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French Pages [595]
Jean Mutombo Ndalamba, pasteur et docteur en Ancien Testament (Université de Lausanne), est engagé dans la promotion des droits humains et les initiatives de paix dans son pays, la République Démocratique du Congo et la région des Grands Lacs. Longtemps Secrétaire de la commission théologique et Directeur du bureau du Président National de l’Eglise du Christ au Congo, il est actuellement pasteur au Département des Actions missionnaires de l’Evangelische Kirche von Westfalen (Dortmund/Allemagne).
ISBN 978-3—0343-0472-6
Jean Mutombo Ndalamba Jean Mutombo Ndalamba · Les rôles des nations étrangères dans Esaïe 1-39
Quel est le plan rédactionnel du livre d’Esaïe ? Quelle est l’histoire de sa formation ? Quels sont les milieux qui l’ont produit ? Ce livre tente de répondre à ces questions à partir des rôles des nations étrangères, en particulier ceux attribués à l’Assyrie et la Babylonie dans les 39 premiers chapitres. S’appuyant sur des travaux antérieurs et proposant des nouvelles analyses, l’auteur élabore un modèle rédactionnel qui ne se limite pas à l’établissement des strates rédactionnelles comme c’est souvent le cas. Il s’applique, au contraire, de faire apparaître les positions théologiques des différentes rédactions tout en proposant une hypothèse originelle et novatrice pour la compréhension de ces textes et leur fonction à l’intérieur du rouleau d’Ésaïe. A partir de l’observation que ce livre s’ouvre dans une situation de crise et s’achève par des annonces de restauration et de paix, l’auteur élabore un modèle de rédacteurs successifs insistant d’abord sur le jugement et plus tardivement sur la paix et la possibilité du salut. Cet ouvrage apporte une démonstration originelle en montrant comment la parole du prophète a servi, grâce aux différentes rédactions, à accompagner le peuple de Juda depuis la monarchie jusqu’à l’époque hellénistique. Marquées par l'affirmation de la souveraineté de YHWH comme motif théologique principal, ces rédactions influencées par les traditions de Moïse, David et Salomon reflètent sept situations du temple de Jérusalem dont la vision inaugurale est le pivot inspirateur.
XXIII/907
European University Studies
Les rôles des nations étrangères dans Esaïe 1-39 De la rédaction de crise à la rédaction de paix
www.peterlang.com
Peter Lang
Jean Mutombo Ndalamba, pasteur et docteur en Ancien Testament (Université de Lausanne), est engagé dans la promotion des droits humains et les initiatives de paix dans son pays, la République Démocratique du Congo et la région des Grands Lacs. Longtemps Secrétaire de la commission théologique et Directeur du bureau du Président National de l’Eglise du Christ au Congo, il est actuellement pasteur au Département des Actions missionnaires de l’Evangelische Kirche von Westfalen (Dortmund/Allemagne).
Jean Mutombo Ndalamba Jean Mutombo Ndalamba · Les rôles des nations étrangères dans Esaïe 1-39
Quel est le plan rédactionnel du livre d’Esaïe ? Quelle est l’histoire de sa formation ? Quels sont les milieux qui l’ont produit ? Ce livre tente de répondre à ces questions à partir des rôles des nations étrangères, en particulier ceux attribués à l’Assyrie et la Babylonie dans les 39 premiers chapitres. S’appuyant sur des travaux antérieurs et proposant des nouvelles analyses, l’auteur élabore un modèle rédactionnel qui ne se limite pas à l’établissement des strates rédactionnelles comme c’est souvent le cas. Il s’applique, au contraire, de faire apparaître les positions théologiques des différentes rédactions tout en proposant une hypothèse originelle et novatrice pour la compréhension de ces textes et leur fonction à l’intérieur du rouleau d’Ésaïe. A partir de l’observation que ce livre s’ouvre dans une situation de crise et s’achève par des annonces de restauration et de paix, l’auteur élabore un modèle de rédacteurs successifs insistant d’abord sur le jugement et plus tardivement sur la paix et la possibilité du salut. Cet ouvrage apporte une démonstration originelle en montrant comment la parole du prophète a servi, grâce aux différentes rédactions, à accompagner le peuple de Juda depuis la monarchie jusqu’à l’époque hellénistique. Marquées par l'affirmation de la souveraineté de YHWH comme motif théologique principal, ces rédactions influencées par les traditions de Moïse, David et Salomon reflètent sept situations du temple de Jérusalem dont la vision inaugurale est le pivot inspirateur.
XXIII/907
European University Studies
Les rôles des nations étrangères dans Esaïe 1-39 De la rédaction de crise à la rédaction de paix
Peter Lang
Les rôles des nations étrangères dans Esaïe 1-39
European University Studies Europäische Hochschulschriften Publications Universitaires Européennes
Series XXIII Theology Reihe XXIII Série XXIII Theologie Théologie Vol./Band 907
PETER LANG Bern · Berlin · Bruxelles · Frankfurt am Main · New York · Oxford · Wien
Jean Mutombo Ndalamba
Les rôles des nations étrangères dans Esaïe 1-39 De la rédaction de crise à la rédaction de paix
PETER LANG Bern · Berlin · Bruxelles · Frankfurt am Main · New York · Oxford · Wien
Bibliographic information published by die Deutsche Nationalbibliothek Die Deutsche Nationalbibliothek lists this publication in the Deutsche Nationalbibliografie; detailed bibliographic data is available on the Internet at ‹http://dnb.d-nb.de›.
Prix de la Faculté de l’année 2008 de l’Université de Lausanne, ce livre est publié avec le concours de la commission des publications de l’Université de Lausanne.
ISSN 0721-3352 ISBN 978-3-0343-0472-6 pb. ISBN 978-3-0351-0621-3 eBook
© Peter Lang AG, International Academic Publishers, Bern 2013 Hochfeldstrasse 32, CH-3012 Bern, Switzerland [email protected], www.peterlang.com All rights reserved. All parts of this publication are protected by copyright. Any utilisation outside the strict limits of the copyright law, without the permission of the publisher, is forbidden and liable to prosecution. This applies in particular to reproductions, translations, microfilming, and storage and processing in electronic retrieval systems. Printed in Switzerland
A Rose Ilunga Mutombo Twite, à nos enfants Josiane, Alfred, Gisela et Matthes Mutombo pour la patience, tant de sacrifices et l’attente passionnée d’un Congo meilleur Aux artisans de la paix dans le monde.
VI
Avant-propos
Le présent ouvrage est la version corrigée de ma thèse doctorale défendue à l’Université de Lausanne en avril 2008. Il est l’aboutissement d’un processus d’observation, de questionnement et de tentatives de réponses sur les enjeux théologiques du livre d’Esaïe marqué par la souveraineté de Dieu comme motif théologique et orienté vers la paix comme but ultime de ce Dieu, Maître de l’histoire. Sans le concourt multiforme des uns et des autres, cette entreprise de longue haleine ne pourrait atteindre le résultat escompté. A tout Seigneur tout honneur, je tiens à rendre grâce à Dieu pour sa protection et sa lumière pendant ce long chemin. Mes remerciements s’adressent également à la Mission de Bâle pour l’octroi de la bourse, grâce à laquelle mes recherches à Kinshasa et en Suisse ont été rendues possibles. Pendant mon séjour à Lausanne, j’ai bénéficié d’une franche collaboration des amis, collègues de l’IRSB et de l’EPER. Merci aux membres de l’Eglise Evangélique Baptiste de Lausanne pour leur soutien moral et financier. Les encouragements amicaux de C. Etienne, Dr. M. Gautschi, P. Dipertius, C. Bénoît, Mme Choffat, Natacha et Bertrand Rickenbacher, Züsi et Christoph Schnyder, les familles Berthoud, Favre, etc. m’ont aidé à poursuivre et finaliser mes recherches. Que toutes et tous reçoivent l’expression de ma profonde gratitude. Merci au Prof. J.-D. Macchi dont la lecture fouillée du livre d’Esaïe, m’a ouvert à des nouvelles dimensions herméneutiques sur ce livre. Les recherches se sont poursuivies en Allemagne alors que je travaille comme Pasteur dans l’Ökumenische Werkstatt-Bethel. A cette étape, j’ai bénéficié du soutien moral de collègues et de l’appui financier de certaines paroisses. L’acceptation par le Prof. D. Nocquet (Université de Montpellier) à lire le travail est une motivation exceptionnelle. Ses remarques pertinentes teintées de rigueur scientifique m’ont aidé à améliorer la qualité de mon travail. Par sa disponibilité à lire mon travail et à me prodiguer des conseils dans un climat cordial, le brillant Prof. S. Schorch (Kirchliche Hochschule / Bielefeld-Béthel) a été pour moi un soutien scientifique remarquable. VII
Comme travail perfectible et pour le rendre lisible et compréhensible, ce livre a reçu la correction systématique et rigoureuse de Madame C. Etienne et surtout celle du Pasteur D. Corbaz à qui j’adresse mes remerciements sincères. Je ne peux terminer sans mentionner de manière particulière le Prof. T. C. Römer, mon Directeur de thèse, pour son accompagnement scientifique fortement dosé de patience et d’amour. Sa présence à mes côtés a été une chance pour reprendre les propos du Prof. E. Dommen (Université de Genève) lors de notre rencontre à Wuppertal. Chance que d’avoir un tel Prof. dont la renommée a traversé le vieux continent et son apport scientifique a ouvert les sciences bibliques à des nouvelles perspectives. Ses conseils scientifiques, ses encouragements amicaux et son encadrement patient m’ont aidé à produire un travail dont la qualité a été primé par un prix de la Faculté de l’Université de Lausanne. La palme d’or de remerciements lui revient. Merci en particulier à l’Université de Lausanne pour avoir subventionné en grande partie la publication de ce livre.
VIII
Préface
Le livre d’Esaïe qui ouvre dans la plupart des manuscrits la deuxième partie des Nebiim (les «Prophètes Postérieurs») est d’une importance majeure pour la compréhension de la littérature prophétique de la Bible hébraïque. Sa distinction traditionnelle en «Proto-, «Deutéro- et «TritoÉsaïe» reflète le grand parcours chronologique auquel le livre invite le lecteur: de la monarchie judéenne du huitième siècle avant notre ère jusqu’à la situation de diaspora à l’époque perse voire hellénistique. Ainsi le livre couvre toutes les époques des prophètes du corpus prophétique. Sur le plan théologique, le livre d’Ésaïe trace également un parcours qui va du jugement à la possibilité du salut, un salut qui selon la théologie du livre n’est pas encore pleinement réalisée mais qui est menacé et qui demande une intervention divine ainsi que la transformation du comportement des destinataires. Le livre d’Ésaïe placé à la suite des livres de Josué à 2 Rois (les «Prophètes Antérieurs») se veut, selon ses derniers rédacteurs, également une réaction possible à la destruction de Jérusalem bien qu’il existe évidemment une coupure sur le plan chronologique. Es 1,4 et 28 ouvrent le livre par le thème de l’abandon de Yhwh par son peuple. L’expression «abandonner Yhwh» est absente du Tetrateuque mais parcourt l’ensemble des livres du Deutéronome à Rois et y sert d’explication pour le jugement divin. Le fait que le thème de l’abandon de Yhwh encadre le livre d’Es (voir à la fin en 65,11)1 peut être l’indication d’une volonté de rendre ce livre compatible avec les Prophètes antérieurs. Mais en même temps l’encadrement de Es 1 et 56-66 n’enferme pas le livre dans le constat du jugement et de la colère divine (bien que celle-ci soit également présente à la fin du livre), la finale ouvre clairement vers des thèmes eschatologiques voire apocalyptiques: l’annihilation des ennemis, la restauration merveilleuse de Sion, une création nouvelle et la fin de toute souffrance. 1
Pour la fonction d’es 1 et 65-66 comme encadrement du livre voir l’ouvrage de Joëlle Ferry, Isaïe: «Comme les mots d’un livre scellé…» (Is 29,11) (Lectio divina 221), Paris: Cerf, 2008, 39-65.
IX
Ce parcours qui s’applique à l’ensemble du livre est également sousjacent dans la première partie du livre (Es 1-39), appelé communément le «Premier Esaïe». La recherche exégétique des dernières décennies a montré que cette désignation ne peut être comprise dans le sens d’une attribution globale de ces chapitres à l’époque du «Esaïe historique» (dont les contours deviennent d’ailleurs de plus en plus flous). Au contraire, le Proto-Esaïe constitue tout un laboratoire de l’actualisation permanente de la parole prophétique. Le grand intérêt de l’ouvrage de Jean Mutombo, fruit d’une thèse de doctorat soutenue à l’Université de Lausanne, est d’avoir apporté une démonstration originelle et aussi provocante, montrant comment la parole du prophète a servi, grâce aux différentes rédactions, à accompagner le peuple de Juda depuis la monarchie jusqu’à l’époque hellénistique. Jean Mutombo prend comme point de départ les textes qui se réfèrent à l’Assyrie et à Babylone et qui se trouvent – à l’exception d’Es 14 – en dehors des «oracles contre les nations». Ces oracles présentent l’intérêt de s’adresser aux deux grandes puissances qui ont dominé et menacé le peuple de Yhwh et qui ont provoqué la chute de Samarie et la destruction du temple de Jérusalem et la déportation de l’intelligentsia judéenne. Les noms d’Assyrie et de Babylone deviennent plus tard des «chiffres» pouvant désigner d’autres empires, une technique qui se poursuit jusqu’à l‘Apocalypse de Jean dans le Nouveau Testament. Jean Mutombo, s’appuyant sur des travaux antérieurs, élabore un modèle rédactionnel pour l’intelligence d’Esaïe 1-39 à partir des différents rôles qui sont attribués à l’Assyrie et la Babylonie dans un certain nombre de passages choisis. Son enquête diachronique ne se limite cependant pas à l’établissement des strates rédactionnelles comme c’est souvent le cas. L’auteur s’applique, au contraire, de faire apparaître les positions théologiques des différentes rédactions tout en proposant une hypothèse originelle et novatrice pour la compréhension de ces textes et leur fonction à l’intérieur du rouleau d’Ésaïe. A partir de l’observation que ce livre s’ouvre dans une situation de crise et s’achève par des annonces de restauration et de paix, l’auteur élabore l’hypothèse des rédacteurs successifs insistant d’abord sur le jugement et plus tardivement sur la paix et la possibilité du salut. Curieusement, le même phénomène s’applique au Proto-Ésaïe qui est «encadré» par une rédaction de crise en 1,2-7 et une rédaction de paix en X
39,8. Jean Mutombo situe la rédaction de crise après la chute de Jérusalem en 587 et la caractérise à cause de ses affinités théologiques avec les livres de Deutéronome à 2 Rois cde «deutéronomiste». Quant aux rédactions de paix, Jean Mutombo postule l’existence de deux rédactions bien distinctes, une première qu’il qualifie de «sacerdotale» et qui aurait vu le jour au début de l’époque perse (vers 515 avant notre ère), suivie d’une deuxième, apocalyptique, qui daterait de l’époque d’Antioche IV (vers 164 avant notre ère). La démonstration est fournie à partir d’une analyse du chapitre 30 où l’auteur invite le lecteur à identifier ces trois rédactions: la rédaction de crise en 30,1-3.9-14, la rédaction de paix sacerdotale en 30,19-25a, et la rédaction de paix apocalyptique en 30,17-18.25b-33. Ce sont ces trois rédactions qui éditent et structurent l’ensemble du livre d’Ésaïe. Mutombo montre également que l’histoire rédactionnelle de ce livre ne peut être limitée à ces trois rédactions, il a connu bien d’autres interventions, mais ce sont ces trois rédactions qui sont responsables de l’architecture du livre et du parcours théologique qui s’y dégage. L’auteur s’efforce ensuite de préciser les contours de ces rédactions et les manières d’intervention des rédacteurs. Le noyau ésaïen du livre aurait comporté grosso modo les passages 6,1-8; 7,6-9*; 8,1-4; 9,7-12 et 28,1-4. Le programme d’Es 2,6 fait partie d’une première rédaction intervenant avant la «rédaction de crise», une rédaction qui condamne la politique religieuse de Manassé que l’on peut mettre en relation avec un travail rédactionnel à l’époque de Josias2, reflétant le programme théologique et la politique anti assyrienne attribués à Josias. La rédaction deutéronomiste de crise qui présuppose la destruction du temple fait de l’Assyrie l’œuvre dans la main de Yhwh. Cette rédaction s’appuie particulièrement sur les traditions de l’exode, de David et du Temple, reflétant par là peut-être une théologie «sioniste» accompagné de l’espoir du maintien de la dynastie davidique. Entre la rédaction deutéronomiste de crise et la rédaction sacerdotale, l’auteur découvre en 14,4-11 une strate rédactionnelle reflétant la fin de l’empire babylonien. La rédaction sacerdotale du début de l’époque
2
H. Barth, Die Jesaja-Worte in der Josiazeit. Israel und Assur als Thema einer produktiven Neuinterpretation der Jesajaüberlieferung (WMANT 48), Neukirchen-Vluyn: Neukirchener Verlag, 1977.
XI
perse inscrit dans le livre l’idée du retour possible mais elle fait de Sion également le centre non seulement du peuple de Yhwh, mais de toutes les nations (Es 2,2-4). Les scribes responsable de cette édition du livre voient l’identité du judaïsme naissant dans les activités cultuelles autour du temple reconstruit et acceptent l’empire perse comme un «don» de Yhwh qui a envoyé les Achéménides pour mettre fin aux empires hostiles à Israël. La rédaction apocalyptique, quant à elle, fait de l’Assyrie le symbole de tous les empires hostiles à Israël. L’oracle d’Es 14,12-27 annonce la chute de cette «Assyrie» qui pourrait refléter les Ptoléméens visés par les rédacteurs de ce passage. Très audacieusement, l’auteur propose en effet de situer cette rédaction apocalyptique vers 164 avant notre ère, faisant ainsi des scribes responsables de cette rédaction les contemporains des éditeurs du livre de Daniel. Cette hypothèse va certainement donner lieu à une discussion exégétique. Peut-on imaginer une telle rédaction alors que le livre du Siracide semble, au premier siècle avant notre ère, présupposer la clôture du canon prophétique. Le débat est cependant ouvert et c’est un des mérites de cette thèse d’avoir mis l’accent aussi sur les dernières rédactions du livre qui certainement sont décisives pour comprendre sa structure et sa théologie. Ainsi, à travers ces différentes rédactions, l’Assyrie change d’identité. D’une réalité concrète dans les premières rédactions, elle devient un nom de code pour d’autres nations voire pour le «mal» en général dans les rédactions de paix. Cette thèse a été rédigée par son auteur dans des situations difficiles. Entre la République démocratique du Congo, l’Allemagne et la Suisse, Jean Mutombo a beaucoup voyagé et s’est occupé non seulement du travail scientifique; il a accompli avec courage et détermination ses tâches pastorales au Congo et en Allemagne. Malgré ses différentes charges, il a réussi à maîtriser le débat exégétique complexe sur la formation du livre d’Esaïe dans les publications en allemand, anglais et en français. Le résultat de ces efforts est une thèse qui n’est pas un simple exercice académique mais qui trahit aussi des préoccupations issues de ses propres expériences. Cela n’enlève rien au sérieux de l’ouvrage, bien au contraire. La faculté de théologie et des sciences des religions de l’Université de Lausanne a d’ailleurs honoré la thèse de jean Mutombo avec un prix de faculté. XII
Bien entendu, ce livre demande quelques efforts au lecteur, il s’agit d’un travail d’exégèse avec tout ce que cela implique au niveau de la technicité et peut-être aussi d’une certaine répétitivité. Mais les fruits qu’il peut y cueillir sont considérables. C’est une lecture renouvelée des oracles sur Assur et Babylone qui est proposée et qui contribuera à mieux saisir l’importance du premier livre des Nebiim Aharonim. Thomas Römer
Professeur de Bible hébraïque à l’Université de Lausanne au Collège de France
XIII
XIV
Liste des abréviations
ANET:
Ancient Near Eastern Texts
AOAT:
Altorientalische Texte zum Alten Testament
BHH:
Biblisch-historisch Handwörterbuch
BHS:
Biblia Hebraica Stuttgartensia
Bib:
Biblica
BZ:
Biblische Zeitschrift
BZAW:
Beihefte zur Zeitschrift für die Alttestamentliche Wissenschaft
CAT:
Commentaire de l’Ancien Testament
CBQ:
Catholic Biblical Quarterly
Chr:
Chroniste
Dtr:
Deutéronomiste
EPER:
Entraide protestante suisse
HD:
Historiographie deutéronomiste
Int:
The Interpreter’s Bible Commentary
IRSB:
Institut romand des sciences bibliques
JQR:
Jewish Quarterly Review
Jr-Dtr:
Jérémie deutéronomiste
JSNT:
Journal for the Study of the New Testament
JSOT:
Journal for the Study of the Old Testament
NBL:
Neues Bibel-Lexikon
OBO:
Orbis Biblicus et Orientalis
P1-S:
Rédaction de paix sacerdotale
P2-AP:
Rédaction de paix apocalyptique
RC-DtrE:
Rédaction de crise deutéronomiste
RC-DtrE:
Rédaction de crise deutéronomiste exilique
StTh:
Studia Theologica
TGI:
Textbuch zur Geschichte Israels
ThR:
Theologische Rundschau
THWAT:
Theologisches Wörterbuch zum Alten Testament
TM:
Texte massorétique
TOB:
Traduction œcuménique de la Bible
XV
TThS:
Trier Theologische Studien
TZ:
Theologische Zeitschrift
VT:
Vetus Testamentum
ZAW:
Zeitschrift für die Alttestamentliche Wissenschaft
XVI
Table des matières
Partie I De la crise à la paix: Un plan rédactionnel du livre 1. Introduction et état de la question ................................................. 3 1.1 Introduction ............................................................................ 3 1.2 Le thème des rôles des nations étrangères dans l’histoire de la recherche ................................................ 7 1.2.1 Le prophète Esaïe et les nations étrangères dans l’héritage de H. Donner ....................................... 9 1.2.2 La rédaction du livre et les nations étrangères .............12 1.2.3 L’avenir de la recherche sur le thème des rôles des nations étrangères ...................................................13 1.2.4 La contribution de G. I. Davies.....................................14 1.3 Aperçu sur le débat relatif à l’histoire de la formation du livre ....................................................................................16 1.3.1 Deux pistes pour interpréter l’histoire de la formation du livre ................................................16 1.4 Synthèse ..................................................................................28 1.5 Buts, choix des textes et méthodes ........................................29 1.5.1 Buts du travail ..............................................................29 1.5.2 Choix des textes ...........................................................30 1.5.3 Remarques des méthodes .............................................31 1.6 Plan du travail.........................................................................37 2. De la crise à la paix dans Es 1-39 .................................................39 2.1 La crise à cause de l’infidélité envers le Temple (1.2-7a) ...................................................................................40 2.1.1 Introduction ..................................................................40 2.1.2 Délimitation du texte ....................................................41 2.1.3 Traduction du texte .......................................................42 XVII
2.1.4 Structure de la péricope ............................................. 2.1.5 Analyses et commentaires ......................................... 2.1.6 Conclusion ................................................................. 2.2 La paix et la stabilité dues à la fidélité envers le Temple (39.8) ....................................................... 2.2.1 Introduction ............................................................... 2.2.2 Délimitation du texte ................................................. 2.2.3 Traduction du texte .................................................... 2.2.4 Structure du texte ...................................................... 2.2.5 Analyses et commentaires ......................................... 2.2.6 Conclusion ..................................................................
43 44 50 51 51 53 53 54 54 62
3. De la rédaction de crise aux éditions de paix dans le ch. 30 .............................................................................. 65 3.1 Introduction ......................................................................... 3.2 L’abandon de YHWH et la crise de Juda (30.1-3) ................................................................................ 3.2.1 Introduction ............................................................... 3.2.2 Délimitation du texte ................................................. 3.2.3 Traduction du texte .................................................... 3.2.4 Structure de la péricope ............................................. 3.2.5 Analyses et commentaires ......................................... 3.2.6 Conclusion ................................................................. 3.3 Le retour à YHWH source de vie abondante (30.19-25a*) ........................................................................ 3.3.1 Introduction ............................................................... 3.3.2 Délimitation du texte ................................................. 3.3.3 Traduction .................................................................. 3.3.4 Structure du texte ...................................................... 3.3.5 Analyses et commentaires ......................................... 3.3.6 Conclusion ................................................................. 3.4 L’anéantissement des nations et d’Assyrie (30.25b-33) .......................................................................... 3.4.1 Introduction ............................................................... 3.4.2 Délimitation du texte ................................................. 3.4.3 Traduction .................................................................. 3.4.4 Structure du texte ...................................................... XVIII
65 65 65 66 69 70 71 121 123 123 125 129 131 133 162 164 164 164 166 167
3.4.5 Analyses et commentaires ......................................... 3.4.6. Conclusion ................................................................. 3.5 Conclusion sur le plan rédactionnel du ch. 30 .................... 3.5.1 Trois éditions sur l’Egypte (30.1-8) .......................... 3.5.2 L’écroulement et le brisement de Juda (30.9-14) .................................................................... 3.5.3 Bonheur aux fidèles et malheur aux rebelles (30.15-18) .................................................................. 3.6 Conclusion provisoire .........................................................
168 205 208 210 251 288 319
Partie II Rôles des nations étrangères: 7 éditions pour 7 situations du Temple de Jérusalem dans 3 milieux rédactionnels 4. Du 8e au 2e siècle: un long processus de formation du livre d’Esaïe .......................................................................... 325 4.1 Introduction ......................................................................... 4.2 Butin de Samarie devant le roi de l’Assyrie (8.1-4) ........... 4.2.1 Introduction ............................................................... 4.2.2 Délimitation du texte ................................................. 4.2.3 Traduction .................................................................. 4.2.4 Structure du texte ...................................................... 4.2.5 Analyse et commentaires .......................................... 4.2.6 Conclusion ................................................................. 4.3 Crise de Juda à cause de son allégeance étrangère (2.6) .... 4.3.1 Introduction ............................................................... 4.3.2 Délimitation du texte ................................................. 4.3.3 Traduction .................................................................. 4.3.4 Structure du texte ...................................................... 4.3.5 Analyse et commentaires .......................................... 4.3.6 Conclusion ................................................................. 4.4 L’arrogance et la chute de l’Assyrie (10.5-15) ................... 4.4.1 Introduction ............................................................... 4.4.2 Délimitation de la péricope .......................................
325 326 326 327 330 331 332 347 348 348 349 351 351 352 369 370 370 372 XIX
4.5
4.6
4.7
4.8
XX
4.4.3 Traduction .................................................................. 4.4.4 Structure du texte ...................................................... 4.4.5 Analyse et commentaires .......................................... 4.4.6 Conclusion ................................................................. Babylone: Instrument de YHWH contre Juda (8.5-8*) ................................................................................ 4.5.1 Introduction ............................................................... 4.5.2 Délimitation du texte ................................................. 4.5.3 Traduction .................................................................. 4.5.4 Structure du texte ...................................................... 4.5.5 Analyse et commentaires .......................................... 4.5.6 Conclusion ................................................................. Le déclin et l’arrogance du roi de Babylone (14.4-23) .............................................................................. 4.6.1 Introduction ............................................................... 4.6.2 Délimitation du texte ................................................. 4.6.3 Traduction .................................................................. 4.6.4 Structure du texte ...................................................... 4.6.5 Analyse littéraire et commentaires ............................ 4.6.6 Conclusion ................................................................. Nations et peuples: Artisans de la paix (2.2-4) ................... 4.7.1 Introduction ............................................................... 4.7.2 Délimitation du texte ................................................. 4.7.3 Traduction .................................................................. 4.7.4 Structure du texte ...................................................... 4.7.5 Analyse et commentaires .......................................... 4.7.6 Conclusion ................................................................. La chute de l’astre brillant à cause de l’arrogance (14.12-20) ............................................................................ 4.8.1 Introduction ............................................................... 4.8.2 Délimitation du texte ................................................. 4.8.3 Traduction .................................................................. 4.8.4 Structure du texte ...................................................... 4.8.5 Analyse et commentaires .......................................... 4.8.6 Conclusion provisoire ...............................................
374 376 378 414 416 416 419 422 422 423 436 437 437 440 442 443 445 485 486 486 489 492 493 494 520 521 521 524 525 525 526 532
5. Evaluations et conclusion générale ............................................ 535 5.1 De l’édition de la crise à une double édition de paix: un plan rédactionnel vertical et horizontal ......................... 5.2 Sept couches rédactionnelles, sept situations du Temple de Jérusalem par trois milieux littéraires ............................ 5.3 Les rôles des nations dans l’élaboration du livre ................ 5.4 Moïse, David et le culte revisités: trois traditions par trois milieux rédactionnels ............................................ 5.5 Les travaux de recherches ultérieures ................................. 5.6 Les conséquences pratiques ................................................ 5.7 Deux idées maîtresses de notre travail du rouleau d’Esaïe ...............................................................
537 539 541 551 552 552 553
6. Bibliographie .............................................................................. 555
XXI
Partie I De la crise à la paix: Un plan rédactionnel du livre
2
1. Introduction et état de la question
1.1 Introduction L’analyse du thème des «Rôles des nations étrangères dans le ‹ProtoEsaïe›» facilite la découverte du plan rédactionnel et l’interprétation de l’histoire de la formation du livre d’Esaïe. Car, ce thème y occupe une place centrale. Il l’ouvre, le traverse et le clôture. Les nations y sont désignées globalement ou singulièrement. C’est le cas de nations étrangères suivantes: Assyrie, Babylone, Egypte, Kush (Ethiopie), Perse, Aram (Syrie), Ephraïm (d’Israël du Nord)1, Philistie, Arabie, Moab, Edom. Elles exercent différents rôles: 1. 2. 3. 4.
menace contre Juda, instruments de justice de YHWH objet du châtiment divin artisans de la paix universelle.
Ces rôles révèlent les prises de position des prophètes sur les questions de politique étrangère de Juda/Israël. Il s’agit de leurs interprétations théologiques sur l’impact de l’émergence ou du déclin des puissances du Proche-Orient ancien sur la vie politique et religieuse de leur peuple. En se prononçant sur les nations étrangères, les prophètes ont voulu affirmer la souveraineté de YHWH, non seulement sur Juda/Israël, mais aussi sur toutes les nations. Pour le livre d’Esaïe, YHWH est le Roi du ciel et de la terre. Il est le Maître de l’histoire. C’est lui qui influence le cours des événements. Parce que YHWH est le Roi des nations, il est également au-dessus de leurs dieux. Cette vérité théologique tire sa source de la vision inaugurale d’Esaïe (6.1-8). Ce texte sera lu, relu et actualisé durant les 500 ans (du 8e au 2e siècle) de l’histoire rédaction-
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Nous considérons le royaume d’Israël du Nord comme une nation étrangère par rapport à Juda, depuis la scission sous Jéroboam jusqu’à sa destruction par les Asyriens (722).
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nelle du livre afin de trouver une nouvelle signification à la lumière des nouveaux événements. Toute cette activité s’est déroulée autour ou dans le Temple de Jérusalem, en tant que lieu de la manifestation de la souveraineté. Ceci permet d’affirmer que les étapes de la rédaction du livre représentent les différentes situations de ce Temple. La proclamation de la souveraineté de YHWH semble être le message central du livre d’Esaïe. Il s’agit d’un appel à la gestion du monde selon la volonté divine. Dans ce livre, les rois sont les fils de YHWH. Ils règnent par délégation afin de réaliser le plan (but) divin pour le monde. Ce but est la paix et la stabilité à travers la justice. Les situations de crises ou de paix sur le plan international sont expliquées en rapport avec l’attitude des rois et des peuples envers YHWH et son Temple. La paix et la stabilité sont comprises comme le résultat de la reconnaissance de la souveraineté de YHWH. Tandis que la chute des nations est considérée comme la conséquence de la méconnaissance de la royauté divine. Concrètement, la pratique de l’injustice sous toutes ses formes, la profanation du Temple de Jérusalem et l’idolâtrie symbolisent l’arrogance envers YHWH. La crise et la paix se reflètent dans le plan rédactionnel des 66 chapitres, dès le «Proto-Esaïe» où la crise se trouve dans la désolation du pays, l’incendie de ses villes et leur destruction par les étrangers (1.27a). Tandis la protection de Jérusalem de la menace des étrangers représente la paix et la stabilité pendant le règne d’Ezéchias (39.8) qui clôturent le «Proto-Esaïe». La crise et la paix symbolisent deux situations du Temple, lieu de la manifestation de la souveraineté de YHWH. La destruction du Temple de Jérusalem en 587 par les Babyloniens (1.2-7a) est pendant l’exil interprétée par les prophètes deutéronomistes comme la conséquence de la désobéissance des rois et du peuple de Juda à YHWH. Cette situation est restituée dans ce que nous appelons la rédaction de crise, désignée par le sigle RC-DtrE. Tandis que la «pax persica» est considérée par les milieux sacerdotaux comme le fruit de la fidélité d’Israël à YHWH (39.8). Cette situation est traduite dans ce que nous désignons par la «rédaction de paix», P1-S, en abrégé. La mention de la paix à la fois en 60.17 et 66.12 relie le «Proto-Esaïe» au «Trito-Esaïe». En outre, elle montre comment le livre se termine avec une double édition de paix. Si 60.17 se rapproche de 39.8, 66.12 par contre constitue une seconde édition apocalyptique de paix, que nous avons désignée par l’abréviation P2-AP. 4
La crise et la paix dans leur relation avec le Temple constituent les deux facettes de la prophétie de Nathan à David et à sa dynastie. Par la bouche de son prophète, YHWH promet à David la stabilité éternelle de sa royauté par son successeur, Salomon, dont la mission sera de construire le Temple. YHWH sera pour lui un père et il sera pour lui un fils. La relecture exilique de cette prophétie ajoute: «s’il commet une faute, je le corrigerai en me servant d’hommes pour bâton et d’humains pour le frapper» (2 S 7.14). Le châtiment divin dans la promesse de Nathan suppose la crise dont il est question en 1.2-7a. Par contre, la stabilité éternelle est incarnée par le règne d’Ezéchias dans 39.8. Elle constitue la promesse de Nathan à la progéniture de David: «Devant toi, ta maison et ta royauté seront à jamais stables, ton trône à jamais affermi» (2 S 7.16). Du fait qu’elle se reflète dans 1.2-7a et entretient des liens théologiques avec 39.8, la promesse de Nathan constitue le «fil rouge»2 qui assure le plan rédactionnel des 39 premiers chapitres du livre d’Esaïe. En effet, mentionnée à la fois en rapport avec la crise au début et à la fin du «Proto-Esaïe», la promesse de 2 S 7.16 valable pour 39.8, l’est également pour 60.17 du fait que ce dernier texte correspond au même contexte rédactionnel que 39.8. Appartenant à la rédaction sacerdotale de Paix (P1-S), ces textes ont donné lieu à l’édition apocalyptique de paix (P2-AP), que 66.12 représenterait. Par conséquent, la promesse de 2 S 7.16 serait valable pour ces deux textes. Le plan qui va de la crise à la paix n’est ni un hasard ni un cas isolé. Il représente la structure horizontale et verticale du livre. Sur le plan horizontal, cette ossature n’est pas seulement perceptible dans le «ProtoEsaïe», elle montre l’architecture du livre d’Esaïe comme un tout. Tandis que sa structure verticale est vérifiable aussi bien dans les petites que dans les grandes unités littéraires. Le chapitre 30 en constitue un modèle représentatif. Car, il commence avec la crise à cause de la confiance faite à l’Egypte (vv. 1-3) au détriment de YHWH et se termine avec une double édition de paix, respectivement dans les vv. 19, 20b25a et 25b-33. L’édition de crise en 30.1-3 correspond à 1.2-7a, tandis la rédaction sacerdotale de paix dans 30.19, 20b-25a correspond à 60.17. La rédaction apocalyptique de paix dans 30.20a, 25b-33 est, quant à elle, en accord avec 66.12.
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D. JANTHIAL , L’oracle de Nathan, 2004, p. 23.
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En 30.1-3, le roi et le peuple de Juda sont désignés comme des «fils rebelles». Ils n’ont pas reconnu YHWH comme leur père. Au contraire, ils ont placé leur confiance en Pharaon et l’Egypte à cause de leurs armes. Cette politique étrangère est expliquée par les prophètes cultuels d’origine deutéronomiste comme la cause de la crise, de la fin de la dynastie davidique et de la destruction du Temple de Jérusalem en 587. Les échos de cette situation sont perceptibles dans les livres dtr, de Jérémie et d’Ezéchiel. La condamnation prophétique de cette politique fonde la «théologie de la paix». Cela signifie que celui qui se confie en YHWH, ne peut pas s’appuyer ni sur le pouvoir des armes ni sur les idoles. Il doit, par contre, se tourner vers Dieu. La confiance en YHWH apporte la paix et la prospérité au peuple de Sion, résidant à Jérusalem. Es 30.19-25a fait état de l’avènement de cette ère. Dans ce texte, Dieu se présente comme père et mère, qui prend soin de son peuple. Il donne la pluie afin de rendre l’agriculture et l’élevage possibles. Grâce à la pratique de la justice, les humains et les animaux trouvent leur nourriture et jouissent de la paix. Ce message reflète l’interprétation, par les milieux sacerdotaux, de l’essor du 2e Temple de Jérusalem, devenu le centre de la vie politico-religieuse d’Israël après sa construction (515)3. Du coup, la montagne de Sion, lieu de ce Temple, reprend sa fonction d’antan comme lieu de la manifestation de la gloire de YHWH. Le peuple tire les leçons de son passé malheureux. Il reconnaît la souveraineté de son Dieu et rejette les idoles. Cette situation trouve des parallèles, en particulier, dans les chs. 60-62 et dans les livres des Chroniques. La fidélité du peuple conduit à sa guérison alors que les nations et les peuples ennemis de YHWH subissent son châtiment. Cette situation est décrite en 30.25b-33. Ce châtiment culmine dans la destruction de l’Assyrie par le feu. La joie s’exprime par des chants comme lors de la procession nocturne accompagnée des flûtes et des tambourins pendant la célébration d’une fête (30.29). Elle rappelle le geste de Myriam lorsqu’elle chanta la victoire de YHWH sur l’armée de Pharaon (Ex 15.20-21). Cette situation qui trouve des échos dans les chs. 63-66, dans les livres de Daniel et des Maccabées est l’interprétation des ré3
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Pour une datation tardive vers 444 sous le règne d’Artaxerxes, une reconstruction du Temple marquée par la personne de Néhémie: voir D. E DELMAN , The Origins of the ‘Second’ Temple, 2005, p. 8.
dacteurs apocalyptiques de la chute d’Antiochus Epiphane IV (164). La destruction des nations au moyen du feu est un thème qui clôture le livre d’Esaïe (66.24). C’est l’inversion du rôle du feu que les étrangers utilisèrent en 1.2-7a pour brûler les villes de Juda. Ce processus de transfert du malheur de Juda sur l’Assyrie (ou nations ennemies) démontre un plan rédactionnel qui part de la crise de Juda causée par les étrangers instruments de YHWH et aboutit à la paix d’Israël au détriment des étrangers rebelles contre YHWH. La question de la formation du livre est très complexe, voire difficile. Grâce à l’étude du thème des rôles des nations étrangères dans les 39 premiers chapitres d’Esaïe, il nous est possible d’envisager la composition du livre en sept couches rédactionnelles. Etant donné que toute l’activité rédactionnelle s’est déroulée autour ou dans le Temple, ces couches représentent 7 moments du Temple: 722, 640, 612, 589, 539, 515 et 164. Le livre serait né d’un petit noyau d’Esaïe (8e siècle) pour se terminer à l’époque apocalyptique (2e siècle). Notre recherche s’inscrit dans le large contexte de la recherche sur le thème des rôles des nations étrangères dans le livre d’Esaïe. Ce thème suppose les prises de position prophétiques sur les relations internationales et leur influence sur la vie politico-religieuse de Juda ou d’Israël. Nous ne sommes pas le premier à l’aborder. C’est pourquoi, nous essayons dans les pages suivantes de présenter un aperçu sur l’histoire de la recherche dans le domaine.
1.2 Le thème des rôles des nations étrangères dans l’histoire de la recherche La publication en 1906 du livre de F. Kühler semble donner le coup d’envoi aux études sur le thème de la politique étrangère dans le livre d’Esaïe. Jusqu’alors, la question était élargie à l’ensemble du corpus prophétique. Kühler tente de rejeter la thèse de H. Winckler selon laquelle les prises de position d’Esaïe furent influencées par Ninive4. Analysant les ipsissima verba d’Esaïe, Kühler affirme ne trouver chez Esaïe aucun lien positif avec la politique. Selon lui, le prophète avait 4
H. WINCKLER , Die Keilinschriften und das AT I., 1903.
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examiné la situation politique de son peuple du point de vue religieux et non selon une perspective politique5. Au nom de la souveraineté de Dieu, il démontra l’incapacité du pouvoir politique d’influencer l’histoire de Juda. Car, celle-ci était sous la conduite de Dieu, dont dépendaient les hauts et les bas de la vie de son peuple6. Les travaux ultérieurs seront longtemps menés dans le cadre général de la «prophétie et politique»7. Il faudra attendre 1964 pour voir H. Donner restreindre de nouveau l’analyse du thème de la politique étrangère de Juda au Proto-Esaïe. A l’instar de F. Kühler, il étudie les ipsissima verba relatifs aux crises politiques de Juda au cours des années 734 et 701. Cela lui permet de brosser un portait du prophète et d’interpréter son message différemment de son prédécesseur. Pour lui, Esaïe était un prophète intéressé à la politique, sans pour autant être un politicien. Ses activités prophétiques à Jérusalem ont été influencées par l’histoire et les traditions liées à cette ville, notamment la royauté de David et le Temple. Quant au message, H. Donner le résume par un appel à la politique de neutralité8. Pour lui, l’attachement total à YHWH que le prophète exigeait de son peuple, n’était synonyme ni du quiétisme ni du pacifisme, conduisant à l’inertie ou à ne rien entreprendre (politique de l’autruche). La neutralité était une manière d’éviter la vassalité et le recours à une quelconque puissance étrangère en vue de sa subsistance et de sa sécurité 9. Par cette thèse, H. Donner se démarque de F. Küchler qui prônait l’attente passive de l’action de Dieu et le laisser-faire10. Les études de F. Küchler et H. Donner ont un dénominateur commun; à savoir dégager la personne et le message d’Esaïe, à partir de ses propres paroles. Les questions rédactionnelles n’y jouaient aucun rôle. C’est cela qui explique la délimitation de leur analyse aux textes rela5 6 7
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F. KÜCHLER, Die Stellung des Propheten Jesaja zur Politik seiner Zeit, 1906, p. VI. Ibid., p. 56. E. TROELTSCH , Das Ethos der hebräischen Propheten, 1916; P. DE L AGARDE, Deutsche Schriften, 1920; A. EBERHARTER, Die soziale und politische Wirksamkeit, 1924; F. W EINREICH , Der religiös-utopische Charakter der «prophetischen Politik», 1932. H. DONNER , Israel unter den Völkern, 1964, pp. 170-171. K. E LLIGER, Prophet und Politik, ZAW 53 (1935), p. 17; H. DONNER , Israel unter den Völkern, 1964, pp. 170-171. F. KÜCHLER, Die Stellung des Propheten Jesaja zur Politik seiner Zeit, 1906, pp. 56-57.
tifs à l’époque assyrienne. Après le travail de H. Donner, la recherche sur le thème a pris deux directions parallèles. D’un côté, le thème sera abordé selon la ligne tracée par H. Donner lui-même, et de l’autre, il sera partiellement utilisé comme la clé d’interprétation pour l’histoire rédactionnelle du livre d’Esaïe. Dans les pages qui suivent, nous exposerons ces deux directions. Dans un premier temps, nous allons suivre la ligne traditionnelle. Les travaux qui abordent le thème sous l’angle de la Redaktionsgeschichte seront présentés en dernier lieu.
1.2.1 Le prophète Esaïe et les nations étrangères dans l’héritage de H. Donner L’approche de H. Donner consistant à cerner la personne d’Esaïe du 8e siècle et son message concernant la politique étrangère a été poursuivie une dizaine d’années plus tard. Deux noms ont retenu notre attention. Il s’agit de W. Dietrich et F. Huber. 1.2.1.1 W. Dietrich (1976) Dans son livre intitulé «Jesaja und die Politik»11, W. Dietrich focalise son étude sur les oracles «authentiques» afin de découvrir la personne du prophète Esaïe et son message durant les quatre grandes crises de politique étrangère de Juda (734-732, 722, 713-711 et 705-701). En quête de sécurité et de stabilité, Juda avait, durant ces crises, sollicité l’aide de l’Assyrie et de l’Egypte, respectivement lors de la guerre syroéphraïmite et pendant la menace assyrienne contre Jérusalem. Qui était Esaïe? A cette question, W. Dietrich répond de la même manière que H. Donner. A l’instar des autres prophètes, Esaïe n’était pas un politicien. Il ne s’occupait pas tous les jours des problèmes politiques. Toutefois, il considérait la politique comme une réalité à laquelle ses concitoyens devaient réagir12. Quant à son message, le prophète de Jérusalem ne le tirait pas du néant, poursuit W. Dietrich. Il se référait à la sagesse et aux traditions existantes, en l’occurrence la 11 12
W. DIETRICH, Jesaja und die Politik, 1976, p. 257. Ibid., p. 257.
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tradition de la guerre de YHWH, celle de David et la théologie de Sion13. Sa foi en la souveraineté de YHWH ne bloque pas le prophète. Au contraire, elle le rend capable d’apprécier les relations de force dans la politique du monde. Dans ce monde, YHWH y apparaît comme le défenseur des faibles contre le pouvoir des forts. C’est au nom de cette évidence théologique que le prophète se situe non dans le défaitisme, mais plutôt entre le réalisme et l’optimisme14. La foi dans la souveraineté de YHWH implique la neutralité de Juda dans sa politique étrangère. Sur ce point, W. Dietrich rejoint ses prédécesseurs15. Car pour l’auteur, le prophète considérait l’appui sur l’Assyrie et l’aide sollicitée auprès d’Egypte comme synonymes de trahison de l’alliance avec YHWH. C’est pourquoi, Esaïe dénonce le recours à ces deux puissances16. Car, pour lui, la sécurité et la stabilité de Juda dépendent uniquement de YHWH. Il est difficile d’identifier un oracle du prophète Esaïe où l’aide sollicitée par Juda à l’Assyrie est clairement énoncée. Toutefois, le livre regorge d’oracles qui condamnent l’Assyrie à cause de sa politique. Comme nous aurons à le démontrer plus tard, les textes choisis par l’auteur et traitant de cette condamnation appartiennent aux couches rédactionnelles tardives. Ceci revient à dire qu’à l’époque de la domination assyrienne, le prophète Esaïe n’a pas condamné Juda pour sa politique soumise à l’Assyrie. Il en est de même de Jérémie à l’époque de la domination babylonienne17 et des rédacteurs du «Deutéro-Esaïe» pendant l’hégémonie perse. A partir de ces faits, J.D.W. Watts a élaboré sa théorie de l’«acceptation politique positive» des puissances impériales (de l’Assyrie à la Perse)18, selon laquelle, Juda et Israël (royaume du Nord) étaient appelés à reconnaître ces puissances comme des instruments de YHWH. Car leur émergence comme puissances mondiales était voulue par Lui. Par conséquent, s’y opposer signifiait le rejet du plan de YHWH. De ce point de vue, la chute des royaumes d’Israël et de Juda provoquée par ces puissances est comprise comme la conséquence du refus d’obéir à ce principe théologique. 13 14 15 16 17 18
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W. DIETRICH, Jesaja und die Politik, 1976, p. 203. Ibid., p. 266. Ibid. Ibid., p. 98. Jr 27. 1-12. J. D. W. WATTS, Isaiah 1-33, 1985, p. XXIV.
Bien que le livre de W. Dietrich ait permis une certaine compréhension de «l’attitude d’Esaïe sur la politique afin de dégager la pertinence de la foi sur la politique et de la politique sur la foi»19, cette étude n’a pas assuré des avancées significatives dans l’interprétation du livre d’Esaïe. Car, elle n’a pas placé le thème de la politique étrangère dans le cadre de la composition du livre. W. Dietrich n’est pas le seul à aborder le sujet sous cet angle. F. Huber a fait de même. 1.2.1.2 F. Huber (1976) A l’instar de W. Dietrich, F. Huber a centré son étude uniquement sur des oracles dits «authentiques» d’Esaïe20. Toutefois, l’originalité de son ouvrage réside dans l’enquête sur le rôle des nations étrangères pendant les crises politiques des années 734-732, 721-711 et 705-701. Pour lui, le «Proto-Esaïe» laisse les nations étrangères jouer trois rôles: menace contre Juda, secours de Juda et instrument du jugement de YHWH. L’attribution à Esaïe des oracles contre l’Assyrie (10.5-6a.71.13-15 + 14.24-25a.26-27)21 soulève d’énormes difficultés d’interprétation. Car, pour l’auteur, la condamnation de l’Assyrie par Esaïe, un prophète apparemment favorable à la politique de cette puissance, démontre le changement de son attitude pro-assyrienne vers une autre anti-assyrienne22. Cette explication nous paraît forcée. La prise en compte par F. Huber de la thèse de H. Barth soutenue en Allemagne en 1974, c’est-à-dire deux ans avant la publication de son livre, lui aurait évité d’attribuer tous les oracles contre l’Assyrie à Esaïe. Dans ce livre, l’Assyrie offre plusieurs images à la fois, la puissance historique et un nom Code de royaumes ennemis de YHWH. La présence de ces différentes images ne peut s’expliquer que par un travail rédactionnel sur le «Proto-Esaïe». La non-prise en compte de cet ouvrage a limité le spectre de l’enquête et conduit F. Huber à donner une image incomplète du rôle des nations étrangères, et un message exagéré du prophète Esaïe.
19 20 21 22
W. DIETRICH, Jesaja und die Politik, 1976, p. 11. F. HUBER , Jahwe, Juda und die anderen Völker, 1976, p. 3. Ibid., p. 41. Ibid., p. 36.
11
1.2.2 La rédaction du livre et les nations étrangères Avec la publication en 1977 de sa thèse défendue trois ans plus tôt, H. Barth parait être le premier à utiliser le thème de nations étrangères comme critère pour interpréter l’histoire de la rédaction du livre d’Esaïe. Barth découvre des textes préexiliques non-ésaïens23 qui parlent du malheur de l’Assyrie au profit du salut d’Israël24. Il en fait remonter certains25 à l’époque de la chute de l’Assyrie comme puissance mondiale au 7e siècle, pendant le règne de Josias (640-609). H. Barth présente ces textes comme les témoins d’une couche rédactionnelle qui interprète de manière nouvelle les oracles authentiques du prophète Esaïe26. Il désigne cette rédaction par «Assur-Redaktion»27. Bien que certains auteurs aient émis de réserve sur sa forme28, cette hypothèse a inauguré une nouvelle ère d’un intérêt croissant pour l’histoire de la rédaction du «Proto-Esaïe»29 en particulier, et du livre d’Esaïe en général30. Mais malgré l’impulsion du travail de H. Barth, nombre d’auteurs ont continué leurs recherches dans la suite de H. Donner.
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29 30
12
5.30; 7.20; 8.9s. 23b-9.6; 10.16-19; 14.4b-21; 14.24-27; 17.12-14; 29.8; 30.27-33; 31.5, 8b-9. H. BARTH, Die Jesaja-Worte in der Josiazeit, 1977, p. 205. 8.23b-9.6, 14.4b-21, 30.27-33, 31.5+8b-9. H. BARTH, Die Jesaja-Worte in der Josiazeit, 1977, p. 209. Ibid. R. E. CLEMENTS, Isaiah 1-39, 1980, reconnaît également une couche rédactionnelle sous le règne de Josias, mais ne s’accorde pas avec H. Barth en ce qui concerne les textes choisis pour cette rédaction; U. BECKER, Jesaja – von der Botschaft zum Buch, 1997, p. 217, recommande à ce que la théorie soit nuancée. VERMEYLEN, Du prophète à l’apocalyptique, 1977; R. E. CLEMENTS, Isaiah 1-39, 1980; U. BECKER, Jesaja – von der Botschaft zum Buch, 1997. B. S. CHILDS, Introduction to the Old Testament as Scripture, 1979; Idem, Isaiah, 2001; R. E. CLEMENTS, «The Unity of the Book of Isaiah», Int 26 (1982), 117-29; Idem, «Beyond Tradition», 31, 1985, 95-113; R. F. MELUGIN, The Formation of Isaiah 40-55, 1976.
1.2.3 L’avenir de la recherche sur le thème des rôles des nations étrangères A en croire le nombre de travaux disponibles, le thème de la politique dans le livre d’Esaïe continue à susciter un certain intérêt31. Les auteurs ont poursuivi la recherche sur la personne, le rôle et le message du prophète Esaïe du 8e siècle av. J.-C. dans les crises politiques de son temps. B. Uffenheimer32 analyse le message du prophète Esaïe au cours de la guerre syro-éphraïmite (734-732) et du siège de Jérusalem par Sennachérib (705-701). Pour lui, Esaïe croyait en l’intervention de YHWH en faveur de Jérusalem assiégée. C’est pourquoi, il a invité Jérusalem, d’une part au calme et à la foi durant ces deux crises de politique étrangère, et d’autre part à éviter de s’auto défendre33. Pour l’auteur, le prophète tentait de donner une explication théologique et morale à l’émergence des «empires du mal» et à leur impact sur la chute d’Israël34. Cela voudrait dire que les décisions des dirigeants de Juda sur la politique étrangère étaient expliquées à la lumière de leur relation avec YHWH. Pour leur part, F. J. Gonçalves35 et S. A. Irvine36 se sont préoccupés de formuler le message d’Esaïe respectivement dans la crise de 734732 et de 705-701. Ces deux études ne s’écartent que de peu des résultats de W. Dietrich37. La poursuite de la recherche tant sur la politique étrangère de Juda que sur le rôle des nations étrangères dans le livre d’Esaïe s’est presque 31
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W. DIETRICH, David, Saul und die Propheten, 1987; N. LOHFINK / E. ZENGER , Der Gott Israels und die Völker, 1994; B. U FFENHEIMER , «Isaiah’s and Micah’s approaches to policy and history» in: H. G. REVENTLOW et B. UFFENHEIMER (éd.), Politics and theopolitics, 1994; A. BERLIN (éd.), Religion and Politics in the Ancient Near East, 1996; U. DITTMER, Die Utopie des Reiches Gottes, 1997; P. C. MAYER-T ASCH , Über Prophetie und Politik, 2000; N. K. GOTTWALD, Politics of Ancient Israël, 2001; W. DIETRICH, Theopolitik, 2002. B. UFFENHEIMER, «Isaiah’s and Micah’s» in: H. G. REVENTLOW et B. UFFENHEIMER, Politics and theopolitics, 1994, p. 188. Ibid. Ibid. F. GONCALVES , L’expédition de Sennachérib, 1986; idem «Isaïe, Jérémie et la politique internationale de Juda» Bib 76, (1995) 282-289. S. A. IRVINE, Isaiah, Ahaz, and the Syro-Ephraïmitic Crisis, 1990. W. DIETRICH, Jesaja und die Politik, 1976.
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estompée. Il existe, certes, des études ces dernières années. Cependant, elles abordent ces thèmes partiellement ou sporadiquement. C’est le cas, par exemple de N. Lohfink qui consacre quelques pages sur le thème de la Torah, l’alliance et les peuples dans le livre d’Esaïe avec un accent particulier sur les textes du «Deutéro- et «Trito-Esaïe»38. Dans son récent livre intitulé «Théopolitique»39, W. Dietrich ne consacre aucun chapitre au livre d’Esaïe. Toutefois, il le cite indirectement lorsqu’il parle d’Habacuc comme disciple d’Esaïe40. Le constat de l’essoufflement de la recherche sur le thème de politique étrangère ou de fonctions des nations étrangères dans le livre d’Esaïe a été, sans équivoque, fait par G. I. Davies.
1.2.4 La contribution de G. I. Davies Dans son article intitulé «The Destinity of the Nations in the Book of Isaiah»41, G. I. Davies affirme que l’analyse du thème de la place et de la destinée des nations étrangères a été négligée42. Cet état de chose ne concerne pas seulement le livre d’Esaïe, mais s’étend sur les livres prophétiques, voire l’ensemble de l’Ancien Testament, poursuit-il43. L’auteur observe un nombre très limité d’«études sur la prophétie au sujet des oracles contre les nations étrangères et le matériau y afférent, malgré l’intérêt théologique»44 que comporte le thème. Il constate que le thème des autres «nations» est abordé en 2.2-4 (presqu’au début du livre) et revient à sa fin en 66.18-2445. Ces deux passages démontrent à la fois l’enjeu herméneutique et la place marquante du thème de la destinée des nations dans le livre d’Esaïe46. Cette observation herméneutique est corroborée par N. Lohfink en ces termes: «le thème de ‹la 38 39 40 41 42 43 44 45 46
14
N. LOHFINK / E. ZENGER, Der Gott Israels und die Völker, 1994, pp. 45-58. W. DIETRICH , Theopolitik, 2002, pp. 255-265. Ibid. G. I. DAVIES, «The Destinity of the Nations in the Book of Isaiah», 1989, pp. 93120. Ibid., p. 93. Ibid. Ibid. Ibid. Ibid.
relation d’Israël avec d’autres peuples› joue un plus grand rôle dans le livre d’Esaïe que dans d’autres livres de la Bible»47. L’article de G. I. Davies expose le résultat de son étude que nous résumons par les trois points suivants48: a) La destinée des autres nations est un thème qui occupe une place importante dans le livre d’Esaïe. Les nations y apparaissent dans le cadre du salut et du jugement d’Israël. C’est à ce titre qu’Esaïe a droit à porter le titre de «prophète des nations» à l’instar de Jérémie (Jr 1.5). b) Le thème des nations étrangères est organisateur de l’unité du livre. Sa position à la fois au début et à la fin du livre, s’observe également dans toutes les trois parties du livre (1-39, 40-55, 56-66), voire dans les subdivisions de ch. 1-39. c) Toutefois, l’unité en question n’est pas synonyme d’uniformité ni de cohérence totale. Car, le livre révèle des tensions entre les passages. Il s’agit donc d’une unité rédactionnelle qui va au-delà du seul livre pour embrasser les autres, tels que le livre de Douze petits prophètes. L’article de G. I. Davies apparaît comme l’unique travail qui aborde le thème des nations étrangères dans une perspective de la formation du livre comme un tout. Il reprend et poursuit de manière nouvelle la démarche fructueuse entreprise vers les années 70 par H. Barth (voir supra), alors que la plupart des travaux sur le thème de la politique étrangère dans le livre d’Esaïe se limitaient à examiner les ipsissima verba du prophète de Jérusalem. A l’instar de H. Barth, G. I. Davis opère un changement d’approche en passant de la personne au livre d’Esaïe, approche inaugurée par J. Becker49. Pour ce faire, il se sert du thème de la destinée des autres nations pour interpréter le processus rédactionnel du livre. Ce processus est si diversement interprété50 qu’il est à ce jour prématuré de lui
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N. LOHFINK / E. ZENGER , Der Gott Israels und die Völker, 1994, p. 45. Ici l’auteur se réfère à G. I. DAVIES, «The Destinity of the Nations in the Book of Isaiah» in J. VERMEYLEN (éd.), The Book of Isaiah / Le livre d’Isaïe, 1989, pp. 93-120. G. I. DAVIES, pp. 105-106. J. BECKER , Isaias, der Prophet und sein Buch, 1968, p. 33. J. VERMEYLEN, «Ésaïe», 2004, p. 335.
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trouver un modèle final. Il n’est nullement dans notre intention de faire le recensement exhaustif de toute la recherche sur la question. Nous renvoyons aux éminents travaux y afférents51. Ce que nous voulons pourtant entreprendre, c’est d’exposer sommairement les grands moments du débat sur l’histoire de la formation du livre d’Esaïe avant d’apporter notre modeste contribution.
1.3 Aperçu sur le débat relatif à l’histoire de la formation du livre La composition du livre d’Esaïe en trois parties (1-39, 40-55 et 56-66) présenté par B. Duhm52 semble être un acquis, malgré une certaine opinion qui croit à l’unité d’auteur53. Toutefois, l’attribution de ces parties respectivement à Esaïe, à un rédacteur anonyme pendant l’exil et à un autre rédacteur anonyme à l’époque postexilique ne rencontre plus l’approbation générale. Ces trois parties du livre laissent transparaître chacune des traces rédactionnelles de plusieurs mains. Cette évidence rend complexe l’histoire de la formation du livre d’Esaïe. Les tentatives de son interprétation semblent, depuis les années 70, prendre deux directions principales.
1.3.1 Deux pistes pour interpréter l’histoire de la formation du livre L’histoire de la formation du livre est exposée selon les auteurs sous deux perspectives. Certains d’entre eux partent du «Proto-Esaïe» (1-39) tandis que d’autres se servent soit du «Deutéro- soit du «Trito-Esaïe» (56-66) comme point de départ. 51
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J. VERMEYLEN, Du prophète Isaïe à l’apocalyptique, 1977, pp. 1-31; Idem, «Le livre d’Isaïe: les oracles et leurs relectures», 1989, pp. 3-19; M. TATE, The Book of Isaiah in Recent Study, 1996, pp. 22-56; U. BECKER , Jesajaforschung (1-39): ThR 64, 1999, pp. 1-37, 117-152; P. HÖFFKEN, Jesaja, Der Stand der theologischen Diskussion, 2004, p. 219. B. DUHM, Das Buch Jesaia, 1892. J. A., MOTYER, The prophecy of Isaiah, 1993.
1.3.1.1 L’histoire de la formation du livre expliquée à partir du «Proto-Esaïe» Depuis bientôt 30 ans, les 39 premiers chapitres d’Esaïe servent de matériau dans l’interprétation de l’histoire rédactionnelle du livre. Les tendances actuelles se répartissent entre les minimalistes et les maximalistes. O. Kaiser (1960-1981) représente le premier groupe. Car, il a réduit à l’extrême les textes authentiques et remis en cause l’authenticité ésaïenne des recueils d’où étaient souvent extraits la personnalité et le message d’Esaïe, notamment le mémorial d’Esaïe (6.1-9.6) et les chs. 28-31. Par contre, H. Wildberger passe pour le porte-parole des maximalistes, pour avoir attribué le maximum des textes à Esaïe, fils d’Amots. Dans les pages qui suivent, nous désirons présenter quelques critiques qui ont tenté d’expliquer l’histoire de la rédaction du livre. Il s’agit de O. Kaiser (1961-1981), J. Vermeylen (1977), R. E. Clements (1980), H. Wildberger (1972, 1978, 1982), R. Kilian (1987, 1994), P. Höffken (1993), U. Becker (1997) et E. Bosshard-Nepustil (1997). Leur présentation dans les lignes qui suivent suit l’ordre chronologique et non de leur importance. 1.3.1.1.1 O. Kaiser (1961-1981) Au nom de O. Kaiser est lié la réduction au minimum des ipsissima verba d’Esaïe. La raison est simple. Pour lui, le livre d’Esaïe était un ensemble des petits recueils prophétiques collectionnés seulement à partir du 5e siècle. Cette phase rédactionnelle fut influencée par la théologie deutéronomiste54. C’est vers l’époque grecque que le livre connaîtra sa forme finale55. La minimalisation des «textes authentiques», l’influence de la théologie deutéronomiste et la datation de la phase finale de la formation du livre au 2e siècle sont des éléments que J. Vermeylen a repris dans sa perspective. Toutefois, les travaux d’O. Kaiser soulève une question de fond. Pourquoi, les oracles prophétiques devraient-ils attendre environs trois siècles avant d’être rassemblés? La succession des critiques y
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O. KAISER , Der Prophet Jesaja, Kapitel 1-12, 5e éd., 1981, p. 19. Ibid., p. 24.
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apportera différentes réponses. J. Vermeylen ne trouvera aucun inconvénient de situer le point de départ du processus rédactionnel déjà à l’époque du prophète Esaïe. 1.3.1.1.2 J. Vermeylen (1977/79, 1989) J. Vermeylen est un nom qui s’est imposé dans la recherche sur Esaïe depuis la publication de son monumental livre en deux tomes56. Travail de pionnier, ce livre est devenu classique pour avoir présenté une histoire complète de la rédaction du livre. Comme le titre du livre l’indique, la rédaction du livre s’étend sur une longue histoire qui part de l’époque d’Esaïe (8e siècle) à celle de l’apocalyptique (2e siècle). En 1989, il précise l’évolution du livre par l’hypothèse du grand livre d’Esaïe57. Pour cet auteur, le livre d’Esaïe serait l’œuvre d’un rédacteur du milieu du Ve siècle av. J.-C. qui aurait reconnu à la fois dans l’introduction du recueil proto-isaïen (1.21-26, en particulier) et dans la collection «théologico-politique» du Deutéro-Isaïe, l’annonce de la restauration de Jérusalem par Néhémie après la période de malheur causé par le péché de ses habitants. Ce rédacteur aurait non seulement rassemblé les deux recueils – la parole de jugement introduite par 1.2-20 et la parole de réconfort introduite par 40.1-5 – mais il les aurait aussi assorti d’importantes additions et aurait couronné le tout par les chapitres rédactionnels 56-6658.
Pour Vermeylen, la forme finale du livre est l’œuvre d’un rédacteur responsable de la rédaction du «Deutéro- et du «Trito-Esaïe». Il avait pris comme point de départ le texte du «Proto-Esaïe» déjà existant59 en le complétant. Trois constatations soulignent le mérite des travaux de J. Vermeylen. Il y a d’abord, l’explication de la rédaction du livre d’Esaïe comme un processus de relecture et d’actualisation. Ensuite, vient l’influence considérable de la théologie deutéronomiste dans nombreux textes. Et enfin, la présentation de l’histoire de sa formation sur une période de plus de 500 ans. Si elle avait été faite, la démonstration du plan rédactionnel
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J. VERMEYLEN, 1977 et 1978. J. VERMEYLEN, «Le livre d’Isaïe: les oracles et leurs relectures», 1989, p. 49. Ibid. Ibid., p. 53.
du livre aurait donné plus de lumière au processus que la simple description des couches rédactionnelles. 1.3.1.1.3 R. E. Clements (1980) R. E. Clements appartient au groupe des maximalistes. Il ne se démarque pas profondément de ses deux prédécesseurs. Il rejoint H. Barth et J. Vermeylen en reconnaissant l’existence d’une couche rédactionnelle à l’époque de Josias. Toutefois, R. E. Clements s’en démarque sur l’attribution des textes et l’appellation de cette rédaction qu’il nomme «Rédaction josianique»60. A cette rédaction, il attribue en particulier la narration Ezéchias-Esaïe (chs. 36-39)61. Pendant que J. Vermeylen renvoie la dernière étape de la rédaction au 2e siècle, R. E. Clements maintient le 4e siècle comme la période durant laquelle les trois collections prophétiques (Esaïe, Jérémie et Ezéchiel)62 connurent leur aboutissement. Le mérite de R. E. Clements se situe à trois niveaux. Le premier concerne l’intégration de la rédaction du livre d’Esaïe dans le cadre d’un processus global relatif aux grands livres prophétiques. Au second, se trouve la conception du livre comme un tout. Cette hypothèse s’appuie sur deux constatations. D’abord, la présence des prophéties et des promesses du «Deutéro-Esaïe» dans le Proto-Esaïe, notamment dans les textes suivants: 11.12-16; 18.7; 19.23 et 27.13 et plus spécifiquement, le ch. 35. Ensuite, la découverte de motifs (thèmes) dans l’ensemble du livre devient un facteur unificateur63. L’identification du 4e siècle comme l’époque de la dernière étape rédactionnelle des «grands prophètes» a invité R. E. Clements à élargir l’horizon vers une histoire rédactionnelle commune du livre d’Esaïe et des «petits prophètes». En outre, la prise en compte des liens de certains textes du «Proto-Esaïe» avec ceux du «Trito-Esaïe» a conduit l’auteur à observer des liens intertextuels entre ces textes et les livres de l’époque hellénistiques, par exemple Daniel et Maccabées.
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R. E. CLEMENTS, Isaiah 1-39, 1980, p. 5. Ibid., p. 279. Ibid., p. 8. Ibid., p. 9.
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1.3.1.1.4 H. Wildberger (1978, 1980, 198264) Dans son monumental commentaire en trois volumes (1-12, 13-27 et 28-39), H. Wildberger attribue le maximum des textes à Esaïe fils d’Amots, d’une part et décrit un portrait magnifique de la personnalité de ce prophète, d’autre part. Ce faisant, il se démarque de l’opinion représentée par O. Kaiser (1960-1981) qui avait réduit à l’extrême les textes authentiques et remis en cause l’authenticité ésaïenne des recueils d’où étaient souvent extraits la personnalité et le message d’Esaïe, notamment le «Denkschrift» (6.1-9.6) et le «cycle assyrien» (28-31). En rejetant les conclusions de O. Kaiser, Wildberger se fait le porteparole d’un courant des critiques qui interprétaient la formation du livre d’Esaïe à partir d’un corpus des textes rédigés par Esaïe lui-même avant de subir des insertions et des remaniements progressifs de la part des cercles des disciples. Pour H. Wildberger, la structure rédactionnelle de 66 chapitres du livre d’Esaïe comporte trois moments importants. Vers 400 av. J.-C., les ch. 1-35 existaient déjà comme un livre. Selon l’auteur, les chs. 36-39 seront insérés quelques années après, à la même époque que la naissance du livre de Ben Sirah. C’est plus tard que les ch. 40-66 furent ajoutés. Les toutes dernières annotations intervinrent à l’époque grecque. La découverte dans les chs. 1-35 des longs textes remontant à l’époque grecque et l’attribution des chs. 36-39 à la rédaction sacerdotale proche des livres des Chroniques, nous suggèrent de revoir la thèse de H. Wildberger. Quand au message, il est profondément influencé par les traditions anciennes d’Israël liées à Jérusalem, notamment la royauté de David, la tradition de Sion et la sagesse (contre Fichtner qui situe la sagesse seulement à l’époque tardive). L’ancrage du prophète Esaïe dans ces traditions explique pourquoi, il ne pouvait pas annoncer le malheur contre Juda et Jérusalem. Lire le livre comme un tout, telle est la nouvelle voie et la grande contribution que H. Wildberger apporte à l’étude du livre d’Esaïe. C’est une alternative à la déconsidération des textes «secondaires» ou «non authentiques». Car pour lui, ces derniers textes remontent indirectement à Esaïe en ce qu’ils font écho à son message dans différents contextes.
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La traduction en anglais de livre faite par T. H. Trapp est disponible depuis 2000.
1.3.1.1.5 R. Kilian (1989, 1994) S’inscrivant dans l’héritage de O. Kaiser et de J. Vermeylen, R. Kilian ne reconnaît au prophète de Jérusalem ni la majorité des textes du «ProtoEsaïe», ni l’organisation de cette partie en grands ensembles: 1-12, 1323, 24-35, 36-3965. Pour lui, les textes non ésaïens ont droit à la valorisation. Car, ils témoignent de la manière dont les anciennes paroles prophétiques ont été transmises, comprises et actualisées dans des nouvelles situations historiques. Pour R. Kilian, ce travail de remaniement s’étend sur des siècles et la clôture définitive de son histoire reste difficile à déterminer avec précision66. Pour lui, le message du livre est centré sur la proclamation de la souveraineté de YHWH. En tant que Maître de l’histoire du monde et de l’univers, YHWH y intervient, les organise et les récrée67. Ainsi, la vie d’Israël et celle des nations sont désormais interprétées en fonction de ce motif. YHWH sauve et châtie aussi bien Israël que les nations étrangères. Parmi les mérites des travaux de R. Kilian, il faut en reconnaître deux: Il y a d’abord, l’interprétation de la rédaction de 1-39 comme un travail, d’une part, de réappropriation, de «contextualisation» et d’actualisation des anciennes paroles prophétiques afin de leur donner une nouvelle validité historique, et d’autre part, de continuation et de combinaison des différents motifs, thèmes et traditions. Parmi les traditions, il faut retenir les traditions des pères, de l’exode et de David68. Ensuite, le processus de relecture à l’intérieur du livre d’Esaïe, a donné au texte une nature, à la fois impliquant une fermeture et une ouverture69. Fermeture parce qu’il se concentre sur lui-même, mais en même temps, il embrasse les autres textes de manière à ce que son interprétation ne peut être pleine qu’en tenant compte de la corrélation mutuelle. Les anciennes traditions y reprennent leur actualité70.
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R. KILIAN, Jesaja 1–12, 1986, p. 10. Ibid., p. 14. Ibid., p. 12. Ibid., p. 13. Ibid. Ibid., p. 12.
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1.3.1.1.6 E. Bosshard-Nepustil (1997) Dans sa thèse publiée en 199771, Bosshard-Nepustil tente de répondre à la question des liens littéraires entre les «grands prophètes» et les «petits prophètes». Le but est de parvenir à comprendre l’histoire de la formation du corpus prophétique. Grâce à la Redaktionsgeschichte, il note des parallèles72 entre certains textes des «grands» et des «petits» prophètes, notamment 1.1 et Os 1.7ss et Os 5. 6, 13ss et Am 1.22ss et Am 2.6ss; 13.6 et Jl 1.15 (2.1s, 11); 13.9-13 et Jl 4.2, 10, 14.ss et Am 1.8ss et Os 1; 2 et Mi 4 ou 66 et Za 14. A partir de là, il conclut à l’existence d’une même croissance des livres prophétiques qu’il situe entre le 8e siècle et l’époque d’Alexandre73. A l’intérieur de cette fourchette de temps, il reconnaît douze moments rédactionnels74 dont 4 à l’époque d’Esaïe (734-732, 722, 712/ 711 et 701), 1 sous Manassé, 1 à l’époque de Josias (Assur-Redaktion), 1 pendant l’exil (Rédaction Assur-Babel en 562), 1 peu avant 539 (Rédaction Babel), 1 au milieu du 5e siècle (la rédaction des nations) et deux additions, une à l’époque perse et l’autre sous Alexandre. Trois faits peuvent être retenus dans la contribution de E. BosshardNepustil. Il y a d’abord l’identification d’une couche rédactionnelle à l’époque de Manassé. Ensuite, la démonstration des liens intertextuels du «Proto-Esaïe» avec d’une part le «Deutéro- et le «Trito-Esaïe» et d’autre part, avec les autres livres prophétiques. Enfin, l’inscription de la formation du livre d’Esaïe dans le processus global du corpus prophétique. Comme il l’a d’ailleurs pressenti, l’élargissement de la recherche sur les liens intertextuels avec le reste des livres de la Bible hébraïque lui aurait permis d’établir combien le parcours rédactionnel du livre d’Esaïe embrasse celui de toute la Bible. Cette observation vaut également pour U. Becker.
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E. BOSSHARD-NEPUSTIL, Rezeptionen von Jesaia 1–39 im Zwölfprophetenbuch, 1997. Ibid., pp. 8, 467. Ibid., p. 465. Ibid., pp. 470-471.
1.3.1.1.7 U. Becker (1997) Par souci de départager les maximalistes (H. Wildberger) et les minimalistes (H. Barth, J. Vermeylen et O. Kaiser), U. Becker tente d’expliquer l’origine du «Proto-Esaïe» dans ses traits principaux et de décrire les grandes étapes de l’histoire de la rédaction du livre partant de l’époque du prophète Esaïe au 3e ou 2e siècle75. Pour lui, le livre d’Esaïe serait le fruit d’une rédaction progressive à partir d’un noyau littéraire relativement ancien grâce au mécanisme d’élargissement successif jusqu’à atteindre sa forme actuelle. Ce phénomène littéraire a révélé non seulement le Sitz im Leben, mais aussi le Sitz im Buch des passages76. Le travail d’U. Becker se particularise dans deux résultats majeurs. Il y a d’abord, la découverte de la «Ungehorsamsredaktion»77. Cette couche rédactionnelle représente la dernière étape du livre. Située à la période de la communauté du 2e Temple, elle développe le thème de désobéissance d’Israël. Elle est attestée aussi bien en 1.2-20 que dans les chs. 28-31 et est proche de la tradition des oracles de Jérémie78. A l’époque de cette rédaction, le «Proto- et le «Deutéro-Esaïe» étaient déjà littérairement assemblés dans ce que certains auteurs appellent le «Grand livre d’Esaïe»79. Ensuite, l’intercalation du ch. 7 est survenue à l’époque pré-chronique vers la fin de l’époque perse. Pour U. Becker, ce chapitre présente l’histoire religieuse antitypologique qui dépend littérairement de 2 S 7, 2 R 16 et de la légende ésaïenne des chs. 36-3880. Pour U. Becker, en ce qui concerne la personne du prophète, Esaïe était un prophète de salut. Il était ancré dans les traditions anciennes et la sagesse d’Israël. Il prêchait dans le cadre du culte et appartenait au cercle des prophètes de la cour. Ses messages de jugement ne s’adressaient pas à Juda ou à Jérusalem, mais aux voisins et aux peuples ennemis du royaume du Sud. Le travail d’U. Becker a eu le mérite de confirmer davantage la formation du livre à partir du prophète lui-même à travers un long processus 75 76 77 78 79 80
U. BECKER, Jesaja – von der Botschaft zum Buch, 1997, p. 19. Ibid., p. 14. Ibid., p. 267. Ibid., p. 267. U. BECKER , Jesaja – von der Botschaft zum Buch, 1997, p. 267 (voir O. H. STECK; J. VERMEYLEN). Ibid.
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qui couvre les grandes époques de l’histoire d’Israël. Cependant, il s’est limité à décrire cette histoire à l’intérieur du «Proto-Esaïe» sans approfondir les liens entre ses étapes rédactionnelles et le reste du livre (chs. 40-66). L’élargissement des observations aux chs. 40-66 lui aurait permis de découvrir à la fois la stratégie, le plan et l’unité du livre comme un tout. En ce qui concerne la «Ungehorsamsredaktion», pourquoi U. Becker a-t-il renvoyé la condamnation de la rébellion seulement à une date si tardive? La chute de Samarie et celle de Jérusalem ne sont-elles pas interprétées comme les conséquences de la rébellion envers YHWH? Tout en reconnaissant le bien-fondé de cette rédaction, l’attribution en bloc de tous les textes traitant de la rébellion serait à nuancer. En outre, le rejet par U. Becker de l’influence de l’historiographie deutéronomiste dans la rédaction du livre d’Esaïe81 entre en contradiction avec notre constatation sur la rédaction de crise dont la caractéristique principale est le recours au vocabulaire et à la théologie deutéronomistes. Sur ce point, les découvertes d’O. Kaiser et J. Vermeylen restent valables. 1.3.1.1.8 Synthèse L’intérêt pour l’authenticité ésaïenne ou non des oracles n’a pas éludé la prise en compte des liens rédactionnels entre les 1-39 et les chs. 4066. Si les auteurs mentionnés se sont servis du «Proto-Esaïe» pour comprendre l’histoire de la formation du livre, d’autres ont, par contre, préféré empoigner le livre à partir de sa fin. Nous allons présenter le survol de cette approche dans les pages qui suivent. 1.3.1.2 Comprendre le livre à partir de sa fin En vue d’expliquer les liens littéraires entre les trois parties du livre et par souci de démontrer leur unité, certains commentateurs sont partis soit du «Deutéro-Esaïe», soit du «Trito-Esaïe».
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U. BECKER, Jesaja – von der Botschaft zum Buch, 1997, p. 287.
1.3.1.2.1 Interpréter l’histoire du livre à partir du «Deutéroou «Trito-Esaïe» L’influence mutuelle entre les trois parties du livre a conduit certains auteurs à mener leurs investigations à partir du «Deutéro- ou du «TritoEsaïe» en vue d’interpréter l’histoire de la formation du livre. Dans le premier groupe se trouve par exemple H. G. M. Williamson82, tandis que dans le second, deux noms ont retenu notre attention, notamment J. D. W. Watts83 et J. Blenkinsopp84. 1.3.1.2.1.1 Les liens entre 1-39 et 40-55: H. G. M. Williamson (1994) H. G. M. Williamson tente de reconstruire l’histoire de la formation du livre d’Esaïe, en particulier du «Proto-Esaïe». Il affirme l’existence d’une sorte de première collection majeure des prophéties d’Esaïe (mais pas nécessairement ses ipsissima verba) avant la chute de Jérusalem en 587. Ce matériau aurait exercé une grande influence sur le ministère du «Deutéro-Esaïe», qu’il considère comme un auteur parmi les exilés à Babylone85. Marqué par la tradition de Sion, cet auteur veillait à réinterpréter cette tradition dans le contexte de la chute de Jérusalem et de l’exil86. Bien qu’il ne soit pas allé au-delà du Deutéro-Esaïe87, H. G. M. Williamson a eu le mérite de signaler l’édition exilique du livre d’Esaïe interprétant la catastrophe de 587. Il aurait été souhaitable de trouver des 82 83 84 85
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H. G. M. WILLIAMSON, The Book Called Isaiah, 1994. J. D. W. WATTS, Isaiah 1-33, 1985. J. BLENKINSOPP, Isaiah 1-39, 2000. Contre la localisation à Babylone comme cadre du ministère de «Deutéro-Esaïe», il faut mentionner l’article de R. E. CLEMENTS, Zion as Symbol, and Political Reality, 1997, pp. 16-17: «la mention de Babylone, l’émergence de Cyrus comme une menace à Babylone, la chute de Babylone, la perspective adoptée est celle d’un observateur qui, à partir des murailles de Jérusalem, voit l’imminence du retour (49.18, 52.1-2. 7-9). Toutes ces indications parlent en faveur de la reconnaissance de la localisation de l’auteur d’Es 40-55 en Juda. Alors, le livre entier aurait été produit dans les traditions cultuelles de Jérusalem qui y étaient préservées». Nous soutenons cette opinion, comme nous allons le prouver: dans les oracles qui sanctionnent la fin de l’exil ou post-exiliques, celui ou ceux qui parlent donnent l’impression de se trouver à Jérusalem en s’adressant aux exilés qui rentrent. H. G. M. WILLIAMSON, The Book Called Isaiah, 1994, p. 242. M. TATE, The Book of Isaiah in Recent Study, in: J. W. WATTS et P. R. HOUSE (Eds.), Forming prophetic literature, 1996, 22-56, p. 37.
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liens mutuels non seulement entre le «Proto- et le «Deutéro-Esaïe» et vice-versa, mais aussi avec le «Trito-Esaïe». Cette lacune a été comblée par un groupe des critiques qui interprètent l’histoire de la formation du livre d’Esaïe à travers l’établissement d’un rapprochement entre les 139 et 56-66. 1.3.1.2.1.2 Les liens entre 56-66 et 1-39 Le «Trito-Esaïe» entretient des liens avec le «Proto-Esaïe». Nombre d’auteurs se sont attachés à les découvrir afin de comprendre et confirmer l’unité du livre d’Esaïe. Toutefois, ils se distinguent de K. Elliger88 qui voyait le «Trito-Esaïe» à la fois comme un auteur et disciple du «Deutéro-Esaïe»89. Pour eux, le problème ne se pose plus en terme de rapport entre ces deux parties, mais plutôt entre le «Proto- et le «TritoEsaïe». Parmi ceux qui ont tenté la démarche, nous citons à titre illustratif, J.W.M. Watts et J. Blenkinsopp. 1.3.1.2.1.2.1 J. D. W. Watts (1985) Un drame en plusieurs actes, scènes et épisodes, c’est ainsi que J. D. W. Watts considère le livre d’Esaïe90. L’auteur analyse ce livre par sa fin en répondant aux questions relatives à la date et au lieu ainsi qu’aux idées des auteurs (compositeurs ou rédacteurs). Pour y répondre, Watts conseille de regarder le dernier acte, c’est-à-dire les ch. 60-66. Tout en reconnaissant la difficulté dans la datation, il identifie une progression chronologique repartie en quatre étapes (734, 714-712, 540 et 435). Durant cette longue période, le message divin est resté le même: YHWH avait envoyé des puissances étrangères pour accomplir son plan qu’Israël et Juda devaient accepter sans désemparer. C’est cela qu’il appelle l’acceptation passive du pouvoir impérial (de l’Assyrie à la Perse). Deux concepts sont à retenir de l’étude de J. D. W. Watts: D’abord, la compréhension du livre d’Esaïe comme une tentative d’interpréter théologiquement les changements politiques en Palestine en rapport avec l’émergence ou le déclin des gouvernements impériaux. Ensuite, 88 89 90
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K. ELLIGER, Die Einheit des Tritojesajas, 1928; L’auteur a été suivi par une série des commentateurs (cf. M. TATE, The Book of Isaiah in Recent Study, 1996, pp. 38-43). Ibid. J. D. W. WATTS, Isaiah 1-33, 1985, p. xxiv.
l’attribution aux puissances étrangères la fonction d’«instruments» de YHWH. Car, l’auteur a fait de la souveraineté de YHWH le motif principal de l’interprétation de ces différents événements qui ne peuvent plus se comprendre autrement que comme les œuvres personnelles de YHWH par puissances étrangères interposées. Comme nous le verrons, ces nations n’avaient pas que la fonction d’instruments du jugement divin, elles pouvaient être également objet du châtiment divin et instruments de paix universelle. En outre, l’existence des liens des chs. 60-62 et 63-66 respectivement avec l’époque perse tardive et l’époque hellénistique tend à dépasser la datation de Watts comme J. Blenkinsopp le suggère d’ailleurs. 1.3.1.2.1.2.2 J.Blenkinsopp (2000) Observant la fin du livre (66.17, 18-21, 22-23), J. Blenkinsopp rapproche, sur le plan thématique, ces textes du ch. 1. Il explique ce phénomène comme une tentative d’imposer une sorte d’unité du livre au moyen de la technique littéraire d’inclusion. Cette procédure, dit-il, peut être vue dans le contexte de la production du livre à l’époque hellénistique, lorsqu’il y eut émergence pour la première fois de l’idée d’un livre au sens moderne du terme91. En étudiant les relations entre les chs. 1 et 66, J. Blenkinsopp s’est ainsi inscrit dans l’approche de l’intertextualité que certains auteurs ont entrepris de manière systématique afin d’expliquer l’unité du livre d’Esaïe. 1.3.1.2.1.3 Les liens thématiques et intertextuels Pour expliquer l’unité littéraire du livre comme un tout, certains auteurs se sont servis de certains textes «proto-ésaïens» pour expliquer les liens littéraires entre 1-39, 40-55 et 56-66. 1.3.1.2.1.3.1 Liebreich et ses successeurs L. J. Liebreich est sans doute le premier à remarquer que certains oracles étaient liés entre eux par l’association d’idées ou des mots crochets92. En outre, comme le rappelle J. Vermeylen, il observe une intention rédactionnelle consistant à encadrer des divisions importantes du livre par des 91 92
J. BLENKINSOPP, Isaiah 1-39, 2000, p. 85. L. J. LIEBREICH, The Compilation of the Book of Isaiah, JQR, NS XLVI (1955/56) 259-277 et (1956/57) 114-138.
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«formules voisines ou identiques sur la «parole de YHWH» (1.10; 35.5; 40.8 et 66.5). Dans la plupart des cas, les chapitres en 1-39, hormis les ch. 36-39, se terminent par un «happy End»93. Les constatations de L. J. Liebreich ont donné des prémices à une vue d’ensemble du livre. W. A. M. Beuken s’y est appuyé dans ses travaux94. Observant des liens intertextuels ente les chs. 1 et 65-66, Beuken a démontré comment ces deniers chapitres du «Trito-Esaïe» reprennent et transforment les thèmes du «Proto-Esaïe»95.
1.4 Synthèse L’évaluation proprement dite est réservée à la conclusion générale du travail. Ici, ce n’est qu’une petite synthèse qui sert de pont avec la suite de notre travail. Il est un acquis que la recherche de ces 30 dernières années a connu un déplacement du centre d’intérêt, allant de la personne et du message de l’Esaïe du 8e siècle au livre qui porte son nom. Du coup, les textes «non authentiques», jadis sous-estimés, ont reçu un regain d’importance théologique et herméneutique. On se préoccupe de découvrir le message du livre et la forme littéraire qui le véhicule. Chacun y va à sa manière. Pendant que les uns abordent le livre avec les méthodes synchroniques, d’autres préfèrent le soumettre aux approches diachroniques. D’autres encore combinent les deux approches. Les résultats sont intéressants et divers. La tendance actuelle est de prendre une fourchette d’environ 500 ans pour l’histoire de la formation du livre, du 8e au 2e siècle. Il y a eu des modèles pour cette histoire. Esaïe est un livre considéré comme le résultat soit d’une rédaction unique à la dernière étape de sa croissance, soit comme le fruit d’un long et complexe processus en plusieurs phases de remaniement, de relecture ou d’actualisation qui part d’Esaïe lui-même. L’authenticité des textes partage les 93 94 95
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J. VERMEYLEN (éd.), The Book of Isaiah / Le livre d’Isaïe, 1989, p. 18. W. A. M. BEUKEN, Isaiah Chapters LXV-LXVI, 1989, pp. 204-221; Idem, Does Trito-Isaiah reject the Temple?, 1989, pp. 53-66. W. A. M. BEUKEN, «The main theme of Trito-Isaiah», in: JSOT 47, 1990, 67-87.
chercheurs entre minimalistes et maximalistes. Généralement, le message du livre porte l’empreinte des traditions de Jérusalem, remontant à la royauté de David et au Temple. Et la tradition de l’exode? Très peu se hasardent à la reconnaître. La stratégie rédactionnelle est apparente grâce aux mots-crochets, à la reprise des thèmes et des motifs dans l’ensemble du livre. Le regard porté à la fois au début et à la fin de l’ouvrage révèle des liens intertextuels et assure son unité rédactionnelle. Certains thèmes sont répétés à tous les débuts et à toutes les fins des trois grandes unités (1-39; 40-55 et 56-66). C’est le cas de celui des nations étrangères qui y exercent différents rôles par rapport à YHWH et à Israël. Il n’est plus seulement question de parler de la stratégie rédactionnelle, mais aussi et surtout du plan rédactionnel. Nous sommes déjà en train de dévoiler le but de notre travail.
1.5 Buts, choix des textes et méthodes 1.5.1 Buts du travail En jetant un regard rétrospectif sur la richesse et la diversité des études sur le livre d’Esaïe, nous avons parfois l’impression d’imaginer que tout a été dit. Et pourtant, il reste encore beaucoup à faire. Notre contribution se situe à deux niveaux: D’une part, démontrer le plan rédactionnel qui part de la crise et conduit à la paix d’Israël, et d’autre part, interpréter l’histoire de la formation du livre à partir du thème des rôles des nations étrangères dans le «Proto-Esaïe». Le présent travail vise un triple but: a) Démontrer l’importance capitale du thème des rôles des nations étrangères comme une des clés herméneutiques du livre d’Esaïe. b) Combler le vide créé par la quasi absence des études exhaustives récentes sur le thème. c) Reprendre et prolonger de manière nouvelle, les études sur les rôles des nations étrangères dans 1-39 afin de comprendre le plan rédactionnel du livre d’Esaïe et d’interpréter l’histoire de sa formation. 29
1.5.2 Choix des textes Le thème des rôles des nations étrangères dans le livre d’Esaïe fait penser d’habitude au recueil des oracles contre les nations (13-23). Et pourtant, tous les 66 chapitres sont incompréhensibles sans la prise en compte des différents rôles que les nations y exercent. C’est pourquoi, notre étude va au-delà de ce recueil, tout en y sélectionnant quelques textes. En outre, elle n’a pas non plus la prétention de devenir un commentaire du livre d’Esaïe. Par contre, elle a l’ambition d’analyser ces différents rôles dans certains textes du «Proto-Esaïe» en vue d’interpréter l’histoire de la formation du livre et de découvrir son plan rédactionnel. Le choix du «Proto-Esaïe» est simplement méthodologique et non pas exclusif. Il nous permet d’une part, d’identifier les textes supposés remonter à Esaïe, le prophète de Jérusalem, et d’autre part, de reconnaître les liens intertextuels entre le «Proto-Esaïe» et le reste du livre d’Esaïe (chs. 40-66). Cette approche a un double avantage. Elle assure l’unité du livre, en même temps, qu’elle permet de comprendre non seulement l’histoire, mais aussi et surtout le plan et les milieux rédactionnels du livre. Au centre de cette étude se trouvent les textes où les nations étrangères remplissent différentes fonctions par rapport à Juda. Toutefois, nous laisserons les textes étudiés ouverts au reste du livre afin d’établir les liens intertextuels avec les chs. 40-66. Il convient de faire remarquer que rares sont les textes de la fin de l’exil ou postexiliques qui parlent de Juda. Il semble que le terme de Juda a été remplacé par l’expression «Israël». Concrètement, notre étude partira de 1.2-7a et de 39.8. Le plan rédactionnel que ces deux textes retracent est vérifiable dans nombre de textes du «Proto-Esaïe». Toutefois, pour une raison méthodologique, nous avons retenu le chapitre 30 comme paradigme de vérification de ce plan. En ce qui concerne la recherche des couches rédactionnelles, nous avons identifié les textes suivants: 8.1-4; 2.6; 10.5-15* (2.7-8a); 8.5-8*; 14.3-11; 14-21-23 (2.2-4) et 14.12-20. Tous ces textes ont une caractéristique commune: ils laissent les nations étrangères exercer chacune une fonction. Leur emplacement suit l’ordre chronologique qui ne correspond pas à l’ordre dans le livre d’Esaïe. En outre, la différence de style et de destinataires permettra de classer ces textes en 7 couches rédactionnelles distinctes dont l’emplacement démontre déjà leur his30
toire, qui part de la chute de Samarie en 722 (époque assyrienne) à la mort d’Antiochus Epiphane IV en 164 (époque grecque). Certains textes sont des témoins du plan tripartite du livre, c’est-à-dire d’une rédaction de crise (RC) suivie par une double édition de paix (P1-S et P2-AP). Leur choix n’est pas exhaustif, mais sélectif et représentatif. Leur analyse prendra en compte des liens intertextuels avec d’autres textes d’Esaïe, les autres livres de la Bible hébraïque et des textes extrabibliques. Dans l’analyse de ces textes, nous allons recourir aux méthodes à la fois synchroniques et diachroniques.
1.5.3 Remarques des méthodes 1.5.3.1 La genèse des méthodes Les méthodes employées dans notre étude sont suggérées par le plan rédactionnel du «Proto-Esaïe» lui-même. La crise qui se trouve au début et la paix à la fin du rouleau reflètent des situations relatives au Temple de Jérusalem. Ils décrivent deux pôles de l’arc rédactionnel à l’intérieur duquel Moïse et David, sont mis en évidence comme les deux figures de proue de l’histoire d’Israël. Chacune d’elles représente un événement fondateur de l’histoire d’Israël. Si, la fondation d’Israël, comme peuple acquis par YHWH, est liée à la personne de Moïse, la royauté d’Israël semble, par contre, être incarnée par le roi David et sa descendance. La libération par Moïse – l’exode – avait pour but d’amener le peuple à servir YHWH. La stabilité de la dynastie davidique est assurée parce que David a formé le projet de construire un temple à YHWH, que Salomon réalisera. A ces deux traditions sont liées d’autres, notamment la guerre de YHWH, l’alliance, le culte et la tradition de Sion. L’exode et la royauté de David en relation avec le culte de YHWH semblent être les traditions marquantes de la rédaction du livre d’Esaïe. Elles sont attestées dans la prophétie de Nathan à David (2 S 7.5-16). Dans ces textes, les propos de YHWH présentent la construction du Temple comme la solution à l’inexistence d’un lieu fixe de culte depuis la sortie d’Egypte jusqu’à l’installation des Israélites. «Car je ne me suis pas installé dans une maison depuis le jour où j’ai fait monter d’Égypte les fils d’Israël et jusqu’à ce jour: je cheminais sous une tente 31
et à l’abri d’une demeure» (2 S 7.6). Cette solution est incarnée dans le projet de David dont l’exécution sera l’œuvre de Salomon. Ainsi, David et Salomon deviennent en quelque sorte les continuateurs de l’œuvre de Moïse dont le but ultime est d’établir le culte adéquat de YHWH. Ces observations commandent le choix des textes analysés, à savoir ceux qui, contiennent des allusions à des traditions relatives à Moïse, à David / Salomon et au Temple de Jérusalem. 1.5.3.2 Moïse, David et le Temple de Jérusalem: L’influence de 2 Sam 7 sur la rédaction d’Esaïe et l’importance de la tradition de Moïse Si l’influence de la tradition cultuelle de Jérusalem et celle de la royauté de David semblent être généralement acceptées par la plupart des auteurs96, l’acceptation de l’impact de la tradition de l’exode rencontre peu d’adeptes. En effet, la rédaction du livre d’Esaïe est foncièrement marquée par la tradition royale de David en relation avec le temple de YHWH. La réception de cette tradition est faite de manière propagandiste et couvre l’ensemble du livre aussi bien dans les oracles de salut que dans ceux de malheur. Dans les oracles de salut, le livre assimile l’attitude du roi de Juda ou celle du peuple d’Israël postexilique à la fidélité de David et surtout de Salomon. Le but est évident: faire l’éloge de ces deux rois à cause de leur engagement en faveur du Temple de Jérusalem. La propagande judéenne concernant David et Salomon se fait au détriment de Saül comme cela apparaît déjà dans la prophétie de Nathan (2 S 7.15)97. Par sa promesse de stabilité éternelle à la maison de David, cette prophétie assure le «triomphe de la maison de David sur celle de Saül»98. J. Vermeylen le dit si bien en parlant du récit qui s’étend de 1 S 11 à 2 S 7:
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R. R. WILSON , Prophecy and society, 1980, p. 270; H. WILDBERGER, Isaiah 2839, 2002, pp. 579-589; I. FINKELSTEIN et N. A. SILBERMANN , Les rois sacrés de la Bible, 2006, pp. 15-16. Ce texte fait la synthèse de plusieurs couches rédactionnelles successives (post-) deutéronomistes (la 1re rédaction salomonienne (4a-5aα,γ, 11b; 16 aα,γ,); la seconde rédaction salomonienne (1a, 2a-3b, 5b); DtrH (1b, 5bβ,8bα); DtrN (6a-8a); la rédaction finale (vv. 16b-17b): Cf. à ce sujet: J. VERMEYLEN, La loi du plus fort, 2000, pp. 250-251. J. VERMEYLEN, La loi du plus fort, 2000, p. 258.
D’un bout à l’autre, il met en scène la concurrence entre Saül et sa lignée, d’une part, et David, d’autre part, pour le pouvoir de l’Israël du Nord. C’est un écrit tendancieux, partisan et polémique, qui entend disqualifier la maison de Saül et promouvoir la cause du Judéen99.
Cette attitude critique est observable dans le livre d’Esaïe dont les rédacteurs reprennent le vocabulaire et les concepts de la tradition royale de David. En effet, les oracles de salut sont marqués par les images élogieuses de David et Salomon, tandis que les attitudes et le sort de Saül, de sa lignée et des rois du Nord (tradition du Nord) se reflètent dans l’interprétation de la chute des rois de Juda. La mention de la sortie d’Egypte dans la prophétie de Nathan (2 S 7.6) n’est pas fortuite. D’une part, elle présente cet événement comme antérieur au Temple de Jérusalem afin de justifier l’opportunité de sa construction. D’autre part, le Temple devient le lieu privilégié qui remplace la tente, la destination finale du peuple affranchi d’Egypte. Car, c’est là que se réalise le but ultime de la libération des Israélites: «aller servir YHWH, leur Dieu» (Ex 10.7-8.). A cause de son endurcissement, Pharaon s’opposa à ce plan divin. Par contre, David le réalisa, par Salomon interposé. Par conséquent, la prophétie de Nathan présente David comme l’antitype de Pharaon et de Saül. Si nous reconnaissons l’influence centrale de la prophétie de Nathan dans la rédaction du livre d’Esaïe, alors, l’acceptation des traces de la tradition de l’exode ne devrait pas poser problème. Et pourtant, la situation se présente autrement. Pendant que la réception de l’exode dans le «Deutéro-Esaïe» semble rencontrer l’avis unanime des commentateurs100, ses empreintes dans le «Proto-Esaïe» constituent un point d’achoppement. Pour preuve, les affirmations tranchées de H. Wildberger: «It is noteworthy that the so-called exodus tradition cannot be detected in the writing of First Isaiah and that the covenant tradition played at best only minor role in shaping his ideas»101.
99 J. VERMEYLEN, «La maison de Saül et la maison de David», in DESROUSSEAUX, L., et VERMEYLEN, J. (éds.), Figures de David à travers la Bible, 1999, pp. 35-74 (p. 58). 100 H. WILDBERGER, Isaiah 28-39, 2002, p. 585. 101 Ibid., p. 579.
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Cette position qui identifie les marques rares et sporadiques de la tradition de l’exode dans le «Proto-Esaïe», nous rappelle la réaction sans concession de R. G. Kratz: «Man kann nicht den Exodus überall im Buch Jesaja sehen»102. Peut-être c’est cela que I. Finkelstein et N. A. Silbermann sous-entendent par cette assertion lorsqu’ils parlent de la réception de grandes figures bibliques dans la tradition judéo-chrétienne: Moïse le grand législateur, n’était pas destiné à revenir. En revanche, David et Salomon avaient été les récipiendaires d’une promesse divine qui garantissait au peuple sa survie et sa rédemption. En dépit des épreuves du présent, la lignée de David, le fils de Jessé, offrait une promesse d’avenir103.
Cependant, la mention du nom de Moïse dans la dernière partie du «Trito-Esaïe» (63.11, 12), dans la littérature du judaïsme hellénistique, et dans le Nouveau Testament, de Mathieu à l’Apocalypse,104 prouve tangiblement que cette figure aurait, à l’instar de David et Salomon, marqué la tradition biblique105. Si nous devons reconnaître à ce jour que le message du «DeutéroEsaïe» est repris également dans le «Proto-Esaïe», ne fut-ce que sur ce point, nous ne pouvons plus ignorer la présence de la tradition de l’exode dans cette partie du livre. Voulant répondre à cette question, S. Deck a prudemment démontré les liens entre l’exode et les textes exiliques du «Proto-Esaïe». Bien qu’il ait eu des difficultés à laisser l’exode «tousser» partout dans le livre d’Esaïe, l’auteur ne trouve pas justifié d’y sous-estimer sa présence. Elle explique que la chute du royaume du Nord et le mouvement de réfugiés vers le royaume de Juda y aurait amené les Elohistes qui étaient porteurs de la tradition de l’exode … Esaïe est aussi un des prophètes qui avaient repris dans son présent les anciennes traditions. Il serait donc étonnant compte tenu de son rôle central de voir la sortie d’Egypte être complètement ignorée106. 102 Réaction à nos observations sur l’omniprésence de la tradition de l’exode dans la rédaction du livre d’Esaïe (Béthel 25 juin 2005 pendant la conférence organisée du 24-26 juin 2005 à Béthel par L. Morenz et S. Schorch sous le thème: Was ist ein Text? – Ägyptologische, altorientalistische und altestamentliche Perspektiven). 103 I. FINKELSTEIN et N. A. SILBERMANN , Les rois sacrés de la Bible, 2006, pp. 15-16. 104 Mt 8.4 - Ap 15.3. 105 T. RÖMER (éd), La construction de la figure de Moïse, Paris, Gabalda, 2007. 106 S. DECK, «Kein Exodus bei Jesaja?», in F. DIEDRICH et B. WILLMES (éds.), Ich bewirke das Heil und erschaffe das Unheil (Jes 45,7), 1998, pp. 31-47 (pp. 46-47).
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En vue de soutenir l’influence partielle de la tradition de l’exode dans le «Proto-Esaïe», l’auteur s’appuie sur l’observation de H. Wildberger: «Isaiah never mentions Moses and says nothing about the covenant at Sinai»107. Toutefois, les thèmes suivants du livre de l’exode sont repris dans les 39 premiers chapitres d’Esaïe: l’endurcissement et les plaies (Es 29.9; Cf. 6.9), l’engloutissement des chars et cavaliers des Egyptiens dans la mer (Ex 14.28; 15.21// Es 31.1, 3) et l’appel à rester calme pendant que YHWH sauve son peuple (Ex 14.13// Es 30.15; éventuellement Es 7.4-7; 8.6 ou 22.11)108. Notre méthode consiste à chercher systématiquement les traces des traditions de Moïse et de David dans le livre d’Esaïe. Elle permet de nous rendre compte de l’influence majeure de ces traditions dans tout le développement rédactionnel du livre. De même que la prophétie de Nathan marque le livre d’Esaïe, ainsi Moïse, David/Salomon et le Temple de Jérusalem constituent les trois filigranes du livre qui porte le nom du fils d’Amots. La réception de ces traditions y afférentes ne s’est pas faite de manière aléatoire ni sporadique, mais plutôt systématique. 1.5.3.3 Une analyse à la fois synchronique et diachronique Notre étude combine des méthodes synchroniques et des méthodes diachroniques. Par l’analyse synchronique, nous voudrions répondre aux questions relatives à la forme du texte, sa structure et son contenu. Nous procéderons de la manière suivante: Après avoir délimité chaque texte identifié, nous le soumettrons à la critique textuelle. Une fois sa forme littéraire assurée, le texte sera traduit avant de présenter sa structure. Les éléments structurels serviront de base à l’analyse diachronique. Par l’analyse diachronique, nous entendons répondre aux questions relatives à la formation du texte, son milieu producteur et les matériaux, sources, traditions, etc. utilisés pour sa rédaction, ses destinataires, son contexte historique ainsi que ses enjeux théologiques. Dans notre démarche, nous partons de la présupposition herméneutique selon laquelle les traditions de Moïse et de l’exode, de David/Salomon et du Temple de Jérusalem avaient systématiquement inspiré toute l’histoire de la formation du livre d’Esaïe. 107 H. WILDBERGER, Isaiah 28-39, 2002, p. 578. 108 S. DECK, «Kein Exodus bei Jesaja?», 1998, pp. 31-47 (p. 34).
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La «Traditionsgeschichte» et la «Formgeschichte» nous aideront à identifier le culte comme le Sitz im Leben possible du rappel de ces traditions. La «Literarkritik» nous aidera à identifier les strates rédactionnelles. La découverte des caractéristiques de chaque couche rédactionnelle et sa situation socio-historique se fera à l’aide de la «Redaktionsgeschichte». En d’autres termes, chaque élément du texte, terme, expression, concept, etc. sera étudié en relation avec ces trois critères herméneutiques (les traditions de Moïse et de l’exode, les traditions davidiques et le culte). Etant donné que le livre d’Esaïe a connu une histoire rédactionnelle complexe, nous étendrons l’analyse à l’ensemble de tous les livres de la Bible hébraïque. L’avantage de cette approche sera double. D’une part, nous serons en mesure de démontrer les liens intertextuels entre le livre d’Esaïe et les autres livres. D’autre part, nous établirons que la croissance du livre d’Esaïe n’est pas isolée à celle de toute la Bible hébraïque. Cette approche donne à notre étude rythme et harmonie. Rythme, en ce que l’analyse cherchera à comprendre le sens des éléments textuels, dans les traditions de Moïse et de l’exode, puis dans celle de David et enfin dans le culte. L’harmonie est imposée, d’une part, par l’apparition de ces traditions comme trois lignes de couleurs différentes qui traversent le livre et le rendent tricolore et, de l’autre, par la répétition de ces couleurs dans les trois éditions qui forment les différentes unités du livre. En effet, le plan rédactionnel qui part de la rédaction de paix à la double édition de paix se vérifie non seulement globalement dans le livre, mais aussi dans les petites unités littéraires [1.2-7a (RC-DtrE); 60-62 (P1-S); 63-66 (P2-AP); 30.1-3 (RC-DtrE); 30.19-25a (P1-S); 30.25b-33 (P2-AP)]. L’analyse des textes à partir des 3 traditions nous amènera donc à découvrir un plan rédactionnel à 3 éditions pour 7 couches rédactionnelles représentant 7 situations du Temple de Jérusalem.
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1.6 Plan du travail La démonstration du plan rédactionnel ainsi que l’interprétation de l’histoire de la formation du livre d’Esaïe à partir du rôle des nations dans le «Proto-Esaïe», impose à notre travail la structure en deux parties essentielles. La première présente le plan rédactionnel qui part de la crise à la paix. La démonstration de ce plan se fait grâce à l’exégèse de 1.2-7a pour la rédaction de crise, et de 39.8 pour l’édition de paix. Elargie à l’ensemble du livre, la rédaction de paix se partage en deux (60.17 et 66.12), de manière à établir un plan qui va de la crise vers une double édition de paix. Etant donné que ce plan n’est pas accidentel et qu’il se vérifie ailleurs dans le livre, le ch. 30 a été sélectionné comme modèle de vérification. Son étude se répartit en plusieurs chapitres, notamment 30.1-3; 30.19-25a et 30.25b-33 pour les grandes unités. Puis suivent des études consacrées aux petites unités: vv. 30.1-8; 9-14 et 15-18. Après la démonstration du plan rédactionnel du livre d’Esaïe qui part de la crise à la paix à partir de ses extrémités (1.2-7a et 39.8) d’une part, et sa confirmation dans le ch. 30 aussi bien dans sa macro- que microstructure d’autre part, la seconde partie de notre travail sera consacrée à la découverte de l’histoire rédactionnelle du livre. Cette dernière est représentée par 7 couches rédactionnelles reflétant 7 situations du Temple. A chaque couche est consacré un chapitre. L’étude suit l’ordre chronologique, partant du 8e au 2e siècle. Ainsi, les chapitres répondent à la structure suivante: 1. 8.1-4: Rédaction ésaïenne à la chute de Samarie (722) 2. 2.6: Rédaction à la mort de Manassé (642), 3. 10.5-15* + 2.7-8a: Rédaction à la fin de l’hégémonie assyrienne (612): Assur-Redaktion, 4. 8.5-8*: Rédaction après la catastrophe de Juda (587), 5. 14.3-11: Rédaction lors du déclin de l’empire babylonien (539), 6. 2.2-4 et 14.21-23: Rédaction de paix (entre 515 et 167) 7. 14.12-20: Rédaction après la mort d’Antiochus Epiphane IV (164). Le travail débute par un chapitre introductif et se clôt par une conclusion générale. Ceci étant, venons-en à la découverte du plan rédactionnel du livre. 37
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2. De la crise à la paix dans Es 1-39
La désolation du pays, l’incendie de ses villes et leur destruction par les étrangers à cause de la rébellion des fils (1.2-7a) décrivent la crise par laquelle s’ouvrent les 39 premiers chapitres, et partant l’ensemble du livre. Tandis que la protection de Jérusalem de la menace des étrangers et par laquelle le «Proto-Esaïe» termine représente la paix et la stabilité pendant le règne d’Ezéchias (39.8) grâce à sa fidélité à YHWH. Ainsi, la crise au début et la paix à la fin constituent le plan rédactionnel de 39 premiers chapitres d’Esaïe. Liées à la situation de la dynastie davidique, elles forment les deux pôles de la prophétie de Nathan à David par laquelle YHWH promet à ce dernier la stabilité éternelle de sa royauté pour avoir projeté lui construire une maison (le Temple) ainsi que le châtiment de son successeur en cas d’infidélité. Pour ce faire, YHWH sera pour lui un père et il sera pour lui un fils. Toutefois, il ajouta «s’il commet une faute, je le corrigerai en me servant d’hommes pour bâton et d’humains pour le frapper» (2 S 7.14). Le châtiment divin à cause de la faute des hommes dans ce texte suppose la destruction par les étrangers dans 1.7a. Par contre, la stabilité du royaume pendant le règne d’Ezéchias (39.8) illustre l’accomplissement de la prophétie: «Devant toi, ta maison et ta royauté seront à jamais stables, ton trône à jamais affermi» (2 S 7.16). L’épisode de Nathan joue un rôle majeur dans la compréhension de l’unité du livre d’Esaïe comme D. Janthial l’a récemment démontré1. Pour notre part, il constitue une des clés pour l’interprétation de l’histoire rédactionnelle du livre. Dans la mesure où, il «inclut … le sort de deux maisons (temple et dynastie davidique)…»2. Le sort du Temple et celui de la royauté sont intimement liés, dans la mesure où la stabilité ou l’instabilité de la dynastie davidique dépend respectivement de la fidélité ou de l’infidélité des rois au Temple et à son culte. La crise et la paix dans le livre d’Esaïe ne peuvent s’expliquer autrement que par rapport à la maison de YHWH à Jérusalem. Ainsi, la destruction par les étrangers et la stabilité de la royauté représentent 1 2
D. JANTHIAL , L’oracle de Nathan, 2004, pp. 20-23. Ibid., p. 23.
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deux interprétations de la situation du Temple, respectivement sa destruction en 587 et son essor à l’époque postexilique perse et grecque. Commençons par le commencement, c’est-à-dire par la crise.
2.1 La crise à cause de l’infidélité envers le Temple (1.2-7a) 2.1.1 Introduction Que ce texte fasse allusion à une situation de crise, cela ne fait aucun doute. La crise est même double. Elle concerne d’abord la rupture de la relation entre YHWH et ses fils, à cause de leur révolte (>Y3) (v. 2). Ils l’ont abandonné (E]>) et méprisé (DQ) (v. 4). Cette crise engendre ensuite une autre, à savoir la désolation du pays, l’incendie de ses villes et leur destruction par les étrangers (a\ U,v ])« (v. 7a). En ce qui concerne les destinataires et le contexte historique de 1.27a, les opinions sont partagées. Pour J. D. W. Watts, l’oracle s’adresse à Israël, le royaume du Nord3, tandis que la plupart des exégètes identifient le destinataire avec Juda, mais sans s’accorder sur l’époque. Pour l’exégèse traditionnelle, la péricope fait allusion à la situation de 701 lorsqu’après avoir conquis toutes les villes de Juda, Sennachérib menace l’existence de Jérusalem et celle de la royauté d’Ezéchias4. Cependant d’autres commentateurs y voient une allusion à la chute de Jérusalem et de Juda en 5875. A cette occasion, le Temple de Jérusalem fut détruit. Cette dernière datation semble refléter le contenu de 1.2-7a. Il s’agit, en effet, d’une tentative d’interpréter théologiquement la destruction de Juda et de ses villes par les étrangers non comme un signe de défaite de YHWH, mais plutôt comme la manifestation de la colère divine contre
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40
J. D. W. WATTS, Isaiah 1-33, 1985, p. 18. R. E. CLEMENTS, Isaiah 1-39, 1980, pp. 30-33. J. VERMEYLEN, Du prophète Isaïe à l’apocalyptique, 1977, p. 55: Etablissant le rapprochement du vocabulaire de ce texte avec celui du livre de Jérémie, l’auteur n’a pas exclu la datation de la péricope au début du 6e siècle; O. KAISER , Der Prophet Jesaja, Kapitel 1-12, 1981, 5e éd., pp. 34-36; R. KILIAN, Jesaja 13-39, 1994, p. 173; U. BECKER , Jesaja – von der Botschaft zum Buch, 1997, p. 181.
Israël à cause de son péché et de sa rébellion contre lui. Une telle explication caractérise la théologie deutéronomiste6. L’analyse de 1.2-7a devrait nous conduire à confirmer ces hypothèses ainsi qu’à établir les relations intertextuelles. Avant de nous y lancer, délimitons le texte.
2.1.2 Délimitation du texte Es 1.2-7a vient juste après le titre (1.1) et avant les vv. 7bss. Certains auteurs s’accordent à l’intégrer dans un grand ensemble (vv. 2-20) qui manque d’ailleurs d’homogénéité7. Le lien entre les vv. 2-3 et 4-78 d’une part, et la tension littéraire entre 7b-9 (c. infra) et le texte précédent, d’autre part, suggère de considérer les vv. 2-7a comme une unité littéraire. Notre hypothèse va s’appuyer sur trois arguments: a) La thématique de la filiation d’Israël à YHWH Lorsque YHWH s’adresse à ses fils (a\Q,%)« qui se sont révoltés contre lui (v. 2), il évoque par là la rupture de son alliance avec eux9. Bien que le terme W\U,% ne soit pas présent dans le texte, le concept y est sous-entendu. Les fils, c’est Israël qui ne connaît pas, le peuple qui ne comprend pas (vv. 2-3). Le parallélisme entre l’infidélité des fils et celle du peuple se poursuit au v. 4. La rébellion annoncée de manière générale se laisse détailler à partir de ce verset. Car les fils qui se sont rebellés (:>Y3)« contre YHWH, c’est en effet, les a\WL\[LYP a\Q,%«, qui l’ont abandonné et méprisé. Cette attitude est à l’origine du malheur que développent les vv. 5-7a. b) Le châtiment dans ces versets culmine par la désolation et la destruction du pays, ainsi que l’incendie de ses villes par les étrangers. L’expression a\ U,v ]« WN3K H P . KP« P«Y: qui termine le v. 7 se distingue de
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M. ROSE , «Idéologie deutéronomiste et théologie», in A. de PURY, T. RÖMER et J.D. MACCHI, Israël construit son histoire, 1996, p. 472. J. VERMEYLEN, Du prophète Isaïe à l’apocalyptique, 1977, p. 50. J. HARVEY , Le plaidoyer prophétique, 1967, p. 94. J. N. OSWALT, The Book of Isaiah, 1986, p. 85.
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KP« P«Y aNFU D! à son début. C’est avec raison qu’elle est considérée comme une «glose explicative» du v. 7a10. c) En commençant par la désignation des destinataires suivie de la condamnation avant de terminer par le châtiment, les vv. 2-7a répondent à la structure d’un oracle en \$K. Ce qui fait de ce texte une unité littéraire complète. L’expression $ ) (vv. 2-3 et 4). Dans une condamnation, cette appellation d’Israël comme «fils» est attestée dans ces textes, également en 30.1, 9. La forme littéraire qui veut que a\Q,%« soit qualifié par un participe présent rapproche les vv. 2-4 et ces textes [(Cf. a\U,U$! Va\Q,%« (30.1) et a\YL[« . a\Q,%« (30.9)]. A ce sujet s’ajoute également la désignation de la rébellion comme péché (1.4, 30.1). Ce rapprochement est précisé particulièrement entre 1.4 et 30.9 par l’emploi parallèle de a\Q,%« et a>. Ces deux textes présentent des fortes affinités comme le tableau le montre: 30.9
1.4:
car c’est un peuple mauvais, des fils menteurs, des fils qui n’ont pas voulu écouter la Torah de YHWH
a\YL[« .a\Q,%« D:K\U,Pa>\.L CKZ«K\!WU$7 >$PY:ED« DO^a\Q,%« a\WL\[LYPa\Q,%« a\>LUHP>U]Z2>« GE.a> ODHU« I\,Y$GTWD:FD@Q,KZ«K\!WD:E]!>« peuple chargé de crime, race de malfaisants, fils corrompus. Ils ont abandonné YHWH, méprisé le Saint d’Israël.
Tant sur leur forme littéraire que sur leur fond, ces deux textes sont proches l’un de l’autre. Du point de vue de la forme, ils emploient tous le terme a> comme parallèle de a\Q,%«, en plaçant le premier au début suivi du second. Ce dernier mot est construit, d’une part, avec un participe présent, et, d’autre part, avec le verbe au Qal 3e pers. masc. pl. En ce qui concerne le message, il est le même. Il s’agit de la condamnation des fils par YHWH, du peuple d’Israël qui l’a abandonné en n’écoutant pas sa Torah. Prises en compte, ces observations confirment le rappro44
chement littéraire et historique entre 1.4 et 30.9. Ceci vaut également pour 30.1. La forme littéraire et le fond ainsi mis à jour dans 1.2-4 et 30.9 sont attestés dans le livre de Jérémie (Jr 4.22). 1.2-3:
Ainsi parle YHWH: J’ai fait grandir les fils et je les ai élevés mais ils se sont révoltés contre moi. Israël ne connaît pas, mon peuple ne comprend pas
\EL:>Y3« aKHZ!\7LPP$UZ!\7LO'*,a\Q,%« tU%H',KZ«K\!\.L Q«$%WKLDO^\0L>>G\ «DO^ODHU« I\, Jr 4.22 a\Q,$EQ!DO^Z!K0«KHa\OLN« Va\Q,%« :>G« \ «DO^\WL$D\0L>O\Z,D\.L Car mon peuple est stupide. Il ne me connaît pas. Ce sont des fils fous et ils ne sont pas intelligents…
Ces textes présentent des similitudes stylistiques frappantes. Les destinataires sont à la fois désignés par a\Q,%« et \0L> suivant l’ordre a\Q,%« – a>. Les actes du peuple sont exprimés négativement et révèlent le manque de connaissance: (>G\ DO^)L et d’intelligence (\% DO^)L . Nous pourrions allonger la liste des similitudes. Mais déjà à ce niveau, nous supposons que ces deux textes proviendraient soit de la même main, soit de deux mains appartenant au même milieu rédactionnel. Ceci est d’autant évident, lorsque nous observons des éléments relatifs au châtiment: – désolation du pays KP« P« Y aNFU D! (1.7a; Cf. 6.11) et UD« K« O.« K\KW L KP« P« Y (Jr 4.27; 6.8; 9.10; 10.22; 12.10,11; 19.8; 34.22, Cf. Ez 12.20; 14.15; 15.8; 23.33), – destruction des villes YDHW$SUXI aN\UH>« (1.7) et :F7Q, Z\U« >« ON« (Jr 4.26, 29). Jérémie attribue l’incendie de la ville de Jérusalem au roi de Babylone (Jr 21.10; 32.29; 34.2, 22; 37.8, 10; 38.18, 23). – Ce malheur arrive par les étrangers (1.7), du Nord (Jr 4.6)12. Les rédacteurs ésaïens préfèrent parler des étrangers, tandis que le nom de Babylone est évoqué par Jérémie et Ezéchiel dans nombre des cas. Ces faits énumérés constituent des arguments de taille pour situer 1.27a dans le même cadre que les textes de Jérémie et d’Ezéchiel. En effet, ces deux textes interprètent la destruction de Juda et de ses villes en 587 comme l’œuvre de YHWH par l’entremise des étrangers, les Ba-
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Jérémie parle du malheur que YHWH fait venir du Nord (Babylone).
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byloniens, en l’occurrence. L’emploi dans Jr 4.6 de $SF« «le Nord» comme lieu d’où vient le malheur en fait foi13. Concrètement, les fils rebelles désignent le peuple et les rois de Juda, dont Sédécias. Maintenant que nous avons identifié les destinataires et le cadre historique, notre prochaine tâche sera de situer le milieu rédactionnel et les traditions ayant influencé la rédaction du texte. Pour y parvenir, nous partirons de l’hypothèse suivante: La tradition de l’exode, la royauté de David et la tradition cultuelle auraient influencé la rédaction de 1.2-7a. Notre argumentation sera construite à partir des griefs reprochés aux fils, notamment abandonner YHWH et mépriser le Saint d’Israël. 2.1.5.2 Abandonner et mépriser YHWH dans la tradition de l’exode L’abandon et le mépris de YHWH synonyme de la méconnaissance par Israël et ses dirigeants reflètent le comportement des Egyptiens et de Pharaon dans la tradition de l’exode. Ce comportement fut à l’origine des plaies que YHWH leur infligea. Ces malédictions sont appliquées à Israël par les rédacteurs deutéronomistes. Ainsi, Israël récupère l’attitude et le sort des Egyptiens en abandonnant YHWH et sa parole en faveur des idoles. 2.1.5.2.1 Abandonner YHWH Dans la tradition de l’exode, la méconnaissance de YHWH est l’accusation portée contre les serviteurs de Pharaon qui ne prirent pas à cœur la parole de YHWH. Cette attitude de rébellion attira le malheur sur eux à travers l’envoi des plaies (Ex 9.21). Ce sort jadis subi par les Egyptiens est infligé à Israël à travers les malédictions à cause de l’abandon de YHWH (Dt 28.20). Israël reprend l’attitude des Egyptiens en devenant un peuple rebelle contre YHWH au lieu de se mettre à son service. Cet acte suppose l’abandon et la rupture de l’alliance avec son Dieu (Dt 29.24) ainsi que la pratique de l’idolâtrie (Dt 31.16). L’allusion de la méconnaissance de YHWH avec la tradition de l’exode permet de faire des observations suivantes: D’une part, le concept domine le livre de Deutéronome, ce qui lui confère une influence deutéronomiste,
13
46
J. SCHREINER, Jeremia 1-25,14, 1985, 2e éd., pp. 33-34.
et d’autre part l’accusation divine s’adresse à Israël. La forme des terminologies y relatives nous suggère d’envisager un rapprochement entre le livre de Deutéronome et 1.2-7a tel que le tableau l’indique: 1.4: Dt 29.24:
ils ont abandonné YHWH
KZ«K\!WD:E]!>« KZ«K\!W\U,%WD:E]!>« Ils ont abandonné l’alliance de YHWH
Ces deux textes donnent deux perspectives d’une même réalité. Car abandonner YHWH, c’est abandonner son alliance. Ils présentent les affinités de fond et de forme. En effet, le verbe E]> est au Qal 3e pers. masc. pl. Il désigne le comportement d’Israël envers YHWH. En outre, il est construit avec le complément d’objet direct introduit par (WD). Sur le plan du contenu, les deux textes présentent l’abandon de YHWH pour expliquer d’une part les causes des blessures et de plaies issues des frappes de YHWH (Dt 29.21, Es 1.5-6) et d’autre part l’intervention de l’étranger dans ce malheur (Dt 29.21; Es 1.7). Ces ressemblances ne sont pas fortuites. Elles démontrent l’appartenance de ces textes au même milieu rédactionnel qui interprète le malheur sur Israël par les étrangers comme la conséquence de l’abandon de YHWH, de son alliance et de sa parole. Les rédacteurs deutéronomistes auraient appliqué à Israël l’attitude d’incrédulité reconnue à Pharaon et aux Egyptiens qui ne prirent au sérieux la parole de YHWH. L’influence deutéronomiste dans 1.4 est portée également par le concept «mépriser». L’expression le Saint d’Israël étant une particularité ésaïenne14. 2.1.5.2.2 Mépriser le Saint d’Israël L’expression ODHU« I\ , Y$GTWD :FD@Q, «ils ont méprisé le Saint d’Israël» traduit l’attitude de rébellion des fils contre YHWH. A part en 1.4, elle apparaît en 5.24 sous une autre forme. Dans ce texte, le mépris de la parole du Saint d’Israël est la cause du malheur, illustré dans la métaphore de la paille dévorée par le feu et du chaume qui disparaît dans la flamme (5.24). Cette métaphore symbolise l’incendie des villes dans 1.7a. Le motif de la destruction par le feu à cause du mépris de YHWH rapproche littérairement et historiquement 1.2-7a de 5.24. 14
M. GILBERT, Il a parlé par les prophètes, 1998, p. 191.
47
Le mépris de YHWH est présent dans la tradition de l’exode. En rapport avec Moïse, cette attitude est attesté dans les textes suivants: Nb 14.11, 23; 16.30; Dt 31.20. Dans ce dernier texte, le mépris de YHWH suppose la violation de son alliance et la pratique de l’idolâtrie. C’est l’explication donnée aux grands malheurs qui ont atteint Israël (Dt 31.16). L’emploi du concept «mépris de YHWH» assorti de l’abandon de YHWH est mentionné dans le ch. 31 du Deutéronome. Or ce double emploi est également attesté dans 1.4, par conséquent, ces deux textes appartiendraient au même cadre rédactionnel. En prenant en compte la condamnation de l’abandon de YHWH dans la tradition de l’exode et l’analyse du concept «mépris de YHWH», nous sommes en mesure de repérer l’influence de la tradition de l’exode dans 1.4, telle que lue par les milieux deutéronomistes. D’ailleurs l’influence deutéronomiste dans ce texte a déjà été évoquée par O. Kaiser15 et J. Vermeylen16. Cette influence est également soutenue par les liens entre 1.2-7a et la tradition royale de David. 2.1.5.3 Abandonner et mépriser YHWH dans la royauté davidique Abandonner et mépriser YHHW sont des attitudes reconnues aux rois de Juda et qui sont à la base de l’instabilité de la dynastie davidique. Ce double comportement trouve son cadre dans la version exilique de la prophétie de Nathan à David (2 S 7.14). Sédécias représente le Davidide par qui le malheur a atteint la dynastie. La chute de Juda et de Jérusalem en 587 est interprétée par les milieux deutéronomistes comme due au péché des Davidides ayant abandonné et méprisé YHWH. Dans la tradition royale de David, l’abandon de YHWH est évoqué dans le cadre de la seconde apparition de YHWH à Salomon (1 R 9.19). S’adressant à Salomon, YHWH mentionne une promesse identique à celle faite à David par l’entremise du prophète Nathan (2 S 7). Dans ce texte également, la stabilité et l’instabilité de la royauté davidique sont respectivement liées à l’attitude de fidélité ou d’infidélité du Davidide au Temple. Pendant que l’obéissance à YHWH assure la stabilité de la royauté et du Temple, la désobéissance quant à elle conduit à leur des-
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O. KAISER , Der Prophet Jesaja, Kapitel 1-12, 1981, p. 31. J. VERMEYLEN, Du prophète Isaïe à l’apocalyptique, 1977, p. 57.
truction. Ces deux comportements apparaissent dans 1 R 9.7-9. Car c’est parce qu’ils ont abandonné (KZ«K\!WD :EÚ½ ]! >« = 1 R 9.9 // Es 1.4) que le malheur est survenu sur le Temple. Le texte décrit donc deux situations du Temple respectivement avant et après sa destruction en 587. Cette destruction est confirmée dans le texte par la stupéfaction des passants sur son malheureux sort (Cf. Dt 29.23, Jr 22.8). En outre la destruction du pays à cause de l’abandon de YHWH est un thème déjà répertorié dans le livre de Deutéronome (ch. 31). Il revient également dans le livre de Jérémie pour caractériser la chute de Juda sous Sédécias (Jr 24.8-10) comme en 1.7. Le lien littéraire entre 1.4 et 1 R 9.9 se justifie comme dans le cas de DQ par l’emploi de l’expression KZ«K\!WD:E]!>« porteuse de la condamnation. L’analyse de l’abandon de YHWH et du mépris du Saint d’Israël dans la tradition royale de David désigne le cadre cultuel comme Sitz im Leben, l’influence de la théologie deutéronomiste et les liens de 1.2-7a avec les textes de Jérémie relatifs à la chute de Juda sous Sédécias. L’emploi de ces motifs dans le Psautier constitue une preuve supplémentaire. 2.1.5.4 Abandonner et mépriser YHWH dans le cadre cultuel L’analyse du double concept «abandonner et mépriser YHWH» à la fois dans les traditions de l’exode et de la royauté davidique, a permis d’identifier le culte comme son Sitz im Leben. A cette condamnation correspondent les malédictions prononcées à Sichem (Dt 28), les discours d’adieu de Moïse (Dt 31) et la destruction du Temple (1 R 9.1-9). L’évocation du motif dans le Psautier confirme ce cadre cultuel17. Dans ce livre, l’abandon de la Torah, la révolte contre les paroles de YHWH et le conseil du Très-Haut ($\O>) (Ps 107.11) sont à la base du malheur (Ps 89.31; 119.59). Classé parmi les psaumes royaux, le Ps 89 est daté par certains auteurs du temps de l’exil18. J. H. Steymans souligne que le Psalmiste se serait inspiré de la même tradition que celle de 2 S 7 en particulier 2 S 17.14-15 // Ps 89.33-3819. L’origine exilique de cette 17 18 19
L. MOULOUBOU , «Les Psaumes» in L. MOULOUBOU et al. (éd.), Les Psaumes et les autres écrits, 1990, pp. 62-64. J. W. HILBER , Cultic Prophecy in the Psalms, 2005, p. 118. H. U. STEYMANS, «Deinen Thron habe ich unter den großen Himmel festgemacht», in O. E CKART et E. ZENGER (éd.), Mein Sohn bist du (Ps 2,7), 2002, p. 210; J. W. HILBER , Cultic Prophecy in the Psalms, 2005, p. 120.
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partie de 2 S 7 a été identifiée précédemment. Dans ce contexte, le psaume 89 aurait été produit par les prophètes cultuels exiliques qui se lamentaient sur les décombres de l’ancien Temple20 de Jérusalem en signe de fidélité à YHWH. Cette lamentation concerne à la fois la chute de la dynastie davidique, de Juda et de ses villes21. Elle ferait allusion aux invasions babyloniennes22 lors de la catastrophe de 587.
2.1.6 Conclusion Notre hypothèse consistait à démontrer que 1.2-7a est un texte qui appartient à la rédaction de crise de Juda. Cette rédaction est née dans les décombres du Temple de Jérusalem après sa destruction en 587. Les rédacteurs furent les prophètes cultuels. Leur tâche fut d’interpréter les causes de la chute du royaume de Juda, la fin de la dynastie (maison) davidique et la destruction du Temple. Pour eux, cette catastrophe à la fois politique, sociale et religieuse, venue par les étrangers (Babylone), ne fut pas due à l’incapacité de YHWH de défendre Israël. C’est plutôt parce ce peuple et ses dirigeants ont, comme des fils rebelles, abandonné et méprisé YHWH, leur père. Pour eux, les étrangers ne se sont pas comportés en ennemis de YHWH. Mais, ils sont ses instruments afin de châtier Juda. Ainsi, YHWH a toujours raison. Cette situation relève de sa souveraineté. C’est ici qu’apparaît l’intention théologique des rédacteurs de 1.2-7a. YHWH est roi, non seulement sur Israël, mais aussi sur les nations puissantes et leurs dieux. Nous avons identifié cette théologie dans la version exilique de la prophétie de Nathan à David où YHWH menace de corriger le Davidide en se servant d’hommes pour bâton et d’humains pour le frapper (2 S 7.14). Sédécias en est le représentant. C’est par sa désobéissance, exprimée en 1.2-7a par les concepts «abandonner» YHWH et «mépriser» le Saint d’Israël que le royaume de Juda fut conduit à sa chute et le Temple de Jérusalem détruit. L’analyse de ces concepts en rapport avec Moïse, David/Salomon et le culte nous a conduit aux constatations suivantes: 20 21 22
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M. H. FLYOD, «Psalm LXXXIX», VT 42 (1992), p. 456. J. W. HILBER , Cultic Prophecy in the Psalms, 2005, p. 118. K. M. HEIM, «The (God) – Forsaken King of Psalm 89», in J. DAY (éd.), JSOT, 1998, pp. 297-298.
Dans la tradition de Moïse, ces deux concepts rappellent d’une part l’endurcissement du Pharaon et des Egyptiens, et d’autre part les plaies leur infligées (Ex 9.21). Ces plaies sont reprises et appliquées à Israël à cause de la même attitude d’incrédulité. Pour les rédacteurs deutéronomistes, Israël a rompu l’alliance avec son Dieu (Dt 29.24) et pratiqué l’idolâtrie (Dt 31.16) en abandonnant YHWH. C’est pourquoi, il subit les malédictions jadis infligées aux Egyptiens (Dt 28.20). Les textes du Deutéronome présentent des affinités textuelles et thématiques avec 1.2-7a. C’est pourquoi, nous avons été amenés à les placer dans le même cadre rédactionnel. La stratégie des rédacteurs deutéronomistes est claire: présenter Israël et ses dirigeants comme dépourvus d’intelligence. En se comportant mal, ils ont signé leur mort politique et religieuse. Le lien entre cette mort et la désobéissance à YHWH et à sa parole explique l’appartenance de la rédaction de 1.2-7a au milieu cultuel. Le culte comme Sitz im Leben de ce texte a été confirmé par les parentés de son vocabulaire avec certains Psaumes, notamment Ps 44; 89. En outre ces éléments littéraires ont démontré des liens intertextuels à l’intérieur du livre d’Esaïe avec 5.24ss; 30.1-3, 9-14 et en dehors avec certains textes des livres de Jérémie (Jr 3.19, 25; Jr 4.22) et d’Ezéchiel (Ez 2.4; 20.21), à titre d’exemple. Si l’édition de crise ouvre le «Proto-Esaïe» (1.2-7a) et concerne les rois de Juda, les Davidides infidèles à l’instar de Sédécias, la rédaction de la paix et de la stabilité de Juda le clôt. En effet, dans le dernier verset de cette partie du livre (39.8), la paix et la stabilité désignent le règne d’Ezéchias.
2.2 La paix et la stabilité dues à la fidélité envers le Temple (39.8) 2.2.1 Introduction
\P« \ %« WPDZ a$OY« K\K\ , \.L «Car ce sera la paix et la stabilité durant mes jours». C’est par cette affirmation d’Ezéchias que les 39 premiers chapitres d’Esaïe terminent en 39.8. Ce règne intervient après la captivité babylonienne (39.6-7), c’est-à-dire après la crise évoquée en 1.2-7a. La 51
paix et la sécurité deviennent à la fois l’alternative à la crise et le but rédactionnel du «Proto-Esaïe». Elles se présentent comme des signes du renouveau pour Israël. La position de 39.8 immédiatement après l’épisode sur la captivité babylonienne suppose l’origine postexilique non seulement de 39.8, mais aussi de l’ensemble de la narration Ezéchias-Esaïe (chs. 36-39)23. Par conséquent, ces chapitres exerceraient une triple fonction. La première consisterait à servir de conclusion au «Proto-Esaïe»24. La seconde servirait de pont entre cette partie et le «Deutéro-Esaïe»25. En troisième lieu, les chs. 36-39 embrasseraient littérairement le «Trito-Esaïe», en particulier les chs. 60-62. Ce qui leur confèrerait une fonction englobante pour la croissance de l’ensemble du livre comme un tout26. Comme nous aurons à le démontrer, le titre 1.1, introduisant tout le livre, proviendrait du même milieu rédactionnel que celui responsable de la narration Ezéchias-Esaïe. La ressemblance à quelques différences près des chs. 36-39 d’Esaïe avec 2 R 18-20.13 a donné lieu au débat, qui semble se focaliser ces dernières années sur deux positions. Certains auteurs considèrent la priorité du texte d’Esaïe sur la version de 2 Rois27. Tandis que d’autres considèrent le texte de 2 Rois comme la Vorlage de la version ésaïenne28. La question de la dépendance de 39.8 avec le texte de 2 R d’une part, et celle de sa relation avec 2 Ch 32.1-22 d’autre part, nécessitent d’être clarifiées29. Etant donné l’appartenance de 39.8 à l’ensemble des chs. 3623 24 25 26 27
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La prise en compte de ces chapitres comme un bloc est reconnue depuis les travaux de W. GENESIUS, Der Prophet Jesaja, Leipzig, Vogel, I/2, 1821, pp. 932-936. P. ACKROYD , «Isaiah 36-39: Structure and Function», in W. C. DELSMAN et al., AOAT 211, 1982, 3-21; réimprimé dans «Studies», 1984, pp. 152-171. B. S. CHILDS , Isaiah, 2001, p. 262. Ibid., p. 260; E. LANZ , Der ungeteilte Jesaja, 2004, p. 241. K. A. D. SMELIK, «Distorsion of the Old Testament Prophecy», OTS 24, 1986, pp. 70-93; Ch. SEITZ, Isaiah 1-39, 1996, pp. 242-243, 260-266 (à l’exception du ch. 38 dont l’origine se trouverait en dehors de 2 R et du ch. 39 qu’il rapproche de 2 Ch 32); B. S. CHILDS, Isaiah, 2001, p. 262 (La complexité de la rédaction a conduit l’auteur à privilégier les deux voix, c’est-à-dire la prise en compte de la position de Smelik, mais aussi le réexamen du point de vue critique traditionnel); E. L ANZ, Der ungeteilte Jesaja, 2004, p. 241. J. BLENKINSOPP, Isaiah 1-39, 2000, p. 459. R. E. CLEMENTS, Isaiah 1-39, 1980, p. 277; W. R. ROBERT, Prophecy and Society in ancient Israel, 1980, p. 219; J. BECKER, 2 Chronik, 1988, pp. 109-110; U. BECKER, Jesaja – von der Botschaft zum Buch, 1997, pp. 220-222 (L’auteur reconnaît la
39, ces mêmes questions concernent singulièrement ce texte. L’étude de 39.8 tente d’y répondre, peut-être en partie, car il faut une analyse générale des chs. 36-39 afin de parvenir à une conclusion adéquate. Mais avant tout, il convient de délimiter le texte.
2.2.2 Délimitation du texte Es 39.8 est un texte situé immédiatement après 39.6-7 et clôture le «Proto-Esaïe». Il décrit le règne d’Ezéchias comme celui de la paix (a$OY« ) et de la stabilité (WPD) . Par cette note, il se distingue à la fois des vv. 6-7 relatifs à la captivité babylonienne des «fils» d’Ezéchias et du «Deutéro-Esaïe» (40-55) qui annonce la fin de leur exil et leur sortie de Babylone. L’instauration du règne de paix et de stabilité en Israël n’est naturellement évoquée ni dans le vv. 6-7 ni dans le «Deutéro-Esaïe» – car ici la paix est à venir (54.13; 55.12; 57.2, 19). Elle trouve sa réalisation dans 39.8 et le «Trito-Esaïe» (60.17). Il s’établit dans ce contexte une logique synchronique entre ces trois textes. Pendant que les vv. 67 préparent le «Deutéro-Esaïe»30, 39.8 et 60.17 changent la situation de crise en celle de paix et de sécurité. Les deux derniers textes apparaissent comme l’accomplissement du message du Deutéro-Esaïe. L’étude que nous allons faire sera basée principalement sur 39.8 dont voici la traduction.
2.2.3 Traduction du texte Mais Ezéchias dit à Esaïe: la parole de YHWH que tu as prononcée est bonne et il dit: Car ce sera la paix et la stabilité durant mes jours.
30
complexité de la croissance des ch. 36-39 et leur postériorité par rapport au livre des Rois. Tout en reconnaissant la dépendance des chs. 36-37 à 2 R 18.13-19.27, il considère les chs. 38 (après certains changement) et 39 avoir été plus tard intégrés dans le livre des Rois. B. S. CHILDS , Isaiah, 2001, p. 287.
53
2.2.4 Structure du texte Es 39.8 semble établir un lien direct entre la fidélité d’Ezéchias à la parole de YHWH transmise par Esaïe et l’attente d’un règne de paix et de stabilité. Schématiquement, la structure peut se présenter de la manière suivante: – L’appréciation positive de la parole de YHWH (v. 8a) – L’attente d’un règne de paix et de stabilité (v. 8b). En regard du thème de notre travail, l’analyse littéraire se laissera guider par cette structure. Nous veillerons à répondre aux questions du ou des destinataires, d’auteur ou de rédacteur, des traditions et du milieu ayant influencé la production du texte, du contexte historique, des enjeux théologiques, etc.
2.2.5 Analyses et commentaires 2.2.5.1 Ezéchias dans 39.8 Dans 39.8, Ezéchias est le roi le plus heureux. Car, il affirme avoir droit à un règne de paix et de stabilité. Une particularité que la tradition royale reconnaît uniquement à Salomon (1 R 2.33). Cette image n’est pas identique à celle que donnent les rédacteurs de 2 R 20.19. De plus, elle est en accord avec celle que trace 2 Ch 32.26-29. Ce règne apparaît comme une faveur divine accordée à Ezéchias à cause de sa fidélité au Temple et son humiliation devant YHWH. Ainsi 39.8 est un texte qui établit un lien entre la paix, la sécurité et le culte. L’analyse de ce texte, nous aidera à résoudre trois problèmes majeurs. Le premier concerne l’identité d’Ezéchias en fonction de son apparition dans trois textes différents. Le second touche à la relation entre 2 R 20.19 et 2 Ch 32.26-29. Le troisième considère le Temple de Jérusalem comme le Sitz im Leben de 39.8. Es 39.8: réutilisation de 2 R 20.19 et de 1 R 2.33 Es 39.8 est un texte qui combine des matériaux respectifs de 1 R 2.33 et 2 R 20.19. En vue d’améliorer l’image d’Ezéchias et faire de lui l’imitateur de Salomon, les rédacteurs sacerdotaux ont extrait des éléments du 54
texte deutéronomiste relatif à Salomon et les ont ajoutés sur celui relatif à Ezéchias. Ces affirmations s’appuient sur les arguments suivants: a) Les emprunts de 1 R 2.33 et 2 R 20.19 dans 39.8 La comparaison de 39.8 avec 2 R 20.19, permet d’observer à la fois des similitudes et des dissimilitudes entre ces deux textes. Le tableau cidessous permet de les révéler. 39.8:
Mais Ezéchias dit à Esaïe: bonne est la parole de YHWH que tu as prononcée. Car ce sera la paix et la sécurité durant mon règne.
7«U!%',UYD@KZ«K\!UE'!E$M:K\«>Y\! OD:K). En outre, le v. 3 emploie le mot aNO« «à, pour vous» qui indique que YHWH s’adresse directement à ses auditeurs, tandis qu’aux vv. 4-5, on s’adresse indirectement aux destinataires désignés à la 3e masc. pl. $PO« 13. En sus, le résultat de la démarche est présenté différemment, bien que le v. 5 reprenne le termeWYEO R déjà attesté au v. 3. Dans le v. 3, il est dans une proposition parallèle et harmonieuse: –WYEO R K>RU3! ]$>P« –K0« ON L O L a\,UF P L OFH% W:V[« KZ ! Cette proposition répond à la structure linéaire suivante: attente, objet d’attente et résultat décevant. Au v. 5, par contre, le résultat de l’action est présenté pêle-mêle, mais aussi dans une tentative de rattachement au v. 3 et au v. 6b, à travers l’emploi respectif de la racine YZEL(une fois comme verbe et une fois comme substantif calqué sur le v. 3) et de la phrase (:O\>L$\DO^ a>O> (v. 6). Pour terminer, l’emploi prédominant dans les vv. 4 et 5 de la particule \.L, absente dans les vv. 1-3, s’avère être un autre élément de différenciation. Au regard de toutes ces observations, nous sommes d’avis de séparer les vv. 1-3 de 4-5 et de les considérer désormais comme deux unités littéraires cohérentes distinctes. Leur présence côte à côte s’explique par la condamnation de la descente en Egypte comme une rébellion contre YHWH. 12 13
68
O. PROCKSCH, Jesaja I: Kap. 1-39, 1930, p. 384; H. WILDBERGER, Isaiah 28-39, 2002, p. 122. Cette forme poétique est aussi employée comme un singulier (P. J OUON, Grammaire de l’hébreu biblique, 1965, p. 278; B. D AVIDSON , The Analytical Hebrew and Chaldee Lexicon, 1997, p. 432).
Une fois la délimitation des vv. 1-3 assurée, nous procédons à présent à la traduction du texte. Celle-ci intègre également les notes de la critique textuelle.
3.2.3 Traduction du texte V. 1 Malheur aux fils rebelles, Oracle de YHWH. Pour exécuter un plan qui n’est pas mien,14 Pour verser une libation qui n’est pas de mon esprit, afin d’ajouter15 péché sur péché. V. 2 A ceux qui sont partis pour descendre en Egypte sans avoir consulté ma bouche16 14
15
16
W. H. IRWIN traduit toute la phrase par «font une idole en bois sans mon consentement» pour la simple raison qu’il assimile KF« >H «plan» à KF« >H forme féminine de >H «arbre». (W. H. IRWIN, Isaiah 28-33. Translation and Philological Notes, 1977, p. 68). Cette leçon est reprise par U. Becker en ce qu’il considère comme un mouvement vers une idole en bois (>H). Tout en concédant à cette préférence en ce qu’elle se rapporte à la condamnation de l’idolâtrie, la question reste toujours celle du sens de la phrase en rapport avec la suite, surtout le v. 2 où il est question de la descente en Egypte sans consulter la bouche de YHWH. Une telle démarche suppose un plan. C’est pourquoi, nous préférons le TM que la leçon de W. H. Irwin et U. Becker. A la place du TMW$SVde KSV: «supprimer», «disparaître», la Peshitta, le Targum araméen et la Vulgate lisent à la suite de la LXX RTQUSGKPCKen hébreu WSV de #V\ «ajouter, joindre, cesser, continuer à». Le verbe proposé par les témoins est pourvu de sens ici. Car l’acte reproché aux fils et qui démontre leur rébellion signifie continuation du péché, augmentation des actes de rébellion contre YHWH. Parce que les versions présentent une «lectio difficilior», par conséquent, les variantes sont préférables au TM. Nombre de commentateurs traduisent par «ma parole»: J. N. OSWALT, The Book of Isaiah 1-39, 1986, p. 542; W. A. M. BEUKEN, Isaiah chapters 28-39, 2000, p. 131; d’autres par contre préfèrent «sans me consulter»: G. FOHRER, Das Buch Jesaja: Kapitel 24-39, 1962, p. 86; J. BLENKINSOPP, Isaiah 1-39, 2000, p. 411; B. S. CHILDS, Isaiah, 2001, p. 220; d’autres encore rendent l’expression par «sans demander mon conseil»: J. D. W. WATTS, Isaiah 1-33, 1985, p. 391; W. BRUEGGEMANN, Isaiah 1-39, 1998, p. 240. Le Targum traduit tout simplement par «sans consulter mes prophètes» (Cf. B. D. CHILTON , The Isaiah Targum, 1987, p. 59. Notre traduction est toutefois préférée par O. PROCKSCH, Jesaja I: Kap. 1-39, 1930, p. 384; O. KAISER , Der Prophet Jesaja, Kap. 13-39, 1973, p. 224; W. DIETRICH, Jesaja und die Politik, 1976, p. 137; P. HÖFFKEN , Das Buch Jesaja, Kapitel 1-39, 1993, p. 209; R. KILIAN , Jesaja 13-39, 1994, p. 172; J. BARTHEL, Prophetenwort und
69
pour chercher17 refuge dans la forteresse de Pharaon, pour trouver asile dans l’ombre de l’Egypte. V. 3 La forteresse de Pharaon a été pour vous la honte et l’asile dans l’ombre de l’Egypte votre déshonneur. La traduction étant faite, nous voudrions analyser la structure du texte.
3.2.4 Structure de la péricope L’architecture des vv. 1-3 est organisée autour des fonctions de «forteresse» et de «refuge» accordées respectivement au Pharaon et à l’Egypte par «les fils rebelles», et ce au détriment de YHWH. Ce choix fait du Pharaon et de l’Egypte les concurrents de YHWH. Une telle option qui conduit à la mort est synonyme d’abandon de YHWH et d’idolâtrie. Le concept de la mort encadre la structure de la péricope. Il l’introduit au v. 1 par \$K et la conclut au v. 3 par WYER «honte» et K0« ON L «déshonneur». Le texte présente donc une structure dialectique autour de la fonction de l’Egypte et du Pharaon par rapport aux «fils». Il oppose le rejet de YHWH (v. 1) et sa parole (v. 2) par ces derniers à la confiance dans la protection de Pharaon et l’ombre de l’Egypte. Cette confiance est sans issue. Donc, elle devient source de malheur (v. 3). A partir des fonctions de l’Egypte et du Pharaon, la structure de la péricope peut être schématisée de la manière suivante: – V. 1: Introduction: – Abandon de YHWH: cause de la mort des fils rebelles – V. 2: Pharaon et l’Egypte: concurrents de YHWH – V. 3: Le résultat mortel du refuge auprès du Pharaon et de l’Egypte
17
70
Geschichte, 1997, p. 391; U. BECKER , Jesaja – von der Botschaft zum Buch, 1997, p. 310; H. WILDBERGER, Isaiah 28-39, 2002, p. 119. A la place de ]$>O« «pour chercher refuge», la LXX et la Vulgate lisent VQWDQJSJSJ PCK en hébreu ]:>O« de la racine ]]>«braver, être fort ou puissant». La vocalisation de $ en Z explique ce problème. Le contexte général de l’oracle se rapporte à la problématique de la recherche de la protection et de la sécurité auprès de l’Egypte et du Pharaon. Le TM restitue en effet cette situation par ]$>O«. En outre, ce terme est parallèle à W$V[O.
En accord avec le thème de notre travail, l’analyse littéraire se laissera guider par cette structure tout en mettant l’accent sur les rôles de l’Egypte et du Pharaon. Cette approche se conforme à une hypothèse de travail qui place la souveraineté de YHWH dans le sanctuaire comme motif théologique déterminant dans la compréhension de tous les rôles des nations dans le livre d’Esaïe.
3.2.5 Analyses et commentaires 3.2.5.1 Introduction De quelle main proviennent les vv. 1-3? A cette question les critiques donnent des réponses divergentes. La majorité d’entre eux considèrent la péricope comme l’œuvre authentique d’Esaïe, fils d’Amots18. Toutefois, ils ne s’accordent pas sur l’époque exacte. Pour les uns, le texte cadre avec les démarches d’Ezéchias lors de la rébellion d’Ashdod (713711) contre Sargon II19. Tandis que l’opinion majoritaire place le texte en rapport avec les démarches diplomatiques des dirigeants de Juda auprès de l’Egypte en vue d’obtenir son appui militaire lors de la menace de Jérusalem par Sennachérib (705-701)20. Cependant, le rôle joué par l’Egypte dans les différentes crises politiques d’Israël a amené 18
19 20
O. PROCKSCH, Jesaja I: Kap. 1-39, 1930, p. 385; G. FOHRER, Das Buch Jesaja: Kapitel 24-39, 1962, pp. 86-87; H. DONNER , Israel unter den Völkern, 1964, p. 133; B. S. CHILDS, Isaiah and the Assyrian crisis, 1967, p. 33; O. KAISER , Der Prophet Jesaja, Kap. 13-39, 1973, pp. 225-228; H. BARTH, Die Jesaja-Worte in der Josiazeit, 1977, p. 299; W. DIETRICH, Jesaja und die Politik, 1977, p. 137; J. VERMEYLEN, Du prophète Isaïe à l’apocalyptique, 1977, p. 409; J. N. OSWALT, The Book of Isaiah 1-39, 1986, p. 543; S. DECK, Die Gerichtsbotschaft Jesajas, 1991, pp. 119-122 (l’auteur attribue \$K 30.2(4).5 à Esaïe); Ch. SEITZ , Isaiah 1-39, 1993, p. 216; J. BARTHEL , Prophetenwort und Geschichte, 1997, p. 402; U. B ERGES , Das Buch Jesaja, Komposition und Endgestalt, 1998, p. 213; W. BRUEGGEMANN, Isaiah 1-39, 1998, p. 240; W. A. M. BEUKEN, Isaiah chapters 28-39, 2000, p. 138; J. BLENKINSOPP, Isaiah 1-39, 2000, p. 411; B. S. CHILDS, Isaiah, 2001, pp. 224-225; P. H ÖFFKEN , Jesaja, Der Stand der theologischen Diskussion, 2004, p. 133; H. G. M. WILLIAMSON , «In Search of the Pre-exilic Isaiah», in J. DAY, (2004), 192-194. H. WILDBERGER, Isaiah 28-39, 2002, p. 123. O. EISSFELDT , Einleitung in das Alte Testament, 3e éd. retravaillée, 1964, p. 424.
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O. Kaiser21 à supposer plusieurs époques. Trois moments ont retenu son attention: la chute de Yoyakim (601/600-597) et surtout celle de Sédécias (589-587) de même que la mort d’Antioche III en 187. Les suppositions d’O. Kaiser ont inauguré une série de travaux qui remettent simplement en cause l’authenticité ésaïenne du texte en le considérant comme une œuvre rédactionnelle soit de l’époque josianique, exilique ou postexilique. J. D. W. Watts voit dans cet oracle les traces des événements précédant la chute de l’Assyrie, lorsque l’Egypte sous Psammétique I conspira avec les politiciens judéens contre cette puissance proche orientale finissante22. Situé à l’époque exilique, le texte serait l’interprétation des causes de la catastrophe de Jérusalem en 58723. Tandis qu’U. Becker qui le renvoie à l’époque postexilique du second Temple24 n’y voit aucune indication d’une situation historique précise25. Il s’agit selon lui, d’une réflexion rétrospective sur l’Israël infidèle26 qu’il situe entre le Dtr et Chr27. Comment en est-on arrivé à attribuer à différentes époques un texte qui ne porte aucun indice précis sur les personnes et les circonstances? La tâche n’est pas aisée dans la mesure où le texte ne mentionne ni le nom d’Esaïe comme auteur, ni celui d’Ezéchias, moins encore celui d’un quelconque roi d’Israël ou de Juda. Il est également muet sur l’époque dans la présentation de la situation. Quand bien même il mentionne Pharaon, il ne cite pas son nom. D’une part, la péricope se limite simplement à mentionner sans détails Pharaon et l’Egypte (vv. 2-3) comme la destination des condamnés de YHWH, et d’autre part comme la source de la honte et du déshonneur de «ceux qui descendent». Bien que reconnues par certains auteurs28, ces zones d’ombre n’ont pas toutefois conduit à des implications exégétiques.
21 22 23 24 25 26 27 28
72
O. KAISER , Der Prophet Jesaja, Kap. 13-39, 1973, p. 225. J. D. W. WATTS, Isaiah 1-33, 1985, p. 395. P. HÖFFKEN , Das Buch Jesaja, Kapitel 1-39, 1993, p. 210; R. KILIAN , Jesaja 1339, 1994, p. 173. U. BECKER, Jesaja – von der Botschaft zum Buch, 1997, p. 285. Ibid., p. 247. Ibid. Ibid., pp. 185-186. R. E. CLEMENTS, Isaiah 1-39, 1980, p. 243; H. WILDBERGER, Isaiah 28-39, 2002, p. 123.
Inscrivant le texte en question dans le même cadre que les chs. 2829, R. E. Clements écrit à ce sujet: «Certain criteria for establishing the date are not present, but the general context of chs. 28-29 would encourage the conclusion that it is built up from an isaianic collection relating to the rebellion of 705-701»29. Bien qu’il diverge sur l’époque avec R. E. Clements, H. Wildberger n’écarte pas la difficulté: «What is not quite so easy to determine is the precise date of the passage; the question about making treaties with Egypt was pressing issue more than once during Isaiah’s time»30. J. N. Oswalt explique le silence du texte sur le nom d’Ezéchias comme une preuve que ce roi ne fut pas l’instigateur, mais qu’il fut forcé par ses conseillers à conclure une alliance avec l’Egypte31. Cet argument dénué de tout fondement relève simplement de la spéculation. L’insistance à soutenir l’authenticité ésaïenne de la péricope se remarque également dans les travaux récents. S’appuyant sur l’analyse littéraire, J. Barthel parvient à la conclusion suivante: Das 30.1-5 zum Grundbestand der Jesajaworte in Kap. 28-31 zu rechnen ist, ergibt sich mit großer Wahrscheinlichkeit aus der sprachlichen und thematischen Verklammerung des Spruches mit den Jesajaworten gegen das Bündnis mit Ägypten in 29,15f und 31,1-3. Wie jene ist der Spruch in die Zeit zwischen 705 und 701 zu datieren32.
Le maintien de 30.1-5 parmi les textes authentiques d’Esaïe a conduit à des prises de positions tranchées, du genre: There is nothing in the diction that speaks against Isaiah being the source of the verses; one might compare these words with the passages such as 31.1 or 29.15 from that verse, compare KZ«K\PH ‘from Yahweh,’ with \1,PL, from me, in 30.1… Attributing this message to Isaiah not just one can find «no real reason for not attributing the proclamation of woe to Isaiah himself (O. Kaiser) but because everything in the balance weighs in favor of him as the autor»33.
Cette position a été soutenue avec la même vigueur par U. Berges: «Die Jesajanität der letzten drei Weherufe in 29.15-16, 30.1-5 und 31.1.3 ist 29 30 31 32 33
R. E. CLEMENTS, Isaiah 1-39, 1980, p. 243. H. WILDBERGER, Isaiah 28-39, 2002, p. 123 (traduction par Th. H. Trapp de l’original de Jesaja 28-39, 1982). J. N. OSWALT, The Book of Isaiah 1-39, 1986, p. 544. J. BARTHEL, Prophetenwort und Geschichte, 1997, p. 402. H. WILDBERGER, Isaiah 28-39, 2002, p. 123.
73
so gut wie unbestritten»34. Elle a été récemment reprise sur un ton polémique par H. G. M. Williamson qui, à l’aide de ses 5 méthodes a trouvé la mention du nom d’Ezéchias dans les chs. 36-39 comme une des preuves pour situer 30.1-5 dans le contexte de cette narration. Cette comparaison loin de convaincre, laisse toujours béante la question du silence du nom d’Ezéchias dans 30.1-3. A ce propos, il écrit: «bien qu’il ne soit pas cité nommément, Ezéchias semble être concerné dans les chs. 30 et 31»35. A la lumière de ces dernières notes, il parait clairement que les débats sur l’origine de 30.1-3(5) se trouvent dans la même situation qu’il y a 20 ans environ (Cf. H. Wildberger contre Kaiser). Ils peuvent se résumer à un débat idéologique mettant face à face maximalistes et minimalistes. Nous ne voudrions pas le ramener à ce niveau. C’est pourquoi, nous préférons aller pas à pas dans notre analyse afin de contribuer modestement à l’avancée de la science. Il faudra d’abord faire justice au texte qui ne mentionne ni le nom d’Esaïe, ni celui d’Ezéchias, moins encore celui du Pharaon. Ce fait nous suggère de nous appuyer uniquement sur l’analyse littéraire afin de répondre à la question de l’auteur, et à celle de l’époque historique du texte. La meilleure manière de le faire est de rester attentif aux liens intertextuels de la péricope aussi bien dans le livre que dans l’ensemble de la Bible hébraïque. Dans notre démarche, nous allons nous laisser guider par le schéma suivant: – – – –
L’analyse du genre littéraire de l’oracle, Les destinataires, L’abandon de YHWH en faveur de Pharaon et d’Egypte, L’influence de la théologie deutéronomiste.
Ce schéma correspond à celui de 1.2-7a
34 35
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U. BERGES, Das Buch Jesaja, Komposition und Endgestalt, 1998, p. 213. H. G. M. WILLIAMSON , In Search of the Pre-exilic Isaiah, in J. DAY, (2004), 180206, p. 185.
3.2.5.2 Un cri de deuil contre les fils rebelles (30.1-3) 30.1-3 est un texte introduit par \$K. Cette interjection caractérise le genre littéraire non seulement de cette péricope, mais aussi celui d’autres textes du livre d’Esaïe36 dont 1.2-7a. Sur le sens de cette interjection dans le texte étudié, les avis sont partagés. Pour certains auteurs, ce cri de malheur représente le motif de l’invective et de la menace37. Tandis que pour d’autres, \$K est à la fois une accusation et l’annonce d’un désastre38. W. Jansen n’y voit pas l’indice d’un cri de deuil à la suite de la mort39. Et pourtant, l’analyse du texte nous permettra d’observer que \$K introduit un genre littéraire qui est plus qu’une accusation, une condamnation, une menace ou une annonce d’un désastre. Cette interjection est un cri de deuil. Notre argumentation se fera en trois points. Nous allons, avant tout, définir le terme afin de vérifier si la connotation de deuil y est présente. Ensuite, nous comparerons \$K avec les autres emplois dans le livre d’Esaïe et dans la Bible hébraïque afin d’établir un rapprochement littéraire, voire historique. Enfin, il sera question de démontrer que la structure de la péricope répond au motif funéraire. 3.2.5.2 1 Définition S’il faut nous en tenir à la définition, \$K comporte selon Ph. Reymond, trois sens40. Cette interjection représente soit un «cri d’encouragement», soit un «cri de malédiction», soit enfin un «cri de deuil». Originellement, le terme est associé au contexte funéraire, en tant que cri de deuil41. Mais, il sert également d’exclamation pour attirer l’attention ou introduire un message prophétique de jugement comme invective qui confirme le 36 37
38 39 40 41
Es 1. 24; 5.8, 11, 18, 20, 21, 22; 10.1, 5; 17.12; 18.1; 28.1; 29.1, 15; 31.1; 33.1; 45.9, 10; 55.1. G. FOHRER, Das Buch Jesaja: Kapitel 24-39, 1962, p. 86; O. KAISER, Der Prophet Jesaja, Kap. 13-39, 1973, p. 225; B. S. CHILDS, Isaiah and the Assyrian crisis, 1967, p. 33; Idem, Isaiah, 2001, p. 224. W. BRUEGGEMANN, Isaiah 1-39, 1998, p. 240; W. A. M. BEUKEN, Isaiah chapters 28-39, 2000, p. 150. W. JANZEN, Mourning cry and woe oracle, 1972, pp. 56, 61. P. REYMOND, Dictionnaire d’hébreu et d’araméen biblique, 2002, p. 100. R. J. CLIFFORD, «The Use of Hoy in the Prophets», in CBQ 28 (1966), pp. 458459; W. JANZEN, Mourning cry and woe oracle, 1972, pp. 1-2, 27.
75
désastre. W. Janzen associe également le terme au cri de vengeance42. Pour notre part, \$K revêt dans 30.1-3 une connotation funéraire. 3.2.5.2 2 Le motif funéraire dans la structure de 30.1-3 L’analyse de 30.1-3 permet de constater que le terme \$K n’introduit pas seulement une invective ou une menace. Il s’agit en outre d’un cri lancé pour annoncer ou constater un désastre. La structure de cette péricope démontre comment le concept de malheur l’encadre: au début par \$K (v. 1) et à la fin par WYE(O R ) et K0« ONL (OL) (v. 3). En outre, le binôme WYER et K0« ON L est rare dans la Bible hébraïque. Il y est attesté 7 fois43. Les 7 cas se repartissent en deux catégories. Dans la première se trouvent les textes de promesse divine où les fidèles de YHWH sont épargnés de la honte et du déshonneur (61.7). A cette promesse sont liés l’avènement de la justice et la conclusion de la nouvelle alliance. Alors qu’Israël se réjouit des fortunes des nations et se félicite de leur gloire, ses ennemis expérimentent la honte et le déshonneur du fait qu’Israël s’est tourné vers YHWH (Ps 35.26; 69.20; 109.29). La fin de la honte et du déshonneur pour Israël reflète donc la période postexilique. Par contre, l’expérience par Israël de la honte et du déshonneur est un signe de jugement divin. C’est cela l’objet de la seconde catégorie. Par la bouche de son porte-parole, YHWH constate que «ceux qui avaient compté sur Pharaon et l’Egypte» récoltent la honte et le déshonneur (30.3). Ce constat amer est fait et confirmé par le peuple dans une confession (Jr 3.25; Ps 44.16). En effet, le Psalmiste reconnaît que la honte et le déshonneur qu’Israël subit sont la conséquence du manque d’écoute de la voix de YHWH (Jr 3.25). Dans le Ps 44 la honte et le déshonneur sont plus qu’un simple sentiment d’humiliation. La datation du Ps 44 ne rencontre pas l’unanimité. H. Schmidt a privilégié l’époque perse après le retour d’exil44, tandis que certains auteurs retiennent l’époque des Maccabées45. L’origine exilique du psaume identifiée par E. Jansen46 42 43 44 45 46
76
W. JANZEN, Mourning cry and woe oracle, 1972, pp. 27, 32-34. 30.3; 61.7; Jr 3.25; Ps 35.26; 44.16; 69.20; 109.29. H. SCHMIDT, Die Psalmen, 1934, pp. 83-84. W. O. E. OESTERLEY, The Psalms, 1962, p. 245; A. DEISSLER, Die Psalms, 1964, pp. 180-181; H.-J. KRAUS , Psalmen, 1. Teil, 1972, p. 325. E. J ANSEN , Juda in der Exilszeit. Ein Beitrag zur Frage der Entstehung des Judentums, 1954, p. 19.
semble plus appropriée pour la simple raison que dans ce psaume, il est question de la mort du peuple. Celle-ci est caractérisée par le rejet et l’abandon par YHWH (v. 10), la défaite devant les ennemis (v. 11), la dispersion parmi les nations (v. 12), l’abandon à la risée et aux outrages des voisins (v. 14), l’écrasement par YHWH et le recouvrement par l’ombre de la mort (WZPO « F E ) (v. 20). Cette expression composée peut être rapprochée de a\,UF P L OFH% «dans l’ombre de l’Egypte» source de déshonneur (30.3). L’exil babylonien semble correspondre avec la description ci-dessus. Le ton dans le Ps 44 se rapproche de celui dans Jr 3.25, en particulier à travers l’emploi de la 1re pers. du pluriel. Il s’agit vraisemblablement des fidèles au Temple de Jérusalem détruit et qui, malgré cette situation d’humiliation et de souffrance n’ont pas oublié YHWH et continuent à le prier parmi des décombres de sa maison. Par cet acte de fidélité, ils se distinguent de ceux que YHWH accuse de l’avoir abandonné en descendant en Egypte y trouver protection et refuge, sans consulter sa bouche (sa voix). Sur le plan thématique, les trois textes (30.2-3; Jr 3.25 et Ps 44) comportent des éléments communs qui suggèrent leur rapprochement. Ils présentent les destinataires subissant la honte et le déshonneur. Tandis que dans Jr 3.25, ils reconnaissent leur tort, le bien-fondé de leur malheur; ce qui confirme les paroles divines de 30.2-3. Dans le Ps 44.16, un autre groupe semble représenter les fidèles soumis à la même situation sans pour autant en être responsable. C’est peut-être à ce groupe proche du Temple de Jérusalem qu’auraient appartenu les rédacteurs de 30.3 et Jr 3.25. Dans la mesure où cette hypothèse s’avérerait fondée, les rédacteurs de 30.1-3 seraient alors des prophètes cultuels exiliques qui tentaient de donner des explications à la crise de Juda en 587. Cette crise était caractérisée par la chute du royaume, la destruction de Jérusalem et de son Temple. Cette conclusion est confirmée par l’analyse de leur forme littéraire tel cela se remarque dans le tableau ci-dessous: Es 30.2:
:OD« Y« DO^\SL:a\,UFPLWGUO«sa\NLOKRK Ca\,U« FPLOFH%W$V[OZ!K>RU!3]$>P« %]$>O« A ceux qui vont pour descendre en Egypte sans avoir consulté ma bouche pour chercher refuge dans la forteresse de Pharaon, pour trouver asile dans l’ombre de l’Egypte.
77
Es 30.3:
CK0« OLNOLa\,UFPLOFH%W:V[« KZ!WYEROK>RU!3]$>P« aNO« K\«K« Z! La forteresse de Pharaon a été pour vous la honte et l’asile dans l’ombre de l’Egypte votre déshonneur.
Jr 3.25:
:Q[QD@:QDM« [« :Q\KHO^DKZ«K\O\.L:QWH0O« L.:Q6HNW::Q7HYE« %KE« .YQ, Que nous nous couchions dans notre honte. Notre déshonneur nous a couverts. Car nous avons péché contre YHWH notre Dieu,
C:Q\KHO^DK$«K\!O$T%:Q>PY« DO^Z!K=Ka$Z!:Q\UH:>1!PL:Q\WH$ED@Z nos pères, dès notre jeunesse jusqu’à ce jour, mais nous n’avons pas écouté la voix de YHWH notre Dieu.
L’examen de 30.2-3 et Jr 3.25 permet d’observer: a) Les deux textes présentent les mêmes interlocuteurs; à savoir, YHWH qui se nomme père47 (Jr 3.19) et Israël, les fils (30.1; Jr 3.19). Les interlocuteurs de YHWH sont désignés par le pluriel; 3e pers en 30.3 et 1re pers en Jr 3.25. b) Ils ont en commun l’emploi de WY%R et K0« O. L mots synonymes pour désigner le malheur subi par Israël. c) Le texte de Jr 3.25 établit un bilan historique et tire les conclusions sur toute l’histoire de l’infidélité d’Israël envers YHWH. La voix qui y parle est celle du peuple subissant l’humiliation divine. L’appropriation du péché et de ses conséquences par le peuple sont absents dans 30.2-3. d) Ils se retrouvent, par contre, en Esd 9.6-7 dans lequel Esdras lors de sa prière d’humiliation et parlant au nom de tous dit: «à cause de nos péchés, nous, nos rois et nos prêtres, nous sommes livrés aux rois de la terre, à l’épée, à la captivité, au pillage et à la honte, comme aujourd’hui». e) Le rapprochement entre Jr 3.25 et Esd 9.6-7 est à souligner. Il est l’interprétation à l’époque perse de Jr 3.25 sur la signification et les causes de la chute d’Israël en 587. Ce qui est intéressant dans ce texte est qu’il précise la raison de la honte et du déshonneur: livraison des rois et des prêtres, la mort par l’épée des ennemis, la captivité, le pillage etc. f) La honte et le déshonneur comme conséquence de la livraison d’Israël par YHWH aux ennemis (Ps 44.10-12) est l’expérience d’Israël après la catastrophe de 587 à cause de l’oubli de YHWH (Ps 44.18) et la main tendue vers un dieu étranger (Ps 44.21). 47
78
Bien que le terme soit absent en 30.1, le concept y est sous-entendu.
L’abandon de YHWH et l’idolâtrie, telles sont les attitudes du peuple et de ses dirigeants qui justifient la catastrophe de 587. Dans cette perspective, \$K dans 30.1 serait plus qu’une interjection d’invective et de menace. Il est un cri de mort. La mort d’Israël pour avoir abandonné YHWH et pratiqué l’idolâtrie. Cette conclusion suggère donc de prendre les rois, leurs émissaires et le peuple de Juda comme les destinataires du malheur dans 30.1-3. Parce que le texte les désigne par a\U,U$! Va\Q,%« et a\NLOK KR (v. 2), l’étude de ces termes pourrait l’étayer. 3.2.5.3 La chute de Juda et ses dirigeants (30.1-3) 30.1-3 est un texte qui rend compte de l’interprétation prophétique sur la chute de Juda et surtout la fin de la dynastie davidique et la destruction du Temple de Jérusalem. Les prophètes cultuels rendent les dirigeants et le peuple de Juda responsables de cette crise. C’est le sens qu’expliquent les termesa\U,U$! Va\Q,%« eta\NLOK KR .
KR : destinataires du châtiment 3.2.5.3.1 Les a\U,U$! Va\Q,%« et les a\NLOK de YHWH Les destinataires de l’oracle de malheur dans 30.1-3 sont doublement qualifiés comme a\U,U$! Va\Q,%« «fils rebelles» (v. 1) et a\NLOK KR «ceux qui vont» (v. 2). Le débat sur leur identité que nous avons esquissé précédemment soulève toutefois une question de fond à laquelle nous devons apporter une réponse. Il s’agit de la nature même du prophète Esaïe. Dans l’hypothèse où l’oracle s’adresserait aux dirigeants de Juda sous le règne d’Ezéchias comme le soutiennent la plupart48, Esaïe serait un prophète de malheur. Or ce point de vue est diversement discuté. Pendant que les uns lui concèdent ce rôle, d’autres le considèrent comme un prophète qui n’avait annoncé que le salut de Juda et la protection de la dynastie davidique49. Quelle est la vraie identité des destinataires qui se cachent derrière les a\U,U$! V a\Q,%« «fils rebelles» (v. 1) et les a\NLOK KR «ceux qui partent» (v. 2)? D’ores et déjà, nous devons partir de l’hypothèse selon laquelle, les destinataires représenteraient Sédécias et le peuple de Juda. Ceci 48 49
Voir supra. U. BECKER , Jesaja – von der Botschaft zum Buch, 1997, p. 286; H.-J. STIPP , «Vom Heil zum Gericht», in F. SEDLMEIER (éd.), Gottes Wege suchend, 2003, pp. 323ss.
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étant, nous considérons les qualificatifs comme déterminant le même groupe des destinataires de l’oracle50. L’analyse se fera en deux temps: D’abord, l’expressiona\U,U$! Va\Q,%« «fils rebelles», ensuite a\NLOK KR «ceux qui partent». 3.2.5.3.2 D’abord les a\U,U$! V
a\Q,%«
Dans le v. 1 les destinataires sont désignés para\U,U$! Va\Q,%« «fils rebelles». La rébellion des fils est un concept qui rapproche ce verset de 1.27a. Le rapprochement est d’autant plus évident lorsqu’il s’agit de comparer a\U,U$! Va\Q,%« à a\WL\[LYP a\Q,%« . Dans les deux cas, les fils désignent ceux qui entretiennent des relations filiales avec YHWH, Israël en l’occurrence et qui viennent de rompre ces relations. Qui sont-ils en réalité? Les opinions divergent à ce propos. Pour la majorité des critiques51, l’expressiona\U,U$! Va\Q,%« désigne le roi Ezéchias et les dirigeants de Juda, tandis que pour d’autres l’expression indique l’ensemble du peuple d’Israël à une époque tardive de l’histoire d’Israël52. Nous avons déjà indiqué que Sédécias et le peuple de Juda sont incorporés dans l’expression a\U,U$! Va\Q,%« . Leur identification se fera à l’intérieur de trois traditions: Moïse, la royauté et le culte.
a« a\WL\[LYPa\Q,%« a\>LUHP>U]Z2>« GE.a>DMH[R\$*\$K CU$[D« :U]2Q «ODHU« I\,Y$GTWD:FD@Q, Malheur! Nation pécheresse, peuple chargé de crimes, race de mauvais, fils corrompus. Ils ont abandonné YHWH, méprisé le Saint d’Israël et se sont dérobés
30.1:
KN« 6HPVRQ!OLZ!\1,PLDO^Z!KF« >HW$I>@OKZ«K\!aDXQ!a\U,U!$Va\Q,%« \$K CWD-« [O>WD-« [W$SV>PO\[L:UDO^Z! Malheur aux fils rebelles, Oracle de YHWH. Pour exécuter un plan qui n’est pas mien, Pour verser une libation qui n’est pas de mon esprit, afin d’ajouter péché sur péché.
30.9:
KZ«K\!WU$7>$PY:ED« DO^a\Q,%« a\YL[« .a\Q,%« D:K\U,Pa>\.L Car il est un peuple mauvais, des fils trompeurs, des fils qui ne veulent pas écouter la Torah de YHWH
Jr 4.22:
K0« KHa\OLN« Va\Q,%« :>G« \ «DO^\WL$D\0L>O\Z,D\.L C:>G« \ « DO^E\ML\KHO:>UK« OK0« KHa\PLN« [@K0«KHa\Q,$EQ!DO^Z! Car mon peuple est stupide. Ils ne me connaissent pas. Ce sont des fils fous et ils ne comprennent pas. Ils ne sont pas sages pour connaître et ils ne connaissent pas faire le bien.
Ez 2.4:
aK\OHD@AW$D[OH$Y\Q,D@EOH\TH]![LZ!a\Q,S« \YHTa\Q,%« KZ! Ce sont des enfants à la face dure et au coeur endurci. Je t’envoie vers eux
CK$LK\!\Q«GRD@UPD« K.RaK\OHD@7« U!PD« Z! Et tu leur dit: Ainsi parle le Seigneur YHWH
62 63
U. BECKER, Jesaja – von der Botschaft zum Buch, 1997, p. 247. W. H. IRWIN, Isaiah 28-33. Translation and Philological Notes, 1977, p. 72.
83
Ez 20.21:
:UPY«DO^\M3«YPLWDZ!:NO«K«DO^\W$4[X%a\Q,%«K\EL:UPHW$I>@OKZ«K\!aDXQ!a\U,U!$Va\Q,%« \$K C:NOH« O« Z! Et c’est un peuple au cœur rebelle et mauvais. Ils se sont rebellés et s’en sont allés
Jr 6.28:
a\WL\[LYPa/« .XO]U!E:WY[RQ!O\NLU« \NHOKRa\U,U!$V\UHV« a/« .X Tous sont des rebelles réfractaires. Calomniateurs, bronze et fer. Ils sont tous corrompus.
Il faudra constater que la racine UUV se trouve dans tous les cas de figure au participe présent. Les textes de Jérémie se distinguent par l’emploi massif de cette racine. Ceci nous amène à penser qu’elle ap64
Le fait de qualifier le peuple du Nord de rebelle est une indication de l’origine nordique du concept. Son emploi fréquent par les milieux deutéronomistes semble confirmer l’origine nordique de ce milieu. C’est après la chute de Samarie en 722 que les membres de ces milieux sont descendus vers le Sud. La chute de Jérusalem sera doublement interprétée comme la généralisation du péché à l’ensemble du peuple d’Israël et le manque d’intelligence des Judéens à tirer les leçons du passé.
85
partient au style de la rédaction de ce livre. Cette évidence littéraire confirme les observations faites précédemment sur l’étroit rapprochement entre 30.1 et les textes de Jérémie (Jr 5.23; 6.28). Ceci étant, la condamnation de la rébellion des fils en 30.1 ne peut être datée avant le message de Jérémie. La note mortelle qui teinte le texte confirme qu’il serait une tentative d’explication de la catastrophe de 587 que le prophète Jérémie avait depuis longtemps prévue. Cette tentative d’explication trouve des échos dans les textes postexiliques avec le but de tirer les leçons du passé (Za 7.11; Ne 9.29). Avant de clore cette section sur l’identité des fils rebelles, il sied d’analyser les griefs qui leur sont reprochés. 3.2.5.4 L’abandon de YHWH: cause de la crise Les griefs reprochés aux «fils rebelles» sont au nombre de deux: à savoir, exécuter un plan contraire à celui de YHWH et verser une libation contre Lui. Nombre de commentateurs y voient une dénonciation d’une alliance politico-militaire65 ainsi que des pratiques religieuses qui accompagnaient sa conclusion66. Cependant, d’autres trouvent dans ces accusations des échos de la polémique contre l’idolâtrie67. Sans pour autant opposer ces deux opinions, nous pourrions les prendre comme les deux côtés d’une même médaille. C’est-à-dire les démarches politiques trouvent une interprétation théologique. Ce que YHWH condamne c’est un plan politique des «fils rebelles» qui s’oppose au sien. Un tel plan qui l’exclut aussi bien dans sa conception que dans son exécution est synonyme d’idolâtrie.68 65
66 67 68
86
O. PROCKSCH, Jesaja I: Kap. 1-39, 1930, p. 385; B. S. CHILDS , Isaiah and the Assyrian crisis, 1967, p. 33; J. VERMEYLEN, Du prophète Isaïe à l’apocalyptique,1977, p. 408; J. N. OSWALT, The Book of Isaiah 1-39, 1986, p. 544; R. E. CLEMENTS, Isaiah and the Deliverance, 1984, p. 39; J. WATTS, Isaiah 1-33, 1985, p. 395; P. HÖFFKEN, Das Buch Jesaja, Kapitel 1-39, 1993, p. 209; M. SWEENEY, Isaiah 1-39, 1996, pp. 397-399; J. BARTHEL, Prophetenwort und Geschichte, 1997, p. 402; W. BRUEGGEMANN, Isaiah 1-39, 1998, p. 240; W. A. M. BEUKEN, Isaiah chapters 28-39, 2000, p. 153; B. S. CHILDS , Isaiah, 2001, p. 225; H. WILDBERGER , Isaiah 28-39, 2002, p. 123. H. WILDBERGER, Isaiah 28-39, 2002, p. 124. U. BECKER, Jesaja – von der Botschaft zum Buch, 1997, pp. 245-248. W. H. I RWIN , Isaiah 28-33.Translation and Philological Notes, 1977, p. 72; W. A. M. BEUKEN, Isaiah chapters 28-39, 2000, p. 154.
L’analyse de ces griefs aidera à apporter la lumière sur la nature et le sens de l’accusation divine. Elle se fera en plusieurs étapes. 3.2.5.4.1 Exécuter un plan contraire à celui de YHWH Le premier grief se trouve dans la proposition infinitive \1,PL DO^Z! KF« >H W$I>@O où le mot clé est KF« >H. Ce terme comporte trois sens dans la Bible hébraïque69: 1. Conseil, dessein, intention (politique), projet 2. révolte, désobéissance 3. arbres, cœur ou bois d’une idole dépouillée de son placage d’or. Lequel d’entre eux convient-il le mieux en 30.1? L’exégèse traditionnelle a toujours considéré le mot KF« >H dans le sens du plan politique70. Cependant, nombre d’auteurs assimilent KF« >H à >H (bois)71. Une telle approche a conduit U. Becker à circonscrire le texte dans le contexte de la polémique sur les idoles.72 Peut-être que tous les trois sens conviendraient. Mais avant d’en décider, nous allons procéder à l’analyse du substantif dans ses liens littéraires. Dans la mesure où nous retenons la première acception, le v. 1 place deux plans en confrontation. D’une part, le plan de YHWH en faveur de ses fils, et de l’autre, celui des fils contraire au plan de leur père. C’est déjà là une situation de crise, de rupture. Cette rupture se manifeste par l’attitude d’indépendance des fils à l’endroit de leur père dans la conception et l’exécution de leur plan. YHWH ne reproche pas à ses fils la confection des plans. Tant qu’ils se conformeront à son plan, ces projets obtiendront son aval. Ce qu’il condamne, par contre, c’est le manque de leur conformité à sa volonté. Pour éviter cela, les «fils» devraient donc le consulter afin qu’il leur donne des directives et des instructions. C’est lorsque YHWH n’est pas consulté et ses paroles ne sont pas suivies que les plans de ses «fils» subissent la sanction 69 70 71
72
P. REYMOND, Dictionnaire d’hébreu et d’araméen biblique, 2002, pp. 287-288. W. BRUEGGEMANN , Isaiah 1-39, 1998, p. 240; H. WILDBERGER, Isaiah 28-39, 2002; B. S. CHILDS, Isaiah, 2001, p. 225. M. DAHOOD , Bib. 50 (1969) 57-8; W. H. IRWIN, Isaiah 28-33. Translation and Philological Notes, 1977, p. 72; U. BECKER, Jesaja – von der Botschaft zum Buch, 1997, p. 248. U. BECKER, Jesaja – von der Botschaft zum Buch, 1997, p. 248.
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paternelle sévère. Une telle interprétation est élucidée au v. 2, où YHWH reproche à ceux qui descendent vers l’Egypte de ne pas consulter sa bouche. Cette observation a l’avantage de régler le problème de la relation entre les vv. 1 et 273. En tant que plan, KF« >H se rapporte au cantique de Moïse dans lequel YHWH condamne une nation dont les projets s’écroulent (Dt 32.28). Cette nation n’est autre qu’Israël (Dt 32.1). Cette condamnation cadre avec l’annonce du grand châtiment: les malheurs (Dt 32.23), l’épée et la frayeur (Dt 32.25), la famine (Dt 32.24), le brisement et la disparition (Dt 32.26). Un tel châtiment a pour causes: l’abandon de YHWH (Dt 32.15), la pratique de l’idolâtrie (Dt 32.17), en opposant à YHWH des étrangers comme rivaux (Dt 32.16). En considérant les plans voués à l’échec de cette nation, YHWH veut dire autrement que seuls ses plans demeurent. C’est une affirmation de sa souveraineté. Lue à la lumière de Dt 32.28, la condamnation des «fils rebelles» en 30.1 apparaît comme un constat d’échec d’un plan qui ne se conforme pas à la volonté de YHWH. Car un tel plan est l’expression même de l’arrogance des fils et leur méconnaissance de la souveraineté de YHWH. Suivant ce raisonnement, la réalisation ou l’avenir d’un plan est garantie par sa dépendance à YHWH. Une telle dépendance signifie consulter YHWH, acte qui a lieu dans son Temple. La déclaration d’un plan comme caduc à cause de l’arrogance de son concepteur trouve des échos dans la tradition royale de David. En effet, menacé de mort par son propre fils Absalom et au moment où sa royauté est en danger de disparition, David manifeste un grand signe de fidélité à YHWH en pleurant devant lui et en lui demandant de réduire à néant les plans d’Ahitofel conseiller d’Absalom (2 S 15.31). Le Sitz im Leben de cette démarche du roi David est cultuel. En effet, David présente cette prière à YHWH à Jérusalem devant l’arche ramenée par les prêtres Sadoq et Abiatar et d’innombrables lévites. Il reconnaît donc la souveraineté de YHWH, d’un Dieu qui peut anéantir les plans des méchants. La prière de David fut exaucée et aucun conseil d’Ahitofel ne se réalisa. Et pour cause: Ahitofel par ses conseils, devenait le concurrent de Dieu en se faisant consulter au même titre que Lui (2 S 16.23). En outre, ses plans visant à mettre en péril la royauté de David étaient en 73
88
W. A. M. BEUKEN, Isaiah chapters 28-39, 2000, pp. 150-151; H. WILDBERGER, Isaiah 28-39, 2002, p. 124.
opposition avec le plan de YHWH relatif à la stabilité éternelle de cette dynastie (2 S 7). Comparé à 30.1, l’attitude d’Ahitofel ressemble fort bien à celle des «fils rebelles». En exécutant leur plan contraire à celui de YHWH, ils se prennent pour Dieu. En outre, l’exécution de ce plan constituait une menace pour la dynastie davidique. A la lumière de cette interprétation, il y a lieu de supposer que la condamnation divine avait des répercussions religieuses et politiques. Tant que le plan des «fils» n’assurerait pas la réalisation de la promesse divine sur la stabilité éternelle de la royauté de David, ce plan devait être considéré comme contraire à celui de YHWH et par conséquent, il devait tomber en désuétude et conduire à la mort de son concepteur (2 S 17.23). Pour n’avoir pas suivi les bons conseils, Roboam conduit le royaume d’Israël à sa séparation (1 R 12.8, 13,14). Dans 30.1, KF« >H se trouve dans un oracle en \$K. Ce terme est précédé par l’infinitif construit, forme littéraire attestée également en 29.15 comme on peut l’observer dans le tableau ci-dessous: Es 30.1: Es 29.15:
\1,PLDO^Z!KF«>HW$I>@OKZ«K\!aDXQ!a\U,U!$Va\Q,%« \$K KF«>HU7LVOKZ«K\PHa\TL\PL>@0K\$K Malheur à ceux qui agissent dans la profondeur afin de cacher à YHWH un plan.
Ces deux textes présentent des fortes similitudes74, à savoir: – les deux oracles commencent avec \$K. – \$K est suivi par la désignation des destinataires au part. prés. m. pl. en et W$I>@O (30.1). – le grief est exprimé par un verbe à l’inf. const. suivi de KF« >H. – La différence réside simplement dans la présence de KZ«K\!aDXQ! en 30.1 qui manque en 29.15. L’omission de cette expression dans 29.15 s’explique par le fait que le nom de YHWH se trouve dans la propo KZ«K\PH. Il était donc logique pour la rédaction d’éviter sition KF« >H U7LVO 74
G. FOHRER, Das Buch Jesaja: Kapitel 24-39, 1962, p. 86; H. BARTH, Die JesajaWorte in der Josiazeit, 1977, p. 87; J. VERMEYLEN, Du prophète Isaïe à l’apocalyptique, 1977, p. 409; J. BARTHEL, Prophetenwort und Geschichte, 1997, pp. 400, 412; U. BECKER, Jesaja – von der Botschaft zum Buch, 1997, p. 249; W. A. M. BEUKEN, Isaiah chapters 28-39, 2000, p. 152; J. BLENKINSOPP , Isaiah 1-39, 2000, p. 411; H. WILDBERGER, Isaiah 28-39, 2002, p. 123.
89
d’alourdir le texte en reprenant KZ«K\!aDXQ.! La ressemblance n’est pas un fait fortuit. Ces deux textes appartiendraient au même contexte littéraire. Accepter ces faits impliquerait également l’établissement d’un parallélisme dans le contenu de ces deux textes. Dans l’expression KF« >H U7LVO «pour cacher le plan» (29.15), la condamnation concerne donc la dissimulation du projet devant YHWH. Une telle forme littéraire est attestée en rapport avec la tradition de l’exode, la royauté et le Temple. Joint au verbe UWV, le terme KF«>H se rapporte à l’histoire de Moïse avec les Israélites. Dans Dt 7.20 l’action de se cacher rappelle l’histoire des frelons qui atteignirent tout le monde, même ceux qui se cachaient. Le texte veut dire d’une part que personne n’échappe au châtiment de YHWH et de l’autre, que rien ne reste caché devant sa souveraineté. Car les choses cachées sont à YHWH, mais les choses révélées, c’est-à-dire la Torah, sont à Israël (Dt 29.29). Ceci se comprend comme la valorisation de la Torah telle qu’on le trouve affirmé dans le code des lois (Dt 12.126.19) relatives à la proclamation de l’unicité de YHWH et la lutte contre l’idolâtrie (Dt 13.1-19). Dans ce texte, YHWH avertit son peuple de ne pas se laisser entraîner ni par un prophète ni par un visionnaire vers la révolte contre lui (Dt 13.5), moins encore par les membres de la famille qui proposent secrètement d’aller servir les idoles (Dt 13.7). Cette recommandation trouve son Sitz im Leben dans le milieu cultuel. Elle vise la purification de ce milieu des idoles que les gens y plaçaient en secret (Dt 27.15). YHWH qui met tout à nu est une affirmation qui cadre avec l’histoire de la royauté en Israël. Par la voix de Nathan son prophète, YHWH annonce à David qu’il va le châtier en public au moyen de la mort de son fils pour un péché qu’il a commis en secret (2 S 12.12). Dans le contexte royal, un acte secret conduisant à la mort est bien le plan de Sédécias sollicitant l’aide de l’Egypte afin de faire face à la menace de l’armée babylonienne (Jr 37.17; 38.16). Et ce, malgré la désapprobation de Jérémie. Comparé à 30.1-3, les différents textes susmentionnés nous aident à comprendre la nature du plan contraire à celui de YHWH. D’abord ce plan des fils est un acte de rébellion parce qu’il contredit la promesse de YHWH sur la stabilité éternelle de la dynastie davidique (2 S 7). Ensuite, il s’exécute en secret dans l’intention d’échapper à la connaissance et à la vue de YHWH. Ce qui est un signe de méconnaissance de 90
sa souveraineté. Nous avons démontré que Sédécias en est le cas typique. Le plan que YHWH condamne est sa politique étrangère qui consistait à s’appuyer sur l’Egypte. Celle-ci a conduit à la destruction de la dynastie davidique lors de la catastrophe de 587. En cachant son plan consistant à faire recours à l’aide de l’Egypte, Sédécias a réfuté d’entonner dans le Temple le cantique de YHWH souverain qui connaît et voit tout (Ps 19.7; 135.15). Il a refusé de se cacher en YHWH, le vrai refuge lors des dangers75. Le recours à l’Egypte en tant qu’acte d’idolâtrie s’accompagnait du versement de libation. 3.2.5.4.2 Verser une libation à un autre que YHWH YHWH condamne encore les fils rebelles pour avoir versé une libation contraire à son esprit. Etant donné que cette accusation est parallèle à la première, nous devrions nous attendre au même résultat, en ce qui concerne les destinataires, le milieu rédactionnel deutéronomiste et le contexte historique exilique. Par sa traduction générale, l’expression KN« 6P H VRQO! L donne lieu à penser à la conclusion d’une alliance politique entre les dirigeants de Juda et ceux d’Egypte76 et surtout à la prise de la boisson qui l’accompagne77. Par contre, J. Barthel voit dans l’expression en question une métaphore à comprendre comme un quelconque soutien que les gens de Jérusalem cherchaient auprès de l’Egypte (Cf. 28.20)78. Qu’il s’agisse d’une allusion à la conclusion d’une alliance politique ou d’une métaphore d’un quelconque soutien, les mots KN« 6P H VRQO! L expriment le rejet de YHWH par les fils et leur pratique de l’idolâtrie. Car, ces démarches ne se contredisent pas. Si d’un côté la conclusion 75 76
77
78
Ps 17.8; 27.5; 31.21; 32.7; 61.4; 64.2; 91.1; 119.14. O. PROCKSCH, Jesaja I: Kap. 1-39, 1930, p. 384; G. FOHRER, Das Buch Jesaja: Kapitel 24-39, 1962, p. 87; O. KAISER , Der Prophet Jesaja, Kap. 13-39, 1973, p. 227; W. DIETRICH, Jesaja und die Politik, 1976, p. 137; R. E. CLEMENTS, Isaiah 1-39, 1980, pp. 243-244; J. N. OSWALT, The Book of Isaiah 1-39, 1986, p. 544; P. HÖFFKEN, Das Buch Jesaja, Kapitel 1-39, 1993, p. 209; Ch. SEITZ , Isaiah 1-39, 1993, p. 216; R. KILIAN, Jesaja 13-39, 1994, pp. 171-172; W. A. M. BEUKEN, Isaiah chapters 28-39, 2000, p. 150; J. BLENKINSOPP, Isaiah 1-39, 2000, p. 412; H. WILDBERGER , Isaiah 28-39, 2002, p. 124. R. E. CLEMENTS, Isaiah 1-39, 1980, pp. 243-244; U. BECKER, Jesaja – von der Botschaft zum Buch, 1997, p. 248 (l’auteur voit dans l’expression la confirmation du ton polémique contre les idoles); H. WILDBERGER, Isaiah 28-39, 2002, p. 124. J. BARTHEL, Prophetenwort und Geschichte, 1997, p. 412.
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d’une alliance politique vise en effet la protection et le soutien, de l’autre, elle signifie l’abandon de YHWH qui seul peut garantir la sécurité de ses fils. Cette interprétation se laisse éclairer par l’emploi de ces mots à travers leur relation avec la tradition de Moïse, celle de la royauté davidique et le contexte cultuel. 3.2.5.4.2.1 Verser une libation dans le cadre de la tradition de Moïse Bien que le verbe VQ soit absent dans le Deutéronome, le substantif KN« 6P H y est par contre présent (Dt 9.12.16; 27.15). Dans ces références, le terme KN« 6PH est mis en relation avec la sortie d’Egypte, la fabrication du veau d’or et le malheur qui est déclaré à quiconque se fait une image taillée ou en fonte79. Ce péché qui s’inscrit dans le cadre de la polémique antiidolâtrie appartiendrait au noyau même de la théologie deutéronomiste80. Ce que les «fils» causent en offrant une libation à quelqu’un d’autre que YHWH est synonyme de rupture de l’alliance, du péché mortel. C’est une attitude semblable à celle évoquée dans l’épisode du veau d’or (Ex 32.4, 8; 34.17). Ces textes sont depuis J. Wellhausen reconnus comme appartenant à la rédaction deutéronomiste81, bien qu’on s’accorde à considérer Ex 32 comme un chapitre d’une complexité rédactionnelle. Le rapprochement de 30.1 avec la théologie deutéronomiste parait encore plus évident lorsque nous comparons le vocabulaire de 30.1 avec celui du livre de Deutéronome. La présentation de la situation dans le tableau suivant peut nous en dire plus: Es 30.1 : Dt 9.12:
CKN« 6HPVRQ!OLZ!\1,PLDO^Z!KF« >H W$I>@OKZ«K\!aDXQ!a\U,U!$Va\Q,%«\$K CWD-« [O>WD-« [W$SV>PO\[L:UDO^Z! \ODHKZ«K\!UPDW[HYL\.LK=PLUKHPGUHa:T CKN« 6HPaKO« :I>« aWL\:,FLUYD@U'KPLUKHP:UV« Lève-toi, descends de cette montagne. Car ton peuple que tu as fait sortir de l’Egypte s’est corrompu. Ils se sont rapidement écartés du chemin que je leur ai prescrit. Ils se sont faits une image fondue. 79 80 81
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J. VERMEYLEN, Du prophète Isaïe à l’apocalyptique, 1977, p. 409. J. VERMEYLEN, «L’affaire du veau d’or» (Ex 32-34), ZAW, (1985) 97, 1-23. J. WELLHAUSEN, Die Composition des Hexateuchs, 1963, p. 205; M. ROSE , «Idéologie deutéronomiste et théologie», 2004, p. 470.
Dt 9.16:
aN\KHO^DKZ«K\OaWDM« [@K1(KLZ!DUDHZ « u CaNWDKZ«K\!K:«FLUYD@U'KPLUKHPa7U!VKN« 6HPOJ>HaNO« aW\IL>@ Et j’ai vu et voici, vous avez péché contre YHWH votre Dieu. Vous vous êtes faits un veau en métal fondu. Vous vous êtes écartés rapidement du chemin que YHWH vous a prescrit.
L’examen de ces versets permet d’observer: – a) La combinaison en Dt 9.12 de KN« 6P H avec les racines UUV et KI> dans le contexte de la condamnation d’Israël et de l’évocation de la sortie d’Egypte. H avec les racines UUV et KI>, et l’expression – b) En Dt 9.16 de KN« 6P KZ«K\O aWDM« [@ K1(KZL dans le cadre de la condamnation du peuple d’Israël, ainsi que la mention de l’Egypte, lieu d’où YHWH avait tiré son peuple pour qu’il le serve. En évoquant la libération d’Israël de l’Egypte, le Deutéronome considère la descente en Egypte comme le rejet de l’acte libérateur de YHWH ainsi que du but pour lequel Israël avait été libéré, c’est-à-dire servir YHWH. En un mot: aller ou descendre en Egypte est simplement synonyme du rejet de YHWH, se détourner de sa voie (Dt 9.12, 16). Et cet acte est un péché et une source de malheur. La similarité observée rapproche 30.1 des textes du Deutéronome en ce qui concerne l’interprétation de la descente en Egypte dans le contexte de la lutte contre l’idolâtrie. Etant donné que Dt 9.9ss est situé pendant l’exil (575 ou plus tard)82, il y a lieu ici de confirmer l’origine exilique de 30.1ss. Cette descente est comprise comme une manière de se remettre sous la servitude égyptienne de laquelle Israël fut jadis libérée par la main puissante de YHWH. C’est cela qui explique l’interrogation dans Jr 2.14: «Israël est-il un esclave, est-il né dans la servitude? Pourquoi devient-il une proie?». Il devient de plus en plus clair que 30.1 donne l’interprétation théologique d’un plan de politique étrangère, notamment la descente vers l’Egypte (30.2)83.
82 83
T. RÖMER et A. De PURY, «Histoire de la recherche», in T. RÖMER et A. De PURY , Israël construit son histoire, 1996, p. 70. W. WERNER , Studien zur alttestamentlichen Vorstellung vom Plan Jahwes, 1988, p. 89; S. DECK, Die Gerichtsbotschaft Jesajas, 1991, p. 120.
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Si YHWH condamne la descente en Egypte, alors le comportement correct serait d’en sortir ou de refuser d’y aller. Telle est la théologie deutéronomiste au sujet de l’Egypte. Pour elle, l’Egypte est le pays de la servitude, des maladies (Dt 7.15; 28.60). Elle rappelle surtout la sortie (exode) d’Israël par la main puissante de YHWH, l’alliance, mais aussi les infidélités dans le désert, notamment la fabrication du veau d’or. Cette idolâtrie est l’événement fondateur de la tradition qui soutient toute la théologie deutéronomiste84. L’Egypte renvoie donc à l’histoire de la libération d’Israël, acte fondateur de ce peuple comme nation. Il est rappelé à Israël de ne pas oublier cet acte libérateur et moins encore YHWH qui l’a accompli en sa faveur. La finalité de cette libération était d’amener Israël à servir YHWH comme son unique Dieu. Alors, aller en Egypte signifie retourner à la servitude, méconnaître l’acte salvifique de YHWH en faveur de son peuple et se mettre au service d’autres dieux que YHWH. En résumé, l’Egypte évoque la sortie triomphale du peuple d’Israël, par la main puissante de YHWH. Cet acte libérateur ne devra jamais sombrer dans l’oubli du peuple (Dt 5.15; 8.14), mais doit faire l’objet d’un rappel permanent (Dt 6.12). L’étude de la racine VQ aussi bien sous sa forme verbale que substantive vient de démontrer le cadre théologique de la polémique contre les idoles caractéristique de la théologie deutéronomiste et son rapprochement avec 30.185. Cette théologie est véhiculée par le premier commandement86 du Décalogue qui implique à la fois l’interdiction de se fabriquer les idoles en fonte et la condamnation de ceux qui s’y livrent. Elle sous-tend les réformes religieuses à l’époque du 1er comme du 2e Temple au vu de la présence de la racine VQ dans les livres dtr87 et dans le Chr (2 Chr 28.2; 34.3, 4). L’existence de ce thème à la fois dans les livres dtr et ceux de Chroniques a conduit U. Becker à situer ce qu’il appelle la «Ungehorsamsredaktion» entre le Dtr et Chr 88. Cependant, la différence de traditions autour de la désobéissance des rois d’Israël dans le Dtr et le Chr, nous amène à supposer l’existence de deux éditions de la «Ungehorsamsredaktion», une dans le Dtr et l’autre, dans 84 85 86 87 88
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J. VERMEYLEN, Du prophète Isaïe à l’apocalyptique, 1977, p. 409. U. BECKER, Jesaja – von der Botschaft zum Buch, 1997, p. 248. Ibid., p. 248. Dt 9.12.16, 27.15; Jg 17. 3. 4; 18.14, 17,18; 1 R 14.9; 2 R 17. 16. U. BECKER, Jesaja – von der Botschaft zum Buch, 1997, p. 252.
le Chr. Si l’édition deutéronomiste était proche de 30.1-3, celle de Chr, par contre, trouverait des échos dans 30.4-5. Nous y reviendrons plus tard. Dans les deux cas, ces rédactions condamnent la pratique de l’idolâtrie par les classes dirigeantes. 3.2.5.4.2.2 Verser une libation dans la tradition royale de David/Salomon Le versement de la libation est un acte royal. Il est rapporté dans l’histoire de la royauté davidique menacée par des ennemis. Cette tradition place d’un côté David, roi obéissant à YHWH, versant devant lui l’eau comme libation (2 S 23.16) et de l’autre, Achaz désobéissant, versant sa libation sur un autel du culte assyrien emporté de Damas (2 R 16.1315). Acte de désobéissance, le versement de libation est compté parmi les causes de la chute du règne de Jéroboam (1 R 14.9ss). Le versement de libation comme acte de rébellion des fils en 30.1 place ces derniers dans la lignée de Jéroboam et d’Achaz. Il est mentionné dans le message de Jérémie (Jr 32.29ss) comme une cause de la chute de ces deux royaumes89. Ce texte fait partie de la réponse de YHWH à la prière de Jérémie où il annonce la destruction de la ville de Jérusalem et de ses maisons par les Babyloniens. Les raisons de cette catastrophe sont connues. C’est parce que les habitants de ces maisons ont brûlé des offrandes pour Baal et répandu des libations pour d’autres dieux. Ces actes signifiaient tout simplement offenser YHWH (Jr 32.2930). Nous avons déjà, à plusieurs niveaux, démontré l’étroite relation du message de 30.1 avec d’une part la théologie deutéronomiste et de l’autre, le message de Jérémie. D’ailleurs l’influence deutéronomiste des textes de Jérémie n’est plus à démontrer90. Le versement des libations est en lui-même un acte cultuel (Ps 16.4). 3.2.5.4.2.3 Verser une libation dans la tradition cultuelle En relation avec le culte, le versement des libations est attesté dans la tradition de Jacob comme un acte de fidélité envers Dieu (Gn 35.14). Dans ce texte, il a lieu à Béthel, sur la stèle érigée par Jacob. Dans le 89 90
R. P. CARROLL, Jeremia, 1986, p. 732. T. R ÖMER , Y a-t-il une rédaction deutéronomiste, in A. de P URY , T. RÖMER , J.-D. MACCHI (éds.), Israël construit son histoire, 1996, pp. 427ss.
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livre de l’Exode, la racine VQ est liée aux instructions de YHWH au sujet de l’organisation du culte (Ex 24.12-31.18), en particulier Ex 25.29; 29.40-41; 30.9 et 37.16, textes relatifs aux ustensiles destinés au versement des libations91. Selon la théologie deutéronomiste, YHWH est le seul à qui les rois et Israël devront verser les libations dans le culte (2 S 23.16). Ayant son Sitz im Leben dans le culte de YHWH, le versement de la libation et sa condamnation en 30.1 serait une allusion soit aux libations versées aux idoles dans le Temple à Jérusalem, signe de l’influence étrangère (2 R 16.13-15; Jr 7.18; 19.13; 32.29; Ez 20.28), soit à celles offertes aux dieux étrangers par les émissaires des rois de Juda, comme signe de leur soumission à ces dieux. Dans tous les cas, ces pratiques étaient tout simplement synonymes de l’abandon de YHWH et du manque de confiance en lui. Une telle attitude se concrétise par la démarche de ceux qui vont en Egypte. 3.2.5.3.3 Ensuite «ceux qui vont» a\NLOK KR Sur l’identité des a\NLOK KR , les opinions divergentes s’inscrivent dans la même logique que celles répertoriées précédemment en ce qui concerne les «fils rebelles». Dans notre conclusion sur cette question, nous avons démontré que le texte faisait allusion au recours de Sédécias à l’armée de Pharaon en vue de la protection de Jérusalem sous la menace babylonienne. Notre tâche sera donc de confirmer cette hypothèse. L’identification des a\NLOK KR facilitée par la précision des griefs qui leur sont reprochés, permettra d’établir un lien entre les vv .2 et 1. Il s’agira de prouver d’une part que les deux versets s’adressent au même groupe et d’autre part s’ils appartiennent au même contexte littéraire et historique. En ce qui concerne le lien littéraire entre ces deux versets, O. Procksch voyait a\NLOK KR comme l’attribut de a\U,U$! V a\Q,%« 92. Cette option est soutenue par le texte lui-même. Le terme a\NLOK KR est attesté 1793 fois dans la Bible hébraïque. L’analyse des occurrences permet de situer l’emploi du terme dans les trois traditions: l’exode, la royauté de David et le culte.
91 92 93
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Cf. Nb 4.7; 6.15, 17; 15.5, 7, 10, 24; 28.7-10, 14-15, 24, 31; 29.6, 16-39. O. PROCKSCH, Jesaja I: Kap. 1-39, 1930, p. 385. Gn 32.20; Ex 10.8; Nb 14.38; Jos 18.8, 14; Jg 18.17; 2 S 23.17; 1 R 8.23; Ps 119.1; Es 8.6; 9.1; 30.2; 65.2; Jr 13.10; 19.10; 1 Ch 15.25; 2 Ch 6.14.
a\NLOK KR dans la tradition de Moïse Le terme a\NLOK KR a trait à la tradition de Moïse. Il est attesté en Ex 10.8 3.2.5.3.3.1
dans le contexte de l’histoire des plaies94 contre les Egyptiens à cause de l’endurcissement du Pharaon et au manque d’écoute de la parole de YHWH transmise par Moïse. Dans ce texte, a\NLOK KR sont les Israélites que Pharaon voulait connaître et qui seraient prêts à aller servir YHWH, lorsque l’ordre serait donné à Moïse et Aaron de quitter l’Egypte. Les a\NLOK KR représentent donc l’ensemble des Israélites, qui, au nom de la fidélité à YHWH, leur Dieu, optent pour la sortie d’Egypte afin d’aller le servir. KR s’appliquent à ceux qui descendent en Tandis qu’en 30.2, a\NLOK Egypte sans tenir compte de la bouche95 de YHWH afin de trouver le salut auprès du Pharaon et de l’Egypte. Dans ce dernier texte, il y a un renversement de rôle où les a\NLOK KR se comportent exactement comme Pharaon. Ce comportement qui s’appelle désobéissance à YHWH conduisit dans le cas du Pharaon comme dans celui des a\NLOK KR à leur ruine totale. Dans le second les a\NLOK KR font jouer à Pharaon et à l’Egypte le rôle dévolu à YHWH. En d’autres termes, ils échangent YHWH avec le Pharaon et l’Egypte96. L’interprétation de 30.2 à la lumière d’Ex 10.8 permet d’affirmer l’application à Israël et ses dirigeants du comportement connu pour les Egyptiens et le Pharaon. Ce comportement n’est pas digne d’un vrai Davidide. 3.2.5.3.3.2 Les a\NLOK KR dans la tradition de David
KR est attesté en rapport Dans la tradition royale en Israël, le terme a\NLOK avec l’attitude de fidélité de David (2 S 23.17; 1 Ch 15.25) et Salomon KR (1 R 8.23; 2 Ch 6.14) à YHWH. Dans l’histoire de David, les a\NLOK sont ceux qui vont chercher de l’eau au péril de leur vie, alors que David était délivré par YHWH. David manifeste sa fidélité à YHWH en lui offrant en libation l’eau qui lui est apporté et qu’il refuse de boire. Le cadre de cette narration est la victoire de YHWH accordée à 94 95
96
Dans ce texte, il s’agit de la 8e plaie qui concerne les sauterelles (Ex 10.1-20). La bouche en effet est l’organe qui porte la parole. Ainsi, nous avons dans l’expression «bouche de YHWH», l’image du prophète en tant que porte parole (Cf. J. N. OSWALT, The Book of Isaiah 1-39, 1986, p. 543). G. FOHRER, Das Buch Jesaja: Kapitel 24-39, 1962, p. 87.
97
David sur les Philistins. Le texte met donc face à face David et KR dans un contexte de guerre de YHWH. les a\NLOK Le rapprochement de l’attitude de David avec celle des a\NLOK KR dans 30.2, permet de se rendre à l’évidence que ces derniers se comportent autrement que David. Au lieu d’offrir leur libation à YHWH alors que leur sécurité est menacée, ils se réfèrent à l’Egypte en abandonnant YHWH. Ce qui les place sur la voie de leur perte. Car ils ne suivent pas les traces de David. Par conséquent ils ne devraient pas bénéficier de l’accomplissement de la promesse de Nathan sur la stabilité de la dynastie davidique. Ils représentent plutôt le fils de David qui sera châtié par YHWH au moyen des étrangers à cause de son péché (2 S 7.14). La proposition \[L:U DO^Z! KN« 6P H VRQO! ZL ! «et pour répandre une libation qui n’est pas de mon esprit» (30.1) contraste avec KZ«K\OaW« DR 6H« K« «ce En 8.6, le terme a\NLOK peuple» vient de mépriser (VDP). Cette attitude condamnée par YHWH est à l’origine du malheur de Juda (8.8). Dans ce cas, les a\NLOK KR ne représentent pas les destinataires de la condamnation divine, mais plutôt la cause même de cette condamnation. Le destinataire de cette accusation étant «ce peuple», le peuple de Juda. Etant donné que le malheur annoncé en 8.5-8* concerne l’ensemble de «ce peuple» comme en 30.2s, et du fait que le rejet de ce qui vient de YHWH – les eaux de Siloé (8.6) et la bouche de YHWH (30.2) – est objet d’accusation, il y a lieu d’établir un rapprochement entre ces deux textes102. Dans cette hypothèse, ces textes s’adressent au peuple de Juda, représentant l’ensemble du peuple d’Israël après la chute de Samarie en 722. L’identification des a\NLOK KR au peuple de Juda est confirmé par l’emploi de ce terme dans le livre de Jérémie. Chez Jérémie, le terme a\NLOK KR est attesté trois fois: Jr 13.10; 16.12103 et Jr 19.10. Comme en 30.2, il s’y rapporte à YHWH. En Jr 13.10, par exemple, les a\NLOK KR représentent K=K a>« K« «ce peuple» de Juda brisé à cause de son endurcissement caractérisé par le refus d’écouter la parole de YHWH et le fait d’aller servir les autres dieux et se prosterner devant eux. Le cadre est celui de la destruction de Juda et de Jérusalem104. Ce sort est précisé en Jr 16.12 et Jr 19.10ss comme celui de la mort – ils mourront torturés par la faim… – (Jr 16.4ss) et de la captivité (Jr 16.13)105. 101 Dans ce texte, les a\NLOKRK se distinguent des fidèles. Cette séparation est absente dans 30.2. Bien qu’il s’agisse également dans ce dernier texte de la lutte contre l’idolâtrie, la condamnation concerne l’ensemble du peuple. En outre, la notion du salut du reste est également inexistante dans 30.2. Ces faits conduisent à supposer que 30.2 est plus ancien que 65.2 (contre W. Werner). Le dernier texte étant la réception du premier. 102 Le lien étroit de ces deux textes est démontré en détails dans le chapitre consacré à 8.5-8*. 103 Dans ce texte, c’est plutôt le terme a\NLOKR qui y est attesté. 104 J. SCHREINER, Jeremia I, 1985, 2e éd., p. 88. 105 L’annonce du malheur dans ce texte est de facture deutéronomiste: Cf. J. SCHREINER, Jeremia I, 1985, 2e éd., p. 88; T. RÖMER , «Y a-t-il une rédaction deutéronomiste»,
100
Ces textes Jr-Dtr106 qui ne peuvent être datés qu’après 587 sont à comprendre comme l’interprétation par les deutéronomistes de la chute de Juda. Le refus d’écouter la parole de YHWH est l’attitude des a\NLOK KR lorsqu’ils descendent en Egypte sans consulter la bouche de YHWH (Es 30.2). Par ce fait, cette descente devient une manifestation de l’idolâtrie à cause du refus de se référer à YHWH. La présence de ces thèmes à la fois en Jr 13.10 et Es 30.2 est un indice non négligeable pour rapprocher ces textes et les situer dans le cadre littéraire comme le tableau ci-dessous le montre: :OD«Y«DO^\SL:a\,UFPLWGUO« a\NLOKRK Ca\,U«FPLOFH%W$V[OZ!K>RU!3]$>P«%]$>O« Jr 13.10a-b: \UE«'!WD>$PYOLa\Q,D@0HK>U«K«K=Ka>«K« aG«E>«Oa\U,[HD@a\KLO^D\UH[@D:NOPY) et de la marche sur le chemin
243 Nous avons prouvé que ce texte appartient à la rédaction dtr (voir supra). 244 5.21; 6.10; 7.24, 26; 17.23; 25.4; 34.14; 35.15; 44.5, Cf. également Dt 29.4; Ez 8.18. 245 W. A. M. BEUKEN, Isaiah chapters 28-39, 2000, p. 143. En fonction de la séparation des vv. 1-3 de vv. 4-5, nous avons retenu le premier texte comme étant exilique et que le second situé à la même époque que le texte en étude, décrit les impies qui désobéissent à YHWH en se livrant à l’idolâtrie.
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(OK U') indiqué. D’une part, 30.21 reprend les termes UE«'« et U' apparaissant respectivement au v. 11a et au v. 12 du ch. 30 et, enfin il réemploie dans un nouveau contexte le verbe OK qui rappelle la descente en Egypte des «fils rebelles» (v. 2). La réutilisation de ces concepts démontre clairement la description d’une nouvelle attitude d’obéissance d’Israël à YHWH. Le peuple opère le mouvement de retour à YHWH, le nouvel exode, alors qu’en 30.1-3 le mouvement consistait à aller vers l’Egypte en abandonnant YHWH. Cette dernière attitude de révolte est éclairée par le «Deutéro-Esaïe»: «Qui a livré Jacob au ravage, Israël aux pillards? N’est-ce pas YHWH, lui envers qui nous avons commis des fautes, lui dont on n’a pas voulu suivre les chemins et dont on n’a pas écouté la Loi?» (42.24). Cette révolte est par contre corrigée dans 30.21. Cette correction ne pourrait être placée que postérieurement à «Deutéro-Esaïe». Par conséquent, elle serait proche du «TritoEsaïe». Partant de l’hypothèse selon laquelle le message de 30.19-25a* correspondrait à celui des chs. 60-62, il est de notre devoir de démontrer les liens entre ces deux textes. La vérification de cette hypothèse s’appuiera sur l’analyse du concept de marcher vers YHWH ou sur son chemin. Aller vers YHWH ou sur son chemin est un concept attesté aussi dans le «Trito-Esaïe», respectivement en 57.2; 60.3, 14 et en 62.10. Cette attitude est à l’origine de l’instauration de la paix. Ici la marche concerne toutes les nations (Cf. 2.2-4). C’est le renversement de la situation de crise (30.1-3). Israël et sa terre deviennent le centre du monde et la source de la paix universelle. Cela résulte de la reconnaissance de la souveraineté de YHWH. Le concept de la marche vers YHWH est avant tout l’histoire de l’exode246 qui le rappelle (Dt 1.33, 8.2; Jos 2.16, 24.17; Ne 9.12,19; Es 35.8). Au cours de cette marche, les Israélites ont été éclairés par YHWH afin de ne pas se perdre en chemin. La conduite de YHWH et sa reconnaissance par le peuple suscitent la confiance et l’obéissance247. Dans le livre d’Esaïe, 30.21 vise à corriger l’attitude d’égare-
246 W. A. M. BEUKEN, Isaiah chapters 28-39, 2000, p. 142. 247 Dt 5.33; 8.6; 10.12; 11.22; 19.9; 26.17; 28.9; 30.16; Jos 22.5; 1 S 15.20; 1 R 2.3, 4; 3.14; 8.25, 36, 44,58; 11.33; 22.43; 2 R 17.13; 22.2; 2 Ch 6.16, 27, 31,34; 17.3, 6; 20.32; 34.2.
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ment248. Dans 2.3, le peuple est appelé à aller vers la montagne de YHWH. Il faut observer l’emploi de l’impératif dans 30.21 et 2.3 en ce qui concerne le verbe «aller, marcher». Nous avons déjà souligné le rapprochement entre ces deux versets à partir du critère de l’obéissance à la Torah. L’obéissance consiste à marcher conformément aux instructions de YHWH: Aller à droite et à gauche. L’expression :O\DLPI W \NLZ! :Q\PLDW@ \.L ou ses variantes sont attestées dans le HD où elles indiquent le sens de la marche sur le chemin de la Loi (Dt 2.27; 5.32; 17.11,20; Jos 1.7; 23.6; 2 S 14.19; 2 R 22.2), mais aussi dans les livres de Chroniques (2 Ch 20.20; 34.2) et dans celui des Proverbes (Pr 4.25). L’analyse de 30.21 nous a permis de considérer ce verset dans le cadre de l’ensemble de l’unité littéraire qui commence au v. 19. Il poursuit et complète le v. 20b en évoquant le thème des oreilles qui écoutent la parole, signe de fidélité et d’obéissance à YHWH. Cette attitude caractérise Josias, lors de sa réforme religieuse (2 R 22.2; 2 Ch 34.2) à l’image de David (2 S 7.22; 1 Ch 17.20). Nous appuyant sur des observations antérieures, nous devons considérer 30. 21 (proche de 2 Ch 34.2s) comme la relecture par les milieux sacerdotaux de 2 R 22.2, texte deutéronomiste. Le texte d’Esaïe et celui du livre des Chroniques mettent en évidence que la fidélité du roi consiste dans sa marche droite selon l’instruction de YHWH. Ce comportement se concrétise par le rejet de l’idolâtrie. 3.3.5.3.3 Le peuple rejette les idoles Le v. 22 énonce le résultat définitif de l’obéissance du peuple à YHWH, à savoir le rejet de l’idolâtrie qui consiste concrètement à déclarer impures (DPM) les images plaquées en argent (A3VN \OH\VL3 \:3FLWD) et les H W'SDX @ WDZ)! et à les disperser (KU]). Une idoles revêtus en or (AEK« ]! WN6P telle obéissance constitue le centre même de la théologie sacerdotale. Alors que l’idolâtrie a été considérée comme la cause du malheur d’Israël – selon la théologie deutéronomiste –, ici le peuple tire les leçons du passé en se débarrassant du culte des images et des idoles. La première action se manifeste dans la déclaration comme impures des images et des idoles. La racine DPM est attestée 162 fois dans la Bible hébraïque. L’inventaire des occurrences permet d’observer une 248 3.12 et 8.11, Cf. Jr 2.17.18.23.33.36, 3.2.13.21, 4.18, etc.
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grande concentration dans le livre de Lévitique (71 fois), chez Ezéchiel (28 fois) et dans le livre des Nombres (21 fois). La forte fréquence de cette racine dans ces livres et son attestation négligeable (2 fois) dans le Deutéronome confirme l’appartenance de DPM à la rédaction sacerdotale. Le lien de ce verbe avec la loi de la pureté (Lv 11-22; Nb 19.13) confirme le cadre de la purification de l’idolâtrie du culte du 2e Temple. Les rédacteurs de 30.22 auraient assimilé le sort des images et des idoles à celui des sacrifices brûlés à YHWH. Cette stratégie viserait à lutter contre l’idolâtrie. Sur ce point, 30.22 est un texte qui semble avoir été influencé par la prophétie d’Ezéchiel où YHWH reproche à Israël d’avoir souillé son sanctuaire par les abominations (5.11, 22.4). Il serait une application du message du «Deutéro-Esaïe» où l’idolâtrie est fortement dénoncée249. Le verbe DPMne se retrouve nulle part ailleurs dans le livre d’Esaïe, en dehors de 30.22. Il en est de même de \:3FL250 attesté 5 fois251 dans la Bible hébraïque et de K'«SD X 252 @ qui y est mentionné seulement 3 fois253. La relation de la rédaction de 30.22 avec la tradition de Moïse se laisse confirmer par l’emploi de ces deux mots en vertu de leur référence aux instructions relatives à l’habillement des prêtres dans le livre de l’Exode (Ex 28.8 et 39.5) et la transformation des encensoirs des hommes de Coré en plaques martelées pour le revêtement de l’autel. Moïse et Aaron (ou Eléazar) symbolisent respectivement la direction politique et religieuse d’Israël, donc la préfiguration de la royauté et du sacerdoce. A l’époque du 2e Temple et en l’absence de la royauté, ce sont les membres de l’aristocratie de Jérusalem et les prêtres du Temple qui sont les remplaçants de ces instances. L’attestation du vocabulaire de 30.22 en relation avec Moïse et Aaron confirme à la fois le lien du texte avec la tradition de l’exode, la direction politique d’Israël et le culte à l’époque perse. L’origine postexilique de ce texte est également certifiée par la combinaison de O\VS avec la racine DPM, attestée particulièrement dans les livres des Chroniques (2 Ch 33.19.22; 34.3, 4,7), surtout en ce qui
249 (40.19-20; 42.8,17; 44.9-10,15,17; 45.20; 48.5). 250 Ce terme est emprunté au vocabulaire cultuel. \:3FL représente la couverture de l’autel ainsi que des colonnes du parvis de l’arche. 251 Ex 39.17, 19; Nb 17.3, 4 et Es 30.22. 252 Dans le livre d’Exode, K'« SXD@représente l’Ephod que portait le prêtre. 253 Ex 28.8; 39.5 et Es 30.22.
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concerne l’emploi du couple (O\VL3« - KN6P H ) . Cet emploi est confirmé dans le livre des Chroniques dans le cadre de la réforme religieuse de Josias (2 Ch 34.3, 4). En employant, les termes dans ce texte, les rédacteurs pensent aux types de figurines qui étaient usuelles dans les religions du Proche Orient ancien254. Il n’est peut-être plus nécessaire de rappeler le rapprochement entre le texte en étude et les livres de Chroniques. Mais ce qui est important à ce niveau est la confirmation de l’origine royale et cultuelle du texte à travers l’évocation de la purification du Temple des idoles par le roi Josias. Comme signe de conversion à YHWH, le rejet de l’idolâtrie garantit la stabilité et la protection de Jérusalem (31.4-7). Le thème de l’idolâtrie est central dans le ch. 30, à voir la fonction du vocable KN6P H (vv. 1 et 22). Son double emploi représente la rébellion et la fidélité envers YHWH, deux attitudes qui déterminent la structure de ce chapitre en vv. 1-17 et 18-33. Alors que dans les versets précités, les idoles sont à la base de la méconnaissance de YHWH aussi bien par Israël que par les nations étrangères, ici au v. 22, Israël, qui a retrouvé la vraie voie, les déclarent impures, c’est-à-dire il les voue à l’interdit. La déclaration des idoles comme impures souligne la souveraineté exclusive de YHWH. En effet les idoles sont déclarées impures au profit de YHWH, qui doit demeurer l’unique Dieu pour Israël. En 42.8-9 où le vocableO\VL3« est attesté, YHWH se déclare à Israël en ces termes: c’est moi YHWH, tel est mon nom; et ma gloire, je ne la donnerai pas à un autre, ni aux idoles la louange qui m’est due. Les premiers événements, les voilà passées, et moi j’en annonce de nouveaux, avant qu’ils se produisent, je vous les laisse entendre.
Dans ces versets, YHWH fait allusion à des premières choses qui sont désormais passées. Israël en expérimente de nouvelles. Parmi les anciennes, il y a la rébellion d’Israël dans l’idolâtrie ainsi que le malheur. C’est à propos de la condamnation de Juda et de Jérusalem que le terme O\VL3« est employé dans le livre de Jérémie (8.18-19). Mais il correspond avec la désignation de Babylone comme pays des idoles (Jr 50.38; 51.52). Auparavant, le mot O\VL3« fut employé dans le livre d’Osée à 254 L’auteur a en tête des petites statuettes en bronze avec une couche en or ou en argent. Cf. O. KAISER, Der Prophet Jesaja, Kap. 13-39, 1973, p. 302.
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propos de la condamnation du péché d’Ephraïm (Os 11.2). Les rédacteurs de 30.22 le réemploient non pour condamner Israël, mais plutôt pour l’inscrire dans le contexte du salut divin et de l’obéissance totale à YHWH. Par son nouveau comportement, la communauté du 2e Temple saisit le sens de la miséricorde de YHWH (27.9). Au fait, la plupart des rois et le peuple du 1er Temple n’avaient pas appliqué le respect à la lettre de la loi deutéronomiste (Dt 7.5, 25; 12.3). Cela a conduit à la destruction du royaume d’Israël (722 av. J.-C.) et à la chute de Juda (587 av. J.-C.) (Cf. 2 R 17.7-23). Cette démonstration conduit à supposer que les rédacteurs sacerdotaux auraient été influencés par un même et seul motif théologique: à savoir proclamer la souveraineté absolue de YHWH à partir du Temple de Jérusalem, ce qui explique le rejet de l’idolâtrie. En d’autres termes, la théologie sacerdotale ne s’est pas développée en rupture d’avec la théologie deutéronomiste ou en l’ignorant. Elle l’a adaptée en fonction de ses perspectives. Après avoir étudié la première action du peuple envers les images et les idoles, nous allons à présent analyser la deuxième qui consiste à les disperser. Le verbe KU] «disperser» qui sert pour caractériser le sort réservé aux idoles est attesté 39 fois255 dans la Bible hébraïque. L’inventaire des mentions permet d’observer leur forte concentration dans le livre d’Ezéchiel (13 fois), chez Jérémie (6 fois), dans les Proverbes (4 fois) et chez Esaïe (3 fois). Ce verbe est quasi absent dans les livres dtr (1 fois). La racine KU] représente l’idée d’écrasement, à la manière des graines (Rt 3.2, Es 30.24). L’écrasement des idoles rappelle le sort que Moïse réserva au veau d’or (Ex 32.20). Il se réfère aussi à Juda pour parler de sa dispersion (Jr 15.7; Za 2.4) parmi les nations comme une malédiction divine256 et ce à cause de l’idolâtrie (1 R 14.15)257. Le fait que 30.22 et Ex 32.20 parlent respectivement de la dispersion des idoles et du veau 255 Ex 32.20; Lv 26.33; 1 R 14.15; Es 30.20, 24; 41.16; Jr 4.11; 15.7; 31.10; 49.32, 36; 51.2; Ez 5.2, 10,12; 6.5, 8; 12.14, 15; 20.23; 22.15; 29.12; 30.26; 36.19; Za 2.2, 4; Ml 2.3; Ps 44.2, 106.27; Jb 18.15; Pr 1.7; 15.7; 20.8, 26; Rt 3.2. 256 Lv 26.33; Ps 44.2; 106.27; Es 41.16; Jr 31.10; Ez 5.10.12; 6.5; 12.14, 15; 20.23; 22.15. 257 Le même terme est également employé en ce qui concerne la dispersion des nations, le cas de Babylone (Jr 51.2), des Egyptiens (Ez 29.12; 30. 23,26).
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d’or permet d’établir une relation de dépendance. Il semble que le premier texte se serve de cette tradition de l’exode pour sa rédaction. Par son attitude à l’endroit de l’idolâtrie, Moïse devient le modèle de fidélité à YHWH à laquelle la communauté du 2e Temple se réfère. Etant donné que l’idolâtrie est comptée parmi les causes de la dispersion d’Israël par YHWH, du fait qu’en 30.22 la dispersion ne concerne plus Israël mais plutôt les idoles, nous pouvons affirmer que les textes qui qualifient l’idolâtrie comme cause de la dispersion d’Israël sont antérieurs à 30.22; antérieur est en particulier le texte du «DeutéroEsaïe» (41.16). Ce dernier texte s’oppose à ces premiers textes par un mécanisme de renversement de rôles; le sort jadis réservé à Israël à cause des idoles est subi par les idoles à cause d’Israël qui a reconnu désormais YHWH comme son seul et vrai Dieu. L’emploi de KU] au v. 22 anticipe son usage dans le v. 24 où cette racine correspond au contexte agricole et concerne les fourrages qui seront vannés pour les bêtes. Au v. 22, dans cette expression: $OUPD7RDFHKZG« $P.aUH]7 ! :L «Tu les disperseras comme les menstrues, tu lui diras va», le peuple a le pouvoir et la force non seulement de disperser les idoles, mais aussi de leur intimer l’ordre de sortir. Le double emploi du verbe KU] dans les vv. 22 et 24 sert à établir la comparaison entre le sort réservé aux idoles à celui des fourrages. Pourquoi, les idoles doivent-elles être rejetées? Parce qu’elles sont des choses impures, qui souillent (KZG). Ce terme revient 4 fois (Lv 15.33; 20.18; Es 30.22) dans la Bible hébraïque. Dans le livre du Lévitique, KZG« appartient à la loi de la sainteté et sert à désigner les menstrues qui rendent la femme impure lors des règles (Lv 15.33; 20.18) ou de l’accouchement (Lv 12.2). L’association des idoles aux menstrues démontre, d’une part le souci de purification, en éloignant l’idolâtrie comme une pratique qui souille, d’autre part l’intention de souligner le caractère rituel258 du concept. Les rédacteurs influencés par la loi de la pureté259 ont voulu établir une forte relation entre la pureté du culte et la sainteté de YHWH. La pureté cadre avec la réforme religieuse du Temple
258 F. G. L ÓPEZ, Comment lire le Pentateuque, 2005, p. 229. 259 Une indication de l’origine tardive de cette loi? Aux 8e et 7e siècles, les idoles ont cohabité dans les lieux de culte. Les réformes d’Ezéchias et de Josias ne donnèrent pas les résultats escomptés. Tirant les leçons de l’exil comme expression de la théodicée, l’existence des idoles devient plus menaçante au retour du peuple de l’exil.
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et motive l’ordre intimé aux idoles de sortir: DFH. Cet impératif est attesté dans le cadre de la réinstallation des prêtres dans leur tâche sacerdotale (2 Ch 26.18). Au Hi, le verbe DF\ est lié au processus de purification du Temple de tout ce qui est impur (2 Ch 29.5, 16). C’est au moment où on distribuait l’argent qui avait été apporté à la maison de YHWH (Temple) que le prêtre trouve le livre de la Loi (2 Ch 34.14). Par l’analyse de KN 6P H , KU] et KZG, nous venons de constater leur absence ou leur rareté dans les livres dtr. Leur forte attestation dans le livre de Lévitique et chez Ezéchiel en particulier caractérise leur assise sacerdotale. Nous affirmons que les rédacteurs du v. 22 sont proches des prêtres et des lévites chargés d’organiser le service cultuel du 2e Temple et de le purifier des éléments étrangers. Dans cette réforme la participation du peuple est importante. Le peuple se comportait alors différemment de celui qui avait provoqué la destruction du 1er Temple, en rejetant l’idolâtrie et en offrant à YHWH les produits de leurs mains, en signe d’obéissance. C’est ainsi qu’il épargnerait au nouveau Temple une destruction éventuelle. Pour ce faire le peuple devra écouter attentivement la Torah et toutes les autres instructions de YHWH transmises dans sa maison. C’est ainsi qu’il mènera une vie qui plaît à YHWH260 dont la présence se manifeste sur sa montagne sainte. 3.3.5.4 La montagne comme lieu du salut Avec l’évocation des ruisseaux, des cours d’eau sur toute la haute montagne et sur toute la colline élevée, le v. 25 poursuit la présentation des fruits de la grâce divine à l’endroit de la communauté des fidèles. En même temps, il précise le lieu où se manifeste cette grâce (vv. 23-24). Elle a lieu sur toute haute montagne (KER* UKO.« O>) et sur toute colline élevée (KD« )«Q, K>« E* , O.« O>). L’emploi parallèle de UK«montagne» et de K>« E* , «colline» est attesté dans le chapitre 30 au v. 17 dans un contexte de jugement, où les fuyards une fois rattrapés par leurs poursuivants restent comme un signal sur la montagne et un étendard sur la colline. L’étude du v. 17 nous conduira à démontrer que la montagne et la colline sont les lieux de destruction des nations étrangères et non d’Israël. Cette double utilisation de la montagne et de la colline est perceptible
260 O. KAISER , Der Prophet Jesaja, Kap. 13-39, 1973, p. 301.
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dans le v. 25 dont la première partie concerne le salut d’Israël, tandis que la seconde est relative au châtiment définitif des nations. Ainsi, nous avons dans le concept l’écho de deux couches rédactionnelles de paix. La première fait de la montagne et de la colline, les lieux de salut d’Israël (P1-S), tandis que dans la seconde, la paix d’Israël intervient au même moment que l’anéantissement des nations ennemies (P2-AP). Ce dernier thème se poursuit d’ailleurs jusqu’à la fin du chapitre 30.
3.3.6 Conclusion Au terme de l’étude de 30.19-25a*, nous pouvons affirmer trois choses. La première: ce texte appartient à la rédaction de paix sacerdotale, P1-S, en sigle. La seconde: 30.19-25a* se rapproche des chs. 60-62 d’Esaïe et des livres Néhémie, Esdras et surtout des Chroniques. La troisième: l’identification de ce texte comme l’alternative positive de 30.1-3, texte deutéronomiste (RC-DtrE) et anticipation de 30.25b-33, texte de la rédaction apocalyptique (en sigle P2-AP). La paix et la prospérité que le peuple expérimente en lieu et place de la crise trouvent une explication théologique. Pour les rédacteurs sacerdotaux, la paix et la sécurité sont le résultat du retour du peuple vers YHWH et de l’abandon de l’idolâtrie. C’est pourquoi YHWH se manifeste à lui avec bonté et bienfaisance en lui procurant tout ce dont il a besoin pour vivre: eau, pain, pluie, une bonne terre florissante et plantureuse, etc. Le bénéficiaire, c’est le peuple de Sion, celui qui habite Jérusalem. Nous sommes ici au centre de la théologie de Sion. Reprenant le matériau deutéronomiste, les rédacteurs sacerdotaux améliorent l’image du peuple d’Israël en le présentant comme celui qui, après avoir tiré les leçons du passé, s’en remet à YHWH et obéit à sa Torah. La référence à YHWH et l’écoute de la Torah constituent les éléments essentiels et centraux du culte de YHWH à l’époque du 2e Temple de Jérusalem dont les livres des Chroniques se font largement écho. L’influence de la tradition de Moïse dans la rédaction de 30.19-25a est évidente. Nous l’avons constaté dans la conclusion (le renouvellement) de l’alliance du Sinaï (Ex 19.4; 23.25), le don de la Torah (Ex 1920), l’épisode du don de la manne (Ex 16.1ss) ou de la transformation de l’eau de Mara (Ex 15.25). YHWH apparaît dans ce texte comme celui qui pourvoit aux besoins de son peuple. C’est pourquoi, ce der162
nier se réfère à Lui en abandonnant l’idolâtrie (Cf. loi de la sainteté: Lv 15-20). Car, il se manifeste et ne se cache plus. Nous avons démontré également que l’épiphanie ou la théophanie de YHWH qui suscite la confiance d’Israël a sa source dans l’alliance de YHWH avec son peuple lors de la dédicace du 1er Temple par Salomon (1 R 8.33-58; 2 Ch 6.24-27). Salomon apparaît comme le prototype des rois fidèles à YHWH. Etant donné qu’en 30.19-25a, Israël récupère la fonction royale, cette figure a influencé les milieux sacerdotaux dans la rédaction de leurs textes en rapport avec d’autres rois. Nous avons découvert cette stratégie rédactionnelle à travers les affinités littéraires de 30.19-25a avec les livres des Proverbes (14.21, 31; 19.17; 21.10; 26.25; 28.8), de Néhémie (Ne 9.9, 15) d’Esdras (Esd 9.9) et des Chroniques (2 Ch 6.24, 27; 18.26; 29.3-31.21; 35.7-8). Ces textes insistent sur la fidélité au Temple, la reconnaissance de YHWH comme Dieu créateur et la valorisation de la fonction des prêtres et des lévites. L’abondance alimentaire qui vient de YHWH visait deux choses: d’une part assurer le bien-être au peuple et, de l’autre pourvoir aux offrandes et autres dons au Temple de YHWH afin d’assurer la pérennité du culte. La concentration du texte sur le culte explique d’un côté la quasi absence des liens de vocabulaire avec le «Deutéro-Esaïe», et de l’autre son rapprochement avec la narration Ezéchias-Esaïe (chs. 36-39), le «Trito-Esaïe», en particulier les chs. 60-62, les livres de l’Exode, du Lévitique et des Nombres. Par conséquent, 30.19-25a est un texte qui aurait été inséré au même moment que les chs. 36-39 durant la période où le 2e Temple constituait le centre de la vie d’Israël postexilique, pendant que le «Deutéro-Esaïe» existait déjà dans le recueil du livre d’Esaïe. Par ailleurs, la guérison d’Israël des blessures et des coups, à la fin du texte (30.25a) correspond à celle d’Ezéchias (37). Ce thème de la fin des blessures annonce le sort de l’Assyrie. Car, c’est finalement contre elle que YHWH se tournera pour la flageller. La poursuite de la paix en Israël présentée dans P1-S, le renversement du malheur d’Israël (RCDtrE) et son détournement sur les nations ennemies constituent la stratégie rédactionnelle des rédacteurs apocalyptiques (P2-AP) du livre d’Esaïe. Celle-ci est facilement observable dans 30.25b-33 objet du chapitre suivant.
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3.4 L’anéantissement des nations et d’Assyrie (30.25b-33) 3.4.1 Introduction Cette péricope présente une scène macabre, l’anéantissement des nations et des peuples, de l’Assyrie sur la montagne de YHWH. Cette destruction intervient le jour où YHWH guérit son peuple des coups et des blessures qui lui ont été infligées. Elle suscite une grande joie et des chants de triomphe en l’honneur de YHWH.
3.4.2 Délimitation du texte Les vv. 25b-33 font suite aux vv. 19-25a et terminent le chapitre 30. La plupart des critiques les considèrent comme une unité littéraire cohérente261. Cette option est justifiée d’une part par la jonction des vv. 25b-26 au texte précédent et de l’autre par la présence de l’expression D%« KZK\!aYH K1(KL au début du v. 27 considérée comme la caractéristique introduisant une nouvelle unité littéraire. Toutefois, il y a certains critiques qui ont avec raison, lié les vv. 25b-26 aux vv. 27-33 à cause de leur teneur apocalyptique262. Le débat sur la délimitation s’appliquera à répondre aux deux arguments de ceux qui séparent les vv. 25b-26 de vv. 27-33. Commençons d’abord par la position de la proposition D%«KZK\!aYHK1(KL au v. 27. Dans un contexte de jugement contre une nation étrangère, cette forme littéraire est similaire à D%«KZK\!a$\K1(KL (13.9) et à D$E\YDH%« KZK\!K1(KL \.L 261 B. DUHM, Das Buch Jesaja, 1902, 2e éd., p. 194; G. FOHRER, Das Buch Jesaja: Kapitel 24-39, 1962, pp. 182-189; O. KAISER , Der Prophet Jesaja, Kap. 13-39, 1973, pp. 242-247; H. BARTH, Die Jesaja-Worte in der Josiazeit, 1977, p. 96; R. E. CLEMENTS, Isaiah 1-39, 1980, pp. 252-254; G. C. HEIDER, The cult of Molek, 1985, pp. 319ss; J. D. W. WATTS, Isaiah 1-33, 1985, pp. 402-406; R. KILIAN, Jesaja 13-39, 1994, p. 179; B. P. IRWIN, Molek Imagery and the Slaughter of God in Ezekiel 38 and 39, JSOT (1995), 93-112, pp. 110-11; U. BERGES, Das Buch Jesaja, Komposition und Endgestalt, 1998, p. 239; B. S. CHILDS, Isaiah, 2001, pp. 227229; H. WILDBERGER, Isaiah 28-39, 2002, pp. 185-204; 262 O. PROCKSCH, Jesaja I: Kap. 1-39, 1930, p. 398; O. KAISER , Der Prophet Jesaja, Kap. 13-39, 1973, p. 241; P. HÖFFKEN , Das Buch Jesaja, Kapitel 1-39, 1993, p. 216; R. KILIAN , Jesaja 13-39, 1994, p. 178.
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(66.15). Dans ces cas ces phrases n’introduisent pas des nouvelles unités littéraires. Elles poursuivent par contre l’idée de la destruction des ennemis dans le contexte du salut d’Israël263. Or dans la péricope de notre étude, cette destruction commence déjà au vv. 25b. Ainsi, les vv. 27ss ne font que la poursuivre. C’est pourquoi ils ne peuvent pas être considérés comme le début d’une nouvelle unité littéraire. Dans la mesure où cette hypothèse s’avérerait fondée, le rattachement des vv. 25b-26 au texte précédent ne se justifierait plus. Quant à la discussion, nous renvoyons à la délimitation des vv. 19-25a (supra). Toutefois, il nous faut expliquer pourquoi les vv. 25b-26 se trouvent à la position actuelle. C’est simplement pour des raisons rédactionnelles. Ils se servent en effet de UKO.«pour planter le décor du massacre sans pour autant préciser qui en sera victime. Ce massacre a lieu au moment où YHWH guérit son peuple des blessures et coups (v. 26). La précision de l’identité de la victime est donnée au v. 31. Il s’agit de l’Assyrie dont la destruction totale a lieu sur la montagne de YHWH (KZK\!UK) pendant que le peuple célèbre la fête en entonnant un cantique triomphal en l’honneur du Rocher d’Israël (v. 29). L’appartenance des vv. 25b-26 aux vv. 27-33 est en outre étayée par le style, marqué par l’emploi fréquent des mots préfixés avec . (vv. 26, 27 et 29) et % (vv. 25b, 26, 29b, 31, 32 et 33). La dernière forme traverse la péricope. Comme on peut le constater, cette préposition préfixe domine les vv. 25b-26 au début, ponctue le centre (v. 29) et boucle la péricope (vv. 32-33). Un élément littéraire supplémentaire se vérifie par l’appartenance parmi tant d’autres de 3 concepts à la terminologie apocalyptique, en particulier JUK «massacre» (14.20; 26.21; 27.1, 7), KP«[H [chaleur (du soleil) ou soleil]264, à ne pas confondre avec YPY (60.19, 20), et YDH «feu» de YHWH265. Pendant que la lumière à effet thérapeutique est offerte au peuple en signe de salut, le feu destructeur est l’apanage des peuples et nations ennemis de YHWH. La lumière, attestée au v. 26, se rattache au thème du ch. 60 (vv. 1, 3, 19, 20); tandis que le feu, absent dans les vv. 19-25a, correspond avec le message des chs 63-66. A la lumière de ces observations, nous sommes d’avis que les vv. 25b33 constituent une unité littéraire cohérente. De par la forme de ses 263 Cf. \%LK>«J!Q« G\«K1(KLZ!(Dn 10.10). 264 24.23; 27.4; 63.3, 5,6; 66.15; Ez 36.6, 18; 38.18; Dn 8.6; 9.16; 11.44. 265 26.11; 30.27, 30, 33; 64.1, 10; 65.5; 66.15, 16, 24; Dn 10.6.
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phrases, son vocabulaire et son contenu, ce texte trahit de fortes affinités avec les chs. 63-66 d’Esaïe, de sorte que nous le plaçons dans le même cadre rédactionnel et historique. La péricope commence avec la destruction des nations et peuples et termine avec l’anéantissement de l’Assyrie ou de son roi. Et ce, au moment où YHWH accorde son salut à Israël. Une fois la délimitation du texte à étudier assurée, nous pouvons procéder à sa traduction.
3.4.3 Traduction V. 25b. pendant le jour du grand massacre, pendant l’écroulement des tours. V. 26. Et la lumière de la lune sera comme celle du soleil et la lumière du soleil sera sept fois comme la lumière de sept jours lorsque YHWH pansera la plaie de son peuple et guérira la blessure infligée par son coup. V. 27. Voici, le nom de YHWH vient de loin, brûlant de colère et dans une fumée épaisse. Ses lèvres sont remplies d’indignation et sa langue comme un feu dévorant. V. 28. et son souffle comme un torrent débordant monte jusqu’au cou. Il vient pour agiter les nations dans un crible de destruction et mettre sur les mâchoires des nations un frein pour les entraîner. V. 29. Le chant sera pour vous comme la nuit de la consécration d’une fête et la joie du cœur sera comme la procession au son de la flûte vers la montagne de YHWH, le Rocher d’Israël. V. 30. Et YHWH fera entendre la puissance de sa voix et la descente de son bras sera vue dans la colère ardente et la flamme de feu dévorant, de pluies torrentielles, de tempêtes et de grêle. V. 31. Car d’une voix de YHWH Assur sera effrayé et frappé avec un bâton. V. 32. Et chaque coup de bâton de punition sera suivi par le son des tambours et des lyres et des danses. Il le frappera en brandissant sa main. V. 33 Et un Topheth préparé plusieurs jours auparavant est aussi prêt. Il l’est également pour le roi. Dans un bûcher très profond ou extrêmement large sont empilés des bois pour être brûlés. Le souffle de YHWH, comme le torrent de souffre, le brûlera. 166
3.4.4 Structure du texte Les vv. 25b-33 sont organisés autour du châtiment de YHWH contre les nations et les peuples au moment même où il guérit et sauve son peuple. Le thème de la destruction encadre la péricope en l’introduisant par le grand massacre et la chute des tours (vv. 25b-26) et le terminant par la chute d’Assyrie et l’anéantissement du roi (vv. 31-33). Et tout cela a lieu à la montagne de YHWH où il manifeste sa gloire. En exposant l’action de YHWH, le texte s’organise dans une structure à trois niveaux avec un ou plusieurs destinataires respectifs: – vv. 25b-26: le grand massacre le jour de la guérison du peuple – vv. 27-29: des nations passées au crible et des peuples soumis par YHWH – vv. 30-32: L’Assyrie est brisée par la voix de YHWH – v. 33: Le roi est anéanti par le souffre de YHWH A la première impression, on pourrait considérer ce texte comme constitué de quatre petites unités littéraires indépendantes. Et pourtant son analyse permet d’observer un effort rédactionnel consistant à présenter le thème du jugement de YHWH de manière progressive. Cette présentation se fait à trois niveaux. Le premier est constitué de la description du cadre général du châtiment: montagne élevée, le jour du grand massacre sans préciser l’identité des victimes (vv. 25b-26). Le deuxième niveau précise que le jugement concerne des nations et des peuples non identifiés (vv. 27-29). Au troisième niveau, tout devient clair: Le châtiment concerne l’Assyrie symbole des nations et des peuples ennemis de YHWH (vv. 31-32). Sa destruction entraîne également celle de son roi (v. 33). Ainsi, à la fin YHWH reste le seul Dieu et Maître du jeu, sans concurrent. Car la puissance concurrente a disparu. Par rapport à l’ensemble du chapitre, les vv. 25b-33 sont pendant aux vv. 1-7 où l’Egypte apparaît comme concurrente active de YHWH. C’est à cause d’elle que les fils furent entraînés à la désobéissance. Dans l’analyse, nous nous laisserons guider par cette structure à trois niveaux.
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3.4.5 Analyses et commentaires 3.4.5.1 Introduction En 164, l’inauguration du Temple de Jérusalem couronne la purification de ce lieu de la manifestation de la souveraineté de YHWH, après avoir été profané et interdit aux juifs pieux par Antiochus Epiphane IV. Cet événement succède immédiatement à la mort de ce monarque séleucide. Il est interprété comme l’œuvre de YHWH pour sauver Israël et anéantir des nations et peuples ennemis. Israël le célèbre dans la joie et par des chants dans une procession vers la montagne de Sion, vers le Temple, lieu où YHWH manifeste sa gloire. Une telle célébration en reconnaissance de la victoire de YHWH sur ses ennemis rappelle d’une part, la tradition de l’Exode avec les chants de Myriam accompagnée des femmes et des tambourins (Ex 15.21) pour célébrer la destruction du Pharaon et son armée, et d’autre part, celle de David lorsque les femmes chantèrent à la suite de sa victoire sur Goliath (1 S 18.6). Associée au nom d’Assyrie, cette célébration est rapprochée par certains auteurs à la Pâque266 sous Josias267, tandis O. Kaiser y voit la fête de la nouvelle lune268. Le caractère nocturne de la fête, sa durée de sept jours et sept nuit (Lv 23.34), d’une part et la manifestation théophanique de YHWH pour détruire ses ennemis afin de protéger son peuple, l’avènement de la lumière multipliée sept fois au jour du grand massacre des ennemis de YHWH, d’autre part conduisent à préférer la fête de Tentes ou de Tabernacles, telle que rapportée dans Za 14.16-19 et 1 M 4.1ss. Lors de cette célébration le nom de l’Assyrie est revenu dans l’imaginaire collectif comme le symbole de la puissance étrangère ennemie de YHWH pour avoir pendant son hégémonie favorisé ou imposé l’idolâtrie dans le Temple de Jérusalem. L’évocation de la destruction du roi d’Assyrie en 30.26-33 tient à cette identification symbolique et non à un personnage
266 J. N. O SWALT, The Book of Isaiah, 1986, p. 567; J. VERMEYLEN, Du prophète Isaie à l’apocalypse, 1977, p. 417; P. HÖFFKEN, Das Buch Jesaja, Kapitel 1-39, 1993, p. 219. 267 H. BARTH, Die Jesaja-Worte in der Josiazeit, 1977, p. 103; R. E. CLEMENTS, Isaiah 1-39, 1980, pp. 252-254; E. B OSSHARD -NEPUSTIL, Rezeptionen von Jesaia 1-39 im Zwölfprophetenbuch, 1997, pp. 236, 436. 268 O. KAISER , Der Prophet Jesaja, Kap. 13-39, 1973, p. 245.
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historique, quand bien même certains auteurs situent ce texte à la chute d’Assyrie au 7ème siècle269. Vermeylen parle de la moitié du 5ème siècle sans préciser l’identité de l’Assyrie270. L’analyse du texte, avec son vocabulaire proche de celui du livre de Daniel, donne des indications d’une main rédactionnelle apocalyptique au 2ème av. J.-C271. L’analyse nous permettra d’identifier les destinataires de cet oracle de salut en 30.25b-33 avec Israël fidèle rescapé de la persécution sous Antiochus Epiphane IV, la mort de ce monarque séleucide en 164 ainsi que la célébration la même année de la fête de Tabernacles lors de l’inauguration du temple de Jérusalem après sa purification de l’idolâtrie, célébration qui ouvre le retour de YHWH sur sa montagne sainte afin d’y manifester sa souveraineté. 3.4.5.2 Le salut d’Israël et l’anéantissement des nations L’ironie et la violence contre les ennemis caractérisent ce texte272. Elles s’adressent aux nations et aux peuples, surtout à l’Assyrie et à son roi en vue de leur destruction. L’ironie comme expression de la joie au moment de la chute des ennemis révèle la haine d’Israël à leur égard273. Elle rappelle l’élégie contre Babylone, surtout contre l’Astre brillant, le fils de l’aurore (14.12-20) au moment où YHWH sauve son peuple. 3.4.5.2.1 Le salut d’Israël: œuvre de YHWH L’anéantissement des ennemis de YHWH vise une chose: la délivrance d’Israël. C’est au moment où le peuple est guéri de ses blessures que le châtiment divin intervient. A quoi correspond cette guérison?
269 S. MOWINKEL , Jesaja-Disciplene, 1926, pp. 51ss, 138ss; H. WILDBERGER, Jesaja 28-39, 1982, p. 1211. 270 J. VERMEYLEN, Du prophète Isaïe à l’apocalyptique, 1977, p. 416. 271 H. DONNER , Israel unter den Völkern, 1964, p. 164; O. KAISER , Der Prophet Jesaja, Kap. 13-39, 1973, p. 243; R. KILIAN , Jesaja 13-39, 1994, p. 181; U. B ERGES, Das Buch Jesaja, Komposition und Endgestalt, 1998, pp. 239-240. 272 W. EICHRODT , Der Herr der Geschichte: Jesaja 28-39, 1967, p. 183. 273 R. KILIAN, Jesaja 13-39, 1994, p. 181.
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3.4.5.2.1.1 La guérison par la lumière Le v. 26 introduit le nouveau thème de la lumière dans le contexte du salut d’Israël. Cette lumière contient des vertus thérapeutiques en faveur d’Israël. Elle apparaît sur la montagne le jour du grand massacre des ennemis. Il est communément admis que cette montagne désigne Jérusalem (Sion)274 et la lumière comporte un caractère apocalyptique275. Cette double fonction de la montagne revient dans les vv. 27-33 à la fois comme lieu de la destruction des nations et des peuples, surtout de l’Assyrie, en présence de la joie d’Israël. Car c’est dans le Temple à Sion276 que YHWH manifeste sa gloire souveraine et sa victoire en faveur de son peuple. L’expression U$D K\«K« Z! est attestée dans le livre d’Esaïe dans le cadre du châtiment contre «les hommes corpulents» au moment où YHWH sauve son peuple (10.17). C’est aussi le sens en 30.26. La lumière d’Israël deviendra un feu. La lumière ici c’est YHWH lui-même. En effet dans la tradition de l’exode, la lumière (U$D) est offerte aux Israélites lorsque YHWH plonge toute l’Egypte dans le noir afin de contraindre Pharaon à les laisser partir servir leur Dieu. Cette lumière précède le grand engloutissement, la sortie et la destruction du Pharaon et de son armée dans la mer des Joncs. Cette structure est la même que celle de 30.25b-33. En effet, le v. 25b plante le décor du massacre par le mot JUK (Ex 4.23), puis vient la lumière pour Israël (Ex 10.23; Cf. Es 30.26), le massacre (Ex 13.15), la lumière sur le chemin de libération (Ex 13.21; Cf. Es 30.29), les ténèbres dans le camp des Egyptiens et la lumière chez les Israélites (Ex 14.20; Cf. Es 30.30) avant la destruction totale de Pharaon et de son armée (Ex 13.17-15.20; cf. Es 30.31-33). Alors intervient Myriam avec le cantique accompagné d’instruments de musique et de tambourins (Ex 15.20; Cf. Es 30.32). Non seulement Myriam participe de manière décisive dans l’œuvre libératrice de YHWH, mais sa musique y joue un rôle libérateur277. A travers cette 274 W. A. M. BEUKEN, Isaiah chapters 28-39, 2000, p. 145. 275 R. E. CLEMENTS, Isaiah 1-39, 1980, p. 251; P. HÖFFKEN, Das Buch Jesaja, Kapitel 1-39, 1993, pp. 215-216; R. KILIAN , Jesaja 13-39, 1994, p. 178; J. BLENKINSOPP, Isaiah 1-39, 2000, p. 422. 276 R. E. CLEMENTS, Isaiah 1-39, 1980, p. 253; J. D. W. WATTS, Isaiah 1-33, 1985, p. 405. 277 K. BUTTING, Prophetinnen gefragt, 2001, pp. 37-38.
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comparaison, nous avons une preuve de l’influence de la tradition de l’exode sur la rédaction de 30.25b-33. Le thème de la lumière liée au salut d’Israël est présent dans le «Proto(2.5; 9.1; 10.17; 13.10278; 18.4; 24.15; 27.16; 30.26), le «Deutéro (42.6, 16; 45.7; 49.6; 51.4) – et le «Trito-Esaïe» (58.8, 10; 59.9; 60.1, 3, 19, 20). Quel est le cadre littéraire de 30.26? Dans ce texte, la lumière n’est pas Israël. Il bénéficie de ses effets thérapeutiques. La lumière est YHWH lui-même. Le thème de la lumière occupe l’essentiel du chapitre 60 où le terme U$D est attesté 4 fois. Dans ces occurrences YHWH est présenté comme la lumière de Jérusalem (v. 1). Aux vv. 19-20, le ch. 60 reprend la proclamation de YHWH comme la lumière éternelle, terminant ainsi le chapitre par cette affirmation de la présence de YHWH au milieu de son peuple. Cette présence signifie l’instauration d’un règne de paix et de justice (60.17) et la fin de la violence, des dégâts et des brisements (60.18), des pleurs (60.20). Par leur style et leur contenu, ces textes ont été rapprochés des vv. 19-25a. Si tel est le cas que dire de leur relation avec 30.26? L’hypothèse de travail selon laquelle les vv. 19-25a* et 25b-33 représentent respectivement P1-S et P2-AP, deux éditions successives et différentes, qui interprètent les concepts selon leur perspective se vérifie ici en ce qui concerne le concept de YHWH, lumière. Dans le premier texte la lumière est sous-entendue dans le mot YP9 (Jos 10.12,13) bien qu’il y soit absent, mais son attestation dans 60.19, 20 en est une indication de taille. Tandis que dans le second passage, la lumière est portée par le terme K0« [. A la première acception est liée l’idée de la protection (YHWH le soleil et le bouclier) lors de la guerre (Dieu le guerrier). Le second concept traite de la purification et de la destruction par le feu (Ps 89.46; 90.7) ainsi que l’idée de la fureur de YHWH (1 R 22.13, 17) en plus de l’idée de la guerre (27.4; 34.2; 42.25). La fureur de YHWH est un concept lié à la tradition de Moïse. En effet, Moïse par son intercession a détourné la fureur de YHWH contre Israël (Ex 32.11-14; Ps 106.23). Une intercession semblable à celle faite par Daniel en faveur de son peuple (Dn 9.16). L’absence du terme K0« [ dans le ch. 60 et son attestation dans les chs. 63 et 66 permettent de rapprocher 30.26 de ces derniers chapitres. Pour plus de détails, nous
278 L’absence de la lumière comme signe de jugement contre Babylone.
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procédons à la comparaison de 60.19-20 et 30.26, deux textes qui abordent le thème de la lumière du soleil et celle de la lune. Es 30.26:
K0« [KU$D.KQ«E« /KU$DK\«K« Z! Et la lumière de la lune sera comme celle du soleil
Es 60.19:
O« U\DL\« DO^[UH/« K\K\,DO^ Le soleil ne sera plus pour toi la lumière du jour et la lune avec sa clarté ne brillera plus pour toi
Es 60.20:
aO« $>U$DO/« K\K\,KZ«K\!\.L#VHD« \(DO^[HUH\Z,YHPYLG$>D$E\«DO^ Le soleil ne se couchera plus et la lune ne disparaîtra plus. Car YHWH sera pour toi la lumière éternelle.
La lecture de ces textes en traduction, française pour notre cas, conduit parfois à perdre de vue leur différence. Pourtant, lus en hébreu, ces textes livrent leur secret. Ils sont totalement différents aussi bien sur le plan littéraire que thématique. Sur le plan littéraire, le soleil et la lune portent des noms différents dans les deux textes, respectivement K0« [ et KQ EO « (30.26) et YPY et [UH\ (60.19)279. Le couple n’est attesté que 3 fois (24.23; 30.26; Qo 6.10)280 En 24.23281 dans le cadre du bouleversement de toute la terre la souveraineté de YHWH est proclamée sur la « conmontagne de Sion et à Jérusalem. Alors que le couple K0«[ - KQ EO firme un contexte apocalyptique, YPY et [U\H représentent respectivement les rédactions (RC-Dtr) et P1-S282. Ce survol statistique permet d’observer que l’emploi du couple YPY [UH\ est très fréquent dans la Bible hébraïque, comparativement au couple K0«[ - KQEO « . Du fait que 60.19-20 et 30.26 emploient chacun des termes différents pour le concept de la lumière, il est plus évident de confirmer d’une part, l’origine différente de ces deux textes et d’autre part, le rapprochement de 30.26 de la rédaction apocalyptique. Il est d’autre part vrai que la racine EO d’où dérive le substantif KQ EO « est également attestée dans le livre de Daniel dans ce qui est appelé communément «la grande vision finale» et dans le contexte de la purification des fidèles (Dn 11.35; 12.10). Si le rapprochement avec le livre de 279 L’emploi fréquent du son est une des caractéristiques de la rédaction de l’époque perse. 280 O. KAISER , Der Prophet Jesaja, Kap. 13-39, 1973, p. 241. 281 Ibid. 282 Gn 37.9; Dt 4.19; 17.3; Jos 10.12, 13; 2 R 23.5; Ps 104.19; 121.6; 148.3; Es 13.10; 60.19, 20; Jr 8.2, 31.35; Ez 32.7; Jl 2.10; 3.4; 4.15; Ha 3.11; Qo 12.2.
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Daniel s’avérerait correct, alors nous aurions à faire au contexte de la purification d’Israël en vue du bénéfice des promesses du règne de Dieu283. La purification suppose l’affinement par la chaleur comme dans le cas de l’or. C’est peut-être ce qui explique l’amplification sept fois de la lumière du soleil (K0« [) pour produire quelque chose de plus raffiné. C’est le sens de la racine KP[ «réchauffer, devenir chaud». La notion de l’amplification sept fois de la lumière est attestée dans le livre du Jubilée (1.29; 19.25)284, mais aussi dans l’épisode des amis de Daniel (Dn 3.19) où il question de la multiplication sept fois de la fournaise. Es 30.26 est une des preuves des ajouts rédactionnels très tardifs intervenus au 2e siècle avant notre ère dans la rédaction du livre d’Esaïe. Le thème de Dieu soleil est également développé dans l’iconographie du Proche Orient ancien285. L’apparition de la lumière est à l’origine de l’œuvre créatrice de Dieu (Gn 1.3-5, 18). Il n’est pas exclu que le rédacteur en utilisant le concept de lumière fasse allusion à la théologie de la création et à la proclamation de YHWH comme Dieu créateur de toute chose. La souveraineté de YHWH se révèle à travers sa capacité de créer. En effet la lumière fait partie des premières œuvres créatrices de Dieu: U$D\KL\Z! U$D \KL\! a\KLOD^ UPDV@ K1(KL (Jr 23.19; 30.23)319. Le recours par les rédacteurs apocalyptiques à l’anthropomorphisme divin dans un contexte de jugement permet de confirmer la stratégie rédactionnelle consistant à réutiliser les traditions anciennes, notamment la tradition de l’exode. Cette tradition aurait été relue à la chute de Juda en 587, à l’époque perse dans l’interprétation de la chute de Babylone, puis à l’époque apocalyptique en vue d’expliquer le déclin de l’empire séleucide. Ces observations se vérifient également en ce qui concerne l’étude de l’expression T[«U0 ! P L «de loin». En effet, cette expression est employée dans le cadre de la ruine de Juda qui viendra de loin (10.3), du malheur contre Babylone (13.5) et des nations qui fuient devant la menace de YHWH (17.13), au moment où les yeux contemplent le roi dans sa beauté (33.17). Lors de l’étude du v. 25b, le texte de 33.17ss a été identifié comme un passage clé dans la compréhension du concept de massacre (JUK) . Le fait que ce texte se rapporte à un mot du v. 27 confirme une fois de plus le rapprochement littéraire entre les vv. 25b-26 et les vv. 27-33. 318 Selon le Talmud, un faux témoin du nom de Belkira, d’origine samaritaine, proféra contre Esaïe les chefs d’accusation suivantes: a) il avait annoncé la destruction de Jérusalem. b) Il s’était proclamé supérieur à Moïse. Car Moïse avait dit «nul ne verra Dieu et restera en vie, mais Esaïe a dit: j’ai vu Dieu et me voici en vie». Cf. E. JACOB, Esaïe 1-12, 1987, p. 9. 319 La particularité de ces textes réside dans le fait que le verbe KDF\ n’est ni au Qal part présent ni ne vient après le terme YHWH.
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Le terme T[« U!0PL «de loin» montre l’origine et la destination de YHWH, de son nom. D’où vient-il exactement? Pour certains auteurs, YHWH vient de Sion320, tandis que pour d’autres, il vient du ciel321. D’autres encore privilégient Sinaï322. J. Watts préfère parler de n’importe où, car YHWH n’est pas lié à un endroit323. Avant de décider, il faudra d’abord examiner la destination finale de celui qui vient, comment et pour quel but il vient. Au v. 27, rien n’est dit sur la destination finale de celui qui vient. Les traces de cette destination sont signalées au v. 29 par l’expression ODHU«I\ , U:FOD KZK\!UKE «dans la montagne de YHWH, vers le Rocher d’Israël». Dans la mesure où ce dernier verset ferait partie de la même unité que le v. 27, la destination finale serait alors «la montagne de YHWH». Comme lieu du salut d’Israël et du châtiment des ennemis, cette montagne est identifiée avec Sion (24.23). Il faut remarquer que ce texte emploie les mêmes termes que 30.26 pour désigner la lune et le soleil comme on peut le voir dans ce tableau. Es 30.26
U$D.a\,W>« EYLK\K\,K0« [KU$DZ!K0« [KU$D.KQ«E« /KU$DK\«K« Z! Et la lumière de la lune sera comme celle du soleil et la lumière du soleil sera sept fois comme la lumière…
Es 24.23
aOLY« :U\EL:$H%R «brûlant de colère et lourd de fumée», a>] :DOP« Z\W«SI « «ses lèvres sont remplies d’indignation» et WON« DR YDH. $Q$YO: «et sa langue comme un feu dévorant», le v. 27 nous présente YHWH dans une manifestation théophanique où le motif du feu dévorant est dominant pour symboliser la colère et l’indignation de YHWH [Cf. K0« [. (v. 26) et le verbe U>E (v. 27)]. Dans le Ps 83.1-15, le verbe U>E est employé dans le contexte de la menace des nations et peuples ennemis d’Israël. Les ennemis concernés sont «les gens d’Edom, les Ismaélites, Moab, les enfants d’Hagar, Gueval, Ammon, Amaleq, la Philistie avec les habitants de Tyr. Le texte termine par «même Assour s’est joint à eux, prêtant main forte aux fils de Loth». La prière culmine par la demande à YHWH de faire tourbillonner ces ennemis comme de la paille en plein vent, tel un feu qui dévore la forêt afin qu’ils sachent qu’il porte le nom de YHWH, lui seul, le Très Haut sur toute la terre. Le but donc est de démontrer à toutes les nations de la terre la souveraineté absolue de YHWH. Il en est de même de Na 1.2-8, où le terme s’inscrit également dans un contexte de jugement contre les ennemis et les adversaires de YHWH. Dans une manifestation théophanique, la terre est bouleversée ainsi que tout l’univers habité. Toutefois, le motif du feu est aussi appliqué à Israël (Am 5.6), à Juda et Jérusalem (Jr 4.4; Lam 2.4) pour les purifier (Ml 3.2). La nature de celui qui vient est décrite avec des catégories humaines: cette venue s’accompagne des manifestations théophaniques: sa colère brûlante et lourde de fumée, ses lèvres sont remplies d’indignation et sa 324 Ces deux astres pourraient être une manière d’identifier l’Astre brillant, le fils de l’Aurore (Es 14.12) précipité à terre à cause de son arrogance (Es 13.10). 325 H. WILDBERGER, Isaiah 28-39, 2002, p. 195.
183
langue est comme le feu dévorant (v. 27). Ce sont des signes de la révélation de YHWH à son peuple. Il n’est pas exclu que les rédacteurs s’inspirent de l’ancienne tradition de la manifestation de YHWH à Moïse (Ex 3.2; Dt 9.15) et au peuple d’Israël (Ex 4.11-12; 5.23-24) qui avaient vu YHWH et n’en sont pas morts. Il n’est pas aisé de situer le lieu d’où vient YHWH. Peut-être qu’il vient du ciel (2 S 13) ou bien d’Edom (63.1). Il semble que l’important pour les rédacteurs ne soit pas le lieu de départ de YHWH mais plutôt sa destination finale. Ils voudraient souligner l’importance du Temple de Jérusalem comme lieu du salut d’Israël et du châtiment des nations. La justice de YHWH est décrite en 30.27 par les concepts suivants: – – – –
$3D U>H%,R a>] :DOP« Z\W«SI« , KD« )P« GEN,R WON« DR YDH. $Q$YO.
L’emploi du suffixe à la 3e pers. masc. sing. dans ces expressions est une manière de décrire la manifestation de la colère de YHWH. Il vise à présenter YHWH comme le Dieu vivant, agissant et puissant. Ces trois attributs soulignent sa souveraineté dans le contexte du châtiment des nations et des peuples. 3.4.5.2.2.1.1 YHWH brûlant de colère YHWH se révèle brûlant de colère semblable au feu dévorant. Cette catégorie est généralement appliquée au jugement ou au malheur qu’apporte YHWH. Elle se rapporte à l’histoire du désert (Nb 11.1-2), aux contextes royal et cultuel (2 S 22.8-9,13). Dans l’exode, la colère de YHWH rappelle la destruction du peuple à Taveéra lorsqu’il se lamenta devant YHWH. Le Sitz im Leben de la royauté et du culte se confirme avec la prière de David chantée lorsqu’il réclame la colère de YHWH contre ses ennemis (Cf. Ps 18.9). La racine U>E joue un rôle important dans les vv. 27-33 en ce fait qu’elle y revient deux fois, aux vv. 27 et 33. Elle introduit la péricope et la termine. Au v. 27, elle sert à qualifier la colère de YHWH, tandis qu’au v. 33, elle précise la nature du soufre qui brûle l’Assyrie ou son roi. Ce double emploi fait pivoter toute la péricope autour de la manifestation théophanique de YHWH contre les nations et les peuples 184
(vv. 27-29), d’une part, et contre l’Assyrie (vv. 30-33), d’autre part. La mention du jugement divin contre l’Assyrie précédée par celui contre des nations et peuples présente la péricope dans une structure symétrique. Le v. 27 introduit des nouveaux motifs qui s’apparentent à ceux du v. 26 précédent, en ce qu’ils ont trait aux éléments de la nature. Dans le v. 26 il est question de la lumière qui y joue un grand rôle. La manifestation de la lumière intervient au moment où YHWH guérit son peuple. Par contre, au v. 27 YHWH se manifeste par des éléments théophaniques (fumée lourde et feu dévorant) pour cribler les nations. YHWH brûlant de colère est avant tout le symbole de sa nature d’un Dieu qui juge. Il châtie aussi bien Israël que les nations et peuples étrangers. La colère de YHWH (KZK\!#D) contre les nations est également la réutilisation dans le contexte du châtiment des nations étrangères du concept utilisé jadis pour Israël326. Elle est en relation avec le jugement contre l’Assyrie (10.25; 30.30-31), contre Babylone (13.3; Jr 51.45), les pécheurs (13.6), les cieux (13.13), contre le roi de Babylone (14.6), contre Elam (Jr 49.37), contre les peuples (63.6), contre les nations et peuples en général (Jr 22.37-38). Ce jugement induit la restauration d’Israël (Jr 30.24; 32.31, 37; 33.5). C’est une action de Dieu lui-même qui les a foulés dans sa colère et les a écrasés dans sa fureur (63.3, 6). Cette fureur est un feu qui brûle toujours (65.5; 66.15). La manifestation de la colère de YHWH contre les nations fait du bien à Israël épargné désormais de cette colère. C’est cela que Daniel exprime dans sa prière (Dn 9.16). Nous avons encore ici une preuve de l’origine apocalyptique du concept de la colère de YHWH tel qu’employé au v. 27 et dans les chs. 63-66. Mais la question est de savoir d’où la rédaction ésaïenne tire ce concept. Nous avons été habitués à prendre la tradition de l’exode comme source d’inspiration, notamment la manifestation de la colère de YHWH contre Pharaon et les Egyptiens (Ex 15.8). En effet, c’est par le souffle de ses narines, anthropomorphisme pour parler de sa colère, que YHWH a détruit les chars et les forces du Pharaon.
326 Es 5.25; 9.11, 16,20; 10.4, 5; 42.25; Jr 4.8, 26; 7.20; 10.24; 12.13; 15.14; 17.4; 21.5; 23.20; 36.7; 42.18; 44.6; 52.3.
185
3.4.5.2.2.1.2 Ses lèvres remplies de fureur La colère de YHWH est encore illustrée par la proposition a>]:DOP« Z\W« S« I «ses lèvres sont remplies de fureur». Cette colère cadre avec la tradition de l’exode rapportée dans l’histoire de Balaam. Cet épisode a la royauté et le culte pour Sitz im Leben. En effet, sollicité par Balaq roi de Moab, pour maudire Israël, Balaam bénit au contraire Israël en évoquant avant tout la libération de ce peuple d’Egypte comme une œuvre grandiose de Dieu. La tradition royale dans un lieu cultuel est évoquée dans cette bénédiction lorsqu’il est dit: on n’observe pas de calamité en Jacob, on ne voit pas de souffrance en Israël. Le Seigneur son Dieu est avec lui; chez lui résonne l’acclamation royale327, Dieu l’a fait sortir de l’Egypte, il possède la force du buffle. Il n’y a pas d’augure en Jacob, ni de divination en Israël (Nb 23.21-22).
Le texte ajoute qu’Israël est un peuple qui se lève comme un fauve, qui se dresse comme un lion, ne se couche pas avant d’avoir dévoré sa proie et bu du sang de ses victimes. Une telle description correspond à celle dans 66.14328. Dans ce texte la communauté de Jérusalem est réconfortée, enthousiasmée, revigorée par la main de YHWH (KZ K\!G\)329 dans son indignation contre ses ennemis. Es 66.15 montre clairement que YHWH vient dans le feu, en guerrier, pour régler sa dette de colère par la fureur. La comparaison de 30.27 et 66.14-15 permet de conclure à l’appartenance de ces textes au même cadre rédactionnel. Es 30.27: Es 66.14
T[« U!0PLD%«KZ«K\!aYHK1(KL a>]:DOP« Z\W«S« IKD«)« PGENRZ!$3DU>H%R CWON« DRYDH. $Q$YO:a> CZ\E« \!DRWDa>] «Z!Z\G« E« >@WDKZ«K\!G\K>« G!$QZ! Mais la main (puissance) de YHWH sera connue à ses serviteurs et il sera indigné contre ses ennemis.
Es 66.15
D$E\«YDH%« KZ«K\!K1(KL\.L CYDH\EHK@O%$WU« >@JZ!$3DKP« [H%E\YLK« OZ\W« ER.U!PKS« :6NZ! Car voici YHWH vient dans le feu et ses chars sont comme la tempête pour changer sa colère en brûlure et sa menace en flamme de feu.
327 Israël peuple royal à cause de son attachement à YHWH et vu par ses ennemis est un thème évoqué en Es 33.17-24; 62.2ss. 328 L’origine tardive de la narration de Balaam est ici confirmée (Voir T. RÖMER, 2004). 329 Anthropomorphisme pour parler de YHWH. La forme répond à l’expression KZ«K\!aYH(30.27).
186
L’examen de ces textes permet d’observer des similitudes aussi bien sur le plan de la forme que du fond. Sur la forme il faut noter le recours au même vocabulaire concernant YHWH par le suffixe de la 3e pers. masc. sing. S’agissant du contenu, les textes décrivent la colère de YHWH qui vient sous forme d’un feu brûlant (30.27; 66.15)330 pour châtier ses ennemis. 3.4.5.2.2.1.3 Sa langue comme un feu dévorant L’expression WOND R YDH. «comme un feu dévorant» qui sert à décrire la langue de YHWH est rare dans la Bible hébraïque. En dehors du v. 27 elle n’est employée qu’en Ex 24.17 pour décrire la manifestation glorieuse de YHWH au mont Sinaï (Ex 24.17) lors de la conclusion de l’alliance. Le cadre est nettement cultuel. Car ce texte concerne les instructions de YHWH au sujet de l’organisation du culte que Moïse va recevoir, notamment les «tables de pierres: la Loi et les commandements» (Ex 24.12). La comparaison de 30.27 avec Ex 24.17 permet d’établir la dépendance entre ces deux textes comme on peut l’observer dans ce tableau. Es 30.27 Ex 24.17
CWON« DRYDH.$Q$YO:a>]:DOP« Z\W« S« IKD« )« PGENRZ! CODHU« I\,\Q(%\Q(\>HOUK«K« YDUR%WONDRYDH.KZ«K\!G$E.KDHU!P: L’aspect de la gloire de YHWH (était) comme le feu dévorant au sommet de la montagne aux yeux des enfants d’Israël.
Les deux textes emploient textuellement l’expression WON«DR YDH. dans des contextes différents. Alors qu’Ex 24.17 place la manifestation de la gloire de YHWH au sommet du Sinaï, 30.27 la situe à Jérusalem. Dans les deux contextes, il s’agit de la célébration du culte devant YHWH. Le cadre de la montagne comme manifestation de YHWH afin de sauver son peuple revient en 30.29. La montagne de YHWH est le lieu où à cœur joie et en chantant, le peuple monte nuitamment pour célébrer la fête. Considérant la rareté de l’expression WON« DR YDH. dans la Bible hébraïque et son attestation dans les deux textes identifiés ci-dessus d’une part et étant donné la coïncidence des thèmes qui y sont développés
330 Le mot
KP« [H en 66.15 est le même en 30.26. 187
d’autre part, nous affirmons voir dans 30.27 l’influence de la tradition de l’exode. La manifestation de la gloire de YHWH est le point par lequel culmine 30.27ss. Si le nom de YHWH vient dans toute sa colère, c’est pour juger les nations et leur manifester sa puissance (Jr 15.17). Parce que YHWH se manifeste comme le roi éternel (Jr 10.10), les nations tremblent devant sa fureur (Jr 15.17). Il vient avec son souffle semblable à un torrent débordant. 3.4.5.2.2.1.4 Son souffle: un torrent débordant L’évocation du souffle de YHWH (30.28) vise ici à présenter YHWH comme le Dieu vivant (Gn 1.2). L’emploi du terme $[:U à la fin de la description de l’apparition de YHWH poursuit un double objectif. Il vise d’une part à laisser le texte culminer par la gloire de YHWH, et de l’autre à présenter le ch. 30 comme un ensemble cohérent structuré par le concept du souffle de YHWH. En effet ce concept ouvre le chapitre au v. 1 dans la condamnation des «fils rebelles» à cause du versement des libations et leur confiance au Pharaon et l’Egypte pour obtenir la protection et l’asile (vv. 1-3), et le clôt par la destruction des nations et des peuples étrangers, l’Assyrie en tête au moment où Israël revient joyeux vers YHWH, son Rocher (vv. 25b-33). Les rédacteurs apocalyptiques réutilisent un concept qui jadis s’appliquait contre Israël331/ Juda,332 mais qui, dans un nouveau contexte, devient un oracle de malheur contre les nations333. Cette stratégie rédactionnelle est également manifeste par exemple en ce qui concerne l’expression UD:F G> illustrant la catastrophe de 587 (8.8; Jr 27.2,8,11,12). Cette expression contient l’idée du débordement.334 Le concept du souffle de YHWH contre les nations étrangères appartient à la tradition de l’exode, en rapport avec les plaies d’Egypte (Ex 10.13, 19), la traversée de la mer rouge par les Israélites (Ex 14.21; 15.8) et l’engloutissement du Pharaon et de son armée (Ex 15.10). La tradition de l’exode en ce qui concerne l’anéantissement du Pharaon et des Egyptiens est toujours à la base de la rédaction des oracles contre
331 332 333 334
188
Os 13.15; Am 4.13. Es 29.10; 30.1; Jr 4.11; Ez 1.4; 3.12, 14ss; Cf. Es 32.2, 15; 34.16; 57.13, 15,16; 59.19, 21; 63.10, 11,14; 66.2. O. KAISER , Der Prophet Jesaja, Kap. 13-39, 1973, p. 244.
les nations étrangères; contre Babylone (Jr 51.1). Le souffle s’inscrit dans le cadre du jugement (4.4). Dans ce texte, il est appliqué aussi bien au jugement qu’à l’incendie au moment où YHWH restaure le reste de Sion, les survivants de Jérusalem. Lorsqu’il souffle, il secoue et agite (7.2). Il fait mourir le méchant. C’est cela qu’il provoque en 30.28. 3.4.5.2.2.2 Le crible des nations et la neutralisation des peuples La manifestation de la colère et du souffle de YHWH poursuit un double but: cribler (#$Q) les nations et placer le mors d’égarement sur les mâchoires des peuples (30.28b). 3.4.5.2.2.2.1 Les nations dans le crible de destruction La première action divine contre des nations consiste à les cribler. La racine #ZQ comporte deux acceptions. D’un côté, elle a le sens d’asperger (Pr 7.17) et répandre (Ps 68.10). De l’autre, la racine signifie «faire un mouvement avec, lever la main (en geste de menace), présenter une offrande avec un geste rituel de va-et-vient»335. Dans ce second sens, elle est attestée 35 fois336 dans la Bible hébraïque. La prédominance des occurrences dans le livre du Lévitique suppose l’origine cultuelle de la racine #ZQ. Dans ce livre elle cadre avec la tradition de l’exode (Ex 29.24, 26, 27). En effet, l’agitation de la main est le mouvement que le prêtre fait au moment de brûler les sacrifices. La mention d’Aaron est un indice de l’origine cultuelle de la racine. L’emploi au v. 28 de la racine #ZQ à la fois comme verbe et substantif est également attesté dans Ex 29.24, 26 comme le tableau ci-dessous le montre: Ex 29.24:
\3H.O>Z!URK@D\3H.O>O.RK7«PIZ! CKZ«K\! \Q(SOLKS« :Q7aW« DR7« SQKHZ!Z\Q«E« Tu mettras tout cela sur la main d’Aaron et sur la main de ses enfants et tu les agiteras fortement en face de YHWH.
335 P. REYMOND, Dictionnaire d’hébreu et d’araméen biblique, 2002, p. 242. 336 Ex 20.25; 29.24, 26,27; 35.22; Lv 7.30; 8.27, 29; 9.21; 10.15; 14.12, 24; 23.112, 12,20; Nb 5.25; 6.20; 8.11, 13, 15,21; Dt 23.26; 27.5; Jos 8.31; 2 R 5.11; Es 10.152; 11.15; 13.2; 19.16; 30.28; Za 2.13; Jb 31.21.
189
Ex 29.26:
URK@DOUYD@a\DL/X0LKO\DHPHK][« KWD7«[TO« Z! CKQ«P« OAOK\«K« Z!KZ«K\!\Q(SOL KS« :Q7$WDR7« SQKHZ! Mais tu prendras la poitrine du bélier qui (a été utilisé) à la consécration d’Aaron et tu agiteras fortement en face de YHWH et il sera la portion pour toi
30.28:
KF[\UD:«FG>#MH$YO[Q.$[:UZ! Ca\0L>\\([« OO>K>WP VUZ!DZ!Y« WSQ%« a\,$JKS« QK« @O et son souffle comme un torrent débordant monte jusqu’au cou. Il vient pour agiter les nations dans un crible de destruction et mettre sur les mâchoires des peuples un frein pour les entraîner.
30.32:
a\3LWX%Z\O« >« KZ«K\![\Q,\« UYD@KG« V« :PK-HPUE>@PO.RK\«K« Z! C+%« a[OQ,KS« :Q7W$P[@OPLE:W$U12NLE: Et chaque coup de bâton du destin sera suivi par le son des tambours et des lyres et il le frappera dans le combat en brandissant sa main.
L’examen rapide de ce tableau permet d’observer le double emploi de la racine #ZQ dans Ex 29.24, 26 et Es 30.28 et celui du substantif dans Es 30.32. Nous avons ici une preuve de la réception dans le texte d’Esaïe de la tradition de l’exode. En effet, en employant la racine #ZQ dans le contexte du châtiment contre les nations ennemies, les rédacteurs ésaïens leur appliquent le sort qui était réservé aux sacrifices par le feu. La racine #ZQ est également identifiée au v. 32, à travers KS« :Q7. Ce mot précise comment YHWH exterminera ses ennemis: en levant sa main. Ce geste caractérise la tradition de la guerre de YHWH337 contre l’Assyrie qui sera calcinée par le feu du soufre (v. 33) comme les sacrifices sur l’autel de YHWH. L’emploi du concept du sacrifice dans les vv. 28, 32 et 33 indique la relation littéraire entre ces trois versets et permet de conclure que l’Assyrie (v. 32) ou son roi (v. 33) représente les nations et les peuples (v. 28). Dans le livre d’Esaïe le mouvement de la main de YHWH pour châtier concerne aussi bien Juda (10.32) que les nations étrangères, particulièrement: l’Assyrie (10.15), Babylone (13.2), l’Egypte (19.16) et globalement les peuples (30.28b; 63.12). Dans ce dernier texte, la racine #ZQ est employée à la fois dans sa forme verbale que substantive. Comme substantif KS« Q «crible» est un hapax legomenon dans la Bible hébraïque.
337 M.-J. MULDER , «WS7R» in THWAT, 1995, col. 746.
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Composé à l’état construit avec DZ!Y« «malheur, ruine, dévastation», le terme sert à la fois à mettre l’emphase sur l’action de cribler les nations, mais aussi à marquer le caractère pulvérisant de la ruine que subissent les peuples. L’agitation des ennemis à la manière des sacrifices offerts à YHWH est une métaphore pour exprimer leur impuissance à résister contre l’action destructrice de YHWH. Ce concept est renforcé par le placement du mors d’égarement. 3.4.5.2.2.2.2 Des peuples égarés par le mors La deuxième action divine vise à placer le mors d’égarement sur les mâchoires des peuples. En 30.28b, VU «mors» est construit avec K>WP , le Hi. participe présent de K>W «(qal) s’égarer, vaciller, tituber; (nif) s’égarer, vaciller, tituber; (hi) égarer, faire vaciller, faire tituber»338. Une telle combinaison n’est attestée nulle part ailleurs dans la Bible hébraïque. VU est un mot qui s’inscrit dans le contexte cultuel. Ensemble avec JWP (bride), il sert d’instrument pour freiner la fougue du cheval ou de la mule (Ps 32.9). Dans ce Psaume YHWH s’adresse au fidèle à qui il promet de lui indiquer la route et de lui donner un conseil en veillant sur lui. Toutefois il l’avertit de ne pas suivre la stupidité du cheval et de la mule qui ne peuvent bien aller qu’à l’aide du mors. On se sert donc du mors pour empêcher l’animal d’agir selon son gré, afin de le soumettre à son guide. Ainsi le fait pour YHWH de faire porter aux peuples un mors est une manière de souligner sa souveraineté sur eux et leur impuissance à résister à son action punitive. Et cette action consiste à les égarer (K>W). La racine K>W est attestée 51 fois339 dans la Bible hébraïque. Elle s’inscrit dans le cadre de la loi de l’alliance (Ex 23.4). YHWH recommande de ramener à l’ennemi son bœuf ou son âne égaré. Cette instruction vise à la fois la pratique de la justice et le retour de l’animal à son propriétaire et non l’abandon à sa perte. L’utilisation de la racine en 30.28 est dans la ligne de cette interprétation. En effet, lorsque YHWH
338 P. REYMOND, Dictionnaire d’hébreu et d’araméen biblique, 2002, p. 408. 339 Gn 20.13; 21.14; 37.15; Ex 23.4; 2 R 21.9; Es 2.12; 9.15; 16.8; 19.13,14; 21.4; 28.7; 29.24; 30.28; 35.8; 47.15; 53.6; 63.17; Jr 23.13, 32; 42.20; 50.6; Ez 14.11; 44.10,15; 48.11; Os 4.12; Am 2.4; Mi 3.5; Ps 58.4; 85.10; 107.4,40; 119.110,176; Jb 12.24,25; 15.31; 38.41; Pr 7.25; 10.17; 12.26; 14.22; 21.16.
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place le mors d’égarement sur les mâchoires des peuples, il vise à les laisser aller impuissants à leur disparition. Une telle attitude est en accord avec les contextes royal et cultuel, notamment le règne de Manassé. Ce dernier a égaré le peuple en l’impliquant dans la pratique de l’idolâtrie surtout dans le Temple (2 R 21.9// 2 Ch 33.9). L’évocation de Manassé n’est pas fortuite. Ce roi a contribué lors de la domination assyrienne à favoriser le syncrétisme dans le Temple de Jérusalem. L’idolâtrie fut considérée par les milieux deutéronomistes comme le plus grand égarement du peuple et de son roi (2.6; 3.12). L’égarement d’Israël par ses dirigeants rois, prêtres, prophètes, etc. s’est poursuivie jusqu’à conduire d’abord Samarie à la ruine en 722 (9.15; Os 4.12; Am 2.4; Mi 3.5), puis à la catastrophe de Jérusalem en 587340. Après l’exil le peuple reconnaît avoir erré comme des brebis (29.24; 53.6; Ps 85.10), mais maintenant il retrouve le chemin, même les insensés ne pourront plus s’égarer (47.15). Es 30.28 renverse la situation. YHWH place sur les mâchoires de ces peuples un mors d’égarement, alors qu’Israël retrouve le droit chemin (Cf. Ps 32.8-9). C’est le cas de Moab à cause de son orgueil (16.6-14), de l’Egypte (19.13-14). Une telle situation est rapportée dans 63.17ss. Dans ce texte, Israël se plaint d’être laissé égarer par YHWH, loin de ses chemins. Autrement dit, il exige de YHWH de lui montrer le chemin et, en même temps, qu’il l’appelle à venir lui faire justice contre ses ennemis. Il souffre de la persécution dont il est victime, de la profanation et de l’incendie du Temple, ainsi que de l’interdiction d’y accéder (64.10). Les ennemis seront brûlés par YHWH qui interviendra sur sa montagne comme un feu dévorant (64.1), pendant que le peuple chantant et le cœur joyeux entre nuitamment en procession vers la montagne de YHWH, vers le Rocher d’Israël (30.29). Nous avons précédemment conclu au rapprochement entre la péricope en étude et les chs 63-66 d’Esaïe, à partir du développement par ces textes du thème du malheur des nations ennemies de YHWH, au moment même du salut d’Israël. Ce malheur est illustré en 30.25 par le massacre.
340 Es 28.7; Jr 23.14, 32; 50.6; Ez 14.11; 44.10, 15; Ps 58.4.
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3.4.5.2.2.3 Massacre des nations et écroulements des tours Le v. 25b commence par une scène macabre, celle du grand malheur. Il s’agit du déroulement d’un grand massacre (EU« JUK) et de l’écroulement des tours (a\OL'J« P ! L OSRQ%! )L . Alors que ce verset présente cette image des ténèbres, de châtiment, le v. 26 livre une autre image, exaltante, celle de la lumière, de la guérison. Dans les deux cas le texte se tait sur l’identité des destinataires de ces deux actions. Aussi allons-nous dans les pages qui suivent essayer de les découvrir. Le grand massacre et l’écroulement des tours caractérisent la scène qui se passe sur toute la montagne haute (KER* UKO.« O>) et sur toute la colline élevée (KD« )Q« , K>« E* , O.« O>). Les rédacteurs du v. 25b empruntent ces expressions du v. 25a pour circonscrire le cadre de leur texte bien qu’ils n’appartiennent pas au même contexte rédactionnel et historique. L’emploi parallèle de UK«montagne» et de K>« E* , «colline» est attesté dans le chapitre 30 au v. 17 dans un contexte de jugement où les fuyards une fois rattrapés par leurs poursuivants restent comme un signal sur la montagne et un étendard sur la colline. Comme nous le verrons plus tard341, le v. 17 fait de la montagne et de la colline les lieux de la destruction des nations étrangères, en particulier celle du roi Antiochus Epiphane IV. Il s’agira dans notre démarche de vérifier si les vv. 25bss corroborent cette conclusion. En outre nous devons examiner comment les traditions de l’exode et royale de David influencent la rédaction de la péricope. Nous serons également amenés à vérifier si le culte en constitue le Sitz im Leben. Pour y parvenir nous analyserons systématiquement les concepts principaux du texte, notamment le grand massacre et l’écroulement des tours. 3.4.5.2.2.3.1 Des nations victimes du grand massacre La racine JUK «massacrer» est attestée 172 fois342 dans la Bible hébraïque dont 9 fois343 dans le livre d’Esaïe. L’inventaire des mentions chez Esaïe permet de les classer dans deux catégories. Les unes concernent les oracles de malheur (10.4; 22.13) tandis que les autres se rapportent au 341 3.5.2.5.6. 342 Es 27.7; 30.25; Ez 26.15, Pr 24.11; Est 9.5. 343 10.4; 14.19, 20, 30; 22.13; 26.21; 27.1, 7; 30.25.
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salut d’Israël au moment du châtiment des nations étrangères344. Es 10.4 et 22.13 concernent la catastrophe de 587, alors qu’en 14.19-20, le terme illustre la mort de l’Astre brillant, le Fils de l’Aurore, une autre appellation d’Antiochus Epiphane IV345. Ainsi, nous avons à faire dans ce texte à une origine apocalyptique. Il est question de ce contexte dans 26.21 où le massacre est l’œuvre de YHWH qui sort de son lieu ($P$T0PL DFH\2 KZK\! K1(K)L . Par comparaison avec T[« U0! P L D%« KZ K\!aYH K1(KL (30.27), il y a lieu de rapprocher ces deux expressions ainsi que la rédaction des textes qui les présentent. La sortie de YHWH vise la destruction du Léviathan, le Dragon de la mer (a@O, \[L:UDO^Z! KN« 6P H VRQO! L et :OD« Y« DO^\SL:a\,UF P L WGUO .« Tandis qu’aux vv. 4-5, la négation correspond à ce que le peuple, non identifié, ne peut pas faire: O\>L$KODO^Z! U]>O H DO^$PO« et^ :O\>L$\DO^ a>O>. En outre, les vv. 4-5 reprennent, sans fidélité, le vocabulaire des vv. 1-3, en particulier la racine YZE. Celle-ci est employée sous une forme verbale, Y\ELKR (v. 4) et substantive, WYER (v. 5). C’est cette forme qui se trouve aussi au v. 3. Certains critiques ont vu dans l’emploi de WYER un signe d’inclusion380. Mais cette hypothèse est vite contredite par le remplacement du K0« O. L , au v. 3, par K3«U[! au v. 5. Ce dernier mot est aussi attesté dans la littérature apocalyptique (Dn 9.16; 11.18; 12.2) où le terme K0« O. L est ignoré. L’analyse du contenu de ces textes renforce nos observations. Contrairement aux vv. 1-3, les vv. 4-5 donnent moins de détails sur les griefs reprochés aux destinataires. L’explication possible est que les vv. 4-5 constitueraient la réception tardive des vv. 1-3. Ils s’y appuient en les complétant. C’est cela qui justifie la place de \.L entre les vv. 1-3 et 4-5. Le dernier critère d’analyse est la désignation des destinataires dans la parole de jugement. Au v. 3, les destinataires sont désignés par aNO« «à vous», tandis qu’au v. 5, c’est $PO« «à eux». Prises en compte, ces différentes observations militent en faveur de la séparation des vv. 4-8 des vv. 1-3. Une fois la démarcation établie entre les vv. 4-8 avec le texte précédent, il nous revient à présent de préciser la position du v. 8 dans la péricope et par rapport au texte qui suit (vv. 9-14). La situation de 30.8 fait l’objet d’un débat dont les avis pourraient être repartis en quatre groupes. Pour le premier groupe ce verset est pris 380 W. H. IRWIN, Isaiah 28-33, 1977, p. 75.
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pour un élément indépendant381. Dans le second groupe, le v. 8 est attaché au texte suivant382, au v. 7383. Pour le troisième groupe, le v. 8 embrasse à la fois le v. 7b et les vv. 9-11384. Cette dernière hypothèse combine les deux tendances contradictoires. D’une part elle rend justice à ceux qui pensent que l’ordre d’écrire au v. 8 concerne Rahav (v. 7)385, et d’autre part elle donne raison à ceux qui lient cet ordre au péché dont il est question dans les versets suivants (vv. 9ss)386. La position à cheval entre ces deux hypothèses n’aide pas à régler l’épineux problème de la détermination de la situation du v. 8. Car deux vraies questions méritent des réponses, à savoir: à qui est donné l’ordre d’écrire et quel est le contenu de l’inscription? La réponse à ces questions exige le choix entre l’attachement du v. 8 soit au texte précédent soit à celui qui suit. La détermination du sort du v. 8 dans le ch. 30 permet également de répondre à la question de la délimitation de la péricope en étude. Le v. 8 est relatif à l’ordre d’écrire. La présence du suffixe 3e fem. sing. dans les verbes à l’impératif +E« WN« et +4«[X a amené certains commentateurs à coller le v. 8 aux vv. 9ss387, faisant du péché qui y est dénoncé le contenu de l’écrit.
381 W. EICHRODT , Der Herr der Geschichte: Jesaja 13-23 und 28-39, 1967, p. 169. 382 O. KAISER , Der Prophet Jesaja, Kap. 13-39, 1973, pp. 233-234; R. E. CLEMENTS, Isaiah 1-39, 1980, p. 246; J. N. OSWALT, The Book of Isaiah 1-39, 1986, p. 548; R. KILIAN, Jesaja 13-39, 1994, pp. 174-175; U. BECKER, Jesaja – von der Botschaft zum Buch, 1997, pp. 251-255; W. BRUEGGEMANN, Isaiah 1-39, 1998, pp. 242243; B. S. CHILDS , Isaiah, 2001, p. 226. 383 P. HÖFFKEN, Das Buch Jesaja, Kapitel 1-39, 1993, pp. 209-210; J. BARTHEL, Prophetenwort und Geschichte, 1997, pp. 404-406, 414-416. 384 W. DIETRICH, Jesaja und die Politik, 1976, p. 143. 385 O. KAISER , Der Prophet Jesaja, Kapitel 13-39, 1984, 3ème éd., p. 234. 386 R. KILIAN, Jesaja 13-39, 1994, 175; U. BECKER , Jesaja – von der Botschaft zum Buch, 1997, p. 254. 387 H. DONNER, Israel unter den Völkern, 1964, p. 161; G. FOHRER, «Entstehung, Komposition und Überlieferung in Jesaja 1-39», in BZAW 99, (1967) p. 144; O. KAISER, Der Prophet Jesaja, Kap. 13-39, 1973, p. 233; F. HUBER , Jahwe, Juda und die anderen Völker, 1976, p. 136; H. BARTH, Die Jesaja-Worte in der Josiazeit, 1977, pp. 279-280; H. WILDBERGER, Isaiah 28-39, 2002, p. 143; R. E. CLEMENTS, Isaiah 1-39, 1980, p. 246; U. BECKER , Jesaja – von der Botschaft zum Buch, 1997, pp. 250-251; W. BRUEGGEMANN, Isaiah 1-39, 1998, p. 243; W. A. M. BEUKEN, Isaiah chapters 28-39, 2000, p. 159; J. BLENKINSOPP, Isaiah 1-39, 2000, p. 415; B. S. CHILDS , Isaiah, 2001, p. 226.
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En considérant le but de l’ordre d’écrire, nous nous rendons compte qu’il vise à laisser des traces pour l’avenir388: pour le jour à venir ($U[@D a$\O), à perpétuité (aO«$>G> G>O)« . En répondant à la question du but, nous voulons également répondre à celle du contenu de l’écrit. Pour répondre à ses deux questions, nous partirons de l’analyse du but de l’ordre d’écrire. En relation avec le livre USV,H $U[@D est attesté principalement dans le livre des Chroniques389. Dans le Psautier, l’expression $U[@D U$G «génération à venir» est employée 3 fois (Ps 48.14; 78.4, 6; 102.19) avec la racine USV et 1 fois (Ps 102.19) avec la racine EWN. Dans ces passages, le verbe USV a le sens de raconter, proclamer ou annoncer. Dans des oracles de salut, Israël est invité à annoncer à la génération à venir (Ps 48.14) que YHWH est son Dieu à jamais (Ps 48.15). Cette proclamation qui a lieu lorsque YHWH terrasse les nations ennemies, vise la reconnaissance de sa souveraineté par toute la terre à partir de Sion, sa montagne sainte. Dans ce psaume, le psalmiste chante tout joyeux la grandeur et la souveraineté de YHWH, comblé de louanges dans sa ville, sa montagne sainte (Ps 48.2). A cause de cela, Sion réjouit toute la terre (Ps 48.3a). Car elle est la cité du grand roi (Ps 48.3b), qui n’est autre que YHWH, le Dieu connu comme la citadelle (Ps 48.4). C’est vers lui que tous les rois se dirigent (Ps 48.8) pour être épouvantés (Ps 48.6). Il déclenche un tremblement pour les clouer sur place et envoie le vent d’Est pour fracasser les bateaux de Tarsis (Ps 48.8). Dans le Ps 78.4-6 Israël prend la résolution de ne pas taire à la génération suivante ($U[@D U$G) les titres de gloire de YHWH, sa puissance et les merveilles qu’il a faites (Ps 78.4). Parmi ces merveilles, il y a surtout le miracle en terre d’Egypte, au pays de Tanis. La suite du psaume relate l’histoire de l’exode de l’Egypte en passant par le désert. Y a-t-il un rapport entre le Ps 78 et Es 30.4-8*? Certes oui. Aussi bien par la mention de l’Egypte que par celle de Tanis (Tsoan), le Psaume 78 se rapproche de 30.4-8*. La honte et l’opprobre que les «princes» et «les rois» récoltent auprès du peuple d’aucune utilité, assorti de la désignation de l’Egypte par Rahav, visent à proclamer YHWH comme source de sécurité. Non seulement il proclame l’inutilité de l’Egypte, mais il l’a déjà vaincue. La première victoire divine sur l’Egypte, qui devra demeurer à jamais dans l’imaginaire collectif d’Israël est celle qui remonte à l’exode. 388 P. HÖFFKEN , Das Buch Jesaja, Kapitel 1-39, 1993, p. 210. 389 1 Ch 29.29; 2 Ch 9.29; 12.15; 16.11; 20.34; 25.26; 26.22; 28.26; 35.27.
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La meilleure façon de la graver dans la mémoire du peuple d’aujourd’hui et des générations futures est de l’inscrire dans le livre. Cette interprétation règle à la fois le problème du contenu de l’inscription, et par ricochet celui de la relation intertextuelle entre le Ps 78 et Es 30.4-8*. Par conséquent le contenu de l’inscription n’est autre que WEY« aKHEKU390. L’inscription de ce nom d’un monstre mythique résout le problème de la désobéissance d’Israël à cause de l’Egypte. Parce que Rahav a été vaincu, Israël devra, de génération en génération, placer sa confiance en YHWH, en n’oubliant plus jamais ses exploits, ses commandements, «pour ne pas être comme leurs pères, la génération indocile et rebelle, la génération au cœur inconsistant, dont l’esprit ne se fiait pas à Dieu» (Ps 78.7-8). Ce dernier texte donne le sens de l’écriture, éclairant ainsi la compréhension de 30.4-8*. Par conséquent le v. 8 se rapproche directement des vv. 4-7*, à cause du thème de l’Egypte. Toutefois, placé dans le contexte littéraire général du ch.30, le v. 8 anticipe le contenu des vv. 9-14 relatifs au châtiment de ceux qui ont rejeté YHWH et sa parole391 afin d’aller pratiquer l’idolâtrie en Egypte. Ps 78.7-8 rend compte de cette relation entre l’inscription pour des générations futures et la rébellion des générations antérieures. L’on comprendra parfaitement bien que 30.8 se rapproche surtout du v. 7 lorsqu’on considère la désignation d’Egypte en tant que Rahav. Le rapprochement établi précédemment entre Es 30.8 et les Ps. 48 et 78, nous permet également de chercher dans le Psautier l’évocation de l’Egypte comme Rahav. Ce dernier est attesté 2 fois dans le Psautier (87.89; 89.11). En Ps 89.11, le psalmiste chante la grandeur redoutable de YHWH, Dieu de puissance et incomparable. Par sa force, il a maîtrisé l’orgueil de la mer et écrasé le cadavre de Rahav (Cf. 51.9). Ce Psaume évoque la victoire de YHWH sur Rahav, le monstre marin dans le contexte de l’œuvre de la création: «A toi les cieux! À toi aussi la terre! Le monde et ses richesses, c’est toi qui les créas». De la proclamation de l’œuvre puissante de création, il est question également dans le Ps 102.19 où l’expression $U[@D U$G «génération fu390 K. D. SCHUNK, Jes 30,6-8 und die Deutung der Rahab, ZAW 78 (1966), p. 50; P. AUVRAY, Isaïe 1-39, 1972, p. 267; J. VERMEYLEN, Du prophète Isaïe à l’apocalyptique, 1977, p. 41; P. HÖFFKEN , Das Buch Jesaja, Kapitel 1-39, 1993, pp. 209210; J. BARTHEL, Prophetenwort und Geschichte, 1997, p. 407. 391 P. HÖFFKEN, Das Buch Jesaja, Kapitel 1-39, 1993, p. 213; J. BARTHEL, Prophetenwort und Geschichte, 1997, p. 416.
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ture» est, comme en 30.8, employée avec la racine EWN. Dans ce Psaume, l’appel est lancé pour mettre par écrit, et ce pour la génération future, l’œuvre créatrice de YHWH. En effet Israël, longtemps spolié, redevient un peuple créé de nouveau par YHWH. C’est pourquoi, il le loue. Le psalmiste chante la grandeur et la souveraineté de YHWH que les nations doivent craindre ainsi que tous les rois de la terre. Ce chant coïncide avec la reconstruction de Sion par YHWH qui a écouté les gémissements des prisonniers. C’est pourquoi on publie le nom de YHWH dans Sion et sa louange à Jérusalem quand se réuniront les peuples et les royaumes pour le servir (Ps 102.22-23). Ces faits confirment nos observations précédentes et nous confortent à considérer le v. 8 comme conclusion et comme partie intégrante de vv. 4-8. Le dernier problème concerne la cohérence littéraire de la péricope avec les vv. 6a et 7-8. Pour l’exégèse traditionnelle, le v. 6ss sont la suite des vv. 1-5392, à cause d’une part, de la reprise de l’expression :O\>L$\DO^ a>O> (v. 5)393 et d’autre part, de la mention de a\,UF P L (vv. 2, 5), de >FR (Tsoan) et VQ([« (Hanès), deux villes égyptiennes (v. 4). Et pourtant, la présence de D)«P au début du v. 6a pose un problème lorsqu’on sait que le genre littéraire des vv. 1-5 est un oracle en \$K. Par souci de maintenir l’unité littéraire entre les vv. 1-5 et 6-8, certains commentateurs ont simplement isolé D)«P de la péricope en le prenant pour un ajout rédactionnel394. Mais cette solution semble quelque peu simpliste. Car D)«P introduit un autre genre littéraire qui domine395 le recueil appelé communément «oracles contre les nations étrangères» (chs. 13-23). C’est dans la rédaction de ce recueil qu’il faudra trouver l’explication de la présence de ce substantif au v. 6. Dans ce texte, l’emplacement de D)«P se justifie à cause de la présence du verbe :DI\, qui désignent l’action des ânes et des chameaux transportant la cargaison. En parlant des animaux, le v. 6b place face à face, ces animaux domestiques et les animaux mythiques du Néguev de type apocalyp-
392 J. D. W. WATTS, Isaiah 1-33, 1985, pp. 390-397; W. A. M. BEUKEN, Isaiah chapters 28-39, 2000, p. 15; H. WILDBERGER, Isaiah 28-39, 2002, pp. 139-141. 393 Ce lien se situe simplement au niveau rédactionnel: Cf. B. S. CHILDS, Isaiah, 2001, p. 225. 394 J. VERMEYLEN, Du prophète Isaïe à l’apocalyptique, 1977, pp. 410-411; J. BLENKINSOPP , Isaiah 1-39, 2000, p. 413. 395 13.1; 15.1; 17.1; 19.1; 21.1, 11, 13; 22.1; 23.1.
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tique396. L’existence dans ce verset de ces deux espèces animales renverrait à deux couches rédactionnelles différentes traitant du thème des animaux. La présence de Rahav (v. 7) et des animaux de type apocalyptique est un indice de la réception à l’époque apocalyptique des vv. 4-5, 6b. Cette observation s’explique par le fait que le recueil des oracles contre les nations introduit des textes apocalyptiques après ceux de l’époque de la restauration (Cf. 14.12-20 après 14.4b-11)397. A ce dernier texte appartiennent les vv. 4-5, 6b (c’est la rédaction P1-S), tandis que les vv. 6a et 7-8 proviendraient de la rédaction P2-AP. Les vv. 4-8 combineraient donc deux éditions et ne sauraient être considérés comme une unité littéraire cohérente. Ceci étant, nous procédons à présent à sa traduction. 3.5.1.3 Traduction V. 4 Car ses chefs sont à Tsoan et ses rois398 ont atteint Hanes. 396 R. KILIAN, Jesaja 13-39, 1994, pp. 173s; U. BECKER , Jesaja – von der Botschaft zum Buch, 1997, p. 250. 397 Cette observation trouve suffisamment de détails dans le chapitre qui traite de la chute de Babylone (14.1-23). 398 L’éditeur propose Z\NO« PZen lieu et place de Z\N« D« OPZ. La leçon de l’éditeur trouve des appuis scripturaires, bien que la plupart de commentateurs préfèrent le TM à cause de l’idée de l’envoi de la mission diplomatique (O. PROCKSCH, Jesaja I: Kap. 1-39, 1930, p. 385; G. FOHRER , Das Buch Jesaja: Kapitel 24-39, 1962, pp. 86-87; O. K AISER , Der Prophet Jesaja, Kap. 13-39, 1973, pp. 224, 227; W. DIETRICH , Jesaja und die Politik, 1976, p. 140; W. H. IRWIN, Isaiah, 1977, p. 68; J. VERMEYLEN, Du prophète Isaïe à l’apocalyptique, 1977, p. 409; R. E. CLEMENTS, Isaiah 1-39, 1980, p. 244; J. D. W. WATTS, Isaiah 1-33, 1985, p. 391; J. N. OSWALT, The Book of Isaiah 1-39, 1986, pp. 542, 544; S. DECK, Die Gerichtsbotschaft Jesajas, 1991, p. 121; P. HÖFFKEN , Das Buch Jesaja, Kapitel 1-39, 1993, p. 210; Ch. SEITZ, Isaiah 1-39, 1993, 217; R. KILIAN, Jesaja 13-39, 1994, p. 172; J. BARTHEL, Prophetenwort und Geschichte, 1997, pp. 391, 402, 413; U. BECKER , Jesaja – von der Botschaft zum Buch, 1997, p. 310; W. BRUEGGEMANN , 1998, p. 241; W. A. M. BEUKEN, Isaiah chapters 28-39, 2000, pp. 131, 139, 151; J. BLENKINSOPP, Isaiah 1-39, 2000, p. 412; B. S. CHILDS, Isaiah, 2001, pp. 221, 225; H. WILDBERGER, Isaiah 28-39, 2002, pp. 119, 127-128). En effet, le couple «princes» et «rois» est attesté en Jr 44.17, 21 et dans la confession de Daniel (Dn 9.6, 8), tandis que le TM n’a rien de similaire. Les textes de Jérémie cadrent avec la condamnation de ceux qui sont en Egypte et pratiquent l’idolâtrie. Tandis que dans la confession du livre de Daniel, les rois et princes sont ceux qui n’avaient pas écouté la parole de Dieu. Le nom de l’Egypte y est évoqué en rapport avec l’histoire de l’exode. Ces observations militent en faveur de la prise en compte de la leçon de l’éditeur.
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V. 5 Tous sont confus399 par un peuple qui ne leur est pas utile et n’aide pas pour être utile. Car, (c’est) pour la honte et encore pour l’opprobre. V. 6. Oracle contre des animaux du Néguev, dans un pays d’angoisse et de détresse, de lionne et de lion,400 de vipère et de serpent 399 L’éditeur propose Y\ELKRD%« KO.« , leçon attestée dans le Targum (cf. Jr 10.14; 51.17). Sur les mots Y\ELKRcorrigeant le Ketib Y\DLEKL. Le Ketib est le Hi. parf. 3e. masc. sing de YDE«puer, se rendre puant ou odieux». Tandis que le Qeré a le Hi. parf. 3e masc. sing. de YZE«être honteux, couvert de honte». Certains auteurs pensent que le Ketib est approprié, d’autres préfèrent la proposition de l’éditeur et du TargumR. Il faut remarquer que sous forme substantive, la racine YZE se trouve aux v. 3 et 5bD. Elle y décrit le résultat de l’agir respectivement de ceux qui comptent sur l’ombre de l’Egypte et ceux qui vont vers un peuple incapable d’aider. Elle constitue donc un élément de liaison rédactionnelle entre les vv. 1-3 et 4-5. Considérant son rôle clé, nous optons pour le maintien du Qeré. La 3e pers. sing. masc. de Y\ELKRse rapporte au sujet de Z\N« D« OP et Z\U« I« qui ne peut pas être l’Egypte, parce que cette dernière est considérée comme une nation de déception. Le verset voudrait donc insister sur la déception qui attend ceux qui se rendent en Egypte. 400 A la place de aKPH, «d’eux (la lionne et le lion), l’éditeur propose de lire aKHPHNi. part. du verbe aPK «être secoué». Le TM est confirmé par la Vulgate, le Syriaque et indirectement par la LXX, GXMGKSGP«d’où, d’un point». Cependant, 1 Q-Isa a a\P\DZ «sans eau». La leçon de l’édition semble s’écarter du contexte général du texte qui voudrait montrer la nature dangereuse du Néguev passage obligé des pèlerins. Il en est de même du TM. La nature menaçante du Néguev est suggérée par 1 Q-Isa bien que sur le plan purement formel, cette leçon n’a pas de lien direct avec la lionne et le lion. La proposition du verbe «rugir» (Es 5.29.30) à la place du TM et de la leçon de l’éditeur, correspond exactement à la nature de ces animaux féroces (O. K AISER , Der Prophet Jesaja, Kap. 13-39, 1973, p. 228; W. DIETRICH, Jesaja und die Politik, 1976, p. 141; R. E. CLEMENTS, Isaiah 1-39, 1980, p. 245; J. D. W. WATTS , Isaiah 133, 1985, p. 393; J. N. OSWALT, The Book of Isaiah 1-39, 1986, p. 542; U. BECKER , Jesaja – von der Botschaft zum Buch, 1997, p. 310; J. BARTHEL, Prophetenwort und Geschichte,1997, p. 395; W. BRUEGGEMANN , Isaiah 1-39, 1998, p. 241; R. KILIAN , Jesaja 13-39, 1994, p. 173; B. S. CHILDS, Isaiah, 2001, p. 221; H. WILDBERGER, Isaiah 28-39, 2002, pp. 130-131). Cette position s’appuie en outre sur le parallélisme qu’on voudrait établir entre et le part. #SH$>P. Cette tentative se bute au fait que la partie précédente manque de part. présent. Cependant, l’asso-ciation de la leçon préférée par ces auteurs à Es 5.29.30 se bute à la difficulté d’interprétation. La racine aKQ est attestée 5 fois (Es 5.29, 30; Ez 24.23; Pr 5.11; 28.15) dans la Bible hébraïque, parmi lesquels aucun cas ne fait allusion à la situation décrite en Es 30.6. Le texte semble vouloir insister non sur la nature dangereuse des animaux qui pullulent dans le Néguev, mais plutôt sur le Néguev lui-même comme le lieu où vivent ces animaux féroces. Dans cette hypothèse, le TM se maintiendrait (B. DUHM, Das Buch Jesaja, 1902, 2e éd., p. 187; K.-D. SCHUNK, Jes. 30,6-8 und die Deutung der Rahab, ZAW 78 (1966), 50ss; J. de WAARD, 1997, p. 125; TOB, 2004, p. 488).
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volant. Ils transportent leurs richesses sur les dos des ânes et leurs trésors sur les bosses des chameaux à un peuple qui ne leur est pas utile. V. 7. Mais l’Egypte c’est rien401 et leur secours du vide. C’est pourquoi je l’appelle Rahav, qui a fini402.
401 L’éditeur propose d’enlever a\,UFPLde OEKa\,UFPL: pour ne garder que OEKZ.! Cette leçon a conduit nombre des critiques à prendre a\,UFPL pour une glose (W. DIETRICH , Jesaja und die Politik, 1976, p. 141; O. KAISER, Der Prophet Jesaja, Kap. 13-39, 1973, p. 229; H. WILDBERGER, Isaiah 28-39, 2002, p. 132). H. WILDBERGER évoque l’argument de la métrique rejeté du reste par Irwin (Translation, p. 77). L’extraction rend difficile la compréhension de la fin du v. 7 dans la mesure où il sera difficile de définir l’identité de celui dont il est question dans l’expression WD]2O« \WLDU« T«. La réponse hâtive serait de supposera>dans l’expression :O\>L$\ DO^ a>O>. Cependant, nous ne devons pas oublier que cette expression est déjà attestée dans le v. 5. La mention de a\,UFPL précise l’identité de ce peuple inutile et anticipe le démonstratif auquel il renvoie. C’est parce que l’Egypte n’est rien et que son aide est vide. Ces observations nous conduisent au maintient du TM (R. E. CLEMENTS, Isaiah 1-39, 1980, p. 245; J. D. W. WATTS, Isaiah 1-33, 1985, p. 393; J. N. OSWALT, The Book of Isaiah 1-39, 1986, p. 543; R. KILIAN, Jesaja 13-39, 1994, p. 174; B. S. CHILDS , Isaiah, 2001, p. 221; Cf. TOB, 2004, p. 488). 402 A la place du TM WEY« aKH EKU, l’éditeur suggère plusieurs options; soit lier les deux derniers mots (WEY« aKH EKU) (A. CONDAMIN , 1905, p. 191; BARTHELEMY, p. 212; F. GONÇALVES , L’expédition de Sennachérib en Palestine, 1986, p. 146; P. AUVRAY, 1972, p. 264; J. N. OSWALT, The Book of Isaiah 1-39, 1986, p. 543; C. R. SEITZ, Isaiah 1-39, 1993; p. 218; W. BRUEGGEMANN , Isaiah 1-39, 1998, p. 241; H. WILDBERGER, Isaiah 28-39, 2002, p. 132.) «Rahav la tombée, l’impuissante», soit scinder le mot aKH en rattachant chacune des lettres au mot qui se trouve à ses côtés, pour ainsi avoir W%« YPX +%« KU« «son bruit cesse» (O. PROCKSCH, Jesaja I, 1930, p. 388). L’emploi de la 3e pers. du pl. masc. domine le texte à travers la préposition suffixée (aKPH) (v. 6) et les verbes conjugués (:O\>L$\ DO^ et :U]2>\). Il appartient donc à la logique du texte de nommer l’Egypte à la troisième personne du pluriel. Une telle construction n’est pas étrangère dans la Bible (Es 23.5; Ps 106.7). D’une part, EKU est employé ici comme désignation de l’Egypte. Cette qualification est attestée en Es 51.9; Ps 87.4; 89.11. D’autre part, l’adjectif WEY« sert à qualifier Rahav le monstre réduit à l’arrêt, à l’inactivité. Il s’agit de souligner non la position assurée de Rahav, mais plutôt sa défaite totale et son anéantissement. Ce sort est réservé aux nations étrangères dans le livre d’Esaïe (13.11; 14.4; 16.10; 17.3; 21.2; Cf. Jr 48.33, 35) qu’à Israël (24.8; Cf. Jr 36.29). En tenant compte de toutes ces observations, le TM serait compréhensible et se maintiendrait (Cf. H. DONNER , Israel unter den Völkern, 1964, p. 158; O. KAISER , Der Prophet Jesaja, Kap. 13-39, 1973, p. 287; J. de WAARD , Handbook of Isaiah, 1997, p. 126; B. S. CHILDS, Isaiah, 2001, pp. 225-226).
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V. 8. Va maintenant, écris cela à eux sur un sceau cylindre et sur un livre et que cela soit pour l’avenir, pour toujours403 et à perpétuité. 3.5.1.4 Structure du texte Les vv. 4-8 présentent une structure organisée autour de l’expression :O\>L$\DO^a>O>qui révèle la fonction d’un peuple inutile (vv. 5 et 6c). Cette expression revient dans le texte comme un refrain pour souligner l’inutilité aussi bien de la démarche que du peuple auquel on s’adresse. Cette présentation des choses est soutenue dans le texte par le fait que l’expression introduit une phrase qui présente le résultat décevant aussi bien pour les princes et les rois qui habitent et atteignent les villes égyptiennes que pour ceux qui s’y rendent. La structure du texte présente la scène de manière dialectique. D’une part, l’enthousiasme éprouvé à demeurer et à aller dans les villes égyptiennes contraste avec la honte et l’opprobre qu’on y expérimente. D’autre part, le mouvement vers l’Egypte, ce peuple, est réduit par son non-mouvement, son inertie, confirmé par l’appellation de YHWH (v. 7). L’expression :O\>L$\DO^ a>O> vise à annuler toute démarche contraire à YHWH afin de reconnaître sa souveraineté. La proclamation de cette souveraineté se fait à travers la désignation de l’Egypte par WEY« aKH EKU. Elle reçoit son caractère éternel par sa consignation par écrit: aO«$>G> G>O« . (v. 8). 403 A la place de G>O« «pour toujours», la majorité des manuscrits (Th, Aq, Sym, Vulgate, Syriaque proposent G>H O «comme un témoignage». Cette leçon également préférée par la TOB (2004, p. 488), s’est laissée influencer par Es 8.1-4 (Cf. W. DIETRICH , 1976, p. 145; R. E. CLEMENTS, Isaiah 1-39, 1980, p. 246; J. D. W. WATTS , Isaiah 133, 1985, p. 393; W. BRUEGGEMANN, Isaiah 1-39, 1998, p. 243; H. WILDBERGER, Isaiah 28-39, 2002, p. 139) ou par 8.16ss (J. N. OSWALT, The Book of Isaiah 1-39, 1986, p. 550; B. S. CHILDS, Isaiah, 2001, pp. 221, 226) où il est également question de l’ordre d’écrire. L’attribution d’Es 30.8 à Esaïe est à l’origine de cette décision. Et pourtant, l’origine tardive d’Es 30.6-8 a été largement démontrée lors de la délimitation de ce texte. L’analyse faite à ce niveau nous a conduit à comprendre que l’ordre d’écrire visait plutôt la pérennisation de la reconnaissance de YHWH comme Dieu que de servir de témoignage. En outre, l’expression en Es 30.8 trouve un parallèle en Ps 111.8 et 148.6 (aO« $>O G>O«). En dépit du nombre important de manuscrits qui soutiennent la leçon, le TM est préférable (Cf. H. G. M. WILLIAMSON, The Book Called Isaiah, 1994, p. 253; J. de WAARD, Handbook of Isaiah, 1997, p. 127).
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De manière schématique, les vv. 4-8 présentent la structure suivante: – – – – – –
La déception des princes et des rois par un peuple inutile (v. 5) Les animaux du Néguev (v. 6a) des richesses et des trésors pour un peuple inutile (v. 6b) L’Egypte: du vent et son aide: du vide (v. 7a) Rahav: le vrai nom de l’Egypte (v. 7b) Ecrire ce nom pour l’éternité (v. 8).
En rapport avec le thème de notre travail, l’analyse littéraire se laissera guider par cette structure tout en mettant l’accent sur la fonction de ce peuple inutile. En outre, nous allons d’une part, déterminer l’identité des destinataires, ensuite définir les griefs qui leur sont reprochés et d’autre part, décrire la fonction de l’Egypte ainsi que le contenu de l’écriture. Cette méthode nous conduira à répondre à la question des auteurs ou rédacteurs, des époques historiques, celle des traditions sousentendues et celle des thèmes qui y sont évoqués. 3.5.1.5 Analyse et commentaires 3.5.1.5.1 Introduction Au regard de la subdivision du texte, l’analyse comportera deux niveaux. Nous commencerons par les vv. 4-5 et 6b, ensuite les vv. 6a-b, 7-8. Dans cette analyse, nous veillerons d’abord à déterminer les destinataires dans chaque sous-texte. Ensuite, nous tenterons de vérifier si ces textes correspondent aux deux éditions, P1-S et P2-AP, c’est-à-dire que notre tâche consistera concrètement à démontrer d’une part la correspondance entre 30.4-5, 6b, les chs. 60-62 et les livres d’Esdras, Néhémie et des Chroniques, et d’autre part les affinités entre 30.6a, 7-8 et les chs. 63-66 ou les livres apocalyptiques. Pour y parvenir, nous commençons par la désignation des destinataires. Il s’agirait des membres de l’aristocratie judéenne. 3.5.1.5.2 Contre les membres de l’aristocratie juive postexilique (30.4-5, 6b) En s’appuyant sur les TM, la plupart des commentateurs identifient les destinataires dans cette péricope avec les messagers du roi404. Les opi404 Cf. La note 34 sur la critique textuelle et la traduction du v. 4.
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nions attachées à cette interprétation peuvent être réparties en deux groupes. D’un côté il y a ceux qui y voient les ambassadeurs judéens envoyés auprès du Pharaon afin de solliciter et d’obtenir son appui militaire405. De l’autre ceux qui y découvrent les princes et les émissaires du Pharaon406. On s’est efforcé dans cette optique à expliquer le possessif 3e masc. sing. dans les mots Z\U«I« et Z\N« DO « P comme se rapportant soit au roi de Juda soit au Pharaon. Cependant, la difficulté réside dans le fait que les sujets auxquels ces mots devraient se rattacher sont au pluriel avec le possessif suffixé au singulier. S’ils devaient s’accorder à ce qui précède, leur suffixe devrait logiquement être à la 3e pers. pl. respectivementaK\UHI« «leurs princes, chefs» et aK\NLD« OP «leurs messagers». La prise en compte d’une part de la leçon de l’éditeur de BHS407, et d’autre part le détachement des vv. 4ss des vv. 1-3, nous donnent une nouvelle perspective dans la solution du problème posé par la 3e pers. masc. sing. En effet, ce suffixe ne concerne les messagers ni du roi de Juda ni du Pharaon, moins encore les envoyés de YHWH (Jr 44.26). Il se rapporte plutôt aux «chefs» et aux «rois» du peuple d’Israël, c’est-àdire aux membres de l’aristocratie judéenne postexilique. Cette nouvelle hypothèse s’appuie sur l’analyse des termes Z\U«I« «princes» et Z\N«O«P «rois» dans la Bible hébraïque. Ailleurs qu’en 30.4, ce couple est attesté dans les textes postexiliques tardifs408. 405 G. FOHRER, Das Buch Jesaja: Kapitel 24-39, 1962, pp. 86-87; O. KAISER, Der Prophet Jesaja, Kap. 13-39, 1973, pp. 224, 227; W. DIETRICH , Jesaja und die Politik, 1976, p. 140; W. H. IRWIN, Isaiah, 1977, p. 68; J. VERMEYLEN, Du prophète Isaïe à l’apocalyptique, 1977, p. 409; R. E. CLEMENTS, Isaiah 1-39, 1980, pp. 244; J. D. W. WATTS , Isaiah 1-33, 1985, p. 391; J. N. OSWALT, The Book of Isaiah 1-39, 1986, pp. 542, 544; S. DECK, Die Gerichtsbotschaft Jesajas, 1991, p. 121; P. HÖFFKEN , Das Buch Jesaja, Kapitel 1-39, 1993, p. 210; Ch. S EITZ , Isaiah 1-39, 1993, 217; R. KILIAN, Jesaja 13-39, 1994, p. 172; J. BARTHEL , Prophetenwort und Geschichte, 1997, pp. 391, 402, 413; U. BECKER , Jesaja – von der Botschaft zum Buch, 1997, p. 310; W. BRUEGGEMANN, 1998, p. 241; W. A. M. BEUKEN, Isaiah chapters 28-39, 2000, p. 151; J. BLENKINSOPP , Isaiah 1-39, 2000, p. 412; B. S. CHILDS, Isaiah, 2001, pp. 221, 225; H. WILDBERGER, Isaiah 28-39, 2002, pp. 119, 127-128. 406 O. PROCKSCH, Jesaja I: Kap. 1-39, 1930, p. 386; R. KILIAN, Jesaja 13-39, 1994, p. 173. 407 K. E LLIGER et W. RUDOLF (éd.), Biblia Hebraica Stuttgartensia, 5e éd. améliorée, 1997, p. 719. 408 Jr 44.17, 21; Est 1.3; 2.18; Dn 9.6, 8; Esd 8.25; 2 Ch 17.17; 30.2, 6; 36.18.
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L’inventaire de ces passages permet d’observer leur origine à l’époque perse et hellénistique où la royauté en Israël n’existait plus. Dans ces textes, on parle plutôt des «rois» et des «chefs». Le couple Z\U«I« et Z\N«OP« en 30.4 semble remplacer la formule deutéronomiste à l’époque royale qui reprend le nom du roi à côté de UI«. Les deux titres peuvent s’appliquer au personnage royal dans la mesure où le roi est appelé à la fois le chef du peuple (2 S 2.38) et de l’armée (1 R 16.16). Mais ils peuvent aussi désigner deux personnes différentes, le roi et le chef de l’armée qui l’accompagne (2 S 18.5; 1 R 22.26; 2 R 24.12)409. En tant que collaborateurs du roi, ils pouvaient et participer aux activités de ce dernier et en subir le même sort que lui. C’est ainsi que les chefs sont comptés parmi ceux qui participèrent aux travaux de la construction du Temple de Jérusalem par Salomon (2 R 9.22). Par contre, ils figurent sur la liste de ceux qui furent déportés avec le roi Yojakim (2 R 24.12) ou le roi Sédécias (Jr 34.21) à Babylone. A côté de ces notables exilés en Babylonie, il y en avait d’autres qui, en fuyant, s’installèrent en Egypte. Plus tard, ils constituèrent des colonies importantes dans les villes égyptiennes410. A l’époque perse, les rois et les chefs figurent parmi ceux qui financent les travaux de reconstruction du Temple et assurent le fonctionnement du culte sous la conduite d’Esdras (Esd 8.25). Leur condamnation en 30.4ss ne peut avoir que des motifs religieux. Il est possible que l’accusation s’inscrit dans les activités d’Esdras, le prêtre et le scribe de la Loi de Dieu (Esd 7.21-28). En effet, soucieux de voir la maison de YHWH rayonner et préoccupés d’assurer le fonctionnement harmonieux du culte, les prêtres ne pouvaient pas tolérer que certains parmi les financiers potentiels du Temple continuent à habiter en Egypte ou quittent le pays pour aller s’y établir. Par ces actes, ils constituaient un 409 Jg 4.2; 2 S 24.2, 4; 1 R 1.19, 25; 14.27; 15.20; 1 R 22.31-33; 2 R 1.9-11; 4.13; 5.1; 11.4, 10-19; 25.19, 23. 410 Les premiers établissements juifs en Egypte semblent remonter au 6e siècle. Il s’agissait des réfugiés venus s’installer après la chute de Jérusalem (Jr 44.1; 46.14). A l’époque hellénistique s’amorce une nouvelle émigration. Selon F. Joseph, des contingents Judéens auraient aidé Alexandre à soumettre l’Egypte. En outre, on sait que Ptolémée I avait fait des nombreux prisonniers en 312, après sa victoire sur Démétrios le Poliorcète, à Gaza. D’autre part, Ptolémée II semble également avoir emmené des captifs à l’occasion des conflits qui l’avaient opposé à Antiochios I.
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manque à gagner important pour le Temple. La condamnation des «chefs» et «rois» dans 30.4ss semble ne pas s’écarter de cette interprétation au regard des griefs qui sont leur reprochés, notamment l’abandon de YHWH et la livraison des offrandes à quelqu’un d’autre (l’idolâtrie). 3.5.1.5.3 L’abandon de YHWH et la pratique de l’idolâtrie Résider dans les villes égyptiennes ou y arriver chargé des cargaisons semblent être les griefs reprochés aux «chefs» et aux «rois» (vv. 4-5 et 6c). Toutes ces accusations ont un motif religieux, notamment offrir à quelqu’un d’autres que YHWH. 3.5.1.5.3.1 Aller et résider en Egypte: une idolâtrie Le v. 4 commence par Z\U« I« >FE R :\K« \.L «car ses chefs sont dans Tsoan». Il décrit des «chefs» qui sont à Tsoan411, une des villes égyptiennes. Le nom Tsoan est mentionné 8 fois412 dans la Bible hébraïque. Il rappelle d’une part la ville réputée pour la sagesse égyptienne et dont les princes sont considérés comme des insensés (19.11, 13). D’autre part cette ville évoque l’histoire de l’exode (Ps 78.12, 43), celle des miracles divins dans les plaies infligés aux Egyptiens (Ps 78.43-51). En soulignant la présence des «chefs» à Tsoan, les rédacteurs de 30.4 se réfèrent à l’exode. Ils veulent par là démontrer la rébellion de leurs interlocuteurs qui préfèrent la route de la servitude égyptienne. L’évidence de leur désobéissance est établie en ce qu’ils refusent de chanter à l’instar du Psautier la grandeur de YHWH libérateur de son peuple des mains égyptiennes. L’évocation de la puissance de YHWH dans le Ps 78 révèle le contexte cultuel de cet oracle de jugement. Ce jugement concerne aussi bien Tsoan que ceux qui y résident. Dans tous les cas, cette ville égyptienne porte les stigmates de la victoire de YHWH. En tant que telle, elle ne peut constituer une source de salut et de sécurité pour ceux qui y résident. Par conséquent, les «chefs» qui y habitent seront déçus d’elle. C’est pourquoi la meilleure solution consiste à quitter cette ville et retourner à Jérusalem afin d’y glorifier YHWH dans son Temple.
411 Tanis, ville dans le Delta: B. S. CHILDS, Isaiah, 2001, p. 225. 412 Nb 13.22; Es 19.11.13; 30.4; 33.20; Ez 30.14; Ps 78.12, 43.
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En demeurant à Tanis, les «chefs» rejettent donc le culte de YHWH et son Temple. Cette attitude de désobéissance à YHWH met en péril l’existence du Temple de Jérusalem. Une telle situation est largement évoquée dans le livre de Jérémie. Dans le ch. 44, les rois et les chefs sont cités parmi ceux qui s’étaient établis dans le pays d’Egypte (Jr 44.1, 13, 24), à Patros et dans d’autres villes égyptiennes; Migdol, Daphné, Memphis (Jr 44.1). YHWH les accuse d’avoir rejeté sa parole transmise par son prophète (Jr 44.17) au profit de la pratique de l’idolâtrie. Il leur reproche de «brûler des offrandes à la reine du ciel, lui verser des libations», comme auparavant dans les villes de Juda. Ces agissements furent à l’origine du châtiment divin par le malheur qu’il fit descendre sur les infidèles (Jr 44.21-23). Comme nous l’avons démontré ci-dessus, le couple Z\U«I« et Z\N«OP « est attesté 1 fois dans le livre d’Esaïe, mais plusieurs fois chez Jérémie et dans le livre de Daniel. Le lien de ce couple avec les dérivées de la racine VQ (KN« 6P H ou VQ) ou d’autres formes d’idolâtrie est particulièrement attesté dans le ch. 44 du livre de Jérémie (44.10, 17, 21). Le rapprochement entre 30.4-5 et ce texte de Jérémie a été démontré. A titre de rappel, il se situe aussi bien au niveau des destinataires (30.4; Jr 44.21) qu’à celui des griefs qui leur sont reprochés, notamment l’idolâtrie (Jr 44.8, 9) et le manque d’attention à YHWH (:>PY« DO^) (v. 3). Concrètement, il leur est reproché d’accomplir des vœux, d’offrir de ). l’encens à la reine du ciel et de lui verser des libations (a\NLVQ« ! +O« 6HKO Le versement de la libation à d’autres que YHWH est également la condamnation divine dans 30.1-3. Peut-on supposer un rapprochement entre 30.1-3 et 4-5, Jr 44, alors que nous avons attribué le premier texte à une rédaction exilique consécutive à la catastrophe de 587? Sur le plan littéraire, 30.1-3 aurait servi de Vorlage aux vv. 4-5, 6b. Les liens de cette crise avec les alliances politico-militaires avec l’Egypte trouvent aussi bien à l’époque perse que grecque des nouvelles interprétations théologiques comme des formes d’idolâtrie. 3.5.1.5.3.3 Transporter les richesses et les trésors pour offrir à un autre que YHWH Le transport des richesses et des trésors dans le v. 6b apparaît à première vue comme une autre accusation. Les opinions divergent sur l’identité de ceux qui font porter sur les animaux leurs cargaisons de 226
richesses et de trésors. Pour l’exégèse traditionnelle il s’agit des émissaires judéens envoyés auprès du Pharaon afin d’obtenir son intervention lors de la crise entre Ezéchias et Sargon en 713413 ou Sennachérib entre 705-701.414 Cependant certains auteurs associent les destinataires aux fuyards vers l’Egypte qui veulent éviter un danger politique. Ils attribuent à ce groupe la responsabilité de l’enlèvement de Jérémie après 586415. D’autres enfin identifient les destinataires avec Juda de l’époque des Ptolémées416. Contrairement au v. 4, le v. 6b ne dévoile pas l’identité des destinataires. Toutefois il révèle leurs actes et l’identité de ceux qui les accompagnent et leur destination. L’acte des destinataires de l’oracle est porté par le verbe :DI\, «ils transportent». A première vue on pourrait penser que ce verbe s’applique aux ânes et aux chameaux. Cependant la mention des expressions #W. O> «sur le dos» et WY%' O> «sur la bosse» appliquées respectivement à a\U,\> @ «ânes» et à a\/LP* ! «chameaux» démontre clairement que le verbe :DI\, se rapporte aux personnes qui utilisent ces animaux comme instruments dans l’exécution de leur plan. Ce verbe porte donc le grief reproché à ce groupe. Il convient ici de faire observer que le verbe :DI\, dérive de la racine DIQ. Cette racine est employée deux fois dans le v. 6, à la fois comme substantif (D)«P) et verbe (:DI\,). En ce qui concerne le premier sens, nous renvoyons à l’étude précédente. Lors de cette étude, nous avons observé d’une part le lien de D)« P avec le recueil des oracles contre les nations étrangères du livre d’Esaïe (13-23) et le «Deutéro-Esaïe» (46.1, 2) et d’autre part le développement des thèmes de la souveraineté et de l’unicité de YHWH et la condamnation de l’idolâtrie dans le cadre de la tradition de l’exode. Cependant, le verbe :DI\, qui manque de sujet au v. 6, en trouve un aux vv. 4-5. C’est ce qui explique l’emploi de la 3e personne du pluriel. Ce sont donc les «chefs» et «les rois» qui font transporter sur le dos des 413 O. PROCKSCH, Jesaja I: Kap. 1-39, 1930, p. 387. 414 G. FOHRER, Das Buch Jesaja: Kapitel 24-39, 1962, pp. 89-90; W. DIETRICH, Jesaja und die Politik, 1976, p. 141; J. VERMEYLEN, Du prophète Isaïe à l’apocalyptique, 1977, p. 410; R. E. CLEMENTS, Isaiah 1-39, 1980, pp. 244-245; M. SWEENEY, Isaiah 1-39, 1996, pp. 397-399; W. A. M. BEUKEN, Isaiah chapters 28-39, 2000, pp. 151-152; J. BLENKINSOPP, Isaiah 1-39, 2000, p. 413. 415 P. HÖFFKEN, Das Buch Jesaja, Kapitel 1-39, 1993, p. 211. 416 R. KILIAN, Jesaja 13-39, 1994, p. 174.
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bêtes leurs richesses (trésors) vers l’Egypte. La construction de aKO\H [H avec la racine DIQ est attestée 12 fois417 dans la Bible hébraïque. A cause du double sens du vocable O\,[, à la fois «force, vigueur, capacité, haut fait, armée» et «richesse», ces 12 cas peuvent être repartis en deux catégories. La première est constituée par les textes ayant trait à la guerre418. Tandis que dans la seconde catégorie les textes se rapportent aux richesses que l’on apporte à YHWH (1 R 10.2; 1 Ch 9.1ss) ou à quelqu’un d’autre (30.6b). Dans 1 R 10.2ss comme en 1 Ch 9.1ss, il s’agit des richesses – aromates, or en grande quantité et pierres précieuses – que la reine de Saba transportait sur les chameaux afin de les offrir à Salomon à cause de la grande sagesse que lui avait accordée YHWH. Ce texte a pour cadre le Temple de Jérusalem et la royauté. En effet la descente de la reine de Saba chargée des richesses à offrir à Salomon culmine par le constat de la fidélité du roi d’Israël au Temple. Cette fidélité est le fruit de la sagesse accordée à Salomon par YHWH: «la reine de Saba vit toute la sagesse de Salomon, la maison qu’il avait bâtie, la nourriture de sa table, le logement de ses serviteurs, la qualité de ses domestiques et leur livrée, ses échansons, les holocaustes qu’il offrait dans la Maison du Seigneur» (1 R 10.4-5). La sagesse comme preuve de la fidélité à YHWH à l’exemple de Salomon manque malheureusement à ceux qui transportent leurs richesses à un peuple inutile (30.6). Comparé à 1 R 10.1-12 et 1 Ch 9.1ss, ce texte présente la rébellion de ceux qui ne s’inspirent ni de la sagesse de Salomon ni de la dévotion de la reine de Saba. Le thème des offrandes à YHWH ou à quelqu’un d’autre (idoles, autres dieux, etc.) est également exprimé par le terme UF«$D«trésor». Ce terme est attesté 79 fois419 dans la Bible hébraïque. L’inventaire de ces occurrences permet d’observer leur concentration dans les livres des 417 1 S 17.20; 1 R 10.2; 2 R 2.16; 5.1; Es 8.4; 30.6; Ez 29.19; Jl 2.22; 1 Ch 5.18; 10.12; 2 Ch 9.1; 14.7. 418 1 S 17.20; 2 R 2.16; 5.1; Es 8.4; Ez 29.19; 1 Ch 5.18; 10.12; 2 Ch 14.7. 419 Dt 28.12; 32.34; Jos 6.19, 24; 1 R 7.51; 14.26; 15.18; 2 R 12.19; 14.14; 16.8; 20.13,15; 24.13; Es 2.7; 30.6; 33.6; 39.2; 39.4; 45.3; Jr 10.13; 15.13; 17.3; 20.5; 38.11; 48.7; 49.4; 50.25; 50.25, 37; 51.13,16; Ez 28.4; Ps 33.7; 135.7; Jb 38.22; Pr 8.21; 10.2; 15.16; 21.6,20; Esd 2.69; Ne 7.69,70; 10.39; 12.44; 13.12,13; 1 Ch 9.26; 26.20, 22, 24,26; 27.25,27,28; 28.12; 29.8; 2 Ch 5.1; 8.15; 11.11; 12.9; 16.2; 25.24; 32.27; 36.18.
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Chroniques (18 fois), dans HD (14 fois), chez Néhémie (6 fois), Esaïe (6 fois) et dans le livre des Proverbes (5 fois). Dans ces textes, le terme UF$D est avant tout lié à la personne de YHWH et à la bénédiction qu’il accorde au fidèle qui met en pratique tous ses commandements (Dt 28.1-12). Le trésor, c’est le ciel que YHWH ouvre pour faire tomber en son temps la pluie sur le pays et bénir ainsi toutes les actions du fidèle (Ml 3.10). Il s’en dégage d’une part l’appartenance exclusive des trésors à YHWH (Jos 6.19) et d’autre part leur lien avec le Temple de YHWH (Jos 6.24; 1 R 7.51). Le lien des trésors avec le Temple rappelle avant tout les objets consacrés par David420 – l’argent, l’or et les ustensiles – que le roi Salomon déposa dans le trésor de la Maison de YHWH après les travaux de construction du Temple (1 R 7.51). Par conséquent, les trésors ne peuvent appartenir qu’à YHWH seul421 et à sa maison.422 Attachés à la personne de YHWH et consacrés à son service, les trésors sont des choses sacrées (Jos 6.19). Les offrir à YHWH devient par ricochet un acte de fidélité et source de bénédiction. Par contre les livrer à quelqu’un d’autre est synonyme d’idolâtrie et cause de malheur, donc objet de la condamnation divine. A la lumière de cette interprétation, le malheur d’Israël ne peut se comprendre qu’en fonction du non respect du commandement qui exige d’offrir les trésors à YHWH seul ou de les garder dans sa Maison. Les rois sont d’ailleurs du bon ou du mauvais côté en fonction de la manière dont ils ont gardé ces trésors dans la maison de YHWH ou les ont livrés aux rois ou dieux étrangers. Dans la catégorie des bons rois figurent David, Salomon, Asa (1 R 15.9-15)423, Joas (2 R
420 2 S 8.11. 421 L’expression KZ«K\!UF$D«trésor de YHWH» (Dt 28.12; Jos 6.19). 422 L’expression KZ«K\!W\%HUF$D «trésor de la maison de YHWH» (Jos 6.24; 1 R 7.51; 14.26; 15.18; 2 R 12.18; 1 Ch 26.22; 28.12; 29.8; 2 Ch 5.1; 12.9; 16.2; 36.18) ou a\KLO^DK« W\%HW$UF$D «trésors de la maison de Dieu» (2 Ch 5.1). 423 Cette histoire se termine par l’envoi par Asa des trésors de la maison de YHWH et de la maison du roi à Ben Hadad, roi d’Aram pour que ce dernier rompe l’alliance avec Baésha, le roi d’Israël qui était en conflit avec lui. Bien que l’acte en luimême fut condamnable, le rédacteur deutéronomiste excuse Asa et le présente comme un bon roi à cause de deux faits racontés dans les vv. 11-15: l’élimination de la prostitution sacrée, la suppression de toutes les idoles et surtout l’apport dans la Maison de YHWH de ce que son père et lui-même avaient consacré: de l’argent, de l’or et des ustensiles.»
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12.1-17)424, Ezéchias (2 R 18.1-8)425. Pour avoir construit le Temple et apporté dans le trésor de la Maison de Dieu, l’argent, l’or et tous les ustensiles (2 Ch 5.1ss), Salomon devient le modèle par excellence de tous les rois d’Israël fidèles à YHWH. C’est à la mesure de son comportement que les autres rois sont évalués. Dans la catégorie des mauvais rois, il faut mentionner à titre illustratif le roi Achaz. C’est lui qui dépouilla la maison de YHWH de ses trésors en les offrant à d’autres rois ou dieux (2 R 16.8)426. Les destinataires de 30.6 se comportent exactement comme ce roi de Juda en apportant leurs trésors à quelqu’un d’autre que YHWH, à un peuple inutile. L’analyse que nous venons de faire sur l’emploi du vocable UF«$D rapproche le comportement du roi à l’égard du service cultuel et du Temple. Nous avons déjà identifié les destinataires dans 30.4-5, 6b comme les membres de l’aristocratie judéenne. Dans cette hypothèse, le texte ferait écho aux critiques des milieux sacerdotaux du 2e Temple de Jérusalem contre les membres de la classe dirigeante de Juda en vue de les inciter à soutenir matériellement et financièrement le culte du Temple de Jérusalem que de se livrer à l’idolâtrie. Peut-être que les difficultés financières qu’aurait éprouvé ce Temple dans son fonctionnement, en particulier la survie des prêtres, les lévites et tout le personnel, pourrait justifier cette condamnation. Selon les livres des Chroniques, une des fonctions des Lévites était celle de veiller sur les trésors
424 Le roi Joas de Juda est compté pour un bon roi pour avoir consacré les trésors à la réparation de la Maison de YHWH (2 R 12.5-6). Ce comportement, il le doit à la bonne instruction reçue du prêtre Yehoyada commis à sa formation (1 R 12.3) à cause de son jeune âge lorsqu’il accéda à la royauté. Il n’avait que sept ans (2 R 12.1). C’est pourquoi, il laisse aussi les prêtres jouer un rôle important dans la collecte de l’argent, des taxes, des dons sans lesquels les travaux de réparation du Temple seraient presque impossibles. 425 Malgré le fait qu’il livra à Sennachérib «tout l’argent qui se trouvait dans la Maison du Seigneur et dans les trésors de la maison du roi» (2 R 18.15), Ezéchias est présenté comme l’incomparable et le meilleur roi en Israël avant et après lui (2 R 18.5). Cette évaluation se situe à un autre niveau: la confiance totale d’Ezéchias à YHWH et la lutte avec succès contre l’idolâtrie – «c’est lui qui fit disparaître les hauts lieux, brisa les stèles, coupa les poteaux sacrés et mis en pièces le serpent de bronze que Moïse avait fait» (2 R 18.4). 426 Il «prit l’argent et l’or qui se trouvaient dans la Maison du Seigneur et dans les trésors de la maison du roi et les envoya en cadeau au roi d’Assyrie».
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de la maison de Dieu et les choses saintes427. Les trésors jouaient un rôle économique capital dans le fonctionnement du service cultuel. Grâce aux offrandes les prêtres étaient payés et pouvaient célébrer le culte avec joie. Le don des trésors était également apprécié pour la reconstruction de la Maison (Temple) de YHWH de Jérusalem (Esd 2.69; Ne 7.69-70). L’analyse de UF«$D permet de placer ce mot dans le cadre de l’histoire de la création et dans la tradition de l’exode afin de montrer la souveraineté de YHWH sur toute choses. Selon Ps 33.7, YHWH est celui qui amasse et endigue les eaux de la mer; dans des réservoirs, il met une limite aux océans. Le v. 6 de ce psaume est plus explicite: «Par sa parole, le Seigneur a fait les cieux, et toute leur armée par le souffle de sa bouche». Et le psaume 135.7, d’ajouter: «Du bout de la terre, soulevant les nuées, il a fait les éclairs pour qu’il pleuve: il tire le vent de ses réserves». Dans ce Psaume 135 comme dans celui précédemment cité, le psalmiste chante la grandeur de YHWH qui surpasse tous les dieux (v. 4), sa force créatrice (v. 6) et sa maîtrise de toutes les forces de la nature (v. 7; Jr 10.13; 51.16). Il lie cette puissance aux signes et aux prodiges que YHWH accomplit contre l’Egypte, Pharaon et tous ses serviteurs (vv. 8-9). L’Egypte frappée par YHWH ne sert dans ce psaume que d’exemple pour des nations nombreuses (v. 10). En fin de compte, le Psaume conclut par la nullité des idoles des nations (vv. 15-17) ainsi que celle de ceux qui comptent sur elles (v. 18). Seul YHWH est digne d’être béni, craint par Israël (vv. 19-20). Car il demeure à Sion (v. 21). En présentant YHWH comme créateur, celui qui maîtrise les forces de la nature dont les eaux, les Ps 33 et 135 pensent avant tout à la maîtrise de la mer de joncs lors de la libération des Israélites d’Egypte. L’analogie de ces psaumes avec 30.4-5, 6b permet de démontrer l’infidélité criante de ceux qui se rendent en Egypte ou qui s’y trouvent. En faisant ainsi ils méconnaissent la souveraineté de YHWH, créateur de toutes choses et libérateur d’Israël. Ils refusent de se soumettre à lui. Cet acte aggrave encore leurs péchés. Car seul YHWH a droit aux présents et à la soumission des nations.
427 1Ch 9.26; 26.20, 22,26; 12.44; 13.12, 13; Cf. Ne 10.39.
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La situation que 30.6b veut corriger est celle d’un peuple qui renverse les rôles. Ce qui est toujours reconnu comme prérogative de YHWH, à savoir recevoir toutes les richesses et les trésors de toutes les nations (60.5,11), y compris d’Israël (Mal 3.10), est actuellement attribué à l’Egypte. L’analyse du v. 6b permet de confirmer d’une part le cadre et les motifs cultuels de la condamnation, et d’autre part le même milieu rédactionnel postexilique. Les vv. 4-5 ont des liens intertextuels avec les chs. 60-62 d’Esaïe, les livres d’Esdras, Néhémie, des Chroniques, etc. Ces observations nous conduisent à situer les vv. 4-5, 6b pendant l’époque perse, à prendre le Temple reconstruit comme leur Sitz im Leben et à y identifier l’écho du milieu sacerdotal. Ce milieu était préoccupé d’une part par la protection et la purification du Temple des influences étrangères et d’autre part par la valorisation du rôle des prêtres et autres lévites face aux membres de l’aristocratie juive tentés soit d’y exercer une activité soit d’affaiblir les ressources du Temple en livrant leurs offrandes aux idoles. Par rapport à 30.19-25a, un autre texte de la même couche rédactionnelle, qui présente la communauté des justes, les vv. 4-5, 6b décrivent les Juifs impies. La condamnation des impies vise indirectement l’Egypte, le peuple inutile auquel il s’adresse. S’agit-il en réalité de l’Egypte historique ou d’un nom Code d’un peuple ennemi? Dans les pages qui suivent l’analyse nous permettra d’y répondre. 3.5.1.5.4 Contre un peuple déçu des attentes (30.5, 6b) Les v. 5 et 6b expriment le peu de résultat obtenu auprès du peuple inutile par les «chefs» et les «rois». Etant donné le rôle principal que joue l’expression :O\>L$\DO^ a> (vv. 5 et 6b), nous allons l’analyser dans un premier temps. Cette analyse sera complétée par celle d’autres expressions H DO^ «ne pas secourir» et O\>L$KO DO^ «ni aider», connexes, notamment U]>O WY%R «honte» et K3« U[! «opprobre». Elle permettra de répondre à la question de l’identité et des fonctions de l’Egypte ou de ce peuple (inutile). 3.5.1.5.4.1 L’Egypte: un peuple inutile comme une idole Semblable à un refrain, l’expression :O\>L$\DO^ revient deux fois dans la péricope. Attestée 6 fois428 dans la Bible hébraïque, elle décrit l’in428 1 S 12.21; Es 30.5.6; 57.12; Jr 23.32; Pr 10.2.
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utilité du peuple sur lequel les «chefs» et les «rois» s’appuient. Les trois premières mentions s’inscrivent dans le cadre de la lutte contre l’idolâtrie429 et la proclamation de la souveraineté de YHWH430. La lutte contre l’idolâtrie trouve son contexte original dans le culte431. Un tel cadre est évident dans le ch. 57 d’Esaïe où il est question de l’expression :O\>L$\DO^. Aussi bien sur le plan de la forme que du contenu ce chapitre se rapproche du texte de 30.4-8*. Nous en voulons pour preuve les aspects suivants: – l’utilisation du même vocabulaire: :O\>L$\DO^ (30.5; 57.12), OEK« (30.7; 57.13), aO« $> (30.8; 57.11, 16). – Le parallélisme entre les textes de 30.5-8 et 57.11-16 se retrouve sur le plan du contenu. Les deux textes posent le problème de la confiance en YHWH seul qui réside dans son Temple. Il s’agit de la condamnation de ceux qui placent leur confiance dans quelque chose d’autre que YHWH, des idoles en 57 et un peuple (Egypte) en 30. Cette idolâtrie synonyme d’abandon de YHWH ne produira rien du tout. La proclamation de cette condamnation a le Temple pour cadre. Les préoccupations liées à la sainteté et à la centralité du Temple ressortent clairement dans les deux textes. C’est en vue de ramener les gens à la crainte de YHWH et de placer le Temple au centre de tout que la condamnation de l’idolâtrie est faite. C’est donc un appel au retour vers la maison de YHWH, au lieu d’aller vers les idoles ou vers l’Egypte qui ne peuvent jamais sauver. La prise en compte de ces observations nous suggère de rapprocher 30.4-8* de 57.11-16. Ce rapprochement peut s’étendre d’ailleurs aux autres versets, si on considère que les vv. 1-3 du ch. 30 ont été reçus à l’époque postexilique afin de faire partie de vv. 4-8*. C’est ainsi qu’on trouvera la reprise des termes des vv. 1-3 dans le ch. 57, notamment VQ (30.1; 57.6), [:U (30.1; 57.13, 15, 16), a\NLOK KR , OHKR (30.2; 57.2, 17); KV[ (30.2; 57.13). A la lumière de cette comparaison, nous serions même 429 Voire les autres occurrences où la racine se trouve sous d’autres formes négatives (:O\>L$\O%) (44.9, 10); 47.12; Cf. J. VERMEYLEN, Du prophète Isaïe à l’apocalyptique, 1977, p. 409; P. HÖFFKEN, Das Buch Jesaja, Kapitel 1-39, 1993, p. 210; U. BECKER, Jesaja – von der Botschaft zum Buch, 1997, p. 247. 430 Jb 21.15. 431 J. VERMEYLEN, Du prophète Isaïe à l’apocalyptique, 1977, p. 409.
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tenté d’imaginer que le silence fait dans 30.5, 6b sur le nom de l’Egypte s’expliquerait par son remplacement par la mention des idoles. L’Egypte ici ne semble pas être une nation historique, au profit des idoles. La quintessence du message exprimée par l’expression :O\>L$\ DO^ dans 30.5 et 57.12 s’inspire de la tradition de Samuel en 1 S 12.21. Cette tradition pose le problème fondamental de la vocation principale d’Israël, à savoir: se mettre au service de YHWH seul, en dehors de qui il n’y a pas de salut. Ni les idoles ni les richesses (Pr 10.2; 11.2) ni les puissances ne peuvent le remplacer. C’est pourquoi le peuple vers lequel les richesses et les trésors sont transférés ne pourra être d’aucun secours. 3.5.1.5.4.2 Vers un peuple d’aucun secours Telle une idole, ce peuple n’est pas seulement d’aucune utilité, il est aussi sans secours. La proclamation de la nullité du secours de l’Egypte vise une chose: proclamer la souveraineté de YHWH et son «incomparabilité» dans sa capacité de venir en aide à son peuple. Cette affirmation de foi trouve son Sitz im Leben dans le milieu cultuel relatif à la tradition de Moïse (Dt 33.26, 29) et de la guerre de YHWH (1 S 7.12). YHWH est la pierre de secours en temps de guerre et de menace pour les autres que Samuel nomme Eben-Ezer. Il est chanté dans le sanctuaire (Temple) comme le vrai secours (Ps 33.20; 70.6; 121.1-2,8) et digne de se confier en lui (Ps 115.9, 10,11). Le bonheur d’Israël est à ce prix (Ps 146.5). La centralité du Temple est à l’origine de la centralité de Sion comme le lieu d’où YHWH envoie le secours (Ps 20.3). Nous avons déjà fait observer que la condamnation des «chefs» et des «rois» qui se trouvent ou qui se rendent en Egypte vise la centralité du Temple qui est à Sion. Elle véhicule donc la théologie de Sion postexilique. En fait foi, l’analyse de l’expression U]>O H DO^ par laquelle ce peuple (Egypte) est qualifié. En elle-même l’expression est un hapax legomenon. Toutefois le substantif U]>H est attesté 28 fois432 dans la Bible hébraïque sous sa forme affirmative. L’inventaire de ces occurrences permet de se rendre compte de l’emploi de U]>H dans les textes généralement tardifs. Ezer est même 432 Gn 2.18, 20; Ex 18.4; Dt 33.7, 26; 33.26, 29; 1 S 7.12; Es 30.5; Ez 12.14; Os 13.9; Ps 20.3; 33.20; 70.6; 89.20; 115.9, 10,11; 121.1, 2; 124.8; 146.5; Ne 3,19; 12.42; 1 Ch 4.4; 7.21; 12.10.
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devenu à l’époque perse le nom porté par plusieurs personnes (Ne 3.19; 12.42; 1 Ch 4.4; 7.21; 12.10). En outre le mot est attaché à la personne de YHWH ou à son oeuvre. Cela démontre simplement l’exclusivité de YHWH comme la seule source d’aide, en dehors de qui, il n’y a rien. Ce qui explique sa forme négative en 30.5 lorsqu’il s’agit de quelqu’un d’autre. Cette forme confirme le caractère concurrentiel entre YHWH seul capable d’aider (Os 13.9) et le peuple qui n’est d’aucun secours. Etant donné que le secours est une exclusivité de YHWH, solliciter l’aide de quelqu’un d’autre que lui est d’office une illusion, une peine perdue et une source de la ruine. Selon 30.5, ce peuple est une illusion, son aide également. Il y a ici l’affirmation de l’exclusivité de YHWH en ce qui concerne sa capacité de venir en aide. Cette vérité est d’une part liée à l’histoire de l’exode et d’autre part au Temple. Dans l’épisode de la rencontre de Moïse et de Jéthro, Moïse proclame par le nom d’Eliézer (U]>\ OLD) 433, un de ses deux fils, que Dieu l’a secouru et surtout l’a délivré de l’épée du Pharaon (Ex 18.4). Pour ce qui est du Temple, YHWH, le Dieu de secours, est chanté dans le Psautier434. La proclamation de YHWH comme le Dieu qui donne le secours trouve son Sitz im Leben dans la tradition de la guerre de YHWH. (1 S 7.12; Dt 33.26, 29). Elle vise la lutte contre l’idolâtrie et la purification du sanctuaire des influences religieuses étrangères. En 1 S 7, Samuel 433 Eléazar (U]«>« OD) est la variante du nom U]>\OLD (Gn 15.2; Ex 18.4; Esd 10.31; 1 Ch 23.17; 27.16; 2 Ch 20.37). Ce nom est exclusivement réservé aux membres du sacerdoce en Israël (Ex 6.23; 28.1; Lv 10.12,16; Nb 3.2,4,32; 4.16; 17.2,4; 19.3,4; 10.25,26,28; 25.7,11; 26.1,60; 27.2,19,21,22; 31.6,12,21; 32.2,28; Dt 10.6; Jos 14.1; 17.4; 19.51; 21.1; 22.13,32; Jg 20.28; 1 S 7.1; Esd 7.5; 8.33; 1 Ch 6.3,4,50; 9.20; 11.12; 23.21,22; 24.1,2,3,4,5,28. L’analyse de ces deux noms conduit à deux observations. D’une part le nom est l’affirmation de la foi en Dieu comme l’unique source de secours. D’autre part cette affirmation était proclamée dans le cadre cultuel, en vue de déclarer l’inutilité des idoles. L’attachement de ce nom au sacerdoce, son absence dans les livres prophétiques classiques et sa présence dans les livres de l’Exode, du Lévitique, des Nombres, dtr, dans les livres des Chroniques et dans celui d’Esdras sont autant des preuves qui confirment d’une part l’influence de la tradition de l’exode et d’autre part celle des milieux sacerdotaux dans les réformes cultuelles à l’époque perse. Il se trouve entre les milieux dtr et Chr. Toutefois, le nom (U]>\OLD), absent des livres dtr, semble plus tardif que U]«>« OD: il serait attaché aux milieux cultuels entre Esd-Chr. 434 20.3; 33.20; 70.6; 89.20; 115.9, 10, 11; 121.1, 2; 124.8; 146.5.
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invite toute la maison d’Israël à écarter de chez lui les «dieux de l’étranger et les Astartés» et à diriger son cœur vers YHWH afin de le servir, lui seul. La purification du culte des éléments étrangers et l’adoration exclusive de YHWH semblent être les motifs théologiques fondamentaux qui sous-tendent non seulement ce texte, mais aussi la théologie de toute la Bible du peuple juif. En effet, YHWH est l’incomparable Dieu d’Israël qui vient au secours de son peuple. Il est le bouclier et l’épée qui font sa puissance (Dt 33.29). A la lumière de ces observations, 30.5 justifie les réformes visant la purification du culte de YHWH de tous les éléments rituels étrangers. C’est une condamnation énergique à la fois du syncrétisme et de l’apostasie. L’identification des destinataires avec les «princes» et les «rois» pourrait supposer que les influences de l’idolâtrie auraient été apportées par les aristocrates qui avaient la possibilité de voyager et d’être en contact avec d’autres peuples voisins de près et de loin. 3.5.1.5.4.3 Ce peuple c’est de la honte et de l’opprobre Le v. 5 finit par donner le résultat de la démarche des «princes» et «rois». Il est désastreux. C’est la honte (WY%R) et l’opprobre (K3«U[ ! ). Pour nombre de commentateurs, l’opprobre évoque ce que subissent les émissaires d’Ezéchias après la défaite de l’armée égyptienne à Eltekeh435. Mettant en doute cette hypothèse, certains auteurs y voient une allusion à la catastrophe de 587436. U. Becker refuse d’y reconnaître un événement concret437 et situe ce texte dans la «Ungehorsamsredaktion» comme une réflexion théologique sur le péché d’Israël entre Dtr et Ch. L’analyse précédente sur les vv. 4 et 5 a démontré les liens de ce texte avec le ch. 44 de Jérémie et les livres d’Esdras, Néhémie et Chroniques, comme relecture des textes deutéronomistes, dont les vv. 1-3, notamment à travers la reprise au v. 5 du terme WY%R attesté au v. 3. L’analyse de K3« U[ ! confirme nos observations.
435 S. HERMANN, A History of Israel, 1981, p. 257; J. N. OSWALT, The Book of Isaiah 1-39, 1986, p. 544; J. BLENKINSOPP, Isaiah 1-39, 2000, p. 411; H. WILDBERGER, Isaiah 28-39, 2002, p. 123. 436 P. HÖFFKEN , Das Buch Jesaja, Kapitel 1-39, 1993, p. 210; R. KILIAN, Jesaja 1339, 1994, p. 173. 437 U. BECKER, Jesaja – von der Botschaft zum Buch, 1997, p. 247.
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Ce terme est attesté 73438 fois dans la Bible hébraïque. En 30.5, il exprime le résultat obtenu par ceux qui sont dans les villes égyptiennes. Aussi allons-nous prendre pour critère d’analyse le lien de K3«U[ ! avec l’Egypte. A part 30.4-5, ce lien est attesté dans Jos 5.9; Jr 42.18; 44.8, 12; Os 12.14-15; Dn 9.15-16; 11.8-18. Dans le cadre de la condamnation en rapport avec l’Egypte, ce lien est attesté en Jr 44.18; 44.8, 12. Toutefois, sa présence dans les autres textes se rapporte à l’histoire de l’exode (Os 12.14-15). La sortie de l’Egypte est vue comme la fin de l’opprobre (Jos 5.9). Elle est évoquée dans la prière de confession de Daniel au moment où le peuple d’Israël est l’objet d’opprobre pour tous ceux qui l’entourent (Dn 9.15-16). Dans ce texte, l’opprobre n’est pas celle que subissent ceux qui se trouvent en Egypte, mais plutôt celle que subissent ceux qui sont persécutés à cause de YHWH. L’attitude de Daniel et de l’ensemble du peuple se présente comme un correctif à celle des Juifs qui sont dans les villes égyptiennes, à Tsoan et Hanes (30.4-5), attitude largement condamnée par YHWH dans les chs. 42-44 du livre de Jérémie, en particulier Jr 42.18; 44.8, 12. En Jr 42.18, l’opprobre est associé aux malédictions sur les habitants de Jérusalem, sur les survivants de Juda qui fuient vers l’Egypte. Par leur fuite, ils bafouent ainsi la parole prophétique qui les persuade de rester en Palestine et leur interdit de se rendre en Egypte. Les survivants de Juda veulent par cette descente trouver la paix et la sécurité alimentaire en Egypte (Jr 42.14-15). Dans la Bible hébraïque, l’Egypte représente dans une large mesure le grenier et la forteresse des réfugiés (Cf. Gn 41.5; 42ss; 1 R 11.40; Jr 26.21-23; 41.16-18; 42.1-17; 44.1).439 Le problème que les prophètes veulent régler par l’interdiction de descendre en Egypte est double: – empêcher le dépeuplement continuel de Juda et de ses villes suite aux grandes déportations déclenchées plusieurs années auparavant par l’exil babylonien, surtout au moment de l’amorce des travaux de reconstruction du pays et du Temple, – donner l’impression que Juda est encore un pays vivable. 438 Gn 30.23; 34.14; Jos 5.9; 1 S 11:2; 17.26; 25.39; 2 S 13.13; Es 4.1; 25.8; 30.5; 47.3; 51.7; 54.4; Jr 6.10; 15.15; 20.8; 23.40; 29.18; 31.19; 42.18; 44.8,12; 49.13; 51.51; Ez 5.14.15; 16.57; 21.33; 22.4; 36.15,30; Os 12.15; Jl 2.17,19; Mi 6.16; So 2.8; 3.18; Ps 15.3; 22.7; 31.12; 39.9; 44.14; 69.8,10,11,20,21; 71.13; 74.22; 78.66; 79.4,12; 89.42,51; 109.25,39; Job 16.10; 19.5; Pr 6.33; 18.3; Lm 3.30,61; 5.1; Dn 9.16; 11.18; 12.2; Ne 1.3; 2.17; 3.36; 5.9. 439 R. ALBERTZ, Die Exilzeit, 2001, pp. 105-106.
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En Jr 44.8, YHWH s’adresse à ceux du peuple d’Israël qui habitent le pays d’Egypte et qui pratiquent l’idolâtrie en offrant de l’encens aux autres dieux. Ce comportement est à la base de leur extermination. Il fait d’une partie d’Israël un objet de malédiction et d’opprobre (K3« U[ ! ) parmi les nations (Jr 44.12). Un autre texte qui lui est semblable établit un lien entre l’Egypte et la pratique de l’idolâtrie par ceux qui s’y sont rendus. Il est reproché à ceux qui sont à Daphné (43.8), à Memphis et dans le pays de Patros (44.1) de suivre le chemin de ceux qui étaient à Jérusalem et dans les villes de Juda qui, à cause de leur idolâtrie, ont fini dans la ruine (44.3). Car eux aussi, pratiquent l’idolâtrie, en versant des libations à la reine du ciel et (44.19). Le ch. 44 présente le problème théologique fondamental qui est à la base de l’interdiction d’aller ou de rester en Egypte. Il s’agit d’empêcher le peuple de se mettre au service de la reine du ciel. En la servant, le peuple fait d’elle la concurrente de YHWH440. Le texte vise donc à proclamer YHWH comme l’unique source de sécurité et de subsistance en face de ceux qui pensent que c’est la reine du ciel qui est capable de donner du pain et le bonheur (Jr 44.17)441. YHWH réagit à cette attitude par l’annonce de son châtiment exprimé entre autres par le mot K3«U[ ! : En effet vous m’offensez par vos pratiques: vous brûlez des offrandes à d’autres dieux dans le pays d’Egypte où vous êtes venus vous réfugier, vous finirez par provoquer votre extermination et vous passerez au répertoire des malédictions et des injures (K3«U![) chez toutes les nations. (Jr 44.8).
Ces textes se rapprochent de 30.4-5. Ils concernent un message de malheur à ceux qui sont dans les villes égyptiennes et qui se livrent à l’idolâtrie et poursuivent le syncrétisme préexilique442. Pour le prophète, descendre ou vivre en Egypte est synonyme d’abandonner YHWH et servir les dieux égyptiens dont la reine du ciel. Il apparaît évident que les textes évoquent les villes égyptiennes au moment de la lutte contre l’idolâtrie à l’époque postexilique.
440 R. ALBERTZ, Die Exilzeit, 2001, p. 330. 441 J. SCHREINER, Jeremia II, 1984, p. 229. Pour l’auteur, il s’agit du culte à la déesse babylonienne Ishtar et également à l’Astarté de la Bible hébraïque. 442 R. ALBERTZ, Die Exilzeit, 2001, p. 253.
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Le cadre historique du ch. 44 du livre de Jérémie divise les critiques. Pour les uns, le ch. 44 est l’œuvre authentique de Jérémie. Il fait écho à son message adressé aux réfugiés et aux fugitifs Judéens en Egypte vraisemblablement dans les années consécutives à la catastrophe de 587443. Cependant, d’autres y voient un texte postexilique444. Toutefois, ils diffèrent sur la datation exacte. S. Mowinckel le situait au 4e siècle445, K. Seybold préfère la période entre 580 et 520446, H.-J. Stipp à l’époque de la restauration du culte de Juda au début de l’époque postexilique447. Quant à lui, R. P. Carroll situe le texte à la même époque du 2e Temple avec les livres d’Agée, Néhémie, Chroniques, Esdras et le «Trito-Esaïe» (56-66)448. Le point de vue de Carroll a été récemment repris et soutenu par C. J. Sharp449. Le recoupement du message de 30.4-5 avec Jr 42-44.40 nous permet de situer les deux passages dans le contexte de la relecture à l’époque perse de la prédication de Jérémie concernant l’Egypte. Par conséquent, l’attribution de 30.4-5 à l’époque monarchique sous Ezéchias (705701)450 ou à l’époque exilique451 serait à revoir. La péricope fait écho aux reformes cultuelles du 2e Temple452 entreprises par les milieux sacerdotaux. Pour ces milieux, le fait pour les Juifs de descendre en Egypte 443 R. ALBERTZ, Die Exilzeit, 2001, p. 253; C. MAIER, Jeremia als Lehrer der Tora, 2002, p. 91. 444 K. SEYBOLD , Der Prophet Jeremia, Leben und Werk, 1993, p. 33. 445 S. MOWINCKEL, Zur Komposition des Buches Jeremia, 1914, p. 57. 446 K. SEYBOLD , Der Prophet Jeremia, Leben und Werk, 1993, p. 33. 447 H.-J. STIPP , Jeremia im Parteienstreit…, 2000, p. 82. 448 R. P. CARROLL, Jeremia, 1986, p. 733. 449 C. J. SHARP , Prophecy and ideology in Jeremiah …, 2003, p. 50. 450 B. DUHM, Das Buch Jesaja, 1902, 2e éd., p. 185; O. PROCKSCH, Jesaja I: Kap. 139, 1930, p. 386; E. BALLA, Die Botschaft der Propheten, 1958, p. 141; G. FOHRER, Das Buch Jesaja: Kapitel 24-39, 1962, pp. 86-87; W. EICHRODT , Der Herr der Geschichte: Jesaja 28-39, 1967, p. 163; O. KAISER , Der Prophet Jesaja, Kap. 1339, 1973, p. 227; W. DIETRICH, Jesaja und die Politik, 1976, 139; H. WILDBERGER, Isaiah 28-39, 2002, p. 123; J. BARTHEL, Prophetenwort und Geschichte,1997, p. 402; U. BERGES , Das Buch Jesaja, Komposition und Endgestalt, 1998, p. 213. 451 O. KAISER, Der Prophet Jesaja, Kap. 13-39, 1973, p. 227 et R. KILIAN, Jesaja 1339, 1994, p. 172. Tout en reconnaissant le contexte du 8e siècle, ces auteurs n’ont pas exclu de voir dans le texte une allusion à 587. Mais J. VERMEYLEN précise sans doute qu’il s’agit d’un texte exilique: J. VERMEYLEN, Du prophète Isaïe à l’apocalyptique, 1977, p. 410. 452 R. P. CARROLL, Jeremia, 1986, p. 732.
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ou d’y demeurer en quête de protection et de sécurité est synonyme d’abandon de YHWH et d’idolâtrie. L’abandon de YHWH à cause de l’Egypte rappelle les causes de la crise de 587 durant laquelle l’Egypte était incapable d’assurer la protection de Juda (30.1-3). Un tel message est relu à l’époque apocalyptique où elle reçoit son vrai nom de la part de YHWH. L’Egypte, c’est du vent, c’est Rahav. Dans notre démarche, nous allons nous concentrer sur l’analyse de Rahav, l’appellation par laquelle culminent tous les qualificatifs sur l’Egypte dans le v. 7. 3.5.1.5.4.4 L’Egypte: Rahav – vaincu par YHWH (30. 6a, 7-8) Rahav en 30.7 est le dernier nom et le titre que l’Egypte reçoit de la part de YHWH. Dans l’édition de 1982, O. Kaiser situe l’interprétation du mythe de Rahav à l’époque de Ptolémée qui régnait sur l’Egypte. Avec la mort du roi séleucide Antioche III, la population de Jérusalem nourrissait l’espoir que le salut vienne de l’Egypte453. U. Becker y voit un texte de l’époque apocalyptique tardive454. Le cadre apocalyptique et cultuel de l’appellation semble trouver des appuis dans le texte. Il s’agit principalement du nom Rahav, du qualificatif WEY« aKH et de l’action souveraine de YHWH consistant de donner un nom. L’analyse de ces trois concepts nous sera utile. Elle aura pour but de démontrer le lien du v. 7 à la fois avec les chs. 63-66 d’Esaïe et les livres apocalyptiques. 3.5.1.5.4.4.1 L’appellation Rahav: un acte de souveraineté de YHWH YHWH dit: c’est pourquoi, je l’appelle (\WLDU«T)« . Par cet acte, il manifeste sa souveraineté. Exprimant l’action de YHWH, \WLDU«T« est attestée 11 fois455 dans la Bible hébraïque, dont 6 chez Esaïe. L’inventaire des citations permet de situer cette expression dans le contexte cultuel. Elle est liée au salut de YHWH en faveur de son peuple. Le salut, c’est d’abord l’exode (Os 11.1). Dans cette tradition \WLDU«T« fait partie des instructions divines relatives à l’organisation du culte (Ex 24.12-31.18), particulièrement la désignation de Beçalel comme un des ouvriers du sanctuaire (Ex 31.7-10). 453 O. KAISER , Jesaja 13-39, 1982, p. 283. 454 U. BECKER, Jesaja – von der Botschaft zum Buch, 1997, p. 250. 455 Ex 31.2; Es 13.3; 22.20; 30.7; 43.1; 50.2; 65.12; Ez 36.29; 38.21; Os 11.1; Lm 1.19.
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Ensuite, ce salut se manifeste également dans la restauration nationale et spirituelle d’Israël (Ez 36.16-38). Dans ce texte, YHWH promet de multiplier les récoltes en faveur de son peuple, de créer l’abondance et lui éviter la famine. La sécurité alimentaire semble être la préoccupation du passage. A cela s’ajoute la promesse de salut à Israël au moment où YHWH appelle l’épée du châtiment contre Gog (Ez 38.21). Par ce jugement il vise une chose: montrer sa grandeur et sa sainteté aux nombreuses nations afin qu’elles connaissent qu’il est le Seigneur (Ex 38.23). La présence majoritaire (6 fois sur les 11) de \WLDU«T« dans le livre d’Esaïe nous conduit à faire les observations suivantes: D’une part, cette expression est attestée dans les trois parties du livres: «Proto- (13.3; 22.20; 30.7), «Deutéro- (43.1; 50.2) et «Trito-Esaïe» (65.12). D’autre part, elle est liée au salut d’Israël (22.20; 43.1) et au malheur des infidèles (50.2; 65.12) ainsi que des nations étrangères (13.3; 30.7). Du fait que notre texte se trouve dans la seconde catégorie, nous allons le comparer avec les autres. Es 13.3 et 65.12 évoquent le jugement de YHWH et la proclamation de sa souveraineté. Alors que le premier texte annonce l’envoi par YHWH d’une armée pour mettre fin à Babylone, le second s’attaque aux impies qui ont abandonné YHWH et oublié sa montagne sainte. Ils ont apprêté pour Gad une table et rempli la coupe de Méni (65.11). Cette attitude ne restera pas impunie. YHWH promet l’épée égorger tous ces infidèles. Parce qu’ils n’ont pas écouté sa parole (65.12). L’abandon de YHWH, l’oubli de sa montagne sainte, le culte à Gad et les libations à Méni constituent les griefs reprochés aux impies qui n’ont pas écouté la parole de YHWH. Que dire alors de la relation entre 30.7 et 65.11ss? L’analyse de ces deux textes permet d’observer des éléments de rapprochement de forme et de fond. Sur le plan de la forme, ces textes sont constitués des mêmes mots clés. Prenons l’exemple des termes qui accusent: Es 65.11 mentionne le «mélange» de libations (V«PP L) pour Méni – divinité cananéenne456 – comme griefs reprochés aux impies. En 30.1, l’accusation concerne le versement de libations (KN« 6P H ). Ce dernier mot est inconnu du «Trito-Esaïe», alors qu’il est dans le «Proto-Esaïe». Le terme V«PP L est très rare dans la Bible hébraïque, car il n’y est attesté 456 TOB, 2004, p. 533.
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que 2 fois (65.11 et Pr 23.30). Ces différences se justifient par l’éloignement historique et l’évolution rédactionnelle de ces deux textes. En effet, les rédacteurs de 65.11 semblent avoir relu 30.1 lorsque ce texte a été joint au v. 7. De toute manière, KN« 6P H et V«PP L dérivent de la même racine VP et leurs sens respectifs ne s’éloignent pas tellement. Entre verser les libations et les mélanger, il n’y a qu’un pas. A côté des dérivés de la racine VP, il y a aussi la racine UUV attesté aussi bien en 30.1 (a\U,U$! Va\Q,%)« qu’en 65.2 (UUH$Va>). Il en est de même de a\NLOK KR (30.2; 65.2); [:U (30.1; 65.14); l’expression :OD« Y« DO^ (30.2) pour :OD« Y« D$O (65.1). De plus, les deux chapitres emploient le verbe DUT comme action de YHWH (30.7; 65.1, 12, 24). Ces exemples parlent d’eux-mêmes et sont des indices du rapprochement entre 30.1-8 dans son ensemble avec le ch.65. Sur le plan du contenu l’accusation en 30.1-8 et dans le ch. 65 est double. Il s’agit à la fois de la condamnation de l’idolâtrie (30.1, 2, 4, 6; 65.11) et du manque d’écoute de la parole de YHWH (30.1; 65.12). Cette attitude entraîne le châtiment divin contre le peuple rebelle d’un côté, et contre les idoles, de l’autre. Ces idoles portent le nom de Gad et Méni en 65.12, tandis qu’en 30.7 l’idole se nomme Rahav (EKU) . Ces observations nous conduisent à supposer que l’expression WEY« aKH EKU WD]2O« \WLDU«T« NHO« fait écho à la fois à l’époque perse et à l’époque hellénistique. La première renvoie au châtiment de Babylone évoqué dans le «Deutéro-Esaïe». Mais la chute de Babylone est reprise symboliquement et appliquée à l’époque apocalyptique, au moment du déclin du royaume des Séleucides et de la mort d’Antiochus Epiphane IV. Ces hypothèses sont du reste soutenues par l’analyser du nom de Rahav. 3.5.1.5.4.4.2 Rahav, anéanti par YHWH Le nom WEY« aKH EKU est un porte-malheur pour l’Egypte. Ce malheur est double. D’une part, l’Egypte est transformée en monstre. D’autre part, YHWH lui annonce sa destruction définitive. La racine WEYporte tout le sens de ce nom. Il faut d’abord constater que le nom WEY« aKH EKU est un hapax legomenon. Cependant, l’anéantissement de l’Egypte comme œuvre de YHWH est attestée cinq fois457. L’inventaire de mentions permet d’ob457 Es 30.7; Ez 23.27; 30.10, 13, 18.
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server que cette action divine est en rapport avec le message de salut d’Israël. Pour réaliser ce salut, YHWH met fin d’une part aux crimes et aux débauches d’Israël en terre d’Egypte (Ez 23.27) et d’autre part, il détruit tout ce que fait l’Egypte et lui appartienne (Ez 30.10, 13, 18). Ce sort de l’Egypte est confirmé dans 30.7b. Il s’inscrit par ailleurs dans la lutte contre l’idolâtrie (Ez 30.13) et vise à amener chacun à reconnaître la seigneurie de YHWH (Ez 30.19). L’exclusivité de l’emploi de WEY comme action de YHWH contre l’Egypte dans ces textes invite à entrevoir une relation intertextuelle entre 30.7 et le ch. 30 d’Ezéchiel. Du fait que dans ce dernier texte l’Egypte n’est pas désignée par un nom mythique, laisse supposer que 30.7 serait la relecture apocalyptique de l’incapacité de l’Egypte à secourir Juda et sa neutralisation par les Babyloniens lors de la crise de 587. Il faut mentionner ici que le texte d’Ezéchiel est situé à l’époque apocalyptique458. La relecture apocalyptique de la neutralisation de l’Egypte est en plus confirmée par l’identification de cette nation avec EKU. Ce nom est attesté 7 fois dans la Bible hébraïque459. Il comporte différents sens. Il signifie «agitation», «orgueil»,460 mais désigne également le nom propre d’un monstre mythique du chaos (51.9; Ps 40.5; Jb 8.13; 26.12), symbole de l’Egypte (30.7; Ps 87.4).461 Le nom dérive de la racine EKU qui signifie au Qal «malmener, importuner» (3.5; Pr 6.3) et au Hi. «Inquiéter, troubler» (Qo 6.5). Avec ce sens, on comprend parfaitement bien ce que représente Rahav. C’est un monstre agité, qui malmène, inquiète et trouble. Dans la nature, il est associé à la mer qui, par l’agitation des vagues, indique un pouvoir chaotique destructeur comme celui d’un monstre462. C’est pourquoi, il porte des noms mythiques: Léviathan, Rahav, Tehom et Tannin. D’ailleurs, le terme hébreu n’est pas dépourvu de contenu mythique463.
458 D. I. BLOCK , The Book of Ezechiel, ch. 25-48, 1998, p. 156. 459 Es 30.7, 51.9; Ps 40.5 (pl.); 87.4; 89.11; Jb 9.13; 26.12 (Cf. G. L ISOWSKY , Konkordanz zum Hebräischen Alten Testament, 1999, p. 1320; C. P ETERSEN , Mythos, 1982, p. 135). 460 P. REYMOND, Dictionnaire d’hébreu et d’araméen biblique, 2002, p. 347. 461 Ibid. 462 O. KEEL et S. SCHROER , Schöpfung…, 2002, p. 44. 463 Ibid.
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L’emploi très réduit de EKU dans la Bible hébraïque suggère son origine extrabiblique. Les rédacteurs du 30.7 semblent tirer son image de la mythologie du Proche-Orient ancien où Rahav était connu. Il est attesté dans Ugarit464, à Babylone, en Canaan déjà dans la période préexilique. Mais dans les textes de l’AT, le mythe de EKU est «avant tout un produit de l’époque exilique»465. Il est associé à la tradition de l’exode466. Cette tradition a été relue au retour de l’exil considéré à la fois comme nouvel exode et victoire de YHWH sur la mer (51.9)467. Le chapitre 51 d’Esaïe fait référence au passé lointain et renvoie soit à la guerre contre la mer lors de la création468 soit à la victoire sur la mer des joncs lors de sa traversée par les Israélites469. Au v. 10, la maîtrise de YHWH sur la mer et l’immense abîme est mise en relation avec le traçage du chemin, le passage des rachetés, lors du retour de l’Exil. Cette maîtrise de la mer rappelle l’Exode et la traversée par les Israélites de la mer des joncs sous la menace des Egyptiens470 durant laquelle «YHWH refoula la mer toute la nuit par un vent d’Est puissant et il mit la mer à sec» (Ex 14.21)471. La main puissante de YHWH a réduit à néant la force terrifiante de la mer qui empêchait Israël de traverser pour aller servir son Dieu et a ordonné à cette même mer d’engloutir Pharaon et son armée (Ex 14.16-17)472. Prise dans ce contexte, l’appellation de l’Egypte comme Rahav fait ressortir trois attributs de YHWH: à la fois vainqueur du Chaos, créateur de la terre473 et souverain sur toutes choses. En tant que créateur, YHWH est le dispensateur et le garant de la vie de son peuple474. Et en tant que souverain, il sera reconnu par tous comme l’unique vrai Dieu.
464 465 466 467 468 469 470 471 472 473 474
244
O. KEEL et S. SCHROER, Schöpfung…, 2002, p. 44. U. RÜTERSWÖRDEN, in THWAT / VII, p. 376. R. von RANKE-GRAVES et R. PATAI , Hebräische Mythologie…, 1986, p. 56. H. GUNKEL, Schöpfung und Chaos, p. 31 Ibid., p. 32; U. RÜTERSWÖRDEN, p. 377. U. RÜTERSWÖRDEN, p. 377. H. GUNKEL, Schöpfung und Chaos, 1921, p. 31. B. S. CHILDS , Isaiah, 2001, p. 403. H. GUNKEL, Schöpfung und Chaos, 1921, p. 32. C. AUFFARTH , Der drohende Untergang, «Schöpfung», 1991, p. 65. Ibid.: «Die Rezeption der Prädikation Jahwe als ‹Schöpfer der Erde› ist historisch zunächst verbunden mit der Einnahme der Jebusiterstadt Jerusalem und ihrem Ausbau zur Stadt der Königsdynastie der Davididen».
YHWH manifeste sa souveraineté par sa maîtrise des éléments naturels que son peuple redoute. Car même la mer, malgré son immensité, lui est soumise (Ps 89.10-11). Cette souveraineté est évoquée en Jb 26.12 «Par sa force, il a fendu l’Océan, par son intelligence, il a brisé Rahav» et en Jb 9.13 «Dieu ne réfrène pas sa colère, devant lui s’inclinent les alliés de Rahav». U. Rüterswörden pense que l’oracle sur les alliés de Rahav rappelle les troupes alliées de Timiat et Kungus dans EnEl IV 69.107475. C’est une allusion aux divinités, ce qui confirme notre observation selon laquelle le contexte de 30.7 sous-tend la lutte de YHWH contre les idoles. Il montre YHWH créateur qui, lors de la création, avait vaincu les puissances du chaos, en particulier les eaux de la mer (Gn 1.2)476. La proclamation de YHWH créateur et souverain a lieu dans son sanctuaire (Temple) comme le chante le Psalmiste. Au Ps 87.4, YHWH mentionne Rahav à côté de Babylone parmi les nations qui le connaissent. En tant que nom donné à l’Egypte, Rahav est «une historicisation» du mythe. L’Egypte était considérée comme dangereuse et puissante, mais sa force et sa violence appartiennent désormais au passé, comme l’est le monstre du chaos aujourd’hui sans puissance. YHWH a vaincu Rahav, le monstre de la création et l’Egypte de l’histoire. S’il est vrai que les traditions de la création et de l’exode influencent la majeure partie des emplois du nom Rahav, nous devons toutefois nous demander pour quel motif théologique YHWH nommera l’Egypte Rahav. En même temps, il nous faut répondre à la question du contexte rédactionnel de l’emploi de Rahav en 30.7. En désignant l’Egypte par EKU, le monstre du chaos, les rédacteurs de la période perse utilisent des grands moyens pour démontrer combien l’Egypte ne représente plus rien pour tous ceux qui comptaient sur elle. Jamais elle ne remplacera YHWH pour sauver Israël et lui assurer sa sécurité. La conception de «YHWH qui seul sauve Israël» exprime la foi d’Israël au retour de l’exil; elle s’appuie sur la tradition de l’Exode où l’image de l’Egypte est celle d’une puissance que YHWH avait vaincue lorsqu’il libéra les enfants d’Israël. La relecture de l’Exode dans le cadre du retour de l’exil s’inscrit dans le message du «Deutéro-Esaïe» 475 U. RÜTERSWÖRDEN, p. 376. 476 H. GUNKEL, Schöpfung und Chaos, p. 32; G. SCHMITT, «Rahav» in BHH, III, 1966, col. 1548; J. D. W. WATTS, Isaiah 1-33, 1986, p. 396.
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(chs. 40-55) et les oracles contre les nations (chs. 13-23). C’est dans cette rédaction qu’il faut situer 30.6-7. Or comme nous allons le démontrer plus tard dans l’étude du ch. 14, le recueil des oracles contre les nations contient des textes de l’époque perse et de la période hellénistique placés côte à côte. Il n’est donc pas exclu de voir le même phénomène intervenir dans les vv. 4-8. Es 30.7 présente donc YHWH comme le Dieu créateur, celui qui appelle toute chose à l’existence et qui est au-dessus de toute chose. Sa souveraineté s’étend sur tout l’univers. Ainsi, le texte proclame la vérité qui est à la base de tout le message d’Esaïe, révélée dans la vision inaugurale où la souveraineté de YHWH est liée à sa sainteté (6.1-5). YHWH reconnu comme seul Dieu est le premier commandement du décalogue qui sous-tend tout le message dans 30.1-8 en général et dans les vv. 6-8 en particulier. Devant lui aucune puissance ne peut résister. L’Egypte qui avait osé usurper les attributs de YHWH a fini par être détruite à l’instar du monstre mythique du Chaos lors de la création. Rahav est désormais son nom. La souveraineté de YHWH et la fin de l’Egypte devront être racontées à toutes les générations actuelles et à venir. C’est cela qui motive l’ordre de le mettre par écrit. 3.5.1.5.5 Ecrire que YHWH est Dieu à jamais L’ordre d’écrire vise un seul but: laisser des traces pour les jours à venir ($U[@D a$\O), éternellement et à perpétuité (aO« $>G>G>O)« (v. 8). Quel est le contenu de l’écrit? A quel milieu rédactionnel est donné l’ordre d’écrire? Méthodologiquement, nous préférons commencer par répondre à la question du but et ensuite à celle du contexte rédactionnel. En relation avec le mot USVH «livre, lettre, document, Ecritures, écriture (graphie)», le terme $U[@D «à venir, futur, suivant, qui est en arrière, à l’Ouest» est attesté principalement dans le livre des Chroniques477. L’inventaire de ces apparitions montre la mise par écrit dans les livres des rois d’Israël et de Juda de leurs actes (David, Salomon, Roboam, Asa, Josaphat, Amasias, Akhaz et Josias). Dans le Psautier, l’expression $U[@D U$G est employée 3 fois avec la racine USV (Ps 48.14; 78.4. 6 et 102.19) et 1 fois avec la racine EWN 477 1 Ch 29.29; 2 Ch 9.29; 12.15; 16.11; 20.34; 25.26; 26.22; 28.26; 35.27.
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(Ps 102). Dans ces occurrences, le verbe EWN a le sens de raconter, proclamer, annoncer. Dans des oracles de salut, Israël est invité à annoncer à la génération à venir (Ps 48.14) que YHWH est son Dieu à jamais (Ps 48.15). Dans ce psaume, le psalmiste chante tout joyeux la grandeur du nom de Dieu qui couvre l’étendue de la terre (Ps 48.11). La souveraineté et la toute puissance de YHWH se manifeste à Sion, la cité du grand roi (Ps 48.3). C’est là qu’il met en débandade les rois et fracasse les bateaux de Tarsis (Ps 48.8). A partir de Sion, cette joie gagne toute la terre (Ps 48.3). Dans le Ps 78.4-6, Israël prend la résolution de ne pas taire à la génération suivante ($U[@D U$') les titres de gloire de YHWH, sa puissance et les merveilles qu’il a faites (Ps 78.4). Parmi ces merveilles, il y a le miracle en terre d’Egypte, au pays de Tanis. La suite du psaume relate l’histoire de l’exode d’Egypte en passant par le désert. Y a-t-il un rapport entre le Ps 78 et 30.4-8? Certes oui. Aussi bien par la mention de l’Egypte que par celle de Tanis (Tsoan), le Psaume 78 se rapproche de 30.4-8*. Ces éléments sont essentiels dans le rattachement du v. 8 non au texte qui suit, mais plutôt aux versets précédents (voir la délimitation). En même temps, il clôt le message prophétique sur l’Egypte. L’on comprendra parfaitement bien que 30.8 s’accorde avec les vv. 6-7 lorsqu’on considère la désignation de l’Egypte par Rahav. Le rapprochement que nous venons d’établir entre 30.8 et certains psaumes nous permet également de chercher dans le Psautier l’évocation de l’Egypte comme Rahav. Rahav est attesté 3 fois dans le Psautier, 2 occurrences au singulier (Ps 87.4; 89.11) et une fois au pluriel (Ps 40.5). Au Ps 89.11, le psalmiste chante la grandeur redoutable de YHWH, Dieu de puissance et incomparable. Par sa force, il a maîtrisé l’orgueil de la mer et écrasé le cadavre de Rahav (Cf. 51.9). Ce Psaume évoque la victoire de YHWH sur Rahav, le monstre marin dans le contexte de la création: «A toi les cieux! À toi aussi la terre! Le monde et ses richesses, c’est toi qui les créas». Il est question également de la proclamation de l’œuvre puissante de la création, dans le Ps 102.19 où l’expression $U[@D U$G est employé avec la racine EWNC +\O/K\!DU«EQ,a>Z!$U[@DU$GOWD]2EW.«7L: Tu écriras ceci pour des générations futures et le peuple qui sera créé louera YHWH.
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Dans ce Psaume, on invite à mettre par écrit l’œuvre créatrice de YHWH pour la génération future. Elle concerne Israël, qui longtemps spolié, est recréé par YHWH. C’est pourquoi il le loue. Le psalmiste chante la grandeur et la souveraineté de YHWH que les nations et tous les rois de la terre doivent craindre et servir (Ps 102.22-23). Ce message retentit dans les textes d’Esaïe suivants (18.7; 25.3; 66.19). Dans ce dernier texte, YHWH apparaît comme le Dieu dont la souveraineté devra être publiée par les rescapés et reconnue par toutes les nations. En outre, il y est désigné comme le créateur de toutes choses nouvelles, des cieux nouveaux et d’une nouvelle terre. Cette nouvelle création intervient au moment où les ennemis sont détruits définitivement par le feu éternel. De l’hypothèse selon laquelle les chs. 63-66 se rapportent au sort d’Israël pendant le règne d’Antiochus Epiphane IV, alors l’Egypte dont il est question en 30.7 évoquerait un nom Code de ce roi séleucide, incarnation des ennemis d’Israël. Sa mort en 164 suscite les espoirs d’un grand renouveau en Israël. Elle est interprétée comme la manifestation de la souveraineté de YHWH. C’est en effet, cette nouvelle d’un Dieu souverain qui devra être proclamée éternellement et de génération en génération (30.8). 3.5.1.5.6 Conclusion En analysant 30.1-8, notre hypothèse était de démontrer le plan rédactionnel du livre qui part de la rédaction de crise (RC-Dtr) pour aller vers deux éditions de la paix (P1-S et P2-AP). Dans cette démarche, nous avons pris en compte les résultats de l’analyse des vv. 1-3. Ainsi, 30.1-8 est un texte composite. Il représente trois éditions principales sur le thème de l’abandon de YHWH à cause de l’Egypte qui culmine par la destruction de cette dernière. Ces trois éditions ont été identifiées comme suit: Edition
Texte
RC-DtrE
vv. 1-3
P1-S
vv. 4-5
P2-AP
v. 6a
P1-S
v. 6b
P2-AP
vv. 7-8
248
En ce qui concerne les vv. 4-5 et 6b, ce texte présente l’attitude des impies qui pratiquent l’idolâtrie. Il représente la face négative de 30.1925a. Il est donc à ce titre un produit de la rédaction sacerdotale à l’époque de l’essor du 2e Temple de Jérusalem. Préoccupés par la survie du culte de YHWH, ces rédacteurs interprétent la décision des membres de l’aristocratie juive de rester en Egypte ou d’y aller comme une menace à la bonne marche de la maison de YHWH. Nous avons établi de fortes affinités entre 30.4-5, 6b et les chs. 42-44 de Jérémie. C’est en même temps une critique acerbe des Samaritains et de leur résistance aux réformes relatives au Temple (Esd 7.21-28). Il s’agit en réalité d’un appel en faveur des prêtres et des lévites dont la vie dépendait des recettes du Temple. Autant la reconstruction de Jérusalem avait besoin de toutes les forces vives, également, le Temple avait, pour sa survie, besoin des offrandes et des dons de tout genre et de toute part. La forte reprise du vocabulaire relatif aux offrandes et autres dons dans les livres de Chroniques, nous a conduit à confirmer l’origine sacerdotale du texte en étude et son lien avec le culte du 2e Temple. Nous avons confirmé ce Sitz im Leben, lorsque nous avons étudié le texte en relation avec la tradition de l’exode. Le Psautier est un texte fondamental. On y trouve l’histoire de l’endurcissement du Pharaon et celle des plaies infligées aux Egyptiens (Ps 78.43-51), le miracle de la mer des Joncs (Ps 33), etc. En rapport avec la tradition royale, les rédacteurs rapportent sur les impies, probablement les Samaritains, l’attitude de certains rois d’Israël, notamment Yoyakim (2 R 24.12) et Sédécias (Jr 34.21). A partir de là, nous avons conclu que 30.4-5,6b est la relecture postexilique de 30.1-3. Il s’agit d’un texte qui décrit l’attitude des juifs impies qui se distinguent des Juifs justes, par la pratique de l’idolâtrie et leur hostilité au 2e Temple. Des infidèles semblables font largement l’objet du chs. 57 d’Esaïe. Tandis que les fidèles sont décrits dans les chs. 60-62. Nous rappelons que ces chapitres représentent fortement P1-S. Pour terminer ce chapitre, nous avons de l’analyse de 30.6a et 7-8, attribué ce texte à la rédaction apocalyptique et démontré comment il se référait à la fois à 30.1-3 et à 30.4-5 et 6b. D’une part, les rédacteurs apocalyptiques appliquent à l’Egypte, portant le nom de Rahav, le malheur que YHWH avait infligé à Juda (vv. 1-3). C’est une herméneutique de renversement de situation. D’autre part, ils transfèrent sur elle le sort des impies Juifs (vv. 4-5, 6b). Nous avons démontré qu’à l’instar 249
de l’Assyrie en 30.31, en réalité l’Egypte – Rahav, n’était qu’un nom Code pour qualifier toute puissance ennemie de YHWH (Cf. Ez 30). Il s’agissait pour les rédacteurs apocalyptiques de désigner Antioche Epiphane IV dont la chute en 164 fut une occasion de proclamer la victoire et la souveraineté de YHWH. L’interprétation de cette chute s’est laissé inspirer par la tradition de l’exode, dans laquelle le mythe de la traversée de la mer des Joncs sert à montrer YHWH créateur et souverain. Les rédacteurs apocalyptiques se sont servis de l’anéantissement du Pharaon et des Egyptiens (Ex 14) pour rédiger leur texte. Pour eux, le Pharaon à l’époque de Moïse est le prototype d’Antioche Epiphane IV. Cette interprétation a lieu dans le culte. La chute de ce monarque y est célébrée dans la joie. Cet événement fait l’objet des chs. 24-27 et surtout 63-66 d’Esaïe. Il nous faut dire enfin que 30.1-8 représente à plus d’un titre le plan rédactionnel du livre d’Esaïe comme nous l’avons déjà démontré. Ce plan est constitué de trois éditions: RC-DtrE (vv. 1-3), P1-S (vv. 4-5 et 6b) et P2-AP (vv. 6a et 7-8). Les deux dernières éditions agissent selon une logique successive. Alors que dans l’édition P1-S la condamnation vise les impies (infidèles) juifs qui préfèrent abandonner YHWH en pratiquant l’idolâtrie, l’édition P2-AP fait des nations infidèles les destinataires du châtiment de YHWH, y compris les Juifs qui avaient optés pour l’hellénisme au détriment du judaïsme. Ce renversement de rôle renvoie à la rédaction de crise (RC-DtrE) où Babylone, une nation étrangère, fut utilisée par YHWH pour châtier Israël à travers la catastrophe de 587. Mais à la fin des temps apocalyptiques, une nation ennemie subit le même sort infligé jadis à Israël, alors que ce dernier jubile. Nous avons choisi un second exemple dans le ch. 30 pour vérifier l’organisation du livre selon le plan qui va de la crise à une double édition de paix. Il s’agit des vv. 9-18. Ces versets sont composites. Ils sont constitués de deux petites unités littéraires: vv. 9-14 et 15-18. L’emplacement côte à côte de ces textes présente un modèle particulier qui fait de RC-DtrE l’anticipation de P2-AP. Le but de notre analyse sera de démontrer d’une part en quoi les vv. 9-14 correspondent à 1.2-7a et 30.1-3, et d’autre part, comment les vv. 15-18 portent l’édition P2-AP proche de 30.25b-33 et des chs. 63-66 d’Esaïe. Nous commençons par l’étude des vv. 9-14, un texte de la rédaction de crise.
250
3.5.2 L’écroulement et le brisement de Juda (30.9-14) 3.5.2.1 Introduction En ce qui concerne le cadre rédactionnel et historique de 30.9-14, les opinions divergent. Elles peuvent se répartir en quatre groupes. Dans le premier se trouvent des commentateurs qui soutiennent l’authenticité ésaïenne et pensent que l’oracle condamne les dirigeants Judéens vers les années 705-701.478 Le second groupe représenté par J. Watts situe le texte pendant le règne de Josias479. U. Becker, représentant la troisième opinion, ne l’associe pas à une situation historique précise480. Selon lui, le texte traduit la compréhension de la prophétie telle qu’elle fut retravaillée dans le Dtr ou dans l’oeuvre de Chr. Il représente la «Ungehorsams – Redaktion»481. Par contre certains, à la suite de O. Kaiser, considèrent les vv. 9ss comme une réflexion théologique sur les causes de la catastrophe de 587482. Cette dernière opinion rencontre notre appui et semble être soutenue par le texte. En effet, 30.9-14 tenterait d’interpréter la catastrophe de 587 comme dûe à la rébellion du peuple. Une telle interprétation émane de la théologie des prophètes cultuels influencés pendant l’exil par la théologie deutéronomiste. De ce point de vue, le texte appartiendrait à la rédaction de crise (RC-DtrE). C’est cette thèse que nous essayons de démontrer en identifiant les destinataires, en analysant les griefs qui leur sont reprochés et en examinant la nature du châtiment qui leur est infligé. Commençons par la délimitation du texte.
478 J. JENSEN, The Use of tôrâ by Isaiah, 1973, p. 113; S. DECK, Die Gerichtsbotschaft Jesajas, 1991, p. 122; J. BARTHEL , Prophetenwort und Geschichte, 1997, p. 416; J. BLENKINSOPP, Isaiah 1-39, 2000, p. 416; B. S. CHILDS, Isaiah, 2001, p. 226. 479 J. W. WATTS, Isaiah 1-33, 1985, p. 396. 480 U. BECKER, Jesaja – von der Botschaft zum Buch, 1997, p. 250. 481 Ibid., p. 254. 482 O. KAISER , Der Prophet Jesaja, Kap. 13-39, 1973, p. 234; J. VERMEYLEN, Du prophète Isaïe à l’apocalyptique, 1977, p. 411; O. KAISER ; Literarkritik und Tendenzkritik, 1989, p. 62; R. KILIAN , Jesaja 13-39, 1994, pp. 174-175.
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3.5.2.2 Délimitation du texte Les vv. 9-14 sont situés entre les vv. 4-8 et 15-18. Il n’existe aucun consensus sur la délimitation de cette péricope. Certains commentateurs l’intègrent dans l’ensemble des vv. 1-17483 ou 1-18484. D’autres par contre préfèrent la rattacher au v. 8. Ils divergent toutefois sur la fin de la péricope. H. Wildberger étend l’unité littéraire du v. 8 au v. 11485, d’autres au v. 14486, d’autres encore au v. 17487 ou 18488. Le choix des vv. 9-14 comme une unité littéraire cohérente tient aux tensions littéraires que ce texte entretient avec les textes de son voisinage immédiat. Toutefois, la péricope en question présentent des similitudes aussi bien sur le fond que sur la forme avec les vv. 1-3. Dans notre argumentation, nous veillerons à démontrer successivement ces tensions et sa cohérence, ainsi que ses affinités avec les vv. 1-3. Par la préposition \.L qui les introduisent, les vv. 9-14 donnent l’impression de se référer à ce qui précède (vv. 1-8). Ce n’est que partiellement valable. S’il semble plausible que la péricope soit proche des vv. 1-3, ce n’est pas le cas des vv. 4-8. Lors de l’analyse de ces derniers versets, nous avons démontré que l’ordre d’écrire (v. 8) visait originellement à maintenir à jamais le souvenir de la souveraineté de YHWH et de sa victoire sur Rahav489. Lorsque les deux textes ont été mis ensemble, l’ordre d’écrire aurait concerné aussi le péché de désobéissance d’Israël (vv. 9-14). Ainsi comprise, la relation du v. 8 avec les vv. 9-14 est thématique: la condamnation des fils pour avoir méconnu la souveraineté de YHWH leur Père. Ce thème lie la péricope avec les vv. 1-8, notamment les v. 1-3. Dans ces versets et les vv. 9-14, les destinataires sont désignés par le terme a\Q,%« suivi d’un qualificatif au participe présent pluriel: a\U,U$! Va\Q,%« (v. 1), a\YL[« . 483 484 485 486
Ch. SEITZ, Isaiah 1-39, 1993, p. 215. J. N. OSWALT, The Book of Isaiah 1-39, 1986, pp. 542-557. H. WILDBERGER, Isaiah 28-39, 2002, pp. 139-147. G. FOHRER, Das Buch Jesaja: Kapitel 24-39, 1962, pp. 90-96 (avec une rupture au v. 11). 487 O. KAISER, Der Prophet Jesaja, Kap. 13-39, 1973, p. 233; B. S. CHILDS , Isaiah, 2001, p. 226. 488 T. K. CHEYNE, Einleitung in das Buch Jesaja, 1897, pp. 159-62; O. PROCKSCH, Jesaja I: Kap. 1-39, 1930, pp. 389-395. 489 K. D. SCHUNK, Jes 30.6, 1989, p. 50; P. AUVRAY, Isaïe 1-39, 1972, p. 267; J. VERMEYLEN , Du prophète Isaïe à l’apocalyptique, 1977, p. 411.
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a\Q,%« (v. 9). Les griefs y sont résumés par la désobéissance à YHWH et à sa parole. Cette infidélité s’exprime dans des phrases négatives similaires: :OD« Y« DO^ \SL: (v. 2) et KZK\! WU$7 >$PY :ED« DO^ (vv. 9, 12). La condamnation culmine par l’annonce du châtiment introduit respectivement par aNO«K\KZ« ! (v. 3) et aNO«K\K\ , (v. 13) suivi de la synthèse des griefs. Ces châtiments sont présentés métaphoriquement en des termes différents: la honte et le déshonneur (v. 3), l’écroulement du mur (v. 13) et le brisement d’un vase (v. 14). En outre, le style qui consiste à placer dans la bouche du prophète les propos des accusés (vv. 10-11) est absent dans les vv. 4-8*. Le thème central dans les vv. 10-11 est le rejet à la fois de YHWH, de ses prophètes et de sa parole (v. 12). Par le verbe VDP, le v. 12 se rapproche de 8.5-8*. Le rejet de cette parole n’est pas mentionné dans les vv. 4-8. Par ailleurs, le prophète s’adresse directement à ses accusés à la 2e pers. masc. pl. comme au v. 3, alors qu’aux vv. 4-8, il le fait à la 3e pers. masc. pl. La désignation des destinataires par a\Q,%« dans un oracle de jugement, la mention de l’abandon de YHWH et du rejet de sa parole comme griefs et la présentation de la destruction comme conséquence de cette désobéissance confirment les liens littéraires entre les vv. 9-14 et les vv. 1-3. Par conséquent \.L (v. 9) aurait originellement servi à poursuivre les vv. 1-3. Cependant lorsque les textes ont été joints avec les vv. 4-8 à l’époque postexilique, cette conjonction aurait reçu une nouvelle fonction, celle de poursuivre ce dernier paragraphe. Le thème de la désobéissance et de la punition a une suite dans les vv. 15-17 sans pour autant que ces derniers versets appartiennent à la même unité littéraire. Deux arguments militent en faveur de cette hypothèse. Il y a d’abord la fonction de \.L. La reprise de cette préposition comme mot-crochet, au début (v. 15) et à la fin (v. 18b), assure la cohérence des vv. 15-18 comme une unité littéraire indépendante. Ensuite, la formule de messagers ODHU«I\ , Y$GT KZ,K\ \QGD R @ UPD« KNR (v. 15) qui ouvre cette dernière péricope n’est pas à confondre avec ODHU«I\ , Y$GT UPD«K.R (v. 12)490. A cette dernière manque le titre de KZ,K\!\QGD R @ qui ne peut être une omission gratuite, mais plutôt le signe d’une origine rédactionnelle 490 Dans un oracle de malheur, le titre ODHU«I\, Y$GT est attesté dans 1.4; 5.19, 24; 30.11, 12; 31.1. Ces textes présentent des affinités aussi bien littéraires que thématiques. Nous y reviendrons plus tard.
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distincte. Ceci vaut également en ce qui concerne la distinction entre :ED« DO^ (v. 9) et aW\ELD@ DO^ (v. 15). Prises en compte, ces observations conduisent à établir une démarcation entre les vv. 15-18 et 9-14491. Ceci étant, ce dernier texte constitue donc une unité littéraire cohérente. La délimitation du texte une fois assurée, nous pouvons procéder à sa traduction. 3.5.2.3 Traduction 9. Car il est un peuple mauvais, des fils trompeurs, des fils qui ne veulent pas écouter la Torah de YHWH, 10. qui disent aux voyants: ne voyez pas492 et aux visionnaires: ne nous visionnez pas des droitures. Dites-nous des flatteries, visionnez des choses agréables, 11. détournez-vous du chemin, écartez-vous du sentier, faites cesser devant nous le Saint d’Israël. 12. C’est pourquoi ainsi parle YHWH le Saint d’Israël: parce que vous avez rejeté cette parole et vous vous confiez dans la violence et la perversion et vous appuyez sur elle. 13. C’est pourquoi ce crime sera pour vous comme une partie crevassée qui menace, ruine et fait saillie dans un mur élevé dont l’écroulement arrive tout à coup, en un instant: 14. Il se brise comme se brise un vase de terre que l’on casse sans ménagement et dont les débris ne laissent pas un morceau pour prendre du feu au foyer, ou pour puiser de l’eau à la citerne. 3.5.2.4 Structure du texte Les vv. 9-14 présentent un plan constitué par trois éléments successifs: la désignation des destinataires, les griefs leur reprochés et l’annonce du châtiment. 491 En faveur de l’opinion de P. Höffken (vv. 9-14) contre celles de J. Vermeylen et J. Barthel (vv. 9-17), R. Kilian, U. Becker (vv. 8-17), J. Vermeylen (vv. 9-17). 492 La LXX insère :QO« «à nous» après :DU!WL DO^. Il y a ici une intention de la part de LXX d’harmonisation avec la phrase suivante qui est parallèle à celle qui précède. Pour éviter d’alourdir son texte, elle prend soin d’employer le pronom datif une fois pour les deux phrases, tout en sachant que ce pronom se rapporte aux deux phrases. Par conséquent, l’harmonisation ne se justifie pas.
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– Destinataires: le peuple rebelle (v. 9) – Condamnation (vv. 9b-12): – le mensonge (v. 9b) – le refus d’écouter la Torah de YHWH (v. 9c) – l’interdiction aux voyants et aux prophètes de dire la vérité (v. 10) – le rejet de YHWH et de sa voie (v. 11) – la confiance dans l’oppression (v. 12b) – l’appui sur l’extorsion (v. 12c) – Châtiment (vv. 13-14) – l’écroulement du mur – le brisement de la jarre. La structure «destinataire – condamnation – châtiment» est classique pour les oracles de malheur. Elle est attestée ailleurs dans le livre d’Esaïe, notamment en en 1.4-7a; 5.8-29; 8.6-8; 10.1-4; 29.8-13, 14-20; 29.1-5, 13-14; 30.1-3. Au cours de notre analyse, nous serons guidé par la structure esquissée ci-dessus. 3.5.2.5 Analyse et commentaires 3.5.2.5.1 Introduction Le Temple de Jérusalem est démoli par les Babyloniens en 587. Les villes de Juda sont détruites également. Une telle catastrophe n’épargne pas la royauté de Juda qui disparaît sous Sédécias. Les prophètes tentent d’y trouver des explications. Le malheur est arrivé à cause du rejet de la Torah et de la désobéissance à YHWH représentés par la pratique de l’idolâtrie et de l’injustice sociale. L’analyse nous permettra d’identifier les destinataires de 30.9-14 avec le peuple de Juda et ses derniers rois, notamment Yoyakim et Sédécias, par qui la catastrophe est arrivée. 3.5.2.5.2 Malheur contre un peuple rebelle (30.9-14) Les destinataires de cet oracle de malheur sont désignés par \U,P a> «peuple rebelle». Cette désignation est complétée par deux expressions parallèles: a\YL[« . a\Q,%« et KZK\!WU$7>$PY:ED«DO^a\Q,%.« L’étude de 1.2-7a avait déjà démonté les liens entre cette péricope et 30.9-14. Il convient de prouver surtout les parentés avec le livre de Jérémie. Le parallélisme 255
entre a> et a\Q,%« attesté en 30.9 est présent dans le livre de Jérémie (Jr 4.22). La comparaison de ces deux textes permet d’observer entre eux des éléments de rapprochement. Es 30.9:
a\YL[« .Ha\Q,%« D:K\U,PLa>\.L CKZ«K\!WU$7 >$PY:ED« DO^a\Q,%« Car il est un peuple mauvais, des fils trompeurs, des fils qui ne veulent pas écouter la Torah de YHWH
Jr 4.22:
K0« KHa\OLN« Va\Q,%« :>G« \« DO^\WL$D\0L>O\Z,D\.L CK0« KHa\Q,$EQ!DO^Z! Car mon peuple est stupide. Il ne me connaît pas. Ce sont des fils fous et ils ne comprennent pas…
Ces textes sont tous deux introduits par la préposition \.L. Les destinataires sont à la fois désignés par a\Q,%« et a>suivant l’ordrea\Q,%« - a>. Les actes du peuple sont exprimés négativement (>$PY :ED«DO^, a\Q,$EQ! DO^ et :>G« \ DO^). L’appellation globale a> en 30.9 est précisée par \0L> «mon peuple» en Jr 4.22. Or cette dernière forme est reprise en 1.2, où YHWH s’adresse à Israël qui ne reconnaît pas et n’est pas intelligent (Q$%WKL DO^ \0L> >G\ DO^ODHUI« \ ,). A l’instar de Jr 4.22, ce texte reprend également la condamnation du manque de connaissance (:>G« \ DO^) et d’intelligence (a\Q,$EQ!DO^)L . Si par le couple a\Q,%« et a>, 30.9 se rapproche de 1.4 et Jr 4.22, étant donné que ces textes expriment la même idée que celle de 1.2, deux conclusions s’imposent. D’une part, les similitudes très frappantes de forme et de fond entre 1.2, 4; 30.9 et Jr 4.22 conduisent à les attribuer au même milieu rédactionnel. Ceci est d’autant plus évident lorsqu’on observe la description du châtiment: désolation du pays (1.7; Jr 4.27) et destruction des villes (1.7; Jr 4.26, 29), causées par des étrangers (1.7; Jr 4.6)493. D’autre part, comme ces derniers textes, le destinataire en 30.9 est Israël non pas le peuple du royaume du Nord, mais l’ensemble du peuple d’Israël (Nord et Sud) constitué après la chute de Samarie en 722. Selon 30.9, ce peuple est rebelle (\U,P) . Ce verset développe sous un autre angle le thème de 30.1494. L’expression \U,P a>qui qualifie l’attitude du peuple trouve des échos dans la tradition de l’exode selon la théologie deutéronomiste (Dt 31.27-29). Moïse y prononce ses derniè493 Jérémie parle du malheur que YHWH fait venir du Nord (Babylone). 494 O. KAISER, Der Prophet Jesaja, Kap. 13-39, 1973, p. 233; J. VERMEYLEN, Du prophète Isaïe à l’apocalyptique, 1977, p. 412; P. HÖFFKEN , Das Buch Jesaja, Kapitel 1-39, 1993, p. 213.
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res paroles lors de l’investiture de Josué et de la remise de la Torah à Israël. Cet événement a lieu dans un cadre cultuel: devant l’arche de l’alliance de YHWH, mais aussi en présence de tous les anciens et les scribes afin d’écouter ses paroles. En leur donnant la Loi qu’il vient de graver, Moïse se préoccupe de l’attitude rebelle actuelle et future d’Israël contre YHWH. L’absence du Temple, le rôle prépondérant des lévites, des anciens des tribus et des scribes, sont des indices de l’origine exilique de ce texte. Là en face de YHWH, en présence du ciel et de la terre, Moïse rappelle les révoltes antérieures du peuple. Et il voit que cette attitude n’est pas près à disparaître. Le peuple va se corrompre (W[Y) et va s’écarter du chemin (U'K PL UZV). Ces deux actions seront source de malheur (Dt 31.29). Le peuple corrompu et égaré suscitant son propre malheur, est un thème largement répercuté dans les livres d’Esaïe, de Jérémie et d’Ezéchiel: la corruption (1.4; Jr 6.28; Ez 16.4; 23.11). Ce comportement caractérise Juda et rappelle celui du royaume du Nord (Os 9.9). Dt 31.29 emploie les termes d’accusation de la rébellion (Dt 31.27; 30.9) qui reviennent également dans 1.4 et 30.11, ce qui nous permet trois conclusions. D’abord, les textes sont à rapprocher. Ensuite, les cohésions littéraires entre 30.9 et 11 se confirment. Et enfin, ces versets sont dûs à la rédaction deutéronomiste exilique qui explique le rejet de la Torah comme cause de la catastrophe de Jérusalem en 587495. La rédaction deutéronomiste trouve son cadre dans ou autour du Temple de Jérusalem496. Cela explique la condamnation de la rébellion dans le cadre cultuel et son assimilation à l’idolâtrie. L’origine cultuelle du terme \U,P est soutenue par sa forte concentration dans le livre d’Ezéchiel, 16 fois sur 23497 attestées dans la Bible hébraïque. Toutefois, l’expression \U,P W\%Hchez Ezéchiel n’est pas à assimiler aux livres Dtr. Cependant, le parallélisme entre \U,P a> en 30.9 et \U,P W\%H chez Ezéchiel n’est pas à négliger. 495 L’explication de cette catastrophe demeure le centre de la théologie deutéronomiste: Cf. A. de P URY et T. RÖMER (Ed.) in A. de PURY et T. RÖMER (Ed.), Israël construit son Histoire, 1996, p. 35. 496 Contre l’hypothèse d’une rédaction deutéronomiste dans la «Golah babylonienne»: T. RÖMER, «L’histoire deutéronomiste», in T. R ÖMER, J.-D. MACCHI et C. NIHAN (éds.), Introduction à l’Ancien Testament, 2004, p. 247. Peut-être faudrait-il penser à l’existence de deux groupes de deutéronomistes. Tous n’étant pas partis en exil, certains seraient restés en Juda, à Jérusalem précisément. 497 Nb 14.25; Dt 31.27; 1 S 15.23; Es 30.9; Ez 2.2, 5, 6, 7, 8; 3.9, 26, 27; 12.2, 3, 9, 25; 17.12; 24.3; 44.6; Jb 23.2; Pr 17.11; Ne 9.17.
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Si tel est le cas, l’emploi unique de \U,P a> dans 30.9 suppose soit un emprunt au vocabulaire cultuel ou simplement l’appartenance des rédacteurs au milieu cultuel. La prophétie de malheur contre Israël dans le livre d’Ezéchiel a lieu dans le Temple de Jérusalem. Nous présumons alors que la condamnation de la rébellion trouve son Sitz im Leben dans le Temple de Jérusalem. Cependant, la description de destruction des vv. 1314 laisse présager un Temple déjà détruit et avec lui le royaume de Juda. La rébellion cause la fin d’un règne. La tradition royale le rapporte en montrant Saül rejetant la parole de YHWH que lui transmet Samuel (1 S 15.23). Es 30.12 présente également le rejet de la parole attirant la condamnation. Ces deux textes présentent des affinités frappantes comme le montre le tableau ci-dessous: Es 30.12:
ODHU«I\,Y$GTUPD« K.RNHO« CZ\O« >« :Q>@9« 7LZ]$OQ«Z!TY>R%:[ME7LZK=KUE« '«%aNVD« P« >\ C’est pourquoi ainsi parle YHWH le Saint d’Israël: parce que vous avez rejeté cette parole et vous confiez dans la violence et la perversion et vous appuyez sur elle.
1 S 15.23:
UFSKa\SLU« W:ZD« Z!\U,PaVTWD-[\.L CO0PLAVD« P\ (30.12) et de KZK\! UE'! WD 7«VD P« >\ (1 S 15.23). La différence se situe à deux niveaux: l’emploi du pronom suffixe et le remplacement de K=K UE« '« «cette parole» (30.12) par KZK\! UE« '« «parole de YHWH» (1 S 15.23). L’emploi différent du pronom suffixe s’explique par la nature des destinataires et la perspective différente de chaque texte. Alors qu’en 1 S 15.23 la condamnation concerne le roi Saül, en 30.12, elle s’adresse au roi et au peuple. Les deux textes ne s’excluent pas, car dans la perspective de 1 S 15.23 le roi est une personnalité corporative et fait corps avec son peuple (Cf. 30.1-3)498. La préférence dans 30.12 de l’expression K=K UE« '« en lieu et place de KZK\!UE« '« s’explique par l’allusion au v. 9 de KZK\! WU$7. Ceci fait du rejet de la parole de YHWH l’accusation centrale des 498 H. CAZELLES, Histoire politique d’Israël, 1982, p. 123.
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vv. 9-12, ce qui justifie le châtiment (vv. 13-14). Ce détail plaide pour la cohésion des vv. 9-14 comme unité littéraire499. En reprenant d’une part le terme \U,P et l’expression KZK\!UE'! WD7«VD P « >\ et en annonçant d’autre part le châtiment de la fin du règne de Saül, 1 S 15.23 combine en un seul verset le contenu de 30.9-14. Par conséquent, il y a de bonnes raisons pour rapprocher 30.9-14 de 1 S 15.23 comme des textes appartenant au même contexte rédactionnel. En effet, les rédacteurs de 30.914 semblent puiser dans la tradition de la royauté de Saül pour qualifier l’attitude de ses destinataires. L’analyse du mot \U,P dans le livre d’Ezéchiel permet de repérer son emploi dans l’expression K0«KH \U,P W\%H \.L«car ils sont une maison des rebelles»500. Cette maison, c’est Israël (Ez 12.9), mais aussi le roi et les chefs emmenés en captivité par le roi de Babylone (Ez 17.12). Ce roi n’est autre que Sédécias. Placé sur le trône par le roi de Babylone, Sédécias s’est révolté «contre lui en envoyant des messagers en Egypte, afin qu’elle lui donne des chevaux et beaucoup de soldats» (Ez 17.15). Infructueuse, cette démarche a précipité la fin de son règne, sa déportation à Babylone où il est mort (Ez 17.16b), celle des élites du pays et la captivité d’une bonne partie de la population, la destruction du royaume de Juda et celle du Temple de Jérusalem. Les faits rapportés dans Ez 17.12ss trouvent un écho en 30.1-3 et 31.1, ainsi que dans 2 R 24.20-25.21 (voir la réception postexilique en 2 Ch 36.10-11) et chez Jérémie (37.5-10; 39.1-7)501. Cette analyse permet d’établir une relation littéraire entre 30.9-14, Ez 17 et les textes relatifs à la chute de Saül. Ils constituent la condamnation de la rébellion du roi et du peuple qui s’achève par la fin du règne et la destruction. Le rapprochement entre 1 S 15.23 et les autres textes qui parlent de Sédécias aident à les considérer comme le fruit de la rédaction qui a répercuté sur Sédécias le sort de Saül. Le lien entre ces deux sorts est évoqué dans la version exilique de la promesse de Nathan à David sur la stabilité éternelle de sa dynastie (2 S 7.14). Le thème de la rébellion contre YHWH, cause de malheur, caractérise la rédaction deutéronomiste. Le milieu deutéronomiste aurait continué à exister après la catastrophe de 587 autour de ce qui restait du Temple. Ce milieu aurait produit 30.9-14 en interprétant la fin du 499 P. HÖFFKEN , Das Buch Jesaja, Kapitel 1-39, 1993, p. 213. 500 Ez 2.5, 6, 7, 8; 3.9, 26, 27; 12.2, 3. 501 Pour plus de détails, voire l’analyse de 30. 1-3 (supra).
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royaume de Juda comme la conséquence du rejet de la parole de YHWH. Néhémie fait cette lecture rétrospective dans sa prière de confession en parlant de la rébellion de ses pères (Ne 9.17). Il y affirme que c’était se rebeller que de vouloir retourner en Egypte et à la servitude. L’analyse des griefs confirmera ou infirmera ces conclusions. 3.5.2.5.3 Les signes de la rébellion Les vv. 9-12 présentent la rébellion dans une série qui peut être classée en trois catégories. La première catégorie est constituée par les griefs relatifs au comportement à l’égard de la Torah de YHWH. Ces rebelles sont des fils trompeurs (v. 9) et des fils qui n’ont pas voulu écouter (v. 9). Dans la seconde catégorie la rébellion se manifeste à travers leurs propos qui interdisent aux voyants de voir (v. 10a) et aux visionnaires de leur faire voir des droitures. Ils leur demandent plutôt des flatteries (v. 10b) et des choses agréables, d’éviter le chemin (v. 11a) et de faire cesser la vision du Saint d’Israël (v. 11b). Et enfin dans la troisième catégorie, le grief est le rejet de la parole (de YHWH) (v. 12). L’analyse des griefs se fera dans cet ordre. 3.5.2.5.3.1 La tromperie Le qualificatif a\YL[. « a\Q,%« (v. 9) vise à préciser la nature et les aspects de la rébellion: Ce sont des fils trompeurs. Le nom masc. pl. a\YL[. « , un hapax legomenon502, dérive de la racine Y[N. Celle-ci est attestée 22 fois503 dans la Bible hébraïque, à quoi il faut ajouter les 6 occurrences504 du substantif Y[.. Le verbe peut être rendu par «maigrir» (qal), «flatter» (nif), «tromper, mentir, décevoir, renier» (pi), «flatter» (hitp)505. La traduction la meilleure ne peut pas être «maigrir», mais plutôt flatter, tromper, mentir, décevoir, renier. Est donc sous-entendue la condamnation du mensonge506. 502 H. WILDBERGER, Isaiah 28-39, 2002, p. 144. 503 Gn 18.15; Lv 5.21, 22; 19.11; Dt 33,29; Jos 7.11; 24.27; 2 S 22,45; 1 R 13.18; Es 30.9; 59.13; Jr 5.12; Os 4.2; 7.3; 9.2; 10.13; 12.1; Na 3.1; Ps 18.45; 59.13; 66.3; 81.16; 109.24; Jb 8.18; 16.8, 31.28; Pr 30.9. 504 Os 7.3; 10.13; 12.1; Na 3.1; Ps 59.13; Jb 16.8. 505 P. REYMOND, Dictionnaire d’hébreu et d’araméen biblique, 2002, p. 177. 506 J. VERMEYLEN, Du prophète Isaïe à l’apocalyptique, 1977, p. 412; J. N. OSWALT, The Book of Isaiah 1-39, 1986, p. 551.
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Dans le cadre des prescriptions sur le sacrifice de réparation, le mensonge est un péché et un sacrilège envers YHWH. Il est associé au vol, à l’exploitation, au faux serment et à l’extorsion (Lv 5.14-26). Ensemble avec le rapt et la tromperie, le mensonge est interdit dans la loi de sainteté (Lv 19.11). Il est en relation avec la guerre de YHWH. Car il empêche YHWH de donner la victoire. En tant que dissimulation devant YHWH, le mensonge est un péché à l’origine de la défaite (Jos 7.11). Jérémie s’attaque aux prophètes (Jr 5.11) qui renient YHWH et le prennent inexistant (Jr 5.12). Ce texte est proche de 30.9 comme le tableau ci-dessous le montre. Es 30.9:
CKZK\! WU$7>$PY:ED« DO^a\Q,%« a\YL[« .a\Q,%« D:K\U,Pa>\.L Car il est un peuple mauvais, des fils trompeurs, des fils qui ne veulent pas écouter la Torah de YHWH
Jr 5.12:
D:KDO^:UPD« U« Z!EU[Z!K>« U« :Q\OH>« D$EW« DO^Z! Ils ont renié YHWH et ont dit: il n’existe pas. Le malheur viendra pas à nous. Nous ne verrons ni l’épée ni la famine.
La comparaison de ces deux textes permet de faire les observations suivantes. Les destinataires sont au pluriel et se rapportent à YHWH. En Jr 5.12, on le trouve dans l’expression KZK\%:Y[@.,L tandis qu’en 30.9 dans KZK\! WU$7>$PY:ED« DO^. Les prophètes qui ne veulent pas écouter la Torah de YHWH se conduisent sans repère et parlent d’eux-mêmes sans mandat divin. Il faut les juger à travers leurs déclarations marquées par la négation: KDUQ! , D$OE>« UZ« ! EU[Z ! K>« U« :Q\OH>« D$EW« DO^Z! D:KDO^:UPD$PY :ED« DO^ en 30.9 est unique dans la Bible hébraïque. Toutefois elle comporte une forme semblable lorsqu’il s’agit de YHWH qui, lui-même, accuse; notamment: \OL >PY R O L :EDWR DO^ (Lv 26.21; Ez 20.8), >PYR O L KE« D« DO^508; \OL$TO \0L> >PY« DO^^ = \OL KE« D« DO^ (Ps 81.12). L’inventaire de ces mentions permet d’une part de constater leur ressemblance et d’autre part d’observer leur concentration dans les livres deutéronomistes. La ressemblance de Lv 26.21 aux formes deutéronomistes a conduit certains critiques à rapprocher ce texte au livre de Deutéronome, en particulier Dt 28509 et ce texte comme introduisant la «deutéronomisation» de la théologie sacerdotale510. Le refus d’écouter YHWH ou sa parole s’accorde avec le milieu cultuel non seulement en Lv 26.21, mais aussi en Jg 19.25; 20.13; Es 28.12; Ez 3.7; 20.8 et Ps 81.12. Il donne accès à la pratique de la violence, de l’injustice ou du désordre social dont les conséquences sont mortelles. Le culte est aussi le lieu de la condamnation (Ps 119.126; 507 508 509 510
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O. KAISER , Der Prophet Jesaja, Kap. 13-39, 1973, p. 233. Jg 19.25; 20.13; 2 S 13.14, 16; Es 28.12; Ez 3.7. M. DOUGLAS, Leviticus as Literature, 1999, p. 242. N. L OHFINK, «Die Abänderung der Theologie des priesterlichen Geschichtswerks im Segen des Heiligkeitsgesetzes», in Wort und Geschichte. Festschrift K. Elliger, AOAT, 18, 1973, pp. 129-136. Cf. aussi A. De PURY et T. RÖMER (Ed.), Le Pentateuque en question, 2002, p. 72.
Os 8.1; Am 2.4ss511) où se fait la confession (Ne 9.3512; Dn 9.10513) de la désobéissance à la Torah de YHWH. Dans le livre de Deutéronome l’invitation à l’obéissance de la Torah concerne avant tout le roi (Dt 17.14-20). Dans la tradition royale l’obéissance à la Torah modélise l’image de David (1 R 9.4). Le roi est bien ou mal côté dans la mesure où il se conforme ou non à la fidélité de David (1 R 3.14). Lors de la dédicace du Temple, Salomon le Davidide manifeste par exemple sa fidélité à la Torah (1 R 8.58, 61). La condamnation du rejet de la Torah dans 30.9 ne peut pas se comprendre en dehors du cadre cultuel et du Temple de Jérusalem, pour être plus précis. Elle s’adresserait avant tout aux dirigeants de Juda (1.10), notamment les rois, les prêtres et les prophètes. A cause de leur vie morale désordonnée, ils sont accusés de désordre social514. Car ils se sont laissés égarer par le vin pour prononcer des sentences sous l’effet de l’ivresse (28.7). Ce comportement s’explique par le refus d’écouter le conseil de YHWH (5.24; 28.12)515 par l’intermédiaire de ses prophètes516
511 Ce texte est considéré par certains critiques comme d’origine deutéronomiste: H. W. WOLFF, 1962, p. 172; O. KAISER, Der Prophet Jesaja, Kap. 13-39, 1973, p. 235; J. VERMEYLEN, Du prophète Isaïe à l’apocalyptique, 1977, p. 412. Ce que contestent les autres. Quand bien même l’origine deutéronomiste serait l’objet de discussion, ce rapprochement explique que le texte d’Amos serait soit un texte prédtr et par conséquent, la Vorlage des textes dtr, soit qu’il appartiendrait simplement à la rédaction dtr. Dans les deux cas, il y a confirmation de l’origine nordique de la théologie (A. J EPSEN, Die Quellen des Königsbuches, 1953, p. 38). La condamnation du rejet de la Torah comme cause de la chute de Samarie dans la tradition prophétique d’Amos et Osée aurait été reprise dans la tradition d’Esaïe, de Jérémie et d’Ezéchiel pour expliquer la chute de Jérusalem en 587. C’est cela qui justifie les occurrences sous différentes formes de l’expression KZ«K\!WU$7WDaV« D?P« (5.24; Jr 6.19; Os 4.6; Am 2.4). Toutefois l’appel à garder les commandements (UPY T[R) n’est pas étranger aux livres dtr (Dt 4.6, 40; 5.1; 6.17; 7.11; 11.32; 12.1; 16.12; 17.9; 26.16-17; 1 R 3.14; 8.61; 2 R 17.37. 512 A l’époque perse la lecture de la Torah dans le Temple est un acte de fidélité de Néhémie et du peuple d’Israël. 513 Même à l’époque grecque, lors de la purification du Temple. 514 H. WILDBERGER, Isaiah 28-39, 2002, p. 145. 515 Comparer >$PYD:ED« DO^(28.12) et KZ«K\!WU$7>$PY:ED« DO^(30.9). 516 J. N. OSWALT, The Book of Isaiah 1-39, 1986, p. 551.
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et conduit tout droit à la catastrophe (5.25; 28.13)517. Le châtiment des dirigeants de Juda à cause du rejet de la Torah de YHWH trouve un grand retentissement dans le livre de Jérémie (Jr 2.8; 8.8; 26.4ss). Il découle de leur contestation du message du prophète dans le Temple (Jr 26.7). Nous avons à plusieurs reprises relevé les affinités entre 30.9 et les textes de Jérémie et d’Ezéchiel. On observe d’ailleurs ces affinités dans la suite de l’étude de la péricope. L’analyse de \U,P a> et celle de a\YL[« . a\Q,%« identifient la pratique de l’injustice sociale comme un des griefs reprochés aux fils dans 30.9. Elle est synonyme du rejet de la parole de YHWH, mais elle est également signe d’endurcissement (Ps 81.12) et de désobéissance. Ces deux attitudes sont aussi liées dans le livre d’Ezéchiel (Ez 3.7; 20.8). Le rejet de la Torah concerne donc les dirigeants d’Israël à Jérusalem qui conduisent le peuple sur le mauvais chemin sans se laisser guider eux-mêmes par les instructions de YHWH. Ils invitent à l’égarement et conduisent à toutes sortes de maux. La royauté de David n’en est pas épargnée. En effet, Amnon, le fils de David violente sa sœur Tamar et en abuse sexuellement (2 S 13.14, 16). Ce comportement est semblable à celui du peuple qui ne veut pas écouter YHWH. Cela transparaît dans 30.10-12 où se trouve une nouvelle série des griefs. 3.5.2.5.3.3 Le plaisir dans la flatterie et les chimères Dans le v. 10, le prophète reprend les propos des accusés qui prennent pour cibles les voyants (a\DLUR) et les visionnaires (a\],[R). Il ne s’agit pas d’une citation directe des propos des gens, mais d’une rhétorique pour appuyer l’accusation518. Les accusés en veulent aux vrais prophètes. Ils préfèrent les faux prophètes prononçant des flatteries, des illusions et des mensonges. La flatterie dans la prophétie sous-entend le mensonge mentionné au v. 9. Peut-on à partir du v. 10 conclure à une condamnation des prophètes? Y a-t-il dans cette condamnation des traces de la 517 L’expression C:FDHQ, ODHU« I\,Y$GT WUPDL WDHZ! W$DE« F KZ«K\! WU$7 WDH :VD@P« a son équivalent U$[D« :U]2Q« ODHU« I\,Y$GTWD:FD@Q,KZ«K\!WD:E]!>« en 1.4 et son synonyme K=KUE« '« %aNVD« P« en 30.12. Nous avons déjà indiqué les affinités entre les vv. 914 et 1.4-7a. Il n’est pas exclu de rapprocher ces textes de 5.24. L’examen du cadre littéraire de ce texte permet d’observer qu’il constitue la conclusion d’une série de condamnations qui concernent les dirigeants de Juda (5.8-23). 518 O. KAISER , Der Prophet Jesaja, Kap. 13-39, 1973, p. 235.
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théologie deutéronomiste? Ces deux questions relatives respectivement à l’identité des voyants et à l’influence rédactionnelle feront l’objet de l’analyse suivante. 3.5.2.5.3.3.1 L’identité des voyants et des visionnaires Qui sont en réalité les voyants et les visionnaires? De quel côté se trouvent-ils? Font-ils partie de ceux qui prononcent l’accusation dans le texte? Ou bien sont-ils eux-mêmes l’objet d’accusation? Pourquoi les accusés ne s’attaquent-ils pas à ces prophètes (a\DL\ELQ)! ? Qu’est ce qui se cache derrière l’interdiction aux voyants de voir et aux visionnaires d’avoir des visions? Le pluriel a\],[R est attesté 4 fois (29.10; 30.10; Mi 3.7; 2 Ch 33.18.)519 dans la Bible hébraïque. L’inventaire de ces occurrences permet de constater leur prédominance dans les livres prophétiques, en particulier chez Esaïe (2 fois). Au même titre que les prophètes (a\DL\ELQ)! , les voyants (a\],[R) sont condamnés parce qu’ils ne comprennent pas (28.10; Mi 3.57). On reproche leur cupidité (Mi 3.5-6). Car ils monnaient leurs prophéties: la paix à ceux qui leur donnent de l’argent, et la guerre sainte à «qui ne leur met rien dans la bouche» (Mi 3.5). Les interlocuteurs en 30.10 peuvent représenter aussi bien le peuple que les dirigeants de Juda qui avaient l’habitude d’influencer les paroles des prophètes et des visionnaires par l’argent. Les faux prophètes n’avaient que faire de la vérité. L’attitude de ce type de voyants contraste avec celle des voyants et des prophètes que YHWH envoyait pour avertir Israël et Juda et le ramener sur la voie de l’obéissance aux commandements (2 R 17.13). Elle est également contraire à celle de tous les grands voyants qui exercèrent leur ministère auprès des rois d’Israël; notamment Samuel (1 Ch 29.29), Gad (2 S 24.11; 1 Ch 21.11; 29.29), Heman (1 Ch 25.5), Yedo (2 Ch 9.29), Iddo (2 Ch 12.15) et Amos (Am 7.12). Le conflit entre Amos et Amacya semble avoir été adapté en 30.10 pour caractériser le rejet des «vrais» prophètes par les prophètes profiteurs de la cour. Le pluriel a\DLUR dans 30.9 désignant les visionnaires est un hapax legomenon. C’est plutôt au singulier (KDUR) que le titre apparaît. Il s’applique aux deux visionnaires: Samuel (1 S 9.8. 11.18.19; Cf. 1 Ch 9.22; 26.28; 29.29) et Hanani (2 Ch 16.7.10). Comment expliquer le choix 519 Es 29.10; 30.10; Mi 3.7; 2 Ch 33.18.
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des rédacteurs de a\DLUR et a\],[?R A quelle situation se référaient-ils? Quelle tradition et quel milieu ont influencé leur rédaction? Es 30.10 semble avoir été influencé d’une part par l’image de Samuel dans la tradition royale de Saül et d’autre part par le conflit AmosAmacya. Cela confirme également l’origine nordique de ces traditions. Le milieu cultuel a donné lieu à l’emploi de a\],[R. Au moment que 30.10 s’est laissé influencer par ces deux traditions, il se rapproche de 2 R 17.13ss et appartiendrait à la rédaction deutéronomiste exilique. La suite de l’analyse littéraire nous permettra de confirmer ces hypothèses. 3.5.2.5.3.3.2 L’identité des condamnés Le style veut que l’expression :UPD« UYD@ (30.10) ouvre la parole prophétique par laquelle il reprend les propos de ses interlocuteurs. Il est fortement attesté dans la Bible hébraïque520. Mais, la phrase :QO«:][W DO^a\],[O R Z ! :DU!WL DO^ a\DLUOR « :UPD« UYD@ (v. 9) révèle à la fois l’identité de ceux qui parlent et celle de leurs destinataires. L’identité de ceux qui parlent est indiquée par :QO «à nous», tandis que leurs destinataires sont les a\DLUR et a\],[R. Ces deux éléments sont introduits par UYD@ suivi d’un verbe qal parf. 3e m. pl. et d’un substantif composé avec O comme préfixe. Ce style est attesté en 51.23; Jr 23.25* (les prophètes de mensonge); Ez 11.15; Ps 12.4, 83.13* (les nations se dressent contre Israël). Pour plus de clarté, l’étude de Jr 23.25 s’avère utile. Dans ce passage YHWH reprend les propos des faux prophètes de Jérusalem qui prophétisent du mensonge, des prophètes aux trouvailles fantaisistes. Comme le mensonge fait partie des griefs reprochés aux fils en 30.9s et il constitue la principale accusation dans Jr 23.25-32, il y a lieu d’établir une relation étroite entre 30.9ss et Jr 23.25. Ces deux textes appartiendraient au même cadre rédactionnel. A supposer que notre hypothèse soit correcte, nous avons en 30.10 une accusation adressée au peuple de Juda et à ses dirigeants à Jérusalem qui mettaient leur confiance dans des prophètes proférant le mensonge à longueur de journée (9.14) au lieu de dire la vérité, la flatterie à la place de la droiture. 520 Ex 12.33; Nb 13.31; 16.34; Jos 22.16; Jg 9.3; 12.4; 16.24; 20.32,39; 1 S 4.7; 8.6; 10.27; 13.19; 30.6; 2 S 12.18; 17.29; 1 R 20.23,28; 22.32; Es 30.10; 39.3; 51.23; 66.5; Jr 2.6,8,31; 5.24; 12.4; 23.17; 23.25; 45.5; 50.7; Ez 9.9; 11.15; Ag 1.2; Ps 12.4; 35.21; 64.5; 71.10; 74.8; 78.19; 83.4,13; 129.8; Jb 28.22; 31.31; Lm 2.16; 4.15; 2 Ch 26.23.
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Ainsi, le texte révèle le conflit entre les vrais et les faux prophètes. Ce conflit se passait dans le Temple521 et le milieu de la cour522. C’est ce qui explique son évocation dans les livres dtr523, chez Ezéchiel (Ez 13.2-4, 9.16; 14.9-10; 22.25)524 et surtout chez Jérémie525. Dans ce dernier livre, le conflit entre Hanania et Jérémie est typique (Jr 28). Jérémie reproche à Hanania de prophétiser le mensonge en créant dans la conscience du peuple de Juda des illusions (Jr 28.15) en affirmant que dans deux ans les ustensiles du Temple, le roi Yoyaqim et tous les déportés de Juda reviendront du Gola babylonien (Jr 28.3-4). La condamnation des prophètes et de leur mensonge est un des thèmes importants de la théologie deutéronomiste. Elle s’inscrit dans la lutte contre l’idolâtrie et le rejet de la parole de YHWH (Dt 13.1-6). Par leurs visions mensongères, les prophètes ont orienté Israël vers les autres dieux et l’ont poussé à la rébellion contre YHWH. L’influence de la théologie deutéronomiste dans 30.10 ne peut plus faire l’objet d’aucun doute pour deux raisons: la ressemblance du vocabulaire (par exemple, les termes a\DLUR et a\],[R sont attestés dans le HD) et la correspondance de la thématique: le mensonge des prophètes comme cause de la désobéissance et du rejet de la parole de YHWH. Nous relevons que le cadre de cette condamnation est le Temple de Jérusalem. La tradition ésaïenne en 30.10 interprète la chute de ce Temple. Dès lors le milieu deutéronomiste tente d’expliquer cette catastrophe 521 1 R 13.1ss; 1 R 22.22-23; Jr 28.1. 522 La vie de l’homme de Dieu qui vint de Juda à Béthel sur une parole de YHWH alors que Jéroboam brûlait des offrandes sur l’autel termine par la mort à cause sa désobéissance à YHWH à la suite du mensonge du vieux prophète. \$K, le cri de mort qui sert de genre littéraire au chapitre 30 d’Esaïe trouve son cadre original dans cette histoire (1 R 13.30). 523 Dt 13.2, 4,6; 18.20, 22; 1 R 13.16, 18; 22.22-23. 524 Dans le livre d’Ezéchiel la condamnation s’adresse aux prophètes de Jérusalem, à cause du mensonge qu’ils profèrent par leurs vaines visions et par des oracles de paix qu’ils annoncent afin de créer l’illusion dans le peuple. En outre YHWH les condamne du fait qu’ils s’emparent des richesses et des choses précieuses et dépouillent des veuves au milieu de Jérusalem. 525 Jr 2.8, 26, 30; 4.9; 5.13, 31; 8.10; 14.13, 14, 15; 23.9-16, 21, 25-26, 28, 30-31, 3334, 37; 27.14-16, 18; 28.8, 11, 16, 17; 29.8; 32.32; 37.19. Dans le livre de Jérémie, les prophètes sont reconnus coupables de mensonge et d’avidité de gain. C’est pourquoi, Jérémie s’attaque à eux car, leurs actes sont contraires à la loi qu’ils sont censés enseigner.
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longtemps après et chaque fois que l’occasion le permettait. Cela explique la «thématisation» dans le Psautier de la condamnation des gens qui disent des faussetés (Ps 12.3-9). Dans ce psaume les accusés sont ceux qui parlent avec arrogance de leur duplicité et surtout ceux qui ont des langues flatteuses (W$TO«[@ \WHSI L O.« ) (Ps 12.3-5). La situation n’est pas différente en 30.10, où des flatteries sont sollicitées par les accusés. La comparaison de ces deux textes permet d’observer des éléments de rapprochement: Es 30.10:
W$[NRQ!:QO« :][WDO^a\],[ROZ!:DU!WLDO^a\DLURO« :UPD« UYD@ CW$/WK@P:][@W$TO« [@:QO« :U%' qui disent aux voyants: ne voyez pas et aux visionnaires; ne nous visionnez pas des droitures. Dites-nous des flatteries, visionnez des choses agréables,
Ps 12.3-5:
C:U%HG\!EOHZ« EOH%W$TO« [@WSI:K>HUHWDY\DL:U%G\!DZ!Y« Ils disent du mal l’un à l’autre, les lèvres flatteuses. Ils disent avec un cœur double
CW$OGR*!WU%GP$YO« W$TO« [@\WHSILO.« KZ«K\!WUNH \ YHWH coupe toutes ces lèvres flatteuses, la langue aux propos arrogants
C:QO« $GD« \PL:Q7« DL:Q\WHS« IU\%LJ!Q:QQ(YROOL:UPD« UYD@ Qui disent: par notre langue nous vaincrons. Nos lèvres sont avec nous. Qui sera notre seigneur?
Ces textes ont le même style et reprennent les propos des accusés (Cf. :UPD« UYD@ suivi des destinataires introduits par O). Ces derniers parlent à la 1re pers. du pl. commune (:QO« ). La flatterie (TO« [« )@ apparaît comme une des accusations principales. Le Ps 12.6 mentionne la condamnation de l’oppression des humbles, thème qui apparaît en 30.12. Ces éléments semblables nous amènent à rapprocher Ps 12.3 et 30.10. Ce sont des textes appartenant au même cadre littéraire. Ainsi le culte à Jérusalem pourrait être considéré comme le milieu de production de ces textes. On y célébrait et chantait la loyauté envers YHWH. Ce qui impliquait la dénonciation aussi bien des prophètes de mensonge et d’illusion que la critique de ceux qui leur prêtaient attention. Le terme W$[NRQ! «droitures» est dans 30.10 l’opposé de W$TO« [@ «flatteries» et W$/WKP @ «chimères, illusions»526. Ce substantif, en 30.10 apparaît également en 26.10, 59.14; Am 3.10 et dans sa forme adjectivale en 526 W. A. M. BEUKEN, Isaiah chapters 28-39, 2000, p. 163.
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2 S 15.3; Es 57.2; Pr 8.9; 24.26. L’inventaire des citations rend compte de leur concentration dans les textes (post)exiliques et tardifs. Toutefois, sa présence en 2 S 15.3 et Am 3.10 laisse soupçonner son origine préexilique. Il est possible de souligner son lien avec la royauté et le milieu cultuel. C’est aussi le cas des autres termes. En effet, le terme W$[NRQ! en 2 S 15.3 est relatif avec la révolte d’Absalom contre David. Absalom usurpe une prérogative du roi qui consistait à dire le droit. Il renvoyait les gens et les empêchait de rencontrer le roi. Le conflit était donc ouvert dans la cour royale entre David et Absalom. Il avait pour origine l’histoire d’Amnon et de Tamar (2 S 13.1ss) et provoqua la fuite du roi David (2 S 15.13-37). Egalement dans le contexte royal et le milieu cultuel, W$[NRQ! est attesté en Am 3.10. Dans ce texte, Amos constate la disparition de la droiture à Samarie. Par contre, il est témoin du désordre, de l’oppression, de la violence et des rapines qui sévissent les palais. Cette situation entraîne la chute du royaume d’Israël et de la destruction de Samarie sa capitale. La tradition prophétique dans le sanctuaire de Béthel semble être reprise en 30.10. En effet, la condamnation des prophètes de Juda se réfère à ces histoires du royaume du Nord et répète en Juda les mêmes erreurs qui ont conduit à la destruction de Samarie en 722. Jérusalem n’a pas fait mieux en faisant confiance aux prophètes menteurs. Sa chute en 587 a eu les mêmes causes que celle de Samarie. C’est d’ailleurs la lecture que les rédacteurs deutéronomistes font de la chute de ces deux royaumes (2 R 17.7-23). A la lumière de cette analyse, les accusés s’interdisent d’entendre des critiques sur leur appel aux propos mensongers et arrogants, aux paroles trompeuses, sur leurs jugements iniques, sur leur violence et leur rapine. Bref, ils s’opposent à la critique des injustices sociales qu’ils pratiquent en exigeant des paroles flatteuses qui les mettent à l’aise. 2 S 15 et Am 3.10 ont influencé largement la tradition ésaïenne. En effet, à part Am 3.10, le substantif W$[NRQ! n’est attesté que dans le livre d’Esaïe (26.10; 30.10; 57.2527; 59.14)528. Es 26.10 associe le rejet de la droiture au manque d’égard à la majesté de YHWH. Tandis que 59.14 associe ce rejet à toutes sortes de maux sociaux (extorsion, détournement, 527 Ici c’est l’adjectif [NRQ « qui est employé. 528 On peut observer que l’emploi de dans le livre d’Esaie représente les trois éditions: 30.10 (RC-DtrE); 57.2 (P1-S) et 26.10; 59.14 (P2-AP).
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tromperie, injustice, mensonge, etc.). Tout cela signifie renier YHWH, se révolter contre Lui (59.14) et attire le malheur. Par contre ceux qui marchent dans la droiture vivront dans le repos et la paix. (57.2). L’attitude de révolte des fils culmine dans ce reniement: le rejet de la droiture et le manque d’égard dû à la majesté de YHWH. Ils disent: ODHU«I\ , Y$GTWD :Q\Q(3P« L :W\%LYK «Faites cesser devant nous le Saint d’Israël» (30.11). 3.5.2.5.3.4 Le rejet du Saint d’Israël Avec la volonté de vivre hors de la présence et du contrôle du Saint d’Israël les accusés manifestent leur rébellion extrême. Le v. 11 poursuit les propos des accusés et devient la pointe de la condamnation. La pratique de l’injustice signifie le rejet de YHWH, le Saint d’Israël luimême. Les accusés ne veulent rien savoir de YHWH ni voir sa présence encore moins marcher sur son chemin (U') , sa voie ([UD)R . Ils exigent un tel comportement des voyants et des visionnaires à savoir: se détourner du chemin de YHWH, une invitation à s’écarter de sa voie. Ils exigent une déviation morale529. L’expression UG \1(PL :U:V «écartez devant nous le chemin» est certainement un ordre des accusés aux vrais prophètes. Elle est attestée sous différentes formes dans des textes deutéronomistes: U'K PL UKHP :UV« «ils se sont rapidement écartés du chemin» (Ex 32.8; Dt 9.12; Jg 2.17), U'K PLUKHP a7UV! «vous vous êtes vite écartés du chemin» (Dt 9.16; 11.28; 31.29)530. Dans la tradition de l’exode, l’expression est en relation avec la rébellion des enfants d’Israël qui se fabriquent le veau d’or (Ex 32.8; Dt 9.12, 16). Elle appartient au vocabulaire relatif à la lutte contre l’idolâtrie (Dt 31.29)531. En exigeant d’écarter d’eux le chemin de YHWH, les accusés en 30.11 veulent prendre un autre chemin. C’est cela la désobéissance (Jg 2.17), le refus de connaître YHWH (Jb 21.14), l’abandon de ses voies (Jb 34.27). C’est une violation de l’alliance (Ml 2.8) qui attire la malédiction (Dt 11.28) et le malheur (Dt 31.29). Leur exigence d’écarter d’eux le chemin le dérobe devant la Loi de YHWH qui leur recommandait de ne pas s’écarter (UZV DO^) de ses commandements. Construite 529 W. A. M. BEUKEN, Isaiah chapters 28-39, 2000, p. 163. 530 J. VERMEYLEN, Du prophète Isaïe à l’apocalyptique, 1977, p. 413. 531 W. A. M. BEUKEN, Isaiah chapters 28-39, 2000, p. 164.
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avec le mot UG, l’expression UZVDO^ traduit la fidélité et la droiture532. A partir de ces occurrences, l’expression souligne un concept caractéristique des rédactions HD et Ch. Dans les livres deutéronomistes, l’expression caractéristique est OZDPRI: \PL\ UZV DO^ «ne pas s’écarter ni à droite, ni à gauche» (Dt 2.27; 5.32.33; 17.11). Invitant à la fidélité, elle s’applique aussi bien aux humains qu’aux animaux (1 S 6.12). Selon la loi deutéronomiste, ne pas s’écarter ni à droite ni à gauche, c’est agir comme YHWH l’a ordonné (Dt 2.27), suivre toujours le chemin qu’il a prescrit (Dt 5.32) et s’abstenir de servir d’autres dieux (Dt 28.14). Cette attitude de fidélité envers YHWH garantit une bonne administration de la justice et du droit (Dt 17.11). Elle est porteuse de bénédiction divine. A celui ou celle qui suit le chemin de YHWH sans s’en écarter ni à droite ni à gauche sont accordées longue vie, bonheur et possession du pays (Dt 5.32-33). De manière générale, l’expression UZV DO^ traduit la fidélité ou l’infidélité. En ce qui concerne la fidélité, l’expression s’applique à YHWH luimême comme Dieu fidèle dont la main ne s’écarte pas de celui qui prend soin de son arche (1 S 6.3). A cause de sa fidélité il ne s’écarte pas de ce qu’il a dit (31.2) ni n’écarte la prière du juste (Ps 66.20). C’est-à-dire Dieu ne ment jamais. Appliquée aux personnes humaines, UZV DO^ concerne dans la plupart des cas533 la fidélité ou l’infidélité des rois d’Israël et de Juda. David est le roi typique en Israël à qui YHWH a fait une promesse de fidélité. En parlant de lui YHWH dit: «Mais ma fidélité ne s’écartera pas point de lui, comme je l’ai écartée de Saül, que j’ai écarté devant toi» (2 S 7.15). Associée à la fidélité des rois, elle est attesté dans le cas de David comme la figure type d’un roi qui obéit à toutes les lois et à tous les commandements de YHWH (2 S 22.23; 1 R 15.5; Ps 18.22). La fidélité de David est le critère d’appréciation des rois de Juda. Sont qualifiés de fidèles les rois suivants: Asa (1 R 15.14), Josaphat (1 R 22.43, 44) et Josias (2 R 22.2). En ce qui concerne les rois infidèles, la fabrication du veau d’or semble être le modèle original de UZV DO^ qui détermine leur évaluation. Tous les rois infidèles sont associés à cette idolâtrie dont Jéroboam est le prototype (1 R 12.28-29). De ce fait, ce dernier devient l’antitype de 532 Dt 2.27; 2 S 6.12; 1 R 22.43; 2 R 22.2; 2 Ch 20.32; 34.2. 533 A l’exception de Moïse et de Josué (Jos 11.15).
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David quant à l’emploi de UZV DO^. Le péché de Jéroboam revient comme un refrain dans toutes les évaluations des rois infidèles du royaume d’Israël. Il s’agit de Yoram (2 R 3.3), Jéhu (2 R 10.29, 31), Yoakhaz (2 R 13.2, 6), Joas (2 R 13.11), Zacharie (2 R 15.9), Menahem (2 R 15.18) et Peqahya (2 R 15.24). L’attitude des accusés en 30.11 évoque précisément l’infidélité de cette litanie des rois. Car en exigeant d’écarter devant eux le chemin de YHWH, ils ne se sont pas écartés du péché de Jéroboam. Deux observations découlent de cette analyse. D’une part, 30.11 est une interprétation de l’infidélité du roi et du peuple de Juda. D’autre part leur attitude s’est laissée inspirer par le péché de Jéroboam. Cette interprétation est confirmée dans la réflexion sur les causes de la chute du royaume d’Israël et celui de Juda. En 2 R 17.22 on peut lire: «les fils d’Israël ont imité tous les péchés de Jéroboam et ils ne s’en écartèrent pas». Le grave péché des accusés réside dans leur témérité à faire cesser devant eux le Saint d’Israël. C’est par ce sacrilège que culminent toutes les accusations depuis le v. 9. Impérativement les accusés exigent la suppression pure et simple du Saint d’Israël, sa réduction au silence, sa disparition. dérive de la racine WEY «qal: cesser, se repoL’impératif hif. :W\%LYK ser; ni: cesser = disparaître; hif: faire cesser, mettre fin à, supprimer, enlever, omettre»534. Dans le ch. 30, la racine WEY est employée comme substantif en 30.7. Dans ce texte c’est par WEY« aKH EKU que YHWH qualifie l’Egypte, un monstre réduit à l’inactivité. Au lieu de reconnaître YHWH comme celui qui maîtrise les puissances et les réduit au silence, les fils rebelles dans 30.11 renversent le rôle. Qui est YHWH pour eux? C’est lui qu’ils réduisent au silence, qu’ils déclarent inexistant, mort. Et pourtant, c’est Lui le Dieu qui fait cesser. Il est infini et ne peut jamais être déclaré fini. Ce sont plutôt les idoles (Ez 30.13)535 et les nations qui finissent par la volonté de YHWH (17.3). En voulant faire cesser YHWH, les fils font de leur acte un blasphème536, un crime de lèse majesté. C’est 534 W. A. M. BEUKEN, Isaiah chapters 28-39, 2000, p. 164; P. REYMOND, Dictionnaire d’hébreu et d’araméen biblique, 2002, p. 376. Pour l’étude exhaustive du mot, nous renvoyons au chapitre précédent (supra). 535 W. A. M. BEUKEN, Isaiah chapters 28-39, 2000, p. 164. 536 Ibid.
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pourquoi ils méritent la mort. La désignation dans le texte de YHWH comme Saint d’Israël souligne à la fois sa sainteté et son jugement. Le titre ODHUI « \ , Y$GT est attesté 21 fois537 dans la Bible hébraïque. L’inventaire des mentions démontre leur concentration dans le livre d’Esaïe et fait de ce titre presqu’une des caractéristiques de la tradition ésaïenne538. Sur le plan réactionnel la quasi-exclusivité de ce titre dans le livre d’Esaïe fait apparaître l’originalité de sa rédaction malgré les affinités avec d’autres livres. L’emploi du titre ODHU«I\ , Y$GT est en relation avec les oracles de sa539 lut et de malheur.540 Notre analyse va s’attacher à la seconde catégorie. Dans ces oracles de malheur, ODHU«I\ , Y$GT est YHWH que le peuple, les fils rebelles ont méprisé (DQ) et abandonné (E]>) (1.4)541, dont ils ont rejeté (VDP) (30.12) et méprisé (DQ) également la parole (5.24). Ils se moquent de lui demandant de hâter son œuvre afin qu’ils la voient (5.19). Ce dernier texte ressemble également à 30.10ss par le fait que le prophète reprend les propos de ses adversaires (Cf. a\U,PD KR « = :UPD« UYD)@ . A partir de ces observations, 1.4; 5.19 et 30.10ss concernent le même groupe de gens qui rejettent la parole de YHWH et dont les propos expriment mépris, moquerie et arrogance à son endroit. 3.5.2.5.3.5 Le rejet de la parole de YHWH Es 30.12 décrit le troisième niveau des griefs, à savoir la confiance dans l’oppression (TY>R) et l’appui dans la perversion (]$O), d’un côté, et le rejet de cette parole (K=K UE« '« % VDP) de l’autre. L’oppression et la perversion précisent la dimension éthique de la condamnation. Introduit par NHO« , le verset complète et conclut les griefs reprochés au peuple d’Israël depuis le v. 9. En même temps, il anticipe l’annonce du châtiment dans les vv. 13-14. Comme nous allons le démontrer ce style est proche de celui de Jérémie et d’Ezéchiel542. Le rejet de cette parole et la 537 2 R 19.22; Es 1.4; 5.19, 24; 10.20; 12.6; 17.7; 29.23; 30.11; 30.12; 30.15; 31.1; 37.23; 41.14; 43.3, 14; 45.11; 47.4; 48.17; 54.5; 60.14; Jr 50.29; Ps 71.22. 538 A cause de sa présence dans les trois parties du livre, ce titre permet de considérer le livre comme un tout rédactionnel. 539 10.20; 12.6; 17.7; 29.23; 37.23; 41.14; 43.3, 14; 45.11; 47.4; 48.17; 54.5; 60.14. 540 1.4; 5.19, 24; 30.11, 12; 31.1. 541 Le fort rapprochement de ce texte avec 30.9 a été bien souligné (voir supra). 542 J. VERMEYLEN, Du prophète Isaïe à l’apocalyptique, 1977, p. 414.
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confiance dans l’oppression et dans la perversion constituent les deux faces d’une même accusation. Ils découlent du mépris du Saint d’Israël (v. 11). Par conséquent le v. 12 poursuit les griefs des versets précédents et ne peut en être séparé. L’expression K=K UE«'% « aNVD « P« >\ est un hapax legomenon dans la Bible hébraïque. Toutefois, la racine VDP y est attestée 77 fois543 et l’expression K=K UE«'% « 8 fois544. La combinaison de ces deux termes y 545 est attestée 6 fois . L’inventaire de ces occurrences permet d’observer leur concentration dans deux livres seulement en dehors de 30.12. Il s’agit de 2 cas dans 1 Samuel et 2 autres chez Jérémie. Pour établir un rapprochement sur le plan de la forme et du fond, nous allons procéder à leur comparaison. Dans un premier temps, il convient de comparer 30.12 avec les textes de 1 Samuel. ODHU« I\,Y$GTUPD« K.RNHO« CZ\O« >« :Q>@9« 7LZ]$OQ«Z! TY>R%:[ME7LZK=KUE« '« %aNVD« P« >\ 1 S 15.23: UFSKa\SLU« W:ZD« Z!\U,PaVTWD-[\.L VCO0PLAVD« P« :Q>@9« 7ZL ]$OQZ! TY>%R :[ME7 ZL au texte originel. Le rapprochement entre 30.12 et les textes de 1 Samuel nous amène à un autre problème, celui de leur Sitz im Leben. Les cadres royal et cultuel dans lesquels a été prononcée la condamnation de Saül s’appliqueraient aussi à 30.12. C’est d’ailleurs ce qui apparaît dans Jr 6.19 où YHWH refuse les sacrifices importés d’un pays lointain. En outre, ces textes révèlent le conflit entre le prophète, porte-parole de YHWH et les dirigeants de Juda. En 1 S 15.26, ce conflit oppose Samuel et Saül. En effet, Samuel refuse de rencontrer à nouveau Saül dès qu’il a appris son rejet par YHWH. Tout était fini pour lui. L’écho de ce conflit en 30.12 confirme deux choses: l’influence de la tradition deutéronomiste d’origine nordique dans la rédaction de ce texte d’un côté et l’allusion au conflit entre les vrais prophètes et les dirigeants de Juda (Jr 8.9) d’un autre. L’histoire de la fin de Saül semble avoir été adaptée dans l’interprétation de la chute du dernier roi de Juda à cause du rejet de la Torah, parole de YHWH Le rejet de la Torah dans la combinaison du verbe VDP avec l’expression KZK\!WU$ 7 est attesté 3 fois (5.24; Jr 6.19; Am 2.4) et 1 fois avec a\KLOD^ WU $7(Os 4.6) dans la Bible hébraïque. Sur le plan stylistique ces textes peuvent être regroupés en trois catégories. Dans la première se trouvent 5.24 et Am 2.4 qui emploient la même expression W$DE«F KZK\! WU$7WDH:VD@P,« dans la seconde Jr 6.19 qui emploie +E«:VD@P'K K7«D mis en parallèle avec A\KOD^ WU$7[.Y7 ZL . Cette comparaison permet d’observer à la fois les similitudes et les différences. En ce qui concerne les similitudes, les 4 textes emploient le verbe VDP comme expression de l’accusation divine. Les différences sont perceptibles: – Dans 5.24, Jr 6.19 et Am 2.4 ce verbe est conjugué à la 3e personne du pluriel, tandis qu’en Os 4.6, le sujet est à la 2e personne du singulier. 546 L’influence de la tradition royale de Saül dans la rédaction de 30.9-14 a été précédemment et largement observée.
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– – – – –
Le verbe est employé dans chaque cas parallèlement avec un autre: « \ , Y$GTWUPD L WDHZ.! En Es 5.24, W$DE«F KZK\!WU$7WDH:VD@P« = :FDHQ, ODHUI En Jr 6.19, +E«:VD@P = :UP«Y«DO^Z\4«[ZX ! = aK\EH].! L a:>W$PY:ED«DO^ et 30.12 K=K UE«'«% aNVD P« ,« c’est Jr 6.19 qui est le plus proche. Car la Torah est synonyme de la parole de YHWH. En outre, Jr est proche de 5.24 par la forme du verbe :VD@P« ainsi que par le titre W$DE«F KZK\!attesté dans Jr 6.6, 9. Dans le livre d’Amos et d’Osée, il a une autre forme: (W$DE«F \KHOD ^ KZK\!)547 ou W$DE«&K KZ,K\! \QGDR Z (Am 9.5) et (W$DE«&K \KHOD^ KZK\) (Os 12.6). La conclusion à tirer est la confirmation de l’appartenance de 30.9, 12548 au même contexte rédactionnel que 5.24 et Jr 6.19. Leur ressemblance avec Os 4.6 et Am 2.4 s’explique par leur dépendance littéraire à ces textes qui leur sont antérieurs. En effet 30.12 et les autres textes appliquent à la chute de Juda ce qu’Amos et Osée avaient formulé concernant la chute du royaume du Nord. Cela veut dire que Juda suit les mêmes traces d’infidélité que le royaume frère du Nord. Cette interprétation est présentée dans la réflexion sur les causes de la chute de ces deux royaumes (2 R 17.15). Selon les rédacteurs deutéronomistes de ce texte, les deux royaumes sont tombés parce qu’ils n’ont pas écouté, ils ont raidi leur nuque comme leurs pères l’avaient raidie, eux qui n’avaient pas cru au Seigneur leur Dieu. Ils ont rejeté ses lois (Z\4«[X WD:VD@P)R et l’appui sur la perversion (]$O) représentent le rejet concret de la parole de YHWH (v. 12). Elles terminent une série de griefs qui commencent au v. 9 et font du v. 12 le résumé des accusations avant le déclenchement du châtiment. C’est donc la pratique de l’injustice sociale qui est mise en cause. 3.5.2.5.3.6.1 La confiance dans l’oppression Les fils rebelles préfèrent l’oppression à la confiance en YHWH. C’est cela qu’ils pèchent. A part en 30.12b, l’expression TY>% R :[ME7 L est attestée dans le Ps 62.11. Là il s’agit de l’interdiction de l’injustice sociale synonyme de fausser les balances, pratiquer la rapine et s’attacher à l’enrichissement. Le cadre cultuel de cette condamnation est vraisemblable. L’observation se vérifie également dans l’analyse du substantif TY>R attesté 15 fois551 dans la Bible hébraïque. L’inventaire des mentions établit leur grande concentration chez Ezéchiel (4 fois), dans le Psautier (3 fois), chez Esaïe, Jérémie et dans Qohélet (2 fois chacun). Quant au verbe TY> il est attesté 38 fois552 dans la Bible hébraïque. L’inventaire des occurrences permet d’observer leur présence de la manière suivante: dans livres sapientiaux (7 fois), le Psautier (6 fois), les livres dtr (5 fois), Lévitique (3 fois), chez Jr (3 fois), Esaïe, Ezéchiel, Osée (2 fois chacun) et chez Amos, Michée, Zacharie; Malachie 551 Lv 5.23; Es 30.12; 54.14; 59.13; Jr 6.6; 22.17; Ez 18.18; 22.7, 12,29; Ps 62.11; 73.8; 119.134; Qo 5.7; 7.7. 552 Lv 5.21, 23; 19.13; Dt 24.14; 28.29, 33; 1 S 12.3, 4; Es 23.12; 52.4; Jr 7.6; 21.12; 50.33; Ez 18.18; 22.29; Os 5.11; 12.8; Am 4.1; Mi 2.2; Za 7.10; Ml 3.5.
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et 1 Chroniques (1 fois chacun). Cela démontre l’existence préexilique du verbe mais aussi son emploi fréquent pendant l’époque (post)exilique. La confiance dans l’oppression est un péché. Elle est interdite (TY>E R :[ME7 L OD) (Ps 62.11). Dans ce texte elle est associée à une série d’interdictions: la rapine, l’amour de la richesse (Ps 62.11), le mensonge, la fraude (Lv 6.4; Ps 62.10). TY>R est associé à l’orgueil verbal (Ps 119.134), à la violation du droit et de la justice du pauvre (Qo 5.7). L’oppression rend insensé le sage (Qo 7.7). Elle est la rébellion contre YHWH (59.13). La rapine (Ez 18.18; 22.29), le mauvais traitement à l’endroit de l’orphelin et de la veuve (Ez 22.7), la réception des présents en vue de répandre le sang (Jr 22.17), la perception des taux usuraires et le dépouillement du prochain par la violence sont tous synonymes de l’oppression et de l’oubli de YHWH (Ez 22.12). Ces maux sociaux sont quotidiens dans la ville de Jérusalem (Ez 22.1-31). Ils sont attestés pendant le règne de Yoyaqim (Jr 22.17). L’oppression provoque la colère de YHWH (Jr 21.12). Elle est à l’origine du châtiment infligé à Jérusalem (Jr 6.6) et la cause de son malheur (Jr 7.6). Le recours à l’oppression est le fait d’un mauvais roi. Cette analyse vient de démontrer que la condamnation en 30.12 concerne les différentes facettes de l’injustice sociale553 sévissant à Jérusalem depuis le règne de Yoyaqim jusqu’à la destruction du royaume de Juda sous Sédécias en 587. L’oppression a été constamment condamnée par les prophètes comme mal de la société. Elle est une des causes de la chute des rois de Samarie et de Jérusalem et du peuple d’Israël. La condamnation prophétique de l’oppression fait partie du discours des prophètes du 8e siècle, notamment Amos, Osée et Michée. Dans le livre d’Osée, TY>R est associé à la falsification des balances, à la tromperie dans le commerce. Chez Amos, la condamnation s’adresse aux oppresseurs des misérables et des indigents (Am 4.1). Le livre de Michée émet une critique sévère à l’endroit de ceux qui convoitent des champs et s’en emparent, qui enlèvent des maisons et exercent la violence sur l’homme et sur sa maison (Mi 2.2). Même si elle est mentionnée dans le livre des autres prophètes préexiliques du 8e siècle (Amos, Osée Michée), la condamnation de l’oppression dans 30.12 se rapproche plutôt du message de Jérémie et 553 W. A. M. BEUKEN, Isaiah chapters 28-39, 2000, p. 164. Par contre, H. Wildberger écarte la dimension morale de l’accusation. Il préfère parler des méfaits politiques (Cf. H. WILDBERGER, Isaiah 28-39, 2002, p. 553).
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d’Ezéchiel, on voit en elle la cause de la chute de Jérusalem. Par conséquent 30.12 est une rédaction tardive par rapport au message d’Esaïe du 8e siècle. Comment expliquer alors que le prophète de Jérusalem soit considéré comme «l’héritier d’Amos dont il reprend la prédication et les principaux genres littéraires»554? Nous avons démontré qu’en réalité les discours et les genres littéraires d’Amos repris dans le livre d’Esaïe correspondent au contexte de la catastrophe de 587. Les rédacteurs de 30.12 auraient utilisé le vocabulaire de leurs prédécesseurs (Amos, Osée, Michée) pour expliquer les causes de la chute de Jérusalem par les Babyloniens la suite logique du comportement du peuple et de ses dirigeants identique à celle de Samarie par les Assyriens. Un tel comportement contraste avec celui de Samuel qui ne prit ni bœuf ni âne de quiconque, n’exploita ni maltraita personne, n’accepta pas de l’argent pour fermer les yeux sur une faute (1 S 12.3). Résumons. L’emploi de la racine TY> vient encore de confirmer l’hypothèse selon laquelle 30.9-14 est influencé par la tradition de l’exode et la théologie deutéronomiste. Ce texte a son Sitz im Leben dans le milieu cultuel et dans la royauté d’Israël. Avec l’exode, il rappelle l’oppression du Pharaon sur les Israélites555. En la pratiquant, les rois de Juda se font les héritiers du Pharaon. L’oppression est désignée comme une des caractéristiques des rois infidèles. Ces derniers furent la cible des oracles prophétiques. Un cas typique est, comme susmentionné, celui de Yoyakim. Jérémie condamne l’oppression dans sa prédication à la porte du Temple de Jérusalem (Jr 7.6). Les pauvres, les opprimés présentaient leurs causes à YHWH (Ps 72.4; 103.6; 119.121; 146.7) dans le Temple et demandaient à YHWH de châtier les rois oppresseurs (Ps 103.6; 1 Ch 16.21). En outre, l’emploi de la racine TY> est attesté dans les textes les plus anciens; tardivement, on le trouve dans les textes que nous avons mentionné, et aussi bien dans le HD, le Psautier que dans les livres de Jérémie et d’Ezéchiel. L’origine tardif de l’emploi de TY> dans 30.12 est confirmé par son emploi jumelé avec ]$O.
554 J. VERMEYLEN, «Esaïe», in T. RÖMER , J.-D. MACCHI, Ch. NIHAN , Introduction à l’Ancien Testament, 2004, p. 335. 555 J. PONS, L’oppression dans l’Ancien Testament, 1981, p. 107.
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3.5.2.5.3.7.2 La confiance dans la perversion La racine ]ZO n’est attestée dans les livres prophétiques qu’en 30.12. Le reste des mentions se trouve dans le livre des Proverbes (2.15; 3.21, 32; 4.21; 14.2). Le terme caractérise le comportement de celui qui ne craint pas YHWH et le méprise en prenant des voies tortueuses (Pr 14.2). Une telle attitude est en horreur devant YHWH (Pr 3.32). YHWH interdit d’opprimer la veuve et l’orphelin, l’étranger et le pauvre, de méditer le mal contre l’autre. En relatant les causes du malheur de Jérusalem, le livre de Zacharie y identifie l’oppression (Za 7.914). Ce texte peint en détail le tableau de la destruction de Jérusalem que 30.13-14 présente sous une forme métaphorique comme la conséquence de l’oppression et de la perversion. 3.5.2.5.4 La métaphore de l’écroulement de la muraille et du brisement de la jarre Les vv. 13-14 achèvent la structure classique d’un oracle de malheur et présentent la destruction comme la conséquence logique des accusations. Ils décrivent sous une forme métaphorique le sort malheureux de ceux qui ont rejeté la parole de YHWH au profit de l’oppression et de la perversion. L’injustice sociale entraîne le malheur aussi bien que l’idolâtrie que représente le recours à l’Egypte dont il est question dans les vv. 1-3. L’emploi de l’expression aNO« K\K\ , aux vv. 3 et 13 pour annoncer le châtiment est un indice de plus de l’appartenance de ces textes au même cadre littéraire. Il fait de la confiance en l’Egypte et de la pratique des injustices sociales les causes principales de la destruction du royaume de Juda en 587. En d’autres termes, la chute de Juda trouve son explication dans la politique étrangère imprudente et dans la mauvaise politique intérieure dominée par les injustices sociales. Ce sont les failles dans ces deux domaines qui ont précipité Juda et ses institutions politiques et religieuses dans la catastrophe. 3.5.2.5.4.1 Juda s’écroule à l’image d’une muraille Es 30.13 qualifie la confiance dans l’oppression et l’appui sur la perversion comme un crime (Z2>« ) qui entraîne la destruction. Ce crime est comme une brèche qui provoque l’écroulement soudain de la muraille. 280
Hapax legomenon, l’expression K=K Z2>« K aNO« trouve un parallèle en 22.14 (aNO« K=K Z2>dK), texte qui annonce le châtiment de Jérusalem556 confirmé par le double emploi du mot KP«$[ «muraille» dans le ch. 22 (v. 10 et 11). Par conséquent, ces deux passages appartiendraient au même contexte rédactionnel et historique. Comme en 30.13, l’emploi de K=K Z2>« K s’accorde avec la destruction symbolisée en 30.14 par l’écroulement de la muraille et en 22.14 par la mort. Ce dernier texte voit la mort dans la fuite au loin des généraux et leur emprisonnement (22.2-3). Il la désigne dans la désolation de la population d’Israël, l’enlèvement de la couverture de Juda (KG« :K\! VP)« et la démolition des maisons de Jérusalem (22.4-11). Les deux textes interprètent donc la fin du royaume de Juda et la destruction de Jérusalem en 587 comme la conséquence de K=K Z2>« K «ce crime» à savoir la pratique de l’injustice sociale (22.11b; 30.11-12). Amos557 et Osée558 évoquent le crime (Z2>d) comme cause de la chute d’Israël et de Samarie. Ce terme en 30.12 serait repris dans un nouveau contexte de la catastrophe de Jérusalem. Cette catastrophe est décrite en 30.13 sous forme imagée: l’écroulement soudain et instantané de la muraille (KP« $[) sous l’effet de la brèche (US) . Le terme US a un double sens. Il signifie à la fois «brèche» et «déchirure»559. Les deux sens conviennent à notre texte. Toutefois, nous avons préféré rendre le mot par «brèche». Comme brèche, US est attesté 16 fois560 dans la Bible. L’absence des mentions dans les livres des autres prophètes du 8e siècle et son attestation dans les textes (post) exiliques suggèrent son origine tardive. En outre, US est un terme caractéristique de la rédaction dtr (Cf. 2 S 8.8). Il représente la tradition royale de David et trouve également son Sitz im Leben dans le culte. Dans la tradition royale, le mot US est utilisé par David, comme en 30.13 dans une métaphore illustrant sa victoire sur ses ennemis à BaalPertsim (2 S 5.20; 1 Ch 14.11). La comparaison de ces deux textes permet d’une part d’établir une opposition entre deux situations vécues 556 O. KAISER , Der Prophet Jesaja, Kap. 13-39, 1973, p. 120; P. HÖFFKEN, Das Buch Jesaja, Kapitel 1-39, 1993, p. 168; R. KILIAN , Jesaja 13-39, 1994, p. 135. 557 Am 3.2. 558 Os 5.5; 7.1; 8.7; 9.9; 12.9; 13.12; 14.1. 559 P. REYMOND, Dictionnaire d’hébreu et d’araméen biblique, 2002, p. 309. 560 Gn 38.29; Jg 21.15; 2 S 6.8; Es 30.13; 58.12; Ez 22.30; Ps 106.23; 144.14; Jb 16.14; 30.14; Rt 4.18; Ne 6.1; 1 Ch 14.11.
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par les rois Israël et d’autre part de les situer dans le contexte de la défaite des ennemis de Dieu lors d’une guerre. La victoire de David sur ses ennemis et la défaite de Sédécias devant les Babyloniens désignent des situations opposées. Sédécias est l’antitype de David. A cause de son infidélité à YHWH, il conduisit la dynastie davidique à la défaite. La terreur qui accompagne l’arrivée des ennemis indique le contexte de la guerre (Jb 30.14). Et la guerre apporte toujours la destruction. Dans l’histoire de la traversée de la mer des joncs par les Israélites on retrouve la métaphore de la muraille (Ex 14.22, 29). Elle est alors liée à la guerre que YHWH mène contre les Egyptiens, qui se solde par leur défaite et leur destruction. Le recours à cette métaphore en 30.13 confirme l’influence de la tradition de l’exode lors la rédaction de ce texte. En effet, les rédacteurs appliquent à Israël le sort qu’Ex 14 applique aux Egyptiens. La cause de ces deux sorts est la même: l’endurcissement du cœur (Ex 14.4; Es 6.9). 1 S 6.6 soutient clairement cette comparaison: «A quoi bon épaissir votre cœur comme l’ont fait les Egyptiens et le Pharaon?». La métaphore de la muraille entamée par la brèche associe à l’idée de la destruction celle de la perte de la sécurité et de la protection des villes en général et de Jérusalem en particulier561. Car selon Dt 3.5, toutes les villes étaient fortifiées avec des hautes murailles (Dt 2.36; Pr 18.11). YHWH annonce la chute des murailles comme une malédiction et une des conséquences de la rébellion d’Israël. Œuvre d’une nation ennemie, elle suppose le siège de la ville jusqu’à sa chute (Dt 28.52). L’association de la brèche au siège de la ville est clairement indiquée en 2 R 25.1ss où il est dit qu’à la neuvième année du règne de Sédécias, le 10 du dixième mois, Nabuchodonosor, roi de Babylone vint avec son armée assiéger Jérusalem. Ne pouvant plus supporter le siège, les habitants firent une brèche à la ville et les soldats judéens prirent la fuite de nuit (Cf. 22.3). Cette brèche utilisée par les Judéens pour se sauver cause la chute de la ville. Car le 7 mai de la 19e année du règne de Nabuchodonosor, Nebuzaradan, chef de garde, serviteur du roi de Babylone entra dans la ville. Il brûla le Temple, le palais royal et toutes les maisons de Jérusalem. L’armée des Babyloniens démolit les murailles formant l’enceinte de Jérusalem562 et la ville fut systéma561 1 R 3.1; 9.15; 2 R 14.13; 18.26, 27; 2 Ch 25.23; 35.5, 18; 33.14. 562 2 R 25.8-10; Jr 1.15; 21.1-10; 39.1-14; 52.1-7.14.
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tiquement pillée et détruite563. Ainsi tomba Jérusalem sous le règne de Sédécias. La catastrophe qui a déferlé sur la ville fut prompte, inattendue et irréparable. La promptitude564 et l’irréparabilité de la chute sont exprimées en 30.13 par l’expression +U«EY L D$E\ >WSO aDRW3 L UYD@ en parlant du mur. Faire suivre >WSO et aDRW3 ,L deux adverbes qui disent la même chose est une façon de marquer l’emphase sur l’extrême brutalité (Jos 10.9; 11.7) de l’écroulement de la muraille. La soudaineté de la ruine (Lv 4.20) fut comparable à une bombe qui détruit tout. L’attaque est arrivée à l’improviste (47.11; Jr 6.26; 18.22; Ps 64), au moment où on s’y attendait le moins et de manière à ne pas y échapper (Pr 6.15), ni y remédier (Pr 6.15). Il y a dans la prise de la ville de Jérusalem par les Babyloniens, l’idée de la surprise (Qo 9.12) et celle du débordement (8.8; 29.5). La prise de Jérusalem et sa mise à feu furent totales565, et il ne s’est trouvé personne pour éteindre le feu au moyen de l’eau. L’idée de l’incendie et de l’impossibilité d’éteindre le feu est exprimée en 30.14 dans la métaphore du brisement de la jarre. 3.5.2.5.4.2 Juda tombe comme le brisement d’un vase Dans la métaphore de la jarre de terre qui se brise et dont les débris ne peuvent plus servir à contenir ni le feu ni l’eau, 30.14 ajoute à la promptitude et à la soudaineté, l’irréparabilité du brisement. La racine UEYest reprise 2 fois dans les vv. 13-14566, une fois comme substantif UEY (v. 13) et une autre comme verbe (v. 14). Toutefois, il convient de noter qu’elle comporte les deux sens différents suivants567: Dans le premier sens, la racine signifie dans sa forme verbale «acheter (du grain) et comme substantif «grain». Tandis que le second sens comporte l’idée du brisement. En effet, ici le verbe est rendu au qal. par «casser, briser, rompre», au nif. «être cassé, brisé, rompu, fissuré», au pi. «casser, briser, mettre en pièces» et au hif. «litt. briser» (Ex. le sein maternel) = faire naître. Dans les vv. 1314, c’est le second sens qui convient. L’emploi côte à côte de cette racine 563 R. ALBERTZ, Die Exilszeit, 2001, pp. 14-15; K. R. VEENHOF, Geschichte des Alten Orients, 2001, pp. 281-282. 564 P. HÖFFKEN , Das Buch Jesaja, Kapitel 1-39, 1993, p. 213. 565 R. KILIAN, Jesaja 13-39, 1994, p. 175. 566 W. A. BEUKEN, Isaiah chapters 28-39, 2000, p. 165. 567 P. REYMOND, Dictionnaire d’hébreu et d’araméen biblique, 2002, p. 375.
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vise à marquer l’emphase sur le brisement (UEY)568. Le fait de terminer le v. 13 et de commencer le v. 14 fait d’elle le mot clé porteur du message des deux versets et l’indice de la cohésion littéraire non seulement de ces derniers versets, mais aussi de ceux auxquels ils se rapportent (vv. 9-12). Le message se résume donc à ceci: le rejet de YHWH et de sa parole par les fils rebelles a conduit à leur brisement. Dans les livres supposés des prophètes du 8e siècle, la racine UEY indique la chute de Damas (Am 1.5), de la maison de Joseph569 (Am 6.6), du royaume d’Israël (Os 1.5). Par contre, le livre d’Esaïe l’applique à la chute de Jérusalem. Ici, c’est encore le même résultat les rédacteurs de 30.13-14 auraient repris le terme utilisé pour décrire la ruine de Samarie. Les données statistiques démontrent à suffisance l’emploi massif de la racine UEY aux époques exilique et postexilique. Cela s’observe également dans le livre d’Esaïe. Les 23 occurrences570 du livre couvrent les trois parties du livre (PE, DE et TE). Dans le «Proto-Esaïe», la racine UEY est attestée principalement dans les oracles contre les nations (13-23) et dans la «grande apocalypse» (2427). Dans les textes restants UEY est le sort qui attend les rebelles et les pécheurs, ceux qui abandonnent YHWH (1.28). La ruine concerne les deux maisons d’Israël et les habitants de Jérusalem (8.14-15). Dans le «cycle assyrien», la chute est réservée à ceux qui n’ont pas voulu écouter «>$PYD:ED« DO^Z» (28.12). Cette dernière expression est la même qu’en 30.9b (>$PY :ED« DO^). Par conséquent, 30.9-14 et 28.12-13 s’inscrivent dans le même contexte littéraire et historique de la chute de Jérusalem571. 568 Cette racine peut de part son orthographe être confondue à WEYH appliquée sur l’Egypte (30.7; Ez 30.8), Babylone (Jr 51.30), les idoles (Ez 6.4, 6) et les habitants (8.14-15) et les dirigeants de Jérusalem (28.13-14). 569 La maison de Joseph est une autre appellation d’Ephraïm, c’est-à-dire du royaume d’Israël du Nord. L’annonce de la ruine de la maison de Joseph est suivie de celle de la déportation. Il s’agirait de la déportation des populations du royaume de Nord d’Israël après la chute de Samarie en 722 av. J.-C. L’identification du royaume du Nord à Joseph a conduit une certaine opinion à situer la narration de Joseph dans ce royaume et l’assimilation de la figure de Joseph à celle de Jéroboam comme ennemi de Salomon fuyant vers l’Egypte: G. MANFRED, Die Beziehungen zwischen dem alten Israel und Ägypten, 1997, p. 123. 570 Es 1.28; 8.15; 14.5,25; 15.5; 21.9; 24.10; 27.11; 28.13; 30.13,14; 38.13; 42.3; 45.2; 51.19; 55.1; 59.7; 60.18; 61.1; 65.14. 571 O. KAISER , Der Prophet Jesaja, Kap. 13-39, 1973, p. 196.
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Dans un oracle de salut, UEY est associé à la guérison par YHWH des blessures du peuple (30.26). Comme alternative au malheur, la guérison serait une relecture postexilique de la destruction de Juda que les vv. 13-14 évoquent. Le désastre annoncé en 30.13-14 se laisse confirmer du reste par les nombreuses occurrences de la racine UEY dans les livres de Jérémie et Ezéchiel. Dans une métaphore, la racine UEY est employée pour caractériser les citernes brisées (crevassées) qui ne retiennent pas l’eau «a\,0K « :ONL\ DO^ UYD»@ (Jr 2.13). Cette image correspond à celle de 30.14. Ces deux versets utilisent respectivement U%R et DE*, deux termes synonymes pour «citerne». Par conséquent leur rapprochement serait envisageable. En vue d’élargir l’établissement des liens intertextuels entre 30.914 et les autres textes de la Bible hébraïque, nous avons retenu trois critères: 1. La pratique de l’injustice comme cause de la destruction de Jérusalem. 2. Les destinataires: Juda et ses dirigeants à l’époque de la destruction de Jérusalem en 587. 3. La forme de cette catastrophe, ruine soudaine et irréparable. L’étude s’intéressera aux textes qui intègrent la racine UEY en prenant en compte ces trois critères. En Jr 4.6, la racine UEYcadre avec le malheur de Juda et de Jérusalem, caractérisé par la désolation du pays et l’incendie des villes. Ce grand malheur est l’expression de la colère de YHWH qui fait venir du Nord le destructeur des nations, dont Juda. Jr 4.20 présente cette ruine comme soudaine et survenant à l’improviste. A l’aide du tableau cidessous, l’observation de 30.14 et Jr 4.20 est d’un grand intérêt: Es 30.14:
OPR[\DO^W:W.« a\U,F$\OEQ(UEYH.+U«E«Y: CDE*PLa\,P#IR[OZ!G:TUEY C\W« >R\U,\! >JU\OK« DR:G'!YXaDRW3LUD« K« O.«KG« '!YX\.L Nous appelons ruine sur ruine. Car tout le pays est soudainement dévasté. Mes tentes sont dévastées. Mes tentures en un instant.
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Les deux textes commencent par la racine UEY qu’ils emploient deux fois. Ils utilisent la métaphore de l’eau et de la citerne. Pour le dernier mot chacun utilise un vocabulaire propre. Enfin, ils présentent la soudaineté de la ruine par un même mot (aDRW3 L), attesté en 30.13 et en Jr 4.20. A la lumière de ces observations, il n’y a aucun empêchement à situer les deux textes dans le même cadre de rédaction et de les considérer comme l’interprétation de la catastrophe de 587. Cette hypothèse est confirmée par l’usage en Jr 19.10-11, de la métaphore du brisement d’un vase d’argile pour illustrer la ruine du peuple de Juda et de la ville de Jérusalem. Une fois brisée la vaisselle est irrécupérable. La métaphore du vase d’argile et la fatalité de son brisement reviennent également en 30.14. Enfin, la racine UEY est comprise dans le cadre de la narration de Jérémie, où il est dit clairement que lors du siège de Jérusalem sous Sédécias, roi de Juda, les Babyloniens brisèrent les colonnes d’airain du Temple et les emportèrent à Babylone (Jr 52.17). Ce texte est la reprise de 2 R 24.18-25.30 que nous avons précédemment situé dans le même contexte littéraire et historique que 30.9-14. Comparativement à son emploi dans le livre de Jérémie, la racine UEY est liée à quatre thèmes dans le livre d’Ezéchiel, notamment la privation du pain lors du malheur de Jérusalem572, le brisement des idoles (Ez 6.4.6), le jugement contre les nations étrangères573 et le brisement du joug de servitude étrangère (Ez 34.27). 3.5.2.6 Conclusion L’analyse de 30.9-14 nous a permis de vérifier l’hypothèse selon laquelle ce texte appartient à la rédaction de crise attribuée aux milieux deutéronomistes (RC-DtrE). A cette rédaction appartiennent entre autres 1.2-7a; 30.1-3. Ces textes révèlent comment les prophètes cultuels interprètent les causes de la chute de Juda et de Jérusalem par les Babyloniens en 587. Cette interprétation est élaborée soit immédiatement soit plusieurs années après la catastrophe, de toute manière pendant l’exil.
572 L’expression en Ezéchiel cadre avec l’annonce par YHWH de l’envoi de la famine, de la peste, de l’épée dans la ville de Jérusalem (4.16; 5.16-17; 14.13). 573 Ez 26.2, 27.26; 29.7; 30.8.18,21,22,24; 31.12; 32.9,28.
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Ces prophètes rendent les derniers rois de Juda, notamment Yoyakim et Sédécias et les autres dirigeants du peuple à Jérusalem, responsables de la chute de la royauté de Juda suite à la pratique de l’injustice sociale, en particulier l’oppression des faibles. Ils imitent par là le comportement du Pharaon, Saül et Jéroboam. Par leur comportement, ces rois ont conduit leurs règnes à la ruine. Les deux derniers rois, représentant les traditions du Nord sont présentés comme des mauvais exemples. Ils ont été imités par les rois de Juda qui n’ont pas tiré de leçon de ce qui a provoqué leur ruine. Ils n’ont malheureusement pas suivi David qui, pour avoir obéi à YHWH, reçut la promesse d’une royauté éternelle (2 S 7). A partir de là, 30.9-14 ne peut plus être attribué à Esaïe du 8e siècle. Cette explication règle un problème fondamental de la foi en Israël. Si YHWH est le Dieu tout puissant qui règne à partir de son Temple à Jérusalem, comment pouvait-il se laisser vaincre par les dieux babyloniens en laissant détruire et son Temple et la ville où il règne? Les théologiens deutéronomistes répondent sur la base de la souveraineté et de l’unicité de YHWH: Il a rejeté Israël parce qu’Israël l’a rejeté, lui et sa Torah574. En outre, YHWH s’est servi de la puissance babylonienne pour châtier Israël. Parce qu’il demeure au dessus de toutes les nations et de leurs dieux. La vérification de l’hypothèse de la rédaction de crise ayant abouti, il convient à présent de démontrer deux choses: 1. Que les vv. 15-18 représentent la seconde édition de paix (P2-AP) qui clôt aussi bien le ch. 30 que le livre entier d’Esaïe. 2. Que cette édition est une relecture apocalyptique de l’édition deutéronomiste de crise qui renverse les rôles en appliquant sur les nations ennemies le châtiment dirigé sur Juda en 587. C’est cela qui explique sa situation à proximité de 30.9-14.
574 M. ROSE , «Deutéronome», in T. RÖMER , J.-D. MACCHI, Ch. NIHAN (éds.), Introduction à l’Ancien Testament, 2004, p. 222.
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3.5.3 Bonheur aux fidèles et malheur aux rebelles (30.15-18) 3.5.3.1 Introduction Les vv. 15-18 poursuivent dans une autre perspective le thème de la rébellion commencé au v. 1. Cette fois-ci la rébellion concerne une partie des destinataires, ceux qui refusent le salut et la force de YHWH (v. 15). Tandis que le bonheur est accordé à ceux qui espèrent en YHWH. La péricope alterne donc malheur et salut. Les commentateurs nous ont habitués à séparer les vv. 15-17 du v. 18575. Généralement le premier texte est considéré comme un oracle de malheur contre Israël576, tandis que le second est pris pour un message de salut. Pour la majorité des exégètes les vv. 15-17 s’adressent aux dirigeants de Juda. Toutefois, ils ne s’accordent pas sur l’époque. Les uns y voient une allusion à la révolte d’Ezéchias (705-701)577, tandis que les autres privilégient la situation de 597 ou 587578. J. D. W. Watts y a vu une allusion à la chute de l’Assyrie pendant le règne de Josias (640-609)579. Compris ainsi le texte serait un oracle de salut. Une telle hypothèse n’est pas valable seulement pour les vv. 15-17, elle vaut également en ce qui concerne le v. 18. Considéré comme une unité littéraire, les vv. 15-18 décrivent le salut d’Israël au moment où YHWH châtie les nations ennemies. Celles-ci sont à situer à l’époque très tardive, apocalyptique, de l’histoire d’Israël, dont le message trouve des échos dans les chs. 63-66 d’Esaïe et dans 30.25-33. 575 J. VERMEYLEN, Du prophète Isaïe à l’apocalyptique, 1977, p. 416; P. HÖFFKEN , Das Buch Jesaja, Kapitel 1-39, 1993, p. 215; B. S. CHILDS, Isaiah, 2001, p. 226. 576 O. KAISER, Der Prophet Jesaja, Kap. 13-39, 1973, p. 236; J. VERMEYLEN, Du prophète Isaïe à l’apocalyptique, 1977, p. 415; R. E. CLEMENTS, Isaiah 1-39, 1980, p. 248; P. HÖFFKEN, Das Buch Jesaja, Kapitel 1-39, 1993, p. 213; J. N. OSWALT, The Book of Isaiah 1-39, 1986, p. 554; J. BARTHEL, Prophetenwort und Geschichte, 1997, p. 422; U. BECKER , Jesaja – von der Botschaft zum Buch, 1997, p. 255 (Ungehorsams-Redaktion); W. A. M. BEUKEN, Isaiah chapters 28-39, 2000, p. 165. 577 S. DECK, Die Gerichtsbotschaft Jesajas, 1991, p. 125; Ch. SEITZ, Isaiah 1-39, 1993, pp. 215-216; J. BARTHEL , Prophetenwort und Geschichte, 1997, p. 425; W. A. M. BEUKEN, Isaiah chapters 28-39, 2000, p. 157; B. S. CHILDS, Isaiah, 2001, pp. 226s. 578 O. KAISER, Der Prophet Jesaja, Kap. 13-39, 1973, p. 234; J. VERMEYLEN, Du prophète Isaïe à l’apocalyptique, 1977, p. 415; P. HÖFFKEN , Das Buch Jesaja, Kapitel 1-39, 1993, p. 213; R. KILIAN, Jesaja 13-39, 1994, p. 175. 579 J. D. W. WATTS, Isaiah 1-33, 1985, p. 396.
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Du fait que le texte est muet sur les destinataires, notre tâche consistera dans un premier temps à les découvrir. Pour y parvenir, nous partirons de notre hypothèse de travail selon laquelle le livre proclame la souveraineté de YHWH dans le Temple. Le salut ou le malheur des nations étrangères dépendent respectivement de la reconnaissance ou non de cette souveraineté. Or le texte présente le châtiment des fuyards à cause du rejet du salut et de la force que YHWH leur offre, pendant que ceux qui attendent de YHWH jouissent du bonheur divin. Qui sont ceux qui refusent l’aide de YHWH? Qui sont ceux qui attendent le salut divin? Notre analyse partira de l’identification des rebelles contre YHWH. La détermination de leur identité conduira à l’identification de l’autre groupe. Mais avant tout, il sied de délimiter le texte. 3.5.3.2 Délimitation du texte Placés après les vv. 9-14, les vv. 15-18 sont suivis par les vv. 19ss. Si leur démarcation d’avec ces derniers versets semble (hormis le problème de la fonction du v. 18) assurée à cause du thème de salut580, leur délimitation d’avec le texte précédent ne rencontre pas l’unanimité parmi les critiques. Au centre du débat se trouve la fonction du v. 18 que les uns isolent et les autres insèrent. Dans le premier groupe il y a ceux qui considèrent les vv. 15-17 soit comme le prolongement du texte précédent581 soit 580 O. PROCKSCH, Jesaja I: Kap. 1-39, 1930, pp. 395ss; G. FOHRER, Das Buch Jesaja: Kapitel 24-39, 1962, pp. 101ss; O. KAISER, Der Prophet Jesaja, Kap. 13-39, 1973, pp. 237ss; J. VERMEYLEN, Du prophète Isaïe à l’apocalyptique, 1977, pp. 418ss; R. E. CLEMENTS, Isaiah 1-39, 1980, pp. 249ss; J. D. W. WATTS, Isaiah 1-33, 1985, pp. 398ss; P. HÖFFKEN, Das Buch Jesaja, Kapitel 1-39, 1993, p. 215; J. N. OSWALT, The Book of Isaiah 1-39, 1986, p. 557; Ch. S EITZ, Isaiah 1-39, 1993, pp. 218ss; R. KILIAN, Jesaja 13-39, 1994, pp. 177s; U. BECKER , Jesaja – von der Botschaft zum Buch, 1997, p. 257; W. BRUEGGEMANN, Isaiah 1-39, 1998, pp. 245ss; W. A. M. BEUKEN, Isaiah chapters 28-39, 2000, pp. 168ss; J. BLENKINSOPP, Isaiah 1-39, 2000, pp. 418ss; B. S. CHILDS, Isaiah, 2001, pp. 226s; H. WILDBERGER , Isaiah 2839, 2002, pp. 165ss. 581 J. VERMEYLEN, Du prophète Isaïe à l’apocalyptique, 1977, pp. 411-412; S. DECK, Die Gerichtsbotschaft Jesajas, 1991, pp. 122ss; P. HÖFFKEN , Das Buch Jesaja, Kapitel 1-39, 1993, p. 213; Ch. SEITZ, Isaiah 1-39, 1993, p. 215; R. KILIAN, Jesaja 13-39, 1994, p. 175; J. BARTHEL, Prophetenwort und Geschichte, 1997, p. 400; U. BECKER , Jesaja – von der Botschaft zum Buch, 1997, pp. 225-257; W. A. M. BEUKEN, Isaiah chapters 28-39, 2000, p. 157; B. S. CHILDS, Isaiah, 2001, pp. 226s.
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comme une nouvelle unité littéraire cohérente582. Le v. 18 est soit rattaché aux vv. 19-26583, soit il est collé aux vv. 27-33584. Pour le second groupe, les vv. 15-18 suivent le texte précédent585. Pour nous, ces versets ne sont ni le prolongement du texte précédent, ni l’introduction à celui qui suit. Il s’agit par contre d’une unité indépendante placée à l’endroit actuel pour des raisons rédactionnelles en tant que relecture apocalyptique des vv. 9-14. Cette hypothèse sera étayée par trois arguments: 1. La fonction rédactionnelle de la préposition \. au début du v. 15, 2. La formule du messager ODHUI « \ , Y$GT KZ,K\! \Q GDR @ UPD« KNR \.L; 3. La désignation des accusés à la 2e pers. masc.pl. et de leurs réactions à la 1re pers. com. pl. 1. Dans les vv. 15-18, \.L encadre la péricope du fait que cette préposition se trouve au début (v. 15) et à la fin (v. 18). Son emploi dans les deux cas se rattache à la personne de YHWH: ODHU«I\ Y$GT KZ,K\! \QGD R @ UPD« KNR \.L (v. 15) et $O \NH$[O.« \UHYD KZK\! M3«YP L \KHOD^ \.L (v. 18). Cet élément constitue un indice pour séparer les vv. 15-18 des textes qui les entourent. La présence de \.L au v. 19 a amené certains commentateurs à lier ce verset au v. 18 précédent586. Et pourtant, l’emploi de cette préposition au v. 18 se distingue de celui du v. 19. Dans ce dernier, \.L est emphatique exerçant une fonction comme un vocatif 587. Elle introduit un message de salut qui s’adresse directement au peuple de Sion, aux habitants de Jérusalem.
582 G. FOHRER, Das Buch Jesaja: Kapitel 24-39, 1962, pp. 97-100; O. KAISER, Der Prophet Jesaja, Kap. 13-39, 1973, p. 236; R. E. CLEMENTS, Isaiah 1-39, 1980, pp. 248-249; W. BRUEGGEMANN, Isaiah 1-39, 1998, pp. 243-245; J. BLENKINSOPP, Isaiah 1-39, 2000, pp. 417-418; H. WILDBERGER, Isaiah 28-39, 2002, pp. 155164. 583 G. FOHRER, Das Buch Jesaja: Kapitel 24-39, 1962, pp. 103ss; R. E. CLEMENTS, Isaiah 1-39, 1980, pp. 249ss; P. HÖFFKEN, Das Buch Jesaja, Kapitel 1-39, 1993, p. 215; W. A. M. BEUKEN, Isaiah chapters 28-39, 2000, pp. 138ss; J. BLENKINSOPP, Isaiah 1-39, 2000, pp. 418ss; B. S. CHILDS, Isaiah, 2001, p. 226; H. WILDBERGER, Isaiah 28-39, 2002, pp. 165ss. 584 J. VERMEYLEN, Du prophète Isaïe à l’apocalyptique, 1977, p. 416. 585 O. PROCKSCH, Jesaja I: Kap. 1-39, 1930, pp. 389-395; J. D. W. WATTS, Isaiah 133, 1985, pp. 390-397. 586 W. A. M. BEUKEN, Isaiah chapters 28-39, 2000, p. 169. 587 W. H. IRWIN, Isaiah 28-33, 1977, p. 88; J. W. WATTS, Isaiah 1-33, 1985, p. 399.
290
Tandis que les vv. 15-18 sont muets en ce qui concerne l’identité des destinataires. Dans l’hypothèse où le v. 19 serait la suite du v. 18, comment expliquer la présence de NHO« , doublement attesté dans ce dernier verset où le mot se trouve dans un poème588 alors que les vv. 19ss sont de la prose?589 Au v. 18, la préposition \.L introduit un oracle de jugement590 à travers l’expression KZK\! M3«YP L \KHOD^ \.L, alors que dans les vv. 19-25a cette note est totalement absente. Toutefois, ce jugement est repris à partir du v. 25b jusqu’au v. 33591. Ces observations confirment la démarcation littéraire entre les vv. 15-18 et 19-25a. La séparation des vv. 15-18 d’avec le texte précédent est encore étayée par la fonction de \.L. Dans les vv. 9-14, cette préposition ne se trouve qu’au début de la péricope en vue d’introduire la description du peuple, objet d’accusation divine. En examinant l’usage de \.L, nous nous rendons compte de la diversité des fonctions que la préposition remplit dans le ch. 30 sans pour autant être partout un indice de cohésion littéraire. Au v. 15 par exemple, cette préposition ne poursuit pas les vv. 914 qui se terminent avec le châtiment. Elle introduit par contre une nouvelle accusation; à savoir le refus de la proposition d’aide de YHWH relative au salut et à la force. Evidemment, le refus (KEDDO) est un des griefs reprochés aux destinataires des vv. 9-14. Mais l’expression est différente au v. 15. Ici c’est aW\ELD@ DO^ alors que le v. 9 dit KZK\! WU$7 >$PY :ED« DO^ a\Q,%«. La forme et le fond de ces deux expressions ne permettent pas de les confondre. Il en est de même des destinataires. Au v. 15 l’expression est brève, tandis qu’au v. 9 elle est plus longue et révèle non seulement l’identité des destinataires, mais aussi l’objet du refus. Ces éléments manquent au v. 15b. Au regard de ces observations, nous prenons le v. 15 comme l’ouverture d’une nouvelle unité littéraire terminée par le v. 18.
588 R. E. CLEMENTS, Isaiah 1-39, 1980, p. 249. 589 J. N. OSWALT, The Book of Isaiah 1-39, 1986, pp. 556-557; J. BLENKINSOPP, Isaiah 1-39, 2000, p. 420. 590 O. PROCKSCH, Jesaja I: Kap. 1-39, 1930, p. 394. 591 Sur les liens entre les vv. 18 et 27-33 lire J. VERMEYLEN, Du prophète Isaïe à l’apocalyptique, 1977, pp. 416ss.
291
2. La seconde différence concerne la forme des formules du messager (vv. 12 et 15) et le style comme on peut le remarquer dans le tableau cidessus: vv. 9-14
[UDR\1(PL:-KUG\1(PL:U:V VdODHU«I\,Y$GTWD:Q\Q(3«PL:W\%LYK v. 12 ODHU« I\,Y$GTUPD« K.RNHO« K=KUE« '«%aNVD« P« CZ\O«>« :Q>@9«7LZ]$OQ«Z!TY>R%:[ME7LZ v. 13K\K\,NHO« KP« $[%K>EQ,OSHQ2US.K=KZ2>« KaNO« C+U« EYLD$E\«>WSOaDRW3LUYD@KE« * «IQ,
vv. 15-18
v. 11
v. 14
W:W.« a\U,F$\OEQ(UEYH.+U« E« Y: IU[$W7« NLPELDFH0« \,DO^Z!OPR[\DO^ #CDE*PLa\,P#IR[OZ! G:TYH:7« LW[QZ « KE« :Y% aW\ELD@DO^Z!aNWU:E*!K\K7LK[«MELE: v. 16 V:VO>\NLDO^:UPD7RZ OTO>Z!:V:Q7.HO>V:QQ« CaN\SHG!UR:/4\,.HO>E.« U!Q, v. 17 WU>@*\Q(3PLG[«D#OD :VQ87«K9«PL[@WU>@*\Q(3PLG[«D a7U!W$QaDLG> UK«K«YDURO>U7R. CK>« E*,KO>V1(NZ! v. 18 aNQ!Q[@OKZ«K\!K.[\!NHO« Z! aNP[UOa:U\uNHO«Z! VC$O\NH$[O.«\UHYDKZ«K\!M3«YPL\KHO^D\.L v. 15
Un regard global sur les deux colonnes permet de constater que les vv. 12-14 sont presque organisés de la même manière que les vv. 15-18. Chaque péricope commence avec la formule du messager introduite par NHO« (v. 12)592 et \.L (v. 15) suivie de l’accusation. A l’exception de la note de salut qui intervient à la fin du v. 17 et au v. 18, chaque péricope présente dans les deux versets la scène de malheur: la double métaphore de l’écroulement soudain de la muraille et le brisement irréparable de la jarre (vv. 13-14), d’un côté et le rattrapage des nombreux fuyards par un petit groupe des poursuivants (vv. 16-17), de l’autre. Ces éléments structurels sont des indices qui permettent de distinguer ces textes et de les prendre pour deux unités littéraires différentes. D’ailleurs, ces différences s’observent également en ce qui concerne le style.
592 On peut déjà à ce niveau constater la différence de graphie NHO« (v. 13) au lieu de NHO« Z!(v. 18).
292
Commençons par la forme des formules du messager. Chaque texte présente sa propre forme comme cela est visible dans le tableau cidessus: 30.12:
ODHU« I\,Y$GT
UPD« K.RNHO«
C’est pourquoi ainsi parle le Saint d’Israël. 30.15:
ODHU« I\,Y$GTKZ,K\!\Q«GRD@UPD« KNR\., C’est pourquoi ainsi parle le Seigneur YHWH, le Saint d’Israël.
Malgré l’emploi dans chaque verset de UPD« K.R au début et de ODHUI « \ , Y$GT à la fin, la différence entre ces deux formules saute aux yeux. Elle se situe en particulier au niveau de l’insertion dans le v. 15 du nom KZ,K\! \QGD R @ qui manque au v. 12. Cette différence est de taille lorsqu’on considère le rôle joué par le nom de Dieu dans une couche rédactionnelle. Ces deux formules du messager représentent deux mains rédactionnelles distinctes. Les éléments de comparaison à ce niveau sont la désignation des accusés à la 2e pers. masc. pl. et l’emploi de la 1re pers. c. pl. dans leurs réactions. Ils introduisent les griefs reprochés aux destinataires des oracles. 3. En ce qui concerne les griefs, la racine [ME qui exprime l’accusation au v. 12 reçoit une fonction renversée en faisant partie de la proposition de salut de YHWH au v. 15. Le refus des destinataires et la reprise par le prophète de leurs déclarations se trouvent également dans les vv. 914, mais dans des formules différentes: KZK\! WU$7 >$PY :ED«DO^ a\Q,%« (v. 9b) contre aW\ELD@ DO^Z! (v. 15) d’une part, et :UPD« UYD@ (v. 10) contre :UPD7RZ (v. 16), d’autre part. La comparaison pouvait se poursuivre avec d’autres éléments littéraires, mais les faits relevés ci-dessus sont des arguments suffisants pour prouver les dissemblances entre les vv. 9-14 et 15-18. Ceci étant, nous sommes d’avis que ces textes constituent deux unités littéraires distinctes et cohérentes. En ce qui concerne la cohésion interne des vv. 15-18, nous pouvons indiquer trois éléments. Le premier est le double emploi dans les versets clés des mots qui se terminent avec un (nun paragogique) [Cf. :V:Q7 et :>YH:7 L (v. 15)] ou ordinaire [Cf..HO> (v. 16), NHO« Z! (v. 18)]. Au vv. 15 et 16, par exemple, les mots :V:Q7 et :>YH:7 L représentent respectivement les options en conflit: le salut comme solution de YHWH et la 293
fuite, la solution des rebelles. La domination du thème de la fuite dans les vv. 16-17 (voir la racine VZQattestée 3 fois) est le second élément. Il y a également l’attestation 2 fois dans les vv. 16-17 du terme WU>*@ «menace de» qui représente cette fois-ci l’action punitive de YHWH. L’emploi fréquent des mots se terminant avec un () est une des caractéristiques de la rédaction apocalyptique (Cf. Le livre de Daniel)593. Non seulement le v. 18 devrait être associé à cette rédaction594, mais toute la péricope (vv. 15-18) lui appartient. Elle est conçue sur le modèle des vv. 9-14 relatifs à la chute du royaume de Juda en 587 sous Sédécias en tant qu’interprétation du déclin du royaume des Séleucides après la mort d’Antiochus Epiphane IV en 164. J. Vermeylen écrit à propos de l’influence de la crise de 587 sur l’apocalyptique: De même que les événements de l’an 587 avaient suscité un immense renouvellement littéraire et théologique, le choc provoqué par la profanation du Temple, la persécution des juifs restés fidèles à leur Tradition et la perte de tout espoir humain d’une survie d’Israël comme communauté de YHWH produit un discours nouveau595.
Toutes ces raisons conduisent à prendre les vv. 15-18 comme une unité littéraire cohérente. Après avoir établi la délimitation de la péricope, nous allons à présent procéder à sa traduction. 3.5.3.3 Traduction v. 15: Car ainsi parle le Seigneur YHWH, le Saint d’Israël. Vous serez sauvés par le retour et le repos, dans la tranquillité et la confiance sera votre force. Mais vous n’avez pas voulu. 593
C\Q,Z[2 K@ +UHYS :L DP«O[ KHO«\P«GT« ? PL:O%T7 D\*,I UT«\Z,K%«]E! QL :! Q«7P Z2[K@ 7 +UHYS :L DP«O[ KHZ! (Dn 2.6).
CDW«/P L \1,PL D'«]D! \',$W\]([@ \',OEHT? O.«\Q,E] «:7Q!D DQ«'>« L \',KQ«D@ >G\ «E\&L\ PLUPDZ« ! D.«OP KQ(>« (Dn 2.8).
\U,EJ 8 DO«K@ \KL$UE'K« O UPD«Z! KQ(>dKO«K«%W K %L aT«Z! +Z7 D.« OP U&QG N! : EQ!\,GD (Dn 3.24) CD.« OPDE«\&L\D.« OPO\U,PD«Z!\,Q> «\WL3N P DU«:QD$JODQ«\PHU! DW«O«7 594 J. VERMEYLEN, Du prophète Isaïe à l’apocalyptique, 1977, p. 416. Selon l’auteur, le thème de YHWH qui se lève (v. 18) est toujours lié dans le livre d’Esaïe à celui de l’anéantissement des nations (2.19; 3.13; 14.22; 33.10; cf. 26.12). O. KAISER , Der Prophet Jesaja, Kap. 13-39, 1973, p. 301. 595 J. VERMEYLEN, «Daniel», in T. RÖMER, J.-D. MACCHI, Ch. NIHAN, Introduction à l’A.T., 2004, p. 580.
294
v. 16: Ne dites vous pas: nous fuirons sur des chevaux? Eh bien vous fuirez sur des chevaux. Et nous monterons sur des chars rapides. C’est pourquoi, vos poursuivants seront rapides. V. 17: Mille devant la réprimande d’un. Vous fuirez devant la réprimande de cinq jusqu’à ce que vous restiez comme un mât sur le sommet de la montagne et comme un étendard sur la colline. V. 18: C’est pourquoi YHWH attend vous faire grâce et c’est pourquoi il se tient pour faire miséricorde. Car YHWH est le Dieu de justice. Heureux tous ceux qui espèrent en Lui. 3.5.3.4 Structure du texte Es 30.15-18 semble être un texte organisé autour de deux solutions contradictoires. D’un côté, le salut et la force comme solution de YHWH et de l’autre, la fuite en tant que la solution de ceux qui rejettent la solution divine. Comme acte de rébellion, la fuite présente ses limites et se transforme en source de malheur. Alors que les fuyards sont rattrapés par un petit nombre de poursuivants, ceux qui espèrent en YHWH jouissent de son salut. Schématiquement, les vv. 15-18 présente une architecture suivante: 1. 2. 3. 4. 5. 6. 7.
la formule du messager (v. 15a) le salut dans le retour et le calme (v. 15aa) la force dans la tranquillité et la confiance (v. 15b) le refus (v. 15bb) La fuite sur des chevaux (v. 16) Le résultat infructueux de la fuite (v. 17). Le salut de ceux qui espèrent en YWHW (v. 18)
Une telle structure répond partiellement à la forme des oracles de malheur. Toutefois il manque l’identité des destinataires qui refusent la solution de YHWH. La détermination de ce groupe permettra de comprendre la portée du message, de le situer dans l’espace et dans le temps. L’analyse littéraire résoudra ces énigmes.
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3.5.3.5 Analyse et commentaires 3.5.3.5.1 Le salut et la force: la solution de YHWH C’est dans le retour et le repos que se trouve le salut d’une part et la force se puise dans la confiance et la tranquillité d’autre part (v. 15). Le sens de cette parole est diversement discuté. Cette parole est considérée par certains critiques comme un appel aux dirigeants de Juda à ne compter ni sur l’alliance avec l’Egypte ni à résister contre la puissance assyrienne596 ou contre la puissance babylonienne par J. Vermeylen597. Cependant les analyses faites précédemment, nous ont amenés à privilégier l’origine apocalyptique du message. Que signifient le salut et la force dans ce contexte? Avant d’y répondre, nous préciserons d’abord l’identité de YHWH source du salut et de la force. 3.5.3.5.1.1 Son nom c’est le Seigneur YHWH, le Saint d’Israël La formule du messager révèle le nom du Dieu qui parle: ODHUI « \ , Y$GT KZ,K\! \Q GDR @. La Bible hébraïque est pleine de formules de messagers. A moins d’une erreur de notre part, le tableau ci-dessus présente leur inventaire. ODHU«I\,Y$GT KZ,K\! \QGRD@ UPD« KNR\.L (30.15) KZ,K\! \QGRD@ UPD« KNR\.L (52.4) KZ,K\! \QGRD@ UPD« KNR598 ODHU«I\,\KHO^D KZK\! UPD« KNR\.L599 \QGRD@W$DE«F\KHO^D KZK\! UPD« K.R(Am 5.16) KZK\! UPD« KNR600 KZK\! UPD« KNR\.L601 596 R. E. CLEMENTS, Isaiah 1-39, 1980, p. 248; J. BARTHEL, Prophetenwort und Geschichte, 1997, p. 422; W. A. M. BEUKEN, Isaiah chapters 28-39, 2000, pp. 165166; H. WILDBERGER, Isaiah 28-39, 2002, pp. 159ss. 597 J. VERMEYLEN, Du prophète Isaïe à l’apocalyptique, 1977, p. 415. 598 Cette formule est attestée 102 fois dans le livre d’Ezéchiel, 1 fois dans Jérémie (7.20); 2 fois chez Amos (3.11; 5.3) et 1 fois chez Abdias (1.1). 599 Jos 7.13; 1 R 11.31; Jr 13.12. 600 1 R 12.24; 13.21; 20.13.28; 2 R 1.4, 6,16; 20.1; Es 38.1; 43.1; 56.1; 65.8; Jr 2.5; 10.2; 15.2; 22.30; 27.16; 28.16; 29.32; 31.15, 16; 37.9; 2 Ch 11.4; 20.15. 601 2 R 4.43; Es 8.11; 18.4; 31.4; 45.18; 49.25; 52.3; 56.4; 66.12; Jr 4.3, 27; 6.6; 10.18; 16.3; 16.5, 9; 20.4; 22.6, 11; 24.8; 29.10, 16; 30.5, 12; 31.7; 32.42; 33.17; 48.40; 49.12.
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ODHU«I\,\KHO^DW$DE«F KZK\! ODHU«I\,\KHO^DW$DE«F KZK\! W$DE«F KZK\!
UPD« KNR(2 Ch 24.20) UPD« K.R602 UPD« KNR\.L (Jr 48.1) UPD« KNR(\.L)603.
L’examen de ces formules de messager permet de se rendre compte du caractère particulier de celle de 30.15. Hapax legomenon, cette formule est l’unique qui porte le titre ODHUI « \ , Y$GT pour désigner KZ,K\! \QGDR @ (le Seigneur YHWH). D’où vient alors l’autre partie? Comme le tableau le montre, KZ,K\! \QGD R @ UPD« KNR est une formule dominante chez Ezéchiel, mais aussi attestée dans le livre d’Esaïe. Lors du débat sur la délimitation du texte, nous avons démontré que \.L au v. 15 servait de pont avec les vv. 9-14 précédents. L’analyse de ces derniers versets, nous a conduits à observer que le titre ODHUI « \ , Y$GT était une marque déposée de la tradition ésaïenne. A partir de là, nous pourrions affirmer que le rédacteur R @ UPD« KNR à la tradition de 30.15 aurait emprunté la formule KZ,K\! \QGD d’Ezéchiel à laquelle il a ajouté ODHUI « \ , Y$GT afin d’avoirODHUI« \ , Y$GTKZ,K\! \QGDR @ UPD«KNR. Cette conclusion implique un intérêt particulier à accorder au livre d’Ezéchiel dans la compréhension du texte d’Esaïe. Le rapprochement du v. 15 du livre d’Ezéchiel sert pour nous d’hypothèse de travail dans la recherche de l’identité des destinataires et du contenu du message de 30.15. Au cas où cette relation ne se vérifierait pas, alors nous allons étendre l’analyse à d’autres livres. Comme nous l’avons susmentionné, l’identité des destinataires est L, aNWU : E*! et aW\ELD@ DO^. Nous allons sous-entendue dans les termes :>YH:7 donc chercher dans les livres d’Esaïe et d’Ezéchiel les textes qui combinent la formule du messager avec ces trois termes, ou deux ou l’un d’entre eux. Si le résultat n’est pas concluant, nous allons étendre notre étude à la combinaison des autres mots utilisés par le message du v. 15. R @ UPD«KN avec :>YH:7 ,L D’abord, la combinaison de l’expression KZ,K\!\QGD aNWU : E*! et aW\ELD@ DO^: La formule de messager est attestée dans les chs. 3 (vv. 11, 27) et 20 (vv. 3, 5, 27, 30, 39) d’Ezéchiel qui emploient également l’expression KEDDO^ en Ez 3.7 et 20.8 (A\ODH >PYR O L :ED\2 DO^ ODHU«I\ , W\EH). Ces deux 602 Jr 29.8; 32.15; 42.18; 51.33. 603 Jr 9.6; 19.15; 23.15; 25.28; 27.19, 21; 28.14.
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textes concernent la catastrophe de 587, le châtiment divin contre Israël dû à sa désobéissance. C’est le thème de 30.9-14. KZ,K\! \QGDR @ UPD« KN se trouve dans le ch.32 d’Ezéchiel dans lequel le substantif KU«:E*! est attesté aux vv. 29, 30. Ces deux versets concernent la chute des rois et de tous les princes d’Edom (v. 29) et des chefs du Nord et des Sidoniens (v. 30). Et ce, malgré leurs exploits (aW«U:« EJ!). Ils en ont même honte604. Selon Ez 32, le déclin des dirigeants des petites nations intervient dans le contexte d’un chant de deuil (KQ\TL) sur le Pharaon et l’Egypte lors de la défaite militaire lui infligée par le roi de Babylone. Il est possible de tirer une conclusion préliminaire à la suite de ces observations. Nous référant au résultat de la combinaison de KZ,K\!\QGD R @ UPD« KN avec KEDDO^, nous sommes en mesure d’établir un rapprochement littéraire et historique – à partir du mot KU«:E*!605entre 30.15 et Ez 32, particulièrement les vv. 29 et 30. Ce rapprochement nous permettrait de répondre à la question des destinataires dans 30.15. Ce texte serait une interprétation théologique de la chute des nations étrangères ennemies d’Israël. L’identité des destinataires étant un peu plus évidente, il reste à confirmer le contexte historique apocalyptique et l’intention du texte. Que signifie l’invitation de YHWH à recevoir salut et force? Quel problème le texte veut-il résoudre? L’analyse de cette parole nous aide à y répondre. 3.5.3.5.1.2 Le salut dans le retour et le repos Le v. 15 lie le retour (KE«:Y) et le repos (W[Q) comme les moyens de parvenir au salut. Ce lien fait du salut le cœur du message. Figurant dans une seule phrase, ce lien est unique en son genre dans la Bible hébraïque.
604 La racine YZE est employée en 30.3, 5 pour caractériser le sort malheureux des dirigeants ayant placé leur confiance en l’Egypte. En Ez 32.30, c’est le renversement de la situation. La honte concerne les princes du Nord et ceux de Sidon qui avaient compté sur l’Egypte. 605 L’analyse élargie de KU«:E*! permet de constater que ce mot s’inscrit dans les oracles de malheur contre les nations étrangères: Babylone (Jr 51.30) et Elam (Jr 49.35) chez Jérémie, l’Egypte, Edom et Sidon, chez Ezéchiel.
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La combinaison de la racine >Y\ avec le substantif KE«:Yest un hapax legomenon. Toutefois la composition de >Y\ avec EZY est attesté 10 fois606 dans la Bible hébraïque. Ces occurrences peuvent être reparties entre le malheur (Dt 28.31) et le salut d’Israël (Jr 30.10; 46.27)607. Le fait pour ces derniers textes de reprendre les racines >Y\, EZY et MTY attestées également en 30.15 invite à les rapprocher. Il s’agit en effet d’un message adressé à Israël à qui YHWH assure son salut alors qu’il châtie ses ennemis. Par ce salut, YHWH offre la délivrance que le fidèle menacé et repentant demande dans sa prière (Ps 6.5; 51.14; 80.4, 8,20). A la lumière de ces observations, le message de 30.15 aurait été prononcé au cours du culte où le peuple confesse dans sa prière les souffrances et autres menaces comme les conséquences des péchés dont il se repent. Il attend de cette repentance la délivrance par son Dieu. Car il croit à sa miséricorde, à sa grâce. Dans ce sens le mot KE«:Y porte à la fois le sens de «conversion»608 et celui de «retour»609, significations qui ne s’excluent pas du tout, dans la mesure où la conversion est comprise comme le retour à Dieu. Dans le livre d’Esaïe, le lien entre le salut, le repos et le retour à YHWH est attesté, en dehors de 30.15, dans le chapitre 63. Ce que 30.15 exprime dans une phrase :>YH: 7L W[QZ KE«:Y%, le ch. 63 le dit en détails. Ce dernier chapitre est l’unique en son genre qui conserve les trois racines >Y\610, [ZQ611 et EZY612comme représentant trois actions de YHWH en faveur des fidèles. YHWH sauveur vient d’Edom (63.1) à la fois pour sauver et juger, c’est-à-dire Israël (63.1) et châtier les peuples (63.5). En tant que père, il vient en personne (63.9) délivrer son peuple et ses fils de toutes leurs détresses (63.7-8). Comme dans les autres cas, la tradition de l’exode refait surface dans le ch. 63 qui met en parallèle la souffrance qu’endure Israël avec celle des Israélites en Egypte. Dans sa compassion, YHWH a écouté leurs cris de détresse et leur a envoyé Moïse. C’est lui qui a fait remonter son 606 Dt 28.31; Jr 30.10; 46.27; Za 10.6; Ps 65.5; 51.14; 80.4, 8, 20; 85.5. 607 Ces deux textes sont identiques. 608 A. S. HERBERT, The Book of the Prophet Isaiah. Chapters 1-39, 1973, p. 176; J. N. OSWALT, The Book of Isaiah 1-39, 1986, p. 555. 609 W. A. M. BEUKEN, Isaiah chapters 28-39, 2000, p. 166. 610 Es 63.1, 5, 8,9. 611 Es 63.14. 612 Es 63.17.
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peuple de la mer par sa main puissante et l’a conduit visiblement au repos (63.12-14). C’est pourquoi il est prié de revenir (63.17) dans son sanctuaire. YHWH n’exerce plus depuis longtemps sa souveraineté sur eux (63.19). C’est pourquoi, ils sont devenus objet de persécution de la part de leurs ennemis. Le Temple est profané et leur est interdit (63.18). La prière de confession l’exprime: «Pourquoi nous fais-tu errer, Seigneur, loin de tes chemins et endurcis-tu nos cœurs qui sont loin de te craindre? Reviens, pour la cause de tes serviteurs, des tribus de ton patrimoine» (63.17). Ceci correspond à la prière de Daniel (Dn 9.4-27), à l’exemple de celle que firent Esdras (Esd 9.1-15) et Néhémie (Ne 9.137). Dans les trois cas, la prière de confession intervient au moment de la détresse ou de la persécution du peuple. C’est aussi la prière d’intercession qui rappelle celle de Moïse qui demande à YHWH d’épargner son peuple, son patrimoine (Dt 9.26)613. Le motif de l’intercession (prophétique) en temps de détresse atteste son lien avec les trois éditions RC-DtrE (Dt 9.26), P1-S (Esd 9.1-15; Ne 9.1-37) et P2-AP (Dn 9.4-27). En outre, son attestation dans le ch. 9 respectivement du Deutéronome, Néhémie, Esdras et Daniel est un indice littéraire non négligeable qui montre son importance dans la tradition juive. Dans le ch. 63 d’Esaïe le peuple reconnaît sa détresse comme conséquence de sa désobéissance (63.10). C’est pourquoi il se tourne vers YHWH qui, dans son amour et sa compassion, ne tardera pas à sauver son peuple (63.9) et à triompher de ses ennemis à commencer par Edom (63.1-6)614. La dédicace du Temple de Jérusalem est l’occasion de la manifestation de ce salut. Israël implore le retour de YHWH dans son sanctuaire pour le venger (63.4) de ses détresses endurées (63.9) de la part de ses ennemis. L’étude de la première partie de l’invitation de YHWH suggère de rapprocher 30.15 de Dn 9.4ss et du ch. 63 d’Esaïe615. Ce rapprochement a pour conséquence la reconnaissance de l’origine apocalyptique de ces textes où la souveraineté de YHWH est proclamée à travers le respect du Temple de Jérusalem. En outre la tradition de l’exode sous613 S’agit-il d’une coïncidence que chacune de ces trois prières de confession se trouvent dans le ch. 9?. 614 Le châtiment divin à partir d’Edom rappelle celui dans Ez 32.29, texte proche de 30.15. Il est rapporté parallèlement en 34.5-15. R. G. KRATZ, Die Propheten Israels, 2003, p. 101. 615 R. G. KRATZ, Die Propheten Israels, 2003, p. 112.
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tend leur composition: YHWH qui a vu la détresse des enfants d’Israël en Egypte et a envoyé Moïse pour les faire remonter par sa main puissante, est le même qui sauve Israël de l’oppression des Séleucides. Par analogie Antiochus Epiphane IV remplace la figure et le rôle du Pharaon alors qu’Israël, victime de l’oppression sous ce roi séleucide s’identifie aux Israélites qui furent bénéficiaires du salut divin à l’époque de Moïse. Ils avaient placé leur confiance en YHWH dont Moïse dit: «C’est YHWH qui combattra pour vous. Et vous, vous restez calmes» (Ex 14.14). Le calme du peuple alors que YHWH combat les ennemis et remporte la victoire sur eux est la pointe de la deuxième partie de l’invitation de YHWH. 3.5.3.5.1.3 La force dans la tranquillité et la confiance La force (KU«:E*!) se trouve dans la tranquillité (MTY)616 et la confiance (K[« M% L). C’est de cette manière que le Seigneur YHWH s’adresse à ses interlocuteurs. La tranquillité et la confiance sont les vertus qui produisent la force. Le terme KU«:E*! signale l’influence de la théologie de la guerre de YHWH617. De quelle force s’agit-il? Pour répondre à cette question nous allons chercher à examiner des textes qui reprennent les mêmes concepts que 30.15b. Nous appuyant sur l’étude précédente du mot KU«:E*!, nous avons établi une relation littéraire entre 30.15, le ch. 32 d’Ezéchiel et le ch.63 d’Esaïe. Les deux derniers chapitres concernent le malheur prononcé contre Edom. Nous avons esquissé que le lien entre 30.15 et le ch. 63 venait à peine d’être établi lors de l’étude du v. 15a. Par conséquent, nous devons nous concentrer sur le ch. 63 d’Esaïe afin de comprendre la portée de la force dont il y est question. Dans le ch. 63 le vocable KU«:E*! est attesté au v. 15. Il s’agit dans ce verset de la prière à YHWH dans laquelle le fidèle lui réclame de manifester sa force. Il espère que YHWH regarde et voie depuis le ciel, de son palais saint et splendide. Ici encore le fidèle proclame, à travers sa prière la souveraineté de YHWH. Elle s’étend sur tout l’univers, à partir du ciel. Comparativement à 6.1-8, le ch.63 ajoute une nouvelle dimension de la souveraineté de YHWH. Ce dernier n’est pas seulement le roi de la terre comme dans le ch. 6, mais aussi du ciel, c’est-à-dire de 616 Dans le texte, la tranquillité est exprimée par l’infinitif absolu au Hi. 617 Es 14.13; 66.1; Ps 103.19.
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tout l’univers. Cette conception est l’une des caractéristiques de la théologie apocalyptique618. YHWH étend son règne à partir de son temple (Ps 11.4). C’est une profession de foi qui s’inscrit en rapport avec la lutte contre l’idolâtrie: le culte à la reine du ciel est attesté dans le livre de Jérémie. En 14.12-14, l’Astre brillant, le fils de l’Aurore est précipité à terre pour avoir voulu s’élever dans les cieux, y installer son trône et y être comme le Très-Haut. Cette situation trouve correspondance dans le livre de Daniel (8.10; 11.4). Elle renvoie à la mort d’Antiochus Epiphane IV conséquence de son arrogance parce qu’il a cherché à être l’égal de YHWH et méconnu sa souveraineté en profanant le Temple de Jérusalem. En 63.15, l’Israël fidèle, assimilé aux Hassidéens, affirme haut et fort que seul YHWH est Dieu. A lui appartient la force. La foi en un tel Dieu suffit pour susciter la tranquillité et la confiance. Car la confiance est synonyme de connaissance de YHWH, de foi et de fidélité en Lui (Ps 9.11). De la confiance en YHWH dépend le salut (12.2) et la délivrance dans la détresse ou dans la guerre (Ps 22.5). A la confiance en YHWH est liée la stabilité (Ps 26.1; 125.1; Pr 3.23), le courage même lors de l’attaque de l’ennemi (Ps 27.3; 56.4.11; 78.53; 112.7). La confiance exclut la fuite: C’est l’attitude que le livre de Job décrit pour un hippopotame: «Que le fleuve vienne à déborder, il ne s’enfuit pas: Que le Jourdain se précipite dans sa gueule, il reste calme» (Jb 40.23). En présentant la confiance comme le secret de la force, 30.15b devient un hymne à la confiance en YHWH et une alternative à toutes les crises d’Israël évoquées dans le ch. 30 dont la seule cause est le manque de confiance en YHWH supplantée par la confiance en l’Egypte et dans ses moyens militaires (vv. 1-3; Cf. 31.1; Ps 44.7), dans les idoles d’Egypte (vv. 4-5; 6b-8); dans l’oppression et la violence (vv. 9-14; Cf. Ps 52.9). En reconnaissant YHWH comme source de salut et de force, Israël change et devient l’objet de la compassion et de la grâce de Dieu, alors que les nations étrangères devront subir le jugement de YHWH. Cette conclusion est confirmée par l’étude du v. 18 qui décrit YHWH comme le Dieu du salut pour Israël et de la justice contre les ennemis qui ont rejeté l’invitation de YHWH.
618 J.-C. LEBRAM, Das Buch Daniel, 1984, pp. 33, 35; S. BEYERLE, Die Gottesvorstellung in der antik-jüdischen Apokalyptik, 2005, pp. 404-405.
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3.5.3.5.2 Le rejet de l’invitation de YHWH Le refus pur et simple est la réponse réservée à la proposition de YHWH. C’est une rébellion. Car cela signifie ignorance de la souveraineté de YHWH. Le v. 15 est vu par nombre de critiques comme caractéristique du style d’Esaïe, fils d’Amots619. Et pourtant la triple attestation (Dt 1.26; Es 30.15; Pr 1.25) de l’expression aW\ELD@ DO^ dans la Bible hébraïque démontre son origine tardive proche de la rédaction dtr exilique et de la sagesse postexilique. Peut-on accoler l’expression à Dt 1.26 ou à Pr 1.25? Malgré les ressemblances la position de la motivation dans Dt 1.26 se trouve après l’expression aW\ELD@ DO^. L’emploi de l’infinitif construit après cette expression rapproche Dt 1.26 (WO^>O @ aW\ELD@ DO^) de 30.9 (>$PY :ED« DO^) que de 30.15. Toutefois les rédacteurs de 30.15 s’étaient appuyés sur ces textes deutéronomistes pour rédiger le leur, en renversant les rôles des nations. Les nations ennemies récupèrent l’attitude d’Israël dans Dt 1.26. Par leur refus (KED DO^ ), elles renoncent à reconnaître la souveraineté de YHWH dans son Temple. Dans ce sens la fonction littéraire de l’expression aW\ELD@ DO^ (v. 15) serait donc d’anticiper le thème de la fuite des ennemis (vv. 16-17) en signe de rébellion contre YHWH. Il s’agit par conséquent, au v. 15 de l’interprétation apocalyptique de la catastrophe de 587 av. J.-C. A cette époque la chute de Juda avait pour cause le refus d’écouter la parole de YHWH (v. 9). De manière générale, le thème du refus d’écouter est une des particularités de la rédaction deutéronomiste620. Dans les livres des Chroniques, il est abordé sous l’angle de l’obéissance621 et de la protection de la royauté en Israël622. De toute façon, le refus d’écouter YHWH est lié 619 G. FOHRER, Das Buch Jesaja: Kapitel 24-39, 1962, p. 98; J. N. OSWALT, The Book of Isaiah 1-39, 1986, pp. 554-555; J. BARTHEL, Prophetenwort und Geschichte, 1997, p. 422; J. BLENKINSOPP, Isaiah 1-39, 2000, p. 418; W. A. M. BEUKEN, Isaiah chapters 28-39, 2000, p. 166; B. S. CHILDS , Isaiah, 2001, p. 226; H. WILDBERGER , Isaiah 28-39, 2002, p. 159. 620 Sur les 49 occurrences dans la Bible hébraïque, l’expression KE« D« DO2 est attestée 30 fois dans le HD (Dt 1.26, 30; 10.10; 13.9; 23.6; 25.7; 29.19; Jos 24.10; Jg 11.17; 19.10, 25; 20.13; 1 S 15.9; 22.17; 26.23; 31.4; 2 S 2.21; 6.10; 12.17; 13.14, 16, 25; 14.29; 23.16, 17; 1 R 20.8; 22.50; 2 R 8.19; 13.23; 24.4). L’influence deutéronomiste s’est poursuivie dans la littérature sacerdotale (Lv 26.21). 621 1 Ch 11.8, 19. 622 KE« D« DO2illustre le refus de l’écuyer de Saül de mettre fin à la vie de son roi (1 Ch 10.4).
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à la tradition de l’exode. Le culte et la royauté constituent son Sitz im Leben. En effet, l’exode relève deux pôles de l’histoire de l’exode: l’endurcissement de Pharaon en Egypte et celui d’Israël dans le désert. C’est sur ces deux modèles que se sont élaborées toutes les interprétations de la chute des nations en général et celle d’Israël en particulier. La chute d’Israël illustre le refus d’écouter YHWH et sa parole623. Une attitude semblable à celle des fils envers leur père (Pr 1.25) également se vérifie chez les rois étrangers, notamment Pharaon d’Egypte (Ex 10.27), Sihon, roi de Hesbon (Dt 2.30), le roi d’Edom, le roi de Moab (Jg 11.17) ou des gens de Guivéa (Jg 19.25), qui, par leur endurcissement, tentèrent d’empêcher Israël d’aller servir YHWH. Ces nations sont désormais considérées comme des ennemis de Dieu. Dans ce contexte, l’expression KE«D« DO^ cadre avec la théologie de la guerre de YHWH624. Pour avoir entraîné les petites nations et les avoir dressées contre Israël, les empires babyloniens et séleucides ont présenté cette image. Car ces petites nations se trouvaient des alliés aussi bien du roi de Babylone (2 R 24.2) que d’Antiochus Epiphanes IV (Dn 11.41-45)625. Cela explique le châtiment des nations lors de l’instauration du règne messianique626. A la lumière de ces observations la mort d’Antiochus Epiphane IV est la conséquence, selon les interprètes apocalyptiques, de l’endurcissement de son cœur envers YHWH et de son refus de laisser Israël servir YHWH dans son Temple. Ce monarque séleucide a persécuté et exterminé les Juifs fidèles (1 M 29-40; 2 M 5.23b-27), et a profané (1 M 1.41-64; 2 M 6.1-11) et pillé le Temple (1 M 1.21-24; 2 M 5.1523a). Il s’est joué de YHWH, le souverain, d’une manière évidente. C’est pourquoi, il a dût subir le châtiment divin que les vv. 16-17 décrivent dans la menace sur les fuyards et leur capture malgré la fuite. 3.5.3.5.3 La fuite éperdue La fuite en signe de refus de la proposition de YHWH exprime l’arrogance et elle est la source de malheur. Car en fuyant devant la présence 623 Dt 1.2; Es 28.12; 30.9; Ps 81.12. 624 G. von RAD , Holy War in Ancient Israel, 1991, p. 102; H. WILDBERGER, Isaiah 28-39, 2002, p. 159. 625 TOB, 2004, p. 1064. 626 Cf. 10.14.
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de YHWH les fuyards signent leur propre mort. Le texte ne donne pas l’identité des fuyards. Qui sont-ils en réalité? Cette question trouvera une réponse à deux niveaux liés aux deux mots clés dans les vv. 16-17; notamment le verbe VZQ et le substantif KU«>« *!. Le triple emploi de ce verbe fait de la fuite la démarche qui définit les destinataires. Il encadre KU«>« *!, le second mot clé qui lui est attaché. Nous allons donc concentrer notre analyse sur le thème de la fuite. J. Vermeylen fait observer que ce thème est une des caractéristiques de la rédaction deutéronomiste627. Cette thèse est par contre contestée par certains auteurs qui notent l’absence dans le texte d’un vocabulaire strictement deutéronomiste628. Au risque de nous répéter, nous avons déjà souligné qu’il s’agit dans les vv. 15-17 de la relecture apocalyptique des textes dtr relatifs à la chute de Jérusalem en 587. On comprendra parfaitement bien pourquoi le thème dtr de la fuite est repris par les rédacteurs apocalyptiques. Nous démontrerons par la suite largement cette thèse. Nous allons chercher à répondre aux questions suivantes: En quoi consiste la fuite? Qui fuit? Où et quand a lieu cette fuite? Par quels moyens? Pourquoi? Comment les fuyards atteignent-ils leurs objectifs? Les réponses nous permettront de voir comment le thème de la fuite influence le texte et est porteur de ses enjeux théologiques. Le concept de la fuite est exprimé par le verbe VZQ. Attesté 160 fois dans la Bible hébraïque, ce verbe est rendu par «fuir» au qal; «forcer» au pol; «mettre en fuite, mettre en sécurité, fuir» au hif. et «se mettre en sécurité» au hitpol629. Ces différents sens permettent de comprendre le rapport que le terme établit avec la recherche de la sécurité, mieux, du salut. On fuit en vue de se sauver, d’échapper à une menace ou d’éviter un malheur. Qui est concerné par la fuite en 30.16-17? Pour nombre des critiques, la fuite concerne les Judéens devant les Assyriens630 ou devant les Babyloniens631. L’examen des mentions du verbe VZQ permet de les 627 J. VERMEYLEN, Du prophète Isaïe à l’apocalyptique, 1977, p. 415. 628 J. BARTHEL , Prophetenwort und Geschichte, 1997, pp. 408-411; J. BLENKINSOPP , Isaiah 1-39, 2000, p. 418. 629 P. REYMOND, Dictionnaire d’hébreu et d’araméen biblique, 2002, pp. 241-242. 630 R. E. CLEMENTS , Isaiah 1-39, 1980, p. 249; J. B ARTHEL , Prophetenwort und Geschichte, 1997, pp. 426-427; H. WILDBERGER, Isaiah 28-39, 2002, pp. 161-162. 631 J. VERMEYLEN, Du prophète Isaïe à l’apocalyptique, 1977, p. 415.
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classer en deux catégories. La première est constituée par les textes qui présentent Israël632 ou son roi633 fuyant, tandis que la seconde catégorie fait de la fuite la réaction des nations étrangères634. L’inventaire des occurrences dans le livre d’Esaïe permet d’observer que le verbe VZQ est attesté dans les textes suivants: 10.3, 29; 13.14; 17.13; 20.6; 24.18; 30.16, 17; 31.8; 35.10; 51.11; 59.19. Ces textes se repartissent dans des oracles de malheur (10.3, 29) et de salut (35.10; 51.11) pour Israël d’un côté, et ceux de malheur pour les nations de l’autre. Les nations étrangères qui fuient sont Babylone (13.14), des nations ennemies sans nom (17.13), les habitants des îles (20.6), la terre (24.18), des anonymes (30.16, 17), l’Assyrie (31.8), les ennemis, les îles (59.18). Dans 13.14 la fuite concerne des individus devant la colère de YHWH. Alors qu’en 17.13, c’est un tumulte de nations, des peuples sans nombre, menacés par YHWH qui fuient au loin. Ce texte présente quelques traits de ressemblance avec les vv. 16-17 par l’emploi du nun parodique comme le tableau ci-dessous le montre: 30.15-16:
ODHU«I\,Y$GTKZ,K\!\Q«GRD@UPD« KNR\.L CaW\ELD@DO^Z!aNWU:E*!K\K7LK[«MELE:MTHYK%:>YH:7« LW[QZ «KE«:Y% :V:Q7.HO>V:QQ«V:VO>\NLDO^:UPD7RZ CaN\SHG!UR:/4\,.HO>E.«U!Q,OTO>Z! v. 15: Car ainsi parle le Seigneur YHWH, le Saint d’Israël. Vous serez sauvés par le retour et le repos, dans la tranquillité et la confiance sera votre force. Mais vous n’avez pas voulu. v. 16: Ne dites vous pas: nous fuirons sur des chevaux? Eh bien vous fuirez sur des chevaux. Et nous monterons sur des chars rapides. C’est pourquoi, vos poursuivants seront rapides.
632 Lv 26.17, 36; Nb 16.34; Dt 28.25; 32.30; 1 S 4.16; 17.24; 31.1, 7; 2 S 1.4; 23.11; Es 10.3, 29. 633 1 R 12.18; 2 R 9.23, 27; 14.12; 1 Ch 10.1, 7; 11.13; 13.16; 2 Ch 25.22. 634 Gn 14.10; Ex 14.25,27; Nb 10.35; Jos 10.11,16; Jg 1.6; 4.15-17; 7.21-22; 8.12; 1 S 14.22; 17.51; 19.6; 30.17; 2 S 10.13; 10.14,18; 1 R 10.20,30; 2 R 3.24; 7.7; 8.21; Es 13.14; 17.13; 20.6; 24.18; 30.16,17; 31.8; 35.10; 51.11; 59.19; Jr 46.5,6,21; 48.6,19,44,45; 49.8,24; 50.16,28; Am 2.16; 5.19; Na 2.8; Za 14.5; 1 Ch 19.14,15,18; 2 Ch 14.12.
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17.12-13:
:\P«K\a\0L\W$PK@.a\%LUa\0L>$PK@\$K C :D9« \,a\U,\%L.a\,P$DY.La\0LDXO $DY: T[«U!0PLVQ«Z!$%U>JZ« !:D9« \,a\%LUa\,P$DY.La\0LDXO CKS«:V\Q(SOLO*OJN:[:U\Q(SOLa\U,K«PR.#'UXZ! 12. Malheur! c’est le tumulte des peuples nombreux. Ils mugissent comme le mugissement des mers. Quel grondement des nations? Elles grondent comme des eaux puissantes. 13. Les nations grondent comme le grondement des eaux nombreuses. Il le menace et il fuit au loin et il est poursuivi comme la balle par le vent de montagnes et comme le chardon par la tempête.
La comparaison de ces deux textes permet d’observer que le nun paragogique se trouve dans les verbes conjugués tous à l’imparfait et au pluriel: :D9« \, et :\P« K\ (17.12-13), :>YH:7 L et :V:Q7 (30.15-16). En plus, la péricope 17.12-13 est introduite par \$K comme dans le ch.30. Cet élément littéraire peut expliquer la présence des vv. 15-17 dans le ch.30. L’emploi des racines VZQ, (17.13; 30.16, 17) U>J (17.13; 30.16, 17) et #GU(17.12-13; 30.16), la présence du nun paragogique dans les verbes et celle de \$K sont les premiers éléments de rapprochement littéraire entre ces deux textes. La première conclusion serait de supposer que la péricope 17.12-13 révèlerait l’identité des destinataires en 30.1517. Il s’agit des nations qui menacent Israël. Le verbe KPK «gronder» au qal et «être troublé, frémir» et KDY «mugir» reflètent les actions menaçantes des nations comme les font les eaux de la mer. Mais qui sont ces nations dont les noms ne sont pas dévoilés dans le ch. 17? Les différentes mentions de ces verbes dans la Bible hébraïque permettent d’établir la liste des nations et des peuples concernés. D’abord à partir de la racine KPK. Liée au contexte de jugement, cette racine est associée généralement à l’annonce de la mort (Ez 7.11-14). Comme verbe, elle est attestée dans les oracles de jugement qui concernent Juda (22.2), d’un côté, et les nations étrangères de l’autre [Moab (16.11; Jr 48.36), Babylone I (Jr 50.42); Babylone II (Jr 51.55); les infidèles (59.11)]. Mais sous sa forme substantive $PK@ «grondement, bruit, tumulte, abondance, quantité, un son quelconque, sentiment violent, …» est attesté 84 fois dans la Bible hébraïque. Dans le sens du châtiment divin les occurrences se répartissent en deux groupes. D’un côté, les oracles contre Israël (5.13, 14; 32.14; Ez 23.42635; 635 Juda et Israël ensemble.
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Am 5.23636) et de l’autre, ceux contre les nations étrangères. Dans ce dernier groupe, le mot est associé à la chute de Babylone (13.4; Jr 51.16637) de Moab (16.44); des nations (17.2), des ennemis d’Ariel (Jérusalem) (29.5-8), Assyrie (31.4)638; les nations et les peuples (33.3), des nations ayant écrasé le sanctuaire de YHWH (63.13,18), de la Philistie (47.3), des idoles (Jr 10.13), de Tyr (Ez 26.13); du pays d’Egypte (Ez 29.19; 30.4,10,15; 31.2,18; 32.12,16,18,20,24,25,26,31,32)639, de Gog (Ez 39.11); du roi du Nord (Dn 11.10). Quant à la racine KDY, elle est associée sous sa forme verbale, au jugement de: Babylone I (13.4), Babylone II (Jr 51.55), du tyran (25.5), alors que le substantif $DY«640 «mugissement, tumulte» est attesté dans 13.4; 24.8; 25.5; 66.6; Jr 25.31; 46.17; 48.45; 51.55; Os 10.14; Ps 40.3; 65.8; 74.23. Ces textes peuvent être répartis en deux groupes. Le premier est formé des oracles de malheur. Il concerne le châtiment contre Israël du Nord (Os 10.14), Babylone (13.4ss; Jr 51.55), l’effondrement de :K7R W\UT! L641 «cité du néant» (24.10), l’extinction du tumulte des barbares et l’étouffement de la fanfare des tyrans au moment où YHWH défend le faible et protège le pauvre dans la détresse (25.4-5). Le terme est égale636 637 638 639
Le royaume du Nord. Voir le même texte en Jr 10.13. Au moment où YHWH manifeste sa protection à Jérusalem. Sur les 84 cas dans la Bible hébraïque, le mot est attesté 22 fois dans le livre d’Ezéchiel dont 17 dans les oracles contre les nations, en particulier contre l’Egypte. Ceci est un indice que ce mot se situe dans la perspective de la tradition ézéchielienne qui se concentre sur la condamnation de l’Egypte (chs. 29-32), alors que la tradition jérémienne s’attaque à Babylone (chs. 50-51). 640 Ce terme a deux sens. Il est rendu par «mugissement, tumulte» ou séjour de morts (cf. P. REYMOND, Dictionnaire d’hébreu et d’araméen biblique, 2002, p. 373. 641 Le vocable :KWR«lieu vide ou désert» proche de a$KW«Océan, Abîme (primordial) est attesté 19 fois dans la Bible hébraïque en Gn 1.2; 32.10; 1 S 12.21; Es 24.10; 29.21; 34.11; 40.17, 23; 41.29; 44.9; 45.18,19; 49.4; 59.4; Jr 4.23; Ps 107.40; Jb 6.18; 12.24; 26.7. Dans ces textes, il représente: le chaos avant la création de la terre et des cieux par YHWH (Gn 1.2; Es 45.18; Jr 4.23; Jb 26.7), le désert (Ps Jb 6.18; 12.24; lieu de solitude aux effroyables hurlements où YHWH a pris soin de son peuple (Dt 32.10), les idoles (1 S 12.21; Es 41.29; 59.4), l’abîme dans lequel les magistrats injustes font tomber l’innocent (29.21), le chaos créé par YHWH sur Edom (34.11), le vide et la vanité que sont les nations devant YHWH (40.17), les princes qu’il réduit à rien (40.23) et une cité en ruines [(Cf. cette cité est synonyme de la cité des tyrans des nations (25.2-3) YHWH renverse (26.5) et qui subit le même sort qu’Ariel (Jérusalem) (22.2; 29.1).
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ment attesté en rapport avec la rétribution que YHWH inflige à ses « K! «UI«%« ON« «toute ennemis (66.6)642, le procès qu’il engage contre a\>LYU chair, les coupables…»643 à partir de sa sainte habitation (Jr 25.30-31), l’apaisement du tumulte des peuples (Ps 65.8)644. Alors que dans le second groupe, $DY« est associé au salut de YHWH (Ps 40.3). L’analyse du style de 30.15-18 vient de conduire à établir une forte relation intertextuelle entre ce texte et 17.12-13. Non seulement que les deux textes présentent le même vocabulaire, mais la forme de leurs 642 Le vocable E\HDR ouE\H$D «ennemi» est attesté dans le livre d’Esaïe en 1.24; 9.10; 42.13; 59.18; 62.8; 63.10; 66.6, 14. Dans ces textes, il est employé au pluriel et représente les ennemis de YHWH, à l’exception de 9.10 où YHWH arme ses ennemis contre Samarie. La forte concentration de ce mot dans le Trito-Esaïe, en particulier dans des textes en relation avec la fin de la persécution des Juifs et de la profanation du Temple de Jérusalem lors de la mort d’Antiochus Epiphane IV en 164 av. J.-C. A cette époque YHWH est proclamé Sauveur. La manifestation du salut de YHWH lors de l’oppression de son peuple évoque tout l’Egypte et l’Exode (Ex 14.30). Cette tradition est relue au retour de l’exil (35.4; 43.3, 11,12; 45.14222) et à la restauration (37.20, 35; 38.20). YHWH sauveur de son peuple est attesté dans 63.1, 5, 8, 9 et 64.4. La concentration de cette affirmation dans le ch. 63 d’Esaïe conduit à considérer ce chapitre comme capital dans la compréhension de 30.15. D’ailleurs ce chapitre soutient notre hypothèse de travail en ce qu’il est en accord avec la proclamation de la souveraineté de YHWH dans le Temple. Parce qu’il manifeste sa foi en ce Dieu, Israël est sauvé, contrairement aux nations qui le méconnaissent. Concrètement la proclamation de la souveraineté de YHWH coïncide avec la défense (2 M 8.1-7) et la purification (1 M 4.36-61; 2 M 10.) du Temple de Jérusalem à l’époque de Maccabées après sa profanation par Antiochus Epiphane IV. La méconnaissance de YHWH est cause de la profanation et du pillage du Temple (1 M 1.21-24; 2 M 5.15-23), de l’installation des cultes païens (1 M 1.41-64; 2 M6.1-11). La mort d’Antiochus Epiphane IV en 164 (1 M 6.1-17) dans le Temple est considérée comme la rétribution divine infligée à ce monarque à cause du sacrilège (2 M 1.17) et comme la délivrance des persécutions pour le peuple de YHWH (2 M 1.11). Cette mort sonna le glas de l’empire séleucide. En outre elle eut pour effet de fortifier la foi d’Israël et de créer la débandade dans le camp de ses persécuteurs. La fuite de Nikanor à la manière d’un esclave échappé lors de la destruction de son armée en est une illustration (2 M 8.34-36). Dans ses propos il proclamait que «les Juifs avaient un défenseur, qu’ils étaient invulnérables pour la bonne raison qu’ils suivaient les lois que ce défenseur leur avait prescrites» (2 M 8.36). 643 L’expression semblable a\>LY« U!O.« est attesté en Dn 12.10. Ce fait renforce également notre conviction sur l’origine apocalyptique de l’expression dans 66.6. 644 Le cadre de ce texte est le Temple de Sion où dans sa prière, le fidèle loue YHWH et le proclame comme le Sauveur qui assure la sécurité universelle. L’apaisement du tumulte des peuples par YHWH est la manifestation de sa souveraineté.
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mots est terminée par un (nun paragogique). Ce phénomène est caractéristique de la littérature apocalyptique, en particulier dans le livre de Daniel (voir supra). Par conséquent, il y a lieu de rapprocher 30.15-17 et 17.12-13 de la rédaction apocalyptique. Cette couche traite du châtiment de YHWH contre les nations qui fuient devant sa menace sous l’effet de la peur. Ces nations doivent subir la colère de YHWH parce qu’elles ont dépouillé et pillé le peuple d’Israël (17.14; Jr 30.16)645. Cela explique la position de 30.15-18 après les vv. 9-14 pour poursuivre le thème du châtiment divin, mais en changeant de destinataires et passant de Juda au royaume des Séleucides. C’est donc le moment de la vengeance (aT« Q ) contre les ennemis de YHWH (Dt 32.35, 41) pour la cause de Sion (Ch. 34). Cette vengeance divine est cause de joie chez le fidèle (Ps 58.11). L’analyse de KU«>« *! «réprimande, menace», nous oriente vers la même conclusion. Le mot est attesté 15 fois646 dans la Bible hébraïque. Dans la plupart des cas il est rattaché à l’action de YHWH647. La réprimande sous-entend le châtiment (Ps 9.6) qui s’accompagne de terreur et provoque naturellement la peur, le tremblement, la fuite (59.19; Ps 68.1; Dn 10.7) et l’anéantissement des infidèles (Ps 68.3). Nous avons précédemment observé que 30.15-17 se rapportait au retour de YHWH dans son sanctuaire pour se venger des agresseurs (63.15) qui avaient détruit le Temple (Jr 50.28). Cette vengeance a donc un motif cultuel (Am 9.1). Le retour de YHWH crée la panique, la débandade et la mort dans le camp ennemi, car YHWH est redoutable. Non seulement les nations tremblent, les idoles aussi (19.1). Es 66.15 rend clairement compte de cette image guerrière de YHWH. «Voici en effet le Seigneur: c’est dans le feu qu’il vient, ses chars sont pareils à un typhon, pour régler sa dette de colère par la fureur et sa dette de menaces par les flammes du feu». Prenant en compte d’une part la prédominance des occurrences qui rattachent KU«>« *! à l’action divine, et d’autre part l’idée de la venue de YHWH pour juger les infidèles, 30.17 pourrait s’interpréter dans l’op-
645 Il convient de noter que ces deux textes contiennent les deux concepts. 646 2 S 22.16; Es 30.17; 50.2; 51.20; 66.17; Ps 18.16; 76.6; 80.17; 104.7; Jb 26.11; Pr 13.1,8; 17.10; Qo 7.5. 647 2 S 22.16; Es 30.17; 50.2; 51.20; 66.15; Ps 18.16; 76.7; 80.17; 104.7; Jb 26.11.
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tique du châtiment des nations étrangères ennemies de YHWH. Ce texte ne concerne donc pas l’Israël/Juda préexilique648 ni celui de l’époque de la fin de la royauté en Juda649. Ainsi lorsque le texte parle de mille sous la menace d’un seul, il fait simplement allusion à la menace de YHWH. Dans la vision finale du livre de Daniel, G[« D «un» s’applique à Michel, l’un des Princes de haut rang650, l’ange protecteur d’Israël (Dn 10.13, 21). YHWH l’envoie pour mener le combat en faveur d’Israël et de le défendre dans sa détresse (Dn 11.1). C’est devant lui que les ennemis fuient. L’évocation dans les livres de Maccabées de la fuite des ennemis comme manifestation de leur défaite a attiré notre attention. Juda Maccabée y met en fuite les ennemis des Juifs, notamment Apollonius (1 M 3.11), Séron et son armée (1 M 3.24), Gorgias (1 M 4.5, 14, 22), les nations de Galaad (1 M 5.9, 34,43), Nikanor (1 M 7.32, 44). Antiochus Epiphane IV lui-même fuit devant les gens de la ville perse d’Elymaïs (1 M 6.4; 2 M 9.2). Cette fuite associée à celle de son armée conduite par Lysias en Juda est à l’origine de sa mort (1 M 6.1-17; 2 M 1.11-17; 9.1-29). Par le thème de la fuite les vv. 16-17 opposent la rapidité du mouvement des fuyards au repos651, au non mouvement que YHWH propose en vue de répondre au besoin de salut et de sécurité. Ce repos est synonyme de la foi, de la confiance en YHWH: «Le méchant fuit sans qu’on le poursuive, mais le juste a confiance comme le lionceau» (Pr 28.1). Judas Maccabée est confiant. Il refuse de fuir devant ses ennemis mais manifeste sa foi en YHWH (1 M 3.17-26; 4.8-11). Cette confiance en Dieu l’amène à remporter des victoires sur les ennemis (1 M 4.1-35). Ces victoires ont inauguré ses actions de purification du Temple (1 M 4.36-61), le salut d’Israël et surtout la rentrée de YHWH dans son Tem648 R. E. CLEMENTS , Isaiah 1-39, 1980, p. 249; J. B ARTHEL , Prophetenwort und Geschichte, 1997, pp. 410-411; W. A. M. BEUKEN, Isaiah chapters 28-39, 2000, pp. 167-168; J. BLENKINSOPP , Isaiah 1-39, 2000, p. 418; B. S. CHILDS, Isaiah, 2001, p. 226; H. WILDBERGER, Isaiah 28-39, 2002, pp. 162-163. 649 O. KAISER, Der Prophet Jesaja, Kap. 13-39, 1973, pp. 233-234; J. VERMEYLEN, Du prophète Isaïe à l’apocalyptique, 1977, p. 415; P. HÖFFKEN, Das Buch Jesaja, Kapitel 1-39, 1993, pp. 213-214. 650 Princes de premier rang ou archanges (1 Th 4.16; Jude 9). 651 Cette opposition est portée par le choix des mots, une opposition entre [ZQ (solution de YHWH) et VZQ (solution des fuyards).
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ple où sa souveraineté sera reconnue. Ainsi YHWH a manifesté son salut et sa force à son peuple du haut de sa montagne sainte. Le salut des rescapés sur la montagne est un thème abordé à la fin de 30.17. Ce dernier texte décrit la conséquence définitive de la fuite et en est la relecture apocalyptique d’un texte deutéronomiste (Cf. 30. 13-14: RCDtrE). Il est ainsi libellé: «jusqu’à ce vous restiez comme un mât sur le sommet de la montagne et comme un étendard sur la colline». Cette phrase tout de même intrigue. En introduisant la notion du reste elle contredit la logique du thème de la fuite désespérée commencé dans la phrase précédente. C’est à nous demander si réellement les destinataires du message dans le v. 17b ainsi sont les mêmes. Qui sont ceux qui restent comme un mât sur le sommet de la montagne et comme un étendard sur la colline? S’agit-il des malheureux fuyards rattrapés ou bien il s’agit des rescapés de la violence des ennemis après la victoire de YHWH? L’identité de ce reste change suivant les différentes interprétations du texte. Pour les uns le reste décrit la ville de Jérusalem éprouvée après l’invasion de Sennachérib652. Pour les autres c’est Juda après la chute d’Assyrie653. Pour d’autres encore, le reste est celui de Jérusalem après 597 ou 587654. Nous appuyant sur les analyses précédentes dans le v. 17 le reste échappe au moment où les ennemis sont défaits sur la montagne de YHWH. Il bénéficie effectivement du salut, la confirmation de la promesse du v. 15: «c’est dans le retour et le calme que vous serez sauvés». Si tel est le cas, alors les vv. 15-17 seraient conclus par le message de salut. Cela est d’autant plus vrai que la rétribution infligée aux nations ennemies s’accompagne des expressions de joie et des louanges d’Israël. Afin d’éviter toute imprécision, nous allons procéder à l’analyse du verbe UW\ «rester» dans le v. 17b. Au regard des relations intertextuelles que nous venons d’établir entre les vv. 15-17 et les oracles contre les nations dans les différents livres prophétiques, le livre de Daniel et ceux de Maccabées, l’étude du mot s’applique à vérifier ces relations. 652 J. BARTHEL, Prophetenwort und Geschichte, 1997, p. 427. 653 R. E. C LEMENTS , Isaiah 1-39, 1980, p. 249; J. W. WATTS , Isaiah 1-33, 1985, pp. 396-397. 654 J.VERMEYLEN, Du prophète Isaïe à l’apocalyptique, 1977, p. 415; O. KAISER , Der Prophet Jesaja, Kapitel 13-39, 1984, 3e éd., p. 234; Idem, «Literarkritik und Tendenzkritik, Überlegung zur Methode der Jesajaexegese», in J. VERMEYLEN (éd.), The Book of Isaiah / Le livre d’Isaïe, 1989, pp. 62ss.
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Le verbe est attesté 106 fois dans la Bible hébraïque. Sur la base des critères d’analyse que nous avons établis ci-dessus, il revient en 4.3; 7.22; 30.17; Ez 39.14; 28; Za 14.2 et Dn 10.13. En 4.3-5 le reste de Sion sont les survivants de Jérusalem. L’évocation du sang qu’on a répandu à Jérusalem que YHWH enlèvera (Ez 39.12-14) fait penser vraisemblablement aux rescapés de la persécution d’Antiochus Epiphane IV (Dn 9.12; Cf. Za 14.2ss). Ils sont appelés saints et tous seront inscrits dans le livre de vie (Dn 12.2). Dans le livre de Daniel les saints c’est le peuple de Dieu victime de la persécution (Dn 8.24; cf. Es 60.9, 11). Le retour de YHWH dans son Temple à la montagne de Jérusalem met fin à la détresse d’Israël et est une occasion de joie. Parce que YHWH vient d’y manifester de nouveau sa gloire. Ces événements ont lieu à la fin des temps. La primauté du Temple situé sur la montagne de Sion comme lieu du châtiment définitif des ennemis de YHWH et de l’expérience du salut définitif du reste d’Israël rapproche 4.3-5 et le livre de Daniel655. Cette observation est confirmée par l’emploi du verbe UW\ dans le livre de Daniel (Dn 10.13). Ce texte a été identifié lors de l’étude du mot KU«>« *! (30.17). En recherchant l’identité des nations étrangères et leur rôle dans la péricope de notre étude, nous sommes partis du refus du salut et de la force par ceux qui sont accusés pour arriver à comprendre que ces fuyards rattrapés nombreux par un petit nombre sont une allusion à la terreur qui envahit les ennemis des Juifs à la suite de la mort d’Antiochus Epiphane IV. Du coup, les vv. 15-18 sont à recevoir comme un oracle de salut pour Israël et de malheur pour les nations étrangères. Sa rédaction est à situer à l’époque apocalyptique après la mort d’Antioche Epiphane IV en 164 av. J.-C. Le sort malheureux de ce monarque contraste avec celui d’Israël qui a placé sa confiance en YHWH. Le contraste entre le salut d’Israël qui espère en YHWH et le jugement des nations désobéissantes est manifestement mis en scène dans le v. 18. 3.5.3.5.4 Espérer en YHWH source de bonheur Le v. 18 présente une double identité de YHWH à la fois comme Dieu de justice et Dieu de miséricorde. Comment concilier ces deux images contradictoires?656 Non sans peine des solutions ont été tentées par les 655 E. HAAG, Das Hellenistische Zeitalter, 2003, p. 248. 656 P. HÖFFKEN, Das Buch Jesaja, Kapitel 1-39, 1993, p. 215.
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commentateurs. Certains y voient une allusion au jugement de YHWH contre Israël après 587657. J. Vermeylen avec raison, attribue ce verset à la même rédaction postexilique que celle des vv. 27ss. Pour lui le thème de YHWH qui se lève est toujours lié, dans le livre d’Esaïe, à celui de l’anéantissement des nations658. Cette observation est de taille. Car elle permet de prendre le v. 18 à la fois comme un oracle de salut pour Israël et de malheur contre les nations. Cette hypothèse confirme donc les observations faites précédemment. YHWH se lève en Dieu de grâce et de miséricorde en faveur de ceux qui espèrent en lui. Tandis qu’il se montre le Dieu du châtiment contre les rebelles qui ont refusé sa parole et placé leur confiance dans la fuite. L’étude du v. 18 appuie cette interprétation. Car, les destinataires dans ce verset bénéficient de la grâce et de la miséricorde de YHWH et sont heureux d’espérer en YHWH. Par conséquent, ils ne peuvent pas représenter les infidèles fuyards. La phrase $O \NH$[O.« \UHYD aurait une variante en Ps 2.12 ($E \VH$[O.« \UHYD ) et l’autre en Dn 12.12 (K.[P K \UHYD ) 659. Dans le Ps 2.12 le psalmiste déclare heureux ceux pour qui YHWH est un refuge. Cette promesse est faite dans un contexte où les peuples s’agitent et les nations grondent, les rois de la terre s’insurgent et les grands conspirent entre eux et contre YHWH et son messie. Face à cette agitation celui qui siège dans les cieux rit, YHWH se moque d’eux. Il leur parle avec colère et sa fureur les épouvante. Cette intervention de YHWH a lieu à Sion sa montagne sacrée au moment de l’intronisation du roi qu’il appelle «mon fils». YHWH donne à ce roi les nations comme patrimoine qu’il écrasera avec un sceptre de fer. En le plaçant aux dessus des nations YHWH assure la suprématie du roi-fils. Au lieu de manifester son allégeance aux nations étrangères comme cela fut le cas au cours de la longue histoire d’Israël, ce sont à présent les rois des nations qui viennent se prosterner devant lui, en réalité pour reconnaître la souveraineté de YHWH qui règne dans son Temple à Sion. Ainsi s’accomplit la promesse de YHWH par Nathan sur la stabilité éternelle de la royauté de David (2 S 7). Le Ps 2 représente un exemple fort de la manifestation de YHWH dans le milieu royal pour y proclamer sa souveraineté universelle et 657 R. E. CLEMENTS, Isaiah 1-39, 1980, p. 249. 658 J. VERMEYLEN, Du prophète Isaïe à l’apocalyptique, 1977, p. 416. 659 Avec le v. 12, ce texte clôt le livre et la grande vision finale (Chs. 10-12).
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éternelle. Le destinataire dans ce texte est associé au messie de YHWH. R @660 dans le Ps 2 sont attestés aussi Les vocables [\YLP« «messie» et \Q GD dans le livre de Daniel (Dn 9.25, 26), particulièrement dans la confession de Daniel où ce dernier implore la miséricorde de YHWH sur la détresse de son peuple et celle de la ville de Jérusalem ainsi que sur la dévastation du sanctuaire. En sollicitant la miséricorde de YHWH, Daniel témoigne de sa foi en un Dieu à qui appartiennent miséricorde et pardon (Dn 9.9, 18). N’est-ce pas YHWH qui promet en 30.18 de faire miséricorde? Le recoupement des textes cités à partir de l’expression $E \VH$[O.« \UHYD a amené à établir des liens entre 30.18; Ps 2 et le livre de Daniel, en particulier le ch. 9. Cela nous offre des pistes que nous devons suivre si nous voulons confirmer que les destinataires sont les Juifs rescapés de la persécution dont parle le livre de Daniel. Cette conclusion va de soi car, dans la variante des termes K.[P K \UHYD du livre de Daniel les heureux sont ceux qui font partie d’une multitude de purifiés, blanchis et affinés (Dn 12.10), allusion faite aux rescapés de la persécution d’Antioche Epiphane IV (Dn 11.35). Avant de clore ce chapitre, nous voudrions souligner le rôle qu’exerce le v. 18 dans le mouvement général du chapitre 30 d’Esaïe, à partir de l’expression $O \NH$[O.« \UHYD . Cette expression déclare heureux tous ceux qui espèrent et se réfugient en YHWH. La racine KN[ a son synonyme [ME au v. 15. Cette dernière racine est attestée au v. 12, alors que la racine KV[ est attestée aux vv. 2-3. Ces deux textes présentent comme idolâtrie et cause de la chute du roi de Juda, de son royaume et de la destruction du Temple de Jérusalem en 587 sa complaisance dans l’ombre de l’Egypte et dans les injustices sociales. En effet, les textes apocalyptiques sont une relecture de ceux qui ont interprété la catastrophe de 587. La raison tient à la rébellion des monarques de ces deux périodes contre le Temple de Jérusalem. L’infidélité de Sédécias a été à la base de la destruction du Temple, et la profanation du Temple et l’interdiction aux Juifs d’y servir YHWH furent interprétées comme la désobéissance caractérisée d’Antiochus Epiphane IV. Leur comportement est le même que celui du Pharaon qui, par son endurcissement tenta d’empêcher les Israélites d’aller servir YHWH, leur Dieu. Ensuite, il ressemble à celui de Saül et de Jéroboam qui, par la pratique
660 Dn 1,2; 9.3, 4, 7, 15, 16, 17, 19.
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de l’idolâtrie, perdirent leur royauté. L’offense de ces monarques à la religion de YHWH a suscité l’aspiration au règne d’un monarque fidèle, à un Messie. Ce dernier aura des tâches spécifiques liées d’abord au Temple: ou construire et restaurer le Temple, ou le protéger et le purifier de l’idolâtrie ou assurer le bon fonctionnement du service cultuel. Le Messianisme juif est inconcevable en dehors de ces tâches, y sont liées des figures symboliques: 1. Moïse qui a conduit les Israélites hors d’Egypte afin d’aller servir YHWH. 2. David qui a le projet de construire le Temple à YHWH. 3. Salomon qui a réalisé le projet de son père en construisant le premier Temple de Jérusalem. 4. Cyrus est appelé Messie pour avoir facilité la reconstruction du 2e Temple pour que la souveraineté de YHWH soit de nouveau proclamée (44.24-45.25) et que l’idolâtrie soit bannie (46.1-13). 5. La rédaction P1-S développe au ch. 11 d’Esaïe, la figure messianique dont la mission principale est de restaurer le règne de paix éternelle. 6. Le dernier Messie apocalyptique a les mêmes fonctions; la reconstruction de Jérusalem. Le Messie intervient à la chute du roi infidèle à YHWH par son idolâtrie et danger pour son peuple (Ps 2.2ss). David est appelé Messie lors du déclin de Saül (1 S 16.1-13), le Messie apocalyptique intervient après la chute d’Antiochus Epiphane IV (Dn 9.25661-26; 2 M 1.10ss). Le v. 18 s’adresse donc aux survivants, le reste du peuple d’Israël dont parle le v. 17. YHWH leur annonce son pardon et sa miséricorde. Cette image d’un Dieu compatissant contraste avec celle d’un Dieu de justice L \KHOD^ ) . Mais il est en faveur de tous ceux qui espèrent en lui. La (M3«YP réponse des survivants à la compassion et à la justice de YHWH s’exprime à travers la foi et la confiance en lui. YHWH a été compatissant envers son peuple en lui pardonnant son péché et en le délivrant de ses ennemis. Dieu de justice (M3«YP \KHOD^ ) , il a défendu son peuple et infligé un châtiment sévère à ses ennemis. Ainsi, il se montre source de salut et 661 Selon une note de la TOB, «cette expression désigne peut-être le grand prêtre Josué qui aurait consacré le Temple d’après l’exil, 515 av. J.-C (Es 44.28; 45.1, 5,13).» (TOB, 2004, p. 1062).
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de force pour son peuple. C’est pourquoi Israël peut espérer en lui et y L \KHO^D est en trouver la paix et la sécurité. Le titre de YHWH M3«YP rapport avec celui de YHWH ODHUI « \ , Y$GT attesté dans les vv. 11, 12, 15. Ce dernier titre évoque l’idée du péché du peuple et du jugement divin contre les rebelles. Par l’emploi du titre «Dieu de justice», le v. 18 renverse la situation évoquée dans les vv. 9-14, en transférant le jugement divin contre Israël sur les nations ennemies. Pourquoi ce changement en faveur d’Israël? Parce que ce dernier place désormais sa confiance en YHWH. La confiance d’Israël en YHWH se présente comme l’alternative aux fausses confiances ayant conduit au malheur (vv. 1-14). Elle se manifeste dans la confession des péchés dans le Temple. Le peuple y proclame la souveraineté de YHWH, acte d’obéissance et de fidélité. Par conséquent YHWH sauve son peuple. Lieu de salut, le Temple justifie l’emploi de \UHYD (v. 18) l’opposé de \$K (vv. 1ss). Ces deux mots président à la structure du ch. 30 en deux grandes sections. D’un côté les vv. 1-17 introduits par \$K et qui abordent le thème de la désobéissance à YHWH, et de l’autre les vv. 18-33 présidés par \UHYD relatifs à l’obéissance. Désobéissance et obéissance d’Israël à YHWH et à son Temple constituent les deux pôles de toutes les situations respectives de crise et de paix qui ont émaillé l’histoire politique et religieuse d’Israël dans un environnement de conflits hégémoniques entraînés par des grandes puissances du Proche Orient ancien. La chute des puissances de la région n’a trouvé d’explication que théologique. Pour avoir méconnu la souveraineté de YHWH manifestée dans le Temple de Jérusalem les nations ont connu le déclin. La paix et la stabilité quant à elles dépendent de la reconnaissance du rôle central du Temple. 3.5.3.6 Conclusion Notre hypothèse consistait à démontrer que 30.15-18 appartient à la rédaction de paix apocalyptique (P2-AP). Ce texte est issu de 30.9-14 relatif à la destruction du Temple en 587 par les Babyloniens. Les rédacteurs apocalyptiques en inversent les destinataires. Tout en se servant des concepts littéraires de ce texte, ils appliquent aux ennemis de YHWH le malheur qui était jadis destinés à Israël. Dans 30.15-18, il s’agit d’un message de salut adressé à la communauté des rescapés de la persécution d’Antiochus Epiphane IV. La mort 317
de ce dernier en 164 présente l’occasion de chanter la victoire de YHWH sur ses ennemis et sa souveraineté universelle. Le message est conçu dans le Temple de Jérusalem nouvellement purifié après sa profanation par ce monarque séleucide. Nous avons confirmé l’origine apocalyptique du texte à cause de ses liens littéraires avec les livres de Daniel et des Maccabées, notamment avec la profanation et la dévastation du Temple (Dn 8.11; 11.31), la fuite ainsi que la mort d’Antiochus Epiphane IV et la prière de Daniel (Dn 9.17). Relisant l’histoire d’Israël depuis la sortie d’Egypte, le livre de Daniel interprète l’actualité comme la conséquence du péché du peuple. C’est pourquoi, il supplie YHWH de pardonner et d’ouvrir les yeux sur ses adversaires et sur la ville (Jérusalem) sur laquelle son nom est invoqué 662. En réponse à cette prière YHWH envoie Gabriel qui annonce l’absolution du péché (Dn 9.21), l’avènement de la justice éternelle (Dn 9.24), la purification du Temple et l’anéantissement du dévastateur (Dn 9.15-27; Cf. 63.5). La mention de l’Egypte dans cette prière rappelle le cantique de Moïse (Ex 15.17) qui glorifie YHWH et proclame sa souveraineté sur toutes choses. Cet hymne le présente avec plusieurs titres: Dieu sauveur (Ex 15.2), Dieu de son père (Ex 15.2), Dieu guerrier, puissant (Ex 15.6), incomparable (Ex 15.11) et surtout guide du peuple vers sa demeure sainte (Ex 15.13). La tradition de l’exode est en outre reprise dans les livres des Maccabées pour illustrer la politique étrangère tyrannique d’Antiochus Epiphane IV à l’égard des Juifs et de leur religion: persécution, abolition du judaïsme (1 M 1.41-64; 2 M 6.1-11), pillage et profanation du Temple. Cette politique a été interprétée comme un moyen d’empêcher les Juifs de servir YHWH dans son Temple comme Pharaon et son armée l’avaient fait en poursuivant les Israélites (1 M 4.8-9). La détresse du peuple sous la persécution d’Antiochus Epiphane IV est comparée à la souffrance d’Israël en Egypte et appelle un sauveur à l’exemple de Moïse. Par sa révolte et sa victoire, Judas Maccabée fut considéré comme le nouveau Moïse. Sa montée à Jérusalem, la purification du Temple, 662 Cette prière pourrait être rapprochée de celle dans Es 63.15-19: Il faut observer l’emploi simultané de la 1re personne du singulier et du pluriel. Ensuite, c’est une confession de péché à cause du malheur que connait le peuple fidèle et un appel à YHWH de regadrer et de voir la situation de son Temple écrasé par ses ennemis. Enfin, il s’agit d’un appel à la destruction de ces ennemis.
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l’enlèvement de l’abomination introduite par Antiochus Epiphanes IV (1 M 6) furent considérés comme le retour de YHWH dans son sanctuaire. De lors le culte dans le Temple est restauré et la souveraineté de YHWH reconnue. La mort d’Antiochus Epiphanes IV a produit un double effet contradictoire. D’un côté elle a permis d’assurer la foi des Juifs en YHWH et de relire toutes les victoires de YHWH depuis l’exode jusqu’à l’époque hellénistique. D’autre part la mort du monarque séleucide a provoqué la débandade. La fuite des ennemis a été une occasion pour Israël de chanter la gloire de YHWH et sa victoire sur le roi séleucide et tous ses alliés (Ammonites et Idumites) (1 M 5.1-8; 2 M 10.14-33). Cette seconde édition des oracles contre les nations reprend la longue liste des nations, petites et grandes, qui ont maltraité Israël et se sont comportées en ennemis de YHWH. Elle montre le salut total d’Israël, sa foi en un Dieu seul souverain et son obéissance sans faille.
3.6 Conclusion provisoire Tout au long de cette étude, nous avons tenté de démontrer que les 39 premiers chapitres, tout comme l’ensemble du livre d’Esaïe sont organisés selon un plan rédactionnel qui va de la crise à une double paix. Ce plan en trois éditions a été vérifié dans les grands et les petits ensembles littéraires. En qui concerne le grand ensemble, les 39 premiers chapitres ont été analysés à partir de leurs extrêmes, c’est-à-dire leur début (1.2-7a) et leur fin (39.8). L’étude a révélé que le texte du début appartient à la rédaction de crise, représentant l’interprétation par les prophètes cultuels de la catastrophe de 587 comme la conséquence de l’infidélité au Temple de Jérusalem de la part du peuple et de ses dirigeants. Cette interprétation évoque la menace de Nathan à David sur la stabilité de sa dynastie (2 S 7.14). Par contre la promesse de stabilité faite à cette dynastie (2 S 7.16) se réalise pendant le règne d’Ezéchias, caractérisé par la paix et la sécurité. C’est par une attente eschatologique que se clôt le «Proto-Esaïe». Si la rédaction de crise (RC-DtrE) a été rapprochée de la théologie deutéronomiste et du message de Jérémie et d’Ezéchiel, nous avons 319
identifié des liens étroits entre l’édition de paix, la théologie sacerdotale, les livres d’Esdras, de Néhémie et des Chroniques. La paix pour Israël à cause de sa fidélité à YHWH nous a conduits à observer de fortes affinités du 39.8 avec les chs. 60-62 d’Esaïe. C’est la première édition de paix que nous avons appelée P1-S. La seconde par contre est repérable dans les chs. 63-66 d’Esaïe. Nommée P2-AP, cette édition est une interprétation par les milieux cultuels à l’époque hellénistique de la purification du Temple de Jérusalem après sa profanation par Antiochus Epiphane IV (164). C’est une rédaction proche des livres de Daniel, des Lamentations, de Maccabées, etc. La caractéristique de cette édition est double: l’actualisation du texte de la rédaction P1-S et le transfert sur les nations étrangères le malheur d’Israël lors de la crise de 587 (RC-DtrE). L’interprétation dans le livre d’Esaïe de la crise et de la paix comme résultat respectivement de la désobéissance et de l’obéissance à YHWH renvoie à deux traditions bibliques. D’un côté la tradition de l’exode avec l’arrogance et l’endurcissement du Pharaon qui empêche les Israélites sous la conduite de Moïse d’aller rendre un culte digne à YHWH, et de l’autre celle de David et Salomon de leur attachement au sanctuaire de YHWH qui aboutit à la planification et à la construction du Temple de Jérusalem. C’est à l’intérieur de ces traditions que d’autres se sont développées, notamment la guerre de YHWH, la tradition de la théophanie, la tradition de Sion ou de Jérusalem, etc. Ces deux traditions ont le culte pour Sitz im Leben. Elles ont été utilisées comme des instruments herméneutiques pour la compréhension de chaque texte et pour la vérification de notre hypothèse d’un plan à trois éditions représentant respectivement les époques babylonienne, perse et hellénistique. L’existence de ce plan qui va de RC-Dtr (1.2-7a) et aboutit en P2AP (63-66) en passant par P1-S (60-62) a été vérifiée à partir du chapitre 30 que nous avons pris pour modèle. Nous avons eu de l’intérêt à constater que ce chapitre reflète ce plan aussi bien globalement que dans ses petites unités littéraires. Si 30.1-3 a correspondu avec 1.2-7a (RC-Dtr), 30.19-25a (P1-S) est un texte qui présente des affinités avec les chs. 60-62, tout comme les vv. 25b-33 (P2-AP) sont proches de chs. 63-66 d’Esaïe. L’analyse des vv. 1-8 et 9-18 du ch. 30 ne nous a pas contredits. Nous avons, pour le premier texte, démontré que les vv. 4-5, 6b trouvent leurs correspondants dans la rédaction des chs. 60-62, tandis que 320
les vv. 6a, 7-8 sont proches de chs. 63-66. Il en est de même des vv. 918 qui rendent visibles les couches rédactionnelles: l’édition de crise commence (vv. 9-14) et celle de la paix termine (vv. 15-18). Le tableau ci-dessous en donne la synthèse: RC-DtrE (587) 1.2-7a
P1-S (5e siècle) 39.8 56-57 60-62, surtout 62.17 30.4-5 30.6b
P2-AP (164)
58-58 63-66, surtout 66.12 30.6a 30.7-8 30.9-14 30.15-18 (anticipation des vv. 15-18) (relecture des vv. 9-14) 30.19-25a 30.25b-33 (anticipation des vv. 25-33) (relecture des vv. 19-25a) 1.2-7a 30.1-3
L’hypothèse d’une rédaction du livre d’Esaïe en trois couches rédactionnelles a besoin d’être vérifiée dans d’autres textes. Nous allons nous servir pour ce faire du thème des rôles des nations étrangères comme clé herméneutique. L’étude de ces rôles dans le «Proto-Esaïe» nous aidera également à répondre à la question de l’histoire de la formation du livre d’Esaïe. Cela constituera l’objet de la seconde partie de notre travail.
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Partie II Rôles des nations étrangères: 7 éditions pour 7 situations du Temple de Jérusalem dans 3 milieux rédactionnels
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4. Du 8e au 2e siècle: un long processus de formation du livre d’Esaïe
4.1 Introduction Comme l’indique le titre du monumental travail de J. Vermeylen1, l’histoire de la rédaction du livre d’Esaïe s’étendrait du 8e au 2nd siècle av. J.-C. Cette thèse soutenue déjà en 1909 par R. H. Kennett2 semble obtenir plus d’adhésion ces dernières années3. En souscrivant à cette hypothèse, notre tâche sera double: identifier les différentes couches rédactionnelles dans le «Proto-Esaïe» et démontrer la structure rédactionnelle verticale de trois éditions (RC-Dtr, P1-S et P2-AP). Ces couches dévoilent les interprétations prophétiques des différentes situations de salut et de malheur d’Israël/Juda par rapport à l’émergence ou au déclin de ces nations. C’est pourquoi le thème de rôles des nations devient la clé dans l’interprétation de l’histoire de formation du livre et de son plan rédactionnel. L’étude du thème se fait selon l’ordre chronologique. Elle part du texte supposé de la main d’Esaïe, le prophète du 8e siècle jusqu’à celui que nous avons situé à la dernière étape rédactionnelle du livre, au 2e siècle. L’ordre suivant sera respecté: – – – – – – –
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Es 8.1-4; Es 2.6; Es 10.1-15* Es 8.5-9* Es 14.-23* Es 2.2-4 Es 14.12-20.
J. VERMEYLEN, Du prophète Isaïe à l’apocalyptique, 1977. R. H. KENNETT , The composition of the Book of Isaiah, 1909, pp. 53-82, 83. J. BLENKINSOPP, Isaiah 1-39, 2000, pp. 83-92; R. G. KRATZ, Die Propheten Israels, 2003, p. 47.
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4.2 Butin de Samarie devant le roi de l’Assyrie (8.1-4) 4.2.1 Introduction Es 8. 1-4 semble être un texte qui concerne la chute de Samarie en 722. Cette chute est l’accomplissement de l’inscription prophétique gravée par Esaïe sur recommandation de YHWH en présence des témoins dignes de confiance. De manière générale ce texte est attribué à Esaïe4, fils d’Amots. Cela n’a pas empêché des critiques de le prendre pour une légende5. Si la majorité des critiques s’accordent sur l’époque assyrienne comme cadre historique du texte, ils divergent toutefois sur la période exacte. Les uns situent la péricope à l’époque de la guerre syroéphraïmite6, tandis que d’autres y voient une allusion à la chute de Samarie7. Cette dernière opinion a plus de vraisemblance pour deux raisons. D’une part, le texte vise principalement la chute de Samarie, vu la dominance de la racine OOY appliquée à cette capitale, et ce malgré 4
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B. DUHM, Das Buch Jesaja, 1902, 2e éd., pp. 54-55; O. PROCKSCH, Jesaja I: Kap. 1-39, 1930, pp. 129-131; E. BALLA , Die Botschaft der Propheten, 1958, p. 131; W. E ICHRODT, Der Heilige in Israel, Jesaja 1-12, 1960, pp. 93-94; G. FOHRER, Das Buch Jesaja: Kapitel 1-23, 1966, 2nd éd., pp. 123-125; H. WILDBERGER, Jesaja 1-12, 2e éd., 1980, p. 314; W. DIETRICH, Jesaja und die Politik, 1976, pp. 90-92; J. VERMEYLEN, Du prophète Isaïe à l’apocalyptique, 1977, pp. 197ss; R. KILIAN , Jesaja 1-12, 1986, p. 62; P. H ÖFFKEN, Das Buch Jesaja, Kapitel 1-39, 1993, pp. 96-97; J. BARTHEL, Prophetenwort und Geschichte, 1997, p. 189; U. BERGES, Das Buch Jesaja, Komposition und Endgestalt, 1998, pp. 104-105; E. BOSSHARDN EPUSTIL , Rezeptionen von Jesaia 1-39 im Zwölfprophetenbuch, OBO, 1997, p. 413; T. WAGNER, Gottes Herrschaft, 2006, p. 170. A la suite de H. Gressmann, O. Kaiser n’exclut pas de considérer le texte comme une légende de l’époque perse (O. KAISER, Der Prophet Jesaja, Kap. 1-12, 1981, p. 178). O. EISSFELDT, Einleitung in das Alte Testament, 3e éd., 1964, p. 419; H. W ILDBERGER , Jesaja 1-12, 2e éd., 1980, p. 314; J. V ERMEYLEN , Du prophète Isaïe à l’apocalyptique, 1977, pp. 197ss; R. E. CLEMENTS, Isaiah 1-39, 1980, p. 94; J. D. W. WATTS, Isaiah 1-33, 1985, pp. 113-114; J. N. OSWALT, The Book of Isaiah, 1986, pp. 220-222; P. HÖFFKEN, Das Buch Jesaja, Kapitel 1-39, 1993, pp. 96-97; W. BRUEGGEMAN, Isaiah 1-39, 1998, pp. 74-76; B. CHILDS, Isaiah, 2001, p. 71; W. A. M. BEUKEN, Jesaja 1-12, 2003, p. 214; R. KRATZ, Die Propheten Israels, 2003, p. 54; T. WAGNER, Gottes Herrschaft, 2006, pp. 170-172. U. BECKER, Jesaja – von der Botschaft zum Buch, 1997, pp. 62. 99-100.
l’évocation du nom de Damas. D’autre part la fin de Samarie en 722 donna le coup d’envoi à la mise par écrit des oracles ésaïens8. Dans l’analyse nous allons répondre à trois préoccupations: déterminer les destinataires explicites et implicites, préciser la portée du message et définir la fonction des nations étrangères qui y sont citées. Ainsi, nous serons en mesure de situer le contexte rédactionnel et le cadre historique du texte. L’étude s’appuiera sur trois hypothèses de travail, notamment la tradition de l’exode, l’histoire de David et Salomon ainsi que la tradition cultuelle de Jérusalem. Mais avant de procéder à l’analyse du texte, il convient de le délimiter.
4.2.2 Délimitation du texte Es 8.1-4 se situe entre 7.25 et 8.5ss. La délimitation de ce texte semble rencontrer presque l’avis général9. C’est également notre opinion. Toutefois, notre intention est de déceler les liens que la péricope entretient avec d’autres textes dans le «Proto-Esaïe». Ces liens sont déjà trahis par la présence de Z dans la proposition \ODH KZK\! UPDTLEQZ!K1F\TLQ!:KG:K\ELKO>@Q VCODEM%WDH+N$W%OP\OLPQZ! Montons contre Juda, effrayons-le, amenons-le à nous et faisons régner sur lu le fils de Tabéel
Es 7.7:
CK\KWLDO^Z!a:TWDO^KZ,K\!\QGRD@UPDK.R
Ainsi parle le Seigneur YHWH: rien ne tiendra, rien ne sera Ex 15.9: E\($DUPD
C\G,\$PYH\U,$7\%LU![T\U,D\YLSQ$PDHOP7LOOYT/H[D@J\)LD#'RU!D L’ennemi disait: je poursuivrai, je rattraperai, je partagerai le butin, mon âme sera satisfaite, je dégainerai mon épée, je les détruirai par ma main
L’examen de ces textes permet d’observer des faits suivants: – Sur le plan littéraire, les deux textes ont des verbes à l’inaccompli, avec la différence du nombre évidemment. Ceci pour la simple raison que dans Ex 15.9, les propos sont de Pharaon ou de l’ennemi tout court, alors qu’en 7.6, ils concernent les rois de Damas et Samarie. – Dans les deux cas, ces propos qui reflètent le plan de guerre ne se réalisent pas. Ils sont réduits au silence grâce à l’intervention de YHWH. – Sur le plan du contenu, on peut comparer la menace de Pharaon sur les Israélites avec celle des rois de Damas et Samarie contre Juda. Dans les deux cas, YHWH les retourne contre leurs concepteurs.
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Ces fortes similitudes laissent supposer que le texte d’Esaïe s’est laissé inspirer par la tradition relative à Ex 15. Il est la réinterprétation de la chute de Damas et de Samarie à la lumière de celle de Pharaon et son armée. Etant donné que le texte d’Exode fait allusion à la mort de Pharaon, il est à supposer, par association, que celui d’Esaïe concerne également la mort des rois de Damas et Samarie. Si tel est le cas, alors, à quelle époque pourrait-on la situer? S’agissait-il d’une mort commune ou bien séparée tant dans l’espace que dans le temps? Comme nous l’avons mentionné antérieurement, la chute de Samarie semble être le contexte auquel 8.1-4 fait allusion. Pour preuve, nous allons analyser le terme OOY dans les autres textes du livre d’Esaïe en rapport avec Samarie. Le terme est employé en 10.6ss dans ce cadre72. Dans ce texte postérieur à Esaïe, YHWH rappelle la mission punitive qu’il confia naguère à l’Assyrie contre une nation impie. Dans ses propos, l’Assyrie cite Samarie et Damas parmi les capitales qu’elle a défaites (10.9-11)73. Faisant le bilan des victoires assyriennes sur ces villes, ce texte les présente comme n’ayant pas eu lieu le même jour. A supposer que dans 8.4, il soit fait état du bilan du sort malheureux de Damas et Samarie par la main puissante de l’Assyrie, alors nous devons compter avec deux dates, 732 pour la chute de Damas et 722 comme celle de la destruction de Samarie (2 R 17.3-6)74.
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W. DIETRICH, Jesaja und die Politik, 1976, pp. 115ss; Idem, «Der eine Gott als Symbol, 1994, p. 477. Bien que la date de 701 que l’auteur attribue au texte pose problème, nous sommes toutefois d’avis avec lui que le texte concerne la destruction de Samarie par l’Assyrie. Lors de l’étude d’Es 10.5-11,13-15, nous allons démontrer que ce texte interprète la chute de l’Assyrie en 612 et serait un des piliers de l’Assur-Redaktion (H. B ARTH ) ou la rédaction josianique (R. E. CLEMENTS ). R. KILIAN, Jesaja 1-12, 1986, p. 81. B. DUHM , Das Buch Jesaja, 1902, 2e éd., p. 72; O. PROCKSCH, Jesaja I: Kap. 139, 1930, p. 165; W. EICHRODT , Der Heilige in Israel, Jesaja 1-12, 1960, p. 127; O. KAISER, Der Prophet Jesaja, Kapitel 1-12, 1981, p. 224; H. WILDBERGER, Jesaja 1-12, 1980, p. 398.
4.2.6 Conclusion Notre hypothèse était de démontrer que 8.1-4 est un texte qui provient de la plume d’Esaïe, fils d’Amots. Quant bien même il fasse allusion à la guerre syro-éphraïmite, à cause de la mention de Damas, c’est plutôt la chute de Samarie en 722 qui est son terminus a quo. C’est cette chute qui est y interprétée théologiquement comme la manifestation de la victoire de YHWH sur les ennemis qui voulaient déstabiliser la maison de YHWH et celle de David. La proclamation par Esaïe de la victoire de YHWH sur les ennemis de son peuple dans le Temple a une double implication par rapport au modèle de Moïse. D’une part Esaïe et la prophétesse se placent respectivement sur les traces de Moïse et Myriam qui, à la chute de Pharaon et son armée chantèrent la force puissante et la souveraineté éternelle de YHWH dans son sanctuaire (Ex 15.17-18). D’autre part Esaïe reprend l’écho des femmes qui chantèrent la victoire de David sur Goliath, etc. Il actualise donc la théologie de la guerre de YHWH dans la tradition de l’exode et dans la tradition royale de David pour construire son message. En plus il puise dans sa propre expérience dans le Temple lors de la vision inaugurale. C’est là qu’il voit YHWH dans toute sa gloire, comme roi de toute la terre (6.1-8). Le Temple comme lieu de l’annonce de la défaite des ennemis et de la proclamation de la victoire est l’expression de la tradition de la guerre de YHWH. Il fait de YHWH, qui y manifeste sa présence, le symbole de la résistance politique75. Nous avons en outre démontré qu’Esaïe s’était limité à annoncer la chute de Samarie. Sur cette base outre 8.1-4, les textes suivants sont attribués à Esaïe: 6.1-8; 7.6-8a, 9; 9.7-12 et 28.1-4. Esaïe ne fut le seul à annoncer la chute du royaume du Nord. Il emboîtait les pas à Amos et surtout à Osée avec lesquels il partageait les motifs, notamment le recours aux actions symboliques; l’intervention de son épouse et le nom de l’enfant (8.1-4 et Os 1.2-8*). Toutefois, il se démarque de ses collègues par cette perspective: Damas et Samarie sont tombés pour avoir constitué une menace pour Juda, la dynastie davidique et de surcroît le Temple.
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W. DIETRICH, «Der eine Gott als Symbol des politischen Widerstands» in W. DIETet M. A. KLOPFENSTEIN (éds.), Ein Gott allein? 1994, pp. 463-490.
RICH
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Nous avons enfin relevé qu’Esaïe a conditionné le salut de la dynastie de Juda à la foi (7.9). Pour avoir manqué à cette condition, Juda connut la crise sous Manassé.
4.3 Crise de Juda à cause de son allégeance étrangère (2.6)
4.3.1 Introduction Dans une prière au culte (2.6), le prophète cultuel se plaint devant YHWH: pourquoi a-t-il abandonné la maison de Jacob, son peuple? Ce jugement a des causes: le pays est dominé par les pratiques religieuses étrangères, dont la divination et la magie, et le Temple par le syncrétisme dû à l’assujettissement de la dynastie davidique aux étrangers. La maison de Jacob (ETR>@\ W\%H) dans 2.6 est comprise de différentes façons. Certains critiques l’identifient à Juda, entendu comme l’ensemble du peuple (Israël/Juda)76. Le contexte rédactionnel général ne le contredit d’ailleurs pas. Car le texte correspond avec le message de jugement contre Juda et Jérusalem77. Le peuple de Juda comme objet du jugement de YHWH semble ne pas être au centre de controverse, mais la question du cadre historique demeure. Pour les uns, la maison de Jacob suppose Juda pendant la guerre syro-éphraïmite78 ou lors de la réforme d’Ezéchias79. D’autres par contre considèrent ETR>\@ W\%H comme une référence au royaume détruit par les Babyloniens
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O. PROCKSCH, Jesaja I: Kap. 1-39, 1930, p. 64; W. EICHRODT , Der Heilige in Israel, Jesaja 1-12, 1960, p. 50; H. WILDBERGER, Jesaja 1-12, 2nd éd., 1980, p. 95; P. HÖFFKEN , Das Buch Jesaja, Kapitel 1-39, 1993, p. 50. R. E. CLEMENTS, Isaiah 1-39, 1980, p. 42; W. A. M. BEUKEN, Jesaja 1-12, 2003, p. 100. R. E. CLEMENTS, Isaiah 1-39, 1980, p. 43 (Toutefois, l’auteur reconnaît dans l’ensemble 2.6-4.1 des expansions, témoins de 597 ou 587). H. WILDBERGER, Jesaja 1-12, 2nd éd., 1980, p. 95; W. DIETRICH, Jesaja und die Politik, 1976, p. 135 (L’auteur ne parle pas de la réforme, mais de la rébellion d’Ezéchias entre 705-701).
en 58780. Sortant du lot, E. Bosshard-Nepustil a identifié la «maison de Jacob» avec Juda sous le règne de Manassé81. Bien qu’il nous soit difficile de lui concéder notre approbation quant à la subdivision qu’il fait de la péricope, nous sommes d’accord avec cet auteur en ce qui concerne l’identité de la maison de Jacob. La détermination de l’identité de cette maison sera capitale dans l’interprétation du texte ainsi que de la situation de son contexte historique. Mais avant d’y arriver, nous procédons à la délimitation du texte.
4.3.2 Délimitation du texte Le v. 6 est compris entre les vv. 5 et 7-8b. Sa délimitation est diversement appréciée. Pour nombre d’exégètes, ce verset fait partie de 2.622, qu’ils considèrent à la suite de B. Duhm, comme le texte le «plus mal conservé du livre d’Esaïe»82. Par contre d’autres, le rattachent aux vv. 6-1983 ou aux vv. 6-1084, ou encore aux vv. 6-885. H. Wildberger le prend seul86. Constatant la difficulté, R. Kilian est parvenu à souligner la nature hypothétique de toutes les solutions tentées à ce jour87. Sans pour autant verser dans le fatalisme, nous voudrions établir que le v. 6 en lui-même
80
81 82
83 84 85 86 87
H. BARTH, Die Jesaja-Worte in der Josiazeit, 1977, p. 223 (L’auteur prend v. 6aC pour ésaïen, tandis que v. 6abDavec 8b.18ss pour un texte de l’exil; O. KAISER , Der Prophet Jesaja, Kapitel 1-12, 1981, p. 69; R. KILIAN, Jesaja 1-12, 1986, pp. 30-33; U. BECKER, Jesaja – von der Botschaft zum Buch, 1997, p. 172. E. BOSSHARD-NEPUSTIL, Rezeptionen von Jesaia 1-39 im Zwölfprophetenbuch, OBO, 1997, pp. 225, 238. B. DUHM, Das Buch Jesaja, 1902, 2e éd., p. 39; W. E ICHRODT, Der Heilige in Israel, Jesaja 1-12, 1960, pp. 49-55; G. FOHRER, Das Buch Jesaja: Kapitel 1-23, 1966, 2nd éd., p. 54; H. BARTH , Die Jesaja-Worte in der Josiazeit, 1977, p. 222; O. KAISER , Der Prophet Jesaja, Kapitel 1-12, 1981, pp. 67ss (toutefois, il y reconnaît le travail rédactionnel de plusieurs mains); W. BRUEGGEMANN, Isaiah 1-39, 1998, pp. 26-32; W. A. M. BEUKEN, Jesaja 1-12, 2003, pp. 97-106. U. BECKER, Jesaja – von der Botschaft zum Buch, 1997, pp. 169-170. O. PROCKSCH , Jesaja I, 1930, pp. 63-67. J. VERMEYLEN, Du prophète Isaïe à l’apocalyptique, 1977, p. 135; R. KILIAN , Jesaja 1-12, 1986, p. 30. H. WILDBERGER, Jesaja 1-12, 2e éd., 1980, p. 95. R. KILIAN, Jesaja 1-12, 1986, p. 30.
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est une unité littéraire cohérente. Les arguments suivants militent en faveur de cette hypothèse. Le premier concerne l’emploi de \.L attesté dans la suite du texte seulement au v. 12. Le second est relatif à l’emploi du verbeDOP. Bien qu’attesté à la fois dans les vv. 6 et 7-8a, son emploi dans le v. 6 diffère88. Dans ce dernier texte, :DOP se rapporte à la maison de Jacob (Israël), tandis qu’aux vv. 7-8a, le verbe attesté dans l’expression $FU!D DOH07 ZL qui y revient 3 fois, détermine $FU!D. Les différences sur l’emploi du verbe DOPen ce qui concerne aussi bien sa forme que les destinataires auxquels il se rapporte, sont des indices en faveur de la démarcation entre les vv. 6 et 7-8a. Cette observation est par ailleurs confirmée par le contenu de chaque texte. Dans le v. 6 Israël est envahi par des devins et magiciens à cause de sa soumission aux enfants des étrangers. Tandis qu’aux vv. 7-8a, «son pays» est rempli d’argent, de chevaux et d’idoles à l’infini. Si dans le premier texte, il s’agit de la condamnation de l’idolâtrie, le second texte semble souligner la richesse, la militarisation et les idoles probablement pillées. Pour terminer la démonstration de cette différentiation, il y a dans le v. 7 l’expression KFTH \DHZ!, suivie du substantif introduit par O. Cette forme n’apparaît pas au v. 6, mais est attestée dans le livre de Nahoum en relation avec la chute de Ninive (Na 2.10; 3.3, 9). Ces textes mentionnent l’argent, l’or et autres objets précieux qui remplissaient la ville, signes de l’opulence de la capitale de l’Assyrie. La rareté de cet emploi dans la Bible hébraïque et sa présence unique en 2.7 et dans les oracles de malheur contre Ninive dans le livre de Nahoum, nous conduisent à attribuer ces versets à une rédaction autre que celle du v. 6. Par conséquent, ce v. 6 est à considérer séparément du v. 5 d’une part et des vv. 78 de l’autre. L’emplacement de ces derniers versets immédiatement après le v. 6 s’explique par l’intention rédactionnelle d’interpréter la chute de Ninive en référence au v. 6. Les rédacteurs deutéronomistes, comme nous aurons à le prouver, interprètent cette chute comme due au fait que les Assyriens avaient introduit le syncrétisme, la magie et la divination dans le Temple de Jérusalem. Cette démarcation établie, il reste à nous assurer de la cohérence interne du v. 6. Ce verset est dominé par les signes de l’influence étran-
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350
H. WILDBERGER, Jesaja 1-12, 2e éd., 1980, p. 95.
gère comme cause de l’abandon de la maison de Jacob par YHWH. Il s’agit notamment des divinités d’Orient, la magie de Philistie et la soumission aux étrangers. Ces influences étrangères constituent des éléments en soi. Par conséquent, le v. 6 est une unité littéraire cohérente. Ceci dit, nous allons procéder à sa traduction.
4.3.3 Traduction v. 6: Car tu as abandonné ton peuple, la maison de Jacob. Car ils sont remplis de devins89 et de magiciens comme les Philistins et ils se soumettent aux enfants des étrangers.
4.3.4 Structure du texte La structure du verset est dominée par l’influence des étrangers qui remplissent la maison de Jacob, notamment les devins, les magiciens et les enfants des étrangers. C’est à cause d’eux que la maison de Jacob est abandonnée par YHWH. De manière schématique, le v. 6 présente l’architecture suivante: – La plainte à YHWH sur l’abandon de la maison de Jacob (v. 6a) – l’abandon de la maison de Jacob (v. 6a): châtiment – L’influence étrangère: cause de l’abandon (v. 6b): – la présence des devins (v. 6bC) – la présence des magiciens (v. 6bD) – la soumission aux enfants étrangers (v. 6bI). Notre analyse se laissera guider par cette structure qui démontre clairement le rôle principal des étrangers qui ont inondé Juda de pratiques religieuses étrangères.
89
L’éditeur propose de remplacer le mot aG4PL par a\PLV$T (Cf. J. N. OSWALT, The Book of Isaiah, 1986, p. 122). Dans la mesure où l’éditeur se référerait à Dt 18.10 où le mot a\PLVT est mis en parallèle avec a\Q,Q!>R, alors il serait possible de préférer a\PLV$T à la place de aG4PL.
351
4.3.5 Analyse et commentaires 4.3.5.1 Introduction Le Temple de Jérusalem est envahi par les devins, les magiciens. Son culte est marqué par le syncrétisme. YHWH partage sa maison avec Baal, Astarté et autres dieux étrangers. Cette situation a pour conséquence que les prophètes cultuels n’ont plus de prépondérance dans le culte. Ils sont moins écoutés et concurrencés par les devins et les magiciens étrangers. A la mort de Manassé ou d’Amon, son successeur, ils se donnent l’occasion de tirer le bilan. La politique de vassalité à l’Assyrie pratiquée par ces monarques et la longue présence des Assyriens dans le pays ont introduit les pratiques religieuses étrangères90 jusque dans le Temple de Jérusalem. Les prophètes cultuels se plaignent larmes aux yeux de cette situation. Cette plainte n’est pas un simple constat, mais elle traduit également une accusation, une critique sévère à la fois des pratiques religieuses étrangères dans le Temple et de la domination étrangère qui ne sert pas la gloire de YHWH. Dans notre analyse nous allons donc tenter de répondre aux questions relatives à la vie religieuse en Israël dominée par le syncrétisme dû à l’influence étrangère et à l’identité du royaume qui incarne cette influence ainsi qu’à l’époque à laquelle elle se rapporte. La réponse à ces questions, nous aidera à déterminer les destinataires implicites et explicites, l’auteur ou les rédacteurs du texte, les traditions ayant influencé la rédaction. Cette analyse a pour point de départ la détermination des destinataires. Ils se nomment la maison de Jacob. 4.3.5.2 Juda abandonné par YHWH Par le \.L qu’ils placent à la tête du texte, les rédacteurs91 tentent d’expliquer une situation, celle de l’abandon de la maison de Jacob, par YHWH. Ils cherchent à comprendre ou à interpréter pourquoi le peuple 90 91
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G. CORNFELD et G. J. BOTTERWECK, Die Bibel und ihre Welt, Band 3, 1972, p. 697. B. DUHM , Das Buch Jesaja, 1902, 2e éd., p. 17; O. PROCKSCH, Jesaja I: Kap. 139, 1930, p. 64; H. WILDBERGER, Jesaja 1-12, 2e éd., 1980, p. 95; R. E. CLEMENTS, Isaiah 1-39, 1980, p. 42; U. BECKER , Jesaja – von der Botschaft zum Buch, 1997, p. 172.
est abandonné par son Dieu. A quoi renvoie l’appellation ETR>\@ W\%H? Quel groupe représente-t-elle? Quel sens a l’abandon par YHWH? Quelles traditions influencent l’emploi du concept de l’abandon de YHWH? Dans quel milieu cette condamnation a-t-elle été prononcée? Ces questions vont constituer l’objet de notre analyse. Il sera principalement question de préciser l’identité de cette maison ainsi que d’expliquer en quoi consiste son abandon par YHWH. 4.3.5.2.1 Juda: La maison de Jacob abandonnée En 2.6, l’expression ETR>\@ W\%H désigne le peuple de Juda et ses dirigeants, c’est-à-dire l’ensemble du peuple d’Israël après la chute de Samarie en 722. Cette expression est attestée 16 fois92 dans la Bible hébraïque. Dans le livre d’Esaïe, elle est employée dans les oracles de salut (2.5; 10.20; 14.1; 29.22; 46.3; 48.1) et de malheur (2.6; 8.17; 58.1). Etant donné que le texte de notre étude se trouve dans le dernier groupe, nous allons nous y attarder. La comparaison de ces textes permet de les distinguer malgré le fait qu’ils s’adressent à ETR>\@ W\%H. Pour en avoir une perception exacte, il suffit de voir ce tableau: 2.6: 8.17: 58.1:
car tu as abandonné ton peuple la maison de Jacob (ETR>@\W\%H) mais, j’ai espéré en YHWH qui a caché sa face à la maison de Jacob (ETR>@\W\%HPL) et annonce à mon peuple leur iniquité et à la maison de Jacob (ETR>@\W\EHO:), leur péché.
Aussi bien sur le plan de la forme que celui du fond, ces trois textes sont différents l’un de l’autre. Sur le plan de la forme, 2.6 est caractérisé par l’emploi \.L (2 fois) qui est absent dans les deux autres textes. En outre, l’expression ETR>\@ W\%H sert à expliquer A0> «ton peuple». Cette figure de style est absente dans les deux autres textes. Enfin, le sujet qui parle en 2.6 n’apparaît que par ses propos, car c’est plus les destinataires qui sont mis en exergue, YHWH et ETR>\@ W\%H. En ce qui concerne le contenu, 2.6 est une plainte à YHWH qui a abandonné son peuple, pendant que 8.17 est une affirmation de confiance du prophète à YHWH au moment où il vient de cacher sa face à la maison de Jacob. Dans ce 92
Ex 19.3; Es 2.5, 6; 8.17, 10.20; 14.1; 29.22; 46.3; 48.1; Jr 2.4; 5.20; Ez 20.5; Am 9.8; Ab 1.17, 18; Mi 2.7; 3.9; Ps 114.1.
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dernier texte le prophète semble se démarquer de l’ensemble d’Israël. Dans 58.1, c’est plutôt YHWH qui ordonne à ce qu’on dénonce à cor et à cri le péché de son peuple. Ces observations parmi tant d’autres confirment la distinction entre 2.6, 8.17 et 58.1. Chaque texte représente une interprétation du malheur d’Israël, respectivement à l’époque préexilique, exilique et postexilique. Par conséquent, 2.6 est un texte à prendre seul. Si tel est le cas, de quelle source s’inspire-t-il? D’abord de la tradition de Moïse. Dans cette tradition, ETR>@\ W\%H représente les enfants d’Israël libérés d’Egypte et bénéficiaire d’une alliance avec YHWH au mont Sinaï (Ex 19.3). Moïse est envoyé vers ce peuple pour lui transmettre l’enseignement de YHWH et rappeler les merveilles accomplies en Egypte, l’inviter à écouter sa voix et à maintenir son alliance. A cette occasion, YHWH affirme sa souveraineté sur toute la terre: «à moi appartient toute la terre» dit-il. En même temps, il proclame l’élection de son peuple – Israël comme sa part personnelle parmi tous les peuples (Ex 19.5) – et lui fait la promesse d’être un royaume des prêtres et une nation sainte (Ex 19.6). Ce peuple répond par sa fidélité à tout ce que Moïse lui dit de la part de YHWH. Cependant, ce n’est pas le cas de la maison de Jacob en 2.6. Elle affiche l’image contraire. Car, ce peuple de l’alliance est abandonné par YHWH. D’une part, il a rompu cette alliance en écoutant les devins et les idoles en lieu et place des prophètes de YHWH, et de l’autre il s’est soumis aux étrangers, au détriment de son obéissance à YHWH, le Maître de la terre. En pratiquant l’idolâtrie, il répète les fautes du peuple du royaume frère d’Israël (Am 9.8; Mi 3.9). Si Juda répète la faute du royaume du Nord, peut-on voir dans 2.6 une allusion à la chute de Jérusalem en 587 et inscrire l’emploi de l’expression dans la prédication de Jérémie et d’Ezéchiel comme certains auteurs93 l’ont supposé? La réponse à cette question nécessite la comparaison des allusions à la «maison de Jacob» dans ces livres. En effet, l’expression ETR>\@ W\%H est attestée en Jr 2.4; 5.20 et Ez 20.5. A part 2.6, ces textes ont une même caractéristique, à savoir la condamnation de l’idolâtrie. La comparaison de ces textes – voir le tableau ci-dessous – permet toutefois d’établir des divergences littéraires si frappantes qu’il devient difficile de rapprocher 2.6 des autres textes. 93
354
Voir supra.
2.6: Jr 2.4: Jr 5.20: Ez 20.5:
Car tu as abandonné ton peuple, la maison de Jacob (ETR>@\W\%HA0>K7YMQ\.L) Ecoutez la parole de YHWH, maison de Jacob (ETR>@\W\%HKZK\!UEG!:>PYL) Faites cette proclamation à la maison de Jacob (ETR>@\W\EH%WD]2:G\*,K) Tu leur diras: ainsi parle le Seigneur Dieu: le jour où j’ai choisi Israël, j’ai juré, la main levée, à la descendance de la maison de Jacob (ETR>@\W\%H>U]O), je me suis fait connaître à eux dans le pays d’Egypte.
En fondant l’analyse de ces textes sur le critère de la forme des verbes auxquels ETR>\@ W\%H se rapporte, il y a lieu de les regrouper en trois catégories. Dans la première catégorie le verbe est conjugué à la première personne du singulier et a YHWH pour sujet (Ez 20.5). Dans ce texte YHWH s’adresse à la maison de Jacob, par ailleurs appelé Israël en lui rappelant que c’est en Egypte qu’il s’est fait connaître à lui et lui disant: Je suis YHWH, votre Dieu. La seconde catégorie, quant à elle, est constituée des textes où les verbes sont à l’impératif 2e personne du pluriel (Jr 2.4; 5.20). Ces deux textes de Jérémie sont un appel à l’écoute adressé à la maison de Jacob, désignée dans un cas par «maison d’Israël» (Jr 2.4) et dans l’autre par Juda (Jr 5.20). Ces appels à l’écoute insèrent une série de griefs adressés aux dirigeants de Juda et se résument par la méconnaissance de YHWH (Jr 2.4), de son œuvre créatrice (Jr 5.20) et son abandon en faveur des idoles (Jr 2.4). Dans la troisième catégorie enfin, le verbe est conjugué à la 2e personne du singulier (2.6). Dans ce dernier texte, il s’agit d’une plainte adressée à YHWH parce qu’il a abandonné son peuple, désigné par «la maison de Jacob». Cette situation est liée à la présence nombreuse des devins, des magiciens et aux alliances avec les fils des étrangers. Cette analyse permet finalement de distinguer 2.6 des trois autres textes. Bien que tous traitent du thème de l’idolâtrie, ils le présentent sous des angles différents et appropriés. Dans les textes de Jérémie et d’Ezéchiel, l’idolâtrie est résumée dans deux faits, à savoir: courir après des idoles (Jr 2.5, 8; Ez 20.30ss) et prophétiser au nom de Baal (Jr 2.8). Ce péché a conduit à la destruction de Juda et à l’asservissement par des étrangers dans un pays étranger, allusion à l’exil babylonien (Jr 5.19). En 2.6, par contre, l’idolâtrie est désignée par la présence nombreuse de devins d’Orient et de magiciens. Elle est la conséquence de la soumis355
sion de Juda aux étrangers et la manifestation de leur présence dans le pays à travers la divination et la magie. Ici il n’est aucunement fait mention de l’exil. Ces cas de figure supposent que le dernier texte décrit une situation récente par rapport à celle dans 2.6. En abordant le même thème de l’idolâtrie comme cause du châtiment de YHWH contre son peuple, le livre de Jérémie procède à la relecture du message de 2.6. Cette relecture est d’ailleurs perceptible à l’intérieur de 2.6-9: la péricope en étude et la phraseZ\W>% R F D :I> UYDO@ :Z[@7Y \ , Z\G\ KIH>P@ O «ils se prosternent devant l’œuvre de leurs mains qu’ils ont fait avec leurs doigts». Comme nous l’avons démontré lors de la délimitation de la péricope, cette phrase est un ajout au texte précédent, justifié par l’interprétation tardive faite sur le sens de l’abandon de Juda par YHWH, conséquence de l’idolâtrie. Dans ce contexte, les expressions argent et or, qui, en 2.7 sont symboles de la richesse de l’Assyrie, reçoivent le sens des idoles en argent et en or (2.20; Jr 10.4, 9; Ez 16.17; 22.18, 20,22). Si alors, la maison de Jacob en 2.6 ne suppose pas Juda lors de la catastrophe de 587, à quelle époque renvoie-elle? L’analyse de l’action de YHWH qui consiste à abandonner son peuple pourrait nous éclairer. 4.3.5.2.2 Abandonner comme action de YHWH L’abandon de la maison de Jacob par YHWH est signifié au v. 6 par le verbe YMQ. Il semble exprimer une plainte d’un prophète cultuel à YHWH94 lors d’une prière95. Car le verbe lui-même établit un parallèle avec le langage cultuel96. Une telle plainte suppose une situation d’oppression qui en serait l’origine. Dans la tradition de Moïse, l’oppression rappelle celle des Israélites par les Egyptiens. L’oppression en Egypte ne fut pas interprétée comme signe d’abandon par YHWH. Car lorsque les Israélites crièrent, YHWH les entendit et envoya Moïse. Mais en 2.6, la situation change. Le prophète constate l’absence du salut. C’est cela qui motive sa plainte comme le fit Gédéon qui, devant l’ange de YHWH chercha à comprendre le pourquoi de l’oppression des Israélites par les Madianites auxquels YHWH les a livrés (Jg 6.1-10). Ce texte en donne l’explication: c’est à
94 95 96
356
O. KAISER , Der Prophet Jesaja, Kapitel 1-12, 1981, p. 69. H. WILDBERGER, Jesaja 1-12, 2e éd., 1980, p. 97. Ibid., p. 98.
cause de la pratique par Israël de l’idolâtrie et du manque d’écoute de la voix de YHWH (Jg 6.10). Cette explication s’inscrit dans la lutte contre l’idolâtrie comme cela transparaît dans le cantique de Moïse (Dt 32.15ss). Dans ce texte, Israël est condamné pour avoir délaissé Dieu son créateur et déshonoré le Rocher de son salut en lui donnant pour rivaux des étrangers. L’oppression étrangères et la soumission reflètent la situation de 2.6. Si tel est le cas, le lien de ce texte avec la théologie deutéronomiste peut être envisagé. L’oppression d’Israël par les étrangers et sa défaite lors de la guerre à cause de l’idolâtrie semblent refléter le contexte de crise dans lequel intervient la vocation de Gédéon. Un tel contexte est également évoqué dans la tradition de Samuel lors de la prise de l’arche de YHWH par les Philistins après la défaite d’Israël à Evèn-Ezèr (1 S 4.2ss). Comme dans le cas de Gédéon, les anciens d’Israël cherchèrent à savoir pourquoi YHWH a fait battre Israël par les Philistins. Le constat fut fait. C’est parce que l’arche de YHWH n’était pas là. Elle était restée à Silo. L’absence de YHWH devient la source de malheur. L’arche a été ramenée dans le champ du combat. Son arrivée a créé la peur chez les Philistins qui se souvinrent de l’exode, en particulier de la manière dont YHWH délivra les Israélites en portant toutes sortes de coups aux Egyptiens dans le désert (1 S 4.8). Mais ayant repris leur courage, les Philistins engagèrent le combat et Israël fut de nouveau battu. La défaite fut très dure: il tomba parmi les Israélites trente mille fantassins. L’arche de Dieu fut prise et les deux fils d’Elie, Hofni et Pinhas, moururent. La présence de ces deux fils du prêtre Elie, à côté de l’arche (1 S 4.4), apparaît comme la cause de cette situation. Ils étaient connus pour leurs abominations dans le sanctuaire de Silo: ils faisaient outrage à l’offrande de YHWH (1 S 2.17) et couchaient avec les femmes groupées à l’entrée de la tente de rencontre (1 S 2.22). Lorsque le prophète se plaint de voir YHWH abandonner son peuple, la maison de Jacob, il professe d’une part sa foi en un Dieu qui naturellement n’abandonne pas ceux qui se confient en Lui. Cela est exprimé dans les prières de Samuel dans le sanctuaire (1 S 12.22), Salomon lors de la dédicace du Temple (1 R 8.57) et le Psautier (Ps 27.9; 94.14). En 2.6, le prophète explique d’autre part que l’idolâtrie est la cause de l’abandon par YHWH de la maison de Jacob97. 97
Jg 6.13; 2 R 21.14; Es 2.6; Jr 7.29; 12.7; 23.33, 39.
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La description de cette situation concorde avec le règne de Manassé en Juda (2 R 21.14). YHWH menace, par l’intermédiaire de ses prophètes, d’abandonner (YMQ) son peuple de Juda et de le livrer aux mains de ses ennemis, à cause de l’idolâtrie de son roi Manassé (2 R 21.10)98. Il l’accuse d’avoir: – fait ce qui est mal aux yeux de YHWH suivant les abominations des nations, – rebâti les hauts lieux qui avaient disparu99, – dressé un poteau sacré (v. 4), – érigé un autel à Baal (v. 3), – bâti des autels dans la maison de YHWH (KZK\!W\%H)100, – pratiqué le sacrifice d’enfants, l’incantation, la magie et la divination (v. 6)101. – installé l’idole d’Ashera (v. 7) dans le Temple en contradiction avec les paroles de YHWH à David et Salomon: «Dans cette maison,… je mettrai mon nom pour toujours». – fait pécher Juda par ses idoles (v. 11). – répandu aussi le sang innocent (v. 16).
98 L’histoire du règne de Manassé est rapportée en 2 R 21.1-18 et 2 Ch 33.11-13. Selon les sources assyriennes, Manassé fut un vassal d’Assarhaddon et d’Assourbanipal, roi de l’Assyrie. Il lui fut imposé de payer des lourds tributs ou de participer aux guerres assyriennes (ANET 291, 294; AOT 357) (Cf. A. S CHOORS , Die Königreiche Israel und Juda, 1998, pp. 97-98. 99 Allusion aux réformes d’Ezéchias, son père. 100 En 2.2, Jérusalem est au centre du message et de l’attitude positive des nations et des peuples. C’est là qu’ils se dirigent pour y reconnaître la souveraineté de YHWH. Ce texte représente l’attitude du roi Salomon telle que décrite dans les livres de Chroniques. Cette attitude s’oppose à celle de Manassé dans 2.6ss. A la lumière de cette observation, il devient par conséquent imaginable de prendre 2.2-5 et 2.6-9 comme deux textes qui présentent deux prototypes de deux rois différents quant à leur attitude en face de YHWH et de son Temple. Dans le premier texte c’est Salomon, le modèle du roi fidèle qui reconnaît la souveraineté de YHWH dans son Temple et le fait connaître à tous les peuples et toutes les nations. Dans 2.6-9 c’est Manassé, le modèle du roi infidèle qui rejette YHWH et se confie aux idoles, à Baal et Astarté, laisse entrer dans le pays les influences des nations étrangères et leurs abominations jusque dans le Temple. 101 A. SCHOORS , Die Königreiche Israel und Juda, 1998, pp. 16-17.
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Ces griefs sont reprochés à Achab. Cela voudrait dire que Manassé a imité le comportement de ce roi du royaume du Nord102. La divination et la magie comme griefs reprochés à la royauté de Manassé et causes de l’abandon du peuple par YHWH sont également les causes de l’abandon de la maison de Jacob en 2.6103. Ce texte dit en une phrase ce que 2 R 21.1-8104 décrit en détails. Par conséquent, ce dernier texte livre le contexte historique de 2.6. S’agit-il en 2.6 du bilan sur le règne de Manassé? A quel moment de son règne est intervenue cette condamnation? Etant donné que les textes font le bilan des agissements des rois d’Israël et des nations étrangères à la fin de leurs règnes, il y a lieu de supposer que c’est à la mort de Manassé (642) que 2.6 aurait été rédigé. Toutefois la mort de son fils Amon (640) dont le règne à Jérusalem (2 ans) s’est inscrit dans la poursuite de sa politique religieuse (1 R 21.19-22) n’est pas à écarter. L’interprétation de ces deux morts pourrait justifier la réforme religieuse de Josias qui intervint quelque peu après105. Le fait que le UDK a>ait vite modifié la situation en plaçant Josias sur le trône (640-609) pourrait avoir été l’effet d’un groupe cultuel106 soutenu par le parti anti-assyrien et surtout les milieux deutéronomistes déterminés à libérer le Temple de Jérusalem du syncrétisme religieux et Juda de la domination croissante des Assyriens. De façon générale 2.6 reflèterait le bilan très critique que les prophètes cultuels firent du long règne de Manassé (697-642)107 durant lequel les divinités cananéennes et assyriennes trouvèrent une place dans le culte du Temple de Jérusalem et où le pouvoir étranger reçut une forte reconnaissance officielle108. Une telle prise de position aurait visé à préparer la réforme religieuse et politique de Josias (2 R 22-23)
102 R. PATAI , The Hebrew Godless, 1990, p. 49. 103 D’ailleurs, comme nous le verrons plus tard, l’expression «ETR>@\ W\%H» représente dans ce texte le peuple de Juda. 104 Ce texte représente plusieurs couches rédactionnelles de Dtr. 105 H. DONNER , Geschichte des Volkes Israel, Teil 2, 1986, p. 334. 106 D. KINET , Die Geschichte Israels, 2001, p. 163. 107 G. HENTSCHEL , 2 Könige, 1985, p. 102; DONNER, Geschichte des Volkes Israel, Teil 2, 1986, p. 334; H. N IEHR, Religionen in Israels Umwelt; 1998, p. 207; D. KINET , Geschichte Israels, 2001, p. 161. 108 S. HERMANN et W. KLAIBER, Geschichte Israels, 1996, p. 93.
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Cette hypothèse est envisageable dans la mesure où 2.7-8a qui suit concernent la chute de Ninive en 612 qui correspond à cette réforme109. L’idolâtrie comme cause de l’abandon du peuple de Juda par YHWH revient dans le message de Jérémie (Jr 7.29; 12.7; 23.33, 39). Dans ces textes le verbe YMQ est employé parallèlement avec VDP d’un côté, et E]> de l’autre. Ce phénomène est absent dans 2 R 21.14 et 2.6 où le premier verbe est employé seul. Par conséquent, il y a lieu d’observer deux couches rédactionnelles des messages prophétiques ayant pour thème l’abandon du peuple de Juda à cause de l’idolâtrie. La première couche évoque l’époque du règne de Manassé (2.6). La seconde fait écho au message de Jérémie pendant les règnes de Yoyakim et Sédécias (Cf. 2.8bss). Le message de 2.6 devient l’anticipation de celui de Jérémie relative à la catastrophe de 587. Le message de Jérémie pour sa part est la relecture et l’accomplissement de celui de 2.6. Dans ce dernier texte YHWH promet d’abandonner son peuple et de le livrer entre les mains des ennemis. Mais, il ne montre pas comment. C’est Jérémie qui en donne l’explication. Pour lui, l’abandon de Juda par YHWH signifie sa livraison entre les mains des Babyloniens. Ainsi, le message prophétique de 2.6 et 2 R 21.14 trouve son accomplissement dans la bouche du prophète Jérémie. Cette relecture est clairement résumée dans 2 R 24.1-4: l’anéantissement de Juda par les Chaldéens, les Araméens, les Moabites et les fils d’Ammon ordonné par YHWH est arrivé à cause des péchés de Manassé due à sa soumission aux étrangers. 4.3.5.3 La main tendue par Juda aux pratiques religieuses étrangères La vassalité de Manassé et d’Amon aux Assyriens n’a pas servi la religion de YHWH. Selon la description de dtr elle donna, par contre, libre cours à une politique religieuse sous contrôle assyrien110 caractérisée par une influence considérable des pratiques cultuelles111 étrangères dans le Temple de Jérusalem. La situation du Temple semble jouer un rôle central non seulement dans 2.6, mais dans l’ensemble du ch. 2 109 Voir le ch. 4.4 suivant. 110 S. H ERRMANN, Geschichte Israels, 1973, pp. 320-321; D. K INET , Geschichte Israels, 2001, p. 161. 111 H. DONNER , Geschichte des Volkes Israel, Teil 2, 1986, p. 329; P. HÖFFKEN , Das Buch Jesaja, Kapitel 1-39, 1993, p. 50.
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d’Esaïe112. Si aux vv. 2-5 l’attitude des nations a été très favorable au Temple, à travers leur procession vers Jérusalem, ici au v. 6, les étrangers sont les responsables de la décadence de la vie religieuse à Jérusalem, à cause de leur divination, astrologie et magie. La condamnation de ces pratiques dans 2.6 reflète la théologie deutéronomiste (Dt 23.9-14) qui les considère comme «une transgression de la loi fondamentale de l’Alliance»113. Elle serait en même temps, à prendre comme une revendication de la prise au sérieux de la fonction prophétique dans la société en général et dans le Temple, en particulier. La plainte révèle donc la polémique contre les pratiques mantiques114 ou «semi-magiques» de la divination et de l’astrologie115. 4.3.5.3.1 Des devins partout La présence nombreuse des a\PLV$ T «devins» constitue la première accusation (v. 6bC). Indice de l’influence religieuse étrangère dans la vie religieuse de Juda, la divination fournit la première réponse à la question de l’abandon de la maison de Jacob par YHWH. La constatation de cette influence est exprimée par le verbe DOP. Il a le sens de domination, assujettissement (Gn 1.28) et l’idée du débordement (Ex 8.17; 10.6; Jr 6.11)116. Quand 2.6 évoque la présence nombreuse de devins venus d’Orient, on sous-entend leur présence massive et prolongée de manière à exercer une influence sensible dans les différents domaines de la société israélite, en particulier en ce qui concerne l’interprétation de l’avenir117. Le texte est une critique de cette présence. R dérive de la racine aVT attestée 33(34) fois118 dans la Le terme a\PLVT Bible hébraïque. L’inventaire des occurrences permet d’observer leur
112 113 114 115 116 117
F. STOLZ, Strukturen und Figuren im Kult von Jerusalem, 1970, p. 95. J. VERMEYLEN, Du prophète Isaïe à l’apocalyptique, 1977, p. 137. O. KAISER, Der Prophet Jesaja, Kapitel 1-12, 1981, p. 70. R. E. CLEMENTS, Isaiah 1-39, 1980, p. 44. Ex 1.7; 1 R 20.27; 2 R 6.17; Es 13.21; 14.21. P. H ÖFFKEN, Das Buch Jesaja, Kapitel 1-39, 1993, p. 50; W. A. M. B EUKEN , Jesaja 1-12, 2003, p. 102. 118 Nb 22.7; 23.23; Dt 18.10, 14; Jos 13.22; 1 S 6.2; 15.23; 28.8; 2 R 17.17; Es (2.6); 3.2; 44.25; Jr 14.14; 27.9; 29.8; Ez 13.6, 9,23; 21.26, 27, 28,34; 22.28; Mi 3.6, 7,11; Za 10.2; Pr 16.10.
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grande concentration dans les livres dtr (8 fois) et chez Ezéchiel (8 fois). Dans ce dernier livre la racine aVT est en rapport, d’une part avec le châtiment contre Jérusalem (Ez 21.34) à cause de ses prophètes dont les visions sont vaines et mensongères (Ez 13.6, 9, 23; 22.28) et de l’autre, elle concerne l’interprétation des présages (Ez 21.27) par les devins babyloniens (Ez 21.28). Par contre, dans les livres dtr le thème de la divination cadre avec la possession du pays par YHWH et la lutte contre l’idolâtrie. Pour les milieux deutéronomistes, la divination est une des caractéristiques des religions des nations étrangères (Dt 18.9), en particulier de Moab avec le devin Balaam (Jos 13.22; Cf. Nb 22.7; 23.23) et de la Philistie avec l’histoire des prêtres et devins philistins consultés (1 S 6.2) au sujet du malheur apporté par l’Arche de YHWH aux Ashdodites (1 S 5.1-6.2). Elle fait partie des pratiques qui amenèrent YHWH à les déposséder de leurs territoires afin de les confier à Israël (Dt 18.12). Ainsi Israël devrait en tirer une leçon pour ne pas se voir à son tour déposséder du pays. En libérant les Israélites de l’Egypte et en leur donnant une terre parmi les nations étrangères YHWH avait pour but de les amener à s’attacher totalement à Lui, à le servir comme son Dieu (Dt 18.13). La lutte contre l’idolâtrie s’inscrit dans le cadre de la proclamation de la souveraineté de YHWH dont le lieu de prédilection est le sanctuaire (le Temple). Car, c’est là qu’Il manifeste sa gloire et est reconnu comme Dieu. Sa présence dans le sanctuaire ne tolère pas celle des idoles. Dagon le dieu d’Ashdod est détruit parce que l’Arche de YHWH été placé dans son Temple (1 S 5.1ss). Dans cette histoire, la souveraineté et la puissance de YHWH se manifestent sur les nations étrangères et leurs dieux. Par conséquent il est insensé pour Israël de reconnaître les dieux des étrangers. Car ces derniers tombent et s’écroulent devant YHWH, le Dieu d’ Israël. Quand le pays se remplit de devins étrangers qui ne consultent pas YHWH, mais d’autres dieux, une telle situation attire la condamnation divine et l’abandon de Juda par YHWH (2.6). Dans ce texte, l’emploi de aG4P L «de l’Orient» confirme l’intention rédactionnelle de lier les pratiques divinatoires en Israël avec l’influence étrangère. aG4P L fait allusion non seulement aux pays voisins d’Israël de l’Est, dont la Syrie (9.11), Edom, Moab et Ammon (11.14), mais surtout aux puissances de l’Est dont l’Assyrie et Babylone.
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La divination, cause de malheur, appartient à l’histoire de la royauté, celle de Saül qui consulta une femme à Ein Dor119 (1 S 28). Cet acte d’idolâtrie et de désobéissance à YHWH fut une des causes de sa chute (1 S 15.23). En associant le comportement de Saül avec celui de la maison de Jacob (2.6), les rédacteurs font de Saül le prototype de Manassé. Dans le livre d’Esaïe, à part en 2.6, les devins sont mentionnés dans 3.2120 à côté des soldats, des juges, des prophètes et des anciens. Cela suppose un règne anarchique aussi bien sur le plan socio-économique que politico-religieux. Es 2.6 donne les conséquences fâcheuses de cette situation comme d’ailleurs en 3.1. En effet l’abandon par YHWH dont parle ce texte est synonyme du retrait du soutien. Il y a lieu de rapprocher 2.6 et 3.1ss121. Ces deux textes appartiennent au même contexte rédactionnel et historique. L’étude du concept relatif à la magie nous fixera à ce sujet. 4.3.5.3.2 Des magiciens en abondance Israël n’a pas été épargné par l’influence de la magie dans ses relations internationales. Es 2.6b mentionne la présence des nombreux magiciens ou astrologues (a\Q,Q> ! )R comme une des causes de l’abandon de la maison de Jacob par YHWH. Ces magiciens sont comparés à ceux de la Philistie. Cette comparaison confirme la réputation de la Philistie en ce qui concerne la pratique de la magie (1 S 6.2). Considérées par les milieux deutéronomistes et plus tard par les milieux sacerdotaux comme incompatibles avec la foi en YHWH, la magie et l’astrologie furent prohibées en Israël (Lv 19.26; Dt 18.10) et dénoncée par les prophètes (Jr 7.9). Ces pratiques concernent en particulier l’interprétation des nuages. La condamnation de telles pratiques se situe dans le contexte 119 C. L. N IHAN , «1 Samuel 28 and the Condemnation of necromancy in persian Yehud», in T. KLUTZ (éd.), Magic in the biblical world, JSNT 245, (2003), 23-54. L’auteur attribue avec raison la narration sur les pratiques nécromancienes par Säul à la rédaction deutéronomiste et le rapproche de Dt 18.9-14. Ce constat fait, nous reconforte également dans notre conviction que c’est donc ce milieu qui aurait repris la tradition de Säul afin de justifier la chute de Manassé et Amon au moment de l’emergence de Josias en 640. 120 H. WILDBERGER, Jesaja 1-12, 2e éd., 1980, p. 97. 121 E. BOSSHARD-NEPUSTIL, Rezeptionen von Jesaia 1-39 im Zwölfprophetenbuch, OBO, 1997, p. 235.
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de la lutte contre l’idolâtrie et la proclamation de la souveraineté de YHWH par les milieux deutéronomistes. Dans le Deutéronome, YHWH apparaît dans les nuées lors de sa révélation à Horeb (Dt 4.11) et au moment du don du décalogue (Dt 5.22), dont les premiers commandements interdisent la pratique de l’idolâtrie (Dt 5.7-9). Cette manifestation de la gloire de YHWH intervient dans le contexte de la condamnation de la désobéissance d’Israël et de l’intervention de Moïse (Dt 1.33; 31.15). De la médiation de Moïse, il est également question lorsque YHWH s’irrite contre Aaron et Myriam pour avoir critiqué Moïse. Dans la nuée où il apparaît, YHWH fixe les voies par lesquelles il fait connaître sa volonté au prophète, à savoir la vision et le songe, à l’exception de Moïse à qui il parle de vive voix et face à face (Nb 12.5-8). Si le prophète de YHWH peut recevoir visions et songes, c’est par contre interdit par la loi deutéronomiste de se livrer à la divination, l’astrologie, la magie, aux enchantements, aux charmes, à la consultation des morts comme au sacrifice des fils et des filles par le feu (Dt 18.10-11). Ces pratiques mantiques ne sont pas licites pour Israël, le peuple consacré à YHWH, bien au contraire, elles caractérisent les nations. Elles représentent un danger majeur d’apostasie122. C’est pourquoi elles sont condamnées. La place des prophètes dans la société israélite ne doit pas être prise par les magiciens et autres astrologues. La condamnation de ces pratiques étrangères viserait donc la valorisation de la fonction du prophète ainsi que l’élévation de sa dignité dans le milieu cultuel. Les oracles prophétiques ne devaient pas passer inaperçus. A l’instar de Moïse le prophète occupe une place importante dans la communauté de foi, car à travers sa bouche, YHWH communique sa volonté. C’est ainsi qu’il est appelé à dénoncer les pratiques cultuelles idolâtres (2 R 21.10-11), dont l’astrologie. L’interdiction de l’astrologie vise donc à honorer YHWH dont la gloire se manifeste dans les nuées. Si les nuées reflètent la présence et la gloire de YHWH123, leur interprétation au nom d’un autre dieu devient une profanation. Leur contemplation devrait plutôt amener à louer YHWH. Car c’est là qu’il manifeste sa souveraineté en tant que créateur du ciel et de la terre. La foi en YHWH Dieu roi (Ps 97.2) qui 122 R. ALBERTZ, A History of Israelite Religion, I, 1994, p. 210. 123 THWAT, VI, col. 273.
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manifeste sa gloire dans les nuées (Ps 78.14; 105.39) et qui parle à ses prophètes et se fait obéir par leur voix (Ps 99.7), le fidèle l’exprime dans le sanctuaire de YHWH. Le sanctuaire, lieu de la manifestation et de la reconnaissance de la souveraineté de YHWH est l’unique lieu du culte offert à YHWH. C’est là que YHWH apparaît dans la nuée afin d’être glorifiée. Cette conception a accompagné tout le développement de la tradition cultuelle en Israël du Sinaï (Horeb) jusqu’au Temple de Jérusalem (1 R 8.10, 11) en passant par la Tente (Nb 17.7) et le Tabernacle (Nb 9.15-22; 10.11, 12,25). Le Temple de Jérusalem est devenu le point culminant de ce développement cultuel. La nuée remplit tout le Temple lorsque les prêtres sortent du lieu saint à l’occasion du transfert et de la dédicace du Temple par Salomon (1 R 8.10, 11), mais aussi lors de la vision inaugurale d’Esaïe (6.1-8). L’expérience de Salomon et son attitude de fidélité envers le Temple de YHWH contraste totalement avec l’image négative que HD donnent de Manassé124. Ce dernier fit du Temple de Jérusalem un lieu de l’idolâtrie. Il fit «passer son fils par le feu, pratiqua astrologie, magie et divination» (2 R 21.6), transgressa ainsi la loi deutéronomiste (Dt 18.10). En outre, «il rebâtit les hauts lieux qu’avait fait disparaître son père Ezéchias. Il érigea des autels au Baal et dressa un poteau sacré comme avait fait Achab. Il se prosterna devant toutes les armées des cieux, qu’il servit» (2 R 21.3). Il installa dans le Temple l’idole d’Ashera qu’il avait faite125. Manassé est le seul roi mentionné qui, durant son règne, fit venir pulluler en Juda les magiciens. Ce comportement fut la résultante de sa politique de vassalité aux assyriens. 4.3.5.3.3 La soumission aux enfants des étrangers Non seulement les pratiques religieuses étrangères étaient tolérées, les devins, les astrologues et les magiciens étrangers étaient également admirés dans le royaume de Juda. R. Albertz note la popularité que ces pratiques mantiques y reçurent126. Une telle attention de la population 124 La fonction de cette histoire est double. D’une part, préparer la narration sur la réforme religieuse de Josias et d’autre part, présenter Manassé comme l’antitype de Josias: Cf. A. SCHOORS , Die Königreiche Israel und Juda, 1998, p. 35. 125 A. SCHOORS, Die Königreiche Israel und Juda, 1998, p. 17. 126 R. ALBERTZ, A History of Israelite Religion in the Old Testament Period, Vol. I, 1994, p. 189.
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ne pouvait que décevoir les milieux deutéronomistes qui, se référant à la chute du royaume de Nord, voyaient venir la menace sur Juda. Es 2.6b présente le troisième et dernier grief reproché au peuple par cette phrase: :T\3LI\ a\U,NQ \GHO\ E : «et ils serrent la main des enfants des étrangers». La racine TSIa divers sens127. Sous forme verbale, il signifie au Qal: frapper des mains et au Hi.: serrer la main128, suffire (à, pour) et avoir en abondance». Par souci d’établir le parallélisme avec le verbe DOP dans le v. 6a précédent, cette dernière signification a été préférée par la plupart des traductions129 et commentateurs130. Cependant certains critiques optent pour le premier sens en rendant le verbe par «frapper des mains»131 mais pas dans un sens positif. C’est pourquoi, certains le traduisent par «faire les affaires»132 et d’autres par «serrer la main»133. Ces deux sens que nous avons également préférés mettent en évidence l’idée des alliances134 ou du commerce avec les étrangers135 au moyen desquels la divination, la magie et l’idolâtrie sont entrées en Juda. Etant donné que 2.6 fait allusion à la popularité des pratiques divinatoires et magiques reçues en Juda, on peut rendre le verbe TSI par «frapper les mains ou applaudir». H. Wildberger voit dans l’applaudissement un geste rituel pour chasser les démons136. Cette interprétation ne semble pas trouver d’appui dans le texte. Selon la référence aux a\U,NQ \GHO\ , «enfants des étrangers», nous privilégions le sens de la soumission aux étrangers.
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P. REYMOND, Dictionnaire d’hébreu et d’araméen biblique, 2002, p. 369. Sous cette forme, le verbe est un hapax legomenon. TOB, 2004, p. 456. G. FOHRER, Das Buch Jesaja: Kapitel 1-23, 1966, 2e éd., p. 52; O. KAISER, Der Prophet Jesaja, Kapitel 1-12, 1981, p. 67; R. KILIAN , Jesaja 1-12, 1986, p. 31; W. A. M. BEUKEN, Jesaja 1-12, 2003, p. 97. H. WILDBERGER, Jesaja 1-12, 2e éd., 1980, p. 93; J. N. OSWALT, The Book of Isaiah, 1986, p. 119; W. BRUEGGEMANN , Isaiah 1-39, 1998, p. 26. J. D. W. WATTS, Isaiah 1-33, 1985, p. 30. O. PROCKSCH, Jesaja I: Kap. 1-39, 1930, p. 63; W. EICHRODT , Der Heilige in Israel, Jesaja 1-12, 1960, p. 49; G. L ISOWSKY, Konkordanz, 1993, p. 1383. J. N. OSWALT, The Book of Isaiah, 1986, p. 122. R. E. CLEMENTS, Isaiah 1-39, 1980, p. 44; W. BRUEGGEMANN, Isaiah 1-39, 1998, p. 28. H. WILDBERGER, Jesaja 1-12, 2e éd., 1980, p. 99.
La relation entre les alliances ou le commerce avec les étrangers et la vie religieuse d’Israël est largement évoquée dans la Bible. Tout part avant tout de l’image dégradante et péjorative que la Bible hébraïque donne des a\U,NQ «étrangers». M. Zehnder définit \U,NQ comme l’étranger qui en général a un séjour limité en Israël, ou à qui on ne reconnaît aucune protection juridique et dont les efforts d’assimilation à la société israélite ne lui sont reconnus137. Si de telles personnes ne semblent pas trouver de valeur en Israël, comment expliquer qu’on se soumette à eux? Es 2.6 vise à démontrer l’incohérence qu’il y a à applaudir les étrangers qui n’ont aucun droit sur le sol qui appartient à YHWH. L’image de l’étranger sans droit vient de la tradition de l’exode où, selon le «Code de l’alliance», l’étranger est celui à qui on ne peut pas vendre la fille d’Israël, quand bien même elle déplait à son maître (Ex 21.8). Cette prescription sur l’étranger qui n’a droit à rien de ce qui appartient au peuple d’Israël est largement développée dans les livres dtr138 (11 fois sur 46 de l’emploi du mot \U,NQ ) dans le contexte de la possession du pays. L’étranger est celui qui a le droit de manger ou d’acheter les choses impures dont les animaux morts (Dt 14.21). Il doit subir la pression d’Israël (Dt 15.3) et ne peut jamais être associé à une quelconque charge de direction, surtout pas à régner comme roi (Dt 17.15). Il a droit à un traitement partial et discriminatoire dans le commerce où il a une occasion de profit (Dt 23.20). La ville d’étrangers n’inspire pas confiance ni le sentiment de sécurité (Jg 19.12). Ce sont les étrangers qui emmenèrent Israël en captivité (Ab 1.11). Le châtiment est réservé à ceux qui s’habillent du vêtement des étrangers. Cette image négative des étrangers est relative à l’histoire de la royauté, en particulier celle de David et de Salomon. En effet les étrangers sont exclus de la suite de David (2 S 15.19). C’est à cause de la présence de ses femmes étrangères que Salomon pratiqua l’idolâtrie (1 R 11.1-8) dans le Temple. Il suivit Astarté, la déesse des Sidoniens et Milkon (Molek), le dieu d’Ammon (1 R 11.5). Il bâtit un haut lieu pour Kemosh, le dieu de Moab (1 R 11.7) «Il en fit autant pour les dieux de toutes ses femmes étrangères: elles offraient de l’encens et des sacrifices à leurs dieux» (1 R 11.8).
137 M. ZEHNDER , Umgang mit Fremden, 2005, p. 283. 138 B. B. LANG, THWAT, V, col. 457-458.
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Le cliché négatif sur l’étranger a des raisons religieuses: les étrangers étaient porteurs de l’idolâtrie. Leur présence en Israël mettait donc la religion de YHWH en péril. Il fallait donc se détacher d’eux, éviter ou rompre tout contact avec eux. Es 2.6 présente les étrangers à l’instar des femmes étrangères de Salomon comme les responsables de l’abandon par YHWH de la maison de Jacob (1 R 11.1). C’est une critique de la soumission de Juda aux étrangers avec effets néfastes à la vie du Temple de YHWH. Les étrangers sont des porte-malheur. Comment expliquer une telle conception pour Israël, un peuple au milieu des autres nations? La première explication possible est celle de la recherche d’identité par un peuple longtemps secoué par les menaces et les influences étrangères. La seconde est la volonté de résister à ces influences par la critique acerbe des étrangers et de tout ce qu’ils représentaient. La troisième est le souci de purification du pays en général, et du Temple en particulier, des éléments de culte dont celui de Baal et d’Ashera. Cette dernière raison est à la base de l’autorisation pour les étrangers de venir en Israël uniquement pour y adorer YHWH dans son Temple à Jérusalem (1 R 8.4; 2 Ch 6.32)139 et non pour y apporter leurs idoles ni y résider dans le pays seulement pour des raisons politiques ou économiques. C’est à ces conditions qu’ils sont reconnus en Israël et leurs prières exaucées (1 R 8.43; 2 Ch 6.33). Un tel concept vise la reconnaissance de la souveraineté de YHWH par toutes les nations de la terre140. Pour ces trois raisons, on peut affirmer qu’en qualité de défenseurs du Yahvisme, les prophètes ne se gênaient pas de dénoncer les influences étrangères sous toutes leurs formes et à soutenir des mouvements de résistance contre toutes les pratiques qui mettaient en péril la vie du Temple et celle de la royauté. Par conséquent la proclamation de YHWH comme l’unique Dieu par les prophètes symbolise la résistance contre les puissances étrangères et leurs influences religieuses141. La soumission aux enfants des étrangers telle que dénoncée en 2.6b est considérée comme la conséquence des influences religieuses étrangères représentées par la divination et la magie. C’est une transgression de la loi divine. La sympathie à l’endroit des étrangers et envers leurs pratiques religieuses idolâtres comme cause de l’abandon de Juda par 139 M. ZEHNDER , Umgang mit Fremder, 2005, p. 308. 140 Ibid. 141 W. DIETRICH, Der eine Gott als Symbol politischen Widerstand, in Ein Gott allein?, 1994 (OBO 139), 463-490.
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YHWH est rapportée au sujet de Manassé (1 R 21.2). Ce texte dit de lui: «Il fit ce qui est mal aux yeux de YHWH, suivant les abominations des nations que YHWH avait dépossédées devant les fils d’Israël». La condamnation prophétique de la soumission de Manassé et du peuple de Juda aux étrangers clôt la série des accusations relatives à la divination et à la magie. La place de ce grief après la mention des devins et des magiciens tend à démontrer l’influence considérable142 qu’ils avaient exercée aussi bien dans la vie religieuse que sociopolitique. Si notre observation sur l’origine de 2.6 à l’époque de Manassé s’avère correcte, nous avons ici une preuve de la vassalité de ce monarque de Juda sous la puissance assyrienne (ANET): Selon les annales assyriennes, Manassé (697-642) était vassal de l’Assyrie et payait des lourds tributs143. C’est à cause de cette vassalité et de ses implications dans le Temple de Jérusalem que Juda fut abandonné par YHWH. Car, c’était blasphémer contre YHWH que de le faire demeurer dans un même Temple avec des idoles et d’autres dieux.
4.3.6 Conclusion Au cours de l’étude de 2.6 nous avons tenté de démontrer que ce texte concerne la condamnation du syncrétisme et l’influence des pratiques mantiques dans le Temple de Jérusalem pendant les règnes de Manassé (687-642) et d’Amon, son fils (642-640). C’est une œuvre rédactionnelle qui interprète l’attachement du roi à l’idolâtrie comme la rupture de l’alliance, la transgression de la loi deutéronomiste (Dt 23.9-14) et le rejet de la fonction prophétique (Dt 18). A cette rédaction appartiennent des textes suivants: 2.6; 3.1-7. Ces textes condamnent les pratiques mantiques. Par ses pratiques, Manassé n’imite ni David ni Salomon (1 R 8.57), mais Saul (1 S 15.23). La condamnation de l’idolâtrie vise la proclamation de la souveraineté de YHWH et prépare la réforme religieuse de Josias (2 R 22-23) qui coïncide avec la chute de l’Assyrie en 612, dont les échos sont perceptibles dans 10.5-15*. 142 W. BRUEGGEMANN, Isaiah 1-39, 1998, p. 28. 143 A. SCHOORS, Die Königreiche Israel und Juda, 1998, p. 17. Il faut compter 10 ans de corégence avec son père à partir de 697.
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4.4 L’arrogance et la chute de l’Assyrie (10.5-15*) 4.4.1 Introduction Toutes les éditions reprochent une seule chose à l’Assyrie: son arrogance blasphématoire144, caractérisée par la méconnaissance de la souveraineté de YHWH et sa prétention à entreprendre des actions qui relèvent des prérogatives divines. L’authenticité ésaïenne de la péricope est une pomme de discorde. Pour certains, 10.5-15 traduit le message d’Esaïe du 8e S. av. J.-C. prononcé soit pendant la révolte de la Philistie contre Sargon entre 713711145 soit à l’époque de la campagne de Sennachérib contre Jérusalem (705-701)146. D’autres par contre l’attribuent à un disciple du prophète147. F. Huber voit dans la péricope beaucoup de traces d’origine non ésaïenne148. Pour sa part, R. Kilian pense trouver dans l’oracle les échos du déclin de l’Assyrie comme puissance internationale avec la
144 R. E. C LEMENTS, Isaiah 1-39, 1980, pp. 109-110. 145 Idem, p. 110; H. WILDBERGER, Jesaja 1-12, 2e éd., 1980, pp. 393-394; H. BARTH , Jesaja-Worte in der Josiazeit, 1977, p. 26; J. VERMEYLEN, Du prophète Isaïe à l’apocalyptique, 1977, p. 251; J. HOGENHAVEN, Gott und Volk bei Jesaja, 1988, p. 118; A SCHOORS , Die Königreiche Israel und Juda, 1998, p. 56. 146 A. DILLMANN, 1890, p. 103; B. DUHM, Das Buch Jesaja, 1902, 2e éd., p. 71; W. EICHRODT , Der Heilige in Israel, Jesaja 1-12, 1960, p. 124; G. FOHRER, Das Buch Jesaja, I., 1966, 2e éd., p. 154; J. N. OSWALT, The Book of Isaiah, 1986, p. 262; C. SEITZ , Isaiah 1-39, 1993, p. 92; E. BOSSHARD-NEPUSTIL; Rezeptionen von Jesaia 1-39 im Zwölfprophetenbuch, OBO, 1997, p. 240; J. BLENKINSOPP, Isaiah 1-39, 2000, p. 254 (entre 722 et 701); W. A. M. BEUKEN, Jesaja 1-12, 2003, p. 279 (entre 734 et 701). 147 S. MOWINCKEL, Profeten Jesaja, 1925, pp. 119-121. 148 F. HUBER, Jahwe, Juda und die anderen Völker, 1976, p. 45; U. BECKER, Jesaja – von der Botschaft zum Buch, 1997, p. 201 reprend le constat de G. Beer (1914) selon lequel 10.5ss refléterait une image de l’Assyrie impensable au 8e siècle av. J.-C. C’est plutôt pendant la période de l’apogée de la grande puissance mésopotamienne (cf. Festschrift Wellhausen 26). Es 10.5-15 est un texte qui renvoie à la tradition de la délivrance miraculeuse de la ville de Dieu, tel que cela est présenté dans la légende ésaïenne (U. BECKER , Jesaja – von der Botschaft zum Buch, 1997, p. 205).
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chute de Ninive au 7e siècle. Cette chute intervint à l’époque de la réforme religieuse de Josias149. Le thème de la chute de l’Assyrie dans le livre d’Esaïe est, selon les travaux de H. Barth, à l’origine de la théorie de l’Assur-Redaktion150, reprise sous la désignation de la rédaction josianique par R.E. Clements.151 Selon ces auteurs et ceux qui les ont suivis, la chute de la puissance assyrienne à travers celle de Ninive en 612 donna lieu à la production d’une couche rédactionnelle qui interprétait la chute de l’Assyrie comme l’œuvre de YHWH. Es 10.5-15* oracle de malheur contre l’Assyrie, dépeint cette situation. Ce texte semble être une interprétation prophétique de la chute de l’Assyrie suite à son arrogance. Cette interprétation s’appuie, d’une part sur la tradition de l’exode avec la chute de Pharaon et son armée et d’autre part sur la tradition royale de Saül comme antitype de la tradition royale de David /Salomon. Située à l’époque postérieure à la chute de Samarie, elle se laisse influencer par les traditions royales du Nord, où l’attitude du roi de l’Assyrie qui entraîna la chute de son règne est expliquée à la lumière de celle des rois du royaume du Nord qui, à cause de leur arrogance et de leur désobéissance, précipitèrent leur règne. Texte composite, Es 10.5-15 est constitué des oracles qui respectent le plan rédactionnel qui part d’une édition de crise, aboutit à la rédaction P2-AP en passant par l’édition P1-S. La crise, c’est celle que les milieux dtr interprètent à la fin de l’hégémonie de l’Assyrie en tant que puissance internationale du 8e et du début du 7e siècle. Elle trouve des échos également dans 2.7-8a et dans le livre de Nahoum. Le châtiment de l’Assyrie par YHWH sera relu à l’époque de l’essor du Temple de Jérusalem sous la domination perse. Cette relecture par les milieux sacerdotaux aurait donné lieu aux chs. 36-39 d’Esaïe proches des chs. 60-62 et des livres des Chroniques, en particulier. A la fin du royaume séleucide, l’histoire de Sennachérib échouant à envahir Jérusalem (Es 36-39) sera adaptée et appliquée à la personne d’Antiochus Epiphane IV qui
149 S. H ERRMANN , Geschichte Israels in alttestamentlicher Zeit, 1973, p. 322; H. TADMOR, in H. H. BEN -SASSON (éd.), Geschichte des jüdischen Volkes, 1978, p. 186; H. DONNER , Geschichte des Volkes Israel und seine Nachbarn, II, 1986, pp. 342-343; D. KINET , Geschichte Israels, 2001, p. 167. 150 H. BARTH, Die Jesaja-Worte in der Josiazeit, 1977, pp. 203ss. 151 R. E. CLEMENTS, Isaiah 1-39, 1980, p. 6.
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ne réussit pas à détruire le Temple de Jérusalem, malgré sa profanation. Œuvre des milieux apocalyptiques, cette relecture présente des traces dans 30.25b-33, les chs. 63-66 et surtout en 2 M 8.19; 15.22. La détermination des rôles de l’Assyrie dans 10.5-15 aidera à démontrer l’existence des trois éditions deutéronomiste, sacerdotale et apocalyptique dans le texte ainsi que son plan rédactionnel. A partir de là nous serons en mesure de préciser les contextes historiques et les traditions ayant influencé la rédaction de ce texte. Une des clés de la solution reste la délimitation du texte. Car elle permet de se rendre compte des traces présentes dans le texte ainsi que des agencements de ses parties. C’est par elle que nous allons commencer.
4.4.2 Délimitation de la péricope Comme un tout, 10.5-15 est compris entre les vv. 1-4 et 16ss. Sa délimitation et sa cohérence littéraire ne rencontrent pas l’unanimité. Les opinions divergentes peuvent se repartir en trois groupes. Pour certains auteurs, vv. 5-19 constituent une unité littéraire152, alors que d’autres limitent l’unité au v. 14153. Cependant, il y a ceux qui intègrent les vv. 5-15 à l’intérieur d’un grand ensemble (vv. 5-34)154. Toutefois, la majorité des critiques reconnaissent dans les vv. 5-15 une unité littéraire155. 152 W. EICHRODT , Der Heilige in Israel, Jesaja 1-12, 1960, pp. 122-129; H. DONNER , Israel unter den Völkern, 1964, pp. 142-145 (avec certains ajouts); J. VERMEYLEN, Du prophète Isaïe à l’apocalyptique, 1977, p. 252; J. D. W. WATTS , Isaiah 1-33, 1985, pp. 144-151; J. N. OSWALT, The Book of Isaiah, 1986, pp. 260-267; W. A. M. BEUKEN, Jesaja 1-12, 2003, p. 278. 153 J. BLENKINSOPP, Isaiah 1-39, 2000, pp. 251-255; B. CHILDS , Isaiah, 2001, pp. 9193. 154 J. N. OSWALT, The Book of Isaiah, 1986, pp. 260ss; Ch. SEITZ, Isaiah 1-39, 1993, pp. 91ss. 155 A. DILLMANN, 1890, p. 103; G. FOHRER, Das Buch Jesaja: Kapitel 1-23, 1966, 2nd éd., pp. 153-158; F. HUBER , Jahwe, Juda und die anderen Völker, 1976, pp. 43-50; H. BARTH, Die Jesaja-Worte in der Josiazeit, 1977, p. 24; R. E. CLEMENTS, Isaiah 1-39, 1980, p. 110; O. KAISER, Der Prophet Jesaja, Kapitel 1-12, 1981, pp. 219, 227; R. KILIAN, Jesaja 1-12, 1986, p. 79; J. HOGENHAVEN , Gott und Volk bei Jesaja, 1988, p. 114; P. HÖFFKEN, Das Buch Jesaja, Kapitel 1-39, 1993, pp. 114117; U. BECKER , Jesaja – von der Botschaft zum Buch, 1997, p. 202.
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Dans le débat sur cette question de la délimitation, nous veillerons, non sans difficultés, à démontrer les traces des couches rédactionnelles. Notre démarche consistera d’une part à nous assurer de la délimitation aussi bien par rapport au texte précédent que du suivant, et d’autre part à nous déterminer sur la cohérence du texte. Délimitation avec le texte précédent: Introduit par \$K, 10.5-15* est un texte qui donnerait l’impression de poursuivre le message de malheur de 10.1-4 précédents. Malgré leur appartenance au même genre littéraire, ces deux textes se distinguent l’un de l’autre à la fois par les destinataires que par le contenu. Les vv. 1-4 s’adressent aux ZD\THT[ L a\TLT[ KR «à ceux qui prescrivent des décrets iniques» (10.1) et sont une critique prophétique sur les injustices sociales de Juda156. Tandis que les vv. 5ss sont une condamnation de l’Assyrie à cause de sa politique étrangère injuste. L’emplacement côte à côte de deux oracles en \$K explique l’intention rédactionnelle de transférer le malheur de l’un sur l’autre et vice-versa. De ce point de vue, ces derniers versets se démarquent complètement des versets précédents. Délimitation d’avec le texte suivant: Bien qu’introduit par NHO, le v. 16 ne saurait être pris pour la suite des vv. 5-15. Car il introduit un texte relatif au châtiment des ennemis de YHWH en général157. Toute P %L )158 et fois, l’idée du dépérissement ($]U) de «ses corpulants» (Z\1PY l’emploi du suffixe de la 3e personne du singulier pourraient faire allusion au roi d’Assyrie (v. 12). En outre, la désignation de Dieu au v. 16 par W$DEF KZK\!$GDK semble se rapprocher du v. 12159. Attesté 5 fois160 dans le livre d’Esaïe, ce titre est utilisé, d’une part dans le contexte de la condamnation de Jérusalem (3.1; 22.5161) et de l’autre, de celle des nations étrangères, notamment l’Egypte (19.4; Jr 46.19), Babylone (Jr 50.25), les hommes corpulents (10.16) et toute la terre (Am 9.5). Fort 156 R. KILIAN , Jesaja 1-12, 1986, p. 79; P. HÖFFKEN, Das Buch Jesaja, Kapitel 1-39, 1993, pp. 113-114; J. BLENKINSOPP, Isaiah 1-39, 2000, p. 212; W. A. M. BEUKEN, Jesaja 1-12, 2003, pp. 268-289. 157 H. WILDBERGER, Jesaja 1-12, 1972, p. 406. 158 Le substantif est attesté 4 fois dans la Bible hébraïque (Ps 78.31; Es 10.16; 17.4 et Dn 11.24). 159 W. A. M. BEUKEN, Jesaja 1-12, 2003, p. 274. 160 1.27; 3.1; 10.16; 19.4; 22.5. 161 La vallée des visions.
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de ces observations, nous pourrions considérer les vv. 16ss comme un texte très tardif 162 à distinguer du texte original relatif à la chute de l’Assyrie, mais qui semble entretenir des liens littéraires étroits avec les vv. 12 et 15163. La délimitation de la péricope une fois assurée, nous procéderons à sa traduction.
4.4.3 Traduction v. 5 v. 6
Malheur à l’Assyrie bâton de ma colère. Il avait dans sa main la verge164 de mon indignation. Je l’envoie contre une nation impie, je le dépêche contre un peuple de ma colère pour faire du butin et pour piller, pour le fouler aux pieds comme la boue des rues.
162 B. DUHM , Das Buch Jesaja, 1902, 2e éd., pp. 73-74; G. FOHRER, Das Buch Jesaja: Kapitel 1-23, 1966, 2nd éd., p. 158; H. WILDBERGER, Jesaja 1-12, 2e éd., 1980, pp. 406-408 (époque perse); O. KAISER, Der Prophet Jesaja, Kapitel 1-12, 1981, p. 227; R. K ILIAN , Jesaja 1-12, 1986, p. 83 (époque perse tardive?); Contre O. PROCKSCH, Jesaja I: Kap. 1-39, 1930, p. 169; H. BARTH qui le situe à la chute de l’Assyrie pendant l’avant dernière décennie du 7e siècle. 163 J. VERMEYLEN, Du prophète Isaïe à l’apocalyptique, 1977, p. 259. 164 Enlever aG\E D:K du v. 5b pour avoir \PL>] K-P:: bâton de mon indignation: Cette solution que H. Barth soutient (H. B ARTH , 1977, p. 22) ne prend pas en compte l’idée de la double fonction de l’Assyrie telle que le texte l’exprime. L’Assyrie était d’abord instrument de la colère de YHWH. Puis il est devenu l’objet de l’indignation à cause du rejet de la mission que YHWH lui avait confiée. Même KPH>], la proposition de l’éditeur est loin d’être satisfaisante, pour ainsi avoir KPH>] aG\E D:KK-P: «et il est le bâton dans leur main c’est son indignation». Une solution satisfaisante serait de remplacer aG\E par $G\E, et en enlevant D:K à côté de K-P:. pour avoir \PL>] $G\E K-P: «et le bâton dans sa main c’est mon indignation». Car c’est avec cette main que l’Assyrie frappe les nations, les détruit et les extermine. Cette interprétation rejoint la condamnation du roi de Babylone pour avoir utilisé a\>LYU! K-HP le bâton des méchants (14.5). Cette solution nous permet de nous conformer au reste du texte où les actes reprochés à l’Assyrie sont présentés à la troisième personne du sing. masc. tel que cela apparaît dans le v. 7: M>P DO^ a\,$* W\U,NKO: $EEO%L G\PLYKO \.L EYR[\ NHDO^$EEO:K0G\!NHDO^D:KZ!: «Mais lui il juge autrement en son cœur, car son cœur ne pense qu’à détruire et à exterminer des nations, non des moindres».
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v. 7
v. 8
Mais il ne pense pas ainsi et son cœur n’estime pas ainsi. Car dans son cœur c’est exterminer et supprimer des nations en grand nombre. Car il dit: n’est-ce pas mes princes ne sont-ils pas comme des
rois? v. 9 v. 10 v. 11 v. 12
v. 13
v. 14
N’est-ce pas Kalno comme Karkemish, Hamath n’est-il pas comme Arpad et Samarie n’est-il pas comme Damas? Comme ma main a atteint les royaumes des idoles et leurs statuts plus nombreux que ceux de Jérusalem et de Samarie. N’est-ce pas comme j’ai fait à Samarie et à ses idoles, ainsi je fais à Jérusalem et à ses idoles? Mais lorsque Mon Seigneur aura accompli toute son oeuvre sur la montagne de Sion et à Jérusalem, je punirai165 l’orgueil du roi de l’Assyrie et l’éclat de ses regards hautains. Car il dit: j’ai agi par la force de ma main et je suis ainsi intelligent par ma sagesse. J’ai déplacé des frontières des peuples, j’ai pillé leurs trésors et j’ai fait descendre de leur trône comme un héros. Et ma main a atteint comme un nid des richesses des peuples. Comme on ramasse des oeufs abandonnés, moi, j’ai ramassé toute la terre et il n’y a eu personne qui bat de l’aile, ouvre le bec et pépie.
165 V. 12: La LXX lit GTRS\Qal impf. 3 m.s au lieu de GTRSDQal impf. 1er m.s du verbe GTS«punir». L’intention de la LXX est de tenter une harmonisation. Car le verbe >&E est pi. impf. 3 m.s. Dans bien des oracles, YHWH promet, par la bouche prophétique d’intervenir contre Israël (aN\OH>@GTRSD: Am 3.2), une nation quelconque (D:KK \$*KO> GTRSD: Jr 27.8) ou contre Babylone (D:KK \$*KO>Z! OE%OPO> GTRSD: Jr 25.12). L’intention de l’auteur en 10.12 comme dans ces différents textes est d’insister sur l’action personnelle de YHWH (14.24-27; 30.27-33, …) afin de lui donner le poids nécessaire. L’usage de la première personne domine la péricope dès lors qu’on la considère comme une unité littéraire. En fait, le texte a la particularité de reprendre au discours direct les propos à la fois de YHWH et du roi de l’Assyrie. Nous observons par exemple en 10.13, l’emploi de la troisième personne du sg. masc. suivi directement par un long discours à la première personne (vv. 13-14). Du fait que l’amendement de la LXX consiste en une harmonisation qui ne tient pas compte du contexte littéraire de l’ensemble de la péricope d’une part et de la base du principe de lectio difficilior probabilior d’autre part, le TM se maintient (J. de WAARD , 1997, p. 48).
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v. 15
Est-ce que la hache se glorifie de celui qui l’a taillée? La scie manifeste-t-elle sa grandeur sur celui qui la meut? Comme le bâton pour lever celui qui l’utilise? Comme la verge pour soulever166 celui qui n’est pas de bois!
4.4.4 Structure du texte La structure de la péricope est organisée autour de la fonction de l’Assyrie, comme objet du châtiment de YHWH à cause de son arrogance. Tenant compte des observations faites sur la délimitation du texte, nous avons donc trois versions sur le châtiment de l’Assyrie. La première comprend les vv. 5-9,13-14 et 14.24-27, alors que la seconde, qui relit la première, ajoute à la forme ancienne les vv. 10-11. La dernière quant à elle a reprit pour son compte les textes cités précédemments en les complétant avec les vv. 12 et 15 sans 14.24-27. Toutes les trois versions répondent à la forme classique des oracles en \$K dont voici la structure:
\$K
Edition-Josias (R-Dtr) 10.5-9, 13-14 Valable
Destinataire U:9D Griefs vv. 5-9, 13-14 Châtiment divin 14.24-27 * UEY. «briser» * VZ% «piétiner»
Ed-Perse (P1-S) 10.5-11, 13-14 valable
Ed-hellénistique (P2-AP) 10.5-15 Valable
U:9DOP
U:9DOP
vv. 10-11
vv. 5-11, 13-14
v. 12
v. 12
GTS«punir»
GTS«punir»
166 Au v. 15, certains manuscrits dont la Vulgate, le Syriaque et la LXX lisent $P\U,P au lieu de Z\P\U,P. Ils tentent d’harmoniser l’ensemble du texte où l’emploi de la 3e pers. sg. masc. est approprié. Certains auteurs ont soutenu la variante (K. MARTI , 1900, p. 104; G. B. GRAY , 1912. p. 202, H. WILDBERGER, 1982, p. 391s; O. KAISER , 1981, p. 219; J. N. O SWALT , 1986, p. 265; J. B LENKINSOPP , 2000, p. 251), alors que d’autres considérant le pluriel comme celui de la majesté ont maintenu le TM (H. BARTH, 1977, p. 23; D. BARTHELEMY, 1986, pp. 74ss; W. A. M. BEUKEN, . Comme 2003, p. 272). La correction proposée devrait se poursuivre aussi sur a\U,K. tel n’est pas le cas, nous soutenons le maintien du TM.
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Epoque du châtiment
Lieu du châtiment
Implication
Conclusion
Edition-Josias (R-Dtr) Après la chute de Samarie (10.5) et avant la destruction de Jérusalem (10.11) = lors de la réforme religieuse sous le règne de Josias (2 R 23.19) \FLU!D%«dans mon pays» (Cf. Jl 1.6) \UKO> «sur mes montagnes» Fin de l’assujettissement pour Juda et toutes les nations 14.27
Ed-Perse (P1-S) L’accomplissement de toute l’œuvre sur la montagne de Sion et à Jérusalem = la purification du Temple de Jérusalem (chs. 36-38; 60.21)
Ed-hellénistique (P2-AP) L’accomplissement de toute l’œuvre sur la montagne de Sion et à Jérusalem = la = la purification du Temple de Jérusalem (64.7; 68.18; Dn 9.14)
aLOBY:U\EL: $D.HK\O\OLDOZ!$UPYOR \WL\IL>dUYD@.DO^K@ K\%F>@OZ!aOLY:U\OL N’est-ce pas comme j’ai fait à Samarie et à ses idoles, ainsi je fais à Jérusalem et à ses idoles?
L’attestation du pluriel a\OL\OLD (v. 11), dans 1 Ch 16.26 et de O\VL3 dans 2 Ch 32.15 rapproche le v. 11 du v. 10. A partir de là, il devient possible de confirmer le rapprochement de ces deux versets de la narration d’Ezéchias dans le livre d’Esaïe et dans ceux des Chroniques (2 Ch 32.1-33). Ceci est d’autant plus évident que certains noms des royaumes idolâtres que la main de l’Assyrie a atteint (v. 10) sont cités dans 36.19. Il s’agit notamment de Hamath, Arpad, Sefarwaim (36.19), Gozân, Harrân, Rècef et les fils d’Eden qui étaient à Telessar, Héna et Iwa (37.12b-13). La réaction d’Ezéchias à l’arrogance du roi d’Assyrie proclame au contraire la souveraineté de YHWH sur tous les royaumes de la terre (37.18-19). La suite du ch. 37 d’Esaïe permet de voir que l’arrogance du roi d’Assyrie qui s’était moqué d’Ezéchias et de la vierge, fille de Sion, la fille de Jérusalem ne restera pas impunie. Car il a insulté YHWH, le 220 F. HUBER, Jahwe, Juda und die anderen Völker, 1976, pp. 43-50; R. E. CLEMENTS, Isaiah 1-39, 1980, p. 110, R. KILIAN, Jesaja 1-12, 1986, p. 80; U. BECKER , Jesaja – von der Botschaft zum Buch, 1997, p. 202. 221 BARTH , Die Jesaja-Worte in der Josiazeit, 1977, p. 27; J. VERMEYLEN, Du prophète Isaïe à l’Apocalyptique, 1977, p. 255.
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Saint d’Israël (37.23). Puis à partir du v. 24, YHWH place dans la bouche du roi d’Assyrie les paroles qui vantent ses prouesses auprès des autres nations (37.24-25). Ces paroles déclenchent l’annonce du jugement contre le roi d’Assyrie qui se concrétise par son incapacité à attaquer Jérusalem et son retour en Assyrie où il mourra, assassiné par ses fils (37.33-38). Ce tableau permet de confirmer le rapprochement littéraire de 10.1011 avec 36-38.8222. Les rédacteurs de ce texte auraient ajouté au texte de base (10.5-9) la dimension religieuse de la condamnation de l’Assyrie en se référant à la délivrance de Jérusalem lors de la menace de Sennachérib. Cette version est relatée dans 2 Ch 32.1-22. Dans ce texte comme dans la narration ésaïenne Sennachérib ne meurt pas à Jérusalem mais chez lui (37.37-38; 2 Ch 32.21; Cf. 2 R 19.36-37)223. Ces textes se servent de la tradition de la chute de l’Assyrie historique pour construire leur message contre les impies Juifs qui pratiquent l’idolâtrie à l’époque postexilique. Ces gens sont incapables de détruire Jérusalem à l’instar de Sennachérib lors du siège de la ville à l’époque d’Ezéchias. C’est l’occasion de s’appuyer sur la théologie de Sion postexilique. Jérusalem avec son Temple ne sera plus l’objet d’attaque ennemie car YHWH y règne. Cela constitue le fondement de la paix dont Israël est bénéficiaire à l’époque perse. A la lumière de ces observations, il y a lieu de considérer 10.10-11 comme une addition tardive224, mieux, une relecture postexilique de la menace assyrienne contre Jérusalem. Le problème religieux que posent ces derniers versets concerne Jérusalem dont le culte risque de subir le même sort que celui de Samarie. Cela explique le parallélisme entre Samarie et Jérusalem225. Alors qu’en 10.10, les dieux des royaumes d’une part et les images de Jérusalem et de Samarie de l’autre sont mis en balance. La comparaison de ces deux situations distingue les perspectives, à telle enseigne qu’on ne peut les 222 U. BECKER , Jesaja – von der Botschaft zum Buch, 1997, pp. 208-209; J. BLENKINSOPP , Isaiah 1-39, 2000, p. 253. 223 Dans le chapitre consacré aux questions spécifiques, nous avons démontré les rapprochements littéraire et historique entre la narration ésaïenne et la rédaction des livres de Chroniques. 224 J. VERMEYLEN, Du prophète Isaïe à l’apocalyptique, 1977, p. 255; O. KAISER , Der Prophet Jesaja, Kapitel 1-12, 1981, p. 220; P. HÖFFKEN, Das Buch Jesaja, Kapitel 1-39, 1993, p. 116. 225 J. VERMEYLEN, Du prophète Isaïe à l’apocalyptique, 1977, p. 255.
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confondre. Lorsque l’Assyrie promet de faire subir à Jérusalem le même sort que celui infligé à Samarie, cela sous-entend que Jérusalem n’est pas encore tombée. Toutefois la présence des images dans son culte menacerait sa stabilité comme Samarie est tombée à cause de l’idolâtrie. L’intention littéraire du texte est de soulever la polémique contre l’idolâtrie. Les vv. 10-11 ayant abordé les griefs à caractère religieux, les vv. 13-14 font la synthèse de la politique internationale de l’Assyrie. Cette politique consiste à supprimer ou déplacer les frontières des nations, piller leurs réserves et à destituer leurs monarques. Elle culmine par la volonté de dominer toute la terre. Et tout cela grâce à sa sagesse, à sa force et à son intelligence. 4.4.5.3.3 Tout par ma sagesse, mon intelligence et ma force Pour l’Assyrie, tout ce qu’elle réalise relève de sa sagesse. Dans cette affirmation culmine son hybris. Cette affirmation affiche le mépris envers Dieu et toutes les autres nations. Car la sagesse est liée à la personne de YHWH. C’est lui qui la donne (Pr 2.6). Cette sagesse fonde la terre (Pr 3.19). En tant qu’attribut de YHWH la sagesse relève de sa souveraineté. La théologie deutéronomiste l’exprime de manière péremptoire dans la tradition de Moïse (Ex 36.1, 2). Selon ce texte, la sagesse est un don de YHWH. Elle trouve son Sitz im Leben dans le culte. Le culte permet au sage de savoir exécuter le service du sanctuaire et de conduire le peuple selon les ordres de YHWH (Dt 34.9). Dans la tradition royale le cas le plus connu est celui de Salomon qui demande la sagesse à YHWH et la reçoit (1 R 3-4). Le cadre cultuel de la demande et de la réception de cette sagesse est un indice de la proclamation de la souveraineté de YHWH (Ps 104.24). Lorsque l’Assyrie affirme détenir sa sagesse, elle néglige la crainte de YHWH et méconnaît la souveraineté divine. Par conséquent elle s’enfle d’orgueil. Pour elle, l’objet de l’orgueil n’est pas seulement la sagesse ou l’intelligence, mais aussi sa force. Elle la détient affirme-t-elle. L’arrogance de l’Assyrie s’exprime dans les vv. 13-14 à travers l’emploi de la 1re personne. Ces versets donnent les détails sur les propos des vv. 7b-9, 11. Dans ses propos l’Assyrie ignore complètement YHWH et refuse d’avoir été son instrument. En revendiquant les victoires sur Karkemish, Kalno, Arpad, Hamath, Samarie et Damas, elle fait exacte398
ment le contraire de ce que YHWH attendait d’elle et transgresse la loi divine dont les termes sont dictés par le Deutéronome. La comparaison de 10.13-14 et Dt 8.17 permet d’observer les similitudes entre ces textes comme le tableau ci-dessous le montre: Es 10.13
\G,\[NR%UPD\.L Car il dit: j’ai agi par la force de ma main et je suis ainsi intelligent par ma sagesse.
Dt 8.17
K=KO\,[KWD\OLKI>\G,\aF>RZ!\[L.RAEEO%L7U!PD Tu diras dans ton cœur: c’est par ma force et la puissance de ma main que j’ai fait, que ces richesses sont à moi
Es 10.14
a\0L>KO\[HO
\G,\4HNDFP7LZ
Et ma main a atteint comme un nid des richesses des peuples.
Le texte de Dt 8.17 place le terme \G,\ au centre du verset pour lui accorder la fonction de pivot. Les expressions aF>ZR ! \[L. et K=K O\,[K WD y sont liées. Ce lien est attesté respectivement en 10.13 pour \G,\ avec [NR et en 10.14 pour \G,\ avec O\,[. Le texte de Dt 8.17 est une invitation à éviter l’orgueil en pensant que les biens sont au produit de l’œuvre humaine. L’intention rédactionnelle est d’amener le possesseur à attribuer tout ce qu’il possède à la seule force de YHWH. Car c’est lui qui donne la prospérité. En 10.13 et 14, l’Assyrie se comporte en contradiction totale avec les termes de Dt 8.17. Elle se vante d’avoir atteint la richesse par la force de sa main et par la sagesse. En faisant ainsi elle transgresse et se fait passible de jugement. Le terme\G,\ appliqué à l’Assyrie exprime d’une part l’usage de la violence226 et d’autre part sa puissance227. Ailleurs et dans la majorité des cas, il est employé pour les différentes actions divines: libération d’Israël de l’Egypte (Ex 3.20; 7.4.5; 9.15; 15.9), don du pays (Ex 6.8, Nb 14.30). A la main de YHWH est aussi liée sa puissance créatrice (48.13; 51.16; 66.2) et son éternité (Dt 32.40), son jugement contre les ennemis (Dt 32.41; Ps 81.15). C’est cette main qui soutient David (Ps 89.22)228, purifie (1.25), sauve (50.2), détruit (Jr 15.6; 51.25; Ez 6.14; 14.9.13), livre à l’ennemi (Ez 16.27), etc.
226 S. SCHORCH, Euphemismen, 2000, p. 124. 227 H. WILDBERGER, Jesaja 1-12, 2e éd., 1980, p. 399. 228 La tradition royale n’est pas à exclure de l’emploi de ce terme.
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Es 10.10,13 et 14 sont des rares cas dans la Bible hébraïque où le terme \G,\ s’applique à une nation étrangère. Dans ses propos, l’Assyrie tente donc d’exclure YHWH de toutes les actions politiques et militaires qu’elle a menées. Ces actions consistent à: 4.4.5.3.4 Déplacer les frontières des peuples A part en 10.13, l’expression a\0L> WO^E*X ! «frontières des peuples» est attestée en Dt 32.8229. Ce dernier texte présente le plan du Très-Haut pour les nations et les peuples. Il consiste à leur donner le patrimoine et à fixer leurs frontières. La fixation des frontières par YHWH fait partie de son œuvre créatrice (Ps 74.17). Ainsi compris, le déplacement des frontières suppose donc une déstabilisation politique, en opposition avec le plan de YHWH. En agissant ainsi l’Assyrie s’arroge le droit divin et tente de remplacer YHWH. La rareté de l’emploi de a\0L> WO^E*X ! dans la Bible hébraïque et son émergence aussi bien en 10.13 qu’en Dt 32.8 suggèrent d’établir une relation entre ces deux textes. Cette observation confirme l’origine deutéronomiste de 10.13. Ces deux textes présentent l’éthique politique dans les relations internationales. Ils critiquent la politique étrangère assyrienne de déstabilisation et d’annexion de nations conquises230 liée au pillage des réserves des peuples. 4.4.5.3.5 Piller les réserves des peuples L’Assyrie se targue de piller (KVY) les réserves (a\G,W> L )@ des peuples lors de ses campagnes militaires231. L’expression \WLI$H YaK\WH$G:W>@Z «et j’ai pillé leurs trésors» est un hapax legomenon. L’emploi de ces deux termes habituellement incompatibles se justifie par l’usage fréquemment cultuel de G:W>232. Parce que ce dernier terme porte une connotation cultuelle, son emploi en 10.13 suppose une dénonciation du pillage par l’Assyrie des trésors dédiés uniquement à YHWH dans son Temple (2 R 16.8)233. Cette condamnation attribue au culte son Sitz im Leben. 229 230 231 232 233
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H. WILDBERGER, Jesaja 1-12, 2e éd., 1980, p. 399. AOT 354, ANET 288. Voir les données archéologiques sur la politique militaire assyrienne. P. MAIBERGER, «G:W>», in THWAT, VI, 1989, col. 484. A. SCHOORS, Die Königreiche Israel und Juda, 1998, p. 84.
C’est lors du culte donc que YHWH est proclamé comme celui qui a droit aux sacrifices et aux trésors (Nb 7.17-88; Es 1.11; 34.6). Le lien de G:W> à YHWH vaut autant pour l’action de piller. En effet, le verbe KVY est attesté 11 fois234 dans la Bible hébraïque. L’inventaire des citations permet d’observer leur grande fréquence dans les livres dtr (5 fois) et dans le livre d’Esaïe (3 fois). Dans les livres dtr, l’acte de piller relève du domaine exclusif de YHWH qui ordonne aux ennemis d’Israël de le piller lorsqu’il se rebelle contre Lui (Jg 2.14, 16; 2 R 17.20). Le pillage comme conséquence de la désobéissance d’Israël trouve écho dans le message d’Osée (13.15). L’emploi de la racineKVY dans le contexte de la chute de Samarie ainsi que sa fréquence dans les livres dtr démontrent l’origine nordique du verbe KVY ainsi que son appartenance à la théologie dtr. L’origine nordique de la racine s’explique également par son lien avec la tradition de Saül (1 S 14.48) dont l’élection royale eut lieu à Miçpa (1 S 10.17)235. En 10.13, il s’agit de la condamnation de l’Assyrie pour sa politique économique de pillage qu’elle se vante de pratiquer. Cela contraste avec David qui prend la défense de Qéila dont les Philistins pillent les réserves de nourritures (1 S 23.1ss). Ce geste n’est pas apprécié par Saül qui décide d’éliminer David. Mais grâce à son attachement à YHWH qu’il consulte par l’entremise du prêtre Abiatar, David s’échappe. Le culte comme lieu de salut de celui qui empêche le pillage projeté par une nation ennemie semble trouver un écho dans 10.13. En effet la relecture de cette tradition de David aurait invité les rédacteurs de 10.13 à associer d’un côté l’Assyrie, les Philistins qui pillent et Saül qui pourchasse David opposé au pillage et de l’autre, un Davidide qui imite David dans l’empêchement du pillage de Qéila. Nous avons déjà observé que ce roi n’est autre que Josias dont la réforme religieuse fut interprétée comme une manière d’empêcher l’Assyrie de continuer sa politique de pillage des pays du Proche-Orient dont Juda, en particulier. Il semble vraisemblable que 10.13 fasse allusion non seulement au pillage de Samarie lors de sa chute en 722 par des Assyriens. C’est plutôt une évocation de tous les pillages des ressources naturelles,
234 Jg 2.14, 16; 1 S 14.48; 23.1; 2 R 17.20; Es 10.13; 17.14; 42.22; Jr 50.11; Os 13.15. 235 M. GÖRG, «Mizpa», in BNL, II, 1995, col. 826.
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matérielles et financières236 des villes et des pays conquis auxquels les rois237 de l’empire néo-assyrien (745-612) et leurs armées s’étaient impunément livrés238. Cette politique s’accompagnait de l’imposition de lourds tributs239 dont l’effet était l’appauvrissement240 des pays dominés et des populations vassales. K.R. Veenhof mentionne les motifs économiques de la politique de contrôle des côtes par l’Assyrie241. Cette politique a permis à l’Assyrie de s’enrichir. L’Assyrie, un pays rempli des richesses, c’est exactement le bilan que dresse les rédacteurs de 2.7-8a. Ce texte est dans la compréhension de 10.13. Nous avons choisi de nous livrer à son analyse approfondie. La découverte de ses liens en particulier avec Na 2.10 et 3.3, nous aidera à répondre à la question du destinataire ainsi qu’à celle du contexte rédactionnel et historique. Es 2.7-8a est considéré par la plupart des exégètes comme faisant partie des vv. 6-22242. Le destinataire des vv. 7-8a a donc été considéré comme la maison de Jacob. Celui-ci est aussi identifié comme le royaume du Nord par une certaine opinion243 ou l’ensemble de deux royaumes par une autre244. Pour sa part, J. Blenkinsopp voit dans l’expression «maison de Jacob» une désignation populaire de la période de la postdestruction245. Concernant l’authenticité du texte, certains exégètes
236 K. R. VEENHOF , Geschichte des Alten Orients, 2001, p. 231; Cf. B. JANOWSKI et G. WILHELM (éd.), Staatsverträge, Band 2, 2005, pp. 68-83; H. TADMOR, in H. H. BEN-SASSON, Geschichte des jüdischen Volkes, 1978, p. 167. 237 Téglat-Piléser III (745-727), Salmanasar V (727-722), Sargon II (722-705), Sennachérib (705-681), Assarhaddon (680-669), Assourbanipal (669-627), Nabopolassar (626-605): Cf. G. CORNFELD et G. J. BOTTERWECK, Die Bibel und ihre Welt, 1972, pp. 149-154; S. HERRMANN, Geschichte Israels, 1973, p. 310; W. RÖLLIG, «Assyrien», in BNL, I, 1991, col. 192 (pour le règne d’Assourbanipal, l’auteur propose 668-631?). 238 H. WILDBERGER, Jesaja 1-12, 2e éd., 1980, pp. 399-400. 239 S. HERRMANN, Geschichte Israels in alttestamentlicher Zeit, 1973, pp. 302-303; D. KINET , Geschichte Israels, 2001, p. 128. 240 A. SCHOORS, Die Königreiche Israel und Juda, 1998, p. 84. 241 K. R. VEENHOF, Geschichte des Alten Orients, 2001, p. 231. 242 Sur la délimitation, nous renvoyons au chapitre sur 2.6. 243 R. DAVIDSON, «The Interpretation of Isaiah II 6ff.», VT 16 (1966) 1-7. 244 W. EICHRODT , Der Heilige in Israel, Jesaja 1-12, 1960, p. 50; G. FOHRER, Das Buch Jesaja: Kapitel 1-23, 1966, 2nd éd., pp. 56-57. 245 J. BLENKINSOPP, Isaiah 1-39, 2000, p. 195.
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l’attribuent à Esaïe246. Pour H. Wildberger, le message correspond à l’époque de Yotam247. Il y identifie même l’influence d’Am 5.18-20248. Cependant d’autres y ont décelé les traces des milieux dtr. J. Vermeylen voit dans 2.7s un remaniement à «la lumière de la polémique deutéronomienne contre l’intrusion d’éléments étrangers dans la vie israélite»249. La conclusion de J. Vermeylen est bien fondée. En effet, 2.7-8a rend compte de la critique des milieux dtr contre la politique économique de pillage de l’Assyrie en particulier contre Juda et le Temple de Jérusalem. Cette critique sert à justifier la réforme de Josias250. Bien que le nom de l’Assyrie ne soit pas mentionné dans 2.7-8a, il y est indirectement identifié par le suffixe de la 3e pers. sing. du possessif dans le terme $FU!D «son pays». Sous cette forme et dans des cas rares, ce terme s’applique au royaume de Juda (Jr 2.15), mais aussi à Sédécias, son roi (Jr 27.7). Cependant il est dans la plupart des cas réservé aux textes relatifs à la guerre de YHWH et à sa victoire sur les rois étrangers. C’est le cas notamment de Sihôn, roi des Amorites (Nb 21.24.26; Dt 2.24, 31; 3.2), Og, roi de Bashân (Nb 21.34.35; Dt 4.47), Pharaon, roi d’Egypte (Dt 11.3; 29.1; 34.11; Ne 9.10), le roi d’Ai (Jos 8.1), sur Babylone (13.14; Jr 50.18), une nation puissante dont le pays est coupé par deux fleuves (18.2, 7), le roi du Nord (Dn 11.19), le roi Antiochus IV (Dn 11.28). A la lumière de ces observations, il devient vraisemblable, à propos de 2.7-8a, de rapprocher ce texte d’un message de condamnation non de la maison de Jacob comme cela a été largement soutenu, mais d’une nation étrangère. Et cette nation étrangère s’appelle Assyrie. Cette conclusion s’appuie sur la comparaison de 2.7-8a avec certains textes du livre de Nahoum. En effet, l’expression KFTH \DH qui revient comme un refrain dans 2.7 est attestée 4 fois dans la Bible hébraïque dont 3 dans le livre de Nahoum (Na 2.10; 3.3, 9). Ces trois derniers textes abordent différents thèmes dans le contexte du message prophétique sur la chute de Ninive. Na 2.10 ordonne le pillage de l’argent et de l’or. Tandis que 246 G. FOHRER, Das Buch Jesaja: Kapitel 1-23, 1966, 2nd éd., p. 56; H. WILDBERGER, Jesaja 1-12, 2e éd., 1980, p. 100. 247 H. WILDBERGER, Jesaja 1-12, 2e éd., 1980, p. 100. 248 G. FOHRER, Das Buch Jesaja: Kapitel 1-23, 1966, 2nd éd., p. 56. 249 J. VERMEYLEN, Du prophète Isaïe à l’apocalyptique, 1977, pp. 138. 140. 250 H. J UNKER, Sancta Civitas, Jerusalem Nova. Eine formkritische und überlieferungsgeschichtliche Studie zu Is 2: TThS 15 (1962) 17-33.
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le thème de la guerre fait l’objet de 3.3. Le dernier texte aborde la chute de la Nubie et des Egyptiens, alliés de Ninive. L’examen de 2.7 permet d’observer que les thèmes abordés sont les mêmes qu’en Na 2.10251; 3.3. L’or et l’argent qui remplissent le pays (2.7) sont pillés (Na 2.10) lors de la guerre (Na 3.3). Avant de tirer une conclusion, la comparaison de ces textes dans un tableau pourrait être utile. Argent et or Es 2.7
Chevaux et chars Es 2.7
Z\WURFDROKFTH\DHZ!EK]Z!#V.$FU!DDOH07LZ a\VL:V$FU!DDOH07LZ son pays est rempli d’argent et CZ\WER.U!POKFTH\DHZ! d’or, sans limite à ses trésors Na 2:10
KQ:N7OKFTH\DHZ!EK]:=%R#VN:=%R Pillez l’argent! Pillez l’or, il y a des réserves illimitées
CK'P[\OL.O.RPLGER. de nombreux précieux ustensiles de toutes sortes
son pays est rempli de chevaux, sans limite à ses chars Na 3:3
EU[EKOZ!KO>@PYU3 OO[EURZ!W\Q,[@TUE: le cavalier s’élance, l’épée en flamme, la lance en éclair, beaucoup de blessés
K\@ U\ELD)@ , le rocher d’Israël (ODHUI \ , ED) , le défenseur et le protecteur de son peuple? L’expression ETR>\@ U\ELD@ tire son origine de la tradition cultuelle du Nord d’Israël269. Son emploi par les rédacteurs deutéronomistes à la chute de Ninive en 612 explique son transfert dans le Sud par les prêtres venus du Nord probablement après la chute de Samarie en 722. Le Ps 132 répercute ce mélange des traditions cultuelles nordiques et sudistes en ce qui concerne la royauté de David270. Ainsi le Temple semble être Sitz im Leben de ce psaume ainsi qu’il l’est pour la condamnation d’Assyrie en 10.13. La volonté de l’Assyrie de renverser les rois des nations est en réalité une preuve de sa méconnaissance de la souveraineté de YHWH, à qui tous les royaumes de la terre appartiennent. Cette attitude est inadmissible. C’est un péché de lèse majesté. L’Assyrie n’est pas un créateur, mais une créature divine. Elle n’a pu réaliser tout ce dont elle se targue que par la volonté de YHWH. Elle ne peut en aucun cas se mettre ni à la place de YHWH ni prétendre à son rang. Quoi de plus normal que YHWH lui réserve un châtiment sévère. 268 A. S. KAPELRUD, THWAT, I, 1973, col. 45. 269 Ibid. 270 Ibid.
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4.4.5.4 La chute de l’Assyrie dans une triple édition Dans 10.5-15*, la chute de l’Assyrie s’exprime dans trois couches rédactionnelles, représentant respectivement la théologie deutéronomiste, sacerdotale et apocalyptique. Nous avons identifié ce plan rédactionnel dans plusieurs textes. Ce plan va de la rédaction de la crise (RC-Dtr) à la rédaction de paix apocalyptique (P2-AP) en passant par la rédaction de paix sacerdotale (P1-S). Comme nous l’avons démontré lors de la délimitation du texte, les passages étudiés représentent trois éditions de l’interprétation de la protection de Sion par YHWH en rapport avec l’échec de l’Assyrie. A part l’annonce du malheur de l’Assyrie (v. 5), la péricope ne mentionne pas le texte de jugement relatif à RC-Dtr. Nous l’avons associé à 14.24-27. Quand à 10.12 il représente les deux éditions de paix où l’Assyrie est le nom Code symbole respectivement des «impies Juifs» à l’époque perse et de toute puissance ennemie de YHWH à l’époque hellénistique. Dans notre analyse, nous allons nous efforcer de présenter ces trois éditions dans leur ordre chronologique. D’ores et déjà, il convient d’affirmer que l’appellation «Assyrie» et le moment de sa chute représentent les indices respectifs d’identification de ces éditions. 4.4.5.4.1 La chute d’Assyrie sous Josias (14.24-27) La fin de l’Assyrie ne s’explique autrement dans ce texte que comme l’exécution de la sentence divine. La datation de 14.24-27 est diversement appréciée. Pour l’exégèse traditionnelle, 14.24-27 est un texte de la main d’Esaïe271 fils d’Amots, qu’elle situe lors de la campagne de Sargon272 ou de Sennachérib273. Cependant certains critiques y voient une œuvre rédactionnelle274. Trois époques sont proposées, notamment le 7e siècle sous Josias275, l’époque perse276 et l’époque hellénistique277. 271 J. W. WATTS, Isaiah 1-33, 1985, p. 215; J. BLENKINSOPP, Isaiah 1-39, 2000, p. 290. 272 O. PROCKSCH , Jesaja I, 1930, pp. 179-181. 273 H. WILDBERGER, Jesaja 1-12, 2e éd., 1980, p. 568; R. E. CLEMENTS, Isaiah 1-39, 1982, p. 145; J. JENSEN, Isaiah 1-39, 1989, pp. 149-150. 274 H. BARTH, Die Jesaja-Worte in der Josiazeit, 1977, p. 117; O. KAISER, Isaiah 1339, p. 46; P. HÖFFKEN, Das Buch Jesaja, Kapitel 1-39, 1993, p. 138. 275 S. M OWINCKEL, Die Komposition des Jesajabuches Kap. 1-39, AcOR XI (1933), 267-292 (280-285). 276 U. B ECKER , Jesaja – von der Botschaft zum Buch, p. 212. 277 K. MARTI , Das Buch Jesaja, 1900, p. 130; J. BLENKINSOPP, Isaiah 1-39, 2000,
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En considérant 14.24-27 comme le complément de 10.5-9, 13-14, nous tendrions à privilégier l’hypothèse de l’origine josianique. Le choix du contexte de la réforme de Josias soutenue par la théologie dtr s’explique par l’emploi du Ni. dans la racine >EY «jurer, prêter serment». Une fois appliquée à YHWH ou à ce qui se rapporte à lui cette racine domine les livres dtr278, en particulier dans l’expression KZK\! >%YQ, «YHWH a juré»279. Cette expression porte également le caractère irrévocable de la décision de YHWH. Parce YHWH tient à sa parole et à sa décision, il ne peut ni se rétracter ni mentir. Sa décision est vraie et se réalise dans toute sa rigueur. En d’autres termes, ce qu’il a décidé contre l’Assyrie s’exécutera sans détour. C’est le sens de 14.27. En reprenant l’idée de 14.24, le v. 27 conclut la péricope en faisant de 14.24-27 un texte qui se concentre sur le plan irrévocable de YHWH en vue de la destruction d’Assyrie. Le caractère définitif de ce plan est, de plus, soutenu par l’expression DO^aDL qui, en 10.9, fait partie des propos de l’Assyrie. Sa reprise dans les paroles de YHWH (14.24) révèle une technique rédactionnelle de «renversement». YHWH Tsebaoth récupère ses attributs, usurpés par l’Assyrie. Le tour est venu maintenant pour Lui de manifester sa souveraineté devant l’Assyrie et de lui infliger son châtiment. On remarquera dans la suite de la péricope, que 14.24 ne laisse plus la parole à l’Assyrie. Cette dernière subit le verdict de YHWH. Le texte reprend le vocabulaire qui en 10.5ss était placé dans la bouche de l’Assyrie. Il convient de comparer à titre illustratif, 10.7 et 14.24. Le premier texte présente l’attitude de l’Assyrie par rapport à YHWH, alors que dans le second, il est fait état de la décision divine. Ces deux textes sont dominés par le verbeKPG. Ils se situent dans une relation dialectique et expriment deux plans (pensées) diamétralement opposées. Le plan de l’Assyrie consiste à rejeter complètement celui de YHWH. p. 290. Ce dernier auteur voit dans ce texte une allusion à la défaite de l’armée syrienne d’Antiochus IV. 278 Dans ces livres cette expression est en accord avec le serment de YHWH de donner le pays promis à Israël par ses pères s’il obéit. La réalisation de la promesse et l’effectivité du serment dépendent désormais de l’obéissance. YHWH apparaît dans ce contexte comme le Dieu à qui l’on doit obéissance. 279 Dt 1.8; 2.14; 4.31; 6.10, 18, 23; 7.8; 8.1, 18; 9.5; 11.9, 12; 13.18*; 19.8; 26.3; 28.9, 11,12; 30.20; 31.7; Jos 5.62; 21.43; Jg 2.15; 2 Sa 3.9.
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Le plan de YHWH rejeté par l’Assyrie Es 10.7
Le plan de YHWH s’accomplit sans faute Es 14.24
\.LEYR[\NHDO^$EEO:K0G\!NHDO^D:KZ! CM>dPDO^a\,$*W\U,NKO:$EEO%LG\PLYKO
UYD@.DO^aDLUPRDOHW$DEFKZK\!>%YQ, Ca:TWD\KL\7LF>\UYD@NZ!KW\K.H\WL\0L',
mais lui pense autrement et dans son cœur il a résolu d’exterminer et détruire des nations nombreuses.
YHWH Tsebaoth a juré en ces termes: Ce que j’ai décidé sera ainsi et ce que j’ai résolu tiendra.
La comparaison de ces deux textes permet d’observer l’opposition entre d’une part de l’expression K0G\ ! NHDO^ D:K à KW\K .H \WL\0L', UYD.@ DO^aDL. K0G\ ! NHDO^ D:K qu’introduit la pensée de l’Assyrie en réaction à la mission qui lui est confiée à l’égard d’une nation impie et d’autre part de celle KW\K .H\WL\0L', UYD.@ DO^aDLqui montre le caractère irrévocable du plan de jugement divin contre l’Assyrie280. Cette dernière expression fréquente dans le culte de YHWH à Jérusalem explique son large emploi dans les chants de Sion du Psautier281. Toutefois, l’emploi dans le Ps 80 d’un hymne du Nord282 peut conduire à deux hypothèses. Soit la tradition du Sud aurait repris pour son compte le titre après la destruction de Samarie en 722, lorsque le Temple de Jérusalem devint l’unique lieu de culte du peuple d’Israël, soit nous nous trouvons devant deux traditions séparées où l’emploi du titre est à interpréter différemment283. Quoi qu’il en soit, le titre W$DEF KZK\! a pour cadre original le sanctuaire de Silo (1 S 1.3) où YHWH était adoré comme celui qui siège entre les chérubins (1 S 4.4; 2 S 6.5; Es 6.1ss; 37.16)284. Il démontre sans équivoque que YHWH est le Roi qui est en confrontation avec les puissances méconnaissant sa souveraineté. Ce titre cadre avec la royauté de David à travers ses psaumes où le fidèle chante la puissance (Ps 89.8), la souveraineté glorieuse (Ps 24.10; 46.8.12; 84.2) et la victoire de YHWH sur ses ennemis, particulièrement ceux qui par leur arrogance s’évertuent à l’insulter. Un cas typique est celui du combat entre David et Goliath (1 S 17.45). David dit à Goliath: «… je marche contre toi au nom de YHWH Tsebaoth, du Dieu de l’armée d’Israël que tu as insulté». 280 281 282 283 284
H. WILDBERGER, Jesaja 13-27, 1978, p. 569. H.-J. ZOBEL, THWAT, VI, 1989, col. 881. Ibid., col. 882. Ibid. Ibid.; T. WAGNER, Herrschaft Gottes, 2006, p. 5.
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L’attitude arrogante de Goliath n’est pas différente de celle de l’Assyrie. Cette dernière au lieu de craindre YHWH Tsebaoth le défie et l’ignore. C’est pourquoi il mérite le châtiment divin. Car YHWH châtie tout homme orgueilleux (2.12). La rédaction de 14.24-27 semble être influencée par la tradition de la guerre de YHWH dans l’histoire dynastique de David. C’est par sa victoire sur Goliath que la renommée de David a été assurée et son accession au trône fut préparée. Le titre de YHWH Tsebaoth exprime donc la toute puissance de YHWH285. Il est associé à la colère divine non seulement contre les nations étrangères (Babylone,286 l’Assyrie,287 l’Egypte,288 mais aussi contre Israël/ Juda (3.1, 15). Dans tous les cas, le titre YHWH Tsebaoth implique le jugement de YHWH qui signifie ici brisement de l’Assyrie. 4.4.5.4.2 L’Assyrie brisée dans le pays de YHWH Le brisement d’Assyrie dans le pays de YHWH est le châtiment divin qui lui est réservé. Ce châtiment est porté par la proposition :1V:ED@\UK O>Z! \FLUD! % U:9DU%RYO L «pour briser l’Assyrie dans mon pays et je le piétinerai sur mes montagnes». YHWH Tsebaoth y parle à la première personne à la fois dans \FLUD ! % «dans mon pays», \UK O>Z «sur mes montagnes» et dans le verbe VZE «piétiner». Ce verbe est mis en parallèle avec l’infinitif UEY «briser». Etre brisé et être piétiné, tel est le sort que YHWH Tsebaoth réserve à l’Assyrie. Privée de parole et d’action, cette dernière subit tout simplement le jugement de YHWH dans toute sa rigueur. Appliquée à YHWH comme sujet, la racine UEY est généralement attestée dans le contexte du jugement contre les nations étrangères (14.5). Le fait d’employer ce verbe dans une élégie sur le roi de Babylone suppose le transfert par les rédacteurs (post) exiliques du sort de l’Assyrie sur Babylone. L’action de briser est attestée dans la tradition de l’Exode en relation avec les nations étrangères ou ce qui les symbolisent. Elle évoque les plaies d’Egypte (Ex 9.25), mais aussi la célébration de la Pâque au sortir d’Egypte (Ex 12.46), le code de l’alliance (Ex 22.9, 13; 23.24) et l’histoire du veau d’or (Ex 32.19; Dt 9.17), le renouvellement de l’alliance dont les points culminants restent le don de la Torah (Ex 34.1; Dt 10.2) 285 286 287 288
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H.-J. ZOBEL, THWAT, VI, 1989, col. 881. Es 13.4,13; 14.22,23. Es 14.24,27. Es 19.2,16.
et la purification du sanctuaire par la destruction des idoles étrangères (Ex 34.13; Dt 7.5; 12.3). Ces derniers textes sont contemporains de la réforme religieuse sous Josias. Cette hypothèse se vérifie lorsqu’on analyse l’emploi de la racine UEY dans la tradition de David. Dans cette tradition, cette racine est utilisée en relation avec la conclusion par le prêtre Yehoyada de l’alliance entre YHWH, le roi Joas et le peuple de Juda (2 R 11.17). Cette alliance assurerait la stabilité de la dynastie de David menacée par Athalie (2 R 11.1ss), elle est accompagnée de la démolition des représentations de Baal et veut protéger le Temple de Jérusalem. La réforme religieuse sous Joas se répercute durant les règnes d’Ezéchias (2 R 18.4) et de Josias (2 R 23.14). Concernant l’emploi de la racine UEY dans la tradition de l’Exode et celle de la royauté davidique, il y a lieu de faire les observations suivantes: – La racine est associée à la Pâque et au renouvellement de l’alliance entre YHWH, le roi et le peuple. – Ces actes s’inscrivent dans la lutte contre l’idolâtrie, la proclamation de la souveraineté de YHWH et la stabilisation de la dynastie davidique. – L’alliance, la lutte contre l’idolâtrie et la stabilisation de la dynastie davidique trouve son couronnement dans la réforme de Josias lors de la célébration de Pâque (2 R 23.21ss). Selon ce dernier texte, Josias «brisa les stèles, coupa les poteaux sacrés et remplit leur emplacement d’ossements humains»289. Les stèles et les poteaux sacrés représentaient entre autres l’influence religieuse étrangère apportée dans le Temple de Jérusalem pendant la domination assyrienne. En les brisant, on rompait symboliquement le joug assyrien. En ce qui concerne le déclin de l’Assyrie dans les deux éditions de paix (P1-S et P2-AP), nous renvoyons à la discussion sur 10.12 (4.4.2). 4.4.5.4.3 Implication de la fin de l’Assyrie: fin de l’asservissement Le point culminant de l’action de YHWH Tsebaoth est l’enlèvement du joug (O>R) et du fardeau (OEV)R assyriens des épaules (aPNY L = litt: leurs épaules) des peuples. En d’autres termes, la chute de l’Assyrie aboutit 289 2 Ch 34.4 donne plus de détails.
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à la libération des peuples et des nations qui avaient longtemps souffert de sa politique. Le substantif O>R ou ORZ> R est attesté 40 fois dans la Bible hébraïque, d’une façon non négligeable dans les livres dtr. Le joug signifie l’asservissement, la servitude, la soumission et l’assujettissement à une nation étrangère. La levée du joug suppose donc la libération de la domination et de l’oppression étrangères, la fin de la servitude et la marche tête haute dans la liberté. Il en est de même du substantif OEVR «charge, fardeau». Ce mot est typique de la rédaction ésaïenne, car il n’est attesté que dans ce livre où il est employé comme parallèle de O>R (9.3; 10.27 et 14.25). Quand bien même ces textes emploient le même concept de l’enlèvement du fardeau, ils n’appartiennent pas au même cadre littéraire comme l’avait supposé O. Kaiser290. Il représente trois éditions différentes. Si 14.25 doit être situé pendant la rédaction de crise (RC-Dtr), 9.3 trouverait par contre son lieu dans la rédaction de paix de l’époque perse (P1-S)291, alors que 10.27 ferait écho à l’édition de paix apocalyptique (P2-AP).
4.4.6 Conclusion L’analyse des textes relatifs à la chute de l’Assyrie nous a permis de confirmer l’existence d’une couche rédactionnelle contemporaine du règne de Josias. Contrairement à H. Barth292 et R. E. Clements293, nous l’avons identifiée dans les textes suivants: 2.7-8a; 10.5-9, 13-14. Ces textes dévoilent des tentatives prophétiques d’expliquer théologiquement le déclin de l’Assyrie en 612 comme la conséquence de l’arrogance de son roi face à YHWH. La politique étrangère de domination et de pillage des ressources des nations, de destruction des patri-
290 O. KAISER , Der Prophet Jesaja, Kapitel 1-12, 1981, p. 40. 291 Ce texte développe le messianisme ésaïen dont l’origine postexilique semble de plus en plus confirmée. Lire à ce sujet: R. KILIAN, Jesaja 1-12, 1986, pp. 71-72; R. GOETSCHEL, «Le Messie, fils de David …», in L. DESROUSSEAUX et J. VERMEYLEN (éd.), Figures de David, 1999, pp. 265-275 (265). 292 H. BARTH, Die Jesaja-Worte, 1977. 293 R. E. CLEMENTS, Isaiah 1-39, 1980.
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moines culturels, de déstabilisation des pouvoirs établis et d’humiliation reçoit un jugement définitif de la part des prophètes. Pour eux l’Assyrie a refusé de se comporter comme instrument de YHWH. De plus ses rois, méconnaissant la souveraineté de YHWH, se targuent de réaliser ce que la loi deutéronomiste reconnaît exclusivement à YHWH (Dt 12-28), notamment d’être roi des rois, s’approprier les victoires sur les nations, détenir l’intelligence et la sagesse absolues, détruire les idoles et autres éléments culturelles des peuples, déplacer les frontières, piller les réserves et renverser les rois en fonction. Cette politique étrangère de l’Assyrie est interprétée par les prophètes cultuels deutéronomistes comme mépris de la Torah (Dt 8.17; 32), ce qui ne peut qu’entraîner sa chute. La grande Pâque de Josias célèbre cette chute. Comme précédemment, nous avons démontré que la tradition de Moïse et celles de David ont servi de matériau pour l’interprétation de la chute de l’Assyrie. La tradition de Moïse y est présente à double titre. Elle s’applique à l’Assyrie et à Juda. Concernant la chute de l’Assyrie, les épisodes suivants sont relus: la fin de l’oppression égyptienne, les plaies d’Egypte (Ex 10.11), la Pâque (Ex 12.46), l’engloutissement de Pharaon et des Egyptiens (Ex 14.5-28) et le chant de Moïse, alors que le salut de Juda est interprété à la lumière du renouvellement de l’alliance de Sinaï (Ex 22.3, 13) et du don de son code (Ex 22.9, 13). Ces deux événements sont d’ailleurs perceptibles dans la célébration de la Pâque par Josias (2 R 23). L’intégration de la tradition de Moïse est complétée par celle des traditions royales du Nord. En introduisant l’idolâtrie dans le Temple de Jérusalem et la pratique de la mantique en Juda, l’Assyrie, par ses rois interposés, passait pour l’héritière de Saül (1 S 18.25) ainsi que du royaume du Nord. Alors que le roi de l’Assyrie est associé au Pharaon et à Saül, Josias représente David et Salomon et leur attachement au culte du Temple (sanctuaire) à Jérusalem. La chute de l’Assyrie ouvrait la voie à l’empire néo-babylonien. Cet événement est interprété comme relevant de l’action puissante de YHWH. C’est à partir de ce moment que les milieux deutéronomistes développent la théologie des nations instruments de YHWH (10.5). Sur la base de cette théologie, les rois de Juda sont invités à se soumettre à cette puissance (Jr 38). Le rejet de cet appel prophétique et le re415
cours de Sédécias à l’Egypte et au Pharaon (30.1-3) à cause de ses armes (31.1) ont conduit à la chute de la royauté de Juda et à la destruction du Temple en 587 dont 8.5-8* se fait l’écho.
4.5 Babylone: Instrument de YHWH contre Juda (8.5-8*) 4.5.1 Introduction Es 8.5-8* semble être une métaphore des «eaux puissantes et abondantes du Fleuve» (Es 8.7a) que le Seigneur fait déborder afin d’inonder et envahir Juda, «ce peuple» (K=K a>K) qui a rejeté les eaux de Siloé (v. 6). L’identité de ce Fleuve divise les commentateurs. Le Fleuve est associé par certains au Tigre294, tandis que d’autres l’identifient à l’Euphrate295. La métaphore des eaux puissantes et abondantes du Fleuve a porté les uns à penser à l’Assyrie, soit lors de la guerre syro-éphraïmite296 soit pendant la menace de Sennachérib contre Ezéchias (705-701)297. Dans 294 R. E. CLEMENTS, Isaiah 1-39, 1980, p. 96. 295 W. EICHRODT , Der Heilige in Israel, Jesaja 1-12, 1960, p. 99; F. HUBER, Jahwe, Juda und die anderen Völker, 1977, p. 56; H. WILDBERGER, 1980, p. 326; O. KAISER , Der Prophet Jesaja, Kapitel 1-12, 1981, p. 179; J. D. W. W ATTS , Isaiah 1-33, 1985, p. 117; J. N. OSWALT, The Book of Isaiah, 1986, p. 225; Ch. SEITZ , Isaiah 139, 1993, p. 81; U. BECKER , Jesaja – von der Botschaft zum Buch, 1997, pp. 107108; W. BRUEGGEMANN , Isaiah 1-39, 1998, p. 76; T. WAGNER , Gottes Herrschaft, 2006, p. 173. 296 B. DUHM, Das Buch Jesaja, 1902, 2e éd., p. 55; G. B. GRAY, The Book of Isaiah, 1912, pp. 12-13; H. WILDBERGER, Jesaja 1-12, 2e éd., 1980, pp. 322-323; H. BARTH, Die Jesaja-Worte in der Josiazeit, 1977, p. 220; W. DIETRICH, Jesaja und die Politik, 1977, p. 97, 108; J. VERMEYLEN, Du prophète Isaïe à l’apocalyptique, 1977, p. 197; R. E. CLEMENTS, Isaiah 1-39, 1980, p. 96; J. HOGENHAVEN , Gott und Volk bei Jesaja, 1988, pp. 124, 183; Y. GITAY, Isaiah and his Audience, 1991, pp. 17-18; D. STACEY, Isaiah 1-39, 1993, pp. 2-3; J. BARTHEL , Prophetenwort und Geschichte, 1997, p. 54; W. BRUEGGEMANN , Isaiah 1-39, 1998; J. BLENKINSOPP, 2000, p. 240; W. A. M. BEUKEN, Jesaja 1-12, 2003, pp. 217-218; B. S. CHILDS, Isaiah, 2003; ou lors de la guerre Syro-Ephraïmite (J. WILLIS, «The First Pericope in the Book of Isaiah», VT 34 (1984), 63-77; T. WAGNER, Gottes Herrschaft, 2006, pp. 170-172). 297 W. D IETRICH , Jesaja und die Politik, 1976, p. 160; Y. G ITAY , Isaiah and his Audience, 1991, pp. 17-18.
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ce cas le texte est attribué à Esaïe, fils d’Amots298. Cependant, d’autres voient dans ce Fleuve le symbole de l’armée puissante babylonienne lors de la catastrophe de 587 av. J.-C.299, voire plus tard 300. Les effets dévastateurs de ces eaux contre Juda supposent un événement catastrophique. Raison pour laquelle il serait difficile de penser à l’Assyrie. Car durant sa domination, Juda comme royaume fut maintenu, aussi bien lors de la guerre syro-éphraïmite que pendant le siège de la ville par Sennachérib. Tenant à maintenir le contexte de la guerre syro-éphraïmite et en vue de contourner cette difficulté, certains auteurs identifient «ce peuple» avec le royaume du Nord301. Cette solution ne va pas sans difficulté comme nous le verrons plus tard. Le nom de Juda devrait être maintenu. C’est par contre l’époque qu’il faudrait changer. C’est sous la domination babylonienne que Juda fut emporté en 587, et avec lui son Temple de Jérusalem et la dynastie davidique. Cette crise n’arrête pourtant pas les activités religieuses autour des décombres du Temple. Les prières sont adressées à YHWH, par lesquelles les fidèles expriment en même temps leur foi en Dieu et cherchent l’interprétation de la situation. La réponse est double. YHWH a manifesté sa souveraineté en utilisant Babylone, une nation étrangère afin de punir le peuple de Juda et les dirigeants qui l’incarnent. Par ailleurs, la crise a pour cause les eaux de Siloé qui coulent tranquillement (8.6a). C’est l’explication métaphorique de la chute de Juda à cause du rejet de la Torah, de la parole de YHWH par les monarques davidiques.
298 F. HUBER , Jahwe, Juda und die anderen Völker, 1976, pp. 27-31, 88-90; J. VER MEYLEN , Du prophète Isaïe à l’apocalyptique, 1977, p. 214; H. W ILDBERGER , 1980, p. 336; J. OSWALT, The Book of Isaiah, 1986, p. 224; Ch. SEITZ, Isaiah 139, 1993, pp. 81-82; J. BARTHEL , Prophetenwort und Geschichte, 1997, p. 198; W. BRUEGGEMANN, Isaiah 1-39, 1998, p. 76; U. BERGES, Das Buch Jesaja, Komposition und Endgestalt, 1998, p. 110; B. CHILDS, Isaiah, 2001, p. 71; W. A. M. BEUKEN , Jesaja 1-12, 2003, p. 217; G. K RATZ , Die Propheten Israels, 2003, p. 58. 299 O. KAISER, Der Prophet Jesaja, Kapitel 1-12, 1981, p. 181: Les eaux envahissantes représentent les puissances mésopotamiennes, non seulement les Assyriens, mais aussi les Babyloniens dont le point culminant est 587, p. 179; U. BECKER, Jesaja – von der Botschaft zum Buch, 1997, p. 108. 300 U. BECKER , Jesaja – von der Botschaft zum Buch, 1997, p. 108. N’y voyant aucun indice d’une époque concrète, l’auteur pense à une allusion théologico-historique d’une époque tardive. 301 T. WAGNER , Gottes Herrschaft, 2006, p. 171.
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Cette interprétation exilique de la chute de Juda a également des échos dans le livre de Jérémie, d’Ezéchiel, etc. Elle est l’actualisation des messages prophétiques relatifs à la chute du royaume d’Israël. Car en entraînant le royaume du Sud à la chute, les monarques davidique n’ont imité ni David ni Salomon qui assurèrent par leur fidélité à YHWH et au Temple la stabilité de leur dynastie. Au contraire, ils ont suivi les traces de Saül et surtout celle des rois du Nord dont Achab, qui par la pratique de l’idolâtrie et de l’injustice sociale ruinèrent leur règne. En rapport avec la tradition de l’exode, ils subissent le même sort que celui de Pharaon et son armée qui, à cause de l’endurcissement du cœur et le manque d’écoute de la parole de Dieu furent engloutis par les eaux de la mer de Joncs. La métaphore des eaux dévastatrices et destructrices envoyées par YHWH contre une nation qui rejette sa parole est reprise dans le contexte de la chute de Juda en 8.5-8*. Symbole de Babylone, les eaux véhiculent l’image d’une nation exerçant une fonction d’instrument du jugement de YHWH contre son peuple. Cela sous-entend la théologie de la souveraineté de YHWH sur les nations étrangères et leurs dieux. C’est une manière d’expliquer la chute du Temple non pas comme la défaite de YHWH, mais comme une conséquence de la désobéissance de son peuple. En utilisant les nations étrangères pour châtier Israël, YHWH passe d’un Dieu national à un Dieu universel. L’interprétation de 8.5-8* ne va pas sans problème. Parmi les points de débat se trouvent le sens de l’expression K=K a>K et de la métaphore des eaux de Siloé ainsi que celle des eaux puissantes du Fleuve. L’interprétation de ces deux métaphores est décisive dans l’identification des destinataires explicites et implicites, la désignation de l’auteur et la compréhension du message. Par ailleurs, la position de la péricope à l’intérieur du «Denkschrift» nous oblige à contribuer au débat sur cette question dont l’unanimité entre exégètes n’est pas évidente. Pour y parvenir nous allons recourir à l’analyse en partant des trois hypothèses de travail: la tradition de Moïse, l’histoire de la royauté de David /Salomon et la tradition cultuelle. La recherche des liens intertextuels sera d’un apport utile dans l’interprétation du texte. Mais, avant que la péricope ne nous livre ses secrets, procédons à sa délimitation.
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4.5.2 Délimitation du texte Es 8.5-8* fait immédiatement suite à 8.1-4 et précède un oracle contre les peuples (vv. 9-10). Cette subdivision est généralement acceptée par une large majorité d’interprètes302. Toutefois, la péricope présente quelques problèmes de cohérence, témoins des relectures postexiliques. Nous allons nous atteler à le démontrer dans les pages suivantes. A première vue la péricope pourrait supposer une suite logique du passage précédent (v. 1) à travers l’emploi de la première personne du singulier dans la phrase: UPRDOHG$>\ODH U%H' KZK\!#VK) rapproche ces versets de 8.5-8*, également 6.9-10; 9.15; 28.11,14; 29.1314; 30.1-3, 9-14; 31.1. Tout en reconnaissant globalement la cohésion du texte à cause de la fonction des eaux (vv. 6, 7, 8), il faut toutefois reconnaître que les vv. 5-8 présentent quelques incohérences littéraires suivantes: D’abord la proposition :K\OP U ! E:\FLU! WDI$IP:(v. 6b). Cette proposition présente la joie que ce peuple manifeste envers Reçin et le fils de Remalyahu305, comme la suite du rejet des eaux de Siloé. Comment expliquer cette joie? S’agit-il d’une joie à cause de la chute de ces deux rois ou bien d’une attitude de soumission? La dernière hypothèse serait à écarter, car elle manque d’appui textuel. A aucun moment de l’histoire, il est avéré que Juda se serait réjoui devant ces deux rois. Ces derniers constituaient une menace pour lui (2 R 15.37; 16.5; 2 Ch 28.6). Dans ce cas, Juda devrait se réjouir de leur chute. Car ces rois ont été défaits par les rois d’Assyrie (8.4). Cette joie est exprimée par I$IP, terme attesté 17 fois306 dans la Bible hébraïque. L’inventaire des citations permet d’observer leur grande concentration dans le livre d’Esaïe (9 fois), en particulier dans le «Trito-Esaïe» (A noter que la forme I$IP: n’est attestée qu’en 8.6b et 62.5). Ces textes disent la joie du peuple de Jérusalem (60.15; 62.5; 65.18; 66.10) et sa disparition chez l’ennemi (24.8, 11). L’emploi de I$IP dans un oracle contre Damas dans le livre 303 Certains auteurs préfèrent les vv. 8b-10: W. DIETRICH, Jesaja und die Politik, 1976, p. 98; J. VERMEYLEN, Du prophète Isaïe à l’apocalyptique, 1977, p. 223; U. BECKER, Jesaja – von der Botschaft zum Buch, 1997, p. 109. 304 B. DUHM, Das Buch Jesaja, 1902, 2e éd., p. 57; W. EICHRODT , Der Heilige in Israel, Jesaja 1-12, 1960, p. 100; G. FOHRER, Das Buch Jesaja: Kapitel 1-23, 2e éd., 1966, pp. 128-129; H. WILDBERGER, Jesaja 1-12, 2e éd., 1980, p. 329; R. E. CLEMENTS, Isaiah 1-39, 1980, p. 96; O. KAISER, Der Prophet Jesaja, Kapitel 1-12, 1981, pp. 182-183; P. HÖFFKEN, Das Buch Jesaja, Kapitel 1-39, 1993, p. 99; R. KILIAN, Jesaja 1-12, 1994, pp. 64-65; J. BARTHEL, Prophetenwort und Geschichte, 1997, p. 208; W. A. M. BEUKEN, Jesaja 1-12, 2003, p. 218. 305 Selon 7.1, le fils de Remalyahu est identifié avec Péqah, le roi d’Israël qui s’était allié avec Reçin, roi d’Aram contre Achaz, roi de Juda lors de la guerre syroéphraïmite. 306 Es 8.6; 24.8, 11; 32.13, 14; 60.15; 62.5; 65.18; 66.10; Jr 59.25; Ez 24.25; Os 2.11; Ps 48.3; Jb 8.19; Lm 2.15; 5.15.
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de Jérémie (Jr 49.25) nous aide à comprendre son emploi dans 8.6b. En effet la joie de Juda concerne la chute de Damas et d’Israël. L’évocation de ces deux capitales dans 8.6b pourrait expliquer une double édition de paix, P1-S à l’époque perse et P2-AP, à l’époque hellénistique. Ces deux éditions relisent le texte de la crise de Juda d’influence deutéronomiste (RC-Dtr) dans un contexte de salut d’Israël. Cette hypothèse est soutenue par l’emploi du terme I$IP dans les chs. 60-62 et 65-66 d’Esaïe. Nous rejoignons ici les observations faites précédemment lors de l’étude du chapitre 30. A partir de là, la joie dans la proposition :K\OP U ! E:\FLU! WDI$IP: s’associe au salut divin. Le peuple délivré de ses ennemis trouve sa joie en YHWH. Par conséquent Reçin et le fils de Remalyahou représenteraient, d’une part, les nations dont Israël sucera le lait et dévorera la richesse (60.5) et de l’autre, les nations étrangères ennemies de YHWH (65.10ss). Cette observation vaut également pour ODH :Q0>L «Dieu avec nous» (v. 8c) qui est une expression de foi en un Dieu qui sauve son peuple (8.10)307. Cet un ajout qui passe bien avec 8.9-10. L’intention rédactionnelle à travers ces insertions est de lier les vv. 5-8 à la fois aux vv. 1-4 et au ch. 7 (Cf. vv. 1, 4, 5, 9) où il est question de la chute de Damas et de Samarie par la main de l’Assyrie. La relecture apocalyptique de cette chute est attestée dans 17.1b-7). Quant à $G$E.O.WDZ U:9D OP WD «le roi d’Assyrie et toute sa gloire» (v. 7b), cette proposition prise pour une glose explicative308 serait à comprendre en relation avec la narration ésaïenne (37.8: U:9D OP WD). Elle représenterait l’édition de paix sacerdotale (P1-S). Ici le roi d’Assyrie est impuissant pour nuire à la dynastie davidique et à Jérusalem, malgré sa gloire et son armée. En prenant en compte ces observations, nous estimons que 8.5-8 constituent une unité littéraire composite témoin de trois couches rédactionnelles dont la forme originale serait les vv. 5-6a, 7a et c ainsi que 8ab. Relu à l’époque perse, le texte a connu l’ajout de 6b et 7b. A la fin de la rédaction du livre d’Esaïe à l’époque hellénistique, il connaîtra l’ajout du v. 8c au moment où les vv. 9-10 furent ajoutés309. La délimitation du texte étant assurée, venons-en à sa traduction. 307 J. VERMEYLEN, Du prophète Isaïe à l’apocalyptique, 1977, p. 201. 308 H. WILDBERGER, Jesaja 1-12, 2e éd., 1980, p. 321; J. VERMEYLEN, Du prophète Isaïe à l’apocalyptique, 1977, p. 201. 309 W. DIETRICH , Jesaja und die Politik, 1976, p. 98; O. KAISER , Der Prophet Jesaja, Kapitel 1-12, 1981, p. 178; H. W ILDBERGER, Jesaja 1-12, 2e éd., 1980, p. 322.
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4.5.3 Traduction V. 5 Et YHWH continue de me parler (encore) en ces termes: V. 6 Parce que ce peuple a rejeté les eaux de Siloé coulant tranquillement, – mais se réjouit de Reçin et du fils de Remalyahou. V. 7. C’est pourquoi le Seigneur a fait monter sur eux les eaux puissantes et abondantes du Fleuve – le roi d’Assyrie et toute sa gloire – et il est monté sur tous ses lits et il est passé sur toutes ses rives V. 8 et il est passé sur Juda, il a envahi et débordé jusqu’à ce qu’il ait atteint le cou et l’extension de ses rives, remplit l’étendue de ton pays – Emmanuel.
4.5.4 Structure du texte L’architecture du texte est organisée autour des fonctions des eaux310. a\,P illustre d’une part les eaux que ce peuple rejette (v. 6) et de l’autre, celle du Fleuve que le Seigneur envoie (v. 7) pour submerger et détruire Juda (v. 8). Se trouvant à la fois dans l’accusation et dans le châtiment, les eaux organisent les vv. 6-8* selon la structure classique d’un oracle de malheur. Ce malheur concerne Juda. Sa structure est la suivante: – v. 5: Formule introductive; – v. 6: Accusation: rejet des eaux tranquilles de Siloé; – v. 7: Châtiment: utilisation par le Seigneur des eaux du Fleuve contre Juda. Si le nom de Juda est cité comme objet du châtiment de YHWH, celui de la nation étrangère qui l’exécute l’est à travers la métaphore des eaux du Fleuve. Aussi allons-nous dans l’analyse chercher à l’identifier avant de pouvoir déterminer les fonctions qu’elle remplit. 310 Cette structure est calquée sur celle de 8.1-4 où le nom se situe à trois niveaux d’action: inscription sans explication, qui devient le nom de l’enfant du prophète et enfin présage du sort malheureux de Damas et Samarie qui apportent respectivement leurs richesses et leurs butins devant le roi d’Assyrie. Cette observation nous permet de nous rendre compte de l’intention qui avait animé le travail rédactionnel et de l’effort des rédacteurs de s’inspirer des textes anciens et d’y adapter les leurs, tant sur le plan littéraire que théologique.
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4.5.5 Analyse et commentaires 4.5.5.1 Introduction Les vv. 5-8* sont un oracle de malheur contre ce peuple qui rejette les eaux de Siloé. La détermination de son identité permettra de répondra à la fois à la question de la rédaction du texte, de son contexte historique, des traditions ainsi que du cadre rédactionnel. 4.5.5.2 Juda: «ce peuple» qui rejette les eaux de Siloé Juda est ce peuple (K=K a>K), qui, à cause du rejet des eaux de Siloé, est détruit par les eaux puissantes et abondantes du Fleuve. En ce qui concerne le débat sur la question, nous renvoyons à l’introduction du chapitre. Dans cette partie, nous allons essayer d’étayer notre observation selon laquelle, «ce peuple» renvoie à Juda, non pas de l’époque assyrienne, mais il s’agit plutôt du royaume déchu en 587 par les Babyloniens. Nous voulons à présent vérifier cette conclusion à partir de l’appellation K=K a> K «ce peuple». A part 8.6, l’expression K=K a> K VDP «ce peuple a rejeté» ne se trouve nulle par ailleurs dans le livre d’Esaïe. Cependant elle est attestée, à quelques détails près, une fois en Jr 6.19. La comparaison de ces deux textes permet de les rapprocher. 8.6:
Jr 6.19:
parce que ce peuple a rejeté (K=Ka> KVDP) les eaux de Siloé qui coulent tranquillement… 8.7: Voici (K1(KL) le Seigneur fait monter contre eux (aK\OH>@) les eaux puissantes et abondantes du Fleuve voici (K1(KL) j’ai fais venir (D\ELPH) sur ce peuple (K=K a> K ) le malheur (K> U ) car ils n’ont pas été attentifs à ma parole, ma Torah et l’ont rejetée (+E:VD@P K désigne un groupe décrit à la 3e pers. masc. pl. Ensuite les phrases qui annoncent le châtiment (8.7; Jr 6.19a) 2 (pron. personnel 1re commencent par K1(KL suivi, d’une part, de \NLQD pers.) désignant Dieu et son action au Hi. part. prés., et de l’autre du
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destinataire et de la nature du malheur. En ce qui concerne ce dernier ordre, les deux textes présentent quelques divergences mineures dues au fait que le destinataire est préalablement désigné en 8.6, alors qu’il se trouve en Jr 6.19. En outre ce dernier verset intervertit l’ordre. Il commence par l’accusation pour terminer avec le châtiment. Quant au contenu, les deux textes sont un message de malheur envoyé par YHWH lui-même contre «ce peuple» (K=K a>K) (8.6; Jr 6.19) à cause du rejet de la Torah (Jr 6.19) et des eaux de Siloé (8.6). Nous avons déjà fait observer que la métaphore des eaux de Siloé symbolisait la Torah. Au vu de ces ressemblances, et ce malgré quelles différences mineures de forme, il y a lieu d’affirmer que ces deux textes appartiennent au même contexte rédactionnel et historique que celui de Jérémie. Il s’agit d’une tentative d’expliquer la chute de Juda battu par les Babyloniens en 587 comme la conséquence du rejet de la parole de YHWH. Ainsi 8.5-8* se rapprocherait de 30.1-3, 9-14 eu égard aux similitudes entre 8.6 et 30.2, 9, 12311, d’une part, et entre 8.8 et 30.3, 13-14 d’autre part. Cette conclusion n’est d’ailleurs pas contredite par l’analyse particulière de l’expression K=K a>K dans le livre de l’Exode où elle s’applique aux Israélites libérés d’Egypte par YHWH (Ex 3.21; 18.18, 23), à la fois objet du salut de YHWH et de condamnation divine à cause de la fabrication du veau d’or (Ex 32.9, 21, 31; 33.12). J. Vermeylen considère l’histoire du veau d’or comme la clé de la question deutéronomiste (Dt 9.13, 27)312. Il situe cet épisode à l’époque exilique comme une projection au temps de Moïse du «grand péché originale d’Israël qui fut la cause de la catastrophe de 587»313. Cette hypothèse conforte notre observation en ce qui concerne l’emploi de K=K a>K dans 8.5-8*. Comme nous aurons à le démontrer plus tard, ce texte porte les caractéristiques de la théologie deutéronomiste. Par conséquent il y a lieu de rapprocher la désignation de K=K a>K dans l’épisode du veau d’or de celle dans 8.6. Dans les deux cas l’emploi de cette expression concerne la lutte contre l’idolâtrie et la proclamation de la souveraineté de YHWH. En rapport avec ces deux motifs théologiques, K=K a>K est ce peuple qui ne comprend pas le plan que YHWH a de lui 311 En ce qui concerne le verbe VDP, nous renvoyons à l’analyse précédente de 30.914, en particulier du v. 12. 312 J. VERMEYLEN, «L’affaire du veau d’or» (Ex 32-34), ZAW, 97, p. 23. 313 Ibid.
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en donnant le pays, se rebelle dans le désert et veut retourner en Egypte, à cause de la pénurie de la viande (Nb 11.11, 12, 13) et a peur des populations du pays promis314. Ainsi, il démontre son incrédulité envers YHWH, le Dieu souverain capable de pourvoir à ses besoins, fidèle dans ses promesses prêt à lui donner un pays et à le défendre contre ses ennemis. K=K a>K est donc Israël à qui YHWH donne un territoire (Jos 1.2, 6; 7.7), mais qui oublie celui qui lui a donné ce pays. Il l’abandonne et se livre à l’idolâtrie (Dt 31.17). Le lien de K=K a>K avec l’idolâtrie fait du culte un de ses cadres sociaux. Cette expression n’est pas étrangère à la tradition royale de David. Avec cette dernière, «ce peuple» est celui qui choisit le camp d’Absalom et met en danger la dynastie davidique. Car il agit contre David, l’oint de YHWH (2 S 16.18) ou contre Salomon (1 R 1. 39; 5.21)315. C’est le peuple des tribus du Nord qui sous la conduite de Jéroboam se détache de l’ensemble d’Israël à Sichem et va se livrer au culte des veaux à Dan et à Béthel (1 R 12.1-33, en particulier vv. 6, 7, 9, 10,27). Une telle rébellion contre YHWH est celle que dénonce le livre d’Esaïe (6.9, 10; 8.6; 9.15; 28.11, 14; 29.13, 14) et surtout le message de Jérémie316. Dans ces livres, K=K a>K est le peuple de Juda et Jérusalem qui, trompé par les faux prophètes et les prêtres, rejette la parole de YHWH et pratique l’idolâtrie. Ces péchés sont à la base de la chute de la royauté de Juda sous Sédécias, la destruction du Temple par les Babyloniens et l’exil du peuple en 587. A la lumière de l’analyse de l’expression de K=K a>K, il y a lieu d’affirmer que 8.5-8* interprète la catastrophe de 587 comme la conséquence du rejet de la parole de YHWH. 4.5.5.2.1 La chute de Juda et le rejet des eaux de Siloé La métaphore du rejet des eaux de Siloé qui coulent tranquillement parait être le centre de l’accusation divine contre ce peuple (K=K a>K) . Le sens de cette métaphore est diversement interprété par les critiques.
314 Nb 14.11, 13, 14, 15, 16,19; 32.15. 315 K=K a>K est prononcé par Hiram, le roi de Tyr dans le cadre des préparatifs en vue de la construction du Temple de Jérusalem. 316 Jr 4.10, 11; 5.14, 23; 6.19, 21; 7.16, 33; 8.5; 9.15; 11.14; 14.10, 11; 15.1, 20; 16.5, 10; 19.11; 21.8; 23.32, 33; 27.16; 28.15; 29.32; 32.42; 35.16; 36.7; 37.18; 38.4.
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Les eaux de Siloé désignent soit YHWH lui-même317, soit ce qui se rapporte à Lui, par exemple sa souveraineté et sa puissance318, son action319, sa présence protectrice sur Sion320 ou sa force et ses promesses par les prophètes 321. Les deux sens ne s’excluent nullement, étant donné que de YHWH dépend sa souveraineté, sa présence et sa parole et viceversa. Toutefois, l’interprétation qui semble rendre de manière satisfaisante la métaphore des eaux de Siloé est celle de la parole de YHWH, de la Torah. 4.5.5.2.2 Les eaux de Siloé symbole de la parole de YHWH Les eaux de Siloé «[O9 ^ KL \PH WDH» renvoient l’action que YHWH reproche et punit en faisant monter les eaux du Fleuve «UK1K \PHWD». Le vocable Siloé est très rare dans la Bible hébraïque où il n’est attesté que deux fois, ici en 8.6 et en Ne 3.15322. Dans ce dernier texte il désigne un réservoir d’eau dans le jardin du roi David323, alors qu’en 8.6, Siloé fait penser soit à la source de Gihon à l’ouest de la vallée de Kidron324 ou au canal construit par Ezéchias dans le but d’approvisionner la cité royale en eau pendant la guerre325 menée par Sennachérib contre Jérusalem (Cf. l’inscription découverte dans le tunnel en 1880)326. Dans ce sens, les eaux de Siloé servaient d’approvisionnement à la dynastie 317 W. DIETRICH, Jesaja und die Politik, 1977, p. 160; U. BECKER , Jesaja – von der Botschaft zum Buch, 1997, p. 106. 318 B. DUHM, Das Buch Jesaja, 1902, 2e éd., p. 55. 319 G. FOHRER, Das Buch Jesaja: Kapitel 1-23, 1966, 2nd éd., p. 126; R. KILIAN , Jesaja 1-12, 1986, p. 63. 320 J. BARTHEL, Prophetenwort und Geschichte, 1997, pp. 202-203. 321 W. EICHRODT Der Heilige in Israel, Jesaja 1-12, 1960, p. 99. 322 B. DUHM, Das Buch Jesaja, 1902, 2e éd., p. 55. 323 Siloé, source d’eau au sud-est de Jérusalem. Cf. M. B URROWS, ZAW, 70 (1958) 226. 324 O. PROCKSCH, Jesaja I: Kap. 1-39, 1930, p. 132; M. BURROWS , ZAW 70 (1958) 226; W. EICHRODT , Der Heilige in Israel, Jesaja 1-12, 1960, p. 99; G. FOHRER, 1966, (2e éd.), p. 126; O. KAISER , Der Prophet Jesaja, Kapitel 1-12, 1981, p. 179; J. N. OSWALT, The Book of Isaiah, 1986, p. 225; R. KILIAN, Jesaja 1-12, 1986, p. 63; J. BARTHEL, Prophetenwort und Geschichte, 1997, p. 202. 325 MAJER, «Siloah», in O. BETZ et W. GRIMM, Calwer Bibellexikon, B. 2, 2003, p. 1241. 326 G. CORNFELD et G.-J. BOTTERWERK , Die Bibel und ihre Welt, 1969, col. 690; M. GÖRG et B. LANG, NBL, B III, 1999, p. 476.
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davidique ainsi que pour la survie du Temple. Selon A. Negev, ces eaux ont toujours été décrites comme dotées d’une vertu thérapeutique327. On comprendrait pourquoi leur rejet était synonyme d’une catastrophe aussi bien pour la royauté que pour la maison de YHWH. Car pour ces deux institutions, les eaux de Siloé exerçaient la même fonction que celle de la parole de YHWH envoyée à son peuple par la bouche de ses prophètes. Cette interprétation est du reste soutenue par le sens du terme Siloé. Ce nom dérive de la racine [O9328 «envoyer». Dans la métaphore les rédacteurs semblent procéder au jeu de mot entre Siloé, le nom du lieu ([O9 ^ )L et le verbe envoyer ([O9). Car dans sa forme actuelle Siloé a le sens d’«envoyé»329, c’est-à-dire ce que Dieu a envoyé. Si notre supposition est correcte, YHWH reproche à «ce peuple» d’avoir rejeté les eaux qu’il lui a envoyées et qui coulent doucement. Ce que YHWH a envoyé, ce qui vient de lui-même, peut être soit son prophète soit sa parole dont le prophète est porteur. Dans notre tentative d’interprétation et par souci d’éviter toute spéculation sur le sens caché des eaux de Siloé, nous allons procéder à une double analyse, à la fois de la racine [OY et du substantif a\,P «eaux». Dans cette analyse notre attention sera concentrée sur les expressions bibliques où Dieu est celui qui envoie. Les eaux de Siloé qui coulent doucement sont une manière métaphorique de présenter la parole de Dieu comme celle qui se fait entendre doucement dans l’homme (Job 15.11). Le Psalmiste dit: «YHWH envoie sa parole ($UE'! [OY\ ), , c’est le dégel, il fait souffler le vent, les eaux s’écoulent» (Ps 147.19). Et cette parole, ce sont ses décrets, son commandement, sa loi. YHWH lui-même se nomme «source d’eau vive» (Jr 2.13; 17.13). C’est pour avoir abandonné cette source d’eau vive que le peuple est condamné. La condamnation à cause du rejet de celui (ce) que YHWH envoie trouve un écho dans la tradition de l’Exode: la mission divine de Moïse auprès de Pharaon et le refus de ce dernier de laisser aller les Israélites servir leur Dieu (Ex 3.15; 4.4, 28; 5.2; 6.1). En envoyant son messager, YHWH montre sa souveraineté aussi bien à Moïse qu’au Pharaon. 327 A. NEGEV , Archäologischen Bibel Lexikon, 1991, p. 407. 328 J. D. W. WATTS, Isaiah 1-33, 1985, p. 117. 329 O. KAISER , Der Prophet Jesaja, Kapitel 1-12, 1981, p. 179.
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L’endurcissement de Pharaon devant la parole que YHWH lui transmet par son prophète est semblable à l’attitude de «ce peuple» qui rejette les eaux de Siloé. Le thème de YHWH qui envoie est développé dans les livres dtr en rapport avec la rébellion d’Israël lors de l’épisode du veau d’or (Dt 9.23; Jos 14.7) et l’histoire des plaies (Dt 7.20). Il exprime la théologie qui voudrait susciter la foi en un Dieu qui est au dessus de tout. Cette foi appelle au courage et au souvenir de ce que YHWH a fait au Pharaon et aux Egyptiens par la main de Moïse (Dt 7.17ss). La souveraineté de YHWH ne se limite pas seulement à l’envoi du libérateur. YHWH est celui qui envoie la malédiction (Dt 28.20) et suscite des ennemis (Dt 15.37; Dt 28.48) contre son peuple qui l’abandonne (Dt 28.20). YHWH qui envoie s’inscrit dans le contexte de la lutte contre l’idolâtrie. Le but poursuivi par l’envoi de son prophète est la délivrance de son peuple (Jg 6.8; 1 S 12.8, 12) et sa conversion pour qu’il le serve lui seul et écoute la parole de son prophète. La figure de Moïse reste emblématique dans l’histoire de la mission prophétique. Il en va de même avec l’histoire royale. Les prophètes ont été envoyés par YHWH, porteurs des messages que les rois furent invités à suivre. De leur obéissance ou désobéissance dépendait la stabilité ou l’instabilité de leur règne. Ce message se retrouve dans le résumé de la prédication de Jérémie: «Le Seigneur vous a envoyé tous ses serviteurs les prophètes, inlassablement, sans que vous écoutiez, sans que vous tendiez l’oreille pour écouter» (Jr 25.4). Dans ce texte, le manque d’écoute a amené YHWH à envoyer Nabuchodonosor, son serviteur, contre Juda. La concrétisation de cette parole est la destruction de Juda commencé sous Yoyakim (2 R 24.2), et achevée sous Sédécias. Nous avons déjà observé lors de l’étude précédente que le Fleuve dont les eaux sont envoyées par YHWH symbolisait Babylone. Or dans le texte de Jérémie ci-dessus, le refus de Juda et de ses dirigeants d’écouter YHWH et ses prophètes finit par déclencher l’envoi contre lui de Nabuchodonosor, le roi de Babylone. En tenant compte du survol de l’emploi du concept «YHWH qui envoie», principalement dans le livre de Jérémie et dans les livres dtr, nous sommes en droit de conclure que la métaphore des eaux de Siloé suppose tout simplement la parole de YHWH envoyée aux rois d’Israël (les deux royaumes) dont Sédécias (Jr 37.3, 7, 17; 38.14) est le dernier. Le rejet de cette parole fut la cause de la fin de son règne ainsi que de la destruction de Juda et du Temple 428
de Jérusalem. Par cette attitude, Sédécias a imité le Pharaon dont le rejet de la parole prophétique de Moïse conduisit à sa chute, mais aussi Saül, Achab, etc. qui, à cause de leur incrédulité connurent le même sort. Le rédacteur de 8.5-8* applique à Sédécias l’attitude de Pharaon et celle de Saül face à la parole libératrice de YHWH. Cette stratégie rédactionnelle voudrait, d’une part mettre en évidence la tension entre la cour royale et le prophète, et de l’autre, interpréter la fin de la royauté davidique comme étant de la faute de Sédécias, un davidide, à la suite du rejet de la parole prophétique. Il a rendu caduque la promesse de stabilité de la dynastie davidique (2 S 7.14) en attirant par son infidélité le malheur de Juda. 4.5.5.3 Les eaux abondantes du fleuve symboles de Babylone Dans une métaphore, les vv. 7-8* présentent le Seigneur faisant monter les eaux puissantes et abondantes du Fleuve afin d’inonder et submerger Juda. A ce point d’analyse, il s’agira de déterminer successivement, l’identité du Fleuve, le sens de l’abondance de ses eaux ainsi que ses effets destructeurs sur Juda. 4.5.5.3.1 Babylone: le dévastateur Quel est ce Fleuve dont les eaux puissantes et abondantes sont envoyées fait allupour détruire Juda? De manière générale, l’expression UK1K 330 sion au fleuve Euphrate (Gn 2.14; 31.21; 36.37) . Son emploi s’inscrit dans la tradition de Moïse (Ex 23.31). Le fleuve est mentionné en rapport avec la promesse divine de la possession du pays quand YHWH aura vaincu tous les ennemis d’Israël. L’Euphrate est la limite naturelle du territoire offert aux Israélites. Le contexte du don du code de l’alliance dans lequel le Fleuve est mentionné dans le livre de l’exode, rapproche le concept de la théologie deutéronomiste331. Dans les livres dtr, le Fleuve est clairement défini comme Euphrate (WU3 UKQ!)332 et évoqué en relation avec la possession du pays et la lutte contre l’idolâtrie. 330 B. DUHM, Das Buch Jesaja, 1902, 2e éd., p. 55; G. FOHRER, Das Buch Jesaja: Kapitel 1-23, 2e éd., 1966, p. 114. 331 J. SCHARBERT, Exodus, p. 99. 332 Dt 1.7; 11.24; Jos 1.4; 24.2, 3,14.
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Car le but dans lequel YHWH donne le pays aux Israélites est de le séparer des autres peuples et de leurs idoles, afin de le servir Lui seul. L’élargissement des frontières d’Israël jusqu’à l’Euphrate est une donnée théologique importante, pour dire que la souveraineté de YHWH s’étend jusque là. Cette frontière est attestée dans l’histoire de la royauté d’Israël, en particulier dans les victoires de David (2 S 10.16), mais surtout dans la détermination du territoire d’Israël sous Salomon: «Salomon dominait sur tous les royaumes depuis le Fleuve, sur le pays des Philistins et jusqu’à la frontière d’Egypte» (1 R 5.1)333. Cette situation n’est plus celle que décrit 8.5-8*. Au lieu de limiter le territoire de la dynastie davidique, le Fleuve Euphrate devient l’agent de destruction de Juda. Le vaste territoire de la royauté salomonienne n’est qu’un vieux souvenir. Le Psalmiste s’en souvient dans sa complainte (Ps 80.6) au moment où il sollicite la grâce de YHWH emporté par la colère contre son peuple. Car la vigne – symbole d’Israël – est ravagée, incendiée et arrachée (Ps 80.17). En dépit du fait que le Ps 80 évoque soit la chute de Samarie ou l’époque de Josias334, les plaintes accompagnées de pleurs nous font penser à une grande détresse qui renvoie peut-être à la situation du Temple pendant l’exil. Car le ravage de la vigne par le feu pourrait être une image à rapprocher de celle de la dévastation de Juda par les eaux du Fleuve. Dans la mesure où ce rapprochement s’avérait adéquat, le Fleuve Euphrate ferait penser à Babylone qui a détruit le royaume de Juda et le Temple de Jérusalem en 587. Ce rapprochement a une double implication. D’une part les rédacteurs de 8.5-8* auraient appartenu au milieu cultuel responsable de la production du Ps 80. D’autre part l’utilisation du Fleuve Euphrate comme agent de destruction de Juda devient une tentative d’explication des causes de la catastrophe. En effet l’étendue d’Israël qui va de l’Egypte en passant par la Philistie jusqu’au Fleuve (Euphrate) rend vraisemblable l’idée de YHWH qui fait monter le Fleuve. Car le Fleuve appartient à sa sphère de souveraineté qui va au-delà des frontières d’Israël, qui englobe le monde entier connu à l’époque. Ensuite cette conception règle le problème de la défaite supposée de YHWH lors de la chute de Juda et la destruction du Temple. Selon la théologie 333 L. A. SNIJDERS, THWAT, V, 1986, col. 284. 334 A. DEISSLER, Die Psalmen, II, 1964, p. 144; H.-J. KRAUS, Psalmen, 2. Teilband, 1972, pp. 556-557; E. ZENGER, Die Psalmen, 2002, p. 453.
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dtr, ces événements sont autorisés par YHWH qui s’est servi d’un de ses agents, en l’occurrence le Fleuve. Car en le faisant monter, YHWH fait de lui un instrument de sa justice contre Juda et manifeste solennellement sur lui sa souveraineté. 4.5.5.3.2 Les effets dévastateurs des eaux du fleuve L’idée des eaux que Dieu utilise comme moyen de châtiment correspond à la tradition de l’exode lorsque YHWH change les eaux en sang (Ex 7.8-25) et remplit le Fleuve de grenouilles. Et surtout lorsque Dieu fit noyer par les eaux de la mer des Joncs Pharaon et les Egyptiens (Ex 14.26-28). La cause de cette catastrophe est connue: Pharaon endurcit son cœur (Ex 14.4). La destruction de Pharaon et de ses gens par les eaux est chantée par Moïse dans son cantique (Ex 15.10, 19). C’est un des principaux thèmes de la théologie deutéronomiste (Dt 11.4) dans le cadre de l’appel à la foi en YHWH et à l’obéissance de ses commandements. Les eaux que YHWH envoie sont évoquées dans le cadre de l’histoire royale en Israël, notamment David lors de ses victoires sur ses ennemis dont les Philistins (2 S 5.20; 12.27; 14.14; 22.12). Le psalmiste célèbre et proclame dans le temple YHWH qui détruit par les eaux335. En 8.7-8, la situation s’est retournée contre Juda. Car il subit les effets dévastateurs du Fleuve comme ce fut le cas jadis du Pharaon et des Egyptiens. Il s’agit donc dans ce texte d’une référence à la tradition de l’exode dans le contexte de la chute de Juda. Ce contexte invite à voir le roi et le peuple de Juda jouer respectivement le rôle de Pharaon et celui de l’Egypte lors du châtiment divin. A part en 8.5-8*, les eaux sont évoquées dans le contexte de la destruction de Jérusalem (22.9-11; 28.17; 30.14). L’expression UKQ \PH «les eaux du Fleuve» est utilisée dans le même contexte en Jr 2.18, exactement comme en 8.7. Ces deux textes ont une caractéristique commune. Ils évoquent le châtiment divin contre Juda qui a abandonné YHWH son Dieu. Par conséquent, il faudrait les rapprocher. Dans la mesure où ce rapprochement s’avérait adéquat, l’exécuteur du châtiment serait Babylone336. L’association du Fleuve à Babylone est d’ailleurs 335 Ps 18.12, 15,17; 29.3; 32.6; 33.7; 46.3; 58.7; 63.1; 65.9; 66.12. 336 J. SCHREINER, Jeremia 1-25,14, 1985; pp. 16-17.
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confirmée par ses effets dévastateurs sur Juda. Nous allons les analyser. Il s’agit de: – – – –
#O[ «passer au-dessus, transpercer», #MY «submerger, couler à torrent, déborder», UE> «traverser, passer, passer par-dessus, déborder», DOP «remplir».
4.5.5.3.2.1 Transpercer Au qal où elle a le sens de «passer dessus», la racine #O[ est attestée 14 fois337 dans la Bible hébraïque. L’inventaire des occurrences permet d’observer sa présence dans les textes tardifs. Sous cette forme la racine est en rapport avec l’histoire royale en Israël. D’une part celle de l’onction de Saül comme roi (1 S 10.3) et de l’autre, celle de la mort du fils de David (2 S 12.20). L’idée de la mort est présentée dans cette racine, la mort entendue comme destruction. Le Fleuve apporte la mort lorsqu’il passe sur Juda (8.8a). De la destruction de Juda, il est question dans la vision d’Habaquq (Ha 1.5-11)338. Bien que l’emploi de la racine #O[ concerne la condamnation des Babyloniens qui ont outrepassé leur mission, le texte renvoie vraisemblablement à la destruction impitoyable et impétueuse de Juda en 587 (v. 6). L’emploi de #O[ à propos du malheur de Juda nous amène à confirmer l’identification du Fleuve avec Babylone. Une telle conclusion se confirme également dans la fonction de submerger. 4.5.5.3.2.2 Submerger Juda Les eaux puissantes et abondantes du Fleuve submergent Juda. La racine #MY est attestée 37 fois339 dans la Bible hébraïque. L’inventaire des occurrences permet d’observer leur fréquence dans les textes tardifs, notamment dans la tradition de Moïse relative à la loi de la pureté (Lv 6.21; 15.11, 12). Cela démontre son lien avec le culte. Cette racine va de 337 1 S 10.3; Es 2.18; 8.8; 21.1; 24.5; Ha 1.11; Ps 90.5, 6; 102.27; Jb 4.15.26; 11.10; Qo 2.11. 338 R. F. von UNGERN -STERNBERG et H. LAMPARTER, Der Tag des Gerichtes Gottes, Die Propheten Habakuk, Zephanja, Jona, Nahum, 1960, pp. 21-23; W. RUDOLPH , Micha, Nahum, Habakuk, Zephanja, 1975, pp. 206-208. 339 Lv 6.21; 15.11, 12; 1 R 22.38; Es 8.8; 10.22; 28.2, 15, 17,18; 30.28; 43.2; 66.12; Jr 8.6; 47.2; Ez 13.11; 13.13; 16.9; 32.22; Ps 32.6; 69.16; 78.20; 124.4; Jb 14.19; 38.25; Qo 8.7; Dn 9.26; 11.10, 22, 26,40; 1 Ch 32.4.
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pair également avec l’histoire royale, en particulier la mort d’Achab, le roi d’Israël (1 R 22.38). La rédaction dtr peint ce roi comme un fervent de l’idolâtrie (1 R 16.29-33) et champion de l’injustice sociale: Cf. L’histoire de Naboth: 1 R 21. Cette figure royale aurait inspiré la rédaction de 8.8a afin de justifier la mort de Sédécias (Jr 27.15, 17, 18) qui suivit l’exemple d’Achab. Dans ces derniers textes, YHWH annonce qu’il va envoyer contre les dirigeants de Jérusalem son châtiment sous la forme des eaux qui emporteront leur faux abri et effaceront leur alliance avec la mort, et ce, à cause de leur refuge dans le mensonge et leur manque de confiance en YHWH. Cela est rapporté dans le message de Jérémie contre le peuple de Jérusalem (Jr 8.6). Le message d’Ezéchiel est semblable. Il annonce également l’envoi par YHWH de pluies torrentielles, de grêlons et un vent de tempêtes à cause du mensonge des prophètes de Jérusalem (Ez 13.11ss). Jérusalem est encore jugée coupable à cause de ses faiblesses pour l’idolâtrie (Ez 16.9). YHWH appelle Israël à la fin de l’exil à ne pas craindre, car il l’a racheté, même s’il passait à travers les eaux, il sera avec lui, à travers les fleuves, ils ne le submergeront pas (43.2). Ce texte semble relire positivement des messages qui présentaient les effets dévastateurs des eaux qui ne sont plus destructrices comme lors de la catastrophe de 587 où elles avaient atteint le cou. 4.5.5.3.2.3 Atteindre jusqu’au cou L’expression >\*,\ UD: FG> «il atteindra jusqu’au cou» n’est attestée qu’ici en 8.8. Elle est une métaphore qui symbolise la soumission de Juda aux étrangers comme conséquence du refus par Juda de servir YHWH. La servitude comme conséquence du péché est un thème attesté dans la version deutéronomiste de la tradition de Moïse (Dt 28.48) à travers l’expression AUD:FO> O]U!% O>R WQ Z! «et il te mettra un joug de fer sur ton cou». La soumission aux étrangers figure parmi les malédictions prononcées lors de la célébration et la conclusion de l’alliance au sanctuaire de Sichem (Dt 27.1-28.68). Selon les termes de cette alliance, le peuple sera soumis aux ennemis envoyés par YHWH au cas où il l’abandonnerait et n’écouterait pas sa voix (Dt 28.45ss). «YHWH lancera contre Israël une nation venue de loin, du bout du monde, volant comme un aigle… elle l’assiégera dans toutes ses villes jusqu’à ce qu’écroulent dans le pays les hauts remparts fortifiés, … elle l’assiégera dans toutes 433
les villes, dans tout le pays, celui que YHWH son Dieu lui donne». Dans ce texte, la servitude à une nation étrangère, conséquence de la rupture de l’alliance, s’accompagne de la dépossession du pays, c’est-à-dire de la déportation et de la captivité (Jos 10.24; Jg 5.30; 8.21, 26). Le jugement de YHWH contre son peuple à travers la métaphore des liens au cou cadre avec le message du livre de Jérémie. Il concerne les membres du milieu royal de Juda et a trait à la soumission à Babylone. En effet YHWH ordonne à Jérémie de porter une barre de joug sur son cou présage de l’asservissement de Sédécias et du peuple de Juda à la puissance néo-babylonienne. Cet acte symbolique vise à décourager les négociations diplomatiques entre les ambassadeurs des petits pays voisins et Sédécias en vue de résister aux armées babyloniennes. Le message de Jérémie est clair: il n’y a pas de choix aussi bien pour Sédécias que pour les rois des pays voisins, en dehors de la soumission (Jr 27.8, 11,12). Devant le refus de Sédécias d’écouter la parole prophétique, Jérémie a annoncé la destruction du Temple et de la royauté de Juda. Le joug babylonien qui fut évité mais arriva en 587340. Lorsque 8.8a parle des eaux qui atteignent le cou de Juda, c’est donc une manière symbolique d’interpréter la chute de Juda par les Babyloniens lors de la catastrophe de 587. A partir de cette date, Israël fut dominé par Babylone. 4.5.5.3.2.4 Remplir le pays Le débordement des rives du Fleuve qui remplit l’étendue du pays invite à penser à trois éléments en rapport avec la domination étrangère. Il s’agit de la puissance, du débordement et de la destruction. Ces trois se situent dans la tradition de l’exode. L’idée de la puissance de la domination étrangère est évoquée lorsque les enfants d’Israël qui, par leur nombre, sont devenus une menace pour les Egyptiens (Ex 1.7). Celle du débordement concerne les maisons des Egyptiens remplies des mouches (Ex 8.17) et de sauterelles (Ex 10.6) lors des plaies envoyées par YHWH. La destruction enfin concerne Pharaon et les Egyptiens qui furent engloutis par la mer (Ex 15.9-11). Lu à la lumière de la tradition de l’exode, 8.8 applique à Juda les plaies d’Egypte et la destruction du Pharaon et de son peuple par la main puissante de YHWH. 340 J. SCHREINER, Jeremia 1-25,14, 1985; pp. 160-161.
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Concrètement cette destruction suppose la domination par les étrangers, en l’occurrence les Babyloniens en 587. Elle est synonyme de la fin de règne et résulte de la désobéissance. La fin du règne est évoquée dans le cas de Saül (1 S 16.1; 28.20) et Jéroboam pour avoir pratiqué l’idolâtrie (1 R 13). Il en est ainsi de Manassé (2 R 21.16), de Yoyakim (2 R 24.4) et enfin de Sédécias qui «fit exactement comme son père Yoyakim» (2 R 24.19). A cause de l’idolâtrie, ils se firent déposséder de leur pays et YHWH le confia à d’autres. Ainsi, Sédécias n’imita pas David ou Salomon, mais Saül, Jéroboam, Manassé et autres qui, à cause de l’idolâtrie, connurent la fin de leur règne. Le livre de Jérémie et celui d’Ezéchiel évoquent d’une part le siège (Jr 6.11; Ez 5.2) et la dévastation (Jr 8.16) de Jérusalem à cause de l’idolâtrie de Sédécias, et d’autre part ils présentent la fin tragique de son règne (Ez 7.19) à cause de l’endurcissement de son cœur. Tout cela fut l’œuvre d’une nation que YHWH fit venir du Nord (Jr 4.5-12ss). L’incrédulité et l’idolâtrie qui remplissaient le pays de Juda sous Sédécias portaient en elles-mêmes une force de destruction semblable à celle des eaux du Fleuve que YHWH envoya contre Juda. Cette destruction fut l’œuvre du roi de Babylone que YHWH appelle «mon serviteur» (Jr 23.10). L’étude des effets dévastateurs des eaux du Fleuve vient de confirmer l’allusion dans 8.5-8* à la destruction de Jérusalem et de son Temple par les Babyloniens en 587 et leur domination sur Juda. Cette catastrophe est l’œuvre de YHWH qui s’est servi de Babylone, une nation étrangère, afin de châtier Juda et la dynastie davidique qui l’ont abandonné et rejeté sa parole. Cette explication se conforme à la version exilique de la promesse de Nathan: «S’il commet une faute, je le corrigerai en me servant d’hommes pour bâton et d’humains pour le frapper» (2 S 7.14b). La faute dont il est question dans ce texte est le rejet de la parole de YHWH exprimée en 8.6 dans la métaphore du rejet des eaux de Siloé.
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4.5.6 Conclusion Notre hypothèse consistait à démontrer que 8.5-8* est un texte relatif à la catastrophe de 587. Œuvre des prophètes cultuels influencés par la théologie deutéronomiste, ce texte interprète la destruction du Temple et la chute de Juda en 587 comme la conséquence du rejet de la parole de YHWH par les dirigeants et le peuple de ce royaume. Ce texte se caractérise par l’emploi de la métaphore des eaux pour désigner aussi bien l’action de Juda que celle des Babyloniens. Nous avons démontré également que le placement du texte relatif à la chute de Jérusalem immédiatement après celui qui concerne le déclin de Samarie sous-entendait une stratégie rédactionnelle. Les rédacteurs voulaient montrer deux choses. La première: la menace dont Juda avait été victime venait de se réaliser. La seconde: Juda n’a pas tiré les leçons de la chute du royaume frère. L’interprétation de la chute de Juda est ainsi influencée par les traditions du Nord dont les rédacteurs exiliques s’étaient faits les héritiers. Parmi ces traditions il y a d’abord le culte du veau d’or (Ex 32.9, 21, 31; Dt 9.13, 27) et la demande de la viande (Nb 11.11-13). Le malheur qui s’abat sur Juda correspond à la malédiction, aux plaies (Ex 7.8-25; 8.17; 10.6; Dt 7.20; 28.20, 48) et à la mort (Ex 15.9-11) infligée à Pharaon et aux Egyptiens à cause de l’endurcissement de leur cœur. Ensuite les traditions royales du Nord sont actualisées pour caractériser le péché et le sort de Sédécias et de son royaume. Pour les rédacteurs deutéronomistes, Sédécias s’était démarqué de David et de Salomon ses pères, pour imiter Saül (1 S 15.18), Achab (1 R 20.42; 22.38) et Jéroboam (1 R 12.1-33). Contrairement à David qui infligeait des défaites à ses ennemis et Salomon qui dominait un grand territoire, Sédécias est vaincu par ses ennemis et son territoire assujetti aux étrangers. Cette situation donne lieu à l’expansion exilique de la promesse de Nathan (2 S 7.14). Des échos se trouvent dans certains textes de Jérémie et d’Ezéchiel qui présentent la chute de Juda, l’incendie de Jérusalem et la destruction de son Temple comme l’œuvre des Babyloniens, des étrangers envoyés par YHWH afin de châtier son peuple. Ces actes seront plus tard interprétés comme la cause de la chute de Babylone en 539. De cette chute, il est question dans le chapitre suivant.
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4.6 Le déclin et l’arrogance du roi de Babylone (14.4-23) 4.6.1 Introduction Le caractère composite des vv. 4-23 a été observé par nombre d’auteurs341. La plupart d’entre eux distinguent les vv. 22-23 du reste du texte342 à cause du caractère général de la destruction de Babylone. La péricope serait un OYP qui se sert de la forme de KQ \T, 343pour interpréter la chute du roi de Babylone344. Cette interprétation représente trois éditions distinctes organisées suivant le plan qui va de la crise à la paix. La rédaction de crise (RC-Dtr) concerne le déclin du roi de Babylone historique à la fin de l’exil babylonien (vv. 3-11), alors que la paix est représentée par deux couches rédactionnelles, respectivement à l’époque perse (vv. 21-23 = P1-S) et apocalyptique (vv. 12-20 = P2-AP). La disposition de ces trois éditions ne respecte pas le plan traditionnel (RC-Dtr) – (P1-S) – (P2-AP). C’est plutôt l’ordre suivant qui est attesté dans les vv. 4-23: (RC-Dtr) – (P2-AP)-(P1-S). Ce plan qui place le texte d’origine apocalyptique avant celui de la rédaction de l’époque perse n’est pas étranger à la stratégie rédactionnelle du livre. Il explique l’emplacement du ch. 34 (P2-AP) avant les chs. 35 et 36-39 (P1-S). Le but de cette stratégie rédactionnelle aurait été d’associer la chute de Babylone (vv. 4-23) à celle de l’Assyrie (vv. 24-27) d’une part et de jeter un pont entre les 39 premiers chapitres d’Esaïe et les chs. 40-66, d’autre part. La question de l’identité du roi (de Babylone) à laquelle est aussi liée celle de l’authenticité du texte est discutée. Ce roi est associé tantôt aux rois assyriens (Téglath Piléser III († 727)345, Sargon II346, 341 O. KAISER, Der Prophet Jesaja, Kapitel 13-39, 1973, p. 27; J. VERMEYLEN, Du prophète Isaïe à l’apocalyptique, 1977, p. 294; R. E. CLEMENTS, Isaiah 1-39, 1980, p. 139; J. BLENKINSOPP, Isaiah 1-39, 2000, p. 285; B. S. CHILDS, Isaiah, 2001, p. 123. 342 J. VERMEYLEN, Du prophète Isaïe à l’apocalyptique, 1977, p. 294; R. E. CLEMENTS, Isaiah 1-39, 1980, p. 139; J. B LENKINSOPP, 2000, p. 285; B. S. CHILDS, Isaiah, 2001, p. 123. 343 J. KILIAN, Jesaja 13-39, 1994, p. 102. 344 O. KAISER , Der Prophet Jesaja, Kapitel 13-39, 1973, p. 29; B. S. CHILDS , Isaiah, 2001, p. 2001, p. 123. 345 J. H. HAYES et S. A. I RVINE, Isaiah, the Eighth-Century Prophet, 1987, pp. 227-228. 346 H. BARTH, Die Jesaja-Worte in der Josiazeit, 1977, p. 136; S. E RLANDSON, The Burden of Babylon, 1970, p. 161; B. S. CHILDS, Isaiah, 2001, p. 123. Selon l’auteur,
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Sennachérib347, tantôt babyloniens: Merodach-Baladan348, Nebuchadnetzar II († 562)349, Nabonide († 538)350. A propos du caractère mythique et apocalyptique, H. Wildberger affirme que le roi de Babylone pourrait aussi représenter une figure type351 d’un règne quelconque d’un roi étranger caractérisé par la cruauté et la violence, un roi qu’en fin de compte YHWH détruira. Comme dans le ch. 13 d’Esaïe, le thème de la chute de Babylone occupe une place centrale dans le ch. 14, en particulier les vv. 4-11 et 21-23. Toutefois ces textes sont intercalés par un autre qui concerne le renversement de l’Astre brillant (vv. 12-20). Ces trois textes représenteraient trois éditions qui démontrent comment le thème de la chute de Babylone a été interprété par la tradition ésaïenne. L’existence de la triple édition dans le texte sur la chute de Babylone suggère d’associer le roi de Babylone à Nabonide. La relecture de l’histoire de son déclin à la fois à l’époque de l’essor du 2e Temple et à l’époque hellénistique fera de Babylone un nom Code. Pour la rédaction de l’époque perse (P1-S), ce nom symbolisera les Juifs impies pratiquant l’idolâtrie pendant la période de l’essor du 2e Temple (vv. 21-23). La rédaction de l’époque hellénistique (P2-AP), quant à elle, associera le roi de Babylone à Antiochus Epiphane IV, dont la mort est interprétée comme la conséquence de sa politique de profanation du Temple et de la persécution des Juifs (vv. 12-20). Dans ce texte ce monarque séleucide est l’historicisation du mythe de U[Y % OOH\KH (v. 12). L’intention de cette triple rédaction est la même: proclamer la souveraineté de YHWH et condamner l’arrogance humaine qui le défie. Cette attitude se manifeste à travers l’exécution de plans et d’actions qui relèvent uniquement de YHWH. La présentation de Babylone sous ses différentes formes comme une nation concurrente de YHWH constitue une des stratégies de la rédaction du livre d’Esaïe. Nous l’avons rencontrée dans tous les textes relatifs au malheur à la fois de Juda et des autres nations: Aram, Israël (Ephraïm), Egypte, l’Assyrie et Baby-
347 348 349 350 351
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le poème se réfère originellement à Orgon II mais fut ensuite appliqué au roi de Babylone. J. BLENKINSOPP, Isaiah 1-39, 2000, p. 287. J. D. W. WATTS, Isaiah 1-33, 1985, p. 204. O. PROCKSCH, Jesaja I: Kap. 1-39, 1930, pp. 195-196. B. DUHM, Das Buch Jesaja, 1902, 2e éd., p. 90. H. WILDBERGER, Jesaja 13-27, 1978, pp. 542-543.
lone. Cela n’est pas différent en ce qui concerne les petites nations incorporées dans le sort des grandes du fait de leur alliance avec ces dernières. La rédaction ésaïenne concernant le châtiment de l’arrogance de Babylone s’inspire du Pharaon qui a opprimé les Israélites et tenté de les empêcher d’aller servir YHWH, leur Dieu. Dans l’histoire royale d’Israël, l’orgueil caractérise le comportement de Saül qui a gardé le peuple d’Israël tout un jour sans manger, malgré la victoire que YHWH lui a accordée sur les Philistins. Dans l’un comme dans l’autre cas, ce comportement a conduit à la mort. Cette mort a été chantée dans un /90. En effet Moïse a entonné une complainte sur la mort de Pharaon (Ex 15), et David a fait de même sur la mort de Saül (2 S 1.17-27). Le chant en lien avec la mort d’un roi qui a méconnu la souveraineté de YHWH et oppressé ses sujets, suggère de considérer le culte comme son Sitz im Leben. Il donne l’occasion aux fidèles de proclamer la gloire et la victoire de YHWH sur ses ennemis. Il n’est pas question d’y pleurer, mais de se moquer de l’ennemi. La fin de la domination babylonienne avec le retour des exilés offre une occasion de relire la tradition de l’exode352 notamment celle de la destruction du Pharaon et des Egyptiens. Elle donne lieu à un chant funèbre à l’exemple de celui de Moïse et de Myriam qui jubilèrent sur le sort de l’Egypte (Ex 15). YHWH a manifesté sa puissance en libérant son peuple de l’exil babylonien, comme il le fit lors de la délivrance de la servitude égyptienne. En libérant Israël de la servitude YHWH met Israël à son service. Ce service a pour lieu Jérusalem, dans le Temple. La libération des exilés de Babylone a pour but de les ramener dans leur pays où ils ne serviront que YHWH, loin des idoles des nations étrangères. Car, ils représentent un nouvel Israël qui renoue avec YHWH qu’il (re)découvre comme un Dieu libérateur et défenseur de son peuple contre les dangers. Dès ce moment, la religion de YHWH connaît l’étape de cristallisation. Le déclin de Babylone rappelle la chute de l’Assyrie que la Pâque a célébrée au temps de Josias. Ce fut un renouvellement de l’alliance de YHWH avec son peuple, comprise en même temps comme l’accomplissement de la promesse de Nathan faite à David, d’une 352 D’ailleurs la racine IJQ en 14.2, 4 est abondamment utilisée dans l’«histoire de la servitude en Egypte»: J. PONS, L’oppression dans l’Ancien Testament, 1981, p. 107.
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dynastie stable. Cela veut dire que YHWH, en châtiant Babylone vient de manifester sa souveraineté et de protéger la royauté davidique, dont Israël, en l’absence de la royauté, exerce la fonction royale. Avant de procéder à l’analyse des textes, il est utile de nous assurer de leur délimitation.
4.6.2 Délimitation du texte Les vv. 4-23 sont situés entre les vv. 1-3 et 24-27. Si leur démarcation avec le dernier texte ne pose aucun problème du fait qu’il est destiné à l’Assyrie, leur lien avec les vv. 1-3 fait l’objet d’un débat. Car pour les uns, les vv. 1-23 constituent une unité littéraire353, alors que d’autres retiennent les vv. 4b-21354 ou 4b-23355. D’autres encore, tiennent les vv. 4-23 pour une unité littéraire356. Ces délimitations posent certains problèmes du fait de l’existence de tensions internes, parmi lesquelles: – la rupture entre les vv. 1-2 et 3-4a; – le changement du destinataire à partir des vv. 12 et 21. a) La rupture entre les vv. 1-2 et 3-4a. La rupture entre ces versets a été évoquée par certains auteurs357. Parmi les raisons invoquées, il faut retenir la désignation d’Israël à la 3e personne du pluriel dans les vv. 1-2 contre la 2e personne du singulier dans 353 R. KILIAN, Jesaja 13-39, 1994, p. 101. 354 B. DUHM, Das Buch Jesaja, 1902, 2e éd., p. 89; O. PROCKSCH, Jesaja I: Kap. 139, 1930, p. 193; G. FOHRER, 1966, 2e éd., pp. 191-192; H. BARTH , Die JesajaWorte in der Josiazeit, 1977, p. 119; J. VERMEYLEN, Du prophète Isaïe à l’apocalyptique, 1977, p. 292; J. N. OSWALT, The Book of Isaiah, 1986, p. 311; R. M. SHIPP, Of Dead Kings and Dirge, 2002, pp. 133-140. 355 O. KAISER , Der Prophet Jesaja, Kapitel 13-39, 1973, pp. 25, 38; B. S. CHILDS, Isaiah, 2001, p. 126. 356 H. WILDBERGER, Jesaja 13-27, 1978, pp. 531ss; P. HÖFFKEN, Das Buch Jesaja, Kapitel 1-39, 1993, pp. 131-137; J. BLENKINSOPP, Isaiah 1-39, 2000, pp. 282-288. 357 J. VERMEYLEN, Du prophète Isaïe à l’apocalyptique, 1977, p. 294; H. WILDBERGER, Jesaja 13-27, 1978, p. 524; P. HÖFFKEN , Das Buch Jesaja, Kapitel 1-39, 1993, pp. 131-132; W. BRUEGGEMANN, Isaiah 1-39, 1998, pp. 123-124; J. BLENKINSOPP , Isaiah 1-39, 2000, p. 281.
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les vv. 3-4a358. Le «Tu» dans ces derniers versets semble introduire les deux élégies (vv. 4b-11 et 12-20). La différence entre les vv. 1-2 et 3-4a est en plus marquée par le contenu de chaque texte. Le premier texte développe les thèmes suivants: la nouvelle élection de Jacob par YHWH, (Cf. Za 1.17; 2.16)359; l’attachement des étrangers à la maison d’Israël (Cf. Za 2.15), le grand retour vers un pays (Ez 37.14) de repos existant, le lieu de destination finale (Cf. 18.17; 60.13). Alors que dans le second, le repos vient après le tourment et la servitude qui rappellent l’oppression d’Egypte (Cf. l’expression KGE> R K@ PLen Ex 2.23; 6.6, 9)360. C’est en tout cas la situation d’Israël à la fin de l’exil babylonien (Cf. 54.6) qui semble prévaloir dans les vv. 3-4a. Elle est différente de celle évoquée dans les vv. 1-2 où les motifs qui y sont développés se rapprochent du ch. 60 et du livre de Zacharie. D’une part, Es 60 révèle le conflit entre les «Justes» et les «Impies» à la fin de la Diaspora dans le contexte de la lutte contre l’idolâtrie et de l’autre, il exprime l’espérance juive pour la restauration361. Il trouve des échos dans les livres d’Esdras, Néhémie362 et des Chroniques. b) Le changement du destinataire aux v. 12 et 21 Les vv. 4-11 semblent s’adresser au roi de Babylone (OE% OP) , tandis que le destinataire en vv. 12-20 est désigné par U[Y %OOH\KH. En outre le fait que le v. 12 commence par \DH donne lieu à l’introduction d’une nouvelle unité littéraire. Les vv. 21-23, quant à eux concernent le châtiment divin contre Babylone et sa postérité. Ce texte se distingue des autres en ce qu’il fait intervenir YHWH agissant à la 1re personne du masculin singulier. De plus, il est difficile d’imaginer un texte adressé à un destinataire portant trois noms différents. Aussi est-il possible d’envisager l’existence de trois unités littéraires mises ensemble autour du thème de la chute du roi de Babylone. En effet le placement de ces versets après vv. 4-11 et 12-20 explique la fonction rédactionnelle qui leur est confiée afin qu’ils servent de texte de châtiment pour les deux 358 J. VERMEYLEN, Du prophète Isaïe à l’apocalyptique, 1977, p. 294; P. HÖFFKEN , Das Buch Jesaja, Kapitel 1-39, 1993, p. 131. 359 J. VERMEYLEN, Du prophète Isaïe à l’apocalyptique, 1977, p. 296. 360 P. HÖFFKEN , Das Buch Jesaja, Kapitel 1-39, 1993, p. 131. 361 R. E. CLEMENTS, Isaiah 1-39, 1980, p. 138. 362 J. BLENKINSOPP, Isaiah 1-39, 2000, p. 282.
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unités. En tant que tels, les vv. 21-23 mettent fin à l’ensemble du texte sur le malheur de Babylone qui commence en 13.1 et introduit les vv. 24-27 où il est question du châtiment divin contre l’Assyrie. Ces observations confirment l’hypothèse de l’existence de trois unités dans les vv. 4-23; à savoir vv. 4-11, 12-20 et 21-23. Elles sont introduites par les vv. 1-3 qui circonscrivent le cadre général présentant Israël comme l’heureux bénéficiaire du salut au moment où YHWH châtie ses ennemis. La délimitation ainsi assurée, nous procédons à la traduction.
4.6.3 Traduction V. 4. V. 5.
On entonnera cette satire sur le roi de Babylone et on dira: comment l’oppresseur a-t-il fini, l’assaut363 a cessé? YHWH a brisé le gourdin des méchants et le bâton des dominateurs,
363 1QIsa et d’autres manuscrits (Symm., Theod. Syr., et Tg) (Cf. J. BLENKINSOPP, 2000, p. 284), lisent au v. 4 KEKHUP «assaut» de EKU (B. DAVIDSON, 1997, p. 468) «malmener» (P. R EYMOND, 2002, p. 347), «agir tapageusement, brutalement, avec arrogance» (F. BROWN , 1997, p. 923) (Cf. la LXX) à la place de KEKHG!P. Cette correction est dûe à la confusion de U pour G. KEKHG!P est un hapax legomenon. Dans sa concordance, G. Lisowsky rend le terme par «Goldforderung» (G. LISOWSKY, 1993, p. 753. Ce sens dérive de EK](hébreu) et EKG (araméen: Dn 2.32, Esd 5.14) = «or». Cf. H. WILDBERGER, 1978, p. 533). Certains dictionnaires l’ignorent tout simplement, car inconnu de l’hébreu (J. D. W. WATTS, 1985, p. 201; J. N. OSWALT, 1986, p. 314). Ce qui n’est pas le cas avec la variante où nombre de critiques soutiennent la leçon (P. REYMOND renvoie tout simplement à la variante (p. 347); cf. H. WILDBERGER, 1978, p. 533; J. BLENKINSOPP , 2000, p. 284) qu’ils considèrent comme correspondant au contexte. La racine d’où dérive la variante est totalement appropriée au contexte. Le problème textuel ne peut être résolu que lorsque nous prenons en considération la structure de la phrase (v. 4a): KEKHUP KWEYIJ(Q2WEY\DH. Cette phase est un parallélisme synonymique où KEKHUP correspond àIJ(Q2. Parce que IJ(Q2 signifie «oppresseur» (cf. 3.12), son correspondant ne peut pas avoir le sens de l’or. C’est donc vers KEKHUP «malmenant, tyran, arrogant» Hi. part. de EKUqu’il faut se tourner (B. GOSSE, 1988, p. 206; J. N. OSWALT; R. E. CLEMENTS, 1980, p. 141, cf. aussi H. M. ORLINSKY , VT 7 (1957), pp. 202s. et S. ERLANDSSON , 1970, pp. 29-32).
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qui frappait sans répit, subjuguant364 des nations dans sa colère, les persécutant sans ménagement. V. 7. Toute la terre reste calme et en repos, on éclate en cris de joie. V. 8. Même les cyprès se réjouissent sur toi. Les cèdres du Liban disent sur toi: tu es tombé, il ne montera plus pour nous abattre. V. 9. Le Shéol s’émeut dans ses profondeurs pour t’accueillir à ta venue. Il réveille devant toi les ombres, tous les grands de la terre, Il fait lever de leurs trônes tous les rois des nations. V. 10. Tous sont préoccupés pour te dire: Toi aussi, tu es sans force comme nous, Tu es devenu semblable à nous! V. 11. Ta magnificence a dégringolé dans le Shéol. Au son de tes luths; sous toi est une couche de vers, devenus tes couvertures.
V. 6.
4.6.4 Structure du texte Examiné sur la base de la forme littéraire, le texte d’Es 14.4-23 présente la structure générale à deux élément: l’introduction du châtiment (v. 4a) et le châtiment proprement dit (vv. 4b-23). Alors que le v. 4a donne le cadre général du châtiment de Babylone, les vv. 4b-23 distinguent d’une part les destinataires, la nature et les causes du châtiment, 364 Au v. 6b, le Syriaque et le Targum lisent #'HUP pi part. de#GU «poursuivre» en lieu et place de #'U!PX substantif de #GU ou ho. part. de #GU. Etant donné que le v. 6 est un parallélisme synonymique, nous allons analyser cette structure avant de décider:I[\OL%#'U!PXa\,$*#DEKGURKUV\7LO%LW.PKUE>%a\0L>K.P. La première proposition (v. 6a) commence avec Hi.part. de KNQ. Dans la seconde partie, c’est W.P subst. qui poursuit l’idée. Si nous veillons à respecter cet ordre, alors nous aurons dans la seconde proposition un participe à la tête et un substantif à la suite. ! X «persécution» de #GU «persécuter» est approprié. Ainsi le TM se mainAlors #'UP tient. Etant donné que I[ \OL% détermine #'U!PX, comme KUV \7LO%L l’est pour W.P, le qal I[de TM bouleverse la structure de la proposition. Le TM est préoccupé par la structure phonétique de la phrase, c’est-à-dire la terminer avec le son de qames (KUV en v. 6a et I[ en v. 6b) sans pour autant faire attention à la forme grammaticale des mots. Car KUV est un substantif alors que I[ est un verbe au qal. Normalement il devrait s’agir d’un substantif si nous veillons à la structure de la phrase. A cet effet, l’éditeur propose I[@ ou I[\ OL%. Sur la base de notre précédente explication, la deuxième alternative ne peut être retenue. Il ne reste donc que I[@ l’infinitif que nous retenons (H. WILDBERGER, 1978, p. 534, B. GOSSE , 1988, p. 208).
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et d’autre part précisent les conséquences pour le royaume de YHWH. Cette structure peut répondre au schéma suivant: a) Introduction du châtiment (v. 4a). – Le jour pour entonner le Mashal sur le roi de Babylone b) Le châtiment de YHWH – Contre le roi de Babylone (vv. 4b-11). – YHWH brise le bâton des méchants, la verge des dominateurs (v. 5). – Les causes de la chute: la terreur et la violence envers les peuples et les nations (v. 6) – Les implications de la chute: le repos et la joie (v. 7-8) – Le dernier sort du roi de Babylone: la descente aux enfers (v. 9) – Les propos de moquerie des rois des nations (vv. 10-11). – Contre l’Astre brillant (vv. 12-20). – L’élégie sur la chute de l’Astre brillant (v. 12a) – Les causes de la chute: l’arrogance et l’hybris (vv. 13-14) – La descente dans les enfers – L’élégie dans le séjour des morts (vv. 16-17) – Le manque de repos, l’humiliation et l’isolement de l’Astre brillant (vv. 18-20). – Contre Babylone et sa descendance (vv. 21-23). – L’ordre divin en vue de préparer le massacre des fils (v. 21) – L’anéantissement de Babylone: action punitive de YHWH Tsebaoth (vv. 22-23). La structure du texte ainsi esquissée permet d’observer que les vv. 4b11 et 12-20 présentent une architecture parallèle qui est couronnée par les vv. 21-23. Du fait que ces derniers versets font intervenir YHWH, comme agent du châtiment, ils servent d’une part de conclusion365 sur le thème du châtiment contre Babylone, et d’autre part de lien avec le ch. 13366 et 14.1-3.
365 B. S. CHILDS , Isaiah, 2001, p. 127. 366 P. HÖFFKEN , Das Buch Jesaja, Kapitel 1-39, 1993, p. 137.
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Dans notre analyse l’intérêt sera particulièrement porté sur les passages qui font état de ces fonctions. En d’autres termes, nous n’allons pas examiner toute la péricope. Les passages de la péricope seront examinés en cas de besoin, s’ils aident à l’interprétation des passages clés. Venons-en à l’analyse proprement dite.
4.6.5 Analyse littéraire et commentaires 4.6.5.1 Introduction En 539, le roi babylonien Nabonide tombe entre les mains de la coalition des Mèdes et des Perses. Cette coalition marque également le déclin de Babylone comme puissance mondiale. Cette chute profite à Israël, surtout aux exilés à Babylone. Elle donne lieu à la fin de la captivité et ouvre la voie au retour des exilés, à la restauration et surtout à la reconstruction du Temple. La chute de Babylone donne au peuple d’Israël et à ses prophètes l’occasion d’entonner une oraison funèbre, sur son roi. Elle offre une occasion de se souvenir des hauts faits divins contre les ennemis depuis la destruction de Pharaon lors de l’exode et la chute de l’Assyrie sous Josias en passant par les défaites des ennemis de David et Salomon. Le silence du texte sur le nom du roi de Babylone a donné lieu à plusieurs opinions que nous avons recensées antérieurement. Dans les pages qui suivent, nous allons essayer de contribuer au débat sur cette question. 4.6.5.2 Une élégie sur le roi de Babylone Il ne fait aucun doute que les vv. 4b-11 parlent de la chute du roi de Babylone367 en la personne de Nabonide, le dernier roi de l’empire babylonien. L’espoir du retour de l’exil qu’il suscite est un rappel de l’histoire de la libération des Israélites sous la conduite de Moïse368 dont un large écho retentit dans le «Deutéro-Esaïe» (chs. 40-48)369. 367 O. KAISER, Der Prophet Jesaja, Kapitel 13-39, 1973, p. 27; R. E. CLEMENTS, Isaiah 1-39, 1980, p. 140; J. D. W. WATTS , Isaiah 1-33, 1985, p. 204; B. CHILDS, Isaiah, 2001, p. 123. 368 J. BLENKINSOPP, Isaiah 1-39, 2000, p. 286. 369 Ibid.
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Dans notre démarche nous allons donc vérifier d’une part l’association de Nabonide à la personne du roi de Babylone ainsi que le lien littéraire entre les vv. 4-11 et le «Deutéro-Esaïe». Etant donné que la chute de ce roi est exprimée dans un OYP, l’analyse approfondie du concept pourrait s’avérer décisive dans la compréhension de l’ensemble du texte ainsi que dans la solution des problèmes qu’il pose. 4.6.5.2.1 Le cadre littéraire de OYP Le OYP est introduit au v. 4b par \DH. Cette interjection exprime une exclamation de protestation, un reproche, une douleur dans un chant funèbre ou un regret370. Il s’agit en particulier d’un chant pour un roi mort371. Attesté dans le cadre de la tradition de l’exode, \DHse trouve dans la confirmation de Moïse dans sa mission de libération des Israélites et la fin de la servitude d’Egypte (Ex 6.12, 30). La libération définitive est intervenue après que YHWH ait manifesté la puissance de sa main en détruisant Pharaon et son armée dans la mer des Joncs. Associé à 14.4b, l’emploi de \DH donne lieu à une conclusion préliminaire: l’élégie sur le roi de Babylone aurait été prononcée par les prophètes au moment de la mort de ce roi qui marque également la fin de son royaume. La mort et la fin du règne d’un roi indiquent le contexte de l’emploi de \DH également dans l’histoire royale d’Israël. En effet cette interjection introduit la question de Samuel à YHWH au moment où il reçoit la mission d’aller consacrer David, roi d’Israël en remplacement de Saül désavoué par YHWH (1 S 16.2). En outre elle se trouve à la fois dans la question (2 S 1. 5, 14) et la complainte (KQ\TL) de David (2 S 1.19, 25, 27)372. Comme en Ex 6.12, 30 (P)373, l’emploi de \DH trouve son Sitz im Leben le culte. Cette interjection exprime la crainte de David de prendre l’arche après que YHWH ait mis Ouzza à mort (2 S 6.9).
370 P. REYMOND, Dictionnaire d’hébreu et d’araméen biblique, 2002, p. 30. 371 P. HÖFFKEN , Das Buch Jesaja, Kapitel 1-39, 1993, p. 133. 372 O. KAISER, Der Prophet Jesaja, Kapitel 13-39, 1971, p. 30; H. W ILDBERGER, II, 1978, p. 539; J. D. W. WATTS, Isaiah 1-33, 1985, p. 204; P. HÖFFKEN, Das Buch Jesaja, Kapitel 1-39, 1993, p. 133; J. BLENKINSOPP, Isaiah 1-39, 2000, p. 286; B. S. CHILDS , Isaiah, 2001, p. 126. 373 J. SCHARBERT, Exodus, 1989, pp. 33-34.
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A la lumière de ces observations, il y a lieu d’associer l’emploi de
\DH dans 14.4b à la vocation prophétique à l’exemple de celle de Moïse et la chute d’un roi, à l’instar de celle du Pharaon d’une part, ainsi qu’à l’élection de David au moment de la chute de Saül d’autre part. Alors que le roi de Babylone est vu à travers l’image de Pharaon et celle de Saül, Israël reçoit la fonction prophétique et sacerdotale respective de Moïse et d’Aaron, et le couronnement royal de David. La chute du roi de Babylone devient une occasion de reconnaître la souveraineté de YHWH sur les puissances terrestres et de susciter la foi en Lui comme le Dieu protecteur. Car YHWH a manifesté sa vengeance contre l’oppresseur en mettant fin à sa vie. Une telle conviction est chantée dans le sanctuaire de YHWH ainsi que le Psalmiste l’exprime (Ps 11.1; 73.17ss). Dans le Ps 11.1, le psalmiste a trouvé refuge dans le Temple face aux méchants374. Le refuge du fidèle se fait au détriment des infidèles. Le Ps 73.17, texte du début de la période postexilique375, montre la sortie de la crise pour le croyant et la fin tragique de l’infidèle376. L’infidèle qui termine mal, c’est le roi de Babylone en 14.4b. Cette association est confirmée dans le Ps 137.4ss et dans le livre de Jérémie (Jr 50.23; 51.41). Dans le Ps 137.4ss, \DH est prononcé dans la complainte des juifs à Babylone sur leur sort (Ps 137.4). Ce psaume se termine en s’adressant à la fille de Babylone promise au ravage et en proclamant «heureux qui te traitera comme tu nous as traités». Cette note de vengeance et de renversement de situation se retrouve dans Jr 50.23; 51.41. Dans ces deux derniers textes, \DH revient dans l’expression a\,$*% OE% K0YO KW\!K \DH «comment Babylone est-elle devenue la désolation au milieu des nations?». Comparés à 14.4b ces textes révèlent des ressemblances frappantes aussi bien sur le plan de la forme que du fond comme on peut l’observer dans le tableau cidessous:
374 H.-J. KRAUS , Psalmen I, 1972, p. 89. 375 A. DEISSLER, Die Psalmen II (Ps 42-89), 2e éd., 1967, p. 115. 376 H.-J. KRAUS, Psalmen II, 1972, p. 73; E. Z ENGER, Die Nacht wird leuchten wie der Tag, 1997, p. 450; F.-L. H OSSFELD et E. Z ENGER , Die Psalmen II, 2000, p. 422.
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Es 14.4b Jr 50.23
IJ(Q2WEY\DH CKEKHU!PKWEY >'J!Q,\DH Comment est rompu
UDKO.Y\-L3UEH9ODHUI\,\EL&K L’élite d’Israël a péri sur tes collines Ca\U,$%J,:OSQ\DH Comment! les héros sont tombés 2 S 1.25: :a\U,%RJ,:OSQ\DH Comment! les héros sont tombés COO[A\W$P%O>WQ$K\!KP[O0LK$W% Es 14.4: :
Au milieu du combat. Jonathan est tué sur tes collines 2 S 1.27: :a\U,$%J,:OSQ\DH Comment! les héros sont tombés CKP[OPL\OH.:GED WZDJ@ Z ! «et j’abattrai l’arrogance des tyrans»402 est reprise sous une autre forme dans un texte apocalyptique en 25.11, $WZD*@ O\3LYK ZL ! «son arrogance a été abattue». La différence réside dans le fait qu’en 13.11, c’est YHWH lui-même qui parle, tandis qu’en 25.11, le rédacteur rapporte l’action de YHWH. Que signifie alors la fin de l’oppression telle que rapportée par l’expression IJ(Q2 WEY? Du fait que cette expression est parallèle à KEKUH P! KWEY , la fin de l’oppresseur signifie également celle de la violence. J. Blenkinsopp a raison lorsqu’il rapproche l’oppression et la violence de la souffrance imposée par le Pharaon aux Israélites (Ex 3.7; 5.6, 10, 13,14) en Egypte403 dont YHWH a libéré son peuple. Cette 400 O. H. STECK, Bereitete Heimkehr, 1985, pp. 25-30, 101 (L’auteur a développé à partir de ces ressemblances la théorie selon laquelle le ch. 35 servirait de pont entre le «Proto- et le «Deutéro-Esaïe»); B. M. ZAPFF, Jesaja 40-55, 2001, p. 315. 401 A. H. J. GUNNEWEG, Geschichte Israels bis Bar Kochba, 2nd, 1976, p. 122; S. HERRMANN , Geschichte Israels, 1973, pp. 361-362; H. D ONNER , Geschichte des Volkes Israels, 2. Teil, 1986; p. 392; R. ALBERTZ, Die Exilszeit, 2001, p. 98; D. KINET , Geschichte Israels, 2001, p. 187; K. R. VEENHOF, Geschichte des Alten Orients, 2001, p. 285. 402 Nabonide fut connu pour son pouvoir, sa richesse et sa violence (Jr 50): K. R. VEENHOF, Geschichte des Alten Orients, 2001, p. 286. 403 J. BLENKINSOPP, Isaiah 1-39, 2000, p. 286.
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libération est intervenue après la célébration de la première Pâque (Ex 12.15). Elle est évoquée dans l’histoire de la royauté en rapport avec le traitement que Saül infligea au peuple d’Israël, en le forçant à rester sans manger toute la journée, malgré la victoire que YHWH lui a accordée sur les Philistins (1 S 14.24). L’emploi de l’expression de la fin de l’oppresseur en 14.4b confirme la projection sur le roi de Babylone des attitudes du Pharaon et de Saül. Etant donné que le verbe WEY dérive de la même racine que le mot W%Y, la fin de l’oppresseur et la cessation de son assaut pourraient renvoyer à la théologie de la création (Gn 2.2, 3)404 qui suppose la mise en repos de toute chose, que ce soient les forces du chaos ou de la tyrannie. Cette fin suppose donc la création d’un nouvel Israël porté à respecter le Sabbat et toute la Torah. En 14.4ss, elle est surtout politique405. Le parallèle KEKU H P! (EKU) fait allusion à la violence politique clairement décrite dans le v. 6. 4.6.5.2.4.2 La violence sur les nations: causes de la chute Le v. 6 exprime les griefs reprochés au roi de Babylone motifs de sa condamnation à mort. Il s’agit de: 1. Frapper les peuples dans la colère et sans répit 2. Les subjuguer dans le courroux 3. persécuter les nations sans ménagement. 4.6.5.2.4.2.1 Frapper les peuples dans la colère Frapper les peuples avec fureur est le premier grief à la charge du roi de Babylone. La proposition KUE> % a\0L> K.P «celui qui frappait des peuples dans la fureur» traduit la violence et l’arrogance de la politique étrangère de Babylone, au cours de ses conquêtes militaires406. Non seulement on lui reproche la violence, mais en frappant les peuples le roi de Babylone se fait le concurrent de YHWH en utilisant MEYH et K-HP, 404 J. SCHARBERT, Genesis 1-11, 1985, 2e éd., p. 47 (l’auteur ne pense pas à une allusion de la fête de Sabbat, mais plutôt à l’action d’arrêter). Mais que signifie pour Israël, que Dieu arrête son travail, sinon qu’il appelle son peuple à sanctifier le repos divin par le culte? 405 J. PONS, L’oppression dans l’Ancien Testament, 1981, p. 107. 406 R. E. CLEMENTS, Isaiah 1-39, 1980, p. 141.
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les symboles de la justice souveraine de YHWH407 et en se faisant passer pour le roi des rois (nations). Car l’acte de frapper les nations comme les éléments de la nature relève de la souveraineté de YHWH. Il frappe lui-même408 ou il ordonne de frapper.409 Cet acte rappelle la tradition de l’exode, les plaies infligées aux Egyptiens410. Ainsi le roi de Babylone a usurpé les prérogatives de YHWH en frappant les peuples. Il imite pour ce faire le Pharaon d’Egypte qui soumit les Israélites à des durs travaux (Ex 5.14, 16). Son action témoigne de son arrogance et de sa méconnaissance de la souveraineté de YHWH. Le roi de Babylone est inexcusable. Il a non seulement recouru aux moyens de la justice de YHWH, mais il s’est comporté avec colère (KUE> % ) alors que la colère appartient à YHWH seul. En effet, sur les 36 mentions du terme KUE> «débordement, colère» dans la Bible hébraïque, 15 cas s’appliquent à YHWH.411. Ce terme s’applique aussi à l’homme (Gn 49.7) ou à une nation (Am 1.11: Edom). Il est associé à la violence humaine et à la malédiction qui attend celui qui se met en colère. KUE> exprime également l’arrogance de l’homme (Pr 21.4ss), d’une nation étrangère (16.6; Jr 48.30: Moab) ou d’un roi étranger (14.4-5: Babylone), dont le sort est la disparition (Pr 22.8). Dans le livre d’Esaïe, le mot KUE> est attesté 6 fois412. Alors que dans 4 cas (9.19; 10.6; 13.9.13), KUE> représente la colère de YHWH, ailleurs le mot illustre l’arrogance de nations étrangères envers YHWH: Moab (16.6) et Babylone (14.6). % a\0L> K.P a situé le roi de Babylone L’analyse de la proposition KUE> dans une confrontation avec YHWH. L’action de frapper dans la colère, tout comme la colère seule, relèvent de la justice souveraine de YHWH. C’est pourquoi, en y faisant recours dans sa politique, le roi de Babylone s’attire le châtiment divin. Car YHWH seul doit régner sur tous les peuples. Une telle affirmation fonde l’éthique des relations internationales qui condamne le recours à la violence sous toutes ses formes entre les nations. Par conséquent la reconnaissance de la souveraineté de 407 408 409 410 411
M. Z. BRETTLER, God is King, 1989, pp. 80-81. Ex 9.15; Lv 26.24; Nb 11.33; Ez 7.9; Os 6.1; Am 4.9; Ag 2.17; Za 12.4. Ex 8.12; 17.5; Dt 2.33; 3.3; 7.2; 20.13; Jos 10.10; Jr 20.4; 21.7; 29.21. Ex 3.20; 7.17, 20,25; 9.15; 12.12, 29; Nb 3.13; 33.4, etc. Ez 7.19; 21.36; 22.21.31; 38.19; Os 5.10; 13.11; Ps 7.7; 78.48; 85.3; 90.9, 11; Jb 40.11; Lm 2.2; 3.1. 412 Es 9.19; 10.6; 13.9, 13; 14.6; 16.6.
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YHWH devient un facteur de paix universelle. En tant que souverain, YHWH peut non seulement frapper les nations et les peuples, mais aussi les soumettre. Ce que le roi de Babylone ne lui concède pas. 4.6.5.2.4.2.2 Soumettre les nations dans le courroux La soumission des nations dans le courroux (#D) est la seconde accusation contre le roi de Babylone. Ce qui lui est reproché c’est sa politique étrangère de domination413. Car, à YHWH seul appartient la domination (41.2). Etant donné que le courroux est un des caractères exclusifs de YHWH, son usage par une personne humaine ou une nation devient un signe d’arrogance. En effet, le mot #D se réfère surtout à YHWH414 dans le livre d’Esaïe et rarement à quelqu’un d’autre (7.4). Il en est de même dans la plupart des livres de la Bible hébraïque415, en particulier les livres dtr416. Ces données statistiques font de 14.6 une exception où le courroux est attribué au roi de Babylone. Exclusivité de YHWH, #D pratiquée par le roi de Babylone contre les nations devient la cause de sa condamnation. Cette condamnation vise donc l’avènement d’une ère dépourvue de domination étrangère et de persécution. 4.6.5.2.4.2.3 Persécuter les nations sans ménagement Sur le compte des griefs reprochés au roi de Babylone se trouve également la persécution (#'UP ! X) des nations sans ménagement. Le terme #'UP! X est un hapax legomenon417. En elle-même, la persécution est une expression 413 R. E. CLEMENTS, Isaiah 1-39, 1980, p. 141. 414 Es 5.25; 9.11,16,20; 10.4, 5,25; 12.1; 13.3, 9,23; 26.11; 30.27, 30; 42.25; 48.9; 63.3, 6; 66.15. 415 Ex 4.14; 15.8; 22.24; 32.10, 11, 12; 34.6; Nb 11.1, 10, 33; 12.9; 14.18; 22.22 (de Dieu). 416 Dt 6.15; 7.4; 9.19; 11.7; 13.17; 29.19, 22, 23, 24, 26, .27; 31.17; 32.22; Jos 7.1.26; 23.16; Jg 2.14, 20; 3.8; 6.38; 10.7; 1 S 11.6 (à cause de l’esprit de Dieu); 2 S 28.18; 2 S 6.7; 24.1; 2 R 13.3; 23.26; 24.20. 417 Le mot dérive de la racine #GU attestée 135 fois dans la Bible hébraïque dont 49 dans les livres dtr (Jos 2.5, 7, 22; 7.5; 8.16, 17, 20, 24; 10.10, 19; 11.8; 20.5; 23.10; 24.6; Jg 1.6; 3.28; 4.16, 22; 7.23, 25; 8.4, 5, 12; 9.40; 20.43; 1 S 7.11; 17.52; 23.25, 28; 24.15, 25, 29; 26.18, 20; 30.8, 10; 2 S 2.19, 24, 28; 17.1; 18.16; 20.6, 7, 10, 13; 22.38; 24.13; 1 R 20.20; 2 R 5.21; 9.27; 25.5). La persécution est un thème associé à la poursuite des Israélites par les Egyptiens lors de l’exode (Ex 14.4, 8, 9, 23; 15.9; Ne 9.11).
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forte de la violence. Mais elle augmente en intensité lorsqu’elle est pratiquée sans ménagement (I[ \OL%) , c’est-à-dire sans pitié ni respect. La persécution des nations sans pitié reprochée au roi de Babylone rappelle les conquêtes humiliantes durant l’hégémonie babylonienne. Babylone infligeait des défaites à ses ennemis: Egypte (Jr 42.2; 43.1112), Qédar (Jr 49.28). Elle humiliait les prisonniers, même les rois, c’est le cas de Yoyakim et de Sédécias (Jr 29.21). Sa politique étrangère était caractérisée par des assassinats politiques et des déportations (Jr 52.27), des exterminations (Ez 9.2), des pillages de villes (Jr 37.10), des conquêtes brutales, etc.418 De tels actes sont contraires à la volonté de YHWH, lui qui préserve (Ps 19.14) son peuple malgré ses fautes et protège les rescapés (Esd 9.13). Selon Jr 50.17 la cruauté de Babylone était supérieure à celle de l’Assyrie. La grande faute qu’on reproche à Babylone est d’avoir mis fin à la dynastie de David et plongé la vie religieuse dans une crise sans précédent en détruisant le Temple de Jérusalem. C’est pourquoi, Israël l’accuse: «il m’a dévoré, il m’a sucé, Nabuchodonosor, roi de Babylone, il m’a laissé comme un plat léché, comme un monstre il m’a englouti, il s’est rempli le ventre de ma moelle et m’a rejeté» (Jr 51. 34). Bref, la situation qui est décrite est l’oppression d’Israël par Babylone. La description de la politique de violence et de persécution du roi de Babylone termine la OYP et le jugement qu’elle contient. 4.6.5.2.4.3 Le brisement des symboles de la terreur et de la domination Le v. 5 présente YHWH comme l’auteur du brisement des symboles de puissance du roi de Babylone. Il poursuit la structure du v. 4b où le R MEYH qui sont en verbe UEY «briser» s’applique à a\>LYU! K-HP et a\OLYP 419 parallélisme synonymique avec ellipse du verbe . Action de YHWH contre un roi ou une nation étrangère, UEY est attesté dans le livre d’Esaïe dans le contexte du brisement de l’Assyrie dans le pays de YHWH (14.25). Es 14.5 applique à Babylone le sort qui fut celui de l’Assyrie. Cette action divine vise à mettre fin pour toujours à l’asservissement de son peuple par des étrangers pour leur permettre de servir «le Seigneur leur Dieu et David leur roi» (Jr 30.8). Le 418 A. JEPSEN (éd.), Von Sinuhe bis Nebukadnezar, 1975, pp. 192-193. 419 Il y a ellipse du verbe dans la seconde partie du poème, cf. W. G. E. WATSON, Classical Hebrew Poetry, 1984, p. 48.
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brisement concerne également la puissance de Babylone (Jr 50.23; 51.8, 30) et les ennemis d’Israël; notamment Moab (Jr 48.38), Elam (49.35). Ce survol des citations relatives au brisement des nations étrangères permet d’établir un rapprochement entre 14.5 et Jr 50.23; 51.8.30 où Babylone ou son roi est brisée (OE% OP) . En 14.5, le brisement concerne le gourdin des méchants (a\>LYU ! K-HP) et le bâton des dominateurs (a\OLYP R MEYH). Les rédacteurs d’Es 14.5 caractérisent le pouvoir du roi de Babylone par la méchanceté et la domination. Car, YHWH ne brise non seulement une nation, mais un K-HP «bâton, sarment, hampe ou tribu» et un MEYH «bâton, sceptre, épieu, tribu». En 14.5, ces deux mots ont respectivement le sens de «bâton» et «sceptre». Ils symbolisent à la fois l’autorité royale et la violence de son pouvoir.420 D’abord, K-HP. Ce mot est associé au bâton de Moïse421 ou la verge d’Aaron422 dans le contexte de l’histoire de la libération de l’Egypte. Il est un signe et un instrument de pouvoir. Au mot K-HP est lié la souveraineté (Ez 19.11.12.14) de YHWH (Ps 110.2). Le bâton est aussi le symbole de l’orgueil (Ez 7.10) et de la violence politique (Ez 7.11). La violence politique associée à K-HP est également le fond de 14.5. Ez 7.11 établit la relation entre le bâton de méchanceté et la violence ou de l’oppression. Dans le livre de Jérémie cette violence retombe sur Babylone (Jr 51.35) et règne sur elle (Jr 51.46). Lorsque YHWH brise le bâton des méchants, c’est donc à la violence du pouvoir babylonien qu’il s’attaque afin de l’extirper et la neutraliser. Il se dégage donc d’Es 14.5 une critique virulente contre la violence sous toutes ses formes et en particulier celle dans la politique étrangère et de la puissance babylonienne. Non seulement, cette politique est symbolisée par K-HP, elle est signifiée aussi par le terme MEYH. En 14.5, K-HP est employé en union423 avec MEYH suivant l’ordre MEYHK-HP. Lorsqu’en 14.5, YHWH brise le bâton des méchants et le sceptre des dominateurs dans un contexte d’élégie sur la fin du roi de Babylone, cela signifie que YHWH a brisé le pouvoir politique de ce roi et lui a ôté les moyens de l’exercer. 420 421 422 423
R. M. SHIPP, Of Dead Kings and Dirge, 2002, pp. 141-142. Ex 4.2,4,17,20; 7.9,10,12,15,17,19,20; 8.1,12,13; 10.13; 14.16; Nb 29.8,9,11. Nb 17.17-25. En 10.5.15, l’ordre des mots-pairs est intervertit en K-HP MEYH. Ce texte a pour cadre l’oracle contre l’Assyrie.
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Le couple MEYH et K-HP est fréquent dans le culte, notamment dans les Psaumes royaux et ceux de la théologie de Sion (Ps 105.16; 110.2-5). Selon Ps. 110.2-5, YHWH invite le roi à siéger à sa droite afin de faire de ses ennemis l’escabeau de ses pieds. Le sceptre lui est accordé à Sion d’où il étendra son rayonnement et lui permettra d’écraser des rois ennemis (Cf. Ps 45.6-7). Il le peut au nom de l’incomparable et unique Dieu d’Israël.424 Cette fonction royale est accordée à Israël postexilique telle que décrite dans le «Deutéro-Esaïe» (chs. 40-48)425. YHWH brise le sceptre426 des méchants. En Ps 125.3, YHWH promet que le sceptre de la méchanceté ne durera pas toujours. Il convient de constater l’emploi similaire du vocabulaire: a\OLYPRMEYHa\>LYU!K-HPKZK\!UEY (14.5) et a\TL\',&KOU$*O>>YUKMEYH[:Q\DO^\.L (Ps 125.3a). Car le sceptre du méchant ne restera pas sur le sort des justes.
A la lumière de cette analyse, nous pensons retenir dans 14.5, et l’influence de la tradition de l’Exode et celle des traditions de la royauté davidique et de Sion. Le terme K-P comme symbole de pouvoir politique est absent des livres dtr. Il y est toutefois attesté avec le sens de la tribu (Dt 1.13, 15, 23; 3.13, etc.; Jos 7.1, 18; 13, 15, 24, etc.). Dans les deux références du premier livre de Samuel, il n’a pas de sens politique, mais celui d’un simple bâton (1 S 14.27.43). Si le brisement en 14.5 concerne le roi de Babylone en tant que symbole de puissance, l’emploi du pluriel dans les expressions auxquelles s’applique l’action de YHWH intrigue quelque peu. On s’attendrait naturellement à l’usage du singulier. ! K-HP) «gourdin des méchants» et L’emploi du pluriel dans (a\>LYU R MEYH) «bâton des dominateurs» pour désigner le pouvoir baby(a\OLYP lonien n’est pas étranger au livre d’Esaïe. Dans 51.23 YHWH promet de mettre sa coupe dans la main des tourmenteurs (\,J$ PG\%) de son peuple. Le pluriel est attesté dans le livre d’Esaïe en 13.11; 48.22; 53.9; 57.20-21, où deux textes concernent la chute de Babylone, notamment 424 J. BLENKINSOPP, Isaiah 1-39, 2000, p. 288. 425 D. BALTZER, Ezechiel und Deuterojesaja, 1971, p. 133; R. G. KRATZ, Die Propheten Israels, 2003, pp. 94-95. 426 R. M. SHIPP, Of Dead Kings and Dirge, 2002, p. 142.
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13.11 et 48.22. Dans le dernier texte l’ordre est donné à Israël de sortir de Babylone et de fuir de chez les Chaldéens, car YHWH a racheté son serviteur Jacob. Cet acte de salut se concrétise par le don de l’eau qui coule du rocher (rappel de l’exode), alors que la paix est refusée aux méchants (48.20-23). Le contexte du salut d’Israël à l’époque de l’effondrement de Babylone est également celui de l’emploi du pluriel a\>LYU ! «méchants» attesté dans le livre d’Esaïe en 28.14; 49.7; 52.5, en plus d’Es 14.5. Dans 28.14, le mot est associé aux dirigeants de Jérusalem. Ce sont les deux textes du «Deutéro-Esaïe» qui se rapprochent de 14.5. La catastrophe de 587 avec la crise qu’elle provoqua en Israël devint la clé d’interprétation du déclin des royaumes successifs dont la politique menace l’existence d’Israël et celle du Temple. La chute de l’empire babylonien et de ses alliés, et plus tard celle du royaume séleucide et ses alliés furent interprétées à la lumière des événements de 587. A la chute de ces royaumes le renversement de situation s’opère. Le vaincu d’hier devient le vainqueur d’aujourd’hui et vice versa. Cela est perceptible par exemple en 49.7. L’oracle s’adresse à Israël qui, hier méprisé et esclave des méchants, suscite la prosternation des rois et des princes. Le texte fait suite à l’ordre divin donné au peuple d’Israël de sortir, comme en 48.20-23. Sur le chemin YHWH lui promet de pourvoir à sa subsistance nécessaire de sorte qu’il n’endurera ni faim ni soif (Cf. Es 35.7; 41.17) et lui assurera sa direction (42.16). La garantie de Dieu envers son peuple et de sa présence dirigeante sont des thèmes qui rappellent l’exode, une tradition reprise dans le «Deutéro-Esaïe». Car la sortie d’Israël de la captivité de Babylone est interprétée dans cette partie du livre d’Esaïe comme un nouvel exode. La fin de la captivité babylonienne et la sortie d’Israël constituent le cadre de l’emploi du pluriel a\>LYU! en 52.5. Elle est interprétée comme l’humiliation de Babylone et sa descente aux enfers. 4.6.5.2.4.4 La précipitation du roi de Babylone dans le Shéol Le v. 11 présente les propos moqueurs des rois des nations contre le roi de Babylone dont la majesté ($D*) est descendue dans le Shéol (O$DY). La descente dans le Shéol suppose la mort de ce roi, mais aussi que YHWH est maître du Shéol. Avec cette idée de la mort, le v. 11 concrétise les termes du début du OYP. La mort du roi de Babylone lui enlève toute sa gloire et met fin à son arrogance. La gloire et l’arrogance sont 461
portées par le vocable $D*427. Avec cette dernière signification, $D*résume l’attitude du roi de Babylone devant YHWH et à l’égard des peuples et des nations. En voulant la majesté, il s’est fait le concurrent de YHWH. Car la majesté est une exclusivité de YHWH428. Elle est accordée comme un privilège à une personne ou une nation qui reconnaît la souveraineté de YHWH. Jacob/Israël, les rescapés d’Israël retrouvent cette gloire dans la période postexilique (Ps 47.5; Es 4.2; 60.15; Mi 5.3; Na 2.3). Par contre, $D* signifie l’orgueil ou l’arrogance dans le cas d’une personne ou d’une nation qui s’arroge la gloire de YHWH. Cette attitude provoque la colère divine et devient la source du malheur (Lv 26.19; Jb 35.12), la cause de la chute ou de la ruine (Ps 59.13; Pr 8.13; 16.18). A l’orgueil est liée d’une part, la ruine de deux royaumes d’Israël: Ephraïm/Israël (Os 5.5; 7.10; Am 6.8; 8.7) et de Juda (Jr 12.5; 13.9; Ez 7.20,24; Ez 24.21; 33.28), et de l’autre, celle des nations étrangères: de Moab (Jr 48.29; Ez 16.6; Am 2.9-10), d’Edom (Jr 49.19), de Philistie (Za 9.6), de l’Assyrie (Za 10.11), du Jourdain (Za 11.3); d’Egypte (Ez 30.6,18; 32.12), de tout ce qui brille (Es 23.9) et de Babylone (Es 13.11,19; 14.11; Jr 50.44). L’arrogance comme cause de la chute des nations étrangères constitue le motif rédactionnel des oracles contre les nations aussi bien chez Esaïe que chez les autres prophètes, en particulier Jérémie et Ezéchiel. Du fait que la politique étrangère de Babylone se faisait également par nations alliées interposées, sa chute entraînait ipso facto celle de ses alliés. Cela explique la position des oracles sur la chute de Babylone à la tête des oracles contre les nations dans le livre d’Esaïe (chs. 13-23). Théologiquement, la chute de Babylone est interprétée comme une occasion où YHWH manifeste sa souveraineté. Le peuple fidèle le reconnaît et le chante à la manière de Moïse lors du renversement du Pharaon: «par la grandeur de ta majesté, tu renverses tes ennemis, …» (Ex 15.7). A travers ce chant est exprimée toute la foi en un Dieu vainqueur qui défend son peuple. En effet, la manifestation de la gloire de YHWH à travers la chute du Pharaon devient la tradition fondatrice des diverses couches rédactionnelles sur les oracles contre les nations en particulier contre les grandes puissances. La victoire de YHWH sur les 427 Au sens propre, le mot signifie «hauteur». 428 Ex 15.7; Es 2.10, 19,21; 24.14; Jb 37.4; 40.10.
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ennemis d’Israël devient motif de satisfaction et source de joie pour Israël. Elle lui assure sécurité, repos et quiétude. 4.6.5.3 Le repos et la joie: implications de la chute de Babylone Le repos, la quiétude et la joie pour tout le pays (UDK O.) sont les conséquences directes de la chute du roi de Babylone. La joie qui s’exprime sur la mort d’un roi permet de percevoir le sens du OYP. Qui profite en réalité de cette mort? Israël ou toute la terre? Ou les deux ensemble? Le sens accordé à l’expression UDK O. a conduit certains auteurs à limiter l’expression à la terre d’Israël429, alors que d’autres l’ont associée à toute la terre430. Les deux sens peuvent être retenus, dans la mesure où la chute du roi de Babylone profite avant tout à Israël, mais aussi à toute la terre étant donné que ce déclin, en tant qu’œuvre de YHWH proclame sa souveraineté sur la terre. Il ne serait donc pas déplacé de donner au terme à la fois les sens du pays d’Israël et de toute la terre (univers). Une telle interprétation est du reste soutenue par la présence de l’expression (UDK O.) dans la Bible hébraïque où elle a le sens de «toute la terre431, tous les pays432» ou celui de «tout le pays433, un territoire illimité434 ou un espace de terre435». D’abord, avec toute la terre, UDK O. est en accord à la fois avec la tradition de l’exode et la tradition royale en Israël. Dans la tradition de O. combine à la fois le salut des Israélites et le malheur l’exode, UDK d’Egypte. L’expression véhicule la souveraineté de YHWH sur toute la 429 J. D. W. WATTS, Isaiah 1-33, 1985, p. 204. 430 O. PROCKSCH, Jesaja I: Kap. 1-39, 1930, p. 195; G. FOHRER, Das Buch Jesaja: Kapitel 1-23, 1966, 2nd éd., p. 194; O. KAISER , Der Prophet Jesaja, Kap. 13-39, 1973, p. 31; H. WILDBERGER, Jesaja 13- 27, 1978, p. 545; R. E. CLEMENTS, Isaiah 1-39, 1980, p. 141; C. SEITZ, Isaiah 1-39, 1993, p. 134; W. BRUEGGEMANN , Isaiah 1-39, 1998, p. 126; B. S. CHILDS , Isaiah, 2001, p. 119. 431 Gn 1.29; 7.3; 8.9; 9.19; 11.1, 8, .9; 18.25; Nb 14.21; Jos 3.11; 23.14; 1 S 17.46; 1 R 2.2; 10.24; 2 R 5.15; 1 Ch 16.14, 30; 2 Ch 16.9; Ps 8.2.10; 19.5; 33.8; 47.3, 8; 48.3; 57.6, 12; 66.1.4; 72.19; 83.19; 96.1, 9; 97.5, 9; 98.4; 100.1; 105.7; 108.8; Es 6.3; 12.5; 14.26; 54.5; Ez 32.4 (lamentation sur le Pharaon); Mi 7.2; Ha 2.20; Za 6.5; 14.9. 432 So 3.19. 433 Es 10.23; 13.5 (pays de Babylone). 434 Gn 13.9; Dn 8.5. 435 Jg 6.37, 39, 40; 1 S 30.16.
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terre dans le contexte, d’une part, de la libération des Israélites au moment où YHWH inflige son châtiment à l’Egypte (Ex 9.14, 16) et d’autre part, lors de la conclusion de l’alliance du Sinaï (Ex 19.5). Dans la tradition royale, UDK O. est la terre où s’étend le règne de YHWH. La souveraineté de YHWH est reconnue en Israël aussi bien par les rois d’Israël que par les rois ou autres officiels étrangers (Naaman = 2 R 5.15; Cyrus = 2 Ch 36.23). En Israël YHWH est proclamé Dieu de toute la terre au moment où il épargne la royauté et défait les ennemis (1 S 14.15; 17.46), dans le cadre cultuel lors de la dédicace du Temple par le roi Salomon (1 R 8.23, 43, 48, 53, 60// 2 Ch 6.33, 38)436 et dans la prière d’Ezéchias lors de la menace assyrienne (2 R 19.15). Toute la terre est également l’étendue où s’étend la renommée de David (1 Ch 14.17) et de Salomon (1 R 10.24// 2 Ch 9.22, 23,28). Dans l’hypothèse où les rédacteurs de 14.7 auraient été influencés par la tradition de l’exode et celle de la royauté de David/Salomon, nous pourrions supposer que la joie de la chute du roi de Babylone rappelle celle des Israélites lors de la défaite du Pharaon pendant l’exode et celle qu’ils exprimèrent au mont Sinaï lors de la conclusion de l’alliance. Cette alliance étant renouvelée lors de la dédicace du Temple de Salomon, on peut supposer que 14.7 trouve son Sitz im Leben lors de la dédicace du 2e Temple de Jérusalem. O. représente la tradition de Ensuite, comme le pays d’Israël, UDK Moïse en rapport avec la possession du pays (Ex 32.13). En effet l’expression illustre «tout le pays» d’Israël, la terre promise à ses pères437, le pays que YHWH a fait voir à Moïse (Ex 32.13), où il envoya Josué explorer (Jos 2.3) et qu’il livra à Josué (6.27; 9.24; 10.40; 11.16, 23). Dans la tradition royale en Israël l’expression UDKO. désigne le royaume d’Israël sous David438, Salomon (1 R 9.19; 2 Ch 8.6), Jéhu (2 R 10.33), Joas439, Asa (2 Ch 12.8; 16.9), Josaphat (2 Ch 19.5), Josias (2 Ch 34.7, 13). Elle semble fréquemment attestée dans les livres des Chroniques, mais est aussi présente chez Esdras (1.2), Néhémie (9.6) et dans le livre de Daniel (Dn 8.5). Dans ces livres, UDK O. trouve son 436 Dans ces textes, l’expression est relativement rare. Elle est remplacée par UDK \0H> O. (1 R 8.43, 53, 60), UDO.(1 R 9.19), UDK\NHOPO. (1 R 10.15, 23; 2 R 19.15, 19). 437 Dt 11.25; 19.8; 34.1; Jos 2.3, 24, 22.33. 438 2 S 7.9// 1 Ch 17.8; 1 Ch 13.2; 16.14, 23, 30; 22.5. 439 UDKa>ON (1 R 11.14, 18, 19,20; 16.15).
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cadre dans le 2e Temple où YHWH est proclamé comme le Roi de toute la terre par la communauté fidèle et où le psalmiste chante le salut accordé440. A la lumière de ces observations, il est possible d’imaginer que l’expression UDKO. a été utilisé dans les trois couches rédactionnelles représentant respectivement les milieux deutéronomiste, sacerdotal et apocalyptique. Ces trois milieux sont marqués par la proclamation de la souveraineté de YHWH dans le Temple lors de la chute des puissances ennemies. Il s’agissait de rappeler la tradition de l’exode, avec l’anéantissement du Pharaon et de son armée et la conclusion de l’alliance entre YHWH et Israël. Ensuite, la chute de l’Assyrie en 612 fut interprétée par les milieux deutéronomistes comme l’œuvre de YHWH en référence à la menace de Sennachérib sur Jérusalem et son Temple lors de la réforme religieuse d’Ezéchias. Le rappel de cette chute eut lieu lors du renouvellement de l’alliance et de la célébration de la grande fête de Pâque sous Josias, couronnant sa réforme religieuse. Le déclin de Babylone en 539 par le retour des exilés, la restauration des murs et la reconstruction du Temple (520-515), sont également interprétés par les milieux sacerdotaux à la lumière de la chute de l’Assyrie, comme l’œuvre de YHWH. L’inauguration du 2e Temple en 515 offre l’occasion de chanter la victoire de YHWH sur Babylone et d’entonner une élégie sur son roi. La présence du Temple et la fidélité de la communauté des fidèles à son culte deviennent des garanties de la paix et de la tranquillité en Israël. L’assimilation de la chute de l’Assyrie (14.24-27) et celle de Babylone (14.4-11) seront faites avec Antiochus Epiphane IV (14.12-20). En effet la mort de ce roi séleucide en 164 est célébrée lors de l’inauguration et la purification du Temple de Jérusalem. Elle est interprétée comme l’œuvre de YHWH contre ce roi qui en persécutant les Juifs fidèles et en profanant le Temple de Jérusalem, s’était fait passer pour Dieu. Ces trois couches rédactionnelles à propos de la chute de Babylone sont perceptibles dans 14.1-23 de sorte que le titre roi de Babylone est polyvalent et passe d’une réalité historique à un Code représentant les puissances étrangères ennemies de YHWH.
440 Ps 8.9; 19.4; 33.8; 47.2, 7; 48.3; 57.6, 12; 66.1, 4; 72.15; 83.18; 96.1, 9; 97.5, 9; 98.4; 100.1; 105.7, 16; 108.6; 138.4.
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L’examen de la position charnière de UDK O. dans le v. 7 permet d’apprécier combien cette expression est chargée des couleurs de ces différentes couches rédactionnelles. L’expression se trouve à la fin de la phrase UDK O.KMTY K[Q «toute la terre se repose et reste tranquille». Le repos et la tranquillité caractérisent les règnes en Israël où la souveraineté de YHWH dans son sanctuaire est reconnue. Pendant la période postexilique, une telle situation est perceptible à l’époque perse dont parlent les livres de Chroniques, Néhémie et Esdras, et à l’époque apocalyptique avec la purification du Temple après la mort d’Antiochus Epiphane IV, en 164. 4.6.5.3.1 Le repos de toute la terre Le repos de toute la terre découle de la cessation de l’oppression et de l’arrogance. Il est en relation avec le contexte cultuel, particulièrement la célébration du Sabbat. Cette fête s’origine dans la théologie de la création et la proclamation de la souveraineté de YHWH. Elle est liée aussi à la tradition de l’exode, avec la conclusion de l’alliance et le don du Décalogue, en particulier la loi sur le sabbat (Ex 20.11), la possession du pays, la délivrance des ennemis et l’installation dans un pays de repos (Dt 3.20; 12.10; 25.19; Jos 1.13, 15; 22.4). L’alliance à Horeb, les deux tables de la Torah et la délivrance de l’Egypte sont des traditions rappelées dans l’histoire royale lors du transfert de l’arche et la dédicace du Temple de Jérusalem (1 R 8.9). Ici le rôle des prêtres est prépondérant. Cependant, ils doivent quitter le lieu saint du Temple rempli par la gloire de YHWH. Le repos comme don de YHWH est évoqué dans les livres des Chroniques à propos de l’histoire royale, en particulier au sujet de David, Salomon et Asa. Dans ses propos aux chefs d’Israël, David mentionne dans une question rhétorique que YHWH leur a accordé du repos de tous côtés, c’est pourquoi ils doivent s’appliquer à chercher YHWH et à aider Salomon à construire la Maison de YHWH (1Ch 22.18; Za 5.11; 6.8). En outre il est mis à l’actif du roi Asa la construction des villes fortifiées en Juda, la jouissance du calme dans le pays et l’instauration de la paix (absence de la guerre), donc un vrai repos. La lecture de 14.7 associée aux textes précités permet de supposer que la notion du repos souligne la délivrance d’Israël de la servitude, son installation et la reconstruction du Temple. Les intentions du texte 466
sont à la fois théologiques et politiques. Théologiques, par le fait que la reconstruction du Temple symbolise la reconnaissance et la proclamation de la souveraineté de YHWH. Ce fait religieux a des conséquences politiques importantes en faisant du pays d’Israël et surtout du Temple de Jérusalem (Ez 40.2ss) le siège de YHWH, qui y assure son règne sur tout l’univers. Parce que YHWH y siège, Israël reçoit l’exercice de la fonction royale et Jérusalem devient un lieu sûr où règne la paix et la sécurité. Le don du repos par YHWH a un objectif, à savoir permettre à Israël de (re)construire la Maison de YHWH pour qu’il y manifeste sa gloire. Par le repos YHWH réalise la promesse à Israël à la fin des temps. Il clôt le livre de Daniel (Dn 12.13) après la fin du sacrifice à Baal et de l’abomination dévastatrice sous Antiochus Epiphane IV (Cf. Dn 9.27). La destruction des autels où on offrait les sacrifices à Baal implique la purification du Temple de Jérusalem et la mort du monarque séleucide, la fin de la persécution des juifs dont il s’était fait champion. Ces événements sont relatés dans le «Trito-Esaïe» (57.2; 63.14; 65.15). L’emploi du verbe [ZQau v. 7a relie les différentes parties du texte, en particulier les vv. 1 et 3. Dans ces versets, le verbe y a respectivement le sens de l’installation (v. 1) et de repos (v. 3) comme actions souveraines de YHWH. L’installation est située au retour de l’exil, où le repos concerne le peuple déjà installé mais aussi celui jadis soumis à la servitude. Ces deux notions permettent de voir dans l’emploi du verbe [ZQ aux vv. 1-3 la présence de sources littéraires diverses. Cette observation nous permet de vérifier l’hypothèse de l’existence d’une triple rédaction babylonienne, l’une à la fin de l’exil, l’autre de l’époque des Chroniques et l’autre encore datant de la fin du royaume des séleucides. Les deux derniers sont caractérisés par l’aspiration au repos et à la tranquillité. 4.6.5.3.2 La tranquillité de tout le pays La possession et l’installation dans un pays où règnent le calme, la paix et la sécurité sont les concepts exprimés par le verbe MTY. Ce verbe est attesté 43 fois441 dans la Bible hébraïque. L’inventaire de ces mentions 441 Jos 11.23; 14.15; Jg 3.11,30; 5.31; 8.28; 18.7,27; 2 R 11.20; Es 7.4; 14.7; 18.4; 30.15; 32.17; 57.20; 62.1; Jr 30.10; 46.27; 47.6,7; 48.11; 49.23; Ez 16.42,49; 38.11; Za 1.11; Ps 76.9; 83.2; 94.13; Jb 3.13,26; 34.29; 37.17; Pr 15.18; Rt 3.18; 1 Ch 4.40; 22.9; 2 Ch 13.23; 14.4,5; 20.30; 23.21.
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permet d’observer leur forte concentration dans les livres des Chroniques (7 fois), HD (7 fois), chez Esaïe (7 fois) et Jérémie (6 fois). Toutefois, la racine revient également dans le Psautier (3 fois), le livre de Job (3 fois) et chez Ezéchiel (3 fois). Il y a lieu d’observer l’absence de MTY dans le «Deutéro-Esaïe», mais sa double présence dans le «Trito-Esaïe» (57.20; 62.1) et son attestation dans les textes postexiliques tardifs du «Proto-Esaïe» (7.4; 14,7a; 18.4; 30.15; 32.17). La tranquillité assurée à l’époque perse est perceptible dans les livres des Chroniques. Elle caractérise les règnes de rois d’Israël qui avaient manifesté leur fidélité au Temple de YHWH; notamment David et Salomon (1 Ch 22.9), Abija et Asa (2 Ch 13.23; 14.4, 5), Josaphat (2 Ch 20.30) et Joas (2 Ch 23.21). Le pays tranquille renvoie d’une part, à la tradition de l’exode, où le livre de Josué (Jos 11.23) rappelle la promesse de YHWH à Moïse au sujet de Josué et d’autre part, il fait allusion à l’histoire de la royauté en Israël, pendant le règne de Joas (2 R 11.20). La tranquillité synonyme de l’absence de guerre va de pair avec la possession du pays et l’installation. Elle caractérise le pays d’Israël sous Josué, dans cette phrase: KP[O 0 PL L KMTY UDK «le pays était calme sans guerre». Cette phrase revient dans le livre de Josué comme un refrain (Jos 11.23; 14.15; voire aussi 21.43-45). La tranquillité représente l’administration du pays sous les Juges – KQY a\>L%U D! UDK MTRY7 L «le pays est calme pendant quarante ans» (Jg 3.11, 30; 5.31; 8.28), au cours d’une administration où le pays vivait en sécurité et sans que personne n’outrage le peuple dominé (Jg 18.7, 27). La tranquillité, symbole de paix dans le pays, est dans l’histoire de la royauté en Israël comme la conséquence de l’accession de Joas au trône contre le plan d’Athalie, la mère d’Akhazias (2 R 11.20). Dans cet épisode le prêtre Yehoyada et le Temple de Jérusalem jouent un grand rôle. Yehoyada est celui qui conclut l’alliance entre YHWH, le roi et le peuple (2 R 11.17). C’est lui qui conduit le peuple à la maison de Baal pour la démolir, briser complètement ses autels et ses statues et tuer Mattân, prêtre de Baal (2 R 11.18a). C’est encore lui qui établit une surveillance sur la Maison de YHWH (2 R 11.18b). C’est enfin lui, qui motive le peuple afin qu’il installe Joas sur le trône royal. Ce fut un sujet de joie pour toute la population et la ville resta dans le calme. La mort de l’ennemi donne lieu à l’éclatement de la joie et à l’instauration d’un règne de calme. Elle est interprétée comme la manifestation de la souveraineté de YHWH dans son Temple. La conclusion de l’alliance 468
et la destruction des symboles de l’idolâtrie semblent être les éléments contextuels de 14.7. Aussi peut-on supposer que ce texte est la relecture postexilique de la conclusion de l’alliance entre YHWH et Israël sous la conduite des prêtres, le roi n’y jouant plus le rôle prépondérant. 4.6.5.3.3 L’éclatement de la joie signe de la fin de l’exil L’analyse du v. 7 a permis d’observer que le repos et la tranquillité sont absents de la rédaction de la fin de l’exil. La chute de Babylone avec les espérances de salut qu’elle a suscitée fut précisément le moment de l’expression de joie. Par conséquent les termes UDK O. s’accolent à la proposition K1U, :[F3 «ils éclateront de joie» où le pluriel s’applique à Israël à la fin de l’exil et au début de la restauration. Pour preuve, cette proposition, absente dans le «Trito-Esaïe», est fortement attestée dans le «Deutéro-Esaïe». En Es 14.7, le verbe [FSest associé d’une part au vocable K1U, «cri de joie»442 dans l’expression K1U, :[F3L et, d’autre part, à l’expression UDK O.. En ce qui concerne son lien avec K1U,, le verbe [FS est, à part 14.7, attesté uniquement dans le «Deutéro-Esaïe» (44.23; 52.9; 54.1; 55.12)443. L’éclatement de la joie devient le thème qui relit le «Proto-» et le «Deutéro-Esaïe». Dans ces textes, le salut d’Israël est une occasion pour toute la création de se réjouir, mais aussi pour toutes les nations de reconnaître YHWH. C’est également une manifestation de la gloire de YHWH en Israël, liée à son retour à Sion. Ce retour reconnu par tout l’univers fait de YHWH un sujet de joie et redonne à Sion et à Jérusalem leur importance universelle, comme lieux de la manifestation de la souveraineté de YHWH. A cause de la présence de YHWH, ces lieux deviennent les cadres approprés de refuge et de sécurité, et YHWH y joue la fonction d’«époux» de son peuple (54.1ss)444. Quant à l’emploi du verbe [FS avec l’expression UDK O., il introduit la notion de YHWH, «mère» de son peuple (49.13ss). YHWH qui protège et qui se souvient de son peuple sont deux notions qui s’inscrivent dans le cadre du retour et de la restauration d’Israël après la chute de Babylone, à l’époque perse. Ces événements s’accompagnent de joie et d’actions 442 Le mot peut aussi signifier «cri de détresse, plainte, supplication» (1 R 8.28; Jr 14.12). 443 H. WILDBERGER, Jesaja 13-27, 1978, p. 545. 444 W. GRIMM, Das Trostbuch Gottes, 1990, p. 87.
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de grâce adressée à YHWH dans son sanctuaire chantée par le psalmiste445. La joie d’Israël associée à la fois à la chute de Babylone (du roi de) et au salut d’Israël est mentionnée dans nombre de passages du Psautier, au ch. 35.2, 6,10 d’Esaïe446, dans le «Deutéro-Esaïe», dans certains textes du livre de Jérémie (Jr 31.7, 12 et 51.48), chez Sophonie (So 3.14) et Zacharie (Za 2.10). Les cris de joie sont lancés comme manifestation du triomphe de YHWH (35.10) sur ses ennemis au moment où il venge son peuple (Dt 33.43). Ils couvrent toute la terre. Le OYP se termine avec le thème de la joie. C’est justement cette note joyeuse au détriment du roi de Babylone qui distingue le OYP du KQ\TL. Car en fait, Israël ne pleure pas à la mort de ce roi. Il s’en réjouit au contraire. La joie comme expression de moquerie du roi de Babylone est un thème qui se poursuit dans une métaphore (vv. 8 à 11). Ces versets poursuivent en effet les propos de celui qui parle dès le v. 4b. Après avoir parlé de manière impersonnelle, il s’adresse cette fois-ci au roi de Babylone. L’analyse de la métaphore pourra nous le confirmer. Cette métaphore est constituée de deux parties. D’abord, la reprise des propos des cyprès et des cèdres du Liban, ensuite celle des dires des rois des nations. 4.6.5.3.4 La joie des cyprès et des cèdres du Liban
! ) se Dans Es 14.8, les cyprès (a\YL$U%) et les cèdres du Liban ($QEO \](UD réjouissent (:[PI) de la chute de celui qui est désigné par la 2e personne du singulier dansAO et 7EN Y «tu es tombé». Par le verbe [PI, ce texte poursuit le thème de la joie abordé dans le v. 7447 et justifie à travers cette chute, la raison de l’allégresse. Ce phénomène est d’ailleurs confirmé par la présence de a*. La racine [PI «être joyeux, se réjouir (de), rendre joyeux, réjouir» rappelle la tradition de Moïse, en rapport avec la joie du prêtre Aaron devant Moïse au sujet de sa vocation (Ex 4.14) et surtout 445 Ps 5.12; 20.6; 30.5; 32.11, 33.1; 35.27; 42.5; 47.1; 63.8; 65.9; 67.5; 71.23; 81.1; 89.13; 90.14; 92.5; 95.1; 96.12; 98.4; 98.8; 105.43; 107.22; 118.15; 126.2, 5,6; 132.9, 16; 149.5. 446 Es 35.10 se trouve textuellement dans Es 51.11. Cette ressemblance devient un argument de taille pour affirmer que ces deux textes appartiendraient aux mêmes cadres rédactionnel et historique. 447 Voir la forme des verbes :[PI (14.8) et :[F3 (14.7).
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les instructions concernant la célébration de la fête de Tentes (Lv 23.40). La célébration de cette fête pendant sept jours rappelle l’histoire de la sortie des Israélites d’Egypte. Son rappel a pour but la proclamation de la souveraineté de YHWH. Dans les livres dtr, la joie est celle que le fidèle exprime devant YHWH dans son sanctuaire. Elle se rapporte aux instructions sur le culte dans le sanctuaire unique de YHWH (Dt 12.7, 12,18; 14.2; 16.11; 26.11; 27) à la célébration des fêtes de pèlerinages (Dt 16.14, 15). Elle est un signe de reconnaissance du salut accordé par YHWH contre les ennemis (1 S 2.1; 19.5). Dans la tradition royale en Israël, la joie est exprimée par le roi et le peuple devant YHWH dans son sanctuaire. Elle est mentionnée lorsque David se trouve devant l’arche de YHWH (1 S 6.13), lors de l’intronisation des rois d’Israël, notamment de Saül (1 S 11.9, 15), de Salomon (1 R 1.40, 54), Joas (2 R 11.14, 20) et lors de la dédicace du Temple par Salomon (1 R 8.66). L’évocation de la joie en 14.8 par le peuple dans le contexte de la chute de Babylone permet de supposer que le texte est une application postexilique sur Israël des attitudes royales à l’exemple de celles de David et Salomon. Cette joie est la manifestation de la reconnaissance du salut à Israël et de la souveraineté de YHWH. Elle trouve son lieu dans le Temple. On peut dire que la joie nourrit la fidélité des services cultuels, les fêtes et les offrandes. Cette interprétation est étayée par l’évocation de la joie des rois d’Israël dans les livres des Chroniques; notamment de David (1 Ch 16.10, 31; 29.9), de Salomon (2 Ch 6.14), d’Asa (2 Ch 15.5) de Josaphat (2 Ch 20.27), de Joas (2 Ch 23.13, 21; 24.10), d’Ezéchias (2 Ch 29.36; 30.25), mais aussi dans les livres d’Esdras et de Néhémie. Dans ces deux derniers livres, la joie devant YHWH est exprimée respectivement lors de la célébration de la Pâque (Esd 6.22) et de la dédicace de la muraille (Ne 12.43). Le culte comme lieu de l’expression de la joie de YHWH est confirmé par l’importance de l’emploi du verbe [PI dans le Psautier (55 fois). Dans le livre d’Esaïe ce verbe est attesté 10 fois448. En rapport avec la joie d’Israël ou de ses rois, le verbe se trouve dans les textes suivants: 9.2; 14.8; 25.9; 39.2; 56.7; 65.13; 66.10449. Dans ces textes la joie est 448 Es 9.2, 16; 14.8, 29; 24.7; 25.9; 39.2; 56.7; 65.13; 66.10. 449 Egalement le substantif K[PIL (Es 35.10; 51.3, 11; 55.12; 61.7; 66.5). Dans deux textes du «Trito-Esaïe», la joie est réservée aux fidèles au détriment des infidèles.
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un don de YHWH à Israël à la fin de la servitude étrangère (9.2), lors de sa délivrance (25.9). La joie dans le contexte du salut est exprimée par Ezéchias lors de la visite des envoyés de Mérodak-Baladan, le roi de Babylone (39.2). Cependant la chute du roi de Babylone est une occasion de joie particulière (14.8). Dans le «Trito-Esaïe» la joie du peuple s’exprime dans le cadre des services cultuels du Temple de Jérusalem (56.7). Elle appartient aux serviteurs de YHWH (65.13) qui jubilent à Jérusalem (66.10) contrairement aux impies. Le verbe IP[ est utilisé dans le livre d’Esaïe et absent dans le «DeutéroEsaïe». Cela nous amène à supposer que le v. 8 représenterait en son début deux couches rédactionnelles comme nous l’avions constaté dans le v. 7. La première serait à situer à l’époque de la rédaction des livres des Chroniques; lui appartiendraient 39.2 et 56.7. Tandis que la seconde serait à situer à l’époque apocalyptique (65.13; 66.10). Toutefois, le thème de la joie n’est pas absent dans le «Deutéro-Esaïe» (51.3, 11; 55.12). Il y est présent par le substantif K[PI L non attesté dans 14.8. La présence de ce terme en 35.10; 61.7 et 66.5 sert de pont entre le «Proto-, le «Deutéro- et le «Trito-Esaïe». En Es 14.8, cette joie est exprimée par les cyprès et les cèdres du Liban qui affirment ne voir personne venir les abattre. A quoi renvoie cette métaphore? L’abattement des cèdres est évoqué en Jr 22.7. Ce texte introduit un oracle prophétique contre Sédécias, le roi de Juda comparé à un Galaad et à un sommet du Liban450 dont les cèdres seront détruits par des hommes envoyés de Dieu. Ici, est faite l’allusion à la destruction du royaume de Juda par les Babyloniens en 587 (Jr 22.23). A la lumière de cet exemple il parait clair que les cèdres du Liban en Jr 22.7 comme en 14.8 symbolisent Israël respectivement avant et après l’exil. La relecture postexilique de Jr 22.7 dans 14.8 est également attestée en Za 10.10 où YHWH annonce vouloir ramener son peuple du pays d’Egypte et le rassembler hors de l’Assyrie et l’introduire au pays de Galaad et au Liban. L’évocation du nom «Liban» dans un contexte postexilique suppose le retour de l’exil, la possession du pays par les anciens exilés et leur réinstallation en Palestine. Ces faits sont à interpréter à la lumière de 450 La région du Galaad, à l’est du Jourdain, et le Liban possédaient des forêts importantes (2 S 18.6-9; 1 R 5.22-23), symboles d’abondance et de beauté, que rappellent les boiseries et les colonnes du palais royal (Za 10.10).
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cet épisode de la libération et de la possession du pays. Il est question en 35.2 de la fin de l’exil et du retour où le nom «Liban» revient avec l’expression de joie au sujet du retour comme en 14.8. Nous avons précédemment démontré le lien étroit entre 35.2 et 14.7b à partir de la racine QU attestée dans les deux textes. Par conséquent, 14.8 est la suite logique de 14.7b. La chute de Babylone revient sous une autre forme dans les vv. 2123, texte que nous avons situé à la période du 2e Temple et représentant la rédaction P1-S. Maintenant, nous allons l’analyser en partant de l’hypothèse que Babylone ici est le symbole des Juifs infidèles adonnés à la pratique de l’idolâtrie et ennemis du Temple de Jérusalem. Alors que le salut dans les vv. 4-11 concernait tout Israël, dans les vv. 21-23, il se limite aux Juifs fidèles. Les rebelles doivent disparaître à l’instar du roi de Babylone. 4.6.5.4 La disparition des traces de Babylone. Oeuvre de YHWH Les vv. 21-23 poursuivent le thème de la mort, mais avec des nouveaux destinataires et des nouveaux motifs. Il s’agit de la préparation d’un massacre (v. 21) des fils à cause des crimes de leurs pères. Ce massacre vise à les empêcher de se lever pour conquérir la terre (UD) et remplir le monde (OEHW)H . Le nom de Babylone est absent dans le v. 21. Il est remplacé par ses fils (Z\Q E) . Qui sont-ils en réalité? Pourquoi doivent-ils subir le châtiment pour les fautes dont ils ne sont pas auteurs? Quelle est la nature de ces fautes? Peut-on supposer qu’il s’agit du même groupe de destinataires de l’action punitive de YHWH Tsebaoth des vv. 22, représenté par aK\OH>?@ Généralement, on préfère séparer le v. 21 des vv. 22-23451. Quelques rares auteurs incluent ces versets dans une unité littéraire452. 451 B. DUHM, Das Buch Jesaja, 1902, 2e éd., p. 95; O. PROCKSCH , Jesaja I: Kap. 139, 1930, p. 193; O. KAISER , Der Prophet Jesaja, Kap. 13-39, 1973, pp. 37-38; H. BARTH, Die Jesaja-Worte in der Josiazeit, 1977, p. 126; J. VERMEYLEN, Du prophète Isaïe à l’apocalyptique, 1977, p. 295; H. WILDBERGER, Jesaja 13-27, 1978, p. 560; R. E. CLEMENTS, Isaiah 1-39, 1980, p. 139; J. D. W. WATTS, Isaiah 1-33, 1985, pp. 205, 212-213; J. N. OSWALT, The Book of Isaiah, 1986, p. 325; P. HÖFFKEN, Das Buch Jesaja, Kapitel 1-39, 1993, p. 137; W. BRUEGGEMANN , Isaiah 1-39, 1998, pp. 132-133; J. B LENKINSOPP, Isaiah 1-39, 2000, p. 285. 452 G. FOHRER, Das Buch Jesaja: Kapitel 1-23, 1966, 2nd éd., pp. 186-187; B. S. CHILDS, Isaiah, 2001, pp. 126-127.
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Il y a deux possibilités, soit la distinction des destinataires du v. 21 de ceux des vv. 22-23 soit leur identification à un même et seul groupe. Dans la mesure où les deux sont à distinguer, que signifie alors l’allitération (aYH) – (UDY) et (\Q,) – (GNQ )? Peut-on soutenir la cohérence littéraire des vv. 22-23 lorsqu’on considère qu’ils s’adressent à des destinataires différents? Comment expliquer l’emploi des destinataires au pluriel dans le v. 22 à côté du singulier féminin au v. 23? Comment expliquer que tout d’un coup Babylone ne soit plus directement visée, mais sa progéniture? Qui se cache derrière elle? A quoi se rapporte Babylone, au pays ou à la ville? Peut-on parler d’un vrai nom ou supposer un pseudonyme? Quel est le but de l’action de YHWH? Dans quel cadre est-elle proclamée? Autant de questions qui vont guider notre analyse. Mais avant toute chose, nous devons identifier les destinataires du châtiment divin dans le texte. 4.6.5.4.1 Les fils de Babylone objet du châtiment divin L’action punitive de YHWH Tsebaoth s’adresse aux fils des pères et à la postérité de Babylone. La mention des vocables relatifs à la filiation au début (v. 21) et à la fin (v. 23) offre à ce concept une fonction de crochet. Qui sont en réalité les destinataires du châtiment de YHWH? La découverte de leur identité se fera en même temps que celle des actions punitives de YHWH étant donné que c’est là que les destinataires sont identifiés. Ainsi, nous répondrons également à la question des liens entre les vv. 21 et 22-23. Les actions essentielles de YHWH Tsebaoth consistent à: – – – – –
ordonner la préparation du massacre des fils se dresser contre les Babyloniens supprimer le nom et la trace de Babylone en faire un marécage balayer Babylone avec un balaie.
4.6.5.4.2 Le massacre des fils Le v. 21 concerne l’ordre de préparer (ZN) le massacre ([%M H P ) des fils à cause des crimes de leurs pères. Par l’impératif qui l’introduit le texte révèle un cas unique dans le ch. 14 en ce qui concerne le châtiment de Babylone. Peut-on dans ces conditions l’isoler des autres? Quoi qu’il 474
en soit sa position actuelle suggère un certain lien avec les textes qui l’entourent. En vue de découvrir ce lien, nous avons intérêt à analyser le contenu du v. 21, en commençant par l’emploi de l’impératif dans le verbe (ZN) suivi de la détermination du sens et des destinataires du massacre. Le Hi. impératif de ZN est attesté 7 fois453 (si l’on considère le Qere)454 dans la Bible hébraïque. Il s’insère dans les préparatifs de Josué en vue de la possession du pays de repos promis par YHWH (Jos 1.11), la victoire de Samuel sur les Philistins et la polémique contre l’idolâtrie (1 S 7.2), la préservation de David de la menace de mort de Saül (1 S 23.22), le châtiment contre les habitants de Babylone (Jr 51.12) et la célébration de la Pâque par Josias (2 Ch 35.6). Les deux derniers textes se rapprochent de 14.21a sur deux points, dans la mesure où les habitants d’une ville (Jr 51.12) font penser aux fils (14.21). C’est surtout avec 2 Ch 35.6 que le texte d’Esaïe présente des similitudes littéraires frappantes comme le montre le tableau cidessous: 14.21a:
2 Ch 35.6:
:PTX\O%aW$ED@Z2>@%[%HMPZ\QEO:Q\NLK Préparez le massacre pour ses fils. Sans qu’ils se relèvent à cause de l’iniquité de leurs pères CKYPRG\%KZK\!UEG!.LW$I>@OaN\[HD@O:Q\NLK Préparez-là pour vos frères afin de faire selon la parole de YHWH prononcée (litt: dans la main de) par Moïse
La comparaison de ces textes permet de confirmer leur affinité littéraire. En effet tous les deux commencent avec :Q\NLK suivi d’un substantif construit avec la préposition O. La rareté de cette forme littéraire nous incite à établir un fort rapprochement entre 14.21a et 2 Ch 35.6. Sur le plan thématique par contre, ces deux textes évoquent des sujets différents. Alors que 14.21a évoque la préparation du massacre des fils à cause des crimes de leurs pères, 2 Ch 35.6 parle plutôt de la préparation de la Pâque pour les frères et ce conformément à la parole de YHWH à Moïse. Ici le massacre concerne les bêtes qui doivent être immolées pendant la célébration de la fête pascale. Sans pour autant opposer ces 453 Jos 1.11; 1 S 7.3; 23.22; Es 14.21; Jr 51.12; 2 Ch 35. 6 et si l’on considère le Qere en 2 Ch 35.4. 454 2 Ch 35.4.
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deux textes, 2 Ch 35.6ss semble offrir le cadre du massacre auquel 14.21a fait allusion et donne le sens en en faisant une occasion de chanter la victoire de YHWH sur ses ennemis. En effet la Pâque est de par ses origines une fête où Israël célèbre la victoire de YHWH sur ses ennemis en souvenir de la destruction du Pharaon et des Egyptiens lors de l’exode. La célébration de cette fête par Josias selon 2 Ch 35 est la réception postexilique à la fois de la chute de l’Assyrie en 612 et du déclin de Babylone. Cela explique l’emplacement des vv. 21ss dans le contexte de l’élégie sur la mort du roi de Babylone (vv. 4-11). Dans la mesure où le rapprochement entre 14.21a et 2 Ch 35.6 s’avérait solide, alors, les fils victimes du massacre ne se rapportent plus à Babylone, mais représentent les ennemis du Temple, ceux qui ne veulent pas écouter la parole de YHWH et pratiquent l’idolâtrie. Leur identité précise peut être trouvée dans l’emploi du vocable fils dans les livres des Chroniques. L’emploi du verbe ZNen relation avec les fils et les pères est attesté 5 fois455 dans la Bible hébraïque. L’inventaire de ces textes permet le classement suivant: Jr 7.18 concerne la solidarité des fils avec leurs pères dans la pratique du culte à la Reine du ciel (Jr 7.18). Tandis que les trois textes dans les livres des Chroniques renvoient respectivement à la promesse de Nathan à David en faisant de son fils Salomon l’héritier de la dynastie et le symbole de sa pérennité (1 Ch 17.11) et ce, à cause de la construction du Temple (1 Ch 22.10). Dans 2 Ch 35.4 la célébration de la Pâque est présentée comme un acte familial à l’image de la relation David (père) et Salomon (fils) symbole de la stabilité éternelle de la dynastie. La forme littéraire de ce texte est semblable à celle de 14.21a. Il faut à ce niveau d’explication retenir le rapprochement entre 14.21a et 2 Ch 35 et inscrire le massacre des fils dans le cadre de la célébration de la Pâque selon la version des Chroniques. Il faut pour s’en convaincre constater l’emploi majoritaire dans les livres de Chroniques (48 sur 223) de la racine ZN. Si dans la tradition de Moïse, cette racine renvoie aux sacrifices offerts à YHWH lors de la libération des Israélites (Ex 8.22; 16.5) et les préparatifs de la conclusion de l’alliance du Sinaï (Ex 19.11, 15; 34.2), dans l’histoire de la royauté, la construction du Temple par Salomon (1 R 5.32) lui sert de
455 Es 14.21; Jr 7.18; 1 Ch 17.11; 22.10; 2 Ch 35.4.
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cadre. Le lien de ce verbe avec le culte de YHWH justifie son emploi massif dans les livres des Chroniques. Il est mentionné en rapport avec les préparatifs pour la célébration du sabbat (1 Ch 9.32), l’emplacement de l’arche de YHWH désigné par David (1 Ch 15.1, 3,12; 2 Ch 1.4), les préparatifs de la construction du Temple de Jérusalem par David (1 Ch 22.3, 5,14; 28.2; 29.2, 3, 16,19) et sa construction proprement dite par Salomon (2 Ch 2.6, 8; 3.1). En outre, il a quelque chose à voir avec le rétablissement du culte de YHWH, au moyen des sacrifices (2 Ch 29.35; 33.16), la recherche de YHWH (2 Ch 30.19), la préparation des chambres dans le Temple par Ezéchias (2 Ch 31.11) et de la fête de la Pâque sous Josias (2 Ch 35.6, 14, 15,16). Le rétablissement du culte du Temple de Jérusalem est porté au crédit de Josué, le prêtre et de Zorobabel. C’est eux qui, avec leurs frères, bâtirent l’autel du Dieu d’Israël pour présenter les holocaustes (Esd 3.2ss). La mention dans les livres des Chroniques de la recherche de YHWH, de la célébration de la Pâque, de la construction du Temple et du rétablissement du culte comme acte de fidélité est en relation avec les réformes politico-religieuses consécutives à la restauration d’Israël et de Jérusalem dans le contexte du retour de Babylone tel que les livres d’Esdras et de Néhémie (Ne 8.10ss) le rapportent456. Résumons. L’analyse du vocabulaire de 14.21a vient de rapprocher ce texte de la célébration de la Pâque à l’époque postexilique (2 Ch 35). Dans la mesure où ces deux textes appartiendraient à la rédaction P1-S, alors les destinataires du massacre représenteraient les Juifs impies qui se comportent en ennemis de YHWH en rejetant sa parole et en pratiquant l’idolâtrie. Par ce comportement, ils mettent en péril le culte dans le Temple de Jérusalem et méconnaissent la souveraineté de YHWH. 4.6.5.4.3 Le massacre pour empêcher la conquête de la terre: écho de P2-AP Le massacre des fils a un but: empêcher les pères de conquérir la terre et remplir le monde (OEH7)H des ennemis (14.21b). En d’autres termes, c’est l’effacement total qui est poursuivi par cette action. Les pères qui n’ont plus des fils ne peuvent prévoir ni succession ni héritage. Dans le 456 Dans ce dernier livre, la référence à la tradition de l’exode est faite en rapport avec les prescriptions de Moïse sur la célébration de la fête des Tentes (Ne 8.14ss).
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cas d’une dynastie, elle s’éteint avec la disparition des pères. Alors que 14.21a a été rapproché de la rédaction P1-S, 14.21b par contre trahirait les influences de la rédaction apocalyptique (P2-AP). En effet la prédominance du terme (OEH7)H dans les textes apocalyptiques du «Proto-Esaïe» (13.11; 14.17, 21; 18.3; 24.4; 26.9, 18; 27.6; 34.1), son absence dans le «Deutéro-Esaïe» et sa présence dans le dernier chapitre d’Esaïe (66.19), en particulier l’expression OEHWH \Q(S :DOP: (14.21 et 27.6) démontrent l’origine apocalyptique de 14.21b. Le massacre concerne donc Babylone comme nom Code d’une nation symbole des ennemis de YHWH. Œuvre divine il vise à châtier l’arrogance du concurrent de YHWH, quel qu’il soit et à démontrer la souveraineté (Jr 51.15) et la justice de YHWH. La souveraineté et la justice divines sont reconnues et chantées par les fidèles dans le sanctuaire; à l’exemple d’Anne (1 S 2.8), de David (2 S 22.16; 1 Ch 16.30) et du Psalmiste457. Comment expliquer la réunion de deux couches rédactionnelles dans un même verset? La jonction de ces deux couches s’explique par le motif du massacre développé par les deux textes. Alors que le terme [%MH P dans 14.21a est un hapax legomenon, la racine [EM «abattre» d’où il dérive domine les textes apocalyptiques proches de 14.21b. Dans le livre d’Esaïe le carnage concerne également Edom (34.2, 6) et les impies (65.12). Il correspond à la prophétie contre Babylone en Jr 51.40. Dans ce texte YHWH fait descendre les habitants de Babylone comme des agneaux à la boucherie, comme des béliers et des boucs. Là aussi, le carnage se situe dans la tradition de Moïse relative à la loi sur les sacrifices du code de l’alliance (Ex 21.37; Dt 28.31). En reprenant le thème du massacre, les rédacteurs apocalyptiques de 14.21b font subir aux ennemis le même sort que celui réservé aux bœufs et aux moutons. YHWH reçoit non seulement des bêtes en guise de sacrifices, mais il accepte aussi ses ennemis. C’est de cette manière que sa souveraineté universelle est reconnue sur la terre. Le thème de la préparation de la boucherie vient de permettre d’observer une relation entre 14.21 et l’oracle de malheur contre Babylone et ses habitants dans le livre de Jérémie. Il s’apparente avec celui de la préparation du bûcher contre le roi d’Assyrie (30.33) et précède en outre
457 Ps 9.9; 18.16; 19.5; 24.1; 33.8; 50.12; 77.19; 89.12; 90.2; 93.1; 96.10, 13; 97.4; 98.7, 9.
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les actions divines qui consistent à supprimer (14.22) et à balayer Babylone (14.23). 4.6.5.4.4 La disparition de Babylone: œuvre de YHWH Tsebaoth Le châtiment de YHWH Tsebaoth ne semble pas viser Babylone directement, mais ce qui s’y rapporte: nom (aYH), trace (UDY), descendance (\Q,) et postérité (GNQ) . A quoi renvoient ces termes? Est-il possible de lier les vv. 22-23 au v. 21? La détermination des destinataires pourrait nous y aider. Elle sera rendue possible par l’analyse des actions de YHWH. Avant de pouvoir les analyser, nous allons d’abord découvrir l’identité de YHWH. Cette analyse portera sur des expressions clés notamment des concepts liés à Dieu: W$DEF KZK\!aDXQ! (vv. 22.23) ou KZK\!aDXQ! (v. 22). 4.6.5.4.4.1 La personne de YHWH Tsebaoth dans le texte Les vv. 22-23 décrivent l’intervention de Dieu qui se nomme YHWH ou YHWH Tsebaoth. Ces appellations sont à repérer dans les expressions W$DEF KZK\! aDXQ! (v. 22.23) ou KZK\! aDXQ! (v. 22). La position de W$DEF KZK\!aDXQ! au début du v. 22 et à la fin du v. 23 fait office d’expression crochet. Elle pourrait servir d’indice conduisant à englober ces deux versets dans une unité littéraire cohérente. D’abord, W$DEF KZK\! dans l’expression W$DEF KZK\! aDXQ.! Sous cette forme ainsi que dans un contexte du salut d’Israël et du châtiment de Babylone, le titre W$DEF KZK\! est également attesté en Jr 30.8; 51.57. Dans le premier texte YHWH annonce vouloir briser le joug d’Israël, mettre fin à l’asservissement des étrangers et restaurer le règne de David, alors que dans le second, il enivre les ministres, les sages, les préfets, les gouverneurs et les héros de Babylone. L’emploi de ce titre n’indique pas seulement le contexte du salut et de la destruction de l’ennemi, mais également il trouve son Sitz im Leben dans le Temple où la souveraineté de YHWH est proclamée458. Selon le livre d’Agée, la reconstruction du Temple de Jérusalem sous Zorobabel semble servir de cadre à la rédaction des oracles contre Babylone dans les vv. 21-23. Cette conclusion se vérifie également en ce qui concerne le titre KZK\!. 458 Ag 1.14; 2.4, 8, 9, 23; Za 1.3, 6; 3.9, 10; 5.4; 8.6, 11; 13.2, 7.
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Ensuite KZK\!dans l’expression KZK\!aDXQ.! Comme dans le cas de W$DEF KZK\!!, KZK\!est mentionné en Jr 28.4 où Dieu annonce qu’il va briser le roi de Babylone, en Jr 29.14 – où il promet de ramener les captifs et de les rassembler (Cf. Jr 30.3), de briser le joug étranger et de restaurer Israël459 contre les habitants de Babylone, ses chefs et ses sages (Cf. Jr 51.2, 24, 25, 39, 48, 49). La relation de la chute de Babylone avec le nom KZK\!dans l’expression KZK\! aDXQ! est confirmée dans le «Deutéro-Esaïe»460. L’étude des titres KZK\! et W$DEF KZK\! vient de nous conduire d’une part à situer leur emploi dans le contexte de salut et de la reconstruction du Temple de Jérusalem sous Zorobabel à l’époque perse, et d’autre part, elle nous a permis d’observer des liens littéraires entre 14.21-23, le «Deutéro-Esaïe», le livre de Jérémie, celui d’Aggée et de Zacharie. Cela est perceptible lorsqu’il s’agit d’analyser séparément les actions de YHWH contre Babylone dans 14.21-23. Comment expliquer l’apparition du nom de Babylone dans le contexte de la construction du 2e Temple? Sous Nabuchodonosor Babylone a causé la destruction du 1er Temple. Cet acte sera interprété à l’époque postexilique comme l’expression qualifiée de l’arrogance d’une puissance mondiale devant YHWH. L’opposition à la reconstruction du Temple de Jérusalem aussi bien par les «Samaritains»461 que par l’administration perse en 518 (Esd 4.4-24)462 est comparée à l’action de Babylone contre le Temple de Jérusalem en 587. C’est contre eux que la main de YHWH va se dresser. 4.6.5.4.4.2 L’élévation de YHWH contre les «impies» L’élévation de YHWH contre les «impies» est avant tout un acte de souveraineté et aussi de salut en faveur d’Israël. Ces deux hauts faits divins se rapportent à l’histoire de l’exode, où devant l’arche Moïse adresse une double demande à YHWH, à la fois de se lever afin de disperser ses ennemis (Nb 10.35) et de revenir au milieu de son peuple 459 Jr 30.8,10,11,17,21; 31.1,14,16,17,20,27,28,31,32,33,34,38; 50.20,31,35. 460 Es 41.14; 43.10, 12; 49.18; 52.5; 54.19; 55.8. 461 Les «samaritains» représenteraient les traces de Babylone. Car ils sont issus du métissage des populations étrangères transplantées en Israël avec les autochtones depuis le schisme de 722: Cf. J.-D. MACCHI, Les Samaritains: histoire d’une légende, 1994, p. 7. 462 D. KINET , Geschichte Israels, 2001, pp. 196-197; E. S. GERSTENBERGER, Israel in der Perserzeit, 2005, p. 16.
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(Nb 10.36). La présence de l’arche désigne le cadre cultuel de l’élévation de YHWH qui veut neutraliser les ennemis d’Israël. Dans la tradition royale en Israël, l’appel adressé à YHWH est celui de Salomon dans les livres des Chroniques. A l’exemple de Moïse, Salomon prie YHWH de se lever et de revenir avec l’arche dans son Temple (2 Ch 6.41). Cette invitation veut réaliser le salut et la joie des prêtres de YHWH. Elle est un signe de fidélité et de reconnaissance de YHWH comme le Dieu qui règne depuis son Temple (6.1ss), d’où il accorde la victoire à ses fidèles. Ce Dieu est chanté dans la prière au Temple comme le montre le Psalmiste: «Lève-toi, Seigneur! Sauvemoi, mon Dieu, toi qui frappes tous mes ennemis à la mâchoire et casses les dents des méchants (Ps 3.8)»463. L’idée de l’action punitive de YHWH contre les ennemis de son peuple fidèle se retrouve dans 14.22. En cohérence ce texte évoquerait l’interprétation de la chute des ennemis comme l’effet de l’intervention divine en réponse à la demande que la communauté du 2e Temple lui a adressée. YHWH intervenant contre les ennemis en vue du salut d’Israël est un thème attesté dans le livre d’Esaïe: contre la terre (2.19, 21: P2-AP); la gloire de YHWH s’élève (60.1: P1-S). L’étude du motif de l’élévation de YHWH en rapport avec la tradition de l’exode et la royauté en Israël permet de faire les observations suivantes. L’expression cadre avec le milieu cultuel. Elle a pour objet le salut d’Israël et la proclamation de la gloire de YHWH. Ces deux thèmes sont développés dans des textes sacerdotaux du Pentateuque (Nb 10. 35-36), les livres des Chroniques (2 Ch 6.41) et chez Esaïe (60.1). Dans la mesure où il faudrait envisager le rapprochement entre ces textes, nous aurions ici une preuve d’une couche rédactionnelle proche de celle des Chroniques et du «Trito-Esaïe», surtout les chs. 6062, dénommée P1-S. Dans cette couche, Babylone ne désigne pas la puissance historique du 6e siècle, mais au contraire les impies et les infidèles à YHWH, à l’époque de l’essor du Temple de Jérusalem. La nature englobante du nom de Babylone est exprimée par les concepts de la descendance et de la postérité que YHWH va faire disparaître.
463 Ps 7.7; 9.20; 10.12; 12.5; 17.13; 132.8.
481
4.6.5.4.4.3 YHWH détruit les traces de «Babylone» La suppression par YHWH du nom, des traces, de la descendance et de la postérité de Babylone (v. 23) indique la totalité de l’action destructrice de YHWH464. En ce qui concerne l’identité de Babylone, les opinions sont partagées. J. Watts voit en Babylone son roi et sa dynastie465. Par contre H. Wildberger y voit une allusion à un nom Code d’une puissance mondiale impérialiste466. Certains auteurs préfèrent la ville de Babylone467, pendant que d’autres pensent à une représentation symbolique468. Nous devons faire justice à ceux des auteurs qui soutiennent la dernière hypothèse. En effet, comme nous l’avons précédemment démontré, Babylone dans le texte recouvre le comportement des ennemis de YHWH qui culmine par la destruction du Temple de Jérusalem en 587 par Nabuchodonosor. C’est avec raison que J. N. Oswalt parle de Babylone comme un Tout qui agit contre Dieu par son arrogance et qui finit par être châtiée469. La destruction des traces de Babylone rappelle le contexte de l’exode, où YHWH menace d’exclusion toute personne qui ne respecterait pas les instructions au sujet de la célébration de la première Pâque lors de la sortie d’Egypte (Ex 12.15, 19). Cette action concerne aussi le respect des règles relatives au service dans le sanctuaire de YHWH (Ex 30.33, 38), au sabbat (Ex 31.14). Quand YHWH supprime les ennemis il manifeste sa souveraineté sur toutes les nations et il protège son peuple et la royauté en Israël470. Les livres des Chroniques reprennent ce thème. La suppression des ennemis vise la stabilité de la royauté davidique et trouve son Sitz im Leben dans le Temple. Parce que David avait eut l’idée de construire le Temple à YHWH, ce dernier a assuré la victoire sur tous ses ennemis (1 Ch 464 W. EICHRODT , Der Herr der Geschichte: Jesaja 13-23, 1967, p. 28; O. KAISER , Der Prophet Jesaja, Kap. 13-39, 1973, p. 39; H. WILDBERGER, Jesaja 13-27, 1978, p. 560. 465 J. D. W. WATTS, Isaiah 1-33, 1985, p. 214. 466 H. WILDBERGER, Jesaja 13-27, 1978, p. 560. 467 W. EICHRODT , Der Herr der Geschichte: Jesaja 13-23, 1967, p. 28; B. S. CHILDS, Isaiah, 2001, p. 127. 468 J. N. OSWALT, The Book of Isaiah, 1986, p. 325; P. HÖFFKEN , Das Buch Jesaja, Kapitel 1-39, 1993, p. 137. 469 J. N. OSWALT, The Book of Isaiah, 1986, p. 325. 470 1 S 20.15; 2 S 7.9; 1 R 14.10, 14; 2 R 9.8.
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17.8ss). La relation entre la fidélité au sanctuaire et la suppression des ennemis est établie dans la prière du Temple où YHWH est proclamé roi et protecteur d’Israël. C’est ce que chantent les Psalmistes471. En 14.22 YHWH supprime ce qui appartient à Babylone. D’une part le texte applique à Babylone la menace qui était destinée à la descendance d’Israël lors de l’exode et d’autre part, il limite à Babylone, ce que les textes dtr élargissent à l’ensemble des nations472. De ce point de vue les rédacteurs de 14.22 procèdent à la relecture des textes dtr. Ils font aussi de Babylone le symbole de toutes les nations ennemies de YHWH. La destruction par YHWH de la descendance de Babylone se veut le châtiment de l’arrogance qui rappelle celle du roi de l’Assyrie (37.24)473. Elle exprime la vengeance de YHWH (44.14)474. Jr 50.16 et 51.62 attestent l’action de YHWH qui supprime et extermine Babylone475. Dans ce dernier texte, Babylone devient à jamais un lieu de désolation, un marécage. 4.6.5.4.4.4 La transformation de Babylone en marais La transformation de Babylone en marais (a\,P\PHJD @) en 14.23 est encore une action personnelle de YHWH. Il est vrai que le nom de Babylone est ici absent. Mais, il est évoqué par le suffixe de la 3e pers. du sing. fem. dans K\7LPI Z .! Par rapport au v. 22, le genre du destinataire change. Là, il est désigné au pluriel (aK\OH>@). Ce fait nous amène à distinguer le v. 22 du v. 23 tant sur le plan littéraire qu’historique. Alors que dans le v. 22, Babylone est un nom Code, au v. 23 par contre, elle représente la puissance mondiale déchue par Cyrus, et dont le «DeutéroEsaïe» se fait large écho. 471 Ps 12.3; 34.17; 37.9, 22, 28, 34, 38; 101.8; 109.13, 15. 472 Dt 12.29; 19.1; Jos 11.21; 1 S 20.15. 473 Ce texte est proche de la rédaction des livres des Chroniques. Dans la mesure où le rapprochement se confirmait, nous avons ici un indice de l’existence à cette époque d’une couche rédactionnelle ayant Babylone et l’Assyrie comme modèles des puissances ennemies de YHWH de par leur arrogance. 474 En ce qui concerne Babylone, le «Deutéro-Esaïe» développe davantage le thème de la vengeance. 475 Alors que Babylone fait l’objet de l’action exterminatrice de YHWH, le nouvel Israël, le peuple racheté et libéré reçoit la promesse de ne plus être abattu ni supprimé. C’est cela, le renversement de la situation en faveur d’Israël et au détriment de Babylone, qui domine 14.1-23.
483
L’analyse de la transformation de Babylone en marais permet d’étayer notre hypothèse. Le mot aJD@ «marais» est attesté 10 fois476 dans la Bible hébraïque. Il est associé à l’histoire de l’exode et des plaies, notamment la transformation des étangs d’eaux en marais de sang (Ex 7.19) et les grenouilles (Ex 8.1). Cette transformation malheureuse des eaux est attestée d’une part en rapport avec le départ d’Israël sur le chemin de la libération (42.15, 26) et d’autre part dans un oracle sur la désolation de Babylone (Jr 51.32). Elle est une preuve de la manifestation de la souveraineté de YHWH et de sa nature de Dieu créateur chanté par les Psalmistes dans le culte (Ps 107.35; 114.8). En utilisant le terme aJD@ pour illustrer le sort de Babylone les rédacteurs de 14.23 comparent le sort de l’Egypte à celui de Babylone au moment de la libération d’Israël, faisant de la fin de l’exil et la sortie de Babylone un nouvel exode477. Lors de tous ces événements, YHWH a manifesté sa puissance et sa souveraineté en transformant les pays de servitude en une terre de désolation. En transformant Babylone en un étang de malheur et de désolation, il fait du désert un étang d’eau. Cette image d’abondance et de vie dispensées par YHWH lors de la libération de son peuple revient dans 35.7, le «Deutéro-Esaïe» (41.18; 42.15) et le Psautier (107.35; 114.8). Le lien de 14.23 avec le «Deutéro-Esaïe» est plus frappant lorsqu’on compare ce texte avec 42.15. 14.23:
a\,P\PHJ!DZ!G3RTLYU$POK\7LPIZ! J’en ferai une possession de chouette et un marécage
42.15:
CY\EL$Da\0LJD@Za\E*P ! L et D)QZ, dans Mi 4.1. Au même endroit, ce pronom personnel est absent en 2.2. b) Le double emploi de a\%LU a\,$*K et de a\%LU a\0L> dans le texte de Michée, tandis que 2.2-5 se limite à employer a\%LU a\,$*K. c) Le texte de Michée porte des longues expressions, tandis que dans 2.2-4 elles sont courtes. Deux exemples étayent notre observation. D’une part l’expression a\%LU a\0L> (Mi 4.3) est remplacée en 2.4 par a\,$*K(2.4). D’autre part T$[UG>a\PLF> X @ a\,$JOest remplacée par a\%LU a\0L>O . Comme synonyme de a\%LU, a\PLF>X @ est attesté en Ex 1.9; Dt 9.14; 26.5; Ps 35.18; 135.10; Pr 7.26; Es 8.7; 53.7, 8, 12; Jl 2.2; Am 5.12; Mi 4.3; Za 8.22. Il est évident que le texte de Mi 4.1-5 recourt aux deux termes synonymes contrairement à 2.2-4. Ce qui explique sa longue forme par rapport au dernier. d) La forme du verbe GPO dans Mi 4.3 soutient à la fois sa longueur et son rapprochement avec la rédaction dtr. Dans Mi 4.3, le verbe porte un nun paragogique (:GPO\ , DO^Z)! absent dans 2.4 (:GPO\ , DO^Z!). Cette longue forme est attestée en plus de Mi 4.3, deux fois dans Dt 4.10. Ce fait constitue un argument supplémentaire en faveur du rapprochement de Mi 4.3 au vocabulaire du Deutéronome. e) Mi 4.4 manque totalement en 2.2-5. Nous avons ici la même technique des rédacteurs de 2.2-4 qui consiste à réduire le texte de Michée qui était sous leurs yeux. Cette technique est aussi observée en ce qui concerne la narration Ezéchias-Esaïe (Es 36-39) en comparaison avec 2 R 18-20. L’expression $WQD7 H W[WZ ! $QS* W[7 Y\DL:EY\Z ! «et chacun habitera sous son sa vigne et sous son figuier» en Mi 4.4 est 517
attestée à quelque différence près en 1 R 5.5. Elle a une variante en 2 R 18.31 et Es 36.13. Ici encore on voit le lien entre la rédaction dtr et Mi 4.1-5, par le v. 4. f) La dernière caractéristique concerne la forme impérative :NO attestée en 2.3 et Mi 4.2, 5. L’appel d’aller est attribué aux peuples (nations) nombreuses. Par souci de réduire leur texte comme partout ailleurs, les rédacteurs d’Esaïe s’abstiennent de reprendre deux fois le verbe OK dans un même texte, avec le même sujet. Ce phénomène de répétition caractérise par contre Mi 4.1-5 (Cf. vv. 2 et 5). Dans 2.3 les peuples invitent à la procession vers la montagne de YHWH, vers la maison de Dieu de Jacob, tandis que Mi 4.5 oppose Israël, le peuple qui va au nom de YHWH son Dieu aux peuples allant chacun au nom de son dieu. Le texte de Mi 4.5 soulève clairement la polémique religieuse, thème complètement absent en 2.3. Car ce dernier souligne l’universalisme de la religion de YHWH, tandis que Mi 4.5 met en exergue sa dimension nationale. Cette dernière dimension reflète la théologie deutéronomiste dont l’écho retentit dans l’épisode d’Elie. Pour preuve, l’expression :Q\KHOD ^ KZK\! aYH% en Mi 4.5 est, à la différence des personnes près, proche de celle en 1 R 18.24: Mi 4.5:
Z\KO^DaYH%Y\DL:NO\(a\0L>KO.\.L :G>ZaO$>O:Q\KHO^DKZK\!aYH%OHQ(:Q[QD@Z
Car tous les peuples marcheront chacun au nom de son dieu, mais nous marcherons au nom de YHWH, notre Dieu pour toujours et à jamais. 1 R 18.24a: : KZK\!aYHEDUTD\Q,D@ZaN\KHO^DaYH%aWDUT: Mais vous invoquerez le nom de vos dieux et moi, j’invoquerai le nom de YHWH.
La comparaison de ces deux textes, nous permet de remarquer: 1. Sur le plan littéraire, les deux textes se ressemblent. Car ils utilisent aN\KHOD^ aYH% (1 R 18.24a) et Z\KOD^ aYH% (Mi 4.5) suivi de KZK\!
aYHE. 2. Sur le plan théologique, ils mettent en évidence la polémique entre YHWH, le Dieu d’Israël et les autres dieux (1 R 18.24a), les dieux des peuples (Mi 4.5).
518
3. En 1 R 18.24ss, Elie apparaît comme le porte-étendard de la religion de YHWH face aux prophètes de Baal. Il en est de même de ceux qui parlent en Mi 4.5. Ils opèrent un choix clair en faveur de YHWH au détriment de dieux des peuples. Ici et là, c’est le particularisme religieux caractéristique de Dtr. 4. L’étude comparative de Mi 4.5 avec 1 R 18.24a confirme l’observation selon laquelle le texte de Michée est proche des milieux dtr. Ce qui le distingue de 2.2-4 reflet de la théologie des milieux sacerdotaux du 2e Temple et marquée par une tendance universaliste. Par conséquent, Mi 4.1-6 serait une œuvre rédactionnelle entre HD et les Chroniques. Tandis que 2.2-4 serait plus tardif et proche de la rédaction des livres des Chroniques. Ce texte représenterait les milieux sacerdotaux du 2e Temple dont la visée théologique était de souligner la centralité universelle du Temple de Jérusalem, non seulement pour Israël, mais aussi pour toutes les nations. Ces milieux se seraient servis du texte de Michée ancien en l’adaptant en fonction de leur projet rédactionnel. 4.7.5.3.2 Le texte de Mi 4.1-4(5): Vorlage de 2.2-4 adaptée théologiquement Outre l’universalité de la religion de YHWH, les rédacteurs de 2.2-4 soulignent la primauté du Temple de Jérusalem, la maison de YHWH. Cette intention théologique se remarque par la position de la racine ZN. Malgré le fait qu’elle est attestée dans les deux textes, son emplacement à des endroits différents trahit des intentions rédactionnelles évidentes. Es 2.2
a\U,KKYDUR%KZK\!W\%HUKK\K\,$NQ Etablie sera la montagne de la maison de YHWH au sommet des montagnes
Mi 4.1
a\U,KKYDUR%$NQKZK\!W\%HUKK\K\, Il adviendra que la montagne de la maison de YHWH sera établie au sommet des montagnes
L’examen de ces deux textes permet d’observer que le verbe occupe différente position. En 2.2, il introduit la phrase, tandis qu’en Mi 4.1, il est situé au centre du verset. Ces emplacements influencent également 519
le sens de chaque texte. En Es 2.2, le verbe désigne la montagne de la maison de YHWH, le Temple. Tandis qu’en Mi 4.1, il qualifie la montagne de la maison de YHWH, c’est-à-dire Sion. Ainsi, nous avons deux perspectives rédactionnelles différentes. Pendant que 2.2 souligne l’importance du Temple, la maison de YHWH, Mi 4.1 quant à lui, élève Sion, la montagne où elle est située. Sans le risque de nous répéter, l’analyse nous a permis de démontrer que Mi 4.1-5 proviendrait du milieu rédactionnel entre le HD et Chr dont les rédacteurs de 2.2-4 se seraient servis comme Vorlage. Par conséquent, nous pourrons affirmer la primauté du texte de Michée sur celui d’Esaïe. Les rédacteurs de ce dernier texte se seraient servi de Mi 4.1-5 en l’élaguant de certains termes véhiculant la polémique entre YHWH et les autres dieux afin de souligner la théologie de paix qui découle de la reconnaissance de la souveraineté YHWH par toutes les nations et tous les peuples. Une telle théologie est représentée par les milieux sacerdotaux qui insistent sur le rôle central du 2e Temple de Jérusalem pour l’ensemble des peuples et se préoccupent de nouvelles relations harmonieuses entre les nations, seule garantie de stabilité et de sécurité d’Israël. La base de ces relations est la reconnaissance de YHWH comme Dieu par tous. La polémique religieuse disparaît dans ce contexte, car toutes les nations reconnaissent YHWH comme leur Dieu, au même titre d’Israël.
4.7.6 Conclusion Lors de l’étude de 2.2-4, nous avons essayé de démontrer que ce texte appartient à la rédaction de paix sacerdotale (P1-S). Les rédacteurs postexilique tentent d’interpréter la situation de paix et de stabilité d’Israël pendant la domination perse comme le résultat de la fidélité des nations et des peuples au 2e Temple de Jérusalem. Le Temple comme source de paix est l’actualisation de la tradition de l’exode, notamment celle de l’alliance de Sinaï. C’est à cette occasion que YHWH est proclamé, roi de la terre. Il fait d’Israël une nation de prêtres (Ex 19), lui donne sa Torah et lui fait ses promesses (Ex 23). Toutes les fonctions du Sinaï sont désormais remplies par le 2e Temple de Jérusalem. Le Temple comme lieu d’affluence des nations rappelle la tradition de Salomon. Contrairement aux autres textes, les rédacteurs 520
sacerdotaux de 2.2-4 laissent Salomon supplanter David. Pour la simple raison que c’est lui qui construisit le Temple de Jérusalem. A cause de cela il fit de Sion le centre du monde (2 Ch 3.22-23) et connut un règne de justice et de paix sans pareille. La figure de Salomon est incarnée dans le Messie du ch. 11, son attitude de fidélité dans 30.19-25a, 36-39 et son règne illustré dans le ch. 32. Quant à la ville de Jérusalem, elle reçoit la fonction de lumière des nations (chs. 60-62), de ville de justice (1.26-27). Le mémorial de la figure de Salomon se fait dans le Temple lors de la cérémonie d’intronisation (Ps 72). Cette image est parfaitement bien élaborée par les Chronistes dont la stratégie rédactionnelle consistait entre autres à relire et à actualiser les textes deutéronomistes en embellissant l’image des rois de Juda dont les rédacteurs deutéronomistes avaient terni le portrait. C’est le cas de Manassé (2 Ch 33.15 = contre 2 R 21.1-18; Es 2.6). Ces images sont améliorées à cause de leur fidélité au Temple, parce qu’ils ont reconnu la souveraineté de YHWH. Ce comportement est attribué avant tout aux rois perses qui rendirent possible la reconstruction du Temple. C’est l’origine de la rédaction des grands recueils dans lesquels la souveraineté de YHWH et la primauté du Temple de Jérusalem, sur la montagne de Sion sont affirmées (Lévitique, Néhémie, Esdras, Chroniques, Jr 42-44). La pax persica que connut l’empire perse et dont Israël fut bénéficiaire est interprétée comme le résultat de la reconnaissance de la souveraineté de YHWH. La méconnaissance de cette souveraineté par une nation ou son roi entraîne sa chute. Il est question de ce sort dans 14.12-20.
4.8 La chute de l’astre brillant à cause de l’arrogance (14.12-20) 4.8.1 Introduction Es 14.12-20 semble être une élégie sur l’Astre brillant, le fils de l’Aurore. Il s’agit du châtiment de son arrogance, caractérisée par sa tentative d’être l’égal de Dieu.
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L’identité du destinataire ainsi que le cadre historique de la péricope divisent les commentateurs. En effet, la difficulté d’associer le nom énigmatique de U[Y %OOH\KH à une personne historique explique le foisonnement des interprétations. Certains auteurs y voient une application de la mythologie extrabiblique608: (phénico)-cananéenne609, grecque, etc. Cette option est cependant rejetée par J. W. Watts qui ne trouve pas ce mythe en Canaan610. Certaines traductions suivent la Vulgate en rendant ce nom par Lucifer611. Prenant les vv. 4b-21 comme un tout J. Vermeylen identifie les destinataires avec les mauvais Juifs612. Cette solution tient au ton polémique qui transparaît dans le texte. Mais ce ton ne peut pas seulement être justifié par les tensions à l’intérieur du peuple Juif. Il pourrait aussi être dû aux conflits entre les Juifs et les autres peuples. La difficulté d’interprétation peut être liée à la considération des vv. 4b-21 comme une unité littéraire. La séparation de ce texte en deux unités distinctes (vv. 4b-11 et 12-20) ouvre d’autres perspectives herméneutiques. On observera par exemple que les vv. 12-20 sont une interprétation apocalyptique des vv. 4b-11 situés à la fin de l’exil et relatifs à la chute de la Babylone historique. Du coup, la question de l’identité de U[Y %OOH\KH au v. 12 ne peut plus être dissociée de la rédaction apocalyptique qui s’inspire de la mythologique du milieu ambiant. Dans son livre consacré à la question, R. M. Shipp affirme que OOH\KH est avant tout une terminologie avec une connotation astrale613. C’est pourquoi il suggère trois significations de U[Y % OOH\KH. Ce nom pourrait être soit une étoile dans la constellation Sinunutu associée à Ishtar en conjonction avec Venus-Dilibat, soit une étoile associée d’une certaine manière à la royauté immortalisée dans des hymnes rituels relatifs à la mort et la chute du roi vers le 1er siècle av. J.-C614. L’auteur termine 608 R. KILIAN, Jesaja 1-12, 1986, p. 104. 609 O. KAISER , Der Prophet Jesaja, Kap. 13-39, 1973, pp. 34-35; R. E. CLEMENTS, Isaiah 1-39, 1980, p. 142; P. HÖFFKEN, Das Buch Jesaja, Kapitel 1-39, 1993, p. 135; J. BLENKINSOPP, Isaiah 1-39, 2000, p. 288; B. S. CHILDS , Isaiah, 2001, p. 126. 610 J. D. W. WATTS, Isaiah 1-33, 1985, p. 209. 611 P. HÖFFKEN , Das Buch Jesaja, Kapitel 1-39, 1993, p. 134; J. BLENKINSOPP , Isaiah 1-39, 2000, p. 288. 612 J. VERMEYLEN, Du prophète Isaïe à l’apocalyptique, 1977, p. 295. 613 R. M. SHIPP, Of Dead Kings and Dirges, 2002, p. 152. 614 Ibid., p. 79.
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par associer U[Y%OOH\KH avec le roi d’Assyrie dans 10.12-15 qui tombe à cause de son arrogance615. Bien que cette identification semble justifiée616, ces conclusions sont loin de répondre à la question de l’identité précise de la personne qui est dissimulée derrière U[Y % OOH\KH. Le recours à la mythologie extrabiblique dans 14.12-20 est évident. Cependant on ne peut pas perdre de vue l’origine biblique de U[Y% OOH\KH lorsqu’on considère le caractère apocalyptique du texte. Comment pourrait-on se limiter à évoquer l’influence de la mythologie extrabiblique dans un texte apocalyptique uniquement qui naturellement s’inspire des textes bibliques anciens? C’est en prenant conscience de ce fait que P. Höffken admet l’influence à la fois de la mythologie extrabiblique et des traditions bibliques en ce qui concerne en particulier $\O>617 . Quoi qu’il en soit, l’intention rédactionnelle est d’historiciser les mythes618 afin de servir à la foi d’Israël. C’est pourquoi U[Y %OOH\KH devrait faire allusion à une personne précise. Concernant le contexte historique, le texte semble devoir être situé à l’époque hellénistique dominée par l’apocalyptique dans la mesure où la chute de OOH\KH symbolise le jugement final contre les ennemis de YHWH. L’écho de ce jugement est largement audible par exemple dans le livre de Daniel et dans ceux de Maccabées. Dans ces livres le nom d’Antioche Epiphane IV semble incorporer le mythe de U[Y % OOH\KH dans le fait qu’il fut brisé pour s’être élevé contre Dieu, le Prince de Princes (Dn 8. 23-25). Ce châtiment, soit la mort du roi, s’explique tout simplement par le fait que YHWH règne à partir du ciel (66.1). Le lien entre 14.12-20, les livres apocalyptiques et le ch. 66 d’Esaïe, par exemple, fait du texte étudié, le représentant de la rédaction P2-AP dernière étape de la formation du livre d’Esaïe. La mort de ce roi en 164 av. J.C. est interprétée comme l’instauration définitive de la souveraineté de YHWH dans les cieux, où U[Y %OOH\KH tenta d’y remplacer Dieu, et sur la terre où il a été précipité. Ce qui explique son identification à Lucifer par la Vulgate conformément au livre de Job. Ce sort rappelle celui du Pharaon qui, à cause de son arrogance, fut englouti par les eaux de la 615 616 617 618
R. M. SHIPP, Of Dead Kings and Dirges, 2002, p. 155. Voir le ch. 4.4 (supra). P. HÖFFKEN, Das Buch Jesaja, Kapitel 1-39, 1993, p. 135. R. KILIAN, Jesaja 13-39, 1994, p. 104.
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mer des Joncs. Mais aussi celui du roi d’Assyrie et de Babylone dont la chute intervint pour les mêmes raisons que celle du Pharaon. Dans l’histoire royale en Israël, c’est Saül qui en est le prototype. A ces deux figures s’opposent respectivement celles de Moïse et de Juda Maccabée qui conduisirent Israël sur le chemin de la délivrance. Elles trouvent des correspondants dans la tradition royale dans les personnes de David qui conçut le projet du Temple de Jérusalem et de Salomon qui le construisit. La fidélité à ce Temple de ces deux monarques fut à l’origine de la promesse de Nathan d’une stabilité éternelle de la dynastie (2 S 7). Les figures du Pharaon, de Nabonide et de Saül qui caractérisent le comportement de l’Astre brillant sont à l’origine de la réutilisation dans 14.12-20, sous une autre perspective des traditions relatives à ces personnages dans la Bible hébraïque. Dans cette étude nous tenterons de démontrer d’une part, comment U[Y % OOH\KH représente Antiochus Epiphane IV et d’autre part l’appartenance de l’expression à la rédaction P2-AP, l’influence de la tradition de l’exode relative à la chute du Pharaon, et celle de la tension de David et Saül. Nous terminerons en présentant le culte du Temple de Jérusalem comme le lieu propice de la production du texte dans la mesure où c’est à partir de là que se manifeste la souveraineté de YHWH. Mais avant tout, nous nous intéresserons à la délimitation du texte.
4.8.2 Délimitation du texte Es 14.12-20 est un texte situé entre les vv. 3-11 et 21-23. Certains auteurs préfèrent l’inclure dans une grande unité littéraire comprise entre les vv. 3 ou 4b et 21619. Cependant, la nouvelle présence de \DH au début du v. 12 et l’appellation du destinataire par U[Y % OOH\KH suggère de prendre ce verset pour le début d’une nouvelle unité littéraire. En outre, l’emploi de l’impératif au v. 21, absent ailleurs dans le texte, ainsi que l’identification des destinataires par les «fils» étaient notre suggestion. Enfin, la cohérence des vv. 12-20 est assurée par l’emploi du début à la fin de la 2e pers. du sing, alors qu’elle est d’un emploi partiel dans les vv. 4-11 précédents.
619 Pour la discussion, nous renvoyons au chapitre précédent (4.6).
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Ces observations conduisent à considérer les vv. 12-20 comme une unité littéraire cohérente. Ceci étant, nous procédons à sa traduction.
4.8.3 Traduction v. 12: Comment es-tu tombé du ciel, l’astre brillant, le fils de l’aurore! Tu es abattu à terre, toi, le vainqueur de toutes les nations. v. 13: Mais toi, tu disais dans ton cœur: je monterai au ciel, j’élèverai mon trône au dessus des étoiles de Dieu et je m’assiérai sur la montagne de l’assemblée, à l’extrémité du Septentrion. v. 14: Je monterai au sommet des nuages, je serai semblable au TrèsHaut. v. 15: Mais tu es emmené dans le Shéol, vers les profondeurs de la tombe. v. 16: Ceux qui te voient t’observent attentivement: celui-ci est-il l’homme qui faisait trembler la terre, secouait des royaumes? v. 17: Qui réduisait le monde à un désert et détruisait des villes et ne libérait jamais leurs prisonniers de sa prison? v. 18: Tous les rois des nations se reposent dans la gloire, chacun dans sa tombe. v. 19: Mais toi, tu as été jeté hors de ton sépulcre comme un rejeton, comme la dépouille de ceux qui sont tués par les transpercements de l’épée, comme ceux qui sont précipités sur les pierres de la fosse, comme un cadavre piétiné. v. 20: Tu n’es pas réuni dans le sépulcre avec eux, car tu as détruit ton pays, tu as tué ton peuple. Il n’appellera plus jamais la descendance des méchants.
4.8.4 Structure du texte Les vv. 12-20 présentent une architecture semblable à celle des vv. 4b11 étant donné que les deux appartiennent au même genre littéraire de OYP. Schématiquement, la péricope se présente de la manière suivante:
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– L’étonnement sur la chute de l’Astre brillant (v. 12). – L’arrogance: cause de la chute (vv. 13-14) – La descente aux enfers et la disparition totale (v. 15-20), avec question rhétorique et annonce du châtiment. La structure du texte ainsi esquissée sera suivie dans l’analyse du texte. Venons-en à l’analyse proprement dite.
4.8.5 Analyse et commentaires 4.8.5.1 Introduction En 164 av. J.-C. Antioche Epiphane IV meurt. Cette mort met fin à sa politique religieuse de profanation du Temple de Jérusalem et de persécution des fidèles de YHWH. Intervenant dans le contexte de l’inauguration du Temple après sa profanation sous Judas Maccabée, cette mort est doublement interprétée. D’une part, elle est la manifestation de la souveraineté de YHWH qui a protégé son peuple de ses ennemis et dit le dernier mot sur le tyran et d’autre part, elle est la conséquence de l’arrogance d’un roi qui a voulu prendre la place de YHWH. Dans les pages qui suivent, nous allons démontrer comment le mythe de U[Y %OOH\KH est historicisé dans la personne d’Antiochus Epiphane IV. 4.8.5.2 L’identité de l’astre brillant Es 14.12 se veut un mashal sur la chute de U[Y % OOH\KH «astre brillant du ciel, fils de l’aurore, c’est-à-dire l’étoile du matin»620. Cette appellation est un hapax legomenon621. L’absence d’un correspondant dans la Bible hébraïque rend difficile la détermination de l’identité de OOH\KH622.
620 P. C. C RAIGIE, «Helel, Athtar and Phaethon (Jes 14:12-15)» ZAW 85, (1973), pp. 223-224; B. DAVIDSON, The Analytical Hebrew and Chaldee Lexicon, 1997, p. 709. 621 J. W. D. WATTS, Isaiah 1-33, 1985, p. 210. 622 J. W. MC K AY , «Helel and the Dawn-Goddess» VT 20, (1970), 450-464; P. C. CRAIGIE, ZAW 85, (1973), pp. 223-224.
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Pour notre part, nous choisirons de nous concentrer sur le texte afin de percer ses secrets. Le nom OOH\KH dérive de la racine OOK qui a trois sens623: briller, faire briller624, louer ou être insensé. Ces trois significations de OOH\KHmettent en évidence la nullité de la gloire ou de la brillance. C’est ce que véhiculent les verbes OSQet >G* qui traduisent la chute de ce qui brille. Leur emploi parallèle attesté 4 fois625 dans la Bible hébraïque concerne à part en 14.12, les nations étrangères, notamment Samarie (9.9; Am 3.14) et l’ennemi non identifié (22.25). Ce dernier texte que R. E. Clements a par exemple situé après 587626 ne concerne pas la chute de Juda. Il s’agit au contraire d’un texte de la rédaction P2AP, comme 14.12-20, dont la caractéristique est la relecture renversée des textes relatifs à la catastrophe de 587, appliquée aux ennemis de YHWH le sort est le même que celui qu’ils firent subir à Juda. C’est ce qui explique la fin de la servitude comme implication de la chute de l’ennemi de YHWH. J. Vermeylen voit dans ces ennemis une allusion aux mauvais Juifs, les impies israélites627. L’attestation du vocabulaire628 de 22.25 dans les textes apocalyptiques étaie notre hypothèse. Cette option ne s’éloigne pas du tout de la solution de J. Vermeylen dans la mesure où la rédaction P2-AP s’inspire de P1-S lorsqu’elle applique aux nations ennemies de YHWH, le châtiment qui était réservé aux impies israélites. Dans 14.12 le châtiment réservé à U[Y%OOH\KH c’est sa précipitation à terre. Ce motif est également attesté en Dn 8.10, en parlant de la corne qui s’élève jusqu’à l’armée du ciel et fait tomber à terre une partie de l’armée et des étoiles. L’élévation jusqu’au ciel est évoquée comme l’expression de l’orgueil d’Antiochus Epiphane IV qui l’a conduit à sa fin (2 M 9.10). C’est le même thème que celui du message de 14.13. La rareté du motif du déclin à cause de l’élévation au ciel permet de tirer deux conclusions préliminaires. D’une part, les trois textes cités ci-avant 623 W. GESENIUS, Handwörterbuch, 1962, pp. 182-183. 624 H. WILDBERGER , 1978, p. 551; B. DAVIDSON, The Analytical Hebrew and Chaldee Lexicon, 1997, p. 188; F. BROWN , The Brown-Driver-Briggs Hebrew and English Lexicon, 1997, p. 237; P. REYMOND , Dictionnaire d’hébreu et d’araméen biblique, 2002, p. 102. 625 9.9; 14.12, 22.25 et Am 3.14. 626 R. E. CLEMENTS, Isaiah 1-39, 1980, p. 191. 627 J. VERMEYLEN, Du prophète Esaïe, 1977, p. 342. 628 WUN (Dn 9.26).
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appartiendraient au contexte rédactionnel apocalyptique, et d’autre part le texte de 2 M 9.10 met en lumière l’identité de U[Y %OOH\KH et le cadre de la production du texte. Le destinataire de l’élégie n’est autre qu’Antiochus Epiphane IV. Le texte qui fait référence à sa mort aurait été rédigé après 164 av. J.-C. Ces conclusions sont confirmées lorsqu’on analyse les griefs reprochés à OOH\KH. Elles se résument par l’extrême arrogance. 4.8.5.3 L’arrogance: la cause principale de la chute Le thème de l’orgueil comme cause de la chute occupe une place centrale dans 14.12-20. Il est exprimé par la proposition AEEO E L 7UP! D K7DZ ! «et toi qui disais dans ton cœur», en particulier l’expression AEEO E L. Sous diverses formes, le vocable EEOH «ici cœur, en tant que centre de la pensée, de la volonté ou de sentiments divers, voire de la personne ellemême»629 sert à caractériser l’arrogance d’une personne ou d’une nation. Associé à l’attitude d’une puissance étrangère, EEOH est mentionné dans l’histoire de l’exode pour désigner l’arrogance et l’endurcissement du Pharaon (Ex 14.5), attitude qui le conduisit à disparaître (Ex 14.24-28). L’orgueil est à la base de la mort de l’Assyrie (10.7ss). Dans le livre de Daniel plusieurs cas sont présentés en rapport avec l’orgueil des monarques (8.25; 11.12, 25, 27, 28). Nous avons déjà évoqué le ch. 8 de Daniel lors de l’étude du thème de l’élévation au ciel de U[Y% OOH\KH. Ce thème revient en 8.25 pour parler du brisement du roi impudent et expert en astuces – Antiochus Epiphane IV selon le TOB – à cause de son élévation contre le Prince des princes (Dn 8.23, 25). On lui reproche également des destructions prodigieuses (Dn 8.24), allusion à la profanation du Temple et à la persécution des Juifs630. Les livres des Maccabées évoquent cette situation (2 M 5.21), interprétée comme l’expression de l’orgueil qui a conduit ce roi séleucide à la mort (2 M 9.4ss), mort présentée comme la punition de Dieu (2 M 9.1-18)631. L’orgueil en14.13 se traduit par l’emploi de la 1re personne du singulier dans les propos de l’Astre brillant établis dans un plan en trois actions: 629 P. REYMOND, Dictionnaire d’hébreu et d’araméen biblique, 2002, p. 189. 630 TOB, 2004, p. 1061, note e. 631 J. BLENKINSOPP, Isaiah 1-39, 2000, p. 287.
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a) monter au ciel b) élever son trône au dessus des étoiles c) s’asseoir sur la montagne des assemblées, à l’extrémité du Septentrion. 4.8.5.3.1 Monter au ciel Tel est le premier objectif de l’Astre brillant, du fils de l’Aurore. En quoi ce plan constitue-il une manifestation de l’arrogance? Par rapport à qui cette attitude est une offense? Dans la mesure où le ciel représente la résidence exclusive de Dieu (Ps 115.16), son trône (66.1) qui proclame sa gloire (Ps 19.1), le plan de OOH\KH de monter au ciel ne peut être interprété autrement que comme une tentative de faire concurrence à Dieu. En d’autres termes, l’Astre brillant projetait de se faire l’égal de Dieu et de s’approprier sa gloire. C’est le péché de lèse majesté, l’extrême arrogance qui ne restera jamais impunie. C’est l’arrogance de Babylone (Jr 51.53): Es 14.13: Jr 51.53:
: KO>Da\,P9KAEEOEL7U!PDK7DZ! et tu disais dans ton cœur: je monterai au ciel
a\,P9KOEEKO>@W\.L Car Babylone est montée au ciel
Le rapprochement de ces deux textes est possible par leur affinité littéraire et l’utilisation du motif de la montée vers le ciel aussi bien de l’Astre brillant (14.13) que de Babylone (Jr 51.53). En référence au cadre littéraire de la condamnation de Babylone, notamment dans les vv. 3-11 et 21-23, il y a lieu de supposer que l’Astre brillant dans notre texte soit une autre appellation de Babylone (Babylone comme nom Code). Dans le livre de Daniel dont Babylone est le cadre de narration, il est fait état de la fin du règne de deux rois babyloniens, Nabuchodonosor et Belshassar, son fils. Ce dernier y est présenté comme le dernier roi babylonien. Il fut tué par la coalition des Mèdes et des Perses. Darius, le Mède reçut ensuite la royauté (Dn 6.1). Cette donnée, historiquement invraisemblable, est la version apocalyptique de l’émergence de l’empire perse sous l’instigation de Cyrus. C’est lui qui mit fin à l’hégémonie babylonienne. L’histoire que le livre de Daniel rapporte ici, est celle de la chute de Nabonide, le dernier roi de Babylone, vaincu par les Perses. Il paraît vraisemblable que ce monarque babylonien porte 529
dans la littérature apocalyptique le nom de Belshassar. Il lui est reproché son arrogance: «il n’avait pas humilié son cœur et s’était dressé contre le Seigneur du ciel» (Dn 5.23). Dans le livre de Daniel l’arrogance est la cause de la fin du roi Belshassar, dernier roi de Babylone (Dn 5.2-6.1). Les affinités entre 14.12 et les textes de Daniel sautent aux yeux. Ce qui invite à les rapprocher. Il en va de même en ce qui concerne le grief de l’élévation par OOH\KHde son trône au dessus des étoiles. 4.8.5.3.2 Elever son trône au dessus des étoiles Le deuxième projet de l’Astre brillant consiste à élever son trône au dessus des étoiles. Parce que les étoiles sont au ciel, il veut placer son trône (D6H.)L dans le ciel. La condamnation de l’Astre brillant se justifie par le fait que le ciel est le trône de Dieu (66.1). Le ciel acceptera-t-il d’avoir deux rois et deux trônes? Ou bien Dieu descendra ou bien l’Astre brillant sera précipité. Es 14.12 a déjà donné la réponse. L’emploi de l’adverbe composé O>0P L «de dessus» est également attesté dans le cas du rappel du premier commandement du Décalogue interdisant de se faire une image taillée ni une représentation quelconque de choses qui sont en haut dans les cieux ou en bas sur la terre (Ex 20.4; Dt 5.8, Jos 2.11). Il se réfère également à la loi sur l’unicité de YHWH, qui doit être reconnu comme seul Dieu, en haut dans le ciel et en bas sur la terre. Car en dehors de Lui il n’y a point de Dieu (Dt 4.39; 1 R 8.23; Es 44.6). Parce que Dieu est l’unique Maître du ciel et de la terre, il place les rois sur leurs trônes et les destitue. Il utilise l’autorité de certains souverains, comme dans le cas du roi de Babylone à l’égard de Jéhojakin (Jr 52.32). Lorsque l’Astre brillant planifie d’élever son trône au dessus des étoiles, il se fait d’une part, concurrent de YHWH et ignore d’autre part la souveraineté de YHWH. Les rédacteurs de 14.12 semblent faire recours à la théologie deutéronomiste dans l’élaboration de leur théologie de l’unicité de YHWH et surtout du concept de YHWH, Maître du ciel et de la terre. La loi que les milieux deutéronomistes destinaient à Israël et qui constituait la base de sa condamnation est appliquée par les milieux apocalyptiques aux nations étrangères pour justifier leur châtiment. La méconnaissance de la souveraineté de YHWH dans son Temple à Sion est la transgression majeure de cette loi. 530
4.8.5.3.3 S’asseoir sur la montagne des assemblées Le troisième et dernier projet consiste à s’asseoir sur la montagne de la rencontre (G>H$PUK%) situé à l’extrémité du septentrion ($SF \WH.U \! % ) . L’interprétation de G>H$PUK% diffère d’un auteur à l’autre. Certains l’identifient avec la montagne de Zaphon632 ou avec celle de Cassius comme lieu de la rencontre des dieux633. O. Procksch situe l’assemblée dans le ciel634. Cependant, l’analyse de cette expression démontre son lien avec Sion (Ps 102.14)635, la montagne de YHWH, lieu de résidence de YHWH (8.18), depuis laquelle il règne et où sa gloire resplendit (24.23). Cette \! option est soutenue par l’emploi de l’expression parallèle $SF \WH.U $H$PUK% Es 14.13). La comparaison de ces deux expressions permet de conclure que la montagne de l’assemblée est en effet la montagne de Sion. De ce fait il ne s’agit pas dans cette expression d’une allusion au ciel d’où OOH\KH est déjà précipité, mais plutôt au Temple de Jérusalem, lieu où YHWH manifeste sa souveraineté. Le terme G>H$P composé dans 14.13 avec UK% est attesté 224 fois dans la Bible hébraïque. Dans la majorité des cas il se rattache à YHWH, à son lieu de rencontre avec son peuple636 à son lieu saint637 et à son Temple638. A la lumière de cette énumération, il parait vraisemblable que l’expression s’applique à la montagne du Temple de Jérusalem, la montagne sainte. L’acte reproché à l’Astre brillant est donc la profanation du Temple de Jérusalem, résidence de YHWH, le Dieu des dieux, dont Antiochus Epiphane IV s’est rendu coupable639. De plus, il s’est présenté comme un dieu (Dn 11.36-37).
632 B. S. CHILDS , Isaiah, 2001, p. 126. 633 J. N. OSWALT, The Book of Isaiah, 1986, p. 322; J. BLENKINSOPP, Isaiah 1-39, 2000, p. 288. 634 O. PROCKSCH, Jesaja I: Kap. 1-39, 1930, p. 197; H. WILDBERGER, Jesaja 13-27, 1978, p. 553. 635 B. DUHM, Das Buch Jesaja, 1902, 2e éd., p. 92. 636 Le mot est rendu par «tente d’assignation» dans Exode, Lévitique, Nombres, le Deutéronome, Josué, 1 Samuel, 1 Rois, 1 Chroniques, 2 Chroniques. 637 Ps 74.8. 638 Ps 74.4. 639 Dn 8.11; 9.26-27; 11.31; 1 M 1.45-46.
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4.8.5.3.4 Chercher à être l’égal de Dieu Le triple projet de l’Astre brillant se résume dans le libellé de 14.14, à savoir chercher à être semblable à $\O>. Ce nom est l’appropriation par la tradition de Jérusalem640 de l’épithète de l’El cananéen641. En Israël $\O> désigne YHWH642, le Dieu Très Haut (Ps 9.3), maître du ciel et de la terre (Gn 14.19,22), le Dieu tout-puissant (Nb 24,16), le maître des nations et de toute la terre (Dt 32.8). Il est YHWH tel que chanté dans son sanctuaire643. Il habite dans les cieux (Ps 9.2; 18.14). Il est le grand roi sur toute la terre (Ps 47.3). Ce Dieu est incomparable (40.18, 25; 46.5; Ps 89.7). Dans le livre de Daniel, $\O> est le Dieu dont la domination est universelle et éternelle (Dn 4.34). C’est le Très-Haut qui abaisse ceux qui se conduisent avec orgueil (Dn 4.37). Cette confession est placée dans la bouche de Nabuchodonosor comme acte de reconnaissance de la souveraineté de YHWH. Ce qu’Antiochus Epiphanes IV refuse de faire, en se prenant pour Dieu. En projetant de devenir semblable à YHWH, OOH\KH tente l’impossible. YHWH ne peut être détrôné par qui que ce soit644, car il ne partage sa majesté avec personne. Vouloir lui devenir semblable n’a qu’une seule rétribution: la précipitation dans le séjour de morts (14.15)645. Car Dieu ne tolère jamais de se faire égaler par qui ou quoi que ce soit.
4.8.6 Conclusion provisoire Il parait vraisemblable à la lumière de ces observations que 14.12-20 est la relecture apocalyptique de 14.4-11. Ces deux textes ont en commun le thème de la chute du roi de Babylone suite à son arrogance. Cette chute est l’œuvre de YHWH lui-même qui manifeste sa souveraineté sur un roi qui voulait se faire passer pour Dieu. L’orgueil cause la chute du roi de Babylone en 14.11, l’arrogance est à la base du déclin de l’Astre brillant en 14.12. L’orgueil et l’arro640 641 642 643 644 645
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J. D. W. WATTS, Isaiah 1-33, 1985, p. 211. R. KILIAN, Jesaja 13-39, 1994, p. 104. Gn 14.18.20; Ps 46.5; 50.14; 57.3; 73.11; 78.35; 107.11. 2 S 22.14; Ps 7.18; 21.8; 83.19; 92.1. H. WILDBERGER, Jesaja 13-27, 1978, p. 555. A ce sujet, la lecture de la section qui y est consacrée est recommandée.
gance sont à la charnière des deux péricopes. Ces thèmes terminent 14.4-11 et ouvrent 14.12-20. Cette disposition s’explique par deux raisons. D’une part, on observe un travail des rédacteurs apocalyptiques qui auraient annexé le dernier texte au premier sur la base du thème de la chute des monarques des nations étrangères suite à leur arrogance. Cette arrogance est visible dans leur politique contre le Temple de Jérusalem, où YHWH manifeste sa majesté universelle. D’autre part les rédacteurs qui interprètent le sort tragique d’Antiochus Epiphane IV à la lumière de celui du roi de Babylone font du premier le successeur de ce dernier. Ce transfert de fonction explique l’identification de ce roi séleucide à un roi babylonien, ce que nous avons appelé dans notre travail Babylone II (Babylone entendu comme nom Code). Cette stratégie rédactionnelle justifie également l’emplacement des vv. 21-23 juste après les vv. 4-21. Ces trois textes, vv. 4-11, 12-20 et 21-23 exposent le plan rédactionnel du livre d’Esaïe qui part de la crise vers la double édition de paix. La crise de Babylone (RC-Dtr) est relue à l’époque perse (P1-S) et à la fin du royaume des Séleucides à l’époque hellénistique (P2-AP). La fin de ce monarque inaugure une ère de paix comme réalisation de la promesse de Nathan sur la stabilité éternelle du royaume de David (2 S 7).
533
534
5. Evaluations et conclusion générale
La recherche sur le thème de rôles des nations étrangères dans les 39 premiers chapitres du livre d’Esaïe a présenté la souveraineté de YHWH comme le motif théologique principal du message du fils d’Amots. L’histoire de la formation du livre n’a fait que renforcer cette observation, en l’élargissant d’ailleurs, à l’ensemble du livre. La souveraineté de YHWH est un motif théologique qui domine tous les 66 chapitres du livre. Tout au long de cette étude, nous avons tenté de démontrer que sur la base de ce motif, le thème des rôles des nations étrangères constitue un «enjeu herméneutique» de taille pour le livre d’Esaïe. Les nations y jouent différents rôles comme menaces contre Juda, instruments de justice de YHWH, objets du châtiment divin ou artisans de la paix universelle. D’une part ce thème organise le plan rédactionnel du livre, qui va de la crise à la paix, et d’autre part il inspire son histoire rédactionnelle d’environ 500 ans, du 8e au 2e siècle av. J.-C. La foi dans la souveraineté de YHWH a justifié les prises de position prophétiques, autant de tentatives d’interpréter l’émergence et le déclin des nations étrangères par rapport à Juda/Israël. Le Temple de Jérusalem, lieu de la manifestation de la souveraineté divine, leur a servi de cadre. Ceci étant, l’attitude agressive des nations ou de leurs rois envers ce lieu impliquait la crise, tandis que la paix et la stabilité étaient le fruit de leur attitude favorable. Ces attitudes furent interprétées en référence à la tradition de Moïse et à celle de David. Dans la tradition de Moïse, le Pharaon par la dureté de son cœur était le type des rois rebelles envers YHWH, tandis que Moïse offrait l’image de l’obéissance pour avoir conduit les Israélites vers la montagne du Sinaï en vue d’y conclure une alliance avec leur Dieu. En ce qui concerne la tradition royale de David, Saül est présentée comme le modèle de la désobéissance. Par contre David, et surtout Salomon, sont des symboles de fidélité à cause de leur attachement au Temple de Jérusalem. La conception du projet d’un Temple par David et sa construction par Salomon firent de ces personnages les modèles des rois obéissants à YHWH. L’étude a révélé que les traditions liées au Pharaon et à Saül, d’une part, et à Moïse et à David /Salomon de l’autre, ont été systématiquement reprises et actualisées dans la rédaction du livre d’Esaïe. La prophétie de 535
Nathan sur la stabilité éternelle de la dynastie de David y fait référence. A l’instar de D. Janthial1, nous avons observé que cet épisode marque le livre d’Esaïe de bout en bout et lui assure son unité. Par conséquent, les traditions de Moïse et de David/Salomon soutiennent tout le processus rédactionnel du livre d’Esaïe. Sur ce point, nous avons voulu améliorer les constatations de S. Deck qui écarte l’influence de l’alliance du Sinaï, du code de l’alliance et de la traversée du désert dans le livre d’Esaïe2. Nous avons identifié ces éléments de la tradition de Moïse, en particulier lorsqu’il s’est agi de la célébration soit du retour vers YHWH d’Israël (30.1925a) ou des nations (2.2-4) soit de la chute d’une nation (30.25b-33). En ce qui concerne la tradition de David, notre étude a eu le bonheur de confirmer l’opinion générale sur l’influence de cette tradition dans la rédaction du livre d’Esaïe3. En dernier ressort, c’est le Temple de Jérusalem que nous avons considéré comme le cadre de toute la rédaction du livre. A ce niveau, nous avons confirmé les conclusions de R. E. Clements qui repousse la production du «Deutéro-Esaïe», hors de Jérusalem, à Babylone4. Grâce à l’analyse à la fois synchronique et diachronique des textes relatifs aux fonctions des nations étrangères dans les chs. 1-39, nous avons prouvé deux choses. La première: le livre d’Esaïe n’est pas organisé chronologiquement5, mais idéologiquement. Son architecture répond à un plan rédactionnel qui va, verticalement et horizontalement, de la crise à la paix. La seconde: l’histoire de la formation du livre couvre une longue période qui va du 8e au 2e siècle av. J.-C. On y trouve sept couches rédactionnelles témoins de sept situations du Temple de Jérusalem. Notre constatation sur la durée de l’élaboration du livre corrobore les conclusions de R. H. Kennett6 et de J. Vermeylen7 saluées ces dernières années par certains commentateurs8. 1 2 3
4 5 6 7 8
536
D. JANTHIAL , L’oracle de Nathan, 2004, p. 23. S. DECK, «Kein Exodus bei Jesaja?», 1998, p. 32. J. VERMEYLEN, 1977; R. E. CLEMENTS, 1980; H. WILDBERGER, 2002; R. KILIAN , 1987/1994; E. BOSSHARD-NEPUSTIL, 1997; U. BECKER, 1997; D. JANTHIAL, 2004; T. WAGNER, 2006. R. E. CLEMENTS, 1997, pp. 16-17. K. SCHMID – KIHO-Bethel (Allemagne), Juin 2006: L’auteur soutient une structure chronologique du point de vue synchronique. R. H. KENNETT , The composition of the Book of Isaiah, 1909, pp. 53-82, 83. J. VERMEYLEN, Du prophète Isaïe à l’Apocalyptique, 1977. J. BLENKINSOPP, Isaiah 1-39, 2000, pp. 83-92; R. G. KRATZ, Die Propheten Israels, 2003, p. 47.
5.1 De l’édition de la crise à une double édition de paix: un plan rédactionnel vertical et horizontal L’observation des extrémités du «Proto-Esaïe», nous a permis de constater que cette partie du livre s’ouvre avec un texte de crise (1.2-7a) et se termine par une narration sur la paix et la stabilité pendant le règne d’Ezéchias (39.8). Nous avons attribué le texte de la crise à la rédaction de crise deutéronomiste, en sigle RC-Dtr, tandis que le texte relatif à la paix est à attribuer à la rédaction de paix, en abrégé P1-S. La reprise du motif de la paix dans 60.17 et 66.12, nous a conduit à rapprocher 60.17 de P1-S. Par contre, les affinités de 66.12 avec les textes apocalyptiques, nous a conduit à attribuer ce texte à la rédaction apocalyptique de paix, en abrégé P2-AP. Ainsi le plan rédactionnel de 66 chapitres d’Esaïe va de la rédaction de crise (RC-DtrE) à une double édition de paix, P1-S et P2-AP. Ces trois éditions représentent trois moments de grande production littéraire du livre d’Esaïe, à savoir l’après 587 par les rédacteurs deutéronomistes, l’après 515 par le milieu sacerdotal et l’après 164, par les rédacteurs apocalyptique. La comparaison du «Proto-Esaïe» avec l’ensemble du livre d’un bout à l’autre, nous a permis de constater que la structure du «Proto-Esaïe» répond au plan du livre dans son ensemble. Ce plan horizontal a été attesté dans l’architecture verticale de nombreux textes du «Proto-Esaïe», en particulier le ch. 30 que nous avons pris pour paradigme. Le tableau ci-dessous le montre. Editions «Proto-Esaïe»
Le livre d’Esaïe comme un Tout (1-66) Ch. 30
(RC-Dtr) 1.2-7a Crise de Juda par les étrangers 1.2-7a Crise de Juda par les étrangers 30.1-3 Crise à cause de la confiance dans le Pharaon et l’Egypte
(P1-S) 39.8 Paix et sécurité après l’exil babylonien 60.17 Un règne de paix et de justice sur Israël 30.19-25a Paix et prospérité à Sion comme fruits du retour à YHWH et de la pratique de la justice
(P2-AP)
66.12 La paix pour Israël comme un fleuve 30.25b-33 Paix et joie à Sion à cause de la destruction de l’Assyrie
537
Le plan rédactionnel qui débute avec la crise et se termine avec une double édition de paix n’est ni un hasard ni un cas isolé. Sa présence aussi bien dans le «Proto-Esaïe» que dans l’ensemble du livre assure l’unité rédactionnelle du rouleau ésaien, facilement vérifiable à partir soit du «Proto-Esaïe» soit de chs. 40-66. Par conséquent, la forme sous laquelle le livre se présente à nous n’est ni accidentelle, ni le fruit d’une juxtaposition. Il résulte d’un arrangement conscient qui véhicule la théologie de la paix par et pour Israël, toutes les nations et toute la création, paix qui découle de la reconnaissance de la souveraineté de YHWH. L’organisation du livre en trois grandes parties (1-39, 40-55 et 55-66) répond également à cette théologie. Celle-ci présente la paix comme alternative à la crise. La crise n’est pas conçue comme une fin en soi. Elle prépare l’avènement d’une situation de paix. Nous avons démontré à titre d’exemple que 2.2-5 corrige une situation de crise présentée en 1.29-31. Ce texte agit comme une alternative au long texte de crises de 2.6-4.1. Sa fonction consiste à anticiper cette crise en présentant un modèle de paix. La crise présentée en 2.6-4.1 ne reste pas sans solution. Elle est à son tour résolue par 4.2-5. La plan qui va de la crise vers une double édition de paix, que nous avons vérifié dans l’ensemble du livre, se dévoile également dans les différents recueils du «Proto-Esaïe»: 1-12; 13-23; 24-27; 28-33; 34-35; 36-39. Dans les chs. 1-12, l’édition deutéronomiste de crise (RC-Dtr) est représentée par les chs. 1-10, alors que l’édition sacerdotale de paix (P1-S) l’est par le ch. 11. Le ch. 12 porte les marques de la rédaction apocalyptique de paix (P2-AP). Puis vient le recueil des chs. 1-27. Les chs. 1-12 servent à illustrer la crise, alors que les chs.13-23 représentent la paix sacerdotale et les chs. 24-27 sont l’expression de la rédaction apocalyptique de paix. Le recueil des chs. 28-33 n’échappent pas à cette structure. Il reprend la même charpente que les chs. 1-12. Alors que les chs. 28-31 représentent l’édition de crise (chs. 1-10), le ch. 32 révèle la teneur de la rédaction sacerdotale de paix (ch. 11) et le ch. 33 celle de type apocalyptique (ch. 12). Inclus dans l’ensemble des chs. 28-35, les chs. 28-33 présentent l’édition de crise, le ch. 34 l’édition apocalyptique de paix et le ch. 35 la rédaction sacerdotale de paix. Ce changement de l’ordre traditionnel s’explique par la position des chs. 36-39, insérés comme un bloc afin de servir de transition entre le «Proto-Esaïe» et le reste du livre (40-66). Grâce à cet aménagement, deux grands blocs d’éditions de paix ont été mis en évidence; à savoir les chs. 33-34 pour 538
P2-AP et 36-39 pour P1-S, le ch. 35 servant à la fois de charnière entre P2-AP et P1-S ainsi que de pont entre le «Proto-Esaïe» et le «DeutéroEsaïe». Il s’ensuit que le livre d’Esaïe présente la structure suivante: RC 1-10 28-31 40-55 (contre Babylone)
P1-S 11 13-23 32 35-39 56-57 60-62
P2-AP 12 24-27 33-34 58-59 63-66
Cette structure a l’avantage d’assurer l’unité du livre à deux niveaux. D’une part le «Proto-Esaïe» est lié au «Deutéro-Esaïe» par le chs. 35. Et d’autre part, il entretient grâce aux chs. 33-34 et 36-39 des liens littéraires et thématiques avec le «Trito-Esaïe» à cause de sa double édition de paix (56-57; 60-62 //P1-S et 58-59; 63-66//P2-AP).
5.2 Sept couches rédactionnelles, sept situations du Temple de Jérusalem par trois milieux littéraires L’inventaire des différents rôles des nations étrangères dans le «ProtoEsaïe», nous a révélé sept éditions représentant sept situations du Temple de Jérusalem. Nous les présentons dans le tableau ci-dessous:
1 2 3 4 5 6 7
Couches rédactionnelles Rédaction de la chute de Samarie Rédaction de la fin du règne de Manassé Rédaction de la fin de l’Assyrie Rédaction de la chute de Juda
Situation du Temple Réforme religieuse d’Ezéchias (722) Syncrétisme dans le Temple de Jérusalem (640) Réforme religieuse de Josias (612) Destruction du Temple de Jérusalem (à partir de 587) Rédaction de la fin de l’exil Emergence de l’espoir de reconstruire le Temple (à partir de 539) Rédaction sacerdotale de paix Essor du 2e Temple (à partir de 515) Rédaction apocalyptique de paix Purification du Temple (à partir de 164)
Sigles
RC-Dtr
P1-S P2-AP
539
L’identification de ces couches rédactionnelles a été facilitée par les réponses que nous avons apportées aux questions relatives à: – L’auteur ou aux rédacteurs du texte, – les situations historiques dans lesquelles le texte en question a vu le jour, – les matériaux: sources, documents, traditions, etc. qui ont été utilisés pour la rédaction du texte, – les destinataires du texte, – l’intelligence du livre, ses thèmes et enjeux. En ce qui concerne la question de l’auteur du livre, notre analyse a retenu très peu de textes provenant d’Esaïe, fils d’Amots9. La plupart des textes que l’exégèse traditionnelle lui attribuait, surtout dans le «Denkschrift» et le «Cycle assyrien», ont révélées des traces de rédactions tardives préexiliques, exiliques et postexiliques. Ces constatations, nous ont conduit à deux conclusions. D’abord, il nous est impossible à ce jour de nous représenter le livre comme l’œuvre d’une seule personne répondant au nom d’Esaïe, comme soutenu par une certaine opinion10. Ensuite, en attribuant très peu de texte à Esaïe fils d’Amots et le prophète de Jérusalem, loin de nous l’intention de nous placer dans la catégorie des minimalistes, en opposition des maximalistes. Par contre notre ambition est de restituer les faits littéraires tels que le livre nous les dévoile. Le livre d’Esaïe, comme un tout, nous est parvenu en tant que témoignage rendu à la parole de YHWH adressée à Israël et à toutes les nations. Sur la base de ce principe, on comprendra notre peu d’acharnement à attribuer coûte que coûte un texte à Esaïe; les données d’analyse ne le permettent pas. Par contre, nous avons compris que le rassemblement de nombreux textes dans un livre qui porte son nom se veut une technique pour les rédacteurs de se placer dans la succession de ce personnage légendaire et emblématique. Cela veut dire que chaque époque voulait, en relisant les paroles du prophète trouver des explications à sa situation et des réponses à ses problèmes, attentes et aspirations. C’est cela l’actualisation. En d’autres termes, ces époques 9 10
540
R. KILIAN, 1987/1994; U. BECKER , 1997. J. A. MOTYER, 1993; J. N. OSWALT, 1986; E. J. YOUNG, 1949.
ont de manière nouvelle et de tout temps, laissé Esaïe leur parler de la part de YHWH comme le grand et véridique prophète ayant joué un rôle politique considérable en Israël, à l’instar de Moïse et Nathan. C’est ainsi que le prophète Esaïe, au cours des différentes époques (assyrienne, babylonienne, perse et grecque) de l’histoire d’Israël, a été perçu de diverses façons. A chaque période correspond un «Esaïe et son message».
5.3 Les rôles des nations dans l’élaboration du livre Le livre d’Esaïe ne s’est pas formé en une seule fois. Il est l’aboutissement d’un long processus qui court du 8e au 2e siècle. La chute de Samarie en 722 sous l’assaut des Assyriens a donné le coup d’envoi au processus rédactionnel du livre11. Nous avons identifié cette première couche rédactionnelle dans 8.1-4. Dans ce texte Esaïe interprète la chute de Samarie comme la conséquence de la menace que cette capitale, en coalition avec Damas, avait fait peser sur Jérusalem lors de la guerre syro-éphraïmite (734-732). Egalement menacé, le Temple devint le cadre approprié de la proclamation de la victoire de YHWH sur ses ennemis (8.1-4) et lieu de résistance politique. A part 8.1-4, les textes suivants sont attribués à Esaïe: 6.1-8; 7.6-8a, 9; 9.7-12 et 28.1-4. Esaïe n’étant que le prophète de salut de Juda, la recherche que nous avons faite devait inévitablement couper devant nous d’autres personnages. Esaïe n’était ni le prophète de menace contre Juda12, ni l’annonciateur de la catastrophe à venir13. En tant que défenseur du Yahvisme judéen et favorable à la dynastie davidique, le fils d’Amots était par contre un prophète de salut de Juda chargé, à l’image de Nathan (2 S 7.11), de proclamer la stabilité de Juda et la défaite de ses ennemis14. Cette stabilité était conditionnée par la confiance en YHWH. 11 12 13 14
R. KRATZ, Die Propheten Israels, 2003, p. 52. U. BECKER, 1997; H.-J. STIPP , 2003 contre W. DIETRICH, 1976; H. WILDBERGER, 2002; J. BARTHEL, 1997; E. BOSSHARD-NEPUSTIL, 1997 et U. BERGES, 1996. S. DECK, 1991. U. BECKER , 1997.
541
Cette confiance manquera à Manassé (687-642). Car il a autorisé le syncrétisme dans le Temple de Jérusalem et les pratiques mantiques au pays de Juda. La mort de Manassé et la fin de son règne ainsi que celui de son fils Ammon (640) ont donné lieu à la seconde couche rédactionnelle qui établit le bilan de leur politique étrangère de soumission aux Assyriens. Œuvre des prophètes cultuels influencés par la théologie deutéronomiste, cette rédaction interprète l’attachement de ces rois de Juda à l’idolâtrie comme la rupture de l’alliance, la transgression de la loi deutéronomiste (Dt 23.9-14) et le rejet de la fonction prophétique (Dt 18). A cette rédaction appartient 2.6. Ces textes condamnent les pratiques mantiques. Par ses pratiques, Manassé n’a imité ni David ni Salomon (1 R 8.57), mais Saül (1 S 15.23). La condamnation de l’idolâtrie avait pour objectif la proclamation de la souveraineté de YHWH et préparait la réforme religieuse de Josias (2 R 22-23) qui coïncida avec la chute d’Assyrie en 612. L’analyse des textes relatifs à la chute de l’Assyrie nous a permis de confirmer l’existence d’une troisième couche rédactionnelle que H. Barth avait nommée l’Assur-Redaktion15 et R.E. Clements désignait par le nom de «Josianic redaction»16. Notre constatation ne s’est pas éloignée des conclusions de la recherche récente17. Toutefois nous nous en démarquons sur l’attribution des textes. Nous avons identifié cette couche rédactionnelle dans les textes suivants: 2.7-8a; 10.5-9, 13-14; 14.24-27. Ces textes entretiennent des relations intertextuelles avec certains passages du livre de Nahum (Na 2.10; 3.3). L’emplacement de 2.7-8a répond à une double stratégie rédactionnelle. D’une part ce texte vient immédiatement après 2.6. Sa position démontre que la chute de l’Assyrie a été considérée comme la conséquence du syncrétisme et des pratiques mantiques qu’elle avait imposées dans le Temple de Jérusalem pendant le règne de Manassé. D’autre part l’Assyrie représentait le symbole de l’arrogance dans ses abus de pouvoir envers les autres nations et révélait ainsi son ignorance de la souveraineté de YHWH. Cela s’explique par la combinaison des textes où l’Assyrie est revêtue de trois significations. D’abord, elle représente une nation historique (10.5-9, 13-14; 14.24-27), c’est la rédaction de crise assyrienne (RC-Dtr). 15 16 17
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H. BARTH, 1977. R. E. CLEMENTS, 1980. U. BECKER , 1997, pp. 201, 217; E. BOSSHARD-NEPUSTIL, 1997.
Ensuite elle désigne les impies, notamment les Samaritains, à l’époque du 2e Temple (10.10-11). C’est la rédaction de paix sacerdotale (P1-S). Enfin, l’Assyrie est utilisée comme un nom Code pour le royaume séleucide, en particulier Antiochus Epiphane IV (10.12 et 15). C’est la rédaction de paix apocalyptique (P2-AP). Revenons à la rédaction réalisée pendant le règne de Josias. Cette rédaction influencée par la théologie deutéronomiste explique le déclin de l’Assyrie, puissance mondiale, par refus de son (ses) roi (s) de reconnaître la souveraineté de YHWH. Ils se targuaient de réaliser les actions que la loi deutéronomiste reconnaît exclusivement à YHWH. Il s’agit notamment d’être le roi des rois, de s’approprier les victoires sur les nations, de détruire les idoles, de faire tout par sa sagesse, de déplacer les frontières, de piller les ressources des nations et de renverser les rois de leurs trônes. Toute cette politique étrangère de l’Assyrie est interprétée par les prophètes cultuels deutéronomistes comme mépris de la Torah (Dt 8.17; 32). La grande Pâque, sous Josias (2 R 23), donne l’occasion de célébrer la chute de l’Assyrie. Elle est le couronnement de la réforme religieuse entreprise par ce roi. Cette célébration revêt une double signification. D’une part elle offre une occasion de chanter la libération de Juda et la victoire de YHWH sur l’Assyrie dont l’un des rois, Sennachérib, avait tenté de prendre Jérusalem. D’autre part elle offre l’opportunité d’historiciser les mythes de la création, de l’intronisation de YHWH ainsi que de renouveler son alliance. La célébration de ces événements dans le Temple confère à ce dernier une fonction d’un lieu de la condamnation et de libération de la politique étrangère hégémonique et destructrice d’Assyrie. Ces deux événements sont en relation avec la tradition de l’exode qui sous-entend la théologie de la libération et celle de la guerre de YHWH. Le châtiment de l’Assyrie est mis en relation avec la fin de l’oppression, les plaies d’Egypte (Ex 10.11) ainsi que l’engloutissement du Pharaon et des Egyptiens (Ex 14.5-28; 15.19). Alors que le mythe d’intronisation de YHWH se rapporte à l’alliance du Sinaï et au don de sa loi (Ex 22.9, 13). La réception de la tradition de l’exode est complétée par celle des traditions royales du Nord. En introduisant l’idolâtrie dans le Temple de Jérusalem et la pratique de la mantique en Juda, l’Assyrie et ses rois passent pour héritiers de Saül et des rois du Nord. Alors que le roi d’Assyrie est associé au Pharaon et à Saül, Josias représente David et Salomon et leur attachement au culte de YHWH. 543
La chute de l’Assyrie ouvrait la voie à l’émergence de l’empire néobabylonien. Cet événement est interprété comme relevant de l’action puissante de YHWH, une occasion de reconnaitre sa souveraineté sur cette nation. C’est à partir de ce moment que les milieux deutéronomistes développent la théologie des nations instruments de YHWH (10.5). Sur la base de cette théologie les rois de Juda sont invités à se soumettre à cette puissance (voir Jérémie). Le rejet de cet appel prophétique et le recours de Sédécias à l’Egypte et au Pharaon (30.1-3) pour obtenir de ses armes (31.1) conduisirent à la chute de la royauté de Juda et à la destruction du Temple en 587. Cette catastrophe nationale donna lieu à la quatrième couche rédactionnelle. La chute de Juda causée par les Babyloniens, est demeurée pour Israël la plus grande crise de son histoire. Elle a été l’occasion pour les rédacteurs proches du milieu deutéronomiste d’expliquer théologiquement cette tragédie politique comme la conséquence de l’abandon de YHWH, le rejet de sa parole et la pratique de l’injustice sociale par Israël et ses rois. Les décombres du Temple de Jérusalem servent de lieu de culte où cette réflexion a lieu. L’identification de cette couche a été rendue possible grâce à l’étude de 1.2-7a; 8.5-8*; 30.1-3, 9-14. Cette étude nous a révélé trois stratégies rédactionnelles autour de cette couche. La première en ce qu’elle ouvre le «Proto-Esaïe», et partant tout le livre d’Esaïe, en 1.2-7a. La seconde en ce qu’elle se place immédiatement après les textes relatifs à la chute de Samarie. La troisième du fait de clore (2.8b-16), dans certains cas, la succession diachronique des textes de condamnation de Juda sous Manassé (2.6) puis de la domination assyrienne (2.7-8a). Dans les deux cas, les rédacteurs ont voulu démontrer que Juda n’avait pas tiré de leçon du déclin des autres royaumes. La chute de Juda a comme cumulé le déclin des nations qui l’ont précédé dans la ruine. Cela explique la rédaction du premier titre du livre (2.1). Ce titre ouvrait originellement 1.2-7a, 19-20; 2.6-16; 3.1-4.1; 5.1-29; 6.9-12; 7.10-17; 8.1-4, 8.5-8*, 11-20; 9.7-20; 10.1-4, 5-9, 13-14; 28.1-22; 29.1-14; 30.1-3, 9-14; 31.1. Ces textes interprètent la fin de Samarie, de l’Assyrie et de Juda comme dûe à la désobéissance à la parole de YHWH. Cela explique l’emploi de UE« '« K dans 2.1. Le positionnement de la chute de Juda dans la suite de celle de Samarie révèle le recours aux traditions du Nord par les rédacteurs exiliques. Parmi ces traditions, il y a d’abord le culte du veau d’or (Ex 32.9, 21, 31; Dt 9.13, 27). Ensuite, le malheur qui s’abat sur Juda cor544
respond à la malédiction, aux plaies (Ex 7.8-25; 8.17; 10.6; Dt 7.20; 28.20, 48) et à la mort (Ex 15.9-11) infligée au Pharaon et aux Egyptiens à cause de l’endurcissement de leur cœur. Les traditions royales du Nord sont actualisées pour caractériser le péché et le sort de Sédécias et de son royaume. Les oracles d’Amos et d’Osée seront également relus à l’instar de ceux de Michée et d’Esaïe. Pour les rédacteurs deutéronomistes, Sédécias s’était démarqué de David et de Salomon pour imiter Saül (1 S 15.18), Achab (1 R 20.42; 22.38) et Jéroboam (1 R 12.1-33). Contrairement à David qui infligeait des défaites à ses ennemis et Salomon qui dominait sur un grand territoire, Sédécias est vaincu par ses ennemis et son territoire assujetti aux étrangers. Cette situation donne lieu à l’extension exilique de la promesse de Nathan (2 S 7.14). Ses échos se trouvent dans certains textes de Jérémie et d’Ezéchiel qui présentent la chute de Juda, l’incendie de Jérusalem et la destruction de son Temple comme l’œuvre des Babyloniens, des étrangers utilisés par YHWH comme ses instruments. La mort de Nabonide en 539 d’une part, et la débâcle de Babylone et ses alliés (Moab, Edom, Ammon, etc.) devant la coalition Mèdes-Perses d’autre part, suscitent l’espoir en la fin de l’exil, le grand retour et la restauration d’Israël. Pour les rédacteurs cultuels deutéronomistes, la chute de Babylone s’inscrit dans la suite de celle de l’Assyrie. Ils l’interprètent comme l’œuvre de YHWH et la manifestation de sa souveraineté. YHWH est le Maître de l’histoire et le créateur du nouvel Israël. Cette interprétation donne lieu à la cinquième couche rédactionnelle. Nous avons découvert cette couche grâce à l’étude de 14.4-11. Elle a révélé les liens intertextuels que ce texte entretient avec certains textes du ch. 13 et 21, ainsi qu’avec le «Deutéro-Esaïe», en particulier les chs. 40-48. Ces textes proclament YHWH comme le souverain à qui appartient la domination (41.2). C’était une manière d’interpréter la domination perse par la main de Cyrus. Ce monarque a été compris comme l’instrument de la justice de YHWH contre Babylone, l’ennemie. L’interprétation théologique des rédacteurs du début de la période postexilique ne tombe pas du ciel. Elle s’appuie sur l’histoire d’Israël dans le contexte international de l’époque. Pour ces rédacteurs, Babylone a suivi les traces de Samarie, Ninive et Jérusalem, capitales tombées jadis à cause de l’incrédulité de leurs rois. De plus ils réutilisent la tradition de l’exode, où le déclin de Babylone est mis en parallèle avec la fin de l’oppression des Israélites en Egypte (Ex 3.7; 5.6-14; 6. 12-30) 545
et l’anéantissement du Pharaon et des Egyptiens dans la mer des Joncs (Ex (Ex 14.5-28; Cf. Ex 15.9-11). Babylone récupère la fonction de l’Egypte et le malheur des plaies d’Egypte. Son roi subit le sort de Pharaon. Le malheur qu’Israël avait subi pendant l’exil est reporté sur Babylone, à l’exemple de l’histoire de Balaam et Balaq (Nb 23.1-24.25). C’est l’herméneutique du renversement. Raison pour laquelle le peuple peut entonner une moquerie funèbre (OY« P« ) sur le roi de Babylone. Cette interprétation des premières années de la fin de l’exil a pris place dans le culte autour des décombres du Temple de Jérusalem. Ce fut là le Sitz im Leben de la célébration de la victoire de YHWH sur ses ennemis, de la fin de l’oppression (Ps 11.1ss; 73.17ss; 137) et de la célébration de la libération d’Israël. Cette célébration a lieu lors de la Pâque, comme à l’époque de l’exode (Ex 12.15). C’est pourquoi, le retour de l’exil est interprété par la rédaction ésaïenne comme le second exode. Les rédacteurs ont réutilisé les traditions royales du Nord, en particulier celles de Saül, relatives à la pratique de l’oppression (1 S 14.24) et au déclin de sa dynastie (1 S 1.19-27). Le désaveu de ce roi par YHWH en faveur de David (1 S 16.11) a fourni la matière pour la théologie de l’élection de Cyrus, Messie de YHWH châtiant Babylone. A cette occasion, Israël reçoit la fonction royale. Cela démontre la stratégie rédactionnelle qui a consisté à inscrire la chute de Babylone dans la série des royaumes qui, dans leur arrogance, n’ont pas reconnu la souveraineté de YHWH. A la suite de l’Egypte et de l’Assyrie, Babylone l’arrogante châtiée par YHWH a donné lieu à deux couches rédactionnelles importantes. Leur importance réside dans le fait que d’une part elles ont produit beaucoup de textes et d’autre part, les deux titres du livre en 1.1 et 13.1 leur sont respectivement attribués. La première, c’est-à-dire la sixième couche, porte les marques de la rédaction sacerdotale de paix (P1-S). Nous l’avons découverte dans les vv. 1-3 et 21-23 du ch. 14. C’est à elle que revient le titre 1.1. Par contre, nous avons désigné la seconde, c’est-à-dire la dernière, par la rédaction apocalyptique de paix (P2-AP), par les vv. 12-20, représentée dans le ch. 14. Nous lui avons attribué le titre de 13.1 dont la fonction est d’introduire non seulement le recueil des oracles contre les nations (chs. 13-23), mais aussi toute la suite du livre (Chs. 13-66). Dans ces deux éditions Babylone symbolise le nom Code pour les ennemis de YHWH, en opposition aux Juifs et nations fidèles au Temple de Jérusalem. Alors que 546
P1-S désigne comme impies les Samaritains (14.21-23), en opposition aux Juifs justes de la communauté du 2e Temple, P2-AP fait d’Antiochus Epiphane IV, roi d’une nation étrangère, l’objet du châtiment de YHWH, pour s’être comporté en ennemi juré du Temple de Jérusalem. Le thème principal de la rédaction sacerdotale de paix est la primauté du Temple de Jérusalem et de la Torah. Son but consiste à assurer la survie et le fonctionnement du culte. Cette couche s’inspire de la théologie deutéronomiste pour condamner la pratique de l’idolâtrie. Car c’est à cause d’elle que le Temple de Jérusalem a été détruit. Tous ceux qui pratiquent l’idolâtrie en abandonnant le culte de YHWH pour l’offrir à quelqu’un d’autre sont voués à la mort (30.4-5, 6b). Mais ceux qui s’attachent à YHWH et à son Temple et pratiquent la justice, jouissent de la prospérité et de la paix (30.19-25a*). En proclamant la primauté du mont Sion, lieu du Temple et siège de YHWH, la rédaction sacerdotale de paix actualise l’alliance du Sinaï. A cette occasion YHWH est proclamé roi de la terre. Il fait d’Israël une nation de prêtres (Ex 19), lui donne sa Torah et lui fait ses promesses (Ex 23). Toutes les fonctions du Sinaï sont désormais remplies par le Temple de Jérusalem reconstruit. C’est à partir de Sion que YHWH étend son règne sur toute la terre (Cf. 6.1-8), un règne de justice et de paix. Ce règne est exercé d’abord par Moïse qui a su diriger les Israélites selon la justice et la paix grâce à l’écoute des conseils de son beaupère, Jéthro, le prêtre de Madian (Ex 18.13-27). Ensuite le règne de Salomon (1 R 5.1-5) est pour la tradition royale en Israël, un modèle de paix. Grâce à la sagesse demandée à YHWH et obtenue, il réussit à dominer sur tous les royaumes, depuis le Fleuve jusqu’à la frontière d’Egypte, et à instaurer un règne de paix grâce à la pratique de la justice et à la politique de bon voisinage. Salomon a assuré la renommée d’Israël auprès des autres nations en faisant de Jérusalem le centre du monde autour de son Temple. Le Temple, lieu d’affluence des nations, renvoie à la tradition de Salomon. Pour la simple raison que c’est lui qui a construit le Temple de Jérusalem. Ainsi il fit de Sion le centre du monde (2 Ch 3.22-23) et connut un règne de justice et de paix. La figure de Salomon se retrouve dans le Messie du ch. 11, son attitude de fidélité dans 30.19-25a*, les chs. 36-39 et son règne illustré dans le ch. 32. Quant à la ville de Jérusalem, elle reçoit la fonction de lumière des nations (chs. 60-62) et de ville de justice (1.26-27). 547
Le mémorial de la figure de Salomon se fait dans le Temple (Ps 72). Il est parfaitement élaboré par les Chronistes dont la stratégie rédactionnelle consistait, en particulier à relire et à actualiser les textes deutéronomistes et à redorer l’image des rois de Juda que les rédacteurs deutéronomistes avaient ternie. C’est le cas de Manassé (2 Ch 33.15 = contre 2 R 21.1-18; Es 2.6). Ces rois reçoivent une image améliorée et grandie par leur fidélité au Temple et la reconnaissance de la souveraineté de YHWH. Ces dispositions sont attribuées avant tout aux rois perses qui rendirent possible la reconstruction du Temple. La pax persica que connut cet empire et dont Israël fut bénéficiaire est interprétée comme le résultat de la reconnaissance de la souveraineté de YHWH. Cela est à l’origine de la rédaction des grands recueils dans lesquels sont affirmées la souveraineté de YHWH et la primauté du Temple de Jérusalem, sur la montagne de Sion (Lévitique, Néhémie, Esdras, Chroniques, Jr 42-44, etc.). La seconde édition de paix et la dernière couche rédactionnelle du livre, nous l’avons repérée dans 14.12-20. Ce texte concerne la chute de U[Y« % OOH\KH (14.12). L’Astre brillant, le fils de l’Aurore tombe à cause de son arrogance devant YHWH. Elle a pour caractéristiques: l’oppression ou la persécution d’Israël (2 M 5.21), la prétention à être l’égal de Dieu (Dn 8.23-25) et l’intention de siéger dans le Temple de Jérusalem. L’identification de ces actions dans les livres de Daniel et des Maccabées comme causes de la mort d’Antiochus Epiphane IV (164), nous a permis, d’une part, d’associer U[Y« %OOH\KHà la personne de ce roi séleucide, et d’autre part, d’attribuer 14.12-20 à la rédaction apocalyptique. Les chs. 63-66 d’Esaïe appartiennent également à cette rédaction. Ces textes parlent à la fois de la persécution des Juifs, du retour de YHWH dans son Temple et de la destruction par le feu des nations ennemies. Le feu dans le ch. 66, à la fin du livre, est attesté en son début par 1.2-7a. Ici, il est allumé par les nations étrangères contre Juda, tandis que là, il est attisé par YHWH contre ses ennemis. Le ch. 66 renverse la situation en appliquant aux ennemis de YHWH, le sort malheureux infligé jadis à Juda lors de la catastrophe de 587. Sur le plan de la stratégie rédactionnelle, le ch. 66 se présente comme une alternative à la crise de Juda en 1.2-7a. Nous avons déjà démontré que le ch. 66 représente la rédaction apocalyptique de paix (P2-AP) correspondant à 30.25b-33, alors que 1.2-7a appartient à la rédaction deutéronomiste de crise (RC-Dtr) à laquelle appartient 30.1-3. 548
L’étude de 30.25b-33 a révélé que la mort d’Antiochus Epiphane IV fut considérée comme la délivrance d’Israël. Cette mort intervient dans le contexte de l’inauguration du Temple de Jérusalem après sa purification des idoles que ce monarque Séleucide y a installées. Les rescapés de la persécution ont trouvé une occasion d’y célébrer la protection de YHWH. C’est pourquoi, la célébration a lieu pendant la fête des Tentes (30.29) en lieu et place de la Pâque. Cette fête s’explique par la protection que les persécutés ont reçue. Lors de cette célébration à Sion, YHWH se manifeste en théophanie (30.27ss; Cf. Ex 19.21). Il montre sa souveraineté (Ps 9.2; 18.14; 19.1; 47.3; 89.7; 115.16) et sa victoire (Ps 5.10). Cet événement offre l’occasion de revisiter deux traditions, celle de l’exode et la tradition royale de David. Le rappel de la tradition de l’exode concerne particulièrement l’engloutissement du Pharaon dans la mer des Joncs (Ex 14.5) à cause de son endurcissement (Ex 14.2428). La disparition de Pharaon avec son armée a mis fin à son plan de persécution et d’extermination des Israélites et à son refus de les laisser servir YHWH, leur Dieu. Antiochus Epiphane IV a fait de même en interdisant le culte de YHWH et en introduisant les cultes des dieux étrangers dans le Temple de Jérusalem. Les rédacteurs apocalyptiques ont qualifié ces actes de transgression du 1er commandement du Décalogue (Ex 20.4; Dt 5.8; Jos 2.11). Antiochus Epiphane IV avait en cela imité Israël qui avait péché par la fabrication et le culte du veau d’or (Ex 32.24ss). En ce qui concerne la tradition de David, le sort d’Antiochus Epiphane IV rappelle la mort de Goliath tué par David (1 S 17), le châtiment infligé aux Philistins (1 S 4.10; 5.1ss) lors de la destruction du Dragon (1 S 5.3-4), la mort de Saül (1 S 31.1-13) pour avoir pratiqué la nécromancie (1 S 28) et de l’échec du complot d’Adonias contre Salomon (1 R 1. 41-53). Le rappel de ces épisodes lors de la chute d’Antiochus Epiphane IV démontre la foi en YHWH, le Dieu qui déjoue les complots fomentés contre Israël pour le détruire et protège son peuple (Cf. Est 9). La stratégie rédactionnelle consiste à projeter sur Antiochus Epiphane IV les attitudes et le sort du Pharaon et de l’Egypte, de Goliath et de Saül, de l’Assyrie, de Juda et de Babylone. Elle fait de ce monarque séleucide la synthèse et le symbole de toutes les puissances qui se sont opposées à la souveraineté de YHWH. Cela explique que dans le livre d’Esaïe, Antiochus Epiphane IV porte à la fois plusieurs noms chiffres 549
comme l’Egypte (30.7), l’Assyrie (10.12) et Babylone (14.12-20). En tant que symbole de toutes ces nations, son anéantissement proclame définitivement la souveraineté de YHWH et l’instauration d’une nouvelle ère de justice et de paix pour le monde habité. Cette ère commence lorsque YHWH créera une nouvelle terre et un nouveau ciel (65.17; 66.22). Le modèle rédactionnel du livre en trois grandes parties, notamment «Proto-(1-39), «Deutéro- (40-55) et «Trito-Esaïe» (56-66) proposée depuis 1892 par B. Duhm devra être revu. Etant donné que ces parties ne peuvent plus constitués des blocs homogènes ni être attribués à des rédacteurs précis, il devient moins probable de maintenir les appellations des blocs identifiés tels que B. Duhm les a nommés. Par exemple les chs. 1-39 ne peuvent plus être réservés au seul Esaïe. Ils résument déjà tout le processus rédactionnel du livre, de sorte que leur étude suffit en elle seule à comprendre aussi bien le message du livre que l’histoire de sa rédaction. Les chs. 56-66 quant à eux sont organisés en fonction de deux rédactions de paix selon la structure suivante: 56-57 (P1-S); 58-59 (P2-AP); 60-62 (P1-S) et 63-66 (P2-AP). Cette structure dévoile une intention rédactionnelle ayant présidé à l’élaboration du livre comme un tout. Si tel est le cas, le nom «Proto-Esaïe» perd son sens premier selon l’entendement de Duhm. Il en est de même du «Deutéro- et du «Trito-Esaïe». Leur emploi dans notre travail est simplement conventionnel. C’est la raison pour laquelle, ils sont placés entre guillemets. Dès lors on ne peut plus envisager les différentes parties du livre d’Esaïe comme des éléments isolés ou assemblées accidentellement (Pfeiffer, 1966, p. 415). De même que leur élaboration s’intègre dans la dynamique rédactionnelle globale, de même ces parties communiquent entre elles (W. H. Schmidt, 1989). Ainsi, le livre d’Esaïe fait son autoherméneutique. C’est ce que U. Becker a appelé le Sitz im Buch (1997). Cela démontre son unité rédactionnelle. C’est pourquoi, le choix de chs. 1-39 d’Esaïe a été méthodologique, c’est-à-dire ces chapitres ont été utilisés comme point de départ et outil nous permettant de parvenir à la compréhension du plan et de l’histoire de la rédaction de l’ensemble du livre à partir des rôles y joués par les nations étrangères. Nous avons observé que le livre d’Esaïe est le produit d’une histoire rédactionnelle. Une rédaction qui suit un plan à trois niveaux: le texte de la crise produit par les milieux deutéronomistes (RC-Dtr) est relu par les 550
rédacteurs sacerdotaux de P1-S. Les rédacteurs apocalyptiques de P2AP procèdent à la double relecture à la fois de P1-S et de RC-Dtr. Et là, aucune preuve de l’existence d’une «école» ésaïenne, au sens propre comme au sens figuré. Sur la question de l’influence de la rédaction deutéronomiste sur le livre d’Esaïe, la découverte de la rédaction de crise sous ses différentes formes présente la rédaction deutéronomiste comme le pivot du plan et de la stratégie rédactionnels du livre d’Esaïe. Placée au début du livre, elle provoque plus tard la double édition de paix. Nous pouvons donc affirmer avec assurance que les traces de la rédaction deutéronomiste dominent majoritairement le livre d’Esaïe à l’instar des traditions de Moïse, de David/Salomon et du Temple de Jérusalem.
5.4 Moïse, David et le culte revisités: trois traditions par trois milieux rédactionnels Il est important de noter que les textes étudiés viennent de dévoiler l’influence de la tradition de Moïse et de celle de David/Salomon dans leur rédaction. Le Temple de Jérusalem demeure leur cadre. Cela explique le lien étroit des psaumes avec le livre d’Esaïe. Nous avons identifié quatre rôles que les nations exercent dans le livre. Les nations étrangères constituent une menace sur Juda. Elles exercent le rôle de source de l’idolâtrie dans le Temple. Elles sont également instruments du jugement de YHWH ou objets de ce jugement. Enfin, elles sont artisans de la paix universelle. Ces rôles suscitent deux actions divines, le jugement ou le salut. En ce qui concerne le jugement, la figure du Pharaon pour la tradition de Moïse et celle de Saül pour la tradition royale d’Israël, s’appliquent à tous les rois qui subissent le jugement de YHWH pour n’avoir par reconnu sa souveraineté. Par contre la figure de Moïse, pour la tradition de l’exode et celle de David, surtout à propos de Salomon, sont projetées sur le roi ou le peuple qui s’attache à YHWH et à son Temple. Moïse, David/Salomon et Saül en relation avec le Temple de Jérusalem sont résumées dans la prophétie de Nathan sur la stabilité éternelle de la dynastie de David (2 S 7). Nous avons démontré que cet épisode est également présent dans tout le livre d’Esaïe, comme les traditions de 551
Moïse, de David, de Salomon, de Saül et celle du culte de Jérusalem marquent toutes les sept étapes de la rédaction du livre. Esaïe fut considéré par la tradition ésaïenne comme le successeur de Moïse et de Nathan. Ces deux figures prophétiques l’ont marqué à cause de leur rôle politique en faveur d’Israël. A Moïse est attachée la naissance d’Israël lors de la libération d’Egypte et l’alliance du Sinaï. Alors que la stabilité éternelle de la dynastie de David est liée à la promesse de Nathan.
5.5 Les travaux de recherches ultérieures Le recours à la synchronie et à la diachronie nous a ouvert un large champ de recherche que nous avons exploré partiellement. Il s’agit notamment des relations intertextuelles entre le livre d’Esaïe et l’ensemble du corpus biblique. Cela nous a permis de confirmer notre supposition selon laquelle le livre d’Esaïe est une «Bible en miniature». Car nous avons prouvé les liens entre le livre et le TaNaK, voire avec les livres deutérocanoniques. Le néotestamentaire sera impressionné par les allusions du livre d’Esaïe dans le Nouveau Testament. Ce qui démontre le rôle joué par ce livre dans l’Eglise naissante. La découverte du rouleau complet à Qumran confirme l’influence que la figure prophétique d’Esaïe avait exercée dans cette communauté religieuse. L’approfondissement de ces relations permettrait d’excellents éclairages. Dès lors il y a lieu d’affirmer que la formation du livre d’Esaïe a franchi, en grande partie, le même parcours que celui de l’ensemble de la Bible hébraïque.
5.6 Les conséquences pratiques Message central du livre d’Esaïe, la reconnaissance de la souveraineté de YHWH parait pour l’univers comme une chance de guérison et de renouveau. C’est une alternative aux multiples crises du monde en tant 552
que voie vers l’instauration d’un monde de justice et de paix. C’est un rappel lancé à l’être humain quelque soit sa puissance à demeurer humain et à ne pas prétendre remplacer Dieu ou l’ignorer. Car tous les humains hautains seront rabaissés, le Seigneur seul sera exalté (2.11). L’Eglise en tant que maison et porte-parole de Dieu peut servir de lieu de proclamation de la souveraineté de Dieu et par conséquent de la résistance contre toute autorité ou forme de vie qui tente de remplacer Dieu. Son message qui en découle sera annoncé pour que la reconnaissance de Dieu, Maître de la terre et du ciel, conduise à l’instauration de la justice et de la paix. Un tel message remet en cause une mondialisation qui met les relations internationales à l’épreuve par la volonté de domination, de pillage de ressources, d’exploitation et de déstabilisation d’une part, et place les êtres humains dans la disposition à l’assujettissement, à la dépendance et à l’esclavage de l’autre. Il interpelle une culture de la consommation et celle du gain sordide ayant tendance à primer sur les droits élémentaires pour chaque être humain à la vie digne et au travail juste. Le réchauffement climatique qui menace dangereusement l’avenir de notre planète à cause du manque d’attention aux obligations de protéger la création ne peut plus passer sous silence. L’humilité humaine devant Dieu et devant toute sa création est incompatible avec les tendances totalitaires et extrémistes, les injustices et la violence (ré) apparaissant parfois sous des formes voilées dans les relations humaines et celles entre les nations, les structures sociales, politiques, économiques, cultuelles ou religieuses.
5.7 Deux idées maîtresses de notre travail du rouleau d’Esaïe – Le livre d’Esaïe est rédigé suivant un plan qui part de la crise vers la paix. Ce plan représente trois milieux rédactionnels, notamment la rédaction de crise (RC-Dtr) et une double rédaction de paix. Alors que la crise illustre la théologie deutéronomiste, la paix par contre, représente respectivement la théologie sacerdotale (P1-S) et la théologie apocalyptique (P2-AP). La paix se présente comme l’alternative à la crise. C’est pour elle que YHWH a destiné sa création. 553
– Sept couches rédactionnelles pour sept situations du Temple de Jérusalem (722, 740, 612, 587, 539, 515, 164), dans trois milieux théologiques (deutéronomiste, sacerdotale et apocalyptique), c’est ainsi que nous nous représentons l’histoire de la formation du livre d’Esaïe. Celle-ci couvre une longue période d’environ 500 ans, soit du 8e au 2e siècle. Partant d’Esaïe lui-même, elle a connu ses derniers moments lorsque le mouvement prophétique s’éteint à l’époque apocalyptique. La rédaction du livre a eu lieu dans et /ou au Temple de Jérusalem. Elle s’est laissé influencer par Moïse et David /Salomon ainsi que les traditions liées à ces personnages dans l’élaboration de l’identité politique et religieuse d’Israël. A la lumière de ces traditions, le livre d’Esaïe interprète les politiques des nations à l’égard du Temple, lieu de la manifestation de la souveraineté de YHWH. La méconnaissance de cette souveraineté, synonyme d’arrogance et de l’idolâtrie dans la pratique de l’injustice sociale, conduit à la chute, à la crise. Alors que la paix et la sécurité résultent de la pratique de la justice et de la reconnaissance de YHWH comme Roi. Car il dit:
\O« JU! aGRK@ UD« K« Z! \DLV. L a\,P9 « K
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