Les principes de la connaissance naturelle d'Alfred North Whitehead 9783110322408, 9783110322149


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French Pages 280 [281] Year 2007

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Table of contents :
Contents
IntroductionEnquêtes sur la philosophie de la nature
L’ordre de la natureAli Benmakhlouf1
Les rapports entre finitude et infini dans ladernière philosophie de la nature de WhiteheadJean-Marie Breuvart1
Gödel et Whitehead :monadologie et théorie de la relativitéPierre Cassou-Noguès1
Tenseur et couleurRacine de l’espace-temps etmode spatio-temporel de penserJean-Claude Dumoncel1
De l’utilité des objetsdans la philosophie de la natureGuillaume Durand1
Philosophical twins ? Bergson and Whiteheadon Langevin’s Paradoxand the Meaning of “Space-Time”Elie During1
La Théorie de la relativité de WhiteheadDean R. Fowler (Trad. H. Vaillant)1
La bifurcation du sujetdans le paradigme scientifique whiteheadienLuca Gaeta1
Whitehead’s Philosophy of TimeThrough the Prism of Analytic ConceptsJohn W. Lango1
Whitehead’s answer to the new physicsJacques Riche1
La perception dans la philosophie de la natureDe la définition de la natureau statut ontologique du corpsFranck Robert1
Du temps sensible de Whiteheadaux S-langagesSylviane R. Schwer1
Whitehead and MereologyPeter Simons1
Whitehead et Einstein :La relativité entre physique et métaphysiqueXavier Verley1
PNK's Creative Advancefrom Formal to Existential OntologyMichel Weber1
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Les principes de la connaissance naturelle d'Alfred North Whitehead
 9783110322408, 9783110322149

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Guillaume Durand et Michel Weber (éditeurs) Les principes de la connaissance naturelle d’Alfred North Whitehead

chromatiques whiteheadiennes Directeur: Michel Weber Volume 8

Guillaume Durand et Michel Weber (éditeurs)

Les principes de la connaissance naturelle d’Alfred North Whitehead Alfred North Whitehead’s Principles of Natural Knowledge

ontos verlag Frankfurt I Paris I Ebikon I Lancaster I New Brunswick

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2007 ontos verlag P.O. Box 15 41, D-63133 Heusenstamm www.ontosverlag.com ISBN 10 : 3-938793-64-3 ISBN 13 : 978-3-938793-64-0 2007 No part of this book may be reproduced, stored in retrieval systems or transmitted in any form or by any means, electronic, mechanical, photocopying, microfilming, recording or otherwise without written permission from the Publisher, with the exception of any material supplied specifically for the purpose of being entered and executed on a computer system, for exclusive use of the purchaser of the work Printed on acid-free paper ISO-Norm 970-6 FSC-certified (Forest Stewardship Council) This hardcover binding meets the International Library standard Printed in Germany by buch bücher dd ag

Sommaire — Contents

Sommaire — Contents ......................................................................................................................... 3 Abréviations........................................................................................................................................... 5 Introduction........................................................................................................................................... 7 Guillaume Durand et Michel Weber

L’ordre de la nature ........................................................................................................................... 11 Ali Benmakhlouf

Les rapports entre finitude et infini................................................................................................. 21 Jean-Marie Breuvart

Gödel et Whitehead : monadologie et théorie de la relativité...................................................... 37 Pierre Cassou-Noguès

Tenseur et couleur .............................................................................................................................. 55 Jean-Claude Dumoncel

De l’utilité des objets dans la philosophie de la nature................................................................. 69 Guillaume Durand

Philosophical twins ? Bergson and Whitehead .............................................................................. 79 Elie During

La Théorie de la relativité de Whitehead...................................................................................... 105 Dean R. Fowler (Trad. H. Vaillant)

La bifurcation du sujet dans le paradigme scientifique whiteheadien..................................... 129 Luca Gaeta

Whitehead’s Philosophy of Time Through the Prism of Analytic Concepts .......................... 137 John W. Lango

Whitehead’s answer to the new physics ........................................................................................ 157 Jacques Riche

La perception dans la philosophie de la nature ........................................................................... 179 Franck Robert

Du temps sensible de Whitehead aux S-langages ........................................................................ 203 Sylviane R. Schwer

Whitehead and Mereology .............................................................................................................. 215 Peter Simons

Whitehead et Einstein : La relativité entre physique et métaphysique ................................... 235 Xavier Verley

PNK's Creative Advance from Formal to Existential Ontology ............................................... 259 Michel Weber

Table des matières Table of Contents ........................................................................................... 275 Collection « Chromatiques whiteheadiennes » ............................................................................ 279

Abréviations

AE :

The Aims of Education, 1929 (Free Press, 1967).

AI :

Adventures of Ideas, 1933 (Free Press, 1967).

CN :

The Concept of Nature, 1920 (Cambridge University Press, 1964).

D:

Lucien Price, Dialogues, 1954 (Mentor Book, 1956).

ESP :

Essays in Science and Philosophy,1947.

FR :

The Function of Reason, 1929 (Beacon Press, 1958).

IM :

An Introduction to Mathematics, 1911.

IS :

The Interpretation of Science, 1961.

MT :

Modes of Thought, 1938 (Free Press, 1968).

OT :

The Organisation of Thought, 1917.

PM :

Principia Mathematica, 1910-1913 (Cambridge U. P., 1925-1927).

PNK :

Principles of Natural Knowledge, 1919/1925 (Dover, 1982).

PR :

Process and Reality, 1929 (Corrected edition, 1978).

R:

The Principle of Relativity, 1922.

RM :

Religion in the Making, 1926.

S:

Symbolism, Its Meaning and Effect, 1927.

SMW :

Science and the Modern World, 1925 (Free Press, 1967).

UA :

A Treatise on Universal Algebra, 1898.

Introduction Enquêtes sur la philosophie de la nature Guillaume Durand et Michel Weber En France, si on n’a découvert la philosophie d’Alfred North Whitehead (1861– 1947) que tardivement, la plupart des commentaires n’ont porté encore que sur sa métaphysique, et en particulier sur cette œuvre magistrale qu’est Procès et Réalité (1929). Or, étudiée sans ses racines premières, elle est apparue le plus souvent comme l’œuvre d’un philosophe assez cryptique : les propos de Bertrand A. W. Russell (1872–1970), son ancien élève, puis ami et collaborateur à Cambridge, sont par exemple représentatifs d’un certain consensus autour de l’œuvre whiteheadienne : « sa philosophie était très obscure, […] elle contenait beaucoup de choses que je n’ai jamais réussi à comprendre1. » La philosophie whiteheadienne de la nature n’a pas ou peu été étudiée en et pour elle-même ; au mieux, elle a été réduite à une simple période de transition vers les œuvres métaphysiques ultérieures jugées plus complètes. Une telle idée se trouve de fait renforcée par ce qu’écrit l’auteur lui-même, en août 1924, dans la préface à la seconde édition de PNK : Depuis la publication de la première édition de ce livre en 1919, j'ai également traité des sujets qui y sont abordés dans Le Concept de Nature (Camb. Univ. Press, 1920) et dans Le Principe de Relativité (Camb. Univ. Press, 1922). Dans un avenir prochain, j'espère concrétiser le point de vue exposé dans ces ouvrages dans une étude métaphysique plus complète2. Cependant, on ne peut réduire les œuvres de cette période à de simples écrits préparatoires de la métaphysique : il s’y dégage une véritable unité et identité, certes complexes, mais originales et surtout essentielles pour clarifier et mieux comprendre les développements ultérieurs. Les travaux de Jean Nicod (1893– 1924), de Jean Wahl (1888–1974) et de G. Durand en témoignent exemplairement. En premier lieu, cette unité des trois enquêtes scientifiques que sont An Enquiry Concerning The Principles of Natural Knowledge (1919), The Concept of Nature (1920) et The Principle of Relativity (1922) est explicitement revendiquée par leur auteur. Comme l’indique Whitehead, les trois œuvres majeures de sa philosophie de la nature se complètent et doivent être lues ensembles : PNK pour le versant mathématique, CN pour le versant philosophique3 et R, où l’on trouve le nouveaux développements de sa philosophie naturelle, mais surtout ses applications essentielles en physique

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Guillaume Durand et Michel Weber

relativiste. Si l’objet premier des chromatiques nantaises était l’œuvre pionnière de la trilogie londonienne — sans doute l’œuvre la plus complète et la plus technique des années 1910–1924 — l’enjeu fut aussi l’étude de PNK dans ses relations essentielles, d’une part à CN et à R, et d’autre part à la métaphysique de PR et de AI. Les enquêtes sur la philosophie de la nature organisées à Nantes en Juin 2005 constituent ainsi les premiers travaux de synthèse ancrés exclusivement dans la philosophie whiteheadienne de la nature. En second lieu, il existe une unité et une identité dans la problématique et les réponses apportées à celle-ci : l’enjeu fondamental de la trilogie de la philosophie naturelle est le dépassement des bifurcations modernes de la nature, en particulier, entre la nature perçue par le sens commun et la nature scientifiquement (re)construite. Il s’agit de montrer comment les concepts fondamentaux de la géométrie et de la physique sont des entités abstraites des éléments les plus concrets de l’expérience sensible que sont, à partir de 1919, les événements : L'hypothèse fondamentale qui sera développée au cours de cette enquête est que les faits ultimes de la nature en fonction desquels doit être exprimée toute explication physique et biologique, sont des événements connectés par leurs relations spatio-temporelles, et que ces relations sont en grande partie réductibles à la propriété des événements de pouvoir contenir (ou recouvrir) d'autres événements qui en sont des parties4. Exprimer les concepts scientifiques dans les termes des perceptions immédiates — les événements et leurs relations d’extension — doit permettre de dépasser les bifurcations. A ce titre, la philosophie naturelle constitue un empirisme radical qui place le second Whitehead dans la lignée des empiristes anglosaxons et, du fait de la place centrale occupée par la méthode de l’abstraction extensive, dans la lignée du premier Russell (qui s’inspire d’ailleurs directement des travaux de Whitehead)5, voire de R. Carnap6. Dans cette perspective, PNK, dont Henri Vaillant termine la première traduction française, est l’œuvre la plus complète de la trilogie. Les événements constituent la notion centrale de la philosophie naturelle tandis que la théorie des objets, de la récognition ainsi que celle de la congruence et de la mesure sont ici pleinement développées. La méthode de l’abstraction extensive est quant à elle présentée sous sa forme la plus complète (CN ne fait que reprendre certains points sous une forme moins technique). Enfin, les notions d’objet percevant, de Nature commune et de rythme semblent déjà assurer la transition vers la philosophie de l’organisme de SMW et la cosmologie de PR. Pour toutes ces raisons, PNK, bien que méconnue et parfois ignorée par les whiteheadiens euxmêmes, est une œuvre incontournable.

Introduction

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Il nous reste à remercier chaleureusement tous les acteurs de ces enquêtes, le Département de Philosophie de l’Université de Nantes et en particulier M. François Schmitz, sans lequel ces journées n’auraient pas été possibles.

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Guillaume Durand et Michel Weber

N otes 1

Bertrand Russell, « Alfred North Whitehead », in Portraits from Memory and other Essays, G. Allen & Unwin, London, 1956. Voir aussi Willard Van Orman Quine, « Whitehead and the Rise of Modern Logic », in Paul Arthur Schilpp (ed.), The Philosophy of Alfred North Whitehead, New York, Tudor Publishing Company, The Library of Living Philosophers III, 1941 & 1951 (2è ed.), pp. 127-163. 2 PNK, p. ix (traduction Henri Vaillant, à paraître dans la collection « Chromatiques whiteheadiennes » en 2007). 3 Voir The Concept of Nature (Tarner Lectures, 1919), Cambridge University Press, 1920, traduction française par Jean Douchement, Le Concept de Nature, Vrin, 1998, préface, p. 26 [vi-vii]. Une seconde édition corrigée a été publiée en 2006. Les numéros des pages entre crochets correspondent à l’édition anglaise Cambridge University Press, 1971. 4 PNK, § 1.5, p. 4. 5 En particulier dans Our Knowledge of the External World as a Field for Scientific Method in Philosophy. Delivered as Lowell Lectures in Boston, in March and April 1914, Chicago, The Open Court Publishing Co., 1914 (traduction française par Ph. Devaux avec une préface de M. Barzin, La méthode scientifique en philosophie, Paris, Vrin, « Bibliothèque de philosophie contemporaine étrangère », 1929 ; réédition : Paris, Petite bibliothèque Payot, 1971) ; et dans Analysis of Matter, London, G. Allen & Unwin, 1927 (traduction française et préface de Ph. Devaux, L’Analyse de la Matière, Paris, Editions Payot, « Bibliothèque Scientifique », 1965). 6 Rudolph Carnap, Der Logische Aufbau der Welt, Im Weltkreis-Verlag, Berlin, 1928. Sur l’influence et le rapprochement de ces trois auteurs, voir l’étude excellente de J. Vuillemin, La logique et le monde sensible. Etude sur les théories contemporaines de l’abstraction, Paris, Flammarion, « Nouvelle bibliothèque scientifique », 1971, qui désigne Whitehead comme celui qui est « à l’origine de toute la théorie contemporaine de l’abstraction. » (Introduction, p. 6.) Voir aussi Alberto Coffa, The Semantic Tradition from Kant to Carnap. To the Vienna Station (Ed. by Linda Wessels, Cambridge, Cambridge University Press, 1991) et l’œuvre de Xavier Verley : Carnap, le symbolique et la philosophie (Paris, L’Harmattan, Ouverture philosophique, 2003) et La philosophie spéculative de Whitehead (Frankfurt / Paris, ontos verlag, 2007).

L’ordre de la nature Ali Benmakhlouf1

1 . Introd ucti on : O rdre et d ésordre Dans la philosophie de l’organisme de Whitehead, aborder la notion d’ordre c’est d’abord faire son sort à celle de contraste, car l’ordre ne se comprend chez Whitehead que comme corrélat du désordre et cette corrélation est synonyme de contraste organique. Voyons donc ce que le philosophe entend par contraste. Une proposition, par exemple, est un contraste car elle est qualifiée par une affirmation et une négation. Elle fait partie de la catégorie de l’existence car elle est un potentiel impur : elle mêle un élément potentiel, le prédicat, à un élément réel, le sujet. Plus généralement tout type d’existence est un contraste car ce terme désigne l’unité de ce qui est senti2. Le contraste peut toujours dégénérer en incompatibilité, dans ce cas, nous n’avons plus de catégorie d’existence en jeu ; abstraction faite de ce cas, on peut indéfiniment avoir des catégories d’existence. Dire par ailleurs que l’ordre a pour corrélat, le désordre signifie que nous n’avons jamais affaire qu’à des degrés d’ordre. Le degré manifeste ce qu’il y a de réel dans un ordre ; il y a en cela une réminiscence de la catégorie de la qualité chez Kant qui avait considéré que le schème de cette catégorie était bien le degré de réalité. L’ordre suppose des données, mais il ne s’y réduit pas ; c’est là la divergence avec Kant. Il y a en effet en plus des données la satisfaction des entités3 et avec celles-ci une production d’intensité due au fait que la multiplicité des entités dans un nexus n’est pas disparité mais contraste. Il s’agit d’expliquer comment les données objectives sont productrices de subjectivité, c’est-à-dire de satisfaction. Cette production demande à ce que soit prise en compte la potentialité de façon plus conséquente que chez Newton et Kant : « le mot objet signifie donc une entité qui est une potentialité constitutive d’un sentir et le mot sujet signifie le procès du sentir, en incluant ce procès4 ». C’est bien le terme de satisfaction et avec lui celui d’intensité qui restitue à l’ordre son caractère gradué.

2 . Intens ité Comment rendre compte de la création non de façon objective à partir de données et d’immortalité objective, c’est-à-dire à partir de ce qui n’existe plus pour soi, mais de façon subjective, c’est-à-dire en rapport avec le but poursuivi par chacune des entités ? En restituant le point de vue subjectif et avec lui la causalité finale, Whitehead montre qu’il y a une transcendance de la créativité :

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Ali Benmakhlouf

il n’y a donc pas simplement dans un monde actuel ce qui est donné de façon efficiente, il y a aussi ce qu’il y a à faire et à satisfaire. La satisfaction entendue comme concrétude de l’entité nous rappelle que l’individualité de l’entité est telle qu’elle transcende le reste de ce qui est actuel. Autrement dit dans une entité actuelle il y a l’actualité efficiente qui fait partie du monde actuel et l’actualité finale qui rappelle qu’une entité existe pour elle-même, c’est-à-dire transcende le reste. L’intensité est susceptible de degré ; sa gradation est fonction des contrastes réalisés. La notion de degré d’intensité permet de comprendre pourquoi le désordre est corrélat d’ordre : il y a toujours des constituants d’une entité qui ralentissent son mouvement de satisfaction. Ils sont donc des agents de désordre. C’est pourquoi il convient de parler de « constituants dominants 5 » d’une entité ; ce sont ceux qui sont adaptés à la réalisation de « l’idéal » propre de l’entité. La pluralité des idéaux, chacun lié à une entité spécifique, pluralité conforme à la neuvième obligation catégoriale, est présentée comme une réponse au fanatisme6. De même la décision organique propre à chaque entité est un élément « constitutif de la liberté de l’univers7 ». Il convient aussi de parler de constituants comme de « valeurs », contribuant à la satisfaction d’une entité, satisfaction qui n’est jamais à considérer comme un élément constitutif de l’entité, mais comme son « but subjectif », c’est-à-dire un « leurre pour le sentir » (lure for feeling)8, quelque chose qui n’est pas de nature consciente ou intellectuelle. C’est un pôle mental de l’entité, « le germe d’esprit » qui oriente les données sur une immédiateté privée sans pour autant les déterminer. C’est en un sens la manière de sentir plus que le fait de sentir, une manière présente en germe dans les données mais non déterminées par elles. Comme cette manière de sentir rend aussi compte de l’ingression des objets éternels dans une entité actuelle, il faut que quelque chose de l’objet éternel (pôle mental) soit pertinent pour l’entité actuelle. Il y a donc bien deux rôles de l’objet éternel vis-à-vis de l’entité quant à la qualité du sentir : l’objet éternel est présent à l’état de germe dans les données d’objectivation qui vont servir à la constitution d’une entité actuelle, et il est pertinent pour l’entité actuelle. Ces deux rôles font de lui un leurre pour elle.

3 . L’exc epti on d ans Hu me : l ’autono mi e du pôle men tal Whitehead prend appui sur Hume pour illustrer le leurre du sentir : le principe de dérivation des idées simples à partir d’impressions simples est un exemple de leurre. L’intérêt de cette référence ici est de montrer que chez Hume, on trouve bien l’idée que les idées reprennent les impressions ; ce qui est conforme au premier rôle : l’objet éternel est bien en germe dans les données. Mais il s’agit de montrer qu’il y a aussi la pertinence de l’objet éternel pour les données. Or

L’ordre de la nature

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comme on le sait, Hume interdit, en raison de son empirisme radical toute présence d’idée qui n’est pas d’abord dans l’impression. Whitehead va donc chercher le Hume qui fait exception à son principe9, celui qui est prêt à reconnaître une pertinence des objets éternels, non présents dans les données et « cependant constitutifs d’un leurre objectif ». Voyons l’exemple de ce « phénomène contradictoire » dans l’empirisme humien : soit une nuance de bleu à laquelle une personne exercée à voir différentes couleurs n’aura jamais eu l’occasion de rencontrer ; si cette nuance est présente au sein d’un nuancier de la couleur bleu qui va du bleu le plus clair au bleu le plus foncé, il percevra d’abord un blanc avant de suppléer par son imagination. Il y a donc bien des idées qui ne sont pas dérivées d’une impression. Cet exemple a ici une triple portée : 1) Il permet de construire la définition du sentir comme d’un vecteur. Dans la notion de vecteur il y a la potentialité : potentialité de l’idée ou de l’objet éternel qui est susceptible de trouver son point de réalisation dans une donnée : « Les sentirs sentent ce qui est là-bas et le transforment en ce qui est ici10 ». Le « làbas » donne la potentialité de l’objet éternel (idée, pôle mental) et le « ici » donne l’atomicité de l’entité actuelle et sa satisfaction. 2) Il conforte l’idée d’une entité actuelle non dépendante d’un passé objectivé, c’est-à-dire une entité inconditionnée. Or c’est bien le cas de l’entité divine qui n’a pas de passé et qui est d’emblée caractérisée par les objets éternels. Son caractère primordial vient précisément de sa non dérivation conformément à l’exception humienne. 3) Il souligne combien les objets éternels sont pertinents pour une entité actuelle mais pertinence ne signifie pas création. Les objets éternels peuvent être pertinents, importants pour une entité actuelle mais jamais crées pour elle, en raison du principe ontologique. L'absence de pertinence étant synonyme de désordre.

4 . Sociétés et époqu e co smi que La notion d'ordre est à entendre en un double sens : en un sens premier et en un sens dérivé. En un sens premier, il s'agit de l'ordre lié à une entité actuelle, c’est ce qu’on vient d’analyser. Au sens dérivé, c'est l'ordre naturel, l'ordre « régnant dans une portion limitée de l'univers11 ». Ce second sens permet le changement d'échelle qui nous fait passer d'une entité à une société ; celle-ci étant définie par un nexus ordonné d'entités actuelles, où l'ordre n'est pas simplement une relation mathématique (réflexive, antisymétrique, transitive) mais quelque chose de « plus », ce plus vient du fait que les membres de la société sont dans une relation génétique de ressemblance : les membres d'une société sont à la fois dans un rapport de dérivation génétique et dans un rapport de similitude les uns

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Ali Benmakhlouf

par rapport aux autres. L'exemple pris est celui de la vie d'un homme : les éléments de cette vie sont à la fois apparentés et en filiation. La notion de « route historique12 » trouve ici son explicitation : elle signifie à la fois genèse et ordre. En distinguant entre caractères généraux et caractères spécifiques d'une société, Whitehead évite la clôture des sociétés sur elles-mêmes. Il donne par cette distinction les concepts permettant d'analyser une société ouverte. Chaque société présuppose des caractères généraux et se définit par ses caractères spécifiques. La présupposition renvoie à l'enchevêtrement des quatre catégories du schème spéculatif et le caractère défini renvoie à des relations causales. Les caractères généraux sont donc un « environnement » pour la société et cet environnement est plus ou moins favorable au maintien de telle ou telle société. Nous retrouvons là les degrés et avec eux la part de désordre. Ce qui est proprement spécifique de la nouvelle ère cosmique, c'est que les éléments d'une société ne sont pas régis avec certitude par des lois ; autrement dit qu'il y a un élément d'incertitude que Whitehead interprète comme un élément de désordre ; un élément d'incertitude non au niveau des lois mêmes mais au niveau des éléments soumis à la loi, où l'on rencontre des « degrés de liberté » par rapport à la loi (comme dans la théorie cinétique des gaz par exemple). Aussi le désordre ne vient pas seulement de l'environnement d'une société, mais il est constitutif de la société. Dans la mécanique classique, un objet quelconque, une société au sens de Whitehead, répond avec certitude aux lois qui s'appliquent à lui et le désordre ne peut venir que de l'extérieur ; c'est le sens même du principe d'inertie vu que le déplacement des objets se fait sans gain ni perte ; on comprend que la mécanique classique ait pu favoriser une conception substantialiste et « une localisation fallacieuse du concret » (« the fallacy of misplaced concreteness13 »). Dans la mécanique quantique, les sociétés électroniques et protoniques n'obéissent pas parfaitement aux lois qui les régissent ; d'où cette fois-ci un élément de désordre dû à la société elle-même dans ses caractères définis et pas simplement généraux. Il y a donc bien dans notre époque cosmique, des « facteurs arbitraires dans l'ordre de la nature14 ». Ces facteurs viennent en grande partie de la découverte einsteinienne de 1905 : il y a une équivalence entre la masse et l'énergie qui ne permet plus de parler de l'électron comme d'une charge ponctuelle. Les électrons et les protons sont eux-mêmes des sociétés d'occasions électromagnétiques ; c'est par abus de langage et pour des raisons de brièveté que l'on peut parler de sociétés d'électrons et de protons, un peu à la manière dont on parle de l'armée en termes d'hommes ou en termes de « régiments15 ». Dans un atome ce sont les électrons qui par leur mouvement produisent le champ électromagnétique et conséquemment la lumière, sous l'effet de la température ambiante.

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Il faut donc se rendre compte de ce que sont les occasions électromagnétiques. La notion de champ magnétique met fin à l'idée d'action à distance telle que les newtoniens partisans du vide l’avaient mis en évidence. Elle ne laisse subsister que la notion d'énergie là où on parlait encore d'éther. Ce qui change avec Maxwell c'est que les « grandeurs fondamentales, ne sont pas comme on le pensait jusqu'alors, les grandeurs mécaniques, telles que l'inertie, la quantité de mouvement, ou l'élasticité du milieu, mais bien les énergies, [...] que l'on avait jusqu'alors considéré comme des grandeurs dérivées des précédentes, alors que le concept d'énergie a un domaine d'application qui dépasse largement le cadre de la seule mécanique 16 ». La différence entre Maxwell (1864) et Einstein (1905) à ce sujet est que l'énergie électromagnétique réside dans le champ mais n'est pas le champ lui-même : « Dans notre théorie l'énergie réside dans le champ électromagnétique, dans l'espace entourant les corps électriques et magnétiques, et également dans ces corps eux-mêmes17 ». La notion de « quanta d'énergie » renvoie directement à la théorie einsteinienne de 1905 et rend superflue toute notion de résidence.

5 . Nouvell es g randeurs fon damen tales Enfin il faut noter l'usage que fait Whitehead de la mécanique statistique18 de Boltzmann (1844–1906)19. C'est à lui qu'il emprunte la corrélation de l'ordre et du désordre ; c'est également dans cette physique qu'il trouve une illustration de relation génétique définissant les membres d'une société (l'énergie produit la chaleur), c'est-à-dire le caractère natura naturans de la nature. Il faut dire que le principal résultat de Boltzmann concerne le second principe de la thermodynamique selon lequel la transformation de l'énergie en chaleur n'est pas 20 réversible. Ce second principe (Carnot-Clausius ), Boltzmann l'avait interprété en termes d'ordre et de désordre : la chaleur qui correspond à une agitation des molécules est un mouvement vers le désordre et l'énergie est interprétée comme quelque chose d'ordonné. Whitehead n'en déduit pas que la nature va dans le sens du désordre, mais qu'il arrive à des sociétés de se soustraire aux lois dominantes qui les régissent : « le terme de désordre renvoie à une société qui ne réussit que partiellement à imprimer à ses caractères la forme de lois dominantes21 ». Prenons l'exemple d'un gaz enfermé dans une boîte ; pour décrire le comportement des molécules il est très difficile de fixer des conditions initiales ; or pour l'analyse de l'évolution de ce qui se passe dans la boîte, il faut partir de conditions ; cette difficulté ne sera résolue que par l'usage de probabilités appliquées à des régions d'espace. C'est pourquoi Whitehead parle de « relations dimensionnelles22 » ; en mécanique statistique, on parle d' « espaces de phases » (un espace abstrait où un espace se trouve représenté par un point) dont l'analyse permet d'obtenir la densité en phases, c'est-à-dire la distribution de probabilités dans l'espace de phases.

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L'enjeu de la nouvelle physique, c'est-à-dire d'une physique non newtonienne, est d'avoir inscrit les relations génétiques dans les sociétés d'entités actuelles elles-mêmes et non dans un rapport de création entre un Dieu géniteur et une matière inerte : « notre notion de causation concerne les relations entre états de choses à l'intérieur du monde actuel, et ne peut qu'être étendue illégitimement à une dérivation transcendante23 ». Dieu n'a pas l'exclusivité de la transcendance : « chaque entité actuelle, en vertu de sa nouveauté, transcende son univers, Dieu compris24 ». Le danger d'une exclusivité divine de la transcendance est d'arriver à une conception de l'univers créé comme quelque chose d'accidentel. C'est la conception « sémitique » qui est responsable d'une théorie de la matière inerte, sans évolution.

6 . Le p rob lème de la n ature Le Timée de Platon permet à Whitehead de développer le versant philosophique de sa conception de l'ordre, du désordre et des relations génétiques dans les sociétés : Platon a compris qu'il ne fallait pas distinguer entre « la nature formelle » des choses et leur « comportement25 ». En ce sens, sa philosophie permet de comprendre une matière en évolution et susceptible de se dissoudre en « vibrations ». Il n'y a pas d'espace et de temps donné in abstracto pour la masse, ni de masse in abstracto donné pour les forces qui s'exercent sur elle, ni de force donnée in abstracto pour le mouvement ; mais tout cela tient ensemble et peut être appelé « comportement » de l'entité actuelle. Le retour à ce philosophe permet de rectifier l'image faussée du concret héritée de la mécanique newtonienne, autrement dit, il permet de faire justice aux faits et ce, au moyen d'une « advenue des formes dans la potentialité réelle, donnant lieu à cet être-ensemble réel qui est une chose actuelle26 ». Il permet également de forger le concept d'époque cosmique : à un moment, donné les entités actuelles se regroupent de façon à former une société qui par ses caractéristiques se trouve dominante à tel moment. Notre époque cosmique est dominée par les sociétés électromagnétiques qui sont des sociétés aux caractéristiques définies et non simplement des sociétés aux caractéristiques générales27 ; il y a donc à distinguer le monde actuel dans lequel sont présentes les sociétés avec des caractéristiques définies, le monde physique où sont présentes de telles sociétés mais aussi des sociétés plus spécifiques comme les sociétés géométriques et les sociétés électromagnétiques, encore plus spécifiques que les précédentes et dont les exemples peuvent être les corps inorganiques, les molécules individuelles, les cellules vivantes28. La description des sociétés spécialisées répond à un problème majeur considéré par Whitehead comme « le problème de la nature29 » : comment réaliser concrètement le contraste de l'intensité et de la survie ? L'intensité est le propre de sociétés fortement structurées, c’est-à-dire de sociétés qui ont un degré élevé

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de complexité et exigeant un milieu spécifique pour leur survie (les cellules vivantes par exemple). La survie est le propre de sociétés non spécialisées, c’està-dire, celles qui sont susceptibles de durer alors même que le milieu subit beaucoup de changements. Whitehead dans la section VII de Process and Reality présente les deux manières dont ce problème est résolu par les sociétés structurées : 1) Tout d'abord, en faisant agir le milieu sur des éléments de détail et en faisant abstraction (grâce à la catégorie de la transmutation) de tels détails dans le processus d'objectivation des membres de la société ; ainsi par exemple, les corps matériels ont une longue vie (planètes, rochers, cristaux) alors même qu'ils subissent de nombreux changements par le milieu (par exemple l'érosion pour les rochers, les taches solaires qui apparaissent et disparaissent autour du soleil) mais ces changements n'opèrent que sur des détails qui ne menacent pas la structure d'ensemble. Les traits qui définissent ces corps (rochers, soleil) gardent une identité, ils restent donc des éléments dominants de la société structurée. 2) Dans le premier cas, le milieu n'opérait que sur les détails dont on a pu faire abstraction pour définir les traits distinctifs de la société. Dans le second cas, il ne s'agit pas seulement de faire abstraction de quelque chose et de ramener ainsi le changement intervenant par le milieu à des détails insignifiants. Il s'agit au contraire d'indiquer que le milieu dans son entier et les éléments de la société dans leur totalité sont dans une interférence permanente qui se résout par une conciliation entre les « éléments nouveaux venus du milieu » et les « expériences complexes des membres de la société structurée30 ». Si les corps matériels et inorganiques fournissaient un bon exemple du premier cas, les sociétés vivantes fournissent un exemple du second, mais entre matière et vie, il y a continuité, « il n' y a pas de fossé absolu entre sociétés vivantes et non vivantes31 ». Dans le premier cas, n'intervient pas l'originalité caractéristique des sociétés vivantes car les corps matériels ont une uniformité qui inclut une initiative (la mise en abstraction des détails est une forme d'initiative) mais aucune originalité. En revanche dans le second cas, ce que Whitehead appelle « nouveauté d'appétition » suppose une originalité dont rend compte la catégorie de la réversion conceptuelle (Vème obligation catégoriale), catégorie qui permet de penser comme actifs et agissants des éléments constitutifs de la société et donc déjà donnés, avec les sentirs venus du milieu : un bon exemple peut être trouvé dans la manière dont le passé de l'homme l'aide à inventer son présent. L'originalité qui assure en même temps une préservation est donc le propre d'organismes supérieurs dotés de pensée. On comprend que Whitehead ait caractérisé cette catégorie de la réversion par la réminiscence platonicienne : la société reprend à son actif un élément connu d'elle à l'occasion d'un changement venu du milieu.

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7 . Con clusio n Mais la distinction entre l'inorganique et l'organique se retrouve à l'intérieur même d'une société vivante : celle-ci comprend des nexus entièrement vivants dont la survie dépend des nexus inorganiques. Les nexus entièrement vivants sont seuls capables d'apporter de l'original ; en tant que tels ils permettent la survie de la société tout entière (the whole system), mais eux-mêmes ont besoin d'une partie de cette société pour survivre : cette partie est constituée d'éléments inorganiques. Cette distinction entre éléments dominants vitaux et éléments auxiliaires permet à Whitehead de différencier entre deux formes de physiologie. La physiologie psychologique s'occupe des éléments entièrement vivants, ceux qui sont producteurs d'originalité. C'est une science que Whitehead appelle de ses vœux et dont il fixe les contours de façon conjecturale en prenant appui sur son schème cosmologique. Mais cette science aura la tâche difficile de s'occuper de quelque chose qui n'est pas une société car il lui manque le caractère défini : les nexus entièrement vivants ne peuvent former une société car ils n'ont pas de caractères définis 32. Pour former une société il faut des caractères définis, or des caractères définis supposent des éléments entre lesquels il y a une relation d'ordre et de ressemblance. La vie défie l'ordre et défie la ressemblance dans la mesure où l'originalité n'est pas reproduction. On retrouve la tension vitale exprimée comme étant le problème de la nature : plus la vie est intense, moins elle est susceptible de se maintenir, de se préserver. Aussi quand on parle de société vivante, le caractère social vient des éléments inorganiques et non des nexus entièrement vivants. Un autre éclairage nous est donné de la nature divine : si Dieu est primordial, c'est qu'il n'a rien à préserver. La question pourrait alors être : comment se préserve-t-il lui-même ? La réponse pourrait être en cherchant à ce qu'il y ait toujours de l'intensité dans le monde. Aussi Dieu ne réalise sa nature qu'en permettant l'originalité dans le monde c'est-à-dire le maximum de vie, il ne cherche à rien préserver car tout élément de préservation contredit sa nature. Dieu vise l'éternel recommencement du monde car sa nature est de toujours commencer.

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N otes 1

Université de Nice. A. N. Whitehead, Process and Reality, ed. by David Ray Griffin and Donald W. Sherburne, The Free Press, London, 1978. Voir la 17ème catégorie de l’existence, p. 25. 3 La satisfaction, c’est « l’entité comme concrète », op. cit., p. 84. 4 A. N. Whitehead, op. cit., p. 88 ; cf. aussi la catégorie de l’unité subjective, p. 26. 5 Op. cit., p. 84. 6 Ibid. 7 Idem, p. 84. 8 Idem, p. 85. 9 Idem, p. 86. 10 Idem, p. 87. 11 Idem, p. 89. 12 Idem, p. 63. 13 Idem, p. 93. 14 Idem, p. 91. 15 Idem, p. 92. 16 F. Balibar, Einstein 1905, de l'éther aux quanta, Philosophies, PUF, 1992, p. 65. 17 Cité par F. Balibar, op. cit., p. 69. 18 Le caractère statistique vient du fait que la thermodynamique et une théorie qui se place au niveau macroscopique et que « seules des méthodes statistiques, justifiées par le fait que le moindre volume de matière contient un nombre énorme d'éléments atomiques (de l'ordre de 10 puissance 23) , peuvent permettre de passer du niveau microscopique au niveau macroscopique » cité par F. Balibar, op. cit., p. 97. 19 A. N. Whitehead, op. cit., p. 92. 20 Principe qui a surgi pour traduire l'impossibilité d'obtenir un moteur thermique de rendement supérieur ou égal à 100%. Dans tout processus mécanique se produit une perte d'énergie en termes de chaleur : c'est l'entropie qui s'accroît avec toute production d'énergie. « Ce principe brise la symétrie temporelle admise par la mécanique classique ; il oriente le temps » (G. C. Tanoudji, Les constantes universelles, Hachette 1991, p. 52). 21 A. N. Whitehead, op. cit., p. 92. 22 Ibid. 23 Idem, p. 93. 24 Idem, p. 94. 25 Ibid. 26 « A real incoming of forms into real potentiality issuing into that real togetherness wich is a actual thing » op. cit., p. 96. 27 A. N., Whitehead, op. cit., p. 96. 28 Idem, p. 98. 29 Idem, p. 101. 30 Idem, p. 102. 31 Ibid. 32 Idem, p. 104. 2

Les rapports entre finitude et infini dans la dernière philosophie de la nature de Whitehead Jean-Marie Breuvart1 Afin de comprendre certains reproches faits à la philosophie de la nature de Whitehead, et tenter d'y répondre, il conviendrait de montrer comment celle-ci est plus qu'une philosophie de la nature, mais une réflexion, éclairée par les derniers ouvrages, sur l'acte même de philosopher, au point de jointure entre finitude ressentie et infini pressenti. Je voudrais, plus précisément, développer les points suivants : — Qu'il y a une « dernière » philosophie de la nature, ébauchée dans AI et développée ensuite dans MT. C'est ce retour de Whitehead sur le thème du réel comme « manifestation » de ses propres structures dans tous les domaines, notamment l'histoire et la sociologie, mais également dans les pratiques artistiques et morales et leur impact sur le bon sens ultime que l'on appelle civilisation2. — Que cette philosophie de la nature marque un certain changement d'optique par rapport à l'époque de PR sur une question importante comme celle du mal : dans ces dernières œuvres, l'histoire et la société, exprimant l'importance du « cosmos », restent incompréhensibles sans une référence à la tragédie. Ici, la violence apparaît comme l'une des composantes du progrès3. S'opérerait ainsi un certain rapprochement avec Schelling, voire Hegel, sur la puissance du négatif dans l'évolution des sociétés. — Que ce changement repose en réalité sur une nouvelle conception des rapports entre les termes d'infini et de finitude, jusque là surtout évoqués sur des questions précises comme celle des statistiques dans la formation des sentirs propositionnels4. À la lumière du couple importance/expression, cette relation de l'infini à la finitude permet ainsi de définir l'acte même de philosopher. Nous terminerons en montrant que les dernières œuvres, sans abandonner la perspective d'une « philosophie de l'organisme », insistent plutôt sur l'acte même de philosopher : c'est une entreprise consistant à vouloir inlassablement rendre compte de l'infinitude du monde en termes finis. Ici, l'infinitude est non seulement posée comme ce qui échappe à la limite d'une décision actuelle, mais surtout comme ce qui suscite le désir même de philosopher, visant à faire avancer la civilisation par la persuasion. Le philosophe le fait en se rendant réellement présent cet infini dans une intuition spécifique qu'il transmet. Il s'agira en fait de situer cet acte par rapport à celui d'autres philosophes, dans le cadre d'une réelle philosophie comparative, pour reprendre le titre éponyme de Bahm5.

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1 . Du co rps à la persu asion : l es racin es p hysi ologi ques de l' art (AI et MT) L'un des paradoxes de la philosophie whiteheadienne est qu'elle est toujours elle-même en devenir, et qu'il est donc difficile de la caractériser. Sur le thème qui nous occupe aujourd'hui, celui d'une philosophie de la nature, on peut raisonnablement penser que PR constituerait la version la plus élaborée d'une « cosmologie » dont les premiers éléments avaient été élaborés durant la période précédente, jusqu'à SMW compris. Pourtant, tout se passe comme si de nombreux aspects de cette philosophie de la nature étaient restés cachés ou implicites dans PR, et que seules les œuvres ultérieures donnaient toute la mesure de la révolution ainsi opérée. C'est ainsi qu'AI se veut un complément, tirant du Categoreal Scheme les conséquences sociologiques, artistiques et politiques qu'il implique. Ceci se manifeste dans quelques domaines clés comme l'approche de l'âme humaine et du corps, ou encore la valeur de l'art, et plus généralement, le cheminement vers la persuasion. Lorsqu'il aborde, par exemple, dans la première partie d'AI, « sociologique », la question des rapports entre les sciences et leur fondement, Whitehead caractérise ainsi les catégories d'objets mis en œuvre en physique : il y a les choses qui durent, celles qui arrivent, celles qui reviennent et finalement les lois de la nature, qui régissent le tout6. Or, contrairement à ce que l'on pourrait croire, les « objets » ne se définissent pas d'emblée comme de simples événements, ce qui correspondrait aux deuxième et troisième catégories d'objets, mais aussi comme des réalités qui persistent dans le temps, comme pour la première catégorie, (et, d'une certaine façon, pour la dernière, celle des lois de la nature, mais nous y reviendrons). Par contre, pour ce qui est de la première catégorie des « objets » subsistants, Whitehead, assez curieusement, donne les deux exemples extrêmes du rocher et de l'âme humaine. Dans le premier cas, l'on pourrait, avec Whitehead, resituer l'objet « rocher » dans le cadre proposé ici de la physique. Dans le cas de l'âme humaine, Whitehead se réfère ici explicitement, à la pensée platonicienne qui attribue à « l'âme » une existence en soi, comme d'un « objet » qui durerait selon une autre logique que celle du monde toujours en devenir que nous vivons. Cette façon de réinscrire les questions historiques touchant à la consistance des « objets » n'a en fait de sens que si on la rattache au Schéma Catégorial de PR. Si, à l'échelle macroscopique, on peut discerner des « rochers » et des « âmes » qui durent, c'est le résultat d'une « présentation » du réel dont l'origine se trouve dans le fonctionnement même du corps humain, tel que pourrait le révéler une approche micro-cosmique de ce corps, comme d'un ensemble de processus dont nous ne saisissons finalement que le résultat présentationnel. Ainsi est donc posée, à partir d'une approche sociologique, la question du sens du corps luimême, question à laquelle Whitehead ne répondra que dans la troisième partie d'AI, intitulée « philosophique ». Précisément, le premier chapitre de cette partie

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est intitulé « Objets et Sujets ». La question soulevée d'un point de vue historique dans la première partie reparaît ici sous un angle plus spéculatif. En réalité, c'est à l'occasion de la perception humaine que cette question du corps est ici abordée. Une fois de plus, Whitehead tente de se situer par rapport à toute la tradition philosophique, notamment celles de Platon en un sens et de Hume en un autre sens. C'est sans doute Platon qui a raison lorsqu'il évoque la « puissance » de l'idée, se réalisant selon un réalisme qui lui est inhérent. Mais c'est Hume, évoqué à plusieurs reprises dans ce chapitre, qui vient le corriger en situant l'idée même de « corps » au niveau d'une composition des sensa. Cela conduit alors, à la fin du chapitre, à cette définition du corps humain qui concilie les deux approches : […] Il y a donc une continuité générale entre l'expérience humaine et les occasions physiques. L'élaboration d'une telle continuité est, de toute évidence, une tâche qui incombe à la philosophie7. Le crédit accordé à l'expérience humaine, comme le remarque A. Parmentier dans la première note de ce chapitre, fait immanquablement penser à W. James. En revanche, les « occasions physiques » évoquées seraient plutôt à rattacher au « platonisme » du Schéma Catégorial dans PR. C'est en fait cette conjonction de l'empirisme « huméen » ou « jamesien » et de références à des structures stables à l'origine du « process » qui confère au corps humain à la fois sa force, en ce qu'il participe de la structure générale du cosmos, et sa faiblesse, en ce que cette force se manifeste dans un devenir toujours à reprendre. L'âme humaine n'est jamais alors que ce qui émerge de ce flux permanent. La vérité de cette approche éclate dans la conception de l'art que Whitehead développera ensuite dans la quatrième partie. L'art s'enracine dans ces processus élémentaires qui régissent le corps humain, et c'est d'ailleurs la raison pour laquelle il touche chacun. On connaît les termes admirables en lesquels Whitehead décrit le genre de rapports existant entre le corps et l'art : Le corps humain est un instrument pour la production de l'art dans la vie humaine. Il concentre sur les éléments de l'expérience humaine qui sont retenus pour la perception consciente les intensités de forme subjective qui dérivent de composants plongés dans l'ombre. De la sorte, il rehausse la valeur de cette apparence qui est le sujet de l'art. Ainsi, l'œuvre d'art est-elle un message provenant de l'invisible. Elle libère des profondeurs de sentiment qui viennent de plus loin que la frontière à laquelle la précision de la conscience vient à défaillir. Le point de départ d'un art humain hautement développé doit être ainsi cherché parmi les tensions engendrées par l'activité physiologique du corps8.

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Ce qui me semble surtout important ici, c'est le rapport établi par Whitehead entre le corps que nous pourrions appeler « physiologique » et le corps « esthétique ». Issu de l'ensemble des événements qui produisent la sensation, le corps en garde une trace indélébile, et l'art est précisément la manifestation de cette trace, puisqu'il nous renvoie justement aux « profondeurs de sentiment qui viennent de plus loin que la frontière à laquelle la précision de la conscience vient à défaillir ». Il y a donc une vérité de l'art qui provient de ces profondeurs de sentiment éprouvées par chacun. Cette vérité de l'art est produite en une moisson et une jouissance immédiates, non occupées à assurer un avenir relevant de la morale. Car l'œuvre d'art est la rencontre immédiate, parfois fulgurante, entre un donné et l'organisation de ce donné en « sentir » cohérent et voulu comme tel. L'esthétique ouvre ainsi un champ immense de concordance entre les données et le sentir de leur acceptation subjective pour la composition d'une œuvre, aussi bien lorsque l'œuvre est créée par l'artiste que quand elle est recréée par celui qui la regarde. Or, pour Whitehead, une telle recréation est précisément le fait d'une conscience créatrice, comme il le remarque dès la section suivante : Le facteur de l'expérience qui rend possible l'art est la conscience. Naturellement, la conscience, comme toute autre réalité, est, en un sens, indéfinissable. Elle n'est qu'elle-même et doit être expérimentée. Mais également, comme d'autres réalités, elle est la qualité émergente manifestée dans l'essence d'une conjonction de circonstances : elle est un aspect qualitatif de cette conjonction […] Elle est la qualité inhérente au contraste entre actualité et idéalité, c'est-à-dire entre les produits du pôle physique et le pôle mental dans l'expérience9. C'est donc sur la base « physique » au sens whiteheadien de ce terme que peut apparaître le chemin de la conscience, et par elle de l'humanité vers la persuasion. On sait en effet l'importance de ce thème de la persuasion, dès le livre I d'AI. Nous retrouvons ici une observation qui sera surtout développée dans MT : la conscience est à la fois une réalité individuelle, issue des processus physiologiques, mais en tant que telle elle leur échappe, dans une sorte de communication plus large avec d'autres membres de l'espèce, dont le langage est le moyen le plus évident de communication. Ainsi, persuader relève-t-il d'un exemple particulièrement intéressant du la contradiction qui parcourt l'univers, entre l'importance et l'expression. Telle est la signification d'une philosophie « dans » la nature, sur laquelle nous reviendrons en terminant. En réalité, cette distinction développée tout au long de MT, entre importance et expression constitue en soi un premier élargissement de la signification accordée à l'art dans AI. Dans son dernier ouvrage, Whitehead élève la catégorie de l'expression à l'échelle de l'univers lui-même, sans doute d'une manière analogue à celle de Schelling, considéré souvent comme le père de la Philosophie de la

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Nature. Ici, en tous cas, tout se passe comme si le cosmos lui-même, en son importance, tendait à s'exprimer dans des réalités dont il serait le fondement, et qui se déploieraient dans la spatio-temporalité. On ne peut donc comprendre ce sens de l'expression, sans relier celle-ci à ce qu'écrit Whitehead dans le même ouvrage sur La Nature Vivante (Nature Alive). Car c'est dans cette nature vivante, et singulièrement dans celle des animaux et de l'homme que se manifeste ce qui fait finalement le fond même de l'expérience : l'émotion. De ce point de vue, l'émotion ne constitue-t-elle pas la première émanation, dans un individu vivant, de l'importance même du cosmos pris comme un tout ? Dès lors, mieux comprendre ses émotions c'est, en quelque sorte également, mieux comprendre le cosmos qui leur a donné naissance. L'homme participe ainsi de cette universelle expression cosmique. Quant à la philosophie, elle manifeste simplement cette capacité de « reprise », par et dans le langage, de ce qui fut l'origine de la pensée elle-même : la présence massive et obsédante à chacun de l'univers pris dans sa totalité. On pense ici à la conception kantienne du sublime, ou encore à un poète plusieurs fois cité dans l'œuvre de Whitehead : Wordsworth. Dans les deux cas, l'émotion constitue le lieu même d'apparition de l'importance, et de sa démesure dans l'expression individuelle qui en est donnée. Car, selon l'expression de Whitehead dans MT, « en un sens ou un autre, l'importance est dérivée de l'immanence de l'infini dans le fini10 ». C'est précisément le sens de cette démesure de l'infini par rapport au fini qui, à la fois, nous révèle le sens de l'importance et nous renvoie à notre finitude. Nous reviendrons plus loin sur ce point. Notons pour l'instant qu'un tel sentiment de démesure débouche nécessairement sur la question du mal, comme ce qui échappe congénitalement à notre condition finie.

2 . Di eu et le mal d ans l e co smos : é vo luti on d' AI et MT p ar rapport à PR Certes, dès PR, cette question du mal est intégrée d'entrée de jeu dans une vision cosmologique, comme en témoigne cette remarque sur le mal ultime : Le mal ultime du monde temporel est plus profond que tout mal spécifique. Il réside en ce que le passé s'évanouit, en ce que le temps est un 'perpétuel dépérir'. L'objectivation implique élimination. Le fait présent ne s'accompagne pas du fait passé, dans aucune immédiateté pleine. Le procès du temps masque le passé sous la distinction du sentir11. Mais ce traitement du mal dans PR laisse entière la question, abordée par contre dans AI et dans MT, de la position de l'homme face à cette réalité du périr perpétuel. C'est cette réalité même qui se manifeste aux périodes de déclin,

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comme Whitehead le montre, après Gibbon, à propos du déclin de l'empire romain et les invasions barbares12. Le thème du mal, qui, en tant que tel ne saurait relever d'une approche scientifique, occupée simplement des faits et non de leur valeur, apparaît au contraire comme nécessaire dans une perspective philosophique. Viser la totalité comme le font le philosophe et le religieux s'accompagne, chez le philosophe, non pas, comme chez le religieux, d'un désir de rédemption par rapport au mal qu'implique une telle totalité, mais une volonté de comprendre l'origine d'un tel mal. Dès lors, la signification de l'effort métaphysique, en tant qu'il constitue la pointe même de la vie philosophique, consiste à garder l'universalité scientifique, pour des raisons elles-mêmes injustifiables mais néanmoins réelles, en l'appliquant seulement à une réalité échappant ordinairement à celle-ci : le regard sur la totalité. Cela ne signifie pas que le philosophe accède ainsi à une perfection morale, mais au moins qu'il y tend comme à une perspective en laquelle puissent apparaître à la fois la morality of outlook et la generality of outlook. Avec lui, cette obligation morale apparaît dans toute sa grandeur, alors qu'elle est souvent masquée, chez le scientifique, par son désir d'une universalité, si j'ose dire, particulière, faisant abstraction de la totalité. C'est pourquoi on verra reparaître à plusieurs reprises ce thème du mal dans PR13. Le point important à noter ici est que cette mention du mal est toujours faite dans la perspective métaphysique d'une generality of outlook. Ceci est particulièrement clair dans le chapitre consacré à la Theory of Feelings14. Voici par exemple une remarque portant sur la bipolarité du réel, générant à la fois le mal et son remède : Une chaîne de faits est comme une barrière de récifs : d'un côté, le naufrage, et de l'autre, un havre sûr. Les catégories qui régissent la détermination des choses sont les raisons de l'existence du mal; mais elles sont aussi les raisons pour lesquelles, dans l'avancée du monde, des maux particuliers finissent par être transcendés15. Comme Whitehead le notait plus haut, en effet, le mal tient simplement dans l'absence d'harmonie présentée par les faits. En cela, il se distingue du « chaos » sur lequel, et, pourrait-on dire, contre lequel apparaît toute actualité, caractérisée au contraire comme une recherche d'harmonie. Le mal ne peut donc survenir qu'après une première victoire de la créativité sur le chaos initial : Ce qu'il faut de chaos, ce qu'il faut d' imprécision, sont ensemble requis pour une harmonie effective. Ils produisent la simplicité pesante (massive) que traduit l'expression d' « étroitesse » (narrowness). Le chaos ne peut donc être assimilé au mal, car l'harmonie requiert une bonne coordination du chaos, de l'imprécision, de l'étroitesse et de l'ampleur16.

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En même temps, la réalité elle-même, par essence, et parce qu'elle reste particulière, comporte toujours une part nécessaire de mal, dans la mesure où elle est soumise au temps, et donc à la disparition du présent dans le passé : c'est là le mal absolu et ultime. Dès lors, la seule perspective qui nous soit laissée est au moins dans l'intuition métaphysique d'un tel état de choses. Le philosophe est celui qui accepte une telle « finitude », comme le point de départ de sa propre recherche. Dans AI, cette expérience du mal est encore abordée sous l'angle de l'expérience esthétique, nous ouvrant en fait à la question de l'in-harmonie, et du mal qui en résulte. Dans le chapitre de la quatrième partie d'AI consacré à « La Beauté », Whitehead examine la question du mal inhérent à la beauté. Il le fait, certes, de manière incidente, mais très significative : On a affirmé la thèse selon laquelle l'expérience de destruction est en elle-même un mal, et constitue en fait la signification du mal. Nous constatons maintenant que cet énoncé est beaucoup trop rudimentaire. Il faut y ajouter des précisions, même si elles laissent intacte la position fondamentale selon laquelle la destruction comme fait dominant de l'expérience est la définition correcte du mal17. Ainsi donc, le mal est certes absolu dans sa racine, puisque la destruction est inhérente à la structure spatio-temporelle de notre monde. Mais en même temps et sur cette base, l'art représente une capacité de vaincre ce même mal. Whitehead poursuit en effet de la manière suivante : Le mélange de Beauté et de Mal naît de l'action conjointe de trois principes métaphysiques : (1) Toute actualisation est finie ; (2) La finitude comporte l'exclusion d'autres possibilités ; (3) L'activité mentale introduit, dans la réalisation, des formes subjectives conformes à des possibilités correspondantes exclues de la plénitude (completeness) de la réalisation physique18. On notera donc que l'art offre la double particularité de nous révéler, comme toute autre production, la finitude, mais aussi de nous ouvrir à d'autres possibles que ceux qui ont été réalisés et dont est partie l'expérience esthétique. On touche ici à un aspect particulièrement important de la philosophie whiteheadienne, marquant le souci de donner, à la structure du Schéma Catégorial telle qu'elle a été développée dans PR, une manifestation particulière sur ce qu'est la réalité la plus fondamentale, à savoir celle du rapport entre finitude et infini. De ce point de vue, l'œuvre d'art agit comme un révélateur de ce que, par d'autres moyens tente d'exprimer le philosophe. Il est clair que, dans ces œuvres ultérieures à PR, ce thème du rapport entre finitude et infini tend à devenir prédominant. En effet, lorsque l'on parcourt PR, on se rend compte à quel point ce thème de l'infini est masqué. À vrai dire, il apparaît essentiellement à propos des propositions et de leur base statistique19,

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tentant précisément de maîtriser l'infinité des cas dans une approximation finie. Or, ce concept d' « infinité » prend, dans AI et dans MT, une importance bien plus grande : Dieu n'est plus seulement, en sa Nature Primordiale, la source infinie des possibles finis, mais il est l'Eros, celui qui voudrait toujours réaliser davantage de possibles en même temps. Le Dieu d'AI, appelé Eros en référence à Platon, est cette force infinie qui ne peut empêcher, dans la réalisation même des possibles que tous ne puissent pas être présentés en même temps, tota simul auraient dit les Anciens. Ce faisant, le Dieu de Whitehead devient un Dieu qui souffre parce qu'il aime et tend à réaliser ce qu'il aime, y compris en sa Nature Primordiale 20 : C'est le sentiment de ce qui arriverait si le droit pouvait triompher dans un monde de beauté, la discorde étant mise en déroute. C'est, dans ce cas, le désir passionné du beau résultat. Un tel amour rend fou et agité. Mais, à moins qu'il ne soit obscurci par un désespoir total, il comporte le sentiment profond d'une visée dans l'Univers, poussant son triomphe aussi loin que possible. C'est le sens de l'Eros, planant entre la Paix qui couronne la Jeunesse, et celle qui suit la Tragédie21. La tragédie est du reste tellement inhérente au monde tel que le décrit AI qu'elle intervient nécessairement dans la réalisation du monde, et bien que reste valable la visée dernière de la Paix, comme Harmonie des Harmonies. En réalité, l'approche de la Beauté telle qu'elle est présentée dans AI ne peut jamais s'opérer sans une tragédie, en ce que le créateur artistique ne peut saisir l'infini que dans la finitude même de sa condition. Il n'y a pas, écrivait déjà Whitehead dans PR, d'infini divin en dehors d'une réalisation finie : Une évaluation conceptuelle sans limites, « infinie » au sens spinoziste du terme, n'est possible qu'une fois dans l'univers, car cet acte créateur est objectivement immortel en tant que condition inéluctable caractérisant l'action créatrice22. Le mal, c'est précisément cette impossibilité, y compris pour Dieu, de se réaliser lui-même indépendamment d'une production dans l'univers, et donc selon la structure de la spatio-temporalité. Ceci est bien sûr annoncé dans PR, notamment par cette réflexion que l'on trouve vers la fin de l'ouvrage : La nature du mal, c'est que, par leurs caractères mêmes, les choses se font mutuellement obstruction C'est pourquoi les profondeurs de la vie ont besoin d'un procès de sélection. Mais la sélection est l'élimination comme premier pas vers un autre ordre temporel cherchant à minimiser les modes d'obstruction. La sélection est à la fois mesure du mal et procès pour y échapper23.

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Mais c'est AI qui donnera toute la mesure d'une telle situation, en montrant à quel point les « profondeurs de la vie » définissent d'emblée les conditions mêmes du mal, y compris pour Dieu. Toute civilisation, définie dans MT comme le bon sens ultime, se développe au sein même de cette contradiction entre le mal et le moyen de lui échapper, au point, pourrions nous ajouter aujourd'hui en guise de commentaire, que parfois le mal absolu « obstrue » toute visée pacificatrice. C'est donc bien dans l'expérience de la finitude que l'infini se révèle à nous, comme c'est, chez Kant, dans le spectacle d'une mer déchaînée autour de nous que se manifeste à notre conscience le sublime infini de la création. Mais dans MT ce rapport entre finitude et infini prend la forme particulière d'une simple « expression » de l'importance du réel. L'homme est simplement celui dans la conscience de qui se manifeste le mouvement universel d'expression, c'est-à-dire de finitude. Et cette manifestation est surtout manifeste dans l'œuvre d'art. Reste à savoir comment ce rapport entre finitude et infini s'inscrit, non plus, comme chez Kant, dans la conscience, finie et relative, d'une moralité infinie et absolue, mais dans un travail confronté aux aléas de l'histoire. C'est sans doute sur ce point que prend tout son sens une philosophie de la nature, non plus construite sur la base d'une conscience morale, comme chez Kant, mais fondatrice, au contraire, de valeurs dont la morale, mais également l'esthétique, sont les meilleures « expressions ». Le travail du philosophe est donc de prendre conscience de ce fondement « naturel », ce qui nous conduirait, s'agissant de Whitehead, à parler d'un acte de « philosopher dans la nature », débouchant sur l'affirmation de valeurs esthétiques et morales, plutôt que d'une « philosophie de la nature » proprement dite, indépendante de telles valeurs.

3 . Le « Philo soph er dans la Nature » vs l a Phil osop hie de l a n atu re Il est assez étonnant de voir comment, nonobstant ce que nous venons de dire, Whitehead institue son effort métaphysique sur des valeurs morales, lesquelles lui préexistent donc, et ne sauraient à leur tour être justifiées. Reprenons les remarques qui précèdent l'exposé du Schème Catégorial, dans le chapitre I, Speculative Philosophy : La moralité d'une perspective est inséparable de sa généralité. L'opposition entre bien général et intérêt individuel ne peut disparaître que si l'individu fait correspondre son intérêt au bien général, illustrant ainsi que la perte d'intensités mineures peut conduire à les retrouver en une composition plus raffinée, relevant d'un champ plus large d'intérêt24.

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Cela signifie donc que, pour acquérir cette largeur de vues qui caractérise tout effort métaphysique, il est nécessaire de dépasser le simple intérêt individuel pour une vision large, rendant possible ainsi l'accès au niveau dernier que constituera, au chapitre suivant, le Schème Catégorial. En cela, la philosophie ne fait que reprendre les valeurs auxquelles sont attachées science et religion : La philosophie se libère de sa tare d'inefficacité en se reliant étroitement à la religion et aux sciences, tant celles de la nature que de la société. Elle parvient à son maximum d'importance en fusionnant les deux, science et religion, en un seul schéma rationnel de pensée25. La seule différence de la philosophie, par rapport à ces disciplines, est précisément dans le choix du mode d'expression de la réalité : elle tente en effet de réconcilier l'universalité qui semble l'apanage de la recherche scientifique avec la totalité qui caractérise les émotions religieuses. Nous retrouvons ici, sous l'angle des valeurs, la conjonction évoquée ci-dessus entre science, religion et philosophie : Les sciences accèdent déjà à l'universel par renonciation aux simples intérêts personnels, mais manquent alors le caractère général et cosmique auquel accèdent au contraire les religions. Le philosophe, comme toujours, est celui qui fait tenir ensemble la vision universelle désintéressée et celle, plus particulière et plus intéressée, qui nous fait ressentir l'univers luimême comme une force transcendante à nos désirs. Cette définition du travail du philosophe apparaît plus clairement encore dans MT, où Whitehead note qu' « […] il est toujours à l'assaut des frontières de la finitude26 ». En fait, ces « frontières », nous le savons, nous apparaissent dans l'expérience même que nous faisons de l'infini. Dans le même dernier chapitre de MT, Whitehead rapproche le philosophe du mystique, en ce que La pratique de la philosophie […] inverse la lente chute de la pensée acquise dans le lieu-commun inactif. Si l'on veut l'exprimer ainsi, on peut dire que la philosophie est mystique. Car le mysticisme est une intuition directe dans des profondeurs encore non-dites. Mais le propos de la philosophie est de rationaliser le mysticisme : non pas en en donnant une explication finale, mais en introduisant de nouvelles caractérisations verbales, rationnellement coordonnées 27. On retrouve ici la référence aux profondeurs de la vie, déjà rencontrée dans PR, ou aux profondeurs de sentiment évoqués par AI. On voit donc, chez Whitehead, la même prééminence accordée à l'intuition philosophique que chez Bergson : ce qu'il appelle chez Bergson l'intuition instinctive forme une ébauche de proposition, non encore contrôlée par le sentir intellectuel 28. Ce n'est pas, me semble-t-il, une dévalorisation de l'intuition bergsonienne, mais au contraire une façon de lui accorder tout le crédit qu'elle mérite. L'intuition ne prend en effet son sens que si elle rend possible une conceptualisation, mais inversement, une

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telle conceptualisation ne serait pas possible sans le recours à l'intuition propositionnelle, et plus fondamentalement aux sentirs physiques qui président à l'apparition d'une telle intuition. Dans ce passage de l'intuition propositionnelle à l'acte de philosopher, le langage joue, chez Whitehead, un rôle essentiel : surtout dans MT, mais déjà dans AI, à propos de la Méthode Philosophique29. MT ajoutera à cela une dimension proprement métaphysique, en montrant que le langage se situe à la jointure entre l'importance et l'expression : Il leur donna le langage et ils devinrent des âmes, capables comme telles de retrouver dans les multiples expressions de la totalité le fondement commun dont elles émanent. L'habituelle substantification de l'âme et du corps, héritée du cartésianisme, trouve ici son dépassement : le langage fait partie, comme le corps, d'une nature qui tend toujours et partout à l'expression, à partir de l'importance du monde, et avant même la conscience que l'homme-philosophe peut en avoir. Mais la question qui reste alors posée est celle que pose précisément Éric Weil à Whitehead, lorsque, dans son Essai sur la Nature, il lui reproche, de proposer sur la Nature une Philosophie invérifiable : « Whitehead […] aboutit à une philosophie de la nature, voire à une métaphysique générale, mais l'une et l'autre invérifiables et même situées en dehors du champ de toute réfutation possible30 ». C'est une représentation analogue de Whitehead que l'on trouve chez J. Largeault : […] Les théories « organicistes » plus récentes incorporent le vitalisme dans un cadre élargi. Elles tirent leur origine de A. N. Whitehead, de la psychologie de la forme, et du vitalisme de Driesch. Whitehead voit la forme naître de la matière par concrescence : une saillance émerge d'une prégnance. Une variante de l'idée se rencontre en embryologie, dans l'attribution d'effets individuants à un champ31. Aussi différentes que soient ces deux approches de Whitehead, elles reposent sur une même représentation de la philosophie whiteheadienne : Whitehead professerait une philosophie de la « nature » de type organiciste, fondée sur une théorie de type « vitaliste » dont l'embryologie représenterait le meilleur exemple. Le reproche mérite examen : si, comme nous venons de le voir, le langage, et singulièrement celui des philosophes, est replacé par Whitehead au sein d'une « dialectique » cosmique entre Importance et Expression, une telle dialectique est-elle de type vitaliste, et si oui, cette relation entre l'une et l'autre repose-t-elle sur autre chose que des conjectures ? En réalité, l'objection de Weil ne vaut que si l'on s'en tient à la première œuvre à consonance métaphysique, je veux dire Science and the Modern World. Car il est vrai que la référence à Dieu et aux Objets éternels, chapitres ajoutés pour inscrire sa recherche sur la nature dans une réelle métaphysique est simplement présentée comme une hypothèse nécessaire pour justifier l'organicisme. D'autre

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part, SMW fait à plusieurs reprises référence à Bergson, qui « introduisit en philosophie la conception organique de la physiologie, avec une compréhension instinctive de la biologie32 ». Par contre, l'on peut penser que les deux dernières œuvres de Whitehead, AI et MT apportent une réponse à ces questions d' É. Weil et de J. Largeault, précisément par l'introduction de la question du langage philosophique, et de son origine dans la réalité même du monde dont la conscience humaine est issue. Le Schéma Catégorial apparaît alors, non comme un concept qui se situerait en dehors de toute réfutation possible, mais comme la simple tentative de dire une telle réalité, par laquelle se justifie, non seulement la pertinence de tout langage humain, mais plus précisément celui de la philosophie. Le philosophe est simplement celui qui, comme le peintre, le mystique ou le poète, tente de dire cette réalité. La seule différence, note Whitehead dans le texte cité plus haut, est que le philosophe la dit d'une façon qui soit rationnelle, en proposant « de nouvelles caractérisations verbales, rationnellement coordonnées ». Car c'est « dans les présupposés du langage, plutôt que dans ses énoncés explicites qu'il faut chercher la vérité philosophique33 ». De ce point de vue, Weil et Whitehead ne seraient finalement pas si éloignés l'un de l'autre, lorsqu'il font reposer tous deux le « philosopher » comme une recherche de cohérence. Certes, on pourrait objecter que la cohérence whiteheadienne est d'ordre spéculatif, alors que celle de Weil est pratique (morale et politique). Mais si l'on se réfère à la morality of outlook évoquée par Whitehead au début de PR, et surtout si l'on mesure la portée des ouvrages ultérieurs, en termes de sociologie, de philosophie de l'art, et plus globalement de réflexion sur le cosmos, l'orientation pratique de "la philosophie de l'organisme" apparaît clairement. Nous pourrions caractériser Whitehead, tout autant que Weil, comme étant des philosophes qui préfèrent, à une philosophie de la nature, un « philosopher en liberté dans la nature ».

4 . Con clusio n : L a n ature co mme c hamp d'affrontement entre liberté et vi olence Car c'est bien de liberté de philosopher qu'il s'agit, finalement. Le retour à ce qui constitue l'essentiel de l'acte de philosopher se trouve très clairement présent dans les dernières œuvres de Whitehead, et plus précisément encore dans MT. Certes, le dernier chapitre est consacré précisément à cette définition, mais c'est l'ensemble de l'œuvre qui réinscrit la philosophie dans le thème plus global de l'expression, dont il est la forme la plus achevée, parce qu'il s'appuie sur un concept développé dès les premières pages : celui d'assemblage opposé à tout systématisation : « […] La philosophie, elle, ne peut rien exclure. Elle ne doit donc jamais partir d'une systématisation. Sa première étape peut être appelée un 'assemblage'. Naturellement, un tel processus est sans fin34 ».

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C'est finalement cet assemblage patient qui constituerait la tâche d'un véritable « philosopher », la philosophie de la nature n'étant qu'un préalable à cette tâche, toujours à reprendre du philosopher dans la nature. On voit dès lors ce que ce « philosopher » contribue à apporter à la question des rapports entre finitude et infini. Le philosophe se réfère d'abord à son propre corps sentant, pour y enraciner ce que PR appellera des sentirs propositionnels, c'est-à-dire un ensemble de possibles reliés à l'actualité en train de se faire35. Nous l'avons vu, c'est là, aux yeux de Whitehead, l'apport décisif du concept bergsonien d'intuition. Il ne s'agit donc pas exactement ici d'une intuition intellectuelle, dont on sait à quel point elle fut refusée par de nombreux hégéliens, au nom d'un « discours » élaboré après coup par la pensée. Il s'agit plutôt de ce que Whitehead appelle dans PR des sentirs hybrides, en lesquels l'attache des concepts à leur enracinement physiologique n'a pas encore complètement disparu. C'est précisément à cet endroit que peut naître et se développer une conscience de finitude et d'infini à la fois. En réalité, ce couple apparaît comme tel, sur la base d'un monde « important » qui tend à s'exprimer, et qui le fait au mieux dans la genèse de ces sentirs hybrides. Ici, le philosopher en liberté dans la nature prend toute sa signification, à mi-chemin entre le sentir d'infini que manifeste la présence insistante du monde dans le moindre sentir physique, et la conscience de la finitude attachée finalement à ce sentir physique, condamné, si j'ose l'exprimer ainsi, à une spatio-temporalité particulière, dont nous savons qu'elle est, pour Whitehead, le mal absolu. La philosophie whiteheadienne de la nature nous renvoie donc à un type de pensée qui privilégie l'acte sur le système, si l'on reprend la distinction opérée par É. Weil, entre l'acte même de philosopher et les différentes « catégories » philosophiques que reprend toujours cet acte même, en sa recherche d'une cohérence dernière. C'est sans doute la recherche d'une telle cohérence qui définirait le mieux l'inlassable visée whiteheadienne de la persuasion.

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N otes 1

Université catholique de Lille. Cf. Modes of Thought, Cambridge University Press, 1938, vii [21]. Par la suite la référence « MT » sera suivie de l'indication de page de la page de l'original suivie, entre [ ], de celle de la traduction. (Modes de Pensée, Vrin, 2004). 3 Adventures of Ideas,, Macmillan, 1933, pp. 6 & svtes [48]. Par la suite la référence « AI » sera suivie de l'indication de la page de l'original suivie, entre [ ], de celle de la traduction (Aventures d'Idées, Cerf, 1993). 4 Cf. Process and Reality, Corrected Edition, The Free Press, 1978, Part II, Ch. IX, Propositions, notamment Section V (pp. 199-230) [327-332]. Par la suite la référence « PR » sera suivie de l'indication de la page de l'original suivie, entre[ ], de celle de la traduction (Procès et Réalité, Gallimard, 1995). 5 A. J. Bahm, Comparative Philosophy, World Books, Albuquerque, 1995 (1977). 6 AI, p. 49 [85]. 7 AI, p. 244 [247] (« There is thus a general continuity between human experience and physical occasions. The elaboration of such a continuity is one most obvious task for philosophy »). 8 AI, p. 349 [345-346] (« The human body is an instrument for the production of art in the life of the human soul. It concentrates upon those elements in human experience selected for conscious perception intensities of subjective form derived from components dismissed into shadow. It thereby enhances the value of that appearance which is the subject-matter for art. In this way the work of art is a message from the Unseen. It unlooses depths of feeling from behind the frontier where precision of consciousness fails. The starting-point for the highly developed human art is thus to be sought amid the cravings generated by the physiological functionings of the body. ») 9 AI, p. 347 [343-344]. (« The factor in experience that renders Art possible is consciousness. Of course consciousness, like everything else, is in a sense indefinable. It is just itself and must be experienced. But, also like other things, it is the emergent quality illustrated in the essence of a conjunction of circumstances. It is a qualitative aspect of that conjunction. […] It is the quality inherent in the contrast between Actuality and Ideality, that is, between the products of the physical pole and the mental pole in experience. ») 10 MT, p. 28 [43] (« In some sense or other, Importance is derived from the immanence of infinitude in the finite. ») 11 PR, p. 340 [524], traduction légèrement modifiée (« The ultimate evil in the temporal world is deeper than any specific evil. It lies in the fact that the past fades, that time is a 'perpetual perishing'. Objectification involves elimination. The present fact has not the past fact with it in any full immediacy. The process of time veils the past below distinctive feeling. ») 12 AI, pp. 6-7 [48]. 13 Cf. en particulier la dernière partie, où il prend sa signification la plus « religieuse. » (PR, p. 337 [519 & svtes]) 14 PR, p. 219 & svtes [353 & svtes] 15 PR, p. 223 [359]. (« A chain of facts is like a barrier reef. On one side there is wreckage, and beyond it harbourage and safety. The categories governing the determination of things are the reasons why there should be evil ; and are also the reasons why, in the advance of the world, particular evil facts are finally transcended. ») Sur le lien du bien et du mal 2

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particuliers, cf. Religion in the Making, Fordham University Press, 1996, p. 87 : particular evils infect the whole world, particular goods point the way of escape. 16 PR, p. 112 [201] (traduction modifiée). (« The right chaos, and the right vagueness, are jointly required for any effective harmony. They produce the massive simplicity which has been expressed by the term 'narrowness'. Thus chaos is not to be identified with evil ; for harmony ; requires the due coordination of chaos, vagueness, narrowness, and width. ») 17 AI, p. 333 [332]. (« The doctrine has been stated that the experience of destruction is in itself evil ; in fact that it constitutes the meaning of evil. We find now that this enunciation is much too simple-minded. Qualifications have to be introduced, though they leave unshaken the fundamental position that “destruction as a dominant fact in the experience” is the correct definition of evil. ») 18 AI, p. 333 [332-333] (« The intermingling of Beauty and Evil arises from the conjoint operation of three metaphysical principles : (1) That all actualization is finite ; ( 2 ) That finitude involves the exclusion of alternative possibility ; (3) That mental functioning introduces into realization subjective forms conformal to relevant alternatives excluded from the completeness of physical realization. ») 19 PR, p. 199 et svtes [327 & svtes]. 20 Cf. AI, p. 326 [326], où Whitehead assimile explicitement l'Eros et la Nature Primordiale. 21 AI, p. 373 [367] (« It is the feeling as to what would happen if right could triumph in a beautiful world, with discord routed. It is the passionate desire for the beautiful result, in this instance. Such love is distracting, nerve-racking. But, un-less darkened by utter despair, it involves deep feeling of an aim in the Universe, winning such triumph as is possible to it. It is the sense of Eros, hovering between Peace as the crown of Youth and Peace as the issue of Tragedy. ») 22 PR, p. 247 [393-394] (« Unfettered conceptual valuation, 'infinite' in Spinoza's sense of that term, is only possible once in the universe ; since that creative act is objectively immortal as an inescapable condition characterizing creative action. ») 23 PR, p. 340 [524-525] (« The nature of evil is that the characters of things are mutually obstructive. Thus the depths of life require a process of selection. But the selection is elimination as the first step towards another temporal order seeking to minimize obstructive modes. Selection is at once the measure of evil, and the process of its evasion. ») 24 PR, p. 15 [64] (ma traduction) (« Morality of outlook is inseparably conjoined with generality of outlook. The antithesis between the general good and the individual interest can be abolished only when the individual is such that its interest is the general good, thus exemplifying the loss of the minor intensities in order to find them again with finer composition in a wider sweep of interest. ») 25 Ibid. (Traduction modifiée) (« Philosophy frees itself from the taint of ineffectiveness by its close relations with religion and with science, natural and sociological. It attains its chief importance by fusing the two, namely, religion and science, into one rational scheme of thought. ») 26 MT, p. 234 [190] (« He is always assaulting the boundaries of finitude. ») 27 MT, p. 237 [192] (Traduction légèrement modifiée) (« The use of philosophy […] reverses the slow descent of accepted thought towards the inactive common-place. If you like to phrase it so, philosophy is mystical. For mysticism is direct insight into depths as yet unspoken. But the purpose of philosophy is to rationalize mysticism : not by explaining it away, but by the introduction of novel verbal characterizations, rationally coordinated. »)

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La position de Whitehead sur l'intuition bergsonienne est nuancée : il la situe au niveau des sentirs propositionnels, (c'est-à-dire, rappelons-le, les sentirs des possibles réellement suscités par les sentirs physiques), et non pas au niveau des sentirs intellectuels qui en héritent (cf. PR 280 [440], sur les trois stades de sentirs, en rapport à l'intuition bergsonienne). 29 Cf. en particulier AI, p. 291 [295], où l'on trouve une analyse intéressante du langage, faisant implicitement la critique du positivisme logique en montrant comment une phrase poétique se fonde sur une fonction du langage qui va plus loin que la simple description d'un état de choses. 30 É. Weil : Essais sur la Nature, l'Histoire et la Politique, Presses du Septentrion, 1999, p. 12. Weil, dans le même paragraphe, évoque également Bergson et Collingwood. 31 J. Largeault, Principes classiques d'interprétation de la nature, Vrin, 1988, p. 327. 32 SMW, Cambridge, 1953 (réédit.), pp. 183-184. (« Bergson introduced into philosophy the organic conceptions of physiological science […] with an instinctive grasp of modern biology. ») 33 MT, Preface, vii [21] (« Thus philosophic truth is to be thought in the presuppositions of language rather than in its express statements. ») 34 MT, pp. 2-3 [26] (« Philosophy can exclude nothing. Thus it should never start from systematization. Its primary stage can be termed “assemblage”. Such a process is, of course, unending. ») 35 Notons que Weil évoque sans arrêt, dans sa Logique de la Philosophie, le terme de sentiment, comme étant la base nécessaire d'un réel philosopher.

Gödel et Whitehead : monadologie et théorie de la relativité Pierre Cassou-Noguès1 Je m’attacherai à comparer certains aspects des pensées de Gödel et de Whitehead. Je voudrais d’abord montrer, de façon assez générale, comment certains éléments de la philosophie de Gödel se rapprochent de la cosmologie de Whitehead, dans PR. Je discuterai ensuite des interprétations que Gödel et Whitehead proposent de la théorie de la relativité, en m’appuyant alors sur les ouvrages de la période qui nous intéressent ici, en particulier PNK. Je dois dire cependant que, m’adressant à des spécialistes de Whitehead, je discuterai surtout de la philosophie de Gödel, sans chercher toujours à expliciter le contexte des thèses de Whitehead auxquelles je me référerai2. Kurt Gödel est surtout connu pour ses résultats logiques, le théorème d’incomplétude de 1931, la démonstration de consistance relative de l’hypothèse du continu et de l’axiome du choix dans la théorie des ensembles. Cependant, à partir de son installation aux Etats-Unis, en 1940, et jusqu’à sa mort, en 1978, Gödel s’est pour une large part consacré à une réflexion philosophique. En 1966, Gödel mentionne ainsi à propos de son travail philosophique : Since 1940 1. about 1000 stenographic pages 6*8 of clearly written philosophical (also philological, psychological) notes (= philosophical assertions) 2. Two philosophical papers almost ready for print 3. Several thousands pages of philosophical excerpts and literature […]3. On voit donc comme la philosophie tient une place importante dans le travail de Gödel. Pourtant, ses thèses restent mal connues. Gödel n’a rien publié de sa doctrine hors de la philosophie des mathématiques. Par ailleurs, s’il reste à la bibliothèque de Princeton tout un corpus de papiers inédits, ceux-ci comprennent de nombreuses notes, remarques sur des cahiers ou à propos d’auteurs, rédigées en Gabelsberger, une méthode sténographique enseignée aux écoliers germanophones au début du XXIème siècle et illisible pour le profane. A l’heure actuelle, seule une partie de ces notes a été transcrite. Ainsi, nous ne connaissons que des bribes de la philosophie de Gödel. Les analyses que je me propose ne peuvent donc être que provisoires. Néanmoins, les notes dont nous disposons semblent bien pouvoir être interprétées dans un

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sens qui les rapproche de la cosmologie de Whitehead. Je ne soutiens pas que Gödel retrouve le schéma cosmologique de Whitehead. Mais je voudrais en citant quelques notes montrer que, extérieurement au moins, il y a bien une parenté avec la cosmologie de Whitehead. Je serai amené à insister beaucoup plus sur cette parenté que sur la divergence des deux auteurs qui me semble déjà sensible sur certains thèmes, comme celui de la temporalité. Compte tenu de l’isolement de Whitehead dans la philosophie au XXIème siècle, cette proximité (même extérieure, provisoire peut-être et que, en tout cas, il resterait à préciser) me semblait mériter d’être remarquée. Je commencerai par évoquer de façon générale la philosophie de Gödel. Je parlerai en particulier de la méthode philosophique, telle que la décrit Gödel, et qui me semble rappeler les analyses de Whitehead dans le premier chapitre de PR. Dans un deuxième temps, je discuterai de leurs interprétations de la théorie de la relativité. Je dois dire aussi que, si proximité il y a, il n’y faut sans doute pas voir une influence directe de Whitehead sur Gödel. Il est sûr que Gödel a lu SMW. Il reste dans ses papiers dix-sept pages de notes. Mais le logicien ne semble pas particulièrement apprécier la lecture de Whitehead : Whitehead’s theories are far-fetched and too complicated4. Et, pourtant, les énoncés de Gödel répondent à ceux de Whitehead. A tel point que l’on peut les mettre face à face, dans une sorte de dialogue. La plupart des citations seront précédées du nom de Gödel ou de Whitehead pour former comme une scénette philosophique, simplement interrompue par mes propres commentaires. Je m’appuierai pour ce travail sur les conversations de Gödel avec Wang, telles que celui-ci les a retranscrites dans son livre de 1996, From Gödel to Philosophy, et sur les papiers inédits conservés à la bibliothèque de l’université de Princeton.

1 . La méth ode philo sophi qu e Le premier point, qui engage à un rapprochement de Gödel avec Whitehead, est la référence à la monadologie de Leibniz : Gödel : My theory is a monadology with a central monad (namely God). It is like the monadology of Leibniz in its general structure5. Whitehead : This [PR] is a theory of monads. […] Each monadic creature is a mode of the process of ‘feeling’ the world. […] It is the ultimate creature derivative from the creative process6. On peut discuter du rapport de la cosmologie de Whitehead à la monadologie de Leibniz, et il est certain que, contrairement à la monade leibnizienne, qui « n’a

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ni porte, ni fenêtre », « l’entité » ou « l’occasion actuelle », dans la terminologie de Whitehead, est dans une relation véritable à son environnement et en subit l’influence. L’important est que Gödel s’accorde avec Whitehead sur la thèse que les entités fondamentales de l’univers, ses individus, sont des êtres possédant une expérience intérieure : Gödel : It is an idea of Leibniz that monads are spiritual in the sense that they have consciousness, experience, and drive on the active side, and contain representations on the passive side. Matter is also composed of such monads […] a piece of rock also has experiences. We experience drives, pains, and so on ourselves. The task is to discover the universal laws of the interactions of monads, including people, electrons and so forth7. Ce texte, mis à part le terme « conscience » dont Whitehead fait un usage plus équivoque, s’appliquerait aux entités actuelles de la cosmologie de PR. Les entités actuelles sont bien des êtres possédant une expérience intérieure, analogue à la nôtre, avec un côté passif, consistant en une représentation des entités qui les environnent, et un côté actif, qui peut être pensé comme une sorte de désir. Ces entités actuelles composent aussi bien les êtres vivants que les choses inanimées. L’exemple de Gödel (ce morceau de pierre) rappelle du reste l’analyse par Whitehead du « rocher d’Edimbourg »8. La position de telles monades détermine la méthode philosophique sur plusieurs points. En effet, la tâche de la philosophie sera double : il s’agira, d’un côté, d’analyser la vie propre de ces monades en interrogeant et en généralisant notre propre expérience et, de l’autre côté, de fixer les relations qu’entretiennent les monades entre elles, ce qui, en fait, permettra de donner un cadre philosophique aux sciences et, si l’on veut, de les fonder. La philosophie, dans ce rapport aux sciences, devient une méta-physique ou une « super-science », selon une expression de Gödel. En fait, Gödel comme Whitehead vise à donner à la philosophie la forme d’une science ou à la transformer en un système rigoureux. Ce caractère systématique fait partie, pour Whitehead, de l’idée même de philosophie spéculative. Il s’exprime dans le « schème » du premier chapitre : Whitehead : Speculative philosophy is the endeavour to frame a coherent, logical, necessary system of general ideas in terms of which every element of our experience can be interpreted9. Ou encore, Whitehead : The scheme is a matrix from which true propositions applicable to particular circumstances can be derived. […]. The use of such a matrix is to argue from it boldly and with rigid logic. The

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scheme should therefore be stated with utmost precision and definiteness, to allow of such argumentation10. Sans doute, la philosophie n’est pas, pour Whitehead, formelle à proprement parler. Néanmoins, le schème, dans le premier chapitre de PR, consiste en une liste de notions définies aussi précisément que possible (c’est-à-dire par une explication qui doit permettre de saisir dans l’expérience ce à quoi telle notion correspond) et en une liste de propositions, formulées sur la base de ces notions et à partir desquelles il s’agira ensuite d’argumenter. Or c’est bien un tel système de notions et d’axiomes que cherche Gödel : Gödel : Philosophy aims at a theory. […] In a theory concepts and axioms must be combined, and the concepts must be precise ones11. Le logicien peut également évoquer dans des textes rédigés par Wang mais corrigés de sa main : Gödel : […] the transformation of certain aspects of traditional philosophy into an exact science. I am now working toward such a transformation12. Philosophy as an exact science should do to metaphysics as much as Newton did to physics. [H. Wang writes: It is not excluded ; Gödel replaces by : Gödel thinks it is perfectly possible] that the development of such a philosophy will take place within the next hundred years or even sooner13. Nous l’avons vu, cette science philosophique, ce schème conceptuel est une monadologie. Or, pour décrire la vie des monades, le philosophe doit d’abord s’appuyer sur sa propre expérience, sa vie intérieure. Si les monades, les entités actuelles, ont une intériorité, celle-ci doit d’abord être pensée sur le modèle de la nôtre. Ainsi, la philosophie passe par l’introspection et doit en généraliser les résultats : Gödel : Monadology also explains why introspection is so important. What is essential for the understanding of the monads is to observe yourself : This is a monad that is given to you14. Whitehead : In describing the capacities, realized or unrealized, of an actual occasion, we have, with Locke, tacitly taken human experience as an example upon which to found the generalized description required for metaphysics. But when we turn to the lower organisms we have first to determine which among such capacities fade from realization into irrelevance, that is to say by comparison with human experience which is our standard15.

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La référence de Whitehead à Locke n’est pas déterminante. Whitehead est plus prudent que Gödel. On ne peut pas purement et simplement — souligne Whitehead — prêter à ces monades qui constituent l’électron, ou la pierre, notre expérience intérieure avec les différentes strates que l’introspection semble y dévoiler. Il s’agira donc de dégager les couches fondamentales de notre expérience qui peuvent être attribuées aux monades les plus simples. Néanmoins, la méthode philosophique, pour Whitehead et pour Gödel, passe par une sorte de généralisation de l’expérience humaine. C’est pourquoi ils peuvent revendiquer dans des termes comparables la généralisation comme méthode philosophique : Gödel : In philosophy, we should have the audacity to generalize without inhibitions16. Whitehead : The study of philosophy is a voyage towards the larger generalities17. Ou encore : Whitehead : The true method of discovery is like the flight of an aeroplane. It starts from the ground of particular observation; it makes a flight in the thin air of imaginative generalization; and it again lands for renewed observation rendered acute by rational interpretation. […] Thus the first requisite [of speculative philosophy] is to proceed by the method of generalization18. La première tâche d’une philosophie monadologique consiste donc en une description de la vie des monades. Cela suppose une introspection, qui analyse notre propre expérience, et une généralisation, qui en étend les couches fondamentales. Gödel renvoie pour cette réflexion à la méthode phénoménologique. Mais cette première tâche n’est qu’une moitié du travail philosophique. En effet, une seconde tâche consiste dans la description des relations qu’entretiennent les monades. C’est dans ce second temps que la philosophie pourra donner un cadre aux sciences. La philosophie est donc double. En ce sens, je crois : Gödel : Phenomenology is not the only approach. Another approach is to find a list of the main categories (e.g. causation, substance, action) and their interrelations19. Toutefois, le rapport aux sciences dans la philosophie de Gödel est plus ambigu que dans la cosmologie de Whitehead. En déterminant les relations dont sont susceptibles les entités actuelles, les occasions d’expérience, Whitehead vise à fonder nos sciences. Les notions primitives de la science physique (points, instants, particules matérielles) sont en effet définies par certains ensembles d’entités actuelles (ou ensembles d’ensembles…, peu importe ici). La

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philosophie doit fournir les termes premiers à partir desquels les théories scientifiques se laissent formuler. Ainsi, la partie IV de PR donne une définition des instants, des points, des particules, qui permet, selon l’esquisse donnée dans CN ou PNK, de retrouver la théorie de la relativité. En principe, les sciences sont intégrées dans le schéma cosmologique ou, à l’inverse, celui-ci s’accorde avec les sciences et en dévoile le véritable fondement : Whitehead : This metaphysical description of the simplest elements in the constitution of actual entities agrees absolutely with the general principles according to which the notions of modern physics are framed. […] It has been a defect in the modern philosophies that they throw no light whatever on scientific principles. Science should investigate particular species, and metaphysics should investigate the generic notions under which those specific principles should fall20. Il est vrai que Whitehead introduit plusieurs restrictions. D’abord, le philosophe admet que les lois de notre univers peuvent se modifier et, dans ce cas, falsifier notre physique. Le schème cosmologique, qui reste valide pour toute « époque cosmique », doit donc être plus général que la physique, qui en sort comme une possibilité parmi d’autres. D’autre part et surtout, la physique, dans le schème cosmologique, n’a qu’une vérité relative. La physique donne des lois liant certains termes (certains ensembles d’entités actuelles) sans elle-même déterminer la nature de ces termes ou des entités actuelles qui les constituent. Elle ne concerne du reste qu’un certain genre d’entités actuelles (celles qui constituent la matière inanimée). Cela suffit à réduire la physique à une « demivérité ». Enfin, Whitehead semble accepter que la physique connaît un développement, que ses principes se modifient et que, par conséquent, c’est non seulement par sa généralité mais dans son contenu même que les principes philosophiques doivent se détacher et, pour ainsi dire, extrapoler la physique : Whitehead : The fate of Newtonian physics warns us that there is a development in scientific first principles, and that their original forms can only be saved by interpretations of meaning and limitations of their field of application. Thus one aim of philosophy is to challenge the half-truths constituting the scientific first principles. The systematization of knowledge cannot be conducted in watertight compartments21. Il faut dire néanmoins que ce texte est dans PR difficilement compréhensible, puisque Whitehead, en donnant le moyen de reformuler la théorie de la relativité, l’intègre de fait dans son schème philosophique. Quoi qu’il en soit, c’est cette ambiguïté que l’on trouve dans les textes de Gödel. D’un côté, en principe, la science physique doit s’intégrer dans le schème philosophique ou pouvoir être formulée à partir des notions et des axiomes de cette philosophie monadologique. Mais, de l’autre côté, Gödel insiste sur le fait que notre

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physique est encore inachevée. Le logicien évoque différents « niveaux d’objectivation », par lesquels la science physique se rapproche des choses en soi. L’univers newtonien en est un, la physique relativiste en est un second mais non le dernier. Elle ne reflète donc pas adéquatement l’univers auquel elle se réfère. Notre physique ne touche pas encore les choses en soi. Il ne s’agit donc pas tant de donner un fondement à la physique comme le tente Whitehead que de « l’extrapoler », c’est-à-dire de deviner sa direction, ses idées et de les prolonger : Gödel : […] the space-time scheme of relativity can hardly be considered as the outer structure of the objective world, but rather as only one step beyond the appearances and towards the things in themselves, i.e. as one level of objectivation to be followed by others. Such an interpretation of relativity theory in no way contradicts, but is rather suggested by the present state of physics. For quantum physics seems to indicate that physical reality is something much more different from the appearances than even the four dimensional Einstein-Minkowski world22. Il me semble que Gödel partage avec Whitehead une perspective de principe. En principe, la science physique, pour Gödel comme pour Whitehead, doit s’intégrer dans le schème philosophique et s’y laisser reformuler (à partir des entités fondamentales, les monades, et des relations que peut énoncer un système philosophique). La différence avec Whitehead (peut-être seulement une différence d’accent) vient de ce que Gödel est convaincu que notre physique, la physique telle que nous la connaissons, n’est qu’un état intermédiaire, destiné à être dépassé et qu’il faut donc « extrapoler » plutôt que reformuler dans le schéma philosophique. Le texte que je viens de citer indique également que Gödel revendique la possibilité, pour les sciences et pour la métaphysique, d’atteindre une vérité objective ou d’exprimer les choses telles qu’elles sont en elles-mêmes23. Le paragraphe suivant manifeste cela très clairement. Gödel y rappelle également ses intentions philosophiques : Gödel : I believe that Husserl’s transcendental phenomenology carried out through to its conclusion would be no less than Kant’s Critic of Pure Reason transformed into an exact science except for the fact that Kant’s subjectivism and negativism for the most part would be eliminated. The result of the ‘critique’ would be more favorable to human reason. Far from destroying traditional metaphysics it would rather provide a solid foundation for it : i.e. by introspective analysis of the principles of our thinking one arrives by necessity to a certain perfectly consistent metaphysics. (2) there is no reason why this metaphysics should not be objectively true24.

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Gödel énonce ici les principaux aspects de sa méthodologie philosophique : la philosophie comme science exacte avec un caractère systématique ; une métaphysique qui, malgré l’interdit Kantien, prend une vérité objective ou atteint les choses en soi ; le rôle de la méthode réflexive en métaphysique, qui, comme on l’a vu, est lié à la description de l’être comme monade, possédant une vie intérieure analogue à la nôtre. Il me semble incontestable que ces différents aspects se retrouvent chez Whitehead. On ne dispose, à l’heure actuelle, que de très peu d’indication concernant le contenu exact de la monadologie gödelienne. Mais je voudrais évoquer un dernier texte, qui me semble à nouveau pouvoir être rapproché de la cosmologie de Whitehead. Il s’agit d’un texte de H. Wang qui reprend une conversation avec Gödel et qui a été corrigé par Gödel : Gödel : According to Gödel, the meaning of the world consists of the following. There are wishes and possibilities wished for ; more generally there are forces. These wishes or forces are separate from the facts ; they go together in the fulfillment of the wishes. The wishes and the facts interact so that they are both modified in fulfillment, leading to new wishes separate from new facts25. Admettons que ce paragraphe décrive la vie, le fonctionnement de la monade gödelienne. On sait que, pour Whitehead, le « procès » de l’entité actuelle part d’un « donné », qui lui est fourni par son environnement. Ce donné aurait le rôle de ce que Gödel appelle ici le fait : Whitehead : Each actual entity is conceived as an act of experience arising out of data. It is a process of ‘feeling’ the many data so as to absorb them into the unity of one individual satisfaction26. Mais, d’autre part, le procès de l’entité actuelle, dans la cosmologie de Whitehead dépend d’un « but subjectif » (« subjective aim »). Ce but subjectif est une possibilité ouverte par l’environnement mais non réalisée, et le procès lui-même de l’entité actuelle consiste à concilier, à amener à une sorte d’unité, ce donné qu’elle a reçu avec ce but subjectif qu’elle s’est fixé. Le « but subjectif » correspondrait alors à ces « souhaits » qu’évoque Gödel, et l’unité, l’interaction des « souhaits » et des « faits » à « la satisfaction » de l’entité actuelle. Et, comme l’indique Gödel, cette unité est également dans la cosmologie de Whitehead le point de départ, un donné, pour de nouvelles « occasions d‘expérience ». Le texte de Gödel peut donc rappeler les descriptions de Whitehead, avec le dictionnaire : ‘facts’= ‘data’ ‘wishes’= ‘subjective aim’.

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Le fonctionnement de la monade gödelienne semble avoir la même structure que le procès de l’entité actuelle. Il faut bien sûr être prudent dans ce rapprochement. Mais l’isolement, la singularité si l’on veut, de Whitehead est telle que les indications de Gödel autour de sa monadologie, sur sa méthodologie en particulier, me semblaient mériter d’être évoquée ici.

2 . La th éori e d e l a relativité Je voudrais maintenant discuter des interprétations que Gödel et Whitehead donnent de la théorie de la relativité. Il faut dire que Gödel et Whitehead ne travaillent pas dans le même contexte. Whitehead commence à s’intéresser à la théorie de la relativité autour de 1920, alors que celle-ci est à peine fixée. Il veut du reste en proposer une reformulation (reformulation de la théorie restreinte d’abord dans CN et PNK, puis reformulation de la théorie générale dans R). Gödel, à son tour, travaille sur la théorie de la relativité dans les années 19461949. Il découvre de nouveaux modèles, de nouveaux univers vérifiant les équations d’Einstein et possédant des propriétés particulières : certains autorisent le voyage dans le temps. Pourtant, le contexte ne fait pas à lui seul la divergence entre Gödel et Whitehead. Les interprétations de Gödel et de Whitehead semblent d’abord s’opposer frontalement. D’un côté, Whitehead veut redéfinir les notions relativistes et, en particulier, montrer la possibilité de constituer différents systèmes d’espace-temps à partir de ce qu’il appelle le « passage de la nature ». Celui-ci reste conçu sur le modèle d’un « devenir ». CN est à cet égard tout à fait explicite. De l’autre côté, Gödel s’attache tout au contraire à montrer que la théorie de la relativité nous interdit de donner une réalité objective au temps et au changement, tels que nous les concevons intuitivement. La monadologie de Gödel ne connaît donc rien qui ressemble à une temporalité, un devenir, au sens où nous entendons habituellement ces mots. La thèse de Gödel, dans ses articles sur la théorie de la relativité, dans les années 1946-1949, est que le temps, le changement, n’ont pas de réalité dans l’univers en soi et ne se constituent que de façon subjective, dans une relation d’un observateur à l’univers. Le temps n’est ni un cadre en soi, ni une caractéristique, un ordre inhérent aux choses, mais n’existe qu’en un sens relatif. Gödel a plusieurs arguments. Ceux-ci sont discutés avec la plus grande clarté dans deux livres récents de P. Yourgrau27. Je ne ferai qu’en exposer brièvement un, dans le cadre de la théorie de la relativité restreinte. Comme on le sait, dans la théorie restreinte, la relation A est antérieur à B (où A et B sont deux événements) dépend en général de l’observateur. On peut trouver deux observateurs et deux événements A et B tels que, pour l’un des observateurs, A est antérieur à B, et, pour l’autre, B est antérieur à A. Par conséquent, la relation d’antériorité n’est pas une relation inhérente aux

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événements de l’univers. Il est vrai que l’on peut définir une relation d’antériorité absolue, qui vaut indépendamment de l’observateur, mais celle-ci n’est pas une relation d’ordre totale et transitive28. Or ces deux propriétés sont essentielles à notre conception du temps. Celle-ci n’a donc pas de réalité. Ce n’est pas dire que notre conception du temps soit une imagination libre et que rien ne lui corresponde dans l’univers mais seulement que ce corrélat objectif n’a pas les caractères qui définissent pour nous le temps. Gödel ajoute que ce corrélat objectif ne peut pas même être pensé comme changement. Car le changement, dans notre conception intuitive, implique une stratification de l’univers correspondant aux « maintenant » successifs de notre existence mais indépendante de notre propre point de vue : The existence of an objective lapse of time, however, means (or, at least, is equivalent to the fact) that reality consists of an infinity of layers of ‘now’ which come into existence successively29. Ou encore : For, by a lapse of time, we imagine that reality consists of an infinity of layers which come to existence successively30. Dire que l’univers change, c’est dire que, à un certain moment, existe un certain état, et à un autre moment un autre état, et que, si l’univers lui-même doit changer, ces états sont indépendants de notre position d’observateur. Or la théorie de la relativité nie précisément que l’on puisse ainsi découper l’univers en une succession d’états, d’événements simultanés, indépendants de l’observateur. Je ne veux pas discuter ainsi de la théorie générale et de l’apport de Gödel à celle-ci. Le point, qui, pour la discussion avec Whitehead, nous intéresse, est que, selon Gödel, la théorie de la relativité montre que le changement n’a pas de réalité objective : Gödel : Hence, if relativity theory gives a correct description of reality, the assumption that at any moment of time only a certain portion of the facts composing the world exists objectively is wrong, i.e., there exists no objective change and no objective lapse of time … What remains of time in relativity theory as an objective reality inherent in the things neither has the structure of a linear ordering nor the character of flowing or allowing change31. L’univers ne connaît pas de changement au sens où nous entendons habituellement le mot. Gödel ne nie pas qu’il y ait un corrélat objectif (des relations entre les événements) qui fondent notre image du temps mais il nie que ce corrélat ait des caractères qui suffisent à en faire quelque chose que nous pourrions appeler du « changement ». L’opposition avec Whitehead est donc en

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partie une question de mot. Whitehead, qui veut définir les différents systèmes espace-temps à partir du passage de la nature, doit reconnaître que, comme le souligne Gödel, ce « passage » de la nature n’est pas un ordre total entre les événements ou une stratification de l’univers en une succession de maintenant. La question est donc seulement de savoir dans quelle mesure un tel « passage » peut être considéré comme un « devenir », comme du « changement ». Whitehead notait lui-même que sa conception du passage de la nature posait des « difficultés métaphysiques » ou de « sérieux paradoxes »32. C’est que ce « devenir » doit pouvoir se traduire, selon l’observateur, dans une extension spatiale ou dans une extension temporelle, et dans des ordres de successions différents : Whitehead : The difficulty […] is partly solved by distinguishing between what I call the creative advance of nature, which is not properly serial at all, and any one time series. […]. The various timeseries each measure some aspect of the creative advance, and the whole bundle of time express all the properties of this advance which are measurable33. On pourrait donc dire que le « passage » de la nature n’est jamais en lui-même un changement déterminé, avec un ordre déterminé entre les événements physiques. Gödel refuse seulement que l’on puisse dans ces conditions encore parler de « changement ». La remarque suivante pourrait du reste s’adresser directement à Whitehead (bien que celui-ci ne soit nulle part cité) : Gödel : It may furthermore be objected that the argument under consideration [l’argument de Gödel discuté plus haut] only shows that time lapses in different ways for different observers, whereas the lapse of time itself may nevertheless be an intrinsic (absolute) property of time or of reality. A lapse of time, however, which is not a lapse in some definite way seems to me as absurd as a colored object which has no definite colors34. Whitehead ne répondra jamais à ces « difficultés métaphysiques » que pose sa conception du passage de la nature. Il abandonne plutôt celle-ci à l’époque de sa cosmologie, après 1925. En fait, Whitehead, qui cite avec admiration Bergson dans CN, se range aux arguments que celui-ci développe notamment dans Durée et simultanéité ou dans Matière et mémoire : à savoir il n’y a de devenir que dans la durée intérieure d’une conscience analogue à la nôtre. Or le passage de la nature, tel qu’il est posé dans CN, peut difficilement être pensé comme une durée intérieure (précisément parce qu’il s’exprime dans le temps comme dans l’espace). Dès SMW (1927), Whitehead est donc conduit à défaire ce passage de la nature. Il admet que chaque événement (y compris les événements qui forme l’espace vide) possède un point de vue, une intériorité. De la sorte, chacun des temps que distingue la théorie de la relativité est susceptible de se trouver

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représenté dans la durée intérieure d’un être sentant mais, du même coup, le passage de la nature perd sa réalité propre, puisqu’il n’est qu’une liaison entre des événements, ou un système de relations, un ordre partielle entre les monades qui constituent l’univers. C’est du moins l’interprétation que j’ai tenté de défendre dans plusieurs articles 35. Or il me semble que l’on peut déceler un mouvement analogue dans les textes de Gödel. Il me faut maintenant évoquer de façon un peu plus précise ces textes de Gödel sur la théorie de la relativité : une « remarque » publiée en 1949 et plusieurs cahiers préparatoires datant des années 1946-1949 et en grande partie publiés dans le troisième volume des Collected Works. Gödel entend rapprocher la théorie de la relativité de la doctrine kantienne, chacune contribuant à montrer que le temps n’est pas un ordre dans les choses mais n’existe que de façon relative. Gödel écarte, dans la théorie kantienne, la thèse que le temps est une forme du sens interne, et considère le temps au même titre de l’espace comme une forme d’appréhension des phénomènes extérieurs. Cependant, cette confrontation de la doctrine kantienne (ainsi révisée) avec la théorie de la relativité pose finalement deux problèmes. D’une part, la théorie de la relativité fait dépendre le temps de la trajectoire de l’observateur alors que Kant renvoie le temps à notre sensibilité, ou à la relation des choses à notre sensibilité. Par là, Kant fait entrer en compte la structure particulière de la sensibilité humaine. D’autre part — et c’est le point qui m’intéresse —, cette première difficulté se renforce, puisque, dans la théorie de la relativité, on peut définir un système espace-temps, avec un ordre temporel propre, en référence à la trajectoire (au point de vue s’il l’on veut) d’un objet inanimé : ce temps-là — Gödel se fait l’objection — n’est pas déterminé par la relation des choses à une sensibilité. Ou, dans les mots du logicien : time also exists relative to lifeless objects, which have no sensibility at all36. Voici la réponse de Gödel à cette double objection : Gödel : I think […] that […] there really is a deep-rooted affinity in principle, although not in detail, between Kant and relativity theory, and that for the following reasons: (1) There exists a very natural generalization of ‘sensibility’, which belongs to lifeless objects as well, namely the faculty of being physically influenced in the inner state by outer objects. (2) The relation between sensibility and its location in space-time is not a merely accidental one (as in the case of most properties of ours), but quite on the contrary the very meaning of being at a certain place is to have certain relations of mutual physical influence to other objects (namely, roughly speaking, to influence and be influenced by near objects in a higher degree than by far ones), so

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that our describing a certain world line directly expresses a relation of the things to our sensibility37. Dans une version antérieure, Gödel écrit, à la place de la parenthèse : « (as in the case of most properties of ours) » : « (as e.g. in the case of blood circulation) ». Pour résumer, notre sensibilité (dans son contenu) dépend essentiellement de notre position dans l’espace-temps alors qu’elle ne dépend qu'accidentellement de la plupart de nos propriétés, ou des phénomènes corporels comme la circulation sanguine. Ainsi, la réponse de Gödel à la double objection qu’il vient de formuler est, grossièrement, la suivante. D’une part, en renvoyant le temps à notre sensibilité, la doctrine kantienne n’est pas essentiellement différente de la théorie de la relativité. Celle-ci renvoie le temps à la trajectoire de l’observateur mais nos contenus sensibles sont essentiellement déterminés par notre position. Kant — ajoute Gödel plus loin — ne fait qu’introduire une relativité supplémentaire dans la définition du temps. Il rattache celui-ci à la structure propre de nos facultés sensibles. D’autre part, si la théorie de la relativité définit le temps en référence à des objets inanimés, on peut également leur prêter une sorte de sensibilité ou, du moins, quelque chose d’analogue à notre sensibilité : la possibilité d’influences mutuelles avec leur environnement. En ce qui concerne ce dernier point, Gödel s’appuie sur deux identifications : (1) entre le fait d’être dans l’espace, ou d’être à une certaine place, et le fait d’avoir des relations d’influence avec l’environnement ; (2) entre ces relations d’influence et une sorte de sensibilité ou une sensibilité généralisée. On peut conclure de ces deux identifications que, en définissant le temps par rapport à la trajectoire d’un observateur, la théorie de la relativité semble s’engager dans le même sens que la doctrine kantienne. Mais il est tentant de lire dans l’identification (2) un écho, ou une source, de la monadologie de Gödel. Le texte cité plus haut demeure, il est vrai, ambigu sur un point. Lorsque Gödel parle de l’influence des objets extérieurs sur « l’état interne » (inner state) des objets inanimés, ce qui détermine une généralisation de la sensibilité, je ne vois rien qui indique s’il faut comprendre cet état interne (i) comme un état matériel (l’état interne serait alors la constitution matérielle des objets inanimés), ou (ii) comme un état mental, analogue à notre perception, telle que nous la vivons en première personne, de l’intérieur. Quoiqu’il soit, il est certain que, dans sa monadologie, Gödel passe du sens (i), qui est peut-être celui de ce texte, au sens (ii). D’une part, la position dans l’espace-temps, dans le continuum Einstein-Minkowski, ne fait que traduire les relations d’influence que la monade entretient avec les autres monades de l’univers physique. En ce sens, « being near = possibility of influence38 ».

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Le continuum Einstein-Minkowski n’est pas un contenant absolu, un être en soi dans lequel les monades seraient d’abord situées, mais un « phénomène bien fondé », qui est déterminé par la structure des relations que les monades sont susceptibles d’entretenir. C’est pourquoi Gödel peut dire que les monades agissent dans l’espace mais ne sont pas véritablement spatiales. D’autre part, ces relations d’influence entre les différentes monades s’expriment, se redoublent à l’intérieur de chacune dans un état interne, analogue à notre perception. En ce sens, et comme le voulait Leibniz, la monade reflète ou « représente » son univers. Le texte précédent semble donc étroitement lié à la monadologie de Gödel39. On peut voir dans les interprétations de la théorie de la relativité que proposent Gödel et Whitehead la source de leurs monadologies. C’est que l’un et l’autre, bien que pour des raisons différentes, sont conduits à ramener chacun des temps, que distingue la théorie de la relativité, à l’expérience propre d’une sorte d’observateur. Whitehead commence par donner une interprétation de la relativité (à l’époque de CN) opposée à celle que Gödel tirera de ses modèles. Mais Whitehead, acceptant dans un deuxième temps les arguments de Bergson, et Gödel, s’inspirant de la théorie kantienne, s’accordent ensuite sur cette proposition, qu’il ne peut y avoir de temps que pour un observateur possédant une expérience intérieure. Il faut alors que chaque chose, susceptible de mouvement (et, par conséquent, susceptible de servir à la définition d’un espacetemps qui lui est propre) soit susceptible d’une intériorité. Il faut peupler l’univers de monades. Le terme de source est peut-être ambigu. Gödel emprunte son schéma à la monadologie de Leibniz. Mais la théorie de la relativité, telle que Gödel l’interprète, montre comment ce schéma d’une monadologie peut encore être appliqué à la physique et, par conséquent, fournir un cadre métaphysique pour le développement des sciences. C’est ce que tente également Whitehead dans PR.

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R éférenc es bi bliog raphiqu es 40 Cassou-Noguès, P. : « A l’intérieur de l’événement. La notion d’organisme dans la philosophie de Whitehead », Les études philosophiques, 2002-4, 441457. — « Gödel and the question of the objectivity of mathematical objects », History and Philosophy of Logic, 26, 2005, 211-228. — « The unity of events : Whitehead and two critics, Russell and Bergson », Southern Journal of Philosophy, 2005, 43(4), 545-560. Gödel, K.: Collected Works, Oxford : Oxford Univ. Press, 1986-2003, 5 tomes. Stein, H. : « Note to *1946/9 » (1995), in Gödel (1986-2003), t. III, pp. 202229. Wang, H. : A Logical Journey : From Gödel to Philosophy, Cambridge (Mass) : M.I.T. Press, 1996. Whitehead, A. N. : An Enquiry concerning the Principles of Natural Knowledge, Cambridge University Press, London, 1919. — The Concept of Nature, Cambridge University Press, London, 1920. — The Principle of Relativity, Cambridge University Press, London, 1922 — Science and the Modern World (1927), 2nd ed., Collins, London, 1975. — Process and Reality (1929), 2nd ed., The Free Press, New-York, 1978. Yourgrau, P. : The disappearance of time: Kurt Gödel and the Idealistic Tradition in Philosophy, New York: Cambridge Univ. Press, 1991. Gödel meets Einstein: Time Travel in the Gödel Universe, Chicago, Open Court, 1999. A World Without Time, New-York : Basic book, 2005.

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N otes 1

Université Lille III. Ce texte s’appuie sur les papiers inédits de Gödel, conservés à la bibliothèque de l’université de Princeton et que j’ai pu consulter lors de plusieurs séjours grâce à une Fellowship de la Society of the Friends of Princeton University Library et au programme Preuve de l’UMR STL, financé par l’institut Erasme et le ministère de la recherche, dans le cadre d’une ACI. J’ai également pu consulter la transcription par C. Dawson des cahiers philosophiques de Gödel. Je l’en remercie. 3 Gödel’s papers, box 8b, folder 108. 4 Cité dans Wang, From Gödel to Philosophy, p. 142. 5 Cité dans Wang, From Gödel to Philosophy, p. 8. 6 Whitehead, PR, p. 80. 7 Cité dans Wang, From Gödel to Philosophy, p. 292. 8 Whitehead, PR, p. 43. 9 Whitehead, PR, p. 3. 10 Whitehead, PR, p. 9. 11 Cité par Wang, From Gödel to Philosophy, p. 306. 12 Gödel’s papers, box 4b, folder 30, item 020514.6. 13 Gödel’s papers, box 8c, folder 117, item 040403.3. Cf. également, Wang, From Gödel to Philosophy, p. 167. 14 Cité par Wang, From Gödel to Philosophy, p. 292. 15 Whitehead, PR, p. 112. 16 Cité par Wang, From Gödel to Philosophy, p. 300 17 Whitehead, PR, p. 112. Egalement, AI, p. 237. 18 Whitehead, PR, p. 5. 19 Cité par Wang, From Gödel to Philosophy, p. 166. 20 Whitehead, PR, p. 116. 21 Whitehead, PR, p.10. My emphasis. 22 Gödel’s papers, box 9a, folder 131, item 040418, draft for Gödel *1946/9. Sur l’idée de « niveau d’objectivation », voir Gödel *1946/9, in Collected Works, t. III, pp. 240, 244, 257. Sur le terme d’extrapolation : « If one slightly extrapolates the ideas of relativity theory, which are not directly conseq. of the theory, but still are of the sit[uation ?] subs[siding] in set theory » (Gödel’s papers, box 9a, folder 131, item 040418, draft for Gödel *1946/9. Voir aussi, Gödel *1946/9, appendice A, in Collected Works, t. III, p. 427. 23 Egalement, Gödel *146/9, Collected Works, t. III, p. 244. 24 Gödel’s papers, box 2c, folder 141, item 012030, draft of a letter to C. Rota. 25 Gödel’s papers, box 3c, folder 210, item 013197. Voir aussi, box 3c, folder 207, item 013165, où le texte plus court est annoté par Gödel. Et Wang, From Gödel to Philosophy, pp. 309-313. 26 Whitehead, PR, p. 40. 27 P. Yourgrau, The disappearance of time et Gödel meets Einstein. Cf. aussi l’introduction de H. Stein aux textes de Gödel, in Collected Works, t. III, pp. 202-230. Cf. P. Cassou-Noguès, « Gödel et le temps de la relativité », à paraître. 28 C’est-à-dire, pour cette relation d’antériorité absolue, qui vaut indépendamment de l’observateur, il n’est pas vrai que (1), étant donné deux événements A, B, on ait ou bien A 2

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antérieur ou contemporain à B ou bien B est antérieur à A et que (2) étant donné trois événements A, B, C, on ait si A est antérieur à B, B est antérieur à C, alors A est antérieur à C. 29 Gödel 1949a, in Collected Works, t. II, pp. 202-203 et *1946/9, t. III, p. 251. 30 Gödel 1949a, in Collected Works, t. II, pp. 202-203 et *1946/9, t. III, p. 251. 31 Gödel *1946/9, in Collected Works, t. III, pp. 235-236. 32 Whitehead, CN, p. 176; R, p. 66. 33 Whitehead, CN, p. 178. Egalement, p. 37, p. 54, p. 132, p. 173. 34 Gödel 1949a, in Collected Works, t. II, p. 203, n. 5. 35 « A l’intérieur de l’événement », Etudes philosophiques, « The unity of events : Whitehead and two critics, Russell and Bergson », Southern Journal of Philosophy. 36 Gödel, 1946/9, appendix A, in Collected Works, t. III, p. 427. 37 Gödel, 1946/9, appendix A, in Collected Works, t. III, p. 427. 38 Appendix B, Collected Works, t. IV, p. 435. 39 Ce point est développé dans P. Cassou-Noguès, « Gödel et le temps de la relativité », à paraître. 40 Ne sont reportés ici que les travaux cités dans le texte.

Tenseur et couleur Racine de l’espace-temps et mode spatio-temporel de penser Jean-Claude Dumoncel1 Dans PNK, nous trouvons à l’œuvre déjà ce que Quine appellera spatiotemporal thinking. A partir de ce constat nous soutiendrons une triple thèse : 1° Le concept d’espace-temps a son origine, bien avant Einstein et Minkowski, chez Leibniz. Dans le concept leibnizien, l’espace et le temps sont dérivés des équations de l’action mécanique. Et comme la constante de Planck est une constante d’action, cela entraîne qu’il existe aussi un concept quantique d’espace-temps ; 2° Le concept de tenseur qui commande, comme le rappelle Whitehead, la notion relativiste d’espace-temps a son paradigme dans un Tenseur-type équivalent au quadrivecteur relativiste (qui fut chez De Broglie l’interface entre le rôle c de la lumière et le rôle e des quanta) ; 3° La notion de tenseur-type couronne chez Whitehead le rôle de ce qu’il appelle « caractère vectoriel » avec ses trois strates : niveau des préhensions conçues directement comme des vecteurs, niveau de l’occasion conçue d’après le diagramme de Minkowski, et enfin niveau de la Créativité conçue d’après le Tenseur-type, et ainsi comme spatio-temporalité pure, à la racine de tout espace-temps. Le Tenseur-type, à son tour, se révélera être un cas particulier attendant la généralisation supplémentaire qui conduit à la notion de Multiplicité mixte, définissable à partir du paradigme de la Couleur tel qu’il a été pensé par Wittgenstein et Bergson. La multiplicité mixte se divise alors naturellement pour donner Tenseur & Couleur, indiquant comment les entités actuelles & les objets éternels sont voués à se rencontrer dans un calcul variationnel. Dans PNK, au § 21. 3, Whitehead affirme qu’ « il y a une structure des événements » et il ajoute : Le caractère de la structure est déterminé par les relations quantitatives et qualitatives de l’espace et du temps. L’espace et le temps sont des abstractions de certaines qualités de la structure. Cette abstraction spatio-temporelle n’est pas unique […] Quine déclare dans Le Mot et la Chose2 au § 36 : La découverte d’Einstein et son interprétation par Minkowski ont certainement produit une impulsion essentielle au mode spatiotemporel de penser (spatiotemporal thinking)3, qui en vint ensuite à dominer les constructions philosophiques chez Whitehead et d’autres.

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Ce que montre la citation des Principles, c’est que ce que Quine appelle mode spatiotemporel de penser s’y trouve. Dans Le principe de Relativité, p. 88, Whitehead confirme et précise d’avance la généalogie esquissée par Quine, puisqu’il y déclare : Le cours entier de ma pensée présuppose le magnifique trait de génie par lequel Einstein et Minkowski ont assimilé le temps et l’espace. Il présuppose aussi la méthode générale qui prescrit de chercher le tenseur. Or la « théorie des tenseurs » fait par ailleurs chez Whitehead une réapparition remarquable dans PR dès la page 6, dans la même section que celle où Whitehead introduit le concept-clef de tout son système : la catégorie ultime de Créativité. Il vient alors de rappeler que « l’histoire des mathématiques témoigne d’une généralisation de notions spéciales ». La notion spéciale que généralise la notion de tenseur est celle de vecteur. Or dans PR, nous lisons aussi p. 309 : La physique mathématique traduit la parole d’Héraclite, « Tout s’écoule », dans son propre langage. Elle devient alors : Tout est vecteur. Il y a donc à l’œuvre chez Whitehead quelque chose comme un thème tensoriel, qui traverse comme une constante les étapes majeures de sa pensée. De sorte que la convergence des citations qui précèdent sur le thème spatio-temporel et le thème tensoriel nous conduit à poser une série de questions qui sont les unes historiques et les autres théoriques : 1° Qu’est ce que le « mode spatiotemporel de penser » ? Son origine est-elle bien celle que lui assignent Quine et Whitehead ? 2° Quel est son rapport avec la notion de tenseur ? 3° Quel rôle joue chez Whitehead la généralisation qui va du vecteur au tenseur ? Ces quatre questions vont se révéler converger vers une seule, dont la réponse nous donnera notre thèse principale, à savoir que le concept whiteheadien de Tenseur décrit, au-delà de l’espace-temps (physique), ce qu’il convient d’appeler la racine métaphysique de l’espace-temps. Entre les questions posées, un ordre des raisons s’impose, qui nous conduira aux parties suivantes : 1. L’origine du concept d’espace-temps chez Leibniz 2. Le concept de tenseur-type et la racine de l’espace-temps 3. Du calcul vectoriel et tensoriel au schème catégoriel et au concept de Multiplicité mixte.

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1 . L’ori gin e du c onc ept d’es pac e-tt emps chez Lei bniz Si nous voulons déterminer l’origine du concept d’espace-temps, nous devons d’abord donner de ce concept une définition qui en dégage l’essentiel. Afin de répondre à cette exigence, nous suivrons les deux indications décisives qui nous sont données par Whitehead et Quine d’une part, par Whitehead et Russell d’autre part. L’indication de Whitehead et Quine est notoire : c’est l’idée que la notion d’espace-temps est résumée dans le célèbre diagramme en X de Minkowski. L’indication de Whitehead et Russell est développée de 1922 à 1927. En 1922, dans R, Whitehead précise que le mode spatiotemporel de penser se développe en une « méthode générale qui prescrit de chercher le tenseur ». En 1927, Russell publie L’Analyse de la Matière où le chapitre VII est intitulé « La méthode des tenseurs ». Cette idée d’une méthode des tenseurs annonce l’idée de Quine d’un mode spatiotemporel de penser. Et en 1959, Russell a raconté comment l’entrée en scène des tenseurs l’avait contraint à rejeter sa conception kantienne des fondements de la géométrie : La révolution d’Einstein balaya (swept away) tout ce qui pouvait ressembler à ce point de vue. La géométrie, dans la Théorie de la Relativité Généralisée d’Einstein, est telle que je l’avais déclarée impossible. La théorie des tenseurs, sur laquelle Einstein se fonde luimême, m’aurait été utile, mais je n’en avais jamais entendu parler avant qu’il en fasse usage. A quel concept d’espace-temps nous conduisent respectivement le diagramme de Minkowski et la méthode des tenseurs ? Dans le diagramme de Minkowski, le point essentiel est que, en raison du rôle de la lumière, les notions de distance spatiale ou temporelle sont remplacées respectivement par les notions de distance « du genre espace » et « du genre temps », qu’on appelle aussi « topoïde » et « chronoïde ». Autrement dit, le diagramme de Minkowski conduit à généraliser les concepts d’espace et de temps, qui deviennent respectivement le Topoïde et le Chronoïde. Pour aborder la méthode des tenseurs, ouvrons les Eléments de Calcul tensoriel de Lichnerowicz parus en 1950. Le chapitre 1er a pour titre : « Les espaces vectoriels ». Cette entrée en matière nous rappelle que le concept de tenseur généralise le concept de vecteur. Autrement dit, la méthode des tenseurs est la seconde partie d’une méthode plus étendue que nous appellerons la « Voie vectorielle ». Nous sommes donc devant une double généralisation : généralisation de l’espace et du temps donnant le topoïde et le chronoïde ; généralisation du vectoriel en tensoriel. Comme nous allons le voir, la manière spatiotemporelle

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de penser surgit lorsque ces deux généralisations convergent sur une seule essence de l’espace-temps. Afin de l’atteindre, nous devons partir, parmi les notions qui nous sont indiquées, de celle qui possède la technicité requise pour nous conduire au concept de tenseur : son ancêtre le vecteur. L’exemple le plus simple de vecteur est sans doute la force. Une force a essentiellement trois attributs mathématiques : elle a une intensité, une direction et un sens d’application. Ces trois attributs vont se retrouver chez le vecteur, usuellement représenté par une flèche. Une flèche a une longueur qui représente l’intensité du vecteur ; elle a une direction dans l’espace, et enfin elle a, dans cette direction, un sens qui sera représenté par le « signe » algébrique du vecteur : positif ou négatif. La direction et le sens peuvent être réunis pour donner ce que nous appellerons, dans un vecteur, son azimut. A cette définition interne du vecteur nous devons ajouter une analyse externe ou caractérisation « cartésienne » : si nous rapportons la longueur du vecteur à un système de n coordonnées, le vecteur aura autant de composantes que ce système aura de dimensions. Rappelons aussi que la notion de vecteur s’oppose à celle de scalaire, dont la masse donne un bon exemple. Contrairement au vecteur, le scalaire est une simple quantité, qui n’a ni direction ni sens : il n’a pas d’azimut. Avec ces éléments au sujet du vecteur, nous sommes prêts à suivre la voie qui va conduire au tenseur comme concept-clef concernant l’espace-temps, non sans un détour historique sur l’origine lointaine de ces notions chez Leibniz. Chez Leibniz, en effet, nous trouvons la conjonction de deux thèses capitales concernant notre problème, l’une sur la Matière, l’autre sur la Lumière : (I) Première thèse4 — Considérons un morceau de matière quelconque, autrement dit un corps quelconque. Dans la Dynamique de Leibniz, ce corps est doté de deux attributs dynamiques essentiels : d’une part, son Energie notée E = mv2, qui est dite aussi par Leibniz « force vive » ; d’autre part sa quantité de Mouvement que nous noterons M = mv. En se référant au différend de Descartes et Leibniz quant à la loi de conservation en physique nous pouvons les appeler aussi, respectivement, l'attribut leibnizien et l'attribut cartésien du corps ou, plus brièvement la leibnizienne et la cartésienne de la particule. Ces points sont notoires. Mais il y a un autre point capital mis en évidence par Martial Gueroult dans son Leibniz. Dynamique & Métaphysique de 1934. C’est le fait que Leibniz est aussi celui qui a également introduit en physique le concept d' « action motrice » (qu'on appelle maintenant action mécanique). Celle ci, précise Leibniz5, peut se définir de deux manières : à savoir comme « produit de la quantité de mouvement par l'espace parcouru ou de la force vive [c’est-à-dire de l’énergie] par le temps » (p. 50). Et il faut rappeler ici que la mécanique des Quanta tient son nom et sa définition du quantum d’Action noté e qui a été découvert par Planck. Ce quantum est habituellement décrit comme « quantum d’énergie » ; c’est ce qu’il faut appeler une latéralisation (énergetiste) des quanta. Car le quantum de Planck est en tant que tel un

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quantum d’action mécanique, avec ses deux lectures possibles, soit en termes d’énergie, soit en termes de quantité de mouvement. Mais cela signifie que dans la mécanique des quanta nous devons distinguer deux strates conceptuelles entièrement hétérogènes : la « quantification » d’une part, et le quantifié d’autre part. La quantification est la découverte de Planck (sa constante e), mais le quantifié, c’est l’action mécanique, c’est-à-dire ce que Leibniz appelait « action motrice ». Il y a donc dans la mécanique un concept d’Action qui est le trait d’union Leibniz-Planck et qui est d’entrée de jeu pensé par Leibniz comme spatiotemporel. C’est ce qu’il faut appeler l’origine leibnizienne du concept d’espace-temps. Mais c’est bien davantage qu’un point d’histoire. Cela signifie que le concept d’espace-temps, bien avant d’être introduit par Einstein à partir d’une assimilation relativiste de l’espace et du temps a été introduit par Leibniz à partir du concept d’action motrice qui implique une distribution de rôles distincts à l’espace et au temps. Et comme l’action motrice de Leibniz est devenue l’action mécanique destinée à être quantifiée par Planck dans son minimum e, cela signifie de surcroît qu’il y a un concept quantique d’espacetemps, indépendant du concept relativiste 6. En outre, Leibniz introduit ici7 une distinction entre extension et intension qui le conduit à soutenir qu’il y a « deux façons d'envisager la diffusion ou l'extension de l'action »8 : Si l'extension est envisagée dans le temps, l'intension, c'est la force [vive] ; si elle est envisagée dans l'espace, l'intension c'est la vitesse. Cette intervention de l’intension en amont de l’extension spatiotemporelle signifie que nous avons aussi chez Leibniz, non seulement une solidarisation de l’espace et du temps par l’action mais une généralisation des concepts d’espace et de temps, passant de l’extensif à l’Intensif. Dans la Dynamique de Leibniz la quantité de mouvement est topoïde et l'énergie est chronoïde. (II) Deuxième thèse — Considérons un rayon de lumière dans les phénomènes de réflexion et de réfraction. Dans la réflexion, selon le principe de Héron, la lumière choisit le chemin le plus court parmi tous ceux qui rencontrent la surface réfléchissante9. Dans la réfraction, selon le principe de Fermat, la lumière choisit le chemin qui permet d'effectuer son mouvement dans le temps le plus court. Du point de vue économique, la réflexion est donc un phénomène topoïde et la réfraction un phénomène chronoïde. Ce n’est donc pas seulement l’action mécanique qui est spatiotemporelle, c’est le « calcul des variations », c’est-à-dire le Calcul des Optimalisations. Le calcul des variations effectue essentiellement deux sortes d’optimalisations du mouvement : des optimalisations topoïdes par économie d’espace parcouru et des optimalisations chronoïdes par économie sur le temps de parcours. Or chez Whitehead, comme nous l’avons montré ailleurs10, le Calcul des variations intervient aussi dans la genèse du mode spatiotemporel de penser.

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C’est ce qui, dans SMW, confère à certaines pages une importance toujours décisive pour la compréhension des technicités mathématiques investies par Whitehead en métaphysique. Nous en rappellerons seulement deux échantillons. L’un dit d’abord comment selon Whitehead s’articulent calcul variationnel et action mécanique : « La dynamique est dominée par un principe de moindre action11. » L’autre montre comment le variationnel débouche sur le spatiotemporel : Hertz […] fonda la mécanique sur l’idée de chaque particule parcourant le plus court chemin qui lui soit accessible d’après les circonstances contraignant son mouvement ; puis Einstein, finalement, par l’application des théories géométriques de Gauss et de Riemann, montra que ces circonstances pouvaient être construites comme inhérentes au caractère de l’espace-temps lui-même12.

2 . Le c onc ept de tenseur -tt ype et l a racin e d e l’ esp ace - temps Il se trouve que la double origine leibnizienne du mode d'être spatio-temporel nous conduit directement au concept de tenseur. Dix ans après R, publié par Whitehead en 1922, dont la troisième et dernière partie s’intitule « Théorie élémentaire des tenseurs », le mathématicien Maurice Janet publie un article intitulé : « La finalité en mathématiques et en physique. A propos du calcul des variations et de son rôle dans la science contemporaine »13. Cet article de 1932, qui va jouer un rôle capital dans la pensée d’Albert Lautman, présente un double intérêt. D’une part, comme son titre l’indique, il analyse la portée philosophique du calcul des variations dont nous venons de voir le rapport conceptuel et systématique avec le concept d’espace-temps. D’autre part, il contient une introduction élémentaire au concept de Tenseur. Dans la « Théorie élémentaire des tenseurs » proposée par Whitehead, la première phrase était la suivante : Les relations mutuelles entre les événements atomiques (eventparticles) peuvent être déterminées en caractérisant chaque événement atomique par quatre mesures de quatre types respectivement assignés. Ces quatre mesures sont appelées les coordonnées de l’événement atomique […]14 Janet, quant à lui, va procéder en donnant du tenseur un paradigme que nous appellerons pour cette raison le Tenseur Type. Et le tenseur type qu’il propose n’est autre que le tenseur quantité de mouvement-énergie (= TME). Comme l'indique Janet (p. 5) :

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Le mot tenseur désigne ici ce que l'on peut aussi appeler un vecteur de l'univers espace-temps, autrement dit un certain être géométrique défini à l'aide de quatre nombres réels rangés dans un ordre déterminé; ces nombres mesurent, dans le cas présent, d'une part les trois composantes de la quantité de mouvement, d'autre part l'énergie. Considérons l’exemple d’un pendule. Dans une simple oscillation, le pendule a une vitesse relative à un axe haut-bas et une autre sur un axe gauche-droite, ainsi qu’une vitesse nulle dans la troisième dimension ; par ailleurs, le pendule ne cesse d’échanger de l’énergie potentielle pour de l’énergie cinétique, et vice versa. Le corps quelconque est donc doté d’un vecteur à quatre composantes, dont les trois premières sont celles de son vecteur-vitesse, à multiplier par son scalaire de masse pour obtenir sa quantité de mouvement, et dont la quatrième est son énergie. Si nous ajoutons l’idée leibnizienne que les trois composantes de la quantité de mouvement sont des composantes spatiales, tandis que la composante énergétique est une composante chronologique, nous parvenons à l’idée de Quadrivecteur relativiste, c’est-à-dire de vecteur dont les quatre composantes sont réparties entre l’Espace et le Temps. En raison de cette définition, nous dirons aussi qu’il s’agit d’un vecteur articulé, ou vecteur distributif, c’est-à-dire dont les composantes se divisent d’abord en deux groupes hétérogènes. La notion de « tenseur », dans l’usage métaphysique dont elle est dotée ici, est d’abord celle de vecteur distributif. Toutefois, le point capital sur le problème est que dans le tenseur-type, les quatre composantes sont introduites, non pas comme des coordonnées d'espace ou de temps, mais comme des données sur l'Energie et la quantité de Mouvement, c’est-à-dire comme des données respectivement chronoïdes et topoïdes. Considérons un avion qui roule d'abord sur une piste, puis décolle, et enfin amorce un virage. Cet exemple manifeste que si la quantité de mouvement d'une particule a trois composantes, c'est parce que sa vitesse a trois composantes vectorielles en raison du fait que l'espace a trois dimensions. Mais le point essentiel est que ces trois composantes spatiales sont préalablement intégrées à un quadrivecteur dont la quatrième composante est la composante énergétique. Autrement dit, le topoïde et le chronoïde sont seulement des diffractions du mode d'être spatio-temporel. Les choses doivent être vues en termes dramaturgiques. Ce sont les Rôles Energie et quantité de Mouvement qui exigent respectivement le déploiement de l'ordre d'entrée en scène appelé « Temps » et de la scène dite « Espace ». Nous sommes aux antipodes de la théorie du temps et de l'espace absolus de Newton et de Kant qui fait de l'espace et du temps des contenants vides attendant leurs contenus. Dans le quadrivecteur relativiste ou dans le Tenseur-type, c'est le contenu qui déploie différentiellement son contenant ou, en termes leibniziens, l'intension qui se donne ses extensions disparates. La notion de tenseur-type nous conduit donc à ce que nous avons appelé la racine de l’espace-temps. S’il y a un espace et un

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temps dans le monde physique, c’est parce qu’il y a de la quantité de mouvement et de l’énergie. Et s’il y a un espace-temps, c’est parce que la quantité de mouvement et l’énergie sont les deux diffractions de l’Action mécanique. Quant à la racine de l’espace-temps, elle est dans ce que Leibniz appelle l’intension, en amont de ses expressions respectivement topoïde et chronoïde. C’est là l’essentiel de ce que contient le paradigme du Tenseur-type. Mais ce paradigme a de surcroît une incidence directe sur un dilemme capital en matière de métaphysique : le dilemme entre substantialisme et métaphysique du processus. Dans le concept de tenseur, le rapport entre substance et processus trouve sa règle de répartition des rôles. Considérons en effet une particule physique. C’est un être substantiel. Mais, pensée comme cas de tenseur-type, une particule physique n’est rien d’autre que le porteur d’un trivecteur quantité de mouvement et d’un vecteur énergie. Ce sont ses attributs essentiels, équivalents à sa substance. Or ces quatre vecteurs ne font jamais qu’indiquer l’état dynamique de la particule à un instant donné, c’est-à-dire un événement spatiotemporel à quatre composantes. Donc le tenseur-type, en tant qu’attribut essentiel d’une substance, nous donne la définition d’une substance dont l’essence est une succession d’événements. Comme l’avait compris Deleuze dans son explication de Leibniz, le concept de prédicat d’un sujet monadique fait place alors au concept d’événement comme état accidentel d’un attribut essentiel : le quadrivecteur mouvement-énergie en tant que tenseur-type.

3 . Tens eu r et coul eu r : du c alcul vec to riel et t ens ori el au sch ème catég o riel Puisque, dans les termes de Janet, un tenseur est un vecteur de l'univers espacetemps, c'est le moment de remarquer ici que Whitehead a aussi généralisé le concept de vecteur pour aboutir à celui de « caractère vectoriel » (PR, p. 55). Et le caractère vectoriel est d'abord le caractère commun aux vecteurs et aux tenseurs. A partir de là, comme nous l'avons mis en évidence dans les travaux cités ci-dessus, la totalité de la métaphysique whiteheadienne peut être condensée dans la table de correspondance qui suit, que nous appellerons le Triptyque tensoriel de Whitehead : Préhensions...........................................................Vecteurs Occasion actuelle..................................................Diagramme de Minkowski Créativité...............................................................Tenseur Sur chacune des lignes de cette table, nous dirons que la notion répertoriée dans la colonne de droite est le modèle mathématique de la notion métaphysique répertoriée dans la colonne de gauche. Comme les vecteurs, les préhensions physiques ont en effet une longueur (mesurée par l’éloignement spatiotemporel de l’occasion dont elles sont la

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préhension), une direction (déterminée par la position spatiotemporelle de cette occasion) et un sens ou “signe” : elles sont positives ou négatives. Dans ce cadre conceptuel, un tenseur est essentiellement une gerbe de vecteurs. La différence essentielle entre le Tenseur-type et le diagramme de Minkowski tient à la manière dont s'y différencient le Chronoïde et le Topoïde. Dans le Tenseur-type, il y a trois vecteurs pour l'espace et un vecteur pour le temps, correspondant exactement à leur nombre de dimensions, c’est-à-dire à leur Multiplicité au sens de Riemann. Dans le Diagramme de Minkowski, le Topoïde et le Chronoïde, à leur tour, deviennent des gerbes de vecteurs, cette fois-ci en nombre infini, correspondant à tous les azimuts possibles à partir de l'événement présent. En ce sens, le Tenseur-Type est l'Archétype et le Prototype de tous les diagrammes événementiels. C'est en quoi le Tenseur est le schème algébrique de la Créativité. Mais par là même il faut que ses composantes respectivement énergétique et cinétique soient repensées en termes expressément métaphysiques. Afin de les désigner, nous reprendrons ici les termes aristotéliciens d'Energeia et Dynamis (devenus Acte et Puissance). Par ailleurs Energie et quantité de Mouvement sont des attributs de particule, et donc de substance. Ce qui conduit à reconnaître un nouveau rôle à l'ancêtre de la Créativité dans SMW, c’est-à-dire à l'idée d'activité substantielle, qui entraîne une affinité entre la Créativité de Whitehead et la Substance au sens de Spinoza15. Afin d'apprécier la valeur du schème catégoriel ainsi expliqué à partir du caractère vectoriel, une distinction essentielle doit être faite au sujet du concept de généralisation. En raison de la loi de variation inverse entre l'extension et la compréhension, la généralisation prise au sens usuel, étant un agrandissement de l'extension, doit se payer par un appauvrissement de la compréhension. Mais les concepts de « topoïde » et de « chronoïde » sont des généralisations en un autre sens. Pour le comprendre, comparons avec « ovoïde ». Ce qui est ovoïde est en forme d’œuf. Et les premiers ovoïdes sont donc, évidemment, les œufs. Mais l’œuf de couturière et Humpty-Dumpty sont eux aussi ovoïdes. Par conséquent le concept d'ovoïde est bien une généralisation du concept d’œuf. Supposons cependant que, dans l’œuf, la distinction entre le petit bout et le Gros Bout entre, pour une raison ou une autre, en rapport avec la distinction entre Dumpty et Humpty. Alors la généralisation de œuf en Ovoïde, qui a fait entrer HumptyDumpty avec la notion d’ovoïde est aussi un enrichissement de la notion d’œuf. Et c’est ce qui se passe depuis que Leibniz a conceptuellement connecté l’espace au mouvement et le temps à l’énergie. Cette inversion, dans la généralisation whiteheadienne, du rapport standard entre extension et intension, va nous conduire à l’ultime généralisation qui nous attend ici. En définissant la Créativité comme transposition métaphysique de la distribution de rôles opérée par le tenseur entre l’espace et le temps, Whitehead, en effet, a sans doute fait accomplir à ce que Quine appellera le « mode

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spatiotemporel de penser » sa généralisation la plus haute. Mais cette généralisation (que nous pouvons appeler la généralisation de Quine-Whitehead) va se révéler n’être qu’un cas particulier dans une généralisation encore plus haute, qui se définit à partir du concept de multiplicité au sens de Riemann, dont Deleuze a su voir la signification décisive pour la métaphysique. Partant du tenseur-type, cette généralisation ultime va nous conduire au concept de Multiplicité mixte. Sachant que la couleur est chez Whitehead l’exemple type de l’objet éternel, nous présenterons la multiplicité mixte sur le paradigme de la Multiplicité-Couleur, dans laquelle nous allons observer un modèle de collaboration philosophique entre Bergson et Wittgenstein. Considérons le double cône des couleurs évoqué par Wittgenstein au § 221 des Remarques Philosophiques. Cette figure qui rassemble toutes les couleurs possibles doit s’analyser en deux sous-ensembles principaux qui sont le Cercle des couleurs et l’Axe de la couleur. Le cercle des couleurs est celui qui a été découvert par Goethe et nous l’appellerons donc le cercle de Goethe. Il est obtenu en croisant d’abord à angle droit deux diamètres. On obtient ainsi sur le cercle les quatre points portant les quatre couleurs fondamentales opposées deux à deux : le Bleu et le Jaune d’une part, le Rouge et le Vert d’autre part. Tous les autres tons sont obtenus par interposition : entre le rouge et le jaune, par exemple, on trouvera l’orangé. L’axe de la couleur, quant à lui, se dresse au centre du cercle comme le moyeu au centre de la roue, perpendiculairement au plan du cercle. A égale distance du plan sont placées deux extrémités de l’axe, portant respectivement le Blanc et le Noir et que nous appellerons aussi les pôles de la couleur. Au centre du cercle se trouve le gris pur, et le disque est donc rempli de tous les gris possibles : gris-bleu, gris-vert, etc. Mais pour aller plus loin dans l’exposition, nous devons nécessairement passer par quelques lignes de Bergson dans le premier chapitre de l’Essai : si les diverses intensités d’une couleur correspondent à autant de nuances différentes comprises entre cette couleur et le noir, les degrés de saturation sont comme des nuances intermédiaires entre cette même couleur et le blanc pur. Toute couleur, dirions-nous, peut être envisagée sous un double aspect, au point de vue du noir et au point de vue du blanc. Le noir serait à l’intensité ce que le blanc est à la saturation16. L’axe de la couleur doit donc être appelé l’Axe de Bergson. Une fois que nous disposons, pour la figure de Wittgenstein, de la légende écrite par Bergson, il nous est possible de terminer notre inventaire de toutes les couleurs possibles. Partant du cercle, où la saturation et la luminosité sont au maximum, nous diminuerons la saturation en nous rapprochant du blanc et nous diminuerons la luminosité en nous rapprochant du noir. Et nous dirons que, dans la multiplicité Couleur, l’Axe et le Cercle se croisent comme le Bergsonien et le Goethéen.

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Nous devons maintenant rappeler en quoi la couleur illustre le concept de Multiplicité riemanienne. L’échantillonnage élémentaire des multiplicités de Riemann se trouve dans le Tractatus de Wittgenstein où nous lisons dans l’aphorisme 2. 0251 : L'espace, le temps, la couleur (la coloration) sont des formes des objets. Si nous voulons comprendre ce que la couleur fait ici avec l’espace et le temps nous devons nous reporter à un livre de Stallo qui a été une lecture commune à Russell et à Bergson. Le concept que Riemann a introduit est illustré comme suit selon Erdmann : Sound, according to Erdmann, is a function of three independent variables, acuteness, intensity and timbre (Klangfarbe). Similarly colour depends of the variables tone, degree of saturation (Saettigungsgrad), and intensity. Et il faut observer d’abord comment nous obtenons, sur le double cône de Wittgenstein, la distribution exacte de la Multiplicité Couleur, avec ses trois coordonnées de Ton, de Saturation et de Luminosité. Mais de surcroît nous y obtenons aussi une division naturelle de la Multiplicité entre la coordonnée circulaire et les deux coordonnées axiales. Elle fait apparaître que les trois dimensions de la multiplicité couleur sont d’abord divisées d’après leur origine. Le ton est engendré par le Cercle de Goethe et sera dit pour cette raison coordonnée de Goethe ; la saturation et la luminosité sont engendrées sur l’axe de Bergson et seront dites pour cette raison coordonnées de Bergson. Quel est maintenant l’auteur qui nous permet de penser non seulement la rencontre mais la collaboration étroite entre Wittgenstein et Bergson sur la Couleur ? Nous n’en voyons pas d’autre que Deleuze. Et nous appellerons donc division deleuzienne cette division qui fait apparaître la Couleur comme une Multiplicité mixte. L’importance de ce concept vient de ce qu’il fait apparaître le rapport Multiplicité-Duplicité. A un premier niveau, la duplicité n’est qu’un cas particulier de la multiplicité. Mais à un niveau plus profond, c’est la Mixité de la multiplicité qui commande la duplicité, la distinguant de la simple dualité. Nous appellerons duplicité ce que devient la dualité quand elle est ainsi habitée par une mixité. On aura remarqué que Bergson emploie aussi spontanément le vocabulaire qui sera celui du second Wittgenstein : la couleur est un Objet à double aspect qui peut être vu soit du point de vue du blanc, soit du point de vue du noir. Une fois que nous disposons du concept de Multiplicité mixte, il ne nous reste plus qu’à observer que le concept de tenseur-type en est un cas particulier. D’abord, le concept d’espace-temps ne fait que réunir la multiplicité spatiale (à trois dimensions) et la multiplicité temporelle (à une seule coordonnée). A partir

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de là, le problème crucial est de déterminer si nous avons seulement une multiplicité amorphe à quatre dimensions ou si, dans l’espace-temps, se dessine déjà une division naturelle du topoïde et du chronoïde. Et c’est ici que la Couleur donne l’exemple, avec la manière dont les quatre coordonnées de la multiplicité s’y répartissent entre le Bergsonien et le Goethéen. C’est de même que, dans l’espace-temps de Leibniz, les quatre cordonnées qui se retrouveront dans le quadrivecteur relativiste se répartissent entre la Cartésienne et la Leibnizienne. Et si la Couleur et l’Espace-temps peuvent ainsi être affectés d’un même principe de division, alors c’est que ce sont seulement deux cas du concept de Multiplicité mixte, situé en amont. Mais d’un point de vue whiteheadien, il devient alors évident que la Multiplicité mixte, en se divisant exemplairement pour donner la Multiplicitécouleur et la Multiplicité-tenseur, nous donne aussi, avec leur articulation, les modèles respectifs du traitement des Objets éternels et des Entités actuelles. Le rôle du calcul variationnel trouve alors son incidence exacte, gouvernant l’ingression des objets éternels de type couleur dans les entités actuelles de type tenseur. Mais de ce calcul, quel est le Calculateur ? C’est ici que les problématiques de Platon dans le Timée, de Leibniz dans « L’origine radicale » et de Deleuze dans Différence et Répétition se révèlent former un lignage qui traverse toute l’histoire de la philosophie.

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Université de Caen. Word and Object, 1960 ; tr. fr. chez Flammarion (Préface de Paul Gochet). 3 Comme « mode de pensée », au sens des Modes de pensée, tr. Vaillant chez Vrin, avec une Préface de Guillaume Durand. 4 Cf. Jean-Claude Dumoncel, Le Système de Whitehead & la Philosophie analytique, thèse, Nantes, 1987. 5 GM VI, 227-228. 6 Louis de Broglie, dans La physique nouvelle & les Quanta, écrit d’abord : « De même que l’énergie est constante quand la dérivée du potentiel par rapport au temps est constamment nulle, de même une des composantes de la quantité de mouvement reste constante quand la dérivée du potentiel par rapport à la coordonnée correspondante reste constamment nulle. Cette remarque montre une certaine parenté entre l’énergie et les composantes de la quantité de mouvement, l’énergie correspondant à la coordonnée temps alors que les composantes de la quantité de mouvement correspondent aux coordonnées spatiales. Cette parenté a été précisée par la théorie de la relativité qui considère l’énergie et les trois composantes de la quantité de mouvement comme formant les quatre composantes d’un vecteur d’espacetemps : l’impulsion d’univers. » (p. 28). La suite nous fait passer de la Relativité aux quanta : « la théorie de Jacobi suggérait très nettement l’idée d’identifier la trajectoire du corpuscule avec l’intégrale de Fermat de l’onde de manière à faire coïncider le principe de moindre action avec le principe du temps minimum. En procédant ainsi, on retrouve immédiatement la proportionnalité de l’énergie et de la fréquence d’une part, de la quantité de mouvement et de l’inverse de la longueur d’onde d’autre part ; il suffit alors de poser la constante de proportionnalité égale à h, ce qui est naturel et conforme à l’idée d’unir les deux termes de la dualité par l’intermédiaire du quantum d’action, pour retrouver la correspondance déjà établie par la méthode relativiste. » (p. 140). Ici, le rôle que Leibniz accordait à l’ « intension » est tenu par le Potentiel, puis par la Fonction d’onde  découverte par L. de Broglie. D’abord par le Potentiel, avec l’annulabilité de sa dérivée, jointe à ses deux taux de variation (par rapport au temps et par rapport à l’espace) : quand le taux de variation du potentiel est annulable par rapport au temps, le Potentiel donne l’Energie ; quand il est annulable par rapport à l’espace, le Potentiel donne la quantité de mouvement. Puis par la fonction d’onde  puisque la fréquence de l’onde est associée au temps et à l’énergie, tandis que la longueur d’onde est associée (moyennant inversion) à l’espace et à la quantité de mouvement. Et nous voyons par conséquent que L. de Broglie est allé chercher chez Einstein quelque chose qui était chez Leibniz. Cf. Lautman sur la spatiotemporalité proprement mathématique. 7 Guéroult, Leibniz, pp. 196-198. 8 Guéroult, Leibniz, p. 130. 9 M. Janet, « La finalité en mathématiques et en physique. A propos du calcul des variations et de son rôle dans la science contemporaine », Recherches philosophiques, p. 2, n. 1. 10 Les sept mots de Whitehead, pp. 79-84. 11 SMW, p. 106. 12 Ibid., p. 63. 13 Recherches philosophiques, 2, 1932 (pp 1-17). 14 R, p. 139. 2

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Cf. J.-Cl. Dumoncel, « Whitehead's Hidden Substantialism », communication inédite à Louvain. 16 Essai sur les données immédiates de la conscience, PUF, pp. 40-41 (= Œuvres, PUF, p. 39).

De l’utilité des objets dans la philosophie de la nature Guillaume Durand1

Les événements sont vécus, ils s'étendent autour de nous. Ils sont le milieu dans lequel notre expérience physique se développe, ou, plutôt ils sont eux-même le développement de cette expérience. Les faits de la vie sont les événements de la vie2. Les objets sont-ils requis pour penser le passage de la nature et l’avancée créatrice ? Le concept de nature ne peut-il pas faire l’économie de telles entités ? En effet, les objets semblent, contrairement à l’enjeu moniste et logiciste soutenu dès 1905 dans MCMW, multiplier des entités non nécessaires et conduire à un dualisme ontologique entre des entités purement singulières, originales et fugitives et des entités fixes, immuables, voire éternelles3. L’ontologie whiteheadienne ne semblerait plus alors qu’un pâle retour à un platonisme des plus naïfs, que Whitehead exclut pourtant encore lui-même à la fin de sa vie4. Or, de PNK à R, les objets et les événements ne sont pas pensés sur un même plan : si les événements constituent bien un plan d’immanence, les objets sont de nature dérivée et abstraite5. En tant que tels, ils ne participent pas au passage de la nature mais lui sont transcendants : […] la nature, telle que nous la connaissons, est un courant continu d’événement immédiatement présent […]6 La particularité est attribuée aux événements et aux routes historiques parmi les événements. Mais il y a un flux de choses transcendant celui de la nature […]7 J’ai traité ailleurs de l’abstraction des objets à partir des événements et de leurs relations, et ce, au moyen de la méthode de l’abstraction extensive, qui occupe une place centrale dans PNK et CN8. L’enjeu de ces travaux était de montrer que le dualisme entre les événements et les objets est seulement second et traduit la naissance de l’esprit — l’objet percevant — et avec lui, le dépassement des limites de la philosophie de la nature : La discussion sur la déduction des concepts scientifiques des éléments les plus simples de notre connaissance perceptuelle nous amène immédiatement à la théorie philosophique. Berkeley, Hume, Kant, Mill, Huxley, Bertrand Russell et Bergson, parmi d’autres, ont initié et

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nourri des discussions pertinentes. Mais cette enquête est touchée par un seul côté du débat philosophique. Nous sommes concernés seulement par la Nature, c’est-à-dire, par l’objet de la connaissance perceptuelle, et non par la synthèse du sujet connaissant et du connu. Cette distinction est exactement celle qui sépare la philosophie naturelle de la métaphysique9. Respectant ces limites fixées par l’auteur lui-même, la méthode de l’abstraction extensive permet de ré-exprimer les objets dans les seuls termes des événements et de leurs relations : les événements forment des configurations spatiotemporelles, des « rythmes »10, expressions concrètes des différents types d’objets, sensibles, perceptuels, physiques et scientifiques. Un rythme est défini comme l’unité primitive des événements et des objets au sein d’un flux ultime : c’est une forme qui se fait dans et par le flux. Non pas simplement une structure ou une configuration, mais une structuration : une manière de fluer, une configuration particulière que prend le mouvant. Le rythme whiteheadien, tel qu’il est présenté certes brièvement dans le dernier chapitre de PNK, est ainsi plus proche du « panta rhei » héraclitéen que du rythme platonicien : le flux est bel et bien premier, ou plutôt, il est la condition de l’unité et de l’identité, elles-mêmes immanentes au flux. Ainsi, un objet simple telle une « figure sensible »11 — je reconnais par exemple un carré rouge dans une durée présente — est abstrait d’une harmonique ou gamme de figures colorées, toutes singulières : les événements. L’abstraction de la figure consiste en la réduction d’une multiplicité de volumes ou d’événements congruents à une seule et même figure sensible. Ce passage de la série abstractive d’événements à l’entité-limite constitue la naissance de la pensée abstraite. Or, la méthode de l’abstraction extensive exige et permet de réexprimer cet objet idéal dans les termes concrets de séries convergentes d’événements qui l’approchent comme une limite. Aucune autre entité n’est nécessaire. Une couleur singulière est donc exprimée concrètement par une infinité de séries infinies et convergentes, des harmoniques ou chromatiques de couleurs singulières, événementielles. En définitive, de telles harmoniques sont applicables aux différents objets sensibles relatifs aux différents sens, comme les sons ou les odeurs, mais aussi, aux objets physiques et scientifiques. La méthode de l’abstraction extensive fonde ici une théorie rythmique des différentes sortes d’objets, dont les multiples résonances, de l’Ecole pythagoricienne à la théorie des quanta, seront développées dans SMW. Dans cette conférence, la question est la suivante : de quelle utilité sont les objets pour comprendre le passage de la nature et la constitution de la connaissance naturelle ?12 Les événements et leurs relations ne peuvent-ils pas permettre à eux seuls de remplir les différents rôles joués par les objets ? C’està-dire, principalement, l’identité, la répétition, la permanence, la potentialité et enfin, l’universalité.

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1 . Événements, ryth mes, d even irs En deçà du simple dualisme abstrait des événements et des objets, l’Enquête conduit à reconnaître un type d’entité et d’identité plus concret dans la nature : des Evénements13, des « rythmes », ou encore, dans R, des « devenirs », posés comme des unités complexes primordiales, principes de toute différenciation, diversification et abstraction. La lecture que nous proposons ici de la philosophie de la nature prépare la distinction métaphysique établie dans PR entre les « événements » et les simples « occasions » et « entités actuelles » 14. A ce titre, plutôt que de souligner la discontinuité bien connue des écrits whiteheadiens, entre ceux de la seconde période londonienne et ceux de la période ultime, il convient ici de souligner leur continuité. Qu’est-ce qu’un Evénement ? La nature se présente à nous essentiellement comme un devenir, et toute portion limitée de la nature qui garde le plus complètement possible un tel aspect concret comme caractéristique de la nature ellemême est aussi un devenir, et constitue ce que j’appelle un événement. Par cela, je ne veux pas dire une portion vide d’espace-temps. Un tel concept est une abstraction de plus. Je veux parler d’une partie du devenir de la nature, colorée avec toutes les nuances de son contenu15. En premier lieu, un devenir n’est ni un pur événement, ni un pur objet, mais les deux à la fois. C’est la même entité qui est abstraite suivant deux faces, aspects ou facteurs différents : principalement, les événements finis et les différents types d’objets, des objets sensibles aux objets scientifiques16. En second lieu, un primat semble bien être accordé par le philosophe aux événements : les Evénements, rythmes ou devenirs sont à la fois événement et objet, certes, mais toujours et essentiellement des événements. Ainsi, si un rythme est défini comme un « type unique d’élément naturel, ni un pur événement, ni un pur objet »17, il reste essentiellement singulier et non-récurrent, partageant ainsi les propriétés essentielles des événements : Il refuse d’être désengagé de l’événement sous la forme d’un objet vrai qui serait une pure configuration18. Entre ces schèmes ultimes, dans le passage de la nature, il y a seulement des analogies19, jamais de pure répétition. La philosophie de Whitehead reste à ce titre une philosophie de l’événement20 et non des objets.

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2 . Événements et id enti tés Les Evénements ultimes permettent alors à eux seuls de définir au moins deux types d’identité : — Une première forme d’identité, limitée à une durée présente. Si un événement fini et abstrait, pensé dans son opposition aux objets, n’a pas d’identité autre que simplement numérique — elle est définie par l’auteur comme simplement « triviale »21 — un Evénement, toujours singulier et non récurrent, montre un certain schème ou configuration générale complexe qui permet à la fois de le connaître et de le définir, sans que cette configuration soit d’emblée assimilable à un objet abstrait. Connaître, ce n’est donc pas nécessairement re-connaître : « car dans ce cas il n’aurait jamais pu y avoir une première connaissance. »22 Ainsi, les Evénements, ni purs événements, ni purs objets, rendent intelligible l’idée d’une identité (spatio-temporelle) appréhendée23 dans l’expérience immédiate et essentiellement événementielle. — Une identité à travers l’espace et le temps ? Rappelons en effet que Whitehead semble admettre à la fois la multilocalisation des objets sensibles24 (un même objet peut être au même moment en des lieux différents) et leur récurrence dans le passage de la nature : Nous voyons la rougeur ici et la même rougeur là, la rougeur alors et la même rougeur maintenant25. Les objets sont les éléments dans la nature qui peuvent être encore26. Du seul point de vue de la philosophie de la nature, de telles propositions semblent être de simples hypothèses métaphysiques, liées en particulier à la théorie de l’ingression27 des objets introduite seulement explicitement à partir de CN. Or, de telles propriétés — multilocalisation et récurrence — peuvent être expliquées sans faire appel à des objets abstraits et transcendants, au moyen de la méthode de l’abstraction extensive, de la théorie des relations internes et de la connaissance par relation. Mais c’est le sens classique de l’identité dans l’espace et dans le temps qui s’en trouve changé. L’argumentation s’articule en trois moments : 1. La méthode de l’abstraction extensive permet d’exprimer concrètement ces objets dans les seuls termes des événements et de leurs relations : des configurations et des séries d’événements (les Evénements définis ci-dessus), définies elles-mêmes comme des événements, et liées, par conséquent, par des relations internes28. 2. Du fait des relations internes, de tels Evénements sont donnés, dans l’expérience sensible, en relations avec d’autres Evénements analogues

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appartenant à des durées simultanées, passées ou futures. C’est là l’essence même de la théorie de la signifiance, défendue dès le premier chapitre de PNK29. 3. Or, la connaissance immédiate (par relation) de tels Evénements plus ou moins éloignés dans l’espace-temps reste faible et imprécise ; ces Evénements sont connus seulement en tant que relata, mais non encore dans leur individualité particulière30 : Dans ce courant présent le perçu n’est pas nettement différencié du non perçu ; il y a toujours un ‘au-delà’ indéfini dont nous sentons (feel) la présence bien que nous ne discriminions pas les qualités des parties31. Sans faire appel à de quelconques objets éternels ou transcendants, on peut donc soutenir que nous avons l’expérience — certes de manière confuse, par relation — de l’identité et de la mêmeté à travers l’espace et le temps, mais seulement approchées, puisqu’il s’agit toujours d’événements. C’est seulement dans un second temps, au terme d’un procès de récognition et d’abstraction, que nous atteindrons les objets (connaissance par adjectif). Ainsi, lorsque Whitehead soutient que c’est le même objet (sensible) qui ingresse dans des événements distincts, il dépasse les strictes limites de l’expérience et de la philosophie de la nature, entrant déjà dans la métaphysique et la théorie des objets éternels de SMW et de PR. Nous avons l’expérience d’une configuration, d’un rythme, en résonance avec d’autres rythmes analogues plus ou moins éloignés dans l’espace-temps. Du seul point de vue de l’expérience, l’identité dans l’espace et dans le temps est certes approchée, mais jamais atteinte en elle-même. Là encore, la méthode de l’abstraction extensive vaut comme modèle : poser l’identité en et pour elle-même, c’est toujours dépasser le donné — lequel n’est pas chaotique, certes, mais bien convergeant — et c’est encore confondre et inverser l’abstrait et le concret, commettant ainsi ce que Whitehead nomme dans le chapitre III de SMW le « sophisme du concret mal placé ». Or, que l’identité simple et classique de type « x = x » ne soit jamais atteinte concrètement n’implique pas qu’il n’y ait aucune identité dans le passage de la nature. C’est cette nouvelle forme d’identité, complexe et événementielle, que la méthode de l’abstraction extensive et, de manière plus générale, le concept de nature32, tente de penser.

3 . R yth mes et vie Dans la nature, la répétition doit être pensée sur le fond d’une différence première et essentielle : il n’y a pas de pure répétition, tout ce qui arrive est événement. La répétition est seulement approchée dans et par la nature — au moyen de la Différence — et est requise pour penser différentes formes de permanences et d’identités, définies là encore uniquement à l’aide des

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Evénements, et en particulier à l’aide des rythmes. La permanence perd alors son sens matérialiste, selon lequel un primat est accordé à la seule dimension spatiale : le passage du temps est inessentiel eu égard à la matière qui demeure « pleinement elle-même dans toute sous-période, aussi petite soit-elle »33. Dans la philosophie whiteheadienne de la nature, la permanence et l’identité de l’objet sont définies au moyen des événements et de leurs qualités rythmiques : La vie (telle que nous la connaissons) implique l'achèvement de parties rythmiques dans l'événement porteur de vie qui manifeste cet objet. Nous pouvons diminuer les parties temporelles, et, si les rythmes restent intacts, découvrir toujours le même objet vivant dans l'événement réduit. Mais si la diminution de la durée est portée jusqu’au point de casser le rythme, l'objet porteur de vie ne doit plus être trouvé comme une qualité de la tranche de l'événement original coupée dans cette durée. Ce n'est pas une particularité spéciale de la vie. C'est également vrai d'une molécule de fer ou d'une phrase musicale. Ainsi il n'y a aucune chose telle que la vie ‘à un instant’ […]34 L’ « objet vivant » signifie l’objet pris concrètement, autrement dit, l’Evénément ou le rythme, qui est à la fois événement et objet. Whitehead se place, dans ce dernier chapitre de PNK, en-deçà de l’opposition seconde et abstraite des événements et des objets, au sein même de leur articulation concrète et ultime : […] la vie individuelle est, au-delà du simple objet. Il n'y a pas un objet qui, après être connu comme un objet, est alors jugé en lui-même être vivant. […] Ainsi dire que l'objet est vivant supprime la référence nécessaire à l'événement ; et dire qu'un événement est vivant supprime la référence nécessaire à l'objet35. Identité, permanence et répétition sont alors définies au moyen des rythmes36. Dans la philosophie de la nature, la permanence signifie des configurations d’événements, des schèmes, liés par des relations d’extension, de congruence et plus généralement, d’égalité. Le concept de nature prépare les « objets persistants », les « sociétés » d’occasions actuelles et les « nexûs »37 de PR. Là encore, différents types de permanence et d’identité qui peuvent être définis, dans la lignée de la théorie des rythmes de PNK, dans les seuls termes des Evénements38.

4 . Con clusio n De quelle utilité sont les objets dans la philosophie de la nature ? En effet, les Evénements semblent suffisants pour rendre intelligible le passage de la nature. Les propriétés des objets, telles que la possibilité et l’universalité, ne résistent pas non plus à cette analyse.

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— Dans l’expérience immédiate d’un Evénement, je fais l’expérience de cet Evénement dans ses relations à d’autres Evénements, simultanés, mais aussi passés et futurs. Je fais donc l’expérience de cet Evénement, à la fois comme singulier et comme potentiellement récurrent39. — Concernant l’universalité, dans la philosophie de la nature, il faut comprendre que les événements ne sont pas des particuliers ni les objets des universaux40: Premièrement, du fait des relations internes, un événement quelconque est une entité essentiellement relationnelle. On ne peut donc le réduire à un simple particulier, ni en faire une véritable substance. Deuxièmement, un objet n’est pas un universel : d’une part, tout objet, de quelque type que ce soit, en tant qu’il est abstrait des événements, est un particulier ; d’autre part, les relations d’ingression et de situation sont des relations polyadiques, irréductibles à de simples relations dyadiques de sujet à prédicat, de substantif à adjectif, ou de particulier à universel. Enfin, à partir de SMW41, Whitehead admet l’essence relationnelle des objets : par conséquent, tout objet pensé séparément des événements ou des autres objets (avec lesquels il entretient des relations internes), est une abstraction et une simplification. Ainsi, ce sont les catégories mêmes d’universel et de particulier qui sont insuffisantes pour penser les objets, les événements, et leurs relations : Le principe ontologique, et la théorie plus ample de la relativité universelle, sur quoi se fonde la présente discussion métaphysique, estompent toute distinction entre ce qui est universel et ce qui est particulier42. Il appartiendra à une étude future de montrer comment, dans la métaphysique du Procès, l’indépendance et la transcendance des objets éternels peut être critiquée — en particulier, grâce à la méthode de la connexion extensive — au profit d’une construction purement événementielle. Les objets éternels ne peuvent-ils pas être montrés comme de simples aspects des entités actuelles et de leurs relations43.

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Université de Nantes. PNK, 15.3, p. 63. 3 A partir de 1925, dans SMW, puis dans PR. 4 Voir la conférence essentielle intitulée « Immortality » (sermon délivré à la Harvard Memorial Church, le 22 avril 1941) et publiée dans The Philosophy of Alfred North Whitehead, Paul Arthur Schilpp (ed.), New York, Tudor Publishing Company, The Library of Living Philosophers III, 1941, Second edition, 1951, pp. 682-700. 5 Voir par exemple PNK, 15.2, p. 63 : « Les événements (en un sens) sont l’espace et le temps, c’est-à-dire, l’espace et le temps sont des abstractions des événements. Mais les objets sont seulement de manière dérivée dans l’espace et le temps en raison de leurs relations aux événements. » Voir encore ibid., 15.3, p. 64 : « Les objets entrent dans l’expérience au moyen de l’intellectualité de la récognition. » 6 Ibid., 16.2, p. 69. 7 Ibid., Note I, p. 201. 8 Voir G. Durand, « Le concept événementiel de nature », in Chromatikon. Annuaire de la philosophie en procès, édité par Michel Weber et Diane d'Eprémesnil, Presses universitaires de Louvain, Louvain-la-Neuve, 2005, pp. 97-114 ; La méthode de l’abstraction extensive. Des événements aux objets chez Alfred North Whitehead, préface de Michel Malherbe, Frankfurt / Paris / Lancaster, Ontos Verlag, Chromatiques whiteheadiennes VII, 2007. 9 PNK, préface, p. vii. 10 Voir le dernier chapitre essentiel de PNK, part. IV, chap. XVIII, pp. 195-200. 11 Voir ibid., chap. XVII, 62, pp. 190-192. La brièveté de ce chapitre, comme du chapitre suivant, est regrettable. 12 Le titre de cette conférence fait référence à l’article de E. W. Hall : « Of What Use Are Whitehead’s Eternal Objects ? », in A. N. Whitehead, Essays on His Philosophy, edited by G. L. Kline, Prentice-Hall, Inc., Englewood Cliffs, N.J., 1963, pp. 102-116. 13 Type spécial d’événements puisqu’ils sont finis temporellement mais infinis spatialement, ce que Whitehead appelle encore des « touts complets de nature ». Voir PNK, 16.1, p. 68 et 69 et 13.1, p. 59 : « Notre connaissance perceptuelle de la nature consiste dans la division d’un tout qui est le contenu de l’expérience perceptuelle, ou la présentation donnée qui est l’expérience — ou ce que, de quelle qu’autre manière, nous préférons décrire comme l’ultime fait expérimenté. Ce tout est discriminé comme étant un complexe d’entités reliées, chaque entité ayant des qualités et des relations déterminées et étant un sujet sur lequel nos perceptions, soit directement soit indirectement, fournissent des informations définies. » 14 Voir par exemple PR, p. 157 [124] : « Le terme événement est utilisé en un sens plus général. Un événement est un nexus d’occasions actuelles reliées entre elles d’une façon déterminée en un quantum extensif quelconque […] ». 14 R, p. 21. 16 Voir PNK, part. II, chap. V, 13, pp. 59-61 : « La diversification de la nature ». A ces trois types d’objets, il faut ajouter les « figures sensibles », les « figures géométriques » et, dans un premier temps, les « rythmes ». La même idée essentielle sera soutenue dans l’article « Immortality », où le « Monde du fait » et le « Monde de la valeur » sont posés comme des « abstractions tirées de l’univers » (op. cit., p. 82 et 83). 17 PNK, 64.8, p. 199. 2

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Ibid., p. 198. Whitehead souligne encore qu’un rythme est « trop concret pour être vraiment un objet », ibid. 19 Voir par exemple ibid., 64.6, p. 197. 20 A ce titre, on ne peut que regretter la pauvreté de la variété des types d’événements proposée (événements finis et infinis), eu égard à celle des objets. Sur ce point en particulier, un important travail serait à entreprendre. 21 Voir ibid., 15.7, p. 66 : « Thus the identity of an object may be an important physical fact, while the identity of an event is essentially a trivial logical necessity. » 22 Ibid., 15.3, p. 64. 23 Rappelons que nous « appréhendons » les événements et que nous « reconnaissons » les objets. La récognition primaire (PNK) ou sensible (CN), le plus bas degré de récognition (voir PNK, 22.2, p. 82), implique une comparaison, même immédiate : « Un objet est reconnu dans la durée présente de sa perception. Car cette durée présente inclut des durées antécédentes et des durées suivantes ; et la récognition de l'objet dans le présent est essentiellement une comparaison de l'objet dans les parties antécédentes et suivantes de ce présent, bien que la mémoire puisse aussi être un facteur dans la récognition. » « Symposium—Time, Space and Material : Are They, and If So in What Sense, the Ultimate Data of Science ? » (With A. N. Whitehead, Sir Oliver Lodge, J. W. Nicholson, Henry Head, Mrs Adrian Stephen, Wildon Carr), Proceedings of the Aristotelian Society, suppl. vol. 2, « Problems of Science and Philosophy », 1919, p. 51. Les objets sont ainsi plus abstraits que les événements, puisqu’ils requièrent un degré de subjectivité supérieur, même minimal. 24 Nous laissons ici de côté la question plus délicate des objets perceptuels, des objets physiques et des objets scientifiques. Sur ce point, voir La méthode de l’abstraction extensive, op. cit., part. V, « L’identité ou la théorie des objets ». 25 PNK, 23.1, p. 83. 26 CN, p. 144 [144]. 27 La relation d’ingression introduit un véritable dualisme entre les événements et les objets. Ce qui n’est pas le cas de la relation plus complexe de situation. Voir encore La méthode de l’abstraction extensive, op. cit., part. V, chap. II : « Situations ». 28 Dans la philosophie de la nature, les relations (d’extension) entre les événements sont internes. Seules les relations (d’ingression) entre les événements et les objets, ou entre les objets eux-mêmes sont externes. L’enjeu d’un concept qui n’admette que des relations internes (ou, du moins, qui réduise au maximum le nombre de relations externes) est clairement exposé dès 1905 dans MCMW. 29 Voir PNK, 3.5, p. 12 : « La “signifiance” est la relationnalité des choses. Dire que la signifiance est l'expérience, c’est affirmer que la connaissance perceptuelle n'est rien d'autre qu'une appréhension de la relationnalité des choses, à savoir des choses dans leurs relations et comme reliées. » 30 Celle-ci étant ici liée à la récognition des objets abstraits (connaissance par adjectif). Sur ces deux modes de connaissance, voir le chapitre III de CN (la distinction entre le « discerné » et le « discernable ») et surtout, le chapitre II de la première partie de R. 31 PNK, 16.2, p. 69. 32 Tel est l’objet fondamental de notre thèse : élaborer ce que nous avons appelé un « concept événementiel de nature ». 29 SMW, III, p. 69 [71]. 34 PNK, 64.4, p. 196. 35 Ibid., 64.3, pp. 195-196.

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SMW, puis PR, développent cette notion de rythme et l’élargissent dans celles d’organisme et de réitération, qui remplacent les concepts matérialistes de matière et de permanence. Voir SMW, VII, p. 152 [177]. Voir aussi les passages essentiels dans le chapitre VI de SMW, p. 129 et 130 [147-148]. 37 Nous n’entrerons pas ici dans les détails d’une analyse des « sociétés » du chapitre III de la partie II de PR. C’est dans cette partie que les rapports à la théorie des rythmes de PNK sont les plus évidents et pertinents. Pour un commentaire détaillé de cette partie, soulignons l’analyse excellente de B. Saint-Sernin, dans Whitehead. Un univers en essai, Paris, Vrin, « Analyse et Philosophie », 2000, chap. VI. 38 E. W. Hall suggère comment ces différents types de sociétés pourraient fournir à elles seules un sens concret au général et à l’universel, op. cit., p. 107 : « Thus the order within the actual world itself (for I do not understand that a society is an eternal object) furnishes a basis for all degrees of generality up to absolute universality (extensive connection). It may, of course, be objected that these societies of occasions are simply classes of particulars, and hence are not universals in the sense in which eternal objects are universals — i.e. as elements of quality or character. But we have already seen that in objectification one occasion enters into the very nature or content of another. Whitehead seems to be perfectly clear on this : « every so-called “particular” is universal in the sense of entering into the constitutions of other actual entities » (PR 76). » 39 Dans PR, les entités actuelles manifestent ainsi elles-mêmes des caractères de la potentialité. Par exemple, dans la quatrième Catégorie d’Explication, Whitehead soutient : « La potentialité d’être un élément dans une concrescence réelle d’une pluralité d’entités en une actualisation unique est le seul caractère métaphysique général attaché à toutes les entités, actuelles et non actuelles […] En d’autres termes, il appartient à la nature d’un « être » d’être un potentiel pour chaque « devenir ». C’est le « principe de relativité ». » PR, p. 74 [33]. 40 Nous ne pouvons donc être qu’en désaccord avec les lectures de C. D. Broad et de J. Wahl. Voir C.D. Broad, « Critical Notices The Principles of Natural Knowledge », Mind, vol. 29, 1920, p. 218 : « Les événements sont de purs particuliers, les objets sont des universaux ». Voir Jean Wahl, « La philosophie spéculative de Whitehead », in Vers le concret. Études d’histoire de la philosophie contemporaine, Vrin, Paris, 1932, p. 178 : « Objets et événements existent au même titre ; les uns ne sont pas plus abstraits que les autres. Les objets peuvent être regardés comme des qualités d’événements […] ». 41 Voir le chapitre X intitulé : « Abstraction ». 42 PR, p. 110 et 111 [76]. 43 E. Hall suit cette voie en soulignant naturellement que la position de Whitehead sur ce point n’est pas univoque. Pour les éléments de PR allant dans ce sens, il fait appel au principe ontologique : « For the ontological principle states that only actual occasions are real. It affirms that « everything is positively somewhere in actuality…» (PR 64). Actual occasions are « final real things of which the world is made up. » (PR 27) […] Hence, it would seem perfectly clear that eternal objects are simply aspects of the actual occasions exemplifying them, and have no reality by themselves. » Op. cit., p. 109.

Philosophical twins ? Bergson and Whitehead on Langevin’s Paradox and the Meaning of “Space-Time” Elie During1 The following remarks focus on Whitehead’s early conception of space-time elaborated between the first edition of An Enquiry Concerning the Principle of Natural Knowledge (1919) and The Principle of Relativity (1922). They assume from the start that this conception provides an overarching scheme for organizing concrete spatio-temporal perspectives on the basis of idealized chronogeometrical constituents (event-particles, point tracks, etc., reached through the method of extensive abstraction2), thus bridging the gap between the world of modern physics and that of ordinary sensed experience. “Space-time,” in this particular context, is not to be confused with Minkowski’s fourdimensional “absolute world” as a general geometrical framework for the formulation of the laws of physics. If one of Whitehead’s aims is indeed to show that the interplay of spatio-temporal perspectives derived from sensed experience can be reconciled (or at least articulated) with the Minkowskian geometry of space-time describing the interrelations of such objects as pointevents and world-lines, this aim cannot be achieved unless one avoids the “fallacy of misplaced concreteness” and refrains from giving undue ontological weight to what is merely the result of abstractive operations in the process of formalization3. Whitehead’s space-time, in this sense, is a genuine philosophical construct. It includes its own relation to the space-time of physicists, while remaining distinct from it, just as the notion of simultaneity, as a relation that must somehow be directly given in perception (within the experience of “duration”), is sharply distinguished from “simultaneity” in Einstein’s sense4. In Duration and Simultaneity (1922), Bergson describes Whitehead’s The Concept of Nature (1920) as “an admirable book,” “one of the most profound ever written on the philosophy nature5.” This enthusiastic comment occurs in a passage devoted to the idea of an irreducible “advance of Nature” which any conception of nature should take into account6. But in his discussion of relativity theory, and precisely because of his unconditional attachment to the idea of temporal becoming, Bergson shows a much stronger distrust towards the geometrization of spatio-temporal relations achieved by the theory of relativity. In fact, he hardly develops a personal account of space-time. “Space-time,” in his book, always refers to Minkowskian space-time, a formalization of spatial and temporal relations which, according to him, epitomizes the “spatialization of time” that lies at the very heart of modern science ever since time was defined as

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a parameter for describing motion. However, Bergson’s attack on the timeless view of four-dimensional space-time, along with his critical examination of certain crucial points in the standard interpretation of special relativity (dislocation of simultaneity, dilatation of time, etc.), should not obscure the fact that he consistently claims to be a devoted relativist, although of a peculiar breed. His aim, as will be clear from anyone who takes the pain to actually read his book (rather than learn about its alleged “blunders” from secondary sources), is to defend Einstein against the relativist metaphysics that obscure the philosophical core of his new physics. One of his favourite and most notorious targets is the paradox of the twins (also known as “Langevin’s” paradox or the “clock paradox”). Although the details of his deconstruction of the paradox would require a specific contribution7, it is easy to sketch an outline of the main motivations behind it. This will allow us to raise a more general problem which is in fact common to Whitehead and Bergson: how is it possible to give an account of the paradoxes of relativistic time (and more particularly of the paradox of the twins) in terms of a philosophical reconstruction which does not take Minkowskian space-time for granted? As we shall see, Whitehead and Bergson take different stands on this issue, while sharing a common concern. Both insist on addressing the paradox in a way that does not lose touch with the concrete experience of the passage of nature. Yet, in contrast with Bergson, Whitehead does not attempt to deny the physical consequences of the paradox. Quite the contrary, he provides an illuminating analysis of its actual mechanism in terms of simultaneity relations, without leaving the domain of the special theory of relativity. We shall try to show in what sense his conclusions may contribute to a deeper understanding of time (and space-time) within the larger context of the “advance of Nature.”

1 . The agin g twins: where i s th e parado x an yway? Let us start first with a little reminder. Although the original idea is present in Einstein’s notorious 1905 paper on the electrodynamics of moving bodies published in the Annalen der Physik, it is Langevin who gave the paradox its most popular form, involving as it does two brothers, one of them travelling back and forth at a far distance in a rocket ship with a velocity close to that of light, the other remaining on Earth. The Langevin version of the paradox was presented to a philosophical audience in 1911 at an international symposium held in Bologna, and later at the French Philosophical Society. Bergson meditated it for ten years before publishing his book on relativity. There, he calls the brothers “Pierre” and “Paul,” not in order to make the story sound more realistic or to give it a typically French flavour, but as a matter of convenience : we should remember the sedentary twin as Pierre, the one who stays still, like a rock (une pierre)… Langevin’s point, at any rate, is that when the travelling

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twin returns to Earth and the twins are once again united in the same place, the clocks in the rocket ship show that 2 years have elapsed, while similarly constructed Earth-bound clocks show that 200 years have elapsed. These figures (and their ratio) are quite arbitrary. They vary according to the speeds attained by the rocket : the fastest the travelling speed, the more dramatic the time lag between the two clocks. This results from a mechanical application of the Lorentz transformations governing the transition from one inertial frame to another. The important point, however, is that it does not concern clocks only, but any periodical process whatsoever —that is, any process that may be timed by a clock. Thus, Langevin tells us, the Earth-twin has been aging more than his twin brother during the “same” amount of time. Or, to avoid any unnecessary paradoxical formulation at this stage, the Earth-twin has been aging more than his twin brother during a temporal separation they measure in different ways. This thought experiment is really a fancy way of presenting spatio-temporal properties that are directly derivable from the Lorentz transformations. It was originally designed to underline the need for a radical reformation of our common-sense concepts of space and time. As any standard introduction to special relativity readily acknowledges, it was confirmed later by experimental tests involving giant accelerators, the decay of elementary particles in the atmosphere or the transportation of clocks in rocket planes around the globe. This, however, need not really concern us here. The philosophical issue is one of interpretation. It raises the question of how one should understand a statement such as : “time runs slower in the rocket ship.” What does it mean for time to run slower (or faster, depending on the point of view)? The temptation here would be to dismiss the whole issue as a mere quibble on words. Time does not run faster or slower : it is only measured in different ways, according to the system of reference adopted for carrying out the operations of measurement. Very well then : for the Earth-clock to run faster only means that the measure of the interval between two limiting events (departure and arrival) yields higher numbers from the Earth’s perspective than similar measures taken from the rocket ship’s perspective. And this, one may add, trivially follows from the fundamental equations of the theory. Unfortunately, this will not do. What we need is a philosophical interpretation of this state of affairs. For Langevin’s formulation of the paradox involves more than the mere discrepancy of clock readings : it seems to bear on the issue of perceived or lived time, in so far as it stages two “percipient events,’’ as Whitehead would put it. Moreover, even if this aspect of the story is put aside and the twins are replaced by mere mechanical time-keeping devices, the paradox survives in an even stronger form as sheer astonishment yields to genuine philosophical perplexity. The true paradox lies in the fact that if only relative motions are taken into consideration (as the special theory invites us to do), which set of clock is regarded as travelling becomes an arbitrary matter, and

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thus the slowing down effect would seem to be perfectly reciprocal. Each clock having equal reasons to be considered at rest, they should eventually display equal time lags: the paradox is that the anticipated retardation effect vanishes as soon as it is symmetrically attributed to both set of clocks, and yet the theory tells us that only one twin must have aged less. An equivalent formulation would be the following : the paradox is that in order to take the slowing down of clocks seriously (as the theory encourages us to do), one must give up the symmetry clause and thus deny that there is any paradox at all. For if the effect (the differential aging of the twins) is real and thus genuinely asymmetrical, then there is no paradox, merely an unusual outcome of the theory, well confirmed by various experiments. On the other hand, if there is no paradox, then what remains to be explained is the asymmetry between the relatively moving twins. There lies the conceptual difficulty behind Langevin’s eerie tale. The paradox is a puzzle about relative motion and its place in relativity theory.

2 . B ergs on’s twi ns : separate bu t equal Bergson was very much aware of the logical structure of the paradox and he consistently emphasized the reciprocal character of temporal distortions. He is indeed famous (that is, almost universally blamed) for not accepting the theoretical consequences of Langevin’s thought experiment. His strategy is clearly that of a dissolver or a “debunker” rather than a solver. Arguing on the grounds of a perfect symmetry between the two twins, he writes in the first appendix to Duration and Simultaneity : We are dealing, in short, with two systems, S and S', which nothing prevents us from assuming to be identical: and one sees that since Peter and Paul regard themselves, each respectively, as a system of reference and are thereby immobilized, their situations are interchangeable8. This comes as the conclusion of a passage which explicitly relies on the supposed reciprocity of the motions involved in the situation : If we stand outside the theory of relativity, we can quite readily conceive of an absolutely motionless individual, Peter, at point A, next to an absolutely motionless cannon; we can also conceive of an individual, Paul, inside a projectile launched far out from Peter, moving in a straight line with absolutely uniform motion toward point B and then returning, still in a straight line with absolutely uniform motion, to point A. But, from the standpoint of the theory of relativity, there is no longer any absolute motion or absolute immobility. The first of the two phases just mentioned then becomes simply an increasing distance apart between Peter and Paul; and the second, a

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decreasing one. We can therefore say, at will, that Paul is moving away from and then drawing closer to Peter, or that Peter is moving away from and then drawing closer to Paul. If I am with Peter, who then chooses himself as system of reference, it is Peter who is motionless; and I explain the gradual widening of the gap by saying that the projectile is leaving the cannon, and the gradual narrowing, by saying that the projectile is returning to it. If I am with Paul, now adopting himself as system of reference, I explain the widening and narrowing by saying that it is Peter, together with the cannon and the earth, who is leaving and then returning to Paul. The symmetry is perfect. We are dealing, in short, with two systems, S and S', which nothing prevents us from assuming to be identical: and one sees that since Peter and Paul regard themselves, each respectively, as a system of reference and are thereby immobilized, their situations are interchangeable. Bergson’s assumptions at first reinforce, or give more intensity to the paradox : for obviously we cannot fudge the issue by saying that the twins think the same thing of each other. A decision must be made: the twins cannot both be younger when they are reunited in the same place and in the same reference frame. That would be a plain logical contradiction and if special relativity entailed such a thing, it would itself be inconsistent. But certainly Bergson does not mean to say that. As a consequence, the only way out is to dissolve the paradox as a mere illusion involved in its very premises. The proper way to consider the issue is to acknowledge that there is genuinely no such thing as a slowing down of temporal processes in the rocket-ship (or on the Earth, for that matter). As Bergson puts it : The Paul who has impressions is a Paul who has lived in the interval, and the Paul who has lived in the interval is a Paul who was interchangeable with Peter at every moment, who occupied a time identical with Peter's and aged just as much as Peter. Hence, according to Bergson, the paradox simply does not arise. We merely thought there was one. We were under the illusion of a paradox. On returning to Earth, the travelling twin will have aged “just as much as” the sedentary twin. The conclusion is unambiguous: it is a non sequitur for many physicists and philosophers who find the statement so baffling that they would rather dismiss the whole book as a piece of philosophical sophistry than spend efforts trying to understand its inner logic. Even the more charitable readings of Bergson generally agree that his book provides a distorted view of the nature of the theory of relativity, confusing as it may seem the principle of relativity at work in Einstein’s theory with the classical (Cartesian) idea of the relativity of motion.

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Granted, Bergson was mistaken in considering that there is no way, within the conceptual structure of special relativity, to differentiate between the twins. Somewhere in the book, he observes in a footnote that, strictly speaking, the conditions set by Langevin exceed the confines of special relativity. The special theory should deal with frames of reference translated relatively to each other with uniform speeds. Here, however, it is clear that accelerations are involved (in the minimal sense that the traveller twin changes the direction of its journey at mid-point, not to mention the departure and arrival which also imply accelerations or at least changes in the direction of the speed vector). Of course this does not really bother Bergson, for he claims to have found a solution which amounts to dissolving the paradox, or make it vanish, as he says. Yet his solution is not valid, for it overlooks the fact that the twins are simply not interchangeable. For even if one were to consider that the motion of the twins is relative in its various stages and hence strictly reciprocal, this does not entail that the relativistic effects are reciprocal, as a simple consideration shows. It is indeed an obvious fact that the twins are separated and reunited. No one will dispute this. But what it means is that one of them (at least) must be attached to (at least) two successive frames of reference, and this, of course, is not reciprocal. Never mind which of the twins is really moving : the crucial point is that one of them must experience three events: departure, turnaround and return, whereas the other experiences only two, departure and return (or, if one prefers, separation and reunion, which are neutral as to the motions involved). Whatever one may think of the implications of the relativity of motion, the twins do not share the same space-time history (or “life history,” in Whitehead’s terms) and thus cannot be regarded as interchangeable clones. This simple fact is what Bergson seems to have overlooked in his search for a philosophical dissolution of the twins paradox.

3 . Five ch ari table remarks Surely, it is not doing much justice to Bergson to quote his lines without giving them further context. Maybe a few remarks regarding his general strategy are in order here, if only to avoid the usual misunderstandings. (1) Measured time and real time. The reservations one may have concerning Bergson’s general line of argument should not obscure what is most interesting in the detail of his analysis. To put the matter broadly, what is at stake in the convoluted passages devoted to Langevin’s paradox is the incidence of different time-systems on the actual passing of time, or if one prefers, the relation between measured time intervals and perceived or lived time intervals. This question, it must be emphasized, does not boil down to the problem of making room for “psychological time” alongside “physical time” within the framework of physical science, as Einstein believed. In this regard, the discussion between Einstein and Bergson that took place in Paris in 1922 is a rather saddening

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illustration of what it means for physicists and philosophers to talk at crosspurpose. Einstein never understood Bergson’s point, which was quite simple: the only reason the measured, calculated, inferred time of distant events is called “time” is that it can be related to an immediate, intuitive experience of simultaneity and succession. “Real time” provides the “flesh” that is lacking from the formalization of spatio-temporal perspectives in terms of algebraic transformations. Whitehead, as we shall see, shares the same premises, although he is cautious enough not to make any direct use of the notion of “real time,” considered in isolation from its articulation with an experience of “duration” or “simultaneity” that is intimately linked with spatial extension. (2) The dilatation of time as an effect of kinetic perspective. Bergson repeatedly claims that the so-called “dilatation” effect attributed to relatively moving clocks is a mere illusion — or to be more accurate, a “perspective effect,” as opposed to an actual retardation or slowing down of real time. According to the “dilatation” effect, time intervals measured at a distance by a moving reference system appear to be longer than they would be if they were measured at the same place, by a system at rest. This is again trivially implied by the “k factor” displayed by the Lorentz equations. Einstein notoriously established this point (which was missed by both Lorentz and Poincaré) in his 1905 article, and later in his 1917 introduction to relativity theory, with a famous thought experiment involving lightning bolts and a train moving along an embankment. Bergson has no claims against the equations that capture this unsettling result. Yet he believes and consistently argues that the dilatation or slowing down effect is indeed a mere appearance or, better, the outcome of some sort of kinetic perspective characterized by an essential reciprocity. This point recurs in many forms throughout his book. It is an essential piece of Bergson’s argumentative strategy concerning the twins paradox and it is necessary to give a full quotation here : We have stated but cannot repeat often enough: in the theory of relativity, the slowing of clocks is only as real as the shrinking of objects by distance. The shrinking of receding objects is the way the eye takes note of their recession. The slowing of the clock in motion is the way the theory of relativity takes note of its motion: this slowing measures the difference, or 'distance', in speed between the speed of the moving system to which the clock is attached and the speed, assumed to be zero, of the system of reference, which is motionless by definition; it is a perspective effect. Just as upon reaching a distant object we see it in its true size and then see shrink the object we have just left, so the physicist, going from system to system, will always find the same real time in the systems in which he installs himself and which, by that very fact, he immobilizes, but will always, in keeping with the perspective of relativity, have to attribute more or less slowed

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times to the systems which he vacates, and which, by that very fact, he sets in motion at greater or lesser speeds. Now, if I reasoned about someone far away, whom distance has reduced to the size of a midget, as about a genuine midget, that is, as about someone who is and acts like a midget, I would end in paradoxes or contradictions; as a midget, he is 'phantasmal', the shortening of his figure being only an indication of his distance from me. No less paradoxical will be the results if I give to the wholly ideal, phantasmal clock that tells time in the moving system in the perspective of relativity, the status of a real clock telling this time to a real observer. My distantly-removed individuals are real enough and, as real, retain their size; it is as midgets that they are phantasmal. In the same way, the clocks that shift with respect to motionless me are indeed real clocks; but insofar as they are real, they run like mine and tell the same time as mine; it is insofar as they run more slowly and tell a different time that they become phantasmal, like people who have degenerated into midgets9. The notion that time dilatation is a mere illusion is sometimes challenged on the grounds that the dilatation effect is an observable phenomena, and that as such it should be considered as no less real than time measures carried out at the same place (or “along” the world line of some system). There is no reason, the argument goes, to make any difference between measures, as long as their results can be empirically ascertained. These objections, however, miss the point. One may well concede that what is observable is real in some sense, but the problem remains untouched: Bergson believes that if motion makes any difference, then all measures cannot be real in the same sense. More precisely, there must be a difference between “direct” measures (involving a single clock at rest relative to the two events defining some temporal interval) and “indirect” measures (involving two separate clocks). The notion of “perspective effect” neatly captures this difference. By the same token, it draws our attention to the structural symmetry of the situation. No one seriously contests that the dilatation effect is reciprocal, but when it comes to assessing its exact nature, optical metaphors involving the distortions of visual perspective are more illuminating than the dubious image of a mysterious elastic time-substance subjected to various degrees of stress10. (3) Proper time versus coordinate time. This leads to another point. It is important, when reading Bergson, to refrain from adopting an overly psychological understanding of his arguments. Bergson misleadingly speaks of “lived time” (as opposed to measured, coordinate time), or “living and conscious observers” (as opposed to frames of reference with their corresponding classes of coordinate systems). But there is a formal counterpart to each of these experiential notions, and it is the job of Duration and Simultaneity to unravel the formal construction that spells out the original relativistic intuition in order to

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get a grasp on the actual points of connexion through which the theory manages to tap in the experience of real time, in spite of its tendency to frame it according to spatializing procedures. An essential aspect of Bergson’s analyses consists in emphasizing the necessity of not losing sight of intrinsic magnitudes within the context of relativity theory. Intrinsic magnitudes are generally characterized as invariant magnitudes. Such are so-called proper time and lengths. Of course, Bergson has his own interpretation of invariance, and it is true that the idea of situation is more important in his eyes than the coordinating function of frames of reference in providing equivalent descriptions. As a consequence, he cannot satisfy himself with holding a four-dimensional invariant magnitude such as proper time as a definition of real time 11. Yet, when one translates relativistic results in terms of “proper” rather than “improper” time, many of Bergson’s claims become not only harmless but quite relevant to a proper understanding of relativity. For one thing, when two systems of reference are set in relative uniform motion, the so-called “dilatation of time” is reciprocal, while the proper times, as measured by the clocks “at rest” in each system, are identical12. This shows that nothing peculiar happens to the clocks: their beat is unaffected by relative motion, they remain in perfect synchrony. It remains to be seen whether this conclusion can be extended to the case of accelerated frames. Bergson’s criticisms, at any rate, are a welcome warning against the kind of uncritical realism that attaches to notions such as dilated time, multiple time rhythms, and so on. (4) The “topological” invariance of the time interval. Now as far as the twins paradox is concerned, things are of course a little more complex since, as we have said, more than two frames of reference are involved. It is important however to remember that Bergson is chiefly concerned with the time interval as such, not with the particular measures attributed to it by various coordinate systems. The fifth chapter of Duration and Simultaneity devoted to “light figures” clearly emphasizes this point : we ought to make sense of the fact that two events in time (two events separated by a “time-like” interval, in the Minkowskian parlance), although they may be causally connected by different means, implying different kinds of motions, still present themselves as one and the same time interval —or more exactly, one and the same space-time interval, explored and measured along different routes. When we say that the Earth-twin has aged 200 years “during the time” it took the traveller to reach the remote star and return back home, or conversely when we say that “meanwhile” the traveller-twin has aged 2 years, we speak improperly, for obviously the time interval, being measured differently by each, can count as “the same” only in a Pickwickian sense. And yet we feel there must be something common to both experiences, an underlying process of nature behind the endpoints materialized by the two meeting events (the twin’s departure and his return). Is the intuition of a real time interval underlying its various measures, compatible with relativity theory ? Bergson thinks it is. Accordingly, he never challenges Einstein on his

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own ground, nor criticizes relativity as a physical theory (there is nothing resembling a neo-Lorentzian temptation here). What is at stake is the philosophical interpretation that physicists and philosophers alike are prone to associate with it, specially when it comes to assessing the reality of time. Bergson’s challenge is to show that there must be, within relativity’s own terms, some kind of topological invariant underlying discrepant measures of time13. The spatio-temporal interval between two events is frame-invariant in any case. But when it comes to two causally connectible events, this interval is time-like, meaning that it reduces to proper time if one chooses the appropriate reference frame. Thus, referring to an underlying (real) time interval as a shorthand for the spatio-temporal interval does not seem wholly off the mark even if one assumes, as Bergson does, that this time interval does not have any intrinsic measure (contrary to the spatio-temporal interval which is a metrical invariant). In this sense it is perfectly acceptable, and philosophically to the point, to speak of the twins as relating to the same duration in different ways, provided that such a duration is not conflated with any of its various measures. Now, to come back to Bergson’s treatment of the paradox, it seems that the intuition developed in relation to the basic situation of two frames in relative (uniform, rectilinear) motion, the intuition of the dilatation of time as a mere “perspective effect,” is simply carried over to the case of the paradoxical twins. This transfer from the basic situation to the more complex one is arguable. My feeling is that it is legitimate even if one acknowledges a fundamental asymmetry in the spatio-temporal histories of the twins. There are, indeed, reciprocal dilatation effects involved in the various parts of the story, if the frames are considered two at a time. The only problem is that they are not relevant as far as the differential aging of the twins is concerned: the reciprocity of the slowing down of clocks in the simple case loses its explanatory virtues when applied to the more complex case. The reason for the temporal gap between the twins must lie elsewhere. Whitehead’s strategic move, as we shall see, consists in shifting our attention to the dislocation of simultaneity, rather than the dilatation of time. When all is said and done, however, the erroneous claim that the twin traveller ages “just the same” as his brother should not obscure Bergson’s original problem, which I believe remains intact even if one accepts the reality of the phenomenon anticipated by Einstein and Langevin. The problem, to put it bluntly, goes somewhat like this: in what sense is it legitimate to describe the twins as living in different times ? More generally : what kind of metaphysical conclusion (if any) regarding the fundamental unity of real time do the unsettling results of relativity theory impose on us ? (5) The unity of time and the intuition of local time. A final reminder, which should close this series of apologetic remarks. Bergson never considered restoring an absolute, universal Time in Newton’s sense (“equably flowing…”) or even in Lorentz’ sense (an absolute or “true” time attached to a reference

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frame at rest in the ether). Bergson claims to be a full-blooded relativist, a partisan of “radical relativity,” determined to defend its philosophical core against the unwarranted generalizations of self-made metaphysicians. What he wants to show is that besides the different time-systems attached to various artificial (and in that sense arbitrary) measurement procedures, there is a common time, a unique time, “real time,” on which any measure must ultimately rely if it is to be considered as a measure of time. Needless to say, such a time has nothing to do with the piling up of successive hyperplanes of simultaneity (or instantaneous “nows” corresponding to states of the universe at an instant) determined by some preferred foliation of space-time. Such a figuration of the “advance of Nature” as the homogeneous flow of a global time extended over the whole of space, unrolling in its uniform course as some kind of cosmic ribbon, implies the very notion of spatialized time which Bergson strives to overcome through the method of intuition. The problem with the standards accounts of relativity theory is that they generally provide a mere relativization of the traditional picture, which naturally leads to the notion of space-time as a timeless “block universe” where nothing unfolds anymore and the flow of time seems frozen, reduced as it is to the parameterization of time-like curves or “world lines.” Bergson is naturally critical about this new Parmenidean stance and the naivety with which it claims to derive immediate metaphysical interpretations from the geometrical properties of a diagrammatic portrayal of the situation. But regardless of the inadequacy of the “block universe” as a model of relativistic physics, what is striking is that it is essentially homogeneous with the traditional (Newtonian) view in one important respect: time is once more equated with space, or with an additional dimension of space. It plays the role of a “fourth dimension of space,” although in the Minkowskian case the articulation of these dimensions is more intimate and intricate than ever due to the particular structure and symmetries of the Lorentz group. To put it bluntly, one may say that Bergson is not so much interested in universal time (as an alternative to relativistic times) as he is in the unity of time. This unity is to be contrasted with the multiple durations suggested by the dislocation of simultaneity and the slowing down of clocks. It is required if one wants to make sense of nature as a connected whole. The very possibility of a philosophical cosmology depends on it. What is the ground of this unity of time according to Bergson is a matter I do not wish to consider now. The fundamental point is that the unity of time has nothing to do with the global time-frame of traditional physics (and metaphysics), nor with the relativized times of relativity14. The unity of time must be reached locally, in relation to the fundamental experience of simultaneity, an experience of the “now” which may well be inseparable from an experience of the “here” of a situated observer. Hence, the local nature of time is ultimately related to the way co-present events or observers experience the passage of nature. As we shall see, Whitehead’s own definition of simultaneity in terms of “presentational immediacy,” with its

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distinctive dialectics of “duration” and “cogredience15,” concurs with Bergson on certain fundamental points, while distinguishing itself by its special emphasis on the local construction of space-time, rather than time alone. I hope it is clear from the preceding remarks that Bergson’s unsuccessful attempt at dissolving the twins paradox is not wholly misguided, or at least that it makes perfect sense not only in relation to Bergson’s own philosophical agenda, but within the wider arena of conceptual problems raised by the theory of relativity. Let us now turn to Whitehead and see if his solution fares any better.

4 . Whi tehead’s s oluti on : a blind sp ot in space-- ti me To my knowledge, there is only one instance of Whitehead explicitly dealing with the paradox, which may suggest that he considered it of secondary philosophical importance. It is likely that in his eyes the paradox was a mere curiosity, a specimen of the kind of relativistic puzzles that a correct use of spatio-temporal diagrams could easily dispose of. One might as well say that the paradox fudged deeper issues which he had addressed at length in his books, dealing with them from scratch in terms of a new logic of spatio-temporal perspectives based on the method of extensive abstraction. Nevertheless, a puzzle must be solved, and the twin paradox offered a nice occasion for Whitehead to apply the tools he had developed in his previous writings. Whitehead’s complete analysis and resolution of the paradox can be found in the Aristotelian Society Supplementary, Volume III, published in 1923 under the title “The Problem of Simultaneity: Is There a Paradox in the Principle of Relativity in Regard to the Relation of Time Measured to Time Lived?” The articles gathered under this heading are the outcome of a discussion or “symposium” involving a philosopher, H. Wildon Carr and a mathematician, R. A. Sampson, in addition to Whitehead himself16. It must be emphasised that Whitehead’s contribution is one of the earliest (if not the earliest) presentation of the paradox that casts it entirely within the conceptual frame of the special theory of relativity. Contrary to what is still claimed by many authors, the paradox can be given a solution in principle in the terms of the special theory alone, provided it is purged from unnecessary realistic elements (such as engine firings, inertial effects or accelerations other than mere change of direction, not to mention gravitational fields). Whitehead’s simple, elegant solution hardly comes as a revelation today: it can be found in many (though not all) introductory textbooks to special relativity. To my knowledge, however, its earliest formulation is to be found in Whitehead’s contribution to the 1923 symposium17. At first sight, Whitehead’s reformulation of the paradox hardly qualifies as a “solution”: it looks more like an analysis requiring no particular philosophical clarification or justification, admitting a

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trivially equivalent formulation in terms of Minkowski diagrams. Maybe this feeling is well grounded and Whitehead’s solution is no solution after all. But then again, if Langevin’s paradox is no paradox at all, it does not need to be solved, but only given a proper analysis. At any rate, this should not distract us from understanding in what sense Whitehead’s analysis manages to shed some light on “the Relation of Time Measured to Time Lived.” The phrasing of the conference program is itself a clear indication that Bergson’s earlier attempt is at the back of everyone’s mind18. But the main difference with Bergson is that Whitehead aims at a solution, or at least a complete clarification, not a dissolution. For one thing, he never disputes the final asymmetry between the twins. This acknowledgement of the effectiveness of the paradox is coherent with his commitment to the multiplicity of timesystems as an expression of the creative advance of nature: “This passage is not adequately expressed by any one time-system. The whole set of time-systems […] expresses the totality of those properties of the creative advance of nature which are capable of being rendered explicit in thought19.” Obviously, the existence of alternative time-systems is no objection against the unity of real time. Time-systems are already fairly elaborate (and hence abstract) constructs evolving from a more primitive experience of simultaneity. So there is no point in trying to establish the uniqueness of time-systems: time-systems or temporal perspectives cannot be one, as a matter of definition. If there were only one time-system, it would not be a temporal perspective. Bergson himself never doubted that time-systems, attached as they are to the experience of inertial frames, would yield the shifting simultaneity relations described by the Lorentz transformations and captured in the space-time formalism of Minkowski20. But his idea in Duration and Simultaneity was to root these artefacts in the local, purely temporal experience of simultaneity which he describes, fundamentally, as a simultaneity of flows rather than moments. Through the local connecting links provided by neighbouring virtual consciousnesses disseminated throughout nature as a whole, two experiences, however far apart, always “have some part in common”: step by step, they can be “reunited in a single experience, unfolding in a single duration21,” a duration which is, so to speak, unaffected by spatial separation22. Whitehead’s own account of simultaneity must be contrasted with this view. His intuition is that one should refrain from folding back the whole spatiotemporal structure unto the experience of a situated consciousness. One should make room for real time at an intermediary level involving a genuine experience of distance as such. “Duration,” as he understands it, is an intrinsically spatiotemporal concept; simultaneity is indissolubly local and distant. But this spatial component also provides the key to an adequate solution of the paradox. Let us see how this works.

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Whitehead’s solution, as mentioned earlier, can be given an immediate translation in Minkowskian terms. However, in its 1923 formulation it is not couched in the usual four-dimensional idiom. It does not involve proper times measured along the respective world lines of the twins. Whitehead offers instead a solution that deliberately ignores the intrinsic formulation in terms of absolute or invariant magnitudes. Quite consistently, the emphasis is on the discrepancy between particular perspectives (or time-systems) embedded in the space-time manifold of events. Whitehead provides a detailed account of the measuring procedures on each side, as well as of the time ascriptions they involve for distant events. The standard four-dimensional analysis, relying on the pseudo-Euclidean geometry of Minkowski space-time, would certainly save much trouble. It would imply realizing that the traveller’s world line is not a geodesic —that is, not the straightest space-time path between the two given events23. Whitehead does not use this trick: he sticks to the “space plus time” representation of the situation, relying on a very general argument involving the dislocation of simultaneity at the turnaround point in the travelling twin’s journey, and a subsequent blind spot in the reckoning of distant time intervals. For the sake of clarity, Whitehead introduces quantities, but it is not required for the understanding of his solution to the paradox. Let us scrutinize more narrowly the problem of the Earth and the traveller in space. When the traveller reckons time by days, what does he count? The rotations of the Earth? Certainly not. At least, certainly not, if the traveller is to count twice 365 revolutions to the chronologer's count of two hundred times 365 revolutions. For if the traveller counts the Earth's revolutions, he presumably uses his own definition of simultaneity, and will count 3,65 revolutions of the Earth on his way out; and on his way back he will adopt another definition of simultaneity and will count another 3,65 revolutions of the Earth; in all, 7,3 revolutions of the Earth. What has happened to the remaining 72992,7 revolutions which have occurred between his departure and return? He dropped those out of account in his sudden change of space-time systems at the star, when he ceased his outward journey and commenced his return24. Whitehead draws a nice diagram in order to capture this sudden drop out in the account of the Earth-twin’s time:

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As usual, and contrary to the Minkowskian convention, the time dimension of the resting frame is represented by a horizontal line and its space (here reduced for the sake of simplicity to a single dimension) by vertical lines (such as SH). Line (E1,E2) is the time-axis for the Earth, line (E1S) is the time-axis for the traveller on his outward journey, (SE2) is the time-axis for the traveller on his return journey. The dotted lines are “moments of simultaneity” according to the different space-time systems. They symbolize instantaneous three-dimensional spaces. SH is the simultaneity line connecting the arrival at the star and the corresponding Earth-instant (H) in a single moment according to Earth-reckoning. 36500 revolutions of the Earth occur from this perspective between E1 and H. But as a result of the relativity of simultaneity, the corresponding moment according to the traveller’s reckoning on his outward journey is somewhere before on the Earth’s time-axis, namely in H1. Accordingly, the traveller’s simultaneity line is inclined and E1H1 comprises only 3,65 revolutions of the Earth according to the traveller’s count. However, as soon as the return trip begins, the traveller changes at once his simultaneity line to SH2. He still considers himself at rest although he has adopted a different frame by changing his direction relative to the Earth, As one may have expected, he counts another 3,65 revolutions comprised in the portion H2E2 of the Earth's time axis. What has happened ? In the flurry of an instantaneous change of motion at S, the traveller dropped out of account the 72992,7 revolutions between H1 and H2. If he had noticed them, he would have counted them; and would then have agreed with the Earth-chronologer on his return25. The principle of Whitehead’s solution is clear: it is the change of motion of the one twin at the star (the fact that the traveller “changes the sense of the term in which he is at rest26”), and the subsequent shift in its simultaneity lines at midpoint, that is responsible for the obliteration of a whole portion of the Earthtwin’s accounted duration. What did the trick is the relativity of simultaneity, or

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rather the conjoined effects of the relativity of simultaneity and an instant change of reference frame at a distant place. Since there is no unique and universal “now,” the same for all coexistent observers, which would correspond to the event of the traveller making a U-turn in space, but really different “nows” related to different reference frames, one must acknowledge in the traveller’s perspective a sudden (yet indiscernible) jump in the time coordinates ascribed to the events along the Earth-twin’s world line. As a result, the spacetime length H1H2 on the Earth-twin timeline doesn’t merely become irrelevant to the objective comparison of the proper times carried out from the traveller’s perspective; it is erased, it vanishes, it simply cannot come into account. Now, one may legitimately ask in what sense the change of motion at the star can be held responsible for this temporal blind spot and the resulting discrepancy in time keeping. It is hard to see why a gap in the ascription of dates would cause the twins differential aging, the wrinkles on the Earth twin which the travelling twin does not yet have. Accordingly, one may be tempted to look for dynamical explanations such as forces and accelerations altering the inner mechanisms of biological clocks. But in its purest form, no such accelerations need interfere. Whitehead’s analysis provides a purely kinematical solution involving three distinct inertial frames: it is an early version of the so-called “three clocks paradox,” sometimes referred to as the “triplet paradox”. In order to account for the time discrepancy, one need not rely on any empirical mark such as accelerations affecting the clocks. In the idealized recasting of Langevin’s paradox, it is the conceptual shift in the simultaneity lines which alone accounts for the mistaken reckoning of the travelling twin and his final surprise on arrival27. The elegance and efficiency of Whitehead’s solution lies in it purely diagrammatic character. It shows us that the paradox may not need to be explained in order to be solved or properly spelled out.

5 . Di ag rammatic thou ght : t o wards an in tuition o f sp ace-tt ime The exercise in temporal accounting is remarkable in itself. The figures matter little; what counts is the diagram, and what it is able to convey at a glance in a diagrammatic spatio-temporal intuition: the triangle H1SH2 should be cut out from the picture, for it is really a shear28, or a blind spot in the abstract spatiotemporal perspective yielded by the measurements and calculations of the traveller. This suggests two sitriking differences between Whitehead’s and Bergson’s treatments of the paradox. (1) Whereas Bergson’s analysis focused on an alleged symmetry between the two points of view (remember Pierre’s and Paul’s were considered as “interchangeable”), Whitehead establishes the existence of a deep asymmetry which the inequality in the elapsed proper times tends to conceal. There is a gap

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in the view one of the twins takes on his brother’s overall duration. Adopting the traveller’s perspective, Whitehead draws our attention to this discontinuity : he describes it as a sudden s@hift in perspectives resulting in a dramatic yet hardly noticeable disruption in the accounting of time lapses. (2) Whereas Bergson insists on the necessity of retrieving the common temporal intuition of a local simultaneity of flows behind the artificial definition of simultaneity “slices” of distant events (as if it were possible to somehow plot their respective histories against each other at every moment, regardless of the spatial separation), Whitehead emphasizes the importance of locating the discontinuity in the actual separation of space-time frames which cannot be considered as mere conventions but which count as genuine facts of nature29. The dislocation of simultaneity may be an artefact of our measuring and accounting procedures, but simultaneity itself —that is, distant simultaneity— and its alteration from place to place, giving rise to alternative time-systems, is as objective as spatial extension itself. We shall come back to this shortly. But it is obvious why the use of diagrams and spatial intuition imposes itself as a necessity in order to capture the way time is sheared by space (or more exactly, certain relational properties of motion through space). Bergson’s rather spare use of diagrams manifests a fairly different regime of intuition. The idea behind the imaginary variations on the “light figures30” is to intuit the gradual unfolding of distorted figures from one single temporal stretch —a stretch which in fact stands for the underlying process conferring unity to the variously dilated times. One may speak of an intensive use of diagrams, relying on basic and very general (metrically indeterminate) geometrical notions of transformation and topological invariance. Whitehead, by contrast, chiefly relies on the affine properties of the diagram: central to his analysis is the notion of direction and the discontinuous shift that occurs, in this respect, at the turning point S. The underlying intuition draws on the geometry of shears (or hyperbolic rotations in 4D space) implied by the Lorentz transformations. The diagrammatic intuition is spatial through and through, involving as a matter of fact a very special kind of quasi-non-Euclidean space31. It remains to be seen how temporal intuitions can adjust themselves to these conditions. This is probably the most interesting aspect of Whitehead’s solution to the spatio-temporal puzzle designed by Langevin. What it shows, against Bergson, is that there no direct way of plotting two durations against each other in order to gain a global intuition of the situation. The dating of distant events, the measuring of distant intervals of time, is always indirect and somehow complicated by the necessity of patching together coordinate systems which do not always allow for smooth transitions. The intricate nature of relativistic space-time does not suggest a fluid blending or fudging of time and space (which the philosopher could treat as a mere mathematical device), but a delicate folding together involving shears, cuts, and gaps. Reflecting on the

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blind spot phenomenon, one realizes that it expresses a structural feature of space-time, or if one prefers, of the connexion of space and time. On a practical level, this means that one should take perspectives seriously. For the whole issue, as we have seen, is indeed a matter of spatio-temporal perspective. But perspectives are not mere “effects,” or “illusions,” as Bergson believes; they involve more than “phantasmal” times: genuine blind spots. Yet here is another twist: the disruption of perspectives and the divergence of timesystems implied by the experience of accelerated motion does not entail a disruption of time itself. Time, as far as it extends beyond “here” and expresses the advance of nature as a whole, must be endowed with an essential uniformity, which finds its ultimate ground in the possibility of repetition and congruence, hence in the homogeneity of spatial relations themselves. This is the subject of the concluding section.

6 . Con clusio n : unity and un iformi ty What is Whitehead’s position concerning the “slowing down” of time? What remains of the unity of time if alternative time-systems allow for different lapses of time between two given events? In what sense can the respective durations be considered incongruent ? These questions were at the heart of Bergson’s analysis. Whitehead answers them unambiguously: properly speaking, there is no such thing as a slowing down of clocks, and the paradox of the twins lends no support to the idea — no more, at any rate, than does the reciprocal retardation of clocks observed in the simple case of two reference frames in relative inertial motion (in this connection, one should bear in mind that the “dilatation effect” associated to the the decay of unstable particles known as “mesons” does not involve any alteration of the particles and can be shown to be perfectly reciprocal). How can that be? Doesn’t the introduction of a third reference frame, and the subsequent alteration involved in the mere fact of instantaneously shifting from one frame to another, imply radically different conditions for the time of the traveller? Whitehead’s response is twofold. It consists in acknowledging the fact that there is indeed a difference in the twins overall elapsed proper times, which is obviously linked with the acceleration involved in the journey, while insisting on the possibility of providing a relative and indeed reciprocal account of the final time lag based on properly chosen segments of the spatio-temporal trajectories of the twins. Let us focus on the traveller twin. Suppose, says Whitehead, that his clock “runs truly before he starts,” with a rate of one revolution of the hour hand per day. If we dismiss the hypothesis of “sudden jolt involved in the immense accession of initial velocity,” if we further assume that “its works are in no way dependent on gravity,” then we must assume, in the absence of any proof to the

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contrary, that it “runs truly during the outward and inward journey, its casing being at rest relatively to the traveller32.” Clocks run truly where they are, as long as their mechanism is not altered by the physical effects of accelerations or gravitational pulls. The slowing down is at best a misleading way of expressing the final disagreement of the clocks. To speak properly, one should always say that a clock runs slow relative to some other clock. “Slowing down” is a shorthand for “measuring shorter intervals of proper time.” Clocks sometimes run late; they do not run slow. In the case of the twins, the clocks end up desynchronized, but they run at the same rate as soon as they are reunited. The point is that they never did anything else33. Thus, the traveller’s clock may appear to be out of step, but it is not slowed down in any substantial sense —only in the trivially relative sense that the rocket-time it takes the traveller to complete his journey is less than the corresponding Earth-time it takes the stay-at-home to wait for his return while he is enjoying his space-trip. The source of the confusion, as one may suspect, lies in the use of “while” in such a scenario : we tend to refer both measures to some underlying absolute temporal interval which we naturally identify with the proper time of the Earth twin. Again, days do not pass more slowly for the traveller; a day is a day and an hour lasts one hour aboard the rocket-ship as well as on Earth. It simply takes the traveller fewer days than his sibling to cover the same spatio-temporal distance, namely the interval separating his departure from his return. By taking up speed and covering more space, he has saved some time. Without even knowing it, he was relying on a structural feature of (relativistic) space-time : the speed associated with his path through spacetime was diverting motion through time into motion through space, enabling him to save time. This very simple and yet puzzling statement is more far-reaching than it may seem. In Whitehead’s view, it bears on the fundamental issue of congruence. Underlying his reflections is the following assumption: if both clocks run truly in the sense defined above, they must somehow run at the same rate throughout their whole spatio-temporal existence, as long as they are preserved from interfering forces (gravitational or otherwise). The temporal units must somehow be congruent all along, in spite of the discrepancy in the measures of total elapsed time. Those who think otherwise implicitly refer these measures to an absolute notion of the time interval, which of course makes no sense in a relativistic context. If there is no absolute time, no spatio-temporal path connecting two events qualifies a natural gauge for the passage of time between them, not even the one corresponding to the longest proper time (i.e., the geodesic defining the “spatio-temporal interval” between these events). On this point Whitehead and Bergson part ways. Remember the fourth of my “charitable remarks” above: Bergson suggests that the unity of real time lies in some underlying topological invariant which the metrical invariant merely hints at.

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But this is obviously of no use in the case of the twins, where one is dealing with two invariant measures of proper time, none of them having any special priority (as Bergson himself readily admits). Whitehead lucidly confronts this new situation. His suggestion is that just as a detour in space takes more time (all things being equal), a detour in space-time takes less time. This might sound odd, but it does not help to say that time runs slower for those who move (or accelerate, to be more precise). In fact, such statements are even more obscure than the paradox itself. There are many (spatio-)temporal routes from one event to another, but time itself need not run slower or faster for that matter. Why is it so difficult for us to see that time does not have to be elastic in order for the twins to experience different amounts of proper time between the same pair of events? Although Whitehead does not elaborate on this point, the twins paradox illustrates the kind of confusion that arises from our continuous reliance on the ideas of absolute space and time. The source of our discomfort with the differential aging of the twins may be traced back to the absolute meaning we attach to the traveller’s “mid-point” at which the shift occurs. Where, indeed, does this U-turn take place? What spatial background are we taking for granted when we try to develop a Bergsonian intuition of the continuous unfolding our twins’ “contemporaneous” space-time trajectories? Similar questions would apply to the temporal aspect of the paradox. A little reflection on this particular case (and others related to the dislocation of simultaneity, such as the famous train thought-experiment devised by Einstein) may help shedding light on Whitehead’s observation that The paradoxes of relativity arise from the fact that we have not noticed that when we change our time-system we change the meaning of time, the meaning of space and the meaning of points of space (conceived as permanent)34. Yet, despite our difficulties in intuiting the relativistic spatio-temporal framework, there is nothing special about time itself. Again, one can claim that time flows equably without turning into an advocate of absolute Newtonian time. Whitehead touches here on a fundamental principle of his philosophy of nature, the principle of uniformity. Despite the distortions exhibited by the paradoxes, nature and the spatio-temporal structure expressing its essential relatedness, are characterized by a principle of uniformity or congruence which is in fact presupposed by any comparison of lapses of time and stretches of space. As far as time is concerned, such a claim does not reduce to the trivial assumption that time flows at the rate of one second per second. What is at stake is the commensurability of diverging timelines. Here is how Whitehead argues his case : The fact of the clock running truly means that the time of one revolution of the hour hand is congruent to the time of one revolution

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of the Earth. But the lapse of clock time is a lapse of time according to the traveller's meaning, And this meaning differs from that for Earth time. But, though the meanings for time are different in the two cases, the lapses of time according to the different meanings are comparable as to congruence. Of course if this be denied, there can be no sense in comparing two such lapses so as to say that one lapse is 730 days and the other is 73,000 days. For in that case a day in one sense is not comparable in magnitude with a day in the other sense. But we are agreed that the days are of equal length; though there are more of them, between the departure and return of the traveller according to the Earth chronologer's meaning for time, than for the traveller’s two meanings as he journeys outward and inward35. The proper times of the twins would not be comparable throughout their separation, and consequently the asymmetry found between them after they are reunited could not even be ascertainable, if it were not for this fundamental fact of congruence between their two time-systems. In Alan White’s terms: Whitehead “realizes that, although the stay-at-home twin must have experienced more days (as a composite time-interval) than the star-faring sibling, any pair of days taken from both world-lines themselves must be of equal length — congruent— in some sense36.” When it comes to moving from one event to another, travelling in space at great speeds appears as an advantageous solution for impatient natures: it requires less time (that is, fewer hours, fewer days) than staying at home. That is all there is to the alleged “slowing down” of clocks (or time). Time does not flow more or less rapidly, but there are shortcuts in space-time. The twin’s space trip is a case in point : the spatio-temporal path it draws happens to yield the shortest measure of proper time. Thus, the different meanings ascribed to time do not entail any indeterminateness in the idea and experience of time itself. The blind spot phenomenon and the ensuing discrepancy in temporal measurements do not contradict the essential uniformity of the “advance of Nature,” nor the congruence relations underlying the mapping of space-time by coordinate frames. As Bergson wittingly says about the twins : “We shall have to find another way of not aging.” Where does this uniformity come from ? My own belief is that the congruence of time-lapses expresses an important relation of time-lapses founded upon the intrinsic character of time exhibited in the fundamental fact of simultaneity37. This statement may sound obscure, but it really sums up the matter. Uniformity attaches to all perceptions in the mode of pure relatedness, but the connecting link here is the notion of simultaneity — not in Einstein’s sense though, but in connection with the distinctively Whiteheadian notion of duration. Basically, the

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idea is that time owes its uniformity from space itself as experienced in duration. Remember that duration is described by Whitehead as a concrete “slab of nature,” that is all nature present for sense awareness. But the notion of the whole of nature being disclosed in immediacy is itself the product of the “indefinitely extended projection of the ‘spatial’ boundaries of a single specious present38.” A duration is unlimited in spatial extent; simultaneity is the experience of space itself in presentational immediacy. Thus, if the issue of temporal congruence naturally leads to that of simultaneity, it is in so far as the spatial component of simultaneity yields the very possibility of congruence in a temporal context. “How am I to lay two successive revolutions of a clock hand alongside each other?,” Whitehead asks39. This may indeed seem a very strange request, but the spatial analogy is not wholly misguided: the periodical motions occur in space, and space is, so to speak, its own measure, since its uniform structure contains all the possibilities of congruence40. These remarks may suffice to indicate how the solution works. The basic idea is that the measure of time and the issue of temporal congruence cannot be treated apart from the spatio-temporal expression of the passage of Nature. There would be much to say about the way this connects to the problem of conventions, but let us save this for some other occasion and emphasize once more the insight into the fabric of space-time gained by the Whiteheadian treatment of the twins. Briefly stated: time is neither stretched nor dilated ; we know this not from some inner, ineffable acquaintance with its uniformly flowing nature, but from the experience of simultaneity as a spatio-temporal fact of awareness. Time may be represented as a fourth dimension of space, it may be said, quite misleadingly, to be in space ; but the truth is that it is always given with space as an irreducible aspect of extendedness. Time is not elastic; it flows uniformly because it is spread over space (doctrine of simultaneity) as much as it flows through space (doctrine of the passage of Nature). In return, space cuts across time, so to speak: it is responsible for the twisted, sheared aspect of space-time which the relativistic paradoxes express in their own way, but it is also what connects time with itself in a uniform manner, allowing for congruence relations to extend to the temporal realm. Bergson was ready to give up space-time altogether if only to avoid this frightful perspective : a “fibered” time uniformly flowing through the criss-crossing paths of space-time, with its innumerable creeks, shortcuts and detours. In his desperate attempt to bypass the inevitable implications of the twins paradox, he certainly missed the occasion of giving local time its proper extension.

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Université de Paris-X Nanterre. For a detailed account of Whitehead’s reconstruction of space-time and its difference with Minkowski’s endeavor, see Robert Palter (1960). 3 However, insisting on the abstract nature of certain (chrono)geometrical entities does not involve reducing them to mere “convenient fictions.” The whole point of Whitehead’s method of extensive abstraction is to avoid such a radical claim by showing instead how these constructs hang on the natural world and why they are so convenient. 4 See Palter (1960 : 30 ff), and White (1983). The effective relations of simultaneity holding between the members of a “consentient set” nevertheless provide objective foundations for the notion of inertial frame. This is an important difference with Bergson’s approach, which tends to take a rather conventionalist stand on frames of reference. 5 Bergson (1999 [1922] : 43, 47). 6 The Concept of Nature actually mentions Bergson’s own insights in the philosophy of time in relation to the idea of the “passage of nature”: “The process of nature can also be termed ‘the passage of nature.’ I definitely refrain at this stage from using the word ‘time,’ since the measurable time of science and of civilized life generally merely exhibits some aspects of the more fundamental fact of the passage of nature. I believe that in this doctrine I am in full accord with Bergson, though he uses here ‘time’ for the fundamental fact which I call the ‘passage of nature.’ ” (Whitehead (1920 : 54)). Bergson’s tribute to Whitehead in Duration and Simultaneity can be viewed as an indirect response to this acknowledgement of philosophical kinship. His preference for the word “time,” and Whitehead’s reluctance to equate the passage nature with time as such, is of course the crucial issue behind their respective treatment of the twin paradox, as we shall see. 7 See During (2007). 8 Bergson 1999 : 131. 9 Bergson 1999 :127. 10 Jean-Marc Lévy-Leblond (1989) refers to the dilatation effect as a form of spatio-temporal parallax. 11 One should bear in mind that proper time is in fact a particular instance of the invariant spatio-temporal ds, in the case where the differences in spatial coordinates between two pointevents are equal to zero, so that spatial factors cancel out (which corresponds to the intuitive notion of rest or “being at the same place”). In this regard, Capek’s statement to the effect that the unity of real time “is nothing but the equality of local or proper time” (Capek 1971 : 242) requires some qualification. One cannot simply identify Bergson’s “real” time with a fourdimensional interval. Nevertheless, interpreting the latter in terms of the former proves an efficient antidote for hasty metaphysical extrapolations. 12 This point was clearly stated in Max Born’s 1920 introduction to Einstein’s relativity under the form of a “principle of the physical identity of the units of measure” (Born 1962 : 252). It is important to bear this in mind when dealing with Whitehead’s own principle of uniformity or congruence (see below). 13 See Capek (1971 : 248-249). 14 The special theory of relativity typically allows for a definition of time (as separate from space) in each particular reference frame. This is achieved in terms of global time coordinates. In general relativity, on the contrary, such a global framing of time is not 2

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possible anymore. Bergson was aware of this fact, as is apparent from the “final note” to Duration and Simultaneity (“Time in special relativity and space in general relativity”). But curiously enough, the local character of time in general relativity is overshadowed, in Bergson’s account, by the local (and infinitesimal) character of spatial determinations: “When the physicist of general relativity determines the structure of space in general relativity, he is referring to a space in which he is actually located.” (Bergson 1999 : 123). 15 For a survey of these issues, which I shall only allude to, see Palter (1960) and White (1983). 16 Whitehead’s paper was republished in several collections of essays, including Whitehead (1961). Alan White provides interesting background information and insightful comments on this discussion in an unpublished paper available in a draft version on www.uwmanitowoc.uwc.edu/staff/awhite/al95htm. 17 See Naber (1992), among others. 18 Whitehead himself does not mention Bergson, but Carr does (along with Becquerel and Langevin, his other main sources for the paradox). 19 Whitehead (1919 : 81). See Whitehead (1922 : 67). 20 See Bergson, (1999 : 44): “We believe that a philosophy in which duration is considered real and even active can quite readily admit Minkowski’s and Einstein’s space-time…” Such statements cannot be considered mere lip-service. Other examples can be found throughout the book. 21 Bergson (1999 : 32). 22 Bergson’s strong interest in telepathy is naturally related to these issues. 23 As a result of the pseudo-Euclidean metric assigned to space-time, the straightest lines are not those standing for the shortest, but for the longest proper time (i.e., that of the Earth-twin in Langevin’s paradox). 24 Whitehead (1961 : 150-151). 25 Whitehead (1961 : 151-152). 26 Whitehead (1961 : 155). 27 Whitehead rightly insists that the time gap does not correspond to any observable effect. If the Earth-twin were to send light signals at regular intervals of his time to the traveller twin to inform him of the way time passes on Earth, there would be no discontinuity in the observations, no gap of any sort. This can easily be calculated using the formulas for the Doppler-shift. Whitehead is very clear on that. What is at stake is really a conceptual blind spot produced by a situation where we have to patch together the coordinate systems of two successive reference frames in relation to a third. This cannot be done. Two Lorentz transformations do not compose to yield a third. Restated in a four-dimensional framework, this is equivalent to describing the world line of the travelling twin as an accelerated reference frame. See Lucas & Hodgson (1990 : 70-76). 28 “Shear,” by the way, is also the name for the particular geometrical transformation that corresponds, in a Minkowski diagram, to the Lorentz equations describing the passage from one reference frame to another in relative, uniform motion. The space-time of special relativity is literally sheared, rather than sliced up according to any definite foliation. 29 See Whitehead (1919 : 32), and also (1919 : 54): “…local time does not concern one material particle only.” 30 A light clock, for example, i.e. a light pulse oscillating back and forth between two plates at rest relative to each other. Bergson’s intuitive exercise consists in imagining the various

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deformations imposed on such an apparatus as it is set into motion with various degrees of speed (see Bergson (1999), chapter 5). 31 That a non-Euclidean, hyperbolic space should organize our intuitions is of course not apparent from Whitehead’s diagram: it is drawn on a two-dimensional surface we spontaneously interpret as a Euclidean plane. The same is true of any Minkowski diagram. However, our geometric intuition is already undergoing a change when we manage to “see” the simultaneity lines of the traveller as “orthogonal” to the corresponding world line or timeaxis (despite their being inclined at various angles from a Euclidean standpoint). 32 Whitehead (1961 : 152). 33 It should be stressed, once again, that this whole discussion deliberately ignores the particular effects that gravitation would introduce in the picture. Whether Whitehead’s views on the uniformity of time could be carried over to a general relativistic setting is a question that would require another article and a special emphasis on The Principle of relativity. For an extensive coverage of this issue, see Gary Herstein (2006). 34 Whitehead (1922 : 56). 35 Whitehead (1999 : 152-153). 36 Alan White, unpublished material (see note 15). I find White’s otherwise helpful analysis much too severe in its indictment of Whitehead’s “unshakable commitment to the doctrine of uniform significance,” a commitment that is also apparent, it is argued, in the “dogmatic insistence on the smooth —and uncurved— nature of space-time itself.” 37 Whitehead (1961 : 154). 38 Palter (1960 : 31). 39 Whitehead (1961 : 153). 40 See Palter’s section on “Congruence and measurement” in Palter (1960 : 88-99).

La Théorie de la relativité de Whitehead Dean R. Fowler (Trad. H. Vaillant)1

1 . Théo ri e sci enti fiqu e et p hilosop hie Dans un temps de conflit, de crise et de révolution dans la communauté scientifique, lorsque le monde témoigne de l'émergence d'une nouvelle théorie scientifique, la communauté philosophique se trouve placée dans une période difficile d'ambiguïté, encore plus grande lorsque la « vérité » ou la « fausseté » de la nouvelle théorie n'a pas été établie. Dans une telle période, la réponse de la communauté philosophique suit habituellement trois modèles : 1) Elle peut ignorer l'impact de la nouvelle théorie en soutenant que le monde de la science et le monde de la philosophie sont distincts. C'est ce genre de réponse que manifesta la distinction de Kant du domaine phénoménal et du domaine nouménal, la science se limitant au premier. Cette attitude de Kant envers la relation de la science et de la philosophie caractérise la réponse de la plupart des philosophes contemporains. 2) La philosophie peut répondre en montrant que la nouvelle théorie est fausse pour des raisons philosophiques. C'est dans cet esprit que l'Eglise catholique, dominée par la philosophie aristotélicienne, condamna Galilée dans sa défense de Copernic2. 3) La philosophie peut accepter comme vraie la théorie et retravailler ses propres principes pour les rendre conformes aux exigences de la nouvelle théorie scientifique. Ce type de réponse a caractérisé l'attitude de la plus grande partie de la philosophie cosmologique lors de l'éveil du progrès scientifique à l'époque moderne. Nous ferons mieux apparaître les différences entre ces trois réponses si nous distinguons en toute théorie scientifique deux aspects, que j'appellerai le contenu prédictif et le contenu explicatif 3 : — Le contenu prédictif d'une théorie scientifique domine l'entreprise de la science dans la plupart des périodes et la plupart des aspects de la vie scientifique, guidant l'activité normale des scientifiques dans leur utilisation des théories et des équations du système de la science, pour la recherche ou l'application pratique. — Le contenu explicatif d'une théorie scientifique représente le fondement philosophique sur lequel est construit le contenu prédictif. Il décrit la vision du monde, et plus spécialement du monde de la nature, que

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la théorie scientifique propose. Bien qu'il soit toujours présent, le contenu explicatif est virtuellement inaperçu en dehors des périodes de crise et de conflit. C'est le contenu explicatif d'une théorie qui révolutionne une époque, car il fonctionne pour amener la science à établir de nouveaux principes et de nouvelles méthodes. Le contenu explicatif, qui représente la base philosophique de la théorie, ouvre notre vision à un monde nouveau. Chacune des trois réponses représente une attitude différente vis-à-vis de la relation mutuelle entre le contenu prédictif et le contenu explicatif d'une théorie scientifique : — La première réponse, en proclamant que la science et la philosophie sont incommensurables, ne parvient pas à reconnaître le fondement philosophique d'une nouvelle théorie scientifique. — La seconde réponse reconnaît les aspects philosophiques d'une nouvelle théorie, mais considère le contenu explicatif de la théorie comme incompatible avec le système philosophique régnant. En rejetant le contenu explicatif d'une théorie, cette réponse rejette également son puissant contenu prédictif. — Dans la troisième réponse, la communauté scientifique est tellement envahie par le contenu prédictif d'une nouvelle théorie qu'elle échoue dans l'examen critique de son contenu explicatif. La reconnaissance de l'importance du contenu explicatif d'une nouvelle théorie scientifique conduit à une quatrième réponse, qui est d'examiner de manière critique les fondements philosophiques de la nouvelle théorie et de se demander si l'explication du monde qu'elle propose est adéquate. Souvent, en philosophie des sciences, l'accent n'est mis que sur le contenu prédictif de la science, puisque c'est cet aspect de la théorie qui est le plus facilement mis à l'épreuve empiriquement. Par exemple, la conception vérificationniste et la conception falsificationniste basent toutes deux l'adéquation d'une nouvelle théorie sur sa capacité prédictive 4. Cependant, une théorie scientifique doit aussi être jugée sur l'adéquation de sa capacité explicative. L'examen du contenu explicatif d'une nouvelle théorie scientifique est découragé par le fait que des théories en conflit prédisent habituellement des résultats empiriques différents. Dans cette situation, le choix de la meilleure théorie peut être fait en examinant le contenu prédictif seul. Par exemple, la mécanique newtonienne prédit que les particules peuvent être accélérées à des vitesses infinies, alors que la mécanique relativiste prédit qu'il existe une limite supérieure des vitesses. Il est cependant possible que deux théories en conflit fassent les mêmes prévisions empiriques tout en basant ces prévisions sur des explications du

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monde fondamentalement différentes. Dans de tels cas, l'adéquation des théories en conflit ne peut être basée sur la vérification ou la falsification seules. Ce genre de situation éclaire les fondements philosophiques opposés sur lesquels sont construites des théories opposées. Telle est la situation que l'on rencontre dans le conflit entre les théories d'Einstein et de Whitehead à propos des quatre tests classiques de la relativité. Le Principe de Relativité5 est un exemple vivant de la quatrième réponse. Whitehead accepte l'impact du nouveau contenu prédictif de la théorie d'Einstein, mais il présente une autre explication des fondements de la relativité restreinte et de la loi de gravitation. Il propose une autre loi métrique de la gravitation, donnant les mêmes résultats que celle d'Einstein, mais qui est plus proche du modèle de Newton de la loi de gravitation (voir 5:239ss) et des phénomènes électromagnétiques. Les différences entre les théories d'Einstein et de Whitehead ont été étudiées par Robert Palter (6:188ss) et Robert Llewellyn (4:225s). Ces deux auteurs abordent la théorie de Whitehead à partir de sa nature mathématique, en se centrant particulièrement sur sa structure métrique uniforme. Bien qu'un certain intérêt se soit manifesté pour les différences philosophiques entre Einstein et Whitehead, la plus grande partie de la discussion de l'impact de la théorie de la relativité sur la pensée du procès a été caractérisée par le troisième type de réponse. Les philosophes du procès se sont intéressés aux aspects explicatifs de la pensée du procès afin de les rendre conformes aux exigences de la théorie d'Einstein. En conséquence, le débat a été dominé par la position d'Einstein, aux dépens des objections philosophiques de Whitehead. Etant donné que les philosophes du procès travaillent dans un cadre whiteheadien, il semble important de ranimer la théorie de la relativité de Whitehead comme alternative à celle d'Einstein6. Dans la Section 2, j'examine le contenu explicatif de la théorie de Whitehead comme alternative à celle d'Einstein, de façon à réorienter la discussion de l'impact de la relativité sur la pensée du procès en partant d'une acceptation non critique de l'interprétation d'Einstein pour en arriver à une appréciation de la théorie de Whitehead comme alternative philosophique. La Section 3 est centrée sur les conséquences que peut avoir cette étude pour la pensée du procès.

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2 . Le c ontenu explic ati f d e l a th éo rie de l a rel ati vité d e Whi tehead 2.1. La théorie de la relativité restreinte Dans son approche de la théorie de la relativité, Whitehead est guidé par la question : La théorie de la relativité est-elle en accord avec notre expérience directe, immédiate de la nature ? Un trait fondamental de notre expérience immédiate est la reconnaissance (recognition) du monde contemporain, ressenti comme nous étant simultané. Le recours de Whitehead à l'expérience immédiate du monde contemporain explique la nature de ses objections à la définition de la simultanéité d'Einstein. Chacun des arguments de Whitehead atteste son désir de donner une réponse aux exigences de notre expérience commune7. Pour Einstein, la simultanéité est un concept défini opérationnellement qui repose sur la transmission de signaux lumineux dans le vide. Puisque cette transmission repose sur la causalité, il ne peut y avoir de connaissance que du monde passé, et non du monde contemporain. En conséquence, le monde contemporain manque de toute réalité objective, puisque la région contemporaine n'est connue qu'en termes de projection du monde passé. Poursuivant son exigence de donner une élucidation de notre expérience, Whitehead débute son enquête sur la théorie de la relativité par l'examen de nos notions fondamentales de temps, de repos et de mouvement. Traitant de la notion de temps, Whitehead met en avant le fait que la nature nous est donnée dans la conscience sensorielle (sense awareness) en tant que celleci est présente maintenant. Il écrit : Notre conscience sensorielle présente au discernement immédiat un certain tout, appelé ici une « durée » [...] Une durée se distingue comme un complexe d'événements partiels [...] Une durée est une tranche (slab) concrète de la nature, limitée par la simultanéité, laquelle est un facteur essentiel dévoilé dans la conscience sensorielle8. Dans PR, il parle de ce mode de prise de conscience comme d'une « immédiateté présentationnelle », laquelle est « notre perception du monde contemporain au moyen des sens »9 : Le mode pur de l'immédiateté présentationnelle ne donne aucune information sur le passé ou le futur. Il présente seulement une portion illustrée de la durée qui lui est présente10. L'immédiateté présentationnelle est un sentir physique qui déploie l'extensivité réelle du monde contemporain :

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Elle met en jeu les actualités contemporaines, mais ne les objective que comme conditionnées par les relations d'extension11. L'immédiateté présentationnelle a comme datum un objet éternel du monde contemporain. Cet objet éternel complexe « est analysable en un datum sensible et une configuration (pattern) géométrique »12 qui illustre la durée qui lui est présente (presented duration). Puisque la durée présente définit le monde comme simultané, l'immédiateté présentationnelle fonctionne pour définir une signification préférentielle de la simultanéité au sein d'un unique système de temps. Utilisant le concept de durée, Whitehead examine nos notions de repos et de mouvement. Nous avons un sentir de l'événement, qui est le foyer de notre acte de prise de conscience, à la fois ici et maintenant. Les durées définissent le maintenant. La cogrédience définit le ici, et explique la relation d'un événement de conscience (l'événement percevant) à sa durée associée. Le sens du repos et du mouvement nous aide à différencier les durées. Whitehead écrit : Le sens du repos aide à l'intégration des durées dans un présent prolongé, et le sens du mouvement différencie la nature en une succession de durées plus petites. Lorsque nous regardons à l'extérieur d'un wagon d'un train express, le présent est passé avant que la réflexion ait pu le saisir. Notre vie se déroule en morcellements trop rapides pour la pensée [...] le présent immédiat se prolonge suivant que la nature se présente à nous sous l'aspect d'un repos ininterrompu13. En termes de durées, qui se différencient par la cogrédience, Whitehead propose une doctrine des systèmes de temps différents (alternate timesystems), doctrine qu'il reconnaît comme inacceptable par Einstein 14. Un système de temps tel que celui d'une société personnellement ordonnée est défini dans les termes de la durée qui lui est présente. Ainsi, un moment de temps est identifié à un étalement instantané du monde apparent [...] Un système de temps est une séquence de moments qui ne se coupent pas et qui comprennent toute la nature en avant et en arrière15. La cogrédience détermine quelle est la durée choisie pour être la durée présente : parmi les différents systèmes de temps qu'offre la nature, il y en aura un ayant une durée donnant la meilleure moyenne de

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cogrédience pour toutes les parties subordonnées de l'événement percevant. Cette durée sera la totalité de la nature, qui est le terme (terminus) posé par la conscience sensorielle. C'est donc le caractère de l'événement percevant qui détermine le système de temps immédiatement apparent dans la nature16. De manière semblable, il écrit dans PR : Une occasion actuelle sera dite cogrédiente à la durée ou stationnaire dans la durée comprenant son présent immédiat directement perçu [...]. L'occasion actuelle est incluse dans son propre présent immédiat, de sorte que chaque occasion actuelle, par sa perception selon le mode pur de l'immédiateté présentationnelle [...] définit une durée unique dans laquelle elle est incluse. L'occasion percevante est stationnaire dans cette durée17. Chaque système de temps définit un espace euclidien, une suite de durées présentes étant parallèle. Chaque système de temps est donc analogue à l'espace et au temps absolus newtoniens (cf. 5:239ss). Des systèmes de temps différents donnent différentes définitions de la position absolue et du temps absolu. La théorie du mouvement relatif est un résultat de la reconnaissance de définitions différentes du temps et de l'espace absolus « où le mouvement est essentiellement une relation entre un objet quelconque de la nature et l'espace atemporel unique d'un système de temps. »18 Ayant établi le concept de systèmes de temps différents définis comme une famille de durées et de moments parallèles, Whitehead entreprend d'obtenir les équations de transformation de Lorentz par une analyse de la transformation de la mesure entre systèmes de temps différents. Les équations de Lorentz constituent à la fois pour Einstein et pour Whitehead la base de la théorie de la relativité. Dans son mémoire original sur la Théorie de la Relativité Restreinte (1905), Einstein donnait à ces équations une interprétation algébrique impliquant le mouvement inertiel des particules. A la suite de l'interprétation de Minkowski (1908), Einstein évolua vers une interprétation géométrique de la Théorie de la relativité restreinte qui fut par la suite essentielle dans sa construction de la Théorie de la relativité générale. Dans l'interprétation géométrique, les équations de transformation décrivent des rotations dans l'espace-temps, et sont par conséquent directement liées à une théorie de la mesure plutôt qu'à une théorie du mouvement uniforme des particules19. Whitehead, qui écrit en 1922, suit l'interprétation de Minkowski. Cependant, dans son

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interprétation géométrique, Whitehead développe une autre théorie de la mesure qui est une critique de la théorie opérationaliste d'Einstein. Pour Whitehead, toute mesure prend place selon le mode de l'immédiateté présentationnelle, lequel définit le monde comme un présent simultané. Whitehead soutient que notre expérience immédiate du monde révèle une base d'uniformité. Toutefois, cette uniformité ne s'applique qu'aux relations géométriques et non aux contingences du monde actuel passé. Ceci veut dire que l'uniformité de la nature ne s'applique qu'à la connaissance (cognizance) par relationnalité (ou, dans le vocabulaire de PR, à l'immédiateté présentationnelle). La connaissance par adjectif (c'est-à-dire l'efficacité causale) se rapporte au monde physique contingent qui n'est pas nécessairement uniforme20. Whitehead est convaincu que l'uniformité de la nature est nécessaire si nous voulons pouvoir connaître quelque chose. Il pense donc que la théorie d'Einstein, tout autant que la physique théorique en général, est vouée à l'échec si elle exige, en principe tout au moins, que pour connaître quoi que ce soit il nous faut connaître l'état de l'univers contingent dans son entier. Pour expliquer la critique de Whitehead, il me faut contraster sa théorie de la mesure à celle d'Einstein. Celle-ci est basée sur des procédés opérationnels mettant en jeu la transmission de signaux lumineux. Pour Einstein, les mesures sont effectuées le long de la surface du cône de lumière, du côté du passé. La mesure est donc faite dans le monde passé. Les distances sont calculées en multipliant la vitesse de la lumière par l'intervalle de temps correspondant. Et pourtant, dans le monde réel des particules (théorie de la relativité restreinte) la vitesse de la lumière n'est pas constante, mais influencée par la présence du champ gravitationnel (matière). Les mesures qui impliquent la transmission de la lumière dépendent donc des contingences du champ physique. Whitehead peut donc écrire : Einstein, selon mon opinion, laisse toute la théorie antérieure de la mesure en pleine confusion, lorsqu'il est confronté aux conditions en acte de notre connaissance perceptive [...] avec sa théorie, la mesure manque d'uniformité systématique, et requiert une connaissance du champ physique contingent en acte avant que ceci soit possible21. Pour Whitehead, d'un autre côté, toute mesure est effectuée dans le monde contemporain selon le mode de l'immédiateté présentationnelle. Il suit de là que dans la théorie de Whitehead, la mesure n'est pas affectée par les contingences du monde physique, comme c'est le cas dans la théorie d'Einstein.

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Cette différence entre leurs théories de la mesure clarifie la différence de signification qu'Einstein et Whitehead donnent à la simultanéité. Pour Whitehead, la simultanéité est définie précisément en termes d'immédiateté présentationnelle, laquelle est donnée directement dans la prise de conscience immédiate du monde contemporain. Pour Einstein, la simultanéité n'a de signification que pour le calcul : les mesures du temps et de l'espace sont calculées dans le monde passé, le long du cône de lumière dans la direction du passé, et sont ensuite projetées dans le monde contemporain. Milic Capek explique avec vigueur pourquoi cette définition de la simultanéité par le calcul conduit à une obscurité sémantique : Les relativistes continuent de parler de simultanéité d'événements distants, bien qu'une telle simultanéité soit une entité purement conceptuelle, créée par mode de définition, intrinsèquement inobservable, et, lorsqu'on la calcule, différente dans différents systèmes. Il faut se demander si le maintien de l'utilisation d'un terme aussi fantomatique et aussi fictif est fructueux, ou même s'il présente une signification. Il paraît être l'effet d'une pure inertie sémantique, une simple concession à nos habitudes linguistiques traditionnelles et périmées (1:190). La définition de la simultanéité de Whitehead, basée sur son approche inductive, et qui donne de l'importance à notre conscience sensorielle immédiate, évite l'obscurité et l'ambiguïté attachées à la définition d'Einstein. Avec sa théorie de la mesure, Whitehead cherche à faire une comparaison des mesures dans des systèmes de temps différents. Pour cela, il est nécessaire de décrire les relations entre deux systèmes de temps, ce qui exige la notion de congruence. La congruence est présupposée dans toute procédure qui implique la mesure : La congruence est fondée sur la notion de répétition, à savoir qu'en un sens des éléments géométriques congruents se répètent les uns les autres. La répétition incarne le principe d'uniformité22. Le problème qui se pose à Whitehead consiste à trouver une manière d'exprimer les mesures d'espace et de temps dans un système en fonction des mesures d'espace et de temps dans un autre système, tout en préservant le principe d'uniformité. Pour le résoudre, il fait appel à notre conscience immédiate du mouvement. Il examine la mesure de la vitesse (mouvement uniforme) d'un système de temps dans l'espace d'un autre système de temps. Il y a quatre constantes arbitraires (non-définies), qui dépendent des deux systèmes, et qui sont reliées à la mesure de l'espace dans les deux

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systèmes (deux constantes) et à la mesure du temps dans les deux systèmes (deux constantes). Pour trouver les valeurs de ces constantes arbitraires de manière à pouvoir faire une comparaison de la congruence temporelle entre deux systèmes de temps, Whitehead fait appel à notre expérience de la symétrie cinématique.23 Le Principe de Symétrie Cinématique comprend deux parties : (1) Les mesures des vitesses relatives sont égales et opposées ; (2) Les mesures perpendiculaires à la direction du mouvement sont symétriques24. Utilisant ce principe en même temps que la « Transitivité de la Congruence » (qui établit que si une unité de temps dans un système de temps a est congruente avec une unité de temps dans un système b, et si b est congruent avec c, alors a est congruent avec c), Whitehead peut montrer mathématiquement que les quatre constantes arbitraires sont toutes liées entre elles (de sorte qui si l'une est connue, les autres peuvent être calculées). Par conséquent, il ne nous faut trouver que la valeur d'une seule des constantes arbitraires, qui est égale à l'expression (PNK, p. 157) : (1 – v2/k2) Whitehead entreprend alors d'examiner cette équation pour des valeurs possibles de k qui permettront une comparaison de mesure entre deux systèmes de temps, maintenant la congruence : — Si k = 0, la condition est absurde : les unités d'espace du système de temps b dépendraient des unités de temps du système a mais non des unités d'espace de a. — Si k < 0, il en résulte une « cinématique elliptique » qui ne fait pas de distinction fondamentale entre temps et espace, et dans laquelle les équations électromagnétiques de transformation invariante ne sont pas invariantes (voir PNK, p. 162 sq. ou CN, p. 140 sq.) — Si k > 0, il en résulte une « cinématique hyperbolique » que Whitehead écrit commodément sous la forme k = c2, et qui aboutit aux équations de Lorentz. Whitehead définit c comme une constante qui maintient les relations de congruence entre deux systèmes de temps. Il se produit ceci, que dans notre époque cosmique, c est réalisée le plus clairement dans la nature comme étant la vitesse de la lumière. La cinématique hyperbolique peut être écrite sous la forme métrique suivante : dG2 = c2dt2 – dx2 – dy2 – dz2

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où dG2 est la définition que donne Whitehead de la structure métrique de l'espace-temps à fondement uniforme en fonction de laquelle peuvent être faites des mesures qui restent invariantes lors de la transformation entre systèmes de temps différents. Einstein utilise une expression mathématique équivalente, mais la métrique dG2 est définie sous la forme ds2. Bien que mathématiquement équivalentes, les métriques dG2 et ds2 incarnent un contenu explicatif différent : — Pour Einstein, ds2 est associé au « temps propre » d'une particule, et décrit les géodésiques, reflétant par conséquent sa théorie de la mesure basée sur les faits contingents de la nature. — Pour Whitehead, dG2 représente la structure uniforme d'un espacetemps de Minkowski qui décrit les propriétés de congruence entre différents systèmes de temps.25 Ainsi, pour Einstein, la métrique incarne un contenu physique, alors que pour Whitehead, elle incarne un contenu géométrique indépendant du monde physique contingent. Nous sommes à présent en position d'examiner comment fonctionnent le recours de Whitehead à l'expérience immédiate et sa définition correspondante de la simultanéité dans la dérivation des formules de Lorentz, et par là dans la formulation de dG2 , la première métrique de sa théorie de la relativité, et en quoi celle-ci diffère de la Théorie de la relativité restreinte d'Einstein. Le point de départ de Whitehead dans la dérivation des équations de Lorentz fut la prise de conscience d'un présent simultané dans l'acte de notre expérience directe du monde. A partir des définitions des durées et de la cogrédience, qui reposaient sur cette simultanéité ressentie, Whitehead développa le concept des divers systèmes de temps. Chaque système de temps définit une signification préférentielle de la simultanéité. Les transformations de Lorentz représentent les relations de congruence entre divers systèmes de temps, lesquels reposent sur notre conscience immédiate du mouvement relatif. En conséquence, la possibilité de translation uniforme entre systèmes de temps fut construite ultimement sur la notion de simultanéité. De manière sommaire, on peut énoncer ainsi les principes fondateurs de la théorie de la relativité de Whitehead : 1° Recours à l'expérience immédiate. 2° Reconnaissance des propriétés observables des mouvements relatifs entre divers systèmes de temps, exigeant pour base une prise de conscience de la simultanéité.

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Quant à la Théorie de la relativité restreinte d'Einstein, elle est basée sur deux principes fondateurs différents : 1° Constance de la vitesse de la lumière dans le vide dans tous les cadres inertiels de référence, et indépendante de la vitesse de la source émettrice. 2° Indépendance des lois de la physique du choix du système d'inertie. Pour Einstein, les transformations de Lorentz et la définition de la simultanéité reposent sur le postulat de la constance de la vitesse de la lumière comme élément ultime de la réalité physique. En acceptant ce postulat contre-intuitif, Einstein rejette la primauté de notre expérience ressentie de la simultanéité. A l'opposé, Whitehead soutient l'expérience immédiate de la simultanéité et utilise celle-ci comme fondement de la relativité.26 2.2. La Loi de la Gravitation La signification de la définition de la simultanéité de Whitehead et de son recours à l'expérience immédiate ne se limite pas à la première métrique de sa théorie, mais est également importante pour sa loi de la gravitation. En opposition à Einstein, Whitehead construit sa loi sur le principe d'uniformité incarné dans la métrique dG2 qui définit l'espace-temps de Minkowski. Pour Einstein, l'espace-temps uniforme (celui de Minkowski) est gauchi ou incurvé en présence de matière. Pour Whitehead, l'uniformité de l'espace-temps n'est pas gauchie de manière contingente : les contingences physiques n'affectent pas les relations géométriques d'extension du monde contemporain.27 La théorie de la gravitation de Whitehead est semblable à beaucoup d'égards au modèle newtonien de la gravitation (voir 5:239ss). Toutefois, la loi newtonienne de la gravitation ne fait aucune mention du temps (les forces gravitationnelles se propagent instantanément) et ne donne aucune indication sur qui mesure la séparation spatiale entre les deux corps qui y sont soumis. Ces insuffisances de la théorie de Newton motivèrent aussi bien Einstein que Whitehead à chercher une nouvelle loi de la gravitation. Suivant en cela les exigences de la théorie de la relativité, Whitehead chercha une expression de la séparation spatio-temporelle entre les deux corps qui soit invariante. Puisque les mesures doivent être faites selon le mode de l'immédiateté présentationnelle, la séparation spatio-temporelle doit être mesurée lorsque les deux corps sont mutuellement simultanés. Ces principes de la loi de la gravitation de Whitehead peuvent être représentés sur un diagramme, qui correspond à l'approche de la théorie de Whitehead présentée en 1951 par J. L. Synge dans La Théorie de la Relativité de A.N.. Whitehead 28.

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FIGURE 1

Sur la Fig. 1, m propage une force gravitationnelle en P, qui est ressentie par M en X. La ligne PN représente le chemin que suivrait m s'il conservait sa vitesse uniforme à partir du point P. N représente le lieu où serait m à l'instant où M est affecté par la force gravitationnelle propagée par m. La ligne NX représente la séparation invariante de M et de m lorsqu'ils sont simultanés. On peut montrer mathématiquement qu'il est possible de trouver une telle mesure invariante. Il est important de noter dans ce diagramme que NX représente une mesure faite selon le mode de l'immédiateté présentationnelle. Dans le cas du mouvement uniforme, m sera effectivement en N dans le futur, auquel cas le lieu de tension (strain locus)29 et la durée qui lui est présente (presented duration) seront équivalents. Cependant, dans le cas du mouvement non-uniforme caractéristique du monde physiquement contingent, m ne sera pas en réalité (actually) en N dans le futur, et dans ce cas le lieu de tension défini par NX ne sera pas équivalent à la durée présente qui dépend de l'état actuel [« en acte »] du monde. Dans ce raisonnement, je pense qu'il convient de dire que Whitehead, dans R, fait une distinction implicite entre durée présente et lieu de tension, distinction qui n'est pas faite dans CN mais qui est faite explicitement en PR, p. 32230. Peut-être l'explication alternative de la nature des forces gravitationnelles donnée par Whitehead est-elle plus importante que sa théorie de la mesure avec son exigence d'un principe d'uniformité. Dans la théorie d'Einstein, la gravité n'est pas une « force réelle », mais plutôt une expression de la

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courbure de l'espace-temps. Les objets qui « tombent dans un champ gravitationnel » ne sont pas poussés par une force, mais suivent des « lignes » (« grooves ») de l'espace-temps appelées des géodésiques. A l'opposé, Whitehead soutient une interprétation physique plutôt que géométrique de la gravité : la gravité est une force réelle qui se propage à une vitesse finie31. La différence entre les interprétations d'Einstein et de Whitehead peut être clarifiée en comparant leurs théories respectives du mouvement : — Selon l'explication d'Einstein par une « pseudo-force », les objets se meuvent le long de géodésiques (c'est-à-dire de lignes droites dans l'espacetemps). Puisqu'ils suivent des lignes droites (et non courbes), aucune force n'est requise. Ceci toutefois n'explique pas pourquoi les objets se meuvent plutôt que de rester au repos. — De son côté, Whitehead développe une théorie causale du mouvement. Les éléments cinématiques (éléments qui constituent une ligne-monde : a world-line) ne se meuvent pas. Le mouvement dérive plutôt du transfert d' « adjectifs » communs le long de la trajectoire du mouvement (route historique ou ligne-monde). Les caractéristiques de ce transfert reposent sur la propagation des forces gravitationnelles. Sur la Fig. 1, PX représente graphiquement la propagation des forces gravitationnelles. La ligne PX est appelée le « futur causal » dans la théorie de Whitehead32. Dans la théorie du mouvement de Whitehead, le passé a un effet retardé dans le présent. La similitude entre cette explication et la théorie des préhensions développée dans PR doit être évidente pour les lecteurs de cette revue. L'explication des forces gravitationnelles comme forces réelles soutient chez Whitehead la distinction entre la géométrie et la physique. La gravité n'est pas un effet de la géométrie, mais plutôt une expression des relations causales réelles dans le monde physiquement contingent. La métrique dG2 qui représente la structure uniforme de l'espace-temps a un contenu géométrique. Afin de trouver une expression mathématique pour la loi de gravitation, Whitehead introduit une seconde métrique qui incarne le contenu physique. Cette métrique, dJ2, représente le champ gravitationnel d'une particule et décrit comment une particule pénètre son futur : La régulation des adjectifs d'apparence futurs par des adjectifs d'apparence passés s'exprime par cette distribution intermédiaire de caractère, indiquée par le passé et indiquant le futur. Cette distribution intermédiaire de caractère, je l’appelle le champ physique33.

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De manière similaire, dans PR le champ physique est défini comme l'entrelacement des particularités individuelles des occasions actuelles sur l'arrière-plan de la géométrie systématique34. Cette citation est particulièrement importante pour caractériser la structure à deux métriques de la théorie de la relativité de Whitehead et pour faire ressortir que le travail de Whitehead dans PR reflète la même position fondamentale d'une théorie à deux métriques que celle proposée dans R. Les « particularités individuelles des occasions actuelles » représentent les propriétés du monde physique contingent (dJ2), alors que « l'arrière-plan de la géométrie systématique » représente la métrique de l'arrière-plan uniforme de l'espace-temps (dG2).

3 . L'impac t d e l a th éo rie de la relati vité s ur l a pensée d u process Dans la Section 2 j'ai examiné le contenu explicatif de la théorie de la relativité de Whitehead, en mettant l'accent sur le rôle fondamental de la simultanéité et de la notion de gravité comme force réelle. Ayant esquissé le contenu explicatif de la théorie de Whitehead comme une alternative à la théorie d'Einstein, je pose maintenant la question : Quelles sont les conséquences de cette analyse dans le débat sur l'impact de la théorie de la relativité sur la pensée du procès ? Une illustration de cet impact concerne les doctrines temporalistes de Dieu, nom sous lequel on peut comprendre à la fois la position défendue par William Christian et par Lewis S. Ford, pour lesquels Dieu est une entité actuelle, et celle défendue par Charles Hartshorne et John B. Cobb, Jr., pour lesquels Dieu est une société d'occasions ayant un ordre personnel. Les doctrines de Dieu dans lesquelles les catégories temporalistes ne s'appliquent pas ne sont pas affectées par les paradoxes de la relativité. La discussion sur Dieu et la relativité s'est centrée sur la viabilité d'une définition de la simultanéité divine et des problèmes qu'implique une telle définition pour le théisme du procès. Les principaux intervenants dans le débat ont été John T. Wilcox, L. S. Ford et Paul Fitzgerald. Chacun de ces auteurs répond aux implications qui découlent du contenu explicatif de la théorie de la relativité d'Einstein, mais toutefois sans aucune mention de l'explication alternative de Whitehead. Le souci commun sous-jacent à la réponse de chacun d'eux peut être caractérisé par un énoncé de Fitzgzerald : Si nous admettons que la théorie de la relativité d'Einstein nous apporte quelque chose qui est proche de la vérité sur l'espace-

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temps [...] il nous faut alors nous assurer que toute forme de théologie du procès que nous acceptons soit en accord harmonieux avec elle (2:254). En partant des quatre modèles de réponse présentés dans la section I, on peut identifier le troisième modèle comme étant celui suivi par chacun de ces auteurs: ceux-ci ont cherché à rendre la théologie du procès conforme aux exigences du contenu explicatif de la théorie d'Einstein. Ce faisant, ils ont greffé la philosophie de la nature d'Einstein sur leurs racines whiteheadiennes. On est en droit de se demander si une telle greffe a quelque chance de survie. Avant d'aborder cette question, examinons le contexte einsteinien de leur approche, qui est visible dans la manière dont chacun de ces auteurs pose son problème : — Wilcox introduit le sujet en se référant au problème créé par la théorie de la relativité d'Einstein [...] selon laquelle dans certaines conditions il n'y a pas de signification physique unique du "simultané" (8:293). — Ford développe le problème en termes einsteiniens beaucoup plus vigoureusement et plus clairement que Wilcox : Tout le développement de la physique relativiste fait que la notion de système inertiel absolu n'a pas plus de signification que celle de centre absolu de l'espace-temps (3:130). — De façon similaire, Fitzgerald déclare que la relativité restreinte modifie nos concepts d'espace et de temps... elle implique la relativité de la simultanéité (2:252). Les doctrines temporalistes de Dieu semblent nier les découvertes de la théorie de la relativité d'Einstein lorsqu'elles affirment que l'expérience que Dieu a du monde instaure un certain système inertiel préférentiel ou une signification absolue de la simultanéité. Comme le demande Wilcox : Avec lequel de ces systèmes la connaissance de Dieu est-elle en accord ? Dieu utilise-t-il un certain système d'espace-temps unique, et les autres systèmes sont-ils faux ? (8:296) Ford étend la discussion amorcée par Wilcox et utilise les exigences de la relativité d'Einstein pour soutenir une interprétation de Dieu comme concrescence singulière durant à jamais, s'opposant ainsi aux vues développées par John Cobb dans A Christian Natural Theology, d'après

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lesquelles Dieu est une société persistante d'occasions actuelles ayant un ordre personnel. Que ce soit Ford ou Cobb qui ait raison, le but du présent essai n'est pas d'en décider, mais il faut reconnaître que dans la mesure où l'entité actuelle est temporelle, elle ne peut échapper aux problèmes soulevés par la théorie d'Einstein. Fitzgerald cherche à étudier de plus près « comment la temporalité du monde se reflète dans la nature conséquente de Dieu » (2:251). Il présente une série d'alternatives très intéressantes, les unes considérant Dieu comme une entité actuelle, et les autres le considérant comme une personne vivante. Il est clair que Wilcox, Ford et Fitzgerald opèrent dans le contexte de la théorie de la relativité d'Einstein. Et cependant, tous trois proclament leur attachement à la vision de la réalité de Whitehead. Mais Einstein et Whitehead sont-ils compatibles ? Peut-on greffer la philosophie de la nature d'Einstein, telle qu'elle s'incarne dans le contenu explicatif de sa théorie, sur la cosmologie de Whitehead ? Plutôt que de rendre conforme la pensée du procès aux exigences d'Einstein, n'aurait-il pas été plus approprié d'accepter la théorie de Whitehead comme une alternative philosophique ?

4 . Con clusio n Pour conclure cet essai, je décrirai trois domaines de conflit entre Einstein et Whitehead, de manière à clarifier les dangers jusqu'ici implicites que comporte le fait d'exiger de la pensée du procès qu'elle se conforme au contenu explicatif de la théorie d'Einstein. Mon raisonnement est le suivant : puisque le contenu explicatif de la théorie de Whitehead (c'est-àdire sa philosophie de la nature) est de même nature que sa dernière cosmologie, les philosophes et les théologiens du procès éviteraient de nombreux problèmes en travaillant dans le contexte de la théorie de la relativité correspondant à la philosophie de la nature de Whitehead. 4.1. Le rôle de l'Expérience (induction et déduction) Comme nous l'avons montré dans la section II, l'expérience est le maître mot de Whitehead dans son approche de la théorie de la relativité. Sa description de la simultanéité, sa conception de l'uniformité de la nature et celle des systèmes de temps alternatifs, ainsi que son principe de la symétrie cinématique, toutes ces positions exemplifient son recours à l'expérience directe, immédiate, de la nature. L'expérience est également la méthode centrale de son approche des problèmes métaphysiques. Comme il l'écrivait dans PR : Notre donné est le monde actuel, dans lequel nous sommes compris ; et ce monde actuel se déploie pour l'observation sous le

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couvert du thème de notre expérience immédiate. L'élucidation de l'expérience immédiate est la seule justification de toute pensée, et le point de départ de la pensée est l'observation analytique des composants de cette expérience35. A l'opposé, les principes-clés fondateurs de la théorie d'Einstein — la constance de la vitesse de la lumière et le principe d'équivalence — sont des postulats qui sont des créations libres de l'esprit et qui ne sont pas accessibles à l'expérience immédiate. L'épistémologie d'Einstein minimise le rôle de notre expérience en acte. On peut noter le parfum kantien de la citation suivante, et la comparer à celle de PR ci-dessus : L'Etre est toujours quelque chose qui est construit mentalement par nous, c'est-à-dire quelque chose que nous posons librement (au sens logique). La justification de tels construits ne réside pas dans leur dérivation de ce qui est donné par les sens (7:669). 4.2. La théorie de la perception Whitehead soutient une théorie de la perception à deux modes, mettant en jeu l'interrelation de l'efficacité causale et de l'immédiateté présentationnelle, décrite sous le nom de référence symbolique. Cette théorie de la perception à deux modes représente la solution que donne Whitehead à l'inadéquation d'autres théories de la perception, et plus spécialement de celle de Hume. Il faut rappeler que l'immédiateté présentationnelle n'est pas simplement la projection de propriétés dérivant de l'efficacité causale, sur des régions du monde contemporain. L'immédiateté présentationnelle décrit plutôt l'expérience vive des relations d'extension de la région contemporaine. Whitehead nous donne un exemple concret de ce qu'il entend par là, lorsqu'il écrit : Si nous contemplons une nébuleuse distante d'un millier d'années-lumière, nous ne regardons pas mille ans en arrière36. Whitehead montre au contraire que nous faisons l'expérience d'une région immédiate de l'espace extérieur. Je pense que cet aspect de l'immédiateté présentationnelle a été sous-évalué par beaucoup de commentateurs whiteheadiens. En termes whiteheadiens, la faiblesse de la théorie de la mesure d'Einstein est qu'elle limite la perception à un unique mode — l'efficacité causale : — Pour Einstein, la seule connaissance que nous ayons se limite à notre prise de conscience du monde comme causalement passé. Ce point est négligé dans la plupart des débats sur les soi-disant paradoxes de la relativité de la simultanéité. Pour Einstein, les problèmes de simultanéité

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dans le monde contemporain ne peuvent être analysés qu'après le fait — après que les événements du monde contemporain soient entrés dans le passé causal. — Les philosophes du procès, s'ils acceptent l'interprétation einsteinienne de la relativité et sa définition opérationnaliste correspondante de la mesure, devront développer une théorie adéquate de la perception venant remplacer ou modifier l'analyse de Whitehead selon les deux modes. 4.3. La doctrine de la causalité La différence entre les explications respectives d'Einstein et de Whitehead de la nature de la causalité est exemplifiée par la différence de leurs descriptions de la nature des forces gravitationnelles : — La théorie de Whitehead (cf. Fig. 1) prévoit qu'un événement du passé (P) se répand (pervades) dans son futur. On peut décrire cet événement comme ayant « un pied dans deux camps, car il représente la propriété du futur en tant que celui-ci est incarné dans le passé »37. Cette interprétation physique de la gravité permet à Whitehead de parler concrètement de l'influence causale du passé sur le futur. Il est légitime de voir dans cette description de la gravité la préfiguration de la théorie des préhensions de Whitehead (en particulier des sentirs physiques simples) telle qu'il la développera dans sa dernière pensée. Décrivant l'expérience du degré le plus simple d'une entité actuelle, Whitehead écrit : L'expérience a un caractère vectoriel, une mesure d'intensité commune, et des formes spécifiques de sentirs transmettant cette intensité. Si nous substituons le terme énergie au concept d'intensité émotionnelle quantitative, et l'expression formes d'énergie au concept de forme spécifique du sentir, et si nous rappelons qu'en physique le terme vecteur signifie une transmission déterminée en provenance d'ailleurs, nous voyons que cette description métaphysique des éléments les plus simples de la constitution des entités actuelles s'accorde absolument avec les principes généraux selon lesquels sont structurées les notions de la physique moderne38. 2° La théorie d'Einstein, en contraste avec l'interprétation physique de la gravité de Whitehead, soutient une interprétation géométrique impliquant la courbure gauchie de l'espace-temps. Dans sa théorie de la Relativité Restreinte, Einstein, c'est bien connu, nie le statut ontologique de l'éther. Mais nous devons avoir en mémoire que dans sa Théorie Généralisée, Einstein changea de position et réintroduisit un espace-temps ayant des qualités physiques et la capacité ontologique d'être agissant : les propriétés

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de la courbure de l'espace-temps sont la cause du déplacement des objets sur certaines trajectoires géodésiques. Selon le Principe ontologique de Whitehead, seules les entités actuelles peuvent être agissantes : les entités actuelles sont les seules raisons. Il semble douteux dans ces conditions qu'un philosophe du procès puisse accepter l'affirmation d'Einstein selon laquelle un espace-temps (constitué d'éléments géométriques) puisse agir, à moins que ce philosophe veuille bien abandonner la théorie relationniste de l'espace-temps et réinstaurer l'espace-temps comme entité. Ces trois domaines de conflit entre le contenu explicatif (et par suite entre les positions métaphysiques) d'Einstein et de Whitehead nous avertissent de ne pas accepter trop vite les principes de l'interprétation de la relativité d'Einstein sans évaluer au préalable leur impact sur la structure de base du schème cosmologique de Whitehead. Ce point peut être généralisé de manière à y inclure la relation entre une théorie scientifique quelconque et un système philosophique. Nous ne devons pas absolutiser une théorie scientifique particulière comme étant « vraie ». Nous devons plutôt évaluer le contenu explicatif de cette théorie et nous demander s'il incarne une philosophie de la nature adéquate et cohérente. Ayant cet avertissement à l'esprit, je pose à nouveau la question : « Peuton greffer la philosophie de la nature d'Einstein sur nos racines whiteheadiennes ? Je réponds : « Non, à moins de vouloir retravailler le système de Whitehead en des points très critiques tels que son utilisation de l'expérience, sa théorie de la perception, et sa doctrine de la causalité.» Nous devrions plutôt nous efforcer d'arriver à une appréciation critique de la théorie de Whitehead et de la comprendre comme une alternative philosophique à la théorie d'Einstein. Les philosophes du procès devraient ensuite réexaminer le résultat de l'impact de la théorie de la relativité sur la pensée du procès à la lumière de la théorie de la relativité propre à Whitehead.

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R éférenc es bi bliog raphiqu es 1. CAPEK, Milic. The Philosophical Impact of Contemporary Physics. New York : Van Nostrand Reinhold, 1961. 2. FITZGERALD, Paul. “Relativity Physics and the God of Process Philosophy”. PS 2/4 (Winter, 1972), 251-76. 3. FORD, Lewis S. “Is Process Theism Compatible with Relativity Theory ?” Journal of Religion, 47/2 (April, 1968), 124-35. 4. LLEWELLYN, Robert R. Alfred North Whitehead's Analysis of Metric Structure in Process and Reality. Unpublished dissertation, Vanderbilt, 1971. 5. LLEWELLYN, Robert R. “Whitehead and Newton on Space and Time Structure”. PS 3/4 (Winter, 1973), 249-58. 6. PALTER, Robert. Whitehead's Philosophy of Science. Chicago : University of Chicago Press, 1960. 7. Schilpp P. A. Albert Einstein : Philosopher-Scientist. La Salle, Illinois : Open Court, 1949. 8. WILCOX John T. “A Question from Physics for Certain Theists”. Journal of Religion, 40/4 (October, 1961), 293-300.

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N otes 1

D. R. Fowler, « Whitehead's Relativity Theory », Process Studies 5 : 3, 1975 ; cf. . H. Vaillant, ingénieur, est membre de l’Association pour le Développement de la Philosophie du Procès. 2 Une bonne discussion de la défense galiléenne du système copernicien est donnée par James Brophy et Henry Paolucci (eds) dans The Achievement of Galileo (New Haven: College and University Press, 1962). 3 Une distinction semblable est faite par Paul Feyerabend dans sa réponse à Thomas Kuhn. Feyerabend parle de la « composante normale » et de la « composante philosophique » par opposition à l'examen que fait Kuhn de la science normale et des périodes de révolution. Le point important est que les deux composantes existent simultanément et sont en interaction constante. Voir l'article de Paul Feyerabend Les consolations du spécialiste, dans l'ouvrage collectif Criticism and the Growth of Knowledge, édité par Imre Lakatos et Alan Musgrave (London : Cambridge Univ. Press, 1970), pp. 197-230. 4 Le principe de falsification de Karl Popper exemplifie ce point de vue. On trouvera sa discussion du critère de démarcation dans Conjectures and Refutations (New York : Harper and Row, 1963), p. 253 sq. 5 Bien que je mette l'accent sur R, les autres ouvrages : CN et PNK sont également importants dans la formation de la théorie de la relativité de Whitehead. Ces deux derniers ouvrages s'intéressent essentiellement à la première métrique de sa théorie. 6 Cette tâche est importante, la théorie de Whitehead étant empiriquement et mathématiquement équivalente à celle d'Einstein, dans la mesure où toutes deux aboutissent à la métrique de Schwartzchild, comme l'a montré Sir A.S. Eddington dans A comparison of Whitehead's and Einstein's Formulae (Nature, 113, 1924, 192). Un groupe de physiciens a objecté que la théorie de Whitehead est inadéquate en ce qui concerne sa prévision des marées (geotidal effects). Pour une présentation vulgarisée de leur travail, on pourra consulter Clifford M. Will, Einstein on the Firing Line, dans Physics Today, 25 (Oct. 1972), 23-29 ainsi que les deux essais parus dans PS 4:4 (hiver 1974), 285-90. 7 Cf. PNK, p. 53. Les arguments sont les suivants : (1) Einstein donne aux signaux lumineux une place trop prédominante dans notre vie ; (2) Il existe d'autres moyens d'envoyer des messages ; (3) Einstein ne tient pas compte de l'accord, au sein d'un unique système de temps, de la signification de la simultanéité. 8 CN, p. 53. Nous soulignons. 9 PR, p. 311. 10 PR, p. 168. Peut-être Whitehead aurait-il dû mentionner dans sa définition les « lieux de tension » (strain loci) de manière à mettre l'accent sur la signification géométrique de l'immédiateté présentationnelle. Les lieux de tension donnent lieu à la géométrie systématique, tandis que les durées partagent « le défaut d'homologie caractéristique du champ physique qui naît des particularités des événements actuels. » PR, p. 128. 11 PR, p. 324. Dans mon examen de l'immédiateté présentationnelle, j'ai mis l'accent sur l'« extensivité ». Trop d'études de l'immédiateté présentationnelle négligent cet aspect et se centrent seulement sur le rôle de l'immédiateté présentationnelle comme projection

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du passé causal sur le monde contemporain. En la limitant à ce rôle, on sape à la base la théorie whiteheadienne des deux modes de perception. 12 PR, p. 312. 13 CN, p. 109. 14 Dans le cadre de la théorie de la relativité restreinte, la doctrine des systèmes de temps différents serait acceptable par Einstein. La signification de l'expression de Whitehead (que sa doctrine serait inacceptable par Einstein) n'est apparente qu'en fonction de la divergence de leurs théories de la gravitation. Pour Whitehead, l'existence de systèmes de temps différents constitue la base de la structure uniforme de l'espacetemps. Pour Einstein, il n'y a qu'une seule structure de l'espace-temps, qui varie en fonction de la présence de matière. 15 R, p. 69. 16 CN, p. 111. 17 PR, p. 125. 18 CN, p. 117. NdT : cité par G. Hélal, p. 174. 19 Les équations d'Einstein de la théorie générale se réduisent à la théorie restreinte lorsque la masse est nulle. Il convient donc de considérer la théorie restreinte comme décrivant la structure de l'espace-temps en l'absence de matière. La matière déforme cette structure d'espace-temps uniforme, en produisant un espace-temps courbe. Pour cette raison, l'interprétation géométrique semble mieux convenir à la fois à la théorie restreinte et à la théorie généralisée. 20 Le fait que l'uniformité ne s'applique qu'à la connaissance par relationalité a été négligé par de nombreux interprètes de la théorie de la relativité de Whitehead — en particulier par Synge et Will. Le champ gravitationnel et la propagation de la lumière sont tous deux des aspects du monde physique contingent et par conséquent ne sont pas nécessairement uniformes. En outre, la différenciation de l'uniformité (géométrique) et de la contingence (physique) est parallèle à la différence d'accent entre PNK, CN et R. Dans ces deux premiers livres, Whitehead s'intéressait essentiellement à la nature de l'uniformité telle qu'elle était exprimée par la première relation métrique dG2. Dans R, Whitehead déplace ses considérations de la géométrie à la physique. Par conséquent, R est une analyse des relations de la nature physiquement contingentes, qui sont exprimées dans les termes de la seconde métrique dJ2. Il est à remarquer que le mouvement de l'uniformité à la contingence correspond à un mouvement qui passe de l'analyse de la région contemporaine à une analyse de la relation entre le passé et le futur. 21 R, p. 83. Ital. du traducteur. 22 PNK, p. 141. 23 Einstein a un principe semblable : si les vitesses n'étaient pas réciproques, la vitesse de la lumière dans des cadres de référence différents serait différente. 24 En fait, la mesure dans la direction transversale n'est pas affectée par le mouvement. 25 Beaucoup d'auteurs soutiennent que la première métrique, dG2, définit une géométrie première. Si « première » signifie que la géométrie et la physique sont séparées dans la théorie de la relativité de Whitehead, alors leur interprétation est exacte. Cependant, « première » implique habituellement davantage. Misner et ses collaborateurs, par exemple, établissent que la géométrie première de la théorie de Whitehead conduit à sa

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réfutation (disconfirmation), puisque la métrique plane de base (dG2) influence la propagation des forces gravitationnelles. (voir Misner, Thorne et Wheeler, Gravitation, San Francisco : Freeman and Co, 1973, p. 430). Tandis qu'il est vrai que la formule mathématique de Whitehead requiert cette restriction dans la propagation des forces gravitationnelles (et par suite, que la formule est falsifiée), cette restriction n'est pas exigée par sa philosophie de la nature, qui est bâtie sur la séparation de la géométrie et de la physique. Le conflit entre la formule et le contenu explicatif de la théorie peut être apaisé si nous clarifions les intentions de Whitehead. La première métrique définit les relations géométriques, la seconde les relations physiques. Whitehead admet que si « espace » signifie espace physique, alors l'espace physique est déformé de manière contingente. Whitehead exprime cette idée lorsqu'il déclare que « si l'espace-temps est une relationalité entre objets, il partage la contingence des objets, et on peut s'attendre à ce qu'il acquière une hétérogénéité à partir du caractère contingent des objets » R, p. 58. Notons que les relations physiques entre événements créent des objets physiques qui persistent dans le temps. Un second point peut éclairer davantage le cas de la géométrie première dans la théorie de Whitehead. Dans R, Whitehead fait la corrélation entre la métrique dG2 et les éléments cinématiques plutôt qu'une géométrie fondamentale (voir R, p. 78, 81, et 87). Je pense que la distinction entre relations géométriques et relations physiques, et la corrélation de la première métrique avec les « mesures abstraites du procès spatio-temporel » (R, p. 87) indiquent que dans R, Whitehead a déjà fait la distinction entre l'espace physique et le continuum extensif qui caractérise sa manière de traiter ces questions dans PR. 26 La différence entre les approches d'Einstein et de Whitehead peut être caractérisée comme la différence entre une approche de la science fondamentalement déductive chez Einstein, et inductive chez Whitehead. On trouvera une étude de l'induction chez Whitehead dans l'article d'Ann Plamondon, Metaphysics and « Valid Inductions », PS 3/2 (été 1973), pp. 91-99. 27 Dans R, Whitehead traite de la propagation des forces gravitationnelles suivant des lignes droites. Toutefois, dans sa philosophie de la nature, on ne trouve aucune exigence d'une telle propagation. En fait, en tant que contingence physique, la route de propagation pourrait être gauchie de manière contingente. 28 J. L. Synge, The Relativity Theory of A.N. Whitehead (Lecture Series 5, Institute for Fluid Dynamics and Applied Mathematics, University of Maryland, 1951), p. 6. 29 Whitehead définit le lieu de tension (strain locus) comme le lieu qui donne naissance à « la géométrie systématique, avec son homologie des relations à travers toutes ses régions » PR, p. 128. 30 NdT : Whitehead mentionne lui-même dans une note de PR, p. 128, que « dans CN ces deux lieux n'étaient pas distingués ». On pourrait mentionner ici l’ouvrage de Stephen T. Franklin Speaking from the Depth, Eerdmans Publishing Company, Michigan, 1990 (notre traduction : Parler depuis les profondeurs, La métaphysique herméneutique de Whitehead des Propositions, de l’Expérience, du Symbolisme, du Langage et de la Religion d’A.N. Whitehead), dans lequel il analyse avec précision et détails le continuum extensif et les lieux de tension dans Procès et Réalité. 31 Ndt : souligné par nous. 32 Pour Einstein, le futur causal signifie tout l'hypervolume situé à l'intérieur du cône de lumière futur. Whitehead appelle cette même région le « futur cinématique ». R, p. 30.

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R, p. 71. PR, p. 333. 35 PR, p. 4. 36 PR, p. 324. 37 R, p. 75. 38 PR, p. 116. 34

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La bifurcation du sujet dans le paradigme scientifique whiteheadien Luca Gaeta1

1 . L’ép urati on d es enti tés « bifu rqu ées » En écrivant PNK, Whitehead se propose l’élaboration de sa méthode de l’abstraction extensive, par laquelle les propriétés de l’espace et du temps découlent d’une relation d’extension opérant entre les événements. Cependant une deuxième relation, dite de « cogrédience » (cogredience), devient nécessaire pour achever le dessin théorique2. Il y a apparemment des raisons « logiques » qui justifient l’introduction de la relation de cogrédience, dont les termes sont l’événement percevant (percipient event) et la durée (duration), dans la méthode de l’abstraction extensive. Whitehead ne renonce pas aisément au monisme relationnel qu’il avait défendu dans les ébauches de sa méthode, données dès 1905 avec le mémoire MCMW. Néanmoins, à l’époque de PNK, la logique est devenue à ses yeux un outil par lequel l’analyse de la sensibilité se réalise de façon rigoureuse. Lorsqu’il lui faut un procédé pour établir la liaison entre les espaces-temps perçus par plusieurs observateurs, Whitehead doit reconnaître qu’il a négligé la spécificité de ce genre d’événement qu’est le (sujet) percevant et surtout sa relation intrinsèque avec la durée. La position absolue de l’événement percevant dans la durée, à savoir leur cogrédience, va donner l’appui nécessaire pour sauvegarder la notion du monde apparent à des sujets hypothétiques, ce monde « d’ordinaire conçu comme unique»3. En même temps qu’il introduit la nouvelle relation, Whitehead va poser la question du sujet de la connaissance naturelle. Quoi qu’il en soit, au début de PNK, Whitehead aborde la question de l’esprit d’une façon réaliste. Sa critique tranchante du mécanisme pousse la science vers le renoncement à la bifurcation de la nature. La crise de l’objet matériel entraîne, selon lui, la crise d’un certain paradigme cognitif: celui des propriétés sensibles ajoutées par l’esprit à la nature. La connaissance naturelle donnée par la sensation n’a pas besoin des facultés mentales pour aboutir. Dans le tout révélé par la sensibilité il y a des relations et des permanences observables. La nature, dans son devenir, n’a pas besoin de l’esprit pour montrer sa cohérence. Avec la critique du mécanisme tout ce qu’il y a d’absolu dans les notions d’espace, de temps et de matière s’évanouit dans le processus relationnel des événements. Est-ce qu’il en est de même pour le sujet de la connaissance ? En effet l’épuration whiteheadienne s’en tient dans les bornes de la nature. Son adversaire est toujours la bifurcation de la nature. Le sujet échappe-t-il à l’épuration des entités bifurquées ?

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Malgré son refus de mêler la métaphysique avec la philosophie de la science, Whitehead suppose partout, dans PNK, que l’esprit et la nature soient des réalités différentes. L’esprit n’est pas dans la nature, sinon indirectement. Dans la nature il n’y a que son sensorium, à savoir l’événement percevant. Peut-être que la séparation entre la nature et l’esprit soit nécessaire pour la philosophie de la science? Ou plutôt s’agit-il d’une compromission métaphysique et d’une bifurcation irrésolue? On dirait que la crise de l’objet matériel doit comporter aussi bien la crise du sujet panoramique, immatériel, platonicien auquel ressemble l’esprit à cette époque de la réflexion whiteheadienne. Dans cette étude, je vais discuter la notion du sujet de la connaissance telle qu’elle se déduit dans les premiers ouvrages épistémologiques de Whitehead. J’avancerai l’hypothèse que l’analyse de l’abstraction nous permet d’aborder la question du sujet sans franchir les limites du discours sur la nature, c’est-à-dire sans besoin d’introduire des divisions dans la réalité. Enfin, j’irai à la recherche des raisons qui justifient la bifurcation du sujet dans le paradigme épistémologique whiteheadien, là où la défense d’une position réaliste d’avantgarde révèle les traces d’une ancienne métaphysique du langage dont l’influence sur Whitehead était puissante.

2 . Le kal éid oscop e d u suj et métaph ysiqu e Whitehead suppose dans CN que la nature n’absorbe pas la réalité4. L’esprit, en particulier, existe en dehors de ce système de la nature que lui est présenté par la sensation du corps. Dans la première partie du livre, la sensation (senseawareness) est définie comme « une relation de l’esprit avec la nature »5. Le processus de l’esprit et celui de la nature sont les termes d’une relation asymétrique de connaissance, car la nature ne connait pas l’esprit. Dans le développement du texte, l’événement percevant est introduit à la manière de PNK. Il s’agit d’un acte d’appréhension situé dans une durée. L’événement percevant occupe une position absolue dans la durée immédiatement présente. À savoir, cette position ne relève pas du rapport de l’événement percevant avec les autres événements couverts par la durée. Loin de se situer dans une extension donnée, l’événement percevant crée le point de vue à partir duquel se construit cette extension. La position absolue de l’événement percevant dans la durée rend possible la notion relationniste de repos, et donc la comparation des systèmes spatiotemporels associés à différents observateurs. Mais l’importance de l’événement percevant est beaucoup plus grande. Son lien étroit avec la durée crée la condition suffisante pour la signifiance (significance) de la nature observée. La connaissance sensible, toujours partielle, renvoie symboliquement au tout de la nature observable. La connaissance se prend pour la partie découpée d’un tout connecté, dont les relations sont homogènes et dont les propriétés varient de

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façon uniforme. La différence entre l’observé et l’observable se révèle à partir du corps conçu comme coïncidant avec une temporalité épaisse. Whitehead laisse tomber des signes révélateurs à propos de l’événement percevant. Parfois il écrit qu’il s’agit du corps vivant6, de la vie corporelle d’un esprit incarné7, du locus standi pour l’esprit impliqué dans la perception8. Il rend intuitif le sens compliqué d’un foyer toujours présent dans l’appréhension de la nature, un foyer « ici-présent » auquel la nature ne cache rien quoiqu’elle se révèle dans une perspective privée. Ce foyer vivant est ancré au passage de la nature. Il fait partie de son passage. Donc il passe et ne revient jamais. Et pourtant l’événement percevant est le lieu où la connaissance fait des pas décisifs. La délimitation et l’articulation du fait total de la nature en facteurs discernables, soit signifiants soit signifiés, s’opèrent au niveau de l’événement percevant. On y trouve l’appréhension des relations d’extension entre les événements, dont découlent l’espace et le temps. On y trouve la reconnaissance des objets sensibles, dont découle toute notion de permanence dans la nature. Ces sont des activités que l’on pourrait aisément attribuer à une sorte de sujet de la sensation, dépourvu des facultés de jugement. En effet Whitehead écrit, dans The Principle of Relativity, que la sensation serait la conscience une fois dépouillée de conceptions logiques, esthétiques et morales9. Avec sa réforme des principes de la connaissance naturelle, Whitehead a tout le mérite d’avoir situé la perception à l’intérieur de la nature et d’avoir donc affirmé la condition radicalement perspective de l’observateur à l’égard de la nature. Cependant ce résultat méritoire a son coût, c’est-à-dire le risque de reproduire la bifurcation du côté de l’observateur. Selon le point de vue épistémologique défendu par Whitehead nous avons l’indépendance de l’esprit et de la nature, mais nous avons aussi l’inclusion de l’événement percevant dans la nature. Voici le risque de la bifurcation entre un sujet pensant qui ne perçoit pas et un sujet percevant qui ne pense pas. L’esprit est doué, au moyen de l’événement percevant, d’un kaléidoscope plongé dans la nature.

3 . Pens er au tremen t l’ évén emen t p erc evan t Le risque de la bifurcation du sujet de la connaissance menace la cohérence de l’épistémologie whiteheadienne. Au-delà des solutions métaphysiques des années suivantes, l’épistémologie en soi est douteuse si le sujet de la connaissance naturelle est double dans un paradigme qui refuse la bifurcation et pour qui « la nature est fermée à l’esprit »10. Le percevant devient une partie véritable du passage de la nature, sauf que ses émotions et son jugement sont ailleurs, c’est-à-dire dans l’esprit. La synthèse métaphysique de l’esprit et de la nature n’est pas la solution convenable. Or, je crois que la théorie whiteheadienne de l’abstraction montre elle-même des possibilités pour atteindre la simplification de ce problème cognitif. En effet,

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la critique de la bifurcation de la nature est menée de telle façon qu’elle suggère la réduction de l’événement percevant en limite d’une relation abstractive dans la durée. Avec une réduction pareille, on pourrait écarter le caractère spécial de l’événement percevant, son unicité parmi les événements de la nature. Je vais maintenant élaborer cette hypothèse à grands traits. Pour simplifier la notion du percevant il faut chercher une relation abstractive dans la durée. Non pas la relation d’extension, car nous savons déjà qu’elle conduit à l’abstraction du moment, une durée instantanée. La cogrédience, à première vue, n’a pas le caractère d’une relation abstractive. De plus, elle est la liaison entre la durée concrète et le percevant: donc la notion à simplifier serait présupposée. Que reste-t-il à utiliser ? Whitehead introduit, soit dans PNK soit dans CN, la différence entre la nature observée et la nature observable11. La nature observée est contenue effectivement dans la durée présente, tandis que la nature observable est révélée par les « bords effrangés » de la durée. Ainsi la nature observée entretiens une relation de signifiance avec la nature observable. Cette relation de signifiance nous intéresse beaucoup pour son caractère abstractif. Elle représente la puissance abstractive dans la durée concrète. Il faudrait évidemment discuter longtemps à propos de la relation de signifiance. Il faudrait retrouver ses propriétés abstractives, selon la méthode whiteheadienne, parmi les usages du sens commun aussi que de la science. Je vais pourtant négliger l’examen préalable des prémisses pour fixer l’attention sur les conséquences potentielles de la relation envisagée. Si la durée est capable d’une inépuisable signifiance, Whitehead ne considère que sa signifiance, pour ainsi dire, extrovertie. La durée présente signifie des événements qui se passent au-delà de la totalité observée. Ajoutons alors l’hypothèse selon laquelle une signifiance est possible même à l’intérieur de la durée. À savoir la durée signifie de façon abstractive, en deçà de la totalité observée, l’événement de l’observateur. Celui-ci est la limite d’un processus d’abstraction, une limite cogrédiente avec sa durée abstractive. Il fait partie du passage de la nature, quoiqu’il ne soit pas observé dans la durée. Il demeure dans l’observable. Dans ce cas, on dirait que la durée s’étale naturellement d’une façon perspective. Les effets les plus remarquables d’une configuration perspective de la durée sont, à la fois, l’abstraction d’uniformité de la nature dans l’espacetemps aussi que l’abstraction du sujet de la connaissance naturelle, ce dernier coïncident avec le foyer. L’un des termes abstraits de la relation de signifiance est le point de vue, c’est-à-dire le véritable « principe d’individuation » de l’observateur dans l’univers relativiste. L’abstraction du point de vue signifié par la durée remplace la postulation de l’événement percevant dans le paradigme scientifique whiteheadien à mesure que la relation de signifiance fait du percevant une possibilité continue et toujours multiple dans la durée. La

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perception, autrefois pur miroir, devient une concentration spontanée de la durée dans le déroulement de l’action. En conséquence, l’ouverture du procès de la nature à la sensation perd beaucoup de son mystère : il s’agit à peu près d’une clause de cohérence.

4 . La répons e d e Whi tehead devan t l e sphi nx Dans le cours des recherches épistémologiques, Whitehead a traité la notion du sujet d’une façon contraire à son attitude générale, qui vise à éviter la bifurcation. Est-ce qu’il y a des raisons proprement philosophiques qui justifient la division entre l’esprit et le percevant ? Pourquoi Whitehead n’a pas poussé jusqu’au fond sa critique de la bifurcation ? Parmi les pages de The Principle of Relativity il y a des éléments forts intéressants pour aborder cette question. Dans le deuxième chapitre, après une esquisse du relationnisme de la nature, Whitehead aborde une objection qu’il considère très sérieuse. Admettons qu’un facteur de la nature ne soit pas lui-même en dehors des relations qu’il entretient avec les autres facteurs. Il s’agit d’un axiome de la théorie relationniste. Dans ce cas, l’affirmation d’une vérité quelconque, concernant une entité, comporterait la considération de ses relations avec toutes les entités de la nature. La vérité en question s’exprimerait au seul moyen d’une proposition infinie, donc aussi impossible à comprendre qu’à juger. En bref, pour la théorie relationniste «une ignorance quelconque signifie la plus complète ignorance »12. Le sphinx de la vérité surgit devant Whitehead avec le masque du logicisme russellien. Sa réponse part de la distinction entre les relations essentielles et contingentes qu’un facteur entretient avec les autres. Les relations essentielles assurent la finitude du facteur dans le fait total de la nature. Il s’agit toutefois d’une réponse partielle, car les relations essentielles sont innombrables. Qu’est qu’il y a dans leur caractère pour justifier une marge d’ignorance dans l’affirmation d’un jugement scientifique ? Selon Whitehead, le caractère qu’autorise le jugement c’est l’uniformité de la signifiance d’un facteur dans la nature. Dans le cas d’un événement il s’agit avant tout de l’uniformité des relations spatio-temporelles qu’il entretient avec les autres événements. Mais la doctrine de la signifiance est tout à fait générale. Elle est valable autant pour les objets que pour les durées. Whitehead a donc fondé sa réaction à l’objection logiciste sur la notion de signifiance uniforme. Dans ce caractère d’uniformité, à bien y regarder, réside toute la puissance abstractive de la signifiance. Pas de surprise, alors, si la même page de The Principle of Relativity contient des remarques sur Einstein. Le désaccord entre Whitehead et le physicien allemand porte sur la structure de l’espace-temps. Pour Whitehead celle-ci résulte de relations immédiatement perçues de tout à partie, relations qui renvoient à des relations ultérieures sans solution de continuité. L’espace et le temps sont complètement connus dans une partie quelconque de leur

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ordonnance. Leur homogénéité structurelle pousse les droits de la connaissance au-delà de la présentation sensible. Au contraire, Einstein suppose l’hétérogénéité de l’espace-temps à cause de relations contingentes entre les entités physiques. Sa notion d’un espace-temps localement variable, dont la corrélation serait possible au moyen de l’opération de mesure, fait du relationnisme un caractère extrinsèque de la nature, connu dans l’expérience de laboratoire. Au fond, Whitehead conteste à son contemporain la notion naïve d’un univers relativisé où le sujet de la connaissance ne serait pas lui-même radicalement impliqué. Il ne suffit pas de dérober le sol sous les pieds du sujet newtonien s’il ne manque pourtant pas de poser la nature devant lui en guise d’objet. L’épistémologie doit d’abord rappeler le sujet à la conscience de sa condition perspective. Ce but fondamental, couplé avec l’exigence de sauvegarder l’autonomie du discours philosophique sur la nature, explique partiellement l’arrêt de Whitehead sur le seuil d’une critique radicale de la notion du sujet. L’effort de remettre l’entrée en scène de la métaphysique provoque le ménage difficile de l’esprit et de la conscience sensible.

5 . Dans l e c erc le d’ Aristote À l’époque des premiers ouvrages épistémologiques, Whitehead pense que la position absolue du corps dans la durée n’est un aspect nécessaire de la perception. Il s’agit d’un fait empirique causé par la finitude humaine. Les perceptions d’un archange, dit-il au cours d’une conférence13 en 1922, n’ont pas de référence à son corps, car l’archange n’a pas de corps. La sélection par l’archange des relations observée dans la nature se fait selon un principe différent. La croyance de Whitehead dans l’autonomie du passage de la nature est aussi forte que sa croyance dans l’autonomie de l’esprit. La perception est la relation entre l’esprit et la nature, mais cette relation n’a pas dans le corps son moyen nécessaire. Le réalisme whiteheadien regarde aussi la nature que l’esprit. Dans la même conférence, Whitehead aborde les thèses de Berkeley, qu’il considère comme le rempart de l’idéalisme. Ce courant philosophique affirmerait que toute conception de la réalité nécessite d’une référence au processus spirituel dans ses formes particulières. Berkeley a contribué à renforcer cette position avec la subordination du destin de la sensation à celui de l’observateur spirituel. Or, Whitehead souligne l’importance d’arrêter Berkeley au début. Une fois admise l’identification subreptice de l’observateur avec l’esprit il n’y a plus d’espoir pour les réalistes. Suivons donc la ligne de ses argumentations. Avec sa critique de la perception, Berkeley a réfuté le modèle de la substance et des attributs. Ce modèle, c’est-à-dire l’utilisation d’une relation binaire pour exprimer les jugements perceptifs, serait une conséquence abusive de la logique

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propositionnelle d’Aristote. La relation de la substance et de l’attribut dans la perception aurait pris sa forme de la relation du sujet et du prédicat dans la proposition. Mais Berkeley lui-même, selon Whitehead, est resté soumis à l’influence d’Aristote. Il n’a pas compris que la relation binaire n’est pas la seule des relations possibles, qu’il y a aussi des relations entre plusieurs termes, et que celles-ci suffisent pour exprimer les jugements perceptifs. Avec la primauté des relations binaires la solution idéaliste devient presque inévitable. À l’aide des relations à plusieurs termes, Whitehead franchit l’obstacle de l’identification de l’observateur avec l’esprit. La position réaliste à l’égard de la nature prend de l’assurance grâce au secours relationniste. Cependant le cercle d’Aristote n’est pas brisé. L’épistémologie whiteheadienne perpétue la présupposition d’un isomorphisme entre la nature et le langage. À la place des qualités sensibles et du vieux syllogisme s’avancent les événements et la logique mathématique, mais la certitude qu’il y ait une correspondance entre les domaines de l’expérience et du discours n’est pas mise en cause. Le cercle d’Aristote, ou plutôt le cercle de l’écriture philosophique, laisse parfois sortir des interrogatifs sur les conditions nécessaires pour que la correspondance soit valable entre les deux domaines14. Mais l’idée que la correspondance elle-même, c’est-à-dire la distinction du signifiant et du signifié, puisse retrouver son origine dans la pratique de l’écriture alphabétique (ou mieux algébrique) n’a pas de sens pour Whitehead. Et pourtant l’autonomie et la correspondance de l’esprit et de la nature dans l’épistémologie whiteheadienne ressemblent des reflets loin et affaiblis de la fissure provoquée (et dissimulée) par le geste de l’écriture d’Aristote.

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N otes 1

Università degli Studi di Milano. « The book is dominated by the idea that the relation of extension has a unique preeminence and that everything can be got out of it. During the development of the theme, it gradually became evident that this is not the case, and cogredience had to be introduced. » (PNK, note II, p. 202). 3 A. N. Whitehead, « La théorie relationniste de l’espace », Revue de métaphysique et de morale, 23, 1916, p. 424. 4 Cf. CN, pp. 3-5. 5 Ibid., p. 67. 6 Ibid., p. 55. 7 Ibid., p. 107. 8 Ibidem. 9 Cf. The Principle of Relativity, p. 20. 10 CN, p. 4. 11 Cf. PNK, p. 12 ; CN, pp. 49-51. 12 The Principle of Relativity, p. 22. 13 A.N. Whitehead, « The philosophical aspects of the principle of relativity », Proceedings of the Aristotelian Society, 22, 1921-1922, pp. 215-223. 14 Notamment dans la préface et dans la première partie de MCMW. 2

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1 . Interpreti ng Whi tehead Whitehead's views about time in Process and Reality are complex and obscure. In comparing "the 'classical' and the 'relativity' view of time," he said: "I shall always adopt the relativity view" (PR 66). 2 But he also held an "epochal theory of time" (PR 68). And his views about time involved his theory of extension, for "the extensiveness of time is," he remarked, "really the temporalization of extension" (PR 289). Nevertheless, underlying the labyrinths of relativity theory, the epochal theory, and the theory of extension, a comparatively elementary metaphysical theory of time can be found in his categoreal scheme, or so I shall argue in this paper.3 In studying Whitehead's philosophy of time, I want to avoid a cul-de-sac in reading Process and Reality — namely, seizing upon what he said rather than what he meant. It is greatly misleading to be guided simply by passages containing words such as "time" and "temporal". In the Preface, he announced that the book does not contain a "detached consideration of various traditional philosophical problems" (PR xii). "For example," he continued, "the doctrines of time, of space, of perception, and of causality are recurred to again and again" (PR xii). In accordance with this nonlinear procedure, passages overtly about the topic of time are dispersed in several chapters. Nonetheless, it is essential to realize that there are passages pertinent to his philosophy of time in which words such as "time" and "temporal" do not appear. In the same paragraph in the Preface, he declared that he intended in Process and Reality "to state a condensed scheme of cosmological ideas" (i.e., his categoreal scheme) (PR xii). "In each recurrence [to the topic of time and other topics]," he added, "these topics throw new light on the scheme" (PR xii). Accordingly, a question that I shall try to answer is: what light does the topic of time throw on his categoreal scheme? Surprisingly, the core paragraphs in which he stated the categoreal scheme (i.e., those in Section II and Section III of the chapter "The Categoreal Scheme") are devoid of such words as "time" and "temporal", with the lone exception of the paragraphs about the Category of Subjective Intensity, in which the words "present" and "future" occur (PR 27). Nevertheless, these core paragraphs contain, I shall argue, a metaphysical theory of time.

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Even though there is no single category in Whitehead's categoreal scheme that is devoted to the topic of time, it still may be asked: how is a metaphysical theory of time implicit in the categories collectively? To answer this question completely, I would have to examine how the categories are systematically interrelated. Consequently, for the sake of brevity, I shall focus on the particular question: how is a metaphysical theory of time implicit in "the general principle" that is "presupposed" in the other categories, the Category of the Ultimate (PR 21)? Briefly, the Category of the Ultimate concerns the process "by which the many, which are the universe disjunctively, become the one actual occasion, which is the universe conjunctively" — a process epitomized by the term "creative advance" (PR 21). This creative advance is inherently temporal. The process of the many becoming the one actual occasion is a temporal process. Let us call the one actual occasion M, and an actual occasion among the many N. From the temporal standpoint of M, N is in M's past. N came into being before (i.e., earlier than) M comes into being. Implicit in the Category of the Ultimate is, I shall argue, a metaphysical theory about how actual occasions are temporally ordered. Because Process and Reality is so difficult, and because Whitehead's technical terminology is so idiosyncratic, there is need for a broadly comprehendible framework of generic concepts in terms of which his metaphysics can be interpreted. To illustrate what I mean by “generic concepts”, his category of eternal objects can be interpreted in terms of the generic concept of universals. In this paper, I shall interpret his philosophy of time in terms of a framework of analytic concepts. By “analytic concepts”, I mean generic concepts used by some analytic philosophers in their writings about the philosophy of time. However, in explaining the category of eternal objects, Whitehead remarked that the term "universals", in its "current philosophical use," is "somewhat misleading" (PR 48). Indeed, because of the originality and profundity of his metaphysics, many generic concepts, as they are currently used by analytic philosophers, are somewhat misleading. Therefore, sometimes, instead of applying a generic concept as it is currently used to his metaphysics, I shall have to adapt or alter it somewhat. Let me provide some key examples. "I shall always adopt the relativity view" of time, Whitehead asserted, instead of the "classical” view (PR 66). Accordingly, I shall include in the framework of interpretation some generic concepts from the "absolute approach" to the special theory of relativity — namely, the concepts of absolute past, absolute future, and absolute elsewhere.4 Correspondingly, we find in Process and Reality the concepts of "causal past", "causal future", and "contemporaries" (PR 123, 319).5 This relativistic concept of causal past throws light on the Category of the Ultimate. From the temporal standpoint of M, N is in M's past. More explicitly, N is in M's causal past. And the relativistic concept of causal past throws light on other categories — in particular, the fifth category of explanation, with its

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categoreal notion of "actual world" (PR 23). From the temporal standpoint of M, N is in M's actual world. And M's actual world is M's causal past. Furthermore, I shall borrow some generic concepts about time, expressed famously by McTaggart, that stem from the classical view of time, the concepts of A series and B series. However, to have generic concepts that are coherent with the relativity view of time, I shall relativize (and generalize) these classical concepts of A series and B series. Consequently, the framework of interpretation also includes what I shall call the relativistic concepts of A order and B order. In subsequent sections, I shall interpret Whitehead's metaphysical theory about how actual occasions are temporally ordered in terms of these concepts of A order and B order. In so doing, I shall investigate how these concepts are implicit in the Category of the Ultimate, how they are related to the extensive continuum, how they illuminate the epochal theory of time, and how they elucidate the ontological status of actual occasions in the causal past and the causal future.

2 . A Rel ati on o f Tempo ral O rder It is customary to classify Whitehead as a process philosopher. But, observing the two nouns in the title Process and Reality, I think that he also should be classified as a reality philosopher. In a landmark paper "The Unreality of Time," McTaggart argued that time is unreal.6 By contrast, I shall begin my investigation of how a metaphysical theory of time is implicit in the categoreal scheme in Process and Reality by raising the question: how did Whitehead understand the reality of time? In answering this question, I shall first consider the Categories of Existence. Actual entities are the "Final Realities" (PR 22). But prehensions, nexûs, subjective forms, eternal objects, propositions, and contrasts also are realities. They also exist. Noticeably absent among the Categories of Existence is a category of times — i.e., instants or time intervals. To interpret this absence, let me add some generic concepts to the framework of interpretation, the concepts of substantivalism and relationalism.7 A substantivalist claims (roughly) that time (or space-time) is a type of entity. Apparently, then, Whitehead should not be classified as a substantivalist about instants or time intervals. However, in the paragraph in the Preface cited above, he also used the term "space-time" (PR xii). Moreover, in accordance with his theory of extension, he maintained that each actual occasion occupies a separate "basic region" in the extensive continuum (PR 283). Nonetheless, because the Categories of Existence do not include a category of regions, he (presumably) should not be classified as a substantivalist about space-time regions. In contrast, a relationalist holds (roughly) that, instead of being itself a type of entity, time (or space-time) consists (in reality) of relations between entities

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(e.g., events). In an earlier book, Principles of Natural Knowledge, Whitehead said: "Time and space, which are entirely actual and devoid of any tincture of possibility, are to be sought for among the relations of events."8 Evidently, he was a relationalist in that book. Since his conception of time might later have changed, we still may ask: was he a relationalist in Process and Reality? More specifically, we need to ask: what (metaphysically real) temporal relations are there between entities (in the Categories of Existence)? "An actual occasion is," he remarked, "the limiting type of an event with only one member" (PR 72). Most fundamentally, therefore, we have to ask: what (metaphysically real) temporal relations are there between actual occasions? For the sake of brevity, I shall be concerned in this paper primarily with the last question, which I shall call the relationalism question.9 It might be claimed that the relationalism question should be answered in terms of the theory of extension. For "the primary relationship of physical occasions is," Whitehead asserted, "extensive connection" (PR 288). Various sorts of extensive relations can be defined by means of this relation of extensive connection — e.g., the relation of inclusion (PR 295). And, he added, "These extensive relationships are more fundamental than their more special spatial and temporal relationships" (PR 67). In light of this last quotation, it might be claimed, more specifically, that all temporal relations between actual occasions can be defined by means of the relation of extensive connection. However, I think that such a sweeping claim ought to be rejected, in light of another quotation: "the extensiveness of time is really the temporalization of extension" (PR 289). Admittedly, questions about temporal extensiveness should be answered in terms of the theory of extension (and a system of metrical geometry)10 — for example, the question: what are space-time distances between events (e.g., actual occasions)? Correlative to this distance question is a measurement question: how are space-time distances measured? Nonetheless, it is important to distinguish the idea of temporal extensiveness from the idea of temporal order. Instead of the idea of temporal extensiveness, my view is that the relationalism question should be answered primarily in terms of the idea of temporal order. Consequently, a third question has to be distinguished from these distance and measurement questions: what (metaphysically real) relations of temporal order are there between entities (in the Categories of Existence)? Most fundamentally, I shall investigate how the following question should be answered: what (metaphysically real) relation of temporal order is there between actual occasions? My claim is that this order question cannot be answered in terms of the theory of extension. More exactly, in opposition to the sweeping claim above, my claim is that a relation of temporal order between actual occasions cannot be defined by means of the relation of extensive connection.

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In support of this last claim, I shall add another generic concept to the framework of interpretation. Some events are earlier than other events. This relation of earlier than (or the converse relation of later than) is a relation of temporal order. The generic concept is that such a temporal relation is asymmetric — that is, if one event is earlier than another event, then the latter is not earlier than the former. In contrast, the relation of extensive connection is, Whitehead asserted, "symmetrical" (PR 295) — that is, if one region (in the extensive continuum) is extensively connected to another region, then the latter is extensively connected to the former. Such an asymmetric relation of temporal order — expressed by the term "earlier than" — cannot be defined by means of the symmetric relation of extensive connection. More specifically, it is implicit in the Category of the Ultimate that there is a metaphysical relation of temporal order between actual occasions that is asymmetric. For Whitehead's conception of creative advance is inherently temporal. The process of the many actual occasions — e.g., N — becoming the one actual occasion M is a temporal process. For N came into being earlier than M comes into being. When N came into being, the many actual occasions that became N did not include M. Hence M did not come into being earlier than N came into being. There is a metaphysical relation of temporal order between actual occasions — expressed by the term "earlier than" — that is asymmetric. Briefly, if one actual occasion is earlier than another actual occasion, then the latter is not earlier than the former. Because this relation of temporal order is asymmetric, but the relation of extensive connection is symmetric, the former relation cannot be defined in terms of the latter relation. To interpret this relation of temporal order, I shall introduce a generic concept of B series, which I am including in the framework of interpretation. "The series of positions which runs from earlier to later, or conversely," McTaggart said, "I shall call the B series."11 McTaggart's relation of earlier than (or the relation of later than) is a relation of temporal order. And each position in time consists of a plurality of (absolutely) simultaneous (point) events, and thus it is (in one sense of the term) an instant. Generalizing his concept of B series, so that it holds of any classical conception of instants, we obtain a generic concept of B series — namely, the concept of a set of instants which form a series, because they are interrelated by a relation of temporal order. This classical relation of temporal order is a serial relation. (The term "serial relation" is defined later.) However, in adopting the relativity view of time, Whitehead maintained that "the term 'creative advance' is not to be construed in the sense of a uniquely serial advance" (PR 35). Consequently, he replaced the classical concept of instants with a relativistic concept of durations (PR 125-126, 320-321). A duration is a set of actual occasions in "unison of becoming" (PR 126, 320), and the creative advance of these durations is not uniquely serial. The relation of temporal order between durations is not a serial relation.

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In what follows, I shall relativize (and generalize further) the generic concept of B series, in order to have a generic concept that is coherent with the relativity view of time — namely, the concept of B order. Whereas the former concept holds primarily of instants (rather than events), the latter concept holds primarily of actual occasions (rather than durations). For, in accordance with another fundamental category in Whitehead's categoreal scheme — the ontological principle — "actual occasions are the only reasons" (PR 24). Therefore, the reason for (or basis of ) the B order must stem primarily from actual occasions. What I am calling the B order of actual occasions is the temporal order of actual occasions that is implicit in the Category of the Ultimate. The metaphysical relation of temporal order between actual occasions is not a serial relation. Whereas the relata of the classical relation of temporal order are primarily instants (rather than events), the relata of this relation of temporal order are primarily actual occasions (rather than durations). Instead of the classical concept of B series, Whitehead accepted a relativistic concept of B order.

3 . A No nstand ard Topolo gy of Ti m e In addition to being classified as a process philosopher and a reality philosopher, Whitehead should be classified as a relation philosopher. Fundamental to his categoreal scheme are various metaphysical relations (e.g., ingression). In particular, a metaphysical relation of temporal order between actual occasions is implicit in his Category of the Ultimate. He conjectured that "some of the simpler characteristics of extensive connection" are "ultimate metaphysical necessities" (PR 288). Similarly, I would conjecture that some elementary properties of this relation of temporal order are ultimate metaphysical necessities (rather than scientific contingencies). Accordingly, one of my aims is to answer the question: what elementary properties of the relation of temporal order are implicit in the Category of the Ultimate? Note that I have already begun to answer this question: one of the elementary properties is asymmetry. To continue answering the question, I shall add some other generic concepts to the framework of interpretation, the generic concepts of topological properties and metrical properties of time.12 The term "topological properties" is customarily used by analytic philosophers, but the term "ordinal properties" could be used instead. Whether termed "topological" or "ordinal", such properties are nonmetrical properties of time. The term "topology" derives from mathematics: a topology is a sort of geometry, a geometry that abstracts both from metrical concepts (e.g., distance) and from other geometrical concepts (e.g., concepts definitive of projective geometry). The basic mathematics of Whitehead's theory of extension may be classified as a sort of nonstandard topology. For the elementary properties of the relation of extensive connection — e.g., symmetry — are nonmetrical properties. Thus the term "topological

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properties" is used by analytic philosophers of time analogically, since what is called a "topology of time" is not literally a geometry of time. Instead, the field of mathematics most relevant to the subject of temporal order is lattice theory (or the mathematical theory of order). 13 Roughly speaking, metrical properties of time are based on a concept of temporal (or spatiotemporal) distance. It is important to realize that there is no concept of an extensive quantity of time (or space-time) that is implicit in the categoreal scheme. "The inclusion of extensive quantity among fundamental categoreal notions is," Whitehead declared, "a complete mistake" (PR 97). For "there are alternative systems of metrical geometry," he maintained, "no one system being more fundamental than the other" (PR 97-8). Hence a metrical geometry of space-time is not implicit in his categoreal scheme. In terms of that scheme, we can neither ask nor answer the question: how much time has elapsed between the becoming of one actual occasion and the becoming of another later actual occasion? However, as I have already remarked, the distance and measurement questions should be answered in terms of his theory of extension. Thus, given an appropriate system of metrical geometry, we could ask and (in principle) answer the question: what is the space-time distance between the basic region in which the former actual occasion came into being and the basic region in which the latter actual occasion is coming into being? But we cannot answer such a question in terms of the categoreal scheme. On the other hand, the property of asymmetry is a topological property of the relation of temporal order, and this topological property is (as we have seen) implicit in Whitehead's categoreal scheme. Are there additional topological properties of this relation of temporal order that are implicit in the categoreal scheme? According to the "standard topology" of time (as summarized by W. H. Newton-Smith), there is a relation of temporal order between instants. In addition to the property of asymmetry, this relation has the properties of irreflexiveness, transitivity, connectedness, denseness, nonbeginningness, and nonendingness.14 In what follows, I shall discuss each of these additional properties. In so doing, I shall explain how Whitehead's topology of time is nonstandard. According to this standard topology, the relation of temporal order between instants is irreflexive — that is, no instant is earlier than itself. And it is transitive — that is, if one instant is earlier than a second instant and the second instant is earlier than a third instant, then the first instant is earlier than the third instant. A relation that is irreflexive, asymmetric, and transitive is termed a “strict partial order”. That the relation of temporal order between actual occasions is a strict partial order is implicit in the Category of the Ultimate. For M is not one of the many actual occasions that become M. M is not earlier than M. And, if O is one of the many that became N — and, since N is one of the many that become M — O also is one of the many that become M. Since O is

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earlier than N and N is earlier than M, O is earlier than M. In brief, these three elementary properties of the relation of temporal order between actual occasions — irreflexiveness, asymmetry, and transitivity — are implicit in the Category of the Ultimate. According to the standard topology, the relation of temporal order between instants is connected — i.e., any two distinct instants of time are such that one is earlier than the other. (This term "connected" is from the logic of relations, and should not be confused with Whitehead's term “connected” from his theory of extension.) A relation that is irreflexive, asymmetric, transitive, and connected is termed a “serial relation”. According to the standard topology, the relation of temporal order between instants is a serial relation. In contrast, the relation of temporal order between actual occasions does not have the property of connectedness. When two actual occasions are contemporaries, neither is in the causal past of the other (PR 320) — thus neither is earlier than the other. Therefore, in contrast to the above relation of earlier than, the relation of temporal order between actual occasions is not a serial relation. Instead, it is a strict partial order that is not connected. The core of the concept of B order is that the relation of temporal order is a nonconnected strict partial order. Moreover, the relation of temporal order between durations is not connected. For, reflecting the relativity view that simultaneity is relative, each actual occasion "lies in many durations" (PR 125), and so it is not the case that any two distinct durations are such that one is earlier than the other. Instead of being a serial relation, the relation of temporal order between durations is a strict partial order that is not connected.15

4 . The Epoc hal Th eo ry of Ti me According to the standard topology of time, the relation of temporal order between instants is dense — i.e., between any two instants there is a third instant. In contrast, the relation of temporal order between actual occasions is not dense. For Whitehead's "epochal theory of time" is grounded on "the principle that every act of becoming must have an immediate successor" (PR 6869). Hence every actual occasion must have an immediate temporal successor. (The adjective "temporal" is implicit in the term "immediate successor".) Note that the concept of temporal successor can be defined in terms of the concept of temporal order: X is a temporal successor of Y if and only if Y is earlier than X. And the concept of immediate temporal successor can be defined in terms of the concept of temporal successor: X is an immediate temporal successor of Y just in case there is no Z such that X is a temporal successor of Z and Z is a temporal successor of Y. Let us suppose that actual occasion M is an immediate temporal successor of actual occasion N. Hence there is no third actual occasion Z such

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that M is a temporal successor of Z and Z is a temporal successor of N. There is no third actual occasion Z such that N is earlier than Z and Z is earlier than M. In short, assuming that the above principle is implicit in the categoreal scheme, the topological property of denseness is not. But is the above principle implicit in the categoreal scheme? To illuminate this question, let us consider Whitehead's zenonian argument for his epochal theory of time. The argument, so far as it is valid, elicits a contradiction from the two premises: (i) that in a becoming something (res verae) becomes, and (ii) that every act of becoming is divisible into earlier and later sections which are themselves acts of becoming. (PR 68) The question of whether this argument is sound is too complex to discuss here.16 Note that, even if it is not sound, the above principle could still be implicit in the categoreal scheme. In explaining the second premise, Whitehead utilized metrical concepts: Consider, for example, an act of becoming during one second. That act is divisible into two acts, one during the earlier half of the second, the other during the later half of the second. (PR 68) However, such concepts of extensive quantity are not implicit in his categoreal scheme. Nonetheless, "some of the simpler characteristics of extensive connection" are, to repeat his conjecture, "ultimate metaphysical necessities" (PR 288). My view is that his argument for his epochal theory could be recast in terms of quite simple characteristics of extensive connection, ones that are metaphysical. In particular, it is sufficient to utilize his nonmetrical concept of a "dissection" of a region, a concept that is defined quite simply in terms of the relation of extensive connection (PR 296). Suppose that the set containing just the regions B and C is a dissection of the region A. (Intuitively speaking, what this means is that region A can be subdivided into two nonoverlapping subregions B and C.) Since no members of a dissection overlap, and since there are only two members of this dissection of A, it follows that B and C are externally connected. The concept of external connection is also defined quite simply in terms of the concept of extensive connection: "Two regions are 'externally' connected when (i) they are [extensively] connected, and (ii) they do not overlap" (PR 297). Utilizing the nonmetrical concept of dissection, his example can be recast as follows. Consider, for example, an act of becoming occupying one space-time region A. That act is divisible into two acts, (i) one temporally earlier than the other, and (ii) the former occupying a space-time region B that is externally connected to

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the space-time region C occupied by the latter (B and C being the two members of a dissection of A). In the example thus recast, the concepts of temporal order and extensive connection are distinguished, thereby exhibiting how they function differently (albeit coherently) in his philosophy of time. In summary, without utilizing metrical concepts, his argument for his epochal theory of time can be grounded on the metaphysical relation of temporal order and metaphysical properties of the relation of extensive connection. In light of these remarks about the epochal theory of time, I would like to amplify my claim that the relation of temporal order between actual occasions cannot be defined by means of the relation of extensive connection. Let us name the separate basic regions that actual occasions M and N occupy in the extensive continuum respectively R and S. M is a temporal successor of N. On the one hand, if M is an immediate temporal successor of N, then R is externally connected to S (PR 307). But also S is externally connected to R. Since the relation of extensive connection is symmetric, the relation of external connection is symmetric. On the other hand, if M is not an immediate temporal successor of N, then R is "'mediately' connected" to S (i.e., R is extensively connected to a third region that is extensively connected to S) (PR 294). But also S is mediately connected to R. The relation of mediate connection — which interrelates the basic regions of all actual occasions — is defined by means of the relation of extensive connection, and so it too is symmetric. The asymmetric relation of temporal order cannot be defined by means of these symmetric relations. In review, "the extensiveness of time is," as Whitehead remarked, "really the temporalization of extension" (PR 289). However, he did not mean that time is nothing but extension. (He did not mean that time is nothing but a fourth dimension added to three spatial dimensions.) Instead, his concept of the temporalization of extension presupposes both the relation of extensive connection and the relation of temporal order. An actual occasion temporalizes extension by occupying a basic region that is externally or mediately connected to the basic regions of temporally earlier actual occasions. In this last sentence, the words "connected" and "earlier" refer respectively to those two different relations.17 To elaborate his philosophy of time in Process and Reality sufficiently, topological properties of the relation of temporal order and metaphysical properties of the relation of extensive connection have to be coherently interwoven.

5 . The Non existenc e o f th e Future Having discussed five of the standard topological properties of time, it remains to discuss the other two: nonbeginningness and nonendingness. According to the

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property of nonbeginningness, there is no initial instant of time — i.e., each instant is later than other instants. Does the relation of temporal order between actual occasions have the property of nonbeginningness? To show why this question should be answered affirmatively, let me express the concept of initial actual occasions in the language of the Category of the Ultimate: there is a process by which nothing, which is the universe empty of actual occasions, becomes an initial actual occasion. Obviously, there is no such process implicit in the categoreal scheme. Furthermore, Whitehead's speculation about "a chaos of diverse cosmic epochs" throws light on this question (PR 112). Presumably, our cosmic epoch had a beginning, and so it encompasses actual occasions that were initial in it. Nonetheless, there was a process by which the many actual occasions in the chaos of cosmic epochs preceding our cosmic epoch became such an initial actual occasion in it. And, even if there was a first cosmic epoch, there still was a chaos of actual occasions (i.e., a "non-social nexus") preceding it (PR 72). According to the property of nonendingness, there is no terminal instant of time — i.e., each instant is earlier than other instants. Does the relation of temporal order between actual occasions have the property of nonendingness? In other words, is each actual occasion earlier than other actual occasions? In contrast to the preceding question, my view is that this question should be answered negatively. There are terminal actual occasions. Each actual occasion — while it is in process of becoming — is a terminal actual occasion. While an actual occasion is coming into being, there are no actual occasions later than it. Indeed, Whitehead's topology of time is nonstandard. Let me explain. To interpret his philosophy of time, I shall add another generic concept to the framework of interpretation, the concept of eternalism. In a B series, the relation of temporal order is a serial relation. Let us call a B series standard when the relation also has the properties of denseness, nonbeginningness, and nonendingness. The last two properties can be stated in the language of symbolic logic using quantifiers.18 That is, translating the quantifiers into ordinary language, the two properties are as follows. For each instant, there is an earlier instant. For each instant, there is a later instant. What, then, is the ontological status of the instants in a standard B series? A kind of realist answer to this question is offered by eternalism. Reading the term "there is" (i.e., the existential quantifier) as asserting (real) existence, the eternalist claims that all of the instants in a standard B series exist. That is, assuming that an instant is a set of mutually simultaneous events, the eternalist's claim is that all of the events in any of the instants in a standard B series exist. Rather than the classical concept of B series, Whitehead accepted a relativistic concept of B order. In this B order, the relation of temporal order between actual occasions is a nonconnected strict partial order. But what is the ontological status of actual occasions in this B order? Let me sketch how an eternalist could

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answer this existence question. This relation of temporal order has the additional properties of nonbeginningness and nonendingness, which can be stated in the language of symbolic logic using quantifiers. Translating the quantifiers into ordinary language, the properties are as follows. For each actual occasion, there is an earlier actual occasion. For each actual occasion, there is a later actual occasion. Let us call the nonconnected strict partial order of actual occasions with these two additional properties the eternalist B order. Reading the term "there is" as asserting (real) existence,19 all of the actual occasions in this eternalist B order exist. The extensive continuum, Whitehead remarked, "underlies the whole world, past, present, and future" (PR 66). And, an eternalist could add, the eternalist B order of actual occasions underlies the whole world, past, present, and future. All actual occasions exist, past, present, and future. However, Whitehead was not an eternalist about actual occasions. While an actual occasion is coming into being, there are no actual occasions later than it. In terms of the Category of the Ultimate, the many actual occasions (which have already come into being, and thus are earlier than the one actual occasion M) become the one actual occasion M. And, once M has come into being, M will be one of the many actual occasions that will become later actual occasions. Nonetheless, while M is coming into being, actual occasions that will be later than M have not yet come into being. Later actual occasions do not yet exist. The relation of temporal order between actual occasions does not have the property of nonendingness.

6 . The Exi stenc e of th e Pres ent To summarize, in contrast to the standard B series of instants, the B order of actual occasions is nonstandard, in that it is neither connected nor dense nor nonending. Having interpreted Whitehead's philosophy of time by means of the concept of B order, I shall now interpret it by means of a concept of A order. In so doing, I shall explain how these two concepts can be united coherently. To interpret Whitehead's philosophy of time, I shall now introduce a generic concept of A series, which also is included in the framework of interpretation. "I shall give the name of the A series," McTaggart asserted, "to that series of positions which runs from the far past through the near past to the present, and then from the present through the near future to the far future, or conversely."20 Generalizing his concept of A series, we obtain a generic concept of A series — namely, the concept of a set of instants, one of which is the instant (currently) in the present, and the rest of which are divided into the instants (currently) in the past and the instants (currently) in the future. The word "currently" indicates that the classification of instants as past, present, and future changes with the passage of time. That is, assuming that an instant is a set of mutually simultaneous events, the A series is comprised of events that proceed from the future into the

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present and recede from the present into the past. The present is a sort of endurant, and events flow through it. In contrast to the standard B series, which the eternalist conceptualizes statically, the A series is usually conceptualized dynamically, in terms of such metaphors as "passage" and "flow". In what follows, I shall relativize (and generalize further) the generic concept of A series, in order to have a generic concept that is coherent with the relativity view of time — namely, the concept of A order. Whereas the former concept holds primarily of instants (rather than events), the latter concept holds primarily of actual occasions (rather than durations). For, in accordance with the ontological principle, the reason for (or basis of ) the A order must stem primarily from actual occasions. Instead of the classical concept of A series, Whitehead accepted a relativistic concept of A order, which he also conceptualized dynamically, but in terms of significantly different metaphors, the metaphors of "advance" and "becoming".21 Let me explain. In adopting the relativity view of time, Whitehead rejected the concept of an absolute "present state of the world" (PR 320). In so doing, he rejected the concept of an enduring present through which events flow. Consequently, he rejected the distinctions, which are definitive of the A series, between the past, the present, and the future. Instead, he relativized the ideas of past, present, and future. It is important to realize that he relativized those ideas in two quite different ways. First, he replaced the classical concept of instants with a relativistic concept of durations. Relative to each duration D, there is "the 'past of the duration D'" and "the 'future of the duration D'" (PR 320). But there is no relativized enduring present through which durations flow. Since a duration is a set of actual occasions in unison of becoming, there is a nonserial temporal order of durations that is derivative from the nonserial temporal order of actual occasions.22 It is because of the creative advance of actual occasions that there is a creative advance of durations. However, there is a complication. To common sense, the present is disclosed by vision. Correspondingly, in the mode of presentational immediacy, an actual occasion — e.g., of a human mind or a physical object — may have associated with it a "unique" duration, a "presented duration" (PR 321). But the words "unique" and "presented" should not be read as implying that there is a unique enduring present through which presented durations flow. Instead, whenever there is a temporal order of such actual occasions (e.g., of a human mind or a physical object), there is a temporal order of associated presented durations. Second, relative to each actual occasion M, there is "the 'causal past' of M, the 'causal future' of M, and the 'contemporaries' of M" (PR 319). In accordance with the ontological principle, this second way of relativizing the classical ideas of past, present, and future is more fundamental. Note that the contemporaries of an actual occasion M are "those actual occasions which lie neither in M's causal

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past, nor in M's causal future" (PR 320). Thus M neither physically prehends nor is physically prehended by any of M's contemporaries. The directness (or immediacy) of the relation of physical prehension is absent. It might be thought that the classical idea of the present is relativized only through the notion of contemporaries, but this would be a mistake. According to the Category of Subjective Intensity, an actual occasion has a subjective aim at intensity of feeling both in "the immediate subject" — i.e., in that actual occasion itself — and in "the relevant future" (PR 27). In other words — and this rewording (in the very next sentence) is most revealing — the subjective aim is "at the immediate present and the relevant future" (PR 27). The immediate subject (and only that subject) is (in) the immediate present (for that subject). In contrast to contemporaries, which are not in the immediate present (by the bond of physical prehension), each actual occasion is in its own immediate present. In this way, the classical idea of the present is radically relativized to each actual occasion individually. What I am calling the A order of actual occasions results from this second way of relativizing. In summary, the concept of A series is relativized to each actual occasion: relative to each actual occasion, there is an A order, in that each actual occasion has its own causal past, its own immediate present, its own contemporaries, and its own causal future. What is the ontological status of the events in an A series? To provide one kind of answer to this question, I shall add yet another generic concept to the framework of interpretation, the concept of presentism. The standard B series is (in a sense) ontologized by the eternalist, and (in a different sense) the classical A series is ontologized by the presentist. The eternalist holds that, just as there is no metaphysically privileged center of space, so there is no metaphysically privileged present in the B series of time. In contrast, the presentist holds that the present is metaphysically privileged: "only what is present exists."23 More exactly, in contrast to the eternalist, who holds that all of the events in any of the instants in a standard B series exist, the presentist holds that only the events that are happening in the present exist, for the events that happened in the past no longer exist, and the events that will happen in the future do not yet exist. Rather than the concept of A series, Whitehead accepted a relativistic concept of A order. What, then, is the ontological status of actual occasions in this A order? Arguably, a presentist answer to this question is condensed in this vivid passage: "actual entities 'perpetually perish' subjectively, but are immortal objectively" (PR 29). Referring to the former clause in the passage, a presentist could claim that, when an actual occasion finishes its process of becoming, it perishes — i.e., it ceases to exist.24 Just as actual occasions in its causal future do not yet exist, actual occasions in its causal past no longer exist. Therefore, an actual occasion only exists while it is undergoing its process of becoming. It only exists in its own immediate present.

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7 . The Exi stenc e of th e Pas t But was Whitehead such a presentist about actual occasions? Referring to the latter clause in the passage, my opposing claim is that, after an actual occasion finishes its process of becoming, it is immortal — i.e., it continues to exist. The causal future is empty of actual occasions, but the causal past is not. Let me support this claim by means of the concept of B order. Although the relation of temporal order between actual occasions does not have the property of nonendingness, it does have the property of nonbeginningness. The latter property can be stated in the language of symbolic logic using a quantifier. Translating the quantifier into ordinary language, the property is as follows. For each actual occasion M, there is an earlier actual occasion. Reading the term "there is" as asserting (real) existence, all of the actual occasions that are earlier than M exist. Therefore, in terms of the concept of A order, the conclusion is that all of the actual occasions in M's causal past exist. This conclusion presupposes that the concepts of B order and A order can be united coherently. It might be objected that, because the A order should be conceptualized dynamically and the B order should be conceptualized statically, the two concepts are incompatible. For a "block universe" with such a B order is incompatible with the process universe of the Category of the Ultimate. In answer to this objection, I shall argue that the universe of Process and Reality is a sort of "growing block universe."25 Accordingly, I shall add another generic concept to the framework of interpretation, one that is intermediate between the concepts of eternalism and presentism, which I shall call the concept of pastand-presentism. Roughly speaking, the eternalist claims that what is past, present, and future exists; the presentist holds that only what is present exists; and the past-and-presentist holds (intermediately) that what is past and present exists, but not what is future. For example, C. D. Broad advocated a past-andpresentist theory of time — a theory that "accepts the reality of the present and the past, but holds that the future is simply nothing at all."26 According to his theory, the universe is growing: "The sum total of existence is always increasing, and it is this which gives the time-series a sense as well as an order."27 Similarly, a past-and-presentist interpretation of Whitehead’s philosophy of time could hold that, while an actual occasion is undergoing its process of becoming, it exists in its own immediate present, and the actual occasions in its causal past also exist (for they have already come into being), but the actual occasions in its causal future do not exist (for they have not yet come into being). (And its contemporaries do not exist — despite the phrase "unison of becoming" — because the directness of the relation of physical prehension is absent.) Through the creative advance of actual occasions, the sum total of actual occasions is always increasing.

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Was Whitehead such a past-and-presentist about actual occasions? To grasp why this question should be answered affirmatively, let us consider again his categoreal notion of "actual world" (PR 23). An actual occasion’s causal past is its actual world. The word "actual" in the term "actual world" suggests that the actual occasions in its actual world also exist. "The actual world," Whitehead explained, "in so far as it is a community of entities which are settled, actual, and already become, conditions and limits the potentiality for creativeness beyond itself" (PR 65). This quotation accords with the metaphor of a block: the entities in the actual world are settled (cf. the term "block"), they have already become (i.e., they have already come into existence), and they remain actual (i.e., they still exist). And the phrase "potentiality for creativeness" accords with the metaphor of growth. In brief, when an actual occasion is undergoing its process of becoming, the actual occasions in its actual world also exist. Moreover, according to the ontological principle, "every condition to which the process of becoming conforms in any particular instance has its reason either in the character of some actual entity in the actual world of that concresence, or in the character of the subject which is in process of concrescence" (PR 24). Both clauses in this disjunction are relevant. Both the subject in process of concrescence and the actual occasions in its actual world are actual. That is, the second clause should be read as implying that the subject actual occasion exists. And the first clause should be read as implying that each actual occasion in its actual world also exists. The ontological principle does not imply that, after an actual occasion has completed its process of concrescence, it "is no longer actual."28 Both an actual occasion in process of becoming and the actual occasions in its causal past exist. To defend sufficiently my past-and-presentist interpretation of Whitehead's philosophy of time against the above block-universe objection, I need to explain how the concepts of A order and B order can be united coherently. The concept of A series presupposes the concept of B series. That is, the A series involves not just the distinctions between the past, the present, and the future but also the classical relation of earlier than. For example, instants in the far past are earlier than instants in the near past, and instants in the near future are earlier than instants in the far future. In general, there is a temporal series of instants (defined by the classical relation of earlier than) in the past, and a temporal series of instants in the future. Each instant in the former series is earlier than the present instant, and the present instant is earlier than each instant in the latter series. Similarly, the concept of A order presupposes the concept of B order. More explicitly, for each actual occasion M, M's A order involves not just the distinctions between M's causal past, M's own immediate present, M's contemporaries, and M's causal future, but also the nonserial relation of earlier than. In particular, some actual occasions in M's causal past are earlier than

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other actual occasions in M's causal past. In general, there is a temporal order (defined by the relation of earlier than) of actual occasions in M's causal past. Also, each actual occasion in M's causal past is earlier than M.29 However, the relation of temporal order between actual occasions does not have the property of nonendingness. Reading the term "there is" as asserting (real) existence, there is no actual occasion later than M, while M is in process of becoming. While M is coming into being, actual occasions in M's causal future do not exist. Instead, M's causal future is composed of merely "potential occasions" (PR 123). More explicitly, "the causal future is composed of those actual occasions which will have M in their respective causal pasts" (PR 319). Nevertheless, while M is coming into being, they do not have M in their causal pasts, because they have not begun their process of becoming. Accordingly, by refraining from reading the term "there is" as asserting (real) existence, we can say that, for each potential occasion in M's causal future, there is a later potential occasion. With ontological commitment thus removed, we can say that there is a (potential) temporal order of actual occasions in M's causal future. Also, each potential occasion in M's causal future is later than M. Finally, I shall support my past-and-presentist interpretation of Whitehead’s philosophy of time by means of his theory of extension. Each actual occasion comes into being in its own basic region in the extensive continuum (PR 283). Corresponding to the temporal order of actual occasions, there is a temporal order of their basic regions. In terms of the Category of the Ultimate, there is a process by which the many — e.g., N — become M. M is coming into being in M’s own basic region R, and N came into being in N’s own basic region S. On the one hand, if M is an immediate temporal successor of N, R and S are "the basic regions of successive contiguous occasions" (PR 307). In this quotation, the words "successive" and "contiguous" refer respectively to the relation of temporal order and the relation of external connection. ("Let two actual occasions be termed 'contiguous' when the regions constituting their 'standpoints' [i.e., their basic regions] are externally connected" (PR 307).) On the other hand, if M is not an immediate temporal successor of N, R and S are mediately connected by a chain of basic regions of successively contiguous actual occasions (PR 307). Collectively, the basic regions of the actual occasions in M’s actual world comprise the region in the extensive continuum in which M’s actual world is located. More exactly, in terms of the concept of the dissection of a region (PR 296), the set containing the basic regions of the actual occasions in M’s actual world is a dissection of M’s actual world’s region. When those actual occasions came into being, they temporalized (and spatialized) their basic regions, and so the region in which M’s actual world is located is a space-time region. Furthermore, as M comes into being in R, M temporalizes (and spatializes) R, thereby adding a novel space-time region to the space-time region of M’s actual

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world. This block actual world is growing, through the creative advance of its subject.30

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Hunter College of CUNY. 2. References of this form are to Alfred North Whitehead, Process and Reality, Corrected Edition, D. Griffin and E. Sherburne, editors (New York: Free Press, 1978). 3. I also discuss Whitehead's philosophy of time in the following writings: “Alfred North Whitehead, 1861-1947,” in The Blackwell Guide to American Philosophy, A. T. Marsoobian and J. Ryder, editors (Oxford: Blackwell, 2004), pp. 210-25; “The Logic of Simultaneity,” The Journal of Philosophy 66 (1969): 340-50; “Time and Strict Partial Order,” American Philosophical Quarterly 37 (2000): 373-87; “The Time of Whitehead’s Concrescence,” Process Studies 30 (2001): 3-21; “Whitehead's Actual Occasions and the New Infinitesimals,” Transactions of the Charles S. Peirce Society 25 (1989): 29-39; and “Whitehead’s Category of Nexûs of Actual Entities,” Process Studies 29 (2000): 16-42. 4. See Steven Hawking, A Brief History of Time (London: Bantam Press, 1988), pp. 25-28; and J. R. Lucas and P. E. Hodgson, Spacetime and Electromagnetism: An Essay on the Philosophy of the Special Theory of Relativity (Oxford: Clarendon Press, 1990), pp. 32-36, 85-89. 5. For a discussion of how the three generic concepts can be used to interpret Whitehead's three corresponding concepts, see my “Alfred North Whitehead, 1861-1947,” pp. 214-18. 6. J. M. E. McTaggart, “The Unreality of Time,” Mind 18 (1908), pp. 457-74. 7. Lawrence Sklar, Space, Time, and Spacetime (Berkeley: University of California Press, 1977), pp. 161, 167. 8. Alfred North Whitehead, An Enquiry Concerning the Principles of Natural Knowledge, 2nd ed. (Cambridge: Cambridge University Press, 1955), p. 62. 9. Thus I have to ignore the important question: is the internal process of concrescence inherently temporal? For an affirmative answer to this question, see my “The Time of Whitehead’s Concrescence.” 10. This parenthetical qualification is discussed below. 11. J. M. E. McTaggart, The Nature of Existence, vol. II (Cambridge: Cambridge University Press, 1988), p. 10. 12. See W. H. Newton-Smith, The Structure of Time (London: Routledge & Kegan Paul, 1980), pp. 48-49. To appreciate why this distinction is not alien to process philosophy, see Milic Capek, Philosophical Impact of Contemporary Physics (New York: D. Van Nostrand, 1961). 13. See my “Time and Strict Partial Order,” pp. 374 and 386 n. 4. Lattice theory can be grounded on the mathematics of relations in Principia Mathematica, as can the mathematical theory of order. 14. Newton-Smith, The Structure of Time, pp. 51-52. 15. I discuss the ideas in this paragraph more fully in “Time and Strict Partial Order » and « Whitehead’s Category of Nexûs of Actual Entities.” 16. I discuss why the argument is not sound in my “Whitehead's Actual Occasions and the New Infinitesimals.” 17. For the sake of comparison, let us consider Aristotle's definition of time: “For time is just this—number of motion in respect of 'before' and 'after' ” (Physics 219b1-2). The word “number” expresses an idea of time measurement, and the words “before” and “after” express an idea of time order.

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John W. Lango

18. In addition to being coherent, applicable, and adequate, Whitehead held that a metaphysical system should be « logical » (PR 3). “The term 'logical' has its ordinary meaning”, he explained, “including [...] the exemplification of general logical notions in specific instances” (PR 3). In this paper, I am concerned with such specific instances as the following: “For each actual occasion, there is an earlier actual occasion.” The phrases “for each” and “there is” express general logical notions. Presumably, since Whitehead's metaphysical system is logical, it includes such general logical notions. Readers adverse to quantifiers may express them differently. For my purposes, it does not matter what system of logic (if any) is used. 19. In this paper, when the term “there is” is construed as asserting existence —and the subject of discussion is Whitehead’s metaphysics— what is meant by the term “existence” is what he meant by the term “existence” in his title “The Categories of Existence” (PR 22). Presumably, each of his eight categories of existence is an ontological category. It is appropriate to raise questions of ontological status in his metaphysics. 20. McTaggart, The Nature of Existence, vol. II, p. 10. 21. For a classic criticism of such dynamical conceptualizations, see Donald C. Williams, “The Myth of Passage,” in The Philosophy of Time: A Collection of Essays, ed. Richard M. Gale (New York: Doubleday, 1967), pp. 98-116. 22. The ideas summarized in this sentence are explained more fully in my “Time and Strict Partial Order” and “Whitehead’s Category of Nexûs of Actual Entities.” 23. D. H. Mellor, Real Time II (London: Routledge, 1988), p. 20. 24. It would seem that such a claim is made by William A. Christian, An Interpretation of Whitehead's Metaphysics (New Haven: Yale University Press, 1959), pp. 319-24. See also Leemon B. McHenry, “The Ontology of the Past: Whitehead and Santayana,” The Journal of Speculative Philosophy 14 (2000): 219-31, pp. 223-24. 25. For a brief discussion of the terms “block universe” and “growing block universe,” see Theodore Sider, Four Dimensionalism: An Ontology of Persistence and Time (Oxford: Oxford University Press, 2001), pp. 11-12. 26. C. D. Broad, Scientific Thought (Paterson, New Jersey: Littlefield, Adams & Co., 1959), p. 66. This book was originally published in 1923, and so Whitehead might have been influenced by it. 27. Ibid., pp. 66-67. For a recent discussion of past-and-presentism, see Michael Tooley, Time, Tense, and Causation (Oxford: Oxford University Press, 1997). 28. Christian, An Interpretation of Whitehead's Metaphysics, p. 321. 29. To understand how the concepts of A order and B order can be united coherently, see also my “Time and Strict Partial Order.” 30. I want to thank Leemon McHenry for his very helpful comments on this paper.

Whitehead’s answer to the new physics Jacques Riche1

1 . Introd ucti on The evoked new physics is the Natural Philosophy that originates in Maxwell’s electromagnetic theory of light and in Clifford’s geometrical anticipations that had been shaking the Newtonian foundations of a materialist view of the world during the second half of nineteenth century, before eventually settling in the Larmor-Lorentz-Poincaré-Einstein theories of relativity. At the time Whitehead wrote his related three books,2 the new physics was the Theory of Relativity, the Special and the General theories, as well as, although to lesser extent, Quantum Mechanics which, a few years later, would bring about new and unexpected ideas. Whitehead’s specific answer to the new physics is his Theory of Relativity whose specific conceptual and philosophical bases are first spelled out in the first two books. In reality, all of Whitehead’s work is just that, an answer to the new physics. A philosopher having a quick look to these books may see some physical theory wrapped into some sort of philosophical justification while a scientist could see a cumbersome philosophy elaborated on some interpretation of the current physical theories. In any case, despite the inherent difficulties of the task, the main impression going into W’s work is certainly one of surprise in front of what appears to be an extremely consistent and coherent approach toward an account of the physical world as we know it, i.e. the world in which we exist. What can be said of Whitehead’s theory? Of course, the philosophers would like to hear from the experts. But the experts are busy developing the official theory, the one that evicted all opposition since its inception; and for good reasons, probably. The main reason is the confrontation with observational evidence that most opponents could not sustain. For example, Eddington’s Fundamental Theory, Milne’s Kinematical Relativity and many other proposals in the context of the official theory. Some researchers may still wonder whether these reasons were good enough or as good as initially thought. Because it is the opinion of some experts that Whitehead’s theory is probably the closest contender to the General Theory of Relativity. Indeed, “It was the opinion of Professor Synge in 1951 —probably until his death—, as it is my opinion in 2005 that the evidence for the validity of Einstein’s and of Whitehead’s theories of Gravitation is roughly of equal value.”3 Whitehead’s theory is not true, as any other physical theory; it is not false either. It is just an impressive theory to those used to consider him as a philosopher rather than as a natural-philosopher. And one can just think that,

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sooner or later, when experts, tired of their current entanglement in Strings or other exotic mathematical constructions of the Universe, will come back to the questions that started their research, questions about the real world, the one that is perceived. This Theory of Whitehead can be studied in his own historical context. It has an historical value. Nevertheless, if Whitehead’s thought is still studied today by more and more people, we cannot think that it is only because it occupies a specific and characteristic place in the history of philosophy. Rather, it is because many philosophers believe today that this philosophy has kept all its actuality. This may be true for Whitehead’s metaphysics. But it is probably more so for his epistemology and philosophy of sciences, these three traditional compartments of philosophy intermingling and fusing into a single one in the case of Whitehead. His Theory of Relativity, a genuine physical theory should be situated at a level similar to that of Einstein’s theory. Given that it was not really accepted and given the later evolution of physics, one could think that this theory has only a historical value. Contrary to such a view, we will suggest the idea that Whitehead’s epistemology and metaphysics situated in the context of current developments of theoretical relativistic and quantum physics, a perspective that is giving theoretical physics some new cloths and takes us to reconsider or to revise the picture of the world offered by modern theoretical physics.

2 . Whi tehead’s Earli er R es earch es Whitehead’s investigation of Grassmann’s algebra in the Treatise on Universal Algebra, planned to be followed by a second volume on Hamilton, was a first answer to a hot discussion on the use of one or their methods in Natural Philosophy. In this work, Whitehead took a definite position on the use of projective geometrical methods. The “Mathematical Concepts”4 constituted a second answer of Whitehead to the crisis of the Newtonian view of the world. There, he relied on logical and geometrical methods to propose a formal approach to Natural Philosophy explicitly directed toward the physical theories of his time. This work was a “mathematical investigation of various possible ways of conceiving the nature of the material world”; it was a study of the relations to space of the ‘stuff’ in it, i.e. its ultimate entities. Suppose that a set of entities forming the field of a polyadic relation R be given. Then, what axioms satisfied by R have as consequence that the theorem of Euclidean geometry are the expression of certain properties of the field of R? Moreover, this question bearing upon the material world that changes, some abstract idea of time has thus to be introduced. Stuff as matter in space, steps, time and other concepts introduced before by Hamilton and Clifford may require for their full understanding some knowledge

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of projective geometry and of the pre-relativist physical theories, Maxwell’s electromagnetic theory of light, Kelvin’s vortex-atom theory and other ideas related to the ether, the electromagnetic field and the constitution of matter. Here, it will suffice to note that the “Mathematical Concepts” is a logicogeometrical formulation of physics based on Peano’s ideas.5 The perspective opened by this paper was really new at the time, too much so, perhaps, to attract the interest of physicists. Whitehead did not think he could take them out of their routine habits of thinking and he even considered they were unable to give proper attention to his paper given their lack of imaginative intuition! Nevertheless, he later lamented that no-one ever shown any interest in it. Later on, following years of collaboration with Russell on the Principia Mathematica, Whitehead will come back to Mathematics and to Natural Philosophy. Whitehead belongs to the worlds of the Old and of the New Physics. He saw some major problems of natural philosophy solved in a new theory that arose at the beginning of the 20th century from the work Lorentz, Larmor, Poincaré and Einstein. The questions that the new physics seemed to answer were not new. They had accompanied researchers throughout the century and the answers these questions received had been prepared by one of the main intellectual revolutions of the times, the new geometries. In the years 1870, reporting on some ideas of Clifford in the journal Nature where he advertised a fourth dimension of space and mentioned Kant’s forms of intuition, the mathematician J. J. Sylvester prompted a debate on the precise meaning of space as a form of intuition and a priori concept in the philosophy of Kant, a philosophy that was used as a shield by the defenders of the traditional Euclidean tri-dimensional space of our everyday experiences. That sort of debate on geometry was part of the intellectual environment of the young Whitehead. Moreover, his domains of research and teaching, applied mathematics and algebra, the algebras of Grassmann or those of Hamilton that had allowed and boosted the recent developments of physics, directly confronted Whitehead with the question of space and time. Was he aware that following Grassmann and incorporating his philosophical premises in the first book of his Treatise on Universal Algebra, he was inheriting a Kantian legacy passed down to Grassmann by Schleiermacher and Schopenhauer? To be short, and in order to briefly characterize this philosophical heritage that can be traced in Whitehead’s work, we will content ourselves with a quotation of Cassirer who, several years before Whitehead’s Inquiry, and relying explicitly on Grassmann, investigated the epistemological foundations of relativity theory. He writes, for example, that “the real elements of mathematics are not quantities but relations” and that “the system of Grassmann —which he calls universal geometry— shows that the pure concept that is tied to it can receive any possible form of change in the empirical

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character of the perceptions” and, again, that “the universal serial form is the way to understand and to control logically any order of empirical facts.”6 During the second half of 19th century, successive versions of Thomson’s and Tait’s Treaty of Natural Philosophy had promised a definition of matter but it would never come. Maxwell also considered the issue of matter in various writings before relativity theory and quantum mechanics eventually completed the dissolution of the classical idea of matter. But it is from the material reality of natural phenomena that Maxwell arrived by induction to his experimental results and through his mathematical equations that he arrived at his laws and theories. When Poincaré, following Hertz, answers the question “What is Maxwell electromagnetic theory?” by “It is Maxwell’s equations”, differential equations, laws of physics, it still remains to explain how and why equations and theories can give us a picture of the material world. To some extent, Whitehead’s position can be compared to that of Poincaré who reconstructs the real world on the sole basis of sensations and experience, allowing only relations.

3 . T he P roblems to Sol ve In Coulomb’s theory of electricity, space is filled with a fluid, imponderable substance acting instantaneously at a distance in a way similar to Newtonian gravitation. Faraday, Maxwell, Hertz and others, will deprive electricity of its substantial character and of its property of acting at a distance. Electrified bodies interact through some action on the ether propagated at the speed of light. J. Clerk Maxwell had given a mathematical expression to earlier ideas of Faraday who saw the origin of electric and magnetic forces in lines of forces that he considered not only as geometrical but also as physical. These forces were explained by tension and strain existing between these lines. According to Faraday’s theory, the forces between electric charges and between magnetic poles had the same value and were the same as those obtained in the theory of action at a distance. In building up a model of Faraday’s electromagnetic induction, Maxwell showed that changes in magnetic force give rise to electric force and inversely. He further showed that the components of electric and magnetic force satisfied the wave equations and that the velocity of the waves was equal to the ratio of the electric charges in the electrostatic and in the electromagnetic systems. This ratio was already known and was in agreement with the speed of light that had been determined earlier. This all meant that changes in the electric or magnetic force produce waves travelling in space at the speed of light. From there, it appeared that light waves were electromagnetic waves. After Maxwell, at the end of the 1880’s, Heinrich Hertz, a pupil of von Helmholtz, proved the existence of these electric waves predicted by Maxwell’s

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theory. Later on, in the 1890’s, while studying cathode rays and the so-called Xrays discovered by Röntgen, J. J. Thomson discovered the electron. A consequence of this discovery was that atoms could no longer be considered as indivisible. Moreover, various forces, electricity, heat or light could extract negatively electrified particles from atoms, all with the same mass and electrical charge whatever the atom. Another consequence was that the ether or the electrical field were seen as having an atomic structure. Poincaré saw there the hypothetical charged particles of Coulomb reappearing as electrons.7 All his life, W. Thomson, Lord Kelvin, had tried to devise an all-embracing and comprehensive theory of matter following Newton’s precept in the “Praefatio ad Lectorem” of his Principia Mathematica: “Utinam caetera Naturae phaenomena ex principiis Mechanicis eodem argumentandi genere derivare liceret.” In 1896, on the occasion of the celebration of his Jubilee at Glasgow University where he had been teaching for 50 years, he declared that his goal had been a failure.8 He later made precise that what he really meant was that he had failed in his “persevering efforts during 50 years to understand something more of the luminiferous ether and of the manner in which it is concerned in electric and magnetic forces.”9 Kelvin was not a man to give up his ideas easily. And he had ideas. Discussing a paper on the size of atoms at the Physical Society in 1902, he first recognized that the atomic theory of electricity, the theory thought of by Faraday and Maxwell and definitely proposed by Helmholtz, was almost universally accepted. These atoms were much smaller than those of matter and permeated freely through space. An atom of electricity inside an atom of matter experienced electric force toward the centre of the atom of matter and “We were forced to conclude that every kind of matter had electricity in it, and Lorentz had named electricity as the moving thing in atomic vibrations.” But if the electrions, as he named the electrons, or atoms of electricity, succeeded in getting out of the atom of matter, they then proceeded with velocities as great or greater or less than that of light and the body would then be radioactive. Therefore, the surprise was not that some bodies were radioactive but that such properties were not shown by all forms of matter.10 And he continued defending his own new views on the atom. In a talk to the British Association in 1904, the president, Arthur Balfour, had sketched his view of the evolution of physics. “The object of the physicist is physical reality […] to frame a conception of the physical universe in its inner reality.” In the 18th century, ponderable matter and action at a distance between masses had been considered. The revival of the undulatory theory of light by Young had then imposed the idea that an all-pervading ether filled the infinite space. At the beginning of 20th century, the situation was completely different, for some, matter of everyday experience was only the appearance of which the physical basis was electricity. Larmor had suggested that atoms were mere

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modifications or knots in universal ether. Moreover, mass which was now explained changed with velocity, and atoms were stores of energy. “The new electric theory analyses matter into something which is not matter at all, so that matter is not merely explained, but explained away [...] our knowledge of reality is based on illusion.” According to Kelvin who had trouble to accept certain new views, Balfour was “just in the arms of metaphysics” because physics deals with dead matter and the goal of natural philosophy is to reduce all problems of the material universe to dynamics; if all else is to be explained in terms of matter and motion only, it was metaphysics.11 At his last appearance in a scientific meeting, the 1907 meeting of the British Association, Kelvin still firmly attached to his own ideas read a paper on the motions of ether produced by collisions of atoms or molecules containing or not electrions. An atom of matter is indivisible, whether it contains an atom of electricity or not. He suggested that the atom could originate in pulses in the ether. In the discussion that followed on the “Constitution of Atom” he repeated his claims that an atom could not have any constitution but was an indivisible unit; that the mere motion of electrions could give the widely different properties and degrees of stability to the different kinds of matter called the elements; that radio-activity was not a mere residue of the kinetic energy of the atom.12 However, the situation had changed and long before. Indeed, considering Maxwell’s theory that applies to a medium free of electric charges, J. J. Thompson showed that if the theory is applied to an electric charge in motion, then, results obtained much later from the special theory of relativity can be reached directly from Maxwell’s theory. This is an interesting, not really known perspective, whether disprovable or not which shows that alternative ways of seeing things could be thought of. For example, following Thompson, we can suppose a charged sphere in rectilinear motion whose velocity is small compared to that of light, we know from Maxwell’s theory that the electric force of the particle will produce magnetic forces, that is, a magnetic force in the space surrounding the moving sphere. This force can be calculated. Since there is magnetic force, there is also energy outside the sphere and it can also be determined. The mass of the uncharged sphere being known, that of the charged sphere can be calculated and the effect of the charge is to increase the mass proportionally to the energy of the system. The atoms being made of protons and electrons, the energy of an atom is the sum of that of its constituents and the sum of the masses of the constituents will be in the same proportion, a constant equal to 8/3c2 (where c is the speed of light), to the sum of their energy. Thus, the energy of any body is equal to the product of its mass and a multiple of c2. Moreover, on Maxwell’s theory, the distribution of electrical force around the electrically charged particle in motion is not the same as that around the particle at rest. In this case, the force is distributed symmetrically round the particle. Lorentz and Heaviside have shown that when the particle is moving the lines of

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force connected with the charge are subjected to a uniform contraction in the direction of the motion of the charge. Moreover, the momentum per unit volume in the electrical field being equal to the product of electromagnetic and electric forces, and being also equal to the product of the mass and the velocity, the mass of the moving charge can be calculated. The mass of the electron increases when the velocity increases. It seems that J. J. Thompson here proposes a theory in agreement with the traditional Newtonian point of view. Taking the view that the structure of matter is electrical, one could follow Maxwell and there would be no need for relativity. Ether would then be the seat of the mass, momentum and energy of matter, i.e. protons and electrons bond to the ether by lines of force.13 However interesting this perspective can be, it would just be a logical and not a historical order of things. In fact, things happened in another and different way. Maxwell had provided the specification of the experiments that could prove whether the ether exists. In 1887, Michelson and Morley performed the experiment intended to detect any optical effect due to the motion of the earth around the sun. The result being negative, H. A. Lorentz and G. F. Fitzgerald suggested that if no effect could be found then the reason could be that the apparatus contracted in the direction in which it was moving. Any scale used to measure the effect would also contract in the same way thereby preventing any measure of that effect. Any other later attempts to detect the ether always gave the same result of contraction as that given by Maxwell’s theory seen above.

4 . Poinc aré’s Princi ple of R elati vity Poincaré’s chapter on “optical phenomena in a body in motion” in his “Électricité et Optique”14 gives an extremely clear mathematical description of the situation. The fundamental problem consisted in detecting an absolute motion of the earth. To do so, Poincaré starts from the phenomenon of aberration of light in the usual astronomical observation. This phenomenon was explained by the relative motion of the earth (i.e. the ether and the ponderable medium that it fills) with respect to the light of the stars observed in the telescope and the actual position of the stars. Fresnel’s theory and Fizeau’s experiments had shown that the earth motion had no effect on reflection and refraction of light and, as we saw above, all experiments intended to exhibit the earth motion on the basis of optical phenomena had failed. Lorentz theory explained pretty well these negative results. Indeed, Lorentz had proved as a theorem that the earth motion had no influence on optical phenomena. Michelson’s experiment15 was then designed in such a way that the aberration of light should appear, in accordance with the predictions of Lorentz’s theory. In order to explain the negative results, a shortening of the length of the bodies in the direction of the earth motion was supposed. “That

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strange property would appear as a ‘little help’ from nature to prevent the optical phenomena from revealing absolute motion of the earth […] I cannot be satisfied by this […] and I consider as highly probable that optical phenomena depend only […] and rigorously on the relative motion of the bodies […]. A principle that will be verified more precisely with more precise experiments […] and Lorentz’s theory is the theory that comes the closest to prove this principle and one can hope to come to a prove without altering it too much”16. Absolute motion of the earth and its velocity with respect to the ether were thus impossible to detect and to determine. In 1900, Poincaré continued to expose his ideas, doubtful about the existence of the ether. In 1904, Lorentz will also defend the same principles. In his Saint Louis Lecture17 that same year, Poincaré called his generalized principle, the “Principle of Relativity”: the laws of physical phenomena must be the same for a fixed observer as for an observer in relative rectilinear uniform motion. And he concludes that, from there, a new kind of dynamics must arise which will be characterized above all by the rule that, inertia increasing with the velocity, no velocity can exceed the velocity of light. In his note read at the Academy18 on 5th June 1905, the abstract version of his Mémoire of July, Poincaré returns to his principle of relativity and to Lorentz 19 who had completed and modified his hypothesis of contraction to account for the results of Michelson and to make it agree with Poincaré’s principle of the impossibility of detecting an absolute motion. Poincaré confirms there Lorentz’s results and he shows the importance of his transformation formulae, that he calls the “Lorentz transformations”. From these transformations, he deduces a theorem of addition of velocities and, most importantly, he shows that the Lorentz transformations form a group to the condition that a variable corresponding to the length of the moving body in the equations be equal to 1, that is, the transformations that do not alter the equations of motion must form a group.20 This is the only condition for which there is no absolute motion, and it is necessary to avoid absolute motion and to preserve the principle of relativity of motion, i.e., the equivalence of observers in relative uniform motion. Doing so, and this is an absolutely fundamental step, Poincaré relates the theory of relativity to the mathematical theory of invariants. Indeed, what Lorentz had established was that the equations of the electromagnetic field were invariant with respect to the Lorentz transformations. Finally, in the same Mémoire, Poincaré proposes to represent the time coordinates in a fourth dimension of space, an idea that Minkowski will fully develop in his 1908 four-dimensional space-time model of special relativity. Poincaré had thus obtained analytical results equivalent to those of Einstein’s theory of relativity. The later relies on the relativity of time and space while Poincaré’s theory considers light as standard of measurement. Since the usual way of measuring by comparing two solids is no longer valid due to Lorentz’s

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contraction, Poincaré considered that two solids have equal length if light takes the same time to travel from their respective end to their beginning. The sequel of the story is known.21 On June 30, 1905, Einstein sent in his famous paper to Annalen der Physik. In this paper, he noticed that with respect to uniformly moving referential systems the speed of light does not change and that local times could be introduced —as Lorentz had done— to compensate that fact. His main idea was to consider the speed of light as a constant. Given the relativity of motion of two systems and the principle of constancy of the speed of light, the clocks of two systems can be set in such a way that the speed of light going across two systems has the same value in both systems. From these two principles, he deduced formulae identical to Lorentz transformations. Until then, time had been a primitive notion and the speed of light a derived notion. Now, it is the speed of light that is an absolute principle to which time is submitted, it is relative to the system of reference of an observer. From there, Einstein deduced a theorem of addition of velocities and various other well known consequences. But this was not the end of the story yet. In the series of courses mentioned above, Poincaré had studied Lorentz and Hertz theories of electricity22 and he had related gravitation and electromagnetism. The Newtonian theory of gravitation could not explain all discrepancies between the observed motion of heavenly bodies and their law of motion, for example, the advance of Mercury’s perihelion. In 1900, Lorentz had considered the problem and a possible explanation from the point of view of electromagnetic actions propagated with the speed of light. In his Rendiconti paper, Poincaré considered Lorentz’s point of view of the inertia of electrons as an electromagnetic phenomenon and the conditions of invariance of the electrons under Lorentz’s transformations. He showed that the electromagnetic forces alone were not sufficient and that some potential proportional to the volume of the electron must enter into play in order to preserve the invariance, i.e. the equilibrium of forces acting inside the electrons. Roughly speaking, if an electron is in a uniform rectilinear motion, its form is affected: it is ellipsoid. What force can be the cause of that required potential? It is a force equivalent to a pressure and it is proportional to some power of the mass of the electron. Since Newtonian attraction is proportional to the mass, one could think that there is some relation between the cause of gravitation and the cause of the potential. But gravitation cannot have an electromagnetic origin. Gravitational and electromagnetic fields are different. Consequently, Lorentz had to add that his transformations act on gravitation in the same way as on electromagnetic forces. On this basis, and examining various hypotheses and their consistency with respect to Newtonian gravitation, Poincaré concluded that the gravitational force propagates at the speed of light. Given that the gravitational and inertial properties of a body are essentially similar, i.e. the inertial mass which determines the acceleration of a body under

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a given force and gravitational mass which determines the gravitational forces between a body and other bodies being equal, in 1907, Max Planck will suggest that since energy has inertial properties, energy must gravitate. Shortly after, Einstein published a memoir in which he introduced what will later be called the principle of equivalence: the acceleration is equivalent to the gravitational action, explaining thereby the red-shift of the spectral lines. Finally, the idea of Planck will be resurrected in a 1911 memoir: light being electromagnetic energy must gravitate, i.e. passing close to the sun it must be bent. And, moreover the speed of light must depend on the gravitational field. This will later allow verifying observationally the general theory of relativity.

5 . T he Problem of Geometry Numerous attempts to prove Euclid’s parallel postulate having failed, at about the same time, Lobatchevsky, Bolyai and Gauss concluded that, not only the postulate could not be proved, but a geometry could be built, either without that axiom, or replacing it by the following: through any point in the plane pass two lines parallel to a given one. Later on, in the context of his work on differential calculus, Riemann proposed another kind of geometry in which the parallel postulate is replaced by the following: through a point of the plane no line can be drawn parallel to a given one. This implies that all lines parallel to a given line meet in a single point at a distance of it. Simply characterized, in the Euclidean, Lobachevskian and Riemannian geometries, the sum of the angles of a triangle is respectively equal to, less than and greater than two right angles. And each choice of postulate corresponds respectively to the parabolic, hyperbolic and elliptic space.

6 . B ern hard Ri eman n’s Geo metry W. K. Clifford was the first to introduce the new geometries in Britain. Indeed, in 1873 he published a translation of the 1854 Habilitationschrift23 of B. Riemann: On the hypotheses which lie at the bases of geometry published posthumously in 1867. According to F. Klein, Riemann’s main goal had always been to find a mathematical form in which to represent, in a unique way, the laws which natural phenomena obey. Indeed, various fragments of his unfinished work refer to the hypothesis of space filled with a continuous fluid, the medium of light, electricity, magnetism and gravitation.24 His course on partial differential equations, for example, is devoted to the applications of these equations in physics, to heat, elasticity, and hydrodynamics.25 Klein sees there the place to look for the origin of Riemann’s mathematics. Indeed, the role played in physics by the negation of action at a distance and the explanation of phenomena by

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interaction of forces in the ether is paralleled in mathematics by the definition of functions by their mode of existence in the infinitesimal domain, i.e., by the differential equations to which they satisfy. Moreover, Riemann’s explicit use of Green’s potential theory26 in his theory of functions introduces physics into mathematics. Finally, geometrical intuitions and constructions, like the Riemann surfaces, are the gateway to the representation of the all theory of functions. In reviewing briefly the main lines of Riemann’s paper here, it is interesting to notice the relationship with Grassmann’s ideas in the introduction to his Ausdehnungslehre, ideas that are repeated in Book I of Whitehead’s Treatise on Universal Algebra. To some extent, Riemann starts from a conception close to that of Grassmann to which he adds an empirical element and a measure theory. Geometry assumes space as well as the principles of construction in space. These primitive notions are given nominal definitions and their true determinations are given by axioms. Without a general concept of multiple magnitude dimensions, of which the extended magnitudes are a particular case, the relationships between these notions are mysterious. The problem is to build up the concept of a multiple dimensions magnitude out of that of magnitude. This was also Grassmann’s program but, in his system, geometry was just one domain of application of his theory of extended magnitude.27 Since various metric relations can be applied to a multiple dimensions magnitude, space being only a particular case of a three-dimensional magnitude, it follows necessarily that the propositions of Geometry cannot be deduced from the general concept of magnitude but that the properties from which space is distinguished from any other 3-dimensional magnitude can only be deduced from experience. This is an interesting position given the rather Kantian context of the time. Whitehead will adopt this empirist position but will not follow Riemann who inclined to think that real space was not Euclidean. How then to establish the metrical relations of space, and on which facts to determine the relations of measure? Euclid’s system relied on empirical hypothesis, not on necessities, and it fitted the observational facts. But this does not prove that the extension of these facts in the infinitely small or large is still confirmed. As Riemann remarks, to construct an n-dimensional extended magnitude is complicated. The concept itself is complicated and Riemann could only rely on the former work of Gauss and on that of the philosopher Herbart. A concept of magnitude requires a general concept that allows several modes of determination. Depending on the possibility or not to pass from one mode to another in a continuous way, it is a continuous quantity. Otherwise, it is a discrete quantity. In the first case, the mode is called a point; in the second case, it is called an element of the multiplicity or manifoldness. Quantities of the second kind are frequent, for example, the positions and colours of perceived

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objects, while those of the first kind are not common and it is mainly inside of mathematics that these concepts occur easily. A part of a multiplicity separated from the rest by a boundary is a quantum. Comparing quanta from the point of view of quantity is made by counting for discrete multiplicities and by measuring for the continuous multiplicities. Measuring consists in superposing the quantities to measure. To do so, a reference is needed, otherwise, the magnitudes can only be compared in a branch, non-metric, of the general theory of magnitudes where they do not exist independently of position but are only expressible as regions of the manifold. This is the domain of the many-valued analytic functions. In this general branch of the theory of extended magnitudes where nothing which is not already in the concept is assumed, Riemann considers only the generation of the concept of a n-dimensional manifold and the way of reducing the determinations of location in a given manifold to the determination of quantity. The later must show clearly the essential character of a study of ndimensional manifold. He thus constructs the notion of manifoldness of n dimensions and shows that its characteristic is the property that the determination of position in it may be reduced to n determinations of magnitude. On certain hypotheses, these abstract magnitudes can be decomposed into relations which can each receive a geometrical representation and hence a geometrical expression of the results of the calculus. What, then, are the measure relations and how to determine them? In order to provide metrical determinations, position and magnitude must be independent. The determination of position being reduced to the determination of quantities and the position of a point in the n-dimensional manifold being expressed by n variable quantities, x1,…,xn, the determination of a line reduces to giving the xi as functions of one variable. The problem is thus to find an expression for the length of the line, i.e. to express the x’s in terms of units. Riemann considers lines in which the ratio of increases dx of the corresponding variables, x, varies continuously. These lines can then be decomposed into elements within which the ratios of the dx are constant, reducing the problem to that of finding, for each point, an expression for the differential linear element, ds, starting from that point, and which contains the quantities x and dx. Moreover, the length of the linear element is assumed to be constant when all the points of this element vary infinitesimally. The simplest case is when the line element, ds, is the square root of an always positive integral homogeneous function of second order of the quantities dx where the coefficients are continuous functions of the quantities x, i.e., expressed in Cartesian coordinates, the position of the point in space is ds =  dx2. This is one among other cases. The multiplicity in which, as in the plane, the ds can be reduced to the preceding form requires a name to distinguish it from the other. Riemann calls it the plane manifold.

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The other forms of multiplicities are obtained similarly, considering the representation of a point as function of the length of a line through the origin, n quantities x and dx, one obtains a term in the ds2 whose value, in the case of a plane manifold, is 0. This term can be taken as the measure of the variation of planarity of the manifold, its curvature. For example, the Euclidian plane has curvature = 0 and Clifford will call this space homaloidal, from the Greek ‘omalos’, level. Riemann thus starts with a mathematical consideration of the abstract notion of determining the metrical relationships in an n-dimensional manifold. Taking apart the relations of extensions, space, and the metric, he finds that for the same relations of extension, various metric are possible. It remains to be seen to what extent these hypotheses are confirmed by experience. Extending space construction to the infinitely great, one must distinguish the unboundedness which belongs to the relations of extension from the infinite which belongs to the measure relations. Our conception of the external world has always confirmed the assumption of space as an unbounded three-dimensional manifold and has greater empirical certainty than any other external experience. But the infinite extension does not follow from there because if we ascribe to space some constant positive curvature, it must be finite. All geodesics of a surface element being prolonged would give an unbounded surface of constant curvature, i.e. a surface which in a flat threedimensional manifold would take the form of a sphere and hence be finite. Finally, Riemann considers metrical relations in the infinitesimally small, contrary to the infinitely great which, according to him, is useless for the knowledge of the laws of nature because it is from variations at the infinitesimal level that our knowledge of the laws of nature comes. If bodies exist independently of position, then curvature must be everywhere constant and null. Otherwise, the curvature at any point could vary if the global curvature of any measurable portion of space remains null and still other relationships could be imagined. Nevertheless, it seems that the empirical concepts on which the metrical relations as well as the notions of solid and light rely do not hold in the infinitely small. Hence, one has to suppose that, at that level, the hypotheses of Geometry no longer hold. This is a fact to recognize if a simpler explanation of phenomena is thereby obtainable. The validity of these hypotheses is bound to that of the metrical relationships in space. Related to this, the above remark about the discrete manifold belongs to the doctrine of space. In this case, the principle of the metrical relationships is contained in the concept of the manifold. But for the continuous manifold, the principle must come from elsewhere. Thus, the reality on which space is founded must form a discrete variety or the foundation of the metrical relationships must be sought outside of it in the binding forces that act in it. So the nature of the real space must be determined a posteriori; its tridimensionality

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and homaloidality are to be decided by experience and this leads to the domain of physics.

7 . Willi am Kingd on Cli fford The idea conception of a new geometry of the physical world had been considered long before the theories of relativity. The possibility of an ndimensional geometry had been anticipated by Gauss, Hamilton, Grassmann and Cayley and before the works of Bolyai and Lobatchevsky came to be known. Gauss even went as far as trying to verify experimentally the curvature of space before 1820, but he never dared to make his ideas public. A. Cayley28 had published a paper on n-dimensional geometry in 1843 and, before him, W. R. Hamilton had already thought of higher-order spatial dimensions. About half a century before General Relativity, W. K. Clifford had exposed his views on matter and space and their relationship. He saw matter as small deformations of a Riemannian space and matter in motion as variations of the curvature of that space29. We can read in Maxwell’s letters that the idea of a different geometry of space was not unknown to him. He even gave his arguments against a fourth dimension. He just did not see why a different space would have been required.30 The topic had been publicly discussed. J. J. Sylvester31 mentioned Clifford’s new ideas on space and matter in a talk in which he refuted some opinions of Huxley who saw mathematics as “that study which knows nothing of observation, nothing of experiment, nothing of induction, nothing of causation.” In that talk, he also referred to Riemann who rejected Kant’s doctrine of space and time as forms of intuition and considered that they had physical and objective reality. In his thesis, as we have seen, Riemann had shown that our conception of space is purely empirical, that our knowledge of its laws are the result of observation and that other kinds of space with other laws than ours might exist. These remarks on an empirical space with four dimensions and the refutation of Kant’s a priori forms of intuition, the shield of the partisans of a 3dimensional space, generated a large debate in the columns of the journal Nature. In 1873, Clifford presented a calculus of twists and screws,32 a 3-dimensional counterpart of elliptic space obtained in combining Hamilton’s Quaternions and Grassmann calculus. He also presented a new non-Euclidean geometry, plane at large but Riemannian locally in the infinitesimal relations between consecutive points of space.33 It is only around 1890 that F. Klein and W. Killing will develop Clifford’s new geometry. Klein had been acquainted with Clifford and considered him as one of the great English mathematicians. Indeed, they had met at the 1873 meeting. It is also at that meeting that Clifford met R. S. Ball, the author of the theory of screws that he had used in his own work. Whitehead

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is listed Bell’s book34 among those who had read the print of the book before publication. He was thus well aware of all the questions. It would take us too far away to review the rest of Clifford’s work. Let us just mention that he continued to develop his ideas on non-classical elliptic space and motion in that space in various papers and in his Elements of Dynamic. Given his early death, one can only speculate on his conceptions respecting matter, space and gravitation. A. Cayley35 did consider the new geometries, those “quasi-geometrical notions; those of more-than-three-dimensional space, and of non-Euclidian twoand three-dimensional space”, but, as far as space is considered as space of experience, he stuck to Euclidian space. And Klein proposed an approach to non-Euclidean geometry based on Cayley’s projective methods.36 But it was not time to change the geometry of the physical space. Moreover, times then were those of projective geometry. Nevertheless, it seems that Cayley eventually speculated about a four-dimensional finite space for physics around the end of the years 1880’s. At that time, according to V. Lowe, Whitehead had his meals at Cayley’s table.

8 . Whi tehead and th e Th eo ry of Rel ati vi ty Whitehead had been confronted with the question of space in his work on Grassmann; he was not ignorant of the issues raised by non-Euclidean Geometries and many of his early writings are concerned with Geometry. These writings include “The Geodesic Geometry of Surfaces in non-Euclidean Space”,37 Treatise on Universal Algebra, The Axioms of Projective Geometry 38 and The Axioms of Descriptive Geometry39 where he discusses the relations between both geometries: any descriptive space can be represented in a projective space. Finally, in his most important relationist theory of space,40 he rejects the action at a distance. In his paper on the geodesic geometry, he shows that the surfaces in any non-Euclidean space can be reduced to the geodesic geometry of straight lines in a Euclidean space. There, Whitehead starts with an important clarification: philosophers as well as many mathematicians “have been misled into the belief that some peculiar property of flatness is to be ascribed to Euclidean space”. He remarks that Bolyai’s theorem refuted the widespread belief that a peculiar property of flatness had to be ascribed to Euclidean space because planes or other sorts of space can be represented as surfaces in that space. Euclidean geometry itself can be interpreted as geodesic geometry in a non-Euclidean space. Whitehead further remarked that a disembodied mind can contemplate the various sorts of space but “In the application of geometry to the interpretation of phenomena, the idea of a fourth dimension is useless, as we have no such intuition.” The fundamental problem of applied geometry is the comparison of what he calls the space-constant, i.e. the radius of curvature of space, to our

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empirically given units like the earth’s diameter. And the properties of space in relation to our experience will be different according to the ratio of that constant to that empirically given standard. Using Grassmann’s method, Whitehead starts from known results like Beltrami’s theorem41 to investigate the properties of surfaces in the three types of geometries which are such that their geodesic geometry is that of straight lines in a Euclidean space. Extending Beltrami’s theorem to non-Euclidean space, he showed that surfaces of constant curvature are the only surfaces for which geodesics can be transformed into straight lines when the surface is represented point for point on a plane. “Space and time spring from a common root, and […] the ultimate fact of experience is a space-time fact.”42 From Riemann’s work or from Grassmann’s ideas in the Ausdehnungslehre, a purely abstract and structural view of space (and time) is obtained in which there is hardly any reference to space (nor time) as experienced. Although in most of the ordinary scientific practice, reference to any sort of perceptual of empirical conception of space must be avoided, it is the heart of the problem for Whitehead: to reconcile that sort of highly abstract conception with the usual representation gained through empirical perception. Indeed, a central issue is that of accounting for the awareness of nature through our senses perceptions. This dichotomy between the picture of the world as it is given by theories and the world as it is perceived or experienced is a problem that already permeated in some of Maxwell’s remarks and letters. And it is a problem that Whitehead wants to solve. The relativistic theory of electromagnetism and gravitation relies on a new conception of the relation of space and time that it introduced. According to Whitehead, this theory should not only comply with the usual tests that any scientific theory must pass but it must also be in “consonance with the general character of our direct experience.” Given this new view and the conceptual shift involved, Whitehead considers that it is the duty of philosophy to analyze these new concepts. This would extend the capacity of science in its analysis of the phenomena. Philosophy, here, concerns “the most general conceptions which apply to things observed by the senses”; its goal is to formulate the principles employed in all branches of natural science and, quoting Poynting, “to describe the sensible in terms of the sensible.” Whitehead’s principle of relativity is based on his metaphysics where we find his opposition to dualism, his idea of “bifurcation of nature”, his opposition to the classical substantialist philosophy, his process view of nature, his events as basic. In PNK, he had raised the old question of the relations of the objects of natural philosophy with the objects of perception and provided his answer to the bifurcation of nature, the erroneous identification of these two kinds of objects. The process of ‘diversification of nature’ breaks up our perceptual experience into various sorts of entities, among which the events, the objects of perception and the scientific objects are important from the point of view of scientific

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theories. “Nature is what is observed” and the ether is a character of the things observed. Mentioning ether at this prefatory stage is thus not just any example. Indeed, Whitehead writes43 that the field of force has been replaced by an ether of events in place of material ether. "I give the name 'event' to a spatio-temporal happening. An event does not in any way imply rapid change: the endurance of a block of marble is an event Nature presents itself to us as essentially a becoming, and any limited portion of nature which preserves most completely such concreteness as attaches to nature itself is also a becoming and what I call an event. By this I do not mean a bare portion of space-time. Such a concept is a further abstraction. I mean a part of the becomingness of nature, coloured with all the hues of its content. Thus nature is a becomingness of events in terms of space and time. Thus space and time are abstractions from this structure."44 Matter as substance in nature as well as dualism are rejected in Whitehead’s metaphysics. The world is dynamic, processual and not static. It is a world of experienced events and not of theoretical mass-points. It is a world dynamically related. Events are not abstracted from space-time but space-time is an abstraction from the concrete relatedness of events. And events as four dimensional structures are built on space and time. In constructing his theory of relativity, Einstein relied on two principles: first, the laws of mechanics and of electrodynamics are equivalent in all inertial frames and, second, the velocity of light is a constant. Lorentz transformations that correlate space to time are deduced from these two postulates on the basis of the congruences that they determine in inertial frames. Whitehead’s critique of Einstein is addressed to his epistemological presuppositions. According to PNK, the physical content of Einstein's Relativity can be deduced without these two principles. Indeed, Whitehead deduced Lorentz’s transformations from the uniformity and symmetry of space-time and from the symmetry and transitivity of the transformations. In addition, he made a clear distinction between inertial and rotating systems. Thus, Whitehead derives these equations in a completely different way. What comes first is experience of facts and the laws deduced must conform to immediate experience in observation, i.e. they have to account for the perception of corresponding facts. Of course, there are facts that will never be observable by direct perception. But the method of extensive abstraction provides a means of accounting for them. It is a framework or a structural theory of perception relying on basic perceptual elements and which tells how things must be built in order to be explained as perceived by direct experience. Classical Physics distinguishes sharply space and time because it had no way of representing four-dimensional events. In his method of extensive abstraction, Whitehead adopted Minkowski's four-dimensional geometrical representation of relativity theory and attempted to reconstruct that representation from the

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structures of events. Minkowski’s events-particles with no extension are reconstructed from extended events. Moreover, in the general theory of relativity, space-time is entirely determined by matter and, of course, independently of perception while on Whitehead’s view, perception is a condition of measurement of space-time. In a move that may be closer to Riemann’s ideas, Whitehead rejected the priority of matter over space-time. Matter is an "adjective" of events and it does not interfere with space-time. That is, contrary to the General Theory of Relativity, there is no curvature of space-time, no "bending of space" in Whitehead’s Theory of Relativity. As he wrote in CN: "'Space caught bending' appeared on the news-sheet of a well-known evening paper. This rendering is a terse but not inapt translation of Einstein's own way of, interpreting his results. I should say at once that I am a heretic as to this explanation and that I shall expound to you another explanation based upon some work of my own, an explanation which seems to me to be more in accordance with our whole scientific ideas and with the whole body of facts which have to be explained." From now on, a fair account of Whitehead’s theory in the sequel of this paper will require an explanation of his position with respect to the fusion of Geometry and Physics in the framework of the General Theory of Relativity that he kept separated with distinct roles: physics is concerned with perceived phenomena which are contingent on a uniform space-time, the concern of geometry. And this uniformity of space-time is a requirement of the theory of measure on which his answer to Einstein’s relativity relies. As he wrote: By identifying the potential mass impetus of a kinematic element with a spatio-temporal measurement Einstein, in my view, leaves the whole antecedent theory of measurement in confusion, when it is confronted with the actual conditions of our perceptual knowledge. The potential impetus shares in the contingency of appearance. It therefore follows that measurement on his theory lacks systematic uniformity and requires a knowledge of the actual contingent physical field before it is possible. For example, we could not say how far the image of a luminous object lies behind a looking-glass without knowing what is actually behind that looking-glass.45

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N otes 1

Université de Leuven. An Inquiry Concerning the Principles of Natural Knowledge, 1919. The Concept of Nature, 1920. The Principle of Relativity, 1922. 3 A. John Coleman, Feb. 7, 2005, Dogmatic Opinion and Objective Thoughts of the Editor, pp. 1-8, of J. L. Synge on Whitehead’s Principle of Relativity, Queen’s University, Kingston, ON, Canada, pp. 8-51; available from arXiv:physics/0505027 v2 19 May 2005. 4 « On the Mathematical Concepts of the Material World », Philosophical Transactions, Vol. CCV, 1906, pp. 465-525. 5 See the paper by I. Grattan-Guinness in Chromatiques I and its expansion, « Algebras, Projective Geometry, Mathematical Logic, and Constructing the World: Intersections in the Philosophy of Mathematics of A. N. Whitehead, » Historia Mathematica, 29, pp. 427-462. 6 E. Cassirer, Substance and Function and Einstein’s Theory of Relativity, 1910. 7 H. Poincaré, Science and Hypothesis, London, W. Scott Publishing, 1905, pp. 164-5. 8 « One word characterizes the most strenuous of the efforts for the advancement of science that I have made perseveringly during fifty-five years; that word is FAILURE. I know no more of electric and magnetic force, or of the relation between ether, electricity, and ponderable matter, or of chemical affinity, than I knew and tried to teach to my students of natural philosophy fifty years ago in my first session as Professor. » Quoted in Sylvanus Thompson, The Life of Lord Kelvin, Vol. II, p. 984. 9 Ibidem, p. 1013. 10 Ibidem, p. 1172. 11 Ibidem pp. 1181-1184; 1190. 12 Ibidem pp. 1200-1202. 13 J. J. Thompson, Recollections and Reflections, 1936, pp 330-371 of the 1975 edition. 14 H. Poincaré, Electricité et Optique. La lumière et les théories électrodynamiques, leçons professées a la Sorbonne en 1888, 1890, 1899, Paris, Gauthier Villars, 1901, p. 516. 15 Whitehead explains at length this experiment and its meaning in SMW, chapter 7. 16 H. Poincaré, loc. cit., p. 536. He also claimed later that « L’hypothèse de Lorentz est la seule qui soit compatible avec l’impossibilité de mettre en évidence le mouvement absolu », on p. 61 of his Rendiconti paper of 1905, repr. In La mécanique nouvelle, Paris GauthierVillars, 1924. 17 Bulletin des Sciences Mathématiques, 2, xxviii, 1904, p. 302. Also translated in The Monist, Jan., 1905. 18 « Sur la dynamique de l’électron », in Comptes Rendus de l’Académie des Sciences, CXL, 1905, p. 1504. The full text appeared in the Mémoire with the same title submitted to Rendiconti del Circolo Matematico di Palermo on 23 July 1905. Both are reprinted in La mécanique nouvelle, Paris, Gauthier-Villars, 1924. 19 « Electromagnetic phenomena in a system moving with any velocity smaller than that of light », Amsterdam Proceedings, 27 may 1904. 20 In loc. cit., Rendiconti, p. 62. 21 See, for example, the Introduction of La Mécanique nouvelle, op. cit., 1924. 22 One finds there the interesting view that Maxwell did not give a mechanical theory of electricity but showed that a mechanical explanation was possible. 2

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Some historical account is found in Hermite’s introduction to the French translation of the Werken as well as in Klein’s talk on Riemann, (“Riemann and his influence on modern mathematics”) at the Versammlung deutschere Naturforscher und Aerzte, 1894, ibidem, and in his lectures notes, Nicht-Euklidische Geometrie, I, Vorlesung 1889-90, ausgearbeitet von Fr. Schilling, 2ter Ausd., Göttingen, 1893. 24 It is interesting to note that at the time of writing, Klein seems to claim that the ether had only an historical interest left. 25 B. Riemann, Partielle Differentialgleichungen und deren Anwendung auf physikalische Fragen. Vorlesungen herausgegeben von K. Hattendorff, Braunschweig, Vieweg, 1882. 26 See, Chromatiques II, « A. N. Whitehead Natural Philosopher”. 27 See, « A. N. Whitehead’s Universal Algebra » in François Beets, Michel Dupuis et Michel Weber (éditeurs), Alfred North Whitehead. De l’algèbre universelle à la théologie naturelle. Actes des Journées d’étude internationales tenues à l’Université de Liège les 11-12-13 octobre 2001. Publiés avec le concours du FNRS, Frankfurt / Paris / Lancaster, ontos verlag, Chromatiques whiteheadiennes II, 2004, pp. 87-123. 28 A. Cayley, « Chapters on the analytical geometry of n dimensions », in Philosophical Magazine, Vol. 1, 1843, and in The Collected Mathematical Papers of Arthur Cayley, Cambridge, Cambridge University Press, 1899, (repr. 1963), pp. 56-62. 29 W. K. Clifford, « On the Space-Theory of Matter, » 1870, Trans. Cambridge Phil. Soc., 1866/1876, 2, 157-158; repr. in Mathematical Papers, ed. by R. Tucker, 1882, New York, Chelsea, 1968, pp. 21-22. See also his The Common Sense of the Exact Sciences, ed. by K. Pearson, 1885, New York, Dover, 1955 and « On the Aims and Instruments of Science », 1872, repr. in W. K. Clifford, Lectures and Essays, Vol. 1, ed. by L. Stephen and F. Pollock, London, Macmillan, 1901, pp. 124-157. 30 Letter to C. J. Monro, 15 March 1871, partim, in L. Campbell and W. Garnett, The Life of James Clerk Maxwell, with selections from his correspondence and occasional writings, London, Macmillan, 1884, p. 290. 31 « Presidential Address to the section “A” of the British Association », Exeter, British Association Report (1869), pp. 1-9. Repr. in « The Collected Papers of J. J. Sylvester », Vol. 2, Cambridge, CUP, 1908, pp. 650-661. See also « Appendix. Additional Notes to Professor Sylvester’s Exeter British Association Address », in ibidem, pp. 714-719; « On the incorrect description of Kant’s Doctrine of Space and Time », ibidem, pp. 719-731. 32 W. K. Clifford, « Preliminary Sketch of Biquaternions », repr. in Mathematical Papers, op. cit., pp. 181-200. 33 W. K. Clifford, « On some Curves of the Fifth Class, » and « On a Surface of Zero Curvature and Finite Extent. » published as titles in Reports of the British Association, Bradford, 1873, p. 43. 34 R. S. Ball, A Treatise on the Theory of Screws, Cambridge, Cambridge Un. Pr., 1900. 35 Arthur Cayley, Presidential Address to the British Association, Report of the British Association, Southport, 1883, pp. 3-37; also in The Collected Mathematical Papers, 13 volumes, with volumes I-VII edited by Arthur Cayley, volumes VIII-XIII edited by A.R. Forsyth, Cambridge: At the University Press, 1889; Volume XI, 429-459, p.436. 36 F. Klein, « On the so-called non-Euclidean Geometry », Math. Annalen, IV, pp. 573-635. 37 In Proc. London Math. Soc., 29 (1897-98), pp. 275-234. 38 In Cambridge Tracts in Mathematics and Mathematical Physics, n° 4, Cambridge University Press, 1906. 39 Ibidem, n° 5, 1907.

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In Revue de Métaphysique et de Morale, 23 (1916), pp. 423-454. Beltrami’s theorem says that the geodesic geometry of surfaces of constant curvature in Euclidean space is the same as the geometry of straight lines in planes in elliptic or hyperbolic space, according as the curvature of the surface is positive or negative. 42 CN, p. 132. 43 CN 78. 44 Whitehead, The Principle of Relativity, Cambridge University Press, 1922, p.21. 45 Whitehead, The Principle of Relativity, op. cit., p. 83. 41

La perception dans la philosophie de la nature De la définition de la nature au statut ontologique du corps Franck Robert1

« Qu’est-ce que la nature ? », demande Whitehead au début de Concept of Nature2. La question, sans être métaphysique ni seulement épistémologique, porte d’abord sur le sens de la nature pour les sciences naturelles, pour la physique en particulier. A celui qui veut éclairer le sens de ces sciences naturelles, trois questions se posent notamment : 1. Qu’est-ce que la nature ? 2. Comment une connaissance commune, une communauté de vue sur la nature sont-elles possibles ? 3. Quelle est la genèse des objets, formes ou idéalités scientifiques dans leur rapport à l’expérience ? Ces trois questions, Whitehead les partagent avec la phénoménologie. Pour y répondre, Whitehead comme la phénoménologie sont conduits à déployer une pensée du corps et de la perception, sans laquelle aucune élucidation du concept de nature ne peut être faite. Mais si la philosophie de la nature est d’abord une philosophie qui cherche à penser la nature des sciences naturelles, n’a-t-elle pas déjà aussi un sens ontologique fondamental ? C’est ce sens, impensé peut-être, qui nous semble ici ouvrir une voie originale qui peut entrer en dialogue avec la phénoménologie, non seulement là où son questionnement entre en écho avec la pensée de Husserl, mais également là où, à partir d’un tel écho, il offre des perspectives que l’approche idéaliste et transcendantale de Husserl s’interdit d’explorer. Notre hypothèse serait ainsi que ce qui est dit dans les textes de la philosophie naturelle, PNK et le Concept of Nature, a aussi un sens ontologique qui excède le seul sens de la nature et du corps pour les sciences naturelles. C’est le sens d’être de la nature qui trouve à se déployer dans l’expérience scientifique que nous faisons de la nature. Non seulement parce que la science elle-même, notamment la physique contemporaine, celle de la relativité plus particulièrement, nous conduit à un nouveau concept de nature, mais aussi et surtout parce que la conception scientifique de la nature s’enracine dans une expérience primordiale de la nature, dont le concept scientifique de nature est une abstraction. Penser une telle abstraction, c’est aussi déployer nécessairement le sens concret de la nature. Qu’est-ce donc que la nature ? La réponse de Whitehead est la suivante : « La nature est ce que nous observons dans la perception par les sens3. » Que le nous

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soit esprit ou autre chose n’est pas la question de la philosophie de la nature. D’emblée Whitehead écarte toute intervention de l’esprit, ou plutôt toute élucidation du rôle de l’esprit dans cette détermination de la nature. Au sens phénoménologique, l’on dira que l’esprit est mis en suspens, entre parenthèses, pour que ne soit pensé que ce qui apparaît, la nature. Ainsi ne se prononcera-t-on pas alors sur le rapport esprit-nature : Dans cette perception sensible, poursuit en effet Whitehead, nous avons conscience de quelque chose qui n’est pas la pensée et qui est autonome par rapport à la pensée. Cette propriété d’être autonome par rapport à la pensée est la base de la science naturelle. Elle signifie que la nature peut être pensée comme un système clos dont les relations mutuelles n’exigent pas l’expression du fait qu’elles sont objets de pensée4. La philosophie de la nature doit donc être une pensée homogène de la nature5, qui exclut de son champ d’investigation la nature conçue comme objet de pensée6. Elle est pensée de la nature en tant que « perçue », elle est pensée du perçu comme tel, du rien que perçu. Une telle pensée homogène de la nature, qui ne décrirait la nature qu’en tant que perçu et comme perçu, pourrait faire écho au sens noématique de la recherche phénoménologique, à ceci près cependant que le pôle noématique est indissociable du pôle noétique, c'est-à-dire d’une pensée de la conscience, qui envisage la corrélation de l’intentionnalité de la conscience, la noèse, et de son sens objectif visé, le noème. A moins bien sûr que l’étude noématique ne conduise à une remise en cause de la structure même noèse-noème, on ne saurait dire que la recherche whiteheadienne relève de la phénoménologie. De ce point de vue, loin de conduire à une analytique de la conscience, à explorer son sens intentionnel, la mise entre parenthèses qu’opère Whitehead lorsqu’il cherche à décrire la nature est aussi et d’abord, contrairement à l’approche husserlienne, mise entre parenthèses de la conscience. En ce sens, pour le Whitehead de PNK et CN, la phénoménologie, en son moment idéaliste-transcendantal, relèverait de la métaphysique, posture à laquelle Whitehead se refuse ici, même s’il s’interroge en réalité aussi, dans une perspective non métaphysique, sur le percevant, comme nous le verrons. L’esprit est donc mis en suspens, mais le corps peut-il l’être de la même manière ? Si la nature « est ce que nous observons dans la perception par les sens », pourra-t-on mettre en suspens le corps, sans lequel nulle observation, nulle perception, nul sens ne semblent envisageables ? Pourra-t-on mettre entre parenthèses le corps lorsqu’il s’agira de penser la nature ainsi définie ? C’est un constat pourtant : le corps, en tant que tel, semble apparemment le grand absent de la philosophie de la nature, sa présence semble marginale et discrète, en retrait, comme si le corps avait à disparaître devant l’apparition de la nature. La présence du corps est en revanche décisive, de même qu’une théorie

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de la perception, dans les œuvres ultimes, dans PR notamment, lorsque la pensée se fait métaphysique. Comment comprendre ce retrait apparent du corps dans la philosophie de la nature ? Peut-on ainsi définir la nature, comme ce que nous observons dans la perception par les sens, sans déployer une pensée du corps et de la perception corporelle ? Peut-on penser l’espace, décrire la genèse de l’espace, et non seulement de l’espace tel que la science physique le pense depuis Galilée, Descartes, Newton, mais également de l’espace de la relativité, sans élaborer une théorie de la perception ? Il pourrait y avoir une première raison à cette mise en retrait du corps, raison qui ne serait que le corrélat de la mise en suspens de l’esprit : de même qu’une pensée homogène de la nature doit mettre entre parenthèses l’esprit, sans doute doit-elle mettre entre parenthèses l’idée de corps, d’un corps qui, d’une manière ou d’une autre, serait lié à un tel esprit. On doit parvenir à penser la nature comme ensemble d’entités « dont les relations mutuelles sont exprimables dans la pensée sans référence à l’esprit, c'est-à-dire sans référence à la conscience sensible ou à la pensée. »7 Il y aurait donc une raison méthodologique à cette absence du corps : il s’agit de penser la nature telle qu’elle se présente à la science, en son jeu de relations multiples, relations que la philosophie naturelle a à élucider. Cette raison méthodologique aurait ainsi une raison philosophique : une philosophie de la nature, pour être telle, n’a aucunement à adopter une position métaphysique ; elle n’a pas à se perdre dans des réflexions stériles portant sur les relations entre la nature, le corps et l’esprit. Ainsi notamment la science et la philosophie se sont-elles égarées lorsque, à partir de la distinction entre qualités premières et qualités secondes, elles ont cherché à expliquer comment il était possible de percevoir des qualités secondes, la couleur, le son, qui ne sont pas là, qui n’appartiennent pas en propre à l’objet. Il a fallu faire intervenir l’esprit, une addition psychique des qualités secondes, mais cela a obligé à penser le rapport esprit-nature, en faisant intervenir, comme médiation possible et causale, le corps. Ainsi Whitehead écrit-il dans CN : Pourquoi nous faut-il percevoir les qualités secondes ? Cela semble une affaire extrêmement malheureuse que nous percevions quantité de choses qui ne sont pas là. C’est pourtant ce à quoi la théorie des qualités secondes en arrive en fait. Aujourd’hui règne en science et en philosophie une molle adhésion à la conclusion selon laquelle on ne peut expliquer de façon cohérente la nature telle qu’elle nous est dévoilée dans la conscience sensible, sans faire intervenir ses relations à la pensée. L’explication moderne de la nature n’est pas, comme elle le devrait, simplement une explication de ce que l’esprit connaît de la nature ; mais elle est aussi mêlée à une explication de l’effet de la nature sur l’esprit. Le résultat a été désastreux à la fois pour la science

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et la philosophie, mais surtout pour la philosophie. Cela a transformé la grande question de la relation entre la nature et l’esprit en une modeste question, celle de l’interaction entre le corps humain et l’esprit8. C’est ainsi à la fois les théories réalistes et idéalistes de la connaissance qui se trouvent contestées. Si le corps est en effet pensé, en un sens réaliste et causal, comme ce qui prolonge la causalité de la nature en produisant un effet sur l’esprit, on comprend que la spécificité de l’esprit se trouve effacée, niée au profit d’une nature purement causale ; si, inversement, le corps n’est que la marque d’une finitude pour un esprit qui seul donnerait à la nature son sens, qui seul organiserait ou mettrait en forme des données purement sensibles et brutes, c’est alors la nature qui se voit réduite à être un pur objet de pensée. Malgré l’idéalisme transcendantal husserlien, on trouverait dans la phénoménologie, chez Husserl déjà, chez Heidegger, chez Merleau-Ponty, de semblables critiques des théories réalistes et idéalistes de la connaissance et de la perception. Ces théories, de manière certes opposée en apparence, effectuent une seule et même bifurcation de la nature, entre une nature connue et une nature apparente, entre la nature de la science et la nature perçue. Dans cette bifurcation de la nature, le corps est à la fois indispensable et impensable : médiation indispensable entre la nature et l’esprit, ou entre l’esprit et la nature, il ne peut être pensé en sa spécificité, ni naturelle, ni spirituelle, au moment même où il doit pouvoir être pensé, si cette bifurcation fait sens. Dès lors, si la mise entre parenthèses de l’esprit est une première manière de désamorcer cette bifurcation de la nature, on comprend que le corps, pensé comme lien indispensable et impensable entre la nature et l’esprit, soit également écarté d’une pensée de la nature qui exclut l’esprit. On comprend que dans ce contexte Whitehead trouve stériles les spéculations portant sur l’interaction entre le corps humain et l’esprit. Pour la philosophie de la nature, pour celui qui recherche les données ultimes de la science pour en envisager les relations9, il n’est pas nécessaire de se prononcer sur la nature de ces données, d’adopter telle ou telle posture métaphysique sur l’être de la nature, du corps et de l’esprit10. Notre question est cependant insistante : peut-on mettre entre parenthèses le corps avec autant de facilité qu’on semble pouvoir le faire de l’esprit ? Si l’esprit est bien en effet écarté de toute pensée homogène de la nature, si la nature n’est aucunement conçue comme objet de pensée, elle est en revanche bien objet de perception. Bien plus, certains modes de diversification de la nature11 ou certaines entités produites par notre connaissance perceptuelle de la nature12 semblent nous renvoyer essentiellement au corps : d’après PNK, non seulement certains objets relèvent de la perception en tant que perçus, lorsque la perception opère déjà de premières abstractions — ce sont les objets sensibles et

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les objets perceptuels —, mais il y a aussi les objets percevants et, parmi les événements, cet événement d’une importance fondamentale dans la saisie du passage de la nature, l’événement percevant13. Parler d’objet percevant ou d’événement percevant n’oblige-t-il pas en effet à déployer une pensée du corps, même s’il s’avère, au final, nécessaire d’abandonner toute pensée classique du corps et de la perception ? Ainsi, si PNK ou CN semblent mettre en suspens toute pensée du corps, semblent donner un coup d’arrêt à toute réflexion sur le corps14, nombre d’analyses sont déjà essentielles à qui voudra comprendre la genèse des éléments constituants la nature et le sens de la perception dans une telle genèse. On le sait, ce sont ces analyses qui intéressent un phénoménologue comme Merleau-Ponty, notamment dans la cours au Collège de France qu’il consacre à la nature en 1956-1957. Quel est donc le sens du corps dans notre découverte sensible de la nature ?

1 . Nature et co rps PNK, qui suspend toute pensée du corps, affirme cependant qu’aucune saisie d’un objet sensible, d’un objet perceptuel, et sans doute aussi d’un objet scientifique, ne peut se faire sans événement percevant. Même l’objet scientifique présuppose en effet l’événement percevant : s’il peut être pensé indépendamment de l’événement percevant, il présuppose les objets sensibles et les objets perceptuels et, en ce sens, il ne peut lui-même être envisagé, en sa genèse, sans référence à l’événement percevant15. L’événement percevant est lui-même par ailleurs, selon PNK, en relation intime avec un certain type d’objet, l’objet percevant, qui trouve dans l’événement percevant sa localisation : L’événement percevant est discerné comme étant le lieu d’une permanence reconnaissable qui est l’« objet percevant », écrit Whitehead16. Qu’est-ce qu’un tel objet percevant ? L’objet percevant est-il l’esprit ou la conscience en lesquels s’unifierait et se rassemblerait une collection d’événements percevants ? L’objet percevant pourrait-il être un corps-objet, en son unité, et en son union avec une seule et même conscience ? Un tel objet, poursuit le texte, est l’unité d’une awareness dont la récognition conduit à la classification d’une suite d’événements percevants en tant que vie naturelle associée à une conscience17. Si le corps, en tant qu’objet, lié peut-être à un esprit, est ainsi objet percevant, PNK nous semble offrir à la fois une pensée classique du corps et ouvrir tout en même temps des perspectives tout à fait originales. Si PNK exclut tout

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approfondissement du sens de l’objet percevant, il appartient peut-être au lecteur d’interroger les perspectives que les textes de la philosophie de la nature permettent déjà d’explorer. Ce qui est classique — mais aussi problématique — c’est évidemment la référence à la conscience, l’idée qu’une vie naturelle puisse ainsi être associée à une conscience. C’est une telle idée que la philosophie de la nature se refuse d’étudier davantage : peut-être serait-ce là l’une des raisons qui expliquerait l’absence du concept d’objet percevant dans CN. Un tel concept serait un résidu, dans PNK, d’interprétation métaphysique, interprétation à laquelle la philosophie naturelle, dès PNK pourtant, se refuse : l’objet percevant, qu’il soit esprit ou corps-objet lié à une conscience, est de trop dans une description nonmétaphysique de la nature seulement perçue. Il nous faut donc insister sur ce qu’il y a de plus original dans cette approche. Ce qui est original, c’est d’une part la primauté accordée à l’awareness sur la conscience et, d’autre part, le lien envisagé entre objet percevant et événement percevant. 1) Premièrement donc, les distinctions de CN entre sense-awareness, senseperception et thought ou cogitation sont d’abord essentielles pour rendre compte de notre expérience originaire du monde. La perception n’est jamais d’abord perception réfléchie : la sense-awareness ouvre indissociablement sur un fait et ses facteurs et, puisque un fait renvoie lui-même au tout de la nature, la senseawareness est ouverture sur l’ensemble de la nature. L’expression senseawareness, essentielle dans CN, plutôt que le mot perception seulement, comme dans PNK, traduit ainsi l’idée d’une ouverture pré-réfléchie et pré-objective à l’événement et au tout de la nature : en ce sens, l’idée de sense-awareness recoupe l’idée merleau-pontyenne d’une perception qui ne saurait être décrite à partir de l’acte d’une conscience, d’une donation de sens de la conscience, l’idée d’une expérience irréfléchie de la nature. Dans les notes de cours sur La Nature, Merleau-Ponty traduit ainsi sense-awareness par « éveil sensible » ou « révélation sensible », il évoque la « perception à l’état naissant »18. La senseawareness est un ingrédient originaire de la perception sensible, de la senseperception, qui n’est pas la pensée. Whitehead précise en effet : […] la perception sensible comporte un ingrédient ou facteur qui n’est pas la pensée. Je nomme cet ingrédient éveil sensible [senseawareness]. Il est indifférent à ma thèse que la perception sensible ait ou non la pensée comme autre ingrédient. Si la perception sensible n’enveloppe pas la pensée, alors éveil sensible et perception sensible se confondent19. La pensée a affaire, non au fait et à ses facteurs, mais à des entités individualisées, éléments déterminés du fait de la nature. La sense-awareness n’implique donc pas nécessairement la pensée, elle n’implique pas même une

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perception qui serait considérée comme contact avec des entités distinctes, différenciées : elle est ouverture primitive au tout de la nature, et cette ouverture maintient l’excès de la nature sur le perçu. Tel est le sens d’une perception qui ne perçoit que sur fond de non-perçu, non-perçu sur lequel ouvre cependant l’expérience du perçu. C’est un tel excès de la nature sur toute perception que traduit l’idée de CN — idée que Merleau-Ponty aime tant citer — d’une « nature en haillon », « aux bords effrangés », au sens où la sense-awareness ouvre sur du discerné et du discernable seulement20. 2) Dire que la nature — discerné et discernable — se dévoile à la senseawareness ne saurait cependant suffire à notre description : si la nature se dévoile à, il nous faut comprendre à quoi elle se dévoile. Si, par ailleurs, l’éveil sensible n’est pas acte d’une conscience ou de la pensée, comment doit-on interpréter sa dimension proprement sensible : qu’est-ce qu’être sentant ? Que signifie pour l’éveil sensible être sensible ? Cette dimension sensible a-t-elle pour origine un corps qui en serait finalement le sujet non-réfléchi ? Que pourrait être le mode d’être d’un tel corps ? Pour comprendre cela, il nous faut interroger la distinction effectuée par Whitehead entre événement et objet, plus précisément pour nous, selon les distinctions de PNK, entre événement percevant et objet percevant. Les objets sont ce qui ne passe pas, ce qui est objet d’une récognition dans le passage de la nature. L’événement en revanche est ce qui arrive, ce dont il y a awareness dans la perception21 : ce dont il y a awareness, c’est donc d’un complexe partiel qui se détache sur fond du tout de la nature. Cette awareness est elle-même un événement : c’est l’événement percevant. La première idée essentielle que nous pouvons dégager est donc la suivante : si l’awareness est un événement, elle participe pleinement du passage de la nature ; elle est un facteur même de la nature. Percevoir n’est pas un acte extérieur à la nature, mais est un événement qui prend part au passage de la nature : nulle contemplation, nul kosmotheoros ne peuvent avoir une vue surplombante de la nature. Cette co-participation au passage de la nature peut être pensée en termes de simultanéité. Il y a en effet une simultanéité fondamentale entre différents événements, simultanéité entre l’événement percevant et le tout de la nature, dont l’événement percevant est pourtant aussi une partie. Whitehead nomme « durée » ce tout de la nature dans sa simultanéité avec l’événement percevant22 : entre l’événement percevant et cette durée, il y a ce que Whitehead nomme dans PNK et CN une relation de cogrédience 23. La notion de durée est donc essentielle, car elle nous oblige à élaborer une pensée renouvelée du temps, à partir de cette expérience perceptive du passage de la nature : la durée n’est pas une étendue abstraite de temps 24, d’un temps sériel, objectif et mesurable, mais une tranche de nature25. C’est donc à partir de la durée, et donc de la

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nature, qu’il faudra penser le temps, et non à partir du temps qu’il faut penser la durée. Ce serait là l’un des enjeux d’une pensée sensible du temps. La durée, qui met en relation l’événement percevant et l’arrière-plan constitué par le tout de la nature, est un élément essentiel de l’awareness : en elle, appréhendée par l’awareness, se concentre l’ensemble de la nature et des événements « maintenant-présents »26. C’est ce que doit traduire l’idée de simultanéité. On se demandera ainsi : n’est-ce pas le corps qui peut être cet événement où se réalise une telle simultanéité ? Ne sommes-nous pas conduits à penser le corps non plus seulement comme objet, comme on serait tenté de l’envisager en un sens classique, mais comme événement ? Le sens du corps serait précisément d’être un événement percevant appréhendant une durée qui le rapporte non seulement au perçu, dans le récognition de tel ou tel objet, mais au tout de la nature. Nous aurions donc à comprendre le corps en un double sens : nous aurions ainsi (1) un corps-objet reconnaissable, identifiable, uni à un esprit peut-être, objet percevant qui serait l’objet d’une récognition possible, permanence qui s’actualiserait ou se localiserait dans les événements percevants, et (2) un corpsévénement, événement qui, dans le passage de la nature, serait ici et maintenant, ouverture aux facteurs de la nature et au tout de la nature. Il faudrait dès lors décrire la co-présence de l’événement percevant, des événements discriminés par l’éveil sensible et de la nature. Le « maintenantprésent » renvoie à une durée particulière27, à un événement « ici-présent », qui fait le lien entre la connaissance individuelle de l’expérience et la nature autosuffisante28, écrit Whitehead dans PNK. Dans CN, il précise : « l’événement percevant est toujours ici et maintenant dans la durée présente qui lui est associée. Il a ce qui pourrait être appelé une position absolue dans cette durée »29, au moment même où il ouvre sur le tout de la nature en son passage. Or, qu’est-ce que le corps sinon un tel « ici-présent », ce que la phénoménologie de Husserl, dans les travaux sur la spatialité notamment, nomme le point-zéro, Nullpunkt30, ici absolu constitué pour Husserl dans la chair corporelle, autour duquel tout ce qui est mondain se trouve orienté ? Comme tel, comme « ici-présent », comme Nullpunkt, le corps, ou la chair, dirait Husserl, en tant qu’événement percevant, appartient bien à la nature, et sa relation à la nature, au présent de la nature, consiste en la durée qui lui est associée, durée qui peut aussi être durée pour d’autres événements, qui sont alors « là-basprésents »31. Or, cette simultanéité entre événements, dont l’ancrage est corporel, est essentielle à la constitution d’une nature commune : c’est ce que nous voulons examiner maintenant.

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2 . La n ature co mmun e et l e corps Pour comprendre le sens d’une nature commune, il nous faut repartir de la manière qu’a la nature de se présenter à l’événement percevant. Que peut donc être un tel événement percevant sinon ce que Whitehead nomme à la fin du chapitre de PNK consacré aux événements l’événement corporel32, qu’il décrit comme « maintenant-présent ici » ? La notion est introduite lorsque Whitehead envisage le passage de la connaissance perceptive individuelle à l’appréhension d’une même nature et de mêmes événements par des événements percevants divers (ce qui est possible précisément parce qu’à une même durée peuvent être associés différents événements percevants). Une telle « communauté de nature » est en effet nécessaire à la pensée scientifique. Il n’est peut-être pas accidentel que la référence explicite au corps, ou à ce que Whitehead nomme événement corporel, s’impose lorsqu’il s’agit de penser une telle communauté, c'est-à-dire, si l’on veut éviter le terme intersubjectivité, une interévénementialité percevante : la pensée d’un monde commun, d’une nature commune, condition de tout savoir objectif, scientifique, aussi bien pour Whitehead que pour la phénoménologie, dans des registres certes tout à fait distincts, exige l’idée d’une ouverture corporelle à une seule et même nature. Ainsi Whitehead écrit-il : Dans cette assomption de la nature commune de tous les percevants, la connaissance immédiate du percevant est entièrement son awareness perceptuelle dérivée de l’événement corporel « maintenant-présent ici ». Mais cet événement survient en relation avec les événements de la nature antécédente ou concourante. Il est donc aware de ces événements en tant que reliés à son événement corporel « maintenantprésent ici » ; mais sa connaissance est ainsi médiate et relative — c'est-à-dire, il ne connaît que les autres événements à travers le medium de son corps et en tant que déterminé par les relations à lui. L’événement ici-maintenant, comprenant en général les événements corporels, est l’événement immédiat conditionnant l’awareness33. C’est donc bien dans le corps, non dans le corps-objet, mais dans le corpsévénement, dans l’événement percevant, non dans un objet percevant, que se constitue le sens même de la nature, comme nature commune, comme nature qui peut devenir aussi objet de science. Une telle constitution, qui pourrait presque être comprise en un sens phénoménologique sans qu’elle soit pour autant l’acte d’une conscience, a son origine dans l’événement corporel, « maintenant-présent ici » ; elle recueille le passage de la nature, son passé et son cours, son flux ; un tel recueil s’effectue parce que l’événement corporel est relié à d’autres événements du passage de la nature ; c’est dans la durée associée à l’événement percevant qu’un tel lien peut se réaliser ; il n’y a d’accès à d’autres événements, d’appréhensions d’autres événements que médiatisés par le corps ; et il n’y a

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d’awareness que parce qu’il y a un événement originaire ou immédiat, « icimaintenant », dont Whitehead dit dans la page que nous venons de citer qu’il comprend les événements corporels. Cet événement originaire pourrait bien renvoyer à l’expérience du corps propre, du Leib, de la chair, telle que la phénoménologie cherche à le décrire. Mais l’approche whiteheadienne nous permettrait sans doute d’éviter nombre de difficultés que rencontre la phénoménologie à penser le problème d’autrui et le sens du corps, lorsqu’elle part notamment de la réduction de tout sens à l’immanence de la conscience. Ainsi n’y a-t-il pas pour Whitehead un problème du solipsisme tel qu’il peut se poser à Husserl dans la Cinquième Méditation cartésienne. Le tout de la nature, accessible à tous comme nature commune, dans des durées identiques, est en effet ce sur quoi ouvre tout éveil sensible (sense-awareness). De ce point de vue, avec l’idée de passage de la nature auquel l’éveil sensible (sense-awareness) participe, avec l’idée de durées identiques, et donc de simultanéité et de congruence, Whitehead désamorce une grande part du problème de l’intersubjectivité. Certes, ce n’est pas d’intersubjectivité dont Whitehead parle, mais il s’agit bien pourtant d’une communauté de monde et d’esprit. Dans CN, c’est encore à cette occasion que l’idée de corps, et notamment de corps vivant, est convoquée : Pour deux esprits, les composants du fait général qui sont discernés, manifestés dans les actes respectifs de leurs consciences sensibles, doivent être différents, car chaque esprit, dans sa conscience de la nature, est conscience d’un certain complexe d’entités naturelles corrélatives, dans leurs relations au corps vivant comme à un foyer34. Mais les durées correspondantes peuvent être identiques. Nous touchons ici à ce caractère du passage de la nature dont résultent les relations spatiales des corps simultanés. La possibilité de cette identité des durées dans ce cas de la conscience sensible d’esprits distincts, est ce qui lie en une nature les expériences privées des êtres sensibles. Nous sommes ici en face du côté spatial du passage de la nature. Le passage sous cet aspect semble s’étendre aussi au-delà de la nature, jusqu’à l’esprit35. Penser une nature commune à partir de l’événement percevant, c’est éviter le problème que la phénoménologie husserlienne ne cesse de rencontrer de la constitution, dans une intersubjectivité transcendantale, d’un monde commun. Une telle difficulté aurait pu se rencontrer de la même manière si l’ouverture à la nature et son sens se déployaient d’abord et essentiellement à un objet percevant, non à un événement percevant. Cette difficulté surmontée ne conduitelle pas cependant à une difficulté inverse : comment penser le rapport entre l’événement percevant et l’objet percevant, qui seul est individualisé et identifiable ? Il nous faut donc revenir à cette question : si nous avons nommé corps-événement cet événement « maintenant-présent ici », il nous faut en effet

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envisager plus précisément ce qui pourrait lier un tel corps-événement au corpsobjet tel que nous le pensons habituellement. Pour cela, il nous faut revenir au sens de l’objet pour Whitehead. L’objet est ce qui ne passe pas, il est une permanence reconnaissable dans la nature36. Que peut dès lors signifier la permanence de l’objet percevant ? Dans PNK, nous l’avons dit, l’idée d’objet percevant ne donne pas lieu à une analyse approfondie, analyse qui obligerait à adopter une posture métaphysique qui ne s’impose aucunement à une philosophie de la nature. Néanmoins, l’objet percevant est un élément de la nature et intervient dans toute perception. Qu’est-ce en effet qu’une perception ? La perception d’un objet, d’une part, est une récognition, récognition qui a pour Whitehead trois degrés : la récognition primaire, qui est la reconnaissance de la permanence de ce qui est dans le présent spécieux, la récognition indéfinie, qui est la conscience (awareness) d’autres perceptions de l’objet en relation à des événements indéfinis séparés du présent spécieux, et enfin la récognition définie, la mémoire, qui la conscience (awareness) de la perception de l’objet en relation à des événements définis mais séparés du présent spécieux37. La perception, d’autre part, doit pouvoir renvoyer à une nature commune. Qu’une nature commune soit possible est en effet essentiel à toute connaissance de la nature : l’interévénementialité des événements percevants, au-delà de leur caractère absolu, central, ici-maintenant absolus, permet de penser une telle nature, nature commune sur laquelle ouvre tout événement percevant. Pour qu’il y ait connaissance, il faut donc encore que dans le passage de la nature puissent être reconnues des permanences : objets sensibles, objets perceptuels et objets scientifiques sont de telles permanences. Les objets sensibles sont les objets les plus primitifs : sans eux, nulle perception n’est possible, nulle nature ne peut être appréhendée. Les objets sensibles cependant ne constituent pas le seul type ultime d’objets perçus : les objets percevants forment aussi un type ultime d’objets, selon PNK38. La permanence du percevant, qui se trouve en situation dans l’événement percevant, n’est-elle pas en effet une condition de tout objet, sensible, perceptuel, et même scientifique ? Pour qu’il y ait récognition d’un objet, ne faut-il pas qu’il y ait aussi et d’abord une récognition propre de l’objet percevant : telle serait l’expérience d’un corps propre, d’une chair, dont la particularité, selon Merleau-Ponty et Husserl d’abord, serait d’être une sorte de réflexion sur soi, réflexion sensible dont l’expérience du touchant-touché serait le modèle. On trouverait aussi dans PR, dans les idées de withness of the body et d’une perception vécue sur le mode de l’efficacité causale, une manière de décrire une telle expérience. Mais au moment de PNK, pour penser une telle condition, il faut que soit décrit le lien entre l’objet sensible, l’objet percevant et l’événement percevant : en l’absence d’un tel lien, sans doute aucune pensée de la perception n’est-elle envisageable. En effet, qu’il y ait un objet percevant

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exige qu’il y ait un événement percevant qui en soit la localisation : il ne suffit pas de penser un corps propre pour penser la perception, et donc la nature, il faut que ce corps ne soit pas objet comme n’importe quel objet perceptuel. Pour cela, il doit être pensé en situation dans l’événement percevant. Ainsi Whitehead dit-il de la perception de l’objet perceptuel : Aussi loin qu’il est directement perçu dans ses situations variées, un objet physique est un groupe d’associations d’objets sensibles, chaque association étant perçue ou perceptible par un objet percevant avec un événement percevant approprié comme son lieu39. L’unité de l’objet percevant, en sa permanence, est le foyer d’une expérience qui rassemble, dans une durée associée à l’événement percevant, un ensemble de sense-data composant, esquissant pourrait-on dire en une interprétation phénoménologique, l’objet perceptuel perçu. Corps-événement, corps-objet sont ainsi le socle de tout expérience perceptive, et c’est à partir de leur lien, c'est-à-dire de la localisation de l’objet percevant dans l’événement percevant, que peut être envisagée une genèse des objets.

3 . La g en ès e du c onc ept sci enti fiqu e d e n ature Comme la phénoménologie, Whitehead décrit donc la genèse des objets pour l’expérience : objets sensibles, objets perceptuels, objets scientifiques. Pour penser la science cependant, pour penser plus particulièrement la physique, il ne s’agit pas de décrire seulement la genèse de tels objets pour envisager de manière finale les objets scientifiques, il faut aussi rendre compte des constructions idéales de la science que sont le temps et l’espace objectifs, temps mesurable et sériel, espace géométrique que présuppose la physique moderne40. Ce que nous voudrions montrer dans ce dernier moment de notre exposé, c’est l’enracinement concret, dans une expérience corporelle et sensible, des concepts que manipule la science géométrique et physique. Rappelons d’abord que la physique semble se construire en rupture avec une telle expérience concrète. Cette rupture cependant ne doit pas cacher l’ancrage de la géométrie ou de la physique dans une telle expérience. A) Cette rupture concerne d’abord la distance qui sépare les objets de la science, dont l’idéal est celui de l’exactitude, et les objets de l’expérience quotidienne et sensible. L’un des points que partage la description whiteheadienne avec les descriptions phénoménologiques est ainsi l’importance accordée au caractère vague de l’objet perceptuel et de son arrière-plan, par contraste avec l’exactitude de l’objet scientifique. Cette indétermination de l’objet perceptuel et de son arrièreplan appartient à l’être de l’objet lui-même : c’est même là, pourrait-on dire, sa

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manière d’apparaître, au moment même, ajouterait Whitehead, où il se présente à la perception dans toute son insistance41. C’est avec une telle indétermination que la physique a rompu, en excluant de tels objets de son propre schème, précise Whitehead42. Husserl analyse un phénomène semblable lorsqu’il distingue les corps empiriques et les formes pures que la physique pense depuis Galilée comme formes fondamentales de la nature. Cette indétermination a deux origines pour Whitehead : 1) Elle tient d’abord à « la situation unique d’un tel objet à l’intérieur d’une courte durée »43, qui conduit à confondre l’objet « avec l’événement qui est sa situation. »44 Mais l’objet n’est pas l’événement : l’objet ne change pas, alors que l’événement qui est sa situation passe. Il y a une épaisseur temporelle d’une telle situation, alors que l’objet, dans sa permanence, semblerait pouvoir être saisi dans un instant sans durée. D’un côté, il y a donc un objet insistant, permanent, de l’autre, un flux d’événements en lequel cet objet trouve sa situation. Mais si ce flux d’événements constitue bien la situation unique de l’objet, l’inverse n’est pas vrai : le flux d’événements n’est pas réductible à l’objet. Ce flux se trouve cependant, dans la perception, surpassé par un temps qui est celui qu’implique la perception de l’objet perceptuel. C’est ici que se loge le caractère vague de l’objet perceptuel : le flux temporel n’est plus commandé par le flux événementiel en lequel tel ou tel objet perceptuel aurait sa situation, mais il est commandé par les « changements rythmiques de nos corps »45. Cette expression est essentielle pour nous, et semblerait exiger que nous dépassions la seule perspective de la philosophie naturelle pour comprendre ne serait-ce que l’indétermination des objets perceptuels : une description du rythme du corps, de la vie corporelle, de la vie même, devrait ainsi être effectuée afin d’élucider le sens primitif de notre ouverture fondamentale au tout de la nature. Ce qui importe ici, pour ce qui est de l’objet perceptuel et de son caractère vague, c’est que le rythme des corps institue une durée, un temps, qui, en se cristallisant sur un objet perceptuel, appauvrit la richesse du flux événementiel. C’est dans ce déphasage fondamental que se loge l’indétermination des objets perceptuels : la reconnaissance d’un objet permanent, la présentation insistante de cet objet dans la perception, soumise aux changements rythmiques des corps, vient à cacher tout un arrière-plan perceptif alors indéterminé, qui est bien aussi situé en un sens dans le flux des événements, mais dont les objets ne sont pas alors discriminés pour eux-mêmes. Le flux événementiel s’efface ainsi devant l’insistance de l’objet perceptuel auquel il n’est pourtant pas réductible, et c’est l’ensemble des autres possibilités perceptives qui se trouve ainsi obscurci ou voilé. L’insistance de l’objet perceptuel a donc pour corrélat paradoxal le caractère vague de sa présentation. 2) La seconde raison de l’indétermination tient à l’impossibilité d’effectuer un passage de l’objet perceptuel à une forme pure et déterminée avec exactitude, en faisant d’un tel objet un objet qui, de l’expérience ordinaire, quotidienne,

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ambiante, dirait Husserl, devienne un objet pour la science 46. L’exemple que donne Whitehead est celui de la chaussette en laine, qui demeure reconnue en son identité, qui demeure bien la même, de son début à sa fin, quelles que soient les modifications qui sont les siennes au cours du long usage que nous pouvons avoir d’elle : jamais nous ne pourrons découvrir une forme pure de la chaussette et pourtant nous ne cessons de la reconnaître en son identité. Le monde de la quotidienneté, qui est celui où les objets perceptuels sont essentiels d’un point de vue pratique, et le monde de la science trouvent leur ligne de partage dans cet écart entre l’inexactitude et l’exactitude qui caractérise leurs objets respectifs. Si nous renvoyons ici à Husserl pour comprendre le sens de l’indétermination dont parle PNK, c’est qu’il nous semble que Whitehead et Husserl affrontent ici un même problème : comment à partir de l’expérience concrète, celle de l’éveil sensible pour Whitehead, celle du monde de la vie, du Lebenswelt pour Husserl, penser la genèse ou la construction des abstractions, la genèse ou la construction d’objets manipulables par la science ? C’est ainsi un tel sens vague des choses de l’expérience que Husserl analyse dans le paragraphe 9 de la Krisis. L’indétermination des corps empiriques demeure irréductible, quand bien même on croirait pouvoir tendre vers des formes exactes et pures, quand bien même cette indétermination oscillerait autour d’un type pure47. Husserl comme Whitehead observent qu’une telle indétermination convient tout à fait à l’usage pratique que nous avons des choses — c’est l’exemple de la chaussette en laine de Whitehead, dont l’indétermination est compatible avec l’unité de l’objet à travers « la série continue des événements constituants les situations successives de la chaussette »48 —. L’usage pratique se contente du vague, même si, note Husserl, nous pouvons aussi tendre dans la pratique, et plus précisément dans la technique, à des formes toujours plus perfectionnées49. Toujours est-il que, malgré l’illusion physicienne dont nous pouvons être les victimes du fait de « l’échange quotidien entre la théorie apriorique et l’empirie », il nous faut séparer, écrit Husserl, « l’espace et les formes spatiales dont parle la géométrie, de l’espace et des formes spatiales de la réalité-d’expérience. »50 Mais comment alors penser une telle idéalité mathématique dans son rapport à l’expérience ? Comment penser l’abstrait sur ce fond vague de l’expérience concrète ? Il y a pour Husserl différence radicale entre les formes indéterminées de la sensibilité, subjectives-relatives, et les formes exactes de la science. Husserl explore comment, à partir d’un sol sensible, dans des usages qui vont vers des formes toujours plus parfaites, par approximations toujours plus précises, s’effectuent les processus d’idéalisations et de constructions des formes idéales51. Husserl comme Whitehead ne cherchent pas ainsi à comprendre le réel à partir de l’abstraction, mais pensent la genèse de l’abstraction à partir du concret, de

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l’expérience que nous avons de la nature dans sa manière de se dévoiler à l’éveil sensible chez Whitehead, et au sens du monde-de-vie quotidien chez Husserl. Pour l’un et l’autre, il faut prendre le contre-pied de l’illusion physiciste : celle du matérialisme pour Whitehead, celle héritée de Galilée pour Husserl, celle qui voit dans « le monde mathématique des idéalités, qui [cependant] est une substruction, […] le seul monde réel. »52 Pour prendre le contre-pied d’une telle illusion, il faut cependant décrire la genèse oubliée, non seulement des objets scientifiques, mais aussi de l’espace et du temps objectifs et absolus tels que la science moderne de la nature les présuppose. Ce que les analyses de Husserl et de Whitehead montrent, par des voies certes bien distinctes et différentes, c’est que les concepts scientifiques de l’espace et du temps hérités du XVIIème siècle sont des abstractions idéales, dont l’origine est notre expérience concrète d’un espace et d’un temps éprouvés. B) Ainsi, pour Husserl, dans l’origine de la géométrie, la pratique de l’arpentage, pré-géométrique, précède la géométrie pure : Une telle activité pré-géométrique était pourtant pour la géométrie le fondement de son sens, fondement pour la grande invention de l’idéalisation, écrit Husserl : y compris bientôt l’invention du monde idéal de la géométrie, et corrélativement de la méthode de détermination objectivante des constructions qui, grâce à l’« existence mathématique », créait des idéalités53. Le sol sur lequel se fonde le sens de la géométrie est « le sol du monde immédiatement perçu, écrit Husserl, et ici spécialement du monde des corps empiriquement perçus. »54 Comment Husserl pense-t-il un tel processus d’abstraction et d’idéalisation ? L’idéalisation géométrique reposerait d’abord sur « une libre variation imaginaire de ce monde et de ses formes »55, variation eidétique dont l’imagination et la libre fiction constituent le socle. Selon la Krisis, cette variation demeure cependant insuffisante pour accéder à des formes pures, puisque, comme le dit Husserl, elle « produit seulement des formes empiricointuitives possibles, et non des formes exactes possibles. »56 Oublier cela, comme le fait Galilée, serait ne pas s’apercevoir qu’une telle idéalisation exige une idéalisation seconde, un passage à l’abstraction qui fasse accéder à des formes pures, à des essences exactes : c’est un tel oubli qui conduit à faire croire que le réel serait composé de formes idéales. Un tel oubli relève de ce que Whitehead nommerait dans SMW et dans PR le sophisme du concret mal placé. Du fait de cet oubli, écrit Husserl, « dès Galilée commence la substitution d’une nature idéalisée à la nature pré-scientifique donnée dans l’intuition »57, nature pré-scientifique que Whitehead pense comme cette nature dévoilée à l’éveil sensible. Cet oubli galiléen pourrait s’analyser dans les termes mêmes de

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Whitehead : la physique galiléenne et son héritage moderne oublieraient ainsi que l’espace intemporel et absolu relève d’une construction qui repose sur des espaces instantanés dégagés par abstraction d’une spatio-temporalité concrète et première. Pour Husserl, c’est ainsi une nature non-idéalisée qui constitue le sol de toutes nos expériences : C’est à lui — le monde de l’intuition qui « éprouve » effectivement — qu’appartient la forme spatio-temporelle avec toutes les figures corporelles qui s’inscrivent en elle, c’est en lui que nous-mêmes nous vivons, conformément à notre mode d’être, c'est-à-dire dans toute la chair de notre personne. Mais ici nous ne trouvons rien des idéalités géométriques, ni l’espace géométrique, ni le temps mathématique avec toutes ces formes58. De ces idéalités, de cet espace et de ce temps géométriques, il faut donc déterminer la genèse, genèse dont on ne pourra pas oublier qu’elle s’enracine d’abord dans l’expérience sensible que nous avons de la nature, dans l’éveil sensible ou dans le monde de la vie59. C’est à un même problème que se confronte la méthode de l’abstraction extensive : la variation imaginaire chez Husserl, qui doit conduire à des essences pures, et la méthode de l’abstraction extensive, chez Whitehead, qui doit conduire à des événements simples, sans extension spatiale ou temporelle, ponctuels et instantanés, les événements-particules, cherchent l’une et l’autre à penser la genèse de l’abstraction dans l’expérience même, une expérience en quelque sorte purifiée par la variation ou l’abstraction extensive60. Une telle purification repose sur un processus d’approximations et de simplifications à l’œuvre dès l’expérience concrète, pré-scientifique. Dans le processus d’idéalisation et de construction que décrit Husserl, comme dans le processus d’abstraction extensive, la notion d’approximation joue en effet un rôle essentiel. C’est en effet par une série d’approximations successives qu’une praxis-de-recherche réduit pour Husserl l’indétermination des formes sensibles pour rendre possible, dans une praxis-idéale et scientifique, l’abstraction des formes de la physique galiléenne. Ce n’est pas la pensée qui abstrait, c’est d’abord une expérience pratique qui tend vers l’exactitude et l’abstraction par approximations croissantes, qui anticipe à l’infini des formes plus pures61. On retrouverait là le principe de convergence qui pour Whitehead est l’un des principes fondamentaux de la méthode de l’abstraction extensive, mais qui est en jeu dès l’expérience perceptive. Husserl écrit quant à lui dans la Krisis : Comment il faut procéder ici réellement, comment donner méthodiquement sa règle à un travail qui doit s’accomplir de part en part à l’intérieur du monde de l’intuition ; comment dans un tel

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monde, dans lequel l’idéalisation hypothétique a introduit des infinités encore inconnues, les données corporelles effectivement saisissables viennent-elles des deux côtés accomplir la légalité causale, et comment à partir d’elles, toujours d’après des méthodes de mesure, il faut inférer les infinités cachées ; comment alors se produisent dans la sphère des formes, selon des approximations croissantes, des indications toujours plus complètes pour les remplissements qualitatifs des corps idéalisés ; comment ceux-ci mêmes, en tant que concrets, deviennent déterminables par approximation dans tout ce qu’il est idéalement possible qu’il leur arrive : tout cela est devenu l’affaire de la physique découvrante. En d’autres termes, ce fut l’affaire de la praxis-de-recherche laborieuse, et non du tout l’affaire d’une réflexion systématique antérieure portant sur les possibilités de principe, sur les présuppositions essentielles d’une objectivation mathématique qui doit pouvoir déterminer en fait le réel-concret dans le tissu de la causalité universelle concrète62. Il y a aussi chez Whitehead une tendance de l’expérience à la simplification, tendance qui constitue les prémisses de ce qui peut devenir ensuite cette méthode complexe qu’est la méthode de l’abstraction extensive. Comme Husserl, Whitehead découvre cependant l’ancrage d’un tel processus d’abstraction dans l’expérience même : Le fil d’Ariane découvert par le sens commun, écrit-il dans Concept of Nature, et systématiquement utilisé dans la science est […] la loi de tendance vers la simplicité par diminution de l’extension63. Cette diminution d’extension conduit ainsi notamment à l’idée de moment, construction abstraite de la pensée, qui signifie « la nature entière à un instant »64. Un moment est ainsi, pour le Whitehead de CN, L’ensemble des propriétés naturelles atteintes par voie d’approximation. Une série abstractive est une voie d’approximation. Il y a des voies d’approximation différentes menant au même ensemble limitatif des propriétés naturelles. Autrement dit, il y a des ensembles abstractifs différents qui doivent être regardés comme des voies d’approximation du même moment65. La méthode de l’abstraction extensive, qui conduit ainsi à l’idée de moment, est aussi ce qui nous permettrait de penser une spatialité abstraite de l’expérience concrète, mais dont la construction s’inscrirait dans l’expérience concrète ellemême. L’abstrait serait ainsi le point-limite du concret. Par cette méthode encore, c’est la genèse concrète des objets sensibles, des objets perceptuels, des objets scientifiques à laquelle nous assisterions 66. Il s’agit là, toujours, d’une méthode qui porte sur des événements, même si c’est pour conduire à des

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événements sans extension spatiale ni temporelle, même s’il s’agit de construire à partir d’eux des objets. C’est en ce point, essentiel, que le rapprochement entre Husserl et Whitehead trouve l’une de ses limites : Husserl pense des idéalités, des essences pures, sans toujours éviter le risque d’une réification ; Whitehead pense quant à lui des événements, jusque dans la construction du temps, de l’espace idéalisés et des objets67. Ainsi par exemple Husserl continuerait-il de parler, en cherchant à décrire le sens de la nature, de l’espace galiléen, de plans, de lignes droites, de points, qui sont, dans les termes de Whitehead, des « éléments de l’espace intemporel d’un système temporel », alors que Whitehead « appellera palier un plan instantané d’un moment, rect une ligne droite instantanée et punct un point instantané »68, afin de traduire leur caractère abstrait. Husserl s’engage dans la voie phénoménologique idéaliste et transcendantale, place l’imagination au centre de tout processus d’idéalisation, mais réfère encore l’idéalité et son histoire au seul pouvoir constituant de la conscience ; Whitehead s’engage dans la voie logique69, pour construire des événements-particules qui n’auront plus aucune extension spatiale et temporelle, qui n’auront plus donc aucune présence sensible. C’est pour cette raison que la pensée du corps et du sensible en tant que telle semble pour l’essentiel finalement écartée par la méthode de l’abstraction extensive70, lorsque Husserl explore quant à lui le monde de la vie, réhabilite, sans renoncer pourtant à l’idéalisme transcendantal, le sens ontologique du sensible, pour reprendre les mots de Merleau-Ponty 71.

4 . Pers pec ti ves S’il fallait donc trouver chez Whitehead une pensée du corps, ce ne serait finalement pas dans la méthode de l’abstraction extensive que nous pourrions le faire, à moins peut-être de l’interroger en ses limites, là où finalement cesse l’exploration whiteheadienne : dans le rapport notamment entre l’événement percevant et le rythme du corps, le rythme de la vie, rapport dont l’élucidation est à peine esquissée dans PNK. Ce serait dès lors peut-être une tout autre voie qu’il faudrait prendre, une autre voie que celle de la philosophie de la nature lorsqu’elle semble s’accomplir dans la méthode logico-mathématique de l’abstraction extensive. Cette autre voie, ce serait celle que pourrait en revanche explorer PR. Cette voie n’est certes pas phénoménologique, mais métaphysique. Si le monde de l’expérience, l’idée de vie y sont certes tout à fait différents de ce que Husserl pense sous le terme monde de la vie, une pensée du Sensible est bien présente en effet dans la grande œuvre de Whitehead. Pour une pensée du corps et de la perception en effet, mais aussi du vivant et des formes supérieures d’entités actuelles, de nexus ou de sociétés, PR ouvre des perspectives d’une grande richesse. Les analyses de la philosophie de la nature

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sont en effet insuffisantes encore, et cela sans doute, même s’il s’agit de penser la science, même s’il s’agit d’élaborer une philosophie de la nature : ce n’est que dans PR que l’ontologie sous-jacente à la pensée scientifique héritée du XVIIème siècle, que l’idée moderne de nature, seront déconstruites, au profit d’une pensée métaphysique qui rompt radicalement avec la bifurcation de la nature, qui établit un schème rendant possible une pensée de l’expérience pré-objective, préréfléchie, pré-scientifique, une expérience dont on ne rendra pas compte à partir des abstractions et idéalisations de la science. Dans cet approfondissement ontologique, l’exploration du sens de la perception et du rôle du corps dans toute expérience joue un rôle décisif. A cet égard, le mouvement de pensée whiteheadien est dans une large mesure parallèle à celui de Husserl : un passé commun de mathématicien, une manière d’interroger en philosophe le sens ou la constitution même de l’objet mathématique ou scientifique ; une découverte alors du rôle fondamental de la perception dans toute constitution du sens, d’un sens de la nature, des choses en particulier ; et enfin, une manière de faire retour à l’expérience concrète, pour dé-couvrir les sous-bassements concrets de toute abstraction ou de toute idéalisation, notamment du temps et de l’espace idéalisés. C’est en ce dernier moment, dans ce moment qui conduit la philosophie de la nature whiteheadiennne et la phénoménologie idéaliste husserlienne vers une pensée proprement ontologique, que la question du sens du corps et de la perception devient décisive : c’est en ce moment ultime qu’elle se déploie chez Whitehead dans une métaphysique, dans PR, ou qu’elle prend un sens ontologique, dans l’interrogation de la Krisis portant sur le Lebenswelt, le monde de la vie. Par ce rapprochement, sur lequel nous souhaitons conclure, il ne s’agit pas pour nous d’effectuer une comparaison seulement, il s’agit de suggérer à quel point chez deux penseurs aussi différents, Whitehead et Husserl, la métaphysique ou l’ontologie ne trouvent à se déployer que dans une pensée du Sensible, qui est d’abord pensée du corps et de la perception. Une telle importance du corps et de la perception ne tient pas seulement à la nécessité pour une ontologie ou une cosmologie de rendre compte du phénomène de la perception, mais elle tient plus profondément à la dimension non seulement paradigmatique mais également fondamentale de la perception pour l’ontologie elle-même. Si l’ontologie est dévoilement du sens d’être de l’être, si un tel dévoilement est dévoilement de l’apparaître, de la réalité en son procès, de la réalité comme procès, alors il faut en effet, pour élucider un tel apparaître, décrire au cœur de l’expérience, l’apparaître à, la nature en son émergence, l’être en son procès, les entités en leur concrescence. Tout cela, nous semble-t-il, ne trouve à se déployer que dans une pensée du Sensible, du sentant et du senti, du sentir en son processus. Ce que PR apporte à une telle pensée, ce n’est sans doute pas seulement une théorie de la perception, le refus d’une conception de la perception comprise en un sens réaliste ou idéaliste, reconduisant la distinction

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sujet-objet, rapportant la perception à un jugement représentatif ou à une relation réaliste-causale. Ce que PR apporte, ce n’est pas davantage seulement la distinction entre la perception vécue sur le mode de l’efficacité causale et la perception vécue sur le mode de l’immédiateté présentationnelle, et l’idée d’une synthèse possible dans l’unité de la référence symbolique : ces distinctions sont certes décisives, en permettant notamment de penser, à partir de la perception vécue sur le mode de l’efficacité causale, l’inscription corporelle, sensible, du temps et du sens, en désamorçant le dualisme du sujet et de l’objet. Si PR est déjà décisif sur ce plan, l’essentiel est peut-être ailleurs cependant : il serait dans le modèle même de la perception pour penser la concrescence des entités actuelles et l’être comme procès et, bien plus, dans l’idée que l’être ne saurait être que sensible. Concrescence et procès ne peuvent en effet être pensés qu’à partir d’une théorie des feelings, des préhensions, dont la perception humaine et l’expérience du corps pourraient bien être le paradigme. Paradigme dont l’importance pourrait être grandie encore si nous faisions retour aux textes de la philosophie de la nature, aux idées, notamment, d’événement percevant et de rythme des corps, idées qu’il ne faudrait plus dès lors limiter au sens qu’elles peuvent avoir pour une philosophie des sciences naturelles, mais dont la pertinence ontologique, au-delà de la science, devrait être interrogée encore 72. C’est dans ce va-et-vient entre les textes de la philosophie naturelle et ceux de la métaphysique que nous semble se déployer une pensée de l’être comme être sensible, pensée qui trouverait dans le dialogue entre Whitehead et la phénoménologie, ici esquissé, une occasion féconde de se déployer.

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N otes 1

Lycée A. Honnorat de Barcelonnette (France). CN, p. 3/32 (pagination anglaise suivie de la pagination française). 3 Ibid. 4 Ibid. 5 Ibid. 6 Voir PNK., Préface, p. vii : « Nous n’avons affaire qu’à la Nature, c'est-à-dire à l’objet de la connaissance perceptuelle, et non à la synthèse du connaissant et du connu. C’est exactement dans cette distinction que se situe la démarcation entre philosophie naturelle et métaphysique. » 7 CN, p. 4-5/34. 8 Ibid., p. 52 de la traduction française. 9 PNK, Préface, p. v. 10 Voir ibid., p. 83 : « The discussion of the percipient object leads us beyond the scope of this enquiry. » 11 Ibid., p. 59-60. 12 Ibid., p. 60. 13 Ibid. 14 PNK, p. 83. Ainsi, par exemple, de la fin de ce passage, que nous soulignons : « The percipient event is discerned as the locus of a recognisable permanence which is the “percipient object”. This object is the unity of the awareness whose recognition leads to the classification of a train of percipient events as the natural life associated with one consciousness. The discussion of the percipient object leads us beyond the scope of this enquiry. » 15 C’est là une hypothèse dont la démonstration excèderait le cadre de cet article et qui, pour nous, constitue davantage une question qu’une affirmation. Il s’agirait de montrer qu’entre les différents types d’objets des rapports de fondation peuvent être dégagés, ce qui n’exclut en rien le fait que l’objet scientifique puisse finalement être pensé indépendamment de tout événement percevant. Citons par exemple, pour penser l’articulation entre types d’objets : « The situations of sense-objects form the whole basis of our knowledge of nature, and the whole structure of natural knowledge is founded on the analysis of their relations. » (PNK, p. 85), et, à propos de la localisation des objets : « In considering the scientific object it is the occupied event which corresponds to the situation of the physical object. The occupied event is the situation of the charge, in so far as the single scientific objects is conceived as an (ideal) physical object. » (PNK, p. 166), ou encore : « The climb from the sense-object to the perceptual object, and from the perceptual object to the scientific object, and from the complex scientific object (such as the molecule) to the (temporally, in a stage of science) ultimate object (such as the electron) is a steady pursuit of simplicity, permanence, and selfsufficiency, combined with the essential attribute of adequacy for the purpose of defining the apparent characters. » (PNK, p. 186). 16 PNK, p. 83. 17 Ibid. 18 La Nature, Notes, Cours du Collège de France, Paris, Seuil, 1995, établi et annoté par D. Séglard, p. 158 : « Nous ne pouvons comprendre la nature de l’Etre qu’en nous référant à notre éveil sensible (sense-awareness), à la perception à l’état naissant. » 2

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CN, p. 3-4/33, traduction légèrement modifiée. Ibid., p. 49/69. 21 PNK, p. 68. 22 Ibid. 23 CN, p. 52/71, p. 188/180. 24 PNK, p. 68. 25 Ibid., p. 69, p. 71. 26 Ibid., p. 62. 27 Ibid., p. 69. 28 Ibid., p. 69-70. 29 CN, p. 188/180. 30 Par exemple, Le monde du présent vivant (in La Terre ne se meut pas, trad. J-F. Lavigne, Paris, Minuit, 1989, p. 92) : le « monde, constitué dans l’immobilité kinesthésique, dans le rester-tranquille de la « kinesthèse de la marche », est un monde orienté fixement autour de ma chair corporelle, ou du point-zéro constitué en elle ; que la marche entre en jeu, il reste que tout mondain qui est là pour moi m’apparaît orienté autour de ma chair restant-tranquille phénoménalement, « au repos », à savoir orienté d’après l’ici et le là, la droite et la gauche, et ainsi de suite ; cependant qu’un zéro fixe de l’orientation persiste, pour ainsi dire en tant qu’ici absolu. » 31 PNK, p. 70-71. 32 Ibid., p. 79. 33 Ibid. 34 Focus, que l’on pourrait rapprocher de l’idée husserlienne de Nullpunkt. 35 CN, p. 74. 36 PNK, p. 82. 37 Ibid. 38 Ibid., p. 84 : « Sense-objects form the ultimate type of perceived objects (other than percipient objects) and do not express any permanence of relatedness between perceived objects of yet more fundamental types. » 39 Ibid., pp. 90-91. 40 Genèse des objets, genèse du temps objectif et de l’espace géométrique : le terme genèse renvoie pour nous à l’idée d’un processus d’abstraction et de construction qui conduit à l’élaboration d’abstractions sur lesquels la science repose ou qu’elle manipule. Le terme genèse ne préjuge en rien du sens qu’il faut donner à un tel processus : qu’il soit immanent à la nature ou qu’il relève d’une constitution au sens phénoménologique ou d’une historicité du sens distingueraient l’approche witheheadienne de l’approche phénoménologique. Si les réponses divergent, il y a bien une communauté de questionnement, par exemple entre les textes de Husserl, la Krisis et L’Origine de la Géométrie notamment, et PNK, dans les lignes suivantes par exemple : « But if we adopt the principle of relativity, these investigations do not solve the question of the foundations of geometry. An investigation into the foundations of geometry has to explain space as a complex of relations between things. It has to describe what a point is, and has to show how the geometric relations between points issue from the ultimate relations between the ultimate things which are the immediate objects of knowledge. Thus the starting point of a discussion on the foundations of geometry is the character of the immediate data of perception. It is not now open to mathematicians to assume sub silentio that points are among these data.» Husserl, comme nous souhaitons le montrer dans la dernière partie de notre article, partagerait avec Whitehead un tel questionnement. 20

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PNK, p. 91. Ibid. 43 Ibid. 44 Ibid. 45 Ibid. 46 Ibid., p. 92. 47 Hua. VI, Die Krisis der europäischen Wissenschaften und die transzendantale Phänomenologie. Eine Einleitung in die phänomenologische Philosophie, éd. W. Biemel, 1954, trad. fr. G. Granel, Paris, Gallimard, 1976, p. 29-30 (noté K.) : « dans le monde ambiant de l’intuition, lorsque par abstraction nous dirigeons le regard sur les pures formes spatiotemporelles, nous faisons l’expérience des « corps » — non pas des corps de l’idéalité géométrique, mais bien « des » corps : ceux que nous éprouvons réellement, avec le contenu qui est réellement leur contenu-d’-expérience. Quelque variation arbitraire que nous puissions leur faire subir en pensée par l’imagination, les libres possibilités que nous obtenons ainsi et qui sont en un certain sens des possibilités « idéales » ne sont rien moins que des possibilités relevant de l’idéalité géométrique. […] Et de telles formes sensibles ne sont pensables, que ce soit en réalité ou par imagination, que dans une gradualité : celle du plus ou moins droit, du plus ou moins plan, du plus ou moins circulaire, etc. / Les choses du monde ambiant intuitif se tiennent d’une façon générale, et pour toutes leurs propriétés, dans une certaine oscillation autour du type pur ». 48 PNK, p. 93. 49 K, p. 30. 50 Ibid., p. 29. 51 Ibid., p. 46-47. 52 Ibid., p. 57. 53 Ibid. 54 Ibid. 55 Ibid. 56 Ibid. 57 Ibid., p. 58. 58 Ibid., p. 59. 59 Là où c’est l’approche phénoménologique et transcendantale qui exige et permettra une telle exploration de la genèse des formes géométriques, ce sont les découvertes mêmes de la physique qui pour Whitehead ouvre des perspectives nouvelles. 60 Sur l’importance de la méthode de l’abstraction extensive dans la manière qu’a Whitehead de penser les objets à partir des événements, voir la thèse essentielle de Guillaume Durand, La méthode de l’abstraction extensive. Des événements aux objets chez Alfred North Whitehead, Préface de Michel Malherbe, Francfurt/Paris/Lancaster, Ontos Verlag, Chromatiques Whiteheadiennes VII [à paraître]. Si cette thèse a très largement guidé notre lecture de Whitehead, nous portons l’entière responsabilité du rapprochement effectué entre Whitehead et Husserl, rapprochement dont l’intérêt réside moins dans la simple comparaison de deux pensées positivement constituées que dans ce que l’ouverture d’un dialogue entre la phénoménologie et Whitehead laisse à penser. 61 K, p. 59. 62 Ibid., p. 46-47. 63 CN, p. 92 de la traduction française. 64 Ibid., p. 75 de la traduction française. 42

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Ibid., p. 78 de la traduction française. C’est là l’hypothèse, nous semble-t-il tout à fait convaincante, de Guillaume Durand, dans La méthode de l’abstraction extensive, op. cit. 67 Pour accueillir l’idée d’événement dans la démarche phénoménologique et ontologique, tout en préservant l’idée d’essence, sans doute faudrait-il interroger l’idée merleau-pontyenne, empruntée à Heidegger, de Wesen, d’essences opérantes, d’essences indissociables de leur propre déploiement sensible. 68 CN, p. 102 de la traduction française. 69 PNK, p. 75-76. 70 Sans doute est-ce dans la notion ultime de rythme, que nous avons rencontrée dans la description de l’objet perceptuel, qu’il faudrait trouver le ressort nouveau et original d’une pensée du corps. Sur l’importance centrale de cette notion dans la philosophie de la nature, voir encore la thèse inédite de Guillaume Durand, op. cit. 71 Le philosophe et son ombre, dans Signes, Paris, Gallimard, 1960, p. 210. 72 L’idée à explorer pourrait être celle d’une inscription corporelle, sensible, du temps, d’une institution du flux-temporel à même le rythme du corps ou de la vie. 66

Du temps sensible de Whitehead aux S-langages Sylviane R. Schwer1

I ntroduc tion Indépendamment de la conception éternaliste ou présentiste qu’on ait du temps, les deux relations fondamentales de précédence et de simultanéité doivent être prises en compte. C’est-à-dire que le temps est intimement lié à des structures d’ordre, pour la précédence, et d’équivalence pour la simultanéité. Traditionnellement, que ce soit en physique, en informatique ou en linguistique, les structures utilisées dans la représentation formelle du temps sont les ensembles de nombres qui représentent les instants, qu’on veuille le temps discret ou continu, voire les deux à la fois chez certains linguistes2. Nous commençons donc par rappeler les définitions des différents ensembles de nombres utilisés — N, Z, Q, R — en insistant, chose rarement faite, sur les propriétés topologiques, et plus précisément les propriétés liées à la structure d’ordre de ces différents ensembles de nombres. Ceux-ci ont été construits les uns par rapport aux autres par remplissages successifs, mais si ces remplissages successifs constituent un enrichissement certain pour le calcul, il n’en est pas de même en ce qui concerne les propriétés liées à la structure d’ordre, ce qui est un inconvénient pour la représentation du temps. Autre problème, que nous abordons ensuite, celui induit par l’usage mathématique du mot continu qui ne correspond ni à l’usage courant ni à celui qu’en fait Whitehead dans PNK3. Il apparaît alors justifié de faire le choix de ne pas utiliser un ensemble de nombres comme principe d’une représentation temporelle. C’est la voie suivie par le courant des philosophes de la nature, et en particulier par Whitehead, qui se fondent sur des structures formées d’objets plus primitifs que les instants. La relation associée à ces objets est celle de recouvrement ou d’emboîtement, au sens des poupées russes. Les objets primitifs de Whitehead sont les événements4 et la relation fondamentale est la relation d’extension, moteur principal de la méthode de l’abstraction extensive. Nous en reprendrons les propriétés mathématiques fondamentales telles qu’elles sont présentées dans PNK. Instants et relations de précédence et de simultanéité sont alors des notions dérivées de la notion de durée, support temporel de l’événement. L’instant devient une entité complexe, représentant ultime de toute une suite de durées emboîtées. Il a pour rôle non seulement de représenter cette suite de durées, mais aussi de délimiter un avant et un après tout en assurant leur connexion. Ces instants sont des moments-frontières qui permettent de se situer dans le temps, de la même façon que les bornes miliaires permettent de se

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repérer le long d’une route. En effet, si Whitehead dénie le fait que le présent instantané est une donnée physique immédiate (CN, chap. III), en tant que construction, l’instant joue le rôle de passage entre les deux parties du temps qu’il délimite. Et comme chez Aristote, de tels instants délimitent une durée. En partant d’un point de vue d’algébriste, nous avons recherché quelles étaient les structures minimales satisfaisant les deux relations de simultanéité et de précédence entre chaînes de points. Nous avons trouvé plusieurs structures isomorphes 5, dont celle des S-langages formels. Un S-langage formel est un ensemble de séquences finies de S-lettres, une S-lettre étant un ensemble de lettres pris dans un alphabet dont les éléments sont les identités d’objets. Une Slettre représente les objets qui tous commencent ou finissent simultanément au moment représenté par cette S-lettre. Dans cette représentation, les S-lettres, représentent exactement les moments-frontières de Whitehead. Cette approche permet de représenter les informations temporelles qualitatives et notamment tout ce qui concerne la B-série de Mac Taggart6 sans recours ni aux nombres ni à des langages de logiques modales ou temporelles. Cet article s’organise ainsi : après cette introduction, nous rappelons les propriétés mathématiques des nombres, puis nous présentons la relation d’extension de la méthode d’abstraction extensive de Whitehead et montrons que plusieurs structures peuvent satisfaire la notion d’éther ; enfin, nous montrons l’adéquation de notre modèle de S-langages pour représenter les relations temporelles.

1 . Les représentati ons cl ass iques du temps p ar les nombres Les ensembles de nombres N, Z, Q, R se construisent successivement à partir du premier pour permettre d’augmenter la puissance d’expression des opérations de calcul et de passage à la limite. En revanche, en tant que structures ordonnées, il y a à chaque fois perte de propriétés importantes, comme nous allons le rappeler ici. Rappelons qu’on appelle structure d’ordre un ensemble E muni d’une relation binaire R sur ses éléments satisfaisant aux trois propriétés suivantes : (i) réflexivité : pour tout élément x de E, x R x (ii) antisymétrie : pour tout couple d’éléments x et y de E, si l’on a x R y et y R x alors nécessairement x=y. (iii) transitivité : pour tout triplet x, y, et z d’éléments de E, si l’on a x R y et y R z alors on a x R z. La relation d’antériorité est une relation d’ordre, celle de simultanéité ne l’est pas (elle n’est pas antisymétrique) ; celle de voisinage ne l’est pas non plus (elle n’est ni antisymétrique ni transitive). Une structure d’ordre est dite linéaire ou totale si deux éléments quelconques x et y de E satisfont soit a x R y

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soit y R x soit x=y, sinon elle est dite partielle. Les ensembles de nombres que nous considérons sont tous ici des structures d’ordre linéaire. L’ensemble des entiers naturels N est l’ensemble des nombres usuels 0, 1, 2, 3,…etc., ordonné par la relation inférieur à, notée « < » et ainsi définie : « l’entier naturel x est inférieur à l’entier naturel y », noté « x < y », si et seulement s’il existe un entier naturel « z » non nul tel que « y = x + z ». De deux entiers naturels quelconques distincts, l’un est inférieur à l’autre. 0 est le plus petit entier naturel. Il n’y a pas de plus grand élément. Tout entier naturel n non nul possèdent deux voisins immédiats : n – 1 et n + 1. Ces propriétés confèrent à N une structure d’ordre linéaire, discrète avec un plus petit élément. L’absence de plus grand élément permet de faire correspondre à tout ensemble fini, un entier naturel, qui est le nombre de ses éléments et qu’on appelle son cardinal. Tout ensemble isomorphe à N est appelé un ensemble dénombrable. La discrétion de N et la présence d’un plus petit élément permet le raisonnement par récurrence et récursion. En revanche, les opérations de soustraction et de division ne sont que très partiellement définies. L’ensemble des entiers relatifs Z permet de donner un sens à la soustraction, quelque soit le couple d’entiers concerné. C’est l’ensemble des nombres : …-3, 2, -1, 0, 1, 2, 3,…etc., ordonné par la même relation inférieur. Les entiers relatifs identiques aux entiers naturels : 1, 2, 3,…etc., sont dits entiers positifs ou entiers naturels. Comme structure d’ordre, elle possède les mêmes propriétés que N, excepté le plus petit élément. Contrairement à ce qui se passe dans N, en partant d’un entier n quelconque, il n’y a plus de moyen naturel d’arrêter le processus de soustraction répétitive d’une unité, même si n est positif. L’ensemble des nombres rationnels Q permet de donner un sens à la division pour tout couple de relatifs, sauf pour ceux contenant 0 au dénominateur. Bien que Q soit aussi ordonné par la relation inférieur, il n’est plus possible d’en donner une description, selon cette relation. En effet, pour cette relation d’ordre, Q a perdu la propriété d’énumération 7. En effet, entre deux rationnels distincts quelconques, il en existe toujours un autre, et même une infinité d’autres. On dit que l’ordre est dense. Nous reverrons cette propriété de densité dans la relation d’extension de Whitehead, confondue avec la notion de continuité. L’ensemble des nombres rationnels, au grand dam des Grecs anciens, ne permet pas de représenter toutes les longueurs ou les grandeurs physiques. Par exemple la diagonale d’un carré dont le côté vaut une unité n’est pas rationnel8. L’ensemble des nombres réels R complète d’une certaine manière l’ensemble des rationnels Q en comblant ces lacunes. Il existe plusieurs constructions possibles de R à partir de Q, celle fondée sur des coupures de Dedekind et celle fondée sur les suites de Cauchy9. Une conséquence directe du théorème de Löwenheim-Skolem en logique du premier ordre (logique des prédicats) est que « deux structures denses, linéaires, sans plus petit ni plus grand élément, sont

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élémentairement équivalentes, c’est-à-dire qu’aucune formule du premier ordre ne peut les distinguer »10. Il n’y a donc pas grand sens, en général, à vouloir se placer dans R plutôt que dans Q, si ce n’est pour faire des calculs de limites. On ne peut pas non plus vouloir à la fois un ordre qui soit discret et dense sur ce genre de discours. Mais en fonction des propriétés recherchées, on se placera soit dans N ou Z, soit dans Q ou R, toujours en assimilant un instant à un nombre ou à un point de la droite réelle.

2 . De l a relation d’exten sio n à l a fo rmation de l’instant chez W hiteh ead Pour une étude détaillée de la méthode de l’abstraction extensive, nous renvoyons le lecteur à la thèse de Guillaume Durand ainsi qu’à l’article de Michele Carraglia dans ce recueil. Dans cette partie, nous reprenons les propriétés fondamentales de la relation d’extension, telle que Whitehead l’expose dans PNK (p. 101, §27). Nous traduisons la relation extends over, dénotée K sur la classe des événements, par est une extension de plutôt que par s’étendre sur, car Whitehead la conçoit comme la relation inverse de la relation est une partie de, qui ne doit pas être confondue avec la relation méréologique de même nom de Liesnevsky. 2.1. La relation d’extension sur les événements Whitehead pose que K possède les six propriétés suivantes qui sont essentielles pour la méthode d'abstraction extensive : (1) aKb implique que l'événement a est distinct de l'événement b, ce qui signifie que la relation est stricte. Mathématiquement, la relation K est donc antiréflexive (on n’a jamais aKa), ce n'est donc pas la relation inverse de celle de Liesnevsky. (2) Tout événement est une extension d'autres événements et il existe des événements qui l'ont comme extension. La classe11 des événements qui ont comme extension un événement e est appelée la classe de ses parties (propres). Mathématiquement, pour la relation K, la classe des événements ne possède ni plus petit élément ni plus grand élément. La classe des restrictions d'un événement e est usuellement notée K(e). (3) Si les parties d’un événement b sont aussi des parties de l'événement a, et si a et b sont distincts, alors a est une extension de b. (4) La relation K est une relation transitive : si aKb et bKc alors aKc. Cette propriété de transitivité est la seule qualifiée mathématiquement par Whitehead. C'est une propriété très importante de la théorie des relations, c'est grâce à elle que l'on peut créer des suites.

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Cette propriété, avec la propriété (1), fait de K une relation antisymétrique (il est impossible d’avoir à la fois aKb et bKa), car comme le dit Whitehead, si l'on avait aKb et bKa alors on aurait par transitivité aKa, ce qui contredit (1). Par conséquent, la relation d'extension est antiréflexive, antisymétrique et transitive, c'est donc un ordre strict, comme la relation inférieur. (5) Si l’événement a est une extension de l’événement c, alors il existe des événements b s’intercalant entre eux, c’est-à-dire tels que a est une extension de b et b est une extension de c (si aKc, il existe b, aKb et bKc). Cette propriété dit que la classe des événements est dense pour la relation d'extension. (6) Pour deux événements a et b, il y a des événements e tels que eKa et eKb. Cette propriété dit que la classe des événements est dirigée pour la relation extension, c’est-à-dire que si deux événements quelconques ne sont pas liés par la relation d'extension, alors ce sont deux parties d'un tierce événement. La relation d'extension organise donc la classe des événements en un réseau connexe, un ordre strict dense (v), dirigé (vi) et non borné inférieurement ni supérieurement (ii). Ces trois dernières propriétés décrivent, selon Whitehead, les propriétés de l'Ether (PNK, §27, p. 102). Cet ordre n’est pas a priori linéaire. Dans le cas linéaire, la propriété (6) est immédiatement acquise. Remarquons que l'ensemble des entiers rationnels Q muni de l'ordre inférieur peut convenir pour un éther (linéaire), c'est-à-dire que, une fois acquise les autres propriétés de non bornitude et de direction, ce n'est donc pas la continuité au sens mathématique qui est requise pour être l'éther mais uniquement la densité. Si l'on s'en tient à ces seules propriétés mathématiques relationnelles, on peut prendre comme modèle géométrique d'événements satisfaisant ces six propriétés : des entités « continues » comme dans l'espace des cubes ou des sphères, dans le plan des plans ou des disques, dans la droite des intervalles. Mais rien n'empêche aussi de prendre des entités plus complexes comme des suites de telles entités disjointes deux à deux. C’est l’organisation de la classe des événements en suites imbriquées sans bornes inférieures qui construit les concepts spatiaux et temporels. 2.2. La construction de l’instant Une durée peut être interprétée comme une sorte d’épaisseur concrète de nature, limitée par la simultanéité. C’est un type d’événements particulier car elle possède une dimension illimitée. Une durée concerne un ensemble infini d’événements. Elle est d’une part illimitée dans sa dimension spatiale et limitée dans sa dimension temporelle. La classe des durées est stable pour la relation d’extension : seule une durée est l’extension d’une autre durée. En organisant les durées en séquences emboîtées les unes dans les autres et de plus en plus petites, on définit la classe des moments, celle des durées sans épaisseur, mais toujours

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infinies dans la dimension spatiale, et qui géométriquement se représentent par des droites. Ces moments sont organisés en classes contenant tous les moments parallèles entre eux. Chaque classe forme un système de temps qui possède une structure d’ordre linéaire dense. Deux moments distincts délimitent une unique durée. Les instants sont les traces des moments sur une ligne orthogonale aux durées. Ainsi « un moment peut être conçu comme une idéalisation de toute la nature à un instant. » (PNK, p. 112, § 33.3). Un système de temps décrit le passage de la nature. Le moment, est le véritable objet temporel, l’instant n’est que la trace de cet objet dans un système de temps particulier. Le moment n’est pas réductible à la notion de nombre, mais l’instant l’est. Un moment est donc à la fois la limite idéale de toutes les durées qui le contiennent et le lieu de rencontre de toutes les durées qui y commencent ou qui y finissent. Ainsi, Figure 1, les droites (M1), (M2), (M3) et (M4) sont des représentations géométriques de quatre durées d’un même système de temps. Les points d’intersection , ,  et  sont des instants de ce système de temps. Toute région comprise entre deux moments est une durée. On a donc représenté six durées : ((M1)(M2)), ((M1),(M3)), ((M1)(M4)), ((M2)(M3)), ((M2),(M4)), ((M3)(M4)) correspondant aux périodes (, ), (,), (,), (,), (,), (,). (M1) (M2)

(M3)

(M4)









Système de temps

Figure 1

2.3. La notion de continu Il convient maintenant de revenir sur le terme ambigu de continu. Whitehead lui-même, dans PNK, l’utilise dans des sens différents. Une première fois, implicitement, en parlant de l’éther (PNK, p. 102, §27.2) qui est le « continuum » par excellence. Dans cette section, il compare l’éther avec la structure des événements munie de la relation d’extension, grâce aux propriétés (2,5,6). Ainsi, c’est la densité qui assure la continuité. Une deuxième fois, la continuité provient de la relation de jonction (PNK, p. 102, §29) entre deux événements, qui recouvrent les deux relations d’intersection et d’adjacence ou contiguïté. Une troisième fois, Whitehead utilise le terme de « continuité du type de Cantor-Dedekind » (PNK, p. 115, §34.3), c’est-à-dire la continuité topologique au sens de complétude. Il s’agit d’une propriété des systèmes de temps qui ne nous apparaît pas utile. En effet, la seule propriété exigée par le raisonnement de Whitehead, dans ses applications systématiques de sa méthode

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d’abstraction extensive est la possibilité de division à l’infini, c’est-à-dire la propriété de densité. La continuité non typée est donc une continuité naturelle, c’est-à-dire celle de passage possible entre deux objets désignés et de même espèce, sans nécessité d’un pont entre eux constitué par un objet de même nature que les deux précédents. Aucun ensemble de nombres ne réalise cette continuité là !

3 . S -ll ang ages fo rmels et moments Un langage formel est un ensemble de séquences finies d’éléments. Une séquence est appelée mot12 et un élément une lettre. La lecture d’un mot, que nous faisons de gauche à droite, simule le passage du temps, chaque lettre qui précède une autre pouvant être considérée comme ayant été réalisée antérieurement à cette dernière. Entre deux lettres peut s’écouler une durée quelconque, représentée par un silence. Ainsi, les langages formels sont idoines pour représenter de la relation de précédence. En revanche, ils ne permettent pas d’exprimer simplement la simultanéité. C’est la raison d’être des S-langages (formels). En effet, un S-langage est un ensemble de séquences de parties non vide de lettres. Les séquences sont les S-mots, les parties sont les S-lettres. Un S-langage est donc un langage dont les lettres sont des éléments complexes. Il est alors possible d’exprimer la simultanéité en utilisant des S-lettres comprenant plusieurs lettres. Vouloir situer dans le temps des entités (procès ou objets), c’est associer à chacune d’elles une trace temporelle constituée soit d’un point (si l’entité est considérée comme ponctuelle) soit un intervalle (si l’entité est considérée comme durative) soit une séquence de points et/ou de durées disjoints (si l’entité est considérée comme répétitive). Ayant ainsi remarqué que situer temporellement des entités les unes par rapport aux autres revient in fine à travailler sur des bornes étiquetées (pour identifier les entités représentées), c’est-à-dire conceptuellement sur des chaînes de points, à l’aide des deux seules relations de simultanéité et de précédence. La relation de simultanéité est une relation d’équivalence, c’est-à-dire réflexive (pour tout a, a est simultané à a), symétrique (si a est simultané à b, b est simultané à a) et transitive (si a est simultané à b et b simultané à c, alors a est simultané à c). Cette relation permet donc de regrouper en classes, dites de simultanéité, les éléments. Quant à la relation de précédence, c’est est une relation d’ordre strict c’est-à-dire antiréflexive (pour tout a, on a jamais a précède a), antisymétrique (si a précède b et b précède a, alors a=b). Le modèle mathématique qui synthétise à la fois précédence et simultanéité est celui des préordres linéaires, c’est-à-dire une relation binaire réflexive et transitive telle que deux éléments quelconques sont toujours en relation. Plus précisément, l'ensemble de toutes les situations possibles entre n chaînes de points est en

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une condition nécessaire pour qu’un S-mot constitue une telle image est qu’il contienne pour chaque entité, exactement le même nombre d’occurrences de son identité qu’il y en a dans la représentation de sa trace temporelle. Cette condition est également suffisante. Ainsi, pour deux entités ponctuelles, d’identités p et q, le S-langage correspondant aux images temporelles est L(p,q)= { p, q, {p,q} }, Slangage en correspondance avec la Figure 2. Si ces deux entités sont duratives, le S-langage correspondant est L(pp’,qq’)={pp’qq’, p{p’,q}q’, pqp’q’, {p,q}p’q’, pq{p’,q’}, pqq’p’, {p,q}{p’,q’}, qpp’q’, qp{p’,q’}, {p,q}q’p’, qpq’p’, q{p,q’}p’, qq’pp’}, en correspondance avec la Figure 3. Si p est ponctuelle et q durative, le S-langage correspondant est L(p,qq’)={pqq’, (p,q)q’, qpq’, q(p,q’), qq’p}. Par exemple, dans le dernier cas, le S-mot q(p,q’) représente un système temporel dont on a distingué deux moments particuliers, le premier moment contient le début de l’extension temporelle de l’entité d’identité q, le second moment contient la fin de l’extension temporelle de l’identité q et l’extension temporelle de l’identité p. Ainsi notre modèle ne manipule ni les entités elles-mêmes ni le temps. Mais, à partir d’un intermédiaire, qui est une représentation sous forme de mots de l’extension temporelle des entités considérées, on construit une image linéaire du temps sous la forme d’un S-mot. Chaque S-lettre représente un instant auquel on associe quelques faits particuliers, correspondant aux entités considérées. C’est un extrait très limité et grossier du moment de la nature correspondant à cet instant. Notre perception naturelle repère quelques instants rendus particuliers par l’émergence d’entités remarquables. Ce sont leurs traces qui construisent les instants ainsi représentés. Entre deux instants, sont définies des durées, que sans moyen de repérage ni d’instruments de mesure, il est impossible de quantifier. Il n’est donc pas utile de les représenter autrement que par les instants qui les bornent, les instants étant positionnés linéairement les uns par rapport aux autres, les distances entre les deux n’ayant pas de signification, il n’est pas utile de les représenter. Entre deux S-lettres consécutives, est représentée une certaine durée. Géométriquement, on peut représenter le S-mot a(a’,b)c(b’,c’), décrivant la situation temporelle des trois entités A, B, C dont les extensions temporelles sont respectivement aa’, bb’ et cc’ par la figure suivante, reprise de la figure 1 : (M1) (M2)

(M3)

(M4)







(a’,b)

c

A B C

a

(b’,c’)

Figure 4

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Un S-mot représente ainsi une restriction à quelques entités de la nature, restriction qui ne retient que les situations temporelles relatives de ces entités au sein d’un système de temps. Ce modèle permet donc aux linguistes d’avoir à disposition à la fois une représentation continue et discrète du temps : discrète par le nombre d’instants mis en lumière, continue par l’articulation qu’opère ces instants entre les durées qu’ils délimitent et à l’intérieur desquelles il est toujours possible d’insérer de nouveaux instants privilégiés.

4 . Con clusio n Nous avons mis en correspondance le modèle du temps construit de Whitehead avec le modèle des S-langages. Derrière la construction temporelle de Whitehead, se dessine la droite géométrique et l’ensemble des nombres réels, que nous évoque naturellement la propriété de continuité de type CantorDedekind. Le modèle des S-langages suggère une autre théorie. En effet, outre l’opération d’insertion de S-lettres entre deux S-lettres, la théorie des langages formels nous permet également de substituer un S-mot à une lettre, autorisant ainsi un effet de zoom ou changement d’échelle. En effet, compte tenu de la grossièreté de nos moyens de perception, ce n’est pas un véritable instant, limite idéale d’une série de durées emboîtées que l’on capte, mais la série tronquée audelà d’un seuil de perception, qui peut être raffinée. Ainsi, un instant grossier peut-il être raffiné par une suite finie d’instants. Il suffit par exemple de ne plus considérer une entité comme simple mais complexe. Par exemple aller au marché peut se décomposer en : mettre ses chaussures, prendre son panier, sortir de chez soi …etc. Itérer les deux opérations d’insertion et de substitution suggère plutôt une structure fractale, qui nous fait penser non plus en termes d’analyse classique, mais en termes de l’analyse non standard, introduite par Robinson en 196116, afin de traiter de façon cohérente la notion des infiniment petits et infiniment grands, comme le faisait Leibniz. Doit-on rappeler que le travail sur l’espace et le temps de Whitehead s’inscrit dans la filiation leibnizienne ?

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N otes 1

Université Paris-XIII. « Nous le [Temps] concevons comme un ensemble infini de moments ordonnés linéairement selon la relation  (antérieur ou simultané à) et comme étant de nature discrète et dense. » (Co Vet, Temps, aspects et adverbes de temps en français contemporain. DROZ, Genève, 1980, p. 38) « L’intervalle [de Temps] est un ensemble orienté d’instants contigus », « L’intervalle est donc un continu construit d’instants contigus au sens où il est toujours possible d’insérer un instant entre deux instants ». (Zlatka Guentcheva, Temps et aspect : l’exemple du bulgare contemporain, Editions du CNRS, 1990, p. 26-27) Nous verrons qu’il est impossible pour les ensembles de nombres d’être à la fois contigus (deux nombres sont voisins et se touchent) et denses. 3 An Enquiry Concerning the Principles of Natural Knowledge, Cambridge University Press, 1919, seconde édition, Dover Publications, Inc., New York. (cité ensuite PNK) 4 « L’hypothèse fondamentale élaborée au cours de cette enquête est que les faits ultimes de la nature, dans les termes desquels toute explication physique et biologique doit être exprimée, sont des événements liés par leurs relations spatio-temporelles, et que ces relations sont dans l’ensemble réductibles à cette propriété qu’ont les événements de pouvoir contenir (ou s’étendre sur) d’autres événements qui en sont des parties. » PNK, 1.5, p. 4, trad. de G. Durand dans sa monographie : La méthode de l’abstraction extensive. Des événements aux objets chez Alfred North Whitehead, Préface de Michel Malherbe, Frankfurt / Paris / Lancaster, Ontos Verlag, Chromatiques Whiteheadiennes VII [en préparation]. 5 S. R. Schwer. « S-arrangements avec répétitions », Comptes Rendus de l'Académie des Sciences de Paris, Série I 334 (2002) p. 261-266. 6 The Unreality of Time, Mind, 17 (1908), p. 457-474. 7 Q est un ensemble énumérable car isomorphe à NxN, un autre ordre permet de lui donner une structure d’ordre discret, mais cet ordre n’est plus linéaire. 8 D’après le théorème de Pythagore, la mesure de la diagonale vaut 2 unité. La preuve de l’irrationalité de 2 remonte à Eudoxe et constitue une véritable tragédie grecque. Comme tous les rationnels, si 2 était rationnel, il serait le quotient de deux entiers premiers sans a 2= b , nous pouvons écrire 2b2=a2 et en déduire que diviseurs communs, disons a et b. Or si a est un entier pair, soit a=2c. En reportant dans l’équation, nous obtenons 2b2=(2c)2 soit après simplification b2=2c2, d’où le fait que b est aussi pair, ce qui contredit notre hypothèse. 9 Une suite de Cauchy rationnelle est une suite de rationnels dont les termes se rapprochent de plus en plus, c’est-à-dire que plus l’indice est grand, plus la différence entre un terme et son successeur est petit. Sur l’ensemble des suites de Cauchy, on définit la relation d’équivalence suivante : la suite (un) est équivalente à la suite (vn)si la valeur de un-vn tend vers zéro quand la valeur de l’indice n tend vers l’infini. Un réel est défini comme une classe d’équivalence de cette relation. C’est aussi la limite commune des suites de Cauchy de cette classe. Il est intéressant de constater que Whitehead utilise une construction similaire pour les ensembles abstractifs (Le concept de Nature, traduit par J. Douchement (1998), Paris, Vrin, p. 94). 10 René Cori et Daniel Lascar (1994), Logique mathématique, vol. II, Paris, Masson. 2

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Whitehead emploie le terme « set », mais même si la stratification imposée par (i) évite le genre de paradoxe de l'ensemble de tous les ensembles, il n'y a aucune nécessité à parler d'ensembles plutôt que de classes. 12 Un mot (formel) n’est rien d’autre qu’une séquence d’éléments, la lecture d’un mot se fait par épellation de chacun de ses éléments (lettres), dans l’ordre du séquencement, sans rythme particulier a priori. 13 Sylviane R. Schwer, S-arrangements avec répétitions, Comptes Rendus de l'Académie des Sciences de Paris, Série I 334 (2002), pp. 261-266. 14 Lettre que l’on s’autorise à décorer, pour différencier les bornes d’intervalles des bornes ponctuelles. Nous primons les bornes terminales des intervalles. Ainsi, pour une entité d’identité p, pp représente la succession de deux points, pp’ un intervalle ; ppp la succession de trois points, pp’p la succession d’un intervalle et d’un point, ppp’ la succession d’un point et d’un intervalle. 15 On s’autorise à confondre les parties ne contenant qu’une seule lettre avec cette lettre. Ainsi nous écrirons pq pour exprimer le fait que l’entité d’identité p précède l’entité d’identité q, et {p,q} pour exprimer le fait que les deux entités sont simultanées. 16 Soit exactement cent ans après la naissance de Whitehead (1861-1947). Les nombres réels présentés ici sont des nombres standard. Un infiniment petit positif au sens non standard est un nombre positif plus petit que tous les nombres réels positifs. Si l’on prend un nombre réel très très petit, comme 10-999999999, multiplié par 10+99999999999999, cela donne un nombre assez grand. Mais multiplier un infiniment petit non standard par n’importe quel réel standard donne toujours un infiniment petit non standard.

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1 . Whi tehead’s Path to M ereolog y Following Leniewski, I call a formal theory of the part-whole relation and cognate concepts a mereology. 2 Whitehead gave us three accounts of mereology: the earliest from a relatively unknown essay “La théorie relationniste de l’espace” (1916); a much better known one in An Enquiry Concerning the Principles of Natural Knowledge (PNK, 1919), 109 ff., and the last from Process and Reality (PR, 1929; 1978), 294 ff.3 This introductory section outlines how this came about. Thereafter I shall look at the three accounts, discussing their development, and finally I shall make some critical remarks about Whitehead’s accounts. I shall not deal extensively with the place of mereology in Whitehead’s overall system. The proper investigation and evaluation of Whitehead’s geometrical projects is far from complete, so a comprehensive evaluation of his mereologies in their context remains here unfinished business. Whitehead’s mereology grew out of his efforts to integrate three topics: geometry, electrodynamics, and perception. He had been interested in geometry since his student days. The first definition in Euclid’s Elements runs, “A point is that which has no parts”, while one of the axioms is “The whole is greater than the part.” So the text which gave geonetry its most famous systematization, and which dominated its development for over two thousand years, makes essential use of mereological concepts. These concepts were however not determined by axioms: it was simply assumed that they and the principles governing them were sufficiently clear. Later axiomatic presentations of geometry such as those of Pasch or Hilbert presuppose other concepts. Modern presentations are usually formulated in the language of set theory, and according to them geometrical figures such as circles and straight lines are sets of points. For example, the proposition that a line intersects a circle is expressed by saying that their intersection is a set of two points. The part-relation is expressed by the subset relation, unless we wish to express that a point is part of a figure, in which case we must use the element-of relation. Intuitively however, a circle is an object made up of points far rather than a set whose elements are objects; a semicircle is a part and not a subset of a circle; a point in a circle is not an element but an atomic part of the circle, and both belong to the same logical type. Anyone who, like Whitehead, mistrusts set theory, for whatever reasons, will be inclined to develop geometry on the old basis of a theory of the part-whole relation, and make this foundation axiomatically explicit.

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Whitehead had been impressed early on by Grassmann’s Ausdehnungslehre, and he helped this understandably but wrongly neglected work to gain its rightful recognition in England. 4 The English translation of the expression ‘Ausdehnungslehre’, namely ‘theory of extension’, finds its echo in PNK. The basic relation of mereology is there called ‘extension’. The related theory of PR (Part IV) is also called ‘theory of extension’. Grassmann’s work was characterized by extreme generalization by comparison with all previous geometries (he dealt with spaces of arbitrary finite dimension), as well as the attempt to handle geometric elements algebraically, which was bound to appeal to the author of Universal Algebra. It was also a concern of Whitehead’s, as evidenced by his two small geometry textbooks,5 to present geometrical facts as far as possible in their most general form. Metric concepts are introduced only after the non-metrical attributes of spaces are investigated. The part-whole relation is itself so ubiquitously applicable that in such an account mereology appears no less useful a basis than set theory. A second thread of Whitehead’s project concerns the attempt to capture electrodynamics mathematically and to bring it into relation with geometry and the experience of space, time and matter. He himself wrote in 1912: During the last twenty-two years I have been engaged in a large scheme of work, involving the logical scrutiny of mathematical symbolism and mathematical ideas. This work had its origin in the study of the mathematical theory of Electromagnetism, and has always had as its aim the general scrutiny of the relations of matter and space.6 Whitehead’s preoccupation with electromagnetism goes back to his now lost Fellowship Dissertation on Maxwell’s Electricity and Magnetism for Trinity College, Cambridge, dating from 1884.7 He was also early in his reception and criticism of Einstein’s theories of relativity.8 However, the work which most clearly indicated how he would set himself comprehensively to integrate physics, geometry and logic was his essay for the Royal Society “On Mathematical Concepts of the External World”, which appeared in 1906. This work, which uses the symbolism of the then nascent Principia Mathematica, is of great significance for Whitehead’s later philosophy of nature and metaphysics.9 In particular in the last of the five proposals (called ‘Concepts’ by Whitehead), from each of which Euclidean geometry may be derived, geometrical considerations go over into physical ones, in accordance with Whitehead’s rejection of “bifurcations” of basic concepts, in this case the separation – artificial in his view – of geometrical from physical concepts. Some of the unusual terminology of PNK and PR, such as the words ‘prime’ and ‘cogredient’, is here aired for the first time. In the theory of ‘interpoints’, which is found in both the fourth and fifth proposals,10 Whitehead attempts for the first time to take points as classes of other entities, anticipating the method of

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extensive abstraction in PNK and PR. Whitehead still assumes that time consists of unextended instants.11 But the motivation for considering points as non-basic entities because they are never experienced holds for instants as well. There are also physical concepts such as speed and kinetic energy for whose definition we require a neighbourhood of instants, i.e. an interval, and not simply an instant. 12 In addition, the closer relationship between space and time called for by the theories of relativity increases the pressure to deal with space and time in the same way. For this Whitehead developed in the following years his method of extensive abstraction, which treats points, instants, lines and surfaces as logical constructions from more concrete entities. It was for this that he developed as a basis his theory of part and whole.

2 . Part-W W hol e Theo ry in “La théori e rel atio nniste de l’ esp ace” According to Russell,13 Whitehead had already developed the basic ideas of the abstraction method by 1914. These were then supposed to be applied in the fourth volume of Principa, on geometry, which, unlike the previous three volumes, was to have been Whitehead’s work alone. However, partly because of the war, partly because of administrative duties in the University of London, and partly because of the complications introduced by the theories of relativity, the project was not completed.14 Instead the method was introduced sketchily in PNK. Whitehead told his later biographer Victor Lowe in 1941 that “his works on the foundations of physics were all preliminaries to Volume IV of Principia Mathematica.”15 We may wonder how far Whitehead had got with the formal development of his abstraction theory and the mereology it used, and how early the mereology was developed. Since the fourth volume was never completed and Whitehead’s Nachlass was regrettably destroyed after his death according to his wishes, we have little reliable information to go on. In my view the formalization intended for Principia Volume IV was probably well advanced by 1914. The best evidence for this is the essay “La théorie relationniste de l’espace” (TRE), which appeared in 1916. The lecture on which the essay was based was given by Whitehead in Paris in 1914, and Whitehead wrote to Russell at that time that he proposed integrating this work into Principia Volume IV. 16 Assuming Whitehead made no essential changes to the text of his lecture, the content of the essay allows us to conjecture that Whitehead was working with a fully or largely formalized version in the background. If that is right, then Whitehead was the first person to develop a formal mereology: the first published axiomatic mereology, that of Leniewski, appeared in print in 1916.17 Even before PNK, TRE contains the idea of defining geometrical concepts on the basis of a theory which Whitehead calls ‘s-inclusion’:18

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The basic idea of the relativistic theory in its construction of the conception of a world which exists in space is that of a class of relations (s) … We will now define a means by which the geometric concept ‘point’ can be defined for a s-world. The starting point for this definition is the definition of a derived relation Es, called ‘s-inclusion’, and which in its formal properties is analogous to the relation of whole to part. Whitehead notes that the word ‘part’ is used in several senses:19 1. in the sense of subset ; 2. in the sense of a simpler component of a complex whole. Whitehead calls such components ‘heterogenous parts’ and does not consider them further ; 3. in the sense of a spatial part. Such a part of of the same genus as its whole: Whitehead calls them ‘homogenous parts’. It is clear (according to Whitehead) that parts in sense (3) are different from parts in sense (2). He does not exclude the possibility that relation (3) is a special case of (1), where part and whole are sets of unextended points. However, since such points can never appear in experience, Whitehead prefers to use relations among things which can appear in experience. In order to avoid a dispute that is merely terminological he elects to speak of ‘s-inclusion’ instead of ‘whole-part’. Given a class s of relations, Whitehead defines the relation E of -inclusion as follows: aE b := x R(xRb & R  ) & x R((R  & xRb)  xRa) Def. E We can say that b is a -part of a. The point of this relation is as follows: an object a contains a second object b when for every relation from , if any object stands in this relation to b it also stands in the relation to b. Whitehead was probably thinking of something such as that whoever perceives the part also perceives the whole. The relations from s are not specified further; Whitehead had in mind fundamental relations of an ontology as in Mathematical Concepts. In virtue of this relativization Whitehead’s treatment is more schematic and potentially more general than in his later works. He has however to be content with analogies to real mereological concepts. Whitehead mentions several formal properties of E , particularly that it is reflexive and transitive. If we designate the converse of E by ‘ ’ we can see that the special case a  a is included. Whitehead’s assumptions are however insufficient to prove the antisymmetry of E . For this an indiscernibility principle for the class s is required, which will not hold in general. But it is possible in special circumstances to assume that E and  are partial orders. Whitehead also mentions the conditions which must obtain if there are to be no

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minimal -parts. Finally he explains the method of extensive abstraction in connection with geometry. The account in “La théorie relationniste” remains sketchy, but suggests that Whitehead was already in possession of a large number of results. It remains incomplete as a mereology, since only some of the formal properties of the partwhole relation are forthcoming. That the relation E is not provably antisymmetric, which was probably a defect for Whitehead, is perhaps an advantage, as the antisymmetry of the part-relation  is in my view not universal.20 It was in PNK that Whitehead first published a suitably complete framework for developing mereology.

3 . The System of PNK Whitehead developed mereology not for its own sake, but en passant. It is the necessary foundation for his brilliant and rightly famous theory of extensive abstraction, in which unexperienceable entities such as points, instants, straight lines, curves and other linear figures, and surfaces are developed as logical constructions out of four-dimensional, extended events. This method, whether it is ultimately correct or not, constitutes a fair part of the work’s greatness. It is to be regretted that Whitehead never put his published considerations into the form of a formal deductive theory like those of Principia. Remarks in PNK as well as the symbolic fragments in TRE allow one to infer with some certainty that he had such results in manuscript. The abstraction method in PNK presuppose certain principles and definitions of part-whole theory. Whitehead chooses as his fundamental relation K that of extending over. The field of the relation K consists of entities that Whitehead calls ‘events’. Since K is simply the converse of the proper part relation, the theory of extension is a mereology for events. Whitehead introduces his mereology informally and loosely with the remark, “Some properties of K essential for the method of extensive abstraction are” (PNK 101). I shall give the principles using the converse relation to K, symbolized by ‘