Les jeunes suicidants à l'hôpital 9782842542085

Le suicide constitue la deuxième cause de décès pour les 15-24 ans, et ce malgré une diminution des taux de suicide d’en

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French Pages 209 [204] Year 2004

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COMITÉ DE PILOTAGE
ONT PARTICIPÉ À L’ENQUÊTE JEUNES SUICIDANTS À L’HÔPITAL
SOMMAIRE
PRÉFACE
AVANT-PROPOS
INTRODUCTION
MÉTHODOLOGIE
I. LES JEUNES SUICIDANTS À L’HÔPITAL GÉNÉRAL
Chapitre 1. Caractéristiques des suicidants hospitalisés à l’hôpital général
Chapitre 2. L’acte suicidaire et la prise en charge hospitalière
II. LE DEVENIR (À 3 MOIS ET 1 AN) DES SUICIDANTS HOSPITALISÉS
Chapitre 3. L’évolution des souvenirs
Chapitre 4. Suivi psychologique des adolescents suicidants
Chapitre 5. Histoire naturelle du devenir des suicidants
SYNTHÈSE ET IMPLICATIONS PRATIQUES
POSTFACE DU CÔTÉ DES ÉQUIPES... DES RÉALITÉS HÉTÉROGÈNES ET DES ÉCHOS CONTRASTÉS
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Les jeunes suicidants à l'hôpital
 9782842542085

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LES JEUNES SUICIDANTS À L’HÔPITAL

Déjà parus dans la même collection LES COMPORTEMENTS À RISQUE DES TOXICOMANES A. Boissonnas, G. Vidal-Trécam, J. Coste, I. Varescon-Pousson, J. Reboul-Marty

TOXICOMANES INCARCÉRÉS F. Facy

TOXICOMANES ET PRESCRIPTION DE MÉTHADONE F. Facy

L’ÉCOUTE TÉLÉPHONIQUE : UN OUTIL DE PRÉVENTION DU RISQUE ALCOOL F. Facy, A. Salles, D. Jouve

ÉPIDÉMIOLOGIE DES POLYCONSOMMATIONS ALCOOL, DROGUE J.M. Delile, F. Facy, S. Dally

LES TOXICOMANIES F. Facy, L. Guyon

En application de la loi du 11 mars 1957, il est interdit de reproduire intégralement ou partiellement le présent ouvrage sans l’autorisation de l’éditeur ou du Centre français d’exploitation du droit de copie.

© Éditions EDK, Paris, 2004 10, villa d’Orléans, 75014 Paris Téléphone : 01 53 91 06 06 - Fax : 01 53 91 06 07 ISBN : 2-84254-093-X

LES JEUNES SUICIDANTS À L’HÔPITAL Marie CHOQUET Directeur de recherche, Inserm U472 Virginie GRANBOULAN Pédopsychiatre, Centre hospitalier intercommunal de Créteil Collaborations Christophe LAGADIC, statisticien Corinne DUGRÉ-LE BIGRE, assistante de recherche Karine COTTIN, secrétaire Florence LIVINEC, interne en santé publique Préface de Philippe JEAMMET Professeur de psychiatrie de l’adolescent et du jeune adulte Postface de Patrice HUERRE Psychiatre des hôpitaux

Enquête co-organisée et financée par la Fondation de France

COMITÉ DE PILOTAGE Marie Choquet, directeur de recherche, Inserm U472 Virginie Granboulan, praticien hospitalier, Centre hospitalier intercommunal de Créteil Patrice Huerre, directeur médical de la Clinique Georges-Heuyer, Fondation santé des étudiants de France Philippe Jeammet, chef du Département de psychiatrie de l’adolescent et du jeune adulte, Institut Mutualiste Montsouris Geneviève Noël, responsable du programme Santé des jeunes, Fondation de France

ONT PARTICIPÉ À L’ENQUÊTE JEUNES SUICIDANTS À L’HÔPITAL • -

Les centres hospitaliers universitaires de : Caen Chartres Dijon Tours

• -

Les centres hospitaliers généraux de : Lagny-Marne-La-Vallée Laval Remiremont Valenciennes Vannes

SOMMAIRE

PRÉFACE

VII

AVANT-PROPOS

XI

INTRODUCTION

1

MÉTHODOLOGIE

16

I. LES JEUNES SUICIDANTS À L’HÔPITAL GÉNÉRAL

23

Chapitre 1. Caractéristiques des suicidants hospitalisés à l’hôpital général La socio-démographie La vie quotidienne La santé et les troubles médicaux, psychologiques et comportementaux Les caractéristiques des suicidants récidivistes Les antécédents et la prise en charge Chapitre 2. L’acte suicidaire et la prise en charge hospitalière Les caractéristiques de la tentative de suicide et de sa prise en charge Les spécificités de la prise en charge selon l’âge L’opinion des suicidants et de leurs parents sur l’acte suicidaire et l’hospitalisation

26 26 32 44 56 63

71 71 86 95

V

Les jeunes suicidants à l’hôpital

VI

II. LE DEVENIR (À 3 MOIS ET 1 AN) DES SUICIDANTS HOSPITALISÉS

111

Chapitre 3. L’évolution des souvenirs Évolution des souvenirs de l’hospitalisation Souhaits émis par les suicidants un an après

113 113 114

Chapitre 4. Suivi psychologique des adolescents suicidants Description du suivi psychologique Facteurs déterminant l’engagement dans un suivi psychologique Facteurs déterminant la régularité du suivi psychologique

124 130

Chapitre 5. Histoire naturelle du devenir des suicidants Caractéristiques des enquêtés à 3 mois et 1 an Évolution des suicidants à 3 mois et 1 an La récidive Prise en charge et évolution psychologique

138 138 142 151 158

117 118

SYNTHÈSE ET IMPLICATIONS PRATIQUES

170

POSTFACE : DU CÔTÉ DES ÉQUIPES

182

PRÉFACE Philippe Jeammet*

Le suicide demeure une énigme. À l’adolescence, l’énigme se double d’un scandale. Quel mobile peut conduire un adolescent à tenter de mettre fin à ses jours ? La conduite suicidaire entre-t-elle nécessairement dans les conduites pathologiques ou fait-elle partie, au moins le plus souvent, des manifestations peut-être exagérées, mais tout de même « normales » de la « crise d’adolescence » ? Une conduite suicidaire, aussi minime soit-elle en apparence et quant à ses conséquences physiques, ne peut être considérée comme une réponse normale aux conflits de l’adolescent. Elle est doublement « anormale » : parce qu’à une situation conflictuelle, peut-être par elle-même normale, l’adolescent répond par une conduite agie et non par une réflexion et un travail d’élaboration mentale de ses conflits ; et parce que cette réponse agie l’est dans un sens purement destructif. Mais qui est malade ? L’adolescent ? La famille ? La société ? Il est tentant de mettre en avant les facteurs sociaux. Quelle que puisse être la réalité de l’influence de l’évolution sociale, elle ne rend pas compte du choix des adolescents les plus sensibles à cette influence. Pourquoi eux et pas les autres ? Cette vulnérabilité peut être abordée et doit l’être de différents points de vue. On sait que les recherches biologiques ont montré le rôle possible de la dimension dépressive mais aussi de l’impulsivité. On sait également que les tentatives de rattacher la conduite suicidaire aux entités psychiatriques connues ne suffisent pas. Tous les diagnostics psychiatriques sont susceptibles de se retrouver associés à une tentative de suicide, certes avec une fréquence inégale, mais d’une façon telle que, le plus souvent, cette approche apporte peu d’éclairage spécifique sur la nature du geste suicidaire. Comme tous les troubles du comportement, la conduite suicidaire est transnosographique. La recherche d’un diagnostic psychiatrique est indispensable car elle donne le contexte, conditionne pour une part le pronostic, indique * Professeur de psychiatrie, chef du Département de psychiatrie de l’adolescent et du jeune adulte, Institut Mutualiste Montsouris, Paris.

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Les jeunes suicidants à l’hôpital

les éléments sur lesquels le thérapeute peut ou ne peut pas s’appuyer. Mais elle est en fait ce qu’il y a de moins spécifique à l’acte suicidaire. Il est très important de resituer les suicides et tentatives de suicide dans le cadre plus large des comportements à risque des adolescents. L’acte suicidaire est ainsi plus souvent un moyen de fuir une tension insupportable que le point d’aboutissement d’un véritable désir de mort. C’est fréquemment une façon pour l’adolescent d’éviter sa dépendance, de reprendre un rôle actif et de rester maître de lui. Il y a électivement à l’adolescence, en raison de la réactualisation des conflits d’identification et des problématiques précoces de séparationindividuation, une réactivation de processus psychiques archaïques par lesquels l’adolescent aspire à se confondre avec l’environnement et se sent en même temps et de ce fait même le jouet de cet environnement. Dans ces cas-là, le recours aux attaques de son corps devient un moyen de marquer la limite et de se réapproprier ce corps. Le paradoxe, c’est que l’acte suicidaire à cet âge peut être avant tout l’expression d’un désir d’affirmation de soi et d’une volonté d’échapper à ce qui est ressenti comme l’emprise des autres sur soi. C’est, peut-on dire, le phoenix renaissant de ses cendres : auto-engendrement par la destruction du corps, pendant actif de l’union des parents dont est issu le corps. Au « je n’ai pas demandé à naître », que ces adolescents jettent comme un défi à leurs parents, ils opposent un « je peux choisir de mourir », qui reflète à leurs yeux la maîtrise retrouvée de leur propre destin. Quoiqu’il en soit, les conduites suicidaires à l’adolescence posent un véritable problème de santé mentale, du fait de leur fréquence et de leur gravité. Gravité dans l’immédiat par le risque létal qu’elles font courir, mais aussi à long terme parce qu’elles témoignent de difficultés dans l’organisation de la personnalité à une étape clé de la vie. Dans la plupart des pays occidentaux, chez les jeunes de 15 à 25 ans, le suicide est la deuxième cause de mort à l’adolescence, après les accidents et avant les tumeurs. Cause de décès qui augmente le plus chez les jeunes, surtout chez les 19/24 ans, la progression de la mortalité et de la morbidité suicidaire était de l’ordre de 200 à 300 % entre les années 1960 et 1980. Un généraliste voit en moyenne six tentatives de suicide d’adolescent par an. Ces faits sont dans l’ensemble connus. Il est d’autant plus frappant de constater qu’aucune conséquence n’en est véritablement tirée, ni

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Marie Choquet, Virginie Granboulan

sur le plan de la prévention, ni sur celui de l’attention à porter aux suites d’une tentative de suicide. Il est possible que cette relative banalisation de la tentative de suicide tienne à la méconnaissance de sa gravité potentielle. Pourtant, un grand nombre de tentatives de suicide sont suivies de récidives et le risque de morbidité et de mortalité est important dans les suites d’une telle tentative. Or, le facteur le plus prédictif d’un geste suicidaire demeure un antécédent de tentative de suicide. Indépendamment de tout autre facteur, avoir eu recours à un geste suicidaire et, à un bien moindre degré, avoir des pensées suicidaires, sont les premiers facteurs de risque. Mais quelle que puisse être la multiplicité des facteurs qui favorise leur apparition, les tentatives de suicide, comme tous les troubles du comportement, acquièrent une fonction de langage et de maîtrise de la distance relationnelle entre l’adolescent et son environnement. À ce titre, ces conduites s’adressent toujours à autrui, sont une façon d’être enfin vu et reconnu, mais en même temps, pour le jeune, une façon de marquer sa différence et d’échapper au pouvoir de l’adulte, tout en sollicitant son attention. Les tentatives de suicide ont ainsi une forte propension à s’autoengendrer et à devenir un moyen dangereux de maîtrise de la relation aux autres. On peut y voir une des raisons de la fréquence de la multiplication des tentatives de suicide au début d’une action thérapeutique, quand la relation n’est pas encore suffisamment établie et rassurante. La prévention doit être également celle des récidives et des risques d’enfermement de l’adolescent dans des comportements négatifs. Elle dépend de la qualité de l’investigation post-suicidaire et des mesures adoptées. Les suites de la tentative sont souvent un moment privilégié pour établir un dialogue avec l’adolescent et « parler vrai ». La rencontre avec le médecin ou le psychologue peut avoir une portée mobilisatrice importante, mais peut aussi rendre le passage à un suivi par un autre thérapeute difficile. La famille doit être concernée et associée, au moins dans un premier temps, aux mesures thérapeutiques. La tentative de suicide, quand elle n’a pu être évitée, doit être l’occasion de transformer un drame en une chance pour l’adolescent de trouver une issue à l’impasse dans laquelle il s’enfermait. C’est pourquoi le travail de recherche rapporté ici nous paraît particulièrement important et opportun. C’est la première fois en France, qu’à une telle échelle, on essaie de répertorier et d’évaluer, dans leur

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Les jeunes suicidants à l’hôpital

grande diversité et disparité, les réponses thérapeutiques apportées aux tentatives de suicide des adolescents. C’est un travail riche d’enseignements, qui nous apprend beaucoup sur les modalités de prises en charge hospitalières et post-hospitalières, et leur impact sur l’évolution des jeunes hospitalisés après une tentative de suicide. Ces investigations mériteraient d’être poursuivies, pour évaluer mieux encore les effets des traitements, et dans la durée du suivi nécessaire à une juste évaluation.

X

AVANT-PROPOS

Le suicide est un problème de santé publique sensible et difficile, autant pour les décideurs, que les chercheurs et les cliniciens. Très complexe, il nécessite des approches multidisciplinaires et collaboratives, qu’illustre l’enquête « Jeunes Suicidants à l’Hôpital » dont les résultats sont aujourd’hui publiés. Dans le prolongement de leurs actions respectives, la Fondation de France et l’Inserm ont mis en commun leurs moyens et leurs expertises pour organiser un programme de recherche sur l’hospitalisation des jeunes ayant fait une tentative de suicide. Ce thème était jusqu’alors insuffisamment exploré. Dans le cadre de son programme Santé des jeunes et en collaboration avec la Direction Générale de la Santé, la Fondation de France avait précédemment sensibilisé les professionnels hospitaliers aux enjeux de l’hospitalisation des adolescentsI. De son côté, l’Inserm, à travers les travaux de diverses équipes, a depuis longtemps montré sa volonté de mieux comprendre les déterminants des conduites suicidaires, de l’adolescence aux âges adultes. L’enquête « Jeunes Suicidants à l’Hôpital », enquête longitudinale multicentrique, est l’aboutissement d’une chaîne de collaborations fructueuses entre des institutions, des équipes hospitalières, des chercheurs, mais aussi des jeunes et leurs parents qui ont accepté de participer à l’enquête. Que soient vivement remerciés tous ceux qui, à un moment ou un autre, ont permis sa réalisation.

Christian Bréchot Directeur général Inserm

Francis Charhon Directeur général Fondation de France

1. L’hospitalisation des adolescents - État des lieux et perspectives, co-édité par la Fondation de France et la Direction Générale de la Santé, sous la direction de Patrick Alvin, Philippe Jeammet et Xavier Pommereau, 1997.

XI

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INTRODUCTION La prévalence de l’acte suicidaire Pour les 15-24 ans, le suicide constitue la deuxième cause de décès (16 % de la mortalité juvénile est imputable au suicide), loin derrière l’accident de la circulation (38 % des décès). Malgré une diminution des taux de suicide1 depuis 1985 d’environ 15 %, la France n’est pas en bonne position comparée à ses voisins européens (Tableau I), car elle se situe après la Finlande et l’Autriche, mais devant l’Italie, la Grèce, le Portugal, les Pays-Bas et le Royaume-Uni. Quant à la morbidité suicidaire, le problème persiste, même s’aggrave. En effet, les derniers résultats de l’Enquête nationale en milieu scolaire (ESPAD 99, Choquet, Ledoux et Hassler) montrent que 9 % des 14-19 ans ont fait une tentative de suicide (TS) durant la vie, versus 7 % six ans auparavant2. Cette augmentation est surtout le fait des filles (Tableau II). Ici encore, la France n’est pas en bonne position, car une enquête hospitalière initiée par l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) (Schmidke et al., 1996) dans quinze villes d’Europe, a montré qu’entre 1989 et 1992 l’incidence a diminué en moyenne de 18 % pour les garçons et de 11 % pour les filles entre 15 et 24 ans, sauf en France, où l’on a observé une augmentation respective de 20 % pour les garçons et 31 % pour les filles. 1. La mortalité suicidaire est établie à partir de la déclaration (obligatoire) de la cause médicale de décès. En France, cette statistique systématique est publiée annuellement par l’Inserm. La morbidité suicidaire n’est pas systématiquement disponible et, pour la mesurer, des enquêtes peuvent être faites : (a) soit auprès des centres hospitaliers d’une zone délimitée (permettant d’identifier les tentatives de suicide hospitalisées et repérées comme telles par le sujet et le médecin) ; (b) soit auprès des praticiens (ce qui permet de connaître les tentatives de suicide non hospitalisées, mais prises en charge médicalement) ; (c) soit auprès de la population (ce qui permet d’étudier les tentatives de suicide non prises en charge). En France, seules des enquêtes de type (a) et (c) existent. L’idéation suicidaire ou l’étude des idées suicidaires (leur fréquence, leur sévérité et le risque de passage à l’acte) ne peut se mesurer qu’à partir d’une enquête dans la population. En France, des enquêtes auprès d’échantillons représentatifs de jeunes (scolarisés, non scolarisés) permettent d’en connaître l’ampleur. 2. Voir données de l’Enquête nationale (Choquet et Ledoux, 1994).

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Les jeunes suicidants à l’hôpital

Toutes les données disponibles tendent à confirmer que le phénomène « suicide », et en particulier la tentative de suicide, est et reste à l’adolescence un problème prioritaire de Santé publique pour la France.

Tableau I. Taux de mortalité (pour 100 000 habitants) par suicide des 15-24 ans en Europe (1995). Allemagne Royaume-Uni Autriche Danemark (1993) Espagne (1994) Finlande France Grèce Irlande (1993) Italie (1993) Pays-Bas Portugal Suède

Garçons

Filles

13,3 11,0 25,8 13,4 7,3 36,6 15,2 4,4 14,2 7,1 10,4 4,3 13,4

3,9 2,2 3,8 2,3 1,8 8,4 4,6 0,8 3,0 1,4 4,4 3,0 5,2

Source : OMS.

Tableau II. Morbidité suicidaire (TS) parmi les 14-19 ans : comparaison 1993 et 1999.

Garçons %

Filles %

1993

5,4

8,9

1999

5,3

12,5

Source : Choquet et Ledoux : Enquête nationale, 1994 ; ESPAD 99.

Les facteurs associés au phénomène « suicide » Un ensemble de facteurs de risque ont été étudiés, dont des facteurs sociaux, mais surtout familiaux, psychopathologiques et comportementaux (Spirito et al., 1989)3. 3. Les problèmes de santé peuvent être associés à une multiplicité de facteurs sociaux, relationnels, psychologiques, familiaux ou scolaires, appelés « facteurs de risque ». Lorsque le lien entre problème de santé et facteur de risque est statistiquement significatif,

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Marie Choquet, Virginie Granboulan

Le « risque social » peut se conjuguer de diverses façons, mais a été au total peu étudié Selon Kaplan (1997) et Beautrais (1997), le faible niveau éducatif des parents, le faible revenu, le nombre élevé d’enfants dans la famille, la mobilité de résidence semblent augmenter le risque d’une tentative de suicide grave. Quant à Lester (1997), il a montré que le suicide est lié (par ordre d’importance) au taux de consommation d’alcool (plus la consommation est élevée, plus le taux de suicide est élevé), à la proportion de personnes âgées dans la population (plus il y a de personnes âgées, plus le taux de suicide est élevé), au taux de divorces (plus il y a de divorces, plus le taux de suicide est élevé), au taux de natalité (moins il y a de naissances, plus le taux de suicide est élevé). En France, on a mis en évidence un lien entre la mortalité masculine (tous âges) et le chômage des jeunes, comme indicateur de la dégradation de l’emploi (Chauvel, 1997).

À propos du « risque familial », le « risque relationnel » s’avère prédominant La corrélation entre suicide et statut matrimonial (du sujet et/ou de ses parents) est connue et retrouvée, quelle que soit l’issue létale de l’acte (Spirito et al., 1987). Il semble que le climat intra-familial est en cause dans le risque suicidaire (Brent, 1995). Ainsi, la violence entre les parents ou entre les enfants et les parents, surtout si elle est accompagnée de violences sexuelles (Choquet et al., 1997 ; Kaplan et al., 1997), accroît le risque de passage à l’acte, tout comme la psychopathologie parentale, dont l’alcoolisme, la dépression chronique, la maladie mentale ou le comportement suicidaire. La violence intra-familiale fragiliserait l’estime que les jeunes ont d’eux-mêmes, alors que la psychopathologie des parents diminuerait leur capacité à éduquer, à gérer les conflits et à établir des relations chaleureuses avec leurs enfants (Brent, 1995). Le cumul des événements défavorables s’avère être un facteur de risque en soi (Garrison et al., 1991) et augmente sensiblement le risque de récidive (Brent et Perper, 1995).

cela signifie qu’il y a plus de risques d’avoir le problème de santé en présence de ce facteur qu’en son absence. La plupart du temps, cette association est étudiée à partir de données d’enquêtes transversales (enquêtes faites à un instant T), ce qui ne permet pas de conclure à un lien causal.

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Les jeunes suicidants à l’hôpital

Le « risque psychopathologique » a été le plus étudié, mettant en évidence le poids des troubles psychiatriques et plus particulièrement de la dépression Si la majorité des troubles psychiatriques (en particulier, la schizophrénie, l’anorexie, la dépression et les troubles de l’humeur ; Haris et Barravlough, 1997) augmente le risque de décès par suicide, ce risque est d’autant plus élevé que le trouble est précoce (Reinherz et al., 1995). Le lien entre dépression et tentative de suicide est confirmé dans toutes les études, et ce quel que soit l’outil diagnostique utilisé. Ce risque est identique parmi les hospitalisés que parmi les scolaires, avec un OR (odds ratio) autour de 4,5. Ici encore, la chronicité augmente le risque de récidive (Brent et Perper, 1995). Le désespoir ou l’impossibilité ressentie de résoudre ses problèmes permet d’éclairer le lien observé entre la dépression et la tentative de suicide. Il peut se traduire par un manque de projets et d’investissements, un sentiment d’incompétence, une autocritique exacerbée, des reproches récurrents et une faible estime de soi (Goldston et al., 1996).

Le « risque comportemental » peut couvrir une variété de troubles Ces troubles vont de la consommation de substances psychoactives aux comportements délictueux, en passant par les comportements scolaires et la violence. Si tous les troubles se trouvent associés à la tentative de suicide, il semble exister des différences selon le sexe, avec une prédominance des troubles scolaires parmi les garçons et une prédominance des comportements sexuels parmi les filles (King et al., 1996). Quant à la colère et les comportements violents qui vont de pair, on a trouvé, en France (Choquet et Ledoux, 1994), que les comportements violents sont nettement plus fréquents parmi les suicidants que parmi les non-suicidants (OR = 3,9). Plus les sujets sont violents, plus l’acte est jugé grave et plus le risque de récidive augmente (Gispert et al., 1987). D’où la proposition, dans une perspective de prévention, d’améliorer la capacité des jeunes à résoudre leurs problèmes (coping theory) et à contrôler leur agressivité (Pfeffer et al., 1995).

Les violences subies, un risque en soi Les suicidants ont, plus que les autres (Kaplan et al., 1997), subi des violences physiques (OR = 1,9) ou sexuelles (OR = 3,9), et ce en tenant constant le niveau de dépressivité. Le viol, en particulier celui des garçons, dont on sait qu’il est subi la plupart du temps avant l’âge

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Marie Choquet, Virginie Granboulan

de 12 ans, est un facteur de risque qui jusqu’alors n’a pas été suffisamment pris en compte (Choquet et al., 1997).

La prise en charge des tentatives de suicide Un faible taux d’hospitalisation Les tentatives de suicide qui arrivent à l’hôpital ne représentent que la partie émergée de l’iceberg : en France, seulement un jeune suicidant sur quatre est hospitalisé, 83 % sont alors admis en urgence, 17 % quittent l’hôpital dans les douze heures (Gasquet et Choquet, 1994). Ce faible taux d’hospitalisation correspond à la situation en Europe, où en moyenne et tous âges confondus, 18 % des TS sont adressées à l’hôpital, 7 % sont traitées en ambulatoire, tandis que 75 % ne donnent lieu à aucun contact avec les services de santé (Diekstra, 1988). Pourtant, l’hospitalisation systématique a été conseillée (American Academy of Pediatrics, 1988 ; Alvin et al., 1997). En France, notamment, l’ANAES4 a élaboré en 1998 des recommandations de pratique clinique sur la prise en charge des suicidants (ANAES, 1998). La position qui y est définie est que tout adolescent suicidant doit être adressé aux urgences d’un établissement de soins, en vue d’une triple évaluation, somatique, psychologique et sociale. L’évaluation psychologique doit être réalisée par un psychiatre, si possible formé à l’approche des adolescents et doit comprendre un entretien avec les parents. La prise en charge après la période de soins aux urgences peut se faire en ambulatoire, mais l’hospitalisation est fortement recommandée dans ce document. Elle s’impose dans les cas suivants : risque immédiat de récidive, pathologie psychiatrique non stabilisée, environnement extérieur délétère, souhait de l’adolescent, impossibilité d’une prise en charge ambulatoire rapide. Les recommandations de l’ANAES sont habituellement classées en trois grades selon le niveau de preuves apportées par les études scientifiques disponibles. En l’absence de données, les recommandations reposent sur un accord professionnel et c’est le cas concernant les TS de l’adolescent : l’ANAES mentionne qu’il n’y a pas d’études permettant de définir si l’hospitalisation est préférable à la prise en charge ambulatoire. De la même façon, Il y a peu de données permettant d’estimer en pratique quels sont les adolescents suicidants qui vont être hospitalisés parmi ceux arrivant aux urgences et sur quels critères. Deux enquêtes 4. Agence Nationale d’Accréditation et d’Évaluation en Santé.

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Les jeunes suicidants à l’hôpital

américaines, menées auprès de psychiatres, ont étudié leurs critères de décision d’hospitalisation pour les adolescents suicidants vus aux urgences (Morissey et al., 1995 ; Dicker et al., 1997). Elles montrent que six facteurs de risque sont pris en compte dans l’évaluation du jeune suicidant : l’existence d’une pathologie familiale ou d’un antécédent suicidaire dans l’entourage, la présence chez le jeune d’un antécédent suicidaire ou des critères DSM de dépression, de troubles des conduites ou d’abus de toxiques. Le sexe n’est pas pris en compte, avec un taux d’hospitalisation égal chez les filles et chez les garçons, alors même que le sexe masculin est un facteur de gravité clairement établi. En dehors de la pathologie du jeune, ces deux études ont montré que le taux d’hospitalisation varie également selon les praticiens : le taux d’hospitalisation est inversement proportionnel à l’expérience (nombre d’années de pratique) du clinicien.

Une prise en charge à l’hôpital variable selon les pays, mais difficile à estimer du fait de la pauvreté de la littérature sur le sujet Concernant les jeunes suicidants qui ont été admis à l’hôpital, on dispose également de très peu de données sur la façon dont ils sont pris en charge pendant cette hospitalisation. La rareté de la littérature dans le domaine est d’autant plus frappante, si on la compare à la multitude de publications sur les facteurs de risque. Sur 541 références concernant le suicide ou les tentatives de suicide que nous avons examinées, 9 soit 1,6 % concernaient la prise en charge, soit à l’hôpital, soit après. Tout se passe comme s’il était plus facile de décrire ces jeunes, leur environnement et leur pathologie, que la façon dont on les soigne. Le type d’unité d’accueil, la durée de séjour, la conduite de l’hospitalisation restent des domaines à explorer. Il semble qu’il y ait d’importantes variations d’un pays à l’autre dans les modalités de prise en charge. Safer (1996), dans une revue extensive de la littérature, s’est intéressé au pourcentage de jeunes suicidants hospitalisés en psychiatrie, aux États-Unis et en Europe de l’Ouest. Il montre que les jeunes arrivant aux urgences pour ce motif sont très semblables dans les deux continents. Malgré cela, les pratiques sont différentes : 39 % sont adressés en psychiatrie aux États-Unis, principalement des filles, contre 12 % en Europe où ce sont surtout des garçons. D’après lui, ce sont des différences dans les réseaux de soins et leur financement qui sont explicatives et pas la pathologie des sujets.

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Marie Choquet, Virginie Granboulan

Au sein d’un même pays, il semble aussi qu’il y ait des variations importantes des pratiques selon les services et les ressources locales, différences montrées en France dans une comparaison entre services de pédiatrie et autres services (Gasquet et Choquet, 1994). Cette disparité de la prise en charge hospitalière, en fonction du sexe ou de l’âge des suicidants ou en fonction des structures d’accueil, n’a pas été étudiée actuellement.

Le devenir des suicidants Le risque à court terme : la fréquence des récidives Sur ce point en revanche, on dispose de nombreuses données. Il y a trois manières de mesurer la prévalence de la récidive suicidaire : - suivi de cohortes de suicidants, la prévalence retrouvée variant alors avec le recul et le type de recrutement de 10 à 50 % (Barter et al., 1968 ; Mac Intire et al., 1977 ; Angle et al., 1983 ; Granboulan et al., 1995 ; Hawton et al., 1982 ; Goldacre et al., 1985 ; Stanley et Barter 1970) ; - recherche des antécédents suicidaires chez des adolescents actuellement hospitalisés pour tentative de suicide. Par ce moyen, on retrouve de façon très régulière dans ces populations la proportion de 60 à 70 % de primo-suicidants, pour 30 à 40 % de récidivistes (Kotila et Lönnqvist, 1987) ; - enfin, en population générale, étude du taux de récidivistes parmi ceux qui déclarent avoir déjà fait une tentative de suicide au cours de leur vie. Ce taux était de 28 % dans l’Enquête nationale française, soit 33 % des garçons et 25 % des filles (Choquet et Ledoux, 1994). Les résultats sont donc concordants entre ces procédures différentes d’abord du phénomène et permettent d’estimer à un sur trois le risque de répétition de l’acte suicidaire. La récidive survient dans l’année qui suit la tentative initiale pour la moitié des cas.

Les risques à long terme : des troubles psychosociaux persistants et une mortalité élevée Les études sur ce point sont en plus petit nombre car elles sont difficiles à réaliser (Granboulan, 1998). Dans les enquêtes procédant par questionnaire adressé au patient ou son entourage, le taux de perdus de vue est d’environ 10 à 20 % par an. White (1974), en hôpital général, en procédant par questionnaire, a reçu 80 % de réponses à un an. Il retrouve 24 % de situations inchangées ou pires. Le taux de perte

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devient élevé pour le long terme, ce qui ne permet pas d’étendre à l’ensemble de l’échantillon initial les données concernant l’échantillon retrouvé. Les enquêtes réalisées dans les pays nordiques utilisent une autre méthodologie car y est autorisé l’accès nominatif aux registres officiels d’état civil, de santé et de justice. Les données sont donc obtenues pour 100 % de l’échantillon et ce sont les plus complètes dont nous disposions. L’enquête princeps est celle réalisée en Suède par Otto (1972), sur 1 727 patients de moins de 21 ans, représentant toutes les admissions pour tentative de suicide dans le pays pendant la période d’inclusion. Il n’y a donc pas de biais d’échantillonnage. Dix ans plus tard, la mortalité est de 5,4 %, bien supérieure à celle du groupe témoin. Le décès a eu lieu par suicide pour 4,3 % de l’échantillon initial, soit 10,0 % des garçons et 2,3 % des filles. Les sujets les plus à risques sont les garçons, les filles de moins de 14 ans, les patients ayant utilisé un moyen violent pour la tentative initiale, ceux qui n’évoquaient pas de facteur déclenchant précis à cette tentative et ceux pour qui avait été porté un diagnostic de psychose. Chez les survivants, comparativement au groupe témoin, il y a eu moins de mariages et plus de divorces, plus de pensions d’invalidité, plus d’arrêts de maladie aussi bien pour des raisons somatiques que psychiatriques et, enfin, nettement plus de condamnations en justice, en particulier de façon itérative. Une étude canadienne (Garfinkel et al., 1982) a retrouvé 1,6 % de mortalité à quatre ans, la moitié par suicide, l’autre par autres types de mort violente. Une étude finlandaise (Kotila et Lönnqvist, 1989) a retrouvé 3,6 % de décès à cinq ans, soit 8,7 % des garçons et 1,2 % des filles, la moitié par suicide, la moitié par autres types de mort violente. Ce chiffre représente vingt fois la mortalité par suicide et mort violente de la même tranche d’âge pendant la période. Les décédés, comparés aux survivants, avaient plus souvent été diagnostiqués psychotiques lors de la tentative initiale et leur intention suicidaire avait été jugée plus sérieuse. De plus, le risque de suicide ultérieur était quatre fois supérieur chez ceux pour qui il ne s’agissait pas de la première tentative. En revanche, il n’y a pas de différences concernant les conséquences somatiques qu’avait eues cette tentative. Dans une étude par questionnaire réalisée en France mais dans une population particulière recrutée en pédopsychiatrie (Granboulan et al., 1995), 11 % de l’échantillon retrouvé étaient décédés après onze ans, de nouveau soit par suicide, soit par une autre cause de mort violente. Parmi les survivants, un quart paraissaient normalisé, un tiers avaient eu une très mauvaise évolution vers la délinquance, la désinsertion

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sociale ou la pathologie psychiatrique chronique, un tiers paraissaient dans une situation intermédiaire, avec une problématique d’adolescence perdurant à l’âge adulte et se traduisant par des symptômes dans une variété de domaines. Ces travaux dégagent une impression de pronostic péjoratif des tentatives de suicide à cet âge et incitent à concentrer les efforts sur la prévention secondaire, c’est-à-dire le suivi psychologique des jeunes suicidants. Mais celle-ci est entravée par le nombre élevé de ruptures de suivi chez ces sujets.

Fréquence des ruptures thérapeutiques Après leur sortie de l’hôpital, 30 à 75 % des jeunes suicidants vont rompre tout suivi, soit d’emblée, soit après une ou deux séances (Kerfoot, McHugh, 1992 ; Granboulan et al., 1995 ; Cummins, Allwood, 1984 ; Trautman et al., 1993 ; Swedo, 1989 ; Taylor, Stansfeld, 1984 ; Piacentini et al., 1995). Quels sont les jeunes les plus à risques de rupture thérapeutique ? Les modalités de prise en charge, à l’hôpital ou après, ont-elles une influence sur le taux de suivi ? Ces domaines restent à explorer. Il existe une grande variété de prises en charge de ces jeunes, selon les pays et les cliniciens. Peu de protocoles thérapeutiques ont été étudiés. Une étude randomisée chez des suicidants adultes (Allard et al., 1992) a comparé un protocole de traitement intensif au traitement usuel et n’a montré aucune différence en terme de récidive suicidaire ultérieure. Il y a donc un besoin aigu d’enquêtes portant sur les soins proposés en pratique aux adolescents suicidants, aussi bien à l’hôpital qu’en post-hospitalier, et sur l’efficacité de ceux-ci.

En conclusion de ces recherches Trois axes prioritaires de recherche se dégagent. • L’approfondissement des facteurs de risque sociaux et comportementaux. Comme les recherches épidémiologiques auprès des adolescents ont porté en priorité sur des facteurs psychopathologiques, l’enquête propose d’approfondir d’autres facteurs, tels que les facteurs sociaux, comportementaux et de mode de vie. • L’étude des pratiques de prise en charge hospitalières ou posthospitalières. Si des préconisations sont indispensables, leur mise en pratique et leur validité méritent d’être étudiées. En effet, si on veut améliorer le système de prise en charge d’une pathologie (ici la ten-

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tative de suicide), il importe de : (a) mesurer l’importance de la pathologie ; (b) caractériser les patients (et des sous-groupes de patients) du point de vue médical, social et psychologique ; (c) définir et valider des pratiques de prise en charge (golden standards) ; (d) vérifier la mise en place des pratiques professionnelles. Jusqu’alors, peu de recherches ont porté sur ces deux derniers points. • Le devenir des suicidants sur le plan psychologique et social, mais aussi le devenir de la prise en charge thérapeutique préconisée pendant l’hospitalisation, ses modalités pratiques et son influence sur l’évolution de ces jeunes.

Les objectifs de la présente recherche 1. Analyser le poids des facteurs de risque de TS. Comme une variété de facteurs de risque ont été étudiés, l’étude propose de les valider dans un échantillon français, en mettant en particulier l’accent sur, outre les facteurs psychopathologiques, les facteurs sociaux, familiaux et comportementaux. 2. Mesurer le risque de récidive. La récidive étant un des premiers risques encourus par les suicidants, il convient, dans une perspective de prévention, d’en analyser les particularités. Quel suicidant est en risque de récidive ? L’objectif de l’étude est de vérifier que le cumul des facteurs de risque est en soi un facteur de risque de récidive. 3. Étudier la prise en charge des jeunes suicidants. Comme les TS juvéniles sont, en cas d’hospitalisation, orientées en priorité vers les Urgences des hôpitaux généraux, l’étude cible la prise en charge à l’hôpital général. L’objectif est alors de suivre l’itinéraire hospitalier, le mode de prise en charge et ce, en fonction de l’âge, du sexe et des antécédents suicidaires. 4. Confronter plusieurs points de vue sur une même réalité : l’hospitalisation. La perception du médecin, celle du patient et celle de ses parents pouvant être différentes, l’étude propose de les confronter. Par ailleurs, peu de recherches incluent l’avis du patient et surtout celui de ses parents sur ce thème. 5. Suivre le devenir des suicidants à la sortie de l’hôpital. Comme aucune enquête de suivi (multicentrique) n’a été réalisée à ce jour en France et que de même à l’étranger ce type d’enquête est rare, l’étude est ciblée sur le devenir du jeune à la sortie de l’hôpital. L’objectif est d’analyser « l’histoire naturelle » de la prise en charge post-hospitalière et ses facteurs associés. Comme le risque de récidive

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est maximal dans les trois mois qui suivent la TS, les suicidants ont été contactés trois mois et douze mois après leur sortie de l’hôpital. 6. Aborder les suicidants et le suivi avec une double approche : épidémiologique et clinique. Partant du constat que les recherches épidémiologiques manquent d’impact sur la pratique clinique des professionnels, le Comité de pilotage a souhaité associer les 2 types de compétence durant tout le déroulement du projet. Le « binôme » en charge de l’étude, l’engagement du Comité de pilotage dans l’analyse des implications pratiques des résultats et la concertation avec les équipes participantes à propos des modifications des pratiques induites par la recherche sont l’expression de cette volonté.

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MÉTHODOLOGIE Le mode d’échantillonnage En accord avec le Ministère de la Santé, neuf centres hospitaliers ont été sollicités par la Fondation de France pour participer à cette enquête longitudinale. Comme il était irréaliste d’envisager ce type d’échantillon sur un échantillon représentatif d’hôpitaux généraux (HG) et peu fiable d’inclure un seul centre hospitalier pour étudier la prise en charge, le Comité de pilotage a opté pour une enquête multicentrique. Le choix s’est donc porté sur neuf centres hospitaliers, situés dans des villes moyennes (entre 20 000 et 300 000 habitants) : Caen, Chartres, Dijon, Lagny-sur-Marne, Laval, Remiremont, Tours, Valenciennes et Vannes. Le choix des neuf centres hospitaliers s’est fait en fonction des critères suivants : 1. Localisation dans des villes disposant d’un seul centre hospitalier (CHR ou CHU ou CHG) afin de s’assurer que tous les adolescents de la zone géographique concernée sont hospitalisés dans cet hôpital et de faciliter la coordination sur le terrain (un coordinateur par ville a été désigné). 2. Présence d’un service d’urgence, d’un service de pédiatrie et/ou d’un service de psychiatrie dans l’hôpital. 3. Accessibilité de la ville pour les coordinateurs nationaux de l’enquête. En effet, comme les deux coordinateurs habitaient Paris, le choix des villes s’est effectué en fonction de son accessibilité (moins de deux heures en train de Paris). Dans chaque centre hospitalier, l’ensemble des jeunes de 12-24 ans hospitalisés pour une TS, durant une période de treize mois (entre janvier 1997 et février 1998) consécutifs, ont été inclus (soit 769 sujets).

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La procédure Pour chaque jeune hospitalisé pour une TS et âgé entre 12 et 24 ans, le médecin a rempli un questionnaire médical et proposé au jeune et/ou à ses parents de remplir un auto-questionnaire (sur place). La mise en place des procédures homogènes permet de garantir aux jeunes, aux médecins et aux parents la confidentialité de leurs réponses, conformément aux exigences de la CNIL (avis favorable du 6 décembre 1996). Un consentement de suivi a été demandé aux jeunes et aux parents des jeunes mineurs. Ceux d’entre eux qui l’ont accepté (88 %) ont reçu les questionnaires de suivi à 3 mois et à 12 mois. La passation des questionnaires pré-numérotés et anonymes s’est faite avant la sortie de l’hôpital pour le jeune comme pour ses parents. L’enquête à été réalisée de janvier à décembre 1997 pour le recueil des données initiales (T0). Un questionnaire de suivi à 3 mois (T1) et un autre à 12 mois (T2) de la tentative de suicide ont été envoyés à tous les jeunes et tous parents qui ont donné leur accord à T0. La fin du recueil des derniers questionnaires s’est faite en mars 1999. À la fin de l’enquête, une enquête téléphonique a eu lieu auprès des jeunes qui, bien qu’ayant accepté le principe de l’enquête de suivi à T0, n’avaient pas répondu aux questionnaires T1 ou T2.

La participation à l’enquête À T0 (c’est-à-dire le jour précédant la sortie de l’hôpital), chacun des suicidants hospitalisés (soit les 769 sujets) a fait l’objet de trois questionnaires (deux hétéro-questionnaires, un auto-questionnaire) : un questionnaire à remplir par le médecin responsable (taux de remplissage : 97 %, soit 744 questionnaires « médecin »), un questionnaire à remplir par le jeune (taux de remplissage : 76 %, soit 582 questionnaires « jeune »), un questionnaire à remplir par les parents (taux de remplissage de 49 %, soit 379 questionnaires « parents »). Le taux d’acceptation de l’enquête est nettement inférieur (49 % versus 76 %, p < 0,001) chez les parents que chez des jeunes. Parmi les jeunes qui ont rempli l’auto-questionnaire (n = 582) à T0, 87 % ont accepté d’être suivis (soit 506 sujets sur les 582). À T1 (c’est-à-dire trois mois après la sortie de l’hôpital), tous les suicidants qui ont accepté l’enquête ont été contactés (n = 506). Sur l’ensemble des questionnaires envoyés (plus deux rappels) aux jeunes, 57 % ont accepté de répondre (n = 288 sur les 506 questionnaires envoyés). Sur l’ensemble des questionnaires (plus deux rappels)

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envoyés aux parents, 47 % ont été renvoyés (n = 178 sur les 376 questionnaires envoyés). Le taux de participation à l’enquête de suivi des parents n’est pas statistiquement différent de celui des jeunes. À T2 (c’est-à-dire douze mois après la sortie de l’hôpital), tous les suicidants qui ont accepté l’enquête ont été contactés (n = 506). Sur l’ensemble des questionnaires envoyés (plus deux rappels) aux jeunes, 36 % ont accepté de répondre (n = 180 sur les 506 questionnaires envoyés). Parmi eux, 12 % (n = 22 sur les 180 qui ont répondu) n’avaient pas répondu au questionnaire T1. Au total, 158 jeunes ont répondu aux trois questionnaires (T0 + T1 + T2). Sur l’ensemble des questionnaires (plus deux rappels) envoyés aux parents, 33 % ont répondu (n = 123 sur 376 questionnaires envoyés). Le rappel téléphonique a concerné les jeunes qui n’ont pas répondu à T1 et/ou T2 (n = 310 sujets). Parmi eux, 25 % ont répondu (n = 78).

Les questionnaires Les questionnaires T0 Le questionnaire « médecin » (QM, 150 questions) porte surtout sur l’acte suicidaire, l’état du patient à l’arrivée à l’hôpital, la prise en charge et les propositions de suivi à la sortie. L’échelle de Beck a été incluse dans le questionnaire médical. Le questionnaire « jeune » (QJ T0, 245 questions) porte sur sa situation personnelle (sociale, scolaire, psychologique, relationnelle), ses troubles (santé, comportement, consommation de produits psychoactifs), sa perception de l’acte suicidaire et de l’hospitalisation. Le CESD (mesure de la dépression), l’échelle de Spielberger (mesure de l’anxiété), l’échelle de Kandel (mesure de la dépressivité) et le FACES III (mesure des interactions familiales) ont été inclus dans le questionnaire T0. Le questionnaire « parents » (QP T0, 58 questions) porte sur la perception de l’acte suicidaire, de l’hospitalisation, du suivi et du soutien de l’entourage.

Les questionnaires T1 Le questionnaire « jeune » (QJ T1, 77 questions) porte sur la prise en charge post-hospitalière, leur perception quant à l’hospitalisation, leur état de santé actuel et leur devenir. Le questionnaire « parents » (QP T1, 36 questions) porte sur la per-

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ception de l’acte suicidaire, de l’hospitalisation et de l’état actuel du jeune.

Les questionnaires T2 Le questionnaire « jeune » (QJ T2, 144 questions) porte sur son état actuel (scolaire, social, psychologique, troubles de santé, du comportement et de consommation), la prise en charge et le souvenir gardé de l’hospitalisation. Le CESD a été inclus. Le questionnaire « parents » (QP T2, 36 questions) porte sur la perception actuelle de l’acte suicidaire, sur les craintes d’un passage à l’acte et sur l’opinion concernant l’état du jeune.

La qualité de l’échantillon Les caractéristiques des jeunes ayant donné leur accord de suivi d’enquête On a comparé ces jeunes (n = 506) à ceux qui n’ont pas donné leur accord de suivi d’enquête (n = 76). Sur le plan socio-démographique, les premiers sont plus nombreux à habiter chez leurs parents (OR = 1,44, p < 0,01), les autres variables (CSP des parents, situation matrimoniale des parents, nationalité, scolarité, niveau scolaire) ne différencient pas les deux groupes. Sur le plan comportemental (troubles de santé, consommation de substances psychoactives, délits, acte suicidaire), les jeunes qui donnent leur accord ne sont pas significativement différents de ceux qui ne donnent pas leur accord. Quant au mode de prise en charge hospitalière, ceux qui donnent leur accord se sentent moins jugés (OR = 0,55, p < 0,01), ont plus souvent rencontré d’autres jeunes durant l’hospitalisation (OR = 1,54, p < 0,01) et sont plus impliqués dans le suivi post-hospitalier (ils connaissent plus souvent le « psy » qui va les suivre après la sortie (OR = 1,68, p < 0,01) et ont plus souvent l’intention d’aller au rendez-vous « psy » (OR = 2,64, p < 0,001). Ainsi, l’accord de participer au suivi d’enquête dépend de la qualité de l’hospitalisation.

Les caractéristiques des jeunes ayant réellement répondu à l’enquête T1 et/ou T2 Nous avons comparé ces jeunes (n = 310) à ceux qui n’ont pas répondu, malgré l’acceptation du suivi d’enquête (n = 196). Sur le plan socio-démographique, ils sont plus nombreux à habiter chez leurs parents (OR = 1,57, p < 0,01), à être scolarisés (OR = 1,65, p < 0,01)

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et à posséder un bon niveau scolaire (c’est-à-dire avoir au moins un niveau « lycée » (OR = 1,69, p < 0,01). En revanche, les autres variables sociales (situation matrimoniale des parents, CSP du père, nationalité) ne sont pas liées au fait de répondre (ou non). Sur le plan du comportement, les jeunes ayant pris des drogues illicites (OR = 1,83, p < 0,01) ou ayant prémédité leur acte suicidaire (OR = 1,59, p < 0,01), sont plus enclins à répondre que les autres. Quant aux autres comportements (consommation de tabac, d’alcool, délits, antécédents suicidaires), on n’observe pas de différences entre les deux populations. En revanche, les répondants ont plus souvent que les autres parlé de leur TS à un soignant (OR = 1,83, p < 0,01) et rencontré un « psy » durant l’hospitalisation (OR = 2,78, p < 0,001). Ainsi, le fait de répondre aux questionnaires postaux après l’hospitalisation est plus le fait des jeunes de bon niveau scolaire et ayant bénéficié d’une prise en charge hospitalière satisfaisante. Le fait d’habiter chez les parents améliore le taux d’acception de l’enquête et le taux de réponse. Au total, les jeunes qui ont participé au suivi d’enquête sont plutôt plus favorisés (du point de vue familial, scolaire, satisfaction hospitalière) que ceux qui n’ont pas participé. Ainsi, nous faisons l’hypothèse que les résultats obtenus sont des résultats a minima.

La cohérence entre les sources d’information Deux types de cohérence (coefficient de Kappa5) ont été étudiés. Entre le questionnaire « médecin » et le questionnaire « jeune » : 6 questions identiques à T0. 1. La valeur du coefficient de Kappa est supérieure à 0,5 (ce qui traduit une bonne cohérence) pour deux des six questions : le mode d’habitat (« avec qui le sujet vit-il », kappa = 082, dans 80 % des cas, les jeunes et le médecin donnent la même réponse) et les agressions sexuelles subies (Kappa = 0,62, dans 87 % des cas, les jeunes et les médecins sont d’accord) ; 2. La valeur du coefficient de Kappa se situe entre 0,2 et 0,5 (ce qui traduit une faible cohérence) pour les quatre questions suivantes :

5. Kappa = concordance observée-concordance due au hasard concordance due au hasard Si Kappa = 0, la concordance observée est égale à la concordance attendue sous le simple fait du hasard. Si Kappa = 1, la concordance est parfaite.

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• avoir subi des agressions physiques : le médecin sous-estime le taux d’agressions subies (Kappa = 0,31) ; • nombre de consultations « psy » durant l’hospitalisation : le jeune sous-estime par rapport au médecin le nombre de consultations (Kappa = 0,30) ; • proposition de suivi thérapeutique à la sortie de l’hôpital : le jeune sous-estime par rapport au médecin la proposition de suivi (Kappa = 0,23) ; • vécu négatif par le jeune de l’hospitalisation : le médecin sousestime par rapport au jeune son vécu négatif de l’hospitalisation (Kappa = 0,37). Entre le questionnaire « jeune » et le questionnaire « parents » : 6 questions identiques à T0, 7 questions à T1 et 11 questions à T2. Pour aucune des vingt-quatre questions, le coefficient de Kappa est supérieur à 0,5. Ce qui signifie que pour aucune question la concordance entre la réponse des parents et celle des jeunes est satisfaisante. Pour trois questions, la valeur du Kappa se situe entre 0,2 et 0,5 : • à T0, le nombre d’entretiens « psy » : le jeune sous-estime par rapport aux parents (Kappa = 0,30) ; • à T2, le fait d’avoir fait une récidive TS depuis un an : les jeunes rapportent plus de récidives que les parents (Kappa = 0,53) ; • à T2, le fait que les relations aient changé dans les études ou la vie professionnelle : les parents sont plus optimistes que les jeunes (Kappa = 0,33). Pour vingt et une questions, la valeur du Kappa se situe entre 0,0 et 0,2. C’est le cas pour les questions portant sur le sens de l’acte suicidaire, l’opinion sur l’utilité des rencontres « psy », sur le suivi proposé, les changements intervenus dans les relations avec les parents, les amis, la vie sentimentale, la confiance dans l’avenir, les peurs ressenties à la suite de la TS... Pour toutes ces questions, les parents sont plus positifs et plus optimistes que leurs enfants. Au total donc, les concordances entre les sources d’information sont relativement faibles, surtout entre le binôme « parents-adolescents », pour qui la majorité (80 %) des coefficients de concordance avoisinent 0,0, ce qui signifie qu’il n’y a aucune liaison entre les réponses des parents et celle des jeunes. En revanche, entre le jeune et le médecin, les concordances sont nettement meilleures et, en tout cas, jamais non significatives (entre 0,0 et 0,2).

21

Les jeunes suicidants à l’hôpital

L’analyse statistique Vu la complexité de l’enquête (on possède au total huit sources de données : 3 questionnaires à T0, 2 questionnaires à T1, 2 questionnaires à T2, appel téléphonique à T2) et des populations concernées (non-réponses des médecins, des jeunes et des parents, refus de suivi d’enquête de la part des jeunes ou des parents), nous avons opté, pour le présent rapport, pour l’analyse de trois types de populations. 1. Pour les résultats T0, nous avons inclus les suicidants pour lesquels nous disposons simultanément du QJ T0 suffisamment rempli (au moins 70 % des questions répondues) et du QM. Au total, 557 suicidants répondent à ces critères d’inclusion. Nous avons alors étudié les suicidants hospitalisés selon l’âge (mineurs versus majeurs) et le sexe (garçons versus filles). De plus, les mineurs scolarisés de l’enquête ont été comparés aux jeunes de l’Enquête nationale du même âge (Choquet et Ledoux, 1994). 2. Pour les résultats T0 et T1, nous avons inclus les suicidants pour lesquels nous disposons simultanément de QJ T0 et QJ T1 suffisamment remplis. Au total, 281 suicidants répondent à ces critères d’inclusion. 3. Pour les résultats T0, T1 et T2, nous avons inclus les suicidants pour lesquels nous disposons simultanément de QJ T0, QJ T1 et QJ T2 suffisamment remplis. Au total, 158 suicidants répondent à ces critères d’inclusion. Les tests statistiques utilisés sont le t (test de Student) pour les comparaisons des moyennes, le χ2 pour les comparaisons des pourcentages. L’OR (odds ratio) a été calculé pour mesurer l’importance des facteurs étudiés (« la force du lien »). L’OR est, soit « brut » (OR), soit ajusté en fonction de l’âge et du sexe (ORa). Si l’OR est significativement supérieur à 1, cela signifie que l’influence de la variable est positive (et constitue un « facteur de risque »), s’il est significativement inférieur à 1, cela signifie que l’influence de la variable est négative (et constitue alors un « facteur de protection »). Des régressions logistiques (modèles multifactoriels) ont été effectuées pour mesurer le poids spécifique (« tout autre variable étant constante par ailleurs ») de plusieurs variables incluses dans le modèle. L’analyse a été effectuée sur IBM RS 60000 J30 du CRI de Villejuif. Les données ont été traitées par les logiciels SAS et BMDP.

22

I. LES JEUNES SUICIDANTS À L’HÔPITAL GÉNÉRAL

Les jeunes suicidants à l’hôpital

L’objectif de cette partie est double. D’abord décrire le mode de vie, la santé et les troubles des jeunes qui sont hospitalisés à l’hôpital général pour une tentative de suicide (TS) et en cerner les spécificités (chapitre 1). Ensuite, analyser leur prise en charge lors de l’hospitalisation pour TS et ses déterminants (chapitre 2). En effet, à propos des adolescents qui ont fait une TS, on a plus volontiers décrit la pathologie et les situations à risque que le vécu de leur vie quotidienne et de leurs souffrances. Or, si on veut prévenir la TS, il faut inscrire (et comprendre) cet acte non seulement sous un angle « factoriel » (étude des facteurs de risque), mais aussi sous un angle « situationnel » (étude des situations). La présente approche épidémiologique a pour objectif de combiner les deux approches et de privilégier l’étude du vécu des individus, dans le respect de leur diversité et de leur subjectivité. Plusieurs aspects ont été étudiés : la vie sociale, la vie scolaire ou professionnelle, la vie sentimentale, la vie familiale, les loisirs, les troubles médicaux, sociaux et psychologiques, les comportements à risque. Certes, aucun de ces thèmes n’a été étudié dans sa totalité et des manques pourraient être pointés. L’objectif était en effet d’en étudier la diversité et non l’exhaustivité. De plus, le contraste est assez frappant entre la masse d’études disponibles sur le suicide et la pauvreté de la littérature sur la prise en charge thérapeutique de l’acte suicidaire. C’est pourquoi nous nous sommes attachés particulièrement à ces questions dans cette partie : où et comment les jeunes suicidants sont-ils pris en charge à l’hôpital ? Rencontrent-ils un « psy », combien de fois, comment le suivi psychologique ultérieur est-il préparé pendant l’hospitalisation ? La prise en charge est-elle homogène, témoignant d’un certain consensus, ou au contraire hétérogène et alors de quels facteurs dépend-elle : sexe, âge, pathologie du sujet ? Par ailleurs, nous avons développé également la partie du questionnaire concernant l’opinion du jeune sur son hospitalisation, ainsi que son vécu subjectif de l’aide qui lui a été proposée y compris sur le plan psychologique. Un questionnaire destiné aux parents, axé sur les mêmes thèmes, a été adjoint et constitue une des originalités de l’enquête. Il permet de recueillir le point de vue des parents sur l’acte de leur enfant et sur les soins hospitaliers qu’il a reçus et de confronter leur avis, le cas échéant, avec ce qu’ont exprimé les jeunes. Pour chacune des variables étudiées, nous avons comparé les garçons aux filles, les jeunes mineurs (< 18 ans) aux jeunes majeurs (6 18 ans). En effet, genre et âge sont des déterminants sociaux importants : garçons et filles ont des valeurs, des modes de vie, des

24

Marie Choquet, Virginie Granboulan

aspirations et des attentes bien différentes ; il en est de même pour les mineurs et les jeunes majeurs. Par ailleurs, nous pouvons émettre l’hypothèse qu’en fonction du sexe et de l’âge, les modes de prise en charge peuvent être différents. Étudier la diversité des situations en fonction de ces deux facteurs est donc un choix d’analyse incontournable.

25

Les jeunes suicidants à l’hôpital

CHAPITRE 1 CARACTÉRISTIQUES DES SUICIDANTS HOSPITALISÉS À L’HÔPITAL GÉNÉRAL La socio-démographie Tableau 1. Âge des suicidants par sexe et statut légal. Garçons

Filles

116

441

19,25 (3,08)

17,32 (2,85)

n Âge moyen (années) (+ ds)

p

^ 0,001

Mineurs Majeurs 292

264

15,30 (1,26)

20,41 (1,89)

p

^ 0,001

ds : déviation standard.

Le sexe et l’âge Parmi les jeunes suicidants hospitalisés, 21 % sont des garçons, 79 % des filles. Ainsi, les filles sont largement majoritaires parmi les jeunes hospitalisés pour une tentative de suicide (TS). Parmi les jeunes suicidants hospitalisés, le pic de l’âge se situe entre 15 et 16 ans. Cette enquête s’est déroulée dans des services de pédiatrie et de médecine, avec comme critère d’inclusion le fait d’être âgé entre 12 et 24 ans. Si l’âge des suicidants de l’échantillon oscille donc entre ces deux extrêmes, un tiers (33 %) a entre 15 et 16 ans, alors que, sous l’hypothèse d’une distribution au hasard, une proportion de 15,4 % était attendue. Parmi les jeunes suicidants hospitalisés, les garçons sont en moyenne près de deux ans plus âgés que les filles. L’âge moyen des garçons est de 19,2 ans, alors qu’il est de 17,5 ans pour les filles (p < 0,001) et 34 % des garçons sont légalement mineurs contre 58 % des filles. Comme cette différence d’âge peut expliquer certaines différences entre garçons et filles (comme le taux de chômage, de déscolarisation, de séparation familiale...), nous proposons, dans la

26

Marie Choquet, Virginie Granboulan

Figure 1. Répartition des suicidants par sexe et âge (en %).

suite du rapport, d’étudier la différence entre les sexes en « ajustant » sur l’âge (c’est-à-dire en étudiant la différence des sexes à âge égal). Il s’agit alors de vérifier si la différence observée entre les garçons et les filles n’est pas expliquée par la différence d’âge entre les sexes.

Commentaires On retrouve une nette prédominance féminine parmi les adolescents qui font une tentative de suicide. Toutes les études, auto-déclaratives ou non, concordent sur ce point (Scmidtke et al., 1996 ; Kienhorst et al., 1990). Pourtant, les garçons sont plus nombreux à mourir, d’où une « contradiction » (suicide paradox) entre les données de morbidité (surmorbidité féminine) et les données de mortalité (surmortalité masculine). Les moyens utilisés (les garçons utilisent des moyens plus violents, tels que l’arme à feu ou la pendaison) tout comme la gravité (les garçons suicidants sont plus en difficultés sociale, familiale et médicale que les filles) peuvent expliquer cette sur-vulnérabilité des garçons. La différence d’âge entre garçons et filles est de deux ans. On retrouve cette même différence d’âge à propos de la maturation puber-

27

Les jeunes suicidants à l’hôpital

taire. Si on émet l’hypothèse que le risque TS est augmenté dans les 5 ans suivant le début de la puberté, on comprend alors mieux le décalage entre les sexes. Les résultats suggèrent une plus grande vulnérabilité face à la TS parmi les 15-16 ans qu’avant ou après. Cette même tendance est retrouvée dans l’enquête « Les élèves à l’infirmerie scolaire » (Choquet et Pommereau, 2001), où 42 % des suicidants consultant à l’infirmerie scolaire étaient âgés de 15-16 ans, alors que la proportion attendue était de 25 % (p < 0,001). Mais la mortalité suicidaire augmente avec l’âge (Bille-Brahe, 1993 ; Groholt et al., 1998). S’agit-il alors d’un autre « paradoxe », qui mettrait en évidence une plus grande souffrance et une plus grande détermination suicidaire des plus âgés ?

Le statut et la satisfaction scolaire ou professionnelle Les filles nettement plus scolarisées que les garçons. Ainsi, 76 % des filles suicidantes contre 40 % des garçons poursuivent leurs études, différence entre les sexes qui persiste même après ajustement selon l’âge. Ainsi, parmi les mineurs, 95 % des filles contre 72 % des garçons sont scolarisés (p < 0,001). Près d’un tiers des suicidants majeurs sont au chômage. Parmi les mineurs, 93 % sont scolarisés et 0,4 % au chômage. Parmi les majeurs, les proportions sont respectivement de 43 % et 29 %. L’insatisfaction professionnelle ou scolaire caractérise les jeunes suicidants. Ainsi, moins d’un jeune sur deux (43 %) affirme aimer « bien » ou « beaucoup » l’école ou le travail, 28 % disent l’aimer « moyennement » (ce qui est déjà une mesure d’insatisfaction), 30 % pas du tout. Si on compare les suicidants mineurs aux scolaires du même âge, on note que l’insatisfaction scolaire est nettement supérieure parmi les suicidants (31 % contre 18 % n’aiment pas du tout ou peu l’école, soit un rapport de 1,7).

Commentaires Le statut personnel du jeune est bien moins bon pour les suicidants que pour les autres jeunes du même âge. Moins scolarisés (en particulier les garçons), ils sont aussi plus souvent au chômage (58 % de la population suicidante active - en excluant les scolaires - contre 25 % en population jeune, INSEE). Les difficultés d’intégration (scolaire ou professionnelle) sont donc importantes pour les jeunes adultes suicidants (Lewis et Sloggett, 1998 ; Beautrais et al., 1996). Reste à savoir si elles sont la cause (ou non) de la TS ou si elles expriment des troubles relationnels et

28

Garçons

Filles

116 (%)

Statut professionnel Scolarisés Salariés En apprentissage, en stage Au chômage, sans profession ou autre Appréciation de l’école ou du travail Aiment peu ou pas du tout Aiment moyennement Aiment bien, beaucoup

n

ns : non significatif.

p

Mineurs

Majeurs

p

441 (%)

292 (%)

264 (%)

40 13 16 31

76 7 4 12

< 0,001

92 1 6 1

43 17 7 33

< 0,001

24 30 47

31 28 41

ns

31 30 39

28 27 45

ns

Marie Choquet, Virginie Granboulan

Tableau 2. Statut professionnel ou scolaire des suicidants par sexe et statut légal (en %).

29

30 Garçons

Filles

116 (%)

441 (%)

Nationalité Française Étrangère

97 3

95 5

Situation matrimoniale des parents Mariés Séparés/divorcés Autre

50 36 14

53 34 13

Situation professionnelle du père Cadre ou profession intermédiaire Ouvrier/employé Autre

19 54 27

24 51 25

22 56 22

19 55 26

n

p

Mineurs

Majeurs

p

292 (%)

264 (%)

ns

95 5

95 4

ns

ns

54 33 14

51 36 12

ns

ns

19 59 21

27 44 30

0,0073

ns

20 53 27

20 58 22

ns

6

Cumul de facteurs sociaux défavorables Aucun Un seul Deux facteurs et plus ns : non significatif.

Les jeunes suicidants à l’hôpital

6. Être de nationalité étrangère ; avoir des parents divorcés, séparés ou décédés ; avoir un père ouvrier ou employé.

Tableau 3. Nationalité, catégorie socio-professionnelle du père et situation matrimoniale des parents des suicidants par sexe et statut légal (en %).

Marie Choquet, Virginie Granboulan

psychologiques chroniques. L’insatisfaction scolaire des suicidants mineurs (à un âge où le taux de scolarisation est élevé) et le cumul des troubles psychologiques des jeunes suicidants iraient en faveur de la seconde hypothèse. Toutefois, il est probable que les difficultés d’intégration augmentent le risque de passage à l’acte suicidaire des plus fragiles (Baudelot et al., 1987).

La nationalité, le statut professionnel du père, le statut matrimonial des parents Quatre-vingt-quinze pour cent des suicidants sont de nationalité française, 5 % de nationalité étrangère, proportions comparables à celles observées en population générale hors Ile-de-France. Le divorce et le décès d’un des parents sont fréquents. Un suicidant sur deux a des parents désunis, soit par divorce (34 %), soit par décès ou abandon (14 %), sans différence selon le sexe et l’âge. Comparés aux scolaires, les suicidants mineurs sont deux fois plus nombreux à avoir des parents divorcés ou séparés (33 % contre 16 %, p < 0,001). Une diversité des origines sociales : 51 % des suicidants ont un père ouvrier ou employé, 25 % ont un père « cadre » ou de « profession intermédiaire », 12 % ont un père au chômage. S’il n’y a pas de différences entre garçons et filles, il y en a une selon l’âge. Ainsi, les mineurs ont plus souvent un père ouvrier ou employé (59 % contre 44 % des majeurs, p < 0,007), les majeurs ayant plus souvent un père « cadre » ou de « profession intermédiaire » (27 % contre 19 % des mineurs). Comparés aux scolaires du même âge, les pères des suicidants sont plus souvent d’origine modeste (59 % contre 48 % sont ouvriers ou employés, p < 0,001). Cumul des facteurs sociaux défavorables. En considérant trois facteurs (être de nationalité étrangère, de parents désunis, de milieu ouvrier ou employé), on observe que 25 % des suicidants en cumulent au moins deux, sans différence entre garçons et filles, entre mineurs et majeurs.

Commentaires Le taux de divorce parental des suicidants est bien connu (Garnefski et Diekstra, 1997). Reste que plus d’un suicidant sur deux a des parents mariés vivant ensemble, ce qui relativise le poids de la séparation familiale comme facteur étiologique dans une société où le taux de divorce est relativement élevé (INSEE).

31

Les jeunes suicidants à l’hôpital

Si les suicidants mineurs sont plus souvent d’origine modeste que les scolaires du même âge, on constate une augmentation du nombre d’enfants de cadres parmi les suicidants majeurs. Cela signifierait-il que les enfants de cadres font leur tentative plus tard ? On peut faire l’hypothèse que les enfants de cadres, « protégés » tant qu’ils sont scolarisés, révèleraient leur vulnérabilité plus tardivement, au moment de l’entrée dans la vie d’adulte (départ de chez les parents, constitution d’un couple, recherche d’emploi). La fréquence du cumul des facteurs sociaux défavorables montre une plus grande vulnérabilité sociale des jeunes suicidants (Beautrias et al., 1996). Reste que la majorité des jeunes suicidants (70 %) ont peu ou pas de facteurs sociaux défavorables...

La vie quotidienne L’opinion et le vécu de la vie de famille Soixante-trois pour cent des suicidants (garçons comme filles) vivent avec leurs parents, qu’ils soient ensemble (40 %) ou séparés (23 %). Cette situation est plus fréquente parmi les mineurs (83 %) que parmi les majeurs (43 %, p < 0,001). Comparés aux scolaires du même âge, les suicidants sont plus nombreux à habiter hors du milieu familial (17 % contre 3 %) et 5 % vivent dans une famille d’accueil ou avec un autre membre de la famille, situation que connaissent seulement 1 % de scolaires. La vie familiale est jugée très sévèrement. Une majorité estime qu’elle est, par ordre d’importance, « tendue », « désagréable », « à fuir », et ce, quels que soient le sexe et l’âge. Les suicidants sont nettement plus désabusés de la vie de famille que les scolaires du même âge. Ainsi, 61 % contre 24 % des scolaires la jugent « tendue » (p < 0,001), 44 % contre 13 % « désagréable » (p < 0,001), 37 % contre 15 % « à fuir » (p < 0,001). Un intérêt des parents jugé inadéquat, par manque ou par excès. Un suicidant sur deux estime que ses parents ne s’intéressent pas à ce qu’il fait. Le père est plutôt jugé « indifférent » (39 % des pères contre 27 % des mères manifestent peu d’intérêt ou uniquement s’ils ont du temps), la mère plutôt « intrusive » (23 % des mères contre 10 % des pères manifestent « trop d’intérêt »). Comparés aux scolaires du même âge, les suicidants rapportent plus souvent l’indifférence du père (40 % contre 26 % parmi les scolaires, p < 0,001), l’indifférence de la mère (24 % contre 14 % des scolaires, p < 0,001) et l’excès d’intérêt de la mère (23 % contre 14 % des scolaires, p < 0,001).

32

Garçons

Filles

116 (%)

441 (%)

Vivent avec leurs parents

54

66

Vie familiale Tendue Désagréable À fuir

58 39 41

62 46 38

Intérêt du père Manque d’intérêt S’intéresse trop S’intéresserait s’il avait le temps S’intéresse

25 7 10 58

25 11 15 48

Intérêt de la mère Manque d’intérêt S’intéresse trop S’intéresserait si elle avait le temps S’intéresse

14 25 8 54

17 22 11 50

34 42 24

43 34 22

n

p

Mineurs

Majeurs

p

292 (%)

264 (%)

ns

83

43

< 0,001

ns ns ns

60 46 35

61 42 43

ns ns ns

ns

25 9 16 50

25 12 12 51

ns

ns

13 22 11 54

20 23 10 47

ns

ns

52 31 17

29 40 30

< 0,001

7

Cumul de facteurs familiaux défavorables Aucun Un facteur défavorable Deux facteurs défavorables et plus ns : non significatif.

Marie Choquet, Virginie Granboulan

7. Ne plus vivre avec les parents, estimer que la vie familiale est tendue, estimer que les parents ne s’intéressent pas ou trop à ce que l’on fait.

Tableau 4. Vie familiale des suicidants par sexe et statut légal (en %).

33

Les jeunes suicidants à l’hôpital

Le cumul des facteurs familiaux est en jeu. Si on considère comme facteurs familiaux « défavorables » le fait de ne plus habiter chez ses parents, de considérer la vie de famille comme « à fuir » et d’estimer que ses parents sont peu (ou trop) intéressés par ce qu’ils font, 40 % des suicidants n’ont aucun facteur défavorable, 37 % un seul et 23 % au moins deux facteurs. S’il n’y a pas de différences selon le sexe, la vie familiale semble se dégrader sensiblement avec l’âge : 17 % des mineurs cumulent plusieurs facteurs, mais aussi 30 % des majeurs. La comparaison entre les suicidants mineurs et les scolaires du même âge est très nettement en défaveur des premiers : 31 % des suicidants contre 16 % des scolaires ont au moins un facteur défavorable, 17 % des suicidants contre 6 % en cumulent plusieurs (soit un rapport de 2,8) et le risque de faire un passage à l’acte suicidaire en cas de cumul est triplé (OR = 3,12, IC 95 % : 2,2-4,31).

Commentaires Si la majorité des suicidants mineurs habitent avec leurs parents, les jeunes ayant une situation familiale « inhabituelle » (vivent en internat, en foyer, chez un autre membre de la famille...) sont 5,6 plus nombreux parmi les suicidants qu’en population générale. « Vivre hors du milieu familial » est donc un facteur de risque de TS très important parmi les moins de 18 ans. Les jeunes suicidants souffrent du manque et de l’excès de l’intérêt des parents (Morano et al., 1993). Ainsi, se pose la question de la « juste mesure », de la « modération », du « ni trop, ni trop peu ». On a estimé trop longtemps que seule l’absence d’intérêt avait une influence néfaste sur le développement de l’enfant et de l’adolescent. Or, plusieurs auteurs (Pommereau, 1998 ; Pfeffer, 1981) ont mis l’accent sur l’effet pathogène de l’excès d’intérêt, signe d’un envahissement par les parents de l’espace psychique de leur enfant ou adolescent. Si le père comme la mère sont jugés sévèrement par l’adolescent suicidant, le père est plutôt considéré comme « absent », la mère comme « trop présente ». Ainsi, le modèle parental est bien sexué. Quant aux différences entre l’opinion des garçons et celle des filles, on retrouve parmi les suicidants les mêmes tendances (non significatives à cause du faible effectif de l’échantillon masculin) qu’en population générale : les filles ont une opinion plus négative des parents que les garçons. Les suicidants majeurs (souvent en logement indépendant) sont aussi sévères vis-à-vis de leurs parents que le sont les suicidants mineurs. Ainsi, ni la séparation, ni l’âge n’ont atténué les difficultés

34

Marie Choquet, Virginie Granboulan

relationnelles entre les générations. Ces résultats suggèrent que les conflits parents-suicidants ne sont pas transitoires et ne relèvent pas d’une simple crise d’adolescence mais d’une crise qui s’éternise (Tousignant et al., 1993).

Tableau 5. Mesure de la cohésion et de l’adaptation familial des suicidants (FACES III, en moyenne, ds)8. Garçons

Filles

116

441

Cohésion (+ ds)

26,99 (8,56)

27,15 (8,73)

Adaptation (+ ds)

22,16 (5,23)

23,97 (6,19)

n

p

Mineurs Majeurs

p

292

264

ns

27,30 (8,87)

26,85 (8,49)

ns

0,02

24,05 (6,25)

23,02 (5,74)

0,09

ds : déviation standard ; ns : non significatif.

Le fonctionnement familial Une cohésion familiale détériorée. Comparés aux scores moyens (Tubiana-Rufi et al., 1991), les suicidants mineurs ont un score de cohésion nettement moins élevé que celui obtenu en population générale du même âge (27,3 contre 35,0, p < 0,001). Ainsi, les suicidants rapportent plus de troubles émotionnels dans la famille que les autres jeunes. Mais un fonctionnement familial comparable à celui qu’on observe en population générale. Comparés aux scores moyens (Tubiana-Rufi et al., 1991), les suicidants mineurs ont un score d’adaptation familiale comparable à celui obtenu en population générale du même âge (24,1 contre 24,2, ns). Au total, la qualité relationnelle (ou « l’être ensemble ») semble plus en cause que le mode éducatif (ou « le faire ensemble »), confortant ainsi l’hypothèse de la détérioration du lien d’attachement (« attachement ») dans les familles de suicidants. Certaines différences par sexe et âge. Il n’y a pas de différence par sexe et par âge sur l’échelle « cohésion ». En revanche, les familles 8. L’instrument FACES III mesure le fonctionnement familial sur deux axes : - la cohésion familiale : mesure des attaches émotionnelles et des sentiments entre les divers membres d’une famille (aimer être ensemble, compter les uns sur les autres, faire des choses ensemble...) ; - l’adaptation familiale : mesure de l’autonomie de chaque membre par rapport aux autres, la prise en compte de chacun dans le groupe et l’aide mutuelle en cas de difficulté (participation de chacun des membres à l’établissement des règles ou à la résolution des problèmes, prise de décisions communes).

35

Les jeunes suicidants à l’hôpital

sont perçues comme moins adaptatives par les suicidants masculins que par les suicidants féminins et par les suicidants majeurs que par les suicidants mineurs.

Commentaires Ces résultats permettent d’éclairer la nature des difficultés intrafamiliales : les membres ont du mal à se sentir proches les uns des autres, à se demander de l’aide, à faire des choses ensemble, à échanger sur les émotions On suppose que ce manque de proximité émotionnelle s’est installé progressivement, engendrant ainsi d’autres troubles dans la vie amicale, scolaire ou professionnelle. L’adaptation des familles de suicidants ne diffère guère des autres familles : chacun a tendance à rester autonome par rapport aux autres, à participer aux décisions et à l’établissement des règles, à échanger sur les tâches à réaliser. Les familles de suicidants se caractérisent donc par un fonctionnement en apparence satisfaisant, mais avec de réelles difficultés affectives (Hollis, 1996). Ce constat n’est pas sans implication pratique, car ce fonctionnement en apparence satisfaisant peut induire en erreur les professionnels qui les côtoient, qu’il convient de former à explorer la qualité affective des liens familiaux. Au niveau de la prévention, il ne suffit pas de modifier les règles de conduite familiales (ce qui peut être préconisé dans certains programmes), mais il faut travailler sur le rapprochement entre les membres, leur sensibilité réciproque, travail évidemment plus en profondeur.

Les événements de vie La majorité des événements perturbateurs concerne la vie affective. Parmi les événements perturbateurs cités par les suicidants, la rupture sentimentale vient en tête (citée par 51 % des suicidants), suivie du changement de situation scolaire ou professionnelle (cité par 38 % des suicidants). En dernier viennent la séparation des parents (12 %) et l’accident (15 %). Les événements perturbateurs sont différents pour les garçons et les filles. Si les garçons sont aussi nombreux que les filles à déclarer un changement de situation (scolaire ou professionnelle), un accident ou une séparation parentale, les filles rapportent un peu plus souvent une rupture familiale (53 % contre 47 %, p < 0,10) mais surtout déclarent plus souvent la survenue d’un décès (22 % contre 12 %, p < 0,001). En outre, les filles rapportent plus d’événements perturbateurs que les garçons.

36

(en %). n

Événements perturbateurs Changement de situation scolaire/professionnelle Rupture sentimentale Un décès Un accident Séparation des parents Nombre moyen d’événements perturbateurs ns : non significatif.

Garçons

Filles

116 (%)

441 (%)

33 47 12 18 13 1,58 (± 1,30)

39 53 22 14 11 1,85 (± 1,29)

p

ns 0,08 0,008 ns ns 0,06

Mineurs

Majeurs

292 (%)

264 (%)

35 48 19 15 10 1,63 (± 1,19)

42 57 21 15 12 1,96 (± 1,38)

p

0,08 0,02 ns ns ns < 0,001

Marie Choquet, Virginie Granboulan

Tableau 6. Événements perturbateurs des suicidants survenus durant les douze derniers mois par sexe et statut légal

37

Les jeunes suicidants à l’hôpital

Les événements perturbateurs sont différents pour les mineurs et les majeurs. Les suicidants majeurs rapportent plus souvent que les mineurs une rupture sentimentale (57 % contre 48 %, p < 0,001), un changement professionnel ou scolaire (42 % contre 35 %, p < 0,10) et une accumulation d’événements perturbateurs (1,96 contre 1,63 ; p < 0,001). On note la fréquence des agressions subies et surtout les agressions sexuelles. 45 % des suicidants déclarent avoir subi une agression physique (46 % des garçons et 44 % des filles, ns), 23 % une agression sexuelle (8 % des garçons et 28 % des filles, p < 0,001). Ainsi, la violence subie est fréquente, en particulier la violence sexuelle subie parmi les filles. Il existe un décalage entre la perception du sujet et celle du médecin à propos des violences subies. En effet, on est surpris par le décalage entre les agressions subies telles qu’elles sont relatées par le jeune ou identifiées par le médecin (Tableau 7). Si 46 % des garçons, 44 % des filles, 40 % des mineurs et 50 % des majeurs disent avoir été agressés physiquement, les médecins relatent des proportions deux à trois fois moins élevées. Il en est de même à propos des agressions sexuelles, pour lesquelles la mésestimation est particulièrement importante chez les garçons suicidants : 8 % déclarent une agression (0 % selon le médecin) contre 28 % des filles (15 % repérés par le médecin, soit un rapport de 1,9).

Commentaires La rupture sentimentale et le changement de situation (scolaire et professionnelle) sont les deux événements perturbateurs récents (durant les 3 derniers mois) les plus cités par les suicidants. On ne peut en conclure que ces événements sont la cause du passage à l’acte suicidaire. Tout au plus s’agit-il, au vu des troubles sociaux et relationnels repérés, d’événements déclenchants. Reste que ces événements perturbateurs sont à prendre en compte à part entière dans la prise en charge des jeunes suicidants (Beautrais et al., 1996 ; Carris et al., 1998 ; Williams et Uchiyama, 1989). Les garçons citent plus d’événements perturbateurs que les filles, les majeurs plus que les mineurs. On peut comprendre qu’avec l’âge, les ruptures sentimentales et les changements scolaires ou professionnels sont de plus en plus fréquents. En revanche, on comprend mal pourquoi les filles déclarent plus de décès et de ruptures sentimentales que les garçons. Cette « sur-déclaration » était déjà constatée dans une enquête en population scolaire (Choquet, Ledoux et Menke, 1986). On

38

Marie Choquet, Virginie Granboulan

peut penser que les filles, plus sensibles au climat familial que les garçons, prêtent peut-être plus attention aux événements internes. Quant aux déceptions sentimentales, les enquêtes montrent que les filles sont plus sentimentales que les garçons (Lagrange et Lhormond, 1995). Elles peuvent être, de ce fait, plus vulnérables à une déception amoureuse. Comme en population générale, les filles suicidantes sont plus souvent victimes de violences sexuelles que les garçons (Walter et al., 1995 ; Lagrange et Lhormond, 1995). Toutefois, ces agressions sont, toutes proportions gardées, plus nombreuses parmi les suicidants que parmi les suicidantes : 8 % des garçons suicidants contre 2 % parmi les garçons scolarisés ont été victimes de violences sexuelles (rapport = 4,0) alors que 28 % des suicidantes contre 15 % des filles scolarisées (rapport = 1,9) sont dans ce cas. Ce constat conforte notre hypothèse d’une gravité différentielle selon le sexe, les garçons ayant été victimes de violences sexuelles, sont à plus haut risque de troubles de la conduite (dont la TS) que les filles victimes (Choquet et al., 1996).

Tableau 7. Vie relationnelle extra-familiale des suicidants par sexe et statut légal (en %). n

Garçons

Filles

116 (%)

441 (%)

93 7

96 4

89

p

Mineurs Majeurs

p

292 (%)

264 (%)

ns

97 3

93 7

ns

92

ns

91

93

ns

46

47

ns

45

49

ns

Sorties avec d’autres jeunes Assez souvent, très souvent Rarement ou jamais

71 29

67 33

ns

77 23

58 42

< 0,001

Relations sexuelles Non Irrégulières Régulières Relations homosexuelles

22 38 40 15

36 30 35 5

ns ns

52 31 18 2

13 32 55 12

< 0,001 < 0,001

Ont des amis Oui Non Ont eu un(e) petit(e) ami(e) Ont actuellement un(e) petit(e) ami(e)

ns : non significatif.

39

Les jeunes suicidants à l’hôpital

La vie relationnelle extra-familiale La majorité des suicidants ont des amis. Même si les garçons se disent plus isolés que les filles et les majeurs plus que les mineurs, moins de 5 % des jeunes n’ont pas d’amis. En population scolaire, 3 % sont dans ce cas (4 % des garçons, 2 % des filles). 90 % des suicidants ont eu un(e) « petit(e) ami(e) », même si, au moment de la TS, moins d’un sur deux en a. La plupart des suicidants sortent souvent et ont une vie sentimentale. 67 % des suicidants, filles comme garçons, sortent souvent avec d’autres jeunes, les mineurs (77 %) plus que les majeurs (58 %). Pour les mineurs, la proportion est comparable à celle observée en population scolaire (77 %). Quant à la vie sentimentale, 90 % des suicidants ont eu un(e) petit(e) ami(e), 70 % des relations sexuelles, soit huit sur dix de ceux qui ont eu un(e) petit(e) ami(e). Sur ce dernier point, les différences selon l’âge sont importantes : la moitié des mineurs ont eu une expérience sexuelle (48 %) contre la presque totalité des majeurs (87 %). La vie relationnelle des suicidants s’avère comparable à celle des autres jeunes. 97 % des suicidants mineurs et des scolaires ont des amis, 47 % des suicidants contre 50 % des scolaires ont eu des relations sexuelles ; 76 % des suicidants mineurs contre 79 % des scolaires sortent souvent avec d’autres jeunes. L’homosexualité des suicidants, en particulier des suicidants majeurs, s’avère fréquente. 15 % des garçons suicidants et 5 % des suicidantes ont eu une expérience homosexuelle, 2 % des mineurs mais 12 % des jeunes majeurs. Si, pour les mineurs, la proportion est proche de celle observée en population générale (2,0 % contre 1,1 % ont une expérience homosexuelle ; Lagrange et al., 1994), il n’en est pas de même pour les majeurs, dont le taux d’homosexualité est huit fois supérieur à celui des jeunes adultes (selon Spira et al., 1992, 1,5 % des 20-24 ans ont eu une expérience homosexuelle dans la vie).

Commentaires La vie amicale et sentimentale des suicidants est comparable à celle des jeunes en population générale, donnée déjà observée par ailleurs (Choquet, Pommereau, 2001). On confirme donc que les suicidants ne se caractérisent pas par leur manque de rencontres et de vie relationnelle (De Jong, 1992). En effet, c’est la solitude affective qui les caractérise, ce qui est bien différent (Kienhorst et al., 1990).

40

n Souvent : Lisent des livres/magazines Traînent dans les rues Vont au café Sortent en boîte Ont une activité artistique Font du sport ns : non significatif.

Garçons

Filles

116 (%)

441 (%)

38 39 41 25 17 45

57 34 35 25 21 40

p

0,0008 ns ns ns ns ns

Mineurs

Majeurs

292 (%)

264 (%)

48 44 34 23 22 48

52 25 38 27 19 34

p

ns < 0,0001 ns ns ns 0,0013

Marie Choquet, Virginie Granboulan

Tableau 8. Loisirs des suicidants par sexe et statut légal (en %).

41

Les jeunes suicidants à l’hôpital

L’homosexualité paraît élevée parmi les suicidants majeurs (Bagley et Tremblay, 1997). On peut penser que, à l’âge où les hétérosexuels construisent leur vie de couple (cohabitation, projet d’enfant), les homosexuels vivent une période particulièrement difficile liée à la révélation de leur homosexualité à l’entourage familial, professionnel et social, ainsi qu’au manque de lieu de parole vis-à-vis de ce problème.

Les activités de loisirs Les jeunes suicidants ont des activités variées et multiples. Pour les garçons suicidants, l’activité la plus fréquente est la pratique sportive (45 % des garçons en font souvent), suivie de la fréquentation des cafés (41 % vont souvent au café), l’oisiveté (39 % traînent souvent dans la rue), la lecture (38 % lisent souvent des livres ou des magazines), la sortie en boîte (25 % y vont souvent) et l’activité artistique (17 % en ont une régulière). Pour les filles suicidantes, la lecture vient en tête (57 % lisent régulièrement), suivie de l’activité sportive (40 % font souvent du sport), puis l’oisiveté (34 %), le fait de traîner dans la rue (34 %), de sortir en boîte (25 %) et d’avoir une activité artistique (21 %). La différence entre suicidants mineurs et majeurs porte surtout sur l’activité sportive (les mineurs ont plus fréquemment une pratique régulière) et l’oisiveté (les mineurs sont plus nombreux à traîner dans la rue que les majeurs). Comparés aux jeunes de la population scolaire du même âge, les suicidants se caractérisent surtout par une activité sociale plus importante. 23 % des suicidants mineurs sortent souvent en boîte contre 15 % des scolaires (p < 0,001), 34 % des suicidants mineurs vont souvent au café contre 21 % des scolaires (p < 0,001), 44 % des suicidants contre 22 % des scolaires trainent dans la rue (p < 0,001).

Commentaires Comme en population scolaire, les suicidants ont des loisirs multiples et variés. On retrouve aussi les mêmes différences entre garçons et filles qu’en population scolaire (mais les différences ne sont pas statistiquement significatives à cause du faible effectif de l’échantillon). Les suicidants sont, comme les garçons en général, tournés vers l’activité sportive et les activités extérieures (rue, café), les suicidantes vers la lecture et les activités artistiques. L’isolement des suicidants est une idée reçue qui n’est pas vérifiée, bien au contraire. Ils recherchent le contact (en boîte, au café, dans la rue) et ont une vie relationnelle aussi dense que les autres. Reste toutefois que le sentiment de solitude est un facteur très important chez

42

Marie Choquet, Virginie Granboulan

les suicidants (Kienhorst et al., 1990), plus associé à la dépression qu’au manque réel d’activités de loisirs.

L’identification des problèmes sociaux et familiaux par le médecin hospitalier Les médecins identifient plus fréquemment un problème familial que social. Ainsi, 34 % des suicidants ont selon le médecin qui les accueille à l’hôpital des problèmes sociaux, mais 72 % des problèmes familiaux. Cette différence est telle que cela ne laisse aucun doute sur l’opinion du médecin quant à la nature des problèmes des jeunes suicidants. La question du « pourquoi » nous a amenés à analyser les facteurs associés à cet avis. Le départ de chez les parents, l’interruption de la scolarité et le divorce (ou décès) du couple parental sont les principaux facteurs qui influent sur l’avis du médecin. Si on établit une liaison entre l’identification (ou non) des problèmes sociaux (« variable à expliquer ») et la situation sociale telle qu’elle a été décrite par les adolescents (« variables explicatives »), les facteurs associés sont, par ordre d’importance : ne plus habiter chez les parents (OR = 3,2, IC 95 % : 1,9-5,7), être non scolarisé (OR = 3,1, IC 95 % : 1,8-5,6) et avoir des parents séparés (OR = 2,5, IC 95 % : 1,4-4,4). La nationalité du suicidant et la profession de son père n’influence pas l’avis du médecin. Si on établit la liaison entre l’identification des problèmes familiaux (ou non) et les mêmes variables explicatives, seul le fait d’avoir des parents séparés (OR = 5,08, IC 95 % : 2,7-9,4) se trouve associé.

Commentaires Selon le médecin, deux suicidants sur trois n’ont pas de problèmes sociaux, alors que la majorité d’entre eux ont des problèmes familiaux. Ainsi, le médecin estime que la vie de famille a une plus grande influence que la situation sociale, observation confortée par les comparaisons entre suicidants et scolaires (OR = 1,74 à propos du cumul des facteurs sociaux défavorables, OR = 3,12 à propos des facteurs familiaux défavorables). Reste que, comparés aux scolaires, les jeunes suicidants ont quand même une plus grande vulnérabilité sociale, puisqu’ils sont plus souvent d’origine modeste, exclus du système scolaire ou du monde du travail, issus de familles dissociées. Toutefois, ce risque, même accru, ne concerne qu’une minorité de suicidants. Contrairement aux attentes, ce ne sont pas les critères sociaux habituels (classe sociale et nationalité) qui influent sur l’avis du médecin à propos des problèmes sociaux, mais des situations qui met-

43

Les jeunes suicidants à l’hôpital

tent en jeu les capacités personnelles du jeune. Il en est ainsi du départ de chez les parents, qui exige maturité, indépendance et autonomie ; de la fin (ou l’abandon) des études, qui nécessite un investissement dans un projet professionnel ; de la séparation parentale, qui demande une certaine tolérance des conflits (voire la violence), et l’arrivée (éventuelle) d’un nouveau conjoint et d’une nouvelle famille.

La santé et les troubles médicaux, psychologiques et comportementaux L’estimation de l’état de santé et les plaintes somatiques Des suicidants pas bien portants. 32 %, garçons comme filles, se disent « pas en bonne santé », mal-être qui augmente avec l’âge : 36 % des majeurs contre 29 % des mineurs sont de cet avis (p < 0,001). Comparés aux jeunes scolaires, les suicidants mineurs sont plus nombreux à s’estimer « en mauvaise santé » (27 % contre 12 %, p < 0,001). Des suicidants qui expriment des plaintes somatiques variées. 50 % ont souvent des céphalées, 15 % des malaises, 12 % des crises de spasmophilie. Les filles sont plus nombreuses à déclarer ces symptômes que les garçons, les majeurs plus que les mineurs. Comparés aux scolaires, les suicidants sont plus nombreux à se plaindre de céphalées (47 % contre 22 %, rapport = 2,1), mais surtout de malaises (14 % contre 4 %, rapport = 3,5) et de crises de spasmophilie (9 % contre 2 %, rapport = 4,5). Près d’un tiers des suicidants a des plaintes nombreuses. Au total, 35 % des filles et 18 % des garçons (rapport filles/garçons = 1,9) cumulent des troubles de santé, 27 % des mineurs contre 37 % des majeurs sont dans ce cas. Comparés aux scolaires, les suicidants mineurs sont 5,0 fois plus nombreux à se plaindre des problèmes de santé que les scolaires du même âge (27 % contre 5,5 %, p < 0,001) et le risque de TS est 6 fois plus élevé lorsque les plaintes se cumulent (OR = 6,20, IC 95 % : 4,69-8,21).

Commentaires Une opinion diffuse de malaise (« pas bien portant ») et/ou des plaintes plus spécifiques (crises de spasmophilie, céphalées, malaises ou évanouissements) caractérisent les suicidants, confirmant ainsi leur « mauvaise santé somatique ». Ces plaintes sont souvent chroniques et pourraient donc constituer de bons indicateurs de risque pour les professionnels de santé (Buddenberg et al., 1996 ; Friedman et Salers, 1980).

44

Garçons

Filles

116 (%)

441 (%)

Pas bien portants Souvent crises de spasmophilie Souvent céphalées Souvent malaises ou évanouissements

31 5 35 7

33 15 55 19

Cumul des troubles de santé9 : Aucun trouble Un seul trouble Deux troubles et plus

50 32 18

30 35 35

n

p

Mineurs

Majeurs

p

292 (%)

264 (%)

ns 0,049 < 0,001 0,003

29 9 47 14

36 18 55 19

0,03 < 0,001 0,01 0,02

< 0,001

39 35 27

29 34 37

< 0,01

Marie Choquet, Virginie Granboulan

9. Pas en bonne santé, souvent des crises de spasmophilie, souvent des céphalées, souvent des malaises/évanouissements.

Tableau 9. Opinion sur la santé et plaintes somatiques des suicidants par sexe et par statut légal (en %).

45

46 Garçons

Filles

116 (%)

441 (%)

Souvent : Difficultés d’endormissement Réveils nocturnes Cauchemars

68 54 33

66 61 42

Cumul des troubles du sommeil10 : Aucun trouble Un trouble Deux troubles et plus

22 26 52

19 24 58

n

ns : non significatif.

p

Mineurs

Majeurs

p

292 (%)

264 (%)

ns ns 0,07

66 56 38

67 62 44

ns ns ns

ns

22 26 52

18 22 60

ns

Les jeunes suicidants à l’hôpital

10. Difficultés d’endormissement, cauchemars, réveils nocturnes fréquents.

Tableau 10. Troubles du sommeil des suicidants par sexe et statut légal (en %).

Marie Choquet, Virginie Granboulan

L’opinion de « mauvaise santé » est exprimée par les garçons comme par les filles, contrairement à ce qui se passe en population générale, où les filles (comme les femmes) sont nettement plus nombreuses à l’admettre. Les plaintes plus spécifiques (spasmophilie, etc.) sont, comme en population générale, plus souvent le fait des filles. Faut-il en conclure que, pour les garçons suicidants, le malaise « global » peut être socialement plus acceptable que des plaintes spécifiques qui restent, pour eux comme pour les hommes en général, plus typiquement féminines ?

Les troubles du sommeil De nombreux troubles du sommeil chroniques. Les suicidants, garçons comme filles, mineurs comme majeurs, sont très nombreux (> 60 %) à souffrir de problèmes d’endormissement et de réveils nocturnes. De plus, 40 % font souvent des cauchemars, surtout les filles (42 % en ont souvent contre 33 % des garçons). Comparés aux scolaires du même âge, les suicidants mineurs ont plus de mal à s’endormir (66 % contre 42 % parmi les scolaires du même âge, rapport = 1,6), sont plus nombreux à s’endormir la nuit (56 % contre 18 % des scolaires, rapport = 3,1) et surtout font plus de cauchemars (38 % contre 8 %, rapport = 4,8). Et surtout un cumul de ces troubles. Au total, quatre suicidants sur cinq ont au moins un trouble, plus de la moitié en ont plusieurs. Comparés aux jeunes scolaires du même âge, les suicidants mineurs cumulent plus souvent des troubles chroniques du sommeil (52,2 % contre 15,1 %, p < 0,001) et le risque de TS est alors élevé (OR = 6,23, IC 95 % : 4,88-7,95). C’est dire que le sommeil dégradé est un excellent indicateur de risque.

Commentaires Les troubles du sommeil chroniques, des plus banals (les difficultés à s’endormir) aux plus rares (les cauchemars), font partie de la vie quotidienne des suicidants, garçons comme filles, mineurs comme majeurs. Ainsi, comme les plaintes pointées précédemment, les troubles du sommeil constituent un excellent indicateur de risque pour les professionnels de santé, ce d’autant que ces troubles sont souvent liés à une dépression, plus difficile à explorer pour un professionnel non « psy ». De plus, aborder les troubles du sommeil durant l’examen de santé soulève moins de résistance de la part du jeune et du médecin que de parler de tentative de suicide, de conduites violentes ou de consommation de drogues (Friedman et Salers, 1980).

47

48 Tableau 11. Dépressivité, dépression, anxiété parmi les suicidants par sexe et statut légal (moyennes). Filles

116

441

Dépressivité Score à l’échelle de Kandel (± ds)

15,10 (2,96)

15,93 (2,30)

Dépression Score à l’échelle CES-D (± ds)

32,65 (12,49)

Anxiété Score à l’échelle de Spielberger (± ds)

34,70 (10,73)

n

ns : non significatif ; ds : déviation standard.

p

Mineurs

Majeurs

p

292

264

0,0005

15,53 (2,47)

16,02 (2,43)

0,0062

36,03 (11,18)

0,0013

34,27 (11,96)

36,63 (10,90)

0,0047

38,20 (10,05)

0,0028

37,09 (10,01)

37,99 (10,59)

ns

Les jeunes suicidants à l’hôpital

Garçons

Marie Choquet, Virginie Granboulan

Le fait le plus intéressant encore est la fréquence des troubles du sommeil chez les garçons suicidants. En effet, si les filles ont en général plus de troubles du sommeil que les garçons, il n’en est pas de même parmi les suicidants, où garçons et filles se rejoignent. Ainsi, on confirme l’hypothèse que les garçons suicidants sont (comparés à leur groupe sexué) plus en difficulté que les filles suicidantes.

La dépressivité, la dépression, l’anxiété Les suicidants, surtout les garçons, ont des troubles de l’humeur dépressive. Le score à l’échelle de Kandel (score qui peut osciller entre 6, note la moins élevée, et 18, note la plus élevée) atteint 15,1 pour les garçons et 15,9 pour les filles. En population scolaire, ce score atteint 10,6 pour les garçons (p < 0,001) et 12,4 pour les filles (p < 0,001). Par ailleurs, 44,6 % des suicidants ont un score maximal à l’échelle contre 7,5 % des adolescents scolarisés (p < 0,001). Les suicidants, cliniquement déprimés. Le score du CESD (échelle de dépression, validée en France par Bailly et al., 1990) oscille entre 0 et 60, le seuil de dépression clinique est de 21 chez les jeunes (sans différence entre garçons et filles). Le score des suicidants se situe nettement au-delà de ce seuil et la presque totalité des suicidants (82 %) peut être considérée comme cliniquement déprimée. Les filles sont en moyenne plus déprimées que les garçons, les majeurs plus que les mineurs. Le score des suicidants dépasse même celui des adolescents déprimés et hospitalisés dans un centre de traitement des dépendances (Regnaut et al., 1994). Les suicidants sont aussi anxieux. La mesure de l’anxiété, traitée par l’échelle de Spielberger (dont les notes peuvent osciller entre 20 et 80), montre que les filles sont plus anxieuses que les garçons (38,2 contre 34,7, p < 0,03) mais que l’anxiété n’augmente pas avec l’âge (38,0 parmi les majeurs contre 37,1 parmi les mineurs, ns). Le médecin hospitalier repère bien la dépression. Dans le questionnaire médical, rempli par le médecin référent, une question concerne la dépression. 40 % des jeunes sont considérés par le médecin comme déprimés, sans différence entre garçons et filles, majeurs ou mineurs. La confrontation de cette dépression repérée et le score de CESD montre une liaison significative (OR = 1,04, IC 95 % : 1,02-1,07).

Commentaires La dépression (mesurée par le CESD) caractérise les jeunes suicidants, et ce quels que soient l’âge et le sexe. Cette observation concorde avec la majorité des recherches auprès des suicidants

49

Les jeunes suicidants à l’hôpital

(Beautrais et al., 1996 ; Brent et al., 1993 ; Kienhorst et al., 1990) ou de jeunes qui ont des idées suicidaires (De Man, 1999 ; Galaifer et al., 1998). La dépression est donc un facteur de risque important dans la compréhension du passage à l’acte suicidaire. Tout comme l’humeur dépressive, car le risque de passage à l’acte suicidaire est multiplié par dix lorsque le jeune a une note élevée sur l’échelle de Kandel, instrument simple composé de six questions portant sur le malaise global ressenti (troubles du sommeil, peur de l’avenir, nervosité) (Kandel et al., 1991). Les majeurs s’avèrent cliniquement plus déprimés (CESD) et d’humeur plus dépressive (échelle de Kandel) que les mineurs, ce qui signifie que ces troubles ne sont pas liés à la période d’adolescence des suicidants. Il convient donc de ne pas banaliser la dépression à l’adolescence.

La consommation d’alcool, de tabac et de drogues Une alcoolisation proche de la moyenne ? L’alcoolisation est plus fréquente parmi les garçons que parmi les filles, parmi les majeurs que parmi les mineurs. Mais pour les suicidants mineurs, le niveau d’alcoolisation se rapproche de celui des scolaires : 4 % ont une consommation régulière, alors que, selon ESPAD 99, 11 % des garçons et 5 % des filles sont dans ce cas ; 14 % ont déjà été ivres au moins trois fois durant les douze derniers mois (selon ESPAD 99, 24 % des garçons et 6 % des filles l’ont été). Reste l’alcoolisation (et en particulier les ivresses multiples) des suicidants majeurs, non négligeable. Une consommation de drogues illicites près de la moyenne ? 44 % des suicidants ont expérimenté le cannabis, les garçons plus que les filles, les majeurs plus que les mineurs. Comparé à l’enquête ESPAD 99, le taux d’expérimentation des suicidants mineurs (26 %) est légèrement en deçà de celui des scolaires (41 % pour les garçons et 32 % pour les filles). L’expérimentation d’autres drogues illicites s’élève à 8 % parmi les suicidants et concerne plus les garçons que les filles. Comme dans la question posée l’héroïne et l’ecstasy ont été citées comme exemples d’« autres drogues » ; il n’est pas certain que les jeunes ont vraiment inclus toute la diversité des drogues possibles (hallucinogènes, amphétamines, produits à inhaler...). Reste que, selon l’ESPAD 99, 25 % ont expérimenté une autre drogue illicite, proportion élevée au regard de celle observée parmi les suicidants scolarisés... Un tabagisme nettement plus élevé. En effet, 60 % fument quotidiennement, les garçons plus que les filles, les mineurs autant que

50

Tableau 12. Consommation des substances psychoactives parmi les suicidants par sexe et statut légal (en %). Filles

Mineurs

Majeurs

116 (%)

441 (%)

292 (%)

264 (%)

Consommation d’alcool Jamais Occasionnellement Régulièrement11

24 54 23

49 47 4

< 0,0001

51 45 4

36 51 12

0,0106

Ivresses dans les douze derniers mois Aucune Une à deux Trois et plus

34 29 37

58 27 15

< 0,0001

59 26 14

46 28 26

0,0325

Tabagisme Au moins une cigarette par jour

72

56

0,0028

58

61

ns

Cannabis durant la vie Jamais Moins de dix fois Dix fois et plus

52 24 24

70 17 13

0,0279

74 16 10

59 20 21

0,0031

Autres drogues Au moins une fois

14

7

0,0871

7

10

ns

Nombre de conduites de consommation12 Aucune Une Deux Trois et plus

22 32 23 23

39 38 14 9

38 41 13 7

32 32 20 16

< 0,0415

n

51

ns : non significatif.

p

< 0,0001

p

Marie Choquet, Virginie Granboulan

11. Alcool régulièrement : vin, bière ou alcools forts plusieurs fois par semaine. 12. Alcool régulier, ivresses trois et plus dans l’année, tabagisme quotidien, cannabis dix fois et plus, autre drogue au moins une fois.

Garçons

Les jeunes suicidants à l’hôpital

les majeurs. Alors qu’en population scolaire, 20 % des jeunes fument tous les jours, parmi les suicidants ils sont trois fois plus nombreux. Et une polyconsommation importante. 65 % des suicidants ont une consommation importante d’au moins un produit et 31 % cumulent au moins deux produits, 23 % des garçons et 9 % des filles au moins trois produits. Comparés aux scolaires du même âge, cette polyconsommation caractérise les suicidants mineurs (OR = 2,24, IC 95 % : 1,75-2,86).

Commentaires La consommation d’alcool et de drogues illicites des suicidants mineurs semble proche de celle des scolaires du même âge. Seul le tabagisme est nettement plus élevé et peut donc être considéré comme facteur de risque. Ainsi, les suicidants (dont il convient de rappeler qu’il s’agit surtout de jeunes filles) ne se situent pas tant dans le registre de la transgression (comme l’alcoolisation des filles ou la consommation de drogues illicites), mais dans celui de la souffrance psychologique (le tabagisme est associé à la dépression). Reste que la polyconsommation des suicidants est en soi un facteur de risque. Notons que cette enquête a mesuré la consommation, non la dépendance, souvent citée comme facteur de risque (Rossow et al., 1999).

Les conduites d’impulsivité Des indicateurs d’impulsivité évidents. Plus d’un suicidant sur deux se dit « coléreux » (57 %), dit « faire des choses sans réfléchir » (60 %) ou être « dépensier » (60 %), indiquant ainsi qu’ils ont des difficultés à maîtriser leurs affects. Par ailleurs, 30 % ont souvent des accès de violence, 37 % commencent souvent une activité sans la terminer et 25 % disent ne jamais contrôler leur agressivité. Sans grande différence entre les garçons et les filles, entre les mineurs et les majeurs. Sur la majorité de ces caractéristiques, les garçons se décrivent de façon identique aux filles, les majeurs aux mineurs. Seule exception : faire des choses sans réfléchir, plus typique des filles et des mineurs... Au total, 50 % des suicidants s’attribuent au moins trois caractéristiques d’impulsivité et 48 % des garçons et 51 % des filles peuvent être considérés comme « impulsifs », car ils cumulent au moins trois conduites sur six. Cette impulsivité diminue légèrement avec l’âge (passant de 55 % à 45 %).

52

Tableau 13. Conduites d’impulsivité parmi les suicidants par sexe et statut légal (en %). Filles

116 (%)

441 (%)

Conduites d’impulsivité Souvent coléreux Ont des accès de violence Agissent sans réfléchir Commencent une activité sans la terminer Dépensiers Sans contrôle de l’agressivité

51 35 49 35 62 21

59 28 63 37 60 27

Cumul des conduites Aucune Une à deux Trois et plus

10 42 48

6 43 51

n

ns : non significatif.

p

Mineurs

Majeurs

p

292 (%)

264 (%)

ns ns < 0,005 ns ns ns

59 32 65 38 63 26

55 27 54 36 57 24

ns ns 0,009 ns ns ns

ns

6 38 55

8 47 45

< 0,06

Marie Choquet, Virginie Granboulan

Garçons

53

Les jeunes suicidants à l’hôpital

Commentaires L’impulsivité est décrite comme une des caractéristiques des jeunes suicidants (Borst et Noam, 1989 ; Grosz et al., 1994). L’enquête aurait tendance à conforter cette hypothèse - 50 % des suicidants ont au moins trois conduites d’impulsivité - sans qu’on puisse s’en assurer, à défaut de données comparables en population générale. Reste que la presque totalité (93 %) des suicidants s’attribuent au moins une caractéristique d’impulsivité (coléreux, accès de violence, agir sans réfléchir, commencer une activité sans la terminer, dépenser, ne pas contrôler son agressivité), ce qui, en soi, mérite d’être noté. D’où la proposition de certains auteurs d’améliorer la capacité des jeunes à résoudre leurs problèmes (coping theory) et à contrôler leur agressivité (Pfeffer et al., 1995).

Les conduites violentes et délictueuses La fugue : un équivalent suicidaire ? 18 % des garçons et 24 % des filles ont récemment (durant les douze derniers mois) fugué. Comparés aux scolaires, les suicidants sont nettement plus nombreux à avoir fugué (30 % des suicidants contre 4 % des scolaires, OR ajusté par sexe et âge = 9,97, IC 95 % : 7,69-12,91). Le fait de « voler ses parents », une caractéristique des suicidants ? 13 % des garçons et 15 % des filles ont volé leurs parents, respectivement 16 % et 13 % ont volé dans un lieu public. Si parmi les suicidants, le « vol familial » est aussi fréquent que le « vol public », il n’en est pas de même en population générale où ce dernier est deux fois plus fréquent. Par ailleurs, comparés aux scolaires du même âge, les suicidants mineurs sont environ trois fois plus nombreux à avoir volé leurs parents (20 % contre 7 %), alors qu’il n’y a pas de différences quant aux autres conduites de vol (vol dans un lieu public, racket). Une violence non négligeable. Parmi les conduites violentes, on a étudié le fait de crier, de frapper, de participer à des bagarres. Si ces comportements sont fréquents pour tous, garçons comme filles (54 % ont au moins une des conduites), les filles sont plus nombreuses à crier alors que les garçons sont plus nombreux à frapper. L’étude par âge montre une plus grande prévalence de la violence parmi les mineurs que parmi les majeurs. Comparés aux jeunes scolaires, les suicidants cassent et frappent plus souvent que les scolaires du même âge (25 % contre 14 %, p < 0,01), ils sont aussi plus nombreux à se bagarrer (13 % contre 8 %, p < 0,05). Ainsi, les suicidants expriment plus leur colère sur les personnes (crier, frapper) que les autres.

54

Tableau 14. Violences et conduites déviantes parmi les suicidants par sexe et statut légal (en %). Filles

116 (%)

441 (%)

Durant les douze derniers mois Ont fugué Ont volé leurs parents Ont volé dans un lieu public Ont fait du racket Au moins une de ces conduites

18 13 16 2 35

24 15 13 0,5 37

Durant les douze derniers mois Crient souvent quand en colère Frappent souvent quand en colère Ont souvent participé à des bagarres Au moins une de ces conduites

35 30 14 54

46 20 9 54

n

ns : non significatif.

p

Mineurs

Majeurs

292 (%)

264 (%)

ns ns ns ns ns

30 20 18 1 47

14 9 9 0,4 25

0,0510 0,0245 ns ns

45 25 13 57

42 18 7 51

p

< 0,0001 0,0004 0,0025 ns ^ 0,0001 ns 0,0584 0,0100 ns

Marie Choquet, Virginie Granboulan

Garçons

55

Les jeunes suicidants à l’hôpital

Commentaires Les jeunes suicidants se caractérisent surtout par des conduites de fuite (la fugue) ainsi que par une certaine violence « ordinaire » (crier, frapper, se bagarrer) et intra-familiale (vol des parents). En revanche, ils n’adoptent pas plus souvent que les autres jeunes des conduites considérées comme des délits (racket, vol à l’étalage). Ainsi, leur mode d’expression le plus fréquent reste en deçà de ce qui est socialement répréhensible et de ce qui peut faire l’objet d’un signalement aux autorités judiciaires. Ils peuvent, de ce fait, être perçus par les professionnels comme des adolescents « ordinaires ». La fréquence des fugues et des vols privés (vol des parents) mérite une grande attention. Il s’agit là de « clignotants de détresse » adressés en priorité aux parents (la fugue comme le vol intra-familial font rarement l’objet d’une plainte ou d’un signalement). Il convient donc d’informer les parents de la signification de telles conduites, pour qu’ils en saisissent le sens, et de prévenir ainsi des actes plus graves et plus risqués, comme la tentative de suicide.

Tableau 15. Facteurs sociaux et familiaux pour suicidants primaires et récidivistes (en %).

Primaires Récidivistes n

p

360 %

165 %

Cumul des facteurs sociaux défavorables13 Aucun Un seul Deux et plus

21 55 24

16 58 26

ns

Cumul des facteurs familiaux défavorables14 Aucun Un seul Deux et plus

44 35 21

34 37 30

0,05

ns : non significatif.

Les caractéristiques des suicidants récidivistes Les facteurs démographiques, sociaux et familiaux Les récidivistes : surtout plus âgés. Si le taux de récidive est le 13. Être de nationalité étrangère, de parents désunis, de milieu ouvrier ou employé. 14. Le fait de ne plus habiter chez ses parents, de considérer la vie de famille comme « à fuir » et d’estimer que ses parents sont peu (ou trop) intéressés par ce qu’ils font.

56

Marie Choquet, Virginie Granboulan

même pour les garçons et les filles, les récidivistes sont en moyenne plus âgés (18,1, ds = 2,88) que les suicidants primaires (17,4, ds = 3,04, p < 0,02). Les récidivistes ne sont pas différents des suicidants primaires du point de vue social et familial. En considérant le fait d’être de nationalité étrangère, de parents désunis, de milieu ouvrier ou employé, les suicidants primaires sont proches des récidivistes : la majorité (79 % des primaires, 84 % des récidivistes, ns) a au moins un facteur défavorable et un sur quatre (25 % des primaires, 26 % des récidivistes, ns) cumule les trois. Si on considère le fait de ne plus habiter chez ses parents, de considérer la vie de famille comme « à fuir » et d’estimer que ses parents sont peu (ou trop) intéressés par ce qu’ils font, 56 % des primaires et 66 % des récidivistes (p < 0,05) ont au moins un facteur défavorable, respectivement 21 % et 29 % cumulent les trois (p < 0,05). Toutefois, cette (faible) différence s’avère statistiquement non significative (même si la tendance persiste) après ajustement sur sexe et âge (OR = 1,55, IC 95 % : 0,99-2,43).

Commentaires La récidive n’est pas plus fréquente chez les filles que chez les garçons, chez les jeunes socialement défavorisés et chez les jeunes ayant des difficultés relationnelles avec leurs parents. En effet, en effectuant une analyse de régression logistique sur l’ensemble des variables précédentes (âge, sexe, facteurs sociaux, facteurs familiaux), seul l’âge discrimine les deux populations, les récidivistes étant plus âgés que les suicidants primaires. Ainsi, face à un suicidant, on ne peut se baser sur ses caractéristiques sociales ou familiales pour évaluer le risque de récidive. Rappelons que la comparaison entre les suicidants mineurs de l’enquête et les scolaires du même âge, a montré que le risque suicidaire est plus élevé chez les filles que chez les garçons (OR = 6,3, IC 95 % 4,46-8,89), chez les jeunes qui cumulent les facteurs sociaux (OR = 1,63, IC 95 % 1,24-2,42) et chez ceux qui cumulent les facteurs familiaux (OR = 2,48, IC 95 % 1,77-3,46). Ainsi, on montre clairement que les facteurs de risque de suicide ne sont pas les mêmes que les facteurs de risque de récidive. Une fois le premier acte posé, le risque de récidiver est élevé, quelles que soient les caractéristiques sociales et familiales du sujet, et ce contrairement à ce que l’on observe à d’autres âges de la vie où la détérioration sociale va jouer un rôle (Cullberg et al., 1988).

57

Les jeunes suicidants à l’hôpital

Tableau 16. Santé et comportements à risque des suicidants primaires et récidivistes (en %). n CES-D (moyenne, ds)

Primaires

Récidivistes

360 %

165 %

p

33,8 (± 12,0) 39,3 (± 9,3) 0,0001 % %

Cumul des plaintes15 somatiques Aucun Un seul Deux et plus

37 37 28

30 30 40

ns

Cumul des troubles du sommeil16 Aucun Un seul Deux et plus

22 26 52

14 24 63

0,05

Note de dépressivité < 14 14-16 > 17

19 37 44

11 30 60

0,007

20

28

0,001

39 38 23

29 34 37

0,0001

Fugue durant les douze derniers mois Cumul des consommations Aucun Une substance Deux substances et plus

17

ns : non significatif ; ds : déviation standard.

Les troubles de santé et du comportement Les récidivistes, pas plus de plaintes somatiques ou de troubles du sommeil que les suicidants primaires. Si 28 % des suicidants primaires cumulent au moins deux troubles de santé (avoir une mauvaise santé, avoir souvent des crises de spasmophilie, avoir souvent des céphalées, avoir souvent des malaises ou des évanouissements), 40 % des récidivistes sont dans ce cas, mais ajustée sur l’âge, cette différence s’avère non significative (OR = 1,46, IC 95 % : 0,95-2,22). En considérant les difficultés récurrentes d’endormissement, de réveils nocturnes et de cauchemars, on note que 64 % des récidivistes contre 52 % des suicidants primaires cumulent au moins deux troubles, mais 15. Pas en bonne santé, souvent des crises de spasmophilie, souvent des céphalées, souvent des malaises/évanouissements. 16. Difficultés d’endormissement, cauchemars, réveils nocturnes fréquents. 17. Alcool régulier, ivresses trois et plus dans l’année, tabagisme quotidien, cannabis dix fois et plus, autre drogue au moins une fois.

58

Marie Choquet, Virginie Granboulan

ici encore, en ajustant sur sexe et âge, cette différence n’est plus significative (OR = 1,32, IC 95 % : 0,87-2,0). Mais les récidivistes nettement plus déprimés que les suicidants primaires. Quel que soit l’outil de mesure, les récidivistes ont plus de troubles dépressifs que les suicidants primaires. Au CESD, les suicidants primaires obtiennent une note moyenne de 33,8 (ds = 12,0) et les récidivistes une note de 39,3 (ds = 9,3, p < 0,001). Selon l’échelle de Kandel, 60 % des récidivistes contre 44 % des suicidants primaires (p < 0,007) ont la note la plus élevée. Cette différence persiste après ajustement selon le sexe et l’âge (OR = 1,65, IC 95 % : 1,07-2,52). Plus de fugues parmi les récidivistes. 28 % des récidivistes contre 20 % des suicidants ont fait une fugue durant les douze derniers mois (OR = 1,71, IC 95 % : 1,07-2,81). Plus de polyconsommateurs parmi les récidivistes. 37 % des récidivistes contre 23 % des suicidants primaires (p < 0,006) prennent au moins trois produits (alcool régulier, tabac quotidien, cannabis 10 fois et plus par an, autres drogues au moins une fois), différence qui persiste après ajustement selon le sexe et l’âge (OR = 1,94, IC 95 % : 1,28-2,95). Au total, les récidivistes ont plus de troubles avérés (en particulier des troubles du comportement) que les suicidants primaires. Les récidivistes se caractérisent par la polyconsommation (OR = 2,0, IC 95 % : 1,20-3,34), la dépressivité (OR = 1,80, IC 95 % : 1,19-2,72) et la fugue durant les douze derniers mois (OR = 1,69, IC 95 % : 1,03-2,76), et ce à âge, sexe et autres troubles de santé et du sommeil égaux.

Commentaires Si les récidivistes ne diffèrent pas des suicidants primaires aux niveaux social et familial (voir plus haut), ni au niveau des plaintes « de la vie quotidienne » (plaintes du sommeil, plaintes somatiques), ils se caractérisent en revanche par leur humeur dépressive, par la dépression et par les troubles comportementaux, en particulier la polyconsommation et la fugue (Gispert et al., 1987 ; Goldston et al., 1996 ; Stein et al., 1998). Ainsi, un suicidant déprimé, consommateur régulier de plusieurs substances psychoactives (licites ou illicites) et qui a déjà fait une fugue est un suicidant à risque de récidive, et ce quelle que soit sa situation familiale et sociale. Ces troubles doivent donc être identifiés en priorité lors d’une TS, car leur présence peut faire redouter un nouveau passage à l’acte. Reste que le cumul s’avère en soi être un facteur de risque. En effet, comme plusieurs facteurs jouent chacun un rôle propre dans « l’explication » de la récidive, on confirme ainsi que le cumul de ces facteurs accroît le risque de récidive (Brent et Perper, 1995).

59

Les jeunes suicidants à l’hôpital

Tableau 17. Violence et impulsivité des suicidants primaires et récidivistes (en %).

Primaires

Récidivistes

360 %

165 %

Cumul des conduites d’impulsivité Aucun Un à deux Trois et plus

9 45 46

3 32 65

< 0,001

Ont volé les parents

11

22

0,002

Ont volé dans un lieu public

10

22

0,004

Au moins une des trois conduites de violences

51

62

0,02

n

p

L’impulsivité et les violences Les récidivistes, plus impulsifs que les suicidants primaires. L’impulsivité, mesurée par les accès de colère, le fait d’agir sans réfléchir, de commencer une activité sans la terminer, d’être dépensier et de ne pas contrôler son agressivité est nettement plus fréquente parmi les récidivistes. Deux récidivistes sur trois (contre un suicidant primaire sur deux) cumulent au moins trois des caractéristiques. Les récidivistes ont aussi plus de comportements de violence. Les récidivistes se disent non seulement plus impulsifs, ils passent aussi plus souvent à l’acte. Ainsi, ils sont deux fois plus nombreux à voler (parents ou sur lieu public). Ils sont aussi plus nombreux à avoir d’autres conduites de violences (se bagarrer, casser ou frapper, faire du racket).

Commentaires Plusieurs auteurs ont mis en évidence l’impulsivité des suicidants et surtout celle des récidivistes (Ojehagen et al., 1991 ; Stein et al., 1998). Notons que cette impulsivité est d’autant plus importante que les récidivistes sont plus âgés, donc, a priori, moins enclins à la violence. En effet, la violence diminue nettement avec l’âge (Choquet et Ledoux, 1994), même parmi les suicidants (voir plus haut). La mise en acte, tout comme l’impulsivité ressentie, est augmentée parmi les récidivistes. Comme ce que l’on a constaté pour l’impulsivité, les actes de violences diminuent avec l’âge, pour les jeunes en général et pour les suicidants. Ainsi, même si les récidivistes sont en moyenne plus âgés que les suicidants primaires (les suicidants majeurs étant en moyenne moins violents que les suicidants mineurs), ils ont plus de conduites de violences...

60

Marie Choquet, Virginie Granboulan

Le cumul des troubles et le risque de récidive De quels troubles parle-t-on ? On a inclus les troubles (ou comportements) les plus associés au risque de récidive, c’est-à-dire le fait d’avoir une note élevée sur l’échelle de Kandel (> 17), le fait d’avoir fugué durant les douze derniers mois, le fait de consommer régulièrement au moins deux substances psychoactives, le fait d’avoir volé et de cumuler plusieurs conduites d’impulsivité. Il s’agit donc de troubles dont la chronicité (ce qui est le cas pour la consommation, l’impulsivité et la dépressivité) ou la gravité (vol, fugue) sont en cause. La présence des troubles et leur cumul est confirmé pour tous les suicidants. En effet, 79 % des suicidants ont au moins un de ces troubles et près de la moitié en cumule au moins deux (32 % en ont un seul, 27 % en ont deux, 20 % en ont trois et plus). Les récidivistes ont (et cumulent) plus de comportements à risques que les suicidants primaires. Seulement 11 % des récidivistes (contre 26 % des suicidants primaires, p < 0,001) ne présentent aucun des troubles chroniques ou graves, 25 % n’en ont qu’un seul (contre 34 % des suicidants primaires, p < 0,001) et 63 % en cumulent au moins plusieurs (contre 39 % des suicidants primaires, p < 0,001). Le risque de récidive augmente en fonction du nombre des troubles chroniques ou graves. Parmi ceux qui n’ont pas les troubles chroniques ou graves pris en compte, 17 % ont fait une récidive, cette proportion atteint 25 % pour ceux qui ont une conduite, 40 % pour ceux qui en ont deux et 46 % pour ceux qui en cumulent au moins trois.

Commentaires Le cumul est en soi un facteur de risque de récidive. Si chacune des conduites étudiées différencie les suicidants primaires et les récidivistes (OR entre 1,7 et 1,9), le cumul de ces conduites est en soi un facteur de risque (OR entre 1,6 et 2,3). D’autres ont constaté la fréquence des cumuls (Beautrais et al., 1996 ; Graber et Brooks-Gunn, 1995). Cette observation n’est pas sans implications pratiques. En effet, elle signifie que, pour évaluer au mieux le risque de récidive, il ne suffit pas de poser des questions sur un seul aspect de la psychopathologie de l’adolescent, mais d’aborder un ensemble de troubles et conduites dans des champs différents (consommation, déviance, personnalité). Ainsi, l’approche globale de la santé des suicidants améliore la perception du risque.

61

62 Tableau 18. Consultations dans l’année et consommation de médicaments contre la fatigue, l’insomnie et la nervosité parmi les suicidants par sexe et statut légal.

Filles

116

441

2,87 (± 2,83) 1,93 (± 3,34) 7,04 (± 7,34)

3,87 (± 3,31) 1,83 (± 3,10) 10,63 (± 9,76)

(%)

(%)

Ont consulté un médecin dans les deux semaines précédant leur TS

39

40

Prise de médicaments avec prescription Contre la fatigue Pour dormir Contre la nervosité ou l’angoisse

18 29 41

Prise de médicaments sans prescription Contre la fatigue Pour dormir Contre la nervosité ou l’angoisse

11 10 13

n Nombre moyen de consultations par an Médecin généraliste (± ds) Psychiatre/Psychologue (± ds) Ensemble des consultations médicales et paramédicales (± ds)

nns : non significatif ; ds : déviation standard.

p

Mineurs

Majeurs

292

264

3,63 (± 3,31) 1,96 (± 3,23) 10,95 (± 10,11)

3,72 (± 3,17) 1,73 (± 3,04) 8,79 (± 8,52)

(%)

(%)

ns

38

42

ns

29 30 49

0,0018 ns 0,0076

21 22 41

33 39 56

0,0004 < 0,0001 0,0002

12 16 20

ns 0,0537 0,0326

9 13 15

16 18 23

0,0196 0,0478 0,0148

0,0049 ns 0,0032

p

ns ns 0,0471

Les jeunes suicidants à l’hôpital

Garçons

Marie Choquet, Virginie Granboulan

Les antécédents et la prise en charge La consultation médicale et la consommation de médicaments Les suicidants sont des utilisateurs du système de santé. Leur taux de consultation est élevé, qu’il s’agisse de consultations d’un médecin généraliste, d’un « psy » ou de tout autre spécialiste médical et paramédical (infirmière, kiné...). En effet, la moyenne de consultations de médecins généralistes est de 3,70 par an (les filles consultent plus que les garçons, mais il n’y a pas de différences entre les mineurs et les majeurs), celle de spécialistes « psy » est de 1,8 par an (sans différence par sexe et par âge) et la moyenne des consultations médicales et paramédicales dépasse 9 consultations par an (les filles consultent plus que les garçons, les majeurs plus que les mineurs). Comparés à une population scolaire du même âge (Choquet et Ledoux, 1994), les suicidants mineurs consultent plus le médecin généraliste (3,6 contre 2,4 consultations par an), le « psy » (1,96 contre 0,2 consultations par an) et plus de professionnels de santé en général (10,95 contre 6,0 consultations par an). Leur dernière consultation est même très récente et 40 % des suicidants, garçons comme filles, mineurs comme majeurs, ont consulté un médecin dans les deux semaines qui précèdent leur TS. Les suicidants ont aussi l’habitude de se voir prescrire des médicaments contre la nervosité, l’angoisse, l’insomnie et la fatigue. Près de la moitié des jeunes ont pris (durant les douze derniers mois) sur prescription médicale, un médicament contre la nervosité ou l’angoisse (49 % des filles contre 41 % des garçons, p = 0,007, 41 % des mineurs contre 56 % des majeurs, p < 0,001), près d’un tiers, un médicament pour dormir (sans différence entre garçons et filles, mais 22 % des mineurs contre 39 % des majeurs, p < 0,001) et près d’un quart, un médicament contre la fatigue (les filles plus que les garçons, les majeurs plus que les mineurs). Cette prescription médicamenteuse est bien supérieure à celle que l’on observe parmi les scolaires du même âge : 41 % des suicidants mineurs ont pris sur prescription un médicament contre la nervosité ou l’angoisse, en population scolaire ils sont 14 %, rapport = 2,9 ; 22 % des suicidants mineurs ont pris sur prescription un médicament pour dormir contre 6 % en milieu scolaire, rapport = 2,3. Un risque se confirme : l’automédication. Si les suicidants sont moins nombreux à prendre des médicaments sans qu’avec prescription médicale, l’automédication n’est toutefois pas négligeable. Ainsi, 19 %

63

Les jeunes suicidants à l’hôpital

ont pris (sans ordonnance) un médicament contre la nervosité, 15 % un médicament pour dormir et 12 % un médicament contre la fatigue. Cette automédication est plus importante chez les filles et chez les majeurs. Elle est surtout plus importante que parmi les scolaires du même âge (rapport de 6,5 pour les médicaments pour dormir, ce qui signifie que les suicidants sont 6 fois plus nombreux que les scolaires à s’automédiquer à l’aide de somnifères ; rapport de 4,3 pour les sédatifs).

Commentaires Les suicidants sont des consommateurs de soins et ce, bien avant leur TS actuelle. Ainsi, ils sont plus nombreux à consulter fréquemment un médecin généraliste (42 % l’ont consulté au moins quatre fois dans l’année contre 23 % parmi les scolaires, OR ajusté sur âge et sexe = 2,48, IC 95 % 1,92-3,20) et à avoir consulté un spécialiste « psy » dans l’année (42 % contre 4 % parmi les scolaires, OR ajusté selon sexe et âge = 16,75, IC 95 % 12,64-22,20). Si ce constat met à mal l’idée préconçue que les jeunes font une TS par « manque de recours aux soins », reste à préciser les points suivants : • les consultations des suicidants sont-elles la résultante d’une plus grande vulnérabilité somatique ou psychologique ? Au regard de plaintes somatiques et des troubles psychologiques relatés par les jeunes, la réponse serait « oui ». Mais on ne connaît pas le motif des consultations, ni la perception qu’ont les professionnels de santé de la gravité des troubles, même si la fréquence des prescriptions nous renseigne partiellement ; • les suicidants consultent-ils un même ou une multiplicité de professionnels ? Sans pouvoir donner une réponse définitive (le questionnaire n’a pas exploré la chronologie des consultations et le changement de médecins consultés), la multiplication des demandes auprès de différents interlocuteurs irait dans le sens d’une juxtaposition des consultations ; • les consultations des suicidants expriment-t-elles une insatisfaction du jeune face aux réponses professionnelles ? Si on ne peut pas répondre avec les données actuellement disponibles, ce sujet de recherche s’avère être une priorité si on veut comprendre les raisons de la sur-consultation. On a montré antérieurement que l’automédication des jeunes est fréquemment une « automédication secondaire », c’est-à-dire qu’elle fait suite à une prescription médicale. On peut faire l’hypothèse qu’il en est de même parmi les suicidants, consommateurs de médicaments

64

Tableau 19. Consultation psychiatrique parmi les suicidants par sexe et statut légal (en %). Majeurs

441 (%)

292 (%)

264 (%)

59 15 26

59 20 21

ns

60 18 22

57 20 23

ns

14,53 (± 5,20)

14,67 (± 3,36)

0,0329

13,18 (± 2,65)

16,28 (± 4,10)

< 0,0001

Parmi les consultants Ont changé de « psy »

40

47

ns

41

51

ns

Parmi ceux qui ont arrêté L’ont fait sans l’accord du « psy »

59

74

0,0775

65

80

0,0790

Avis sur la consultation « psy » Défavorable

37

56

ns

60

46

0,0856

Ont consulté un « psy » Jamais Une fois Régulièrement Âge moyen de la première consultation (ans) (± ds)

ns : non significatif ; ds : déviation standard.

Filles

116 (%)

p

p

Marie Choquet, Virginie Granboulan

Mineurs

n

Garçons

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prescrits comme de médicaments non prescrits. Toutefois, le risque d’automédication serait plus élevé parmi les suicidants que parmi les non-suicidants. En effet, ils sont entre deux à trois fois plus nombreux que les jeunes de leur âge à prendre des médicaments contre la nervosité ou l’insomnie, mais entre quatre à six fois plus nombreux à prendre des médicaments sans prescription. Tout se passe comme si le risque d’automédication serait nettement augmenté chez les suicidants. D’où l’importance de mener, avec les professionnels de santé, une réflexion sur la prescription et ses risques chez les adolescents.

La consultation psychiatrique Près d’un suicidant sur deux a déjà consulté un « psy ». Comme on l’a déjà vu plus haut, le taux de consultation psychiatrique est très élevé parmi les suicidants, garçons comme filles, mineurs comme majeurs, et 40 % ont déjà consulté un « psy » dans leur vie. Parmi les consultants, plus de la moitié (61 %) l’ont fait régulièrement. Avec une première consultation relativement précoce. L’âge moyen de la première consultation se situe, pour les filles comme pour les garçons, entre 14 et 15 ans. Entre la première consultation « psy » et la TS actuelle, il s’est passé presque cinq ans pour les garçons et trois ans pour les filles. Mais aussi avec de fréquents « accidents de parcours ». Parmi les consultants, près d’un sur deux a changé de « psy » et, parmi ceux qui ont arrêté de consulter, la majorité (72 %) l’ont fait sans l’accord du professionnel « psy ». Par ailleurs, la moitié (54 %) des jeunes émettent un avis défavorable sur la consultation « psy » antérieure à la TS...

Commentaires Le spécialiste « psy » n’est pas un professionnel inconnu des jeunes. En effet, quatre suicidants sur dix en ont déjà consulté un, un sur quatre régulièrement. Les éléments certes partiels sur la prise en charge « psy » montrent que le premier contact se fait précocement (ce qui est un atout), mais que la régularité, la compliance et la satisfaction posent problème. Il convient donc d’en comprendre les conditions. Une étude menée auprès de jeunes consultants « psy » montre combien les adolescents peuvent être mal à l’aise face au « psy », malaise imputable en partie à une méfiance générale (pour certains, en particulier les plus fragiles, consulter un psychiatre peut encore être connoté négativement) et à la difficulté à instaurer un échange satisfaisant. Mais entre la première consultation « psy », les conditions de cette orientation et

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Marie Choquet, Virginie Granboulan

les propositions de suite, il nous manque la connaissance du processus de prise en charge.

Les consultations des récidivistes Les récidivistes sont, plus que les suicidants primaires, des poly-consultants. En effet, parmi les récidivistes, 51 % (contre 38 % des suicidants primaires, p < 0,001) ont consulté un médecin généraliste au moins quatre fois dans l’année. Les récidivistes ont plus souvent que les suicidants primaires consulté un « psy » au moins une fois durant les douze derniers mois. En effet, 58 % des récidivistes contre 30 % des suicidants primaires ont consulté un psychiatre ou un psychologue.

Commentaires Si la polyconsultation (au moins quatre fois dans l’année) du médecin généraliste n’est pas négligeable parmi les jeunes (selon l’Enquête nationale, 23 % des scolaires la pratiquent), elle est plus importante parmi les suicidants primaires (38 %) et encore plus (51 %, c’est-à-dire plus d’un récidiviste sur deux) parmi les récidivistes. Attirer l’attention des médecins généralistes sur ce phénomène s’avère indispensable, tant leurs patients adolescents qui reviennent régulièrement en consultation sont des sujets « à risques » face au suicide, et peut être plus largement face aux troubles psychologiques. Cette polyconsultation des récidivistes va à l’encontre de l’idée reçue que les jeunes en grande difficulté ne sont pas demandeurs de soins... Le taux de consultation « psy » est important parmi les suicidants, primaires mais surtout récidivistes. Mais n’oublions pas que les récidivistes ont souvent contacté un « psy » au moment de la précédente TS (si cette TS a donné lieu à une hospitalisation). Ce qui paraît plus intéressant, c’est la proportion élevée (30 %) de suicidants primaires à consulter le « psy », proportion à comparer à celle des jeunes scolaires (4 %). Cela pose la question de la nature de la consultation (suivi ou non ?), le motif (troubles scolaires ? troubles du comportement ? idées suicidaires ? pathologies plus graves ?) ainsi que l’adhésion du jeune au projet thérapeutique. Cette question mériterait d’être approfondie... On peut conclure que les suicidants, et surtout les récidivistes, sont « médicalisés », voire « psychiatrisés ». Il ne s’agit donc pas du tout de jeunes restés « sans soins », bien au contraire. D’autres études confortent ce résultat (Ojenhagen et al., 1991 ; Marttunen et al., 1995). Reste à savoir pourquoi il en est ainsi.

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Les jeunes suicidants à l’hôpital

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Les jeunes suicidants à l’hôpital

27.

28.

29. 30.

31. 32.

33.

34.

35.

36.

37.

70

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Marie Choquet, Virginie Granboulan

CHAPITRE 2 L’ACTE SUICIDAIRE ET LA PRISE EN CHARGE HOSPITALIÈRE Les caractéristiques de la tentative de suicide et de sa prise en charge Les moyens de suicide Le moyen employé pour la tentative suicidaire a été consigné par les médecins : ce sont les médicaments qui ont été principalement utilisés, surtout par les filles (91 % contre 76 % des garçons). La phlébotomie en revanche concerne trois fois plus de garçons que de filles, les moyens violents quatre fois plus (p < 0,0001). En revanche, l’âge n’influence guère les moyen utilisés, mineurs et majeurs font des tentatives semblables de ce point de vue. Les autres questions concernant les circonstances de la tentative sont issues du questionnaire « jeune ». Environ un adolescent sur cinq a consommé de l’alcool ou de la drogue dans les heures qui ont précédé la tentative et deux fois plus souvent les majeurs (26 %) que les mineurs (13 %). La différence garçons/filles dans ce domaine est liée à l’âge et n’est plus significative après ajustement sur l’âge.

Commentaires On retrouve un constat souvent établi : les garçons utilisent plus facilement que les filles des moyens à potentiel hautement dangereux, comme la pendaison, la défenestration ou les armes à feu. Les filles utilisent préférentiellement les médicaments qui respectent leur intégrité physique. Cette différence explique la mortalité plus élevée des garçons dans toutes les statistiques de suicide et on la retrouvera plus loin au niveau des soins requis.

71

72 Tableau 20. Mode de la tentative et consommations dans les heures précédentes par sexe et statut légal (en %). Filles

116 (%)

441 (%)

292 (%)

264 (%)

Mode de la tentative de suicide (Questionnaire médecin) Médicamenteuse Phlébotomie Moyen violent Plusieurs moyens

76 9 9 6

91 3 3 3

< 0,0001

85 5 5 5

90 4 3 3

0,0644

(Questionnaire jeune) Consommation de drogue ou d’alcool dans les heures précédentes

27

17

ns

13

26

0,0012

n

p

Mineurs Majeurs

p

Les jeunes suicidants à l’hôpital

Garçons

Tableau 21. Facteurs déclenchants et sens principal de l’acte suicidaire par sexe et statut légal (questionnaire jeune, en %).

Filles

116 (%)

Facteurs déclenchants de la TS Aucun Scolaire ou professionnel Affectif Familial Autre Réponses multiples Sens principal de la TS Mourir Oublier, dormir Changer de vie Se venger Appeler au secours Autre Réponses multiples

n

p

Mineurs

Majeurs

p

441 (%)

292 (%)

264 (%)

16 5 30 13 11 25

7 6 24 20 9 35

0,0448

10 6 16 25 9 34

7 6 35 12 9 31

0,0001

44 18 9 1 14 8 5

38 16 10 4 21 4 7

0,0793

41 12 10 5 21 7 5

38 23 9 2 18 2 8

0,0017

Marie Choquet, Virginie Granboulan

Garçons

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Les jeunes suicidants à l’hôpital

Les facteurs déclenchants Les facteurs déclenchants sont les événements qui ont précédé la tentative de quelques heures ou quelques jours et ont joué un rôle précipitant. La question était ouverte et les réponses des jeunes ont été regroupées par la suite. Dans notre échantillon, 8,6 % des sujets ne retrouve aucun événement particulier ayant pu précipiter leur geste, ce cas se présentant deux fois plus souvent chez les garçons que chez les filles. Les facteurs déclenchants les plus souvent invoqués sont les problèmes affectifs (où l’on a regroupé les difficultés et ruptures sentimentales, mais aussi la solitude affective, le manque d’une relation sentimentale) et les problèmes familiaux. Les facteurs scolaires et professionnels sont plus accessoires et ne sont invoqués que par 6 % des jeunes. Il n’y a pas de différences significatives entre filles et garçons dans cette répartition. En revanche, il y a des différences selon l’âge, les majeurs invoquent deux fois plus souvent un problème affectif et les mineurs deux fois plus souvent un problème familial. Le sens principal du geste suicidaire était une question à choix imposés. En premier (40 %), les jeunes déclarent avoir voulu mourir, et ce plus souvent les garçons que les filles. Un jeune sur cinq a voulu appeler au secours. Le désir d’oublier, de dormir, vient ensuite (17 %) et il est plus souvent invoqué par les majeurs que par les mineurs. Enfin, 10 % disent avoir voulu changer de vie et un tout petit pourcentage reconnaît en soi le désir de se venger.

Commentaires On note que près de 10 % des sujets n’invoquent pas de facteurs déclenchants à leur geste. Cette absence de facteurs déclenchants est généralement considérée comme un facteur de gravité. Elle était associée à un risque ultérieur plus élevé de mortalité dans l’étude d’Otto (1972). Elle se rencontre ici deux fois plus souvent parmi les garçons que parmi les filles, ce qui est une autre façon de confirmer le caractère de gravité des tentatives de suicide des garçons. Pour ceux qui retrouvent un facteur précipitant, la répartition correspond à ce qui a été retrouvé dans d’autres études : les problèmes familiaux et sentimentaux dominent et sont évoqués de façon sensiblement égale, par environ un tiers des suicidants (Otto, 1972 ; Barter, 1968). Dans les enquêtes portant sur des suicidants plus jeunes, les problèmes familiaux ont tendance à prendre une place prépondérante (Davidson, 1981 ; Marks, 1979) et c’est également ce que nous

74

Garçons

Filles

116 (%)

Idées suicidaires durant les 12 derniers mois Jamais Rarement Assez/très souvent Antécédents de suicide Suicidants primaires Récidivistes

n

ns : non significatif.

p

Mineurs

Majeurs

p

441 (%)

292 (%)

264 (%)

36 18 46

19 27 54

0,0015

21 26 54

25 24 52

ns

72 28

68 32

ns

72 28

64 36

0,0216

Marie Choquet, Virginie Granboulan

Tableau 22. Idées de suicide dans les douze derniers mois et antécédents suicidaires par sexe et statut légal (en %).

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Les jeunes suicidants à l’hôpital

constatons : dans notre échantillon, les majeurs invoquent le plus souvent un problème affectif, alors que les mineurs, qui sont en contact étroit avec leurs parents, invoquent avant tout un problème familial. On note, dans tous les cas, la faible place occupée par les problèmes scolaires et professionnels dans cette auto-déclaration des jeunes, alors que, dans le suicide des adultes, le chômage a, au contraire, un effet bien démontré.

Les antécédents suicidaires Plus de la moitié des sujets (53 %) ont pensé au suicide souvent ou très souvent dans les douze derniers mois. À l’opposé, près d’un quart n’y ont jamais pensé. Il n’y a pas de différences dans ce domaine selon l’âge, mais des différences nettes entre les garçons qui sont 36 % à n’avoir jamais eu d’idée de suicide avant leur acte contre 19 % chez les filles. Les antécédents suicidaires concernent un peu plus de 30 % des sujets des deux sexes, avec peu de différences entre garçons et filles. Logiquement, les antécédents suicidaires sont plus fréquents chez les majeurs que chez les mineurs. Nous avions posé des questions aux récidivistes sur leur prise en charge antérieure. On note que plus d’un sur deux disent avoir été hospitalisés pour une ou des tentatives de suicide antérieures, que près de 60 % ont eu une proposition de suivi et que pour plus de 65 % d’entre eux, elle a été effective.

Commentaires L’important pourcentage de jeunes qui déclarent n’avoir jamais pensé au suicide avant leur tentative, souligne le caractère impulsif des tentatives de cet âge et la difficulté de la prévention lorsque les difficultés qui précèdent le geste suicidaire ne sont pas mentalisées. Le taux élevé de récidivistes de notre population correspond à la littérature, qui retrouve régulièrement parmi les jeunes suicidants hospitalisés 25 à 40 % de sujets ayant déjà fait une tentative antérieurement (Moron, 1981 ; Garfinkel, 1982 ; Wilkins, 1983 ; Kotila, 1987). En population générale (Enquête nationale, 1993), parmi les adolescents déclarant avoir déjà fait une tentative de suicide au cours de leur vie, 33 % des garçons et 25 % des filles en avaient effectué plusieurs.

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Tableau 23. Mode d’hospitalisation par sexe et statut légal (questionnaire médecin) (en %). n

Au cours du séjour, le jeune est passé... Par un seul service Par plusieurs services Par l’un des services suivants : Médecine Chirurgie Pédiatrie Lits portes Lits portes psy Psychiatrie Réanimation Autre service Urgences Une personne référente a été désignée ns : non significatif ; ds : déviation standard.

Filles

116 (%)

441 (%)

82 14 4 96 4,69 (± 7,59)

74 24 2 97 4,50 (± 5,94)

88 12

89 11

9 7 17 25 4 28 7 4 11 27

10 34 24 5 22 5 5 5 29

p

Mineurs

Majeurs

292 (%)

264 (%)

57 41 2 97 5,79 (± 6,82)

97 0,8 2 96 3,16 (± 5,39)

ns ns

90 10

87 13

ns < 0,0001

ns

5 1 58 18 4 14 4 3 3 40

15 3 0 32 5 34 7 7 10 16

< 0,0001

ns ns ns

p

< 0,0001 ns < 0,0001

Marie Choquet, Virginie Granboulan

L’arrivée à l’hôpital Aux urgences En médecine ou pédiatrie En réanimation ou autres services Ont été admis Durée d’hospitalisation (jours) (± ds)

Garçons

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Les jeunes suicidants à l’hôpital

Les modes d’hospitalisation L’arrivée à l’hôpital se fait avant tout par les urgences. L’arrivée directe en service de médecine ou de pédiatrie ne se produit que pour les mineurs. Quatre-vingt-dix-sept pour cent des jeunes sont admis quels que soient leur âge et leur sexe. La durée moyenne d’hospitalisation est d’environ quatre jours et demi et elle diffère peu selon le sexe. En revanche, elle diffère fortement selon l’âge (p < 0,0001), les mineurs restant à l’hôpital beaucoup plus longtemps (5,8 jours) que les majeurs (3,2 jours). Les services d’hospitalisation : au cours de son séjour hospitalier, environ un sujet sur dix, quels que soient l’âge et le sexe, est amené à passer par plusieurs services. Le type de service dépend fortement de l’âge : 58 % des mineurs sont accueillis en pédiatrie contre aucun majeur dans notre étude. Les majeurs sont hospitalisés avant tout en psychiatrie, aux lits portes et à un moindre degré en médecine. Les mineurs qui ne vont pas en pédiatrie vont surtout aux lits portes et à un moindre degré en psychiatrie. Un référent médical, qui soit en charge du jeune et de son hospitalisation, est désigné dans 40 % des cas pour les mineurs et dans seulement 16 % des cas pour les majeurs (p < 0,0001).

Commentaires Globalement, on a l’impression que le symptôme « tentative de suicide » n’est pas négligé par les médecins hospitaliers, avec un taux d’admission qui frôle les 100 % et une durée moyenne de séjour qui n’est pas négligeable. Mais ce qui frappe le plus dans nos résultats, c’est l’importante disparité entre majeurs et mineurs concernant les services d’hospitalisation et surtout la durée d’hospitalisation, qui est près du double pour les mineurs ! Si on suivait la logique, et en particulier la logique médicale qui veut que l’attitude thérapeutique découle de l’évaluation du problème, on devrait penser que l’hospitalisation plus longue des mineurs s’explique par une gravité supérieure de leurs gestes suicidaires. Or, sur le plan de la gravité psychologique, il n’y a guère d’éléments dans la littérature allant dans ce sens. Et sur le plan de la gravité physique, on a vu plus haut qu’il n’y a pas de différences selon l’âge dans les moyens employés pour la tentative. Il faut donc envisager que la différence de traitement entre mineurs et majeurs puisse être liée à une différence dans les structures d’accueil. D’un type de service à un autre, les équipements, vocations et modes

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Tableau 24. Modalités de la prise en charge psychologique pendant l’hospitalisation par sexe et statut légal (questionnaire médecin) (en %, moyenne, ds).

Pendant l’hospitalisation ont été reçus par un « psy » (plusieurs réponses possibles) : Il s’agissait d’un psychiatre Il s’agissait d’un psychologue Il s’agissait d’un infirmier « psy » Il s’agissait de plusieurs « psy » Délai moyen entre l’arrivée du jeune à l’hôpital et le premier entretien psy (± ds) Nombre moyen d’entretiens psy (± ds) Les parents ont été reçus par le « psy » Pour les jeunes placés, un éducateur ou la famille d’accueil a été reçu par le « psy » Pour les jeunes qui n’ont pas vu le « psy » pendant l’hospitalisation, la raison est : - le refus du jeune - le « psy » n’a pas pu venir ns : non significatif ; ds : déviation standard.

Filles

p

Mineurs

Majeurs

116

441

95 91 10 66 1,31 (± 0,79) 2,79 (± 2,24) 55

97 87 14 43 1,48 (± 0,94) 2,68 (± 1,63) 63

ns ns ns < 0,0001

292

264

98 90 90 65 1,12 (± 0,48) 2,80 (± 2,13) 48

ns ns 20 ans

127 (%)

137 (%)

OR

ORa1

ORa2

Hospitalisation 6 3 jours

29

23

1,323 (0,806-2,171)

1,436 (0,829-2,488)

1,303 (0,580-2,928)

Entretiens psy 6 2 fois

63

63

0,994 (0,634-1,556)

1,079 (0,641-1,814)

1,065 (0,491-2,309)

Parents reçus par un psy 6 1 fois

51

36

1,815 (1,170-2,815)

1,679 (0,974-2,895)

1,203 (0,581-2,489)

Personne référente désignée Oui

19

15

1,347 (0,749-2,424)

1,386 (0,709-2,707)

1,922 (0,581-2,489)

Rendez-vous pris avant la sortie Oui

32

26

1,389 (0,839-2,301)

1,743 (0,982-3,094)

1,203 (0,551-2,631)

OR : 18-20 ans/> 20 ans.

93

ORa1 ajusté selon : gravité (chirurgie, réanimation), impression pronostique (mauvaise, bonne ou moyenne), perception du médecin des troubles dépressifs (oui/non ou sans précision), troubles familiaux (oui/non ou sans précision), troubles sociaux (oui/non ou sans précision), service par lequel le jeune est passé (pédiatrie, psy, lits portes, autres). ORa2 ajusté selon : CES-D (note), Spielberger (note), consommation d’héroïne ou cocaïne (oui/non), habitat avec parents (oui/non), intégration sociale (scolaire ou salarié/sans profession), service par lequel le jeune est passé (pédiatrie, psy, lits portes, autres).

Marie Choquet, Virginie Granboulan

18-20 ans n

Les jeunes suicidants à l’hôpital

La comparaison entre les moins de 16 ans et les 16-17 ans montre de faibles différences Surtout après ajustement sur les variables médicales, sociales ou personnelles. La seule variable liée à l’âge qui persiste significativement est le fait de prendre un rendez-vous. Ainsi, parmi les moins de 16 ans, 56 % quittent l’hôpital avec un rendez-vous « psy » en poche, contre 34 % des 16-17 ans (OR = 2,5 ; ORa1 = 1,9 ; ORa2 = 1,8). En revanche, parmi les mineurs, le temps d’hospitalisation s’avère plus lié aux troubles car, à troubles égaux, la différence par âge disparaît (OR = 2,8 ; Ora1 = 1,2 ; Ora2 = 1,4). En revanche, à propos des entretiens « psy », on constate une tendance inverse (OR = 1,1 ; Ora1 = 1,7 ; Ora2 = 2,0), ce qui signifie que, parmi ceux qui ont des troubles, les moins de 16 ans bénéficient plus volontiers de plusieurs entretiens que les 16-17 ans. La comparaison entre les 18-20 ans et les 20 ans et plus montre aussi de faibles différences Surtout après ajustement sur les autres variables. Ainsi, alors que les parents des 18-20 ans sont plus souvent reçus par le « psy » que les parents des plus âgés, cette différence disparaît lorsqu’on inclut les conditions d’habitat du sujet. En conclusion • La durée d’hospitalisation diminue nettement avec l’âge. Toutefois, parmi les mineurs, elle est surtout liée à la situation sociale et psychologique du sujet, alors que parmi les majeurs, elle est faible, quelle que soit la situation du suicidant. • Le nombre d’entretiens « psy » dépend peu de l’âge. Toutefois, parmi les mineurs, les moins de 16 ans, ayant des troubles « psy », bénéficient plus volontiers de plusieurs entretiens que les 16-17 ans qui ont ces mêmes troubles. • Le fait que les parents soient reçus par le « psy » dépend surtout des conditions d’habitat du jeune. S’il vit encore sous le toit familial, les parents consultent plus volontiers le « psy » lors de l’hospitalisation. • Le rendez-vous est pris surtout pour les moins de 16 ans. Au-delà de cet âge, ce service est plus rarement offert, et ce quelle que soit la gravité de la situation personnelle du sujet. • La désignation d’une personne référente se fait surtout pour les mineurs.

94

Marie Choquet, Virginie Granboulan

L’opinion des suicidants et de leurs parents sur l’acte suicidaire et l’hospitalisation Le vécu de l’hospitalisation des jeunes Le vécu exprimé par les jeunes dans leurs questionnaires est plutôt positif, aussi bien concernant l’hospitalisation globalement que les entretiens psychologiques. À leur arrivée à l’hôpital, la plupart des jeunes déclarent avoir rapidement été pris en charge (85 %) et avoir été bien accueillis (71 %). Cependant, plus du tiers se sont sentis jugés, ce sentiment étant plus fréquent chez les mineurs. Il n’y a pas de différences garçons/filles pour ces items. Pendant le séjour hospitalier : la majorité d’entre eux ont trouvé du réconfort auprès du personnel et ont parlé de la tentative de suicide avec un soignant, 88 % disent avoir été bien soignés. L’hospitalisation est néanmoins un moment pénible pour 54 %. Un tiers d’entre eux acceptent difficilement les règles de vie de l’hôpital. Il y a peu de différences entre les filles et les garçons dans ce chapitre. En revanche, les mineurs ont deux fois plus souvent que les majeurs rencontré d’autres jeunes hospitalisés et parlé avec un autre jeune de leur geste suicidaire. De même, les mineurs ont beaucoup plus souvent que les majeurs participé à des activités organisées par l’hôpital. Les mineurs reçoivent également plus de visites de leur famille que les majeurs, ainsi que de leurs camarades.

Commentaires Ces jeunes sont très majoritairement satisfaits de l’accueil et de la prise en charge dont ils ont bénéficié à l’hôpital. Les différences mineurs/majeurs portent sur la vie quotidienne à l’hôpital : visites, présence d’autres jeunes, activités scolaires et récréatives organisées dans le service. On reconnaît là le mode de fonctionnement habituel des services de pédiatrie, qui accueillent, comme on l’a vu, plus de la moitié des mineurs mais aucun majeur.

L’opinion globale des jeunes sur le séjour À la fin du séjour, les deux tiers pensent être restés le temps nécessaire à l’hôpital, un sur dix trop longtemps, et un quart pas assez longtemps. Les chiffres sont sensiblement les mêmes pour les deux sexes. En revanche, les mineurs sont plus nombreux que les majeurs à trouver leur temps de séjour inadéquat et 31 % des mineurs pensent être restés trop longtemps. Cette donnée est logique dans la mesure

95

96 Tableau 31. Vécu de l’hospitalisation par sexe et statut légal (questionnaire jeune, en %). Filles

116 (%)

441 (%)

L’arrivée à l’hôpital On s’est rapidement occupé d’eux Ils se sont sentis accueillis Se sont sentis jugés

83 79 31

85 71 39

Pendant le séjour hospitalier Ils ont trouvé du réconfort auprès du personnel hospitalier Ils ont parlé de leur suicide à un personnel soignant Ils ont parlé de leur suicide à un autre jeune Ils ont rencontré d’autres jeunes hospitalisés Ils ont vécu un moment pénible Ils ont été bien soignés Ils ont été tenus au courant de leur état de santé Un soignant s’est plus particulièrement occupé d’eux Ils ont participé à des activités organisées à l’hôpital Ils ont pu poursuivre leur scolarité Ils ont reçu la visite de leur famille Ils ont reçu la visite de camarades Ils acceptent difficilement les règles de vie de l’hôpital

70 83 40 38 51 91 63 45 17 8 74 44 33

68 79 51 54 54 88 58 44 26 22 84 56 34

n

ns : non significatif.

p

Mineurs

Majeurs

p

292 (%)

264 (%)

ns ns ns

82 69 43

87 77 31

ns ns 0,0249

ns ns ns ns ns ns ns ns ns 0,0291 ns ns ns

71 80 61 65 55 87 62 44 40 23 90 60 35

65 79 34 33 52 90 55 44 7 14 73 46 33

ns ns < 0,0001 < 0,0001 ns ns 0,0951 ns < 0,0001 0,0733 < 0,0001 0,0062 ns

Les jeunes suicidants à l’hôpital

Garçons

Tableau 32. Opinion globale sur le séjour hospitalier par sexe et statut légal. Filles

116 (%)

D’après les jeunes À la fin du séjour, ils pensent être restés... ...le temps nécessaire ...pas assez longtemps ...trop longtemps Globalement, ils pensent que l’hospitalisation est plutôt positive D’après le médecin Le médecin pense que le jeune a vécu son hospitalisation Plutôt positivement Plutôt négativement Impossible à définir Le médecin pense que la coopération du jeune a été plutôt positive

n

ns : non significatif.

p

Mineurs

Majeurs

p

441 (%)

292 (%)

264 (%)

65 9 26 88

61 12 27 78

ns 0,0460

54 15 31 79

71 6 22 82

0,0003 ns

66 7 27 82

66 7 26 85

ns ns

67 6 27 86

66 8 26 82

ns ns

Marie Choquet, Virginie Granboulan

Garçons

97

Les jeunes suicidants à l’hôpital

où, comme on l’a vu, les mineurs sont effectivement hospitalisés nettement plus longtemps que les majeurs. Le vécu global de l’hospitalisation est plutôt positif pour quatre jeunes sur cinq, un peu plus pour les garçons que pour les filles.

Commentaires Cette satisfaction exprimée par les jeunes suicidants au moment de sortir de l’hôpital était déjà exprimée dans le tableau précédent, elle est plus importante qu’on ne le croit souvent. La question du vécu du jeune ayant été posée aux médecins, on s’aperçoit que les praticiens ont tendance à sous-estimer ce sentiment de satisfaction : selon eux, 66 % ont vécu leur hospitalisation positivement, ce qui est nettement en dessous de la déclaration des jeunes eux-mêmes (80 %).

L’opinion des jeunes sur les entretiens psychologiques Le bilan de ces entretiens est plus positif pour les garçons que pour les filles mais, pour la plupart et pour les deux sexes, le contact avec le « psy » a été bon et ils ont pu parler et se confier. Un quart aurait aimé qu’il pose plus de questions et la majorité des jeunes ont trouvé douloureux de parler de tout cela. Au final, l’opinion globale sur ces entretiens est nettement positive.

Commentaires L’image donnée par ces jeunes des intervenants psychologiques qu’ils ont rencontrés pendant leur séjour hospitalier est plutôt favorable, peut-être plus qu’on ne le croit habituellement. Il y a assez peu de différences entre majeurs et mineurs concernant ces items, les majeurs sont cependant plus nombreux que les mineurs à regretter qu’on ne leur pose pas plus de questions, ce qui témoigne peut-être d’un abord différent des majeurs par les « psy » en général ou par les psychiatres d’adulte.

Les parents répondants Le questionnaire « parents » a été rempli pour 302 filles et 74 garçons, soit à peine la moitié de la population incluse par les médecins (49 %). De ce fait, les réponses parentales reçues ne peuvent être considérées comme représentatives de l’ensemble et il est nécessaire d’étudier ce qui différencie les parents qui ont répondu, des parents dont le questionnaire n’a pas pu être recueilli.

98

n Le vécu de ces entretiens pour les jeunes Le contact a été bon Ils ont pu parler, se confier Ils auraient aimé le voir plus souvent Ils auraient aimé qu’il pose plus de questions Ils ont trouvé douloureux de parler de tout cela Ils ont globalement une opinion positive sur ces entretiens (assez/très positive) ns : non significatif.

Garçons

Filles

116 (%)

441 (%)

86 83 33 20 56

79 72 38 28 61

84

79

p

Mineurs

Majeurs

p

292 (%)

264 (%)

ns 0,0298 ns 0,0424 ns

78 71 34 22 62

85 79 41 32 57

ns ns ns 0,0102 ns

ns

76

84

0,0805

Marie Choquet, Virginie Granboulan

Tableau 33. Opinion des jeunes suicidants sur les entretiens psychologiques durant l’hospitalisation par sexe et statut légal (questionnaire jeune, en %).

99

100

Tableau 34. Quels sont les parents qui répondent au questionnaire ?

n

ns : non significatif.

Refus des parents ou non réponses (2) 187 17,68 (± 3,12) 25,27 74,73 4,92 (± 6,07) (%) 33 16 15 36

Réponse des parents (3) 376 16,81 (± 2,70) 19,68 80,32 4,84 (± 6,25) (%) 35 18 21 25

94 6

91 9

97 3

46 36 18

53 29 18

55 35 10

0,0303

11 15 43 32

11 10 52 27

11 12 54 23

0,0803

2 5 35 51 7

5 14 40 36 5

6 11 48 30 6

p (1) (2) (1) (3) (2) (3)

p < 0,001 p < 0,001 p < 0,001 ns

(1) (2)***

ns

0,0380

Les jeunes suicidants à l’hôpital

Âge moyen (± ds) % de garçons % de filles Durée moyenne du séjour en jours (± ds) Service d’hospitalisation Pédiatrie Lits portes Psychiatrie ou lits portes « psy » Autres ou plusieurs Nationalité du jeune Français Étranger ou double nationalité Situation matrimoniale des parents Mariés ou ensemble Séparés ou divorcés Autres situations Situation professionnelle du père Cadre Profession intermédiaire Ouvrier/Employé Autre Situation professionnelle de la mère Cadre Profession intermédiaire Ouvriers/Employés Sans profession Autre

Le questionnaire n’a pas été remis (1) 207 20,18 (± 2,54) 30,43 69,57 3,07 (± 5,70) (%) 5 26 27 42

Marie Choquet, Virginie Granboulan

Ces derniers se répartissent en deux groupes selon la raison de l’absence de réponse : - soit le questionnaire ne leur a pas été remis (27 %), le plus souvent parce que les médecins ne les ont pas vus ; - soit le questionnaire leur a été remis mais les parents n’ont pas répondu (24 % soit le quart de la population), principalement par refus clairement exprimé, plus rarement (4 %) pour des raisons d’impossibilité (handicap, barrière de langue, etc.). Ces trois groupes, c’est-à-dire : (a) les parents ayant répondu ; (b) les parents auxquels le questionnaire a été remis mais qui ont refusé ; (c) les parents auxquels il n’a pas été remis, ont été comparés du point de vue de quelques données socio-démographiques simples. Les différences portent principalement sur l’âge de l’enfant, la durée de son séjour hospitalier et le service d’hospitalisation. On constate une progression de l’âge des enfants concernés, régulière et significative, d’un groupe à l’autre. Plus l’adolescent suicidant est jeune, plus les parents ont tendance à accepter de répondre (moyenne d’âge est de 16,8 ans dans ce groupe), plus il est âgé, plus les parents se situent dans le groupe auquel le questionnaire n’a pas été remis (moyenne d’âge est de 20,2 ans). Ce résultat signifie que les parents sont de moins en moins présents à l’hôpital ou de moins en moins en contact avec les médecins au fur et à mesure que le jeune avance en âge. Il conforte des données semblables retrouvées plus haut. Les parents qui ont eu le questionnaire mais qui ont refusé de le remplir se situent entre les deux. Il n’y a pas de différences de sexe entre ces groupes, logiquement le comportement des parents de filles et des parents de garçons est le même, du moins de ce point de vue. La réponse des parents dépend de la durée de séjour de leur enfant. Logiquement, les parents qui répondent au questionnaire sont ceux dont l’enfant est resté le plus longtemps à l’hôpital et ceux à qui le questionnaire n’a pas pu être remis au temps de séjour le plus court. Pour les parents qui ont refusé, le temps de séjour est semblable à ceux qui ont accepté. De la même façon, la réponse des parents est affectée par le service d’hospitalisation de leur enfant. C’est la pédiatrie qui a le taux le plus élevé de réponses parentales, et les lits portes le taux de réponse le plus faible. Cette donnée est étroitement liée à la durée de séjour, les lits portes ayant, par définition, des durées de séjour très courtes. La pédiatrie a un taux de questionnaires non remis particulièrement bas, témoignant de contacts étroits avec les parents dans ces services, à la

101

Les jeunes suicidants à l’hôpital

fois du fait du temps de séjour, de l’âge des adolescents concernés et de la tradition des pédiatres dans ce domaine. Enfin, les parents répondants, ceux qui refusent et ceux à qui le questionnaire n’a pas pu être remis ne se distinguent pas du point de vue socio-démographique, à part une différence selon le statut professionnel de la mère (plus de mères au foyer et moins de professions intermédiaires chez celles qui n’ont pas eu le questionnaire). Cette différence est difficile à interpréter, elle peut être liée au hasard car la significativité est faible.

Tableau 35. Qui remplit le questionnaire ? (en %). n Qui remplit le questionnaire ? Le père La mère Les beaux-parents Autres

Mineurs

Majeurs

249 (%)

127 (%)

27 67 2 4

26 61 3 10

p

ns

Ce sont les mères avant tout qui répondent, les pères dans seulement un quart des cas. La rubrique « autres » inclut les diverses situations où le suicidant ne vit pas chez ses parents et nous avions accepté les réponses des personnes qui ont en charge le jeune (famille d’accueil, famille élargie, éducateurs...). Il n’y a pas d’intérêt à distinguer l’opinion exprimée par les parents selon le sexe, les parents des filles et des garçons ne se différenciant pas quant à leur vécu de l’hospitalisation et du geste de leur enfant. Les réponses des parents seront donc présentées en séparant seulement parents des mineurs et parents des majeurs, cette différence de statut légal de l’enfant se révélant, elle, pertinente.

Les parents face à l’hospitalisation des jeunes Le premier contact des parents avec l’hôpital a lieu aux Urgences dans 72 % des cas. Il est vécu comme plutôt positif dans la majorité des cas (88 %). Les parents trouvent majoritairement facile l’accès aux personnes qui s’occupent de leur enfant : ils rencontrent facilement le médecin dans 83 % des cas et le « psy » dans 78 % des cas. Ils sont bien informés de l’état de santé de leur enfant et les deux tiers trouvent du réconfort auprès du personnel. Il n’y a pas de différences entre parents de mineurs et de majeurs pour tous ces items. En revanche, les parents de mineurs sont deux fois plus nombreux à se sentir jugés.

102

Tableau 36. Le premier contact avec l’hôpital (en %). n

ns : non significatif.

Majeurs 127 (%)

33 16 16 10 24

30 19 30 6 15

71 21 8

74 10 16

86 91

p

Manquants

0,016 14 % ns

34 %

90 86

ns

24 %

84 13 2

79 16 5

ns

29 %

78 18 4

78 13 9

ns ns ns

30 % 27 %

90 67 17 95 94

87 64 8 93 92

0,0548 ns ns ns ns

Marie Choquet, Virginie Granboulan

103

Qui a prévenu les parents de la TS de leur enfant ? Les parents l’ont découverte eux-mêmes Leur enfant leur a dit La famille ou un proche L’hôpital, les pompiers, SAMU, police... Autres Le premier contact avec l’hôpital a eu lieu Aux urgences Dans le service Autres Ce premier contact a été plutôt positif Pour les parents Pour les enfants (opinion des parents) L’accès au médecin qui s’occupait de leur enfant a été Plutôt facile Difficile ou très difficile N’ont pas cherché à le joindre L’accès au « psy » a été Plutôt facile Difficile ou très difficile N’ont pas cherché à le joindre Les parents... Ont été tenus au courant de l’état de santé de leur enfant Ont trouvé du réconfort auprès du personnel Se sont sentis jugés Opinion positive sur l’accueil qu’ils ont reçu Opinion positive sur l’accueil reçu par l’enfant

Mineurs 249 (%)

Les jeunes suicidants à l’hôpital

Commentaires Le sentiment d’être jugé par les acteurs hospitaliers est deux fois plus fréquent chez les parents de mineurs. Il y a probablement là intervention d’un sentiment de responsabilité plus grand vis-à-vis de leur enfant lorsque celui-ci est plus jeune. On note, par ailleurs, un taux important de non-réponses à l’ensemble de ces questions et on peut se demander si les parents insatisfaits ont osé exprimer leur opinion. Finalement, les parents qui répondent au questionnaire paraissent très satisfaits de l’hôpital, aussi bien concernant l’accueil qu’ils y ont reçu que l’accueil de leur enfant.

Les réactions des parents face à l’acte suicidaire La plupart des parents sont surpris par le geste de leur enfant (60 %), 25 % s’y attendaient un peu, 6 % seulement s’y attendaient beaucoup. Ils sont plus souvent surpris, lorsque l’enfant est mineur, alors même que dans ce cas ils sont vraisemblablement en contact plus étroit avec leur enfant. S’agit-il d’un sentiment de moindre responsabilité, qui permettrait aux parents des majeurs une plus grande distance et une meilleure évaluation des difficultés de leur enfant ? Dans la question sur les réactions à la tentative de suicide, on demandait aux parents de préciser à la fois leurs réactions sur l’instant, puis avec un peu de recul au moment du remplissage du questionnaire (lequel est rempli en règle au moment de la sortie, le recul est donc variable selon la durée de séjour du jeune). On peut noter ainsi l’évolution des affects parentaux. Douleur, tristesse et abattement sont les sentiments dominants sur l’instant et le resteront bien que diminuant un peu. La colère est un ressenti important sur l’instant et c’est celui qui s’estompe le plus, pour faire place à la compréhension. Cette compréhension est plus fréquente chez les parents des majeurs que chez ceux des mineurs, lesquels sont deux fois plus nombreux à se sentir agressés. On retrouve de nouveau l’absence d’anticipation chez les parents des mineurs.

Le soutien des parents Les parents des jeunes suicidants paraissent assez isolés dans cet événement. Un peu plus de la moitié trouvent beaucoup de soutien auprès de leur famille ou de leur entourage, mais un quart seulement un peu et un quart pas du tout.

104

Tableau 37. Les réactions des parents au geste suicidaire de leur enfant (en %). Sur le moment Majeurs

249 (%)

127 (%)

Ils ont ressenti... ...de la colère ...de la culpabilité ...de la compréhension ...de la douleur ...de la tristesse Ils se sont sentis agressés Ils ont été surpris Ils se sont sentis abattus Ils en ont parlé à leur famille Ils en ont parlé à d’autres personnes

53 61 43 91 92 31 84 83 66 61

49 54 63 93 96 23 74 82 65 61

Les parents s’attendaient à ce geste Un peu Beaucoup Pas du tout

21 5 74

34 7 58

n

ns : non significatif ; nd : non disponible.

p

Mineurs

Majeurs

249 (%)

127 (%)

ns ns 0,0047 ns ns ns 0,0412 ns ns ns

15 49 67 78 87 27 66 66 72 67

12 46 77 80 88 13 47 72 60 59

0,0096

nd nd nd

nd nd nd

p

ns ns ns ns ns 0,0312 0,0069 ns 0,0771 ns

Marie Choquet, Virginie Granboulan

Mineurs

Maintenant

105

Les jeunes suicidants à l’hôpital

Tableau 38. Les parents trouvent-ils du soutien dans leur entourage ? (en %).

Mineurs

Majeurs

249 (%)

127 (%)

Ils ont trouvé du soutien auprès de leur famille Un peu Beaucoup Pas du tout

27 50 23

Ils ont trouvé du soutien auprès d’autres personnes Un peu Beaucoup Pas du tout

26 52 22

n

p

Manquants

21 55 24

ns

18 %

22 59 18

ns

22 %

ns : non significatif.

Les parents et les entretiens psychologiques L’opinion des parents sur les entretiens « psy » qu’ont eu leur enfant est majoritairement positive : 89 % les jugent indispensables ou utiles.

Tableau 39. L’opinion des parents sur la prise en charge psychologique de leur enfant par statut légal (en %). Mineurs

Majeurs

249 (%)

127 (%)

Leur opinion sur les entretiens entre leur enfant et le « psy » Indispensable Cela a pu être utile Cela ne sert à rien Ils ne savent pas

58 30 2 10

58 34 2 6

ns

Ils pensent que le suivi « psy » sera utile Non Oui (indispensable) Ne savent pas

3 85 12

6 88 6

ns

On leur a proposé de venir au premier rendez-vous

52

36

0,0141

Ils ont l’intention d’aller au premier rendez-vous

83

58

< 0,001

n

ns : non significatif.

106

p

Marie Choquet, Virginie Granboulan

Eux-mêmes, lorsqu’ils ont rencontré un « psy » à l’hôpital, en ont eu une opinion assez positive (57 %) ou très positive (37 %). Ceux qui n’ont pas rencontré de « psy » pendant l’hospitalisation, soit environ un quart, le regrettent pour 78 % des cas. Les parents sont majoritairement favorables au suivi psychologique après la sortie de l’hôpital. 42 % l’estiment utile, 38 % même indispensable. En majorité, on ne leur a pas proposé d’accompagner leur enfant au premier rendez-vous, surtout s’il est majeur. Pourtant, la plupart ont l’intention d’y aller et encore plus si l’enfant est mineur.

Les décalages et similitudes entre la perception des parents et celle des adolescents Certaines questions étant communes au questionnaire du jeune suicidant et à celui des parents, un comparaison entre leurs perceptions est possible. Cette comparaison n’a concerné que les 361 sujets qui possédaient les deux questionnaires.

Tableau 40. Perception de l’hospitalisation et des soignants (en %).

n Le contact avec les soignants Ont trouvé du réconfort auprès du personnel Ont parlé de la TS à un soignant Ont parlé d’autres problèmes à un soignant Se sont sentis jugés Les entretiens avec le « psy » Le contact a été bon Ont pu parler, se confier Auraient aimé voir le « psy » plus souvent Auraient aimé qu’il pose plus de questions C’était douloureux de parler de tout cela Opinion positive sur ces entretiens

Réponse des jeunes

Réponse des parents

(%)

(%)

71

67

0,3332

80

62

0,0001

50 34

40 15

0,0138 0,0001

80 75

97 88

< 0,001 0,001

34

54

0,0001

23

45

< 0,0001

60

28

< 0,0001

79

94

< 0,0001

p

107

Les jeunes suicidants à l’hôpital

En ce qui concerne l’hospitalisation et le contact avec les soignants Chacun a répondu pour son propre compte. On constate que le vécu des jeunes diffère assez nettement de celui des parents. De façon logique, les jeunes ont eu plus souvent que leurs parents l’occasion de parler avec des soignants de l’acte suicidaire ou d’autres problèmes. Mais surtout, ils sont deux fois plus nombreux à s’être sentis jugés par le personnel hospitalier. La différence est encore plus marquée concernant les entretiens que les adolescents d’un côté, et leurs parents de l’autre, ont eu avec un « psy » pendant l’hospitalisation. L’opinion des parents sur ces entretiens est plus positive que celle des jeunes, le contact est bien passé pour la quasi totalité des parents et ces entretiens sont moins douloureux pour eux que pour leurs enfants. La majorité des parents expriment le souhait de bénéficier de plus de contacts avec les « psy ». Ce vécu unanimement positif exprimé par les parents est à interpréter en gardant à l’esprit qu’un quart des parents ont refusé de remplir le questionnaire. Néanmoins, il est certainement un témoin de la place dévolue aux parents dans la prise en charge des adolescents.

Tableau 41. Perception du geste suicidaire (en %).

n

Réponse des parents

(%)

(%)

p

Quel est selon vous le facteur déclenchant Aucun Problème scolaire ou professionnel Problème sentimental Problème familial Autres Multiples

9

10

ns

7 26 19 9 31

11 20 19 7 32

0,0368 0,0892 ns ns ns

Quel est selon vous le sens principal de la TS Oublier, dormir Mourir Changer de vie Autres Appel au secours Plusieurs réponses

15 40 10 9 20 6

8 7 6 10 34 35

0,0044 < 0,0001 0,0336 ns < 0,0001 < 0,0001

ns : non significatif.

108

Réponse des jeunes

Marie Choquet, Virginie Granboulan

En ce qui concerne le facteur déclenchant et le sens de l’acte suicidaire Les parents perçoivent bien les causes immédiates qui ont déclenché le geste de leur enfant. En particulier, ils ne dénient pas les problèmes familiaux qui sont incriminés de façon identique par eux et par les jeunes (19 %). Les parents ont tendance cependant à donner plus d’importance aux problèmes scolaires et professionnels et à sousestimer légèrement les problèmes sentimentaux dont ils ne sont peutêtre pas toujours au courant. Mais il existe des différences importantes entre les parents et les adolescents concernant le sens qu’ils donnent à la tentative de suicide Alors que 40 % des jeunes déclarent avoir voulu mourir, seulement 7 % des parents reconnaissent cette intention chez leur enfant. Il est possible que les jeunes dans leur auto-déclaration maximisent un peu leur volonté de mort, mais plus probablement cette différence s’explique par un déni de la part des parents pour qui il est très difficile d’accepter ou d’imaginer un tel désir chez leur enfant. Les parents interprètent avant tout l’acte suicidaire comme un appel au secours, idée plus supportable et qui les laisse moins impuissants. À noter que la question était posée comme un choix unique (sens principal de la TS), ce à quoi les jeunes se sont conformés alors qu’un tiers des parents n’ont pas pu s’empêcher de cocher plusieurs réponses. Il est probable que le but de leur geste était assez clair pour les jeunes, alors que pour les parents il apparaissait complexe et difficilement réductible à une seule réponse.

109

Les jeunes suicidants à l’hôpital

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110

II. LE DEVENIR (À 3 MOIS ET 1 AN) DES SUICIDANTS HOSPITALISÉS

Les jeunes suicidants à l’hôpital

L’étude du devenir après l’hospitalisation est un objectif important de l’enquête. Dès lors, plusieurs thèmes peuvent être abordés. 1. Comment se ré-organise le souvenir de l’hospitalisation ? En effet, dans plusieurs études, la satisfaction du patient est un élément essentiel d’évaluation. Mais on peut raisonnablement se demander si cette évaluation se modifie (dans un sens positif ou négatif) dans le temps. 2. Combien de jeunes sont suivis psychologiquement et quels sont les facteurs qui déterminent ce suivi (ou ce non-suivi) ? Cliniquement, on sait combien il est difficile de suivre les adolescents suicidants et les études qui ont porté sur ce sujet l’ont confirmé : il y a entre 30 % et 70 % de ruptures de suivi après la sortie de l’hôpital (Litt, 1983 ; Swedo, 1989 ; Spirito, 1992). Dans la pratique clinique, on a le sentiment que ces jeunes « non compliants » sont caractérisés par leurs mécanismes de défense. La discontinuité dans les relations, et le passage à l’acte comme moyen d’évacuer les pensées et les affects douloureux, sont les deux éléments qui les caractérisent le plus souvent. Autrement dit, cette éviction de la mentalisation grâce à la rupture et au passage à l’acte, qui va entraver ou empêcher le suivi, est aussi précisément ce qui, au départ, avait conduit le jeune à l’hôpital. Cette hypothèse conduirait à imaginer un profil de suicidants particulièrement à risque de rupture de suivi, caractérisé par la difficulté à mentaliser et à ressentir la souffrance, et une propension à l’évacuer dans les troubles de l’agir. Comme d’autres facteurs peuvent avoir une influence sur le suivi, tels que des facteurs sociaux et familiaux, mais aussi des facteurs thérapeutiques, à savoir la prise en charge hospitalière initiale de la tentative, on propose une analyse globale de ces facteurs. 3. Quel est le devenir des jeunes suicidants, selon leur prise en charge et la gravité de leur acte suicidaire, selon leur situation personnelle et leurs antécédents suicidaires, est une question tout aussi complexe. En effet, il s’agit d’étudier « l’histoire naturelle » du suicidant et de son devenir, en fonction de critères personnels ou thérapeutiques. Bien sûr, ces études sur l’histoire naturelle ne permettent pas d’évaluer l’efficacité de telle ou telle thérapeutique. En effet, en l’absence de méthodes contrôlées (comparaison de plusieurs méthodes de prise en charge) et de cas appariés (type « cas/témoin »), il est difficile de conclure à l’efficacité de telle ou telle prise en charge. Mais ces études permettent de suivre le devenir des suicidants en général, selon qu’ils sont (ou non) traités (sans pouvoir évaluer le type de traitement), selon qu’ils ont des antécédents suicidaires ou non, selon qu’ils ont une psychopathologie avérée ou non.

112

Marie Choquet, Virginie Granboulan

CHAPITRE 3 L’ÉVOLUTION DES SOUVENIRS

Évolution des souvenirs de l’hospitalisation Certaines des questions qui avaient été posées aux jeunes lorsqu’ils étaient à l’hôpital (T0), sur le vécu de cette hospitalisation, ont été reposées dans les questionnaires envoyés 3 mois (T1) et un an après (T2), de façon à apprécier comment les souvenirs évoluent avec le temps. Le souvenir de l’hospitalisation se négative fortement avec le temps : à 3 mois, le souvenir de l’hospitalisation s’est modifié et c’est devenu un moment pénible pour la majorité des jeunes. Ce mouvement est présent chez les filles comme chez les garçons, mais encore plus marqué chez les garçons : chez eux, le pourcentage de jeunes qui trouvent que l’hospitalisation a été un moment pénible passe de un quart sur le moment à trois quarts trois mois après. De même, plus le temps passe, moins les suicidants sont nombreux à penser que l’hospitalisation a été positive, et là aussi ce mouvement régulier de décroissance est plus marqué chez les garçons. Malgré cela, les filles sont de plus en plus nombreuses à penser qu’elles ne sont pas restées suffisamment longtemps à l’hôpital : le pourcentage de sujets qui pensent ne pas être restés assez longtemps à l’hôpital augmente à distance de l’hospitalisation, ceux qui pensent être restés trop longtemps diminue dans les mêmes proportions. Mais cette évolution ne s’observe que chez les filles, les garçons restant assez stables dans leur opinion sur ce point. Les filles sont donc dans une position paradoxale qui consiste à dire que c’était pénible mais que cela n’a pas duré assez longtemps... Le souvenir des échanges avec les soignants est plus stable : les pourcentages se modifient peu au cours du temps pour les questions concernant le contact avec les soignants, et ce dans les deux sexes.

113

Les jeunes suicidants à l’hôpital

Commentaire La position paradoxale des filles pourrait susciter bien des interprétations psychopathologiques, mais elle n’est peut-être pas si contradictoire qu’elle en a l’air. Le souvenir de l’hospitalisation se négative, peut-être du fait d’une prise de conscience qu’elle a été insuffisante, et de l’importance des problèmes auxquels elles étaient confrontées à l’époque et pour certaines encore actuellement. Le caractère pénible serait alors lié non pas à l’hospitalisation en elle-même mais aux difficultés internes qui l’ont rendue nécessaire. La réorganisation des souvenirs avec le temps est très marquée, ce qui pose des problèmes en recherche. Les études, et en particulier les enquêtes de satisfaction qui sont de plus en plus pratiquées, auront des résultats très différents selon qu’elles seront réalisées sur le moment ou dans un délai après la sortie. De plus, cette évolution des souvenirs affectera différemment les populations étudiées selon leur sex ratio, car tout en concernant les deux sexes, elle est plus marquée chez les garçons.

Souhaits émis par les suicidants un an après Nous avions posé deux questions dans le questionnaire à un an, sur ce qui leur paraissait le plus important lors d’une hospitalisation pour TS, ainsi que sur la durée optimale de séjour qu’ils recommandaient. On est surpris de constater que ces jeunes, qui en majorité ont vécu un moment pénible lors de leur hospitalisation, recommandent cependant une hospitalisation très longue : la bonne durée étant en moyenne à leur avis de 11 jours pour les filles, 15 jours pour les garçons, soit deux à quatre fois le temps qu’ils sont restés effectivement ! Ils sont bien loin des recommandations de l’ANAES (3 jours)... Concernant ce qui est le plus important lors du séjour hospitalier pour une tentative de suicide, les garçons se montrent plus pragmatiques que les filles : ils souhaitent avant tout être tirés d’affaire sur le plan physique. En deuxième choix, on note la place prépondérante donnée par les sujets des deux sexes au fait de retrouver un dialogue avec leurs parents, et d’être bien soignés sur le plan psy.

114

Tableau 42. Évolution des souvenirs de l’hospitalisation. Filles n = 135 T0 %

T1 %

T2 %

T0/T1

52 85 51

73 76 49

/ / /

0,0003 0,0671 ns

41

47

/

ns

63 9 28 82

53 30 17 72

56 30 14 70

< 0,0001 0,0687

Garçons n = 23

115

Ont vécu un moment pénible Ont parlé de leur suicide à un soignant Ont parlé d’autres problèmes à un adulte Une personne de l’hôpital s’est plus particulièrement occupée du jeune Ils pensent être restés à l’hôpital... ... le temps nécessaire ... pas assez longtemps ... trop longtemps Globalement cette hospitalisation a été plutôt positive ns : non significatif.

T0/T2

T1/T2

< 0,0001 0,0308

ns ns

p

T0 %

T1 %

T2 %

T0/T1

24 90 52

70 86 26

/ / /

0,0024 ns 0,0736

57

41

/

ns

60 10 30 89

61 26 13 76

61 13 26 57

ns ns

T0/T2

T1/T2

ns 0,0222

ns ns

Marie Choquet, Virginie Granboulan

Ont vécu un moment pénible Ont parlé de leur suicide à un soignant Ont parlé d’autres problèmes à un adulte Une personne de l’hôpital s’est plus particulièrement occupée du jeune Ils pensent être restés à l’hôpital... ... le temps nécessaire ... pas assez longtemps ... trop longtemps Globalement cette hospitalisation a été plutôt positive

p

Les jeunes suicidants à l’hôpital

Tableau 43. Souhaits émis par les jeunes suicidants un an après concernant la prise en charge d’une TS.

Filles n = 135

Garçons n = 23

10,7 (9,5)

14,8 (10,6)

0,0907

1er choix : - « d’être tiré d’affaire » sur le plan physique - de pouvoir parler avec d’autres jeunes - d’être bien soigné sur le plan psy - de retrouver un dialogue avec ses parents

27 24 35

45 25 20

0,0938 ns ns

14

10

ns

2e choix : - « d’être tiré d’affaire » sur le plan physique - de pouvoir parler avec d’autres jeunes - d’être bien soigné sur le plan psy - de retrouver un dialogue avec ses parents

9 20 33

20 0 40

ns 0,0256 ns

38

40

ns

La bonne durée d’hospitalisation pour une TS est... moy (ds)

p

Le plus important lors d’une hospitalisation pour TS c’est...

ns : non significatif ; ds : déviation standard.

Commentaire Il se confirme que le caractère pénible de ce qu’ils ont vécu à l’hôpital semble à relier à leur problématique à l’époque, qui les a conduits à un geste suicidaire, et pas à l’hospitalisation en elle-même. La nécessité de soins après un tel acte semble tellement claire dans leur esprit qu’il recommandent une hospitalisation de très longue durée malgré son caractère pénible. Dans ce qu’ils attendent de l’hospitalisation, ils se montrent plein de bon sens : des soins physiques et psychiques de qualité, et qui n’excluent pas les parents.

116

Marie Choquet, Virginie Granboulan

CHAPITRE 4 SUIVI PSYCHOLOGIQUE DES ADOLESCENTS SUICIDANTS Dans un premier temps, nous allons décrire le type de suivi des jeunes qui ont participé à l’enquête. Ensuite nous allons étudier les facteurs associés au suivi, et ce uniquement pour les sujets ayant été suivis pendant les 3 premiers mois (à cause des effectifs plus élevés de sujets). Nous avons considéré cela comme pertinent dans la mesure où seulement 13 % des sujets démarrent un suivi après. De plus des événements survenus entre-temps (comme par exemple une récidive) peuvent être à la base de cette initiative ultérieure. Les répondants à trois mois ont été répartis en trois groupes : a. ceux qui ne sont jamais venus en consultation psy ou une seule fois (51 %, soit n = 144) ; b. ceux qui sont venus mais ont raté des rendez-vous (20 %, soit n = 57) ; c. ceux qui sont allés à tous les rendez-vous prévus (28 %, soit n = 80). Deux types de comparaisons ont été faites : a. versus (b + c), le but étant de rechercher les facteurs qui influent sur la probabilité de s’engager dans un suivi ; b. versus (c), le but étant d’établir, parmi les suicidants suivis, les facteurs de risque d’un suivi irrégulier.

117

Les jeunes suicidants à l’hôpital

Description du suivi psychologique Prévalence de suivi18 Trois mois après la sortie, fréquence du suivi psychologique ambulatoire : • n’y sont jamais allés ou une seule fois : 51 % ; • y sont allés mais ont raté des rendez-vous : 20 % ; • sont allés à tous les rendez-vous prévus : 28 %. Ainsi, la moitié de l’échantillon enquêté n’a pas eu de prise en charge psychologique. Parmi ceux qui ont bénéficié d’une prise en charge, 42 % (soit 20 % de l’échantillon enquêté) sont suivis irrégulièrement, avec des rendez-vous ratés, et 58 % (soit 28 % de l’échantillon enquêté) sont allés à tous les rendez-vous fixés par le thérapeute. On peut conclure que pour 71 % des suicidants il y a eu rupture de prise en charge. À un an, les taux de suivi sont pratiquement les mêmes : 44 % sont suivis à un an, même irrégulièrement, contre 49 % à trois mois. Il y a donc eu logiquement des arrêts de prise en charge dans ce délai, mais également l’effet inverse avec des échanges entre les groupes : parmi ceux qui déclaraient n’avoir jamais consulté au bout de trois mois, un tiers ont consulté au moins une fois au bout d’un an. Ainsi, il est possible qu’un suivi s’instaure à distance de l’acte suicidaire, mais cette éventualité ne concerne qu’un faible pourcentage de la population totale (13 %).

Commentaires Notre enquête confirme la fréquence des ruptures thérapeutiques après la sortie de l’hôpital, et correspond aux donnés disponibles dans la littérature. Trois études sur des populations de suicidants en psychiatrie ont retrouvé respectivement 34 % de ruptures au bout d’un mois (Kerfoot, 1992), 68 % et 60 % à trois mois (Granboulan, 1995 ; Cummins, 1984). D’autres travaux, sur des populations d’hôpitaux généraux ou de services d’urgence, ont trouvé des taux semblables : 77 % parmi 115 sujets (Trautman, 1993), 71 % de 80 sujets (Swedo, 1989), 44 % de 50 sujets (Taylor, 1984), et 42 % de 143 sujets (Piacentini, 1995). La plupart de ces enquêtes concernent des 13-19 ans, c’est-à-dire des sujets un peu plus jeunes que les nôtres. Le taux de 18. Pour des raisons pratiques, on appellera « échantillon enquêté » les suicidants qui ont accepté de répondre à l’enquête de 3 mois ou 1 an après leur hospitalisation à l’hôpital général et « suicidants suivis », ceux qui, parmi l’échantillon enquêté, ont été suivis psychologiquement.

118

Marie Choquet, Virginie Granboulan

rupture que nous retrouvons se situe à peu près dans la médiane des chiffres publiés ; on peut souligner également que notre population est numériquement plus importante.

Motifs de non-suivi La peur de parler. À ceux qui n’avaient pas consulté après l’hospitalisation (soit 51 % de l’échantillon enquêté), on en demandait les raisons principales, à cocher dans une liste proposée. La raison dominante invoquée par les jeunes est la peur de parler de choses qui leur sont douloureuses. C’est vrai dans les deux sexes mais deux fois plus chez les filles. Ce sentiment évolue peu au cours du temps. Un besoin non ressenti. La deuxième raison, invoquée par près de la moitié des filles et un tiers des garçons à trois mois, est tout simplement qu’ils n’en ressentent pas le besoin, et c’est un motif qui augmente de façon significative avec le temps. Un tiers des suicidants des deux sexes incriminent le fait qu’ils ne connaissaient pas le psy qu’on leur a indiqué. Cet élément est stable au cours du temps et plaide pour une continuité entre l’hospitalisation et la suite. Mais pas l’opposition des parents. Le sentiment que leurs parents serait contre est le tout dernier motif, et n’est coché que par un faible pourcentage de filles et aucun garçon.

Commentaires Les suicidants placent les principaux obstacles au suivi en eux-mêmes et non en l’extérieur (psy, parents), et avant tout dans la peur des éprouvés douloureux qu’ils contiennent et que les consultations vont faire émerger. On est frappé par la très faible place d’une éventuelle opposition parentale dans les motifs de rupture thérapeutique. Elle n’est évoquée que par une faible minorité de filles et par aucun garçon, alors que dans l’esprit et le discours des cliniciens, elle a souvent une place plus importante. Plusieurs interprétations sont possibles : on peut penser que les jeunes suicidants n’ont pas une conscience claire de l’opposition de leurs parents au suivi, ou bien aussi qu’ils en sont conscients mais qu’elle n’intervient pas dans leur décision de rupture thérapeutique. Mais il est possible aussi que les cliniciens surestiment beaucoup les résistances parentales, et en tout cas le rôle qu’elles jouent à cet âge.

119

120 Filles n = 135

Pour ceux qui n’ont pas consulté Les principales raisons sont : Ils avaient peur de remuer des choses douloureuses Ils sentaient que leurs parents étaient contre Ils ne connaissaient pas le psy qu’on leur avait indiqué Ils n’en ressentaient pas le besoin ns : non significatif.

Garçons n = 23

T1 %

T2 %

p

T1 %

T2 %

p

65 8 33 47

61 14 34 69

ns ns ns 0,0076

33 0 33 33

24 0 25 76

ns ns ns 0,0461

Les jeunes suicidants à l’hôpital

Tableau 44. Motifs de non-suivi psychologique exprimés 3 mois (T1) et un an (T2) après la tentative de suicide (en %).

Marie Choquet, Virginie Granboulan

Vécu des entretiens psychologiques À ceux qui ont été suivis après la sortie, on a demandé leur opinion sur ces consultations ambulatoires. Deux impressions dominent : ces consultations sont douloureuses pour plus de la moitié des jeunes, et les filles l’expriment encore plus que les garçons ; mais elles sont positives, pour plus des trois quarts. Environ un sur cinq aimeraient voir leur psy plus souvent, mais surtout ils aimeraient qu’il leur pose plus de questions et c’est le cas en particulier des garçons. Il y a peu d’évolution de cette opinion au cours du temps.

Commentaires Ceux qui sont suivis peuvent donc confirmer dans leurs craintes ceux qui ont peur d’y aller : effectivement, c’est douloureux. Mais ils y ajoutent que cette douleur a un sens et s’accompagne d’une évolution positive.

Bilan du suivi avec le recul d’un an Dans le questionnaire à un an de la tentative, nous avions posé des questions à ceux qui ont été suivis, sur les modalités et aléas de ce suivi, c’est-à-dire son histoire naturelle, et aussi sur ce qui était difficile dans le fait de consulter un psy. Il se confirme que le suivi s’instaure le plus souvent tout de suite après la tentative, parfois quelques semaines après, mais peu ultérieurement. Plus de la moitié ont eu des périodes d’interruption dans leur suivi, et près d’un quart ont changé de psy. La majorité d’entre eux consultent pendant moins de six mois après la tentative, notamment parmi les garçons. Un an après, un tiers des filles mais seulement 13 % des garçons sont toujours suivis. Plus de la moitié de ceux qui ont arrêté l’ont fait sans l’accord du psy. Il n’y a guère de différences garçons/filles dans cette histoire naturelle du suivi, celles-ci n’apparaissent que dans le domaine des opinions sur ce que représente le fait d’aller voir un psy. Beaucoup trouvent difficile cette démarche, notamment parmi les filles bien qu’elles soient globalement plus compliantes que les garçons. Toutes les phrases que nous avions proposées pour la caractériser ont été largement cochées, sauf la peur de mettre en cause ses parents qui, une fois de plus, est l’item le moins coché. On note que la peur d’être vraiment fou est presque aussi importante que la peur de passer pour un fou, ce qui explicite de façon intéressante l’adage « les psy c’est pour les fous » que les adolescents opposent souvent à

121

122 Tableau 45. Opinion sur les consultations thérapeutiques de suivi exprimée 3 mois (T1) et un an (T2) après la tentative de suicide (en %).

T1 %

T2 %

Le vécu des entretiens Le contact est bon Ils peuvent parler, se confier Ils aimeraient voir le psy plus souvent Ils aimeraient que le psy leur pose plus de questions C’est douloureux de parler de tout cela

80 77 20 35 68

75 71 17 41 71

Globalement ces entretiens ont été... Très positifs Assez positifs Assez négatifs Négatifs

20 59 11 11

15 62 20 3

ns : non significatif.

Garçons n = 23 p ns ns ns ns

0,0957

T1 %

T2 %

p

83 83 30 58 50

73 67 20 40 60

ns ns ns ns ns

17 50 17 17

13 60 13 13

ns

Les jeunes suicidants à l’hôpital

Filles n = 135

Marie Choquet, Virginie Granboulan

Tableau 46. Bilan du suivi à un an de la tentative pour ceux qui ont consulté (en %).

Filles n = 135

Garçons n = 23

Ceux qui ont consulté Combien de temps après la sortie ? Tout de suite après Avec un délai de plusieurs semaines Avec un délai de plusieurs mois Avec période(s) d’interruption

68 26 6 56

73 27 0 69

ns ns

Avec le même psy ? Oui Non

76 24

80 20

ns

Ils ont consulté pendant une période De moins de 6 mois De 6 mois ou plus

58 42

71 29

ns

Ils sont toujours en traitement Oui Non

32 68

13 87

ns

Ceux qui ont arrêté Ils l’ont fait avec l’accord du psy

40

46

ns

L’opinion des jeunes suicidants sur le fait de consulter un psy Il est difficile d’aller voir un psy On ne sait pas par où commencer L’effet n’est pas immédiat C’est quelque chose qui peut aider On a peur de mettre en cause ses parents On a peur de pleurer, s’effondrer On a peur de passer pour un fou On a peur d’être fou

70 91 78 84 42 69 67 46

44 69 81 81 20 40 44 38

0,0411 0,0227 ns ns ns 0,0278 0,079 ns

p

ns : non significatif.

cette démarche. Là aussi, c’est d’eux-mêmes et de ce qu’ils contiennent qu’ils ont peur, plus que d’une étiquette ou du regard extérieur. De façon significative, les garçons sont plus nombreux à trouver difficile d’aller voir un psy, et ils ressentent plus que les filles la peur de pleurer ou de s’effondrer. En revanche, ils sont plus directs que les filles et moins nombreux à ne pas savoir par où commencer.

123

Les jeunes suicidants à l’hôpital

Facteurs déterminant l’engagement dans un suivi psychologique Facteurs socio-démographiques Tableau 47. Suivi psychologique par sexe et âge. Sexe (% filles) Âge moyen

Non-suivi

Suivi

p

79,9

89,0

0,05

17,8 ± 2,9

17,0 ± 2,7

0,01

Figure 1. Suivi psychologique par âge (en %).

Les filles sont plus compliantes que les garçons, le pourcentage de filles dans le groupe des suivis (89 %) étant plus élevé que dans le groupe des non-suivis (79 %). Une autre façon de l’exprimer est de constater que dans la population globale, 51 % des filles, contre seulement 34 % des garçons, ont été suivies après leur tentative. Les suicidants sont également d’autant mieux suivis qu’ils sont plus jeunes, avec un taux qui passe de 60 % en dessous de 16 ans à 39 % au-dessus de 20 ans. Dans les résultats qui vont suivre, les comparaisons entre suivis et non-suivis seront donc ajustées sur le sexe et sur l’âge.

124

Marie Choquet, Virginie Granboulan

Commentaires Des résultats contradictoires ont été publiés sur l’influence du sexe et de l’âge sur le taux de suivi. Piacentini (1995) a trouvé une interaction entre ces deux facteurs. Dans son étude, les garçons (et non les filles) qui ne sont pas venus au suivi étaient significativement plus âgés que ceux qui se sont engagés dans un suivi. Deux autres études (Litt, 1983 ; Swedo, 1989) n’ont pas trouvé d’effet sexe ni âge sur le suivi, mais elles portaient sur des 13-19 ans, c’est-à-dire des populations plus jeunes que la nôtre. L’interaction entre les deux éléments (un effet sexe augmentant avec l’âge) expliquerait nos résultats dans une population allant jusqu’à 24 ans. Quoi qu’il en soit, l’existence d’une influence du sexe et de l’âge sur le taux de suivi dans notre population implique que, dans les analyses qui vont suivre, les comparaisons entre suivis et non-suivis seront ajustées sur sexe et âge.

Facteurs d’environnement (familial et social), événements de vie

Tableau 48. Famille, scolarité, antécédents et suivi psychologique (en % et OR).

Non-suivi n = 144 (%)

Suivi n = 137 (%)

Famille Parents séparés Sujet vit avec parents Père inactif Mère inactive

47 68 21 29

46 75 17 14

Ambiance familiale négative

34

35

Scolarité, antécédents Non-scolarisé

30

17

Apprécie peu l’école ou le travail A subi une agression sexuelle A subi une agression physique Déménagement récent Séparation parentale récente Décès récent

28 22 50 22 10 19

30 27 43 13 12 21

ORa [IC 95 %] ns ns ns 0,45 [0,23-0,87] ns 0,43 [0,19-1,00] ns ns ns ns ns ns

ORa : odds ratio ajusté selon le sexe et l’âge ; ns : non significatif.

125

Les jeunes suicidants à l’hôpital

L’inactivité de la mère est liée au suivi. Elle se rencontre deux fois plus souvent chez les non-suivis que chez les suivis. Nous avons considéré comme actives les mères soit qui travaillent, soit qui sont au foyer, les mères inactives correspondent donc aux autres situations, c’est-à-dire principalement retraite, chômage ou invalidité. La séparation des parents, le fait de vivre chez eux, l’inactivité du père ainsi que l’ambiance familiale n’ont pas d’influence sur le taux de suivi. Par père inactif, on entend les pères qui ne travaillent pas quelle qu’en soit la raison. Trois questions étaient posées aux jeunes concernant la vie de famille, sous forme de qualificatifs à choisir (tendue ou détendue, agréable ou désagréable, à rechercher ou à fuir). L’item « ambiance familiale négative » porté dans le tableau correspond à ceux qui ont coché au moins deux critères négatifs sur trois. Tout comme le statut scolaire. En ce qui concerne la scolarisation et les événements de vie, là aussi, un seul item dans cette sphère a une influence significative sur le suivi à âge et sexe égal. Il s’agit du statut de non-scolarisé, et l’odds ratio à 0,4 signifie que les suicidants encore à l’école ont 2,5 fois plus de chances que les autres d’être suivis.

Commentaires Les perturbations dans la configuration et l’ambiance familiale qui sont un facteur de risque bien connu de tentative de suicide, n’affectent pas le taux de suivi. Dans l’environnement du suicidant et ses antécédents de vie, il y a peu de facteurs qui modifient le taux de suivi, et ceux-ci sont avant tout des facteurs sociaux (inactivité de la mère, ne plus être à l’école).

Facteurs comportementaux : les conduites à risque Les consommateurs de cannabis, mieux suivis. On constate que la consommation de cannabis est liée au suivi, la probabilité d’être suivi étant multipliée par deux chez les suicidants qui en font usage. Les autres consommations n’affectent pas le suivi, pas plus que la fugue ou les conduites violentes.

Commentaires Ce résultat est un peu inattendu, dans la mesure où il est souvent énoncé que les adolescents impulsifs et présentant des conduites à risque sont les plus difficiles à suivre. Ce n’est pas ce que nous retrouvons. Bien au contraire, la seule conduite significative (usage du cannabis) augmente le taux de suivi au lieu de le diminuer. Il importe donc de remettre en question cette idée peut-être trop simpliste ou trop

126

Marie Choquet, Virginie Granboulan

Tableau 49. Conduites à risque et suivi psychologique (% et OR). Non-suivi n = 144 (%)

Suivi n = 137 (%)

ORa [IC 95 %]

Tabac quotidien Alcool régulier Cannabis régulier

54 6 12

62 7 18

Médicaments pour se droguer Héroïne, cocaïne, ecstasy Violences Se bagarrer fréquemment Frapper, casser fréquemment Fugue

15 9

13 13

ns ns 1,99 [0,95-4,18] ns ns

14 23 23

7 20 20

ns ns ns

ORa : odds ratio ajusté selon le sexe et l’âge ; ns : non significatif.

condensée, pour l’examiner plus en détail. D’une part impulsivité et conduites à risque ne sont pas la même chose, d’autre part le concept même de conduites à risque est un concept flou et confusionnant, qui englobe des comportements hétérogènes procédant de mécanismes psychopathologiques différents.

Autres facteurs personnels : caractéristiques de la tentative, psychopathologie Tableau 50. Caractéristiques de la tentative, psychopathologie et suivi psychologique (% et OR).

Non-suivi Suivi n = 144 (%) n = 137 (%)

ORa [IC 95 %]

Caractéristiques de la tentative Tentative de suicide non médicamenteuse Récidiviste Idées suicidaires fréquentes

12

15

ns

25 50

32 65

ns 1,88 [1,10-3,20]

Échelles de psychopathologie Échelle de dépression moy (ds) Échelle d’anxiété moy (ds) Échelle d’intention suicidaire moy (ds)

35,7 (11,3) 37,0 (10,2) 6,2 (4,1)

38,4 (10,2) 40,0 (9,8) 7,7 (4,9)

1,03 [1,00-1,06] 1,03 [1,01-1,06] 1,09 [1,03-1,16]

ns : non significatif ; ds : déviation standard ; ORa : odds ratio ajusté selon le sexe et l’âge.

127

Les jeunes suicidants à l’hôpital

Ceux qui ont des idées suicidaires fréquentes sont mieux suivis. Le moyen employé pour la tentative et l’existence d’antécédents suicidaires ne sont pas liés au suivi ultérieur. En revanche, ceux qui avaient des idées suicidaires souvent ou très souvent dans les mois précédant leur tentative ont été mieux suivis par la suite. Plus on a des troubles psy, mieux on est suivi. Toutes les dimensions psychopathologiques mesurées s’avèrent liées au suivi : plus le suicidant avait un niveau de dépression, d’anxiété ou d’intention suicidaire élevé au moment de sa tentative, plus il s’engage dans un suivi par la suite. Rappelons que les échelles d’anxiété et de dépression étaient en auto-évaluation alors que l’intention suicidaire était évaluée par les médecins.

Commentaires Les items testés ici sont tous liés entre eux et fortement liés au niveau de dépression. Ces résultats sont donc cohérents. Ils confirment une donnée bien connue en clinique à savoir que la dépression et d’une façon plus générale la souffrance ressentie, garantissent la demande et la possibilité d’instaurer un suivi.

Facteurs liés à la prise en charge Tableau 51. Prise en charge hospitalière de la tentative, vécu des entretiens psychologiques à l’hôpital et suivi psychologique (% et OR). Non-suivi Suivi n = 144 n = 137 (%) (%) Prise en charge à l’hôpital Durée séjour > 2 jours Entretien psy-jeune > 1 Entretien psy-parents Référent désigné Rendez-vous pris Contact pris avec le psychiatre Contact pris avec le médecin généraliste Entretiens à l’hôpital Pendant l’hospitalisation, le sujet a eu un bon contact avec le psy Pendant l’hospitalisation, le sujet s’est confié au psy C’était douloureux de parler de tout cela

ORa [IC 95 %]

43 68 58 19 28 12 12

64 78 69 37 59 40 7

2,56 [1,43-4,56] 1,65 [0,91-2,98] ns 2,48 [1,31-4,71] 3,75 [2,10-6,71] 5,12 [2,58-10,17] ns

82

77

ns

69

80

1,89 [1,02-3,54]

68

55

0,61 [0,35-1,08]

ORa : odds ratio ajusté selon le sexe et l’âge ; ns : non significatif.

128

Marie Choquet, Virginie Granboulan

La prise en charge hospitalière de la tentative influe sur le suivi après la sortie. Le fait de garder le jeune suicidant au moins trois jours à l’hôpital multiplie par 2,6 la probabilité de suivi ensuite ; le fait de réaliser au moins deux entretiens psychologiques pendant l’hospitalisation la multiplie par 1,7 ; le fait que ses parents soient reçus par le psy par 1,5 ; le fait de désigner un référent par 2,5 ; le fait de prendre le rendez-vous de suite avant la sortie par 3,8 et de contacter le psy par 5,1. Seul le contact avec le médecin traitant n’a pas d’impact. La confiance est un élément important. En ce qui concerne les entretiens psychologiques, ce n’est pas le fait d’avoir eu un bon contact avec le psy pendant l’hospitalisation qui améliore le taux de suivi, mais le fait d’avoir pu lui parler, de s’être confié. Ceux qui ont trouvé douloureux de parler de leurs difficultés à l’hôpital vont au contraire moins s’engager dans un suivi par la suite.

Commentaires Les résultats présentés ici sont nouveaux, vu le faible nombre de publications sur la prise en charge des suicidants à l’hôpital. Ces données sont capitales. Elles montrent que la façon dont la tentative de suicide est prise en charge dans l’immédiat sera déterminante pour la suite et le poids élevé de ces facteurs correspond au poids de nos pratiques hospitalières dans le suivi ultérieur. En ce qui concerne le vécu des entretiens psy pendant l’hospitalisation, on constate qu’il a également un poids sur l’engagement dans un suivi ambulatoire ultérieur avec des données qui sont cohérentes. On retrouve dans un test statistique ce que les suicidants déclaraient dans leurs questionnaires à trois mois puis à un an de la tentative : la peur des affects douloureux qui émergent dans les entretiens psy est l’obstacle principal au suivi de ces patients. Autrement dit, il ne suffit pas que le contact passe entre le jeune et le psy, car les émotions pénibles peuvent être trop fortes et déclencher une réaction défensive d’évitement. Les intervenants hospitaliers ont la possibilité de contrebalancer cette réaction d’évitement par leur engagement dans la prise en charge au moment de la tentative.

En résumé Sexe et âge interviennent dans le suivi post-hospitalisation, les filles et les plus jeunes sont les plus compliants.

129

Les jeunes suicidants à l’hôpital

À sexe et âge égal : • les facteurs d’environnement, social ou familial, ont peu d’influence sur le suivi ; • le suivi dépend fortement de la pathologie interne du suicidant : ceux qui vont le plus s’engager dans un suivi sont ceux qui présentaient au moment de leur tentative de suicide une souffrance mentalisée (c’est-à-dire des idées suicidaires fréquentes, une anxiété et une dépression dont ils sont conscients et dont ils rendent compte en auto-évaluation, et une intention suicidaire élevée) ; en revanche, les troubles des conduites (fugue, violence, consommation) n’ont que peu de poids ; • le suivi dépend fortement des pratiques hospitalières, c’est-à-dire de la prise en charge effectuée au moment de la tentative : le taux de suivi ultérieur peut être multiplié par un facteur allant de 2 à 5, grâce à quelques mesures simples (hospitalisation d’au moins trois jours, désignation d’un référent, au moins deux entretiens psy pendant le séjour, prise du rendez-vous de suite avant la sortie et prise de contact avec le psy qui doit assurer le suivi).

Facteurs déterminant la régularité du suivi psychologique Nous allons maintenant examiner, au sein des adolescents qui se sont engagés dans un suivi psychologique après leur sortie, les différences entre ceux qui ont raté des rendez-vous et ceux qui sont venus régulièrement à tous les rendez-vous prévus.

Facteurs socio-démographiques Tableau 52. Régularité du suivi par sexe et âge. A raté RV n = 57

Suivi régulier n = 80

p

Sexe (% filles)

89,5

88,7

ns

Âge moyen

16,7

17,1

ns

Ora : odds ratio ajusté selon le sexe et l’âge ; ns : non significatif.

Le sexe et l’âge n’interfèrent pas avec la régularité du suivi.

130

Marie Choquet, Virginie Granboulan

Facteurs d’environnement (familial et social), événements de vie Tableau 53. Famille, scolarité, antécédents et régularité du suivi (% et OR).

Famille Parents séparés Sujet vit avec parents Père inactif Mère inactive Ambiance familiale négative Scolarité, antécédents Non scolarisé Apprécie peu l’école ou le travail A subi une agression sexuelle A subi une agression physique Déménagement récent Séparation parentale récente Décès récent

A raté RV n = 57 (%)

Suivi régulier n = 80 (%)

ORa [IC 95 %]

57 72 18 17 35

37 76 16 13 34

ns ns ns ns ns

18 43

15 21

39

19

48 20 17 19

38 8 8 22

ns 0,37 [0,16-0,86] 0,28 [0,11-0,73] ns ns ns ns

ORa : odds ratio ajusté selon le sexe et l’âge ; ns : non significatif.

Le fait de se sentir mal à l’école ou dans son travail est en cause. Ce facteur divise par 2,5 la probabilité d’un suivi régulier. Parmi les variables familiales et scolaires, seul le malaise est associé. Tout comme le vécu d’une agression sexuelle. La régularité du suivi est également trois fois moindre lorsque le suicidant a des antécédents d’agression sexuelle. Les autres items testés ne sont pas significatifs. Mais aucun des items testés de l’environnement familial n’influe sur la régularité du suivi.

Facteurs comportementaux : les conduites à risque La consommation importante d’une substance liée à l’irrégularité du suivi. Pour les suicidants qui boivent régulièrement, la probabilité qu’ils se montrent réguliers dans leurs consultations est dix fois moindre que pour les autres. Pour ceux qui utilisent des médicaments pour se droguer ou se bagarrent fréquemment, elle est cinq fois moindre, et en cas d’usage de drogues « dures » trois fois moindre. L’usage du tabac et du cannabis ainsi que la fugue n’ont pas d’influence.

131

Les jeunes suicidants à l’hôpital

Tableau 54. Conduites à risque et régularité du suivi (% et OR).

Tabac quotidien Alcool régulier Cannabis régulier Médicaments pour se droguer Héroïne, cocaïne, ecstasy Violences Se bagarrer fréquemment Frapper, casser fréquemment Fugue

A raté RV n = 57 (%)

Suivi régulier n = 80 (%)

ORa [IC 95 %]

69 14 24

57 1,3 13

ns 0,12 [0,02-0,67] ns

23

5

0,25 [0,07-0,86]

23

5

0,28 [0,08-0,95]

15

1

0,04 [0,003-0,47]

31 21

12 20

0,34 [0,13-0,88] ns

ORa : odds ratio ajusté selon le sexe et l’âge ; ns : non significatif.

Commentaires Alors que les conduites à risque n’avaient que peu d’effet sur la probabilité de s’engager dans un suivi, on voit ici qu’elles ont un poids majeur sur le déroulement de ce suivi. On retrouve donc l’influence de l’impulsivité, comme un facteur négativement lié à la régularité du suivi. Ce résultat correspond à la clinique, et à la difficulté de suivre les adolescents violents et multiconsommateurs, qui utilisent leurs comportements comme un mode de défense contre l’intériorisation de leurs difficultés.

Autres facteurs personnels : caractéristiques de la tentative, psychopathologie Le mode de tentative, les antécédents suicidaires et la fréquence des idées suicidaires n’ont pas d’action sur la régularité du suivi. Les dimensions psychiques mesurées n’ont pas non plus d’impact sur la régularité du suivi. La souffrance psychique ressentie garantit la possibilité d’instaurer un suivi comme on l’a vu plus haut, mais non la régularité de celui-ci.

Facteurs liés à la prise en charge Le mode de prise en charge hospitalière a relativement peu d’impact sur la régularité du suivi. On a vu dans le chapitre précédent l’impact important de la prise en charge à l’hôpital sur le suivi ultérieur. Les éléments de cette prise en charge ont moins d’influence

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Marie Choquet, Virginie Granboulan

Tableau 55. Caractéristiques de la tentative, psychopathologie et régularité du suivi (en %, moyenne, ds et OR).

Caractéristiques de la tentative Tentative de suicide non médicamenteuse Récidiviste Idées suicidaires fréquentes Échelles de psychopathologie Échelle de dépression moy (ds) Échelle d’anxiété moy (ds) Échelle d’intention suicidaire moy (ds)

A raté RV n = 57 (%)

Suivi régulier n = 80 (%)

ORa [IC 95 %]

17 37

14 28

ns ns

69

63

ns

39,2 (9,6)

37,9 (10,6)

ns

41,4 (8,96)

39,1 (10,3)

ns

7,4 (4,7)

7,9 (5,0)

ns

ORa : odds ratio ajusté selon le sexe et l’âge ; ns : non significatif ; ds : déviation standard.

Tableau 56. Prise en charge hospitalière de la tentative et régularité du suivi (% et OR).

Durée séjour > 2 jours Entretien psy-jeune > 1 Entretien psy-parents Référent désigné Rendez-vous pris Contact pris avec le psychiatre Contact pris avec le médecin généraliste Pendant l’hospitalisation, le sujet a eu un bon contact avec le psy Pendant l’hospitalisation, le sujet s’est confié au psy C’était douloureux de parler de tout cela

A raté RV n = 57 (%)

Suivi régulier n = 80 (%)

ORa [IC 95 %]

71 81 65 33 67

59 75 73 41 53

2,9 [1,01-8,31] ns ns ns ns

37

43

ns

6

8

ns

73

80

ns

67

89

3,68 [1,32-10,26]

50

58

ns

ORa : odds ratio ajusté selon le sexe et l’âge ; ns : non significatif.

133

Les jeunes suicidants à l’hôpital

ici sur les modalités de ce suivi. On a même un schéma de résultats contradictoire puisque la régularité du suivi est meilleure chez ceux qui sont restés moins de trois jours à l’hôpital par rapport à ceux qui sont restés au moins trois jours, alors qu’inversement la désignation d’un référent augmente le taux de suivi régulier. Avec toutefois une importance non négligeable de la confiance. Concernant les entretiens à l’hôpital, on retrouve de nouveau la notion que ce n’est pas le contact avec le psy qui compte, mais le fait que le sujet ait pu lui parler et se confier, ce qui fait intervenir ses propres résistances comme élément supplémentaire.

Commentaires L’interprétation de ces résultats contradictoires est difficile. Il est possible que les sujets dont la coopération à un suivi apparaissait faible aient été gardés plus longtemps à l’hôpital, de façon à avoir au moins une action pendant le temps de la crise. En tout état de cause, les intervenants hospitaliers ont plus d’action sur l’engagement dans un suivi ultérieur que sur la régularité de celui-ci.

Conclusion Ce ne sont pas les mêmes facteurs qui interviennent dans le fait de s’engager dans un suivi d’une part, et dans le déroulement, c’est-à-dire la régularité de celui-ci, d’autre part. Dans les deux cas, les facteurs d’environnement familial ne sont pas au premier plan. L’inactivité de la mère (correspondant aux autres situations que travail ou au foyer) diminue la probabilité de s’engager dans un suivi, mais c’est le seul des éléments de cette sphère qui soit significatif, les items décrivant la vie de famille notamment ne le sont pas. Ce résultat est à rapprocher de l’auto-déclaration des jeunes qui, lorsqu’on leur demande les raisons de leurs difficultés à se faire suivre, accordent un rôle minime à une éventuelle opposition parentale. Les facteurs sociaux interviennent. Les garçons et les plus âgés ont tendance à la rupture thérapeutique après la sortie de l’hôpital et une attention particulière doit donc leur être portée, d’autant plus que la gravité pronostique des tentatives de suicide des garçons est bien établie. Par ailleurs, à âge égal, ceux qui ne sont plus scolarisés ont moins tendance à engager un suivi que les scolaires. Et parmi les adolescents suivis, ceux qui se sentent mal à l’école ou dans leur travail ont tendance à se monter irréguliers et à rater des rendez-vous.

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Marie Choquet, Virginie Granboulan

Mais les facteurs qui ont le plus d’influence se situent dans le domaine de la pathologie que présentait le suicidant au moment de sa tentative, et dans la prise en charge de cette tentative. Pour les résumer. • Le suivi psychologique après la sortie dépend de la pathologie du sujet. Plus le suicidant a une souffrance mentalisée, notamment anxio-dépressive, plus ses idées suicidaires sont fréquentes et son degré d’intention suicidaire élevé, plus il a tendance à s’engager dans un suivi. Mais cet engagement dépend également grandement des pratiques hospitalières. Un certain nombre de pratiques simples se révèlent d’un poids important puisqu’elles multiplient la probabilité de suivi par un facteur allant de 2 jusqu’à 5 (une durée de séjour d’au moins trois jours, au moins deux entretiens psychologiques avec le suicidant pendant l’hospitalisation, désigner un référent, prendre contact avec le psy qui doit assurer le suivi et prendre le rendez-vous avant la sortie du jeune). Les suicidants déclarant avoir pu parler et se confier au psy pendant l’hospitalisation ont une probabilité plus élevée d’être suivis par la suite que les autres, et ceux qui ont trouvé douloureux de parler une probabilité plus faible. Ces données sont cohérentes avec leurs réponses concernant la difficulté de se faire suivre, où ils incriminent comme cause principale leur propre peur des éprouvés douloureux. • Une fois que l’adolescent suicidant a démarré un suivi psychologique après sa sortie de l’hôpital, la régularité ou non de ce suivi dépend également de sa pathologie. Ce sont les adolescents qui ont des antécédents d’agression sexuelle, des conduites violentes et une consommation élevée d’alcool et de drogues autres que le cannabis, qui ratent des rendez-vous. Les pratiques hospitalières ont moins d’action sur la régularité du suivi que sur l’instauration de celui-ci, qu’il soit régulier ou non. Il y a relativement peu d’études dans la littérature sur les facteurs corrélés au suivi psychologique après la sortie de l’hôpital chez les jeunes suicidants. Concernant le rôle du sexe et de l’âge, deux études n’ont pas trouvé de corrélation (Litt, 1983 ; Swedo, 1989). Dans l’enquête de Piacentini (1995) en revanche, les plus âgés étaient moins suivis, comme nous l’avons trouvé également, mais il ne notait cet effet que chez les garçons et pas chez les filles. Trautmann (1993) n’a pas trouvé d’influence de l’âge mais les filles rataient plus de rendez-vous. Tous ces travaux ont été menés chez des 13-19 ans, ce qui introduit une différence notable avec notre population.

135

Les jeunes suicidants à l’hôpital

L’influence des facteurs familiaux n’a été étudiée que dans une seule publication portant sur 50 adolescents (Taylor, 1984). L’adhésion des parents au suivi psychologique était évaluée pendant l’hospitalisation par les médecins et non par l’adolescent lui-même, et se trouvait corrélée à la réalisation de ce suivi. Les autres facteurs (niveau socioéconomique, chômage et antécédents psychiatriques des parents, chaleur et communication au sein de la famille) n’avaient pas d’effet. Là aussi, il s’agit d’une population plus jeune que la nôtre. Le rôle des symptômes présentés par le suicidant a été plus étudié. La compliance a été trouvée meilleure chez ceux qui avaient un degré élevé d’intention suicidaire (Taylor, 1984) ou de préparation de leur tentative (Spirito, 1992), ce qui rejoint nos résultats. De la même façon, toujours dans l’enquête de Taylor, les suicidants s’engageant dans un suivi présentaient au moment de leur tentative plus de symptômes de dépression, insomnie, perte d’appétit, et plus de diagnostics psychiatriques. Il n’y a quasiment pas de données disponibles sur l’influence de la prise en charge hospitalière de la tentative. Une étude (Swedo, 1989), avec une méthodologie rétrospective, a montré que les suicidants qui avaient un projet de suite consigné sur le dossier étaient nettement plus nombreux que les autres à se faire suivre (38 % versus 6 %). Nos résultats apportent donc des données nouvelles, et incitent à formuler des recommandations concernant la prise en charge hospitalière des jeunes suicidants, dans le but d’améliorer le taux de suivi par la suite. L’analyse effectuée ci-dessus ne préjuge pas de l’influence que ce suivi a sur le devenir des jeunes suicidants. Cet aspect sera abordé dans le chapitre suivant concernant l’histoire naturelle du devenir de ces jeunes.

136

Marie Choquet, Virginie Granboulan

BIBLIOGRAPHIE 1. Cummins RR, Allwood CW. Suicide attempts or threats by children and adolescents in Johannesburg. S Afr Med J 1984 ; 66 : 726-9. 2. Granboulan V, Rabain D, Basquin M. The outcome of adolescent suicide attempts. Acta Psychiatr Scand 1995 ; 91 : 265-70. 3. Kerfoot M, McHugh B. The outcome of childhood suicidal behavior. Acta Paedopsychiatr 1992 ; 55 : 141-5. 4. Litt IF, Cuskey WR, Rudd S. Emergency room evaluation of the adolescent who attempts suicide : compliance with follow-up. J Adolesc Health Care 1983 ; 4 : 106-8. 5. Piacentini J, Rotheram-Borus MJ, Gillis JR, Graae F, Trautmann P, Cantwell C, Garcia-Leeds C, Shaffer D. Demographic predictors of treatment attendance among adolescent suicide attempters. J Consult Clin Psychol 1995 ; 63 : 469-73. 6. Spirito A, Plummer B, Gispert M, Levy S, Kurkjian J, Lewander W, Hagberg S, Devost L. Adolescent suicide attempts : outcomes at follow-up. Am J Orthopsychiatry 1992 ; 62 : 465-8. 7. Swedo SE. Postdischarge therapy of hospitalized adolescent suicide attempters. J Adolesc Health Care 1989 ; 10 : 541-4. 8. Taylor EA, Stansfeld SA. Children who poison themselves. I. A clinical comparison with psychiatric controls. II. Prediction of attendance for treatment. Br J Psychiatry 1984 ; 145 : 127-35. 9. Trautmann PD, Stewart S, Morishima A. Are adolescent suicide attempters non compliant with out patient care ? J Am Acad Child Adolesc Psychiatry 1993 ; 32 : 89-94.

137

Les jeunes suicidants à l’hôpital

CHAPITRE 5 HISTOIRE NATURELLE DU DEVENIR DES SUICIDANTS Caractéristiques des enquêtés à 3 mois et 1 an Caractéristiques sociales et familiales Les filles sont un peu plus assidues à l’enquête que les garçons. Parmi les participants, 85 % sont des filles contre 76 % (p < 0,08) parmi les non-participants. En revanche, on n’observe pas de différence selon l’âge.

Tableau 57. Caractéristiques sociales de l’échantillon enquêté19 (moyenne, écarts-type et %).

n Âge moyen (en années) Nombre moyen d’événements perturbateurs

Sexe masculin Scolarisés Poursuivent des études au lycée d’enseignement général Habitent avec leurs parents Au moins deux facteurs sociaux défavorables

Échantillon enquêté

Échantillon non enquêté

158

424

M (sd)

M (sd)

17,4 (2,9) 1,79 (1,26)

17,9 (3,1) 1,80 (1,30)

(%)

(%)

15 81

24 64

0,0830 0,0121

30 76

19 60

0,0126 0,006

20

27

ns

p

ns ns

ns : non significatif. 19. Pour des raisons pratiques, on appellera « échantillon enquêté » les suicidants qui ont accepté de répondre à l’enquête de 3 mois et à celle de 1 an après leur hospitalisation à l’hôpital général.

138

Marie Choquet, Virginie Granboulan

Les participants ont eu un meilleur parcours scolaire. Les suicidants qui ont participé sont plus nombreux à poursuivre leur scolarité (81 % versus 64 %, p < 0,01) et à fréquenter un lycée d’enseignement général (30 % versus 19 %, p < 0,01). Les participants habitent plus souvent avec leurs parents. Les participants habitent plus souvent chez leurs parents (76 % versus 60 % des non-participants, p < 0,006). Mais sont peu différents quant à leur situation sociale. Les participants sont un peu moins nombreux que les non-participants à cumuler au moins deux facteurs sociaux défavorables20 (20 % versus 27 %), différence statistiquement pas significative. Pas de différence quant aux événements perturbateurs vécus. Quant au nombre d’antécédents traumatiques vécus durant les 12 derniers mois (dont un changement de situation scolaire ou professionnelle, un décès, un accident, la séparation des parents ou une rupture sentimentale), il est comparable dans les deux groupes.

Commentaires Le fait d’avoir un bon niveau scolaire, d’être une fille et d’habiter avec ses parents sont trois facteurs associés à la participation à l’enquête de suivi, confirmant ainsi d’autres observations. En effet, dans toutes les enquêtes longitudinales, les filles sont plus enclines à participer que les garçons (elles se plient plus facilement à la contrainte imposée par une enquête de suivi), les scolaires plus que les nonscolaires (l’autoquestionnaire est un outil plus adapté aux scolaires), ceux qui habitent chez leurs parents plus que les autres (les adolescents qui quittent précocement le milieu familial ont un habitat plus instable que les autres et sont donc plus difficiles à suivre). Reste toutefois que parmi les participants T0-T2 près de 20 % n’étaient plus scolarisés à T0 et que parmi les non-participants T0-T2 64 % étaient encore scolarisés à T0, signe que d’autres facteurs sont en jeu pour motiver le jeune à participer. Mais il ne peut s’agir des facteurs de difficultés sociales ou scolaires (actuels ou passés), car ces facteurs ne s’avèrent pas associés à la participation à l’enquête.

20. Parmi les facteurs suivants : être de nationalité étrangère, avoir des parents divorcés, séparés ou décédés, avoir un père ouvrier ou employé.

139

Les jeunes suicidants à l’hôpital

Tableau 58.

Caractéristiques psychologiques enquêté21 (moyenne, écarts-type et %).

de

l’échantillon

Échantillon enquêté

Échantillon non enquêté

n

158

424

Score de dépression (CES-D) (+ ds) Score d’anxiété (Spielberger) (+ ds)

37,96 (10,68) 39,28 (9,79)

34,60 (11,61) 36,94 (10,18)

%

%

30 31

32 26

ns ns

12

12

ns

50

51

ns

35

38

ns

58

53

ns

Au moins deux troubles de santé Trois troubles du sommeil Au moins trois conduites de consommation Au moins trois variables d’impulsivité Au moins une conduite déviante (fugue, vol, racket) Au moins une conduite de violence (crier, frapper, bagarres)

p

0,0025 0,0313

ns : non significatif ; ds : déviation standard.

Caractéristiques psychologiques et comportementales Les participants, plus déprimés et plus anxieux que les nonparticipants. À T0, le score de dépression (CES-D) et le score d’anxiété (Spielberger) sont plus élevés parmi les participants que parmi les non-participants. Les différences persistent après ajustement sur le sexe. Les participants, autant de troubles de santé que les non-participants. 30 % des participants contre 32 % (ns) des non-participants cumulent plusieurs plaintes somatiques (être bien portant, avoir souvent des céphalées, des malaises, des crises de spasmophilie). La différence reste non significative après ajustement sur le sexe. Les participants, pas moins consommateurs que les non-participants. 12 % des suicidants ont au moins 3 conduites de consommation (alcool régulier, ivresses 3 et +/année, tabagisme quotidien, cannabis 10 fois et plus, autre drogue au moins une fois), sans diffé21. Pour des raisons pratiques, on appellera « échantillon enquêté » les suicidants qui ont accepté de répondre à l’enquête de 3 mois et à celle de 1 an après leur hospitalisation à l’hôpital général.

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Marie Choquet, Virginie Granboulan

rence entre participants ou non. La différence ne devient pas significative après ajustement sur le sexe. Les participants, pas moins violents que les non-participants. L’impulsivité, la conduite déviante ou de violence sont fréquentes parmi tous les suicidants, qu’ils acceptent de participer ou non à l’enquête.

Commentaires Contrairement aux idées reçues, les suicidants qui adoptent des comportements à risque ou des conduites déviantes ne sont pas moins enclins à participer à une enquête longitudinale que les autres. En revanche, les participants sont plus déprimés et plus anxieux que les non-participants, signe que le « mal-être » n’est pas un frein à une enquête, bien au contraire.

Conclusion et implications pratiques Au regard de la faible différence entre participants et non-participants, on peut s’étonner de la faible participation à l’enquête de suivi. En effet, ni les facteurs sociaux, familiaux ou personnels ne permettent d’expliquer le faible taux de participation. Restent alors : • des facteurs inhérents aux suicidants (désir de tourner la page et d’oublier l’acte qui a bouleversé les parents et l’entourage ; repli sur soi ; méfiance quant au devenir des informations très personnelles) ; • des facteurs liés à l’âge (mobilité et changement de statut ; préoccupations multiples, d’où l’oubli de renvoyer le questionnaire) ; • des facteurs méthodologiques, concernant autant le questionnaire (trop long ou trop centré sur le suicide, la dépression, l’anxiété) que la procédure (demande d’autorisation de suivi à T0, demande qui peut inquiéter les jeunes ou leurs parents ; enquête postale ; manque de contact humain pour rassurer les jeunes sur le devenir de leurs réponses). À cela s’ajoute qu’il s’agit ici d’une enquête multicentrique, alors qu’il est plus aisé de fidéliser les individus dans les enquêtes monocentriques (ils connaissent le thérapeute et ont souvent gardé le contact avec lui). Toutefois, comme il s’agit d’une première enquête de suivi multicentrique (ce qui garantit la diversité des sujets et celle de leur prise en charge), que la taille de l’échantillon final n’est pas négligeable (n = 158), que la qualité des réponses est satisfaisante (taux de réponse par question > 90 %), que l’approche est originale (l’enquête porte non seulement sur les aspects psychologiques, mais aussi sur les facteurs scolaires et de mode de vie, ainsi que sur la prise en charge à l’hôpital et après) et que les caractéristiques sociales et personnelles du sujet

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Les jeunes suicidants à l’hôpital

influent peu sur l’acceptation de l’enquête, les résultats apportent des éléments essentiels à la compréhension de la tentative de suicide des jeunes. De plus, on peut raisonnablement faire l’hypothèse que les résultats obtenus sous-estiment plutôt les difficultés rencontrées par l’ensemble des suicidants et qu’ils donnent une image a minima de leur devenir.

Évolution des suicidants à 3 mois et 1 an Scolarité Un abandon non négligeable de la scolarité. En l’espace d’un an, le taux de scolarisation (n’incluant pas les jeunes en apprentissage ou en stage) passse de 81 % (au moment de la TS) à 74 % à 3 mois et 63 % (1 an après), soit une baisse totale de 22 %. Le taux d’activité professionnelle double en 1 an. En l’espace d’un an, la proportion de salariés passe de 7 % à 15 %. Cette augmentation est progressive (40 % entre T0 et T1, 70 % entre T1 et T2). Le chômage aussi. En l’espace d’un an, le nombre de chômeurs passe de 7 % à 16 %. Cette augmentation est là encore progressive (60 % entre T0 et T1, 70 % entre T1 et T2). Au total, la moitié des suicidants qui quittent l’école deviennent chômeurs. En effet, parmi ceux qui quittent le système scolaire entre deux périodes d’enquête, la moitié deviennent salariés, la moitié chômeurs. Probablement, la réalité est encore plus défavorable. Comme ceux qui n’ont pas participé à T1 et T2 sont dans une situation scolaire plus défavorable que les participants, on peut donc faire l’hypothèse (raisonnable) que, parmi eux, le taux de chômage est encore plus élevé...

Commentaires La population générale des 15-19 ans est scolarisée à 90 %, et, entre 17 et 18 ans (âge moyen de l’échantillon participant), cette situation évolue peu (données Insee), Chez les suicidants hospitalisés, la situation est toute autre. Moins scolarisés (81 % à T0), ils abandonnent plus volontiers l’école (23 % en 1 an) et surtout, parmi ceux qui abandonnent, 50 % sont au chômage, proportion nettement supérieure à ce que l’on constate en population générale (le taux de chômage des 15-25 ans oscille entre 20 % et 25 % des actifs). On peut estimer que, en l’espace d’un an, sur 100 suicidants hospitalisés, au moins 18 abandonnent leurs études et 9 deviennent des

142

Marie Choquet, Virginie Granboulan

chômeurs. Quant on connaît l’influence de l’abandon scolaire et du chômage sur le devenir professionnel des jeunes, on ne peut qu’être inquiété par ces chiffres. L’isolement social serait donc un risque consécutif à la tentative de suicide et non un facteur de risque précipitant le passage à l’acte (Platt, 1984).

Tableau 59. Scolarité des suicidants suivis pour la période T0 à T2 (en %). n Statut professionnel Au collège, lycée, fac... Salariés En apprentissage, stage Au chômage

T0

T1

T2

158 %

158 %

158 %

81 7 5 7

74 10 5 11

63 15 6 16

Mode d’habitat Départ progressif de chez les parents. Au moment de la TS, trois suicidants sur 4 habitaient chez leurs parents. Un an après, ils ne sont plus que 63 %. Ce départ du domicile des parents ne s’est pas fait immédiatement après la TS, mais entre 3 mois et 1 an après. Abandon progressif d’un habitat plus « solitaire ». Si, au moment de la TS, 14 % vivaient seuls, au foyer ou chez un membre de la famille (autre que parents), cette proportion est de 9 % 3 mois après et de 4 % un an après. Augmentation importante d’une mise en couple. En l’espace d’un an, la proportion de suicidants qui vivent en couple (mariés ou non) passe de 10 % à 33 %. Pour 9 % des suicidants, cette mise en ménage s’est faite dans les trois mois après la sortie de l’hôpital, pour 14 % entre 3 mois et 1 an après.

Commentaires Comparés aux jeunes de leur âge, les suicidants sont moins nombreux à vivre chez leurs parents (selon l’Insee, 90 % des 18 ans vivent chez leurs parents), mais aussi moins nombreux à rester chez leurs parents (13 % des suicidants, dont la moyenne d’âge à T0 est de 17,4 ans, quittent le foyer familial, versus < 5 % en population générale du même âge), et ce malgré leur taux de chômage. Or, dans la plupart des familles, les études et le chômage sont les principaux motifs d’une cohabitation familiale.

143

Les jeunes suicidants à l’hôpital

Ce qui caractérise surtout les suicidants, c’est la mise en couple précoce. En effet, la plupart des 15-24 ans quittent le domicile des parents pour vivre ailleurs (mais pas en couple), la vie à deux n’arrivant que plus tard (Villeneuve-Gokalp, 1997). Ainsi, parmi les 20-24 ans de la population générale, seulement 16 % vivent en couple, alors que parmi les suicidants (dont la moyenne d’âge est de 18,4 ans un an après leur TS), ils sont deux fois plus nombreux (33 %). On peut donc faire l’hypothèse que les suicidants n’adoptent pas le processus de séparation parentale habituel. Non seulement ils quittent leurs parents plus tôt, mais aussi ils s’installent aussi plus tôt en couple, sans « temps de transition », comme si la solitude (ou l’installation sans vie en couple) leur était insupportable.

Tableau 60. Mode de cohabitation des suicidants suivis pour la période T0 à T2 (en %). n Habitent chez leurs parents En union libre ou marié(e) Seuls, en foyer ou chez un autre membre de la famille

T0

T1

T2

158 %

158 %

158 %

76 10

72 19

63 33

14

9

4

État de santé Un état de santé qui s’améliore globalement au cours du temps. Les jeunes expriment à T2 moins de plaintes (somatiques, de sommeil) qu’à T0. Ainsi, à T2, 42 % (contre 32 % à T0) ne déclarent pas de troubles tels que la spasmophilie, les céphalées ou des « malaises » et 34 % ne souffrent pas de troubles du sommeil (contre 18 % au moment de la TS). Ils sont aussi moins nombreux à cumuler des troubles. Ainsi, à T2, 24 % cumulent deux plaintes (alors qu’ils étaient 30 % à T0) et 19 % cumulent les trois troubles du sommeil (alors qu’ils étaient 31 % à T0). L’amélioration porte donc surtout sur la qualité du sommeil. Mais cette amélioration intervient à distance de la TS. En effet, l’amélioration n’intervient pas entre T0 et T1 (entre ces deux périodes, le cumul de plaintes reste globalement stable), mais à distance de ce passage à l’acte, entre 3 mois et 1 an après la TS (c’est-à-dire entre T1 et T2).

Commentaires Après la tentative de suicide, les troubles, et en particulier les troubles du sommeil, s’estompent, alors que les enquêtes longitudinales

144

Marie Choquet, Virginie Granboulan

auprès de jeunes tout venant (Choquet et Ledoux, 1988) montrent que ces troubles augmentent ou restent stables. Ainsi, la TS peut apparaître comme un « moyen » de diminuer la tension interne, hypothèse évoquée par plusieurs cliniciens (Braconnier, Marcelli, Jeammet, Pommereau). Cette amélioration symptomatologique n’intervient pas dans les semaines qui suivent la TS, mais entre 3 mois et un an, donc à distance de l’acte suicidaire. Cela pourrait-il signifier que la TS n’a pas d’effet immédiat sur la baisse de tension, mais « un effet retard » ? On peut alors se demander si c’est l’acte suicidaire en tant que tel ou les réaménagements qu’il a entraînés qui sont en cause dans la diminution des troubles.

Tableau 61. Plaintes de santé des suicidants suivis pour la période T0 à T2 (en %).

T0

T1

T2

158 %

158 %

158 %

Plaintes somatiques (Pas en bonne santé, souvent spasmophilie, souvent céphalées, malaises/évanouissements) Aucun trouble Un seul trouble Deux troubles et plus

32 38 30

45 27 29

42 34 24

Troubles du sommeil (Souvent difficultés d’endormissement, souvent réveils nocturnes, souvent cauchemars) Aucun trouble Un seul trouble Deux troubles Trois troubles

18 25 25 31

24 24 22 31

34 25 22 19

n

Dépression, dépressivité Une diminution nette du score de dépression, et ce dès 3 mois. Le score de dépression (score du CES-D) diminue de 38 % en l’espace d’un an. L’essentiel de cette diminution s’opère immédiatement après la TS (entre T0 et T1, sur cette période de 3 mois, la diminution est de 26 %). Au-delà de cette période, la diminution est ralentie (entre T1 et T2, soit sur une période de 9 mois, la diminution est de 12 %).

145

Les jeunes suicidants à l’hôpital

Malgré cette diminution, près d’un jeune suicidant sur deux reste cliniquement déprimé. Si à T0, une large majorité des jeunes peuvent être considérés comme déprimés (78 % des garçons et 84 % des filles avaient un score CES-D > 23), cette proportion reste importante, même si elle diminue. En effet, trois mois après la TS, 56 % (G) et 62 % (F) ont un score CES-D > 23 ; 1 an après, ils sont encore 48 % (G) et 50 % (F). L’humeur dépressive reste présente. La note moyenne à l’échelle de Kandel (mesure de l’humeur dépressive,) régresse entre T0 et T2, mais dans une moindre mesure que le CES-D. En effet, la diminution n’est que de 12 % sur 12 mois. Reste que 26 % des garçons et 31 % des filles ont toujours un score élevé (17-18) à T2 ; ils étaient respectivement 39 % et 50 % à T0. Cette amélioration de l’état de santé mentale s’accompagne d’une attitude plus positive face à l’avenir. Si, au moment de la TS, 65 % des garçons et 45 % des filles étaient confiants dans l’avenir, 1 an après ils sont respectivement 81 % (garçons, soit + 25 %) et 63 % (filles, soit + 44 %). Par ailleurs, autre signe d’un changement positif, plus d’un tiers admettent qu’ils pourraient « supporter tout seul » (36 % des filles, 45 % des garçons) les problèmes qui, selon eux, ont déclenché la tentative de suicide 1 an plus tôt. Mais cette amélioration ne concerne pas tous les suicidants. En effet, à T2 50 % ont encore un score > 23 au CES-D et 30 % un score maximal à l’échelle de Kandel. Par ailleurs, 26 % disent qu’ils feraient une nouvelle TS si les mêmes problèmes d’il y a un an se représentaient, et plus d’un tiers admettent qu’ils seraient soit violents avec les autres, soit qu’ils prendraient des substances psychoactives. Notons que les garçons sont moins nombreux à vouloir refaire une TS que les filles (10 % versus 28 %). L’amélioration concerne plus les garçons que les filles. Le score CES-D diminue de 47 % pour les garçons, mais seulement 34 % pour les filles. Ainsi, si à T0 il n’y avait pas de différence entre les sexes, à T2 les garçons sont moins déprimés que les filles (p < 0,10).

Commentaires L’amélioration de l’état de santé mentale après une mise en acte suicidaire semble évidente. En effet, dans les 3 mois qui suivent la TS, les symptômes dépressifs diminuent (Ivarsson et al., 1998). Dans l’année qui suit, les jeunes expriment une plus grande confiance dans l’avenir et revisitent positivement leur attitude face aux problèmes. La diminution des plaintes somatiques, observées précédemment, confirme cette amélioration.

146

Marie Choquet, Virginie Granboulan

Mais cette amélioration ne doit pas faire oublier que près d’un suicidant sur deux reste cliniquement déprimé un an après sa TS, et que l’humeur dépressive (qui mesure un trait de personnalité, plutôt qu’un état de santé) reste relativement stable et élevée au regard de ce qui se passe dans une population générale (Choquet et Ledoux, 1994). Ces résultats confirment la grande vulnérabilité de ces adolescents tout au long de leur vie (Granboulan et al., 1995 et 1998). De plus, le fait que, au bout d’un an, un quart des jeunes sont persuadés que la TS reste la seule solution envisageable et qu’un tiers avouent que violence ou usage de substances seraient des voies alternatives, est assez inquiétant, car, avec le temps, ce n’est pas seulement le suicide qui constitue un risque, mais aussi d’autres troubles graves ; d’où la nécessité d’une approche globale dès l’arrivée du jeune à l’hôpital.

Tableau 62. Dépressivité des suicidants suivis pour la période T0 à T2 (moyennes).

T0

T1

T2

158 m (± ds)

158 m (± ds)

158 m (± ds)

Dépressivité Score à l’échelle de Kandel (± ds)

16,11 (2,04)

nd

14,15 (3,20)

Dépression Score à l’échelle CES-D (± ds)

37,96 (10,68)

27,51 (14,02)

24,29 (14,41)

Dépressivité Score à l’échelle de Kandel (± ds)

15,33 (2,67)

nd

13,00 (3,72)

Dépression Score à l’échelle CES-D (± ds)

35,49 (12,86)

21,9 (11,42)

18,93 (14,17)

Dépressivité Score à l’échelle de Kandel (± ds)

16,24 (1,89)

nd

14,34 (3,08)

Dépression Score à l’échelle CES-D (± ds)

38,39 (10,26)

28,47 (14,24)

25,21 (14,30)

n

Garçons

Filles

n = 23

n = 135

ds : déviation standard ; nd : non déterminé.

147

Les jeunes suicidants à l’hôpital

Consommation de substances psychoactives22 Le tabagisme se confirme et s’installe durablement entre T0 et T2. La consommation quotidienne de tabac, déjà très importante à T0, passe de 55 % à 66 % en l’espace d’un an (+ 11 points, soit + 20 %). Augmentation de la consommation d’alcool dans l’année qui suit la TS. La proportion de consommateurs réguliers d’alcool passe de 7 % à 16 % (+ 9 points, soit 130 %), et la proportion de ceux qui ont été ivres au moins dix fois dans l’année passe de 20 % à 25 % (+ 5 points, soit + 25 %). Tout comme l’expérimentation de cannabis. Si l’expérimentation de cannabis passe de 32 % (T0) à 38 % (T2, + 6 points, soit + 19 %), la proportion de consommateurs réguliers (au moins 10 fois dans la vie) augmente et passe de 13 % à 15 %. Mais l’expérimentation d’autres drogues illicites reste stable. À T0, 0012 % avaient déjà expérimenté une autre drogue durant leur vie, proportion qui reste stable un an après. Au total, à T2, la majorité des jeunes consomment régulièrement au moins une des substances. En effet, à T2, 72 % des suicidants (contre 61 % à T0) sont des consommateurs réguliers d’au moins une des substances. Et plus d’un tiers des suicidants sont des poly-consommateurs. La proportion de poly-consommateurs passe de 26 % (T0) à 37 % (T2) (+ 11 points, soit + 42 %).

Commentaires Déjà au moment de la TS, on a constaté une consommation élevée de substances licites (en particulier du tabac) parmi les suicidants. Un an après, cette consommation a encore augmenté. Cette augmentation est plus importante que parmi les autres jeunes du même âge (ESPAD 99) pour qui la consommation régulière croît entre 17 et 18 ans (en standardisant sur le sexe), de 2 points pour l’alcool, de 5 points pour le tabac et de 0 points pour l’ivresse. Quant à la consommation de drogues illicites, les suicidants ne sont pas plus nombreux (ni à T0, ni à T2) à en consommer que les scolaires, même après ajustement sur le sexe. Ce qui confirme que les suicidants sont moins dans la transgression que les jeunes en général, mais plus dans la souffrance, qui persiste au-delà de l’acte suicidaire.

22. La consommation des substances licites et illicites n’a été étudiée qu’à deux moments de l’enquête : au moment de la TS (T0) et 1 an après (T2).

148

Marie Choquet, Virginie Granboulan

Reste que les substances sont bien présentes dans la vie quotidienne des suicidants, et leur consommation ne se tasse pas après le passage à l’acte, bien au contraire. Cela voudrait-il dire qu’au moment de la TS, il convient de leur proposer systématiquement une aide à l’arrêt, surtout pour le tabac ? Dans cette perspective, une consultation tabagique pourrait être proposée. Avec un triple intérêt : • engager un accompagnement médical sur un objectif très concret (l’arrêt du tabac) et peut être plus acceptable que le suivi psychologique ; • diminuer le tabagisme des suicidants, car, à terme, les risques (cardiovasculaires et respiratoires) liés au tabagisme précoce et massif vont les concerner au premier chef ; • garder le contact avec un professionnel de santé, qui, ultérieurement, peut à son tour faciliter la prise en charge psychologique.

Tableau 63. Consommation régulière ou répétée des substances psychoactives des suicidants suivis pour la période T0 à T2 (en %). T0

T1

T2

158 %

158 %

158 %

Consommation d’alcool Régulièrement23

7

nd

16

Ivresses durant l’année 3 et plus

20

nd

25

Tabagisme actuel Au moins une cigarette par jour

55

nd

66

Cannabis durant la vie 10 fois et plus

13

nd

15

Expérimentation d’autres drogues Au moins une fois

12

nd

12

Nombre de consommations régulières (alcool régulier, ivresse régulière, tabac, cannabis dix fois et plus, autre drogue au moins une fois) Aucune Une Deux Trois et plus

39 35 14 12

nd nd nd nd

28 35 19 18

n

nd : non déterminé. 23. Alcool régulièrement : vin, bière ou alcools forts plusieurs fois par semaine.

149

Les jeunes suicidants à l’hôpital

Impulsivité et conduites de déviance L’impulsivité ne diminue pas après le passage à l’acte suicidaire. En l’espace de 1 an, la proportion de jeunes qui déclarent au moins trois conduites d’impulsivité varie peu, de 50 % à 46 %. En étudiant chacune des variables séparément, on constate que certaines diminuent (comme le fait de faire des choses sans réfléchir ou de commencer une activité sans la terminer) alors que d’autres augmentent (les accès de violences et le fait d’être dépensier). Mais au total cette variation dans le temps est faible. On observe une légère baisse des conduites délictueuses. Ainsi, à T0, 35 % des suicidants avaient eu au moins une conduite de délit dans l’année précédant la TS (fugue, vol, racket), entre T0 et T2 (soit les 12 mois suivant la TS), ils sont 28 % à déclarer au moins une de ces conduites (soit une diminution de 7 points, - 20 %). Mais la fugue reste une conduite fréquente. 17 % des suicidants ont fait une fugue entre T0 et T2, proportion en légère diminution mais encore très élevée au regard d’une population scolaire (4 % ont fait une fugue durant l’année parmi les scolaires).

Commentaires Certes, l’impulsivité des suicidants tout comme leurs conduites délictueuses n’augmentent pas en l’espace de un an. Mais la stabilisation n’est pas nécessairement de bon augure car, en population générale (Choquet et Ledoux, 1994), ces conduites sont non seulement moins fréquentes, mais diminuent avec l’âge. Comme les suicidants répondants sont plus souvent de sexe féminin et socialement mieux intégrés que les non-répondants, il est possible qu’on ait ainsi exclu les jeunes qui, à terme, étaient le plus à risque, c’est-à-dire les garçons en difficulté sociale. Au regard de cette observation, la stabilité des troubles montre qu’il s’agit d’une observation a minima. La fugue et le vol sont les conduites les plus caractéristiques des suicidants, car elles sont nettement plus fréquentes parmi les suicidants que parmi les non-suicidants. Le fait que ces conduites ne diminuent pas avec le temps pointe la grande vulnérabilité de ces jeunes face à l’exclusion sociale. En effet, le vol comme la fugue sont des conduites qui peuvent mener vers l’exclusion sociale, que ce soit par le biais de la condamnation (pour vol) ou celui de la rupture (la fugue). En conclusion on peut dire que pour les suicidants, un an après leur TS, peu de choses ont changé.

150

Marie Choquet, Virginie Granboulan

Tableau 64. Conduites d’impulsivité et déviantes des suicidants suivis pour la période T0 à T2 (en %).

T0

T1

T2

158 %

158 %

158 %

Conduites d’impulsivité (souvent coléreux, accès de violence, faire les choses sans réfléchir, commencer une activité sans la terminer, être dépensier, ne pas contrôler l’agressivité) 3 et plus

50

nd

46

Conduites déviantes (fugue, vol, racket durant l’année) Au moins une de ces conduites

35

nd

28

n

nd : non déterminé.

La récidive Récidives entre T0 et T2 Le taux de récidive à 12 mois est de 21 %. Ainsi, 1 jeune sur 5 (soit 17 % des garçons suicidants et 22 % des filles suicidantes) a fait une nouvelle tentative dans les 12 mois suivant la TS. Le risque de refaire une TS est un peu plus élevé parmi ceux qui, à T0, étaient déjà récidivistes que parmi les non-récidivistes. Ainsi, 28 % des récidivistes (soit 12 sujets sur 43) refont au moins une TS en l’espace d’un an. Reste que, parmi les suicidants primaires à T0, 18 % renouvellent leur TS et peuvent donc être considérés comme « primorécidivistes ». La récidive se fait souvent immédiatement après la précédente. Parmi ces récidivistes, 67 % ont renouvelé leur acte dans les trois mois, 33 % l’ont fait entre 3 mois et un an après. Ainsi, le risque de récidive est donc un risque immédiat.

Commentaires Le risque de récidive dans les 12 mois est de l’ordre de 20 % pour garçons et filles, proportion proche de celle retrouvée dans la littérature. Ainsi, Morgan et al. (1978) avaient trouvé un taux de récidive de 24 % parmi une population de 279 femmes suicidantes, Laurent et al. (1996) un taux de 17 % parmi 552 adolescents suicidants, dans les enquêtes de Buglass et Horton, 15 % ont fait une récidive dans l’année, et dans l’Enquête européenne de Schmidtke (1996), ils sont 20 %. On peut toutefois estimer que cette proportion est un chiffre « plancher »,

151

Les jeunes suicidants à l’hôpital

car les jeunes en grande difficulté (non scolaires, jeunes n’habitant plus chez leurs parents) participent moins aux enquêtes de suivi que les autres. À chaque hospitalisation, le clinicien doit donc avoir en tête qu’au moins 1 jeune sur 5 va renouveler son acte dans les 12 mois suivant sa sortie de l’hôpital. Le risque de récidive est élevé dans les 3 mois qui suivent l’hospitalisation. Cette « proximité » entre la TS et sa récidive est un constat fait par plusieurs auteurs (Goldston et al., 1996 ; Schmidke et al., 1996 ; Tejedor et al., 1999 ; Batt et al., 1998). Peut-on en conclure qu’il convient de focaliser tous les efforts sur le suivi à trois mois des suicidants ? La récidive est liée aux antécédents suicidaires. Conformément à toute la littérature, on retrouve dans cette enquête qu’un des facteurs de risque de TS est le fait d’avoir déjà effectué un passage à l’acte suicidaire (Batt et al., 1998). D’où la nécessité de mieux prendre en charge les récidivistes à l’hôpital...

Tableau 65. Taux de récidive entre T0 et T2 en fonction des caractéristiques sociales et familiales à T0 (en %). % de récidivistes n

33 récidivistes/158, soit 21 %

p

Sexe Garçons Filles

17,4 21,6

ns

Habitat chez parents à T0 Non Oui

14,3 24,6

ns

Scolarisation à T0 Non Oui

17,2 23,1

ns

Médecin a repéré une dépression parentale à T0 Non Oui

19,3 27,5

ns

Médecin a repéré des problèmes familiaux Non Oui

14,9 24,2

ns

Médecin a repéré des problèmes sociaux Non Oui

22,3 15,2

ns

ns : non significatif.

152

Marie Choquet, Virginie Granboulan

Récidive et facteurs socio-démographiques ou familiaux Aucun des facteurs socio-démographiques étudiés ne s’avère prédictif de la récidive entre T0 et T2. Parmi les facteurs sociodémographiques étudiés (sexe, habitat, scolarisation), aucun n’est significativement associé à la récidive. Toutefois, le taux de récidive est un peu plus fréquent parmi ceux qui habitent chez leurs parents (25 % versus 14 % chez ceux qui n’habitent pas chez leurs parents, p = 0,20). Aucun des facteurs familiaux repérés par le médecin n’est prédictif de la récidive entre T0 et T2. En effet, parmi les antécédents familiaux (dépression des parents, problèmes familiaux, problèmes sociaux) repérés par le médecin, aucune variable n’est statistiquement significative. Toutefois, la récidive est un peu plus fréquente parmi ceux qui ont des problèmes familiaux (24 % versus 14 %, p = 0,19), mais les faibles effectifs ne permettent pas de mettre en évidence de différence significative.

Commentaires Dans l’analyse rétrospective, les récidivistes n’étaient pas différents des suicidants primaires sur les variables socio-familiales. L’étude prospective tend à conforter cette observation. Toutefois, la récidive est un peu plus fréquente parmi ceux qui ont des problèmes familiaux et vivent chez leurs parents que les autres. Peut-on alors faire l’hypothèse que le retour à la maison sans changement réel des problèmes intra-familiaux peut augmenter le risque de récidive ? Reste que la prudence s’impose sur la valeur prédictive des facteurs (Bourgeois, 2001), principe de précaution qui semble raisonnable au regard des résultats obtenus. Même en présence d’échantillons plus larges, une différence statistiquement significative, de 10 % entre deux groupes, n’aurait pas permis de conclure à une prédictivité, tout juste à une vulnérabilité.

Récidive et facteurs de santé et psychopathologiques Les plaintes somatiques chroniques à T0 constituent un facteur de risque de récidive. Ainsi, ceux qui cumulent au moins deux plaintes somatiques (dont les céphalées chroniques, les crises de spasmophilie, les malaises répétés) sont plus enclins à faire une récidive dans les 12 mois qui suivent la TS (37 %) que les autres (14 %, p < 0,007). Tout comme le fait d’être déprimé au moment de la TS. En effet, ceux qui ont un score de CES-D > 23 sont 23,8 % à faire une

153

Les jeunes suicidants à l’hôpital

Tableau 66. Taux de récidive entre T0 et T2 en fonction des caractéristiques de santé et psychopathologiques à T0 (en %). % de récidivistes n

33 récidivistes/158, soit 21 %

p

Cumul des facteurs de santé à T024 Aucun Un seul Deux et plus

14,3 14,1 37,0

0,007

Cumul des troubles du sommeil25 à T0 Aucun Un seul Deux et plus

11,0 21,2 25,6

ns

Échelle de Kandel (dépressivité) à T0 < 14 14-16 > 16

11,8 22,6 24,3

ns

CES-D à T0 < 23 > 23

0,0 23,8

0,04

12,3 29,5

0,013

Prise de médicaments psychotropes prescrits à T0 Non Oui Prise de médicaments psychotropes non prescrits à T0 Non Oui

19,5 21,0

ns

ns : non significatif.

TS, contre 0 % de ceux qui ont un score < 23 (p < 0,04). Notons que les suicidants cliniquement non déprimés au moment de la TS (CES-D < 23) sont peu nombreux (n = 15 sujets dans l’échantillon suivi, soit 10 %). Ou de prendre des médicaments contre la nervosité ou l’insomnie prescrits par le médecin. Parmi les suicidants qui suivaient un traitement dans l’année précédant la TS, 30 % ont récidivé versus 12 % des autres (p = 0,013). En revanche, ceux qui prennent 24. Pas en bonne santé, souvent des crises de spasmophilie, souvent des céphalées, souvent des malaises ou évanouissements. 25. Souvent du mal à s’endormir, des cauchemars, des réveils nocturnes.

154

Marie Choquet, Virginie Granboulan

des médicaments psychotropes sans prescription ne sont pas plus nombreux que les autres à faire une récidive entre T0 et T2 (21 % versus 20 %, ns). Les troubles du sommeil et la dépressivité s’avèrent être des facteurs de risque moins pertinents. Ceux qui ont au moins un trouble du sommeil ou une note sur l’échelle de Kandel supérieure à 14 ont tendance à récidiver plus que les autres, sans que la différence soit statistiquement significative.

Commentaires Les jeunes cliniquement déprimés au moment de la TS, ceux qui cumulent des plaintes somatiformes et ceux qui ont fait l’objet d’une prescription de médicaments psychotropes sont plus vulnérables face à la récidive que les autres. Ce qui signifie que les troubles avérés, installés et récurrents sont de bons indicateurs de risque de récidive (Kotila et Lonnqvist, 1987 ; Rao et al., 1993 ; Fergusson et al., 1994 ; Irvarsson et al., 1998 ; Ferdinand et Verhulst, 1995). La prescription médicale est, en soi, un indicateur de la gravité et de la chronicité des troubles. En revanche, les troubles du sommeil (dont certains sont probablement transitoires), tout comme la dépressivité, sont de moins bons indicateurs, même si, en présence d’un échantillon plus important, les résultats auraient été significatifs.

Récidive et facteurs comportementaux Parmi les comportements étudiés, aucun n’est prédictif d’une récidive entre T0 et T2. Ni la fugue, ni le vol, ni les conduites de consommation, ni les conduites d’impulsivité ne sont des comportements prédictifs d’une récidive. Reste que l’enquête transversale suggère une association entre la récidive et ces comportements à T0, relation non confirmée à T2, même si la tendance existe (mais la différence n’est pas statistiquement significative). Le cumul des comportements n’est pas prédictif d’une récidive entre T0 et T2. Parmi ceux qui cumulent les comportements étudiés, 26 % ont fait une récidive dans les 12 mois qui suivent la TS, contre 17 % parmi ceux qui ne les cumulent pas (différence non significative).

Commentaires Si toutes les études s’accordent pour affirmer qu’un antécédent suicidaire ou la présence d’une dépression sont les principaux facteurs prédictifs d’une récidive (données confirmées par la présente enquête), les données concernant le rôle de la consommation ou des compor-

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Les jeunes suicidants à l’hôpital

Tableau 67. Taux de récidive entre T0 et T2 en fonction des caractéristiques de santé et psychopathologiques à T0 (en %). % de récidivistes n

33 récidivistes/158, soit 21 %

p

Fugue durant les 12 derniers mois Non Oui

21,1 24,0

ns

Conduites d’impulsivité26 Aucun Une seule Plusieurs

12,5 20,9 22,7

ns

Conduites de consommation27 Aucun Une seule Plusieurs

21,1 18,9 25,6

ns

Vol Non Oui

21,4 23,8

Cumul de risques (au moins deux des conduites précédentes) Non Oui

17,3 26,1

ns

ns

ns : non significatif.

tements déviants sont nettement plus éparses. Certains (Cullberg et al., 1988) notent toutefois que l’usage de drogues est un important facteur prédictif de suicide (décès). Reste que, sur une courte période (1 an), le taux de récidive s’avère seulement légèrement supérieur parmi ceux qui ont des troubles du comportement, sans que cette différence soit statistiquement significative.

Pronostic du médecin et la récidive Le pronostic du médecin hospitalier est plutôt favorable. Lors du passage à l’hôpital, le médecin a émis un pronostic de gravité : 74 % estiment que le pronostic est bon (30 %) ou moyen (44 %), 25 % qu’il est mauvais (18 %) ou impossible à préciser (7 %). Toutefois, le 26. Souvent coléreux, a des accès de violence, agit sans réfléchir, commence une activité sans la terminer, est dépensier, ne contrôle pas son agressivité. 27. Alcool régulier, ivresses 3 et +/an, tabagisme quotidien, cannabis dix fois et plus, autre drogue au moins une fois dans la vie.

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Marie Choquet, Virginie Granboulan

pronostic est plus défavorable parmi les suicidants récidivistes à T0 (31 % ont alors un pronostic défavorable) que parmi les suicidants primaires (19 %, p < 0,01). Le pouvoir prédictif du pronostic émis par le médecin hospitalier est relativement faible. Parmi ceux qui ont fait l’objet d’un « bon » pronostic à T0, 18 % ont fait une récidive entre T0 et T2, ce taux de récidive est de 17 % parmi ceux qui ont un pronostic « moyen », de 30 % parmi ceux qui ont un pronostic « mauvais », et de 27 % lorsque le médecin ne se prononce pas (p = 0,17). Toutefois, ce pronostic médical s’avère plus pertinent pour ceux qui, à T0, sont des récidivistes que pour les suicidants primaires. Parmi les récidivistes à T0 (n = 42 sujets), le taux de récidive est plus élevé parmi ceux qui ont un mauvais pronostic (7/13, soit 54 %) que parmi les autres (5/29, soit 17 %, p < 0,05 avec le test de Fisher). Parmi les suicidants primaires à T0 (n = 105 sujets), il n’y a pas plus de récidives lorsque le pronostic est mauvais (1/14, soi 7 %) que lorsque il est « bon », « moyen » ou « sans opinion » (17/91, soit 19 %, ns).

Commentaires Dans la majorité des cas (93 %), le médecin pose un pronostic avant la sortie de l’hôpital, qui dans 75 % des cas est relativement optimiste (« bon » ou « moyen »). Cet optimisme peut paraître contradictoire avec le nombre de troubles que relatent les suicidants. Mais cette observation n’est pas si étonnante, car les jeunes suicidants se caractérisent surtout par des conduites qui n’inquiètent pas fortement l’entourage social, voire même sont banalisées et considérées comme « normales » à l’adolescence. Il en est ainsi du tabagisme, de la fugue, de l’impulsivité et de la dépression. Il convient donc de rendre le médecin plus attentif à ces troubles, certes peu spectaculaires, mais qui expriment une souffrance psychique récurrente. Ce pronostic est néanmoins plus défavorable pour les récidivistes que pour les suicidants primaires. Ainsi, le médecin juge le devenir plus sévèrement face à des récidivistes que face à des suicidants primaires. Pour lui, la récidive devient un élément du pronostic. À juste titre, car la récidive est en soi un facteur de risque de répétition (Wasserman, 1998), avec à terme le risque de décès. Toutefois, le pronostic s’avère fragile car, entre T0 et T2, le taux de récidive est à peine plus élevé (et statistiquement non significatif) quand le pronostic est défavorable. Ce résultat conforte l’hypothèse d’une faible prédictibilité de la récidive, et ce malgré l’existence de multiples échelles (Bourgeois, 2001). Il est donc difficile de prévoir

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Les jeunes suicidants à l’hôpital

un nouvel acte suicidaire, d’où la nécessité d’apporter une attention à tous les suicidants et pas seulement à ceux qui seraient « à haut risque ». Reste que, selon nos données (fragiles certes à cause des faibles effectifs), le jugement du clinicien s’avère plus fiable pour les suicidants récidivistes que pour les suicidants primaires

Conclusions Notre recherche confirme largement les données de la littérature : même s’il existe une série de facteurs associés à la tentative de suicide et la récidive, il est très difficile de prédire la récidive (Bioulac et al., 2000). Les quelques facteurs retrouvés dans l’enquête (antécédent de TS, troubles psychologiques avérés) ne permettent pas de prédire à coup sûr la récidive, mais de conclure à une plus grande vulnérabilité de ces jeunes face à la répétition. Il convient d’inciter les praticiens à une plus grande attention pour les jeunes suicidants et les jeunes déprimés, pas seulement au moment d’un passage à l’acte suicidaire, mais tout au long de leur adolescence et à tout moment de rencontre (lors de la visite médicale scolaire, en médecine préventive sportive ou simplement en pratique médicale de ville). Mais ceci nécessite de poser systématiquement des questions sur les symptômes dépressifs et la tentative de suicide, sujet tabou (ou difficile) autant pour le médecin que pour le patient. Une intervention (auprès des professionnels de santé, des intervenants sociaux et éducatifs, mais aussi du public) qui ferait reconnaître la souffrance psychique comme « douleur » au même titre que la souffrance physique serait une réelle action de Santé publique.

Prise en charge et évolution psychologique Cette partie du rapport mérite plusieurs rappels et commentaires. • Il s’agit d’une enquête de suivi auprès des 13-24 ans hospitalisés pour TS dans plusieurs hôpitaux de France, première enquête multicentrique sur une population hétérogène, en grande difficulté et ayant commis un acte encore tabou : la tentative de suicide. • Les recherches longitudinales sur la TS, françaises ou internationales, se limitent au suivi des patients d’un seul centre hospitalier. Comme notre objet était d’analyser une diversité de pratiques professionnelles, une enquête multicentrique s’imposait. • Les difficultés méthodologiques, inhérentes à ce type de recherche, ont été nombreuses. Complexe dès le départ (chaque patient

158

Marie Choquet, Virginie Granboulan

a fait l’objet de trois questionnaires - un médical, un parental et un auto-questionnaire - dont la durée totale de remplissage est de 2 heures environ), cette enquête a nécessité une procédure lourde à cause de son inclusion de sujets mineurs (demande obligatoire d’autorisation parentale pour l’enquête et le suivi, alors que la majorité des jeunes sont en conflit avec leurs familles) et du fait même qu’il s’agissait d’une enquête longitudinale (procédures CNIL, suivi des patients et des parents). De plus, l’inclusion de plusieurs échelles psychopathologiques (CERS-D, Spielberger, Facès III) a rendu le questionnaire long et répétitif, donc peu attractif pour des jeunes déjà en grande difficulté (impulsivité, problèmes familiaux et relationnels). • Il s’agit d’une enquête en milieu naturel (« histoire naturelle »), c’est-à-dire du suivi d’un échantillon de jeunes dont certains ont bénéficié d’un traitement, d’autres pas, et pour lesquels une diversité des traitements et des thérapeutes est de règle. Il ne s’agit donc pas du tout d’une enquête expérimentale, qui aurait pour objectif de comparer le devenir des jeunes ayant bénéficié d’une thérapeutique codifiée et préétablie (groupe « expérimental ») à ceux qui n’ont pas bénéficié de ce traitement (« groupe témoin »). Cette enquête rend donc impossible le jugement sur tel ou tel traitement, ou tel ou tel type de thérapeute, mais permet d’analyser le devenir en fonction du fait qu’ils ont (ou non) bénéficié d’un traitement. • La prudence s’impose. Comme toute recherche épidémiologique, elle ne permet pas de conclure définitivement (pourcentage de nonréponses, manque de précisions sur le type de traitement). Elle permet toutefois de conforter les rares études internationales sur ce thème et de formuler de nouvelles hypothèses. Dans ce sens, cette enquête s’inscrit dans une dynamique de recherche sur un sujet qui, en France comme ailleurs, devrait devenir prioritaire : la prise en charge des jeunes suicidants.

Les critères d’évaluation Le CES-D comme outil d’évaluation psychologique. On a étudié la symptomatologie dépressive à l’aide de l’échelle CES-D (moyenne, écart-type) à T0, T1 et T2. En effet, cet outil a été souvent étudié pour mesurer l’état psychologique des adolescents et a été adapté en France (Bailly). Quatre variables qui résument le comportement du jeune face à la prise en charge. Ces variables ont été mesurées à T2 afin de disposer d’éléments récapitulatifs du traitement sur 12 mois. On a pris en compte les éléments suivants :

159

Les jeunes suicidants à l’hôpital

• le nombre de consultations psychologiques durant la période de 12 mois, regroupé en trois classes : aucune consultation (35 %), 1 à 9 consultations (34 %), 10 consultations et plus (31 %) ; • le délai entre la TS et la première consultation « psy ». La majorité des suicidants suivis (68 %) disent avoir consulté le psy dans les 15 jours qui ont suivi la TS. Parmi ceux qui ont consulté plus tardivement (32 % de l’ensemble des suivis), 16 % l’ont fait pour la première fois plusieurs mois après la TS ; • l’alliance thérapeutique. La grande majorité des suicidants suivis (76 %) ont toujours consulté le même psy, 24 % ont consulté des psy différents. Les suicidants sont donc majoritairement fidèles à leur thérapeute ; • l’observance thérapeutique. 58 % des suicidants, soit plus d’un sur deux, ont connu des périodes d’interruption, mais 42 % ne les ont pas connu. Cette variable ne concerne que les jeunes qui ont bénéficié d’au moins une consultation psychologique.

Évolution du CES-D en fonction de la prise en charge La prise en charge psy ne dépend pas de la gravité de la dépression. La note CES-D à T0 ne diffère pas selon qu’on va (ou non) bénéficier d’une consultation psy. Dès le 3e mois après la TS, tous les jeunes sont moins déprimés, et ce quelle que soit l’intensité de la prise en charge. Comme on l’a montré antérieurement, le niveau de dépression diminue immédiatement après la TS pour tous les suicidants, et ce quels que soient le nombre de consultations post-hospitalières et ses modalités (observance du suivi, moment de la première consultation et fidélité au thérapeute). Le CES-D des consultants 10 et + diminue moins que celui des non-consultants. Ceux qui ont bénéficié d’une prise en charge intense (+ de 10 consultations par an) restent en moyenne plus déprimés que ceux qui n’ont pas consulté. La différence est sensible dès le 3e mois suivant la TS (p < 0,05). Les suicidants qui ont consulté entre 1 et 9 fois par an se situent entre les deux extrêmes, mais plutôt proches des non-consultants. En revanche, plus que le niveau de consultation, ce sont d’autres modalités de prise en charge qui sont discriminantes. En effet, ceux qui ont consulté « sans interruption » tout au long de la période étudiée, qui ont consulté immédiatement après la TS ou qui ont été pris en charge toujours par le même psy sont nettement moins déprimés que

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Tableau 68. CES-D (moyenne, déviation standard) à T0, T1 et T2 selon la prise en charge post-hospitalière. T1

T2

Nombre de consultations « psy » dans l’année, hors périodes d’hospitalisation (n = 147, dont 5 suivis sans précision sur le nombre de consultations) (a) Non (n = 49) (b) 1-9 consultations (n = 48) (c) 10 consultations et + (n = 45) Différence(c)/(a)

36,7 (11,2) 36,6 (11,5) 38,9 (9,7) ns

24,1 (13,8) 26,5 (13,0) 30,5 (15,0) p < 0,05

21,8 (14,7) 23,2 (14,0) 29,0 (14,7) p < 0,05

Observance du suivi (n = 98) (a) Sans périodes d’interruption (n = 42) (b) Avec périodes d’interruption (n = 56) Différence (a)/(b)

39,3 (8,9) 37,7 (11,9) ns

30,1 (15,0) 28,2 (13,7) ns

22,3 (14,9) 29,2 (13,7) p < 0,02

A consulté dans les 15 jours après TS (n = 98) (a) Oui (n = 67) (b) Non (n = 31) Différence (b)/(a)

38,3 (11,3) 39,3 (8,1) ns

27,6 (13,3) 32,4 (14,9) ns

23,9 (13,7) 30,1 (15,0) p < 0,04

A consulté toujours le même psy (n = 95) (a) Oui (n = 72) (b) Non (n = 23) Différence (b)/(a)

37,7 (11,0) 40,2 (9,0) ns

27,0 (13,3) 34,9 (14,7) p < 0,01

24,9 (15,2) 28,5 (11,4) p = 0,29

ns : non significatif.

Marie Choquet, Virginie Granboulan

T0

161

Les jeunes suicidants à l’hôpital

les suicidants qui, dans l’année qui a suivi leur TS, ont connu des interruptions dans leur traitement, ont consulté tardivement ou ont changé de psy en cours de route. La variabilité entre les individus est importante et à tendance à s’accroître dans le temps. L’écart type est déjà important à T0 et augmente encore entre T0 et T2 pour tous les groupes. Ainsi, les distributions autour des moyennes sont de plus en plus larges, ce qui signe une hétérogénéité de plus en plus importante entre les suicidants.

Commentaires La symptomatologie dépressive diminue pour tous, quelle que soit l’intensité de la prise en charge, mais cette diminution est plus importante parmi ceux qui n’ont pas bénéficié d’un traitement que parmi ceux qui en ont bénéficié. Certes, il ne s’agit pas d’un « essai contrôlé » (avec répartition au hasard des patients dans un des trois groupes), mais d’une « histoire naturelle de la tentative de suicide ». De plus, les modes de prise en charge (thérapie brève ou non, psychothérapie ou non, etc.) ne sont pas précisés, car il s’agit d’une enquête par autoquestionnaire. Reste que la symptomatologie dépressive est comparable dans les trois groupes (0, 1-9, 10 et + consultations) à T0, mais est supérieure pour le dernier groupe (10 et + consultations) comparé au premier (0 consultation), et ce dès T1. Ajustées sur l’âge, le sexe et le niveau de scolarisation, ces différences persistent. Mais d’autres facteurs s’avèrent efficients pour les consultants : le fait de consulter immédiatement après la TS (p < 0,04 à T2), de consulter sans périodes d’interruption (the continuity of care) (p < 0,02 à T2) ou de consulter toujours le même psy (p < 0,01 à T1), facteurs qu’on pourrait interpréter comme des « facteurs de compliance thérapeutique », souvent cités comme importants (Van der Sande, 1997). Reste que le score CES-D des « compliants » n’est jamais meilleur que celui des non-consultants et que l’évolution de leurs symptômes dépressifs est comparable à l’évolution de ces symptômes chez les non-consultants.

Évolution du CES-D parmi les suicidants primaires et récidivistes Pour les suicidants primaires comme pour les récidivistes, le score du CES-D diminue dans l’année qui suit la TS. Si les suicidants primaires sont moins déprimés que le récidivistes à T0 (p < 0,001), la diminution du score CES-D est comparable pour les deux groupes (autour de 40 %), pour les récidivistes comme pour les primaires.

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Tableau 69. CES-D (moyenne, déviation standard) à T0, T1 et T2 selon la prise en charge post-hospitalière. Comparaison des suicidants primaires et récidivistes. Suicidants primaires à T0 (n = 105) (a) Pas de consultations (n = 37) (b) 1-9 consultations (n = 38) (c) 10 consultations et + (n = 30) différence (c)/(a) Suicidants récidivistes à T0 (n = 37) (a) Pas de consultations (n = 11) (b) 1-9 consultations (n = 10) (c) 10 consultations et + (n = 15) Différence (c)/(a)

35,4 (11,2) 23,6 (13,4) 20,8 (14,9) 35,5 (12,1) 24,8 (12,6) 21,6 (13,1) 38,3 (10,3) 31,6 (16,1) 26,6 (14,8) ns p < 0,05 p < 0,09

41,6 (9,4) 40,4 (8,4) 40,3 (8,8) ns

26,7 (15,7) 23,7 (14,9) 32,2 (13,8) 25,5 (15,5) 27,9 (12,8) 32,3 (13,2) ns ns

ns : non significatif.

Pour les suicidants primaires comme pour les récidivistes, la diminution du CES-D est plus importante pour les non-consultants que pour les consultants multiples. Ainsi, l’évolution observée pour l’ensemble des suicidants est retrouvée pour les suicidants primaires comme pour les récidivistes, même si pour ces derniers les résultats ne sont pas statistiquement significatifs à cause des faibles effectifs.

Commentaires Ainsi, quels que soient les antécédents suicidaires, l’évolution du CES-D est plus favorable pour les non-consultants que pour les consutants 10 et +. Notons que les consultants 1-9 fois (primaires comme récidivistes) sont plus proches des non-consultants que des consultants 10 et +.

Évolution du CES-D en fonction de la gravité de la symptomatologie dépressive à T0 et la prise en charge Les suicidants ont été répartis en trois groupes, en fonction de la note au CES-D à T0. Pour le premier groupe (premier tiers), le CES-D a une valeur à T0 de 48,5 (2,3), le second (deuxième tiers) une valeur de 40,2 (2,4) et le dernier (troisième tiers) de 25,7 (7,9). Pour tous les groupes, la moyenne du CES-D est supérieure au seuil de dépression (CES-D > 23). À l’intérieur de chaque groupe, il n’y a pas de différence du CES-D (T0) selon le nombre de consultations psy ultérieures (T0-T2). Ainsi, le fait d’être suivi (ou non) et d’avoir peu (1-9) ou

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Les jeunes suicidants à l’hôpital

Tableau 70. CES-D (moyenne, déviation standard) à T0, T1 et T2 selon la prise en charge hospitalière ? Comparaison des suicidants en fonction de leur niveau de dépression à T0. T0

T1

T2

n Tiers de CES-D élevé (T0, n = 46) (a) Pas de consultations (b) 1-9 consultations (c) 10 consultations et + Différence (c)/(a)

47,6 (2,4) 48,1 (1,7) 49,7 (2,8) ns

29,0 (16,2) 33,0 (15,3) 32,3 (13,5) 26,9 (10,9) 35,4 (9,5) 32,1 (11,0) ns ns

Tiers de CES-D moyen (T0, n = 48) (a) Pas de consultations (b) 1-9 consultations (c) 10 consultations et + Différence (c)/(a)

39,7 (2,4) 40,5 (2,6) 40,3 (2,3) ns

25,0 (13,8) 22,6 (13,2) 27,7 (13,3) 21,0 (12,7) 33,9 (16,7) 28,5 (12,7) ns ns

Tiers de CES-D inférieur (T0, n = 48) (a) Pas de suivi (b) 1-9 consultations (c) 10 consultations et + Différence (c)/(a)

25,4 (8,7) 24,3 (9,2) 27,5 (5,3) ns

20,1 (12,5) 11,0 (9,5) 20,9 (11,4) 18,5 (12,5) 25,1 (14,6) 27,2 (18,1) ns p = 0,002

ns : non significatif.

beaucoup de consultations (10 et +), n’est pas lié à la symptomatologie dépressive. Pour les deux premiers groupes, le CES-D baisse, et ce quel que soit le nombre de consultations dont ils bénéficient entre T0 et T2. Ainsi, le tiers de l’échantillon à « CESD élevé » tout comme celui à « CES-D moyen » marque une diminution d’environ 40 % du score CES-D, qu’ils aient bénéficié ou non de consultations psy. Pour le troisième groupe (les suicidants ayant le score CES-D le plus faible), le CES-D diminue sensiblement pour les non-consultants, mais reste stable pour les consultants. On note une stabilité du score CES-D entre T0 et T2 pour les consultants 10 et +. En revanche, on note une baisse très sensible (près de 60 %) du CES-D pour ceux qui n’ont pas consulté. À T2, la différence entre les deux groupes est très significative (p < 0,002). Si, à T0, les trois groupes sont très homogènes (écart-type entre 1,7 et 9,2), l’hétérogénéité s’accroît très sensiblement entre T0 et T2. Ainsi, à 12 mois de la première TS, la variabilité à l’intérieur de chaque groupe est aussi importante qu’à l’intérieur de l’échantillon total.

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Commentaires Si, pour les deux premiers groupes, la symptomatologie diminue pour tous, quel que soit le niveau de consultation, pour le troisième groupe (CES-D à T0 autour de 25,0), les consultants 10 et + ne s’améliorent pas, contrairement aux non-consultants et aux consultants 1-9. Mais la grande variabilité des sujets (mesurée par l’écart-type du CES-D), et ce quels que soient le groupe et le mode de prise en charge (ou non), nous incite à la prudence. En effet, elle traduit probablement la complexité du devenir et sa multifactorialité.

Tableau 71. Évolution du score CES-D entre T0 et T2 (moyenne,

déviation standard) en fonction du nombre de traumatismes vécus (0, 1, 2 et +) et la prise en charge psychologique (oui/non). CES-D à T0

CES-D à T2

Traumatismes = 0 Prise en charge oui Prise en charge non Différence

34,9 (11,8) 34,4 (14,1) ns

22,8 (13,1) 19,5 (13,8) ns

Traumatismes = 1 Prise en charge oui Prise en charge non Différence

37,6 (9,3) 32,2 (11,2) ns

24,5 (14,9) 21,4 (12,6) ns

Traumatismes = 2 Prise en charge oui Prise en charge non Différence

43,7 (7,8) 41,1 (7,9) ns

30,1 (13,4) 26,0 (17,3) ns

ns : non significatif.

Évolution du CES-D en fonction du contexte psychosocial (T0) et de la prise en charge On a effectué une analyse en composantes principales, afin de mettre en évidence plusieurs groupes de suicidants. On a inclus les 12 variables suivantes : • 2 variables psychopathologiques (CES-D, mesure de la dépression, et Spielberger, mesure de l’anxiété) ; • 2 variables sociales (habiter avec les parents ou non, être scolarisé ou non) ; • 4 variables de sociabilité (sortir régulièrement avec d’autres jeunes ou non, sortir régulièrement avec les parents, avoir une activité artistique ou sportive ou non, rester souvent sans rien faire ou non) ;

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Les jeunes suicidants à l’hôpital

• 4 variables traumatiques (avoir connu une rupture sentimentale, un déménagement récent, avoir subi des violences physiques ou non, avoir subi des violences sexuelles ou non). L’objectif de cette analyse est de définir des profils de suicidants en fonction d’une diversité de déterminants psychologiques, familiaux, sociaux ou traumatiques. Les trois premiers facteurs expliquent 47 % de la variance totale des données. Cette analyse oppose trois groupes en fonction du nombre d’événements traumatiques vécus • Un premier groupe (38 % de l’échantillon total) se caractérise par les traumatismes (agression physique, agression sexuelle) ou ruptures (déménagement, rupture scolaire), un sentiment de solitude (famille, groupe). Ils sont très déprimés et leur score CES-D est de 42,7 (7,9). • Un second groupe (38 % de l’échantillon total) se caractérise par l’absence de traumatismes ou ruptures, une vie sociale plus intense (ont des amis, sortent en famille) et un score de dépression plus faible (CES-D = 34,7 [12,4]). • Un troisième groupe intermédiaire (24 % de l’échantillon total), qui a connu un seul événement traumatique (le plus souvent une rupture sentimentale) et dont le score de dépression est « intermédiaire » (CES-D = 36,7 [9,6]). Cette analyse montre combien pathologie sociale et psychopathologie sont intimement intriquées En effet, les jeunes ayant subi le plus de traumatismes sociaux ou familiaux sont aussi les plus déprimés. Quant au devenir psychopathologique de ces jeunes, le score de dépression s’améliore pour tous Ainsi, la symptomatologie dépressive diminue pour tous (baisse entre 30 % et 40 %), quelle que soient le score initial, le niveau de traumatisme ou la prise en charge. Quant au taux de récidive entre T0 et T2, il est comparable pour les trois groupes (de 24,5 % parmi ceux qui n’ont pas eu de traumatismes, de 25 % parmi ceux qui ont eu un seul traumatisme et de 20 % parmi ceux qui ont cumulé les traumatismes, ns).

Conclusions Les résultats vont dans le même sens que ceux obtenus avec des méthodes expérimentales (Van der Sande et al., 1997 ; Allard et al.,

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Marie Choquet, Virginie Granboulan

1992 ; Spirito et al., 2001), avec toutefois une différence. En effet, nous disposons d’un groupe de suicidants « non traités » dans la mesure où l’enquête concernait « l’histoire naturelle » de la TS. Ce groupe supplémentaire ne modifie toutefois pas les conclusions de la majorité des auteurs. La question du traitement est certainement plus complexe qu’il n’y paraît. En effet, il y a d’abord les types de traitement et leur articulation dans le temps, la personnalité du thérapeute et la confiance que le jeune lui porte... Mais le traitement peut potentiellement diminuer l’estime de soi (« je n’y arrive pas tout seul, c’est que je dois vraiment être incapable »), surtout quand l’entourage n’adhère pas, implicitement ou explicitement, au projet thérapeutique. Il peut aussi créer une « dépendance » et une incapacité à trouver ses propres solutions internes ou externes. Par ailleurs, l’absence de traitement psy ne signifie pas toujours une absence de soutien ou d’écoute, tant le milieu naturel des adolescents, famille, école et amis, peut apporter une aide constructive (« le soutien informel »). Reste que les suicidants, quel que soit leur mode de prise en charge, sont en grande difficulté psychologique (à T2 comme à T0), même si globalement les choses s’améliorent ; de plus, 1 suicidant sur 5 fait une nouvelle TS dans l’année, sans avoir des modes d’expression très bruyants et très inquiétants pour l’entourage social, familial et scolaire. En effet, les jeunes suicidants vivent mal, sans avoir des symptômes qui déclenchent une intervention précoce et spécialisée (ils ne sont pas très violents et n’ont pas plus de comportements délictueux que les autres jeunes). D’où un risque de « chronicisation tranquille des troubles » avec, à terme, le risque de mort précoce (par suicide, accident ou autre mort violente).

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SYNTHÈSE ET IMPLICATIONS PRATIQUES

Des points méthodologiques Une population difficile à suivre Tous les chercheurs ont rencontré ce problème : suivre des adolescents est déjà une tâche difficile à cause de l’instabilité inhérente à cet âge (déménagements pour des raisons personnelles, scolaires ou professionnelles ; changement de statut scolaire et professionnel). Suivre des adolescents suicidants est encore plus complexe, puisque s’ajoute à leur statut d’adolescent celui d’un jeune en difficulté multiple. Reste toutefois une question majeure : comment motiver ces jeunes aux enquêtes de suivi, indispensables si on veut mieux connaître (et donc à terme, mieux prendre en charge) leur devenir ? Il y a certainement nécessité à mieux penser le questionnaire (les jeunes doivent le trouver attractif et non rébarbatif), à simplifier les procédures (le consentement, éthiquement nécessaire, doit être exprimé dans des termes compréhensibles pour tous) et à personnaliser le mode de suivi (un suivi postal est probablement trop distant et trop neutre). De plus, une participation plus active du public visé tout au long de l’élaboration de la méthodologie serait indispensable et extrêmement fructueuse.

Surtout en multicentrique Les enquêtes multicentriques permettent d’inclure des patients plus diversifiés et donc d’augmenter leur « représentativité ». Elles sont donc indispensables pour étudier la diversité des prises en charge et leur devenir. Mais ces enquêtes comportent un inconvénient majeur : absence de proximité avec les promoteurs locaux de l’enquête et les personnes enquêtées, jointes par courrier ou par téléphone. D’où un plus faible taux de réponse. Reste qu’il faut repenser les procédures pour mieux impliquer les relais locaux, sans augmenter sensiblement le coût de l’enquête...

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Cette enquête, une estimation a minima des difficultés rencontrées Au regard de la population enquêtée durant un an (plus féminine, plus scolarisée et poursuivant plus souvent ses études dans l’enseignement général), on peut raisonnablement émettre l’hypothèse que les résultats obtenus sont des résultats a minima et que, si tous les suicidants avaient été suivis, les résultats auraient été plus défavorables encore, en particulier à propos de l’abandon scolaire et du chômage.

Facteurs de risque, facteurs pronostiques Le « facteur de risque » est une caractéristique (variable) statistiquement associée à un comportement de santé (ici, la tentative de suicide ou sa récidive). Dans les enquêtes transversales, il est observé a posteriori, c’est-à-dire une fois que les deux « événements » ont eu lieu. Mais, dans la réalité, il peut précéder, accompagner ou succéder au comportement de santé. Un « facteur pronostique » est une caractéristique (variable) qui augmente le risque de la survenue ultérieure du comportement de santé. Il précède donc temporellement le comportement de santé étudié. Ce qui ne signifie pas qu’il l’explique nécessairement (dans ce cas, on parlera d’un « facteur étiologique »). Les facteurs de risque sont souvent des facteurs pronostiques. Dans la présente enquête, la dépression est un facteur de risque de récidive (à T0) et un facteur prédictif d’une répétition de l’acte suicidaire entre T0 et T2. Mais tous les facteurs de risque ne sont pas des facteurs pronostiques. Il en est ainsi de la fugue, associée à la récidive (T0), mais pas prédictive de la répétition (entre T0 et T2). On peut alors faire l’hypothèse qu’elle « suit » plutôt la récidive ou en est une des alternatives possibles, tout comme un indicateur supplémentaire de « mal-être » et à ce titre important à prendre en compte.

Des suicidants et de leurs parents Des jeunes (et surtout des filles) parfois si ordinaires et pourtant... S’il s’agit surtout de filles (quatre suicidants sur cinq sont de sexe féminin), les suicidants sont, sur bien des points, comparables aux autres jeunes : ils ont des loisirs diversifiés et multiples, un réseau d’amis, une grande diversité sociale. Ainsi, ils n’ont pas de « stigmates » aisément perceptibles par l’entourage professionnel (éducateurs, professionnels de santé). Pourtant, à y regarder de plus près, les jeunes suicidants sont « en souffrance » au niveau de leur scolarité

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(moins scolarisés et plus insatisfaits), de leur famille (père plutôt absent et mère plutôt trop présente, une cohésion familiale détériorée) et de leur vie relationnelle (des ruptures sentimentales douloureuses, une homosexualité parfois mal assumée, une intolérance à la solitude). Ainsi, pour les praticiens, seule une observation personnalisée permet de découvrir les jeunes à risque de passage à l’acte.

Des jeunes en grande difficulté, certes, mais pas délinquants La donnée la plus originale de cette enquête concerne la diversité des troubles associés. En effet, il s’agit de jeunes qui ont des troubles « tous azimuts » : au niveau du corps (des plaintes somatiques cumulées, une santé ressentie comme détériorée), de l’humeur (troubles du sommeil, dépression, anxiété), de la consommation (tabac, alcool et surtout poly-consommations) et plus généralement de l’impulsivité. En revanche, les comportements délictueux (comme le vol, le racket, les bagarres) ne les caractérisent pas. Il s’agit donc plutôt d’une expression de souffrance socialement acceptable et donc difficilement perceptible...

La fugue, un indicateur précoce de risque suicidaire L’association forte entre suicide et fugue nous amène à considérer la fugue comme un équivalent suicidaire. Souvent ignorée, considérée comme normale, réactionnelle et donc « négligeable », la fugue est une conduite d’évitement comparable à la tentative de suicide et donc un excellent indicateur de risque du passage à l’acte suicidaire. Chaque fugueur devrait donc être considéré comme potentiellement à haut risque suicidaire. Il conviendrait de lui poser la question de ses antécédents suicidaires et de lui faire bénéficier d’un entretien « psy », afin d’évaluer ses risques psychopathologiques...

Risque psychologique et risque social Le passage à l’acte suicidaire a été considéré par les uns comme une expression du risque social (anomie, difficultés d’insertion) et par les autres comme une expression du risque psychologique (psychopathologie du sujet et de son entourage). Même si la littérature explore plus volontiers ce second aspect, nos données montrent que les deux types de facteurs sont intimement imbriqués. Même si les facteurs relationnels l’emportent sur les facteurs sociaux (car la différence avec la population générale porte surtout sur les facteurs relationnels), les mêmes jeunes cumulent simultanément les deux types de difficultés.

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Ainsi, ils ne vont bien ni dans leurs familles, ni dans leur vie sentimentale, ni dans leur environnement scolaire ou professionnel.

Avec des implications pratiques pour la recherche et l’action Au vu de ces résultats, il serait donc vain de vouloir considérer uniquement un des deux aspects (les aspects sociaux ou les aspects psychologiques). Il est donc nécessaire de : • mener des recherches multidisciplinaires sur ce sujet. Or, actuellement, la majorité des écrits sur ce thème sont de nature psychiatrique et on peut se demander pourquoi les sciences sociales ont si peu exploré ce champ ; • mettre en place des prises en charge « multifocales » pour les suicidants. On peut d’ailleurs se demander si la prise en charge (au regard des résultats, voir plus loin) ne souffre pas d’une « psychiatrisation », négligeant ainsi la prise en charge sociale, qui ne devrait pas se limiter à la prise en charge des plus défavorisés, mais prendre en compte la vie sociale et l’intégration professionnelle de tous les suicidants, quel que soit leur milieu social d’origine. Une attention plus particulière devrait être portée à l’intégration sociale des suicidants homosexuels, dont la souffrance peut mener vers une tentative de suicide.

La tentative de suicide, signification différentielle selon le sexe Il existe de multiples différences entre suicidants et suicidantes. Ainsi, ces dernières sont plus déprimées, plus anxieuses, ont plus de plaintes somatiques, mais consomment moins d’alcool ou de drogue et sont moins violentes que les garçons suicidants. Mais ces différences ne retracent que celles habituellement retrouvées entre garçons et filles. Le plus surprenant est que certaines différences n’existent pas entre suicidantes et suicidants, alors qu’elles existent en population générale. Il en est ainsi des troubles du sommeil, plus typiquement féminins en population générale, mais aussi fréquents parmi les suicidants que parmi les suicidantes. C’est également le cas des conduites déviantes (vol, racket), plus typiquement masculines en population générale, mais aussi nombreuses parmi les suicidantes que parmi les suicidants. Tout se passe comme si les différences sexuelles habituelles sont amoindries parmi les suicidants et que les suicidants, garçons comme filles, sont d’abord dans la souffrance (ce qui les rapproche) et en ont les manifestations diverses. Reste que les garçons suicidants s’avèrent, comparés aux garçons de la population générale, plus en difficulté encore que les filles suicidantes. D’où une gravité différentielle selon

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le sexe. Il faut donc être vigilant envers tous les suicidants, mais plus encore envers les garçons qui font un passage à l’acte suicidaire.

La tentative de suicide, grave dès la première Si les récidivistes ont plus de troubles avérés (en particulier des troubles du comportement) et en cumulent plus souvent que les suicidants primaires, l’écart entre suicidants primaires et récidivistes est faible au regard de la distance qui existe entre suicidants et nonsuicidants. Il est donc clair que le premier passage à l’acte suicidaire est, en soi, un acte grave, la récidive venant confirmer cette gravité. Toute banalisation d’une première TS serait donc préjudiciable pour le devenir du sujet.

Des parents à qui on donne rarement la parole La parole n’est pas souvent donnée aux parents dans les études sur les tentatives de suicide des adolescents. Il s’agit donc d’une première dans cette enquête. On peut s’interroger sur cette carence. Outre le fait que les parents sont rarement interrogés sur leurs adolescents en général, ce manque devient contre-productif quand il s’agit de jeunes en grande difficulté. En effet, dans ce cadre, la collaboration parentale est essentielle et indispensable à la mise en place d’un projet thérapeutique auprès des jeunes. Comment imaginer qu’on va pouvoir intervenir auprès des jeunes sans avoir l’adhésion et la participation active des parents, alors que l’essentiel des difficultés rencontrées par les jeunes concerne la vie familiale dans toute sa complexité ?

Des parents meurtris et souvent seuls Ce dont ont témoigné ici les parents répondants, c’est avant tout de l’intensité des affects qui les ont saisis après le geste de leur enfant. Ces affects ne sont pas déniés ni refoulés dans leurs réponses. La moitié des parents font, par exemple, état de la colère qu’ils ont éprouvée sur l’instant, sentiment qui fait rapidement place à la compréhension, à la douleur et la tristesse, éprouvés ressentis par la quasitotalité des parents. Dans cette épreuve, les parents des jeunes suicidants sont assez isolés. La moitié d’entre eux ne trouvent pas de soutien auprès de leur famille ou de leur entourage. Ce réconfort qu’ils ne trouvent pas autour d’eux, c’est plus souvent auprès du personnel hospitalier qu’ils vont le trouver. Les parents répondants donnent donc une image nettement positive de l’hôpital : ils y ont été bien accueillis et informés, ils ne se sont pas sentis jugés, ils ont trouvé chaleur et

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écoute auprès des personnes qui s’occupaient de leur enfant. Le personnel hospitalier doit être conscient de cette perception positive de leur travail et de leur façon d’être, ainsi que de l’aide que trouvent auprès d’eux des parents blessés et souvent seuls.

De l’hospitalisation L’hospitalisation, une période charnière Les enquêtes en population générale montrent que la majorité des adolescents suicidants ne sont pas hospitalisés (huit sur dix selon l’enquête ESPAD 99). L’hospitalisation est donc un moment important dans la vie du jeune suicidant, dont il convient de tirer parti. C’est le moment du bilan médical, psychopathologique, social et familial (qui nécessite du temps et des moyens professionnels spécialisés), de l’échange avec le jeune et ses parents (d’où la nécessité de rencontres multiples), du choix de l’intervention et de l’orientation thérapeutique.

Un manque d’études concernant les réponses thérapeutiques apportées aux suicidants Le contraste est trop frappant pour ne pas s’interroger. D’une part, des centaines de publications sur les facteurs de risque de tentative de suicide, l’environnement social du suicidant, sa famille, sa pathologie interne, son comportement, etc. D’autre part, un désert concernant la prise en charge, aussi bien au moment de l’hospitalisation qu’après. Ainsi, sur plus de cinq cents références concernant le suicide ou les tentatives de suicide que nous avons examinées pour une période donnée, 1,6 % concernaient la prise en charge, soit à l’hôpital, soit après. Tout se passe comme s’il était plus facile de décrire ces jeunes suicidants, leur environnement et leur pathologie, que la façon dont on les soigne, plus facile de décrire leur comportement que celui des praticiens. Historiquement, au fur et à mesure que le problème s’aggravait, la sensibilisation s’est développée et les recherches se sont multipliées sur le suicide et les tentatives de suicide des jeunes. Mais cette multitude de travaux sur les facteurs de risque n’a en rien freiné les courbes. Force est de constater aujourd’hui que le savoir accumulé n’a pas permis d’enrayer le phénomène, comme s’il se situait à côté du problème et n’était d’aucune utilité pour le résoudre. On ne dispose que de très peu d’études descriptives, qui permettraient de connaître le type de prise en charge de ces patients à l’hôpital. Il n’existe aucune étude évaluative ou comparative sur l’efficacité des prises en charge hospitalières. La présente enquête apporte des

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éléments nouveaux en informant sur ce qui se pratique dans neuf centres hospitaliers répartis régionalement. L’hospitalisation systématique est recommandée en France, mais l’ANAES souligne qu’en l’absence de publications, rien ne permet d’affirmer qu’elle est préférable à la prise en charge ambulatoire intensive, qui se pratique dans d’autres pays comme le Canada par exemple. Pour ceux qui sont hospitalisés, le type d’unité d’accueil, la durée de séjour, la conduite de l’hospitalisation ont fait l’objet de recommandations, mais là aussi l’ANAES précise qu’elles reposent sur un consensus clinique, vu l’absence de données scientifiquement établies. La recherche devrait de toute évidence concentrer ses efforts maintenant sur la nature et les effets des modalités thérapeutiques.

Une prise en charge hospitalière attentive qui ne minimise pas la portée d’un acte suicidaire Avant d’aborder les points qui restent à améliorer, il convient de souligner l’évolution positive qui a eu lieu en matière d’hospitalisation des jeunes suicidants. Si l’on a pu dire, il y a quelques années, que les tentatives de suicide des jeunes étaient négligées par le système hospitalier, cette assertion ne serait plus pertinente aujourd’hui. Avec un taux d’admission qui avoisine 100 % (quand l’hospitalisation est demandée, ce qui n’est le cas que pour 15 % à 20 % des suicidants, voir enquête ESPAD 99), une durée d’hospitalisation de cinq jours en moyenne (ce qui est une augmentation considérable, car antérieurement elle était de 24 heures en moyenne), une évaluation psychologique quasi systématique, comprenant en règle générale plusieurs entretiens avec un professionnel « psy » et une proposition de suivi pratiquement systématique quand cela est possible, on conclut de cette étude que l’attention portée aux adolescents suicidants s’est nettement améliorée et que les intervenants sont actuellement conscients de la gravité potentielle de l’acte suicidaire. L’évolution est notable et le travail de sensibilisation et de formation entrepris depuis quelques années en est probablement un des facteurs. De cette prise en charge, les jeunes sont d’ailleurs en règle générale satisfaits. Eux aussi, comme leurs parents, donnent une image positive de l’hôpital où, dans leur grande majorité, ils se sentent bien accueillis et bien soignés. Avec toutefois un point négatif important : ils sont nombreux (un tiers) à se sentir jugés par le personnel hospitalier. À noter qu’ils donnent une image également positive des professionnels « psy » qu’ils ont rencontrés et des entretiens qu’ils ont eu avec eux, ce qui va contre certaines idées reçues.

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Mais pas de différence de prise en charge selon le sexe, malgré la gravité évidente de l’acte suicidaire masculin Si, a priori, on peut être satisfait d’une prise en charge identique pour garçons et filles, force est de constater que, au regard de la gravité différentielle, il serait indispensable d’augmenter le temps d’hospitalisation des garçons. En effet, les garçons suicidants sont, comparés aux garçons de leur âge, en plus grande difficulté que les filles (comparées aux filles non suicidantes). D’où un besoin d’une prise en charge différentielle, du temps d’hospitalisation et de l’orientation post-hospitalière notamment.

Et une prise en charge hospitalière moins attentive pour les majeurs que pour les mineurs Les urgences deviennent le premier service d’accueil pour les majeurs et, avec l’âge, la durée d’hospitalisation, tout comme le nombre de consultations « psy », diminuent et l’organisation de la prise en charge post-hospitalière devient moins systématique... Au total, la prise en charge s’avère de moins bonne qualité pour les 18-24 ans que pour les moins de 18 ans. Est-ce par désintérêt pour le jeune adulte, jugé plus responsable de sa vie que l’adolescent ? Ou par manque de structures et de professionnels spécialisés pour les « post-adolescents » ? Une réflexion plus approfondie sur ce sujet s’impose, ce d’autant plus que le suicide devient la première cause de décès parmi les 25-35 ans.

Des souvenirs de l’hospitalisation qui changent avec le temps Dans cette enquête, certaines questions concernant le vécu de l’hospitalisation ont été posées aux jeunes pendant leur séjour, puis trois mois et un an après la sortie. Cela nous a permis d’apprécier la réorganisation des souvenirs au fil du temps et de constater que le souvenir de l’hospitalisation se négative fortement avec le temps. Ce mouvement est présent chez les filles comme chez les garçons, mais encore plus marqué chez les garçons. Chez eux, le pourcentage qui trouve l’hospitalisation pénible passe d’un quart (au moment de l’enquête) à trois quarts (trois mois après). De même, plus le temps passe, moins les suicidants sont nombreux à penser que l’hospitalisation a été positive, mouvement décroissant également plus marqué chez les garçons.

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Ce qui n’est pas sans conséquences pour la recherche clinique Cette évolution des souvenirs très marquée pose des problèmes pour la recherche. Les études faisant appel à la perception ou à l’opinion des adolescents, auront des résultats très différents selon qu’elles seront réalisées sur le moment ou dans un délai (plus ou moins long) après la sortie. De plus, cette évolution des souvenirs affectera différemment les populations étudiées selon leur sex ratio, car tout en concernant les deux sexes, elle est plus marquée chez les garçons.

De l’histoire naturelle à un an Un taux de suivi psychologique post-hospitalier « dans la moyenne » internationale La fréquence des ruptures thérapeutiques après la sortie de l’hôpital chez les jeunes suicidants a fait l’objet d’études et est maintenant bien établie, les taux se situant entre 30 % à 70 %. La taille de notre échantillon est supérieure à celle des échantillons analysés dans la littérature et le taux de ruptures se situe dans la médiane des chiffres disponibles (51 %). Mais notre enquête, grâce à son effectif, a permis une étude détaillée des facteurs ayant une influence sur le taux de suivi, éléments jusqu’alors peu connus.

Le suivi psychologique post-hospitalier dépend des facteurs personnels Le suivi psychologique après la sortie dépend de la pathologie du sujet. Plus le suicidant a une souffrance mentalisée, notamment anxiodépressive, plus ses idées suicidaires sont fréquentes et plus son degré d’intention suicidaire est élevé, plus il a tendance à s’engager dans un suivi.

Mais surtout des modalités de prise en charge hospitalière Le suivi post-hospitalier dépend grandement des pratiques hospitalières et un certain nombre de mesures simples se révèlent d’un poids important puisqu’elles multiplient la probabilité de suivi au moins par deux (jusqu’à cinq). Il en est ainsi de la durée de séjour d’au moins trois jours, le fait de bénéficier d’au moins deux entretiens psychologiques, d’avoir un référent qui s’occupe spécifiquement du jeune pendant son hospitalisation, la prise de contact par le référent avec le

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« psy » qui doit assurer le suivi, de la prise d’un rendez-vous avec ce psy avant la sortie de l’hôpital.

Ce qui se traduit par quelques recommandations simples Il est possible, à partir de ces résultats, de formuler des recommandations de pratique clinique, qui permettent d’améliorer les chances d’un suivi ambulatoire après la sortie. Les mesures citées ci-dessus consistent, d’une part, à accorder un temps suffisant au jeune au moment de son acte suicidaire et notamment d’organiser un nombre suffisant d’entretiens, et d’autre part, à créer des liens entre l’hôpital et l’extérieur. Ces mesures luttent contre les mécanismes de défense spontanés de ces patients. Les suicidants, en effet, placent les principaux obstacles au suivi surtout en eux-mêmes et non en leur entourage (« psy », parents) : ceux qui ne sont pas venus donnent comme premier motif, la peur des éprouvés douloureux qu’ils contiennent et que les consultations vont faire émerger.

Mais le taux de suivi ne préjuge pas du type de suivi proposé Les résultats concernant le taux de suivi et les moyens de l’améliorer ne préjugent pas du type de suivi ambulatoire qui est proposé aux suicidants, ni de son efficacité sur le devenir à terme. Dans ce domaine, on rencontre le même vide de données que pour le bien-fondé de l’hospitalisation ou sa conduite. De nombreux modèles de suivi thérapeutique des adolescents suicidants ont été développés : psychothérapies intensives, thérapies brèves, consultations familiales exclusives, etc. Il n’y a quasiment pas d’étude évaluative permettant d’établir leur efficacité et de les comparer. Le problème est probablement très complexe.

Une amélioration de la santé mentale de tous les suicidants, quel que soit le suivi proposé La dépression, mesurée par le CES-D, diminue parmi les suicidants, qu’ils soient suivis ou non, qu’ils soient suicidants primaires ou récidivistes, garçons ou filles. Ainsi, la tendance « lourde » de cette enquête est qu’il existe une amélioration globale pour la majorité des suicidants. Comme si la mise en acte avait permis de faire baisser la tension (interne et externe) devenue insupportable et avait permis de reprendre « goût à la vie ». D’ailleurs, les jeunes suicidants ont une meilleure qualité de sommeil un an après leur acte, ont moins de plaintes somatiques et cumulent moins de troubles somatiformes.

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Tout en se gardant d’un trop grand optimisme Ne soyons pas trop optimistes, puisque l’histoire naturelle des suicidants montre que, dans le même temps, l’abandon scolaire et le chômage augmentent, que la consommation de substances (et surtout la poly-consommation) se chronicise, que la fugue reste une conduite fréquemment adoptée. Tout se passe comme si les troubles somatiformes, au moment de l’acte suicidaire, s’atténuaient, alors que les troubles comportementaux persistent, voire augmentent... Peut-on faire l’hypothèse que la mentalisation des troubles a tendance à disparaître en faveur d’une « comportementalisation » des difficultés ?

Les conditions de la mise en place du suivi psychologique, plus déterminantes que le nombre de consultations Une consultation à la sortie de l’hôpital, la continuité dans le traitement et le thérapeute sont autant de garants d’une amélioration substantielle et s’avèrent plus « efficaces » qu’un nombre de consultations élevé, dont on ne sait pas si elles sont ou non garanties par les mêmes soignants. De plus, autre donnée importante, la diversité des évolutions individuelles rend difficile l’analyse des données.

Vers une nosographie différente de la tentative de suicide ? Aux différences conceptuelles d’écoles habituelles, s’ajoute l’absence d’unité des actes suicidaires. La tentative de suicide est un symptôme, de nature aussi vague que la fièvre, qui traverse d’une extrémité à l’autre toutes les catégories nosographiques. Elle se rencontre chez les psychotiques, dans tous les troubles de la personnalité, dans les troubles de l’humeur, chez les anorexiques et également chez des sujets qui ne réunissent les critères d’aucun diagnostic. Dans une telle hétérogénéité, il est probablement illusoire, voire néfaste, de proposer une thérapeutique unique. La diversité des modes d’abord du suicidant correspond probablement à la diversité des problématiques qui sont recouvertes par ce même symptôme de tentative de suicide. Encore faudrait-il le prouver ? Il serait intéressant de réaliser une large étude descriptive des modes de suivi ambulatoire des jeunes suicidants, en demandant à chaque praticien participant de consigner, pour chaque suicidant suivi, la fréquence, le type d’entretien, etc. C’est seulement à partir d’un état des lieux de ce type, que l’on pourrait faire des regroupements et voir si une typologie des modes thérapeutiques est possible.

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Et maintenant ? Les recherches évaluatives manquent cruellement Il semble clair que cette première Enquête française sur l’histoire naturelle des suicidants sur un an ne constitue qu’une première étape dans la recherche sur le devenir des suicidants. Elle ne permet pas de connaître les modes de traitement les plus efficients, mais pour mettre en place de telles enquêtes sur des échantillons plus larges, tout en diminuant le taux de non-réponse, des besoins financiers, humains et scientifiques considérables seraient nécessaires. Reste à savoir si, dans ce domaine, qui finalement occupe si peu l’espace public, la volonté existe de donner les justes moyens aux chercheurs et aux cliniciens pour mener à bien une évaluation de qualité. Cette recherche, initiée par un organisme privé novateur, la Fondation de France, mériterait d’être relayée par des pouvoirs publics.

Tout comme les enquêtes multidisciplinaires L’intrication de multiples facteurs, abordée dans cette enquête, met clairement en évidence le besoin d’enquêtes multidisciplinaires, menées par des chercheurs de champs scientifiques différenciés. Si ce vœu est exprimé à d’autres occasions (les recherches sur le comportement humain nécessitent toujours cette multiple approche), il reste à le concrétiser. Les freins étant non seulement financiers mais aussi humains (la collaboration entre disciplines pose la question du langage commun, de la complémentarité des outils et surtout du leadership), il faut d’abord résoudre ces questions avant d’envisager de faire évoluer la recherche.

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POSTFACE DU CÔTÉ DES ÉQUIPES... DES RÉALITÉS HÉTÉROGÈNES ET DES ÉCHOS CONTRASTÉS Patrice Huerre*

Que faire des résultats de l’enquête « Jeunes Suicidants à l’Hôpital » dans la pratique hospitalière et plus largement dans la pratique clinique ? Quelles questions nouvelles posent-ils ? Induisent-ils plutôt un embarras inexistant jusqu’alors, des progrès, des changements... ? Telles sont quelques-unes des questions qui émergent à l’issue de ce travail. C’est pourquoi nous sommes allés voir du côté des équipes ce qu’elles pouvaient en dire. Celles qui ont bien voulu s’engager dans cette recherche ont chacune des réponses à ces questions, qui font l’objet du présent chapitre. Leurs responsables de projet ont bien voulu consacrer un temps de leur activité pour me permettre d’évaluer avec eux où en était leur réflexion au décours de l’enquête à laquelle ils avaient participé. Qu’ils en soient remerciés. Ce qui suit est donc un reflet synthétisé de leurs situations particulières. Les particularités de leur fonctionnement et de leur organisation institutionnelle, leur place et leur rôle dans l’hôpital, ainsi que la diversité des moyens dont ils disposent, colorent de façon originale leurs points de vue. Certaines équipes ont ainsi vu leurs moyens se réduire tandis que d’autres, le temps de l’enquête, se renforçaient. * Psychiatre des hôpitaux, directeur médical de la Clinique médico-universitaire GeorgesHeuyer, Paris ; Fondation Santé des Étudiants de France.

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Certaines sont restées stables en termes d’investissement et de professionnels concernés, alors que d’autres ont subi les effets de changements de personnes impliquées dans la dynamique de cette mission. Certaines ont eu la possibilité d’étendre l’intérêt pour la question posée à de nouveaux partenaires internes et/ou externes à l’hôpital, tandis que d’autres se sont vues au contraire progressivement chargées d’une sorte de spécialité en matière de jeunes suicidants, au prix d’un désengagement de ceux concernés jusqu’alors par cette question, dans leur pratique d’urgence, de pédiatrie ou de médecine interne. Bien d’autres différences encore - sur lesquelles nous reviendrons modulent l’évolution des regards et des pratiques. C’est dire la difficulté de l’évaluation des effets de cette recherche sur les réponses apportées dans un ensemble hospitalier, car elles sont très tributaires de données humaines, matérielles, budgétaires et institutionnelles évolutives et singulières. Même si depuis la fin de l’année 2001 (époque de recueil des indications que les équipes engagées dans la recherche ont bien voulu me fournir) certaines situations ont pu évoluer, les données ressortant de cette évaluation me semblent toujours pertinentes. Au risque de simplifier des enjeux aussi complexes, je présenterai quelques catégories de situations à différents temps de l’enquête afin de permettre un repérage plus aisé de ses effets.

Des contextes très variés Les équipes concernées se sont trouvées, outre leur engagement propre, dans un environnement local ou régional dont la sensibilité aux questions posées était très variable d’un lieu à l’autre. Certaines cherchaient depuis quelques temps déjà à faire valoir avec peu d’effets leur intérêt pour les prises en charge des jeunes suicidants, tandis que d’autres bénéficiaient antérieurement d’un soutien dans leur région pour ces projets. À cette hétérogénéité des soutiens, il faut ajouter celle des équipements humains et des dispositifs de base disponibles pour de telles prises en charge. Certains sites s’appuient principalement sur des urgences, tandis que d’autres disposent d’un service de pédiatrie avec plus ou moins de psychiatrie de liaison, quand d’autres encore ont à leur disposition une unité pour adolescents et/ou de pédopsychiatrie. La question des âges accueillis les distingue aussi : dans certains lieux, la barrière des 16 ans détermine l’orientation des adolescents

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vers la médecine interne ou la psychiatrie adulte, en dehors de la question des places disponibles en hospitalisation, alors qu’ailleurs, quel que soit leur âge, les adolescents sont pris en charge par une équipe spécifique disposant de consultations de suite extériorisées. Les durées d’hospitalisation, la rapidité et la fiabilité des rendez-vous ambulatoires post-hospitalisation en découlent souvent. D’autres variables sont liées au niveau de l’intérêt local pour le sujet abordé : certaines équipes ont déjà engagé des recherches en la matière tandis que d’autres inaugurent leur intérêt par cette recherche. Certaines ont déjà réfléchi aux problématiques adolescentes et suicidaires et se sont dotées d’outils de formation, alors que d’autres disposent de professionnels peu habitués à cette confrontation, déroutés et mal à l’aise dans le travail de liaison nécessaire. Enfin, certains centres disposent d’une unité de psychiatrie intra-muros, tandis qu’ailleurs, au mieux, quelques personnels assurent la liaison avec le dispositif sectoriel extérieur. C’est pourquoi, avant l’enquête, il n’est pas étonnant de trouver des pratiques très variées, représentatives de ce qui fonctionne sur le plan national : des modes d’accès aux soins - via les urgences, la pédopsychiatrie, la médecine interne... - aux durées d’hospitalisation selon les disponibilités et les priorités locales, jusqu’aux modes de suivi à l’issue du temps hospitalier. Dans certains cas, l’adolescent n’était pas vu par un psychiatre durant son séjour, pas plus que ses parents, du fait des habitudes dans les pratiques ou du manque de moyens professionnels, alors que dans d’autres, un protocole déjà en place incluait ces réponses. Il semble que les pratiques pédiatriques et pédopsychiatriques inclinent plus habituellement au travail avec les parents, ce qui ne veut pas dire qu’elles rencontrent toujours le succès dans leur entreprise. L’expérience et le projet de chaque consultant sont aussi à l’œuvre et importants.

Des effets contrastés de la recherche sur les pratiques Du point de vue des effets sur les investissements des professionnels, l’enquête a pu modifier des fonctionnements antérieurs variés, entraînant parfois un sentiment de travail contraignant, quel qu’en soit l’intérêt après-coup, tandis qu’elle a pu dans d’autres cas stimuler localement des habitudes acquises. Elle a apporté un crédit en terme de sérieux à des équipes, qui en ont profité pour lancer une dynamique nouvelle ou se trouver

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confortées dans leurs « bonnes pratiques ». Elle a permis à d’autres de développer un intérêt partagé pour une problématique jusqu’alors largement sous-estimée, voire méconnue par rapport à d’autres priorités locales. Dans certains lieux, elle a renforcé l’image de l’hôpital dans son environnement et suscité par là même de nouvelles demandes, dont le traitement pouvait poser problème eu égard aux moyens disponibles. Elle a alors stimulé le travail en réseau, débouchant sur une meilleure connaissance entre partenaires intra et extra-hospitaliers. Mais elle a aussi suscité des questions nouvelles, révélé et souligné des dysfonctionnements inter-services, des manques de lits, de moyens humains, de formation... bref, des décalages entre les ambitions locales et les possibilités de réalisation. Voyons à présent quelques-uns des effets de l’enquête sur les pratiques, tels qu’ils ont pu être relevés par les professionnels engagés. Sur l’organisation intérieure et sur les liens avec l’extérieur, la recherche a soit dynamisé, relancé et amplifié le travail, soit révélé les manques et les dysfonctionnements. Tous ont souligné l’importance de l’accueil réservé à ces jeunes patients sans pour autant négliger celui que l’on doit réserver aux jeunes qui se manifestent autrement que par un geste suicidaire. De la même manière, il apparaît pour eux que le temps d’hospitalisation est fondateur du projet de soins, dans la mesure où il est utilisé pour une évaluation psychologique voire psychopathologique. Il ne faut pas pour autant négliger l’appréciation et l’approche somatique, au risque de tomber dans le piège d’une prise en compte exclusive des apparences comportementales et de sous-évaluer les questions somatiques, si agissantes à cet âge. Sur le travail avec les jeunes, la plupart des équipes évoquent le sentiment, non objectivé, qu’il y a moins de récidives dès lors que le travail avec les parents est plus habituel et qu’une rencontre avec un psychiatre a lieu durant l’hospitalisation. De même, elles soulignent l’impact utile d’un rendez-vous post-hospitalisation assez proche et de l’identification d’un référent local, fil rouge des interventions utiles. Du point de vue de la durée de l’hospitalisation, beaucoup insistent sur l’intérêt d’un temps suffisant pour « marquer l’importance » du passage à l’acte, temps qui compte autant sur le plan quantitatif (nombre de jours d’hospitalisation) que qualitatif (type de travail mené avec l’adolescent).

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Certains ont mis en avant le risque d’une « trop bonne » hospitalisation, pleine de louables intentions réparatrices, renforçant ainsi le décalage avec ce dont bénéficie le jeune à l’extérieur et pouvant avoir des effets inverses de ceux attendus. Plusieurs équipes ont souligné l’augmentation des admissions et des sollicitations d’adolescents pour des idées suicidaires et l’accueil d’une plus grande variété symptomatique à l’issue de l’enquête, tandis que les tentatives de suicide diminuent comme motifs d’appel. Dans le souci de diminuer, et si possible d’éviter le risque de récidive, il apparaît très important en effet de mettre en œuvre des modalités d’accueil spécifiques et d’identifier des pratiques permettant aux adolescents concernés de revenir vers les soins sans en passer par une nouvelle tentative de suicide. Nul ne souhaite, en effet, instituer la tentative de suicide comme le moyen d’être au monde et en relation avec les autres, pas plus que comme celui d’accéder aux soins. En revanche, au fil de la pratique, il apparaît à beaucoup que les récidives sont plutôt retrouvées chez des jeunes marqués par un fonctionnement psychique où la dimension impulsive domine, des troubles de la personnalité (apparaissant plus clairement dans un second temps), des carences affectives (ou du trop d’investissement) et des défaillances narcissiques. Mais il s’agit souvent d’une psychopathologie fine, difficile à discerner sans un temps d’appréciation suffisant et très étroitement dépendant de la formation et de l’expérience clinique acquises. D’où l’importance du soin apporté - quand cela est possible - à l’établissement et au soutien des relais et des suites. Les professionnels insistent sur l’intérêt de solliciter les parents afin de tenter de les recevoir durant le temps de l’hospitalisation, ce facteur paraissant important en terme de pronostic. L’attention des soignants à leur égard augmente au vu des effets sur l’évolution de l’adolescent, quelles que soient les difficultés rencontrées par ailleurs, du point de vue des horaires de rendez-vous ou des aspects culturels dans certains cas. Les enjeux inter-générationnels sont souvent pointés. Notons le constat d’une sous-estimation de l’impact du geste suicidaire sur la fratrie, problématique qui, du point de vue de certains soignants, mériterait d’être mieux prise en compte. À propos de la dynamique d’équipe, la remobilisation des personnels autour du projet de recherche est souvent évoquée, avec un renforcement des liens entre les professionnels et des demandes de formation. Ce dernier aspect apparaît important, tant pour l’acquisition ou la consolidation de savoir-faire en direction des adolescents (pour leur accueil,

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une meilleure connaissance de la psychopathologie et des troubles comportementaux de cet âge...), que pour diminuer le sentiment d’inadéquation et d’inquiétude face aux jeunes suicidants. Les soignants confrontés à l’urgence et aux soins somatiques (infirmiers, internes, médecins somaticiens) éprouvent souvent ce sentiment, ressenti qui peut entraîner des orientations trop rapides vers d’autres professionnels censés être mieux formés, court-circuitant ainsi le premier temps d’accueil dont l’importance n’est plus à démontrer. Ils peuvent en effet être déroutés par ces adolescents, tant par leur absence de demande de soins que par la mise en avant d’une symptomatologie qui, dans un contexte d’urgence, peut paraître de moindre priorité par rapport à d’autres pathologies, une fois que n’est plus engagé le pronostic vital. Ces formations sont d’autant plus appréciées qu’elles concernent les professionnels de différents métiers et des différents services impliqués, et qu’elles renforcent la connaissance mutuelle des soignants de psychiatrie et des soins somatiques. De même, nombreux sont ceux qui ont souligné la nécessité de développer le rôle infirmier, dès lors que ces professionnels sont formés à la psychiatrie, à la psychopathologie adolescente et à l’hospitalisation des adolescents. Ils peuvent alors représenter le pivot de la prise en charge, coordonnant les interventions complémentaires utiles. Du point de vue des moyens, les différences sont grandes d’un lieu à l’autre. Dans certains cas (les plus rares), toute la palette des spécialités et des compétences est retrouvée, et il s’agit alors de la mise en musique de ces potentialités, tandis que dans d’autres, l’insuffisance des ressources professionnelles, tant dans le centre hospitalier qu’à l’extérieur, pose le problème de l’accueil, des soins et des relais, celui aussi de l’inadéquation entre le souhaitable et le réalisable. L’enquête a suscité parfois une meilleure attention de l’administration locale, et favorisé l’obtention de moyens et formations complémentaires.

Un rapport au temps parfois difficile À l’issue de cette évaluation succincte, j’évoquerai quelques-unes des déceptions ressortant du travail mené. Tout d’abord, la difficulté de soutenir une dynamique de travail qui apparaît nécessaire quand, dans le même temps, les moyens humains et financiers diminuent. Tout se passe alors comme si l’identification d’une « bonne pratique » allait de pair avec l’impossibilité de la réaliser. Cette frustration conduit alors à un sentiment d’usure et à une réelle difficulté à se projeter dans un avenir à construire.

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Dans le même ordre d’idées, le fonctionnement administratif, quand il est marqué par le court terme, sans contrat d’objectifs et de moyens sur la durée, peut coller à des projets émergents du moment mais ne garantit pas la pérennité de l’investissement qui en est fait. De ce point de vue, il place les professionnels dans une situation proche de celle des adolescents, suspendus à l’actualité et sans possibilités d’anticipation, situation peu apte à rendre probables dans les esprits les développements escomptés. Par ailleurs, lorsque ces difficultés sont partagées par ceux qui ont la charge d’organiser les relais extra-hospitaliers, les efforts menés en interne pour une meilleure prise en charge risquent de ne pouvoir trouver de suite. Enfin, il faut souligner que les pratiques déployées pour mieux soigner les jeunes suicidants vont à l’encontre de tendances fortes de l’époque à affecter des moyens à des actions « ciblées », immédiates, bien repérables, faciles à évaluer et à valoriser à court terme.

Des suggestions pour demain Pour ce qui concerne les projets, certains sont en lien direct avec cette recherche : ainsi, celui de réfléchir aux propositions susceptibles de diminuer le nombre des jeunes suicidants non suivis après l’hospitalisation, ou encore d’évaluer mieux l’impact des abus sexuels sur le passage à l’acte suicidaire. Plusieurs participants insistent par ailleurs sur la nécessité de faciliter l’accès aux soins, sans en passer par une tentative de suicide, c’est-à-dire sur l’importance d’un meilleur repérage des services accueillant les adolescents, quelles que soient leurs plaintes, sans cloisonnement en fonction de leur âge. Ceci suppose le développement de liens fonctionnels entre tous ceux qui, dans une région donnée, sont susceptibles d’accueillir des jeunes, afin de consolider leur rôle plutôt que de courir le risque de les dessaisir de ces problématiques en en faisant la spécialité d’un service. Dans ce dernier cas, le risque est souligné de voir l’intérêt pour les adolescents entraîner une diminution de celui porté à d’autres âges ou à d’autres problèmes de santé. C’est dire l’utilité de faire évoluer ensemble les dynamiques de travail dans chaque région, afin de maintenir des équilibres que le manque de moyens rend parfois précaires. Dans un souci d’amélioration durable, beaucoup d’équipes ont insisté sur le développement du travail, en amont et en aval, avec l’Éducation Nationale et ses services médicaux et sociaux, afin d’orga-

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niser une meilleure prévention, à partir notamment des signes visibles de mal-être manifestés par les adolescents (absentéisme, décrochage scolaire, passages fréquents à l’infirmerie...). De même, ce travail partenarial gagnerait à être étendu aux services éducatifs, sociaux et judiciaires (PJJ). Une telle coordination est porteuse pour l’adolescent, assurant un travail de lien qu’il ne peut lui-même mettre en œuvre. Comment, en effet, les adolescents pourraient-ils établir des liens nouveaux entre leur passé et leur avenir, leur corps et leurs pensées, leurs questions personnelles et celles de leurs parents, leur vie psychique et leurs investissements scolaires, relationnels, culturels... si les professionnels ne s’engagent pas eux-mêmes dans cette démarche ? C’est dire que ces pratiques en réseau placent l’hôpital comme l’un des éléments, mais non le seul, d’un dispositif de prévention et de soins plus large. Elles réclament autant de moyens, si ce n’est plus, mais offrent moins de points de repère et moins de visibilité qu’un pôle unique bien repérable. Malgré tout, les équipes impliquées dans l’enquête « Jeunes Suicidants à l’Hôpital » y ont presque toutes trouvé un grand intérêt, qui justifierait, pour soutenir une dynamique risquant de s’essouffler, de permettre qu’elles se rencontrent pour échanger sur leurs avancées comme sur leurs points de butée. Ensemble, elles pourraient contribuer à définir des outils d’évaluation des pratiques (sous réserve de moyens pour ce faire !), organiser les modes de transmission des résultats acquis à leurs partenaires loco-régionaux, par des réunions thématiques, une participation aux enseignements post-universitaires... Pour pouvoir assurer une meilleure prise en charge des adolescents, il importe pour la plupart de développer et d’harmoniser les liens entre psychiatrie adulte, pédopsychiatrie, pédiatrie, médecine interne et urgences. Il importe également de ne pas trop axer sur le pôle hospitalier les réponses aux problèmes des jeunes suicidants, au détriment de la mise en synergie des professionnels que ces adolescents rencontrent ailleurs et qui contribuent à prendre efficacement le relais.

Pour conclure Pour conclure, je soulignerai quelques pistes de réflexion émergeant des échanges avec ces équipes et de ma propre expérience clinique avec des jeunes suicidants. Il est toujours utile de prendre en compte les différents regards portés sur un adolescent suicidant par ceux qui le connaissent dans sa

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vie quotidienne. Cette attention limite le risque d’enfermer le jeune dans une représentation unique, fondée sur l’apparence prévalente un jour donné, interprétée par un système de référence particulier. La conjugaison de ces appréciations colore au contraire de façon nuancée et parfois déterminante la symptomatologie présentée, et guide la démarche d’aide et de soins ultérieure. C’est pourquoi, le plus souvent, il importe de se donner les moyens d’un travail articulé et personnalisé avec des partenaires internes à la famille et extérieurs à elle : prise en compte des parents et de leurs points de vue, des aspects somatiques, de la vie intra-psychique, mais aussi des investissements scolaires, sociaux, sportifs, culturels... Dans l’organisation hospitalière, il apparaît souvent utile, à un temps donné de l’évolution historique du lieu, que soit créé ou individualisé un « pôle adolescents », dans une visée fédératrice de prise de conscience des problèmes de santé de ce groupe d’âge, d’expérimentation d’initiatives, de mise en place de formations, d’outils de réflexion et d’évaluation... Une telle orientation comporte des risques. C’est le cas notamment si elle est posée comme « la » réponse, incitant les autres intervenants et services (psychiatrie de l’enfant, psychiatrie générale, urgences, médecine interne, chirurgie, pédiatrie...) à se désengager des interventions auprès des adolescents, et laissant aux « spécialistes » le soin de s’en occuper. Ainsi peut se perdre l’avantage d’une implication partagée. Un autre risque serait, dans une période où il semblerait prioritaire de prendre en charge les adolescents suicidants, d’y mettre préférentiellement des moyens qui feront défaut ailleurs. L’ensemble du système pourrait être déséquilibré, faisant percevoir les adolescents comme des perturbateurs des données jusqu’alors instituées, sauf à considérer les modalités de réponse au suicide des jeunes comme prototypiques de ce qu’il faudrait faire pour toutes les autres pathologies adolescentes et pourquoi pas celles des autres âges ! Il faut également envisager les effets paradoxaux des « bons projets », dès lors qu’ils ne s’inscrivent pas dans une perspective globale reconnue par tous et débouchant sur une pluralité de réponses possibles en fonction des situations individuelles. C’est particulièrement vrai lorsqu’il y a investissement préférentiel sur la question du suicide, alors qu’auparavant ce n’était pas le cas. Bien sûr, on ne peut que s’en réjouir dans le cadre de cette recherche, mais le point de vue serait moins enthousiaste si cela s’avérait le seul mode de réponse local au mal-être adolescent. On connaît en effet l’appétence juvénile pour

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les sujets d’inquiétude et d’investissement prioritaires des adultes, confortant après-coup le bien-fondé de leurs réponses institutionnelles à un moment donné. Le plus difficile est de prendre en compte une question nouvelle tout en cherchant à maintenir ouvertes les potentialités évolutives du jeune en souffrance. L’expérience montre que les résultats sont plus probants quand il est possible d’accueillir les jeunes pour une plus grande diversité de motifs de venue vers les soins, avec un éventail plus large des réponses possibles, même si le point de départ apparent est la question du suicide. Les enjeux psychopathologiques à l’œuvre peuvent alors davantage se déployer et être pris en compte. Parmi les conditions favorables, figure aussi celle d’un travail interne à l’hôpital, se développant parallèlement à l’articulation des liens avec les partenaires extérieurs. Globalement, une recherche comme celle-ci contribue à renforcer ou à initier une dynamique de travail en direction des jeunes suicidants, en stimulant l’intérêt d’y consacrer du temps et de l’énergie. Mais cette volonté peut être freinée ou empêchée par plusieurs facteurs : • l’implication d’équipes formées et stables, bien repérées par leurs partenaires et les connaissant bien elles-mêmes. Ce n’est pas la règle dans bon nombre d’établissements, soumis à des départs et des arrivées fréquentes de personnels et ne pouvant s’installer, sur le long terme, dans un fonctionnement partagé ; • la pénurie croissante des professionnels psychiatres, et médecins plus généralement. Elle entraîne un décalage grandissant entre les stratégies identifiées comme pertinentes et les possibilités de les mener à bien durant le temps hospitalier et par la suite, quelle que soit la volonté locale ; • le décalage qui s’opère au fil du travail entre l’investissement d’une équipe qui voit mieux ce qu’il faudrait faire et les moyens dont elle dispose et dont disposent les relais. Il peut engendrer un profond sentiment de frustration. C’est dire l’intérêt de rencontres ultérieures entre les équipes engagées dans l’enquête « Jeunes Suicidants à l’Hôpital », afin de favoriser des échanges d’expériences pour une meilleure prise en charge des adolescents, et soutenir ainsi une dynamique fragile autant que prometteuse.

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