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French Pages 256 [611]
© ODILE J ACOB, SEPTEMBRE 2016 15, RUE SOUFFLOT, 75005 PARIS www.odilejacob.fr ISBN : 978-2-7381-5993-9
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Avant-propos
Lorsque j’ai publié Le Poids des apparences en 2002, il s’agissait de montrer que les apparences physiques et vestimentaires comptaient dans la vie de tous les jours, de l’école au travail, en amour ou encore devant les juges. Il s’agissait de lever un tabou, car les scientifiques français répugnaient à aborder ce sujet trop frivole. Pourquoi autant de chercheurs du monde entier – économistes, psychologue ou sociologues – se penchaient-ils sur ce phénomène, mais quasiment aucun de leurs homologues français ? Les effets de la belle apparence ou de la disgrâce physique avaient-ils épargné la France tel le nuage radioactif de Tchernobyl ? Notre modèle républicain avait-il permis d’éviter ce genre d’inégalités ? Au début des années 2 000 pourtant, une prise de conscience s’esquissait dans notre pays et l’apparence physique accédait pour la première fois au rang de discrimination reconnue par la loi. On pouvait espérer que les inégalités liées au physique, désormais reconnues, soient enfin combattues. Ce n’est malheureusement pas ce qui est arrivé, l’explosion des réseaux sociaux, dont Facebook lancé en 2005, s’accompagnant d’une quasi-sacralisation de l’image et du physique. Or ce qui s’est
produit ces dernières années avec la révolution du numérique n’est pas une simple perpétuation d’un jeu des apparences qui finalement a toujours existé – de tout temps, la beauté a compté, fasciné et le rejet des laids n’est pas une nouveauté. Non, ce qui s’est produit en très peu de temps est un changement d’échelle dans le règne du paraître. Désormais, les moyens les plus sophistiqués sont disponibles pour organiser toutes nos sociétés en fonction de notre apparence physique. Pour autant nous sommes peut-être à un tournant. Les inégalités et les souffrances induites par l’importance accordée au physique sont telles aujourd’hui que les opinions publiques commencent sérieusement à réagir. L’exacerbation des injustices que le paraître provoque déclenche des réactions de plus en plus vives en France mais aussi dans d’autres pays comme les États-Unis. C’est de ce double mouvement qu’il va être question ici : l’incroyable et croissante emprise du paraître dans nos vies et les réactions qu’elle est pour la première fois de manière aussi nette en train de susciter.
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Mais pourquoi t’as pas liké ma photo ? L’histoire du Web est courte, on a tendance à l’oublier. Il n’y a encore que quelques centaines de sites Web en 1993 quand une innovation majeure va faire exploser leur nombre : des images, et plus seulement des textes, peuvent s’échanger sur la Toile. Et c’est dans un garage californien, en septembre 1998, que Google est lancé. Le moteur de recherche va devenir en quelques années un puissant vecteur de diffusion d’images et de vidéos à la faveur de la généralisation du haut débit. Jamais l’apparence physique n’a été plus importante qu’aujourd’hui. Dans le passé, on pouvait se composer un visage ; sous les fards et les sourires se cachait, comme on le dit souvent, la véritable personne. On assiste aujourd’hui à un double phénomène qui va dans le sens inverse. D’une part, nous multiplions les images de nous-même, nous diversifions nos photos, nos selfies. L’époque du portrait unique réalisé par un peintre, de la photo de mariage léchée est révolue depuis longtemps. Les images que nous offrons de nousmêmes sont tantôt glamour, tantôt naturelles, tantôt drôles, tantôt sexy, ou alors carrément professionnelles. Nous pouvons modifier
aisément ces photos – les techniques d’embellissement sont à la portée d’un enfant de 5 ans. Tandis que nous raffinons ainsi notre apparence, nous subissons dans le même temps une évaluation de plus en plus précise de notre physique. Les progrès de la reconnaissance faciale ont en effet été rapides et spectaculaires. Nous ne sommes plus seulement reconnus, en passant devant une caméra d’aéroport ou via Google ; nos visages sont désormais analysés pour en déduire une impressionnante série d’informations nous concernant : quelle est notre personnalité ? Sommes-nous fiables, intelligents, compétents ? Pouvons-nous séduire des clients ? Le marketing s’est aussi saisi de nos visages : quel est notre sexe, notre âge, notre couleur de peau ? Quels produits sont susceptibles de nous intéresser ? Aujourd’hui, il suffit de taper sur un moteur de recherche le nom de quelqu’un pour qu’apparaissent instantanément son visage et souvent le reste de son corps. Tous les réseaux sociaux sur la toile comportent des photos d’individus, parfois bien indiscrètes, qu’on n’arrive plus à maîtriser. Même dans la vie professionnelle, les recruteurs, qui apprécient les photos sur les CV dans certains pays comme la France, n’hésitent pas à googliser les candidats…
Internet et l’omniprésence de l’apparence physique Lorsque des étudiants de l’Université Harvard décident en 2004 de lancer TheFacebook, qui devient rapidement le réseau social sur le Net le plus célèbre et le plus large, l’idée est assez simple. Elle s’inspire des yearbooks, ces trombinoscopes qui répertorient les étudiants des facs américaines, avec leurs photos – en France, la
pratique existe aussi et j’ai connu une étudiante française qui avait choisi « sur photo » son futur mari, en feuilletant l’annuaire papier des polytechniciens. Les étudiants de Harvard décident, en octobre 2003, de pirater les photos du trombinoscope de l’université et de créer un site sur lequel tous les étudiants sont invités à noter les étudiantes : ils l’appellent Facemash. C’est un système de notation de filles (ou de garçons) qui amuse nombre de jeunes Américains. Voici à quoi il ressemble :
Facemash Were we let in for our looks ? No. Will we be judged on them ? Yes. 1
Who’s hotter ? Click to choose .
Document 1. L’aspect du premier site Facemash. (Source : http://niebezpiecznik.pl/wpcontent/uploads/2011/01/FaceMash-Pwr-1.jpg.)
Ce hacking ayant permis, sans autorisation, de diffuser des visages et de rendre publiques les notations contrevient de manière
au fond prémonitoire aux règles de protection des données, du droit à l’image et au respect de la vie privée. Devant le tollé suscité par Facemash au sein de Harvard, le site est vite fermé et Mark Zuckerberg, qui risque l’expulsion, crée TheFacebook quelques mois plus tard. Facebook ne va commencer à décoller qu’à partir de 20072
2008 pour connaître une croissance vertigineuse. En 2016 , il compte 1,6 milliard d’utilisateurs – dont 223 millions en Europe et 26 millions en France (sont comptabilisés ceux qui utilisent au moins une fois par 3 mois le site) . On estime à 900 millions les utilisateurs quotidiens. Chaque minute, 136 000 photos sont envoyées sur ce réseau. On considère que 1 jeune sur 2 s’y connecte chaque matin au réveil et il n’y a pas d’endormissement avant un dernier coup d’œil sur le site… Aujourd’hui, près de la moitié des Français sont présents sur un 4 réseau social et ils y consacrent en moyenne deux heures par jour . Que partagent les individus sur ces réseaux sociaux ? Des photos essentiellement. Sur Facebook, Twitter et Google, ce sont les photos qui passionnent. C’est de loin la première motivation pour l’utilisation de ces sites – aux États-Unis, elle est mentionnée par 54 % des 5 femmes et 39 % des hommes . Charger et partager des photos et des vidéos est l’activité numéro 1 sur Internet. La possibilité de diffuser des images s’est même accélérée depuis quelques années. Instagram qui permet depuis son téléphone portable de prendre photos et vidéos, de les modifier, de leur appliquer des filtres et de les distribuer à un large public a été lancée en octobre 2010. La diffusion de photos et de vidéos – dans lesquelles nous apparaissons évidemment – est même devenue massive via YouTube et DailyMotion. Les sites de rencontres dont la fréquentation a bouleversé le marché matrimonial – et celui de l’adultère – regorgent évidemment, eux aussi, de photos. Personne n’aura la naïveté de croire que les
critères physiques – taille, poids et apparence – ne sont pas les critères de choix principaux des rencontres. Sur certains sites plus récents, les individus sont même sélectionnés d’un mouvement du doigt sur un écran sur la seule base de leur photo – qu’on pense à Tinder lancé en 2012 : on ne peut être plus expéditif, on ne fait même plus semblant d’accorder de l’importance à la personnalité. Cela ne veut pas dire que sur les grands sites de rencontres, le pseudochoisi, les revenus, l’âge, la situation matrimoniale, le nombre d’enfants, le niveau d’instruction, le lieu d’habitation, les loisirs et les quelques mots d’accroche n’auront aucune importance, mais c’est l’apparence physique qui est déterminante. Quasiment tous les utilisateurs mentent sur leur taille et leur poids, car ils savent bien que ces petits mensonges peuvent rapporter gros. Quant à la photo, elle 6 n’est pas laissée au hasard . Les fondamentaux sont bien connus – il faut, par exemple, sourire en plissant les yeux et en inclinant la tête. Pour les femmes, porter un pseudo qui suggère une apparence physique agréable (Blondie), ouvrir la bouche et s’habiller en rouge déclenchent invariablement plus de clics et de déclarations enflammées. Et, à défaut d’une photo Harcourt, un logiciel ou une application de retouches peuvent aider – l’application Pixtr permet ainsi de retoucher automatiquement un nez ou des joues. Les autres photos de l’album seront là pour montrer à quel point on est sociable. Un homme sera en toutes circonstances au centre de l’image, entouré parfois d’admiratrices souriantes…
Une société de narcissiques Le nombre d’amis sur Facebook ou de followers sur Twitter est un enjeu majeur pour les utilisateurs réguliers de ces réseaux, en
particulier pour les adolescents. En moyenne, on estime que les 7 utilisateurs adultes ont 338 amis sur Facebook , mais les jeunes en ont beaucoup plus. Et ne dites pas à ces derniers que leurs 600 amis ne sont pas de véritables amis au sens où on l’entendait il y a vingt ans. Pour eux, ce qui compte de manière quotidienne, c’est de voir les photos que diffusent leurs centaines d’amis, de les liker et de compter le nombre de Like que leurs propres images récoltent. Cette possibilité d’indiquer que l’on aime une photo, une vidéo ou un message n’a été introduite par Facebook qu’en 2010 et elle a fait fureur. Depuis février 2016 il est possible d’utiliser plusieurs émoticônes pour réagir (colère, tristesse, amusement…), mais les Like représentent toujours 76 % des réactions pour les partages et les commentaires. D’ailleurs, lorsque les nouvelles émoticônes sont utilisées, c’est encore le « Love » qui est le plus fréquent 8. La « popularité » est devenue à ce point essentielle que l’expression « être populaire » a fini par s’imposer. On distingue ceux qui le sont en raison de leur apparence physique (look et plastique) et les autres. L’invention du Like a accentué considérablement ce phénomène. La quête des Like a pris une telle ampleur qu’on peut, selon les spécialistes, véritablement parler d’« épidémie narcissique ». Beau, succesfull, entouré d’amis de préférence eux-mêmes beaux et célèbres, vivant dans des endroits merveilleux, toujours en vacances au soleil, populaire : voilà le portrait d’un mordu de Facebook. Dans notre société de Narcisses, les individus ne s’attachent plus, les relations ne durent plus. On pratique le zapping avec ses nombreux amis et partenaires. Tournés vers eux-mêmes, les Narcisses sont matérialistes, intéressés par l’argent, leur image et leur notoriété. Ils veulent être uniques et se distinguer pour se faire remarquer. Ils veulent être des stars, des VIP. Du coup, ils choisissent des prénoms
rares pour leurs enfants, et recherchent des looks originaux (tatouages, coupes de cheveux, piercings, etc.) Ils recourent aussi à la chirurgie esthétique. Dans leur livre, The Narcissism Epidemic : Living in the Age of 9 Entitlement , des chercheurs américains ont comparé le narcissisme chez les jeunes depuis plusieurs décennies. Au moyen d’un test, le Narcissistic Personality Inventory, qui a été administré à plusieurs dizaines de milliers de personnes, ils concluent qu’entre 1979 et 2009, soit en trente ans, le niveau de narcissisme des adolescents a 10 nettement augmenté, puisqu’il a grimpé de 37 % . Or cette étude est déjà ancienne à l’échelle du Web ; depuis, les réseaux sociaux ont explosé et on a inventé le Like… La tyrannie du Like est telle que les jeunes dorment mal, se réveillant la nuit pour les comptabiliser. Autre effet qui en découle : les utilisateurs de Facebook sont plus insatisfaits de leur corps et ont plus de désordres alimentaires que ceux qui ne sont pas sur ce 11
réseau social ou qui n’y sont guère actifs . Scrutant les photos des autres profils, aimant bien les commenter, ils sont aussi plus préoccupés par leur silhouette et veulent, plus que les autres, être minces 12. L’usage régulier du smartphone rend particulièrement dépendant et renforce la focalisation sur le physique. Non seulement on est obsédé par son apparence, mais les images des autres rendent jaloux. Solitude et sautes d’humeur sont aussi au rendez-vous. Les addicts se reconnaissent au nombre excessif de selfies, parfois envoyés à la terre entière. Ils représenteraient 1 utilisateur de 13 smartphone sur 8 . Faut-il obliger les entreprises qui vendent ces appareils à mettre en garde leurs clients contre les risques d’addiction ? Quand on sait que d’ici à cinq ans, 90 % de la
population mondiale en sera équipée, ce ne serait peut-être pas absurde.
Reconnaissance faciale et expressions des visages Souriez, vous êtes filmés ! Dans le flot de photos et d’images qui circulent sur la Toile, il est devenu possible d’identifier les individus. On peut reconnaître de manière automatisée votre visage sur une photo où vous êtes tagués et trouver d’autres photos où vous apparaissez de manière pourtant anonyme. Le gouvernement américain, les meilleurs chercheurs et des compagnies comme Google et Facebook ont déjà mis au point des logiciels de reconnaissance. Et ils ne cessent de progresser. Désormais, il n’est plus nécessaire de disposer d’une image fixe de face pour identifier quelqu’un. Par le passé, la reconnaissance faciale par ordinateur pouvait être assez facilement déjouée si un sujet inclinait simplement la tête dans une direction légèrement différente. Facebook a franchi une étape importante avec DeepFace, un algorithme capable d’identifier un visage dans une foule, et ce avec 97,25 % d’exactitude 14, c’est-à-dire quasiment aussi bien qu’un être humain. Les chercheurs de cette entreprise ont réussi à construire des modèles 3D de visages à partir de photos. Comme l’image en 3D permet d’identifier une personne sous tous les angles, il suffit désormais d’être filmé ou pris en photo de n’importe quelle manière et n’importe où pour être reconnu. Le Big Data a aussi donné naissance à plusieurs logiciels, apparus récemment sur un marché promis à un avenir radieux : l’analyse de nos réactions et sentiments à partir des expressions de
notre visage. Le logiciel Face Reader propose par exemple de déterminer l’âge et le sexe à partir de vidéos ou de photos et surtout une analyse automatique et rapide des sentiments – heureux/triste/effrayé/dégoûté/surpris/en colère/indifférent/méprisant… Un autre logiciel, Affdex, développé par des chercheurs du MIT avec le soutien du gouvernement américain, a été lancé en 2009. Il permet de savoir si quelqu’un n’est pas indifférent face à une publicité, une devanture de magasin ou encore un show télévisé. La personne dont les expressions sont analysées apprécie/n’aime pas/est concentrée/attentive/surprise. Pour arriver à ces résultats, il a suffi de développer des algorithmes en collectant des milliers d’expressions faciales et de réactions émotionnelles. En mars 2016, Affectiva (Affdex) a annoncé ainsi avoir analysé 4 millions de visages réagissant à des stimuli visuels dans 75 pays, dont évidemment la France. Pour les magasins, les publicitaires, mais aussi les politiciens, ces outils sont parfaits ; le scan de 200 personnes qui regardaient un débat Obama/Romney a ainsi permis de pronostiquer à 75 % le gagnant de l’élection de 2012. Pour les recruteurs, il est également possible d’analyser précisément les réactions d’un candidat auditionné à distance via un outil de téléphonie vidéo. Un logiciel est capable d’enregistrer ses mimiques ou ses regards et d’en déduire des informations sur lui. Il suffit pour cela de préparer des questions et de guetter les réactions des candidats en laissant le logiciel les analyser. ooVoo, un concurrent de Skype, a connecté ce type de 15
logiciel à son système de communication vidéo . Sans le savoir, un candidat qui dialogue en vidéo avec un recruteur fait ainsi l’objet d’une analyse poussée. Et les employeurs n’ont même plus besoin de mener ces entretiens vidéo, car un avatar peut le faire à leur place ; le grand public, lui, peut accéder à ces techniques sous une forme
pour le moment ludique et sommaire, à partir d’un simple smartphone – c’est l’application Finch. Nul doute, comme l’expliquent les dirigeants de ooVoo, que la manière de communiquer sur Internet va complètement changer avec ces logiciels d’analyse qui seront bientôt à la portée de tous.
Des marqueurs de notre personnalité ? Les recherches se sont multipliées aux États-Unis pour mettre en équation un beau visage, un visage qui inspire confiance ou encore un visage qui donne l’air honnête. On est désormais capable de fabriquer informatiquement un visage qui suscite tel ou tel sentiment chez ses observateurs – telle trombine donne l’air intelligent, telle autre correspond à celle d’un leader dominant… Ces dernières années, en effet, d’importants programmes nord-américains, conduits dans les meilleures universités, ceux d’une équipe de Princeton 16 notamment, ont permis de modéliser parfaitement les traits du visage qui déclenchent des stéréotypes, comme une mine patibulaire qui n’inspire pas confiance ou une tête d’ange à laquelle on donnerait le bon Dieu sans confession. Ce que chacun d’entre nous interprétait inconsciemment est désormais bien identifié. La mise en équation de la beauté a ainsi rapidement progressé. En analysant des milliers de visages, qui sont considérés comme beaux ou laids, on peut déterminer quels traits du visage ou d’une silhouette rendent « beau » ou physiquement « attractif ». Chacun l’aura compris, ce n’est pas la beauté en tant que telle qui est quantifiée – on ne définit pas un « nombre d’or » ou les proportions du corps idéal ; les calculs servent plus modestement à dire quel visage sera en général perçu comme beau. Il s’agit de recherches
très sérieuses qui n’ont pas grand-chose à voir avec les applications mises à la disposition du grand public comme UglyMeter, BeautyMeter ou Anaface. Toutefois, si ces applications sont pour le moment des amusements, elles seront sans aucun doute très vite remplacées par des outils plus performants, notamment pour un usage professionnel. 17
Des recherches raffinées consistent désormais à faire varier chacun des traits d’un visage pour mesurer l’effet de ce changement sur la perception de la beauté mais aussi, bien entendu, sur la perception d’autres caractéristiques comme l’intelligence. Nous savons que certaines formes de visage donnent l’air d’un mâle dominant 18 gavé de testostérone 19 et digne de tenir le rôle de chef de commando dans un film. Pas de problème non plus pour savoir qui doit tenir le rôle du truand à la mine patibulaire : nous savons très 20 bien à quoi il ressemble . La tête de celui que l’on prendra en autostop et à qui on confiera ses économies est aussi bien identifiée 21. Voici par exemple ci-dessous des visages qui donnent plus ou moins confiance. Soyons sincères, nous pensons tous la même chose ! Quant à celui qui est consciencieux et intelligent, pas l’ombre d’un 22 doute : il aura de larges yeux, qui le rendront également empathique, extraverti et sympa.
Document 2. Visages types selon la confiance qu’ils inspirent. De gauche à droite : « inspire confiance », « neutre », « n’inspire pas confiance ». De façon plus générale, un visage plus large que haut donne moins confiance et fait paraître dominant. (Source : http://www.princeton.edu/main/news/archive/S21/79/44O45/. N. N. Oosterhof et A. Todorov.)
Depuis plusieurs années, Alexander Todorov de l’Université de Princeton aux États-Unis et d’autres équipes de chercheurs dans le monde sont capables de prédire quels traits du visage déclenchent des jugements à l’emporte-pièce sur la personnalité. Des logiciels savent modifier des visages de manière automatique pour y faire refléter une personnalité ou des humeurs – on peut grossièrement y jouer sur son ordinateur avec le jeu Facegen. En raison des progrès de l’informatique, une étape supplémentaire a été franchie qui est assez effarante. S’ils savaient, à force de montrer des types de visages, quels traits suscitent telle ou telle impression chez des observateurs, les chercheurs ne savaient pas encore concevoir le logiciel qui utiliserait ces connaissances pour décoder n’importe quel nouveau visage – le vôtre, le mien, celui d’un candidat à un emploi – sans avoir besoin de le faire juger par un panel d’observateurs. C’est chose faite. Il est désormais possible d’automatiser cette analyse et d’en déduire
comment un visage quelconque est en général perçu par les autres, c’est-à-dire quels traits de personnalité seront prêtés à cette personne à la seule vue de sa tête. Qui ne serait pas curieux de savoir ce que les autres pensent spontanément au premier coup d’œil ? Des universitaires, spécialistes de la perception des visages et de l’analyse des objets, ont établi que des logiciels sont en mesure de fournir une bonne idée de la perception de n’importe quel visage 23
par Monsieur Tout-le-monde . Todorov, avec des informaticiens espagnols de l’Université de Barcelone, est parvenu à ce qu’un ordinateur pronostique ce que les gens pensent d’un visage sur les critères suivants : est-il menaçant ou pas ? dominant ? méprisable ? attirant ? Les ordinateurs sont capables dans 91 à 96 % des cas de détecter ces signaux que les individus interprètent inconsciemment. Dans l’exemple ci-dessus, on voit comment des photos de personnalités sont modélisées, puis analysées et classées par le logiciel.
Document 3. Images de célébrités classées par un logiciel selon la personnalité perçue. Les images sont disposées par ordre croissant de gauche à droite. En haut, « dominance » (du moins dominant au plus dominant) ; au milieu, « aspect menaçant » ; en bas, « attirance ». (Source : Q. M. Rojas, D. Masip, A. Todorov, J. Vitria, « Automatic prediction of facial trait judgments : Appearance vs. structural models », PLoS ONE, 2011, 6 (8), e23323. © 2011 Rojas Q. et al.).
Dans cet exemple, le logiciel procède à l’analyse à partir de visages artificiels générés par le logiciel Facegen. Mais l’ordinateur peut-il s’en sortir avec de banales photos de vraies personnes qui n’ont pas été modélisées et simplifiées et sont très différentes par leurs origines, vêtements, coupes de cheveux et traits du visage ? Peut-il juger, comme des humains, à vitesse ultrarapide, la supposée
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personnalité d’un inconnu ? Une équipe de Glasgow a fait le test en partant de 829 visages évalués préalablement par des êtres humains. Ces visages ont été collectés dans les années 1990 par le gouvernement américain. Ils ont été mis à la disposition des spécialistes désireux de développer des algorithmes de reconnaissance faciale et de réaliser d’autres types de tests – c’est le programme Facial Recognition Technology. Dans les faits, il est apparu que l’ordinateur est capable de livrer un pronostic sur la personnalité similaire à celui d’un être humain dans 70 % des cas en moyenne ; il s’agit des dimensions de la personnalité les plus connues, dites « Big Five » – être ouvert d’esprit, consciencieux, extraverti, chaleureux et stable émotionnellement. L’ordinateur fournit même de manière automatique un diagnostic similaire aux êtres humains dans plus de 75 % des cas quand il s’agit des extrêmes (premier et dernier quartile) pour les dimensions « instabilité émotionnelle » et « ouverture d’esprit »… Ces résultats ne sont pas encore parfaits, mais le programme des chercheurs consiste à améliorer la capacité d’analyse de ces logiciels (yeux, narines, lèvres, etc.). Par ailleurs, ce que fait ce type de logiciel, c’est classer comme nous le ferions nous-mêmes, au jugé. Ce n’est que l’impression produite par un visage qui est déterminée, ce n’est pas encore la véritable personnalité. Or savoir si la tête de quelqu’un le rend antipathique, ou lui donne l’air bête, ou encore celle d’un voleur de grand chemin est sans doute intéressant, mais ne préjuge en rien de sa vraie personnalité et de ses comportements réels. C’est à ce problème que les chercheurs s’attaquent sérieusement désormais. On dispose déjà des premiers résultats, qui demandent encore à être confirmés et enrichis, ce qui ne tardera pas. D’ici quelques années, nous serons sans doute
totalement lisibles par des logiciels plus performants que les jugements humains.
Délices et pièges de la ressemblance Nos visages étant connus de tous sur Internet et pouvant être aisément modélisés, une prometteuse perspective s’ouvre pour les spécialistes de l’e-marketing et pour les hommes politiques. Bien entendu, connaître l’apparence physique de quelqu’un permet déjà d’en savoir beaucoup sur lui et sur ses amis. Par exemple, on ne propose pas les mêmes produits à un individu aux cheveux noirs et frisés qu’à un individu aux cheveux lisses et blonds. Mais il est tentant d’aller bien plus loin, en influençant à son insu le destinataire d’un message. L’idée est simple : nous aimons ce qui nous ressemble, et c’est une bonne chose que celui qui s’adresse à nous porte, par exemple, le même prénom que nous ou des syllabes de notre nom. Nous savons aussi que les couples se forment plutôt entre personnes dont les visages sont semblables, selon l’adage : « Qui se ressemble 25 s’assemble . » Une tête familière crée une miraculeuse proximité et surtout inspire confiance. Le partenaire semble alors nettement plus sérieux et, comme diront les amis : « Ils se sont bien trouvés. » D’ailleurs l’inverse se vérifie également : plus un visage est différent du nôtre, moins on lui fait confiance et moins on est prêt à avoir une 26
aventure ou une relation sérieuse avec lui . Quant aux parents, ils trouvent leurs enfants d’autant plus mignons et ils s’en occupent d’autant plus qu’ils leur ressemblent 27. On le savait depuis longtemps pour les pères qui sont rassurés sur leur paternité en voyant la tête de leur fils, mais ça marche aussi pour les mères !
Que se passe-t-il maintenant si un message vous est envoyé sur votre boîte mail venant de quelqu’un qui vous demande de signer une pétition ? Celui-ci a mis une photo de lui qui vous ressemble vaguement, mais vous ne vous en rendez pas compte. Vous ne pouvez pas vous en apercevoir, car son visage reprend 30 % du vôtre, comme le montre l’exemple ci-dessous. Au moyen d’un logiciel de morphing, on a en effet inclus certains de vos traits dans un autre visage. Et cette petite manipulation rapporte gros : vous êtes 28 subitement convaincu par les arguments de votre messager .
Document 4. Convaincu(e) par celui (ou celle) qui nous ressemble ! 30 % des traits des visages de gauche, qui sont la cible visée, sont ajoutés au visage du haut pour générer les visages de droite qui ressemblent ainsi subtilement aux visages de gauche. (Source : A. S. Richards, D. Hample, « Facial similarity mitigates the persuasive effects of source bias : An evolutionary explanation for kinship and susceptibility to influence », Communication Monographs, 2015. © A. S. Richards, D. Hample.)
Nous devenons subitement altruistes devant une tête qui nous ressemble très vaguement. Nous aimons davantage la personne en question, nous lui faisons confiance, coopérons avec elle et achetons ses produits. Pour les affaires, la trouvaille est évidemment redoutable, d’autant qu’elle sera à la portée de n’importe qui dans très peu de temps. En politique, elle a également des implications. Des chercheurs de la prestigieuse Université de Stanford en ont fait
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le test à partir de candidats aux élections. Dans certains cas, les auteurs de l’étude ont modifié le visage du candidat en le faisant ressembler au visage de l’électeur. Par cette technique de morphing, le candidat ressemblait à 40 % à l’électeur qui devait dire pour qui il voterait. Le résultat est net : les électeurs préfèrent ceux qui leur ressemblent. L’équipe de Stanford a mené plusieurs autres études avec la même méthode, pour des élections locales, mais aussi pour l’élection présidentielle. Lorsque les électeurs sont bien décidés à voter pour un candidat, le fait que le visage de candidats comme Bush ou Kerry soit modifié pour ressembler à leur propre visage sans qu’ils s’en aperçoivent ne modifie pas leur vote. Par contre, s’ils sont indécis, alors la transformation du visage pour qu’il leur ressemble les influence de manière significative 30.
Document 5. Des ressemblances qui emportent l’adhésion des indécis. Les visages de droite sont formés avec 40 % du visage de la cible (à gauche) et 60 % de l’homme politique (au milieu). (Source : J. N. Bailenson, S. Iyengar, N. Yee, N. A. Collins, « Facial similarity between voters and candidates causes influence », o
Public Opinion Quarterly, 2008, vol. 72, n autorisation d’Oxford University Press.)
5, p. 935-961. Avec l’aimable
Il est évidemment un peu gros et risqué de fabriquer des jeux de photos innombrables pour coller au visage de chaque électeur. En revanche, on peut subtilement faire varier l’apparence d’un candidat dans des messages personnalisés (photos ou vidéos) au gré, par exemple, des phénotypes ou de la couleur de peau des électeurs dans des zones géographiques – plutôt latinos dans certains districts et plutôt noirs dans d’autres. En France, Jean-Marie Le Pen n’expliquait-il pas, s’agissant de la région Nord-Pas-de-Calais :
« Marine colle bien à la région. Physiquement, elle a un côté 31 ch’ti ! » ?
Eugénisme et beau bébé Le risque eugéniste paraissait lointain il y a encore dix ans, mais il est aujourd’hui devenu bien réel en raison des progrès technologiques. La France s’est efforcée d’endiguer le phénomène en érigeant des règles bioéthiques, mais le combat n’est-il pas perdu d’avance ? À la fin de l’année 2014, deux entreprises, Facebook et Apple, ont suscité la polémique : elles financent désormais les employés qui souhaitent recourir à la gestation par autrui, à la procréation médicalement assistée et à la congélation de leurs ovocytes en accordant 20 000 dollars pour cela à chaque salarié. Ces politiques font partie des avantages maison comme les cafétérias ou les salles de fitness gratuites. Mais de telles initiatives ne font-elles pas courir un risque d’eugénisme ? Quelques-uns se sont réjouis de cette liberté offerte aux femmes de pouvoir travailler en remettant à plus tard leur maternité et aux gays et lesbiens de pouvoir être parents. Cependant cette initiative, en particulier la congélation des ovocytes, a aussi été critiquée. Il n’est pas certain que le report à 55 ans de la maternité, pour privilégier une carrière qui sans cela serait compromise, soit une véritable libération pour les femmes. Par ailleurs, ces entreprises facilitent et encouragent le recours à la fécondation in vitro. Or de plus en plus de femmes qui utilisent la fécondation in vitro aux États-Unis ne le font pas pour des raisons médicales, mais simplement pour avoir des « garanties » sur 32 l’enfant à naître et, en particulier, pour choisir son sexe . Cette technique s’est banalisée (1,5 % des naissances aux États-Unis) 33 et
elle est employée de plus en plus fréquemment pour sélectionner les embryons. En Europe, depuis une décision de la Cour européenne 34 des droits de l’homme de 2012 , le dépistage préimplantatoire est un droit fondamental reconnu pour les parents. La cour a en effet décidé dans son jugement que le dépistage ne pouvait être refusé aux couples atteints de mucoviscidose. Elle énonce que « le désir » d’avoir un enfant non malade « constitue une forme d’expression de leur vie privée et familiale ». Pour le dire autrement, il existe un droit à l’enfant sain et un droit à sélectionner un embryon sain. Il résulte de cet arrêt que l’accès au diagnostic préimplantatoire peut être, de fait, considéré en Europe comme un droit garanti de façon indirecte par la Convention européenne des droits de l’homme. Or le choix des embryons peut naturellement se faire sur l’apparence physique dans le diagnostic préimplantatoire. Au-delà de la détection de toutes les anomalies chromosomiques ou de nombreuses affections génétiques (comme la trisomie 21), on peut identifier divers traits comme la stature, la calvitie, l’obésité, la couleur des cheveux, des yeux et de la peau. Des cliniques étrangères exercent ce nouveau business du bébé sur mesure – en France, il n’est pas permis de choisir sur de tels critères. Comme le résume Jacques Testart, à l’origine du premier bébé-éprouvette français : « Le tri embryonnaire est une révolution : c’est la première fois qu’on peut choisir l’enfant de façon indolore [sans avoir besoin d’avorter] par sélection au sein d’une population d’embryons. Il s’agit de transférer un embryon “sain” dans l’utérus de la femme plutôt que les autres. On ne peut plus nier son potentiel eugénique avec l’élimination d’embryons porteurs de handicaps aussi légers que le 35 strabisme . » Il faut savoir qu’il est désormais possible de déterminer le visage d’un individu simplement en analysant son ADN. Non seulement on peut faire ainsi un portrait-robot de la tête d’un
assassin, ou d’une victime, mais on peut aussi reconstituer le visage 36
d’un ancêtre ou prédire l’apparence physique d’un enfant à naître. Naturellement, si on sélectionne les embryons, on peut aussi sélectionner soigneusement le sperme qui sera utilisé pour une insémination ou pour une fécondation in vitro. Les banques de sperme étrangères offrent des choix très larges de donneurs. L’apparence physique est évidemment l’un des critères de cette sélection pour les femmes ou les couples. Comme la loi française n’autorise que le don de sperme dans des conditions d’anonymat, un marché s’est développé hors de France délivrant plus d’informations sur les géniteurs. La receveuse peut ainsi choisir des paramètres tels que le niveau d’études, la profession, la photo du donneur (à différents âges tant qu’à faire) et celles de ses enfants, sa taille, son poids, son intelligence, etc. Le leader mondial n’est d’ailleurs pas très loin de chez nous, c’est CRYOS International, établi au Danemark. L’engouement pour les donneurs grands et blonds de cette banque de sperme est tel chez les femmes, souvent célibataires, de tous les pays que l’on commence à parler d’une véritable génération de « bébés vikings ». Dans le même ordre d’idées, le site de rencontres BeautifulPeople qui met en contact seulement des gens beaux a eu une nouvelle idée en 2010 : proposer sa propre banque de sperme. Autant que les réseaux sociaux servent aussi à cela ! La même sélection est évidemment réalisable avec les donneuses d’ovocytes. Comme la loi française ne prévoit que de stricts motifs médicaux (stérilité…) et qu’elle ne l’autorise pas pour convenance personnelle, les mères se tournent vers d’autres pays qui vendent des ovocytes et des instituts comme Circle Surrogacy proposent ainsi de confier à un logiciel de reconnaissance faciale en 3D la recherche automatique de la donneuse qui ressemble le plus aux parents. Quant à la gestation par autrui (GPA), elle ouvre à un marché et à une
sélection des mères porteuses. Des entreprises implantées dans plusieurs pays européens peuvent désormais trouver pour des parents gays ou hétéros une mère porteuse, elle aussi choisie en fonction de critères physiques, intellectuels et de santé draconiens. En Inde, une industrie de la mère porteuse s’est développée et les femmes belles et à la peau claire y sont appréciées par les clients du monde entier. La France n’autorise pas la gestation pour autrui même si les enfants nés ainsi à l’étranger sont inscrits à l’état civil. Bien qu’illégal, un marché est tout de même apparu sur notre territoire : on peut désormais choisir, photos à l’appui, des « donneurs » de sperme et d’ovocytes ainsi que des mères porteuses au moyen, par exemple, du site international SurrogateFinder. On se croirait sur un site de rencontres avec des galeries de photos montrant parfois l’alléchant physique des donneurs. On est loin du modèle officiel d’anonymat et de gratuité…
La banalisation de la chirurgie esthétique À défaut de sélection avant la naissance, on peut toujours, après coup, transformer son apparence physique. Les interventions de chirurgie esthétique se sont banalisées. Elles interviennent de plus en plus tôt et se répandent fortement chez les hommes. La pression sociale poussant à la conformité à un modèle de beauté et d’apparence est croissante (pour obtenir un emploi ou le conserver, pour mieux gagner sa vie, pour trouver un conjoint quel que soit l’âge) et elle est mondialisée (minceur, yeux débridés, blanchiment de la peau, rapport taille/hanche). À côté des techniques « douces », comme les injections de Botox, les techniques d’abrasion et de comblement ou encore la pause de
facettes dentaires, la chirurgie plastique est un marché florissant, et on est désormais en mesure de procéder à des greffes de tissu graisseux au niveau des seins, de la face, ou à des allotransplantations de tissus composites (ATC) pour le visage ou la main par exemple. Ce qui est inquiétant, ce sont les objectifs auxquels pourraient bientôt répondre ces opérations. Pour le moment, les buts poursuivis sont : mincir, remédier aux effets de la grossesse, augmenter sa taille de poitrine ou lutter contre les stigmates du vieillissement. Mais d’autres considérations vont intervenir, comme la transformation des traits des visages pour modifier la perception qu’en ont les autres. L’idée ne sera plus seulement de paraître jeune, mince, sexy ou d’avoir un beau visage, mais d’avoir l’air compétent, intelligent ou doué pour le leadership. Quand on sait que de plus en plus d’hommes et de femmes foncent chez le chirurgien esthétique pour faire carrière ou sauver leur emploi, cette évolution est inquiétante. Faudra-t-il d’ici quelques années avoir une tête de commercial exactement comme au Crazy Horse on doit avoir, au besoin avec une opération, les fesses qui conviennent ?
Une enfance qui laisse des traces Dès l’origine, les jugements lapidaires sur le physique, qu’il s’agisse de commentaires ou Like laudatifs, mais aussi de moqueries, ont assuré le succès de Facebook et, avant lui, de Facemash 37. Le cyberbullying s’est développé aussi vite que les réseaux sociaux envahissaient le quotidien. Les smartphones ont 38 clairement accentué le phénomène. Une grande enquête dans 25 pays européens et auprès de plus de 25 000 jeunes de 9 à 16 ans prouve que les portables exposent beaucoup au harcèlement. Les
filles en sont beaucoup plus souvent victimes que les garçons – 2,6 fois plus sur leur mobile. Ce cyberharcèlement s’ajoute aux autres formes de harcèlement plus classiques qui demeurent – la salle de classe ou le chemin de l’école. Les trois quarts des utilisateurs d’Internet ont été témoins de harcèlement sur la toile et 40 % déclarent en avoir déjà été 39 victimes . Plus on est jeune, plus on est susceptible d’être cyberharcelé. Et le plus préoccupant, c’est que les plus jeunes sont concernés par les formes les plus sévères d’agressions sur la toile. On estime que 1 fille sur 4 a déjà été harcelée sexuellement et la même proportion traquée. En quelques années, la cyberviolence a pris de l’ampleur et le phénomène n’est pas près de régresser puisque les jeunes enfants sont équipés de plus en plus tôt et passent un temps croissant sur Internet. Ces moqueries ont pris des proportions telles que l’opinion publique et les politiques ont fini par s’en alarmer. Les suicides de jeunes, moqués et harcelés quotidiennement, parce qu’ils sont gros, roux, handicapés ou simplement mal habillés sont hélas de plus en plus fréquents… Dans l’enquête Histoire de vie, l’Insee a posé aux Français la question suivante : « Est-il arrivé que l’on se moque de vous, que l’on vous mette à l’écart, que l’on vous traite de façon injuste ou que l’on vous refuse un droit à cause… ? » S’ensuivait une énumération de motifs relatifs aux caractéristiques attribuées à la personne enquêtée. Les réponses ont montré que le poids et la taille étaient les premiers motifs déclarés, un quart des victimes les invoquant. En outre, sur 100 personnes déclarant avoir été moquées, mises à l’écart, traitées injustement ou s’être vues refuser un droit, 40 l’avaient été entre 10 et 19 ans. C’est dire l’enjeu de ces quelques années dans notre vie. À cet âge charnière, l’apparence physique revêt une importance
considérable. Taille et poids comptent pour 57 % des motifs et c’est l’obésité qui constitue le tout premier motif de souffrances ; le look 40
arrive ensuite avec 13 % . Pendant longtemps, on a pensé que tout cela relevait de banales chamailleries de cour de récréation. Mais le phénomène s’est amplifié et on a pris conscience des effets désastreux qu’avaient ces comportements sur les destinées individuelles. À la suite de dramatiques cas de harcèlement et de violence scolaires ayant débouché sur des suicides d’adolescents, un rapport a été établi à la demande du ministre de l’Éducation nationale par le professeur Éric Debarbieux, président de l’Observatoire international de la violence à l’école 41. Il s’agissait pour le ministre de « mettre en place une politique de lutte contre le harcèlement scolaire, plus connu dans les pays anglo-saxons sous le nom de school bullying et caractérisé non seulement par l’usage de la violence physique mais également de moqueries et autres humiliations de certains élèves sur d’autres ». Le rapporteur s’est appuyé notamment sur une enquête réalisée pour Unicef France sur un large échantillon d’élèves (12 326) d’écoles élémentaires (157) dans 8 académies. Dans ces écoles tirées au sort, tous les élèves du cycle 3 ont été interrogés. Le nombre de victimes de harcèlement verbal ou symbolique a été estimé à environ 14 % des élèves, dont 8 % en butte à un harcèlement sévère ou assez sévère. Au collège, une enquête de l’Observatoire international de la violence à l’école menée auprès d’élèves de 12 à 16 ans dans 38 collèges de tous types sociaux a révélé que 1 élève sur 10 est agressé à répétition (4 types d’agressions subies et plus). La France s’est également dotée d’une enquête de victimisation et du climat scolaire dans les collèges qui vise à interroger tous les deux ans un panel de 18 000 élèves dans 300 établissements ; il en ressort à nouveau que 1 collégien sur 10 est harcelé.
Compte tenu de ces résultats, une excellente campagne télévisuelle du ministère de l’Éducation lancée en 2012 alerte contre le harcèlement en montrant un garçon moqué en raison de son surpoids – deux adolescentes rigolent en regardant sur leur téléphone portable la photo de leur camarade enrobé et essoufflé prise durant le cours de sport ; elles partagent le cliché « du gros porc » sur Facebook. C’est un premier pas positif qui permettra peut-être de sensibiliser les enseignants et le personnel de l’Éducation nationale à ces formes de harcèlement encore trop souvent négligées. Le suicide de Marion Fraisse en 2013, qui a donné lieu à un ouvrage publié par 42 ses parents . rappelé cette exigence. Élève de quatrième âgée de 13 ans, Marion s’est pendue dans sa chambre avec son foulard en laissant une lettre adressée à son établissement, un collège de l’Essonne, où elle explique le harcèlement qu’elle a subi, les insultes, les brimades, les menaces par des camarades qu’elle désigne. Un adolescent du même âge a raconté comment chaque jour dans son collège et sur les réseaux sociaux il est moqué et précise qu’il a souvent songé au suicide. « Tête-en-merde », « Elephant Man », « C’est un masque d’Halloween ou c’est vraiment ta vraie tête ? » : voilà quelques-uns des commentaires dont il est régulièrement gratifié. Il ajoute : « Après que j’ai publié mon selfie en photo sur Facebook, il ne s’est pas passé un jour, pas un seul jour, sans que je reçoive une publication d’insulte ou une moquerie, jusqu’à ce que je décide de supprimer ma photo de profil 43. » L’état de santé et le handicap sont aussi des motifs de rejet répandus et c’est bien évidemment le plus souvent en raison de l’apparence physique. C’est ce que montre une autre enquête de 44 l’Insee de 2008 portant sur les discriminations, moqueries et mises à l’écart dont souffrent les Français à différents âges de la vie en raison de leur état de santé. Il est frappant de noter combien les plus
jeunes sont concernés, en particulier entre 10 et 24 ans. En regardant de plus près, on constate que l’apparence est l’élément principal sur lequel vont s’appuyer ceux qui discriminent. La moitié des jeunes de 10 à 24 ans en situation de handicap cognitif et près de 70 % de ceux qui ont un handicap moteur disent que c’est en 45 raison de leur apparence qu’ils sont moqués et insultés . Et encore la réalité est-elle sous-estimée car, dans cette dernière enquête de l’Insee, ce sont les parents qui ont répondu pour les mineurs de moins de 16 ans et les enfants cachent souvent les cas de moquerie ou de harcèlement à leurs parents…
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Une souffrance minorée et masquée Il n’a pas fallu attendre Internet pour que le paraître importe, ni pour que l’on moque les autres en fonction de leur aspect. Toutefois, l’anonymat d’Internet et l’impunité qui y règne laissent libre cours à des injures que personne ne se serait autorisées auparavant. L’apparence physique et vestimentaire est de loin ce qui déclenche les préjugés les plus nombreux et les réactions de rejet les plus violentes. Mais que juge-t-on exactement en regardant les autres et qui sont les victimes des moqueries, des insultes ou des mises à l’écart ? Certains aspects des jugements sur l’apparence sont bien connus, comme la couleur de peau, mais d’autres sont en revanche moins abordés, quand ils ne sont pas occultés délibérément.
Des préjugés qui se forgent dès l’enfance Les nourrissons sont attirés par des visages beaux et des silhouettes minces et, dès 3 ans, les jugements sur l’apparence vont bon train. Lorsqu’on montre des images d’enfants minces, de poids moyen ou gros à des petites filles de 3 ans, elles ont une perception
très négative des gros (stupides, peu amicaux, laids, ordinaires, peu soignés, bruyants) et valorisent les minces (sympas, intelligents, 1 amicaux, mignons, calmes) . Les enfants ne réagissent pas seulement aux photos. Quand on fait jouer des filles de 3 à 5 ans avec des poupées minces, de moyenne corpulence ou bien rondes, le résultat est sans appel : la poupée grosse est affublée de tous les défauts contrairement aux deux autres qui reçoivent des 2 appréciations toujours positives .
Document 1. Poupées tests en trois mensurations. (Source : J. Worobey, H. S. Worobey, « Body-size stigmatization by preschool girls : In a doll’s world, it is good o
to be “Barbie” », Body Image, 2014, vol. 11, n 2, p. 171-174. © 2014, Elsevier.)
La mince est mignonne, a les meilleurs amis, aide les autres et est heureuse. Celle qui est la plus ronde est triste, elle n’a pas d’amis, est fatiguée, sera malade, n’est pas belle et mange trop. Mais, après tout, n’est-il pas salutaire que les enfants dévalorisent les gros ? Si l’image des obèses est médiocre, n’est-ce pas le meilleur
moyen d’enrayer le développement de l’obésité chez les enfants et les adultes ? Jeter l’opprobre sur les gros n’est-il pas préférable à la banalisation, voire à la promotion de la prise de poids ? Non, car la stigmatisation des gros est contre-productive. Les enfants de 3 à 5 ans qui sont déjà un peu ronds ont une image encore plus mauvaise 3 des gros que les autres enfants . Chez les adolescents et les adultes, on note de la même manière que les préjugés envers les obèses peuvent être forts et partagés par les gros eux-mêmes sans que cela conduise à maigrir.
Document 2. Trois GI Joe en 1964, 1975 et 1994. (Source : H. G. Pope Jr, R. Olivardia, A. Gruber, J. Borowiecki, « Evolving ideals of male body image as seen through action toys », The International Journal of Eating Disorders, 1999, 26, p. 65-72. Avec l’aimable autorisation de John Wiley and Sons.)
Il n’est pas étonnant que les enfants soient fascinés par la beauté et que les jeunes filles soient convaincues que l’extrême minceur est un idéal à atteindre quand on examine leurs jeux, les vidéos qu’ils regardent et, pour les petites filles, les poupées qui sont leur
quotidien. Les personnages avec lesquels jouent les petits garçons sont par exemple de plus en plus musclés et leur corps est devenu de 4 moins en moins réaliste . Il suffit pour s’en convaincre de comparer les versions de GI Joe en 1964, 1975 et 1994. Résultat : les hommes qui ont beaucoup joué avec ce personnage ont une moins bonne estime de leur corps 5. Plus largement, on observe aujourd’hui que de plus en plus d’hommes, complexés par leur physique, se consacrent aux salles de sport et consomment des stéroïdes androgéniques anabolisants. Aux États-Unis, environ 2 % 6 des hommes en prennent et ils sont 3 % dans les pays scandinaves 7. Auparavant, se gonfler à la testostérone était réservé aux sportifs ; depuis quelques années, le culte du corps amène de nombreux hommes à développer cette nouvelle forme d’addiction qui commence sérieusement à inquiéter compte tenu de ses effets sur la santé et sur le développement de la criminalité. Pour les filles, c’est la minceur des poupées qui est en cause. Convaincues que ces silhouettes sont un objectif à atteindre, elles 8 sont de moins en moins satisfaites de leur propre physique . C’est surtout vrai lorsqu’elles sont très jeunes (de 5 à 7 ans), car ensuite elles relativisent un peu en comprenant que ces jouets ne sont pas réalistes… Mais quelle femme n’a pas eu de poupée Barbie dans son enfance ? Or cette poupée, on le sait, n’a pas les mensurations d’une femme normale. En 2013, un photographe, Nickolay Lamm, a montré à quoi ressemblerait une poupée représentant une jeune fille moyenne par rapport à la Barbie habituelle de Mattel. Cet artiste américain a décidé de lancer une nouvelle poupée en calquant ses mensurations sur celle d’une jeune fille de 19 ans dans la moyenne. Son prototype a eu tellement de succès auprès des enfants et de leurs parents qu’il a décidé de créer une plate-forme de crowdfunding pour financer le lancement sur le marché de cette
fausse Barbie, aux hanches plus larges et aux tenues plus décontractées. En novembre 2014, la poupée Lammily a ainsi vu le jour. Non seulement ses formes sont différentes, mais il est aussi possible d’appliquer sur la poupée des cicatrices, de la cellulite, des vergetures, etc.
Document 3. Barbie et une Barbie aux proportions normales. (© Nickolay Lamm.)
Document 4. Poupée Lammily. (© Lammily-Nickolay Lamm.)
Mattel, de son côté, s’est longtemps limité à proposer une Barbie noire, une Barbie asiatique et une Barbie hispanique. La tentative en 1997 de lancer une amie de Barbie en fauteuil roulant, Becky, a tourné au fiasco et a été abandonnée : elle ne pouvait passer les portes et prendre les ascenseurs et ses cheveux se coinçaient dans les roues. En janvier 2016 ont été commercialisées trois nouvelles Barbie : une « ronde » (curvy) qui a les mensurations d’une jeune fille moyenne, une « petite » (small) qui est mince et une « grande » (tall). Différentes couleurs de peau ont également été lancées à cette occasion afin de mieux représenter la réalité. L’événement est assez exceptionnel – depuis 1959 la silhouette de la poupée était quasiment inchangée – pour que le magazine Time fasse sa couverture avec une Barbie disant : « On peut arrêter de parler de mon corps maintenant ? »
Mattel a certes fait une avancée dans la bonne direction, mais ces changements ne suffisent pas pour rendre leur poupée réaliste, même si la communication de l’entreprise est axée sur cette idée (avec la diversification des tailles et des couleurs de peau). La Barbie curvy a en effet les mensurations d’une jeune fille plutôt mince. Elle fait une taille 36 et ce n’est qu’en comparaison avec les irréelles silhouettes des autres poupées de la marque qu’elle semble avoir des formes. La jeune fille moyenne nord-américaine, britannique ou française est plus petite que la Barbie curvy et surtout elle est bien plus ronde. La Britannique par exemple fait du 42 en moyenne et sa silhouette, comme on le voit ci-dessous, est bien éloignée de celle de la nouvelle curvy. Quant à Ken, il n’a pas évolué et continue d’être bien différent du garçon moyen. Nickolay Lamm a d’ailleurs lancé une autre campagne de crowdfunding pour commercialiser un jouet plus réaliste qui montre à quel point l’ancienne poupée est caricaturale (http://lammily.com/lammily-vs-ken-comparison/).
Document 5. Comparaison des silhouettes de la Barbie curvy et d’une jeune fille britannique moyenne. (Illustration d’Isabelle Amadieu d’après Claire Bates, « How does “Curvy Barbie” compare with an average woman ? », BBC News Magazine, 3 mars 2016.)
La prise de conscience des ravages de l’éducation des jeunes enfants est lente. Le résultat en est que les femmes et désormais les hommes sont de plus en plus complexés, qu’ils n’aiment guère leur apparence et qu’ils se précipitent en rangs serrés chez leur chirurgien esthétique. La moitié des garçons adolescents nord-américains se 9 trouvent ainsi soit trop gros, soit trop minces . D’après une autre étude menée en France, en Autriche et aux États-Unis, les jeunes hommes aimeraient avoir 13 kilos de muscles supplémentaires et sont convaincus que les femmes apprécient les hommes plus musclés qu’eux – alors qu’elles sont simplement attirées par des hommes à la musculature moyenne, ce qui correspond justement au physique
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moyen des jeunes gens ! Chez les femmes, on assiste à la recherche d’une minceur excessive provoquée par le sentiment que les hommes souhaitent des femmes minces. De fait, hommes et femmes partagent la conviction que la silhouette féminine la plus sexy est plutôt mince. Lorsqu’on propose des avatars en 3D à de jeunes étudiants britanniques (filles et garçons entre 18 et 21 ans) en leur demandant de choisir à l’aide de curseurs ceux qui leur semblent les plus attirants, ils optent pour des femmes minces (IMC inférieur à 19), mais à forte poitrine 11. C’est clairement la femme idéale des magazines et de la publicité qui est ainsi plébiscitée : un indice de masse corporelle à la limite de la minceur, avec une taille fine et un très bon rapport taille/hanche (autour de 0,7) et des seins importants. Cette femme idéale ressemblerait à Michelle Keegan, actrice et mannequin britannique, élue femme la plus sexy au monde par le magazine FHM en 2015. La chanteuse Rihanna correspond également, tout comme les mannequins pour les sous-vêtements et maillots Victoria’s Secret. Quant aux hommes qui ont la préférence des femmes, ils ont un IMC plus faible que ce que les hommes 12
imaginent être l’idéal masculin des femmes . Compte tenu de la taille et du poids effectifs des participants à cette étude, femmes et hommes sont donc plus ronds que leur idéal pour l’autre sexe. La vogue récente du « Dad bod » qui séduit avec un peu de ventre et des poignées d’amour risque bien de ne pas durer… Une étude asiatique donne des résultats similaires avec une valorisation encore plus forte de la minceur féminine 13. Dans tous les pays, les normes du corps féminin désirable ne cessent d’évoluer vers plus de minceur, dépassant parfois le seuil de la maigreur pathologique (IMC inférieur à 18). Cette tendance s’observe alors même que les femmes prennent du poids. Au début 14
des années 1990 , la femme idéale avait aux yeux d’un homme
français un IMC de 20,4 (19,3 pour les femmes). Aujourd’hui, bien que les Anglaises soient souvent en surcharge pondérale, la femme la plus attirante pour un jeune Anglais doit avoir un IMC de 18,82 15 (18,85 pour les femmes). En Pologne , la femme idéale des hommes et femmes de 24 ans est carrément maigre avec un IMC de 17,3 ! Une enquête française 16 réalisée en 2008 à Montpellier auprès de personnes d’environ 27 ans a montré que la femme parfaite aurait un IMC de 18,4. Cette corpulence rêvée ne correspond évidemment pas à celle des partenaires des hommes interrogés qui sont plus rondes (IMC d’environ 21). Un point est tout de même rassurant : quel que soit l’écart entre l’idéal féminin et la réalité, la durée de vie des couples n’est pas affectée !
Document 6. Forte valorisation de la minceur en Asie. Sur la série d’images classées par ordre croissant d’indice de masse corporelle de gauche à droite, les répondants asiatiques préfèrent la femme de gauche. (Source : I. D. Stephen, A. T. M. Perera, « Judging the difference between attractiveness and health : Does exposure to model images influence the judgments made by men and women ? », o
PLoS ONE, 2014, vol. 9, n 1, e86302. © 2014, Stephen, Perera.)
Toujours plus mince, avec une taille fine et une poitrine volumineuse, mais aussi des hanches larges et des fesses bien rebondies : on aura reconnu là un modèle qui n’existe guère à l’état naturel. Seul le recours à Photoshop et surtout au chirurgien plasticien permet d’atteindre un tel standard. En quelques années, la silhouette féminine idéale a ainsi fini par ne plus pouvoir correspondre aux formes de femmes existant réellement et n’ayant pas été opérées. C’est d’autant plus vrai que celles-ci, dans le monde entier, ont pris du poids… La tyrannie de la minceur et la quête fréquente de seins plus volumineux s’expliquent par plusieurs facteurs. D’une part, la femme idéale est plus mince que la femme moyenne et sa poitrine est plus grosse. Ensuite, les magazines et notamment la presse féminine montrent des femmes encore plus minces que le standard de beauté. Par ailleurs, les préférences des hommes ont évolué : non seulement ceux-ci fantasment désormais sur des top models, mais leurs choix sont de plus en plus exclusivement dictés par des critères physiques. Le fait que l’on se marie tardivement, que les relations soient courtes 17 et nombreuses , sans engagement et sans affection, les pousse à se focaliser sur le physique d’une possible conquête en reléguant les autres aspects. Une belle poitrine plutôt qu’une belle personnalité devient la priorité 18. La forte croissance du pourcentage de Français (majoritairement des hommes) qui sont inscrits sur des sites de rencontre (28 % des jeunes de 18 à 25 ans sont inscrits sur des sites 19 de rencontre en 2016 . dopé le nombre de partenaires et dans la moitié des rencontres on couche dès le premier soir. Enfin, les femmes s’imaginent à tort que les préférences des hommes sont plus 20 draconiennes encore (IMC plus faible et poitrine plus importante) … Du coup, les femmes françaises se trouvent trop grosses alors que leur IMC moyen n’est pas particulièrement élevé. Après les
Japonaises qui, bien que minces, ne sont pas satisfaites de leur apparence, ce sont les Françaises qui ont la moins bonne estime de 21 leur corps . En 2004, 28 % d’entre elles envisageaient de recourir à la chirurgie esthétique ; dix ans plus tard, elles sont 41 % 22. Quant à la médecine esthétique (injections de Botox par exemple), seul le coût et un peu d’appréhension les empêchent d’y recourir. Globalement, les femmes sont de moins en moins satisfaites de leur 23 poitrine , sauf, on l’espère, quand elles ont des implants ; outre la liposuccion, les opérations mammaires sont devenues un motif majeur de chirurgie plastique. Les réseaux sociaux n’ont rien arrangé. Les femmes les vivent parfois comme un plaisir (pour 9 %, c’est l’occasion de s’embellir, de se montrer à son avantage partout et facilement), mais souvent comme une contrainte ou un piège. C’est surtout vrai des jeunes de 18 à 24 ans pour qui il faut sans arrêt être sur ses gardes pour surveiller son image. Pour en revenir à notre pays, les Françaises sont très réservées sur leur propre beauté 24 : seules 23 % se jugent toujours (4 %) ou souvent belles (19 %). Elles sont 67 % en revanche à ne le penser que de temps en temps, et 10 % à ne jamais se le dire. Le clivage d’âge joue à plein : 27 % des 18-24 ans déclarent se sentir belles régulièrement, contre seulement 11 % des 65 ans et plus. S’y ajoute un clivage socioprofessionnel : 32 % des cadres se sentent régulièrement belles, contre 15 % des ouvrières. Enfin, les femmes seules avec enfants (19 %) sont moins nombreuses que les femmes en couple avec enfants (27 %) à s’apprécier physiquement. Alors même qu’elles ont des doutes sur leur image, les Françaises ressentent en outre une forte pression sociale concernant leur apparence : 56 % d’entre elles pensent ainsi que les femmes sont de plus en plus jugées sur leur physique. En revanche, les femmes déclarent qu’elles font moins que leur âge. Elles se donnent environ
dix ans de moins, ce qui est plutôt rassurant. Mais c’est aussi parce que les corps vieillissent mieux que par le passé : on a l’air jeune et en forme plus longtemps.
Mépris et injustices au quotidien La vie quotidienne regorge d’exemples de stigmatisation et de mise à l’écart liées au physique – qu’il s’agisse de beauté, de poids, d’origine, ou bien d’âge, de taille et de handicap. Dans une société qui valorise la minceur, on ne s’étonnera pas que les personnes obèses soient souvent en butte à des mises à l’écart ou à des réactions très critiques et dégradantes, notamment lors de consultations médicales – l’accès même à certains examens leur est parfois interdit (scanners). Pour ceux présentant un handicap moteur ou une mobilité réduite en raison de l’âge, les lieux publics restent souvent, comme chacun sait, bien difficiles d’accès. Quant aux boîtes de nuit, on en a beaucoup parlé pour dénoncer le fait que la couleur de peau pouvait être utilisée pour refuser certains jeunes, mais d’autres critères physiques entrent aussi en jeu : une personne obèse aura-t-elle les mêmes chances d’entrer qu’une personne non obèse ? L’accès aux voyages est également bien compliqué et certaines compagnies aériennes, ou certains pilotes, peuvent refuser l’embarquement à des personnes en situation de handicap ou de surpoids – il arrive aussi qu’elles doivent payer plus d’un siège… Le témoignage d’une employée du restaurant Georges à Paris en 2013, publié dans Le Canard enchaîné, a révélé au grand public que des restaurants refusaient des clients qui n’étaient pas jugés assez beaux ou bien qu’ils les reléguaient en fond de salle. Tout le monde ou presque est en butte à cette sélection : être beau est un sésame
pour l’entrée en boîte de nuit ou dans un restaurant chic. Si vous avez des kilos en trop ou si vous n’avez pas entrepris une rhinoplastie, restez devant votre téléviseur ou préférez les dîners entre amis ! Dans l’accès au logement, les personnes issues de l’immigration sont clairement discriminées, mais elles ne sont pas les seules. Il est également bien difficile pour les seniors de louer un logement. On n’en parlait jamais dans les testings d’accès aux logements menés ces dernières années par des consultants ou par le Défenseur des 25 droits . En 2014, pour la première fois, un testing mené par 60 millions de consommateurs a permis de lever une partie du voile. Lors d’un contact téléphonique en réponse à une offre, un candidat nommé Babacar, s’exprimant avec un accent étranger (africain), a essuyé le plus grand nombre de refus (33 %), devant une mère célibataire (30 %), un jeune sous curatelle (29 %) et, enfin, une personne âgée de 71 ans (24 %). L’enquête révèle ainsi une autre forme de discrimination, plus insidieuse : alors que tous les candidats apportaient les mêmes garanties de revenus, la personne âgée a dû fournir deux fois plus de justificatifs que notre candidat de référence (et le candidat à l’accent étranger, quatre fois plus). Quant à acheter un logement pour un senior, c’est impossible, sauf à disposer d’un apport énorme ou à payer sans emprunt, car les banques et les assureurs ferment la porte aux clients âgés. Pour beaucoup de jeunes conducteurs, les anciens se traînent au volant et paraissent bien diminués, voire dangereux. Un sondage Ifop pour l’assureur MMA a été effectué début novembre 2013 et révèle que 77 % des Français estiment qu’il serait bon que les personnes âgées de plus de 65 ans soient soumises à une visite médicale avant de pouvoir conduire. Pourtant, retirer leur véhicule aux habitants des campagnes signifierait une perte totale d’autonomie, puisqu’en France beaucoup de communes et de villages ne sont pas desservies par
des bus ni même par des taxis. Non concernés aujourd’hui, les quadragénaires ou quinquagénaires le seront un jour, et plus vite qu’ils ne le pensent : pour louer un véhicule, ou pour assurer sa voiture, on est vite atteint par la limite d’âge. Celui qui veut voyager en Europe, en louant sur place une voiture, doit actuellement payer plus cher dès 65 ans et, si l’on est un « vieux croulant », la location elle-même, quel qu’en soit le prix, est parfois impossible (par exemple chez Europcar dès 69 ans ou 70 ans selon les pays). Pour ceux qui veulent juste profiter d’une retraite bien méritée pour voir du pays, c’est raté ! Le magazine Auto Plus du 26 septembre 2014 a par ailleurs comparé les contrats d’assurance et montré qu’un assureur sur deux pénalise les seniors. Et le couperet tombe vite : chez AXA, on paye sa prime d’assurance 11 % de plus à partir de 60 ans (en général c’est après 75 ans que l’on paye 50 % de plus). Mais il y a plus fort encore, selon Auto Plus : les compagnies Aviva et Eurofil refusent tout simplement d’assurer un conducteur de plus de 75 ans. Chez GAN, Groupama, L’Olivier et Nexx, impossible de s’assurer au-delà de 80 ans. Cet ostracisme est complètement absurde. Les conducteurs âgés causent moins d’accidents avec dommages corporels que les autres (– 13 %). Les personnes âgées roulent plus prudemment et sont surtout victimes d’accidents de la circulation… en tant que piétons. Les jeunes, pourtant des as du volant en pleine possession de leurs capacités psychomotrices, provoquent quatre fois plus d’accidents avec dommages corporels que les autres. Les manifestations du jeunisme ambiant sont légion et, ne nous y trompons pas, il ne prospérerait pas sans le culte de la beauté et de la bonne santé. Et dans le monde du travail, comme nous allons le voir dans le chapitre suivant, la prime à la jeunesse et à la bonne santé est intimement liée au triomphe du paraître.
De lourdes conséquences 1 Français de plus de 18 ans sur 3 dit avoir été victime d’un comportement négatif dirigé contre lui (insultes, mises à l’écart, refus de droit). Le tableau suivant, tiré d’une enquête Insee intitulée Histoire de vie, permet de mieux saisir ce que sont les discriminations et les moqueries vécues au quotidien. Si l’on s’intéresse aux comportements qui ont eu des conséquences sérieuses aux yeux des répondants, en mettant de côté les moqueries anecdotiques, 1 adulte sur 5 explique que c’est en raison de « sa taille ou de son poids ». Si l’on ajoute les questions de « look », les autres aspects de l’« apparence physique » et la « couleur de peau » c’est un tiers des Français qui avance un motif directement lié au paraître.
Motifs des attitudes ou traitements négatifs
Comportements porteurs de conséquences (%)
Poids et taille
19
Situation de famille
10
État de santé, handicap
10
Situation professionnelle d’instruction
ou
niveau
8
Région, pays d’origine
6
Âge
5
Nom, prénom
5
Caractéristiques des proches, parents, amis
5
Sexe
5
Couleur de peau
5
Look
4
Opinions politiques, syndicales, religieuses
4
Façon de parler
3
Traits de caractère
3
Apparence physique
2
Appartenance politique ou syndicale
2
Lieu de vie
1
Orientation sexuelle
0
Autres
3
Document 7. Des attitudes et des traitements négatifs porteurs de conséquences. Le tableau montre que 19 % des comportements rapportés visent le poids ou la taille de la personne concernée. (Source : Histoire de vie, Insee, 2003.)
Au total, l’apparence physique (taille, poids, visage, couleur de peau…) arrive loin devant les autres motifs, avec des conséquences sur la vie qui sont lourdes. Le handicap et l’état de santé entraînent également des répercussions très importantes. En comparaison, d’autres motifs concernent moins de monde, même si naturellement les comportements hostiles sont tout aussi douloureux. La population gay ou lesbienne, par exemple, est modeste si on la compare au nombre de Français qui, étant en surpoids, de petite taille ou bien handicapés, sont moqués et exclus de ce fait. Les caractéristiques individuelles qui se voient peu ou pas donnent par ailleurs moins prise aux attaques, ce qui est le cas des convictions religieuses, des opinions politiques ou de l’orientation sexuelle. Les plus concernés par la tyrannie du paraître sont les jeunes – par exemple, les 18-30 ans le sont deux fois plus que les plus de 26 30 ans . Certes, en vieillissant, on se dote d’une solide carapace et on oublie un peu les humiliations et brimades de sa jeunesse et de ses débuts professionnels. Mais, si les jeunes se sentent aussi fortement agressés sur leur apparence, ce n’est pas parce qu’ils exagèrent de sympathiques et banales moqueries, c’est parce que l’on juge beaucoup plus sur les apparences aujourd’hui que par le passé. Si les jeunes Français se déclarent davantage victimes de comportements hostiles liés à leur physique ou à leurs vêtements, c’est parce que ces critères sont désormais cruciaux. Un sondage Sofres 27 que j’avais fait réaliser la même année que cette enquête Insee, en 2003, indiquait ainsi qu’aux yeux des Français l’apparence était plus importante qu’avant dans la vie professionnelle. C’était l’opinion de 82 % des Français et de 90 % des moins de 35 ans. Inutile d’ajouter qu’en plus de dix années la tendance ne s’est pas inversée.
Ce n’est pas si grave ! En France, la loi de 2001 a bien prévu de considérer les apparences physiques comme un motif de discrimination, mais on est bien loin de voir les réclamations affluer auprès du défenseur des droits (sans parler d’affaires jugées). L’apparence physique, telle que l’appréhende le Défenseur des droits, ne comptait que pour 2,20 % des réclamations auprès de cette institution en 2014. Or s’il y a peu de réclamations, ce n’est pas parce que les discriminations sont rares, car les traitements injustes en fonction de l’apparence sont extrêmement nombreux, surpassant les autres motifs ; c’est parce que les victimes ne savent pas qu’il leur est possible de protester ou n’osent pas le faire. En outre, la couleur de peau ne figure pas, en tant que telle dans la loi et le Défenseur des droits l’incorpore sous la notion très générale d’« origine » qui inclut divers aspects mentionnés dans la loi : l’origine, la nationalité, l’ethnie et la race. La couleur de peau ou le phénotype sont assimilés à une question d’origine et non d’apparence physique, comme si être noir mais né au Sénégal, en Martinique ou à Roubaix constituait une seule et même origine. 28 Dans un sondage réalisé en 2012, on apprend que pour 6 Américains sur 10 il est normal de faire des remarques sur leur poids aux personnes grosses lors de sorties, soirées ou dîners ! Faire des remarques sur l’âge est acceptable pour 72 % des personnes. En revanche, une remarque raciale est inadmissible pour 61 % des répondants. Le pire, comme on le constate dans le tableau ci-dessous, c’est que les répondants en surpoids ou obèses ont intériorisé le dénigrement des gros comme quelque chose de normal (les réponses varient assez peu selon l’indice de masse corporelle des répondants).
DES REMARQUES CRITIQUES AU SUJET DE L’ÂGE, LA RACE, LE POIDS ET L’ORIENTATION SEXUELLE SONT-ELLES OFFENSANTES ?
Question : Si vous participiez à un événement social (par exemple une fête, un dîner ou un autre événement) et que vous entendiez une remarque critique au sujet de [l’âge, la race, le poids ou l’orientation sexuelle] de quelqu’un, considéreriez-vous cette remarque comme blessante ? Extrêmement/très offensant (Net)
Indice de masse corporelle du répondant Total
Remarques sur
sous- poids obésité surpoids obèse poids normal morbide %
%
%
%
%
Âge
28
61
20
28
36
22
Race
61
76
60
49
65
80
Poids
39
32
34
36
40
46
Orientation sexuelle
41
31
40
41
45
36
Document 8. Les remarques critiques offensantes. (Source : Harris interactive, août 2012. Le tableau montre que seulement 36 % des personnes en surpoids, par exemple, trouvent offensantes les remarques sur le poids.)
Pas étonnant, dès lors, que les mises à l’écart dont sont victimes les obèses au restaurant, au théâtre, dans les transports ou encore pour trouver un emploi ne suscitent pas toujours de réprobation. Ainsi, selon ce sondage, un quart des Américains trouvent tout à fait normal (fair) qu’un employeur prenne en considération le poids d’un candidat lors du recrutement. Une majorité de Français trouve acceptable que le poids d’une personne rentre en ligne de compte pour embaucher et ils sont encore nombreux à le penser pour la taille et la beauté d’une personne 29.
Une entreprise de camouflage de la réalité ? Nous l’avons vu plus haut, il y a bien eu l’enquête Insee Histoire de vie qui, comme son nom l’indique, a révélé ces souffrances innombrables qui marquent nos destinées. Mais, pour le reste, il est stupéfiant de constater à quel point les facteurs principaux de discrimination, de moquerie et de harcèlement sont présentés de manière imparfaite, quand ils ne sont pas délibérément occultés. Ainsi, alors que certaines formes de discrimination ou de souffrance sont examinées avec soin et sont largement médiatisées, d’autres en revanche sont systématiquement passées sous silence. Comment cette présentation manipulée de la réalité des inégalités et des discriminations est-elle menée ? Quelques grosses ficelles suffisent, comme nous allons le voir.
Les curieuses jumelles du Défenseur des droits Commençons par le Défenseur des droits (et la Halde avant lui) qui mène depuis 2008 avec l’Organisation internationale du travail (OIT) un sondage annuel sur les discriminations ressenties par les Français dans le domaine du travail. Il a fallu attendre 2014 pour qu’il signale, dans la présentation à la presse des résultats du sondage annuel, l’apparence physique comme un important motif de discrimination ; les années antérieures, elle était toujours passée sous silence. Le représentant de l’OIT en France a, du coup, précisé, en commentant le 7e Baromètre annuel 2014 des discriminations dont il est partenaire : « L’apparence physique n’était pas présente dans nos précédentes enquêtes, et prend aujourd’hui une importance considérable. Ces critères ne font pas partie des chartes concernant la diversité dans les entreprises. C’est le cas notamment de l’obésité
qui est pourtant un critère très fort d’exclusion. » C’est bien de le remarquer, mais l’apparence physique était bel et bien présente dans les enquêtes menées depuis sept années, elle était simplement ignorée dans la présentation des résultats. Le Défenseur des droits et le représentant de l’OIT à Paris expliquent que les candidats jeunes et issus de l’immigration sont victimes de « discrimination » en raison de leur look, de leur façon de se présenter et de s’exprimer : « Certaines entreprises obéissent encore trop souvent aux stéréotypes, en matière de politique de recrutement. Des vêtements, une coupe de cheveux ou une façon de parler peuvent surprendre le recruteur. » Et ils ajoutent : « Le plus inquiétant, c’est que, pour certains jeunes, la discrimination sur le physique se surajoute à celle relative à la couleur de peau ou au lieu de résidence. » Le critère de l’apparence physique n’a donc accédé que péniblement et tardivement au rang de discrimination dont on peut parler sérieusement, et encore n’y est-il parvenu qu’en devenant une des facettes de la discrimination envers les jeunes issus de l’immigration et résidant dans des quartiers sensibles : le fait que les hommes petits ou des femmes obèses, quels que soient l’âge ou l’origine, puissent en être les principales victimes semble secondaire. Il serait pourtant préférable de considérer que l’apparence physique est un facteur discriminant qui peut prendre différentes formes – couleur de peau, traits du visage, type de cheveux, tenue vestimentaire, obésité… Les jeunes sont bien sûr concernés, mais le sont tout aussi bien ceux qui portent les stigmates du vieillissement ou du handicap. Le Défenseur des droits aurait pu depuis plusieurs années non seulement souligner que le paraître en général est un motif de discrimination, mais aussi faire des « focus » sur tel ou tel aspect de l’apparence en fonction de l’importance des groupes concernés. Ce
n’est pas ce qui s’est produit puisqu’il a préféré explorer avec un luxe de détails certains motifs de discrimination qui ne concernent qu’une très petite partie de la population – par exemple, les personnes transsexuelles ou transgenres. Ce dernier type de discrimination peut évidemment être exploré, mais, même s’il est puissant, il ne concerne que peu de gens (environ 0,5 % de la population). Il ne s’agit pas, bien sûr, de négliger les discriminations que vivent des personnes au motif qu’elles seraient peu nombreuses, mais simplement de se demander pourquoi, dans le même temps, plusieurs groupes de victimes nettement plus larges n’ont suscité aucun intérêt particulier. En outre, le Défenseur des droits a curieusement intégré l’identité sexuelle dans les motifs possibles de « discrimination » avant même 30
que ce motif ne figure dans la loi – ce sera le cas en juillet 2012 . Dans son sondage de 2013, le Défenseur persistait encore dans ce parti pris, et c’est ainsi que 1 demandeur d’emploi sur 10 a déclaré avoir été interrogé lors d’un entretien ou d’un concours administratif sur son « identité sexuelle », c’est-à-dire, précise le Défenseur des droits, sur sa transsexualité. Faut-il croire que les recruteurs sont perplexes sur le sexe de leur interlocuteur dans de si nombreux cas ? Évidemment pas, mais en proposant un item, par ailleurs incompréhensible pour les répondants, on fait exister un sujet. Alors que la loi retient une longue liste de motifs possibles de discrimination, les sondages de la Halde et du Défenseur des droits n’en explorent qu’une petite partie. Pourquoi se focaliser sur ceux-ci ? Pour des raisons idéologiques ou pour répondre aux sollicitations des associations et à l’agenda politique. Dans le sondage du Défenseur des droits publié en janvier 2012, le choix est ainsi donné aux répondants victimes de discrimination entre 11 motifs alors qu’il en existe 18 dans la loi. Le résultat en est que 26 % de ceux qui se déclarent discriminés ne se « prononcent pas », comme le disent
gentiment les sondeurs. Autrement dit, ces victimes sont discriminées pour des raisons qu’elles ne peuvent mentionner et que, du coup, nous ignorons. Pourquoi le quart des répondants est-il ainsi discriminé ? Le prisme déformant des concepteurs de ces enquêtes publiques ne permet pas de le préciser et des pans entiers du vécu des discriminés sont ainsi occultés. Le problème est qu’il y a de plus en plus de Français qui sont discriminés pour des motifs qui ne leur sont pas proposés dans les questionnaires. Dans ce sondage officiel, on distinguait depuis 2008 entre les répondants qui ne se « prononçaient pas » et ceux qui déclaraient avoir été témoins ou victimes de discrimination pour un « autre motif » que ceux qui leur étaient soumis. Or il y avait trois fois plus de réponses « autre motif » que « ne se prononce pas ». Il a été néanmoins choisi de supprimer la réponse « autre motif de discrimination » en ne faisant apparaître que les « ne se prononce pas », comme si les répondants ne savaient pas, n’osaient pas parler ou hésitaient. En réalité, si on leur en donne la possibilité, les gens savent très bien indiquer pourquoi ils sont victimes ou en quoi ils sont témoins de discrimination. Ce sont les sondeurs qui les plongent de force dans le magma des « ne se prononce pas », ce qui les rend invisibles. Insistons sur le fait que le Défenseur des droits a pourtant en charge l’ensemble des motifs de discrimination prévus dans la loi.
La pittoresque enquête TEO : le racisme et rien d’autre Dans une grande enquête, menée par l’Ined et l’Insee en 20082009, soutenue par la Halde, l’ACSE et plusieurs ministères – l’enquête Trajectoire et origines (TEO) – tout a été fait pour faire ressortir certaines formes de discrimination, celles liées aux origines
et à la couleur de peau, plus que d’autres. Première question posée aux Français : « Au cours des cinq dernières années, pensez-vous avoir subi des traitements inégalitaires ou des discriminations ? » S’ils avaient répondu « souvent » ou « parfois » à la question, les enquêtés répondaient ensuite à la question : « D’après vous était-ce plutôt à cause de… ? » Suivait une liste de motifs : « âge, sexe, état de santé/handicap, couleur de peau, origine ou nationalité, lieu où vous vivez/réputation de votre quartier, accent et façon de parler, situation de famille (célibataire, divorcé[e], enfants en bas âge), orientation sexuelle, religion, façon de vous habiller, autre motif ». A priori, on se dit que la liste est complète ; en vérité, elle ne l’est pas. De nombreux motifs de discrimination pourtant listés dans la loi ainsi que d’importants facteurs d’inégalités sont en effet négligés. L’apparence physique y est abordée de manière restrictive, tout comme le fait d’avoir un engagement syndical, l’origine sociale ou encore le patronyme. Combien d’oubliés répondent du coup : « autre motif » ? Impossible de le savoir, ce chiffre n’est pas fourni. À nouveau se pose une question simple : pourquoi la « façon de s’habiller » est-elle plus importante aux yeux des concepteurs de cette curieuse enquête que la taille ou le poids ? Pourquoi l’origine sociale, le physique, les noms et prénoms seraient-ils négligeables dans l’identité de chacun et les traitements inégalitaires et discriminants qu’il peut subir ? Dans une autre question de cette pittoresque enquête, on demande aux Français : « D’après vous, parmi les caractéristiques suivantes, quelles sont celles qui vous définissent le mieux ? Vous pouvez en choisir quatre au maximum. » Suit une longue et étrange liste où seul un aspect de l’« apparence physique » est proposé : la couleur de peau, alors que tous les autres critères sont exclus. Quant aux discriminations dans l’emploi, cette enquête ne propose aux
personnes que bien peu de réponses possibles pour dire pourquoi ils ont été injustement traités : « sexe, état de santé/handicap, couleur de peau, origine/nationalité, façon de vous habiller, âge. » L’apparence physique au sens large n’est mentionnée dans ce long questionnaire que dans un seul cas : lorsqu’une personne a déclaré être victime de racisme, on lui demande si c’est en raison de son nom, de sa couleur de peau, de sa nationalité ou de son apparence. En dehors des personnes victimes de racisme, elle n’a manifestement aucun intérêt aux yeux des concepteurs de l’enquête ! Il faut savoir que cette étude caricaturale ne portait pas seulement sur un échantillon de personnes susceptibles d’être victimes de racisme (les Ultramarins par exemple), mais également sur un autre échantillon de personnes (n’étant pas issues de l’immigration et résidant en métropole) qui connaissaient d’autres types de discriminations et n’étaient pas spécialement susceptibles d’être victimes de racisme. Celles-ci pouvaient être à forte corpulence, de petite taille ou atteintes d’une difformité au visage, mais cette caractéristique n’était apparemment pas intéressante pour les concepteurs du questionnaire. Ces derniers pourraient rétorquer qu’ils ont mis l’accent sur certains aspects parce que l’enquête avait pour objet de s’intéresser aux origines ou aux ethnies. Mais, dans ce cas, pourquoi, par exemple, se pencher sur les effets du sexe, de l’âge ou du handicap ? Et, si l’objectif était d’identifier des identités et des discriminations multiples, pourquoi ne serait-il pas utile de savoir si une jeune fille d’origine africaine et obèse a la même vie qu’une autre plus mince ? On pourrait croire, à la lecture de la liste des motifs de discrimination proposée par l’Ined et l’Insee, que tout n’a pas été oublié : l’âge est bien présent en principe, mais, en réalité, l’enquête ne s’intéresse pas aux Français un peu âgés. En effet, comme ils
n’ont pas été interrogés en nombre suffisant, ils ont été tout simplement « sortis » ! Résultat : on sait quelles discriminations sont déclarées par les individus, mais pas pour les plus de 50 ans (on a oublié d’en interviewer suffisamment). Le moins que l’on puisse dire est que l’exclusion des seniors de l’enquête ne risque pas de mettre en évidence les discriminations qu’ils vivent en général et au travail. On en arrive du coup à sous-estimer délibérément la discrimination en raison de l’âge, ce qui met par comparaison davantage en relief les discriminations liées aux origines, à l’accent ou à la couleur de peau – 31 c’était évidemment l’objectif des chercheurs . Patrick Simon, qui a imaginé cette enquête, est en effet un fervent promoteur des statistiques ethno-raciales et de la discrimination positive. L’enquête est fabriquée de telle sorte que seul le fait d’être issu de l’immigration suscite des discriminations – le titre d’un article des auteurs présentant l’étude le résume bien : « Les discriminations : une question de minorités visibles 32 ». On nous apprend dans cet article, pêle-mêle, que les femmes seraient moins discriminées que les hommes et les plus de 45 ans beaucoup moins que les jeunes. Amusant comme résultats ! Puisqu’on vous dit que la seule question importante c’est les jeunes hommes issus de l’immigration ! Mais pourquoi les 18 % d’obèses vivant en France n’auraient-ils pas la possibilité de dire ce qu’ils vivent au quotidien ? Imagine-t-on que l’accès aux boîtes de nuit et aux emplois leur est facile ? Comment s’explique cette myopie ? La réponse est limpide dans ce type d’enquête : nous ne sommes pas en présence d’une maladresse, d’un oubli malencontreux, mais d’une véritable manipulation : élargir le spectre des inégalités et des discriminations que les gens peuvent mentionner rendrait plus complexe la réalité des discriminations et des inégalités, lesquelles ne se résument pas à la seule question « ethnique et raciale ».
Si, dans une enquête, on ne donne pas toutes les réponses possibles au répondant (par exemple tous les motifs de discrimination qui sont dans la loi), mais seulement une liste plus limitée, celui-ci est évidemment tenté de répondre parmi ce qu’on lui propose. Comme le résume très bien la statisticienne France Guérin-Pace au sujet de l’enquête TEO, « orienter les réponses en ne sélectionnant que 33 certaines modalités revient à manipuler les enquêtés ». Une autre astuce, bien connue, consiste à orienter les réponses en plaçant les gens dans les dispositions d’esprit adéquates. Ici, c’est l’ordre des questions qui jouera un rôle décisif – c’est le b.a.-ba de l’enquête par questionnaire. Pour ceux qui voudraient savoir comment se « fabrique » un résultat, comment les répondants sont mis dans une sorte d’entonnoir et ce qu’est l’effet de « focalisation sur un thème », l’enquête TEO est une magnifique illustration. Elle devrait être enseignée à tous les étudiants en réalisation de questionnaires, pour qu’ils comprennent ce qu’il ne faut surtout pas faire 34 ! Comment fonctionne cet « entonnoir » ? On interroge d’abord sur les origines, puis on demande s’il y a un ressenti de discrimination en proposant davantage d’items du type origine, couleur de peau et nationalité. Tout est fait pour que les répondants baignent dans un univers où les questions raciales sont centrales. Ainsi, dans une question sur la vie associative, on ne proposera pas le syndicat comme réponse, mais plutôt l’association de lutte contre le racisme. On est ainsi amené aux réponses voulues. Au cas où les personnes qui répondent à ce type d’enquête oublieraient qu’elles sont de peau noire ou issues de l’immigration, on leur rappelle que c’est leur identité et que c’est pour cela qu’elles sont d’abord discriminées. Comme le note encore France Guérin-Pace, « la nature tendancieuse du questionnaire instille une vision stéréotypée de l’immigré malheureux, maltraité et sans avenir ». Alors même que les
personnes interrogées dans l’enquête TEO sont à de multiples reprises poussées à déclarer qu’elles sont victimes, elles-mêmes ou leurs parents, de discrimination ou de traitements inégalitaires en raison de leur origine, on réussit tout de même à poser une dernière question assez déconcertante. Au cas où elles n’auraient pas encore compris qu’elles doivent répondre qu’elles sont discriminées en raison du racisme, on leur demande, comme une ultime session de repêchage : « Pensez-vous que vous pourriez être victime de racisme en France, même si cela ne vous est jamais arrivé ? Si oui, quelles en seraient les raisons ? » Et, surprise, dans la publication de l’Ined présentant les réponses à cette étrange question, cela s’appelle finalement : « l’expérience du racisme ». Dommage que l’on n’ait pas demandé aux autres individus (personnes obèses ou de petite taille, syndicalistes, enfants d’ouvriers, de plus de 50 ans ou de plus de 70 ans, par exemple) s’ils pensaient, un jour, être victimes d’insultes ou de mises à l’écart… La présentation des « résultats » de cette fameuse enquête ne fait pas dans la nuance et il fallait bien cela pour aller au bout du projet initial : le problème, c’est le racisme, pas l’agéisme ou la « grossophobie » ! Rappelons que les concepteurs avaient été confrontés à une très vive levée de boucliers, car ils souhaitaient au départ interroger les gens sur leur propre couleur de peau, question finalement retirée devant les protestations. Le Conseil constitutionnel avait même dû, le 15 novembre 2007, se fendre d’un rappel de l’interdiction de collecter des données faisant référence à la race ou à l’origine ethnique. Malheureusement, le Conseil constitutionnel ne se charge pas de veiller à l’absence de manipulation dans les enquêtes, même lorsque celles-ci portent un évident préjudice à des groupes de Français pourtant importants. L’enquête TEO a, hélas, donné lieu à des enquêtes du même tonneau menées dans les collectivités
35
territoriales. Ainsi, dans une enquête réalisée sur les personnels de la Mairie de Paris (avec le soutien à nouveau de l’ACSE et de la Halde), on note la même accumulation de manipulations visant à faire ressortir certains résultats et à en occulter d’autres. Les esprits sont formatés par l’abondance des travaux de recherche et des publications sur quelques aspects des inégalités et des discriminations. Il y a les sujets qui mériteraient en quelque sorte un approfondissement et ceux qui sont juste bons pour être traités dans les articles des magazines ou dans des émissions de télévision. Les fonds publics soutiennent quasi exclusivement des thèses, des contrats postdoctoraux et la réalisation de recherches sur un petit nombre de formes de discrimination ou d’inégalités. Ainsi, la région Île-de-France finance depuis plusieurs années des thèses et études, des séminaires et autres colloques sur les discriminations 36. Les questions de genre, d’orientation sexuelle, de transsexualité ou de discrimination en raison de l’origine nationale (personnes issues de l’immigration) trustent les financements. Quant aux séminaires ou colloques financés depuis plusieurs années (avec le CERI et Sciences-Po notamment), ils abordent sans cesse les mêmes sujets (genre, origine ethno-raciale, immigrants). Une seule fois en plusieurs années, l’apparence physique a fini par être, comme par miracle, abordée via la conférence d’un chercheur américain sur l’obésité.
Des « testings » au champ curieusement restreint Il n’y a pas que les sondages qui soient biaisés, les testings par envoi d’acteurs pour obtenir un logement, entrer en night-club ou décrocher un emploi le sont aussi. Depuis 2004, je persiste à tester
un large éventail de motifs de discriminations grâce à la méthode qui consiste à envoyer des CV de candidats factices en réponse à des offres d’emploi. Le sexe, l’adresse, le patronyme, la couleur de peau sont naturellement évalués. En outre, dans les testings que j’ai menés avec mon équipe à des fins de recherche, pour des entreprises ou des institutions, nous mesurons très fréquemment les effets de l’âge, en particulier la situation des plus de 45 ans. Heureusement que mon équipe de l’université Paris-I et moi-même faisons des testings sur l’obésité, sur le handicap et sur les seniors, car ces facettes de la discrimination à l’embauche n’intéressent vraiment pas les autres équipes ou les pouvoirs publics. En revanche, le Bureau international du travail, avec le ministère du Travail et l’association ISM-Corum, a testé l’effet du patronyme africain en 2006. C’est évidemment la variable la plus testée et l’ancien Centre d’analyse stratégique (CAS) a aussi financé un test sur ce sujet. Le ministère du Travail a lancé un grand testing à l’embauche en 2016 en le limitant à nouveau à un seul sujet : « être issu de l’immigration ». On teste aussi volontiers en France l’effet du sexe, de la domiciliation (l’effet quartier ou ZUS) et de la religion. Ces testings croisent naturellement les variables qui précèdent (le sort des femmes jeunes issues de l’immigration). Les testings traitent en général assez peu la variable de l’âge et seulement pour s’intéresser aux jeunes. Ainsi, dans un testing comparant les chances d’obtenir un emploi mené en 2002 par Pascale Petit, c’est le sort d’une femme de 25 ans qui était comparé à celui d’un homme jeune, le profil plus « âgé » ayant… 37 ans. L’objectif est de mesurer l’effet de la crainte de la maternité et non 37
d’examiner la question de l’accès à l’emploi des seniors . 37 ans on n’est pas un senior… La myopie sur certaines discriminations n’est pas propre à la France. Une synthèse des testings aux États-Unis 38 depuis 1990 ne
trouve que des tests sur les Africain-Américans (10 tests), les Hispaniques (6), les femmes (3) et l’âge (3). L’auteur de l’étude se demandait s’il ne fallait pas essayer de savoir si d’autres groupes étaient discriminés : personnes handicapées, Arabes, gays, personnes stigmatisées en raison de leur apparence comme les obèses, personnes ayant des enfants, etc. Hélas, depuis 1990, ces mesures ne se sont pas développées. Un groupe de chercheurs de Harvard prépare en 2016 une nouvelle synthèse de tous les testings dans le monde mais, sans surprise, limite strictement l’exercice à la « race » et au « genre ». L’occultation délibérée des autres variables de discriminations continue donc et ne peut que nuire à des masses d’individus quotidiennement discriminés dans le monde.
Comment les résultats sont-ils médiatisés ? Parfois, ce n’est pas tant la recherche elle-même qui est manipulée, mais la présentation des résultats. À ce titre, une enquête assez médiatisée concernant les contrôles de police mérite d’être mentionnée 39. Il s’agit d’une intéressante étude réalisée à Paris à la gare du Nord et à Châtelet, qui consistait à examiner qui la police contrôlait. Les résultats, constamment repris, montrent que ces contrôles se font au « faciès » : les personnes noires ou arabes seraient beaucoup plus souvent contrôlées que les autres. Il y a juste un problème : les résultats montrent clairement une réalité plus complexe ! Voyons ce que les chercheurs écrivent de manière limpide dans leur rapport. Les personnes « noires » et « arabes » paraissent nettement plus souvent contrôlées que les personnes « blanches », mais, notent très honnêtement les chercheurs du CNRS qui ont mené cette fameuse enquête, « un autre facteur déterminant a été le style
de vêtements portés par les personnes contrôlées. Bien que les personnes portant des vêtements aujourd’hui associés à différentes “cultures jeunes” françaises (hip-hop, tecktonik, punk, gothique, etc.) ne forment que 10 % de la population disponible, elles constituent jusqu’à 47 % de ceux qui ont été effectivement contrôlés ». Ils ajoutent : « Il ressort de notre étude que l’apparence vestimentaire des jeunes est aussi prédictive du contrôle d’identité que l’apparence raciale. » Comme le résument les chercheurs, « les choses se compliquent à partir du moment où l’on considère l’apparence vestimentaire ». Si l’on compare les contrôles envers les Blancs et les Noirs ou les Arabes, il s’avère que l’effet du look est plus fort que l’effet « racial ». « Les “tenues jeunes” (type hip-hop, gothique, tecktonik, etc.) crèvent le plafond, expliquent les chercheurs. L’apparence vestimentaire serait-elle “plus prédictive du contrôle d’identité que l’apparence raciale” ? » Il est difficile de le dire, répondent-ils, mais les résultats de l’étude sont rarement présentés avec la même objectivité. De manière quasi systématique, on retient seulement que les Noirs et les Arabes sont plus fréquemment contrôlés en négligeant de dire que le look, l’âge et le sexe sont les trois principales variables explicatives des contrôles. Le collectif contre les contrôles au faciès, sur le site stoplecontroleaufacies.fr, explique ainsi : « Ces contrôles sont subis prioritairement par une partie de la population : ceux qui sont perçus comme “jeunes” (11 fois plus), “Noirs” (6 fois plus que les “Blancs”) ou “Arabes” (8 fois plus). » C’est une présentation volontairement lacunaire, de façon à ce que l’on en conclue au racisme de la police, alors qu’en réalité d’autres variables entrent en ligne de compte dans le choix du contrôle. Il ne s’agit pas de nier que la couleur de peau ou le phénotype aient un effet sur les contrôles de
police, ni que le racisme existe, mais faut-il, pour le dire, simplifier les résultats de l’étude en question ? Il arrive que certaines enquêtes bien conçues aient permis de révéler la réalité des moqueries, des discriminations et du harcèlement, ne serait-ce qu’en proposant aux personnes qui répondent un véritable choix. C’est le cas de l’enquête Histoire de vie, dont nous avons déjà parlé et qui donnait aux répondants un large choix de motifs. De plus, ceux qui n’avaient pas trouvé la réponse correspondant à leur situation pouvaient indiquer un « autre motif » et, surtout, il était tenu compte de ce motif dans l’analyse. Ainsi, le premier motif mentionné par les victimes était la taille et le poids (25 %), mais 4 % des individus victimes avaient ajouté un autre aspect de leur apparence physique (qui n’est pas précisé par l’Insee) dans la rubrique « autre ». L’apparence physique était donc, de très loin, le thème le plus important. L’article restituant la synthèse des résultats est pourtant titré : « Des moqueries aux comportements 40 racistes . » Un focus est fait sur les personnes issues de l’immigration alors que les chiffres ne montrent guère une nette différence selon ce critère. Là encore, la présentation des résultats est biaisée et, une nouvelle fois, si les injures racistes sont répandues, leur mise en évidence ne devrait pas se faire au détriment des autres comportements hostiles. Pourtant, les jugements sur l’apparence physique et vestimentaire ainsi que sur l’âge suscitent des traitements injustes, en particulier au travail.
3
La tête de l’emploi Michael Jeffries a été pendant plus de vingt ans le dirigeant de la chaîne de magasins de vêtements Abercrombie & Fitch. Quand il est démis par les actionnaires de cette compagnie américaine en décembre 2014, il a 70 ans. Patron atypique, c’est un grand amateur d’injections de toxine botulique qui a aussi fait des liftings, une rhinoplastie et un gonflement des lèvres au collagène. Il a tout entrepris pour combattre les effets de l’âge, allongeant du coup la liste des ratés de la chirurgie esthétique. Obsédé par la jeunesse et 1
la beauté physique, il a multiplié les déclarations provocatrices – ce qui a d’ailleurs fini par provoquer sa chute. Dans les magasins de cette marque, on propose plutôt des vêtements pour gens jeunes et surtout pour « gens beaux ». Pour Jeffries, « dans toutes les écoles, il y a les enfants cool, populaires » et « il y a les autres ». Il souhaite que la marque soit « exclusive ». Pour lui, les marques « qui veulent avoir une clientèle large incluant des jeunes et des vieux, des gros et des sveltes sont ennuyeuses ». Sa cible, ce sont les jeunes « cool, attirants et qui ont plein d’amis ». Jeffries ne veut pas que « ses clients puissent voir d’autres personnes qui ne soient pas aussi sexy porter ses vêtements ». Et si les gens sont choqués par ce qu’il
raconte, peu importe, car ce que pensent les gens qui ne sont pas ses clients, il s’en fiche ! La politique de recrutement de ces magasins a suivi les idées directrices de ce dirigeant au franc-parler. Comme il le résumait simplement, « nous embauchons dans nos magasins des personnes qui ont une belle apparence, car les beaux attirent les beaux, et nous voulons vendre à des clients cool et beaux ». Les plus de 30 ans, les personnes qui ne sont pas attirantes et filiformes sont priées d’aller voir ailleurs. Bien entendu, en boutique, la tenue sexy est de rigueur, tout comme la bonne condition physique, et pas question de prendre du poids ! Jusqu’au mois de mai 2013, tout a continué sans encombre, mais le mépris affiché envers ceux ayant quelques kilos ou quelques années en trop a finalement déclenché une pétition (75 000 signataires) et de multiples commentaires sur la page Facebook de la marque. La toile a été inondée de savoureux détournements des visuels publicitaires de la marque – avec le slogan « Attractive & Fat ».
Document 1. Photo de l’activiste blogueuse Jes M. Baker pour The Militant Baker, LoveSmack Studios, 18 mai 2013, Tucson, Arizona. (© Liora K. Getty Images.)
Un nombre considérable d’articles de presse ont relayé ces informations en les critiquant. Le cours de Bourse, qui n’était déjà pas au mieux, s’est effondré, passant de 48 dollars en mai 2013 à 34 dollars en août de la même année, puis à un peu plus de 20 dollars fin 2014, lorsque Jeffries a dû quitter ses fonctions. En France, à la suite de cette médiatisation, le Défenseur des droits s’est saisi et a fait un rappel à la loi, car les critères d’embauche fondés sur l’apparence physique sont illégaux. Face à cette bronca, Jeffries a présenté des excuses, annoncé qu’il allait proposer des vêtements pour les femmes un peu rondes et financer une campagne antiharcèlement dans les écoles… En avril 2015, le nouveau patron d’Abercrombie & Fitch décide de 2 tourner radicalement la page . L’entreprise met un terme aux recrutements sur le physique ou la beauté. Les exigences de look draconiennes sur le lieu de travail sont abandonnées et l’eyeliner est
autorisé. Quant aux campagnes publicitaires hypersexualisées, c’est terminé. En boutique on ne parle plus de models, mais de représentants de la marque. Enfin, on ne voit plus de mannequins torse nu lors des inaugurations de boutiques. Cette fois, l’opinion publique a gagné et c’est un événement sans précédent. Mais ce qui a déclenché l’émoi n’est pas tant la politique de recrutement que le mépris d’une partie des clients potentiels. Si Jeffries n’avait pas été aussi provocant à leur endroit, sans doute que ses pratiques de sélection du personnel auraient perduré. Par ailleurs, la mobilisation hostile des médias est également liée à l’hypersexualisation des jeunes filles et des jeunes garçons que le marketing de Jeffries alimentait. Pour autant, à côté d’Abercrombie & Fitch, combien d’entreprises pratiquent, sans le dire, de manière à peine moins grossière, des recrutements en fonction de la silhouette, de la beauté et de la jeunesse ?
Le physique érigé en critère officiel d’embauche Il y a des secteurs d’activité où un physique parfait est sans contestation possible un atout pour être embauché et, du reste, personne ne s’en cache. Ainsi, dans le domaine de l’accueil, les mensurations sont-elles bien plus importantes qu’un CV à rallonge. Nous avons tellement l’habitude de voir des hôtesses jeunes, minces et jolies dans les salons et autres événements que cela semble dans la nature des choses. Sans surprise, sur les sites Web de recrutement d’« hôtesses » (en général on recherche des femmes et on l’affiche clairement), le CV des candidates semble assez secondaire et n’est parfois même pas demandé. Par contre,
connaître leur taille en centimètres, leur taille de veste et leur taille de jupe est important et la réponse est obligatoire sous peine de ne pouvoir postuler. Les candidates sont interrogées sur leur âge, sachant que la particularité de ces questionnaires est souvent qu’ils ne vont pas au-delà de 40 ans dans le menu déroulant (au moins, c’est clair pour les candidates plus âgées qui se feraient encore des illusions !). Cette pratique est pourtant illégale et pénalement répréhensible (articles L.225-1 et L.225-2). Les candidates doivent également avoir une taille minimale et, là aussi, les menus déroulants servent à filtrer les répondants en ne proposant pas de taille inférieure à 1,60 mètre. Inutile de préciser que ces entreprises exigent évidemment plusieurs photos de face et en pied… Poser toutes ces questions et transformer le recrutement en un simple concours de beauté n’est pas légal. En effet, ce n’est que pour des emplois de mannequin ou d’acteur que de tels critères peuvent être utilisés ou bien si l’employeur peut justifier d’une exigence incontournable pour occuper le poste. Les embauches pour un club de strip-tease peuvent naturellement être opérées de cette manière mais, pour des postes d’accueil-standardiste, de réceptionniste ou d’hôtesse, c’est bien plus discutable. Certes, les emplois d’hôtesses sont diversifiés, allant du salon de l’automobile aux postes de standardistes, mais, quel que soit l’emploi à pourvoir, être jeune, mince et mignonne est imposé. Imaginons que des chaînes d’hypermarchés sélectionnent aussi ouvertement au physique les caissières et les hôtesses en magasin en se disant que les clients apprécieront de voir des miss France en faisant leurs courses ! Et pourquoi les salons de coiffure ou les boulangeries ne trouveraient-ils pas astucieux de faire de même puisque séduire, c’est vendre ? Pour le moment, sur les sites de recrutement des hypermarchés ou des leaders de la coiffure, on n’affiche pas le paraître comme une
compétence clef dont les candidats devraient faire étalage. Finalement, ce qui caractérise le secteur de l’accueil est qu’il ne fait pas mystère de ses critères d’embauche, tout en bénéficiant d’une curieuse tolérance. Il faudrait que le Défenseur des droits mette fin à ces pratiques – pourquoi ne s’intéresser qu’à Abercrombie & Fitch ? – et qu’il y ait davantage de décisions de justice, d’autant que la jurisprudence est limpide sur le sujet depuis un important arrêt de la Cour de cassation 3 de 2009 . SOS Racisme avait en effet porté plainte contre Garnier (groupe L’Oréal) et une filiale d’Adecco au motif que des démonstratrices BBR (c’est-à-dire « bleu-blanc-rouge », donc non issues du continent africain) étaient recherchées, ce qui écartait donc les autres candidates. Les démonstratrices devaient aussi satisfaire d’autres critères puisque la demande de Garnier était la suivante : « Profil Fructis – jeune femme de 18 à 22 ans – taille maxi 40 – BBR ». Comme il n’était pas prouvé, faute de victimes identifiées, qu’il y avait eu discrimination, ces entreprises pouvaient-elles être condamnées ? Oui, ont estimé les juges, car il a été établi sans ambiguïté que l’intention était bien de sélectionner les candidats de manière illégale. Si le délit de refus d’embauche n’est pas prouvé, le délit d’offre d’emploi discriminatoire est, lui, incontestable. Compte tenu de cette décision de notre plus haute juridiction, sélectionner via un questionnaire des candidates selon leur âge ou leurs mensurations pour être démonstratrice, vendeuse ou chargée d’accueil est donc discriminant, mais, dans les faits, reste bizarrement banal et toléré… Certes, depuis dix ans 4, dans quelques délibérations suite à des plaintes, la Halde, puis le Défenseur des droits ont bien rappelé que la sélection sur le physique dès les questionnaires d’embauche était illégale, mais rien n’a été sérieusement entrepris pour faire modifier tous les sites illégaux de ce type qui ont toujours pignon sur rue. Cela
revient à tolérer en quelque sorte la discrimination en fonction de la plastique ou de l’âge des candidats. On peut aussi se demander pourquoi les grandes entreprises, administrations ou collectivités locales qui se piquent de diversité, qui ont en masse signé la charte de la diversité et obtenu leur « label diversité » ne demandent pas aux prestataires avec lesquels elles travaillent régulièrement pour les postes d’accueil de se mettre en conformité avec la loi et d’être plus sensibles à la « diversité » en acceptant des seniors, des femmes un peu rondes, des personnes de petite taille ou encore des travailleurs en situation de handicap visible. C’est donc entendu, une majorité de recruteurs pense que le client ne veut pas « voir la misère », comme me le disait un restaurateur parisien du tout-Paris à qui je demandais s’il pouvait avoir du personnel handicapé. Le client aurait besoin d’être séduit et de baigner dans un univers glamour. De manière plus ou moins discrète et hypocrite, on écarte donc des postes en contact avec la clientèle ceux qu’il faut de préférence dissimuler aux regards sous peine, pensent les responsables, de plomber le chiffre d’affaires. Si on considère qu’il est normal que le physique tienne lieu de compétence pour être embauché, alors il faut aussi cesser de condamner les salons de coiffure qui ne veulent pas recruter du personnel à la peau noire parce que la clientèle n’aimerait pas cela…
Jeune et jolie : une vraie qualification ! Les entreprises n’ont qu’un credo : avoir un personnel à l’image de leurs clients. Ce n’est pourtant pas toujours vrai s’agissant des postes en contact avec la clientèle. Ce n’est pas parce qu’il y a beaucoup de femmes à forte corpulence ou beaucoup de personnes
handicapées que celles-ci sont légion aux postes de vendeuses, d’accueil ou de guichet. Disons la vérité, pour leur image et pour leurs ventes, les entreprises ne sont pas franchement convaincues qu’il faille embaucher une femme obèse de 50 ans ou un homme au handicap visible. Pour en savoir un peu plus, j’ai fait réaliser des photos de femmes fictives obtenues à partir d’un visage réel de jeune fille. Avec mon équipe, nous avons ensuite envoyé des candidatures fictives comportant les photos en questions. 5
Pour des postes d’accueil , le résultat est sans appel : le personnage que nous avons créé de jeune fille blonde et mince aux yeux bleus, la candidate dite de référence, obtient près de 4 fois plus de réponses que notre femme senior et 6 fois plus que notre femme en surpoids. Notre jeune fille d’origine maghrébine (en haut à gauche) obtient 2 fois moins de réponses que notre avatar blond. La candidate noire aux cheveux très courts reçoit elle aussi peu d’appels téléphoniques (4 fois moins). Sans surprise, un homme barbu n’attire pas pour ce type de poste.
Document 2. Série de photos utilisées dans plusieurs testings. Les photos sont créées à partir du premier visage de la série (en haut à gauche). (Source : JeanFrançois Amadieu/Observatoire des discriminations, université Paris-I-PanthéonSorbonne.)
Nous avons refait l’expérience pour d’autres postes en France et à l’étranger. En présentant la candidature de nos avatars, cette fois 6 dans la restauration rapide en France, nous avons constaté que notre jeune fille blonde et mince obtenait 6 fois plus de réponses que notre femme senior et 3 fois plus que son équivalent avec quelques kilos en plus. Au Maroc, l’écart est encore plus dramatique puisque notre senior ne décroche aucune réponse et notre avatar en surpoids 5 fois moins de réponses. En Grande-Bretagne, les taux de succès de nos trois candidates fictives sont plus proches, même si notre femme en surpoids obtient un tiers de réponses positives en moins et
la senior 2 fois moins – les Britanniques sont visiblement plus tolérants…
Document 3. Testing sur les embauches en poste d’accueil en France. (Source : Alibi Aicha, L’Impact de l’apparence physique sur la sélection des candidats, sous la direction de J.-F. Amadieu, université Paris-I-Cergors, 2010.)
Il est banal en France de dire publiquement que recruter des seniors dans le commerce ou dans la restauration rapide est impensable. Un directeur des ressources humaines qui fut un des responsables de l’association des DRH (ANDRH) et dirigeant de la revue des DRH français m’expliquait qu’il est inimaginable d’embaucher une personne de 55 ans dans un fast-food. Pour lui, la « greffe » ne prendrait pas, et même un employé de 48 ans n’aurait, selon lui, pas sa place dans une équipe de jeunes de 32 ans dans d’autres secteurs d’activité. Il faut croire qu’au-delà de 40 ans, ou si l’on n’est pas un canon, on casse l’ambiance. Résultat : les employés des chaînes de restauration rapide en France sont jeunes. Dans ce
secteur d’activité, nos candidates de type maghrébin ou de couleur noire s’en sortent nettement mieux dans les trois pays que la candidate âgée ou ronde. Le slogan « Venez comme vous êtes » de McDonald’s ne semble guère ouvrir la porte à tous les profils… La restauration rapide est-elle, par nature, fermée aux salariés âgés ? Jeunes et moins jeunes ne peuvent-ils pas faire équipe ? À l’étranger, il ne semble vraiment pas que leur présence soit une difficulté, au contraire. À Singapour, par exemple on peut être senior et bosser dans un McDonald’s : 40 % des 8 500 employés ont ainsi plus de 40 ans dans les 115 restaurants que compte le pays et le plus âgé a même 84 ans. En Grande-Bretagne, Bill Dudley, le salarié le plus âgé de cette entreprise de restauration rapide en Europe, a fêté en 2015 ses 90 ans. Dans l’Iowa, Sara Dappen travaillait encore à 92 ans pour la même chaîne. Il ne s’agit évidemment pas de prôner le départ à la retraite à 92 ans, ni d’oublier que ces emplois sont pénibles, mais de se demander pour quelle raison, en France, après 50 ans, il semble exclu de travailler dans un fast-food.
Une belle comptable fera l’affaire Pour des postes qui ne sont pas toujours en contact avec la clientèle, avoir un beau visage et être jeune sont aussi très recherchés. Pourtant, les recruteurs ne peuvent cette fois arguer de la nécessaire séduction des clients. Dans mon équipe, nous avons effectué de nombreux tests d’envois de candidatures factices assorties de photos pour des postes qui n’étaient pas en contact 7 avec le client. Ainsi, pour un travail de comptable , mieux vaut, si on est une femme et qu’on candidate, avoir un visage séduisant. Et le plus surprenant, c’est que cela puisse compter davantage que pour
un poste de commerciale ! Un CV de comptable assorti d’une photo de belle jeune femme obtient un taux de succès deux fois plus élevé qu’un CV comportant la photo d’une femme plus ordinaire ! T AUX DE RÉPONSE Commerciale Comptable
POSITIVE PAR TYPE DE POSTE (%)
Assistante de direction
Candidate séduisante
42
52
34
Candidate séduisante
33
26
26
moins
Document 4. Résultat d’un testing à l’embauche sur l’effet beauté en France. (Source : H. Garner-Moyer, « La beauté : L’attention qui lui est allouée en phase de recrutement », Revue internationale de psychosociologie et de gestion des comportements organisationnels, o
2011, vol. XVII, n 41, p. 185-206.)
Dans cette même étude, une centaine d’étudiants en gestion de mon université ont eu à évaluer huit photos de femmes d’âge proche (autour de 30 ans) et à les classer par ordre d’apparence séduisante décroissante. Il leur a ensuite été demandé de qualifier soit la photo classée 1 (la plus séduisante selon eux), soit la photo classée 8 (la moins séduisante) en utilisant une liste de qualités correspondant à celles les plus fréquemment recensées dans les petites annonces : « dynamique », « qualités relationnelles », « capacités d’adaptation », « rigoureuse/organisée », « qualités d’écoute », « sens commercial », « autonome », « impliquée/motivée ». Pour chacune de ces qualités, les étudiants devaient estimer si elle correspondait « tout à fait », « un peu » ou « pas du tout » à la photo qu’ils avaient classée en 1 (ou en 8).
1 (la plus séduisante)
8 (la moins séduisante)
Dynamique
51 %
23 %
Qualités relationnelles
75 %
17 %
Capacités d’adaptation
33 %
19 %
Rigoureuse, organisée
26 %
38 %
Qualités d’écoute
41 %
32 %
Sens commercial
67 %
13 %
Autonome
47 %
30 %
Impliquée, motivée
67 %
30 %
Qualités attribuées 8
à la photo classée
Document 5. Les stéréotypes liés à la beauté. (Source : H. Garner-Moyer, L’Impact de l’apparence physique en gestion des ressources humaines : analyse de l’impact de la beauté sur les itinéraires professionnels, thèse sous la direction de J.-F. Amadieu, université Paris-I, 2007.)
8
Une belle jeune femme est donc parée de toutes les qualités ; tout au plus semble-t-elle un petit peu moins rigoureuse et organisée, mais elle est tellement plus convaincante sur les sept autres critères que cela n’a guère d’importance ! Mais attention, la tenue de la candidate compte beaucoup. Ainsi, dans un testing réalisé en 2015 en Essonne 9, j’ai constaté qu’une jeune fille mince et blonde aux épaules dénudées (voir photo plus haut) n’était pas prise au sérieux pour des postes de comptable : un tailleur aurait été plus adapté ou, au moins, un chemisier. En revanche, comme future vendeuse ou assistante de direction, elle est très appréciée, tandis qu’une candidate senior ou en surpoids déplaît ! C’est ici le look qui attire ou inquiète les recruteurs. Pour être prise au sérieux dans certains jobs les femmes ont intérêt à ne pas être habillées de manière trop sexy. Parfois, même si la tenue
est sobre, c’est le visage, dont les traits seront plus ou moins masculins ou féminins, qui peut emporter la décision des recruteurs. Pour des postes de managers, une femme a intérêt à ressembler à 10 un « leader », c’est-à-dire… à un homme . Même problème pour des postes à dimension technique. En août 2013, LinkedIn a ainsi refusé les offres d’emploi d’une entreprise informatique (Toptal) au motif que la développeuse Web qui illustrait l’annonce était trop belle pour être réellement une développeuse 11. Or elle était vêtue de manière classique et c’était une véritable programmeuse travaillant dans l’entreprise ; simplement, elle était jolie. Le cliché du geek a la vie dure !
Du mascara, sinon rien Un beau visage ou un bon look ne suffisent pas toujours, et une candidate a intérêt également à maîtriser l’art du maquillage. N’importe quelle femme sait qu’un minimum de cosmétique ne peut pas nuire à son pouvoir de séduction. Il est bien rare que pour une sortie en boîte de nuit, un rendez-vous amoureux ou son mariage, une femme ne se maquille pas un tant soit peu. Pour se rendre à un entretien d’embauche, idem : rares sont les femmes qui ne le font pas, et elles ont bien raison. En effet, les jugements des recruteurs sont fortement altérés par cette mise en beauté. Les employeurs apprécient d’abord cet effort de mise en scène, comme ils valorisent un candidat qui a opté pour une cravate et ciré ses chaussures. Cela démontre son sérieux, le soin qu’il apporte à son apparence et donc peut-être aussi à son travail. C’est aussi un indice de sa motivation pour le poste et enfin le signe qu’il accepte de jouer le rôle qui lui est assigné dans la représentation théâtrale qu’est l’entretien de
recrutement. En outre, si une future vendeuse s’est maquillée avec goût, elle le fera probablement à l’avenir devant les clients, ce qui devrait doper le chiffre d’affaires. Par ailleurs, le maquillage rend souvent séduisant de sorte que, de manière inconsciente ou délibérée, le manager qui recrute peut souhaiter se rapprocher de la candidate et poursuivre, au moins professionnellement, la relation engagée. N’oublions pas sur ce dernier point que si les apparences et le maquillage comptent autant dans la vie professionnelle, c’est aussi parce qu’en France un tiers des salariés aurait déjà eu une relation amoureuse au travail… Mais l’effet du rouge à lèvres et du mascara ne s’arrête pas là : ils modifient le jugement en donnant l’air beaucoup plus compétent et 12
sympathique . Parmi les visages ci-dessous, ceux de droite paraissent ainsi dotés de qualités – l’idéal sur un plan professionnel est le troisième en partant de la gauche. Que le maquillage rende plus séduisante est connu, mais qu’il donne l’air plus compétent en dit long sur le pouvoir des apparences.
Document 6. Maquillage et perception des qualités. En partant de la gauche, visage non maquillé, maquillage naturel, maquillage professionnel, maquillage glamour. (Source : N. Etcoff, S. Stock, L. E. Haley, S. A Vickery, D. House, « Cosmetic as a feature of the extended human phenotype : Modulation of the perception of biogically important facial signals », Journal PLoS ONE, 2011, vol. 6, o
n 10. © 2011 Etcoff et al.)
Mais, au-delà des impressions produites par les femmes maquillées, quelles sont les réactions réelles des recruteurs qui scrutent les candidatures ? Embauchent-ils davantage ces femmes ? Avec mon équipe, nous avons pu vérifier qu’en France, en Italie et au Liban, les CV accompagnés de visages maquillés l’emportent largement pour des postes de vendeuse dans le luxe sur les CV avec 13 visages non maquillés . Et non seulement les femmes maquillées décrochent plus facilement un emploi, mais elles jouissent aussi de meilleurs revenus. Par exemple, une serveuse de 22 ans, travaillant dans un restaurant de Vannes en Bretagne, a été observée plusieurs
semaines tantôt maquillée, tantôt sans maquillage. Résultat : quand elle est maquillée, 55 % des clients donnent un pourboire contre moins d’un tiers quand elle ne l’est pas – pour les clientes, il n’y a 14 guère d’effet du maquillage . Et il n’y a pas que dans le Morbihan que les cosmétiques rapportent ! Plus surprenant, les hommes sont concernés aussi par la « prime au cosmétique ». Le fond de teint est par exemple efficace professionnellement et avoir la peau un peu bronzée (pas trop tout de même !) donne plus de chances d’être embauché 15. Le cadre dynamique aura pris des couleurs en golfant ou en faisant du jogging : c’est rassurant pour les employeurs, il est en pleine forme !
Les blondes sont-elles toujours à la fête ? Les blondes attirent les hommes, c’est bien connu. Sur une route française, les blondes ont de meilleures chances d’être prises en auto-stop que les brunes ou celles qui ont les cheveux noirs – sauf si le conducteur est une femme, auquel cas cela n’a aucune 16 17 importance . Un test a aussi été réalisé dans trois boîtes de nuit de Londres où l’on demandait à des femmes avec les cheveux teints en brun, en roux ou en blond de s’asseoir au bar. Les hommes ont été plus nombreux à se manifester comme « aimantés » quand les femmes étaient blondes (60 approches, contre 42 pour la brune et 18 seulement pour la rousse). Les femmes aux cheveux blonds plaisent incontestablement davantage que les autres, même si les hommes déclarent souvent le contraire ou qu’ils ne font aucune différence. Mais cet avantage est-il le même au travail ? Les rencontres dans les night-clubs ne sont pas de même nature que les entretiens d’embauche. En outre, le cliché de la blonde superficielle a la vie
dure, et les blondes sont perçues comme moins intelligentes et 18 compétentes que les brunes . Une question se pose alors : au travail, les blondes sont-elles en moyenne plutôt handicapées par leur supposée bêtise ou, au contraire, bénéficient-elles de leur chevelure attractive ? Si l’on examine les statistiques, la blondeur est incontestablement un atout professionnel. Une étude a même évalué le surplus de salaire par rapport à une employée brune à 7 %, soit 19 environ une année d’étude. Plutôt rentable pour une coloration ! Pour les hommes, la couleur de cheveux n’a pas d’effet. En revanche, les hommes mariés à une femme blonde gagnent 6 % de plus que les autres dont l’épouse est brune. En somme, les blondes trouvent des compagnons qui gagnent bien leur vie et elles-mêmes s’en sortent professionnellement mieux que les autres ! À y regarder de plus près, la blondeur est surtout rentable pour les employées les moins qualifiées. Payante pour les serveuses ou les hôtesses, elle serait nettement moins efficace pour les femmes dirigeantes. On a ainsi remarqué que des femmes avec une coloration blonde obtiennent plus d’argent lorsqu’elles font du porte à 20 porte que si elles ont une autre couleur de cheveux . Aux États-Unis, les blondes ayant fait des études courtes et qui ont entre cinq et dix ans d’expérience professionnelle ont visiblement convaincu de leurs qualités car elles gagnent 7 % de plus que les autres femmes 21. Par contre, les femmes qui occupent des emplois plutôt qualifiés ne paraissent pas bénéficier autant de leur chevelure dorée ; elles 22 seraient ainsi moins nombreuses aux postes de managers ou de dirigeants – sans doute parce qu’on ne les prend pas assez au sérieux ou qu’elles paraissent trop « féminines ». Si les blondes n’étaient pas écartées des postes à responsabilité, elles seraient quatre fois plus nombreuses comme patronnes de grandes entreprises. Quant aux rousses, elles sont assez appréciées
puisqu’elles sont quatre fois plus souvent dirigeantes que leur part 23
dans la population . Le cliché de la blonde crétine mais adorable et de la rousse froide mais compétente reste vivace.
Des seins qui rapportent gros 24
Dans une petite vidéo humoristique , une candidate à un poste de secrétaire explique que sa taille de poitrine est un incontestable avantage en raison de sa rareté alors que les autres candidates, dotées des mêmes compétences qu’elle, ne présentent pas cet atout ; le recruteur assis en face en convient et l’embauche ! Avoir une poitrine conséquente est utile pour attirer en boîte de nuit et occasionne de multiples sollicitations dans la vie courante. Dans un night-club, la même jeune fille assise au bar pendant une heure voit le nombre de contacts masculins grimper de 13 à 44 simplement en portant un Wonderbra, qui fait passer sa poitrine du bonnet A au bonnet C 25. C’est aussi un avantage pour être prise en auto-stop 26. Les succès professionnels sont également au rendez-vous. Les serveuses des restaurants ont des pourboires d’autant plus élevés 27 qu’elles ont une poitrine plus imposante et qu’elles mettent un Tshirt rouge 28. Et une jeune femme portant un T-shirt noir décolleté (col danseuse) qui candidate pour des postes de comptable et de vendeuse aurait 4 à 5 fois plus de chances de décrocher des entretiens d’embauche que si elle porte le même T-shirt mais avec un 29 col classique . C’est le « capital érotique 30 » qui est ici rentabilisé et, de nos jours, il est essentiel. Les jeunes, les blondes et les minces ont des
revenus plus conséquents. Maquillage, poitrine et talons hauts sont rentables au travail, comme si le signal sexuel ainsi adressé, si efficace en soirée, opérait tout aussi bien en pleine journée dans les 31 couloirs d’une tour d’affaires dans le quartier de la Défense . Mais il peut arriver qu’à l’inverse une forte poitrine coûte cher, et pas seulement lors de la pose des implants. En 2010, une employée de banque américaine, Debrahlee Lorenzana, a été licenciée, selon elle, suite à une opération mammaire, parce qu’elle était devenue trop séduisante et perturbait les autres employés. Elle aurait eu pour ordre de ne plus porter de talons, de robe moulante et encore moins d’afficher son décolleté, car cela déconcentrait ses collègues masculins. Ces différences en fonction de l’apparence ne sont pas une surprise. Mais pour combien d’emplois la taille de bonnet et la blondeur sont-elles des critères de recrutement ou de licenciement ? Et que faut-il penser de nos sociétés qui s’émeuvent des écarts de salaires entre les sexes, mais s’accommodent des inégalités selon la silhouette, le capital érotique ou encore la beauté du visage ?
Le visage, un capital ou un boulet ? « Rare comme un panda », c’est ainsi que des universitaires 32
résument l’avantage des beaux lors des recrutements en Chine . Pour les hommes, comme pour les femmes, un beau visage sur un CV et les chances de passer le stade du tri des candidatures s’améliorent nettement ; de multiples testings par envoi de candidatures factices l’ont établi dans le monde entier. Par contre, il n’y a guère de calculs scientifiques évaluant les différences de rémunérations liées à l’agrément des visages. Le spécialiste de ce
type de calcul est un économiste américain réputé, Daniel Hamermesh. Il avait publié un article dans une prestigieuse revue d’économie en 1994 (que j’ai cité dans mon précédent ouvrage Le Poids des apparences en 2002), mais c’est en 2011, lors de la publication de son livre Beauty Pays, que le constat qu’il faisait alors a été davantage popularisé, y compris en France. Son étude statistique s’intéressait aux salaires versés dans les années 1970 et faisait le constat suivant : les différences de salaire provoquées par le sex-appeal correspondent à deux années d’études. Beauté du visage sur une échelle de 1 à 5 Femmes Hommes (autoévaluation) Plus beau que la moyenne (4 et 5) Moins beau que la moyenne (1 et 2)
+ 8%
+ 4%
—4%
— 13 %
Document 7. Beauté et salaire (différences de salaires par rapport à la moyenne en %). (D’après D. S. Hamermesh, Beauty Pays, Princeton University Press, 2011.)
Or la situation depuis les années 1970 ne s’est certainement pas arrangée, indique Daniel Hamermesh, compte tenu du poids des images et du culte de la beauté à l’heure d’Internet. Une étude récente, menée sur les salaires de diplômés américains, montre que les années d’expérience ne changent rien à cette étrange prime à la 33 belle gueule . En observant les salaires d’anciens diplômés, on constate que les quinquas qui ont un beau visage, comme les trentenaires plus séduisants, gagnent plus que les autres diplômés moins attirants, sans que cet écart puisse s’expliquer par leur compétence, leur intelligence, leurs capacités cognitives ou leur personnalité. Prime de beauté ou « décote de laideur » ne se vérifient pas seulement à l’embauche, pour les salaires et les carrières, mais
34
également pour le maintien dans l’emploi . On peut perdre son travail parce que l’on a pris quelques kilos ou que les marques du temps sont trop visibles. C’est ce qui est arrivé aux États-Unis à des serveuses de casinos ou de restaurants dans lesquels on est tenu de porter des tenues un peu sexy. Au Japon, les responsables de Prada ont admis avoir demandé à une responsable qui les a poursuivis devant les tribunaux de perdre du poids et lui avoir dit qu’il était essentiel pour un responsable des ventes en charge d’une quarantaine de boutiques au Japon de rester en forme. Le directeur des ressources humaines a reconnu que Prada souhaitait qu’elle perde quelques centimètres de tour de taille. La justice a trouvé que cette demande n’avait rien d’excessif et de traumatisant pour cette cadre de 38 ans… On peut aussi perdre son job parce que l’on est trop mignonne. C’est la mésaventure qu’a connue une assistante dentaire de l’Iowa de 32 ans, Melissa Nelson. Son patron l’a licenciée après dix ans de bons et loyaux services au motif qu’elle était trop attirante et portait des tenues trop moulantes : le mariage de ce dentiste de 54 ans aurait été en péril. Le plus surprenant est que les juges (tous des hommes) lui ont donné raison (en 2012). Bien que Melissa ait été mariée avec des enfants, sa simple plastique constituait une menace suffisante, surtout aux yeux de la femme du dentiste ! En GrandeBretagne, en 2013, Laura Fernee, âgée de 33 ans, a révélé qu’elle a été obligée de cesser de travailler depuis deux ans (c’est une scientifique dans le domaine médical), car elle était constamment en butte aux sollicitations pressantes des hommes et à la jalousie de ses collègues femmes. Elle considère que c’est sa beauté qui a rendu sa vie professionnelle invivable. La beauté n’est pas le seul critère de sélection et de fixation des salaires sur le marché du travail, car les traits de nos visages ont
aussi un rôle déterminant. Les recruteurs y sont très sensibles et se livrent de visu à un diagnostic rapide sur la personnalité et l’intelligence des candidats. Ces évaluations à l’emporte-pièce sontelles fiables ou sont-elles erronées en n’étant que le fruit de stéréotypes et de préjugés ? Il devient essentiel de se poser cette question, car les recruteurs utilisent de plus en plus d’images et de films pour évaluer les individus – qu’on pense au CV vidéo ou aux « réseaux sociaux » sur Internet – et ils sont convaincus de l’acuité de leurs jugements, mais ont-ils raison ? Celui qui a une « tête d’abruti » a-t-il réellement un QI de 25 ? Un chercheur britannique a soutenu 35 qu’un lien existerait pour les hommes comme pour les femmes entre la beauté de quelqu’un et son QI, quand un autre a trouvé un lien pour les hommes, mais pas pour les femmes 36 et d’autres quasiment 37 aucun rapport entre intelligence et traits du visage . Ces recherches sont fragiles et encore peu nombreuses, et il semble que l’on soit plutôt en présence d’un stéréotype ne correspondant pas à la réalité. Pour le vérifier, nous avons mené à l’université PanthéonSorbonne une étude sur une trentaine de jeunes dont nous avions les photos 38. Nous avons fait noter leur degré de beauté par une cinquantaine d’évaluateurs. Un autre groupe d’évaluateurs devait dire sur une échelle de 1 à 5 s’il trouvait que les personnes dont ils voyaient la photo avaient l’air intelligentes. La conclusion est que ceux qui sont jugés les plus séduisants sont aussi ceux qui semblent les plus malins, qu’avoir des lunettes accroît cette bonne impression et qu’enfin une jeune fille très belle, mais trop maquillée, paraît d’un seul coup moins intelligente. Nous avons ensuite soumis ces 32 jeunes à des tests d’intelligence (les matrices de Raven APM) et n’avons trouvé aucune corrélation entre la beauté et l’intelligence. Enfin, nous avons constaté que les gens se trompaient beaucoup lorsqu’ils jugent de l’intelligence en fonction de la tête de quelqu’un. Dans notre étude,
aucune relation n’existe en effet entre la perception de l’intelligence et l’intelligence réelle – la personne qui porte des lunettes est ainsi l’homme qui a paru le plus intelligent, alors que c’est lui qui a obtenu le plus médiocre score au test d’intelligence ; à l’inverse, d’autres qui étaient jugés moins beaux et nettement moins intelligents étaient en réalité très intelligents… Mis à part l’intelligence, les chercheurs commencent à investiguer sérieusement dans quelle mesure les dimensions de notre véritable personnalité sont lisibles, simplement en nous regardant. Autrement dit, peut-on se fier aux apparences ? Par exemple, certains affirment que l’on pourrait repérer quelqu’un de réellement extraverti ou encore 39 de consciencieux . Mais si les prédictions semblent parfois se vérifier, elles sont aussi erronées sur bien des aspects de notre personnalité – notre jugement est ainsi faussé pour la stabilité émotionnelle et l’intelligence 40. Finalement, la question est de savoir quand nous avons une bonne intuition et quand nous faisons fausse route. Big Data aidant, la réponse ne saurait tarder, mais ce « progrès » scientifique est plutôt inquiétant. Au lieu d’invalider, une bonne fois pour toutes, les opinions toutes faites fondées sur le physique, on risque d’en conforter certaines et d’introduire de la confusion (à quoi se fier ?). Des logiciels d’analyse faciale réaliseront du coup automatiquement ce travail de détermination des personnalités pour le compte des recruteurs : une simple photo glanée sur Internet servira de support à ce type d’investigation auquel personne n’échappera. On le voit, que ce soit comme avantage ou comme handicap, le paraître est une clef de l’embauche et de la vie professionnelle, et son rôle risque fort de s’amplifier dans les années qui viennent si nous ne réagissons pas. Or les femmes ne sont pas les seules à être
choisies en fonction de leur trombine, de leur poids sur la balance ou de leur silhouette : les hommes aussi sont sélectionnés à cette aune.
Effets du poids et de la taille chez les hommes Dans un testing par envoi de CV similaires de commerciaux en région parisienne, il est apparu qu’un candidat « enveloppé » avait 3 fois moins de réponses positives pour se présenter à un entretien 41. Si, en France, les hommes sont, en moyenne, plus gros que les femmes, ils sont tout de même moins ostracisés qu’elles. En revanche, leur taille en centimètres a un effet très important sur leur vie sociale et, bien entendu, sur leur vie professionnelle. Les hommes de petite taille, qui font des études moins longues et sont moins souvent en couple, sont également pénalisés en termes de salaire et de carrière. Du reste, la différence de taille moyenne entre les hommes cadres et les ouvriers est de plusieurs centimètres. Toutes 42
43
les études internationales et françaises confirment qu’à diplôme égal les hommes petits gagnent moins et ont moins d’avancement. Les dirigeants d’entreprise du Fortune 500 mesurent 8 centimètres de plus que la moyenne 44. Il faut se garder de considérer cette injustice à la légère, car les écarts de salaire dont il s’agit ne sont pas 45 anecdotiques. Des chercheurs britanniques ont calculé qu’à chaque inch (2,54 centimètres), le salaire progressait de 1 à 2 %. Dans une étude européenne 46, le surcroît de salaire qui proviendrait de la taille en centimètres d’un salarié (il se situe au-dessus de la taille médiane dans son pays) est estimé à 3 % (à diplôme, qualification et capacité cognitive égales). Inutile de préciser que si on s’intéressait aux
revenus des hommes vraiment petits, en les comparant à ceux des hommes grands, la différence serait encore plus forte. Cette comparaison européenne nous apprend aussi que c’est en France et en Espagne que la taille aurait le plus d’effet sur le niveau d’études atteint. Dans la même étude statistique, on apprend également qu’un homme obèse touche un salaire diminué de 3,5 % par rapport à la moyenne des salaires.
Document 8. Le surpoids et les discriminations à l’embauche. Pour un poste de télévendeur, on a observé qu’un candidat obèse a 2 fois moins de chances d’avoir un coup de fil, ce qui est plus surprenant, car il n’a pas de contact visuel avec le client. (Source : J.-F. Amadieu, Discriminations à l’embauche, de l’envoi du CV à l’entretien d’embauche. Paris, Observatoire des discriminations, université Paris-I, 2005.)
Des chercheurs ont eu l’idée d’utiliser les données d’un site de rencontre chinois pour savoir si les grands avaient de plus hauts revenus 47. De fait, c’est le cas avec, cette fois, un lien très fort taille/salaire (+ 25 % pour les hommes tous les inch/2,54 centimètres). Bien sûr, il ne faut pas prendre trop au sérieux ce pourcentage, car sur les sites de rencontre, 9 membres sur 10 mentent, surtout s’agissant de leur taille. Néanmoins, l’étude confirme que les hommes comme les femmes sont attirés par les
personnes grandes. Et aussi que les femmes sont attentives aux revenus des hommes, tandis que les hommes ne s’en préoccupent guère et s’attachent d’abord au physique de leur cible féminine. Rien de bien nouveau, en somme ! Les hommes de petite taille ou fluets sont défavorisés dans leur vie professionnelle tandis que les hommes grands paraissent 48
avantagés. Une récente étude, faite en France auprès de médecins hospitaliers, a établi que la confiance des patients (il s’agissait de jeunes ayant environ 20 ans), le degré auquel ils suivent leurs prescriptions et la compétence qu’ils attribuent à leurs médecins traitants augmentent avec… la taille des médecins et avec leur beauté ! À l’inverse, la crédibilité du médecin baisse s’il est âgé ou corpulent. Être un médecin, homme ou femme, ne fait aucune différence : c’est le physique et la jeunesse qui importent aux yeux des patients.
Des kilos qui pèsent lourd En France, comme dans bien d’autres pays, les femmes qui sont 49 un peu grosses ou obèses ont des salaires inférieurs aux autres . Aux États-Unis, une femme qui pèse 30 kilos de plus qu’une autre gagne 9 % de moins, ce qui correspond à une année et demie 50 d’études ou bien à deux années d’expérience professionnelle . Ces femmes sont moins souvent promues comme cadres et directrices. D’ailleurs, les cadres, surtout femmes, sont bien plus minces que le reste des salariés. En Grande-Bretagne, les femmes cadres obèses sont deux fois moins nombreuses que les hommes cadres obèses 51
(14 contre 22 %) . Parmi les dirigeants hommes et femmes de grandes entreprises américaines, seulement 5 % sont obèses (indice
de masse corporelle supérieur à 30), alors que les hommes obèses 52
sont 36 % dans le pays et les femmes obèses 38 % . Plus préoccupant, alors qu’entre 45 et 61 % des hommes dirigeants sont en surpoids (entre 25 et 29 d’IMC), seulement 5 à 22 % des femmes dirigeantes le sont : on tolère donc plus facilement les kilos en trop pour les hommes. Le plafond de verre pour les femmes en surpoids se révèle incassable et encore plus invisible. La discrimination à l’embauche et les licenciements liés à l’obésité sont tels que les personnes obèses appartiennent à des catégories sociales plus populaires et ont de moindres salaires. Elles sont plus fréquemment en situation précaire et au chômage. Dans les pays développés, dont la France, l’obésité est clairement plus fréquente chez les moins qualifiés. Et on assiste à une reproduction sociale effarante. Ainsi, les collégiens de troisième qui sont enfants de cadres sont rarement obèses (0,7 %) alors que les enfants d’ouvriers non qualifiés sont 22,4 % à être dans cette situation. Comme le montre le tableau suivant, l’obésité touche prioritairement les classes populaires. Pourcentage de personnes obèses par catégories sociales 1997
2012
Artisan, commerçant
10,8
17,2
Agriculteur
9,2
16,7
Ouvrier
8,9
16,7
Employé
7,8
16,2
Profession intermédiaire
6,3
11,8
Cadre supérieur, libérale
5,8
8,7
profession
Document 9. À partir de ObEpi-Roche, Enquête nationale sur l’obésité et le surpoids, 2012.
L’obésité est plus fréquente dans les milieux populaires que chez les cadres depuis de nombreuses années, mais son augmentation a surtout touché les plus pauvres. Ainsi, chez les Français percevant moins de 1 200 euros par mois, elle a explosé depuis 1997, atteignant désormais 1 personne sur 4. Pour les plus riches en revanche (au-delà de 3 800 euros), rien de tel puisque 1 personne 53 sur 12 seulement est concernée . La stigmatisation et la marginalisation professionnelle des personnes rondes s’aggravent incontestablement. À l’inverse, ceux qui soignent leur forme et leur ligne en faisant du sport trouvent non seulement plus facilement du travail, mais ont aussi un meilleur revenu. Le calcul a été fait très sérieusement : ceux qui s’adonnent au sport trois heures par semaine gagnent en moyenne 9 % de plus que les autres 54. De quoi rentabiliser leur abonnement à une salle de gym ! Nos sociétés sont de plus en plus stratifiées selon la capacité à 55 avoir un corps parfait, et le sport y contribue en le symbolisant . Ainsi, les élites des milieux d’affaires sont minces et font du sport avec brio – comme ces dirigeants américains qui sont des golfeurs redoutables. Les « travailleurs » bien insérés s’efforcent, quant à eux, de rester en forme et de ne pas prendre de poids ; ils fréquentent la salle de sport, car il en va de leur employabilité. D’autres encore, dont la proportion augmente régulièrement et qui constituent même la majorité dans certains pays, ont en revanche des corps qui ne sont pas aux normes, ils souffrent de handicap et sont trop vieux ou trop gros : la pratique sportive est chez eux plus limitée, quand elle n’est pas inexistante, et ils sont généralement écartés du marché de l’emploi ou mal rémunérés.
Document 10. Pourcentage de personnes obèses selon le revenu, à partir de ObEpi-Roche, Enquête nationale sur l’obésité et le surpoids, 2012.
Les seniors sont également confrontés à cette exigence de forme physique et de séduction. Les enquêtes d’opinion, les testings et les statistiques nous disent la même chose : l’apparence physique et la bonne santé comptent de plus en plus pour le travail. Il est demandé, pour beaucoup d’emplois, de séduire les clients, nous l’avons vu. La beauté est une compétence clef dans certaines activités (vente, télévision, accueil…). Enfin, elle modifie l’appréciation des qualités des individus : quels que soient les emplois, les beaux sont en général mieux considérés. Or la bonne santé, la minceur et la beauté sont associées à la jeunesse, ce qui donne un avantage évident aux plus jeunes sur le marché du travail.
Le jeunisme au travail
Le jeunisme ambiant, dont sont victimes les seniors qui recherchent un emploi, a même fini par gagner les syndicats. Comment remédier à l’image « ringarde » du syndicalisme ? Le er 1 mai 2015, la CFDT a par exemple décidé qu’il fallait éviter les défilés traditionnels de la Fête du travail qui rassemblent de moins en moins de monde. Elle a eu une idée : organiser un Working Time Festival dans le bois de Vincennes, au lieu de rejoindre le défilé unitaire habituel place de la République. Animations et concerts ont été prévus et il était possible de s’inscrire sur le site de la CFDT à une condition : « avoir moins de 36 ans ». Cette maladresse, qui n’a pas de conséquence, en dit long. Il est très rare que les concerts de rock et les fêtes soient explicitement réservés aux jeunes, et les vieux crabes, déjà écartés par les employeurs, le sont maintenant de la Fête du travail par leur syndicat. Tout un symbole ! Les seniors sont décidément perçus comme des ringards. Pour les Européens et les Français, ils sont expérimentés, autonomes et on peut leur faire confiance ; en revanche, ils sont incapables de se tenir au courant des nouvelles technologies, pas ouverts aux idées nouvelles, peu créatifs, moins ouvertes aux autres cultures et moins flexibles 56. La montée du chômage des plus de 50 ans symbolise à la fois l’orientation des politiques publiques vers l’embauche des jeunes et le refus persistant des employeurs de recruter des seniors. Voici comment ont évolué le chômage des jeunes et le chômage des seniors depuis quelques années.
Document 11. Demandeurs d’emploi jeunes et seniors. (Source : DARES, Chômeurs inscrits à Pôle Emploi (catégorie A) de 1996 à 2016 en milliers.)
À la fin des années 1990, le chômage des jeunes a fortement baissé tandis que celui des seniors augmentait rapidement. Entre 2000 et l’élection de François Hollande, l’évolution du nombre des demandeurs d’emploi jeunes ou celle des seniors sont corrélées. À partir de 2012, en revanche, tout change, car tout est fait pour faciliter l’accès des jeunes à l’emploi (la jeunesse est la priorité que François Hollande a fixée pour son quinquennat) alors que le chômage des plus de 50 ans progresse à vive allure. Le taux d’emploi des seniors en France reste parmi les plus 57 faibles de la zone OCDE : il est de 44,5 % pour les 55-64 ans, contre 48 % en moyenne européenne et 54 % en moyenne OCDE, sachant que les femmes seniors sont plus touchées encore que les hommes.
Dans de nombreux pays de l’OCDE, la perte d’emploi suite à un licenciement est plus traumatisante pour les seniors que pour leurs cadets. Ils sont, en effet, davantage susceptibles que les autres de voir leur situation professionnelle se dégrader ensuite. En France, le taux de licenciement des salariés de 55-64 ans est presque deux fois supérieur à celui des salariés de 35-44 ans. Ce chiffre compte parmi les plus élevés des 14 pays pour lesquels on dispose de données. Il est également intéressant de noter que les préseniors (45-54 ans) ont une probabilité significativement plus faible de retrouver un emploi après une rupture de contrat que la population de référence (3544 ans). Plus encore que dans les autres pays européens, les Français constatent que les plus de 55 ans sont amenés à quitter leur emploi parce qu’ils ne sont plus envoyés en formation par leurs employeurs (8 Français sur 10 le pensent) et parce qu’ils ne sont pas 58 vus positivement par les employeurs (les trois quarts le disent) . La France est un pays où il ne fait pas bon être senior sur le marché du travail si on compare notamment avec la Grande-Bretagne ou l’Allemagne. Les différents testings par envois de CV ont largement confirmé cette réalité. Un testing sur des serveuses a montré que celles de 27 ans étaient presque toujours préférées lors des embauches à celles de 47 ans 59. Et c’est à Paris que le jeunisme est le plus fort – en province, on rejette moins les quadras. J’ai dirigé depuis 2004 de nombreux testings par envoi de CV et ils ont abouti 60 au même constat : au-delà de 50 ans, ou même de 43 ans dans certains cas, les chances de poursuivre le recrutement après avoir passé le premier stade de la sélection sont réduites. On peut estimer qu’en moyenne nationale, et pour différents types d’emplois, elles sont trois fois inférieures à celle d’un candidat de 28-30 ans. Avec la Halde, nous avions également montré, en 2008, au moyen d’un testing auprès de 15 entreprises du CAC 40 et de 5 grands
intermédiaires de l’emploi, que les candidats « seniors », seulement âgés de 43 à 45 ans (ce n’est pourtant pas très vieux !), recevaient en moyenne près de deux fois moins de réponses positives après l’envoi de leur candidature. La mise en place obligatoire de plans seniors n’a pas changé cette réalité : les entreprises n’ont en règle générale pas souhaité prendre d’engagements en matière de recrutement et, quand c’était le cas, elles ont pris des engagements a minima ou symboliques. Depuis, la situation est toujours aussi préoccupante pour les seniors… 61 En 2012, nous avons réalisé un nouveau test portant sur des postes d’ingénieurs commerciaux dans deux régions : l’Aquitaine et l’Île-de-France. Nous avons, pour la première fois dans un testing d’envergure, utilisé les candidatures adressées par un véritable demandeur d’emploi quinqua, Bruno Hilt. En accord avec ce candidat, nous avons élaboré un CV qui paraissait comparable au sien et différait par l’âge du faux candidat (32 ans) et par le nombre d’expériences (moins diversifiées et plus courtes pour le candidat le plus jeune). Les deux CV comportaient une photo. Nous avons envoyé 400 candidatures (CV + lettre de motivation) en réponse à 200 offres d’emploi. Nous avons enregistré les messages électroniques reçus et les réponses téléphoniques. Le résultat du test est que le candidat le plus jeune (32 ans) reçoit quatre fois plus de réponses positives que le candidat senior (50 ans). Au total, sur 200 candidatures, le candidat le plus jeune a obtenu 28 réponses positives quand le véritable demandeur d’emploi n’en obtenait que 7. D’habitude, les testings à grande échelle sont réalisés avec des candidats factices ; s’agissant d’un véritable demandeur d’emploi compétent et expérimenté, le constat n’est-il pas désespérant ? Dans un autre testing de 2013, on a abouti au même constat, cette fois dans le Cotentin 62. Visiblement, rien ne change pour les hommes qui
ont passé l’âge « canonique » de 45 ans. Quant aux femmes, c’est pire encore, comme si leur plastique et leur jeunesse tenaient lieu de compétence clef. En Essonne, en 2015, un testing a montré également que les recruteurs préfèrent de beaucoup les jeunes candidats de 26 ans aux seniors de 56 ans. Mais est-ce l’âge inscrit sur le CV qui plombe une candidature ou le physique supposé ou réel des candidats seniors ? La réponse a 63 été apportée par des chercheurs en 2015 . Ils ont montré des CV mentionnant des âges variés (30 ou 50 ans) et, dans certains cas, des photos, et ils ont demandé aux répondants (en Suisse, Allemagne, Autriche et aux États-Unis) s’ils recruteraient ces personnes. Il en ressort que l’âge n’est pas le plus important (il n’a quasiment aucun effet), mais que le visage compte beaucoup. Faire son âge est un véritable stigmate ! Avoir l’air vieux est un frein à l’embauche, mais le lien établi entre l’âge et les problèmes de santé est aussi en cause. Les employeurs cherchent des travailleurs capables d’être de préférence très performants et jamais en arrêt maladie. Les problèmes éventuels de santé des seniors, mais également des obèses et des personnes handicapées effraient. C’est ce qui explique qu’un dirigeant qui se doit d’être performant à 200 % n’ose jamais avouer qu’il a des problèmes de santé ou un handicap. La proportion de cadres supérieurs et de dirigeants en situation de handicap est particulièrement modeste – autant qu’on puisse en juger, car en France il n’existe pas de statistiques permettant d’en estimer le nombre. Il semble que ce type de données soit également rarement disponible à l’étranger – en Afrique du Sud, en revanche, les obligations de reporting sont très précises. Mais pourquoi mesurer la diversité des dirigeants à l’aune du sexe, de la race, de l’ethnie, voire de l’orientation sexuelle dans certains pays, et ne jamais faire intervenir un possible handicap ? Si
on ne sait pas qui sont les leaders en situation de handicap aux États-Unis, on peut en revanche citer des noms de leaders noirs, transsexuels ou gays…
L’âge élevé des dirigeants est-il un problème ? Les dirigeants des très grandes entreprises françaises ont en moyenne 57 ans, et leur âge a augmenté depuis ces dernières années. Cet âge élevé fait l’objet de critiques alors qu’il est pourtant parfaitement logique. D’une part, la population active connaît un important vieillissement. D’autre part, l’accès à la direction des grandes entreprises est devenu plus difficile en raison de la compétition exacerbée pour atteindre ces niveaux de responsabilité. Comment un rajeunissement des directions pourrait-il se produire ? Plusieurs conditions sont requises. La première est de provoquer un départ plus jeune à la retraite ou en préretraite pour dégager des postes de direction. Des limites d’âge pour les dirigeants ont ainsi été proposées. Mais il y a une contradiction entre l’allongement de l’âge de départ à la retraite et la volonté de précipiter des départs à la retraite plus tôt. La deuxième solution est de mettre au chômage les plus de 50 ou 55 ans ; c’est déjà le cas en France et les entreprises sont souvent tentées par cette perspective. Une autre possibilité toute théorique consisterait à déclasser des dirigeants ou des cadres de haut niveau, mais c’est évidemment peu imaginable – le P-DG redeviendrait, dans son entreprise ou dans une autre, un simple manager. La dernière solution est de rompre avec le principe de la file d’attente ou l’ancienneté, mais, pour accélérer les déroulements de carrière de certains cadres et les installer
rapidement au sommet des organigrammes, il faudrait ralentir significativement l’avancement d’autres cadres ayant plus d’expérience. Griller une file d’attente ne peut évidemment se faire sans une certaine injustice à l’égard de ceux qui attendent patiemment leur tour. On explique aux tout petits que faire la queue pour emprunter un toboggan vers un bac à sable est normal. Quelle que soit leur envie d’emprunter au plus vite le toboggan, il faut leur enseigner une règle majeure de la vie sociale sans laquelle le vivre ensemble se compliquerait sacrément : on attend son tour ! Les études et les statistiques montrent l’étendue des discriminations en raison du physique et du look dans la vie professionnelle et nous allons voir que les Français s’en font une idée précise. Certaines inégalités ou facteurs de discrimination sont à la mode ou sont considérés comme sérieux et sont sans cesse mis en évidence, d’autres sont constamment oubliés alors même que nous savons leur importance. La discrimination dont sont par exemple victimes les femmes à forte corpulence ou les hommes de petite taille n’émeut pas grand monde et cette question, pourtant si importante pour un grand nombre d’individus en France et en Europe, reste un sujet moins noble, moins légitime, moins urgent que d’autres. Lorsque les personnes ont vraiment le choix de mentionner les inégalités et les discriminations qu’elles constatent tous les jours, on obtient un panorama qui ne ressemble pas à celui que l’on tente de nous imposer !
Les principales discriminations selon les Français
En 2003, j’avais demandé à la Sofres de réaliser un sondage sur 64 l’importance des apparences dans le recrutement . Une immense majorité des Français indiquait que l’apparence comptait plus qu’avant. Inutile de dire que depuis la situation ne s’est pas améliorée. Les Français, qui étaient questionnés pour la première fois sur ces sujets, portaient un regard lucide sur le recrutement. À la question : « A-t-on les mêmes chances qu’un autre d’être embauché dans les cas suivant ? », 9 Français sur 10 répondaient qu’avoir plus de 50 ans était un frein et 8 sur 10 mentionnaient qu’avoir un physique peu agréable ou être handicapé réduisaient les chances d’embauche. Les trois quarts des répondants indiquaient que les obèses étaient défavorisés. Être d’origine maghrébine ou africaine était également un handicap pour 71 % d’entre eux et sembler homosexuel pour 44 %. Dans cette enquête, on observait une surprise : un piercing ou un tatouage était rédhibitoire pour 82 % des Français. Depuis 2003, ces pratiques se sont diffusées chez les plus jeunes. Pour autant les réactions des employeurs sont-elles devenues très différentes ? Pas beaucoup, car tatouages visibles et piercings restent rares chez les plus de 50 ans et chez les cadres 65. Les recherches sur les recrutements continuent de montrer que les tatouages ne sont pas du 66 tout appréciés des recruteurs. Ainsi, une étude sur les recrutements des enseignants aux États-Unis indique qu’être tatoué ou obèse est un véritable frein tandis qu’être gay ou musulman ne paraît guère importer aux yeux des directeurs d’établissement qui sélectionnent les futurs professeurs. Pourtant, 4 Américains sur 10 de moins de 30 ans sont tatoués, mais cela ne change rien à la perception des gens tatoués 67. Ceux-ci restent perçus par les Américains comme moins intelligents (27 % le pensent), rebelles (50 %) et susceptibles d’avoir 68 des comportements déviants (24 %) . Ainsi, le piercing et le tatouage sont peut-être entrés dans les mœurs, mais la tolérance
des recruteurs évolue peu. Les demandeurs d’emploi estiment euxmêmes qu’il est « acceptable » de refuser l’embauche à un candidat 69 ayant un tatouage visible (2 sur 3 le pensent) . De même, les Français prennent du poids et vieillissent, mais, pour les seniors ou les obèses, qui peut, sans rire, soutenir que leur situation est plus favorable à l’embauche aujourd’hui qu’en 2003 ? J’avais posé dans ce même sondage de 2003 une question permettant de mesurer le sentiment de discrimination à d’autres moments que l’embauche. Les résultats indiquent que les déroulements de carrière, l’évaluation, la détermination des salaires ou le licenciement n’obéissent pas à une simple logique de compétence et de performance. J’ai été surpris du niveau important des discriminations déclarées par les Français lors des différentes étapes de leur vie professionnelle. Depuis quelques années, les données statistiques collectées dans le monde entier ont confirmé ce que les Français ressentaient. La Sofres a ainsi repris les questions de ce premier sondage pour mener des comparaisons européennes. À la question : « Quels sont les critères qui peuvent désavantager les candidats à un emploi quand l’entreprise a le choix entre deux candidats de compétences et qualifications égales ? », voici comment répondent les Européens 70 : En Europe, on découvre que l’âge est bel et bien déterminant, au détriment des plus âgés. L’apparence joue aussi beaucoup en Europe et surtout en France, qu’elle soit vestimentaire ou physique. En France, l’apparence physique générale est jugée plus importante que le handicap. Par comparaison, l’orientation sexuelle, l’identité sexuelle, la jeunesse ou le sexe ne paraissent pas être des éléments si décisifs aux yeux des répondants. Si l’on en croit ce sondage, la crise de 2008 aurait, selon les Européens et surtout aux yeux des Français, fortement aggravé les discriminations des plus de 55 ans (8
Français sur 10 en sont convaincus). On ne sait pas ce que les Européens et les Français pensent des effets de la crise s’agissant du critère d’apparence physique (taille, poids, visage…) ou du look, car ces questions n’ont pas été posées. Dommage, puisque c’étaient des motifs cruciaux pour les répondants. Par contre, évidemment, on a demandé aux Européens si les transsexuels ou les jeunes de moins de 30 ans étaient plus discriminés depuis 2008 alors que ces discriminations paraissaient marginales…
Document 12. Perception des inégalités à l’embauche selon les Européens et les Français (réponses en %). (Graphique de l’auteur à partir des données de l’Eurobaromètre 2012.)
Les discriminations en raison de l’apparence physique, en particulier du poids et de la taille, sont croissantes, bien au-delà de l’augmentation du nombre de personnes en surpoids. Ces discriminations déclarées atteignent ou dépassent parfois celles qui concernent la couleur de peau par exemple. On observe également 71 cette évolution outre-Atlantique . Si on ne relevait que les plaintes ou les réclamations auprès du Défenseur des droits, on ne saisirait pas cette réalité, car la masse des victimes de discrimination en raison de l’apparence ne se manifeste pas. Il s’agit d’une majorité silencieuse et invisible ; les femmes obèses ou les hommes petits et fluets ne portent pas plainte. Les sondages d’opinion menés chaque année par la Halde et le Défenseur des droits auprès des salariés sont donc précieux pour se faire une idée plus juste des discriminations. Lorsque l’on questionne 72 l’ensemble des Français qui déclarent avoir été victimes de discrimination dans leur vie professionnelle en général – et pas seulement au recrutement, soit environ 30 % des Français salariés du privé ou du public –, on obtient le classement suivant : la plus importante discrimination rapportée par les victimes est le sexe (être un homme ou une femme) puis suivent, au même niveau, l’origine ethnique et l’apparence physique. À l’embauche, cette fois, pour les salariés, le pire est d’avoir plus de 55 ans, puis d’être une femme enceinte, en troisième lieu d’être obèse, ensuite 73
d’être handicapé ou encore d’origine étrangère .
Beaucoup d’inconvénients et bien peu d’avantages Lorsqu’on mesure des inégalités ou des discriminations, il est essentiel de tenir compte de deux réalités qui coexistent : on peut
être désavantagé dans sa vie professionnelle en raison d’une de ses caractéristiques (par exemple parce qu’on est une femme), mais avantagé dans d’autres circonstances pour cette même raison. Autrement dit, les discriminations peuvent opérer dans les deux sens pour un même critère. Dès lors, pour prendre la mesure exacte des discriminations, il faut examiner ces situations contradictoires. On s’aperçoit alors qu’une personne obèse n’est jamais avantagée lors de l’embauche, tandis qu’elle est très fréquemment désavantagée. Une femme au ventre rond parce qu’elle est enceinte n’a guère de chance d’en tirer bénéfice lors d’un recrutement. Si l’on calcule le « solde discriminatoire » (désavantage-avantage), voici quel est, selon l’opinion des salariés, l’ordre des discriminations dans les secteurs public et privé.
« De manière générale, à compétence égale, être Agents ………, est-ce plutôt un de la fonction avantage, publique plutôt un inconvénient, (%) ou ni l’un ni l’autre, pour être embauché ? »
Salariés du privé (%)
1. Une femme enceinte
80
81
2. Âgé(e) de plus de 55 ans
79
76
3. Une personne obèse
63
58
4. Une handicapée
personne
55
55
5. D’origine étrangère ou de nationalité étrangère
56
48
14. LGBT
28
24
15. Originaire des DOM-TOM
21
24
16. Une femme
25
16
17. Un habitant de zone rurale
19
15
...
18. Jeune
– 19 (soit un – 26 (soit un avantage pour les avantage pour les jeunes) jeunes)
Document 13. Atouts et inconvénients lors des embauches selon les salariés. Personne ne pense qu’être enceinte est un avantage à l’embauche, et 80 % des Français pensent que cette situation est plutôt un inconvénient. (Calculs de l’auteur à partir du sondage Défenseur des droits-Ifop, février 2014.)
Pour être embauché, être jeune est donc plus un avantage qu’un inconvénient. Pour 44 % des salariés du privé, être jeune est un avantage et ce n’est un problème que pour 18 % d’entre eux. Cela
n’a pas empêché le Défenseur des droits de faire en 2014 un focus… sur les jeunes – et pas sur une autre variable –, alors qu’il s’agit justement du seul groupe faisant visiblement l’objet d’un traitement plutôt bienveillant de la part des employeurs. Mais pour les obèses, les personnes handicapées ou malades et les seniors, les Français n’ont pas le même sentiment. Pour eux, c’est surtout, et de loin, un sacré handicap dans la vie professionnelle. Pour les obèses, la progression de la discrimination entre 2013 et 2014 a été considérable aussi bien dans le public que dans le privé. Le « solde discriminatoire » augmente de 10 points entre 2013 et 2014 et on note une nette dégradation s’agissant du handicap également. Mais, s’il est intéressant de connaître le ressenti des salariés, quid des chômeurs en recherche d’emploi ?
Que disent les demandeurs d’emploi ? Pour la première fois en 2013, le Défenseur des droits a enfin interrogé les demandeurs d’emploi qui sont les premiers à être confrontés aux réalités du recrutement dans notre pays. Le résultat a été un véritable choc. L’apparence physique est apparue comme le tout premier motif de discrimination déclaré par les victimes. Le Défenseur des droits et le représentant du BIT à Paris ont d’abord tenté d’expliquer que cela montrait que le look des jeunes de banlieue était un facteur de discrimination. La ficelle était un peu grosse et l’année suivante il a bien fallu que le Défenseur des droits admette que, par exemple, l’obésité était réellement un motif de discrimination concernant beaucoup de demandeurs d’emploi. Cela a mis fin à une longue période de déni concernant la discrimination sur l’apparence physique. Finalement, en 2016, le Défenseur des droits a fait dans
son sondage annuel un focus sur la discrimination en raison de l’apparence physique, il était temps. Ainsi, 83 % des femmes et 76 % des hommes demandeurs d’emploi pensent que leur apparence physique a une influence sur le recruteur, alors que pour une majorité d’entre eux leur apparence n’est pas importante pour le métier qu’ils 74 recherchent . Le Défenseur des droits précise de manière étonnante : « Selon les résultats de cette étude, près de quinze ans après son introduction dans la loi et alors que la jurisprudence est encore rare, le critère de l’apparence physique apparaît bien comme un critère à part entière qui a pleinement sa place parmi les motifs de discrimination juridiquement prohibés. » Cela ne va-t-il pas de soi ? Le tableau suivant donne une bonne vision des problèmes réels auxquels sont confrontés les demandeurs d’emploi qui s’estiment avoir été discriminés.
Motifs de discrimination selon les demandeurs d’emploi qui en sont victimes (%) Âge
35
Apparence physique
25
Statut de chômeur
20
Origine
20
Être un homme/une femme
19
Lieu d’habitation
16
Situation de famille
12
Handicap
11
Situation de pauvreté
9
Convictions religieuses (exemple : port du voile)
6
Orientation sexuelle
4
Opinions politiques
2
Activités syndicales
2
Situation de grossesse
2
Identité sexuelle transsexualité)
(c’est-à-dire
votre
1
Document 14. Les discriminations vécues par les demandeurs d’emploi. Le total est supérieur à 100, car les répondants pouvaient évoquer plusieurs motifs. (Source : tableau de e
l’auteur à partir de Défenseur des droits-Ifop-OIT, 8 discriminations au travail, février 2015.)
Baromètre sur la perception des
Si, pour l’ensemble des demandeurs d’emploi, le paraître compte beaucoup, qu’en est-il pour ceux qui sont très diplômés ? Si le capital érotique d’une hôtesse du salon de l’automobile est un critère d’embauche, en est-il de même pour sa DRH ?
Marché des cadres : le concours de beauté Pour être embauché en France, lorsqu’on est cadre, une enquête de l’Apec (Association pour l’emploi des cadres) de 2012 nous apprend ceci : mieux vaut ne pas oublier de joindre une photo, de préférence flatteuse – c’est jugé « indispensable » pour 20 % des entreprises qui recrutent des cadres. Et il faut naturellement indiquer son âge qui est un élément important de choix pour la majorité des entreprises. Les cadres qui cherchent un job le savent bien, mentionner ses diplômes et ses expériences est loin d’être suffisant. 9 cadres sur 10 qui recherchent un emploi déclarent que la date de naissance doit absolument figurer sur un CV. Les trois quarts de ces mêmes cadres pensent qu’il faut mettre une photo. Et les jeunes diplômés sont encore plus convaincus que la photo est essentielle. L’adresse, la situation matrimoniale et le nombre d’enfants paraissent également des informations incontournables à mentionner pour avoir des chances de décrocher un emploi. À l’évidence, les candidats ne se font pas d’illusions sur les critères de sélection à l’embauche. Quand on demande d’ailleurs aux cadres de citer les discriminations à l’embauche qui leur paraissent les plus fréquentes (souvent ou très souvent), ils indiquent l’âge (84 %), la grossesse (80 %) puis l’apparence physique (74 %). Il est tout de même étrange que la trombine soit un élément essentiel de sélection des cadres alors qu’a priori leurs diplômes et leurs expériences devraient suffire. Entre la sélection sur critère physique des hôtesses du salon de l’automobile et le tri de CV des cadres, la différence est moins grande qu’on le croit.
Selon vous les discriminations cidessous sont-elles fréquentes ?
Souvent ou très souvent (%)
Âge
84
Grossesse
80
Apparence physique
74
Origine ethnique
69
Nationalité
68
Handicap
64
Nom, prénom
60
État de santé
60
Sexe
57
Activités syndicales
50
Adresse (quartiers sensibles)
48
Situation familiale
45
Religion
28
Orientation sexuelle
24
Opinions politiques
16
Document 15. La perception des discriminations à l’embauche par les cadres demandeurs d’emploi. (Tableau de l’auteur d’après l’Apec, 2012.)
Non seulement les demandeurs d’emploi mentionnent les détails de leur état civil sur leur CV, car ils connaissent les exigences des employeurs, mais ils sont aussi interrogés sur ces aspects par les recruteurs. Lors des entretiens d’embauche, les candidats sont avant tout questionnés sur leur âge. C’est la question numéro 1 : 81 % des demandeurs d’emploi (cadres et non-cadres) sondés en 2013 par l’Ifop pour le défenseur des droits ont eu droit à cette question alors que leur CV précisait déjà leur date de naissance.
Un autre sondage, réalisé chaque année par le Medef et la Sofres auprès des Français et de salariés de certaines grandes entreprises depuis 2012, a révélé aux responsables « diversité » de ces firmes que l’apparence physique était un facteur majeur de discrimination lors de l’embauche, mais aussi dans les évolutions professionnelles et dans le quotidien des salariés. On apprend que pour des postes en contact avec la clientèle, le poids est un critère de recrutement important pour 47 % des salariés, la beauté pour 46 % et la couleur de peau pour 24 %. C’est vrai aussi pour les postes pourtant sans contact direct avec les clients : le poids est décisif pour environ un quart des répondants, tandis que la beauté et la couleur de peau 75 comptent pour un cinquième . Coup sur coup entre 2012 et 2013, le Défenseur des droits, l’Apec et le Medef ont dressé le même constat : le physique est déterminant. Est-on enfin en train de sortir d’une longue ignorance du problème ? Ce n’est pas certain. L’AFMD (Association française des managers de la diversité) qui a totalement oublié la diversité des apparences pendant des années a fini par l’évoquer, mais les entreprises membres de cette association continuent néanmoins à recruter sans rendre anonyme les candidatures, de sorte que l’apparence physique reste un critère clef des embauches (photos sur les CV, CV vidéo, consultation d’Internet pour trouver des images, entretiens en face à face). Est-il utile de distribuer des guides pour sensibiliser aux discriminations dues aux apparences en ne changeant rien aux pratiques de recrutement dans lesquelles la trombine et la silhouette sont aussi déterminantes ? On le voit, être jeune, avoir une belle gueule, avoir la ligne et être grand c’est assurément trouver plus facilement un travail et c’est également gagner davantage. Cette réalité est encore plus flagrante, nous l’avons vu, s’agissant des postes en contact avec la clientèle,
mais les employeurs qui font de tels choix et sont dans l’illégalité en France ont-ils économiquement raison ? Il y a des cas où un autre raisonnement pourrait être tenu sans que la catastrophe annoncée ne se produise.
Qu’est-ce qui plaît réellement au client ? Les ventes et la satisfaction du client peuvent-elles résister et même être meilleures alors qu’un vendeur au handicap visible ou senior est face aux clients ? Pour le savoir, j’ai imaginé et piloté deux études originales : comment réagissent des clients de La Poste et de SFR qui passent dans des bureaux et des magasins et sont servis par des personnes ayant un handicap visible ? Les clients interrogés avaient été en contact avec un guichetier ou vendeur, « valide » dans certains cas, « handicapé » dans d’autres. Ils ignoraient l’objet réel du questionnaire et pensaient avoir à faire à une banale enquête de satisfaction. Nous avons fait passer des questionnaires à environ 2 800 clients et il s’avère que les clients étaient plus satisfaits des vendeurs au handicap visible et plus satisfaits du service en boutique ou dans leur bureau de poste 76. Chez SFR, dans une enquête similaire, je me suis aussi demandé si un vendeur senior « passait » bien auprès des clients parisiens ou du quartier d’affaires de la Défense. La conclusion, ici encore, est que les clients sont aussi satisfaits qu’avec des vendeurs beaucoup plus jeunes. Mieux encore, les jeunes clients n’avaient rien contre les vendeurs seniors. Ce qui importe pour le client, c’est finalement la compétence et l’amabilité du vendeur. Que l’on refuse l’embauche à un senior, à une personne un peu grosse, ou qui a le visage brûlé ou déformé à la suite d’un AVC, ou
encore qui a eu le malheur d’avouer son handicap n’est pas moins important ou plus admissible que de refuser un emploi à quelqu’un parce qu’il est de couleur noire. Il est déconcertant que les pouvoirs publics continuent à privilégier en 2016 les actions de sensibilisation ou de mesure sur le seul critère des origines : appel à témoignage du Défenseur des droits pour les jeunes demandeurs d’emploi victimes de discrimination en raison de leurs origines (mars) ; testing national à l’embauche de 2016 du ministère du Travail ; campagne d’affiches (avril)…
4
Quels droits pour les exclus du paraître ?
Les lois « antilaids » Aux États-Unis, jusqu’aux années 1970, il existait des « Ugly 1 Laws » dont l’objectif était d’écarter de l’espace public des individus jugés choquants par leur laideur. Celle de Chicago ou de Paris… dans l’Illinois 2 prévoyait ainsi des amendes pour ceux qui déambulaient en ville ou fréquentaient des lieux publics et qui étaient laids, c’est-à-dire « malade, estropié, handicapé ou difforme de quelque manière que ce soit au point d’être disgracieux, d’être un répugnant objet ou d’être simplement impropre à être visible des autres ». Ces lois avaient pour but de rendre invisible la pauvreté et le handicap dans l’espace public, autrement dit de « faire disparaître » de l’espace public les handicapés, les très laids, les mendiants. Les arrêtés antimendicité pris dans plusieurs communes en France ne sont pas sans rappeler ces textes antilaids. En effet, depuis le début des années 1990, la mendicité est légale, sauf si elle est notamment agressive. C’est pourquoi des arrêtés antimendicité
sont annulés par les juges administratifs. Apparaître pauvre dans l’espace public n’est pas interdit. Et ATD-Quart Monde a voulu montrer comment les jugements sur l’apparence vestimentaire excluaient les pauvres de l’espace public. Une famille pauvrement vêtue achète des tickets et commence à visiter le musée d’Orsay avant d’en être rapidement expulsée par les gardiens. Ce n’est pas, en tant que telles, la pauvreté ou la situation économique de ces personnes qui est en cause, mais bien leur apparence de SDF. On est tout de même bien loin des Ugly Laws américaines. L’époque est plutôt à une protection de ceux qui sont discriminés en raison de leur apparence, même si cette protection est encore balbutiante et très inégale selon les pays. Les discriminations envers les personnes aux visages disgracieux, les personnes trop petites ou encore trop grosses sont fortes et croissantes ; pourtant, rares sont les pays où celles-ci sont reconnues dans la loi. Aux États-Unis, comme en Europe, des masses d’individus sont quotidiennement victimes de discriminations en toute légalité – c’est le cas des personnes obèses en particulier. En France, alors que nous avons un droit d’avant-garde sur ce sujet (l’apparence physique figure parmi les motifs de discrimination), celui-ci est loin d’être effectif et nous avons même fait machine arrière en août 2015 en abrogeant la loi sur le CV anonyme (une loi de 2006, jamais mise en application, rendait anonymes les candidatures et supprimait donc les photos sur les CV). Mais cela ne semble pas choquer grand monde, tant les questions de genre, de race ou d’orientation sexuelle paraissent les seuls sujets dignes d’intérêt.
La France seule au monde avec la loi de 2001
En 2005, la Haute Autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité est mise en place en France – elle est aujourd’hui remplacée par le Défenseur des droits. C’est à partir de cette date que la lutte contre les discriminations de toutes sortes va prendre un peu de consistance. En effet, avant cette date, peu de discriminations, en dehors de la discrimination des militants syndicaux, étaient reconnues par les tribunaux et sanctionnées. Et, parmi les motifs de discrimination dont la toute nouvelle Halde a la charge, on trouve un thème original que la France est la seule à avoir retenu : l’apparence physique (la loi ne précise rien de plus, mais on peut penser que sont notamment concernés la taille, le poids, la silhouette, les formes des visages, la peau, les cheveux). Peu de temps avant la création de la Halde, la loi de 2001 avait en effet prévu ce motif pour les seuls phénotypes et couleurs de peau. À cette date, on n’imaginait pas que le texte s’appliquerait plus tard au poids ou à la taille. Mentionner l’apparence physique est particulièrement novateur et important même si peu de Français le savent. La France fait figure d’exception dans le monde en ayant inclus l’apparence physique dans la liste des motifs de discrimination. Las, ce droit reste encore largement ignoré ; en témoigne le faible nombre de réclamations sur ce sujet auprès du Défenseur des droits et le petit nombre d’affaires jugées. Les textes internationaux (textes européens, textes de l’ONU, de l’OIT) ne mentionnent, eux, jamais l’apparence physique. La 3 convention de l’OIT en matière d’emploi a, de longue date, dressé une courte liste de motifs de discrimination (race, couleur, sexe, religion, opinion politique, ascendance nationale, origine sociale). Ce texte est le plus important au plan international car il s’impose dans tous les pays. Ni l’âge, ni le handicap, ni l’apparence physique ne sont
néanmoins indiqués – même si certains aspects de l’apparence sont implicitement présents, car susceptibles de provoquer une autre discrimination, par exemple sur la religion (porter un signe religieux comme un foulard) ou sur les origines (être de couleur de peau noire). Dans de nombreux pays, la législation ne reconnaît pas les discriminations en raison du physique. Elle ne reconnaît pas non plus celles liées à l’âge. Aux États-Unis, malgré de fortes discriminations touchant les seniors, la Cour suprême continue de raisonner bien différemment que pour la race, le sexe, la nationalité, la religion ou les orientations sexuelles. Et l’apparence physique n’est pas une discrimination reconnue dans la législation en dehors de très rares exceptions locales. Une employée d’un fast-food de l’Alabama, au visage défiguré, s’est ainsi vue refuser une promotion comme manager ; on lui a expliqué qu’elle risquait de « faire pleurer les bébés et d’effrayer les clients ». Ce n’est qu’en soutenant qu’elle avait un handicap qu’elle a eu une chance de faire reconnaître cette discrimination. De même, à partir de 2009, les obésités morbides ont fini par être assimilées à un handicap, mais pas le surpoids ou une simple obésité. En dehors des caractéristiques phénotypiques – la « race » et l’« ethnie » si chères aux Américains –, le physique n’est quasiment jamais abordé. L’État du Michigan fait figure d’exception en ayant explicitement mentionné la taille et le poids dans les motifs de discrimination. Les autres aspects de l’apparence physique ne sont toutefois pas évoqués, sauf s’ils relèvent de la couleur de peau ou du phénotype (la race), de l’âge ou du handicap. Et très rares sont les villes américaines (district de Columbia, Santa Cruz, Madison, Urbana, Howard County, San Francisco) qui ont une législation protégeant les personnes, en particulier au travail, contre les discriminations du fait
de leur taille et de leur poids. Ni dans ces villes ni dans le Michigan les autres aspects de l’apparence physique, hormis la taille et le 4 poids (le visage, par exemple), ne sont indiqués . En comparaison, plus de 40 % des Américains sont protégés par des dispositions locales (États et villes) contre des discriminations liées à leur orientation ou à leur identité sexuelles. Pourtant reconnaître, en droit, les discriminations selon l’apparence est un enjeu important pour les femmes, comme le soulignent certaines féministes américaines comme la professeure de droit de Stanford, Deborah Rhode. Certes les violences domestiques ou les viols sont d’une autre importance, mais, explique-t-elle, ce n’est pas une raison pour ne pas légiférer comme cela a été fait s’agissant de la question raciale 5. Les femmes sont en effet les principales victimes des discriminations au physique. À Salt Lake City (Utah), en 2013, un élu républicain propose que l’on ajoute la taille et le poids à la liste des motifs de discrimination. Dans la salle où ont lieu les auditions de ceux qui souhaitent cette 6
nouvelle loi et des victimes de discrimination, les rires fusent . Finalement, le projet d’inclure taille et poids dans les motifs de discrimination sera rejeté par 10 voix contre 4. Les élus opposés à cette modification de la loi expliquent que l’on ne peut pas définir assez objectivement ces variables qui seraient un ressenti. On s’en doute, l’argument est souvent avancé lorsque l’on parle de l’apparence physique en général (un visage est-il laid et repoussant ?), mais il est infiniment plus objectif de définir un IMC et de le mesurer que de statuer sur la plus ou moins grande beauté. Quant à la taille en centimètres, elle permet bel et bien de distinguer le sort des femmes de plus de 1,70 mètre qui plairont à l’accueil ou de celui des moins de 1,50 mètre qui en seront écartées. D’ailleurs, lorsque le critère de taille en centimètres est utilisé comme critère de sélection des militaires ou des hôtesses de l’air, il est très précis. Par
ailleurs, toutes les législations prévoient que la « race » est un motif de discrimination alors même que cette notion n’existe pas scientifiquement, que les couleurs de peau et les phénotypes sont extrêmement variés et que la race est souvent un simple ressenti… Les préjugés et les injures racistes ou bien liés à la couleur de la peau ou à l’appartenance à une ethnie sont nombreux et ont été très étudiés. Mais il faut se garder de simplifier cette question. Dès le plus jeune âge, en effet, des différences de traitement apparaissent non seulement entre Noirs et Blancs, mais aussi entre enfants de couleur noire. Si les parents aiment leurs enfants, quels qu’ils soient, leur apparence, en l’occurrence la teinte de leur peau, joue néanmoins. Ainsi, on a constaté que, comparés à leurs frères et sœurs qui ont la 7 peau plus claire , les enfants dont la peau est plus foncée reçoivent beaucoup moins d’aide de leurs parents. Quand ils sont plus grands, les inégalités qu’engendre leur pigmentation s’accentuent. On estime ainsi que les Noirs qui ont une couleur très foncée sont 11 fois plus discriminés que ceux qui ont une peau noire plutôt claire 8. En se fondant sur une échelle de teinte de peau (voir ci-dessous), on a constaté que les personnes noires qui ont la peau très noire font une moins bonne carrière que ceux qui sont tout aussi noirs, mais qui ont 9 une peau plus claire . Le plus frappant est que la distinction si fréquente entre Noirs et Blancs est elle-même simplificatrice. En effet, les personnes qui se déclarent elles-mêmes noires ont des peaux très différentes. Lorsqu’on demande à des observateurs de dire quelle est la couleur de peau d’une personne « noire » ou « blanche » le spectre des couleurs est plutôt large. Ainsi, en utilisant l’échelle ci-dessus, comment se répartissent les couleurs de peau des Noirs et des Blancs ?
Document 1. Une échelle des couleurs de peau blanche ou noire. (Source : D. S. Massey, J. A. Martin, The NIS Skin Color Scale, 2003.)
Le résultat est le suivant : pour les Noirs, les réponses se répartissent du plus blanc au plus noir, soit de 1 à 10, et pour les Blancs elles varient moins, mais un peu tout de même, de 1 à 4. Lorsqu’on détermine la couleur de peau avec un spectromètre (selon la réflexion de la lumière) les variations sont tout aussi importantes 10.
Document 2. Couleur de peau des personnes noires et blanches aux États-Unis. (Source : graphique de l’auteur à partir de D. Kreisman, M. A. Rangel, « On the blurring of the color line : Wages and employment for black males of different skin tones », The Review of Economics and Statistics, vol. XCVII, mars 2015.)
Lorsqu’on s’intéresse aux effets des origines nationales, aux discriminations en raison des « ethnies » ou au racisme, on ne peut donc pas se dispenser de se demander quels sont les teintes de la peau, les couleurs et les types de cheveux, la couleur des yeux et les traits des visages – en un mot le « phénotype ». Sauf à vouloir simplifier la réalité, il faut accepter de considérer que les apparences physiques des « minorités visibles » varient suivant un continuum : de la même façon que l’on est plus ou moins gros, que l’on a un visage plus ou moins juvénile ou masculin, on a plus ou moins telle pigmentation ou tel type de cheveux. Cette variété n’empêche pas que nous puissions bien souvent dire au quotidien, par approximation, d’une personne qu’elle est « noire », « blanche » ou « arabe ». En revanche, le fait de classer la population selon une supposée « race » ou même une ethnie (hispanique ou moyenne-orientale par exemple) pose de redoutables problèmes. On oblige dans un recensement les personnes à décider d’un groupe auquel elles appartiendraient (« Noir » par exemple) alors qu’elles n’en sont pas certaines ou ne souhaitent pas un tel classement. Surtout, alors que les individus diffèrent par de multiples caractéristiques physiques, le fait de ramener ces différences à des catégories aussi sommaires que les Noirs, les Blancs, les Arabes ou les Asiatiques n’est ni plus ni moins qu’une variante du racisme. Par ailleurs, comment séparer le look d’un individu de sa couleur 11 de peau ou de son phénotype ? Dans une célèbre expérience , on a demandé à des répondants si des personnes dont ils voyaient des photos étaient noires ou blanches et on a constaté que si un « Noir » portait un costume et une cravate, il semblait plus « blanc » que s’il était habillé de manière plus décontractée ! En somme, le statut social qui est déduit de la tenue modifie la perception de la couleur de peau…
Bien souvent, on ne réalise pas que divers signaux du statut social ou des origines vont être interprétés. Par exemple, les études par envoi de CV fictifs à des employeurs utilisent quasiment toujours des noms et prénoms évocateurs d’une origine nationale. Or on s’est ainsi aperçu aux États-Unis que c’est le prénom par exemple et finalement 12
le statut social qui y est attaché qui importent . En France j’ai constaté en faisant un test en 2005 que la discrimination à l’embauche était nettement moindre, même si elle demeurait, lorsqu’un candidat noir avait un nom et un prénom traditionnels en France et lorsque sa couleur de peau était plutôt claire 13 – les candidats noirs avaient été castés par une société spécialisée parmi des acteurs professionnels et j’avais retenu délibérément un candidat d’origine antillaise à peau claire.
Document 3. Moins noir avec un costume et une cravate ! (Source : J. B. Freeman et al., « Looking the part : Social cues shape race perception », PLoS ONE, 2011, o
vol. 6, n 9. © 2011, Freeman et al.)
Pour les hommes et les femmes, les catégorisations et les jugements à partir du look et des corps portent aussi sur l’orientation sexuelle supposée. Dans la mesure où celle-ci n’est pas toujours connue, notamment au travail ou lors d’une première rencontre, les paris sur les orientations sexuelles sont une pratique courante. Dans un sondage Sofres dont j’avais élaboré le questionnaire, je demandais aux Français s’ils pensaient que des discriminations pouvaient provenir de l’allure « féminine » d’un homme. La question peut sembler curieuse, n’est-ce pas une vision stéréotypée de l’homosexualité ? En réalité, les jugements, moqueries et injustices
vis-à-vis des homosexuels apparaissent souvent parce que l’apparence physique et vestimentaire envoie un signal d’orientation sexuelle. On peut paraître gay ou lesbienne et, si les erreurs sont évidemment nombreuses, les jugements vont bon train. Les universitaires s’accordent pour considérer que les signaux en question 14
sont interprétés avec une certaine acuité . Les chercheurs en sont venus à considérer que lorsqu’on se penche sur les discriminations, il faut surtout examiner le sort de ceux qui paraissent gays aux yeux des autres plutôt que la situation de ceux qui sont homosexuels sans que cela se voie 15. Les pratiques sexuelles, les partenaires, les loisirs et les amitiés qui forgent l’identité n’ont guère d’importance en 16 comparaison du look gay . Nous jugeons tous également en un éclair de temps – selon l’habit, la coupe de cheveux, le corps (taille, poids, rapport taille/hanche, musculature), la démarche ou la manière de danser – si l’on est en présence d’une femme ou d’un homme 17. La voix ou le prénom ne sont pas nécessaires. Toutefois, cette opération de classement, qui semble si banale, est devenue complexe. En effet, ce que révèle une apparence, c’est en général ce que l’on peut appeler le « genre » d’un individu. Porter une jupe et des hauts talons au travail correspond peu au code vestimentaire des hommes : on paraît être une femme. Mais les codes sociaux d’apparence évoluent en brouillant les normes traditionnelles – qu’on pense aux cheveux courts ou bien longs. En outre, les personnes transgenres et transsexuelles sont de plus en plus nombreuses. Pourtant, dans tous les pays du monde, on continue à distinguer simplement les femmes et les hommes, et les inégalités sont bien connues entre les sexes. Or cette vision est simplificatrice : les femmes ne se ressemblent pas toutes, et les différences entre elles peuvent être considérables : l’une sera
obèse, l’autre âgée, une troisième aura un look et des traits masculins… Il est une autre forme de discrimination et d’acte violent que la simple apparence déclenche. La tenue est en effet l’information principale permettant la détermination de l’appartenance religieuse, ainsi que l’intensité et la nature de la pratique. Le port de signes religieux est devenu un enjeu d’une importance croissante et la régulation de cette question « vestimentaire » un objet de débat majeur. Ici encore le débat est crucial, mais parfois simplifié. Il existe en effet une certaine complexité des signes religieux qui forment un continuum selon la pratique de chacun (qu’on pense aux formes variées de foulards par exemple). Le racisme, le sexisme, l’homophobie, l’antisémitisme ou encore l’islamophobie sont des phénomènes répandus et bien connus. Avoir l’air gay, sembler plutôt noir, être une bimbo, paraître juif ou musulman comptent beaucoup, mais le classement que chacun opère en regardant les autres individus n’est pas si fiable. Les personnes se classent elles-mêmes parfois avec peine et changent d’avis. La subjectivité est plus grande qu’on ne le croit souvent. À défaut d’être reconnus dans les textes des villes et des États, ces critères d’apparence physique sont-ils pris en considération par les entreprises ? C’est important de se poser la question, car, aux États-Unis comme dans d’autres pays, les firmes prennent souvent des engagements, signent des chartes et obtiennent des labels qui créent des contraintes plus ou moins fortes. Ce « droit mou » permet par exemple à la discrimination en raison des orientations sexuelles d’être prohibée dans 90 % des très grandes entreprises du Fortune 18
500 alors qu’au niveau fédéral rien n’est écrit à ce propos . Récemment, le gouvernement fédéral, sans mentionner que la discrimination en raison des orientations sexuelles est interdite, a tout
19
de même avancé. Depuis le 8 avril 2015 , tous les fournisseurs (et leurs propres fournisseurs) du gouvernement américain (soit 20 % de la main-d’œuvre) doivent garantir qu’ils ne discriminent pas en raison de l’orientation sexuelle (au même titre que la race, la couleur, la religion, le sexe, l’identité de genre et l’origine nationale). En Australie, dans l’État de Victoria, l’apparence physique (taille, poids, modifications corporelles) fait bien partie des motifs de discrimination prévus dans l’Equal Opportunity Act depuis 1995, mais les autres États australiens continuent à autoriser les discriminations dues aux apparences. Comme aux États-Unis, les dispositions relatives au physique restent l’exception. En Grande-Bretagne où la lutte contre les discriminations a été très en avance par rapport à la France, on a légiféré sur le sexe en 1975 et sur la race en 1976, mais, pour le handicap, il a fallu attendre 1995 et l’apparence 20 physique n’est toujours pas reconnue …
2014 : l’Union européenne opère un virage Jusqu’en 2014, le droit européen de la discrimination ne prenait pas davantage en compte l’apparence physique. Une directive de l’Union européenne 21 établit un cadre général pour lutter contre les discriminations en matière d’emploi et de travail. En vertu de cette directive, les discriminations fondées sur la religion, les croyances, le handicap, l’âge ou l’orientation sexuelle sont interdites dans le domaine de l’emploi. Mais si handicap et âge sont bien prévus, l’apparence physique n’est toujours pas mentionnée. Sa reconnaissance comme facteur possible de discrimination fait un gigantesque bond en avant avec une décision de la Cour de justice de 22 l’Union européenne le 18 décembre 2014 .
Karsten Kaltoft est un homme qui travaille depuis quinze ans pour la municipalité de Billund au Danemark en qualité d’assistant maternel où il est chargé de garder des enfants chez lui. Le 22 novembre 2010, la municipalité met fin à son contrat de travail. Selon le plaignant, le motif serait son obésité importante. La question posée par les juges danois est de savoir si cette obésité peut être un motif prohibé de licenciement (à supposer que ce soit la véritable raison du licenciement, car son employeur avance des réductions d’activité). Le Danemark, contrairement à la France, ne prévoit pas que l’apparence physique (taille et poids en l’occurrence) soit un motif prohibé de licenciement. Toutefois, les juges européens ont considéré que l’obésité pouvait constituer un « handicap » au sens de la directive européenne relative à l’égalité de traitement en matière d’emploi. Le point important, dans cette décision de justice, est que l’obésité est traitée comme un handicap non en raison des problèmes de santé associés, mais en tant que telle. La notion de « handicap » au sens de la directive européenne doit être entendue comme visant une limitation, résultant notamment d’atteintes physiques, mentales ou psychiques durables, dont l’interaction avec diverses barrières peut faire obstacle à la pleine et effective participation de la personne concernée à la vie professionnelle. La Cour de justice souligne que cette notion doit être entendue comme ne visant pas uniquement une impossibilité d’exercer une activité professionnelle, mais également une gêne à l’exercice d’une telle activité. Surtout, les juges estiment que les raisons pour lesquelles un individu est en situation de handicap ne doivent pas être prises en considération – peu importe que la personne porte une responsabilité dans cette situation (son régime alimentaire peut-être), peu importe que la prise de poids ne soit pas irréversible. Cette décision européenne a permis de faire avancer en
Europe le droit de la discrimination, ce qui est d’autant plus indispensable que la France est restée seule à inclure l’apparence physique dans les motifs de discrimination. Il est évident que les autres aspects de l’apparence physique (taille, visage, silhouette…) seront inévitablement abordés exactement de la même manière par les juges européens.
Des CV bien différents selon les pays Les règles nationales sont encore très variables même si, nous l’avons vu, une harmonisation se dessine lentement aux États-Unis et en Europe. Pour les embauches, il est plus ou moins courant et légal de s’appuyer sur la plastique des candidats pour les choisir. Dans certains pays, l’habitude a été prise de tout raconter, ou presque, dans son CV et la loi se garde bien d’intervenir pour l’empêcher. Par exemple, aux Philippines, le CV de base comporte une photo, le sexe et l’âge, ce qui est classique, mais aussi des informations comme la taille, le poids, le pays de naissance, les noms et profession des deux parents, la situation matrimoniale et le nombre d’enfants, la religion, etc. En Malaisie, photo, race, religion et même état de santé physique ou mental figurent, entre autres, sur les curriculums. Et ce n’est pas que pour les emplois peu qualifiés, de l’accueil et de la vente que ces informations sont exploitées, mais pour tous les jobs. À l’opposé de ces pratiques, d’autres nations ont des législations qui limitent beaucoup les informations que les employeurs ont le droit de demander, de recueillir et d’exploiter, pour prendre leurs décisions d’embauche. Aux États-Unis et au Canada, il n’est pas d’usage de mettre une photo et les employeurs ne les demandent surtout pas. En effet, ils pourraient aussitôt être accusés d’avoir utilisé cette image
du candidat pour écarter par exemple un candidat noir. L’âge ne doit pas être mentionné, pas plus que le sexe. La situation matrimoniale ne figure pas non plus, pas plus que la religion ou les hobbies. Naturellement, aucune mention des caractéristiques physiques n’est indiquée non plus (mensurations par exemple). Seul le nom et l’adresse du candidat sont fournis. Tout le reste du CV traite des diplômes, des expériences et des compétences acquises, ce qui est l’essentiel, on en conviendra. Les candidats de couleur noire sont ainsi protégés contre les discriminations au stade du tri des CV. L’usage des réseaux sociaux et d’Internet est d’ailleurs assez délicat pour les recruteurs américains car le risque existe d’être accusé de sélectionner à la tête du client en fonction de critères illégaux. En Europe, les pratiques et les lois varient s’agissant des CV. En Allemagne, la loi interdit aux employeurs de demander des photos dans les annonces, mais ils reçoivent en général des CV qui comportent des photos. En Suède, aux Pays-Bas en Irlande, en Grande-Bretagne, il n’est pas habituel de mettre des photos sur les CV. La Commission européenne s’est efforcée d’harmoniser les CV en proposant deux modèles (qui diffèrent par le nombre 23 d’informations sur l’état civil du candidat) , traduits dans toutes les langues. Ces curriculums ne comportent jamais de photo (et aucune information à caractère personnel comme la situation matrimoniale, le nombre d’enfants, la religion, etc.). L’un des deux modèles proposés ne comporte pas non plus l’âge et le sexe des candidats. En France, la loi n’interdit pas aux employeurs de demander l’âge, le sexe ou la photo des candidats et ils ne s’en privent pas. Les candidats vont évidemment au-devant de cette pressante demande. Il existe bien un article du Code du travail qui interdit aux employeurs de demander ou de rechercher des informations qui sont sans rapport avec les exigences de l’emploi à pourvoir, mais cette disposition est
restée sans effet. En principe, donc, « les informations demandées, sous quelque forme que ce soit, au candidat à un emploi ne peuvent avoir comme finalité que d’apprécier sa capacité à occuper l’emploi proposé ou ses aptitudes professionnelles. Ces informations doivent présenter un lien direct et nécessaire avec l’emploi proposé ou avec l’évaluation des aptitudes professionnelles » (article L.1221-6 du Code du travail). Combien d’employeurs pourraient expliquer pourquoi ils ont besoin de la photo des candidats ou de leur âge ? En quoi la tête ou la date de naissance de quelqu’un serait-elle une information ayant un rapport avec les exigences du poste de comptable à pourvoir ? La trombine, est-ce une compétence, et un recruteur peutil le justifier ? Une analyse des visages et de la tenue est-elle réalisée et, dans ce cas, laquelle ? Comme me l’expliquait un DRH, pourquoi obliger au CV anonyme puisque, si l’on applique cet article du Code du travail, il est déjà illégal de traiter des informations sans rapport avec l’emploi comme une photo ou un patronyme ? Le problème est que cette disposition légale est restée lettre morte. La pratique française est donc bien différente de la norme nordaméricaine et les photos y sont monnaie courante. En 2015, il a fallu décider si la France jugerait enfin obligatoire le CV anonyme, c’est-àdire la suppression des photos, mais aussi du nom et de l’adresse, rendant ainsi impossible la recherche sur Internet des photos de candidats. C’est l’inverse qui s’est produit et la France a opté pour une position très libérale en ce domaine.
CV anonyme : le retour à la case départ Pour les trois quarts des salariés, la première mesure la plus efficace pour lutter contre les discriminations est d’« instaurer des
procédures de recrutement fondées sur des critères objectifs, par exemple les recrutements par mise en situation » (sondage Ifop/Défenseur des droits, 2014). Les demandeurs d’emploi, qui sont les plus directement concernés par les freins à l’embauche, pensent qu’il faudrait avant tout « rendre obligatoire le CV anonyme dans les entreprises d’au moins 50 salariés » – 7 chômeurs sur 10 le déclarent 24
(sondage Défenseur des droits-Ifop, 2015) . Quand on demande aux cadres en recherche d’emploi (sondage Apec, 2012) ce qu’ils souhaiteraient pour éviter les discriminations, ils citent également des méthodes de recrutement objectives. Pour les cadres, les techniques qui garantissent le plus l’équité dans le traitement des candidatures sont le concours (sur le modèle des épreuves de la fonction publique), puis l’offre d’emploi (accès transparent et accessible à tous des offres, au lieu de les pourvoir d’avance et en secret) et ensuite le CV anonyme. Les réseaux sociaux numériques (LinkedIn, Viadeo, etc.) arrivent en tout dernier alors que les recruteurs s’y adonnent de plus en plus. Ce dernier moyen pour trouver les candidats empêche par définition d’anonymiser les candidatures et permet aux recruteurs de glaner un grand nombre d’informations. Si c’est un traitement anonyme des candidatures qui est donc plébiscité par les Français, les directeurs des ressources humaines, eux, ont une opinion diamétralement opposée 25. Ils sont très désireux de disposer du maximum d’informations sur les candidats et c’est ce point de vue qui l’a emporté en 2015 lorsque le CV anonyme a été 26 enterré . Le président de la République, interrogé à ce propos lors d’une conférence de presse en septembre 2015, a expliqué que le CV anonyme ne serait pas mis en œuvre car il se retournerait contre ceux qu’il est censé protéger. Pourtant, aucune étude dans le monde n’a, à ma connaissance, démontré que supprimer la photo sur un CV
dégraderait les chances des obèses ou des Noirs d’être embauchés ! En revanche, on ne compte plus les études qui ont prouvé qu’à CV égal la photo d’une personne disgracieuse, grosse ou noire, détériorait fortement les chances de passer le stade du tri des CV. Un enfant de 5 ans comprend que les obèses ou les Noirs ne peuvent être gagnants en mettant leur photo sur un CV qu’à une seule condition : si les recruteurs ont une préférence pour eux, s’ils les privilégient à compétence égale. Or ce n’est pas le cas. L’anonymat des CV a donc été abrogé par le gouvernement qui s’est appuyé sur une curieuse étude statistique réalisée il y a 27
quelques années . Celle-ci constatait que des CV comportant un patronyme signalant une origine africaine et ceux résidant en ZUS (zones urbaines sensibles) étaient nettement favorisés par les employeurs français. Il suffirait que l’employeur sache que le CV était celui d’un candidat issu de l’immigration africaine pour que celui-ci soit préféré aux autres. Un tel CV avait même 4 fois plus de chances que si l’employeur ignorait qu’il avait affaire à un candidat d’origine africaine. L’étude avançait qu’une discrimination positive importante existait ainsi au profit des candidats issus de l’immigration et c’est ce qui a fait dire au gouvernement et au président de la République que le CV anonyme ne devait pas être mis en place. En réalité, seules les entreprises de l’étude ont adopté une telle bienveillance envers les candidats issus de l’immigration car elles avaient été prévenues ou étaient même volontaires. Dans la réalité, les choses ne se passent pas ainsi. D’ailleurs, les expériences conduites en Europe attestent de l’intérêt de l’anonymat si l’on veut lutter sincèrement contre les discriminations. Cette technique a fait ses preuves dans tous les pays où elle a été expérimentée (Allemagne 28, Suède 29, Pays-Bas 30) et aussi en France, par exemple
31
au conseil régional d’Aquitaine et au conseil départemental de l’Essonne dans lequel j’ai mené l’étude d’évaluation en 2014. Le CV anonyme est une première étape qui est pourtant très facile à mettre en place dans les grandes entreprises ou dans les grosses collectivités territoriales. Ces organisations sont en effet équipées de logiciels de recrutement qui permettent de masquer nom, adresse, sexe, situation matrimoniale, nombre d’enfants, date de naissance et photo des candidats. C’est pourquoi un amendement déposé par le député Francis Vercamer en 2015 proposait de n’imposer l’anonymat que dans les entreprises comptant plus de 5 000 salariés. Mais le Parlement a rejeté cette proposition. Pour les recrutements dans le secteur public, la règle de la sélection anonyme des candidats est pratiquée dans quelques pays. Le traitement impersonnel des candidatures concerne en France les recrutements de fonctionnaires dans le secteur de santé, de l’État et des collectivités territoriales. En Belgique, c’est aussi la règle pour les personnels contractuels de l’administration fédérale. Cette pratique concerne aussi le secteur public au Canada. Les administrations appliquent un anonymat lors des concours, exactement comme le fait l’Éducation nationale. Lorsqu’on passe une épreuve du bac général ou un concours d’entrée dans une grande école, la règle est que le nom, l’adresse, le sexe et la photo ne figurent pas sur la copie d’examen. Cette règle très ancienne n’existe que parce que l’on considère que seules les compétences doivent être évaluées et de manière impartiale. La naissance, la couleur de peau, le sexe ou la plastique des candidats ne doivent pas interférer. Il est étrange que ce principe de bon sens, qui guide nos fonctions publiques, ne s’impose pas dans le secteur privé. Bien entendu, les examens et concours ne sont pas exempts de tout reproche, car lors des inévitables oraux devant un jury, il n’y a plus d’anonymat et l’apparence des candidats va jouer à
plein. J’avais ainsi été consulté par la direction de l’ENA qui cherchait à améliorer la sélection de ses élèves en la rendant plus diversifiée. J’avais benoîtement fait remarquer que l’obligatoire épreuve de sport n’était pas très pertinente pour embaucher les futurs hauts fonctionnaires et qu’elle était discriminante. Elle a finalement été récemment supprimée. Mais l’autre problème provenait des oraux lors desquels les apparences faussent le jugement ; il faudrait en diminuer le poids. Dans le secteur privé, les auditions à l’aveugle et les épreuves anonymes se développent à l’initiative de recruteurs qui sont parfois conscients des discriminations lorsque les candidats sont vus. La méthode par simulation de Pôle Emploi qui consiste en des sortes de tests professionnels simplifiés respectant l’anonymat n’est ainsi pas obligatoire, mais elle est excellente et objective et quelques entreprises la choisissent heureusement. Des firmes américaines, en Californie en particulier, comme VentureBeat ou Gapjumpers, utilisent des auditions à l’aveugle et en viennent à s’inspirer de l’émission The 32 Voice dont nous reparlerons. Des juristes nord-américains se demandent si on ne devrait pas imposer l’anonymat du recrutement et des auditions à l’aveugle – les Américains tournent peu à peu le dos à la discrimination positive et recherchent des moyens de résoudre la question des discriminations ; du coup, ils en arrivent à préconiser l’anonymat… On ne peut que se réjouir de cette évolution. Leur argument est que les discriminations multiples proviennent de préjugés inconscients, de mécanismes involontaires qui, par exemple, nous font trouver moins intelligent un individu simplement en le regardant. Il ne s’agit plus simplement de lutter contre les discriminations délibérées envers des minorités bien identifiées (le refus d’embauche d’une coiffeuse noire). Un jour, sans doute, la
France redécouvrira cette idée que des multinationales américaines auront popularisée et la trouveront moderne et formidable !
Le CV vidéo ou le triomphe des apparences Au lieu de rendre anonymes les CV et d’y supprimer les photos, on a préféré foncer, tête baissée, dans la direction inverse avec le CV vidéo. Le ministre du Travail a expliqué que c’était une solution aux discriminations au même titre que le CV anonyme 33 ! Le président de la République François Hollande s’est déclaré très emballé par le CV vidéo, le préférant au CV anonyme : « Ce CV vidéo… cela change déjà tout : être capable de porter soi-même son message, de dire ce que l’on veut faire, de le faire avec aussi sa 34 personnalité, sans qu’elle soit maquillée dans un CV anonyme . » Lorsqu’il présidait la Halde, Louis Schweitzer avait incité les entreprises à ne plus demander de photos aux candidats. Mais, depuis, la vogue des CV vidéo s’est répandue, favorisée par de grandes entreprises et, c’est un comble, par les pouvoirs publics. Pôle Emploi a ainsi lancé en 2015 une application permettant aux demandeurs d’emploi de faire des CV vidéo. Si l’on avait voulu faire en sorte que le recrutement soit encore plus subjectif et discriminant qu’il ne l’est, on ne s’y serait pas pris autrement ! La brièveté de ces vidéos (en général moins d’une minute) est telle qu’elles ne s’apparentent pas à une présentation plus complète, comme lors d’un entretien de recrutement ; ce n’est même pas du job dating de quelques minutes en face à face. Les informations sur les compétences, diplômes et expériences sont plus réduites que dans n’importe quel CV ordinaire. Vidé de contenu s’agissant des compétences, réduit à quelques secondes, mis en scène, le CV vidéo
est une caricature du monde dans lequel nous vivons. Deux ou trois mots, pas plus, à quoi bon, pas de fonds mais surtout des images. Le choix se fait « au feeling » en regardant des images, exactement comme sur les sites de rencontre. La part de communication non verbale est évidemment considérable dans un CV vidéo et le jugement ne peut se forger que sur l’apparence des candidats. Quand il s’agit de Meetic, de Tinder ou de Facebook, peu importe, car chacun est libre de rencontrer les amants ou les amis qu’il veut. Mais transformer le recrutement en une rencontre amoureuse accélérée où seul le fit, le feeling, la séduction, l’attirance sexuelle ou la répulsion comptent est désespérant. Tout le combat que je mène, avec d’autres, est précisément de parvenir à convaincre que les apparences peuvent tromper et qu’on ne choisit pas ses employés comme son conjoint. Si la séduction est l’alpha et l’oméga des embauches, il faut être bien naïf pour croire que les femmes de plus de 55 ans ou obèses sortiront gagnantes de leur mise en concurrence avec de jeunes filles minces. Et une question de droit se pose : les CV vidéo sont-ils conformes à la loi française ? Prenons l’exemple du site Web de la fondation FACE, Facealemploi.tv (on appelle cela un job board), sur lequel les employeurs peuvent trouver des candidats et accéder à une vidéo de quarante-cinq secondes dans laquelle ils se présentent. « Parce que le recrutement est avant tout une rencontre », explique la fondation ; c’est en voyant bouger et parler quelques secondes un candidat que « les stéréotypes n’opéreraient plus ». Comme dans quasiment tous les CV vidéo, les quelques phrases ânonnées sont très banales et récitées. On n’apprend rien sur les candidats en dehors de leur physique, de leur look, de leur gestuelle et, bien entendu, de leur façon de parler ou de leur accent. On trouvait 758 vidéos en tout sur ce site (en octobre 2014) et des menus déroulants permettaient aux
employeurs qui recrutent de sélectionner plus « finement » les candidats. Il était notamment possible de retenir seulement des candidats handicapés ou seulement des candidats valides. On trouvait donc 703 vidéos de candidats valides et 55 candidats reconnus comme travailleurs handicapés et qui ne seront pas visionnés par les firmes qui ont coché la case « non RQTH (bénéficiaire d’une reconnaissance de la qualité de travailleur handicapé) » plutôt que « travailleur handicapé RQTH ». Cette possibilité donnée aux recruteurs d’écarter automatiquement des personnes en raison de leur handicap est pour le moins consternante. Il est surprenant que, dans la liste des partenaires de ce projet de CV vidéo, on trouve, à côté de grandes firmes comme GDF-Suez, Carrefour, Accenture, Vinci ou encore Aéroport de Paris, l’association des DRH (ANDRH), mais aussi, curieusement, Pôle Emploi, l’ACSE, la Région Île-de-France, le ministère du Travail, celui du Droit des femmes et… le secrétariat d’État chargé des Personnes handicapées et de la Lutte contre l’exclusion. Que l’on encourage des sites qui permettent d’exclure les candidats qui ont un handicap est assez surréaliste ! Faut-il souligner qu’il est interdit de subordonner l’accès à un emploi à un critère 35
comme le handicap ? Quant au droit des femmes, la priorité n’estelle pas de lutter contre les jugements sur l’apparence physique dont elles sont les premières victimes plutôt que d’encourager ces jugements ? Et ne faut-il pas lutter contre l’exclusion des seniors alors que ces CV vidéo concernent quasiment exclusivement de jeunes candidats et sont faits explicitement pour eux ? J’avais interrogé en décembre 2014 le Défenseur des droits sur la légalité de ce site Facealemploi.tv. Il m’avait indiqué que le site serait modifié s’agissant des rubriques posant problème (notamment la sélection des personnes sans handicap). Mais je l’avais aussi interrogé sur un
aspect plus fondamental : la légalité des CV vidéo en général. Je n’ai pas obtenu de réponse. On peut pourtant se demander si une vidéo de quarante-cinq secondes, nullement comparable à un entretien d’embauche, ne fournit pas de multiples informations sans aucun rapport avec les exigences de l’emploi (couleur de peau, silhouette, gestuelle, visage, coupe de cheveux, vêture, maquillage, handicap, problème de santé, âge, etc.). Un jugement qui se fonde sur les informations disponibles dans ces vidéos de quelques secondes ne peut à l’évidence qu’être bien peu objectif. La personnalité du candidat ne saurait être déduite convenablement de l’apparence et il est évidemment exclu de déterminer les aptitudes du candidat de cette manière. Aux États-Unis, l’équivalent du Défenseur des droits a rendu un 36
avis sur les CV vidéo en n’interdisant pas formellement ces pratiques, car, c’est important de le rappeler, les apparences physiques ne sont pas mentionnées dans le droit américain (hors la couleur de peau). Toutefois, il souligne aussi que le CV vidéo peut « déclencher des biais inconscients, particulièrement s’il n’y a pas d’échange en face à face ». Or il peut y avoir discrimination, même si elle n’est pas intentionnelle. Un candidat peut être écarté à la vue de sa vidéo, parce qu’on pensera sincèrement qu’il est, simplement en raison de sa silhouette ou de son visage, peu compétent, pas intelligent, pas stable émotionnellement et peu chaleureux. Contrairement à ce que les tenants du CV vidéo soutiennent, il n’y a pas moins de stéréotypes activés et de discrimination avec un CV vidéo, il y en a beaucoup plus. Et c’est parce que ce résultat est évident et incontestable que la légalité du CV vidéo doit être posée. On se fait une idée bien différente de la personnalité, des capacités intellectuelles et du potentiel avec une vidéo qu’avec un CV papier 37. Et ce jugement n’est pas objectif. C’est pour ces raisons que des
avocats américains recommandent aux entreprises de se méfier de ces CV vidéo qui sont, comme l’expliquait l’un d’entre eux, une excroissance de la téléréalité qui expose au risque d’être convaincu 38 de discrimination . En France, les CV vidéo ne changent absolument 39 rien aux 40
discriminations provoquées par les origines ethniques des individus . Certes, préparer des chômeurs aux entretiens de recrutement au moyen d’un exercice vidéo est bénéfique, mais, en soi, la vidéo ne résout pas du tout la question des discriminations raciales ou ethniques. Il est évident que les discriminations en raison du physique sont, quant à elles, plus importantes avec un CV vidéo qu’avec un CV classique, surtout si ce dernier ne comporte pas de photo. Une amusante recherche américaine 41 démontre que nous sommes capables de déterminer, uniquement en regardant six secondes de vidéo sans le son, les finalistes d’un concours d’orchestre de chambre. Même les professionnels jugent de cette manière. Le son, lui, est inopérant contrairement à ce que croient les novices et les experts en musique. Les jugements sur le physique sont d’une telle force qu’il faut être bien naïf ou de mauvaise foi pour croire que le CV vidéo puisse être une alternative au CV anonyme dans la lutte contre les discriminations.
Injures et incitation à la haine : deux poids, deux mesures Il y a un autre domaine de notre droit qui atteste du refus de reconnaître les souffrances que vivent les Français en raison de leur apparence. Comment les moqueries et les injures sont-elles réprimées dans notre pays ? En France, les injures sont des
contraventions (si elles sont privées) ou des délits (si elles sont publiques). Curieusement, les injures ne sont pas toutes punies avec autant de sévérité. L’injure publique est punissable par une amende pouvant aller jusqu’à 12 000 euros. Si c’est une injure raciste (race, origine, ethnie, nation), religieuse, sexiste, homophobe ou contre les handicapés, la peine encourue est aggravée (six mois de prison et 22 500 euros d’amende), qu’elle ait été prononcée à l’égard d’une personne désignée ou d’un groupe de personnes (telle ou telle 42 communauté, nationalité…) . Et, pour les injures non publiques, les contraventions passent de 38 euros maximum à 750 euros maximum pour les groupes que le législateur a souhaité particulièrement protéger 43. Pour la diffamation (propos, écrits, images qui attribuent à tort des faits, des accusations qui portent atteinte à l’honneur d’une personne nommément visée ou à celui du groupe auquel on l’assimile), le raisonnement tenu est exactement le même. La diffamation publique en général vaut simple amende de 12 000 euros, mais, s’il s’agit de certains motifs qui le méritent, on passe à 44 45 000 euros et à un an de prison . On retrouve la même logique s’agissant des provocations à la haine à la violence et à la discrimination qui sont également réprimées de longue date en France, comme dans beaucoup d’autres pays. Ici encore, ces discours ne sont illégaux que s’ils portent sur des groupes particuliers. En France la provocation publique ou non publique à la discrimination, à la haine ou à la violence n’est punie que si elle concerne les questions raciales ou ethniques, religieuses, le sexe, le handicap, l’orientation et l’identité sexuelle 45. Quant aux violences, meurtres, actes de torture ou barbarie, idem : ils sont aussi plus ou moins sévèrement condamnés selon les types d’individus. Chaque fois, racisme, questions religieuses, sexisme, orientation ou identité sexuelle et handicap sont bien distingués.
On reste perplexe face à cette différence de traitement entre les groupes d’individus. Les actes racistes et antisémites sont répandus et doivent être réprimés, mais les injures envers les personnes à raison de leur physique ou de leur âge sont d’une grande banalité. Pourquoi le sexisme serait-il plus condamnable que l’agéisme et l’homophobie plus que la « grossophobie » ? Lorsqu’il s’agit du droit de la discrimination, la loi ne fait pourtant pas de différence selon le motif. Refuser l’accès à un night-club ou à un emploi à un obèse est aussi répréhensible que de le refuser à une personne de peau noire. Il reste encore du chemin pour que notre droit soit cohérent et cesse de hiérarchiser les souffrances dans les autres domaines (injures, diffamations, provocations à la haine, violences). La prise de conscience de la tyrannie des apparences et de ses effets sur nos sociétés se traduit trop lentement dans le droit. Néanmoins, de nouvelles règles sont apparues récemment afin d’éviter l’usage indigne du corps des individus, d’encadrer la publicité et les médias, de réguler les images produites par exemple dans le milieu de la haute couture. Dans plusieurs pays, dont la France, les pouvoirs publics essayent d’endiguer le flot des images proposant un modèle de minceur et de jeunesse dont les effets sociaux, psychologiques et sur la santé sont majeurs.
Mannequins : tout n’est plus permis Les mannequins de mode femmes sont de plus en plus minces et souvent anorexiques. Francetv info a calculé l’IMC de 40 mannequins, parmi les plus célèbres, qui font régulièrement la une des magazines et qui sont sollicitées par les plus grandes marques françaises. Seules 5 d’entre elles ont un IMC supérieur à la limite fixée par
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l’OMS . Les autres mesurent en moyenne 1,78 mètre et pèsent 53,5 kilos. 10 d’entre elles ont même un IMC inférieur à 16, c’est-àdire une « maigreur sévère » selon la norme de l’OMS. On pourrait se dire qu’après tout les jeunes filles qui choisissent cette profession n’ignorent pas ses contraintes et qu’être d’une maigreur extrême est un choix. Mais le phénomène a pris de telles proportions et les images de top models anorexiques ont tant choqué l’opinion qu’une charte de bonne conduite a été signée par les agences en 2007. Elle n’a pas été efficace et rien n’a enrayé l’amaigrissement des mannequins au fil des dernières années. Parallèlement aux agences de mannequins, aux maisons de haute couture et de luxe qui recherchent des jeunes filles toujours plus minces, des sites Internet dits « pro-ana » sont apparus qui poussent les femmes à l’anorexie. L’Espagne a décidé d’interdire les défilés de mode dans lesquels figurent des mannequins trop maigres il y a plusieurs années, d’autres pays européens ont suivi et la France a, quant à elle, voté une loi à ce sujet : les députés ont en effet adopté le 17 décembre 2015 une loi visant à lutter contre la maigreur excessive des mannequins, en rendant obligatoire un certificat médical 47. Autre exemple : les concours de beauté pour enfants ou mini-miss 48 ont fait l’objet en France d’une interdiction en 2014 . Ces concours de mini-miss s’étaient répandus rapidement en France, sur le modèle des concours si fréquents en Amérique du Nord ou du Sud. Apparus bien après les concours d’adultes qui existent depuis les années 1920, ils connaissent un véritable succès commercial à l’étranger et donnent lieu à des émissions de télévision. Le problème réside dans le principe même d’un concours de mini-miss et dans les dérapages qui se produisent : tenues arborées (des maillots de bain deuxpièces, voire des strings, des talons, des tenues de prostituées),
maquillage, usage de faux seins et postures hypersexualisées… Tous les âges sont concernés, du bébé à l’adolescent (0-11 mois, 12-23 mois, 2-3 ans, 4-6 ans, 7-9 ans, 10-12 ans, 13-15 ans, 16-18 ans). L’idée est d’éviter l’utilisation du corps des jeunes filles dans des conditions qui peuvent être indécentes, indignes pour les enfants et contribuant à une hypersexualisation. Outre la question de l’érotisation précoce des enfants, Chantal Jouanno, à l’origine de la loi, ajoute un autre argument : « Ne laissons pas nos filles croire dès le plus jeune âge qu’elles ne valent que par leur apparence. Ne laissons pas l’intérêt commercial l’emporter sur l’intérêt social. » En réponse à des préoccupations de députés ultramarins, la ministre Najat Vallaud-Belkacem a affirmé que « les carnavals traditionnels » dans ces territoires, lors desquels sont élues des « reines », n’étaient « pas remis en cause » mais qu’il fallait « veiller à ne pas porter atteinte à la dignité des enfants ». La loi française fait, semble-t-il, figure d’exception dans le monde. Une autre piste pour tenter de limiter la tyrannie des apparences consiste à informer les lecteurs des magazines des retouches 49 photos. Une loi a été votée en ce sens en décembre 2015 . Les photographies de mannequins « dont l’apparence corporelle a été modifiée par un logiciel de traitement d’image afin d’affiner ou d’épaissir la silhouette, doivent être accompagnées de la mention “photographie retouchée” ». L’idée est d’arriver à endiguer le flux d’images parfaites qui poussent les hommes et les femmes à vouloir ressembler à cet idéal inaccessible. Ce qui est déjà réglementé, ce sont les images des personnes qui peuvent être choquantes ou qui constituent une atteinte à la dignité humaine 50. L’autorité de régulation de la publicité en France interdit à ce titre chaque année des campagnes. Elle précise ainsi : « La publicité ne doit pas être susceptible de heurter la sensibilité, choquer
ou même provoquer le public en propageant une image de la personne humaine portant atteinte à sa dignité et à la décence. Lorsque la publicité utilise la nudité, il convient de veiller à ce que sa représentation ne puisse être considérée comme avilissante et aliénante. D’une façon générale, toute représentation dégradante ou 51 humiliante de la personne humaine » est proscrite. Mais la mission de l’Autorité de régulation professionnelle de la publicité (ARPP) n’est pas de veiller à une représentation équilibrée des âges et des morphologies dans la publicité, contrairement à l’audiovisuel auquel s’impose, en théorie du moins, une obligation de refléter la diversité de la société française (voir plus loin notre chapitre 6). C’est aussi au nom de la dignité de la personne humaine que le « lancer de nain » est interdit en France. On se souvient peut-être qu’un lancer de nain qui devait avoir lieu en 1991 dans une discothèque de Morsang-sur-Orge avait été bloqué par le maire. Quelques années plus tard, le Conseil d’État lui avait donné raison : « En l’espèce, l’attraction de “lancer de nain”, qui conduit à utiliser comme projectile une personne affectée d’un handicap physique et présentée comme telle, porte atteinte, par son objet même, à la dignité de la personne humaine. » Et peu importe, que « des mesures de protection aient été prises pour assurer la sécurité de la personne en cause et que celle-ci se prête librement à cette exhibition contre rémunération 52 ». L’affaire a même été portée jusqu’au Comité des 53 droits de l’homme des Nations unies qui a décidé en 2002 que cet arrêt du Conseil d’État n’était pas discriminatoire, mais nécessaire au maintien de l’ordre public, au regard notamment de considérations de dignité humaine. Aux États-Unis également on a fini par interdire le lancer de nain pour les mêmes raisons. Les êtres humains qui ont des caractéristiques atypiques ne sont pas des objets ou des projectiles.
Les nains, pas davantage que les femmes, ne peuvent être traités comme des objets et les législations tendent à progresser dans cette direction. Mais les avancées dans la reconnaissance des discriminations et des moqueries en raison des apparences sont lentes et il reste beaucoup à faire. Ce qui l’explique n’est pas que les individus ignorent ces réalités ou n’en souffrent pas ; au contraire, ils sont en général concernés. Le problème est plutôt que les élites, les élus, inscrivent peu ces questions à leur agenda. En politique, personne n’ignore que les apparences comptent dans la communication (le candidat fait un régime pour modifier son image), nous allons le voir, mais le sujet n’a pas accédé au statut de thème politique noble. Ainsi, alors que le paraître est structurant dans nos sociétés de l’image, il reste absent de la pensée politique.
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Les grands absents en politique « Ce qui compte, ce sont les programmes », nous répète-t-on à l’envi. Le culte de l’apparence, du jeunisme, de la bonne santé et de la minceur n’aurait pas contaminé la sphère politique. L’âge ou la silhouette des élus du peuple seraient secondaires. Les électeurs votent naturellement selon leurs convictions, en raison des programmes des partis politiques, mais aussi en fonction des caractéristiques personnelles des candidats ou des chefs de parti… L’intérêt pour la vie privée des élus est évident. Il suffit de regarder le moteur de recherche Google (en 2015) pour savoir ce qui intéresse les électeurs. La vie privée et les caractéristiques personnelles des candidats comme leur signe du zodiaque figurent en bonne place. Lorsqu’on tape Alain Juppé, parmi les mots suggérés par le moteur (il y en a 4 au maximum), on obtient à la lettre A : âge, puis D : date de naissance, H : hospitalisé, N : naissance, R : retraite, T : taille (en réalité, les premières pages référencées concernant la taille visent en fait son âge), mais aussi T comme « trop vieux » ! Pour Nicolas Sarkozy, on trouve J comme jeune et jeunesse, N comme naissance et T comme taille. Pour Bayrou on trouve A comme accident (bien avant Assemblée nationale), J comme
jeune et M comme malaise, qui apparaît avant les « secondaires » Modem et mairie de Pau… Pour Fillon on trouve T comme taille et C comme chaussettes rouges ; pour Martine Aubry, A comme âge et T comme taille ; pour François Hollande, L pour look et lunettes, T comme taille, U comme « un président qui rétrécit », Y pour yeux. L’apparence physique et l’état de santé du personnel politique intéressent beaucoup. Pour Alain Juppé, le nombre de suggestions et surtout de pages référencées qui concernent son âge est particulièrement élevé en 2015 : 415 000 pour « âge », 332 000 pour « trop vieux », 154 000 pour « hospitalisé » (il l’avait été une journée seulement en mai 2014). Pour Bayrou, son malaise de 2010 a généré beaucoup de clics. Personne ne conteste, parmi les spécialistes des sciences politiques, que l’image des hommes politiques, leur supposée personnalité, leur âge, leur sexe, leur couleur de peau ont un effet. La 1 seule question qui se pose est l’intensité de cet effet et de savoir si l’image du leader politique compte plus aujourd’hui que par le passé. Ce qui est avéré, c’est que les politiciens américains dépensent des sommes toujours plus élevées pour leurs campagnes. Dans un ouvrage paru en 1969, The Selling of the President, il était raconté comment Richard Nixon avait été littéralement « vendu » aux électeurs. Jamais cette expression n’a été plus adaptée. Entre 2002 et 2012 les dépenses pour les campagnes des représentants au Congrès ont doublé et en 2012 un record historique a été battu pour 2 les dépenses en vue de la présidentielle . En 2015-2016, les sommes ont atteint un nouveau sommet, notamment en raison du rôle d’hommes d’affaires comme Donald Trump. L’apparence a en particulier un effet important sur le résultat des urnes. Dans les approches visant à identifier les caractéristiques personnelles des candidats qui font gagner les élections
présidentielles, les spécialistes américains incorporent des 3 caractéristiques physiques. Dans le modèle prédictif d’un professeur de Wharton en Pennsylvanie, on trouve les aspects suivants : taille, poids, « race », handicap physique ou sensoriel, mais aussi être athlétique, bien rasé, porter des lunettes, avoir une calvitie, une tête qui donne l’air compétent, être attirant physiquement… Les variables relatives à l’apparence comptent pour le quart de l’ensemble des caractéristiques – les autres sont par exemple les responsabilités électives, les études, le genre, l’âge, la situation matrimoniale et les enfants, les noms et prénoms, etc. Il y a en tout 59 variables dans ce modèle, qui est très performant pour prédire les résultats des élections. Il fait mieux que les sondages et que les modèles économétriques : entre 1896 et 2008, il a prédit le gagnant dans 27 cas sur 29 élections présidentielles ! Quelles sont alors les apparences physiques qui séduisent les électeurs et celles qui leur déplaisent ? La couleur de peau est-elle indifférente ? Quels visages entraînent les votes ? À quoi ressemble notre personnel politique ? Quelles sont les images que veulent donner les hommes et les femmes politiques et comment organisentils leur publicité ? Qui est mis en avant dans les meetings ? La vie politique se préoccupe-t-elle des obèses, des personnes âgées et des handicapées ou courtise-t-elle les jeunes qui « sont l’avenir et souffrent tant » ? Sommes-nous, au contraire, à un moment de basculement incarné par l’audience inattendue d’un Bernie Sanders lors des primaires démocrates aux États-Unis alors que celui-ci n’est pas un Adonis ?
Le jeunisme en politique
Il est frappant que s’impose de plus en plus l’idée que les élus ne sont pas assez jeunes. Le fait qu’ils soient plutôt âgés est fréquemment dénoncé, comme dans les entreprises ou les administrations où l’âge des dirigeants fait l’objet de critiques. En politique les anciens tiennent en effet toutes les positions de pouvoir. Eric Keslassy a dressé le portrait-robot du député français et s’alarme de la sous-représentation des jeunes à l’Assemblée : « Notre vie politique, notamment à l’échelle nationale, tend à privilégier un profil type : homme, blanc, de plus de 55 ans appartenant aux couches sociales supérieures. Les bancs de l’Assemblée nationale de la dernière législature en offrent une illustration remarquable : seulement 18,5 % de femmes, un seul député noir élu dans une circonscription métropolitaine, aucun qui soit 4 d’origine africaine ou asiatique et une moyenne d’âge de 56 ans . » Et d’en conclure qu’il faut interdire le cumul de mandats pour favoriser un renouvellement des profils et, donc, un rajeunissement mécanique. Compte tenu de l’âge plutôt élevé des élus, il n’y a en effet pas d’ostracisme à l’égard du personnel politique âgé. Mais ceux qui le déplorent oublient qu’il n’est pas illogique que l’expérience et l’ancienneté jouent un rôle dans l’accès aux responsabilités politiques. Dans une entreprise, il n’est pas absurde que les dirigeants ne le soient pas dès leur sortie d’école ni même cinq années plus tard. Si dans une entreprise, les mouvements de promotion sont déconnectés de l’ancienneté (l’expérience aux différents postes), il faut être vraiment certain que ceux qui sont rapidement promus ont des qualités telles qu’ils n’aient pas à attendre leur tour dans la « file d’attente » de ceux – nombreux – qui espèrent une promotion. Les partis politiques, comme les entreprises ou les administrations, sont des pyramides dans lesquelles beaucoup souhaitent naturellement accéder aux meilleures positions le plus vite possible. Si l’ancienneté
est un critère largement utilisé en pratique dans le domaine de l’emploi, c’est simplement qu’elle est la reconnaissance de l’expérience. Le temps a permis de s’assurer de la capacité à réussir dans différentes fonctions. C’est en somme un critère juste. Pourquoi un jeune élu de 20 ans, sans diplôme, pourrait-il légitimement être investi par son parti politique et être élu à des mandats significatifs en lieu et place de ses pairs qui ont quelques années de plus, terminé avec succès des études, milité depuis quelque temps et occupé de modestes mandats ? Soit on considère que ce jeune homme n’ayant pas fait ses preuves est doté de qualités incontestables et hors pair, soit on juge que sa jeunesse est une raison suffisante pour faire une entorse aux règles élémentaires qui régissent les promotions. Lorsque le fils du président Sarkozy brigue en 2009 la présidence de l’EPAD (Établissement public d’aménagement de la défense), la polémique est si forte qu’il doit renoncer. L’émotion n’est pas simplement due au népotisme, car celui-ci est assez fréquent dans la vie politique où les circonscriptions et les mairies sont souvent reçues en héritage. Dans cette affaire, le très jeune âge du fils et son cursus encore limité dans l’enseignement supérieur posaient évidemment problème. Si le talent n’attend pas le nombre des années, il est tout de même difficile de défendre l’idée que l’absence de diplôme et d’expérience apporte une preuve de compétence et de mérite. La benjamine de l’Assemblée nationale en 2012 est Marion Maréchal-Le Pen. Née en 1989, la jeune femme est encore étudiante. Son lien de parenté avec Jean-Marie Le Pen est, bien entendu, la cause de son investiture dans une circonscription dans laquelle la victoire était quasiment acquise au Front national. Il est logique que les élus politiques ayant des responsabilités éminentes ou les dirigeants des syndicats soient plutôt âgés : leurs mandats sont très prisés. Les gens se battent pour être député,
sénateur ou maire de grande ville. Par ailleurs, seuls peuvent participer à cette compétition à couteaux tirés ceux qui sont déjà engagés dans la vie publique. De même que les gagnants du Loto sont ceux qui ont joué, les élus sont membres d’une formation politique et les leaders syndicaux ont été auparavant des adhérents et de simples militants. Or les jeunes sont moins présents sur les listes électorales. C’est chez les plus jeunes que le taux d’inscription est le plus faible – interrogés alors qu’ils ont autour de 20 ans, ceux nés entre 1975 et 1979 ne sont que 74 % à déclarer avoir fait la démarche. Ce n’est qu’après 30 ans que 9 Français sur 10 sont inscrits. Et lorsqu’ils sont inscrits, les jeunes s’abstiennent davantage 5 que les Français plus âgés .Certes, depuis les années 2000, ils sont davantage inscrits sur les listes électorales, mais pendant bien longtemps ils ont été peu intéressés par la politique. D’une façon générale, ils s’investissent moins dans la vie politique, associative ou syndicale. S’ils sont membres d’associations de « loisirs » (sport, culture, etc.), ils ne le sont en revanche quasiment jamais d’associations de défenses des droits (syndicats, associations humanitaires, associations de locataires, etc.) et d’associations de 6 rencontres (religieuses, de quartier, etc.) .
Document 1. Adhésion aux associations par âge en France. (D’après Insee, SRVC 2006.)
Ceux qui veulent développer la participation des jeunes à la vie citoyenne soutiennent que les jeunes ne se reconnaissent pas dans des représentants beaucoup plus âgés qu’eux et se détournent de la politique et du syndicalisme. Quoi qu’il en soit, le simple fait que les jeunes soient moins présents dans la vie politique, syndicale et associative (en dehors des clubs sportifs) limite d’autant les chances de voir émerger de jeunes élus. L’assertion selon laquelle les hommes politiques seraient anormalement vieux est-elle statistiquement avérée ? En d’autres termes, les élus sont-ils moins représentatifs de la société française que par le passé ? Luc Rouban dans une note du Cévipof réalisée en 2012 dresse le constat d’un vieillissement des députés, mais il explique le phénomène « par la disparition des députés élus directement (cas des “ministres techniciens” parachutés des années 1960) et par le besoin, pour être élu, d’avoir déjà mené une longue carrière de professionnel de la politique ».
Document 2. Moyenne d’âge des députés de 1958 à 2012. (Source : Assemblée nationale/Jean-François Amadieu.)
Si on regarde attentivement les chiffres, le constat du vieillissement est à relativiser. Au moment de la Révolution française, 7
l’espérance de vie n’atteint pas 30 ans . Dans l’Assemblée législative de 1791, l’âge médian de ceux qui siègent est de 40 ans. En 2012, l’espérance de vie s’établit à 84,8 ans pour les femmes et à 78,2 ans pour les hommes ; l’âge médian des députés élus a logiquement augmenté, il est en 2012 de 55 ans. L’âge moyen des Français a connu une forte hausse depuis le e XVIII siècle. La population française a vieilli et continue de vieillir. Depuis ces dernières années et pour les années qui viennent, ce vieillissement est et restera important. Il n’est pas surprenant dans ces conditions que l’âge des parlementaires soit toujours plus élevé, cela n’a rien d’anormal. D’autant qu’à supposer que l’on veuille examiner si notre assemblée est le reflet de la société française, il faudrait le faire en retenant la population en âge de voter, c’est-à-dire de plus de 18 ans. Le constat est clair : nos députés ont « vieilli »
aussi vite que la population adulte française. L’écart en 2012 est même plus faible qu’un siècle plus tôt. Seules des circonstances particulières – comme la Seconde Guerre mondiale (Assemblée de 1946) – modifie l’évolution simultanée des âges des députés et des électeurs.
Document 3. Âge médian des députés et des Français de plus de 18 ans de 1902 à 2012. (Source : Assemblée nationale/Jean-François Amadieu.)
Il faudrait aussi ne retenir que la population effectivement inscrite sur les listes électorales et ayant effectivement voté. Le sociologue Louis Chauvel signale à ce propos que « l’âge moyen de l’électeur a augmenté un peu plus vite que l’âge moyen des Français du fait d’un creux d’inscription sur les listes électorales et d’une montée plus
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marquée du vote intermittent chez les jeunes ». Finalement, l’âge moyen de l’électeur n’est donc pas si éloigné de celui de son député ! La différence d’âge qui existe paraît bien naturelle si l’on tient compte de la lutte acharnée que se livrent les militants des partis pour obtenir une investiture et être finalement élus. La compétition est, du reste, bien plus importante que par le passé. En effet, le nombre de parlementaires n’a pas progressé à la même vitesse que la population française entre 1791 et aujourd’hui. En outre, le nombre de personnes disposant d’un niveau d’instruction élevé a e considérablement augmenté depuis le XVIII siècle. Au cours des deux dernières décennies, plusieurs amendements ont été déposés visant à instaurer un âge plafond des députés (67 ans, 72 ans…). Un député, Robert Pandraud, objecta que l’on voulait « censurer à titre posthume Clemenceau, Adenauer, de Gaulle et quelques autres ». Il ajouta : « L’expérience n’est jamais inutile […], l’électeur doit être libre de décider, et le législateur n’a pas à [lui] imposer de barrières : nous avons ici des jeunes, des vieux, des 9
représentants de diverses professions . » Parallèlement on a favorisé un rajeunissement des élus, car le critère d’âge pour être éligible à l’Assemblée nationale a été abaissé de 23 à 18 ans tandis qu’au Sénat on est passé de 30 à 24 ans. Cette mesure est un symbole, mais est-il si nécessaire et urgent d’adresser ce signal ? Dans la téléréalité, le cinéma, la chanson, le mannequinat ou le sport, on acquiert une grande notoriété et une fortune considérable très jeune ; il en est de même pour les jeunes entrepreneurs de la « nouvelle économie ». Des idées plus ou moins lumineuses valent à de très jeunes entrepreneurs un enrichissement rapide et colossal (pensons à Mark Zuckerberg, le fondateur du célèbre réseau social en ligne sur la vie duquel un film a déjà été réalisé). Du coup le brouillage des repères est total. Pourquoi faudrait-il attendre son tour
pour réussir ? En quoi un cursus scolaire long serait-il souhaitable ? L’expérience sert-elle à quelque chose ? Le jeunisme en politique se traduit par le fait que les femmes ou hommes politiques, qui sont souvent relativement âgés (il a fallu batailler quelque temps pour gravir les marches qui mènent aux mandats les plus importants), doivent autant que faire se peut s’entourer de militants ou de colistiers plus jeunes.
L’environnement visuel des personnalités politiques L’utilisation de belles jeunes femmes pour la communication politique a pris une importance croissante ces dernières années. Lors des meetings politiques, les élus prennent soin de disposer derrière eux et en bonne place dans le public des personnes jeunes, si possible séduisantes. L’émission Le Petit Journal diffusé sur Canal+ a mis en évidence le tri opéré à l’entrée d’un meeting politique du parti socialiste entre les jeunes et les plus âgés (les seniors orientés dès l’entrée vers l’étage de la salle où ils sont moins visibles, les plus jeunes en bas, devant les caméras). C’est une pratique courante. Le personnel politique et leurs communicants sont convaincus qu’ils offrent ainsi de belles images aux télés. Ils sont persuadés qu’ils paraissent eux-mêmes jeunes et dynamiques. Il s’agit de montrer que, si l’on est âgé, on reste toutefois le meilleur ami des jeunes et que l’on agit pour eux. Et puis, mettre des jeunes sur une estrade ou une belle jeune fille en arrière-plan derrière un vieil homme politique passant sur un plateau de télévision donne des images plus « sexy » ! À l’inverse, ils évitent d’être pris en photo auprès d’élus de terrain ou de quidam qui font vieux ou peu attractifs. Dans leur
ouvrage sur les affiches en politique, Jean-Marc Benoît, Philippe Benoît et Jean-Marc Lech signalent cette difficulté qui était clairement 10 apparue lors d’une campagne électorale . Les chargés de communication voulaient faire sauter des candidats pour leur donner un style dynamique, mais ils furent plutôt déçus du résultat : demander à un notable de province plus tout jeune et un peu enveloppé de sautiller n’apparut pas comme l’idée du siècle… Dans cette logique, les spots de campagne et les initiatives de Medvedev et de Poutine en Russie sont allés assez loin – défilés de pom-pom girls et de jeunes filles, étudiantes, montrant leurs poitrines ou lavant une voiture en bikini (singeant les scènes de car wash)… On a vu dans d’autres pays des jeunes filles se dénuder pour le compte de leur candidat favori, mais au moins ces initiatives n’étaientelles pas, en apparence, organisées directement par les candidats, comme c’est le cas en Russie. À cet égard remarquons qu’il est surprenant que le mouvement Femen, qui critique l’instrumentalisation et l’exploitation du corps des femmes, utilise le même ressort médiatique : l’exposition de jeunes femmes minces dénudées. Les femmes et les enfants jouent un rôle dans la communication des hommes politiques. Dans la campagne présidentielle de 2002 plusieurs candidats ont mis en avant leur épouse. Jean-Marie Le Pen expliqua dans son spot de campagne que lui aussi avait une belle femme. Quant à Lionel Jospin pour donner un côté jeune, décontracté et séducteur, une fan l’embrassa dans un meeting. La beauté et la jeunesse sont également utilisées. Valéry Giscard d’Estaing a ainsi mis sa fille en avant sur une affiche. Quant aux femmes ou aux compagnes des présidents, il peut s’agir d’anciens mannequins ou d’actrices de cinéma. La communication politique en France s’est ainsi rapprochée du modèle nord-américain où conjoint et enfants sont mobilisés.
Avoir plus de 70 ans : rédhibitoire pour les électeurs ? Lorsque Barack Obama devient, en 2008, le premier président noir de ce pays, l’événement est considérable. Ce succès n’est pas réellement une surprise, car les sondages montraient depuis plusieurs années que les électeurs y étaient prêts. On a aussi oublié, tant la victoire d’Obama était marquante, qu’il l’a emporté parce que son concurrent républicain, John McCain, était jugé trop vieux par les électeurs. Obama était en revanche jeune, grand et svelte. Les électeurs sont désormais prêts à voter pour des candidats de couleur noire ou pour une femme (du moins aux États-Unis). L’évolution des esprits est spectaculaire et l’élection de Barack Obama en 2008 et en 2012 a établi que ces nouvelles attitudes se traduisaient bel et bien le jour du vote. En 1958, 38 % seulement des électeurs auraient voté pour un Noir et 54 % pour une femme, ce qui donne une idée du chemin parcouru : en 2012, 96 % se déclaraient prêts à voter pour un Noir et 95 % pour une femme. En revanche, lorsqu’il s’agit de voter pour un candidat qui a passé les 70 ans, les réticences restent fortes. Dans un sondage réalisé par l’institut Gallup en 2007 aux États-Unis, 94 % des électeurs se disaient prêts à voter pour le candidat de leur parti si celui-ci était noir, 88 % si c’était une femme et 87 % s’il était hispanique, mais, pour un candidat de 72 ans, ils n’étaient plus que 57 % ! Pire, 42 % étaient même certains de ne pas voter pour lui. Avoir plus de 70 ans est donc plutôt rédhibitoire. C’est plus ennuyeux aux yeux des électeurs américains que de ne pas avoir fait d’études, d’avoir consommé de la drogue, d’être musulman ou encore homosexuel. En 2007, la moitié des électeurs refusaient de 11 voter pour un candidat de cet âge !
Traits du candidat
Soutiendrait Soutiendrait Indifférent moins davantage
Non croyant
65
2
31
N’a jamais été élu
59
6
33
Septuagénaire
50
4
44
Musulman
48
1
47
Sans diplôme supérieur
47
3
48
Homosexuel
46
1
51
A pris de la drogue
45
1
47
Adultère dans le passé
39
1
57
A pris des antidépresseurs
35
1
61
Mormon
32
2
62
Fumeur
18
2
79
Politicien âgé de Washington
16
35
45
Hispanique
15
3
81
Homme d’affaires
13
30
54
Femme
11
12
76
Divorcé
10
2
87
Quadragénaire
8
18
73
Handicapé physique
6
4
87
5
21
73
Chrétien
4
39
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Noir
4
6
89
A fait son service militaire
2
49
48
Diplômé université
d’une
grande
Document 4. Réactions aux caractéristiques personnelles des candidats à la présidentielle des États-Unis (en %). (Source : PEW, 7-11 février 2007.)
On connaît la suite : Barack Obama a supplanté Hillary Clinton dans la primaire et l’a ensuite emporté sur le candidat républicain, John McCain âgé de 72 ans. Au fil de la campagne, les électeurs qui lisaient beaucoup les journaux et utilisaient souvent Internet, loin de se déterminer en fonction des idées des candidats, ont simplement 12 été renforcés dans l’idée que McCain était décidément trop vieux . Un spot de campagne du camp démocrate le présente alors comme un homme du passé, qui est incapable de se servir d’un ordinateur, de taper sur un clavier ou d’envoyer un banal e-mail 13. On le dit plus dans le coup et pas en grande forme physique. Dans un spot de ses adversaires, on le voit descendant d’une voiturette électrique de golf et on suppose que c’est en raison de son âge qu’il se déplace ainsi. En réalité, si John McCain n’utilise pas de clavier d’ordinateur et se fait aider pour envoyer des e-mails, c’est en raison de ses blessures de guerre (il a été torturé au Vietnam), et non parce qu’il serait trop vieux pour comprendre quoi que soit aux nouvelles technologies. Par ailleurs, son handicap lui interdit totalement de pratiquer cette activité « de riche » qu’est le golf ! Barack Obama a fait un carton plein aussi bien en 2008 qu’en 2012 auprès des minorités noires. Ses scores y sont supérieurs au score attendu pour un candidat démocrate auprès des Noirs américains et il ne perd que 3 % du vote blanc en raison de sa couleur de peau. McCain, en revanche, est laminé auprès des jeunes sans bénéficier d’un vote massif des électeurs plus âgés. En 2008, les deux tiers des moins de 30 ans ont voté pour Obama alors que les plus de 30 ans étaient partagés entre McCain et Obama. Les chercheurs ont aussi prouvé que les jeunes s’abstiennent moins s’il y 14 a des jeunes dans une élection . Et curieusement, les électeurs âgés pensent autant que les plus jeunes que McCain est trop vieux pour être président. En raison de son âge, c’est finalement au minimum 1
15
électeur républicain sur 10 qui a manqué à McCain . Le plus préoccupant pour un candidat de plus de 70 ans est qu’il perd des électeurs dans son propre camp : en 1996, 1 électeur républicain sur 5 trouvait ainsi que Bob Dole était trop vieux pour faire le job 16. Âgé de 73 ans, une première aux États-Unis, il a perdu sèchement pour cette raison face à Bill Clinton. Lors du vote, les jeunes (de moins de 30 ans) se détournent nettement des candidats septuagénaires sans que les plus âgés votent davantage pour eux en raison de leur grand âge (en 1996 comme en 2008). D’ailleurs, en 2012, le candidat républicain Mitt Romney qui est assez jeune réalise son meilleur score dans le sondage de sortie des urnes chez les plus de 65 ans, surpassant nettement le score que McCain avait obtenu dans cette tranche d’âge quatre années plus tôt. Paradoxalement, les électeurs âgés ne sont pas plus favorables aux vieux candidats de sorte que le vieillissement de la population n’a pas jusqu’à présent profité aux candidats 17 seniors .
Vieux, donc malade et diminué Est-ce parce que les électeurs ne trouvent pas « à la page » ou « dynamiques » ces candidats âgés ? S’inquiètent-ils de leur santé chancelante – ils ont ainsi suivi avec passion les suites d’un banal accident que Bob Dole a eu durant sa campagne (il avait fait une chute sans conséquence d’une estrade) ? On comprend mieux pourquoi les adversaires politiques surfent, l’air de rien, sur les problèmes médicaux des concurrents. Les conseillers de Bill Clinton qui conseillent en 2016 Hillary Clinton en savent quelque chose, car ce sont eux qui avaient démoli Bob Dole en raison de son âge et de
son état de santé. Ils doivent maintenant contenir les attaques sur Hillary, 69 ans et victime d’un grave problème de santé en 2012 qui l’a conduite à être hospitalisée durant trois jours (un épanchement de sang dans la tête après une chute). Ses capacités intellectuelles en seraient-elles amoindries ? Voilà l’arme qu’utilisent certains adversaires politiques : sa blessure à la tête aggraverait le simple effet du vieillissement. Les candidats âgés, susceptibles d’avoir des problèmes de santé, sont aussi perçus comme moins dynamiques et moins capables d’être des chefs à poigne. Ainsi, alors qu’Alain Juppé est perçu par les Français comme compétent et sincère, il est en 18 revanche moins vu comme un leader charismatique . Les hommes politiques dissimulent généralement leurs problèmes de santé ou les minimisent. Longtemps, les présidents français ont gardé secret leur état de santé et ce n’est que progressivement que des bulletins médicaux un peu plus fiables sont apparus. À Bordeaux, Jacques Chaban-Delmas qui fut longtemps maire de la ville ne manquait pas de monter quatre à quatre les marches de son hôtel de ville et de souligner son passé de rugbyman. Son successeur, Alain Juppé, a 69 ans lors des municipales et des rumeurs le disent fatigué. Hospitalisé en mai 2014 durant vingt-quatre heures pour des examens, rapidement de retour à Bordeaux, il doit éviter que le soupçon d’une santé chancelante liée à son âge soit véhiculé. Sa réélection est finalement triomphale. Constamment questionné sur l’âge, sa réponse consiste à mettre en valeur la sagesse que confère l’expérience, mais l’embarras est perceptible. Ses challengers ne manquent pas de souligner qu’ils sont jeunes, entourés de jeunes, représentants des jeunes, etc. Quant aux caricatures des Guignols sur Canal+, elles le représentent comme un homme du passé, dépassé et qui en est resté au franc.
En bonne santé ou pas, les anciens séduisent moins que les jeunes. Les électeurs paraissent préférer un novice à un élu expérimenté. Ce jeunisme, exacerbé en France, explique vraisemblablement pourquoi les électeurs n’ont pas été effarouchés et même plutôt rassurés par des candidats du Front national très jeunes qu’ils ont propulsé au Parlement en 2012 et 2014, puis dans les villes et régions en 2015. Marion Maréchal-Le Pen a 22 ans et est encore étudiante lorsqu’elle devient la plus jeune députée de la e
V République. Quant à David Rachline qui a abandonné ses études à 18 ans, il est, à 26 ans, le benjamin du Sénat. Le fait que le Front national peine à trouver des candidats et le fait qu’il ne compte pas de sortants âgés explique évidemment en partie cette percée des très jeunes, mais il est aussi certain que l’image de la jeunesse, loin d’inquiéter, rassure. Les Européens et, plus encore, les Français ne paraissent pas emballés à l’idée d’élire un président âgé. Un sondage européen 19 permet de se faire une idée des réactions des électeurs selon le profil d’un candidat s’il était élu au plus haut poste politique du pays. Sur une échelle de 1 à 10 (de « tout à fait mal à l’aise » à « tout à fait à l’aise »), on apprend que les Européens, dont les Français, seraient très heureux d’avoir une femme à ce niveau (note de 9/10), handicapée (8), d’une religion minoritaire (6,5), homosexuel ou d’une origine ethnique minoritaire, surtout en France (7). On apprend aussi comment les électeurs réagiraient en présence d’un transsexuel ou transgenre – finalement pas trop mal en Europe comme en France (5,4). Pour l’âge, le sondage révèle qu’un président de moins de 30 ans n’inquiéterait pas spécialement (6,2), mais qu’un président de plus de 75 ans provoquerait l’affolement – surtout en France avec une note de (4,7) !
L’élection d’un septuagénaire Compte tenu de la prime à la jeunesse, comment expliquer alors qu’en France comme aux États-Unis, en 2016, les hommes et femmes politiques autour de 70 ans soient plus nombreux à concourir et, plus encore, qu’ils séduisent malgré tout les électeurs ? Hillary Clinton (70 ans en novembre), Bernie Sanders (75 ans), Donald Trump (70 ans), Alain Juppé (71 ans) : les électeurs seraient-ils plus ouverts que par le passé ? Les électeurs paraissent être un peu mieux disposés, au moins aux États-Unis, envers un candidat âgé. 20 L’institut de sondage PEW a comparé 2007 et 2014 et constaté des progrès (ceux qui refusent de voter pour un septuagénaire passent de 48 à 36 %), mais l’« agéisme » est encore considérable : en 2014 non seulement de nombreux électeurs se détournent des candidats âgés (36 %), mais très rares sont ceux que l’âge inciterait à choisir un vieux candidat (6 %). Le même sondage nous apprend en revanche que 1 électeur sur 5 votera pour une femme parce que c’est une femme alors que 9 % seulement refuseront de voter pour elle en raison de son sexe. De même 35 % des Latinos voteraient plus pour un candidat hispanique, mais être septuagénaire reste presque le pire pour un candidat. Les esprits n’évoluent pas très vite et l’âge reste bel et bien un handicap. Ainsi, un sondage de mai 2015 montre que 92 % des Américains préfèrent des candidats de moins de 60 ans 21. partir de 70 ans, il est a priori toujours plus difficile de l’emporter. C’est pourquoi ce qui se joue en 2016 et 2017 est si important : des candidats âgés sont en effet en lice aux primaires aux États-Unis et aux présidentielles en France. Néanmoins, si Bernie Sanders, à 75 ans, a réussi à devenir l’« idole des jeunes » parmi les démocrates, les équipes des seniors en campagne, que ce soient
Donald Trump ou Hillary Clinton, savent que l’âge de ces derniers est une difficulté. Du coup, elles multiplient les images de jeunes (de 22 préférence, beaux ) autour de leur candidat, ce qui donne l’air jeune et dans le coup à leur champion. Toutefois, dans le jeunisme ambiant, un facteur semble bénéficier aux candidats plus âgés : ils paraissent faire moins que leur âge ! De nos jours, les années marquent moins les corps et les visages, et la chirurgie esthétique s’est développée. Par ailleurs, les individus adultes se voient toujours avec dix années de moins et voient aussi les autres plus jeunes qu’ils ne sont. En octobre 2013, Alain Juppé expliquait dans une interview au magazine Le Point : « À ceux qui m’invitent à être candidat en 2017, je réponds que j’aurai 71 ans. Ils me rétorquent alors que je ne fais pas mon âge. » Quant à sa calvitie, il explique en plaisantant qu’il a perdu ses cheveux très jeune et qu’il ne s’agit nullement d’un stigmate du vieillissement. Précisons que perdre ses cheveux est « politiquement » sensible – Jules César déjà s’efforçait de dissimuler ce défaut comme l’explique Suétone : l’empereur « supportait très péniblement le désagrément d’être chauve, qui l’exposa maintes fois aux railleries de ses ennemis. Aussi ramenait-il habituellement sur son front ses rares cheveux de derrière ; et de tous les honneurs que lui décernèrent le peuple et le Sénat, aucun ne lui fut plus agréable que le droit de porter toujours une couronne de laurier. » Aux États-Unis, aucun président chauve n’a été élu depuis soixante ans. Donald Trump a dû prouver qu’il ne portait pas de perruque et son challenger républicain Marco Rubio a été durement attaqué car il avait fait des implants capillaires pour se laisser une chance d’être élu 23…
Document 5. Perception des traits positifs et négatifs des candidats à la présidence. La question posée est : « Dans quelle mesure chacune des caractéristiques suivantes influerait-elle sur le soutien que vous accorderiez à un candidat à la présidentielle ? » (Source : sondage des 23-27 avril 2014, PEW Research Center.)
Heureusement pour elle, Hillary Clinton est vue comme très jeune par les électeurs américains. Selon les 18-29 ans, qui votent à 60 % démocrates, elle aurait moins de 50 ans pour 17 % d’entre eux et serait quinquagénaire pour 53 % (elle avait 67 ans à la date du sondage). On s’en doute, les adversaires politiques ont tout intérêt à multiplier les informations sur l’âge réel du candidat âgé, car cela l’affaiblit mécaniquement. La stratégie des communicants concernant
l’âge ressemble à celle qu’ils adoptent pour la couleur de peau, nous allons le voir.
Noir mais pas trop Les électeurs ne semblent plus guère s’attacher à la couleur de peau pour voter, nous l’avons vu, mais est-ce si simple pour autant ? En effet, des réflexes communautaires, particulièrement forts aux États-Unis, amènent des électeurs noirs à se porter massivement vers des candidats noirs (96 % des femmes noires ont voté pour Obama en 2012 et 3 % pour Romney 24). Par ailleurs, certains électeurs blancs modifient leur avis sur un candidat noir selon que la peau de celui-ci est plus ou moins foncée : en somme, tout est affaire de pigmentation. En 2007, l’équipe de campagne d’Hillary Clinton avait pour cette raison tenté d’enrayer la progression de Barack Obama dans la primaire démocrate en diffusant une vidéo dans 25
laquelle sa peau était plus foncée . Les républicains ont également fabriqué des spots dans lesquels Obama était de plus en plus noir et McCain de plus en plus blanc à mesure que le jour du vote approchait 26. C’est évidemment pour les vidéos associant Obama au développement de la criminalité que l’emploi du procédé a été le plus visible. La technique est bien connue et, à plusieurs reprises, des magazines et des annonceurs l’ont, semble-t-il, utilisée – couverture de Time Magazine de 1994 montrant le visage du joueur de football O. J. Simpson « noirci » alors qu’il était accusé de meurtre ; blanchiment à l’inverse de la peau de Beyoncé par un annonceur ou de Sidibé par un magazine féminin… Par ailleurs, les électeurs qui sont plutôt acquis à la cause d’un candidat dont ils partagent les idées le voient plus blanc qu’il n’est en
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réalité. Dans une expérience scientifique , on a observé ce phénomène avec des candidats factices ou réels (Obama). Ceux qui votent pour Obama trouvent qu’il ressemble à la photo de gauche (éclaircie par les chercheurs) et ceux qui lui sont hostiles trouvent qu’il ressemble à l’image de droite (noircie). Les électeurs ont besoin de « se construire » une image des hommes politiques dont ils partagent les programmes ou dont les idées au contraire les révulsent ; ce faisant, ils ne les voient pas de la même façon. Ainsi ceux qui voulaient voter pour Mitt Romney en 2012 se le représentaient-ils avec un visage qui inspire confiance 28.
Document 6. Bonne opinion et couleur de peau. Photographies d’un candidat factice (en haut) et de Barack Obama (en bas) dont la peau est tantôt éclaircie (à gauche) et tantôt foncée (à droite). (Source : E. M. Caruso, N. L. Mead, E. Balcetis, « Political partisanship influences perception of biracial candidates’ o
skin tone », PNAS, 2009, vol. 106, n 48, p. 20168-20173. © PNAS.)
Le poids électoral et les kilos en trop Les hommes politiques ayant un sérieux embonpoint sont nombreux. C’est assez naturel, car les hommes prennent du poids en vieillissant et les élus sont en moyenne plutôt âgés. L’image du sénateur bon vivant et un peu trop rond est persistante, même si, en réalité, les sénateurs sont plus jeunes que nos députés et ne sont
pas davantage en surcharge pondérale ou obèses. Faut-il en conclure qu’en France, comme à l’étranger, la prise de poids ne nuit pas aux carrières politiques ? Ou bien, au contraire, faut-il maigrir et faire du sport pour améliorer son image et convaincre les électeurs ? Pour les révolutionnaires de 1789 et les historiens de la e III République, le roi Louis XVI n’était qu’un « roi-cochon », un « ogre » un peu benêt et faible. On prête cette phrase à Victor Hugo : « Sans le 21 janvier [date à laquelle il est guillotiné], l’Histoire n’aurait vu que son ventre, et elle ne vit que sa tête. » Le roi est souvent représenté en cochon, dépeint comme vorace par nature, mangeant ou plutôt dévorant avec malpropreté tout ce qu’on lui jette. On insiste aussi sur sa faiblesse. En réalité, le roi Louis XVI mesurait entre 1,90 mètre et 1,93 mètre et il était doté d’une très grande force physique, qu’il mettait au service d’une de ses passions : la chasse. Loin de son image caricaturale de roi simplet, petit, gros, indécis et médiocre, il s’intéressait aux études et était doué d’une excellente mémoire. Pourtant, bien des années après, Louis XVI reste aux yeux des Français un roi sans personnalité, un peu mou, flanqué d’une femme autoritaire et germanique qui le domine (Marie-Antoinette). Faut-il en déduire que le surpoids et l’obésité sont des inconvénients en politique ? Nicolas Sarkozy avait, dit-on, souhaité que ses ministres fassent du sport et maigrissent 29, lui-même s’affichant volontiers en train de courir ou de pédaler. François Hollande, de son côté, a entrepris un régime important et a beaucoup minci avant de déclarer sa candidature à la primaire socialiste de 2011. Il s’agissait pour lui de rompre avec l’image de mollesse qui lui collait à la peau : son côté « gentil nounours » et son surnom Flamby ne convenaient pas au profil recherché – dynamique, combatif, capable de décider et de trancher. La transformation opérée est
importante, peut-être excessive, et donne lieu à des moqueries : le candidat, à défaut d’idées, aurait misé sur une campagne de communication. François Hollande n’a évidemment jamais expliqué qu’il avait effectué un régime pour améliorer son apparence et dans le but de corriger son image. En octobre 2010, s’exprimant pour la première fois sur sa perte de poids dans Gala, il déclare l’avoir entrepris « non par coquetterie ou souci d’apparence, [mais] pour être en harmonie 30 avec [soi]-même ». Il explique aussi à de multiples reprises que son objectif était d’être en forme, car une campagne électorale est physique. D’ailleurs, ajoute-t-il, ce régime témoigne de sa détermination à être le candidat choisi par le parti socialiste et à mener le combat pour l’élection présidentielle – en 2011, il suggère ainsi que Dominique Strauss-Kahn n’a peut-être pas la même volonté de suivre un régime aussi draconien… Dans nos imaginaires, faire de la politique, c’est être actif, à tel point que les électeurs se tournent vers des candidats dynamiques 31. Les hommes politiques, tant aux États-Unis qu’en France, s’efforcent donc de paraître en forme, sportifs et plutôt minces. Jean-Luc Mélenchon et Marine Le Pen aussi ont suivi des régimes. On se souvient que des bourrelets autour de la taille de Nicolas Sarkozy avaient été supprimés sur une photo publiée dans la presse… Al Gore, candidat à la présidentielle, avait rencontré le même problème et avait de même fait modifier des photos pour sembler plus sportif et moins enveloppé. Toujours aux États-Unis, le gouverneur Mike Huckabee, obèse, a beaucoup maigri lorsqu’il s’est lancé dans la primaire républicaine en vue des élections de 2008 ; pour lui, cette démarche démontrait qu’il avait du caractère et du self-control (il avait aussi, il est vrai, des problèmes de diabète).
Fin 2011, le gouverneur républicain du New Jersey, Chris Christie, qui envisageait alors de se présenter à la primaire, a été au centre d’une vive polémique en raison de son obésité. On disait de lui qu’il ne pourrait jamais gagner, car son état de santé était problématique, qu’il lui fallait manger de la salade et faire du sport. Un sondage effectué en 2009 auprès d’électeurs du New Jersey montra que 19 % des électeurs ne souhaitaient pas voter pour lui en raison de son poids et il renonça finalement à s’engager dans la primaire républicaine. Depuis, Christie a subi une opération de l’estomac en février 2013 (un lap-band, moins invasif qu’un by-pass) et a perdu quelques kilos. Il a expliqué l’avoir fait pour sa femme et ses enfants, même si des considérations de communication politique ne sont clairement pas absentes.
Document 7. Chris Christie. Le 9 février 2011, lors d’un meeting à la mairie d’Union City, New Jersey, le gouverneur Chris Christie écoute les requêtes pleines d’émotion d’Yvonne Garret-Morgan, qui le supplie de trouver des solutions. Elle n’a en effet jamais pu trouver d’aides pour l’éducation de son fils dyslexique, Isaac. (Photo de Luigi Novi, 9 février 2011. © Luigi Novi.)
Après avoir salué en 2012 Barack Obama pour son action lors du passage de l’ouragan Sandy, il a remporté haut la main (60,4 % des suffrages), sur des terres démocrates, l’élection de gouverneur du New Jersey en novembre 2013. Certes, la candidate démocrate n’était pas soutenue par les ténors de son parti, mais Christie a su s’imposer comme l’homme providentiel du parti républicain, capable de rassembler beaucoup plus large contrairement à d’autres candidats républicains plus « clivants » qui se privent du vote des Hispaniques, des Noirs et des femmes. Fin 2013, pour le Washington Post, Christie est « le républicain le plus populaire des États-Unis ». Après le dernier président obèse de 1913, William Howard Taft qui
pesait 154 kilos, le gouverneur du New Jersey pourrait-il devenir le prochain président obèse malgré les critiques sur son poids ?
e
Document 8. Le 27 président des États-Unis, William Howard Taft. (Source : George Grantham Bain Collection [Library of Congress]. © George Grantham Bain.)
À la suite du scandale du « Bridgegate » (son entourage a fait bloquer durant plusieurs jours le Washington Bridge en septembre 2013 pour nuire à un élu démocrate refusant de le soutenir), Christie a perdu énormément de popularité en quelques mois et les attaques sur son poids ont dès lors repris de plus belle, comme en témoigne la couverture du magazine Time du 13 novembre 2013 où il est carrément comparé à un éléphant avec ce titre
moqueur : « An elephant in the room », l’éléphant étant l’animal emblème du parti républicain. On imagine mal un tel niveau de raillerie concernant la couleur de peau ou le genre…
Peut-on mettre les gros de son côté ? On sait très peu de chose sur l’effet de l’obésité sur les chances d’être élu. Une étude de politologues de l’Université du Missouri de 2010 32 a interrogé 120 étudiants américains sur leur choix entre des candidats de différentes obédiences politiques, obèses ou de poids standard. Les hommes obèses étaient préférés aux hommes non obèses, à l’inverse des femmes obèses perçues comme moins honnêtes, moins fiables et moins capables de performance. Malheureusement, on ignore si cet effet positif de l’obésité se vérifie lorsqu’on examine de véritables élections (et non des élections simulées dans une université). En outre, il est probable que les NordAméricains réagissent différemment des Français. Quoi qu’il en soit, cette étude est convergente avec des résultats bien connus : les femmes à forte corpulence sont toujours fortement pénalisées dans tous les domaines, alors que pour les hommes l’obésité n’est pas nécessairement stigmatisante. En outre, il est établi que les hommes chétifs, de petite taille et trop minces sont moins appréciés et sont discriminés. Un homme chétif est moins valorisé qu’un homme de poids moyen ou en surpoids. Dans l’étude que nous évoquons, les hommes enveloppés avaient l’air plus « musclé », ce qui les favoriserait. Les photos ci-dessous, données en exemple par les responsables de l’étude, permettent de constater ce phénomène. Les deux tiers des Américains sont en surcharge pondérale et 1 personne sur 3 est obèse. On se demande du coup pourquoi les
hommes politiques devraient être si différents d’eux et participer de la stigmatisation de la prise de poids (ce qui revient à dénoncer les comportements de leurs propres électeurs). Le fait qu’un homme politique n’assume pas d’avoir des kilos en trop pourrait d’ailleurs le faire apparaître comme peu sincère et attaché à des valeurs et à des préoccupations bien superficielles. Le candidat républicain John McCain a tenté une manœuvre face à Barack Obama : il a expliqué qu’Obama faisait de la gym trois fois par jour en déclarant que seules les « célébrités » avaient un tel rythme. Le Sunday Times a soutenu qu’en refusant une part de cake qui lui était tendu, Obama avait perdu la primaire de Pennsylvanie. On sait que les candidats doivent montrer qu’ils mangent comme tout le monde : Al Gore prend des pizzas à emporter, Bill Clinton s’affiche au McDo, Kerry mange des hot-dogs, tout cela étant préparé par les communicants de leurs équipes bien sûr.
Document 9. Un homme chétif est moins apprécié qu’un homme plus rond. (B. J. Miller, J. D. Lundgren, « An experimental study of the role of weight bias in o
candidate evaluation », Obesity, 2010, vol. 18, n 4, p. 712-718. © 2010, The Obesity Society.)
Aux États-Unis, le candidat à la primaire républicaine de 2012 Newt Gingrich a essayé de transformer son désavantage (il est un peu gros) en avantage face aux « Ken » qui lui étaient opposés dans la primaire et même au président Obama : cela le rendrait plus humain. « Je ne vais pas faire saigner Obama, je vais le mettre K.O. », a-t-il déclaré. Or on sait que les poids lourds en boxe ont un poids élevé. Il a aussi plaisanté devant un marchand de glaces de l’Iowa : « J’ai des faiblesses, comme vous vous en doutez. La nourriture est la première, la deuxième et la troisième. » Mais in fine, et comme d’ordinaire, la campagne présidentielle américaine a opposé deux candidats sveltes : Mitt Romney et Barack Obama. Les « communicants » font-ils dès lors fausse route lorsqu’ils recommandent à leurs poulains une cure d’amaigrissement pour un
look plus sportif ? Probablement pas : pour l’heure, les kilos en trop restent un frein pour accéder aux plus hautes responsabilités politiques. Les 15 % d’électeurs du New Jersey qui refusent de voter 33 pour un obèse sont là pour le rappeler . Dans un sondage publié par Vanity Fair, CBS et 60 Minutes en juillet 2014 34, dans lequel on demandait aux Américains comment ils ressentiraient le fait que leur président soit en surpoids, 64 % ont déclaré qu’être en surpoids n’avait aucun rapport avec la capacité à tenir le poste et 15 % que l’apparence n’avait pas d’importance ; à l’inverse, 10 % estimaient que cela adresserait un mauvais message sur la santé et 9 % que la santé du président serait à risque. Ce résultat est plutôt encourageant et montre une évolution de l’opinion. Il a d’ailleurs été présenté aux États-Unis comme un retournement entrouvrant la porte de la Maison Blanche à des candidats jusqu’alors promis à un cuisant échec comme Chris Christie, le candidat républicain dans la primaire de 2016. En effet, si les critiques sur son poids ont été rudes, celui-ci a rebondi dans les sondages en décembre 2015. Sa popularité est certes restée modeste, mais il ne faut pas oublier que c’était un candidat avec très peu de moyens, très loin derrière la douzaine de candidats républicains qui trustent les financements pour leur 35 campagne . Le cas de la ministre belge Maggie De Block est très intéressant de ce point de vue également. Cette femme a été médecin durant vingt ans et, lorsqu’elle devient ministre de la Santé en 2014, elle est raillée par un journaliste en raison de son poids (son obésité est liée à une maladie chronique) : « Comment peut-on être obèse et en charge de la santé ? » Pourtant cette femme est très appréciée en Belgique. Élue « femme de l’année 2013 » par les lecteurs de La Libre Belgique, elle est en tête des membres du gouvernement les plus populaires, avec 74 % d’opinions favorables. En 2015, elle reste
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la personnalité politique préférée des Belges . Ce que montre la popularité de Maggie De Block, c’est que les électeurs ont acquis une certaine maturité en étant capables de juger en fonction des compétences. Surtout, ils désapprouvent désormais les attaques sur le surpoids.
Aux grands hommes les hautes fonctions Combien de fois entend-on dire que la petite taille n’est pas un problème pour un homme puisque l’on peut être relativement petit et président de la République ? Si effectivement Nicolas Sarkozy est un homme de taille modeste, cela n’enlève rien à l’avantage dont jouissent en moyenne les hommes politiques de grande taille. Dominique de Villepin avait une silhouette qui lui conférait mécaniquement une longueur d’avance sur Nicolas Sarkozy, mais il est évident que cet avantage n’assure pas en lui-même le succès. Sarkozy a été attaqué et raillé en raison de sa petite taille et des stéréotypes qui y sont liés : revanchard et teigneux, manquant de grandeur et rabaissant la fonction présidentielle… On a cru voir en lui une personnalité « à problèmes » influencée par sa petite taille. Du coup, il a multiplié les efforts pour paraître plus grand : choix des ouvriers l’entourant lors d’un déplacement en usine, comme l’ont révélé des journalistes ; port de chaussures à talons rehaussés ; prises de vues qui l’ont parfois fait sembler aussi grand, voire nettement plus grand que son épouse Carla Bruni-Sarkozy… Le président Obama dans une réunion du G20 avait plaisanté sur le physique du président français en ces termes : « Je veux féliciter Nicolas et Carla pour la naissance de Giulia… et je suis certain que Giulia héritera du physique de sa mère plutôt que de celui de son
père, ce qui est une excellente chose. » Toutes les études scientifiques convergent sur ce constat : la grande taille d’un homme 37 politique est un avantage électoral . Dans La République, Platon signalait que celui qui hérite du gouvernail est plutôt celui qui est fort et de grande taille, bien qu’il ne voie rien et soit ignare en matière de navigation. Aux États-Unis, c’est depuis le début du XXe siècle que la prime à la taille est la plus spectaculaire. Si l’on tient compte du fait qu’en 2000 Al Gore a obtenu plus de voix que George Bush, on arrive au résultat suivant : entre 1900 et 2012, 20 présidents finalement élus ont été plus grands que leur adversaire et 7 seulement plus petits (dans deux élections, leur taille est identique). Cet avantage donné aux hommes de grande taille est devenu important (ce n’était e pas le cas au XIX siècle), ce qui peut s’expliquer par l’impact croissant de l’image des candidats et par l’avènement de la télévision.
Le handicap visible et les élus On a beaucoup insisté sur la présence des minorités visibles au Parlement, mais on chercherait en vain les tribunes, pétitions ou propositions de loi visant à assurer une représentation des personnes handicapées dans la vie politique. Dans les faits, elles sont remarquablement absentes. On compte, semble-t-il, un seul député en situation de handicap, et encore celui-ci n’est-il élu que depuis e
2012 : Damien Abad, élu dans la 5 circonscription de l’Ain est atteint d’une maladie congénitale rare, l’arthrogrypose, qui bloque ses articulations. La sous-représentation des personnes handicapées, du moins au handicap visible, est frappante. Aucune étude n’a été menée permettant de savoir combien d’élus municipaux, de
conseillers régionaux ou de parlementaires étaient en situation de handicap. Le désintérêt pour ce sujet est paradoxal. En effet, il existe en matière de handicap un quota d’emploi de 6 % qui s’impose aux entreprises et aux administrations. On pourrait dès lors s’attendre à ce qu’une mesure de la présence de personnes handicapées dans le champ politique soit au moins esquissée : il n’en est rien. Pour l’audiovisuel, on trouve tout de même un chiffre et une ligne permettant de constater que l’on se trouve au degré zéro de la représentation des personnes handicapées sur les écrans, mais pour la politique rien d’équivalent. Le handicap éventuel d’un homme politique est traditionnellement considéré comme une information devant être tenue secrète. Avoir un handicap, c’est paraître diminué et, aux yeux de l’électeur, risquer de ne pouvoir assumer de lourdes responsabilités. Qu’un président ait une surdité ou un cancer est dissimulé. Aux États-Unis, le président Roosevelt a contracté la polio en 1921 à l’âge de 39 ans et a été, jusqu’à sa mort en 1945, généralement en fauteuil roulant, incapable de marcher sans des attelles ou l’aide de quelqu’un. Mais il n’était jamais photographié en fauteuil roulant, réussissant à cacher son handicap avec la complicité des photographes de presse et l’aide des agents des services secrets, qui bloquaient le champ de vision de ceux qui essayaient d’avoir des images dévoilant sa maladie. Le président Kennedy, qui était handicapé (il portait un corset, souffrait beaucoup et était sous médication constamment), n’en montrait rien ; au contraire, il offrait l’image lisse d’un leader de charme, ancien combattant et sportif. Le décalage entre l’image de JFK et la réalité de son état de santé est fort : les électeurs n’en savaient rien et, lors du fameux débat télévisé dans lequel il l’emporta largement, scellant sa victoire à la présidentielle, il affronta un adversaire qui venait de se blesser au genou : l’homme transpirant et grimaçant de douleur, en
quelque sorte invalide, c’était Nixon, et l’homme en pleine forme, Kennedy. De même François Bayrou – qui, enfant, était bègue – n’a-t-il développé aucun discours politique ni programme singulier sur le handicap. Pourtant, les traces de cette difficulté sont encore perceptibles dans son expression orale, comme sa marionnette des Guignols ne manque pas de le souligner. Ainsi qu’il l’a expliqué dans une interview au JDD après la sortie du film Le Discours d’un roi, il n’a jamais cherché à dissimuler son bégaiement et a été politiquement attaqué sur ce terrain : « Au début, dans ma circonscription, mes adversaires faisaient campagne contre moi sur le thème “il ne sait pas parler”. » Pour autant, Bayrou n’a jamais fait de son handicap un axe de communication, peut-être parce que les faiblesses qu’il peut admettre en privé ne doivent pas être révélées à l’électeur. Quels que soient les pays, il est bien rare de voir des responsables politiques handicapés. En Allemagne, on peut citer le ministre des Finances Wolfgang Schaüble. Et encore celui-ci était déjà un homme politique important lorsqu’il a été victime d’un tireur qui le laissa handicapé. Rien n’assure qu’il aurait réussi la même carrière politique s’il avait été en fauteuil roulant plus jeune. Le cas de David Blunkett, aveugle de naissance, ministre britannique du Travail et des Retraites en 2005, est beaucoup plus rare. À en croire les sondages nord-américains, les électeurs n’auraient quasiment aucune hésitation à voter pour un candidat à la présidence handicapé. Mais cette réponse est-elle sincère ? On peut en douter et un « effet Bradley » est ici à craindre. Rappelons qu’il y a quelques années, avant l’élection d’Obama, les électeurs consultés disaient avoir l’intention de voter pour un Noir, mais ne le firent pas le jour du vote : Tom Bradley échoua ainsi au poste de gouverneur en Californie
en 1982. McCain, en situation de handicap, a été attaqué sur son physique et n’a rassemblé que 44 % des électeurs handicapés (autant que chez les valides), contre 50 % pour Obama : les électeurs handicapés ne se sont pas mobilisés pour lui. Au fond, être obèse, septuagénaire ou handicapé fait perdre des voix, sans que les électeurs directement concernés n’apportent leur soutien. Un sentiment communautaire existe pour les Noirs américains, un peu aussi pour les femmes et les Hispaniques, mais pas, jusqu’à présent, pour ces autres groupes. En France, lors des meetings politiques, la présence de personnes ayant un handicap visible n’est pas recherchée comme l’est celle de jeunes gens ou de minorités visibles. Les seniors (en dehors naturellement des leaders politiques plutôt âgés), les obèses et les handicapés sont tenus à l’écart des estrades. Et, depuis quelques années, le casting des membres des gouvernements semble même reposer en partie sur la plastique et la jeunesse. La 38 nomination de ministres femmes dépend de leur beauté , constat qui a été établi dans plusieurs pays, et c’est vrai lorsque le Premier ministre est un homme (Pays-Bas, Suède, Grande-Bretagne), mais aussi une femme (Allemagne, Danemark, Norvège)…
Élus en 100 millisecondes Le visage d’un candidat à une élection influence incontestablement l’électeur. Comment en sommes-nous certains ? La technique qui consiste à demander à des personnes qui ne connaissent pas les candidats (des personnes étrangères, par exemple) de donner leur avis sur des candidats en regardant simplement leur visage a été 39
plusieurs fois utilisée . On s’assure que les évaluateurs ne
connaissent pas les hommes ou femmes politiques testés et n’ont strictement aucune idée de leur programme. La question classique est la suivante : sur une échelle de 0 à 10, cette personne (un candidat à une élection) vous semble-t-elle compétente ? Ou bien : ferait-elle un bon sénateur ? On observe ensuite quel est le résultat des véritables élections. Sans surprise, les candidats qui ont l’air compétents emportent plus facilement les élections. Un professeur de Princeton, Alexander Todorov, a établi cette règle en étudiant 64 élections sénatoriales et de gouverneurs aux 40 États-Unis . Les candidats qui étaient jugés compétents simplement sur photo par des gens qui ne les connaissaient pas du tout et ignoraient leur parti et leurs idées ont effectivement gagné l’élection dans environ 7 cas sur 10. Autre exemple : des chercheurs 41 montrent à des personnes qui vivent en Inde et au États-Unis des paires de photos de candidats à des élections au Brésil et au Mexique. Ces dernières ne savent absolument rien des idées de ces candidats et doivent simplement dire qui leur semble le meilleur pour être un élu : elles trouvent dans 68 % des cas qui a été le véritable gagnant de l’élection ! La différence entre ceux qui ont une « tête de vainqueur » et ceux qui ne l’ont pas atteint 15 points le jour du vote, ce qui est considérable. Or il ne faut que quelques instants pour se forger une opinion sur un 42 candidat, quelques millisecondes même , un enfant de 5 ans en serait capable… Pour éviter que des évaluateurs reconnaissent très vaguement ou inconsciemment un visage, des chercheurs ont aussi eu l’idée de questionner des enfants étrangers. Une étude, curieusement peu médiatisée en France, a été menée par un professeur d’HEC Lausanne, John Antonakis, sur les élections législatives françaises. Elle a montré que le seul visage des candidats permettait à des
enfants de 5 à 13 ans résidant en Suisse de prédire leur succès dans les trois quarts des cas. On a demandé à ces enfants dans le cadre d’un jeu de choisir le « capitaine d’un bateau » devant accomplir une difficile mission (« aller de Troie à Ithaque »). Deux personnes dont 43 on montrait les visages leur étaient proposées . Les 681 enfants interrogés ont, comme les 684 étudiants suisses de l’université interrogés par ailleurs, déterminé, sans le savoir, le vainqueur des législatives françaises de 2002 à 72 %. Seules des circonscriptions dans lesquelles le sortant avait été battu étaient proposées, sachant que les sortants ont en général un avantage comparé, et il y avait 57 paires de candidats présents au second tour, soit 114 candidats évalués : dans les faits, on a pu noter la similarité des réponses entre adultes et enfants. En outre, ces enfants ont pu annoncer, d’une façon cette fois prédictive et toujours sur la base de simples images, la double victoire de Barack Obama sur Hillary Clinton d’abord, puis sur John McCain en 2008. Les enfants remplaceront-ils bientôt les sondeurs ? Il s’avère que les électeurs peu informés, mais qui regardent néanmoins beaucoup la télévision sont ceux qui se décident le plus en fonction de l’apparence physique des candidats aux élections. Des professeurs du MIT et de Berkeley ont étudié les élections au Sénat américain de 2006. L’effet constaté sur ces électeurs est équivalent à la « prime au sortant 44 »… Plus étonnant est le constat que même les électeurs moyennement informés sont influencés par la tête des candidats (à un moindre degré néanmoins). Pour eux, en revanche, regarder davantage la télévision n’a pas un effet aussi prononcé que pour ceux qui ne connaissent pas grand-chose sur la politique et les candidats. A priori les électeurs mieux informés et ceux qui sont bien ancrés idéologiquement en votant plus pour un parti que pour un homme sont moins influencés par l’apparence des candidats. Mais,
même avec des informations nombreuses sur un candidat dont ils ignorent tout, les électeurs continuent néanmoins à se fier à 45
l’impression qu’ils se sont faite à partir de sa photo . Le résultat des urnes confirme que le visage d’un homme politique joue un rôle dans ses chances d’être élu, mais comment être certain que c’est bien sa trombine qui déclenche ces votes et pas d’autres motifs ? Les meilleures performances électorales de ceux qui ont l’air compétent ou qui sont les plus séduisants peuvent en effet provenir de leur capacité à lever des fonds, de leur travail ou de leur personnalité… Pour être certains que c’est bien le visage du candidat et non d’autres caractéristiques de ce candidat qui jouent, des chercheurs 46 ont eu l’idée lumineuse d’envoyer chez les électeurs des bulletins de vote comportant tantôt des photos des candidats, tantôt pas de photo. On s’est aperçu en examinant le résultat du vote que là ou des électeurs avaient disposé de photos, ils avaient été influencés, votant différemment des endroits où les bulletins de vote ne comportaient pas de photos. Avec cette expérience menée sur de véritables élections, on est sûr que c’est la photo, présente ou pas sur un bulletin de vote, qui modifie le comportement des électeurs. Avoir la tête de l’emploi c’est-à-dire avoir l’air assez « compétent » pour briguer un mandat est donc essentiel, même si d’autres paramètres jouent. C’est le cas de la beauté.
Beaux visages et bulletin de vote En politique, la prime aux belles et aux beaux est constante, parce qu’on les trouve plus charismatiques et donc susceptibles de remporter des élections. Qu’ont en commun Najat Vallaud-Belkacem, Fleur Pellerin et Emmanuel Macron (trois ministres ou anciens
ministres du gouvernement Manuel Valls) ? À en croire le Premier ministre lui-même, ils sont surtout jeunes et beaux. Au journal de France 2, Valls a ainsi évoqué « le renouvellement qui s’imposait et 47 de beaux visages, ceux de la jeunesse ». Doivent-ils leur nomination à ces qualités plus qu’à leurs compétences pourtant réelles ? Le site du gouvernement met en exergue le choix judicieux d’« un gouvernement clair, avec de beaux visages », où « tous représentent la force, les atouts de la France 48 ». Un aveu révélateur : la beauté et la jeunesse sont, aux yeux du Premier ministre et de ses communicants, un critère de sélection pertinent. Fleur Pellerin, qui fut la ministre de la Culture et de la Communication, en est elle-même parfaitement consciente. Après son entrée au gouvernement, elle expliquait en toute franchise : « Si j’avais été un homme blanc de 60 ans, à compétences égales j’aurais eu moins de chances d’être nommée. » Pourquoi cette préférence assumée au sommet de l’État pour des représentants jeunes et beaux ? Un beau visage peut aider à remplir les isoloirs, surtout si les électeurs connaissent peu le candidat et ses idées. Des expériences ont montré que les gens signaient plus volontiers une pétition si la 49 personne qui cherche à convaincre est séduisante . Elles ont montré que la beauté favorisait aux élections 50. Bien entendu, cet effet est plus fort quand les électeurs disposent de peu d’informations sur les 51 candidats, mais il persiste même chez les électeurs bien informés . Une étude réalisée sur des élections ayant lieu en Finlande a 52 débouché sur un constat identique : la beauté compte. Les personnes interrogées ne connaissaient pas du tout ces candidats finlandais, car elles résidaient dans d’autres pays et étaient d’une autre nationalité (américaine, française, suédoise, allemande, etc.). Il était demandé aux répondants non seulement pour quels candidats ils voteraient si les élections avaient lieu chez eux, mais aussi s’ils
trouvaient les divers candidats sympathiques, dignes de confiance, intelligents, beaux, compétents. Les chercheurs ont ensuite regardé si les gagnants des authentiques élections locales et nationales en Finlande avaient des caractéristiques particulières. Incontestablement, c’est la beauté des candidats qui a été le facteur de réussite principal. Son effet était plus fort pour les femmes que pour les hommes et jouait davantage pour les scrutins nationaux que 53 municipaux. Des études sur les élections en Australie , en Allemagne 54, en Suisse 55 et au Parlement européen 56 débouchent sur le même constat : la beauté est un des déterminants du vote. En Grande-Bretagne, l’année 2015 a vu s’opposer deux chefs de parti aux visages bien différents. David Cameron pour les conservateurs a tout du « gendre parfait » ; de son côté, Ed Miliband, le leader travailliste, a été moqué à cause de son visage dans les tabloïds. Dès 2012 les articles ont fleuri sur le thème : « Est-il trop laid pour devenir Premier ministre ? » Des sondages ont même été diligentés sur ce sujet et ils sont instructifs. Il apparaît que 1 électeur sur 10 avoue le trouver « trop laid pour être Premier ministre » et que pour 7 57 électeurs sur 10 il n’a pas le look et la voix d’un Premier ministre . Pour une majorité de Britanniques 58, le look du candidat a de l’importance au moment du vote, même si 85 % des répondants pensent que cela ne devrait pas compter. Pour 67 % des Britanniques, Miliband n’a pas l’allure d’un leader national crédible (convictions et politique mises à part). Ils sont 73 % à ne pas le trouver physiquement attractif (20 points derrière David Cameron). Le même sondage nous apprend que les électeurs ont plutôt apprécié (42 % contre 34 % qui sont d’avis contraire) le fait qu’il ait ouvertement évoqué dans une intervention publique les jugements sur son « physique de Wallace » (allusion au film Wallace et Gromit). Ce résultat suggère que les politiques peuvent désormais aborder
frontalement ces questions au lieu de les éviter. Pour autant, Ed Miliband ne comblera jamais par la suite ce déficit d’image. L’élection législative de 2015 sera largement perdue et Miliband démissionnera de la présidence du parti travailliste. La beauté séduit a priori l’électeur et lui donne le sentiment d’avoir affaire à un candidat intelligent et même compétent. Elle rassurerait aussi inconsciemment l’électeur sur sa bonne santé. Des chercheurs américains ont ainsi montré que dans les États où la santé est un problème (modeste espérance de vie, mortalité infantile), les électeurs sont très sensibles à la beauté des candidats, mais pas ailleurs. La beauté est en règle générale un avantage en politique même si elle joue moins si les électeurs ont des informations précises 59 sur les candidats . Pour les femmes, les choses sont plus compliquées. Il y a trente ans, être une belle femme en politique n’était pas franchement un avantage, contrairement à ce qui se passait pour les hommes. Ainsi, on a constaté aux États-Unis qu’être belle pouvait parfois nuire à la performance électorale 60 : les candidates belles étaient appréciées, mais on votait moins pour elles 61
– toujours le fameux préjugé « belle et bête ». Cette situation a changé en grande partie et les électeurs acceptent désormais de voter pour des femmes que leur beauté décrédibilise moins que par le passé, mais le problème n’a pas totalement disparu pour autant : ce n’est pas forcément un avantage si l’attention se focalise sur ses chaussures à hauts talons ou sur sa silhouette « sexy »… Dans l’ensemble, pour les candidates femmes, il semble que les électeurs préfèrent celles qui sont plutôt « féminines ». C’est d’autant plus vrai que les électeurs sont conservateurs – pour eux, les rôles sont distribués de manière classique et les femmes doivent être « femmes » sans ambiguïté. Avoir les cheveux plutôt longs, du maquillage, des bijoux, un visage rond et de larges yeux permet de
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gagner des électeurs . Toutefois, les femmes doivent aussi éviter de 63 paraître totalement incompétentes en devenant trop « sexy ». Ce risque existe bel et bien, de sorte que les femmes politiques (surtout à droite de l’échiquier politique) sont astreintes à un subtil équilibre : être physiquement attirantes, avoir de la féminité mais, en même temps, avoir l’air sérieux et compétent. Le physique et la vêture des femmes politiques sont scrutés en permanence, en tout cas beaucoup plus que ceux des hommes.
La figure du leader dominant Comme la beauté, d’autres caractéristiques du visage suggérant inconsciemment des traits de personnalité ont un effet. On peut se demander par exemple si avoir une tête à poigne est plus porteur que d’avoir l’air accessible et sympathique.
Document 10. Les visages qui collent au contexte. Le visage A semble plus masculin, dominant, de leader ; le visage B est attirant, il semble sympathique et intelligent ; le visage C correspond à celui de George W. Bush et le visage D à celui de John Kerry. (Source : A. C. Little, R. P. Burriss, B. C. Jones, S. C. Roberts, « Facial appearance affects voting decisions », Evolution and Human Behaviour, 2007, 28, p. 18-27. © Evolution and Human Behaviour.)
Voici par exemple les résultats obtenus par une équipe de l’Université de Liverpool 64. Cette étude a été faite sur des élections présidentielles dans plusieurs pays (États-Unis, Grande-Bretagne, Australie, Nouvelle-Zélande). Il s’avère que les formes des visages influencent le choix des électeurs. Mais ce qui importe aussi, c’est le contexte dans lequel l’élection a lieu. Par exemple, montrent ces chercheurs, lorsque George Bush remporte l’élection face à John Kerry, c’est dans un contexte de guerre ; en temps de paix, Kerry l’aurait emporté. En effet, le visage de Bush donne le sentiment aux électeurs d’avoir affaire à un leader à poigne, masculin, dominant,
alors que le visage de Kerry donne l’impression d’une personne sympathique, intelligente, attirante et indulgente. Le paradoxe, c’est que les états de service de Kerry sont ceux d’un véritable combattant médaillé, alors que Bush n’a fait aucune guerre (il était dans la garde nationale).
Document 11. Intentions de vote fondées sur un visage type et vote réel en %. En cas de guerre, les évaluateurs choisissent comme président le visage de type A soit Bush et, en cas de paix, le visage de type B, soit Kerry. Lors du vote, Bush l’a emporté. (Graphique de l’auteur à partir de A. C. Little, R. P. Burriss, B. C. Jones, S. C. Roberts, « Facial appearance affects voting decisions », Evolution and Human Behaviour, 2007, 28, p. 18-27.)
Les visages préférés des électeurs sont aussi ceux qui correspondent au profil habituel ou attendu des élus du parti. Les têtes de leaders dominants sont ainsi associées dans l’imaginaire aux 65 élus de droite – les républicains aux États-Unis . Donald Trump qui a décidé en 2015 de se lancer dans la primaire républicaine affiche ainsi une grande fermeté, il est l’archétype du « macho ». Les
journalistes racontent qu’il est entouré au travail de filles de 20 ans, toutes plus belles les unes que les autres. Il a du reste épousé de jeunes mannequins qui sont autant de trophy wives et il est le seul homme à avoir fait la couverture de Playboy aux côtés d’une playmate en mars 1990. Trump a déclaré dans le magazine Rolling 66 Stone , s’agissant de la seule femme challenger en lice dans la primaire républicaine, Carly Fiorina : « Regardez-moi cette tête. Quelqu’un peut-il voter pour ça ? Vous arrivez à l’imaginer, ce visage de notre nouveau président ? Je sais, c’est une femme et je ne suis pas supposé dire de mauvaises choses, mais enfin, les gars, je vous en prie. Est-ce que c’est sérieux ? » Lors d’un débat télévisé, Donald Trump a dû battre en retraite, en expliquant qu’il visait la personne, et non son apparence. Il a ajouté que le visage de Carly Fiorina était magnifique et qu’elle était une très belle femme. Reste que cet épisode a valu à Carly Fiorina un petit succès médiatique et aussi auprès des téléspectateurs et de l’opinion.
Les catégories dignes d’intérêt… et les autres Durant la campagne présidentielle française de 2012, le journal Le Monde a consacré une page à une étude du Cévipof concernant le 67 vote des homosexuels . L’enquête évalue à 6,5 % le pourcentage de personnes homosexuelles et bisexuelles de plus de 18 ans (3 % d’homosexuels et 3,5 % de bisexuels). Les chercheurs soulignent que l’on est en présence d’un sujet absent des analyses malgré le poids électoral du groupe en question. Il est vrai que l’on s’est penché sur les votes selon le sexe des individus, leur âge, leur profession, mais que cet aspect n’a pas été examiné. Une question se pose alors : outre le vote en fonction de l’orientation sexuelle, n’est-il pas étonnant
aussi que l’on ne s’intéresse pas au vote des personnes handicapées en France et des obèses ? En quoi ces groupes sociaux n’en valentils pas un autre ? Qui peut soutenir que les personnes concernées ne partagent pas des discriminations fortes et ne sont pas stigmatisées ? Même en cherchant bien, aucune étude d’un institut de sondage et du Cévipof ne porte sur ces groupes d’individus. Dans la longue série des notes du Cévipof sur les électorats sociologiques, on trouve les groupes suivants : seniors, jeunes, femmes, gays, bi et lesbiens, ouvriers, classes moyennes, fonctionnaires, agriculteurs, enseignants, propriétaires, ultramarins, musulmans, catholiques, juifs, protestants, pieds-noirs et même chasseurs… Il est naturellement pertinent d’étudier le vote de ces groupes d’individus, mais, une fois de plus, pourquoi diable la sociologie politique reste-t-elle aussi rétive à analyser, par exemple, comment votent les personnes handicapées ? En quoi les chasseurs ou les propriétaires forment-ils davantage un électorat sociologique ? Si l’on s’en tient aux personnes de plus de 18 ans en âge de voter, la part de ces « minorités invisibles » est pourtant considérable. Pourquoi ne forment-ils pas des catégories politiques ? C’est que les associations qui militent pour en promouvoir les intérêts sont très peu influentes, disposent de faibles ressources et comptent un nombre dérisoire de membres… D’ailleurs, on connaît plus le CRAN (Conseil représentatif des associations noires), le MRAP, SOS Racisme et la LICRA que ceux qui luttent contre le racisme antigros ou la discrimination à l’égard des seniors, des hommes de petite taille et des personnes de très grande taille. Ce n’est que pour le handicap qu’existent d’actives et importantes associations. En existe-t-il une qui défende ceux qui ont un visage disgracieux ? A-t-on vu une manifestation de femmes obèses dans les rues ? Il y a bien eu quelques marches des fiertés
d’obèses aux États-Unis rassemblant une dizaine de personnes et restées confidentielles, mais on est bien loin des Gay Pride. Pourtant il existe bien un mouvement de la fat acceptance qui œuvre pour la reconnaissance du droit à avoir des kilos en trop et lutte contre les discriminations liées au poids. Il regroupe des associations qui organisent des élections de miss, des fashion events, des activités sportives – je pense à Allegro Fortissimo, au Collectif national des associations d’obèses ou à Regard XXL. Récemment, un nouveau courant de recherches et d’enseignements dans les universités américaines sur le surpoids est néanmoins apparu, les fat studies. Il était temps qu’existent des enseignements et des recherches en ce domaine comme il existe depuis longtemps des études telles que les women’s ou gender studies, les queer studies ou encore les African American studies. L’approche médicale de prévention de l’obésité a peu à peu intégré la question de la stigmatisation et de la tyrannie de la minceur, car elles alimentent la prise de poids. Le GROS (Groupe de réflexion sur l’obésité et le surpoids), fondé par les docteurs Gérard Apfeldorfer et Jean-Philippe Zermati, en est un exemple. Mentionnons également les travaux du professeur de médecine Arnaud Basdevant responsable du Plan Obésité (2009-2013). Il est vrai que lutter contre l’obésité est un impératif de santé et s’avère un enjeu social et économique. Quant aux people obèses, ils ne sont pas des fat activists. Michael Moore et Oprah Winfrey aux États-Unis, Guy Carlier et Pierre Ménès en France ne se positionnent pas sur ces questions. Les élus obèses ne sont pas non plus des figures de proue de cette cause. Même Chris Christie aux États-Unis est resté plutôt silencieux sur ce thème… Au total, faut-il s’inquiéter de la pérennisation de certaines discriminations, liées au poids, à l’âge ou au handicap, ou bien, au
contraire, se réjouir de la lente, mais réelle évolution des mentalités dans notre pays et, plus largement, dans les pays occidentaux ? Dans la vie politique, après des années de triomphe du jeunisme et de culte de l’apparence, il semble qu’un basculement spectaculaire soit en train de se produire. Des « septuagénaires » trouvent grâce aux yeux des Américains ou des Français comme Bernie Sanders, Donald Trump, Alain Juppé ou Hillary Clinton. Bien entendu, la présence de ces personnalités politiques ne permet pas à elle seule d’invalider le fait que les apparences physiques sont une clef du succès en politique, mais elle traduit une évolution des électeurs. L’image des femmes et des hommes politiques reste déterminante mais, ce qui est nouveau, ce sont les réactions des opinions publiques plus ouvertes à des profils différents. Ce phénomène a déjà permis l’élection d’un président de couleur noire aux États-Unis et c’est aujourd’hui d’autres types de candidats qui semblent pouvoir convaincre les électeurs, alors que leurs chances de l’emporter étaient nulles auparavant. Or cette évolution ne concerne pas que la sphère politique. Comme nous allons le constater, dans le monde des médias aussi, les réactions des opinions publiques font bouger les lignes.
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Et si les médias changeaient la donne ?
La télévision et la publicité sont accusées de tous les maux, notamment de perpétuer les stéréotypes et de faire régner en maître la beauté la plus artificielle. Il est vrai que la diversité sur les écrans ou les affiches est limitée et il est même étonnant qu’on tolère de telles inégalités de traitement. Toutefois, à y regarder de plus près, on remarque depuis quelques années une inflexion inattendue qui pourrait bien contribuer à faire bouger les lignes de manière décisive.
Les vrais invisibles dans les médias et la publicité Du matin au soir nous sommes exposés à un nombre considérable d’images de corps dans la publicité, la presse écrite, la télévision et le cinéma. Des images remarquablement homogènes, à tel point qu’elles assurent la perpétuation de nos stéréotypes, alors même que se sont multipliés chartes, labels et autres mesures de promotion de la « diversité » sur les écrans, pour les visuels publicitaires et dans les entreprises. Regardons d’abord la situation dans l’audiovisuel. Le succès phénoménal du film Intouchables (20 millions d’entrées depuis 2011, troisième de l’histoire du cinéma en France) a permis que des personnes handicapées apparaissent sur les écrans de cinéma, puis de télévision. Certes, l’acteur principal du film, François Cluzet, n’est pas handicapé, mais des représentants d’associations de handicapés ou Philippe Pozzo di Borgo lui-même, dont la vie a inspiré le film, se sont exprimés dans la presse et à la télévision lors de la sortie. D’ordinaire, c’est une fois par an, à l’occasion du Téléthon, que les personnes en situation de handicap visible sont « exhibées ». Le reste du temps, on les dissimule au public, audimat oblige. Cette
invisibilité n’a pas échappé aux Français, lucides sur ce que l’on donne à voir dans nos médias. En effet, de tous les pays européens, c’est en France que la présence des 1 personnes handicapées dans les médias paraît la plus insuffisante : 65 % de Français le pensent contre 45 % en moyenne en Europe. À titre de comparaison, les répondants ne sont que 18 % à penser que la diversité des sexes dans les médias est insuffisante, quasiment le niveau le plus bas en Europe… Et ce n’est pas uniquement sur le handicap que l’audiovisuel est à la peine. Notre pays est devenu très attentif à la « diversité » des personnes qui apparaissent sur les écrans de télévision. La loi impose cette diversité et des mesures précises sont menées pour assurer qu’elle est respectée. En vertu de la loi du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication, le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) veille à ce que la programmation des services de communication « reflète la diversité de la société française » (article 3-1). Mais qu’entend-on par « diversité de la société française » ? La loi ne le précise absolument pas. Pour le savoir, il faut se tourner vers les publications officielles du CSA et de son Observatoire de la diversité, notamment dans les rapports remis au Parlement. Étrangement, on va le voir, la définition retenue de la « diversité de la société française » est bien étriquée : elle se résume à peu d’aspects : la catégorie socioprofessionnelle, la « parité » (c’est-à-dire la part respective des hommes et des femmes) pour certaines années, la « diversité des origines » (suivant une nomenclature : Blancs, Noirs, Arabes, Asiatiques, autres), le handicap et, seulement depuis 2013, l’âge (pour les seuls programmes d’information). Auditionné par le groupe de travail « diversité » du CSA en juillet 2007, j’ai plaidé pour que l’on donne une définition plus large de la diversité. J’ai essayé de convaincre – sans succès – qu’il n’était pas absurde que les personnes à forte corpulence et les seniors soient mieux représentées sur les écrans. J’ajoutais que l’on pouvait au moins essayer de mesurer leur présence dans les programmes. Le président du groupe de travail m’a alors répondu que ce n’était pas ainsi que la diversité devait être entendue : ce sont les couleurs de peau et les apparences physiques des personnes issues de l’immigration qui constituaient le sujet. Les rapports annuels concernant la diversité dans l’audiovisuel ne disent donc pas un mot sur la présence des personnes aux caractéristiques physiques atypiques sur les écrans comme les obèses ou les personnes de très petite taille. Pourquoi les obèses ne seraient-ils pas une « minorité visible » au même titre que les personnes de couleur noire ? Après tout, ils sont bien victimes de préjugés et de discriminations, stigmatisés et sous-représentés en regard de leur grand nombre. Rappelons quelques chiffres sur les personnes à forte corpulence. En France, au minimum 15 % des adultes de plus de 18 ans sont obèses 2. Dans certaines régions, comme le Nord-Pas-de-Calais, on grimpe même à plus de 20 % de la population adulte. C’est considérable, et pourtant en deçà de 3 la vérité, le véritable chiffre étant sans doute plus proche de 18 % pour la France . Car
les enquêtes françaises sont déclaratives, c’est-à-dire que ce sont les répondants qui indiquent leur taille et leur poids, et on a observé que les enquêtés ont tendance à se grandir et à se maigrir aux yeux des enquêteurs. En outre, le nombre d’obèses adultes est en constante augmentation : entre 1997 et aujourd’hui, il a doublé. Si on élargit notre décompte aux adultes simplement en surpoids sans être obèses, on arrive à un tiers de la population ! Ces obèses sont plus âgés que la moyenne des Français (5 % des jeunes de 18 à 24 ans sont obèses contre 19 % des plus de 55 ans), ce qui explique aussi leur absence sur les écrans. En effet, les chaînes préfèrent, nous allons le voir, montrer des jeunes que des vieux. Le CSA ne s’est pas beaucoup étendu sur la présence des seniors sur les écrans, comme si ce sujet ne faisait pas naturellement partie de l’obligation de refléter la diversité de la société française. La loi évoque « la lutte contre les discriminations par le biais d’une programmation reflétant la diversité de la société française » et justement nous avons vu que les Français les plus âgés sont aussi les plus discriminés au travail. 4 Aujourd’hui, près de 1 Français sur 4 a plus de 65 ans et 1 sur 10 plus de 75 ans . La part des seniors croît fortement. Et ce n’est pas près de s’arrêter. On appelle couramment la génération ayant entre 60 et 85 ans la génération « silencieuse » ou « invisible », ce n’est pas un hasard. Si un sondage 5 nous apprend que cette génération n’aime pas être nommée de la sorte, cela correspond parfaitement à sa situation objective… Mais dans les médias audiovisuels et dans la publicité, nul besoin d’atteindre 60 ans pour être « vieux » et dissimulé aux regards. Au-delà de la trentaine, on passe souvent pour une mamie ou un « vieux crabe ». À titre de repère, dans les entreprises, nous avons constaté que les discriminations au recrutement en raison de l’âge sont déjà très 6 importantes avant même 45 ans et dès qu’on a passé le cap des 45 ans, on est considéré comme un « senior ». Puisque les plus de 50 ans représentent en 2016 38 % de la population et que les enfants et adolescents en constituent 25 %, les entreprises, la publicité et les télés sont donc à l’image d’un groupe réduit d’environ 1 Français sur 4 seulement !
Document 1. Population française par tranches d’âge en 2016. (Source : calcul de l’auteur à partir de l’Insee, population estimée en France, y compris Mayotte fin 2015.)
Dans ces conditions, pourquoi le CSA ne s’est-il encore jamais préoccupé de l’âge ? La question des seniors est un sujet assez sérieux pour que l’Union européenne et les pouvoirs publics français s’en préoccupent, mais, bizarrement, pas assez pour en faire un groupe digne d’être représenté sur les écrans. Il a longtemps fallu scruter à la loupe les données du CSA pour se faire une idée de la place des différentes tranches d’âge sur les écrans. Avant 2013, le CSA ne donnait aucun chiffre sur l’âge, mais l’Observatoire de la diversité du CSA fournissant des informations sur les professions, on découvrait ainsi que 2 % seulement des personnes sur les écrans étaient « retraités » en 2012. Or, en France, à cette date, un quart de la population française de plus de 15 ans était retraité, soit 21 % de la population totale 7 (64 millions) . En 2012, les retraités étaient donc 10 fois moins présents sur les écrans qu’attendu compte tenu de la part qu’ils représentent dans la société française ! Or comme la part des retraités augmente régulièrement, la sous-représentation des personnes âgées sur les écrans risque de perdurer. Il faudra attendre la vague 2013 du baromètre du CSA pour que l’âge finisse par être examiné à côté du décompte des retraités. Si on s’intéresse non plus aux retraités mais cette fois à l’âge, il apparaît que les plus de 65 ans ne représentaient que 5 % des personnes portées à l’écran, alors qu’ils composaient 18 % de la population. Il faut croire que les vieux ne sont résolument pas bons pour l’audimat pour qu’on les mette ainsi à l’écart.
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Le handicap n’est pas davantage reflété à la télévision. Certes, une charte a bien été signée avec les chaînes sur ce sujet en 2014, mais elle n’est pas contraignante. Le CSA ne s’est jamais beaucoup étendu sur la représentation dérisoire de personnes en situation de handicap (0,7 % du total des individus apparaissant sur les écrans). Au regard de leur nombre dans la société française, on est bien loin là d’une quelconque représentativité. Selon le ministère de la Santé, si l’on considère l’ensemble des 18 ans et plus, 18,4 % de la population déclare au moins un handicap, dont 13 % un handicap moteur, 7 % un handicap sensoriel et 5 % une limitation cognitive 9. Le CSA, dans son baromètre 2015, fait référence à ce chiffre. Pendant plusieurs années aucun chiffre sur le handicap en France n’était fourni qui aurait permis de prendre la pleine mesure de la sous-représentation des handicapés sur les écrans. Il a fallu attendre 2015 pour que timidement et en tout petits caractères soient indiqués ces chiffres. Le CSA a préféré s’attacher à examiner si la parité homme/femme pouvait progresser, faisant remarquer que les femmes ne sont pas à parité sur les écrans. Puis le CSA a multiplié les raffinements pour examiner la question des minorités « non blanches ». Quand on constate l’absence quasi totale des personnes handicapées sur les écrans de télévision, comment comprendre le luxe de détails pour la sous-représentation d’autres ensembles d’individus ? Pourquoi cette situation ne suscite-t-elle aucune émotion ? L’explication est simple : l’enjeu économique. La liste des personnes exclues du regard ne se limite pas aux obèses, aux personnes en situation de handicap et aux seniors. La discrimination sur l’apparence physique peut en effet concerner de nombreuses autres caractéristiques. À dire vrai nous sommes à peu près tous concernés. Les personnes de petite taille – qui ne sont pas reconnues comme en situation de handicap – souffrent ainsi d’exclusion. On objecte toujours que Nicolas Sarkozy, de petite taille, a accédé à la plus haute fonction, mais ce n’est pas la règle générale. Les enquêtes – nombreuses, tant en France qu’à l’étranger – établissent que les hommes de petite taille et fluets sont confrontés à des discriminations 10
dans l’accès à l’emploi, les salaires ou les déroulements de carrière . Sur les écrans, la petite taille d’un présentateur de journal télévisé passera inaperçu alors que dans d’autres sphères professionnelles, elle sera un véritable handicap. De même, des traits du visage jugés disgracieux suscitent le rejet. Le culte de la beauté est tel que, dans le monde du travail et sur les écrans, la préférence va systématiquement aux jolis visages. Certes, nous ne sommes pas en mesure d’évaluer le nombre de Français dont les visages sont beaux, moyens ou laids et aucune enquête n’a jusqu’alors été menée en France pour évaluer la plastique des visages qui apparaissent sur les écrans et dans les publicités. Mais nul besoin d’être grand clerc pour remarquer que les publicités mettent presque toujours en scène des acteurs aux visages avenants et qu’on ne confie jamais l’antenne à des « laiderons ». La beauté fascine et fait vendre. Elle
attire et scotche le téléspectateur devant son écran. Est-ce si surprenant dès lors que le CSA ne se soit pas penché sur cette question ? Les rapports du CSA sont problématiques à un autre égard. Lorsque la diversité des origines est examinée, on apprend qu’en 2015 14 % des personnes à l’antenne étaient perçues par les téléspectateurs comme « non blanches ». Le CSA notait en 2011 une stabilité de la présence à la télévision des personnes non blanches depuis 2009 et militait pour une progression de la proportion des minorités non blanches. Un membre du CSA expliquait qu’il « n’y a pas de taux idéal, mais [que] ces 12-13 % ne sont pas suffisants » et le vice-président de l’Observatoire de la diversité ajoutait : « Ce chiffre, nous sommes sûrs que ce n’est pas assez. On doit encourager les chaînes à doubler ce chiffre. » Une légère progression du pourcentage de personnes non blanches sur les écrans s’est du coup produite. Malgré ces progrès, le président du CSA a déclaré en mars 2016 que « le problème de la diversité à la télévision est encore plus grave parce que les pourcentages sont minimes, notre baromètre de la diversité montre qu’il n’y a que 14 % qui sont ressentis comme “non-Blancs” ou “non-Blanches” et c’est un chiffre largement 11
insuffisant . » Mais en fonction de quel critère peut-on parler de sur- ou sous-représentation des personnes blanches ou non blanches puisque aucune statistique nationale n’est disponible en ce domaine ? On dispose bien de quelques chiffres. La Sofres a interrogé en janvier 2007, à la demande du CRAN (Conseil représentatif des associations noires), les résidents de métropole et ultramarins (Réunion, Martinique, Guadeloupe, Guyane) pour savoir quelle était la proportion de « minorités visibles » parmi les plus de 18 ans. Par « minorités visibles », la Sofres donne une définition voisine de la notion de « non-Blanc » du CSA, c’est-à-dire « les Noirs, les Arabo-Berbères, les Asiatiques, les Indo-Pakistanais ou encore les métis ». D’après cette enquête, les minorités visibles représentent 9,5 % de la population (dont 1,4 % de métis). Dans un rapport de l’Institut Montaigne – qui a inspiré la Charte de la diversité –, les « minorités visibles » étaient estimées à 8 millions, soit un peu plus de 13 % de la population résidant en France (sur la base du 12 recensement de 1999 utilisé dans ce rapport) . Ainsi, quelles que soient les estimations du pourcentage de personnes appartenant aux « minorités visibles » ou « non blanches », il n’apparaît pas que l’audiovisuel reflète mal cet aspect de la diversité de la société française qu’est la « couleur de peau ». À ce propos, le Haut Conseil à l’intégration déplore que la diversité soit souvent réduite à la question de la couleur de peau et « s’interroge sur la pertinence de l’objectif 13 avancé par le CSA qui considère qu’il faut doubler le pourcentage de 12 % ». De telles déclarations sont néanmoins encore monnaie courante Ainsi, en 2015, la présidente de France télévision, Delphine Ernotte, déclarait-elle que la télévision doit être à l’image de la France et précisait qu’il fallait changer la situation actuelle : « On a une télévision 14 d’homme blanc de plus de 50 ans . »
Il ne s’agit pas de nier que l’audiovisuel ait pu être dans le passé moins ouvert aux personnes issues du Maghreb ou d’Afrique, mais cette situation a nettement évolué. La discrimination positive qui a été pratiquée a conduit à une représentation, semble-t-il, plutôt fidèle de la société française, même si les femmes ont, apparemment, plus bénéficié de ce rattrapage que les hommes. Il n’en va pas de même pour d’autres groupes d’individus : pour ceux-là, on en est souvent au degré zéro de la représentation sur les écrans. Les chaînes de télévision veulent bien refléter la « diversité de la société française » tant qu’elle reste compatible avec les exigences d’audience. Un journaliste expérimenté et très professionnel, travaillant sur des chaînes et radios de faible audience et d’origine maghrébine, m’a raconté n’avoir aucune chance de décrocher un emploi sur les grandes chaînes de télévision. La raison selon lui ? Parce qu’il a plus de 45 ans et qu’il est un peu rond : tant qu’à faire dans la diversité, les chaînes lui préfèrent chaque fois une jeune femme de couleur noire, mince et jolie. Un autre quadragénaire de couleur noire, producteur d’une émission de radio, m’a raconté ne pas non plus parvenir à décrocher un poste à la télévision pour les mêmes raisons. Les cas Harry Roselmack et Rachid Arhab restent de notables exceptions. La présentatrice ou la chroniqueuse de télévision est invariablement coulée dans le même moule : elle est jeune, plutôt mince et jolie. Après Christine Kelly, désormais au CSA, citons Karine Lemarchand, Sonia Rolland (ancienne Miss France), Audrey Pulvar, Rockaya Diallo, Aïda Touihri, Élisabeth Tchoungui, Jeannette Bougrab, Hapsatou Sy, Patricia Loison, Katia Barillot, Kareen Guiock, Léa Salamé ou encore Ele Asu. Quels sont les équivalents masculins de plus de 40 ans ? J’ai établi un tableau qui résume la situation de la diversité dans l’audiovisuel à partir des données du CSA.
% sur les écrans et dans la population
CSA, 2015
CSA, 2014
CSA, 2013
15
CSA, 2012
16
CSA, 2011
17
% dans la population 18 (France 2010 entière) CSA,
Minorités 14 % 14 % « non dont : blanches » – Noires 6% – Arabes 4% – Asiatiques 2% – autres 2%
16 %
14 %
15 % 13 % 9,5 % en 19 dont : dont : 2007 – Noires – Noires dont : 6% 5% – Noires – Arabes – Arabes 3,2 % 4% 6% – Arabes – – 3,2 % Asiatiques Asiatiques 2% 1% – autres – autres 3% 1%
CSP (ouvriers, employés)
19 %
16 %
16 %
13 %
9%
Femmes
38 %
Personnes 0,7 % handicapées
20
7%
28,3 %
Non Non Non 35 % disponible disponible disponible
36 %
51 %
0,7 %
0,4 %
Déficiences et handicap : 18,4 % en
0,4 %
0,8 %
0,6 %
21
2011 Handicap reconnu : 6 % en 2008 Âge 6% + de 65 ans Retraités Obèses
22
4%
5%
Non Non Non 18,4 % en disponible disponible disponible 2015 23
Non 2% disponible
3%
2%
1%
1%
20,9 % en 2013
24
Non Non Non Non Non Non Entre disponible disponible disponible disponible disponible disponible 15 % 25 et 19 % 2012
26
en
Document 2. La diversité à la télévision pour le CSA et dans la société française. Tableau de l’auteur à partir des éditions du baromètre du CSA-TNS Sofres et de données de l’INSEE, de la Sofres et de l’Inserm (source INSEE, Sofres, OpEpi/Inserm).
Le moins que l’on puisse dire, c’est que la représentation de la « diversité de la société française » est bien mal assurée sur les écrans, au détriment de ceux qui sont jugés les moins porteurs en termes d’audience ! Le fait que l’attention de tous se focalise sur les seules questions de genre ou de couleur de peau empêche de prendre conscience des véritables motifs de discrimination. Par ailleurs, en se focalisant sur les minorités visibles et en développant des politiques de discrimination positive, on a fini par améliorer nettement la représentation de certaines minorités, comme les personnes originaires d’Afrique subsaharienne, mais aussi à sous-représenter d’autres origines territoriales qui ne sont pas la préoccupation prioritaire : les Asiatiques en particulier 27 (Turquie incluse) sont très mal représentés sur les écrans : 1 % seulement . Les politiques de discrimination positive et de diversité ont eu pour effet d’augmenter très sensiblement la présence de certains groupes d’individus sur les écrans et, plus généralement, dans l’emploi. L’effet pervers, c’est que certaines minorités sont dans le même temps sous-représentées, victimes de discrimination et d’une représentation stéréotypée négative. C’est aussi ce qui s’est produit aux États-Unis où l’opinion publique a fortement évolué : elle a basculé entre 2001 et 2009 et considère désormais que ce sont avant tout les Hispaniques qui sont fréquemment confrontés à des discriminations dans la société : 23 % des sondés le pensent contre 18 % pour les Noirs, 10 % pour les 28 Blancs et 8 % pour les Asiatiques . De fait, en prime time à la télévision, 74 % des acteurs des séries ou films sont caucasiens, 16 % afro-américains, 5 % seulement latinos et 2 % asiatiques… La sous-représentation des minorités « ethniques et raciales » à la télévision américaine s’explique par la nette sous-représentation des Hispaniques. Une enquête de 2011 montre qu’ils composent 17 % de la population des États-Unis, mais sont moitié moins nombreux à la télévision (8 %). Les personnes afroaméricaines sont plutôt mieux représentées (10 % à la télévision pour 13 % de la 29 population en 2011) . L’année 2015 marque à ce sujet une spectaculaire accélération du 30 phénomène : des séries à succès ont été diffusées en prime time sur toutes les grandes chaînes américaines dont les personnages principaux sont noirs (How To Get Away With Murder, Black-ish…) et même la conservatrice Fox s’y est mise avec Empire. Les audiences ont été au rendez-vous 31 et on a constaté que la surreprésentation des 32
minorités visibles (40 à 50 % des personnages, selon un chercheur californien ) dopait l’audimat.
Une autre vision de la diversité à la télévision Si la télé américaine se montre ainsi très intéressée, pour des raisons commerciales, par la diversité ethno-raciale, le cas des Hispaniques mis à part, que dire en revanche du sort réservé aux personnes grosses ? Aux États-Unis, la mesure de la présence de personnes en surpoids sur les écrans révèle, sans surprise, que les chaînes de télévision évitent soigneusement de faire apparaître des individus en surpoids. En 2000, des 33 chercheurs ont scruté 275 épisodes de 10 séries populaires sur les 6 grandes chaînes nord-américaines. La proportion de femmes en surpoids ou obèses y était quatre fois inférieure à leur part dans la population américaine. Et dans ces soap operas, les hommes ayant quelques kilos en trop n’étaient guère mieux lotis ; à l’inverse, les femmes et les hommes minces étaient six fois plus nombreux que dans la réalité…
Document 3. Physique des femmes à la télévision et dans la réalité aux États-Unis (en 2000). (Graphique de l’auteur à partir de B. S. Greenberg, M. Eastin, L. Hofschire, K. Lachlan, et K. D. Brownell, « Portrayals of overweight and obese individuals on commercial television », American Journal of Public Health, 2003, o
vol. 93, n 8.)
La présence des personnes en surpoids ou obèses à la télévision n’est, hélas, jamais évaluée par le CSA en France. J’ai donc entrepris, avec mon équipe, de pratiquer cette mesure spécifique. En utilisant la même méthode que l’Observatoire de la diversité du
CSA, nous avons indexé 1 500 personnages de trois chaînes de télévision – TF1, France 2 et M6 – entre 17 heures et 23 heures durant une semaine (soit 105 heures au total). La mesure a été effectuée la même semaine que le CSA (du 7 au 13 mai 2011) et nous avons obtenu des résultats très proches concernant la présence des « minorités visibles » (13 % quand le CSA trouve 15 %), des femmes (36,5 % pour 35 % dans le baromètre CSA) et des personnes handicapées (0,7 % quand le CSA obtenait à 0,6 %). S’agissant de l’âge, nous avons noté que près de 23 % des personnes à l’écran avaient entre 18 et 35 ans, 45 % entre 35 et 50 ans et 22 % entre 50 et 65 ans, la catégorie des plus de 65 ans étant massivement sous-représentée (9 %). Pour les indices de masse corporelle, nous avons constaté la répartition ci-dessus.
Document 4. La représentation de la corpulence (TF1, France 2, M6) en 2011. (Source : C. Crecy Bouron, Mesure de la discrimination sur l’apparence physique a la télévision française, sous la direction de J.-F. Amadieu, université Paris-I-Panthéon-Sorbonne, 2013.)
Comme on le voit sur ce schéma, les personnes obèses sont très nettement sousreprésentées puisqu’elles ne sont que 3 % à l’écran contre un minimum de 15 % en France. Et lorsqu’elles sont présentes, notre étude montre qu’elles sont cantonnées dans des rôles secondaires. Les seconds rôles sont occupés trois fois plus souvent par des personnes en surpoids et quatre fois plus par des personnages obèses (par comparaison avec les héros et héroïnes). Dans les journaux télévisés, la présence des personnes obèses est également modeste 34. Se pose alors une question : au-delà de la sous-
représentation de certains groupes dans notre pays, quelle vision est donnée des gros sur les écrans ? Et quels effets les programmes produisent-ils sur ceux qui les regardent ?
L’impact paradoxal des programmes Les spots publicitaires aux heures de grande écoute ne dérogent pas à la règle : le vieux, le gros ou le handicapé y est persona non grata 35. Et les rares fois où il est présent, on le ridiculise ou on l’affuble de traits de personnalité déplaisants. Il n’est pas rare dans un soap opera que des rires (enregistrés) accompagnent les moqueries envers un personnage un peu gros. Les personnages de femmes obèses suscitent tout particulièrement des commentaires désobligeants de la part des personnages masculins, 36
ce qui ne manque pas de déclencher l’hilarité factice du public . Quant aux hommes obèses, ils s’autodénigrent en raison de leur poids, déclenchant là encore des rires 37. En fait, les gros sont une des dernières cibles de moquerie et de dénigrement possible à la télévision, le « politiquement correct » ne s’applique pas aux personnes en surpoids. Le florilège des accusations publiques envers les personnes obèses est impressionnant : les obèses seraient responsables de l’augmentation du prix de l’essence et des denrées alimentaires, du réchauffement climatique, ils feraient prendre du poids à leurs amis, creuseraient le déficit des systèmes de santé, seraient moins intelligents… Pour beaucoup, accabler et railler les obèses serait même faire œuvre de pédagogie, car on préviendrait par la honte l’obésité ! De leur côté, les dessins animés pour enfants montrent de moins en moins de personnes en surpoids. Bien entendu, les gros y sont présentés comme peu attractifs, 38
bêtes, malheureux, violents et mangeant de la mauvaise nourriture – ce qui a pour effet de renforcer les préjugés. Ainsi, plus un enfant regarde la télévision et plus il a une vision 39 négative des femmes en surpoids . Quant aux adolescents, plus ils regardent la 40 télévision et jouent aux jeux vidéo et plus ils sont critiques à l’égard des obèses – les jeux sont tout aussi caricaturaux que les programmes de télévision : l’héroïne Lara Croft, aux mensurations parfaites, a simplement remplacé la poupée Barbie à la silhouette exceptionnellement et anormalement mince. Dans les programmes que regardent les jeunes adolescents, on se moque allègrement des gros ; c’est le cas dans la moitié des 41 shows aux États-Unis où pourtant les personnes en surpoids sont nombreuses, et ces railleries sont plus souvent suivies de rires (4 cas sur 10) que de désapprobations. En outre, entre 15 et 25 ans, on regarde beaucoup de feuilletons et de programmes de téléréalité. Les personnages féminins minces y sont bien plus populaires aux yeux de
ces jeunes que les femmes en surpoids, ce qui tient à l’image négative qui est proposée de ces dernières ; il en découle que les jeunes téléspectateurs ont des attitudes négatives envers les femmes grosses. Les moins de 19 ans sont particulièrement influençables par le bombardement d’images de minceur à la télévision. Pour les jeunes filles cela a des conséquences terribles puisque la valorisation d’un corps mince à la 42 télévision conduit à une dégradation de l’image qu’elles ont de leur propre corps . Des 43 chercheurs ont ainsi constaté que les jeunes regardant ces émissions présentaient plus fréquemment des désordres alimentaires, ce qui se traduit par la prise de laxatifs ou le fait de cesser de manger. Ce n’est pas un mythe ou une « tarte à la crème » : la télévision influence bel et bien les attitudes à l’égard des gros, ainsi que l’estime de soi, l’image corporelle et les comportements alimentaires des jeunes téléspectateurs. Les femmes sont les plus touchées, en particulier celles qui n’aiment déjà pas leur 44 corps . Les hommes, eux, paraissent moins influencés par les images d’hommes minces ou musclés qu’ils voient dans les médias. En revanche, le fait de regarder la télévision et, plus généralement, d’être exposés aux médias occidentaux provoque chez les hommes une préférence pour les femmes plus minces. Ce phénomène s’observe dans le monde entier. L’exposition aux médias amène aussi les femmes à être convaincues que les hommes recherchent des femmes minces et à penser qu’elles ne le sont pas assez pour 45 attirer les hommes . Sur cette échelle, le profil préféré en Europe de l’Ouest est le numéro 4, soit un profil qui ne correspond pas à la silhouette moyenne réelle des femmes qui est plutôt proche de la numéro 7.
Document 5. Échelle de silhouettes types. (Source : V. Swami, J.-M. Smith, « The attractive female body weight and female body dissatisfaction in 26 countries across 10 world regions : Results of the International o
Body Project I », Personality and Social Psychology Bulletin, 2010, vol. 36, n 3, p. 309-325.)
L’injonction à respecter la norme de poids se fait même bien souvent de façon très explicite. Par exemple en France, comme dans bien d’autres pays, fleurissent des émissions de téléréalité dans lesquelles les participants ont un objectif : perdre du poids. En version soft, il s’agit de se transformer par le look et un programme amincissant ; en version hard les participants subissent carrément des opérations de chirurgie esthétique. Dans ces émissions l’apparition de quidams un peu gros n’est certainement pas un plaidoyer pour plus de tolérance, mais une opération qui renforce les préjugés. Des 46 scientifiques américains ont mesuré l’effet de l’émission Biggest Loser dans laquelle les participants ont pour objectif de perdre du poids. Résultat : si les personnes grosses sont davantage convaincues de l’intérêt de maigrir, les autres voient leurs préjugés négatifs contre les personnes en surpoids renforcés. 47 Dans une autre expérience , des chercheurs ont fait visionner à un premier groupe d’étudiants la version anglaise du programme Belle toute nue (How to Look Good Naked), à un deuxième groupe un concours de top models (Next Top Model) et à un dernier groupe un banal documentaire sur la nature. Le résultat est édifiant : le programme sur la nature rend plus heureux ceux qui l’ont regardé, tandis que Belle toute nue et Next Top Model accroissent significativement l’anxiété des téléspectateurs concernant leur corps et l’insatisfaction quant à leur poids. Pourtant, How to Look Good Naked avait été salué dans la presse américaine, le New York Times expliquant par exemple que « c’était le plus grand triomphe de la thérapie cognitive que la téléréalité ait jamais produit ». On croyait que l’émission allait bousculer les idées reçues : les femmes pourraient apprendre à se voir autrement, comme normales et sexy avec quelques kilos en trop. L’audience de l’émission aux États-Unis a atteint un record historique. Alors comment expliquer qu’un programme censé aider les femmes à s’accepter avec leurs rondeurs ne produise pas l’effet vertueux escompté ? Le problème vient sans doute du fait que la femme « réelle » de cette émission, par opposition à la femme mince « idéale », ressent le besoin de travailler sur son corps : elle doit jouer avec, le mettre en scène, choisir le bon soutien-gorge si elle veut paraître s’approcher de l’idéal de minceur. Toutes les femmes qui apparaissent dans ce genre d’émissions ont d’ailleurs des problèmes avec leur corps auxquels elles tentent de remédier et la télé, l’air de rien, nous suggère implicitement d’en faire de même. Au fond, l’« apparence physique » reste l’enjeu essentiel de l’émission, ce qui ne peut que renforcer la préoccupation pour leurs kilos en trop des femmes qui regardent ce type de programme.
Relégation des invisibles et mépris de classe
Le diktat de l’apparence s’impose également par une voie à laquelle on ne pense pas spontanément : le public des plateaux de télévision. Amusez-vous à regarder les spectateurs figurant en arrière-plan, derrière les présentateurs. Sa composition est caricaturale : en général ce sont de belles personnes toujours jeunes. Comme l’explique un figurant payé pendant plusieurs années pour assister au Grand Journal, à La Nouvelle Star et à Tout le monde veut prendre sa place, « ils placent d’abord le vrai public en haut et gardent les places bien visibles à l’écran pour nous, un petit pool de gens repérés par 48
des agences, comme des mannequins ». Prenons l’exemple du public de l’institution, qu’a été Le Grand Journal de Canal+. Pendant des années l’organisation était immuable. Derrière l’animateur de l’émission (Denisot, Badou, de Caunes) se tenaient systématiquement pas moins de six à neuf jeunes filles minces, dont les visages agréables entouraient ainsi celui du présentateur (c’était un peu moins caricatural dans la nouvelle formule présentée par Biraben en septembre 2015). Derrière les chroniqueurs et les invités, les organisateurs s’arrangeaient pour disposer également des jeunes personnes minces, de préférence des femmes. Grâce aux photos mises en ligne par My Clap TV, une structure qui recrute des spectateurs pour des émissions comme Le Grand Journal ou Le Petit Journal, il est possible de comptabiliser la proportion de personnes atypiques (c’est-à-dire ayant plus de 35 ans, étant en surpoids ou présentant un handicap visible) réellement présentes dans le public de ces émissions. Derrière l’animateur principal, 100 % des spectateurs sont des jeunes filles minces, et au premier et au deuxième rang, derrière les chroniqueurs ou les invités, on ne comptabilise que de jeunes personnes. Serait-ce parce que l’émission est regardée par un public de moins de 25 ans, féminin et mince ? Si on en juge par ceux qui se présentent effectivement pour y assister, ce n’est nullement le cas : s’il est vrai que les candidats sont filtrés avant de pouvoir accéder au plateau, il se trouve aussi que des hommes et des femmes de tous âges et de corpulences variées sont présents lors de ces émissions. Seulement il faudra chausser vos meilleures lunettes pour, par hasard, les distinguer, relégués au troisième rang ou sur les côtés – les images mises en ligne pour que les participants puissent se voir donnent une idée de la réalité de la composition des plateaux. Certains participants peuvent ainsi se consoler de n’être pas apparus à l’écran, mais c’est une maigre consolation compte tenu de la mise à l’écart systématique et indigne de certains profils de spectateurs. Une journaliste s’étant elle-même glissée dans le public a raconté dans un article 49 comment se déroulait le recrutement du public des émissions . Elle y raconte que les jeunes femmes vêtues de « petits hauts affriolants » figurant derrière les animateurs sont « castées » et payées 15 euros de l’heure. Les belles blondes et les belles brunes sont, paraît-il, très recherchées par les entreprises de production audiovisuelle pour rajeunir le public de certaines émissions. Les plus âgés, quant à eux, sont le plus souvent relégués
hors champ, deux d’entre eux ont même été gentiment priés de s’asseoir derrière un lampadaire, à Salut les Terriens ! 50 Le recours à des figurants rémunérés pour les plateaux permet aux chaînes d’être certaines que les visages les plus vus à l’écran seront jeunes et auront une plastique irréprochable. Cette manière de composer le public est un secret de polichinelle qui n’est pourtant pas assumé publiquement par les gens de télévision. Interpellé sur ce sujet, le journaliste sportif Hervé Mathoux a ainsi expliqué en s’en amusant que la jeune blonde, toujours présente en arrière-plan derrière lui, était là par hasard : « Plutôt que de faire attendre l’hôtesse après qu’elle a reçu les invités, on lui propose, comme les hôtesses sont plutôt jolies, de suivre l’émission et il se trouve qu’elle est par hasard derrière 51 moi . » Une grande partie des Français est donc tout simplement constituée de bannis des écrans, qu’il s’agit de ne surtout pas montrer. Dans l’indifférence générale, un nombre croissant de gens sont relégués à l’invisibilité et au silence, au prétexte qu’ils risqueraient de faire baisser l’audimat et le chiffre d’affaires. Il n’y a guère d’associations et de lobbies pour s’en émouvoir. Être de couleur noire, c’est être représenté par des associations anciennes et influentes, tant en France qu’à l’étranger, sans parler des politiques de quotas qui ont été mises en place ou sont revendiquées. Rien de tel n’existe pour les personnes obèses, car elles ne sont pas considérées comme appartenant à une minorité visible. Un argument plus insidieux est avancé, pour justifier la relégation de si nombreux Français : ils porteraient en quelque sorte une responsabilité à leur situation et auraient à se faire pardonner quelque chose. Les personnes en surpoids l’auraient choisi et, qui plus est, représenteraient un problème de santé publique. C’est oublier un peu vite que l’obésité est le résultat de nombreux facteurs indépendants de la volonté, notamment génétiques et sociaux. Quant aux personnes âgées, elles seraient riches et trusteraient les postes de pouvoir au détriment des jeunes qui, eux, représentent l’avenir et un sang neuf. C’est faire peu de cas de la légitimité de l’expérience et des efforts consentis au cours d’une vie de travail. Certains expliquent la relégation de ces Français par le fait que le téléspectateur ne voudrait pas voir des gens en mauvaise santé ou pas assez dynamiques. Mais derrière ce rejet des physiques jugés « inappropriés » se cache une forme d’exclusion des milieux populaires, car la valorisation à l’extrême du paraître et de l’image « invisibilise » les plus démunis. En effet, l’obésité est de plus en plus répandue dans les milieux populaires et il est inutile de préciser que les élites des beaux quartiers de Paris et des grandes villes ne ressemblent en rien aux « petites gens » des zones rurales et des petites villes du nord de la France, du Bassin parisien et de l’Est. C’est surtout pour les femmes que cette inégalité physique est la plus pénalisante, dans la mesure où le surpoids chez les hommes est, comme nous l’avons vu, moins handicapant professionnellement. Comme
les obèses, les handicapés sont beaucoup moins riches que le reste de la population. Ils sont également moins diplômés et moins qualifiés que les autres, souvent justement parce que la poursuite de leurs études a été compliquée. Par conséquent, ce sont eux qui sont le plus souvent au chômage et occupent des emplois précaires. Au total, l’archétype de la personne peu présente dans les médias est la femme de plus de 50 ans, ouvrière et un peu grosse ou en situation de handicap. Non seulement elle peinera à trouver un travail, mais ses problèmes quotidiens ne seront pas pris en compte par les élites intellectuelles.
Diversité : le nouvel enjeu du divertissement télé Les chaînes de télévision peinent manifestement à diversifier les visages de leurs présentateurs. En dehors des origines nationales ou des couleurs de peau, elles n’essayent quasiment pas. En 2009, une chaîne britannique (Channel 5) a voulu rompre avec le standard du présentateur de JT en proposant à un homme au visage brûlé, James Partridge, de présenter le journal de midi : la démarche, intéressante, n’était prévue que pour une semaine toutefois. En revanche, plusieurs émissions de télévision à succès ont permis à des personnes dont le handicap était visible d’apparaître de façon récurrente à l’écran. Le mouvement est parti de l’étranger et les télécrochets en ont été le vecteur principal. Dans The Voice, les handicapés, comme les personnes en surpoids, ont désormais leur chance. Dans X Factor, Freddie Combs était tellement obèse (obésité morbide) qu’il évoluait en fauteuil roulant, mais sa voix exceptionnelle a frappé les jurés. Dans l’émission britannique Britain’s Got Talent, une danseuse de 39 ans en fauteuil roulant (Laura) et son compagnon valide ont été retenus. En Chine, toujours dans la même émission qui a pour mot d’ordre de sélectionner des profils inédits en télévision, c’est un pianiste sans bras qu’on a vu jouer avec ses pieds. En France, Rahem et Abkhari ont pu à l’écran former un duo de danse contemporaine d’un genre un peu particulier : amputé de la jambe droite, Brahem a misé sur son handicap et remporté un vif succès auprès du public. La série française Plus belle la vie, diffusée sur France 3 depuis 2004, ambitionne de présenter un large ensemble de personnages et de situations, jugés à même de combattre les stéréotypes. Les couples y sont mixtes par leurs origines nationales, parfois homosexuels ; les minorités visibles y ont un statut social élevé. En raison de sa mission de lutte contre les préjugés, le programme a été soutenu par l’ACSE et la commission « Images de la diversité » du CNC. Il bénéficie d’un large soutien populaire. Il
a fallu attendre 2009 avant que des personnages handicapés apparaissent mais, depuis, Philippe Sivy, acteur paraplégique, y joue un rôle de paraplégique et Frédéric Zeitoun, chroniqueur de Télématin et de C’est au programme, réellement handicapé moteur, a également intégré la série en 2013. Un virage positif est clairement en train d’être pris qui nous porte vers plus d’ouverture. Un tombereau de moqueries. C’est pourtant ce qu’a subi Lisa Angell, la représentante de la France à l’Eurovision 2015. Ce n’est pas en raison de sa voix ni d’une chanson banale bien dans l’esprit de ce concours, c’est surtout parce qu’elle était très ronde et n’avait plus 20 ans (mais 47). Elle a été défendue par Nathalie André, la directrice des divertissements de France 2 qui a déclaré : « J’assume mon choix à 100 %. J’assume totalement le style et les rondeurs de Lisa Angell. C’est une vraie chanteuse à voix. Nous aurions pu choisir un groupe de rock, ou un artiste plus jeune : quel qu’ait été notre choix, il aurait été critiqué… » Il faut dire que les ronds sont plutôt rares à l’Eurovision parmi les candidats, sans même parler des gagnants. Depuis quarante ans, les gagnants sont toujours jeunes et minces, sauf à de très rares exceptions : en 1994, l’un des deux chanteurs était un senior ; en 2000, les lauréats étaient deux quinquas ; en 2001 l’un des chanteurs du duo gagnant avait 60 ans. Cela étant, pour l’année 2015, la grande surprise aura été sans conteste l’émergence de candidats, prétendants sérieux à la victoire, présentant un handicap visible : l’une, polonaise, est en fauteuil roulant, tandis que les punks finlandais PKN sont tous de jeunes atteints de trisomie 21. La Finlande s’est d’ailleurs vue accusée d’instrumentaliser le handicap, car en 2006 le pays avait déjà emporté le concours avec un groupe de métal déguisé avec des masques hideux pour attirer l’attention du public. Réfléchissons un instant à ce paradoxe : dans ce concours destiné au plus large public, Conchita Wurst, un homosexuel drag-queen et barbu (l’Autrichien Tom Neuwirth), l’a emporté en 2014, mais c’est la victoire d’un obèse ou d’une personne handicapée qui constituerait un événement à l’Eurovision. À n’en pas douter, les choses bougent à la télévision, de façon encore désorganisée, mais progressive. On se souvient du dessin animé dont le personnage principal, Betty Boop, est une pin-up sexy court-vêtue. Créée en 1930, elle était un sex-symbol de l’âge d’or de l’animation américaine. Depuis une quinzaine d’années, c’est une autre Betty incarnation de la girl next door qui bat des records d’audience à la télévision. La série télévisée Ugly Betty a connu un énorme succès dans le monde, d’abord en Amérique latine depuis 1999 (Yo soy Betty, la fea), puis dans le reste du monde et, bien entendu, en France (à partir de 2008). En 2010, elle est entrée dans le Livre Guinness des records comme la telenovela ayant rencontré le plus grand succès, par sa diffusion dans plus de cent pays, des doublages dans quinze langues et quelque vingt-deux adaptations dans le monde. Particularité de cette série, le personnage principal est une jeune fille ronde aux cheveux crépus ou à la coupe banale, mal habillée, portant lunettes et appareil
dentaire, aux bijoux voyants et ridicules. Elle évolue entourée de collègues qui sont tous beaux. Elle est intelligente, honnête et a bon cœur. Certes, le téléspectateur est renforcé dans la définition habituelle de la belle femme et de la femme laide, mais il peut aussi apprécier un personnage attachant et plein de qualités auquel il peut s’identifier. Ce qui est frappant est le succès de ce programme dont l’originalité est de rompre avec les habituelles héroïnes top models qui sont légion dans les séries. C’est à une autre définition de la beauté que s’efforce de rendre hommage « Ugly Betty » comme le titre choisi dans plusieurs pays le montre – « La laide, mais belle » au Mexique ou « La belle et laide » au Brésil. Dans tous les pays, le public s’identifie à des personnages qui sont, comme on le dit, des « anonymes », ordinaires, mais dotés de grandes qualités ou de talents. C’est ce qui explique l’intérêt pour le roman/film Le Journal de Bridget Jones et d’une émission comme Un incroyable talent. Toutefois c’est surtout du côté du divertissement télé qu’on observe un changement majeur des mentalités. Depuis quelques années, la télévision permet en effet à des profils plus diversifiés d’accéder à la notoriété, en particulier comme chanteur. L’émission Britain’s Got Talent repose précisément sur cette idée. En 2009, lors de la troisième saison, Susan Boyle, une chanteuse âgée de 47 ans, au physique un peu rond, au look désuet, d’origine très modeste et vivant seule avec son chat à Édimbourg parvient en finale, perdant de justesse. Son parcours dans l’émission suscite un buzz considérable. Ses vidéos battent des records d’audience, mais sa carrière ne décollera néanmoins pas après l’émission. En 2012, en Grande-Bretagne, c’est un obèse, Jonathan Antoine, qui créé l’événement. La surprise du téléspectateur provient du hiatus entre une voix harmonieuse et un physique peu habituel à la télévision.
Document 6. Susan Boyle à l’Edinburgh Festival Theatre le 12 juin 2013. (© Wasforgas.)
Depuis le succès de Susan Boyle, il est de bon ton de ne plus trop lisser la sélection des candidats, pour donner leur chance à des chanteurs qui ressemblent à Monsieur ou Madame Tout-le-monde. Les seniors y trouvent du coup une place qu’ils n’ont pas par ailleurs. Dans l’émission The X Factor, il n’y a pas de limite d’âge, à la différence des habituelles téléréalités ou télécrochets. Conséquence de cette ouverture à tous les profils : en Grande-Bretagne, la première saison de The X Factor en septembre 2004 a rencontré un immense succès, preuve que le rejet de certaines personnes en raison de leur apparence n’est pas forcément une si bonne affaire. The X Factor est le plus grand concours découvreur de talents de tous les temps au Royaume-Uni et il est le premier à ne pas fixer d’âge limite maximal pour participer (l’âge minimum était de 16 ans, il est passé à 14 ans). Ce programme s’est révélé extrêmement populaire, la finale de la troisième saison cumulant plus de 8 millions de votes et 12,6 millions de téléspectateurs. Il y a quatre groupes ou tranches d’âge au total : les groupes, les garçons de 14 à 24 ans (« boys »), les filles de 14 à 24 ans (« girls »), les 25 et plus ou, plus récemment, la catégorie des plus de 28 ans. Diverses versions de The X Factor ont fait leur apparition dans bon nombre d’autres pays avec le même principe de tranches d’âge. Cette émission innove donc en permettant à des candidats plus âgés de concourir et surtout leur laisse une chance de gagner en créant une tranche
d’âge spécifique, comme il en existe dans le sport. Ce qui est assez incroyable est que les candidats « seniors » soient des candidats de plus de 25 ans ! On est décidément senior bien jeune et cela ne donne pas forcément sa chance à de véritables seniors. Audelà de cet âge (parfois 28 ou 30 ans dans de plus rares émissions), on est tout de même considéré comme trop vieux et incapable de plaire au jury et au public (qui vote). Peut-être s’agit-il aussi de ne pas dégrader l’audimat avec des « seniors » qui le seraient trop ? Il est étonnant que l’émission n’ait été importée en France que cinq ans après son lancement couronné de succès en Grande-Bretagne… Dans plusieurs émissions qui veulent créer une rupture et du bruit médiatique par la diversité des participants, les « casteurs » prennent désormais soin de retenir des candidats de plus en plus âgés. Ainsi, lors de la saison cinq de l’émission La France a un incroyable talent en 2010, Odette, 89 ans, est la participante la plus âgée et a réussi à se qualifier jusqu’en finale. L’émission diffusée par M6 à partir de 2014, Rising Star, semble adopter ce type de logique en privilégiant des profils divers. On a ainsi pu voir lors de la première émission une femme en fauteuil roulant, une femme relativement âgée et en surpoids ou encore un homme maghrébin. L’émission ne semble pourtant pas connaître un grand succès ni aux États-Unis ni en France. Sans doute parce que les candidats apparaissent trop « castés » et ne sont pas évalués en aveugle, la logique des producteurs semblant en apparence relever davantage du quota…
Vers un effet The Voice ? C’est d’ailleurs le concept d’évaluation à l’aveugle des candidats qui a fait le succès de l’émission The Voice : le jury, ne voyant pas les candidats dans un premier temps, ne juge que leur voix. Pas d’influence donc du physique des impétrants. La méthode de sélection à l’aveugle a pour but de rendre plus objective la sélection, car seule la compétence en chant des candidats peut emporter l’adhésion du jury. Le téléspectateur est même invité à jouer le jeu en écoutant à l’aveugle un candidat pour éprouver ce qu’est un jugement reposant seulement sur la voix et non sur l’apparence physique, le look ou la gestuelle. Des dizaines de pays à travers le monde ont déjà adapté The Voice, et, chaque fois, les audiences ont été au rendez-vous. Alors qu’elle rencontrait le succès aux Pays-Bas, en Grande-Bretagne ou encore aux États-Unis, l’émission est finalement diffusée à partir de 2011 sur TF1. Les audiences sont records : près de 10 millions lors du lancement de la saison 2014 et 40 % de parts de marché. Et ce qui fascine les téléspectateurs chaque saison, ce sont les auditions à l’aveugle : les autres parties de l’émission, plus ordinaires, intéressent nettement moins. Le résultat est spectaculaire :
jamais autant de candidats aussi divers n’ont été présélectionnés à l’issue de cette phase à l’aveugle. Mieux, le profil des gagnants de la finale de ce concours est remarquablement différent de l’ordinaire, alors même que le vote des téléspectateurs se fait pourtant in fine en voyant les candidats. Ainsi, les femmes en surcharge pondérale importante ou obèses remportent très souvent le jeu. Ce fut le cas aux Pays-Bas (Iris Kroes), en Australie (Karise Eden) et en Grande-Bretagne (Leanne Mitchell). Un homme obèse a gagné l’édition américaine 2015 du jeu (Jordan Smith). Aux États-Unis et en Allemagne, ce sont des personnes de couleur noire qui l’ont emporté en 2012. Passer la première étape des auditions, grâce à l’anonymat, donne donc beaucoup plus de chances de gagner, et pas seulement de faire de la figuration, à des candidats qui n’auraient autrement même pas survécu au premier stade de sélection par le jury de spécialistes. Dans la même veine, une émission apparue en 2013 dans plusieurs pays (des ÉtatsUnis à la Chine), The Taste propose un concours de cuisiniers qui diffère principalement des concours habituels par une première phase durant laquelle les mets préparés par les candidats, amateurs ou professionnels, sont notés par des jurés qui ne voient pas les candidats et ignorent qui a préparé le plat en question (et sa composition). Ici encore, l’anonymat est la grande innovation et les castings sont réalisés de telle sorte que des candidats de profils diversifiés soient en lice. Les émissions The Voice et The Taste reproduisent ce qui se pratique déjà dans le monde entier pour recruter des musiciens dans les orchestres symphoniques. Les principaux orchestres américains procèdent ainsi 52 depuis le début des années 1970 . L’écran derrière lequel est placé le musicien candidat augmente considérablement les chances pour les femmes d’être recrutées, car il neutralise les préjugés défavorables des chefs d’orchestre. Si l’on veut trouver les meilleurs – c’est bien ce qui compte ! –, il est préférable de dissimuler derrière un rideau le musicien. Cela tombe sous le sens : celui qui sera ensuite musicien dans une fosse d’orchestre doit être d’abord évalué sur ce qu’il joue, et non sur son sexe, son âge, sa couleur de peau, sa coupe de cheveux ou son embonpoint. Et, avec cette technique fiable de sélection, ce sont les femmes qui ont été les principales bénéficiaires de cette méthode à l’aveugle lorsqu’elle a été introduite. Le même principe n’est-il pas valable pour d’autres professions, au-delà des chanteurs et musiciens ? Pôle Emploi utilise depuis des années, en lien avec des entreprises, une très bonne méthode anonyme reposant sur des tests de simulation de l’activité professionnelle. Au stade du tri des CV, si l’on en croit une étude menée en France par des chercheurs du CREST et de Pôle Emploi, anonymiser les candidatures modifie fortement les chances des postulants. Ainsi, lorsque le recruteur est un homme et que le CV est nominatif, les femmes ont 1 chance sur 27 d’être reçues en entretien contre 1 chance sur 5 pour les hommes, soit cinq fois moins. Lorsque le CV est anonyme, l’écart s’inverse : les candidats femmes ont cette fois 1 chance sur 6, et les candidats masculins 1 chance sur 13.
Une femme, a fortiori obèse, a bien peu de chances d’être recrutée si on sait qu’elle est une femme, si sa photo figure sur son CV, si elle est obligée de joindre des photos en pied et si elle doit indiquer ses mensurations. Et les entretiens se révèlent une redoutable épreuve pour ces postulantes qui n’ont pas le bon profil. En France, le look et le physique sont de loin les premiers critères de choix des recruteurs, à compétence égale, et être âgé constitue un très lourd handicap. Quel paradoxe ! C’est une émission de télévision qui permettra peut-être que des méthodes plus objectives de recrutement soient utilisées en France (tri anonyme des CV, tests de mise en situation professionnelle) ! Chaque téléspectateur peut être le témoin de l’intérêt du jugement à l’aveugle et ce sont des candidats eux-mêmes que peuvent venir de nouvelles exigences de justice dans le recrutement. En effet, du côté des entreprises, hélas, l’anonymat est rarement utilisé. Il y a bien eu une loi, votée en 2006, qui oblige à l’anonymat les candidatures, mais, jamais mise en œuvre, elle a été abrogée en 2015, nous l’avons vu. Dans plusieurs pays européens et aux États-Unis, il est sérieusement envisagé d’anonymiser le recrutement (qu’il s’agisse des CV ou des entretiens qui peuvent se faire par téléphone ou Internet). Déjà, dans beaucoup de pays, il est saugrenu de joindre une photo à une candidature quand, en France, on trouve intelligent dans de grandes entreprises de recourir de plus en plus au « CV vidéo » ! Être gros ou chétif, homme ou femme, jeune ou senior, noir ou blanc, ringard ou à la mode, avoir un beau visage ou être laid ne devrait jamais être un critère de choix. The Voice accélérera peut-être le passage à des techniques de recrutement qui relèvent simplement du bon sens. Cet incontestable progrès se heurte toutefois à plusieurs limites sérieuses. D’abord, la diversité des profils permet-elle à des candidats ayant un handicap visible d’être présélectionnés et de réussir ? Les chaînes se demandent encore si montrer le handicap est possible sans que l’audience s’effondre. Ensuite dans The Voice, le public finit tout de même par voter en voyant les chanteurs et il semble bien être alors sensible à l’apparence des candidats – sans parler des commentaires des jurés sur le physique des postulants lorsqu’ils les voient pour la première fois ou de l’extrême soin mis à relooker et à pomponner les candidats retenus pour harmoniser la sélection. Le poids ou l’âge des chanteurs qui réussissent dans ces télécrochets reste d’ailleurs généralement un problème. Iris Kroes, la gagnante néerlandaise, a par exemple accepté d’être une égérie de la marque Weight Watchers et a perdu du poids, tandis que Magalie Vaé, gagnante, en dépit de ses rondeurs, de la Star Academy 5, n’a pas vu sa carrière vraiment décoller et a essuyé de nombreuses railleries liées à son physique. Elle a d’ailleurs expliqué que TF1 et sa maison de disques l’avaient obligée à entrer en cure d’amincissement quelques semaines seulement après son sacre. Dans ces conditions, on saisit combien il est difficile de réussir une carrière en étant méprisé ou stigmatisé de la sorte. La presse écrite parvient-elle de son côté à mieux refléter la diversité de la société française ? Nous allons voir que, là aussi, une prise de conscience et des changements ont eu lieu.
La presse écrite et la femme parfaite Dans les journaux féminins, ce n’est un secret pour personne, les femmes minces sont légion et les personnes en surpoids, sans même parler d’obésité, rarissimes. Les lectrices ont beau savoir que les photos de ces magazines sont toutes retouchées, elles ne peuvent sortir indemnes du déferlement de corps minces. D’autant qu’il y a quelques 53 années, dans certains pays, les femmes grosses étaient ouvertement dévalorisées . Des chercheurs ont fait par exemple l’expérience de montrer tantôt des images de femmes minces trouvées dans Cosmopolitan et tantôt des images de femmes de poids 54 moyen . Les femmes qui ont été exposées aux images de minceur ont témoigné d’une moins bonne image de leur propre corps et ont déclaré plus souvent ressentir une détresse émotionnelle. Dans une autre expérience, des chercheurs ont montré alternativement des top models et des voitures. Là encore, voir des top models provoque 55 une dégradation de l’image de son corps . Seules les femmes vraiment minces tirent bénéfice de cette exposition à des modèles de minceur. Le corps parfait est aussi un corps jeune. Signe du jeunisme dans lequel nous baignons, il est bien rare de trouver des images de femmes ayant passé la cinquantaine. On trouve bien des stars qui ont pris de l’âge, mais elles ne doivent qu’à leur notoriété, acquise lorsqu’elles étaient très jeunes, d’être encore présentes dans les articles des magazines et dans les publicités. Inondées du matin au soir d’images de femmes jeunes et retouchées, les femmes (et les hommes) qui ouvrent un magazine féminin ont rarement l’occasion de voir des femmes d’âge mûr, a fortiori en couverture. De plus, lorsqu’une femme senior apparaît en une c’est généralement pour développer le thème « comment rajeunir ? ». C’est par exemple le titre de l’article accompagnant la photo en couverture du Elle du 5 février 2012 montrant Andie MacDowell. L’actrice est vêtue d’un gros pull en laine cachant ses formes et on ne voit pas le bas de son corps. On est loin des corps aux formes bien visibles et en pied des jeunes femmes minces exposées en une d’ordinaire. Quant à la couleur de cheveux des femmes dans les magazines, elle n’a pas beaucoup 56 changé : les blondes sont depuis longtemps surreprésentées . Les magazines commencent tout de même à bouger et c’est un motif d’espoir ! Un nombre croissant d’articles sont consacrés aux obèses même si c’est le plus souvent pour évoquer le fort développement de l’obésité et la prévention de celle-ci. Dans les magazines féminins, on trouve toutefois quelques couvertures emblématiques qui montrent une femme en surpoids, ce qui aurait été inimaginable il y a encore dix ans. En 2012, un magazine féminin a ainsi consacré sa couverture à Tara Lynn, qui est en surpoids, et un article porte sur les conseils vestimentaires pour les filles rondes. Le hasard veut que ce numéro du magazine comporte aussi une enquête de plusieurs pages titrée « Pourquoi les stéréotypes ont la vie dure ». Cette enquête, qui fait suite à une polémique déclenchée par un article précédent du magazine, n’aborde que les
stéréotypes racistes. Dommage que, justement, les rédacteurs n’aient pas eu l’idée que des stéréotypes existaient aussi sur les femmes en surpoids ! Dommage aussi que l’article sur les rondes ne porte que sur les conseils vestimentaires et non sur le racisme antigros ! Tout n’est pas gagné pour autant. En octobre 2009, le titre féminin allemand Brigitte avait provoqué un séisme dans le milieu des magazines féminins en annonçant qu’il renonçait à faire appel à des mannequins professionnels pour ses pages mode. Après de nombreuses plaintes de ses lectrices, qui ne pouvaient s’identifier aux mannequins aux silhouettes ultraélancées, le bimensuel s’était engagé à ne publier que des photographies de « femmes réelles ». Trois ans plus tard, pourtant, Brigitte réintroduisait des clichés de modèles professionnels… L’évolution des mentalités est lente, assurément, mais elle se poursuit en empruntant des voies parfois plus discrètes. Ainsi le fait de montrer des corps naturels, sans maquillage et non modifiés par des logiciels, suscite-t-il depuis quelque temps un intérêt évident des journalistes comme de l’opinion. Plusieurs magazines ont ainsi réalisé des « coups » avec des couvertures montrant un visage ou un corps différent, plus proche de celui de Madame Tout-le-monde. Le magazine Elle a confectionné plusieurs belles couvertures du même magazine avec une star chaque fois photographiée sans retouche et sans maquillage. Des vedettes comme Monica Bellucci se sont livrées à l’exercice de la « beauté vérité ». Marie-Claire a opté, de son côté, pour une campagne contre le cancer du sein montrant des stars au naturel et seins nus. Dans les cas de Elle et de Marie-Claire, les photos sont en noir et blanc pour des raisons esthétiques, ce qui facilite le fait que les corps soient montrés sans fard. Vanity Fair a également présenté les 57 photographies d’une vingtaine de stars sans maquillage par un spécialiste du portrait hyperréaliste, Chuck Close. Des actrices comme Kate Winslet et Scarlett Johansson qui faisaient partie de ce numéro spécial ont ensuite tweeté 58 en évoquant leurs propres défauts pour inviter les autres femmes à assumer leur apparence, sans fard et à s’aimer telles qu’elles sont. Gala, de son côté, a choisi de mettre en avant les femmes rondes en consacrant sa une à Marianne James avec ce titre : « Vive les rondes ». La chanteuse figure nue sur un tabouret en couverture, la photo est en couleur et on a joué avec la position du modèle et sa peau très bronzée (accentuée sans doute par une retouche) pour « embellir » la photo. Les Inrocks ont choisi, quant à eux, de montrer Beth Ditto, la chanteuse rock obèse : on la voit nue de profil sur une photo couleur, apparemment sans retouche, qui ne cherche pas à esthétiser ou à dissimuler ses rondeurs. Dans la même veine, deux photographes, Matt Blum et Katy Kessler, ont photographié 150 femmes nues au naturel avec un minimum de maquillage entre 2005 et 2013 dans le cadre de ce qu’ils appellent 59
The Nu Project . Toutes les femmes sont représentées : ce peut être votre « voisine de
palier », une femme très âgée, une femme enceinte, une femme un peu ronde ou carrément obèse, etc. Depuis 2014, le projet porte sur les femmes européennes. On le voit, les choses bougent et certains artistes ou journalistes commencent à prendre la mesure du désir d’une moins grande uniformité des physiques représentés dans la presse. Une parlementaire (Valérie Boyer) s’est d’ailleurs saisie de l’enjeu et a proposé de prohiber les manipulations informatiques des photos ou, au moins, de mentionner qu’une photo est retouchée. Malheureusement cette proposition n’a pas été adoptée et les images des magazines continuent d’être allègrement modifiées pour dissimuler les kilos en trop, les rides, les boutons ou les taches en tous genres. Aujourd’hui, ce n’est que pour les silhouettes que la loi de décembre 2015 fait désormais obligation de signaler les retouches, mais certains journaux n’ont pas attendu, qui se sont spécialisés dans les défauts physiques des stars qu’ils exhibent sans pitié – à l’heure d’Internet, ce type d’images est évidemment assuré d’un grand succès ! Les déboires de Madonna, à cet égard, sont instructifs. Lors de la remise des Brit Awards en février 2015, la star chute sur scène lors d’une chorégraphie et les internautes, railleurs, y voient l’effet de son grand âge : elle a 56 ans ! Dans les mois qui suivent, son album Rebel Heart est un échec commercial comme elle n’en avait pas connu depuis vingt ans. Son âge en serait la raison, comme s’il était plus facile pour un homme d’enchaîner les 60
succès jusqu’à 70 ans – qu’on pense à Bowie . Ses tenues sexy sont désormais critiquées par les internautes qui les trouvent déplacées ou ridicules. La chanteuse a riposté en expliquant : « Je prends soin de moi, j’ai de belles formes et je peux montrer mes fesses à 56 ans, 66 ou 76 ans. Qui a le droit de me dire qu’il ne faut plus que je montre mes fesses ? C’est du sexisme, de l’agéisme et c’est une forme de discrimination 61. »
La publicité et ses modèles Dans les magazines, les publicités contribuent à l’exposition des éternels corps parfaits et cette situation évolue bien lentement. Les visuels publicitaires restent quasiment inchangés depuis la nuit des temps : la belle jeune fille fait toujours vendre. Depuis quelques années, les publicitaires ont simplement mis un peu de « couleur » sur les jeunes filles en question, mais le virage de la diversité s’est arrêté là. Un mannequin ou une belle et jeune actrice peut désormais être asiatique ou avoir la peau noire ; en revanche, elle n’est jamais handicapée ou grosse. Quant aux silhouettes, le décalage entre les visuels publicitaires et le physique de la population reste considérable. Du coup, les femmes françaises qui ne sont pas particulièrement rondes sont aussi les plus
insatisfaites de leur poids, qu’elles estiment trop élevé. La publicité n’est sans doute pas étrangère à ce singulier phénomène. Et, malgré le vieillissement de la population et la part de richesse détenue par les générations plus anciennes, les budgets publicitaires utilisent massivement des profils jeunes que la cible soit jeune, indifférenciée ou même senior. Certes on peut avoir le sentiment que les seniors sont en train de devenir à la mode, présents dans les médias et la publicité. À la faveur du vieillissement de nos sociétés et de l’allongement des espérances de vie la génération des baby-boomers nés après 1945 fait l’objet d’une certaine médiatisation. C’est que les baby-boomers sont des consommateurs dotés d’un appréciable pouvoir d’achat. L’industrie des cosmétiques diffuse ainsi des produits antiâge et celle des loisirs des offres adaptées. Mais il faut noter que c’est toujours pour insister sur la lutte contre le vieillissement : les seniors doivent rester dynamiques et jeunes ! Pour des raisons mercantiles, on valorise encore un peu plus la jeunesse en s’adressant aux baby-boomers. On ne vante pas les rides, mais les produits antirides grâce auxquels les stigmates du vieillissement seront combattus. Ceux qui sont plus âgés, nés entre les années 1920 et 1944, que l’on nomme la génération silencieuse ou invisible, ne sont guère concernés. Il est trop tard pour leur proposer des produits antiâge et leur promettre une éternelle jeunesse. Nombre d’entre eux ont rejoint une maison de retraite et c’est sous l’angle de la dépendance ou de la fin de vie que les choses sont abordées. Les exceptions sont bien rares. Jane Fonda, bien que née 1937, est ainsi une égérie de L’Oréal, mais, comme elle le reconnaît volontiers pour le regretter, sa plastique a bénéficié du talent de chirurgiens et pas seulement de bons produits cosmétiques. Elle expliquait en mai 2015 au festival de Cannes s’être de la sorte « acheté une 62 décennie ». Les annonceurs se sont mis à la « diversité » de couleur de peau et aussi parfois d’âge, mais les femmes seniors qui apparaissent dans la publicité se doivent… de ne pas avoir l’air âgées. Tout est fait pour qu’elles paraissent avoir vingt ans de moins à coups de modifications informatiques. Lorsqu’une femme de plus de 50 ans est montrée, on évite soigneusement de dévoiler son corps. Lorsqu’une senior est présente dans une publicité, c’est son visage qui est le plus souvent valorisé (et c’est souvent parce qu’il s’agit d’une star, les stars plus âgées continuant à faire vendre sur leur nom et leur apparence « éternellement jeune ».) En revanche, quand il s’agit de faire vendre des collants, des sous-vêtements ou des maillots de bain, on montrera le bas du corps ou une partie du corps (les jambes par exemple), mais jamais la tête, sans doute pour ne pas alerter le spectateur sur le fait qu’il ne s’agit pas en réalité d’une senior. Il y a hélas des cas fréquents de campagnes publicitaires qui utilisent des profils de personnes plus âgées comme repoussoirs et pour déclencher le rire. C’est le cas des spots de la banque CIC depuis une dizaine d’années 63. La banque ringarde concurrente du CIC y est représentée par des quinquagénaires, souvent chauves, enrobés, habillés
de manière désuète et parfois sans dents. Ils sont beaufs, peu intelligents et peu dynamiques. On peut difficilement surfer davantage sur les stéréotypes liés au vieillissement et à la prise de poids. Quelques campagnes publicitaires chocs ont choisi de créer l’événement en montrant précisément ce qui est toujours caché dans la publicité. Dans certains cas, il s’agit de choquer, de déclencher des railleries, parfois avec le prétexte de mener une action citoyenne. Benetton avait ainsi montré un homme obèse à quatre pattes, difforme et paraissant quasi animal avec un slogan : « No obesita » – on prétendait lutter contre l’obésité tout en vendant des pulls. Affligeant ! Le souci de lutter contre l’obésité ne justifie pas ce visuel, pas plus que celui du même annonceur montrant un mannequin anorexique. L’ARPP interdit d’ailleurs les publicités qui présentent des images dégradantes. D’autres campagnes ont une ambition plus louable et luttent sans ambiguïté contre les préjugés. Les campagnes de l’entreprise de travail temporaire ADIA à partir de 2003 ont eu de fortes retombées. Il s’agissait, en montrant des hommes seniors et un peu gros, ou encore une femme handicapée, de faire passer le message suivant : « Fiez-vous aux compétences, pas aux apparences. » Des sondages et des testings mesurant les discriminations à l’embauche venaient appuyer ces visuels chocs. Dove a aussi réalisé une campagne mondiale montrant des femmes rondes ou encore très âgées avec un message : « Toutes les femmes sont belles. » Pour relayer cette campagne militante, un intéressant sondage mondial a été conduit sur la perception par les femmes de leur corps et de la beauté. On y apprenait qu’après les Japonaises, les Françaises étaient les plus victimes du diktat de la jeunesse et de la minceur. Ce que montrent les campagnes publicitaires mondiales de Dove, c’est que l’on peut convaincre les clientes en utilisant des femmes qui leur ressemblent. L’une de leur plus fameuse campagne montrait ainsi des femmes de poids moyen dans des sous-vêtements blancs ordinaires. Contre le visuel habituel de la bombe atomique taille 36 en tenue sexy, la girl next door, dans son naturel et sa fraîcheur, peut aussi faire vendre. Des études marketing confirment que c’est en 64 effet possible, et cela donne des raisons d’espérer . Concernant le handicap, certaines entreprises ou les pouvoirs publics eux-mêmes font des publicités avec un objectif précis de militantisme. C’est le cas d’EDF montrant une personne en fauteuil, de l’AGEFIPH (organisme public pour l’insertion professionnelle des personnes handicapées) qui réalise en 2009 un spot avec Jamel Debbouze ou d’une association en Belgique qui a parodié la publicité Wonderbra en 2010.
Document 7. Visuel de la campagne RTBF-Cap 48, Tanja Kiewitz.
Toutefois, les publicités montrant le handicap ou l’obésité sont rarissimes. En 1994, Ray Charles, au volant d’un cabriolet 306 Peugeot, roule sur le lac Salé, au son de « Georgia on My Mind ». En 2008, l’acteur Pascal Duquenne (prix d’interprétation masculine à Cannes en 1996 pour Le Huitième Jour) figure dans les publicités de l’opérateur téléphonique Simyo. La même année, un fabricant de portes et fenêtres, Huis Clos, met en scène Gilbert Montagné jouant le rôle d’un vendeur et installateur à domicile. En 2010, Krys montre une personne en fauteuil roulant avec ce slogan : « Avant j’étais timide… » On sait aussi que Jamel Debbouze a tourné plusieurs clips pour Orangina, Nescafé…, son handicap est connu de tous, mais le bras droit de l’humoriste n’apparaît jamais. Stephen Hawking figure également dans un spot télévisé pour Jaguar en 2016. Ces spots sont des succès, mais restent l’exception. Montrer une personne en situation de handicap, c’est « faire un coup » et non s’adresser à une clientèle handicapée ou intégrer de manière ordinaire tous les profils aux visuels publicitaires. Les personnes handicapées ne sont pas une cible comme les autres. La présence de personnages handicapés au cinéma est à cet égard intéressante à examiner.
Le handicap sur les écrans Au cinéma et dans les contes pour enfants, le personnage du méchant est en règle générale celui qui est affublé d’une cicatrice, qui est nain, a un visage tordu ou disgracieux… Il est aussi très souvent en situation de handicap. Ainsi, le pirate porte une jambe de bois ou un crochet à la place d’une main (Capitaine Crochet). Dans Les Mystères de l’Ouest, le terrible docteur Loveless est un nain souvent en fauteuil roulant. Le méchant peut aussi être d’une taille anormalement élevée et avoir des problèmes de dents comme Requin, joué par Richard Kiel (2,18 mètres), ennemi de James Bond dans L’espion qui m’aimait et Moonraker. Rares sont les héros ou personnages sympathiques en situation de handicap. Tout au plus peut-on mentionner un aveugle aux capacités hors norme (Daredevil) ou le personnage de la série diffusée entre 1967 et 1975 L’Homme de fer qui est en fauteuil roulant. Bien souvent, ces rôles sont tenus par des acteurs… qui ne sont pas handicapés. Dustin Hoffman joue un personnage autiste dans Rain Man, Tom Hanks a joué le rôle d’une personne mentalement retardée dans Forrest Gump, Tom Cruise celui d’un vétéran du Vietnam handicapé, Daniel Day-Lewis celui d’un poète irlandais artiste peignant avec son pied. Ces quatre acteurs ont été nominés aux Oscars pour leur performance sans susciter de bronca. En revanche, en mars 2016, lors de la sortie de la bande-annonce du film Nina sur la vie de la chanteuse afro-américaine Nina Simone, de violentes critiques ont été adressées, notamment par la famille de la chanteuse, au motif que l’actrice qui joue son rôle, Zoe Saldana, a un physique différent. Métisse d’origine dominicaine, elle a des cheveux lisses qu’il a fallu crêper, un teint clair qu’il a fallu noircir et des traits fins qu’il a fallu modifier, notamment en lui faisant porter une prothèse de nez. Même polémique en février 2016 concernant le projet dans lequel le rôle de Michael Jackson serait joué par un acteur blanc, Joseph Fiennes. Raymond Burr qui jouait le rôle principal dans L’Homme de fer était parfaitement valide. En octobre 2013, un remake de la série est lancé aux États-Unis sur NBC. L’acteur Blair Underwood est cette fois bien différent de son prédécesseur des années 1960 ; il est de couleur noire alors que Raymond Burr était blanc, mais ils ont un point commun que les personnes handicapées n’ont pas manqué de relever : aucun n’est véritablement dans un fauteuil roulant en dehors des écrans ! À la suite du succès du film Intouchables, une vague de films ou séries avec des personnages principaux en situation de handicap visible a déferlé sur nos écrans. Mais les acteurs ne sont pas de véritables handicapés. François Cluzet, parfaitement valide, s’est installé dans un fauteuil roulant dans Intouchables. Pour le film La Famille Bélier (2014) qui a fait 7,5 millions d’entrées, les trois personnages principaux jouent le rôle de sourds sans l’être eux-mêmes. On leur a appris la langue des signes qu’ils jouent si maladroitement que lors de l’avant-première le public sourd a dû lire les sous-titres, car il ne comprenait pas la langue signée à l’écran. Marylène Charrière, journaliste sourde,
explique que le film « a été un peu ressenti comme une insulte pour les sourds. Non, on ne parle pas la langue des signes française en bougeant les deux mains ! Il faut plusieurs 65 années pour l’apprendre ». Dans la série télévisée Capitaine Caïn (diffusé sur France 2 à partir d’octobre 2012) le rôle est joué par Bruno Debrandt, qui n’est pas handicapé physique. Dans le film De rouille et d’os, sorti en 2012, c’est Marion Cotillard qui joue une femme qui a perdu ses jambes, grâce à d’habiles retouches informatiques. Dans The Sessions, le rôle du handicapé Mark O’Brien est joué par John Hawkes. De même au théâtre est-il habituel de faire jouer les rôles de personnes handicapées par des acteurs valides qui sont simplement assis dans un fauteuil. Et lorsqu’un acteur célèbre est en situation de handicap, il le masque, comme le fait Jamel Debbouze. Si d’aventure un acteur véritablement en situation de handicap tient le haut de l’affiche, le film ne rencontre alors pas le succès d’Intouchables. C’est le cas du film De toutes nos forces sorti en mars 2014 dans lequel le rôle d’un jeune homme ayant un handicap moteur est joué par un authentique acteur handicapé, Fabien Héraud. Le film Le Huitième Jour, sorti en 1996, dans lequel un rôle majeur est joué par l’acteur trisomique Pascal Duquenne a connu le succès, mais il est resté un cas finalement isolé. Quant à la série de France 2 Vestiaires, diffusée depuis 2011, dans laquelle de véritables acteurs en situation de handicap jouent, elle marche bien mais il s’agit d’un format très court : deux minutes seulement par épisode.
Le corps parfait et la sexualité au cinéma Dans la mesure où les lieux de rencontre sont souvent fermés à ceux dont l’apparence déplaît, avoir une vie affective et sexuelle satisfaisante n’est pas si simple. Mais ce n’est pas le seul problème. Dans certains cas, la mobilité réduite rend difficiles ou impossibles les sorties. Certains handicaps, l’obésité morbide ou le grand âge peuvent en effet imposer de rester à domicile ou dans une institution spécialisée. Sans même parler de sorties et de rencontres, la simple possibilité de vivre une sexualité avec son partenaire peut aussi être compliquée par des difficultés motrices ou une perte d’autonomie. Le problème le plus préoccupant reste que la sexualité paraît réservée aux personnes belles, jeunes et en bonne santé. « Nous sommes dans des sociétés du paraître, où l’amour n’est autorisé que lorsque nous sommes beaux et jeunes ; comme si être vieux, cela signifiait être laid et hors circuit », explique ainsi l’écrivaine Noëlle
66
Châtelet . Ne dit-on pas d’un homme âgé ayant de l’appétit sexuel qu’il est un « vieux cochon » ? Aurait-on l’idée d’affliger un jeune de ce qualificatif ? Au cinéma, les personnes âgées sont rarement les personnages principaux ; lorsque c’est le cas, leur sexualité est passée sous silence. Dans une étude menée en Suède, sur 2 000 films diffusés en salle entre 1990 et 1995, il n’y en avait ainsi que neuf dans lesquels le personnage principal était âgé. La sexualité est suggérée comme si l’on cherchait à éviter absolument d’exhiber les corps vieux. Une scène torride paraît réservée aux corps jeunes, jugés plus esthétiques. La sexualité des seniors heurterait la sensibilité esthétique du spectateur, on la juge « repoussante ». Pour mesurer ce dégoût, des sociologues ont montré des scènes du film The Mother à des hommes et des femmes 67. Dans ce film sorti en 2004, une mère de famille de 60 ans, ayant perdu son mari, tombe amoureuse d’un trentenaire qui entretient une relation par ailleurs avec sa fille. Le fait que cette dame puisse apparaître nue et ait une sexualité choque les enquêtés. Les réactions des femmes particulièrement sont très dures : elles trouvent le personnage de la mère dégoûtant. Le cinéma montre désormais davantage de personnages âgés, ne serait-ce que parce que les stars vieillissent. La mode est aussi aux vieux actifs et sexy, voire aux « cougars ». Mais la nudité et les scènes de sexe impliquant des personnes vieilles, handicapées ou obèses choquent profondément le public. Parce que ce type de corps 68 nus est associé à la laideur . Le préjugé du vieux dégueulasse est tenace. Dans la campagne publicitaire d’ADIA en 2003, l’un des visuels utilisé pour sensibiliser aux stéréotypes montrait un homme quinquagénaire ayant un ventre rond. Le slogan attirait l’attention et rappelait le stéréotype : « Cet homme est un obsédé… » Suivait en petits caractères : «… du travail bien fait. » Au-delà de cette « invisibilisation » dans la fiction, la limitation de la sexualité des personnes âgées s’opère de façon très concrète. C’est particulièrement le cas dans les maisons de retraite, dans lesquelles vivre une relation affective et sexuelle est compliqué 69 ou prohibé par le personnel . Comme dans les univers carcéraux, les maisons de retraite ne donnent pas toute liberté aux individus de disposer de leur corps. Quant à l’obésité, le principal clivage entre personnes obèses (indice de masse corporelle supérieur à 30) et non obèses est « la difficulté d’entrer en relation », cette pression sociale s’exerçant plus sur les femmes que sur les hommes, résume la sociologue Nathalie Bajos. Comme le montre son étude, publiée dans le British Medical Journal, les femmes obèses ont 30 % de chance en moins que les autres femmes de rencontrer un partenaire sexuel. Les hommes obèses, quant à eux, ont plus de mal que les autres à avoir de nombreuses conquêtes. Le choix du compagnon varie aussi avec le genre : 67 % des femmes obèses sont avec un partenaire obèse ou en surpoids. Le pourcentage chute à 39 % pour les hommes obèses, qui ont donc un éventail de choix plus large que les femmes.
Pour les personnes en situation de handicap, vivre une sexualité épanouie est également difficile. Sans surprise, les relations sexuelles des personnes handicapées sont nettement moins fréquentes en institution qu’en ménage et a fortiori par rapport à la population générale. Le célibat et les ruptures d’unions légales sont nettement plus fréquents au sein des établissements spécialisés. Enfin, les personnes vivant en 70 institution ont moins souvent d’enfants que celles qui vivent en ménage . Au-delà des institutions spécialisées, la sexualité et la vie amoureuse des personnes en situation de handicap font débat depuis quelques années : certains pays, comme la Suisse et les Pays-Bas, reconnaissent et organisent la possibilité d’avoir recours à des prestations d’assistance sexuelle qui sont illégales en France (la sexualité doit être une démarche amoureuse non tarifée, le client encourant des sanctions pénales depuis la loi de 2016). Cette question controversée est abordée dans plusieurs films. Dans Intouchables, une prostituée caresse simplement les oreilles de la personne en fauteuil. Dans The Sessions, sorti en 2012, le thème principal est cette fois la découverte de la sexualité avec une professionnelle (l’essayiste californien Mark O’Brien perd ainsi sa virginité à 36 ans). Il est intéressant que ces réalités soient abordées dans des films à succès car elles peuvent contribuer à rompre avec la vision dominante associant la vie amoureuse et sexuelle à la beauté, à la jeunesse et à la perfection des corps. Au total, le monde des médias n’a peut-être pas encore connu de révolution majeure au point que des personnes handicapées envahissent les écrans ou que les publicités et les magazines féminins se prennent de passion pour des égéries en surpoids ou seniors. Toutefois, un virage a clairement été opéré. L’attente du public est telle qu’il devient de plus en plus fréquent de voir des images différentes et des physiques ordinaires. Bien entendu, on peut penser qu’il s’agit de « coups de pub », et c’est sans doute en partie vrai, mais ne sous-estimons pas ces changements, car ils touchent tout le monde, font évoluer nos stéréotypes et accompagnent des mobilisations citoyennes (par pétitions, blogs ou réseaux sociaux) contre les diktats du jeunisme, de la beauté et de la bonne santé.
Conclusion
Lorsqu’on pense aux sources d’inégalités et d’injustices viennent à l’esprit l’origine sociale, le niveau d’instruction, les revenus et le patrimoine, le lieu d’habitation, le genre, la religion ou encore les origines migratoires. On oublie de mentionner le capital beauté et, plus largement, l’apparence physique, qui ont pourtant, eux aussi, des conséquences majeures sur les destinées individuelles. C’est ainsi que les mesures de diversité dans l’audiovisuel ou dans les entreprises n’incluent jamais le surpoids. C’est ainsi que les politologues qui scrutent pourtant en détail les électorats ignorent des caractéristiques comme le handicap alors qu’ils savent comment votent les chasseurs ou les lesbiennes. Dans nombre d’enquêtes, on organise même cette « invisibilité » : toute une partie de la société française y est ignorée. C’est un problème, car notre droit et nos politiques publiques sont directement influencés par les diagnostics établis par ces études. En faussant la réalité, en occultant des pans entiers de la discrimination, on abandonne à leur sort un nombre considérable de Français. En France, la notion d’invisibles a été popularisée depuis quelques années – tout particulièrement depuis la campagne présidentielle de
2012. Elle désigne des groupes d’individus dont les intérêts sont mal relayés, qui sont peu présents dans les médias, absents de la représentation politique et des élites dirigeantes. Les invisibles dont j’ai souhaité parler dans cet ouvrage le sont en raison même de leur apparence : c’est à cause de leur image qu’ils sont soustraits des écrans, absents des points de vente et effacés des publicités ; c’est parce qu’une personne est obèse qu’elle ne sera pas présentatrice d’un journal télévisé ; c’est en raison de son physique âgé qu’un militant ne sera pas placé derrière un homme politique lors d’un meeting. Ce n’est pas parce qu’ils viennent de la ville ou de la campagne, à cause de leur catégorie socioprofessionnelle ou de la couleur de leur peau qu’ils sont exclus ; c’est à cause de leur visage ou de leur silhouette. Il y a dix ans le fait qu’un restaurant chic parisien relègue les clients ordinaires au fond, près des toilettes, ou leur refuse l’entrée n’aurait pas ému grand monde. En 2013, cette pratique ancienne et bien connue a fait l’objet d’un premier article dans Le Canard enchaîné avant d’être largement reprise dans la presse. La sensibilité est même devenue telle sur la question des apparences qu’il est désormais possible à la télévision de battre des records d’audience avec une idée aussi simple que de donner sa chance à chacun, quels que soient son physique, son âge, voire son handicap. Non seulement, le public aime les belles histoires – une femme senior et habillée simplement qui fait un carton quand elle chante ; une jeune fille un peu trop ronde qui gagne un concours de voix –, mais il exprime une préoccupation partagée en même temps qu’un désir de justice : qui n’a pas été moqué ou exclu en raison de son physique et qui peut prétendre ne pas être un jour concerné ? Depuis quelques années, le droit international comme les textes nationaux ont imposé des règles de non-discrimination, notamment
dans l’accès à un emploi ou à un logement. Choisir un homme plutôt qu’une femme, un Blanc plutôt qu’un Noir est prohibé, sauf à avoir de très bonnes raisons de le faire – chercher quelqu’un pour jouer le rôle de Napoléon Bonaparte par exemple. Mais l’égalité entre les hommes et les femmes et la lutte contre le racisme ne sont pas les seules préoccupations du législateur. Des politiques de quotas d’emplois assortis de pénalités financières ont été établies pour faciliter l’insertion sur le marché du travail des personnes en situation de handicap. Les petites annonces écartant les candidats âgés sont désormais un délit. Et l’apparence physique fait désormais partie des motifs de discrimination prévus dans la loi française, avec plus d’une vingtaine de critères. Certains déplorent cette extension continue des motifs de discrimination, qui réduirait drastiquement la liberté de choix des recruteurs. Pour d’autres, cet élargissement serait contre-productif et peu légitime parce que l’on ne peut pas mettre sur le même plan le racisme « antigros » et le racisme tout court. Pour d’autres encore, la parité en politique serait une priorité, même si rien de tel n’est proposé pour la représentation des personnes handicapées. On entend aussi dire que les obèses auraient choisi de prendre du poids. Outre qu’il néglige la dimension génétique du problème, cet argument ne tient pas, car la liste des motifs de discrimination inclut bien des cas dans lesquels les individus portent une « responsabilité » dans leur situation à un moment donné – les convictions religieuses par exemple. Traiter des discriminations ou du harcèlement des personnes qui ont des kilos en trop ou qui portent les marques du temps n’est pas moins urgent ou moins légitime que de s’attaquer au racisme ou au sexisme. Prendre en compte le jeu des apparences est essentiel pour répondre aux problèmes que vivent le plus grand nombre d’individus.
C’est aussi un fantastique moyen de rassembler. Si l’on résume les discriminations à un ou deux sujets, si l’on instaure des quotas et de la discrimination positive sur un ou deux critères, on ne rassemble pas. Les difficultés que vit chacun sont toutes respectables même si leur ampleur est variable ; le nier, c’est exacerber les ressentiments. Le prisme des apparences oblige aussi à refuser les simplifications. Pour mieux vivre ensemble, il faut éviter de classer sommairement les individus en fonction de critères binaires – les Blancs et les nonBlancs, les hommes et les femmes, les jeunes et les vieux. En réalité, nous avons tous des caractéristiques et des sources d’identification multiples – untel à un beau visage, est assez petit et a 58 ans ; telle autre a la peau noire, vient d’avoir 20 ans et aimerait peser quelques kilos de moins. Les discriminations sont « multiples » ; il y a « intersectionalité », comme disent les sociologues. Il faut désormais une impulsion politique pour que notre société ne soit plus structurée par le culte de la beauté et de la jeunesse. Pourquoi ne pas, par exemple, promouvoir le CV anonyme ainsi que des tests mesurant les compétences plutôt que la plastique des candidats ? Les élus sont les seuls à pouvoir porter les préoccupations que nous exprimons tous peu ou prou, fatigués que nous sommes par les jugements expéditifs sur le paraître, le culte de la bonne santé et le jeunisme. Et si, dans un avenir proche, un obèse ou un candidat en situation de handicap était élu président en France ou aux États-Unis, quel retournement ce serait, et quel signe d’espoir !
TABLE Titre Copyright Avant-propos 1 - Mais pourquoi t’as pas liké ma photo ? Internet et l’omniprésence de l’apparence physique Une société de narcissiques Reconnaissance faciale et expressions des visages Des marqueurs de notre personnalité ? Délices et pièges de la ressemblance Eugénisme et beau bébé La banalisation de la chirurgie esthétique Une enfance qui laisse des traces 2 - Une souffrance minorée et masquée Des préjugés qui se forgent dès l’enfance Mépris et injustices au quotidien De lourdes conséquences Ce n’est pas si grave !
Une entreprise de camouflage de la réalité ? Des « testings » au champ curieusement restreint Comment les résultats sont-ils médiatisés ? 3 - La tête de l’emploi Le physique érigé en critère officiel d’embauche Jeune et jolie : une vraie qualification ! Une belle comptable fera l’affaire Du mascara, sinon rien Les blondes sont-elles toujours à la fête ? Des seins qui rapportent gros Le visage, un capital ou un boulet ? Effets du poids et de la taille chez les hommes Des kilos qui pèsent lourd Le jeunisme au travail L’âge élevé des dirigeants est-il un problème ? Les principales discriminations selon les Français Beaucoup d’inconvénients et bien peu d’avantages Que disent les demandeurs d’emploi ? Marché des cadres : le concours de beauté Qu’est-ce qui plaît réellement au client ? 4 - Quels droits pour les exclus du paraître ? Les lois « antilaids » La France seule au monde avec la loi de 2001 2014 : l’Union européenne opère un virage
Des CV bien différents selon les pays CV anonyme : le retour à la case départ Le CV vidéo ou le triomphe des apparences Injures et incitation à la haine : deux poids, deux mesures Mannequins : tout n’est plus permis 5 - Les grands absents en politique Le jeunisme en politique L’environnement visuel des personnalités politiques Avoir plus de 70 ans : rédhibitoire pour les électeurs ? Vieux, donc malade et diminué L’élection d’un septuagénaire Noir mais pas trop Le poids électoral et les kilos en trop Peut-on mettre les gros de son côté ? Aux grands hommes les hautes fonctions Le handicap visible et les élus Élus en 100 millisecondes Beaux visages et bulletin de vote La figure du leader dominant Les catégories dignes d’intérêt… et les autres 6 - Et si les médias changeaient la donne ? Les vrais invisibles dans les médias et la publicité Une autre vision de la diversité à la télévision L’impact paradoxal des programmes
Relégation des invisibles et mépris de classe Diversité : le nouvel enjeu du divertissement télé Vers un effet The Voice ? La presse écrite et la femme parfaite La publicité et ses modèles Le handicap sur les écrans Le corps parfait et la sexualité au cinéma Conclusion Du même auteur chez odile jacob
Du même auteur chez Odile Jacob Le Poids des apparences. Beauté, amour et gloire, 2002. Les Clés du destin. École, amour, carrière, etc., 2006.
Éditions Odile Jacob Des idées qui font avancer les idées
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Notes
1. « Avons-nous été admises [à Harvard] pour notre apparence ? Non. Serons-nous jugées sur elle ? Oui. Qui est la plus canon ? Cliquez pour choisir. »
2. Statista.com.
3. S. Kemp, Digital, Social and Mobile in 2015 : We Are Social’s Compendium of Global Digital Statistics, janvier 2015.
4. Ibid.
5. http://www.gogulf.ae/blog/what-people-shareon-social-networks/, http://www.pewresearch.org/facttank/2014/02/03/6-new-factsabout-facebook/.
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7. Donnée pour les États-Unis sur http://www.pewresearch.org/facttank/2014/02/03/6-new-factsabout-facebook/.
8. https://www.quintly.com/blog/2016 /05/facebook-reactions-study.
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o
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24. N. Al-Moubayed, Y. VazquezAlvarez, A. McKay, A. Vinciarelli, « Face-based automatic e personality perception », 22 ACM International Conference on Multimedia, Orlando, Floride, novembre 2014, p. 1153-1156.
25. L. M. DeBruine, « Facial resemblance enhances trust », Proceedings of the Royal Society of London Biology, 2002, 269, p. 1307-1312.
26. D. B. Krupp, L. M. Debruine, B. C. Jones, M. L. Lalumière, « Kin recognition : Evidence that humans can perceive both positive and negative relatedness », Journal of Evolutionary Biology, 2012, 25, p. 1472-1478.
27. L. M. DeBruine, « Resemblance to self increases the appeal of child faces to both men and women », Evolution and Human Behavior, 2004, 25, p. 142-154.
28. A. S. Richards, D. Hample, « Facial similarity mitigates the persuasive effects of source bias : An evolutionary explanation for kinship and susceptibility to influence », Communication Monographs, 2015.
29. J. N. Bailenson, P. Garland, S. Iyengar, N. Yee, « Transformed facial similarity as a political cue : A preliminary investigation », Political Psychology, 2006, o vol. 27, n 3.
30. J. N. Bailenson, S. Iyengar, N. Yee, N. A. Collins, « Facial similarity between voters and candidates causes influence », Public Opinion Quarterly, 2008, o vol. 72, n 5, p. 935-961.
31. L’Obs, 12 février 2015.
32. 90 % des parents qui fréquentent les cliniques du groupement Fertility Institutes n’ont, selon ce groupement, aucun motif médical justifiant de recourir à la fécondation in vitro.
33. Center for Disease Control and Prevention, http://www.cdc.gov/art/reports/ind ex.html. En France, la FIV doit avoir un motif médical.
34. CEDH, 28 août 2012, Affaire Rosetta Costa et Walter Pavan contre Italie.
35. Interview par A. Noël dans Bastamag du 19 mars 2014.
36. P. Claes et al., « Modeling 3D facial shape from DNA », PLoS o Genetics, 2014, vol. 10, n 3, e1004224.
37. B. M. Schwartz, « Hot or not ? Website briefly judges looks », The Harvard Crimson, novembre 2003.
38. A. Görzig, L. Frumkin, « Cyberbullying experiences onthe-go : When social media can become distressing », Cyberpsychology : Journal of Psychosocial Research on o Cyberspace, 2013, vol. 7, n 1, article 4.
39. http://www.pewinternet.org/2014/1 0/22/online-harassment/.
40. Insee, Histoire de vie, 2003.
41. É. Debarbieux, Refuser l’oppression quotidienne. La prévention du harcèlement à l’école, rapport au ministre de l’Éducation nationale, de la Jeunesse et de la Vie associative, 12 avril 2011.
42. N. Fraisse, Marion, 13 ans pour toujours, Calmann-Lévy, 2015.
43. Aisar, « Lettre ouverte à Madame Bérénice RocfortGiovanni », blog L’Obs, 6 septembre 2014.
44. Source Insee, enquête Handicap-santé 2008, volet « Ménages ».
45. G. Bouvier, X. Niel, Division Enquêtes et études démographiques, « Les discriminations liées au handicap et à la santé », Insee Première, o 2010, n 1308.
Notes
1. J. A. Harriger, R. M. Calogero, D. C. Witherington et al., « Body size stereotyping and the internalization of the thin ideal in preschool girls », Sex Roles : A Journal of Research, 2010, 63, p. 1-5.
2. J. Worobey, H. S. Worobey, « Body-size stigmatization by preschool girls : In a doll’s world, it is good to be “Barbie” », Body o Image, 2014, vol. 11, n 2, p. 171174.
3. P. Cramer, T. Steinwert, « Thin is good, fat is bad : How early does it begin ? », Journal of Applied Developmental o Psychology, 1998, vol. 19, n 3, p. 429-451.
4. H. G. Pope Jr, R. Olivardia, A. Gruber, J. Borowiecki, « Evolving ideals of male body image as seen through action toys », The International Journal o of Eating Disorders, 1999, n 26, p. 65-72.
5. C. Barlett, R. Harris, S. Smith, J. Bonds-Raacke, « Action figures and men », Sex Roles, 2005, o n 53, p. 11-12.
6. G. Harrison, H. G. Pope Jr et al., « The lifetime prevalence of anabolic-androgenic steroid use and dependence in Americans : Current best estimates », The American Journal on Addictions, o 2014, vol. 23, n 4, p. 371-377.
7. D. Sagoe, T. Torsheim, H. Molde, C. S. Andreassen, S. Pallesen, « Anabolicandrogenic steroid use in the Nordic countries : A meta-analysis and meta-regression analysis », Nordic Studies on Alcohol and o Drugs, 2015, vol. 32, n 1, p. 720.
8. H. Dittmar, E. Halliwell, S. Ive, « Does Barbie make girls want to be thin ? The effect of experimental exposure to images of dolls on the body image of 5 – to 8-year-old girls », Developmental Psychology, o 2006, n 42, p. 283-292.
9. Freeman et al., The Health of Canada’s Young People : A Mental Health Focus, Public Health Agency of Canada, 2012. M. Norman, « Embodying the double-bind of masculinity : Young men and discourses of normalcy, health, heterosexuality, and individualism », Men and o Masculinities, 2011, vol. 14, n 4, p. 430-449.
10. H. G. Pope Jr et al., « Body image perception among men in three countries », The American Journal of Psychiatry, 2000, o vol. 157, n 8, p. 1297-1301.
11. K. L. Crossley, P. L.Cornelissen, M. J. Tovée, « What is an attractive body ? Using an interactive 3D program to create the ideal body for you and your partner », PLoS ONE, o 2012, vol. 7, n 11.
12. Ibid.
13. I. D. Stephen, A. T. M. Perera, « Judging the differences between women’s attractiveness and health : Is there really a difference between judgments made by men and women ? », o Body Image, 2014, vol. 11, n 2, p. 183-186.
14. A. Mouchès, « La représentation subjective de la silhouette féminine », Les Cahiers internationaux de psychologie sociale, 1994, 4/24, p. 76-87.
15. K. Kościński, « Attractiveness of women’s body : Body mass index, waist – hip ratio, and their relative importance », Behavioral o Ecology, 2013, vol. 24, n 4, p. 914-925.
16. A. Courtiol, S. Picq, B. Godelle, M. Raymond, J.-B. Ferdy, « From preferred to actual mate characteristics : The case of human body shape », PLoS ONE, o 2010, vol. 5, n 9, e13010.
17. Entre la fin des années 1980 et 2012, le nombre de partenaires sexuels des adultes aux ÉtatsUnis est passé de 11,42 à 18,22 pour les hommes alors qu’il augmentait moins rapidement pour les femmes (3,54 à 5,55). Voir J. M. Twenge, R. A. Sherman, B. E. Wells, « Changes in American adults’ sexual behavior and attitudes, 19722012 », Archives of Sexual o Behavior, 2015, vol. 44, n 8, p. 2273-2285.
18. A. M. Zelazniewicz, B. Pawlowski, « Female breast size attractiveness for men as a function of sociosexual orientation (restricted vs. unrestricted) », Archives of Sexual Behavior, o 2011, vol. 40, n 6, p.1129-1135.
19. Sondage IFOP-Le Parisien Magazine réalisé les 19 et 20 janvier 2016.
20. Crossley et al., « What is an attractive body ? Using an interactive 3D program to create the ideal body for you and your partner », art. cit.
21. N. Etcoff et al., The Real Truth About Beauty : Global Report, StrategyOne/Dove, 2004.
22. Sondage Opinionway publié par Le Figaro, lundi 11 mars 2013.
23. D. A. Frederick, A. Peplau, J. Lever, « The Barbie mystique : Satisfaction with breast size and shape across the lifespan », International Journal of Sexual Health, 2008, 20, p. 2002-2011
24. « Le rapport des femmes à la beauté », sondage CSA pour Madame Figaro, octobre 2014.
25. ISM-Corum pour l’accès au logement à Villeurbanne en 2012 et en Essonne en 2013 ; la Halde en 2006.
26. Voir à ce sujet l’intéressante analyse de l’enquête Histoire de vie consacrée aux jeunes par O. Galland, « Jeunes, les stigmatisations de l’apparence », Économie et statistique, 2006, o n 393-394, p. 151-183.
27. Les Discriminations sur l’apparence dans la vie professionnelle et sociale, SofresObservatoire des discriminationsuniversité Paris-I, 15 mai 2003.
28. Harris interactive, août 2012.
e
29. Le Physique de l’emploi, 9 édition du Baromètre du Défenseur des droits et de l’OIT sur la perception des discriminations dans l’emploi, 2016.
30. Il en est pourtant dont l’effet peut être considérable, comme l’adresse, mais elle n’est alors pas incluse. D’ailleurs, l’adresse a été ajoutée en 2014 aux motifs de discriminations listés dans le Code pénal.
31. Y. Brinbaum, C. Hamel, J-L. Primon , M. Safi, P. Simon , « Discriminations », dans Trajectoire et origines, Ined, 2010, o document de travail n 168.
32. C. Beauchemin, C. Hamel, M. Lesné, P. Simon , « Les discriminations : une question de minorités visibles », Populations o et société, avril 2010, n 466.
33. F. Guérin-Pace, « Chronique de discriminations annoncées. L’enquête Trajectoire et origines », in E. Badinter et al., Le Retour de la race, Éditions de l’Aube, 2009.
34. Ibid.
35. M. Eberhard , P. Simon, Égalité professionnelle et perception des discriminations. Enquête auprès d’agents de la Ville de Paris, Ined, mai 2012.
36. Dans le cadre de la structure « Genre, inégalités, discriminations » et, en particulier, de l’Ardis (Alliance de recherche sur les discriminations).
37. P. Petit, « Discrimination à l’embauche : une étude d’audit par couples dans le secteur financier », Revue économique, 2004.
38. M. Bendick, « Situation testing for employment discrimination in the United States of America », dans Horizons stratégiques : La Discrimination saisie sur le vif : le o testing, 2007, n 5.
39. I. Goris, F. Jobard, R. Lévy, Police et minorités visibles : les contrôles d’identité à Paris, Open Society Institute, 2009.
40. E. Algava, M. Beque, « Le vécu des attitudes intolérantes ou discriminatoires : des moqueries aux comportements racistes », Études et résultats, DREES, o 2004, n 290.
Notes
1. E. Cuffin, « The 13 most ridiculous things Mike Jeffries, CEO of Abercrombie & Fitch, has said », Elite Daily, LOL Lists, 8 mai 2013.
2. The Washington Post, avril 2015.
3. Arrêt du 23 juin 2009, o n 0785109, Bulletin des arrêts, Chambre criminelle, juin 2009.
4. Voir notamment la délibération o de la Halde n 2006-206 du 2 octobre 2006 ; pour une synthèse sur la question, voir la décision du Défenseur des droits, MLD, o n 2016-058, 12 février 2016.
5. Alibi Aicha, L’Impact de l’apparence physique sur la sélection des candidats, sous la direction de J.-F. Amadieu, université Paris-I-Cergors, 2010.
6. Bennani Houda, Comparaison internationale de l’impact de l’apparence physique dans le recrutement, sous la direction de J.-F. Amadieu, université Paris-ICergors, 2012.
7. H. Garner-Moyer, « La beauté : l’attention qui lui est allouée en phase de recrutement », Revue internationale de psychosociologie et de gestion des comportements organisationnels, 2011, vol. XVII, o n 41, p. 185-206.
8. Seules les qualités « tout à fait » caractéristiques de la personne ont été retenues.
9. Testing à l’embauche pour le conseil général de l’Essonne.
10. L. von Stockhausen, S. Koeser, S. Sczesny, « The gender typicality of faces and its impact on visual processing and on hiring decisions », Experimental Psychology, vol. 60, o n 6, 2013, p. 444-452.
11. http://www.toptal.com/remote/indefense-of-female-engineers.
12. N. Etcoff, S. Stock, L. E. Haley, S. A. Vickery, D. House, « Cosmetic as a feature of the extended human phenotype : Modulation of the perception of biogically important facial signals », Journal PLoS ONE, o 2011, vol. 6, n 10.
13. S. Kertechian, L’Influence du maquillage sur le processus de recrutement, sous la direction de J.-F. Amadieu, université Paris-I, 2015.
14. N. Guéguen, C. Jacob, « Enhanced female attractiveness with use of cosmetics and male tipping behavior in restaurants », Journal of Cosmetic Science, o 2011, vol. 62, n 3, p. 283-290.
15. M. M. Gillen, M. J. Bernstein, « Does tanness mean goodness ? Perceptions of tan skin in hiring decisions », North American Journal of Psychology, 2015, o vol. 17, n 1, p. 1-16.
16. N. Gueguen, L. Lamy, « Hitching women’s hair color », Perceptual and Motor Skills, 2009, 109, p. 941-948.
17. V. Swami, S. Barrett, « British men’s hair color preferences : An assessment of courtship solicitation and stimulus ratings », Scandinavian Journal of o Psychology, 2011, vol. 52, n 6, p. 595-600.
18. Ibid. Et aussi D. Kyle, M. Heike, « The effects of hair color and cosmetic use on perceptions of a female’s ability », Psychology of Women Quarterly, 1996, 20, p. 447-455.
19. D. W. Johnston, « Physical appearance and wages : Do blondes have more fun ? », Economics Letters, 2010, o vol. 108, n 1, p. 10-12.
20. M. Price, « Fund-raising success and a solicitor’s beauty capital : Do blondes raise more funds ? » Economics Letters, 2008, 100, p. 351-354.
21. E. Dechter, Physical Appearance and Earnings, Hair Color Matters, School of Economics, University of New South Wales, Sydney, 2012.
22. Ibid.
23. M. B. Takeda, M. M. Helms, P. Klintworth, J. Sompayrac, « Hair colour stereotyping and CEO selection : Can you name any blonde CEOs ? », Equal Opportunities International, 2005, o vol. 24, n 1, p. 1-13.
24. http://www.tetesaclaques.tv/la_se cretaire_vid15_serie51.
25. N. Guéguen, « Women’s bust size and men’s courtship solicitation », Body Image, 2007, 4, p. 386-390.
26. N. Guéguen, « Bust size and hitchhiking : A field study », Perceptual and Motor Skills, 2007, 105, p. 1294-1298.
27. M. Lynn, « Determinants and consequences of female attractiveness and sexiness : Realistic tests with restaurant waitresses », Archives of Sexual Behavior, 2009, 38, p. 737-745.
28. N. Guéguen, C. Jacob, « Clothing color and tipping : Gentlemen patrons give more tips to waitresses with red clothes », Journal of Hospitality and Tourism o Research, mai 2014, vol. 38 n 2, p. 275-280.
29. J.-F. Amadieu, S. Kertechian ,« The impact of low-cut clothing on the selection of saleswomen and accountant candidates : A French empirical test », Appearance Matters 7, Conférences 2016, Londres, The Royal College of Surgeons, 30 juin 2016.
30. C. Hakim, « Erotic capital », European Sociological Review, 2010, 26, p. 1-20.
31. N. Guéguen, J. Stéphan, « Men’s judgment and behavior toward women wearing high heels », Journal of Human Behavior in the Social Environment, juillet 2015, vol. 25, o n 5, p. 416-425.
32. M. Maurer-Fazio, L. Lei, « “As rare as a panda”: How facial attractiveness, gender, and occupation affect interview callbacks at Chinese firms », International Journal of o Manpower, 2015, vol. 36, n 1, p. 68-85.
33. J. K. Scholz, K. Sicinski, « Facial attractiveness and lifetime earnings : Evidence from a cohort study », The Review of Economics an Statistics, mars o 2015, vol. 97, n 1, p. 14-28.
34. Une étude américaine expérimentale montre que les personnes peu attractives risquent plus facilement le licenciement que les autres. M. Commisso, L. Finkelstein, « Physical attractiveness bias in employee termination », Journal of Applied Social Psychology, o décembre 2012, vol. 42, n 12, p. 2968-2987.
35. S. Kanazawa, « Intelligence and physical attractiveness », o Intelligence, 2011, vol. 39, n 1, p. 7-14.
36. K. Kleisner, V. Chvátalová, J. Flegr, « Perceived intelligence is associated with measured intelligence in men but not women », PLoS ONE, 2014, 9, e81237.
37. Qin Rizhen et al., « Modern physiognomy : An investigation on predicting personality traits and intelligence from the human face », arXiv preprint arXiv:1604.07499, 2016.
38. J. Dagorne, Beauté et intelligence en phase de recrutement, sous la direction de J.-F. Amadieu, université Paris-I, 2014.
39. A. C. Little, D. I. Perrett, « Using composite images to assess accuracy in personality attribution to faces », British Journal of Psychology, 2007, 98, p. 111-126.
40. K. Wolffhechel, J. Fagertun, U. P. Jacobsen, W. Majewski, A. S. Hemmingsen et al., « Interpretation of appearance : The effect of facial features on first impressions and personality », PLoS ONE, 2014, o vol. 9, n 9, e107721.
41. J.-F. Amadieu, Discriminations à l’embauche, de l’envoi du CV à l’entretien d’embauche, Observatoire des discriminations, université Paris-I-Cergors, 2005.
42. G. Heineck, « Up in the skies ? The relationship between body height and earnings in Germany », Labour, 2005, vol. 19, o n 3, p. 469-489.
43. N. Herpin, « La taille des hommes : son incidence sur la vie en couple et la carrière professionnelle », Économie et o statistique, 2003, n 361.
44. M. Gladwell, Blink : The Power of Thinking without Thinking, Black Bays Books, Little, Brown, 2005.
45. A. Case, C. Paxson, « Stature and status: Height, ability, and labor market outcomes », Journal of Political Economy, 2008, o vol. 116, n 3, p. 499-532.
46. F. Cinnirella, J. Winter, « Size matters : Body height and labor market discrimination : a cross European analysis », MEA, 2009, o n 185.
47. D. Ong, « Height and income attraction : An online dating field experiment », 8 janvier 2015 (consultable sur SSRN : http://ssrn.com/abstract=2547349 ).
48. S. Macé, F.-G. Wolff, « Les médecins grands et beaux sont-ils plus souvent perçus comme de “grands” médecins ? », Journal de gestion et d’économie o médicales, 2014, vol. 32, n 4.
49. T. A. Judge, D. M. Cable, « When it comes to pay, do the thin win? The effect of weight on pay for men and women », Journal of Applied Psychology, o 2011, vol. 96, n 1, p. 95-112.
50. J. Cawley, « The impact of obesity on wages », Journal of Human Resources, 2004, 39, p. 452-474.
51. National Obesity Observatory (NOO), Weight Briefing Report, juin 2011.
52. P. V. Roehling, M. V., Roehling, J. Vandlen, J. Blazek, W. Guy, « Perceived obesity among top CEOs : Weight discrimination and the “glass ceiling” effect », Equal Opportunities International, 2009, o vol. 28, n 2, p. 179-196.
53. Et l’écart entre les plus pauvres (moins de 900 euros mensuels) et les plus riches (plus de 5 300 euros mensuels) est encore plus important (on passe de 1 sur 4 personnes à 1 sur 14).
54. V. D. Kosteas, « The effect of exercise on earnings : Evidence from the NLSY », Journal of Labor Research, juin 2012, o vol. 33, n 2, p. 225-250.
55. C. Maravelias, « “Best in class” – Healthy employees, athletic executives and functionally disabled jobseekers », Scandinavian Journal of Management, juin 2015, volume o 31, n 2, p. 279-287.
56. Sondage TNS-Sofres, spécial o Eurobaromètre n 378, Active Aging, janvier 2012.
57. Source : « Statistiques du marché du travail : données sur la marché du travail par sexe et âge », Statistiques de l’OCDE sur l’emploi et le marché du travail, OCDE, 2014.
58. Sondage TNS-Sofres, spécial o Eurobaromètre n 378, Active Aging, janvier 2012.
59. P. A. Riach, « A field experiment investigating age discrimination in four European labour markets », International Review of Applied Economics, o 2015, vol. 29, n 5.
60. Pour un poste de commercial en région parisienne en 2004, un homme de 50 ans versus un homme de 26 ans a 4 fois moins de réponses positives en réponse à 258 offres d’emploi. À la même date, 20 % des annonces comportent un critère illégal d’âge (18-25 ans par exemple). Voir Jean-François Amadieu, Enquête testing sur CV, université Paris-I, 2004. En 2005, un nouveau testing que je réalise notamment avec un senior pour des postes
de commercial en région parisienne confirme ce résultat. Il a fait l’objet d’un documentaire, Le Bon Profil (diffusé par Envoyé spécial) : http://www.dailymotion.com/video/ x2t75_doc-racisme-le-bonprofil_music. En 2006, sur un échantillon de plusieurs milliers de CV envoyés en France, nous confirmons la perte de chances évidente des candidats de 48 à 50 ans. Voir Baromètre des discriminations, université Paris-I.
61. Jean-François Amadieu, Yvan Dumez, Mehdi Mouhoubi, Test des recrutements concernant la discrimination en raison de l’âge, université Paris-I, octobre 2012. Notre test a été présenté dans un documentaire qui a été diffusé sur France 2 lors de l’émission Envoyé spécial, le 11 septembre 2012 : La Galère des quinquas, http://envoyespecial.france2.fr/les-reportagesen-video/cadres-au-chomage-la-
galere-des-quinquas-11-octobre2012-4617.html.
62. Mission locale du Cotentin, sous la direction scientifique de J.-F. Amadieu, 2013.
63. M. Kaufmann, F. Krings, S. Sczesny, « Looking too old ? How an older age appearance reduces chances of being hired », British Journal of Management, 2015, vol. 00, p. 1-13.
64. Sofres-Observatoire des discriminations-Adia, université Paris-I, 2003.
65. Sondage IFOP, juillet 2010.
66. D. Anderson, J. Lubig, H. Mathys, « All other things being equal : Michigan principals’ hiring preferences », Journal of Ethical Educational Leadership, 2015, o vol. 2, n 1, p. 1-22.
67. Sondage PEW, 2010.
68. Sondage Harris, février 2012.
69. Défenseur des droits-OIT, Le Physique de l’emploi, op. cit.
70. Commission européenne, Discriminations dans l’UE en 2012, 77.4, 2012.
71. C’est le cas aux États-Unis ; voir notamment T. Puhl, K. D. Brownell, « Changes in perceived weight discrimination among Americans, 1995-1996 through o 2004-2006 », vol. 16, n 5, Obesity, 28 février 2008, p. 11291134.
72. IFOP-Défenseur des droits, 2014.
73. Ibid.
74. Défenseur des droits-OIT, Le Physique de l’emploi, op. cit.
75. TNS Baromètre de chances, 2015.
Sofres-Medef, l’égalité des
76. J.-F. Amadieu, Le Client face au handicap, image de l’entreprise et qualité de service, Agence Entreprises et Handicap, 2009.
Notes
1. S. M. Schweik, The Ugly Laws : Disability in Public, New York University Press, 2009.
2. Paris Municipal Code, sec. 36034 (abrogé en 1974) : « No person who is diseased, maimed, mutilated or in any way deformed so as to be an unsightly or disgusting object or improper person to be allowed in or on the public ways or other public places in this city, or shall therein or thereon expose himself to public view, under a penalty of not less than one dollar nor more than fifty dollars for each offense. »
3. Convention C-111 de 1958.
4. D. L. Rhode, The Beauty Bias : The Injustice of Appearance in Life and Law, Oxford University Press, 2011.
5. D. L. Rhode, What Women Want : An Agenda for the Women’s Movement, Oxford University Press, 2014.
6. http://fox13now.com/2013/03/05/h eightweight-discrimination-billfails/.
7. M. A. Rangel, « Is parental love colorblind ? Human capital accumulation within mixed families », The Review of Black Political Economy, juin 2015, o vol. 42, n 1-2, p. 57-86.
8. E. A. Klonoff, H. Landrine, « Is skin color a marker for racial discrimination ? Explaining the skin color-hypertension relationship », Journal of Behavioral Medicine, août 2000, o vol. 23, n 4, p. 329-338.
9. D. Kreisman, M. A. Rangel, « On the blurring of the color line : Wages and employment for black males of different skin tones », The Review of Economics and Statistics, mars 2015, vol. 97, o n 1.
10. R. Akee, M. Yuskel, « Skin tone’s decreasing importance on employment : Evidence from a longitudinal dataset, 1985-2000 », IZA Discussion Paper, 2010 o n 5120.
11. J. B. Freeman et al., « Looking the part : Social cues shape race perception », PLoS ONE, 2011, o vol. 6, n 9.
12. M. Bertrand, S. Mullainathan, « Are Emily and Greg more employable than Lakisha and Jamal ? A field experiment on labor market discrimination », NBER Working Paper, juillet o 2003, n 9873.
13. J.-F. Amadieu, Discriminations à l’embauche, de l’envoi du CV à l’entretien d’embauche, op. cit.
14. N. O. Rule, N. Ambady, « Brief exposures : Male sexual orientation is accurately perceived at 50 ms », Journal of Experimental Social Psychology, 2008, 44, p. 1100-1105.
15. T. Laurent, F. Mihoubi, Heterogeneous Wage Discrimination Among Gay Employees : Being Gay Or Perceived as Gay ?, université d’Évry, mars 2015.
16. B. Soucek, « Perceived homosexuals : Looking gay enough for title VII », American University Law Review, 2014, vol. 63 et U.C. Davis Legal o Studies Research Paper, n 353.
17. C. Hufschmidt et al., « Physical strength and gender identification from dance movements », Personality and Individual Differences, avril 2015, vol. 76, p. 13-17.
18. Human Right Campaign Fondation, Corporate Equality Index, 2015.
19. Executive Order 11246.
20. S. W. Flint, J. Snook, « Obesity and discrimination : The next “big issue” ? », International Journal of Discrimination and the Law, 19 mai 2014.
21. Directive 2 000/78CE du Conseil européen portant création d’un cadre général en faveur de l’égalité de traitement en matière d’emploi et de travail, 27 novembre 2000 (JOL, 303, p. 16).
22. CJUE, arrêt du 18 décembre 2014, FOA-Karsten Kaltoft c/ KLBillound commune, affaire C354/13.
23. http://europass.cedefop.europa.eu /en/documents/curriculumvitae/examples.
e
24. Défenseur des droits-IFOP, 8 Baromètre sur la perception des discriminations au travail, 2015.
25. Ainsi, en septembre 2015, 81 % des DRH se déclarent hostiles au CV anonyme selon l’étude Force femme/Ipsos.
26. La loi sur l’égalité des chances de 2006 prévoyait l’anonymat des candidatures (à partir de 50 salariés), mais elle n’a jamais été mise en place faute des décrets d’application indispensables qui n’ont pas été pris par les gouvernements successifs. Pire, après la décision du Conseil d’État de juillet 2014, obligeant à prendre ces décrets, cette loi a été tout simplement abrogée en août 2015.
27. L. Behaghel, B. Crépon, T. Le Barbanchon, Évaluation de l’impact du CV anonyme, rapport final, CREST, 2011.
28. A. Krause, U. Rinne, K. F. Zimmermann, I. Böschen, R. Alt, Pilotprojekt « Anonymisierte Bewerbungsverfahren » – Abschlussbericht, IZA Research o Report, 2012, n 44.
29. O. Åslund, O. Nordström Skans, « Do anonymous job application procedures level the playing field ? », Industrial and Labor Relations Review, 2012, o vol. 65, n 1, p. 82-107 ; P. A. Edin, J. Lagerström, « Blind dates : Quasi-experimental evidence on discrimination », IFAU Working Papers, 2006, 4.
30. M. Bog, E. Kranendonk, Blindfolded Recruiting, EEAESEM Working Papers, février 2013.
31. http://emploipublic.publidia.fr/actualites/cvanonyme-fonction-publique#.VjOn266Lkc.
32. D. Hausman, « How Congress could reduce Job discriminations by promoting anonymous hiring », Stanford Law Review, 2012, vol. 64, p. 1343-1369.
33. Tweet du ministre @frebsamen, 12:36,19 mai 2015.
34. http://www.facealemploi.tv/cvvideo/emploi/françois-hollande-unbel-exemple-de-mobilisationentreprises.
35. Cette évidence a été bien soulignée par la Halde : o délibération n 2010-126 du 14 juin 2010, avis de la Haute Autorité relatif à l’accès à l’emploi des personnes handicapées dans le secteur privé au regard des principes d’égalité de traitement et de non-discrimination.
36. EEOC (US Equal Employment Opportunity Commission), « Ada, Gina, Title VII & Adea: Video Resumes », EEOC Informal Discussion Letter, septembre 2010.
37. M. Waung, R. W. Hymes, J. E. Beatty, « The effects of video and paper resumes on assessments of personality, applied social skills, mental capability, and resume outcomes », Basic and Applied Social Psychology, 2014, vol. 36, o n 3, p. 238-251.
38. « Dennis Brown urges employers to delete video resumes », National Law Journal, juin 2007.
39. G. Galindo, J. Tixier, E. Campoy, « Le CV vidéo : le nouveau visage de la lutte contre les discriminations à l’embauche en France ? », Revue de gestion des ressources humaines, 2015, o n 95, p. 44-57.
40. C’est aussi la conclusion d’une recherche aux Pays-Bas. Voir A. M. F. Hiemstra, Fairness in Paper and Video Resume Screening, PhD, Erasmus University Rotterdam, 2013.
41. C. J. Tsay, « The vision heuristic : Judging music ensembles by sight alone », Organizational Behavior and Human Decision Processes, mai o 2014, vol. 124, n 1, p. 24-33.
42. Loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse : « Article 33 : Sera punie de six mois d’emprisonnement et de 22 500 euros d’amende l’injure commise, dans les conditions prévues à l’alinéa précédent, envers une personne ou un groupe de personnes à raison de leur origine ou de leur appartenance ou de leur non-appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée. Sera punie des peines prévues à
l’alinéa précédent l’injure commise dans les mêmes conditions envers une personne ou un groupe de personnes à raison de leur sexe, de leur orientation sexuelle ou de leur handicap. »
43. Articles R.621-1 et 624-4 du Code pénal.
44. Loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse : « Article 32 : La diffamation commise envers les particuliers par l’un des moyens énoncés en l’article 23 sera punie d’une amende de 12 000 euros. La diffamation commise par les mêmes moyens envers une personne ou un groupe de personnes à raison de leur origine ou de leur appartenance ou de leur nonappartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion
déterminée sera punie d’un an d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende ou de l’une de ces deux peines seulement. Sera punie des peines prévues à l’alinéa précédent la diffamation commise par les mêmes moyens envers une personne ou un groupe de personnes à raison de leur sexe, de leur orientation ou identité sexuelle ou de leur handicap. »
45. Loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse : « Article 24 : Ceux qui, par l’un des moyens énoncés à l’article 23, auront provoqué à la discrimination, à la haine ou à la violence à l’égard d’une personne ou d’un groupe de personnes à raison de leur origine ou de leur appartenance ou de leur non-appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée, seront punis d’un an d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende ou
de l’une de ces deux peines seulement. Seront punis des peines prévues à l’alinéa précédent ceux qui, par ces mêmes moyens, auront provoqué à la haine ou à la violence à l’égard d’une personne ou d’un groupe de personnes à raison de leur sexe, de leur orientation ou identité sexuelle ou de leur handicap ou auront provoqué, à l’égard des mêmes personnes, aux discriminations prévues par les articles 225-2 et 432-7 du Code pénal. »
46. N. Enault, « Mannequins trop maigres : regardez ce que la loi changerait dans les magazines », FranceTV info, 23 juin 2015.
47. « L’exercice de l’activité de mannequin est conditionné à la délivrance d’un certificat médical. Ce certificat atteste que l’évaluation globale de l’état de santé du mannequin, évalué notamment au regard de son indice de masse corporelle, est compatible avec l’exercice de son métier. »
o
48. Article 58 de la loi n 2014873 du 4 août 2014 pour l’égalité réelle entre les femmes et les hommes : « I. Toute personne qui organise un concours d’enfants de moins de seize ans fondé sur l’apparence doit obtenir l’autorisation préalable du représentant de l’État dans le département. Seuls les concours dont les modalités d’organisation assurent la protection de l’intérêt supérieur de l’enfant et de sa dignité peuvent être autorisés.
II. Aucune autorisation n’est accordée si le concours mentionné au I est ouvert à des enfants de moins de 13 ans. »
49. Proposition de loi relative aux photographies d’images corporelles retouchées, 15 septembre 2009.
50. Article R.624-2 du Code pénal : « Le fait de diffuser sur la voie publique ou dans des lieux publics des messages contraires à la décence est puni de l’amende prévue pour les contraventions de e la 4 classe. »
51. ARPP, Recommandation image de la personne humaine, octobre 2001.
52. Conseil d’État, assemblée du 27 octobre 1995, 136727, publié au Recueil Lebon.
53. Décision Wackenheim c/ la France, 26 juillet 2002.
Notes
1. P. Bellucci, D. Garzia, M. S. Lewis-Beck, « Issues and leaders as vote determinants : The case of Italy », Party Politics, 2013, p. 1-12.
2. The Federal Commission.
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3. J. S.Armstrong, A. Graefe, « Predicting elections from biographical information about candidates: A test of the index method », Journal of Business o Research, 2011, vol. 64, n 7, p. 699-706.
4. Le Nouvel Observateur, 26 mai 2012.
5. S. Jugnot, N. Frémeaux, « Les enfants des baby-boomers votent par intermittence, surtout quand ils sont peu diplômés », dans France portrait social, Insee, 2010.
6. M. Duée, « Qu’est-ce que le capital social ? », dans ibid.
7. G. Pison, « France, 2004 : l’espérance de vie franchit le seuil de 80 ans », Population et o sociétés, mars 2005, n 410.
8. L. Chauvel, « Les nouvelles générations devant la panne prolongée de l’ascenseur social », o Revue de l’OFCE, 2006, n 96.
9. Compte rendu analytique officiel, session ordinaire de 1998e e 1999, 69 jour de séance, 178 e séance, 2 séance du jeudi 4 mars 1999.
10. J.-M. Benoît, P. Benoît et J.M. Lech, La Politique à l’affiche, Éditions du May, 1986.
11. PEW Research Center, 2007.
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13. Spot du 13 septembre 2008 : http://www.youtube.com/watch? v=BdIlzAyueow.
14. M. J. Pomente, S. Schraufnage, « Candidate age and youth voter turnout », American Politics Research, o 2015, vol. 43, n 3, p. 479-503.
15. Sondage PEW Research Center, 18 septembre 2008.
16. Plus la campagne avançait, plus les électeurs trouvaient que l’âge de Dole était inaceptable (passant de 34 à 42 %) selon un sondage publié dans le Los Angeles Times.
17. H. L. Abrams, R. Brody, « Bob Dole’s age and health in the 1996 election: Did the media let us down ? », Political Science o Quarterly, 1998, vol. 113, n 3.
18. Sondage, Harris interactive/France 2, 2 octobre 2014.
19. Commission européenne, Eurobaromètre 77.4, 2012.
20. « For 2016 hopefuls, Washington experience could do more harm than good », PEW Research Center, 19 mai 2014.
21. Yougov.com, 4 mai 2015.
22. Non seulement la beauté des jeunes qui vous soutiennent séduit, mais de plus ces beaux seront plus convaincants car les électeurs les trouveront plus compétents en politique que ceux qui sont moins beaux. Voir C. L. Palmer, R. D. Peterson, « Halo effects and the attractiveness premium in perceptions of political », American Politics Research, 26 août 2015.
23. https://www.washingtonpost.com/ news/monkeycage/wp/2014/08/11/mario-rubiois-balding-will-it-cost-him-thepresidency/. http://www.mofopolitics.com/2015/ 06/17/donald-trump-goofs-onmarco-rubio-for-going-bald/.
24. Sondage sortie des urnes CNN/Fox/MSNBC.
25. J. Aravosis, « Why is Obama’s skin blacker than normal in Hillary’s new attack ad ? », AmericaBlog, 3 avril 2008.
26. S. Messing, M. Jabon, E. Plaut, « Bias in the flesh : Skin complexion and stereotype consistency in political campaigns », Public Opinion Quarterly, 17 décembre 2015.
27. E. M. Caruso, N. L. Mead, E. Balcetis, « Political partisanship influences perception of biracial candidates’ skin tone », o PNAS, 2009, vol. 106, n 48, p. 20168-20173.
28. A. I. Young, K. G. Ratner, R. H. Fazio, « Political attitudes bias the mental representation of a presidential candidate’s face », Psychological Science, 2014, 25, p. 503.
29. Le Figaro, 6 octobre 2009.
30. Cité par H. Jouan, Le Petit Hollande illustré par l’exemple, Nouveau Monde Éditions, 2012.
31. Et les électeurs les plus intéressés par la politique sont aussi les plus dynamiques et sportifs. Cf. K. Noguchi, I. M. Handley, D. Albarracín, « Participating in politics resembles physical activity : General action patterns in international archives, US archives, and experiments », Psychological Science, 2011, 22, p. 235-242.
32. B. J. Miller, J. D. Lundgren, « An experimental study of the role of weight bias in candidate evaluation », Obesity, 2010, o vol. 18 n 4, p. 712-718.
33. Louis Harris, septembre 2012.
34. http://www.vanityfair.com/magazin e/2014/07/plastic-surgery-beauty60-minutes-poll.
35. The Federal Commission.
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36. Sondage effectué par Dedicated, par Internet, du jeudi 5 au lundi 9 mars 2015, sur un échantillon strictement représentatif de 2 726 électeurs belges.
37. J. E. Holmes, R. E. Elder, « Our best and worst presidents : Some possible reasons for perceived performance », Pres. Stud. Q., 1989, 19, p. 529-557 ; S. J. H. McCann, « Alternative formulas to predict the greatness of U.S. presidents : Personological, situational, and zeitgeist factors », J. Per. Soc. Psycol., 1992, 62, p. 469-479 ; D. K. Simonton, « Putting the best leaders in the White House : Personality, policy, and
performance », Polit. Psychol., 1993, 14, p. 537-548 ; P. M. Sommers, « Is presidential greatness related to height ? », College Math. J., 2002, 33, p. 1416.
38. M. Uzun, « Beauty and cabinet nomination: Is there a gender bias ? », Midwest Political Science Association’s Annual Conference, Chicago, avril 2014.
39. J. S. Armstrong, K. C. Green, R. J. Jones, M. Wright, « Predicting elections from politicians’ faces », International Journal of Public Opinion Research, 2010, 22, p. 511-522.
40. A. Todorov, A. N. Mandisodza, A. Goren, C. C. Hall, « Inferences of competence from faces predict election outcomes », Science, 2005, 308, p. 1623-1626.
41. C. Lawson, G. S. Lenz, A. Baker, M. Myers, « Looking like a winner : Candidate appearance and electoral success in new democracies », World Politics, o 2010, vol. 62, n 4, p. 561-593.
42. C. Olivola, A. Todorov, « Elected in 100 milliseconds : Appearance-based traits inferences and voting », Journal of Nonverbal Behavior, 2010, 34, p. 83-110.
43. J. Antonakis, O. Dalgas, « Predicting elections : Child’s play ! », Science, 2009, vol. 323, o n 5918, p. 1183.
44. C. Lawson, G. Lenz, « Looking the part : Television leads less informed citizens to vote based on candidates’ appearance », American Journal of Political Science, 2011, vol. 55, o n 3, p. 574-589.
45. L. Brusattin, « Candidate visual appearance as a shortcut for both sophisticated and unsophisticated voters : Evidence from a spanish online study », International Journal Public Opinion Research, 12 novembre 2011.
46. D. J. Ahler, J. Citrin, M.C. Dougal, G. S. Lenz, « Face value ? Experimental evidence that candidate appearance influences electoral choice », Political Behavior, 27 mai 2016.
47. Source : Portail gouvernement, 26 août 2014.
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48. Source : AFP.
49. S. Chaiken, « Communicator physical attractiveness and persuasion », Journal of Personality and Social o Psychology, 1979, vol. 37, n 8, p. 1387-1397.
50. M. G. Efran, E. Patterson, « Voters vote beautiful : The effect of physical appearance on a national debate », Canadian Journal of Behavioral Science, 1974, 6, p. 352-356.
51. T. L. Budesheim, S. J. Depaola, « Beauty or the beastthe effects of appearance, personality, and issue information on evaluations of political candidates », Personality and Social Psychology Bulletin, 1994, o vol. 20, n 4, p. 339-348.
52. N. Berggren, H. Jordahl, P. Poutvaara, « The looks of a winner : Beauty, gender and electoral success », septembre 2006.
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54. U. Rosar, M. Klein, T. Beckers, « Magic mayors : Predicting electoral success from candidates’ physical attractiveness under the conditions of a presidential electoral system », German o Politics, 2012, vol. 21, n 4, p. 372-39.
55. G. Lutz, « The electoral success of beauties and beasts », Swiss Political Science Review, o 2010, vol. 16, n 3, p. 457-480.
56. U. Rosar, M. Klein, « The physical attractiveness of frontrunners and electoral success : An empirical analysis of the 2004 European Parliament elections », Zeitschrift für Vergleichende Politikwissenschaft, 2014, vol. 8, o n 2, p. 197-209.
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65. N. O. Rule, N. Ambady, « Democrats and republicans can be differentiated from their faces », PLoS ONE, 2010, vol. 5, o n 1.
66. « “Look at that face !” he cries. “Would anyone vote for that? Can you imagine that, the face of our next president ? !” » P. Solotaroff, « Trump seriously : On the trail with the GOP’s tough guy », Rolling Stone, 9 septembre 2015.
67. F. Krauss, « Gays, bis et lesbiennes : des minorités sexuelles ancrées à gauche », Les Électorats sociologiques, o janvier 2012, n 8.
Notes
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2. Source : OpEpi/Inserm, 2012.
3. M.-A. Charles, « Épidémiologie de l’obésité », dans A. Basdevant (dir.), Traité de médecine et chirurgie de l’obésité, Paris, Lavoisier, 2012.
4. Insee, 2016.
5. « Widely held attitudes to different generations », Harris interactive, 20 août 2008.
6. Voir à ce propos le test fait par la Halde en 2008 auprès de très grandes entreprises.
7. Insee, RP2008 exploitation complémentaire.
8. Charte pour l’insertion des personnes handicapées dans l’audiovisuel, signée le 11 février 2014, en présence de la ministre déléguée aux Personnes handicapées Marie-Arlette Carlotti.
9. L’État de santé de la population en France, ministère de la SantéDREES, 2011.
10. T. de Saint Paul, Le Corps désirable, PUF, 2010.
11. Europe 1, 8 mars 2016 : http://www.europe1.fr/mediastele/olivier-schrameck-csa-leprobleme-de-la-diversite-dans-lesmedias-est-grave-2687545.
12. Y. Sabeg, L. Méhaignerie, Les Oubliés de l’égalité des chances, Institut Montaigne, janvier 2004.
13. HCI, La France sait-elle encore intégrer les immigrés ? Les élus issus de l’immigration dans les conseils régionaux (2004-2010), La Documentation française, 2011.
14. Europe 1, 23 septembre 2015.
15. CSA, Baromètre de la diversité. Vague 2013, 23 janvier 2014.
16. CSA, Les Résultats de la vague du baromètre de la diversité à la télévision. Vague 2012, janvier 2013.
17. CSA, Les Résultats de la quatrième vague du baromètre de la diversité à la télévision, janvier 2012.
18. CSA, Les Résultats de la vague trois du baromètre de la diversité à la télévision, janvier 2011.
19. TNS-Sofres pour le CRAN (Conseil représentatif des associations noires de France), Les Discriminations à l’encontre des populations noires des France, 31 janvier 2007.
20. « Population de 15 ans ou plus selon la catégorie socioprofessionnelle en 2013 », Insee, Enquête emploi : http://www.insee.fr/fr/themes/table au.asp? reg_id=0&ref_id=NATTEF02135 %C2.
21. « Déficience et limitations d’activité des 18 ans et plus », dans L’État de santé de la population en France, ministère de la Santé-DREES, 2011.
22. Handicap déclaré et reconnu des 15 à 64 ans selon l’Insee. http://www.insee.fr/fr/themes/docu ment.asp?ref_id=T12F038.
23. Population estimée en France métropolitaine, Insee, 2015.
24. « Population de 15 ans ou plus selon la catégorie socioprofessionnelle en 2013 », Insee, Enquête emploi : http://www.insee.fr/fr/themes/table au.asp? reg_id=0&ref_id=NATTEF02135 %C2.
25. Source : ObEpi/Inserm, 2012.
26. Estimation à partir de M.-A. Charles, « Épidémiologie de l’obésité », art. cit.
27. Vague du baromètre de l’Observatoire de la diversité de décembre 2010.
28. « A year after Obama’s election, blacks upbeat about black progress, prospects », PEW Social and Demographic Trends, janvier 2010.
29. B. Papper, 2012 TV and Radio News Staffing and Profitability Survey, RTDNA/Hofstra University, http://rtdna.org/uploads/files/div12 .pdf.
30. http://deadline.com/2015/03/tvpilots-ethnic-casting-trendbacklash-1201386511/.
31. T. Gordon, « The huge success of black shows may change the complexion of prime er time TV », Atlanta Blackstar, 1 février 2015.
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33. B. S. Greenberg, M. Eastin, L. Hofschire, K. Lachlan, K. D. Brownell, « Portrayals of overweight and obese individuals on commercial television », American Journal of Public o Health, 2003, vol. 93, n 8.
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35. C. A. Lin, « Use of sex appeals in prime-time television commercials », Sex Roles, 1998, 38, p. 461-475.
36. G. Fouts, K. Burggraf, « Television situation comedies : Female weight, male negative comments, and audience reactions », Sex Roles, 2 000, 42, p. 925-932.
37. Ibid.
38. R. M. Puhl, C. A. Heuer, « The stigma of obesity : A review and update », www.obesityjournal.org, 2009, o vol. 17, n 5, p. 941-964.
39. K. Harrison, « Television viewing, fat stereotyping, body shape standards, and eating disordered symptomatology in grade school children », Communication Research, 2000, 27, p. 617-640.
40. J. D. Latner, J. K. Rosewall, M. B. Simmonds, « Childhood obesity stigma : Association with television, videogame, and magazine exposure », Body Image, 2007, 4, p. 147-55.
41. M. E. Eisenberg, A. CarlsonMcGuire, S. E. Gollust, D. Neumark-Sztainer, « A content analysis of weight stigmatization in popular television programming for adolescents », International Journal of Eating Disorder, 2015, 48, p. 759-766.
42. C’est ce qu’établit sans ambiguïté une synthèse (métaanalyse) de 25 études scientifiques sur le sujet faite par des universitaires américains : L. M. Groesz, M. P. Levine, S. K. Murnen, « The effect of experimental presentation of thin media images on body satisfaction : A meta-analytic review », International Journal of Eating Disorders, 2002, 31, p. 116.
43. M. Weisbuch, N. Ambady, « Unspoken cultural influence : Exposure to and influence of nonverbal bias », Journal of Personality and Social o Psychology, 2009, vol. 96, n 6, p. 1104-1119.
44. Cet effet a été mis en évidence dans une récente étude très complète de plus de 200 articles scientifiques : C. J. Ferguson, « In the eye of the beholder : Thin-ideal media affects some, but not most, viewers in a meta-analytic review of body dissatisfaction in women and men », Psychology of Popular Media Culture, 2013, o vol. 2, n 1, p. 20-37.
45. V. Swami, J. M. Smith, « The attractive female body weight and female body dissatisfaction in 26 countries across 10 world regions : Results of the International Body Project I », Personality and Social Psychology Bulletin, 2010, o vol. 36, n 3, p. 309-325.
46. S. E. Domoff, N. G. Hinman, A. M. Koball, A. Storfer-Isser, V. L. Carhart, K. D. Baik, R. A. Carels, « The effects of reality television on weight bias : An examination of The Biggest Loser », Obesity, 2012, vol. 20, o n 5, p. 993-998.
47. V. Swami, J. M. Smith, « How not to feel good naked ? The effects of television programs that use “real women” on female viewers’ body image and mood », Journal of Social and Clinical o Psychology, 2012, vol. 31, n 2, p. 151-168.
48. Le Parisien, 9 novembre 2013.
49. H. Duvigneau, « Émissions télé : dans le secret des “casteurs de public” », Rue89, 14 juin 2011.
50. Par exemple sur ce site : https://myclap.tv/devenezfigurant/example/deposez-votredossier-pour-devenir-figurant? Itemid=639.
51. Touche pas à mon poste, 19 décembre 2012.
52. C. Goldinet, C. Rouse, « Orchestrating impartiality : The impact of blind auditions on female musicians », American Economic Review, 2000, vol. 90, o n 4, p. 715-741.
53. H. Sandberg,« A matter of looks : The framing of obesity in four Swedish daily newspapers », Communications, 2007, 32, p. 447-472.
54. Cité par L. M. Groesz, M. P. Levine, S. K. Murnen, « The effect of experimental presentation of thin media images on body satisfaction : A meta-analytic review », art. cit.
55. Ibid.
56. M. Rich, T. Cash, « The American image of beauty : Media representations of hair color for four decades », Sex Roles, 29, 1993, p. 113-124.
57. « Hollywood portfolio », Vanity Fair, mars 2014.
58. http://www.huffingtonpost.com.au/ 2015/08/30/kate-winslet-scarlettjoh_n_8063068.html.
59. M. Blum, The Nu ProjectBeauty In Every Body, autoédité, 2013. Un autre photographe a mené également un projet relevant de la fat acceptance : L. Linoy, The Full Body Project, Five Ties Publishing, 2007.
60. http://www.melty.fr/madonnadiplo-prend-sa-defensea432176.html.
61. http://www.huffingtonpost.com/20 15/03/09/madonna-youngermen_n_6830968.html.
62. https://www.theguardian.com/film/ 2015/may/21/jane-fonda-youthplastic-surgery-sex-cannes.
63. Les spots CIC qui ridiculisent les seniors ou les gros sont les suivants : « Le stagiaire », « Le sourire », « Amérique », « Le Poitou, c’est pas le Pérou », « La retraite », « La boulangerie », « Le collègue », « Les retrouvailles », « La chenille », « Le sac », « Le strike ».
64. S. H. Sohn, S. Youn, « Does she have to be thin ? Testing the effects of models’ body sizes on advertising effectiveness », Atlantic Journal of Communication, 2013, vol. 21, o n 3.
65. La Dépêche, 20 décembre 2014.
66. Cité dans E. Wuilbercq, « L’amour encore », Le Monde, 26 février 2013.
67. T. Vares, « Reading the “sexy oldie”: Gender, age(ing) and embodiment », Sexualities, 12 avril 2009, p. 503-524.
68. L’ouvrage coordonné par Umberto Eco, Histoire de la laideur (Flammarion, 2007) est riche d’exemples à ce sujet.
69. C. Cosmao et al., « Vie affective et sexuelle dans les institutions pour personnes âgées et comportements des professionnels : l’apport de la promotion de la santé », module interprofessionnel de santé publique, EHESP, 2014.
70. A. Giami, P. de Colomby, « Relations sociosexuelles des personnes handicapées vivant en institution ou en ménage : une analyse secondaire de l’enquête “Handicap, incapacités, dépendance” (HID) », European Journal of Disability Research, Journal européen de recherche sur le handicap, 2008, 2, p. 109132.