R Rage 10 Rats 157 Réaction en chaîne par polymérase 23 Récepteurs 34, 144 Reproduction 29, 46, 66, 70, 125, 142 Rétrovirus 18, 21, 54, 113, 120, 121, 136, 137, 140, 146, 164 Rhinovirus 30, 101, 164 Rhume 29, 55, 75, 76, 97, 101, 102 R, nombre 47, 86, 164 ROR (rubéole, oreillons, rougeole) 99 Rotavirus 29, 103, 104, 165 Rous, Peyton 133 Rubéole 10, 37, 94, 97, 99, 100 RVFV Virus de la fièvre du Rift Valley Rift 68
Index
S Sang et produits sanguins 53, 129, 130, 138 SARS coronavirus-2 (SARSCoV-2) 15, 20, 21, 29, 41, 43, 76, 82, 83, 86, 88, 90, 93, 154, 158 SARS coronavirus (SARS-CoV) 42, 76-80, 82, 89, 90, 93, 154 SARS (severe acute respiratory syndrome) 43, 74 Scarlatine 94, 99 Schmallenberg, virus (SBV) 70, 71, 73 Sclérose en plaques 36, 119 Services de santé 50, 85, 102, 126 Shunt viral 26 Sida 15, 53, 54, 120-122, 124, 125
T Taux de mortalité cancer 150 coronavirus MERS-CoV 81 Covid-19 84, 87, 88, 109 dengue 65 fièvre de la vallée du Rift 68, 70 grippe 102, 103 grippe aviaire 57, 58 Nipah 48 virus Ebola 50 Transcriptase inverse 18, 125, 137 Transmission féco-orale 95, 96, 102 Transmission sexuelle 68, 115 Treponema pallidum 31
TTV 112 Tuberculose 10, 124
V Vaccination 38-41, 52, 59, 88, 93, 94, 97, 98, 100, 102, 106, 107, 130, 147, 150, 152, 157, 158 Vaccine (variole de la vache) 38, 41 Van Leeuwenhoek, Antonie 9 Varicelle 94, 97, 100, 117 Variole 10, 16, 22, 33, 37, 38, 95, 97, 109, 110, 153 Variole du singe 156, 157 VIH 15, 18, 20, 31, 32, 42, 43, 52, 120, 122, 123, 126, 131, 154 récepteur 15, 121 stade 124 système immunitaire 16, 123 système nerveux central 124 transmission sexuelle 53, 125 virus tumoraux 134 Virion 10 Virosphère 24 Virus aviaire (bronchite infectieuse) 75 chauve-souris 89 chikungunya 66 du Nil 72 fièvre catarrhale ovine 70 immunodéficience simienne 54 mosaïque du tabac (TMV) 10 persistants 42, 100, 112, 124, 131, 135, 136, 153 175
Les virus
taille 12, 24, 27, 140 tumoraux 118, 133, 134, 145 tumoraux humains 135, 136, 152 zoonotiques 45, 91, 154, 165 Virus à ADN 18, 21, 114, 136, 144 Virus de la fièvre jaune (VFJ) 31, 61-63, 72 Virus émergents 42 Vison 90 VRS virus respiratoire syncytial 42
176
Y Yuang Chan 143
Z Zika 67 Zika, virus 43, 61, 66, 67, 72, 74 Zona 100, 117 Zur Hausen, Harald 148