Les nobles, la ville et le roi: L'autorité nobiliaire en Anjou pendant les guerres de religion (1560-1598) 2701129761, 9782701129761

Les guerres de Religion n'ont pas seulement été une période de contestations et de violences. Elles ont aussi permi

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Les nobles, la ville et le roi: L'autorité nobiliaire en Anjou pendant les guerres de religion (1560-1598)
 2701129761, 9782701129761

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Les nobles,

la ville et le roi L'autorité nobiliaire en Anjou pendant les guerres de Religion

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Les nobles, la ville et le roi

LAURENT BOURQUIN

Les nobles, la ville et le roi L'autorité nobiliaire en Anjou pendant les guerres de Religion

(560-1598)

BELIN 8, rue Férou 75278 Paris cedex 06 www.editions-belin.com

DCél! AbOTESE FNeliaANe lala

ESSAIS D'HISTOIRE MODERNE

collection dirigée par Laurent Bourquin

DANS LA MÊME COLLECTION LA PAIX DE WESTPHALIE (1648). UNE HISTOIRE SOCIALE, 17°-18° SIÈCLES ÊTRE VEUVE SOUS L'ANCIEN RÉGIME

En couverture : Pierre de Donadieu, seigneur de Puycharic. Marbre du début du xvie siècle. Château d'Angers. © 2001. Inventaire général / P. Giraut-ADAGP

Le code de la propriété intellectuelle n’autorise que «les copies ou reproductions strictement réservées à l'usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective » [article L. 122-5]; il autorise également les courtes citations effectuées dans un but d'exemple ou d'illustration. En revanche «toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite» [article L. 122-4]. La loi 95-4 du 3 janvier 1994 à confié au C.FC. (Centre français de l’exploitation du droit de copie, 20, rue des Grands-Augustins, 75006 Paris), l'exclusivité de la gestion du droit de reprographie. Toute photocopie d'œuvres protégées, exécutée sans son accord préalable, constitue une contrefaçon sanctionnée par les articles 425 et suivants du Code pénal.

© 2001 Éditions Belin

ISSN 0985-4460

ISBN 2-7011-2976-1

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Introduction

Le 10 février 1568, Catherine de Médicis écrivit à son fils

Henri pour le prévenir que le roi avait « délibéré d’envoyer [son] cousin le mareschal de Cossé [...] en Anjou pour le ser-

vice qu’il en espère tirer, estant aymé et congneu au pays, et partant, il sera bon qu’il vienne le plustost qu’il luy sera possible, affin que le service du roy monsieur mon filz n’en soit aucunement retardé »!. Depuis la bataille indécise de SaintDenis, le 10 novembre 1567, Charles IX tentait d’apaiser les

troubles religieux en préparant un nouvel édit de tolérance, qui devait reprendre dans ses grandes lignes la paix d’Amboise. L’heure était à la conciliation. Il fallait apporter des gages de bonne volonté aux protestants, bien sûr, mais

aussi des garanties de sécurité aux catholiques. Pour y parvenir en Anjou, le souverain et sa mère avaient eu l’idée d’en-

voyer là-bas un gentilhomme discuter sereinement avec les ne reflétait donc pas seulement était menée depuis 1563, mais

écouté, respecté, capable de uns et les autres. Ce courrier la politique de compromis qui une certaine façon d’exercer

l’autorité nobiliaire, empreinte d’influence, basée sur l’en-

tente d’un noble du pays avec les notables. Le 12 octobre 1586, la reine mère envoya une lettre au comte de La Rochepot, le gouverneur d’ Anjou, pour lui ordon-

ner «d’avoyr l’œil soigneusement ouvert en vostre charge

LES NOBLES, LA VILLE ET LE ROI [...], que lesdictz de la nouvelle oppinion, ou aultres en leur

faveur, ne puisse{nt] faire aucune surprinse, ny se saisir d’aucun passaige sur la rivière de Loyre, car il ne sçauroit advenir chose qui préjudiciast tant au service du roy, monsieur mon filz, que cela feroit»?2. Ces quelques lignes étaient écrites dans un contexte très différent de février 1568. Depuis la mort de François de Valois, le 10 juin 1584, Henri II avait le plus grand mal à contenir l’agitation ligueuse. Pour satisfaire les revendications du duc de Guise et apaiser les extrémistes catholiques, il avait dû accepter, en juillet 1585, le traité de Nemours, aux termes duquel le roi de Navarre était déchu de

ses droits à la couronne et le protestantisme interdit de culte. Les huguenots venaient ainsi d’entrer en guerre pour la huitième fois, et le passage de la Loire devenait une préoccupation stratégique majeure. Fort logiquement, ce courrier venait donc rappeler au gouverneur d’Anjou sa mission militaire. Il n’était plus question de dialogue ni d’apaisement :nommé depuis peu, La Rochepot était de toute façon un noble étranger au pays, encore mal intégré dans la notabilité provinciale. Cette lettre évoquait une tout autre conception de l’autorité nobiliaire, non plus bâtie sur l’influence locale d’un gentilhomme, mais sur la coercition militaire et l’espionnage. La confrontation de ces deux courriers, rédigés par la reine

mère à dix-huit ans d’écart, permet de mesurer tout l’intérêt d’un travail portant sur l’autorité nobiliaire en Anjou pendant les guerres de Religion, à condition de le comparer à d’autres provinces. En étudiant la noblesse seconde de Champagne, qui était composée de lignages issus de la région, favorisés par la couronne pour exercer l’autorité locale en son nom, J'étais en effet convaincu que mon analyse du pouvoir local dans le Nord-Est ne pourrait être imprudemment plaquée ailleurs. Ces gentilshommes champenois avaient eu la possibilité de faire carrière dans leur pays natal parce que les charges militaires y étaient nombreuses et vitales pour défendre l’Île-de-France face aux armées des Habsbourg. Au cours de la seconde moitié du xvie siècle, ils avaient su rester loyaux envers le roi malgré le charisme régional de la famille de

INTRODUCTION

Guise, parce qu’ils avaient intérêt à servir une couronne dont ils recevaient les bienfaits depuis François I*', avec des emplois de cour, des colliers de l’ordre de Saint-Michel ou des pensions. Leur influence avait été largement mise à profit par ses successeurs afin de faire admettre aux notables des villes et aux seigneurs locaux chaque méandre de la politique royale, notamment de 1562 à 1594. Leur connaissance du terrain avait été particulièrement précieuse pour conduire les troupes dans un pays rude, tenir les places fortes de la province et pacifier les frontières. La noblesse seconde de Champagne était donc le produit d’un territoire bien spécifique. En 1993, David Potter publia un ouvrage consacré à la Picardie, dans lequel on peut retrouver des itinéraires nobi-

liaires semblables à ceux de Champagne“. Dès l’époque de Louis XI, les gentilshommes de cette région avaient bénéficié des faveurs de la couronne en obtenant à la fois des emplois de cour, des gratifications financières et des postes locaux. Le souverain avait en effet compris qu’il gagnerait à exploiter leur ascendant pour faire admettre aux notables la disparition du duché de Bourgogne. Les Crèvecœur, les Humières, les Hangest et les Pisseleu connurent ainsi une ascension tout à fait comparable à celle des nobles seconds champenois, notamment quand Henri II les employa pour résister à la tête de leurs garnisons face aux troupes de Charles Quint et de Philippe II. En Picardie, David Potter décrivait donc une forme d’autorité nobiliaire très proche de celle qui s’exerçait en Champagne à la même époque, fondée sur l’utilisation réussie de lignages bien implantés dans leur pays, aptes à relayer les volontés du pouvoir royal en toute sûreté, capables d’appliquer et de faire exécuter avec loyauté ses exigences politiques, fiscales et militaires.

Les travaux de Michel Cassan démontrèrent cependant que la réussite des noblesses secondes frontalières était étroitement liée à leur position géographique, à proximité de Paris, de l’Empire et des Pays-Bas espagnols: dans le Massif Central, leur autorité était beaucoup plus aléatoire*. Les lieutenants généraux nommés par le roi en Limousin, comme François

LES NOBLES, LA VILLE ET LE ROI

d’Escars, Gilbert de Ventadour ou Edme de Hautefort, étaient sans doute à la fois compétents et bien connus des notables, mais ils eurent le plus grand mal à s’en faire obéir. Par exemple en 1569, François d’Escars ne réussit pas à convaincre les bourgeois de Limoges qu’il était nécessaire d’introduire une garnison dans leur enceinte. Après quelques mois de présence, ses soldats durent partir, et cette expérience resta sans lendemain. Car les élites urbaines étaient farouchement attachées à des traditions d’autonomie qui plongeaient leurs racines dans les luttes qu’elles avaient autrefois menées contre les seigneurs de la ville — l’abbé de Saint-Martial, l’évêque ou le vicomte. Comme ils n’avaient aucune raison de craindre une invasion étrangère, les Limougeauds n’avaient pas le moindre intérêt à mettre en sommeil les milices municipales, encadrées depuis 1371 par un capitaine nommé en consulat. Confiants dans leurs murailles pour se protéger des troubles civils, ils furent peu enclins à admettre la présence de nobles qui auraient pu remettre en cause leurs franchises urbaines. À l'inverse de ce qui se produisit en Champagne et en Picardie, leur mentalité politique contribua ainsi à réduire la marge de manœuvre des gentilshommes limousins auxquels la couronne avait fait appel pour assumer l’autorité royale. Mon enquête sur l’autorité nobiliaire en Anjou, qui fut impulsée par Jean-Marie Constant dans le cadre du Laboratoire d'Histoire Anthropologique du Mans, fut donc motivée par un souci comparatiste. Après avoir constitué plusieurs fichiers de la noblesse angevine entre le Xve et le xViIme siècle, j’ai utilisé les délibérations municipales, la correspondance royale conservée dans le Fonds français de la BnF et le Cabinet des Titres du Département des Manuscrits, afin de dresser une première liste des gouverneurs de la province, des villes ou des châteaux de la région. Bien vite, je m’aperçus que les gentilshommes choisis pour relayer la puissance royale dans le pays à l’époque des guerres de Religion n’étaient pas forcément issus de la noblesse locale. Comme en témoignent les deux lettres de Catherine de Médicis, la couronne hésita entre

des nobles seconds angevins, qui étaient capables de faire 10

INTRODUCTION

passer en douceur ses orientations, et des gentilshommes étrangers au pays, dont la fidélité et le talent militaire garantissaient une application sans faille, parfois brutale, de la politique royale. Les uns et les autres avaient sans doute leurs qualités propres, mais surtout, ils n’employaient pas les mêmes méthodes. Je fus donc amené à explorer les canaux par lesquels transitait leur autorité : leur charisme personnel, leur réseau de parenté, les troupes dont ils disposaient, les arguments qui leur permettaient de légitimer une action. Toutes les questions que je me posais n’ont pas forcément trouvé de réponse, mais J'ai pu recueillir suffisamment d’informations pour mesurer l’efficacité de leur tactique. Au cours de la seconde moitié du xvIe siècle, tous ces genülshommes devaient travailler dans trois directions. Sur le plan militaire, leur tâche consistait surtout à surveiller le franchissement de la Loire, ainsi qu’à garantir ie maintien de l’ordre dans les villes et les campagnes du pays. Ces enjeux stratégiques étaient sans doute moins cruciaux qu’en Champagne, mais il leur fallait néanmoins éviter de perdre des places qui étaient de la plus haute importance, comme le château d’ Angers, les Ponts-de-Cé ou Saumur. Sur le plan religieux, leur tâche fut singulièrement compliquée par l’essor vigoureux du protestantisme angevin dans les années 1550. La vallée de la Loire, par laquelle circulaient les idées nouvelles et les prédicateurs, joua sans doute un rôle essentiel

dans cette diffusion, notamment à Angers ou Saumur. Les gouverneurs de ces villes durent faire respecter des choix religieux ambigus et fluctuants que les notables, catholiques et protestants, n’étaient pas toujours disposés à accepter. Sur le plan politique, ils durent en effet composer ou s’imposer aux notables urbains, dont la plupart restaient très attachés à leurs franchises médiévales et méfiants à l’égard de toute forme d'autorité venant de l’extérieur. Les problèmes que les détenteurs de l’autorité nobiliaire devaient régler en Anjou étaient plus complexes qu’en Champagne, et certainement plus délicats à résoudre. Il leur fallait en outre compter avec le souvenir, toujours très vivace, que les ducs d’ Anjou avaient laissé 11

LES NOBLES, LA VILLE ET LE ROI

parmi les élites depuis la mort du roi René, en 1480. Dans l’échevinage d’ Angers, la fin du Moyen Âge était ainsi regrettée et regardée comme un «âge d’or», au cours duquel la province avait fait partie d’un prestigieux ensemble européen sans pour autant souffrir la moindre entorse à ses privilèges. Face à cette image idéalisée, les serviteurs des rois de France et des ducs apanagistes du second xvIe siècle furent à la peine pour s’imposer comme des interlocuteurs crédibles et dignes de confiance, car il leur fallut sans cesse réduire l’écart entre

les nostalgies des bourgeois et les nouveaux besoins d’un État moderne. Je n’ai pas voulu transposer en Anjou les problématiques que j'avais utilisées en Champagne, car cette démarche aurait inévitablement conduit à une impasse. Mes préoccupations y sont davantage politiques que militaires, plus urbaines que rurales, attentives à l’histoire des représentations. II m’a sem-

blé qu’un plan chronologique s’imposait ici, car l’autorité nobiliaire qui s’exerça en Anjou pendant les guerres de Religion fut d’une grande plasticité. J’ai d’abord essayé de tester cette souplesse entre la fin du xve siècle et le milieu du xvr, en étudiant les transferts de fidélité qui avaient pu s’effectuer entre le roi René et le roi de France. Cette analyse a permis d’évaluer ensuite les handicaps de la noblesse seconde, face à la couronne d’une part, et face aux notables de l’autre. Il a été alors possible de comprendre les fondements et les mécanismes de l’autorité nobiliaire au cours des années 15601570, lorsque Charles IX, Henri II et François de Valois tentèrent, chacun leur tour, d’associer en Anjou des

gentilshommes locaux et étrangers. Après avoir expliqué l’échec de ces expériences, qui se soldèrent par le discrédit de l’autorité nobiliaire et une vigoureuse poussée de l’extrémisme catholique, la période de la Ligue a été étudiée au cours des trois derniers chapitres, pour finir sur les difficultés que ces gentilshommes rencontrèrent dans la pacification de la région et du second ordre.

CHAPITRE I

Du roi René au roi de France

1. Une noblesse fragile Les effectifs de la noblesse au xvie siècle restent opaques. Nos estimations ne commencent en effet à devenir précises qu’à partir des années 1660, grâce aux enquêtes de noblesse conduites par Colbert, puis aux Mémoires des intendants pour

l’instruction du duc de Bourgogne de la fin du xvrre siècle, et enfin aux rôles de la capitation!. Mais il n’existe à peu près rien de tel dans les sources de la première modernité. Il est vrai que nous disposons des estimations de quelques contemporains, mais elles sont trop approximatives pour être utilisées avec un réel profit’. Dans une étude publiée en 1984,

Jean-Marie Constant a proposé de s’appuyer sur une méthode nouvelle, consistant à s’appuyer sur les rôles dressés dans le cadre des bailliages et des sénéchaussées pour la convocation du ban et de l’arrière-ban. Il s’agissait de travailler dans un cadre régional, afin de calculer le nombre de feux ou de lignages nobles pour 1 000 km*, en définissant des «espaces nobiliaires » caractérisés par une plus ou moins forte implantation noble. C’est avec cette technique que J'ai cherché à évaluer les variations du peuplement nobiliaire angevin à 13

LES NOBLES, LA VILLE ET LE ROI

Nombre lignages de

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Avant 1450

14501499

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15001549

15501599

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Depuis 1650

L’ancienneté de la population noble en 1667

l’époque moderne‘. Il est vrai que les effectifs de la noblesse au xvIe siècle ne peuvent y être connus avec certitude, car aucun rôle de ban et d’arrière-ban ne semble avoir subsisté de cette période. Mais nous disposons d’une très belle liste de 1470-1471, qui fut dressée lorsque Louis XT fit appel aux propriétaires des terres dont il était le suzerain pour faire la guerre aux ducs de Bourgogne et de Bretagne”. Cette convocation du ban et de l’arrière-ban en Anjou nous est parvenue grâce à un érudit du xvine siècle qui la recopia ; sans doute incomplète, elle nous apprend toutefois qu’à la fin du Moyen Âge, le duché comptait au moins 693 lignages nobles. En retenant un nombre approximatif de 750 lignages au total, pour environ 9000 km?2, on obtient ainsi 83 lignages nobles pour 1 000 km2. Il n’est pas interdit de penser que nous tenons là un maximum, qui ne fut plus jamais atteint par la suite. En effet, de nouveaux calculs peuvent être effectués grâce à l’enquête de noblesse que Colbert diligenta dans la région en 16676. Complétée par les index des registres paroissiaux et des registres protestants, elle donne un total de 426 lignages, soit une densité moyenne de 55,3 feux pour 1 000 km2. En deux siècles, la noblesse angevine perdit à peu près 40 % de ses effectifs. Cette érosion s’accompagna d’un puissant renouvellement des lignages, puisque sous le 14

DU ROI RENÉ AU ROI DE FRANCE règne de Louis XIV, la noblesse médiévale ne représentait

plus que 17,6% du total. Les gentilshommes du milieu du XVII siècle étaient par conséquent d’une extraction beaucoup plus récente qu’en Bretagne, où 28 % des lignages pouvaient se prévaloir d’une origine médiévale. En Anjou, les deux tiers des familles ne dépassèrent jamais un siècle d’existence :cette noblesse angevine était fragile. Cette fragilité était largement due à un partage noble très inégalitaire, qui défavorisait tellement les cadets qu’il les précipitait dans la dérogeance. Cette vulnérabilité des cadets peut se lire à travers les structures familiales de la noblesse angevine, qui étaient profondément marquées par le modèle de la famille nucléaire, puisque les 426 lignages de 1667 regroupaient 494 feux. Autrement dit, les familles semblaient incapables de générer des branches cadettes viables, ce qui entrafnait leur disparition, et donc la baisse des effectifs nobles

observés sur les deux premiers siècles de l’époque moderne. Or les mécanismes d’un phénomène aussi puissant peuvent être compris grâce à l’étude du partage noble de cette région. Dès les années 1950, Jean Yver a mis l’accent sur les carac-

tères spécifiques du groupe des coutumes de l’Ouest/. Souvent très égalitaires dans le cas des successions roturières, elles intégraient cependant des dispositions spécifiques à la noblesse où s’exprimait toujours un droit d’aînesse plus ou moins complet. Généralement, l’aîné d’une fratrie avait le droit de prendre

comme préciput la principale demeure de sa famille à la mort de ses parents, et pouvait disposer d’une part très importante de la succession. Mais dans le Maine et en Anjou, son avan-

tage était considérable. Les coutumes de ces deux régions, rédigées en 1508, stipulaient que l’aîné ne délaissait à ses pufnés que l’usufruit de leur part: «les puisnez enfans succèderont pour l’autre tiers, et le diviseront entre eux par esgales portions :mais les puisnez masles ne sont fondez de tenir ne avoir leur portion d’iceluy tiers qu’en bienfaict seulement, c’est à sçavoir leur vie durant. Et après leur déceds, la succession de leur bien-faict retourne à l’aisné ou à sa représentation »8. Les puînés devaient donc se contenter du tiers des 15

LES NOBLES, LA VILLE ET LE ROI

biens immeubles en viager. À leur mort, la part qu’ils avaient obtenue au décès de leurs parents revenait à la branche aînée, afin que le patrimoine fût préservé dans son intégralité. Ces deux coutumes étaient les plus inégalitaires de l’Ouest”. En Touraine, les puînés recevaient une part identique — un tiers de tous les biens familiaux — mais en pleine propriété. En Bretagne, en Poitou et en Angoumois, la même règle s’appliquait, mais seulement pour les fiefs: les autres biens, meubles et immeubles, devaient être partagés égalitairement. Les coutumes du Maine et de l’ Anjou étaient très éloignées de celles qui régissaient le droit successoral dans le Bassin parisien. Dans ces régions (Île-de-France, Orléanais, Picardie), il n’existait aucun partage spécifique aux gentilshommes. Les textes prévoyaient une distinction qui s’attachait non pas à la qualité des personnes, mais à celle des biens. Seuls les fiefs étaient partagés de manière inégalitaire, avec un avantage pour l’aîné, tandis que les autres éléments du patrimoine (terres roturières et biens meubles) étaient plutôt répartis égalitairement. Dans les coutumiers du centre et de l’est du royaume, on pouvait retrouver un partage spécifique à la noblesse, mais ses modalités étaient très différentes de

celles qui façonnaient la jurisprudence angevine. En Champagne méridionale, Nivernais, Lorraine, Bourbonnais, Marche, Auvergne et Berry, le plus âgé des garçons disposait certes d’un droit d’aînesse. Mais sa part avantageuse se himitait, dans la plupart des cas, au meilleur fief ou au principal manoir, sans aller jusqu’à lui accorder les deux tiers de la succession comme dans les provinces de l’Ouest. En effet, ces coutumes étaient préciputaires. Inspirées par le droit romain, elles laissaient une grande liberté au chef de famille pour privilégier l’un ou l’autre de ses enfants!!. Dès lors, une aînesse contraignante n’avait guère de sens, car la coutume était suffisamment souple en elle-même pour éviter tout morcellement des patrimoines. Les coutumes du Maine et de l’Anjou ne connaissaient rien de tel, car le droit successoral des roturiers y était profondément égalitaire!2. Dans ces régions, les nobles avaient éprouvé la nécessité de se doter 16

DU ROI RENÉ AU ROI DE FRANCE

d’un partage bien à eux, marqué par le souci de préserver leurs patrimoines, centré autour d’un droit d’aînesse très puissant. Ils affirmèrent ainsi leur identité juridique face aux roturiers. Dans les régions de partage noble, la part de l’aîné était donc inversement proportionnelle à la faculté qu’avaient les parents d’avantager tel ou tel de leurs enfants. Les coutumes d'égalité stricte pour les roturiers, typiques de l’Ouest et particulièrement fortes dans le Maine et l’ Anjou, étaient porteuses d’une logique d’émiettement qui allait à l’encontre des intérêts nobiliaires. Les gentilshommes avaient été conduits à forger pour eux des règles d’aînesse extrêmement rigoureuses, afin de pérenniser leurs lignages. C’est pourquoi dans ces régions, le droit successoral engloba des formes de partage noble qui se posaient comme le négatif parfait des règles communes. À l’opposé, dans les pays de tradition préciputaire (Centre et Est), l’avantage se réduisait ie plus souvent à

un préciput, qui était conçu comme une simple marque de l’identité nobiliaire ; dès lors que le droit successoral permettait au chef de famille de transmettre à peu près librement ses biens, l’aînesse était vécue comme une contrainte inutile. À l’époque où fut convoqué le ban et l’arrière-ban d’ Anjou, en 1470 et 1471, la noblesse angevine connaissait un réel apogée, mais elle était minée par des règles successorales draconiennes, qui empêchaient les cadets de remplacer les branches aînées qui disparaissaient. En outre, le partage noble eut sans doute tendance à isoler les gentilshommes du reste de la population. Les officiers du corps de ville d'Angers, qui obtinrent de la part de Louis XI, en 1475, le privilège d’être anoblis grâce à leurs charges municipales, refusèrent toujours de partager noblement ; alors qu’ils avaient la faculté de choisir entre le droit successoral roturier et celui de la noblesse, ils préférèrent,

pour la plupart, conserver le partage qu’ils avaient toujours connu. Dans la pratique, ils demandaient une dérogation au Parlement de Paris, qui était toujours acceptée. Cette procédure me semble traduire une forme de réticence, de répugnance ou de résistance face à l’étrangeté du partage noble, auquel ils ne pouvaient s’adapter!?. Composée pour l’essentiel de petits 1

LES NOBLES, LA VILLE ET LE ROI

seigneurs qui se consacraient surtout à l’exploitation de leur domaine, la noblesse angevine avait peu de prise sur la société urbaine. Ses alliances avec les familles de notables étaient rarissimes, ce qui ne facilitait pas les relations avec la ville. Enfin, la présence d’une vie de cour très riche et d’une dynastie ducale permanente, depuis la fin du xive siècle, créa un micro-climat culturel et politique qui ne favorisa pas l’osmose entre la noblesse et les autres élites angevines.

2. Les profits de la cour ducale La noblesse de cette région, qui était depuis le XIe siècle attirée à la fois par la cour de Bretagne et celle de France, vécut un événement capital en 1356, lorsque fut créé l’apanage d’Anjou pour Louis [®, le fils de Jean II le Bon. Car à partir du milieu du xive siècle, la présence plus ou moins effective d’un duc entraîna des mutations considérables, qui conditionnèrent largement ses relations avec le roi de France. Il n’entre pas dans ce travail d’insister sur l’époque de Louis I (1339-1384), n1 sur celle de Louis I1 (1377-1417), qui sont

assez loin de notre cadre chronologique. Mais il faut toutefois évoquer à grands traits la politique du duc René (14091480), car les rapports qu’il entretint avec la noblesse locale sont décisifs pour comprendre les bases et les failles de l’autorité des gentilshommes angevins sur leur pays. René d’Anjou fut l’un des derniers grands princes du Moyen Âge, à l'instar de Charles le Téméraire ou de Pierre de Bourbon. Il est vrai qu’il fut surtout étudié comme poète ou comme mécène! mais sa dimension politique fut très importante. À la suite d’un complexe jeu d’héritages, il accumula entre ses mains |’ Anjou et le Maine, la Provence, la

Lorraine et le Barrois. À travers lui, la noblesse angevine s’ouvrit ainsi sur l’extérieur, car René appréciait tout particulièrement certains Angevins, dont il fit ses principaux agents. Louis de Beauvau

et Hardouin

de La Jaille, furent, par

exemple, nommés sénéchaux de Provence!S. Il prétendait en 18

DU ROI RENÉ AU ROI DE FRANCE outre, comme

ses prédécesseurs, détenir des droits inalié-

nables sur le royaume de Naples, qu’il tenta par deux fois de conquérir, en 1438 et en 1454. Fasciné par l'Italie, il y emmena à sa suite de nombreux gentilshommes, qui combattirent les Aragonais à ses côtés : il nomma par exemple Pierre de Champagne, l’un des plus puissants nobles du Maine, viceroi de Naples en 144216. II est vrai que René n’avait pas le potentiel militaire et financier du duc de Bourgogne, et qu’il posa peu de problèmes à Louis XI, mais son règne fut un moment crucial :une période d’épanouissement culturel, politique, diplomatique, qui plaça une partie de la noblesse angevine au cœur des bouleversements de l’Europe occidentale à la fin du xve siècle. Et pourtant, René échoua dans la plupart de ses projets. En effet le 25 janvier 1431, âgé d’à peine 22 ans, il fut vaincu

et capturé à la bataille de Bulgnéville par Antoine de Vaudémont. Celui-ci le confia à la garde du duc de Bourgogne, Philippe le Bon, qui le retint prisonnier à Dijon jusqu’en mai 1432, puis de 1435 à 1437. À cette date, il put rassem-

bler une rançon de 400000 écus, qui avait pour l’essentiel été acquittée grâce au roi de France. L’année suivante, 1l s’embarqua pour Naples afin de dégager la ville des troupes aragonaises, mais après quelques victoires prometteuses, 1l dut abandonner son royaume italien et retourner en Provence, à l’automne 1442. Trois ans plus tard, il lui fallut soumettre la ville de Metz, qui s’était soulevée contre lui; or René ne put

en venir à bout qu’avec l’aide de son beau-frère, Charles VIT. Dès cette époque, il apparut de plus en plus évident que le duc d’Anjou ne pouvait plus faire grand chose sans le concours de son puissant voisin. Ce déséquilibre des forces devint particulièrement flagrant lorsque les troupes royales réussirent seules à reconquérir le Maine occupé par les Anglais, sans l’aide des troupes angevines. C’est à cette époque que René fonda l’ordre du Croissant, destiné à relever un prestige personnel quelque peu écorné par les événements qui s’étaient déroulés au cours des vingt dernières années. Institué le 11 août 1448 dans la cathédrale 19

LES NOBLES, LA VILLE ET LE ROI

Saint-Maurice d’Angers, cet ordre de chevalerie n’était pas une idée vraiment originale, car le duc s’était inspiré de l’ordre de la Jarretière, créé par le roi d’ Angleterre un siècle plus tôt, et de l’ordre de la Toison d’Or, fondé par Philippe le Bon en 1429. Comme

ses devanciers, il cherchait à exalter les ver-

tus idéales de la noblesse : les confrères avaient pour premier devoir de soutenir le pauvre, défendre le faible et faire croître leur honneur et leur renommée sans relâche, afin de se conformer à leur devise («Los en croissant»). En outre, la dimen-

sion religieuse y était omniprésente, dans la mesure où chaque chevalier devait soutenir l’Église et défendre l’hérésie!7. Enfin, la création de l’ordre du Croissant avait surtout une signification politique: après les humiliations que René avait subies en Italie et dans la guerre franco-anglaise, il entendait se poser de nouveau comme le chef naturel de la noblesse qui vivait sur ses territoires, le patron incontesté d’un réseau de clien-

tèle qui s’étendait sur la Lorraine, la Provence, le Maine et l’Anjou. Depuis plusieurs années, il avait pu se créer un entourage stable qui fut, comme la cour de Bourgogne, la matrice du modèle curial qui s’épanouit en France au siècle suivant. Le duc d’Anjou avait tout intérêt à le fortifier, à le vivifier grâce à des dignités nouvelles, prestigieuses et attractives. En m'inspirant des travaux de Françoise Piponnier sur le vêtement à la cour d'Anjou, j’ai ainsi étudié le recrutement de ces chevaliers!?. Composé des plus proches clients du roi René, l’ordre du Croissant permettait d'appréhender plusieurs aspects fondamentaux pour la suite de mes travaux sur la noblesse angevine: l’origine géographique de ces hommes, leurs carrières auprès du duc et leur utilité dans la gestion d’un espace aussi éclaté que l’étaient les territoires de René. Quarante-neuf nobles reçurent un collier — le duc lui-même étant le cinquantième??. On y rencontrait plusieurs membres de la haute aristocratie européenne, comme Jean de Nassau, quelques Italiens, alliés de René dans la Péninsule, une poignée de Lorrains et de Provençaux, mais surtout une vingtaine de gentilshommes ligériens?!. Car si René manifesta toujours de l'intérêt pour la Provence, où il séjourna de longues 20

DU ROI RENÉ AU ROI DE FRANCE

années, il considéra toujours que les fondements de sa puissance se situaient dans le Val de Loire, près de la cour de France. Parmi ces vingt nobles, quinze Angevins formèrent le groupe le plus cohérent et le mieux fourni. Les plus grandes familles de la région furent notamment distinguées, comme les Beauvau, les La Jaille, les Laval, les du Bellay ou les

Maillé. La plupart de ces lignages manifestaient d’ailleurs un attachement ancien à l’égard des ducs, car dès 1265, un René

de Beauvau avait accompagné Charles d’Anjou en Italie. À la même époque, un Emery de La Jaille avait été pour sa part sénéchal d’Anjou, du Maine et du Perche?2. Certains gentilshommes avaient donc hérité d’une tradition de service à l’égard des ducs d’ Anjou qui datait d’au moins deux siècles. Les parents ou les grands-parents des chevaliers avaient souvent passé une bonne partie de leur vie à la cour d’Angers depuis le x1ve siècle. Péan II, le grand-père du chevalier Gilles de Maillé, avait été chambellan du roi de Sicile dans les années 1380, comme son fils Péan III. De même, Pierre de Beauvau,

le père de Louis, avait été gouverneur d’Anjou, du Maine et de Provence à la fin du xiv® siècle. Cette fidélité ancienne n’était pas spécifique aux Ligériens, puisqu'elle avait également joué dans l’ascension de certaines familles provençales (comme les Agoust) ou italiennes (les Valori). Mais elle était plus fréquente dans le Val de Loire qu'ailleurs, car en Lorraine,

de telles traditions familiales étaient quasi inexistantes. L’ascension des chevaliers eux-mêmes s’était largement jouée à la cour du roi René. Avant d’obtenir un collier, six Angevins avaient été membres de son Conseil’#, et cinq d’entre eux avaient occupé un poste de chambellan?. Bertrand de Beauvau et Louis de Clermont-Gallerande avaient été maîtres ordinaires de son hôtel, tandis que Gilles de Maillé et Guy de Laval avaient dirigé sa vénerie. Quelques uns de ces hommes avaient combattu avec lui en Italie, comme Pierre de Champagne, qui avait dirigé la défense de Naples contre Alphonse d’Aragon pendant dix-huit mois. Après avoir obtenu le collier du Croissant, ces gentilshommes continuèrent à mettre leurs compétences et leurs réseaux de parents 21

LES NOBLES, LA VILLE ET LE ROI

et d’amis au service de René, qui les employa de préférence dans leur région natale. Louis et Jean de Beauvau furent tous deux sénéchaux d’ Anjou, Louis de Bournan devint capitaine des Ponts-de-Cé, Louis de Clermont-Gallerande fut gouverneur de Champtoceaux et capitaine de Mirebeau, Guy de Laval gouverneur et sénéchal d’Anjou?’.

3. Une difficile reconversion à la cour de France Pour la plupart, ces hommes avaient entretenu depuis longtemps des liens de service et de fidélité très étroits avec la dynastie angevine. Ces échanges, souvent anciens, s’étaient accrus à l’époque de René, et leur avaient permis d’obtenir l’ordre du Croissant et de faire carrière dans les territoires appartenant au duc. Pourtant, ils ne s’étaient pas cantonnés à une fidélité exclusive et univoque envers

sa famille, car

nombre de ces lignages avaient pris soin de fréquenter la cour de France depuis plusieurs générations. Ainsi Thibaut de Laval, dont le fils reçut le Croissant, avait été l’un des conseillers et chambellans de Charles VI?28. De même,

Guillaume de Champagne avait servi le roi en Guyenne au début du xve siècle, et son frère, Jean, était mort en 1424 avec

cinq de ses fils au cours de la bataille de Verneuil?°. Certains Angevins avaient même mené, sans problème apparent, une double carrière. Jacques II de Brézé était devenu, grâce à

René, grand sénéchal d’ Anjou et capitaine d’ Angers en 1437; mais en 1440, il suivit Charles VII au siège de Saint-Maixent, ce qui lui valut de recevoir en récompense les terres de Nogentle-Roi, Anet et Bréval en 1444. II l’accompagna de nouveau au siège du Mans, en 1448, puis à la conquête de la Normandie, en 1449. Après la bataille de Formigny, en 1450, il fut nommé grand sénéchal de Normandie. À l’instar de leurs ascendants, la plupart des chevaliers du Croissant continuèrent à rechercher des appuis auprès du roi, poursuivant la quête que leurs ancêtres avaient entamée. Bertrand de Beauvau, l’un des principaux clients angevins de René, fut 22

DU ROI RENÉ AU ROI DE FRANCE

admis parmi les conseillers de Charles VII en 1457, et quatre ans plus tard, son neveu Jean devint chambellan de Louis XF1. De même, Jacques III de Brézé fut nommé par Charles VII grand sénéchal du duché de Normandie à la suite de son père*?2. Ce collier devint très vite un instrument de promotion exceptionnel pour les principaux gentilshommes angevins. Tous avaient des réseaux de parents et d’amis qui irriguaient la société nobiliaire de leur pays. Tous avaient la capacité de restaurer l’image d’un duc qui avait été malmenée au cours des vingt précédentes années. Mais l’ordre du Croissant, destiné à des familiers que René connaissait bien, n’était pas pour autant composé de fidèles exclusivement voués à défendre ses intérêts. Depuis plusieurs décennies, ces gentilshommes avaient en effet pris soin de nouer des contacts avec l’entourage royal. Ils continuèrent à le faire avec d’autant plus d’assiduité qu’à partir de la fin des années 1460, le problème de sa succession se posa d’une manière de plus en plus aiguë. Après le décès de Jean, le fils du duc (1471), puis de son petitfils Nicolas (1472), enfin de son clair qu’à moyen terme, le Maine au royaume de France, puisque petit le plus proche héritier de

frère Charles (1475), il devint et l’ Anjou allaient être réunis Louis XI était devenu petit à la dynastie angevine. Avant même la mort de René, en 1480, et celle de son neveu Charles,

l’année suivante, les familles qui avaient profité depuis longtemps des bienfaits que leur apportait un prince angevin durent apprendre à vivre sans lui. Ils construisirent ainsi une double relation, l’une avec le duc et l’autre avec le roi: un double lien qui n’avait rien de contradictoire, car 1l n’est pas interdit de penser que René les avait précisément choisis parce qu’ils étaient capables d’avoir des relations à la cour de France. Ces hommes pouvaient lui servir de relais auprès de son beaufrère, et l’aider à préserver de bons rapports avec lui. Réciproquement, Louis XI pouvait en attendre une aide efficace pour faire accepter à la noblesse locale l’annexion du Maine et de l’ Anjou. Après 1480, tous ces nobles n’eurent

pas les mêmes atouts pour continuer à faire carrière auprès 23

LES NOBLES, LA VILLE ET LE ROI

du souverain. Certains avaient préparé de longue date leur reconversion, tandis que d’autres avaient trop longtemps vécu dans la fiction d’un État angevin pérenne. Il est vrai que la descendance des ducs d’ Anjou se perpétua en la personne de Yolande, la fille du roi René, qui avait épousé Ferry de Vaudémont. René II de Lorraine, leur fils, devint donc le descendant direct de la lignée, mais parmi

toutes les familles angevines qui avaient autrefois obtenu un collier du Croissant, une seule choisit de s’implanter là-bas : la famille de Beauvau. Dès la fin du xve siècle, Pierre II de Beauvau, baron de Roltay, devint sénéchal de Lorraine. Son fils René fut nommé à son tour sénéchal de Barrois, et à la

quatrième génération, Charles obtint un poste de gentilhomme de la chambre d’Henri de Lorraine, marquis du Pont. Pendant toute cette période, les Beauvau abandonnèrent la plupart des intérêts qu’ils avaient en Anjou: 1ls conservèrent leur terre familiale, mais achetèrent désormais la quasi-totalité de leurs seigneuries en Lorraine et en Champagne, et se marièrent dans le Nord-Est. Leur cas est toutefois atypique, car aucune autre grande famille angevine ne tenta une telle reconversion. Parmi toutes celles qui avaient obtenu le collier du Croissant, quatre disparurent rapidement, à la fin du xve ou au début du xvIe siècle. Les Amenard,

les Bournan, les du Mas et les

La Haye tombèrent en quenouille et ne purent accomplir aucune carrière notable. D’autres lignages ne s’éteignirent pas aussi brutalement, mais ne furent pas réutilisés pour autant par le roi de France. Les Clérembaut, les du Plessis, les La Jumelière,

les Clermont-Gallerande et les Riboule vécurent en gentilshommes campagnards pendant toute la première moitié du XVI siècle, en s’occupant de leurs seigneuries*. Les nobles angevins capables de s’adapter à la nouvelle donne politique de l’époque moderne et de transférer leur fidélité sur la personne du roi furent minoritaires :sept lignages seulement réussirent à poursuivre une certaine ascension poli-

tique à la cour de France en dépit de la mort de René. Louis de Brézé devint grand veneur de France à l’époque de Charles VIII, en 1496 et 1497, puis obtint de François Ier,

24

DU ROI RENÉ AU ROI DE FRANCE

trente ans plus tard, un collier de Saint-Michel?7. À la même époque, Jean du Bellay, seigneur de La Flotte, accompagna le souverain en Italie et reçut le collier de l’ordre avant de mourir, en 15228, Guy de Laval, seigneur de Lezay, fut lui aussi employé pour mener une partie des troupes royales dans la Plaine du P6, ce qui le conduisit notamment à la bataille de Pavie*°. Plus tard, René de La Jaille fut nommé capitaine de l’arrière-ban de France sous Henri IL, en 15554, La réus-

site des Maillé fut encore plus nette. Guy, le petit-fils du chevalier du Croissant Gilles de Maillé, put se faire introduire à

la cour de France dès le début du xvre siècle: lorsqu’il épousa en 1510 Anne de Louan, la fille du gouverneur d'Orléans, il

parvint à obtenir la présence de la reine à la signature de son contrat de mariage“!. Il fut ensuite admis parmi les chevaliers de l’ordre de Saint-Michel à l’époque où cette faveur était toujours réservée à la plus haute aristocratie du royaume, et devint lieutenant au gouvernement d’Anjou, en 1552-1553. Son fils Artus fit un parcours encore plus rapide, puisqu’en 1548 il fut choisi par Henri II pour ramener Marie Stuart d’Écosse. Il passa le reste de l’année à guerroyer en Guyenne contre les paysans révoltés, puis devint lieutenant du duc d’Aumale et capitaine des cent archers de la garde du corps du roi, en 1557. Homme de confiance, homme de main, homme à tout faire, c’est lui qui reçut l’ordre d’arrêter Condé le 31 octobre 1560. Quelques années plus tard, il fut nommé gouverneur d’Anjou en 1568, le temps de quelques années*?.

4. Des carrières lointaines En fait, si l’on excepte le cas très particulier des Maillé, les héritiers des nobles qui avaient été autrefois distingués par René construisirent leurs itinéraires bien loin de l’ Anjou. L’itinéraire des du Bellay, qui surent pénétrer le premier cercle des familiers du roi sans pour autant exercer de charges locales dans leur région, est emblématique de ce phénomène. En effet, les

quatre neveux de Jean du Bellay de La Flotte bénéficièrent de 25

LES NOBLES, LA VILLE ET LE ROI

sa fortune. Guillaume, le fils de Louis, seigneur de Langey, reçut le collier de l’Ordre, et mena des ambassades dans l’Empire et en Italie pour le compte de François Ier; son frère cadet, Jacques, devint colonel de deux mille hommes ;Martin,

le puîné, fut pourvu du gouvernement de Normandie ; enfin Jean, le benjamin, qui était destiné à l’Église, fut successi-

vement évêque de Bayonne, de Paris (en 1532), de Limoges (en 1541), du Mans (en 1546), archevêque de Bordeaux, cardinal dès 1535, puis conseiller et ministre d’État#. Tous ces hommes furent donc parfaitement capables de répondre avec aisance aux sollicitations du pouvoir royal et d’occuper de hautes responsabilités dans l’administration, l’armée et l’épiscopat ;mais tout se passa comme si François Ie et son fils n’avaient pas besoin de leurs services dans leur pays. De même, les Laval furent systématiquement écartés des postes angevins, alors qu’ils formaient une très vieille famille étroitement liée aux Montmorency. Ils jouissaient en outre d’un important crédit local, puisque Pierre, seigneur de Bressuire, avait été député par les États provinciaux pour ratifier la paix d’Étaples à Nantes en 14984. Mais après avoir combattu à Pavie, Guy de Laval ne fut pas utilisé par le roi en Anjou, alors que son grand-père y avait été autrefois nommé gouverneur et sénéchal par le roi René“. Cet éloignement peut davantage se comprendre dans le cas des Valori, qui étaient venus de Florence à la suite de Yolande d’ Aragon, à la fin du xive siècle. Jean Valori, dont

le grand-oncle avait obtenu un collier de l’ordre du Croissant au temps du roi René, gagna la confiance de Louis XII en combattant à ses côtés en Italie. Il reçut même le collier de Saint-Michel des mains du roi à l’issue de la bataille d’Agnadel, en 1509, mais 1l n’exerça par la suite aucun poste de confiance dans sa région, alors que son arrière-grand-père, Barthélemy, avait été nommé par les ducs gouverneur d'Angers en 1417. Un siècle plus tard, le roi de France ne chercha pas à utiliser les Valori de la même manière. Le fils cadet de Jean, Philippe Valori, servit ensuite comme homme d’armes sous les ordres de Saint-André, et fut adoubé par 26

DU ROI RENÉ AU ROI DE FRANCE

Henri IT au siège de Saint-Dizier*6. II mena par conséquent une carrière militaire complètement coupée de ses racines régionales, conduisant les troupes royales pour des campagnes fort éloignées des rives de la Loire. Il est vrai que les Valori étaient des Angevins d'adoption :même si leurs acquisitions de terres et leurs alliances matrimoniales étaient systématiquement réalisées dans le Maine et en Anjou, ils pouvaient être davantage disposés que les autres à tenter une aventure lointaine. Mais que dire alors des Champagne ? Il s’agissait pourtant de l’un des principaux lignages du Maine, dont le réseau de relations s’étendait très largement en Anjou. Parmi les six enfants de Pierre de Champagne, qui avait obtenu de René un collier du Croissant, Hardouin fut gentilhomme de la chambre de Charles VIII, Antoine devint protonotaire apostolique et aumônier du roi, et seul Brandelis, seigneur de La Suze, resta dans son pays: il fut nommé gouverneur de Touraine, d’Anjou et du Maine par Charles VIIL. En fait, il abandonna bien vite son poste pour aller remplir la même fonction en Artois. Dès lors, si les Champagne ne furent pas oubliés par la couronne, ils n’occupèrent aucune responsabilité dans leur province natale, pas même Baudouin, le fils de Brandelis, qui fut pourtant conseiller et chambellan de Louis XII et de François If", ni son successeur, Nicolas, qui mourut à Saint-Denis en 1567, à l’âge de 41 ans*?. Les gentilshommes angevins ne ressemblaient donc pas à ceux des frontières. En Champagne, la noblesse seconde que François I[e' avait favorisée pour organiser la protection du Nord-Est, dans les années 1530-1540, était issue de pres-

tigieux lignages provinciaux dont les carrières s'étaient déroulées à la cour de Dijon et de Nancy. Petit à petit, les Choiseul, les Lenoncourt ou les Dinteville avaient cumulé de nombreuses responsabilités locales non loin de leurs terres, au cœur d’une région qu’ils connaissaient bien‘. De même, en Picardie, Louis XI avait compris tout le parti qu’il pouvait tirer des Humières, des Créquy ou des Hangest dès la fin des années 14704. En travaillant sur la noblesse angevine dans 21

LES NOBLES, LA VILLE ET LE ROI

la première moitié du xvie siècle, je n’aurais pas été surpris d’observer un phénomène identique avec les gentilshommes qui avaient vécu à la cour du roi René. Je pensais ainsi qu’ils avaient pu être sollicités par Louis XI ou ses successeurs pour des missions similaires. En fait, si certains d’entre eux parvinrent effectivement à transférer leur fidélité sur la personne du roi, ils furent non seulement rares, mais poussés à partir loin de leurs terres. Contrairement aux Champenois et aux Picards, les Angevins ne furent pas requis pour gouverner leur «patrie», à tel point qu’il serait vain d’y chercher une noblesse seconde comparable à celle qui vivait le long des frontières. Il est vrai qu’en Anjou, les enjeux militaires étaient moins cruciaux que dans le Nord-Est, car aucune invasion étrangère

n’était à redouter. Les charges étaient peu nombreuses et moins sensibles. Les enjeux stratégiques étaient beaucoup plus diffus que sur la frontière, car les points délicats du territoire angevin se situaient pour l’essentiel le long de la Loire, à Angers, aux Ponts-de-Cé, ou à Saumur. L’objectif des capi-

taines et des gouverneurs était surtout d’interdire le passage du fleuve : dans de telles conditions, un gouvernement militaire pouvait sembler inutile et coûteux. Par ailleurs, la présence de nobles champenois ou picards dans les garnisons de la frontière ne servait pas seulement à parer les menaces extérieures : elle permettait de fidéliser une noblesse qui avait vécu longtemps à l’ombre du duc de Bourgogne, dans une large autonomie à l’égard de la couronne de France. Confier à des gentilshommes de la région des postes locaux permettait au roi d’obtenir des avantages considérables : non seulement une réelle efficacité militaire,

mais aussi des relais politiques. Les Anglure, les Lenoncourt, les Dinteville ou les Choiseul ne furent pas choisis au hasard par François If, car ces familles avaient une large expérience des problèmes posés par la faillite de l’État bourguignon, pour l’avoir vécue à la génération précédente. En Anjou, le pouvoir central était beaucoup plus proche. La proximité de la cour, sur les rives de la Loire, avait permis aux nobles du pays 28

DU ROI RENÉ AU ROI DE FRANCE

de servir le roi tout autant que le duc, et ce depuis des dizaines d’années. Il pouvait donc sembler inutile de leur accorder des commandements sans véritable raison d’être. Les gentilshommes de Touraine ou d’Orléanais étaient d’ailleurs dans le même cas”. En 1545, François Le tira les conséquences de cette situation en signant un édit par lequel il supprimait de nombreux postes. Après avoir expliqué que «les affaires des pays qui ne sont en frontière ne requièrent aucunement qu’il y ait gouverneurs et lieutenans généraux de par nous », le roi décidait «qu’il y ait en celui notre royaume aucunes portions n’y ayant le nom, titre, prééminence et autorité de notre lieutenant géné-

ral, fors seulement ezdits pays et provinces de notre royaume qui sont en frontière, qui sont Normandie, Bretagne, Guyenne, Languedoc, Provence, Dauphiné, Bresse, Savoye, Piedmont,

Bourgogne, Champagne, Brie, Picardie et l’Isle-de-France » ‘!. Ce texte éliminait la plupart des gouvernements du royaume, obéissant ainsi à une logique d'économie, de clarification et de réformes tout fait caractéristique des années 1540. En réduisant des charges coûteuses et obsolètes, 1l permettait de compléter la nouvelle trame des élections et des généralités mise en place depuis 1542. Dans le contexte angevin, cette initiative semblait pleinement justifiée. Mais il ajoutait un peu plus loin que «là où 1l s’en trouverait ez autres pays et provinces de nostredit royaume qui, par importunité, inadvertance ou autrement, eussent obtenu ce

titre et qualité de nous et par nos lettres, nous les avons révoqués et révoquons ; et ne voulons qu’ils en jouissent, ny usent aucunement, ny que en ladite qualité leur soit obéi en quelque manière que ce soit». En effet, certaines familles de province détenaient une part de l’autorité royale et entretenaient leur influence locale grâce à un poste de gouverneur, de lieutenant général ou de capitaine dans une place forte. L’édit de 1545 pouvait donc déboucher à terme sur une érosion de leur crédit régional. C’est pourquoi le texte fut conclu de la façon suivante: «Voulans néantmoins que là où ils auraient, d’ancienneté, titre de gouverneurs, qu’ils en jouissent et usent 20

LES NOBLES, LA VILLE ET LE ROI

de la même autorité et prééminence que en ont bien et deuement joui et usé, sans abus ni entreprises, leurs prédecesseurs gouverneurs, et non plus avant ne autrement». Cette réserve était importante, car elle concernait toutes les familles qui bénéficiaient, depuis plusieurs décennies, d’une autorité officielle que la couronne leur confirmait régulièrement”’. Ce dernier paragraphe avait pour objet de ne pas les froisser, et de maintenir leurs prérogatives intactes. En Anjou, les principaux notables de la province, dans la première moitié du xvIe siècle, étaient les Cossé, qui se transmirent le titre de gouverneur pendant trois générations. Le 27 avril 1540, Charles If de Cossé, comte de Brissac, fut

nommé gouverneur du Maine, de l’ Anjou et du château d’Angers, par la résignation de son père, René de Cossé, qui occupa ce poste jusqu’à sa mort”. Les 1 200 livres de gages qu'ils percevaient pour remplir cette fonction étaient négligeables par rapport à leurs revenus fonciers, mais la confiance que leur accordait le souverain contribuait à nourrir le prestige de la famille auprès de leurs voisins. En 1561, trois ans avant sa mort, Charles de Cossé résigna à son tour cette charge en faveur de son fils Timoléon, qui la conserva jusqu’à son propre décès, en 1569. À l’époque des ducs, les Cossé n’avaient pourtant pas connu la même fortune que les du Bellay, les Laval ou les Beauvau. Le grand-père de Charles It", Thibault de Cossé, avait été gouverneur du château et comté de Beaufort-enVallée pour Jeanne de Laval, la veuve de René. Quant à son fils Jean, il avait obtenu un titre de conseiller et chambellan

du duc, mais n1 l’un ni l’autre n’avaient pu entrer dans le petit cercle des chevaliers du Croissant. Moins bien intégrés que d’autres dans la clientèle du duc d’ Anjou, les Brissac surent mieux que d’autres pénétrer celle du roi. Dès 1492, René de Cossé devint premier panetier de Charles VIIT. Cet emploi de cour lui permit d’élargir son cercle de relations, et en 1503, il épousa Charlotte Gouffier, gouvernante des enfants de France, la fille de Philippe de Montmorency. Fort de ses nouveaux appuis, René de Cossé sut aussi plaire à François Ier: 30

DU ROI RENÉ AU ROI DE FRANCE

il devint grand fauconnier en 1516, puis gouverneur du dauphin François. Cette position éminente à la cour fut un tournant décisif pour la fortune des Cossé, car son fils Charles fut élevé en qualité d’enfant d’honneur auprès du dauphin. Le jeune homme eut donc la même chance qu’Anne de Montmorency, qui avait été élevé quinze à vingt ans plus tôt avec le futur François Ier. Notables locaux et hommes de cour, les Cossé-Brissac devinrent ainsi gouverneurs du Maine et de l’ Anjou non seulement parce qu’ils connaissaient bien leur région, mais surtout parce que le roi avait confiance en eux54. Is furent tout naturellement épargnés par l’ordonnance de 1545. Mais leur rôle militaire y fut toujours très réduit. Né en 1507, Charles de Cossé passa très jeune en Italie, où il fit la

guerre en Piémont et à Naples en 1528. Colonel de l’infanterie française, 1l combattit à Perpignan en 1541, puis à Landrecies. Il prit part à la campagne de 1543-1545, en attaquant l’avant-garde impériale à Guise, en organisant le secours de Luxembourg et en battant une troupe d’Anglais près de Calais, en 1545. En fait, il ne visita pour la première fois son

gouvernement qu’en 1545, peu avant la paix d’Ardres. Il fit son entrée solennelle à Angers le 22 février 1545, et ne séjourna que quelques mois dans la région, car dès 1547, 11 reçut la charge de grand maître de l’artillerie de France et partit en ambassade auprès de l’empereur. Pendant toutes les années 1550, il séjourna en Piémont, où 1l acheta les terres de Staponigi et Caluso, et quand il revint en France, après le traité du Cateau-Cambrésis, il résigna sa charge de gouverneur en 1561, au profit de son fils. Charles de Cossé n’avait pas le profil des gouverneurs de la frontière Nord-Est, puisqu’il passa l’essentiel de son temps loin de sa province natale. Au cours de son séjour de 1545, il se contenta de jouer un modeste rôle de médiateur avec la couronne, en réussissant par exemple à empêcher qu’une garnison de gens d’armes s’installe à Angers”. Le sénéchal d'Anjou remplissait la même fonction conciliatrice. Chargé de contrôler la levée du ban et de l’arrièreban, il était souvent considéré comme le chef de la noblesse

sl

LES NOBLES, LA VILLE ET LE ROI

du pays, et appartenait généralement à une famille ancienne et respectée. Pendant des dizaines d’années, ce rôle fut assuré par la famille Daillon, dont l’ascension avait débuté dans les années 1460. Seigneur du Lude, Jean de Daillon avait été élevé auprès du futur Louis XI. Parvenu au pouvoir, le dauphin l’avait ensuite recruté pour de nombreuses missions, mais bien loin de l’ Anjou, comme tous les autres nobles de la région. Il était ainsi devenu successivement gouverneur d'Alençon

et du Perche, bailli de Cotentin en 1471, de

Dauphiné (1474), d'Arras et d’ Artois (1477). En 1473, il avait été envoyé en Roussillon, à la tête des armées royales. Son fils Jacques obtint le poste de sénéchal en 1500, et

dès lors, les Daillon se le transmirent de père en fils tout au long du xvre siècle : Jean de 1532 à 1557, puis Guy (15571585) et enfin François, jusqu’en 1598. Parallèlement, leur terre du Lude fut érigée en baronnie pour Jacques, puis en comté pour Jean. Les Daillon ne furent donc pas tenus à l’écart des faveurs de la monarchie, mais à l’instar des Cossé-Brissac,

ils ne jouèrent pas un rôle considérable dans la région au cours de la première moitié du siècle. Jacques de Daillon fut, par exemple, nommé gouverneur de La Rochelle, puis de Fontarabie, qu’il défendit contre les Espagnols en 1522; quant à son fils Jean, 1l participa au siège de Péronne en 1536 à la tête d’une compagnie de cinquante hommes d’armes, puis fut nommé en 1542 gouverneur de Poitou, La Rochelle, Aunis, et pour finir lieutenant-général pour le roi en Guyenne‘t. Par rapport à ce qui prévalait en Champagne, la situation angevine était radicalement différente. Le long de la frontière nord-est, les relais régionaux du pouvoir royal étaient toujours clairement identifiés : 1l s’agissait pour la plupart des gouverneurs de places fortes, des lieutenants-généraux et des baillis que le roi avait nommés pour y remplir une fonction stable, sédentaire et permanente. Ils passaient l’essentiel de leur temps dans leur poste, entretenaient des relations suivies avec les notables urbains et restaient dans leur pays natal, tout près de leurs terres, de leur château, de leurs voisins, de leurs amis et de leurs parents. Leur tâche, lourde et complexe, en 32

DU ROI RENÉ AU ROI DE FRANCE était grandement facilitée. En Anjou, les détenteurs de l’autorité royale négligeaient beaucoup l’exercice de leurs fonctions. Absorbés par les conflits entre les Valois et les Habsbourg, les Angevins passèrent leur vie à guerroyer dans le nord et l’est du royaume, dans le Sud-Ouest ou le Languedoc, menant la vie des camps sans séjourner très longtemps dans leur contrée. Tout se passait comme si la noblesse n’y jouait aucun rôle, ni politique, ni militaire.

5. De la noblesse à la notabilité provinciale Or l’autorité nobiliaire n’était pas forcément exercée par les agents du pouvoir royal. Certains personnages avaient un crédit considérable, sans disposer pour autant d’une fonction officielle dans le pays. Ces quelques nobles, solidement implantés dans leur région, apparaissaient comme les véritables garants de l’autorité monarchique, en particulier pour tout ce qui relevait du maintien de l’ordre. Ils étaient donc recrutés ponctuellement par le souverain pour résoudre des problèmes spécifiques. Par exemple en 1523, François Ir fit appel à Jacques Turpin, baron de Crissé, pour combattre les pillards qui rançonnaient les campagnes angevines sous les ordres du sieur de Comarques. Sire de Montrevault, de La Tremblaye et de La Grézille, Jacques Turpin était assez riche et avait suffisamment de relations dans son pays pour rassembler des cavaliers et y rétablir l’ordre. Le 8 mai 1523, le souverain lui demanda par écrit «de mander et assembler tous les nobles bans et arrière-bans [...]. À ce faict, chassez, déportez, faictes pendre et mettre en pièces les dicts avanturiers, vagabonds et aultres de la condition dessus dicte, [...] sans

aulcun en épargner, et à ce les abandonnons et déclarons comme nos ennemis et persécuteurs de la chose publique de notre royaulme »°?. En outre, Turpin ne devait pas seulement s’appuyer sur la noblesse angevine, mais aussi sur les communautés des villes et des villages. Ses relations devaient donc dépasser les strictes limites de la noblesse. 25

LES NOBLES, LA VILLE ET LE ROI

La lettre le définissait comme un ultime rempart dressé contre le Mal, car les bandes de Comarques y étaient décrites

de la manière la plus noire. Le roi les rendait en effet coupables «d’énormes pilleries, sacrilèges, ransonnements, meurtres, oppressions, viollences de femmes, de filles et autres innumé-

rables maux et cas exécrables ». Cette inquiétude morale s’accompagnait d’une sourde angoisse politique, car les pillards semblaient menacer l'intégrité même du royaume : «Ils se sont mis et mettent chascun jour en devoir d’assaillir par force aveques harquebustes et crochets et fauconneaux, qu’ils conduisent aveques en les villes et chasteaux de nostre dict royaulme, et ce faict, en ont à plusieurs pris par force, et iceulx pillés et saccagez à grandes et grosses effusions de sang ». Ces nouveaux écorcheurs semblaient annoncer le naufrage du pays tout entier, car «les dicts avanturiers et vagabonds se pourroient de plus en plus assembler et continuer lesdits détriments, cas et maux dessus dicts, tellement que adviendroit à la totalle ruyne

et destruction de nostre peuple et royaulme, si par nous n’estoit sur ce promptement pourveu ». Dans son ancienne acception médiévale et chevaleresque, la noblesse était ici conçue comme le pilier de l’autorité monarchique, le rempart de la jusce divine contre la loi de Satan, la garantie de l’harmonie et

de la concorde entre tous les hommes de bien. Muni de la lettre royale, Jacques Turpin rassembla des troupes et détruisit les bandes de Comarques en quelques semaines, mais on ne lui confia par la suite aucune responsabilité permanente en Anjou. À la même époque, la famille de Vieilleville était située au

confluent de plusieurs lignages de la notabilité angevine. Le château des Scépeaux se situait dans la paroisse d’Astillé, entre Laval et Craon. La lignée remontait vraisemblablement au XIIIe siècle, mais les ascendants de François, le maréchal de

France dont les Mémoires sont souvent étudiés$, n’avaient fait aucune carrière notable, n1 dans le pays, ni ailleurs. Son grandpère, qui se prénommait lui aussi François, avait épousé une fille de la bonne noblesse normande, Marguerite d’Estouteville. Mais à la génération suivante, leur fils René avait pu se marier avec une La Jaille : 11 s'agissait de Marguerite, la dame des 34

DU ROI RENÉ AU ROI DE FRANCE baronnies de Durtal et Matheflon. Cette alliance, conclue au tout début du siècle, avait été décisive à deux titres. Elle avait

permis aux Scépeaux de dépasser leur condition première de gentilshommes campagnards, en leur permettant de s’installer sur l’un des plus beaux domaines angevins, mais surtout, elle les avait fait entrer dans la meilleure noblesse régionale, car il s'agissait d’une famille qui avait prospéré tout au long du XVe siècle dans l’ombre des ducs d’Anjou — Hardouin de la Jaille avait été grand sénéchal de Provence et chevalier du Croissant. Entrer dans la parenté d’un tel lignage était donc du plus haut intérêts”. Dès lors, le profil de la famille changea rapidement. Dans ses Mémoires, rédigés à la fin des années 1560, François de

Vieilleville fit noter par son secrétaire particulier que ses parents, dans les années 1520, étaient «gens de bien, d'honneur et sans aucun reproche, vivans si vertueusement, que toute la noblesse

du pays d’Anjou et du Maine y prenoit exemple : qui estoit cause qu’estans ordinairement visitez et hantez par ladite noblesse et autres gens d’estat, ils tenoient une fort magnifique et ouverte maison, et des plus liberalles du pays». Bien avant que Vieilleville devienne maréchal de France, sa famille bénéficiait d’une considération qui faisait d’elle l’une des plus notables du pays. «L’honneur », la « vertu», la «libéralité » appartenaient sans doute aux représentations que le maréchal se faisait a posteriori de ses parents, mais ces qualités entraient pour une large part dans la construction de l’image familiale dans la région. Elles permettaient aux Vieilleville d’avoir l’influence et le crédit indispensables pour soutenir leur position de notables, non seulement parce qu’ils étaient apparentés aux La Jaille, mais aussi parce qu’ils étaient connus du souverain. Comme en Champagne, la diffusion des troubles religieux en Anjou accrut les besoins de la monarchie en relais locaux capables d’apaiser les tensions dans la région. Lorsque Charles IX et Catherine de Médicis vinrent en Anjou à l’automne 1565, au cours de leur grand voyage autour du royaume, ils prirent soin de visiter les familles les plus considérables du

paysf!. Le 3 octobre, le roi fit étape à Brézé, chez les Maillé, 35

LES NOBLES, LA VILLE ET LE ROI

puis le surlendemain, à Brissac, chez Charles de Cossé, mort un peu plus tôt. Les 6 et 7 octobre, la cour séjourna à Gonnord, le château d’Artus de Cossé, le frère de l’ancien gouverneur d’Anjou. Né vers 1512, Artus avait tout d’abord effectué une carrière militaire au cours des années 1550, d’abord à Lens,

puis à Metz. Chevalier de l’ordre du roi en 1555, il avait été nommé à la même époque surintendant des finances, mais depuis la mort de son frère aîné, en 1564, il exerçait avec son

neveu Timoléon la charge de gouverneur des pays d’Anjou, Maine, Touraine et Orléanais®. Il était en train d’accomplir un

double parcours, à la fois d'homme de cour et de gouverneur provincial. Or sa position de notable angevin faisait de lui un homme particulièrement précieux, à un moment où le roi et sa mère cherchaient à restaurer la paix dans le royaume. En séjournant quelque temps chez lui, Catherine de Médicis et son fils confirmèrent donc aux yeux de toute la noblesse du pays la confiance qu’ils avaient placée en lui. Ils se dirigèrent ensuite vers la Bretagne en passant par Beaupréau, et quand ils revinrent en Anjou un mois plus tard, ils restèrent quelques jours à Durtal, chez Vieilleville, du 9 au 12 novembre 1565. Ce voyage permit bien sûr de resserrer les liens entre le roi et la noblesse, car Catherine de Médicis et Michel de L’Hospital comptaient sur ces notables provinciaux pour apaiser les tensions religieuses. Mais de leur côté, toutes ces grandes familles en tirèrent des profits immédiats. Les Maillé, par exemple, «tinrent cedit jour maison ouverte à tous venants »*{, Tous leurs voisins du pays, leurs amis et leurs parents convergèrent vers le château de Brézé pour y rencontrer le roi et sa mère, solliciter une faveur et goûter l’air de la cour. Le prestige de la famille de Maillé en sortit considérablement renforcé, et son ascendant réaffirmé pour longtemps. Le voyage de Charles IX fut donc à la fois un moment de restauration du pouvoir royal, et un temps de restauration du crédit nobiliaire autour de quelques grandes familles provinciales, qui récupérèrent à leur profit une partie de l’aura monarchique. Ce jeu d'échanges se déroula de nouveau en janvier et février 1570, lorsque Charles IX revint en Anjou. Il ne se 36

DU ROI RENÉ AU ROI DE FRANCE

contenta pas de faire une entrée solennelle à Angers, mais logea de nouveau à Brissac, puis à Durtal, où il resta un mois. D’après

Barthélemy Roger, qui écrivit une Histoire de l’Anjou un siècle plus tard, «il s’y plaisoit infiniment à cause de la chasse, qu’il aimoit passionnément et que lui fournissoit la belle forêt de Chambiers, et à cause de la bienveillance dont il honoroïit mes-

sire François Despeaux, maréchal de Vieilleville, comte de ce lieu de Durtal >$. Le séjour qu’accomplit le souverain chez lui fut une marque de distinction qui témoignait de la faveur royale, et cette faveur contribua en retour à alimenter la réputation de sa famille dans la province. L'autorité des gentilshommes angevins procédait donc davantage d’une influence, plutôt que d’un pouvoir. Héritiers des nobles qui avaient profité des faveurs de la dynastie ducale depuis la fin du x1ve siècle, les plus puissants d’entre eux avaient été bercés très jeunes par le récit de leurs ancêtres, qui avaient participé à l’expédition de Naples de 1438 ou à la reconquête de la Normandie, en 1449. Tout naturellement, ils ne menèrent

pas leurs propres carrières dans leur région, mais sur tous les champs de bataille qui opposaient les Valois aux Habsbourg. Ils étaient partis d’autant plus volontiers qu’un large fossé social et culturel les séparait des roturiers, dont le droit successoral était si différent du leur et avec lesquels ils ne contractaient jamais aucune alliance. Ces nobles étaient plutôt les dépositaires d’une aura familiale qui leur permettait d’obtenir une réelle audience,

à la fois dans

leur région et à la cour.

Contrairement aux Champenois, auxquels étaient confiées des troupes et une place forte, les Angevins ne devaient compter que sur leur réseau de relations. Privés de toute vocation à faire la guerre dans leur pays, ils étaient plus facilement poussés à la conciliation, plutôt qu’à la coercition. Dès le début des troubles religieux, le pouvoir central les employa donc surtout pour l’apaisement, voire la pacification. Ils furent ainsi largement dépossédés de tout commandement

militaire, et durent

laisser des nobles étrangers à leur province exercer l’autorité militaire à leur place.

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CHAPITRE II

Convaincre et contraindre (1560-1569)

1. La défense des libertés municipales Pour une part, cette discrétion de l’autorité nobiliaire en Anjou était due à l’importante autonomie politique dont bénéficiaient les élites urbaines, une autonomie suffisante pour leur permettre d’exercer dans la région un pouvoir considérable. En février 1475, Louis XI accorda en effet à la ville

d’Angers une nouvelle charte qui la marqua en profondeur. Depuis quelques années, le roi de France était en train de jeter les bases d’une possible annexion du Maine et de l’ Anjou après la disparition de René. Pour la mener dans les meilleures conditions, 1l lui fallait trouver des appuis à Angers, ce qu’il obtint en faisant élaborer cette charte par ses légistes. Le texte, qui allait servir de fondement juridique aux rapports de la ville et de l’État jusqu’à la fin de l’ Ancien Régime, accordait aux Angevins le droit de s’administrer à peu près librement afin de compenser le retour de l’ Anjou au domaine. Considérée comme l’une des «bonnes villes » du royaume!

Angers bénéficiait de nombreuses franchises, sur lesquelles je reviendrai ;mais la charte favorisait aussi l’auto-reproduction d’une petite élite d’officiers municipaux, à laquelle 39

Le château d” Angers

LES NOBLES, LA VILLE ET LE ROI

le souverain accorda des privilèges exceptionnels. Le premier échevinage issu de la charte fut composé d’un maire, de dixhuit échevins, de trente-six conseillers, d’un procureur et d’un

greffier, le maire étant élu pour trois ans, tandis que les autres officiers urbains l’étaient à vie. La longueur de la plupart des mandats permettait d’assurer une très grande stabilité des pouvoirs dans la ville. Le roi y trouvait son compte, mais également les plus riches familles, comme les Ayrault, les Bonvoisin, les Grimaudet ou les Gourreau. En mars 1483, la charte d’Angers fut toutefois modifiée.

Désormais et jusqu’en 1584, l’échevinage allait être composé d’un maire «muable par chacun an», de vingt-quatre «échevins-conseillers » élus à vie, d’un procureur et d’un greffier «perpétuels »2. Les aspects oligarchiques les plus criants de la première mouture avaient été gommés, mais en même temps, le texte accordait aux Angevins de larges concessions financières et militaires. Exempte de la taille, la ville n’était pas tenue de participer aux frais de la guerre ;cependant, les bourgeois étaient invités à répondre favorablement à toutes les sollicitations exceptionnelles du monarque. Les «dons gratuits » étaient donc les bienvenus?. De même, le roi faisait

une entière confiance aux édiles municipaux pour assurer leur défense, dans laquelle il n’avait théoriquement pas à intervenir. Le corps de ville était chargé de lever les deniers nécessaires à l’entretien des murailles, et d’organiser les milices dans chaque quartier pour assurer la garde des portes. Dans ces conditions, la présence d’une garnison permanente était vécue comme

une contrainte inutile, voire une

oppression incompatible avec l’esprit et la lettre de la charte de 1475. Or les franchises urbaines étaient fragiles. Le château d’Angers, de sa masse écrasante, imposait dans le paysage urbain une silhouette noire symbolisant la précarité des libertés médiévales. Situé en lisière de l’espace bâti, adossé aux murailles sud-ouest, le château, qui était alors la plus grande forteresse civile de France, regardait à la fois la cité et la Maine. Construit au xt siècle pour défendre un territoire, il était aussi un instrument de domination, le logement d’une 42

CONVAINCRE ET CONTRAINDRE

garnison étrangère dont le rôle fut décisif à l’époque des guerres de Religion. Il était ainsi vu comme un lieu de complots et de dangers. Les officiers municipaux, qui s’en méfiaient, étaient soucieux d'assurer de bonnes relations avec

le gouverneur du château et celui de la ville. Ils appréciaient tout particulièrement que les hommes du roi acceptent de loger dans la cité, et non dans cette bâtisse, qu’ils considéraient à la fois comme un objet de fierté et une source de crainte. Confiés aux soins de la noblesse, le château et sa garnison concentraient donc la puissance du monarque sur Angers. La bourgeoisie urbaine n’y était pas forcément hostile, à condition que cette autorité fût légère. Or la diffusion des troubles de Religion contribua à alourdir le climat politique, en renforçant le poids de la noblesse sur la ville. Les élites citadines devinrent par conséquent de plus en plus réservées envers ce double pouvoir, à la fois royal et militaire. Cette hostilité put s’exprimer une première fois le 14 octobre 1560, quand les trois ordres se réunirent dans la grande salle du palais royal pour élire leurs députés aux États généraux. À cette occasion, le porte-parole du Tiers, François Grimaudet, prononça un violent réquisitoire où 11 dénonça tour à tour la corruption des ecclésiastiques, la décadence de la justice et la disparition des vertus nobiliaires. Comparant l’Église à un arbre dont la cîme se composait des «choses spirituelles regardant au Ciel », Grimaudet affirmait que rien ne pouvait l’altérer, pas même «quelques traditions humaines, nouvelles sectes et opinions ». Mais selon une logique proche des évangéliques, il appelait en même temps à lancer une vaste entreprise de réformes visant à éliminer les «superfluités des richesses qui ont [...] souillé le temple de Dieu, ont rendu les hommes ignorants et vicieux comme les voyons, et mis en opprobre et dérision la dignité sacerdotale »*. Cette vigoureuse critique de l’institution ecclésiastique n’était pas originale à l’époque, puisqu'on la retrouvait au même moment sous la plume de Claude Hatonf ou dans les cahiers de doléances champenois’. Mais Grimaudet allait plus loin, car cette diatribe religieuse s’accompagnait d’une 43

LES NOBLES, LA VILLE ET LE ROI

virulente attaque contre la justice et la noblesse. Dénonçant la longueur des procès et la partialité des juges, 1l centra son argumentation sur le coût des procédures : la justice «n’est autre chose qu’une boutique, où se détaillent par le menu les offices qu’ils ont achetés en gros. Le noble, l’homme d’Église, le roturier, le pèlerin, la veuve, l’orphelin, l’impotent et le mendiant n’auront aucune sentence, soit interlocutoire

ou définitive, qui ne soit taxée, prise et payée auparavant la prononcer ». Comme plus tard en 1576, les réunions préparatoires aux États généraux furent l’occasion d’insister vigoureusement sur la dégradation des fondements de l’État et la disparition de principes essentiels qui annonçaïent l’imminence du Jugement dernier. Et parmi tous ces signes eschatologiques, la corruption de la noblesse inquiétait Grimaudet tout autant que la faillite de la justice. Se fondant encore sur l’idée ancienne selon laquelle la noblesse était liée à la pratique de certaines vertus”, il expliqua devant l’assistance médusée qu’« aucuns nobles présents n’ont rien retenu de leurs anciens pères, fors le nom et les

armes, lesquels ont diffamés et mis en obscurité par oisiveté ». Occupée à combattre les Habsbourg, séduite par les thèses de la Réforme protestante, la noblesse avait été incapable d’endiguer les progrès de l’hérésie. Elle avait donc perdu sa raison d’être et ne pouvait plus se poser comme la garante de la stabilité religieuse du royaume, ni comme un référent moral. Victime ou actrice d’une vaste entreprise de subversion sociale, la noblesse avait abandonné l’une après l’autre toutes ses valeurs, en échangeant chacune d’elles contre un vice: «Leur faict d’armes est de faire assemblées illicites et ports d’armes contre les édicts du roy. Sont au village à battre et oultrager le pauvre homme, voler le bien au pauvre marchant, faire infinies forces au peuple, avec grands blasphèmes du nom de Dieu, en grande furie. » Grimaudet partageait au fond l’opinion de Claude Haton sur les « gens pille-hommes » ou les «gens tue-hommes »l°, Mais plutôt que de garder ses sentiments pour lui, 1l avait préféré les exprimer devant toute la notabilité angevine assemblée. Grimaudet concluait en ++

CONVAINCRE ET CONTRAINDRE

rejetant catégoriquement toute idée d’une noblesse de race, puisque la chevalerie avait définitivement sombré dans l’avènement d’un monde nouveau et corrompu. Instrument de Dieu et pilier du royaume, la noblesse semblait ne même plus avoir d’identité propre : «Tels nobles ne sont vrays enfants de leurs prédécesseurs, mais avortons dégénérans de noblesse [...] Sont infinis faulx nobles, les pères et prédécesseurs desquels ont manié les armes et fait acte de chevalerie ès boutique de blasterie, vinoterie, draperie, au moulin et ès fermes des terres

des seigneurs; et toutefois, quand ils parlent de leurs lignages, ils sont descendus de la couronne, extraits du sang de Charlemagne, de Pompée ou de César»1!l. Les nombreux gentilshommes protestants présents ce jourlà reçurent le discours de Grimaudet comme un affront personnel. L’un d’eux, Charles du Lys, s’écria «que laditte noblesse, à tout le moins la plus part pour laquelle il parloit, n’avoit agréables plusieurs follyes et scandalles qui avoient esté commis audict païs d’ Anjou, et que laditte noblesse vouloit vivre et mourir pour le roi et luy obéir; protestant oultre laditte noblesse qu’elle vouloit vivre selon le commandement de Dieu et non selon la tradition des hommes »!?. Comme lui,

ses coreligionnaires insistèrent tous sur une double fidélité: d’une part la loyauté politique à l’égard de César, donc du roi, et d’autre part une allégeance indéfectible à l’égard du Christ, dont ils voulaient restaurer le royaume. Ils élirent enfin trois députés protestants, ce qui ne faisait que confirmer le poids de la Réforme parmi les nobles angevins!?. C’est dans ce contexte qu’eut lieu la fameuse «journée des Mouchoirs » — l'épisode qui marqua le début des conflits religieux en Anjou, mais dont le déroulement nous est assez mal connu dans le détail. Les catholiques récusèrent les députés qui avaient été choisis et exigèrent une nouvelle élection. Les protestants, qui avaient mis un mouchoir à leur chapeau comme signe de ralliement, refusèrent de leur obéir et participèrent à des bousculades, des empoignades et des coups de feul#. Le lendemain, les gentilshommes huguenots rallièrent à leur cause

plusieurs centaines de citadins, qui marchèrent sur le palais 45

LES NOBLES, LA VILLE ET LE ROI

sans entraîner la moindre réaction de la part du corps de ville, pourtant censé faire respecter l’ordre public. L’attroupement se dissipa sans heurts, mais le «parti» protestant avait pu montrer sa force et mesurer ses effectifs face aux catholiques. L'affaire aurait pu théoriquement en rester là, mais l’alerte avait été chaude. En effet, la journée des mouchoirs révélait que le protestantisme avait pénétré toutes les couches de la société angevine, y compris les élites citadines. En outre, elle montrait clairement que le corps de ville n’était pas disposé à rétablir l’ordre en menant une répression au détriment de l’unanimité urbaine. C’est la raison pour laquelle une semaine plus tard, le 21 octobre 1560, le duc de Montpensier fit son

entrée à la tête d’une troupe de neuf cents hommes d’armes. Son passage à Angers fut un moment très important, car 1l marqua pour la première fois la domination de la noblesse sur la bourgeoisie municipale, provoquant de graves entorses à l’autonomie urbaine héritée du Moyen Âge. Louis II de Bourbon, duc de Montpensier, était entre autres

souverain de Dombes, prince de La Roche-sur-Yon, dauphin d’Auvergne et comte de Mortain. Il avait peu d’intérêts famiaux dans la région, et pourtant, il venait d’être investi, grâce à l’appui des Guise, d’un vaste gouvernement englobant le Maine, l’ Anjou et la Touraine. Contrairement aux gouvernements de la frontière, qui étaient accordés à de puissants aristocrates du pays!, les grands postes ligériens étaient avant tout des récompenses personnelles. Montpensier connaissait mal la noblesse du pays; le cardinal de Lorraine n’espérait donc pas qu’il tienne en main la région grâce à son réseau de relations. Montpensier était plutôt un soldat professionnel. Né en 1513, 1l s’était trouvé très jeune à la prise de Hesdin, au

siège de Perpignan et au camp de Châlons, en 1544. Il avait ensuite participé au siège de Boulogne (1550), à la bataille de Renty et à celle de Saint-Quentin. Comme bien d’autres grands nobles, 1l avait dû se plier aux nouveaux besoins de la monarchie après la paix du Cateau-Cambrésis. C’est ainsi qu’il fut nommé gouverneur de tous les pays de la Loire situés en aval d'Orléans. Cette décision fut prise juste après la

46

CONVAINCRE ET CONTRAINDRE

conjuration d’ Amboise, c’est-à-dire à un moment où la noblesse

de cette région était apparue comme largement pénétrée par les idéaux de la Réforme!f. La Loire était un important axe de communication, qui permettait à la fois la circulation des prédicateurs et des idées nouvelles :un gouverneur catholique et obéissant était indispensable ici. Or Montpensier sut se montrer digne de la confiance que l’on avait placée en lui, en menant une répression nobiliaire et militaire. Il n’était pas venu seul. Accompagné de quatre à cinq cents gentilshommes, il se présenta d’emblée comme l’incarnation de l’autorité de l’État, qu'il entendait restaurer à la fois sur

la noblesse du pays et sur la capitale régionale. Les nobles furent immédiatement convoqués par une proclamation ordonnant que «tous les gentilshommes du païs d’Anjou et aultres subjects au ban et arrière-ban eussent à se trouver au 20° jour de ce mois d’octobre en la ville d’ Angers, sur peine d’estre désobéissants au roy, pour ouyr et entendre ce que ledict sieur de Montpensier leur voulloit dire et déclarer »!7. Mais c’est la ville qui retint le plus son attention. Dès les premier jours, il montra avec beaucoup de clarté que les traditions d’autonomie urbaine lui étaient totalement étrangères. Après avoir châtié quelques uns des meneurs de la journée des Mouchoirs, il considéra que la ville d'Angers avait été tout entière rebelle. Estimant que les bourgeois avaient failli à leur devoir, il les condamna solidairement à payer 10000 livres!$. Les clauses de la charte garantissant l’exemption fiscale étaient préservées en apparence, car la taxe était conçue comme un impôt exceptionnel. Mais en fait, elles était foulées et vidées de leur

contenu. Montpensier s’attaqua d’ailleurs à l’autre grand pilier des franchises urbaines: l’auto-défense fondée sur les milices bourgeoises. Avant de partir, le gouverneur les réorganisa complètement, en regroupant les habitants selon cinq compagnies de cent hommes chacune. Et plutôt que de leur permettre d’élire un capitaine, il les choisit sur une liste de dix

noms qui lui fut présentée par les échevins. Ainsi disparut l'illusion d’une autonomie militaire. Si les capitaines furent élus de nouveau par la suite, Montpensier avait clairement 47

LES NOBLES, LA VILLE ET LE ROI

démontré que ces privilèges n’étaient que de fragiles concessions, et que sa puissance de gouverneur lui donnait toute la légitimité nécessaire pour les remettre en cause à tout moment. Il quitta la ville en décembre 1560. Son passage avait été assez bref, mais en deux mois, il avait complètement modi-

fié les rapports de forces locaux. Car l’échevinage avait enregistré en quelques jours une cuisante défaite face à Montpensier. Les franchises urbaines, qui semblaient désormais incompatibles avec l’autorité royale, avaient perdu une bonne part de leur consistance. Elles avaient même très vite sombré face à un aristocrate étranger au pays, qui avait délibérément choisi l’épreuve de force. La noblesse angevine,

peut-être trop disposée à la conciliation, n’avait joué aucun rôle dans ces journées décisives d’octobre 1560, car la répres-

sion menée par Montpensier s’était déroulée sans qu’elle y participe. Absents d’une politique de coercition dont 1ls n'étaient pas responsables, les grands nobles angevins avaient été écartés de toutes les prises de décision, ce qui pouvait traduire un certain isolement. Néanmoins, ils avaient conservé

aux yeux des notables une certaine virginité; ils apparaissaient comme un contre-modèle face à Montpensier, qui représentait une nouvelle conception du pouvoir nobiliaire, à la fois brutale, expéditive et terriblement efficace.

2. Autonomie urbaine et protestantisme À l'automne 1560, le principal souci de Montpensier avait été de brider les libertés angevines pour éviter toute propagation ultérieure du protestantisme. La société urbaine apparaissait en effet comme le terreau le plus fertile de l’hérésie,

non seulement parce que ses élites avaient la capacité de s’interroger sur leur dévotion et parfois de la remettre en cause!°, mais aussi parce que la religion nouvelle véhiculait une sensibilité politique favorable aux traditions d'autonomie municipale. Bien avant l’expérience politique des Provinces-Unies du Nord et du Midi, le protestantisme français fut ainsi le 48

CONVAINCRE ET CONTRAINDRE

creuset d’une alliance entre les bourgeoisies urbaines acquises à la Réforme et une partie de la noblesse calviniste. Lorsque Montpensier mena sa répression à Angers, les magistrats municipaux se réunirent le 3 novembre 1560. Plutôt que d’appuyer les efforts du gouverneur pour juguler l’hérésie, ils décidèrent plutôt de solliciter sa clémence??. Cette attitude, qui se reproduisit au cours de la Saint-Barthélemy, me semble avoir été

inspirée par deux préoccupations principales. Un idéal de concorde d’inspiration néo-platonicienne, comparable à celui qui imprégnait l’entourage de Catherine de Médicis à la même époque, n’est pas à exclure?! ; mais je n’en ai rencontré aucune trace concrète. Dans le cas angevin, je pense plutôt que les édiles municipaux étaient convaincus qu’un triomphe trop net de la noblesse catholique irait à l’encontre de leurs intérêts locaux. Un gouverneur trop puissant, un château omniprésent, une répression trop brutale auraient eu tôt fait de réduire à néant les derniers vestiges de la charte de 1475. En mars 1562, lorsque les protestants s’emparèrent de la ville du Mans, une alliance identique se dessina entre les plus

anciennes familles de la bourgeoisie urbaine et une partie de la gentilhommerie locale?2. Quelques semaines plus tard, une semblable connivence entre calvinistes regroupa une partie des magistrats municipaux et de la noblesse angevine, à tel point que les uns et les autres imaginèrent les linéaments d’une organisation politique commune. Dans les premiers jours d’avril 1562, des nobles protestants s’introduisirent à l’intérieur de la «cité » sans attirer l’attention sur eux. Dans la nuit du 5 au 6, ils passèrent à l’action et ouvrirent les portes des remparts à leurs coreligionnaires. Sans difficulté, ils s’emparèrent du palais épiscopal, de la cathédrale, de la mairie et des principaux points stratégiques. La milice bourgeoise, qui devait assurer la protection de la ville, ne réagit pas plus qu’en 1560: seul le château, dont la garnison était commandée par le capitaine La Faucille, échappa aux huguenots. Parmi eux, aucune personnalité marquante n’émergeait. D’après Jean Louvet, un greffier du présidial qui nous laissa un volumineux récit des événements de son 49

LES NOBLES, LA VILLE ET LE ROI

temps, les principaux chefs de cette entreprise étaient le sieur de Soucelles, gentilhomme angevin qui s’était déjà distingué au cours de la journée des Mouchoirs, Jean Duret, sieur de

La Barbée et «Mr de Mébretin », sur lequel nous n’avons pas de renseignements. Conscients qu’ils ne pourraient jamais tenir sans l’aide des autorités municipales, ils cherchèrent à agir avec elles non pas en occupants, mais en partenaires. En ce sens, ils cherchaient peut-être à se les rallier en épaulant

une réaction contre l’autorité de Montpensier, mais 1l me semble en outre qu’ils exprimèrent une sensibilité politique particulière aux calvinistes, dans laquelle l’autonomie urbaine tenait davantage de place que chez les catholiques. Mébretin, l’un des vainqueurs, se présenta ainsi dès le

6 avril devant les échevins pour les prier «de prendre les mesures convenables pour la sûreté de la ville, promettant de

les appuyer de tout son pouvoir ». Très vite, il afficha son intention de respecter les libertés municipales. Le 7, 1l leur proposa de confier la charge de gouverneur au sieur de La Barbée, gentilhomme du pays, «sous l’autorité du roi, du maire et des échevins ». Afin d’emporter leur adhésion, La Barbée fit doubler chacune des clefs de la ville, pour qu’il en utilise l’une et que le maire conserve l’autre. En dépit d’une violente prise de pouvoir, les protestants surent donc ménager les notables angevins, voire flatter leur orgueil en leur soumettant un projet de coopération politique tout à fait compatible avec leurs idéaux. Dans son Histoire des Églises réformées de France, publiée en 1580, Théodore de Bèze développa l’exemple d’Angers pour 1llustrer l’idée selon laquelle les catholiques et les protestants étaient capables d’œuvrer ensemble pour le bien commun, dans l'attente d’une conversion universelle au message originel du Christ. D’après lui, les gentilshommes huguenots auraient été soucieux d’obtenir une étroite collaboration avec les catholiques, sur le modèle de l’édit de Janvier. Lorsque le prince de Condé réclama des troupes, il fallut en effet dégarnir les défenses de la ville. Les protestants et les catholiques négocièrent donc le compromis sui50

CONVAINCRE ET CONTRAINDRE

vant afin de surveiller les murailles : «Que pour la garde et le guet de la ville sous l’authorité et obéissance du roy, avec l’observation de l’édict de janvier, ceux de la religion choisiroient cinquante hommes de ceux de l'Église romaine, bour-

geois et habitans de la ville. Et au réciproque, les autres prendroient de ceux de la religion soixante-dix hommes pareillement bourgeois et habitans de la ville pour la garde et guet d’icelle ». Afin d’instaurer une réelle et mutuelle confiance entre les deux confessions, le texte prévoyait en outre que tous les autres habitants seraient désarmés, et surtout «que toutes gens de guerre, tant de pied que de cheval, non habitans de la ville et y estans de présent, seroient tenus d’en vuider et laisser la garde à ceux que dessus »?. Ce récit de Théodore de Bèze cadre parfaitement avec la thèse selon laquelle les nobles protestants furent sensibles au respect des franchises urbaines. La volonté d’expulser les étrangers correspondait à un objectif de sécurité collective, mais aussi à l’image d’une ville conçue comme un tout autonome, une petite république autarcique, protégée des dangers venus de l’extérieur. Le pacte prévoyait enfin que «toutes injures particulières et publiques du passé seroient entièrement quittées et mises sous le pied respectivement, excepté qu'il seroit loisible aux offensés de poursuivre les larrons et voleurs ». De ce fait, la prise d’ Angers semblait s’inscrire dans la logique de l’édit de Janvier, qui avait essayé de restaurer l’harmonie politique et religieuse du royaume : une tentative nouvelle pour rétablir la paix, mais cette fois dans l’enceinte circonscrite d’une ville. Mais dès le 8 avril, une journée iconoclaste ruina tout espoir d’accord. Selon Jean Louvet, «les huguenots se mirent à rompre toutes les imaiges et représentations des saints et bienheureux qui sont en paradis, qui estoient sur les autels de laditte église Saint-Maurice, et bruslèrent la châsse et les ossements de M. saint René». Comme au Mans à la même époque?” ces destructions affaiblirent la position des nobles protestants dans la ville, car elles provoquèrent chez les catholiques un rejet viscéral de la Réforme, qui prépara le terreau 51

LES NOBLES, LA VILLE ET LE ROI

des premières ligues, quelques années plus tard. Dans le cas angevin, ces violences se poursuivirent longtemps: le 19 et le 20 avril, l’église des Carmes en fut la cible; le 21, ce fut

au tour de la chapelle de Notre-Dame de Consolation; et le 22, les iconoclastes s’en prirent à l’église de la Trinité?$. Après quelques hésitations, les notables catholiques décidèrent le 2 mai de faire appel à Montpensier?”?. Une coopération politique entre les bourgeois angevins et la noblesse réformée n’était sans doute pas utopique, mais il était clair qu’elle avait achoppé sur le terrain religieux. Les partisans de l’ordre l’avaient donc emporté. Ils appartenaient d’ailleurs aux deux confessions, puisque des protestants se joignirent à la délégation qui rencontra le gouverneur. Mais ce faisant, tous donnèrent leur accord à une reprise en main encore plus énergique qu’en 1560. Montpensier ne s’en chargea pas lui-même : les basses besognes n'étaient pas de son ressort, et il laissa son lieutenant, Puygaillard, s’occuper de tous les détails. Celui-ci

arriva de Saumur et entra subrepticement par le château dans la nuit du 6 mai 1562. Maître de la forteresse, il ne lui fut

pas difficile d'introduire des troupes dans la ville. Dès le 8, les protestants déposaient leurs armes, et le 12, Montpensier

faisait son entrée à Angers, L’affaire avait été rondement menée ; elle permit de reprendre le cours de la répression qui avait été entamée en 1560, mais de façon bien plus systématique. Dans les premiers jours, la liberté de culte fut maintenue et les prisonniers rapidement libérés, mais le gouverneur et son lieutenant choisirent ensuite de frapper les notables angevins qui avaient collaboré avec les troupes de Soucelles depuis un mois. Puygaillard perquisitionna chez les huguenots avec l’aide des catholiques qui avaient été scandalisés par l’iconoclasme des semaines précédentes. Des armes furent confisquées, et il leur fut interdit de quitter la ville. Une ordonnance fut ensuite publiée, interdisant

de cacher les protestants sous peine d’être pendu comme rebelle. Puis un tribunal d’exception, composé de conseillers au présidial, fut installé au château et prononça quelques 32

CONVAINCRE ET CONTRAINDRE dizaines de condamnations à mort$!. Pour couronner le tout,

une ordonnance du 8 juillet 1562 prescrivit à tous les suspects d’hérésie de « vuider et sortir de la ville et fausbourgs dedans deux jours ». Les curés et vicaires devaient «référer et rapporter audict sieur [de Puygaillard] par escript tous ceulx et celles de leursdictes paroisses, lesquelz 11z connoissoient [...] avoir hanté et fréquenté les presches, conventicules et assemblées de ladite nouvelle religion »?2. Cette éradication du protestantisme n’avait rien d’original et se situait dans le prolongement logique des journées d’octobre 1560. Mais elle était un peu vaine, puisque la Réforme, en tant que telle, n’avait pas été la seule cause de subversion au mois d’avril 1562. La ville d'Angers n’avait pas échappé au contrôle du roi du fait de sa minorité protestante, mais plutôt grâce à tous les notables, catholiques et protestants, qui avaient été choqués par la répression de la journée des Mouchoirs et qui avaient vu dans le protestantisme nobiliaire un rempart contre les empiètements du pouvoir central. Montpensier et Puygaillard se mirent donc à détruire toutes les libertés urbaines qui avaient permis la mise en place d’un pouvoir séditieux à Angers pendant ces dernières semaines. Le principe même d’une auto-défense urbaine fut immédiatement bafoué : nommé gouverneur d’Angers le 6 juin, Puygaillard désarma les milices et affecta ses propres troupes à la surveillance des remparts. La ville fut, en outre, contrainte

d’entretenir une garnison de 400 hommes de pied et de 100 arquebusiers, qui étaient placés sous ses ordres directs. Pour bien marquer son intention de punir la cité dans son ensemble, il décida enfin de faire fondre toutes les cloches

pour fabriquer des canons. Ces décisions militaires s’accompagnèrent d’une mesure politique tout aussi humiliante : il fut admis à toutes les séances du conseil municipal. Incarnation de la force publique et de la légalité monarchique, Puygaillard put ainsi manœuvrer les échevins à sa guise, mais tout en observant les apparences de l’autonomie urbaine. Sous son influence, le conseil demanda par exemple à Montpensier, le 25 juin, «qu’il [lui] plaise ordonner justice estre faicte, tant

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LES NOBLES, LA VILLE ET LE ROI

de ceulx qui sont prisonniers que de ceulx qui ont esté délaissez et eslargiz, [.… et] des eschevins qui seroient trouvez chargez desdictz cas ». Dès le lendemain, le gouverneur y répondit en annonçant la déchéance de l’échevin Pierre Le Mal, et en demandant aux membres du conseil qu’ils donnent sa place à François Boylesve, le procureur du roy qui avait instruit le procès des huguenots#. Avec l’aide de Puygaillard, Montpensier plaça donc des hommes dévoués au sein de la municipalité. Tout en préservant la fiction d’une ville administrée par ses élites, il réussit par conséquent à épurer l’échevinage pour éviter la réédition des événements d’avril 1562. Le 14 août, il pouvait tranquillement partir, laissant son lieutenant commander en son nom à Angers, à Beaufort et à Baugé.

3. Le soldat et le fisc Jean de Léaumont, seigneur de Puygaillard, allait jouer un grand rôle à Angers pendant plus de vingt ans. Originaire de la Lomagne, en Gascogne, 1l n’appartenait pas davantage à la noblesse angevine que Montpensier, son supérieur hiérarchique. Il venait d’une bonne famille du diocèse de Lectoure, qui pouvait certainement produire des titres remontant à la fin du xnie siècle, mais dont les membres n’avaient effectué jusqu’à présent aucune carrière. Son grand-père, Jean [°", laissa peu d’archives dans la famille ;on sait qu’il possédait la seigneurie de Puygaillard au milieu du xve siècle et qu’il mourut vers 1511. Grâce à un codicile qu’il adjoignit en 1503 à son testament, on sait également qu’il avait épousé une fille de la maison de Durfort. Leur fils, Jean IT, avait un peu plus de biens que son père : le domaine de Puygaillard et les terres d’Estramiac, Gariès, Drudas et Mauroux. Sa femme, Charlotte de Malhan, lui donna cinq enfants, dont Jean, le futur gouverneur d’ Angers. Les deux

filles furent mariées dans la moyenne noblesse locale et l’un des fils ne laissa aucune trace. L’aîné, Gilles, hérita des terres paternelles*6, et Jean III, le cadet, fut donc obligé

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CONVAINCRE ET CONTRAINDRE

d’aller chercher sence aux côtés Homme du Puygaillard était

fortune par la voie des armes, d’où sa préde Montpensier en 1562. roi et loyal lieutenant du gouverneur, soucieux d’exécuter les ordres qui lui étaient

confiés. Soldat de fortune, petit cadet sans avenir dans sa

région natale, son intérêt était d'appliquer à la lettre les consignes qu’il recevait. Il serait vain de chercher dans son action une trace d’autonomie, une quelconque initiative personnelle : Puygaillard était là pour être le fidèle bras armé du pouvoir royal en Anjou, et bien payé pour remplir cette mission. Car 1l ne fut jamais oublié par les récompenses monarchiques dans les années

1560 et 1570. En 1568, il obtint

notamment le collier de l’ordre de Saint-Michel — une gratification qui n’avait rien d’exceptionnel à cette époque, car l’ordre du roi était alors distribué de plus en plus généreusement auprès de la noblesse provinciale*?. Puygaillard fut surtout très bien rémunéré pour ses services. Cette même année 1568, il touchait 500 livres par quartier. Six ans plus tard, alors qu’il venait d’être promu maréchal général des camps et armées du roi, 1l gagna 300 livres pour le seul mois de juin. En outre, il réussit toujours à se faire rembourser des sommes que lui devait le roi. À la différence de François du Plessis, le père de Richelieu qui se ruina en n’obtenant jamais rien de son maître, il parvint à s'enrichir au contact du pouvoir. En mars 1570, il reçut 2252 livres ;en mai 1577, alors qu’il avait

cessé d’exercer ses fonctions en Anjou, il obtint plus de 1700 livres... Cette pluie de récompenses sonnantes et trébuchantes s’accompagna de nouveaux titres et de fonctions honorifiques. En 1577, après quinze ans de service, il fut qualifié dans une quittance de «chevalier de l’ordre du roy, conseiller en son privé conseil, capitaine de cinquante hommes d’armes de ses ordonnances et maréchal de camp général de ses armées »4. Puygaillard était le relais idéal. Parti de peu, favorisé par la couronne à cause de sa loyauté et par les Montpensier pour son catholicisme à toute épreuve, il considérait les franchises urbaines comme d’insupportables entraves à son action, et 55

LES NOBLES, LA VILLE ET LE ROI

donc à sa promotion. Les réticences des notables face aux empiètements du pouvoir royal étaient pour lui autant de handicaps qu’il fallait vaincre pour pacifier la province et préserver une paix durable. Puygaillard était avant tout un soldat, un homme

sans doute ambitieux, mais surtout très habile,

volontiers brutal et sachant se faire respecter :jusqu’au milieu des années 1570, il fut le véritable maître de l’ Anjou. Étranger au pays, Puygaillard ne disposait d’aucune relation, ni dans la noblesse locale, ni dans la bourgeoisie ange-

vine. Il commandait évidemment une imposante garnison dans le château, mais il ne pouvait pas compter sur elle pour maintenir la stabilité politique de la ville. Il tenta plutôt, dans un premier temps, d’asseoir son pouvoir par la conciliation. Conscient qu’il fallait respecter certaines traditions héritées de la charte, il prit la tête des milices pour mieux les contrôler. Le 22 juin 1562, il rassembla tous les habi-

tants en âge de porter les armes, et les passa en revue sous les remparts. Au cours de cette montre, les Angevins furent invités à mettre en scène leur cohésion retrouvée, à l’instar

de la noblesse catholique, qui avait effectué la même cérémonie le 16 mai*!. Le nouveau représentant du roi essayait ainsi de faire coïncider ses intérêts de gouverneur et les aspirations des élites locales à l’autonomie. Car non seulement les milices lui étaient utiles, voire indispensables, pour défendre la ville en cas de péril, mais elles constituaient un

instrument idéal permettant de dominer en douceur la société urbaine. Selon la même logique, Jean Louvet raconte qu’une nuit de mai 1562, Puygaillard fit « sonner le tocquesaint à Saint-Maurice et aultres églises de la ville, au son duquel fust faict une faulse allarme en la ville, laquelle donna une

grande frayeur aux habitants, laquelle fust faicte pour les aguerrir »*. Il prit donc son rôle très au sérieux, et tenta de rendre aux milices une crédibilité nouvelle. Plutôt que de plaquer sur elles une autorité étrangère et nobiliaire, il tenta d'inciter les habitants à collaborer avec lui pour accroître leur protection commune et obtenir de chacun le respect de l’autre. Le mythe d’une autonomie défensive issue de la 56

CONVAINCRE ET CONTRAINDRE

ville avait sans doute disparu depuis les journées d’octobre 1560 et de mai 1562, mais Puygaillard sut le faire renaître sous une autre forme, en prônant la nécessaire coopération des Angevins et de leur gouverneur. De même, il sut faire sentir aux échevins qu’en dépit de la faillite de leurs traditions d’autonomie politique, il pouvait leur concéder un peu de son pouvoir. Le 7 août 1562, il demanda notamment à l’hôtel de ville «qu’on luy nommast six hommes gens de bien, eschevyns, advocatz et marchans,

pour [...] assister par sepmaine avec luy » et répondre aux sollicitations qui lui étaient faites par les habitants »#3. Puygaillard créa ainsi un nouvel organe, destiné à concurrencer où à compléter l’échevinage. Comme il l’expliquait lui-même, il pouvait en particulier y évoquer les doléances du petit peuple urbain afin de rompre l’isolement dans lequel l’oligarchie angevine s’était enfermée depuis la fin du siècle précédent. Mais il prenait également soin d’y introduire des notables du corps de ville, pour espérer rompre l’unité des échevins et mieux les tenir en main. Ce faisant, Puygaillard poursuivait deux buts à long terme: d’une part affaiblir les vieilles familles qui dominaient la ville depuis un siècle, et

d’autre part faire fonctionner un instrument politique neuf, qu’il avait conçu pour la «police » au sens large. Les dissensions sociales de la capitale angevine étaient en effet tout aussi dangereuses et prohibées que ses traditions d’autonomie. C’est pourquoi le gouverneur essaya très tôt d'utiliser à son profit l’unanimisme urbain. En septembre 1562, la réparation des remparts donna l’occasion d’organiser un vaste chantier où tous les habitants furent mis à contribution. Sous la direction de Philibert Delorme, qui était venu à Angers pour cette occasion, 1ls travaillèrent ensemble à la réfection

de leurs murailles, avec l’aide et sous la surveillance des troupes de Puygaillard: «Ils y alloient bescher et porter la hotte chascun en leur rang, raconte Jean Louvet, et les plus apparents de laditte ville commencèrent les premiers »*. Les citadins pouvaient bien sûr avoir le sentiment d’œuvrer pour leur défense commune, mais ils travaillaient surtout pour le 57

LES NOBLES, LA VILLE ET LE ROI

roi, en consolidant une place forte qui était indispensable pour retarder le franchissement de la Loire par les protestants. Puygaillard ne chercha d’ailleurs pas à intégrer les huguenots dans ce vaste projet de réconciliation urbaine. Les pulsions consensuelles qu’il exploitait n’étaient pas assez puissantes pour transcender les clivages confessionnels, d’autant qu’il ne cacha jamais qu’il considérait tous les huguenots comme des séditieux potentiels. Bien loin d'envisager une harmonie religieuse, il s’attacha plus prosaïquement à nouer une solide alliance avec les notables catholiques. Ce projet, très précoce, trouva son aboutissement au mois d’août 1562, lorsque «M. de Puygaillard et MM. de la justice firent profession de leur foy et religion catholique, apostolique et romayne, suivant l’édict du roy, par davant M. le révérend évêque d’Angers »#. En plein été 1562, alors que François de Guise battait la campagne contre Condé, Puygaillard suivait ainsi l’air du temps, en bâtissant avec les officiers de justice une stratégie d’affrontement avec les huguenots. Mais en s’arc-boutant sur un catholicisme intransigeant, il cherchait également à restaurer l’unité perdue de la ville, pour l’utiliser au bénéfice du souverain. Puygaillard était d’un naturel méfiant. Considérant que la conciliation avait ses limites, loin de se satisfaire des démonstrations d’unité quelque peu factices que lui offraient les notables, il s’attacha aussi à déployer sa force, et prit de très solides garanties pour que l’ordre fût maintenu en toutes circonstances à l’avenir. Dès la reprise d’ Angers, le 7 mai 1562, il convoqua les notables à l’hôtel de ville. Accompagné de quelques gentilshommes, 1l leur ordonna immédiatement que «les armes de tous les habitants [lui fussent] rendues de

part et d’autres dans vingt-quatre heures ; et [qu’ils lui] rendroient les clefs des portes de la ville dans six heures »46. Comme Montpensier en 1560, Puygaillard était convaincu que l’agitation protestante n’avait pas été imposée à la ville: les notables l’avaient non seulement tolérée, mais ils en avaient été les complices. Il s’agissait donc de les punir pour avoir failli à leurs devoirs envers la couronne’. Quelques 58

CONVAINCRE ET CONTRAINDRE

semaines plus tard, le 22 juin, il exigea en outre que tous les citadins lui prêtent «le serment de bien garder la ville pour le service du roy »*. Une telle cérémonie collective lui permettait de se conformer à des coutumes anciennes, et de vider

de leur sens les vieilles traditions politiques locales. Depuis le xrrre siècle, la protection de la ville s’était en effet structurée autour des seuls intérêts urbains, au nom de l’assem-

blée générale des habitants. Désormais, cette auto-défense exercée par des citadins unis derrière leur gouverneur ne s’effectuerait qu’au nom de la cohésion du royaume et pour le service exclusif du monarque. La personne royale devenait ainsi une icône unificatrice, qui devait à l’avenir donner tout son sens à l’action des notables. Par ailleurs, l’attachement au roi ne pouvait pas se limi-

ter à ces protestations de fidélité plus ou moins symboliques. L'intégration de la ville au corps de l’État devait aller plus loin, vers un début d’intégration fiscale. Puygaillard ne fut pas chargé d’établir la taille à Angers : une telle innovation aurait été conçue comme une «nouvelleté » insupportable, un reniement du serment que le roi avait accompli le jour de son sacre, le prétexte d’un soulèvement urbain contraire à la stabilité voulue par Catherine de Médicis. Mais 11 chercha néanmoins à faire payer à la municipalité un certain nombre de frais réguliers, parce qu’ils étaient liés à la défense de la ville, bien sûr, mais surtout parce qu’ils introduisaient dans les mentalités bourgeoises l’idée qu’un impôt se devait d’être payé tous les ans, même par une «bonne ville ». Dès le 11 mai 1562, les magistrats municipaux furent contraints d’allouer aux troupes du roi une somme de 1 000 écus, correspondant à leur solde. Puis à la fin du mois de juin, 1ls octroyèrent à Puygaillard une somme mensuelle de 300 livres, sans compter une indemnité de 1 000 livres destinée à régler les diverses dépenses qu’il avait engagées jusqu’à présent. Toutes ces sommes, qui étaient votées par les échevins sous la menace,

étaient des nouveautés mal acceptées parce qu’elles provoquaient de graves entorses aux vieux privilèges fiscaux. En outre, elles permettaient au gouverneur de s’immiscer dans 5e)

LES NOBLES, LA VILLE ET LE ROI les affaires intérieures de la cité, en ordonnant à chaque fois

les recettes et les dépenses. Par exemple le 25 mai 1562, Jean Louvet raconte qu’«il fut conclu en la maison de ville que les habitants d’ Angers bailleroient cinq cents livres pour fortiffier la ville, et ce par commandement de M. de PuyGaillard »5°. Par conséquent, l’entretien des remparts et le

financement des troupes royales furent désormais conçus comme un tout indissociable. Ainsi en juillet 1563, «les gardes furent faictes aux portes de la ville [par les troupes royales] et il fust levé à Angers quinze cents livres pour païer la solde de ces soldats qui estoient à M. de Puygaillard »°1. Soumise à la poigne de son gouverneur, Angers devint une solide place forte à partir de laquelle les autres villes d’ Anjou furent reprises par les troupes royales. Dès le mois de mai 1562, les Ponts-de-Cé furent abandonnés par Desmarais de Saint-Aignan, un capitaine protestant qui s’en était emparé quelque temps plus tôt. Dépourvu de troupes pour résister à Puygaillard et Montpensier, 1l descendit la Loire et s’empara de Rochefort, qu’il réussit à tenir pendant plusieurs semaines avec une cinquantaine de soldats. Assiégé par le gouverneur, il dut finalement se rendre au début de

l'été, et fut conduit à Angers pour y être exécuté. Les autres places protestantes, comme Beaufort, Chalonnes et ChâteauGontier, se soumirent sans la moindre difficulté. Seule Craon

résista quelque peu, jusqu’à la fin du mois d’août, mais Puygaillard s’en empara en septembre, et les maisons des réformées y furent pillées et saccagées*?. En 1563, l’ordre régnait en Anjou. Au bout d’un an, Puygaillard pouvait se targuer d’une complète réussite : la province était pacifiée et les libertés urbaines semblaient avoir été étouffées. Mais en dépit de la chape de plomb qui s'était abattue sur Angers, le souvenir des franchises médiévales y restait très vivace. Après une courte période au cours de laquelle les partisans du maintien de l’ordre soutinrent sa politique de conciliation et de répression, les conflits se multiphièrent avec la municipalité. En particulier, les problèmes fiscaux devinrent de plus en plus aigus, 60

CONVAINCRE ET CONTRAINDRE

à tel point qu’ils compromirent durablement les bonnes relations qu’il avait établies avec les notables. Jean Louvet, toujours très attentif aux nouveautés qui se produisaient dans ce domaine, en tint une chronique très précise dans son Journal. En 1567, alors que les menaces d’une reprise des guerres civiles se précisaient de plus en plus, une nouvelle taxe fut levée à Angers: «ung nouveau subside de sept sols six deniers sur chascune pippe de vin entrant en laditte ville et ès gros bourgs d’Anjou». Malgré son impopularité, cette «maltouste » fut perçue sans trop d’encombres. En 1568, les demandes de Puygaillard se firent pourtant de plus en plus pressantes, insistantes et fréquentes, car la «surprise de Meaux » et la bataille de Saint-Denis avaient ruiné la paix. Il lui fallait donc de l’argent. Comme à l’accoutumée, le gouverneur essaya de manœuvrer l’échevinage pour lui faire voter un «don gratuit», mais son empressement motiva les notables angevins

à présenter auprès du Conseil royal une doléance contre le gouverneur, le maire et le procureur du roi. Dans ce texte, les

plus importantes familles s’insurgeaient contre «les excessives levées de deniers qu’ils levoient si souvent sur les habitants d’Angers, [disant] qu’ils ne pouvoient plus susporter lesdittes levées, et desquelz deniers 1ls disoient lever pour de beaulx pretextes »*, Leur hardiesse fut couronnée de succès,

car selon Jean Louvet, revinrent à Angers en octobre 1568 des lettres de Charles IX interdisant à Puygaillard, au maire

et au procureur du roi «de ne lever aulcuns deniers sur les habitants, sans commission et permission du roy ». Leur satisfaction fut cependant de courte durée. Soupçonné de détourner l’argent qu’il réclamait, Puygaillard réussit à se justifier très vite auprès du gouvernement: au mois d’août suivant, «le roy fist lever sur les habitants d'Angers, les plus riches et aysés, la somme de vingt-cinq mille livres »%*. Comme en 1562, l'instabilité militaire fut donc mise à profit pour faire contribuer les bourgeois aux dépenses de l’État. L'année suivante, Angers fut utilisée comme base d’approvisionnement pour les troupes qui opéraient en Poitou, et sollicitée pour fournir aux soldats royaux du grain, de la farine, des chevaux,

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LES NOBLES, LA VILLE ET LE ROI

du vin, de la poudre. Puygaillard fut alors chargé d’en organiser le transport. Charles IX lui demanda également de convaincre les marchands d’écouler leurs stocks au sud de la Loire, afin de contribuer à la nourriture des armées. Le 22 juin

1569, il lui écrivit par exemple: «Je vous prye que vous faictes venir par devers vous aucuns des meilleurs marchans du pays, et leur remonstrer la nécessité qu’il y a pour eulx de faire un bon proffict en faisant mener et conduire une bonne quantité de vin à Chastellerault par la commodité de la rivière, où 11Z le venderont bien raisonnablement »$. Les récriminations des notables apparaissaient de plus en plus décalées. Leur défense viscérale des privilèges médiévaux ne pouvait être justifiée face aux exigences d’un État soucieux d’efficacité, prêt à imposer aux villes de lourds sacrifices pour gagner le combat qu’il était en train de livrer contre l’hérésie. Les batailles de Jarnac et de Moncontour auraient pu mettre un terme provisoire à la pression du pouvoir royal, puisque les troupes de Condé et de Coligny y furent lourdement vaincues. Mais en 1570, lorsque le souverain vint séjourner deux mois à Angers, Puygaillard convoqua derechef l’assemblée des habitants, le 13 janvier. Il s’agissait encore d’obtenir un «don gratuit», réclamé par le roi pour l’entretien de sa maïison. Le gouverneur tenta de faire voter une somme de 76000 livres, en tablant sur la popularité de Charles IX, qui apparaissait comme l’indéfectible soutien de l’Église et le vainqueur des huguenots, mais 1l se heurta à de vives réticences de la part des représentants des quartiers. Après bien des négociations, les uns et les autres transigèrent à 40000. Les échevins pouvaient se flatter d’avoir remporté une victoire contre le gouverneur, mais leurs marchandages apparaissaient de plus en plus comme une manière de faire vivre artificiellement des privilèges anachroniques. L’exemption fiscale était devenue une sorte de mythe que l’on évoquait en souvenir de «l’âge d’or», comme si les troubles civils avaient contribué à la rendre caduque en quelques années. Mais cette œuvre de modernisation n’avait pas été poussée jusqu’à son terme ; les Angevins échappaient toujours à la taille, et 62

CONVAINCRE ET CONTRAINDRE

Puygaillard ne pouvait compter sur aucune base légale pour leur réclamer de l’argent. Il lui fallait donc faire appel à leur dévouement ou bien les menacer avec plus ou moins de vigueur. Au bout du compte, il ne pouvait remporter que des victoires à la Pyrrhus. Les relations entre le pouvoir monarchique et les notables se tendirent également sur le plan militaire. Le 18 octobre 1567, Charles IX fit en effet présenter devant le corps de ville un projet de renforcement des défenses urbaines. Le roi acceptait de faire un effort pour les améliorer, puisqu'il était prévu que la garnison du château serait augmentée de quarante soldats entretenus sur ses deniers. Toutefois, les notables devaient

lever de leur côté trois cents hommes commandés par deux bourgeois, tandis qu’un gentilhomme serait chargé de diriger quarante arquebusiers à cheval. Ce plan, assez complexe, comportait au fond trois aspects. Il consistait bien sûr à accroître les charges financières de la ville, puisque le gros des troupes devait être payé par les bourgeois. Mais dans le même temps, il se traduisait aussi par un accroissement de la puissance du capitaine du château, qui allait recevoir une garnison plus étoffée. Cette réforme portait donc en elle les germes d’un nouveau déséquilibre avec la ville. Enfin, le gouverneur pouvait en espérer une coercition plus efficace, grâce aux arquebusiers à cheval qui pouvaient s’assurer à tout moment du maintien de l’ordre. Les notables ne s’y trompèrent pas: ils refusèrent d'exécuter ces commissions et prièrent le roi de ne pas envoyer de troupes étrangères, car 1ls estimaient être en état de se défendre seuls. Ce rappel des anciens principes selon lesquels la ville ne devait compter que sur ses propres forces, n’était pas qu’une simple clause de style ou un acte de foi ponctuel, car les échevins reprirent sans cesse cet argument au cours de l’automne 1567. Quelques semaines après avoir éludé la réforme souhaitée par Charles IX, le maire rappela au mois de novembre «à la compaignée qu’il [avait] eu cest honneur d’estre choisy pour chef d’icelle et cappitaine de la ville;que faisant sa charge, à faulte de forces, luy [avaient] esté faictes plusieurs 63

LES NOBLES, LA VILLE ET LE ROI

braveries et injures; la continuation desquelles tournant au deshonneur de luy et de ses successeurs et de la compaignée que les roys de France ont honoré de beaulx et grands privilleges ». Comme les échevins craignaient le peuple tout autant que le château, le maire leur réclama une escorte personnelle, qu’ils lui accordèrent immédiatement*?. Ce faisant,

ilne cherchait pas seulement à réactiver les vieux mythes de l’auto-défense urbaine, mais il tentait également de se placer sur le même plan que le gouverneur, dont les gardes faisaient régulièrement le coup de poing avec les milices bourgeoises. Dès le mois de septembre, la municipalité avait écrit à Henri d’Anjou une lettre qui allait dans le même sens. Elle lui demandait de préserver leur autonomie militaire en dépit des menaces qui pesaient sur la paix. Après l’avoir averti d’une «sinistre entreprinse » tramée par les huguenots*$, les échevins l’assuraient de leur soutien «comme estant nostre naturel seigneur, et nous vos naturels et très humbles et très obéissants subjets, pour y donner l’ordre requis et nécessaire ». Cependant, ils lui demandaient surtout de «permettre à tel nombre de noz bons bourgeois et habitans, que pouvons choisir, s’armer d’armes à feu et aultres nécessaires. [...]

Avecques le service demeurer avecques

le conseil du seigneur de Puygaillard, lequel, pour de Sa Majesté et le vostre, s’est condescendu à en ceste ville, nous donnerons ordre en doulceur et la force qui nous est permise par les privilleges de

voz prédécesseurs, roys [et] ducs d’Anjou, [...] maintenir le

peuple en laditte obéissance ». Tout en le priant de se conduire comme les ducs débonnaires du siècle précédent, ils sollicitaient donc de sa part l’autorisation de conserver leurs propres systèmes de défense, fondés sur les milices des quartiers. Redoutant une loi martiale comparable à celle de 1562, ils choisissaient de prendre les devants et de faire preuve de fidélité. Ts n’allaient pourtant pas jusqu’à proposer leurs deniers. Soucieux d’épargner leur bourse, ils ajoutaient: «Monseigneur, toutte la plus grande force de ceste ville, c’est l’asseurance de vostre chasteau qui est du tout desgarni de municions de guerre et de vivres ; à quoi Monseigneur est très requis com64

CONVAINCRE ET CONTRAINDRE

mander

au recepveur

de vostre domaine

ou aultre »52.

Considérant le château comme un mal nécessaire, les offi-

ciers urbains rappelaient à leur duc qu’il en était le propriétaire légitime. Responsable de son entretien, il ne devait pas compter sur leur aide, mais «vivre du sien» en utilisant ses ressources personnelles. Les bourgeois d’ Angers se conduisaient ainsi comme les Parisiens du xIve siècle qui avaient dénoncé la taille que percevait Charles V. Comme si rien n'avait changé depuis les États généraux de 1358, ils s’abritaient encore derrière leurs coutumes. À la même époque, le maire écrivit aux vieilles familles de la noblesse angevine. Il envoya des courriers aux Daillon du Lude, au maréchal de Vieilleville, à Charles de Cossé-

Brissac et à Artus de Gonnord, pour les prier d'appuyer la requête de l’échevinage auprès d'Henri d’ Anjou et d’envoyer des troupes à Angers. Ces gentilshommes semblaient plus respectueux des libertés urbaines que les nobles étrangers au pays comme Puygaillard. Héritiers d’une époque où les ducs n’exerçaient qu’une tutelle bien lointaine, ils symbolisaient un âge béni, quoique révolu, au cours duquel les bourgeois n’avaient pas à redouter des demandes fiscales ou militaires inédites, un temps d’équilibre et d’harmonie entre la ville et la noblesse, entre le pouvoir local et l’autorité « centrale ». Comme au xve siècle, ils attendaient que les nobles angevins servent de relais entre les bourgeois et la cour ducale, qu’ils se fassent les interprètes des doléances du «pays» pour lui éviter les rigueurs du fisc. Selon la même logique, ils auraient souhaité que les nobles du pays participent à leur protection, non seulement parce que la ville ne pouvait pas uniquement compter sur elle, mais aussi parce qu’ils avaient besoin d’un rééquilibrage des pouvoirs entre la noblesse angevine et les nobles étrangers que le roi avait imposés dans la cité et au château depuis 1560. Ces doléances n'étaient plus de saison. Les guerres de 1569, qui firent d’Angers la principale base d’approvisionnement des troupes royales, eurent pour conséquence de renforcer le pouvoir du gouverneur. Puygaillard, qui participa 65

aux batailles de Jarnac et de Moncontour, put se présenter comme le champion de la lutte contre l’hérésie. La légitimité qu’il retirait de ses fonctions officielles fut donc amplifiée par celle qu’il puisa dans la victoire. Après Moncontour, le 3 octobre, il écrivit au corps de ville :«Messieurs, je n’ay pas eu le moïen de vous faire entendre plus tost comme la bataille s’est donnée lundy dernier, dont je m’asseure que [vous] en estes jà advertis. Bien vous peux-je dire que c’est la plus belle journée que gens de guerre sçauroient faire, car 1l en est demeuré environ de douze mil hommes sur le champ de ceulx des ennemys, et sans en avoir perdu cent des nostres; et le reste de leur armée blessé et mis en vauderotte, toute leur

artillerie et bagaige a esté prins. De qui vous ferez bien de vous mettre tous en dévotion et de remercier Dieu de l’heur qu’il luy a pleu nous donner »‘°. Face à un échevinage discrédité par la faillite de ses idéaux, Puygaillard incarnait une puissance nouvelle, à la fois proche et lointaine, qui n’était gênée par aucun contre-pouvoir capable de lui résister. C’est ainsi qu’il compléta sa lettre en ajoutant: «J’ai demandé à Monseigneur [Henri d'Anjou, le frère du roi] l’artillerie des

ennemys pour la mettre dans Angers, laquelle il m’a accordée, et ay charge de l’amener ». Sans pouvoir opposer la moindre résistance face à cette autorité brutale et arrogante, les échevins durent en accepter toutes les humiliations sans broncher : l’autonomie fiscale et militaire de leur ville avait

vécu.

CHAPITRE III

L’échec de la noblesse seconde (1564-1576)

1. La faillite de la concorde religieuse (1564-1567) La soumission d’Angers par Puygaillard fut done accomplie progressivement au long des années 1560. Au cours de cette période, toute l’attention du gouverneur se porta sur le problème des libertés urbaines : le paiement des «dons gratuits », le renforcement de la garnison du château et le contrôle de l’échevinage furent les axes prioritaires de son travail. Cependant, les tensions liées à la diffusion du protestantisme étaient toujours très vives. Il est vrai que les réformés avaient été pourchassés de mai à juillet 1562. Pendant ces quelques mois, les perquisitions, les arrestations et les confiscations

avaient été fréquentes ; mais par la suite, Puygaillard n’essaya pas de les frapper avec la même rigueur. S'il passa une solide alliance anti-calviniste avec les notables catholiques au cours de l’été 1562, il ne chercha pas à traduire ses discours par des actes. Les protestants furent laissés dans une tranquillité relative, surtout après février 1563. La mort de François de Guise permit en effet à Catherine de Médicis de 67

LES NOBLES, LA VILLE ET LE ROI

mener avec plus de liberté la politique de concorde dont elle rêvait depuis l’édit de Janvier. Puygaillard, qui avait pourtant été nommé en Anjou pour y combattre l’hérésie, fut obligé de s’adapter à ce changement de cap. En février 1564, la reine mère envoya dans la province des commissaires chargés de pourvoir à l’exécution de l’édit d’Amboise. Après avoir parcouru le pays, leurs conclusions furent assez claires : les protestants n’étaient pas assez nombreux pour prétendre à plusieurs lieux de culte. Ils proposèrent de les cantonner dans les faubourgs de Baugé et de leur interdire tout autre lieu. Ils soulignèrent notamment que la ville d’Angers disposait sans doute d’une forte minorité réformée, mais que ses effectifs n’étaient pas suffisants pour justifier la création d’un temple dans ses abords immédiats!. Cependant, en dépit des interdictions, les réformés continuèrent à organiser leurs prêches à Cantenay, un village tout proche. Puygaillard aurait pu les interdire par la force, mais il avait déjà beaucoup à faire avec la municipalité d’Angers. En outre, Charles IX et sa mère étaient sur le point d’entamer un grand tour de leur royaume afin de consolider les acquis de l’édit d’Amboise. Une répression de la minorité protestante angevine aurait semblé particulièrement déplacée dans un tel contexte. C’est pourquoi 1l fut décidé d’adjoindre à Puygaillard d’autres nobles, non plus des capitaines intransigeants comme lui, mais des individus capables d’écouter tout le monde, de rapprocher les points de vue pour consolider une paix encore précaire. En 1564, François Le Roy fut ainsi nommé lieutenant général d’Anjou, Touraine et Maine en l’absence de Montpensier, et gouverneur de la ville du Mans. Il était issu d’une bonne famille tourangelle dont les membres avaient servi les rois de France depuis le xve siècle. Son arrière-grandpère, Guillaume III Le Roy, avait été capitaine de la forteresse de Montihéry dès 1436. Son grand-oncle Guyon avait été chevalier de l’écurie de Louis XI en 1481, puis vice-amiral pour Charles VIT en 1485. Il avait participé à la conquête de Gênes avec Louis XII, puis avait été promu général de ses 68

L'ÉCHEC DE LA NOBLESSE SECONDE armées navales en 1513, avant de devenir vice-amiral du roi

en Normandie à l’époque de François Ier (1524). Le grandpère de François, René Le Roy de Chavigny, avait bénéficié de la faveur dont jouissait Guyon; conseiller et chambellan de Louis XI, il avait obtenu ensuite la garde de Loudun en 1485. Son fils Louis avait continué dans la charge de conseiller et chambellan, avant de devenir capitaine des gardes du corps du roi en 15172. François était donc l’héritier d’une longue lignée de serviteurs de la couronne. Sa famille était familière de la cour depuis un siècle au moins, et cette fidélité ancienne était appréciée. Contrairement à Puygaillard, il n’appartenait pas à un lointain lignage méridional : François Le Roy de Chavigny était à même de comprendre et d’appliquer toutes les subtilités de la politique royale sans se contredire. Il apparaissait comme un homme de confiance. En outre, 1l était bien introduit dans la province. Son arrière-grand-père avait été chambellan de Charles d’Anjou, le comte de Mortain, au début du xve siècle. Seigneur de Chavigny, du Chillou et de Basses, il avait également obtenu la garde des terres de Parthenay, Secondigny, Vouvant et Mervent. Son assise foncière dépassait donc largement la Touraine, et lui permettait d’avoir une certaine audience en Anjou, dans le Maine, en Poitou et en Vendée. À la génération suivante, son grand-père René avait épousé Madeleine Gouffier,

la fille de Guillaume,

premier chambellan

de

Charles VII. Ce beau mariage avait bien sûr renforcé sa position à la cour, mais de telles relations lui permirent aussi

d'accroître son crédit dans la noblesse locale et dans la bourgeoisie urbaine. François de Chavigny était à même de faire fructifier tout un capital politique et social que ses ascendants avaient accumulé depuis quatre générations au moins. Sa nomination comme lieutenant général dans les pays de la Loire en était l’aboutissement logique, puisqu'il devait y jouer un rôle de notable que Puygaillard était incapable d’assumer. Il proposait une image rassurante, apaisante, qui faisait de lui l’antithèse du gouverneur d’ Anjou. Il apparaissait comme un homme d'influence. 69

LES NOBLES, LA VILLE ET LE ROI Quelques mois plus tard, Catherine de Médicis décida de

renforcer le personnel nobiliaire qui pouvait contribuer à la mise en œuvre de l’édit d’ Amboise. Jean Louvet nota en effet que le 16 juillet, le maréchal de Vieilleville «arriva à Angers avec deulx conseillers du Parlement de Bordeaux, commis-

saires pour faire entretenir et exécuter l’édict de paciffication »?. Vieilleville était alors au faîte de sa carrière. Originaire de |’ Anjou, comte de Durtal, il appartenait à une famille bien connue dans la province, mais il y avait lui-même passé fort peu de temps4. À l’automne 1563, il avait été envoyé en Languedoc pour pacifier le pays”, et deux ans plus tard, 1l fut dépêché en Touraine pour le même objet. Vieilleville avait donc une longue expérience des problèmes que posait l’application de l’édit d’ Amboise lorsqu'il arriva à Angers après son passage à Tours. Il prépara la venue de Charles IX et de sa mère, qui parvinrent en Anjou au mois d’octobre 15657. Pour organiser le passage de la cour en Anjou, Puygaillard et Chavigny furent chargés d’inventorier les points de friction confessionnels et de régler ce qui pouvait l’être afin que la venue du roi fût une réussite, la traduction concrète d’un désir de paix partagé par tous. Dans cette perspective, Charles IX et sa mère ne devaient pas résoudre eux-mêmes les conflits locaux, car les hommes du roi devaient leur trouver une solution avant leur arrivée, afin que le séjour de la cour fût une apothéose, et non le prétexte à des négociations épineuses. François Le Roy de Chavigny joua dans ce domaine un rôle capital. Il écrivit notamment aux échevins d’ Angers pour solliciter de leur part une étroite collaboration afin d’achever tous les préparatifs. Le 24 août 1565, il leur dépêcha un courrier d’une extrême amabilité, qui tranchait avec le ton cassant qu’adoptait communément Puygaillard à leur encontre: «Messieurs, Je vous envoye ce porteur exprès pour sçavoir de voz nouvelles et comme toutes choses se passent en vostre ville, m’ayant Monsieur le mareschal de Vieilleville escript qu’il vous avoit laissez en bonne tranquillité, et que les principaulx de vostre ville luy ont tous promis de faire leur debvoir de contenir tout en paix suyvant les édictz du roy; ce que 70

L'ÉCHEC DE LA NOBLESSE SECONDE

je désire estre observé et entretenu parmy vous, et vous prye d’y tenir la main». En fait, Chavigny était particulièrement préoccupé par une émeute qui venait d’avoir lieu à Châteaudu-Loir, le dimanche précédent : quatre ou cinq personnes avaient été tuées au cours d’un prêche, dont le ministre luimême. Soupçonnant qu’ils aient pu trouver refuge à Angers, il demanda aux échevins «de les faire apréhander et [s’] en

enquérir pour cest effect, afin que l’on en puisse faire telle justice que le cas le requiert; et que chacun tienne la main à ce que les choses demeurent en paix et repos en [la] ville, de sorte que personne n’ayt occasion de se plaindre et que leurs Majestez en ayent contentement »ÿ. La cour passa par Fontevrault (le 2 octobre), Brézé (le 3), Doué, Martigné-Briand (le 4), Brissac et Gonnord (les 5, 6 et 7), Chemillé et Jallais (le 8), puis Beaupréau (le 9), avant

d’aller en Bretagne. Elle revint en Anjou un mois plus tard, et passa par Candé (le 4 novembre), avant de parvenir à Angers le lendemain. Cette entrée fut une vraie réussite : les habitants se présentèrent en corps devant le roi et témoignèrent de leur allégeance. Jean Louvet nota aussi le rôle qui fut tenu par un jeune enfant, «âgé de deulx ans, fort beau, lequel représentoit la justice, tenant une espée en une main et des ballances en l’aultre, accompagné de quatre jeunes enfants qui jouoient des instruments ». Porte Chapellière, un tableau avait été peint représentant Hercule tuant Cerbère enchaîné, où l’on pouvait lire ces vers: « Je, Cerbère, tiré des enfers odieux,

«Sacrifice on m'a fait et colonnes levées ; «Mais voïant ta vertu conduitte par les dieux, «Je cèdde à tes haultz faitz mes armes et trophées »°.

Bien avant le règne d’Henri IV, la figure néo-stoïcienne d’Hercule fut donc récupérée par la propagande royale afin d’exalter le rôle modérateur du souverain, capable de domi-

ner ses passions et de faire régner l’harmonie dans le monde en détruisant la source du Mal!°. La figure légendaire du héros, appliquée à Charles IX, permettait de donner l'illusion d’une Fl

LES NOBLES, LA VILLE ET LE ROI

harmonie retrouvée. La cour ne séjourna à Angers que deux jours, un délai assez bref étant donné l’importance de la ville.

Les agents du roi y avaient fait du bon travail, et le chancelier de L’Hospital n’eut pas à y régler de conflits majeurs. C’est ainsi que la caravane s’ébranla de nouveau le 7 novembre, pour passer par Le Verger (le 8), Lézigné (le 9), Durtal (jusqu’au 12), Jarzé, Baugé, Mouliherne (le 13) et enfin Bourgueil (du 14 au 19). De là, elle se dirigea vers la Touraine. L’Anjou semblait calme. L’équilibre qui avait été instauré depuis deux ans entre Puygaillard et quelques nobles angevins dotés de solides responsabilités locales portait apparemment ses fruits. En fait, les tensions confessionnelles étaient toujours palpables. À la fin du mois de mars

1566, la statue de saint

François qui se trouvait à la porte des Cordeliers fut détruite par un iconoclaste isolé. En mars 1567, les protestants d’Angers passèrent outre l’interdiction de célébrer le prêche aux abords de la ville, et firent aménager une grange à Châtillon, près de Cantenay, pour s’y réunir!!. L’apaisement atteignit donc rapidement ses limites. Elles devinrent évidentes lorsque l’évêque d’Angers, Gabriel Bouvery!?, créa une ligue en 1567 avec l’aide de Puygaillard. Dérouté par les méandres de la politique royale, le gouverneur d’Anjou ne tolérait pas l’hérésie dans la ville puisqu'il avait été précisément nommé à ce poste pour enrayer sa progression. Fidèle à la ligne qui prévalait en 15672, il prépara avec Bouvery un serment qu’il proposa de faire signer aux nobles angevins. L'alliance était conclue pour «la continuation et manutention de l’honneur de Dieu notre créateur, de ses saints com-

mandements et ordonnances de la sainte Église catholique, apostolique et romaine ». La principale motivation des ligueurs de 1567 était la sauvegarde de leur religion, dans laquelle ils promettaient de vivre et mourir. Ils juraient de se «secourir les uns et les autres aux effets susdits, par tous moyens contre tous rebelles hérétiques, sectaires tendant à fins, [...] le tout jusqu’à mort inclusivement ». La ligue était un groupement d’autodéfense confessionnelle, qui envisageait le protestantisme 72

L'ÉCHEC DE LA NOBLESSE SECONDE

comme l’ennemi de la vraie foi, un danger permanent qui pouvait contaminer la véritable dévotion chrétienne. Il fallait donc le combattre en engageant une croisade rassemblant tous les bons catholiques autour du souverain. Car l’autorité du prince n’était pas oubliée. Après avoir proclamé leur souci de «la manutention du roi très chrétien et très catholique [leur]

souverain prince », les ligueurs superposaient le respect de l'Église, l'attachement au prince et la lutte contre la déviance religieuse :«...auxquelles Majestés et leur justice nous promettons et jJurons toute obéissance, secours et aide, et de nos

personnes et biens empêcher et courir sus avec leur autorité contre tous perturbateurs, innovateurs et contrevenants à ladite religion et état desdites Majestés et à leurs saints et catholiques édits, et ordonnances divines »13, Assez modéré dans ses intentions et dans son énoncé, ce

texte recueillit l’assentiment de cinquante-neuf nobles, comme les Daillon, les du Bellay, les La Tour-Landry, les Charnacé ou les Saint-Offange!{. En apposant leur nom au bas du manuscrit, ces familles angevines faisaient davantage que témoigner leur hostilité à l’égard du protestantisme: elles exprimaient une certaine lassitude envers la politique royale. Quant à Puygaillard, il se révélait incapable de s’adapter à la ligne définie par Catherine de Médicis et Michel de L’Hospital. Il adoptait une démarche plus personnelle qu’autrefois, démontrant qu’il n’avait pas aussi bien réussi dans le domaine religieux que dans le champ politique. Son caractère cynique était sans doute bien adapté pour juguler les franchises urbaines, mais sur le terrain confessionnel, il manquait des

qualités requises pour engager un dialogue fécond entre les catholiques et la minorité protestante. Son adhésion à cette ligue manifestait son manque de repères politiques face aux problèmes religieux. C’est la raison pour laquelle il fut remplacé comme gouverneur d'Angers et du pays d’Anjou par Vassé en octobre 156715. La nomination de François Le Roy de Chavigny, en 1564, puis l’envoi du maréchal de Vieilleville en Anjou, en

juillet 1565, avaient montré au cours des années précédentes 15

LES NOBLES, LA VILLE ET LE ROI

que le gouvernement entendait nommer désormais des nobles mieux introduits dans la notabilité provinciale que Puygaillard, capables de jouer un rôle de conciliateurs et d’équilibrer son poids militaire et politique. À l’automne 1567, cette idée trouva son terme logique avec sa mise à l’écart pure et simple. Au château, Puygaillard fut remplacé par Timoléon de Cossé. Fils aîné du maréchal de Brissac, qui était mort en 1564, il avait un nom fort apprécié dans le pays, car son père avait accompli un brillant parcours à la cour tout en exerçant une autorité très lointaine comme gouverneur d’Anjou!6. À gé de 24 ans, Timoléon venait à peine d’être nommé premier

panetier du roi et grand fauconnier de France. Très populaire dans la ville, sa présence dans le château était de nature à ras-

surer les Angevins, qui examinaient toujours d’un œ1l soupçonneux le chef de la garnison. En outre, comme il était apprécié de Charles IX et de sa mère, les notables pouvaient éventuellement compter sur lui pour intercéder en leur faveur!?. Cependant, comme il était encore jeune, on ne lui confia pas le gouvernement effectif de la province. Cette charge revint à un autre gentilhomme, Antoine Grongnet, seigneur de Vassé. Vassé ressemblait un peu aux nobles seconds que la couronne utilisait depuis longtemps en Champagne ou en Picardie: une personnalité appréciée dans sa région, dont le patronyme pouvait mettre les uns et les autres en confiance afin de faciliter l’application des décisions royales. Son nom jouissait en effet d’un réel prestige, non pas en Anjou, mais dans le Maine tout proche. Le lignage des Grongnet remontait au moins au xie siècle, et son père, le baron de La Roche-Mabille, avait

épousé en 1491 une fille de la meilleure noblesse, Jacqueline d’Aligny, fille de Jean, seigneur de Chauffour, et de Marguerite d’Avaugour. Né autour de 1500, Antoine Grongnet n’était pourtant pas resté dans sa province natale. Comme bien d’autres nobles de ce pays, 1l avait passé toute la première moitié du siècle en Italie ou dans le Nord-Est. Après avoir combattu pour le compte de François I", il était devenu en 1548 lieutenant général en Piémont pour Henri IL, puis gouverneur de Pignerol et du marquisat de Saluces. Vassé y avait 74

L'ÉCHEC DE LA NOBLESSE SECONDE

passé une dizaine d’années, au terme desquelles il était revenu en France, après la paix du Cateau-Cambrésis. Il avait alors lié son destin au clan lorrain, qui lui avait permis de devenir gentilhomme ordinaire de la chambre du roi, chevalier de l’ordre et membre du Conseil d’État. En 1557, le duc François lui avait donné la garde de son château et de la ville de Guise, faisant de lui l’un de ses principaux clients!8. Le règne de François II fut pour lui une période particulièrement faste, car il réussit à se faire apprécier du jeune roi, qui le nomma lieutenant des troupes de Montpensier en Anjou. Vassé revint par ce biais dans une province qu’il avait quittée depuis longtemps. Il est vrai qu’en 1519, il avait épousé Marguerite de Hatry, dame d’Aligny près de Laval. Mais depuis lors, sa carrière s’était déroulée loin de là!°. En 1567,

Vassé pouvait cependant faire valoir de nombreux atouts. D'abord une certaine expérience de la fonction de gouverneur, qu’il avait exercée en Italie vingt ans plus tôt. Ensuite un catholicisme indéfectible, qui ne pouvait le faire soupçonner d’aucune faiblesse à l’égard des protestants — à tel point que son nom apparaissait parmi les adhérents de la Ligue de 1567. Il pouvait donc contrôler les ligueurs en prenant leur tête, mais plus largement, 1l avait les moyens de se faire obéir de toute la noblesse du pays, puisqu'il la connaissait mieux que Puygaillard. Et pourtant, Vassé fut dépassé par les événements dès son arrivée. Il avait été nommé pour que l’autorité royale fût exercée en douceur par un notable, mais il ne sut pas faire preuve de pragmatisme dans le domaine religieux. Il fut tout de suite obsédé par l’idée que les protestants pussent rééditer le coup de force d’avril 1562, et pour cette raison, 1l proposa au conseil municipal de les expulser de la ville??. Vassé en attendait l’adhésion des bourgeois à sa politique et à sa personne, mais 1l avait en fait touché une corde très sensible. Comme en 1560 et en 1562, les échevins virent dans cette vexation qui touchait les réformés une brêche supplémentaire dans les libertés urbaines. La lutte contre l’hérésie pouvait en effet devenir l’occasion d’une destruction des derniers vestiges de la charte DE)

LES NOBLES, LA VILLE ET LE ROI

de 1475, ce qui les poussa à rejeter son projet. Ils proposèrent plutôt de leur faire prêter un serment de fidélité, de les désarmer et de les empêcher de sortir de leurs maisons entre six heures du soir et sept heures du matin. La défense des privilèges urbains s’en trouva relancée?|. En effet, à la même époque, il entra en conflit avec Jean Bonvoisin, le juge de la prévôté. Les deux hommes ne s’appréciaient guère, puisque dès le mois de décembre 1567, Vassé avait tiré de prison un nommé Baudriller, qui avait été incarcéré par le juge. Les soldats du gouverneur et les sergents de la prévôté en étaient venus aux mains à la porte Chapellière, et les échauffourées avaient fait plusieurs blessés. Le 24 janvier 1568, Bonvoisin présenta devant le corps de ville des

lettres patentes signées par Charles IX, lui donnant l’autorisation de conduire sous ses ordres trois cents soldats pour maintenir l’ordre dans la ville. Non seulement ce projet risquait d’empiéter sur les attributions du gouverneur, mais 1l déplaisait aux échevins, qui soupçonnaient Bonvoisin de sympathies pour la Réforme. Trois jours plus tard, au cours d’une séance qui se tint à l’hôtel de ville, Bonvoisin

fut donc

contraint d'abandonner ce projet. L'affaire aurait pu en rester là, mais Vassé utilisa ce prétexte pour abattre son adversaire. Quelques semaines plus tard en effet, la ville de Blois tomba aux mains de Condé, ce qui provoqua l’afflux de nombreux catholiques tourangeaux à Angers ; la panique déclenchée par ces événements fut mise à profit par le gouverneur, qui emprisonna, le 19 février, Bonvoisin et son collègue François Grimaudet, l’avocat du roi, en les accusant de conspi-

rer contre la sécurité de la ville. Mais une fois encore, il avait pris une décision qui allait à l’encontre des vœux de l’échevinage, car l’arrestation de Bonvoisin apparaissait comme un nouvel abus de pouvoir. Il ne put les maintenir en prison bien longtemps, et le 23 février, 1ls furent, selon Jean Louvet, «mis hors et eslargis à la supplication des habitants, qui furent, à ce faire, pratiquez par M. François Le Fèbvre, sieur de L’Aubrière, avocat, qui estoit leur beau-frère, homme pertinent et bien avisé, et estoit consultant »22.

76

L'ÉCHEC DE LA NOBLESSE SECONDE

2. La dispersion de l’autorité (1568-1572) L’échec de Vassé était patent. Non seulement il n’arrivait pas à contrôler l’échevinage aussi efficacement que son prédécesseur, maïs il finissait par se ridiculiser dans des conflits stériles et sans issue avec les notables. En outre, il était sou-

tenu très mollement par la couronne, car Catherine de Médicis ne voulait pas s’aliéner les échevins en défendant trop vigoureusement un gouverneur peu considéré. Le 8 avril 1568, elle leur envoya par exemple une lettre qui les informait qu’elle avait «escript au sieur de Vassé qu’il ait à casser toutes les forces qui ont esté levées et qui s’entretenoient à vos despens, ne voullans que vous qui, comme bons et fidelles subgectz, l’avez volontairement secouru de voz bons moïens en la nécessité, soyez chargez de despence maintenant que l’occasion est passée »#. Elle le désavouait implicitement, tout en flat-

tant les échevins, qu’elle félicitait pour leur loyauté envers le souverain: «{...] quant à moy, je vous diray que le roy mondict fi1z est très contant et satisfaict du debvoir que vous avez faict;et ne sçauriez mieulx faire, pour luy augmenter la bonne oppinion qu'il a de vous, que de continuer en l’obéissance et fidellité telle que vous avez vescu jusques à présent, tenant main à l’observacion de ses edictz et ordonnances ». Comme Vassé était assez âgé et que sa santé déclinait, son départ prématuré fut sérieusement envisagé début 1568. Par qui pouvait-il être remplacé ? L’idée d’utiliser un noble du pays pour donner plus de poids à l’autorité royale parmi les gentilshommes angevins était bonne, d’autant que la guerre qui s’annonçait en Poitou allait nécessiter le concours de la noblesse du Val de Loire. Mais en même temps, le gouvernement royal avait besoin d’un homme à poigne à Angers pour tenir en main l’échevinage. C’est pourquoi les fonctions que remplissait Vassé furent réparties entre plusieurs nobles, d’origines et de tempéraments différents. Le 10 février 1568, alors que l’éviction du gouverneur avait été décidée, Catherine de Médicis annonça au duc d’Anjou que le souverain voulait envoyer «[son] cousin le 77

LES NOBLES, LA VILLE ET LE ROI

mareschal de Cossé en Poictou et en Anjou pour le service qu’il en espère tirer, estant aymé et congneu au pays ; et pourtant il sera bon qu’il vienne le plus tost qu’il luy sera possible, affin que le service du roy [...] n’en soit aucunement

retardé »24. Afin de renouer les fils d’un dialogue que Vassé n’avait pas su engager, la reine mère avait donc recours à un autre gentilhomme angevin, capable de restituer à l’autorité royale un semblant de crédibilité. Artus de Cossé-Gonnord,

comte de Secondigny, était né en 1512. Frère cadet du maréchal de Brissac, qui avait été longtemps gouverneur d’Anjou, il était en train d’accomplir un parcours très polyvalent. Après avoir été gouverneur de Metz pendant le siège de 1552, il avait été nommé surintendant des finances le 10 février 1554. Il en avait tiré de nombreux profits, pécuniers et honorifiques: chevalier de l’ordre du roi dès 1555, 1l était devenu grand panetier en 1565. Cependant, les débuts des guerres de Religion et la mort de son frère aîné, en 1564, relancèrent sa carrière militaire. Promu maréchal de France le 4 avril 1567, il participa à la bataille de Saint-Denis et fut chargé quelque temps du gouvernement des pays d'Anjou, Touraine et Orléanais à la place de Montpensier*. Il était assez logique de l’envoyer en Anjou au moment où l’autorité monarchique traversait une crise due à la reprise des guerres civiles et aux maladresses de Vassé. Mais il n’y resta pas longtemps : dès l’été 1568, 1l fut envoyé en Picardie, pour y pacifier la province et prévenir une éventuelle invasion anglaise?6. C’est au cours de cet été que le maréchal de Vieilleville fut envoyé dans l’Ouest. Le terme de son voyage était La Rochelle, mais sa mission ne consistait pas seulement à dia-

loguer avec les huguenots dans leur bastion. Il s'agissait également de démontrer qu’en dépit des hostilités, l’envoyé du roi de France était un homme de paix, capable de résoudre les problèmes des régions qu’il traversait. En passant par l’Anjou, Vieilleville était donc en quête d’une véritable légitimité politique. Le 19 juillet, il parvint ainsi à Angers muni d’une lettre dans laquelle Charles IX demandait aux échevins de faire confiance à son «très cher et amé cousin le sieur de T8

L'ÉCHEC DE LA NOBLESSE SECONDE

Vieilleville, mareschal de France, [chargé] de vous assem-

bler, passant par nostre ville d’ Angers, et vous faire entendre nostre intention ;auquel, à ceste cause, nous voullons et vous

mandons que vous adjoustiez foy comme si c’estoit nousmesmes »?7, Vielleville était déjà venu trois ans plus tôt, afin de préparer le séjour de la cour en Anjou. II était au fait des tensions locales, mais surtout, il connaissait bien Vassé, avec

lequel il avait combattu les Habsbourg dans la première moitié du siècle. Comme ce dernier refusait obstinément de quitter son poste de gouverneur d’Angers, Vieilleville devait le convaincre de céder la place. L'affaire fut rondement menée, car 1l arriva le 19 juillet, et Vassé fit ses bagages le 23...28 Comme Gonnord, Vieilleville ne fit que passer dans la région, car depuis quelques mois, un autre gentilhomme y avait été nommé afin de préserver une certaine continuité et de réunir le consentement des nobles. Le gouvernement d’Anjou fut en effet confié en février 1568 à Artus de Maillé. Ce choix était très judicieux, car les Maillé étaient aussi renom-

més dans la région que les Cossé-Brissac, les Vieilleville ou les Grongnet. L’arrière-grand-père d’Artus, Gilles, avait obtenu bien des faveurs de la part du roi René, qui l’avait fait chevalier de son ordre du Croissant en 1448. Le fils de Gilles,

Hardouin, avait ensuite abandonné la Touraine pour fixer sa famille en Anjou, dans la seigneurie de Brézé. Mais le destin des Maillé s’était joué à la troisième génération :Guy avait su se faire apprécier à la cour de France, à tel point que la reine avait tenu à être présente pendant la signature de son contrat de mariage avec Anne de Louan, en 1510. Depuis lors, il avait été fait chevalier de l’ordre de Saint-Michel et gouverneur d’Anjou en 1552-1553. Contrairement à la plupart de ses parents et voisins, Guy de Maillé avait donc effectué une partie de sa carrière dans la région. Son fils Artus apparaissait comme un fin connaisseur de la noblesse du pays, mais il avait d’autres qualités. En 1548, il était allé en Écosse pour y chercher Marie Stuart et la ramener en France, puis il était passé en Guyenne, où Montmorency lui avait confié une armée pour y réprimer 79

LES NOBLES, LA VILLE ET LE ROI

les révoltes de 1548. En 1557, il était devenu capitaine des cent archers de la garde du corps du roi, et c’est en cette qualité qu’il avait reçu l’ordre d’arrêter le prince de Condé, le 31 octobre 1560%. En septembre de la même année, la reine mère lui demanda de veiller sur le duc d'Alençon à Paris, pendant le séjour de la famille royale à Orléans*!. Artus de Maillé avait ainsi accompli les missions les plus diverses quand il fut nommé gouverneur d’Anjou, au printemps 1568. En outre, il avait épousé Claude de Gravy, la fille unique et l’héritière d’ Ambroise, seigneur des Couteaux, et de Renée

du Bellay : un riche mariage, qui lui donnait suffisamment de moyens pour répondre aux besoins du roi, et qui l’introduisait dans la parenté du cardinal du Bellay*. Il avait non seulement démontré sa fidélité et son efficacité, mais il disposait de relations assez étendues pour obtenir une obéissance 1rréprochable de la noblesse angevine. Dès le 6 février 1568, Catherine de Médicis écrivit au duc d'Anjou: «Nous avons advisé de commectre la charge tant de ladicte ville et chasteau que dudict pays d’Anjou au sieur de Brezey, luy ayant envoyé le pouvoir nécessaire pour y commander et assembler à cest effect la noblesse dudict pays auprès de luy, ensemble toutes les forces de cedict pays, et [je] pense que, estant ledict sieur de Brezey dans cedict pays, 1l le maintiendra en toute seureté pour estre bien saige et advisé et bien expérimenté en telles choses »33. Toutefois, si on lui confia le gouvernement de la province,

il n’eut pas la responsabilité d’ Angers, car depuis vingt ans, il n’avait pas fait la guerre. L’échec de Vassé avait en effet prouvé qu’il fallait dans la ville un noble étranger au pays, doté d’une solide garnison logée au château pour intimider les notables et leur imposer sa volonté. Il fallait aussi quelqu’un qui ait une bonne expérience des problèmes urbains, afin de ne pas reproduire les erreurs du passé. C’est pourquoi dès le 29 mars

1568, un mois après l’affaire Bonvoisin,

Puygaillard fit son entrée dans la ville pour la gouverner de nouveau... D’après Jean Louvet, Vassé partit «au grand regret des habitants, au lieu duquel M. de Puygaillard demeura pour 80

L'ÉCHEC DE LA NOBLESSE SECONDE

empescher qu’il ne se fist des céditions et ports d’armes »34. En dépit de ses maladresses, Vassé était finalement plus proche des Angevins que Puygaillard, dont les notables ne connaissaient que trop bien les méthodes expéditives35. Son retour n’avait pourtant rien de surprenant. Les guerres civiles avaient repris comme en 1562, et son catholicisme intransi-

geant était conforme aux dernières inflexions de la politique royale. En outre, il maîtrisait tous les moyens susceptibles de faire plier les notables aux volontés du souverain — une qualité d’autant plus précieuse qu’il fallait préparer la ville à devenir un entrepôt d’armes, de munitions et de vivres pour mener la guerre dans le Poitou*f. La nomination de Puygaillard exprimait un retour à la ligne dure des années 1560-1563. Vassé s’était révélé incapable de l’appliquer, parce qu’il était un notable du pays qui ne pouvait facilement heurter de front les notables angevins. Son successeur à Angers fut chargé de les museler dans les plus brefs délais, pour briser rapidement le protestantisme angevin et pour empêcher les troupes de Condé d’accéder facilement à La Rochelle en franchissant la Loire. Dès le mois de juillet 1568, Puygaillard réclama un serment de fidélité à la communauté calviniste d’Angers*?. Instruit par l’expérience malheureuse de Vassé, 1l était conscient que les échevins n’accepteraient pas d’aller plus loin dans la coercition, mais il voulait aussi prévenir toute tentative de sub-

version dans sa ville. Six huguenots se présentèrent à l’hôtel de ville et déclarèrent, au nom de leurs coreligionnaires, qu’ils resteraient en paix avec les catholiques. En échange, il s’engagea à protéger leurs biens et leurs personnes — une promesse qui ne lui coûtait pas grand chose car le plus grand danger était ailleurs. En effet, après la rupture de la paix de Longjumeau, les troupes de Condé cherchèrent à franchir la Loire pour aller vers le Sud. Puygaillard passa l’automne à guerroyer contre elles le long du fleuve pour appuyer les armées de Montpensier et de Martigues, le gouverneur de Bretagne. Les résultats de ces combats furent mitigés : D’Andelot, La Noue et Montgomery furent tenus en échec 81

LES NOBLES, LA VILLE ET LE ROI

sur la levée de la Loire, mais ils réussirent finalement à passer au niveau du guet des Rosiers. Une fois sur la rive gauche, ils ne furent plus inquiétés par les catholiques, qui renonçèrent à les poursuivre. À la même époque, Puygaillard en profita pour détruire les derniers vestiges de l’autonomie urbaine afin d’avoir les mains libres dans le combat qu’il était chargé de gagner contre les huguenots sur les rives de la Loire. Il réclama de grosses sommes d’argent aux échevins et les empêcha de faire survivre leurs traditions militaires locales*?. Sûr de son autorité dans la ville, il put alors utiliser sa garnison hors les murs, pour obtenir la reddition des soldats protestants qui résistaient encore çà et là. François Le Roy de Chavigny, qui avait été dépêché à Château-Gontier parce que les habitants refusaient de concourir aux frais de la guerre, fut par exemple obligé de faire appel à lui pour les contraindre à ouvrir les portes de leur ville. Puygaillard «y alla en personne, selon Jean Louvet, avec des trouppes auxquelles [les habitants] fermèrent les portes: ce que voïant, ledict sieur les fist rompre à coups de hache et y entra, et mist des compaignées dans la ville dudict Chasteaugontier, oultre le nombre qui y estoit». En janvier 1569, le gouverneur avait retiré tous ses soldats d’ Angers,

pour les conduire plus ou moins loin de la ville et du château. Au mois de mars, il assiégea notamment les places de Montaigu et de Tiffauges, d’où quelques dizaines de calvinistes faisaient des courses jusqu’à Chemillé et Chalonnes. Ils se rendirent à composition deux semaines plus tard, mais ces opérations trafnaient en longueur et commençaient à coûter cher. Comme l’argent du roi tardait à arriver, Puygaillard compléta les sommes qu’il recevait des échevins en ordonnant de lever une taxe spécifique sur les protestants angevins#. Pendant cette période, 1l rassembla ainsi suffisamment de moyens dans la

région pour apporter aux troupes royales une aide qui dépassait largement ses fonctions de gouverneur d’ Angers. Le 28 juin 1570, Catherine de Médicis l’assura notamment que Charles IX avait «dépesché incontinent deulx compagnyes de gens d’armes |... pour qu’] elles aillent trouver le comte 82

L'ÉCHEC DE LA NOBLESSE SECONDE

du Lude qu’il [avait] requis par delà; de sorte que j’espère que vous serez bien tost secouru et que vous aurez moyen de combattre nos ennemys ou les faire retirer. Cependant je vous prie regarder à conserver les places et donner ordre qu’ilz ne puissent faire récolte, ce que je m’asseure que vous sçaurez très bien faire »4|. Plus que jamais, les guerres avaient donc rendu à Puygaillard toute son importance. Plus que jamais, il apparaissait comme le principal détenteur de l’autorité royale en Anjou. Son talent était particulièrement adapté à cette ligne intransigeante : comme en 1562, il incarnait un pouvoir sans concession, dont l’ordre public était l’axe prioritaire. Sans manifester le moindre souci d’obtenir la participation des élites locales, si ce n’est sur le plan financier, il avait réussi en deux ans à restaurer le potentiel militaire du roi. Mais en dépit de ses succès personnels, il manquait toujours de crédit auprès de la noblesse angevine. Jean Louvet raconte qu’en avril 1568, «la noblesse fust convoquée à Angers par la dilligence de M. de Puygaillard, en vertu de lettres du roy, pour sçavoir quel party ils voulloient tenir, du costé du roy ou des huguenots ». Cette démarche auprès des gentilshommes du pays était logique, dans la mesure où les combats qui s’annonçaient le long de la Loire nécessitaient la coopération d’une partie des nobles, à la fois pour encadrer les soldats du roi et les guider dans un pays qu’ils connaissaient mal. Toute la bonne noblesse catholique fit le déplacement, comme les du Bellay, les Montsoreau, les Plessis de Chivré et les PlessisBaudouin. Pourtant «il ne fust rien terminé ni conclud, à rai-

son de la malladye dudict sieur de Puygaillard, joinct que la noblesse d’Anjou ne lui voulloit obéir, parce qu’il n’estoit du païs et qu’il estoit de bas lieu comme le bruit en estoit »*?. Il est vrai que le témoignage de Louvet est parfois sujet à caution, car le greffier du présidial était à la fois farouchement catholique et très attaché aux libertés urbaines. Face au gouverneur, il ressentait un double sentiment, mêlé de crainte et

de haine. Pourtant, dans ce cas précis, sa remarque semble tout à fait pertinente, car Puygaillard restait, malgré tout, un 83

LES NOBLES, LA VILLE ET LE ROI

petit gentilhomme méridional que les grandes familles angevines regardaient de haut. En 1563, il avait épousé Marie de

Maillé, dame de Jarzé, pour se faire accepter par cette bonne noblesse régionale qui le rejetaitt. Cependant, en dépit de cette alliance prestigieuse avec l’une des premières familles d’Anjou, il était resté aux portes d’un monde impénétrable. L’'obéissance de la noblesse angevine aurait dû être obtenue par l’intermédiaire d’Artus de Maillé, le gouverneur de la province, mais celui-ci joua un rôle très effacé au cours des guerres de 1569-1570, à tel point qu’il en abandonna l’initiative complète à Puygaillard. Dépourvu de tout prestige militaire, il se laissa supplanter par le gouverneur d’Angers, qui retrouva ses fonctions de gouverneur d’ Anjou avant l’été 1572. Cette promotion était logique, car l’état de guerre dans lequel se trouvait la province avait favorisé le militaire au détriment du négociateur. Néanmoins, elle hypothéquait lourdement le règlement de la paix, car le manque d’audience de Puygaillard parmi les gentilshommes du pays était un très sérieux handicap pour la stabilité future de l’autorité royale. Comme en 1564, il fallait donc préparer l’après-guerre en utilisant des nobles angevins qui fussent à même de calmer les esprits de chacun. À la fin de sa vie, le maréchal de Vieilleville apparaissait encore comme l’un des principaux relais du pouvoir central en Anjou, à l’instar des nobles seconds qui étaient placés à la même époque sur les frontières. La visite que lui rendit Charles IX à Durtal, en 1570, semblait annoncer que la couronne allait changer de stratégie, et que l’ère des militaires étrangers au pays allait se clore“. Mais Vieilleville mourut prématurément au cours du séjour royal, et sa disparition ne fut pas compensée. En mars 1571, Artus de Cossé-Gonnord revint alors en Anjou pour veiller à l’application du nouvel édit de pacification. D’après Jean Louvet, il était même explicitement chargé de «recepvoir les plainctes des catholiques et huguenots »#. Pourtant, sa mission tourna mal, à cause du conflit qui l’opposa très vite à l’un des trois commissaires de robe longue qui l’accompagnaient, Philippe Gourreau, sieur 84

L'ÉCHEC DE LA NOBLESSE SECONDE

de La Proutière#. Ce dernier accepta en effet que les protestants célèbrent leur culte à Miré, ce qui provoqua de vives remontrances de la part du clergé angevin, qui souhaitait cantonner les réformés à Baugé. Plutôt que de jouer pleinement le rôle pour lequel il avait été nommé, Gonnord préféra désavouer Gourreau, ce qui ruina définitivement son ascendant

sur les catholiques modérés et les protestants. Alors que Puygaillard incarnait toujours l’intransigeance confessionnelle, Gonnord fut incapable de fonder une auto-

rité nobiliaire crédible sur la coexistence religieuse. Il ne parvint pas à apaiser les tensions qui ne cessaient de renaître depuis une dizaine d’années entre la minorité protestante et les ultra-catholiques, à tel point que les libertés accordées par le roi aux réformés furent systématiquement rejetées par les notables. Le 8 avril 1572, le procureur du roi au siège présidial refusa d’enregistrer les lettres patentes de Charles IX qui autorisaient le prêche à Châtillon, dans la paroisse de Cantenay, près d’Angers*’. Cet échec de la concorde était très largement imputable à la noblesse seconde, qui n’avait pas su mettre en sourdine son attachement à l’Église romaine, faire contrepoids au gouverneur et proposer aux calvinistes des solutions viables. Les Cossé, les Grongnet et les Vierlleville étaient donc responsables des conflits qui persistaient dans la province et qui débouchèrent sur la Saint-Barthélemy angevine.

3. Une Saint-Barthélemy nobiliaire Depuis quelques années, les débats qui ont animé la communauté historique autour de la Saint-Barthélemy parisienne ont été très fructueux. Sans qu’il soit ici nécessaire d’entrer dans les détails de ces travaux“, il me semble indispensable de faire deux remarques avant d’étudier le rôle que joua la noblesse dans le déroulement des événements angevins. Rappelons tout d’abord que la plupart des violences furent commises par le peuple urbain: à Paris, la Saint-Barthélemy «politique » fut suivie d’un massacre populaire qui échappa 85

LES NOBLES, LA VILLE ET LE ROI

complètement au contrôle des élites. En 1990, Denis Crouzet a montré que cette violence mystique fut tout à fait spécifique“ et qu’elle tranchait nettement avec les révoltes antérieures, parce que les ultra-catholiques entendaient mener une croisade contre l’hérésie. Dès le matin du 24 août 1572, le

massacre des huguenots se transforma en une œuvre sotériologique, un moyen de répondre au désir de Dieu et de calmer son ire. En outre, les rites de cette violence furent accomplis comme une préfiguration des châtiments qui attendaient les protestants en Enfer. Les enfants qui allumèrent un feu sur le cadavre de Coligny après l’avoir jugé et mutilé ne cherchaient pas seulement à obéir à Dieu ici-bas, mais aussi à communier avec la sphère céleste dans une geste purificatrice. À Angers, si les violences populaires furent plus limitées, elles se déroulèrent dans le même état d’esprit qu’à Paris. Les émeutiers exprimèrent notamment leur désir de croisade en marquant leurs chapeaux d’une croix blanche dès le 30 août. Néanmoins, comme nous le verrons, la plupart des meurtres furent perpétrés par la noblesse. Cette particularité angevine appelle une deuxième remarque. La Saint-Barthélemy parisienne a été amplement étudiée jusqu’à présent, mais nous manquons de travaux récents sur les villes de provinces qui ont vécu ou ignoré un tel événement. L'ouvrage de Philip Benedict sur Rouen a ouvert des réflexions très neuves qui ont été approfondies et développées depuis peu par Michel Cassan à propos de Limoges*!. Ces recherches ont permis de mesurer la diversité de la «saison des Saint-Barthélemy », et de nouvelles

études locales, alimentées par les archives départementales et municipales, devraient être lancées en utilisant ou en corrigeant les problématiques qui ont sous-tendu les différentes analyses des événements parisiens. Pour ma part, j’ai beaucoup insisté ailleurs sur le rôle d’ Anne de Vaudrey, le bailli de Troyes*?. Ancien client de François de Guise, dont il avait été le lieutenant dans les années 1550, il était arrivé à Troyes en 1562. Au cours des années suivantes, il avait obtenu plu-

sieurs charges de cour et le collier de l’ordre de Saint-Michel, 86

L'ÉCHEC DE LA NOBLESSE SECONDE

car Catherine de Médicis cherchait alors à étoffer la noblesse seconde qui était la principale dépositaire de l’autorité royale sur les frontières. Néanmoins, le 4 septembre 1572, il décida,

en accord avec les échevins, de massacrer les protestants qu’il avait emprisonnés dès le 26 août. Il connaissait pourtant le mandement royal des 27-28 août interdisant tout nouveau bain de sang, mais il préféra agir selon la volonté d'Henri de Guise. Le porteur du texte de Charles IX était en effet un fidèle du duc, qui lui avait demandé de surseoir à sa publication jusqu’au 5 septembre et de tirer profit de ce délai pour tuer les huguenots qui étaient en son pouvoir. En emprisonnant les protestants le 26 août, c’est-à-dire dès qu’il avait appris ce qui se passait à Paris, Anne de Vaudrey avait agi comme le fidèle exécutant de la politique royale. Mais quelques jours plus tard, il se conduisit davantage comme l’homme d’un réseau nobiliaire qui avait mis ses fonctions officielles au service du clan auquel il appartenait toujours. À Angers, la Saint-Barthélemy fut également provoquée par celui qui incarnait l’autorité royale : Jean de Puygaillard. Depuis 1567, il n’avait pas caché son aversion pour la Réforme. Son adhésion à la ligue de Gabriel Bouvery, sa campagne d’éradication des garnisons protestantes du plat pays angevin, les taxes qu’il avait réclamées aux huguenots de la ville, sa participation à la guerre de 1569 dans le Poitou avaient amplement démontré qu’il voulait mener une répression sans faille contre la minorité religieuse. En août 1572, comme d’autres grands officiers royaux, il se trouvait à Paris pour participer aux noces du roi de Navarre et de Marguerite de Valois. C’est ainsi qu’il assista, le 24, au déclenchement du massacre parisien. Deux jours plus tard, il envoya la lettre suivante au comte de Montsoreau, le gouverneur de Saumur: «Monsieur mon compaignon, je n’ay voullu faillir vous faire entendre comme dimanche matin le roy a faict faire une bien grande exécution à l’encontre des huguenotz, si bien que l’admiral et tous les huguenotz qui estoient en ceste ville ont esté tués; et la volunté de Sa Majesté est que l’on en face de mesme partout 87

LES NOBLES, LA VILLE ET LE ROI

où l’on en trouvera. Et pour ce, si vous desirez faire jamais service qui soit agréable au roy et à Monsieur, il fault que vous en alliez à Saulmur avec le plus de voz amys, et tout ce que vous y trouverez desdicts huguenotz des principaulx les faire mourir. [...] Ayant faict cette exécution audict Saulmur,

je vous prye vous en aller à Angiers pour vous ayder avec le cappitaine du chasteau pour en faire de mesme. Et ne fault pas attendre d’en avoir autre commandement du roy ni de Monseigneur, car i1z ne vous en feront poinct, d’aultant qu’ils

s’en reposent à ce que je vous en escriptz. Il fault user en ceste affaire de diligence et ne perdre [de] temps que le moins que l’on pourra. Je suys bien mary que je ne puis estre par delà pour vous ayder à exécuter cela». Puygaillard, qui avait été d’une fidélité sans faille à l’égard de la personne royale depuis dix ans, n’avait aucune raison de mentir à Montsoreau, au

risque de perdre sa position à la cour et dans la province. Pour lui, les meurtres des chefs protestants s’inscrivaient dans la

parfaite continuité de ce qu’il avait accompli depuis qu’il avait retrouvé son poste, en 1568. Comme la décision de décapiter le parti protestant incombait selon lui à Charles IX et à son frère, Henri d’ Anjou, il lui apparaissait de son devoir d’y prêter main forte. Jean de Chambes, le comte de Montsoreau, appartenait à une famille angevine qui avait davantage servi le roi que le duc au cours du Xve siècle. Son arrière-grand-père, Jean II, avait accompli une partie de sa carrière comme jugechâtelain, d’abord à Aigues-Mortes, puis à La Rochelle et à Niort. Envoyé comme ambassadeur à Rome et auprès du sultan en 1454, il avait assemblé trois ans plus tard les États du Languedoc en compagnie de Tanguy du Chastel, un Breton fort apprécié du roi René. Pendant toutes ces années, il avait

patiemment construit sa réputation à la cour, ce qui lui avait permis d’épouser, en 1445, Jeanne Chabot, la première dame d’honneur de la reine. L’ascension de la famille sembla pourtant marquer le pas au début du xvie siècle, mais deux générations plus tard, Philippe de Chambes imposa son nom comme l’un des plus éminents d’Anjou. Il réussit à se faire 88

L'ÉCHEC DE LA NOBLESSE SECONDE nommer commandant des ports du Ponant, et il épousa, en

1530, Anne de Laval-Montmorency, qui appartenait à l’un des plus prestigieux lignages du Val de Loire. Leurs trois enfants héritèrent ainsi d’un solide capital, foncier et honorique, qu'ils surent faire fructifier. Cyprienne devint fille d’honneur de la reine, Charles, le cadet, reçut le collier de l’Ordre avant de s’attacher à François de Valois, et Jean, l’aîné,

devint gouverneur de Saumur au début des années 1570. Par la suite, sa baronnie fut érigée en comté‘, et en 1574, il devint

maître de camp de la cavalerie légère pendant la campagne de Poitou, avant de mourir en 15755. Contrairement à Anne

de Vaudrey, le bailli de Troyes, Montsoreau n’avait donc rien d’un client des Guise. Comme Puygaillard, il avait conduit tout son itinéraire personnel dans le cadre du service royal. Il exécuta sans états d’âme les ordres qu’il reçut du gouverneur le 28 août, en tuant de ses propres mains le lieutenant général de Saumur, puis en venant à Angers. Or le capitaine du château, Claude d’Aubigné, avait reçu

de la part de Puygaillard une lettre similaire à celle de Montsoreau*6. Comme à l’époque de Timoléon de CosséBrissac, Catherine de Médicis et ses fils avaient tenu en 1569

à confier la garnison d’Angers à un noble du pays, pour rassurer les notables sur leurs intentions et tempérer la brutalité de Puygaillard. Le lignage des Aubigné était l’un des plus anciens d’Anjou : seigneurs de La Touche, d’Aubigné et de La Jousselinière, ils pouvaient sans aucun mal fournir des titres remontant au milieu du xue siècle, ce qui constituait une exception dans la noblesse de cette région, profondément renouvelée à la fin du Moyen Âge’?. Pourtant, les ancêtres de Claude n’avaient pas été très brillants. Ils apparaissaient à la fin des années 1560 comme des gentilshommes campagnards assez tranquilles, que les guerres d'Italie et les campagnes de Picardie contre les Habsbourg n’avaient pas enthousiasmé. Claude d’Aubigné*® ne s’était pas engagé aussi loin que Puygaillard dans le combat contre les calvinistes, mais il était toutefois un fidèle agent de la couronne, qui fut

appelé de nouveau par la suite*?. Comme le gouverneur et 89

LES NOBLES, LA VILLE ET LE ROI

Montsoreau, il était à son poste pour suivre les directives du pouvoir royal, et rien dans sa vie ne permet de penser qu’il était lié d’une façon ou d’une autre aux Guise. Même si le Père Roger, au milieu du xvure siècle, écrivit

que les hommes du roi firent «pendre et noyer quantité [de huguenots], de sorte qu’on les jetait à pochées dans la rivière», je pense qu’il vaut mieux suivre le témoignage de Jean Louvet, qui n’évoque que sept victimes. Réjoui de ce qui arrivait, le greffier au présidial d'Angers ne peut être soupçonné d’avoir travesti la réalité. Il me semble qu’on peut lui faire confiance pour avoir noté avec soin le déroulement de ces événements tragiques, sans avoir cherché à cacher l’ampleur d’un massacre qu’il approuvait pleinement. Son récit montre bien que Montsoreau et d’Aubigné essayèrent surtout de briser la tête du parti protestant :deux ministres, un avocat et un noble furent

notamment exécutés sous leurs ordres. René de La Rouvraye, sieur de Bressault, fut ainsi arrêté le 8 octobre et jugé dans les formes par le prévôt des maréchaux, avant d’être décapité le 10 novembre pour «plusieurs crimes d’assassinats par luy commis à l’encontre de grand nombre de prestres et gens d’Eglise auxquelz 1l coupoit les oreilles et faisoit mourir cruellement de plusieurs et divers tourments et cruaultez »60. La SaintBarthélemy angevine fut donc parée du manteau de la légalité par des officiers royaux qui avaient la conviction d’appliquer la justice du souverain jusqu’à ses limites ultimes. Le 30 août, Montsoreau prit même soin de publier une ordonnance ordonnant à ses soldats de respecter les demeures des protestants, «d’y faire aulcunes forces ny viollence, d’y prandre ny transporter aulcuns biens meubles de quelque sorte que ce soit, ny rensonner aucuns huguenotz ny leurs femmes, sur peine de la vie »tl, Il fut également très soucieux d’obtenir la collaboration des élites urbaines. Contrairement à ce qui s’était passé en 1560, les notables n’eurent pas le sentiment qu’une autorité nobilaire étrangère et brutale venait s’abattre sur eux. Depuis une douzaine d’années, ils avaient sans doute lutté contre la liberté de culte par crainte des séditions. Mais en même temps, 1ls avaient toujours tenté de faciliter une cer90

L'ÉCHEC DE LA NOBLESSE SECONDE taine coexistence entre catholiques et protestants, en particulier parce qu’ils redoutaient que le gouverneur prenne prétexte des conflits religieux pour les dominer trop brutalement. Ils avaient accepté de fort mauvaise grâce les perquisitions aux domiciles des protestants, et refusé les projets qui visaient à les bannir. Toutefois, Montsoreau n’était pas Puygaillard. Gentilhomme du pays, il sut obtenir leur coopération, car le 30 août, 1ls publièrent un texte qui allait dans son sens, ordonnant que les milices bourgeoises respectent les biens des calvinistes62. Cette collaboration était tout à fait conforme aux vœux du pouvoir. Le 5 septembre, Henri d'Anjou envoya des félicitatons appuyées à Montsoreau : «J’ai entendu le debvoir que vous avez faict de delà, dont je suys très contant, comme je [le] suys de ce que les habitans de ma ville d’Angiers ont donné ordre à la seureté des portes ». Il lui demandait en outre de continuer à obéir au roi, qui voulait désormais «qu’il [ne]

leur soit meffaict ne mesdict en aucune manière que ce soit; mais s’1ls font le contraire et qu’ils s’arment et facent les rebelles, ledict seigneur veult que l’on leur courre sus et que l’on les taille en pièces ». Le même jour, il envoya une autre lettre aux échevins, dans laquelle 11 les remerciait d’avoir préservé l’ordre et la sécurité de la ville, en leur recommandant

de mettre les prisonniers à la question et de les faire garder «jusques à ce que l’on saiche quelz 11z sont et s’ilz savent quelque chose de la conspiration, pour selon cela en estre faict la justice »64. Dans son esprit, la Saint-Barthélemy d’Angers avait été un modèle du genre: jamais la conduite des événements n’avait échappé aux agents du pouvoir central, qui avaient fait leur devoir de militaires et de juges. Puygaillard revint à la fin du mois de septembre. IT était porteur d’une lettre signée par Henri d’ Anjou qui lui donnait des pouvoirs très étendus, puisqu'elle ordonnait aux échevins de croire ce qu’il leur dirait comme venant de la bouche même du roi. N’avant pas trahi les intentions de ses maîtres en donnant ses ordres à Montsoreau et d’Aubigné depuis Paris, il pouvait donc rentrer investi de la parfaite confiance Oil

LES NOBLES, LA VILLE ET LE ROI

d’Henri d’Anjou, dont il apparaissait désormais comme le loyal serviteur. Le 19 octobre, il fit ainsi remettre en liberté la plupart des protestants qui étaient en prison, sans chercher à pousser plus avant la répression qui s’était déclenchée deux mois plus tôt$. Tous ses objectifs étaient atteints : la ville était calme, de nombreux protestants avaient abjuré, l’échevinage n’avait pas tenté d’invoquer ses vieilles traditions d’autonomie pour faire barrage à l’autorité nobiliaire. Il put alors, en toute sérénité, demander à la municipalité un «don gratuit » pour le duc — une somme de 50000 livres que les échevins lui accordèrent le 16 décembref®. Les protestants avaient été les victimes d’une politique royale qui voulait en toute connaissance de cause abattre leurs notables. Ils n’avaient pas été protégés, comme en 1562, par les élites urbaines catholiques, non seulement parce que les échevins n'avaient plus les moyens de résister à la pression monarchique, mais aussi parce qu’ils avaient volontiers accepté de collaborer avec Montsoreau, un noble du pays dont la proximité les rassurait. Plus que jamais, la pérennité de l’autorité royale était donc liée aux gentilshommes du pays. Charles IX en était d’ailleurs pleinement convaincu, à tel point qu'il écrivit le 23 septembre à Artus de Cossé, l’enjoignant d’apporter tout son poids à la pacification de la région. Il lui demandait notamment «de faire derechef expresse deffense à touttes personnes, de quelque qualité et condition qu’elles soyent, de piller et saccager en aucune sorte que ce soit, soubz couleur et prétexte de la religion, et emprisonner aucun, si ce n’est par ordonnance de justice ». Quant aux gentilshommes huguenots qui redoutaient des représailles, 11 souhaitait que le maréchal fasse savoir à tous ceux « qui se seroient, par crainte et doubte des choses passées, absentez de leurs maisons, de s’y retirer avecq asseurance d’estre conservez et gardez contre toute injure, force ou violence; et en cela, s’11z ont besoin de sauvegarde et s’11z la requièrent, leur en

octroyer en si bonne forme qu’ilz s’en puissent asseurer et demeurer en repos »67. Si Puygaillard avait consolidé sa puissance locale en respectant scrupuleusement les volontés de 92

L'ÉCHEC DE LA NOBLESSE SECONDE

la couronne, il lui fallait tenir compte à présent de quelques nobles angevins qui appartenaient à une nouvelle génération d'officiers royaux, bien plus impliqués dans les mécanismes de l’autorité royale qu’autrefois. Le rôle décisif qu’ils jouèrent dans la Saint-Barthélemy angevine avait prouvé qu’avec leur médiation et leur réputation, les ordres du souverain étaient mieux appliqués.

4. La noblesse en discorde Du point de vue religieux, la Saint-Barthélemy angevine fut sans aucun doute une rupture. Comme à Rouen, les vio-

lences commises à l’encontre des protestants provoquèrent de nombreuses conversions qui affaiblirent durablement le calvinisme dans toute la région. Dès le 29 août, dans la cour du Palais-Royal, Montsoreau avait en effet rassemblé au cours de l’après-midi les huguenots que ses soldats avaient appréhendés, afin de les faire choisir entre l’abjuration et la prison. Les intimidations, les procès et les exécutions eurent tôt fait de marginaliser le protestantisme jusqu’à l’édit de Nantes6ÿ. Sur le plan politique, les événements de l’été 1572 eurent des conséquences plus équivoques. Si l’autorité locale de Puygaiilard ne pouvait plus être contestée, 1l en était tout autrement d’Henri d'Anjou, qui n’avait que très rarement séjourné dans son duché jusqu'alors. En 1573, lorsque ses troupes se désengagèrent du siège de La Rochelle, elles commirent des déprédations dans le pays qui mécontentèrent les notables d’Angers. Selon Jean Louvet, 1ls «furent contrainctz

leur bailler quinze centz escuz pour les faire esloigner, de tant qu’ilz emmenoient tous les bestiaulx et rançonnoient le paouvre comme s’ilz eussent esté en la Turcquie ou en ung païs de conqueste ». Le greffier du présidial établit un parallèle entre les exigences financières du duc et son départ pour la Pologne, qu’il percevait comme une véritable trahison : «Les

catholiques du royaulme de France estoient grandement

irritez |.…] pour raison des grands subsides et empruntz qu’il 95

LES NOBLES, LA VILLE ET LE ROI

levoit sur son peuple, lesquelz au lieu de le bénir et prier Dieu pour luy, donnoient au roy de Poulongne des mallédictions »6°. Il est probable que Louvet écrivit ces lignes bien plus tard, au cours des années 1580, lorsque l’impopularité d’Henri HI atteignit des sommets auprès des ligueurs urbains. Néanmoins, l’amalgame qu’il établit ici entre la quête de la couronne polonaise et la pression fiscale des années 1572-1573 est très intéressant, car il prouve qu’en dépit des efforts réalisés par Puygaillard, le crédit du duc restait fragile. L'autorité royale ne pouvait donc, à long terme, reposer uniquement sur la contrainte. Le gouverneur passait de plus en plus de temps à parcourir le plat pays afin de combattre les troupes qui s’infiltraient en Anjou en passant la Loire, car la région était devenue une zone de passage très sensible entre le nord et le sud du royaume, entre le Bassin parisien tenu par le roi et les bastions protestants du Sud-Ouest. En février 1574, 1l fallut renforcer les gardes d’ Angers à cause de quelques centaines de soldats huguenots qui se trouvaient pour lors à Tigné et Passavant. Puygaillard dut ensuite s'occuper de la sécurité de Saumur et des Ponts-de-Cé, deux points stratégiques de la plus haute importance pour contrôler les franchissements du fleuve. Puis il partit à la fin du mois assiéger Fontenay-leComte avec le duc de Montpensier pour en déloger les protestants qui l’occupaient. Toutefois, cette activité inlassable ne permit pas de pacifier le pays. Certes, Montgomery fut capturé devant Domfront le 25 mai 1574, mais les troupes royales firent tout autant de dégâts dans les campagnes angevines, et surtout, les succès ponctuels du gouverneur étaient sans cesse remis en cause par l’arrivée de troupes fraîches?0. Tout au long du printemps, l’insécurité des campagnes eut pour effet d'attirer à Angers des paysans et de petits seigneurs ruraux qui fuyaient les combats. Le 14 juin, Puygaillard fit publier par l’échevinage un texte qui ordonnait «à tous gentilzhommes de ce païs et duché d’Anjou, suyvant et exécutant les lettres et mandemens

du roy, [.. de] se trouver en

diligence et promptement près nostre personne la part où nous 94

L'ÉCHEC DE LA NOBLESSE SECONDE

serons, montez, équippez et armez, pour repoulser les trouppes des ennemys qui s’approchent de jour à aultre à la rivière de Loire, et les empescher de s'emparer, comme il est à craindre qu'ils veuillent faire, [de] quelque passaige en ladite rivière »71. Comme en 1523, à l’époque où Jacques Turpin, le baron de Crissé, rassemblait ses parents et voisins pour détruire les bandes du sieur de Comarques, Puygaillard faisait donc appel à la noblesse locale pour l’aider à protéger le plat pays. Faute de moyens suffisants, il lui fallait solliciter le concours d’une

noblesse ligérienne qui ne l’avait jusqu'alors jamais ménagé. Or quelques mois plus tôt, le gouverneur avait reçu un affront qui démontrait une fois de plus qu’il ne disposait pas du moindre respect parmi les gentilshommes. En effet, Jacques du Bellay, le baron de Thouarcé, avait été envoyé à la cour par les nobles angevins pour présenter à Charles IX les doléances de sa province. Cette démarche représentait un désaveu implicite de Puygaillard, indirectement accusé de n’avoir pas su faire respecter l’ordre public. Elle permettait aussi à du Bellay de se présenter comme un interlocuteur écouté, un homme capable de mener cette conciliation que Vassé, Maillé, Vieilleville ou Cossé-Brissac, pour diverses raisons, n’avaient

pas su accomplir jusqu'alors. Jacques du Bellay était un porteparole idéal. Comme les Maillé ou les Cossé-Brissac, sa famille avait bénéficié de la sollicitude du roi René au cours du siècle précédent, tout en cultivant de précieuses relations à la cour de France. Son bisaïeul, Jean IV, avait été l’un des conseillers de René, son chambellan, et l’un des chevaliers du Croissant; mais en même temps, il avait obtenu un autre poste de cham-

bellan auprès de Louis XI, en 1461. Après la disparition du duc d’Anjou, les descendants de Jean du Bellay avaient particulièrement bien réussi leur reconversion auprès du souverain. Jean, son fils aîné, avait obtenu le collier de l’ordre du

roi en 1522. Dans la branche de Langey, les quatre petitsenfants de Jean IV avaient accompli de belles carrières, dans la diplomatie européenne, l’armée et l’Église. Jacques du Bellay, à la quatrième génération, avait continué dans cette voie: il avait été panetier de François Ier et d’Henri IT, puis 95

LES NOBLES, LA VILLE ET LE ROI

chargé ponctuellement du gouvernement provincial en 1558, 1562 et 1569. Il apparaissait comme le négatif de Puygaillard: le descendant de toute une lignée d’officiers royaux et un influent notable angevin”?. Cette ambivalence lui permit de se poser devant ses pairs et les citadins comme le messager de la parole souveraine, un gentilhomme qui n’avait pas seulement l’oreille du roi, mais qui pouvait traduire ses volontés. Le 16 janvier 1574, il raconta dans une lettre aux échevins qu'il avait longuement décrit au monarque «les pertes, exactions des gens d’armes et generallement [...] touttes choses de quoy le païs est foullé et oppressé ». Il pouvait ainsi valoriser son rôle en se présentant assez classiquement comme un homme écouté, que le gouvernement était tout à fait disposé à croire. Pourtant, quelques lignes plus loin, le ton de son message changeait. Du Bellay n’entendait pas être simplement assimilé aux députés qui avaient été envoyés quatorze ans plus tôt aux États généraux. Il voulait également interpréter la pensée royale, en présenter l’exégèse aux notables inquiets, afin de les rassurer et de les assurer de son indispensable soutien. Par son intermédiaire, Charles IX dési-

rait faire savoir «que son intention et voulloir a toujours esté de vous estre aussi bon roy que tous ses prédécesseurs, mays qu’il a esté contrainct pour ces malheureux troubles faire beaucoup de choses oultre sa volunté, mays que à l’advenir il y donnera tel ordre que tout son peuple cognoistra l’affection qu'il y porte ». Du Bellay ne considérait donc pas sa mission comme l’énoncé tout simple de quelques doléances. Il entendait en outre justifier la politique du prince et restaurer une confiance qui avait sombré depuis deux ans : «Et de faict, Messieurs, je vous puys asseurer pour l’avoir veu par l’espace de quinze jours que j’ay esté à la court, la plus grande partye du jour il est attentif à ouyr et entendre les doléances de son peuple, de faczon que j’espère avecques l’aide de Dieu, que bientost vous le congnoistrez par effect »73. La correspondance de la reine mère, entre 1574 et 1576, montre qu’elle était de plus en plus convaincue, à cette époque, que le gouvernement royal devait s’appuyer sur les nobles 96

L'ÉCHEC DE LA NOBLESSE SECONDE provinciaux. Dans une fameuse lettre écrite à son fils’4, elle

expliquait qu’autrefois, François Ier «avoit le nom de tous ceux qui estoient de Maison dans les provinces, et autres qui avoient autorité parmi la noblesse et du clergé, des villes et du peuple ; et pour qu'ils tinssent la main à ce que tout fût à sa dévotion, et pour être averti de tout ce qui se remuoit dedans lesdites provinces, [...] il mettoit peine d’en contenter parmi toutes les provinces une douzaine, ou plus ou moins, de ceux

qui ont plus de moyen dans le pays ». Catherine de Médicis invitait son fils à renouer avec une pratique ancienne, qui avait fait ses preuves depuis la première moitié du siècle sur les frontières du Nord-Est, mais sans avoir été jusqu'alors étendue au reste du pays. L'utilisation systématique des noblesses secondes provinciales était en outre peu onéreuse pour le budget, car «aux uns, il donnoit des compagnies de gendarmes ; aux autres, quand il vaquoit quelque bénéfice dans le même pays, il leur en donnoit, comme aussi des capitaineries des places de la province, et des offices de judicature, selon et à chacun sa qualité »". Or depuis le début des

années 1560, Puygaillard avait eu tout le temps de mesurer la faiblesse de son ascendant dans la noblesse du pays. Le séjour que du Bellay venait d’effectuer à la cour montrait que rien n’avait changé depuis douze ans, et qu’il lui fallait trouver une solution pour ne pas perdre son poste. C’est pourquoi il proposa à la reine mère de nommer Claude d’Aubigné, le capitaine du château, lieutenant général d’Anjou en son absence’6. En recommandant son subordonné pour cette promotion, il faisait de lui son obligé, tout en se protégeant d'éventuels conflits de pouvoirs, car d’Aubigné était moins envahissant que du Bellay. En outre, le capitaine du château n’avait jamais été déloyal envers la couronne. Le travail qu’il avait accompli avec Montsoreau au cours de la SaintBarthélemy avait démontré que l’on pouvait compter sur lui, et cette qualité était de nature à tranquilliser Henri IT. En dépit de ses attraits politiques, cette initiative était insuffisante, car la reine et son fils tenaient à utiliser davantage de nobles dans leur province natale. C’est ainsi que Jacques du 97

LES NOBLES, LA VILLE ET LE ROI

Bellay fut nommé gouverneur d’ Angers en remplacement de Puygaillard, le 14 mars 157577. Ce dernier ne disparaissait pas de la province, car il conservait son gouvernement. Néanmoins,

cette décision représentait un véritable camouflet, car il aurait pu s’attendre à bénéficier de quelque bienfait à l’occasion du couronnement d’Henri II. Comme si le nouveau roi de France sanctionnait le gouverneur de son ancien apanage, il le dépouillait d’une large partie de ses attributions. Puygaillard partit s’établir aux Ponts-de-Cé, tandis que du Bellay fit son entrée à Angers le 2 avril 157578. Du Bellay avait été nommé à ce poste pour rétablir l’ascendant de la couronne et restaurer une certaine forme de collaboration avec les élites locales. Noble du pays, 1l était en effet estimé des notables urbains, dont il avait soutenu les intérêts auprès de Charles IX en janvier 1574. Il prit donc soin d’éviter les rapports de force houleux qui avaient émaillé les gouvernements de Puygaillard et de Vassé. Il essaya plutôt de se concilier les échevins en prenant au sérieux leur susceptibilité et en acceptant leur identité politique. Au lieu de leur imposer des troupes étrangères, 1] réorganisa notamment la milice bourgeoise pour assurer efficacement la défense des murailles. Jusqu’alors, chaque paroisse devait fournir une compagnie, quelle que fût sa population, ce qui induisait de nombreuses inégalités. Du Bellay créa seize compagnies de cent hommes chacune, qui étaient soumises à des conditions de recrutement identiques. Il les disciplina et les organisa pour lutter contre l’insécurité qui s’étendait sur les bords de la Loire??. Ce faisant, il détourna à son profit de gouverneur un vieux désir d'autonomie militaire dont Puygaillard s’était touJours méfié. Du Bellay choisit au contraire de le faire revivre et de le rénover, ce qui lui permit d’assurer la défense de la ville dans de meilleures conditions et pour un moindre coût. Quelques semaines plus tard, 1l voulut aller beaucoup plus loin. Désireux de réformer les relations tendues qui existaient depuis des décennies entre les Angevins et la garnison du château, il eut l’idée d’y faire entrer les milices, pour qu’elles en fissent la garde. Cette idée représentait un bouleversement 98

L'ÉCHEC DE LA NOBLESSE SECONDE

complet des rapports de forces dans la ville, car le château restait le symbole du pouvoir central sur la vieille cité : le proposer aux bourgeois revenait à priver le roi d’un moyen de pression décisif sur l’échevinage. Ce projet déclencha avec Puygaillard un conflit qui acheva de discréditer l’autorité nobiliaire. D’après Jean Louvet, qui représente 1c1 la seule source disponible, d’Aubigné «ferma les portes dudict chasteau, et dict [...] qu’il ne permettroit qu’aultre que luy y fist la garde ». Du Bellay se retrouvait dans la même position que les protestants de 1562: il tenait la cité et encourageait les libertés urbaines, mais privé du château, il

ne pouvait prétendre devenir le vrai maître de la ville. Il eut beau placer des corps de garde composés de bourgeois autour du bâtiment et murer la porte des Lices, il fut incapable de faire plier le capitaine, qui refusa d’y faire entrer les milices. Peut-être d’Aubigné était-il inspiré par Puygaillard, «lequel, d’après Louvet, avoit entré audict chasteau, [et] n’affection-

noit ledict sieur du Bellay à cause du gouvernement du païs d’Anjou». Toujours est-1l que l’autorité nobiliaire sortit très affaiblie de cette affaire, car l’affrontement de Puygaillard et du Bellay n’opposait pas simplement deux personnalités et deux ambitions. Il se traduisait aussi par des dissensions et des retards qui pouvaient être préjudiciables à la sécurité collective. Le 14 mars 1576, Puygaillard demanda par exemple au maire d’ Angers d’envoyer les bourgeois aux Ponts-de-Cé pour venir le secourir, mais du Bellay, peu pressé d’apporter de l’aide au gouverneur, «ne voullut permettre que les habitants sortissent hors de la ville de peur de surprinse »®°. Le prétexte était habile, car les milices étaient prioritairement armées pour la défense du territoire urbain. Son argument était donc recevable, mais «lesdicts habitants en murmurèrent fort contre

ledict sieur du Bellay, disant que les Ponts-de-Cé estoient de grande importance à la ville d’Angers, et qu'il falloit y mettre ordre ». Depuis 1562, la politique de Puygaillard avait fait évoluer les mentalités urbaines. Certes, les bourgeois rêvaient toujours d’une ville libre de toute entrave et capable de se défendre elle-même. Ils appréciaient la restauration des milices qu'avait 99

LES NOBLES, LA VILLE ET LE ROI

entreprise leur gouverneur, mais le pillage du plat pays par les troupes de toutes confessions et les menaces plus ou moins larvées qui pesaient sur Angers les avaient convaincus qu’il était nécessaire de regarder au-delà de leurs murailles pour raisonner à l’échelle de la région tout entière. Du Bellay finit par céder, et vint porter secours à Puygaillard le 16. Les dissensions entre les deux hommes atteignirent leur paroxysme au cours des élections à la mairie d’Angers, le 1er mai 1576. Ce jour-là, deux candidats se présentèrent aux suffrages de l’Assemblée des habitants : Toussaint Bault,

conseiller au présidial, fut soutenu par Puygaillard, tandis que François Bitault, sieur de La Ramberdière, apparut comme le candidat de du Bellay. Plutôt que de choisir l’un ou l’autre et de mécontenter l’un des deux gentilshommes, les membres de l’Assemblée préférèrent habilement en élire un troisième, Guillaume Deschamps, un avocat qui avait déjà exercé cette charge quelques années plus tôt$!. Ces luttes intestines intervenaient au plus mauvais moment, car

Henri de Navarre avait considérablement renforcé ses troupes au sud de la Loire. À la tête de deux mille hommes, il venait

de prendre Saint-Florent sans grandes difficultés, car Puygaillard, retenu à Angers, n’avait pu fournir aucun secours à sa garnison. La discorde qui faisait sombrer l’autorité nobiliaire menaçait sérieusement la sécurité militaire de la région, et donc la crédibilité d’Henri III. Elle démontrait que la tactique choisie depuis 1574 n’était pas viable; il semblait impossible de faire cohabiter Puygaillard, chargé depuis plus d’une décennie de faire plier la province aux besoins de la guerre, et du Bellay, qui avait pour tâche essenelle de faire accepter en douceur la politique royale. Le gouverneur d'Angers avait tous les atouts nécessaires pour réussir, mais 1l avait été trop loin dans la conciliation: en proposant que les milices pénètrent dans le château, il avait enfreint une règle fondamentale, car en dépit d’une plus grande collaboration entre les troupes royales et urbaines, la forteresse restait fondamentalement un instrument de domination au service du pouvoir central. 100

L'ÉCHEC DE LA NOBLESSE SECONDE

La paix de Beaulieu, signée le 6 mai 1576, mit final à cette expérience, car l’ Anjou fut accordé en à François d’Alençon. Tout le personnel nobiliaire renouvelé, pour être remplacé par les hommes du

un point apanage fut alors duc. En

accordant cette faveur à son frère, Henri III se détourna de la

noblesse locale, qui avait échoué dans toutes les tentatives de pacification qu’elle avait menées pour le compte de la couronne depuis 1564. Vassé, Vieilleville, Cossé-Brissac, Maillé

et du Bellay n’avaient jamais pu imposer leur autorité de façon durable, n1 dans la ville, ni face à Puygaillard. Tous ces gentilshommes avaient pourtant l’avantage d’être populaires: quand du Bellay se retira, par exemple, il fut «grandement regretté des habitants de la ville pour s’estre bien porté en sa charge et pour n’avoir levé, exigé ni prins aulcun argent sur lesdictz habitants ny aultres »#2. Mais la noblesse seconde angevine n’avait pas pu, comme cela avait été le cas sur les frontières, incarner durablement l’autorité royale. Très attentifs aux libertés urbaines, peu disposés à collaborer avec

Puygaillard, réservés face à la politique menée par le pouvoir royal, les nobles angevins ne pouvaient être considérés comme des relais fiables. Par manque de souplesse sur le plan religieux, ils ne surent pas apaiser les tensions liées au protestantisme. Faute d’autorité réelle sur l’échevinage, ils furent incapable de s’imposer face à lui, voire de s’entendre avec lui. En outre, Puygaillard restait indispensable. Pour museler l’oligarchie urbaine et obtenir son soutien financier, pour protéger la Loire face aux troupes de Condé et de Navarre, il disposait d’une expérience fort précieuse, qui avait été amplement utilisée au cours de la Saint-Barthélemy. Incarnation de la contrainte, symbole d’une autorité nobiliaire oppressive, il refusa de coopérer avec des gentilshommes angevins qui le méprisaient sans doute, mais qui étaient seuls à même de pérenniser l’apaisement religieux. La pacification se brisa donc sur l’écueil de l’honneur nobiliaire.

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CHAPITRE IV

François d'Anjou, un autre roi René? (1576-1584)

1. Les hommes du duc

La paix de Beaulieu, signée le 6 mai 1576, fut très mal acceptée par les ultra-catholiques, qui dénoncèrent très tôt les faveurs qu’elle accordait aux protestants. Le texte était tout entier conçu pour favoriser le retour de la concorde, en réhabilitant la mémoire des victimes de la Saint-Barthélemy, et

en offrant deux concessions inédites à la nouvelle religion: une large liberté de culte et plusieurs places de sûreté. Contrairement aux édits précédents, celui-ci ne se contentait donc pas d’admettre l’existence d’une confession étrangère à l’Église romaine, puisqu'il entérinait aussi la puissance d’un «parti» doté de structures spécifiques, dont l’État devait désormais tenir compte. Très novatrice pour son époque, la «paix de Monsieur » ne permit pas de pacifier le royaume, mais elle apportait des solutions originales à un problème déjà ancien!. Importante sur le plan religieux, elle comportait en outre un volet politique trop souvent occulté, qui permit à François d’Alençon d’obtenir en apanage l’Anjou, la Touraine, le Berry et une partie de la Brie. Très favorable au frère cadet 103

LES NOBLES, LA VILLE ET LE ROI

du roi, le chef des « Malcontents » qui avaient lutté contre Henri III depuis 1574, ce nouvel édit lui permettait d’augmenter ses revenus et d’entretenir une plus vaste clientèle. Héritier du trône, capable de fédérer autour de lui une partie

de la noblesse française, François disposait ainsi, au printemps 1576, de moyens considérables. Le traité conclu avec

son frère ne signifiait toutefois pas une aliénation du domaine royal, et le souverain conservait la maîtrise des impôts et de la justice. Par ailleurs, le duc devait se conformer aux privi-

lèges locaux, ce que ne manquèrent pas de souligner les échevins d’Angers qui lui présentèrent, dès le mois de juin, la charte de Louis XI et les franchises de leur ville. Il ne pouvait prétendre gouverner seul cette province qu’il connaissait mal, car son champ d’action était borné par le roi et par la susceptibilité des notables. En revanche, il reçut le droit de nommer les titulaires des principaux postes militaires, ce qui faisait de lui le responsable du maintien de l’ordre et de la sécurité dans tous ces territoires. Il ne faut donc pas s’étonner s’il renouvela, dès son avènement, l’ensemble du personnel qu’il trouva en place au mois de mai 1576. La nomination des gouverneurs, que ce fût au niveau de la province, de la ville d’ Angers ou de son château, allait lui permettre de manifester clairement son pou-

voir; il ne devait pas s’en priver. Même s’il n’avait aucun grief personnel contre Puygaillard, du Bellay, et d’Aubigné, il se devait de les écarter, car sa crédibilité personnelle en Anjou était à ce prix. En outre, François s’était constitué, depuis le début des années 1570, une clientèle de gentilshommes qui lui avait été particulièrement précieuse au cours de la guerre des Malcontents. Tous attendaient les dividendes de leur fidélité, et leur patron était obligé de les satisfaire à l’heure du triomphe, à la fois pour entretenir leur loyauté, et pour disposer de relais fiables dans la région. Pour toutes ces raisons, l’édit de Beaulieu bouleversa en profondeur l’autorité nobiliaire en Anjou?. Il parvint à Angers dès le 7 mai 1576, et fut publié officiellement deux jours plus tard. Le 15 juin, François du Plessis, 104

FRANÇOIS D’ANJOU, UN AUTRE ROI RENÉ?

seigneur de Richelieu, arriva porteur de lettres qui confirmaient les changements auxquels tout le monde s’attendait3. Le gouvernement de la région fut ainsi confié, le 18 juin, à Louis de Clermont, seigneur de Bussy d’Amboise{. Ce choix obéissait à une double logique: celle de l’implantation locale et celle de la fidélité envers le nouveau duc. Le lignage de Bussy était bien connu dans la région, puisque son oncle, Georges de Clermont, était le marquis de Gallerande. Le plus lointain ancêtre dont on avait la trace était un Robert de Clermont, qui vivait au début du x1r siècle. À la fin du Moyen Âge, la famille avait même joué un grand rôle dans l’entourage des ducs, car Louis de Clermont, le trisaïeul du gouverneur, avait obtenu le collier de l’ordre du Croissant vers 1450. Mort avant 1477, il avait été tout au long de sa vie l’un de ceux sur lesquels le roi René avait fondé son ascendant local,

à tel point qu’il avait prénommé son fils... René“. En dépit des relations privilégiées que sa famille avait entretenues avec les ducs, René Ie' de Clermont réussit pourtant à franchir sans encombres le difficile cap que représenta l’annexion de l’ Anjou au domaine royal: au début du xvie siècle, il devint amiral de France et gouverneur de Honfleur. Son fils cadet, René IL, fut possessionné en Champagne et entama une belle carrière dans la noblesse seconde frontalièref. En revanche,

la branche dont était issu le nouveau gouverneur d’Anjou n’avait pas connu semblable fortune. Jacques, le père de Bussy, avait sans doute été capitaine de cinquante hommes d’armes ;

il avait également épousé Catherine de Beauvau, qui appartenait à l’un des lignages les plus respectés de la région. Mais Bussy ne pouvait rivaliser avec les cousins de Champagne, auxquels il vouait une solide inimitié, qui le conduisit même

à assassiner Antoine de Clermont-Reynel au cours de la SaintBarthélemy parisienne’. II ne pouvait pas non plus se comparer aux marquis de Gallerande, auxquels la position d’aînés apportait davantage de fortune et de considération. Bussy avait pourtant été élevé à la cour dès ses douze ans, mais après avoir accompagné Henri de Valois au voyage de Pologne, en 1573, il se lia d’amitié avec son frère cadet, François, qui 105

LES NOBLES, LA VILLE ET LE ROI

avait à peu près le même âge. En 1576, 1l apparaissait comme le favori de l’héritier du trône, d’autant qu’il l’avait suivi au cours des deux dernières annnées dans toutes ses campagnes militaires. Bussy lui devait en effet l’essentiel de son ascension depuis 1573, ce qui le faisait apparaître comme l’homme du duc, à l’instar de Puygaillard, qui passait naguère pour l’homme du roi. Dès le mois de décembre

1575, il avait

d’ailleurs été pourvu du gouvernement de Saumur grâce à sa protectionÿ. Lorsque Richelieu apporta la nouvelle de cette nomination à Angers, il n’était pourtant pas accompagné du nouveau gouverneur, mais de son futur lieutenant, François de Tilly. Sa famille n’avait pas le même lustre que celle de Bussy. Originaire de Vernon, elle remontait à peine au début du xve siècle, mais elle avait débuté un parcours très remarqué depuis deux générations°?. Charles [*, son père, avait fait un beau mariage en épousant une fille de la meilleure noblesse bourguignonne, Anne de Vaudrey. En 1547, 1l était devenu gouverneur de Ligny grâce à François de Nevers, et sept ans plus tard, 1l comptait parmi les cent gentilshommes de la maïson du roi; capitaine et gouverneur de la comté de Dreux, il

se permettait alors d’être qualifié de «noble et puissant seigneur ». Il avait eu trois fils, dont l’aîné, Charles IL, avait aussi commencé une carrière militaire, comme enseigne des ordonnances du roi, mais 1l était mort prématurément à la bataille de Moncontour. Le cadet, Jacques, avait alors poursuivi l’as-

cension inaugurée par leur père en épousant Adrienne de Boufflers en 1571. Fille d’Adrien de Boufflers et de Louise Boyron, elle lui apportait les capitaux nécessaires pour entretenir ses terres normandes de Blaru. Gentilhomme de la maison du roi, 1l portait désormais tous les espoirs du lignage. François était le puîné. La coutume de Normandie, moins favorable aux aînés que celle d'Anjou, lui avait accordé une partie de la seigneurie de Blaru, mais les terres angevines étaient restées la propriété exclusive de son frère. François de Tilly s’était sans doute lancé dans la voie des armes pour faire fortune!!. 106

FRANÇOIS D’ANJOU, UN AUTRE ROI RENÉ?

Les causes de sa présence à Angers restent largement obscures, tout comme les origines de Saint-Ceval, qui fut nommé au château à la même époque. Ce troisième homme pose en effet de redoutables problèmes d’identification, car les renseignements dont on dispose sur lui sont très parcellaires. Les archives de la municipalité d’ Angers sont muettes à son sujet, tout comme le Cabinet des Titres de la Bibliothèque nationale. Le nom de sa famille n’apparaît pas dans le rôle du ban et de l’arrière-ban qui fut dressé à l’époque de Louis XI, ni dans les enquêtes de noblesse diligentées par l’intendant de Tours entre 1667 et 1673!2. Les seules mentions viennent de Jean Louvet, qui portait sur lui un jugement très négatif. Il écrivait que «les habitants d’ Angers furent grandement faschez d’avoir pour gouverneur ledict sieur de Tilly, qui est borgne, et ledict sieur de Sainct-Ceval pour gouverneur dans le chasteau, lequel estoit estropié d’ung bras, dont lesdictz habitants eurent ung mauvais augure »!3. Ces hommes étaient donc avant tout des militaires professionnels, qui portaient sur eux les stigmates de leur état. Inconnus dans la ville, ils succédaient difficilement à du

Bellay et d’Aubigné, qui avaient su flatter les notables depuis deux ans. Après quelques tergiversations, d’Aubigné partit «au grand regret des habitants, lesquelz l’aimoient grandement, tant pour sa fidellité et bon traitement qu’il avoit faict audicts habitants, et aussy avoient lesdicts habitants craincte

dudict sieur de Sainct-Ceval, de tant qu’il n’estoit de qualité de garder une telle place de sy grande importance ». Quant à du Bellay, il fut, d’après Jean Louvet, « grandement regretté des habitants de la ville, pour s’estre bien porté en sa charge et pour n’avoir levé, exigé ni prins aulcun argent sur lesdictz habitants ny aultres, et avoit esté en la ville durant sondict gouvernement à ses propres coustz et despans, mesme par le louaige de la maison où il estoit logé, et n’estoit aulcunement avaritieux ». Du Bellay et d’Aubigné avaient mesuré toute l'importance que les échevins attachaient encore à leurs anciennes franchises fiscales. En n’exigeant pas de nouvelles taxes, en contenant leurs troupes, en prenant très au sérieux 107

LES NOBLES, LA VILLE ET LE ROI

leurs désirs d’autonomie urbaine, il n’avaient pas seulement accru leur crédit local: ils avaient fait croire aux notables que seuls des nobles du pays seraient capables, à l’avenir, de les comprendre. Après toutes les années au cours desquelles Puygaillard avait exercé une domination impitoyable, la nomination de ces deux nobles avait largement contribué à réconcilier la ville et la noblesse angevine, qui s’étaient si longtemps ignorées. Jean Louvet pouvait ainsi noter, avec une pointe de regret, que «lesdictz habitants [auraient] désiré avoir ung seigneur du païs d'Anjou, duquel ils eussent plus reçu de plaisir et de contentement que dudict Sainct-Ceval, qui n’estoit de congnoissance et de peu de moïens »l4. Outre Bussy, Tilly et Saint-Ceval, le nouveau duc d’ Anjou pouvait compter sur Charles de Montsoreau et Artus de CosséGonnord. Frère cadet du gouverneur de Saumur qui avait aidé Puygaillard au cours de la Saint-Barthélemy, Charles de Chambes de Montsoreau avait pris sa succession après son décès en 1575. Chevalier de l’Ordre, capitaine de cent chevau-légers, il avait préféré, comme Bussy, suivre François de Valois au cours de la guerre des Malcontents. Il était devenu son grand veneur et son chambellan, placé au plus près de sa personne et de ses faveurs!®. La position éminente qu’il occupait dans la région lui permettait d’offrir à son patron un relais officieux qui pouvait être de quelque profit pour compléter ses agents officiels. Artus de Cossé-Gonnord avait lui aussi les moyens d’aider le duc. Après avoir participé au siège de La Rochelle en 1573, après avoir été utilisé quelque temps dans la région par la couronne!f, il avait été emprisonné en 1574 à cause de ses liens avec les Malcontents!7. Libéré en avril 1575, 1l lia son destin à celui de François, qui réclama un poste en sa faveur lors de la négociation du traité de Beaulieu. C’est ainsi qu’il reçut le gouvernement de l’Orléanais, du Berry, du Maine et du Poitou, c’est-à-dire de

presque tous les territoires qui entouraient l’ Anjou'8. Très méfiant envers la reine mère, qui avait été à l’origine de son incarcération, il s’affirma très vite comme un homme du duc,

et non comme celui de la couronne. Par exemple en avril 1580, 108

FRANÇOIS D’ANJOU, UN AUTRE ROI RENÉ?

il refusa de voir Catherine de Médicis, en visite dans la région, en lui faisant savoir «qu’il avoit toutes les occasions du monde d’estre mal content pour les indignités que lui et les siens avoient receues et recepvoient ». Pêle-mêle, il reprochait au

souverain de l’avoir «délaissé, sans qu’on se servist de lui ny qu’on en fit aulcune estime », d’avoir marié sa nièce Jeanne

de Brissac à Saint-Luc, puis de l’avoir écartée de la cour et de la retenir désormais en résidence surveillée à Brouage!°.….. Artus de Cossé-Gonnord avait pourtant été l’un des premiers à recevoir le collier de l’ordre du Saint-Esprit, peu après sa création, le 1er janvier 1579. En entretenant les rancœurs pas-

sées et présentes, François d’ Anjou pouvait compter sur de puissants nobles seconds, capables de drainer à leur suite leurs parents ou leurs voisins. Directement ou par l’intermédiaire de ses lieutenants, le frère du roi disposait donc d’un potentel militaire considérable, puisqu'il contrôlait le maintien de l’ordre dans tout le bassin de la Loire. La création d’un nouveau duché d’ Anjou se traduisit par un effacement réel de la clientèle du souverain, d’autant plus logique qu’elle avait montré son incapacité à résoudre les problèmes confessionnels depuis 1567. Si du Bellay se retira définitivement sur ses terres, Puygaillard continua d’être employé par son maître, mais bien loin de l’ Anjou. Au printemps 1577, il reçut une compagnie d’ordonnance et le grade de maréchal de camp général des armées du roi?°. Trois ans plus tard, 1l obtint le collier de l’ordre du Saint-Esprit, une dignité qui avait été jusqu’à présent réservée à la plus haute aristocratie. En 1582, il fit son apparition en Picardie, où 1l avait été nommé lieutenant général. Son départ fut pour lui une promotion davantage qu’une mise à l’écart, mais 1l privait Henri TT d’un appui dévoué dans le Val de Loire. En revanche, d’Aubigné rendit encore quelques services locaux. Les 27 mai et 24 juillet 1577, le roi le dispensa par exemple de rejoindre l’armée de Saintonge, parce qu’il était «utile au lieu où il était, pour retenir en son obéissance ceux de sa noblesse qui autrement prendroient le party contraire »2!. D’Aubigné continua de jouer le rôle pour lequel il avait déjà bénéficié des bienfaits royaux: 109

LES NOBLES, LA VILLE ET LE ROI

celui d’un notable apprécié de ses voisins et de ses amis, écouté et influent, précieux parce qu’il avait un crédit que la couronne pouvait détourner à son profit. Henri II voulut également s’appuyer sur Bussy, afin qu’il s’attache à maintenir l’ordre dans sa région. Le 7 décembre 1576, il le pria notamment d’«assembler [sa] compaignée de gens d’armes, et la tenir pour quelque temps en garnison [..], pour [s’ Jen ayder et servir à réprimer la témérité de ceulx qui légèrement se vouldroient eslever et désobéir à mes commandemens. Et affin qu’elle se puisse entretenir, attendant que j’aye pourveu du payement d’icelle, vous luy ferez fournir de vivres par estappes, le plus au soulaigement du peuple que faire ce pourra »??. En ayant recours aux services de Bussy, Henri II renouait avec les pratiques de la première moitié du siècle. Comme il le fit en Champagne trois ans plus tard, il tentait d’exploiter les réseaux nobiliaires angevins pour pallier son manque de moyens militaires et financiers. Mais Bussy ne faisait pas partie de sa clientèle: en mai 1578, il s’abstint par exemple de venir saluer la reine mère, qui séjournait au Lude*. Surtout, le gouverneur d’ Anjou ne fit aucun effort pour élargir son audience dans la province, ni pour satisfaire le monarque. Contrairement à Puygaillard, qui avait été pendant de longues années le bras armé de la volonté royale en Anjou, Bussy n’essaya pas de mettre en œuvre la politique de concorde souhaitée par le roi, d’autant que son attitude personnelle contribua rapidement à dégrader son image.

2. Le discrédit de l’autorité nobiliaire François de Tilly, qui fut chargé dès le mois de juin 1576 du gouvernement d’Angers, comprit très vite comment il fallait s’y prendre pour obtenir le soutien des notables. Le 16 septembre, il organisa une grande montre dans le faubourg Saint-Jacques, au cours de laquelle les milices urbaines furent invitées à se présenter en armes pour préparer elles-mêmes la défense de leur ville. Il chercha donc à ménager leurs tra110

FRANÇOIS D’ANJOU, UN AUTRE ROI RENÉ?

ditions, tout en reprenant à son compte une collaboration que du Bellay avait entamée avant lui. Grâce à cette confiance mutuelle, il put ainsi obtenir des échevins le vote d’un crédit de 200 livres par mois, destiné à améliorer la solde de ses gardes. Mais tous ses efforts furent anéantis par l'hostilité que Bussy cristallisa sur lui dans le courant de l’hiver. Le nouveau gouverneur d’ Anjou était totalement étranger aux mentalités urbaines. Plutôt que de chercher à les déchiffrer, 1l froissa les élites par toute une série de vexations qui furent notées avec soin par Jean Louvet. Dès son arrivée à Angers, le 10 novembre

1576, les habitants virent que ses

soldats étaient loin d’être aussi disciplinés que ceux de Puygaillard, car il était suivi de «grand nombre de compaignées et trouppes [...], lesquelles volloient, tant en villes qu’aulx champs, touttes sortes de personnes »26. Plutôt que de s’établir à Angers, il préféra s’installer aux Ponts-de-Cé à la mi-décembre, parce que cette place bien située lui permettait de surveiller la Loire, et parce qu’il pouvait de cette manière prendre la ville en étau, entre sa propre garnison et le château, tenu par Saint-Ceval. Bussy ne chercha pas à calmer les inquiétudes que les Angevins nourrissaient à son sujet alors que plusieurs signes eschatologiques menaçants avaient accompagné sa prise de fonctions?’. En mars 1577, il ne logea pas dans une maison de la cité, comme le dictaient les anciens usages : il choisit d’habiter dans le château, ce qui fit craindre «qu’il voulloit faire piller la ville par une infinité de volleurs qu’il avoit en grand nombre »*. Comme au début des années 1560, le château redevint un objet de fantasmes, un corps étranger et menaçant dans une ville terrorisée. Au cours du mois de mai, il se mit à le fortifier comme

s’il voulait s’en

servir pour soutenir un siège contre Angers. II y fit construire un moulin, installa de nouveaux canons et constitua d’im-

portantes réserves de munitions. Le château retrouva ainsi sa vocation d’espace clos, imperméable, totalement coupé du monde extérieur et surtout de la ville qu’il dominait. SaintCeval, le chef de la garnison, ne fit de son côté aucun effort pour entretenir la moindre relation avec la cité. Au printemps (11

LES NOBLES, LA VILLE ET LE ROI

1576, les capitaines des milices vinrent planter un mai à la porte du bâtiment en signe d’amitié, accompagnés de toutes leurs compagnies, qui se présentèrent tambour battant et leurs enseignes déployées, mais «sans que ledict sieur de SainctCeval ny aulcun de sa part parust sur les murs ny à la porte dudict chasteau pour remercier lesdicts capitaines, ce qu’ilz eurent en grand horreur, et dont les habitants se scandalisèrent et eurent ung mauvais augure »?°. Bussy apparaissait en outre comme un homme guidé par une cupidité insatiable, tout à l’opposé de l’image idéalisée de la noblesse, généreuse et désintéressée, que s’obstinaient

à véhiculer les théoriciens de la société au début du siècle*0. Dès sa prise de fonctions, il réclama un don de «joyeux avènement » sous la menace de ses soudards. Le conseil de ville lui accorda la somme de 400 livres et le remboursement des frais qu’il avait engagés pour leur nourriture. À la Pâques 1577, 1l fit savoir au maire qu’il devait les loger de nouveau dans les faubourgs, ce qui poussa une délégation de cinq notables à négocier précipitamment avec lui un nouvel accord, aux termes duquel il fut convenu que les gens d’Église et les bourgeois lui feraient l’avance nécessaire, sous forme de

prêt°!. Lorsqu'il s’installa dans le château, il fit quotidiennement défiler ses troupes dans la plaine d’Écouflant. Pris de panique, les échevins décidèrent «qu’il seroit prins et levé par prest la somme de 17000 livres tournois, tant sur les ecclésiastiques que laicz, pour estre ladicte somme promptement fournie à M. de Bussy, à ce que les compaignées dudict sieur gouverneur n’entrent en ville et qu’elles se retirent des forbourgs »??, À la différence de Puygaillard, qui puisait une bonne parte de sa légitimité dans le service royal, ou de Vassé et du Bellay, qui disposaient d’une autorité fondée sur leurs origines angevines, Bussy la tirait exclusivement de ses troupes. C’est la raison pour laquelle, le 16 août 1577, le conseil de

ville refusa de lui accorder les moyens nécessaires pour lever une nouvelle compagnie de chevau-légers. Les délégués des quartiers conclurent que «l’ouverture faicte de lever cent 112

FRANÇOIS D’ANJOU, UN AUTRE ROI RENÉ?

hommes de cheval, ou aultre nombre, sur le païs d'Anjou [était] pernicieuse et à la foulle et oppression du pays, lequel ne sauroit porter la dépence ». Les habitants de la paroisse Saint-Denis estimèrent pour leur part que le roi devait plutôt «donner et faire commandement aux gentilzhommes du pays de faire, chacun en sa paroisse, armer les paroissiens, tant ceulx qui résident ès bourgades que sur les champs, pour courir sus aux volleurs qui font courses journellement et ceulx qui les retirent et ont intelligence avec eulx, et leur soit mandé les tailler en pièces ; assembler le peuple pour cest effect à son de tocsainct, ainsi que l’on faict au pays du Maine »#. En filigrane, les Angevins dénonçaient un dévoiement de la noblesse qui fut maintes fois débattu au cours des États généraux de Blois. Protecteurs des faibles, garants de l’ordre public et de la paix, les gentilshommes semblaient au contraire cautionner les dérèglements de l’autorité locale, soit en leur apportant un concours actif, soit en les ignorant*. Car Bussy n'apparaissait pas comme un cas isolé et atypique. À la même époque, Claude Haton se plaignait amèrement des vexations qu’un autre client de François d’ Anjou, Chrétien Savigny de Rosne, infligeait à sa ville de Provins®.

Au cours des trois années qu’il passa au gouvernement de l’ Anjou, Bussy devint le symbole des déportements nobiliaires, car ses méthodes spectaculaires apparurent comme emblématiques du bouleversement des valeurs anciennes que semblaient causer les guerres civiles. En 1576, Nicolas Froumenteau écrivit, dans le Secret des finances de France, que «lui et les régiments qu’il avoit avec lui ne faisoient compte des pauvres Angevins, sujets du roy, non plus que d’esclaves, lesquels on peut battre, déchirer, chappeler, tenailler et tuer à plaisir comme bêtes »*. Son comportement révélait la disparition des « vertus » médiévales, comme si la fin des idéaux chevaleresques confirmait l’imminence de l’Apocalypse. Le souverain lui-même eut très tôt connaissance des problèmes qui se posaient en Anjou, sans doute dès le mois de décembre 1576. Car à cette date, Bussy se plaignit auprès des échevins «qu’ils avoient envoyé au roy 113

LES NOBLES, LA VILLE ET LE ROI

faire plaincte qu’il pilloit lesdicts habitants et qu’il faisoit de grandes despances »7. Le 9 mai 1577, une délégation de notables se rendit auprès d’Henri III et de son frère pour leur présenter de nouvelles doléances. Ils furent sans doute écoutés avec beaucoup d’attention, car le chancelier de Villeroy et le chancelier du duc d’Anjou, Renaud de Beaune, arrivè-

rent à Angers le 15, pour y diligenter une enquête précisef$. Sur la foi de leur rapport, le souverain confia alors à Jean de Masseilles, seigneur de La Fontaine-Milon, la mission d’aller trouver le gouverneur pour lui dire «comme Sa Majesté [a été] advertye de plusieurs pilleries, ra[n]çonnementz et violances qui se commettoient journellement sur ses subjectz du pays Chartrein, le Perche, le Maine, Normandie et Bretaigne,

par aulcunes compaignies de gens de guerre, la pluspart desquelles s’advouoient du sieur de Bussy »*°. Il concluait son message en lui ordonnant d’aller rejoindre son frère, qui était en train d’assiéger Issoire. Après avoir longtemps repoussé cette échéance, Bussy finit par obéir, laissant derrière lui François de Tilly pour commander en son absence. Dès le départ de son supérieur, celuic1 reprit la politique de collaboration qu’il avait entamée avec les notables urbains à l’automne 1576, mais qu’il avait dû interrompre depuis lors. Il publia en effet une grande ordonnance selon laquelle il était «enjoinct à tous soldats et aultres estrangiers, de quelque qualité qu’11z soient, [de] vuyder et sortir de ceste ville incontinant et sans délay, sur peine de pugnition corporelle ». Soucieux de souder les habitants autour de lui en affichant son désir d’associer ses forces à celles des milices, 1l interdit également «de laisser entrer en cestedite ville hommes quelz qu’ilz soient, synon qu’ils ayent passeport de Monsieur de Bussy ou de nous, et aux hostes de [les] recevoir |. sans faire] déclaration aux cappitaines de leurs quartiers, [...] à peine de la vie». Afin de juguler la circulation des armes, qui avaient proliféré depuis quelques mois, il en limita strictement la vente aux résidents, et commença la fouille des maisons soupçonnées d’en contenir. Cette initiative avait une réelle portée politique :Tilly cherchait à jeter 114

FRANÇOIS D’ANJOU, UN AUTRE ROI RENÉ ?

entre les élites et la noblesse les bases d’une coopération qui avait déjà porté ses fruits au début des années 1570. Mais les exactions du gouverneur, qui avaient suivi les conflits de Puygaillard et du Bellay, avaient irrémédiablement amoindri le crédit nobiliaire. En novembre 1578, Artus de CosséGonnord revint en Anjou pour recueillir les doléances des notables, les transmettre au souverain et trouver quelques

solutions faciles à appliquer. L'homme était un habitué de ces voyages, qu’il avait déjà accomplis en 1568, en 1571 et en 157241. Comme s’il reproduisait en modèle réduit la visite que Charles IX et sa mère avaient effectuée en 1565, il fit son entrée solennelle à Angers le 28 novembre, accompagné d’un maître des requêtes et d’un trésorier. Il fut alors somptueusement reçu par le conseil de ville, qui lui offrit des cadeaux, mais Jean Louvet épancha

une amertume désabusée dans son journal. Les commissaires étaient envoyés selon lui «pour endormir le peuple et l’amuser soubz ombre de leur baïller du soullagement; [.. mais]

soubz le prétexte d’une réformation, ce n’était que pour gaigner le temps, pour puis après vendre et débitter la substance du peuple aux méchants qui les acheptent». Il est difficile de savoir si ces mots étaient représentatifs d’un état d’esprit très répandu à l’époque, mais ils confirment que le pouvoir royal avait perdu une bonne part de son assise dès la fin des années 1570, bien avant la mort de François d’ Anjou“. Jean Louvet poursuivait en écrivant que les commissaires «faisoient aussy recherche contre ceulx qui levoient et auroient levé des deniers sur le peuple sans commission et autorité du roy, qui estoit pour bailler coulleur et servir de prétexte, ce que le peuple recongnoissant ne s’en esmurent et ne fisrent que peu de plainctes, comme sachant bien qu’on ne leur en feroit aulcune raison ny aulcune pugnition, et que les grands larrons ne pugnissoient les petitz»#. Le déclin du charisme royal ne fut donc pas seulement dû à la personnalité d’Henri I, à son goût du secret, à son mysticisme italien ou à son manque d’intérêt pour la guerre. Il fut également provoqué par une faillite des relais régionaux du pouvoir monarchique, qui n’avaient 115

LES NOBLES, LA VILLE ET LE ROI

pas su, au cours des années précédentes, se présenter comme les garants d’un ordre universel, stable et sécurisant. En

Champagne, une telle détérioration s’était amorcée à la même époque, de 1576 à 1579, avant la nomination de Joachim de Dinteville au poste de lieutenant général*. Mais en Anjou, les exactions de Bussy avaient amoindri davantage encore l’autorité nobiliaire, avec d’inévitables répercussions sur l’image du pouvoir central. Bien loin d’apparaître comme un justicier suprême capable de panser les plaies de son État, Henri III semblait se faire le complice des coupables. En envoyant dans la région Artus de Cossé-Gonnord, l’un des familiers de son frère, il s’épargnait un nouveau conflit familial, mais en même

temps, il semblait implicitement cautionner un réseau qui n’inspirait plus aucune confiance dans la région. Tout se passait comme si les relais du pouvoir avaient perdu une bonne partie de leur aura depuis la Saint-Barthélemy. L’assassinat de Bussy par le comte de Montsoreau, le 20 août 1579, est trop connu pour qu’il soit nécessaire de le raconter ici®. Il nous intéresse néanmoins parce qu’il témoigne à sa manière de cette déliquescence de l’autorité nobiliaire. Jean Louvet en fut bien sûr enchanté : «La mort duquel fust grandement agréable au peuple, de tant qu’il n’avoit gouverné les habitants de son gouvernement comme doibt faire un saige gouverneur, mais comme un tyran, lequel avoit faict ruisner toutte la province d’ Anjou ». Montsoreau apparaissait comme le bourreau dont l’épée avait obéi aux ordres d’une justice immanente, car la victime était, d’après lui, «ung tyran et corsaire sans aulcune miséricorde et religion, dont il reçut le chastiment par la permission de Dieu »*. Le roi ayant été trop faible pour le châtier, Dieu l’avait fait à sa place, ce qui avait permis de clore le chaos provoqué par son existence. La mort de Bussy sonnait donc comme un nouveau désaveu des autorités, car la sphère céleste avait enfin accompli une besogne qui aurait normalement dû incomber au pouvoir terrestre. Mais 1l y avait plus : le gouverneur d’ Anjou fut assassiné par un gentilhomme qui appartenait comme lui au premier cercle des familiers du duc d’Anjou. Il est vrai que Bussy avait perdu 116

FRANÇOIS D’ANJOU, UN AUTRE ROI RENÉ?

une part de son crédit après l’échec de l’expédition aux PaysBas, mais 1l apparaissait encore comme le représentant direct du pouvoir ducal dans la région, d’autant qu’il disposait toujours d’une très large liberté de manœuvre. Or le fait qu’il ait été tué par Charles de Chambes prouvait que les hommes du duc n’étaient pas unis par les mêmes valeurs. Pour ne pas avoir arbitré les conflits qui fissuraient son réseau, François

d’Anjou risquait d’en perdre le contrôle. Pour ne pas avoir écarté Bussy de son gouvernement, il avait en tout cas déçu les espérances que l’on avait placées en lui.

3. Les faux-semblants d’un nouvel âge d’or Dans la lettre qu’il avait dictée à l’intention des échevins pour leur présenter Bussy et Tilly, en mai 1576, le nouveau duc avait pris soin de solliciter leur coopération, leur demandant de l’assister et de lui obéir tout en les assurant qu’il les écouterait et les protégerait. La pensée de François était ordonnée autour d’une vision néo-platonicienne du monde, où les

différents éléments du corps politique devaient s’équilibrer en un tout harmonieux. Lui-même reconnaissait inscrire son autorité dans le droit fil du pouvoir royal, tandis que les échevins devaient lui rendre une obéissance d’autant plus légitime qu’elle était en parfaite adéquation avec celle qu'ils vouaient au monarque. En échange, il leur promettait sa faveur, c’està-dire, concrètement, de ne pas toucher à leurs traditions poli-

tiques. Le 18 juin 1576, il leur écrivit: «Je ne désire seullement conserver vos privilleges, ains les accroistre et augmenter autant que je pourray et que m’en donnerez occasion; et désire aussi que, tout ainsi que vous avez bien et soigneusement conservé ma ville d’Angiers et le plat païs d’Anjou, que vous faciez encores de mesme. Et pour vous donner plus de moïen, je suys contant que vous ne déposiez poinct les armes, mais que les gardiez contre les perturbateurs du repos publicq et pour la conservation de ma personne quant je seray par delà, [...] n’entendant pas aussi que vous soyez chargez de 117

LES NOBLES, LA VILLE ET LE ROI

garnison plus grande que celle qu’il plaist au roy [...] entretenir pour la garde de mon chasteau »7. Les magistrats du corps de ville n’avaient pas reçu un tel courrier depuis quinze ans... Leur duc semblait avoir parfaitement assimilé leurs mentalités politiques, compris leurs besoins, admis leurs doléances. Il acceptait volontiers de s’adresser à eux pour défendre le territoire urbain, voire l’arrière-pays tout entier. Il leur faisait même l’honneur suprême de les solliciter pour sa protection personnelle. Il promettait enfin de ne pas leur faire supporter l’entretien du château. Ces promesses peuvent sembler très classiques, car elles étaient inspirées par le serment que chaque souverain prononçait le jour de son sacre. Mais en Anjou, elles prenaient un relief bien singulier, dans la mesure où les élites étaient très

sensibles à la défense des autonomies locales, et très méfiantes à l’égard de toute autorité extérieure. François avait alors en main tous les atouts nécessaires pour se présenter comme un nouveau roi René, le restaurateur des franchises que son loin-

tain prédécesseur avait léguées à la province. Toutefois, 11 mit deux ans avant de venir s’installer quelque temps dans son apanage ligérien. Il y passa très rapidement en avril 1577, mais y resta plus de deux mois en 1578, du 19 février au 21 avril. Ce séjour était indispensable, car 1l survenait après les graves conflits qui avaient envenimé les rapports entre Bussy et les notables. En outre, la visite de François était loin d’être désintéressée, car il recherchait à l’époque les moyens nécessaires à l’expédition qu'il projetait aux Pays-Bas. Ce voyage eut néanmoins un retentissement particulier, de par l’imaginaire et les pratiques politiques qui se cristallisèrent autour de lui. François était alors brouillé avec son frère : sa venue dans son apanage s’apparentait donc à un mouvement d’humeur tout à fait conforme aux rites habituels du mécontentement nobiliaire. Il commença d’ailleurs par solliciter le soutien des gentilshommes angevins, qui vinrent le visiter dans son château dès son arrivée. Accompagné de Bussy et de tous ses familiers, le duc ne chercha pas à se concilier de prime abord les bourgeois, qui étaient indisposés par son entourage bruyant, 118

FRANÇOIS D’ANJOU, UN AUTRE ROI RENÉ?

indiscipliné et arrogant. François semblait en outre apporter un soutien inconditionnel à Bussy, auquel, d’après Louvet,

«il voulloit qu’on [...] portast grant honneur, aultrement l’on n’eust pas esté le bien venu ». Estimant que le duc «n’estoit guères bien assisté de conseil», le greffier se méfiait d’une noblesse dont l’autorité apparaissait moins légitime que jamais. Après la procession de Pâques, ses craintes furent confirmées par un scandale qui se produisit au logis de l’évêque. Au cours du banquet, les compagnons du duc firent mine de se quereller: après s’être jeté des serviettes à la figure, ils utilisèrent comme projectiles les écuelles d’argent, les verres et les victuailles, pour finir par les tables et les tréteaux. Selon Louvet, les prédicateurs exploitèrent cette affaire pour dénoncer l’insolence des gentilshommes, tandis que certains courtisans se justifièrent en expliquant «qu’il n’appartenoit à ung évesque et homme de basse condition de prendre la hardiesse de voulloir donner disner à ung duc d’Anjou». À condition qu’ils aient bien été prononcés, ces mots exprimaient à leur manière le fossé béant qui s’était creusé depuis quelques années entre la noblesse et l’ensemble des notables urbains. L’incompréhension mutuelle n’était plus seulement politique; elle se déployait dorénavant dans le champ symbolique, comme si les trois ordres, séparés par des dignités et des intérêts inconciliables, n’étaient plus capables d’œuvrer de concert en vue du bien commun. La vieille idée médiévale d’une société tripartite, multiple mais unie, semblable à un corps humain dont chaque organe devait agir en harmonie avec les autres, semblait avoir irrémédiablement disparu.

Toutefois, en dépit d’un contexte très défavorable, François sut inverser ce processus de décomposition politique, ou du moins le ralentir. Sans qu’il soit possible de savoir s’il agit de manière instinctive ou après avoir mûrement prémédité ses actes, il tenta en effet de se façonner une nouvelle image,

destinée à ses seuls sujets angevins, en parfait accord avec l’échevinage, qui lui apporta tout son concours. Le jeudi de Pâques, comme s’il voulait effacer les mauvais souvenirs qu'avait laissés le scandale du banquet, il lava les pieds de 119

LES NOBLES, LA VILLE ET LE ROI

treize pauvres après avoir écouté la messe en l’église SaintAubin‘. Le duc ne faisait pas qu’imiter le Christ; il prenait aussi modèle sur le monarque parce qu’il était lui-même fils et frère de roi, et parce qu’il lui fallait rappeler sa position d’héritier du trône. En outre, ce rituel lui permettait de donner un contenu mystique à ce titre ducal qui signifiait encore peu de choses sur le plan politique. Il lui fallait donc renouer avec une tradition médiévale à laquelle les Angevins étaient toujours très sensibles, invoquer la figure de saint Louis et s’approprier celle du roi René, dont l’ordre du Croissant avait déjà été placé, un siècle plus tôt, sous le signe de la charité*0. Puis il décida d’organiser une «joyeuse entrée », qui devait se dérouler sur le modèle royal que le cortège de Charles IX avait adopté en 1565. Lorsqu'il était arrivé à Angers, le 19 février 1578, François venait de quitter précipitamment la cour. Il avait fait tout le voyage à bride abattue, comme un fugitif, sans s’occuper de soigner son apparat — ce qui fut sans doute à l’origine de la méfiance qu’il rencontra dans les premières semaines en Anjou. L’idée de faire une entrée solennelle pour effacer le passé, ou du moins revenir à son point de départ, était logique: elle s’inscrivait dans une conception cyclique du temps, dans un désir de ressourcement, de refondation. Le décor monumental fut bien sûr confié à la municipalité, qui n’économisa pas ses deniers pour l’occasion. À la porte Saint-Nicolas, par laquelle il entra le 13 avril 1578 aux côtés de Bussy, avait été placé «ung tableau dépeinct d’une figure de femme qui représentoit la province d’ Anjou, size sur des rochers garniz de vigne à l’entour, tenant en la main dextre une clef et en l’autre ung livre, la clef signiffiant que la ville d’Angers estoit d’antiquité une des principalles villes des provinces et clefs de France, et le libvre, que ladite ville est riche d’une université florissante »‘!. François permit à Angers d’exalter sa richesse, sa puissance et sa culture en même temps que sa fidélité envers le prince. Car à côté de ce tableau, furent placés sur deux colonnes des «anges en bosse, qui tenoient l’un en la main dextre les armes du roy, et l’autre à senestre celle de mondit seigneur ». Sur l’arc triom120

FRANÇOIS D’ANJOU, UN AUTRE ROI RENÉ?

phal, près du porche du Grand-Éperon, un autre tableau réunissait le duc d’Anjou et quelques membres de sa famille : Henri III bien sûr, mais aussi Charles IX, François II, Henri II et François I®. Le duc était associé à la figure de son grand-père dans un tableau situé porte Chapellière, sous lequel on pouvait lire: « Le grand François Ie" veit premier les neufs sœurs « Foulantes l'herbe aux sons de leur frère Apollon, «Mais toy qui as de luy beaucoup plus que le nom, «Enchaîne du dieu Mars les tragiques fureurs »”?.

Le nouveau François allait ainsi créer les conditions d’une paix durable. La boîte de Pandore qui avait été ouverte vingt ans plus tôt ne manquerait pas de se refermer pour que les sujets du roi et les fidèles du Christ retrouvent l’harmonie de l’âge d’or. Dans une chanson composée et imprimée pour cette occasion, son règne fut assimilé à une renaissance de la concorde, identifiée à une restauration de la province:

« Puisque par la faveur du Ciel, «Nous goustons ce nectar de miel « Par le cours de son influence, «Nous pouvons bien dire l’Anjou «Estre affranchi de ce dur joug « Qui le mettoit en décadence. « C’est nostre souverain Seigneur, «Auquel nous devons los et honneur,

« C'est luy qui de mal nous préserve, «C’est celuy lequel après Dieu « Et le roy, régit ce bas lieu, «Et nostre liberté conserve.

« D'avril doux le treziesme jour, «Ayant quelque temps fait séjour «Dans Angiers, a faict son entrée : « Auquel lieu il a protesté « De maintenir en liberté « Tout le peuple de la contrée »*. [21

LES NOBLES, LA VILLE ET LE ROI

Les derniers vers le présentaient comme le nouveau garant des franchises locales, l’héritier des ducs médiévaux que la tradition montrait toujours comme des princes débonnaires. La composition du cortège et le programme des réjouissances étaient à l’image de cette symbiose rêvée. François était précédé par deux mille arquebusiers qu’accompagnaient les milices urbaines, les officiers de justice, les représentants de

l’université et les membres du clergé. Le défilé fut suivi par une splendide naumachie sur la Maine, au cours de laquelle des combattants déguisés en Mores, en Turcs et en «Sauvages

de l’Inde » assaillirent un château factice. Et lorsque le fracas des armes s’apaisa,

« Le murmure fut adoucy, «Sans aucun blessé ou occy, « Lorsque vint Paix, la grand déesse,

« Qui réduit alors les François «Au service du grand François, « Et tous luy en firent promesse ». Toutes ces fêtes, où la population put communier dans une même ferveur, permirent de rétablir, au moins provisoirement, le charisme ducal. Même Jean Louvet, d'habitude si

critique à l’égard des édiles et des gentilshommes chargés du gouvernement local, ne tarit pas d’éloges sur le spectacle auquel il assista: «II sembloit à les veoir que c’estoient les vrais hommes des nations estrangères qui estoient èsdictz vaisseaulx, qui alloient et se tournoient dans l’eau d’une aussy grande vitesse et dextéritté, comme sy c’eussent esté vrais vaisseaulx de la mer. Et ne se trouva de part ny d’aultre aulcun blessy, noyé ny fortuné ; et y avoit pour veoir ledict combat plus de soixante mille personnes, lesquelz s’en allèrent tous fort contents, avec ung grant applaudissement et joye d’avoir veu ung sy beau triomphe »°*. Lorsque François partit pour les Pays-Bas, quelques jours plus tard, les nobles d’ Anjou et du Maine furent nombreux à le suivre. L’effort qui avait été accompli sur l’image du prince avait porté ses fruits, et le duc ne cessa, plus tard, de 122

FRANÇOIS D’ANJOU, UN AUTRE ROI RENÉ? rechercher la collaboration des notables urbains, même s’il

revint très peu en Anjou. Entre 1579 et 1584, il les associa toujours à sa politique, et même aux principales orientations de sa diplomatie. Sollicitant leurs conseils, requérant leur avis, il sut ainsi les flatter, les convaincre que leur pays faisait de nouveau partie, comme au siècle précédent, d’un vaste ensemble européen qui les dépassait tout en les valorisant. Le 19 février 1582, il envoya par exemple aux échevins une longue lettre, dans laquelle il exposait les axes de sa politique: « Asseurer la paix, bien et repos que je vous ay procurés [...] ne peult estre que par les moïens que je tiens maintenant, en m’opposant à la grandeur de celluy qui, par son insatiable ambition, s’impatronise illicitement roy de Portugal [...] Prenons donc l’occasion pendant qu’elle se présente, et considérons le danger qui nous menace si nous souffrons que la puissance d’un prince voisin, quand bien [même] il seroit amy, croisse si démesurément qu’il puisse donner la loy à qui bon luy semblera [...] Mais j'espère que Dieu me fera la grâce de déjouer ses pernicieulx desseings ; [ce] dont je me rendray [d’aultant] plus certain [par] l’accomplissement de mon mariage avec la reine d’Angleterre [...] Prenez

donc de bonne part l’advertissement que je vous donne, comme estant le seul remède et guarison de noz maux passez, [...] estant certain que de tous les moïens qui peuvent estre practiquez pour asseurer le repos de la France, celuy qui est en mes mains est resté [le seul], tous les aultres ayant esté inutilles et sans aulcun effect, comme

vous avez veu »*f.

Il sut également satisfaire leurs doléances locales. Après la mort de Bussy, il était indispensable qu’il fît un détour par la région pour y régler tous les problèmes que le décès du gouverneur laissait en suspens. Le 15 janvier 1580, il fit son entrée à Angers, flanqué entre autres de Charles IT de CosséBrissac, le neveu du maréchal de Gonnord. Puis, après une semaine de réflexion, il procéda à un vaste renouvellement de son personnel en Anjou. Il confia la responsabilité de la province à Claude de Beauvilliers, le comte de Saint-Aïgnan, un gentilhomme berrichon dans lequel il avait toute confiance. 123

LES NOBLES, LA VILLE ET LE ROI

Né en 1542, il avait fait partie de son entourage proche dès 1566, avec le titre de conseiller et chambellan ordinaire. Deux

ans plus tard, il avait commandé sa compagnie d’ordonnance, avant de devenir, en 1571, gouverneur du duché d’Alençon,

du Perche, et de Château-Thierry. Depuis trois ans, il était surintendant de la maison et des affaires de François, ce qui lui permettait d’apparaître comme son principal conseiller. La nomination de cet homme d’expérience était de nature à rassurer les Angevins sur ses intentions, mais il ne resta pas

dans le pays: après avoir accompagné François en Angleterre, il le suivit en Flandres, où il mourut à Anvers, fin 1583. Le gouvernement effectif de l’ Anjou fut en fait placé entre les mains de Tilly. Depuis quatre ans, le gouverneur d’ Angers avait fait tout son possible pour conserver de bonnes relations avec les notables, qui n’avaient aucune raison de se plaindre de lui. Il fut donc épargné par la purge de janvier 1580, contrairement à Saint-Ceval, qui était le plus ferme soutien de Bussy. Le chef de la garnison fut en effet démis de son commandement «à raison des plainctes et mauvais traitements qu’il faisoit aulx habitants de la ville d’ Angers, qu’il estoit soubzonné de faire de la faulce monnoye dans ledict chasteau, ensemble tous ses soldartz »*’. François le remplaça d’abord par Jean de Simiers, le maître de sa garde-robe“, puis, très rapidement, par un noble beauceron, Michel du Hallot, qui était son

capitaine des gardes et faisait partie des gentilshommes ordinaires de sa chambre*”. Il était issu d’une vieille famille du pays chartrain qui avait accumulé de nombreuses seigneuries depuis le xve siècle, mais Michel, qui était le quatrième fils de Jean, seigneur de Mancy, et de Louise de Cernay, avait choisi de suivre la voie des armes pour tenter sa chance. Jusqu’à présent, cette décision lui avait plutôt réussi, car il avait été gentilhomme servant du roi entre 1573 et 1576, puis gentilhomme ordinaire de sa chambref?. Tout en faisant partie de la clientèle du duc d’Anjou, il n’était pas étranger à celle d’Henri IT, ce qui n’avait rien pour déplaire à ce dernier, que l’inconduite de Saint-Ceval et Bussy avait préoccupé ces dernières années. 124

FRANÇOIS D’ANJOU, UN AUTRE ROI RENÉ?

Changer les hommes ne suffisait pas, car les relations entre la ville et le château s’étaient dégradées à un point tel qu’il était indispensable de dissiper toutes les rumeurs qui couraient au sujet de la forteresse. Le dimanche 23 janvier 1580, le château fut ouvert à tous les citadins, qui purent le visiter sans crainte. D’après Louvet, cette décision «donna une grande Joye auxdictz habitants », d’autant qu’une procession générale eut lieu le lendemain, rassemblant toutes les élites, le duc

et les seigneurs de sa suite. Sous les acclamations de la foule, elle se dirigea vers l’église des Cordeliers pour une grande messe d’action de grâces. François put ainsi se présenter comme le justicier suprême, le lieutenant de la volonté divine, dont l’œuvre avait permis de délivrer la ville de ses oppresseurs : «Tous les habitants [... eurent] grande joye de veoir leurs seigneurs et princes qui louoient Dieu de ce qu’il les avoit tirez d’entre les mains d’un meschant qui estoit dans ledict chasteau, qui les vexoit »tl. Les notables avaient une telle confiance dans leur duc qu'ils se prirent à espérer la renaissance de leurs anciennes franchises urbaines. Le 6 décembre

1581, Tilly mourut des

suites d’une chute de cheval, et deux jours plus tard, les échevins écrivirent à François pour lui rappeler que la charte de Louis XI leur avait accordé la garde de leur ville. Is lui demandèrent de ne pas le remplacer, et «de ne nous donner aultre maistre que vous, Monseigneur, à qui sur nos vies nous garderons toutte obéissance et fidélité. Nous ne vous demandons rien que ce qu’il vous a pleu cy-devant nous promettre ; joinct que vous avez par decza avec nous Monsieur du Hallot auquel, quand il vous plaira ordonner quelques commandemens pour nous faire sçavoir de vostre part, nous obéirons trez volontiers, et les exécuterons aussi diligemment que s’il y avoit en ce gouvernement ung lieutenant exprès pour cest effect »°2. Cette doléance, qu’ils n’avaient jamais osé formuler auprès du roi, ne témoignait pas seulement de la méfiance qu’ils ressentaient toujours à l’égard de l’autorité nobiliaire, mais aussi du climat nouveau que le duc avait su créer en Anjou depuis la mort de Bussy. Deux semaines plus tard, alors qu’il séjournait à Londres, 125

LES NOBLES, LA VILLE ET LE ROI

il accéda à leur requête en leur répondant qu’il demandait «audict sieur du Hallot qu’il commande ce qu’il congnoistra nécessaire et estre de mon service dedans la ville comme il faict au chasteau, me fiant en vous de la garde d’icelle; et s’il

advenoit quelque remuement, ce que je ne pense, vous recevriez ses commandemens comme les miens propres, continuant la bonne amitié et intelligence que je voy estre entre vous et luy, dont j’è receu ung extrême et grand contentement ». À l'évidence, François ne se souvenait pas des assu-

rances auxquelles ils avaient fait allusion dans leur courrrier — «la promesse que vous dîtes que je vous ay faicte » — mais il acceptait toutefois leur demande parce que les négociations qu’il menait avec Elizabeth étaient d’une telle importance qu’il préférait «ne toucher à aulcune résolution des aultres qui touchent à [son] particullier en France, et principallement de [ses] affaires »63. En clair, l'exercice de son autorité personnelle en Anjou était devenu le moindre de ses soucis, à condition que l’ordre y fût garanti. Et pourtant, l’entente parfaite qui semblait régner entre le duc et les notables subit de sérieux accrocs dès qu’il fut question d'argent. Car ses ambitions européennes avaient un coût que les seuls revenus de son domaine ne pouvaient satisfaire. La levée des impôts indirects s’exerçait toujours au profit exclusif du Trésor royal, et François ne pouvait compter que sur la bienveillance parcimonieuse de l’échevinage d’Angers. Dès le mois d’août 1580, alors qu’il envisageait de ceindre la couronne ducale de Brabant, il demanda discrètement une aide financière au maire, Jean Ayrault. Devant une assemblée de notables, le 19 septembre, celui-ci plaida la cause de leur maître, en insistant sur «les commoditez que ce païs d’Anjou en tirera, et mesmes l’exemption présente de la levée et passaige des gens d’armes par le moïen de Mondictseigneur, qui faict toutte démonstrance d’aymer, chérir et favoriser ce païs d’Anjou plus que nul[le] aultre province de son apanaige »%. Mais il ne put réunir le don gratuit de 5 000 écus qu'il sollicitait. Un mois plus tard, Ayrault entreprit une démarche similaire auprès du conseil de ville, 126

FRANÇOIS D’ANJOU, UN AUTRE ROI RENÉ?

en présentant sa requête comme un emprunt, puis en faisant confectionner «ung rolle des plus aysez et plus voluntaires habitans de ceste ville, qui seront particulièrement invitez à comparoir au logis de Monsieur de Tilly, [...] pour les inviter à faire prest, chascun selon leurs voluntez, pour ensem-

blement faire ladicte somme de cinq mil escus»f5. En juin 1581, la somme tant attendue n’était toujours pas réunie, car le 28, François leur écrivit: «Messieurs, ce mot n’est que pour une recharge de la prière que je vous ay faicte, au commancement de ce mois, [...] pour me secourir par prest de quelques hommes, chevaulx et charrettes, pour ayder à mener mon attirail en l’armée que je fais dresser pour avitailler Cambray, d’autant que 1l est maintenant à propos d’effectuer, pour ce regard, l’affection que je me prometz de vous, et d'y faire diligence »‘%. Retranchés derrière leurs franchises,

les membres du corps de ville acceptèrent, du bout des lèvres, de lui prêter 600 écus. Mais ils soulignèrent au cours des délibérations suivantes, les 28 et 30 juin, que cette somme

ne devait pas être assimilée à un impôt, puisque l’État seul en détenait le monopole. Avec beaucoup de subtilité, 1ls ajoutaient même : « Au cas qu’il plaise au roy décerner ses lettres par lesquelles, au lieu desdites munitions, 1l ordonne que la somme de cinq ou six cens escuz soit levée en ceste dite ville,

[..] pour le service qu’ilz doibvent et veullent rendre à Son Altesse, 1i1z en consentiront l’esgail [la répartition] sur eulx, sans tirer à conséquence ni déroger à leurs privilleiges »67. Pour une fois, l’invocation de la majesté royale venait donc au secours des libertés urbaines. Les notables continuèrent à résister aux sollicitations de leur duc jusqu’au bout. Peu de temps avant sa mort, François leur adressa une dernière supplique pour obtenir de leur part 12000 écus, mais sa tonalité presque pathétique cachait mal la lassitude qu’il éprouvait face à leur inertie: «Messieurs, j’ay esté très ayse d’avoir entendu, par le sieur du Hallot, la continuation de vos bons comportemens en ce

qui touche à mon service et son particullier, à quoy je vous prie de continuer avec aultant d’affection que je veulx de 127

LES NOBLES, LA VILLE ET LE ROI

ma part le recognoistre, par l’appuy de ma faveur [...] Et si vous estez disposez, comme je le veulx croire et que ledict sieur du Hallot m’a tesmoigné, à me faire prest de douze mil escus, dontje vous ay longtemps requis, je serois très aise que vous missiez à effect ceste bonne volunté, sans vous arrester aux disputes qui peuvent estre entre vous aultres, que je désire estre composées et vous voir tous d’ung bon accord. À quoy, ledict sieur du Hallot vous exhortera de ma part, comme à la chose de ce monde plus nécessaire et recommandable entre concytoïens qui ayment leur bien, repos et conservation »6$. Le décès du duc d’Anjou, que les échevins apprirent par une lettre du roi le 16 juin 1584, mit un terme à ces âpres négociations et mit fin à une ère politique très importante. Car en dépit des dérèglements qui s’étaient produits à l’époque de Bussy, François avait su réconcilier les Angevins avec l’autorité nobiliaire. Bien plus que les rois de France, il avait compris les mentalités des notables et répondu à leurs besoins d’autonomie, notamment à propos de leur défense. Au cours de son séjour de 1578, 1l avait su apparaître comme le digne successeur du roi René, dont le règne allait favori-

ser le retour de la paix, de la concorde et de la prospérité. À partir de 1580, il avait consenti à un relâchement de la pression militaire sur la ville et son duché, en écartant SaintCeval du château et en confiant à Michel du Hallot les responsabilités qu'avait exercées Tilly. Mais il avait d’autant mieux capté la confiance des élites qu’il n’avait aucun pouvoir fiscal dans son apanage : même sincères, ses concessions politiques étaient aussi le moyen d’obtenir en échange une aide financière indispensable. Ses efforts furent vains. Le succès de sa joyeuse entrée du 13 avril 1578 et de la procession du 24 janvier 1580 attestent une indéniable popularité, mais ce retour de l’âge d’or était un leurre. Même s’il avait une culture politique lui permettant d’être à l’écoute des doléances urbaines héritées du Moyen Âge, François d’Anjou était un homme de son temps, qui raisonnait en termes d’équilibre des forces à l’échelle du continent, et qui 128

FRANÇOIS D’ANJOU, UN AUTRE ROI RENÉ?

avait donc de pressants besoins d’argent. En faisant d’importantes concessions aux notables, il espérait un appui de leur part, mais ce faisant, il favorisa un effacement de l’au-

torité nobiliaire dont la conséquence immédiate fut un regain des tensions religieuses bien avant la naissance de la Ligue.

4. La montée de l’intransigeance catholique L’édit de Beaulieu avait accordé aux protestants l’autorisation de pratiquer leur culte sans grandes restrictions, hormis à Paris et dans les villes de résidence royale. Comme le frère du roi en avait été le principal instigateur, il était logique que les clauses en fussent appliquées prioritairement dans son apanage, afin de montrer de façon concrète que le texte était viable. Or en Anjou, la création de lieux de culte officiels était d’autant plus urgente que le parti protestant bénéficiait encore de solides appuis, en dépit des dégâts provoqués par la Saint-Barthélemy. Une nouvelle génération de gentilshommes huguenots s’était ainsi affirmée après l’échec des nobles condéens qui avaient participé à la prise d’Angers, en 1 562. Jacques de Chivré, seigneur de La Guénaudière, était leur principal porte-parole. Beau-frère de René de La Rouvraye, qui avait été décapité à Angers le 10 novembre 15729, il disposait d’un crédit d’autant plus grand que son père avait été maître d’hôtel de François, à l’époque où ce dernier était encore duc d’Alençon. Très prudent dans ses choix, il avait réussi à demeurer en bons termes avec Henri II,

qui venait de le nommer en 1576 grand maître des eaux et forêts du comté de Laval”. Les nobles angevins qui avaient adopté le calvinisme ne s’étaient d’ailleurs pas coupés de leurs relations catholiques :Mathieu de La Brunetière, sei-

gneur du Plessis-de-Gesté, affichait de bons rapports avec Bussy. À l'instar des seigneurs protestants de la province du Maine, ils avaient également conservé des liens avec leurs coreligionnaires de la ville, notamment François Bellanger, président en l’élection d’Angers, Jean Lermercier, avocat au

129

LES NOBLES, LA VILLE ET LE ROI

présidial, et son collègue Mathurin Jousselin, qui faisait fonc-

tion de ministre’!. En octobre 1576, celui-ci prit leur tête pour demander à Tilly de leur octroyer un lieu de culte, conformément aux articles de l’édit. D’après Louvet, l’entrevue tourna court, car il leur répondit «qu’il en advertiroit M. le duc d’Anjou, et qu’ilz ne fussent si hardiz ny osez de faire le presche ny aulcune cédition »”2. Sa méfiance n’était pas surprenante. Comme tous ses prédécesseurs, il avait pour principal souci le maintien de l’ordre public dans la ville et la province, d’autant qu’il devait exercer de facto la charge de gouverneur d’ Anjou jusqu’à l’arrivée de Bussy, en novembre. Par ailleurs, 1l s’était engagé dans une politique de rapprochement avec les échevins catholiques et les milices urbaines, ce qui supposait de ne pas froisser leur intransigeance religieuse. Enfin, François d’ Anjou était en train de mettre en sourdine son soutien aux églises réformées, ce qui ne pouvait que l’inciter à faire preuve de la plus grande prudence. Le climat changea brusquement lorsque Bussy arriva à Angers, car celui-ci ne chercha pas à cacher les sympathies qu’il éprouvait pour certains gentilshommes calvinistes, à condition qu’ils se tinssent tranquilles. Au contraire, 1l utilisa cette carte comme un moyen de pression supplémentaire sur les citadins, laissant se répandre les rumeurs les plus folles. En mai 1577, il invita ostensiblement Jacques de Chivré, Mathieu

de La Brunetière,

François

Bellanger, Mathurin Jousselin et Jean Lemercier. Et lorsqu'il fit renforcer

les défenses

du château,

en mai

1577, les

Angevins murmurèrent que les «huguenotz [en] eurent bonne opinion et que ledict sieur de Bussy avoit envye de prendre leur party » *. D’après Jean Louvet, «les huguenotz promettoient audict sieur de Bussy de lui fournir grand nombre d'hommes, qui ne demandoient que piller et entrer en la ville, et lesquelz huguenotz promettoient audict sieur de Bussy de lui fournir six cents hommes en armes pour l’assister ». Le souvenir des journées d’avril 1562 était encore très vif, et il avait saisi tout le profit qu’il pouvait en escompter pour tenir

les notables en respect/{. 130

FRANÇOIS D’ANJOU, UN AUTRE ROI RENÉ ?

Ce contexte délétère n’avait aucune chance de déboucher sur une solution négociée concernant l’emplacement d’un prêche. C’est pourquoi les protestants, emmenés par Charles du Bellay, attendirent le départ de Bussy au siège d’Issoire pour rencontrer Tilly une nouvelle fois. La requête qu’ils lui présentèrent le 22 octobre 1577 était modeste, puisqu'elle se contentait, conformément à l’édit de Poitiers publié le 8 octobre, de demander un lieu de culte dans chaque bailliage — ceux d’Angers, de Beaufort, de Saumur et de Baugé. Plutôt que de leur signifier un nouveau refus, Tilly préféra s’en remettre au conseil de ville, qui se réunit le 5 novembre. Les échevins s’opposèrent une fois encore à l’édification d’un temple, et prièrent le gouverneur «d’avertir Monseigneur que, pour le bien et repos de ses subjectz et habitans de son païs d’Anjou, 1l [était] expédiant qu’il ne se face aucun establissement de lieu pour l’exercice de la prétendue religion en sondit païs d’Anjou, et en mander particulièrement les raisons à Mondictseigneur ;et que, où il plairoit à ladite Majesté du roy et de mondit seigneur qu’il en soit estably, ce soit en ung seul lieu d’Anjou, suyvant l’édict»”*. Davantage qu’une reconnaisance officielle des hérétiques, l’échevinage craignait surtout qu’ils obtiennent l’autorisation de se réunir à Cantenay, tout près de la ville: une telle décision pouvait engendrer des séditions populaires et remettre en cause l’ordre public, auquel les notables tenaient tout autant que les nobles. Pour une fois, ils tombèrent même d’accord avec Bussy, qui avait été mis au courant des doléances calvinistes par son subordonné. Même s’il entretenait d'excellentes relations avec les gentilshommes réformés, 1l n’était pas dans son intérêt que le désordre s’installe à Angers, puisque son rôle de gouverneur faisait de lui le responsable de la paix religieuse et civile. C’est la raison pour laquelle il proposa que le prêche fût établi officiellement à Baugé, «qui est le plus au mellieu dudit pays »’f : une idée logique, puisque cette ville était, avec Saumur, le principal foyer du calvinisme angevin??. Les protestants angevins prirent ainsi l'habitude de se rendre à Baugé, mais sans avoir reçu au préalable un texte 131

LES NOBLES, LA VILLE ET LE ROI

officiel émanant du pouvoir. La pratique du culte réformé en Anjou resta donc très opaque tout au long de l’année 1578, sans doute du fait des échevins, qui évitaient d’aborder ce sujet brûlant en conseil, mais aussi à cause du duc, qui ne

semble pas avoir essayé d’obtenir de son frère une reconnaissance explicite du culte à Baugé. Aussi, lorsque s’ouvrirent les conférences de Nérac, en janvier 1579, Catherine de

Médicis et le roi ignoraient de quelle façon le problème religieux avait pu être réglé en Anjou. Le 29 janvier, Henri III écrivit par exemple à Bussy: «La royne, madame et mère, m'a mandé qu’elle désiroit sçavoir à la vérité quelz lieux ont esté baillez, en vostre gouvernement, à ceulx de la religion

prétendue réformée pour faire l’exercice de leur religion, suyvant ce qui leur a esté accordé par mon édict de pacifficacion, afin qu’elle en puisse respondre en la conférence où elle est ces jours 1cy entrée avec mon frère le roy de Navarre, pour l’entière exécution de mondict edict ». Catherine et son fils étaient à l'évidence victimes de la très mauvaise concertation qui s’était instaurée depuis plusieurs mois entre l’administration centrale et l’autorité nobiliaire locale. Contrairement aux pratiques qui avaient cours à l’époque de Puygaillard, les liens très ténus qui existaient naguère entre le roi et le gouverneur s'étaient distendus. Ni François d’Anjou, n1 Bussy n'avaient Joué le rôle de relais dont 1ls étaient pourtant invesus depuis 1576. Les grandes orientations religieuses du pouvoir royal n’avaient pas été appliquées, ce qui laissait libre cours à l’intransigeance catholique et au mécontentement des huguenots. Henri III semblait en être pleinement conscient, à tel point qu’il ordonnait à Bussy, «incontinant la présente [lettre] receue, de [lui] escrire, et à [la reine mère] aussi, ce

qui est de ce faict là, comment vous vous y estez gouverné et en usent ceulx de ladicte religion, ausquelz, s’il n’a [pas] esté donné satisfaction pour ce regard, il ne fault pas doubter qu’11z n’en facent plaincte et instance à la royne [...] en ladicte conférence. Partant, 1l sera nécessaire que vous luy en mandiez les raisons, et là où il n’auroit esté pourvu desdicts

lieux, que vous nous mandiez ceulx que vous estimerez estre 132

FRANÇOIS D’ANJOU, UN AUTRE ROI RENÉ?

plus à propos qui leur soient accordez, affin de le leur faire entendre, et s’il est besoing, en convenir avec eulx »’8.

Pressée de faire aboutir les négociations de Nérac, la reine mère accepta que les protestants angevins se réunissent à Cantenay, ce qui provoqua de nouveau une levée de boucliers de la part des bourgeois. Or leur accord était indispensable, de même qu’il fallait obtenir celui de Bussy, et surtout celui du duc d’Anjou. C’est pourquoi le 26 mars 1579, les principaux notables calvinistes présentèrent à François une pétition lui demandant «que Sorges, Apvrillé ou Cantenay leur [fussent] baillez pour faire ledit exercice »’?. L'idée était habile, car seul le duc disposait de l’autorité nécessaire pour faire respecter une décision dans ce domaine. En outre, comme le site de Cantenay semblait largement compromis depuis trois ans, 1ls espéraient un déblocage des pourparlers en proposant d’autres choix. Tous les espoirs d’un règlement pacifique du problème reposaient donc sur le bon fonctionnement de l’autorité nobiliaire, qui était détenue par le duc et son gouverneur. Or l’échevinage d’Angers, qui avait également pris connaissance de cette requête, écrivit au roi pour obtenir que le prêche reste limité à Baugé, «estant au milieu du païs d’Anjou, et auquel lieu cy davant, en conséquence d’aultres vos édictz de paciffication, lesdits de la religion avoient faict bastir ung temple, et là esleu le lieu de l’exercice de leurdite Religion »#°. Les notables ne semblaient pas avoir une confiance illimitée dans la volonté politique de François, car en dépit de leur attachement à son égard, ils avaient peur d’être trahis par un soudain excès de souplesse. Leurs appréhensions étaient certainement infondées, car le 28 avril, 1l

écrivit à Bussy pour lui soumettre le dilemme en ces termes: « Avant que de ce faire, je désire avoir vostre advis, ensemble desdits maires et eschevins, pour sçavoir lequel lieu on leur pouroit bailler. Et partant, après que vous en aurez advisé ensemblement dudit lieu que leur penserez estre proposé, je vous prye m'en donner advis, mais regardez bien que cela ne puisse amener trouble ny sedition, et que ledict lieu ne soyt incommode aux habitans, pour inciter le peuple à murmure, 133

LES NOBLES, LA VILLE ET LE ROI

affin que, suyvant ce que m’en aurez adverty, il y soyt pourveu »8l, Comme les notables et les nobles auxquels il avait délégué la responsabilité de son duché, François était d’abord préoccupé par le maintien de l’ordre. Le souvenir de la SaintBarthélemy était encore tout proche, et des émeutes catholiques pouvaient toujours se produire. Comme il avait préféré se défausser sur Bussy, ce dernier avait la responsabilité de trancher la question. Le conseil de ville en était si persuadé que le 17 juillet 1579, une délégation conduite par le maire alla rencontrer le gouverneur aux Pontsde-Cé. Elle était chargée de «luy faire remonstrance des brigues sourdes que font ceulx de la pretendue religion réformée, pour obtenir ung lieu de presche public aux portes de ceste ville, et des inconveniens qui en pourroient arriver, et le supplier escripre au roy ad ce que [...] 1l plaise à Sa Majesté ordonner où il seroit de nécessité establir ung presche public en Anjou pour ceulx de lad. religion, qui soit mis ès forbourgs de la ville de Baugé, lieu plus commode pour tous ceulx de lad. religion qui peuvent estre aud. païs d’ Anjou en divers endroicts, parce que lad. ville de Baugé est, entre les aultres villes du païs d’ Anjou, plus sur le mellieu d’icelluy »®. Ces remarques étaient sans doute superflues, car depuis deux ans, Bussy avait clairement indiqué qu'il était préférable d’éloigner les prêches. Il écrivit donc au roi le 30 juillet afin de clore définitivement cette affaire. Après avoir rappelé que les protestants avaient proposé à Tilly de choisir entre Sorges, Cantenay et Avrillé, il insista lourdement sur le fait que «lesdits villaiges sont proches d’une lieue de vostre bonne ville d’Angiers, |... et] sont passaiges sur rivières, [ce] qui pourroit, allant et venant, causer sédition entre eulx ». Le danger était très clairement identifié. Les risques d’émeute étaient trop importants, ce qui risquait de nuire à la fois aux magistrats chargés de la justice et aux nobles qui exerçaient l’autorité militaire. Mais de tels arguments ne pouvaient être rendus publics. Irrecevables sur le plan religieux, 1ls risquaient surtout de vexer les uns et les autres, en les présentant comme des fauteurs de troubles. Bussy proposa au roi d’invoquer plutôt la loi: comme «le huictiesme 134

FRANÇOIS D’'ANJOU, UN AUTRE ROI RENÉ?

article de vostre édict porte expressément que les presches seront establiz aux faulxbourgs d’une ville, j’ay encore trouvé, avec les principaulx officiers de ce païs, s’il plaist à Vostre Majesté, pour contanter et contenir ung chascun en paix, les faulxbours dud. Baugé estre le lieu [le] plus commode pour establir leur presche »%. Les trois lieux suggérés par les huguenots ne pouvaient effectivement pas être considérés comme appartenant aux faubourgs, ce qui permettait de les écarter facilement, puisqu'ils n’entraient pas dans le cadre défini par les pourparlers de Nérac®. L’échec des calvinistes angevins était largement consommé. Deux ans plus tard, quelques gentilshommes tentèrent une nouvelle fois leur chance en demandant à François de les autoriser à célébrer le culte à Cantenay. De plus en plus absorbé par les négociations qu’il menait en vue de son mariage avec Elizabeth, peu au fait de la géographie de son apanage, le duc se laissa convaincre et leur accorda un temple. Sa décision fut même confirmée par des lettres patentes signées par Henri I le 6 juillet 1581, ce qui provoqua de nouvelles protestations de la part des échevins. Une délégation partit dans les Flandres pour y rencontrer François, qui demanda alors à Tilly de mener une nouvelle enquête. Comme ce dernier n’avait pas plus envie de s’attirer les foudres des notables qu’en 1576, il conclut dans leur sens, ce qui incita François à demander au roi de revenir sur sa décision... En définitive, les lettres patentes furent retirées le 15 janvier 1582, et Baugé redevint le seul lieu autorisé pour le prêche. Cette histoire est intéressante à plusieurs titres. Elle prouve d’abord que François détenait bel et bien les clefs du problème, car lui seul avait l’entregent nécessaire pour imposer une solution. Mais comme il ne vint pas souvent en Anjou, il dut se fier à l’opinion des gentilshommes qui exerçaient l’autorité en son nom. Or aucun d’entre eux, soit par choix personnel, soit par lâcheté, ne voulut s’opposer aux échevins, qui étaient toujours hantés par le souvenir des journées iconoclastes d’avril 1562. L’effacement du pouvoir nobiliaire, caractéristique du règne de François d’Anjou, entraîna 135

LES NOBLES, LA VILLE ET LE ROI

par conséquent l’affirmation d’une notabilité catholique désormais sûre d’elle-même, qui figea les calvinistes dans une posture d’éternels fauteurs de troubles. Alors qu’en Champagne, à la même époque, Joachim de Dinteville parcourait son gouvernement pour rassurer les huguenots sur ses intentions et leur trouver des lieux de culte adéquats, les nobles angevins ne voulurent pas se donner les moyens d’apaiser les tensions confessionnelles. La période était pourtant propice à la mise en œuvre d’une solution négociée, car Henri III et sa mère avaient démontré, avec l’édit de

Poitiers et les conférences de Nérac, qu’ils pouvaient garantir de nouvelles formes de coexistence religieuse. Mais dans l’apanage d’ Anjou, le roi ne pouvait réellement compter sur la bonne volonté, très aléatoire, des clients de son frère, d’au-

tant qu'ils n’avaient pas, sur les notables, l’autorité que Puygaillard détenait dans les années 1560. Même en ayant conservé la perception des impôts et l’exercice de la justice, le souverain avait donc été privé des relais qui lui auraient été indispensables pour imposer sa politique de paix. Incapables d’enrayer l’essor de l’intransigeance catholique, les nobles qui lui étaient fidèles eurent ainsi le plus grand mal à endiguer la montée de la contestation ligueuse.

136

CHAPITRE V

Angers sous domination noble (1584-1594)

1. L’affaire du château «Le quinziesme jour d’octobre audict an 1584, il fist tout

ledict jour grant vent et pluye, et tomba en la ville des Pontsde-Cé, lez ceste ville d’Angers, du sang du ciel»!. Cette note

de Jean Louvet, qu’il inséra dans son Journal avant de se plaindre des inondations et de la cherté des blés, témoigne à

sa manière de l’angoisse qui saisit la population catholique après la mort de François d’Anjou. Le décès du frère d’Henri IIL, qui permettait au roi de Navarre de se présenter comme le nouvel héritier de la couronne de France, apparaissait comme un indice supplémentaire de la dégénérescence du monde, la marque du courroux divin et de l’imminence de l’ Apocalypse. En Anjou comme ailleurs, cet événement eut donc un puissant impact politique, religieux et mental’. Dans la province, la disparition de l’apanage eut aussi d'importantes conséquences en termes d’autorité nobiliaire,

car elle permit au roi de France de récupérer dans la région 1

LES NOBLES, LA VILLE ET LE ROI

son pouvoir de nomination aux charges militaires. Henri IT ne pouvait en effet se satisfaire de la situation dont il héritait à l’été 1584: depuis la mort de Tilly, trois ans plus tôt, Michel du Hallot cumulait le gouvernement de la province, de la ville

d’Angers et du château. Aucun noble, depuis le début des guerres civiles, n’avait disposé d’une telle latitude, mais cette puissance était très illusoire. Du Hallot avait obtenu ce poste grâce à l’appui des notables angevins, qui avaient intercédé auprès de François pour n’avoir aucun autre interlocuteur. Il avait une dette à leur égard, ce qui ne pouvait manquer de le gêner, surtout dans les négociations fiscales et militaires. En outre, Henri III avait besoin de compter sur des gentilshommes sûrs et dévoués, sans lesquels il ne parviendrait pas à maftriser le mécontentement des ultra-catholiques. C’est pourquoi il fit revenir Jean de Puygaillard dans la région dès le mois de juillet 1584. Depuis son éviction du gouvernement d’Anjou, en juin 1576, celui-ci avait poursuivi une belle carrière, grâce à la confiance que lui témoi-

gnait le souverain. Maréchal de camp général des armées du roi dès l’année suivante, il avait reçu le collier du Saint-Esprit en décembre

1580, avant d’être nommé

lieutenant général

en Picardie deux ans plus tard*. En dépit de cet éloignement, il n’avait pourtant pas perdu tout contact avec la région : en septembre

1577, à la mort de sa femme, Marie de Maillé-

Brézé, il était venu à Angers pour entendre une messe à sa mémoire en l’église des Cordeliers. Le maire, les échevins

et tous les officiers de justice avaient assisté à l’office et au dîner qui avait suivi dans la maison de ville. Accompli à une époque où les relations entre Bussy et les notables étaient particulièrement tendues, ce séjour de Puygaillard lui avait sans doute permis de transmettre quelques renseignements à la cour au sujet de son successeur. Il connaissait si bien l’Anjou que le monarque et sa mère avaient continué d’ailleurs à faire appel à lui pour obtenir des indications fiables sur les rapports de forces dans le pays. En 1580, avec François Le Roy de Chavigny, il informa par exemple Catherine de Médicis des rumeurs contradictoires qui cir138

ANGERS SOUS DOMINATION NOBLE

culaient autour de la préparation d’une sédition protestantes. Le nommer gouverneur de la province, en juillet 1584, était donc une façon pour Henri II de reprendre l’initiative, puisque de 1562 à 1576, Puygaillard avait amplement prouvé sa loyauté à l’égard de la couronne. En outre, depuis la SaintBarthélemy, il avait intégré avec succès sa clientèle personnelle, ce qui faisait de lui le représentant personnel du souverain. Ce retour de Puygaillard ne doit pourtant pas être interprété comme une simple reprise de la politique menée au début des années 1560, à l’époque où il régnait en maître incontesté sur le pays. Depuis vingt ans, la noblesse seconde angevine avait obtenu de nombreuses charges officielles, avec Antoine de Vassé, Artus de Maillé, Jacques du Bellay ou

Claude d’Aubigné. Même si ces hommes n’étaient pas parvenus à trouver des solutions pour assurer une durable coexistence confessionnelle, ils avaient toutefois démontré qu’ils étaient précieux pour faciliter les relations entre la couronne et la ville d’Angers. Puygaillard avait sans doute une longue expérience derrière lui; il avait le talent et la réputation nécessaires pour faire régner l’ordre, mais ses méthodes étaient fort éloignées d’un style de gouvernement paritaire, mieux adapté au règlement des conflits religieux que la simple coercition. C’est pourquoi le roi de France choisit de nommer, comme dans les années 1574-1576, un noble du pays pour tenir la ville et le château. Le 15 janvier 1582, Artus de Cossé-Gonnord était mort

dans son château familialé. Son décès permit au roi de sonser une nouvelle fois à cette famille pour lui confier une charge dans la province, car jusqu’à présent, le vieux maréchal de France avait surtout servi les intérêts de François d’Anjou’. Comme il laissait trois filles, le souverain ne fit pas appel à sa descendance directe, mais à son neveu, Charles II de Cossé-Brissac,

le fils de Charles I. Né en

1562, il avait succédé de façon très formelle à son frère aîné, Timoléon, à la tête de la garnison du château, en mars 1570. À l’âge de 19 ans, il avait ensuite été nommé lieutenant 139

LES NOBLES, LA VILLE ET LE ROI

général en Normandie, où il avait effectué un bref séjour, avant de devenir le bras droit de Strozzi, dans la marine du

Ponant. Mais cette expérience navale fut un désastre: le 28 juillet 1582, la flotte française subit un cuisant revers au large des Açores, face aux navires espagnols. La plupart des bâtiments français furent détruits ou endommagés, et CosséBrissac n’eut la vie sauve qu’en montant dans une chaloupe, peu avant le naufrage de son propre bateau$... Comme Strozzi avait été tué au cours de la bataille, il dut assumer tout seul la responsabilité de la défaite, ce qui lui valut deux années de disgrâce. En 1583, Henri II refusa tout net de lui confier un nouveau commandement naval, non seulement parce qu’il ne semblait pas avoir le pied marin, mais surtout parce que le roi entendait respecter les droits de son beau-frère, le duc de Joyeuse, grand-amiral de France. À

cette époque, 1l écrivait à Villeroy que Brissac «n’a ny gaigné la bataille, ny faict si grands myracles, à ce que j’ay sceu, qu’il soyct pour désonorer ce qui se passera tousjours en toutes choses. Et ne fault pas que l’on pance avec le temps le favoryser par atandre écouler le temps. Mais le myeulx est qu’il a beau estre favorisé de tous, il ne le sera ni de moy contre mon beau-frère, ni de la royne ma bonne mère. Les autres ne sont rien où nous ne parlons poinct »?. Ce n’est donc pas parce qu’il bénéficiait de la confiance du monarque que Charles de Cossé-Brissac fut nommé gouverneur de la ville et du château, le 13 juillet 1584. Au contraire, sa nomination peut être interprétée comme un exil après l’humiliation qu’il avait reçue et fait subir à Henri IT en 1582. En outre, ce poste à Angers était assez modeste par rapport aux charges qui lui avaient été confiées depuis 1581, d’abord en Normandie, puis dans la marine royale. Pourtant, son retour en Anjou obéissait à une réelle logique politique. Son patronyme y Jouissait d’un prestige intact ;son père — et surtout son oncle — avaient démontré qu’ils avaient eu l’oreille des notables au cours des dernières décennies. Cossé-Brissac pouvait être d’un réel secours pour tempérer la poigne du gouverneur de la province. 140

ANGERS SOUS DOMINATION NOBLE

Le savant dosage mis en place par Henri III à l’été 1584 fut néanmoins ruiné par un événement imprévu : le 8 septembre, Puygaillard mourut des suites d’une épidémie de peste qui sévissait alors dans la région. Ce décès intervenait au plus mauvais moment pour le roi, car il devait compter à la même époque avec le mécontentement croissant des citadins ultracatholiques, du clergé ligueur et de la noblesse guisarde face au problème de la succession du trône. La disparition du gouverneur le privait d’un solide appui dans la région, alors qu’à la même époque, Cossé-Brissac se rapprochait du duc de Guise, par aversion à l’égard du protestantisme. En effet,

comme la plupart de ses prédécesseurs choisis dans la noblesse angevine, 1l n’essaya pas de créer les conditions indispensables à la mise en œuvre d’une coexistence religieuse. Bien au contraire, il devint un farouche défenseur de l’Église catholique. Jean Louvet raconte ainsi que le 7 juillet 1585, il «fist prendre des huguenotz tant de laditte ville que des environs, et les mettre prisonniers audict chasteau, dont 11z sortirent

après avoir païé ranczon »l0, Cossé-Brissac était proche des idées ligueuses pour des raisons plus politiques, car comme Henri de Guise à Paris, il savait se faire apprécier des notables urbains en les associant à son prestige personnel grâce à des initiatives spectaculaires!!. Le 28 avril 1585, 1l fit baptiser sa fille dans la cathédrale Saint-Maurice, en présence des principaux officiers du corps de ville. Le bassin, l’oreiller et la salière furent confiés à des échevins, flanqués de treize mar-

chands, portant chacun cinq flambeaux de cire blanche. Tous les officiers de justice et tous les capitaines de la milice participèrent à cette cérémonie, au cours de laquelle l’enfant fut

soutenue par un conseiller au présidial. Cossé-Brissac avait conçu ce jour comme la preuve éclatante de son désir de coopération avec les élites, puisque le parrain de RenéeAngélique fut René Morin lui-même, le maire de la ville'?. Proche de la Ligue pour des raisons à la fois clientélistes,

confessionnelles et politiques, le gouverneur bénéficia fort logiquement du soutien d’Henri de Guise lors des conférences d’Épernay, au printemps 1585. Le 30 mai, Catherine de 141

LES NOBLES, LA VILLE ET LE ROI

Médicis écrivit au roi que le duc et ses négociateurs «n’ont poinct laissé de parler de la ville et chasteau d’Angers, que tient le comte de Brissac, et du gouvernement d’Anjou [...], dont ilz ont entendu par le XV° de leursdicts articles ne pouvoir estre destituez »!., La marge de manœuvre de la reine mère était alors très réduite, car le duc de Guise avait réussi

à s'emparer de la plupart des villes champenoises, en s’appuyant sur les municipalités et en s’imposant par la force aux nobles seconds qui obéissaient au roil#. Affaibli sur sa frontière du Nord-Est, Henri I n’eut d’autre choix que d’accepter le 26° article du traité d’Épernay, qui stipulait que seraient confiés «à Monsieur de Brissac la leutenance généralle du gouvernement d’ Anjou et l’estat de colonnel de Piedmont, pour en jouir comme ceulx qui en ont esté pourveus du passé »!. Le 27 juin, le gouverneur d’Angers se sentit assez fort pour faire entrer dans la ville des troupes supplémentaires, quelques compagnies d’hommes dévoués qu'il tenait en réserve dans les faubourgs et les environs. Cette intrusion provoqua dans un premier temps la panique des habitants, qui prirent les armes par crainte des pillages;mais les esprits se calmèrent rapidement, et d’après Jean Louvet, «laditte esmeutte fust faicte mal à propos, et n’y eut aulcune personne qui en receust aulcun mal»16. Un an après la mort de François d’Anjou, la preuve était faite que le roi de France avait échoué à reprendre en main l’autorité nobiliaire. Or la tutelle royale sur Angers était d’autant plus menacée que, depuis le mois d’avril 1584, de profonds bouleversements avaient modifié la structure de l’échevinage. Le 21 avril, le Parlement de Paris avait rendu un arrêt aux termes

duquel la désignation des membres du corps de ville, immuable depuis un siècle, devait être changée. D’une part, le nombre et la durée des mandats furent réduits : les effectifs des échevins, désormais élus pour deux ans, passèrent de vingt-quatre à seulement quatre. Cette décision, prise à la demande des officiers du présidial, visait à accélérer le renouvellement des magistrats urbains, qui étaient auparavant élus à vie. Leur nombre avait en outre permis à quelques familles 142

ANGERS SOUS DOMINATION NOBLE

de monopoliser les offices depuis le xve siècle, au détriment de la bourgeoisie marchande et judiciaire. D’autre part, la composition de l’assemblée chargée de les désigner fut élargie par le Parlement. La charte de Louis XI prévoyait en effet une stricte cooptation, grâce à laquelle le maire était élu par les échevins, le procureur de ville, deux membres du clergé, un de l’Université et les gens du roi — ces derniers ne disposant que d’une seule voix. Soucieux d’élargir cette assemblée, l’arrêt de 1584 stipula que les seize paroisses de la ville désigneraient chacune deux « notables personnes » pour participer aux élections!?. Il est vrai que dans l’immédiat, la portée de cette réforme restait limitée, dans la mesure où douze

titres de conseillers à vie étaient prévus pour les échevins déjà en place. Mais à plus ou moins long terme, l’oligarchie d’officiers de justice qui dominait la ville depuis la fin du siècle précédent était clairement visée!'$. Or les Ayrault, les Bonvoisin, les Bitault ou les Gourreau avaient appris depuis longtemps à composer avec l’autorité royale. S’ils étaient par tradition politique attachés à leurs anciennes franchises urbaines, s’ils étaient toujours réticents face à l’impôt et aux soldats royaux, leur permanence rassurait malgré tout le souverain, qui savait toujours à qui s’adresser pour appuyer l’une de ses demandes en Conseil, ou bien aider le gouverneur à maintenir l’ordre public. Un notable comme Jean Ayrault avait ainsi la capacité de compléter l’autorité militaire détenue par la noblesse, et de relayer les désirs du monarque — à la seule condition qu’ils ne heurtent pas de front ses collègues. La réforme de 1584 ouvrait les portes de la municipalité à une «bourgeoisie seconde » comparable à celle qui fut identifiée par Henri Drouot en Bourgogne : des marchands et des officiers de justice locaux frustrés par un siècle de mise à l’écart politique, très hostiles au renforcement du pouvoir royal sur leur ville et réceptifs aux libelles ligueurs qui réclamaient davantage d’autonomie urbainel°. C’est dans ce contexte que se produisit la célèbre prise du château d’Angers par Michel du Hallot. Alors qu’il avait cumulé pendant deux ans et demi le commandement de la 143

LES NOBLES, LA VILLE ET LE ROI

garnison et le gouvernement de la ville, le gentilhomme beauceron en avait été évincé après la mort du duc d’Anjou, à l’été 1584. Depuis, il végétait dans une maison de la cité, privé de perspectives de carrière. Sans qu’il soit possible d’en connaître les circonstances, il semble que du Hallot fit la connaissance, à cette époque, d’un gentilhomme protestant, Rochemorte, et

d’un capitaine catholique de sensibilité ligueuse, du Fresne, dont la compagnie venait d’être licenciée. Les trois comparses disposaient en tout d’une vingtaine d’hommes, avec lesquels ils préparèrent un plan audacieux, visant à s'emparer du château en l’absence de Cossé-Brissac. Le 24 septembre 1585, du Fresne pénétra dans la forteresse, sous prétexte de rendre visite au chef de la garnison, le capitaine Grec. Comme il était midi, celui-ci lui proposa de rester dîner, en invitant du Hallot et Rochemorte à se joindre à eux. Profitant de quelques complicités dans le premier corps-de-garde, les conjurés s’introduisirent avec leurs armes et leur petite troupe dans la place, puis tirèrent leurs épées pour neutraliser les soldats du capitaine Grec, qui fut tué par du Fresne au cours du combat. En quelques instants, un événement inouï et inédit venait de se produire : la prise du château d’Angers?0. Depuis quatre siècles, cette histoire a fait couler beaucoup d’encre?!. Le succès des trois hommes était en lui-même exceptionnel, puisque la forteresse était réputée inviolable. En outre, leur association, qui réunissait un ancien serviteur du duc d’Anjou, un catholique intransigeant et un huguenot, intrigua beaucoup les historiens angevins. Cette alliance peut en effet sembler surprenante. Mais les études récentes sur l’amitié nobiliaire à l’époque des guerres de Religion permettent de mieux la comprendre, dans la mesure où les liens affectifs entre gentilshommes transcendaient souvent les frontières confessionnelles et favorisaient de nombreux rapprochements d’intérêts en dépit des passions religieuses22. Toutefois, le problème essentiel qui préoccupa les érudits fut celui d’une éventuelle responsabilité d'Henri IT dans le déclenchement de cette affaire. Le coup de force de Michel du Hallot et de ses acolytes semblait insensé; or leur déter144

ANGERS SOUS DOMINATION NOBLE

mination et leur sang-froid étaient surprenants, d’autant qu’ils avaient agi sans disposer d’aucune connivence parmi les habitants de la ville, et qu’ils allaient se retrouver enfermés sans aide extérieure. L'hypothèse d’une opération montée par le roi n’est donc pas absurde: les conjurés auraient agi sur ses ordres, avec la garantie qu’ils disposeraient de sa bienveillance en cas de succès. La réussite de ce complot aurait ainsi permis au souverain de récupérer le contrôle de la ville et de la province, en privant Cossé-Brissac de son principal instrument : le château. Faute de sources, je crois qu’il faut rester très prudent et s’en tenir à la logique des faits, sans conclure de façon péremptoire. Quelques instants après avoir maîtrisé les gardes, du Hallot sortit par la grande porte pour expliquer ce qui se passait à la foule qui accourait aux nouvelles en se pressant sur le parvis. D’après Jean Louvet, il dit alors au procureur du roi «qu’il avoit faict prendre ledict chasteau et qu’il en estoit gouverneur, et ce, en vertu d’une lettre

missive que le roy luy avoit escripte, et que c’estoit pour le service de Sa Majesté, pour la seureté des habitants de la ville et pour le repos du paouvre peuple du païs d’ Anjou qui estoit pillé à raison des compaignées dudict sieur de Brissac »73. Mais il ne produisit pas la fameuse lettre qui aurait levé toute ambiguïté. Du Fresne, retranché dans le château, refusa d'ouvrir également, en criant «qu’il avoit

prins ledict chasteau pour le service du roy par le commandement dudict sieur Hallot, qui luy avoit monstré une lettre

missive signée Henry, et qu’il ne laisseroit entrer dans ledict chasteau aulcune personne que ledict capitaine Hallot, et qu’il en estoit le maistre ». Invoquer dans l’urgence un ordre d’Henri II n’était peut-être qu’un prétexte fallacieux, une façon de se protéger et de justifier un acte apparemment illégal, mais on n’en reste pas moins confondu par la candeur de Michel du Hallot, qui tentait vainement d’apaiser les citadins, isolé dans une foule hostile, sans espoir de retraite

puisque la porte était fermée. Son attitude me semble plaider pour sa bonne foi, et les magistrats eurent sans doute les 145

LES NOBLES, LA VILLE ET LE ROI

mêmes hésitations, puisqu'ils décidèrent de l’appréhender et de le mener en prison «en attendant la vollonté du roy ». Son arrestation permit aux notables angevins de reprendre l'initiative. Tout en envoyant un courrier au souverain pour l’informer et solliciter son avis, ils décidèrent d’abattre le

pont qui permettait au château de communiquer avec l’extérieur par la porte des champs. Le soir même, ils ramenèrent du Hallot près du pont-levis, et lui demandèrent d’appeler du Fresne pour l’attirer dehors. En l’entendant, celui-ci sortit en

toute confiance, mais un tireur embusqué déchargea maladroitement son arquebuse dans sa direction sans le toucher. Du Fresne chercha précipitamment à revenir sur ses pas, mais le pont-levis fut relevé trop vite; 11 lui fallut alors s’agripper aux chaînes pour tenter de se mettre à l’abr1i, mais un autre soldat lui coupa la main d’un coup d’épée. Il tomba dans le fossé, où il fut piétiné par l’un des fameux cerfs qui vivaient là. Rochemorte, le capitaine protestant, demeurait ainsi le seul maître du château, à la tête d’une poignée d'hommes. Mais quelques jours plus tard, alors qu’il contemplait la Maine entre les créneaux, 1l fut tué à son tour par un arquebusier de la ville. Cette histoire tournait de plus en plus clairement à l’avantage des notables. Pour eux, l’affaire du château était une occasion inespérée de s’affirmer à nouveau comme les responsables de la sécurité urbaine: les milices se déployèrent tout autour de la forteresse pour assiéger les soldats qui continuaient de la tenir envers et contre tous. Les échevins firent appel à la noblesse du plat pays pour qu’elle vienne les assister avec des troupes?4. Leur marge de manœuvre était d’autant plus large que Brissac avait fort à faire au même moment pour contenir les troupes protestantes sur la Loire : désireux de profiter de la situation, Condé était en effet revenu de Brouage pour essayer de s’emparer d’Angers en pénétrant à l’intérieur de ce château que personne ne contrôlait vraiment. Après avoir franchi le fleuve au gué des Rosiers, le 16 octobre, il parvint jusqu'aux faubourgs de Bressigny ;mais les lignes de défense mises en place au cours des dernières semaines par les 146

ANGERS SOUS DOMINATION NOBLE

citadins étaient tellement solides qu’il dut s’éloigner par Beaufort et le Lude. L'arrivée de renforts catholiques conduits par Mayenne, Joyeuse, Brissac et d’Épernon l’obligea finalement à battre en retraite. Cette incursion protestante en Anjou, ainsi que le rôle joué par les notables et la noblesse catholique dans son échec, démontraient nettement que le roi n’avait plus les moyens de faire respecter son autorité dans le pays. Privé de relais, dépourvu d’un gouverneur fiable et efficace, 1l dut se contenter de faire écrire à Brissac par la

reine mère qu’il envoyait des troupes pour «engarder le secours que espèrent ceux qui sont dedans le chasteau d’Angers de ceux de la nouvelle opinion, mais aussy pour les empescher de passer la rivière et les combattre, s’ils se présentent »?. Pendant ce temps, du Hallot continuait de clamer son innocence et d’affirmer avec obstination qu’il avait agi avec la bénédiction royale. La crédibilité du souverain était très compromise, Car 1l apparaissait comme un manipulateur cauteleux et comme le responsable du désordre public. En l’absence de toute preuve formelle, 1l est tout aussi possible de croire que le souverain ne fut pour rien dans cette histoire, que de penser le contraire. Mais cette dernière hypothèse a pour elle l’avantage d’être logique, dans un contexte où l’autorité royale ne disposait plus d’aucun appui officiel dans la région depuis la mort de Puygaillard ; la tentative de Michel du Hallot aurait donc pu être conçue pour priver les ligueurs de l’atout décisif que représentait cette forteresse entre leurs mains. Que le roi en ait été l’instigateur ou pas, l’échec de la conjuration fut sans doute un cinglant revers pour la couronne, car la ville d'Angers était en train d’en profiter pour restaurer ses anciennes franchises militaires, se poser comme une entité autonome, bien loin de la soumission dans laquelle Puygaillard l’avait tenue autrefois. Néanmoins, la réussite initiale du coup de force de Michel du Hallot apporta un bénéfice immédiat :elle permit de fournir un prétexte pour écarter Brissac de son gouvernement, puisqu'il avait failli à sa mission en perdant le château dont il avait la garde. 147

LES NOBLES, LA VILLE ET LE ROI

2. Les hommes du roi Le 4 octobre 1585, Henri de Joyeuse, comte du Bouchage, fit son entrée à Angers muni d’une lettre d'Henri II qui faisait de lui le nouveau gouverneur d’ Anjou. En faisant appel au frère cadet de son principal favori, Anne de Joyeuse, le souverain entendait à l’évidence mettre un terme aux flottements qui s'étaient produits depuis plus d’un an. La nomination d’un nouveau gouverneur à Angers allait donc être l’une de ses deux priorités, l’autre étant la reddition des soldats qui vivaient toujours reclus dans le château. Ce dernier problème fut réglé en trois semaines. Du Bouchage apportait avec lui une lettre d’abolition signée du roi qui leur accordait son pardon; le 24 octobre, après que le présidial eut accepté l’enregistrement du document, ils finirent par sortir sains et saufs de leur refuge, moyennant le versement de 3000 écus réglés par la ville. Ils réussirent en outre à emporter avec eux tous les biens que Brissac avait cru y mettre à l’abri — de la vaisselle d’or et d’argent, des pierres précieuses et des tapisseries. Quant à du Hallot, il en savait peut-être trop long: le 20 octobre, il fut roué vif sur condamnation du présidial, après avoir été mis une dernière fois à la question pour qu’il avoue les noms d’éventuels complices. Désormais, la voie était libre pour que le comte du Bouchage rétablisse l’autorité nobiliaire à Angers. Dès le jour de la capitulation du château, il nomma à la tête de sa garnison un nouveau capitaine, qui allait être ensuite chargé de gouverner la ville. Son choix se porta sur un noble du Narbonnais, Pierre de Donadieu, seigneur de Puycharic. Né après 1545, 1l était le fils de Jean de Donadieu, un gentilhomme

qui ne s'était pas distingué jusqu'alors dans les troubles de Religion ; sa mère, Madeleine de Hautpoul, appartenait à la moyenne noblesse du Languedoc, et aucune tradition familiale

ne le prédisposait à venir en Anjou. L’un de ses frères était mort en combattant à Lépante en 1571, et Puycharic avait lui-même entamé une carrière sur mer — en 1583, il avait été capitaine ordinaire de la marine du Ponant’. Peut-être y avait-il connu Charles de Cossé-Brissac :1] l'aurait alors accompagné à Angers 148

ANGERS SOUS DOMINATION NOBLE

en 1584, et cette hypothèse permettrait de justifier sa présence dans la ville au milieu des années 1580. Peut-être était-il, de par ses racines méridionales, un client des Joyeuse, ce qui pourrait expliquer sa promotion. Toujours est-il que les causes de sa nomination restent assez obscures. Ses origines familiales et son passé le faisaient plutôt ressembler à Puygaillard. Comme lui, il semblait chercher fortune loin de sa région, dans le ser-

vice du roi ou d’un grand seigneur lié à la couronne. Comme lui, il était complètement étranger à l’ Anjou. Il n’était donc pas là pour négocier des compromis, mais pour s’imposer aux notables par la force. Or depuis un quart de siècle, jamais les échevins ne s'étaient sentis aussi libres, car pour la première fois, ils avaient eu la conviction d’avoir remporté une victoire sur le château. Le 3 novembre, ils décidèrent que, pour honorer les nobles qui les avaient aidés à le récupérer, leurs armoiries seraient reproduites à l’entrée de la chambre du conseil de ville. Afin de sceller cette nouvelle alliance entre les élites urbaines et la noblesse, unies dans la défense commune de leur

«patrie», toutes les milices et les gentilshommes du pays participèrent à une montre générale, dirigée par le comte du Bouchage, au cours de laquelle, d’après un Jean Louvet enthousiaste, «les capitaines, lieutenants, enseignes [étaient] en bonne consche [allure], tant en habitz que belles armes, qu’il faisoit

beau veoir»#. Enfin, le corps de ville et le présidial pensèrent atteindre leur but ultime en obtenant du roi l’autorisation de détruire la forteresse, puisque les événements récents venaient de prouver que sa puissance pouvait se retourner contre les détenteurs légitimes de l’autorité. La lettre du roi, qui leur parvint le 6 novembre, leur permit ainsi de «faire abattre, démolir

et raser notre château d’ Angers et faire combler les fossés, le tout par dedans et du côté de la ville, et pour ce qui est du dehors, le laisser entier pour servir de ceinture et clôture à icelle ville »*°. Puycharic dut obtempérer, et il prêta son concours, sans zèle excessif, aux magistrats du présidial qui engagèrent une équipe de charpentiers pour entamer la démolition des tours. Tandis que l’autorité nobiliaire était méthodiquement démontée pièce à pièce, Henri II remplaça du Bouchage — chargé de 149

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la Touraine et du Perche en décembre 1585 — par Antoine de Silly, comte de La Rochepot*?. Comme Puycharic, le nouveau

gouverneur n’était pas angevin. Il appartenait à une vieille famille normande qui était liée à quelques uns des plus grands lignages de l’Ouest. Par sa mère, Anne de Laval, il était apparenté aux Montmorency ; sa tante, Catherine, s’était mariée avec François de Rohan-Gié; son oncle, Jacques, avait épousé la fille de l’amiral d’Annebault; enfin par sa sœur, Catherine, il était le beau-

frère de François de Chabot-Brion*!. La Rochepot n’était donc pas un inconnu dans le Val de Loire, d’autant qu’il avait passé une bonne partie de sa jeunesse dans l’entourage de François d’Anjou. Après avoir été gentilhomme ordinaire de la chambre du roi, il s’était lié d’amitié avec le frère cadet d'Henri II, dont il avait été le chambellan ordinaire en 1576, puis chambellan de ses affaires entre 1578 et 1584?2. Très proche de lui, il avait

participé aux campagnes menées pour son compte dans les PaysBas, ce qui lui avait valu d’être particulièrement surveillé par Catherine de Médicis, qui se méfiait de l’influence qu’il pouvait avoir sur son fils#. Il accompagna François lors du séjour qu’il fit à Angers en 1578, et put se faire connaître de quelques notables angevins à cette époque. À priori, La Rochepot n’était pas d’une fidélité à toute épreuve. Ses alliances familiales et son parcours ne le destinaient pas forcément à servir sans conditions le roi de France, mais comme d’autres gentilshommes issus de l’entourage de François, 1l avait préféré réintégrer la clientèle du souverain plutôt que de choisir le camp de la Ligue. Son itinéraire constituait même un atout précieux pour faciliter ses rapports avec les catholiques d’ Angers : non seulement il pouvait comprendre leurs réserves à l’égard d’Henri IT, mais il n’apparaissait pas comme sa créature. La Rochepot avait un long passé d'autonomie vis-à-vis du pouvoir royal qui lui permettait d’avoir une réelle crédibilité devant un échevinage toujours prêt à défendre ses prérogatives. Il sut d’ailleurs faire fructifier ce capital de confiance en participant à des cérémonies religieuses aux côtés des notables catholiques. Le 6 novembre 1587, après la bataille de Coutras, il assista avec eux à une grande messe de requiem au cours 150

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de laquelle fut prononcée une oraison funèbre à la mémoire des gentilshommes angevins qui avaient trouvé la mort dans les troupes de Joyeuse. Le 28, il se trouva également aux réjouissances organisées dans la ville pour célébrer la victoire que le duc de Guise venait de remporter sur les reîtres à Auneau. Jean Louvet signale dans son Journal que Puycharic s’y associa, en faisant « faire audict chasteau, sur le hault des

deux tours du costé de la ville, les feuz de joye, et [...] tirer le canon, pour laditte deffaite, dont le peuple estoit fort joyeulx, entr’aultres les bons catholiques, et les huguenotz bien tristes »*6, Le 22 juillet 1588, La Rochepot se rendit au Te Deum qui fut célébré dans la cathédrale afin de remercier Dieu d’avoir inspiré au roi la promulgation de l’édit d'Union, qui reprenait à son compte les principales thèses ligueuses tout en essayant de ranimer la mystique royale. Après l’office, il alluma lui-même les feux de joie dans la ville, et

quelques jours plus tard, le 10 août, 1l rassembla le maire, les échevins, les capitaines et tous les officiers des milices pour leur faire jurer de respecter l’édit. La main sur les Évangiles, tous firent la promesse solennelle de «mourir en la religion catholique, apostolique et rommayne, [...] d’assister et servir nostre roy très chrétien envers et contre tous, sans nul excepter, [...] et n’espargner pour ce faire aulcun de nos moïens et nostre propre vie jusques à la dernière goutte de nostre sang, révoquant et renonczant à toutte aultre ligue, association ou serment que nous pourrions avoir faict au contraire »*?. Rassembler les Angevins pour la défense de l’Église et de la monarchie était d’autant plus aisé que Puygaillard avait déjà travaillé dans ce sens, d’abord en 1562-1563, puis en 1568-1570. Mais la situation était maintenant beaucoup plus complexe, à cause du problème que posait la succession au trône : en dépit de tous leurs efforts, les agents du roi étaient bien évidemment incapables de faire oublier à leurs interlocuteurs que l'héritier d’Henri HI était désormais un protestant. Depuis plusieurs mois, les prêtres ultra-catholiques appelaient à la croisade dans les rues d’ Angers pour détruire (Si

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l’Antéchrist Henri de Navarre et les suppôts du démon. En juin, Catherine de Médicis fut avertie par l’un de ses espions qu’Urbain de Laval, seigneur de Boisdauphin, «avoit tellement faict que les habitans d’ Angers estoient en tel estat, qu’il espere qu’ilz se déclareront pour eulx, et qu’il a aussi praticqué sur le chasteau d’ Angers et qu’il croit que pour de l’argent ilz l’auront»#8, Ses craintes étaient peut-être excessives, mais il n’en reste pas moins vrai qu’à l’été 1588, le chef de la Ligue nobiliaire dans le Maine pouvait compter sur la complicité plus ou moins active de Pierre Lechat, le maire d’ Angers, qui était ligueur, ainsi que sur les quatre échevins et la plupart des capitaines de la milice*”. Le 23 août 1588, les élections qui se tinrent à Angers pour désigner les députés de la noblesse aux États généraux démontrèrent d’ailleurs que La Rochepot et Puycharic ne pouvaient aller beaucoup plus loin dans la voie de la conciliation: malgré tous leurs efforts et des échanges très vifs, ils ne purent empêcher l’élection de Boisdauphin#. L'autre mandat fut confié à René du Bellay, le fils du gouverneur d’ Angers qui était entré en conflit avec Puygaillard entre 1574 et 157641. Ce vote était inquiétant pour l’avenir de l’autorité royale dans le pays. Depuis l’automne 1587, Puycharic avait essayé d’anticiper ces difficultés, en réussissant à arrêter discrètement les travaux de démolition du château. Il avait même pu faire nettoyer les fossés, rétablir les courtines de la forteresse et réparer ses canonnières, mais ces quelques mesures semblaient insuffisantes alors que tous les ingrédients d’un soulèvement ligueur étaient réunis.

3. L’échec de la Ligue urbaine Début 1589, lorsque la nouvelle du meurtre des Guise parvint à Angers, La Rochepot sut mettre à profit l’audience dont il disposait parmi les notables pour gagner du temps et prévenir le roi que la ville était entrée en rébellion larvée. Comme il ne disposait pas des troupes qui lui auraient été nécessaires pour tenir la ville dans l’obéissance, il évita de laisser paraître 152

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ses véritables intentions et continua de maintenir de bonnes relations avec tout le monde. Mais le 20 février, les habitants

se soulevèrent et construisirent des barricades parce qu’une rumeur circulait selon laquelle les huguenots étaient en train de s’emparer de la cité et de la maison commune. Une délégation, conduite par François Bitault, l’avocat du roi au présidial, partit alors rencontrer le gouverneur, afin de lui demander de «jurer l’union, comme avoient faict ceulx de Paris et aultres villes catholicques avec les princes, et qu’il falloit qu’il jurast». Avec beaucoup d’habileté, il se contenta de répondre à ses interlocuteurs qu’il ne se déciderait à rejoindre la Ligue que si Puycharic en faisait autant... Le capitaine du château étant d’une fidélité sans faille, il ne prenait pas beaucoup de risques : bien retranché derrière ses murailles, celui-ci fit savoir le lendemain qu’il «ne feroit response que les armes ne feussent laissées par lesdicts habitants et ne les eussent mises bas, et que les barricades, faictes tant

en la ville qu’aulx portes de la Cyté, ne feussent rompues »*2. Comme à l’époque de Puygaillard, la forteresse retrouvait de nouveau sa vocation d’instrument de domination urbaine. Maîtres de la ville et des faubourgs, mais sous une menace

permanente et oppressante, les insurgés ne pouvaient donc prétendre tenir Angers. Grâce à cet atout décisif, La Rochepot parvint à faire trafner les palabres pendant un mois, ce qui lui permit de s’enfuir clandestinement pour gagner les Ponts-de-Cé afin d’y attendre des renforts. Il fut également favorisé par la méfiance que certains citadins éprouvaient envers Brissac, parvenu dans le faubourg de Bressigny le 28 mars avec ses troupes. Toujours aussi soupçonneux envers les gentilshommes, même ligueurs, quelques-uns d’entre eux demandèrent au gouverneur de « venir audict Angers pour la conservation de ladicte ville ». Le 30 mars, les échevins allèrent jusqu’à publier une déclaration dans laquelle ils proposaient que La Rochepot renonce à reprendre Angers, en échange du départ de Cossé-Brissac. Conscients que les libertés urbaines étaient encore en jeu, les notables ligueurs étaient 153

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par conséquent tiraillés entre leurs traditions politiques et leurs idéaux religieux. Ils n’étaient pas unanimes sur la conduite à tenir dans un conflit dont ils commençaient tout juste à mesurer les risques, mais il était déjà trop tard. Le même jour, La Rochepot fut rejoint par le maréchal d’Aumont, à la tête du régiment de Picardie. Le lendemain, ses troupes

pénétrèrent dans le château que leur ouvrit Puycharic, et de là, elles menacèrent directement la ville, où les habitants

avaient dressé en toute hâte de fragiles barricades. CosséBrissac tenta vainement d’organiser la résistance en allant par les rues pour expliquer aux habitants «que c’estoient les huguenotz et hérétiques qui voulloient, avec l’assistance des faulx catholicques qui les maintenoient, s'emparer de ladicte ville et en chasser les bons catholicques »*. Mais rien n’y fit: avec ses quatre-vingts cuirassiers, 1l n’était pas de taille à les soutenir vraiment. Les échevins préférèrent capituler le soir même, assurés par La Rochepot que la ville ne serait pas pillée. Cossé-Brissac dut ainsi repartir, trois Jours seulement après être arrivé à Angers. Et le Ier avril 1589, les troupes royales firent leur entrée sans coup férir#. Dès lors, les gouverneurs mirent en place un dispositif militaire très cohérent, qui visait à museler les ultra-catho-

liques et à éviter un nouveau coup de force ligueur. Comme d’Aumont avait apporté suffisamment de troupes pour quadriller tout l’espace urbain, elles furent d’abord mobilisées pour abattre l’opposition. Le 15 avril 1589, il publia une ordonnance qui enjoignait à vingt-sept personnes de «sortir hors de la ville et banlieue d’ Angers sur peine d’estre penduz et estranglez sans aultre forme de procez, là où ils seront trouvez». Un autre texte obligea une douzaine d’habitants à demeurer chez eux jusqu’à nouvel ordre, tandis que neuf des principaux meneurs furent emprisonnés“. La plupart étaient des avocats, des marchands et des artisans, qui furent étroi-

tement surveillés, même après le départ du régiment de Picardie. En effet, La Rochepot et Puycharic suivirent ensuite, avec beaucoup d’attention et pendant de longues années, les moindres faits et gestes des ligueurs qui avaient conduit le 154

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coup de force du 20 février. Le 13 mai 1589, il fut interdit «à touttes personnes de faire aulcunes assemblées ès maisons passé neuf heures du soir, ny le jour de parler ensemble jusques au nombre de trois personnes, ny d’approcher des murailles de la ville, le tout à peine de prison ». Dans ses grandes lignes, ce couvre-feu ne bougea pas pendant cinq ans, car les gouverneurs redoutaient que les ligueurs s’emparent des remparts pour ouvrir leurs portes à d’éventuels complices. Pour les en empêcher, Puycharic fouilla régulièrement chez eux pour y confisquer leurs armes. Le 26 septembre 1590, il organisa «une recherche et perquisition en la ville d'Angers, ès maisons des catholicques soubzonnez estre du party des princes de l’Unyon, avecques deffenses, faictes à son de trompe, par les quarfours, auxdictz catholicques, de ne se promener par les rues passé huict heures du soir, sur peine de prison ». De semblables mesures de rétorsion étaient prises à chaque fois que des rumeurs, un peu plus insistantes que d’habitude, laissaient penser aux hommes du roi qu’un complot était en gestation. Le 11 janvier 1593, Puycharic prit des dispositions draconiennes parce qu’un bruit courait selon lequel les ligueurs devaient livrer bientôt l’une des portes d’ Angers au duc de Mercœur. Après avoir fait fermer le présidial, le gouverneur de la ville doubla les gardes, renforça la surveillance des suspects et dirigea une fouille systématique de leurs domiciles afin de s’assurer que rien de fâcheux ne pourrait se produire“. Toutes ces opérations avaient bien sûr leur coût, et pour les mener à bien, les ligueurs furent taxés davantage que les autres. Dès le mois de mai 1589, ils durent payer au receveur du domaine 64000 écus, et en juin suivant, 1l leur

fallut débourser 1 300 écus supplémentaires. D’après Jean Louvet, ils furent «contrainctz païer par emprisonnement de leurs personnes, et ceulx qui estoient refuzants, on a mis des soldartz en garnison en leurs maisons, qui auroit donné subject à plusieurs desdictz habitants, pour évitter la tyrannie, de s’absenter et se cacher »‘#. Ce système policier ne visa pas seulement les ligueurs. Car au-delà du premier cercle militant, La Rochepot et Puycharic 55

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se méfiaient plus largement des bourgeois angevins, qui avaient été nombreux à soutenir les idées véhiculées par la Ligue dès 1584. Les ligueurs n’avaient d’ailleurs pu réussir leur coup de force du 20 février 1589 qu’en bénéficiant de la sympathie du corps de ville: ils étaient porteurs d’une revendication d’autonomie municipale qui s’accommodait fort bien des ambitions politiques de l’échevinage*. Ainsi, La Rochepot, d’Aumont et Puycharic prirent rapidement pour cibles les milices urbaines, qui étaient encadrées par les notables des quartiers et mises depuis des dizaines d’années au service de la défense de leurs intérêts. Puisque leurs chefs avaient accepté d’apporter leur concours à la Ligue, d’Aumont choisit de les casser dès le lendemain de sa victoire. Ce faisant, il anéantit les derniers ves-

tiges de l’autonomie militaire dont se réclamaient les Angevins depuis la fin du xve siècle, et plaça sous son influence directe les compagnies qu’il venait de réformer. Quelques jours plus tard, il choisit de nouveaux capitaines, lieutenants, cinquante-

niers et sergents. Alors que tous les officiers des milices avaient été jusqu'alors élus dans les quartiers, ils furent choisis par lui pour être placés sous les ordres du gouverneur. Les compagnies furent mises de la sorte au service de la monarchie, ce qui permit de les envoyer en mission hors-les-murs. Chacun des nouveaux cadres de la milice fit enfin «le serment solemnel [..] de conserver et deffendre la ville d’ Angers sous l’obéis-

sance de Sa Majesté envers et contre tous, sans nul excepter »°0, La réorganisation des milices urbaines fut rondement menée, car les agents du roi étaient pressés de les mettre au pas pour compenser le départ du régiment de Picardie, le 15 avril 1589; mais La Rochepot dut leur apporter des améliorations supplémentaires afin de les rendre encore plus sûres. Jusqu'à présent, chaque compagnie, émanant de chacun des quartiers, assurait une garde nocturne. Les portes de la ville étaient donc tenues par des hommes qui se connaissaient bien et qui étaient souvent unis par des intérêts communs. La sécurité des remparts était à la merci d’une trahison, venant soit d’un capitaine, soit d’une partie de ses hommes. Le gouverneur décida par conséquent d’adopter de nouvelles règles, afin de prévenir tout inci156

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dent. Chaque soir, un contingent fut désormais prélevé par La Rochepot sur chaque compagnie, et la petite troupe, formée au dernier moment, fut confiée à un capitaine, lui aussi

nommé juste avant de prendre son service. De cette façon, tout au long de la journée qui précédait, personne ne savait qui serait de garde au cours de la nuit suivante, ce qui permettait d’éviter toute mauvaise surprise‘! Ce système traduisait parfaitement la méfiance qui taraudait sans cesse les gouverneurs d’Angers face aux milices urbaines, mais l’omniprésence des troupes royales et la mise en place d’une surveillance policière de chaque instant n’étaient pas de nature à instaurer un climat de confiance. Outre les ligueurs et les notables, les moyens de coercition mis en œuvre à partir du printemps 1589 frappèrent les habitants dans leur ensemble. En effet, le danger ne venait

pas seulement des milices. Il pouvait survenir à tout moment, parce que la plupart des citadins possédaient de quoi se défendre. Dès le 6 avril 1589, le maréchal d’ Aumont ordonna

un désarmement général, et «tous les bons catholiques », selon Jean Louvet, portèrent leurs armes à la maison de ville. Cette mesure fut un succès, car le lendemain, une pièce entière du bâtiment fut remplie par tout ce que les habitants y déposèrent. Elle dut toutefois être réitérée à plusieurs reprises, notamment en novembre 1591 : sous prétexte que les ligueurs basés à Rochefort-sur-Loire menaçaient les faubourgs de Précigné, Puycharic confisqua toutes les armes que les citadins avaient acquises depuis deux ans”?. Régulièrement privés de leurs moyens de défense, ils virent avec dépit s’ouvrir des travaux qui visaient à fortifier davantage encore le vieux château des ducs d’Anjou. Après en avoir sollicité l’autorisation auprès d'Henri IV, Puycharic fit construire, à partir d'octobre 1591, une nouvelle plate-forme conduisant du château vers la ville, puis il réaménagea la sortie par le ravelin des champs. En mars 1591, débutèrent des opérations encore plus importantes, avec le renforcement des canonnières et des créneaux. En outre, la tour carrée du donjon et les deux tours qui l’encadraient au ras de la courtine furent converties en logements 157

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de soldats. Elles furent percées de meurtrières, protégées par des parapets et reliées dans la cour intérieure par une muraille en terrasse. Près de la chapelle, une plate-forme embrassant Tour Breton et ses deux voisines, flanquée de canonnières,

devait se rattacher à une casemate à deux étages*. Bien retranchés derrière leurs épaisses murailles, les soldats royaux purent ainsi contrôler en permanence les moindres faits et gestes de la foule. Car Puycharic était régulièrement absorbé par les problèmes liés au maintien de l’ordre. Quand des attroupements suspects se produisirent aux halles, il décida par exemple de transférer le marché sur le fossé Saint-Aubin et interdit d’y aller avec des armes”. Toutes ces mesures policières allaient dans deux directions complémentaires. D’une part, elles permettaient bien évidemment d’éviter qu’Angers fût prise par les troupes du duc de Mercœur, le chef de la Ligue en Bretagne, mais 1l s’agissait d’autre part de soumettre la société angevine à l’autorité royale, de balayer définitivement tout germe d’opposition pour faire de cette ville une vitrine de l’ordre monarchique promu par Henri III et son successeur. Les gouverneurs durent donc innover: ils ne pouvaient se contenter des mesures coercitives prises dans l’urgence au printemps 1589, mais en imaginer d’autres, moins brutales, qui devaient leur servir à tenir la ville sur la longue durée. C’est la raison pour laquelle ils furent amenés à rechercher la collaboration des élites pour les convaincre de les aider dans le combat qu’ils menaient contre le catholicisme extrémiste.

4. Une politique de collaboration Dès avril 1589, alors que le maréchal d’Aumont jetait les bases d’un régime militaire très rude, La Rochepot prit contact avec les notables angevins pour les convaincre qu’il était dans leur intérêt de le soutenir. Après leur avoir déclaré le 2 avril qu'ils «estoient mutins et ligueurs et qu’ilz eussent à l’avenir à faire mieulx et de ne faire chose contre le service du roy 158

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qui ne feust bon», il les réunit une semaine plus tard dans la grande salle du palais. Il leur fit alors savoir qu’il était disposé à servir d’intermédiaire entre eux et le roi, afin de convaincre Henri III que la ville lui était fidèle en dépit des événements qui s'étaient produits le mois précédent, et de les soulager des garnisons qui vivaient à Angers. Mais en échange, ils devaient prouver leur bonne foi, faire taire leurs divisions et accepter de coopérer pour lutter contre les rebelles. Il leur proposait d'abandonner leurs revendications politiques d’antan pour bâtir une vraie relation d’échanges entre eux et la couronne. En témoignage de sa sincérité, il adoucit quelques contraintes policières qui avaient été mises en place par le maréchal d’Aumont, accepta de leur restituer une partie de leurs armes, de rouvrir le palais et d’autoriser les suspects à sortir de chez eux. En outre, certains magistrats compromis dans les événements de février-mars furent autorisés à retrouver leur siège au corps de ville, dont le maire, Pierre Lechat.

Parallèlement, La Rochepot tint ses promesses et sollicita un geste de la part du roi, qui envoya à Angers, le 20 juin 1589, une amnistie générale pour tous les habitants et toutes les communautés de la ville. Pour prix de cet apaisement, les échevins et les oficiers de la milice durent prêter un serment de fidélité à la couronne, dont les termes étaient fort proches de celui qu’ils avaient prononcé après la promulgation de l’édit d'Union, à l’été 1588. Le maréchal d’Aumont, qui fut

chargé de toute cette besogne, leur demanda de promettre «à Dieu votre créateur, à la benoiste et glorieuse Vierge Marie et à tous les autres Saincts et Sainctes de Paradis, de vivre et

mourir en la foi catholique, apostolique et romaine, |...|d’assister et servir votre roy très chrétien envers tous et contre tous, sans nul excepter, [.…] et n’épargner pour ce faire aucuns de vos moyens et votre propre vie jusqu’à la dernière goutte de votre sang, révoquant et renonçant à toute autre ligue, associations ou serment que vous pourriez avoir fait au contraire »%, En plaçant leur action sous le double signe de la fidélité envers le roi et envers l’Église, les maîtres d’ Angers surent ainsi se concilier l’appui des notables modérés. 159

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La Rochepot put compter assez rapidement sur l’aide des plus riches familles d’ Angers. Dès le 9 avril, Pierre Ayrault exprima publiquement son repentir d’avoir «assisté aulx sermons là où on avoit parlé du roy en mauvais termes, [et] pour n’avoir réprimé les prédicateurs ». Au cours de la même séance, François Bitault, son beau-frère, expliqua au gouverneur que «pour son particulier, il estoit bon serviteur du roy et n’avoit jamais esté aultre, et que la faulte ne provenoit que de M. Le maire », Pierre Lechat. Il conclut en sollicitant une nouvelle modification de l’échevinage afin de rétablir l’ordre ancien*’. Le 13 avril 1589, le maréchal d’Aumont

publia donc une déclaration annulant la réforme du corps de ville qui avait eu lieu en 1584. Dans le préambule de son texte, il justifia sa décision par les effets pervers qu’avait provoqués la récente ouverture sociale de l’échevinage : « Au lieu de vingt-quatre échevins qui étoient des plus notables familles, zélées au service de Sa Majesté et conservation de ladite ville en son obéissance, incoruptibles [...], représentant la meilleure et plus saine partie du corps d’icelle, [a] été introduit une nouvelle forme de gouvernement de ladite mairie, sous l’aucto-

rité de quatre échevins et un maire, électifs par suffrage du peuple, [.. qui ont] dressé et acheminé plusieurs entreprises contre le service de Sa Majesté et repos de ses sujets »“ë. Soucieux d’épurer la municipalité qui avait failli à sa mission, 11 destitua le maire et les quatre échevins en charge, et en réintégra douze, exclus cinq ans plus tôt. Pierre Ayrault et François Bitault retrouvèrent leur charge, et d’ Aumont luimême compléta le nouvel échevinage en désignant les douze autres membres du Conseil. Il prit soin de choisir des notables issus du présidial, de l’université ou de la bourgeoisie marchande qui avaient perdu leur influence depuis l’élargissement de l’assemblée qui s’était produit en 1584. Il restaura donc l’oligarchie ancienne, dont les membres surent lui témoigner leur reconnaissance en acceptant de relayer, en contrepartie, la volonté royale dans la ville. Martin Boylesve, le lieutenant-général au présidial, joua un rôle décisif pour convaincre les édiles d’apporter leur 160

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concours à La Rochepot et Puycharic. Introduit dans l’échevinage par le duc de Montpensier dès 1562, celui-ci apparaissait depuis longtemps comme un fidèle agent de la couronne. Il appartenait bel et bien à l’une des plus grandes familles d’ Angers, mais il était pourtant disposé à appuyer le renforcement de l’autorité royale, si besoin contre l’autono-

mie urbaine héritée du siècle précédent. De même, les gouverneurs purent compter sur Philippe Gourreau de La Proutière, nommé surintendant de la justice en septembre 1589. Choisi par Henri IV pour réformer l’appareil judiciaire local, il obtint «pleine puissance et auctorité d’entrer, seoir et présider ès sièges présidiaux et de sentence dudict Anjou, [..] ouyr les plaintes et doléances d’un chascun, pourvoir à icelles et leur faire bonne et prompte justice». Outre des pouvoirs très étendus en matière de justice, Philippe Gourreau reçut également l’ordre de «présider ès assemblées des villes qui se feront seoir pour nostre service ou aultres affaires, et y apporter l’ordre et police requis, à la conservation de nostre auctorité ou droicts, veoir et considérer le manie-

ment des deniers commungs et d’octroy et aultres charges et administration publicque de ladicte ville». Le rôle de Philippe Gourreau était très novateur, car 1l était chargé de compléter l’autorité militaire des gouverneurs et de surveiller les échevins, dans lesquels le souverain n’avait qu’une confiance très limitée. Il donnait à Gourreau des pouvoirs plus larges que ceux des commissaires qui étaient envoyés dans les provinces sous Henri II, et testait une formule préfigurant les intendants du xvrIEe siècle. La Rochepot et Puycharic participèrent aussi à des cérémonies qui permettaient d’exalter aux yeux de tous la nouvelle alliance qu’ils entendaient sceller avec la bourgoisie municipale. Le 20 juin 1592, les funérailles du maire d’Angers en fournirent une occasion rêvée. Le défunt, Magdelon Hunault de La Thibaudière, était beaucoup plus populaire que ses prédécesseurs. Décédé le 18 juin, peu de temps après son élection, il fut enterré en grande pompe dans l’église des Augustins, en présence d’une foule importante et de tous les 161

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dignitaires de la ville. Derrière le sergent-majeur venaient les capitaines de la milice, habillés de noir et l’épée au côté, puis les ordres religieux, les représentants de tous les collèges et des chapitres de la ville. Le clergé était suivi par le portrait du défunt, que l’on avait posé sur une châsse de bois couverte de drap d’or. Elle était portée par des religieux, mais Pierre Ayrault et Martin Boylesve, deux des principaux instigateurs de la politique de collaboration avec la noblesse, se tenaient à côté du portrait ; ils étaient accompagnés par La Rochepot et Puycharic, qui conduisaient le deuil et que suivaient tous les officiers de la justice d’Angers, ainsi que tous les échevins. Cette cérémonie frappa les esprits, car elle réunissait, pour la première fois depuis trois ans, l’ensemble des élites et les deux gouverneurs nobles qui dominaient la ville. Le temps de la Ligue semblait loin, car tous communiaient dans une même ferveur en dépit des blessures du passé. Quatre jours plus tard, un nouveau maire fut élu à la maison de ville, et le scrutin désigna René Gohin, sieur de Montreuil, conseiller au présidial d’Angers. L'homme avait tous les atouts nécessaires pour séduire les uns et les autres. Il n’avait rien d’un exalté, ce qui

convenait à La Rochepot et Puycharic, mais il passait toutefois pour un bon catholique, ce qu’appréciaient les anciens ligueurst!. En outre, il bénéficiait d’une réputation d’intégrité qui tranchait avec bon nombre de ses collègues, ce qui lui permit de jouir, dès son élection, d’une certaine popularité. Les deuils permirent donc d’atteindre la synergie politique que les gouverneurs souhaitaient obtenir avec les notables. Quelques mois plus tard, le décès du père de Puycharic en fournit une occasion supplémentaire. Le 1er décembre 1592, le gouverneur du château et de la ville fit célébrer une messe dans la cathédrale Saint-Maurice d’ Angers pour le repos de son âme, à laquelle participèrent tous les officiers de justice. Jean Louvet fut alors stupéfait par le luxe déployé : «On a faict aultant d'honneur qu’on peut faire à ung grand seigneur, auquel MM. de laditte église ont faict tendre en leur chœur et atteint les plus riches ornements qui sont en laditte église, qui servent pour les rois, princes et grands seigneurs ». 162

ANGERS SOUS DOMINATION NOBLE

Mettre en scène la collaboration ne suffisait pas. Il fallait également la justifier, l'expliquer et la légitimer en construisant un argumentaire cohérent. Il était indispensable de publier quelques textes destinés à exalter ce qui était en train de se passer à Angers, car les catholiques de la ville passaient aux yeux des ligueurs de France pour des martyrs. Dès le printemps 1589, étaient parues les Doléances des vrais catholiques captifs et asservis en la ville d'Angers. Ce violent libelle dénonçait pêle-mêle La Rochepot, considéré comme

un huguenot, Puycharic, vu comme

un traître à la

cause de l’Église romaine, et le maréchal d’Aumont, «confallonier des athées ». Les hommes du roi étaient accusés d’avoir pillé les maisons, de s’être conduits comme des «Scythes » ou des «Tartares » indûment recouverts du manteau de l’autorité royale. Par opposition, Cossé-Brissac était présenté comme le « vray héritier de la valleur, générosité et affection de ses ancestres envers la saincte religion, pour laquelle 1ls sont morts, et envers ce pays». L'ancien gouverneur n’était pas seulement l’incarnation vivante des vertus chevaleresques. Il était aussi le défenseur de sa patrie, le rempart du pays face aux «estrangers ». Les Doléances regrettaient ainsi la «trop indiscrette affection que nous avons aux estrangers, et le peu d’honneur que nous portons aux seigneurs du pays, lesquels combien qu’ils soient infiniment préférables à tous autres. Toutefois le cadebiou, le déchiquetis, la barbe bourrasque, le poil hérissé d’un nouveau venu nous ensorcellent. Le règne de Bussy en fait foy »62, Privée de ses princes médiévaux, la ville était désormais livrée aux hérétiques et aux libertins, conduits par des gouverneurs qui avaient commis tant de violences que le peuple avait été chassé des églises. Le texte appelait donc à la renaissance d’un duché chrétien, fondé sur la restaura-

tion des valeurs ancestrales que les péchés des hommes avaient étouffées : « Vous, très illustres, très dévots Robert, Foulques, René, ducs d’Anjou et rois de Hiérusalem, Sicile,

Naples et Aragon, qui avez laissé tant de belles marques de piété envers Dieu, et amytié à ce pauvre pays, avez-vous 163

LES NOBLES, LA VILLE ET LE ROI

choysi ceste montagne où vos os reposent dans l’église cathédrale par vous si somptueusement bastie en icelle, espérans qu’elle deust estre tournée en un fort et bastion contre vos ecclésiastiques que vous y avez colloqués, et contre tout le reste de vostre ville ? [...] Nous croyons asseurément que vos cendres engendrent chasque jour non un seul, mais plusieurs Phænix en foy, piété, religion, valeur et puissance, que vous avez laissées par droit légitime d’héritage avec ce duché aux très catholicques et généreux princes lorrains, qui vangeront tant de forfaicts et crimes exécrables que Dieu s’en tiendra satisfaict»63. La maison de Guise était l’unique héritière légitime des ducs d’Anjou, non pas en vertu du droit successoral, mais parce qu’elle était seule à même de régénérer le pays, de vaincre Satan et de rétablir l’union avec le Christ. Les nobles qui tenaient la ville étaient par conséquent les lieutenants néfastes d’un usurpateur indigne, dépositaire malfaisant d’une couronne ducale qu’il trahissait en tournant le dos à son créateur. Afin de répondre à ces attaques, qui visaient tout autant les nobles que le pouvoir royal qu’ils incarnaïient, La Rochepot et ses alliés firent paraître, quelque temps plus tard, l’Apologie pour les catholiques d'Angers, demeurez fermes en l’obéissance du roy, calumniez d’hérésie pour n'avoir voulu estre de la Ligue. Tout entier conçu comme une réfutation des Doléances, ce texte insistait sur la légitimité du combat qui avait été mené en avril 1589. «Seigneurs d’admirable douceur et modestie », les gouverneurs avaient évité à la ville d’être rançonnée par les ligueurs, hostiles à leurs concitoyens restés dans leur immense majorité loyaux envers le souverain. Les ultra-catholiques étaient présentés comme des fourbes qui avaient comploté d’empoisonner Puycharic. En outre, les causes religieuses de leur révolte étaient dénoncées comme une simple façade, destinée à masquer la noirceur de leurs intentions ; après avoir subverti la ville le jour

de Pâques, au mépris de la solennité de ce jour, Cossé-Brissac aurait eu l’intention de «faire noyer les femmes et enfans de ceux qui ne voudroient jurer la ligue ». Par opposition, La 164

ANGERS SOUS DOMINATION NOBLE

Rochepot apparaissait comme le garant d’une légalité qui émanait de Dieu et du roi. Son action était parée de toutes les vertus néo-stoïciennes qui étaient mises à l’honneur depuis le début des troubles civils$4: «Pas un des liguez de ladicte ville ne fut tué ni offensé en sa personne, encores qu’ils eussent faict mine de vouloir tenir. Et combien que, par la douceur dont on a usé envers eux, ils eussent deu reconnoistre leur faulte, s’affectionner à vivre paisiblement, tant de faict

que de parole, et se réconcilier avec leurs concitoyens, néantmoins au contraire, outre les menaces que font aucuns d’eux que l’armée du duc de Mayenne viendra bien tost et qu’ils auront revanche, ils calomnient d’hérésie les catholiques obeyssans au roy, parce qu’ils n’ont voulu leur adhérer en la rebellion qu’ils ont faite à Sa Majesté ». Empreinte de modération, de prudence et de tempérance, l’action de La Rochepot apparaissait comme l’antithèse de la subversion ligueuse, qui brouillait les repères politiques traditionnels en jetant l’opprobre sur les catholiques fidèles au roi. Le discours ligueur était présenté comme un leurre, un faux-semblant absurde puisque l’obéissance due au monarque était de même nature que la révérence due à Dieu. L'alliance entre les gouverneurs et les notables semblait parfaitement légitime, puisqu'elle renouait avec les règles de l’ordre traditionnel. En jetant les bases d’un accord durable entre la majorité des élites angevines et les agents du pouvoir royal, ce hibelle confortait donc l’autorité nobiliaire et l’autorité échevinale, unies dans le

même combat. Le pacte politique qui fut ainsi conclu entre les nobles et les échevins eut pour effet de faciliter la défense de la ville. Quand Puycharic demanda par exemple au roi, à l'automne 1591, l’autorisation de lever une taxe nouvelle pour rénover les fortifications du château, il précisa qu’il s’en était préalablement entretenu avec les échevins. « Après nous estre assemblez par diverses fois en vostre Maison de Ville avecq les plus affectionnez à vostre service », le gouverneur du châ-

teau s’était en effet convaincu qu’il était indispensable d’«attirer les habitans de la ville [pour] entrer en dépence desdictes

165

LES NOBLES, LA VILLE ET LE ROI

fortifications et achapt de munitions, sans lesquelles 1l leur [était] impossible se conserver, et à moy, Sire, d’en rendre tel

compte à Vostre Majesté que je suis tenu »%. Les discussions qu’il mena avec eux aboutirent à envisager la création d’une nouvelle taxe, consistant à prendre, sur chaque pipe de vin sortant d’ Angers et passant par les Pont-de-Cé, un demi-écu supplémentaire. Puycharic concluait sa lettre à Henri IV en précisant que tous les habitants étaient unis dans une même solidarité à son égard; il suppliait donc « Vostre Majesté de leur octroyer leur requeste, et me voulloir tant honorer de

croire que l’accélération est autant nécessaire à vostre service que l’on a esté paresseux à rechercher ceste voye ». Toutefois, la majorité de la population était encore loin d’adhérer à la politique menée par les gouverneurs ; en 1591, les milices urbaines refusaient souvent de sortir de la ville pour combattre les ligueurs qui parcouraient le plat pays. Quand les troupes royales essuyèrent une cuisante défaite devant la petite ville de Craon, le 24 mai 1592, Jean Louvet accueillit la nouvelle avec une joie sans mélange, d’autant que La Rochepot y fut capturé, et Puycharic blessé®7. I] recopia dans son journal une chanson dans laquelle les serviteurs d’Henri IV en Anjou étaient brocardés : «Sus, sus, braves soldartz françois, « Et vous, noblesse catholicque, « Qu'on chante et rechante cent fois « La deffaicte du politique ; « Que le malheureux héreticque « Frémisse au chant de votre voix. «Il n'est que d'aller. ee

« Rochepot s’en voulloit sortir « Et laisser le gros de l’armée, «Se souvenant du départir « De luy et de sa bien-aimée « Qui, transsye et demye-pasmée,

« Qui dist avant de départir, 166

ANGERS SOUS DOMINATION NOBLE

«Il n’est que d'aller.

[...] « Que dict-on encor, Puchairicgq ? « On blasonne ton armoirye,

« Une main tient un cœur rougy « De sang humain enflé d'envie ; « L’estoille dont il prend sa vye «Se tient au ciel bien loing de luy.

«Il n’est que d'aller »'8. Trois ans après l’échec de la Ligue angevine, les hommes du roi étaient toujours considérés par les ultra-catholiques comme les exécutants d’une tyrannie impie, puisque leur mission consistait à soutenir désormais un souverain hérétique. Loin de conduire une croisade contre les ennemis de Dieu, ils continuaient au contraire à saper les fondements de la vraie foi. Trois ans après leur victoire d’avril 1589, La Rochepot et Puycharic n’avaient donc pas encore réussi à emporter l’adhésion des citadins sur un terrain crucial : celui de la religion. Face aux ligueurs de la ville, qui étaient animés par des motivations tout autant politiques que religieuses, La Rochepot devait apparaître, pour être crédible, comme un bon catholique. Il est vrai qu'après la mort d’Henri IH, 11 choisit de se rallier à Henri IV, même si le souverain refusait toujours de se convertir à la religion romaine. Mais dès le 8 août 1589, il réunit les capitaines de la milice, le maire, les échevins, les officiers de justice et tous les membres du clergé pour leur proposer de jurer solennellement qu’ils vivraient et mourraient en demeurant fidèles au catholicisme sans adopter aucune modification. En prenant l’initiative de ce serment, La Rochepot voulut prouver que la loyauté envers la couronne n’était pas incompatible avec l’attachement à la religion catholique. Il apporta des arguments à tous ceux qui estimaient que la défense du catholicisme ne passait pas forcément par l’opposition politique. Dans le même temps, il démontra aussi qu’il n’entendait pas se laisser déborder par 167

LES NOBLES, LA VILLE ET LE ROI

les initiatives personnelles de quelques militants huguenots. Au début du mois d’août 1589, il délogea un capitaine protestant qui s’était emparé du pont de la Haute-Chaîne et s’y était retranché pendant quatre jours avec de la poudre, des munitions et des vivres. De son côté, Puycharic prit soin de censurer les calvinistes, afin que les catholiques aient le sentiment qu’ils détenaient le monopole du culte dans leur ville. Le 21 octobre 1590, ses troupes surprirent un prêche clandestin qui se tenait dans la maison d’un particulier ;l’hôte fut emprisonné séance tenante, et le ministre mis entre les mains

d’un sergent”. Puycharic se montra également soucieux de ne pas toucher aux fêtes catholiques, malgré les dangers que pouvaient comporter les grands rassemblements populaires. Le 24 décembre 1591, il fut même question de supprimer la messe de Noël pour éviter tout risque de sédition, mais le gouverneur du château s’y opposa, d’après Jean Louvet, parce qu’il «voulloit que la messe de minuit fust ditte, et qu’il ne voulloit point que le service divin cessast, et que sy cela avoit lieu, que ce seroit la cause que laditte ville s’abismeroit »?0, Puycharic n’était donc pas seulement préoccupé par l’ordre public; il estimait qu’en touchant aux grandes cérémonies de l'Église, les serviteurs du roi attireraient inévitablement sur

leurs têtes la colère de Dieu. L’attitude religieuse des gouverneurs fut toutefois soucieuse d'équilibre. Si les protestants ne bénéficièrent d’aucune mansuétude, les ultra-catholiques ne furent pas épargnés non plus. En octobre 1588, Charles Miron, qui avait été nommé

évêque par Henri IL, n’avait pas réussi à prendre officiellement ses fonctions à cause de l’hostilité de son chapitre. Le 15 avril 1589, le maréchal d’Aumont lui apporta le concours de ses troupes, qui le protégèrent afin qu’il pût prononcer son premier sermon à la cathédrale Saint-Maurice, en dépit de

l’opposition des ligueurs’!. Au mois d’août 1589, un prêtre et un moine augustin attaquèrent violemment Henri IV dans leurs prédications : accusant le roi d’être un incorrigible hérétique, ils dénonçaient en même temps tous les officiers qui travaillaient pour lui, en les soupçonnant d’être de faux 168

ANGERS SOUS DOMINATION NOBLE

catholiques. La Rochepot finit par imposer silence aux deux hommes, sous peine de châtiment corporel. Le gouverneur travailla par la suite en étroite collaboration avec l’évêque. En 1593, ils supprimèrent la procession annuelle qui commémorait la victoire qui avait été remportée à Angers par les troupes royales contre les protestants en octobre 1562. L’annulation de cette cérémonie, qui constituait chaque année une véritable humiliation pour les Réformés, contribua quelque peu à calmer les esprits, car les protestants ne furent plus officiellement considérés par les autorités comme des ennemis irréductibles. Cette volonté d’apaisement atteignit toutefois ses limites dès février 1590: le prédicateur qui avait été choisi par l’évêque pour prononcer les sermons du carême fut violemment pris à partie par la foule. Il échappa de justesse au lynchage en s’enfuyant dans un cimetière, mais la démonstration avait été faite que la Ligue bénéficiait toujours d’un réel courant de sympathie dans l’opinion”2. En outre, Dieu ne semblait pas être aux côtés de La Rochepot. En 1589 et 1590, le gouverneur d’Anjou rencontra en effet de nombreux problèmes lorsqu'il tenta de reprendre le contrôle des petites villes et des forteresses que tenaient les ligueurs”. Le 23 août 1589, il essuya un cuisant échec devant Château-Gontier, où il perdit une soixantaine de soldats ; les survivants, qui revin-

rent à Angers, répandirent une rumeur selon laquelle «ils n’avoient garde de gagner, car Dieu ne pouvoit les aider, de tant qu’ilz alloient contre les catholicques ». Le même jour, alors que le gouverneur était en train de faire sortir un canon par la porte Lionnaise pour le mener au Lion-d’ Angers, l’essieu de l’attelage se brisa, ce qui fit dire aux badauds que « Dieu estoit contre eulx »/4. Enfin le 24 mai 1592, la défaite

de Craon se produisit au moment même où l’évêque conduisait une grande procession destinée à convaincre le Ciel de soutenir les troupes royales. Cette retentissante victoire du duc de Mercœur ne manqua pas d’être interprétée comme un cuisant désaveu”. Encouragés par le piétinement des armées royales dans l’Ouest, les prédicateurs ultra-catholiques ne cessèrent de tonner contre le souverain jusqu’à l’été 1593. Le 169

LES NOBLES, LA VILLE ET LE ROI

21 juin, à l’église Saint-Michel-du-Tertre, un cordelier se mit

soudain à vilipender les protestants et leurs alliés catholiques devant un parterre réunissant tous les notables de la ville. Proposant d’excommunier tous les officiers du roi, estimant qu’il était sacrilège de prier pour eux, il accumula tellement de provocations qu’il fut arrêté sur-le-champ. Mais la preuve était faite une fois encore que le pouvoir des gouverneurs ne serait pas assuré tant que le roi resterait fidèle au calvinisme. Dès 1589, l’évêque avait pourtant essayé de réunir un véritable consensus populaire en organisant des processions au cours desquelles le Saint-Sacrement était exposé à la vénération des fidèles pour obtenir la victoire du roi/6. Mais ses efforts n’avaient pas rencontré le succès escompté, car la population s’était montrée réticente à solliciter le triomphe d’un hérétique. Le 5 février 1592, Jean Louvet nota qu’une

procession générale eut lieu «pour le roy de Navarre», en ajoutant qu’elle avait été organisée «pour prier Dieu qu’il obtinct victoire contre M' le duc du Mayne, M' le prince de Parme et aultres. bons princes catholicques qui estoient pour la tuition et deffense de la relligion catholicque, apostolicque et romayne contre le roy de Navarre ». Perfidement, il soulignait que les boutiquiers n’avaient pas cessé spontanément leur travail en signe d’adhésion, mais que leurs échoppes avaient été « fermées suivant l’ordonnance qui en [avait] esté

publiée par les quarfours, le jour précédent, par l’huissier proclamateur »??. La Rochepot et Puycharic ne réussirent à marquer des points sur le terrain religieux qu’à partir du moment où la nouvelle de la conversion d'Henri IV, le 25 juillet 1593, par-

vint à Angers. Ils purent alors identifier leur combat pour le roi au combat pour un catholicisme débarrassé des oripeaux de la révolte. L’évêque Miron put ainsi multiplier les cérémonies où la population était invitée à communier dans le culte de la monarchie. Le lundi 2 août 1593, les reliques furent portées en l’église des Cordeliers à l’occasion d’une procession générale réunissant tous les officiers de justice et Puycharic ; pour célébrer la conversion du souverain, des feux 170

ANGERS SOUS DOMINATION NOBLE

de Joie furent ensuite allumés aux carrefours et le canon tiré, depuis le château et la maison de ville. La décision d'Henri IV permit par conséquent d’obtenir assez rapidement une ferveur populaire nouvelle, qui avait jusqu'alors toujours fait défaut aux gouverneurs. Neuf jours plus tard, Puycharic publia la trêve générale qui venait d’être conclue entre le roi et les principaux chefs ligueurs ; cette annonce permit d’identifier le règne d'Henri IV au retour de la paix, la stabilité de la cou-

ronne à l’harmonie retrouvée. À partir de cette époque, l’évêque put confondre chaque succès remporté par les troupes royales avec un progrès de la paix de Dieu. Chacune des victoires du souverain donna lieu à un 7e Deum, au cours duquel un récit

de l’événement était rendu public avant une grande messe d’actions de grâces’#. Au cours du seul mois de février 1594, le Te Deum retentit à deux reprises sous les voûtes de SaintMaurice, une première fois le 6, pour la reddition de Meaux, et une deuxième fois le 19, pour celle de Lyon. Le lendemain,

une procession eut lieu pour y associer encore plus de monde. Puycharic était parfaitement conscient de l’impact que produisaient ces grandes manifestations, ainsi que des bénéfices religieux et politiques qui pouvaient en être tirés. Il proposa lui-même des initiatives à l’évêque et aux échevins, afin de les inciter à reconquérir une dévotion de masse qui avait été abandonnée aux ligueurs depuis une dizaine d’années. Le ler avril 1594, alors qu’il séjournait à Paris, 11 écrivit par exemple au corps de ville d’ Angers que les troupes royales avaient reconquis Rouen, Le Havre et la majeure partie de la Normandie. Il était alors question que Noyon se rende dans les plus brefs délais, et que le duc de Mayenne dépose les armes. Puycharic ajoutait qu’à Paris, «pour toutes ces bonnes nouvelles, l’on a rendu grâces à Dieu». Il concluait donc son courrier en leur demandant de «faire de mesme, en la plus grande diligence que vous pourrez »?°. À Angers comme dans bien d’autres villes, la conversion d'Henri IV au catholicisme fut une étape décisive dans l’apaisement des esprits. Depuis l’été 1593, personne ne s’avisait plus de l’appeler le «roi de Navarre ». L’obéissance al

LES NOBLES, LA VILLE ET LE ROI

des citadins ne fut véritablement assurée qu’à partir de cette date, d’autant que l’évêque et les gouverneurs surent alors associer aux moindres occasions le pouvoir du prince à la concorde retrouvée. Mais la soumission de la ville n’avait pas été seulement acquise grâce à ce travail accompli sur les représentations du pouvoir. Elle avait été obtenue par la contrainte dès le printemps 1589, avec le désarmement des habitants et la réorganisation des milices, la fortification du château et la

répression des ligueurs. Cette épreuve de force permit de rappeler que les temps avaient bien changé: les privilèges militaires que détenait la ville à la fin du Moyen Âge devaient être considérés comme révolus. À plus long terme, La Rochepot et Puycharic surent mettre en œuvre une solide politique de collaboration avec les notables modérés, issus de l’oligarchie qui avait monopolisé les charges municipales depuis le xve siècle. Contrairement à Puygaillard, qui s’était attaché, au cours des années 1560, à rogner les prérogatives des échevins, les gouverneurs choisis par Henri INT réussirent à obtenir l’alliance des hommes qui avaient été évincés du corps de ville par la réforme de 1584. Pour avoir accepté de devenir les gardiens de l’autorité royale en Anjou, les Ayrault, les Bitault ou les Boylesve abdiquèrent néanmoins tout désir d'autonomie militaire ou politique entre les mains du monarque, en échange de son soutien face à la «bourgeoisie seconde » du présidial et de la marchandise. Ce faisant, les magistrats urbains ne conservèrent que les apparences du pouvoir dont ils avaient eu le monopole autrefois, alors que sa réalité passa entre les mains des gouverneurs. Désormais, le souverain pouvait compter sur l’obéissance de ses sujets sans avoir systématiquement recours aux services des échevins, mais à condition de maintenir une garnison redoutée et d’entretenir la dévotion populaire autour de la personne royale. Les guerres de la Ligue ne conduisirent donc pas seulement à soumettre et défendre Angers: elles furent aussi l’occasion d’expérimenter à l’échelle locale des méthodes de gouvernement que les successeurs d'Henri IV utilisèrent tout au long du xvrre siècle.

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CHAPITRE VI

Noblesse royale et noblesse ligueuse : le conflit de deux autorités rivales

1. La Ligue nobiliaire Le 11 novembre

1591, vers minuit, deux cents soldats

pénétrèrent sans bruit dans le faubourg de Bressigny. Partis de Rochefort-sur-Loire, l’un des bastions ligueurs de la région, ils étaient venus à Angers pour rompre les chaînes qui protégeaient l’accès au faubourg, s'emparer de quelques objets de valeur et se retirer le plus vite possible. Leur mission ne consistait donc pas à se faire ouvrir les portes d’Angers, mais plus modestement, à désorganiser les défenses de la ville. Le

plan faillit réussir, car ils parvinrent en quelques minutes à rompre les serrures des barrières et à saisir dans des maisons de l’or et des bijoux. Mais les habitants, réveillés en sursaut, prirent leurs armes et commencèrent à résister aux intrus. Ceux-ci tentèrent de se retirer, tandis que de son côté, Puycharic accourait avec une partie de la garnison afin de couper la route aux fuyards au niveau du Port-Thibault, sur la Loire. Rattrapés par les soldats royaux, nombre d’entre eux 175

LES NOBLES, LA VILLE ET LE ROI

furent tués sur place, et d’autres, qui voulaient s’enfuir à la nage, se noyèrent dans le fleuve!.

Les années 1590 furent émaillées de plusieurs épisodes de ce type; mais cette histoire tragique va plus loin que la simple anecdote, au moins pour deux raisons. Elle permet d’une part de mesurer la solidité du dispositif qui avait été mis en place à Angers à partir du printemps 1589 ; non seulement le gouverneur de la ville put réagir rapidement avec ses troupes, mais il put également compter sur la coopération active des habitants, qui se battirent spontanément contre les ligueurs, considérés comme

des ennemis. D'autre part,

cette tentative montre à quel point la capitale de l’ Anjou était isolée. Îlot de fidélité au roi dans un pays largement tenu par les rebelles”, la ville était sans doute imprenable grâce à la présence du château, mais La Rochepot et Puycharic furent incapables d’étendre durablement leur emprise au-delà des murs. La surveillance des remparts fut ainsi fréquemment renforcée pour éviter le moindre incident fâcheux. Deux jours après l’incursion qui venait d’avoir lieu à Bressigny, Puycharic fit confisquer les armes des citadins quand il reçut des informations selon lesquelles les ligueurs risquaient de recommencer. Un mois plus tard, il fit doubler les gardes parce que l’armée du duc de Mercœur, composée de sept à huit mille

Espagnols, était en train de parcourir l’ Anjou. Le duc s’empara de Saint-Florent, puis abattit les défenses de la place, ce qui poussa le conseil de ville à mettre trois compagnies supplémentaires dans le faubourg Saint-Nicolas. Le 28 décembre, les patrouilles furent encore quadruplées, car Mercœur s’était installé devant La Possonnière afin d’en assiéger le château. En quelques jours, les habitants de Saint-Georges et des Pontsde-Cé se mirent à affluer en masse à Angers avec leurs meubles et leurs bêtes, parfaitement conscients que leur capitale était le seul espace protégé, le seul périmètre de sécurité dans une région où l’autorité royale ne s’exerçait plus vraiment. Le 9 janvier suivant, les gardes furent de nouveau renforcées, parce qu'après avoir pris La Possonnière, Mercœur 174

NOBLESSE ROYALE ET NOBLESSE LIGUEUSE

se rapprochait de plus en plus, manifestant son intention de passer par Saint-Georges et les Ponts-de-Cé:… Mon propos n’est pas de raconter dans le détail les troubles de religion angevins. D’excellentes études ont déjà été menées à ce sujet, qu’il serait fastidieux de reproduire ici. Je voudrais plutôt exploiter ce que nous savons de ces événements complexes pour saisir de quelle façon fonctionnait la Ligue nobiaire dans ce pays, et de quelle manière les agents du roi tentèrent d’y répondre. L’échec de l’opposition urbaine, qui fut scellé dès le printemps 1589, eut en effet pour conséquence de promouvoir à la tête de la Ligue angevine quelques familles de la noblesse régionale, qui se battirent pendant une dizaine d’années contre les gouverneurs de la province. Comme la bourgeoisie ultra-catholique était étroitement surveillée à Angers, ces gentilshommes, qui répugnaient à voir monter sur le trône un souverain protestant, étaient seuls capables de mobi-

liser et d’entretenir quelques troupes dans le plat pays, les placer en garnison et coordonner leurs opérations. En outre, ils avaient noué à partir de 1589 des liens très étroits avec le duc de Mercœur, qui était conscient que l’ Anjou représentait une région vitale pour ses intérêts. En convoitant cette province, 1l espérait sans doute se protéger des menaces que faisaient peser sur lui les incursions des troupes royales en Bretagne, mais il fallait en outre qu’il y maintînt une présence militaire active afin de lancer des raids plus ou moins lointains le long du Val de Loire. Les guerres d’ Anjou ne peuvent se comprendre qu’en ayant à l’esprit ses préoccupations. Elles durèrent plus longtemps qu'ailleurs et s’éternisèrent jusqu’en 1598, parce qu’elles étaient étroitement liées à ce qui se passait en Bretagne à la même époque. Enfin, la Ligue angevine bénéficia du ralliement de quelques gentilshommes particulièrement talentueux, qui réussirent à lui donner une réelle consistance. Peu après l’affaire du château d’ Angers, à l’automne 1585, les frères de Saint-Offange déclarèrent qu’ils adhéraient au manifeste de Péronne, qui avait été rédigé par les Guise au mois de mars. Retranchés dans la forteresse de Rochefortsur-Loire depuis quelques mois, ils devinrent les ligueurs les 1e)

LES NOBLES, LA VILLE ET LE ROI

plus redoutés de tout le pays, à cause de leurs audacieux coups de force, mais aussi parce que les rumeurs les plus folles contribuèrent à entretenir la terreur autour de leur nom. Leur famille était originaire de l’Éperonnière, en Saint-Aubin-deLuigné. Bien connue depuis la fin du xive siècle, elle avait conclu de solides alliances dans la noblesse locale, en parti-

culier avec le lignage d’Andigné{. En 1576, René de SaintOffange avait implicitement indiqué, en participant à la ligue qui suivit la paix de Monsieur, qu’il n’entendait pas mener une simple existence de gentilhomme campagnard. Dès cette époque, les Saint-Offange manifestèrent donc un premier engagement en faveur de la cause catholique. Or René avait eu trois fils de sa femme, Jeanne Lemaçon: Artus, sieur de l’Éperonnière, François, sieur de Hurtault, et Amaury, sieur

de La Houssaie. À l’automne 1585, tous trois étaient chargés de garder le château de Rochefort-sur-Loire pour le compte du duc de La Trémoille, qui en était propriétaire. Mais peu de temps après l’affaire du château d’ Angers, ils firent savoir qu’ils entendaient désormais lutter contre le roi de Navarre et les huguenots, en utilisant toutes les ressources de la for-

teresse. Le château de Rochefort était en effet réputé pour sa situation ; perché sur un éperon escarpé, il dominait la Loire et permettait de contrôler à la fois la navigation sur le fleuve et sa traversée. En 1562, il avait été assiégé par le duc de Montpensier, qui avait eu le plus grand mal à en déloger les protestants qui le tenaient. Depuis lors et tout au long de son gouvernement, Puygaillard avait été très attentif à savoir ce qui s’y passait, parce que les garnisons de Rochefort avaient la capacité réelle de nuire au commerce de la Loire. Le rallement des Saint-Offange à l’Union fut un événement très important, un atout capital pour le duc de Mercœur, qui sut jouer pleinement du talent des trois frères. Parmi les causes qui les incitèrent à prendre les armes, les

motivations religieuses furent décisives. Leur hostilité au protestantisme et au roi de Navarre plongeait ses racines dans une tradition familiale qui remontait au milieu des années 1570, et leur adhésion à la révolte de 1585 ne fit que la confirmer et 176

NOBLESSE ROYALE ET NOBLESSE LIGUEUSE

l’amplifier. Dix ans plus tard, en dépit de la mort d’Artus, en 1590, et bien que François ait été capturé à Clisson, Amaury continua seul sa lutte pour extirper l’hérésie. Le dimanche 13 août 1595, il donna l’ordre à quarante-cinq de ses cavaliers de faire irruption lors du prêche que célébraient les Réformés de La Châtaigneraie, en Vendée. Deux cent trente

fidèles furent ainsi piétinés par les soldats des Saint-Offange, qui tuèrent une trentaine de personnes en quelques minutes avant de prendre la fuitef. Ce massacre frappa les esprits car il fut perpétré à une époque où les pourparlers allaient bon train entre les envoyés du roi et ceux de Mercœur. En organisant cette expédition sans y chercher apparemment le moindre profit matériel, Amaury de Saint-Offange voulait montrer sa détermination à poursuivre le combat mortel entamé depuis le milieu des années 1580, et son hostilité à toute forme de règlement négocié avec les ennemis de Dieu. Les Saint-Offange ne furent d’ailleurs pas les seuls à engager cette croisade, car elle anima aussi René d’Andigné, seigneur d’Angrie, qui appartenait à l’une des plus vieilles familles de la noblesse angevine. En 1586, Catherine de Médicis lui avait écrit personnellement afin qu’il participe à une campagne dirigée contre les troupes protestantes de Georges de Clermont d’ Amboise. Elle s’y déclarait convaincue de «l’affection que [vous] portez au service du roy mondict seigneur et filz », et lui demandait de rassembler des troupes afin d’«empescher lesdictes assemblées et amas et leur courre sus, vous asseurant que ferez chose très agréable au roy mondict seigneur et filz, et ung grand bien pour lesdictes provinces »’/. Apparemment, d’Angrie était donc à cette époque un fidèle serviteur de la couronne, sur qui le roi pouvait compter pour juguler les désordres, d’où qu’ils viennent. Or en mai 1592, ce même gentilhomme prit part à la bataille de Craon aux côtés du duc de Mercœur. Depuis 1589, 1l n'avait pu accepter l’idée qu’il lui faudrait obéir à un souverain protestant. Sa lutte contre La Rochepot et Puycharic s’inscrivait par conséquent dans la parfaite continuité de sa lutte antérieure contre Clermont d’ Amboise. D’autres gentilshommes IT

LES NOBLES, LA VILLE ET LE ROI

angevins se joignirent d’ailleurs à lui pour secourir Craon contre les troupes royales, comme François d’Orvaux, René du Chesne, seigneur de Joncheraye, Jean de Gennes, seigneur

de Launay ou Jacques de Sarrigné de Champiré-Baratonÿ. Dans l’état actuel des recherches, il est encore impossible d’évaluer leur effectif total, ni de le comparer, a fortiori, avec

le nombre de ceux qui restèrent fidèles au roi ou qui choisirent la neutralité”. En l’absence d’informations précises qui permettraient de jauger les rapports de forces à l’intérieur de la noblesse, je pense qu’il vaut mieux rester prudent et éviter des estimations hasardeuses, d’autant que les membres

d’une même famille ne faisaient pas des choix similaires. Parmi les quatre frères de Savonnières, par exemple, Charles, Jean et Mathurin s’engagèrent très tôt au service d'Henri IV, alors que Louis, seigneur de Vallan, suivit le parti de la Ligue1°. Comme en Champagne au cours des années 1590, les nobles ligueurs furent ainsi d’abord animés par des mobiles religieux. Pourtant, d’autres facteurs doivent être considérés, car dès la fin de l’année 1589, ils furent accusés de se parer

du manteau confessionnel pour s’enrichir comme des brigands. Ces accusations furent bien évidemment exploitées par la propagande royale, notamment l’Apologie pour les catholiques d’Angers\!, mais elles furent également proférées par des ligueurs angevins eux-mêmes, ce qui leur donne beaucoup plus de poids. En novembre 1589, Jean Louvet nota dans son Journal que les garnisons ligueuses de Segré, Morannes et Cheffes, qui venaient de rendre les armes, n'étaient pas regrettées par les habitants du pays. Bien au contraire, les paysans en avaient profité pour abattre les forts qui les abritaient « pour évitter qu’il n’en revînt d’aultres, ce qui auroit aporté ung grand bien tant au païs qu’aulx habitants d’Angers, de tant qu’1lz ne pouvoient avoir aulcunes provisions pour estre tous les batteaulx prins, et ce qui estoit en iceulx emmené ès-dictz forts, tellement qu’on ne pouvoit sortir de ville qu’on ne fust prins et vollé, sans avoir esception d’aulcuns, mesme des gens d’Église ny aultres de quelque qualité que ce feust». Très lucide sur les conséquences induites 178

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par la dégradation de leur image, Louvet ajoutait que ces forfaits avaient «rendu ledict party de la Ligue fort odieux aulx gens de bien qui estoient affectionnez pour les catholicques »!2. Or les Saint-Offange essayèrent sans aucun doute de s’enrichir à la faveur des guerres, en profitant de leur position de force et des désordres qui affectaient l’autorité royale à cette époque. Dans les années 1586-1587, ils armèrent une galère pour attaquer les navires qui faisaient du commerce sur la Loire, piller les cargaisons et rançonner les marchands. En janvier 1590, ils s’emparèrent de Scipion Sardini, l’un des principaux bailleurs de fonds d’Henri IL, alors qu’il se rendait d’Angers à Tours en passant par la levée de la Loire. Après lui avoir fait payer une grosse rançon, ils vinrent narguer les défenseurs d’Angers une semaine plus tard, en faisant convoyer une barge pleine de tonneaux de vin sous bonne escorte!i. Dans la nuit du 14 au 15 mai suivant, Artus fut tué par les soldats royaux à Saint-Remy-La Varenne, mais ses frères poursuivirent la lutte avec une détermination intacte. Pour les habitants du pays, la forteresse de Rochefort devint un lieu interdit, car après les échecs qu’y essuyèrent La Rochepot et Puycharic, en mars, avril et octobre 1590, elle

fut considérée par les paysans des environs comme un repaire inaccessible de brigands dangereux qu'il fallait éviter à tout prix, sous peine d’y perdre la vie. Un siècle plus tard, Barthélemy Roger s’en fit l’écho, en écrivant dans son Histoire d'Anjou: «J'ai entendu raccnter des choses horribles des cruautés que cette garnison exerça depuis ce temps-là jusqu’en 1598. Les bonnes gens de ces quartiers-là, qui avoient essuyé ces violences, nous les ont racontées depuis avec étonnement »!*, Les Saint-Offange étaient à l’image d’ Antoine de Saint-Paul en Champagne, ou des gentilshommes ligueurs de Bourgogne qui furent étudiés par Henri Drouot: des chefs de guerre déterminés, sans scrupule, dont le combat était loin d’être univoquef. Ils bénéficièrent également de l’absence d’un grand aristocrate qui aurait été capable de fédérer tous les gentilshommes ligueurs autour de son nom. En Champagne, 179

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Antoine de Saint-Paul avait été le parfait exécutant des volontés d'Henri de Guise jusqu’à la mort de ce dernier, le 24 décembre

1588. Dès l’annonce de son assassinat, il pro-

fita de sa disparition pour s’affirmer comme le chef de la Ligue champenoise, attaquer de front le duc de Nevers et prétendre lui confisquer la jouissance du duché de Rethel!$. SaintPaul était donc porteur d’une subversion des hiérarchies traditionnelles du second ordre; il incarnait une petite noblesse

ambitieuse, audacieuse, prête à tirer parti des guerres de Religion pour acquérir une certaine autonomie. En Anjou, la plupart des ligueurs n’entrèrent pas dans une telle logique. Par exemple à Craon, la garnison était tenue par Pierre Le Cornu, seigneur du Plessis-de-Cosmes, un fidèle du duc de Mercœur.

Comme les Saint-Offange, il appartenait à une famille très bien implantée dans le pays, dont les ancêtres pouvaient être suivis à partir du x1ie siècle et dont les alliances s’étendaient aux Grongnet de Vassé et aux Champagne, deux des plus riches familles du Maine!7. Même s’il était entré en révolte ouverte contre son roi, Le Cornu ne cherchait pas à remettre en cause les liens de subordination qui structuraient la noblesse régionale ; bien au contraire, il obéit toujours à Mercœur et ne cessa le combat qu’au moment où son patron accepta luimême de rendre les armes. Toutefois, les Saint-Offange allèrent plus loin, car ils se servirent de l’éloignement du duc de Mercœur pour s’imposer comme les véritables chefs de la Ligue en Anjou. Leur promotion allait à l’encontre des règles habituelles de toute révolte nobiliaire. En effet, les trois frères avaient une telle capacité de nuisance que les aristocrates devaient compter avec eux : non seulement ceux qui étaient restés fidèles à la couronne, mais aussi les ligueurs. En 1596, François envoya par exemple au duc de La Trémoille une lettre d’une remarquable impertinence, dans laquelle il feignait de s’adresser à un supérieur tout en le défiant. Alors qu’il venait de capturer l’un de ses familiers, il tint à lui faire savoir qu’il le tenait à sa merci et qu’il n’hésiterait pas à l’exécuter pour venger la vie de ses propres hommes : « Vous considérerez, s’il vous

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NOBLESSE ROYALE ET NOBLESSE LIGUEUSE

plaist, que si j’eusse faict pendre le sr de Lisle suyvant mon pouvoir, et que vous eussiez faict courir à nostre trompette mesme fortune, vous eussiez viollé tous les droictz de la guerre et ouvert le chemin à une cruaulté estrange et inusitée, cela

ne s’estant faict Jusques ycy de personne quand ung trompette ne faict que ce qu’il doibt et peult. Et sa mort eust apporté celle du nommé Barrière et du sr de Villeneufve, nos prisonmers de guerre, le moindre desquelz [étant] d’aultre prix qu’un pauvre trompette, dont la peur ne m’a pas retenu de faire courir pareille fortune audit sr de Lisle ». Il achevait en lui déclarant qu’il se moquait éperdument des « menasses que vous me faictes, si on le faisoit mourir, d’en faire recepvoir aultant à noz gens de guerre qui tomberont entre vos mains ou de vos amys, car nous sçaurons bien user de revanche si vous nous y contraignez, et néantmoins à nostre très grand regret, pour avoir toujours desiré particullièrement demeurer voz serviteurs très humbles »!8. Tout en s’abritant derrière la lointaine caution du duc de Mercœur, François de Saint-Offange remettait en cause l’autorité morale de la plus haute aristocratie. Car même si La Trémoille était son adversaire, le res-

pect des codes hérités du Moyen Âge aurait voulu qu’il s’adresse à lui en des termes beaucoup plus déférents. Peutêtre Saint-Offange considérait-1l, comme Jean de Caumont,

que les gentilshommes protestants et leurs alliés catholiques avaient perdu leur noblesse parce qu’il avaient offensé Dieu”, mais rien dans ce courrier ne permet de l’affirmer. François de Saint-Offange se sentait surtout assez fort pour tenir tête à un grand aristocrate en vertu des «lois de la guerre » ; bien loin de chercher une ouverture de paix avec les grands lignages de la région, il finit par s’enfoncer dans une spirale de l’affrontement sans véritable 1ssue. En bonne logique, la tête de la Ligue nobiliaire angevine aurait dû être incarnée par Charles de Cossé-Brissac. Mais après le camouflet qu’il avait subi à Angers à la fin du mois de mars 1589, il choisit de combattre loin de son pays. L'année suivante, il se retrouva ainsi à Falaise, où 1l fut capturé par

Henri IV. Après avoir échangé quelques bonnes paroles avec 181

LES NOBLES, LA VILLE ET LE ROI le roi, il put se faire libérer, mais repartit bientôt au service

de Mayenne. Le 20 février 1592, celui-ci fit de lui son gouverneur pour le Poitou, La Rochelle, l’Aunis et l’île de Ré. Ce poste, situé sur une frontière confessionnelle sensible, ne

fut pas de tout repos pour Cossé-Brissac. En juin 1593, il dut par exemple défendre Poitiers contre les troupes royales, mais fut sérieusement blessé au cours des combats. Après avoir été promu maréchal de France pour l’Union en février 1593, il fut nommé à Paris en janvier 1594, pour y occuper le poste de gouverneur’. Boisdauphin ne s’investit pas FU que lui en Anjou. Celui qui avait été élu par ses pairs pour les représenter aux États généraux de Blois, en 1588, appartenait pourtant à l’une des familles les plus respectées du pays. L'un de ses ancêtres, Guy de Laval, avait été l’un des proches conseillers de René d’Anjou, son chambellan, son grand veneur, chevalier du

Croissant et premier sénateur de l’ordre en 14482. Après l’annexion de |’ Anjou au domaine, les Laval n’avaient sans doute pas autant profité des bienfaits de la couronne que les Brissac, mais ils avaient réussi à cumuler, depuis la première moitié du xv£ siècle, une solide assise provinciale et des postes de prestige à la cour. Le père de Boisdauphin, René, avait été gentilhomme ordinaire de la chambre du roi jusqu’à sa mort, en 1557; son oncle Claude, que l’on appelait familièrement «le gros Boisdauphin », avait quant à lui obtenu la charge de maître d’hôtel du dauphin, fils de François I‘. En 1553, Henri II lui avait témoigné sa confiance avec la lieutenance du gouvernement de Paris??. La famille n’avait donc pas été privée des récompenses royales, qui lui permirent d’apparaître très nettement comme l’un des tout premiers lignages du pays. Pourtant, Boisdauphin délaissa largement l’ Anjou après le meurtre des Guise. Après avoir accompagné CosséBrissac à la prise d’Angers, le 28 mars 1589, il préféra se replier dans le Maine à l’arrivée du maréchal d’Aumont le ler avril, peut-être parce qu’il jugea à cette époque qu’il lui serait impossible de déloger les hommes du roi de leur position inexpugnable dans château. Dès lors, il concentra l’essentiel 182

NOBLESSE ROYALE ET NOBLESSE LIGUEUSE

de son activité au nord de l’ Anjou, en prenant part aux combats qui permirent aux ligueurs de tenir en échec les soldats du roi dans les campagnes.

2. Un plat pays incontrôlable À partir du printemps 1589, il apparut évident que La Rochepot et Puycharic ne réussiraient pas à vaincre les gentilshommes ligueurs aussi facilement que les ultra-catholiques d’Angers. La litanie de leurs déconvenues peut être suivie dans le Journal de Jean Louvet, qui se consola, pen-

dant plusieurs années, de l’oppression que subissait sa ville en consignant avec soin toutes les défaites des troupes royales. À la fin du mois d’avril, La Rochepot essuya un premier échec près de Château-Gontier, lorsqu'il voulut secourir le seigneur d’Ingrandes, qui était assiégé dans sa maison; les ligueurs de la ville sortirent en effet pour prendre à revers la colonne conduite par le gouverneur, qui dut se retirer après de lourdes pertes. Cette escarmouche témoignait d’un phénomène nouveau et diffus, qui lui posa par la suite de redoutables problèmes : la plupart des bourgs et des petites villes d’ Anjou passèrent à la Ligue à partir de l’été, ce qui le priva des points d’appui nécessaires à la pacification des campagnes. Le 28 juillet 1589, il ne parvint pas à reprendre Morannes, où des soldats ligueurs s’étaient retranchés en fortifiant le bourg. La Rochepot avait pourtant innové, en convoyant trois petits fauconneaux et ses arquebusiers sur un bateau spécialement affrété pour l’occasion. Mais la garnison se défendit avec tant de vigueur qu’il lui fallut s’enfuir avec les ennemis aux trousses. Le 23 août, 1l échoua aussi au Lion-d’ Angers. Les opérations y avaient bien commencé, car le capitaine Beaulieu, qui tenait le bourg, avait dû se réfugier dans l’église pour lui échapper. Toutefois, des renforts accourus de Château-Gontier empêchèrent La Rochepot de donner l’assaut final, et il perdit dans l’affaire

une soixantaine de soldats. Toutes ces places communiquaient 183

LES NOBLES, LA VILLE ET LE ROI

entre elles, et parvenaient à se porter mutuellement secours. Les gentilshommes ligueurs bénéficiaient donc d’une organisation très structurée, tout en exploitant un autre avantage, également crucial : la complicité des habitants eux-mêmes. Le 13 septembre 1589, La Rochepot crut ainsi recevoir une bonne nouvelle de Craon: le château venait d’y être pris par des soldats royaux, conduits par Ernault, le grenetier de la ville. Aussitôt, le gouverneur rassembla quelques effectifs pour lui prêter main forte, mais 1l n’en eut pas le temps: en chemin, il apprit que les ligueurs craonnais venaient de reprendre la forteresse?3. Puycharic eut un peu plus de chance. Le 20 novembre, il surprit les défenseurs de Morannes et pénétra dans le bourg. Incapable de s’emparer du château, son succès fut sans lendemain, mais il prit le temps de piller les maisons des habitants qui toléraient la garnison ligueuse. Une semaine plus tard, il réussit une opération plus fructueuse, car 1l récupéra le Lion-d’ Angers en profitant de la complicité des paysans que les ligueurs recrutaient pour y monter la garde. Ces quelques réussites ne doivent pourtant pas faire 1llusion, car les troupes adverses ne restaient pas inactives: le jour de la Toussaint, elles s’emparèrent par exemple du bourg et du château de Cheffes. La venue d'Henri IV en Anjou, à la même époque, brisa de façon plus significative la spirale de l’échec dans laquelle les gouverneurs étaient entraînés depuis plus de six mois. Après avoir obtenu la reddition du Mans, que tenait Boisdauphin, le roi se dirigea vers le Sud et s’empara sans coup férir de Sablé. Dans les derniers jours du mois de novembre, toutes les garnisons rebelles ouvrirent leurs portes au souverain, notamment celles de Laval et de ChâteauGontier, qui s’empressèrent d’imiter les ligueurs du Mans et de Sablé. Inaugurant une politique dont il ne s’écarta plus beaucoup dans les années suivantes, Henri IV chercha en effet à recueillir rapidement la capitulation de ces places en accordant son pardon à tous ceux qui s’étaient révoltés contre lui. À Laval, où il séjourna quelques jours, il trouva des notables 184

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de la ville d’ Angers qui avaient été exilés dans le Bas-Maine par d’Aumont en avril; afin d’apaiser leurs rancœurs, il les autorisa à retourner chez eux, espérant leur collaboration ultérieure. Début décembre, les ligueurs de Segré, Morannes et Cheffes se rendirent dans les mêmes conditions, sans doute

à la faveur de cette politique de clémence, mais aussi parce qu’il leur avait été plus facile de se battre contre La Rochepot que de défier l’autorité directe du monarque. Toutefois, l’éloignement de cette armée ne porta pas de graves préjudices aux gouverneurs, tout au moins jusqu’à l’été 1590: si Puycharic échoua dans une tentative pour s'emparer de Rochefort, le 7 juillet, il réussit une semaine plus tard à capturer deux frères de Saint-Offange à Gilbourg. Quant à La Rochepot, il dévasta le bourg de Rochefort le 5 mars, puis s’empara de Segré le 16 avril, de La Ferté-Bernard en mai, puis de Chalonnes et

Beaupréau en juillet?*. Apparemment, les conflits tournaient enfin à leur avantage, mais ces coups d’éclat s’accompagnèrent d’une montée de la violence, ou d’un sentiment de violence, que l’ Anjou n’avait pas connu jusqu'alors. À propos de Segré, Jean Louvet décrivit ainsi le pillage du bourg par les soldats de La Rochepot, «comme à semblable touttes les paroisses où 11Z ont passé, viollé les filles et femmes, mesme auroient pillé

les églises, emporté les croix, callices et aultres richesses estant ès dittes églises, razé et abattu les maisons fortes des

gentilzhommes tenant le party des catholicques, icelles pillées, et ranczonné lesdictz gentilzhommes »*. Les témoignages de cette nature, qui sont bien connus des historiens des guerres de Religion, se retrouvent sous la plume de nombreux chroniqueurs à la même époque. Pour ma part, J'ai étudié ceux qui décrivaient les conflits champenois dans les Mémoires de Jacques Carorguy, le greffier de Bar-sur-Seine, ou ceux de Claude Hatonf. Évaluer leur degré de véracité est une tâche assez vaine, parce que d’autres documents nous font souvent défaut et que le souci d’impartialité était complètement étranger à leurs auteurs. Il me semble plus intéressant d’insister sur le fait que ces récits témoignaient, à l’instar des doléances 185

LES NOBLES, LA VILLE ET LE ROI

de 1576 et 1588, d’une profonde dégradation de l’image de la noblesse. Membres d’un ordre dont la vocation était idéalement la défense du faible contre le fort, du Bien contre le

Mal, les gentilshommes furent incapables d’apparaître durablement comme les garants de la paix de Dieu. Nommés par le roi pour apaiser les haïnes, éteindre les passions et restaurer la concorde perdue, les gouverneurs furent les premiers touchés par ce discrédit, qui leur fit perdre une partie de leur autorité dans le pays. L’été 1590 fut un tournant décisif. Face aux troupes royales, qui perdirent une certaine légitimité à cause de leurs déprédations, réelles ou supposées, les ligueurs reconquérirent le terrain qu'ils avaient abandonné depuis l’automne. Le 8 août, ils reprirent le Lion-d’ Angers, puis Sablé quatre jours plus tard. Au même moment, La Rochepot tenta de circonvenir le

château de Brissac, dont le capitaine venait de proclamer son ralliement à la Ligue, mais 1l fut délogé de son campement à la fin du mois, après avoir perdu de nombreux hommes, des vivres et du ravitaillement. Dès lors, les conflits s’enlisèrent dans une guerre d’embuscades, de sièges et de rapines sans enjeux tactiques tangibles et sans résultats concrets. Ainsi le 19 janvier 1591, le château de Chemillé se rendit au prince de Conti, mais le 25, 1l fut investi de nouveau par les ligueurs, malgré les efforts de René du Bellay. Le 9 août, un certain Jean Hervé, fermier de la monnaie à Angers, réussit à s’em-

parer du château de Sautré avec dix-huit soldats, mais dès le 13, il lui fallut rendre

les armes

avant de se réfugier à

Rochefort??. Il serait fastidieux d’énumérer la liste des places qui furent prises et reprises en l’espace de quelques semaines ou de quelques jours. Ces micro-conflits, auxquels tous les gentilshommes durent se prêter — La Rochepot, Puycharic, Boisdauphin, Le Cornu ou les Saint-Offange — durèrent jusqu’à l’été 1597 malgré les trêves, toujours ponctuelles et peu respectées, la peste et la misère. Le château le plus convoité fut incontestablement celui de Brissac. Sa taille et sa position, au cœur de la région, en faisaient bien sûr une cible de choix, sans compter qu’il 186

NOBLESSE ROYALE ET NOBLESSE LIGUEUSE

représentait un symbole important à cause de ses propriétaires, les Cossé. Dès avril 1589, le roi de Navarre s’en était

saisi, puis y avait laissé une petite garnison avant de se diriger vers Saumur. Mais le 21 octobre, des ligueurs s’y introduisirent avec l’aide de la population, et La Rochepot dut envisager les moyens de le recouvrer. Quelques jours plus tard, 1l se présenta sous ses épaisses murailles, mais comme

les effectifs qu’il avait apportés étaient trop faibles, il finit par traiter avec le capitaine César de La Ralde, un familier du duc Charles de Cossé-Brissac. Aux termes de leur accord,

il fut décidé que la garnison serait composée à parts égales de soldats issus des deux partis, et que le gouverneur d’ Anjou y laisserait également, pour le commander avec La Ralde, Jean de Châteaubriant, seigneur de Saint-Jean-des-Mauvrets,

un gentilhomme du pays#. Ce délicat équilibre ne passa pas l'hiver, et la garnison finit par se déclarer en faveur de l’Union au bout de quelques mois. Puycharic essaya alors de le reprendre par la force, le 2 janvier 1590, avec deux ou trois cents hommes, mais sa tentative échoua lamentablement. La

détermination des défenseurs n’était pourtant pas aussi solide qu’elle y paraissait, car au début du mois de mars, ils acceptèrent de se rendre à Charles de Montmorency, l'époux de Renée

de Cossé, la fille d’Artus

de Cossé-Gonnord.

Montmorency était assez favorable à la Ligue, mais il ne pouvait tolérer que le château de sa femme fût occupé par des soldats sur lesquels il n’avait aucune autorité; 1l les menaça donc de les en chasser. Pour ne pas perdre la face, ils préférèrent traiter directement avec les propriétaires plutôt qu'avec le gouverneur, ce qui leur permit d’obtenir par la même occasion une somme de 2000 écus... Mais le 20 juillet, Charles de Souvigné, seigneur de La Roche-Bousseau, attaqua près du château les troupes de La Rochepot, qui passaient par là pour se rendre en Bas-Anjou. Tout était à refaire, car Souvigné en profita pour s’enfermer dans la forteresse. Il fallut entamer un nouveau siège, qui se solda encore une fois par un échec à cause des renforts que Gabriel de Goulaines, baron de Blaison, apporta à la garnison rebelle. 187

LES NOBLES, LA VILLE ET LE ROI

Pour en finir, La Rochepot rejoignit, le 24 janvier 1591, le prince de Conti et le duc de La Trémoille, qui étaient arrivés aux Ponts-de-Cé avec deux mille hommes. Pour la première fois, il avait enfin les moyens de conduire un siège décisif, mais forcément long et périlleux :mobiliser une telle

armée pour une simple forteresse, même si elle revêtait un certain intérêt, était quelque peu disproportionné. C’est pourquoi une autre solution fut envisagée. Par sa femme, Jeanne, La Rochepot était proche de la famille de Cossé, puisqu'elle était l’une des filles d’Artus de Cossé-Gonnord, et la sœur de

Renée, dont le mari avait déjà réussi à faire capituler les ligueurs en mars 15902. Or les Brissac n’avaient aucun intérêt à un pourrissement de la situation. Non seulement cette garnison ne leur obéissait pas, mais ils risquaient de perdre leur château dans cette affaire. Grâce à leur soutien, La

Rochepot put ainsi entamer des discussions serrées avec les soldats, qui ne voulaient pas en sortir sans avoir obtenu au

préalable l’accord du duc de Mercœur?. Les négociations ne débouchèrent qu'après bien des palabres, et la garnison accepta enfin d’évacuer les lieux le 6 février, mèches allumées et

enseignes déployées*!. L'accord conclu entre La Rochepot et sa belle-famille stipulait qu'aucune troupe n’y serait plus logée à l’avenir, ce qui permettait au gouverneur d’espérer sa neutralité’. Effectivement, le château de Brissac ne lui créa plus aucune difficulté par la suite, mais pour en venir à bout, il avait fallu près de deux ans d’efforts et six sièges. À cause de lui, La Rochepot avait été humilié en août 1590 par les bourgeois d’Angers, qui avaient refusé de lui prêter main forte. Pour en déloger les rebelles, il avait même dû envoyer un courrier à Mercœur, le chef de ses ennemis, afin qu’il leur

donne son autorisation de quitter les lieux. Le bilan final était assez négatif. La Rochepot était sans doute débarrassé d’un problème épineux, mais le prix en était élevé, d’autant qu’il s'était engagé lui-même à ne plus utiliser le château à des fins militaires. L'autorité nobiliaire apparaissait donc à la fois démunie et incapable de relever les défis de la guerre d’usure qui la minait dans le plat pays.

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Cette stratégie de harcèlement convenait si bien aux ligueurs qu'ils n’y dérogèrent qu’une seule fois, en acceptant de livrer une bataille rangée sous les murs de Craon en mai 1592. La Rochepot avait décidé le principe d’un siège de la petite ville avec le prince de Dombes et Conti, qui avaient pénétré en Anjou à la tête de leurs armées. L’enjeu était de taille, car en faisant tomber Craon, on pouvait espérer l’isolement de

Mercœur en Bretagne, en coupant ses communications vers l'Est. C’est pourquoi de gros effectifs furent mobilisés, peutêtre jusqu’à dix mille hommes, dont un corps expéditionnaire anglais fourni par la reine Elizabeth. Pendant que le siège commençait, à la fin du mois d’avril, les nobles angevins et Mercœur purent toutefois se rejoindre et marcher vers Craon pour tenter de dégager la place. Leur manœuvre réussit tellement bien qu’ils parvinrent en vue du campement royal le 24 mai, bousculèrent en quelques heures les troupes qui s’y trouvaient et provoquèrent parmi les soldats une panique générale. Dombes et Conti durent ainsi faire retraite, abandonnant

la place à leurs adversaires. Dans une lettre qu’il adressa le 19 juin au duc de Montmorency, Henri IV dédramatisa la situation en parlant de cette journée comme d’une « forte escarmouche de part et d’aultre, qui dura depuis six heures du matin jusque sur les trois heures après midy ». D’après lui, les ligueurs «chargèrent une partie de l’infanterie qui faisoit la dicte retraite, qu’ils emportèrent. Toutesfois ce ne fut qu’avec un grand combat où la perte fut quasy égale. Ce qui fit la nostre plus grande, ce fut que nostre artillerie fut abandonnée et demeura aux ennemys. Tout ce qui s’y est perdu ne sont qu’environ trois cens hommes de pied anglois et lansquenetz, car de cavalerie 11 n’y en est pas demeuré une vingtaine. Il n’y a eu que le sr de La Rochepot, qui voulut accourir pour soustenir ladite infanterie, qui y est demeuré prisonnier, et deux ou trois aultres ». Il estimait néanmoins que la perte était «plus en la réputation qu’elle n’est en effect, [même s’il était désormais] nécessaire d’ar-

rester promptement le cours de cet advantage qu’avoient les ennemys »#*. Pour le souverain, dont les préoccupations étaient à cette époque fort éloignées de cette région, la défaite de 189

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Craon n’était donc pas irréparable ; mais en Anjou, elle eut un impact retentissant. Jean Louvet estima dans son Journal que les troupes de Mercœur avaient «bien tué grand nombre d’Anglois et lansquenetz et infanterye, environ de quinze cents ou davantaige, et que la plus grande partye de la cavallerye elle s’en estoit enfuye et mise en déroutte »#. Aux lendemains de la bataille, les prédicateurs ultra-catholiques d’Angers recommencèrent à s’agiter, et des textes subversifs, ridiculi-

sant les officiers du roi, se mirent à circuler sous le manteau“. Surtout, cette nouvelle défaite des gouverneurs démontrait une fois encore qu’ils ne tenaient pas le pays. Même limitée, elle était beaucoup plus grave que les déconvenues qu’ils subissaient régulièrement devant les bourgs fortifiés ou les châteaux ligueurs. Car dans l’imaginaire guerrier issu du Moyen Âge, la bataille rangée s’apparentait encore à une ordalie, à un jugement de Dieu où les Justes, alliés du Christ, pouvaient

défendre leur cause et laver leur honneur face à leurs ennemis. Dans une chanson qui fut immédiatement composée dans les milieux ligueurs d’ Angers, l’une des strophes présenta Mercœur comme le bras armé du droit divin, envoyé ici-bas par le Ciel pour châtier les impies: « Chantez l’ange exterminateur « Qui, d’une puissance celleste, « Par le bras du duc de Mercœur «A mis à néant ceste peste. «Prions Dieu que bientost du reste, «Il puisse demeurer vaincqueur. «Il n’est que d’aller »*7.

En estimant que la défaite de Craon était «plus en la reputation qu’elle n’est en effect», Henri IV était très lucide sur ses conséquences en termes d’autorité nobiliaire. Alors qu’à la même époque, les libelles qu’il faisait publier exaltaient chacune de ses victoires comme une preuve irréfutable de sa légitimité$, le roi ne pouvait plus compter en Anjou sur des gentilshommes vainqueurs, capables de participer à cette longue restauration du pouvoir monarchique. Pis encore, les gouver190

NOBLESSE ROYALE ET NOBLESSE LIGUEUSE

neurs essuyèrent un revers de plus au cours de l’automne 1592. La Rochepot, qui fut libéré le 18 juin par Mercœur contre rançon, voulut en effet profiter de l’approche du maréchal d’ Aumont vers l’ Anjou pour laver l’affront qu’il avait subi devant Craon, en s’emparant du château de Rochefort. Soutenu dans cette initiative par l’échevinage d’ Angers, qui reprochait aux SaintOffange de gêner le commerce sur la Loire, il organisa le siège de leur repaire avec Duplessis-Mornay, le gouverneur de Saumur”, La Trémoille, Puycharic, et Philippe Gourreau. Des moyens considérables y furent engagés dès le 15 septembre, mais D’Aumont ne parvint à Rochefort qu’un mois plus tard. Ils commirent surtout l’erreur de concentrer leurs tirs d’artillerie sur le flanc le plus escarpé de la forteresse. Après avoir échoué à y pénétrer, 1ls réussirent finalement, le 28 novembre, à ouvrir une brêche du côté le plus facile d’accès, mais furent repoussés avec de lourdes pertes, ce qui sonna le glas de leurs espérances. Le 1er décembre, ils finirent par abandonner le combat,

d’autant que l’armée du maréchal d’ Aumont se disloquait lentement sous l’effet des maladies et des désertions“!. Ce nouvel échec eut des conséquences fort proches de celles qu'avait engendrées la défaite de Craon, et d’abord parce que Rochefort continua pendant de longues années à narguer les officiers du roi. En novembre

1596, La Rochepot, Puycharic

et Duplessis-Mornay décidèrent ainsi de surveiller à tour de rôle les abords du château, en occupant le bourg en permanence avec trois compagnies. Ils espéraient asphyxier les SaintOffange en les empêchant de s’approvisionner dans les campagnes des environs, mais ce faisant, ils y consacraient au moins six cents arquebusiers, immobilisant de gros moyens au détriment de leurs autres missions dans le pays*?. Les défaites de 1592 pesèrent donc très lourd en termes militaires, mais peut-être surtout en termes politiques. Au cours du premier semestre 1593, Puycharic eut notamment fort à faire pour tempérer les ardeurs des prédicateurs ultra-catholiques, qui exploitèrent l’échec du siège de Rochefort pour démontrer l'illégitimité d'Henri IV. En outre, cette éclatante victoire des Saint-Offange consacra leur réputation d’invincibilité, alors 191

LES NOBLES, LA VILLE ET LE ROI

qu'ils passaient jusqu'alors pour de simples gentilshommes brigands. En résistant à une armée conduite par le maréchal d’Aumont, le duc de La Trémoille et le gouverneur d’Anjou lui-même, ils faisaient implicitement la preuve que la valeur militaire n’était pas de même nature que la dignité des titres nobiliaires, et que la petite et moyenne noblesse avait un rôle à jouer pour conquérir une certaine autonomie face à ses patrons provinciaux. Le 5 janvier 1597, François de Saint-Offange rompit ainsi une trêve «par le commendement exprès de M. De Mercœur », alors que depuis quelque temps, les négociations semblaient progresser. Cette décision unilatérale prouvait une fois de plus que les hommes du roi étaient toujours impuissants face à la Ligue nobiliaire, en dépit de huit années d’efforts. Le surlendemain, Duplessis-Mornay eut beau lui répondre avec panache qu’il «acceptait [la guerre] à deux mains, puisqu’il la voulait, [... et que] Dieu en jugerait »“#, il écrivit le même jour au roi que «la cholère commence à nous surmonter, et doute qu’il faudra que V. M. nous révoque, pour y envoyer d’autres, qui ayent le sang plus froid [...] Cependant, Sire, V. M. en tire cet avantage, que par leur propre fait, vostre peuple cognoistra que ceux qui continuent aujourd’huy leur misère, sont ceux mesmes qui en ont esté les autheurs dès le

commencement. Mais pour en tirer fruict entier, il faut passer plus outre »#. En faisant traîner une guerre qui s’était apaisée dans la plupart des autres provinces du royaume, les ligueurs angevins ruinèrent sans doute leur réputation, mais en ne parvenant pas à mettre un terme à cet interminable conflit, les gouverneurs perdirent aussi la leur.

3. Des moyens insuffisants Les nobles qui avaient fait le choix de soutenir l’autorité royale souffraient en effet de plusieurs handicaps qu’ils ne parvinrent jamais à surmonter vraiment. Dès septembre 1586, leurs premières difficultés apparurent lorsque Georges de Clermont d’ Amboise chercha à traverser la Loire vers le Sud,

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NOBLESSE ROYALE ET NOBLESSE LIGUEUSE

pour rejoindre Henri de Navarre. Catherine de Médicis envoya à cette occasion une lettre fort inquiète à Puycharic, gouverneur de la ville et du château d’ Angers depuis moins d’un an, pour lui demander de résister aux troupes protestantes. Elle le mettait en garde contre tout empressement, car il devait «laisser si bon ordre au château d’ Angers, qu’il n’y puisse mésadvenir pendant vostre absence ». Mais il fallait également qu’il essaye de mobiliser les nobles catholiques du pays «en vertu d’une vingtaine de lectres particullières que ledict sieur de La Vallières vous porte en blanc pour les faire remplir aux seigneurs et gentilz hommes, tant d’ Anjou que du Maine »#. Ces vingt lettres, construites selon le même schéma que celle qui fut adressée au seigneur d’Angrie*, priaient chaque destinataire «d’assister de ce [qu’il pourrait] ledict sieur de Puicharie, pour empescher lesdictes assemblées et amas et leur courre sus »*/. Catherine de Médicis essayait donc d’utiliser Puycharic de la même manière que les nobles seconds qui peuplaient à cette époque les postes militaires locaux sur les frontières du Nord-Est: des gentilshommes influents, capables de drainer les autres au service de la couronne, en échange de la faveur du roi. Or ces méthodes, très efficaces en Champagne ou en Picardie, ne rencontrèrent pas le même succès en Anjou, car Puycharic n’était pas originaire du pays. Fort habile pour tenir la garnison du château dans la plus stricte discipline, 11 n’entretenait pas assez de relations parmi les nobles angevins pour les attirer à sa suite. Comme Puygaillard vingt ans plus tôt, il restait un méridional qui ne parvenait pas à se faire ouvrir les portes de la noblesse ligérienne. La reine mère ne se faïsait d’ailleurs pas beaucoup d'illusions quant à l'efficacité du procédé qu’elle venait de lui suggérer. Le 23 septembre, soit deux jours plus tard, elle écrivait ainsi à Henri HI que «quand bien ledict Puchairie ne fera pas grande assemblée, comme j'en ay peur, ceste despesche ne laissera pas de servir de quelque chose, pour donner craincte ausdictz de Clermont et de Saincte-Marie et pour retenir ceulx qu’11z eussent peu séduire et retenir à eux »*#. En effectuant cette démarche auprès 195

LES NOBLES, LA VILLE ET LE ROI

des familles les plus influentes de la région, Catherine ne cherchait pas vraiment à compenser la faiblesse des troupes régulières. Son objectif était plutôt de rappeler à tous ces nobles qu’il était de leur devoir de maintenir l’ordre, ou du moins de ne pas le troubler ;mais comme Puycharic était un nouveau venu dans la région, il ne disposait pas de l’audience qui lui aurait été nécessaire pour accomplir sa tâche. Les faiblesses de La Rochepot dans ce domaine apparurent dès l’automne 1586. Le 28 novembre, la reine mère lui envoya un courrier où elle lui demandait de surveiller la Loire pour éviter «que lesdictz de la nouvelle oppinion n’y puissent rien entreprendre au préjudice du service du roy ». Les troupes conduites par Clermont d’ Amboise n'avaient en effet pas été impressionnées par les maigres effectifs que Puycharic avait péniblement rassemblés. Or Catherine profita de cette OCCasion pour faire savoir au gouverneur qu’elle avait appris ses efforts pour disperser six ou sept cents hommes d’armes dans le sud de la région. Malheureusement,

ils lui avaient

échappé avant de passer en Poitou, ce qui lui fit conclure sa lettre par quelques reproches à peine voilés : La Rochepot avait manqué là une bonne ocasion de « faire très grand service au roy »1°. Comparé à Joachim de Dinteville, le lieutenant général d'Henri [IT en Champagne, il était bien loin d’avoir atteint les résultats que l’on attendait de lui. Des bandes de soldats licenciés de leurs compagnies sillonnaient |Anjou, les protestants continuaient de menacer les principaux passages sur la Loire, et la noblesse ligueuse S’étoffait lentement. Pourtant, Catherine de Médicis et son fils n’avaient d’autre solution, à cette date, que de renouveler leur confiance à La Rochepot, car ils n’avaient pas les troupes qu’il lui fallait pour mener cette lutte. En janvier 1587, la reine mère lui écrivit d’ailleurs encore une fois pour le charger de surveiller les huguenots”?. Le gouverneur bénéficiait donc toujours d’une certaine faveur: en dépit des problèmes qu’il rencontrait dans l'exercice de ses fonctions, il était considéré malgré tout comme le relais des volontés royales dans son pays. Mais deux mois plus tard, La Rochepot adressa à Catherine un

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NOBLESSE ROYALE ET NOBLESSE LIGUEUSE

rapport dans lequel il expliquait son incapacité à repousser les soldats du régiment de Vireluisant, qui commettaient de nombreuses exactions. D’après la reine, la solution à tous ces

maux était pourtant simple: il aurait fallu qu’il fasse «pandre quelques ungs de ceulx qui ont ainsy vollé et pillé, [...] car c'eust esté exemple et terreur à tous aultres. Par quoy il faut doresnavant, s’il advenoit desordre de gens de guerre en l’estendue de vostredicte charge, que, sans avoir esgard que au seul commandement que le roy mondict seigneur et filz vous a faict, vous pourvoyez à réprimer lesdictz désordres promptement et avec toute sévérité ; aultrement, le peuple sera tousjours ainsy foullé et le roy mondict seigneur et fi1z ne sera poinct obéi, comme il doibt»*!. Au fond, La Rochepot ne pouvait obtenir aucun soutien concret de la part de son interlocutrice, qui incriminait un peu vite son manque de volonté face aux pillards afin d’éluder habilement la question des moyens matériels, humains et financiers. Sans doute en étaitelle consciente, puisqu'elle lui suggéra, pour s’opposer au retour des gens de guerre venant du Poitou, de «leur montrer ceste lettre, pour leur servir, pour ce, de deffence, en atten-

dant le commandement que vous en aurez du roy mondict seigneur et filz». Le procédé était effectivement peu onéreux... Le soutien trop mesuré que La Rochepot obtint du roi jusqu’à la fin de 1588 explique pourquoi son autorité faillit sombrer à Angers lors de l’émeute du 20 février 1589: il ne réussit à inverser le cours des événements qu’en s'appuyant sur le régiment de Picardie, que le maréchal d’Aumont conduisit en Anjou à la fin mars. Après avoir repris en main la ville d'Angers, au printemps 1589, La Rochepot eut bien du mal à arracher le soutien des citadins pour porter la guerre hors-les-murs. Toutes les mesures qu’il mit en œuvre avec Puycharic, pour museler lopposition ultra-catholique et parvenir à collaborer avec les notables, furent sans doute très efficaces afin d’obtenir lobéissance de la société urbaine, mais elles lui furent d’un piètre secours pour le combat qu’il menait dans les campagnes d'Anjou. Les milices urbaines, dont la vocation essentielle était de 195

LES NOBLES, LA VILLE ET LE ROI

surveiller les remparts et de faire régner l’ordre, n’étaient pas entraînées pour se déplacer dans la campagne et assiéger des forteresses pendant plusieurs jours. En outre, si les officiers ligueurs furent pour la plupart écartés de leurs responsabilités dès le mois d’avril 1589, les miliciens eux-mêmes res-

taient largement favorables à la Ligue, et refusaient d’apporter leur concours à ce qu’il considéraient comme une trahison de leur cause. Le 21 octobre 1589, La Rochepot tenta par exemple de faire conduire un canon jusqu’à la maison forte de Doussay, afin d’obliger la garnison à rendre les armes. Comme il n’avait pas d’escorte immédiatement disponible, il fit appel aux milices urbaines, mais d’après Jean Louvet, «les habitants catholicques de laditte ville d’ Angers [...] n°y sauroient voullu aller pour ne tenir le party des héréticques, et [| ne voulloient faire la guerre aulx catholicques »*?. Le

30 août 1590, le gouverneur n’eut pas davantage de succès lorsqu'il voulut convaincre les milices d’investir le château de Brissac. Il est vrai que cette fois, elles acceptèrent de sortir d'Angers, mais sans grande conviction, car aux Ponts-deCé, «les catholiques, ainsy menez, ne voullurent passer oultre pour aller audict Brissac, lesquelz disoient que les habitants n’estoient tenuz de sortir de leur ville pour aller à la guerre par contraincte ny par force »**. L’autonomie urbaine et le catholicisme intransigeant se conjuguèrent donc parfaitement pour entraver l’autorité nobihaire dans le plat pays. Les notables angevins ne consentirent à aider les troupes royales qu'après le cinglant revers qu’elles subirent à Craon, le 24 mai 1592. La capture de La Rochepot et les blessures de Puycharic provoquèrent une réelle prise de conscience au sein de l’échevinage, qui conclut le surlendemain qu’il «sera[it] escript au roy pour lui représenter l’estat de ceste province et le besoing de pourveoir à la seureté d’icelle, supplier Sa Majesté de ce faire selon qu’elle saict estre nécessayre, et pour cest effect, nous assister de forces bastantes

pour oposer aux dessaings des ennemis, et pour supplier aussy Sa Majesté de la délivrance de Monseigneur de la Rochepot par le moïen de l’eschange de quelques prisonniers. |... Il] 196

NOBLESSE ROYALE ET NOBLESSE LIGUEUSE

sera aussy escript à Madame de La Rochepot pour luy faire entendre le desplaisir que reçoipvent les habitans de ceste ville de l’infortune advenue à Monseigneur de La Rochepot et la vollunté qu'ils ont de l’assister [...] en ce qui despendra d’eux pour l’advènement de sa liberté »54. I1s nommèrent un conseil permanent, composé de huit échevins et de deux ecclésiastiques, pour aider Puycharic à mettre en place des mesures d'urgence, levèrent de l’argent et fabriquèrent des armes pour lui fournir un appui concret, car la situation leur semblait alors particulièrement grave. Leur objectif principal était la chute de Rochefort, dont la menace gênait la navigation sur le fleuve et paralysait le commerce. Dès le 31 mai 1591, ils avaient prié La Rochepot de demander au prince de Conti, de passage en Anjou avec son armée, d’attaquer le repaire des Saint-Offange et de «l’asseurer qu’en ce cas, 1l seroit secouru de tout ce que la ville pourroit »**. Conti avait alors préféré se détourner vers le Poitou, mais après la défaite de Craon, un an plus tard, les échevins reprirent leur projet initial lorsque le maréchal d’Aumont revint en Anjou. On sait que le siège de Rochefort, décidé par les gouverneurs après bien des hésitations, se solda le 1er décembre 1592 par un nouvel échec malgré un trimestre d’efforts, mais il eut néanmoins l’avantage d’associer enfin

les élites urbaines et les nobles fidèles au souverain pour la réalisation d’un objectif commun hors-les-murs. Les échevins décidèrent en effet de lever 20000 écus pour en couvrir les frais, de ravitailler l’armée avec de la poudre, du plomb, des vivres et du vin, tandis que les milices y furent envoyées pour seconder les troupes royales. Ce geste venait sans doute un peu tard, mais pour une fois, les nobles ne purent invoquer la faiblesse de leurs moyens pour justifier la défaite... Ce désastre permit de rassembler de nombreux gentilshommes angevins derrière quelques-uns d’entre eux, qui incarnaient une autorité nobiliaire solidement légitimée par la caution monarchique. Les Saint-Offange étaient si décriés dans tout le pays que bien des nobles acceptèrent de participer à ce siège pour leur faire mordre la poussière. Trois

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LES NOBLES, LA VILLE ET LE ROI

membres de la famille du Bellay s’y retrouvèrent — René, l’ancien député aux États généraux de 1588, mais aussi Martin et Pierre, deux de ses fils. Ils furent accompagnés par François de Daillon, comte du Lude et sénéchal d’ Anjou, ainsi que par quelques-uns des plus éminents gentilshommes de la région: Pierre de Laval, seigneur de Lezay, Charles de Chambes, comte de Montsoreau ou François de La Tour-Landry. La plupart d’entre eux furent suivis par des nobles moins puissants, moins disponibles pour de longues campagnes, mais qui étaient tout autant déterminés à jouer un rôle, même modeste,

pendant le siège : par exemple Mathurin de Montalais, selgneur de Chambellay, René de Rougé, seigneur des Rues, René de La Grezille, seigneur de La Tremblaye, Charles Le Roux, seigneur de La Roche-des-Aubiers, René Pierres, se1-

gneur de Bellefontaine, Anne de Coisnon, seigneur de Briacé, Pierre de Limesle, seigneur de La Bouveraye*’… Charles de Chambes, le comte de Montsoreau, réussit notamment, dès l’été 1589, à mettre sur pied une compagnie d’or-

donnance de vingt-cinq gens d’armes et quarante-cinq archers, conduits par quatre officiers. Sur cet effectif total de soixantequatorze hommes, cinquante-six furent recrutés en Anjou — la plupart des autres étant venus de Touraine ou du Poitou, sauf un Périgourdin et un Breton. Montsoreau ne s’était d’ailleurs pas ménagé pour mobiliser ses relations personnelles, car la moitié d’entre eux habitaient dans un rayon de trente kilomètres autour de son château. La Rochepot était donc dans une situation beaucoup moins confortable que Dinteville, le lieutenant général de Champagne, qui jouait de sa familiarité avec la noblesse des frontières pour drainer vers son armée des gentilshommes qu’il connaissait bien*°?. Le gouverneur d’ Anjou ne disposait pas d’une telle autonomie, car il pouvait difficilement compter sur son prestige personnel pour convaincre les petits gentilshommes de l’assister. Il devait par conséquent recourir aux services des barons angevins, qui avaient davantage de crédit dans la région pour inciter leurs voisins à prendre les armes. À partir d'avril 1589, il reçut apparemment une aide substantielle lorsque Philippe Duplessis-Mornay fut nommé 198

NOBLESSE ROYALE ET NOBLESSE LIGUEUSE

gouverneur de Saumur. Aux termes d’un accord conclu à la fin du mois de mars entre le roi de France et Henri de Navarre, le fidèle lieutenant de ce dernier aurait dû obtenir les Pontsde-Cé, qui représentaient un verrou stratégique de la plus haute importance sur la Loire. Mais comme le sieur de Cosseins, qui en détenait le commandement, refusa de s’en

dessaisir, le choix des deux cousins se porta finalement sur la ville de Saumur, où il fut nommé le 17 avril 158960. Placer dans cette ville l’une des figures les plus charismatiques du parti huguenot n’était pas une mauvaise idée, car la communauté réformée y était puissante. En outre, les gouverneurs royaux pouvaient espérer établir avec lui une fructueuse collaboration, grâce à laquelle ils réussiraient à compenser leurs handicaps. Dès le 24 août 1589, trois semaines après la mort

d’Henri II, le nouveau souverain demanda d’ailleurs à son ami de travailler avec le responsable de la ville d'Angers: «Je ne vous ay sceu escrire de ma main, pour la grande multitude d’affaires que j’ay ;mais je vous prie continuer avec Puicheric ce que je vous ay cy-devant mandé »f!. Duplessis-Mornay eut pourtant le plus grand mal à répondre aux besoins des nobles qui se battaient alors en Anjou pour le compte d'Henri IV. Sa nomination avait mis en effet les catholiques de Saumur dans un tel émoi qu’il eut le plus grand mal à calmer leurs craintes pour envisager ensuite d’obtenir une aide de la part des bourgeois. Le 3 septembre 1593, il écrivit ainsi à Achille de Harlay qu’à la veille de la Saint-Barthélemy, «on fit doucement courir un bruit entre les

habitans de cette ville, que la nuitJe devois faire tuer tous les catholiques. Sur lequel il s’en absenta bon nombre, tant de la ville que des fauxbourgs ;mesmes quelques marchans de la Ligue, venus de Paris, Orléans, Nantes, Poictiers, s’en allant

d’effroi, emportèrent cette alarme chacun en son quartier. Je n’en fus adverti que le matin, et au commencement le mesprisai. Mais voïant que cela avoit passé si avant, et ne pouvoit tendre qu’à engendrer une sédition en cette ville, je priai messieurs les officiers du roi en cette dite ville d’en informer,

et s’il estoit possible pénétrer jusques à la source, tant pour 199

LES NOBLES, LA VILLE ET LE ROI

le service de Sa Majesté que pour l’importance dont cette calomnie m'estoit»t?. Après avoir emprisonné l’un des hommes soupçonnés d’avoir colporté cette rumeur, il demandait au président du Parlement de Paris d’engager une procédure, afin de faire toute la lumière sur cette mystérieuse

affaire. Mais en dépit de tous les gages de bonne volonté qu'il essayait de fournir, le mal était déjà fait, car dans les derniers jours du mois d’août, il avait appris qu’à Tours, on racontait partout qu’il avait jeté en prison tous les catholiques de la ville... Désabusé, il terminait son courrier en demandant au magistrat «de considérer là-dessus ce que peut et doit un gouverneur, qui à à respondre d’une place en matière et péril de sédition [...] Si les peuples ont à gloser sur tout ce que nous faisons, il n°y aura point de fin; et je pense que vous sçavez à quoi vous en tenir d’ailleurs ». Peu assuré du soutien des notables saumurois, Duplessis eut également bien du mal à recevoir du souverain davantage de moyens militaires pour contrer les ligueurs du plat pays. Comme la Champagne, |’ Anjou n’était pas une priorité pour Henri IV, qui préférait concentrer ses forces autour de Paris et en Normandie. Après la campagne victorieuse qu’il mena dans la région fin novembre 1589, il n’y revint plus jusqu’en avril 1598, ce qui priva ses fidèles d’un appui décisif. En 1595, le siège de la modeste place de Tigné, aux confins de l’ Anjou et du Poitou, permit de mesurer le dénuement des troupes locales, car La Rochepot et Duplessis-Mornay, qui décidèrent de cette opération au début du mois de novembre pour en chasser la garnison ligueuse, eurent beaucoup de peine à la réaliser. Le 12, Duplessis écrivit ainsi au gouverneur : «Monsieur, Je suis de vostre advis qu’il se faut résoudre. Autrement, le mal n’auroit esté si dommageable au païs que le remède même. Les gens de guerre nous sont sur les bras, encore plus au peuple. Nos amis se refroidissent et se font accroire que nous ne pensons plus à ce siège.» Son objectif n’était donc pas seulement la chute d’un bastion ligueur, mais aussi de faire vivre les troupes royales dans une discipline qu’elles avaient tendance à transgresser, et montrer aux 200

NOBLESSE ROYALE ET NOBLESSE LIGUEUSE

gentilshommes angevins que la détermination des gouverneurs restait intacte. Malheureusement, les effectifs disponibles étaient bien maigres et difficiles à rassembler: «Je suis asseuré de cinq cens harquebuziers féables. Les plus esloignez seront 1c1 en deux jours. J’ai de plus envoïé [un courrier] au sieur de Chasteaurouet, qui a trois cens harquebuziers près de Mirebeau, mais tout cela se lasse de rôder »f3. Et lorsque Jean Louvet vit passer à Angers les troupes que La Rochepot conduisait à Tigné, il nota dans son Journal qu’il s'agissait de «cinq régiments de soldartz fort mal équippez et beaucoup de goujartz, et la plus part n’estoit que de la harapaille »%. La garnison finit par capituler le 15 décembre, mais comme Duplessis manquait de soldats, il ne put la remplacer. Faute de mieux, il fut obligé de détruire la forteresse, en demandant à La Rochepot de l’argent pour financer les travaux. Le 2 janvier, il put envoyer un rapport victorieux à Henri IV, tout en laissant néanmoins pointer une certaine lassitude : «Nous y avons particulièrement esprouvé que c’est de forces empruntées, de gens volontaires, d’attelages faits

de toutes pièces. Et le pis est, que le païs a plus souffert, et nous fait plus de despense pour ce petit siège, pendant que les trouppes s’entr’attendoient, que pour un beaucoup plus important, si nous eussions eu quelques forces entretenues et réglées ». Le siège de Tigné avait été d’un médiocre profit stratégique, tout en ayant ruiné un peu plus encore l’image des nobles dans un pays fatigué de la guerre. Duplessis appelait donc le roi à consentir un sérieux effort pour envoyer des troupes fraîches en Anjou : « Nous ne pouvons faire, ni vostre service, ni le repos de vos subjets, n1 l'honneur de vos charges, si V. M., par sa prudence, n’ordonne qu’il y soit pourveu d’autre force, et [...] qu’au moins nos compagnies de gendarmes aient un entretènement certain, afin que nous puissions tenir nos ennemis en bride, vostre peuple en plus de liberté, vostre noblesse plus obligée à s’emploïer aux occasions, et que V. M. par conséquent, puisse retirer plus de secours et de commodité de cette province, qui autrement s’en va déserte »66. 201

LES NOBLES, LA VILLE ET LE ROI

Malgré l’audience dont il bénéficiait auprès du rot, Duplessis-Mornay fut donc dépourvu des troupes et des finances qui lui auraient permis d’être efficace au cours des années 1590. Comme La Rochepot et Puycharic, 1l rencontra les pires difficultés à restaurer la paix et la sécurité dans une région très exposée aux passages des ligueurs bretons. Les nobles sur lesquels Henri IV avait choisi de s’appuyer depuis l’été 1589 avaient l’avantage d’être des hommes de confiance, mais ils présentaient l’inconvénient d’être étrangers au pays. De fait, ils eurent du mal à engager des pourparlers directs avec les gentilshommes ligueurs, car 1ls les connaissaient mal. Seul La Rochepot sut s’introduire dans une parentèle locale, en épousant Jeanne de Cossé en 1592, et réussit à s’en servir pour ses objectifs militaires en obtenant la reddition du château de Brissac. Mais cet épisode représenta une exception remarquable tout au long d’une décennie qui fut surtout marquée par les embuscades et les trahisons. Afin de pallier leur manque d’argent et de troupes, les agents du roi furent contraints, comme

sous François Ier

de faire appel au bon vouloir des gentilshommes angevins et à l’influence des élites urbaines. S’il arriva assez tard, leur

soutien fut sans aucun doute loin d’être négligeable, puisque les uns et les autres se retrouvèrent unis dans le même but au cours du siège de Rochefort, ce qui permit de souder l’ensemble des notables provinciaux autour de la défense du pouvoir souverain et la lutte contre le brigandage. Cette alliance fut pourtant insuffisante pour reprendre les bourgs et les châteaux tenus par les rebelles, alors qu’il s’agissait d’une conditon indispensable à la pacification des campagnes d’Anjou. La Ligue nobiliaire résista donc mieux que la Ligue urbaine, à tel point que ses principaux chefs purent forger dans le pays une autorité nobiliaire indépendante, voire concurrente de celle qui était exercée traditionnellement par les gouverneurs et les grands aristocrates de la région. Ils purent ainsi se présenter en position de force lors des négociations qui débutèrent dès 1594, et les firent durer assez longtemps pour faire payer très cher au souverain leur ultime capitulation. 202

CHAPITRE VII

La pacification laborieuse du second ordre (1594-1598)

1. L'autorité contestée de Duplessis-Mornay Après la défaite de Craon et l’échec du siège de Rochefort, en 1592, 1l devint clair que la clef de l’apaisement ne se trouvait pas en Anjou, mais en Bretagne. Les troupes royales n'étaient pas assez fortes pour reconquérir le pays, la noblesse angevine insuffisante pour pallier leurs carences et les élites urbaines peu motivées par la guerre du plat pays. Il était donc indispensable de chercher un accommodement avec le duc de Mercæur, ce qui fut un peu plus facile à envisager lorsque le souverain se convertit au catholicisme, le 25 juillet 1593. Après son sacre du 27 février 1594 et la capitulation de Paris, un mois plus tard, Duplessis-Mornay accéléra ainsi la mise en œuvre de sérieuses discussions avec le chef de la ligue bretonne. Il fit même appel à Louise de Vaudémont, la sœur de Mercœur, pour qu’elle réussisse à le convaincre de venir s’asseoir à une table de négociations. Les efforts du gouverneur de Saumur finirent par déboucher sur un résultat concret, avec l’ouverture d’une conférence de paix à Ancenis, le 6 mai 1594. 203

LES NOBLES, LA VILLE ET LE ROI

Philippe Duplessis-Mornay apparut très vite comme le véritable initiateur de la politique de conciliation voulue par Henri IV. Comme il avait l’oreille du roi et qu’il lui écrivait presque tous les jours, il passait pour un confident influent qu'il fallait ménager. Leurs relations étaient en réalité beaucoup plus ambiguës, car non seulement Duplessis-Mornay obtenait rarement les hommes et les fonds dont il avait besoin,

mais il n’hésitait pas à adresser au souverain des reproches sévères, qui pouvaient aller jusqu’à la brouille. Néanmoins, il acquit une position stratégique dans le réseau des serviteurs du roi en Anjou à partir de 1594, et dès cette époque, toutes les informations qui partaient du pays pour remonter jusqu’au souverain se mirent à transiter par lui, comme s’il était devenu

le gouverneur de la province. Le 15 mars 1595, il rédigea par exemple un rapport très détaillé faisant le point sur les pourparlers qu’il avait engagés avec Mercœur, tandis que La Rochepot fut simplement chargé «de se voulloir transporter vers S. M. au plustost [..] pour lui représenter le tout de vive voix, et faire résoudre Sadite Majesté à ce qui sera estimé le plus expédient pour le bien de son service »!. La Rochepot gouvernait toujours officiellement l’ Anjou, mais il était désormais devenu le porte-parole de Duplessis-Mornay, alors que celui-ci ne commandait officiellement qu’à Saumur. Ce détournement officieux de l’autorité nobiliaire provinciale fut certainement facilité par le fait que La Rochepot ne disposait pas d’un large crédit personnel dans la noblesse d’ Anjou, et que ses échecs répétés dans les campagnes avaient terni sa réputation militaire. Le gouverneur participa d’ailleurs fort peu aux conférences d’Ancenis, à tel point qu’'Henri IV finit par s'inquiéter de son manque de motivation et d’empressement?. En dépit des atouts dont 11 disposait, Duplessis-Mornay ne réussit pourtant pas à conclure les pourparlers d’ Ancenis, et ce pour deux raisons. La première tenait à la situation militaire dans le Nord-Ouest. Mercœur et ses alliés bretons et angevins avaient des positions si solides dans la plupart des petites villes et des forteresses de la région, qu’ils présentèrent aux envoyés du roi de France des exigences difficiles à 204

LA PACIFICATION LABORIEUSE DU SECOND ORDRE

accepter. Par exemple en janvier 1595, lorsque François de Saint-Offange fut capturé à Clisson, son emprisonnement devint un réel obstacle aux discussions. Le duc de Mercœur se mit en effet à réclamer sa libération comme préalable à toute négociation, alors que les officiers royaux hésitaient à relâcher celui qui apparaissait, avec son frère, comme le principal responsable des troubles en Anjou. Duplessis-Mornay échoua à conclure un bon accord avec ses adversaires pour une deuxième raison, tout aussi importante, mais moins évidente : malgré la faveur dont il bénéficiait auprès d'Henri IV, il disposait d’une influence limitée dans l’aristocratie angevine qui était en train de se rallier au souverain. Faute de ce soutien décisif, il ne pouvait pas se définir devant les ligueurs comme le représentant légitime de la noblesse du pays, qui n'était pas unanimement rassemblée derrière lui. Dépourvu d’une forte autorité locale dans le second ordre, il était privé

d’intermédiaires angevins qui auraient pu l’aider à convaincre Mercœur d'arrêter les combats rapidement. Ce handicap peut se lire en particulier à travers les relations houleuses qu’il entretint avec Charles de Cossé-Brissac. On sait que ce dernier permit à Henri IV d’entrer dans Paris le 22 mars 1594*. Dès le 30, il en reçut les premiers profits en obtenant la dignité de maréchal de France et le titre de conseiller d’honneur au Parlement, devant lequel 1l prêta serment le lendemain. Nommé connétable le 3 septembre suivant, puis lieutenant général de l’armée royale en Bretagne, 1l fut admis dans l’ordre du Saint-Esprit le 7 janvier 1595, et gratifié d’une somme considérable, s’élevant à 1,7 million de livres. En le comblant de récompenses, le souverain ne cherchait pas seulement à s’assurer de sa fidélité future ; 11 attendait que CosséBrissac l’aide à faire pression sur les anciens ligueurs pour qu'ils le rejoingnent. Le 28 octobre 1596, il fut ainsi chargé de contacter des notables bretons pour les persuader que le monarque voulait la paix, et les conduire à des pourparlers. Cette démarche supposait que le maréchal travaillât en étroite collaboration avec les agents de la couronne qui cherchaïient, depuis le printemps 1594, à trouver un terrain d'entente avec 205

LES NOBLES, LA VILLE ET LE ROI Mercœur, donc à accepter d’une façon ou d’une autre l’au-

torité de Duplessis-Mornay. Or celui-ci fut incapable de s’entendre avec Cossé-Brissac. Son adhésion indéfectible au protestantisme était sans doute un obstacle difficile à surmonter, dans la mesure où le maréchal répugnait à coopérer avec un hérétique. Mais il apparaît en outre que le gouverneur de Saumur eut tendance à prendre de haut ce grand aristocrate, qui n’était pas disposé à lui obéir. Le 10 avril 1597, il lui écrivit par exemple une lettre très sèche, dans laquelle il se plaignait amèrement de l’inactivité dont il avait fait preuve en Bretagne à l’égard des «déportemens du party contraire, la deffaite de ceux de Saint-Mars de la Jaille par les gardes de M. de Mercœur, celle du sieur de Mauny, y jointes les cruautez et barbaries mentionées en vostre lettre, le ravage ordinaire du plat pays [...] et plusieurs actes semblables qui ne se peuvent alléguer ». Estimant qu’il était grand temps que le maréchal de Brissac réagisse, il lui expliquait, avec peutêtre trop de franchise, «qu’il falloit que ceste patience, qu’autrement 1ls eussent interprétée à stupidité, esclatast à quelque effet». Enfin, il lui demandait de ne plus justifier sa passivité en prétendant qu’il existait un accord secret conclu entre le roi et le chef de la Ligue, car cette rumeur tendait «d’une part à allentr les courages de ses bons serviteurs et subjets, et de l’autre à retenir ceux qui sont desvoïés en quelque patience, craignans qu'ils ne cerchent la paix par eux-mesmes, l’aïant jusques ici inutilement espérée en la réduction dudit sieur de Mercœur »*. Les deux hommes étaient donc en de très mauvais termes au printemps 1597, et leur hostilité éclata au grand Jour au mois d'octobre, lorsque Duplessis-Mornay échappa de justesse à un attentat dont Cossé-Brissac fut accusé d’être le commanditaire. Le 28 octobre 1597, 1l se trouvait à Angers depuis la veille. Après avoir été dîner chez La Rochepot, il s’en retournait chez lui quand il fut subitement entouré par quelques hommes conduits par Georges de Vaudrey, marquis de Saint-Phalle. Accusant le gouverneur de Saumur d’avoir intercepté et ouvert des lettres qui lui étaient destinées, il le prit violemment à 206

LA PACIFICATION LABORIEUSE DU SECOND ORDRE

partie. Très vite, la discussion s’envenima, et Duplessis finit par lui offrir «d’en faire raison par les armes s’il ne s’estimoit satisfaict de ce qu’il luy en disoit: [Saint-Phalle] l’auroit néantmoins excédé et offensé en sa personne avec telle violence et oultrage que, sans la résistance qui luy fut faicte par aulcuns de ceulx qui suivoient le dict sieur du Plessis, il l’eust assassiné tout à faict »°. Ce jour-là, Duplessis-Mornay échappa de peu à une tentative de meurtre, que le roi de France interpréta tout de suite comme un affront personnel. Le 9 novembre, il lui écrivit en effet une lettre pour lui exprimer «l’extrême desplaisir de l’outrage que vous avez receu, auquel Je participe, et comme roy, et comme vostre amy. Comme le premier, Je vous en feray justice, et me la feray aussi. Si je ne portois que le second titre, vous n’en avez nul de qui l’espée fust plus preste à desguaigner que la mienne, ny qui vous portast sa vie plus gayement que moy ; tenez cela pour constant qu’en cest effect je vous rendray office de roy, de maistre et d’amy »’. La tonalité très ferme de ce message montre à quel point l’autorité souveraine et l’autorité nobiliaire étaient liées dans l’esprit du monarque, mais elle témoigne également de l’adhésion d'Henri IV aux valeurs fondatrices de l'honneur nobiliaire. Pour le roi, S’appuyer sur des gentilshommes ne procédait pas seulement d’un calcul politique ou militaire, mais aussi de sa mentalité de gentilhomme. Prêt à se battre en duel pour l’honneur de son ami, le souverain montrait ici

que ses relations avec la noblesse découlaient tout autant de choix tactiques que d’une communion culturelle. IT est ainsi frappant de constater les analogies qui existent entre cette lettre et celle que le seigneur de Malicorne adressa le 7 novembre à Duplessis-Mornay pour le réconforter : 11 lui apporta «les asseurances de la volonté que J’ay de vous faire service et assister en cette occasion, où Je tireray l’espée avec tous mes amis, pour vous donner preuve de l’amitié que je vous ay vouée. De quoy je vous supplie de faire un particulier estat ;et que je serois jaloux qu’un autre fust préféré à moy. Faites-moy donc ce bien de vous asseurer de mon assistance, qui ne vous manquera jamais, où elle vous sera utile »°.

207

LES NOBLES, LA VILLE ET LE ROI

L'affaire était grave, parce qu’elle visait l’un des plus fidèles serviteurs du roi et qu’elle révélait des animosités personnelles préjudiciables à l’apaisement des conflits dans la région. Le geste de Saint-Phalle fut interprété, jugé, approuvé ou désavoué par tous les gentilshommes bien informés, y compris dans sa propre famille, où certains le condamnèrent sans appel. Son cousin, le marquis de Mouy, écrivit une lettre à Duplessis-Mornay pour lui témoigner «le desplaisir et le ressentiment que j’ay de l’assassinat qui vous a esté mesnagé et attenté par un qui se rend indigne de mon nom et de mes armes, les ayant sallies de telle lascheté ;or s’il est mon parent,

vous estes mon frère, m’ayant obligé à cela par tant de si signalez offices, queje serois le plus ingrat du monde de les oublier. Faites donc estat aussi asseuré de moy, comme de vous-mesme ; et Croyez que pour vostre service, Je porteray contre tout le monde et toute espèce de gens l’espée et le bouclier [...] Je vous supplie très humblement m’employer en ce fait icy, afin que, de mon sang comme de mon encre, je signe la vérité de mon dire »?. Georges IL, marquis de Sant-Phalle, n’était pas un inconnu. Petit-fils d’Anne de Vaudrey, qui avait été baïlli de Troyes dans les années 1560-1570, 1l appartenait à un lignage qui avait profité de la faveur royale, tout en maintenant des liens très étroits avec les Guise. Son aïeul avait été notamment l’instigateur du massacre des protestants à Troyes, le 4 septembre 1572, en dépit des ordres de clémence qu’il avait reçus la veille!®, Son père, Georges [°' de Vaudrey, comte de SaintPhalle, avait néanmoins obtenu le gouvernement de la ville

en 1576, et une dizaine d’années plus tard, quand Henri de Guise avait pris les armes contre la famille de La Marck,

retranchée à Sedan, 1l avait participé à cette campagne à la tête d’une compagnie d’ordonnance!!. Après la mort du duc de Guise, puis celle du roi, il s'était rallié à Henri IV et avait rejoint les troupes de La Rochepot en Anjou!?2. Son fils Georges IT était d’ailleurs allié à quelques-unes des plus puissantes familles de la région, car sa mère, Jeanne du Plessis,

dame de La Bougonnière, avait eu en premières noces de 208

LA PACIFICATION LABORIEUSE DU SECOND ORDRE Jean, sire d’Acigné, une fille unique, Judith, qui avait été

mariée à Cossé-Brissac. Saint-Phalle était donc bien intégré à la parentèle du maréchal, ce qui incita tout de suite DuplessisMornay à soupçonner ce dernier d’être l’instigateur du complot. Le 26 novembre 1597, le gouverneur de Saumur écrivit à Schomberg que le roi ne devait pas trouver «estrange que Je m’en prisse directement à sa personne, ayant esté outragé par son beau-frère, qui ne pouvoit ignorer qu’il m’avoit appellé [à Angers] ». Cossé-Brissac apparaissait comme le véritable responsable des violences qu’il avait subies, ce qui justifiait qu'il en rende raison par les armes. Il est vrai que son rang n’égalait pas le sien, mais l’importance de l’affaire était telle qu'il réclamait une réparation spectaculaire : «Si on allègue qu'il est mareschal de France, partant hors du pair, que l’excès de l’outrage et de ma douleur passe par-dessus ces formalitez [...] Je ne veux entrer en la comparaison de nos mérites et qualitez ;mais [...] avoir servy avec honneur en toutes sortes

et occasions le plus grand roy de la chrestienté l’espace de vingt ans et plus, et avoir cest honneur d’estre aimé de luy,

puisqu'il me le daigne tesmoigner, va à l’esgal, et peut-estre au-dessus de M. le maréchal de Brissac, mareschal de France ». Comme Saint-Phalle n’avait été, peut-être, qu’un simple exécutant, Duplessis-Mornay s’en remettait donc aux magistrats pour décider de son sort, tout en prétendant se battre avec Cossé-Brissac afin de compléter l’œuvre réparatrice de la justice royale: «Je suis hors d’appel, de duel et de toutes voyes d’honneur, avec un homme qui l’a perdu; et ayme beaucoup mieux avoir affaire à un mareschal de France qui m'en aura donné subjet, avec lequel il y aura de la proportion, que non pas à un jeune homme, à qui ne peut rester honneur, que celuy que mal à propos je luy ferois de le rechercher par querelle »"*. Aucune source ne permet d’étayer ses soupçons, mais l’attitude de Cossé-Brissac, dans les semaines qui suivirent, fut

assez troublante. S’il appréhenda rapidement son beau-frère, qui s'était réfugié auprès de lui, il fit bien des difficultés à le livrer aux juges. Pour le contraindre à s’exécuter, Henri IV lui envoya le 9 novembre un exempt afin qu’il le conduise 209

LES NOBLES, LA VILLE ET LE ROI

sous bonne escorte au château d’ Angers, tout en lui signifiant qu’il prenait très au sérieux «l’injure et indignité qui ont esté faictes par le sr de Saint-Phal, vostre beau-frère, au sieur du

Plessis, car c’est moy qui le suis principalement en sa personne, puisque cest affront luy a esté faict pour mon service [...] Je veulx aussy avoir la raison et me la sçauray très bien faire, car il y va plus de mon auctorité en cest endroit que de l’interest du dict sieur du Plessis, avec lequel je ne veulx pas que l’on entre en composition, queje ne sois satisfaict. C’est pourquoy j’envoye par-delà le capitaine Daulphin, exempt de mes gardes, pour prendre et retirer de vos mains le dict sieur de Sainct-Phal, et le consigner en celles du sieur de Puycharic ou de son lieutenant, pour estre gardé en mon chasteau d’ Angers, jusqu’à ce que j’en aye aultrement ordonné ». Il se méfiait très clairement des liens de parenté qui unissaient Brissac et le coupable, puisqu'il ajoutait que si l’exempt ne trouvait pas Saint-Phalle à Angers, il faudrait «luy ayder à le conduire jusques-là seurement, sans y user de longueur ou difficulté, sous quelque prétexte ou occasion que ce soit, car j'ai ce faict très à cœur». Peu intimidé, Brissac refusa d’obéir. Une deuxième semonce n’eut pas plus de succès, ce qui poussa le roi à demander l’intervention de «ses principaux parens, leur faisans entendre combien nous estions à bon droict offensez, premièrement de l’outrage faict par luy au dict sieur du Plessis, secondement de la contumace et désobéissance »!*,. Le maréchal finit par obtempérer, non sans mal, quand le dossier fut transmis devant le parlement de Paris. Saint-Phalle fut ainsi emprisonné quelque temps, mais son procès n’eut jamais lieu, peut-être parce que son acte mettait indirectement en cause un aristocrate dont le roi de France avait besoin. Un accommodement fut recherché avec Duplessis-Mornay, qui accepta de ne pas se battre en duel avec Cossé-Brissac, et de recevoir les excuses publiques de son agresseur, en présence de toute la cour!6. Henri IV exagérait sans doute la portée politique de cet événement lorsqu'il estimait qu’à travers Duplessis-Mornay, c’est l’autorité royale qui était visée!7. La querelle du 210

LA PACIFICATION LABORIEUSE DU SECOND ORDRE

28 octobre 1597 témoignait davantage d’un règlement de comptes interne à la noblesse — peut-être d’un conflit opposant le gouverneur de Saumur à l’un des principaux aristocrates angevins — mais la puissance souveraine n’était pas en cause. Cossé-Brissac n’avait aucun intérêt à bafouer un monarque auquel 1l avait rendu la capitale en mars 1594, et dont il avait obtenu depuis trois ans de nombreuses faveurs. À supposer qu'il ait été réellement le commanditaire de ce guet-apens, 1l avait plutôt agi contre un gentilhomme dont il ne supportait pas la morgue. Cette sombre histoire révélait plutôt la fragilité de la position qu’occupait Duplessis-Mornay dans la province, car s’il avait pu compter sur la compassion de quelques nobles, 1l lui fallait également se méfier de CosséBrissac, dont le ralliement au roi ne signifiait pas qu’il était disposé à tout accepter sans broncher. Principal maître d’œuvre des négociations qui s’éternisaient avec le duc de Mercœur, il était donc dépourvu d’un charisme régional dont profitaient ses adversaires, tous bien implantés dans le pays depuis des générations. Comme Puygaillard autrefois, comme La Rochepot naguère, il eut le plus grand mal à se forger une réputation dans la noblesse angevine pour convaincre les ligueurs de déposer leurs armes: pour y parvenir, il fallut l’intervention personnelle du monarque, la garantie de sa clémence et, surtout, la promesse de ses bienfaits.

2. L’absolution de l’infidélité Depuis longtemps, le souverain avait clairement indiqué qu’il était disposé à accueillir sans rancune toutes les bonnes volontés, quitte à oublier le passé et à récompenser tous les ralliements. À cet égard, l'exemple de Cossé-Brissac, qui avait su se réconcilier avec Henri IV dès la fin mars 1594, apporta sans doute des arguments à tous ceux qui envisageaient de plus en plus une sortie honorable du conflit. Mais le maréchal de France, qui était à l’époque gouverneur de Paris pour Mayenne, avait utilisé la capitale comme un atout 211

LES NOBLES, LA VILLE ET LE ROI

décisif. Il avait su en effet confondre sa propre capitulation avec celle de la ville, pour faire payer au prix fort une reddition qui représentait pour le roi une étape fondamentale sur le chemin de la paix. Les nobles ligueurs pouvaient espérer de gros profits à condition d’avoir quelque chose de substantiel à apporter en échange. Sur les frontières du Nord-Est, les nobles de Champagne purent ainsi déposer les armes dès le printemps et l’été 1594, parce qu’ils commandaient des places fortes vitales pour la sécurité du royaume : Louis de L’Hospital ouvrit aux troupes royales les portes de Meaux, Simon de Sommièvre apporta Vitry-le-François, Philippe d’Anglure la ville de Chaumont-en-Bassigny, Gaspard de Lantages rendit Sens, et Charles de Guise la citadelle de

Reims!$. Tous furent confirmés dans leur poste, tous obtinrent de l’argent et tous furent réintégrés dans leurs dignités curiales d’antan. Sans en avoir la preuve formelle, 1l est probable qu’en Anjou, ces succès individuels jouèrent un rôle dans l’échec des conférences d’ Ancenis, car les principaux chefs de la Ligue ne voulurent pas être associés passivement à une négociation globale entre Mercœur et les officiers royaux. Ils souhaitèrent plutôt apporter à leur tour des gages territoriaux intéressants pour le roi, destinés à faire monter les enchères et à conclure une paix séparée avec lui. Cette hypothèse permet de comprendre l’attitude de Boisdauphin, qui tarda beaucoup à cesser les combats. Maître de Château-Gontier, 11 menaçait le nord de l’ Anjou et le sud du Maine, sans compter que la réputation de sa famille lui donnait une certaine influence dans la noblesse angevine. Conscient de sa position de force, 1l ne se pressa donc pas pour engager un dialogue avec les agents du roi, mais commença par conclure avec eux une trêve à l’automne 1594. Cet accord fut même signé à la condition qu’il obtiendrait les fonds nécessaires à l'entretien de ses troupes, ce qui lui permettait d'envisager sereinement l’avenir et de conserver toute sa liberté d’action. À la fin du mois de novembre 1594, comme il n’avait toujours pas reçu les 36000 écus qui lui avaient été promis, il saisit le produit de la taille pour manifester tout à la fois son 212

LA PACIFICATION LABORIEUSE DU SECOND ORDRE

mécontentement et sa puissance. Le 11 janvier suivant, il écrivit lui-même à l’échevinage d’ Angers afin de réclamer encore 12000 écus. Cette initiative était habile, car les bourgeois étaient pressés de pacifier le plat pays, où les troubles pesaient sur l’activité économique : le maire déclara en Conseil que sa revendication était juste et qu’il allait faire tout son possible pour la satisfairel°. À force de souffler le chaud et le froid, Boisdauphin finit par se faire accepter comme un interlocuteur retors mais fiable, d’autant plus qu’au printemps 1595, il apparaissait de plus en plus évident que les pourparlers d’ Ancenis, engagés depuis un an avec Mercœur, étaient dans l’impasse. En août,

il obtint l’assurance qu’il conserverait son titre de maréchal de France, que le roi l’accepterait de nouveau dans les cadres de l’armée, et qu’il obtiendrait une gratification importante??, Pour Henri IV, le ralliement de Boisdauphin était du plus haut intérêt, car il pouvait désormais espérer la pacification de ChâteauGontier et des régions qu’il contrôlait. Grâce à lui, le monarque obtint en effet, le 12 octobre, que la ville ouvrit ses portes aux soldats royaux. Boisdauphin fit lui-même prêter aux habitants un serment de fidélité à la personne du roi, au cours d’une grande cérémonie qui fut suivie par des réjouissances publiques et des feux de joie’!. Il fut donc tout de suite capable de s’imposer dans le nord de l’ Anjou comme un relais loyal et efficace de la puissance monarchique. Sans état d’âme apparent, 11 mit ainsi son rayonnement local au service d'Henri IV avec une aisance des plus naturelle, délaissant l’autorité dont il disposait à l’époque de la Ligue au profit d’une légitimité plus solide: celle que lui conférait dorénavant le service du prince’. De même, il commença à collaborer sans aucun problème avec les principaux officiers de la couronne en Anjou, contre lesquels 11 s'était pourtant tellement battu depuis 1588. Jean Louvet raconte par exemple que le 17 août 1596, Boisdauphin se rendit «au chasteau d’Angers, auquel M. de Puchairicq a monstré ce qu’il y avoit de rare dans ledict chasteau »?*. Faire visiter à l’ancien ligueur la forteresse qu’il avait tant convoitée autrefois ne manquait par de sel, mais cette rencontre 213

LES NOBLES, LA VILLE ET LE ROI

prouvait surtout que Boisdauphin était désormais bien accepté dans les réseaux nobiliaires qui soutenaient la puissance restaurée de l’État en Anjou. Pour la couronne, le prix de Boisdauphin ne se mesurait pas seulement en termes d’influence locale, car 1l avait sous ses ordres plus de mille deux cents hommes que l’on pouvait mobiliser pour aller grossir les armées royales. Le 12 septembre 1595, un mois avant de faire sa paix avec Henri IV, ce

dernier lui envoya une lettre dans laquelle il le priait, «sur toute l’affection que vous avés à mon service, et la preuve que m'en desirés faire, que vous montiés à cheval avec tout ce que

vous pourrés assembler de gens de cheval ou de pied, et vous rendre dans la fin de ce mois à Houdan, où vous sçaurez de

mes nouvelles »4. Le roi souhaitait qu’il vint participer au secours de Cambrai dans les meilleurs délais, afin de démon-

trer rapidement et concrètement qu’il combattait à présent pour sa cause. Or si Boisdauphin faisait preuve d’une fidélité sans faille, il n’en était pas forcément de même pour ses lieutenants, qui pouvaient être tentés de faire défection pour rejoindre Mercœur en Bretagne. Le 4 novembre 1595, alors que les préparatifs du siège de Tigné venaient de commencer, La Rochepot et Duplessis-Mornay envoyèrent au roi un rapport assez alarmant sur l’état des troupes que Boisdauphin proposait d’y employer. Comme le maréchal de France avait été appelé en personne auprès du roi, 1l avait proposé de nommer à leur tête un maître de camp, et de faire prêter un serment de fidélité à

tous les capitaines, «afin qu’elles fussent plus capables de faire service ». Mais les gouverneurs redoutaient que cette mesure fût insuffisante, «parce que tels règlemens ne se font Jamais sans mescontentement, et que se faisans sur la frontière de Bretagne, les malcontens eussent esté tout portez pour aller servir vos ennemis ». Ils concluaient leur lettre sur une note très pessimiste, «ne pouvans dissimuler à V. M. que parue desdites troupes n’est encore assez résolue à vostre service; et partant, les licencier ou régler ailleurs, n°y aïans pas moins de douze cens hommes de pied, eust esté fortifier les affaires de vos ennemis, et non les vostres »25. 214

LA PACIFICATION LABORIEUSE DU SECOND ORDRE

Peu loyales, les troupes de Boisdauphin étaient aussi très encombrantes parce que leur dénuement les conduisait à vivre sur le pays. Le 12 novembre, Duplessis-Mornay fit part à La Rochepot des informations qu’il avait reçues à leur sujet. Les difficultés que l’on pouvait redouter depuis le début du mois semblaient se confirmer, car le lieutenant qu’il avait envoyé auprès des troupes de Boisdauphin en était revenu «assez mal édifié, et pour les désordres de tous, et pour l’incertitude de la foi de partie d’eux ». Il priait La Rochepot, chargé de rassembler tous les effectifs disponibles contre Tigné, «de ne les faire approcher, que n’aïons parlé ensemble. J’estime que nous les pourrions loger en lieu où ils aideroient et ne pourroient nuire, et que le corps que nous ferions ensemble suffiroit pour faire nostre effect abondamment, pourveu que nous abbregions ». Les anciennes troupes de la Ligue n'étaient donc pas d’un maniement commode, et Duplessis-Mornay hésitait à les tenir à l’écart. Il fallait peser chaque décision avec soin, «autrement tout nous eschappera, et n’en demeurera qu’une ruine au peuple, et une mauvaise impression contre nous »#. Par conséquent, le ralliement de Boisdauphin ne se traduisit pas mécaniquement par la sujétion de ses troupes. Même s’il fit personnellement preuve de son désir de coopération, il ne pouvait les contrôler complètement et leur faire accepter qu’ils aident leurs ennemis de la veille. Il découvrit ainsi que le lieutenant auquel il avait confié le commandement de ses soldats avant d’aller trouver le roi, était en fait un traître. Au milieu du mois de

novembre 1595, il avait en effet choisi le sieur de La Perraudière pour le remplacer et mener ses arquebusiers au siège de Tigné, en dépit des réserves du gouverneur de Saumur, qui s’en méfiait parce qu’il avait « déjà fait banqueroute de sa foi» à plusieurs reprises. Mais le 28, DuplessisMornay apprit que cet homme «avoit promis à M. de Mercœur, moïennant trente et six mille escus, de lui livrer Chasteau-Gontier et la personne dudit sieur de Boisdaufin ; ou bien, s’il n’y pouvoit parvenir, de se saisir de M. de La Rochepot et de moi devant Tigni, et nous livrer entre ses 215

LES NOBLES, LA VILLE ET LE ROI mains. Un nommé Pont de Rue, négociateur de ceste affaire, a esté arresté à Chasteau-Gontier, et amené à Angers, où on lui fait le procès. Et ledit sieur de Perraudière, se voïant des-

couvert, s’est retiré en Bretagne »?’. Le complot avait pu être éventé à temps, mais cette nouvelle alerte prouvait qu'il ne fallait décidément pas compter sur les troupes ligueuses, car «il est certain que si elles eussent passé la Loire en çà, la plus part s’en alloit aux ennemis, encore y en af-t-Jil qui s’y coulent tous les jours ». En outre, la solution consistant à les

licencier n’était pas envisageable, car privés d'encadrement, les soudards risquaient de picorer davantage encore les campagnes. Le problème semblait donc sans fin, ce qui incitait Duplessis-Mornay à conseiller au roi «que V. M. prenne garde, selon sa prudence, si elle a à s’en servir »?. Il nourrissait les mêmes réserves à l’égard des SaintOffange, qui continuaient à lui résister, bien à l’abri derrière les murailles de Rochefort. En 1595, Amaury réussit par exemple à s'emparer d’un échevin d'Angers et du procureur du roi au présidial, afin de les échanger contre son frère François, qui avait été capturé au mois de janvier. L'affaire finit par se conclure en septembre, et les deux frères remportèrent une victoire de plus??. Malgré la soumission de Cossé-Brissac et de Boisdauphin, ils continuèrent à se battre jusqu’à l’été 1597, peut-être à cause de la haine que leur vouait Duplessis-Mornay, peut-être aussi parce qu’ils voulaient obtenir un bon prix en échange de leur château. Au fil des mois, pour éviter d’être trop isolés, ils se rapprochèrent de plus en plus de Mercœur, à l’égard duquel ils avaient pourtant cultivé leur autonomie depuis 1589. Enjanvier 1596, ils envoyèrent notamment un trompette à Angers pour y déclarer en bonne forme « par le commandement du duc de Mercure [...] qu'1lz voulloient faire la guerre, attendu que la trefve estoit finye, et qu’11z la commenceroient au seizième de ce présent mois », En août, ils firent main basse en toute impunité sur des récoltes de blé qu’ils partagèrent avec la garnison de Craon, dont le capitaine, Pierre Le Cornu, était un familier du duc*!. Quelques jours plus tard, ils acceptèrent néanmoins 216

LA PACIFICATION LABORIEUSE DU SECOND ORDRE

une nouvelle trêve pour permettre aux paysans du plat pays de venir en pèlerinage à Angers. Ils consentirent même à s’y rendre en personne, mais choisirent de le faire symboliquement le 24 août, c’est-à-dire le jour de l’anniversaire de la Saint-Barthélemy. Ils multiplièrent donc les gestes d’hostilité envers les gouverneurs, les élites urbaines et les protestants, jusqu’à ce que les troupes royales parviennent en Anjou, en février-mars 1598. L'arrivée d'Henri IV en Anjou fut celle d’un roi de guerre, dont les moyens dépassaient très largement tout ce qui avait été envoyé dans le pays depuis une quarantaine d’années. Trois régiments passèrent à Angers pour aller en Bretagne entre le 22 et le 24 février 1598, suivis le 27 par le régiment de Navarre, qui provoqua, selon Jean Louvet, «ès faulxbourg Sainct-Jacques et au faulx-bourg Sainct-Lazare et au bourg d’Apvrillé, [...] beaucoup de mal et ravaige ; auquel régiment y avoit douze cents hommes et aultant de goujards et racailles »*?, Le 4 mars, une compagnie mieux disciplinée de cent hommes d’armes, cavaliers et arquebusiers pour la plupart, précéda de trois jours le souverain lui-même, qui se présenta de cette manière comme le vainqueur incontesté des conflits et le seul détenteur légitime de la puissance militaire dans son royaume. La venue de cette armée changeait toutes les données tactiques en Anjou, car les derniers ligueurs n’avaient aucune chance de lui résister. Il leur fallait chercher sérieusement et rapidement un terrain d’entente avec le souverain, mais celui-ci ne pouvait adopter vis-à-vis d’eux la même attitude qu’à l’égard de CosséBrissac ou Boisdauphin. Depuis le milieu des années 1580, leur lutte s’était progressivement radicalisée, métamorphosée en une révolte protéiforme qu'ils avaient dirigée contre tous les représentants de la puissance royale et de l’autorité nobiliaire, que ce fût dans le plat pays ou dans la ville d'Angers. En outre, la mauvaise réputation que les frères de Saint-Offange avaient acquise parmi les élites angevines interdisait de les considérer comme les autres gentilshommes ligueurs, car leur combat s'était parfois identifié davantage

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LES NOBLES, LA VILLE ET LE ROI

à du brigandage qu’à la lutte contre l’hérésie. Pour toutes ces raisons, ils n’obtinrent, le 1er mars 1598, qu’une simple lettre de rémission, comme des criminels auxquels le roi accordait son pardon. Il prenait soin de ménager leur honneur de gentilshommes, en faisant mine de croire qu’ils avaient, dès le début des troubles, voulu prendre les armes

«pour la conservation de la religion. Et s’estant laissez aller aux spécieux pretextes que mettoient en avant les chefs de party autheurs desdits troubles, ils auroient esté par eux retenuz hors de leur debvoir jusques à présent, notamment par le duc de Mercoeur, qui leur auroit tousjours faict espérer de se reconsilier avec nous après nostre conversion ». Le document permettait d’atténuer leur responsabilité, en leur accordant des motivations religieuses — qui furent sans doute réelles — tout en tenant Mercœur pour le responsable de leur entêtement au cours des dernières années. Comme ils étaient dorénavant « résoluz de se soubzmettre à nostre autorité et embrasser nostre service [...], et advouans com-

bien 11Z ont cy-devant démérité de nostre bienveillance, implorans nostre bonté, clémence et miséricorde », les Saint-

Offange furent ainsi pardonnés par Henri IV, qui faisait par la même occasion l’économie d’un siège devant Rochefort*. Malgré la sévérité formelle de leur capitulation, ils ne furent

pas exclus pour autant des faveurs royales. Ils reçurent en effet 6000 écus avant de quitter leur château, puis furént acceptés discrètement à la cour, où ils obtinrent des charges

de gentilshommes ordinaires de la chambre. Au début du XVII siècle, 11s touchèrent en outre une pension régulière,

dont le montant varia de vingt à trente mille livres entre 1601 et 16061. Les officiers du roi n’avaient été pour rien dans leur capitulation. La venue d’Henri IV à la tête de son armée et la promesse de cette lettre de rémission avaient seules été capables de les faire plier, tant ils se méfiaient de l’autorité nobiliaire locale. La Rochepot se contenta simplement de venir loger à Rochefort, en juillet, avec quelques hommes de troupes pour y superviser les travaux de démolition du 218

LA PACIFICATION LABORIEUSE DU SECOND ORDRE

château, auxquels participèrent les milices d'Angers. Il ne fut d’aucune aide pour achever définitivement la laborieuse pacification du second ordre qui avait été entamée en 1594, pas plus que Puycharic ou Duplessis-Mornay. D'ailleurs, la présence du roi en Anjou fut tout aussi décisive dans la capitulation de Pierre Le Cornu, qui tenait la

garnison de Craon: il ne consentit à ouvrir les portes de sa ville qu’à partir du moment où la garantie d’un pardon royal lui fut accordée. Le 21 février, cette clémence lui parvint

sous la forme d’une autre lettre de rémission, dans laquelle Henri IV daignait oublier tous «les homicides et autres crimes énormes commis par lui et les siens »%6. La soumission de Le Cornu, qui s’effectua sans l’inter-

vention de La Rochepot, n1 celle de Duplessis-Mornay, démontrait une fois encore que le monarque représentait la seule incarnation de la justice royale. Les gouverneurs de la province avaient sans doute un pouvoir théorique très étendu, puisqu'ils étaient les dépositaires de la puissance militaire de la couronne, mais leurs échecs répétés dans le plat pays, depuis la fin du règne d'Henri IL, leur avaient fait perdre toute autorité face à leurs ennemis invaincus. La pacification du second ordre en Anjou fut donc l’œuvre

du roi, et de lui seul*7. Sa conversion au catholicisme n’eut pas toujours des effets immédiats, pas plus que la prise de Paris. Ses offres de pardon et de gratifications eurent sans doute un impact plus grand, mais l’événement décisif fut l’envoi de ses régiments. Contrairement au reste du royaume, la reconquête définitive de |Anjou fut d’abord une entreprise militaire, que les gouverneurs avaient été incapables de mener à bien, faute de moyens et d'influence sur la noblesse du pays. Leur principal mérite avait été, au fond, de conserver dans une stricte obéissance les deux plus grandes villes de la région, ce qui avait représenté un atout sans doute nécessaire, mais insuffisant. Néanmoins, comme ils avaient fait preuve d’une indéfectible fidélité envers leur maître, ils étaient en droit d'attendre de lui une rétribution à la hauteur de leurs services. 2149

LES NOBLES, LA VILLE ET LE ROI

3. Les bienfaits de la loyauté Si la venue d'Henri IV en Anjou fut essentielle sur le plan militaire, elle ne doit pas être uniquement considérée sous cet angle. Lorsqu'il parvint à Angers, le 7 mars 1598, le roi prit soin d’accomplir des gestes qui lui permirent de se présenter comme le restaurateur d’une tradition perdue depuis des décennies. Le matin, Puycharic alla ainsi au-devant de lui, en disant:

«Sire, voilà les clefs que les habitants de vostre ville d’Angers vous présentent ». Cette remise des clefs, qui faisait partie du cérémonial ancien des joyeuses entrées médiévales, exprimait la stabilité de l’autorité royale sur la cité et la fidélité des échevins, qui avaient su la préserver en dépit des guerres civiles. Comme Charles IX en 1565, comme François d’ Anjou en 1578, le roi de France se prêta de bonne grâce à ce rituel de l’entrée, qui était le moyen le plus spectaculaire et le plus simple pour refonder symboliquement l’alliance de la ville et de la couronne. Les vieilles franchises urbaines avaient pourtant périclité depuis longtemps, et le roi se garda bien de les évoquer devant ses interlocuteurs. Mais il fut toutefois soucieux d’apparaître en Anjou comme le digne successeur du roi René, dont l’image tutélaire hantait toujours les mentalités des bourgeois. Dès son arrivée, Louvet nota que le monarque tint à passer en revue les milices de la ville, dans un «champ de bataille [...] qu’il auroit trouvé bien dressé, et

les capitaines et habitants en bon ordre »#. En reprenant cette vieille coutume, qui permettait de concéder aux élites le bienfondé de leur autonomie militaire, Henri IV admettait implicitement qu'il acceptait certains articles de la charte de 1475. Comme à la fin du xve siècle, les bourgeois étaient considérés comme les premiers responsables de leur défense, même si les troupes royales y avaient joué un rôle décisif depuis 1589. Le 4 avril, 11 se rendit ensuite au village de Recullée, où se trouvait un petit hermitage que René d’Anjou y avait fondé autrefois. Après avoir entendu la messe, il posa la première pierre d’un couvent dont le financement avait été assuré par les notables de la ville. En présence de l’évêque Miron, 220

LA PACIFICATION LABORIEUSE DU SECOND ORDRE

du duc de Mercœur et de l’échevinage, il manifesta qu’il entendait rétablir et développer l'héritage spirituel de la dynasüe angevine. Depuis un mois, il avait multiplié les cérémonies au cours desquelles la cohérence de la religion monarchique et de la mystique ducale avait été réaffirmée. II était ainsi venu à plusieurs reprises entendre les sermons prononcés dans la cathédrale Saint-Maurice, dans les lieux mêmes où l’ordre du Croissant avait été créé par René, en 1448. De

même, quand 1l lava les pieds de treize pauvres, le 19 mars, il ne chercha pas seulement à reproduire un acte que les rois de France et François d’Anjou avaient effectué bien avant lui: 11 se conforma à un devoir de charité qui avait été l’une des bases fondamentales de la spiritualité ducale?°?. Arrivé dans la province comme un roi de guerre, Henri IV voulut donc apparaître comme un roi de paix, dont l’œuvre pouvait être assimilée à une renaissance de la splendeur angevine. Cet effort d’apaisement, qui venait compléter le pardon accordé aux rebelles, profita largement aux détenteurs de l’autorité nobiliaire en Anjou, en particulier à Puycharic et La Rochepot, qui n'étaient à l’origine pas aussi bien introduits que Duplessis-Mornay dans le cercle restreint des familiers du monarque. Si le gouverneur de Saumur devint, à partir de 1589, le gentilhomme le plus écouté du roi de France dans cette région, La Rochepot ne fut pas oublié pour autant. Nommé par Henri I, il incarnait un principe de continuité auquel Henri IV se montra toujours très attaché, à l’instar de ce qu'il fit en Champagne, où Joachim de Dinteville fut maintenu dans son poste de lieutenant général entre 1579 et sa mort, en 16074, Malgré les nombreux revers qu’il subit dans les campagnes angevines tout au long des guerres de la Ligue, il ne fut jamais question de le remplacer par quelqu'un d’autre, bien au contraire. En 1589, La Rochepot avait d’ailleurs fort bien compris qu’il était dans son intérêt de promouvoir localement cette continuité : dès qu’il avait appris l’assassinat d'Henri IL, il avait immédiatement fait placer le nom de son successeur sur tous les documents officiels qu’il signait ou qui émanaient de la municipalité d'Angers. IT choisit 221

LES NOBLES, LA VILLE ET LE ROI

également de lui apporter son aide personnelle, en participant par exemple à la bataille d’Ivry, ce qui donna lieu à une grande procession d’action de grâces à Angers quatre jours plus tard#. Pour tous ses services, il reçut le collier de l’ordre du Saint-

Esprit en janvier 1595%, et dès lors, les marques de la faveur royale ne lui firent pas défaut. À partir de 1596, comme Duplessis-Mornay exerçait officieusement ses fonctions, le gouverneur d’Anjou s’absenta de plus en plus souvent de la province, sollicité par le roi pour délivrer des messages confidentiels à des interlocuteurs de marque, en particulier son beau-frère Cossé-Brissac#. II fut alors utilisé par Henri IV comme il l’avait été dans sa jeunesse par François de Valois, en bon exécutant capable de transmettre avec précision et fiabilité la parole de son maître. Cette indéfectible loyauté, qui lui valut de belles gratifications honorifiques, mit pourtant quelques années à se traduire également sur le plan financier, car il semble que La Rochepot ne réussit pas à se faire aussi bien payer que d’autres membres de l’entourage royal. Le 9 octobre 1598, Henri IV en fit la remarque à Sully, auquel 11 demanda «de faire donner contentement à [ses] menus officiers, et entièrement à

ceulx de [sa] bouche. Pour Mr de La Rochepot, pour ceste année 1] faut qu’il se contente d’estre payé de ce à quoy il est employé sur l’estat; mais pour l’advenir, il ne seroit juste, ayant mesme charge que les aultres, d’estre aultrement traicté qu'eux »Ÿ. Peut-être avait-il été quelque peu négligé à cause de ses fonctions de gouverneur et de messager royal, qui l’obligeaient à s’absenter trop souvent de la cour. Néanmoins, à la faveur de la paix, il put bénéficier de solides appointements, qui lui permirent de compléter les revenus fonciers qu’il tirait de ses terres de Montmirail, Commercy, Tesnay et Chaudron. Au début des années 1600, il touchait en effet une somme annuelle de 4400 écus, grâce à sa charge de gouverneur (2000 écus), sa compagnie d'ordonnance (733 écus 1/3) et sa pension de chevalier du Saint-Esprit (666 écus 2/3)*%. En

avril 1601, 1l reçut en outre une somme de 6000 écus, qui était destinée à rembourser les frais qu’il avait dû engager 222

LA PACIFICATION LABORIEUSE DU SECOND ORDRE

pour une ambassade en Espagne. Cette mission, au cours de laquelle il devait résider auprès de Philippe IT pour lui faire jurer qu’il observerait le traité de Vervins, représentait pour lui une ultime consécration. Il est vrai qu’elle l’éloignait de l’Anjou, dont il était toujours investi du gouvernement, mais la réalité de l’autorité nobiliaire dans la province était en fait exercée, depuis le début de 1598, par Puycharic. Le gouverneur du château et de la ville d’Angers connut une très belle ascension au cours des guerres de la Ligue. Il avait reçu le soutien financier de la couronne dès l’été 1589, en obtenant le comté de Beaufort-en-Vallée comme rétribuüon de sa fidélité depuis quatre ans‘. Dès lors et contrairement à d’autres, 1l fut très bien payé de ses efforts par le Trésor royal, dont les versements peuvent être mesurés grâce aux quittances qui nous sont parvenues. Alors qu’il n’avait touché que 133 écus en 1583, à l’époque où 1l servait comme capitaine de la marine du Ponant, Puycharic gagna presque la même somme en trois mois seulement à la fin de l’année 1594. Gouverneur d’un château dont l'intérêt n’est plus à démontrer, 1l était à la tête d’une compagnie de deux cents hommes d’armes, qui lui rapportait des revenus supplémentaires. En octobre 1593, 1l reçut près de 22000 écus pour entretenir sa garnison et la maintenir dans une stricte discipline, afin d’éviter que ne se produisent dans la ville des troubles causés par quelques soldats faméliques. La même année, 1l fut nommé chevalier de l’ordre du roi et conseiller d’État, ce

qui lui permit d’accroître sa réputation dans un pays où 1] faisait toujours un peu figure de parvenu*t. Cette charge lui donna l’occasion d'approcher personnellement le monarque, avec lequel il se mit à collaborer de plus en plus étroitement. Par exemple en février 1596, il reçut l’une de ces fameuses lettres olographes que le roi adressait à ses plus fidèles officiers pour les inviter à venir le rejoindre :«M. de Pychery, j'ay accordé à La Bastide que vous veniés à Rouan, afin de pourvoyr à vos affayres ; et sy les annemys s’aprochent de nous, que vous me venyés trouver, CarJe m'assure que vous auryés trop de regret qu’yl se donnast une bataylle sans que 223

LES NOBLES, LA VILLE ET LE ROI

vous y fussyés. Je vous prye pourvoyr aussy à la garnyson du Pont de Cée, et qu’an l’appsance de l’un et de l’autre yl n’an arryve poynt de faute. Adieu M. de Pychery. Ce X° février, à Folambray »°!. Cette familiarité d'Henri IV allait au-delà d’une simple figure de style: elle fut un tournant dans la carrière de Puycharic, car il put l’exploiter pour élargir son horizon de gouverneur local et pénétrer dans le réseau des gentilshommes que le roi connaissait de près. Par exemple au début du mois d’avril 1594, alors que la garnison ligueuse de Paris venait de capituler quelques jours plus tôt, 1l se trouvait dans la capitale et en profita pour envoyer aux échevins d'Angers un courrier dans lequel 1l leur décrivait «l’estat des affaires du roy et comme heureusement elles succèdent de jour à aultre »*?. Vis-à-vis des bourgeois angevins, 1l accrut donc sa légitimité en faisant valoir sa connivence avec leur maître commun et sa connaissance des arcanes de l’État. Pour toutes ces raisons, 1l fut nommé fort logiquement sénéchal d’Anjou, en février 1598. Étant donné que la famille Daillon, qui avait conservé cette charge depuis près d’un siècle, n’avait pas beaucoup aidé à pacifier le pays au cours des troubles, la promotion de Puycharic fut au contraire la récompense d’un homme qui avait tenu efficacement la ville d’Angers dans une soumission intacte. En outre, cette faveur venait consacrer son assise locale, qui s'était considérablement élargie depuis une douzaine d’années. Traditionnellement, le sénéchal était considéré comme le chef de la noblesse du pays, l'interlocuteur privilégié des gentilshommes locaux, qui devait par exemple superviser la levée du ban et de l’arrière-ban et conduire les nobles de la région à l’armée du roi lorsque celui-ci en faisait la demande. II fallait choisir un personnage respecté, afin que ses ordres fussent exécutés par ses pairs dans les meilleures conditions. Étranger au pays, Puycharic n’était pas a priori le plus qualHifié pour remplir cette fonction, mais la confiance dont il avait Joui depuis plusieurs années auprès du roi lui permit de surmonter ce handicap et d’apparaître comme un sénéchal crédible. Au lendemain de sa nomination, le 9 février, les 224

LA PACIFICATION LABORIEUSE DU SECOND ORDRE

officiers du présidial vinrent le chercher à son logis et l’accompagnèrent jusqu’au palais, où il plaida, selon Louvet, «une cause et une harangue faicte à sa louange »**. Entouré de nombreux gentilshommes, il fut ensuite raccompagné chez lui, dans une maison de la cité, où 1l offrit le dîner à tous les

magistrats. Puycharic fut d’autant mieux accepté par les notables qu’il avait su jouer un rôle d’intermédiaire entre eux et le roi au cours des troubles. Le 25 février 1593, il avait par exemple conduit une députation de l’échevinage à Tours pour y rencontrer le roi afin de l’assurer du soutien d’Angers*. Il avait donc réussi là où Puygaillard avait échoué. En se posant comme le porte-parole des élites urbaines tout en continuant à exercer le pouvoir coercitif pour lequel il avait été nommé dès 1585, 1l n’était pas seulement devenu le relais essentiel de l’autorité monarchique en Anjou, mais aussi le médiateur privilégié par lequel transitaient les doléances locales, comme s’il avait appartenu à la noblesse seconde de la province. Puycharic conserva son poste jusqu’à sa mort, le 25 mars 16055%, À la faveur de la paix, il put notamment diversifier ses compétences dans le domaine de la police urbaine, par exemple en fournissant une somme de 1 600 livres destinée à aménager un lieu propre à recevoir les malades de la peste à Angers”’. Quant à La Rochepot, il revint en Anjou après son séjour en Espagne, en 1602, et s’occupa de faire appliquer l’édit de Nantes dans les villes de son gouvernement où la cohabitation religieuse avait du mal à se mettre en place. En avril 1604, le roi lui demanda d’intervenir personnellement à Baugé, où les protestants du lieu obligeaient le curé à loger dans le château, refusant de le laisser habiter dans son nouveau presbytère. Il fut chargé de «faire commandement très exprez ausdits habitans de recepvoir et admettre désormais ledit curé audit presbitaire et luy en donner, laisser et souffrir la jouissance pour y faire sa demeure, au lieu de celle qui luy a esté jusques à présent permise audit chasteau, lequel vous interdirez audit curé et deffendrez à celuy qui y commande pour mon service de l’y recepvoir desormais et de luy en empescher l'entrée, retraicte et demeure »*, La Rochepot 225

LES NOBLES, LA VILLE ET LE ROI

fut donc employé par le souverain aux mêmes besognes que les nobles champenois dans leur région frontalière*?. Après la signature de l’édit de pacification, il fut chargé de l’appliquer sur le terrain, en réglant tous les litiges concrets que le texte pouvait générer. Même s’il n’était pas originaire de la région, le gouverneur dut endosser un rôle conciliateur et

rendre des arbitrages locaux que les prédécesseurs d’Henri IV avaient autrefois confiés à la noblesse du pays. Les guerres de la Ligue n’avaient pas conduit Henri IV à promouvoir une nouvelle génération de gentilshommes angevins pour y imposer son autorité. Dans les châteaux de la région, le roi de France s’était contenté la plupart du temps de laisser en place les quelques soldats qui en assuraient la garde sous la conduite du seigneur des lieux. En 1596, il confia ainsi le château de Jarzé à son propriétaire, René du Plessis, car il estimait sa «seureté estre si importante au bien de [son] service et au repos de [sa] province d’Anjou, qu’elle méritoit estre commise à personne qui [lui] en peust rendre compte ».

Aux termes de sa lettre, le souverain défendait «à toutes personnes d’y attenter, n1 en ce qui vous appartient, sur peine d’encourir nostre indignacion, vous ayant prins, comme nous vous prenons, vostre famille, serviteurs, chasteau et biens en

nostre protection et sauvegarde spéciales ». Le seigneur de Jarzé pouvait compter sur le soutien actif d'Henri IV, peutêtre pas militaire, mais en tout cas judiciaire, dans la mesure

où 1l recevait la permission «de faire, en signe de ce, mettre et apposer, ès principalles portes d’icelluy chasteau noz pannonceaulx et bastons royaulx, affin qu'aucun n’en prétende cause d’ignorance ». Cet accord était particulièrement fructueux pour ses intérêts particuliers, puisqu'il n’était pas contraint de partager son autorité avec un capitaine nommé par le roi, à la seule condition de rejoindre le gouverneur lorsque celui-ci avait besoin de son appui, Toutefois, cette pratique exprimait aussi l’archaïsme des relations qu’entretenaient ces gentilshommes locaux avec la monarchie, car elle s’établissait sur des bases féodales traditionnelles. Le roi promettait en effet de protéger les biens de René du Plessis 226

LA PACIFICATION LABORIEUSE DU SECOND ORDRE

en échange d’une aide militaire ponctuelle, sur le modèle coutumier des relations d’un vassal à son suzerain. Un tel échange était fort éloigné des méthodes beaucoup plus modernes que le souverain employait à la même époque sur les frontières du Nord-Est afin de se rallier la noblesse du pays. En Champagne, les troubles des années 1590 avaient permis aux Nettancourt, aux Joyeuse-Grandpré, aux La Croix ou aux L’Hospital de rendre de multiples services à la couronne, tout

en occupant des fonctions militaires sur la frontière et des emplois de cour rémunérateurs. En commandant des troupes payées directement par le Trésor royal, en combattant activement les ligueurs dans toute leur région, ils avaient contribué à étoffer les réseaux de la noblesse seconde frontalière. Dans tout le Nord-Est, de la Bourgogne à la Picardie, ces gentlshommes avaient accepté de remplacer les vieilles relations féodales qui les unissaient à leur prince par des rapports de clientèle plus souples, plus rémunérateurs et mieux adaptés aux besoins du monarque. Rien de tel ne se produisit en Anjou. Certaines familles de la bonne noblesse y furent sans doute distinguées au cours des guerres de la Ligue, mais elles ne furent pas utilisées sur place. Brandelis de Champagne commanda, par exemple, une compagnie de cinquante hommes d’armes avant d’être nommé conseiller d’État et de recevoir le collier de l’ordre du SaintEsprit en 1599, mais il ne reçut aucun commandement dans son payst!. Guy Valori, dont le père avait été tué à Coutras dans les rangs de Joyeuse, obtint un emploi de gentilhomme ordinaire de la chambre, mais le roi ne chercha pas à détourner à son profit l'influence de ce lignage en Anjou, même si Antoine Valori, seigneur d’Estilly, fut enseigne d’infanterie sous les ordres de Duplessis-Mornay®?. De même, si les du Bellay participèrent au siège de Rochefort avec Puycharic et La Rochepot, ils ne retrouvèrent pas les responsabilités locales que Jacques, le baron de Thouarcé, avait assumées à l’époque d’Henri IL. Il est vrai que son fils René fut admis dans l’ordre du Saint-Esprit, mais il n’obtint pas la moindre place forte en Anjou. Il ne faut donc pas s’étonner si très 221

LES NOBLES, LA VILLE ET LE ROI

peu de gentilshommes ligueurs commandèrent dans les places fortes de leur pays après 1598. Boisdauphin fut maintenu dans son poste de Château-Gontier, mais Cossé-Brissac devint gouverneur de Bretagne après la soumission de Mercœur. Même pardonnés, ils ne retrouvèrent pas rapidement une influence régionale officielle, clairement définie par l’autorité souverainet4, En outre, la fin des guerres de la Ligue fut l’occasion de supprimer de nombreux postes locaux, car la paix permit au roi de remettre en cause les fortifications de plusieurs bourgs. Certaines places avaient servi de refuge aux ligueurs pendant une dizaine d’années, alors que leur utilité stratégique, en temps normal, était très réduite. C’est pourquoi 1l ordonna, à l’été 1598, la destruction des murailles de Craon, de Segré et de Saint-Mars-La-Jaille, ce qui lui donna l’occasion d’en retirer les garnisons, et donc leurs capitaines. Pour les nobles angevins, les possibilités de faire carrière dans le pays se réduisirent davantage encore. Ainsi, Henri IV ne chercha pas à innover par rapport aux pratiques anciennes. Comme dans la première moitié du xvie siècle, les gentilshommes durent construire leurs carrières loin de leurs bases familiales, en allant servir le roi à la cour ou dans ses armées, très rarement en Anjou. Du coup, ils ne furent pas employés pour aider à pacifier les réseaux nobiliaires et régler les différends confessionnels en 1598. Il est vrai que la noblesse seconde angevine avait échoué à remplir cette mission au cours des années 1570, quand Henri IIT avait donné des postes de confiance à Claude d’Aubigné, Artus de Maillé ou Jacques du Bellay. Le souvenir de cette inefficacité n’incita peut-être pas son successeur à renouveler cette expérience, mais pas seulement. Pendant les troubles, la soumission d’Angers, le commande-

ment des troupes royales et les négociations avec Mercœur

avaient été largement menés par des nobles étrangers au pays. Même si l'intervention militaire du monarque avait été seule capable de faire plier les derniers irréductibles, remplacer ces officiers dévoués par des nobles angevins aurait été une forme de désavœu, incompatible avec la distribution des faveurs 228

LA PACIFICATION LABORIEUSE DU SECOND ORDRE

accordées aux gentilshommes qui avaient loyalement servi la couronne depuis dix ans. Les du Bellay, les Montsoreau ou les Valori avaient certes participé aux campagnes dirigées contre les forteresses ligueuses, mais ils ne s’étaient pas intégrés dans la clientèle du roi avec la même aisance que Duplessis-Mornay, La Rochepot ou Puycharic. En sollicitant la protection du roi, ils s'étaient avant tout conduits comme des vassaux qui étaient en droit d’attendre l’aide de leur suzerain. En combattant les Saint-Offange, ils avaient surtout cher-

ché à endiguer la diffusion du brigandage nobiliaire dans les campagnes, comme

le baron de Crissé en 1523. À la fin du

xvIe siècle, les nobles d’Anjou concevaient donc toujours leurs rapports avec la monarchie dans les mêmes termes que leurs grands-parents, selon des structures féodales désormais peu adaptées aux exigences modernes de l’État. La pacification que le souverain mena lui-même à la tête de ses troupes en 1598 ne répondit pas seulement au désarroi de ses agents. Elle résonna aussi comme une faillite de la noblesse seconde.

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Conclusion

En Anjou comme en Champagne, l'autorité nobiliaire put donc se superposer à l’autorité royale pendant les guerres de Religion, jusqu’à se confondre avec elle pour tenir le pays et contenir la diffusion des troubles. Bien avant les intendants du xvrIe siècle, les gentilshommes qui furent nommés à la tête de la province, des villes, des garnisons et des châteaux de la région eurent ainsi pour tâche principale de faire appliquer dans ce pays les volontés du pouvoir central. En Anjou comme en Champagne, en Picardie ou en Limousin, la noblesse ne

fut pas forcément une entrave à l'influence de l’État, bien au contraire. Même si de nombreux lignages n’entrèrent n1 rapidement ni de bonne grâce parmi les serviteurs du roi, certains d’entre eux participèrent activement à la mise en place d’un pouvoir local mieux structuré, dont Richelieu hérita dans les années 1620-1640. Pourtant, s’il est indéniable que les nobles et le souverain purent S’entraider en Anjou tout au long des conflits de la seconde moitié du xvie siècle, leurs relations n’eurent ni la cohérence, ni la simplicité des rapports qui unissaient au même moment la couronne et la noblesse seconde sur les frontières.

[Se]ss)

LES NOBLES, LA VILLE ET LE ROI

Dès la fin du xve siècle, les gentilshommes angevins ne réussirent pas aussi bien que les Champenois, les Lorrains, les Bourguignons ou les Picards à entrer dans la clientèle personnelle du monarque. Là-bas, les nobles qui avaient eu les moyens de s’élever à la cour de Nancy ou de Dijon au cours du Moyen Âge avaient accepté sans difficultés de transférer leurs compétences au service du roi de France, l’assister dans

les places fortes frontalières et lui apporter une aide efficace dans leur pays natal. En Anjou, si de tels itinéraires purent se dessiner à l’époque de François Ie", ils ne furent pas aussi fréquents. Les postes à pourvoir y étaient beaucoup plus rares que dans le Nord, les possibilités de faire carrière y étaient beaucoup plus réduites, et les gentilshommes du pays durent souvent se contenter d’y jouer un rôle de notable. En outre, les nobles angevins concevaient encore leurs rapports avec le pouvoir à travers des structures féodales qui avaient alors tendance à se périmer. Soucieux d’obtenir une aide de leur suzerain en échange d’un service armé ponctuel, les CosséBrissac, les du Bellay ou les d’Aubigné n’avaient pas la disponibilité des Lenoncourt, des Anglure, des Choiseul ou des Nettancourt, qui surent à la fois endosser de lourdes responsabilités militaires et incarner des pratiques politiques nouvelles. De même, 1ls ne surent pas S’affranchir de leurs choix religieux personnels pour s’atteler à la mise en œuvre de la concorde voulue par Catherine de Médicis au cours des années 1560 et 1570. Les protestants angevins manquèrent ainsi d’interlocuteurs fiables, qui auraient pu les écouter — comme Joachim de Dinteville en Champagne — et trouver des solutions adaptées à la rupture de l’unité de foi. Cette atonie du dialogue confessionnel finit par favoriser l’essor d’un catholicisme extrémiste dans les années 1580, que les serviteurs du monarque eurent du mal à juguler. La noblesse angevine fut tout aussi incapable de répondre aux attentes politiques du pouvoir central à Angers. Artus et Charles de Cossé-Brissac, Antoine de Vassé, Jacques du Bellay ou Claude d’Aubigné étaient tous plus ou moins sensibles aux besoins d'autonomie qu’exprimaient les notables urbains.

[de]eS[Se

CONCLUSION

Comme eux, ils vivaient toujours dans le souvenir d’un passé ducal mythique, dans lequel les franchises de la province auraient été garanties par un prince débonnaire et prestigieux. Comme eux, ils concevaient la ville comme un espace bien spécifique, dont les traditions séculaires devaient être défendues par les milices bourgeoises. C’est la raison pour laquelle plusieurs nobles étrangers furent nommés à la tête de la province ou de la garnison du château pour y appliquer de force les nouveautés que souhaitait introduire le roi de France dans la ville. Dès 1560-1562, Puygaillard eut pour objectif prioritaire de rogner les privilèges fiscaux de la municipalité, en lui imposant des «dons gratuits » qu’elle ne pouvait refuser. Tout au long des années 1560, il utilisa la capitale d'Anjou comme entrepôt d’armes et de vivres afin de mener campagne contre les protestants du Poitou. Il avait en effet parfaitement bien compris que la lutte contre le protestantisme était de même nature que celle qu’il avait entamée contre les franchises municipales. Car la Réforme était porteuse d’une sensibilité politique spécifique, où les villes devaient jouer un rôle essentiel. Le combat que mena le gouverneur contre les huguenots s’inscrivit donc en pleine cohérence avec la mise au pas de la municipalité d'Angers, entamée dès la reconquête de la ville, en avril 1562. Or ces gentilshommes étrangers au pays, qui avaient été choisis pour leur talent militaire, échouèrent à coopérer avec les nobles ligériens dont la couronne attendait l’amorce d’un dialogue constructif avec toutes les parties en conflit. Puygaillard, La Rochepot ou Puycharic manquaient de crédit parmi les plus grands lignages angevins, qui avaient du mal à admettre leur pouvoir. Alors qu’en Champagne, les principaux serviteurs du roi pouvaient compter sur leur propre réseau de parents, de voisins ou d’amis, les détenteurs de l'autorité nobiliaire en Anjou furent toujours handicapés par leurs origines. Ils n’obtinrent pas l’adhésion massive des seigneurs campagnards, et durent sans cesse en appeler au roi pour avoir des troupes, ou bien à quelques amis dévoués, comme le comte de Montsoreau, pour rassembler derrière eux les gentilshommes

[ee]es)ES)

LES NOBLES, LA VILLE ET LE ROI

du pays. Cette faiblesse de leur influence locale explique en partie la résistance farouche de la noblesse ligueuse, qui tendit à incarner une autorité nobiliaire concurrente au cours des années 1590. Cossé-Brissac, Boisdauphin, les frères de Saint-

Offange ou Le Cornu prirent sans doute les armes pour des motifs religieux ou parce qu’ils étaient les alliés du duc de Mercœur, mais ils exprimèrent également les frustrations d’une noblesse moyenne qui voulait se poser comme une médiatrice de poids entre la province, ses villes et la couronne. Que Boisdauphin ait été choisi pour représenter ses pairs aux États généraux de 1588, et qu'il ait pris la tête de l'insurrection dans le nord de la région, constituaient les deux faces d’une même démarche : le besoin de se faire entendre d’un monarque qui se fiait depuis trop longtemps à des gentilshommes peu considérés dans la société nobiliaire angevine. Au fond, les gouverneurs étrangers que la couronne imposa en Anjou tout au long des guerres de Religion connurent leurs plus éclatantes réussites à Angers même. Le travail accompli par Puygaillard au cours des années 1560-1576 permit de renforcer la domination du château sur la ville, et l'influence du roi au sein du conseil municipal. Au cours de la SaintBarthélemy, 1l organisa méthodiquement la répression de la communauté protestante en évitant de se faire déborder par la fureur populaire et en présentant son action comme une œuvre de justice voulue par le souverain. Il est vrai que cet effort fut remis en cause à l’époque de François d’Anjou, entre 1576 et 1584, non seulement parce que le frère cadet d’Henri IT se présenta comme un nouveau roi René, dont la vocation politique se confondait avec la restauration des franchises provinciales, mais aussi parce que les exactions de Bussy d’Amboise contribuèrent à ruiner le prestige de la noblesse. Pourtant, dès le printemps 1589, La Rochepot et Puycharic surent renouer avec les méthodes de Puygaillard pour éviter la perte d’ Angers. Maîtres d’un dispositif policier très efficace, ils réussirent à briser l’opposition ultra-catholique après avoir exploité tous les atouts que leur fournissait le château. Conscients que la Ligue s’enracinait aussi dans 234

CONCLUSION

un mécontentement religieux et politique dont il leur fallait tenir compte, ils surent dépasser les simples mesures de coercition, en détournant à leur profit les processions eucharistiques, en multipliant les 7e Deum, en faisant publier des libelles qui légitimaient leur politique et en incitant les plus vieilles familles de l’échevinage à collaborer avec eux. Comme dans les années 1560, la ville redevint ainsi le principal atout de la monarchie en Anjou, non plus contre l’agitation condéenne, mais contre la noblesse ligueuse, qui cherchait à imposer sa propre autorité sur l’ensemble du plat pays. Or les agents du roi échouèrent largement à la vaincre, parce qu’ils étaient privés des moyens militaires adéquats. S’ils réussirent à préserver la paix civile à Angers ou Saumur, ils durent attendre l’intervention personnelle du roi pour recueillir enfin le fruit de leurs efforts. Quand Henri IV entra à Angers, le 7 mars 1598, tous les habitants se pressèrent afin d’apercevoir celui pour lequel ils avaient tant prié, tant chanté, tant processionné depuis des années. Les plus fidèles des notables étaient là, aux côtés de

tous ceux qui s'étaient ralliés plus tardivement au souverain. Les officiers qui incarnaient l’autorité nobiliaire depuis 1589 étaient bien sûr aux premiers rangs, ce qui permettait de mettre en scène une nouvelle fois l’union de la ville, des gentilshommes et de la couronne dans la victoire obtenue contre la Ligue ; mais la venue du roi était aussi leur échec. Incapables

de pacifier seuls le plat pays, de se présenter comme des arbitres crédibles et de conclure avec les ligueurs des pourparlers sérieux, les gouverneurs avaient dévoilé leurs limites.

S’ils avaient été parfaitement aptes à maintenir Angers sous leur emprise, ils n’avaient pu obtenir des ralliements de poids dans la noblesse ligueuse, qui avait préféré dialoguer directement avec le souverain et restaurer des relations d’homme à homme inspirées du modèle féodal. Le pardon du roi, prononcé de sa bouche et signé de sa main, leur était indispensable, ce qui rendait l’entremise de ses agents assez superflue. L'autorité nobiliaire qui s’exerça en Anjou dans la seconde moitié du xvIe siècle aboutit donc à un résultat en demi-teinte.

D [ee]Un

LES NOBLES, LA VILLE ET LE ROI

Elle permit sans aucun doute d’expérimenter avec profit des méthodes de pouvoir local qui furent perfectionnées par la suite, puisque ces gentilshommes furent très attentifs au maintien de l’ordre, mirent à contribution toutes les ressources de

la propagande et assimilèrent la loyauté envers le roi à un commandement de Dieu. Mais ils ne connurent pas le même succès parmi les nobles du pays. Dépourvus de la considération qui leur aurait permis de convaincre les uns de les appuyer, de conduire les autres à déposer leurs armes, 1ls n’eurent pas la même efficacité que les nobles seconds champenois, qui avaient pu se présenter à leurs adversaires et à leurs alliés comme des voisins unis dans la défense de leur «patrie ». Au début du siècle, l’autorité des gentilshommes était d’abord affective. Elle prenait sa source dans la relation personnelle qu'ils entretenaient avec leur prince, elle les rassemblait autour du culte de l’honneur nobiliaire, elle les soudait contre des notables qui ne partageaient pas forcément la même vision du monde. Parce qu’elles firent évoluer la nature de ces relations personnelles, les guerres de Religion ne doivent pas être vues comme une simple faillite de l’autorité centrale : elles permirent aussi de moderniser le pouvoir local en utilisant avec profit les liens d'homme à homme qui unissaient la noblesse depuis des siècles, pour le plus grand bénéfice de l’État. En Anjou, si les gentilshommes qui se battirent pour la couronne furent indéniablement considérés par le prince comme des serviteurs, 1l serait réducteur d’assimiler leurs relations à de simples rapports de clientèle. Les plus lucides d’entre eux surent comprendre les attentes du monarque, répondre avec diligence à tous ses besoins politiques, et trouver des solutions cohérentes à la dégradation de son autorité.

ND2 (®)

Notes

Notes de l’introduction 1. Lettres de Catherine de Médicis, pub. par Hector de La Ferrière, collection de documents inédits sur l’histoire de France, Paris, 1880-1943,

IHNOl ES Due 2. Ibid, t. 9, p. 64. 3. Laurent Bourquin, Noblesse seconde et pouvoir en Champagne aux XVIe et XVII siècles, Paris, 1994. 4. David Potter, War and Government in the French Provincies.

Picardy, 1470-1560, Cambridge, 1993. 5. Michel Cassan, Le Temps des guerres de Religion. Le cas du Limousin (vers 1530-vers 1630), Publisud, 1996.

Notes du chapitre I 1. C’est à l’aide de ces documents que Michel Nassiet a pu évaluer, en 1993, le poids démographique de la noblesse dans la société française du xvue siècle :«Le Problème des effectifs de la noblesse dans la France du xvine siècle », Traditions et innovations dans la société française du XVIIIe siècle, Association des historiens modernistes des universités, actes du colloque de 1993, n° 18, 1995, p 97-121.

2. Une excellente mise au point sur ces difficultés a été réalisée par Michel Nassiet, «La Noblesse en France au xvIe siècle d’après l’arrièreban», Revue d'histoire moderne et contemporaine, 46-1, janvier-mars 1999, p. 86-116. 3. Jean-Marie Constant, «Une voie nouvelle pour connaître le nombre des nobles aux XVIe et xviie siècles: les notions de “densité et d’espace”

257

NOTES DES PAGES 14 À 18 nobiliaires», La France d'Ancien Régime. Études réunies en l'honneur de Pierre Goubert, Paris-Toulouse, 1984, p. 149-156.

4. Laurent Bourquin, «Les Mutations du peuplement nobiliaire angevin à l’époque moderne», Histoire, économie, société, 1998, n° 2, p. 241-259.

5. BnF, Ms. Fr. 11864, publié en partie par H. Sauvage, «Les Montres et les revues militaires de la noblesse angevine au xve siècle», Revue de l'Anjou, 4 série, t. 22 (1879), p. 47-56 et p. 290-300, t. 23 (1879), p. 38-49 et p. 252-261, t. 24 (1880), p. 35-41. 6. BnE, Ms. Fr. 32264.

7. Jean Yver, Les Caractères originaux du groupe de coutumes de l’ouest de la France, Paris, 1952, 64 p.

8. Coustumes du païs et duché d'Anjou, à Paris, par Jehan Le Jeune, libraire juré de l’Université d'Angers, 1603. Voir aussi Les Coustumes du pays et comté du Maine, nouvellement corrigées, oultre les précédentes impressions, […], au Mans, chez la veuve Hiérosme Olivier, 1607, art. 238

EC230) 9. Gustave-Marie d’Espinay, Le Droit d'aînesse en Anjou, Paris, 1890. 10. Laurent Bourquin, «Partage noble et droit d’aînesse dans les coutumes du royaume de France à l’époque moderne », L’Identité nobiliaire. Dix siècles de métamorphoses (IXe-xIxe siècle), Le Mans, 1997, p. 136-165. 11. Jean Yver, Égalité entre héritiers et exclusion des enfants dotés. Essai de géographie coutumière, Paris, 1966, 309 p. 12. Xavier Martin, Le Principe d'égalité dans les successions roturières en Anjou et dans le Maine, Paris, 1972, 187 p. 13. «Comme dans la province d’Anjou, les avantages des aisnez dans là succession noble sont exorbitans, lesd. aînez y prenant outre le

principal manoir, les deux tiers de tous les immeubles et tous les meubles en payant les dettes, et ne donnant à leurs puisnez que l’autre tiers, encore par bienfait et usufruit seulement, lesd. maires de la ville d'Angers, par egard pour les cadets de leurs maisons, n’ont pas suivi, quant aux partage des successions, l’usage des nobles [...] L'usage desd. maires et de leurs familles a été, nonobstant leur noblesse et tous les autres privilèges dont ils ont jouy, de s’en tenir au partage coutumier», BnF, Ms. Joly de Fleury 95 (906), fol. 164. Texte du xvire siècle, cité par Jacques Maillard, Le

Pouvoir municipal à Angers de 1657 à 1789, Angers, 1984, t. I, p. 41. 14. La bibliographie sur le roi René est très abondante. L'ouvrage d’A. Lecoy de La Marche, Le Roi René, sa vie, son administration, Angers, 1875, 2 vol., est ancien mais encore très utile. Voir aussi H. Bellugou, Le Roi René et la réforme fiscale dans le duché d'Anjou au milieu du xve siècle, Angers, 1962. Parmi les ouvrages plus récents, le plus complet est celui de Noël Coulet, Alice Planche et Françoise Robin, Le Roi René: le prince, le mécène, l'écrivain, le mythe, Edisud, 1982, 247 p. 15. BnE, Ms. Fr. 33 006 (fol. 9 et 21 v°).

238

NOTES DES PAGES 19 À 23 16. BnF, Dossier Bleu 166. 17. Statuts de l’ordre du Croissant, BnF, Ms. Fr. 25 204.

18. Françoise Piponnier, Costume et vie sociale. La cour d'Anjou XIVEe-XVE siècle, Paris-La Haye, 1970. 19. Laurent Bourquin, «Les Chevaliers de l’ordre du Croissant: les sources d’une faveur, les limites d’une fidélité», Le Second ordre : l'idéal

nobiliaire. Hommage à Ellery Schalk, Paris, 1999, p. 21-29. 20. René donna un collier à son fils Jean d’Anjou, duc de Lorraine et de Calabre, ainsi qu’à son frère Charles, comte du Maine. Outre lui-même,

les autres chevaliers furent Raymond et Foulques d’Agoust, Jean Amenard, Simon et Saladin d’Anglure, Guy d’Avaugour, Bertrand, Jean et Louis de Beauvau, Jean de Belleville, Louis de Bournan, Jacques de Brézé, Pierre de

Champagne, Antoine Clérembaut, Louis de Clermont-Gallerande, Jean et Gaspar Cossa, Jean du Bellay, Tanguy du Châtel, René du Mas, Jean du Plessis, Jean de Fénétrange, Hélion et Pierre de Glandèves, André et Girard

de Haraucourt, Bertrand, Jean et Louis de La Haye, Hardouin de La Jaille, Guillaume de La Jumelière, Guy de Laval, Pierre Le Poulchre, Philippe et Thierry de Lenoncourt, Bermond de Levis, Antoine et Ferry de Lorraine, Gilles de Maillé-Brézé, Jacques-Antoine Marcel, Robert Marsico, Jean de

Mévouillon, Guichard de Montberon, Jean de Nassau-Weilbourg, Jacques Pazzi, Jean Rhingrave, Foulques Riboule, François Sforza et Gabriel Valori. Cette liste a pu être établie grâce à deux manuscrits de la BnF: les Ms. français 24 108 et 33 006, tous deux intitulés Histoire des chevaliers de l’ordre

du Croissant. Voir également Christian de Mérindol, «L'Ordre du Croissant. Mises au point et perspectives », La Noblesse dans les territoires angevins à la fin du Moyen Âge, actes du colloque international d’Angers-Saumur (36 juin 1998), Noël Coulet et Jean-Michel Matz éd. École française de Rome,

2000, p. 499-509. 21. Histoire des chevaliers de l’ordre du Croissant, BnF, Ms. Fr. 24 108 et 33 006. 22. BnE, Ms. Fr. 33 006 (fol. 9 et suiv.) et 24 108 (fol. 50).

23. BnF, Dossiers Bleus 415 et 367.

24. Bertrand et Louis de Beauvau, Louis de Clermont-Gallerande, Hardouin de La Jaille, Guillaume de La Jumelière et Guy de Laval.

25. Jean et Louis de Beauvau, Louis de Clermont-Gallerande, Hardouin de La Jaille et Guy de Laval. 26. BnE, Ms. Fr. 33 006 (fol. 15 r°). 27. BnE, Ms. Fr. 33 006 (fol. 9-15); Dossier Bleu 196.

28. BnF, Ms. Fr. 33 006 (fol. 12 v°). 29. BnF, Dossier Bleu 166.

30. BnF, Ms. Fr. 33 006 (fol. 21). 31. BnF, Ms. Fr. 33006 (fol. 16). 32. BnE, Ms. Fr. 33 006 (fol. 21).

259

NOTES DES PAGES 24 À 33 33. Ils ne retrouvèrent le service du roi de France qu’àla génération suivante, celle de Henri. Celui-ci fut à la fois conseiller d’Etat du duc

de Lorraine, et maître de camp d’un régiment entretenu sous Louis XII. BnF, Ms. Fr. 24 108 (fol. 50). 34. BnP, Ms. Fr. 33 006 (fol. 14, 16, 20, 21) et Fr. 24 108 (fol. 49 et 78-79). 35. Père Anselme de Sainte-Marie, Histoire généalogique et chronologique de la maison royale de France, des pairs, des grands officiers de la couronne, de la maison du roi et des anciens barons du royaume [...J, Paris, 1726-1735, t. VIT, p. 582; BnF Chérin 158; Dossier Bleu 367; Ms. Fr. 24 108 (100 et 151). 36. Les La Jaille, les Brézé, les Champagne, les Laval, les Maillé,

les Valori et les du Bellay. 37. BnE, Ms. Fr. 33 006 (fol. 21). 38. P Belleuvre, «La Famille du Bellay », Revue de l’Anjou, l'e série,

1856, l'e partie, p. 72, et 2° partie, p. 83. 39. BnF, Dossier Bleu 387. 40. BnF, Dossier Bleu 367.

41. 42. 43. 44.

BnF, Dossier Bleu 415. BnF, Ms. Fr. 33 006 (fol. 21). BnF, Dossier Bleu 81.

PR. A. Aubert de La Chesnaye-Desbois, Dictionnaire de la

noblesse, Paris, 1863-1876,

19 vol. t. 10, p. 421.

45. BnF, Dossier Bleu 387. 46. BnF, Dossier Bleu 656.

47. BnF, Ms. Fr. 24 108 (fol. 124). 48. Laurent Bourquin, Noblesse seconde et pouvoir en Champagne.…., op. cit., chapitre II. 49. David Potter, War and Government…., op. cit., p. 29 et suiv. 50. Nicolas Le Roux, «Élites locales et service de la couronne au XVIe siècle : l'exemple de la noblesse de Touraine », Le Second ordre : l'idéal nobiliaire…., op. cit., p. 153-167. 51. Isambert et Decrusy, Recueil général des anciennes lois fran-

çaises…, Paris, 1828, t. XII, p. 892-893. 52. R. R. Harding, Anatomy of a Power Elite : the Provincial Governors of Early Modern France, New-Haven, 1978. 53. Père Anselme, op. cit., t. 7, p. 205. 54. Ibid., t. 4, p. 320 et suiv. 55. 1bid., t. 4, p. 320 et suiv. 56. Ibid., t. 8, p. 188 et suiv. 57. Pub. par le comte de Quatrebarbes, «Jacques Turpin, baron de Crissé », Revue de l'Anjou, 1854, t. I, p. 227.

240

NOTES DES PAGES 34 À 45 58. Mémoires de la vie du mareschal de Vieilleville, Michaud et Poujoulat éd., «Nouvelle collection des mémoires pour servir à l’histoire de France », t. IX, Paris, 1838.

59. Père Anselme, op. cit., t. 7, p. 223 et suiv.

60. Mémoires de la vie du mareschal de Vieilleville, op. cit., p. 7. 61. Barthélemy Roger, Histoire d'Anjou (écrit vers 1670), pub. in Revue de l’Anjou, 1852, t. I, p. 428-429. 62. Père Anselme, op. cit., t. 6, p. 236.

63. Jean Boutier, Alain Dewerpe, Daniel Nordman, Un tour de France royal. Le voyage de Charles IX (1564-1566), Aubier, 1984.

64. Barthélemy Roger, op. cit., p. 428. 65. Ibid., p. 436.

Notes du chapitre II 1. Bernard Chevallier, Les Bonnes villes de France, Paris, Aubier,

1982. 2. Jacques Maillard, Le Pouvoir municipal à Angers de 1657 à 1789, 2 vol., Angers, 1984, t. I, p. 25. 3. A. Lecoy de La Marche, Le Roi René, sa vie, son administration, Angers, 1875, 2 vol. 4. Voirp. 111. 5. Barthélemy Roger, op. cit., p. 416 et suiv. 6. Mémoires de Claude Haton contenant le récit des événements accomplis de 1553 à 1582, principalement dans la Champagne et la Brie, éd. Claude Bourquelot, Paris, 1857, 2 vol. Une édition intégrale du texte de Claude Haton est en préparation; le premier volume (1553-1565) est paru

en 2001 aux Éditions du CTHS.

7. Collection de documents inédits relatifs à la ville de Troyes et à la Champagne méridionale, pub. par Th. Boutiot, Société académique de l’ Aube, t. I, Troyes, 1878.

8. Jean-Marie Constant, «Le langage politique paysan en 1576: les cahiers de doléances des bailliages de Chartres et de Troyes», Représentation et vouloir politiques. Autour des États-généraux de 1614, Roger Chartier et Denis Richet éd., Paris, 1982. 9. Ellery Schalk, L'Épée et le sang. Une histoire du concept de noblesse (vers 1500-vers 1650), Seyssel, Champ Vallon, 1996 (éd. américaine 1986).

10. Cité dans Laurent Bourquin, La France au XVIe siècle, 1483-1594, Paris, Belin, 1996, p. 105.

11. Ces thèmes se retrouvaient dans beaucoup de cahiers rédigés à l’occasion des États généraux de 1560. Cf. Lalourcé et Duval (éd.), Recueil des cahiers généraux des trois ordres aux États généraux, Paris, 1789, 4 VOITURE

241

NOTES DES PAGES 45 À 53 12. Journal de Demarian, avocat au présidial, inséré par Louvet dans son propre journal, vol. 1, fol. 217 r°; cité par Ernest Mourin, La Réforme et la Ligue en Anjou, Paris-Angers, 1856, p. 14. 13. La noblesse élut pour députés les sieurs de Vallière, La Barbée et Brézé. 14. François Lebrun (dir.), Histoire d'Angers, Toulouse, Privat, 1975,

p. 51-52.

15. Les Guise en Champagne et les Humières en Picardie. 16. Jean-Marie Constant, «La Pénétration des idées de la Réforme protestante dans la noblesse... », Les Réformes. Enracinement socio-culturel, Tours, 1985, p. 321-326. Voir aussi Arlette Jouanna, Le Devoir de révolte. La noblesse française et la gestation de l’État moderne, 1559-1661, Paris, 1989. 17. Journal de Demarian, op. cit., fol. 219 r°. 18. Ernest Mourin, op. cit., p. 21. 19. Denis Crouzet, La Genèse de la Réforme française, 1520-1562, Paris, SEDES, 1996. 20. AM Angers, BB 28, fol. 244 v°. 21. Denis Crouzet, La Nuit de la Saint-Barthélemy. Un rêve perdu de la Renaissance, Fayard, 1994. 22. Jean-Marie Constant, «The Protestant Nobility in France during the Wars of Religion: A Leaven of Innovation in a Traditional World»,

Reformation, Revolution and Civil War in France and the Netherlands, 15551585, actes du colloque d’ Amsterdam (29-31 octobre 1997), Philip Benedict et alii éd., Amsterdam, 1999, p. 69-82. 23. Jean Louvet, «Récit véritable de tout ce qui est advenu digne de mémoire, tant en la ville d’ Angers, païs d’Anjou et autres lieux», pub. sous

le titre «Journal» in Revue de l’Anjou, 1854, n° 1, p. 260. 24. Cité par Ernest Mourin, op. cit., p. 31. 25. Théodore de Bèze, Histoire des Églises réformées au royaume de France, Anvers, 1580, rééimp. Toulouse, 1882, t. Il, p. 109. 26. Les pactes d’amitié qui ont été étudiés par Olivier Christin à Nyons, Vienne, Montélimar ou Orange procédaient du même désir. Cf. Olivier Christin, La Paix de religion. L'Autonomisation de la raison politique au XVIe siècle, Paris, Le Seuil, 1997, p. 122 et suiv.

27. Olivier Christin, Une révolution symbolique. L'iconoclasme huguenot et la reconstruction catholique, Paris, Éditions de Minuit, 1991. 28. Jean Louvet, «Récit véritable... », p. 261-262. 29. Comme au Mans, l’iconoclasme de 1562 a peut-être joué un rôle dans l’adhésion ultérieure des Angevins à la Ligue. 30. François Lebrun, Histoire d'Angers, op. cit., p. 53. 31. Cinquante-deux personnes selon Jean Louvet, «Récit véritable... », p. 269. 32. AM Angers, BB 29, fol. 114 v®.

242

NOTES DES PAGES 54 À 66 33. AM Angers, BB 29, fol 101. 34. BnF, Nouveau D’Hozier 206 et Cabinet D’Hozier 209.

35. Marguerite épousa en 1530 Jean de Bouzet, seigneur du Casterat, et Catherine se maria avec Frix de Preissac, baron d’Esclignac, en 1540.

36. BnF Dossier Bleu 388. 37. Nicolas Le Roux, La Faveur du roi. Mignons et courtisans au temps des derniers Valois (vers 1547-vers 1589), Seyssel, 2000, p. 77-81 ; et Laurent Bourquin, «Les Fidèles des Guises parmi les chevaliers de l’ordre de SaintMichel sous les derniers Valois», Le Mécénat et l'influence des Guises, actes

de colloque de 1994, Yvonne Bellenger éd., Paris, 1997, p. 95-112. 38. Roland Mousnier, L'Homme rouge, ou la vie du cardinal de Richelieu (1585-1642), Paris, Robert Laffont, 1992, p. 17-27.

39. BnF Dossier Bleu 388 et Pièces Originales 1676. 40. BnF, Pièces Originales 1676. 41. Jean Louvet, «Récit véritable.

», p. 266.

42. Ibid., p. 269. 43. AM Angers, BB 29, fol. 131. 44. Cf. Demarian, dans Louvet, t. L fol 225r°. Voir aussi François

Lebrun, Histoire d'Angers, op. cit., p. 53. 45. Jean Louvet, «Récit véritable. », p. 278. 46. Ibid., p. 263. 47. Le chancelier Séguier eut le même raisonnement en 1640, lorsqu'il punit les notables rouennais après la révolte de la ville. Il en profita d’ailleurs pour rogner de nombreux privilèges issus du Moyen Age. Cf. Madeleine Foisil, La Révolte des Nu-pieds et les révoltes normandes de 1639, Paris, PUF, 1970. 48. Jean Louvet, «Récit véritable... », p. 269. 49, Ernest Mourin, op. cit., p. 54. 50. Jean Louvet, «Récit véritable...

», p. 268.

51. 1bid., p. 281. 52. Barthélemy Roger, op. cit., p. 427. 53. Jean Louvet, «Récit véritable... », p. 286 et 294.

54. Ibid., p. 298. 55. AM Angers, BB 32, fol. 40 v°. 56. AM Angers, BB 31, fol. 130 r°. 57. AM Angers, BB 31, fol. 131.

58. Nous sommes peu de temps avant la surprise de Meaux; diverses informations circulent alors, laissant entendre que les protestants sont prêts à se soulever. 59. AM Angers, BB 31, fol. 29 r°-31 r°. 60. AM Angers, BB 32, fol. 109 r°.

243

NOTES DES PAGES 68 À 73 Notes du chapitre IIT 1. Ernest Mourin, La Réforme et la Ligue en Anjou, Paris-Angers, 1856, p. 65. 2. Père Anselme, Histoire généalogique et chronologique de la maïson royale de France, des pairs, des grands officiers de la couronne, de la maison du roi et des anciens barons du royaume [...], Paris, 1726-1735,

9 vol. t. 8, p. 249. 3. Jean Louvet, «Récit véritable de tout ce qui est advenu digne de mémoire, tant en la ville d'Angers, païs d’Anjou et autres lieux », pub. sous le titre «Journal » in Revue de l’Anjou, 1854, n° 1, p. 283. 4. Voir p. 34-35. 5. La commission de Charles IX lui enjoignait de faire en sorte que «.… chascun vive en toute liberté, seureté et repoz en sa maison pour le regard de sa conscience, sans aucunement estre recherché ne inquiété du faict de ladicte religion et des actes deppendans d’icelle ;que ceulx de la religion prétendue réformée pourront, si bon leur semble, faire et en user privément en leurs maisons et eulx et leur famille et non pour assemblées en lieux publicqs, et ce pour le regard des gentilzhommes estans de qualité contenus en l’édict de mars». Lettres de Catherine de Médicis, pub. par Hector de La Ferrière, collection de documents inédits sur l’histoire de France, Paris, 1880-1943, 11 vol, t. 2, p. 100. 6. «Nous avons mendé au sieur de Vieilleville de s’y en aller, qui, j'espère, ne perdra poinct de temps ; et m’a semblé estre un grand heur qu'il se soyt trouvé par delà en une telle saison où sa prudence est bien nécessaire pour ranger ces espritz sy desbordez ». 1bid., t. 2, p. 304. 7. Jean Boutier, Alain Dewerpe, Daniel Nordman, Un tour de France royal. Le voyage de Charles IX (1564-1566), Aubier, 1984. 8. AM Angers, BB 30, fol. 186 r°. 9. Jean Louvet, «Récit véritable... », p. 284. 10. Denis Crouzet, Les Guerriers de Dieu. La violence au temps des guerres de Religion, vers 1525-vers 1610, Seyssel, 1990, t. 2, p. 577-581. 11. « Audict mois [de juillet 1567], M. Pierre Cailleau, sieur de Chauffour, se rendit partye entre les huguenots pour la contravention qu’ils faisoient contre l’édict de prescher à Cantenay, de tant qu’ils debvoient faire leurs presches à Baugé ». Cf. Jean Louvet, «Récit véritable. », p. 285. 12. Gabriel Bouvery, né en 1506 dans une famille de la bourgeoisie angevine, était évêque d’Angers depuis 1540. Il participa au concile de Trente et mourut le 10 février 1572. 13. Cité par l’abbé Rangeard, Mémoires pour servir à l'histoire du calvinisme et de la Ligue en Anjou, dans Ernest Mourin, op. cit., p. 71-72. 14. Recopié au Xvirre siècle, le manuscrit original fut détruit par un incendie ; j'utilise donc ici les travaux de l’abbé Rangeard et d’Ernest Mourin.

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NOTES DES PAGES 73 À 83 15. Il fit son entrée dans la ville le 11 octobre, et se présenta devant le corps de ville le 18. Cf. Jean Louvet, « Récit véritable... », p. 286. 16. Voir p. 31. 17. Père Anselme, op. cit., t. 4, p. 320 et suiv. 18. Laurent Bourquin, «Les Fidèles des Guises parmi les chevaliers de l’ordre de Saint-Michel sous les derniers Valois », Le mécénat et l'influence des Guises, actes du colloque de 1994, Yvonne Bellenger éd., Paris, 1997, p. 95-112. 19. BnF Dossier Bleu 658. 20. AM Angers, BB 31, fol. 91 v° (18 octobre 1567).

21. C’est à cette époque que les échevins refusèrent un projet de Charles IX visant à renforcer l’autorité nobiliaire sur la ville ; de même,

il accordèrent au maire une garde rapprochée. Voir p. 63-64. 22. Jean Louvet, « Récit véritable. », p. 287-288. 23. Lettres de Catherine de Médicis…., op. cit., t. 3, p. 135. 24. Ibid., p. 123. 25. Père Anselme, op. cit., t. 6, p. 236. 26. Lettres de Catherine de Médicis, op. cit., t. 3, p. 149 et 152. 27. Lettre du 26 juin 1568, pub. par Paul Marchegay, Notices et documents historiques, Angers, 1857, p. 468. 28. Jean Louvet, « Récit véritable. », p. 291. 29. BnF, Carré D’Hozier 399. 30. Voir p. 25. 31. BnF Dossier Bleu 415. 32. Claude de Gravy était sa nièce. Cf. BnF Dossier Bleu 415, fol. 401-404. 33. Lettres de Catherine de Médicis., op. cit., t. 3, p. 121. 34. Timoléon de Cossé-Brissac a probablement quitté son poste de gouverneur du château à la même époque, car on ne trouve plus trace de lui dans les archives municipales à partir de cette date. 35. Dès la mi-avril, Puygaillard «se retira avec six cents hommes de pié, lequel fist beaucoup de mal au païs d'Anjou, parce qu'ils pilloient et emmenoient ce qu’ils trouvoient en des charriots ». Cf. Jean Louvet, «Récit véritable... », p. 290. 36. Voir p. 61-62. 37. AM Angers, BB 31, fol. 275 r° (26 juillet 1568). 38. E. Mourin, op. cit., p. 87. 39. Voir p. 59-60. 40. Jean Louvet, «Récit véritable. », p. 293 et 296. 41. Lettres de Catherine de Médicis, op. cit., t 3, p. 319. 42. Jean Louvet, «Récit véritable. », p. 291.

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NOTES DES PAGES 84 À 90 43. Sa femme, Clémence Le Roy, avait été assassinée le 31 décembre

1562 par un soldat employé dans sa maison. Deux mois plus tard, Puygaillard présenta sa future épouse, Marie de Maillé, à l’échevinage médusé. Cette rapidité avait fait jaser, et l’on racontait qu’il avait lui-même fait assassiner sa première épouse pour s’en débarrasser. Cf. BnF Dossier Bleu 388. 44. Voir p. 36. 45. Jean Louvet, «Récit véritable. », p. 302. 46. Comte de Quatrebarbes, «Messire Philippe Gourreau, sieur de La

Proustière », Revue de l’Anjou, 1854, t. 2, p. 203 et suiv. 47. Jean Louvet, «Récit véritable de tout ce qui est advenu digne de mémoire, tant en la ville d’Angers, païs d’Anjou et autres lieux», pub. sous le titre «Journal » in Revue de l’Anjou, 1854, n° 2, p. 4. 48. Jean-Marie Constant, Les Guise, Paris, Hachette, 1984: Jean-Louis

Bourgeon, L'Assassinat de Coligny, Genève, Droz, 1992 et Charles IX face à la Saint-Barthélemy, Genève, Droz, 1995; Denis Crouzet, La Nuit de la Saint-Barthélemy. Un rêve perdu de la Renaissance, Paris, Fayard, 1994. 49. Denis Crouzet, Les Guerriers de Dieu, op. cit., t. 1, p. 82-143. 50. Jean Louvet, «Récit véritable... », p. 6.

51. Philip Benedict, Rouen during the wars of Religion, Cambridge, 1981 ; Michel Cassan, Le Temps des guerres de Religion. Le cas du Limousin (vers 1530-vers 1630), Publisud, 1996.

52. Laurent Bourquin, Noblesse seconde et pouvoir en Champagne aux XVIe et XVIIe siècles, Paris, 1994, p. 86-87. 53. AM Angers, BB 33; fol. 102 r°. 54. En novembre 1573; Henri III confirma cette décision le 18 mai 1575. Cf. EF. A. Aubert de La Chesnaye-Desbois, Dictionnaire de la noblesse, Paris, 1863-1876, 19 vol. t. 4. 55. Quittance de décembre 1574, BnF, Pièces originales 655. 56. Il prenait soin toutefois de préciser qu’il fallait «conserver la maison, la femme et biens de Jehan Grimauldet, d’aultant que j’en suys pryé de la part de Monseigneur».AM Angers, BB 33, fol. 103. 57. Laurent Bourquin, «Les Mutations du peuplement nobiliaire angevin à l’époque moderne », Histoire, économie, société, 1998, n° 2, p. 241259} 58. Il s’agit bien de Claude Le d’Aubigné. L’index général de la correspondance de Catherine de Médicis le confond avec son père, René, seigneur de La Jousselinière. Quant à Célestin Port, il évoque dans son Dictionnaire un Claude d’Aubigné, baron de Sainte-Gemmes, qui «dès l’âge de 15 ans combat devant Poitiers (1588) avec le maréchal de Brissac »; mais il s’agit là du fils de Claude [f', Claude IT. Voir BnF, Nouveau D’Hozier 15. 59. Voir p. 109-110. 60. Jean Louvet, «Récit véritable. », p. 6-7.

61. AM Angers, BB 33, fol. 105v°.

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NOTES DES PAGES 91 À 97 62. «II est permis à tous cappitaines des paroisses de ceste ville, leurs lieutenants, enseignes et aultres chefs et dizainiers de leurs compaignées de prendre garde si ceulx qui sont logés ès maisons des huguenots se comportent modestement sans piller ni ranczonner leurs hostes, outre transporter et enlever les meubles; et deffence auxdits huguenots de les destourner, transporter ny desgarnir leurs maisons, et à tous les catholiques de les recepvoir et receler sur peine de la vie». AM Angers, BB 33; fol. 105v° (30 août).

63. AM Angers, BB 33;, fol. 113v°. 64. AM Angers, BB 33, fol. 112v°. 65. «Le dix-neufvième jour dudict mois de octobre audict an, M. de Puy-Gaillard fist eslargir beaucoup de prisonniers qui estoient ès prisons et dans le château d’ Angers. et cinq huguenotz qu’il fist noyer à la BasseChaisne ». Jean Louvet, «Récit véritable... », p. 8. 66. AM Angers, BB 33, fol. 133. 67. Lettres de Catherine de Médicis. t. 4, p. 129.

68. François Lebrun, Histoire d'Angers, Toulouse, 1984, p. 56. 69. Jean Louvet, «Récit véritable... », p. 13. 70. Ibid., p. 15. 71. AM Angers, BB 34, fol. 34. 72. 1] participa en outre aux batailles de Saint-Quentin, Dreux, Jarnac, Saint-Denis, Moncontour et Loudun. Cf. P. Belleuvre, «La Famille du Bellay », Revue de l’Anjou, 1re série, 1856, lre partie, p. 72. 73. AM Angers, BB 33, fol. 238. 74. La datation de ce texte est incertaine, mais je pense qu’il fut adressé à Henri III au début de son règne, et non à Charles IX. Il correspond à une politique de promotion de la noblesse seconde locale que l’on observe à cette époque en Champagne, en Picardie, en Limousin et en Anjou. 75. Avis donné par Catherine de Médicis à Charles IX pour la police de sa cour et pour le gouvernement de son État, BnF, Ms. Dupuy 218. Cité par Joël Cornette, Chronique de la France moderne. Tome 1: Le xvIe siècle, SEDES, 1995, p. 234-235. 76. Voir la lettre qu’elle envoya au corps de ville d’Angers le 28 juin 1574 : «Chers et bien amez, nous ayant le sieur de Puygaillard, lieutenant général du roy nostre très cher sieur et filz en son païs d'Anjou, faict entendre l’élection qu’il a faicte du sieur d’Aubigné pour en son absence et pendant qu’il sera où nous lui avions mandé de demourer pour le service du roy nostredict sieur et filz, commander en ladicte charge, comme nous sommes bien advertiz de la fidélité dudict sieur d’Aubigné et du zelle et bonne affection qu’il a et porte au bien de cest estat et couronne et mesmement de vostre ville et du païs, nous avons eu ladicte élection bien agréable par l’assurance que nous avons qu'il fera en ceste charge tout debvoir. Nous vous prions doncques de le recepvoir et recongnoistre, luy obéissant en ce qu’il vous ordonnera pour le service de notredict sieur et

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NOTES DES PAGES 97 À 106 filz, tout ainsi qu’à luy et qu’avez tousjours cy-devant faict audict sieur de Puygailliard lui aidant de vos moïens, selon le besoin qu’il en aura, et nous vous asseurons que le roy notredict sieur et filz vous en sçaura très bon gré». Lettres de Catherine de Médicis, t. 5, p. 39. 77. P. Belleuvre, art. cit. Voir aussi Célestin Port, Dictionnaire his-

torique, géographique et biographique de Maine-et-Loire, Paris-Angers, 1874-1878. 78. Jean Louvet, «Récit véritable... », p. 19. C’est par erreur qu’il le qualifie de « gouverneur d'Anjou ». 79. Ernest Mourin, op. cit., p. 136.

80. Jean Louvet, «Récit véritable. », p. 23. SIPDIA DES SD ETDIA NP TE

Notes du chapitre IV 1. Laurent Bourquin, La France au XVIe siècle, 1483-1594, Paris, Belin, 1996, p. 181. 2. Barthélemy Roger exagérait donc en écrivant, un siècle plus tard, que Monsieur avait «tant de pouvoir et d'autorité [en Anjou] qu’il y mit des gouverneurs et lieutenants à sa dévotion ». En fait, les bouleversements qu’il introduisit dans ce domaine permettaient de compenser ses faiblesses dans la fiscalité et la justice. Cf. Barthélemy Roger, Histoire d'Anjou, op. cit. p. 440. 3. Puygaillard avait même anticipé sa disgrâce. Plutôt que de subir l’humiliation d’une destitution, il avait préféré se retirer aux Ponts-de-Cé, avant d’aller sur ses terres de Blou le 9 juillet. Cf. Célestin Port, Dictionnaire

historique, géographique et biographique de Maine-et-Loire, Paris-Angers,

1874-1878. 4. Jean Louvet, «Récit véritable de tout ce qui est advenu digne de

mémoire, tant en la ville d’ Angers, païs d’ Anjou et autres lieux », pub. sous le titre « Journal » in Revue de l’Anjou, 1854, n° 2, p. 27. 5. BnE, Dossier Bleu 196.

6. Laurent Bourquin, Noblesse seconde et pouvoir en Champagne... op. cit, p. 40. 7. Ibid., p. 102.

8. Lettres de Catherine de Médicis. op. cit., t. 5, p. 172. 9. Célestin Port fait erreur en l’identifiant comme étant Charles du Bourget, seigneur de Tilly. Cf. Dictionnaire historique, géographique et biographique de Maine-et-Loire, op. cit. 10. Laurent Bourquin, «Partage noble et droit d’aînesse dans les cou-

tumes du royaume de France à l’époque moderne », L'Identité nobiliaire. Dix siècles de métamorphoses (Ixe-xixe siècle), Le Mans, 1997, p. 136-165.

248

NOTES DES PAGES 106 À 112 11. BnF, Nouveau D'Hozier 316. 12. Mack P. Holt ne l’a pas évoqué dans son ouvrage sur l’entourage du duc d'Anjou, car il ne l’a pas retrouvé parmi les membres de son hôtel. Saint-Ceval ne faisait donc pas partie des familiers du duc, ce qui m'incite à penser qu'il avait été placé au château par Bussy lui-même ou par Tilly. Cf. Mack P. Holt, The Duke of Anjou and the Political Struggle during the Wars of Religion, Cambridge, 1986. 13. Jean Louvet, «Récit véritable... », p. 27. 14. Jbid., p. 27-28. D’après Ernest Mourin, Saint-Ceval avait été lieutenant du château à l’époque de Cossé-Brissac ; mais j'ignore sur quel document il se fonde. Cf. La Réforme et la Ligue, op. cit., p. 140. 15. FA. Aubert de La Chesnaye-Desbois, Dictionnaire de la noblesse, Paris, 1863-1876, 19 vol. t. 4. 16. Voir p. 77-78 et 84-85. 17. Père Anselme, op. cit., t. 6, p. 236. Voir aussi Charles Gautier, Histoire de Brissac, de son château et des familles qui l'ont possédé,

Angers, 1920, 471 p. 18. Lettres de Catherine de Médicis, op. cit., t. 6, p. 44. 19. Jbid., t. 7, p. 239-240. 20. Dans une quittance, il fut qualifié de «chevallier de l’ordre du roy, conseiller en son privé conseil, cappitaine de cinquante hommes d'armes de ses ordonnances et maréchal de camp général de ses armées ». BnF, Dossier bleu 388. 21. BnF, Cabinet de D’'Hozier 17. Voir aussi La Chesnaye-Desbois, op. cit., t. 1, p. 499. 22. AM Angers, BB 35, fol 129 v°. 23. Voir p. 33-34. 24, Laurent Bourquin, Noblesse seconde et pouvoir, op. cit., p. 118. 25. Le 6 mai, elle écrivit à Henri II que «ledict Bussy alla hier, à ce que me dict mondict filz [François], à Angers, pour ce qu’il y estoit advenu quelque désordre entre aulcuns habitans et aulcuns soldatz, mais j'estime qu'il s’en est allé expressément quand il à sceu que je venois». Lettres de Catherine de Médicis…., op. cit., t. 6, p. 17. 26. Jean Louvet, «Récit véritable. », p. 28-29. 27. D’après Barthélemy Roger, il se produisit à la même époque une crue de la Maine qui « fut si grande qu’elle rompit les ponts d'Angers et emmena plusieurs maisons et quelques arches ». En outre, une comète apparut dans le ciel au début de 1577, et y séjourna trois mois. Cf. Barthélemy Roger, Histoire d'Anjou, op. cit., p. 440. 28. Jean Louvet, «Récit véritable. », p. 31. DOMbIA Ep? 30. Claude de Seyssel, La Grand’ monarchie de France, Paris, 1515, éd. 1557: et Pierre de La Vacherie, Le Gouvernement des trois estatz du

249

NOTES DES PAGES 112 À 120 temps qui court, pub. par A. de Montaiglon et J. de Rotschild, Recueil de poésies françaises, Paris, 1877, t. XII, p. 81. Voir aussi Ellery Schalk, L'Épée et le sang. Une histoire du concept de noblesse (vers 1500-vers 1650), Seyssel, Champ Vallon, 1996 (éd. américaine 1986). 31. AM Angers, BB 35, fol. 171 r°.

32. Cité par Ernest Mourin, op. cit., p. 148. Jean Louvet évoque une somme de 30000 livres, «Récit véritable... », p. 34. 33. André Joubert, Un Mignon de la cour de Henri II1: Louis de Clermont, sieur de Bussy d'Amboise, gouverneur d'Anjou, Paris-Angers, 1855, p. 217 et suiv. Par la même occasion, ils affirmèrent qu'il fallait

«empescher que les munitions du chasteau de ceste ville soient prinses et fournies par lesd. habitans, parce qu’ils n’y sont aucunement tenuz, et que led. chasteau, en tous temps, a acoustumé d’estre fourny et munitionné aux dépens du roy ». 34. Lalourcé et Duval (éd.), Recueil des cahiers généraux des trois ordres aux États généraux, Paris, 1789, t. 2. 35. Laurent Bourquin, Noblesse seconde et pouvoir, op. cit, p. 89. 36. Nicolas Froumenteau, Le Secret des finances de France, Paris, 1576, Cité par Barthélemy Roger, Histoire d'Anjou, op. cit., p. 441. 37. Jean Louvet, «Récit véritable... », p. 30. 38. 1bid., p. 33-34 et AM Angers, BB 35, fol. 206 r° (15 mai). 39. André Joubert, Un Mignon de la cour de Henri II..., op. cit., p.75. 40. AM Angers, BB 35, fol. 220 r°. 41. Voir p. 69 et 75. 42. Jean-Marie Constant, La Ligue, Fayard, 1996, p. 81-108. 43. Jean Louvet, «Récit véritable... », p. 47. 44. Laurent Bourquin, Noblesse seconde et pouvoir... op. cit., p. 87 et Suiv. 45. Charles de Chambes, comte de Montsoreau, fit assassiner Bussy d’Amboise le 20 août 1579 parce qu'il l’accusait d’être l’amant de sa femme, Françoise de Méridort. Cette histoire a servi de trame au fameux roman d'Alexandre Dumas, paru en 1846. La meilleure mise au point reste celle de Jacques Levron, La Véritable histoire de la dame de Montsoreau, Paris, 1938. 46. Jean Louvet, «Récit véritable... », p. 35 et 48. 47. AM Angers, BB 35, fol. 46 r°. 48. Jean Louvet, «Récit véritable... », p. 38. 49. Jbid., p. 39. 50. Cf. Statuts de l’ordre du Croissant (1448), BnF Ms. Fr. 25 204,

fol 7: Les chevaliers devaient jurer de «soustenir le droit des pouvres femmes veufves et des orphelins aussi [...] ; d’avoir tousjours pitié et compassion du pouvre peuple commun: d’estre en faiz, en diz et en parolles doulx et courtois et aimable envers chacun ».

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NOTES DES PAGES 120 À 124 51. Cité par André Joubert, Un Mignon de la cour de Henri 111... ODACIEAD AE.O! 52. Dans une chanson intitulée «Chant de resjouyssance sur la devise héroyque et entrée de Monseigneur à Angers, chantée de dessus les ponts », l’un des couplets disait: « Or nous cognoissons à l'œil « Ton ayeul, «Roy François, en toy renaistre,

«Amateur de vertu «Si es tu « Et bien le nous fais paraistre ». Cité par J. Denais, «Entrée de François d’ Alençon, duc d'Anjou, à Angers (1578) », Revue de l'Anjou, 5° série, t. 18, 1889, p. 255-260.

53. «Chanson nouvelle de l’entrée du grand duc François, fils de France, frère unique du roy, faicte à Angiers le 13° jour d’apvril 1578». Par EC., Angevin, sur le chant de «De ciel qui fut large donneur», publié par J. Denais, «Entrée de François d'Alençon, duc d'Anjou, à Angers», art. cit. 54. Jean Louvet, «Récit véritable. », p. 45. 55. D’après Barthélemy Roger, «la noblesse d'Anjou et celle du Maine accoururent auprès du duc pour l'accompagner en ce voyage, comme si c’eût été pour aller à la conquête de la Toison d'Or; mais tout cet armement s’en alla en fumée, et notre noblesse et soldatesque d’ Anjou et du Maine, qui y alla en grand nombre, n’en remporta que de la confusion pour ses mauvais déportements et pour la mauvaise discipline et le désordre de toute l’armée de Monsieur ». Histoire d'Anjou, op. cit., p. 440. 56. À. M., BB 36, fol. 435-439 v°. 57. Jean Louvet, «Récit véritable... », p. 49. 58. Père Anselme, op. cit., t. 7, p. 438. Jean de Simiers ne semble

pas avoir donné satisfaction au duc, car d’après Jean Louvet, le 19 juillet 1580, «M. le duc d’Anjou arriva aux Ponts-de-Cé, où estant, il manda le sieur de Cimiers, capitaine du chasteau d’ Angers, auquel il fist de grandes remontrances des faultes qu’il avoit faittes, luy fist commandement de sortir dudict chasteau, ce qu’il fist, et en son lieu y mist le sieur de la Vergne, au grant regret des habitants de la ville d’Angers, de tant qu'ils aymoient ledict sieur de Cymiers, lequel aimoit les habitants et le païs: et tout incontinent, M. Le duc d'Anjou s’en retourna en poste à Tours ». Cf. Jean Louvet, «Récit véritable... », p. 51. 59. François Lebrun, Histoire d'Angers, op. cit., p. 57. 60. BnF, Nouveau D'Hozier 181. Les ascendants de Michel n’avaient pas effectué de carrières notables ;son itinéraire était donc inédit dans sa famille. Je remercie Jean-Marie Constant de m'avoir mis sur la piste de Michel du Hallot, dont le nom semble avoir été effacé des généalogies du Xvie siècle pour les raisons que nous verrons par la suite. Dans la correspondance de Catherine de Médicis, il a été confondu avec un du

291

NOTES DES PAGES 125 À 135 Hallot de Montmorency qui n’a aucun rapport avec lui, puisque ce dernier fut blessé au siège de Rouen en 1592, alors que notre homme mourut en 1585. 61. Jean Louvet, «Récit véritable... », p. 48.

62. AM Angers, BB 36, fol. 391 r°. 63. AM Angers, BB 36, fol. 403 (20 décembre

1581).

64. AM Angers, BB 36, fol. 259. 65. AM Angers, BB 36, fol. 265 r° (11 octobre 1580).

66. Cité par Paul Marchegay, Notices et documents historiques, Angers, 1857, p. 454. 67. Ibid., p. 455. 68. AM Angers, BB 38, fol. 20 v°-21 (25 mai 1584). 69. Voir p. 90. 70. André Joubert, Un Mignon de la cour de Henri 1I1..., op. cit., py, CA. 71. Ibid, p. 99-102. 72. Jean Louvet, «Récit véritable. », p. 28. 73. Ibid., p. 34-35. 74. «Lesquelz habitants, ayant eu certain advis de la conspiration et mauvais dessein desdictz huguenotz, se tenurent sur leurs gardes, lesquelles ils redoublèrent et s’esvertuèrent de mettre cent hommes bien armez desdictz habitants à chascune porte qu’on ouvroit le jour, ce qui estonna lesdictz huguenotz, et n’arrettèrent leur dessein et mauvaise entreprise, joinct que ce n’estoit faulte de bonne volonté, mais c’estoit qu’ilz n’estoient assez fortz, et n’eussent eu du bon». /bid., p. 34. 75. AM Angers, BB 35, fol. 291. 76. Cité par André Joubert, Un Mignon de la cour de Henri III..., op. cit., p. 156. TT. Baugé resta longtemps un bastion du calvinisme dans la région. Le 3 avril 1604, Henri IV dut encore y intervenir, et demanda à son gouverneur d’obliger les habitants à accepter la reconstruction d’une église et d’un presbytère, conformément à l’édit de Nantes. Cf. Henri IV, Recueil des lettres missives de Henri IV, pub. par M. Berger de Xivrey, Collection de documents inédits sur l’histoire de France, Paris, 1843-1876, 9 vol, t. 9, p. 663-664. 78. AM Angers, BB 36, fol. 98. 79. AM Angers, BB 36, 113 v°. 80. Cité par André Joubert, Un Mignon à la cour de Henri III... ODACLLADIS 2 81. AM Angers, BB 36, fol. 137. 82. AM Angers, BB 36 fol. 141. 83. AM Angers, BB 36, fol. 148v°-149v°.

252

NOTES DES PAGES 135 À 143 84. Ce courrier fut sans doute lu avec beaucoup d’attention, car peu après, Henri IT décida que le seul lieu autorisé pour l’exercice de la religion réformée serait Baugé. Cf. Ernest Mourin, op. cit., p. 158. 85. Laurent Bourquin, Noblesse seconde et pouvoir…., op. cit., p. 101.

Notes du chapitre V 1. Jean Louvet, «Récit véritable. », p. 54. 2. Jean-Marie Constant, La Ligue, Paris, Fayard, 1996.

5 NOMp' 2 4. Lettres de Catherine de Médicis…., op. cit., t. 8, p. 69. 5. «À l’instant est arrivée ma cousine la duchesse de Montpensier, qui nous a dict que ç’avoit esté Monsr de Chavigny, et qu’elle avoit veu venant icy ung de ceux de la relligion qu’il avoit mandé, qui faisoit ladite assemblée, n’ayant aulcune arme ny chose qui l’en put faire soubçonner : au contraire, lui a dict qu’il ne veut plus porter l’espée et qu’il veut entretenir la paix. Depuis, le sieur de Puygaillard est aussi arrivé, qui nous a dit de mesme que ceux de la relligion prenoient les armes partout, et que bientost 1l en sçauroit de plus certaines nouvelles ». Lettres de Catherine de Médicis, op. cit., t. 7, p. 239. 6. Paschal Robin du Fauz composa son oraison et la publia à la suite d’un panégyrique du duché depuis ses origines, comme si les Cossé incarnaient la liberté et la puissance de la province. Brief discours gentil et proufitable sur l'excellence et antiquité du pays d'Anjou, et princes qui y ont commandé et en sont sortis, servant d'avancoureur à l’histoire entière. Avec les regrets sur le trespas de Monseigneur le Mareschal de Cossé, comte de Secondigny, sieur de Gonnor et chevalier des ordres de S. Michel, et du S. Esprit, à Paris, pour Emmanuel Richard, demeurant au clos Bruneau, 1582. 7. Voir p. 108-109. 8. Lettres de Catherine de Médicis.…., t. 8, p. 388 et suiv. OMIDid etre ap ali 10. Jean Louvet, «Récit véritable... », p. 54-55. 11. Jean-Marie Constant, Les Guise, Paris, Hachette, 1984, p. 158163 et chapitre 9. 12. René Morin, un marchand de laine, était le nouveau maire, élu le 1er mai 1584, après la réforme de l’échevinage du 21 avril. 13. Lettres de Catherine de Médicis…., op. cit., &. 8, p. 306. 14. Laurent Bourquin, Noblesse seconde.…., op. cit., p. 103-107. 15. Lettres de Catherine de Médicis, op. cit., t. 8, p. 463. 16. Jean Louvet, «Récit véritable... », p. 55.

17. Jacques Maillard, Le Pouvoir municipal à Angers de 1657 à 1789, Angers, 1984, t. 1, p. 25 et suiv.

253

NOTES DES PAGES 143 À 150 18. François Lebrun, Histoire d'Angers, op. cit., p. 58. 19. Henri Drouot, Mayenne et la Bourgogne (1587-1596), Paris, 1937, 2 vol. Voir aussi Jean-Marie Constant, La Ligue, op. cit., chapitre 7. 20. Ernest Mourin, op. cit., p. 194-197. 21. L'événement frappa Jean Louvet, qui lui consacra un long développement dans son Journal. Puis dans les années 1672-1676, le Père Barthélemy Roger en donna un récit détaillé, dans L'Histoire d'Anjou. Au xIXe siècle, Ernest Mourin reprit l’ensemble de ce dossier dans Za Réforme et la Ligue en Anjou. Enfin, plus près de nous, François Lebrun insista sur l'importance de l’affaire dans son Histoire d'Angers. 22. Jean-Marie Constant, « Amitié, système de relation et politique dans la noblesse française aux xvIe et XVIIe siècles », Aux sources de la puissance : sociabilité et parenté. Actes du colloque de Rouen, 1987, Fr. Thelamon éd., Rouen, Publications de l’Université de Rouen, 1989, p. 145-153. 23. Jean Louvet, «Récit véritable. », p. 56. En outre, les officiers du présidial et les échevins se méfiaient de plus en plus ouvertement de la couronne depuis un an, et cet appel à la caution du monarque n’était pas fait pour les apaiser. 24. Jean Louvet, «Récit véritable... », p. 57-58. Les magistrats du corps de ville «auroient conclud qu'il falloit, par les paroisses, quérir des pionniers pour faire des tranchées ès grands chemins et advenues desdictz lieux, lesquelz estant venuz, on leur auroit faict faire lesdictes tranchées esdittes avenues, avec de grands esprons autour desdittes avenues, où l’on auroit mis des corps de garde garniz de bons soldartz commandez par les gentilshommes et noblesse dudict païs, qui les auroient levez et amenez suivant leurs commissions qui leur avoient esté délivrez par ledict sieur maire ». 25. Lettres de Catherine de Médicis, op. eit., t. 8, p. 359 (14 octobre 1585). 26. Jean Louvet, «Récit véritable... », p. 58-59. 27. BnF, Pièces Originales 1011. 28. Jean Louvet, «Récit véritable. », p. 60. 29. Cité par François Lebrun, Histoire d'Angers, op. cit., p. 59. 30"Père Anselme, op cf. 0 3;p. 089; SPLIT AO DAITAIE

32. Nicolas Le Roux, «Représentation diplomatique et guerre couverte : la mission du comte de La Rochepot, ambassadeur en Espagne pour l'application du traité de Vervins », La Paix de Vervins, 1598, textes réunis par Claudine Vidal et Frédérique Pilleboue, Société archéologique et historique de Vervins et de la Thiérache, 1998, p. 185-228. 33. Lettres de Catherine de Médicis. op. cit., t. 6, p. 18,22 ett. 7, D'eU7 SSI) 34. II sut faire fructifier ce capital de confiance par quelques gestes à dimension politique et religieuse. Après la bataille de Coutras, il parti-

254

NOTES DES PAGES 150 À 159 cipa avec Puycharic à une grande messe de requiem pour saluer la mémoire

des gentilshommes angevins qui avaient péri dans les troupes de Joyeuse. De même, il célébra la victoire d’Auneau, remportée par Henri de Guise face aux reîtres. Enfin, il jura l’édit d'Union avec Puycharic, ce qui fut très favorablement accueilli par les ligueurs. Cf. Jean Louvet, «Récit véritable. », p. 63, 130 et 134.

35. 1bid., p. 63-64. 36. 1bid., p. 129-130. Le greffier se trompe en datant l'événement du 28 août 1587. SYMPIASDAIRSS: 38. Lettres de Catherine de Médicis…., op. cit., t. 9, p. 371. 39. Ernest Mourin, op. cit., p. 218. 40. Père Anselme, op. cit., t. 3, p. 649. 41. BnF Dossier Bleu 81. 42. Jean Louvet, «Récit véritable... », p. 143. 43. Puycharic en profita aussi pour remplacer le pont dormant de la porte des champs par un pont-levis, plus efficace pour défendre son bâtiment. 44. Jean Louvet, «Récit véritable... », p. 145. 45. François Lebrun, Histoire d'Angers, op. cit., p. 60-62. 46. Jean Louvet, «Récit véritable... », p. 149-150, 153 et 179. 47. Ibid., p. 284. 48. Ibid., p. 155. 49. Voir à ce sujet Henri Drouot, Mayenne et la Bourgogne (15871596), Paris, 1937, 2 vol. et Robert Descimon, Qui étaient les seize ?

Mythes et réalités de la Ligue parisienne, Paris, 1983. 50. «Procès-verbal fait par M. le Maréchal d’Aumont pour mettre la Ville en l’obéissance du Roy », Recueil des privilèges de la ville et mairie d'Angers, rédigé par monsieur Robert, doyen de lafaculté des droits, ancien maire et conseiller échevin perpétuel à l'hôtel de ville, Angers, 1748, p. 84. 51. Jean Louvet, «Récit véritable... », p. 159.

52. Ibid., p. 147 et 187. 53. «Requête adressée le 29 septembre 1591 par Pierre de Donadieu, sieur de Puchairie (sic), gouverneur d’ Angers, à Henri IV, afin d'obtenir l’établissement d’un nouvel impôt, sollicité par les notables d’Angers pour fortifier leur ville (29 septembre 1591)», Revue de l'Anjou, 3° série, t. 2 (1861),

p. 343-346. «Marchés passés par Puycharic avec Dagobert Guillot, architecte, pour différents travaux de fortification au château d'Angers », Revue de l’Anjou, 4e série, t. 15 (1875), p. 358-361. 54. Ernest Mourin, op. cit., p. 246. 55. Au cours de la réunion, La Rochepot expliqua très clairement qu’il fallait «aviser aulx moïens de soullager les habitants de laditte ville des garnisons qu’ilz avoient et assurer laditte ville et habitants en l’obéissance du roy pour le temps à venir, et obtenir ung pardon de Sa Majesté pour raison des

255

NOTES DES PAGES 159 À 168 armes prinses par lesdicts habitants contre l’armée du roy qui voulloit entrer en laditte ville, pour lesquelz moïens et bonnes vollontez desdictz habitants au service du roy en assurer ledict sieur maréchal d’ Aumont, pour en faire son

rapport à Saditte Majesté ». Jean Louvet, «Récit véritable. », p. 146-147. 56. Recueil des privilèges de la ville d'Angers…., op. cit., p. 84. 57. Jean Louvet, «Récit véritable. », p. 147. Jacques-Auguste de Thou attribue à Pierre Ayrault une Déploration de la mort du roy Henry HI et du scandale qu'en a l'Église, qui fut écrite en 1589. Violemment anti-ligueur, ce texte sépare avec soin le règne du Christ et celui de César, justifie la mort du duc de Guise en l’interprétant comme l’œuvre de la justice royale, et exalte la sacralité du souverain. 58. Recueil des privilèges de la ville d'Angers, op. cit., p. 78. 59. Voir p. 54.

60. Comte de Quatrebarbes, «Messire Philippe Gourreau, sieur de La Proustière », Revue de l’Anjou, 1854, t. 2, p. 204. 61. Jean Louvet, «Récit véritable. », p. 271, 272 et 280. 62. Doléances des vrais catholiques captifs et asservis en la ville d'Angers, par lesquelles on peut veoir à l'œil le traictement que reçoivent ceux qui se laissent apaster à l’aigredoux des politiques fardez, et combien leur joug est fascheux à porter, à Paris, chez Guillaume Bichon, rue SaintJacques, à l'enseigne du Bichot, 1589, p. 11-13. 63. Doléances des vrais catholiques…., op. cit., p. 28-29. 64. Denis Crouzet, La Nuit de la Saint-Barthélemy, un rêve perdu de la Renaissance, Paris, 1994, p. 225-240. 65. Apologie pour les catholiques d'Angers, demeurez fermes en l'obéissance du roy, calumniez d'hérésie pour n'avoir voulu estre de la Ligue [.…..], s.1., 1589. 66. « Requête adressée le 29 septembre 1591...», art. cit., Revue d'Anjou, 3 série, t. 2, 1861, p. 343-346. 67. Voir p. 189. 68. Jean Louvet, «Récit véritable. », p. 259-269. 69. Ibid. p. 158 et 179. 70. Ibid. p. 188.

T1. Doléances des vrais catholiques…., op. cit., p. 19: «D’Aumont, qui est à tout faire et sacré et prophane, a installé et mis en possession de l’évesché, au lieu d’un vertueux et vénérable docteur que nous avions pour prélat [Guillaume Ruzé, mort en septembre 1587], un petit muguet, nay et instruit en l’hérésie, corrompu aux lieux publics de desbauche de ceste ville, récompensé d’un tel bénéfice pour la prostitution de sa propre sœur, défectueux de nature, inhabille d’aage, dépourveu de bonnes mœurs et science, révoqué par les États de Blois qui eurent esgard à nostre opposition que nous avions faicte à sa réception». Voir aussi Jean Louvet, «Récit véritable. », DALSUR

[ee]Un(e}

NOTES DES PAGES 169 À 178 72. Ernest Mourin, op. cit., p. 243-254.

73. Voir p. 183 et suiv. 74. Jean Louvet, «Récit véritable. », p. 160.

75. Abbé Pletteau, «Bataille de Craon (1592), récit par un gentilhomme de l’armée de Monseigneur le duc de Mercœur et de Penthièvre », Revue de l’Anjou, 4 série, t. 21, 1878, p. 23.

76. Des processions de ce genre eurent lieu le 23 juillet 1589, le 5 février, le 29 mars et le 22 mai 1592, le 21 juin et le 2 août 1593. 77. Jean Louvet, «Récit véritable...», p. 190.

78. Michèle Fogel, Les Cérémonies de l'information dans la France du xvie au milieu du xvirre siècle, Paris, 1989. 79. Recueil des lettres missives de Henri IV, pub. par M. Berger de Xivrey, «Collection de documents inédits sur l’histoire de France », Paris,

1843-1876, 9 vol., t. 4, p. 124-125.

Notes du chapitre VI 1. Ernest Mourin, La Réforme et la Ligue en Anjou, op. cit., p. 277. 2. Saumur représente toutefois une exception notable, que nous verrons p. 198 et suiv. 3. Jean Louvet, «Récit véritable.», p. 186-189.

4. Jean de Saint-Offange épousa Françoise d’Andigné en 1395. Cf.

BnF

Pièces

Originales

2770,

Dossier

Bleu

499

et Nouveau

D’Hozier 255. 5. Jean Louvet date leur ralliement à la Ligue de janvier 1590,

mais ils ont commencé à utiliser le château pour leur propre compte dès 1585. Cf. Célestin Port, Dictionnaire historique, géographique et biographique de Maine-et-Loire, op. cit. 6. Discours véritable du massacre plus qu'inhumainement exercé le treiziesme jour d'aoust 1595 sur l’esglise réformée de La Chasteigneraye en Poictou composée pour la pluspart des habitants dudict lieu, et d'autres paroisses circonvoisines, laguelle de longtemps a accoustumé s'assembler à La Brossardière, pub. par Paul Gambier, Pages vendéennes. La Brossardière, terre inhumaine, 1595, Fontenayle-Comte, 1946, 54 p. 7. Lettres de Catherine de Médicis. t. 9, p. 49, lettre du 21 septembre 1586. 8. Barthélemy Roger, op. cit., p. 452. 9. Voir les chiffres de Jean-Marie Constant dans «Les Barons français pendant les guerres de Religion », Quatrième centenaire de la bataille de Coutras, Pau, 1988, p. 49-62. En Champagne, la majorité des gentils-

251

NOTES DES PAGES 178 À 188 hommes étaient des «rieurs », qui refusèrent longtemps de s’engager pour l’un ou l’autre camp dans les années 1590. Voir Laurent Bourquin, Noblesse

seconde et pouvoir en Champagne..., op. cit., p. 116-117. 10. Barthélemy Roger, op. cit., p. 450. 11. Apologie pour les catholiques d'Angers, demeurez fermes en l’obéissance du roy, calumniez d'hérésie pour n'avoir voulu estre de la Ligue

IASIPMS 89

op aire

12. Jean Louvet, «Récit véritable... », p. 167.

13. /bid., p. 168-169. 14. Barthélemy Roger, Histoire d'Anjou, op. cit., p. 451. 15. Laurent Bourquin, « Pratiques politiques et image de la noblesse ligueuse: l'exemple d’Antoine de Saint-Paul», Histoire, économie, société, 1990, n° 2, p. 185-195. Henri Drouot, Mayenne et la Bourgogne (1587-1596), Paris, 1937, 2 vol.

16. Laurent Bourquin,

« Pratiques politiques et image de la

noblesse ligueuse... », art. cit., p. 188.

17. BnF, Cabinet D’Hozier 105. 18. Paul Marchegay, Choix de documents inédits sur l’Anjou, Les Roches-Baritaud, 1874, p. 8-9. 19. En 1585, parut sous la signature de Jean de Caumont un ouvrage intitulé De la Vertu de noblesse, dans lequel l’auteur soutenait que « la substance de la noblesse n’est qu’en l’honneur de Dieu ». Pour lui, les protestants et les politiques étaient «tous menteurs, tous vilains,

tous lâches et de cœur failli ». Les véritables gentilshommes avaient donc le devoir de s’opposer de toutes leurs forces au triomphe des ennemis du Christ, sous peine de perdre leur dignité. Jean de Caumont proposait ainsi de redéfinir l’identité nobiliaire sur des critères purement religieux, en effaçant les privilèges de toutes les familles qui ne partiCipaient pas à la croisade ligueuse contre l’hérésie. 20. Père Anselme, op. cit., t. 7, p. 378 et Charles Gautier, Histoire de Brissac, de son château et des familles qui l'ont possédé, Angers, 1920, p. 382 et suiv. 21. Laurent Bourquin, «Les Chevaliers de l’ordre du Croissant..….», art. cit.

22. Père Anselme, op. cit., t. 3, p. 649. 23. Jean Louvet, «Récit véritable. », p. 151-157, 160 et 163. 24. Ibid., p. 166-175. 25. Ibid., p. 172-173. 26. Laurent Bourquin, Noblesse seconde et pouvoir en Champagne, op. cit., p. 87-92 et 117-120. 27. Jean Louvet, «Récit véritable. », p. 175-177 et 181-183. 28. Charles Gautier, Histoire de Brissac…, op. cit., p. 46. 29. Père Anselme, op. cit., 1. 4, p. 320 et suiv.

258

NOTES DES PAGES 188 À 198 30. 31. 32. 33.

Ernest Mourin, op. cit., p. 270-271. Charles Gautier, Histoire de Brissac…., op. cit., p. 51. Jean Louvet, «Récit véritable. », p. 180. Voir p. 196.

34. Recueil des lettres missives de Henri IV op. cit., t. 3, p. 639-640. 35. Jean Louvet, «Récit véritable. », p. 258. 36. Voir p. 166-167. 37. Jean Louvet, «Récit véritable... », p. 259. 38. Denis Crouzet, Les Guerriers de Dieu..., op. cit., t. 2, p. 577585 et Joël Cornette, Le Roi de guerre, op. cit., p. 54. 39. Voir p. 198 et suiv. 40. Voir p. 197. 41. Ernest Mourin, op. cit., p. 284-289. 42. Mémoires et diverses lettres de Messire Philippes de Mornay, seigneur du Plessis Marli [...] contenant tout ce qui s'est fait et passé en ses négociations depuis l'année 1589 jusques en 1600, Paris, 1647, p. 455. 43. Mémoires et diverses lettres de Messire Philippes de Mornay.…., op. cit., p. 499. 44. Ibid., p. 500. 45. Lettres de Catherine de Médicis..., op. cit., t. 9, p. 47.

46. Voir p. 177. 47. Lettres de Catherine de Médicis…., op. cit., t. 9, p. 49. 48. Ibid., t. 9, p. 50. 49. Ibid., t. 9, p. 93. 50. «Il ne fault laisser d’avoir l’œil soigneusement ouvert qu'il ne se puisse faire aulcune surprinse en aulcune des villes de vostre charge, sur aulcunes desquelles ceulx de la nouvelle oppinion ont entreprinse, à ce que j’entendz ». {bid., t. 9, p. 135-136.

DID 180 D 02 52. Jean Louvet, «Récit véritable... », p. 165. 53. 1bid., p. 178.

54. AM Angers, BB 44, fol. 5v° (26 mai 1592). 55. AM Angers, BB 42, fol. 11 (31 mai 1591).

56. La destruction de Rochefort resta une préoccupation constante des Angevins jusqu’à la fin des conflits. En décembre 1597, l'assemblée générale des paroisses d’ Angers leva 24000 écus pour aider à lutter contre les dernières troupes de Mercœur, tout en suppliant le roi «que le chasteau de Rochefort, estant remis en son obéissance, seroit rasé, et toutes aultres places fortes du païs, pour eviter aux révoltes si ordinaires qui en sont advenues à la ruisne du païs» (AM Angers, BB 46, fol. 194 v°-198 v°, 5 et 16 déc 1597). 57. Barthélemy Roger, op. cit., p. 454.

209

NOTES DES PAGES 198 À 204 58. «Rôle des gendarmes de la compagnie du comte de Montsoreau, pour le quartier de juillet à septembre 1589 », pub. par André Joubert, Un Mignon à la cour de Henri II1..., op. cit., p. 226-231. 59. Laurent Bourquin, Noblesse seconde et pouvoir en Champagne.., op. cit., p. 99-100. 60. Mémoires de Messire Philippes de Mornay, seigneur du Plessis Marli, […] contenans divers discours, instructions, lettres et dépesches

par lui dressées ou escrites aux rois, roines [.….] depuis l’an 1572 jusques à l'an 1589, ensemble quelques lettres des susdits audit sieur du Plessis, s. l., 1624, p. 898-900. 61. Recueil des lettres missives de Henri IV..., op. cit., t. 3, p. 29. 62. Mémoires et diverses lettres de Messire Philippes de Mornay, seigneur du Plessis Marli [.…] contenant tout ce qui s’est fait et passé en ses négociations depuis l’année 1589 jusques en 1600, Paris, 1647, p. 229. 63. Ibid., p. 414. 64. Jean Louvet, «Récit véritable... », p. 299. 65. «Le capitaine Babouet m’escrit que la démolition de Tigny s’avance fort, selon la leçon qui lui en a esté baillée. Je désirerois fort que nous eussions la neutralité, ne voïant pas autrement en quelle seureté on y peut remettre Madame de Tigny. Si vous pouviés, en tresve faisant, nous faire païer de ce qui nous est deu à Craon et Chasteau-Gontier, vous feriés œuvre de miséricorde ». Mémoires et diverses lettres de Messire Philippes de Mornay.…., op. cit., p. 420. 66. Ibid., p. 421.

Notes du chapitre VII 1. Mémoires et diverses lettres de Messire Philippes de Mornay, seigneur du Plessis Marli [...] contenant tout ce qui s’est fait et passé en ses négociations depuis l’année 1589 jusques en 1600, Paris, 1647, p. 352. 2. «Monsieur du Plessis, incontinent après la cérémonie du SainctEsprit, J’ay faict partir les srs archevesque de Rheims, de Sainct-Luc et de La Rochepot pour se rendre à Ancenis et renouer la conférence avec les depputez du duc de Mercœur, leur ayant donné charge d’user en cela de diligence, pour tirer promptement le fruict qu’on peut espérer du dict traicté. Toutesfois, par tous les advis que j’ay de delà, j’apprends que les dicts srs depputez ne sont encor assemblez au dict Ancenis, et que ceste longueur apporte beaucoup de préjudice à ce que je puis attendre du dict traicté ;c’est ce que dient ceulx qui sont encore au party du duc de Mercœur, lesquels font démonstration de désirer le bien et advancement de mes affaires. Dontje vous ay voulu advertir, et par mesme moyen vous prier, si les dicts depputez ne sont tous arrivez au dict Ancenis, faire en sorte qu'ils s’y rendent promptement, et qu'ayant renoué la dicte conférence,

260

NOTES DES PAGES 205 À 213 ils travaillent incessamment pour en faire réussir ce que je désire pour le bien de mon service et le repos de mes subjects ». Recueil des lettres missives de Henri IV..., op. cit., t. 4, p. 301-302. 3. Père Anselme, op. cit., t. 7, p. 378. 4. Schomberg, Duplessis-Mornay, De Thou et La Rochepot envoyèrent ce jour-là une lettre à Henri IV pour l’informer qu’ils avaient « dépesché à M. le maréchal de Brissac pour y faire trouver personnages notables de tous ordres de vostre province de Bretagne [...] afin qu’ils soient tesmoins du soin qu’a V. M. de la conservation de cette province, soit par la plus douce voie, soit au défaut d’icelle par les armes». Mémoires et diverses lettres de Messire Philippes de Mornay..., op. cit., p. 452-453. S. Ibid., p. 520. 6. Recueil des lettres missives de Henri IV..., op. cit., t. 4, p. 950-954. : 7. Mémoires et diverses lettres de Messire Philippes de Mornay, ODACHEAD STE 8. 1bid., p. 571. Voir François Billacois, Le Duel dans la société

française des Xvie et XVIIe siècles. Essai de psychosociologie historique, Paris, EHESS, 1986. 9. Mémoires et diverses lettres de Messire Philippes de Mornay, op. cit., p. 600.

10. Laurent Bourquin, Noblesse seconde et pouvoir, op. cit., p. 85-87. 11. BnE, Ms. Dossier Bleu 659.

12. C’est là qu’il avait trouvé la mort pendant l’un des sièges de Brissac, en novembre 1590. 13. Mémoires et diverses lettres de Messire Philippes de Mornay…, op. cit., p. 582.

14. Recueil des lettres missives de Henri IV..., op. cit., t. 4, p. 875. 15. /bid., t. 4, p. 954. 16. Ibid., t. 4, p. 954. 17. Le 5 novembre

1597, Henri IV écrivit ainsi à Schomberg que

«le coup aussi n’a moins blessé mon authorité que sa personne, estant publique et qualifiée comme elle est, ayant esté appellée pour mon service où elle a esté outragée, et pour une occasion qui regarde du tout le bien d’iceluy ; partant, je veux en avoir la raison. Et faut que tous ceux ausquels Saint-Phal appartient se résolvent de me rendre ce devoir, s’ils désirent que je demeure satisfait d’eux ». Mémoires et diverses lettres de Messire Philippes de Mornay.…., op. cit., p. 569. 18. Laurent Bourquin, Noblesse seconde et pouvoir en Champagne... op. cit., p. 130-131. 19. AM Angers, BB 45, fol. 84-85. 20. F.A. Aubert de La Chesnaye-Desbois, Dictionnaire de la noblesse, op. cit., t. 10, p. 421 et suiv. 21. Jean Louvet, «Récit véritable. », p. 299.

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NOTES DES PAGES 213 À 222 22. Il continua d’ailleurs longtemps à servir les intérêts du monarque à Château-Gontier, bien après la fin des hostilités. En avril 1602, Henri IV le félicita notamment pour l’aide qu’il fournit contre le sieur de Mayneuf, lorsque celui-ci s’empara de la grosse tour des Gisiers. Il le pria de la faire démolir pour éviter de nouveaux incidents, et de lui envoyer le coupable afin que le souverain pt recevoir ses excuses et le tancer de vive voix. Recueil des lettres missives de Henri IV..., op. cit., t. 5, p. 570-571. 23. Jean Louvet, «Récit véritable... », p. 301.

24. Recueil des lettres missives de Henri IV.., op. cit., t. 4, p. 400. 25. Mémoires et diverses lettres de Messire Philippes de Mornay..…, op. cit., p. 411. 26. Ibid., p. 414. 27. Ibid., p. 416. 28. Ibid., p. 416. 29. Célestin Port, Dictionnaire historique, géographique et biographigue de Maine-et-Loire, op. cit. 30. Jean Louvet, «Récit véritable. », p. 302. 31. /bid., p. 304. 32. Ibid., p. 306-307. 33. V. Pavie, «Les Articles accordés par le roi aux sieurs de Heurtault et de La Houssaye de Saint-Offange », Revue d'Anjou, nov-déc. 1854. 34. 11814 livres enjuillet 1601, 31 842 livres en mars 1602, 28 142 livres

en mars 1603, 26240 livres en janvier 1604, 24442 livres en mai 1605, 22642 livres en février 1606, 20842 livres en 1 607. Cf. Ernest Mourin, op. cit., p. 309. 35. Jean Louvet, «Récit véritable... », p. 313. 36. Cité par Ernest Mourin, op. cit., p. 308. 37. I] va de soi qu'après avoir fait traîner les négociations si longtemps avec La Rochepot ou Duplessis-Mornay, Mercœur n’était plus disposé à passer par leur intermédiaire pour régler sa paix avec le roi. Il confia ce soin à son épouse, Marie de Luxembourg, qui rencontra Henri IV aux Ponts-de-Cé le 6 mars. Les aspects financiers de leur accord, ainsi que le projet de mariage entre César et leur fille furent ainsi peaufinés, et le 28, le duc put faire officiellement sa soumission. 38. Jean Louvet, «Récit véritable... », p. 307. 39. Voir p. 119-120. 40. Laurent Bourquin, Noblesse seconde et pouvoir en Champagne... Op: cit... p IS: 41. Ernest Mourin, op. cit., p. 240. 42. Jean Louvet, «Récit véritable... », p. 172. 43. Recueil des lettres missives de Henri IV.., op. cit., t.4, p. 301-302.

44. Ibid., 1. 4, p. 36 et 529.

NOTES DES PAGES 222 À 228 45. Recueil des lettres missives de Henri IV... op. cit., t. 5, p. 47. 46. BnF, Pièces originales, fol. 66. Voir Nicolas Le Roux, «Représentation diplomatique et guerre couverte. », art. cit., p. 191. 47. BnF Pièces originales, fol. 64. 48. Jean Louvet, «Récit véritable... », p. 156.

49. BnF, Pièces originales 1011. 50. BnF, Cabinet D’Hozier 121. 51. Paul Marchegay, Notices et documents historiques, Angers, 1857, p. 460-461. 52. Recueil des lettres missives de Henri IV... op. cit., t. 4, p. 124-125.

53. 54. DO 56.

Voir Jean DIT Son

p. 31-32. Louvet, «Récit véritable. », p. 306. APELSS: épitaphe a été publiée par le vicomte de Carrière, « De

Donnadieu », Revue de l'Anjou, 1874, p. 239-240. 57. La bénédiction en fut accomplie le ler octobre 1603, cf. Jean Louvet, «Récit véritable... », p. 319.

58. Recueil des lettres missives de Henri IV.…., op. cit., t. 9,

p. 663-664. 59. Laurent Bourquin, Noblesse seconde et pouvoir en Champagne, op. cit., p. 130-134. 60. Paul Marchegay, Choix de documents inédits sur l’Anjou.., Les Roches-Baritaud, 1874, p. 21-22. 61. BnF, Dossier Bleu 166. 62. B.N.F Dossier Bleu 656. 63. Son fils Martin était pourtant l’un des principaux notables de la province, car il fut désigné quelques années plus tard pour représenter les gentilshommes du pays aux Etats généraux de 1614. Mais les du Bellay ne reçurent un poste en Anjou qu’à la génération suivante, celle de René, marquis de Thouarcé: il fut promu lieutenant du roi sous le règne de Louis XIII. Cf. BnF, Dossier Bleu 81. 64. Boisdauphin dut attendre jusqu’en 1604 pour devenir gouverneur d’Anjou. 65. Barthélemy Roger, op. cit., p. 457. 66. Voir p. 77 et Suiv.

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