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French Pages 114 [110] Year 2012
LES RACINES DE L’AVENIR
Lamine Kamara
LES RACINES DE L’AVENIR Réflexions sur la Première République de Guinée Essai
© L’Harmattan, 2012 5-7, rue de l’Ecole-Polytechnique, 75005 Paris http://www.librairieharmattan.com [email protected] [email protected] ISBN : 978-2-296-96484-6 EAN : 9782296964846
SOMMAIRE
AVANT-PROPOS..................................................................7 INTRODUCTION ..................................................................9 CHAPITRE I SEKOU TOURE...............................................................13 A / L'homme et son ascension .....................................13 B / Des facteurs externes qui ont favorisé l'accomplissement de son destin ...................................16 CHAPITRE II COMMENT DES NUAGES ASSOMBRIRENT LE CIEL............................................23 A / Du contexte après l’indépendance .........................23 B / De l'orientation politique .......................................25 C / De l’administration ................................................26 D / De l’enseignement .................................................34 E / De l’économie ........................................................37 F / Des arts et des sports ..............................................40 G / Du choix des hommes ............................................41 CHAPITRE III LES COMPLOTS.............................................................43 CHAPITRE IV DES COMPLOTS REELS OU FICTIFS.........................53 A / Du phénomène des complots .................................54 B / De la structure de gestion des complots .................56 C / Des arrestations ......................................................57 D / Des interrogatoires, des dépositions et des preuves ...............................................................57 5
E / Du régime pénitentiaire ..........................................58 F / De la violation délibérée de la loi ...........................59 G / De la violation délibérée des droits de l’homme ...59 H / De la disproportion révolutionnaire .......................59 I / Des listes de détenus ...............................................61 K / Des interrogations ..................................................63 L / Une interrogation ...................................................65 M / D’autres interrogations ..........................................66 CHAPITRE V DE LA REHABILITATION DES DETENUS POLITIQUES ...................................................................69 CHAPITRE VI DE LA PERIODE ET DES HOMMES............................77 A / Des compagnons de route du Président Sékou Touré ............................................77 B / Des hommes du conscient collectif ........................79 C / De la famille à l’africaine, au sens large du terme .86 D / De la région naturelle du Président Sékou Touré, la Haute Guinée ...............................................................88 E / De l’après 3 avril 1984 ...........................................91 CHAPITRE VII DE DEUX CHOSES, LA PREMIERE ............................93 CHAPITRE VIII NOTRE OPINION .........................................................101 BIBLIOGRAPHIE..............................................................111
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AVANT-PROPOS
L’analyse faite dans cet essai est la suite logique de : «La Guinée, Sous Les Verrous de la Révolution», une chronique autobiographique, qui paraît simultanément. Initialement, elle en constituait la deuxième partie. J’ai pensé que cette manière de procéder en les séparant présenterait un double avantage : éviter d’alourdir la narration des faits dans la chronique autobiographique sur les suites de l’agression du 22 novembre 1970 en Guinée et sur les complots de Sékou Touré et de son régime, et me permettre d’analyser plus distinctement et plus en profondeur ces événements sans avoir à revenir sur l’atmosphère suffocante dans laquelle baignait la première République de Guinée, sur la présentation de la révolution qui y sévissait, de son parti unique, de son Parti-Etat ou sur des expressions comme celles de Cinquième colonne, de S.S Nazi, de comités et sous-comités révolutionnaires, de dénomination comme « Voix de la Révolution » ou « Horoya » pour désigner la radiodiffusion nationale et le journal du Parti…, déjà tous largement expliqués dans la chronique, et qui continueront à être abondamment utilisés dans cette analyse. Dans le même esprit, continueront à évoluer certains personnages qui vous sont devenus familiers. Ce sont comme deux tomes d’un même livre parus sous deux titres différents. Lire l’un implique la lecture de l’autre. Dans l’un, comme dans l’autre, vous le constaterez, il est très souvent question du Parti, le Parti Démocratique de Guinée, et de la Révolution qu’il a engendrée. Il serait de ce fait anormal de ne pas réserver à leur créateur commun, le Président Sékou Touré, la place de choix qui lui revient, en sa qualité de leader incontesté après s’être fait proclamer « Responsable Suprême de la Révolution » au 8e congrès de son parti en 1967 et appelé « Suprême » tout court depuis avec le temps. Non seulement il est présent tout au long des deux récits, mais cet essai lui sera presque entièrement consacrée ainsi qu’à son régime au moment d’expliquer ce qui est arrivé en Guinée pendant les 26 années de 7
son règne, car dans ce genre de récit, on ne saurait se contenter de décrire le déroulement des faits, il faut expliquer leur comment et leur pourquoi, et situer la ou les responsabilités.
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INTRODUCTION
Les épreuves et scènes décrites dans « La Guinée, Sous les Verrous de la Révolution » sont le résultat, vous l’aurez compris, de la politique menée pendant plus de 26 ans en République de Guinée par le Président Sékou Touré et son régime caractérisé par ce qui était communément appelé la « Révolution ». « Les Racines de l’Avenir, Réflexions sur la Première République de Guinée» vise à expliquer pourquoi et comment sont arrivées la misère et la terreur, les drames et les tragédies que les Guinéens ont vécus dans leur chair et dans leur âme durant cette période. Aussi, après avoir ouvert dans «La Guinée, Sous les Verrous de la Révolution » la porte à l’espoir par le Pardon vers un futur souriant pour les Guinéens, non sans avoir aiguisé leur vigilance et celle du lecteur, je commence par présenter le président Sékou Touré, sa personnalité, son parcours, son pouvoir dans toute son omnipotence et ses choix en matière de gouvernance. Je passe ensuite au crible les mécanismes du système de répression mis en place par son régime en essayant de répondre aux nombreuses interrogations que la dénonciation en cascade des complots a suscitées et continue de susciter. Après quoi, je tente d’offrir une sépulture scripturale digne aux innombrables victimes, civiles et militaires, personnalités célèbres, dont j’évoquerai certaines figures illustres, mais aussi aux anonymes voués à l’oubli dans l’Histoire et généralement dans toute histoire. Enfin, tout en faisant la part des choses, je débouche sur l’inévitable et capitale question de la responsabilité où le Président Sékou Touré apparaît tel que le peuple de Guinée l’a connu, vécu et subi. Sans aucune intention polémique, même si vu sous un certain angle, cela peut prêter à controverse, en abordant la problématique du conscient collectif, je ne résiste pas à la tentation de vous faire traverser une galerie de portraits d’acteurs politiques de ce temps, 9
qui sont restés dans la mémoire de leurs concitoyens en les marquant fortement, et à mon avis positivement, et que les nouvelles générations guinéennes, mais aussi les chercheurs de tous horizons s’enrichiraient à connaître dans leur vraie dimension humaine et historique… Bien que l’essentiel de la tranche d’histoire que couvre cet essai ne porte que sur la période du 28 septembre 1958 au 3 avril 1984, pour la faire bénéficier de l’éclairage du contexte historique, il est nécessaire de rappeler les conséquences des deux guerres mondiales - 1914-1918 et 1939-1945 – tant en France métropolitaine que dans le vaste Empire colonial français de l’époque, particulièrement à partir du tournant amorcé dans la décennie 1955-1965. En France, cette période fut marquée par un homme : le Général Charles de Gaulle. En Guinée, elle le fut par Sékou Touré. Dans les colonies, elle scella le destin des territoires et de leurs populations. Le Général de Gaulle, avec une alternance de francs succès et de temps difficiles, suivie d’une longue mais fructueuse traversée du désert, après s’être illustré autant par son ardeur sur les champs de bataille, son énergie débordante sur le terrain politique, que par ses écrits, et après plusieurs rendez-vous avec l’Histoire dont son célèbre appel du 18 juin 1940, est désigné le 1er juin 1958 chef de gouvernement de la France à la suite de l’aggravation extrême de la situation militaire, politique et sociale en Algérie où un soulèvement populaire qui avait éclaté le premier novembre 1954 avait atteint son point culminant le 13 mai 1958. Une fois investi dans ses nouvelles fonctions, sur fond de tensions dans les milieux politiques et militaires dues en très grande partie à ce soulèvement, la première tâche à laquelle s’attela le nouveau chef du gouvernement fut la réforme des institutions. Dans cet esprit, et pour accéder au sommet de l’Etat, il soumit le projet d’une nouvelle Constitution à la France métropolitaine et aux territoires d’outre-mer. Approuvée par référendum le 28 septembre 1958, cette Constitution instaura en France la cinquième République. Dans la foulée, après la victoire de son parti, l’Union pour la Nouvelle République (UNR), aux élections législatives du
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mois de novembre 1958, le Général de Gaulle est élu Président de la République un mois plus tard. Dans l’esprit de la réforme voulue par le nouveau Chef d’Etat français, la nouvelle Constitution, à l’état de projet, situait l’avenir des colonies françaises dans un nouveau type d’association, la Communauté Franco Africaine, fondée sur leur développement autonome et l’intégration de leurs populations dans le cadre de la France. Le maintien des colonies au sein de la Communauté proposée ne faisait pas l’ombre d’un doute dans les milieux politiques parisiens. Mais une disposition particulière du nouveau texte constitutionnel donnait à chacune d’elles la possibilité de s’autodéterminer. C’est cette disposition que saisit la Guinée pour faire son choix historique. Commença alors à briller sur la Guinée le soleil de l’indépendance, avant que ne brillent successivement sur les autres colonies françaises du continent, que notre pays, par son vote, avait entraînées dans son sillage, « les soleils des indépendances » si bien dépeints par le célèbre écrivain ivoiro-guinéen Ahmadou Kourouma dans son roman du même nom. Des soleils qui ont certes, selon les fortunes, parfois brillé épisodiquement, mais qui dans un certain nombre de cas, dès leur apparition dans le ciel, ont plus brûlé que brillé comme en Guinée où aucune folie n’aura été épargnée…
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CHAPITRE I
SEKOU TOURE
A / L'homme et son ascension : A mon humble avis, en s’engageant dans la politique, Sékou Touré avait des ambitions nobles, un idéal généreux pour le peuple de Guinée, pour l’Afrique, dans l’esprit du panafricanisme dont il était l’un des chantres avec Kwame Nkrumah. Au départ il était sincère et voulait faire de la politique au sens noble du terme, c’està-dire servir la Cité… En politique, les itinéraires sont divers. Il peut arriver qu’une voie royale vous soit toute tracée avant même votre naissance. Il en est ainsi des rois et aussi de certains Présidents comme ce fut le cas non loin de nous il n’y a pas si longtemps. Certains itinéraires sont programmés par ceux qui les suivent et qui s’y préparent en conséquence selon des étapes définies au préalable. Il peut arriver aussi que le destin donne des coups de pouce totalement imprévisibles : une succession de circonstances et de faits qui font que vous vous trouvez chaque fois au bon endroit au bon moment. Vous pouvez vous coucher simple citoyen ou même plébéien la nuit et vous réveiller souverain le matin. Le destin peut aussi vous faire inopinément emprunter des chemins tortueux, des sentiers parsemés de ronces et d’épines. Il peut n’importe quand, vous placer au mauvais moment, au mauvais endroit et tout compromettre d’un seul coup. Ce sont des éléments parfois isolés, parfois combinés, qui agissent en synergie et se relient à certains contextes, tout en puisant leur force dans le caractère, les atouts et les dons propres d’un homme plus ou moins héroïque dans l’accomplissement de son destin, lequel peut s’identifier ou se confondre à celui d’un peuple à une période donnée de son histoire. 13
Rien n’indiquait un haut destin de Sékou Touré en ses débuts, ni son niveau d’instruction : il n’avait guère dépassé le Certificat d’Etudes Primaires Elémentaires (CEPE) le plus bas palier des diplômes délivrés par le système éducatif colonial français ; à défaut d’être admis au concours d’entrée à l’Ecole Primaire Supérieure Camille Guy à Conakry, en 1936 il avait été orienté vers une école professionnelle, l’école Georges Poiret, toujours à Conakry. Ni ses antécédents familiaux : né dans une société de type patriarcal, la société mandingue, il était d’origine modeste ; ni son environnement politique : ses camarades hommes et femmes militant avec lui dans le Rassemblement Démocratique Africain (RDA), - parti politique créé sous l’égide de Félix HouphouëtBoigny de Côte d’Ivoire à l’échelle Ouest-africaine au moment de la lutte pour l’émancipation africaine, et le Parti Démocratique de Guinée (PDG), sa section territoriale qui prendra le nom de (PDG/RDA) dont il devint le leader -, avaient pour la plupart un degré d’instruction plus élevé que le sien ; il en était de même de ses principaux rivaux des autres partis politiques guinéens et africains dont les leaders et membres influents étaient généralement comme ceux du (PDG/RDA), instituteurs, vétérinaires, médecins africains, administrateurs d’un certain rang diplômés des grandes écoles coloniales africaines de l’époque, l’Ecole William Ponty, l’Ecole des Médecins Africains, l’Ecole Vétérinaire de Dakar où étaient formés les cadres supérieurs des colonies françaises de l’Afrique Occidentale, disons l’élite, ou en métropole pour les plus jeunes, notamment des magistrats, des ingénieurs etc. En apparence, rien donc ne semblait le prédisposer à un tel avenir. Ces handicaps, l’homme par son habileté a su les surmonter, les contourner, en tirer parfois parti ou même les transformer carrément en atouts. Il a su notamment profiter de sa situation de simple postier pratiquement sans grade - auquel l’administration française elle-même, qui le toisait de bien haut, a longtemps semblé ne pas accorder grande importance - pour se montrer audacieux dans son combat. Contrairement à d’autres leaders ou militants occupant des postes intéressants à sauvegarder, lui n’avait rien à perdre…, pas grand-chose en tout cas.
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Dans son ascension, il suivit volontairement une voie biaisée qui n’était pas celle de l’affrontement politique direct avec la puissance coloniale ; il choisit à partir de 1952 le syndicalisme où l’on n’avait pas besoin de diplômes pour gravir les échelons. Il en fit un tremplin pour parvenir à ses fins politiques. En ce qui concerne son niveau d’instruction, il convient de relativiser quelque peu, compte tenu du très bas niveau général dans les colonies où détenir le (CEPE) était déjà fort appréciable. Autodidacte, bien que resté assez limité dans son intellect, il sut combler partiellement ses nombreuses lacunes et carences et finit par acquérir une certaine culture, et dans de nombreux domaines, particulièrement dans le domaine politique, il pouvait tenir la dragée haute et parfois même en imposer à beaucoup de ses collègues. Côté origines familiales, sachant que par son père, pourtant Touré, il ne pouvait revendiquer l’ascendance d’aucune grande famille guinéenne, il se réclama assez tôt et avec beaucoup de fierté et d'intelligence de sa branche maternelle qu’il exploita ; sa mère était petite-fille de l’Almamy Samory Touré, l’un des glorieux héros de la lutte anticoloniale, dont Sékou Touré finit, le pouvoir aidant, par apparaître aux yeux de ses concitoyens comme le plus illustre descendant. Cet aïeul, Samory Touré, portait le prestigieux titre d’Empereur du Wassoulou, le Wassoulou un territoire situé au nord-est de la Guinée à cheval sur les frontières des actuelles Républiques de Guinée, du Mali et de Côte d’Ivoire. Même le choix de ses initiales A.S.T n'était pas fortuit ; en se faisant appeler Ahmed Sékou Touré, il avait tenu à ce qu'elles correspondent à celles du prestigieux ancêtre, l'Almamy Samory Touré (A.S.T.). C’est à la suite d’une visite au Royaume du Maroc qu’il nous revint avec un second prénom : Ahmed. De qualités naturelles, l’homme, il faut l’avouer, ne manquait pas. Incontestablement, il était d’un grand charisme, atout de tout premier ordre pour mener une carrière brillante en politique. Tribun hors pair, d’une très grande éloquence, il avait le don de tenir des foules en haleine des heures durant. Maniant la dialectique avec une certaine aisance, il était aussi un débatteur coriace capable de triompher souvent dans l’adversité, parfois même avec élégance. A partir de 1946, au cours de plusieurs 15
séjours effectués dans des pays dits de l’Est de ces temps-là, il aurait reçu une formation marxiste qui venait compléter celle déjà acquise au sein d’un groupe d’études communistes dont il aurait fait partie quand il était agent des postes à Conakry et à travers, diton, ses lectures. Le Général de Gaulle lors de sa tournée préréférendaire, après avoir écouté son intervention et celle du Président de l’Assemblée Territoriale Guinéenne Saïfoulaye Diallo, et malgré sa déception quant au contenu des discours et une irritation perceptible, ne déclarait-il pas dans la Capitale guinéenne, non sans fierté, « Il n’y a pas de raison que la France rougisse en rien de l’œuvre qu’elle a accomplie ici avec les Africains ». Réellement génial en matière politique, il était doté aussi d’une grande volonté, d’une capacité de travail bien supérieure à la normale ; d’une activité toujours débordante, faisant feu de tout bois, il tenait encore meeting quelques jours seulement avant son décès ; au dire de ses proches, il pouvait recevoir en audience jusqu’à une centaine de personnes par jour. L’ascension de l’homme ne fut donc pas le fruit du hasard. B / Des facteurs externes qui ont favorisé l'accomplissement de son destin: Toutes ces dispositions par leur caractère parfois exceptionnel contribuèrent à pousser l’homme vers l’accomplissement de son destin jusqu’au Capitole. Mais d’autres facteurs, et non des moindres, ont favorisé cet accomplissement aussi bien dans le cas du leader politique guinéen que de bon nombre d’hommes politiques africains de cette époque. Il y eut tout d’abord les deux guerres mondiales de 1914-1918 et de 1939-1945, et leurs conséquences sur l’évolution de la géopolitique et de la géostratégie mondiales. Sans elles, des leaders politiques africains auraient sans doute émergé et assouvi leurs aspirations légitimes d’accéder au pouvoir ; les colonies africaines auraient sans doute été indépendantes un jour ; mais les bouleversements dus à ces guerres ont favorisé la montée de toute une génération d'Africains et accéléré le processus d'indépendance. En effet, ces deux événements, les deux plus importants du vingtième siècle, ont, par leur dimension internationale, eu une influence déterminante sur l’évolution politique de tous les 16
continents, particulièrement de l’Afrique sous domination coloniale. D’abord, ils faisaient tomber un premier mythe, celui de la toute-puissance et de l’invincibilité de la métropole française. A l’issue de chacune des deux confrontations, il est apparu clairement que nos maîtres n’étaient pas aussi forts que nous le croyions, qu’il existait en tout cas plus forts qu’eux et que sans l’entrée en guerre d’alliés puissants à leurs côtés - Etats Unis d’Amérique (USA), Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord (UK), Union des Républiques Socialistes Soviétiques (URSS) - la volonté de fer et l’esprit de sacrifice du Général de Gaulle et de ses compagnons de la résistance, mais aussi l’apport inestimable des colonies en hommes et en matériel, ils se seraient retrouvés euxmêmes sous le joug et nous avec. Le processus de désagrégation des empires coloniaux qui inspira les peuples africains était bel et bien engagé. Entre 1954 et 1958, ce mouvement ira s’accélérant et s’amplifiant. Je n’ai pas la prétention de couvrir dans le détail tous les événements historiques qui se sont déroulés durant cette période ; je me limiterai à citer chronologiquement et à grands traits ceux qui m’ont paru les plus déterminants dans les changements enclenchés sur le continent. En tout premier lieu, il y eut la victoire du Vietminh sur la France, à Dien Bien Phu, administrant la preuve que les combattants bien organisés d’une colonie, armés de courage et de détermination et puisant leurs ressources dans le génie propre de leur peuple, pouvaient, à force de sacrifice, venir à bout d’une puissance coloniale réputée beaucoup plus forte à tous points de vue. Cette victoire d’un peuple sous domination déboucha sur la conférence de Genève organisée en 1954 entre la France et les délégués du Président Ho Chi Minh vis à vis, en présence des représentants de plusieurs puissances désignées par l’Organisation des Nations Unies dont ceux des Etats-Unis d’Amérique et de l’Union des Républiques Socialistes Soviétiques. Presqu’au même moment, sous l’incitation de quatre pays asiatiques : l’Indonésie, la Birmanie, Ceylan et le Pakistan, était convoquée le 28 décembre 1954, une conférence historique, la 17
conférence de Bandoeng qui se tint dans la ville indonésienne du même nom du 18 au 24 avril 1955, avec les représentants de vingtneuf autres pays du Tiers-Monde, notamment d’Asie et d’Afrique. Pendant cette conférence, s’élevèrent des voix fortes, particulièrement celle de la Chine, pour une plate-forme de revendications communes présentée sous la forme d’un manifeste, qui exigeait du reste du monde l’édification de l’égalité entre les hommes, la fin de la misère et de la domination étrangère, enfin précision importante, par tous les moyens y compris la lutte armée. Aussitôt après la conférence de Genève et pendant que se préparait celle de Bandoeng, le premier novembre 1954, un soulèvement éclata en Algérie où la France avait établi une colonie de peuplement. Devenu rapidement un véritable conflit armé, guerre de libération pour les Algériens, guerre de pacification d’un territoire en insurrection pour les français -, ce soulèvement aboutira à l’indépendance de l’Algérie. Notons aussi la « victoire-défaite », comme certains historiens l’ont qualifiée, de la coalition anglo-franco-israélienne formée contre l’Egypte pour le contrôle du Canal de Suez nationalisé le 26 juillet 1956 par le colonel Gamal Abdel Nasser, Président du pays pour, entre autres raisons, réagir contre la volonté de la Banque Mondiale et du Fonds Monétaire International (F.M.I) de contrecarrer la réalisation du Barrage d’Assouan projetée par tout un peuple comme le moteur de sa modernisation. Selon les autorités égyptiennes de l’époque, dans leur refus de participer à la construction du barrage, ces deux institutions ou (les institutions de Bretton Woods) avaient été poussées par l’Angleterre et la France. Après sa victoire militaire éclair, la coalition essuya une défaite politique qui fut, à plusieurs égards, lourde de conséquences pour elle, même si sa troisième composante, Israël, avait atteint certains de ses objectifs. En effet, devant, d’une part, les fermes injonctions assorties de sérieuses menaces de représailles économiques des Etats-Unis d’Amérique hostiles à toute forme de conquête territoriale par la force après la coûteuse et difficile victoire remportée par les Alliés (Etats-Unis, Grande-Bretagne, URSS, France, Chine) sur les pays de l’Axe (Allemagne, Italie, Japon), et d’autre part, la menace, y 18
compris nucléaire, de l’URSS tenant, à travers cette crise, à affirmer son nouveau statut de superpuissance, la coalition - en se retirant sous la supervision des premiers Casques bleus (canadiens pour mémoire) de l’Organisation des Nations Unies à des conditions et dans un délai fixé par la communauté internationale faisait indirectement comprendre aux colonies que le nouvel ordre mondial mis en place après la deuxième guerre mondiale pouvait leur ouvrir des perspectives d’accès à la souveraineté… Pour tenter d’endiguer le mouvement d’émancipation qui ne cessait de s’amplifier, la France après avoir voté le 18 novembre 1955 une première loi de réformes municipales et sociales, jugées timides par les leaders des colonies, en vota, moins d’un an après, une seconde plus hardie pour adapter son système aux nouvelles exigences en confiant plus de responsabilités aux exécutifs locaux d’outre-mer. Malgré ces lois votées en leur faveur et ces nouvelles dispositions, les colonies, même si ce n’était pas dans leur ensemble, – au travers des programmes de leurs partis politiques, des discours prononcés par leurs candidats lors des élections organisées sur leurs territoires et les revendications de leurs mouvements syndicaux, - exprimaient de manière de plus en plus pressante, claire et structurée leurs aspirations à la liberté, celle-là même qu’elles avaient contribué à sauvegarder pour la Métropole… Rien n’y fit donc. Le 28 octobre 1956, ce fut le Togo qui, profitant de son statut de territoire sous tutelle, vota majoritairement lors d’un référendum pour devenir République autonome. Le Maroc et la Tunisie, qui bénéficiaient eux aussi de statuts particuliers de protectorat, étaient devenus autonomes la même année 1956. Quelques mois plus tard, le Ghana, colonie anglaise de l’Afrique de l’Ouest voisine d’une terre du (RDA), la Côte d’Ivoire, emboîta le pas en proclamant son indépendance le 6 mars 1957, jour décrété aussitôt Independence Day et célébré comme fête nationale, au même titre que le 14 juillet en France.
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Ces autonomies et cette indépendance, auxquelles il faut ajouter les déjà anciennes souverainetés du Liberia, de l’Ethiopie et de l’Egypte, marquèrent tous les esprits sur le continent africain. Elles y jouèrent un rôle de catalyseur et furent, de ce fait, déterminantes pour la carrière des hommes politiques qui luttaient pour l’émancipation africaine. Une aubaine pour les colonies françaises : la situation de crise en métropole due au mauvais fonctionnement de la quatrième République qui se traduisait par une instabilité gouvernementale sans précédent. Presque tous les trois ou quatre mois un gouvernement en remplaçait un autre. Cette situation entraîna le retour du Général de Gaulle sur le devant de la scène. Celui-ci proposa un référendum à la France métropolitaine et aux colonies. Par un vote réputé comme séparé, ces dernières devaient se prononcer pour le Oui si elles voulaient entrer dans la « Communauté Franco- Africaine » qui leur était proposée ou pour le Non si elles décidaient de prendre entièrement leur destin en main en choisissant de se séparer de la France. C’est ce dernier choix que fit le territoire de la Guinée française. Secrétaire général du (PDG/RDA) et déjà Vice-Président du Conseil de Gouvernement du territoire depuis l’adoption en France et l’application de la loi-cadre Gaston Defferre du 23 juillet 1956, Sékou Touré devint de facto le 2 octobre 1958, jour de proclamation officielle de l’indépendance, Président du nouvel Etat qui prit le nom de République de Guinée. Pour mémoire, le territoire correspondant à l’actuelle République de Guinée s’est constitué progressivement avec l’arrivée successive de vagues de conquérants. Après l’occupation des terres dans sa partie côtière par les Portugais dont la présence à partir de 1461-1462 y inaugure la traite des Noirs qui persistera audelà de 1850, et des Îles de Los en face de Conakry par la GrandeBretagne, la France entreprendra la conquête de la région qui s’achèvera entre 1889-1893 avant de l’englober dans l’Afrique dite à l’époque Occidentale Française (AOF) lorsque la colonisation sera effective en 1895. En 1904, le territoire s’agrandira des Îles de Los quand la Grande-Bretagne les cèdera à la France. Auparavant, en 1898, il aura même été rattaché pour une courte période au
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Soudan Français, actuelle République du Mali avant de redevenir territoire à part entière au sein de (l’AOF). La conquête coloniale dans toutes ses phases, de la pénétration à l’occupation, rencontra une résistance farouche, résistance menée par d’héroïques figures guinéennes comme l’Almamy Samory Touré, Dinah Salifou, Alpha Yaya Diallo et Zébéla Togba, Almamy Bocar Biro, El hadi Omar Tall pour ne citer que les plus illustres… Le Non-Guinéen mettait donc fin à une longue période de domination coloniale française. 63 longues années (1895-1958). Cette domination s’était traduite par la confiscation de la liberté, l’exploitation des richesses naturelles dont le paroxysme a été atteint quand le travail forcé et le paiement de l’impôt en nature furent institués, notamment pour la fourniture à la métropole du caoutchouc, de la cire de miel et d’autres produits locaux. Sékou Touré dans ses brillantes interventions contre l’occupation étrangère, résumait les relations entre colonisateur et colonisé par cette formule : « L’association du cavalier et du cheval. » L’avènement de la liberté, fut salué quasi unanimement par la population, surtout par la couche juvénile à laquelle j’appartenais. En 1958, j’avais 18 ans. Avec une forte participation, 1.405.989 inscrits et 1.200.171 votants, - le Non l’avait emporté à plus de 94%. C’est sous son impulsion que le pays a été libéré du joug colonial reconnaît-on. Selon d’autres acteurs et témoins de l’époque, l’aile gauche de son parti, les syndicats, les étudiants, principalement la Fédération des Enseignants de Guinée, l’un des fers de lance de l’Union Générale des Travailleurs de l’Afrique Noire (UGTAN) et l’Union Générale des Etudiants de Guinée (UGEC) porte-parole de la Fédération des Etudiants d’Afrique Noire (FEANF), auraient largement contribué à cette impulsion ... Il faut rappeler tout spécialement la décision de ses deux principaux rivaux sur la scène politique guinéenne : Diawadou Barry leader du « Bloc Africain de Guinée » (BAG) et Barry Ibrahima dit Barry III Secrétaire Général « Mouvement Socialiste Africain (MSA) », de voter Non au référendum. Ces deux formations dans le sens de leur rapprochement, avaient connu auparavant plusieurs évolutions sur lesquelles nous reviendrons… 21
Dès lors, tout pouvait laisser croire que la République de Guinée, désormais libre, sous la conduite d’un homme au parcours si riche, à l’aspiration si forte à la liberté et à la justice, se serait épanouie dans un bonheur sans mélange.
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CHAPITRE II
COMMENT DES NUAGES ASSOMBRIRENT LE CIEL
Qu’est-ce qui a pu faire dévier un tel homme, - appelé par ses concitoyens l’homme du 28 septembre -, de sa visée initiale, le bonheur du peuple de Guinée ? Qu'est-ce qui a pu conduire son régime aux dérives que nous avons connues ? Pour répondre à ces interrogations, plusieurs analyses ont été faites. Voici mon interprétation personnelle. A / Du contexte après l’indépendance : La Guinée « préfère la liberté dans la pauvreté à la richesse dans l’esclavage ». Cette célèbre formule prononcée le 25 août 1958 devant l’Assemblée Territoriale à l’occasion de l’arrivée du Général de Gaulle à Conakry, aurait été empruntée par Sékou Touré à Kwame Nkrumah. Ce même jour devant la même Assemblée, le Président français rétorqua dans un discours improvisé, mais resté tout aussi mémorable que celui de son hôte : «On a parlé d’indépendance. Je dis ici plus haut qu’ailleurs que l’indépendance est à la disposition de la Guinée. Elle peut la prendre le 28 septembre en disant Non à la proposition qui lui est faite. Et dans ce cas, je garantis que la métropole n’y fera pas obstacle. Elle en tirera bien sûr des conséquences, mais d’obstacles, elle n’en fera pas et votre territoire pourra, comme il le voudra, et dans les conditions qu’il voudra, suivre la route qu’il voudra ». Le « dangereux précédent », comme certains milieux parisiens qualifiaient l’indépendance guinéenne à l’époque, élargit de manière irrémédiable la brèche déjà ouverte entre métropole et territoires coloniaux. La France ne pardonnera pas son vote historique à la jeune République et à son jeune Président, d’autant 23
que, deux ou trois ans plus tard, ce furent les cascades d’indépendance des anciennes colonies françaises. L’indépendance de la Guinée avait certes été acquise dans la dignité, sans effusion de sang, mais dans un climat d’affrontement à peine voilé, de défis par discours interposés. Sans qu’ils aient été considérés à l’époque comme des déclarations de guerre, le discours d’accueil de Sékou Touré et la réponse du Général de Gaulle, quand on les décrypte même aujourd’hui, révèlent une tension extrême. Il n’a généralement été retenu du discours du leader guinéen que la phrase qui semblait en constituer l’essence : « Nous préférons la liberté dans la pauvreté à la richesse dans l’esclavage ». Mais pour la France, cette déclaration fut ressentie de manière extrêmement troublante, car le leader guinéen ne semblait pas parler au nom de son seul pays, mais de toute l’Afrique, et même au-delà, de tous les peuples opprimés du monde. En effet, après avoir fustigé la colonisation, il déclarait d’une manière qui ne laissait aucune place ni au doute ni à l’hésitation : « Nous Africains et nos territoires ne saurions être une partie de la France ». Auparavant, il avait dit sur un ton tout aussi tranchant: «Nous ne renoncerons pas et nous ne renoncerons jamais à notre droit légitime et naturel à l'indépendance, car nous entendons exercer souverainement ce droit ». Par ce ton tout aussi percutant, il cherchait à donner une dimension mondiale à sa revendication : « Il n’y a pas de dignité sans liberté, car tout assujettissement dégrade celui sur qui il pèse ». Assurément, le discours par son caractère péremptoire sentait déjà la Révolution. A partir de ce moment, il fallait considérer que la rupture de Sékou Touré était consommée avec son illustre hôte et son pays, la France. Depuis le 2 octobre 1958, jour de proclamation de l’indépendance, - obtenue, avec une forte participation, 1.405.989 inscrits et 1.200.171 votants, - le Non l’ayant donc emporté à plus de 94%, - une politique d’isolement fut systématiquement menée contre la Guinée par l’ancienne puissance coloniale. Le pays connut un environnement hostile, l’Occident, les Etats-Unis d’Amérique et la République Fédérale d’Allemagne (RFA) dite Allemagne Fédérale ou encore de l’ouest à l’époque, dans une 24
moindre mesure, ayant emboîté le pas à la France en prenant ses distances. B / De l'orientation politique : Etant donné son parcours, ses affiliations avec les partis français de gauche, sa ligne politique, la nouvelle classe dirigeante guinéenne aurait peut-être fait emprunter au pays une voie proche de celle du bloc communiste qu'elle considérait comme plus progressiste. L’appellation quelque peu ambiguë donnée souvent à son système économique « la Voie de Développement Non Capitaliste », si elle peut se justifier par la future appartenance du pays au Mouvement des non-alignés, donne un indice de la prudence observée pour ne pas s’afficher ostentatoirement socialiste ou communiste, même si dans nombre de ses discours, le Président Sékou Touré déclarait sa volonté de conduire le peuple de Guinée vers le socialisme, alias communisme dans le contexte de l’époque. Ce système économique se définissait curieusement non pas par ce qu’il était, mais par ce qu’il n’était pas. Mais l’opposition intransigeante de la forte et altière personnalité du Général de Gaulle face à la menace que faisait courir à l'édifice colonial français l’existence de la jeune République sur la scène internationale, les heurts psychologiques du chef d’Etat français avec la personnalité tout aussi tranchée et fière du Président Sékou Touré, et même s’il est reconnu que ce dernier avait entrepris en vain des démarches de rapprochement, tout cela a contribué à pousser la Guinée, peut-être à son corps défendant, dans les bras du camp de l’est, avec les conséquences que cette décision a eues sur sa situation politique, économique et sociale. Antidémocrate dit-on maintenant ; démocratie populaire, disait-on à l’époque ! Dès lors, le jeune Etat qui s’apprêtait à relever l’énorme défi que constituait en soi l’indépendance, devra faire face prioritairement aux conséquences immédiates de son isolement et à moult effets pervers qui lui compliqueront singulièrement la tâche.
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C / De l’administration : Le divorce entre la Guinée et l’ancienne métropole se manifesta dès les premiers jours de liberté par le départ précipité de toute l’administration coloniale, laissant le pays aux mains d’une nouvelle et jeune classe dirigeante. Le nouveau Président Guinéen et ses principaux compagnons avaient autour de 35 ans et les fonctionnaires étaient en nombre tout à fait insuffisant. La gestion des conséquences de ce départ massif et précipité de l’administration française, fut la première haie qui se dressa devant le nouveau pouvoir. L’application de la loi-cadre Gaston Defferre, n’avait pas duré assez longtemps dans les colonies pour assurer une transition qui aurait pu être bénéfique. Il est vrai que l’indépendance, pour un peuple légitimement assoiffé de liberté, ne pouvait attendre. Le référendum offrait une trop belle opportunité pour ne pas être saisie. C’était, disait-on à juste titre, faire l’économie d’une guerre de libération… Mais, malgré les difficiles conditions de départ, les fonctionnaires guinéens à tous les niveaux, rapidement rejoints par leurs compatriotes de la diaspora massivement rentrée au pays parfois avant même la fin de leurs études, se montrèrent fermement décidés à relever le défi. Avec beaucoup de détermination, ils se mirent à l’ouvrage pour combler au pied levé le vide laissé par la France. L’isolement dans lequel l’ancienne métropole avait voulu enfermer le nouvel Etat avait été brisé aussi. Il n’avait pas résisté longtemps à l’élan de solidarité africaine et internationale qui s’est manifesté à l’égard de la nouvelle République. Dès l’année 1959 la Guinée reçut le renfort de pratiquement toute l’élite africaine, - du point de vue intellectuel un petit condensé des Etats-Unis d’Afrique - particulièrement du Sénégal qui avait fourni le plus gros contingent, du Dahomey actuel Bénin, de la Haute-Volta actuel Burkina Faso, du Niger, de la Mauritanie, de la Côte d’Ivoire, du Soudan français, actuelle République du Mali et d’autres anciennes colonies africaines. Vinrent aussi des membres de la diaspora africaine qui n’hésitèrent pas non plus à voler au secours du pays, et également des coopérants de l’Est, de 26
l’URSS en tête, qui arrivèrent massivement, et de certains pays comme la République Populaire de Chine qui avaient participé à la Conférence de Bandoeng. Les Etats-Unis d’Amérique aussi montrèrent leur intérêt. Même le Vietnam, convalescent, se relevant des conséquences de sa longue et coûteuse guerre en vies humaines, participa à l’effort. De même des Français, soit en restant dans le pays pour continuer à occuper leurs postes, soit en quittant la France pour se joindre au mouvement, bravèrent parfois courageusement l’interdiction de leur gouvernement de travailler en Guinée. Sur la même lancée, des Belges, des Suisses et des bonnes volontés de nombreuses autres nationalités rejoignirent eux aussi la Guinée. En rendant hommage à tous ces frères Africains et à tous ces étrangers, je voudrais, de mémoire, en citer quelques-uns : Sénégal : David Mandessi Diop, célèbre poète, auteur du recueil de poèmes « Coup de Pilon », professeur de français ; Sall Khalil, ingénieur des chemins de fer qui a remplacé au pied levé Avarta Guisemen le Français directeur général des chemins de fer ; François Gaye, pharmacien ; Sembène Ousmane, cinéaste, qui deviendra célèbre par la suite par ses réalisations cinématographiques ; Sarr Amsata, professeur de philosophie Côte d’Ivoire : Memel Foté, professeur de philosophie Cameroun : Kapet de Bana, professeur de philosophie - Niger : Moumini Djermakoye, pharmacien, qui organisa les premiers approvisionnements du pays en médicaments à la grande satisfaction de la population ; Abdou Moumouni, agrégé de mathématiques - Haute-Volta : Joseph Ki-Zerbo et Mme Jacqueline Ki-Zerbo, tous deux professeurs agrégés d’histoire Dahomey : Louis Senanoun Béhanzin, agrégatif de mathématiques - Mauritanie : Mame Seck, professeur de Sciences Naturelles Haïti : Bance, professeur de lettres ; Mac Loren, professeur de philosophie - Martinique : Mlle Yolande Joseph Noël, professeure d’histoire - Vietnam : Nguyen, professeur d’histoire et de géographie ; Dr Thin, médecin - Belgique : Mme Claire Grégoire linguiste au Musée d’Afrique Centrale en Belgique, spécialiste de la langue mandingue, qui forma la première génération de l’école guinéenne de linguistes (venue officiellement avec l’accord du gouvernement belge) - France : Jean Suret-Canale du parti 27
communiste français, professeur agrégé d’histoire qui résista longtemps à la menace d’être déchu de sa nationalité s’il n’abandonnait pas le jeune Etat indépendant pour rentrer en France ; Claude Rivière, professeur de sociologie africaine qui a formé la première génération de sociologues de l’Institut Gamal Abdel Nasser de Conakry ( grand universitaire, venu officiellement effectuer des recherches en sociologie africaine avec l’accord des autorités françaises) ; Yves Benot Helmann, professeur de français ; Mme Grange Christiane, professeure de sciences naturelles ; Thomas, professeur de français ; Napoléon, professeur d’enseignement technique… Les professeurs firent la première réforme de l’enseignement avec leurs collègues guinéens. Sous la conduite de David Mandessi Diop, ceux qui, comme l’excellent professeur Sékou Moukhé Yansanné, enseignaient le français conçurent un programme fondé pour la première fois sur la littérature africaine. La population avait patriotiquement devancé l’élite et les cadres. Avec enthousiasme, elle s’était fortement mobilisée elle aussi pour effectuer des travaux d’intérêt commun : nettoyer les villes, labourer des champs communs, dans ce qui avait été désigné du « noble » nom « d’investissement humain ». Une Nation confiante qui s’était toute entière mise au travail et qui s’apprêtait à relever les défis quelle que soit leur ampleur. Pour gérer la situation, outre les nombreux appuis dont elles avaient bénéficiées, les nouvelles autorités, il faut le reconnaître, avaient elles-mêmes pris des initiatives importantes et hardies. Elles avaient procédé au recrutement et à la formation rapide d’un très grand nombre de moniteurs auxiliaires, à l’ouverture d’une école normale de formation accélérée pour les enseignements primaires et secondaires en plus des écoles normales d’instituteurs existantes, de plusieurs écoles techniques, d’une école d’administration pour cadres moyens, d’une école supérieure de formation de professeurs à Kankan sur un site nommé Dabadou, d’un institut polytechnique pour cadres supérieurs à Conakry, à l’envoi d’un grand nombre de boursiers élèves et étudiants à l’extérieur, généralement dans les pays de l’est, mais aussi aux Etats-Unis d’Amérique, en Suisse, en République Fédérale
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d’Allemagne et dans d’autres pays de l’ouest, et à la prise de beaucoup d’autres décisions courageuses. Toujours pour desserrer l’étau autour d’elle, la Guinée contribua à la création d’organisations Ouest-Africaines dont la plus importante fut lancée en 1961 l’union Ghana-Guinée-Mali sous le nom de « L’Union de Etats Africains » ; ce qui laissait entendre qu’elle était ouverte à tous les autres pays du continent. Conçue pour devenir un espace d’intégration à la fois politique et économique, cette union n’a pas pu relever les nombreux défis auxquels elle devait faire face. Elle ne fit pas long feu. Mais elle eut tout de même le mérite de préfigurer, malgré sa disparition assez précoce, l’Organisation de l’Unité Africaine, ce qui est tout à l’honneur de ses trois fondateurs, les Présidents Kwame Nkrumah, Modibo Kéïta et Sékou Touré. Si tous ces concours et initiatives permirent à la jeune République d’assurer sans trop d’encombre ses premiers pas, la situation ne tarda cependant pas à se dégrader, car le terrain sur lequel devait se développer le nouvel Etat, était déjà miné. Essentiellement par la substitution du Parti à l’Etat. C’est sous la loi-cadre, avant même le vote du 28 septembre 1958 que l’intrusion du Parti, le Parti Démocratique de Guinée PDG/RDA, appelé à la longue Parti tout court, parce qu’il était unique-, dans les affaires de l’Etat avait débuté. En effet, dès le 25 juillet 1957, une profonde réorganisation de l’administration à la base avait été opérée avec pour principale décision de substituer le Parti à l’Etat. L’occupation des nombreux postes créés par cette restructuration ou laissés vacants par les fonctionnaires français, donna lieu à une course effrénée d’un bout à l’autre du pays. Dans la capitale comme dans les villes de l’intérieur, les responsables et les militants du Parti, commencèrent, même quand ils n’en avaient pas les qualifications, à occuper les postes les plus importants, même les plus techniques. Depuis le 9 mai 1957 en application de la loicadre Gaston Defferre, le pouvoir de nomination, en réalité le vrai pouvoir, était entre les mains du vice-président du Conseil de Gouvernement du Territoire, Sékou Touré. Avec l’affirmation de la « prééminence », (c’était le mot à l’époque), du Parti, les meilleures places furent occupées au détriment des cadres les plus compétents, généralement placés en 29
subordination ; mis à l’index, ces cadres, les administrateurs rigoureux, les gestionnaires et techniciens confirmés étaient mal vus. Le formidable enthousiasme qui avait été soulevé dès l’aube de la liberté retomba assez rapidement. C’est là que commença à se former le moule, la matrice du désordre, de la stagnation, puis de la rétrogradation. C’est là, sans conteste, l’origine du considérable retard pris par la Guinée par rapport à ses voisins. Du point de vue du fonctionnement de l’Etat, cette situation eut, comme par un effet domino, des conséquences en chaîne dans pratiquement tous les domaines de la vie nationale, et cela jusqu’au plus petit secteur. Dans le même temps, un vent de répression commença à souffler sur le pays. Les hommes de qualité dont il disposait furent les premières cibles du nouveau Pouvoir. C’est contre eux qu’il décocha ses premières flèches. Hors l’économie, ce sont d’abord les hommes, les hommes de qualité. Au lieu de considérer ceux-ci comme des acteurs importants, voire incontournables du développement, et de leur faire jouer pleinement ce rôle en vue du décollage économique, le Président Sékou Touré vit très tôt en eux de potentiels adversaires susceptibles de lui ravir sa place. Pour échapper à la prison, par centaines des cadres de toutes catégories et de toutes spécialités prirent le chemin de l’exil. L’élite africaine s’en alla elle aussi massivement seulement un peu plus d’un an après son arrivée. Parmi ceux qui s’obstinèrent à rester, certains, tel Ouseyni Diop, un brillant cadre sénégalais, se virent récompenser par la prison. L’enthousiasme patriotique de la population retomba lui aussi ; « l’investissement humain », ne conduisant pas à un mieux-être, comme cela avait été promis, passa de plus en plus pour une corvée insupportable. Les citoyens en nombre de plus en plus croissant s’en désintéressèrent et commencèrent à refuser de répondre aux appels des responsables du Parti pour l’exécuter. Au plan de sa politique extérieure englobant la coopération internationale, faute peut-être de n’avoir pas pu mettre clairement ses priorités en avant et au moment propice, la Guinée n’a pas non plus profité des nombreuses opportunités qui s’étaient offertes à elle. 30
Malgré les difficultés, les pays de l’Est, toujours l’URSS en tête, restèrent en Guinée ; ceux de Bandoeng avec en chef de file la République Populaire de Chine, aussi. Mais l’apport de ces partenaires ne put être optimisé. Ceux de Bandoeng tout en étant plus avancés que la Guinée, demeuraient des pays en développement. Outre la barrière linguistique qui les handicapait, ces deux groupes n’ont pas pu - force fut de le constater, pour de nombreuses autres raisons dont la moindre ne fut pas leur méconnaissance de l’Afrique - donner, malgré leur bonne volonté, la pleine mesure de leurs réelles capacités. Dans les domaines scientifiques et techniques, ils fournirent cependant aux institutions d’enseignement d’excellents professeurs, créant même une tradition dans le domaine des mathématiques où nos élèves et étudiants prirent une bonne longueur d’avance sur leurs camarades de l’Afrique de l’ouest. S’agissant des relations économiques avec l’Occident, principalement avec les Etats-Unis d’Amérique et la République Fédérale d’Allemagne, la coopération souffrait non seulement de nombreuses entraves inhérentes au choix de départ, « la Voie de Développement Non Capitaliste » qui symbolisait l’anticapitalisme et l’antilibéralisme, mais aussi du caractère propre au Président Sékou Touré et de ses limites intellectuelles qui ne lui permettaient pas une vision d’avenir capable d’ouvrir de réelles perspectives au pays. Les relations avec les Etats-Unis d’Amérique, tout en souffrant quelque peu des mêmes handicaps linguistiques et d’inexpérience en matière de coopération avec le continent que les pays de l’Est et de Bandoeng, étaient en plus victimes de préjugés originels du système politique adopté par la Guinée, des préjugés surtout d’ordre idéologique. L’inventeur, du moins l’adepte de « la Voie de Développement Non Capitaliste », ne pouvait pas, au risque de se renier, laisser le chef de file du capitalisme mondial agir librement en ses terres. Les Etats-Unis ne voyaient pas d’un bon œil l’utilisation de pratiques et de méthodes contraires à leurs usages, à leur éthique, en un mot contraires aux exigences de l’état de droit. Ils ne pouvaient pas accepter la répression qui commençait à s’abattre sur le pays. Ils ne pouvaient pas accepter non plus la négation de la 31
propriété privée, l’un des fondements de leur propre politique. Malgré toute leur volonté d’attirer le président guinéen vers l’ouest, ils n’ont pu infléchir ses positions que vers la fin de son pouvoir. Ils n’ont, de ce fait, jamais pu disposer d’une pleine latitude dans leurs interventions. De manière feutrée, à fleurets mouchetés, avec tout ce que cela suppose de méfiance, la partie était, d’un côté sans doute comme de l’autre, difficile à jouer. Pour toutes ces raisons, cette grande puissance, la première économie du monde, qui aurait pu contribuer au décollage économique du pays est souvent apparue timorée. Malgré tout, il y eut la participation de leurs sociétés à la création de la Compagnie des Bauxites de Guinée (CBG) dans la région de Boké. Il y eut aussi des dons de tracteurs et d’autobus, les autobus appelés « Kennedy » qui avaient inondé les rues de notre Capitale aux premières années de l’indépendance, et quelques autres actions de moindre envergure. A mon avis, en ouvrant ses portes à cette puissance au moment où se fissurait son isolement, au lieu de l’entrebâiller, comme ce fut le cas, la Guinée aurait à coup sûr connu un mieux-être et amorcé son développement. A l’époque, il fut prêté aussi à la République Fédérale d’Allemagne l’intention de faire de notre pays le modèle de sa coopération en Afrique de l’Ouest. Mais cette volonté n’eut pas le temps de s’exprimer pleinement. Elle fut freinée dès la dénonciation des premiers complots. Malgré ces occasions manquées, la diplomatie guinéenne, par les nombreuses initiatives qu’elle a prises sur les scènes OuestAfricaine, continentale et internationale, notamment dans le processus de décolonisation et dans l’intermédiation entre pays arabes, aurait pu jouer un rôle majeur dans l’évolution du pays. Elle aurait pu par exemple tirer un meilleur parti, comme d’autres chancelleries ont su si bien le faire, des temps de guerre froide et du monde divisé en deux blocs antagonistes de l’époque. Mais, l’obstination de son chef, le Président Sékou Touré qui la conduisait quasi directement lui-même, à toujours se créer des adversaires, - pour ne pas dire des ennemis -, surtout parmi les dirigeants des Etats voisins, et à s’en prendre souvent aux grandes puissances, principaux bailleurs de fonds, en a considérablement amoindri la portée. Le chef d’Etat guinéen s’en prenait par 32
exemple régulièrement au Président Léopold Sédar Senghor et au Président Houphouët-Boigny, et souvent et bien imprudemment à tout l’Occident moqué et insulté à longueur de journée dans les discours officiels, lors des réunions du Parti à tous les niveaux, dans les slogans, dans les deux médias d’Etat, les seuls du pays : la Voix de la Révolution, la radiodiffusion nationale, et le journal Horoya, tous deux organes du Parti, et plus tard à la télévision d’Etat, elle aussi télévision du Parti, et unique chaîne. Au lieu de se servir de la diplomatie comme un fer de lance de son développement, l’attitude constamment belliqueuse du Président Sékou Touré en a fait plus un champ de confrontation, avec un désir manifeste de briller par le clinquant, qu’un instrument efficace de pratiques utilisant le tact et la finesse au service d’une politique de bonnes et confiantes relations. Si elle avait été conçue et mise en œuvre comme un outil pacifique de progrès, la diplomatie aurait pu permettre à la Guinée de surmonter bien de ses difficultés. Comme on peut le voir, le départ du nouveau pouvoir fut, pratiquement à tous points de vue, manqué. L’énorme et premier défi, celui de faire fonctionner normalement dans toutes ses composantes l’administration, la clef de voûte de tout système gouvernemental, ne fut pas relevé. Le second, celui de capitaliser l’atout majeur constitué par l’élan patriotique de tout un peuple mobilisé et motivé, la détermination des cadres, de sa propre élite, et l’apport de spécialistes africains et étrangers de tous horizons, ne le fut pas non plus. A mon avis, ce départ manqué recèle en lui les principales causes de l’échec, de tous les échecs, mais aussi de tous les excès qui en ont été les conséquences. Le Président Sékou Touré, devenu entre-temps « Responsable Suprême de la Révolution » depuis le 8e congrès de son parti en 1967, ou Suprême tout court, ne voulut pas regarder les réalités en face. Bien au contraire, il mit en place une politique systématique de recherche de boucs émissaires en s’engageant dans une perpétuelle fuite en avant.
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D / De l’enseignement : L’enseignement, ce domaine vital qui conditionne la réussite de tous les autres domaines, fit l’objet de plusieurs réformes : Bien que la décision politique, et logique, de l’enseignement des langues guinéennes dans les écoles ait été tout à fait légitime pour un pays nouvellement indépendant, l’impréparation manifeste du lancement de cette réforme la fit déboucher sur un échec. Pour espérer réussir, ce qui ne paraissait évident à personne et que personne par peur de représailles de la Révolution, n’osait dire, il aurait fallu : - Faire appel à l’expertise de linguistes émérites ayant déjà réussi ailleurs à imposer l’usage d’une langue nationale à la place d’une langue étrangère. - Pousser, plus loin, plus longtemps et mieux, la réflexion, les recherches avant l’introduction des langues nationales (dont beaucoup sans dictionnaire, ni grammaire, ni textes de base déjà publiés). - Préparer scientifiquement l’outillage pédagogique indispensable à la réussite d’un tel enseignement, particulièrement les manuels pour les élèves et les livres des instituteurs et des moniteurs pour les différents niveaux et degrés d’enseignement, et cela dans toutes les disciplines. - Elaborer et expérimenter une pédagogie adaptée, ce qui aurait évité, comme ce fut souvent le cas, que chaque enseignant n’en fasse qu’à sa guise. - Aller par étapes, en observant des phases d’expérimentation pour des contingents limités et en aménageant des cycles d’adaptation et de réadaptation. - Choisir une ou deux langues, notre tout petit pays ne pouvant, dans ses quatre régions naturelles, se payer le luxe d’enseigner simultanément en six ou huit langues. Reconnaissons toutefois, que pour le régime, prendre une telle décision, était difficile politiquement, chaque région tenant légitimement à conserver sa langue propre. - Mieux préparer psychologiquement les populations toujours victimes inconscientes ou conscientes d’un complexe d’infériorité de langue de l’ancienne métropole. 34
La « reconversion » des mentalités tentée dans cet esprit, et sur d’autres chantiers, par le régime dès l’aube de l’indépendance fut sans doute pour lui l’une des entreprises les plus difficiles à mener… En quelques années de cet enseignement discrédité, les niveaux baissèrent considérablement. Au lieu d’un sage et nécessaire réexamen du dispositif mis en place, ce fut la fuite en avant : quatre langues dans un premier temps correspondant aux quatre régions naturelles de la Guinée, huit dans un second, ce qui exigeait en outre des instituteurs qu’ils soient originaires de la région ou bien apprennent et pratiquent la langue du crû. L’enseignement des langues et celui en langues nationales furent poursuivis malgré les nombreuses réticences. Parallèlement à l’enseignement des et en langues nationales, l’une des réformes les plus importantes menée dans ce secteur fut l’inscription de l’idéologie du Parti aux programmes scolaires et universitaires. Conçue au départ comme une nouvelle philosophie, cette discipline a eu tendance à se substituer à toutes les sciences sociales, à occuper une place de plus en plus prépondérante dans les emplois du temps et à bénéficier aux examens des coefficients les plus élevés. Sans la résistance du corps enseignant à tous les niveaux, l’admission ou le recalage des élèves et étudiants aux examens et concours, n’aurait été fonction que des notes obtenues en idéologie. Pour importante qu’elle fût, l’idéologie ne constituait pourtant pas le seul frein à l’évolution normale de l’éducation. Il fallait aussi compter avec le travail productif. Sans être en soi une mauvaise initiative, néanmoins par son caractère général et la place de plus en plus importante prise dans les emplois du temps, le travail productif éloignait l’école de sa mission première de formation durant une bonne partie de l’année scolaire. Dans la perspective de l’instauration d’un communisme rural, certainement d’inspiration « polpotienne » à la cambodgienne, le sommet de cette pratique, fut atteint quand le régime institua la treizième année. Tous les lycéens qui obtenaient la deuxième partie du baccalauréat étaient obligés, avant d’intégrer l’université, de passer une année entière à la campagne soi-disant pour participer à
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la production agricole ; production qui n’a nullement progressé, bien au contraire. A toutes ces activités extrascolaires, s’ajoutait, autre facteur d’éloignement des élèves et des étudiants de leurs classes et amphithéâtres, la participation, obligatoire, elle aussi, à la vie du Parti : assemblées générales, réunions hebdomadaires des jeunes dans les quartiers, défilés et autres tribunes colorées à la coréenne organisés lors des réceptions d’hôtes de la République, des commémorations, des fêtes - et des fêtes il y en avait ! Mais l’une des carences qui a laissé les lacunes les plus profondes dans l’enseignement fut le manque crucial de manuels scolaires, de livres de référence pour les professeurs et les maîtres, et de bibliothèques dans les établissements scolaires et universitaires… A l’un de ses collègues qui réclamait des manuels au cours d’un séminaire pédagogique organisé à Conakry, Kapet de Bana, le Camerounais cité plus haut, professeur de philosophie, devenu par la force des choses (de la Révolution), professeur d’idéologie, a répondu par ces propos qui ne semblaient pas relever de la boutade : « Mon cher collègue, vous n’avez rien compris à l’enseignement révolutionnaire ! Tout ce que vous recherchez dans les autres livres, en particulier dans les manuels scolaires, se trouve dans les œuvres du (PDG/RDA) ! » Et son collègue de lui demander : - Même les mathématiques, la physique, la chimie, les sciences naturelles, les sciences tout court, la géographie ? Et le professeur attitré d’idéologie de persister et de signer : -.Je dis tout, tout se trouve dans les œuvres du (PDG/RAD). » C’est dire l’ambiance de démagogie dans laquelle on s’aveuglait. Les œuvres du Parti Démocratique de Guinée (PDG/RDA), étaient pour l’essentiel des discours du Président Sékou Touré ou du Responsable Suprême de la Révolution, rassemblés en tomes, et quelques poèmes révolutionnaires de militants déclamés au cours de cérémonies révolutionnaires par des démagogues, plus zélés qu’inspirés. 36
La mise en œuvre systématique de toutes ces pratiques dans le domaine éducatif aggrava l’exode qui avait déjà débuté dans plusieurs autres secteurs ; des élèves et étudiants, des maîtres et professeurs prirent massivement le chemin de l’étranger. E / De l’économie : Concomitamment à ces difficultés sectorielles, l’un des plus grands défis à relever fut celui de l’économie, outil capital de survie et de développement d’un système politique. Le peuple, même s’il n’ignorait pas « la préférence de la pauvreté dans la liberté à la richesse dans l’esclavage », devait être nourri et voir ses besoins vitaux satisfaits, à défaut de vivre décemment. Les approvisionnements en biens de consommation courante qui venaient de l’ancienne métropole ayant été interrompus, les commandes très souvent sous forme de « clearing » ou de « troc » furent adressées « aux amis » de l’est qui y répondirent favorablement. Mais les produits en provenance de ces pays étaient soit inadaptés, soit de qualité jugée inférieure par les populations par rapport à ce qu’elles avaient l’habitude de consommer. C’est à l’époque que sans doute, par exagération, on parla d’arrivée de chasse-neige en Guinée. Tant bien que mal on surmonta cependant des difficultés. Il fallut par la suite que l’équipe dirigeante conçoive dans les détails (pas seulement dans ses lignes générales) et applique sa propre politique pour bâtir une économie nationale. Plus un slogan à consommation locale qu’une véritable théorie économique structurée, la «Voie de Développement Non Capitaliste », étape supposée intermédiaire avant le socialisme intégral pour laquelle le régime avait opté comme cadre général d’action, ne résista pas longtemps aux réalités. Elle montra rapidement ses limites avant de connaître un échec total. Le plan triennal mis en œuvre du mois de juillet 1960 à la fin de l’année 1963 échoua. Il en fut de même du plan septennal qui fut lancé le 1er mai 1964. Pour l’essentiel, cette doctrine, calquée en fait sur le modèle d’économie dirigée des « grands frères » communistes de l’époque, se traduisait par une prétention illusoire de répartir le bonheur à l’aune de la Révolution, en appauvrissant les riches pour enrichir 37
les pauvres. Comme toutes les utopies qui « toupillent » sur ellesmêmes en s’enfermant dans des bulles, la Révolution guinéenne a constaté en en sortant, bien tardivement hélas, le résultat sur lequel elle ne pouvait pas ne pas déboucher : l’appauvrissement général par la généralisation de la misère. 1 - Les voies de communication : A mon avis, la priorité aurait dû être donnée aux voies de communication : routes, chemins de fer et pistes etc. Au lieu de prendre une telle décision on préféra construire aussitôt des usines sans faire précéder ces réalisations de la formation indispensable des compétences pour leur gestion. Les articles sortant de ces usines furent rapidement discrédités auprès des populations qui ne les achetaient qu’à défaut de trouver autre chose sur le marché. Un trafic intense s’établit rapidement à toutes les frontières du pays au détriment de l’économie nationale qui se fragilisa rapidement. La construction prioritaire des voies de communication aurait, à mon avis, permis de relier d’une part les nombreuses et riches zones rurales de production du pays aux grandes agglomérations de consommation et, d’autre part, ces centres urbains entre eux, en sorte de faciliter la circulation des personnes et des biens, ce qui à terme aurait permis la création de richesses, condition sine qua non du développement. 2 - L’agriculture : L’agriculture aurait pu, elle aussi, constituer un atout de premier ordre dans un pays aux terres particulièrement riches et aux ressources abondantes en eau, si l'on avait laissé le paysannat libre de ses initiatives, en lui apportant une aide, y compris technique, tout en procédant aux aménagements adéquats dont la maîtrise de l'eau devait être l'une des composantes principales. Nous ne semblions ou ne voulions pas voir l’éclatante réussite de l’agriculture de la Côte d’Ivoire qui se déroulait tout à côté. Non seulement le régime n’a ni conçu ni mené une politique agricole efficace, mais la collectivisation de l’agriculture et surtout le paiement obligatoire en nature à l’Etat de normes dites de 38
production, forme rhabillée aux couleurs de la Révolution de l’effort de guerre de triste mémoire, la firent échouer. Cet échec eut notamment pour conséquence entre autres, un exode rural sans précédent. Les campagnes, naguère greniers féconds, se vidèrent de leurs bras valides et le niveau des cultures vivrières autrefois suffisant pour nourrir les populations, amorça une baisse vertigineuse. Les cultures d'exportation amorcèrent elles aussi une trajectoire déclinante. La banane, le café, les palmistes, l’ananas, naguère fleurons de l’agriculture d’exportation du pays, cessèrent eux aussi de figurer sur les tablettes des grands négociants. La pauvreté déjà enracinée dans les campagnes s’aggrava. Elle gagna rapidement les villes qui commencèrent à leur tour, elles aussi, à se vider de leurs forces vives pour l'exil. Le flot de réfugiés guinéens dans les pays limitrophes, Côte D’Ivoire, Sénégal, Mali, Liberia, Sierra Leone, Guinée-Bissau, et hors du continent avait été estimé à l’époque à plus de deux millions de personnes. 3 - L’énergie : L’énergie, qui aurait pu, par la mise en valeur des immenses ressources hydroélectriques, donner une impulsion à l’économie, ne fit pas l’objet d’une attention conséquente, malgré la réalisation de deux barrages à usages locaux à Kinkon dans le Fouta-Djalon et à Sincéry en Haute Guinée. Pourtant, après le règlement du contentieux franco-guinéen, et suite à une mission exploratoire de reprise des relations conduite en 1968 auprès du Général de Gaulle par le Président de l’Assemblée Nationale Saïfoulaye Diallo, la France avait montré de bonnes dispositions en ce domaine avant même la reprise des relations diplomatiques sous le Président Valery Giscard d’Estaing en 1975. Avec une volonté politique nette et une ambition affichée dans ce domaine, la Guinée aurait pu disposer d’une production conséquente et même exporter de l’électricité.
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4 - Les mines : Nécessairement liées à l’énergie, les mines auraient pu elles aussi donner une impulsion au progrès dans le pays. Mais pratiquement tout le poids de l’économie reposait sur elles. Les conventions assez bien négociées en ce domaine généraient des ressources appréciables, mais toutefois insuffisantes pour assurer à elles seules les approvisionnements en produits et denrées de première nécessité, le paiement des salaires à un niveau décent, la couverture du service de la dette. Le recours à des financements extérieurs d’envergure, même quand cela s’avérait nécessaire, ne s’est jamais inscrit dans les priorités du régime. De ce fait, la dette du pays à cette époque, n’a jamais été très élevée. Le Président Sékou Touré, le Suprême, qui craignait d’hypothéquer la souveraineté nationale et de faire retomber le pays sous un nouveau joug, celui de la dette, eut comme visée une maîtrise de l’inflation. Les taxes et les autres formes de perception qui forment habituellement l’assise du budget, ne rentraient ni régulièrement ni à un niveau suffisant, en raison d’une part du fonctionnement inefficace et déficient de l’administration, d’autre part de la paupérisation grandissante de la population. L’accumulation des échecs a contribué à rendre le pays exsangue. L’extrême faiblesse de son économie fut le tendon d’Achille du régime. L’économie guinéenne ne put assurer une survie correcte des populations, à plus forte raison jouer le rôle d’un véritable outil de développement. F / Des arts et des sports : Les exceptions qui confirment la règle, pourraient être les arts et le sport. En effet, les arts et le sport, connurent sous le régime un certain épanouissement, même si en ces domaines les arrière-pensées politiques n’étaient jamais absentes. La Guinée remporta le prix de la meilleure pièce de théâtre au Festival Pan Africain d’Alger et la coupe africaine des clubs champions de football à trois reprises. Il s’agissait pour l’essentiel d’un art et d’un sport, le théâtre et le 40
football en particulier, très militants qui avaient surtout mission de promouvoir la Révolution et de la défendre. A propos de feux d’artifice, un célèbre souverain disait déjà depuis le 17e siècle : « Les peuples se plaisent aux spectacles, par là nous tenons leur esprit et leur cœur. » G / Du choix des hommes : Bien que la revendication ait été dans tous les esprits depuis la loi-cadre Gaston Defferre, c’est seulement en 1972 lors du neuvième congrès du Parti tenu à Conakry du 24 au 26 avril qu’est apparu officiellement pour la première fois le slogan « l’homme qu’il faut à la place qu’il faut » sonnant comme un aveu, car il signifiait qu’avant ce congrès, on ne nommait pas les hommes qu’il fallait aux places qu’il fallait. Mais malgré ce slogan mille fois répété à chaque instance du Parti, le choix des hommes pour mettre les politiques en œuvre, ne fut généralement pas judicieux. Il était caractérisé par le népotisme, le trafic d’influence et la démagogie. Autodidacte, le Président Sékou Touré avait les défauts de ses qualités. Ayant malgré sa courte scolarité accédé à de hauts postes, syndicaux et politiques, il pensait que n'importe qui pouvait occuper n'importe quelle place. Par ailleurs, il méconnaissait aussi la psychologie des motivations au travail : pour lui, sans doute, la foi révolutionnaire suffisait-elle pour bien faire ce qu’on avait à faire. Dans le même esprit, les salaires dans le système n'ont jamais correspondu ni au niveau de responsabilité, ni au volume de travail. Lui-même, n’était notoirement pas un homme d’argent. Bien qu’ayant possédé des propriétés d’un standing élevé, dont deux en bordure de mer dans la Capitale, il ne semblait pas, il faut le reconnaître, porté vers l’aspect matériel des choses ou l’enrichissement personnel. En toile de fond de toute cette grisaille de la politique menée par Sékou Touré et son régime, sa Révolution, tous les domaines de l’administration, de l’éducation, de l’économie, du choix des hommes, de la diplomatie ont pâti des deux options initiales : la substitution du Parti à l’Etat et « la Voie de Développement Non Capitaliste ». En voulant absolument tout faire, et par ses militants quel que soit le niveau de leur qualification, le Parti-Etat brisa l’esprit d’initiative et les forces libérées par l’indépendance. Il ne 41
laissa aucune possibilité de s’exprimer au savoir et au savoir-faire des Guinéens réputés entreprenants, intelligents et travailleurs, en les enfermant, à son image, dans un dirigisme obscurantiste étroit.
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CHAPITRE III
LES COMPLOTS
L’invention des complots par le régime relève de plusieurs explications qui, à mon avis, se ramènent à une seule : se maintenir à tout prix en masquant ses échecs. Le prix hélas, ce furent des arrestations, des détentions arbitraires, des exécutions extrajudiciaires, en un mot le malheur pour tout un peuple. Si dès les premiers pas de sa Révolution le Président Sékou Touré a éliminé de potentiels adversaires politiques, en les accusant faussement d’avoir conspiré contre lui, c’était pour se maintenir. S’il a par la suite mis en chantier des complots en série, en créant et en éliminant d’imaginaires adversaires, c’était encore dans le même but : se maintenir au pouvoir. Avec son départ manqué, c’est à mon avis, la faillite du système économique, et les conséquences désastreuses de cette faillite sur la société guinéenne, surtout la menace qu'elle pouvait faire peser sur la survie même du régime, qui a été à la base de l’invention des complots. Si l’économie avait été florissante durant cette période, l’Histoire en Guinée n’aurait sans doute pas connu le cours qu’elle a suivi. Pour s'autoprotéger, en se justifiant de ses échecs et en tentant à chaque fois de faire accepter au peuple les prétendues causes des souffrances qu’il endurait de plus en plus et qu’il supportait de moins en moins, le régime, adopta la politique de l’autruche. Les boucs émissaires en nombre croissant furent dénoncés, arrêtés, jetés en prison, torturés, condamnés à des peines très lourdes (toujours accompagnées de confiscation des biens), de dix, vingt ans de réclusion ou perpétuité. Beaucoup sont morts pendus, fusillés ou par suite d’inanition. La spirale engagée ne s’arrêtera plus jusqu’à la fin de l’ère de la Révolution. En effet, un complot naissait de manière cyclique, 43
presque chaque année. Il arrivait aussi que deux ou plusieurs fussent volontairement imbriqués en s’appuyant sur de réelles ou de pseudo-dénonciations. Avec l’adjectif permanent que le Responsable Suprême de la Révolution a lui-même choisi pour qualifier le « phénomène », il est bien difficile de déterminer le nombre des complots avec exactitude. Je ne cite donc que les plus connus ; ceux qui ont fait l’objet des plus grandes propagandes dans les médias rendant compte des travaux des instances du Parti, de ses réunions publiques, etc. Dès 1959, moins d’un an après l’indépendance, un complot dit des anciens combattants du village de Timbi-Madina au FoutaDjalon fut dénoncé. Le village fut pratiquement rasé et les anciens combattants massacrés. Leur liste n’a jamais été rendue publique. Pour asseoir son Autorité, il s’agissait pour le nouveau Pouvoir, de faire un exemple par la terreur. 1960, 20 avril, complot dit de l’iman El hadj Fodé Lamine Kaba du quartier Coronthie de Conakry et de ses prétendus complices. Cet homme d’une lointaine origine Kankanaise était, par son érudition et sa sagesse, l’un des notables les plus respectés de la Capitale. Ce complot fut le seul où les corps des personnes exécutées auraient été rendus à leurs familles. Le régime qui n’en était qu’à son stade d’apprentissage en matière d’écrémage de la population, considérera plus tard, en le regrettant, que ce geste fut l’une de ses erreurs. 1961-1962, lié au précédent, le complot dit des intellectuels formés en France avec pour supposé chef de fil un certain Ibrahima Diallo. Ancien président de l’Union des Etudiants et Elèves Guinéens en France, ce juriste de formation, originaire de Labé au Fouta-Djalon, était l’unique cadre guinéen à avoir les qualifications d’inspecteur du travail. Pour avoir voulu, conformément à la Constitution, créer un parti politique, « le Parti Progressiste Guinéen (PPG) », Ibrahima Diallo fut accusé d’être l’organisateur d’une conspiration ; et lui et toutes les personnes qui se sont risquées à adhérer à son parti, ses supposés principaux complices, dont un certain Lamine Traoré, un célèbre magistrat guinéen, un certain Fodé Touré dit gros Fodé ingénieur agronome, ont été arrêtés, mis en détention et tous exécutés à l’exception d’un certain 44
Rossignol, de nationalité française, qui aurait réussi à fuir dans un petit aéronef. 1961. le 18 Novembre - Le complot dit du syndicat des enseignants et du syndicat de la santé. La principale raison de ce complot était que le régime cherchait à écarter de son chemin le leader syndicaliste enseignant Koumandian Kéïta devenu très populaire dans le pays et en Afrique de l’Ouest à cause du rôle de plus en plus prépondérant qu’il jouait dans le mouvement syndical. Instituteur de la seconde génération formée durant la colonisation, il était originaire de la région de Kouroussa, précisément du village de Koumana dont il faisait la fierté. Sékou Touré, avant son accession à la présidence de la République, voyait en cet homme et en ses camarades syndicalistes, jeunes intellectuels en général, situés politiquement très à gauche, de dangereux adversaires à éliminer. A ce complot dit du syndicat des enseignants, il y avait une seconde raison. Le 1er mars 1960, la monnaie nationale était créée. Le Franc guinéen, remplaçait le Franc de la Communauté financière africaine (C.F.A), unité monétaire légale qui était et est toujours en circulation dans certains Etats africains. Pensant que la France, malgré le maintien du qualificatif franc, n’allait pas rester sans réagir à la coupure de l’un des derniers liens tacitement maintenus avec elle par son ancienne colonie, le régime prit les devants par ce complot en arrêtant tous les cadres supposés être des amis de la France. Peut-être que la Révolution, à l’âge que j’avais, me considérait déjà comme un ami de la France ; mineur à l’époque, élève au Cours Normal de Kindia, j’avais, comme je l’ai déjà indiqué, été arrêté, emprisonné au camp Boiro et mis à la diète… 1964, autre complot dit des Guinéens de l’extérieur supposé conduit de France par le célèbre historien Ibrahima Baba Kaké et de l’intérieur par Ousmane Baldet, premier gouverneur de la Banque Centrale du pays. Ibrahima Baba Kaké, originaire de Kankan était l’un des tout premiers et rares universitaires, guinéens et même Africains, à avoir réussi le concours de l’agrégation en France. 1965, 9 novembre - complot dit des commerçants ou de « Petit Touré » de son vrai nom Mamadou Touré, ex-directeur de la 45
Société Nationale des Textiles (Sonatex). Icône de la branche Kèmè Bouréma Touré, dont il descendait directement, cet homme avait la réputation d’être très généreux, intelligent et surtout courageux. Avant de se réinstaller en Guinée d’où il était parti du temps de la colonisation, il aurait déjà eu maille à partir avec le Président Houphouët- Boigny en Côte D’Ivoire. Il était un cousin du Président Sékou Touré. Se sentant en désaccord avec l’option économique, politique et sociale du PDG/RDA, il avait décidé lui aussi de créer un parti politique, le Parti de l’Unité Nationale de la Guinée, (PUNG). Les Guinéens de cette époque s’en souviennent, le Président Sékou Touré, après avoir publiquement rappelé dans un discours la liberté pour chaque citoyen de créer une formation politique conformément aux dispositions de la Constitution, avait, sous forme de défi, promis de fournir gratuitement des véhicules aux possibles opposants pour l’implantation de leurs partis et pour leurs campagnes électorales sur toute l’étendue du territoire. Malgré cette assurance et cette promesse, le (PUNG) ne sera pas autorisé. Arrêté lui aussi, comme Ibrahima Diallo, pour le même motif de fausse conspiration, Petit Touré, un de ses frères du nom de Kèlèti Touré et les membres fondateurs de son parti dont Bangaly Camara, ancien ministre de l’information, l’un de mes bienfaiteurs de 1961, Jean Faragué Tounkara, ancien membre du (BPN), ancien ministre de la jeunesse, Mme Loffo Camara ancienne ministre des Affaires Sociales et d’autres personnalités seront dans leur majorité exécutés en prison. L’assurance et la promesse données publiquement se sont révélées être un dangereux piège. 1965, complot supposé lié au précédent. Des militaires et des civils sont arrêtés. 1969, année particulièrement prolifique en complots. 1969, - mois de mars-, un complot supposé lié à celui de 1965 ou d’en être une ramification, complot dit Kaman-Fodéba ou complot des officiers, est dénoncé. Fodéba Kéïta, originaire de Siguiri, était plus connu comme artiste chorégraphe et écrivain que comme homme politique. Il est le fondateur des célèbres ballets qui portaient son nom « Les Ballets Africains de Kéïta Fodéba » et qui ont parcouru le monde entier collectant succès sur succès ; ces ballets, nationalisés par la Révolution, deviendront plus tard « Les 46
Ballets Africains de Guinée » ; c’est lui aussi qui a immortalisé la légende de Ballakè, une des victimes les plus connues de la colonisation en Guinée à travers son récit «Minuit» devenu un classique de la littérature africaine ; après l’indépendance, il avait été successivement Ministre de la Défense Nationale et Ministre de l’Intérieur et de la Sécurité. Quant au colonel Kaman Diaby, originaire de la même ville que le Président, Faranah, il était l’un des officiers supérieurs les plus respectés de notre Armée. A la suite des Coups d’Etat qui ont renversé les Présidents Kwame Nkrumah du Ghana au mois de février 1966 et Modibo Kéïta au Mali le 19 novembre 1968, le Responsable Suprême guinéen a cru que la prochaine fois, ce serait son tour. Il a alors encore voulu prendre les devants en inventant de toutes pièces, un autre complot. Les principaux supposés complices civils de Kaman Diaby et de Kéïta Fodéba étaient Karim Fofana brillant ingénieur originaire de Forécariah en Basse Côte formé à L’Ecole des Mines de Nancy, son frère Abdoulaye Fofana sorti de L’Ecole Polytechnique de Lausanne de Suisse, son beau-frère Aribot Soda de la grande famille des Aribot de Conakry et Baïdy Guèye un opérateur économique originaire de Dinguiraye en Haute Guinée. Un nombre important de militaires de tous grades dont beaucoup d’officiers, furent arrêtés. En très grande majorité, civils comme militaires furent été exécutés. -1969, un complot portant le nom d’un certain Bruno Freitag Hermann Seibold, un coopérant allemand, est dénoncé. Ce formateur hors pair, réputé éminent manager et formateur, mourra en détention dans des conditions non élucidées. Etait-ce suite aux tortures subies ou se serait-il suicidé comme l’ont prétendu les officiels guinéens ? Il dirigeait l’école professionnelle technique de Bordo dans la banlieue de Kankan, l’une des meilleures écoles du genre en Afrique de l’Ouest. A travers Seibold, et ses compatriotes travaillant avec lui à Kankan dans la discrétion et l’efficacité, la République Fédérale d’Allemagne voulait faire de la formation professionnelle, maillon essentiel du développement économique qui manquait cruellement dans nos filières, un modèle de sa coopération avec la Guinée en Afrique de l’Ouest. Un être cher perdu pour sa famille, un citoyen de valeur perdu pour son pays. Une chance, encore une, de perdue pour la Guinée. Ce complot fut 47
lui aussi présenté comme lié au complot Kaman Diaby et Fodéba Kéïta. 1969, dénonciation d’un nouveau complot ramification dit de Kaman Diaby-Fodéba Kéïta. 1969 encore, est dénoncé un nouveau complot dit de Tidiane Kéïta. Tidiane Kéïta, originaire de Siguiri, un jeune drogué pour certains, un déséquilibré pour d’autres. Drogué ou déséquilibré, le fait qu’il ait agi tout seul, qu’il se soit attaqué sans arme et en public, - c’était lors de la visite officielle du Président Kenneth Kaounda de Zambie -, à un chef d’Etat sous escorte, le fait qu’aucun de ses supposés complices, ni militaire ni civil, n’ait été présent sur les lieux pour l’assister, laissa les guinéens d’abord perplexes, ensuite pleinement dubitatifs quand son acte fut présenté comme un grand complot militaro-civil. Tidiane Kéïta fut luimême tué sur place, lynché a-t-on dit. 1970-1971, le complot dit de la Cinquième Colonne, le plus dévastateur, le plus meurtrier aussi de tous. Celui dans lequel des milliers d’innocents, dont moi-même, ont été les victimes. 1976. complot dit de Diallo Telli ou complot peulh. Telli Boubacar Diallo originaire de Mamou au Fouta-Djalon, plus connu sous le nom de Diallo Telli, ministre de la Justice au moment de son arrestation, ancien Secrétaire général de l’Organisation de l’Unité Africaine, ancien représentant permanent à l’ONU, ancien ambassadeur à Washington, ancien président du comité de l’ONU sur l’apartheid, et ses compagnons arrêtés le 24 juillet 1976, est mort de diète noire le 1er mars 1977 à la suite de sa soumission à cette terrible épreuve avec d’autres codétenus du 13 février au 1er mars 1977. Une des pages les plus sombres et les plus indignes de toute notre histoire à cause de la connotation ethnique donnée à ce complot. Celui-ci m’a trouvé en détention. A tous ces complots, il faut ajouter bien d’autres qui ont été dénoncés de 1976 à 1983 et où de nombreuses personnes furent arrêtées. Durant ce que le régime qualifiait lui-même parfois « de purges drastiques » ou « d’extirpations de mauvaises graines », d’autres supposées conspirations n’ont été que baptisées ; celles-ci, en fait, il les gardait en réserve sous le coude avec des listes dressées pour maintenir une « tension dite révolutionnaire » et s’en 48
servir à un moment opportun. Il menaçait à tout moment de les dévoiler. Enfin 1983-1984, le tout dernier, qui s’apprêtait à recevoir son nom de baptême, « Complot des Gens de Kouroussa », était en incubation avec des listes de noms de personnalités réputées très proches du Chef. Il s’agissait pour la Révolution, toujours dans le but de justifier ses échecs et de poursuivre sa fuite éperdue en avant, d’arrêter un grand nombre de cadres civils et militaires de cette ville. Mon ami, le ministre Mamadi Kéïta, qu’aucun esprit sain de la Guinée de l’époque ne pouvait soupçonner de trahison envers le Responsable Suprême de la Révolution qui était son beau-frère, y aurait figuré. C’est celui-ci même en personne qui le lui aurait appris en feignant de lui exprimer toute sa déception et en promettant de lui infliger un châtiment à la hauteur de son forfait. Mamadi qu’il savait innocent. Des listes comme celle-là on les faisait sciemment circuler pour, comme d’habitude, faire monter la tension dans le pays avant le déclenchement des arrestations. Ce dernier complot s’annonçait lui aussi dévastateur et meurtrier. Mais l’homme propose, Dieu dispose. Le Suprême mourut avant de dévoiler la liste fatale. La politique qui a abouti à l’abomination qu’a connue la Guinée a été, à mon avis, conçue et appliquée de manière délibérée. Selon certains psychologues, le plus difficile chez un malfaiteur, est le premier mal qu’il commet. C’est celui-ci qui est susceptible de provoquer chez lui l’insomnie. En en commettant d’autres, si rien ou personne ne l’arrête, il ressent moins de remords. Il s'endurcit. Toute thérapie qui s’installe dans la durée engendrant chez le patient un phénomène de dépendance, le malade, si l’on ne lui propose pas un autre remède, pour se sentir soulagé s’oblige à augmenter régulièrement sa dose ; tout médicament étant en fait une drogue, avec répétition de sa prise et augmentation de la dose, il devient dangereux. Quand le malade ou la maladie est un Pouvoir qui cherche à tout prix à se maintenir, en arrêtant injustement des innocents, en les emprisonnant, en les torturant, en les faisant disparaître, en les exécutant, cela devient effroyable. Une autre cause de la fuite en avant de la Révolution fut, aussi curieux que cela puisse paraître, un pari et un pari risqué s’il en 49
était. Sûr de sa victoire, aveuglément confiant en son option économique « la Voie de Développement Non Capitaliste » et sachant que son frère ennemi du Rassemblement Démocratique Africain (RDA), le Président Houphouët-Boigny avait emprunté le chemin inverse, celui de l’économie de marché, le Président Sékou Touré avait engagé unilatéralement sur les ondes de la Voix de la Révolution et dans le journal Horoya , un pari, en prenant rendezvous entre la Côte d’Ivoire et la Guinée pour savoir lequel des deux pays se développerait le plus à la fin de la première décennie de leur indépendance. Dès le lancement de cette compétition inédite dont il avait escompté tirer avantage au plan politique, à l’allure où évoluèrent les choses, le Président Sékou Touré comprit assez tôt qu’il allait perdre la face. La Guinée, déjà atteinte de leucémie économique, de régression en régression, déclinait irréversiblement, alors que la Côte d’Ivoire, sous la conduite de son leader et bénéficiant fortement de l’appui de l’ancienne métropole qui, à défaut de la conserver dans son giron, voulait en faire une vitrine du modèle capitaliste face à la Guinée nouvelle dite socialo-communiste, volait de succès en succès économique. La perte de ce pari creusa le fossé entre la Guinée et la Côte d’Ivoire. Au lieu de faire courageusement son autocritique en examinant objectivement les causes de sa déconvenue, de remettre en question son option et de prendre les mesures en conséquence, le Président Sékou Touré se réfugia dans son obstination. Il tenta, en déployant beaucoup d’énergie, de discréditer l’avance régulière et considérable prise par la Côte d’Ivoire et par le Sénégal, demeurés eux amis de la France, même si dans le cas du Sénégal, il n’y avait pas eu de pari déclaré avec le Président Léopold Sédar Senghor. Blessé dans son orgueil, avec une extraordinaire furie feinte ou réelle, il déclencha de foudroyantes et interminables guerres radiophoniques contre ces deux pays, leurs présidents, leurs choix politiques et économiques en les accusant régulièrement d’être les laquais de la France et d’être à la solde de celle-ci pour fomenter avec elle des complots contre la Guinée. Dans le cas spécifique du complot dit « de la Cinquième Colonne », la justification des échecs économiques, politiques et sociaux du régime se doubla d’un nouvel élément : concevoir de 50
toutes pièces une théorie pour ne pas laisser éclater au grand jour la vulnérabilité du système. Malgré la victoire proclamée du pays sur l’agression, le 22 novembre 1970, pour le Suprême, il se posait un problème. Il y avait même danger : la Révolution Guinéenne, la plus forte, la mieux organisée de toute l’Afrique, « le Peuple en Armes », comme le clamaient les slogans du Parti, ne saurait être déstabilisée, même pendant quarante-huit heures, par une poignée de mercenaires, leur nombre avait été estimé à environ 400. Pour lui, laisser s’accréditer une telle idée dans l’opinion publique, nationale et internationale aurait présenté un danger mortel. Selon lui, l’expédition du Portugal aurait pu inspirer d’autres intentions malveillantes et inciter de futurs agresseurs à mieux s’organiser et à tenter de le renverser avec un nombre plus important d’hommes. Il fallait donc faire croire que les agresseurs, pour avoir osé s’attaquer, comme ils l’ont fait, à la citadelle imprenable dont la Révolution guinéenne voulait donner l’image, avaient non seulement bénéficié de l’aide de pratiquement tout l’Occident, de la Côte d’Ivoire et du Sénégal, mais s’étaient appuyés sur une vaste complicité intérieure. Le chiffre de 80 000 avait été avancé. C’est la préparation de cette thèse qui explique le temps mis entre le 22 novembre 1970, date de l’agression, et le déclenchement proprement dit de la grande vague d’arrestations de 1971. Il fallait l'élaborer cette thèse, l’affiner, la répandre avec force propagande, dresser des listes, préparer l’arrestation du plus grand nombre possible de personnes pour exhiber à la face du monde la preuve de la complicité intérieure par l’existence d’une vaste « Cinquième Colonne ». Au moment de cette préparation et de la mise en œuvre de la stratégie, gare à vous, si vous êtes brillant ou compétent en quelque domaine que ce soit ; gare à vous, si par malheur vous êtes considéré comme un « nanti », possédant quelque bien ; gare à vous, si par votre courage, vous avez joué un rôle déterminant dans une situation compromise ; gare à vous, si votre fiancée ou votre épouse, qui tient à vous, est belle ; gare surtout à vous, si un devin sans scrupules diaboliquement mû par l’appât du gain, révèle par de faux oracles que quelqu’un portant un nom comme le vôtre ou ressemblant au vôtre serait susceptible de remplacer un jour le 51
Suprême ; gare à vos homonymes aussi. En une seule nuit à Kankan, ville où les personnes portant le nom de famille Kaba sont largement majoritaires, après une dénonciation mensongère, 14 Talibis Kaba, dont des tout petits, furent arrêtés, emprisonnés avant qu’on ne choisisse le supposé bon entre eux ; ce fut Talibi Kaba, un commerçant qui portait le curieux surnom de Weygand … ; gare à vous si, gare à vous si…
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CHAPITRE IV
DES COMPLOTS REELS OU FICTIFS
Des récits, des mémoires, des autobiographies, à mon avis très peu jusqu’à présent, ont été écrits et continueront certainement de l’être sur Sékou Touré et sur les complots de son régime. Pour traiter un sujet si complexe couvrant plus d’un quart de siècle de l’histoire d’un pays, l’honnêteté commande de faire preuve de mesure. De nos jours encore, certains pensent que c’est la politique d’isolement menée contre la Guinée dès les premières heures de son indépendance par l’ancienne puissance colonisatrice qui y a, d’une manière ou d’une autre, généré des complots. D’autres croient que s’il paraît difficile d’affirmer qu’aucun complot n’a jamais été fomenté contre la Guinée, qu’il paraît tout aussi irréaliste de soutenir que tous les complots dénoncés ont effectivement été perpétrés, et que les centaines de personnes qui en ont été victimes ont été coupables. En me limitant à mon cas, j’étais innocent. Ni le Comité Révolutionnaire National, ni aucun de ses démembrements, ni aucune autre instance, ni aucune juridiction compétente, ni personne, n'ont jamais prouvé une quelconque culpabilité me concernant. M'arrêter de ce fait alors que je suis innocent, me torturer par la diète et des sévices corporels, m’entendre dire que le Comité Révolutionnaire voulait me faire juger, sans aucune défense ni tribunal formel, par des tribunaux dits populaires et révolutionnaires, des instances n'ayant aucune existence légale en Guinée où les faits reprochés étaient supposés se passer, me détenir durant sept ans, saisir tous mes biens sans aucune justification, tout cela ne peut en aucun cas fonder une conviction de culpabilité, a fortiori sans soupçon d’erreur ou de faute. L'erreur ou la faute, quand elle prête à conséquence en faisant des victimes innocentes, même une seule, même quand elle est 53
isolée ou constitue une exception, doit poser un cas de conscience, se résoudre rapidement et être suivie de réparation. Ne nous limitons pas à mon seul cas. Durant toute ma pénitence, je n'ai pas rencontré un seul codétenu qui m'ait dit qu'il fût coupable. Au cours de plusieurs années passées dans la plus étroite promiscuité, il est difficile pour un homme de ne pas se découvrir, se trahir même une seule fois, même au détour d’une phrase qui lui échappe malencontreusement, même un seul jour… La vérité est que dans le système, au lieu de mettre l’orientation et les méthodes du Parti en cause, ce furent à des hommes, (rendus responsables de leurs supposées défaillances individuelles ou collectives, et considérés comme des traîtres et des saboteurs aux actions maléfiques) que l’on fît endosser la responsabilité des échecs de la Révolution. Ce sont eux qui furent pointés du doigt. A coup de slogans bien répandus à l’époque, du genre « les traîtres au poteau », la Révolution, tout en continuant à enfoncer le peuple dans la misère et la terreur, au fil de ses échecs et durant toute son existence, réclama continuellement des têtes. Et des têtes, il en faisait tomber. A / Du phénomène des complots : La répétition des complots devenus progressivement le fondement d’une politique de l’injustice et de l’arbitraire, donnait l'impression qu’ils étaient systématiquement planifiés dans le temps. En effet, devant la situation économique qui empirait de plus en plus, après chaque difficulté majeure rencontrée, le Suprême annonçait à la Voix de la Révolution et dans Horoya, et parfois plusieurs mois avant le déclenchement d'une vague d'arrestations, qu'un complot se préparait. Il disait suivre personnellement l'évolution de cette préparation et en connaître les instigateurs. Il est souvent arrivé aussi qu'au beau milieu d'une conférence, de la réunion d'une instance du Parti ou d'un meeting, qu’il pointe du doigt l'assistance ou la foule chauffée à blanc en criant : « Ils sont là parmi vous, assis dans les fauteuils, ou debout dans vos rangs! » Cette phase de gestation du « complot » permettait à la Révolution de faire incuber au maximum la peur au sein de la 54
population, d’annihiler en elle son système de défense immunitaire contre l’injustice, de créer une situation dans laquelle chacun se sachant innocent, pensait que l'autre ou les autres étaient les coupables. Lors du complot dit de la Cinquième Colonne, le Suprême avait déclaré des mois à l'avance que le pays allait être agressé. Il le fut. Curieusement, malgré le maître mot de vigilance qui était le credo sur toutes les lèvres dans les villes et les campagnes, les lieux stratégiques à l'évidence n'avaient pas été sécurisés. Les agresseurs, s'ils avaient bénéficié de l'appui de 80 p000 complices intérieurs, comme cela avait été soutenu, même de beaucoup moins, auraient en quelques instants investi tous ces lieux comme ils l'ont fait au camp Boiro. Apparemment, sans aucune difficulté, en très peu de temps, ils ont libéré les prisonniers qu'ils étaient venus chercher, des prisonniers paradoxalement ramenés de Mamou à l’intérieur du pays vers le camp Boiro. Sans coup férir, ils ont du même coup libéré tous les détenus politiques guinéens dont le capitaine Abou Soumah, seul rescapé du complot KamanFodéba de 1969, qui eut la vie sauve parce qu’il profita de la situation indécise pour traverser les frontières et se réfugier en France. Ses codétenus par contre, victimes de leur « discipline », qui se sont rendus aux autorités guinéennes, ont été passés par les armes. Côté guinéen, le jour de l’agression, au moment de prendre les décisions pour organiser la défense de la capitale, il y eut un temps de flottement qui aurait pu être fatal au régime si l’objectif des agresseurs avait été son renversement, et si ceux-ci avaient bénéficié de réelles complicités. En effet, ce jour, alors que les premiers coups de feu retentissaient, que les Portugais et leurs hommes prenaient pied au camp Boiro, le Suprême détenait encore les clefs des principaux dépôts d'armes des garnisons de Conakry. - Par précaution, il aurait pris une telle décision après les Coups d’Etat qui ont renversé les Présidents Kwame NKrumah du Ghana et Modibo Kéïta du Mali -. Au moment où une délégation d'officiers supérieurs conduite par le général Noumandjan Kéïta, chef d'Etat-major général, et comprenant le colonel Mamadou Diallo, les commandants Kèkoura Zoumanigui et Siradjo Barry, le capitaine Kémoko Doumbouya 55
officier d’ordonnance du Président et le lieutenant Mamadou Fofana, s’adressa à lui pour demander ces clés, une situation de quiproquo faillit faire basculer l'Histoire. Pensant que ces militaires étaient venus l’arrêter, il se serait mis à genoux et les aurait suppliés de ne pas le traîner devant le peuple. Fidèles et loyaux, ils n’étaient pas venus dans ce but. Mais parce qu’ils l’avaient vu dans cette situation, aucun d’eux n’a survécu. On ne survit pas à la vue d’un Suprême à genoux. Arrêtés, ils ont été tous passés par les armes le 29 juillet 1971 dans une grande déferlante nocturne où un nombre important d’officiers ont été exécutés : la rétribution de leur loyauté. C’est cet épisode qui retarda la riposte de l'Armée en ses deux garnisons de Conakry, le camp Almamy Samory Touré et le camp Alpha Yaya Diallo, et qui conféra une valeur particulière à la prompte et vigoureuse action des renforts venus du camp Kèmè Bouréma Touré de Kindia sous la vaillante conduite du Capitaine Charles Mara qui, une fois la tempête passée sera qualifié de traître à la patrie. Sa bravoure, au lieu d’être récompensée par des galons, lui coûtera la vie. Lui aussi fut exécuté. La Révolution ne devait pas lui devoir sa victoire. Elle ne devait rien devoir à personne ! N'eussent été cependant la vaillance et la loyauté de l’armée, la Révolution n'aurait sans doute pas survécu au débarquement. B / De la structure de gestion des complots : Des dénonciations jusqu’aux exécutions, le dossier des complots était géré de manière opaque par des structures taillées sur mesure à cet effet, des structures sans aucune existence juridique au regard des lois en vigueur dans le pays : le Comité Révolutionnaire National, ses Sous-comités, les Commissions Nationales d’Enquête, tous placés sous l’autorité du Haut Commandement dirigé par le Suprême lui-même. Leurs appellations n’existaient ni dans le code pénal ni dans aucun texte de loi guinéenne. De surcroît, leurs membres, généralement des hommes politiques occupant des postes à responsabilité dans les structures du Parti, et généralement reconnus comme adversaires notoires ou ennemis jurés des personnes arrêtées, n'avaient, de par la loi, aucune compétence pour gérer de tels dossiers. Ces structures furent érigées en Assemblées générales ordinaires ou extraordinaires des organes du Parti dont les dénominations n’existaient ni dans aucun texte de loi ni dans le code pénal. Se 56
déguisant en période de crise en Tribunaux dits Populaires et Révolutionnaires, elles agissaient elles aussi dans l’illégalité la plus totale en jugeant les détenus en leur totale absence, sans aucune défense et en prononçant des sentences souvent extrêmes et inexorables. Organes strictement politiques, elles n'avaient aucune attribution de caractère judiciaire. C / Des arrestations : Contrairement à ce que stipule la loi, elles s'opéraient, sans aucun mandat écrit et généralement la nuit, sur ciblage de personnes pour des raisons propres au Parti, à ses structures et à sa ligne politique à partir de listes préétablies ou sur de simples dénonciations, des dénonciations calomnieuses généralement extorquées elles-mêmes sous la torture. S'il était fort de son bon droit et sûr de l'irréfutabilité de ses preuves, comment se fait-il que le régime n'ait pas agi en pleine transparence et dans le strict respect de ses propres lois ? D / Des interrogatoires, des dépositions et des preuves : Avant d'être interrogés, les détenus étaient systématiquement mis à la diète totale pendant quatre à dix jours, parfois plus, puis, soumis atrocement à la torture de plusieurs manières dont les plus courantes étaient le ligotage et l'électrocution pour les obliger à s'auto-accuser et à dénoncer de soi-disant comparses dans des dépositions qui elles-mêmes étaient, selon les besoins de la cause, modifiées - généralement pour aggraver les cas - à la guise du Haut Commandement, du Comité Révolutionnaire National, des Commissions Nationales d’enquête et de leurs démembrements les sous-comités et autres instances du Parti. Nombre de détenus se sont vus contraints de lire, sous enregistrement au magnétophone, des listes de noms préétablies, sous peine de voir la diète se prolonger ou de subir des tortures plus atroces. Ce sont des dépositions obtenues par de telles méthodes que les structures de gestion des complots exhibaient comme preuves en les publiant dans les colonnes de Horoya accompagnées d’une photo d'identité du détenu humilié auquel on faisait cyniquement tenir sur la poitrine une ardoise d'écolier portant son nom écrit à la 57
craie, ou en les diffusant sur les antennes de la Voix de la Révolution précédées d'éditoriaux enflammés, destinés à conditionner l'opinion. Quelle crédibilité peut-on accorder à de telles dépositions ? Sachant que leurs accusations ne reposaient sur aucun fondement, les structures chargées de gérer les dossiers des complots n'accordaient aucune importance à la recherche ou à la production de preuves. Pour elles les dépositions extorquées sous la torture suffisaient. Les rares fois où elles s'étaient aventurées à faire semblant d’en chercher, en organisant des « perquisitions », strictement rien n'avait jamais été trouvé. La perquisition effectuée par les membres du Sous-comité Révolutionnaire de Kankan chez Kaba Laye, un grand notable de la ville - qui n’a strictement rien donné - défraya la chronique. L’absence de preuve n’a sauvé celuici, ni de la prison, de la condamnation à mort. Les preuves fournies par des détenus de leur innocence ne servaient à rien non plus. L'issue de ma confrontation avec Ismaël Nabé, ancien Secrétaire Général de la Jeunesse de Kankan (qu’il repose en paix !), bien qu’elle m’eût été totalement favorable, n'avait pas abouti à ma libération ! Au contraire, je suis resté sept ans en prison après qu’elle eut lieu. Par ailleurs, la ressemblance entre les dépositions était troublante. Même aujourd'hui, il suffit d'en lire une dizaine pour se rendre compte qu'elles avaient été rédigées par les mêmes personnes. L'existence des comités de rédaction des dépositions mis secrètement en place est avérée. E / Du régime pénitentiaire : En plus de la diète et des tortures qui lui étaient infligées durant tout le temps de son interrogatoire, de son régime alimentaire extrêmement pauvre et de la quasi-inexistence de soins, au cours de toute sa détention, le détenu devait être absolument coupé du monde extérieur. Dans sa zone de non-droit, il lui était absolument interdit de recevoir des visites, d'entretenir des correspondances même avec les membres de sa famille, de recevoir des livres et des journaux, d'écouter des nouvelles à la radio... Une véritable déportation dans son propre pays. Quiconque n’est pas passé par là ne saurait imaginer les effets d’un tel traitement sur un homme. Par 58
exemple, ne pas reconnaitre sa propre fille. Ce fut mon cas à ma libération après de longues années de détention. Ne pas pouvoir faire fonctionner le premier poste de radio qu’on vous met entre les mains. Ce fut encore mon cas. F / De la violation délibérée de la loi : Durant le régime du Président Sékou Touré le dispositif législatif ne souffrait pas d’insuffisances, mais c’est le non-respect de la loi qui était devenu un système de gouvernement. En matière d’arrestation, de détention et de torture, voici ce que dit le code pénal guinéen : «Les responsables d’arrestations et de détention illégales, sont passibles de peine de prison ; et tout individu ayant torturé une personne détenue dans ces conditions peut encourir la peine capitale. » articles (295- 297). G / De la violation délibérée des droits de l’homme : La violation des droits de l’homme était elle aussi instituée en règle. Le Suprême guinéen n’a jamais envisagé de respecter les droits de l’homme. Les considérant comme relevant d’un concept purement occidental, voire impérialiste, il les a combattus en les mettant constamment en point de mire. Dans ce combat farouchement mené et politisé à outrance à l’intérieur du pays comme à l’étranger, il a tenté avec une mauvaise foi certaine, mais sans succès de leur opposer les droits des peuples déjà pleinement reconnus par la communauté internationale. En échafaudant toute une théorie autour du sujet, il s’est toujours obstiné, à présenter ces deux droits complémentaires par nature comme antinomiques. Dans sa logique, les puissances étrangères ayant asservi les peuples coloniaux sans parler des droits de l’Homme, lui pouvait à son tour impunément les violer en martyrisant ses propres citoyens, sans avoir à se justifier devant qui que ce soit, ni recevoir de leçons de personne, surtout pas des anciens colonisateurs. H / De la disproportion révolutionnaire : Les appellations de Cinquième colonne, de S.S Nazi, la dénonciation de réseaux étrangers d’espionnage, la possibilité pour un même accusé d'appartenir à plusieurs de ces réseaux à la fois, comme le prétendaient les Comités, n'apparaissaient nullement sérieuses. Elles en faisaient sourire plus d'un… 59
Les sommes faramineuses et bien sûr fantaisistes, supposées être servies en devises étrangères, comme appointements aux prétendus comploteurs laissaient elles aussi nombre de nos concitoyens incrédules… On pouvait être accusé de «percevoir » des milliers de dollars, sans avoir jamais quitté son village du fin fond de la brousse… Personnellement, j'avais été accusé par le Sous-comité Révolutionnaire de Kankan de toucher un salaire de 12 000 dollars US par mois, soi-disant payés par les commanditaires extérieurs dudit complot de la Cinquième colonne, et cela pour devenir simple directeur d'une école, l’École Normale Supérieure de Dabadou à Kankan, au moment où j'étais déjà promu Directeur de toutes les écoles d’une région administrative, Dabola. Fixées à la tête du client, les sommes censées être touchées par les personnalités les plus importantes, - ministres, gouverneurs, secrétaires fédéraux, membres des Comités directeurs, hauts gradés de l’armée, officiers subalternes, étrangers -, des milliers de dollars et parfois pendant plusieurs mois, étaient beaucoup plus élevées que mes « pauvres » 12 000 dollars mensuels. A l’échelle de centaines de détenus, cela devait donner des montants considérables. Paradoxalement, aucune de ces sommes, si tant est qu’elles aient jamais existées, qui auraient représenté une véritable manne pour un État perpétuellement au bord de l'asphyxie financière, n'a jamais été ni réclamée, ni récupérée par le Haut Commandement, le Comité Révolutionnaire National ou les Souscomités Révolutionnaires locaux dont les membres en riaient souvent eux-mêmes au moment d’en fixer les montants lors des interrogatoires. En ce domaine, comme en bien d’autres, les incohérences ne manquaient pas… Hélas ! L’histoire des hommes et des peuples, surtout celle des dictatures, est souvent tissée de mensonges parfois sublimés et de vérités parfois honteusement tues. Les crimes s’embellissent souvent des lauriers dans les vents tourbillonnants et enivrants de la gloire, et les fanfaronnades sont hissées au faîte par l’hypocrisie. C’est ce qu’on appelle les mensonges de l’Histoire. Ces mensonges qui en sont parfois, hélas, les visages les plus connus, les plus magnifiés...
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I / Des listes de détenus : Le nombre de personnes arrêtées était lui aussi, extraordinairement élevé. Il est vrai qu'il s'agissait d'établir le mieux possible la théorie de l'existence de la plus vaste complicité intérieure et de frapper le plus possible les imaginations. Des listes officielles de prisonniers ont dû être établies, car il devait bien y en avoir de chaque complot, mais, compte tenu de leur caractère, elles n’ont jamais pu être rendues publiques ou disponibles, et ne le seront peut-être jamais. Les documents les plus connus, qu’on pourrait qualifier d’officiels et où figurent des noms de détenus politiques, sont les trois tomes du Livre Blanc publiés par le (Bureau Politique National) lors du complot dit de la Cinquième Colonne et des numéros d’époque du journal Horoya, et éventuellement ce qui serait resté des archives de la radiodiffusion nationale. Ils reviennent certes sur tous les complots dénoncés jusqu’aux années 1970-1971, mais ne citent généralement que les noms des condamnés considérés comme principaux instigateurs ou principaux complices : ministres, gouverneurs, ambassadeurs, Secrétaires fédéraux du Parti, cadres supérieurs, officiers de l’armée, intellectuels jouissant d’un certain prestige, commerçants, marabouts renommés, étrangers plus ou moins en vue etc. D’un autre côté, tous les détenus n’ont pas été interrogés ; et les dépositions de tous ceux qui l’ont été, n’ont pas été publiées non plus ; parfois, les commissions en retiraient volontairement certains noms. Par ailleurs, les personnes qui n’occupaient pas de fonctions importantes, genre plantons, chauffeurs, paysans, ouvriers, gens de maison, indigents, qu’on regroupait sous l’appellation d’anonymes, infiniment les plus nombreux, ne faisaient généralement pas l’objet d’interrogatoires. Il faut noter aussi que le Livre Blanc ne couvre pas les complots dénoncés après celui dit de la Cinquième Colonne et que les numéraux de Horoya, parus de 1971 à 1984 à la fin du régime, n’ont pas eux non plus publié les noms de toutes les personnes arrêtées. Ces documents sont, de ce fait, loin de fournir des listes complètes. 61
Deux autres raisons expliquent les difficultés de disposer de listes et de chiffres officiels et fiables : le destin généralement incertain des archives sous les tropiques et l’absence d’ordre dans les arrestations. En effet, les archives, qui pourtant étaient fort abondantes, ont été soit volontairement détruites, soit dissimulées, soit mal conservées. S’agissant de l’absence d’ordre dans les arrestations, le nombre sans cesse croissant de celles-ci l’avait rendue inévitable. Le Suprême en donnant dans un discours prononcé au Palais du Peuple le 14 juin 1977, carte blanche aux miliciens du Parti pour arrêter systématiquement toute personne dénoncée ou simplement considérée comme suspecte, avait ouvert la vanne à tous les excès en les généralisant quasiment… Il est donc extrêmement difficile de déterminer avec exactitude le nombre de personnes dénoncées, arrêtées, emprisonnées, la durée exacte de leur détention, le nombre de personnes libérées, décédées suite à de mauvais traitements, à des maladies, exécutées, ou considérées comme disparues… C’est dans les témoignages publiés le plus souvent, par les survivants, mais aussi dans des livres écrits par des chercheurs étrangers que sont fournis des chiffres et des listes. De ceux donnés par les associations des Anciens Détenus Politiques Guinéens, des Enfants des Détenus Politiques, pour la Promotion et la Défense des Droits de l’Homme, par Mme Nadine Bari, une Française, dans ses nombreuses publications, dont « Guinée, Les Cailloux de la mémoire », après l’arrestation de son mari Abdoulaye Bari, par le capitaine Kaba Camara « Dans la Guinée de Sékou Touré : cela a bien eu lieu », par Alpha Abdoulaye Diallo dit Portos dans son excellent récit : « Dix ans dans les Geôles de Sékou Touré ou La Vérité du Ministre » l’une des toutes premières publications sur les complots après « Prison d’Afrique » de Jean Paul Alata un ancien détenu français, en passant par ceux établis par des chercheurs guinéens et étrangers, on atteint le chiffre de 30000 détenus chez Line Garson chercheur à l’Université de Laval au Canada cité par Maurice JeanJean dans son récit bien documenté : « Sékou Touré un Totalitarisme Africain ». C’est pour toutes ces raisons que je n’ai pas tenu en annexe de «La Guinée, Sous les Verrous de la Révolution» et dans cet essai 62
de listes de victimes comme c’est souvent le cas dans de telles publications. Je me suis limité aux noms que j’y ai cités, déjà bien nombreux, en essayant d’intégrer le plus possible les personnages au récit pour qu’ils puissent faire mieux corps avec l’atmosphère de ces douloureuses pages de notre Histoire. J’invite les lecteurs, qui souhaiteraient compléter leurs informations, à se rapporter aux listes et aux chiffres indiqués ci-dessus, bien qu’à mon avis ils soient tous incomplets. K / Des interrogations : Qu’est-ce qui peut justifier l’exécution de centaines de personnes ? Pour quelle cause ? Dans la nuit du 29 au 30 juillet 1971 ont été exécutés : A titre indicatif : - Des officiers et sous-officiers de l’armée guinéenne dont Noumandian Kéïta, général, chef d’état-major général des forces armées ; Mamadou Diallo, colonel, chef d’état-major général adjoint, Secrétaire d’Etat au service civique ; Kèkoura Zoumanigui, commandant, ancien officier d’ordonnance du Président, ancien chef d’Etat-major de la gendarmerie nationale ; Siradio Barry, commandant, ancien commandant du corps expéditionnaire guinéen au Congo ; Kèkoura Bavogui, commandant ; Diouma Camara, commandant ; Boubacar Fofana, lieutenant ; Bademba Barry, lieutenant ; Chérif Diallo, lieutenant ; Mamoudou Condé, capitaine, commandant du camp Boiro ; Kémoko Doumbouya et Mamadou Bah dit grand Bah, respectivement ancien garde du corps et ancien officier d’ordonnance du Président ; … - Des Ministres dont Ibrahima Sory Barry ministre délégué, Kankan … - Des Gouverneurs dont Samba Safé Barry, ex-gouverneur de Kankan… - Des Secrétaires fédéraux dont Mamadi Sidimé, ex-Secrétaire fédéral de Kankan… - Des Hauts Cadres dont Kémo Keïta , ex-procureur de la République à Kankan ; Bakary Camara , ex-président du Tribunal à Kankan ; Aly Camara et Aboubacar Diallo, ex-inspecteurs des Affaires Administratives à Kankan ; Doussoumory Condé, ex63
trésorier régional à Kankan ; Abdoulaye Diallo, éminent docteur, ex-directeur et médecin-chef de l'hôpital régional de Kankan ; Fila Camara, ex-inspecteur du travail à Kankan ; Habib Diallo, excommandant escadron de la gendarmerie à Kankan ; Abass Barry, ex-douanier à Kankan ; Mamadou Fofana, ex-directeur général d’une société nationale ; Félix Gnan Mathos, ex-directeur du Crédit National, ex-directeur de la Banque Nationale du Développement Agricole ; Baba Hady Thiam, ex-directeur général de la Banque Guinéenne du Commerce Extérieur… Dans la nuit du 17 au 18 octobre 1971 ont été exécutés notamment: - Des ministres dont Emile Condé, ex-ministre des travaux publics, plusieurs fois gouverneur de région administrative ; Alpha Amadou Diallo, « M’en parler », plusieurs fois ministre (Affaires étrangères, Santé, information et Tourisme) ; Alpha Taran Diallo (santé) ; Marcel Mato (intérieur et sécurité, commerce intérieur, ministre délégué de Haute Guinée) ; Moricandian Savané (commerce, transports) ; Mamadi Sagno (défense nationale, éducation nationale) ; Tibou Tounkara, (information, économie, ancien ambassadeur à Paris et à Dakar) ; Mamadou Sow (Plan et statistique) ; - Des anciens ambassadeurs dont Fadiala Kéïta (Moscou, Washington) ; Cheick Oumar Mbaye (Dar-es-Salam) ; -Des gouverneurs de Région dont Baba Camara (Kissidougou) ; Oumar Kounda Diallo (Fria, Gaoual, Kérouané, ancien ambassadeur Freetown)… -Des Secrétaires fédéraux dont Massa Koïvogui (Macenta)… - Des hauts cadres dont André Sassonne, ex-chef du protocole présidentiel, puis directeur de société d’Etat ; Oumar Baldet, ingénieur diplômé de l’Ecole Centrale des Mines de Paris ; Fadel Ghussein, chef de cabinet, puis ex-directeur d’une Société d’Etat ; Souleymane Yala Diallo ex-directeur des prix et de la conjoncture ; Fodé Saliou Sylla, magistrat ; - Des chefs d’entreprise dont Sékou Sadibou Touré, industriel ; Souleymane Soda, Aribot planteur… - Des chefs de quartier dont le vieil Elhadj Mamoudou Kaba Soboninkoun de Kankan. 64
Auparavant, au mois de Janvier de l’année 1971, il y avait eu l’inconnu de Dabola et ses compagnons pendus dans chaque ville du pays. Ces quelques noms de personnes exécutées ne sont donnés qu’à titre indicatif. Les détenus exécutés sous différentes formes en 1965, 1968, 1969, 1970, 1972, 1974, 1975, 1976, 1977 ne sont pas cités… L / Une interrogation : Qu'est-ce qui peut justifier la cruelle mort par diète noire ? Entendre un homme, pour certains, pleurer, crier, gémir jusqu'à ce que sa voix s'éteigne dans la gorge ; En entendre d’autres encore réciter des extraits de la Bible ou des versets du Coran jusqu’à ce que leur voix s’éteigne ; en voir d'autres, disparaître lentement en silence sans pleurer, ni crier, ni gémir ? Quel homme peut, manger, boire, dormir après avoir ordonné ou commis de tels actes ? Des détenus transférés du camp Boiro à la Maison Centrale de Kindia et ayant déjà purgé de longues années de prison, avaient eu à nous rappeler à la Maison Centrale de Kindia de nombreux cas de morts par diète noire, qui avaient eu lieu soit une ou plusieurs années avant ou après 1971. Se sont lentement éteints par diète noire, Alpha Oumar Barry, membre du (BPN), successivement ministre délégué à N’Zérékoré, ministre du domaine des échanges, gouverneur de région administrative (arrêté au mois d’août 1976, mis à la diète noire du 12 au 26 février 1977 ; Diallo Telli et ses compagnons arrêtés le 24 juillet 1976, mis à la diète noire du 13 février au 1er mars 1977 ; Alioune Dramé, successivement ministre des finances, du Plan et des statistiques, après avoir été ambassadeur à Abidjan, arrêté au mois d’août 1976, mis à la diète noire du 16 février au 1er mars 1977 ; Michel Emile Cissé, écrivain, homme de théâtre, ancien gouverneur de région administrative mis à la diète du 12 au 28 février 1977 ; des officiers et sous-officiers : Ibrahima Sylla, commandant, chef d’état-major de l’armée de l’air, mis à la diète noire du 13 au 31 mars 1977 ; Lamine Kouyaté, capitaine, ancien officier d’ordonnance du Président, mis à la diète noire du 12 au 28 février 1977 ; Alhassane Diallo, lieutenant, arrêté en 1976, mis à la diète noire du 12 au 28 février 1977 ; Namory Kéïta , adjudant65
chef, mort de diète noire en 1969 ; Ibrahima Camara dit Nbengue, adjudant-chef, mort de diète noire en 1969 ; Mouctar Baldé, adjudant-chef, mort de diète noire en 1969 ; Lénaud, mort de diète noire en 1974 ; trois jeunes paysans répondant au nom de Boiro et un ancien combattant qui avait été sergent dans l’armée française, arrêtés à la frontière guinéo-sénégalaise et mis à la diète noire du 13 au 31 mars 1977 etc. Cette liste comme toutes celles qui la précèdent n’est pas complète. M / D’autres interrogations : Qu’est-ce qui peut justifier l’emprisonnement d’une personne durant de longues années sans jamais l’interroger, même une seule fois, et de la libérer un beau jour sans lui fournir les motifs de son arrestation ? Ce fut le cas du capitaine Kaba Camara, l’auteur du récit « Dans la Guinée de Sékou Touré cela a bien eu lieu » ; il a été arrêté en 1971 et libéré neuf ans plus tard le 5 octobre 1980. Qu’est-ce qui peut justifier la décision de disperser les familles des détenus après leur arrestation ? En effet, après le complot dit de la Cinquième Colonne, le régime décida d’éloigner de Conakry toutes les épouses et tous les enfants des détenus politiques. Les pauvres femmes déjà meurtries par des drames familiaux furent impitoyablement ventilées aux quatre coins du pays avec des instructions fermes données aux responsables politiques et administratifs locaux de les remarier de force à d’autres hommes. Pour officialiser ces divorces forcés, les épouses avaient reçu des convocations écrites de la « justice ». Qu’est-ce qui peut justifier que les pauvres enfants des détenus aient été indexés, ségrégués et persécutés dans les écoles et dans tous les lieux publics, comme enfants de parias ? Qu’est-ce qui peut justifier l’interdiction du livre d’un auteur tout simplement parce qu’il est arrêté ? « Soundjata ou l’Epopée Mandingue », la première œuvre majeure de la littérature guinéenne après « L’Enfant Noir » de Camara Laye, et « l’Histoire de l’Afrique Occidentale » tous deux déjà inscrits dans les programmes scolaires, ont été interdits après l’arrestation du professeur Djibril Tamsir Niane en 1961. Pour mémoire, l’Histoire
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de l’Afrique Occidentale a été coécrite avec le professeur Jean Suret-Canale. Qu’est-ce qui peut justifier qu’une personne soit systématiquement considérée comme suspecte et que pour cela elle soit arrêtée, emprisonnée, parfois exécutée, parce que tout simplement elle a un conjoint ou une conjointe de nationalité étrangère, surtout quand il s’agissait d’un blanc ou d’une blanche ? En effet, pratiquement tous les couples mixtes qui n’avaient pas réussi à fuir le pays, avaient été ainsi traités. Quel crime était-ce que d’épouser une étrangère ou un étranger ? C’est par ces méthodes que la République de Guinée a terriblement souffert et perdu beaucoup de ses fils et filles, des hommes et des femmes de qualité, des innocents… Dans le cas même où des tentatives de déstabilisation ou de renversement auraient été menées contre lui, ce qui n’a jamais été établi de manière formelle, par ses agissements contraires aux lois propres qu’il a édictées, le régime a ôté toute crédibilité à ses complots et s’est jeté complètement le discrédit sur lui-même. Comme je l’ai relaté dans «La Guinée, Sous Les Verrous de la Révolution», un certain vendredi au cours d’une assemblée générale du Parti transformée pour la circonstance en Tribunal Populaire et Révolutionnaire, seuls « les fous » et « les simples d’esprits » étaient censés dire la vérité. Encore une fois cette question, pourquoi la diète noire ? Qu’est-ce qui peut la justifier ?
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CHAPITRE V
DE LA REHABILITATION DES DETENUS POLITIQUES
Après la mort du Président Sékou Touré le 26 mars 1984 à Cleveland aux Etats-Unis d’Amérique, Il y a eu une réhabilitation spontanée des anciens détenus politiques par la population. Elle a salué dans l’allégresse et le soulagement la disparition de la dictature. Sans équivoque, le verdict du Tribunal de l’Opinion Publique a toujours été en notre faveur. Pour elle, nous sommes innocents. A partir du 3 avril 1984 suite au changement de régime intervenu après la mort du Président, les nouvelles autorités ont officialisé cette réhabilitation. Dès leur prise de pouvoir, elles ont décidé de rétablir de facto les anciens détenus politiques dans leurs droits civils, civiques et politiques, ensuite de leur restituer leurs biens saisis, du moins ce qu’il en restait, généralement des bâtiments, des concessions, les autres biens, livres, le genre de choses dont la Révolution n’avait pourtant guère besoin, bétail, véhicules etc., ayant disparu dès après les arrestations sous les assauts des membres des comités, et enfin de les rétablir dans leurs droits administratifs, en leur accordant, pour ceux qui étaient fonctionnaires, des prolongations compensatoires de service au prorata des années de détention, à défaut de pouvoir payer les salaires indûment confisqués durant toute leur captivité, même si ce dernier droit, capital pour leur épanouissement moral et matériel, commence, hélas, à être violé, bafoué impunément au vu et su des mêmes autorités. Ces décisions les rétablissaient surtout dans leur dignité, dans leur honorabilité auprès de leurs concitoyens. Le huitième boulevard de la capitale a été rebaptisé du nom de DialloTelli. Bien d’autres victimes méritent un tel hommage de la 69
Nation. Ce ne sera que justice, puisqu’il est encore temps, si des anciens détenus morts ou vivants bénéficient d’un tel honneur. Les tentatives de remise en cause de ces acquis par des négationnistes, des révisionnistes de tous bords commencent à se dessiner. Bien qu’elles ne constituent que des cas isolés qui, à notre grand soulagement, indignent les Guinéens dans leur écrasante majorité, elles peuvent hélas se poursuivre. L’apologie des crimes commis peut refaire impunément surface. La vérité risque de s’endormir, voire de mourir, si on la laisse somnoler, si on ne la réveille pas en faisant revivre, en immortalisant à travers la mémoire du Peuple, celle des anciens détenus politiques des camps de concentration guinéens. La réhabilitation de ces hommes et de ces femmes, leur rétablissement dans l’estime et la considération de leurs concitoyens par devoir de mémoire devient d’autant plus impérieux que, chaque jour un peu plus, ils sont poussés vers l’oubli ou la banalisation. Plus grave, leurs mémoires sont parfois manifestement l’objet d’un irrespect qui s’apparente au mépris de la dignité des victimes mortes et de celle des survivants, d’un irrespect qui frise le mépris de la personne humaine. Il est malséant pour des auteurs ou complices de crimes de remuer le couteau dans des plaies jamais entièrement cicatrisées dans le cœur de survivants ou de proches de victimes disparues à jamais. Quand un peuple enterre mal ses morts, l’émanation des odeurs des dépouilles remonte obstinément vers la cité et empêche les vivants de dormir. Il faut avoir la force de se mettre à la place de proches de détenus qui, un matin, ont découvert avec stupéfaction un père, un mari, un fils, un ami, pendu sur la voie ou sur la place publique, sous un pont, ou qui ont fini par savoir que les leurs ont été fusillés au bord d’une fosse commune, ou pire encore qu’ils ont fini leurs jours dans l’atrocité la plus abominable en succombant à la diète noire. Il faut avoir la force de se mettre à la place de la victime, du pendu, d’une personne injustement mise à mort par diète noire sans avoir bénéficié d’aucune protection judiciaire, et se poser tout simplement la question : « Si cette personne avait été moi ? » ou se 70
dire « cette personne innocente au haut du gibet aurait pu être moi »… Bien que le rappel des faits, la mise à nu des méthodes et pratiques odieuses qui furent à la base de l’ignominie, le rétablissement de la vérité, les chapitres et les pages qui précèdent devraient suffire, à mon avis, à eux seuls à le faire, je tiens dans cette chronique autobiographique à réhabiliter les victimes, toutes les victimes. Que leur mémoire, c’est l’un des buts que je poursuis, soit honorée : Tout d’abord celle d'hommes célèbres comme Diawadou Barry et Ibrahima Barry dit Barry III, deux de nos compatriotes qui ont joué un rôle capital, rôle hélas mal connu, mais clef, dans l’histoire du pays. Le premier, brillant diplômé de la célèbre Ecole Normale William Ponty du Sénégal, était issu de l’une des plus grandes familles guinéennes, celle des Séidiankés de Dabola. Le second, de la Ville de Pita au Fouta-Djalon, brillant diplôme de l’Ecole de la France d’Outre-mer, était lui aussi issu de l’une des grandes familles du Fouta-Djalon. Ils étaient respectivement Secrétaires généraux du Bloc Africain de Guinée (BAG) et du Mouvement Socialiste Africain (MSA), deux formations issues de l’Amicale Gilbert Vieillard, un des tous premiers mouvements politiques de la Guinée française. Le (MSA) était devenu par la suite la Démocratie Socialiste de Guinée (DSG). Leurs deux partis avaient fusionné à partir de Dakar sous l’égide de Léopold Sédar Senghor le 26 mars 1958 pour donner naissance au Parti du Regroupement Africain de Guinée (PRAG). Plusieurs fois rivaux de Sékou Touré lors des élections organisées sur le Territoire de la Guinée française durant la dernière décennie de la colonisation, notamment de 1954 à 1957, ils brillaient par leur sagesse et leur patriotisme. En optant pour l’indépendance dès le lancement de l’idée du Référendum, en se ralliant, diront d’autres, au camp du Non, celui du PDG/RDA, avant le scrutin, en résistant de toutes manières à bien des pressions, ils ont évité à notre pays un déchirement fratricide, un bain de sang attendu par les faucons de la métropole qui, malgré la promesse solennelle du Général de Gaulle de ne pas faire obstacle à la volonté de notre peuple s’il choisissait de ne pas adhérer à la Communauté Franco-Africaine qui lui était proposée, aurait
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prétexté du moindre trouble pour intervenir et remettre en question le choix de la Guinée. Le premier, Diawadou Barry, est mort en détention dans des conditions qui n’ont jamais été rendues publiques, le second, Ibrahima Barry dit Barry III, a été l’un des quatre pendus sous le Pont Fidel Castro, comme j’ai eu à le décrire dans «La Guinée, Sous les Verrous de la Révolution», au moment où il était Secrétaire général du Gouvernement, après avoir été ministre. Pour rappel, les trois autres étaient Magassouba Moriba, membre fondateur du Rassemblement Démocratique Africain le (RDA) et de sa section Guinéenne le Parti Démocratique de Guinée le (PDG) qui ont porté Sékou Touré au pouvoir, ministre délégué à Labé en moyenne Guinée ; Ousmane Baldet, Secrétaire d’Etat aux Finances, ancien Gouverneur de la Banque Centrale ; et Kara Kéïta de Soufiane, ancien commissaire de police. Il faut restituer à la mémoire des victimes ce qui leur revient. Au sujet de ses deux figures historiques, la question qu’on doit se poser, même aujourd’hui, est la suivante. Que se serait-il passé si elles avaient décidé de faire la campagne pour le Oui et de voter Oui ? Il faut rendre hommage à ces deux héros et les rétablir à la place qu’ils méritent dans l’histoire. Pour leur contribution inestimable à la conquête de l’indépendance de notre pays dans l’unité et la paix, leur place en Guinée est au Panthéon de la République, nulle part ailleurs. Pour mémoire après l’indépendance, leur parti, le Parti du Regroupement Africain de Guinée (PRAG) sera dissout, malgré la résistance qu’ils opposeront, pour laisser la place à celui de Sékou Touré, le Parti Démocratique de Guinée (PDG/RDA) qui dès lors deviendra parti unique, tuant ainsi tout espoir de multipartisme, partant de démocratisation dans le Pays… Celle de Fodéba Kéïta, modèle d’intelligence et d’esprit d’organisation, l’un des artistes noirs qui a le mieux réussi à faire connaître la culture africaine sur la scène internationale à travers les célèbres Ballets qui portaient son nom, Les ballets Africains de Kéïta Fodéba. Par patriotisme, Fodéba Kéïta aurait aidé la République à assurer ses fondations en payant sur ses économies, les premiers salaires des fonctionnaires après l’indépendance. Il aurait également donné gracieusement une de ses propriétés pour 72
servir de première chancellerie à notre ambassade à Paris. Fodéba Kéïta a éte exécuté en prison. Celle d'hommes de grande valeur comme Diallo Telli, l’un des plus prestigieux fils du pays. Premier Secrétaire général de l’Organisation de l’Unité Africaine, ancien représentant permanent à l’ONU, ancien ambassadeur à Washington, ancien Président du comité de l’ONU sur l’apartheid, ancien ministre de la justice, Diallo Telli est mort de diète noire. Comme Balla Camara, diplômé de l’Ecole de la France d’Outre-mer de Paris, administrateur émérite, l’un des hauts cadres les mieux formés, les plus brillants que le pays ait jamais connus. Balla Camara a été fusillé. Celle d’hommes comme Mohamed Kassory Bangoura, Ambassadeur itinérant, le fin diplomate à qui on ne refusait rien dans les négociations ; Karim Bangoura, ancien Ambassadeur de Guinée aux Etats-Unis d’Amérique, grandement respecté par le gouvernement du pays d’accréditation et unanimement par ses collègues des autres représentations ; mais aussi Achkar Marof, Représentant Permanent de la Guinée auprès de l’Organisation des Nations Unies pendant près d’une décennie, remarquable diplomate comme les précédents, tous trois étant de Coyah une ville de diplomates qui a payé l’un des plus lourds tributs au régime en perdant des fils parmi les plus valeureux. Tous trois exécutés. Celle de grands commis de l’Etat comme Emile Condé, exministre des Travaux Publics, ex-gouverneur de région à Beyla et Labé, reconnu à l’époque dans le pays comme grand bâtisseur parce qu’ayant laissé sa marque architecturale partout où il a servi ; c’est lui qui a créé à Beyla le célèbre orchestre guinéen Bembéya Jazz National connu sur tout le continent ; de Alpha Ahmadou Diallo, ex-ministre de l’Information plus connu de tous ses collaborateurs sous le nom de « M’en parler » à cause de son extrême prudence à l’égard de la Révolution, tout particulièrement de son Responsable Suprême à qui il tenait absolument à se référer pour toute décision à prendre ; de celui-ci, les proches disaient que s’il avait eu autant peur de Dieu que du Suprême, à sa mort il serait parti directement au Paradis ; même cette extrême peur ne l’aura pas sauvé ; de Habib Tall ex-gouverneur de région, descendant 73
d’Elhadj Oumar Tall le grand résistant de Dinguiraye ; de Thierno Oumar-Dalaba Bah, autre gouverneur de région ; tous exécutés ; celle du respectable, un haut dignitaire descendant du réputé érudit Thierno Aliou Boubandian de Labé, premier commandant de cercle de Kankan durant la période de la loi-cadre Gaston Defferre. Thierno Mamadou Bah est mort de maladie au Camp Soundjata de Kankan. Celle de femmes comme Mme Loffo Camara ancienne ministre, exécutée. Celle d'officiers de grande qualité, comme le Général Noumandjan Kéïta, qui par amour de la patrie, après avoir dignement décliné toutes les offres qui lui ont été faites, tous les avantages qui lui ont été proposés par l’ancienne métropole, était venu, avec d’autres officiers et d’autres soldats patriotes, fonder dans les difficultés la nouvelle Armée guinéenne le 1er novembre 1958. Cet officier modèle, le premier Général de notre Armée était reconnu pour sa loyauté, « aveugle » vis-à-vis du Président. Comme le colonel Kaman Diaby, l’un des officiers supérieurs les plus brillants de sa génération, admiré et respecté de tous ses frères d’armes, notamment des hommes de troupe pour sa solide formation et sa carrure particulièrement impressionnante. Comme le colonel Mamadou Diallo qui s’est toujours distingué par sa grande efficacité alliée à sa modestie. Comme les commandants Kémoko Doumbouya, Kèkoura Zoumanigui, Kèkoura Bavogui, Diouma Camara, Mamadou Siradio Barry, Cellou Diallo, les capitaines Pierre Koïvogui, Sangban Kéïta, les lieutenants Cheick Kéïta, Thierno Diallo et de bien d’autres officiers et soldats valeureux. Tous passés par les armes. Celle de beaucoup d’autres hommes et femmes à la notoriété bien établie en Afrique comme dans le reste du monde, jadis aimés et respectés de leurs concitoyens dont ils faisaient la fierté. Tous exécutés ou morts en prison. Comme Diawadou Barry et Ibrahima Barry dit Barry III, c’est au Panthéon de notre histoire que doivent se trouver la place de la plupart de ces hommes injustement ensevelis dans l’opprobre sous le mensonge. Saluons tout spécialement et avec une extrême humilité, la mémoire de ceux qui risquent d’être les premiers oubliés de 74
l’Histoire, et peut-être les oubliés à jamais, les anonymes qui sont tombés par centaines. Il y a aussi ceux qui ont miraculeusement survécu, parfois avec les pires séquelles, les rescapés.
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CHAPITRE VI
DE LA PERIODE ET DES HOMMES
A / Des compagnons de route du Président Sékou Touré : Au lendemain du 3 avril 1984, et longtemps après, la tendance quasi générale dans le pays fut de rejeter l’ancien régime qu’on appelait «régime défunt », tout en bloc, et le Parti et ses hommes. C’était, comme on le dit, jeter le bébé avec l’eau du bain. A mon avis, ce fut une erreur ; même si force est de reconnaître qu’avec le climat qui prévalait, il était difficile, mais peut-être pas impossible, au nouveau Pouvoir d’éviter cet état de fait, d’aller à contrecourant du mouvement général en faveur d’un changement total de société. Le Rassemblement Démocratique Africain (RDA), à travers sa branche guinéenne, le Parti Démocratique de Guinée le (PDG), était à l’origine un parti de progrès conçu pour l’émancipation africaine et le développement. La très grande majorité de ses dirigeants et de ses militants, restée fidèle à ses objectifs initiaux, garde vivace en elle, même de nos jours, ce noble idéal. Contrairement à une idée répandue à tort, ni les membres du Bureau Politique National ni ceux des autres principaux organes du Parti, les Bureaux Fédéraux, les Comités directeurs et même les Comités de base ou de quartier, les fameux Pouvoirs Révolutionnaires Locaux (PRL), n’étaient tous des démagogues, des béni-oui-oui prêts à tout approuver. Parfois, au risque d’être traités de révisionnistes, de déviationnistes ou même d’ennemis du peuple et de tomber dans la disgrâce avec les conséquences qu’une telle situation pouvait entraîner, des hommes, parfois au péril de leur vie que certains malheureusement y laissèrent, avaient pris assez tôt conscience des dérives qui s'amorçaient et de l’impasse vers laquelle le régime se dirigeait. 77
Il faut donc éviter de noircir, sans discernement, comme c’est parfois le cas, toutes les personnalités du régime de Sékou Touré dans leur globalité. Ce serait à la fois malsain et injuste. Au cours de cette période ne manquaient ni les hommes honnêtes, ni les hommes courageux, même téméraires, d’une témérité très souvent suicidaire. Lors des instances du Parti, et notamment de deux conférences dites « de la bouche ouverte », certains hommes, même s’ils n’étaient pas les plus nombreux, ont dit et écrit des vérités en sortant courageusement de la tonalité ambiante. Très souvent, malgré l’atmosphère d'incandescence qui caractérisait les réunions publiques sous la Révolution, des hommes ont osé rompre le silence, élever la voix pour tirer la sonnette d’alarme, critiquer, dépeindre en des tableaux parfois fort sombres les souffrances du peuple, pour réclamer le changement dans l’orientation du Parti et de l’Etat, pour demander la séparation du Parti et de l’Etat. Le cas de Moriba Magassouba est resté l'un des plus célèbres ; de bonne foi, pendant les travaux de la première conférence dite de la bouche ouverte organisée lors de la préparation du 8e congrès, dit «de la Vérité », tenu à Conakry du 28 septembre au 2 octobre 1967, il avait écrit et fait publier d’acerbes et lumineuses pages pour dénoncer les méthodes utilisées par le Parti et proposer de nouvelles pistes. Mais comme pratiquement tous ceux qui ont osé dire la vérité, il en a péri ; il était, comme nous l’avons dit, l’un des quatre pendus du Pont. Citons aussi un homme, un homme extrêmement courageux, un compagnon fidèle du Président qui ne souhaite pas être nommé dans ce mémoire – il se reconnaîtra, les témoins de son acte le reconnaitront aussi - ; il a, comme Mariama Taféti Sinani et Djoulkifil Kabakè Silanbali de Kankan cités dans «La Guinée, Sous les Verrous de la Révolution», eu le courage d’exiger des instances du Parti la présence des détenus pour qu’ils puissent être écoutés publiquement. Il a été aussi le seul à voter contre la peine capitale prononcée le 18 janvier 1971 lors du Tribunal Populaire Révolutionnaire Suprême. Après avoir écouté sa déclaration, Robert Lambotte, un journaliste communiste français venu couvrir les « assises », ayant constaté l’atmosphère de folie collective dans laquelle « siégeait » ledit tribunal, lui avait dit : « Vous venez de 78
signer votre arrêt de mort ». Cet homme n’est pas mort de sa déclaration et de son vote négatif, mais ils lui en valurent une dizaine d’années de détention dans les pires conditions. A côté des hommes courageux, qui auraient pu, s’ils avaient été écoutés, contribuer à sauver le pays de la perdition, beaucoup d’autres, plus nombreux ceux-là, ne brillaient ni par leur sagesse, ni par leur lucidité et encore moins par leur courage… B / Des hommes du conscient collectif: Dans le conscient collectif des Guinéens, beaucoup d’acteurs publics de cette époque, compagnons de route, amis ou proches du Président Sékou Touré, sont apparus et sont restés, parfois de manière claire ou diffuse, comme des hommes de bien. En tout cas c’est ainsi que personnellement je les perçois et que j’ai cru qu’ils étaient perçus dans l’opinion. Selon de nombreux témoins, ces hommes et ces femmes lui auraient souvent donné des conseils qui auraient pu être salutaires et pour lui et pour le pays ; certains auraient même soutenu à des moments cruciaux des points de vue contraires aux siens ; par amitié et attachement pour lui, ils avaient toujours évité de le faire publiquement lors des sessions ordinaires et extraordinaires des instances du Parti. A défaut de pouvoir les nommer tous, je voudrais en citer quelques-uns parmi les plus emblématiques ; ceux qui, à mon avis, ont semblé avoir le plus marqué les esprits. Commençons par deux de ses amis, deux de ses compagnons des premières heures de lutte au sein du Rassemblement Démocratique Africain et du Parti Démocratique de Guinée : En tout premier lieu, Saïfoulaye Diallo, « Saïfon » pour les amis, son colistier quand il était candidat pour le Parti Démocratique de Guinée lors des élections organisées sur le territoire dans la dernière décennie de la période coloniale, premier Président élu de l’Assemblée Territoriale et de l’Assemblée Nationale, le fidèle, l’ami le plus sûr. En lui faisant pleinement bénéficier de sa très large et profonde assise dans sa région naturelle, le Fouta-Djalon, et en s’effaçant toujours devant lui au cours des différentes étapes de leur combat commun pour la conquête du Pouvoir, et ce malgré son niveau d’instruction beaucoup plus élevé, il était inspecteur des finances, lui, il a été 79
pour beaucoup dans son ascension. Les hommes du sérail reconnaissent bien volontiers que Sékou Touré lui doit dans une large mesure son fauteuil de Président. Malgré sa fidélité, Saïfoulaye n’aura pas eu voix au chapitre pendant une longue période après l’indépendance. Sous le prétexte qu’il ne saurait y avoir confusément dans l’esprit du peuple deux présidents dans le même pays, un de la République, un de l’Assemblée Nationale, sa disgrâce commença assez tôt par le retrait de ses portraits officiels, qui côtoyaient ceux de son ami dans tous les bureaux du Parti et de l’administration au cours des tout premiers mois de l’indépendance ; ensuite, ce fut son éviction, le 8 novembre 1964, du poste de Secrétaire politique du Parti qui avait été créé pour lui lors du Conseil National de la Révolution transformé en 7e Congrès extraordinaire du Parti à Kankan en 1963. Pour sauver son ami de la honte, Saïfoulaye avait volontairement renoncé en faveur de celui-ci au poste de Secrétaire général du Parti auquel il avait été triomphalement élu deux ans auparavant au cours du Sixième Congrès organisé à Conakry du 27 au 31 décembre en 1962. A l’issue du 9e congrès tenu du 24 au 26 avril 1972 à Conakry, il fut précipité vers la chute. De deuxième personnalité du pays, il n’était même plus membre du gouvernement au moment où il décédait de maladie. Vers la fin de sa vie, de temps en temps, le bruit courait ou l’on faisait courir le bruit qu’il était arrêté ou qu’il devait l’être. Plusieurs de ses cousins, neveux et d’autres membres de sa famille, notamment sa propre sœur Hadja Bobo Diallo, connaîtront la détention politique. Hadja Bobo Diallo, une femme qui se serait illustrée par son courage et sa dignité durant son interrogatoire. Les Guinéens gardent de Saïfoulaye Diallo l’image d’un homme fidèle en amitié, d’un homme sage, d’un homme de pondération, d’un homme à l’esprit ouvert qui a toujours privilégié l’unité nationale, placé les intérêts de la Guinée au-dessus de tout, au-dessus de ses intérêts personnels, au-dessus de ceux de sa région naturelle.
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Ensuite, Louis Béavogui, devenu Lansana après sa conversion à l’Islam, et « Béa » tout court pour la population. Nommé Premier Ministre à l’issue du 9e congrès, au moment où le Président Sékou Touré devenu très impopulaire à cause de l’échec total de sa politique économique, évitait d’effectuer des visites à l’étranger de peur d’être renversé, il le restera jusqu’à la disparition de son ami. Longtemps considéré comme numéro 3, il deviendra numéro 2 après son accession à la Primature. Les proches parents et amis de celui-ci aussi n’ont pas été épargnés. Il faut citer Toumany Sangaré, plusieurs fois gouverneur de région et ministre, connu de tous nos concitoyens de l’époque pour sa grande générosité et sa grande popularité, surtout dans les milieux de la jeunesse, partout où il a servi. Bon vivant, il était loin d’être un fervent adepte de « la Voie de Développement Non Capitaliste ». S’il n’avait tenu qu’à lui, qu’à des hommes comme lui car ils étaient bien nombreux dans son cas, le régime n’aurait certainement pas adopté l’orientation qu’il a prise. Son cousin Moussa Diakité, membre du Bureau Politique National, plusieurs fois ministre aussi, ancien haut fonctionnaire colonial, qui semblait avoir la même opinion que lui sur la politique économique suivie par le régime était sans doute l’un des hommes les plus équilibrés et les plus sages de toute la classe dirigeante de cette ère. Il faut encore citer Mohamed Kassory Bangoura. Outre ses grandes qualités de diplomate, il était connu de tous pour sa grande courtoisie, sa bonhomie ; toujours de bonne humeur, il était impossible de se l’imaginer sans un sourire, ce sourire radieux qu’il arborait toujours les bras tendus vers les autres ; et à nouveau Moriba Magassouba, l’homme de vérité et de plume. Citons tout particulièrement un homme, un homme que l’histoire, quand elle sera écrite de bonne manière, reconnaîtra sans doute un jour, comme l’un des plus grands Guinéens de tous les temps, le Général Lansana Diané. Vétérinaire de formation, plusieurs fois ministre, membre du Bureau Politique National, il était dans le paysage politique, le cas le plus atypique ; son comportement tranchait singulièrement avec celui de la quasitotalité de ses camarades. Il a toujours semblé se situer aux antipodes des positions officielles.
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La sincérité qui sous-tendait, qui éclatait parfois dans ses prises de position, étonnait détonnait. Par les attitudes courageuses qu’il ne craignait pas d’afficher, avec un naturel, parfois une désinvolture, mais aussi un doigté inégalable, il désarmait ses visà-vis. Tel que nous le voyions en action, il n’a jamais semblé se sentir bien dans sa peau dans le système. Dans son cas, on pouvait être amené à penser que c’est son appartenance à Faranah, la ville du Président, et ses liens familiaux avec celui-ci, qui lui assuraient grâce et protection. Mais ses contemporains qui l’ont côtoyé, ont toujours soutenu que son comportement reflétait bien son caractère et que c’était de la même manière qu’il agissait à l’égard du pouvoir colonial. Homme d’une intelligence prodigieuse, déjà durant la période coloniale, il avait été découvert dès l’école primaire comme surdoué. Mais à cause des limites fixées par la colonisation à l’instruction des populations dites « indigènes », il n’avait pas pu aller au bout de toutes ses aptitudes intellectuelles. L’homme n’était pas spécialement un grand rieur lui-même, mais c’est par le rire, en le provoquant chez les autres, qu’il arrivait à débloquer les situations ou à résoudre les problèmes les plus compliqués. En effet, l’humour, qu’il avait toujours à fleur de langue et qu’il maniait en toute circonstance avec une aisance incroyable, était son arme favorite. Sans pratiquement jamais rire lui-même, il réussissait à détendre par le rire les atmosphères les plus crispées, les plus tendues. Mais il savait également se servir avec autant de bonheur de la célèbre tactique du hérisson, déstabiliser un adversaire en s’arc-boutant, piquants dressés pour montrer qu’il est vraiment prêt à livrer bataille, même s’il lui ne décochait jamais de véritables flèches. Il était, chaque fois qu’il le pouvait, parmi ceux qui défendaient les populations, ses couches les plus déshéritées en particulier. Pour ces raisons, les gens l’aimaient bien. C’était lui en effet qu’ils réclamaient pour régler les conflits et litiges sociaux quand ils redoutaient d'être victimes d’injustice. C’était lui aussi que ses collègues du gouvernement appelaient à la rescousse, quand ils étaient en difficulté dans leur ministère. Des cas de grèves d’étudiants éteintes aussitôt après ses interventions sont restés dans 82
les mémoires de plusieurs promotions des Instituts Polytechniques Gamal Abdel Nasser de Conakry ou Julius Nyerere de Kankan. Par sa droiture, l’homme inspirait confiance et suscitait sympathie. Dans les villes, comme dans les campagnes, c’était lui qu’on appelait tantôt «l’homme aux quatre vérités », tantôt « l’homme aux vérités crues ». En effet, honnête et extrêmement rigoureux avec lui-même, il détestait le mensonge. L’homme jouissait de ce fait d’une réelle popularité au sein de toute la population. C’est lui qui, alors ministre de la défense nationale et de la sécurité chargé à ce titre par le Président et le Bureau Politique National d’instruire le prétendu complot militaire de 1965, a osé, au grand étonnement de ses mandataires, innocenter les officiers parachutistes de Labé accusés de préparer un Coup d’Etat contre le régime, en rétablissant la vérité. Désavoué, il risqua d’être démis de ses fonctions et déchu de ses mandats. C’est lui aussi qui, au plus fort de la tempête du complot dit de la « cinquième colonne », lança, sous la forme d’une boutade, le genre de boutade à prendre au sérieux, c’était là aussi son genre, en pleine rue au Secrétaire général du Comité National de la Jeunesse, il s’agissait d’un certain Idrissa Traoré, qui venait d’être élu à la tête de la Panafricaine de la Jeunesse à Alger, et qui, de l’avis, tardait à rejoindre son poste, «-Que cherches-tu jusqu’à présent parmi nous ? Qu’attends-tu pour partir ? Tu traînes devant les gens en ce temps de complot. Ou bien tu veux être arrêté ? Rejoins donc au plus vite l’Algérie, au moins là-bas, si loin, on pourra t’oublier ». Il avait flairé le danger pour un jeune et voulait le sauver. Celui-ci, faisant confiance à son innocence et à la Révolution, resta à Conakry encore environ un mois pour régler quelques affaires ; il fut arrêté et détenu pendant cinq ans. Le Général Lansana Diané fut aussi l'un des rares hauts responsables du Parti à s'opposer au Président du Comité Révolutionnaire qui avait avancé le chiffre de 80000 complices intérieurs de l’agression du Portugal le 22 novembre 1970 à Conakry. Devant le Responsable Suprême de la Révolution et d’autres membres du Bureau Politique National à Conakry, en protestant, il avait lancé ce cri de révolte : « Il faut lui retirer ce dossier. C’est un extrémiste ! Déjà nous n'avons pas suffisamment 83
de cadres, si on décime ceux qui nous restent, si l’on arrête 80000 personnes, des cadres, dans notre si petite Guinée il va en rester combien pour la faire fonctionner, bien l’administrer, la construire, enseigner, soigner ? Il faut l’empêcher d’agir à sa guise, c’est un extrémiste ! ». Personnalité hors normes dans le système, sa nomination au grade de Général sortait elle aussi complètement des normes. En effet, en sa qualité de membre du Bureau Politique National, il avait été, à la surprise générale, désigné par le Président de la République pour conduire le premier contingent de soldats guinéens placés sous le drapeau de l’Organisation des Nations Unies. C’était en 1960 à l’aube de l’indépendance de l’ancien Congo belge, (actuelle République Démocratique du Congo et exZaïre) à la suite de la destitution du Gouvernement du Premier Ministre Patrice Emery Lumumba par le Président Kasavubu. La perplexité fut grande chez tous les hommes en uniforme : un civil, vétérinaire de son état, un civil qui n’avait même pas effectué son service militaire, ni porté le moindre galon, devait les mener sur un champ de bataille ! Ceux qui connaissaient l’ordre militaire firent respectueusement remarquer au Président de la République, entre autres choses, que les homologues de notre commandant de troupe qui dirigeront les contingents des autres pays, seraient tous des généraux de différents grades. Celui-ci qui considérait que tout était politique, sans doute la mission au Congo aussi, usa de son réflexe révolutionnaire « jamais pris à défaut » pour aussitôt prendre avec promptitude une décision bien plus révolutionnaire que militaire. Il le fit donc Général. La Révolution guinéenne était dite globale et multiforme, cette façon de nommer dans une fonction si importante et pour une mission si délicate, devait en être assurément l’une des formes. Renseignements pris pour compléter l’information de la Révolution et son Responsable sur la hiérarchie des généraux, par décret il fut constitué officiellement le même jour Général cinq étoiles, c’est-à-dire Général de corps d’Armée, Généralissime. Dans l’esprit de la Révolution qui venait d’apprendre qu’il fallait un général et qui venait d’en nommer un, personne au Congo 84
ne devait commander le nôtre. Il fallait en tout cas lui donner le plus de chances possibles pour qu’il en soit ainsi. S’il devait y avoir surprise, elle ne pouvait venir que de l’ancienneté dans le grade des autres commandants de troupe, et là, la Révolution, malgré toute sa bonne volonté, n’y pouvait strictement rien. Ainsi devenu général sans l’avoir demandé, ni souhaité, son extraordinaire nouveau « costume » lui seyait doublement mal, non seulement à cause de son physique particulièrement mince, mais aussi de son statut de civil dans l’occupation d’une telle fonction. Il avait surtout un caractère anticonformiste et appartenait à la catégorie de ceux qui rentrent difficilement dans le rang. Mais comme c’était lui qui tiendrait les rênes, il s’accommoda de ces handicaps. Après sa mission au Congo honorablement accomplie, il n’eut pas à étrenner longtemps ses galons en exerçant un commandement dans l’armée, même si plus tard il deviendra ministre de la défense ; il retourna alors à la vie civile en reprenant sa place parmi ses camarades au Bureau Politique et dans le gouvernement. Cependant, il conserva le titre de général. Avec respect et sympathie, les populations ne l’appelèrent plus autrement que par ce glorieux titre. Affectueusement pour tous les Guinéens, il était le Général Lansana Diané, le Général Diané ou tout court le Général. Par sa façon singulière d’être, il a failli lui-même connaître la prison. Le jour de l’agression du 22 novembre 1970, il fut fait prisonnier. Au premier coup de feu, seul, au volant de sa voiture de commandement, il s’était rendu au Camp Boiro pour constater de visu ce qui s’y passait. Dès qu’il en franchit le portail, il se trouva nez à nez avec les agresseurs. Pour se sauver de la tenaille dans laquelle il s’était mis, il se serait fait passer pour chauffeur. Mais par son expression, son habillement, il était tout de blanc vêtu, l’habit officiel du militant parfait, et la qualité de son véhicule, une Volga de commandement, les nouveaux occupants des lieux ne mirent pas longtemps à se rendre compte qu’ils avaient entre les mains une prise importante. Il ne tarda pas non plus à être reconnu aussi par des détenus libérés accourus autour de lui. Selon certains témoins, il aurait été libéré à cause de ses grandes qualités dont les échos seraient parvenus à quelques-uns des agresseurs. Selon d’autres, il aurait été sauvé par l’un des chefs de l’expédition qui 85
lui aurait proposé un marché : sa vie contre la sienne. Dans le cas où les choses en viendraient à mal tourner et que celui-ci serait capturé, il interviendrait pour lui rendre la monnaie de sa pièce. Dans un cas comme dans l’autre, miraculeusement sauvé de la mort qui aurait pu l’emporter même par une balle perdue, tout heureux, il serait parti rejoindre le Responsable Suprême et ses autres camarades du Bureau Politique National, en risquant une nouvelle fois courageusement sa vie au moment où la situation demeurait encore bien indécise. Quand il leur raconta sa mésaventure, au lieu de se réjouir de le revoir sain et sauf parmi eux, certains se mirent aussitôt à le bombarder de questions du genre : « - Comment se fait-il qu’ils t’aient laissé repartir après t’avoir capturé ? - N’étais-tu pas par hasard un de leurs complices embusqué en notre sein, au sein même de la plus haute instance du Parti, pour qu’ils t’aient laissé la vie sauve alors qu’ils sont venus pour nous tuer tous ? » En faisant à l’un de ses oncles, - le vieil Elhadj Nara Madi Diané ancien Président de la Cour des comptes mort de maladie à la Maison Centrale de Kindia à la fin de l’année 1977, - le récit de sa deuxième mésaventure de la journée, il disait non sans amertume : - Oncle, par l’accueil qui vient de m’être réservé, j’ai eu l’impression que certains de mes « amis » n’étaient pas bien contents de me revoir vivant. Suspecté depuis ce jour d’avoir été un complice intérieur de l’agression, il n’a pas été arrêté, mais est resté dans l’œil du cyclone jusqu’à la fin du régime… C / De la famille à l’africaine, au sens large du terme : Evitons aussi de noircir, comme c’est parfois le cas jusqu’à nos jours, la famille, entendez élargie, du Président Sékou Touré souvent accusée, bien à tort dans la quasi-totalité des cas. La grande famille Touré Samoryenne en ses deux principales branches, celle de l'illustre Almamy Samory Touré à proprement parler et celle de son cousin Kèmè Bouréma Touré - qui fut, 86
comme on le disait, la vaillante poitrine des batailles, le chef de guerre intrépide qui à la tête de ses guerriers d’élite, les célèbres Sofas, neutralisait le danger au front avant l’arrivée du gros de la troupe - , était et demeure l'une des plus prestigieuses et des plus respectées du pays ; même si l’Almamy Samory Touré pour certaines populations du pays et de l’Afrique de l’Ouest, mais aussi pour certains chercheurs, ne fait pas l’unanimité. C’est de cette grande et noble famille que venait, de par sa mère, comme nous l’avons dit, le Président Sékou Touré. Même s'il est vrai que l'homme subissait une certaine influence de sa famille, il demeure tout aussi vrai que cette influence n’est jamais allée jusqu'à l’orienter dans son action politique, surtout dans ses décisions majeures. Pour lui, tout le peuple le savait, la politique c'était sa chose, son bien jalousement gardé. Dans la plupart des cas, les interventions de sa famille se limitaient au domaine des recommandations, des nominations, de quelques faveurs à obtenir, de l’aide à quelque ami en difficulté, comme il est de coutume dans la cour des chefs. La quasi-totalité des membres de la famille, à au moins une, mais très notoire exception près, le sage comprend l’allusion, ne s’est en rien associée à la conception, à la machiavélique mise en marche de l’infernale machine des complots. Bien au contraire, comme nos concitoyens de l’époque, ils ont souffert des dérives du régime. Ils étaient plutôt hostiles à la politique menée. Mamadou Touré, dit Petit Touré, l’icône de la branche Kèmè Bouréma Touré au début de la Révolution, a même cherché, comme nous l’avons dit, à créer en bonne et due forme un parti pour s’opposer à sa politique. Il en est mort. Un autre membre de la famille, le célèbre Famoudou Ningbè Touré de Kankan, osait lui aussi souvent critiquer le système mis en place dans certains cercles restreints et même en défendre courageusement des victimes. Par ailleurs, il est beaucoup de femmes et d’hommes toujours de la famille, il faut le dire, qui par leurs interventions discrètes, parfois dans les larmes, auprès du Président, ont contribué à sauver de nombreuses vies humaines. Il serait donc profondément injuste de jeter l’anathème sur les membres de la famille en les accusant indistinctement de ce qu’ils n’ont ni cautionné ni commis… 87
En concluant ce chapitre de la Période et des Hommes, je dirais qu’en plus de tous ceux que je viens de citer, compagnons de route du Président, hommes du conscient collectif, membres de la famille, il y a eu de nombreux autres compatriotes dont l’image reste positive dans le conscient collectif des Guinéens de l’époque. A cette catégorie, appartiennent de nombreux porteurs du titre de « Compagnons de l’Indépendance », ces respectés médaillés de la République qui ont joué un rôle généralement mal connu, parce que discret, mais souvent positif dans la période couvrant le Régime du Président Sékou Touré et les événements faisant l’objet de cet ouvrage. La plupart de ces hommes ne doivent pas être des oubliés de notre Histoire. Il faut, ce ne sera que justice, même à titre posthume, leur rendre hommage ; comme celle des nombreuses victimes, leur mémoire mérite d’être saluée aussi, réhabilitée, honorée. D / De la région naturelle du Président Sékou Touré, la Haute Guinée : Ce n’était un secret pour personne dans la Guinée de l’époque, que Sékou Touré n’a dû ni son ascension politique, ni ses succès électoraux, ni la pérennité de son pouvoir à la Haute-Guinée sa région naturelle. Ce sont plutôt les autres régions qui l’ont soutenu, notamment la Basse Guinée où il faisait pratiquement objet d’adulation. Malgré les immenses efforts qu’il a déployés en Haute Guinée pour conquérir les suffrages, il n’y est jamais parvenu à sa pleine satisfaction. Bien au contraire la quasi-totalité des notables des principales villes de la région, - Kouroussa, Siguiri, Mandiana, Kérouané et particulièrement Kankan, -appartenaient aux partis opposés au sien, et dont les leaders étaient du Fouta-Djalon : le Bloc Africain de Guinée (BAG) de Diawadou Barry, le Mouvement Socialiste Africain (MSA)) ensuite la Démocratie Socialiste de Guinée (DSG) de Barry Ibrahima dit Barry III ainsi que le parti du Regroupement Africain de Guinée (PRAG). Certains facteurs, non des moindres, ne militaient pas en sa faveur. Ce désamour pourrait s’expliquer, non seulement par son discours à l’accent populiste, sa ligne politique d’inspiration communiste qui effarouchaient dans une région plutôt tournée vers 88
une certaine forme de libre concurrence, vers la pleine accession à la propriété privée et à la richesse, mais aussi par les liens séculaires tissés et entretenus entre les notabilités du Fouta-Djalon et de la Haute Guinée qui entretenaient des correspondances suivies, - très souvent sur la religion -, et échangeaient des émissaires quand des décisions importantes devaient être prises à l’échelle du pays. Les longues guerres de la résistance Samoryenne n’avaient pas elles aussi laissé que des souvenirs agréables… Les relations entre les notabilités des quatre régions naturelles de la Guinée ne se sont pas vivifiées qu’en matière de consultations religieuses, ou d’alliance politique. Elles se sont fortifiées aussi par des mariages, même si cela n’a pas eu, à mon goût, l’ampleur qu’il aurait dû avoir à travers les siècles. Ce qui aurait eu une influence déterminante sur notre vivre-ensemble dans l’harmonie. Comme par exemple à Dabola, notre bonne ville au cœur du pays. Au plan culturel, toponymique et des us et coutumes, ces relations ont laissé des traces indélébiles et continuent à faire s’épanouir l’enrichissement mutuel. De nombreux mots de la langue mandingue ont été empruntés par le pular. Il en est ainsi du substantif karamokô, karan môkô, maître du savoir ou d’école, de môkhôba un sage ou une personne respectable ou encore de dénnabô baptême, de « kati mourou » se traduisant par le couteau qui se plie ou de noms de ville comme Dalaba, grande mare pour ne citer que ces quelques exemples. Une illustration encore plus forte de ces liens, le quartier qui abrite la concession des anciens chefs de canton de Kankan porte le nom de l’ancien siège de la chefferie traditionnelle du Fouta-Djalon, Timbo. Jusque de nos jours les Kankanais conservent jalousement ce nom. Dans l’esprit de la même vieille fraternité, l’autre grand quartier de la ville, actuel Kabada, portait lui aussi le nom de la Cité de couronnement des chefs du Fouta théocratique : Fougoumba ou Fourouban par déformation. Fougoumba étant plutôt de consonance mandingue, l’appellation serait-elle venue de Kankan pour le Fouta-Djalon ou est-ce le contraire qui se serait produit ? Dans un cas comme dans l’autre, le phénomène ne peut que marquer la force et le caractère ancien des liens entre les deux régions. Les mêmes similarités renforçant les liens à travers les langues, les traditions, dans la toponymie existent entre toutes les 89
régions du pays. Avec la forte migration des populations de l’intérieur du pays vers Conakry, la Capitale, la langue de la Basse guinée, le sosso qui y est parlé devient progressivement l’une des matrices (ou l’un des moules) de cette transversalité. Les jeunes générations ne le savent peut-être pas. L’Hymne National de notre pays, « Liberté », choisi par les pères fondateurs, vient d’un air chanté en langue mandingue par les Griots venus de Haute Guinée, les Kouyaté, à la gloire Alpha Yaya Diallo roi du Labé au Fouta-Djalon. Jusqu’à aujourd’hui, c’est le plus bel hommage rendu à ce prestigieux Monarque. L’une des versions les plus récentes de ce chant intitulé « Alpha Yaya» , a été immortalisée par le célébrissime Kouyaté Sory Kandia issu de la plus grande lignée de Griots du Mandingues, les Kouyaté qu’aucun griot, selon eux, ne vaut ; même si les Dioubaté, autre grande famille de griots, revendiquent le même prestige. Quand on comprend les paroles, du chant dédié à Alpha Yaya, Diallo on en est secoué au plus profond de soi-même. Trêve de… En Haute Guinée, pour les notables et le gros de la population, les femmes et les jeunes dans une moindre mesure, Sékou Touré n’inspirait pas confiance. Il suscitait plutôt la peur. Une prédiction largement répandue dans la région renforçait ce double sentiment. En effet un fameux sage de Kankan qu’il aurait consulté sur son avenir, lui aurait annoncé ne pas voir le bonheur de la Guinée dans ses mains, après lui avoir donné toute assurance sur l’issue et inévitable heureuse de ses ambitions politiques. Il a farouchement combattu la région, particulièrement les commerçants de Kankan. Le rayonnement d’une certaine forme de bourgeoisie parmi ceux-ci semblait lui faire ombrage et présenter un obstacle pour son option économique : « la Voie de Développement Non Capitaliste ». C’était en grande partie contre eux qu’il a pris la loi-cadre du 8 novembre 1964. C’était encore contre eux qu’il avait radicalisé cette loi en 1975. De même, c’était pour assécher toutes les sources d’enrichissement des mêmes commerçants dont l’écrasante majorité à l’époque dans le pays était originaire de Kankan, qu’il a organisé les changements monétaires. Ayant constaté que la ville s’était placée seconde après Conakry lors de ces deux changements de monnaie, il n’avait pas 90
hésité à déclarer dans un discours : « Ils ont encore de l’argent ! ». Ruinés, leurs stocks de marchandises ayant été liquidés à des prix dérisoires à la population lors de ventes publiques organisées par le Parti après la suppression totale du commerce privé conformément à une disposition de la loi-cadre, les commerçants kankanais s’exileront massivement dans les pays voisins, notamment en Côte d’Ivoire, au Mali et au Liberia, même bien plus loin dans les deux Congo, laissant derrière eux des concessions en ruine. La plupart de ceux qui, comme Kaba Laye, n’ont pas voulu partir, l’ont payé de leur vie. Pour la combattre et la détruire, il avait stigmatisé Kankan en l’indexant «Citadelle » de la contre-révolution. Entre 1970 et 1971, lors du soi-disant complot de la cinquième colonne, il a été dénombré au camp Soundjata Kéïta de Kankan, nous l’avons déjà indiqué dans «La Guinée, Sous les Verrous de la Révolution», plus de 450 arrestations. Autant Kankan a terriblement souffert de la lutte du régime contre le commerce privé et de l’arrestation de ses cadres, autant Kouroussa, la ville du Général Noumandian Kéïta, et Siguiri, la ville de Fodéba Kéïta et de Magassouba Moriba, qui comptaient le plus grand nombre d’officiers au moment où le pays accédait à l’indépendance, l’ont été de l’écrémage subi par l’armée. Guinéens de toutes régions confondues, vivant, Sékou Touré nous a communément martyrisés ; mort, depuis plus d’un quart de siècle, nous ne devons pas laisser le spectre de sa triste mémoire nous opposer de manière fratricide. E / De l’après 3 avril 1984 : Après la prise du pouvoir par l’Armée le 3 Avril 1984, pratiquement tous les compagnons vivants du Président Sékou Touré, membres du Bureau Politique National, du gouvernement, hommes du conscient collectif ou non, certains membres de sa famille et même nombre d’autres personnes de sa région naturelle, tous hâtivement regroupés sous le vocable de dignitaires, ont été arrêtés et emprisonnés, pour certains, dès après la chute du régime, et pour d’autres, après une tentative de coup d’Etat avorté d’un colonel de l’armée, du nom de Diarra Traoré, contre le nouveau Pouvoir. Sans jugement et sans qu’on ne sache comment, un grand 91
nombre de ces personnes ont disparu. Après avoir été soumis parfois à d’abominables tortures et exécutés, disent les rescapés. De mon point de vue, ni Lansana Béavogui, l’ex-premier ministre, ni le Général Lansana Diané, ni les autres hommes du conscient collectif que j’ai cités, ni des membres de la famille du Président Sékou Touré, ni des personnes de sa région naturelle ou de sa ville, assimilées à cette catégorie et stigmatisées pour cette raison, n’ont mérité le sort qui fut le leur. Comme nous les victimes des camps Boiro de Conakry, Soundjata Kéïta de Kankan, Kèmè Bouréma de Kindia, de la Maison Centrale de Kindia et d’autres cachots, eux non plus, n’ont pas bénéficié de procès. Impérieusement, il l’aurait fallu. Comme tout homme, comme tout justiciable présumé innocent, eux aussi auraient dû avoir droit, à un procès, un procès équitable, à une véritable justice avec le respect scrupuleux des droits des parties. Dans l’esprit public de ce temps-là, un vent de vengeance semblait souffler. La vengeance et tout ce qui s’y apparente, quelles qu’en soient les motivations, ne peuvent ressortir à la justice. Dans leurs cas, comme pour tous ceux qui ont disparu, été emprisonnés, exécutés, ou victimes d’autres manières en Guinée dans des conditions extrajudiciaires après l’ère de la Révolution, seule une justice indépendante et impartiale aurait fait, peut faire honneur à notre pays en établissant formellement par des moyens légaux des innocences ou des culpabilités. Innocents ou coupables, seule la justice doit l’établir. Lesdits dignitaires du régime avaient eux aussi des droits, des droits qui n’ont pas été respectés, qui auraient dû l’être. Eux aussi avaient des enfants, des épouses, des parents, des amis qui ont été du jour au lendemain précipités dans le drame sans explication, sans comprendre, parce qu’il n’y a pas eu de jugement. Seule la justice permet aux justiciables, à l’accusé et à la partie civile, au peuple et à sa mémoire à travers les générations, de comprendre. Les pratiques anciennes, toutes les pratiques qui ont sali la réputation et l’honneur de notre République doivent prendre fin, pour l’établissement d’un Etat de Droit, d’un véritable Etat de Droit. Dans l’Etat de Droit où nous ne sommes pas encore, loin s’en faut, mais que nous aspirons à devenir, il faut dire ces vérités et les soutenir avec la plus grande détermination… 92
CHAPITRE VII
DE DEUX CHOSES, LA PREMIERE
Durant toute notre captivité, les discussions allaient chaque fois bon train sur les comment et les pourquoi de nos emprisonnements, sur la capitale question de la responsabilité et sur le Président Sékou Touré. Au cours de l’une de ces discussions, le raisonnement qui m’a le plus marqué fut celui d’un des personnages importants de «La Guinée, Sous les Verrous de la Révolution», Siriman Condé l’ancien chauffeur-transporteur, autrement dit « Vieux Berliet », l’homme à l’histoire des quatre voleurs de bouc qui a fini par se savoir, pour notre malheur, dans le « Fer à Cheval ». Siriman, un homme que j’ai découvert, appris à connaître et apprécié après trois ou quatre passages communs de différentes durées dans plusieurs cellules. Il brassait en lui, fruits de ses rencontres et de ses aventures, les multiples ressources de plusieurs cultures, de plusieurs vies. Sa connaissance des hommes, des choses et des situations semblait s’être fortement enrichie de son expérience de grand voyageur. Intarissable, il avait toujours eu une anecdote à raconter sur chaque bourgade où étaient passées les roues de ses camions et finissait toujours ses récits par un proverbe, un dicton ou un bon mot des terroirs parcourus. Son humour, savoureux , il le distillait toujours à bon escient quelles que soient les cibles choisies. En cherchant toujours à introduire une dose de bonne humeur dans ses sujets, il tentait de chasser en prison l’ennui en essayant d’insuffler un peu de chaleur humaine et de soleil autour de lui. C’était toujours avec un certain regret qu’un compagnon de cabine, de cellule ou de salle le voyait se séparer de lui. Quel que soit son propos, on trouvait toujours quelque chose à y prendre. Siriman « Vieux Berliet», un véritable personnage !
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Mais par-dessus tout, un trait le distinguait de la plupart d’entre nous, surtout de nous les cadres, « les gens instruits » comme les autres compagnons de prison aimaient à nous appeler. Doté du sens pratique et de la clairvoyance propres aux gens du peuple façonnés par la vie tout au long de leur parcours, sa philosophie n’allait jamais jusqu’à douter des évidences. Quand il se savait sûr d’une idée, imperceptiblement, pour la développer et atteindre son objectif, convaincre, il sautait toujours par-dessus les phases intermédiaires du raisonnement susceptibles d’insinuer le doute. Je ne sais pas quel avantage il tirait en liberté de cette façon d’être, mais en prison elle lui réussissait à tous les coups. Pour justifier son arrestation et sa culpabilité aux yeux des habitants de la ville, le Sous-comité Révolutionnaire de Kankan n’avait rien trouvé de mieux que de l’accuser d’être le colporteur dans les deux sens des correspondances des membres intérieurs et extérieurs d’un Front de Libération de la Guinée dont les principaux animateurs résideraient à Abidjan dans la capitale ivoirienne. C’était lors des événements dits de la Cinquième Colonne. - Après ton arrestation, quand nous sommes allés visiter chez toi, nous avons trouvé un sac pouvant contenir 100 kilos de riz, rempli à ras bord rien Sa réplique, humoristique et cinglante, a fait sursauter le Souscomité : - Puisque moi, je n’ai pas laissé ce sac à mon domicile avant de le quitter lorsque vous êtes venus m’arrêter, répondit-il, si vous l’y avez « découvert », nous devons donc convenir vous et moi, que c’est vous qui avez déposé ce sac chez moi. S’agissant du Président Sékou Touré, le Responsable Suprême de la Révolution, sa religion à lui était faite depuis longtemps. En effet, dans une cellule commune, un jour, où la discussion s’animait sur la question des responsabilités, il domina largement les débats. C'était tout au début de notre emprisonnement, dans les premiers mois de notre arrivée au camp Soundjata. Dans la cellule, nous étions cinq, lui l’ancien chauffeur-transporteur, mon oncle Moustapha Camara, ancien commerçant de Kankan, illettré comme lui, en qui il avait trouvé un allié tout naturel pour le soutenir dans 94
sa position, Lanna, moi-même et un enseignant, professeur d’idéologie, servant à Kankan, mais originaire d’une autre ville de Haute Guinée. Il s’était insurgé contre une idée que ce dernier avait soutenue une ou deux fois devant lui. Pour celui-ci en effet, et pour bon nombre de « gens instruits », notre détention était la conséquence des luttes internes entre clans rivaux du Parti, précisément entre son aile droite et son aile gauche. Il soutenait fermement, il en semblait convaincu, que le Président était trompé par des hommes influents de son entourage de ces deux camps qui lui cachaient, et les uns et les autres, la réalité des choses. Il expliquait avec force illustration qu’il était victime de ces confrontations fratricides, qu’il était manipulé, qu’il n’était même pas au courant de certaines arrestations, de certaines exécutions, que dès qu’il sortirait de la nasse dans laquelle il était pris, nous, les détenus politiques tous innocents, nous serions libérés. Indigné par cette logique dans laquelle semblait s’enfermer l’enseignant professeur d’idéologie, il s’était lancé dans une longue diatribe pour nous expliquer sa manière à lui de voir les choses : - « Depuis que nous sommes dans cette prison, avait-il commencé ce jour, j’ai entendu à plusieurs reprises ce point de vue sur la question des responsabilités ou plutôt de la responsabilité, curieusement surtout de la part de vous les gens instruits. Avant les interrogatoires une telle position bien que fort étrange à mes yeux, elle n’a jamais été la mienne je vous rassure tout de suite, pouvait peut-être se comprendre dans l’aveuglement dit révolutionnaire quasi général dans lequel tout le pays semble s’être égaré, si ce n’est pas, comme je le crois profondément moi, de la pure mauvaise foi de la part de la majorité de ceux qui se déclarent militants. Mais après qu’on ait été torturés pour avouer des mensonges, je ne peux la comprendre. Moi je suis totalement convaincu du contraire. - Voyons, moi je suis père de famille, avait-il poursuivi, j’avais une épouse et sept enfants, trois garçons et quatre filles, quand je quittais ma concession. Supposez que trois de mes filles aient été mises en grossesse par des voyous, que tous mes trois garçons aient été des délinquants notoires et que dans mon quartier tous les habitants aient été au courant de cette situation, sauf moi. 95
Reconnaissez que je n’aurais pas mérité d’être chef de famille. Avant nos arrestations vous et moi, continua-t-il, Kankan, ma ville présentement meurtrie par tous les malheurs qui se sont abattus sur elle depuis que cette histoire de fous de Cinquième Colonne a commencé, était commandée par un Gouverneur. Supposez que toutes les nuits des magasins y aient été éventrés, que des vols aient été commis, des viols, des crimes perpétrés en série et que tous les Kankanais aient été au courant de cela sauf le Gouverneur. Il n’aurait pas mérité d’être le premier responsable administratif de la ville. - Venons-en maintenant au Président Sékou Touré. De deux choses l’une, avait-il lancé furieux, ou bien c’est lui-même en personne qui a décidé d’arrêter tous ceux qui l’ont été, depuis le tout premier complot qu’il a inventé jusqu’à celui-ci, de nous arrêter vous et moi, surtout vous les gens instruits qu’il ne semble pas porter dans son cœur, sans doute parce que lui-même n’a pas beaucoup réussi à l’école, d’arrêter des militants de première ou de dernière heure, comme vous le voudrez ; dans ce cas, dans ce cas dis-je, sa responsabilité est pleine et entière ! Supposons que ce n’est pas lui le responsable, ce sont des clans et des ailes de son parti qui sont responsables de notre calvaire, de la souffrance et de la misère de toutes nos populations sans aucun répit depuis son avènement au pouvoir ; dans ce cas, il ne mérite pas d’être notre Président ! Vous imaginez-vous, avait-il poursuivi, un homme dont on emprisonne des militants aveuglément dévoués à sa cause, des camarades, des « amis » parfois les plus proches, de compagnons, à la fidélité indéniable, qui l’ont aidé à créer son parti dans des conditions extrêmement difficiles, parfois au péril de leur vie en affrontant courageusement les colons français, en le protégeant lui ; des hommes qui ont rendu possible son ascension politique pour qu’il se trouve là où il est aujourd’hui ; des amis et protecteurs à lui, comme Elhadj Mamadou Fofana de Mamou, qui l’ont soutenu de leur argent sans compter, mais aussi de leur influence quand il ne représentait rien. Il est vrai qu’en politique, le salaire des bons services, de la fidélité et de la loyauté, a toujours été l’ingratitude ; après usage, le fidèle et loyal serviteur, est rejeté avec dédain et mépris, s’il n’est pas persécuté ou donné en pâture à tous ceux qui peuvent, même de manière absolument gratuite, lui en vouloir à 96
mort ; cela n’a pas commencé avec lui, c’est depuis la nuit des temps. Penses-tu au nombre et à la qualité des personnes arrêtées, pendues ou fusillées ? Des ministres de ses différents gouvernements, et pas des moindres, arrêtés, pas moins de quarante, depuis qu’il en nomme et en renvoie à longueur de remaniement par décrets fracassants ; des membres même de la plus haute instance de son parti, le Bureau Politique National ; des gouverneurs de région, pas moins de vingt ; des Secrétaires fédéraux, comme mon ami d'enfance Amiata Mady Kaba de Kankan à la réputation de militantisme bien établie, pas moins de vingt ; toutes ces personnes qu’il côtoyait à longueur de réunions, de conférences, de congrès que sais-je encore, il y a tellement d’instances que seuls vous vous pouvez vous y retrouver ; d’éminents ambassadeurs, au moins une dizaine ; des officiers de tous rangs, bien au-delà de la centaine ; des commandants d’arrondissement pourtant zélés dans l'application stricte de sa mauvaise politique, toujours prêts à lui obéir au doigt et à l’œil, tout simplement innombrables ; des notables de pratiquement de chacune de nos villes, respectés, parfois même vénérés de leurs concitoyens, innombrables ; des commerçants parce qu’ils avaient tout simplement eu le mérite, le tort selon lui, de chercher de l’argent et d’en avoir eu, innombrables ; des professeurs comme vous, des ingénieurs, des docteurs-médecins dont le pays a crucialement besoin, innombrables ; même de pauvres paysans comme Souleymane Bayo de Mandiana, un villageois ; même moi, un simple chauffeur-transporteur, qui ne cherche qu’à nourrir sa famille, qu’est-ce que j’ai à chercher, à gagner dans un complot, selon vous est-ce moi qui pouvais renverser la Révolution, pour devenir quoi de plus que je ne suis et ne peut être, chauffeurtransporteur ? Des centaines et des centaines d’innocents issus de toutes les couches sociales qui croupissent avec nous dans cette prison et dans d’autres essaimés inutilement à travers le pays ; toutes ces personnes arrêtées, emprisonnées, torturées, mises à la diète comme nous l’avons été nous-mêmes, des innocents auxquels des tortionnaires ont arraché des aveux sous les tortures les plus horribles, sans que lui le Président, le chef, le Responsable Suprême, c’est le cas de le dire, n’ait été au courant, n’ait aucune responsabilité. Peux-tu le croire un seul instant ? cria-t-il en pointant un doigt rageur sur l’enseignant-professeur d’idéologie. 97
Peut-on, peut-on croire un seul instant à cela ? Tout cela pour quoi faire, tout est faux, faux comme ta théorie et celle de tous ceux qui soutiennent de telles inepties, qui soutiennent que ce n’est pas lui le responsable. Tu es bien bizarre toi ! Tu es vraiment militant ! Dehors tu militais pour son parti, ici tu milites pour sa prison. Je me rends compte que toi tu es réellement malade de lui ! Même cet emprisonnement injuste ne t’en a pas guéri. Même ta détention dans ces conditions exécrables ne t’a ouvert ni les yeux ni l’esprit. Le monsieur te prend, te met en prison et tu continues toujours à croire désespérément en lui. C’est lui, c’est lui qui prend les décisions pour faire répandre et prospérer le mal dans ce pays. Lui, personne d’autre ! - De grâce, poursuivit-il encore avant de conclure, arrête de nous blesser les oreilles avec ta thèse insensée. Si tu t’obstines à penser que c’est au niveau de son entourage ou d’autres sphères qui gravitent autour de lui qu’il faut rechercher des responsabilités, tu es soit bien naïf soit de mauvaise foi, donc démagogue même ici ; dans tous les cas tu te trompes lourdement. Si durant toutes ces années, il ne s’est pas rendu compte qu’on l’induisait en erreur, qu’on l’abusait, s’il n’était pas au courant, il y aurait à douter de sa capacité de jugement ; ce qui est inconcevable, tant il jouit auprès de militants aveugles comme toi d’une réputation d’intelligence « hors du commun, « le plus intelligent des Guinéens » comme le qualifient les démagogues qui s’arrogent le droit d’être nos examinateurs à tous pour affirmer qui parmi nous est le plus intelligent ou le plus bête… Le Chef manipulé par des clans, croistu à cela, toi ? Ce chef, le cerveau pensant, le « stratège » comme vous le dites ! On n’est pas chef pour rien ! N’est-ce pas lui, le Responsable Suprême ? Pas seulement de sa révolution, mais de tout, je dis de tout ? Conclut-il pratiquement à bout de souffle ». Et son compère d’ancien commerçant, mon oncle, de lui emboîter le pas en ajoutant : - Cite-moi, monsieur le professeur d’idéologie, une seule famille à Kankan, une ville que tu connais bien pour y avoir servi pendant de longues années, une seule qui n’ait été touchée directement ou indirectement par les dénonciations et les arrestations. Ce doit sans doute être le cas dans toutes les autres villes du pays. Si ce n’est pas vous-même qu’on prend, c’est votre 98
frère, si ce n’est pas votre frère, c’est votre sœur, votre père ou votre mère, votre ami, vos beaux parents, vos relations, vos collègues de travail. Quand on arrête quelqu’un que vous avez rencontré, même par pur hasard, soyez sûr que vous n’allez pas échapper à la prison. Après l’arrestation de Gbéléma Fodé, un marabout d’un faubourg de Kankan, plus d’une centaine d’innocents ont été emprisonnés, torturés. Le pauvre, il a été torturé à mort pour dénoncer, dénoncer. Moi, c’est ce qui me vaut de me trouver parmi vous. Le monsieur, je ne le connais même pas. Pourquoi tout ça ?
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CHAPITRE VIII
NOTRE OPINION
Dans « La Guinée, Sous les Verrous de la Révolution » comme dans cette analyse, il a souvent été question de la Révolution, du Parti, du régime, des Comités révolutionnaires, des Sous-comités, des pouvoirs révolutionnaires locaux, voire du peuple etc. Mais s’il peut paraître difficile de situer avec précision les responsabilités de faits souvent présentés comme l’action anonyme d’un groupe, d’un organisme, il peut paraître tout aussi difficile de rendre confusément responsables, de manière anonyme, un bloc, un parti, un régime, quelles qu’aient été leurs organisations, de faits d’une ampleur et parfois d’une gravité extrême qui ont perturbé, continuent de perturber tout un peuple et qui ont brisé la vie de centaines d’innocents. En toute responsabilité, même supposée collective, se dégagent des responsabilités individuelles, différenciées, plus importantes les unes que les autres. Un parti, une révolution quelle qu’elle soit, ce sont des hommes ayant joué des rôles plus ou moins significatifs ou déterminants, des hommes ayant eu à tel ou tel moment de leur vie ou de l’histoire de leur pays des prises distinctes sur les événements... Avec le recul, et selon mon intime conviction, je vais donner mon point de vue sur la capitale question de la responsabilité. Au sommet et au cœur de la Révolution, il y avait le Président Sékou Touré. Complexe, l’homme n’est pas un personnage que l’on peut peindre de manière manichéenne en noir et blanc. Aux différentes étapes de sa longue carrière politique, il a suscité les admirations les plus folles comme les haines les plus féroces. Son cas, jusqu’à aujourd’hui, n’a pas fini d’alimenter des passions contradictoires. Il était le genre d’homme à ne jamais faire l’unanimité autour de lui, 101
ni dans un sens ni dans l’autre. Même dans nos cellules, cabines et salles, il divisait l’opinion. Parmi nous, il y avait ceux qui, malgré leur emprisonnement - certainement inconsciemment victimes du syndrome de Stockholm -, se distinguaient en continuant à croire en lui, au point de prier chaque jour pour son triomphe politique et sa longévité à la tête du pays. Parmi ceux-ci, il y avait certes notre enseignant-professeur d’idéologie, mais il faut citer tout particulièrement l’ambassadeur Mohamed Kassory Bangoura qui, selon ses compagnons de cellule du camp Boiro, a, par fidélité, jalousement gardé sur lui jusqu’à sa mort en prison, souvent serrée sur son cœur, une petite photo de lui… Il y avait, de loin les plus nombreux, disons l’écrasante majorité, ceux qui étaient convaincus de la faillite de son système sur tous les plans, politique, économique et social, et qui à l’évidence, le considéraient comme un autocrate sanguinaire. Tyran pour les uns, héros pour les autres ! Après l’indépendance, le Président Sékou Touré s’est rapidement imposé au sein de son parti comme leader incontesté, avant de s’installer au faîte de sa toute-puissance. Il était le grand maître d’ouvrage, l’omniprésent, l’omnipotent, supposé l’omniscient. Par parti interposé dont il avait étendu l’autorité sur tout le pays d’abord comme les toiles d’une araignée géante ensuite comme les tentacules d’une pieuvre vorace, et qu’il avait transformé en une foudroyante machine de répression dirigée d’une main de fer, sa stature s’imposait, visible ou non, derrière chaque fait, chaque geste du citoyen ou plutôt du « militant » que nous étions tous obligatoirement, Guinéens de ce régime. En toute chose dans le pays, il avait le dernier mot, avec ou sans l’appui du Parti-Etat, l’Etat ayant dépéri progressivement au profit du Parti, et le Parti-Etat à son tour s’étant progressivement effacé devant sa personne. Au fil de son ascension, le leader incontesté s’était également approprié tous les moyens de communication, la radiodiffusion nationale, la Voix de la Révolution et le journal Horoya, à l’origine organes du Parti, qu’il avait transformés en instruments de propagande, de manipulation et de conditionnement du peuple à son service exclusif. A ces deux appropriations, il avait ajouté l’Imprimerie Nationale Patrice Emery Lumumba, la seule 102
imprimerie du pays, qu’il destinait et qui se consacrait pour l’essentiel à l’impression et à l’édition de ses œuvres en plusieurs tomes, de ses innombrables discours-fleuves et poèmes dits révolutionnaires ou militants. En 1977, la télévision, chaîne unique elle aussi, un don de la Libye, était venue compléter cet arsenal médiatique qui disposait des éditorialistes sans doute les plus zélés. Par sa seule volonté, le pays avait changé de nom, il était devenu : République Populaire et Révolutionnaire de Guinée ; il ne redeviendra République de Guinée qu’après sa disparition. L’emblème du Parti, l’Eléphant, Syli, symbolisait simultanément le pays et sa personne. L’homme adorait se faire appeler Syli par son peuple jusque dans les chansons ; dans la même logique, par sa seule volonté, la dénomination de l’unité monétaire nationale devint le Syli. Les hymnes et chœurs composés à sa gloire, se jouaient ou se chantaient en même temps que ceux du Parti-Etat. Sa puissance s’étendait jusqu’au port vestimentaire de son peuple. Sa couleur de prédilection, le blanc, il l’avait imposée comme couleur du Parti-Etat. En effet, depuis qu’il avait commencé à porter ostentatoirement un boubou blanc et une toque de la même couleur, (sacrifice sans doute conseillé par les aéromanciens, féticheurs ou autres devins en qui il croyait divinement, les responsables du Parti et de l’administration - PartiEtat oblige - furent tenus d’en faire autant. Et à la suite de ceux-ci, par peur, les militants, hommes, femmes et jeunes de tout âge, de toutes catégories, se sont vêtus de blanc. A qui mieux mieux, c’était à qui l’imiterait le plus vite. Après avoir fait du blanc la couleur officielle, c’est tout le peuple qui fut de blanc vêtu lors des cérémonies et des réunions publiques. A l’époque, se présenter à une cérémonie sans être de pied en cap habillé de blanc, était tout simplement inconcevable : le blanc était devenu symbole de militantisme et qualifié de porte-bonheur pour les plus démagogues. Mais, l’Histoire l’a souvent prouvé, quand un parti unique est à la dévotion de son leader, il suffit de la disparition de celui-ci pour que s’effondrent instantanément avec lui, et le parti et le régime. Et les flatteurs et les adorateurs de tous bords de déchanter, ou de tourner casaque. En effet, dès que Sékou Touré, le dictateur eut 103
disparu, tout « son édifice » s’écroula aussitôt comme château de cartes, ne laissant hélas la place que de la peur… Séquelles tenaces de cette peur, rien que de normal aux yeux de nos concitoyens, simple et extrême méfiance, vous pouvez avoir appartenu à la même structure gouvernementale, disons-le au même gouvernement, ou à toute autre structure administrative durant une dizaine d’années avec des collègues, rien que des « amis et des frères », sans jamais vous rendre visite une seule fois, sans même savoir où vous habitez, sauf - et cela aussi très rarement le jour de votre nomination - si le poste est important et peut laisser espérer l’obtention de quelques avantages, et bien plus exceptionnellement, ou pratiquement jamais, le jour où est publié le décret de votre disgrâce. Il est vrai qu’en entrant en politique, il faut s’attendre à tout, et se tailler des habits en peau d’hippopotame pour espérer rester à flot. Ce qui est vrai du gouvernement et de l’administration l’est tout autant des structures politiques. Dans les deux cas, dès que vous tombez, pour vos collègues et pour vos camarades, « vos amis et vos frères » d’hier, vous cessez d’exister. Il y a des cadavres qui ont la vie dure… Chacune de ses apparitions s’organisait en cherchant à lui donner le maximum d’ampleur et d’éclat, de manière à toujours l’orchestrer comme un événement exceptionnel ; chacune de ses déclarations publiques avait force de loi. Il suffisait qu’il dise, et quiconque était accusé par lui devenait automatiquement coupable. Les signes abondent de sa quasi-déification et du culte de la personnalité qu’il a méthodiquement institué. Il était impensable pour quelque responsable politique et administratif que ce soit de prononcer un discours, sans le citer abondamment, lui l’unique détenteur de toutes les vérités : ne pas le faire, équivalait à commettre une faute qu’il fallait réparer séance tenante, sous peine d’être suspecté de malveillance ou d’irrespect coupable à l’égard de la Révolution et de son leader, maître de la pensée unique. Pour susciter et entretenir la mystification autour de cette déification, dès qu’il a été élu Président, il s’est, à l’image de certains dictateurs du continent, suggéré, puis imposé progressivement à son peuple comme porteur de toutes sortes de vertus dont la plus fréquemment citée se déclinait religieusement : « Homme de Dieu». Selon de vieilles croyances obscurantistes 104
entretenues dans plusieurs sociétés africaines, parfois faussement au nom de la religion, et auxquelles lui croyait ou faisait semblant de croire parce que tout à son avantage, il a fait distiller l’idée selon laquelle il ne devait répondre de ses actes, y compris ses forfaits, que devant Dieu, et cela seulement dans l’au-delà ; ici-bas, il ne se considérait comptable de rien, responsable devant personne, pas même devant son peuple qui l’avait porté au pouvoir. Ce qui était destiné à lui laisser la porte grandement ouverte à toutes sortes d’abus, d’arbitraire et d’injustice. En entretenant soigneusement de telles croyances, l’une des finalités qu’il recherchait était d’inculquer à son peuple l’idée du Moi l’indispensable que Dieu même aurait élu, comme si Dieu votait. Selon ses proches, il était obsédé, par l’idée bien bizarre d’être venu sur terre nanti ou investi d’une mission surnaturelle, pour ne pas dire divine, à accomplir. Ayant toujours eu une conception solitaire et dictatoriale du pouvoir, dans son esprit, le pouvoir c’était lui. Il l’incarnait et tenait à l’incarner seul. En un mot, il croyait, ou faisait semblant de croire, que c’était à lui, et peut-être à lui seul, d’assumer la Guinée. Au faîte de sa toute-puissance, après s’être fait acclamer Responsable Suprême au 8e congrès de son parti en 1967, et nommer Ahmed, qualificatif arabe qui se traduirait par « mérite les louanges les plus extrêmes ! », il dominait tout dans le pays et nous dominait tous. Au-dessus de tout et de tous, il pouvait faire ce qu’il voulait, priver de liberté qui il voulait, quand il le voulait, durant le temps qu’il voulait, en faire ce qu’il voulait. Il est impossible de penser qu’un tel homme détenteur de tous les pouvoirs dans la Guinée de l’époque, puisse être dégagé de ses responsabilités dans les événements dont nous avons rendu compte dans cet essai et dans la chronique autobiographique qui lui tient pièce. Sur l’essentielle question de la responsabilité, pour ce qui nous concerne, Lanna, d’autres compagnons et moi-même, le raisonnement de l’ancien chauffeur-transporteur, « Vieux Berliet », pour simple qu’il paraissait, était le nôtre. Cette opinion de bon sens était notre opinion. Nous inclinions irrésistiblement à croire que le seul et unique responsable de la terreur, des drames, des tragédies et de la misère vécus par le peuple de Guinée et par de 105
nombreux étrangers durant la période couverte par ce récit, c’était le Président Sékou Touré, Chef de l’Exécutif, Secrétaire général du Parti, Chef du Haut Commandement, par-dessus tout Responsable Suprême de la Révolution. Dès qu’il eut disparu, sa Révolution a disparu et avec eux deux tout le cortège de misère, de terreur, de drames, de crimes qu’ils généraient. Dans les discussions qui revenaient de temps à autre sur le sujet, il s’imposait à moi, et à divers détenus politiques partageant mon opinion, surtout à ceux qui l’ont bien connu, dont ses fort nombreux anciens amis, que Sékou Touré n’était pas le genre de personnage à se laisser manipuler ni par les circonstances ni par les hommes. La fameuse théorie du bon prince et des mauvais courtisans ne peut s’appliquer à lui. Même si pour se couvrir devant l’opinion il avait mis en avant des structures dans la gestion du dossier des complots ; même s’il avait pris « la précaution » de faire « juger » les supposés coupables par les instances du Parti illégalement transformées en Tribunaux dits Populaires Révolutionnaires ; même si beaucoup de personnes ont cru à un moment donné que les complots étaient les conséquences des luttes internes de clans au sein du Parti ; même si certains peuvent penser que ce n’est pas lui seul qui a créé de toutes pièces les complots ; même si d’autres personnes ont accusé son entourage ; même s’il y a eu une exception notoire dans sa famille ; même s’il y a pu avoir des exécutants qui, cherchant, parfois avec zèle et docilité, à sauver leur tête, ont exposé celles d’autres personnes ; même s’il a pu y avoir, comme certains ont tendance à le soutenir jusque de nos jours, des règlements de comptes ; il est difficile, sinon impossible de dégager Sékou Touré de ses responsabilités non seulement de premier magistrat et de premier responsable politique du pays, mais aussi de ses responsabilités d’homme tout court. Par exemple, il ne pouvait pas ignorer les diètes noires. Redisons-le, en Guinée, il y a eu un homme, sans qui rien de ce qui est arrivé ne serait arrivé : le Président Sékou Touré, dans toute son omnipotence. Ce n’étaient ni son entourage, ni ses compagnons de route, ni sa famille, ni les hommes du conscient collectif guinéen, encore moins les innocentes populations de sa région naturelle, victimes comme
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toutes les autres de sa répression, qui étaient responsables de ses actes. C’était lui, lui, personne d’autre. Il lui incombait le devoir de faire son mea-culpa. Il n’a jamais exprimé aucun regret pour les crimes commis, même quand l’opinion a été tentée d’en attribuer la responsabilité à un autre ou à d’autres ; bien au contraire, il a toujours assumé publiquement ses actes. A propos de mea-culpa, un seul témoignage, à ma connaissance, en fait état de sa part, et il l’aurait fait en aparté. A la suite d’une libération lors du complot dit de la Cinquième Colonne, face à l’une de ses victimes ancien camarade de lutte, après avoir fait purger gratuitement à celui-ci une dizaine d’années de prison, il aurait reconnu en ces termes : « la Révolution t’a fait du tort en t’arrêtant et en te détenant ». Comme on peut le voir, c’est la Révolution qui aurait fait du tort à celui-ci, mais pas lui. Il aurait pu se donner la possibilité de réparer, ce qui pouvait l’être, les immenses torts faits aux victimes. Pour ce qui pouvait être des réparations proprement dites, au lieu d’y avoir droit, les innocents libérés, se devaient d’aller, accompagnés de leur famille, le remercier solennellement. Des innocents dans l’obligation de remercier celui qui les a mis en prison. Suprême supplice. Il pouvait user de son droit de grâce. Mais souvenons-nous. Avant les pendaisons publiques, malgré les sollicitations et les supplications venues des plus hautes personnalités du monde, publiquement il avait renoncé à son droit de grâce, ce pouvoir discrétionnaire universellement reconnu aux souverains, ce droit révélateur chez eux de la magnanimité dont a fait preuve Auguste. Cette déclaration, après avoir déclenché une véritable tempête en Afrique et partout ailleurs dans le monde, donna lieu dans l'opinion publique internationale à un débat dont notre pays s'est trouvé être bien malgré lui l'épicentre et dont il se serait bien passé, un débat qui ne nous faisait pas honneur. Toutes les personnes ayant croupi dans les geôles, ou y ayant péri, même si elles avaient été coupables, ce qui n’a jamais été prouvé, auraient pu, certaines en raison des rôles éminemment positifs joués dans l'Histoire du pays, notamment dans la conquête de l’indépendance, d’autres de la place tenue dans la société, d’autres encore des liens amicaux entretenus avec lui durant de 107
longues années, d’autres tout simplement par humanité, bénéficier de clémence. Mais ni la clémence ni la pitié n'étaient révolutionnaires dans le régime qu’il personnifiait… Au lieu de chercher à maquiller son ou ses échecs par de prétendues conspirations, de continuer à radicaliser toujours plus sa politique, il aurait pu, s’il l’avait voulu, faire changer le pays de cap et l’engager dans une voie salutaire, en laissant, richesse incommensurable, les initiatives des Guinéens se développer et les libertés, toutes les libertés individuelles et fondamentales s’exercer pleinement ; en un mot il aurait pu instituer un Etat de droit. Leader tout omnipotent, il était la seule personne capable de prendre une telle décision. Il en avait pleinement le pouvoir. La révolte des femmes lors des événements du 27 août 1977, qui l’a fortement fait vaciller sur son « trône », contribua à l’y faire songer. Mais c’est seulement cinq ans après en 1982 qu’il parut s’y résoudre. Sous l’injonction amicale mais toutefois pressante des Etats-Unis d’Amérique où il comptait de nombreux et puissants amis, un séminaire traçant les grandes orientations d’une politique tournée vers l’économie de marché fut organisé à New York. C’était bien tard, trop de maux avaient été commis, pas seulement lors desdits complots. Avant même un début de mise en œuvre des conclusions de ce séminaire, il s’éteignait. Aurait-il tenu les promesses faites aux Américains pour l’application de cette nouvelle politique qui devait débuter par la dévaluation de la monnaie ? Au bénéfice d’un doute positif, il faut penser que oui. Devant l’état de dégradation généralisée de la situation, il aurait été difficile de faire autrement. Avait-il des atouts pour réussir ce changement ? A mon avis, oui ! Cette mue le peuple l’aurait assurément saluée. Personnage ambivalent, on peut dire qu’il y a eu en Sékou Touré deux hommes : Tout d’abord l’homme dont on reconnaîtra le charisme, l’habileté dans la conquête du Pouvoir, le courage pour avoir tenu tête au prestigieux Général de Gaulle, la stature de leader dans la lutte pour l'indépendance obtenue le 28 septembre 1958 sans effusion de sang, l’importance du rôle dans les combats pour 108
l’émancipation de l’Afrique et dans la fondation de l’Organisation de l’Unité Africaine (O.U.A), et qui, à ces différents titres, a été durant de longues années admiré par son peuple, par toute une génération d’Africains, et même au-delà du continent par d’autres hommes, qui lui ont voué en son temps le respect et la considération dus à un héros auréolé d’un immense prestige. Ensuite, envers de la médaille, l’homme qui, une fois reçue l’onction du peuple et endossés les habits de Président de la République, puis de Responsable Suprême de la Révolution, s’est révélé sous un tout autre jour, en se distinguant par son régime ensanglanté, souillé par la terreur, les larmes, les drames, les tragédies et la misère, durant environ un quart de siècle. Le diamant s’est-il changé en pierre ? Tout en reconnaissant le premier, dans «La Guinée, Sous les Verrous de la Révolution» et dans ces réflexions, c’est du second qu’il s’agit ; celui qui a été campé par notre ancien chauffeurtransporteur. L’Histoire a tendance à peindre les grandes figures historiques avec des couleurs dorées, mais les hauts faits de leurs vies, ne peuvent les exonérer de leurs forfaits, même pour une victime comme moi qui a pardonné et qui continue à prôner le pardon.
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BIBLIOGRAPHIE
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