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French Pages 256 [251] Year 2002
LES JARDINS DE ZOLA Psychanalyse et paysage mythique dans Les Rougon-Macquart
Collection Critiques Littéraires dirigée par Maguy Albet et Paule Plouvier Dernières parutions
Véronique DUFIEZ-SANCHEZ, Victor Hugo et le désir de savoir, 2002. J.R. MOUSAHOUDJI-BOUSSAMBA, S.G. DOCTROVE MOUANOU, Jean-Pierre Makouta-Mboukou, 2002. Anne MOUNIC, Les tribulations de Persephone: poésie, autre, au-delà, 2002. Samba DIOP (sous la direction de), Fictions africaines et postcolonialisme, 2002. Hadj MILIANI, Une littérature en sursis? 2002. André-Patient BOKIBA et Antoine YILA, Henri Lopez: une écriture d'enracinement et d'universalité, 2002. Thierry MARIN, Pour un récit musical, 2002. Lucienne NICOLAS, Espaces urbains dans le rOlnan de la diaspora haïtienne, 2002.
«Critique littéraire »
OLIVIER GOT
LES JARDINS DE ZOLA Psychanalyse et paysage mythique dans Les Rougon-Macquart
L'Harmattan 5-7, rue de l'École-Polytechnique 75005 Paris FRANCE
L'Harmattan Hongrie Hargita u. 3 1026 Budapest HONGRIE
L'Harmattan Italia Via Bava, 37 10214 TOlino ITALIE
DU MÊME AUTEUR
Histoire de la littérature française. sous la direction de Henri Mitterand (Les idées, la poésie, le théâtre au XXe siècle), Nathan, 1988. « Dom Juan» de Molière, «Balises », Nathan, 1989. «Les Faux monnayeurs» d'André Gide, «Balises », Nathan, 1991. « La Symphonie pastorale» d'André Gide, «Balises », Nathan, 1992. « L'Odyssée» d'Homère, «Balises », Nathan, 1994. « Œdipe roi» de Sophocle, «Balises », Nath~ 1994. «Au Bonheur des dames» d'Emile Zola, «Les Grands Classiques Nathan », Nathan, 1994. Le Théâtre antique, « Thèmes et études », Ellipses, 1997. Le Mythe antique dans le théâtre du .ITe siècle, «Résonances Ellipses, 1998.
»,
Etude sur «Electre» de Giraudoux, «Résonances », Ellipses, 1997. Etude sur «Les Fausses confidences» de Marivaux, «Résonances », Ellipses, 1999.
~L'Hannattan,2002 ISBN: 2-7475-3159-7
Parentum manibus dicatum
J'adresse mes remerciements à Henri Mitterand et à Philippe Hamon pour leurs précieux conseils et leur amitié.
INTRODUCTION «Il faut des mythes, des universaux de l'imagination pour exprimer à fond et de manière inoubliable cette expérience qu'est ma place dans le monde. Je pensais que décrire des histoires de paysans (même transfigurés et psychanalysés) n'est pas suffisant. Quant à décrire des paysages~ c'est stupide. Il faut que les paysages - ou mieux, les lieux, c'est...à-dire l'arbre, la maison, la vigne, le sentier, le ravin, etc. vivent comme des personnes, comme des paysans, en somme qu'ils soient mythiques. » Cesare Pavese, Lettre à Franca Pivano, 19421. ...
Ces lignes d'un poète et rOlnancier italien, Zola eût pu les signer, ou presque. Lui aussi possède une itnagination qui tend spontanément au mythe, quel que soit le sens précis par ailleurs que l'on donne à ce mot2. Lui aussi ne sépare pas l'homme d'un côté, avec se sentiments et ses conduites fouillés au scalpel, et le décor où il évolue de l'autre, dont un travail d' « écriture artiste» 1
Cité par G. de Van dans sa préface à l'édition bilingue de Cesare Pavese,
Lavorare stanca / Travailler fatigue, p. 16 (Lettere, p. 639), Gallimard, 1969. 2
A partir d'auteurs divers (dont Roger Caillois, Le Mythe et l'homme,
Gallimard, 1938 ; Roland Barthes, Mythologies, Seuil, 1957 ; Mircea Eliade, Aspects du mythe, Gallimard, 1963 ; Claude Lévi-Strauss, Anthropologie structurale, Plon, 1965 et 1973 ; Didier Anzie~ Le Corps de tœuvre, Gallimard, 1981, et Roger RipoU, Réalité et mythe chez Zola, Champion, 1981), il semble que l'on puisse concevoir le mythe ainsi: autrefois avant tout récit, maintenant aussi bien structure idéologique, ayant pour point de départ des données historiques, géographiques~ sociales, économiques, religieuses, métaphysiques ou philosophiques, il constitue toujours une tentative d'explication de tensions impossibles à résoudre dans la réalité, qui met en scène des forces symboliques organisées, dans des réseaux de sens dont la polysémie est la règle et le merveilleux le cadre obligé. Comme le dit admirablement le psychanalyste Pierre Fédida, « le mythe est un (une) geste donné( e) à l'homme par la parole pour habiter. Qu'il s'agisse de naissance ou de mort, de cuisine, de pêche ou de chasse, la symbolique du mythe est corps de sens sous la condition que les symboles ne soient pas secondairement objets de pensée ou de culture, mais que leur symbolique soit l'acte toujours dé..signifiant de l'interprétation.» (L'Absence, Gallimard, 1978, p. 325)
assurerait la métamorphose en œuvre d'art autonome. L'un ne va pas sans l'autre, et c'est ce qu'il nous dit avec insistance dans Le Roman expérimental3. Mais pas obligatoirement selon des liens de causalité. La révolution naturaliste est à ce point de vue plus subtile, et Zola analyse dans ses œuvres critiques les conditions de la description chez ses contemporains romanciers, avec une pénétration et un lyrisme qui éclairent encore plus sa propre création que celle d'autrui.
« Les Débordements de la nature » 4 Dans son article intitulé « De la Description »5, le maître commence bien par faire une profession de foi digne de Taine
« Nous avons fait à la nature, au vaste monde, une place tout aussi large qu'à l'homme. Nous n'admettons pas que l'homme seul existe et que seul il importe, persuadés au contraire qu'il est un simple résultat, et que, pour avoir le drame humain réel et complet, il faut le demander à tout ce qui est... Nous sommes dans l'étude exacte du milieu, dans la constatation des états du monde extérieur qui correspondent aux états intérieurs des personnages. »
Mais, dès le paragraphe suivant, le côté linéaire d'une telle correspondance est balayé: « Maintenant, il est certain que nous ne nous tenons guère à cette rigueur scientifique. Toute réaction est violente, et nous réagissons encore contre la formule abstraite des siècles derniers. La nature est entrée dans nos œuvres d'un élan si impétueux, qu'elle les a emplies, noyant parfois l'humanité, submergeant et emportant les personnages, au milieu d'une débâcle de roches et de grands arbres... D'ailleurs, même dans ces débauches de la description, dans ces débordements de la nature, il y a beaucoup à apprendre, beaucoup à dire. » (p. 1380) 3
4
Cf. «De la description », Oeuvres complètes, 10, p. 1299. Ibid. p.1300.
5 ln Le Roman expérimental, Œuvres complètes, JO, Tchou, 1968, p. 1499.
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On retrouve dans ces lignes l'image si fréquente, dans les descriptions de Zola lui-même, de débauche. On dirait que l'auteur éprouve une culpabilité inconsciente à violer l'esthétique classique et sa géométrie des passions, en y faisant pénétrer le monde extérieur avec tant de violence que lui-même n'en revient pas Or, l'aveu est clair: la «nature» c'est le grand refoulé, dont l'assomption officielle et, dirait-on, subite, tant elle paraît faire bon marché du réalisme de la génération précédente, ne peut que prendre un caractère scandaleux. Et COInmele Inot nature, de par son extension même, a tous les sens que l'on désire, il se trouve qu'aux yeux de Zola le paysage le plus innocent est chargé d'une énergie pulsionnelle dévastatrice6 ! Il se met même à vivre de façon autonome, à proliférer pour le plaisir, à croître comme une mauvaise herbe, à déborder comme un fleuve en crue. C'est du moins ce qu'il perçoit chez les Goncourt, ou plutôt ce qu'il projette sur leurs œuvres: « Tout le génie des Goncourt est dans cette traduction si vivante de la nature, dans ces frissons notés, ces chuchotements balbutiés, ces mille souffles rendus sensibles. Chez eux, la description respire. Sans doute, elle déborde, et les personnages dansent un peu dans des horizons trop élargis; mais, si même elle se présente seule, si elle ne demeure pas à son rang de milieu déteffilinant, elle est toujours notée dans ses rapports avec l'homme et prend ainsi un intérêt humain. » (p. 1301)
C'est surtout ce qu'il remarque à propos de lui-même, en pensant sans doute aux œuvres de jeunesse et aux premiers romans des Rougon-Macquart, prêt qu'il est, en 1880, à abandonner en partie cette folie descriptive:
6 «Jamais entièrement idyllique, jamais entièrement inquiétante, affectée d'un signe positif en face de ce qui est artifice, la nature n'en est pas moins le lieu où se dévoilent des forces sur le point d'anéantir l'homme ou de ruiner l'équilibre précaire institué par la civilisation. Cette ambivalence donne à la nature son caractère sacré: objet d'horreur et de révérence, principe de pureté et de souillure, la nature devient la forme sous laquelle se présente l'absolu, une fois que la science a rejeté l'absolu métaphysique ou théologique.)} R. RipoU, Réalité et mythe chez Zola, Champion, 1981, p. 225.
Il
« Nous autres, pour la plupart, nous avons été moins sages (que Balzac et Flaubert), moins équilibrés. La passion de la nature nous a souvent emportés, et nous avons donné de mauvais exemples, par notre exubérance, par nos griseries du grand air. Rien ne détraque plus sûrement une cervelle de poète qu'un coup de soleil. On rêve alors toutes sortes de choses folles, on écrit des oeuvres où les ruisseaux se mettent à chanter, où les chênes causent entre eux, où les roches blanches soupirent comme des poitrines de femme à la chaleur de midi. Et ce sont des symphonies de feuillages, des râles donnés aux brins d'herbe, des poèmes de clartés et de parfums. S'il y a une excuse possible à de tels écarts, c'est que nous avons rêvé d'élargir l'humanité et que nous l'avons mise jusque dans les pierres des chemins. » (id.)
Mais Zola a dépassé cette interprétation de ce lyrisme descriptif sans contrôle. Dans le passage qu'on vient de citer, il allègue comme excuse à son exubérance l'influence du soleil et du midi, c'est-à-dire celle de sa chère Provence, et l'idéalisme forcené de sa jeunesse, noum jusqu'à l'excès de lectures romantiques et de fantasmes sensuels mal assumés. Dans son article sur les Goncourt, recueilli dans Les romanciers naturalistes, il va plus loin. Non seulement la nature déborde, mais elle semble, par la magie de l'écriture, vivre anarchiquement: «Les moindres détails s'animent comme d'un tremblement intérieur. Les pages deviennent de véritables créatures, toutes pantelantes de leur outrance à vivre. .. On dirait la nature racontée par deux voyants, animée, exaltée, les cailloux ayant des sentiments d'être vivants, les personnages donnant de leur tristesse ou de leur joie aux horizons. L'œuvre entière devenait une sorte de vaste névrose 7. »
Et cette névrose qui transcende les divers éléments de l'oeuvre romanesque, que des siècles de rationalisme avaient séparés à plaisir en créant à partir d'eux une unité supérieure, justifie ces échanges constants entre la nature et 1'homme, dont Zola a tant usé tout au long de sa carrière: « L'art nouveau est là : on n'étudie plus les hommes comme de simples curiosités intellectuelles, dégagées de la nature ambiante; 7 O. C. 11, p. 160.
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on croit au contraire que les hommes n'existent pas seuls, qu'ils tiennent aux paysages, que les paysages dans lesquels ils marchent les complètent et les expliquent. )}(id. )
C'est alors au lecteur de faire l'effort d'imagination et de sensibilité nécessaire pour être en accord avec le tempérament « nerveux »» des écrivains naturalistes, et non le contraire. Il y a dans ces dernières considérations une étonnante modernité d'attitude vis-à-vis du problème des rapports toujours difficiles de l'artiste avec son lecteur. De ces vues originales et lucides de Zola sur le problème des rapports du personnage avec son milieu, retenons plus particulièrement ces propositions: la nature a tendance à sortir de son cadre de décor explicatif pour vivre d'une vie autonome; l'homme n'a pas forcément un rôle dominant sur la nature; il en est le jouet sensoriel et sensuel, le reflet même dans certains cas; la nature à son tour se charge de caractères humains, par un système de projections continuelles; l'ensemble homme-nature fonne un continuUln indissociable, tant au niveau rhétorique que philosophique. Autant de propositions théoriques soubassements au présent travail.
qUI
serviront
de
« Les débaucbes de la description » On l'a remarqué depuis longtemps8, il y a un Zola impressionniste, qui décrit à petites touches, qui ne se lasse jamais d'aligner couleurs tendres ou violentes, fOlmes, effets de lumière à toute heure du jour et de la nuit. Et l'on pense aux orgies descriptives du Ventre de Paris, aux minutieuses vues de la grande ville depuis les 8 Par exemple Ph. Hamo~ «A propos de l'impressionnisme de Zola », Les Cahiers naturalistes n° 34, p. 139 ; M. Marcussen et H. Olrik, «Le Réel chez Zola et les peintres impressionnistes », R.HL.F n° 6, Nov. 1980 ; 1. Newton, « Emile Zola impressionniste », Les Cahiers naturalistes, n° 33, p. 49, et n° 34, p. 124, etc.
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hauteurs de Passy dans Une page d'amour, qui sont pour l'auteur ce que la cathédrale de Chartres fut pour Monet, à des morceaux comme l'évocation du Bois de Boulogne au début de La Curée, avec ses victorias au petit matin et les jeux du soleil sur les surfaces luisantes et les boutons des livrées, ou aux couleurs changeantes et subtiles de la mer dans La Joie de vivre. Or ce ne sont pas ces débauches descriptives qui nous concernent. Zola y rivalise avec le peintre, non avec ses propres monstres. Quand le démon d'écrire le prend, il demande à un certain nombre de lieux privilégiés, amoureusement regardés et parcourus dans sa jeunesse, ou bien découverts dans son âge mûr pour les besoins de la cause, de le soulever de lui-même. Ces lieux, nous les déco.uvrons à l'état pur, en quelque sorte, dans les œuvres de jeunesse, sous fonne d'articles ou de pages de souvenirs; ils parlent, ils respirent, sans connotation humaine encore, mais ils les attendent. Ils constituent un réservoir d'archétypes où l'écrivain puisera tout au long de sa VIe. Mais Zola ne reste pas longtemps au niveau du poème en prose. Il y a chez lui une volonté constante d'utiliser le morceau écrit «de chic» pour une nouvelle ou un roman. Quelquefois il y a un écart de plusieurs années entre eux, COlmne pour ces proses écrites en Nonnandie sur les divers visages de la mer, qui attendirent de s'incarner vraiment dans La Joie de vivre un temps suffisant pour que Zola puisse aborder, l'esprit libre, la dépression qui suivit la mort de sa mère. De toute façon, dans le groupement même de ces textes, il y a déjà une interprétation. Souvenirs, Comment on meurt, Les Squares9, par leur volonté d'ordonnancement, nous donnent le ton. Par ailleurs, un square est «débraillé », une campagne est « lugubre» ou «tragique », etc. : un réseau de connotations s'ébauche qui «humanise» les paysages, leur donne une signification, à la fois de type sociologique ou moral, et psychologique, quand Zola y projette ses propres sentiments. Puis un paysage vient s'insérer dans un roman, toile de fond ou écran contemplé. Il C01D1nenceà vivre, mais il ne déborde pas. II est en quelque sorte à l'écoute des personnages, en empathie avec
9 Contes et nouvelles, éd. R. RipoU, Pléiade, pp. 465, 597, 319.
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eux. Par exemple, le jardin des Deberlelo est au début du roman aussi «eouect» que les sentiments d'Hélène et du Docteur; ou encore celui des Hubert11, clos et ombreux, reflète la vie cloîtrée d'Angélique. C'est lorsqu'il devient acteur de l'intrigue, actant, au sens Greimassien du mot, de la narration, que le paysage devient, semble-t-il, mythique. Il précède ou influence les sentiments, déclenche les passions, veut amener les protagonistes à leur propre accomplissement; il est la projection de lew.s désirs ou de leurs répulsions, il tresse avec eux une vannerie inépuisable, échangeant ses signes avec les leurs à tous les niveaux possibles; il devient un lieu de flux, de circulations de sens qui courent partout à perdre haleine à travers les éléments les plus divers, organisation de l'espace, espèces végétales, animales ou minérales, couleurs, images, jusqu'aux sonorités mêmes de la phrase et des mots. Tant de dynamisme ne va pas sans inconvénients. La prolifération du sens se fait parfois au détriment de la clarté, de l'harmonie de l'ensemble par rapport au tout. Le lecteur, Petit Poucet perdu dans la forêt des signes, et cela vaut sw10ut évidemment pour La Faute de l'abbé Mouret, demande grâce et cherche son chelnin. Pourtant, tout est nécessaire, rien n'est le fruit du hasard. Ces labyrinthes, il suffit d'avoir un peu de patience, et un fil d'Ariane, pour s'y retrouver. Questions de méthode Tout lecteur de Zola est surpris et amusé à la fois de retrouver à travers l'œuvre telle ou telle obsession. Beaucoup d'articles ont pris pour thème d'étude le souteITain, la foule, la porte qui s'ouvre, etc.12 Mais le filon n'explique pas la 10 Rougon-Macquart, éd. H. Mitterand, Pléiade, II, Une page 833 ; voir infra p. 141.
d'amour, p.
11 R. M IV, Le Rêve, p. 860. 12 Voir par exemple A. Dezalay, «Le Thème du souterrain chez Zola », Europe, avril-mai 1968, p. 110 ; C. Toubin et Y. Malinas, « Les clés et les portes (essai sur la symbolique du Docteur Pascal) », Les Cahiers naturalistes, n° 41, p. 15 ; R. Georgin, « Le thème du labyrinthe », in La Structure et le style, L'Age d'homme, Lausanne, 1975, p. 33 ; N. Schor, Zola 's crowds, 1. Hopkins Univ. Press, Baltimore and London, 1978. 15
structure de la roche. Si l'on veut rendre compte du paysage comme d'un tout organisé, il est nécessaire d'en articuler les éléments. C'est ici que nous touchons aux problèmes de méthode. Dans la mesure où le paysage est un espace délimité et construit, ce qui est le cas de tout jardin, il est analysable comme un espace orienté suivant les points cardinaux, contenant une série d'éléments (la pelouse, le massif: le bouquet d'arbres, la fontaine, etc.), eux-mêmes fonnés de divers types végétaux et minéraux; ces divers constituants du jardin sont reliés les uns aux autres par des allées ou des chemins, qui constituent autant d'itinéraires que des lois très simples pennettent de déftnir. La découverte du jardin va donc se faire suivant un certain ordre, qui peut offtir des possibilités de choix, mais qui n'est jamais le fruit total du hasard. Cet ordre, à un niveau symbolique, va trouver en général une signification qu'il n'a pas au simple niveau descriptif Cela est surtout valable POW"de grands espaces complexes comme le Paradon, et plus généralement pour tout parc fenné. Mais on peut dégager également des itinéraires structurés dans des espaces plus grands et ouvet1s comme une ville ou même une région, pourvu que les éléments constitutifs puissent être aisément replacés sur la carte; ce qui n'est pas nécessairement le cas, la géographie romanesque de Zola n'étant pas toujours très claire; en s'aidant des plans de l'écrivain, que l'on trouve dans ses dossiers préparatoires, on peut plus facilement évaluer la position respective de villages ou de rues les uns par rapport aux autres. Il va de soi qu'un tel travail n'a d'autre intérêt ici que de donner un soubassement clair à des analyses dont l'essentiel est ailleurs. Dans beaucoup de cas, et en particulier pour les rivages maritimes, il est impossible à faire ou inutile13. 13Remarquons ici la rareté jusqu'à une date récente des études sur la spatialité littéraire. Longtemps cantonnée dans l'étude du vocabulaire ou de la stylistique, la notion se précise avec Kristéva, Boumeuf et Ouellet, pour trouver son plein développement avec les deux livres de Philippe Hamon, L'Introduction à l'analyse du descriptif (Hachette, 1981), et Le Personnel du roman, le système des personnages dans les « Rougon-Macquart» de Zola (Droz, 1983), L'Espace romanesque de Jean Weisberger (L'Age d'homme, 1978), ou des études comme «Le Lieu et le sens: l'espace parisien dans Ferragus de Balzac» de Henri Mitterand (in Le Discours du roman, P.U.F., 1980), et, dans une optique greimassienne, Denis Bertrand~ L'Espace et le sens, « Germinal» d'Emile Zola, Hadès-Benjamins, 1985. 16
La thèse d'ensemble de ce travail étant de considérer le paysage zolien comme une métaphore généralisée, il y a lieu de se demander de quoi, et COlnment. Dans une perspective jungienne, un paysage apparaîtra comme un ensemble d'archétypes renvoyant à rinconscient collectif Non pas d'ailleurs dans le sens très général que Jung a donné à cette notion (personne, ombre, anima et animus, vieux sage et terre-mère, soi), mais plutôt dans celui d'éléments de la réalité, « d'images primordiales}) 14 dont l'expérience, à la fois sensible et affective pendant des millénaires, crée chez l'homme une structuration de l'inconscient qui se retrouve dans toutes les manifestations culturelles (fonnes humaines et divines, monstres, animaux et plantes, dont la combinaison fonne aussi bien les mythologies que les rêves des individus.) On rencontrera donc chez Zola une symbolique plus ou moins consciente de la mer et des rivages, de la campagne, des jardins, etc., qui associe des images féminines et masculines, des processus de l'affectivité, des impressions d'euphorie ou de malaise à des paysages variés, mais qui se ramènent à un petit nombre de types, et dont le caractère obsédant prouve l'authenticité, et aussi l'intensité de l'imaginaire de l'écrivain. Une telle approche, de nature synthétique, est utile dans la mesure où elle pennet d'unifier une expérience du monde foisonnante, et de la mettre en rapport avec des enselnbles beaucoup plus vastes de la tradition culturelle humaine; par exemple, tel paysage où les symboles féminins sont multiples sera mis sous le signe de l'intimité retrouvée, du bonheur parfait, et du thème du paradis terrestre. Cependant cette perspective ne nous semble pas absolument satisfaisante. Elle postule, en effet, une sorte de kantisme de l'imaginaire, structure idéale dont le rapport avec le cosmos se tient dans de prudentes généralités, et ignore le dynamisme et les contraintes propres à une oeuvre d'art particulière15. 14
Voir Frida Fordham, Introduction à la psychanalyse de Jung, Payot, 1979,
p.22. 15
On aura reconnu là l'essence des travaux de Gilbert Durand, en particulier Les Stroctures anthropologiques de l'imaginaire (P.U.F., 1963) et Le Décor 17
Une lecture plus proche de Freud nous a donc paru meilleure, même sfil est par ailleurs impossible de séparer entièrement les deux méthodes4 Comme le remarque Jean Bellemin..Noël dans Vers ['inconscient
du textel6,
« la lecture analytique elle-même semble exciper à la fois de signifiances spécifiques, mises en circuit par telle histoire particulière et dont le réseau forme le donné inconscient d'un individu précis, et de «symboles» universels auxquels on reconnaît une forte prégnance, un étrange pouvoir d'attraction et de syncrétisme. .. Il paraît malaisé de refuser rexistence de certaines «figures» figées fonctionnant comme des catachrèses... figures qui expliquent comment ont pu se constituer les anciennes symboliques... La théorie psychanalytique n'a pas encore résolu de façon satisfaisante le problème de savoir jusqu'à quel point on peut, de jure et de facto, distinguer entre une «langue»et une»parole»des formations de compromis. )}(p. 33-34)
Sensible à l'impératif premier de la méth.ode analytique qui consiste à rendre compte de toute association d'idées librement provoquées, nous avons avant tout scruté le détail du texte, en dégageant les réseaux de sens qui s'y manifestent, à travers les signifiants les plus divers, et en les interprétant COlnme la manifestation toujours renouvelée d'un petit nombre de signifiés, qui fonnent l'itinéraire dfun désir toujours en action et presque toujours bloquél? Ainsi est née peu à peu la conviction que, quel mythique de »La Chartreuse de Parme» (Corti, 1961). Remarquons le sens très extensif de ce dernier titre, synonyme d'univers mythologique plutôt que de cadre de l'action. 16
P.D.F.,
1979.
17On retrouve ici la problématique actuelle de la psychocritique. Qu'il s'agisse des essais de «psychanalyse appliquée)} de Freud et de ses disciples, ou des réseaux d'images obsédantes de Charles Mauron, il s'agit dans un premier temps d'une herméneutique qui renvoie à l'auteur de l'œuvre. Aujourd'hui, on est plus sensible à la matérialité du texte, avec ses figures et ses artifices de composition qui contiennent, selon Didier Anzieu, « un grand nombre des associations libres de l'auteur », ou encore, comme dit Bellemin..Noël, au «fonctionnement oblique du texte comme force engagée dans l'œuvre d'écriture ». Dans tous les cas il s'agit de prendre conscience que toute lecture psychanalytique d'un texte est avant tout
le dialogue de deux inconscients, celui de l'écrivain et celui du lecteur, qui 18
que soit le niveau de sens envisagé, l'ampleur du corpus étudié (de la phrase au roman entier, en passant par le paragraphe et le chapitre), le type et la composition du paysage analysé, celui-ci se révélait soit comme la métaphore du corps féminin (parfois masculin), soit comme celle de la passion amoureuse1s, soit les deux. Or, depuis une dizaine d'années, les psychanalystes ont Illis en valeur le fait que le «corps de l'œuvre », comme dit Didier Anzieu19, est essentiellement celui de la mère. Le corps, surtout considéré comme siège des manifestations hystériques, est aussi le corps fantasmé. Déjà, Freud lui-même, dans L'Interprétation des rêves, avait décrit «une symbolique architectonique du corps », où « les piliers et les colonnes représentent les jambes (comme dans Le Cantique des Cantiques), où chaque porte symbolise un orifice du corps... La sphère des représentations de la vie des plantes ou de la cuisine peut également être choisie pour dissimuler des images sexuelles », ajoutait...il encore20. Aujourd'hui Pierre Fédida
dans Lieux du corps n'hésite pas à déclarer: « La psychanalyse est archéologie du corps: c'est à cette condition qu'elle peut s'ouvrir sur une anatomie fantastique21». L'œuvre d'art a ainsi pour fonction secrète à la fois de parcourir le corps de la mère (symbolique figurative à l'œuvre dans le roman), et par le travail même de la création, par rélaboration secondaire sm la fantasme, d'occulter la menace de la castration. lUle
privilégie forcément tel aspect plutôt que tel autre. Ce qui amène a suspecter la « scientificité}) de tout discours psychocritique, et assumer sa subjectivité de commentateur, en découvrant son propre inconscient dans l'analyse du texte d'autrui. 18 Déjà Cézanne avait une semblable intuition, après lecture d'Une page d'amour: « Les lieux par leur peinture sont imprégnés de la passion qui agite les personnages, et par là, font plus corps ensemble avec les acteurs et sont moins désintéressés dans le tout. Ils semblent s'animer pour ainsi dire et participer aux souffrances des êtres vivants.» (Rougon-Macquart Il, p. 1621). C'est nous qui soulignons. 19 20
Gallimard, P.U.F.,
1981.
1967,
p.298.
21 «Lieux du corps », Nouvelle revue de psychanalyse, n° 3, printemps 1971, p. 125.
19
Ce double travail, comme on le verra, affleure constamment dans l'œuvre de Zola. C'est dire que les contenus dégagés apparaissent comme les avatars d'un même problématique œdipienne, que l'écrivain, dans les différentes phases de son propre développement, n'arrête pas de poser afm de la résoudre. Les symboles masculins et féminins que l'on y lit s'ordonnent de cette façon par rapport aux autres sur un mode dynamique, dans une perspective fmale et suivant une vision tragique qui épouse à la fois la descliption et les diverses phases du récit. Le second impératif que nous avons suivi, en effet, a été de toujours mettre en relation un paysage donné avec les personnages qui y évoluent, les situations où ils se trouvent, et les sentiments qui les affectent. Ainsi chaque œuvre de Zola se révèle-t-elle comme un microcosme cohérent, où tout concourt à WI effet d'ensemble, dans un vaste système de mise en abyme généralisée. Toutes ces approches, et d'autres plus étroitement littéraires, comme l'étude des thèmes, ou celle du regard porté sur l'espace22 ne seront pas obligatoirement utilisées séparément. La problématique propre à chaque œuvre est trop différente pour appliquer de façon unifonne et systématique la même grille de lecture sur tous les paysages retenus. ce qui n'irait pas sans artifice ni répétitions. Nous avons préféré considérer chaque paysage, ou chaque ensemble de paysages à l'intérieur d'une même œuvre, comme un tout indissociable, dont nous délimitons les contours, les éléments, la forme générale dans un premier temps, avant de procéder à une interprétation selon les différents niveaux de sens envisagés. Les paysages choisis Le choix du corpus de cette étude n'est pas allé, tout au long de son élaboration, sans hésitations. L'orientation première de ce travail portant essentiellement sur «le paysage mythique », il semblait naturel d'éliminer du champ d'observation tous les espaces romanesques sous-tendus par des systèmes référentiels de nature sociale ou politique, encore que la tendance naturelle de 22
Cf. Conclusions p. 222, et Ph. Hamon, Introduction à l'analyse du
descriptif,
Hachette,
1981, pp. 186-197,«
Le regard descripteur
20
».
Zola de transfonner toute matière littéraire en mythe pût à la rigueur justifier un tel choix. Il nous a semblé pourtant qu'une telle conception relevait de la sociocritique, ou d'une vision du mythe plus proche de celle de Roland Barthes que de la mythologie traditionnelle23. Par ailleurs, nous avons écarté également tout ce qui concernait le paysage parisien, pour deux raisons: la première POWTaitêtre l'extrême diversité des visages de Paris à travers Les Rougon-Macquart, sans compter le troisième roman de la série des Trois villes. Quoi de commun en effet entre l'impressionnisme de telle description du Bois de Boulogne ou des toits de Paris vus des hauteurs de Passy, le symbolisme balzacien de telle scène de La Curée ou de L'Argent, la vision fantastique et régressive des Halles et de leurs souteITains dans Le Ventre de Paris, la Seine en flammes de La Débâcle24 ? On ne peut, je pense, trouver une unité de pensée à la vision zolienne de la grande ville qu'à un niveau de généralité peu satisfaisant du point de vue de la méthode, et c'est sans doute là le défaut de l'étude de Nathan Kranowski sur Paris dans les romans d'Emile Zolcl5. Une deuxième raison d'éliminer ici le paysage parisien serait son absence de clôture. Paris, en effet, peut engendrer une infmité de Inythes «modernes », parce qu'il est un paysage artificiel, socialisé, un espace en quelque sorte médiatisé; mythe lui-même 23 «La sémiologie nous a appris que le mythe a pour charge de fonder une intention historique en nature, une contingence en éternité. Or, cette démarche, c'est celle-là même de l'idéologie bourgeoise. » (Mythologies, «Points », Seuil, 1957, p. 229). A ce stade de sa pensée, le désir d'articuler Marx sur Saussure conduit l'auteur à faire fi de l'aspect pulsionnel du langage: « L'écœurant dans le mythe, c'est le recours à une fausse nature, c'est le luxe des formes significatives... Le mythe est trop riche, et ce qu'il a en trop, c'est précisément sa motivation. » (p. 212) D'où peut-être le refus de lire Zola comme un écrivain. 24 Début de La Curée, R.M I, pp. 319 et sq. Les cinq descriptions de Paris dans Une page d'amour, R.M II, pp. 845, 902, 964, 1025, 1087. Paris vu de Montmartre sous une pluie de pièces d'or, La Curée, R.M l, p. 387. Description de la Bourse, Exposition universelle, L'Argent, R.M V, pp. 31, 260. Les Halles, Le Ventre de Paris, R.M l, pp. 762 et sq. La Seine en flammes, La Débâcle, R.M V, pp. 886 et sq. 25 P.U.F., 1968. Voir aussi Stefan Max, Les Métamorphoses de la grande ville dans (( Les Rougon-Macquart », Nizet, 1966. 21
en somme, mais au second degré, toujours ouvert, et, de par son gigantisme et sa complexité, traversé sans cesse par de nouveaux sens, mais coupé de sa dimension humaine primitive, de son rapport au corps dont nous parlions plus haut. Que restait-il donc qui présentât les caractères homogènes que nous avions privilégiés: clôture du sens, simplicité, à travers tous les foisonnements possibles, de la métaphore, lien de l'homme avec la nature? Le titre de cette étude indique clairement le choix accompli parmi les espaces naturels décrits par Zola, et présentant un caractère symbolique: il s'agit d'un certain nombre de jardins cueillis tout au long de l'œuvre, et de la mer, qui emplit La Joie de vivre de sa présence obsédante. On sait en effet l'importance du thème de l 'Hortus conclusus26, du «Jardîn clos », dans les mythologies, les religions et les littératures, sa signification à la fois érotique et spirituelle. Quant à la mer, sa valeur fondamentale est encore plus nette, à la fois comme matrice de toute vie et comme symbolisme maternel, aussi bien que comme force aveugle et destructrice. Nous retrouverons ces significations constamment dans le texte, mais nous avons préféré les articuler autour d'un certain nombre de situations-types, qui sous-tendent les rapports humains entre les âges et entre les sexes. C'est en effet au niveau des structures du signifié que nous avons perçu l'unité de ce travail. C'est en privilégiant la métaphore que nous avons pu trouver un ordre satisfaisant, qui pennît d'unir entre eux des paysages dont la diversité risquait de faire une collection de tableaux juxtaposés. Voici d'abord la liste de ces paysages et des situations qui leur correspondent, selon l'ordre chronologique de composition:
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Litanies de la Vierge.
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Titre du roman
Paysages
Situation
La Fortune des Rougon
aire Saint-Mittre vallée de la Viorne
idylle mortelle
La Curée
setTede l'Hôtel Saccard
inceste beau-fils/ belle-mère
La Faute de ['abbé Mouret
le Paradou
amour coupable
Une page d'amour
le jardin des Deberle
adultère
La Joie de Vivre
le rivage tnaritime
relation mère/fils
Le Rêve
système des jardins manage autour de la impossible maison Hubert
Le Docteur Pascal
la Souléiade
liaison nièce/ oncle
Dans ce tableau, on remarque immédiatement un trait commun à toutes les situations évoquées: l'interdit. Peut-être y a-t-il une relation à établir entre la clôture qui caractérise tous ces espaces, et ce barrage qui se dresse à toute manifestation de désir. Quoi qu'il en soit, cet interdit est de nature apparemment diverse: les convenances sociales y côtoient les impératifs moraux, la mort vient plusieurs fois interrompre l'amour innocent, la religion y mêle sa loi. Souvent d'ailleurs, ces différents éléments se superposent et se renforcent. Peut-être pouvons-nous trouver un critère de classement dans l'âge des protagonistes; ainsi aurions-nous les catégories suivantes: Jeunes gens séparés par la mort: il s'agit des couples Miette/Silvère (La Fortune des Rougon), Albine/Serge (La Faute de l'abbé Mouret), Angélique/Félicien (Le Rêve). 23
Mais les itinéraires ne sont pas les mêmes. Le deuxième couple en effet, à l'abri du Paradou, va de la mort à la vie. Mort spirituelle de Serge, suivie d'une maladie mystérieuse, qui va évoluer vers la guérison sous la conduite d'AIbine, en parcourant et en explorant un nouveau paradis terrestre. L'épisode du roman apparaît donc comme une intrusion du mythe dans une esthétique réaliste. La séparation et la mort de la jeune fille sont en effet liées au retour à la réalité, à la sortie du jardin. Les deux autres couples suivent un itinéraire inverse, de la vie à la mort. Ils sont liés à des espaces complexes, dont il s'agit d'ouvrir les portes, et qui symbolisent des classes sociales différentes. D'où l'importance des lieux neutres que sont les teITains vagues, no man's lands du corps social, favorables aux rencontres. Adultes séparés par la société: il s'agit évidemment de l'adultère «bourgeois» entre Hélène Granjean et son voisin le docteur Deberle dans Une page d'amour, et qui a pour cadre le petit jardin situé entre les deux immeubles, espace enserré de murs, sytnbole du « COlTect». Il est juste d'ajouter que si les amants se séparent volontairement, étranglés par les conventions sociales, il y a là aussi une victime, la fille d'Hélène. La tentation incestueuse; trois situations évoquent de près ou de loin l'inceste entre parent et enfant de sexe opposé; deux évoquent la relation mère/fils, la troisième reproduit la relation père/fille. Relation mère/Fils: Le couple Renée / Maxime dans La Curée constitue en quelque sorte l'inceste à l'état pur, au moins d'un point de vue légal, puisqu'il s'agit de la belle-mère et du beau-fils. Le caractère «monstrueux» d'une telle liaison est souligné par la lieu choisi pour leurs amours, une serre aménagée en jardin exotique, dont l'étrangeté est en accord avec celle des sentiments décrits. Les rapports psychologiques de Lazare et de sa mère Madame Chanteau, dans La Joie de vivre, n'ont certes pas l'inceste pour aboutissement, mais tout le roman, comme on le velTa, tourne
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autour de la relation mère/fils, à travers tous les substituts de la première, et dont la mer et ses rivages sont l'écho symbolique. Relation père/fille: II s'agit en fait des amours automnales du docteur Pascal Rougon avec sa nièce Clotilde, dont les phases successives ont pour théâtre la Souiéiade, la propriété autrefois somptueuse, aujourd'hui amoindrie, du dernier héros des Rougon-Macquart. Remarquons que si, en réalité, il ne s'agit jamais d'Wl inceste véritable, mais d'une approche qui trouve sa signification dans l'inconscient de l'écrivain, l'échec et la mort viennent régulièrement sanctionner le désir frappé de culpabilité: mort de Renée, de Madame Chanteau, de Pascal, tous trois de maladie. Les mythes fondateurs Si l'on relie maintenant chaque paysage retenu au mythe fondateur qui le sous-tend, on aura le plan suivant: I. Le Paradis retrouvé, ou la Carte de Tendre naturaliste Le mythe qui sous-tend La Faute de l'abbé Mouret est évidemment le récit de la Genèse; l'épîsode du Paradou constituant une parenthèse aussi bien à l'intérieur de la natTation, que dans l'espace et dans le temps, garde la dimension mythique de l'original, ce qui n'est pas le cas des autres espaces analysés ici. Il rejoint le monde du in ilia tempore, in illo loco, ailleurs exemplaire et modèle idéal de nos regrets et de nos songes. La deScliption se fait proliférante, noie les contours, pourtant fennes, de l'ensemble, agit subtilelnent mais iITésistiblement sur les amants qui y sont romanesquement enfennés. La complexité du dessin, la polysémie du parcours, expliquent le développement que ce paysage inaugural occupe dans le présent travail, et qui apparaît ainsi COlnmeune préfiguration, une mise en abyme du livre tout entier. Zola n'est en effet jamais, dans toute son oeuvre, allé plus loin, à la fois dans ses débauches descriptives, dans la reprise systématique d'un mythe fondateur de notre civilisation, et dans l'analyse du cheminement de l'inconscient. Le sous-titre enfin retrouve une tradition littéraire ancienne, celle de l'allégorie, que Zola semble s'employer subtiletnent à illustrer avec le langage de son temps.
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II. Le clos et l'ouvert, ou la légende de Pyrame et Thisbé L'espace matriciel qui débouche sur une campagne symbolique, les portes qui s'ouvrent entre jardins mitoyens aux murs infranchissables, la découverte de teITitoires nouveaux dans la légende, la politique ou les sentiments, justifient la référence au vieux conte pour rapprocher deux oeuvres bien distantes dans le temps, mais dont les situations se ressemblent étrangement: La Fortune des Rougon, et Le Rêve. Ces jeunes héros d'Ovide, de Shakespeare et de Théophile de Viau, qui se parlent d'amour par mur interposé, avant de se retrouver unis dans une mort absurde et tragique, nous les avons trouvés dans Madeleine Férat, et leur présence dans ce roman de jeunesse nous autorise à les donner pour patrons aux héros malheureux de ces histoires, s'il est vrai que dans une certaine mesure l'œuvre entière d'un écrivain ne constitue qu'un seul texte27. Cela dit, il est juste d'ajouter que le mythe qui fonde le premier de ces romans, l'histoire de raire Saint-Mittre, est une création authentiquement zolienne, tandis que le second se réfère explicitement au merveilleux chrétien, en l'occUITenceà la légende de Sainte Agnès. III. Le jardin étranglé, ou le sacrifice fondateur Le cycle des végétations qui traverse le petit jardin des Deberle dans Une page d'amour, étroitement lié au déroulement d'une passion éphémère et à la mort d'ooe petite fille, ne se retrouve ni dans La Dame blanche de Boieldieu, ni dans l'lvanhoé de Walter Scott, ni dans Un caprice de Musset, œuvres dont la mention dans le roman renvoie plus à des stéréotypes culturels d'époque qu'à une exemplarité mythique; encore moins dans La Princesse de Clèves, à qui Zola doit peut-être quelque chose dans l'analyse des passions. Faut-il lire cette absence de modèle mythique cotnlne la dégradation de la dimension cosmique de l'amour dans le milieu de la bourgeoisie Second Empire? En tout cas, le thème romanesque paraît ici une belle invention de l'auteur, confonne aux structures de son univers mental plus qu'à des situations archétypales. Mais si l'on relie les éléments évoqués plus haut, on pense au mythe de Perséphone, dont la vie alternativement sonten-aine et terrestre 27 Madeleine Férat, Oeuvres complètes I, p. 820. 26
reproduit le cycle végétaI, et la mort apparente pennet le retour à l'ordre affectif: social et cosmique. IV. Dans la Serre, ou Phèdre sous le Second Empire Contrairement aux romans évoqués précédemment, la signification mythique de La Curée est soulignée de façon voyante. L'exotisme des sentiments rejoint rextravagance végétale et sociale, et la représentation de la Phèdre de Racine en italien par la célèbre Ristori précise les intentions de l'auteur, tout en préfigurant le destin de l'héroïne. L'unité ainsi donnée à l'ensemble est particulièrement heureuse sur le plan esthétique, et les poisons distillés par les plantes d'autres cieux ajoutent leurs channes insinuants aux subtilités d'une passion décadente. v. La mère, la mère toujours recommencée, ou le complexe de Xerxès La problématique de La Joie de vivre est tout à fait différente, parce que respace maritime envahit tout le roman, au lieu d'être étroitement circonscrit. Limite pourtant plus qu'ouverture, il renvoie, à travers ses métamorphoses, à l'écheveau compliqué des passions, aux avatars des névroses de Lazare. Xerxès faisant fouetter la mer, selon David Baguley28, POUtTait représenter archétypalement ses ressentiments. Mais là aussi on a l'impression d'un Zola créant sa propre mythologie à partir de ses fantasmes plutôt que s'inspirant d'illustres répondants. VI. Le domaine amoindri, ou David et Abisaïg Comme pour La Curée, il y a dans Le Docteur Pascal une parfaite homogénéité entre l'espace romanesque, l'action qui s'y déroule, et le mythe fondateur du rom~ emprunté à la bible. L'histoire du vieux roi et de la jeune Sunamite souligne clairement le propos de l'histoire, qui rejoint, ultime répondant~ la biographie de Zola. Par ailleurs, la Souléiade, propriété du docteur, doit se parcourir et se lire, comme le Paradou des débuts, en tant qu'espace allégorique. L'œuvre entière des Rougon-Macquart se résume, comme l'on sait, dans cet ultime roman, jusqu'aux parcs et jardins entrevus ou explorés, jusqu'à la vie de son auteur. 28In« De la mer ténébreuse à l'eau maternelle: le décor symbolique dans La Joie de vivre », T.L.L., 1974, XII, 2, pp. 79-91. 27
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Le Paradou, dossier manuscrit du roman (B.N.F.) On remarquerala forme ronde de l'ensemble (cf. page 34) et l'axe vertical que fonne la rivière entre la source au nord et ses quatre bras au sud, et un axe horizontal qui va du château à la forêt, de la culture à la nature. Les ratures concernent les positions de l'arbre et de la source, déplacés du centre vers le haut, ce qui associe eau et végétation, et crée un contraste chaleur / fraîcheur avec les rochers.
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CHAPI1RE I LE PARADIS RE1ROUVE OU LA CARTE DE JENDRE NA1URALISJE La Faute de ['abbé Mouret:
le Paradou
Espace Inythique par excellence, le Paradou s'avoue comme tel dès son nom; transposition de pares entrevus dans l'enfance de rauteur9, rééeriture de la Bible laïcisée, où la nature prend la place 29Rougon-Macquart L Pléiade,p. 1215.Cet archétypede l'imaginairede Zola aurait pour origine, selon Madame Zola et Paul Alexis (cités par Gabriel Faure dans ses Pèlerinages passionnés, 2e série, Fasquelle, 1921, p. 200), le domaine de Gallice:l sis au sortir d'Aix, sur la route de Roquefavour. Al' époque du Docteur Pascal, en 1893, (cf infra, chapitre VI), le domaine est «déboisé, défriché, nivelé, pour le diviser en lots et le vendre aux enchères» (Rougon-Macquart V, pp. 958-60). Au contraire, en 1921, Gabriel Faure, lors d'un de ses Pèlerinages passionnés, peut encore visiter le domaine: «Je remarque de vieux bassins aux eaux vives, des pelouses, des allées de marronniers. Mais je cherche en vain «le palais superbe, avec des jardins immenses, des statues, tout un petit Versailles perdu dans les pierres, sous le grand soleil de midi. » Notant que le domaine n'a pu apparaître comme un petit Versailles qu'à l'imagination de l'écolier d'Aix, l'auteur ajoute: « C'est une belle et simple maison d'habitation, d'un goût sobre, qui s~armonise heureusement avec l'ensemble de la terrasse et du parterre.» Derrière la maison, « dans un bois de chênes assez fourré, où la végétation est plus exubérante, les troncs d'arbres sont tapissés d'un lierre épais, qui court également sur le sol. Aucun chemin n'est tracé. On marche sur un tapis de feuilles quelques centaines de mètres, un kilomètre peut-être, on avance au milieu d'une mer de verdure qui a des aspects de forêt. » Pour notre part, nous avons refait, il y a quelques années, ledit pèlerinage et pris quelques photos. Le domaine est immense, de forme carrée, longé de murs, avec une grille au milieu de chacun d'eux. La moitié environ est à l'état sauvage, et, en fait de grotte, on y trouve seulement... une grotte de Lourdes très bien imitée f Le seul chemin existant dans le parc est celui qui mène à cette grotte. La maison actuelle, louée à une société, remplace celle d'origine, disparue dans un incendie, et date de la fm du siècle dernier. Ce détail correspond, on le voit, au texte de Zola. Deux terrasses descendent jusqu'à ce qui devait être un parterre, et qui n'est plus aujourd'hui qu'un pré. Sous la dernière terrasse, il existe une sorte de rocaille, qui s'ouvre au milieu de la deuxième; une arcade de style classique,
du démon tentateur auprès de la nouvelle Eve, fouillis inextricable d'arbres et de fleurs, c'est un texte d'un abord séduisant mais malaisé, où une lecture attentive pennet d'apercevoir un monde clos, rigoureusement organisé, que le couple archétypal du roman parcourt, et le lecteur avec lui, selon un ordre initiatique, celui du désir et de ses méandres, à travers les mille et une résistances qu'il doit traverser pour s'accomplir. Comme les autres paysages ici étudiés, le Paradou est donc une vaste métaphore, un double sensible de la relation amoureuse30, dont l'unique fonction et d'aider les amants à «délabytinther» leurs sentiments, et qui s'inscrit ainsi dans la vénérable tradition du roman allégorique et précieux, de Guillaume de Loris et de Mademoiselle de Scudéry. Mais alors que la carte du pays de Tendre éclairait de sa poétique géographie les dix tomes de la Clélie, nous en sommes réduits, pour nous orienter dans le paradis zolien, à un examen minutieux du texte, à une lente reconstitution des intentions de l'auteur. D'où l'importance des pages consacrées à ce paysage par rapport au reste du corpus.
fermée par une grille, donne sur une cavité en demi-cercle, où trône une fontaine constituée par une conque sur un piédestal, surmontée de deux allégories, un dieu barbu et une nymphe s'appuyant sur une urne inclinée. Cette dernière pourrait être le modèle de la femme de marbre. La deuxième terrasse s'achève en un bassin rectangulaire sur toute sa longueur, orné aux coins et au milieu de torses féminins versant de l'eau d'une ume ; autour, des buis taillés, puis l'ex-parterre avec quatre statues, bordé d'allées de marronniers. TIy a encore un pigeonnier, que Zola ne mentionne pas. Comme en 1921, l'impression finale est un peu décevante. 30 Plusieurs passages de l'Ebauche du roman montrent clairement les intentions de l'auteur dans ce sens. Mais Zola parle d'influence du jardin sur le couple, ou évoque deux chemins parallèles, le parcours du parc, le cheminement des sentiments. D'où deux séries de documents préalables: intentions littéraires d'un côté, catalogues d'horticulture de l'autre. Dans le «plan détaillé », (Manuscrits 10294, fO62), il déclare: «Je fais connaître le jardin par des promenades, d'abord courtes, puis lointaines, à tous les points, à toutes les heures. TIfaudrait que le développement des forces de l'homme, de Serge, correspondissent à ces promenades. » L'aspect symbolique n'est donc pas précisé sur le papier, hormis pour l'Arbre, et s'est donc joué dans l'inconscient.
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Situation Sis « en plein désert» (p.1248), non loin du village provençal des Artaud, sur un plateau auquel on parvient par « une côte assez roide)} et des gorges désolées, il est entouré d'une muraille interminable, débordant de verdures, qu'arrosent la source du Mascle et d'autres sources innomées. C'est une propriété abandonnée, au passé romanesque: «Du temps de Louis XV, un seigneur y avait bâti un palais superbe, avec des jardins immenses, des bassins, des eaux ruisselantes, des statues, tout un petit Versailles perdu dans les pierres, sous le grand soleil du Midi. Mais il n'y était venu passer qu'une saison, en compagnie d'une femme adorablement belle, qui mourut là sans doute, car personne ne l'avait vue en sortir. L'année suivante, le château brûla, les portes du parc furent clouées, les meurtrières des murs elles mêmes s'emplirent de terre, si bien que, depuis cette époque lointaine, pas un regard n'était entré dans ce vaste enclos, qui tenait tout un des hauts plateaux des Garrigues. }) (ibid.)
Trois traits dominent dans cette description: opposition passé mythique / présent sauvage, caractère inaccessible, destruction et mort. Au contraire, le village des Artaud et la campagne environnante vont apparaître comme le monde de la quotidienneté et de la vie. Soleil et misère font certes du village un désert spirituel, où le jeune abbé Mouret se heurte au paganisme foncier des habitants, à leur hostilité, à leur incompréhension. Mais c'est aussi un lieu de passions intenses, aussi bien du côté des villageois, obsédés par la chair ou le désir de posséder, que de l'abbé, dévoré par sa dévotion pour la Vier~e, ou plus tard par le désir qui sourd d'une nature surchauffée 3 . 31 Dans la première et la troisième parties du roman, ce qui domine le paysage est l'ambivalence fondamentale du thème du feu, qui brûle et féconde la tetTe en même temps, à la fois feu du soleil et du désir, de Dieu et de ses créatures. La première apparition des Artaud et de ses environs sera mise sous la signe de la sécheresse et prendra un caractère tragique; fermeture, sol déchiré, couleur de sang, incendie, soif ponctuent la description et sont autant de symboles de la condition solitaire de l'abbé, déchiré par l'indifférence spirituelle de ses paroissiens et l'omniprésence du péché. Le désir du jeune homme nfest pas
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Le Paradou apparaît donc comme une oasis de fraîcheur, de fertilité, de bonheur. Or l'épisode qui s'y déroule est, à l'image de ce lieu refenné sur lui-même, comme une parenthèse à l'intérieur de l'action, une intrusion du mythe dans un récit réaliste. Les tensions qui précèdent et qui suivent, le combat insoluble entre la chair et l'esprit, s'y apaisent miraculeusement, la tentation est assumée comme telle, la complicité entre l'homme et la nature, vieux rêve de l'humanité, s'y réalise un moment. Structure du parc et du récit Remarquons d'abord l'aspect archétypal de ce lieu clos qu'est le Paradou, puisqu'il résume en soi tous les jardins possibles, ou plus exactement, tous les types de paysages possibles que l'on peut rencontrer en MéditeITanée. Aidé par les croquis de Zola dans ses dossiers préparatoires32, on peut noter qu'il est à peu près rond, fonne parfaite en soi, qui évoque aussi bien les images du paradis terrestre dans les miniatures du moyen âge, que la boule de vette qui enfenne tel personnage d'une toile de Jérôme Bosch33, ou encore le ventre maternel. De hauts murs l'enselTent34, qui interdisent au regard d'y pénétrer, d'autant que le Paradou est situé sur un plateau. Seules assumé, mais projeté sur le paysage. Dans la troisième partie, lors d'une scène hallucinatoire, le désir se fait jour, le héros saisit « jusqu'aux moindres soupirs des feuilles pâmées sous le soleil. » (p. 1487) Les collines tressaillent, les rochers se lèvent, les terres rouges coulent comme du sang, les végétaux rampent: « Du bout de l'horizon, la campagne entière se rua sur l'église.)} Puis c'est une vision de fornication universelle qui envahit l'espace, et, pour finir, un sorbier qui entre violemment dans l'église « d'un jet de verdure formidable» et monte jusqu'au ciel. Ces pages grouillantes font écho à certains tableaux symbolistes de la fm du siècle, où nature, bêtes et hommes sont animés d'un mouvement irrésistible. 32 Voir le fOdu dossier préparatoire, reproduit dans le tome 3 des Oeuvres complètes de Zola, Tchou éditeur, p. 100. 33 Musée de Capodimonte à Naples. L'une des miniatures des Très riches heures du duc de Berry (Musée de Chantilly) montre également une image du paradis parfaitement ronde. Le mythe est associé, en effet, aux archétypes de Iile et du jardin, du centre et du cercle. 34 Cf. in première partie du roman: « Le cabriolet arriva sur un plateau, dans un chemin creux, longeant une haute muraille interminable... » (p. 1248) ; «Une
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ouvertures: la porte au fond du pavillon de Jeanbemat, le gardien, et, invisible ou presque, la brèche dans le mur de clôture, au plus épais du parc. Les portes du château en ruines ne sont pas localisées. Le parc, que l'on s'accorde en général à trouver désordonné, luxuriant, impressionniste, est rigoureusement élaboré. Zola en donne une première structure au chapitre 4, divisée en six éléments, purement descriptive, topographique, du moins apparetnlnent, car elle ouvre les perspectives futures du récit, dans une sorte de programme exploratoire. Au chapitre 13, une fois tenninée cette exploration, Zola, avant de mener ses deux héros au pied de l'arbre mystérieux, où la «faute» est consommée, récapitule ces paysages. V oici ces deux textes en parallèle: «A peine pouvait-on, à la longue, reconnaître sous cet envahissement formidable de la sève l'ancien dessin du Paradou. En face, dans une sorte de cirque immense, devait se trouver le parterre, avec ses bassins effondrés, ses rampes rompues, ses escaliers déjetés, ses statues renversées dont on apercevait les blancheurs au fond des gazons noirs. Plus loin, derrière la ligne bleue d'une nappe d'eau, s'étalait un fouillis d'arbres fruitiers; plus loin encore, une haute
« Cependant, à cette heure, le parc entier était à eux. Ils en avaient pris possession, souverainement. Pas un coin de terre qui ne leur appartînt. C'était pour eux que le bois de roses fleurissait, que le parterre avait des odeurs douces, alanguies, dont les bouffées les endormaient, la nuit, par leurs fenêtres ouvertes. Le verger les nourrissait, emplissait de fruits les jupes d'Albine, les rafraîchissait de l'ombre musquée de ses branches, sous
propriété superbe, ce Paradou. La muraille du parc, de ce côté, a bien deux kilomètres. Mais, depuis plus de cent ans, tout y pousse à l'aventure », déclare Pascal (p. 1254) ; Albine précise un peu plus loin: « les murs sont trop hauts, personne ne peut entrer. Il n'y a que moi. » Cf M. C. Goo!, « Le paradis ou la configuration mythique et archétypale du refuge », Circé n° 3, Le Refuge II, 1972 : « Cette clôture a un sens de défense, de séparation, et si le paradis est refuge, il est « refuge contre». Il n'y a pas de refuge sans menace et défense contre cette menace... » L'espace ainsi clos est à la fois un monde imaginaire, un refuge contre les agressions du monde extérieur, et une métamorphose du cercle.
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futaie, enfonçait ses dessous violâtres, rayés de lumière, une forêt redevenue vierge, dont les cimes se mamelonnaient sans fin, tachées du vert jaune, du vert pâle, du vert puissant de toutes les essences. A droite, la forêt escaladait des hauteurs, plantait des petits bois de pins, se mourait en broussailles maigres, tandis que des roches nues entassaient une rampe énorme, un écroulement de montagne barrant l'horizon, des végétations ardentes y fendaient le sol, plantes monstrueuses immobiles dans la chaleur comme des reptiles assoupis, un filet d'argent, un éclaboussement qui ressemblait de loin à une poussière de perles, y indiquait une chute d'eau, la source de ces eaux calmes qui longeaient si indolemment le parterre. A gauche enfin, la rivière coulait au milieu d'une vaste prairie, où elle se séparait en quatre ruisseaux, dont on suivait les caprices sous les roseaux, entre les saules, derrière les grands arbres; à perte de vue, des pièces d'herbage élargissaient la fraîcheur des terrains bas, un paysage lavé d'une buée bleuâtre, une éclaircie de jour se fondant peu à peu dans le bleu verdi du couchant. Le Paradou, le parterre, la forêt, les roches, les eaux, les près, tenaient toute la largeur du ciel. » (p. 1328)
lesquelles il faisait si bon déjeuner, après le lever du soleil. Dans les prairies, ils avaient les herbes et les eaux: les herbes qui élargissaient leur royaume, en déroulant sans cesse devant eux des tapis de soie ~ les eaux, qui étaient la meilleure de leurs joies, leur grande pureté, leur grande innocence, le ruissellement de fraîcheur où ils aimaient à tremper leur jeunesse. Ils possédaient la forêt, depuis les chênes énormes que dix hommes n'auraient pu embrasser, jusqu'aux bouleaux minces qu'un enfant aurait cassés d'un effort; la forêt avec tous ses arbres, toute son ombre, ses avenues, ses clairières, ses trous de verdure, inconnus aux oiseaux eux-mêmes; la forêt dont ils disposaient à leur guise, comme d'une tente géante, pour y abriter, à l'heure de midi, leur tendresse née du matin. Ils régnaient partout, même sur les rochers, sur les sources, sur ce sol terrible, aux plantes monstrueuses, qui avait tressailli sous le poids de leur corps, et qu'ils aimaient plus que d'autres couches molles du jardin, pour l'étrange frisson qu'ils y avaient goûté. Ainsi, maintenant, en face, à gauche, à droite, ils étaient les maîtres, ils avaient conquis leur domaine, ils marchaient au milieu d'une nature amie. »(p. 1391)
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La comparaison des deux textes est intéressante à plus d'un titre : on y retrouve les mêmes élémel1ts, mais d'une part le partetTe s'est dédoublé, le thème du bois de roses ayant pris un développement tel que Zola lui consacre un chapitre entier; d'autre part la prairie, dernière mentionnée dans le premier texte, occupe le milieu dans le deuxième, conformément à l'ordre d'exploration de Serge et Albine. Par ailleurs chaque élément du parc est décrit selon une proportion inverse dans les deux textes; le parterre est plus développé dans le premier, le verger dans le deuxième, ainsi que les prairies~ etc. Surtout, la coloration du deuxième texte est tout à fait différente. A la description objective en style « artiste» a fait place une sorte de poème ou domine ridée de possession du jardin, et les métaphores qui donnent à ses éléments une finalité humaine. Mais à l'ordre spatial, légèrement variable dans l'énumération de ses détails, se superpose, plus au moins exactement, soit en accompagnement, soit en contrepoint, l'ordre même de la natTation en ses chapitres. La deuxième partie de La Faute de l'abbé Mouret est divisée en dix-sept chapitres. (La première en contient dix-sept également, la troisième seize; le roman est construit comme une symphonie en trois mouvements, à plan centré). Zola y répartit de façon diverse et concertée les éléments de son récit, ce qui peut être schématisé ainsi:
5
6 7 9 10 Il 12 - - 8
4
14 13
123
15 16 17
Ce schéma fait apparaître les symétries suivantes: Aux trois premiers chapitres passés dans le pavillon où Serge fait ses «premiers pas» après son retour à la vie, cOITespondentles trois derniers consacrés à la «faute» et ses conséquences, le sentiment de honte et l'expulsion du Paradou. Ces deux parties sensiblement d'égale longueur (11 et 16 pages) poUtTaÏent être intitulées: Avant le Paradou et Après le Paradou, ou prologue et 35
épilogue. Les chapitres 4 et 13, avec leurs deux visions d'ensemble du parc ouvrent et fennent l'exploration et occupent un rang similaire dans l'ordonnance du tout: quatrième place après le début, cinquième avant la fm. Les trois chapitres 5, 8 et 14, se déroulent au pavillon, mais chacun avec une couleur différente: en 5, Serge « éclôt », joue, parle, etc. jusqu'à ce qu'Albine lui ouvre la porte du parc; en 8, les amants passent une journée de repos entre deux courses dans le parc, et se racontent l'histoire du château et de ses anciens occupants, modèle mythique de leur propre amour; le chapitre est donc le centre de l'ensemble, à tous points de vue ; enfin en 14, les jeunes gens se réfugient de nouveau au pavillon, dans l'angoisse de leur premier baiser, projetée sur le décor de la chambre. Enfm, le reste des chapitres évoque chacun les courses du couple à travers les six parties du parc, suivant l'ordre suivant: le bois de roses, le parterre, le verger, la prairie, la forêt, les rochers. Comparons maintenant l'ordre des éléments du parc dans les trois listes qui nous en sont données: chapitre 4 I Ie parterre
ensemble des chapitres
chapitre 13
VI le bois de roses
la
vn
le parterre
Ib
2 le verger
IX
le verger
2
3 la forêt
XI
la forêt
4
4 les rochers, les sources
XII les rochers
5
5 la prairie, les ruisseaux
X
3
la prairie
Ces différences s'expliquent par la situation respective de ces espaces, et les choix de parcours qu'on peut y effectuer.
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Déchiffrement
Comme dans d'autres romans de Zola, l'épisode du Paradou est mis sous le signe du déchifftement35, l'auteur multipliant les signes effacés qui ne demandent qu'à être lus; dès le début, la description de la chambre de Serge évoque des Amours peints qui «jouaient à des jeux qu'on ne distinguait plus. » (p. 1316) Semblablement, au chapitre 6 (jour de repos entre deux explorations), Serge s'inite « de ne pouvoir comprendre à quels jeux [les Amours] jouaient, tant les peintures étaient pâlies. })(p. 1354) Le Paradou, de mêlne, est expressément présenté comme indiscernable: « A peine pouvait..on, à la longue, reconnaître sous cet envahissement formidable de la sève l'ancien dessin36 du Paradou. » (p. 1328)
Ainsi, Serge, revenu à la vie des sens, apprend-il le monde comme un gigantesque palimpseste, dont Albine, dévorée du désir de savoir, s'emploierait à raviver les caractères. Et le manuscrit
35
Voir conclusion p. 226. Le lien inconscient entre la masculinité et la
pensée, tel que le conçoit Didier Anzieu dans Le Corps de l'œuvre (op. cit.)~peut expliquer cette obsession chez Zola, que nous découvrirons également dans les chapitres suivants: « Ce qu'il y a de masculin dans la pensée dérive de rapports essentiellement musculaires aux objets extérieurs et à l'objet sexuel: retourner l'objet de curiosité dans tous les sens non seulement jusqu'à ce que l'esprit ait trouvé le bon mais jusqu'à ce qu'il lui ait découvert des façons de s'en servir imprévues; fouiller une question à fond; mettre au point des procédures et des outils qui accroissent la force, l'habileté, la précision de l'investigation (la préoccupation pour les questions de méthode est essentiellement masculine) ; provoquer, utiliser des grossissements; forcer les obstacles; explorer un espace par allées et venues (c'est nous qui soulignons) ; encastrer; ajuster les engrenages; chercher la configuration et le mouvement de la clé qui s'enfoncera dans la serrure et en livrera le fonctionnement; déclencher par l'insistance des manipulations mentales le jaillissement d'W1eévidence... L'opération centrale dont je fais plus loin l'essence du processus créateur la saisie du code.. m'apparaît comme un résultat de la fonction du paternel dans la pensée... La question des origines est celle de la conception, et un même fil directeur court à travers la polysémie de ce vocable. » (p. 87)
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36 Voir page 28 le dessin original de Zola dans le dossier préparatoire.
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ainsi révélé raconte l'histoire d'un très ancien couple, retrouvé à travers le labyrinthe du désir et de l'angoisse37. Vie fétale, venue au monde Le début de l'épisode, aux chapitres 1 et 2, a pour scène le pavillon du château rescapé de l'incendie. En dehors du jeune couple, trois personnages semblent jouer le rôle du père, mais d'un père toujow.s absent: il s'agit tout d'abord des deux oncles, celui d'Albine, Jeanbemat~ qui habite sur place mais n'apparaît jamais, passant son temps à fumer sa pipe devant ses salades, dans le petit 37 Ce thème du labyrinthe, si fréquent dans l'univers zolien, peut recevoir, suivant les auteurs, divers éclairages. Pour Mircéa Eliade, historien des religions, le labyrinthe est homologue au corps de la Terre-Mère (entre autres symbolismes: « Pénétrer dans un labyrinthe ou dans une caverne équivalait à un retour mystique à la Mère but que poursuivaient aussi bien les rites d'initiation que les rites funéraires. » (Mythes, rêves et mystères, Gallimard, 1957, p. 211) Le psychanalyste Didier Anzieu voit en lui une représentation de la pensée obsessionnelle: «L'obsessionnel vise à entraîner son interlocuteur dans son labyrinthe intérieur et à l'y perdre. Un labyrinthe fait d'impasses, de fausses pistes, d'intersections, de retours en arrière et dans lequel il n'y a pas de sortie. Un labyrinthe pour y rester. Le labyrinthe de ses constructions, de ses déplacements, de ses dédoublements, de ses isolations, de son idéalisation, l'obsessionnel veut nous le faire partager, à titre d'accompagnateur, de double. Si nous refusons son jeu, il se retire de la partie. Si nous entrons dans son jeu, il risque de nous égarer indéfmiment, de nous tenir hors d'atteinte de son fantasme fondamental.» (Le Corps de l'œuvre, p. 275, à propos de l'univers romanesque de Robbe-Grillet). G. Dezalay, en spécialiste de Zola, note quant à lui: « La philosophie des Rougon-Macquart tend donc à les constituer en romans de l'errance dans le labyrinthe où sinuent interminablement des routes qui ne semblent conduire nulle part... Peut-être faut-il, à des personnages si fortement dépendants de leur milieu, et si visiblement inscrits au milieu des choses, tU1moyen terme, et comme un espace intermédiaire entre le monde de l'expansion brutale et directe de leurs ambitions et l'enceinte resserrée où les enferment le cloître ou la maison close de leur famille originelle. Peut-être aussi l'espèce de « théologie» particulière à un romancier athée exige-t-eIle que l'image ancienne de la tentation, et de la fascination, restée vierge dans l'esprit de l'homme moderne encore plein df«appétits», soit transférée du serpent mythique à ces chemins qui serpentent et qui entraînent de plus en plus loin du but qu'on s'était fixé.» (L'Opéra des Rougon-Macquart, Klincksieck, 1983, p. 198.) Retour à la Terre-mère, pensée obsessionnelle ou nouvel avatar du serpent biblique, on admirera la plasticité de ce vieux symbole, fondamental ici.
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jardin qu'il cultive de l'autre côté de la maison; et celui de Serge, Pascal Rougon, le Docteur Pascal, qui a amené secrètement son neveu au Paradou après une tenible maladie, et disparaît ensuite. Tous deux incarnent le père favorable. S'oppose à ces deux figures le frère Archangias, être borné et fanatique, qui expulsera Serge du Paradou, en jouant le rôle de l'ange extenninateur. Ces trois personnages se partagent en quelque sorte les attributions du Dieu de la Genèse, les deux premiers avant la faute, le dernier après. Panni les trois ou quatre pièces vides au premier étage du pavillon (p. 1318), Albine a abandonné celle qu'elle habitait à Serge, elle-même émigrant au second. Avec cette permutation, elle lui pennet par métaphore de revenir dans un nouveau sein maternel; en même temps elle lui donne les moyens de parvenir à la guérison. C'est là en effet que le jeune homme entre en convalescence après une mystérieuse maladie non décrite, censée s'être passée entre la première et la deuxième partie du roman, analogue à une gestation, ou à une descente aux Limbes comme le Christ avant la Résurrection. Tout au long des trois chapitres initiaux, nous assistons aux progrès de Serge dans son retour à la santé. Symboliquement, Serge, dans une régression bienfaisante revit, comme Lazare dans La Joie de vivre, les affres de la naissance: « Je ne vois que du noir... C'est singulier, j'arrive dfun long voyage... Toujours le même cauchemar me faisait ramper, le long d'un souterrain interminable. A certaines grosses douleurs, le souterrain, brusquement, se murait; un amas de cailloux tombait de la voûte, les parois se resserraient. Je restais haletant, pris de la rage de vouloir passer outre... » (p. 1319)
Ce signifié tramnatisant, fréquent chez l'auteur38, est précisé par ce mot de Serge à la fin de son récit: « Tiens! c'est bête, je
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Cf. A. Dezalay, « Le thème du souterrain chez Zola », Europe, avril-mai 1968, p. 110-121; les notations des Goncourt (Journal, 20 février 1883) sur l'obsession de la mort chez Zola, et celles du docteur Toulouse (Emile Zola, Paris, 1896, p. 260), citées dans les Œuvres complètes, tome 9, p. 858 et 903.
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suis un enfant », et par cette réflexion: « il croyait être né la veille ». Logiquement, Albine est alors sa mère: « Je suis ton enfant, veux-tu? Tu m'apprendras à marcher. » (p. 1320) Apparition du Paradou Albine est une mère pour Serge, le Paradou est une mer de verdure. Cette homophonie, qui inaugure le grand regard sur le parc du chapitre 4, est une des clefs du jardin enchanté; elle suggère que le corps d'Albine et le Paradou ne font qu'un. L'expulsion fmale prendra donc le sens du tabou de l'inceste. La nature, offerte, se pare alors de connotations féminines: «mer déserte, vierge, sacrée, étalant sa douceur sauvage dans l'innocence de la solitude ». Le soleil, ici, assume un rôle mascul~ symétrique: « le soleil seul entrait là, se vautrait en nappes d'or sur les près, enfilait les allées de la course échappés de ses rayons... » (p. 1327)
Ces noces cosmiques, renouvelant les mythes des anciennes cosmogonies, noient le Paradou sous une fécondité végétale prodigieuse39 : Freud note dans L'interprétation des rêves (P.U.F., 1967) : {(Un grand nombre de rêves, souvent remplis d'angoisse, tels que ceux où l'on passe par des couloirs étroits, où l'on séjourne dans l'eau, reposent sur des fantasmes concernant la vie intra-utérine, le séjour dans le corps de la mère et l'acte même de naître. » (p. 343) Dans une note Freud ajoute: «J'ai appris assez tard à comprendre l'importance des rêveries et des pensées inconscientes au sujet de la vie mtra-utérine. L'angoisse singulière de tant d'hommes qui craignent d'être enterrés vivants - et aussi le profond fondement inconscient de la croyance à une vie après la mort, qui ne fait que projeter dans l'avenir cette étrange vie prénatale - viennent de là. La naissance est d'ailleurs le premier fait d'angoisse et par conséquent la source et le modèle de toute angoisse. » (p. 344) On sait qu'Otto Rank, son disciple, centrera tout un livre sur Le Traumatisme de la naissance (Payot, 1976). 39 Cf ces lignes de Mircea Eliade (Mythes, rêves et mystères, Gallimard, « Essais », p. 212) : « La hiérogamie cosmique, le mariage entre le Ciel et la Terre, est un mythe cosmogonique extrêmement répandu. On le rencontre surtout en Océanie - de L'Indonésie à La Micronésie -, mais aussi en Asie, en Afrique, dans les deux Amériques. Ce mythe ressemble plus ou moins à celui dont Hésiode nous parle dans sa Théogonie (126 sq) : Ouranos, le Ciel, s'unit à la Terre, Gaia, et le couple divin engendre les dieux, les Cyclopes et les autres êtres monstrueux... 40
« Sous ce poudroiement de flammes, le grand jardin vivait avec une extravagance de bête heureuse, lâchée au bout du monde, loin de tout, libre de tout. C'était une débauche telle de feuillages, une marée d'herbes si débordante, qu'il était comme dérobé d'un bout à l'autre, inondé, noyé. »(p. 1328)
Remarquons le vocabulaire puritain employé pour célébrer cette manifestation de la puissance génésique de la nature, et qui reviendra souvent par la suite. Puis survient la lecture du parc, ou ce qu'il en reste après un abandon séculaire. La description est organisée autour de points de repères spatiaux: « En face, dans une sorte de cirque immense... plus loin, deITière la ligne bleue d'une nappe d'eau... à droite, la forêt escaladait des hauteurs, tandis que des roches entassaient une rampe énonne... à gauche enf1ll, la rivière coulait au milieu d'une vaste prairie... à perte de vue des pièces d'herbage... » (ibid.) Les points de repère topographiques dessinent deux axes 40 : une ligne droite perpendiculaire au pavillon, à connotation verticale, sur laquelle s'alignent successivement les fleurs du parterre, les arbres ftuitiers, la forêt, avec une progression des végétaux les plus fragiles et les plus souples, jusqu'aux arbres les plus élevés et les plus rigides, en passant par les arbres fruitiers à la fois arbres et fleurs, et des flew.s hautes comme le tournesol. Vers la droite, le terrain se relève, avec tout d'abord, une végétation qui va en se raréfiant: petits bois de pins, broussailles maigres, enfm roches nues, écroulements de montagne; puis, tout à coup, « des végétations ardentes y fendent le sol », un « filet « Le saint Ciel est ivre de pénétrer le corps de la Terre)}, disait Eschyle dans une de ses tragédies perdues, Les Danaïdes... Tout ce qui existe - le Cosmos, les Dieux et la Vie.. prend naissance de ce mariage. » 40 Dans L'Espace imaginaire, (