Les chartes constitutionnelles des villes d'Allemagne du Sud (XIVe-XVe siècle) 9782503589381, 2503589383

Les sociétés des villes d'Allemagne du Sud n'ont pas peur de l'innovation à la fin du Moyen Age : sur un

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Table of contents :
Préface
Introduction
I. Des textes
II. Circonstances
III. Des systèmes
Conclusion : circulations interurbaines
Annexes
Bibliographie
Index géographique
Table des matières
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Les chartes constitutionnelles des villes d'Allemagne du Sud (XIVe-XVe siècle)
 9782503589381, 2503589383

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Les chartes constitutionnelles des villes d’Allemagne du Sud (xive-xve siècle)

ARTEM Atelier de Recherche sur les Textes Médiévaux

Volume 29 La collection est publiée à Nancy par le Centre de Recherche Universitaire Lorrain d’Histoire (Université de Lorraine, EA 3945) L’accompagnement éditorial a été assuré par Isabelle Guyot-Bachy, avec la collaboration de Jean-Christophe Blanchard.

Les chartes constitutionnelles des villes d’Allemagne du Sud (xive-xve siècle)

Dominique Adrian

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© 2021, Brepols Publishers n.v., Turnhout, Belgium. All rights reserved. No part of this publication may be reproduced, stored in a retrieval system, or transmitted, in any form or by any means, electronic, mechanical, photocopying, recording, or otherwise without the prior permission of the publisher. D/2021/0095/185 ISBN 978-2-503-58938-1 E-ISBN 978-2-503-58939-8 DOI 10.1484/M.ARTEM-EB.5.120098 ISSN 1782-0286 E-ISSN 2565-9278 Printed in the EU on acid-free paper.

Préface

À quoi sert au fond une constitution ? Et, surtout, à qui revient dans une société donnée d’en décider ? Ces questions qui engagent, on le pressent d’emblée, plus qu’un débat d’historien parce qu’elles touchent à notre compréhension et à nos pratiques de la vie politique en communauté, Dominique Adrian les pose avec force dès l’entame de ce livre à la fois précis, érudit et ample. Ce faisant, il n’hésite pas à les relier à une histoire longue de la participation, du contrat, du consensus, bref de ce qu’une tradition occidentale pluriséculaire a fini par appeler la démocratie. Il convient donc de saluer et l’exercice et son ambition. Son propos n’était pas seulement d’ajouter, et de beaucoup, à notre connaissance d’une partie des villes européennes de la fin du Moyen Âge, mais aussi de hisser le débat à un niveau que les sociologues du début du xxe siècle, dans le sillage de Max Weber, avaient sciemment choisi de placer haut : quelle fut, dans l’histoire européenne dominée dans sa longue durée par l’autorité royale et princière, la performance de l’élément urbain en termes d’organisation des pouvoirs, de culture politique et de ce que l’auteur appelle à raison un procès de constitutionalité ? Pour y répondre, l’étude place le lecteur francophone sur un terrain qui lui sera peut-être moins familier que les cités-États italiennes ou bien les villes royales françaises auxquelles il est davantage accoutumé. Dominique Adrian pose en effet son observatoire dans un espace très typé : celui des villes d’une partie méridionale de l’Empire germanique grossièrement située entre la Bavière et le Wurtemberg actuels, pour l’essentiel la région historique de la Souabe. Pays de villes petites et moyennes, dont les plus importantes, Ulm ou Augsbourg, peinent à dépasser les 15 000 habitants au plus haut démographique, tandis que la grande majorité réunit parfois à peine un millier de citoyens. Pour autant, le semis citadin est dense, plaçant ce territoire au cœur d’un arc continental urbanisé, riche, actif, commerçant, artisanal ; et au milieu d’un Empire en proie à un processus rapide de territorialisation princière. L’une des principales forces de la démonstration est d’abord de montrer que la densité et la conservation de l’écrit, la précocité d’une administration plus complexe, la promulgation de statuts citoyens ou professionnels, ne sont pas alignés sur l’ancienneté, la dimension ou l’influence d’une ville. Certaines cités, dont le nom peine aujourd’hui à dépasser l’étroit contour d’une micro-région, telles Wangen, Isny ou Pfullendorf, possédaient une charte, une organisation constitutionnelle de leurs pouvoirs, une règlementation poussée des métiers, parfois bien avant une ville de plus grand format. C’est là l’avantage décisif d’une entrée dans le sujet par l’écrit, qui d’une certaine façon égalise les conditions et oriente le regard non vers la quantité mais vers la qualité et l’innovation nichées dans ce qu’une recherche récente sur la scripturalité a érigé en critères de nouveauté, en grammaire textuelle et en seuils au final plus proprement politiques que simplement diplomatiques : la

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langue bien entendu (ici presque exclusivement vernaculaire et non plus latine), mais aussi la couleur et la taille du papier de la charte, la disposition des paragraphes et des lettrines, la présence de marges, de commentaires, de notes infrapaginales, les sceaux, les ratures, les indices de cartularisation, la trace de copies et les marqueurs d’usages rituels ou publics, enfin les processus de tri et de conservation. Car c’est bien tout cela qui participe d’une domination de et par l’écrit, en l’occurrence d’une autorité de la constitution. En déployant son étude de la constitutionalité urbaine en trois temps – textes, contextes, systèmes –, Dominique Adrian plonge le lecteur au cœur d’une manufacture complexe du droit urbain. Il en étudie l’apparition, la présence, la réécriture, mais aussi l’absence, celle-ci n’étant pas forcément synonyme de « retard » mais le résultat probable d’un choix de liberté : car l’écrit inspecte, fixe, contraint et parfois bouscule et provoque. On l’aura compris, ce qui retient notre auteur est la fabrique constitutionnelle par le droit, en termes d’organisation des institutions, d’ordre public, de contrôle des individus, de répartition des compétences. L’enquête aurait pu en rester là, et déjà porter de beaux fruits. Dominique Adrian ne s’en contente pourtant pas. Car ce qui l’intrigue aussi c’est la saisie des dynamiques sociales et culturelles aptes à rendre compte de la diversité des situations, des rythmes, des modèles et des changements de l’ordre constitutionnel urbain. Ici une révolte, là le seigneur ou le roi ; ici la guerre, l’impôt ou la banqueroute, là les règlements de comptes entre élites ou entre métiers. Mais partout une même aspiration, feinte ou réelle, à la réforme qui se révèle bien dans ce monde, comme ailleurs, l’un des maîtres mots de la fin du Moyen Âge, et constitue l’un des moteurs propres à remuer l’inertie du pouvoir. Au terme de la démonstration, la constitution immergée dans le bain urbain qui l’invente, l’agence et la façonne, est définie comme un outil servant à tracer le périmètre d’une communauté organisée selon un système, des règles, une culture et des usages, un ensemble de sens que rassemble bien au final le terme allemand de Verfassung qui, ce n’est pas l’effet du hasard et Dominique Adrian en livre ici une argumentation exemplaire, se trouve longtemps en position d’équivalence sémantique avec la notion de Zunft, de métier, comme si au total l’organisation du travail en groupe et la production de richesses s’assimilaient à un véritable régime de vie sociale en ville. L’hypothèse, forte, qui en découle réside dans la compréhension de la charte constitutionnelle comme le « lieu » même où s’ajustent et s’expriment les rapports entre la constitution/Verfassung et le régime/Zunft des métiers. En ligne de mire de ces essais, constructions, tentatives et parfois tâtonnements constitutionnels se profile le ciment de toute vie commune : la paix et l’amitié, que l’on ne peut réaliser, nous disent ces textes et leurs concepteurs, qu’en assignant à chacun une place qui inscrive à la fois son identité collective et respecte la nature de son être singulier. Qui ne voit pas d’évidence, à travers cette étude qui captivera autant le médiéviste que le politiste ou le sociologue, l’actualité de ces questionnements ? Bref, on l’a bien deviné, un livre utile et précieux. Pierre Monnet

Introduction

L’objet de ce livre est un petit objet : un corpus de quelques dizaines de chartes1, produites dans quelques villes d’Allemagne du Sud, dont beaucoup sont sans doute inconnues du lecteur français, autour d’un thème, les institutions politiques urbaines, qu’une partie de l’historiographie a souvent considéré comme négligeable2 ou, pire encore, trompeur : à quoi bon, en somme, s’intéresser à ces subtilités juridiques qui, au fond, ne feraient que dissimuler la réalité implacable de la domination des élites économiques ? En Souabe et dans les régions environnantes, un dense réseau de villes petites et (relativement) grandes, presque toutes dotées du statut de ville d’Empire, ont procédé successivement, des années 1290 à la fin du xive siècle, à la mise en place d’un système politique nouveau, organisé autour d’un Conseil largement constitué de délégués d’associations à base professionnelles, les Zünfte (Zunft au singulier) ; mais elles ont fait plus encore : beaucoup d’entre elles ont procédé à la mise par écrit de ce système institutionnel – un acte qui n’allait pas de soi et qui est bien plus que le constat rationnel de la valeur pratique de l’écrit. L’enjeu de ces chartes, qui justifie ce livre, est donc double : il en va de ce qui a conduit les acteurs de ce changement à redéfinir l’équilibre des forces sociales tel que l’organisation du gouvernement urbain le traduit ; il en va aussi, dans le choix de la mise par écrit de ce qui était jusqu’alors coutumier, de bien plus que d’une simple mesure technique : dans l’effort de conceptualisation qui préside à leur rédaction, dans la situation nouvelle de communication que l’écrit permet, dans le choix de dire plutôt que se contenter de faire, il y a un changement profond dans la place que tient la politique dans la société urbaine. De telles chartes, disons-le dès maintenant, ne sont pas produites que dans la région étudiée ici. Les villes alsaciennes, celles de la Suisse actuelle, ou d’autres villes comme Spire ou Worms auraient eu toute leur place ici : j’ai fait le choix de me limiter aux villes aujourd’hui situées dans les Länder de Bade-Wurtemberg et de Bavière, soit un territoire où existaient à la fin du Moyen Âge plusieurs dizaines de villes d’Empire, qui constituent du moins un riche échantillon : à défaut d’exhaustivité, il me tenait à cœur de ne pas concentrer mon attention sur les plus grandes villes, mais d’intégrer aussi avec tout le soin possible les plus petites villes qui sont encore aujourd’hui négligées par l’historiographie3.

1 Dans le corps du texte comme dans les notes, les chartes sont citées par le nom de la ville et l’année d’établissement ; lorsqu’un numéro de page est indiqué, il fait référence à l’édition principale de la charte. Les références des documents (cotes d’archive et éditions) sont présentées p. 181-183. 2 De manière caractéristique, la récente mais peu satisfaisante synthèse d’A . Kluge, Die Zünfte, Stuttgart, Steiner, 2007, consacre un bref passage (p. 88-98) aux Zunftkämpfe (combats des métiers), sans jamais évoquer les longues périodes d’exercice du pouvoir qui les suivent souvent. 3 On ne s’interdira pas, à l’occasion, de sortir des frontières statutaires ou géographiques ici définies, d’autant que ni les seigneurs, ni les souverains ne sont systématiquement hostiles à l’apparition de métiers et à leur participation politique. L’inclusion de Munich, ville située au cœur du territoire des ducs de Bavière et

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Les villes d’Allemagne du Sud et leurs chartes constitutionnelles

Dans cette région – de Nuremberg à Fribourg-en-Brisgau, de Constance à Nördlingen –, le phénomène urbain a pris des formes originales, où beaucoup de villes grandes et petites ont acquis au cours du xiiie siècle cette forme d’autonomie urbaine qui se cristallise progressivement autour de la notion de ville d’Empire : c’est un constat – l’absence de tout autre seigneur que le souverain –, c’est un titre honorifique à la façon de la « bonne ville » du royaume de France, mais ce n’est pas une garantie très solide de la qualité urbaine de la localité ainsi distinguée. Certaines, devenues par le droit villes en même temps qu’autonomes, n’en profiteront guère, soit que leur économie peine à acquérir une réelle qualité urbaine (pas de grands marchands à Pfullendorf !), soit qu’elles entrent d’une manière ou d’une autre dans le domaine d’un prince voisin. Mais le résultat de cette évolution, ce dense réseau urbain

durablement fermée aux métiers, s’impose en raison de la richesse de la documentation conservée (textes éd. par P. Dirr, Die Denkmäler des Münchner Stadtrechts, 2 vol., Munich, Kommission für Bayerische Landesgeschichte, 1934-1936 [Bayerische Rechtsquellen 1]).

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de villes autonomes, est un fait frappant, d’autant plus que cette relative cohérence statutaire est ensuite renforcée par l’adoption de structures politiques similaires, qui sont au cœur de notre entreprise. Cependant, le cas général de villes d’Empire obtenant leur autonomie puis établissant un régime des métiers sous la pression des élites non patriciennes jusqu’alors exclues du pouvoir connaît des exceptions : dans l’Allgäu (sud-est de la Souabe), plusieurs villes peinent à obtenir leur pleine autonomie, Kempten ou Lindau où le monastère de la ville est le seigneur (à Kempten, il est même à la tête d’une principauté ecclésiastique importante) ; Isny où le seigneur est depuis la seconde moitié du xiiie siècle le chef de la famille des sénéchaux de Waldburg : c’est d’un des membres de cette famille que la ville rachète progressivement au cours de la seconde moitié du xive siècle les droits seigneuriaux sur la ville, y compris de très larges droits politiques4. La relative faiblesse du seigneur d’Isny conduit la ville à une situation juridique originale où les sénéchaux de Waldburg en viennent, jusqu’à l’extinction de la lignée concernée en 1386, à tenir leurs droits sur la ville en fief de l’Empire. Le monastère de Kempten et la ville d’Empire où il se trouve sont à l’inverse en conflit constant dès le xive siècle, ce dont témoigne toute une série de chartes d’arbitrage où le mode de nomination du Conseil de la ville est un enjeu constant5 ; à Lindau, c’est avec l’abbesse d’une communauté de chanoinesses que les difficultés surgissent6, mais la ville est en meilleure posture qu’à Kempten grâce aux relations nouées avec les souverains. Dans quelques villes dont la qualité impériale n’est jamais contestée, la fermeture politique du Conseil reste constante : les villes concernées sont souvent des petites villes, où aucun dynamisme économique ne vient remettre en question les prééminences sociales, comme à Weil der Stadt où la cooptation du Conseil sans implication du corps civique reste au xvie siècle encore la règle7, ou à Giengen (au nord d’Ulm)

4 K. O. Müller, Die oberschwäbischen Reichsstädte. Ihre Entstehung und ältere Verfassung, Stuttgart, Kohlhammer, 1912 (Darstellungen aus der württembergischen Geschichte, 8), p. 270-281, et Isny 1381, p. 245-246. Otto von Waldburg meurt sans enfants à la bataille de Sempach en 1386, activant ainsi les clauses prévues par la charte. 5 Cf. Augsburg, SA, Reichsstadt Kempten Urkunden 38, l. 6-12 (13 décembre 1361) : le monastère et l’ancien conseil choisissent chacun six conseillers dans une liste de dix noms proposée par l’autre partie ; le monastère nomme l’Ammann, mais le conseil peut le révoquer ; cf. aussi dans le même fonds les chartes 224 (1417, qui, en soumettant la prolongation du système des métiers au bon vouloir de l’abbé, en reconnaît la légitimité) et 755 (1488 : charte de Frédéric III qui prend nettement parti pour la ville, mais sans entrer dans les détails institutionnels). Cf. sur le contexte général pour Kempten G. Nebinger, « Das Bürgertum. Anfänge und Weiterentwicklung. 13.-15. Jahrhundert », in Volker Dotterweich et al. (dir), Geschichte der Stadt Kempten, Kempten, Dannheimer, 1989, p. 98-112. 6 Cf. encore au xviie siècle le considérable volume de controverse juridique produit par l’avocat de la ville Daniel Heider, Gründliche Außführung, wessen sich deß H. Reichs Stadt Lindaw, wegen einer Ihro in anno 1628 ohnversehens abgelöster […] Reichs-Pfandschafft, […] zu behelfen und zu getrösten hab, Nuremberg, Endter, 1643, appuyé sur de nombreuses sources qu’il publie. 7 H. Rabe, Der Rat der niederschwäbischen Reichsstädte. Rechtsgeschichtliche Untersuchungen über die Ratsverfassung der Reichsstädte Niederschwabens bis zum Ausgang der Zunftbewegungen im Rahmen der oberdeutschen Reichs- und Bischofsstädte, Cologne, Böhlau 1966 (Forschungen zur deutschen Rechtsgeschichte 4), p. 148-149.

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où sept métiers sont certes attestés, mais seulement après 1500. On le voit, ces cas ne sont guère de nature à infléchir le constat d’une pénétration presque uniforme d’un même modèle politique marqué par la représentation de métiers au Conseil. En Souabe et plus encore dans les régions limitrophes, toutes les villes ne sont pas des villes d’Empire. Ce sont, d’abord, les villes du duché de Bavière, à commencer par les différentes villes de résidence au fil des partages successoraux et des réunifications de la famille ducale, et Munich avant tout : la présence des ducs y est nettement visible et le fait qu’aucune de ces villes n’ait participé à la vague d’introduction de régimes de métiers qui touchait les villes d’Empire est sans doute lié à cette présence. Mais ces villes ont pourtant leur vie politique et juridique propre. Les troubles de Munich en 1403, tranchés par arbitrage des ducs et éclairés par un dossier documentaire inhabituellement prolixe, nous donneront l’occasion d’aller y voir de plus près. D’autres villes ont pour seigneurs les différences puissances princières de la région8, toutes plus effacées que les puissants ducs de Bavière, comme l’évêque d’Augsbourg (seigneur de Füssen, Buchloe et Dillingen, qui devient au xve siècle sa résidence), les comtes de Wurtemberg (notamment Stuttgart, leur résidence), les seigneurs de Waldburg pour une série de petites villes entre Memmingen et Rottweil, et bien d’autres, laïcs et ecclésiastiques. Mais il faut citer surtout les villes des territoires occidentaux des Habsbourg, ce que les historiens appellent Vorderösterreich, ce qu’on traduit généralement en français par « Autriche antérieure ». La plus importante est Fribourg-en-Brisgau, qui compte près de 10 000 habitants en 1400 : son statut est certes par moments assimilable à celui d’une ville d’Empire9, mais Fribourg doit compter avec ses seigneurs successifs, d’abord les comtes de Fribourg, puis à partir de 1368 les Habsbourg. Son histoire politique est pourtant d’autant plus importante ici qu’elle est la première à voir l’apparition de corps de métier organisés, et l’influence de cette innovation sur d’autres villes de la région est telle qu’il ne saurait être question d’ignorer son complexe parcours politique. D’autres villes de la région, Villingen avant tout, mais aussi les petites villes de l’Ortenau comme Gengenbach ou Offenburg, subissent une influence plus ou moins poussée des innovations fribourgeoises. En Franconie, Nuremberg exerce une influence plus directe encore, plus autoritaire aussi, sur de nombreuses petites villes comme Windsheim ou Schweinfurt ; mais Nuremberg, si soucieuse de contrôler son environnement au-delà même de son territoire, ne peut jouer le rôle d’un seigneur et la métropole ne peut empêcher l’évolution des institutions municipales de ces villes secondaires.



8 Cf. notamment la carte de M. Klein, Stadtherrschaft und Stadtrechtsfamilien im Mittelalter, Stuttgart, s. n., 1988 (Historischer Atlas von Baden-Württemberg IX/1) pour les questions de statut (hors Bavière). 9 Elle en a même brièvement le statut de 1415 à 1425, à l’occasion de la chute du duc Frédéric IV (D. Mertens, F. Rexroth, T. Scott, « Vom Beginn der Habsburgischen Herrschaft bis zum Neuen Stadtrecht von 1520 », in H. Haumann, H. Schadek (dir.), Geschichte der Stadt Freiburg im Breisgau, Geschichte der Stadt Freiburg im Breisgau, t. I, Von den Anfängen bis zum „Neuen Stadtrecht“ von 1520, Stuttgart, Theiss, 20012, p. 565-596). À proximité, la ville de Villingen suit les évolutions fribourgeoises d’assez près, avec un statut juridique tout aussi ambigu, cf. J. Sydow, « Zur Verfassungsgeschichte von Reichsstadt, freier Stadt und Territorialstadt… », p. 163-164.

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La réalité dominante n’en est pas moins la ville d’Empire, avec ce que cela suppose d’autonomie, c’est-à-dire non pas d’indépendance pure et simple (on aura l’occasion d’examiner quelques interventions impériales marquantes), mais d’une gestion au quotidien beaucoup moins marquée par des interventions extérieures que dans les villes seigneuriales10. De la rive droite du Rhin à la Souabe et à la Franconie s’étend un espace où, sans grand centre urbain, plusieurs dizaines de villes d’Empire se côtoient : dans ce qui fut un des points forts du pouvoir des Hohenstaufen, leur active politique urbaine a laissé des traces et l’effondrement de leur pouvoir à l’échelle de l’Empire, comme à celle de la Souabe qui était au cœur de leurs possessions patrimoniales, a largement contribué à l’émergence de ces autonomies urbaines. Les plus grandes, Augsbourg, Ulm, Nuremberg, n’atteignent qu’à peine 20 000 habitants en 1500, un grand nombre d’entre elles ne dépassent pas 5 000 habitants, avec pour les moins développées d’entre elles le risque de perdre l’immédiateté impériale, notamment parce qu’elles servent de gages à des emprunts contractés par les souverains11. Une particulière concentration de villes parsème le sud de la région, avec Constance, Überlingen et Buchhorn (aujourd’hui Friedrichshafen) au bord du lac de Constance et surtout l’Allgäu, région historique aux contours mal définis au piémont des Alpes, avec de nombreuses villes dont la population reste limitée (Isny, Leutkirch, Kempten, Wangen et de manière un peu marginale Memmingen) : en l’absence de métropoles polarisant le développement urbain, en l’absence aussi de pouvoirs princiers capables de construire une domination territoriale, ces villes, dont le poids économique n’est au reste pas négligeable, forment plus qu’une série un peu anonyme de petits centres régionaux, grâce aux relations étroites qu’elles entretiennent entre elles, mais aussi avec les villes du reste de la Souabe ou avec celles de la Suisse actuelle. L’historiographie a pris l’habitude de séparer la Souabe en deux sous-régions, la Haute-Souabe au pied des Alpes et la Basse-Souabe, autour d’Ulm, d’Augsbourg, d’Esslingen : la Haute-Souabe a une réelle forme de cohérence, la Basse-Souabe nettement moins, mais on verra que cette frontière anachronique n’a pas vraiment de valeur heuristique. Petites ou grandes, ces villes ne sont pas seulement unies par un statut commun12 et une relation au souverain, mais entretiennent aussi des relations intenses et multiformes : il y a, certes, les ligues urbaines qui se forment à quelques moments

10 Il suffit de lire dans les recueils de sources sur Munich, Fribourg, Mosbach ou Krems les nombreux accords et pétitions pour constater la réelle différence de pratique politique que cela entraîne. Si certaines de ces villes disposent de réelles chartes constitutionnelles, cette lecture donne l’image très nette d’une évolution beaucoup plus progressive des bases juridiques de la vie politique, qui peut moins se permettre peut-être que dans les villes d’Empire une simple évolution coutumière, mais est amenée fréquemment à renégocier des éléments de son droit avec le seigneur. 11 G. Landwehr, Die Verpfändung der deutschen Reichsstädte im Mittelalter, Cologne, Böhlau, 1967 (Forschungen zur deutschen Rechtsgeschichte 5). 12 Les sources contemporaines précisent de façon presque systématique quelle ville est une ville d’Empire ; ce « statut » est pourtant moins uniforme qu’on pourrait le croire, tant le corpus de privilèges impériaux dont dispose chaque ville est en réalité variable et plus ou moins complet pour chaque ville. Cf. sur le

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clefs de l’histoire de la région13, il y a des alliances de moindre ampleur qui permettent aux villes proches un travail plus suivi, mais il y a aussi, hors de toute formalisation institutionnelle, des échanges constants dont témoignent des correspondances suivies14. Ces villes font aussi partie d’un espace économique commun, marqué par la production textile et par le développement de compagnies commerciales initialement centrées autour du grand commerce des produits textiles de la région. Il faut citer ici la « grande compagnie commerciale de Ravensburg », qui unit vers 1380 des marchands de Ravensburg, Buchhorn et Constance, puis d’autres villes de la région ; cette organisation nouvelle ne fait cependant que formaliser des contacts commerciaux déjà plus anciens et plus larges encore15. Tout ceci ne suffit pas à donner à cette région urbaine les premiers rudiments d’une structuration comparable à celle de la Hanse pour les villes d’Allemagne du Nord, ne serait-ce que parce que la concurrence des pouvoirs princiers est incomparablement plus rude, mais le cadre relationnel permettant d’expliquer la circulation d’influences politiques et culturelles est amplement assuré. Parmi ces villes, certaines jouent un rôle dominant par leur richesse ou par leur démographie, mais leur attitude face aux ligues est très diverse. Si Ulm joue un rôle central dans la structuration des ligues successives, Augsbourg suit une logique beaucoup plus solitaire, individuelle, tandis que Nuremberg entend surtout contrôler, outre son territoire propre, les petites villes franconiennes qui l’entourent16, un peu comme Strasbourg face à la « décapole alsacienne ». Pour comprendre la

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concept même de Reichsstadt l’essai de J. Sydow, « Zur Verfassungsgeschichte von Reichsstadt, freier Stadt und Territorialstadt im 13. und 14. Jahrhundert », in Id., Cum omni mensura et ratione. Ausgewählte Aufsätze, Sigmaringen, Thorbecke, 1991, p. 149-177. Cf. la synthèse d’E.-M. Distler, Städtebünde im deutschen Spätmittelalter. Eine rechtshistorische Untersuchung zu Begriff, Verfassung und Funktion (Studien zur europäischen Rechtsgeschichte 207), Francfort/Main, Klostermann, 2006. Pour les villes de Souabe, beaucoup d’études de détail ont abordé les différents moments forts de ces relations interurbaines, mais sans parvenir à reconstituer un continuum des collaborations interurbaines. Si les ligues urbaines ont été intensément étudiées, il reste beaucoup à faire pour l’étude de ces relations plus quotidiennes entre villes, à l’exemple du travail de Laurence Buchholzer sur Nuremberg (L. Buchholzer-Rémy, Une ville en ses réseaux : Nuremberg à la fin du Moyen Âge, Paris, Belin, 2006 [Histoire et sociétés. Europe centrale]). Certaines problématiques de ces échanges quotidiens en matière de droit sont étudiées par N. Bulst, « Politische Dimensionen des Rechts. Motive und Grenzen der Kommunikation über Rechte und Gesetze im Reich (14.-16. Jahrhundert) », in Id. (dir.), Politik und Kommunikation. Zur Geschichte des Politischen in der Vormoderne, Francfort/Main, Campus, 2009 (Politische Forschung 7), p. 13-39. Cf. le parcours rapide sur les origines de la compagnie dans le grand œuvre d’A . Schulte, Geschichte der Großen Ravensburger Handelsgesellschaft 1380-1530, 3 t., Berlin/Stuttgart, Deutsche Verlags-Anstalt, 1923 (Deutsche Handelsakten des Mittelalters und der Neuzeit 3), t. I, p. 16-41 (cf. par exemple p. 19 le cas de Henggi Humpis, maire de Ravensburg en même temps que marchand) ; cf. aussi R. Eirich, Memmingens Wirtschaft und Patriziat von 1347 bis 1551. Eine wirtschafts- und sozialgeschichtliche Untersuchung über das Memminger Patriziat während der Zunftverfassung, Weißenhorn, Konrad, 1971, p. 246-261, et l’ensemble du livre sur les autres compagnies de la région. Pour ne donner qu’un exemple, le bourreau de Nuremberg est chargé en 1384 d’exécuter trois bourgeois de Weißenburg, Windsheim et Nördlingen, coupables de s’être soulevés contre le conseil de leur ville (UA Städtebünde, t. III/3, p. 1751).

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civilisation urbaine de ces villes, il est inimaginable de ne pas s’intéresser aussi, pour autant que l’historiographie et les sources le permettent, à ce riche semis de petites et moyennes villes qui, au bord du Lac de Constance, au pied des collines de l’Allgäu ou en Franconie, font de ces régions une zone où le fait urbain est sans doute plus marquant qu’ailleurs. Les sources sont souvent plus rares, moins explicites dans ces villes, a fortiori pour le xive siècle qui est au cœur de cette étude17. Restreindre notre attention à un type de sources étroitement circonscrit visera à rétablir une sorte d’égalité entre villes, en évitant de survaloriser le recours à l’écrit comme critère universel du développement urbain. C’est à Fribourg, sous le pouvoir seigneurial plutôt faible des comtes de Fribourg, qu’est d’abord introduit à la fin du xiiie siècle un régime de métiers, mais c’est dans les villes d’Empire que cette innovation politique se diffuse tout au long du xive siècle : toutes ou presque adoptent des systèmes politiques caractérisés par la présence, généralement majoritaire, de représentants des Zünfte – l’exception majeure est Nuremberg. De la rive droite du Rhin aux reliefs de la Franconie et de l’Allgäu, dans ces villes qu’unissent aussi bien la proximité géographique que des habitudes de collaboration diplomatique, la large diffusion d’un même modèle politique va bien au-delà d’une coïncidence : la proximité des structures sociales est un élément, mais elle n’est pas suffisante pour expliquer la construction d’une culture politique commune. On a longtemps voulu relativiser l’ampleur du phénomène, en soulignant l’importance continuée des élites économiques et sociales après l’introduction de ces nouveaux régimes, en attirant l’attention sur les biais qui semblaient vider de l’intérieur la promesse de démocratie qu’on avait parfois pu y lire18, ou en signalant que les questions institutionnelles sont dans les révoltes urbaines tout au plus de simples prétextes pour les contestataires, jamais des revendications essentielles19. Reste que si tant de villes ont en quelques décennies pris la peine de modifier, au prix de conflits plus ou moins violents et plus ou moins durables, l’organisation de leurs institutions, parfois plusieurs fois à quelques décennies de distance, parfois avec des systèmes dont la complexité atteste qu’ils ont été soigneusement pesés et souvent avec une durée de vie de plusieurs décennies, voire plusieurs siècles, c’est bien que ces questions institutionnelles engageaient pour les contemporains eux-mêmes des enjeux cruciaux. Peu importe, pour l’historien, que ces enjeux soient des enjeux concrets d’influence politique et d’équilibre entre groupes sociaux ou répondent à un imaginaire politique plus abstrait : tout système politique, y compris nos démocraties contemporaines, est à la fois affaire de pouvoir et d’imaginaire, de droit et d’émotions. Pour observer ces enjeux multiples et plus complémentaires que contradictoires, nous allons parcourir les textes qui ont institué et mis en forme écrite ces systèmes 17 Pour beaucoup de ces villes, seules quelques dizaines de chartes (privilèges du souverain, chartes produites par le conseil…) sont produites avant la fin de ce siècle. 18 Ce qui rend le débat vain est que la conception de la démocratie à laquelle on confronte les régimes urbains médiévaux est généralement si élevée qu’on serait en peine de trouver dans le monde contemporain beaucoup d’exemples concrets qui pourraient y résister. 19 B. Frenz, Gleichheitsdenken in deutschen Städte, p. 137-138.

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politiques dans la plupart des villes qui les ont créés. Il pourrait sembler plus raisonnable, pour étudier la culture politique de ces villes d’Empire, de réfléchir à la pratique du politique telle qu’elle apparaît dans les chroniques, les registres de décisions du Conseil, les usages de l’écrit. Sans doute, et c’est ce que j’avais essayé de faire pour Augsbourg dans ma thèse20. Le choix de soumettre les chartes constitutionnelles à un examen systématique me paraît pourtant se justifier pour plusieurs raisons21. La première est l’absence dans beaucoup de ces petites villes de sources narratives ou délibératives qui viendraient éclairer la vie institutionnelle urbaine avant la seconde moitié du xve siècle, voire le siècle suivant ; par ailleurs les chartes conservées pour le xive siècle, hors des chartes constitutionnelles, ne donnent elles-mêmes que des éclairages faibles et très partiels sur la vie politique urbaine22. À part à Augsbourg et à Constance, aucune chronique urbaine du xive siècle n’est conservée, et même à Augsbourg les premiers registres de décisions du Conseil ne datent que des années 1390, plus de deux décennies après l’instauration du régime des métiers ; le développement d’une administration par l’écrit est bien postérieur dans la plupart de ces villes à l’écriture des chartes constitutionnelles. À Memmingen, qui possède pourtant des archives exceptionnelles pour une ville de cette taille, on ne sait presque rien de l’activité du Conseil au xive siècle ; il commence tout juste à conserver quelques décisions par écrit en 1397, les listes de conseillers qui apprennent beaucoup sur le fonctionnement du Conseil ne commencent qu’en 1446 et l’unique chronique conservée ne dit pas grand-chose avant 144023. Recourir à ces chartes constitutionnelles permet donc de ne pas accorder aux villes les plus importantes une attention trop exclusive. Avec leurs quelques centaines d’habitants, des villes comme Pfullendorf ou Isny se trouvent en

20 D. Adrian, Augsbourg à la fin du Moyen Âge : la politique et l’espace, Ostfildern : Thorbecke 2013 (Beihefte der Francia 76). 21 Il faut mentionner, comme justification sans doute marginale, le fait que la quasi-totalité de ces documents ont été édités, souvent à la fin du xixe siècle, où un Urkundenbuch (cartulaire) a été produit pour la plupart des villes étudiées ici ; pour les villes sans Urkundenbuch, comme Memmingen, l’édition a eu lieu dans le cadre des périodiques d’histoire locale qui publiaient volontiers des sources originales. Seule la courte charte de Wangen reste inédite, ainsi que les chartes de paix de Schwäbisch Gmünd, hormis un mémoire ancien (Ludwigsburg, SA, B 177, U 245 [1344] et U 246 [1353]). 22 Cf. sur la naissance des chancelleries urbaines F. Merkel, Das Aufkommen der deutschen Sprache in den städtischen Kanzleien des ausgehenden Mittelalters, Leipzig, Berlin, Teubner, 1930 (Beiträge zur Kulturgeschichte des Mittelalters und der Renaissance 45), p. 12-15. L’étude des registres de correspondance urbaine (Missivbücher), tels qu’il en existe par exemple pour Augsbourg depuis les années 1360 et pour Esslingen depuis 1434, est à peine entamée, alors qu’il s’agit d’une source certes complexe par sa volumétrie, mais d’une très grande richesse bien au-delà des questions diplomatiques (on ne peut cependant pas oublier le travail important de Laurence Buchholzer-Rémy, Une ville en ses réseaux, sur la correspondance de Nuremberg). 23 Respectivement Memmingen, StA, A 266/2 et A Bd. 1 et D. Adrian, « La chronique de Memmingen : histoire et luttes politiques dans une ville d’Empire au xve siècle », The Medieval Chronicle 11 (2017), p. 23-42, ici p. 30-31. De même pour Überlingen : chronique commencée en 1455, par le maire Lienhard Wintersulger, et transmise seulement par une copie du siècle suivant (éd. Ph. Ruppert, Konstanzer geschichtliche Beiträge, t. I, p. 96-132) ; contrairement à la chronique de Memmingen, l’accent est très peu mis sur la vie intérieure de la ville.

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quelque sorte placées à égalité avec les métropoles que sont Augsbourg et Ulm si on les regarde par ce biais spécifique. Mais les chartes constitutionnelles sont bien plus qu’un simple pis-aller, et le phénomène que constitue l’apparition de ces documents, en quelques décennies, dans tant de villes liées entre elles par des liens multiples, mérite par lui-même quelque attention. Elles sont, sans doute, le produit d’un compromis entre intérêts divergents, et cet ancrage dans une réalité sociale propre à la ville et au moment où elles sont rédigées justifie bien qu’on les étudie ; mais elles sont aussi des représentations idéales des sociétés politiques qui les produisent, des autoreprésentations qui renseignent sur les valeurs mises en œuvre, sur la conception qu’ont les acteurs des fins et des parties constitutives d’un gouvernement urbain, sur les dangers qui guettent la concorde urbaine que la charte veut (r)établir. Non que leurs auteurs perdent beaucoup d’encre en déclarations de principe, pas plus qu’ils ne prennent la peine de justifier beaucoup les dispositions qu’ils fixent sur le parchemin : c’est souvent l’architecture interne de la charte, la logique du texte, voire simplement le flux du discours qui vient contredire l’impression, renforcée par les éditions et leurs paragraphes numérotés comme des articles de loi, d’une succession hétérogène de dispositions accumulées. Une lecture globale est alors nécessaire pour reconstituer dans sa cohérence l’univers conceptuel dans lequel ces chartes naissent : la politique, ici à travers les questions institutionnelles, mérite bien d’être interrogée pour les savoirs et les compétences qu’elle met en œuvre. Dans un monde politique urbain où le lien avec la culture savante des universités reste l’exception, que ce soit en matière de philosophie politique ou de droit, comment ces savoirs se constituent-ils et se transmettent-ils ? L’instauration de tels systèmes est étroitement dépendant du concept essentiel fondant la collectivité urbaine, celui de bourgeoisie : le mot Burger désigne dans nos chartes tantôt les seuls patriciens, tantôt l’ensemble des bourgeois, mais le mot burgerschaft, lui, désigne, là où il est présent, toujours l’ensemble du corps civique. Tous les citadins, naturellement, n’étaient pas bourgeois – clercs, femmes, mineurs, juifs, domestiques sont les principales catégories exclues de la bourgeoisie24, sans compter les clandestins par définition non intégrés. La logique des régimes de métier, cependant, est fondée sur la nécessité d’une large inscription de la population urbaine dans le cadre de la bourgeoisie. Il est difficile de connaître la part exacte des citadins qui sont bourgeois, mais l’obligation faite d’entrer dans un métier s’accompagne de l’obligation de recevoir le droit de bourgeoisie : être membre d’un métier entraînant une participation plus ou moins directe à la désignation de représentants du métier, on ne saurait avoir des maîtres de métier qui ne seraient pas bourgeois. À Constance, « die zal der burger, so hie sind » (le nombre des bourgeois qui sont ici), compté métier par métier à la mi-août 1468, se monte à 903 personnes, dont 64 veuves, pour une 24 Le droit de bourgeoisie peut parfois être octroyé à des représentants de ces catégories quand un intérêt commun entre l’intéressé et la ville le demande, mais les droits politiques n’y sont alors pas associés (par exemple quand, au cours du xve siècle, l’abbé de Saint-Ulrich d’Augsbourg devient bourgeois pour entrer dans la communauté protectrice de la ville, contre le paiement d’impôts). Le droit de bourgeoisie attribué aux veuves à Constance (cf. n. suivante) comme ailleurs repose sur la nécessité de la transmission du patrimoine.

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population ne dépassant guère 5 000 habitants25 ; une sorte de recensement fait à Augsbourg en 1475 compte un peu plus deux mille maîtres de métier26. Ce n’est certes qu’une fraction de la population urbaine (15 à 20 000 habitants), peut-être un bon tiers de la population masculine, adulte et laïque, mais c’est bien plus qu’une élite étroite : il s’y trouve aussi beaucoup d’artisans pauvres sans espoir particulier d’ascension sociale, et surtout cela correspond au but fondamental que poursuit cette conception du droit de bourgeoisie, celui d’encadrer l’ensemble de la population urbaine, le droit de bourgeoisie des maîtres s’étendant tacitement aux femmes, enfants et dépendants divers. Comme le dit une charte d’Esslingen en 1331, « es sol ouch allermängelich, der in der stat wonen wil, er sige danne da in burgers wîs, under ainer zunft sin […], daz nieman da in strebherren wise wone oder sige27 » : patricien ou membre d’un métier, il n’y a pas d’autre alternative permise. Naturellement, qu’on s’intéresse aux régimes de métiers en général ou à leur formalisation sous forme de chartes, la masse de travaux produite par l’historiographie peut paraître décourageante : des publications de sources volumineuses mais très inégales selon les villes, et souvent centrées sur les seules chartes, des études d’ensemble et de détail d’une qualité très variable, beaucoup de travaux anciens marqués par un localisme pas toujours éclairé, beaucoup de thèses récentes et de qualité, qu’on retrouvera dans les pages qui suivent… Pourtant, le travail comparatiste sur ces villes n’est pas nouveau : les décennies ayant précédé immédiatement la médiatisation des villes d’Empire (autrement dit leur rattachement aux puissances territoriales voisines, Bavière et Wurtemberg notamment) dans les années 1800 sont même un moment de foisonnement des publications savantes sur les villes d’Empire, en particulier sous la plume de juristes comme Johann Jacob Moser : il y a sans doute dans tous ces travaux, dans toutes ces publications de sources une interrogation inquiète sur la pérennité de ces organisations juridiques complexes, dans le cadre d’un Empire qui ne l’est pas moins, et ces questions brûlantes s’accompagnent d’un retour intensif sur le passé de ces villes28. Le travail comparatiste en matière d’organisation politique interne des villes trouve le chemin de la science historique moderne avec quatre travaux comparatifs, parus tout au long du xxe siècle, qui font des chartes de notre corpus soit à proprement parler l’objet de leurs réflexions, soit des pierres angulaires de leurs analyses, notamment

25 Ph. Ruppert, Konstanzer geschichtliche Beiträge, t. II, p. 51. 26 D. Adrian, Augsbourg à la fin du Moyen Âge, p. 466. Les chiffres sont issus de déclarations des métiers en vue de répartir un nouvel impôt, ils ne sont donc certainement pas surévalués. 27 UB Esslingen I, p. 304, § 21 : « chacun qui veut résider dans la ville, à moins qu’il soit là en tant que bourgeois [= patricien], doit dépendre d’une Zunft […], de telle sorte que personne ne réside ou soit ici en manière de baron ». 28 Cf. sur cette question l’aperçu de G. Dilcher dans K. S. Bader, G. Dilcher, Deutsche Rechtsgeschichte : Land und Stadt, Bürger und Bauer im alten Europa, Berlin, Springer, 1999 (Enzyklopädie der Rechts- und Staatswissenschaft. Abteilung Rechtswissenschaft), p. 783-794, auquel il conviendrait de rajouter le Juristisches Magazin für die deutschen Reichsstädte publié entre 1790 et 1797 par Tobias Ludwig Ulrich Jäger, jurisconsulte du conseil d’Ulm, qui publie plusieurs de nos chartes, par exemple celle d’Isny (1381).

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pour étudier la période initiale de mise en place des régimes de métiers : au sein de cette vaste historiographie, ce sont ces livres qui forment plus particulièrement la généalogie de mon travail. Juste avant la première guerre mondiale, le jeune archiviste Karl Otto Müller29, qui avait soutenu une thèse sur Ravensburg, publie un travail d’une ambition comparatiste exceptionnelle ; il entreprend de comparer « la naissance et la constitution ancienne » des « villes d’Empire de Haute-Souabe » ; la mise en place des Zunftverfassungen et la création des offices de maire qui lui paraissent, dans cette région, des synonymes, occupent une place essentielle dans chacune des treize courtes monographies qui constituent l’essentiel du livre. Appuyée sur une documentation très vaste, cette étude considère l’introduction des régimes de métiers comme l’aboutissement de l’évolution de long terme des villes vers l’autonomie. Les chartes que nous étudions lui sont naturellement très précieuses, parce qu’elles sont la source essentielle sur cette dernière étape : on peut critiquer parfois ses hypothèses, mais il a le mérite considérable de donner au politique son rôle essentiel dans les arbitrages sociaux de la période fondatrice des régimes de métier. Une vingtaine d’années plus tard, c’est à un tour d’horizon plus vaste encore, à l’échelle de l’Empire tout entier, mais restreint au thème précis de l’introduction des régimes de métier, que se livre Hans Lentze30 : dans la continuité du travail de Müller, il étudie plus particulièrement l’implication des souverains jusqu’à Charles IV dans la mise en place de ces régimes, entre alliance avec les nouvelles élites urbaines et hostilité à l’innovation politique. Ce ne sont donc pas tant les chartes qui l’intéressent que les systèmes qu’elles créent, même si elles sont naturellement sa source principale. Ce faisant, Lentze met en avant le rôle des souverains comme vecteurs de l’importation des corps de métier constitués d’Italie en Allemagne, de manière peut-être un peu plus affirmée que de raison, mais il ne méconnaît pas la force des dynamiques internes sans lesquelles la greffe n’aurait pas pris avec tant de vigueur. Après la seconde guerre mondiale, c’est d’abord aux villes de Basse-Souabe, autour d’Ulm et d’Esslingen, en complément aux travaux de Müller, qu’une thèse d’histoire du droit est consacrée, celle de Horst Rabe31, soutenue en 1963. L’étude se focalise sur le Conseil, lieu central de l’autonomie politique des villes : Rabe reprend le schéma intuitif de toute l’historiographie antérieure, qui fait de la mise en place des régimes de métiers l’aboutissement – la conséquence, le révélateur – de la marche des villes vers l’autonomie. La thèse de Peter Eitel32, soutenue en 1967, reprend une partie des villes traitées par Müller, mais en éclairant leurs structures politiques par une étude économique et sociale : à partir des registres fiscaux de ces villes, il peut reconstituer la position sociale des bourgeois participant, à différents niveaux, à la sphère politique. La chronologie des sources en la matière concentre l’étude sur le xve siècle et le début du siècle 29 K. O. Müller, Die oberschwäbischen Reichsstädte. 30 H. Lentze, Der Kaiser und die Zunftverfassung in den Reichsstädten bis zum Tode Karls IV. Breslau, Marcus, 1933 (Untersuchungen zur deutschen Staats- und Rechtsgeschichte 145). 31 H. Rabe, Der Rat der niederschwäbischen Reichsstädte. 32 P. Eitel, Die oberschwäbischen Reichsstädte im Zeitalter der Zunftherrschaft. Untersuchungen zu ihrer politischen und sozialen Struktur, Stuttgart, Müller & Gräff, 1970 (Schriften zur südwestdeutschen Landeskunde 8).

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suivant, mais son attention aux structures conduit Eitel à prendre en considération la longue durée que constitue toute cette période où les métiers jouent un rôle réel : nos chartes, après tout, sont l’une des descriptions les plus complètes des systèmes politiques et même si leur validation par la pratique33 est naturellement essentielle pour Eitel, il se rend bien compte, sans s’y arrêter particulièrement, de la valeur conceptuelle propre de ces descriptions. Les études de la vie politique urbaine sont pour autant, souvent jusqu’à au­jourd’hui, plus encore influencées par les travaux d’Erich Maschke, historien du Drang nach Osten au service du Troisième Reich, prudemment reconverti dans l’histoire urbaine après guerre34. La pièce maîtresse de son travail est un très long article de 1959 sur « la constitution et les forces sociales dans la ville allemande de la fin du Moyen Âge35 », l’une de ses premières publications d’ampleur après la guerre et son retour de captivité soviétique en 1953. Il entend y démontrer que l’ouverture sociale que constitue dans beaucoup de villes l’introduction de représentants de métier dans les instances municipales est largement une illusion, qui traduit simplement l’élargissement des élites politiques par l’intégration de familles ayant fait fortune dans les décennies précédentes. Par l’union des patriciens, des métiers commerçants et des marchands dispersés dans différents métiers artisanaux (textile notamment), la prééminence des élites économiques, leur transsubstantiation en élites politiques était pour lui assurée aussi bien que précédemment. Maschke a toujours pris grand soin de masquer après-guerre tout présupposé idéologique, et les travaux historiographiques le concernant ne se sont pas penchés sur cette question ; il est cependant difficile de ne pas voir dans ce refus du politique et en particulier dans la négation de la participation élargie de la population urbaine à la sphère politique l’écho d’une

33 C’est aussi la pratique qui est au cœur de la thèse importante d’Eberhard Naujoks, Obrigkeitsgedanke, Zunftverfassung und Reformation. Studien zur Verfassungsgeschichte von Ulm, Eßlingen und Schwäbisch Gmünd, Stuttgart, Kohlhammer, 1958 (Veröffentlichungen der Kommission für geschichtliche Landeskunde in Baden-Württemberg B.3) qui étudie la mise en place du principe d’autorité comme facteur de légitimation du conseil à Ulm, Esslingen et Gmünd au cours du xve siècle, référence indispensable pour l’étude de la ville politique des villes d’Empire, mais qui ne s’intéresse par la force des choses que de loin aux dispositions des chartes constitutionnelles. 34 Cf. la thèse récente de Barbara Schneider, Erich Maschke im Beziehungsgeflecht von Politik und Geschichtswissenschaft, Göttingen, Vandenhoeck & Ruprecht, 2016 (Schriftenreihe der Historischen Kommission bei der Bayerischen Akademie der Wissenschaften 90), et, sur la question plus spécifique des villes, G. Fouquet, « Erich Maschke und die Folgen. Bemerkungen zu sozialgeschichtlichen Aspekten deutscher Stadtgeschichtsforschung seit 1945 », in Id., G. Zeilinger (dir.), Die Urbanisierung Europas von der Antike bis in die Moderne, Francfort/Main, Peter Lang, 2009 (Beiträge zur Sozial- und Wirtschaftsgeschichte 7), p. 15-42, notamment p. 19 pour la prééminence du social affirmée par Maschke au détriment du domaine politique, vu par Maschke comme éloigné des réalités quotidiennes des citadins. Ni Schneider ni Fouquet ne développent les raisons qui ont pu pousser Maschke à choisir l’histoire urbaine comme porte de sortie. 35 E. Maschke, « Verfassung und soziale Kräfte in der deutschen Stadt des späten Mittelalters vornehmlich in Oberdeutschland », Vierteljahrschrift für Sozial- und Wirtschaftsgeschichte 46 (1959), p. 289-349, 433-476. Quelques années plus tard, R. Luther, Gab es eine Zunftdemokratie ?, Berlin, Duncker & Humblot, [1968] (Kölner Schriften zur politischen Wissenschaft, Neue Folge 2), parvient à des conclusions similaires en partant de présupposés politiques guère moins conservateurs.

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mystique du pouvoir qu’il avait avant 1945 contribué à propager et que ne satisfaisait pas la nouvelle démocratie allemande. Les travaux de Maschke ont en effet amené, comme le dit Rolf Kießling, « un consensus dans la recherche sur le fait que le modèle constitutionnel qui résulte des combats autour des métiers en Haute-Souabe ne doit pas être interprété comme la domination des artisans, mais simplement comme une extension de l’élite politique36 ». Le problème de ce consensus est qu’il ne répond pas à une question essentielle : s’il ne s’était agi que de satisfaire les intérêts de quelques nouveaux riches frustrés d’influence politique, quel besoin y aurait-il eu d’aller installer au Conseil des boulangers, des pêcheurs et des forgerons37 ? Les patriciats gardaient une certaine plasticité et auraient pu, après tout, réaliser à moindre frais cette intégration – comme à Nuremberg. Maschke lui-même écrit que « le soulèvement des métiers ne visait pas la suppression ou la modification de la constitution patricienne du Conseil, mais la participation des métiers [dans cette constitution]38 » : pourquoi, dans ce cas, établir avec un pareil soin des textes constitutionnels qui, du reste, présentent des innovations innombrables ? Il a pu s’agir ici ou là d’alliances de circonstance entre artisans et nouvelles élites, mais après tout même une telle alliance souligne que ce groupe social moins favorisé ou moins intégré était devenu incontournable. Pour Fribourg, on peut interpréter les différentes étapes de la lutte entre Zünfte d’une part, seigneurs successifs et patriciens d’autre part, comme une intégration progressive et difficile de nouvelles élites aux sphères du pouvoir municipal, c’est entendu. Mais le poste d’Ammeister qui est créé en 1388, véritable conquête révolutionnaire incarnant le nouveau pouvoir des métiers, est bel et bien confié à un boulanger39. À force de ne s’intéresser qu’aux magistratures supérieures de ces villes40, il n’est pas étonnant qu’il parvienne à des conclusions qui réduisent la réalité de la participation politique au strict minimum : que diraient les politistes d’aujourd’hui s’ils devaient limiter leurs analyses au cercle étroit des membres du gouvernement et des parlementaires ? Deux travaux plus récents, eux, ont fait des chartes que nous étudions l’objet central de leurs réflexions, reflétant l’attention nouvelle portée à l’écriture des sources et non à leur seul contenu. En 1999, Bernd Kannowski soutient une thèse qui prend

36 R. Kiessling, « Städtischer Republikanismus. Regimentsformen des Bürgertums in oberschwäbischen Städten im ausgehenden Mittelalter und der beginnenden Neuzeit », in P. Blickle (dir.), Politische Kultur in Oberschwaben…, p. 175-205, ici p. 180. 37 Cf. la phrase du chroniqueur strasbourgeois Fritsche Closener, révélatrice de la perception des contemporains sur la réalité du changement politique que constitue l’introduction des Zünfte : « Sus kam der gewalt us der herren hant an die antwerke, daz doch den antwerken ein gros notdurft waz, wand die herren begingent großen gewalt an in » (ainsi le pouvoir passa des mains des seigneurs aux artisans, ce qui était une grande nécessité pour les artisans, parce que les seigneurs les soumettaient à une forte contrainte, CDS 8, p. 123). 38 E. Maschke, « Verfassung und soziale Kräfte… », p. 331. 39 R. Merkel, « Bürgerschaft und städtisches Regiment im mittelalterlichen Freiburg », in H.Haumann, H. Schadek (dir.), Geschichte der Stadt Freiburg im Breisgau, p. 565-596, ici p. 578-579, et W. Schulze, « Die Freiburger Ratsänderung 1388-1392 », Zeitschrift des Breisgau-Geschichtsvereins. Schau-ins-Land 104 (1985), p. 57-76, ici p. 66-67. 40 E. Maschke, « Verfassung und soziale Kräfte… », notamment p. 311-345.

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en compte un vaste échantillon de villes et de textes, de Zurich à Stendal et d’Aix-laChapelle à Berlin, y compris un certain nombre de villes qui seront prises en compte ici41. Le cœur de son travail consiste en une analyse des « lettres de paix » qui sont réalisées pour rétablir la paix lorsque celle-ci est rompue, notamment dans le cas des révoltes urbaines : toutes ces chartes ne comportent pas d’aspect constitutionnel, loin de là42, et toutes les chartes constitutionnelles, du moins à en croire l’inventaire de Kannowski, ne sont pas des chartes de paix, si tant est que l’un et l’autre concept puissent avoir des bornes bien définies. L’analyse des conflits urbains occupe une grande place dans son travail : ce n’est qu’en analysant les partis en présence et leurs revendications qu’il peut comprendre comment le droit parvient à rétablir la paix dans la ville ; il va de soi, dès lors, que la question de la réforme des institutions n’occupe dans sa réflexion qu’une place marginale43. La question institutionnelle occupe également une place secondaire dans une autre thèse publiée au même moment, celle de Barbara Frenz, qui fait porter son analyse sur les valeurs mises en œuvre dans ces chartes. Plus encore que la paix et le bien commun, c’est au thème de l’égalité qu’elle s’attache principalement, et elle met particulièrement en avant comme manifestation de ces valeurs ce qu’elle appelle « paritätische Ratsordnungen » (ordonnances paritaires du Conseil), chartes où une parité est institutée entre deux groupes sociaux considérés comme égaux. Le thème de l’égalité est en effet essentiel, même s’il ne suffit pas forcément de formules binaires comme « riches et pauvres » pour que l’égalité devienne autre chose qu’un argument de communication politique44 ; peut-être pourrons-nous le confirmer en analysant les régimes politiques chargés de faire vivre ces grands principes. Il n’existe certes pas de pragmatisme politique absolu qui serait indépendant de principes et d’idéologie ; cependant, dans le cadre conceptuel que ces chartes esquissent, leurs rédacteurs ont une visée avant tout pratique. Ils ne se contentent pas de conjurer la paix urbaine, ils mettent en place les conditions qui permettront de l’assurer sur le long terme et, on le verra, avec un certain succès.

41 Thèse éditée en 2001 : B. Kannowski, Bürgerkämpfe und Friedebriefe. Rechtliche Konfliktbeilegung in spätmittelalterlichen Städten, Cologne, Böhlau, 2001 (Forschungen zur deutschen Rechtsgeschichte 19). 42 Cf. par exemple la charte de Ratisbonne en 1331 (M. von Freyberg, Sammlung historischer Schriften und Urkunden, 5 t., Stuttgart, Cotta, 1827-1836, t. V, p. 109-114), qui aborde des points très divers, par exemple les modalités de rassemblement des bourgeois en cas d’urgence ou des points de droit criminel. 43 B. Kannowski, Bürgerkämpfe und Friedebriefe, p. 169-171, avec une opposition peu satisfaisante entre paritätische Ratsordnungen (ordonnances paritaires du conseil) et Zunftverfassungen (constitutions des métiers). 44 Cette formule binaire est fortement mise en avant par B. Frenz, Gleichheitsdenken in deutschen Städten des 12. bis 15. Jahrhunderts. Geistesgeschichte, Quellensprache, Gesellschaftsfunktion, Cologne, Böhlau, 2000 (Städteforschung A.52), qui en fait une expression révélatrice d’une pensée égalitaire fondamentale dans les villes. Il est vrai que cette formule se trouve dans de nombreuses chartes constitutionnelles qu’elle étudie, et qu’elle a peut-être eu au xiie-xiiie siècle une force de rupture, mais la formule est utilisée dans un sens affaibli signifiant simplement la totalité de la population urbaine sans distinction de rang : elle est par exemple utilisée au quotidien dans les registres du conseil d’Augsbourg, que ce soit pour règlementer l’accès des maçons étrangers au marché augsbourgeois ou pour édicter des dispositions somptuaires (Augsbourg, StA, Ratsbücher 3, fol. 57v et 276, fol. 148r, 1422 et 1441).

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C’est ce travail pratique, cette politique en action, que ces chartes vont nous permettre d’explorer dans les pages qui suivent. À propos de la seule Haute-Souabe, Peter Blickle parlait d’une « créativité, d’une expérimentation avec les formes du politique45 », au prix d’une réduction de l’échelle des entités concernées (même dans l’Empire médiéval, peu de régions sont en effet aussi fragmentées et la multiplicité des villes d’Empire en est un symptôme). Ce ne sont pas les villes qui font l’objet de sa remarque ; en étudiant les chartes constitutionnelles de toutes les villes grandes et petites de Haute-Souabe et des régions voisines, l’occasion se présentera peut-être tout de même de voir quelle inventivité les villes déploient pour improviser, face à des défis toujours similaires et toujours différents d’une ville à l’autre, des solutions nouvelles taillées sur mesure.

45 P. Blickle, « Politische Landschaft Oberschwaben », in P. Blickle (dir.), Politische Kultur in Oberschwaben, Tübingen, bibliotheca academica, 1993, p. 9-42, ici p. 11. La notion de créativité ou d’« invention politique » et sa relation avec les désordres du temps, telles que les a explorées, avec des exemples majoritairement tournés vers le pouvoir souverain, un récent colloque à Nanterre (G. Lecuppre, E. Tixier du Mesnil (dir.), Désordres créateurs : l’invention politique à la faveur des troubles, Paris, Kimé, 2014), est particulièrement fructueuse dans le contexte de ces villes, cf. infra, p. 71-82.

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I. Des textes

Il y a toujours une évidence trompeuse dans l’existence des sources, qui semblent n’attendre que le moment où un historien viendra en faire son miel. A fortiori quand on les étudie dans le cadre d’une seule ville, les chartes constitutionnelles semblent presque un fait de nature : il paraît tellement logique et tellement pratique que les élites politiques, une fois défini le nouveau compromis institutionnel, passent par l’écrit pour en assurer la pérennité que leur existence perd tout caractère de contingence ; il est toujours loisible, là où il n’y en a pas, de spéculer sur la charte malencontreusement perdue, quand bien même aucun document n’en garde trace. Avant même d’en examiner le contenu détaillé, il faut donc prendre acte de ce que dit ce panorama documentaire, avec ce beau massif de chartes, souvent de grande dimension pour noter un texte aussi détaillé que possible (la « grande charte jurée » d’Ulm, rédigée en 1397, mesure 64 cm sur 45, avec 57 longues lignes de texte), parfois aussi beaucoup plus succinctes. Le fait que la charte soit le mode dominant de mise par écrit des institutions politiques impose en effet une limite quantitative que les villes auraient facilement pu circonvenir en leur donnant la forme d’un registre : en dehors d’Esslingen, qui copie en 1491 une nouvelle version de son texte constitutionnel, cette solution n’a été réalisée nulle part1. Là où charte il y a, il faut donc d’abord comprendre quelles implications ce choix rédactionnel a imposées aux promoteurs du changement de système politique.

Une charte ? Les villes produisent des textes pour définir leurs institutions, de façon beaucoup plus précoce, beaucoup plus précise et beaucoup plus massive que beaucoup d’autres pouvoirs médiévaux. Il ne saurait être question, en faisant ce constat, de renouer avec l’historiographie ancienne faisant de la ville un lieu de modernité isolé au milieu d’une société féodale promise à la disparition ou – en 1966 encore, dans les mots souvent cités de Wilhelm Ebel – un « laboratoire de l’étatisme moderne2 ». Il n’en reste pas moins que le recours à l’écrit pour fixer le détail de l’organisation institutionnelle, avec ses dynamiques, ses habitudes et ses limites, est un phénomène considérable, 1 Cf. infra, p. 42. 2 W. Ebel, « Über die rechtsschöpferische Leistung des mittelalterlichen deutschen Bürgertums », in Untersuchungen zur gesellschaftlichen Struktur der mittelalterlichen Städte in Europa, Constance, Thorbecke, 1966 (Vorträge und Forschungen 11), p. 241-258, ici p. 241. On voit ici la différence avec la conception française de la « construction de l’État moderne », orientée de façon plus univoque par l’État comme institution centrale d’un corps politique dépassant les communautés sociales immédiates : le mot

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en ce qu’il entérine une rupture avec une conception de l’organisation politique de la ville comme un fait de nature, une évidence organique – le soin que les (rares) théoriciens du pouvoir urbain dans l’Empire médiéval, notamment dans sa partie septentrionale, prennent à ne pas soumettre à leur examen la question de la forme du Conseil est l’autre face de la même médaille3. On pourrait argumenter que cet usage de l’écrit, tel que l’incarnent nos chartes, est une conséquence logique de la souveraineté politique inachevée, ou incomplète, que l’historiographie allemande met en avant dans les villes médiévales : dès lors que le pouvoir urbain ne peut revendiquer de légitimité absolue, la création d’institutions et la création de règles consensuelles sont une nécessité pour donner au pouvoir de fait une stabilité et une efficacité garantissant sa capacité décisionnelle ; l’écrit est alors d’autant plus pertinent que la tradition fait défaut, que la légitimité politique de la ville est incertaine. Le seuil de l’écrit

La mise par écrit de telles dispositions sous la forme d’une charte ne va pourtant pas de soi4. À une exception près5, les premières chartes constitutionnelles conservées dans l’aire germanique sont produites aux alentours de 1300, à Fribourg en 12936, à Berne l’année suivante7, à Spire en 13048, où c’est par un contrat entre les ministériaux de l’évêque et les métiers qu’est fixée la répartition des postes du Conseil entre trois catégories de citadins, les ministériaux, les marchands du Rhin et les représentants des métiers, alors que deux longues chartes d’arbitrage, en 13309, viennent préciser et redéfinir les institutions et leurs rapports. Staatlichkeit renvoie ici à une pratique du gouvernement, ce que le néologisme « gouvernementalité » essaie d’exprimer. La différence est d’autant plus marquée que les tentatives des villes de l’Empire pour tenter d’influer sur « l’État moderne » en construction n’ont jamais eu de possibilité sérieuse d’aboutir. 3 Cf. D. Adrian, « Penser la politique dans les villes allemandes à la fin du Moyen Âge. Traités de gouvernement et réalités urbaines », Histoire urbaine 38 (2013/3), p. 175-194, notamment p. 177. 4 Les pages qui suivent recoupent partiellement les réflexions d’E. Isenmann, Die deutsche Stadt im Mittelalter 1150-1550. Stadtgestalt, Recht, Verfassung, Stadtregiment, Kirche, Gesellschaft, Wirtschaft, Cologne, Böhlau, 20122, p. 231-235, avec des conclusions souvent différentes (entre autres parce que l’auteur traite d’une zone géographique beaucoup plus large). 5 Fribourg 1248, où l’affirmation d’une souveraineté originelle de l’universitas civium est plus essentielle que la construction d’un nouveau système institutionnel, cf. M. Kälble, Zwischen Herrschaft und bürgerlicher Freiheit. Stadtgemeinde und städtische Führungsgruppen in Freiburg im Breisgau im 12. und 13. Jahrhundert, Fribourg-en-Brisgau, Archiv der Stadt Freiburg im Breisgau, 2001 (Veröffentlichungen aus dem Archiv der Stadt Freiburg im Breisgau 33), p. 181-186. 6 La charte s’accompagne d’une nouvelle rédaction du droit urbain, qui reprend pour l’essentiel un texte préexistant et lui rajoute les dispositions constitutionnelles en complément aux dispositions déjà existantes, en rectifiant quelques-unes des dispositions des codes précédents (M. Blattmann, Die Freiburger Stadtrechte zur Zeit der Zähringer. Rekonstruktion der verlorenen Urkunden und Aufzeichnungen des 12. und 13. Jahrhunderts, 2 vol., Fribourg-en-Brisgau, Ploetz, 1991 (Veröffentlichungen aus dem Archiv der Stadt Freiburg im Breisgau), t. II, tableau 16, surtout p. 510-513). 7 Sammlung schweizerischer Rechtsquellen. Kanton Bern, t. I/5, éd. H. Rennefahrt, Aarau, Sauerländer, 1959, t. I/5, p. 1-3. 8 A. Hilgard (éd.), Urkunden zur Geschichte der Stadt Speyer, Strasbourg, Trübner, 1885, no 227, p. 177-179. 9 Ibid., no 397-398, p. 323-332.

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Il n’est pas difficile de constater que toutes les villes de la région n’ont pas produit de constitution écrite ; non seulement les quelques villes qui, dans la région, n’ont pas succombé à la vague d’introduction de systèmes politiques fondés sur la représentation de corps de métier, n’y ont pas eu recours, mais d’assez nombreuses villes n’ont pas procédé à une mise par écrit du système créé. C’est notamment le cas de celles qui, comme Ulm, Esslingen ou Villingen, ont introduit précocement les métiers dans leur système politique. Elles avaient pourtant un modèle à portée de main, celui de Fribourg : avant même la charte de 1293, une première charte latine sur les institutions urbaines y avait été rédigée en 1248. À Ulm, on attendra pourtant 1345 pour suivre cet exemple, et 1316 à Esslingen, alors que les métiers participent au pouvoir dans ces deux villes depuis la fin du xiiie siècle. Même à Villingen, à une soixantaine de kilomètres de Fribourg, on attend 1324, alors que, dès 1296, une charte mentionne « die denne des rates werdent pflegen, der antwerk oder der müßiggenger » (ceux qui seront chargés du Conseil, membres des arts ou des oisifs) ; dès 1311, une charte du Conseil mentionne les Zunftmeister10. Avant même l’apparition du mot Zunft dans la charte de 1324, une participation non patricienne au Conseil était donc déjà en place et la structure des Zünfte l’était aussi, alors même que le mot lui-même semble avoir été soigneusement évité jusqu’en 1324 : c’est par la réception directe de la charte fribourgeoise de 1293, qui sert en quelque sorte de canevas fortement modifié pour correspondre à la situation propre de Villingen, que le mot est introduit dans les textes. C’est que le passage à l’écrit constituait un seuil encore difficile à franchir : d’une part, l’usage de l’écrit administratif reste encore pour le moins limité dans beaucoup de ces villes ; d’autre part, pour des décisions collectives largement spontanées, peu concertées avec le pouvoir seigneurial proche (comtes de Fribourg) ou lointain (roi des Romains), les villes pouvaient à juste titre douter de leur droit à prendre elles-mêmes de telles dispositions. Quand, en 1299, le Conseil d’Esslingen accepte à la demande de Reutlingen, qui a créé des Zünfte dans les années précédentes11, de détailler en une longue lettre12 un certain nombre de dispositions de son organisation politique, il ne peut visiblement s’appuyer sur une rédaction préexistante de ces coutumes : on voit cependant bien que ce n’est pas la compétence technique nécessaire pour une telle description qui manque, mais la nécessité, la volonté ou la liberté d’en faire un texte juridique. À Reutlingen même, on conserve certes soigneusement la lettre, mais aucun écrit ne nous éclaire sur la manière dont les dispositions du texte ont pu être reçues dans le droit local13 ; la charte constitutionnelle de

10 C. Roder (éd.), Villingen, Heidelberg, Winter, 1905 (Oberrheinische Stadtrechte. Schwäbische Rechte 1), p. 7 et 14. 11 W. Jäger, Die Freie Reichsstadt Reutlingen, p. 74. 12 UB Esslingen I, p. 136-137, no 315. À la même période, Ulm communique son droit à plusieurs petites villes de la région, Ravensburg (1296), Saulgau (1299) et Biberach (1312), y compris, dans les deux dernières chartes, l’interdiction d’« omnes zunftas in omni arte mechanica ». 13 W. Jäger, Die Freie Reichsstadt Reutlingen. Siedlungs- und Verfassungsgeschichte bis 1500, Wurtzbourg, Triltsch, 1940, p. 74-78, présuppose que les indications d’Esslingen sont entrées telles quelles en vigueur, tout en avouant qu’aucune information sur l’organisation politique des décennies suivantes n’est livrée par les sources. En 1331, Reutlingen demande à nouveau des informations à Esslingen, cette fois sur la seule organisation interne des métiers (UB Esslingen I, p. 301-304).

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1343, promulguée par Louis de Bavière, certainement à partir de formulations déterminées par le gouvernement municipal, ne garde aucune trace textuelle de ce précédent et les points communs dans l’organisation politique décrite peuvent facilement s’expliquer par l’observation de la pratique plutôt que par une culture de l’écrit. De la même façon, la mise en place à Rottweil vers 1314 d’un régime de métiers, bien attestée par plusieurs chartes qui montrent que les maîtres de métier faisaient partie du Conseil et qu’un Grand conseil de 80 membres était en place, n’est pas accompagnée d’une mise par écrit de ces dispositions14. Une source de 1546 évoque « die gesetz, als unns khunig Rudoplh gab den zunfften » (les lois que le roi Rodolphe nous a donné pour les Zünfte)15 : le passage introduit des règlements de métier visiblement bien antérieurs au xve siècle, même si on peine à croire tout à fait que le souverain ait pris la peine d’entrer dans les détails sur ce sujet ; la sanction par le souverain de tels règlements est d’autant moins vraisemblable que des règlements de métiers aussi anciens n’existent dans aucune des villes ayant introduit précocément des Zünfte. Le parcours le plus complexe est peut-être celui d’Isny, qui ne devient ville d’Empire qu’en 1365, en conséquence des efforts faits par la ville pour se racheter, et c’est de son ancien seigneur16 qu’elle achète en 1381 le droit d’élire elle-même maire, Ammann et maîtres de métier. Dès 1365, le seigneur avait accepté de faire figurer dans la charte des dispositions politiques non négligeables17, tout en conservant des droits qui, sans doute, ont pour lui un intérêt plus financier que politique : certes, c’est toujours lui à cette date qui nomme l’Ammann, mais avec le consentement des bourgeois et du Conseil ; certes, il nomme le Conseil, mais d’après la coutume de la ville (et non selon un droit qu’il détiendrait), et avec un principe de continuité (seule la moitié du Conseil est renouvelée annuellement), ce qui est certainement conforme aux souhaits des élites politiques de la ville. La charte de 1381 est donc une seconde étape dans cette émancipation progressive ; elle n’est pas stricto sensu une charte constitutionnelle en ce qu’elle n’a pas d’autre prétention que de délimiter précisément les droits cédés par Otto Truchseß von Waldburg, mais elle remplit certaines fonctions que d’autres villes donnent à leurs chartes constitutionnelles. Sa rédaction le dit bien : le seigneur vend à la ville dans un même élan ses droits sur le marché du sel et le droit de « nu hinnanhin ymmerme eweclich in ir Stat Burgermaister und zúnft wol seczzen haben und machen beseczen und entseczen18 ». La suite de la charte 14 R. Elben, Das Patriziat der Reichsstadt Rottweil von den Anfängen bis zum Jahre 1550, Stuttgart, Kohlhammer, 1964 (Veröffentlichungen der Kommission für geschichtliche Landeskunde in Baden-Württemberg. Forschungen 30), p. 19-22. 15 J. Leist, Reichsstadt Rottweil. Studien zur Stadt- und Gerichtsverfassung bis zum Jahre 1546, Rottweil, Banholzer, 1962, p. 33. 16 Otto Truchseß von Waldburg, sans descendance, a conservé l’usufruit de certains droits jusqu’à son décès (il meurt en 1386 à la bataille de Sempach). Cf. C. H. Hauptmeyer, Verfassung und Herrschaft in Isny, p. 39-43. 17 C. Ehrle, « Die Privilegien der Stadt Isny », Württembergische Vierteljahrshefte für Landesgeschichte 10 (1887), p. 124-136 et 186-194, ici p. 128. 18 Isny 1381, p. 244-245 : « choisir, avoir et faire, nommer et défaire désormais pour toujours et pour l’éternité maires et Zunft » (le mot zunft ici peut être interprété comme un singulier ou un pluriel, à moins qu’il faille comprendre zunft[meister] ?). Le prix pour ces deux droits est de 300 fl., bien loin des 9 000 lb.

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ne donne aucun détail sur le marché du sel ; seules comptent vraiment dans le texte les questions politiques, qui sont introduites par ces mots : Und hant die vorgen. Burger ze Isni in disem kouff inen und allen iren nachkomendn sölichú reht ussbedingot und behalten alz hie nach an disem brief von wort ze wort und von stuk ze stuk begriffen und verschriben stat19.

Ce sont donc bien les bourgeois (lato sensu !) qui ont demandé l’inclusion de ce qui suit dans la charte et ce sont certainement eux qui ont fourni l’essentiel des formulations. Ce qui est décrit ensuite n’est rien d’autre que les conséquences du droit vendu par Otto, mais les détails que contient la charte, encore plus nettement qu’en 1365, dépassent largement les nécessités d’une cession de droits ; peut-être est-ce pour éviter un éventuel empiètement du seigneur que les bourgeois ont voulu que leurs droits soient aussi précisément définis, mais la plupart des articles qui suivent sont de même nature que ce qu’on lit dans les chartes des villes voisines : rien, sinon quelques détails formels, ne vient rappeler que c’est le seigneur de la ville qui est l’auteur de la charte. Les maîtres de métier sont entourés selon la charte de 1381 de leurs « Ainlifer », leurs « Onze » : l’habitude de désigner par leur effectif les directions collégiales des métiers est un bien commun en Souabe, avec un nombre de membres variable selon les régions (sept à Pfullendorf, douze à Augsbourg) ; en 1379, « des ersten iar, do diu zunft gemachot was » (l’année où fut faite la Zunft), la ville de Kempten avait de même défini la composition du Conseil de telle façon que « die alten Rat und die alten Zunftmaister ainen niuwen Rat erwaltn und iedlich zunft iren zunftmaister und die ainlifer20 » (les anciens Conseillers et les anciens maîtres de métier élirent un nouveau Conseil et chaque Zunft son maître de métier et les Onze). Le chiffre onze, qu’on retrouve aussi, outre à Kempten, dans la pratique politique de Memmingen ou de Lindau21, renvoie certainement comme le chiffre douze au nombre des apôtres, selon qu’on compte le maître de métier parmi les douze ou qu’il s’y ajoute. Cette construction juridique qui consiste à utiliser la légitimité de celui dont les droits seigneuriaux sont promis à une extinction proche paraît extrêmement fragile, mais les élites politiques d’Isny ont sans doute considéré que c’était toujours mieux qu’une charte qui n’émanerait que des nouvelles autorités urbaines. Les villes qui ont quant à elles franchi le pas et rédigé une chartes constitutionnelle l’ont toutes fait au même moment, lorsque le régime des métiers y est créé ou, plus rarement, modifié, dans le sens d’un approfondissement du rôle des Zünfte, ou plus rarement pour réduire leur influence ; une fois les institutions en place, les modifications

payées pour obtenir l’immédiateté impériale en 1365 (T. Jäger, « Einige Verträge der Reichsstadt Ißni », Juristisches Magazin für die deutschen Reichsstädte 3 (1793), p. 214-251, ici p. 225). 19 Ibid., p. 245 : « Et les bourgeois susdits d’Isny se sont réservés et conservés dans cette vente pour eux et tous leurs descendants les droits suivants tels qu’ils sont contenus et écrits dans cette lettre mot à mot et article par article ». 20 P. Beck, Das Stadtbuch der Stadt Kempten von 1358, zugleich ein Beitrag zu Verfassung und Gerichtswesen im alten Kempten, thèse dactylographiée, Universität Kiel, 1973, annexe p. XXI. La charte de Reutlingen (1343, p. 48) évoque quant à elle le maître et ses juges. 21 Cf. P. Eitel, Die oberschwäbischen Reichsstädte im Zeitalter der Zunftherrschaft, p. 62.

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qui peuvent survenir sont mises par écrit sous d’autres formes (charte ponctuelle du Conseil, inscription dans ses registres de délibération…). Avec la progression massive de l’usage administratif de l’écrit dans la région à la fin du Moyen Âge, on pourrait s’attendre à ce que les villes qui n’avaient pas écrit de charte se mettent en quelque sorte en conformité, ou du moins écrivent sous une forme ou sous une autre l’organisation de leurs institutions : il n’en est rien. De nombreuses villes resteront sans charte constitutionnelle jusqu’à la fin du Moyen Âge. C’est souvent le cas des villes d’Empire maintenant un strict régime patricien, comme Nuremberg, où d’ailleurs l’absence de fixation écrite peut être considérée comme un facteur de souplesse22 ; les cas de Munich en 1403 ou de Rothenburg en 1455 montrent cependant que l’intensification de l’usage administratif de l’écrit a des conséquences dans de telles villes : la mise par écrit de l’organisation politique de la ville devient après 1400 un fait banal, même en l’absence d’une ouverture vers les différents groupes de la société urbaine. Dans les deux cas cependant, l’importance des conflits qui ont précédé est une justification en soi du recours à l’écrit : il ne s’agit pas tant de répondre à un besoin des institutions politiques que d’éviter la résurgence du conflit, l’écrit permettant de donner aux termes du compromis la plus grande précision possible. À Lindau, ce n’est que par la chronique latine du franciscain Johannes Vitoduranus ( Jean de Winterthur), originaire de la ville et présent lors des événements, qu’on connaît le détail des événements de la révolte de 134523 : là aussi, le choix est fait de ne pas lui donner une traduction écrite, ni sous la forme d’une charte, ni dans quelque texte juridique que ce soit. Pourtant, le changement politique a l’aval du bailli impérial Frick Humpis24, qui remplace le maire et créée des « tribuni plebis burgariorium ante non habiti », autrement dit des Zunftmeister : ce n’est donc dans ce cas pas par crainte de la réaction du seigneur impérial que le recours à l’écrit est contourné, puisque Humpis favorise également les métiers dans les autres villes où il intervient et accepte volontiers que des textes soient rédigés25. La pratique des années suivantes indique pourtant bien que les maîtres de métier occupent désormais

22 Cf. une remarque dans l’enquête fribourgeoise de 1476, T. Scott (éd.), Die Freiburger Enquête von 1476. Quellen zur Wirtschafts- und Verwaltungsgeschichte der Stadt Freiburg im Breisgau im fünfzehnten Jahrhundert, Fribourg-en-Brisgau, Stadtarchiv, 1986 (Veröffentlichungen aus dem Archiv der Stadt Freiburg im Breisgau 20), p. 27 : « Ir regiment und ordnung hett och ändrung ye nach gstalt der löiff » (Leur régime et organisation connaît des changements selon l’évolution des choses). 23 Johann von Winterthur, Die Chronik Johanns von Winterthur, éd. C. Brun et F. Baethgen, Berlin, Weidmann, 1924 (MGH Script. rer. Germ. N.S. 3), p. 253-254 et 261-263. 24 H. Lentze, Der Kaiser und die Zunftverfassung in den Reichsstädten, p. 148-151. 25 Cf. par exemple sa charte pour Biberach (1344). Son action est décrite par H. G. Hofacker, Die schwäbischen Reichslandvogteien im späten Mittelalter, Stuttgart, Klett-Cotta, 1980 (Spätmittelalter und Frühe Neuzeit 8), p. 230-231, qui remarque notamment que son action indique une maîtrise des droits seigneuriaux dans les villes de son ressort beaucoup plus grande que celle de ses collègues de BasseSouabe ; cf. aussi Johann von Winterthur, Chronik…, p. 254, qui le décrit comme « humilis progeniei residen[s] in Ravenspurg » : il est membre d’une famille patricienne de Ravensburg, bien connue pour son rôle dans le développement de la « Grande compagnie commerciale » de Ravensburg, origine citadine inhabituelle pour un tel officier impérial.

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une place dans la gestion municipale26 : peut-être les patriciens pouvaient-ils mieux accepter cette nouvelle situation si elle n’existait que de facto. Il faut attendre la toute fin du xive siècle pour que soient mis par écrit des dispositions constitutionnelles : après le « règne » du patricien Heinrich Rienolt, favorable à la fois au couvent de chanoinesses qui prétendait à la seigneurie sur la ville et à l’influence des Habsbourg, on comprend que les métiers aient souhaité l’introduction d’une pause de deux ans entre deux mandats annuels du maire, pour éviter la constitution d’un tel pouvoir personnel27. Même au-delà de cette phase initiale, à vrai dire, la mise par écrit de dispositions constitutionnelles reste un cap difficile à franchir, qui justifie bien des stratégies de contournement. En 1343, Reutlingen recourt à l’autorité impériale pour donner une légitimité suffisante à « die gesetzt, die si durch frides der stat nutz und ere willen gemachet und gesetzt habent » (les lois qu’ils ont faites et établies pour la paix, l’utilité et l’honneur de la ville)28 : nous n’avons de cette première étape autonome aucune trace hors de la charte de Louis de Bavière qui la confirme. Pourtant, dans cette ville, des Zünfte existaient et participaient au pouvoir depuis 1300 environ29 ; ailleurs, là où des Zünfte doivent être créées de toutes pièces, la variété des traductions documentaires des changements politiques opérés montre l’inventivité des concepteurs de ces régimes pour leur donner au moins l’ébauche d’une assise juridique écrite. À Schwäbisch Gmünd, les deux chartes de 1344 et 1353 que l’historiographie qualifie de Friedensbriefe (« chartes de paix ») n’ont rien qui puisse leur assurer une place dans notre corpus30 : il n’y est pas question de la composition du Conseil, de processus électoraux, de Zunft ou de Zünfte. Des Zunftmeister font certes ici leur première apparition parmi les instances municipales au nom desquelles elles sont rédigées, mais on ne sait rien de plus à leur sujet et ils ne semblent pas entrer au (petit ?) Conseil avant le milieu du siècle suivant31. La succession de deux chartes s’explique par le fait que la première est à durée limitée, si bien que, peu avant la fin du délai de dix ans qu’elle fixe, une seconde charte est rédigée, qui n’apporte que des variantes par rapport à la première : « der schulth .. der Burgermeister und .. die Stetmaister » (l’écoutète, le maire et les Stettmeister) qui, dans la première charte, sont chargés de rétablir la paix en cas d’affrontement urbain, se voient adjoindre « die zwene man,

26 P. Eitel, Die oberschwäbischen Reichsstädte im Zeitalter der Zunftherrschaft, p. 20. 27 Charte éd. Fr. Joetze, « Urkunden zur Geschichte der Stadt Lindau im Mittelalter », Schriften des Vereins für die Geschichte des Bodensees und seiner Umgebung 38 (1909), p. 63-105, ici p. 82-83 (29 novembre 1395), cf. Fr. Joetze, K. Wolfart, Geschichte der Stadt Lindau im Bodensee, 2 t. en 3 vol., Lindau, Stettner, 1909, t. I, p. 127-130. 28 Reutlingen 1343, p. 47. 29 H. Rabe, Der Rat der niederschwäbischen Reichsstädte, p. 135-136. 30 Ludwigsburg, SA, B 177 S, U 245 et U 246, inédites (hormis un mémoire lui-même inédit, que je n’ai pu consulter : A. Heide, Die Friedensordnungen der Reichsstadt Schwäbisch Gmünd, mémoire inédit, Reutlingen 1978). La seconde charte constitue un renouvellement de la première, qui était établie pour une durée de dix ans. Sur l’histoire politique complexe de la ville, très bien éclairée par les sources au xve et au début du xvie siècle, cf. K. Graf, « Gmünd im Spätmittelalter », in Geschichte der Stadt Schwäbisch Gmünd, éd. Stadtarchiv Schwäbisch Gmünd, Stuttgart, Theiss, 1984, p. 87-184, ici p. 100-114. 31 H. Rabe, Der Rat der niederschwäbischen Städte, p. 144-146.

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die man von der Gemeinde alliv Jar zů in git vom Rat » (les deux hommes qu’on leur adjoint du commun pour le Conseil [ou : au nom du Conseil ?]). Il sera bien à nouveau question de czumfft en 1373, dans une charte où Charles IV confirme le droit de la ville à avoir des métiers32 (le mot est certainement un pluriel), mais cette confirmation n’entre pas plus dans les détails institutionnels : elle n’est que la dernière des clauses d’une charte confirmant les privilèges de la ville et lui en apportant quelques autres. Il est difficile d’estimer ce qui a conduit Schwäbisch Gmünd à connaître un parcours politique aussi différent de celui des autres villes souabes. La faiblesse des sources conservées en particulier pour le xive siècle, sans doute due à une persistante prudence face à l’écrit autant qu’à des questions de conservation, contribue à compliquer la situation. Un Grand conseil incluant sans doute des représentants des métiers est attesté, mais à partir de 1410 seulement ; l’entrée des maîtres de métiers ne l’est qu’en 1462, à l’occasion de la rédaction d’un livre de serments qui mériterait sans doute un examen détaillé33. Il est notamment remarquable dans notre perspective que des chartes, et même des chartes longues et détaillées, aient été rédigées au moment de la création des métiers, à une période où les régimes de métiers deviennent communs dans la région, mais que l’aspect constitutionnel en ait été aussi soigneusement écarté. Que s’est-il donc passé à Gmünd en 1344 ? Il paraît probable que l’organisation politique de la ville a alors été modifiée dans le cadre d’une remise en cause sans doute profonde du compromis social qui la fondait. La pratique politique du xve siècle présente un Conseil tripartite (Conseil, Commun dont la composition est inconnue et maîtres de métier) qui fait penser à la tripartition introduite à Schwäbisch Hall par Louis de Bavière en 1340. La rédaction de la charte de 1344 au nom de « Wir .. der schulth der Burgermaister die Stetmaister .. der Rat .. die Zůnftmaister und gemeinlich div Gemeinde uber al der Stat ze Gemÿnde » (Nous l’écoutète, le maire, les Stettmeister, le Conseil, les maîtres de métier et communément la commune de l’ensemble de la ville de Gmünd) place d’ores et déjà les maîtres de métier comme intégrés à l’autorité publique promulguant la charte, ce qui n’est certainement pas négligeable. À Kempten et à Nördlingen, des textes sont bien rédigés au moment où se met en place le régime de métiers, dans le but de fixer par écrit le cadre juridique des institutions municipales, mais ils n’ont pas la même valeur juridique ni la même solennité que les chartes constitutionnelles d’autres villes. À Kempten, c’est sous la forme d’un passage ajouté au Stadtbuch de 1358 que le changement advenu en 1379 est mis par écrit : il ne s’agit pas d’une disposition législative, mais du récit du renouvellement du Conseil que ce changement rend nécessaire. Le texte figure 32 Stuttgart, HSA, H 51, U 790, éd. J. Chr. Lünig, (éd.), Das teutsche Reichs-Archiv, 18 vol. en 20 t., Leipzig, Lanckisch, 1710-1722, [t. XIII] (Partis Specialis IV. und letzte Continuation), p. 821-822. 33 K. Graf, « Gmünd im Spätmittelalter », p. 104, mais le passage cité (« die czunftmaister habent gesworn anno domini etc. lxijo als die núwen ratgeben » [les maîtres de métier ont juré l’an 1462 en tant que nouveaux conseillers]) ne me paraît pas nécessairement indiquer qu’ils auraient été jusque là exclus du conseil, « nouveaux conseillers » pouvant s’opposer simplement aux conseillers de l’année précédente, ou indiquer la persistance d’une distinction entre « ancien conseil » et « nouveau conseil ».

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entre des dispositions de janvier 1379 et de 138134, et c’est en décrivant le processus électoral qu’il informe le lecteur sur la composition du Conseil en vigueur à partir de 1379, « des ersten iar, do diu zunft gemachot was » (la première année où la Zunft a été faite). Tout ici est significatif. La forme narrative et non normative tout d’abord : Kempten se veut ville d’Empire, mais n’est pas parvenue à rompre tout lien avec le monastère autour duquel elle s’est développée et, dans un domaine touchant d’aussi près à l’exercice du pouvoir souverain, les citadins peuvent douter de leur légitimité à prendre de pareilles décisions. Cette prudence formelle permet de présenter la modification réalisée comme un fait accompli plutôt que comme l’établissement d’une règle de droit. L’inscription dans le Stadtbuch ensuite : là où la forme du récit permet de contourner la question du droit statutaire, le support choisi tend au contraire à renforcer la valeur normative et la pérennité des dispositions décrites, tout en relevant d’une stratégie de contournement de la validation souveraine, en plaçant le texte sous le régime du droit généralement consenti aux villes d’Empire d’édicter et de modifier leur législation35. Enfin, la forme narrative est entièrement vidée de son sens par le fait que le processus décrit est bien le fonctionnement régulier d’un système pérenne et non la mise en place à un moment précis d’un nouveau système. La place des « anciens Zunftmeister » dans le texte est une impossibilité logique dès lors que les Zünfte viennent seulement d’être créées : ce n’est pas le début d’une nouvelle pratique qui est décrite, mais bien un système politique dans ce qui doit devenir son fonctionnement régulier. De la même manière, c’est par un recours détourné à l’écrit qu’est mis en place en 1349 à Nördlingen un régime des métiers, qui accorde à huit métiers un nombre de sièges égal à celui laissé aux patriciens. Aucune charte constitutionnelle n’est rédigée à proprement parler : ce qui est mis par écrit est simplement le règlement de chacun des huit métiers. On n’en possède à vrai dire plus que trois, celui des tailleurs, celui des aubergistes et pêcheurs et celui des bouchers36, mais ils permettent de voir que leur intérêt est loin d’être seulement d’ordre professionnel. De manière inhabituelle pour ce type de textes, ces chartes donnent des indications tellement précises sur le rôle du métier dans l’ensemble des institutions qu’elles constituent une description globale du système institutionnel mis en place. Rien ne prouve que telle était l’intention de ceux qui les ont rédigées, mais tout permet de le penser : le simple fait que ces dispositions « constitutionnelles » se retrouvent de manière aussi proche 34 Texte éd. par P. Beck, Das Stadtbuch der Stadt Kempten, p. XXI. 35 Ce droit essentiel est souvent octroyé par les souverains, mais il figure aussi dans des chartes constitutionnelles, ainsi à Augsbourg en 1368 ou à Esslingen en 1376 (§ 18) et 1392 (§ 13). 36 Chartes inédites, regestes de deux d’entre elles : UB Nördlingen, no 203, p. 67-68, et no 206, p. 70-71. Une troisième charte de métier de 1349, celle des bouchers, est citée par K. O. Müller (éd.), Nördlinger Stadtrechte des Mittelalters, Munich, Kommission für bayerische Landesgeschichte, 1933 (Bayerische Rechtsquellen 2), p. 7*. En outre, le conseil fait allusion en 1522 à l’« ancienne charte » de la Zunft des Cramer (épiciers, boutiquiers) en vigueur depuis 173 ans (ibid., p. 320). La mention de Zunftbriefe dans le code de droit d’Isny (par exemple K. O. Müller (éd.), Oberschwäbische Stadtrechte, t. I : Die älteren Stadtrechte von Leutkirch und Isny, Stuttgart, Kohlhammer, 1914 (WGQ 18), p. 213 et 216, vers 1435-1437) peut faire soupçonner que des chartes avaient pu être rédigées au moment de l’introduction des métiers vers 1381.

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dans les chartes conservées montre bien que ce ne sont pas les membres de chaque métier qui, spontanément, en ont pris l’initiative ; en outre, les chartes évoquent aussi la manière dont sont remplacés les conseillers patriciens, dont le mandat est à vie, alors même que le métier en tant que tel n’y a aucune part. Est-ce à dire que ce sont les métiers qui, n’ayant pu obtenir la rédaction d’une charte pleine et entière des patriciens résistant à la fixation de nouveautés qui leur déplaisaient, ont trouvé ce biais pour apporter un minimum de garantie juridique aux droits qu’ils venaient d’obtenir ? Le fait que ce n’est pas le Conseil, mais les métiers eux-mêmes qui rédigent les chartes, auxquelles la ville accepte seulement d’apposer son sceau, cadre bien avec l’idée d’une réticence patricienne, mais l’absence de source narrative venant éclairer les circonstances de cette introduction des métiers dans le Conseil de Nördlingen ne permet pas de confirmer cette hypothèse séduisante37. Ces exemples ne font que confirmer le fait que le choix de ne pas établir de charte peut être souvent interprété comme le signe d’une faiblesse juridique du Conseil nouvellement réformé, qui craint de voir les innovations apportées au régime politique condamnées par la tutelle du souverain ou du seigneur. C’est particulièrement net à Fribourg, où un Conseil très fortement dominé par les métiers est mis en place en 1388, dans la continuité de la bataille de Sempach où beaucoup de membres des élites fribourgeoises avaient péri38 ; la place des métiers est beaucoup plus déterminante que dans l’ancien système créé par une charte du comte de Fribourg en 129339. Les détails du système instauré en 1388 ne sont connus que par les listes conservées du Conseil, ainsi que par une description comparative de l’ancien et du nouveau système dans une lettre au Conseil de Cologne, qui confirme les critiques essuyées par cette enderung40. Il n’est certes jamais impossible qu’une charte ultérieurement perdue ou

37 On sait simplement que ces chartes, rédigées en janvier et février 1349, font suite au pogrom commis contre les juifs (UB Nördlingen, no 200-201, p. 66-67), élément commun à d’autres révoltes urbaines, par exemple à Constance en 1430. Ce n’est en tout cas pas l’hostilité du souverain qui joue ici : non seulement Charles IV valide presque instantanément le nouveau système politique, mais il accorde justement en 1348-1349 toute une série de privilèges importants (ibid., no 192, 193, 202, 207, 209) qui laisse bien penser que c’est au contraire la faveur momentanée de la ville auprès du souverain qui ouvre la voie au changement constitutionnel. Des exactions contre les juifs ont eu lieu à la même période à Memmingen : dans une charte du 20 juin 1349, Charles IV atteste la réconciliation entre les bourgeois (MGH Const. 9, no 367) ; le lien fréquent entre l’arrivée de la peste de 1348 et les pogroms rend peu probable un lien direct avec la charte constitutionnelle, antérieure à l’arrivée de la peste (elle est datée du 9 novembre 1347). 38 R. Merkel, « Bürgerschaft und städtisches Regiment im mittelalterlichen Freiburg », p. 578. 39 H. Schreiber (éd.), Urkundenbuch der Stadt Freiburg im Breisgau, 2 vol., Fribourg-en-Brisgau, Herder, 1828-1829, t. I, p. 123-139. 40 L. Ennen, (éd.), Quellen zur Geschichte der Stadt Köln, t. VI, Cologne, DuMont-Schaubert, 1879, p. 41-42 : « Von dirre enderung wegen der raete, die wir doch durch unser grosse notdurft getan hant, so sprechent etzlich lute, daz wir dise enderung nit getůn moehtent und daz die raete, die wir gesetzet han und noch hinnanthin setzende werdent, nit maht noch gewalt haben, urteil ze sprechende und ze richtende umb alle die sachen, darumb die vorgende verkerten raete urteil gesprochen und gerichtet hant » (Au sujet de ce changement des conseillers, que nous avons fait par nécessité absolue, certaines personnes disent que nous n’avions pas le droit de faire ce changement et que les conseillers que nous avons mis en place et que nous mettrons à l’avenir en place n’ont ni le droit ni le pouvoir de prononcer et de rendre des sentences sur toutes les

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volontairement détruite ait été produite alors, mais la situation juridique de la ville laisse plutôt penser que l’absence d’une telle charte est une conséquence directe de la situation d’infériorité juridique des Fribourgeois face au pouvoir seigneurial qu’ils essaient ainsi de contourner. Rapidement informé, le seigneur réserve d’abord son jugement41 ; moins de deux ans plus tard, les Fribourgeois sont obligés de donner une charte particulièrement humiliante où ils doivent renoncer à une bonne partie de leur autonomie politique (ils doivent même rendre les chartes par lesquelles le poste d’écoutète leur avait été engagé), avant que le duc Léopold IV de Habsbourg ne leur impose une nouvelle constitution, plutôt que de rétablir à l’identique le système de 1293. Le duc accorde la moitié des sièges du nouveau Conseil aux métiers et l’autre moitié aux edeln (nobles) et aux marchands42 : les « nüwerunge und enderunge der rete » (rénovations et changements des conseils) ne sont pas les bienvenus, et la réaction intransigeante du seigneur justifie amplement la prudence des acteurs locaux. Les choses sont moins claires pour Kaufbeuren, où l’apparition d’un maire au milieu du xive siècle, qui d’après Karl Otto Müller accompagne toujours l’introduction des métiers43, précède de loin la première attestation de Zünfte en 1392 seulement : il peut y avoir là le résultat de pertes documentaires, comme Müller le suppose, mais une pareille discrétion absolue au fil de quatre décennies est pour le moins étonnante, alors que tant de villes du même espace n’avaient pas eu de difficulté à remodeler leur gouvernement urbain et à mettre par écrit ces modifications. C’est la pauvreté générale de notre documentation pour cette ville qui explique cette incertitude : l’absence de charte constitutionnelle est sans doute le simple produit du faible recours à l’écrit de la municipalité. Le fait qu’il y ait sans doute une pression marquée des métiers en faveur de la mise par écrit des nouvelles dispositions institutionnelles est confirmée à Nördlingen par la réalisation, autour de 1349, d’une nouvelle rédaction du code juridique de la ville, remplaçant une courte rédaction de la fin du siècle précédent44 : le contenu n’y est

matières sur lesquels les conseillers précédents remplacés prononçaient et rendaient des sentences). On voit aisément tout ce que ce court texte livre sur les conceptions de la légitimité de l’autorité politique urbaine. 41 H. Schreiber, Urkundenbuch der Stadt Freiburg im Breisgau, t. II, p. 58 (septembre 1388). 42 Chartes de mai et juin 1392, ibid., p. 88-93. 43 K. O. Müller, Die oberschwäbischen Reichstädte, p. 135-136. L’apparition d’un maire à Aalen, à quelques kilomètres de Gmünd, attestée en 1374 dans une ville qui n’introduit jamais un régime de métiers, confirme au bas mot que la validité de sa théorie ne dépasse pas les limites de la Haute-Souabe (charte de 1374 éd. J. Chr. Lünig, Das Teutsche Reichs-Archiv, [t. XIII] (Partis Specialis IV. und letzte Continuation), p. 81 ; cf. art. « Aalen », Leo-BW (Landeskunde Entdecken Online) [en ligne], sous la responsabilité du Landesarchiv Baden-Württemberg, disponible sur https://www.leo-bw.de/ (consulté le 20 décembre 2019). 44 K. O. Müller, Nördlinger Stadtrechte des Mittelalters, p. 3-13 et 17-38 (qui mentionne explicitement à plusieurs reprises les métiers et leurs maîtres, par ex. p. 23). Cf. aussi la charte de Lindau, non datée, mais sans doute de peu postérieure à l’introduction des métiers, éd. Fr. Joetze, « Urkunden zur Geschichte der Stadt Lindau im Mittelalter », p. 78-81, qui traite largement de questions relatives au statut personnel des bourgeois : les Zunftmeister y apparaissent aux côtés du maire, de l’Ammann, du « conseil nouveau et ancien » et de l’ensemble des bourgeois : l’aspect politique est donc totalement absent, mais cette charte marque néanmoins l’avènement d’un gouvernement urbain plus ouvert par son souci de défendre la

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certes que marginalement politique, mais ce choix d’inaugurer l’action du Conseil nouvellement constitué par une sorte de restauration symbolique du droit urbain n’est certainement pas sans signification. Les rares articles politiques qui s’y trouvent sont eux-mêmes révélateurs : ils condamnent ainsi ceux qui tenteraient de modifier le cours des choses, ou qui tenteraient par leurs paroles de déstabiliser le Conseil45, garanties de bon fonctionnement du Conseil que ce type de codes urbains contient souvent, mais que certaines chartes constitutionnelles intègrent également ; mettre en forme de telles dispositions dans le cadre d’une codification juridique n’est sans doute qu’un pis-aller, mais constitue finalement une base juridique assez solide pour assurer la pérennité des nouvelles institutions. Une même insistance de la part des exclus du gouvernement patricien apparaît dans la charte augsbourgeoise de 1340, seule charte d’une ville d’Empire46 à entériner le maintien d’un régime patricien. L’organisation du système politique y est naturellement décrite, mais il est patent que cette mise par écrit est surtout justifiée par les multiples concessions faites aux élites non-patriciennes. Dans le domaine institutionnel, celles-ci ont visiblement fait pression pour imposer le renouvellement annuel des conseillers qui, peut-on supposer, est destiné à éviter la captation du pouvoir par des intérêts particuliers ; un Grand conseil est aussi mentionné, tel qu’il est déjà attesté depuis 1290, mais ni sa composition ni ses compétences ne sont explicitement modifiées47. Le contrôle des finances municipales est le thème essentiel de la charte : une délégation de six bourgeois « von der gemaind » (du commun) est formée pour

liberté de l’ensemble des bourgeois, dans une ville où cette liberté n’est pas une évidence (les intérêts des patriciens étant beaucoup plus liés que ceux des autres bourgeois au couvent, qui conteste l’émancipation des citadins et de la ville). 45 Ibid., p. 25-26 (cf. aussi p. 18 l’art. 10 qui cherche à lutter contre la construction d’un pouvoir personnel). 46 La charte de Constance en 1430, imposée par Sigismond, aboutit certes au rétablissement d’une domination patricienne, mais elle le fait en respectant les formes extérieures d’un régime paritaire : la charte précise même (p. 365) que les ambassades elles-mêmes doivent être composées à égalité de patriciens et de membres des métiers. Hors ville d’Empire, les chartes de Munich (1403), de Mosbach (1435) et de Fribourg (1454), promulguées par les seigneurs, décrivent elles aussi un régime patricien, mais elles sont très différentes : celle de Munich témoigne à la fois de l’existence d’une pression forte de la société urbaine pour une ouverture du gouvernement urbain et du poids que conservent les pouvoirs seigneuriaux pour contenir cette poussée, au prix de concessions du reste considérables aux non-patriciens. À Mosbach au contraire, le seigneur abolit un régime de métiers mis en place en 1337, à un moment où la ville était engagée aux comtes palatins qui avaient donné leur accord ; un siècle plus tard, la ville est intégrée à leur territoire et devient une ville de résidence : la charte est donc le produit d’une décision de gestion seigneuriale, qui s’accompagne certainement d’une reprise en main plus générale de l’administration urbaine. Le seigneur maintient cependant, de façon étonnante, un maire élu par les « burger von der gemeyn » (bourgeois du commun) en plus du maire élu par les juges qui constituent le conseil, sans préciser de quelle façon ces « burger » doivent procéder pour élire leur maire. 47 E. Schumann, Verfassung und Verwaltung des Rates in Augsburg von 1276 bis 1368, Rostock, Adler, 1905, p. 17-19. La charte est conservée dans un volume réalisé en 1447 pour le bailli Ulrich Langenmantel (SStBA, 2° Cod. Aug. 154), issu d’une famille patricienne augsbourgeoise : le manuscrit comprend en annexe au code de droit de 1276, qui est toujours à cette époque le fondement du droit urbain, un certain nombre de chartes importantes ; celle de 1340 est devenue totalement caduque à partir de la rédaction de celles de 1368, qui reprennent d’ailleurs une partie des dispositions de 1340.

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assister à la vérification annuelle des comptes municipaux ; plus encore, le texte va jusqu’à restreindre la compétence financière du Petit conseil et à limiter les dépenses des envoyés de la ville, thème sensible qui parcourt toute l’histoire politique de la ville au xive comme au xve siècle. La marge de manœuvre laissée aux patriciens est étroite et on peut comprendre que les élites non patriciennes aient tenu à fixer par écrit un compromis qui faisait si bien avancer leurs intérêts. Ils n’avaient certes pas obtenu une participation directe au Conseil, mais ces dispositions leur offraient un contrôle constant sur ses décisions, et ce contrôle était sans doute pour eux un pis-aller très acceptable ; en outre, ils pouvaient compter sur les divisions internes du patriciat pour leur ouvrir des marges de manœuvre réelles dans l’exercice de ces droits nouveaux. Mais même là où une charte constitutionnelle existe, toute prudence n’est pas abolie. C’est ainsi que les deux courtes chartes d’Überlingen en 1309 et de Memmingen en 1347 se contentent d’indiquer la mise en place d’« une Zunft », le mot au singulier servant par métonymie à désigner l’ensemble du système fondé sur les métiers48. Dans le cas d’Überlingen, il s’agit à vrai dire d’une charte impériale (Henri VII), qui ne faisait qui plus est que confirmer une charte octroyée par son prédécesseur : rien d’étonnant donc à ce qu’on n’ait pas jugé bon de donner plus de détails49, comme le fera aussi Charles IV en 1381 pour Wangen50. Celle de Memmingen, au contraire, est rédigée au nom des autorités urbaines elles-mêmes, « l’Ammann, le maire, le Conseil, les maîtres de métier et le commun ». Le texte prévoit la possibilité pour les instances municipales de faire toute réforme qu’elles jugeraient nécessaire, en précisant que dans ce cas la minorité doit suivre la majorité, selon une formule très répandue ; on imagine que le détail des institutions créées à ce moment-là a dû faire l’objet de négociations ultérieures sans doute suffisamment délicates pour qu’on ait jugé bon de fixer par écrit ce cadre préalable51. Cette charte de 1347 invoque aussi « die gesetzt und alle artikel, die alliu antwerk under in hent, alz die brief sagent, die mit unserm clainen insigel besigelt sint » (les lois et tous les articles que tous les métiers ont entre eux, telles que le disent les chartes qui sont scellées du petit sceau de la ville). Une charte des marchands et taverniers, non datée mais sans nul doute écrite à la même période, pourrait bien être le seul exemple conservé de cette série de chartes particulières, même si l’empreinte du

48 Sur cet usage, présent aussi dans des chartes plus détaillées, cf. infra, p. 122-123. 49 Une partie importante des dispositions constitutionnelles d’Überlingen sont conservées pour cette période par le rouleau de droit urbain commencé à la fin du xiiie siècle (Oberrheinische Stadtrechte. Fränkische Rechte, éd. R. Schroeder et C. Koehne, Heidelberg, Winter, 1895-1922, p. 1-28, cf. F. Harzendorf, « Die Zunftverfassung der Reichsstadt Überlingen », Schriften des Vereins für Geschichte des Bodensees 73 (1955), p. 99-122, ici p. 109-113). 50 L’hypothèse de K. O. Müller, Die oberschwäbischen Reichsstädte, p. 400-402, qui déduit de formulations paritaires (riches et pauvres, anciens et nouveaux conseillers) dans des chartes du milieu du xive siècle une introduction beaucoup plus précoce des métiers (vers 1347) manque pour le moins de solidité, d’abord parce qu’une consultation plus large du corps civique n’a rien de contradictoire avec un gouvernement patricien, ensuite parce qu’on comprend difficilement comment un tel changement aurait pu n’avoir aucune traduction documentaire. 51 K. O. Müller, Die oberschwäbischen Reichsstädte, p. 118-119, étudie les quelques attestations de la pratique politique livrées principalement par des listes de témoins dans des chartes.

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sceau, trop fragmentaire, rend cette identification incertaine. Cette charte, quoi qu’il en soit, n’est pas sans intérêt pour cette phase initiale de mise en place des métiers : Wan och der burgermaister, der Rat und die zunftmaister nit enbern woltun, die koufflut und die Winschenken müsdin ain zunft haben und och ain zunftmaister nemen, daz habin wir getan und habin ain zunftmaister genomen und aylif erber man zů im52.

Le ton employé ici est on ne peut plus différent de l’enthousiasme unanimiste qui accompagne souvent, du moins dans les textes, la mise en place de nombreux régimes de métiers. Les règles qui suivent sont le produit d’une délibération au sein du métier : « so ist der zunftmaister und die ailyf, und die, die in der zunft sint gemainlichen mit ainander ze raut worden » (le maître de métier, les Onze, et ceux qui sont en commun dans la Zunft ont délibéré ensemble). La différence avec les chartes déjà cités de Nördlingen, c’est que les matières politiques ne sont ici pas évoquées : on a vu qu’à Nördlingen les dispositions politiques, similaires d’une charte à l’autre, avaient certainement été imposées par l’autorité municipale ; à Memmingen, le thème politique est au contraire absent de la charte des marchands. La brièveté de la charte constitutionnelle de 1347 ne s’explique cependant qu’au regard de ces chartes complémentaires, qui donnent juridiquement corps aux grands principes de la charte initiale. Franchir le seuil de l’écrit semble plus difficile pour beaucoup de petites villes, soit parce que leur petite taille limite leur marge de manœuvre, soit par ce qu’elles ne disposent sans doute pas d’une chancellerie capable de produire de tels textes. Le cas de Pfullendorf, avec son millier d’habitants53, montre cependant bien que, même pour de telles villes, l’exemple des villes voisines et quelques décennies de pratique constitutionnelle dans les villes de la région font entrer ces chartes dans le champ d’une sorte de normalité juridique. C’est en effet à Pfullendorf qu’est rédigée en 1383 une des plus longues chartes existantes ; les élites de la ville prennent sans doute leur inspiration dans les évolutions récentes des villes voisines, Biberach, Rottweil et Reutlingen, et plus lointainement d’Esslingen et d’Augsbourg : toutes ces villes avaient mis en place un régime des métiers dans les quinze années qui précèdent, avec rédaction d’une charte pour chacune d’elles. On aimerait comprendre qui a rédigé une telle charte, à partir de quelles informations il a travaillé, où il avait acquis cette culture de l’écrit : le texte laisse entendre que, au-delà du poids déterminant du contexte local, aucun des textes des villes voisines n’a particulièrement servi de modèle. Une telle charte n’a de sens que si elle est adaptée au contexte local ; le symbole de dignité urbaine que constitue sa réalisation compte plus dans ce cas que son contenu précis, qui se partage entre une ample description des modalités

52 Memmingen, StA, A 399/1, Urkunde 2 : « Comme le maire, le conseil et les maîtres de métier tinrent absolument à ce que les marchands et les taverniers aient une zunft [certainement dans le double sens de „corps de métier“ et de „règlement“ !] ainsi qu’un Zunftmeister, nous l’avons fait et avons pris un Zunftmeister et onze honorables hommes à ses côtés ». La rédaction de la charte, sans plus de suscription ou d’adresse que de clauses finales, ne permet pas d’en déterminer plus précisément la date. 53 P. Eitel, Die oberschwäbische Reichsstädte im Zeitalter der Zunftherrschaft, p. 11.

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de désignation du Conseil et une règlementation concernant les métiers, absente des différents modèles putatifs. L’ample prologue du texte de Pfullendorf justifie les décisions prises « wan in den Staten gůte ordnung und rehte gehorsami mit kainen dingen alz wol alz mit gerehten redlichen zunften und zunftrehten beliben und bestehen mag54 » (car dans les villes le bon ordre et la juste obéissance ne peuvent exister et durer aussi bien qu’avec de justes et honnêtes métiers et droits de métier) ; le rappel du texte augsbourgeois, qui parle de « toutes les villes du saint Empire romain où sont des métiers », dans lesquelles « l’honneur et la bonne amitié, la paix et la bonne justice progressent », est assez net, mais le couple « Zünfte und Zunftrechte », qui est répété ultérieurement au singulier ou au pluriel, ne se retrouve qu’à Pfullendorf. Les rédacteurs du texte de 1383 avaient-ils à leur disposition l’une ou l’autre des chartes citées ? Il arrive certes parfois qu’une ville demande explicitement à sa voisine la communication de son droit, mais rien dans la charte ou ailleurs n’indique l’usage d’un tel modèle dans le cas présent ; ce que savaient les élites de Pfullendorf, ce n’était sans nul doute rien de plus que les grandes lignes des régimes politiques des villes voisines et le fait que la mise en place d’un tel régime passait par la rédaction d’une charte. L’ample rédaction du texte qui découle de leurs réflexions, dont la diversité thématique dépasse tout modèle potentiel, montre bien à quel point l’enjeu est ici au moins autant un enjeu de majesté que le fruit de considérations juridiques concrètes. Plusieurs chartes

Dans quelques villes, ce n’est pas une charte qui, au xive et au xve siècle, vient décrire l’organisation des institutions, mais la succession de plusieurs chartes. La multiplicité des chartes recouvre des situations différentes, de l’instabilité structurelle d’un système politique placé au cœur de tensions sociales irréconciliables (Constance) à une évolution plus apaisée et progressive de l’infrastructure politique (Esslingen). Dans le cas de Constance, c’est la conflictualité persistante entre patriciens et métiers qui conduit à ces redéfinitions, en 1371, en 1389, en 1421, en 1430, sous la forme d’arbitrages dans les trois premiers cas (par le bailli impérial, puis par les villes voisines du lac), par une intervention souveraine de Sigismond en 1430 – avec une certaine efficacité, puisque le système créé n’est significativement modifié qu’en 1510 par Maximilien : le souverain rend aux métiers une nette majorité au Conseil, par intérêt politique et non dans le cadre de luttes internes à la ville55. Un premier soulèvement en 1342, attesté par les chroniques56 et se déroulant dans le contexte de l’interdit frappant les partisans de

54 Pfullendorf 1383, p. 160. 55 K. Beyerle Konrad (éd.), Die Konstanzer Ratslisten des Mittelalters, Heidelberg, Winter, 1898, p. 31-32 (d’après une copie dans les mélanges historiques de Christoph Schulthaiß [fin du xvie siècle], conservés aux Archives municipales de Constance). 56 Heinrich von Diessenhofen, Chronica ecclesiastica, éd. A. Huber dans J. Fr. Böhmer (éd.), Fontes rerum germanicarum, t. 4, Stuttgart, Cotta, 1868, p. 16-126, ici p. 38 (ainsi que deux fragments qui lui sont attribués, éd. A. Bihrer, « Der erste Bürgerkampf. Zur Verfassungs- und Sozialgeschichte der Stadt Konstanz in der Mitte des 14. Jahrhunderts », ZGO 153 (2005), p. 181-220, ici p. 219) ; Johann von

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Louis de Bavière et la ville de Constance parmi eux57, n’avait pas amené l’établissement d’une charte constitutionnelle, d’autant plus que force était restée aux patriciens. Il ne fait pas de doute que, si pressant que soit le contexte extérieur, la contestation avait porté sur l’assise sociale du gouvernement urbain : Heinrich von Diessenhofen parle d’une « rumor […] contra regentes civitatem », et que « mangnum concilium et etiam sociaetates facere decreverunt » – le verbe n’a pas de sujet explicite qui caractériserait plus précisément les révoltés, mais les précisions qu’il donne montrent l’idéal représentatif qui animait les contestataires : le Grand conseil aurait eu cent membres et chaque societas, c’est-à-dire chaque Zunft, y aurait envoyé deux des siens, à la place des trente-six « de melioribus » qui constituaient jusqu’alors le Conseil unique. Ceux que Johann von Winterthur qualifie de « cives pociores », qui s’étaient exilés, reviennent après quelques mois, mettant certainement fin à ce nouvel ordre politique. L’épisode avait pourtant eu des conséquences durables : plusieurs Zünfte, certainement créées alors, avaient reçu un règlement, copieux et soigneusement rédigé, qui établissait leur dignité58. Dans leur rédaction, dans leur contenu, dans l’assise juridique qu’elles offrent aux métiers, elles se rapprochent des chartes presque contemporaines des métiers de Nördlingen tenant lieu de charte constitutionnelle en 134859, d’autant qu’une direction collective du métier y est prévue (« der zunftmaister und die sehs », le maître de métier et les Six). La différence avec Nördlingen est cependant que rien n’indique à Constance que les élus du métier ont vocation à participer au gouvernement municipal, ces chartes par métier ne constituent donc pas une définition indirecte du régime politique. Ce n’est donc que par les chroniques citées qu’on peut se faire une idée de la participation non patricienne au Conseil, mais les patriciens gardent la haute main, pour plusieurs décennies encore, sur le gouvernement municipal. La première charte constitutionnelle, elle, est rédigée en 1371 sous la forme d’un arbitrage du burgrave Friedrich von Zollern, qui en tire d’ailleurs un profit très direct60. Le système qu’il crée est un système paritaire qui entérine l’importance politique des Zünfte. Dans les décennies qui suivent, sans nouvelle crise majeure entre patriciens et métiers, ces derniers réussissent cependant de manière de plus en plus nette à contrôler le système politique de la ville, notamment en tirant profit de leur prééminence au Grand conseil61 : la pratique institutionnelle fait ainsi évoluer avec une réelle souplesse

Winterthur, Chronik, p. 190. Cf. le récit des cinq Bürgerkämpfe successifs, tels que déjà distingués par les chroniqueurs de l’époque moderne, par Fr. Horsch, Die Konstanzer Zünfte in der Zeit der Zunftbewegung bis 1430 unter besonderer Berücksichtigung des Zunftbuches und der Zunftbriefe, Sigmaringen, Thorbecke, 1979 (KGR 23), p. 21-28 et E. Joos, « Die Unruhen der Stadt Konstanz 1300-1450 », ZGO 116 (1968), p. 31-58. 57 H. Maurer, Konstanz im Mittelalter, 2 t., Konstanz, Stadler, 1989 (Geschichte der Stadt Konstanz 1-2), t. I, p. 194-197. 58 Chartes des débitants de vin (1343), des tailleurs et des boutiquiers (1345) éditées par Fr. Horsch, Die Konstanzer Zünfte, p. 104-109. La charte des boutiquiers est reproduite dans H. Maurer, Konstanz im Mittelalter, t. I, p. 199. 59 Cf. supra, p. 31-32. 60 Ph. Ruppert (éd.), Das alte Konstanz in Schrift und Stift. Die Chroniken der Stadt Konstanz, Constance, Münsterbau-Verein, 1891, p. 322-323 (reconnaissance de dettes de la ville au burgrave pour 5000 fl.). 61 O. Feger (éd.), Vom Richtebrief zum roten Buch. Die ältere Konstanzer Ratsgesetzgebung, Constance, Thorbecke, 1955 (KGR 7), p. 33*.

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l’architecture conçue par l’arbitrage du burgrave. Il y a certes une crise importante dans cette période, sous la forme d’une révolte en 1389 de nombreux métiers contre l’autorité du Conseil : l’épisode est éminemment politique, mais il est très différent des révoltes urbaines des autres villes de la région en ce qu’il critique l’autoritarisme du Conseil et de certains de ses membres en particulier. La question n’est pas celle de l’architecture institutionnelle, mais celle de la représentation, les dirigeants des métiers étant particulièrement visés par le mécontentement de leurs ouailles. Aucune charte constitutionnelle n’est alors rédigée, on le comprend aisément, mais cette crise interne au régime des métiers a tout de même des conséquences écrites : d’une part, le Grand conseil établit par écrit le principe du renouvellement annuel de tous les offices municipaux62 ; d’autre part, c’est à cette date qu’est copiée pour la première fois, dans une compilation commandée alors au secrétaire municipal Konrad Sachs, la première version des Geschworene Satzungen, « Lois jurées » dont nous aurons à reparler. La dernière crise qui remet en cause l’organisation politique de la ville coïncide avec la période de crise économique qui suit la fin du concile en 1418 : ouverte avec une réunion du commun en juillet 1420 et marquée par un des nombreux épisodes d’agitation populaire contre les juifs, la crise dure toute une décennie, jusqu’à l’intervention de Sigismond rétablissant en décembre 1430 un régime certes paritaire, mais dominé par les patriciens dont la cohérence en tant que groupe social restait incontestable63. L’enjeu de cette longue crise, pour les membres des métiers, était bien de défendre le régime des métiers et sa logique représentative, sans remettre en cause l’organisation des institutions ; cette fois, le poids politique des métiers était mis en danger par la collusion toujours plus étroite entre les plus riches des membres des métiers et les patriciens, de plus en plus unis par les stratégies matrimoniales, la sociabilité et les intérêts économiques communs. La première étape de cette crise amène la rédaction par les villes voisines du lac d’une charte d’arbitrage en 142164 ; trop prudente pour être efficace, cette charte ne règle que des détails et n’empêche pas la radicalisation de la domination des métiers dans les années qui suivent, jusqu’à tenter de rompre les liens entre patriciens et membres de métiers, entraînant un exil massif des patriciens : c’est cela, avec un soulèvement contre les juifs aboutissant à l’élection d’un nouveau Conseil, qui déclenche l’intervention de Sigismond. Le souverain met alors un terme à ces décennies d’affrontement interne entre patriciens et membres des métiers, à l’avantage des premiers. On le voit bien, les chartes constitutionnelles ne sont dans ce contexte que la sanction de quelques moments-clefs d’une histoire constitutionnelle et politique beaucoup plus complexe65 ; cette histoire, en outre, est marquée comme nulle part

62 O. Feger, Vom Richtebrief zum Roten Buch, p. 60 (et l’ensemble des p. 58-62 pour les conséquences législatives du soulèvement), cf. la liste des élus du conseil de novembre 1389 dans K. Beyerle, Die Konstanzer Ratslisten des Mittelalters, p. 113-114, qui montre bien que, si la plupart des patriciens du Grand conseil restent en fonction, sans doute faute de remplaçants possibles (il y a tout de même 70 postes à pourvoir !), la quasi-totalité des représentants des métiers sont en effet remplacés. 63 E. Joos, « Die Unruhen der Stadt Konstanz 1350-1450 », p. 46-51. 64 Ph. Ruppert, Das alte Konstanz in Schrift und Stift, p. 341-344. 65 Cf. les dispositions législatives éditées par O. Feger, Vom Richtebrief zum Roten Buch, par ex. p. 4, 20, 22, 23, etc.

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ailleurs par des lignes de faille internes qui entrent en résonance avec d’autres questions politiques à plus grande échelle, au sein de chacun des deux camps, par rapport aux souverains, aux évêques ou à la confédération helvétique. Ce n’est pas un hasard si les chartes constitutionnelles de 1371 et 1430, tout comme la charte d’arbitrage de 1421, sont rédigées par des instances extérieures, dès lors que les chances d’un compromis interne s’avèrent très limitées. Mais la persistance du conflit montre bien que, dans une telle situation, le recours à un arbitrage extérieur est une solution peu satisfaisante : seule l’autorité impériale, qui prend d’ailleurs un soin extrême à étayer son argumentation, parvient à construire un pouvoir stable. Une seule ville a une histoire constitutionnelle plus agitée encore pendant les derniers siècles du Moyen Âge, Fribourg-en-Brisgau66. La contestation du pouvoir trop concentré d’un Conseil à l’assise sociale trop étroite y est plus ancienne qu’à Constance ; la complexité particulière de cette histoire tient, elle, essentiellement à la relation de la ville avec ses seigneurs successifs, qui ne se désintéressent jamais des affaires intérieures de leur ville. Dès 1248, une charte en latin vient sceller un accord entre les vingt-quatre membres patriciens du Conseil et l’« universitas civium ville Friburgensis67 », qui avait soumis le Conseil à une critique peu amène : avec l’accord du comte de Fribourg, un second collège de vingt-quatre membres est créé, « sine quorum consilio et consensu priores nec debent nec possunt commune negocium ville nostre aliquatenus ordinare ». Il ne s’agit pas encore de métiers, loin de là, et les « nouveaux » Vingt-quatre n’ont sans doute pas un profil social très différent des « anciens ». Un seul détail du texte, dans les clauses finales, laisse entendre qu’il ne s’agit pas d’un simple accord entre pairs : « actum publice […] in cimiterio ante curiam domini Růdolfi plebani nostri ». C’est donc dans un espace ouvert, par opposition aux espaces confinés d’un hôtel de ville, que ces dispositions ont été prises, de façon à pouvoir accueillir une assistance nombreuse – l’idée de la commune comme instance légitimante, si incertain que soit son périmètre, est ici sous-jacente. Cette ouverture encore limitée se poursuit dans les décennies suivantes : un maire est en place en 1291, des noms d’artisans commencent à apparaître dans les sources officielles et même au tribunal et au Conseil. En 1293, le comte de Fribourg promulgue deux chartes : l’une a pour ambition de renouveler le droit urbain, y compris pour d’importantes questions politiques ; l’autre s’attache plus particulièrement aux Zunftmeister et au maire, dont il se réserve la nomination, et

66 Pour tout ce qui suit, cf. les articles de J. Gerchow et H. Schadek, « Stadtherr und Kommune. Die Stadt unter den Grafen von Freiburg », et R. Merkel, « Bürgerschaft und städtisches Regiment im mittelalterlichen Freiburg » dans la remarquable Geschichte der Stadt Freiburg im Breisgau, dir. par H. Haumann et H. Schadek, respectivement p. 133-214 et 565-595. 67 Le sens précis du mot « universitas civium » n’est pas aisé à déterminer : il est probable, comme le suppose de façon générale J. Sydow, « Elemente von Einheit und Vielfalt in der mittelalterlichen Stadt (im Lichte kirchenrechtlicher Quellen) », in Id., Cum omni mensura et ratione. Ausgewählte Aufsätze, Sigmaringen, Thorbecke, 1991, p. 80-91, qu’on a affaire ici à une conception restrictive du mot civis, qui ne renverrait ni au strict patriciat, ni à l’ensemble des citadins de plein droit, mais à l’équivalent des « bonnes gens » étudiées récemment par T. Dutour, Sous l’empire du bien : « bonnes gens » et pacte social, xiiie-xve siècle. Paris, Classiques Garnier, 2015 (Bibliothèque d’histoire médiévale 13).

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elle règle la participation de représentants de métiers au Conseil, plus précisément aux nouveaux Vingt-Quatre, dont ils forment le tiers à égalité avec les nobles et avec les marchands. Ce n’est encore qu’une participation minoritaire, et le seigneur conserve un contrôle étroit sur l’ensemble68, mais c’est un premier pas, d’autant plus important que d’autres villes, à commencer par Esslingen, prendront modèle sur Fribourg les années suivantes. L’évolution se poursuit sur plusieurs décennies : en 1316, le seigneur abandonne une partie de ses droits, notamment sur la nomination du maire et des maîtres de métier, tout en autorisant le développement d’une fiscalité urbaine propre69. Le passage de la ville aux Habsbourg en 1368 ne fait que confirmer cette progression de l’autonomie politique de la ville70, mais les évolutions internes rompent le statu quo dans les décennies suivantes : en 1388, on l’a vu, les Fribourgeois défient leur seigneur en créant un régime vraiment dominé par les métiers, mais de courte durée : la charte du duc Léopold, en 1392, crée un régime théoriquement paritaire dans lequel il rétablit une influence seigneuriale décisive, mais cette charte très interventionniste, qui reste formellement en vigueur jusque dans les années 1450, devient progressivement caduque. En 1454, dans une situation de crise économique et démographique durable pour la ville, le duc Albrecht VI abolit une partie non négligeable des articles de la charte de 1392 : les métiers sont les premières victimes de cette tentative de restauration qui vise explicitement la place des plus artisanaux d’entre eux et de leurs représentants les moins fortunés dans le Conseil71. Cette nouvelle charte est cependant si loin des besoins de la ville que les métiers retrouvent un rôle politique dans les faits dès 1459 et de droit en 1464, juste après la mort d’Albrecht72. Cette évolution complexe témoigne à toutes les étapes d’une très forte pression au sein de la société urbaine pour obtenir une large participation bourgeoise au gouvernement urbain, en même temps qu’une forte et constante croyance à l’efficacité du politique comme solution aux problèmes de la ville, confrontée à un déclin démographique et économique lent mais indéniable73. La multiplication des chartes constitutionnelles et plus largement politiques tient au moins autant à l’intervention des seigneurs qu’à l’évolution des rapports de force au sein de la société urbaine. Les seigneurs octroient certes une large autonomie à leur ville, mais la libre détermination des paramètres de l’organisation politique urbaine n’en fait pas partie ; leurs interventions ne sont cependant jamais de simples actes d’autorité, mais le résultat d’interactions avec une société urbaine qui possède ses dynamiques propres. Dans le cas d’Esslingen, il est évident que les chartes qui donnent une place croissante aux métiers à partir de 1316 ne sont pas le produit d’un consensus politique durable, mais elles émanent à chaque fois de l’autorité municipale elle-même, sans 68 Cf. J. Gerchow, H. Schadek, « Stadtherr und Kommune », p. 151-153. 69 H. Schreiber, Urkundenbuch der Stadt Freiburg im Breisgau, t. I, p. 208-210. 70 Cf. ibid., p. 541. 71 Fribourg 1454, p. 435-436 ; cf. texte cité infra, p. 177-178. 72 Ibid., p. 484-485 (sans plus de détails sur les modalités de cette recréation). 73 Cf. encore l’enquête menée en 1476 pour tenter de trouver une solution à l’endettement de la ville lié à ce déclin (T. Scott, Die Freiburger Enquete).

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que soit invoquée quelque autorité extérieure que ce soit74. Le compromis de 1392, qui reprend déjà beaucoup de dispositions plus anciennes, est ensuite simplement renouvelé en 1401 et 1414, avec un nombre assez important de variantes qui montrent bien qu’on a relu avec soin le texte précédent avant de procéder à la fabrication de la nouvelle charte75. Certaines de ces variantes ne font que préciser des détails de procédure, voire de simple formulation ; la disparition dans le protocole de la charte de 1414 de la mention de la « commune » et celle de l’invocation des « riches et des pauvres » de la ville ne sont certainement pas gratuites : c’est toujours en leur intérêt que la ville est gouvernée, mais ils ne sont plus présentés comme acteurs de la décision politique. Surtout, la charte de 1414 ajoute un long passage qui encourage les bourgeois à dénoncer tous ceux qui comploteraient contre la ville et le Conseil, mais elle contient aussi beaucoup de dispositions sans rapport avec la politique, au sujet des empiètements sur les biens communaux ou de la transmission de biens. C’est somme toute logique : dès lors que la charte est le support du serment annuel, elle a vocation à accueillir comme les Geschworene Satzungen de Constance toutes les dispositions que le Conseil juge essentielles ; ces dispositions n’étaient pas nécessairement nouvelles en 1414, et même si elles n’avaient pas été intégrées au texte de 1401, rien n’empêche qu’elles aient pu être adjointes à la lecture des chartes des décennies précédentes. Mais si la charte de 1414 est la dernière des chartes jurées que nous avons conservées, l’histoire constitutionnelle de la ville s’incarne une dernière fois en 1491, cette fois sous la forme d’un mince volume relié de vingt-six pages de parchemin76. Couramment qualifié de Regimentsordnung, ce livre fait montre d’un luxe certes relatif, mais certain. Sur le plat de la reliure sur ais de bois, une plaque de métal ajourée représentant l’aigle impériale porte la date de réalisation du volume ; si l’essentiel du texte et les ajouts ultérieurs sont écrits avec soin mais sans décor, la première page bénéficie d’un soin peu habituel dans la production des chancelleries urbaines : le W initial prend la forme d’une lettrine dorée sur fond bleu dans un cadre rouge et des motifs végétaux, eux aussi en couleur, sont peints dans les marges ; comme les codes juridiques des siècles précédents, le texte écrit en 1491 reçoit ensuite des ajouts les plus divers pendant plusieurs décennies. Le début de ce texte a toutes les caractéristiques formelles attendues du texte d’une charte : « Wir der Burgermaister unnd Ratt und die Burger gemainlich reich und arm der statt Esslingen77 » (Nous le maire, le conseil et l’ensemble des bourgeois riches et pauvres de la ville d’Esslingen) avons pris les dispositions suivantes, qui devront être lues chaque année avant l’élection du maire. On comprend dès lors que c’est pour être montré qu’un volume muni d’une pareille reliure a été réalisé. Même s’il ne porte pas les mentions habituelles de lecture qui figurent sur d’autres écrits d’autres villes (lege/non 74 L’influence du contexte général est cependant patente aussi bien en 1316, dans le contexte de la double élection de 1314, qu’en 1376, où la rédaction d’une nouvelle charte fait suite à la cassation par Charles IV de la charte de 1316, cf. infra, p. 86-87. 75 Cf. aussi le cas de Colmar évoqué infra, p. 58. 76 Esslingen, StA, Fasz. 4, no 5 (Regimentsordnung 1491). 77 Ibid., p. 1.

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lege, par exemple), le volume a été utilisé au moins pendant quelques décennies. Le texte prévoit ainsi p. 4 que le maire jure « zů got dem almechtigen » (à Dieu le tout-puissant) : les deux derniers mots ont visiblement été écrits plus tard, certainement en rectifiant par grattage un texte initial qui devait être plutôt « à Dieu et aux saints » : la Réforme, introduite à Esslingen en 1531, est certainement passée par là sans pour autant rendre le volume caduc. Les dispositions que contient le texte sont, au prix d’un léger travail de reformulation, exactement les mêmes que celles de la charte constitutionnelle précédente, dans sa version de 1414 : aux articles que cette dernière version avait ajoutés à la charte de 1392, le livre de 1491 joint plusieurs nouvelles dispositions, puis continue avec le serment prêté chaque année par les nouveaux élus : ainsi se termine, en haut de la page 16, le texte copié d’une traite en 1491 ; les clauses finales que les règles du discours diplomatique respectées au début du texte laissaient attendre sont entièrement absentes. À Ulm, où l’émergence des Zünfte comme organes participant de la puissance publique est un long processus commencé dès la fin du xiiie siècle78, une première charte de 1345 est complétée par une seconde en 1397. Cette seconde rédaction commence par résumer les acquis constitutionnels de la première charte, avant de préciser que les bourgeois d’Ulm entendent « bi der selben ordnunge […] och noch fürbaz beliben » (en rester encore à l’avenir à cette même ordonnance) ; s’il est pourtant nécessaire de remettre l’ouvrage sur le métier, c’est que « der stat löffe und sache hie mit der hilfe Gotz vast gemeret hand » (les affaires et les problèmes de la ville, avec l’aide de Dieu, ont beaucoup augmenté), mais aussi « umb künftig uflöffe, zwitracht und stöss ze fürkomen und niderzelegen » (pour prévenir et abattre à l’avenir les soulèvements, discordes et affrontements), avec, en guise de remède souverain à tous ces défis nouveaux, l’instauration d’un Grand conseil. L’évolution ne s’est pas faite sans heurts, mais on peut présenter cette nouvelle charte comme un prolongement logique de la première, la montée en puissance de la société urbaine conduisant à accroître la capacité d’intégration du système institutionnel. Dans le cas de Villingen, la rédaction d’un nouvel exemplaire de la charte de 1324 est motivée, vers 1420, par une nécessité pratique : la charte est en effet lue chaque année à l’occasion du serment annuel. Or la démographie déclinante de la ville avait conduit la municipalité à obtenir en 1418 de son seigneur une réduction du nombre de membres du Conseil79 ; il devenait alors utile d’adapter le texte de la charte de 1324 aux nouvelles pratiques, puisqu’au lieu des trois collèges de Vingt-quatre qui composait le Conseil, le duc Frédéric d’Autriche avait placé, sans doute à la suggestion des demandeurs, un Conseil composé de douze juges et des Zunftmeister.

78 Cf. C. Keitel, « Städtische Bevölkerung und Stadtregiment bis 1397 », in H. E. Specker (dir), Die Ulmer Bürgerschaft auf dem Weg zur Demokratie. Zum 600. Jahrestag des Großen Schwörbriefs, Stuttgart, Kohlhammer, 1997 (Forschungen zur Geschichte der Stadt Ulm. Reihe Dokumentation 10), p. 87-118, ici p. 93-103 ; je ne reviens pas sur le rôle du maire Ulrich Kunzelmann, qui s’appuie entre 1328 et 1330 sur les Zünfte dans le cadre des troubles liés à l’absence de Louis de Bavière : l’épisode apparaît essentiellement comme une lutte au sein du patriciat et n’a pas laissé de traces précises sur la position politique des Zünfte. On peut simplement supposer que l’épisode a pu confirmer les ambitions politiques des Zünfte telles qu’elles se manifesteront une quinzaine d’années plus tard. 79 C. Roder, Villingen, p. 93-94.

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Chartes, codes, coutume

L’absence de charte, cependant, ne signifie pas nécessairement qu’aucune codification du système institutionnel municipal n’existe, et ce à aucun moment de la période considérée. Dans le cadre des régimes patriciens qui précèdent partout la mise en place des régimes de métiers, une règlementation sur le fonctionnement du Conseil existait déjà souvent, et souvent par écrit, mais elle relevait beaucoup plus de ce que nous appellerions un règlement intérieur que d’une description structurée des institutions80 : il ne s’agissait pas d’établir la composition du Conseil ou de répartir des compétences, mais simplement de s’assurer de son bon fonctionnement, avec pour objectif fondamental la pacification des débats. Ces dispositions figuraient notamment dans les codes de droit qui constituent dans beaucoup de villes l’héritage juridique majeur des régimes patriciens, Rotes Buch (Livre rouge) d’Ulm ou de Constance81, Stadtbuch (Livre de la ville) d’Augsbourg en 127682 et de Leutkirch dans les années 138083. L’élément dominant de ces textes n’est pas la crainte d’une contestation externe, mais celle d’une paralysie interne découlant de l’affrontement de clans rivaux en son sein. Pour ce faire, ces codes règlementent par exemple la présence simultanée de parents proches, définissent les règles de circulation de la parole ou fixent la place de chacun dans la salle des sessions. Les régimes de métiers, soucieux de fonder leur légitimité sur le droit, et plus précisément sur un droit accessible à tous et non plus connu du seul cercle étroit des conseillers et juges, reprennent d’autant plus à leur compte ces sources de droit légitimées par leur ancienneté que ces dispositions politiques internes au Conseil sont en pleine conformité avec leurs objectifs de pacification et de construction d’un compromis social, à commencer par la limitation de la parenté entre membres du Conseil84. Les chartes constitutionnelles, si détaillées qu’elles puissent être, ne sont donc pas les seules sources de droit relatives à l’organisation politique de la ville. Dans les décennies précédentes, la fixation et l’actualisation du droit urbain se tenaient en un lieu pour ainsi dire unique, ce qu’une très révélatrice charte de la

80 C’est en partie ce que traite E. Isenmann, « Ratsliteratur und städtische Ratsordnungen des späten Mittelalters und der frühen Neuzeit : Soziologie des Rats, Amt und Willensbildung, politische Kultur », in P. Monnet, O. G. Oexle (dir.), Stadt und Recht im Mittelalter, Göttingen, Vandenhoeck & Ruprecht, 2003 (Veröffentlichungen des Max-Planck-Instituts für Geschichte 174), p. 215-479, sans vraiment distinguer ce qui relève de la structure institutionnelle de la municipalité et ce qui constitue simplement la pratique interne des conseils – l’importance que prend Nuremberg dans ses développements justifie sans doute cette indistinction. 81 Cf. pour Constance le texte conservé par une copie relative à Schaffhouse (O. Feger, Vom Richtebrief zum Roten Buch, p. 26-27, 29-30, 32-33, etc.). 82 Chr. Meyer (éd.), Das Stadtrecht von Augsburg, insbesondere das Stadtbuch von 1276, Augsbourg, Butsch 1872, p. 11, et surtout dans des ajouts ultérieurs sans doute antérieurs à 1320, p. 72, 75, 76, ainsi qu’un règlement plus long ajouté sans doute en 1291, p. 235-239 ; cf. aussi le code de 1396 à Memmingen : Augsburg, SA, Reichstadt Memmingen, MüB 8, éd. M. von Freyberg, Sammlung historischer Schriften und Urkunden, t. V, p. 241-324 (ainsi que la copie réalisée peu de temps après pour Kaufbeuren [ibid., MüB 9]). 83 K. O. Müller, Oberschwäbische Stadtrechte, t. I, par ex. p. 55 (article ajouté en 1404), 73, 87, 92, etc. 84 Par exemple Dinkelsbühl 1387.

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Ligue souabe de 1384 qualifie de « ir stat gesworn bücher […], daz daz allez järlichen mit andern iren gesetzen ernůwet und gelesen werden85 » (le code de loi juré de leur ville […], de telle sorte que ceci soit renouvelé et lu annuellement avec leurs autres lois) : ce que beaucoup de sources qualifient plus simplement de « der stat bůch », « le livre de la ville », est présenté comme une nécessité pour l’administration urbaine et une lecture annuelle en est présupposée. Les faits sont moins univoques que cela : la charte de 1384 n’est que rarement copiée dans les livres des villes, et là même où elle a été copiée le registre qui les accueille ne sert pas nécessairement de support à la prestation de serment. Cette prescription faite par la Ligue à ses membres montre au moins à quel point l’usage administratif et politique de l’écrit est désormais une évidence. La relation entre ces codes de droit et la rédaction de chartes constitutionnelles est particulièrement complexe : la rédaction de codes juridiques est souvent nettement antérieure à celle des chartes, mais ces deux types de sources sont tous deux essentiels dans l’histoire politique de nos villes. De tels codes, après tout, pourraient paraître plus adaptés qu’une simple charte pour donner au changement constitutionnel sa traduction écrite. Pour autant, hors du cas particulier de Kaufbeuren, ce n’est pas dans ces codes, malgré la promesse de pérennité et la solennité qu’ils apportent aux textes qui y sont copiés, que les élites politiques choisissent de mettre par écrit les dispositions constitutionnelles instituant les régimes de métier. Naturellement, les acteurs politiques n’expliquent jamais cette préférence, mais quelques observations peuvent aider à la comprendre. Au moment où les nouveaux dirigeants des métiers reçoivent le Livre des mains de leurs prédécesseurs patriciens, ils en connaissent l’importance, mais ils n’ont pas connaissance directe de son contenu, les questions d’organisation interne du Conseil étant au reste sans doute moins centrales que celles qui entrent en jeu dans la procédure judiciaire ; peut-être, malgré leur volonté de faire du Livre une chose publique, voient-ils encore dans ce volume la chose des patriciens. En outre, le contenu politique de ces codes est bien différent de celui des chartes constitutionnelles : la composition, le mode de renouvellement, les compétences des différentes instances du Conseil patricien n’ont pas besoin d’autre soutien juridique que celui de la coutume et les enjeux des règlementations patriciennes ne sont pas d’actualité pour les concepteurs des régimes de métier. La rédaction d’une charte, outre l’attrait de la nouveauté, s’impose donc pour créer une rupture par rapport aux pratiques patriciennes. Les codes de droit, pourtant, ne perdent pas toute importance dans l’histoire politique des villes d’Empire, et les nouvelles élites politiques montrent rapidement leur habilité à utiliser les différents types d’écrit administratif à leur disposition. La charte de Pfullendorf (1383, p. 170) mentionne un Burgerbuoch, « livre des bourgeois » qui aurait contenu notamment des

85 UA Städtebünde, t. III/2, p. 1741 (cf. aussi p. 1749, § 4) ; le texte est copié dans le code de Leutkirch (K. O. Müller, Oberschwäbische Stadtrechte, t. I, p. 89), sous une forme légèrement différente (« ir stat gesworen gesetzbůch », leur livre juré des lois), à Saint-Gall ou à Rothenburg, mais pas dans ceux d’Augsbourg, de Constance ou d’Ulm, pour ne citer que les principales villes de la région.

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« alt satzungen » (anciennes lois) relatives aux boulangers : même si elle ajoute quelques dispositions nouvelles, le droit existant des métiers n’est donc pas supprimé – dès lors que c’est des boulangers qu’il s’agit, ces dispositions constituaient certainement un droit contraignant (pour éviter les fraudes) plutôt que le produit d’une autonomie réglementaire du métier. Il n’en est pas moins remarquable que la charte en souligne aussi clairement la validité maintenue dans le nouveau système politique. Les chartes constitutionnelles ne rendent nulle part caducs les livres de droit ; au contraire, l’introduction des métiers avec ou sans charte constitutionnelle peut avoir des conséquences très marquées dans la mise par écrit du droit. À Ravensburg, où des métiers sont introduits sans doute vers 1346/1347 sans rédaction d’une charte, un code de droit existait depuis 1326 ; c’est par une simple mention dans ce premier code, vers 1351, que sont attestés pour la première fois des maîtres de métier et par là même des Zünfte86. Ce n’est que plus tard, notamment dans la nouvelle rédaction du Livre à partir de 1361, que l’évolution des institutions est mise en forme écrite87. Le droit de Ravensburg, qui s’incarne dans plusieurs registres successifs et connaît donc plusieurs rédactions actualisées, fait preuve tout au long du xive siècle d’une plasticité que n’a pas, par exemple, le Livre augsbourgeois, certes enrichi de nouvelles dispositions, mais toujours ramené à sa version initiale de 1276, jamais remplacée par une nouvelle rédaction. Peut-être cette souplesse rend-elle la rédaction d’une charte moins indispensable ; peut-être même, plus largement, la forme même du registre, une fois surmonté le blocage que constitue l’idéal d’un droit éternel, facilite-t-elle cette actualisation écrite, tandis que les chartes constitutionnelles, quant à elles, se prêtent moins à une adaptation progressive. Les informations que donnent ces versions successives du code de droit en matière politique n’ont cependant pas le caractère systématique, on pourrait presque dire raisonné, qui caractérise les descriptions de systèmes politiques dans les chartes constitutionnelles. Même si ces codes n’ont pas la diffusion très large de ceux d’Allemagne du Nord, tel le droit de Magdebourg utilisé notamment pour les villes d’Europe orientale, ils connaissent une large diffusion dans l’Allemagne du Sud, en particulier par octroi du souverain88 : ils participent ainsi d’une culture juridique partagée, dont les chartes constitutionnelles pourraient être une autre facette. Si le concept même d’un régime de métiers a pu être diffusé par les mêmes canaux, on ne peut que constater que les

86 K. O. Müller (éd.), Oberschwäbische Stadtrechte, t. II : Die älteren Stadtrechte der Reichsstadt Ravensburg, Stuttgart, Kohlhammer, 1924 (WGQ 21), p. 83-85. 87 Ibid., par exemple p. 145 et 150 (cf. pour la datation la description des manuscrits, p. 13-20 et 25-32). Le premier code de droit, dès 1326, contenait une disposition prévoyant une limite de cinq livres au-delà de laquelle le conseil ne pouvait s’engager « ane der gemaine willen und wissen » (sans que le commun ne le veuille et le sache), un peu comme dans beaucoup de chartes constitutionnelles où le Grand conseil doit être convoqué pour les affaires d’importance. 88 Le droit d’Ulm est ainsi octroyé par les souverains à de nombreuses villes, notamment sous le règne d’Albrecht Ier (Ravensburg, Memmingen, Dinkelsbühl, Biberach…), cf. Wirtembergisches Urkundenbuch, 11 vol., Stuttgart, Kohlhammer, 1849-1913, t. VII, p. 296-304 et M. Klein, Stadtherrschaft und Stadtrechtsfamilien, p. 4 et carte. Ces codes en relation directe avec le pouvoir souverain sont en général plus anciens que les chartes constitutionnelles ici évoquées ; s’ils traitent avant tout de droit criminel et de droit privé, ils contiennent aussi souvent des dispositions relatives au fonction des Conseils patriciens, sur l’organisation des débats en leur sein notamment : ces codes sont toujours en

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chartes, elles, n’ont pas connu une diffusion directe très importante ; le souverain lui-même a certes connaissance d’une partie du moins d’entre elles, celles dont il est l’auteur comme celles qu’on lui demande de confirmer, mais il ne s’appuie pas sur de tels antécédents quand il intervient dans la vie politique de telle ou telle ville d’Empire : le contexte local, gouvernants et secrétaires, est ici plus important que la centralisation impériale. Peut-être faut-il même considérer que leur aspect interurbain n’est pas étranger au choix des villes de ne pas recourir aux codes juridiques pour entériner les nouvelles règles du jeu politique ; peut-être aussi, plus largement, les villes ont-elles considéré que le droit privé, qui occupe l’essentiel des codes juridiques, n’avait pas à être confondu avec les dispositions politiques nouvelles. Les codes juridiques ne commencent à intégrer des dispositions plus nettement constitutionnelles qu’à partir du dernier tiers du xive siècle, à un moment où le déve­ loppement des régimes de métiers a fait entrer l’écriture politique dans les habitudes des gouvernements urbains : on l’a vu dans le cas de Kempten89, et c’est également le cas à Isny, où le code rédigé en 1396 comprend plusieurs dispositions politiques au fil des pages90. Rien dans ces dispositions n’entre en contradiction avec la charte de 1381 où Otto von Waldburg avait vendu à la ville l’essentiel de ses droits politiques ; il s’agit plutôt de préciser l’application des dispositions de la charte de 1381, dont il est patent que ce sont les citadins qui les ont formulées. La vocation d’un tel livre, ou du moins de sa rédaction initiale, n’est pas de créer un droit nouveau, mais il est fréquent que de nouvelles dispositions y soient enregistrées par la suite, notamment pour leur donner une solennité et une permanence plus grandes, et les questions politiques font partie des domaines qui peuvent justifier de tels ajouts91. Surtout, des villes plus secondaires, qui rédigent après 1400 leur propre code juridique à l’imitation des villes plus grandes, commencent à y intégrer des dispositions constitutionnelles, y compris dans le sens d’une participation accrue des non-patriciens dans les conseils92 : à Wimpfen, le code de 1404 s’ouvre par des dispositions sur l’élection des maires et les serments prêtés par eux et par le commun93 ; cet unique

vigueur quand les régimes de métiers se mettent en place, sans incompatibilité juridique avec les chartes constitutionnelles concentrées au contraire sur le fonctionnement des institutions et notamment les questions de désignation de leurs membres. 89 Cf. supra, p. 30-31. 90 K. O. Müller, Oberschwäbische Stadtrechte, t. I, p. 145, 150, 158, 163, ainsi qu’un ajout du début du xve siècle, p. 141, et d’autres ajouts ensuite. 91 Les municipalités ne mettent en place que tardivement (à la fin du xive siècle à Augsbourg, au début du xvie siècle seulement à Memmingen) des registres de décisions du conseil au fil de leur adoption : pendant longtemps, c’est généralement le Livre de la ville qui accueille, au prix d’une sélection sans doute drastique, l’innovation législative, en général sous forme d’ajouts à l’article pertinent du code initial. 92 Cf. le vaste inventaire d’Ulrich Dieter Oppitz, Deutsche Rechtsbücher des Mittelalters, 3 vol. ; Cologne, Böhlau, 1990-1992. A contrario, dans la ville territoriale de Villingen, le code juridique de 1371 ne comporte pas de telles mesures, parce que le Conseil a été ouvert aux métiers dès 1324 par le seigneur de la ville (cf. C. Keitel, Villingen, p. 17-20 et 29-88) ; seules les modifications à ces règles anciennes y sont écrites. 93 Oberrheinische Stadtrechte. Fränkische Rechte, p. 77 ; cf. aussi le code de la ville de Bönnigheim (au nord de Stuttgart), 1452, ibid. p. 120 : élection des juges par chacun des quatre quartiers de la ville (chaque quartier élit un juge, les quatre juges ainsi élus choisissent ensuite ensemble deux autres juges par quartier). On

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article politique est loin, on s’en doute, de décrire intégralement le fonctionnement du système politique, mais il tend du moins à illustrer comment ces questions institutionnelles se sont imposées comme partie constituante du droit d’une ville. C’est le cas aussi à Bayreuth, ville appartenant à une lignée des Hohenzollern, où est rédigé en 1464 un nouveau code de droit94. Le but de cette codification, tel qu’il est affirmé dans le texte, n’est pas politique : il s’agit de rassembler en un seul document les différentes dispositions juridiques en vigueur dans la ville, sous la forme d’une codification organisée traitant à la fois du Conseil et de la règlementation de différents métiers, suivie par la copie des privilèges de la ville et divers autres matériaux. Une grande partie des archives de la ville avait été anéantie lors d’une incursion hussite en 1430, qui avait d’ailleurs détruit une bonne partie de la ville, si bien qu’elle avait demandé en 1434 à son seigneur de lui confirmer l’ensemble de ses privilèges95 ; la très conflictuelle question politique n’y avait pas été abordée, parce qu’un arbitrage du seigneur en 1432 avait établi entre les patriciens et les autres bourgeois un équilibre somme toute satisfaisant96. Les non-patriciens reprochaient alors aux patriciens d’avoir accepté d’adjoindre aux douze conseillers en place quatorze virtelmeister, « maîtres de quartier », délégation du commun fondée sur une base géographique et non professionnelle, mais de ne pas avoir tenu parole : en réponse à ces doléances, le seigneur accepte que soit créée une délégation de six bourgeois du commun dotés d’une véritable capacité de peser sur la gestion municipale. Ce point, pourtant, n’est qu’un article parmi beaucoup d’autres de la longue charte de 1432 ; beaucoup plus complètes, les dispositions du livre de 1464 maintiennent cette dualité entre un Conseil patricien de douze membres (Conseil intérieur) et un Conseil du commun de six membres (Conseil extérieur), qui est convoqué à la discrétion du Conseil intérieur, mais dont l’avis est nécessaire pour les sujets, notamment financiers, qui engagent tout le commun97. En cette deuxième moitié de xve siècle, la fixation par écrit des règles de fonctionnement des systèmes politiques n’est plus une rareté, et elle n’a certainement plus la charge polémique qui avait justifié la prudence des nouveaux maîtres des nombreuses villes qui s’étaient passé plus d’un siècle plus tôt de charte constitutionnelle ; l’écrit possède de plus dans ce cas précis une vertu majeure, celle de contribuer à pacifier des situations conflictuelles, en fixant précisément et durablement la place de chacun. C’est cependant peut-être le code de la petite ville de Gengenbach, dans la Forêt-Noire, rédigé vers 1460-1480, qui illustre le plus nettement le passage d’un fonctionnement coutumier du système politique à une codification écrite. Naturellement les aspects politiques ne constituent qu’une partie du volume, et ils n’ont pas même l’honneur d’en occuper les premières pages, mais l’aspect narratif,

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remarquera que cette solution de mise par écrit est particulièrement adaptée à ces petites villes où le système politique est encore très simple, et très concentré entre les mains d’un conseil unique peu ouvert socialement. Édition : Chr. Meyer (éd.), Quellen zur Geschichte der Stadt Baireuth, Leipzig, Friesenhahn, 1895, p. 1-116. Ibid., p. XI-XIII et 36. Ibid., p. 42-43. Ibid., notamment p. 4-7.

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historique même, du texte en fait tout le prix98. Quand Gengenbach est devenue ville d’Empire, un Conseil de douze membres est apparu ; mais, la ville ayant été engagée avec les autres villes de l’Ortenau, un « nouveau Conseil » de seize membres issus du commun lui est adjoint, dans une position visiblement subordonnée99. Rien n’est daté dans le texte (les événements concernés ont eu lieu vers 1218 et vers 1360), et le « verstendnuß und ordenung des regiments und des rats der statt Gengembach » (description et organisation du régime et du Conseil de la ville de Gengenbach) est justifié par une longue tradition (« wie von alter gehalten ist und harbrocht » [comme cela a été tenu et transmis depuis longtemps]). À Überlingen, où la charte impériale de 1309 confirmant le droit des citadins à avoir « unam zunftam » ne donne aucun détail sur les institutions créées précédemment, ces informations figurent de la même façon dans un code de droit, ou plutôt un rouleau, commencé à la fin du xiiie siècle et complété jusqu’au xve. Les quelques dispositions constitutionnelles qu’il contient ont sans doute été écrites aux alentours de 1350 : elles ne sont donc pas contemporaines de l’introduction des métiers et semblent avoir pour but d’obvier à des inconvénients nés de la pratique, en interdisant par exemple à un maire de se faire immédiatement réélire après une année de mandat100 ; le second code de droit de la ville, commencé vers 1400, ne reprend pas ces dispositions et il faut attendre la réalisation d’un livre de serments au début du xvie siècle101 pour disposer d’une description systématique des institutions municipales. Les livres de serments, justement, constituent une autre source susceptible d’accueillir des dispositions de nature constitutionnelle : ces textes, qui font aujourd’hui l’objet de travaux de Laurence Buchholzer et d’Olivier Richard102, s’ouvrent souvent sur une description du déroulement annuel du renouvellement des Conseils et des magistrats103 ; les serments qu’ils prêtent, comme on peut s’y attendre, y figurent à leur place. On peut s’interroger sur le statut juridique de ces textes, qui va au-delà de la simple fonction pratique d’une description factuelle ou d’un aide-mémoire du secrétaire municipal, dans un monde où la hiérarchie des normes n’est pas fermement établie : un tel texte, qui ne prétend pas créer le droit mais constater des usages, se rapproche d’une mise par écrit de dispositions coutumières, quitte à amender la coutume – la

98 K. Walter(éd.), Weistümer der Ortenau, Offenbourg, chez l’auteur, [1899], p. 5-6. 99 L’Ortenau est la région entre Rhin et Forêt-Noire entre Baden-Baden et Fribourg, autour d’Offenburg. Sur les engagements de ces villes, à plusieurs engagistes successifs, cf. G. Landwehr, Die Verpfändung der deutschen Reichsstädte, p. 427-428. 100 F. Geier (éd.), Überlingen, Heidelberg, Winter, 1908 (Oberrheinische Stadtrechte. Schwäbische Rechte 2), p. 22-23. 101 Ibid., p. 162-274. 102 Cf. par exemple leur article commun « Jurer et faire jurer. Les serments des secrétaires municipaux (Rhin supérieur, xve-xvie siècles) », Histoire urbaine 39 (2014), p. 63-84. 103 Ainsi dans le livre des serments d’Überlingen, dont la première version date du tout début du xvie siècle (F. Geier, Überlingen, p. 162-165), et exemple augsbourgeois ci-après ; à Nördlingen (livre de 1480 environ, éd. K. O. Müller, Nördlinger Stadtrechte des Mittelalters, p. 441-529), cette structure narrative n’est pas présente, pas plus qu’à Memmingen (SA Augsburg, Reichsstadt Memmingen, MüB 13) où, cependant, les serments politiques sont en première position.

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mise par écrit étant une occasion d’en contrôler la cohérence et la pertinence. On le voit très nettement pour le livre des serments augsbourgeois de 1434, qui s’ouvre sur le récit du processus électoral annuel pour les conseillers et les magistrats, les textes de serment se trouvant intercalés à chaque étape du processus104. Rien dans le texte ne vient contredire les chartes de 1368, du moins telles que plusieurs décennies de pratique politique les avaient fait vivre, et le texte du livre des serments a pour seule valeur juridique le fait d’être la description d’une coutume : il ne cherche pas même à la fixer définitivement, quand bien même un simple aide-mémoire comme celui-ci peut contribuer par les seules vertus de l’écrit à figer ce qui n’était qu’une pratique. Le rôle de ces livres dans l’organisation politique est d’autant plus grand que beaucoup de villes ont l’habitude de faire prêter à la population le serment annuel non pas sur une simple déclaration de fidélité, d’obéissance et d’adhésion aux valeurs de la ville, mais sur une série de dispositions législatives. Le texte utilisé alors peut être qualifié comme à Constance de geschworene Satzungen105 (dispositions jurées). La grande différence de ces textes avec les chartes qui nous occupent tient dans la diversité de leur contenu, mais aussi dans leur longueur : contrairement aux formulations allant à l’essentiel des livres de serment, qui contiennent avant tout des gelerte aide (serments appris, que la personne qui prête serment ne fait que répéter), faciles à faire répéter individuellement ou collectivement à ceux qui sont tenus de les prêter, contrairement aux serments qu’impliquent les chartes constitutionnelles, centrés sur le respect des institutions et des devoirs politiques du bourgeois, les geschworene Satzungen abordent tous les domaines de la vie urbaine, du meurtre au prêt sur gages, en fonction de ce qu’il est urgent de rappeler aux bourgeois. Même si le cœur du texte reste inchangé d’année en année, le détail en est adapté aux besoins du temps, à travers des ajouts ou des repères à destination du secrétaire municipal, lege ou non lege. On le voit, les pouvoirs municipaux ont plusieurs options bien différentes quand il s’agit de faire prêter un serment annuel aux bourgeois : le choix de faire prêter serment sur une charte constitutionnelle est tout sauf une évidence106, dès

104 Augsbourg, StA, Ratsbuch 277, éd. partielle P. Dirr, « Studien zur Geschichte der Augsburger Zunftverfassung, 1368-1548 », ZHVS 39 (1913), p. 144-243, ici p. 211-216. 105 Par exemple pour Constance, texte contenu dans le Rotes Buch (O. Feger, (éd.), Das Rote Buch, Constance, Merk, 1949 (KGR 1), p. 59-65), puis repris et révisé par le secrétaire municipal en 1389, O. Feger, Vom Richtebrief zum Roten Buch, p. 131-141, texte ultérieurement complété par ses successeurs (et description du manuscrit p. 46*-49*). Feger (p. 29*) date de 1380 l’apparition du terme geschworene Satzungen. Sigismond prévoit dans la charte de 1430 (p. 367) une lecture annuelle suivie d’un serment de la charte elle-même, sans mention des Geschworene Satzungen. Cf. aussi à Memmingen les documents réalisés à cette fin dans la seconde moitié du xve siècle (Augsburg, SA, Reichsstadt Memmingen MüB 11, 1488, et 10/2, sans date, sans doute légèrement postérieur) : la complexité de ces documents constamment réactualisés permet de voir à quel point la liste des textes à lire était longue et pose la question des modalités concrètes de ces lectures ; à défaut d’aborder tous les thèmes jugés importants par les élites politiques, la lecture des chartes constitutionnelles telle que pratiquée à Ulm peut également servir de support au serment annuel. 106 Sur l’usage des chartes constitutionnelles dans les serments annuels et la mention de serments dans leurs textes même, cf. infra, p. 100-102.

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lors que le contenu de telles chartes se limite à des questions politiques. C’est donc le signe de l’importance capitale que les nouvelles élites politiques accordent aux dispositions institutionnelles qu’elles contiennent, parce que ces institutions sont vues comme les fondements d’une communauté civique pacifiée. Mais peut-être faut-il aussi nuancer cette importance : ce qui compte, ici, c’est sans doute avant tout le serment et avec lui l’engagement d’obéissance qu’il comporte. Un texte qui puisse en être le support est le bienvenu ; les chartes constitutionnelles, produits d’un grand moment d’unanimisme civique, s’y prêtent bien et les gouvernements urbains ne peuvent qu’être sensibles à la légitimation qu’elles lui apportent, mais il n’est pas sûr que ce soit vraiment le détail de leur contenu qui soit l’essentiel de la situation de communication alors mise en scène. Mais le droit, dans toutes ces villes, y compris les plus grandes, y compris celles qui possèdent les codes de droit les plus développés, reste majoritairement oral – on sait par exemple que, même dans les registres du Conseil que certaines municipalités commencent à tenir avant ou après 1400, seule une minorité des décisions est enregistrée107. L’« altes herkomen », l’« ancienne coutume » est une source de droit primordiale ; le cas bien connu de Nuremberg, où la mise par écrit de la constitution urbaine relève jusqu’au xvie siècle d’une sorte d’interdit, montre bien que la coutume est apte à régler la plus complexe des organisations politiques. Tel était, sans doute, le choix le plus simple, le moins contestable, qui s’offrait aux villes établissant un nouveau système politique, et, on l’a vu, certaines se sont contentées de ce droit oral en soi parfaitement suffisant ; ce n’est pas ce choix qui devrait nous surprendre, mais celui des nombreuses autres villes qui, au contraire, ont tenu à passer par l’écrit pour fonder en droit leur système politique. Désignations

Les textes ici considérés sont désignés à la fin du Moyen Âge par des termes divers, qui témoignent à la fois de l’absence d’une appréhension globale de ces chartes en une catégorie unique et de l’importance accordée à leurs fonctions différentes. Bien sûr, le terme le plus fréquemment employé, toutes villes confondues et jusque dans les chartes elles-mêmes, est tout simplement brief, le mot courant pour désigner aussi bien ce que nous appelons « charte » que « missive » ; ce n’est que de façon minoritaire que le mot est qualifié plus précisément. Que le texte serve de support pour le serment annuel108, et on le qualifiera de Schwörbrief, « lettre jurée », auquel cas il arrivera fréquemment que le texte soit renouvelé à de nombreuses reprises, le

107 Cf. pour comparaison avec Nuremberg E. Pitz, Schrift- und Aktenwesen der städtischen Verwaltung im Spätmittelalter. Köln, Nürnberg, Lübeck, Cologne, Neubner, 1959 (Mitteilungen aus dem Stadtarchiv von Köln 45), p. 166-167 et 170. 108 À Lucerne, une « lettre jurée » dont la première rédaction datait de 1250 se voit adjoindre à partir de la fin du xve siècle des dispositions politiques, qui sont le fruit d’une concurrence de longue durée entre Petit et Grand conseil (cf. l’étude remarquable de Jeannette Rauschert, Herrschaft und Schrift. Strategien der Inszenierung und Funktionalisierung von Texten in Luzern und Bern am Ende des Mittelalters, Berlin/ New York, de Gruyter, 2006 (Scrinium Friburgense 19), notamment p. 33-34 et 164-174).

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cas le plus connu étant sans doute celui de Strasbourg109 ; de la même façon la charte d’Esslingen rédigée en 1392, qui est renouvelée sans grands changements d’abord en 1401, puis en 1414, a cette même fonction110, tout comme les deux textes successifs d’Ulm, la « petite » (1345) et la « grande charte jurée » (1397)111. En dépit de son caractère fonctionnel, ce mot n’appartient pas au vocabulaire contemporain, en tout cas pas à celui des chartes elles-mêmes. À Augsbourg, où comme dans la plupart des villes de la région les Zünfte n’étaient pas constituées avant les chartes de 1368, on parle de Zunftbriefe112, même si le mot peut aussi désigner d’autres documents relatifs aux Zünfte, par exemple des règlements de métier113 ; dans d’autres aires géographiques, de tels textes sont qualifiés de Gaffelbrief (Aix-la-Chapelle, 1450114, les Gaffel étant des équivalents des Zünfte), verbuntbrief (Cologne, 1396, « lettre d’alliance »)115, richtung116, un mot qui n’est pas réservé à cet usage urbain mais désigne de manière courante le résultat d’un arbitrage117 : la plus ancienne mention dorsale sur la charte de Sigismond pour Constance en 1430 la décrit comme « der letst Richtung brief zwüschent den Gesc[h]lächten und

109 Cf. les différents textes édités dans Urkundenbuch der Stadt Straßburg, éd. W. Wiegand, Strasbourg, Trübner, 7 t., 1876-1900, t. V, p. 40-43, 186-188, 723-724, etc. 110 Cf. infra, p. 101. 111 Après l’abrogation de la charte de 1397 par Charles Quint en 1548, le nouveau régime mis en place par lui rédige en 1558 une nouvelle lettre jurée, pour que « die Obrigkeit und gemaine Burgerschaft umb sovil ruwiger, fridlicher und vertreulicher beyainander leben und wonen möchten » (les autorités et la population commune puissent vivre et demeurer ensemble d’autant plus calmement, paisiblement et en confiance), cf. E. Naujoks, Obrigkeitsgedanke, Zunftverfassung und Reformation, p. 154, et lettre jurée p. 161-166 : la confiance en l’efficacité du serment et les traditions politiques locales ne sont pas abolies par le changement de système politique. 112 Le mot est présent dès 1368 dans le registre comptable de cette année (Augsbourg, StA, Baumeisterbücher 2, fol. 12r). Sans justification, E. Maschke, « Verfassung und soziale Kräfte… », p. 312, qualifie les chartes augsbourgeoises de 1368 de Schwörbriefe : un serment est certes prévu pour leur entrée en vigueur (Augsbourg 1368 II, p. 152), mais elles n’ont pas pour fonction de servir de support à un serment annuel comme ce terme semblerait le supposer. 113 Augsbourg, StA, Baumeisterbuch 2, fol. 12v, 13r, 31r, etc. ; cf. aussi pour Rottweil une note dorsale sur la charte de décembre 1379 justifiant la charte constitutionnelle de 1378 : « Dis ist ain abgeschrifft der zunfftbrief » (Ceci est une copie du Zunftbrief, UB Rottweil I, p. 184). 114 Texte éd. par J. Chr. Lünig, Das Teutsche Reichs-Archiv, [t. XIII] (Partis Specialis IV. und letzte Continuation), p. 1454. 115 M. Huiskes, « Kölns Verfassung für 400 Jahre : Der Verbundbrief vom 14. September 1396 », in J. Deeters, J. Helmrath (dir.), Quellen zur Geschichte der Stadt Köln, t. II, Cologne, Bachem, 1996, p. 1-28. 116 Le terme est étudié en détail, à partir de deux exemples, par B. Kannowski, Bürgerkämpfe und Friedebriefe, p. 91-105 (charte d’arbitrage de 1358 à Francfort, éd. Fr. Keutgen, Urkunden zur städtischen Verfassungsgeschichte, Berlin, Felber, 1901 [Ausgewählte Urkunden zur deutschen Verfassungs- und Wirtschaftsgeschichte 1], p. 235 : « Dit ist die richtunge… », ceci est la Richtung) ; Constance, à propos de la charte de 1371 où le verbe « richten » est utilisé ; il faut ajouter à ce que dit Kannowski que la charte de 1430, p. 362, utilise le mot richtung pour désigner la charte de 1371). 117 Cf. aussi la chronique de Mayence dite « von alten Dingen der Stadt Mainz » (compilation du xve siècle, éd. Carl Hegel, CDS 17), qui qualifie les textes de chartes produites lors des troubles de 1332 de « fredebrief », « sunbrief », « sůne und racht » (lettre de paix, lettre de réconciliation, réconciliation et accord, p. 12, 16, 19). Les textes eux-mêmes parlent simplement de brief pour se qualifier elles-mêmes.

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der gemaind von kunigs Sigmunds [wegen] beschehen » (la dernière lettre d’arbitrage entre les lignages et le commun du fait du roi Sigismond). Tous ces mots sont pour la plupart rapidement attestés après la rédaction des chartes qu’ils désignent, voire dans leur texte même : à Augsbourg, le terme est utilisé dans les registres de compte lors des missions d’information et pour la réalisation des exemplaires destinés à chaque métier ; à Schwäbisch Hall, la charte impériale de 1340 se qualifie par les mots « Sůn » (Sühne, réconciliation) et « berichtung » (qu’on pourrait traduire ici par « sentence d’arbitrage »). Sur la charte de 1376 à Esslingen, une main sans doute contemporaine a écrit au verso « der ordenung brieff » (la lettre de l’ordonnance), en écho à la charte de 1375 où Charles IV, tout en cassant la charte de 1316, avait autorisé la ville à « ein ordenung setzen und machen » (établir et faire une ordonnance)118. L’article défini est significatif : cette lettre n’est pas n’importe quelle lettre, l’ordonnance qu’elle contient n’est pas n’importe quelle ordonnance. Les mentions dorsales de la charte de 1392 et de son renouvellement de 1414, certainement contemporaines des chartes, voire de la même main, vont dans le même sens : l’emploi du mot gesetz (« Ain gesetz der statt » : une loi de la ville), en 1392, finalement assez rare à cette époque, distingue aussi ce texte du tout-venant de la règlementation urbaine. En 1414, le mot utilisé est « Der stat satzungbrief » (la charte réglementaire de la ville) ; satzung est un mot plus courant et moins solennel, mais le fait que l’auteur de cette annotation n’ait pas jugé bon de résumer le contenu de la charte est révélateur de son caractère unique et central, d’autant que la charte est écrite avec un soin marqué. Les interventions tardives de Maximilien à Constance emploient, avec la prolixité de leur temps, un vocabulaire riche pour décrire non seulement les textes qui les transmettent, mais aussi la charte de Sigismond de 1430, « unsers Öheims und vorfordern künig Sigmunds ordnung und bericht » (l’ordonnance et arbitrage de notre aïeul et prédécesseur Sigismond)119. Celle que Maximilien promulgue en 1510 est « unnser Reformation Ordnung und Stattuten », (notre réformation, ordonnance et statuts) : autres temps, autres mœurs juridiques120. Tous ces mots décrivent donc à la fois le contenu des chartes (le nouveau régime politique), leur fonction (la pacification de la société urbaine) et l’usage ultérieur attendu (le serment annuel). Que disent-ils de la manière dont les contemporains – les élites politiques, la communauté civique – percevaient ces chartes qui régissaient les institutions municipales qu’ils voyaient fonctionner de près ou de loin ? Car le vocabulaire employé ne constituait pas la singularité du champ constitutionnel ; Zunftbrief renvoie certes à une réalité institutionnelle, mais sans posséder le caractère globalisant que le mot constitution comporte pour nous. Cette impuissance à mettre en mot une réalité nouvelle est sans doute la rançon de l’innovation, qui ne se saisit aux yeux mêmes des contemporains que dans ses caractéristiques extérieures, dans ses circonstances, dans la contingence d’une solution individuelle à un problème

118 UB Esslingen I, p. 141. 119 Karlsruhe, GLA D 1135 (1510), p. 6. 120 Ibid., p. 7. Un autre passage du texte utilise le mot Satzungen (décrets, règlements) à la place de Statuten.

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particulier. Nous aurons encore l’occasion de réfléchir au positionnement de ces chartes dans le droit de chacune des villes traitées : même si le moment de leur écriture et leur réalisation tranchent avec le quotidien du droit et de l’administration, même si la pratique des décennies suivantes confirme dans la plupart des cas l’efficacité du compromis trouvé, cette discrétion terminologique montre beaucoup plus les difficultés du changement que la sobriété qui irait de pair avec un simple acte technique.

Bourgeois, souverains, arbitres À qui revient la compétence de décider du régime politique d’une ville ? Là où un seigneur domine la ville, il n’y a guère de doute que c’est à lui que revient toute décision en la matière même si, comme le montrent les minutieuses négociations des Munichois avec les ducs de Bavière, la collaboration avec les élites urbaines est pour ainsi dire une évidence. La charte de 1403 est rédigée sous l’autorité des ducs, mais après consultation d’un groupe composé de trente-six délégués du commun et des trente-six membres du Conseil121 ; du reste, ce règlement durable fait suite à plusieurs années de tension intense, qui montrent que le seigneur peut certes peser pour imposer une solution, mais pas abolir la vie propre de la société urbaine122. La situation est plus complexe dans les villes d’Empire où, certes, le souverain n’est pas en peine de justifier sa compétence en cette matière comme en beaucoup d’autres, mais où le contrôle exercé sur les communautés urbaines est beaucoup plus lâche. Parfois, les villes pouvaient s’appuyer sur un privilège impérial leur donnant le droit de faire des ordonnances123 ; souvent, les élites politiques urbaines se préoccupent de l’approbation impériale ; souvent aussi, elles légifèrent sans faire aucune référence à une autorité extérieure. Les chartes de notre corpus reflètent les forces et les faiblesses de la situation juridique des villes de bien des façons : la nature des auteurs de nos chartes autant que la position qu’ils prennent par rapport aux dispositions qu’elles contiennent ne sont pas les simples produits mécaniques de la position juridique de la ville. Les suscriptions des chartes, cependant, sont loin de suffire à déterminer qui est réellement à la manœuvre dans l’établissement du nouvel ordre politique. Dans beaucoup de cas, surtout après 1350, ce sont les instances politiques de la ville concernée qui rédigent et scellent elles-mêmes les chartes destinées à organiser leur fonctionnement, généralement sans invoquer d’autres autorités : la deuxième charte augsbourgeoise de 1368 invoque certes la dignité du saint Empire romain aux côtés

121 La charte est suscrite par les ducs, le conseil et le commun de la ville : c’est d’autant plus remarquable que les chartes des souverains pour les villes d’Empire, elles, ne sont jamais suscrites que par les souverains eux-mêmes. 122 Cf. la charte de 1403 et un quart de siècle plus tôt (1377) les revendications du commun auprès du conseil arbitrées par les ducs, éd. P. Dirr, Denkmäler des Münchner Stadtrechts, p. 594-603 ; cf. aussi le cas de Krems cité p. 62 et 166-167. 123 Par exemple la charte de Rodolphe de Habsbourg pour Augsbourg en 1276 (UB Augsburg I, p. 37-38), où il octroie à la ville le droit de réaliser un code de droit, mais aussi de réformer le droit existant.

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de l’intérêt de la ville, mais celle de Memmingen en 1347, celle de Dinkelsbühl en 1387 et d’autres encore ne prennent pas même la peine de cette fugitive révérence. Peut-être, d’ailleurs, y a-t-il là autant le souci de ne pas réveiller la susceptibilité des souverains, qui pourraient mettre en doute la conformité de ces dispositions avec l’intérêt de l’Empire, que l’affirmation de la liberté des villes à disposer elles-mêmes de l’organisation du gouvernement urbain. Esslingen fait de même tout au long du xive siècle, mais le rôle des souverains dans ces chartes successives n’en est pas moins considérable. Celle de 1316 tire parti d’une charte de Louis de Bavière, classique confirmation des privilèges de la ville datée de l’année précédente, qui emploie une formulation remarquable : « Wir wöln auch, daz die stat zu Ezzelingen und die zünfte alle ire recht behalten, die sie bi andern künigen unsern vorfarn her bracht hant124 » (Nous voulons aussi que la ville d’Esslingen et les métiers conservent tous leurs droits qu’ils ont obtenus d’autres rois nos prédécesseurs), faisant ainsi des métiers une corporation de droit public au même titre que la ville elle-même. On n’avait pas attendu cette autorisation pour accorder aux métiers une place dans le gouvernement urbain, mais cette formulation, qui reconnaissait sans autre forme de procès l’existence des métiers et leurs droits, suffisait à attester l’acceptation par le souverain des changements constitutionnels des décennies précédentes125. Celle de 1376 fait suite à la cassation par Charles IV, l’année précédente, de cette même charte de 1316126, sans justification aucune ni solution de remplacement. Pour tenter de retrouver dans ces conditions une forme de sécurité juridique, les élites politiques recourent au modèle de la charte récente de Reutlingen (1374) : c’est un des rares cas où un texte venu d’une autre ville est utilisé de manière certes inavouée, mais fidèle127 – avec un succès d’ailleurs limité, puisqu’elle sera remplacée en 1392 par une nouvelle charte. C’est en général sous forme collective, sans nommer explicitement dans la suscription les bourgeois impliqués dans leur rédaction ou dans leur promulgation, que les chartes sont rédigées : « Wir der burgermaister, der rat und alle burger gemainlich rich und arm ze Ulm » (Nous le maire, le Conseil et tous les bourgeois en commun, riches et pauvres, d’Ulm), dit la charte de 1345, où le texte n’annonce que le sceau de la ville, tandis que les Augsbourgeois de 1368, ou du moins ceux qui constituent le nouveau Conseil, immortalisent leur nom dans la liste de témoins à la fin de la

124 MGH Const. 5, p. 277. 125 C’est le cas depuis la fin du xiiie siècle, cf. supra, p. 25. 126 UB Esslingen II, p. 140. En même temps que cette charte (29 septembre 1375, soit trois mois et demi avant la charte constitutionnelle du 12 janvier 1376, ibid., p. 140-142), Charles IV octroie à la ville un long privilège qui tend à soutenir l’autonomie juridique du conseil et son droit à prélever des impôts sur les bourgeois de la ville, sans vraiment permettre de comprendre dans quelle configuration politique interne se place cette intervention impériale, qui avait été précédée d’un serment d’obéissance de toute la communauté civique (ibid., p. 138-139, 1er avril 1375). 127 D’importantes variantes propres à Esslingen sont ajoutées à cette occasion ; cf. D. Adrian, « Les constitutions des villes allemandes à la fin du Moyen Âge : circulations et influences », in Apprendre, produire, se conduire : le modèle au Moyen Âge. Actes du 45e congrès de la SHMESP, Paris, Publications de la Sorbonne, 2015, p. 357-368, ici p. 364.

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charte et apposent leur sceau128. Le même honneur est, à Dinkelsbühl (1387), réservé aux neuf sages chargés de déterminer le système politique de la ville, du moins ceux qui possédaient un sceau. Il n’y a à notre connaissance qu’à Mosbach (1337) que l’écoutète, les « zwelef rich[t]er » (Douze juges) et les « zwelefe der gemeinde » (Douze du commun) sont nommément cités dans la suscription de la charte, non pas comme témoins donc, mais comme auteurs et responsables de la charte. C’est sans doute le reflet d’une culture juridique patricienne qui lie étroitement le droit en vigueur et les personnes chargées de le dire et de le faire respecter, les conseillers d’une année n’étant pas solidaires des décisions prises par les conseillers de l’année précédente, à la façon du Conseil de Munich qui, en 1397, refuse d’être tenu responsable des comptes de la ville des années précédentes, la responsabilité strictement individuelle primant sur la continuité du pouvoir politique129. Cette charte n’introduit pas de métiers, tout en reconnaissant l’accès au Conseil de représentants cooptés du commun. Le contexte à Mosbach est à vrai dire un peu particulier : la ville bénéficie certes de l’immédiateté impériale, mais elle est engagée depuis 1330 aux comtes palatins du Rhin, qui pourront d’ailleurs l’intégrer à leur territoire en 1362. C’est le sort commun de beaucoup de villes ayant acquis l’immédiateté impériale au xiiie siècle sans avoir pour autant acquis une véritable qualité urbaine. L’écoutète, les douze « juges » (patriciens) et les douze représentants du commun qui forment le Conseil précisent donc que c’est à la fois dans l’intérêt de la ville et pour mieux servir leur seigneur qu’ils agissent ; ils ont pris la peine de consulter au préalable le seigneur et ses représentants et munissent pour plus de sûreté la charte du sceau du monastère de Mosbach aux côtés de celui de la ville. En concevant un tel système, on voit bien que les bourgeois ont fait preuve d’une forme d’autonomie, mais moins dans le sens d’une indépendance que parce que, pour le seigneur, cette affaire était de bien peu d’importance. La rédaction d’une charte par les autorités locales n’exclut pas la prudence. À Reutlingen en 1374, la charte constitutionnelle prévoit qu’il sera demandé confirmation à l’empereur, et ses auteurs prennent la peine de renforcer la légitimité du système créé en précisant qu’ils ont pris modèle sur la situation de la ville de Rottweil, siège d’un tribunal impérial et l’une des plus anciennes villes impériales de Souabe130. Ce soin argumentatif s’explique sans doute par le fait que ces nouvelles dispositions constitutionnelles rendaient caduque une charte de 1343 par laquelle Louis de Bavière avait entériné les dispositions que lui avaient soumises les bourgeois de Reutlingen : il n’était pas évident d’aller contre des dispositions venant du souverain. Ces efforts

128 Augsbourg 1368 I, p. 147 ; II, p. 152. 129 Cf. la chronique de Jörg Kazmair, CDS 15, p. 465 ; on peut aussi penser, de manière plus lointaine, à l’« accord des Treize » par lequel les membres de ce collège central du gouvernement messin s’accordaient sur le droit qu’ils entendaient suivre pendant leur année de mandat (cf. A. Prost, Les institutions judiciaires dans la cité de Metz, Paris/Nancy, Berger-Levrault, 1893, p. 79-82, ainsi que la référence des rares exemples conservés p. 4). 130 Il est probable que cette charte de Reutlingen transmet la situation établie à Rottweil après l’introduction de métiers en 1315, mais non sans adaptations à la situation locale (R. Elben, Das Patriziat der Reichsstadt Rottweil…, p. 23-24) : on n’y voit notamment pas le Grand conseil des Quatre-vingts attesté à Rottweil.

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sont couronnés de succès, puisque Charles IV confirme cette charte endogène à l’occasion d’un privilège octroyé quelques mois plus tard131. La situation est donc bien différente d’une ville comme Augsbourg, où l’empereur n’était jamais intervenu, sinon pour valider le code de droit très marginalement politique de 1276, code qui prévoyait de plus la possibilité pour le Conseil de modifier à discrétion les dispositions qu’il contenait132. La ville prend certes la peine de demander confirmation à Charles IV des changements opérés en 1368, mais elle le place en quelque sorte devant le fait accompli ; elle doit alors attendre 1374 pour que l’empereur, sans doute de bien mauvais gré, se décide à donner son accord, en montrant bien qu’il se contente d’autoriser une décision qui lui est étrangère et qu’il n’approuve pas133. Beaucoup de chartes ont cependant d’autres auteurs, qui dans les villes d’Empire peuvent être le souverain134, son représentant ou une commission d’arbitrage chargée en général de ramener la paix au sein de la ville135. Mais cette question a-t-elle un impact réel sur le contenu de la charte ? En 1343, la charte de Louis de Bavière pour Reutlingen ne fait que reprendre, « von wort ze wort » (mot à mot), les décisions prises par les citadins, au point de conserver le style délibératif du texte qui lui a été soumis (« Il fut aussi décidé que… »). Un an plus tard, c’est le bailli Friedrich Humpis qui intervient au nom de l’empereur dans le conflit interne à la ville de Biberach : la latitude laissée aux élites de la ville est plus nette encore, puisque la courte charte qu’il promulgue laisse pleine compétence à « der Aman und der Rat oder der mer tail des Rates » (l’Ammann, le Conseil ou la majorité du Conseil) pour 131 C. F. Gayler, Historische Denkwürdigkeiten der ehemaligen freien Reichsstadt izt Königlich Würtembergischen Kreisstadt Reutlingen, t. I, Reutlingen, Kurtz, 1840, p. 79. 132 UB Augsburg I, p. 37-38. 133 UB Augsburg II, p. 174-175 (mais la charte impériale du 23 avril 1370 [ibid., p. 162], à peine plus d’un an après les événements de 1368, montre que les Zünfte ne sont pas un objet de conflit avec le souverain). Une première mission, composée du patricien Pfettner et du secrétaire municipal Sighard, est envoyée au printemps 1370 à Charles IV jusqu’à Prague : la mission coûte environ 200 florins à la ville, sans succès (F. Frensdorff, « Die Einführung der Zunftverfassung in Augsburg », in CDS 4, p. 129-149, ici p. 148). Autres modalités de validation par le souverain : Überlingen 1309 (renouvellement d’un privilège accordé par Albrecht) ; à Constance, la charte d’arbitrage (réalisée par le burgrave Friedrich von Zollern) d’avril 1371 est confirmée dès le 22 mai par le souverain, Ph. Ruppert, Das alte Konstanz in Schrift und Stift, p. 323-324 ; à Esslingen, la charte de Louis de Bavière en 1315, dans le contexte de la double élection impériale de l’année précédente (éd. MGH Const. 5, p. 276) reconnaît l’existence des Zünfte comme entités politiques, et ce n’est ensuite qu’en 1316 qu’est rédigée la première charte constitutionnelle. 134 Sur le rôle des souverains dans la mise en place des régimes de métiers et leur définition dans les chartes, cf. H. Lentze, Der Kaiser und die Zunftverfassung… 135 Dans les villes appartenant à un seigneur, c’est en général ce dernier qui est l’auteur de la charte ; à Munich (1403), les ducs Ernst et Wilhelm III de Bavière-Munich partagent ce rôle avec « wir der rat und die gemain » (nous le conseil et le commun), et tous s’entendent pour confier la rédaction de la charte à trente-six hommes du commun et les trente-six membres des deux conseils de la ville (une même procédure avait eu lieu en 1377, où une commission de quatorze conseillers et quatorze membres du commun avait été chargée de présenter des proposition de réformes aux ducs de la génération précédente, P. Dirr, Die Denkmäler des Münchner Stadtrechts, p. 594-603 : leurs conclusions avaient été inscrites dans le registre du conseil, sans prendre la forme d’une charte, mais le champ thématique du texte de 1377 est beaucoup plus large que celui de la charte de 1403, qui se concentre sur les thèmes institutionnels).

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mettre en place un compromis permettant le rétablissement de la concorde dans la ville136. Il n’y a guère de doute que le champ d’action concerné est avant tout l’organisation politique de la cité : c’est ce qu’indique le contexte régional, c’est le sens général de l’action de Humpis, et les sources municipales de Biberach dans les décennies suivantes montrent que cette liberté a bien été utilisée en ce sens137. Pour autant, ce ne sera que trente ans plus tard, en 1374, que le successeur de Humpis, Friedrich von Zollern, mettra par écrit le droit de la ville à avoir des Zünfte, sur le modèle explicitement cité de Ravensburg. La manière dont, à Colmar, le bailli impérial met son sceau à deux chartes successives (1356 et 1360)138 répartissant de manière fort différente les sièges au Conseil laisse entendre que la tutelle, ici, prend le rôle d’une instance légitimatrice plus que d’un acteur politique autonome. Pourtant, le bailli impérial a un rôle beaucoup plus fort dans la ville que son homologue de Souabe : son intérêt est ici sans doute simplement de s’appuyer sur une ville bien disposée et pacifiée, et l’octroi des chartes est certainement conforme à ses intérêts propres. S’il accepte en 1360 de modifier profondément le système qu’il avait sanctionné en 1356, c’est vraisemblablement parce que ce dernier n’avait pas réussi à donner à la ville des institutions stables et acceptées, par pragmatisme donc, très loin de l’hostilité de principe que certains souverains manifesteront aux métiers : la paix urbaine est bien plus importante pour le bailli impérial qu’une quelconque position théorique sur le gouvernement des villes. S’il est donc patent que ni à Reutlingen ni à Colmar le pouvoir souverain ne fait des formes du gouvernement urbain un véritable enjeu, on ne saurait faire de ces questions constitutionnelles une simple question intérieure139. Au-delà des chartes qu’ils daignent revêtir de leur sceau, les interventions directes des souverains sont à la fois rares et justifiées par des dissensions internes qui constituent des menaces directes contre leurs intérêts, ce qui justifie d’ailleurs qu’elles se présentent souvent comme des richtungen, des arbitrages émanant d’une autorité supérieure. Tel est le cas à Heilbronn en 1371, où Charles IV impose à la ville une organisation politique qui tient compte des institutions existantes, autour d’un Conseil de vingt-six

136 Stuttgart, HSA, B 162, U 32. 137 L’action de Humpis à Biberach est sommairement décrite par la chronique de Johann von Winterthur, Chronik, p. 236. Cf. pour les réalités politiques postérieures D. Stievermann, Geschichte der Stadt Biberach, Stuttgart, Theiss, 1991, p. 225-226. 138 P. W. Finsterwalder (éd.), Colmarer Stadtrechte, Heidelberg, Winter, 1938 (Oberrheinische Stadtrechte. Elsässische Stadtrechte 3), p. 127-131 et 141-144. En 1358, Charles IV lui-même promulgue des dispositions constitutionnelles à Sélestat, par lesquelles il confie la nomination du conseil au bailli, dans un contexte qui semble également conflictuel ( Joseph Gény (éd.), Schlettstadter Stadtrechte, 2 vol., Heidelberg, Winter, 1902 [Oberrheinische Stadtrechte. Elsässische Stadtrechte 1]). 139 Cette constatation n’entre que marginalement en contradiction avec la conclusion de B. Kannowski, Bürgerkämpfe und Friedebriefe, selon laquelle « die (Reichs)verfassungsrechtliche Stellung der Orte wirkte sich erkennbar auf den Rechstcharakter der Kompromisse aus » [la position juridique (notamment par rapport à l’empereur) des villes avait des conséquences visibles sur le caractère juridique des compromis] : Kannowski entend par là le statut juridique du texte en tant que source de droit ; le souverain peut d’autant plus facilement intervenir que le texte est le produit de son pouvoir législatif, mais cela ne signifie pas pour autant qu’il a pris une part décisive aux termes du compromis fixé par la mise par écrit du texte.

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membres : les Vingt-six, composés à part égale de patriciens et de non-patriciens, devront désormais être désignés par cooptation, et chacun des deux groupes devra élire un maire et six juges. Le souverain entend donc ne pas fermer la porte à une représentation des non-patriciens, devenus incontournable dans la société urbaine, mais cette ouverture est étroitement limitée, puisque d’une part les Vingt-six ne sont élus que par leurs pairs, d’autre part parce qu’elle s’accompagne d’une très exceptionnelle interdiction des Zünfte140. Des Zünfte existaient bel et bien avant cette date, comme le montre une charte de 1361 réglant l’attribution des bancs de bouchers et de boulangers aux « ersamen lüten der zweiren zünfte antwerg141 » (honorables personnes de l’art des deux métiers) ; cette formulation redondante, « zünfte antwerg », est un cas unique qui reflète certainement une hésitation terminologique liée au caractère de nouveauté de la chose. Il est toujours loisible de supposer que le souverain, ici, a saisi l’occasion de mettre en pratique une opposition de principe aux métiers, qu’il avait pourtant dû accepter dans les décennies précédentes dans de nombreuses villes ; mais on peut difficilement imaginer qu’il aurait agi de façon aussi autoritaire s’il n’avait pu s’appuyer sur une hostilité interne à la ville face aux métiers. Sans doute l’économie générale du texte ne donne-t-elle pas l’impression, contrairement à bien d’autres, d’être un simple endossement par le souverain de dispositions préparées par les élites citadines, mais la radicalité de la mesure combinée à une prise en compte indiscutable des réalités locales montre qu’ici le souverain s’implique directement dans le règlement des troubles. En intégrant les non-patriciens au gouvernement de la ville sans accepter la médiation de Zünfte, conformément à l’hostilité des patriciens aux métiers, il dessine ainsi une solution de compromis qui s’avère efficace (la charte reste en application jusqu’en 1552), tout en confirmant sa méfiance face au principe représentatif qu’incarnent les Zünfte. L’intervention de Sigismond à Constance en 1430 est un autre cas où le souverain s’implique directement, avec un résultat moins radical qu’à Heilbronn. Les affrontements ininterrompus entre patriciens et métiers, aggravés par la crise économique consécutive à la fin du concile en 1418, rendaient la paix impossible dans la ville et menaçaient de s’achever par une défaite trop cuisante des patriciens, dont beaucoup s’exilent en 1429

140 Cf. H. Rabe, Der Rat der niederschwäbischen Städte…, p. 151-153. La ville en fait réaliser un vidimus en 1483 parce qu’elle doit envoyer la charte originale à l’empereur, ce qui laisse penser qu’elle est à cette date toujours en vigueur. On pourrait citer un exemple proche, celui de Rothenburg en 1455, où une parité similaire entre « burgern, die niht handwerk können noch getrieben haben » (bourgeois qui ne connaissent pas d’artisanat et n’en ont pas exercé) et « handwerkern » (artisans) règne dans l’« innerer Rat », dont les 16 membres sont désignés par l’« äußerer Rat » (conseils respectivement qualifiés d’« intérieur » et « extérieur ») ; la clause qui doit empêcher tout débordement est qu’on ne doit pas modifier plus du quart des membres de l’année précédente. La parité est cependant dans la charte elle-même une sorte de vœu pieux, puisque l’oliganthropie caractéristique des patriciats peu renouvelés oblige à autoriser que les postes non pourvus par les patriciens puissent l’être par des non-patriciens. 141 UB Heilbronn, no 256, p. 108. Je choisis de traduire antwerk par art, malgré la réminiscence italienne attachée à ce mot, parce qu’il est à mi-chemin entre l’activité artisanale elle-même et la reconnaissance d’une forme d’organisation professionnelle.

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quand les métiers poussent leur avantage sans doute jusqu’à l’excès142. Le caractère exceptionnel et contraint de l’intervention impériale est renforcé par le fait qu’elle fait suite à une tentative de médiation effectuée en 1421 par sept villes de la région (dont une ville territoriale, Diessenhofen), dont l’effet n’avait guère été durable143. Il est vrai que les villes avaient pour l’essentiel confirmé la législation existante, au risque de mécontenter les patriciens déboutés et de renforcer symétriquement les ambitions des métiers, et le recours des patriciens à Sigismond apparaît comme un dernier recours. Au-delà de ces raisons objectives, la charte de décembre 1430 prend la peine de justifier de manière plus prolixe son intervention dans les affaires de la ville. On peut penser que le souverain aurait eu toutes les garanties juridiques en sa possession pour une intervention dans une ville dont il est après tout le seigneur nominal, mais il choisit dans cette situation inhabituelle un autre argument : il dit intervenir parce que le commun révolté s’en est pris aux juifs et donc directement aux intérêts propres du souverain144. Il invoque aussi le souvenir du concile de 1414-1418 : le choix de Constance comme lieu du concile et l’intervention de 1430 sont présentés l’un et l’autre comme des manifestations de l’amour du souverain pour la ville145. Sigismond prend grand soin de garantir le retour durable de la paix. Pour ce faire, il assure le retour des patriciens exilés, il exclut du Conseil les meneurs du parti des métiers et il décrète la dissolution des deux Zünfte jugées les plus coupables, celles des tisserands de lin et celle des tanneurs, deux Zünfte incontestablement populaires et dépourvues de composantes élitaires146. Peu de temps après, c’est au tour du comte palatin Otto Ier de Mosbach, qui avait fait de l’ancienne ville d’Empire de Mosbach sa résidence, d’intervenir dans les affaires intérieures de la ville147. Il ne s’y place pas du tout en position d’arbitre et ne prend pas la peine de justifier son droit à intervenir. Au contraire, il se saisit entièrement de la cause et entreprend « die vorgenante unser statt und sie und andere die unsern daselbst antreffen, zu regieren und zu ordinieren gancz zu unsern handen » (de gouverner et ordonner ladite ville, eux et les autres qui sont des nôtres entièrement entre nos mains). Le système alors mis en place ne cherche aucunement à donner l’illusion d’une continuité avec des traditions politiques locales : la radicalité de l’intervention est sans commune mesure avec celle de Sigismond à Constance ou avec l’attitude des ducs de Bavière dans les différentes luttes internes munichoises. La dernière grande intervention du souverain de l’Empire a lieu plus d’un siècle plus tard, et dans un contexte bien différent. C’est pour tenter de remettre en selle un patriciat souvent resté catholique que Charles Quint, à partir de 1548, rétablit

142 Cf. Ph. Ruppert, Das alte Konstanz in Schrift und Stift, p. 353-359 : octroi du droit de bourgeoisie de Schaffhouse aux patriciens exilés, 1429. 143 Ibid., p. 341-352 (Constance 1421). 144 Constance 1430, p. 362. 145 Ibid., p. 363. 146 Cette réaction du souverain confirme que, contrairement à des conceptions trop communes, les révoltes urbaines comportent souvent de réelles composantes populaires. 147 Mosbach 1435.

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autoritairement des régimes patriciens dans un grand nombre de villes de Souabe148 : le procédé, permis par la victoire de Mühlberg, n’est pas sans poser problème, puisque certaines des villes concernées n’ont pas ou plus de patriciat à qui confier le pouvoir et que le souvenir des régimes patriciens qui avaient précédé les métiers était trop lointain pour qu’on puisse songer à un simple rétablissement du statu quo ante. Ce coup d’éclat circonstanciel modifie durablement le paysage politique urbain, puisque la plupart des systèmes mis en place pendant ces quelques années restent en vigueur jusqu’au moment où, dans la première décennie du xixe siècle, ces villes perdent leur immédiateté impériale pour être intégrées dans les principautés les plus proches. La position des souverains dans les conflits internes aux villes et en particulier quant au partage du pouvoir entre patriciens et métiers ne saurait donc être résumée par une formule simple, sinon peut-être comme le produit d’un solide pragmatisme. Il est certain que les régimes de métiers nouvellement institués doivent prendre en compte une éventuelle opposition de l’empereur à cette innovation. La multitude de modifications constitutionnelles dans la région dans les années 1340, lorsque le pouvoir de Louis de Bavière commence à vaciller, puis dans les premières années d’un Charles IV encore contesté149, montre bien qu’on n’attend pas du souverain une acceptation aisée des modifications ; encore faudrait-il distinguer dans l’attitude des souverains entre la simple défense du statu quo et l’hostilité de principe aux métiers. Les chartes d’arbitrage, elles, sont plus rares, notamment faute d’institutions supra-urbaines capables d’imposer leur autorité et de mettre fin aux révoltes intra-­ urbaines150. Dans le cas des villes seigneuriales, l’arbitrage du seigneur apparaît comme la méthode privilégiée pour résoudre les conflits politiques, quand il n’intervient pas d’autorité ; l’autonomie urbaine beaucoup plus réduite que dans les villes d’Empire, la présence souvent beaucoup plus proche du seigneur fait de lui un arbitre désigné d’avance et difficilement révocable151. 148 E. Naujoks, Kaiser Karl V. und die Zunftverfassung. Ausgewählte Aktenstücke zu den Verfassungsänderungen in den oberdeutschen Reichsstädten (1547-1556), Stuttgart, Kohlhammer, 1985 (Veröffentlichungen der Kommission für geschichtliche Landeskunde in Baden-Württemberg A.36), avec édition des sources qui constituent une présentation très riche des arguments des partis patriciens. 149 C’est en général dans cette perspective qu’on place l’éphémère instauration d’un régime des métiers à Nuremberg en 1348 ; l’idée que les oppositions internes ne soient en fait qu’un reflet de tensions à plus large échelle méconnaît gravement les dynamiques propres des sociétés urbaines, qui utilisent les allégeances extérieures bien plus qu’elles ne s’y plient. Cf. généralement sur cet épisode A. Schubert, Zwischen Zunftkampf und Thronstreit, qui souligne l’importance des revendications des artisans sans pour autant sous-estimer l’importance des facteurs extérieurs et des intérêts commerciaux des élites non patriciennes. 150 Cf. cependant le cas particulier de Kempten, ville d’Empire fondée autour d’une abbaye dont le princeabbé est le seigneur originel de la ville sur laquelle il conserve des droits, notamment dans le domaine politique : des arbitrages successifs ne parviennent pas à produire un compromis durable (cf. SA Augsburg, Reichsstadt Kempten Urkunden 38 [1361], 167 [1409], 209 [1422], 224 [1417], 755 [1488], 819 [1494]), mais le conflit n’est pas interne à la ville. 151 En 1360, le comte palatin Ruprecht l’Ancien promulgue une charte pour sa ville d’Annweiler (éd. Fr. J. Mone, « Stadtordnungen vom 14. bis 16. Jahrhundert », ZGO 4, 1853, p. 129-172, 291-311, 385-406, ici p. 167-169) : plutôt que de lui donner la forme d’une décision souveraine, il la présente comme une intervention

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Louis de Bavière peut bien, en 1340, envoyer une commission d’arbitrage pour mettre fin à la discorde à Schwäbisch Hall, comme on l’a vu : les impératifs de la situation locale transparaissent nettement dans la charte produite par les arbitres, tous quatre extérieurs au milieu urbain ; faute de pouvoir imposer un retour au statu quo antérieur, ils autorisent une représentation majoritaire au Conseil des non-patriciens, tout en évitant que leur participation au Conseil soit réalisée par l’intermédiaire de Zünfte et en recourant à la cooptation pour éviter toute forme d’élection libre. La solution trouvée, qui n’a pas plus de modèle connu que de descendance, n’en est pas moins durable : la formation de Zünfte est durablement empêchée, et il faut même attendre le début du xvie siècle pour que les fonctions suprêmes de la ville (Schultheiß/écoutète puis Stättmeister) soient entre des mains non patriciennes, du fait de l’oliganthropie traditionnelle des groupes privilégiés plus qu’à cause d’une quelconque pression politique du reste de la population. La position que prennent le jeune roi Ladislas de Hongrie dans le conflit qui divise ses bourgeois de Krems en 1453152 ou le comte palatin Friedrich dans un conflit dans sa ville de Heidelberg en 1474153 est résolument celle de l’arbitre résolu à imposer non pas un acte brutal d’autorité, mais un compromis tenant compte des réalités sociales. À Krems, c’est en donnant satisfaction aux intérêts économiques des non-patriciens que le seigneur sauve l’exclusivité patricienne du Conseil, et la charte qu’il fait rédiger présente une étonnante alternance de ces deux thèmes, le commerce du vin d’une part, l’organisation politique de la ville d’autre part. À Heidelberg, où la charte d’arbitrage présente les partis en présence comme « les maires et le Conseil » d’une part, « le commun » d’autre part, les thèmes économiques semblent prépondérants, mais le commun conquiert du moins un droit de regard sur le système fiscal : les zunfte n’y obtiennent certes pas directement les postes au Conseil qu’elles demandent, mais le comte leur accorde qu’une commission composée des deux maires et de quatre délégués « von der gemeinde und zunften » (du commun et des métiers) soit mise en place pour assister à la délibération154. Ces interventions mettent bien en évidence la difficulté de l’arbitrage : si le seigneur-arbitre, dans ces deux cas, pouvait sans grand risque utiliser sa médiation pour renforcer la domination politique des patriciens, c’était au prix de concessions fondamentales aux intérêts du reste de la population, d’abord dans le domaine économique. La persistance des troubles à Krems montre bien que l’intervention seigneuriale est soumise à une obligation de résultats qui n’est pas sans risques.

pacificatrice, née du conflit entre le Conseil et les bourgeois, ce qui équivaut presque terme à terme aux patriciens et aux non-patriciens, et la formulation est clairement celle d’un arbitrage. Ruprecht attribue quatre des douze sièges du conseil à des hommes du commun désignés par les huit patriciens restants, qui restent en poste à vie. 152 O. Brunner (éd.), Die Rechtsquellen der Städte Krems und Stein, Cologne, Böhlau, 1953 (Fontes Rerum Austriacarum 3/1), p. 100-102 ; les importantes concessions faites par le souverain aux demandes du commun ne suffisent à vrai dire pas à calmer la contestation (ibid., p. 109-113). 153 Oberrheinische Stadtrechte. Fränkische Rechte, p. 511-512. 154 Le droit de la ville le laissait du reste déjà entendre pour les sessions de vérification des comptes, ibid., p. 509.

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Même dans les villes d’Empire, du reste, c’est après tout à titre d’arbitre que Louis de Bavière intervient à Schwäbisch Hall en 1340 : des affrontements internes amènent une commission impériale à élargir le Conseil en plaçant aux côtés des douze « juges et conseillers » patriciens déjà en place six conseillers « moyens bourgeois » et huit représentants des métiers155 : cette répartition tripartite est originale en Allemagne du Sud, mais le texte n’en témoigne pas moins de la pression qui s’exerçait sur les conseils pour élargir leur base sociale, en même temps que des réticences des commissaires, issus de la haute aristocratie, à donner une place explicite aux Zünfte. Ce n’est pas un hasard si, plutôt que de remplacer le système ancien par un système nouveau, ils préfèrent préserver l’honneur du Conseil patricien ancien en l’élargissant plutôt qu’en le remplaçant. Mais le rôle déterminant tenu ici par l’empereur est un phénomène de la première moitié du xive siècle : hors les interventions ponctuelles de Charles IV à Esslingen (1375) et de Sigismond à Constance (1430), l’initiative des changements constitutionnels des villes d’Empire vient, dès les années 1340, avant tout des citadins eux-mêmes. Il est frappant de constater à quel point, dans cette aire géographique, les arbitrages ne sont que rarement réalisés par les ligues urbaines auxquelles appartiennent nombre d’entre elles ; certes, l’intervention des villes voisines du lac de Constance dans le conflit interne de cette ville en 1421 fait suite à une longue histoire de collaboration entre ces villes, mais elle se présente comme l’intervention spontanée de ces villes, sans qu’un texte commun le prévoie. Pourtant, différentes chartes des alliances urbaines successives, par exemple en octobre 1347156 ou en 1384, mentionnent la possibilité d’intervenir dans les conflits urbains et notamment quand l’autorité du Conseil en place est attaquée157. La charte de septembre 1384 consacrée uniquement à ce point est prise dans un contexte particulier : dans plusieurs petites villes d’Empire de Franconie, des révoltes avaient éclaté peu avant contre le Conseil accusé de protéger les juifs, au point qu’un « nouveau Conseil » y avait été mis en place158 ; dès le lendemain, des chartes sont 155 Ludwigsburg, SA, B 186 U 73, 17 septembre 1340. 156 MGH Const. 8, no 286, § 12 : en cas de conflit intra-urbain, les parties en présence peuvent prendre l’initiative de convoquer la Ligue à Ulm ; article similaire dans l’alliance de 9 villes souabes autour d’Esslingen l’année suivante (UA Städtebünde, t. II, no 546, p. 568-571, § 9). Le renouvellement de la charte de 1347 (MGH Const. 8, no 501, août 1349) ne comporte pas cette disposition. 157 E.-M. Distler, Städtebunde im deutschen Mittelalter, p. 210 (et plus généralement p. 205-214). Cf. par exemple les articles 2 et 6 de la charte de Charles IV créant la Décapole alsacienne en 1354 (MGH Const. XI, no 243) ; ces dispositions ne figurent en revanche pas dans l’accord de 1379 entre huit de ces dix villes après la suppression de la ligue précédente par Charles IV en 1378. Les dispositions de la charte de 1348 à ce sujet n’avaient pas connu d’application concrète ; la grande Ligue souabe refondée en 1376 n’avait pas à l’origine compétence en la matière. 158 À Weißenburg un nouveau Conseil était en place depuis 1377, avec établissement d’une charte, mais sans réaction décelable d’autres villes. Quelques années plus tard, ce n’est pas cet événement qui a amené l’intervention de la Ligue, mais la rupture de la paix publique que constituent les attaques contre les juifs ; le conseil défini par la charte de 1377 avait été aboli, et l’intervention de la ligue conduit au rétablissement de la charte, avec deux précisions sur les impôts et les finances publiques, ce qui laisse entendre que des revendications à ce sujet avaient contribué au soulèvement contre le conseil (D. Kerler, « Zur Verfassungsgeschichte der Stadt Weissenburg im Nordgau », Archivalische Zeitschrift 6 (1881), p. 195-205, ici p. 196-197 et 205).

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établies pour ces différentes villes et l’action de la ligue a pour effet de rétablir dans ses droits l’« ancien Conseil159 ». Tout porte donc à croire que, malgré sa portée générale affirmée, la décision de la veille était une décision ad hoc, prise certainement sous l’influence de Nuremberg qui considère que ces villes font partie de son arrière-pays, et c’est d’ailleurs à Nuremberg même que se tenait l’assemblée des villes. On peut s’interroger sur la réelle capacité (ou volonté) des différentes ligues à intervenir dans les affaires intérieures de villes un peu plus importantes que Windsheim ou Weißenburg. Ce n’est donc pas la question, pourtant majeure à cette époque, de la place des métiers dans les gouvernements urbains qui suscite les réflexions des villes de la Ligue – la diversité des régimes en place parmi elles rend de toute façon illusoire une position commune face aux régimes de métiers : il s’agit simplement d’éviter les épisodes conflictuels où le Conseil en place, généralement patricien, choisit de s’exiler, soit en raison d’une réelle menace physique, soit peut-être aussi pour mettre en échec la tentative de réforme en la contraignant à la radicalisation, en général avec succès. Pendant la phase décisive où les régimes de métiers sont mis en place dans les villes souabes, aucune intervention même avortée de groupes de villes n’est connue : à partir de la fin du xive siècle, les troubles internes sont de toute façon beaucoup moins nombreux, et ils ne concernent que des villes secondaires ; ailleurs, à Augsbourg par exemple qui connaît des troubles fiscaux dans les années 1450-1460, l’assise du système politique est suffisamment stable pour que les tensions se résolvent dans le cadre institutionnel existant, sans rupture du dialogue entre groupes sociaux opposés. Au milieu du xve siècle, c’est parce que le Conseil précédent avait été chassé sans ménagement de la ville que la Ligue souabe tente d’intervenir dans le conflit interne qui oppose de 1446 à 1450 les bourgeois de Schweinfurt160, autre ville située dans l’orbite de Nuremberg. Encore cette intervention, contrairement à celle de 1384, prend-elle la forme d’une prudente tentative de médiation, qui est d’abord très mal accueillie par le nouveau Conseil : quand les médiateurs envoyés « von der stette der verainung in Swauben empfelhens » (sur la recommandation des villes de l’union de Souabe)161 proposent leur arbitrage au Conseil des révoltés, celui-ci leur répond sans y mettre les formes qu’ils avaient « di sachen vnder in selbs angefangen vnd wollten ouch die vnder sich selbs behalten vnd vsrichten vnd den sachen recht thun » (commencé la chose par eux-mêmes et qu’ils voulaient la conserver et la traiter par eux-mêmes et faire droit dans cette affaire). La ligue n’est donc pas en mesure d’imposer quoi que ce soit et doit se tourner vers l’extérieur : c’est sous la forme d’un verdict du tribunal

159 Charte du 12 septembre 1384, UA Städtebünde, vol. III/2, no 1747, p. 1740-1742 ; chartes établies le lendemain pour Weißenburg, Windsheim et Nördlingen, ibid., no 1748-1750, p. 1742-1750. 160 Un conflit similaire se déroule peu après à Rothenburg ob der Tauber, avec la création d’un régime de métiers en 1451 ; là encore, les villes interviennent, et les métiers nouvellement constitués doivent céder la place à un Conseil paritaire tel que défini dans la charte de 1455 (L. Schnurrer, « Soziale Unruhen und bürgerliche Aufstände im mittelalterlichen Rothenburg », dans id., Rothenburg im Mittelalter. Studien zur Geschichte einer fränkischen Reichsstadt, Rothenburg ob der Tauber, Verlag des Vereins Alt-Rothenburg, 1997, p. 272-286, p. 272-286). 161 F. Stein (éd.), Monumenta Suinfurtensia Historica, Schweinfurt, Stoer, 1875, p. 253-254 : verainung désignant ici sans ambiguïté la Ligue urbaine souabe.

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de la chambre impériale162, en 1448, que l’ordre ancien est rétabli. La charte de Frédéric III n’entre cependant pas dans les détails de l’organisation politique, dès lors que son argumentation est entièrement fondée sur l’idée d’une spoliation subie par « ceux de l’ancien Conseil », et non sur la pertinence politique des réformes des contestataires, « die sich nennen den neuen rate, zunfften und von der gemeinde » (ceux qui se nomment le nouveau Conseil, Zünfte et ceux du commun) ; la politique ne vient qu’ensuite, sous la forme d’un arbitrage prononcé deux ans plus tard par l’évêque de Wurtzbourg, conseillé par des délégués de six villes, dont certaines ont un régime de métiers somme toute comparable à celui créé par les révoltés163. Les dispositions constitutionnelles ne sont qu’un des thèmes évoqués dans cette longue charte, mais elles occupent une place importante. Comme on peut s’y attendre, les arbitres ne gardent rien de l’organisation institutionnelle du temps de la révolte, mais ils ne rétablissent pas non plus l’ordre ancien. L’instance centrale est le Conseil intérieur de vingt-quatre membres, qui peut si besoin convoquer à sa guise le Conseil extérieur, lui aussi composé de vingt-quatre membres ; les membres de ces deux conseils, initialement nommés par l’évêque de Wurtzbourg, seront complétés au fil des besoins par le Conseil intérieur. Le contraste de ce régime et les réalités institutionnelles des villes de Souabe ne saurait être plus grand. Il n’est plus question de métiers ; la notion de représentation y est discrètement présente, puisque le Conseil intérieur est composé de douze échevins, qui ont en particulier des fonctions judiciaires, et de douze membres du commun, mais le choix de la cooptation et du mandat à vie montre bien que le but n’est pas d’établir un contact direct avec la société urbaine. La conception du Grand conseil comme une simple extension symétrique du conseil principal, avec le même nombre de membres, apparaît comme une réminiscence de l’organisation de beaucoup de conseils patriciens d’avant les métiers. Le but, cependant, n’est pas tant la mise en avant du patriciat que la construction d’une autorité fondée sur la supériorité sociale et n’ayant pas de comptes à rendre au reste de la société urbaine. Même les villes à régimes de métiers ont certainement pu être sensibles à l’argument du maintien de l’ordre, dont le corollaire est le statu quo en matière d’organisation politique. On peut cependant douter que cette prudence aurait suffi à mettre en branle les mécanismes de la ligue s’il n’y avait eu une forte demande d’intervention de la part de l’une de ses principales métropoles. Dans cette affaire, les juges font appel à l’expertise des Conseils de Rothenburg et de Nuremberg – deux villes où le patriciat conserve le contrôle des affaires politiques – et aux témoignages de quelques autres villes impliquées dans la tentative initiale de médiation. Cette procédure n’en montre pas moins l’incapacité des villes d’agir par elles-mêmes pour assurer une stabilité politique suffisante au sein des ligues urbaines. Leurs traités constitutifs ne prévoient pas de mécanisme d’intervention à la manière des dispositions bien connues de la Hanse, si bien qu’elles prennent rarement l’initiative d’une intervention dans les affaires internes des villes.

162 Ibid., p. 257-261. 163 Ibid., p. 266-270 ; les aspects constitutionnels sont évoqués p. 267-268. Le représentant d’Augsbourg, Stephan Hangenor, est un patricien.

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Nature juridique de ces chartes Plusieurs parties en présence (patriciens et métiers, bourgeois du Conseil et bourgeois du commun…), un accord, un document pour entériner ces accords : nos chartes ne seraient-elles pas une sorte de contrat, de ceux qu’un volume récent sur la contractualité politique a voulu discerner pour les derniers siècles du Moyen Âge164 ? Ils sont après tout le produit d’une négociation et constituent un fondement juridique durable établissant les places respectives des différents groupes sociaux dans les institutions politiques de la ville, et ce quelque soit l’autorité au nom de laquelle la charte est rédigée. Du contrat, ces textes ont d’abord la forme écrite, évidente aujourd’hui pour nous dans tout acte juridique : dans la ville médiévale, pour ces questions politiques comme pour bien d’autres, l’écrit n’était au contraire pas indispensable, mais la plupart des villes que nous avons évoquées ont significativement choisi d’y recourir. Au-delà des imperfections et des détournements propres à la fois à tout système politique et à l’exécution de tout contrat par des parties dont, par nature, les intérêts ne sont pas les mêmes, l’interprétation de ces textes comme contrats politiques mérite cependant d’être nuancée. Si les textes mettent souvent en avant l’accord de deux parties, cette concorde affirmée n’empêche pas que les édifices politiques ainsi construits paraissent souvent plus imposés par un parti vainqueur que négociés entre partenaires (les patriciens dépossédés apparaissant alors en position d'opposants ou de suppliants) ; plus souvent encore, les textes proclament la volonté unanime des bourgeois que l’accord de deux parties distinctes, ce qui les rapproche plutôt de la conjuratio qui fonde la commune médiévale ; surtout, la fonction essentielle du contrat, qui constitue à créer des obligations, n’est pas vraiment au cœur des textes que nous avons étudiés. Ce que nos textes tiennent du contrat, cependant, c’est le caractère volontaire de l’engagement, fermement affirmé dans beaucoup de textes – à l’exception des cas d’intervention autoritaire du souverain, bien entendu. Les textes ainsi produits ont en commun d’être créateurs de droit : à de très rares exceptions près165, ils ne se présentent pas comme la réforme d’un droit existant, pas plus qu’ils ne décrivent une coutume existante à la façon des Stadtbücher – seule la première charte d’Esslingen (1316, § 1) dispose explicitement que les droits des patriciens et des métiers sont maintenus en l’état, ce qui n’empêche pas le reste du texte d’intervenir profondément dans les structures politiques en vigueur. Les dispositions qu’ils détaillent sont présentées comme des décisions, comme des verdicts, comme des lois : dans tous les cas, elles sont rédigées de manière autosuffisante, en écartant toute référence à un droit antérieur. 164 Cf. F. Foronda (dir.), Avant le contrat social. Le contrat politique dans l’Occident médiéval xiiie-xve siècle, Paris, Publications de la Sorbonne, 2011. 165 Gengenbach, K. Walter, Die Weistümer der Ortenau (code de droit récapitulant, avec une perspective historique, les règles de droit régissant le gouvernement municipal) ; cf. aussi le cas très différent de Kempten, où la création d’un nouveau régime se masque derrière une forme narrative, supra p. 30-31. Les chartes de Fribourg (1248) et Esslingen (1316) ne peuvent se comprendre sans prise en compte des pratiques antérieures, qu’elles entendent réformer en profondeur, mais pas abolir.

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Certes, certains textes promulgués par le souverain se présentent comme la confirmation de dispositions prises par ailleurs, ainsi pour la charte de Louis de Bavière pour Reutlingen en 1343 ; mais il y a un monde entre cette charte détaillée et la simple confirmation de principe octroyée avec réticence, en 1374 seulement, par Charles IV aux chartes augsbourgeoises de 1368166 : dans le premier cas, c’est bien la charte du souverain qui servira de fondement au système politique de la ville, alors que dans le second cas l’accord impérial ne fait que renforcer la sécurité juridique d’un système créé sans demander son avis. On le verra, c’est souvent dans le cadre d’un conflit urbain que ces chartes sont rédigées, comme réponse nécessaire à un besoin concret et présent ; dans ces conditions, il ne pouvait être question de s’en tenir à un statu quo. Ces chartes – et la comparaison avec les sources de la pratique, là où elles existent, le confirme – ont donc une véritable fonction législative, et elles prennent place à ce titre dans un mouvement de longue durée tendant à reconnaître légitimes et nécessaires l’évolution du droit et son adaptation à des réalités nouvelles. Elles sont aussi un témoin de la place prise par l’écrit dans ces villes : lorsque l’organisation politique d’une ville est modifiée en profondeur, la mise par écrit s’impose sans doute moins pour des raisons pratiques que pour en faire un équivalent des privilèges et des autres sources du droit de la ville. Il y a certainement dans le recours à l’écrit l’idée d’une garantie apportée aux différentes parties que leurs droits seront respectés, ce que la fabrication d’originaux multiples vient parfois confirmer167 ; mais il y a aussi une volonté de rendre publique l’organisation institutionnelle du gouvernement municipal. On parlerait aujourd’hui de transparence, et c’est dans ce même esprit qu’il faut comprendre le développement simultané d’une administration écrite, à Augsbourg ou à Constance par exemple168, mais aussi à Nördlingen où la création des Zünfte en 1348 s’accompagne d’une nouvelle rédaction, beaucoup plus développée que la précédente, du code de droit de la ville169. Erich Maschke écrivait que ces chartes « tenaient justement de la mise en forme contractuelle de la constitution leur signification particulière dans l’histoire constitutionnelle allemande du Moyen Âge170 » : l’image d’un contrat, d’un accord formalisé entre parties, s’impose en effet pour décrire la fixation et la mise en forme d’un consensus social entre patriciens et métiers, mais elle a aussi ses limites. La première est que les chartes elles-mêmes ne se présentent jamais véritablement comme des contrats : partout où deux groupes clairement identifiés sont présentés comme opposés, c’est que le conflit existant a été soumis à un arbitrage, dont le résultat s’apparente beaucoup plus à un verdict judiciaire qu’au libre accord que constitue le contrat. Ensuite, nous ne savons à peu près rien de l’élaboration de la plus grande partie des textes : qu’il y ait eu un certain nombre de consultations est probable, que 166 UB Augsburg II, p. 189, cf. supra, p. 57. 167 Cf. infra, p. 97. 168 D. Adrian, Augsbourg à la fin du Moyen Âge, p. 102 et pour la comparaison avec Constance, p. 459 (à Augsbourg par exemple, les comptes urbains sont conservés depuis 1368, et ce n’est certainement pas un hasard). 169 K. O. Müller, Nördlinger Stadtrechte des Mittelalters, p. 17-38. 170 E. Maschke, « Verfassung und soziale Kräfte… », p. 309.

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les « perdants » du jour aient eu voix au chapitre paraît vraisemblable, mais on peut difficilement parler d’un accord entre deux parties égales – on le voit particulièrement bien à Augsbourg en 1368, avec les deux chartes qui entérinent d’abord la victoire des non-patriciens avant de déterminer la nouvelle architecture institutionnelle. Enfin, la validité du texte n’est pas celle d’un contrat, sujet à révision, à dénonciation, à caducité : à la manière de nos constitutions modernes, ces chartes ont vocation à durer sans limite de temps171, et si elles ne précisent pas toujours les conditions permettant leur révision, il n’y a pas de place pour une mise en retrait volontaire de l’un ou l’autre des acteurs. La révision, cependant, est prévue dans quelques chartes. On lit à Rottweil (1378, p. 175) une phrase particulièrement nette sur le sujet : « Diser brüeff soll an ime selber pliben, es were dann, das der gross rath mit der gemainde willen abnemme » (Cette charte doit rester telle quelle, à moins que le Grand conseil la modifie avec le consentement du commun) ; une disposition similaire dans la charte pourtant si succincte de Memmingen de 1347 montre que le sujet n’est pas négligeable : Wär daz wir dehain gebresten dar an gwunnin von sweler gesetzt und artikeln denne daz wär, da sol der amman der burgermaister der Rat, die zunftmaister ein ieglicher mit sinen aylifen und nit mer dar über sitzen, und swaz man umb den selben gebrosten über ain kumt, da sol daz minder dem merren gevölgig sin172.

On y apprend, du moins, quelques éléments de structure des institutions municipales – la coexistence du « Conseil » (autrement dit de l’instance patricienne préexistante) et des maîtres de métier, l’existence des Onze qui entourent les maîtres de métier – mais on détermine surtout des modalités précises pour modifier les institutions. Il ne s’agit pas seulement, comme on le trouve par exemple à Esslingen en 1376 (§ 18) comme en 1392 (§ 13), de se réserver tout pouvoir de modifier les dispositions de la charte, il s’agit de définir précisément l’instance compétente : pas question de laisser la foule des membres des métiers peser sur les débats, pas question non plus de laisser une question aussi importante au verdict des seuls conseillers et maîtres de métier173. C’est que ces chartes, à Memmingen comme à Rottweil et dans beaucoup d’autres villes, se présentent comme le résultat d’un compromis social engageant toute la société urbaine : l’idée que les détenteurs du pouvoir issu du consensus de la société urbaine puissent oublier cette origine et modifier les règles du jeu politique est présente à l’esprit des rédacteurs des chartes – la crainte du pouvoir personnel autant que du gouvernement d’un clan est partie intégrante de la culture politique de ces villes.

171 Une durée limitée est seulement prévue pour les deux lettres de paix successives de Schwäbisch Gmünd (Ludwigsburg, SA, B 177 S U 245 et U 246), mais, comme on a pu le voir supra p. 29-30, ce ne sont précisément pas des chartes constitutionnelles. 172 « S’il arrivait que nous en recevions quelque dommage, de quelque loi et article que ce soit, l’ammann, le maire, le conseil, les maîtres de métier, chacun d’eux avec ses Onze et pas plus, doivent siéger à ce sujet ; et ce sur quoi on s’accordera à propos de ces dommages, la minorité doit suivre la majorité ». 173 Cf. dans le même ordre d’idées Weißenburg 1377, § 9, qui réserve le droit de « den brif mit minnern oder mitt merern artikelen pezzern […], darauzz tzu nemen oder drein tzu setzen » (améliorer la lettre avec moins ou plus d’articles, d’en retirer ou d’y rajouter quelque chose) au Petit conseil seul.

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Le champ géographique concerné par les chartes n’est jamais précisé ; il s’agit, naturellement, de la ville, présentée comme une juridiction territoriale unique, et ce même pour les quelques villes qui ont réussi à se constituer un territoire – seule la charte de Dinkelsbühl (1387) donne au Conseil tout pouvoir « in unßr gebiet » (dans notre territoire). Il n’est question ni de représentants des habitants de ce territoire, ni d’offices pourvus par le Conseil pour y exercer la tutelle municipale sur eux. Ce n’est au reste guère étonnant : même les territoires urbains les mieux constitués ne sont après tout qu’un ensemble hétérogène de droits, détenus souvent par l’intermédiaire des bourgeois ou des institutions ecclésiastiques sur lesquelles la ville exerce sa tutelle : l’idée que la ville exerce à proprement parler un gouvernement sur une zone territoriale définie est encore éloignée et les chartes ne peuvent passer outre cette situation juridique pleine d’incertitudes. On le voit, même si ces chartes disent beaucoup de ce que sera l’activité législative et règlementaire du Conseil dont elles définissent les contours, leur position juridique reste souvent fragile. Dans beaucoup de cas, les chartes tiennent compte de la tutelle impériale qui pèse sur les villes d’Empire, de la tutelle seigneuriale pour les autres, soit qu’on déclare simplement que leur contenu est conforme au bien de l’Empire, soit qu’on fasse rédiger la charte par l’autorité supérieure, soit encore qu’on demande à cette autorité son accord a priori ou a posteriori. Seule Augsbourg se distingue ici, en affirmant en 1368, avec une très inhabituelle netteté, la prééminence de la libre administration urbaine : Und wider dis vorgeschriben sach und artickel alle sol uns nicht schirmen noch helffen dhein brief reht freiheit noch genade, die wir von Romischen keisern und kunigen und von bischoven ietzo haben oder noch in zukunftigen ziten gewinnen mochten […], und besunderlichen dhein gebot, von wem uns daz beschehe, wann wir dirr vorgeschribenen sache und artickel aller gemeinclichen rich und arme frilichen und unbetzwungenlichen zu den heiligen gelert eyde mit ufgeboten vingern gesworn haben also stet vest und unverruckt ze halten und ze laisten aun all geverde174.

La présence de clauses prohibitives est d’autant moins étonnante que l’introduction des métiers ne se fait pas toujours sans opposition ; mais les rédacteurs de la charte augsbourgeoise vont au-delà de la simple interdiction des manœuvres hostiles que les opposants à l’accord pourraient mener : il y a ici une crainte d’ailleurs légitime de les voir tirer parti des faiblesses de la position juridique de la ville, certes largement autonome mais détentrice d’une légitimité politique toujours seconde175 ; 174 Augsbourg 1368 I, p. 147 : « Et contre ces toutes ces choses et articles ci-dessus ne doivent nous protéger ou défendre aucune lettre, droit, liberté ou grâce que nous avons aujourd’hui ou pourrions acquérir à l’avenir des empereurs et rois romains et des évêques [anciens seigneurs de la ville] […], et en particulier aucun ordre de qui que ce soit, parce que nous avons juré un serment appris sur les saints avec les doigts levés de tenir et maintenir sans tromperie les choses et articles ci-dessus, tous ensemble, riches et pauvres, librement et sans contrainte ». 175 Cf. l’analyse du concept de légitimité chez Weber par K. Schreiner, « Legitimität, Autonomie, Rationalisierung. Drei Kategorien Max Webers zur Analyse mittelalterlicher Stadtgesellschaften – wissenschaftsgeschichtlicher Ballast oder unabgegoltene Herausforderung ? », dans Die okzidentale Stadt nach Max Weber. Zum Problem der Zugehörigkeit in Antike und Mittelalter, dir. par Chr. Meier, Munich, Oldenbourg, 1994 (Historische Zeitschrift. Beiheft Neue Folge 17), p. 161-212, ici p. 163-180.

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l’originalité de la position ici défendue par les rédacteurs est que, précisément, et de manière pleinement consciente, ils rejettent cette position subalterne pour affirmer la prééminence du droit urbain sur les interventions extérieures. Cette fière affirmation de l’autonomie juridique de la ville et de la légitimité que donne à la communauté civique le serment commun n’empêchera naturellement pas les Augsbourgeois, dans les décennies qui suivent, de rechercher les privilèges impériaux, ni même d’obtenir quelques années plus tard la confirmation de leur zunft par l’empereur, mais on peut comprendre pourquoi ce dernier a résisté près de six ans avant d’accepter de donner cette confirmation. Une affirmation aussi radicale du rôle fondateur du serment ne se retrouve pas dans les autres chartes que nous étudions, alors même qu’il y est constamment question de serments, pour rétablir la paix après les troubles ayant amené la rédaction de la charte, pour marquer son entrée en vigueur, pour assurer chaque année la perpétuation de l’ordre constitutionnel. Il nous faut donc, avant d’entrer dans le détail de leur contenu, examiner la double temporalité qui préside à leur rédaction et nourrit en profondeur les mesures prises aussi bien que les formes que prend la mise en texte : produits de circonstances momentanées, elles sont aussi destinées à assurer à la ville une paix pérenne.

II. Circonstances

Le moment Zunftrevolutionen1, Bürgerkämpfe et autres Zunftkämpfe2 : le débat terminologique autour des moments où, dans les différentes villes, sont mis en place des régimes marqués par la participation de Zünfte est un serpent de mer de l’historiographie de la ville médiévale allemande3, aujourd’hui un peu endormi par la place marginale que ce champ d’étude occupe désormais en Allemagne. Croire que les chartes constitutionnelles permettront de trancher le débat, de déterminer si le grand moment d’introduction des Zünfte est une spectaculaire percée révolutionnaire ou un leurre masquant l’inusable domination d’élites à peine renouvelées, ce serait naturellement faire preuve d’un optimisme inconsidéré. Les chartes nous parlent souvent du moment où elles ont été rédigées, mais elles peuvent aussi prendre le plus grand soin à masquer les circonstances qui ont amené leur rédaction. Pour comprendre leur contenu et leur position dans l’histoire juridique et politique de chaque ville, il faut cependant prendre en compte ces circonstances et la manière dont elles ont pu influer sur leurs modalités de rédaction. La recherche, depuis les réflexions de Max Weber, souligne volontiers à quel point les révoltes urbaines sont dues à l’initiative de riches bourgeois mécontents de leur place dans le gouvernement municipal, et les exemples ne manquent pas de ces patriciens ou marchands qui prennent la tête de mouvements populaires ; reste que les sources mentionnent fréquemment la participation d’artisans, par exemple la chronique du chanoine Heinrich von Diessenhofen4 à propos des événements de 1342 à Constance : « Insuper mechanici mercatores ac populares societates sibi fecerunt, quibus et magistros proposuerunt, quos antea non habuerant ». Des marchands donc, mais aussi des mechanici et des populares. La présence à des

1 Le Dictionnaire historique de la Suisse qualifie encore l’épisode où le patricien zurichois Rudolf Brun, en 1336, fait entrer les métiers au conseil de la ville de « Brun’sche Zunftrevolution », ce que l’article français correspondant traduit plus simplement par « Révolution de Brun » (article de Martin Illi). 2 Ces trois termes sont par exemple discutés par l’historien est-allemand Karl Czok, « Zunftkämpfe, Zunftrevolutionen oder Bürgerkämpfe », Wissenschaftliche Zeitschrift der Karl-Marx-Universität Leipzig 8 (1958/59), p. 129-143, Czok ayant établi l’usage du terme Bürgerkämpfe. 3 Cf. le panorama de l’historiographie ancienne par K. Schreiner, « „Kommunebewegung“ und „Zunftrevolution“. Zur Gegenwart der mittelalterlichen Stadt im historisch-politischen Denken des 19. Jahrhunderts », in Franz Quarthal, Wilfried Setzer (dir.), Stadtverfassung – Verfassungsstaat – Pressepolitik, Sigmaringen, Thorbecke, 1980, p. 139-168, notamment p. 156-166. 4 Heinrich von Diessenhofen, Chronica ecclesiastica, p. 38.

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positions éminentes de membres des élites ne doit pas être un critère pour juger du caractère populaire de telle ou telle « révolution ». À Passau, en 1368, c’est un éminent officier seigneurial qui en prend la tête, mais pas vraiment à l’initiative de sa tutelle : « ultimo Andreas dictus Haller, iudex civitatis, contra voluntatem domini episcopi capitaneus civitatis electus, non a melioribus civibus, sed a communitate, semper invidens potioribus civibus5 ». L’acte révolutionnaire tient non pas dans l’identité de l’élu, mais simplement dans le fait qu’il ait été élu à ce poste nouveau de capitaneus, mot fréquemment utilisé dans les sources latines pour « maire », mais qui fait écho à la terminologie de l’Italie communale6, et qu’il l’ait été par la « commune ». L’épisode est de courte durée, mais tout comme l’exemple de Fribourg il montre bien qu’on a beaucoup trop sous-estimé le poids réel de la société dans son ensemble dans des affrontements où elle semble ne jouer qu’un rôle de supplétif des nouvelles élites. On trouve une image similaire dans les listes des quelques dizaines de Nurembergeois condamnés après la courte période de régime de métiers en 1348/13497 : boulangers, tanneurs, chausseurs, de nombreux forgerons, il s’agit bien d’artisans au sens le plus technique du terme. Il faut d’abord distinguer entre les deux types de situation qui, comme on a déjà pu l’entrevoir, président à l’écriture des chartes constitutionnelles : souvent, il ne s’agit que d’adapter un système politique existant à de nouveaux équilibres au sein du corps civique ; plus souvent encore, il s’agit au contraire de donner une forme juridique à une rupture beaucoup plus nette, quand les non-patriciens jusqu’alors exclus de toute participation à l’exercice du pouvoir forcent l’entrée du Conseil. Mais cela influe-t-il sur les chartes ? La place accordée dans leur exposé aux circonstances en est-elle accrue ? La violence, dans cette description du moment, y est-elle plus présente ? Les moments où les métiers intégrés aux institutions municipales ne se contentent plus de la place qui leur a été attribuée, après tout, ne se passent pas toujours sans heurts. « Stozz zwaiung misshellung und uffleuf, die under und zwischen uns gewesen sint » (conflits, discordes, mécontentements et soulèvement qui ont eu lieu parmi et entre nous) à Dinkelsbühl, en 1387 ; « manigvaltig schäden, verderben und grozz geprechen, […] irrung und widertayl und unainträchtikayde » (innombrables dommages, déclin et grands maux, […] égarements, discordes et désunion ) à Munich en 1403 : au commencement était la discorde, voilà ce que laissent entrevoir beaucoup de chartes des circonstances de leur rédaction, en disposant souvent explicitement que toutes les « anciennes inimitiés » doivent être abolies et rendues caduques par la

5 Christian Gold, Annales Matseenses, éd. W. Wattenbach, MGH Scriptores, t. IX, 1851, p. 823-837, ici p. 834, cf. H. Drüppel, Iudex civitatis. Zur Stellung des Richters in der hoch- und spätmittelalterlichen Stadt deutschen Rechts, Cologne, Böhlau, 1981 (Forschungen zur deutschen Rechtsgeschichte 12), p. 414-419. 6 Il est aussi présent dans le même sens à Ulm en 1292, cf. C. Keitel, « Städtische Bevölkerung und Stadtregiment bis 1397 », p. 93. 7 W. Schultheiss (éd.), Die Acht-, Verbots- und Fehdebücher Nürnbergs von 1285-1400, Nuremberg, Selbstverlag des Stadtrats, 1960 (Quellen und Forschungen zur Geschichte und Kultur der Stadt Nürnberg 2), p. 71-72.

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concorde rétablie8. La toute première des chartes de notre corpus, celle de Fribourg en 1248, décrit les parties en présence avec une netteté que les chartes ultérieures ne présenteront pas toujours : Inter universitatem Friburgensem et viginti quatuor maiores coniuratos quedam discordia fuit exorta et hoc asserente universitate eadem, quod eis videbatur ipsos viginti quatuor coniuratos negocium universale sive rem publicam ville Friburgensis non secundum honestatem et utilitatem communem, sed secundum sue voluntatis libitum sine ipsorum consensu et consilio ordinare9.

Le commun face au Conseil donc, avec une mise en accusation de ce dernier qui met en jeu les valeurs centrales de la vie en communauté10 ; et c’est pour rétablir l’unité, la concorde, qu’une nouvelle organisation politique est mise en place. Il n’est pas question ici véritablement de ce qui s’est passé, mais simplement de la justification politique et sociale de la mesure : les exposés des chartes, principal lieu où leurs auteurs nous informent des circonstances de leur rédaction, n’argumentent pas toujours de cette façon ; même ici où ils se livrent à une caractérisation des parties en présence, on est très loin d’une description sociologique des événements. D’autres définitions tout aussi schématiques et signifiantes se trouvent dans quelques chartes11 : la charte impériale de Heilbronn (1371) présente une opposition entre « die burger doselbest an einem teil und die gemeinde doselbest an dem andern teil » (les bourgeois [= patriciens] de l’endroit d’un côté, la commune de l’endroit de l’autre), opposition qu’on pourra trouver caricaturale, mais qui montre bien, au moins, que de telles oppositions tranchées faisaient partie des représentations politiques contemporaines ; il s’agit, il est vrai, d’un arbitrage, qui a besoin pour fonctionner d’une telle bipartition, et le terme partyen, qui relève de ce vocabulaire de l’arbitrage, ne manque pas dans ce texte. Seule la première charte jurée d’Ulm livre une bipartition plus précise, et d’ailleurs très significative : « Wir der burgermaister, der rat und alle burger, die nit der zünft noch der antwerk sint, und wir die zunftmaister 8 Ce n’est pas ici le lieu de rouvrir le débat sur les oppositions politiques au xive siècle, abondamment débattues d’Erich Maschke à Karl Czok (par exemple « Die Bürgerkämpfe in Süd- und Westdeutschland im 14. Jahrhundert », Esslinger Studien 12/13 [1966/1967], p. 40-72) : il n’est besoin, dans ce contexte, que de rappeler que la politique, si elle ne constitue pas l’élément déclencheur des troubles, est très vite mise en avant par les acteurs et constitue généralement un élément décisif de leur solution. 9 Fribourg 1248, p. 701-702 : « Une discorde se leva entre l’universitas de Fribourg et les vingt-quatre majores conjurati [autrement dit le Conseil], l’universitas se défendant elle-même ainsi, parce que qu’elle constatait que ces vingt-quatre conjurés gouvernaient les affaires communes et les intérêts publics de la ville de Fribourg non pas selon l’honnêteté et l’utilité commune, mais selon les caprices de leur volonté, sans leur consentement et leur conseil ». 10 On ne peut manquer de remarquer aussi dans le texte l’opposition entre l’universitas civium et les coniuratores, le corps civique face aux héritiers du serment primitif de la commune, lexique qui n’apparaît pas dans les autres conflits que nous étudions, il est vrai beaucoup plus tardifs. 11 Cf. aussi le cas de Sélestat où la charte de Charles IV en janvier 1358, qui reconnaît l’existence et le rôle politique de Zünfte, impose que ne soient élus que des bourgeois « die auch kein partyen gewesen sint noch den partyen in deheine weis zugehorn » (qui n’étaient pas des partis et n’appartenaient en aucune façon aux partis) ( J. Gény, Schlettstädter Stadtrechte, p. 65), sans aucune précision sur les événements ayant précédé la charte ni sur la nature de ces partis.

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und alle burger der zünft und der antwerk, also gemainlich rich und arm12 » (Nous le maire, le conseil et tous les bourgeois qui ne sont pas des Zünfte ou des arts et nous les maîtres de métier et tous les bourgeois des Zünfte et des arts, tous en commun riches et pauvres) : le Conseil et le maire sont présentés comme faisant bloc avec un « camp patricien », face à un monde des métiers ; la répétition du mot « bourgeois » n’est certainement pas un hasard, en ce qu’elle permet de souligner l’égalité statutaire entre les bourgeois de l’un et de l’autre camp. Ces dichotomies, on le voit, sont moins des descriptions factuelles des acteurs d’un conflit que des clauses justificatives qui effacent les individus au profit de principes de légitimité opposés qu’incarnent les groupes sociaux formalisés. Une telle stylisation du conflit, finalement, n’apporte pas beaucoup plus d’informations que les chartes d’Esslingen, en 1316 comme en 1376 ou en 1392, où seul le souci de préserver le bien commun et le droit de la ville, « als es von alter herkomen ist » (tel qu’il s’est transmis depuis longtemps)13 vient justifier les modifications apportées aux institutions municipales – le régime des métiers, lui, était apparu dès la fin du xiiie siècle, sans que soit rédigée une charte, le besoin de légitimation de ce qui n’était qu’une révision, sans remise en cause des principes de légitimité du système, était sans doute moins fort. Mais faut-il déduire de cette sobriété dans la justification des mesures prises l’absence de conflit ouvert ? Les événements de 1333 nous invitent au contraire à soupçonner la résurgence périodique de conflits politiques et sociaux. Cette année-là, sous un gouvernement urbain issu de l’équilibre encore très favorable aux patriciens tel que posé dans la charte de 1316, les métiers semblent s’être soulevés à l’occasion d’un séjour de Louis de Bavière dans la ville ; le souverain réussit à faire échouer leur projet et obtient de la ville le paiement d’une amende de 7 000 florins. Une fois cette amende payée, en novembre 1335, moins d’un mois après le quitus impérial, une courte charte est rédigée par « Wir der burgermaister, die richter, die zunfmaister unde der rat gemainlich ze Esselingen » (Nous le maire, les juges, les maîtres de métier et l’ensemble du Conseil d’Esslingen)14. Ce n’est pas une charte constitutionnelle en ce qu’elle ne prétend pas décrire l’ensemble du système politique de la ville ; elle l’amende cependant sur un point décisif : désormais, en sus des Douze élus par chaque métier, et sans doute en leur sein, deux élus de chaque métier en plus de deux élus des patriciens constituent un nouveau Conseil, celui des Vingt-huit. Les fonctions de ce nouveau collège ne sont pas détaillées, mais on peut sans doute y voir une manière d’élargir le Petit conseil sans aller jusqu’à convoquer tout le Grand conseil. Il n’est pas question ici d’autorisation ou de validation préalable par le souverain, mais il est difficile de penser qu’une évolution aussi étroitement liée au coûteux conflit précédent puisse avoir été tentée sans son autorisation. 12 Ulm 1345, p. 110-111 – on notera que la formule totalisante « riches et pauvres » n’est pas présentée comme parallélisme exact avec cette bipartition. 13 Esslingen 1316, p. 215. 14 Le conflit est décrit de manière plutôt confuse par Walter Bernhardt, « Esslingen im Früh- und Hochmittelalter. Gedanken zur Geschichte und Topographie », Esslinger Studien 23 (1984), p. 7-44, ici p. 40-44 ; les seules sources fiables citées sont les chartes UB Esslingen I, p. 329 (quitus) et surtout 330 (nouveau conseil).

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La charte augsbourgeoise de 1340, elle, décrit un tableau un peu moins idyllique, mais aussi plus précis quant aux causes du changement, puisque ce sont les grandes dettes de la ville qui mettaient en péril la paix urbaine, et c’est pour éviter les haines et la discorde que la communauté urbaine réunie autour du bien commun a décidé d’agir – il est vrai qu’à ce stade les élites non patriciennes ont accepté de se contenter d’un meilleur contrôle des finances urbaines contre le maintien du privilège politique des patriciens. Il n’y a naturellement pas qu’à Augsbourg que les questions financières jouent un rôle fondamental dans les événements qui amènent à la rédaction de chartes constitutionnelles et en particulier à l’introduction de métiers : on est assez bien informé des efforts du conseil d’Esslingen pour rétablir les finances de la ville dans les mois ayant suivi la double élection de 131415, et le cas d’Isny, où l’introduction des métiers en 1381 est une contrepartie à la participation de tous au financement du dégagement de la ville, est particulièrement parlant16. Mais si, comme à Isny, le compromis et l’intérêt commun peuvent suffire, les patriciens ne cèdent pas toujours aussi facilement. Les chartes augsbourgeoises de 1368, elles, mentionnent bien des conflits, et comme souvent elles proclament la fin de toutes les haines passées17, sans pour autant dire quoi que ce soit sur les camps en présence. Les chroniques de la ville, elles, nous renseignent abondamment sur les circonstances qui ont amené la rédaction des chartes. Il apparaît bien que les patriciens ont dû faire face à la manifestation soigneusement coordonnée des « artisans » réunis en armes devant l’hôtel de ville, mais les récits laissent penser que le pouvoir patricien était à ce stade bien trop affaibli pour leur opposer beaucoup de résistance. La paix urbaine n’a été qu’à peine entamée, pour une seule journée, et sans effusion de sang : l’objectif des chartes n’est pas de rétablir une paix urbaine mise à mal par la révolte des artisans, mais d’établir une paix dont le déséquilibre structurel du régime patricien précédent avait privé la ville. C’est aussi en 1340 que, par un arbitrage parrainé par Louis de Bavière, les artisans font leur entrée dans le Conseil de Schwäbisch Hall : contrairement à Augsbourg, mais comme dans la grande majorité des villes, aucune chronique ne vient nous éclairer sur les événements, mais la rupture entre (certains) patriciens et le nouveau Conseil est suffisamment violente pour que l’affaire occupe le souverain encore plusieurs mois après sa première intervention, pour soutenir les nouvelles institutions municipales18. Le court texte de la charte de Memmingen en 1347, outre les quelques informations qu’il livre sur l’organisation du nouveau régime, proclame la liberté du commerce pour tous les bourgeois : on n’en sait pas plus sur la durée des dissensions urbaines ou sur leur degré de violence, mais cette clause nous informe du moins du sujet principal de ces dissensions, récurrent dans l’histoire politique de Memmingen19.

15 Cf. notamment UB Esslingen I, p. 201-202 et 205. 16 Cf. supra, p. 26. 17 Augsbourg 1368, p. 146. 18 Cf. les trois chartes de janvier et mars 1341 citées par H. Lentze, Der Kaiser und die Zunftverfassung…, p. 139-144. 19 En 1457 encore les patriciens de Memmingen tentent de se voir reconnaître le monopole du commerce sur quelques produits cruciaux, sans succès (chronique inédite d’Erhard Wintergerst, Memmingen, Wissenschaftliche Bibliothek, 2° 2,19, p. 81, cf. sur le contexte général D. Adrian, « La chronique de

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Les non-patriciens n’ont pas seulement voulu obtenir cette liberté commerciale, en constatant que, sur ce point, il ne suffisait pas d’un succès momentané ; il fallait avant tout créer de façon durable une situation où le groupe patricien serait incapable de faire prévaloir ses intérêts propres au détriment de ceux du reste de la communauté urbaine, et seule la création d’un nouvel ordre politique apparaissait en mesure de répondre à la situation. Pour que nous connaissions en détail les circonstances de rédaction des chartes, le témoignage des chroniques est donc indispensable, à défaut d’être tout à fait suffisant, mais ce témoignage n’existe que pour une petite minorité de villes20. Dans les chroniques augsbourgeoises, la description des événements de 1368 est un passage obligé des chroniques du xve siècle21, de manière à vrai dire similaire aux récits d’autres contestations populaires comme le mouvement d’opposition aux taxes indirectes de 1397. Les événements qui conduisent aux changements constitutionnels sont également bien connus à Constance, de manière même plus prolixe qu’à Augsbourg22 : on y lit une analyse beaucoup plus précise des acteurs de chacun des soulèvements – rares sont les chartes qui, elles, donnent le nom de ceux qu’il a fallu combattre, même pour les punir : quand il faut les punir, c’est souvent dans des chartes ultérieures que ces

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Memmingen », p. 32-37). Ceci me paraît contredire la thèse de K. O. Müller, Die oberschwäbischen Reichsstäte, p. 117, qui y voit une mesure dans l’intérêt des patriciens ; il faut aussi remarquer que la mesure s’applique seulement au commerce, pas à l’artisanat. Cf. aussi un fragment narratif relatif à Donauwörth dans le recueil d’anecdote du maître d’école Conrad Derrer, racontant la révolte du vulgus contre les cives (G. Leidinger, « Aus dem Geschichtenbuch des Magisters Konrad Derrer », ZHVS 31 (1904), p. 95-121, ici p. 109-110). Dans les quelques chroniques du xive siècle, l’événement est mentionné de manière souvent peu détaillée et parfois franchement hostile. Chez Hector Mülich (CDS 22, p. 5-7), un siècle après l’événement, l’événement est présenté comme un acte fondateur. La situation éditoriale catastrophique de ces chroniques de Constance (le livre de Ph. Ruppert, Das alte Konstanz in Schrift und Stift, est plus utile pour les chartes qu’il édite que pour la compilation peu fiable de chroniques qu’il réalise faute de pouvoir les éditer, cf. Th. Ludwig, Die Konstanzer Geschichtschreibung bis zum 18. Jahrhunderts, Strasbourg, Trübner, 1894, et l’introduction de Sandra Wolff à son édition de la chronique de Gebhart Dacher, Die „Konstanzer Chronik“ Gebhart Dachers. […] Edition und Kommentar, éd. S. Wolff, Ostfildern, Thorbecke, 2008 (KGR 40), p. 19-45) continue à en limiter l’exploitation. Sur les différents événements, on trouve : – Troubles de 1342 : textes éd. par A. Bihrer, « Der erste Bürgerkampf », p. 218-220 (notamment Heinrich von Diessenhofen). – Troubles de 1370-1371 : Ph. Ruppert, ibid., p. 72-74, d’après une chronique du xvie siècle ayant utilisé la chronique perdue de Hans Stetter ; chronique anonyme éd. Fr. J. Mone, Quellensammlung zur badischen Landesgeschichte, 4 vol., Karlsruhe, Macklot, 1848-1867, t. I, p. 317-318 ; Dacher, ibid., p. 378-379. La charte de 1371 prend un soin particulier à rétablir la paix suite aux troubles des mois précédents, ce qui confirme largement l’ampleur des affrontements décrits dans les chroniques. – Troubles de 1421 : récit très sommaire dans un extrait du xvie siècle de la chronique contemporaine de Claus Schulthaiß, Ruppert, ibid., p. 274. – Troubles de 1429-1430 : chronique anonyme éd. Fr. J. Mone, ibid., t. I, p. 332-334 ; Dacher, ibid., p. 479-481 et surtout 501-519, avec copie de la charte de Sigismond ; fragments par le maître du métier des tisserands de laine Marx Maiger, éd. F. Wielandt (éd.), « Das Zunftbuch der Konstanzer Wollweberzunft », ZGO 108/NF 69 (1960), p. 49-84, ici p. 63 et 68. Cf. aussi la chronique inédite (Stuttgart, Württembergische Landesbibliothek, Cod. Don. 609) décrite par A. Bihrer, « Der erste Bürgerkampf », p. 186-188, qui évoque les quatre derniers troubles.

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sanctions sont prises. Les chroniques déjà citées23 pour le premier soulèvement de Constance en 1342 parlent de « sedicio periculosa » et de « magn[us] tumult[us] » et évoquent l’exil des conseillers chassés du pouvoir. Le ton employé par Heinrich von Diessenhofen n’est cependant pas hostile : ce n’est donc sans doute pas la populace qui agit et le degré de violence de l’opposition n’est visiblement pas suffisant pour rebuter l’honorable chanoine. Les récits de la révolte de décembre 1370 montrent cependant que la conflictualité reste d’actualité, avec cette fois une violence un peu plus marquée – le chroniqueur Gebhard Dacher écrit que « die gemaind die geschlächt alle haben überloffen » (le commun voulait assaillir tous les patriciens), et on crie : « sticha, schlacha die junckheren ! » (frappez, abattez les hobereaux !)24, mais les patriciens réussissent à se soustraire à la colère populaire. Dacher, hélas, s’arrête là : des événements qui séparent ces événements de la charte d’arbitrage d’avril 1371, il ne dit rien, et les autres chroniqueurs non plus. Les événements de 1430 sont plus détaillés dans sa chronique et la charte de Sigismond n’est elle-même pas avare de détails. Non seulement l’exposé, qui argumente en détail sur les raisons de son intervention, décrit les troubles urbains, mais le dispositif même, de manière plus inhabituelle, va au-delà du simple appel à la pacification et à l’oubli des anciennes haines : il cite nommément six bourgeois de la ville qui, comme conseillers lors du soulèvement, sont responsables de l’expulsion des patriciens. La punition est d’ailleurs relativement modérée : ils sont simplement privés du droit de siéger au Conseil ; cette punition met cependant en évidence l’existence du conflit précédent, là où les autres chartes constitutionnelles se gardent bien d’inscrire de tels rappels, au profit d’une vision unanimiste de la concorde rétablie. Les chartes constitutionnelles ne sont pas le lieu des mesures nominatives et de la répression. Le récit de Jean de Winterthur sur Lindau laisse également entrevoir que la violence a joué un rôle dans l’introduction des métiers25. À Strasbourg la « chronique » de Fritsche Closener, qui est plutôt un traité sur sa ville avec une section consacrée aux émeutes urbaines26, décrit avec vivacité les affrontements, d’un point de vue peu favorable aux patriciens : en 1308, les edeln (nobles) matent la révolte du gediegenen, du peuple, avec seize morts et de nombreux bannis. Un quart de siècle plus tard, l’affrontement au sein du patriciat qui, en 1332, ouvre la voie à l’établissement de la première charte jurée deux ans plus tard, avait fait neuf victimes, il est vrai dans les seuls rangs des clans patriciens rivaux. Ce n’est donc pas une défaite des patriciens face au reste de la société qui, d’après Closener, a entraîné le changement politique, mais la crainte d’une intervention dans la ville des alliés extérieurs de ces clans

23 Cf. supra, p. 37, n. 56. 24 Gebhart Dacher, Die „Konstanzer Chronik“…, p. 381. Un même usage péjoratif du mot jungherr est présent au même moment à Rottweil dans une des chartes justifiant le changement constitutionnel de 1378 (UB Rottweil, p. 181) : « von unseren jungherren den richen burgern » (« par nos seigneurs les riches bourgeois » – je suis obligé de traduire différemment le mot dans ce contexte, mais le caractère ironique de l’ensemble de l’expression ne fait pas de doute). 25 Johann von Winterthur, Chronik, p. 253-254. 26 CDS 8, p. 121-130.

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patriciens : la violence y apparaît tout de même comme un élément déclencheur du changement, avec une intensité que ne connaissent pas la plupart des villes souabes. À Munich, c’est par un long récit du riche patricien Jörg Kazmair27 qu’est connue pour l’essentiel la crise complexe des années 1397-1403, où s’entremêlent les affrontements entre membres de la famille ducale bavaroise et exigences d’ouverture plus large du Conseil urbain28. Il s’agit moins d’une chronique que d’un récit justificatif : les morts recensés sont exécutés par ordre du duc, mais dans la ville elle-même l’atmosphère n’est pas paisible. Quand Kazmair relate les menaces d’un forgeron invitant la foule à couper la tête à ceux du Conseil29, c’est d’abord une manière de discréditer les contestataires les plus radicaux ; s’il est lui-même en butte à l’hostilité des meneurs de la contestation au point de quitter la ville par crainte de représailles, son récit parle de réunions du Conseil et du commun, de discours et d’entretiens en petit comité, de paroles échangées et d’ambassades : la tension est forte, mais la violence à proprement parler moins présente que ne l’est le fonctionnement de rouages institutionnels. L’absence de sources narratives30 pour la plupart des autres conflits ne permet pas de savoir si tout s’est toujours déroulé de façon aussi pacifique ; on peut du moins penser que, si un conflit violent avait vraiment éclaté, des chartes de bannissement ou d’autres documents judiciaires en auraient gardé trace, comme c’est le cas à Schwäbisch Hall en 1340, où les patriciens qui avaient quitté la ville se démènent pour obtenir la restitution des biens qui leur avaient été confisqués. Même dans ce cas, du reste, la documentation montre l’ampleur du fossé creusé entre le nouveau Conseil et certains patriciens, mais ils ne témoignent en aucune façon d’affrontements violents qui auraient pu précéder le changement constitutionnel31. Il n’y a pas plus de violences internes à Isny lors de l’introduction des métiers et du régime politique qui en découle32. C’est le seigneur de la ville, Otto von Waldburg,

27 Texte éd. par K. A. von Muffat, CDS 15, p. 463-503. 28 Cf. sur ce conflit C. Rädlinger, « Münchner Unruhen, 1397-1403 » in F. Kramer (dir.), Historisches Lexikon Bayerns [en ligne], disponible sur (consulté le 20 décembre 2019). 29 CDS 15, p. 474. 30 Un recensement des chroniques produites dans les petites villes à la fin du Moyen Âge serait certainement œuvre utile, mais la moisson ne serait sans doute pas très riche : si une chronique est bien produite à Memmingen, elle n’est rédigée qu’après 1440 et ne fait aucune référence aux événements politiques du siècle précédent (D. Adrian, « La chronique de Memmingen » ; la chronique est inédite) ; celle d’Überlingen commence plus tard encore (Ph. Ruppert, Konstanzer geschichtliche Beiträge, t. I, p. 96-132, qui malgré cette édition est tout aussi méconnue que la chronique de Memmingen) ; Nördlingen n’a rien à proposer ; à Ulm, la courte chronique de 1473 (W. Seuffer, (éd.), « Anonyme Chronik vom Ulm (1473) », Verhandlungen des Historischen Vereins Ulm, NF 3 (1871), p. 29-36) ne mentionne rien pour 1345 ; elle évoque les événements qui amènent la rédaction de la charte de 1397, mais sans évoquer celle-ci, cf. ci-après. Cf. aussi les chroniques du xvie siècle à Schwäbisch Hall (Chr. Kolb, (éd.), Geschichsquellen der Stadt Hall, 2 t., Stuttgart, Kohlhammer, 1894-1904 (WGQ 1 et 6), t. I, p. 98-99, t. II, p. 93), qui ont visiblement eu recours aux sources diplomatiques qui nous sont parvenues, mais n’ont pas plus d’informations que ce que ces sources nous livrent. 31 UB Hall, no 175-176, p. 108-109 ; no 182, p. 110 (arbitrage de l’empereur entre la ville et les exilés). 32 Cf. C. H. Hauptmeyer, Verfassung und Herrschaft in Isny. Untersuchungen zur reichsstädtischen Rechts‑, Verfassungs- und Sozialgeschichte, vornehmlich in der Frühen Neuzeit, Göppingen, Kümmerle 1976 (Göppinger akademische Beiträge 97), p. 39-43.

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qui rédige la charte entérinant le changement : il s’agit d’une charte de vente, qui concerne à la fois le marché du sel et le droit des bourgeois d’avoir à leur guise maires et Zünfte. À vrai dire, la ville lui avait déjà racheté l’essentiel de ses droits, devenant ainsi ville d’Empire, en 1365 : le financement de ce rachat avait sans doute conduit à un endettement tel que le Conseil patricien avait dû chercher du secours auprès de l’ensemble du corps civique, qui se trouvait ainsi en position de demander des compensations – on sait bien que les impôts sont un puissant moteur d’intégration politique en même temps que de développement administratif et institutionnel33. C’est sans doute dans ce contexte, sur une motivation avant tout intérieure, que la ville a conclu ce marché avec son ancien seigneur, et si la médiocre situation des sources pour cette ville empêche toute certitude, on peut supposer que des négociations préalables entre patriciens et non-patriciens ont précédé le marché avec le seigneur. Les membres des patriciats urbains n’agissent pas tous par esprit de corps : l’attitude de celui d’Isny vient opportunément rappeler la grande diversité des identités patriciennes, à une époque où l’assimilation simpliste du concept de patriciat à une forme de noblesse urbaine est particulièrement peu pertinente. À l’inverse, la rédaction de la charte constitutionnelle de Rottweil en 1378 se déroule dans un contexte qui semble tout sauf consensuel. Il ne s’agissait alors pas de créer les Zünfte ou de briser une exclusivité politique des patriciens, puisque les métiers avaient conquis une place au Conseil dès 1314. La charte constitutionnelle elle-même se garde bien de mentionner le moindre désaccord, fût-ce sous forme de stéréotypes ; c’est près de deux ans plus tard que la rédaction d’une charte bannissant onze Zunftmeister révèle l’ampleur des divisions34. Est-ce un hasard si nous ne possédons de cette charte de 1378 que la copie d’un exemplaire destiné aux Krämer ? Les pertes documentaires n’excusent peut-être pas tout : l’histoire constitutionnelle tourmentée de la ville35 peut justifier que la charte de 1378 n’ait pas joué un rôle aussi essentiel dans la mémoire politique de la ville. L’existence d’épisodes violents est également attestée à Ulm. Une charte de pacification est réalisée le 25 juillet 1396, huit mois avant la grande charte jurée (26 mars 1397), pour mettre un terme aux oppositions et rétablir la paix mais, comme on peut s’y attendre, sans décrire ce qui s’est passé. Il faut donc recourir à la courte chronique de 1473 pour en apprendre un peu plus : « im jar 1396 an sannt Killimanus abett haben funff zunfften gezwungen die andern zunfftnmayster inen hilflich zu sein die von den burgern gefennckhlich anzunemmen36 » (En l’an 1396, la veille de la Saint-Colman, cinq métiers ont forcé les autres maîtres de métier à les aider à faire prisonniers les patriciens). On peine à comprendre par quel pouvoir cinq métiers ont pu contraindre les autres à les suivre (la force de l’opinion publique ?) ; on ne pourrait cependant dire plus clairement que les métiers servent de structures de mobilisation et que l’opposition aux patriciens est ici un thème politique essentiel.

33 Ibid., p. 42. 34 Les événements sont décrits par R. Elben, Das Patriziat der Reichsstadt Rottweil, p. 37-41. 35 Cf. infra, p. 82-83. 36 W. Seuffer, « Anonyme Chronik von Ulm… », p. 30.

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Reste que pour autant qu’on puisse le voir, l’introduction de ces nouveaux régimes politiques n’a pas provoqué de traumatismes durables dans les sociétés urbaines : comme l’écrit par exemple Jörg Leist, « la révolte des métiers de Rottweil [de 1377-1378] souvent évoquée n’a simplement pas existé37 », le mécontentement des citadins face aux conséquences des finances désastreuses de la ville s’étant traduit uniquement par le jeu des institutions et des mouvements d’opinion ; on va le voir, le compromis a mis du temps à s’imposer, mais il ne semble pas qu’il y ait eu ici la moindre violence. L’absence de violences, cependant, n’est pas nécessairement le signe d’une transition consensuelle. Le cas d’Augsbourg en 1368 est à ce titre exemplaire : il a certes suffi d’une démonstration de force résolue plus que menaçante pour que les patriciens se résignent à partager le pouvoir, mais les sources des années précédentes montrent que le désir d’un changement politique était profondément ancré. Il s’agit d’abord de deux passages du Livre du ban, l’un datant de 1365 où un artisan réclame l’introduction à Augsbourg de Zünfte « telles qu’en ont été créées d’abord à Strasbourg », l’autre en 1367 où un conseiller, nécessairement patricien et dont le nom a été effacé ultérieurement, est accusé du même crime38. Dans les vingt ans qui précèdent cette date, d’autre part, la question de la répartition du fardeau des expéditions militaires est constamment discutée (par quartier, par profession ?) ; un document exceptionnel de 1362 dresse la liste des contingents envoyés contre le fort de Zwingenberg : les artisans ont certainement su se faire entendre, puisque ces contingents sont organisés par profession, chacune d’elle ayant sa bannière et son capitaine – on retrouvera plusieurs de ces capitaines à la tête des Zünfte nouvellement formées en 1368. Les écrits décrivant au cours des années 1550 la nocivité du régime des métiers que venait de supprimer Charles Quint font certes une place aux malheurs des patriciens contraints à accepter de partager le pouvoir, bien au-delà de ce que disent les sources médiévales, mais le cœur de leur démonstration n’est pas là : ce n’est pas la violence initiale qui compte pour eux, mais l’incapacité de ceux qui ont exercé le pouvoir depuis 136839. Si ces changements pourtant décisifs dans le poids respectif des groupes sociaux dans la prise de décision politique se sont si souvent passés d’épisodes violents, c’est sans doute au moins en partie parce que ces changements répondaient à des tendances de fond des sociétés urbaines. L’ancienne structure dualiste entre détenteurs et exclus du pouvoir était devenue de moins en moins pertinente ; les exclus des systèmes patriciens étaient désormais suffisamment forts pour s’imposer sans heurts et ils ont pris soin de ne pas faire peser sur le nouveau pouvoir la mémoire d’un épisode violent. Certaines chartes, l’arbitrage du bailli impérial Friedrich de Nuremberg à Constance en 1371 ou la charte des ducs de Bavière pour Munich en 1403 par exemple40,

37 J. Leist, Reichsstadt Rottweil, p. 43. 38 Augsbourg, StA, Schätze 81, fol. 90d et 93d-94a. 39 Cf. en particulier la réponse polémique du conseil (rédigée par Clemens Jäger) contre les accusations portées contre lui par Georg Österreicher en 1555 (Augsbourg, StA, Schätze 55 et Augsbourg, SA, Reichsstadt Augsburg Literalien MüB 97 (éd. partielle : CDS 22, p. 416-440) ; sur cet écrit, cf. D. Adrian, Augsbourg à la fin du Moyen Âge, p. 318-319. 40 Constance 1371, p. 320 ; cf. aussi la charte de pacification précédant immédiatement la charte constitutionnelle de 1376 à Esslingen (UB Esslingen II, p. 143-144).

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proclament d’ailleurs l’oubli de tous les griefs liés aux événements ayant précédé leur rédaction. La procédure même de l’arbitrage, destinée à fixer des équilibres plutôt qu’à proclamer des vainqueurs, appelle naturellement une telle forme d’amnistie. Même si les quelques chroniques évoquées, et moins encore les chartes elles-mêmes, ne s’en font pas écho, l’avènement des régimes de métiers n’est pas sans relation avec le contexte général et notamment les affrontements à la tête de l’Empire. Ce n’est pas un hasard si de nouveaux régimes de métiers sont introduits, notamment à Esslingen et Reutlingen, au moment de la succession impériale difficile de 1313-131441 ; de même, les années 1340 sont propices à des bouleversements politiques à l’intérieur des villes, dans le sillage des luttes entre Louis de Bavière et le futur Charles IV – les chartes de Reutlingen (1343), Ulm (1345) ou Memmingen (1347)42 en témoignent, même si la relation directe entre histoire de l’Empire et histoire de la ville n’est pas toujours facile à établir ; et c’est aussi la période de l’unique contestation du pouvoir patricien à Nuremberg, pour laquelle les sources témoignent sans détour de l’influence directe du contexte extérieur43. Cependant, même si ces vicissitudes ont partout des résonances à l’intérieur des villes, elles sont loin de toujours parvenir à ébranler le gouvernement municipal. Même les chartes établies dans les moments de crise impériale sont moins le produit des oppositions entre partis impériaux que le résultat d’un effet d’opportunité, permettant à la fois d’obtenir des concessions de prétendants ayant besoin des villes et de se passer de consulter un pouvoir affaibli. On a pu voir à quel point les divisions au sein de la société de Constance avaient pu suffire à entretenir une conflictualité durable. Le dernier changement constitutionnel, celui opéré en 1510 par Maximilien, est le seul de toutes les villes et de toute la période qui doit son origine de manière primordiale à des facteurs extérieurs à la société urbaine44 : c’est parce que la ville négociait trop étroitement avec la confédération helvétique, entre autres par crainte du pouvoir restauré de l’évêque, que l’empereur choisit de rendre aux Zünfte le pouvoir perdu en 143045. La lecture que fait Maximilien de la situation intérieure de la ville est donc aussi limpide

41 Cf. sur ce contexte D. Adrian, « Les villes méridionales de l’Empire entre autonomie et métiers : les évolutions des années 1310 », à paraître dans les actes du colloque 1314, une Europe en crise ? Regards sur la conjoncture politique européenne à la mort de Philippe le Bel (Paris, 2-4 octobre 2014) organisé par Olivier Canteaut, Xavier Hélary et Julien Théry. 42 Cf. aussi la charte déjà citée du bailli Frick Humpis pour Biberach en 1344, qui ne donne aucune précision sur les mesures à prendre pour rétablir la paix urbaine (Stuttgart, HSA, B 162 U 32). 43 Cf. A. Schubert, Zwischen Zunftkampf und Thronstreit. Nürnberg im Aufstand 1348/49 [en ligne], Bamberg, University of Bamberg Press, 2008 (Bamberger Historische Studien 3), disponible sur (consulté le 20 décembre 2019), notamment p. 50 la citation du margrave Ludwig von Brandenburg, fils de Charles IV, directement impliqué dans le déclenchement des troubles (cf. aussi le point historiographique, p. 12-14). 44 K. Beyerle, Die Konstanzer Ratslisten des Mittelalters, p. 31-32. 45 H.-Chr. Rublack, Die Einführung der Reformation in Konstanz von den Anfängen bis zum Abschluß 1531, Karlsruhe, Mohn/Evangelischer Presseverband für Baden, 1971 (Quellen und Forschungen zur Reformationsgeschichte 40), p. 1-15. À l’inverse, à la même période, et pour des raisons similaires d’opportunité politique, Maximilien soutient les patriciens de Worms contre les Zünfte (E. Naujoks, Kaiser Karl V. und die Zunftverfassung, p. 4-5).

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que sommaire : puisque les patriciens sont trop proches de la confédération, autant s’appuyer sur les métiers qu’il considère plus fidèles. La réalité se révèlera un peu plus complexe, mais il est frappant de constater à quel point cette configuration ressemble à celles du xive siècle, quand les deux prétendants au trône, que ce soit après 1314 ou dans les années 1340, avaient la faveur de groupes sociaux différents dans les villes souabes. Ce qui est différent en 1510, c’est que les prétendants du xive siècle n’avaient pas la même capacité d’intervention directe que Maximilien. Celui-ci avait d’ailleurs au préalable tenté de jouer la commune contre le Conseil, sans grand succès : face au danger de mise sous tutelle par l’évêque, patriciens et métiers étaient beaucoup plus unis qu’il ne l’imaginait. Il n’empêche que, au moins pour les premières années d’application, cette constitution nouvelle avait pu dans les faits redonner aux métiers une partie du rôle politique qu’ils avaient perdu en 1430.

Procédures et influences La dette publique est, comme personne ne peut l’ignorer aujourd’hui et comme on a déjà pu l’entrevoir pour nos villes, une pomme de discorde politique à l’efficacité garantie. Malheur aux responsables politiques accusés d’avoir laissé filer les déficits ! C’est ce qui arrive en 1378 aux élites politiques de Rottweil, dont « die ahtzig, daz ist unser grozzer raut » (les Quatre-vingts, c’est-à-dire notre Grand conseil) viennent de vérifier les comptes. Do nu die ahtzig also innen wurden, wie man mit der burger gůt umbgieng, und daz es also grundlous waz, do wurdent sú mit enander reden, wie man die zunftmaister allú jare enderti, wand etwie menger da säze, der in zwölf jaren nie geendert wart oder lenger. Da widersatztent sich rihter und zunftmaister und wolt der burgermaister kain frage darumbe hăn und sprach, er wölte daz an ain gemainde bringen [ce que le Conseil accepte]. Do die gemainde gesamenet wart, do wurde lúte darzů geben von rihtern und von den ahtzigern, die in alle zunften giengen und fragten in ieder zunfte besunder, waz iederman darumbe daz beste dúhte. Do erkanden sich alle zunftmaister und zůnften ainhelleclich, daz man alle zunftmaister allú jar endern sölte [notamment à cause de la corruption qu’on leur reproche]. Item es geschach ouch etwie dicke, do der grozz raut ainer sache úberainkam, daz do der klain răt daz endert ane den grossen raut, und vindet sich daz redlich, daz uns daz grossen schaden braht, sunderbar in unseren kriegen, und vindet sich ouch, daz daz uns sölichú endrung hăt braht umb lúte und umb gůt46.

46 Charte du 2 juin 1379, UB Rottweil I, p. 179-180 : « Lorsque les Quatre-vingts s’aperçurent de la manière dont on se comportait avec l’argent des bourgeois et virent que la situation était si désespérée, ils se mirent d’accord entre eux qu’il fallait changer chaque année les Zunftmeister, parce qu’il y en avait quelques-uns qui n’avaient pas été changés depuis douze ans et plus. Les juges et les Zunftmeister s’y opposèrent, le maire ne voulut pas que cela fût mis en débat et dit qu’il voulait soumettre cela à la commune. […] Et lorsque la commune fut réunie, des gens furent désignés parmi les juges et les Quatre-vingt, qui allèrent dans toutes les Zünfte, et ils demandèrent à chaque Zunft en particulier ce qui paraissait préférable à chacun en cette matière. Tous les Zunftmeister et les Zünfte décidèrent à l’unanimité qu’on devait changer tous les ans tous les Zunftmeister […]. Item il arrivait aussi assez souvent que, alors que le Grand conseil s’était

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Ce n’est pas la charte institutionnelle de 1378 qui présente ce diagnostic sévère sur l’état des affaires publiques à la veille de sa rédaction, mais une charte rédigée un peu plus d’un an plus tard où, fait unique, le Conseil se justifie des mesures prises alors47. Cette nouvelle charte ne contient aucune mesure nouvelle, aucun repentir, aucun acte juridique à proprement parler, mais seulement un long récit justificatif. La manière dont questions fiscales et questions politiques sont indissolublement liées, aux yeux même des contemporains, est frappante ; en matière de procédure, le principal apport du texte est de montrer comment les décisions ont été prises, alors que la charte institutionnelle, elle, ne dit rien de ce qui s’est passé et ne justifie rien des dispositions qu’elle contient. La charte de juin 1379 éclaire deux aspects essentiels. Le premier est que, dans tout le processus, ce sont les institutions qui ont été le lieu essentiel du débat, sans qu’il soit besoin de supposer des violences ou même des manifestations de rue. Ce n’est pas le peuple contre les élites politiques, mais les Quatre-vingts contre le Petit conseil, qui réunit juges patriciens et Zunftmeister : on le voit, ce sont eux qui sont perçus comme détenteurs d’une autorité abusive à mille lieues de toute représentativité. On peut naturellement supposer que les Quatre-vingts ont pu ainsi défier la centralité du Petit conseil parce que celui-ci, faute d’avoir une solution à proposer à la détresse financière de la ville, se retrouvait en position de faiblesse, mais aussi parce qu’eux-mêmes étaient portés par un mouvement populaire qui légitimait leur action : l’idée de représentation est ici en jeu, avec pour corollaire le rôle de corps intermédiaire que jouent ici avec efficacité les Quatre-vingts. Le second est la procédure elle-même. Certes, le texte ne dit pas qui a synthétisé sous la forme que nous connaissons les décisions issues de la consultation du corps civique, mais nous pouvons du moins constater que, dans cette ville où les Zünfte participaient au pouvoir depuis des décennies, ce sont elles qui servent de recours pour sortir d’un blocage institutionnel. L’ensemble des Zünfte, non pas représentées par leurs élus mais en assemblée générale, constituant collectivement la commune, instance légitimante par excellence, est amené à se prononcer : le texte cité plus haut laisse certes entendre que la consultation s’est faite sur un nombre limité de questions fermées, mais le fait même de réunir les Zünfte implique qu’on accepte de courir non seulement le risque d’un avis contraire, mais aussi un risque bien plus grand, celui du débat ouvert. On le voit, si techniques que puissent être les mesures que contiennent nos chartes, il serait bien imprudent d’en attribuer toute la responsabilité à un cercle d’experts travaillant en vase clos ; la discrétion des chartes elles-mêmes sur ce travail de construction du consensus, entre nécessaire ouverture sociale et préservation de l’ordre urbain, est sans doute aussi une manière de laisser s’effacer les tensions qui ont justifié et sans doute accompagné leur rédaction. mis d’accord sur une chose, le Petit conseil l’avait modifiée sans le Grand conseil. Il s’était avéré que cela nous avait causé de grands dommages, notamment dans nos guerres, et il s’était trouvé aussi qu’un tel changement nous avait coûté des gens et des biens ». 47 Une autre charte, quelques mois plus tard, donne des détails supplémentaires, notamment les noms de certains acteurs (UB Rottweil I, p. 184-187), dont certains sont punis pour avoir tenté par tous les moyens de préserver leur position.

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Certaines chartes se présentent explicitement comme le résultat d’un compromis, comme à Dinkelsbühl où un collège de « neuf hommes sages », bourgeois de la ville et non arbitres extérieurs, est chargé de mettre un terme aux divisions à l’intérieur de la ville et pour cela de « schicken und ordinern » (disposer et ordonner) toutes les affaires de la ville – deux verbes assez rares dans ce contexte urbain et méridional, sans doute destinés à souligner que leur autorité est absolue mais ne se substitue pas à l’autorité légitime du Conseil. Comment ont-ils travaillé ? Quelles auditions ont-ils conduit ? Quelles connaissances avaient-ils, par écrit ou non, des constitutions d’autres villes ? Le texte ne le dit pas et ne garde pas la trace d’une influence extérieure précise : le travail d’analyse de la situation et de conception des nouvelles institutions est certainement nourri avant tout par l’expérience préalable des neuf sages. À Munich (1403), où le poids des ducs de Bavière est prééminent, c’est à une commission paritaire composée des membres des conseils et d’un nombre égal de bourgeois du commun qu’il revient de trouver un compromis, mais les ducs eux-mêmes sont impliqués, à la demande de la commission ; il est explicitement question de sessions où les articles proposés ont été examinés et approuvés par les ducs. Ce n’est pas l’équivalent d’un travail parlementaire moderne, mais le processus délibératif prend ici une ampleur remarquable, tant par le travail de détail qui est effectué que par la durée de la procédure et le nombre d’individus impliqués. Partout ailleurs les chartes ne disent rien de ceux qui ont, concrètement, fait le travail de conceptualisation du régime politique et de formulation de la charte. Le lecteur peut être surpris de rencontrer au fil de ces pages si peu de noms propres : c’est que les chartes en donnent soit trop, soit trop peu. Trop dans le cas des chartes augsbourgeoises de 1368, qui se terminent par une liste de témoins qui est en même temps la liste des membres du nouveau Conseil : les meneurs du changement politique s’y trouvent certainement, mais comment les distinguer ? Trop aussi à Mosbach (1337) où la suscription comporte le nom du Schultheiß, des douze juges et des douze conseillers du commun, comme s’il s’agissait d’un acte de droit privé n’engageant qu’eux-mêmes48. Trop peu, au contraire, dans la plupart des cas, là où le souci est bien plutôt de faire de la commune toute entière l’actrice du changement – les chartes rédigées par les autorités municipales, à Memmingen en 1347, à Ulm en 1345 et 1397 ne donnent pas même le nom du maire ou de l’Ammann pourtant mentionnés ex officio dans la suscription de la charte. C’est du reste la pratique commune de la diplomatique urbaine pour des chartes engageant collectivement la ville ; il était dans la logique des chartes constitutionnelles de respecter cette pratique, dès lors qu’elles devaient impliquer l’ensemble du corps civique et non la responsabilité individuelle de tel ou tel magistrat.

48 Voir a contrario les chartes d’Augsbourg et leurs listes de témoins (1368 I, p. 147 ; 1368 II, p. 152). Cf. aussi la question des sceaux, supra p. 98-99.

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À Augsbourg comme à Ulm ou à Esslingen, la rédaction des chartes peut prendre un temps certain49. Après la journée de manifestation qui a créé le principe d’une introduction des métiers le 30 octobre 1368, la première charte augsbourgeoise, le 24 novembre, a pour but principal d’établir une paix entre les parties tout en posant le principe d’une Zunft ; puis, le 16 décembre, la charte constitutionnelle proprement dite est rédigée. Entre temps, des messagers ont été envoyés pour obtenir des informations sur les systèmes de métier déjà existants dans d’autres villes. En parallèle, les nouveaux conseillers procèdent à une audition du code de droit de 1276, qui était jusque là tenu secret à la disposition exclusive du Conseil : une autre charte, qu’on peut certainement dater de l’extrême fin de l’année 1368 ou du début de l’année suivante, énumère une longue série de réformes, sur le droit pénal ou sur les expéditions militaires par exemple50. Cette activité réformatrice, naturellement, n’a pas de rapport direct avec le travail constitutionnel, mais elle illustre à merveille combien la réforme institutionnelle entamée le 30 octobre est vécue comme un nouveau départ pour la communauté civique, une rupture significative et non un simple arrangement interne aux élites urbaines. Le lien avec les événements de l’automne 1368 est on ne peut plus explicite : l’exposé de la charte indique que les conseillers ont considéré daz in allen steten dez hailigen Romischen richs da zunft sind Er und wirdikait, fruntschaft frid und gůt gemach zů aller zit uffet und meret und wechst, und wann zunft niemant gehaben mag aun straff, bůzz und bezzerung ainer ieglichn schuld, die der unzůnftig begangen hat51.

Le premier considérant reprend exactement les mots qui ouvrent la charte du 16 décembre 1368, tandis que le second définit la singularité des dispositions qui suivent. Un des traits dominants de cette charte est l’institution de deux ainunger, à la fois juges de paix et contrôleurs généraux de l’application du droit urbain, illustrant à la fois l’idéal de paix présenté dans les différentes chartes constitutionnelles et la

49 À l’inverse, les deux chartes de Schwäbisch Hall en 1340, l’une rédigée au nom des quatre arbitres mandatés par Louis de Bavière, l’autre au nom de l’empereur lui-même, ne sont séparées que par deux jours (17 et 19 septembre) et le texte très proche du dispositif des deux chartes montre bien qu’il n’y a pas eu pour la seconde un véritable travail rédactionnel nouveau. 50 Cette charte n’est connue que par sa copie dans un manuscrit où elle est privée de ses clauses finales (BSB, cgm 574, fol. 15r-20v ; éd. partielle CDS 4, p. 142-145 ; la charte n’est ni éditée ni mentionnée dans UB Augsburg). La formulation laisse cependant penser qu’il s’agit en réalité de la juxtaposition de deux chartes différentes ; la datation de la première est plus certaine que celle de la seconde, qui porte sur le tribunal et les expéditions militaires : il n’y a pas de nécessité absolue à la dater des tous premiers temps du régime des métiers. 51 BSB, cgm 574, fol. 15r : « que dans toutes les villes du saint empire romain où sont des Zünfte, l’honneur et la dignité, l’amitié, la paix et la sérénité grandit, s’augmente et croît, et comme personne ne peut avoir une zunft sans punition, amende et compensation de chaque faute que l’homme unzünftig a commis » : la phrase fait cohabiter les deux sens du mot zunft, d’abord au pluriel pour désigner les corps de métier, ensuite dans le sens général d’« accord ». Le mot unzünftig, qui n’est guère attesté hors de cette charte, désigne celui qui, en commettant un forfait, sort de la communauté créée par l’accord commun : cette extension extrême du sens de zunft témoigne bien de l’importance fondatrice donnée à ce moment.

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volonté de fonder le nouveau régime sur l’affirmation du droit, les auteurs considérant visiblement que les patriciens au pouvoir précédemment ne le respectaient pas. Il y a cependant un aspect politique important, puisque plusieurs articles de ce texte constituent une sorte de règlement intérieur du Conseil. Il n’y a rien de moins original que ce type de règlementation : les conseils patriciens en avaient fréquemment édicté, et à Augsbourg même le livre de droit de 1276 en comportait52. Les dispositions de ce règlement visent notamment à assurer la présence de chaque conseiller et à éviter, lors des votes, que certains essaient d’influencer leurs collègues ; le plus original est sans doute qu’en cas de manquement les patriciens devront payer le double de l’amende infligée aux hantwerklüte, littéralement « artisans » : on a là une trace du ressentiment des métiers face aux patriciens ; cette discrimination juridique n’aura cependant qu’un temps, les sources ultérieures de la pratique n’en faisant jamais mention. Il y a donc bien des raisons de considérer ces trois textes, la charte constitutionnelle de novembre, celle de décembre et la charte de réforme non datée, comme trois facettes de la mise en place d’un ordre nouveau, à travers respectivement le rétablissement de la paix, la définition des institutions et l’affirmation d’un ordre juridique rénové. À Ulm, on procède également en deux temps : une charte de réconciliation de juillet 134553 précède la première lettre jurée54 ; un demi-siècle plus tard, la rédaction de la « grande charte jurée » du 26 mars 1397 est également précédée par des troubles urbains véritablement intenses55, qui avaient à nouveau entraîné la rédaction d’une charte de pacification, datée du 25 juillet 139656. Elle précède donc de huit mois la charte constitutionnelle : le processus de conception est ici particulièrement long. L’abolition par Charles IV de la charte de 1316 à Esslingen montre aussi la complexité du processus à l’œuvre : le jour même (29 septembre 1375) où il casse la charte de 1316, il octroie à la ville un important privilège concernant la fiscalité, les juifs, mais aussi le droit de la ville à édicter des ordonnances selon ses besoins57. La cassation de 52 Par exemple Chr. Meyer, Das Stadtrecht von Augsburg…, p. 11 (1276), ajouts avant 1300 p. 72 et 75-76, p. 235-239. 53 UB Ulm II/1, p. 279-282, entre « die gemeind der antwerch » et « die burger hie ze Ulme, die nit der antwerch sint » (le commun des arts/ les bourgeois d’Ulm qui ne sont pas des arts) : le mot Zunft est soigneusement évité à ce stade, mais il apparaît dans la charte jurée. 54 La datation de ce texte est d’ailleurs un problème non véritablement résolu par la recherche (cf. W.-H. Peters­ hagen, Schwörpflicht und Volksvergnügen. Ein Beitrag zur Verfassungswirklichkeit und städtischen Festkultur in Ulm, Ulm, Stadtarchiv, 1999 (Forschungen zur Geschichte der Stadt Ulm 29), p. 35) ; l’hypothèse d’une rédaction dans les mois qui suivent la charte de réconciliation a le mérite d’être la plus économique en conjectures. 55 Cf. supra, n. 79. 56 Citée par D. Reuter, « Der große Schwörbrief : Verfassung und Verfassungswirklichkeit in der Reichsstadt des Spätmittelalters (1397-1530) », in H. E. Specker (dir), Die Ulmer Bürgerschaft…, p. 119-150, p. 123. 57 UB Esslingen II, p. 141 (une charte du 1er avril 1375 par laquelle Esslingen s’engage à obéir à l’empereur [UB Esslingen II, p. 138-139] atteste l’existence d’un conflit préalable avec lui). Une même coïncidence temporelle entre changement constitutionnel et privilèges impériaux se retrouve à Ulm : Louis de Bavière puis Charles IV octroient deux privilèges importants, l’un (25 août 1346) de tenir un registre des bannis de la même manière qu’à Augsbourg, l’autre (23 novembre 1347) de choisir directement l’Ammann, ainsi qu’une exemption fiscale (UB Ulm, p. 289-292 et 300-301) ; Wenceslas octroie en octobre 1397 plusieurs

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la charte de 1316 apparaît donc comme tout autre chose qu’une marque d’hostilité : c’est certainement en présence d’envoyés de la ville que procède le souverain, et probablement à leur demande – à celle d’une partie seulement de la société d’Esslingen peut-être, mais avec succès. Deux chartes des autorités municipales, datées du 22 et du 31 décembre 137558, prennent un soin extrême à rétablir la paix dans la ville. La première promet de sévères sanctions à qui enfreindra le serment commun que tous les bourgeois viennent de prononcer, la seconde est plus classiquement une charte de pacification, interdisant la vengeance pour les faits passés et fixant la punition d’éventuels fauteurs de troubles, et toutes deux portent que leur texte devra être lu annuellement aux bourgeois ; c’est seulement ensuite, le 12 janvier 1376, qu’une charte constitutionnelle est rédigée, laquelle ne fait allusion ni à la cassation, ni aux troubles internes des mois précédents : elle n’est pas une création originale, mais la reprise de la charte de Reutlingen de 1374, avec quelques différences pour l’adapter aux besoins d’Esslingen. Aucune référence n’est cependant faite à Reutlingen dans le texte, et surtout l’effort d’adaptation porte moins sur la rédaction du texte lui-même que sur le système institutionnel créé. Y avait-il, à Esslingen, le souvenir de la transmission en sens inverse de 1299, qui aurait pu constituer un retour aux origines d’un « bon droit » que la charte de 1316 aurait perverti ? Ce n’est pas impossible, mais la situation se complique en ce que le texte de Reutlingen de 1374 se présente bel et bien comme la reprise d’un modèle extérieur, mais justement pas celui venu d’Esslingen trois quarts de siècle plus tôt : le texte invoque en effet « etlich gut unnd redlich gewonhait und ordnung » (quelques bonnes et fiables coutumes et ordonnances) de la ville de Rottweil, où, par surcroît, elles n’avaient pas été mises par écrit lorsque les métiers y avaient été introduits59. L’intensité des relations entre ces villes contribue sans doute à expliquer qu’elles aient recouru aux textes de leurs voisines comme modèles, à l’inverse de la pratique habituelle qui singularise au contraire chaque système politique et chaque texte constitutionnel. Les chartes de Reutlingen et Esslingen évoquent de la même façon le renouvellement annuel du Conseil ; cette formulation se retrouve à Rottweil, mais au début de la rédaction du livre de droit60 de la fin du xve siècle. La charte produite à Rottweil en 1378, elle, présente des dispositions proches, mais rédigées de façon différente. Il est probable que ce que prévoit le Livre tardif ne diffère en effet pas de la situation en vigueur dans les années 137061, mais peut-être faut-il supposer une charte perdue produite à Rottweil lors de l’introduction des métiers dans les années 1310, qui aurait servi de source commune aux trois textes. Entre ces trois villes, des

privilèges à Ulm (Stuttgart, HSA, H 51, U 993, 994, 997) qui, dans une coïncidence chronologique moins forte, laissent du moins entendre que la Lettre jurée du mois de mars n’a pas terni les relations de la ville avec le souverain. 58 UB Esslingen 2, p. 143-144 (analyses et extraits). 59 Pour une étude plus détaillée de ces emprunts, cf. D. Adrian, « Les constitutions des villes allemandes… », p. 363-364. 60 H. Greiner (éd.), Das ältere Recht der Reichsstadt Rottweil, Stuttgart, Kohlhammer, 1900, p. 108. 61 La charte de Rottweil de 1378, connue par une copie tardive certainement peu précise, présente une rédaction très différente, et certainement déformée, de l’organisation politique de la ville.

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échanges en matière constitutionnelle sont attestés depuis la fin du xiiie siècle, avec une intensité et un recours à l’écrit sans aucune comparaison possible dans nos villes. Puisque des régimes de métiers sont instaurés dans de nombreuses villes proches à une même période, de tels processus de réception pourraient sembler après tout bien naturels pour simplifier le travail des élites politiques, et une telle pratique n’est pas nouvelle. C’est déjà ce qu’avaient fait les élites politiques de Villingen en 1324, en tirant profit de la charte donnée en 1293 par les comtes de Fribourg à leur ville62. Mais cette reprise, qui part bien du texte écrit de la charte et non d’une quelconque forme de connaissance indirecte, est tout sauf servile : les comtes de Fürstenberg qui promulguent la charte de Villingen mentionnent dès le début de la charte le Grand conseil comme partie prenante de l’organisation municipale, alors qu’il n’est présent à Fribourg ni dans la charte de 1293, ni dans les amendements apportés en 1316 par le comte Conrad de Fribourg63. Pour l’élection du maire qui ouvre les chartes de 1293 et de 1324, la charte de Villingen ne recourt ni à la lettre du texte de 1293, qui prévoyait une nomination par le seigneur, ni à celle de la charte de 1316, qui prévoyait une élection par « die vier und zwenzig und der rat » (les Vingt-quatre et le Conseil), l’élu étant ensuite investi par le seigneur : à Villingen, l’investiture par le seigneur n’existe pas, et les maîtres de métier accompagnés chacun de quatre de leurs collègues participent à l’élection avec les Vingt-quatre. Quel peut alors être le sens d’une reprise textuelle qui change à ce point le sens politique et social du système décrit dans la source ? Certes, il reste à Villingen l’institution des Vingt-quatre comme cœur de l’ordre politique, mais le choix d’une large représentativité remplaçant le centralisme fribourgeois change tout l’équilibre du système. Ce que les élites de Villingen ont pris à Fribourg, ce n’est donc pas une structure institutionnelle, encore moins un principe de légitimation, mais la forme diplomatique pour mettre par écrit leurs propres choix politiques. Les difficultés inhérentes à un tel processus de réception suffisent peut-être à expliquer pourquoi, a contrario, plusieurs dizaines d’autres chartes ont quant à elles été écrites sans aucun modèle extérieur, ou en tout cas sans plus d’influences qu’un champ des possibles, un vocabulaire et des valeurs communs aux villes d’une région si riche en relations interurbaines. Le cas même d’Esslingen et de son emprunt de circonstance en 1376 est révélateur : cette charte importée est remplacée dès 1392 par une autre entièrement autonome qui, elle, réussira à s’imposer durablement. Le secrétaire municipal d’Eisenach en Thuringe le disait déjà vers 1500, en s’appuyant sur Aristote : seuls les ignorants croient qu’il suffirait de choisir ce qu’il y a de mieux dans les lois des autres villes, alors que les circonstances exigent au contraire des lois toujours nouvelles64. La pratique des acteurs politiques en matière constitutionnelle, dans nos villes, ne contredit pas cette sagesse politique. La rédaction de toutes ces chartes, si intenses que soient les contacts entre villes, est donc toujours le produit d’une situation particulière, et les textes produits alors

62 L’édition de la charte de Villingen distingue par la typographie ces passages empruntés, facilitant la comparaison. 63 J. Dambacher (éd.), « Urkunden zur Geschichte der Grafen von Freiburg », ZGO 12 (1861), p. 237-239. 64 Texte de Johannes Purgoldt cité par N. Bulst, « Politische Dimensionen des Rechts », p. 16-17.

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montrent bien à quel point les solutions trouvées sont éminemment individuelles. C’est d’autant plus frappant que ces villes partagent pour beaucoup des fondements juridiques communs par le biais des concessions de droits, opérées généralement par le souverain, et qui, au-delà du moment de l’octroi, créent un lien durable entre la ville dont le droit est octroyé et celle qui le reçoit : en cas de doute sur le droit à appliquer, une ville peut se tourner vers la ville dont elle a reçu le droit65. Au sein du groupe de villes que nous étudions, ce sont principalement les droits d’Ulm, de Lindau et d’Überlingen66 qui sont ainsi diffusés, tandis que le très riche droit d’Augsbourg n’est pas diffusé au-delà de sa ville de naissance. La force du lien, cependant, ne doit pas être surestimée : quand Fribourg-en-Brisgau se tourne en 1391 vers Cologne, dont elle avait reçu le droit, pour tenter de résoudre ses problèmes politiques internes, la réponse montre à la fois que les Colonais sont interloqués par cette demande et qu’ils ne semblent pas très convaincus de sa légitimité juridique67. L’histoire de ces relations juridiques reste encore largement à écrire, et plus encore celle, nécessairement secondaire, qu’y tiennent les thématiques politiques68, mais il semble probable qu’un tel recours en matière politique à une autorité juridique extérieure est en déclin, du moins dans notre région, dès avant la fin du xive siècle.

Écrire les institutions municipales Si diverses que soient par ailleurs les situations où elles sont produites, les chartes constitutionnelles ont en commun un élément de rédaction toujours significatif pour les chancelleries du xive siècle : toutes ou presque sont effet écrites en langue vernaculaire. Seules deux exceptions peuvent être recensées, la charte d’Henri VII pour Überlingen (1308) et plus anciennement la charte fribourgeoise de 1248. Le latin, sans doute, n’est pas inconnu dans ces villes, même dans les milieux marchands69, et même dans les chancelleries urbaines déjà développées à la fin du xiiie siècle – la

65 De telles consultations sont par exemple éditées par K. O. Müller, Oberschwäbische Stadtrechte, t. II, p. 121-127 (demandes de Leutkirch à Lindau). 66 Cf. le panorama dressé par K. O. Müller, Die oberschwäbischen Reichsstädte, p. 13-19, et plus récemment M. Klein, Stadtherrschaft und Stadtrechtsfamilien…, p. 3-4 (et carte en annexe). 67 H. Schreiber, Urkundenbuch der Stadt Freiburg, t. II, p. 87. 68 Exemple du début du xive siècle : deux lettres du conseil d’Esslingen à celui de Reutlingen de 1299 et 1331, UB Esslingen, t. I, no 315 et 612, p. 136-137 et 301-304. La faible exploration des correspondances urbaines, déjà signalée ici, explique largement ce vide historiographique ; cf. cependant U. Jäger, « Weißenburg und seine Beziehungen zu den schwäbisch-fränkischen Reichsstädten im Spätmittelalter », in Städtelandschaften in Altbayern, Franken und Schwaben. Studien zum Phänomen der Kleinstädte während des Spätmittelalters und der Frühen Neuzeit, dir. par H. Flachenecker et R. Kiessling, Munich, Beck, 1999 (Zeitschrift für bayerische Landesgeschichte. Beiheft B 15), p. 188-220, au sujet de l’une des villes du plus clairement hiérarchisé réseau urbain d’Allemagne du sud, celui des villes franconiennes dominées par Nuremberg. 69 Sur les rythmes de l’adoption de l’allemand comme langue de l’administration urbaine, cf. l’étude sommaire mais perspicace de F. Merkel, Das Aufkommen der deutschen Sprache…, ici notamment p. 12.

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charte de 1296, suscrite par le Conseil d’Ulm, où il transmet à Ravensburg le droit de la ville, est écrite en latin. À Fribourg, la chancellerie alterne d’abord le latin et l’allemand, notamment pour ses relations avec le seigneur et d’autres aristocrates, mais la langue employée est à partir de 1282 uniquement l’allemand70, et les chartes constitutionnelles des décennies suivantes sont uniquement en allemand. Esslingen, de même, abandonne le latin peu avant 1300 ; la charte latine de 129171 où le Conseil donne son autorisation à l’extension du couvent franciscain est du reste truffée de citations bibliques, et on peine à croire que c’est de sa propre initiative que la chancellerie urbaine a été chercher le secours du verbe divin pour embellir sa prose ; s’il n’est pas sûr que les autres chartes latines de la même période aient bénéficié également d’une aide similaire, il est du moins patent que, si besoin, une telle aide était disponible. Le recours à la langue vernaculaire seul ne peut à l’inverse prouver que toutes ces villes se sont toujours passées de l’aide des professionnels de l’écrit que sont les membres des différentes communautés religieuses : à l’exception des plus grandes villes, la production écrite municipale ne justifiait sans doute pas l’emploi d’un secrétaire à plein temps, et il paraît bien naturel qu’on soit allé chercher les compétences là où elles étaient. Le recours au latin, langue naturelle du droit savant et de certains des droits urbains les plus anciens, était donc techniquement possible. Peu importe, au fond, qui a rédigé concrètement ces chartes : le choix de l’allemand est à comprendre comme la possibilité d’une diffusion – entre les lectures publiques et les diverses copies publiques et privées, les occasions pour les citadins de prendre directement connaissance de ces textes ne manquaient pas. Outre le texte lui-même, les chartes que nous avons pu voir directement sont pauvres en informations sur leur réalisation : ce n’est pas une pratique développée dans les chancelleries urbaines de noter l’identité des différents intervenants dans leur réalisation, ne serait-ce que parce qu’aucune chancellerie urbaine n’est assez développée pour justifier qu’on fasse la distinction ; et il n’existe pas par ailleurs de registre gardant la trace des chartes produites par la municipalité pour nous renseigner sur leur place dans la production des chancelleries urbaines. J’ai déjà cité72 les mentions dorsales des chartes d’Esslingen, qui attestent que leur singularité dans la production municipale était bien perçue, mais le dos des chartes augsbourgeoises de 1368 est entièrement vierge – il est vrai que ces chartes, avec leurs dizaines de sceaux, pouvaient difficilement être confondues avec d’autres. Reste que, pour l’historien, l’espoir de trouver dans les mentions dorsales ou d’autres éléments extérieurs au texte lui-même des indications sur les pratiques des chancelleries qui ont réalisé ces chartes est déçu. L’organisation interne des textes est en soi une manière de justifier le système créé et sa capacité à amener durablement la paix urbaine. Ces chartes, ou du moins celles qui présentent en détail l’organisation institutionnelle qu’elles créent, présentent une grande uniformité formelle, et ce quel que soit le contexte de leur élaboration : qu’elles soient imposées par le seigneur ou le souverain ou concédées de façon amiable,

70 F. Merkel, Das Aufkommen der deutschen Sprache…, p. 21. 71 UB Esslingen I, p. 95-96. 72 Cf. supra, p. 53.

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qu’elles résultent d’un compromis entre partis opposés au sein de la ville ou d’un arbitrage de puissances tierces ne semble pas avoir de conséquences significatives dans l’organisation du texte. Le parcours tortueux du texte produit à Pfullendorf en 1383, qui ne suit dans sa rédaction (sinon dans la conception du système lui-même) aucun des modèles pourtant abondants dans sa région, montre qu’il n’était pas si facile d’exposer clairement, de façon ordonnée et progressive les matières à traiter – après tout, d’autres types de sources juridiques de la même période ne procédaient pas non plus selon une logique thématique, progressive, bien définie. La charte mentionne par exemple la participation des « Sept », c’est-à-dire des acolytes du maître de métier, dans l’élection des six juges, avant d’avoir expliqué qui ils sont ; les chartes alors récentes de Reutlingen (1374), Esslingen (1376) et Rottweil (1378) apparaissent par comparaison comme des modèles d’organisation méthodique. Les municipalités n’ont certes pas si souvent l’occasion de concevoir des textes législatifs aussi longs et complexes, mais la structure commune du discours diplomatique vient au secours des rédacteurs : si le dispositif constitue comme on peut s’y attendre la plus grande partie du texte, les autres éléments du discours sont loin d’être indifférents dans nos chartes. Les « prologues », ou en termes plus diplomatiques les exposés des trois chartes constitutionnelles d’Esslingen, mettent en évidence l’extrême banalité des justifications présentées : en 1316, c’est « durch fride und durch unsser stet recht zu behalten » (pour la paix et pour conserver le droit de notre ville) que les articles qui suivent sont décidés en commun, sans rien dire du contexte extérieur (la double élection de 1314 et ses conséquences) ni intérieur, et sans préciser la relation entre les dispositions du texte et ce droit préexistant de la ville. En 1376, alors que les dispositions du texte sont largement copiées de la charte de Reutlingen de 1374, le prologue plus ambitieux du modèle n’est pas repris à Esslingen, c’est simplement le bien commun de la ville qui est cité, en une formulation plus courte encore qu’en 1316 ; celui de la charte de 1392 et de ses copies ultérieures est rédigé de la même façon, par un simple complément circonstanciel. Bien sûr, le cas d’Esslingen, ce pragmatisme décidé qui en vient aussi vite que possible au dispositif, n’est pas nécessairement représentatif des pratiques de l’ensemble des villes étudiées. Les chartes d’Esslingen, rappelons-le, sont toutes trois rédigées au nom des instances municipales de la ville, sans aucune intervention extérieure d’un seigneur, d’un souverain ou de son représentant ; pour d’autres villes, au contraire, le texte était destiné à être soumis à un regard extérieur, ce qui pouvait justifier un effort argumentatif supplémentaire : c’est ce qu’avait fait Reutlingen en 1374, dès lors que la ville voulait en obtenir la confirmation par Charles IV, et c’est bien au souverain et à son entourage que s’adressent les arguments présentés dans ce prologue. Mais il arrive souvent qu’aucune de ces valeurs perçues par les historiens d’aujourd’hui comme les fondements de la civilisation politique urbaine ne soit mentionnée dans les chartes : quand à Weißenburg (1377) le but de la charte est de « kunftig aufleuf und stözz tzu wehüten und tzu furkümen » (d’empêcher et de prévenir à l’avenir les soulèvements et les heurts) qui nuiraient à la ville, on peut bien dire que c’est bien la paix urbaine qu’on défend, mais on trouverait difficilement une formulation moins morale et plus concrète, plus tournée vers l’efficacité politique.

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Les exposés les plus détaillés autant que les plus rapides restent quoi qu’il en soit le lieu fondamental où sont affirmées ces valeurs : les dispositifs des chartes, eux, n’en font guère état, ne serait-ce que parce que l’effort de justification y est presque uniformément absent ; la seule valeur qui y garde une forme d’efficacité – mais ne serait-ce pas plutôt un concept juridique qu’une valeur morale ? –, c’est la paix. Quand le bailli impérial de Souabe impose en 1371 aux « alten erbern gesleht » (anciens honorables lignages) tout comme à « die ganz gemaind » (toute la commune) de Constance d’être bons amis et de ne pas se livrer à des hostilités, c’est d’une véritable amnistie qu’il s’agit. Le recours à des juridictions supérieures n’est pas rare pour trancher des oppositions intérieures, sans compter l’incrimination des éventuelles violences physiques ou verbales devant le tribunal municipal : ce que le bailli poursuit ici n’est pas un objectif moral, mais bien une interdiction de ces poursuites qui nuisent à la pacification souhaitée. Dans la charte de Pfullendorf (1383), dont on a déjà signalé la prolixité exceptionnelle voire excessive, ce n’est pas seulement l’exposé qui est consacré à la mise en avant des valeurs au nom desquelles sont mises en place les institutions. Au début du dispositif, tous s’accordent pour créer une Zunft, mais aussi pour « das iederman armen und Richen ain geliches bescheh und niemand dem andern unrecht tůti, Und och daz menglich bi gelichen dünsten sitz » (que chacun, pauvre et riche, soit traité de la même façon, que personne ne fasse injustice à autrui, et aussi que tous siègent à de mêmes services) : la dernière clause n’est pas très claire (sans doute s’agit-il avant tout de répartir le poids des expéditions militaires entre les bourgeois, sujet toujours sensible dans nos villes), mais l’appel à l’égalité est fermement formulé73 : il n’est sans doute pas exagéré d’y voir le reflet de rancœurs à l’égard du Conseil fermé que la charte remplace par un Conseil fondé sur les métiers. Cette égalité devant la justice et devant l’exercice des devoirs civiques n’est pas une de ces valeurs générales qu’on voit dans les exposés, c’est un impératif politique primordial parce que concret. Cette charte n’est peut-être pas la mieux rédigée de notre corpus, mais ses auteurs avaient une vision claire de ce qu’ils voulaient et de ce dont ils ne voulaient plus. L’enjeu principal de ces nouveaux systèmes, ce qui en justifie l’instauration, tient dans la place respective accordée au sein du ou des conseils à chacun des groupes constitués qui y sont représentés, et il n’est donc pas surprenant que ce soit par cette question de l’élection du Conseil que débute presque toujours le dispositif des chartes, quand ce n’est pas par celle du ou des maires74. La charte augsbourgeoise de 1368 commence certes par la mise en place des métiers, qui est ailleurs implicite, mais elle

73 K. O. Müller, Die oberschwäbischen Reichsstädte…, p. 214-215, y voit au moins partiellement une manière de priver l’Ammann de son rôle politique, mais, dans le cadre de l’introduction de Zünfte politique, un tel appel à l’égalité civique a certainement une force politique propre pour mettre à égalité ces nouveaux corps politiques malgré l’évidente disproportion de leur prestige social. 74 Reutlingen 1343, p. 43 ; Mosbach 1337, § 1 : c’est par l’élection des deux maires que débute la charte, et la question du renouvellement du conseil vient après plusieurs autres dispositions. La raison en est simple : les conseillers sont en poste à vie, et leur renouvellement se fait par cooptation, sans participation extérieure au conseil.

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en arrive rapidement aux délégations qu’ils doivent envoyer au Conseil75. C’est souvent directement sous la forme d’un récit de la procédure électorale que les institutions sont décrites et, ainsi, fondées en droit : chaque année, « le dimanche quatorze jours avant la Saint-Jacques » (Reutlingen 1374), à Noël (Rottweil 1378), « à la Sainte-Walpurga après Pâques » (Weißenburg 1377), un cycle électoral commence, qui concerne aussi la désignation des magistrats (maires, responsables financiers…) ; en le décrivant, la charte donne à chaque élément institutionnel son fondement juridique : plutôt que d’écrire que le Conseil comporte douze ou vingt-quatre membres, les rédacteurs écrivent que les électeurs doivent élire douze ou vingt-quatre conseillers. Le ton employé est l’impératif : le verbe « sollen » (devoir) est employé presque partout. Décrire le mode de désignation des conseillers et des magistrats, c’est ancrer en droit leur existence ; le faire dans tel ou tel ordre, c’est indiquer les relations hiérarchiques entre les différents centres du pouvoir municipal, mais ce n’est pas en définir les compétences : c’est sans doute une des différences les plus fondamentales entre ces textes et nos constitutions contemporaines, qui reposent sur une description précise des compétences des différentes institutions et des relations qu’elles entretiennent. La position centrale du Conseil, qui unit en un seul collège les trois pouvoirs que notre tradition politique entend séparer, trouve sa traduction dans la première place qu’il occupe dans ces descriptions, tandis que le pouvoir des magistrats, c’est-à-dire essentiellement du ou des maires, procède de lui. Ce cycle cohérent, très signifiant dans son contenu comme dans ses articulations, occupe souvent une très grande partie du dispositif des chartes ; sa description est à la fois l’expression d’une construction politique et, de manière plus ou moins explicite, le reflet du déroulement réel, concret, des opérations, telles que se les représentent les rédacteurs de chaque texte. Dès lors qu’il s’agit d’investir, dans un contexte médiéval, des individus d’un pouvoir à la fois très concret et puissamment symbolique, sinon sacral, on pourrait s’attendre à voir décrit un rituel riche de moments symboliques, d’objets porteurs de sens, de lieux savamment choisis et de paroles fortes – un fort volume, aux dimensions de l’Europe entière, a été consacré il y a près de quinze ans aux « rituels de l’élection du Conseil76 », entre messe du Saint-Esprit pour inspirer les électeurs et repas en commun. On peut peut-être faire confiance aux élites médiévales pour avoir ensuite su souligner les étapes successives du cycle par des actes symboliques ; dans les chartes qui nous occupent, en tout cas, la moisson est d’une pauvreté remarquable. La charte de Reutlingen en 1378 évoque bien la lecture devant le commun de la liste des nouveaux élus, et il est question de l’hôtel de ville dans la charte munichoise de 1403 (§ 5) ; ailleurs, même le décor n’est pas précisé, en partie parce que c’est sans doute une évidence pour les acteurs, mais aussi parce que la validité des processus politiques 75 Augsbourg 1368 II, p. 148 ; cf. aussi Esslingen 1316, qui aborde d’abord les droits des patriciens et la vérification des comptes. 76 D. Poeck, Rituale der Ratswahl : Zeichen und Zeremoniell der Ratssetzung in Europa (12.-18. Jahrhundert), Cologne, Böhlau, 2003 (Städteforschung A 60) ; cf. aussi peu avant, avec une même insistance sur les aspects symboliques et rituels, et avec la participation de D. Poeck, le volume collectif Vormoderne politische Verfahren, dir. par B. Stollberg-Rilinger, Berlin, Duncker & Humblot, 2001 (Zeitschrift für historische Forschung. Beiheft 25).

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décrits n’en dépend pas : pour l’essentiel, les chartes précisent les procédures et les acteurs, mais elles ne se préoccupent pas de donner à l’ensemble la moindre solennité. Les différentes dispositions contenues dans le dispositif des chartes ont souvent été numérotées par leurs éditeurs, a fortiori dans les Urkundenbücher, pas toujours de manière très pertinente ; elles ne le sont naturellement pas dans les documents, mais les textes ont pourtant souvent soin de les distinguer, par exemple par le mot Item, dont la graphie distincte du corps du texte aide au repérage, avec une majuscule plus grande, des caractères plus grands ou plus espacés ; de façon moins explicite, des articles différents sont aussi indiqués par darzu (en outre, placé en début de phrase), ouch (aussi, en outre), ou simplement par und (et), conjonction de coordination qui a pourtant souvent une véritable fonction de séparation : on le voit nettement dans la charte d’Esslingen de 1376, qui sépare les deux premiers articles par und, puis recourt à une série de ouch (« Es suln ouch die zunftmeister… », § 4) ; quand, à l’intérieur d’un article ainsi défini, il est nécessaire d’ajouter une précision supplémentaire, on emploiera d’autres dispositifs (« Were aber… » [Mais si…], § 3 et 9). Ces mots de liaison et de hiérarchisation de l’information, cependant, ne sont pas toujours accompagnés d’une mise en avant visuelle par la graphie : c’est le cas à Dinkelsbühl, où, au moins dans le dispositif de la charte77, rien n’aide à distinguer les différents éléments de décision, et même dans les chartes augsbourgeoises de 1368 où, malgré leurs grandes dimensions, les articulations du texte n’ont pas d’équivalent graphique. À Esslingen, la lettre envoyée en 1331 au Conseil de Reutlingen78 pour l’informer à sa demande des dispositions régissant l’organisation des métiers utilise un tel dispositif de repérage graphique, avec un signe de séparation des différentes dispositions et des majuscules nettement visibles ; pourtant, aucune des chartes constitutionnelles dont nous possédons l’original ne fait de même : certes, à partir de la charte de 1392, chaque article s’ouvre par une majuscule, ce qui aide à parcourir un texte par ailleurs économe en majuscules, mais ces majuscules ne sont pas plus grandes que la normale. Le fait que ces chartes, pourtant explicitement destinées à une lecture annuelle, n’en porte la moindre trace, sinon peut-être la saleté de certaines d’entre elles, est un peu étonnant, quand les geschworene Satzungen déjà évoquées comportent elles tant d’indications à l’usage du secrétaire-lecteur : sans doute, à l’inverse de ces textes, l’immuabilité de ces textes fondateurs était plus importante qu’une adaptation étroite aux besoins du jour. Les clauses finales, dans ces textes, ont une importance très variable selon les villes. Les clauses comminatoires ne sont pas absentes : à Heilbronn (1371, § 8), toute action visant à abolir les dispositions de la charte est assimilée à un parjure ; comme c’est le souverain qui est à la manœuvre, les biens qui seraient confisqués au coupable doivent alors être partagés entre la chambre impériale et la ville79. À Augsbourg (1368 II, p. 151), la punition est le bannissement, mais c’est la ville seule qui bénéficie de

77 Des majuscules à peine plus grandes et soignées introduisent la datation et la liste des bourgeois qui ont été chargés de l’arbitrage. 78 Ludwigsburg, SA, B 169, U 585, 8 avril 1331 (texte éd. dans UB Esslingen I, p. 301-304, sans description diplomatique). 79 Cf. aussi Fribourg 1248, § 6.

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la confiscation des biens du coupable – le châtiment est sévère, mais rien n’indique qu’il ait jamais été appliqué80. À Munich (1403, § 12-13), les ducs proclament à la fois une amnistie pour les oppositions passées et une condamnation de tous ceux qui viendraient troubler la paix établie par la charte. Moins menaçante, la première charte d’Esslingen (1316) se contente de présenter la rédaction de la charte et l’apposition du sceau de la ville comme une manière de faire taire les mécontents – la lettre comme norme juridique et comme accord liant tous les bourgeois suffit ainsi à garantir la paix. La possibilité même d’une contestation n’est même plus présente dans les chartes suivantes : un serment en plus de la réalisation de la charte elle-même, et voilà la pérennité des dispositions qu’elle contient assurée pour longtemps. La formule est parfaitement banale et elle est presque identique sur les différentes chartes (1376, 1392 et les avatars de celle-ci) : elle laisse entendre à quel point le régime fondé sur les métiers est entré dans la coutume politique de la ville.

Expédition, promulgation, serments Aucun brouillon, dans aucune ville, ne vient à notre connaissance documenter le travail préparatoire de rédaction qui précède la réalisation matérielle de la charte ; comme la plupart de ces chartes ont été conservées sous forme originale, comme plusieurs d’entre elles, surtout, évoquent elles-mêmes, brièvement la réalisation matérielle de la charte, on ne manque pas de possibilités de suivre le parcours du texte constitutionnel, depuis son expédition jusqu’à sa survie dans les archives d’aujourd’hui en passant par ses usages et ses copies. On connaît cependant trop mal les chancelleries urbaines81 pour pouvoir appréhender plus précisément les conditions de réalisation des chartes, là du moins où ce sont les autorités municipales elles-mêmes qui en endossent la responsabilité. Il est on ne peut plus probable que, comme à Ulm, c’est le secrétaire municipal en titre qui rédige directement la charte : au xive siècle, la réalisation matérielle de chartes publiques et privées est encore le cœur des fonctions des secrétaires municipaux, qui n’ont à leur service qu’un personnel très limité82. C’est du moins une certitude pour Ulm83

80 Cf. aussi, au cœur du dispositif et non à la fin de la charte, les dispositions contre qui voudrait nuire à la zunft créée dans le premier Zunftbrief, Augsbourg 1368 I, p. 146-147. 81 Le terme « chancellerie » est à comprendre ici simplement comme désignant le lieu où est produit l’écrit municipal, sans qu’il suppose une institution permanente ou un personnel dédié comprenant plus que le secrétaire municipal, à supposer qu’il y en ait un partout. 82 La connaissance générale des secrétaires municipaux est toujours conditionnée par l’étude de G. Burger, Die südwestdeutschen Stadtschreiber im Mittelalter, Böblingen, Schlecht, 1960 (Beiträge zur schwäbischen Geschichte 1.5), qui a travaillé uniquement sur des sources imprimées : même si ses indications sont ainsi toujours partielles et sujettes à caution, et même si son travail porte plus sur la personne et les conditions de vie des secrétaires plutôt que sur leur production écrite, on y voit bien que beaucoup de villes n’ont pas encore, au moment de la rédaction des chartes constitutionnelles, un secrétaire municipal propre. 83 D. Reuter, « Der große Schwörbrief », p. 129 (le Stadtschreiber de 1397, Heinrich Neithart, est membre d’une importante dynastie de secrétaires municipaux actifs dans plusieurs villes d’Allemagne du Sud au xive et xve siècle).

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grâce à la comparaison des écritures, car les mentions de chancellerie ne sont pas en usage dans les villes, dont l’administration n’est sans doute pas assez complexe pour justifier la fixation écrite de la procédure de réalisation des écrits municipaux. C’est ce que semble indiquer aussi le livre de comptes d’Augsbourg pour les années 1368 et 1369, où de nombreux paiements au secrétaire municipal sont attestés au titre de la rédaction de « zunft brief » – mais il s’agit certainement à la fois des chartes constitutionnelles de l’automne 1368 et des chartes que chaque métier rédige sous l’autorité du Conseil dans les mois qui suivent84. Rien, quoi qu’il en soit, ne semble indiquer que la rédaction de ces chartes ait justifié un soin particulier : certes, les chancelleries urbaines n’avaient pas au quotidien à rédiger des chartes aussi longues, nécessitant l’emploi de feuilles de parchemin particulièrement larges ; mais l’écriture ne diffère pas de celle des chartes du quotidien, on n’y voit pas de soin ornemental particulier à la manière des Schwörbriefe strasbourgeoises du xve siècle, qui témoignent à vrai dire moins du moment conflictuel qui les avait vu naître que du statut acquis progressivement par ces textes fondateurs, et plus encore de l’importance des cérémonies annuelles du serment où ces chartes ornées pouvaient être montrées85. On peut trouver, certes, quelque ressemblance de la charte de 1332 avec la première charte augsbourgeoise de 136886, notamment pour la multitude de sceaux qui y sont appendus : dans l’une comme dans l’autre, l’ornementation de l’écrit est présente, mais peu développée – une simple lettrine à l’encre noire à Strasbourg, des hampes démesurées pour la première ligne à Augsbourg – ; les larges marges qui entourent le texte sont également présentes dans les deux chartes. Mais les sceaux, à Augsbourg, sont tous fixés sur de simples queues de parchemin, quand les sceaux les plus importants à Strasbourg sont eux fixés sur des lacs de soie rouge. Seule la plus ancienne charte de notre corpus, celle de 1248 à Fribourg87, comporte une ornementation aussi riche que les chartes strasbourgeoises, avec l’invocation constituant la première ligne en grandes capitales ornées et les principales articulations du texte soulignées par des lettres ornées de la même façon. Beaucoup de chartes, certes, sont de grandes dimensions, souvent sans même que des marges exceptionnellement larges y contribuent – celles de la charte jurée

84 Rien ne permet de mettre en doute la date de la charte Augsbourg 1368 II (16 décembre) comme l’indique M. Kluge, Die Macht des Gedächtnisses. Entstehung und Wandel kommunaler Schriftkultur im spätmittelalterlichen Augsburg, Leyde/Boston, Brill, 2014 (Studies in Medieval and Reformation Traditions 181), p. 220 : l’achat de cire « zu den zunfftbriefen » en 1369 concernent certainement ces chartes complémentaires. 85 O. Richard, B.-M. Tock, « Des chartes ornées urbaines : les Schwörbriefe de Strasbourg (xive-xve siècles) », Bibliothèque de l’École des Chartes 169 (2011), p. 109-128, notamment p. 119-121 (comparaisons avec Lucerne et Zurich), ainsi que les photographies des différentes chartes (en ligne : Archives Municipales de Strasbourg, Des bourgeois aux citoyens, les lettres de serment de la Ville de Strasbourg [en ligne], chapitre « Qu’est-ce que les Schwörbriefe ? », disponible sur [consulté le 20 décembre 2019]). 86 Encore s’agit-il d’une charte de pacification plus encore que d’une charte proprement constitutionnelle ; celle du mois de décembre ne comporte que quelques extensions limitées de la hampe supérieure des lettres de la première ligne, sans marges élargies. 87 Charte reproduite dans M. Kälble, Zwischen Herrschaft und bürgerlicher Freiheit, p. 183.

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d’Ulm en 1397, malgré les grandes dimensions du parchemin, sont plutôt étroites, simplement parce que la longueur du texte, elle, est exceptionnelle. Le soupçon que la longueur du texte ait pu être d’autant plus grande qu’elle induisait la fabrication d’objets aussi imposants que les chartes n’est pas forcément absurde : la charte de Pfullendorf, dont on a déjà souligné la prolixité, en est sans doute le meilleur exemple. Le parchemin, naturellement, est de grande dimension, une quarantaine de centimètres de large pour environ vingt-cinq centimètres de haut, mais les marges sont réduites, et les quelque soixante-quinze lignes de texte montrent bien qu’il était plus important pour ses auteurs d’en dire beaucoup que de faire une bonne impression visuelle. L’ornementation est réduite au minimum, avec un W initial dans la marge de gauche, dépassant de l’équivalent de quatre ou cinq lignes le début du texte : cette taille comme la forme du W, où les traits centraux sont entassés dans une forme générale proche de celle d’un V ont sans nul doute une réelle ambition décorative, mais ce décor minimal n’est pas limité à cette charte, en conformité avec les pratiques courantes des chancelleries municipales88. Reste que, pour la plupart des chartes, ni pour la première ligne, ni pour l’éventuelle lettrine, un effort similaire ne peut être décelé ; les encres de couleur ne sont pas utilisées. Ce n’est pas tant que ces chartes, au moment de leur rédaction, n’aient pas eu une importance particulière pour ceux qui les font fait écrire : c’est bien plutôt que, dans des villes où la culture de l’écrit administratif n’était guère développée, l’usage de tels signes de solemnité n’était pas d’usage courant pour les chancelleries urbaines. À Dinkelsbühl, où la charte est faite en 1387 dans un contexte de pacification suite à un conflit entre patriciens et métiers, il est prévu dès l’origine que deux exemplaires doivent être réalisés, l’un pour les patriciens, l’autre pour « die zunft und die gemeind » (les métiers et la commune), et même que l’une des parties ne doit pas s’efforcer de soutirer à l’autre son exemplaire du texte : deux archives donc, et un équilibre entre parties adverses plus que la fondation d’une identité civique commune passant au-delà des intérêts particuliers. La première charte augsbourgeoise de 1368 existe de même en deux exemplaires, tous deux originaux : tous deux sont munis du sceau de la ville, mais l’un porte aussi le sceau des « conseillers », autrement dit d’une trentaine de patriciens, tandis que l’autre est muni de celui des dix-sept tout nouveaux Zunftmeister89. À Memmingen (1347), où les indications dans la charte ne permettent guère de comprendre le fonctionnement précis du système créé, il apparaît que les différents antwerk doivent recevoir chacun une lettre, « die mit unserm clainen Insigel besigelt [ist] » (qui est scellée par notre petit sceau), contenant une série de gesetzt et d’artikel (lois et articles) non précisés : on peut imaginer que ces chartes qui n’ont

88 Cf. à Pfullendorf même Karlsruhe, GLA 2, 1613 (arbitrage municipal entre bourgeois au sujet d’un droit de pâture, 1385). 89 La charte de Fribourg sur les maires et les maîtres de métier (Fribourg 1293 II) est quant à elle conservée en cinq exemplaires contemporains, dont quatre de la même main (F. Hefele (éd.), Freiburger Urkundenbuch, 3 t. en 6 vol., Fribourg-en-Brisgau, Wagner, 1940-1958, t. II, p. 166), alors que le texte n’appelle pas explicitement la fabrication d’originaux multiples.

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pas été conservées90 dessinaient plus nettement les contours du système politique qui venait d’être créé, un peu comme les chartes de métier conservées à Nördlingen ou Augsbourg91. Le texte conservé, par une copie tardive seulement92, pour Rottweil (1378), n’est rien d’autre que celui de l’exemplaire qui était destiné à un des métiers, celui des Krämer : le texte de la charte précise que cet exemplaire était revêtu du grand sceau de la ville, ce qui lui donne un plein caractère officiel. La multiplication des exemplaires que cela suppose contribue à faire de chaque métier un garant de l’ordre constitutionnel de la ville ; dès lors que cela suppose l’existence d’une sorte d’archive du métier, ce choix de diffusion fait des métiers de véritables détenteurs de l’autorité publique, et non de simples collèges électoraux ou de simples courroies de transmission au service du Conseil. L’identité des auteurs des chartes, naturellement, influe directement sur les sceaux qui sont apposés à chacune d’elle. Les chartes impériales ne reflètent sur ce point que les pratiques de la chancellerie impériale, de même que les chartes seigneuriales – la charte munichoise de 1403, suscrite à la fois par les ducs et par la ville, est munie des sceaux des différentes parties. Lorsque seules les autorités municipales sont à l’œuvre, la pratique est au contraire beaucoup plus variable, qu’il s’agisse du choix entre les différents sceaux de la ville (en général grand et petit sceau) ou de l’apposition de sceaux privés, ou encore de sceaux d’autorités extra-urbaines : la « grande charte jurée » d’Ulm (1397) ne comporte que le sceau de la ville, comme les différentes chartes d’Esslingen ou celle de Memmingen ; l’exemplaire de la charte de Rottweil (1378) destiné aux Krämer était lui aussi muni du sceau de la ville. À l’inverse, les deux chartes augsbourgeoises de 1368 comportent toutes deux un grand nombre de sceaux en plus du sceau de la ville : l’un des deux originaux de la première, en novembre, est munie du grand sceau de la ville et de celui de dix-sept Zunftmeister, l’autre porte également le sceau de la ville et celui des vingt-neuf patriciens membres du Conseil cités dans le texte ; en décembre, il y a même trente-deux sceaux, les maîtres de métier étant rejoints par les nouveaux conseillers patriciens, en quelque sorte réintégrés au jeu politique issu du compromis matérialisé par cette charte. À Dinkelsbühl (1387), les deux sceaux de la ville sont accompagnés par les sceaux de six des neuf « hommes sages » chargés de concevoir le nouveau système politique : les trois autres, tout simplement, n’en avaient pas – a contrario, le nombre de sceaux des chartes d’Augsbourg et ces six sceaux bourgeois de Dinkelsbühl montrent bien la diffusion sociale du sceau, et par là même l’ampleur de la culture écrite, en particulier quand il s’agit d’actes juridiques, au sein de ces sociétés urbaines. On pourrait s’attendre

90 Peut-être ont-elles été détruites lors de l’abolition des métiers en 1551 (E. Naujoks, Kaiser Karl V. und die Zunftverfassung, p. 180) ; seule subsiste la charte des marchands datée des environs de 1350 (Memmingen, StA, A 399/1 n°2). 91 Pour Nördlingen, cf. supra, p. 31-32 ; pour Augsbourg, chartes des pelletiers (conservée dans le livre des pelletiers, éd. P. Dirr, « Studien zur Geschichte der Augsburger Zunftverfassung », p. 202-205) et des marchands (UB Augsburg II, p. 154-155), qui complètent les chartes générales (ces chartes particulières n’y sont d’ailleurs pas annoncées). 92 La perte de la charte originale et des autres exemplaires réalisés à la même occasion pourrait s’expliquer par les vicissitudes des archives de la ville, cf. UB Rottweil, p. XI-XII.

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à ce que les métiers, après tout, apposent aussi leurs sceaux, mais ces institutions créées ad hoc auraient difficilement pu en avoir si rapidement93. Même là où les métiers préexistent aux chartes, on ne leur connaît à vrai dire pas de sceau propre, comme si la sphère publique ne pouvait s’incarner en plusieurs instances. Dans certains cas cependant, les villes choisissent aussi de demander à d’autres autorités de sceller leurs chartes. Dans une ville territoriale comme Mosbach, les autorités municipales demandent en 1337 non seulement au chapitre de Mosbach, noyau et premier seigneur de la ville, d’apposer son sceau, mais aussi à deux chevaliers agissant comme témoins, en plus de l’indispensable sceau de la ville94. Les villes d’Empire, elles, ne prennent pas de pareilles précautions : quand bien même l’évêque d’Augsbourg n’a pas renoncé à ses présentions seigneuriales sur sa ville, il n’est ni cité ni consulté au moment de la création des Zünfte. Tout n’est cependant pas joué au moment où le texte de la charte est mis au point, copié sur parchemin et muni des sceaux qu’il appelait. Il y a d’abord la question de la promulgation, souvent évoquée dans les textes. Le serment est une forme privilégiée pour marquer l’entrée en vigueur du nouveau système politique, mais son usage dans nos chartes n’est pas limité aux phases terminales du processus : à Dinkelsbühl en 1387, avant même que les neuf arbitres bourgeois aient annoncé le résultat de leurs réflexions, il est précisé « unser jeglicher gelobt mit guten truiwen und dartzu gesworn liplich einen gelerten eyd zu dem heiligen mit uffgebotenen vingern » (Chacun d’entre nous en a fait la promesse de manière très fidèle et en outre juré personnellement un serment appris sur les saints avec les doigts levés)95, soit la forme la plus solennelle possible du serment. C’est seulement alors que leurs conclusions sont « uzzgesprochen » (prononcées). Le mot vient du vocabulaire judiciaire, il renvoie au prononcé d’un verdict, et il n’est peut-être pas faux d’y voir la crainte d’une possible contestation. À Pfullendorf, de même, c’est au moment précis de la prise de décision, présentée comme un processus collectif, qu’un serment est prêté96 : comme à Dinkelsbühl, c’est l’ensemble des bourgeois sous la direction du maire et du Conseil qui endossent directement la responsabilité de l’acte, et, en l’absence de toute légitimité supérieure, il n’est sans doute pas exagéré de voir dans ce serment une réminiscence plus vive qu’ailleurs de la conjuratio primitive97. 93 Les Zünfte d’Augsbourg, qui ont une pratique de plus en plus importante de l’écrit administratif à partir du xve siècle, ne recourent pas à des chartes, mais à des registres, pour mettre par écrit les décisions qu’elles prennent, si bien qu’elles ne semblent pas éprouver le besoin de se munir d’un sceau. 94 Mosbach 1337, p. 64. Lorsqu’en avril 1338 les autorités municipales complètent cette charte par des dispositions relatives à l’élection des conseillers, ils se contentent à l’inverse du sceau de la ville (UB Mosbach, p. 66). 95 Le « serment appris » est d’abord lu à haute voix, puis répété par celui qui le prête. 96 Pfullendorf 1383, p. 161. 97 On peut comparer ces pratiques aux serments associés à des chartes de pacification antérieures à la définition des institutions : Augsbourg 1368 I, p. 147 ; et sous une forme un peu différente à Esslingen en 1375 (UB Esslingen II, p. 138-139), où Charles IV impose une soumission préalable des bourgeois avant de faire part de sa décision, ainsi qu’à Constance où la charte de soumission est copiée dans le texte même de la charte de Sigismond en 1430 (Constance 1430, p. 363-364).

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C’est cependant en général une fois le texte rédigé et lu à tous qu’un serment est prêté, souvent sans autre contenu que celui de respecter tout ce qui précède98. De nombreuses chartes, cependant, ne parlent pas de serment, à commencer par celles promulguées par une autorité supérieure, souverain ou seigneur99. Celles de Reutlingen, en 1343 comme en 1374, y sont soumises à l’autorité du souverain, Louis de Bavière qui a rédigé la première, Charles IV pour la seconde. Pour rédiger cette seconde charte, les élites de Reutlingen ont fait preuve d’une prudence remarquable : elles ont d’abord fourni au souverain « Brieff und […] Abschrifft, alß groß und kleiner Rat überain kommen, und zue Rat worden seindt » (lettre et copie sur lesquels grand et Petit conseil se sont mis d’accord et ont délibéré), et c’est sur cette base que le souverain, dans une charte qui comprend aussi un privilège judiciaire, leur donne le 9 octobre confirmation de l’ordre constitutionnel nouveau100. Ce n’est qu’ensuite, le 8 novembre, que les instances politiques et le commun de la ville rédigent leur propre charte, qui mentionne cette validation impériale : da santen wir unser Erbar Botschafft zu unnserm gnädigen Hern, dem allerdurchleuchtigisten fürsten und Hern, Khayser Karlen, Das er uns söllicher guter und redlicher ordnung und gewonhait gunde und uns die bestetigete von khayserlichem gewalt, Der selb unser gnediger Herr hat auch uns derselben ordnung und guter gewonhait gegonndt, und hat uns die bestetiget mit seinem khayserlichen brieff, den er uns darumb gegeben hat101.

Le style de ce petit récit n’est pas des plus économes, même par rapport aux habitudes fleuries des chancelleries urbaines, mais c’est que cette grâce impériale méritait bien d’être mise en avant, ne serait-ce que pour souligner le poids de l’autorité du souverain, à destination de ceux qui seraient tentés de contester le nouveau système. Mais Charles IV, s’il a donné son accord aux dispositions qui lui ont été soumises, n’a pas été jusqu’à les promulguer dans une charte sous son propre nom, contrairement à ce qu’avait fait son prédécesseur : c’est sans doute une déception pour les élites urbaines qui l’avaient sollicité. Dès lors qu’il ne s’agit pas d’une charte impériale, il aurait été possible pour ses auteurs de faire prêter serment sur ce texte : sans doute ont-ils jugé que, même peu formalisée, la sanction impériale dispensait de cette formalité. Certaines chartes, du reste, prévoient dans leur rédaction même, au-delà du serment initial, un usage pérenne, qui justifie d’ailleurs parfois la réalisation de nouvelles copies éventuellement amendées : de la même façon que les Geschworene Satzungen de Constance, sorte de compilation de lois essentielles pour lesquelles

98 Par exemple Augsbourg 1340, p. 356 ; Augsbourg 1368 II, p. 152 ; Esslingen 1316, § 9 ; Esslingen 1376, § 18 ; Esslingen 1392, § 13 ; Heilbronn 1371, § 8. 99 Cf. Villingen 1324. 100 Édition : J. Chr. Lünig, Das teutsche Reichs-Archiv, [t. XIV/1] (Des Teutschen Reichs-Archivs Partis Specialis IV. und letzter Continuation II. Theil), p. 310-311. 101 Reutlingen 1374, p. 78-79 : « Nous envoyâmes alors notre honorable ambassade à notre gracieux seigneur, pour qu’il nous accorde cette bonne et fiable ordonnance et coutume et nous la confirme par autorité impériale ; ledit notre gracieux seigneur nous a en effet accordé cette dite ordonnance et bonne coutume, et il nous l’a confirmé par sa lettre impériale qu’il nous a donnée sur ce sujet ».

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la répétition semble la meilleure pédagogie, les chartes d’Ulm et de Strasbourg102, justement qualifiées de Schwörbriefe, ou encore celle de Munich en 1403 (§ 14) doivent être lues chaque année, pour renouveler en quelque sorte le serment initial prêté lors de sa rédaction : comme le dit la charte d’Ulm de 1345, le maire, le Conseil, les maîtres de métier et l’ensemble des bourgeois ont alle mit ainander ze den hailigen gelert aid uff disen brief gesworn ze halten und ze vollfüren ungevarlich allez, daz hie vor an disem brief geoffnet und geschriben ist, daz ouch aller jerclich ie uff sant Görien tag, so die nüwerung geschiht, ie geschehn sol103.

Une mention dorsale sur la charte d’Esslingen de 1392 précise les faits : une main du xvie siècle a ajouté à la mention elle-même postérieure à la réalisation de la charte « Ain gesetz der statt » (une loi de la ville) la précision suivante : « wie man Jerlich uff Jacobi verkünth bei den predigern » (telle qu’on la lit chaque année à la Saint-Jacques chez les prêcheurs) : on y apprend ainsi le lieu qui n’était pas fixé par la charte, mais on y voit surtout que cette pratique du serment annuel n’est pas tombé en déshérence plus d’un siècle après l’écriture de la lettre, sans que le renouvellement de la charte en 1401 puis en 1414 ait rendu caduc cet exemplaire premier malgré les variantes apportées par ces nouvelles chartes. La charte de 1392 est certes loin d’être immaculée, mais ce n’est peut-être que la conséquence des conditions dans lesquelles elle a été conservée ; si d’autres exemplaires ont été rédigés et enrichis ensuite, ce n’est en tout cas pas parce que celui de 1392 n’aurait plus été utilisable. À Constance, la coutume ancienne des « lois jurées » est redoublée par la charte royale de 1430, qui prévoit « daz der rat und die gemeind alle jar dise unsere ordnung und setzung offenlich lezen lassen und doruff zu den heiligen sweren sollen, die vesticlich zu halten und darwider nicht zu tun104 » (que le conseil et le commun doivent faire lire chaque année publiquement notre ordonnance et loi et faire prêter un serment aux saints de la garder fermement et de ne rien entreprendre contre elle) : point de conjuratio ici, mais un rappel annuel de la souveraineté impériale. La charte de Charles IV pour Heilbronn (1371, § 8) prévoit également un serment annuel, avec une différence importante : ce n’est pas lors de l’élection du Conseil que les dispositions de la charte doivent être intégrées à un serment, mais préalablement à la perception de l’impôt urbain. La place de la charte dans le serment annuel tel qu’elle le décrit est cependant variable : là où elle est lue préalablement, elle devient le fondement ou un des fondements de l’identité et de l’ethos bourgeois ; souvent cependant, le serment que prévoit la charte et dont elle contient parfois le texte détaillé est fondé sur l’obéissance aux autorités désignés selon la procédure prévue et non sur le respect de la charte : c’est le cas à Pfullendorf (1383, p. 166), où chaque membre d’un métier jure

102 Cf. l’étude récente déjà citée d’O. Richard et B.-M. Tock, « Des chartes ornées urbaines ». 103 Ulm 1345, p. 111 : « [ils ont] tous ensemble prêté un serment qui nous a été lu sur cette lettre de tenir et d’accomplir tout ce qui est communiqué et écrit dans cette lettre, ce qui doit toujours être fait chaque année à la Saint-Georges [23 avril], lorsque le renouvellement a lieu ». Un cahier du xve siècle précise la procédure en ajoutant d’autres occasions de lecture (Ulm, StA, A 3407/1, inédit, cité par D. Reuter, « Der große Schwörbrief », p. 136-137, avec reproduction de la première page). 104 Constance 1430, p. 367.

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d’obéir au maire et au maître du métier et de suivre les décisions prises par le maire et le Conseil ; de la charte, il n’est à ce stade de sa mise en application plus question. À Rottweil, en 1378105, l’idée d’un serment annuel est également présente, mais pas pour toute la population civique : c’est ici le serment des maîtres de métier qui trouve sa place dans la charte constitutionnelle. Ce que jure chaque maître de métier est avant tout de respecter la Zunft qui l’a désigné : le texte que nous en possédons, destiné à un métier précis, est certainement représentatif des chartes que chaque métier détenait, ce qui peut expliquer que son objectif central semble être d’assurer aux métiers des garanties de leur autonomie ; peut-être était-il complété par un texte plus général, qui pouvait traiter des questions de relations entre les institutions et le corps civique. Une fois la charte expédiée, sitôt que les institutions qu’elle prévoit sont entrées en fonction, son sort naturel semble être de rejoindre les archives du Conseil, quitte à l’en ressortir lors du serment annuel. Quand Felix Fabri écrit vers 1500 son traité sur sa ville d’Ulm, il remarque que « dicunt autem antigui Ulmenses, quod olim non fuerint zunfte, sed per Karolum quartum sint institute ad rei publicem ordinem » – il n’était sans doute pas donné à tout le monde d’aller voir les chartes de 1345 et de 1397, sans parler des premières attestations de la fin du siècle précédent106. Aussi bien du point de vue de la destinée matérielle des chartes que de la durée de vie du système politique qu’elles décrivent, la variété des parcours d’une ville à l’autre montre cependant que les enjeux étaient trop cruciaux et variés pour qu’elles ne deviennent que les monuments d’un fragile instant d’unanimité civique. Dans la plupart des cas, les chartes constitutionnelles commentées ici ont été conservées sous leur forme originale, généralement en une seule expédition, même si, on le verra, des copies de toute nature en ont souvent été faites. Pour les villes où de telles chartes manquent, l’hypothèse a souvent été faite qu’elles ont été perdues : ce n’est naturellement jamais impossible, et le fait que quelques chartes, au contraire, n’aient subsisté que sous forme de copies plus ou moins tardives107 rappelle bien qu’elles ne sont pas exemptées des obstacles que rencontre la conservation de tout document. On ne trouve cependant dans aucune des villes dépourvues de chartes constitutionnelles des documents attestant indirectement qu’une telle charte aurait existé : tout porte à croire que les chartes que nous possédons constituent la quasi-totalité de celles qui ont été rédigées au cours du xive siècle.

105 Rottweil 1378, p. 173-174. 106 Felix Fabri, Tractatus de civitate Ulmensi, édité et traduit par F. Reichert, Constance, Isele, 2012 (Bibliotheca Suevica 35), p. 242. 107 Ulm 1345 (copie contemporaine), Augsbourg 1340 (copié en 1447 en annexe au code de droit de 1276, cf. R. Schmidt, « Zum Augsburger Stadtbuch von 1276 », ZHVS 70 (1976), p. 80-179, ici p. 142-148) ; plus problématique : Rottweil 1378, connue par une copie du xviie siècle : un texte beaucoup plus clair, et plus détaillé, se trouve en tête du Rotes Buch réalisé à la fin du xve siècle (H. Greiner, Das ältere Recht der Reichsstadt Rottweil, p. 108-111); il est certainement bien antérieur puisque sa formulation se retrouve dans la charte de Reutlingen (1374) qui dit s’appuyer sur un texte de Rottweil.

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Mais le texte est-il connu, lu, commenté, utilisé comme référence juridique, ou n’est-il, une fois les institutions en place, qu’un document d’archives rendu caduc par la pratique institutionnelle ? Nul doute que la coutume peut amender sans bruit la lettre de la charte, mais des références dans des documents ultérieurs montrent au moins dans certains cas la valeur juridique persistante de ces chartes. C’est le cas à Constance en 1430, où Sigismond dit que la charte du bailli Friedrich von Zollern de 1371 lui a été présentée108 – elle apparaît donc encore à la fois comme une description acceptable de la pratique politique, malgré des évolutions notables, et comme une base juridique suffisante ; loin d’en désavouer le contenu, le souverain souligne au contraire à quel point il se met « in unsers vatters fußstappen » (dans les pas de notre père), Charles IV, au nom duquel Friedrich avait rendu son arbitrage. Quelques années plus tard, quand la ville est invitée à envoyer une délégation à Francfort pour le Reichstag convoqué par Frédéric III pour l’été 1442, les délégués de Constance emportent dans leurs bagages toute une série de documents, dont certains sont en relation directe avec les questions politiques du jour ; mais une copie de la charte de Sigismond de 1430 fait elle aussi le voyage, à toutes fins utiles109. Cette charte de Sigismond, privilège royal autant que charte constitutionnelle il est vrai, est ensuite invoquée par Maximilien à plusieurs reprises : en 1495, il revient sur l’interdiction faite aux tisserands de lin et aux tanneurs110, considérés par Sigismond comme les principaux fauteurs de trouble, de participer au Conseil, et il en célèbre en 1510 les mérites dans l’exposé de sa propre charte constitutionnelle avant de l’abolir sans plus de ménagement. Dans les deux cas, il invoque le passage du temps comme une raison suffisante pour faire table rase du passé. Pourtant, la contestation du texte de Sigismond n’avait pas attendu ces quelques décennies pour émerger, de manière particulièrement virulente111 : dès la mort de l’empereur en décembre 1437, un artisan est puni pour avoir proclamé que sa lettre était morte avec lui et qu’il n’était plus besoin de prêter serment sur elle ; d’autres tentent d’afficher en pleine nuit un placard, « der doch wider die richtung wist zwischent den geschlächten und der gemaind » (qui est pourtant contre l’arbitrage entre les lignages et le commun) : les auteurs aggravent leur cas en accusant les lignages d’avoir été les premiers à enfreindre ces dispositions – autrement dit, certainement, d’avoir utilisé les dispositions du texte pour écarter autant qu’ils le pouvaient les métiers de toute forme d’influence politique. La sentence du tribunal municipal – mort par décapitation – avait de quoi décourager l’expression des dissensions pour longtemps, mais ces deux cas montrent bien d’une part que les changements constitutionnels n’étaient pas l’affaire exclusive des élites directement concernées, et d’autre part que les citadins en connaissaient aussi la forme – cette lettre d’arbitrage de Sigismond – et pas seulement le fond. 108 Constance 1430, p. 362. 109 Texte cité (sans source précise, sans doute le registre du conseil) en note par Ph. Ruppert, Das alte Konstanz in Schrift und Stift, p. 219-220. 110 Karlsruhe, GLA, D 1017. 111 Cf. pour ce paragraphe P. Schuster, Eine Stadt vor Gericht : Recht und Alltag im spätmittelalterlichen Konstanz, Paderborn, Schöningh, 2000, p. 109-110.

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Dans un contexte juridique plus tendu encore, l’un des nombreux arbitrages entre la ville et le monastère de Kempten impose en 1417 aux citadins de gouverner leur ville « nach dez von hönburg brief sag » (d’après ce que dit la lettre du sire de Homburg), autrement dit d’après l’arbitrage de 1361112 : cependant, les arbitres autorisent le maintien des métiers, pour trois ans d’abord, puis à la convenance de l’abbé qui pourra révoquer ce droit. C’est à la fois reconnaître formellement les prérogatives de l’abbé sur sa ville et faire en sorte que le régime des métiers puisse continuer à fonctionner. La révocation possible par l’abbé est certes une menace pesante, mais celui-ci ne peut ignorer qu’il provoquerait ainsi avec la ville une crise dont il n’est pas sûr de sortir vainqueur. Le contexte de l’arbitrage, où l’argumentation juridique a plus de portée que les questions d’opportunité, favorise du reste le recours à ce type d’argumentation fondée sur les textes. Dans un contexte similaire, le comte palatin du Rhin Ruprecht I, à qui la ville de Mosbach est engagée, renvoie dans un conflit entre le commun et le Conseil en 1383 à « dem briefe, den vormals die vier und zwentzig von den richtern und vom rade uz der gemeinde mit der stad ingesigel hand113 » (la lettre que les Vingt-quatre, issus des juges et du conseil de la commune, ont revêtu du sceau de la ville), autrement dit à une charte de 1337, rédigée par les Vingt-quatre eux-mêmes et scellée du sceau de la ville, de celui du monastère de Mosbach avec lequel la ville est fréquemment en conflit, et de ceux de deux chevaliers qui ont sans doute joué un rôle d’arbitre dans le processus ; en 1435 encore, le comte palatin Otto, intervenant suite à de nouveaux conflits internes, y fait à nouveau allusion114, mais cette fois il commence par la saisir avant d’en entendre le contenu, et la charte qu’il rédige alors en annule entièrement la validité. La charte originale, du moins, n’est pas détruite ni durablement confisquée, puisqu’elle se trouve encore aujourd’hui à Mosbach. Lors de la désastreuse abolition des métiers en 1454 à Fribourg, le duc Albrecht avait bien pris connaissance de « den brief ainer satzung, so weylend unser lieber vetter, Hertzog Leupolt von Oesterreich […] gegeben hat115 » (la lettre d’un statut que feu notre cher cousin le duc Léopold d’Autriche […] avait donné) en 1392 : au prix d’une justification minutieuse, précisément appuyée sur les articles de cette charte et sur leurs effets néfastes pour démontrer la nocivité des métiers, Albrecht n’hésite pas à en abolir l’essentiel, mais sa méconnaissance du contexte politique intérieur, où les Zünfte jouent un rôle d’intermédiation sociale reconnu, conduit à l’abolition rapide

112 Augsburg, SA, Reichsstadt Kempten Urkunden 224 (25 mars 1417), en référence à la charte du 13 décembre 1361 (ibid., charte 38). Ces deux chartes continueront à jouer un rôle important dans l’histoire de la ville, comme en témoignent les vidimus réalisés par le conseil d’Augsbourg en 1433 (ibid., chartes 365 et 366). 113 UB Mosbach, p. 130 et référence à la charte de 1337 ibid., p. 63-64. 114 Mosbach 1435, p. 210 : « yre brieve, wie sich yre vorfarn die statt Moßbach mit dem geriecht und rate daselbst zu regiern verschrieben » (leurs lettres, sur la manière dont leurs ancêtres s’engageaient à gouverner la ville de Mosbach avec le tribunal et le conseil) ; le pluriel (« leurs lettres ») pourrait renvoyer aussi à une charte de 1338 (UB Mosbach, p. 66-67) sur l’élection des juges et des conseillers, ou à d’autres exemplaires de la première charte. 115 H. Schreiber, Urkundenbuch der Stadt Freiburg, t. II, p. 434.

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du nouveau système qu’il met en place, dès sa mort en 1459116 : il n’était certainement pas question de détruire matériellement une charte octroyée par un membre de la même dynastie. Lorsqu’en 1375 Charles IV abolit la charte constitutionnelle de 1316 à Esslingen, il prend au contraire entière possession de la charte originale, qu’il insère intégralement dans sa propre charte : la charte originale de 1316 n’est pas conservée et on peut raisonnablement supposer qu’elle a été détruite à cette occasion. L’insertion intégrale du texte de 1316 est une précaution contre l’apparition d’autres copies, voire d’autres originaux de la charte, ainsi d’emblée démonétisés : précaution inutile aux yeux de l’historien d’aujourd’hui, puisqu’on n’en connaît pas d’autre exemplaire, mais précaution heureuse, puisque le texte ne nous en aurait pas été conservé sinon117. Mais ce que peut faire Charles IV à Esslingen n’est pas à la portée du premier arbitre venu. Les villes qui arbitrent le délicat conflit entre patriciens et Conseil à Constance en 1421118 font preuve en la matière d’une prudence extrême : elles décident « das der richtung brief der geschlächt und aller zunft brief zu Costentz kaineswegs ingezogen, noch darin griffen werden soll, sunderlich gänzlich hintangesetzt und jeder tail by denselben iren briefen und ouch die zunftbrief ruwiglich beliben sont one all gevärd » (que la lettre d’arbitrage des lignages et toutes les lettres des métiers de Constance ne doivent pas être saisies ni concernées par ceci, mais elles doivent être complètement mises à part et chaque partie doit en rester à ses lettres et les lettres de métier doivent rester telles quelles sans tromperie). « Der richtung brief » est certainement la charte du burgrave Friedrich von Zollern de 1371, et on comprend bien que les villes n’aient pas eu le courage de l’abolir, d’autant que le burgrave agissait au nom de l’empereur : tout laisse ainsi à penser que, devant l’échec de la pacification de 1421, l’intervention de l’empereur ait pu ne pas être une surprise pour une partie au moins des citadins, notamment des patriciens qui ont sans doute fait appel à lui pour mettre un terme à cette instabilité chronique. Il n’est donc pas étonnant que la charte d’arbitrage de 1421 ne se présente pas comme une charte constitutionnelle redéfinissant le système politique. Il s’agit bien plutôt d’un document judiciaire présentant les arguments des uns et des autres suivis du verdict des arbitres pour toute une série de points disputés ; ce choix de rédaction permet de comprendre que les arbitres n’avaient pas voulu s’emparer eux-mêmes des thèmes sensibles et assumer les décisions difficiles que la situation exigeait. Dans ces conditions, l’échec était inévitable, dès lors qu’ils ne se sentaient pas à même de proposer un système cohérent pensé comme un tout. L’avenir de ces chartes tient aussi dans les évolutions du système politique qu’elles décrivent, jusqu’à l’abolition – de manière ponctuelle ou sous la forme plus 116 Le nouveau duc Sigmund donne son autorisation à la recréation des Zünfte et de leur rôle politique en 1464, ibid., p. 484-485, sans détails sur les modalités de cette recréation, notamment sans référence explicite à la charte de 1392. 117 La charte de 1375, dont l’original est conservé, est copiée dans un volume de privilèges royaux et impériaux (Esslingen, StA, Copialbuch C, fol. 5r-6r). 118 Ph. Ruppert, Das alte Konstanz in Schrift und Stift, p. 341-352.

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radicale de l’intervention de Charles Quint à partir de 1548. La fin de validité des chartes passe généralement par une nouvelle charte. C’est le cas dans toutes les villes où plusieurs chartes se succèdent, même si rares sont les cas où la charte nouvelle prend la peine de déclarer caduque la charte précédente. Seul Charles IV, en 1375, casse la charte d’Esslingen datant de 1316, sans donner la moindre indication sur ce qui doit lui succéder, en tout cas par écrit119 ; Sigismond, sans prononcer le mot de cassation, évoque pour Constance en 1430 les inconvénients liés à l’application de la charte de 1371. La première charte d’Esslingen (1316), qui n’avait donné qu’une place limitée aux Zünfte dans le système politique, est vite amendée : dès 1335, une charte des autorités municipales vient définir un Grand conseil, absent dans la charte de 1316, à raison de deux membres par métier et de deux patriciens en plus des membres du Petit conseil120, avec un contrôle collectif des élus ; de même, en 1350, dans une charte aux thèmes variés, les instances municipales précisent la procédure d’élection du maire, telle qu’on la pratique « von alter herkomen » (par ancienne coutume), sans référence directe à la charte de 1316121 ; ce que Charles IV abolit en 1375, c’est donc moins cette charte que le produit d’une évolution progressive, sur six décennies, qui témoignait de la persistance des enjeux politiques pendant cette longue période. Mais que restait-il réellement, à l’époque de l’intervention terminale de Charles Quint, des systèmes que ces chartes avaient créés au cours du xive siècle ? La tendance croissante des conseils et des magistrats à se percevoir comme des autorités verticales plutôt que comme des mandataires ou des représentants est un fait bien connu, qui passe notamment par un contrôle beaucoup plus étroit des métiers. Cette évolution, cependant, ne rend pas véritablement les chartes caduques : lorsque les élites augsbourgeoises reprennent le contrôle des institutions municipales après le court « règne » du maire réformateur Ulrich Schwarz (1474-1478), l’idée que le règne des métiers est un risque politique majeur pour leurs intérêts est certainement présente chez certains, mais la crainte qu’un tel épisode se renouvelle ne conduit pas à modifier les institutions en profondeur122. Schwarz avait remplacé les Treize, sorte de commission permanente du Conseil accusée d’exercer un pouvoir occulte et trop favorable aux élites, par des Dix-huit ouverts à tous les métiers ; après sa chute, les Treize sont rétablis sous leur forme précédente, mais il s’agit de toute façon d’un collège né de la pratique politique et non des chartes de 1368. Schwarz était mû par le désir de revenir à une forme de pureté originelle des institutions de 1368 : ses adversaires victorieux réagissent en renforçant leur contrôle sur les institutions existantes. Il en va de même à Ulm, dont Eberhard Naujoks a fait l’exemple type de cette oligarchisation des gouvernements urbains : la charte jurée de 1397 conduit à une sorte d’alliance entre les patriciens et les élites des métiers, mais c’est à partir du milieu du xve siècle que le Conseil commence à se décrire comme une autorité supérieure tirant sa légitimité de

119 UB Esslingen II, p. 140-142. 120 UB Esslingen I, p. 330. 121 Ibid., p. 462-464. 122 D. Adrian, Augsbourg à la fin du Moyen Âge, p. 46-49 et passim.

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son honneur et de sa compétence plutôt que comme émanation du corps civique123. Il n’est aucunement besoin de modifier pour cela les équilibres constitutionnels : la pratique politique sait tirer profit des règles existantes, comme la longue durée de la Constitution des États-Unis le montre encore aujourd’hui. À Memmingen, on s’en souvient, la charte de 1347 est trop courte pour servir de référence en matière d’organisation institutionnelle ; ce qu’on sait de la pratique politique des deux siècles suivants laisse penser que l’équilibre initial entre patriciens et métiers a évolué en faveur de ces derniers, comme le montre le grand procès intenté par les patriciens à la ville devant le tribunal de la chambre impériale en 1471. Connu par de nombreuses chartes qui donnent une idée précise de l’argumentation des deux parties124, ce procès ne porte pas réellement sur le régime des métiers mis en place en 1347, ne serait-ce que parce que le texte de 1347 est trop succinct pour servir d’argument. Ce qui est débattu, cependant, c’est bien l’ordre institutionnel en place, le rôle du maire par exemple, laissé aux patriciens mais doté de pouvoirs limités, ou les procédures électorales. D’autres chartes de la même période auraient pu sur ces thèmes encadrer plus étroitement la pratique politique : le cas de Constance montre bien que ce n’est pas toujours suffisant pour contenir les tensions politiques, mais le manque d’assise juridique écrite des pratiques politiques a dû, à Memmingen, convaincre les patriciens que leur démarche judiciaire pouvait aboutir. Le fait que le souverain rejette finalement tous leurs arguments ne tient pas compte de cette faiblesse juridique supposée : ce que défend le souverain, c’est l’autorité établie du Conseil contre une contestation externe, sans que la forme précise des institutions soit réellement soumise à examen. À Rottweil, aucun code de droit n’est conservé avant les environs de 1500 : le « Livre rouge », qui est alors rédigé à partir de compilations plus anciennes, s’ouvre sur une description de la procédure annuelle d’élection du Conseil et des magistrats qui n’est au fond qu’une version plus détaillée de la charte de 1378125 – il ne la remplace pas, mais en précise des détails pratiques. Le début du texte paraît même étrangement familier : la précision que les offices doivent être déclarés vacants avant toute élection n’est en effet pas originale, mais c’est dans les chartes de Reutlingen (1373) et d’Esslingen (1376) qu’elle figure. Ces deux chartes tirent leur origine, suppose-t-on, d’une charte perdue ou du moins du système politique créé à Rottweil lors de l’introduction des métiers dans les années 1310. Peut-être, après tout, cette éventuelle charte des années 1310 était-elle encore conservée, sans qu’on considère que la charte de 1378 l’avait rendue caduque. La liste des magistratures et offices divers que concerne cette déclaration de vacance, cependant, est soigneusement mise à jour, c’est-à-dire, à proportion du développement de l’administration municipale, largement étendue, et l’ensemble du texte est beaucoup plus développé que la charte de 1378 : c’est un peu le genre qui le veut, les limitations quantitatives propres aux chartes ne jouant pas ou plus pour un tel livre.

123 E. Naujoks, Obrigkeitsgedanke, Zunftverfassung und Reformation, p. 14-15. 124 Cf. notamment SA Augsburg, Reichsstadt Memmingen, Urkunden 394 (argumentation des parties) et 405 (verdict). 125 H. Greiner, Das ältere Recht der Reichsstadt Rottweil, p. 108-118.

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Mais ce livre contient aussi deux longs textes de 1503 et de 1504, qui montrent la persistance du thème constitutionnel même à un moment où, pourrait-on penser, l’autorité intrinsèque du Conseil devrait suffire126 : la réforme de 1503 est radicale, mais visiblement contestée puisqu’elle est si vite amendée ; ce n’est pas par la rédaction d’une charte que les changements institutionnels sont opérés, mais par leur inscription dans un code de droit, peu de temps après la compilation de ce registre. Ce choix, loin d’amoindrir la valeur juridique que les auteurs souhaitaient donner au texte, en renforçait au contraire la solennité, dès lors qu’un tel code a valeur de monument juridique dont la pérennité est l’objectif. Mais que devient, dans ces conditions, la charte produite cent vingt-cinq ans plus tôt ? Les nouveaux textes, qui se dispensent des formes ordinaires de la diplomatique, ne donnent aucune justification aux mesures prises et ne citent pas même cette charte ancienne : le cœur de ce qu’elle contenait est par là même aboli, sinon de droit, du moins de fait, quitte à s’en servir à l’occasion comme témoin des anciennes coutumes. Jörg Leist a pourtant montré que le texte initial du Livre, lui, n’entrait pas en contradiction avec la charte de 1378127 : la rédaction de la Nüw ordnung (Nouvelle ordonnance) de 1503 prend place dans une crise constitutionnelle qui dure près d’une décennie et produit une succession de textes constitutionnels, qui témoignent d’une fragilité de l’ordre constitutionnel sans exemple dans les autres villes que nous étudions. Dans ces différents textes, tous soigneusement rédigés, aucune ingérence des puissances proches ou lointaines ne peut être détectée, et ce sont donc les tensions au sein de la société urbaine, cristallisées autour des questions institutionnelles, qui conduisent à cette crise à rebondissements. Les deux premiers textes présentent l’originalité de n’être conçus que pour cinq ans. L’un, daté de 1500, a été copié dans le Livre, mais ne modifie que marginalement les équilibres définis en 1378 ; l’autre n’est pas daté et n’est connu par des copies informelles128, mais il a certainement été conçu entre les textes de 1500 et de 1503. Après le statu quo de 1500, le texte non daté et la Nüw Ordnung témoignent de la radicale divergence des conceptions politiques dans la ville, et plus précisément chez ceux des bourgeois en mesure de porter avec efficacité leurs propres conceptions. Le texte non daté, tout en formalisant une forme de réélection perpétuelle pour les membres du Petit conseil, donne aux métiers une place inédite dans le système politique, en autorisant notamment une élection par l’ensemble des membres du métier, à vrai dire sur une liste de candidats prédéterminée ; la distinction entre Petit et Grand conseil est abandonnée, et le conseil unique est largement dominé par les métiers129. Le texte prend la peine de préciser que le choix entre ces candidats se fait « mit den bonen » (avec les haricots), ce qui garantit le secret du vote et ainsi le libre choix des électeurs. 126 Textes éd. ibid., p. 227-246 (1503) et 246-248 (1504). Tout ce qui suit est fortement inspiré de l’analyse des textes par J. Leist, Reichsstadt Rottweil, p. 89-98. 127 Ibid., p. 90. 128 Ibid., p. 91, et généralement p. 89-100 sur les événements de 1500-1503 (le texte non daté est inédit). 129 Le conseil unique, avec 47 membres, correspond dans son effectif plutôt au grand qu’au Petit conseil en vigueur jusqu’alors, dans un système où le Grand conseil n’était pas constitué de l’ensemble des directions des méteirs.

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La différence avec la Nüw Ordnung de 1503, c’est d’abord que cette dernière est inscrite immédiatement dans le Livre de droit de la ville, avec un statut juridique incomparablement plus haut que les dispositions limitées dans le temps du texte non daté. Ce texte entérine d’abord la diminution du nombre des métiers, semble-t-il pour tenir compte des évolutions démographiques plus que pour sanctionner certains métiers ; les métiers n’en continuent pas moins à dominer le Petit conseil, avec trente-deux membres face à six conseillers patriciens, désignés par les patriciens réunis dans leur Herrenstube, leur société qui prend ainsi non pas le nom, mais les fonctions politiques d’une Zunft. Le dernier texte, à la Noël 1504130, qui rétablit une neuvième Zunft tout en renforçant la marginalité des patriciens, met un terme précoce à cette ouverture relative : seuls les maîtres de métier restent du libre choix de leurs collègues, tandis que les autres représentants, eux, sont choisis par le collège de sept membres qui existait déjà en 1378, et qui est lui-même désigné par le Conseil. Il est frappant de constater que cette intense activité de remodelage des institutions, qui n’inclut pas seulement les responsables politiques mais recourt souvent à la Gemeinde, la communauté des citoyens, comme autorité de décision et de légitimation, porte presque exclusivement sur ce que nous pourrions qualifier de points de détail, modalités électorales notamment : ces années de crise montrent bien à quel point la question des institutions, loin de n’être qu’une affaire interne à des élites urbaines divisées mais sûres de leur domination, résonne dans l’ensemble de la société. La pratique politique, cependant, possède une réelle capacité à s’interposer entre les textes constitutionnels et les citadins confrontés à des défis institutionnels. Le Geschichtsbuch (1494-1496) d’Ulrich Zasius, secrétaire municipal de Fribourg, consacre par exemple un paragraphe à la question des procédures électorales au sein des métiers131. Il n’y est pas fait référence aux chartes constitutionnelles passées, mais ce n’est pas nécessairement parce qu’elles auraient été oubliées : après la charte constitutionnelle de 1454 qui les abolissaient, les métiers avaient bien été rétablis de jure en 1464, mais sans que la charte ducale en précise l’organisation ; en outre, la charte de 1392, comme les précédentes, était loin d’entrer suffisamment dans les détails pour pouvoir constituer une base juridique solide dans les cas concrets dont traite Zasius. Une seule charte, celle de Weißenburg en 1377, suscite une opposition suffi­ samment forte pour être presque aussitôt mise hors d’usage132 : comme on peut s’y attendre pour une si petite ville, aucune source n’est disponible pour éclairer à la fois les circonstances de sa rédaction et les formes d’opposition qu’elle suscite ou, plus probablement, qu’elle ne parvient pas à calmer. Les seules informations sur ce qui s’est passé viennent des délibérations de la ligue souabe, qui parvient en 1384, à 130 H. Greiner, Das ältere Recht der Reichsstadt Rottweil, p. 246-248. 131 Ulrich Zasius, „Geschichtsbuch“ der Stadt Freiburg im Breisgau. Eine Sammlung exemplarischer Einzelfälle zur städtischen Politik, Rechts- und Verwaltungspraxis im Spätmittelalter, éd. H. Schadek, Fribourg-en-Brisgau, Stadtarchiv, 2012 (Veröffentlichungen aus dem Archiv der Stadt Freiburg i.Br. 40), p. 168-175. 132 Cf. cependant aussi le cas de Rottweil et des réponses du conseil aux contestations de la charte de 1378 dans les mois suivant immédiatement son adoption (supra, p. 82-83), qui témoignent d’une opposition persistante à la réforme, mais sans aller jusqu’à un renversement.

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la demande de Nuremberg, à rétablir la charte et le système politique qu’elle avait créé133. Ces délibérations gardent la trace de troubles antisémites ayant amené une contestation du gouvernement municipal, accusé de prendre parti pour les créditeurs juifs, et elles livrent le nom des agitateurs de 1384, où artisans et membres des élites se côtoient. Elles n’expliquent pas, cependant, le contexte de rédaction de la charte de 1377, ni le lien établi par les contestataires entre cette nouvelle charte et la politique philosémite contre laquelle ils s’étaient soulevés. Beaucoup de chartes, a fortiori dans les villes n’en ayant produit qu’une, étaient restées en vigueur jusqu’à l’intervention en 1548-1552 de Charles Quint et de ses commissaires134, dans un contexte très différent de celui des deux siècles précédents. Un peu comme Maximilien remettant en selle les Zünfte à Constance en 1510135, ce n’est pas le souci du bon gouvernement de la ville qui anime le souverain, mais ses intérêts géopolitiques propres, contre la confédération helvétique pour Maximilien, contre les puissances protestantes pour Charles Quint. Son intervention est bien connue par une riche documentation qui montre bien la procédure suivie, notamment la « tournée » du commissaire impérial Heinrich Haß. Dans sa relation, Haß n’évoque pour ainsi dire pas l’existence de sources juridiques qu’il aurait à abolir. Les choses se passent toujours de la même façon : à peine arrivé dans une ville, il convoque quelques hommes de confiance, leur confie les offices majeurs de la ville et organise avec eux le nouveau régime, en tenant compte des particularités locales, non sans protestations et résistances d’ailleurs. Le droit politique préexistant ne semble pas pris en compte, pas plus que ne l’est l’existence d’une charte constitutionnelle validée ou promulguée par un des prédécesseurs de Charles Quint. On apprend simplement, à propos de Schwäbisch Gmünd, que Haß se faisait au préalable remettre « leurs lettres » par les villes qu’il visitait, puisque dans le cas présent un concours de circonstances fait qu’elles ne lui ont pas été remises. Le Conseil en place tente parfois d’argumenter : à Esslingen, les conseillers se retranchent en vain derrière leurs devoirs pour tenter d’obtenir la convocation du Grand conseil ; à Überlingen, les élites politiques font une allusion directe au privilège d’Henri VII de 1309, par lequel ils sont « uf ir Regierung mit den Zunften und Zunftmeistern gefreyt » (ils ont le privilège des métiers et des maîtres de métier), et qu’ils peuvent d’autant moins en faire abstraction que le commun croirait que c’est en punition de leurs fautes que le souverain agirait ainsi136. Dans un seul cas, celui de Memmingen, Haß clôt son rapport par une courte description de la pratique politique en vigueur juste avant son arrivée137 : peut-être la charte de 1347 offrait-elle trop peu d’information, tandis

133 Cf. D. Kerler, « Zur Verfassungsgeschichte der Stadt Weissenburg im Nordgau », p. 197-199, cf. P. F. Haberkorn, Weissenburg in Bayern. Stationen seiner Geschichte vom römischen Zentralort zur spätmittelalterlichen Reichsstadt, Mammendorf, septem artes, 1996, p. 163-167 et UA Städtebünde, vol. III/2, p. 1740-1744 et 1748-1751. 134 Sur le déroulement de l’entreprise, cf. E. Naujoks, Kaiser Karl V. und die Zunftverfassung, qui édite notamment le rapport du commissaire Haß. 135 Cf. supra, p. 81-82. 136 E. Naujoks, ibid., p. 284. 137 Ibid., p. 181.

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qu’à Überlingen, où la charte de 1309 est plus sommaire encore, d’autres documents pouvaient combler cette absence de description de la pratique138. Là même où les chartes restent en vigueur sur le moyen ou le long terme, leur destin ne se limite pas au sort envieux de la ou des chartes originales, soigneusement conservées par l’administration municipale à proximité des privilèges impériaux et des actes financiers de la ville, ou dans les archives des parties en présence lors de leur rédaction. Il y a bien des raisons pour copier les chartes, et nous possédons en effet pour beaucoup de chartes des copies réalisées pendant la période où elles étaient en vigueur. Même si un inventaire détaillé de ces copies manque, on peut supposer que le cas le plus fréquent de copie de ces textes constitutionnels est celui des chartes impériales, assimilées à des privilèges et par conséquent copiées comme tels dans les registres de privilèges des villes. À Esslingen, on copie ainsi au xve siècle dans un tel registre la charte de Charles IV de 1375 cassant et citant intégralement la charte constitutionnelle de 1316139. Dans la suite du volume140, on copie cependant aussi, parmi diverses chartes municipales essentielles, la charte constitutionnelle en vigueur, celle de 1414 : la charte de 1375 était, après tout, un privilège impérial ; dans un registre comme celui-ci, il est difficile de faire la part des besoins pratiques de la municipalité et d’une volonté de prestige passant par les grands textes soutenant la dignité de la ville. La charte de Villingen de 1324, elle non plus, n’est pas conservée seulement sous sa forme originale : une feuille de parchemin écrite vers 1420 en contient une copie informelle, ainsi que la copie d’un décret du Conseil de 1306 sur l’organisation des contingents de la ville en cas d’expédition militaire ; en guise de titre, le copiste précise : « Hec copie litterarum sub appensione sigillorum dominorum comitum Johannis et Götzonis in Fürstenberg et etiam sculteti, magistri civium et opidanorum Viligensium leguntur Johanis Baptiste, dum populus jurat magistro civico141 ». Pas de fétichisme du document original par conséquent : contrairement aux chartes jurées de Strasbourg ou d’Esslingen, régulièrement renouvelées par de nouvelles chartes, une copie informelle du texte suffit comme support de lecture. Quand une charte est copiée, c’est semble-t-il essentiellement dans le contexte de la ville qu’elle concerne, même si, sur ce point, il faudrait une exploration minutieuse des fonds d’archives pour parvenir à une certitude. On sait que, pour préparer une nouvelle charte constitutionnelle, les Augsbourgeois ont pris copie de la charte d’Ulm142, celle de 1345 donc, mais cette copie n’est pas conservée, et les autres villes consultées par Augsbourg pour établir les chartes de 1368 n’ont, elles, pas fourni de copies de leurs chartes. Dans le cas de Rottweil, on ne sait pas comment les dispositions prévues par la charte de 1378 ont été connues à l’extérieur, mais la charte de décembre 1379 où le Conseil justifie l’instauration des Vingt-deux comme organe de contrôle du Conseil parle des rumeurs malveillantes suscitées par cette nouvelle institution : « uf 138 Notamment le premier code de droit du début du xve siècle, éd. F. Geier, Überlingen, p. 66, 95-97, etc. 139 Esslingen, StA, Copialbuch C, fol. 5r-6r. Cf. sur ce volume l’introduction d’A . Diehl (UB Esslingen I, p. XVIII), qui en date la réalisation de 1442. 140 Ibid., fol. 77r-79r. 141 C. Roder, Villingen, p. 14. 142 Augsbourg, StA, Baumeisterbuch 2, fol. 12v.

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dem lande und in den stetten » (à la campagne et dans les villes), on dit que ce serait « von nide und von hasse » (par envie et par haine) qu’ils auraient été créés143 – par haine contre les patriciens, bien sûr. Que savait-on précisément de ce qui s’était passé à Rottweil dans les villes environnantes, et surtout comment le savait-on ? Il est difficile d’imaginer que des exemplaires multiples de la charte aient largement circulé ; le fait atteste du moins que les nouvelles des évolutions politiques internes des villes étaient diffusées et suscitaient une réelle attention. On peut aussi y voir, ce qui est rassurant, que les chartes que nous étudions marquent bien des moments forts dans l’histoire des villes : sans doute leur rédaction n’est-elle pas, ou pas toujours, un événement en soi, mais elle accompagne un événement qui, lui, suscite l’attention. Même quand le texte de nos chartes n’est pas promulgué solennellement, même quand il n’est pas lu chaque année au corps civique, il n’y a pas d’apparence qu’il soit jamais soumis au secret qui entoure une bonne partie de l’activité politique municipale. Alors que le « livre de la ville » d’Augsbourg avait été tenu secret jusqu’à 1368, le texte des chartes constitutionnelles rédigées cette même année est un des plus souvent copiés, notamment dans les livres que les différentes Zünfte commencent à établir à partir des années 1410 : beaucoup d’entre eux ont été détruits après 1548, mais on conserve encore de telles copies dans les livres des Hucker (petits commerçants, colporteurs), des chausseurs, des marchands, et d’autres encore144 : chez les marchands, qui ne créent un tel livre qu’après les autres métiers, la présence de ces textes peut s’expliquer par la conscience propre à ce milieu de l’importance de l’écrit administratif et juridique ; chez tous ces petits métiers artisanaux qui, même s’ils sont représentés au Conseil, n’y font guère que de la figuration, le succès qu’attestent ces copies, et l’argent dépensé pour payer le copiste professionnel qui les a écrites avec le soin qui s’impose, montrent bien plus une forme d’appropriation identitaire de ces textes qui fondent leur existence que la volonté de les exploiter pour construire leur influence. Une autre copie de la seconde charte de 1368, celle qui définit plus étroitement les institutions municipales145, figure dans le manuscrit qui a seul gardé trace des réformes juridiques entreprises au même moment146. Certainement écrit peu de temps après les événements par de nombreuses mains différentes, le volume intrigue par la diversité de son contenu : il est entièrement copié sur un même papier, sur une période assez limitée, et contient outre ces textes politiques plusieurs chartes augsbourgeoises, l’octroi par l’évêque du péage sur un pont et plusieurs privilèges relatifs aux juifs. Cependant, plus des trois quarts du manuscrit sont occupés par des poèmes religieux ou moraux. Le manuscrit est notamment une des principales anthologies de poèmes de Heinrich der Teichner, poète contemporain dont l’œuvre abondante est destinée

143 UB Rottweil I, p. 186. 144 Livre des Hucker, commencé en 1456 : Augsbourg, StA, Zunftbuch 130, fol. 31r-36v, 38r-41v, 89r-91v ; livre des chausseurs, commencé en 1457 : ibid., Zunftbuch 256, fol. 7r-9r et 20r-35v ; livre des marchands, commencé en 1463 : ibid., Zunftbuch 147, fol. 41-46v. 145 BSB, cgm 574, fol. 86r-87r ; cf. pour l’analyse codicologique K. Schneider, Die deutschen Handschriften der Bayerischen Staatsbibliothek München : Cgm 501-690, Wiesbaden, Harrassowitz, 1978 (Catalogus codicum manu scriptorum Bibliothecae Monacensis 5/4), p. 164-167. 146 Cf. supra, p. 85-86.

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aux laïcs, dans un but de perfectionnement moral : c’est donc certainement par ou pour des bourgeois d’Augsbourg que le manuscrit a été écrit, des bourgeois assez proches des sphères du pouvoir urbain pour bénéficier d’un accès direct aux archives du Conseil d’où sont issus certains des textes. L’analyse paléographique du manuscrit montre que ces poèmes sont écrits par deux mains successives : la seconde, ayant fini de copier les poèmes, continue son travail immédiatement par la copie de la charte de 1368, dans une mise en page similaire sur deux colonnes. Il y a donc à la fois un travail collaboratif, peut-être dans un but de rapidité, et il y a aussi une juxtaposition volontaire de deux types de textes très différents. Le chroniqueur de Constance Gebhart Dacher copie lui aussi la charte de Sigismond de 1430, à la suite du récit des événements qui ont amené sa rédaction147 : Dacher, qui copie volontiers des textes préexistants dans le fil de son récit148, donne à cette copie une place majestueuse, en le séparant du reste de la chronique par une page vide avant et après sa copie et en faisant précéder celle-ci des armes impériales. Issu de la Zunft des pêcheurs qu’il représente au Conseil à la fin de sa vie (il meurt en 1471), Dacher ne semble guère avoir eu d’activité artisanale ; sa fortune, sans être exceptionnelle, le place largement au-dessus des autres membres de cette Zunft peu fortunée. Il devient notamment en 1461, à 35 ans environ, le gestionnaire de l’entrepôt municipal, et il possède un niveau d’instruction lui aussi sans commune mesure avec celui de l’artisan moyen. C’est peut-être même en raison de son activité historiographique autour de la mémoire du concile de Constance que la ville lui accorde une dispense d’impôts en 1464149. Il a donc en quelque sorte le profil idéal pour une telle copie : obtenir le texte, qui n’était du reste pas secret, ne lui posait pas de problème, et sa proximité avec les instances municipales, comme conseiller et comme employé de premier plan, ne risquait pas d’en faire un contestataire. Le droit de copier les chartes constitutionnelles, textes témoignant de la volonté de transparence des régimes de métier, ne semble pas avoir été restreint, et les quelques copies citées dans les pages précédentes, sans aucune prétention à l’exhaustivité, donnent une première impression de la diversité de ces copies, quant à leur apparence matérielle, quant à leurs usages, mais aussi quant à l’identité et aux intérêts de ceux qui les ont réalisées. Nos chartes ont été copiées pour un usage proprement politique au sein même de la municipalité, pour les besoins pratiques de tel ou tel juriste urbain, pour l’honneur des métiers que la charte avait créés, pour l’instruction personnelle d’un citadin curieux d’histoire : en même temps qu’elles témoignent de la centralité des chartes dans la pratique politique des régimes qu’elles créent ou réforment, ces copies montrent à quel point elles sont aussi le support d’une mémoire urbaine où les césures politiques internes ont toute leur place. 147 G. Dacher, Die „Konstanzer Chronik“…, p. 508-519 (St. Gallen, cod. 646, fol. 126r-130r). 148 Il copie par exemple un texte relatif aux cruautés de Dracula, ou plutôt de son modèle historique (ibid., p. 654-691), texte très diffusé dans la période suivant l’arrestation du prince transylvain par Matthias Corvin (cf. D. Adrian, « Dracula à Augsbourg ou les savoirs de Sigismund Meisterlin. À propos d’un manuscrit des Archives Municipales d’Augsbourg », Revue Scriptorium (2016/2), p. 91-103, ici p. 98). 149 Sur la biographie de Dacher et son activité historiographique, cf. l’introduction de Sandra Wolff à G. Dacher, Die „Konstanzer Chronik“…, p. 51-77.

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III. Des systèmes

Une fois le principe d’un nouveau système politique assis sur des corps de métier adopté par les parties en présence, celles-ci doivent définir plus précisément tout le mécanisme institutionnel qui transforme en fonctionnement quotidien ce qui n’était au départ qu’un grand principe, en s’inspirant plus ou moins largement d’exemples préexistants, mais avec le regard fixé sur la situation locale. Du reste, retracer ces processus d’emprunt ne fait que mettre en évidence la capacité des élites de chaque ville à mettre en place des solutions sur mesure en fonction de leurs objectifs du moment, bien au-delà du programme sommaire contenu dans l’expression « eine zunft » (paix et concorde civile par la constitution d’associations à double visée professionnelle et politique et par l’élargissement de la représentativité du Conseil). Alors qu’il peut être intéressant pour une ville de recevoir un code de droit complet capable de constituer une référence juridique unique, cohérente et exhaustive, l’idée d’une réception terme à terme est en pleine contradiction avec ce qui fait la raison d’être même de la politique. Dès lors qu’on voit la politique comme un moyen formalisé de réaliser une médiation entre les groupes qui coexistent au sein d’une société, une organisation politique n’a de sens que si elle répond aux particularités de la société concernée. Pour les villes de la fin du Moyen Âge, les questions sensibles seront notamment le poids du patriciat (très réduit dans beaucoup de petites villes sans activité économique dynamique, puissant et actif à Constance ou Memmingen), la place respective du patriciat et d’autres groupes dans le grand commerce ou la généralisation ou non du droit de bourgeoisie. Il n’est sans doute pas déplacé de souligner les valeurs que ceux qui rédigent les chartes mettent en avant dans les prologues et dans quelques dispositions visant à abolir toutes les anciennes haines, « bonne amitié », « honneur et intérêt de la ville », paix et justice, comme l’a souligné le livre de Barbara Frenz1, même si la pensée égalitaire qu’elle entendait mettre en avant n’occupe qu’une place secondaire dans les justifications explicites comme dans les formes concrètes des systèmes

1 B. Frenz, Gleichheitsdenken in deutschen Städten. Cf. notamment les p. 62-71 sur l’influence des ordres mendiants sur la constitution de cet ensemble de valeurs au cours du xiiie siècle. Son argumentation ne va cependant pas jusqu’à préciser l’articulation entre ces valeurs génériques et les changements institutionnels dans les villes : si Berthold von Rothenburg ou Albert le Grand peuvent avoir inspiré l’idée d’un gouvernement ouvert à tous les citoyens plutôt que réservé à une élite fermée, le choix de passer par ces corps intermédiaires que sont les Zünfte ne paraît pas être la voie la plus simple pour organiser cette égalité. Albert le Grand (ibid., p. 35-36) semble avoir directement participé à l’arbitrage d’un conflit entre la ville de Cologne et son évêque en 1258 : l’idée centrale est le traitement égal de tous

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politiques. Néanmoins, ces objectifs plus ou moins invariants, et suffisamment flous pour satisfaire les visions politiques les plus ambitieuses, ne disent rien de la manière concrète dont ces idéaux indifférenciés sont mis en œuvre. Plutôt qu’en une quelconque mystique du serment fondateur ou de la communauté idéale – sans parler d’un quelconque parallèle avec la cité divine, absente des sources officielles comme des chroniques –, c’est aux institutions que les contemporains se fient pour créer l’harmonie sociale, avec un sens très pragmatique de l’efficacité des dispositifs qu’ils mettent en place. Seules certaines des chartes de notre corpus ont véritablement pour ambition de décrire de façon exhaustive et autonome, c’est-à-dire sans se présenter comme amendements à d’autres textes, le dispositif institutionnel mis en place, une vingtaine de chartes dans une quinzaine de villes ; elles seules, autrement dit, tendent à répondre aux attentes qui sont les nôtres à l’égard d’une constitution, et c’est elles qui concentreront désormais notre attention. Le moment est donc venu d’étudier non seulement les équilibres institutionnels qu’elles décrivent, mais aussi la manière dont elles le font, les thèmes qu’elles traitent, l’argumentation utilisée explicitement ou sous-jacente dans le mouvement du texte. Ce n’est ici pas seulement ce que les chartes nous disent sur les régimes qu’elles créent qui nous intéressera : dans une culture politique peu portée aux considérations théoriques et éloignée des cultures savantes, elles sont aussi le témoignage d’une pensée politique en action.

Principes constitutionnels Esquisse de vocabulaire du politique

Les médiévistes allemands disposent, entre autres pour parler de la ville, d’un terme qui semble fort pratique au vu de l’intensité de son utilisation : le mot Verfassung. Le mot est si utile qu’on peine à ne pas l’employer mais, par égard pour les lecteurs non germanistes, se pose le problème de la traduction, et c’est là que commencent les ennuis. Les automatismes linguistiques, bien sûr, fonctionnent ici sans peine : Verfassung = constitution – malheureusement, on le voit, ils fonctionnent à vide, la traduction produite étant tellement informée par les schémas de pensée contemporains qu’elle est à peine préférable à l’importation pure et simple. Celle-ci, du reste, pourrait être un pis-aller acceptable si l’historiographie tant ancienne que nouvelle utilisait le terme de façon univoque et clairement définie. Le cœur de la notion de Verfassung, au sens où ce mot est employé par l’historiographie ancienne – dans les études spécialisées d’histoire du droit

les bourgeois par le gouvernement municipal, mais la question de la forme de ce gouvernement n’est jamais abordée, ce qui fait toute la différence par rapport aux changements en cours dans nos villes depuis la fin du xiiie siècle.

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comme dans l’usage courant de l’histoire locale2 –, est le rapport juridique de la ville et de son seigneur, autrement dit le degré d’autonomie obtenu par la ville à tel ou tel moment de son histoire, quand il n’englobe pas l’ensemble du droit urbain, des questions de procédure et de compétence judiciaires au droit des successions. Mais le sens actuel du mot, c’est-à-dire le domaine des institutions du gouvernement urbain, est aussi présent dans l’usage historiographique, parfois avec une sorte de glissement tacite au fil de l’évolution des villes : une fois que le problème de la tutelle seigneuriale est dépassé par l’obtention du statut de ville d’Empire, le mot peut être recyclé pour parler des institutions urbaines. Bien entendu, des usages mieux cadrés du mot ont aussi vu le jour, notamment sous la plume du grand historien du droit urbain Gerhard Dilcher : il précise le mot en parlant de Ratsverfassung, d’une Verfassung dont l’élément dominant est le rôle central du Conseil, se caractérisant originellement par l’élection de ce Conseil par les bourgeois, par la collégialité et par la limitation dans la durée des mandats, seul le principe de collégialité restant en vigueur sur le long terme3. Ce principe de collégialité, cependant, lui paraît suffire à constituer une singularité juridique fondatrice pour ces villes – resterait alors à évaluer dans quelle mesure le développement des magistratures et des organes administratifs viennent créer un fait juridique nouveau à partir du xive siècle. Parler de « chartes constitutionnelles », Verfassungsurkunden, pour les villes allemandes est une licence largement octroyée, depuis longtemps, par l’historiographie allemande, mais on aura bien compris qu’il ne peut s’agir que d’un anachronisme conscient. Pour autant, cet usage traditionnel correspond à une double réalité que décrit bien en français le mot « constitution » : d’une part, l’existence d’un système institutionnel organisé chargé de gérer les intérêts communs, d’autre part des règles

2 Cf. l’acception très large que donne Pius Dirr (Die Denkmäler des Münchner Stadtrechts, p. 3-176) au terme de Verfassungsurkunden dans son édition des sources du droit médiéval de Munich ; il qualifie par ailleurs de Verfassungsgrundgesetz (« loi fondamentale de la Verfassung ») la charte de 1403, ce qui pour un lecteur d’aujourd’hui, constitue un attelage étrange du mot désignant couramment une constitution au sens moderne et de la désignation des dispositions constitutionnelles promulguées en 1949 pour la République Fédérale allemande ; cf. aussi l’usage du mot Verfassungs-Urkunde pour désigner la charte de 1293 qui, à Fribourg, règle les relations entre le seigneur de la ville ou ses officiers avec les bourgeois et les instances municipales, notamment en matière judiciaire (H. Schreiber, Urkundenbuch der Stadt Freiburg, t. I, p. 123), par opposition à la charte du même jour qui définit les institutions urbaines, que Schreiber désigne par son contenu, Bürgermeister und Zünfte (maire et métiers, ibid., p. 140). Dans un sens encore plus large, Georg Ludwig von Maurer qualifie de Verfassung l’ensemble des règles de droit qui s’appliquent à un objet juridique particulier, et notamment la ville dans sa vaste Geschichte der Städteverfassung in Deutschland, 4 vol., Erlangen, Enke, 1869-1871 ; le développement de la pensée constitutionnelle contemporaine a cependant presque réduit à néant, aujourd’hui, cette définition lato sensu du mot. 3 Dans les villes ici étudiées, la limitation de la durée des mandats (généralement annuels, mais avec des possibilités de réélection immédiate plus ou moins larges, souvent après une pause d’une année) est un principe qui s’impose dès la mise en place du régime des métiers, alors que la charte strasbourgeoise de 1334 prévoit encore une élection à vie des magistrats suprêmes de la ville (cf. CDS 10, p. 932).



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juridiques, généralement écrites, régissant ce système dans chaque ville4, et c’est dans ce double sens que nous emploierons ici, malgré toutes les légitimes préventions, ce mot de « constitution5 ». Il n’y a guère, pour notre région, de textes témoignant directement d’une réflexion sur l’art de gouverner la ville6 ; il faut même attendre un passage du traité que le dominicain Felix Fabri consacre vers 1490 à la ville d’Ulm pour trouver une réception explicite de la politique d’Aristote : Est igitur regimen Ulmense conforme satis tribus optimis regiminibus, de quibus Aristoteles 3 polit. tractat. In quantum enim est unus magister civium præfectus totius civitatis et communitatis, regimen regni dici potest ; in quantum vero maiores quidam iudices et assessores cum eo regunt, regimen optimatum dici potest ; in quantum autem de communi populo et omnibus zunftis aliqui in consilio sunt loco totius vulgi, et simul cum magistro civium et optimatibus reipublicæ provident, participat aliquid de politia populi.

Un maire pour régner, des maiores pour l’assister, des délégués du peuple pour s’occuper des affaires publiques, voilà l’essence divine, une et trine, de la politia Ulmensis7. Sous les métaphores et les assimilations ambitieuses de Fabri, il y a bien la conscience d’un ensemble organisé de pôles de pouvoir aux fonctions et aux légitimités différentes et complémentaires : un régime politique, donc. Le lexique employé par les sources ne comporte cependant pas véritablement de terme qui désigne comme un tout cohérent l’organisation des institutions municipales ;



4 Les pages qui suivent se concentreront donc sur les textes répondant à ce cahier des charges, au détriment des textes ne faisant que modifier un système existant et des descriptions sans force juridique de systèmes existants, dont celle envoyée au Conseil de Fribourg par celui de Constance suite à l’intervention de Sigismond rétablissant en 1430 un système dominé par les patriciens (texte éd. sans datation par O. Feger, Vom Richtebrief zum Roten Buch, p. 126-130, et daté par E. Gothein, Wirtschaftsgeschichte des Schwarzwalds und der angrenzenden Landschaften, t. I (seul paru), Strasbourg, Trübner, 1892, p. 355-356, de 1472, et du milieu du xve siècle par T. Scott, Die Freiburger Enquete von 1476, p. XX). 5 Je n’ai pu prendre connaissance qu’après l’achèvement de ce livre des actes du colloque Des chartes aux constitutions. Autour de l’idée constitutionnelle en Europe (xiie-xviie siècle), dir. par François Foronda et Jean-Philippe Genet, Paris, Éditions de la Sorbonne/Rome, École Française de Rome, 2019 (Le pouvoir symbolique en Occident 12), où le concept de constitution, dans ce cadre chronologique et géographique, est défini de manière large comme « un ensemble de normes auquel, indépendamment de sa forme juridique, une société accorde une valeur fondamentale, parce qu’il définit, garantit et règle sa relation au pouvoir et fixe de ce fait l’état d’un échange politique » ( Jean-Philippe Genet, « Les constitutions avant le constitutionnalisme », p. 15) : le cas allemand que j’étudie peut fort bien s’accommoder d’une telle définition, à condition d’ajouter qu’il se caractérise précisément par l’importance qu’y prennent les questions institutionnelles et la mise par écrit de ces normes. 6 Cf. mes réflexions dans D. Adrian, « Penser la politique dans les villes allemandes… ». 7 F. Fabri, Tractatus de civitate Ulmensi, p. 234. Fabri y compare aussi les « xij iudices et lxxij assessores et consules » d’Ulm aux douze apôtres et soixante-douze disciples du Christ, métaphore christologique qui, insistons-y, n’est jamais présente dans nos chartes.

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on trouve certes des mots comme policey8, regiment9, ordinancie10, voire au singulier ou au pluriel verfassung, dans des significations qui dépendent éminemment du contexte, souvent à la frontière d’autres champs sémantiques. L’usage de tels mots mériterait d’être analysé bien au-delà des chartes constitutionnelles, mais il n’est pas inutile, à ce stade, de commenter rapidement ces termes pour tenter de mieux cerner le champ du politique tel qu’il apparaît dans les différentes villes d’Allemagne du sud, et tel que les chartes constitutionnelles essaient de le modeler. Le mot le plus courant dans les chartes et plus largement dans le vocabulaire urbain de la fin du Moyen Âge n’est certainement pas Verfassung. L'attestation la plus claire d’une sédimentation de ce mot autour des questions politiques est la réponse du Conseil de Nuremberg aux envoyés d’Augsbourg qui demandent en 1548 une description du régime de Nuremberg pour obéir à Charles Quint qui imposait le retour à un régime patricien : le régime nurembergeois avoue ne pas être en mesure de répondre, parce

8 Le mot est par exemple abondamment employé à Fribourg : le duc Albrecht VI, en 1454 (Freiburg 1454, p. 434), souhaite conserver ses villes « in redlicher pollicy, auch bey iren rechten, gnaden, freyhaiten und loblichen herkomen » (en fidèle policie, ainsi que sous leurs droits, grâces, libertés et honorables coutumes [je choisis de traduire par le mot médiéval policie pour restituer la polysémie du mot allemand]). Lors de son enquête de 1476, le secrétaire municipal de Fribourg écrit à propos du régime de Constance : « Item Costentzer policy ist nit geendert worden » (la policie de Constance n’a pas été modifiée, T. Scott, Die Freiburger Enquête von 1476, p. 7), par référence à la description informelle citée ci-dessus (n. 4) ; le secrétaire municipal Ulrich Zasius, au début de 1476, porte cette mention sur le cahier de son prédécesseur : « man hat erfaren mengerley stet und pollicien, Constentz, Nüremberg, Schaffhusen, Isin, Kempten, Ravenspurg, etc. » (on s’est informé de nombreuses villes et policies, Constance, Nuremberg, Schaffhouse, Isny, Kempten, Ravensburg, etc.). 9 Quelques exemples : le maire d’Augsbourg Ulrich Schwarz évoque devant l’envoyé du conseil de Fribourg en 1476 ses efforts pour « besser regiment zu seczen » (introduire un meilleur régime) en revenant sur les dérives qu’a connu le système politique augsbourgeois depuis 1368 (T. Scott, Die Freiburger Enquete von 1476, p. 21-22) ; lors de la même enquête, l’envoyé évoque aussi le « regiment und ordnung » de Nuremberg qui, lui disent les membres du conseil de la ville, change selon la situation (ibid., p. 27) ; dans une charte de Frédéric III de 1491 pour Krems, le mot Regiment est bien utilisé pour désigner « burgermaister, richter und rate » ainsi que leurs actions ; le mot semble désigner à la fois l’ensemble des institutions publiques et ceux des bourgeois qui en sont chargés, un peu comme « le gouvernement » aujourd’hui est à la fois une institution et les hommes et femmes qui le composent (O. Brunner, Die Rechtsquellen der Städte Krems und Stein, p. 244-245). Le mot, cela dit, est introduit en allemand par emprunt au latin, et il est de ce fait employé comme regimen de façon beaucoup plus large (cf. le Regiment de Christoph I Scheurl pour son jeune parent Hieronymus Haller [cité par B. Pfotenhauer, Nürnberg und Venedig im Austausch : Menschen, Güter und Wissen an der Wende vom Mittelalter zur Neuzeit, Ratisbonne, Schnell & Steiner, 2016 (Studi Neue Folge 14), p. 73], qui consiste en une série de conseils pour son éducation de jeune marchand : c’est donc de « gouvernement de soi » qu’il faudrait ici parler). Dans l’original latin, un fragment historique strasbourgeois du milieu du xve siècle ( J. Fr. Böhmer, Fontes rerum germanicarum, t. III, p. 118) utilise cependant clairement le terme regimen dans un sens politique : à la suite du soulèvement de 1332, « regimen seu dominium civitatis Argentinensis fuit mutatum ». Le mot est aussi celui qui désigne l’organisation politique des villes qu’il s’agit de changer dans les sources relatives à l’intervention de Charles Quint à partir de 1548 : comme le disent les envoyés d’Augsbourg à Nuremberg, l’empereur a « das Regiment allda geendert » (changé le système politique), E. Naujoks, Kaiser Karl V. und die Zunftverfassung, p. 92. 10 Par ex. dans la réponse du conseil colonais aux demandes du conseil de Fribourg en 1391 : UB Freiburg, t. I, p. 87-88.

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que leur système est fondé « mehr in Geprauch, dan in ordentlichen Verfassungen11 » (plus sous forme coutumière que sous forme de constitutions à proprement parler ). On le voit, cependant, le sens du mot est ici légèrement différent : Verfassungen, ici, décrit des actes juridiques mettant en place un dispositif institutionnel plus que ces dispositions elles-mêmes. Mais plusieurs sources nurembergeoises plus anciennes attestent une volonté de caractériser le gouvernement de la ville : Nuremberg qui, avant même la célèbre épître de Christoph Scheuerl en 1516, fait de son organisation politique l’un des éléments de la fierté identitaire de ses élites12 livre une large moisson de vocables. Le chanoine Albrecht von Eyb dédie en 1472 son traité sur le mariage à la ville et à son Conseil, « zu lob vnd ere vnd sterckung irer pollicey vnd regimentz13 » (en louange, honneur et renforcement de leur policie et régime). De même, Frédéric III avait donné en 1464 à Nuremberg le privilège de « pollitzey und regirung […] in allen sachen ordnen, setzen und fürnemen14 » (ordonner, décider et entreprendre en toute chose leur policie et gouvernement) : le mot policey est alors encore récent ; de telles formules binaires l’associant à des termes désignant sans ambiguïté la direction des affaires publiques laissent entendre que le mot a alors un sens peut-être plus proche de politique que de police, qui fera la fortune du mot à partir de la fin du xve siècle dans le contexte de la réception du droit romain dans les villes. De la même façon, la traduction allemande de l’épître de Scheurl définit son sujet comme « von polliceischer ordnung und gutem regiment der loblichen stat Nurmberg15 » (de l’ordre politique et du bon regiment de la louable ville de Nuremberg). Ce besoin de nommer la sphère de l’action publique et l’action publique elle-même n’apparaît jamais aussi pressant qu’à Nuremberg, peut-être pour constituer cette sphère en une entité légitime nettement séparée de la communauté qu’elle est chargée de gouverner. Mais le mot regiment se trouve aussi dans le livre de droit de la ville de Gengenbach, à une trentaine de kilomètres au sud-est de Strasbourg, où les douze du « jeune Conseil » ne doivent pas s’élever « widder die zwölf des alten rots oder ir regiment16 » (contre les douze de

11 E. Naujoks, Kaiser Karl V. und die Zunftverfassung, p. 93 . 12 Texte allemand éd. Carl von Hegel, CDS 11, p. 785-804. La lettre se place dans le contexte des étroites relations entre Nuremberg et Venise avant et après 1500, cf. B. Pfotenhauer, Nürnberg und Venedig im Austausch, p. 431-433 (et passim), qui cite notamment le patricien Alvise Mocenigo, de retour de la cour de Charles Quint en 1548 : « Questa città ha nome di gouernarsi meglio, che alcun altra di Germania, onde da molti à chiamata Venetia di Alemagna » (cette ville est réputée se gouverner mieux qu’aucune autre de Germanie, si bien qu’elle est appelée par beaucoup la Venise de l’Allemagne). 13 Albrecht von Eyb, Deutsche Schriften, éd. M. Herrmann, 2 vol. parus, Berlin, Weidmann, 1890 (Schriften zur germanischen Philologie 4-5), t. I, p. 4. 14 Geschichtliche Grundbegriffe, dir. par O. Brunner, W. Conze et R. Koselleck, Stuttgart, Klett-Cotta, 9 vol., 1972-2004, art. « Polizei » (Franz-Ludwig Knemeyer), vol. IV, p. 878. 15 CDS 11, p. 785. 16 K. Walter, Weistümer der Ortenau, p. 7 ; cf. aussi le procès entre les patriciens de Memmingen et leur ville, où les patriciens parlent de l’ « unordentlich Regiment » (gouvernement désorganisé) des métiers, ainsi qu’une charte d’arbitrage de 1478 entre la ville de Lindau et son ancien maire Hans Gerung (Augsburg, SA, Reichstadt Lindau, MüB n. S. 17, fol. 6v) : c’est au maire et au Petit conseil que « das regiment der Statt Lindow » est confié. Dans ces trois cas, c’est bien la manière de gouverner que désigne le mot.

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l’ancien Conseil ou leur gouvernement) : le texte date des années 1460-1480, il est donc dès cette date disponible bien au-delà d’une réception savante dont les élites nurembergeoises sont les fers de lance – mais la diffusion du mot, quoi qu’il en soit, est bien postérieure à nos chartes. Ces différents termes désignent donc d’abord les règles elles-mêmes en tant que principes formulés explicitement, et tout au plus par métonymie le système politique qu’elles créent. Le vocabulaire utilisé n’est pour autant pas indifférent, parce qu’il donne des indications sur la place donnée à ces règles et aux documents qui les contiennent dans l’architecture juridique de la ville : quand, à Munich en 1403, les ducs de Bavière disposent que « die zwenundsibentzig mann sullen ein ordnung machen und erfinden17 » (les soixante-douze hommes doivent faire et inventer un règlement), le mot ordnung décrit bien la dépendance de la ville à son seigneur : il ne s’agit, après tout, que de pourvoir la ville d’une règle de fonctionnement à vocation purement interne, pas de fonder un ordre constitutionnel de plein droit. Que conclure de ce parcours lexical ? Il n’y a, c’est une évidence, pas de mot univoque pour désigner l’architecture institutionnelle à l’instar du mot « constitution » pour nous. Cette absence est d’autant plus frappante que les chartes que nous étudions accordent une telle place à cette architecture : au-delà même de la question complexe de l’assise sociale des systèmes politiques ainsi créés, elle est bien plus que la forme contingente d’une domination verticale. Mais, malgré le flou qui découle de la multiplicité des vocables jamais parfaitement synonymes, les mots choisis ont un sens : il y a bien regiment, il y a même parfois, si on veut, verfassung, ou policey, mots qui renvoient bien à l’idée d’une mise en forme théorique de l’ordre politique, avec un arrière-plan savant au moins pour les deux mots d’origine latine18. Leur usage, cependant, est nettement postérieur à la grande période des Zunftverfassungen au cours des années 1310-1380, où la culture savante a dans les élites urbaines une influence encore inférieure à celle qu’elle commence à exercer à la fin du xve siècle. Ces mots, certainement, sont ceux qui se rapprochent le plus de notre vision de l’ordre constitutionnel, mais ce ne sont donc ni les plus fréquents, ni les plus proches de la phase de création de ces systèmes politiques, et aucun d’eux n’a la force descriptive que possède aujourd’hui les mots Verfassung et « constitution » en allemand et en français. Seuls des mots plus génériques encore – ordnung et plus que tout brief, qui avec ses composés (Schwörbrief, Friedebrief…) décrit aussi bien la charte comme objet matériel que comme texte –, ou des mots au sens juridique plus précis autour de la notion d’arbitrage – richtung plutôt que sune dans notre région –, désignent avec conscience et sans ambiguïté ces chartes que nous étudions. Ce n’est pas le vocabulaire de la souveraineté, mais celui du pragmatisme juridique, de la règlementation à usage interne, du droit acquis par privilège ou par coutume de se gouverner soi-même.

17 Munich 1403, p. 604. 18 Cf. le titre donné par le franciscain d’Ulm Felix Fabri dans son Tractatus civitatis Ulmensi au chapitre consacré au gouvernement urbain : « De policia et regimine civitatis Ulmensis et de bono eius ordine » (p. 230).

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Les métiers au pouvoir

Le seul terme qui, finalement, désigne de façon précise l’ensemble des institutions municipales et les règles qui régissent leur fonctionnement est un mot que nous avons déjà abondamment rencontré : zunft, tout simplement, dans un sens absolu, au singulier : le mot qui désigne les corps de métier constitués signifie d’abord « convention », « accord », en rapport avec le verbe ziemen qui signifie « convenir », dans tous les sens du mot français. L’usage du mot allemand latinisé (« unam zunftam ») dans la charte impériale de 1309 pour Überlingen suffit à montrer qu’il s’agit dès l’origine d’un concept propre au milieu urbain, concept à la fois flou dans sa signification générale et assez précis dans les conséquences institutionnelles qu’il entraîne pour que la chancellerie impériale préfère importer ce terme plutôt que de lui trouver un équivalent latin. Beaucoup de nos chartes emploient le mot au singulier, dans son sens initial soulignant le consensus qui préside à leur rédaction, mais ces chartes créent toutes également un régime de métiers, avec des Zünfte, au pluriel et dans un sens concret – quand une ville établit « eine zunft », elle crée ou confirme dans le même mouvement des Zünfte politiques. La formule employée à Ulm en 1345 en est un exemple frappant : « … haben gemainlich und ainmüteclich rich und arm mit veraintem willen ain zunft gesetzt und sibenzehen zunfftmaister19 » (nous avons, en commun et à l’unanimité, riches et pauvres, par une volonté unie, établi une Zunft et dix-sept Zunftmeister). L’établissement d’un consensus social, l’organisation d’un nouveau système politique et la rédaction d’un acte écrit ne font qu’un. L’emploi du mot dans ce sens n’est pas isolé : on le trouve à Memmingen en 1347, puis à Biberach en 1374, où il apparaît dans une charte octroyée par le bailli impérial au nom de l’empereur, et c’est en référence à la situation de Ravensburg qu’il l’emploie. Dans cette ville, les métiers étaient arrivés au pouvoir sans doute vers 1346/1347, mais sans que soit établie à cette occasion une charte ayant pu transmettre la formule. Dans ces deux cas, le concept seul est supposé suffire : ces deux chartes courtes ne définissent pas plus précisément les institutions créées ; à Augsbourg, en 1368, la charte qui créée « ein zunfft » décrit en détail les institutions qui vont être chargées de mettre en œuvre ce principe fondateur. Cet emploi au singulier disparaît au siècle suivant : la seconde lettre jurée d’Ulm de 139720 l’emploie encore, mais elle ne fait que reprendre les dispositions de celle de 1345, et il apparaît également dans la charte royale pour Wangen en 1381, où Wenceslas confirme « eyne tzunft, die sie in der statt ze Wangen gemacht haben » : si le concept apparaît encore une fois comme proprement urbain, il n’en est pas moins visiblement accepté ici par le souverain – alors que son père Charles IV, reconnaissant après plusieurs années de résistance le régime similaire d’Augsbourg en 1374, s’était

19 Ulm 1345, p. 108. 20 C. Mollwo (éd.), Das Rote Buch der Stadt Ulm, Stuttgart, Kohlhammer, 1905 (WGQ 8), p. 258-264, ici p. 258.

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bien gardé de prendre la formule à son compte21. Au xve siècle, il est vrai, la grande vague d’implantation des régimes de métiers est passée, ce qui justifie sans doute l’abandon de cette désignation. Le mot pris dans cette acception générale n’apparaît à vrai dire jamais hors du contexte de la mise en place de ces régimes politiques (par exemple, il n’est pas employé pour désigner un accord commercial ou une alliance entre villes), mais il est clair dans toutes les chartes qui l’emploient que l’idéal politique de la zunft est indissociable des institutions politiques22. Après tout, si le mot avait vraiment eu le sens général que son étymologie laisse supposer, il aurait pu qualifier toute sorte de dispositions législatives issues d’un large consensus social, mais ce n’est jamais le cas. Le consensus social tel qu’il est mis en scène lors de l’introduction des régimes de métiers est il est vrai un moment particulièrement fort dans l’histoire juridique des villes, un moment où la force légitimante de l’action du corps civique apparaît comme jamais depuis les temps mythiques de la conjuratio fondatrice. L’apparition du mot dans nos villes à cette occasion était alors sans doute la traduction d’une véritable rupture, comme affirmation de cette légitimité supérieure née de l’accord de tous : cette force initiale en même temps que son transfert aux organisations concrètes créées alors a certainement prévenu la banalisation de son usage comme simple synonyme d’ordnung ou de gesetz. Dans la plupart de nos villes, qu’« une zunft » ait été établie ou non, un régime fondé sur la représentation de Zünfte a été établi au cours du xive siècle. Cette adoption générale pourrait paraître le simple résultat d’une contagion bien naturelle, entre des villes proches à la fois par la géographie et par l’intensité des relations qu’elles entretiennent entre elles. D’autres modèles d’organisation politique étaient pourtant disponibles pour élargir le recrutement du Conseil au-delà d’un petit nombre de familles privilégiées, sans qu’il y ait besoin pour cela de recourir à la création de Zünfte. Trois décennies séparent leurs deux chartes, mais le contexte est assez proche : c’est au souverain que revient, à Schwäbisch Hall en 1340 comme à Heilbronn en 1371, la charge de ramener la paix civile dans la ville ; on a pu voir plus haut comment Louis de Bavière avait créé à Hall un système tripartite accordant aux patriciens, aux marchands et aux « artisans » une représentation fixe au Conseil. Le dispositif créé par son rival et successeur à Heilbronn est différent, mais le principe est bien affirmé à la fin du texte : « Auch scheiden wir, das keyn zunft do sein sal, als wir sie mit rechter wissen abgenomen haben23 » (Nous statuons aussi qu’il ne doit y avoir là aucune Zunft, car nous les avons supprimées en pleine conscience). Le ton est absolu, la mesure aussi radicale qu’inhabituelle ; Charles IV ne fait pour autant que remodeler un système existant, sans doute depuis peu, qui prévoyait une participation du commun au Conseil des vingt-six : patriciens comme membres du commun disposent chacun de treize conseillers, dont six juges et un maire, choisis chaque année par les treize

21 UB Augsburg I, p. 174-175. 22 Un verbe zünften est également attesté dans certaines chartes, par exemple à Reutlingen (1374, p. 77), et dans la charte d’Esslingen qui s’en inspire (1376, p. 144) dans le sens de siéger pour délibérer. 23 Heilbronn 1371, § 9.

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sortant de charge dans chacun des deux groupes : un Grand conseil peut ainsi être convoqué si besoin en ajoutant aux vingt-six conseillers de l’année les vingt-six de l’année précédente24. Le système conçu par les élites politiques de la ville de Weißenburg, plus encore, semble ne plus faire de distinction selon le statut de chacun : ce qui atteste l’ouverture du système, c’est avant tout la suscription, « Wir die burger vom rat und die bürger der gemein » (nous les bourgeois du Conseil et les bourgeois du commun), le « Conseil extérieur » étant certainement destiné à assurer un relatif élargissement de l’assise sociale d’un système qui, par ailleurs, n’accorde guère de place au principe représentatif. C’est à un principe de représentation territoriale que recourt quant à lui le duc Albrecht de Habsbourg lors de sa brutale abolition des Zünfte à Fribourg en 1454 pour remplacer les maîtres de métier qu’il abolit : les deux autres « membres » du Conseil sont maintenus tels quels (six nobles, six marchands), ou du moins tels qu’ils avaient été modifiés par son prédécesseur en 1435 (faute de candidats parmi les nobles et les marchands, le duc Frédéric avait autorisé l’entrée de simples bourgeois dans ces deux membres)25. Pour le commun, le duc choisit de diviser la ville en six quartiers, chacun d’eux dirigé par un sechstailmaister qui le représente aussi au Conseil ; les six autres conseillers du commun sont quant à eux choisis selon un principe de compétence et non de représentativité. Le duc limite aussi strictement le recours à des instances plus larges que le Conseil : comme il est renouvelé par moitié, il lui est toujours loisible de convoquer les douze conseillers sortis de charge au dernier renouvellement, mais la convocation de l’ensemble du commun est soumis à son autorisation. Le duc motive son intervention par un impératif d’efficacité politique, en dénonçant l’incompétence des métiers, les conflits qu’ils ont occasionnés et les dettes dans lesquelles ils ont laissé la ville s’enfoncer, ce qui n’est pas très original ; le plus surprenant ici est finalement que le principe territorial, qui n’est pas une rareté à l’échelle européenne, soit si faiblement représenté dans les villes que nous étudions, alors même que la charte fribourgeoise montre bien que l’idée était accessible, alors aussi que beaucoup de villes pratiquent de telles divisions territoriales pour des raisons d’organisation militaire et pour la perception des impôts et taxes. Pourquoi, ici, accepter la participation du commun au gouvernement urbain mais pas l’existence des Zünfte ? Pourquoi, a contrario, la plupart des villes font-elles des Zünfte le fondement de leur système institutionnel, si l’échelon intermédiaire entre corps civique et gouvernement urbain qu’elles constituent n’est pas nécessaire ? Pourquoi, dans la plupart des cas, va-t-on jusqu’à créer à cette occasion des structures dont l’existence en tant qu’organisations professionnelles aurait amplement pu se justifier avant qu’elles soient admises au Conseil et dont l’apparition, pourtant, n’est en Souabe généralement justifiée que par le nouvel ordre 24 Cf. aussi le cas de la ville de Mosbach, où la charte de 1337 crée un conseil paritaire de douze patriciens et douze bourgeois du commun ; à Heidelberg, une charte beaucoup plus tardive (1474, éd. Oberrheinische Stadtrechte. Fränkische Rechte, p. 511-512) évoque elle la présence de Zünfte et de leurs délégués, mais ceux-ci ne sont pas membres du conseil : leur seule compétence non professionnelle, du reste non négligeable pour la légitimation du pouvoir du conseil, est de participer au contrôle des comptes municipaux. 25 H. Schreiber, Urkundenbuch der Stadt Freiburg, t. II, p. 389-390.

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politique ? La généralisation des métiers au cours du xive siècle donne l’impression que cette nouvelle forme politique était en quelque sorte le produit nécessaire de l’inadéquation sociale des régimes patriciens, mais la contagion n’explique pas tout : il y a là un véritable choix des élites sociales nouvelles, un choix qui n’est pas entre le statu quo et l’ouverture politique, mais entre plusieurs types possibles d’intégration des non-patriciens aux instances politiques. Le prologue de la charte d’Ulm en 1345 donne une justification inhabituellement prolixe du choix effectué par les nouveaux détenteurs du pouvoir : wan von erbern und von gerechten zünften riche und arm allenthalben wol besachet und besorget sint, und ouch von gerechten zünften sich frid und gnad allenthalben meret und unzucht und unrechter gewalt von gerechten zünften hin geleit und gedrukt wirt, sölichen grossen nutz, der von zünften kumt und von zünften komen mag, haben wir an gesehen26…

La justification, ici, se fait donc par le biais d’un constat objectif fondé sur la recherche d’une efficacité politique. Mais l’efficacité politique est un concept à double tranchant : c’est elle qui justifie l’intervention du duc Albrecht de Habsbourg dans les affaires intérieures de sa ville de Fribourg en 1454, c’est elle qui justifiera peu de temps après, notamment dans la charte de son successeur en 1464, le retour aux métiers. L’efficacité politique, disons-nous : la paix, le bien commun, l’honneur de la ville sont les valeurs les plus souvent mises en avant par des générations d’historiens, et on ne peut nier la présence constante dans les textes de ces thèmes suffisamment généraux pour être utilisés avec des objectifs diamétralement opposés. Mais ce ne sont pas eux qui sont au cœur de ces textes : dire que les citadins veulent concorde, paix et bien commun est une évidence, mais le but de ces textes est bien de choisir comment ces idéaux peuvent être atteints. Les textes augsbourgeois de 1368 évoquent certes l’honneur, la paix, la dignité de la ville, mais cela ne suffit pas : si un nouveau système politique est adopté, c’est aussi « damit wir dem hailigen Romischen riche allerbest gevallen und us grozzer gült und veintschaft komen mügen27 » (pour que nous soyons en meilleure grâce auprès du saint empire romain et que nous nous sortions des grandes dettes et des inimitiés) : la dette publique comme enjeu politique majeur, voilà qui n’est pas étranger à un lecteur d’aujourd’hui, et on aurait bien tort de sous-estimer la croyance, ou du moins l’espoir, que les citadins ici à l’œuvre mettent dans la capacité de l’organisation des affaires politiques à résoudre les problèmes concrets qu’ils affrontent.

26 Ulm 1345, p. 108 : « car riches et pauvres sont par d’honorables et justes Zünfte bien pourvus et protégés, car aussi la paix et les grâces s’accroissent par de justes Zünfte, car la débauche et la violence injuste est empêchée et punie par de justes Zünfte, nous avons considéré de tels grands avantages qui vient des Zünfte et pourra en venir ». Le prologue de la charte de 1397 est beaucoup plus bref mais évoque en termes similaires les avantages tirés de l’introduction des métiers. Le même principe comparatif, selon lequel le bien de la ville n’est jamais aussi bien défendu que quand il y a des Zünfte, est présent dans la charte de Pfullendorf (1383, p. 160). 27 Augsbourg 1368 II, p. 148.

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Les groupes sociaux à l’œuvre Les Zünfte

Le mot Zunft, dans notre région, est le seul employé pour désigner à proprement parler des corps de métier organisés. Le mot « guilde », fréquent en Allemagne du Nord, est tout à fait inconnu ; la seule concurrence de Zunft est (h)antwerk, avec toutes ses variantes orthographiques, dont le contenu est plus flou28 : il est parfois utilisé comme simple synonyme de Zunft, mais peut aussi désigner des formes d’organisation professionnelle moins autonomes et surtout moins intégrées politiquement, par exemple pour désigner les différentes professions que regroupent beaucoup de Zünfte ; dans la charte des boutiquiers de Constance, rédigée en janvier 1343 à la suite des troubles des semaines précédentes, le Conseil octroie « allen antwerken, die in unser stat ze Costentz sint […], iedem antwerk besunder ain zunft, nach dem als ir antwerk notdürftig ist29 » (à tous les antwerke qui sont dans notre ville de Constance, à chaque antwerk en particulier, une Zunft dans la mesure où c’est nécessaire à leur antwerk) : la cohabitation entre la définition professionnelle de antwerk par opposition à zunft comme forme d’organisation est ici particulièrement claire, mais ce n’est pas toujours le cas. Nos chartes utilisent les deux termes, mais seule la zunft envoie des délégués au Conseil, elle seule élit son maître, elle seule se réunit en assemblée générale. Mais que savons-nous, dans ces textes, du rôle précis attribué aux métiers dans ces nouveaux systèmes ? Toute l’historiographie qui a abondamment employé le concept de Zunftverfassung a d’emblée reconnu à la fois ce qui fait la singularité et la raison d’être de ces systèmes politiques, mais sans forcément accorder une grande place au rôle accordé à ces associations au-delà du moment électoral qui permet l’existence des instances municipales30. Le cas de Nördlingen, où c’est par le biais de chartes pour chacun des métiers, mélangeant aspects professionnels et aspects politiques, qu’est mis en place le régime des métiers, est particulièrement révélateur 28 La distinction que fait E. Isenmann, Die deutsche Stadt im Mittelalter, p. 807, entre quatre modalités différentes de définitions, de la simple association professionnelle à la « Zunft politique », sans doute trop figée par elle-même, n’est pas utile ici en ce que, dans les villes que nous étudions, la Zunft est, d’emblée, politique (j’ai souligné combien mal attestées et sans doute peu développées étaient les fonctions caritatives et sociales des Zünfte augsbourgeoises). 29 Fr. Horsch, Die Konstanzer Zünfte, p. 104. Cf. aussi Ulm 1397, p. 258 : « sibentzehen zunftmaister und zünften […], under den alliu antwerke hie ze Ulme vergriffen sind » (dix-sept Zunftmeister et Zünfte, sous lesquels tous les antwerke d’Ulm sont regroupés). 30 Une des faiblesses cruciales de travaux comme R. Luther, Gab es eine Zunftdemokratie ?, E. Maschke, « Verfassung und soziale Kräfte… », ou même K. Schulz, « Die politische Zunft. Eine die spätmittelalterliche Stadt prägende Institution  ? », dans Verwaltung und Politik in Städten Mitteleuropas. Beiträge zu Verfassungsnorm und Verfassungswirklichkeit in altständischer Zeit, sous la dir. de W. Ehbrecht, Cologne, Böhlau, 1994 (Städteforschung A.34), p. 1-20, est qu’ils accordent une place bien trop réduite à la vie interne, éminemment politique elle aussi, des différentes Zünfte, qui sont bien plus que de simples collèges électoraux, cf. D. Adrian, « Les métiers comme lieux de participation politique dans les villes d’Empire souabes (xive-xve siècle) », in La participation politique dans les villes du Rhin supérieur à la fin du Moyen Âge, dir. par O. Richard et G. Zeilinger, Berlin, Erich Schmidt, 2017 (Studien des Frankreich-Zentrums der Albert-Ludwigs-Universität Freiburg, 26), p. 175-204.

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de la dignité politique qui leur était donnée ; il en va un peu de même pour Augsbourg où les chartes de 1368 sont complétées par des chartes par métiers, qui contiennent à la fois des règles communes imposées par le gouvernement urbain et des dispositions laissées à l’appréciation de chaque métier31. Ces chartes, qui sont souvent elles-mêmes qualifiées de Zunftbriefe, constituent avec les chartes constitutionnelles elles-mêmes un ensemble juridique indissociable qu’on pourrait comparer à ce que les juristes appellent aujourd’hui le bloc de constitutionnalité, en ce que leurs dispositions sont indispensables à la définition de l’ordre politique32. Dans les autres cas, où la charte qui organise le gouvernement municipal ne s’accompagne pas d’une codification officielle du fonctionnement interne des Zünfte, les détails que fournit la charte à ce sujet sont d’une richesse très variable, non sans rapport avec l’autonomie de gestion elle-même variable laissée par le gouvernement municipal à ces structures de base33. Le sujet paraît pourtant important, dès lors que, dans la plupart des cas, les Zünfte sont créées spécialement pour servir de corps intermédiaires pour la représentation du corps civique. Qu’il ait existé des formes embryonnaires d’organisation professionnelle au préalable est très probable, et parfois même attesté, mais sans le caractère de collectivité de droit public qui est le propre des Zünfte. Il n’est certes pas sûr que les Zünfte d’Ulm, attestées en même temps que le maire dans une charte de 129234, aient dès cette date eu un accès au Conseil, mais la charte est de toute façon isolée, et les Zünfte sont interdites à Ulm quelques années plus tard35. On sait pourtant qu’à Bâle les Zünfte avaient été créées progressivement au xiiie siècle indépendamment de tout projet politique36 ; dans nos villes, au contraire, les métiers apparaissent d’un seul coup, tous ensemble, comme élément fondateur d’un système politique, et leur vocation est d’intégrer la totalité du corps civique, à l’exception des patriciens et de quelques cas particuliers. C’est particulièrement net à Augsbourg où, on l’a vu, des chartes par métier sont rédigées dans les semaines qui suivent l’introduction de la Zunft, alors que seul le livre de droit de 1276 réglementait 31 Sur Nördlingen, cf. supra, p. 31-32 (voir aussi le cas de Constance, p. 38) ; pour Augsbourg, est conservé le texte des chartes des marchands (UB Augsburg II, p. 154-155) et des fourreurs (P. Dirr, « Studien… », p. 202-205) : la charte des marchands, beaucoup plus courte, se contente de régler les questions politiques, ce qui correspond bien au manque de vie interne qui reste une caractéristique constante de ce métier (cf. D. Adrian, Augsbourg à la fin du Moyen Âge, p. 92), tandis que les fourreurs détaillent les règles d’entrée dans leur métier et des règles relatives à la production des fourrures. Le texte est transmis par le livre de leur métier, commencé en 1456 (Augsbourg, StA, Zunftbuch 158, fol. 8v-9v), qui contient aussi les chartes générales de 1368. Un règlement de métier suivant immédiatement (7 septembre 1346) l’introduction des métiers est aussi conservé pour Ulm, celui des tenanciers de bains (UB Ulm, p. 292-294) : la charte est suscrite par les instances municipales, non par les artisans eux-mêmes, même si le texte laisse penser qu’ils aient pu être demandeurs. 32 Cf. sur cette notion P. Jan, X. Prétot, « Bloc de Constitutionnalité », Jurisclasseur Administratif, fascicule 1418 [en ligne, version du 24 avril 2016], disponible sur la base Lexis360 (consultée le 20 décembre 2019). 33 Cf. D. Adrian, « Les villes méridionales de l’Empire entre autonomie et métiers ». 34 UB Ulm I, p. 203 : la charte, en latin, est rédigée au nom du maire et de dix personnes dont le métier, réellement artisanal, est précisé dans huit cas, « in wlgari dicti zůnft mæster ». 35 C. Keitel, « Städtische Bevölkerung und Stadtregiment bis 1397 », p. 93. 36 Cf., avec bibliographie, l’article Zünfte (K. Simon-Muscheid) dans Historisches Lexikon der Schweiz.

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jusqu’alors les différentes professions, qui n’avaient donc accès ni à une autonomie de gestion, ni à l’usage de l’écrit avant 1368. Aucune charte, par exemple, ne livre la liste précise des métiers créés : on sait ainsi pour Augsbourg37 que dix-huit Zünfte doivent être créées, et que les métiers trop petits pour constituer une Zunft à eux seuls doivent se rattacher à d’autres, mais seules les sources de la pratique, dans les décennies suivantes, nous informeront sur l’identité de ces dix-huit Zünfte. L’indication de leur nombre pourrait n’être qu’un calcul arithmétique pour assurer l’équilibre nécessaire des forces au Conseil ; il est cependant probable que cette répartition avait été préparée et négociée au préalable, même sans mise par écrit. On voit cependant dans la charte de Dinkelsbühl (1387) que le nombre même des Zünfte pouvait être un enjeu : les neuf arbitres décident « das unßr Stat gemeind belyben sol by sehs zünften, als sie die selbn nün geteilt und geordent hant » (que la commune de notre ville doit en rester à six Zünfte, telles que lesdits neuf les ont partagées et ordonnées) : y a-t-il eu contestation pour que les neuf « en restent » à leur partage (initial) ? Ou, au contraire, est-ce pour prévenir des risques qui découleraient d’une fluctuation du nombre de métiers, par conflit entre professions constituantes par exemple, que cette précision est faite ? La lettre d’Esslingen à Reutlingen de 1331 parle aussi des maîtres de métier, « der bi uns nie meir worden ist » (qui n’ont jamais été plus nombreux chez nous)38. L’idée qu’un nombre réduit de Zünfte est de nature à en faciliter le contrôle préside également à l’action de Sigismond à Constance en 1430 : au lieu de dix-neuf Zünfte, il n’en reste plus que dix, « dorumb, das uß den zunften und trinkstuben vil unfürs ensprungen39 » (parce que beaucoup de désordres sont venus des Zünfte et des Trinkstuben) – il y a à vrai dire aussi sans doute un but moins avouable : rétablir une parité nécessitait certainement de réduire les effectifs globaux du Conseil pour permettre à un patriciat en déclin démographique d’occuper tous les sièges auxquels il avait droit40. Mais tous ces métiers sont-ils, dans les chartes constitutionnelles, traités comme égaux entre eux ? Ou tient-on, au contraire, à prendre en compte leur influence

37 Augsbourg 1368 II, p. 148-149, et de même pour Pfullendorf (1383, p. 162 : six Zünfte). 38 UB Esslingen I, p. 303, § 18. 39 Constance 1430, p. 366. Les Trinkstuben, qu’on peut traduire par « auberges », sont les lieux de sociabilité de certains groupes sociaux : les plus connues sont certainement celles des patriciens et de leurs proches, mais on en trouve également pour beaucoup de métiers (cf. les contributions de Geschlechtergesellschaften, Zunft-Trinkstuben und Bruderschaften in spätmittelalterlichen und frühneuzeitlichen Städten, dir. par G. Fouquet, M. Steinbrink, G. Zeilinger, Ostfildern, Thorbecke, 2003 (Stadt in der Geschichte 30), même s’il faut souligner que le phénomène est plus limité que ce que ce volume pourrait laisser penser). Cf. aussi sur ce point Fribourg 1454, p. 436 : le duc Albrecht abolit en même temps que les Zünfte « alle zunfftstuben und alle tringkstuben » (toutes les Stuben de métier et toutes les Trinkstuben), à l’exception des deux plus élitaires et de celles des clercs ; il crée pour les remplacer des auberges dans chaque quartier de la ville (p. 439) : une telle répartition territoriale, qui doit permettre une fréquentation ouverte à tous, est certainement destinée à éviter que l’auberge ne serve de lieu de formation d’une identité commune entre bourgeois d’un même milieu social. 40 Cf. les effectifs connus pour 1468 (Ph. Ruppert, Konstanzer geschichtliche Beiträge, 5 vol., Constance, chez l’auteur, 1888-1898, t. II, p. 51) : chacun des dix métiers compte entre 49 et 138 membres, pour un total de 873 membres, face à seulement 50 patriciens.

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relative pour pondérer leur présence au Conseil ? Créés souvent au moment même où est créé un régime de métiers, ils sont constitués en tenant compte de l’effectif des différentes professions : le souci relatif de cohérence qui préside à ces regroupements limite l’homogénéisation de leur composition, mais les questions d’effectif sont tout de même fondamentales dans les regroupements effectués. Dans quelques villes, l’inégalité entre métiers est inscrite dans la charte elle-même ; c’est le cas, de façon particulièrement brutale, dans la charte de 1304 à Spire : les marchands du Rhin occupent cinq sièges au Conseil, contre un seul pour les autres métiers41. C’est le cas aussi à Fribourg dans la charte du duc Léopold de 1392 (p. 90-91), où les marchands disposent de douze sièges face aux douze sièges des « nobles » et aux vingt-quatre représentants des métiers42. Ces derniers, qui ont à leur tête un « obresten zunftmeister » (maître supérieur des métiers) comme il en existe d’autres dans la région rhénane, sont donc dans une position nécessairement subalterne dès lors que les élites non patriciennes n’y figurent pas : il n’est pas difficile de comprendre que, pour le duc, ces vingt-quatre représentants ne sont qu’une instance secondaire face à leurs vingt-quatre collègues privilégiés. Aucune autre de nos villes ne va aussi loin dans cette inégalité. À Ulm, les 14 Zünfte de 139743 reçoivent quant à elles un à trois conseillers chacune, selon une logique qui semble mêler la démographie et le prestige social : les forgerons reçoivent ainsi trois représentants, plus que les bouchers mais autant que les marchands. Peut-être, comme le supposait Erich Maschke44, l’ordre dans lequel ces métiers sont cités correspond-il à une hiérarchie sociale, encore qu’on ne voit pas pourquoi les kramer se trouvent en première position devant les marchands proprement dits, tandis que la quatrième position des forgerons paraît pour le moins flatteuse – les effectifs de cette Zunft qui, à Ulm et ailleurs, rassemble des professions nombreuses et variées, peuvent peut-être le justifier, mais on voit bien en tout cas que le critère du prestige social est loin d’être déterminant. Ailleurs, les chartes ne font pas de ces questions de hiérarchie entre métiers un enjeu politique, même si les listes de conseillers dans les chartes augsbourgeoises de 1368 suivent visiblement un ordre fondé sur la dignité des différents métiers ; au fond, il n’est pas besoin de dispositions constitutionnelles pour que les métiers les plus considérés socialement exercent une influence supérieure aux métiers artisanaux les moins fortunés. Un décret du Conseil de 1398 montre en particulier la hiérarchisation tacite que la réalisation matérielle des chartes avait établie entre métiers : les métiers devront désormais siéger au Conseil « als ainer yeglichen zunfft insigel an dem zunfftbrief hannget, der geben ist do die zünfft aufstůnden45 » (dans l’ordre

41 A. Hilgard, Urkunden zur Geschichte der Stadt Speyer, p. 177. 42 Le duc maintient ainsi la coexistence d’un groupe de vingt-quatre représentants élitaires doublé par un groupe de représentants du commun telle que l’avait instituée la charte de 1293. 43 Ulm 1397, p. 260. 44 E. Maschke, « Verfassung und soziale Kräfte… », p. 295. 45 Augsbourg, StA, Ratsbuch 1, fol. 19r, également cité par M. Kluge, Die Macht des Gedächtnisses, p. 221 (l’indication donnée en note selon laquelle le nom de la Zunft d’appartenance de chaque conseiller était écrit sur la queue de son sceau est une erreur qui m’a été confirmée par l’auteur).

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où les sceaux de chaque Zunft pendent à la Zunftbrief qui fut donnée quand les Zünfte furent créées) – ce qui est d’ailleurs un peu troublant, puisque précisément il n’y a pas de sceaux des métiers sur les deux chartes de 1368, mais les sceaux privés des conseillers cités dans le texte de la charte. La lettre ne fait donc pas de la hiérarchie des métiers une disposition juridique, même si ces sceaux reflètent une hiérarchie sociale existante ; c’est son usage ultérieur, qui atteste d’ailleurs de l’importance sociale de ces questions protocolaires, qui établit cette hiérarchie, dans une perspective qui est plus celle de la distinction sociale que de l’influence politique. D’autres facteurs comme la disposition des salles de séance des conseils, entraînant un ordre de prise de parole, sont attestés dans la pratique politique, mais nos chartes ne sont pas le lieu de telles dispositions – comme dans tout système politique, la règle de droit n’a pas vocation à régler les moindres détails de la pratique politique ; il est significatif que la vie politique réintroduise une distinction sociale, mais il est tout aussi significatif que les chartes, elles, fassent de cette égalité formelle un principe fondateur. Le fonctionnement interne du métier (réunions, gestion des intérêts communs, aspects règlementaires…) n’est pas une préoccupation essentielle des chartes – après tout, le domaine constitutionnel doit bien avoir des limites, quitte à reporter ces questions, comme à Augsbourg, à des chartes produites ultérieurement, dans les semaines qui suivent les chartes constitutionnelles : on peut y lire à la fois l’autonomie non négligeable qui leur est donnée pour organiser leur fonctionnement interne et les conséquences juridiques et politiques de leur intégration dans l’édifice institutionnel. Outre la désignation du collège (Onze, Douze, Six, etc.) qui entoure le maître, le fonctionnement interne des métiers occupe dans plusieurs chartes une place qui montre que ces questions ne pouvaient être laissées à la seule discrétion des règlementations internes. Les relations des élus du métier, et d’abord de son maître, avec les simples membres sont un de ces enjeux, mais sous des modalités extrêmement diverses. À Ulm, la charte jurée de 1397 met en avant l’autorité du maître sur ceux que le texte décrit comme ses untertanen, littéralement ses sujets, un mot qu’on ne retrouve dans aucune autre charte constitutionnelle : même si la ville est l’un des plus beaux exemples du processus de renforcement de l’autorité souveraine du Conseil dans la seconde moitié du xve siècle46, on voit bien ici que la relation entre le Zunftmeister et ses ouailles est déjà à cette date conçue comme une relation verticale, où le Zunftmeister est un vecteur essentiel de l’autorité du Conseil. La charte de Rottweil, en 1378, consacre une place importante au serment prêté par les maîtres de métier nouvellement élus : ce n’est pas tant de fidélité à la ville dans son ensemble qu’il est question, mais de respect de ce qu’il faut bien appeler la démocratie interne du métier : peut-être d’autres textes prévoyaient-ils un serment au maire ou à d’autres dignitaires ; la charte, elle, prévoit de les faire jurer de respecter « ewerer zunfft brieue undt warhaiten undt ewerer zunfft gesetzta undt gewonhait » (les lettres et garanties de votre métier et les lois et coutumes de votre métier) ; plus concrètement, ils devront aussi se faire les avocats de leurs mandants dès lors que 46 Cf. le livre d’E. Naujoks, Obrigkeitsgedanke, Zunftverfassung und Reformation, p. 11-55.

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ceux-ci auront affaire au Conseil. La légitimité politique des Zünfte est rarement affirmée aussi nettement, que ce soit en droit ou dans la pratique. Le second grand domaine où les chartes constitutionnelles peuvent vouloir interférer de façon durable dans les affaires intérieures des métiers est celui de leurs compétences réglementaires et juridiques. À Fribourg, la charte de 1293 accorde une grande place aux einungen des métiers. Le mot est soigneusement choisi : ces einungen sont des « unions », des accords à usage strictement interne qui ne relèvent ni d’un privilège, ni de l’action législative d’un corps politique autonome ; le texte prévoit que tous les accords de ce type doivent être présentés par le maître du métier concerné devant l’écoutète, les maires et les autres maîtres de métier qui jugeront de sa conformité avec les intérêts de la communauté et du seigneur. Cependant, la longue charte de Pfullendorf de 1383, elle, accorde à la règlementation des métiers une place très inhabituelle : c’est comme si, au milieu de la charte, une seconde charte commençait, sans suscription, mais avec un bref exposé précédant le dispositif. Le texte, il est vrai, se qualifie à de nombreuses reprises de « dise zunfft und zunfftrecht47 » : plus encore que toute autre, cette charte entend faire de la Zunft et des Zünfte le cœur de l’ordre juridique urbain. Réglementer l’exercice des différentes professions est un domaine législatif essentiel, dans toutes les villes avec ou sans Zünfte : partout ailleurs, cependant, c’est sous forme de décisions du Conseil, éventuellement intégrées dans un code de droit, voire par des décisions autonomes des métiers, que des domaines comme l’entrée dans le métier, la concurrence entre professions ou l’organisation de l’apprentissage sont réglementés, et souvent au fil des besoins plus que sous forme de codification générale : l’absence de sources secondaires venant éclairer les circonstances de rédaction de la charte de Pfullendorf ne facilite pas l’explication de cette conjonction unique, mais elle témoigne du moins du poids que prennent dès lors les métiers dans la gestion politique de la ville. Cela dit, même si elle délimite soigneusement le champ de l’autonomie des métiers (p. 167), la charte ne s’intéresse qu’à peine aux structures internes du métier, à une importante exception près : elle prévoit en effet que les inspecteurs chargés dans chaque métier de veiller au respect des règles professionnelles devront être désignés en commun par le maire et les Zunftmeister (p. 169-170). Les patriciens

Les patriciens, eux, occupent dans les régimes de métiers une place variable. Simple parité qui accorde à cette étroite élite une égalité avec la masse des membres des métiers ou dissolution dans le droit commun qui fait du patriciat une zunft comme les autres, l’éventail est large, mais les patriciats des villes de Souabe et des régions voisines ne sont pas les plus mal traités48 : même à Memmingen où les patriciens 47 Par ex. p. 161 : Zunft est à comprendre dans son double sens habituel (« accord » en même temps que « régime de métiers ») ; zunftrecht, « droit des métiers », décrit à la fois la règlementation interne des métiers et ce qui les constitue comme entité juridique. 48 Cf. par contraste B. Kannowski, Bürgerkämpfe und Friedensbriefe, p. 13 : lors de l’introduction d’un régime de métiers à Magdebourg (1330), Mayence (1332) ou Cologne (1397), le patriciat perd toute influence politique en tant que groupe constitué.

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doivent accepter de constituer une zunft et où les autres métiers prennent soin de restreindre leur prééminence, le poste de maire continue à leur être réservé jusqu’aux dernières décennies du xve siècle, à vrai dire sans qu’on sache quelle influence réelle cette dignité offrait réellement dans les affaires politiques de la ville49. Le mot « patriciens », couramment utilisé par les historiens aussi bien en France50 qu’en Allemagne, est dans le contexte des villes de la fin du Moyen Âge trop anachronique pour qu’il en soit fait usage sans explication. Sans doute trouve-t-on, dans la seconde moitié du xve siècle, les premières attestations d’une réinvention du mot, par exemple par le chroniqueur Sigismund Meisterlin dans la version allemande de sa chronique de Nuremberg (1488), où le mot est conservé dans sa forme latine51 ; mais le mot ne figure pas, ni aucun équivalent exact, dans les chartes constitutionnelles de toutes ces villes. Le mot n’y figure certes pas, mais la chose s’y trouve : ce que, dans ce contexte, nous appelons patriciat, ce n’est pas une appréciation qualitative de l’appartenance de telle ou telle famille à des cercles élitaires, en termes de mode de vie, de richesse ou d’alliances matrimoniales, tels qu’ils caractériseront le patriciat de l’époque moderne52. Il s’agit au contraire d’une catégorie juridique définie par des privilèges politiques – l’accès exclusif au Conseil dans les régimes proprement patriciens, l’accès à des sièges et à des magistratures qui lui sont réservés dans les régimes de métiers : ce n’est pas une appréciation subjective fondée sur le prestige social, la richesse ou les stratégies matrimoniales, mais une appartenance clairement limitée et consciente aussi bien chez ceux qui en sont que chez ceux qui n’en sont pas.

49 Lors du procès de 1470-1471, l’absence de voix du maire dans les votes au Conseil fait partie des griefs des patriciens (Augsburg, SA, Reichsstadt Memmingen Urkunden 394, point 1). 50 Cf. la mise au point de Pierre Monnet, « Doit-on encore parler de patriciat dans les villes allemandes de la fin du Moyen Âge ? », Bulletin d’Information de la Mission Historique Française en Allemagne 32 (1996), p. 54-66, à laquelle j’adhère entièrement, même si sa mise en œuvre peut être dans certaines villes plus difficile que pour d’autres (cf. K. Graf, « Gmünd im Spätmittelalter », p. 115-116). On pourrait citer un très significatif passage relatif à Isny dans une enquête fribourgeoise de 1476 (T. Scott, Die Freiburger Enquete von 1476, p. 11 : « Item da ist kein sondrung der personen, gand all züsamen an ein tancz, doch haben die burger ein sonder zer stuben und gond costlich in marder, veh und siden » (Item il n’y a ici pas de séparation des personnes, tous vont ensemble au bal, mais les bourgeois [= ici patriciens] ont leur propre auberge et ils vont vêtus sublimement de martre, de vair et de soie). 51 CDS 3, p. 151 : après la révolte des métiers de 1348-1349, la ville est « wider in das recht regiment gesetzt, daß sie durch patricios wirt geregieret » (placée de nouveau sous le bon gouvernement, de sorte qu’elle est gouvernée par les patriciens) ; cf. aussi, au sujet du même épisode, les extraits faits par Hartmann Schedel d’une chronique de 1459 (ibid., p. 275) : la révolte, écrit-il, est dirigée « wider den ratte, die regirer und erberen altes geslechts » (contre le conseil, ceux qui gouvernent et les honorables d’ancien lignage). Le mot constofel, qu’on connaît par exemple à Strasbourg et à Zurich pour désigner les patriciens, n’est présent dans aucune de nos villes. 52 C’est ce que fait Bernhard Brenner, « Gab es Patrizier auch in Nördlingen und Donauwörth? Zur Ausprägung bürgerlicher Führungsgruppen in Reichsstädten während des Spätmittelalters und der beginnenden Frühneuzeit », in Stadt und Land in der Geschichte Ostschwabens, dir. par R. Kiessling, Augsbourg, Wißner, 2005 (Veröffentlichungen der Schwäbischen Forschungsstelle Augsburg der Kommission für Bayerische Landesgeschichte 10), p. 29-70, et qui l’amène nécessairement à répondre par la négative à la question qu’il pose, sans parvenir à l’inverse à caractériser plus précisément ceux qui, comme le disent les sources, n’appartiennent pas aux métiers.

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Dès lors que la détermination de leur position politique est un enjeu essentiel des chartes constitutionnelles, le vocabulaire employé pour définir cette catégorie n’est pas sans importance53. Dans certaines villes, il faut se contenter d’une périphrase : à Ulm en 1345 et en 1397, ils sont « die burger, die nit der zunft sind » (les bourgeois qui ne sont pas dans les métiers), de même qu’à Reutlingen en 134354 ou à Esslingen en 1376 ; à Rothenburg en 1455, dans une charte qui n’institue pas de métiers, la périphrase parle des « burgern, die niht hantwerk können noch getrieben haben » (bourgeois qui ne connaissent pas de métier et n’en ont pas pratiqué). Dans la seconde charte de Reutlingen (1374), les patriciens sont au contraire décrits, comme c’est souvent le cas dans d’autres types de sources, comme étant des « bourgeois » dans un sens étroit55 (« die zwölf von den burgern », p. 78, par opposition aux douze membres de chaque métier allant au Grand conseil). À Pfullendorf (1383, p. 162), ils sont les « Můssicgengner die under dem Burgermaister sint » (oisifs qui sont sous le maire) – tout comme les conseillers des métiers, ils lui prêtent serment, mais les patriciens n’ont pas de maître de métier auquel ils auraient en outre à prêter serment. La frontière statutaire, dans cette ville, est cependant particulièrement peu hermétique : dès lors qu’un étranger reçoit le droit de bourgeoisie sans exercer d’activité professionnelle relevant des métiers, il n’est pas tenu d’entrer dans un métier, si bien que, dans cette modeste ville où le danger d’une mainmise excessive d’élites commerçantes n’est pas bien grand, les principes mêmes de la distinction sociale patricienne, par l’honneur et par le lignage, ne sont pas de mise. Il faut ainsi bien entendre en son sens fort l’oisiveté qu’attribue la charte à ce groupe social : contrairement au patriciat augsbourgeois qui a continué à prospérer par le commerce, c’est à une économie rentière, somme toute peu surprenante dans une ville où les activités agricoles restent essentielles, que la charte renvoie ceux qui ne s’intègrent pas dans les métiers nouvellement créés à cette forme de profit. Au xve siècle, d’autres mots viendront décrire ce groupe social : le mot herren, à Augsbourg notamment, viendra désigner les patriciens membres du Conseil (« von den herren » dans les listes du Conseil) ; plus encore, le mot geschlecht, lignage,

53 L’anachronisme est d’autant plus tentant et dangereux que les historiographes et patriciens du xvie siècle ont utilisé la position prééminente des patriciens dans les villes de la fin du Moyen Âge comme justification historique de leur supériorité, quitte à opérer des reconstructions mythiques, cf. pour Constance les remarques de Christof Rolker, Das Spiel der Namen. Familie, Verwandtschaft und Geschlecht im spätmittelalterlichen Konstanz, Ostfildern, Thorbecke, 2014 (KGR 45), p. 264-275, et pour Augsbourg l’histoire de la Stube patricienne (D. Adrian, Augsbourg à la fin du Moyen Âge, p. 322-323). 54 La charte d’Ulm utilise aussi la périphrase « die nit der antwerk sint » : ici comme à Rothenburg, la définition est moins institutionnelle que professionnelle, mais les conséquences de cette distinction sont clairement politiques. 55 Cette ambiguïté du mot burger, principale dénomination des patriciens (par traduction du latin burgenses qui tend à prendre le dessus sur cives au moment même où les patriciats prennent forme au xiie siècle) dans les chartes constitutionnelles en même temps que désignation de l’ensemble des membres du corps civique est une constante du vocabulaire de nos chartes, cf. déjà E. Maschke, « Bezeichnungen für mittelalterliches Patriziat im deutschen Südwesten », in Bausteine zur geschichtlichen Landeskunde von Baden-Württemberg, dir. par la Kommission für geschichtliche Landeskunde in Baden-Württemberg, Stuttgart, Kohlhammer, 1979, p. 175-185, ici p. 183-185.

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entrera dans les mœurs, non sans relation avec les efforts constants de distinction sociale suivis par les principaux intéressés. Une charte dans l’entourage immédiat de la charte jurée de 1397 à Ulm parle d’ailleurs, de manière précoce, de « alle burger baidiu der geschlachter und der zunfften » (tous les bourgeois, ceux des lignages et ceux des métiers), formule qui n’est pas reprise dans la charte jurée56. Néanmoins, le mot burger dans son sens étroit57 est au xive siècle, malgré son ambiguïté, certainement la désignation la plus courante des patriciens : on la trouve à Augsbourg en 1368, à Esslingen tout au long du siècle58, à Heilbronn (charte impériale) en 1371, en opposition à gemeinde59 ; cependant, d’autres chartes utilisent aussi le mot burger lato sensu, par exemple à Biberach en 1374 (charte du bailli impérial), à Pfullendorf (1383) : dans ce cas, la différence entre les deux groupes sociaux est simplement gommée, ou plutôt recouverte par la distinction entre ceux qui font partie d’un métier et les autres. À Weißenburg (1377), ce sont « Wir die burger vom rat und die bürger der gemein gemeingklich » (Nous, les bourgeois du Conseil et les bourgeois du commun, tous ensemble) qui se présentent comme les auteurs de la charte : le Conseil, ce n’est donc pas seulement une institution politique, c’est un critère juridique de distinction sociale, et dans cette petite ville il n’est pas invraisemblable qu’il y ait en effet assez de postes de conseillers pour tous les chefs de famille patriciens ; la formule binaire peut sans doute se lire comme une double revendication, celle des patriciens à être par excellence le Conseil face à celle des membres du commun à être, eux aussi, de véritables bourgeois de plein exercice, face à la tendance fréquente dans les sources de définir burger dans un sens étroit comme synonyme de « patricien ». Dans la suite de la charte, cependant, le mot purger n’est employé qu’une fois, dans son sens générique, qui est celui de l’usage courant : dans cette charte où il n’est pas question de Zünfte, mais où les patriciens ne semblent pas garder d’autres prérogatives que celles que leur donne leur statut social, cette distinction initiale semble n’être qu’une concession momentanée destinée à être dépassée par la pratique60. Il est frappant de constater dans la charte de Villingen en 1324 qu’aucun mot n’est employé pour décrire les patriciens : dans les chartes des trois décennies précédentes, on trouvait pourtant une répartition de la société qui se reflétait dans le Conseil, « die

56 Texte cité par D. Reuter, « Der große Schwörbrief », p. 123. 57 Cf. une glose aux décrétales d’Innocent III citée par J. Sydow, « Elemente von Einheit und Vielfalt in der mittelalterlichen Stadt… », p. 88 : « nomine populi comprehenduntur patricii et senatores », parallèle à cette conception d’un corps proprement civique restreint à ses élites fonctionnelles au moins autant que sociales ; il est cependant difficile d’estimer à quel point cette pensée juridique était diffusée dans nos villes. 58 La charte de 1316 (§ 1) précise que les « burger » d’une part, « die zunftmeister, die zunfte und die gemeinde » d’autre part doivent conserver leurs droits respectifs. En 1376, le texte précise « die burger, die nit in den zunften sint » (les bourgeois qui ne sont pas dans les Zünfte), précision que n’emploie pas la charte de Reutlingen de 1374, pourtant utilisée ici comme modèle, mais sans aller jusqu’à employer le mot lato sensu, de même qu’en 1392. 59 Ce mot, du reste, peut aussi être employé lato sensu, en incluant donc l’ensemble des bourgeois, patriciens compris, cf. Memmingen 1347. 60 Cf. aussi le cas de Mosbach, qui oppose en 1337 les « richter » (juges) et le commun.

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denne des rates werdent pflegen oder der antwerk oder der müßiggenger61 » (ceux qui se chargeront du Conseil, soit des arts soit des oisifs). La charte constitutionnelle des comtes de Fürstenberg évite le sujet. Les patriciens y sont en effet présents par le biais des juges, qui sont la prolongation du Conseil patricien que, depuis les années 1290, les maîtres de métier sont venus compléter : il s’agit donc, au moins en théorie, de patriciens. Le point commun entre toutes ces désignations, auxquelles on peut reprocher d’avoir le manichéisme d’une vision théorique plutôt que l’inévitable complexité de toute réalité juridique, c’est bien d’établir une frontière nette. Il y a toujours d’une part ceux qui se définissent par l’otium ou par l’accès exclusif au Conseil, et les autres. On trouve certes un vocabulaire de la supériorité sociale chez les chroniqueurs des troubles de 1342 à Constance, « regentes civitatem », « melior[es] » par opposition aux « mechanici, mercatores ac populares62 » : les chartes constitutionnelles, elles, ne font pas usage ce vocabulaire de la supériorité sociale, et ce n’est certainement pas un hasard. La charte de Friedrich von Zollern en 1371, formalise de manière particulièrement nette cette dichotomie : elle est sinon l’invention, du moins le point de fixation de l’expression « alte geschlechter » (anciens lignages) qui désignera le patriciat de Constance pour les siècles qui suivent, en leur réservant même l’adjectif erbar (honorable) qui sera au siècle suivant dans de nombreuses villes un terme discriminant de supériorité sociale. Quelques années après la création de la société patricienne Zum Katz, cette terminologie nouvelle63, fixée au moment même où les patriciens perdent du terrain face aux métiers dans le gouvernement urbain, est caractéristique de l’évolution des identités patriciennes à la fin du Moyen Âge : l’ancienneté et l’honneur viennent alors renforcer la supériorité sociale et l’exclusivité politique. La plupart des chartes que nous étudions invitent cependant à ne pas anticiper cette construction identitaire dont l’apparition, au contraire, est souvent une conséquence à long terme de la perte de cet élément structurant qu’était l’exclusivité politique. Pour le xive siècle, on dispose de trop peu de sources pour évaluer dans chaque ville le poids démographique et économique des familles patriciennes, mais la diversité des situations, en cette matière comme en bien d’autres, est sans doute le fait le plus marquant. Le Grand conseil de Constance (1371) compte pas moins de 140 membres, dont la moitié sont patriciens : il est rare que les patriciens soient aussi nombreux dans une ville, et c’est ce qui explique largement la pérennité de leur poids politique et la longue durée des conflits autour de ce poids, sans pour autant totalement empêcher leur déclin démographique. À Augsbourg, au contraire, il faut

61 Par exemple C. Roder, Villingen, p. 7 (1294). 62 Cf. supra, p. 38. Dans son récit d’une révolte contemporaine à Winterthur, Johann von Winterthur, Chronik p. 190, parle également de « pocioribus ». Cf. aussi, de manière très isolée, le terme employé par le duc Léopold de Habsbourg en 1392 : « edeln » (nobles, Fribourg 1392, passim) ; son successeur Albrecht l’emploie également en 1454, sans doute par imitation. 63 Cf. sur ces questions terminologiques la démonstration serrée de C. Rolker, Das Spiel der Namen, p. 264274 – la réinvention par les patriciats de l’époque moderne de leur propre histoire comme fondement identitaire est un phénomène que l’historiographie a longtemps sous-évalué, conduisant souvent à une mauvaise compréhension de la position sociale des patriciats de la fin du Moyen Âge.

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plutôt compter sur quelques dizaines de familles, et la pérennité du système politique de 1368 est grandement facilitée par le déclin démographique du patriciat dans les décennies suivantes, déclin aggravé par la fermeture du groupe décidée par le Conseil en 138364 : Augsbourg évite ainsi une des tares du système de Constance, où le patriciat se renforce en intégrant les familles les plus aisées des métiers, certainement grâce à une faiblesse déjà marquée du patriciat. Une interdiction des activités commerciales à ceux qui n’étaient pas dans les métiers en 1368 avait conduit de nombreuses familles patriciennes à entrer dans les métiers, et même si l’interdiction n’avait pas duré, ce transfert avait eu des conséquences sur le poids économique du patriciat, qui cesse rapidement d’occuper la totalité des quinze postes que les textes de 1368 lui octroyaient. À cette élite ainsi définie par sa singularité économique ou son exclusivité politique, il va falloir donner une place dans le nouveau système et la faire accepter par les principaux intéressés. Le témoignage d’un patricien de la ville de Spire dans la seconde moitié du xive siècle montre bien que ce n’était pas évident : il faut savoir, dit-il, « in den alten zeitten, daß zwölff von den alten einen ewigen rath besassen und den besassen mit großen ehren, würde, friden unndt gemach des raths, des landts unndt der statt65 » (dans les temps anciens, que douze des anciens possédaient un Conseil éternel, et le possédaient avec grand honneur, dignité et paix, pour le profit du Conseil, du pays et de la ville) : au nom de quoi devrait-on donc les priver d’un droit patrimonial exercé sans qu’ils aient démérité ? C’est ce qui explique que, dans beaucoup de cas, le Conseil est constitué à la fois de « conseillers » proprement dits, héritiers du Conseil patricien préexistant, et de représentants des métiers désignés d’une autre manière, souvent simplement zunftmaister66 : la raison de cette juxtaposition est donc historique ; elle ne marque pas une infériorité des maîtres de métier par rapport aux conseillers. Mais cette mesure de prudence n’est pas toujours nécessaire, et l’attitude des métiers parvenus à leur but peut être moins complaisante avec les patriciens. Dans le cas de Schwäbisch Hall en 1340, ils ont même en cela l’approbation de l’empereur : plusieurs chartes témoignent que le souverain soutient le Conseil dans sa volonté de ne pas pardonner aux patriciens qui s’étaient exilés par hostilité aux métiers67. La perte d’influence des patriciens est cependant souvent inscrite de manière on ne peut plus explicite dans certaines chartes : à Augsbourg (1368 II), leur délégation au Conseil, minoritaire mais assez nombreuse68, est nommée par les seuls conseillers 64 D. Adrian, Augsbourg à la fin du Moyen Âge, p. 186. 65 A. Hilgard, Urkunden zur Geschichte der Stadt Speyer, p. 497. 66 Cf. aussi dans la ville territoriale (évêque de Spire) de Landau la cohabitation des « zwölfen, die vor in dem rate sitzent » (les douze qui étaient précédemment au conseil) et des Vingt-quatre (Fr. J. Mone, « Stadtordnungen vom 14. bis 16. Jahrhundert », p. 402-405). 67 Stuttgart, HSA, H 51, U 422 (28 janvier 1341) et surtout U 423 (24 mars 1341) : Louis de Bavière donne l’autorisation au Schultheiß Perler, au maire Hermann Lecher et à un de ses secrétaires de mettre en vente les biens des exilés. 68 La charte de 1368 (II, p. 149) leur accorde quinze sièges face aux vingt-neuf délégués des métiers ; les premières listes du conseil conservées, qui datent de la première décennie du siècle suivant ne comportent cependant que huit noms pour chaque année, en raison du déclin démographique du groupe (Augsbourg, StA, Ratsbuch 271 et 272).

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des métiers ; c’est aussi le cas à Pfullendorf, du moins pour les délégués patriciens au Grand conseil : quant au Petit conseil, ce sont les six maîtres de métier et le maire qui élisent les onze autres membres du Conseil, sans place spécifique réservée aux patriciens. À Ulm (1397) cependant, on prend soigneusement la peine de leur accorder des garanties : certes, il s’agit d’un serment réciproque engageant les patriciens d’une part, les bourgeois des métiers d’autre part, à ne pas nuire à l’autre partie, mais la formulation du passage montre que les patriciens, ici, sont en position de faiblesse : ils doivent soutenir les métiers qui, eux, doivent jurer de protéger les patriciens et d’empêcher qu’il leur soit fait du tort69. L’organisation de cette participation politique peut se faire, comme à Memmingen, par l’intégration obligatoire des patriciens en une Zunft parmi d’autres – la charte de 1347 est trop sommaire pour qu’on sache si ce fut immédiatement le cas, mais le terme qui désigne cette Zunft patricienne, « die gross zunft » (le grand métier) est attesté dès 136870 ; à Pfullendorf (1383), les patriciens ne constituent pas une Zunft et n’ont pas de Zunftmeister, mais ils ont des Sept qui les représentent au Conseil, de la même façon que les Sept des Zünfte. Mais, si hostiles qu’ils soient au modèle des Zünfte, ne pouvaient-ils pas être tentés de se grouper sur d’autres bases pour peser eux aussi sur les décisions politiques ? C’est le sentiment de Christoph Heiermann pour Constance : l’arbitrage du burgrave Friedrich von Zollern en 1371 marque le moment où « la Katz [société patricienne] ne peut plus être considérée comme une société dont le seul but était d’entretenir la sociabilité entre ses membres. La désignation „politische Zunft“ peut être ici parfaitement employée pour la désigner. La Katz correspond ici aux corporations comparables des patriciens de Lindau, Überlingen et Ravensburg »71. La Katz de Constance ou la Sünfzen de Lindau ont-elles donc été des lieux de pouvoir politique ? Constance est la seule des villes citées par Heiermann où des chartes constitutionnelles détaillées peuvent nous informer sur le rôle politique des sociétés patriciennes. La moisson est bien pauvre : à aucun moment elles ne sont explicitement mentionnées, et tous les cas où les patriciens sont évoqués les prennent comme individus isolés, et non comme membres d’une collectivité politique. Née sans doute dans les années ayant suivi le premier Bürgerkampf (1342)72, la société Zur Katz a certainement une importance sociale considérable que viendra rappeler, lors du séjour de Sigismond à Constance dans les semaines qui suivent la charte de 1430, le poème d’Oswald von Wolkenstein73 qui évoque un bal au siège de la Katz, mais

69 Ulm 1397, p. 508-509. 70 Memmingen, StA, A 315/1, fol. 54r. 71 C. Heiermann, Die Gesellschaft „Zur Katz“ in Konstanz. Ein Beitrag zur Geschichte der Geschlechtergesellschaften in Spätmittelalter und früher Neuzeit, Stuttgart, Thorbecke, 1999 (KGR 37), p. 130. L’expression « politische Zunft » renvoie aux travaux de K. Schulz, « Die politische Zunft… ». 72 C. Heiermann, ibid., p. 35-36 (seule la mention d’un meurtre d’un patricien par un autre dans la maison du même nom en 1363 me paraît cependant hors de doute). 73 Cité par Heiermann, ibid., p. 186 (Oswald von Wolkenstein, Die Lieder Oswalds von Wolkenstein, éd. B. Wachinger et K. K. Klein, Berlin/New York, De Gruyter, 20154 (Altdeutsche Textbibliothek 55), p. 236-237).

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aucun des textes constitutionnels que nous étudions, à Constance pas plus qu’ailleurs, ne reconnaît aux patriciens une organisation propre, sinon là où ils rentrent dans le droit commun des Zünfte. Il est fort possible que les sociétés patriciennes puissent servir de lieu de mobilisation politique, mais les sources témoignent clairement qu’un rôle institutionnel ne leur est jamais reconnu, même par évolution ultérieure de la pratique institutionnelle, et même quand le Conseil, à partir de la seconde moitié du xve siècle, se comporte en autorité dominée par les élites sociales. Il y a, certes, à Rottweil une assimilation de la Herrenstube à la Zunft des patriciens, d’après un règlement de 1503, mais la mesure est supprimée dès l’année suivante74 : produit du triomphe momentané d’un des partis en présence, elle n’aura pas duré, comme c’est le lot commun des mesures extrêmes prises dans ce genre de cas.

Le système des Conseils Pour rendre efficaces les principes qui les inspirent, ceux qui rédigent les chartes mettent le salut de la ville d’abord dans la bonne organisation de l’instance centrale du gouvernement municipal, la plus ancienne de toutes75, la plus universelle aussi dans le réseau urbain d’Allemagne du Sud. Le Conseil, dans les villes que nous étudions, est l’instance politique centrale, et elle l’est depuis plusieurs décennies au moment où les Zünfte y obtiennent une place. Les chartes constitutionnelles ne prennent donc pas la peine de justifier son existence, ni même d’en justifier la compétence par la délégation des droits des bourgeois comme on le lit à Coblence en 130076, après qu’aient été désignés nommément 29 conseillers : « den geben wir volmächtige maicht und sunderlichen oirlof zu doin, zu werben, zu laissen » (nous leur donnons pleine puissance et particulière licence de faire, d’agir, de ne pas agir), pour le bien de la ville et de l’évêque de Trèves. C’est l’idée de la conjuratio des bourgeois comme fondement juridique de la communauté politique qui agit dans ce texte, et c’est précisément ce qui n’est pas présent dans les chartes des villes méridionales de l’Empire. Le principe de collégialité mis en avant par Gerhard Dilcher se double dans toutes les villes étudiées par une cohabitation de plusieurs instances du Conseil, sous les noms les plus divers (Petit et Grand conseil, Conseil des anciens, ancien et nouveau Conseil, Conseil intérieur et extérieur77…). Le cas général est la présence d’un Petit 74 J. Leist, Reichsstadt Rottweil…, p. 70, d’après Greiner, Das älter Recht der Reichsstadt Rottweil, p. 227-228 et 247. 75 Cf. les développements de H. Rabe, Der Rat der niederschwäbischen Reichsstädte…, p. 79-102, sur l’émergence du conseil en Allemagne du Sud. 76 Texte cité par W. Ebel, Der Bürgereid als Geltungsgrund und Gestaltungsprinzip des deutschen mittelalterlichen Stadtrechts, Weimar, Böhlau, 1958, p. 22, n. 1. 77 Weißenburg 1377, Rothenburg 1455, où des processus de désignation croisés (les seize membres du conseil intérieur désignent les quarante membres du conseil extérieur, et vice versa) renvoient à un fonctionnement très différent du cas général où le Grand conseil tire sa légitimité de sa représentativité plus directe. À Villingen, les termes alternent entre conseil ancien et nouveau (C. Roder, Villingen, p. 11, 1303) et conseil inférieur et supérieur (p. 12, 1306), ce qui montre bien que c’est essentiellement la dualité qui compte, quitte à dire simplement « der rat » là où il n’est pas besoin de faire de distinction.

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conseil et d’un Grand conseil, mais d’autres instances peuvent s’y ajouter, soit pour augmenter la capacité de prise de décision du Petit conseil par une restriction du nombre de membres, soit pour augmenter la légitimité représentative du Grand conseil en l’élargissant encore. Reste que la cohabitation de deux instances essentielles, le Petit et le Grand conseil, semble constituer pour les législateurs urbains pour ainsi dire un fait de nature, corollaire de la nécessaire « disponibilité » (Abkömmlichkeit) mise en avant par Max Weber78 : dans un monde politique dont les responsables politiques ne sont pas rémunérés, l’exercice des fonctions publiques constitue une charge, au sens le plus fort du terme ; il faut donc trouver une solution pour que les affaires courantes ou secrètes de la ville puissent être traitées avec toute la célérité et toute l’efficacité possibles, sans pour autant exclure de la prise de décision politique ceux qui ne peuvent se permettre de consacrer aux affaires publiques plus que quelques heures éparses. Mais cette multiplicité apparente ne doit pas masquer un fait essentiel : sur quelque thème que ce soit, le Conseil dès lors qu’il est réuni, en quelque instance que ce soit, est le détenteur unique du pouvoir de décision, à l’inverse donc des régimes bicaméraux modernes. C’était le cas à l’époque patricienne, et c’est tout aussi vrai à l’époque des métiers. Dans les quelques cas où les chartes constitutionnelles ne décrivent pas un système dominé par les métiers, la dualité des conseils reste un élément essentiel, mais ce n’est pas tant la rhétorique de la masse représentative face au collège restreint plus efficace qui joue que l’idée d’élargir le cercle de réflexion à d’autres bourgeois, qui sont beaucoup plus les pairs des conseillers de plein exercice que les représentants d’une communauté civique plus large. En outre, les chartes imposent l’idée que les mandats des conseillers ou des magistrats doivent être annuels, ou du moins de courte durée – la charte augsbourgeoise de 1340 (p. 355) pose ainsi le principe d’un renouvellement annuel du Conseil par moitié dès le début de son dispositif, certainement sur demande des non-patriciens ; ce n’est pas une évidence dès lors que les conseils patriciens gardaient souvent leurs mandats à vie, avec une très faible rotation qui favorisait un fonctionnement autarcique et intéressé. Il ne s’agit pas ici de permettre à des bourgeois moins fortunés de participer à la gestion des affaires publiques sans avoir à s’engager à vie, dès lors que les conseillers restent jusqu’en 1368 exclusivement patriciens, mais cette soumission répétée à un processus de désignation vise certainement à instituer un contrôle régulier des conseillers. La charte de 1368 (II, p. 149) maintiendra ce renouvellement par moitié, où les conseillers présents une seconde année assurent la continuité avec les nouveaux élus, mais le cas général est l’élection annuelle de chacun. Plus visible encore là où la vacance de toutes les charges avant l’élection des nouveaux titulaires est proclamée par la charte, comme à Reutlingen (1374) et Esslingen (1376), cette annualité de principe nécessite cependant souvent des développements qui montrent qu’elle n’est pas si simple à appliquer : peut-on contraindre le titulaire d’un office à rester en place un an

78 M. Weber, Die Stadt, Gesamtausgabe Abteilung I, Band 22.5, éd. W. Nippel, Tübingen, Mohr, 1999, p. 146 et 171-172.

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de plus ? peut-on contraindre, à l’inverse, le titulaire à respecter une année de pause avant de reprendre le même office79 ? L’exercice des affaires publiques, autrement dit, est-il plutôt une charge pesante qu’on peut chercher à éviter ou un pouvoir dont on pourrait abuser ? Les deux interprétations ne sont pas entièrement contradictoires et sont permises en proportion variable selon les chartes. Mais comment fonctionne un Conseil, comment circule la parole, comment parvient-on à une décision ? Ce n’est pas, sans doute, ce qu’on attend aujourd’hui d’une constitution, mais plutôt du règlement intérieur des assemblées délibérantes – celui de l’Assemblée nationale française, issu d’une loi de 1959, fait actuellement une centaine de pages. Les chartes constitutionnelles de nos villes ne sont pas très prolixes ; les textes pertinents en la matière peuvent être les codes de droit (mais restent-ils sur ces questions encore en vigueur quand ils datent de l’ère patricienne ?) ou des décisions prises par le Conseil lui-même, et mises par écrit ou non. La coutume est sans doute la source de droit essentielle : seule la charte de Heilbronn (1371, § 4) prévoit par exemple un jour de séance fixe, le mardi, sans qu’il soit besoin d’une convocation ad hoc ; la pratique politique montre que les séances étaient fréquentes dans toutes les villes, et la coutume suffisait certainement à régler cette question. Les chartes, cependant, laissent parfois entrevoir la subsistance de certaines des règles de fonctionnement traditionnelles des conseils patriciens, et plus précisément des deux règles les plus importantes. La première, visant à éviter la domination de clans familiaux dans les conseils, interdit la présence simultanée de trop nombreux membres d’une même famille ; c’est le cas dans les différentes chartes fribourgeoises comme à Esslingen en 1316 (§ 4), dans une charte où les métiers ne sont pas encore en majorité ; à Dinkelsbühl (1387, § 4), les métiers dominent largement le Conseil, mais la barrière censitaire mise en place restreint de la même façon l’accès au Conseil. Ailleurs, la diversité des métiers représentés et la démographie déclinante des patriciats rendent sans doute une telle précision inutile – même si des restrictions sont parfois ultérieurement mises en place, la pratique politique des décennies suivantes montre en effet que le risque n’était en effet pas grand. Le second principe subsistant est sans doute le plus familier pour nos contemporains : « Wes ouch der merer teil des rates […] zu rat wirt, das sol der minner teil volgen dem merern teile » (ce que décide la majorité du Conseil, la minorité doit suivre la majorité), comme le dit la charte de 1316 pour Esslingen. On peut y voir un simple principe de bon sens, le respect de la majorité constituant une garantie de la sérénité des débats. Dans le monde médiéval, ce principe purement numérique n’est pourtant pas une évidence, comme le montrent de nombreuses études autour des élections ecclésiastiques (pape, évêques, abbés…) et autour de l’élection de l’empereur80 ; la charte de Fribourg de 1248 79 Cf. Augsburg 1368 II, p. 149 (le conseiller sortant doit respecter une pause de deux ans, à moins qu’il ne soit convoqué à l’occasion – sans poste fixe donc – ou que son métier tienne à le conserver en poste, auquel cas il n’est pas tenu d’accepter cette prolongation), ou Reutlingen 1343, p. 48 (deux années de pause aussi bien pour le maire que pour les maîtres de métier). 80 Cf. notamment R. Schneider et H. Zimmermann (dir.), Wahlen und Wählen im Mittelalter, Sigmaringen, Thorbecke, 1990 (Vorträge und Forschungen 37) ; J. Gaudemet, Les élections dans l’Église latine des origines au xvie siècle, Paris, Lanore, 1979 (Institutions, société, histoire 2).

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(§ 5) évoque encore des décisions prises par la « majori aut saniori parti universitatis nostre » (la plus grande ou plus saine partie de notre universitas), mais elle est la seule de notre corpus à ne pas accorder toute confiance à la simple majorité numérique. L’idée de s’en tenir au nombre plutôt que de prendre en compte la qualité des votants n’est pas un signe distinctif du monde urbain, mais le degré d’évidence que, comme le montrent nos chartes, ce principe atteint dans les villes de l’Empire dès les premières décennies du xive siècle est tout de même frappant : une affirmation aussi nette qu’en 1316 disparaît des chartes suivantes d’Esslingen, et si des formules similaires sont encore présentes à Memmingen (1347) ou Pfullendorf (1383, p. 165), la plupart des chartes en font une évidence tacite. Tout au plus en trouve-t-on, à la fin du xive siècle, des échos discrets : à Dinkelsbühl, en 1387 encore, il est question de « die ahtzehen man oder der merer teil » (ces dix-huit hommes ou la majorité d’entre eux)81, qui sont en quelque sorte un écho de cette règle ancienne. Le besoin de rappeler de façon plus ou moins directe la prééminence de la majorité tient peut-être autant du respect de traditions ancrées dans le passé patricien que de la reconnaissance de cette fragilité inhérente à toute décision politique, instantané toujours partiel que rien ne protège de la contestation, sinon la force créatrice de la fiction politique. Il en va de la prise de décision au sein d’une assemblée comme des élections où, comme le dit Pierre Rosanvallon : « le principe électoral de majorité ne vaut que comme une fiction empirique de la volonté générale82 », fiction d’ailleurs profondément ancrée dans l’histoire juridique de l’Occident83. La victoire sans appel de la majorité, contre les contestations ultérieures d’une minorité qui peut s’estimer plus légitime ou plus compétente, est une solution pragmatique au nom de l’efficacité politique, et c’est bien dans ce sens que nos chartes l’emploient. La redécouverte par le droit canon du principe majoritaire affirmé par le droit romain ne s’est pas faite sans heurts, et si on peut supposer que les ordres mendiants ont pu, dans les villes, jouer un rôle moteur dans la mise en valeur de ce principe, son affirmation explicite dans ces quelques chartes montre qu’il ne s’agit pas d’une importation servile d’un principe extérieur, mais d’un choix volontaire, certainement informé par l’expérience des acteurs de la vie politique urbaine. Dans les quelques chartes (Augsbourg 1340, Munich 1403) où les métiers n’accèdent pas au pouvoir, et où les non-patriciens n’ont même à titre individuel pas accès au Conseil, le souci de garantir l’acceptation de l’autorité du Conseil par le reste de la population urbaine conduit à organiser un minimum de dialogue entre Conseil et commun : à Munich, le mot gemain (commun) est très présent, mais ce commun est étroitement défini (§ 4) : « all die haws und hof habend zů Munichen oder ein halb pfund

81 Cf. aussi Augsbourg 1368 I, p. 146 ; Heilbronn 1371, p. 124 ; Isny 1381, p. 245 (« mit der maisten kur und dem merren tail » : avec le plus grand nombre de votes et la plus grande partie [des électeurs]) ; Rottweil 1378, p. 173. 82 P. Rosanvallon, Qu’est-ce qu’une société démocratique ? [enregistrement en ligne], Cours du Collège de France, 6 janvier 2010, disponible sur [consulté le 20 décembre 2019]. 83 Cf. les références au droit romain citées par K. Ganzer, « Das Mehrheitsprinzip bei den kirchlichen Wahlen des Mittelalters », Theologische Quartalschrift 147 (1967), p. 60-87, ici p. 63.

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Municher pfenning ze stewr geben » (tous ceux qui ont maison et cour à Munich ou qui paient une demi-livre de deniers de Munich d’impôt). Cette limitation censitaire fait penser à la règle fixée à Dinkelsbühl pour la participation directe au Conseil84, mais elle s’applique ici à tous les niveaux de la participation politique, y compris le plus sommaire, celui de recevoir collectivement le serment des responsables politiques et de leur prêter serment en retour. Il n’en reste pas moins que de telles restrictions sont exceptionnelles dans l’ensemble des villes étudiées : si les élites dominent partout dans les instances politiques, ce n’est pas de droit, ni même parce qu’il y aurait une volonté discriminante dans les qualités que les chartes demandent aux élus ; c’est bien plutôt, dans une logique parfaitement bourdieusienne, la capacité d’élites définies par la fortune et par le prestige de modeler les valeurs dominantes de toute une société à leur avantage. L’idée sous-jacente de cette disposition est naturellement de tirer profit du pouvoir légitimant du commun, qui reste essentielle dans un monde où le Quod omnes tangit aristotélicien reste un idéal, tout en délimitant étroitement les risques contestataires qui lui sont associés85. La cérémonie du serment annuel décrite dans la charte de 1403 met en scène les relations d’autorité et de légitimation de manière particulièrement révélatrice : « Und wenn der rat und die gemain also auf das rathawse chömend, so sol der ausser rat sweren vor der gemain, als der ynner vor der herschaft getan hat86 » (Et quand le conseil et la commune sont ainsi venus à l’hôtel de ville, le conseil extérieur doit jurer devant la commune, de la même manière que le conseil intérieur l’a fait devant la seigneurie [= les ducs]). La commune ainsi définie peut donc, avec les trente-six membres des conseils, tenir dans la salle des séances de l’hôtel de ville, mais ce n’est pas tellement cette captation élitaire de l’idée de commune qui fait l’originalité du dispositif : ce que le Conseil intérieur jure aux ducs, le Conseil extérieur le jure à la commune, représentation biaisée de la communauté civique, mais représentation tout de même, et présentée par ce parallélisme comme détentrice d’une forme d’auctoritas, qui la rend détentrice d’une légitimité qu’elle transmet au Conseil extérieur. Le commun prête tout de même serment de défendre les intérêts des seigneurs en même temps que ceux de la ville. Il n’est donc pas surprenant que ce soit le commun qui dispose du droit exclusif de délibérer sur les sujets les plus brûlants, notamment en matière fiscale et militaires (§ 7 et 8), prérogatives qui sont ailleurs dévolues au Grand conseil et qui assurent au commun une existence et un poids politique réels87. 84 L’argument utilisé à Munich n’a rien à voir avec l’exigence d’Abkömmlichkeit (« disponibilité ») posée en principe par Max Weber et constamment répétée depuis par les historiens, mais l’infériorité morale des bourgeois moins fortunés, « unwissend und unfridleich und verdarben man » (hommes ignorants, peu pacifiques et dépravés), jugement qu’on retrouvera plus d’un siècle plus tard lors de l’abolition par Charles Quint des régimes de métiers (E. Naujoks, Kaiser Karl V., par ex. p. 52 : « ungeschickte, unerfarne, untaugliche Leut » [des gens inhabiles, inexpérimentés, incapables]). 85 Cette captation de vocabulaire ne peut que faire penser à celle mise en place sur le même thème dans les villes de Haute-Souabe, cf. supra. 86 Munich 1403, § 5. 87 Le poids est d’autant plus grand que le texte prévoit notamment la consultation du commun quand il est question de « donner des biens à la seigneurie » : le commun est donc impliqué jusque dans la relation entre la ville et ses seigneurs (une charte fribourgeoise de 1364 prévoit dans le même esprit que

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Le Petit conseil

La grande affaire des chartes est la définition de la composition du Conseil, et principalement de son instance centrale appelée généralement Petit conseil, avec un préalable inévitable, la question de la continuité de ce Conseil avec le Conseil patricien précédent. Dans de nombreux cas, la charte ne fait pas référence aux pratiques antérieures : c’est le cas le plus simple, le plus conforme à ce que nous attendons d’une constitution, non pas une réforme mais une fondation. Souvent, cependant, une telle tabula rasa institutionnelle serait en contradiction avec les objectifs pacificateurs de la Zunft. Plutôt que de retirer aux conseillers patriciens leur fonction, on préfère souvent les conserver en place en leur adjoignant de nouveaux collègues issus des métiers. On peut alors qualifier anciens et nouveaux membres, à égalité, de conseillers, mais le choix est souvent fait de conserver aux conseillers patriciens une dénomination ancienne (Schöffen/échevins88 ou plus souvent Richter/juges89), en réservant le mot « Conseillers » à leurs nouveaux collègues. Cette distinction terminologique ne correspond pas à des fonctions différentes, encore moins à une hiérarchie au sein du Conseil. On parlera alors des « juges et Conseillers » ou « juges et Zunftmeister » qui constituent ensemble le Conseil90. À Dinkelsbühl, le Petit conseil est explicitement composé de deux représentants de chacune des six Zünfte et de douze membres de l’« alter Rat » (ancien Conseil)91 : il n’est pas employé d’autre désignation pour caractériser ce groupe social et l’assimiler à ce que nous appelons patriciat, mais la référence à l’exclusivité politique qui était la les demandes du seigneur devront être débattues au conseil en présence d’au moins soixante conseillers, H. Schreiber, Urkundenbuch der Stadt Freiburg, p. 490-491). 88 Cf. à Haguenau en 1331 ( J. Klélé, A. Hanauer, Das alte Statutenbuch der Stadt Hagenau, Haguenau, Ulrich-Gilardone, 1900, p. 46-47) : 12 Schöffen et 24 membres « von den antwerken » ; cf. aussi Fribourg 1248, p. 702 : « Statuimus preterea alios viginti quatuor prioribus XXti IIIIor coniuratis fore adiungendos sine quorum consilio et consensu priores nec debent nec possunt commune negocium uile nostre aliquatenus ordinare ». 89 Par exemple Esslingen 1316 et Mosbach 1337, où il est précisé que les douze conseillers du commun ont les mêmes pouvoirs que les juges, à qui est cependant réservée la charge de siéger au tribunal (p. 64). 90 Cf. aussi la dualité présente à Augsbourg dans la première charte de 1368 (« der rat und die zunftmeister »), alors que la seconde, celle qui définit précisément le fonctionnement du gouvernement municipal au terme de trois semaines de réflexions et de consultations, ne parle que du conseil dans son ensemble. 91 Le même système semble en vigueur à Memmingen, qui n’est donc pas, du moins à l’origine, une « reine Zunftverfassung » (R. Kiessling, « Städtischer Republikanismus », p. 179) : les premières listes du conseil conservées (Memmingen, StA, A Bd. 1, à partir de 1446) montrent certes que les postes de « conseillers » proprement dits sont au moins autant occupés par des membres des métiers que par des patriciens, mais la dualité entre conseillers et Zunftmeister laisse penser que, comme dans la charte de Dinkelsbühl (1387), les conseillers étaient à l’origine les successeurs directs du conseil patricien, et certainement patriciens eux-mêmes. Une bipartition du même genre est prévue à Gengenbach, une petite ville d’Empire proche de Fribourg constamment engagée à divers seigneurs : dans le livre de droit réalisé vers 1460/1480, il est dit que « es sollen auch die vom jungen rot, sich widder die zwölff des alten rots oder ir regiment […] nit setzen » (K. Walter, Die Weistümer der Ortenau, p. 7 : « ceux du jeune conseil ne doivent pas se lever contre les douze de l’ancien conseil ou leur régime »), autrement dit que le conseil primitif de douze membres conserve une prééminence sur les délégués du commun, ce qui ne semble pas le cas à Memmingen.

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leur avant l’introduction des métiers établit une frontière suffisamment nette. Le Conseil d’Esslingen possède tout au long du régime des métiers une organisation composite, avec douze juges, six conseillers et treize maîtres de métier, « die zwelif richter, die sechs rautherren und die dryzechen zunftmaister » (les douze juges, les six conseillers et les treize Zunftmeister) évoqués encore dans la charte de 1392 (§ 1) et ses avatars ultérieurs : cette tripartition, qui n’induit pas des droits différents au sein du Conseil, est une survivance. Elle conserve le collège initial de douze conseillers patriciens auxquels s’ajoutent les maîtres de métier et, pour des raisons d’équilibre numérique, ces conseillers élus de façon complexe par les Zunftmeister et les juges – la charte précise pourtant que les juges et les conseillers peuvent être pris « uzz den burgern und der gemainde überale der stat ze Esslingen » (§ 2 : parmi les bourgeois et le commun dans l’ensemble de la ville d’Esslingen). Mais tous les bourgeois ont-ils la capacité juridique à être élus au Conseil ou aux différents offices ? La charte de Dinkelsbühl (1387) est un bon exemple de la capacité réelle des élites politiques locales à innover quand le besoin s’en fait sentir : non seulement elles recourent à une procédure inhabituelle d’arbitrage interne à la ville, réalisé par neuf bourgeois, mais elles parviennent à dessiner un système original qui recourt abondamment au jeu des pouvoirs et contre-pouvoirs. Confrontés à la pression des métiers désireux d’être représentés de la façon la plus large possible en même temps qu’à l’exigence de stabilité des élites, les médiateurs ont d’abord choisi de limiter l’accès aux Conseils aux bourgeois qui possèdent au moins cent florins – la mesure ne surprend que si on prend conscience que c’est un cas unique dans ce paysage urbain, où la prééminence des élites sociales est assurée par des biais plus subtils qu’une simple barrière censitaire ; mais, pour prévenir une contestation par les métiers, liberté leur est accordée de demander des dérogations au Conseil si un de leurs membres moins fortuné leur paraissait digne de représenter leurs intérêts92. A contrario, cette mesure unique souligne combien est grande partout ailleurs, la liberté de choix des électeurs. Sans doute cette ouverture ne signifie-t-elle pas une entrée massive des plus pauvres dans les instances dirigeantes, comme d’ailleurs dans tout système électif ancien et moderne, mais elle souligne aussi que le soutien populaire est un facteur de légitimation essentiel pour tous les détenteurs de fonctions politiques. Le critère de la richesse n’apparaît qu’à une seule reprise en dehors de cette charte de Dinkelsbühl : à Reutlingen en 1343, la charte prévoit que le Petit conseil peut convoquer, si le Grand conseil lui-même n’apparaît pas suffisant pour délibérer sur les affaires les plus graves, « der Richsten und der erbersten in der stat als vil, bis daz si dunche, daz ir genuog si die selben sache uszerichten93 » (autant de citoyens parmi les plus riches et les plus honnêtes jusqu’à ce qu’il leur semble qu’ils soient assez nombreux pour traiter de ces affaires). Dans une charte plutôt ouverte à une 92 B. Frenz, Gleichheitsdenken in deutschen Städten, p. 161, mentionne ce passage, mais elle en déduit que ceux que le métier souhaite ainsi mettre en avant deviendraient ainsi des sortes de porte-parole de leur métier, en complément des conseillers proprement dit, mais la phrase « der hat dann gewalt darumb uzz ze sprechen » (il a alors le pouvoir de décider à ce sujet) se rapporte au conseil et non au représentant choisi par le métier. 93 Reutlingen 1343, p. 48.

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représentation large du corps civique, cette collision du principe de représentativité et du recours privilégié aux meliores sonne comme une concession aux élites à qui, par ailleurs, le contrôle du Conseil est retiré. Cette disposition n’infléchit qu’à peine le constat tiré de la grande majorité des chartes : la sélection des conseillers n’est pas l’objet de longs développements, et seules quelques valeurs, quelques qualités générales (avec des mots comme witzig [avisé] ou erbar [honorable]), sont présentées, moins comme critère d’admissibilité que pour faire peser sur les électeurs le poids des conséquences de leur choix. La pratique politique prévoit parfois une procédure de validation des élus par le Conseil, et il est certain que les conseillers augsbourgeois ne se privaient pas de recourir à cette censure ex post – ce n’est cependant pas la charte de 1368 qui en décide94. De même, à Esslingen, une charte de 1335 prévoit que le Petit conseil aura le pouvoir de rejeter à la majorité un élu qui ne conviendrait pas aux conseillers en place, dans un contexte de crise intérieure95. Les chartes constitutionnelles, à Esslingen et ailleurs, ne comportent pas de telles dispositions : ce sont les mécanismes sociaux de la distinction qui sont à l’œuvre ; ils suffisent sans doute largement à exclure les groupes sociaux moins favorisés du Conseil, mais ils n’ont pas le caractère absolu qu’aurait une délimitation formelle de l’accès au Conseil. La répartition du pouvoir entre les différentes parties est avant toute chose confiée à une arithmétique politique, à laquelle les historiens ont appris, dans la lignée de Maschke, à ne pas accorder une confiance illimitée, mais qui mérite qu’on s’y arrête dès lors que les contemporains lui attribuaient des vertus politiques essentielles pour la stabilisation de la société politique. Sans doute le pourcentage précis des sièges attribués aux patriciens n’est-il pas la mesure irréfutable de leur influence politique, sans doute les élites les plus traditionnelles ne manquent-elles pas de moyens pour s’imposer au reste du Conseil. L’importance politique des chiffres n’est pas une nouveauté des régimes de métiers : les Douze ou les Vingt-Quatre, parfois nouveaux et anciens, sont des désignations courantes pour les conseils patriciens. L’arithmétique propre aux conseils des métiers a naturellement d’abord une fonction pratique dès lors qu’il faut en organiser l’élection, et la formulation des chartes a généralement la sécheresse pragmatique qu’on peut en attendre. Dans la plupart des cas, le compte est relativement simple, puisque chaque Zunft a le même nombre de représentants, mais quelques villes se distinguent en tenant compte du poids – démographique, économique – de chaque métier : à Augsbourg (1368 II, p. 148), les métiers ont droit à un ou à deux sièges selon la taille et l’honneur de chacun d’eux, mais la charte ne précise pas quels métiers bénéficient d’un second siège ; à Ulm, la charte de 1397 (p. 260) précise la répartition des quarante postes, et notamment des trente postes réservés aux quatorze métiers, qui disposent chacun d’un à trois sièges : la répartition tient visiblement compte, comme le disent les Augsbourgeois, de la taille et de

94 D. Adrian, Augsbourg à la fin du Moyen Âge, p. 192-193. 95 UB Esslingen I, p. 330 ; cf. sur le contexte M. Häberlen, « Studien zur Verfassungsgeschichte der Reichsstadt Eßlingen », Württembergische Vierteljahrshefte für Landesgeschichte Neue Folge 21 (1912), p. 1-68, ici p. 35-36.

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l’honneur de chaque métier. La disproportion d’un métier à l’autre reste cependant limitée et ne permet pas à un métier, ou à un groupe cohérent de métiers, de dominer sans partage le Conseil. Cette arithmétique ne joue cependant pas que dans les équilibres internes propres au Conseil de chaque ville. Dans le processus de désignation même, des jeux de nombre sont utilisés pour rendre le processus électoral indépendant des influences extérieures et des mouvements contingents de l’opinion, dans la même logique que les différentes étapes de l’élection du doge de Venise. Les dix-neuf maîtres de métier et les dix-neuf conseillers patriciens de Constance, au titre de la charte de 137196, doivent séparément choisir six de leurs pairs ; ces douze grands électeurs seuls seront alors chargés de désigner le Conseil, ou plutôt de le compléter (les dix-neuf Zunftmeister en étant membres de droit), le bailli impérial pouvant servir de recours pour les départager en cas de blocage. Constance n’est pas la seule à procéder ainsi : à Rottweil, cinq grands électeurs désignés par le Conseil, soit deux juges, deux maîtres de métier et un cinquième homme, élisent les Sept, dont trois maîtres de métier, trois membres des Quatre-vingts et un patricien ; ce sont les Sept qui vont désigner les treize juges qui forment le Petit conseil avec les onze Zunftmeister, compléter l’effectif des Quatre-vingts, désigner trois juges entre lesquels le Conseil choisira le maire, et enfin élire les cinq délégués permanents des Quatre-vingts au Petit conseil97. L’accumulation de chiffres, d’instances et d’étapes est perturbante, mais le but est certainement le même qu’à Venise : la complexité du processus et la multiplicité des acteurs est destinée à prévenir toute tentative d’influencer le scrutin. Quelques chartes vont jusqu’à préciser les modalités du remplacement d’élus décédés. C’est le cas à Dinkelsbühl pour les élus patriciens, qui restent longtemps en poste : l’élection du remplaçant ne peut attendre plus de trois jours, sans doute parce que les patriciens craignent que leurs collègues des métiers ne laissent les sièges patriciens vacants. La même précaution se retrouve aussi à Heilbronn (1371, § 3), Esslingen (1392, § 10 et 11, p. 339) ou à Munich en 1403 (§ 6) : même si les délais sont moins réduits, cette obligation d’un remplacement rapide montre bien que la confiance entre les différentes parties n’est pas toujours assurée et que le respect des équilibres arithmétiques est surveillé avec attention. Le Grand conseil

Le Grand conseil lui-même n’est pas une invention des régimes de métiers, mais bien plutôt une pratique politique héritée des régimes patriciens. Ceux-ci ne se privaient

96 Constance 1371, p. 320. 97 Ce sont en tout cas les indications du code de droit postérieur (H. Greiner, Das ältere Recht der Reichsstadt Rottweil, p. 110) ; la charte de 1378, elle, dit simplement que « die fünf kieser in den zünfften die zunftmaister und rüchter kiesen » (les cinq électeurs choisissent dans les métiers les maîtres de métier et les juges. Cf. aussi le système de cooptation indirecte prévu à Weißenburg (1377) : les membres du conseil extérieur choisissent, en leur sein ou au sein du conseil intérieur, cinq conseillers ; ceux-ci, après avoir prêté serment, choisissent alors en conclave huit autres conseillers avec lesquels ils constitueront le conseil intérieur.

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pas, en cas de besoin, de convoquer des bourgeois hors de leurs rangs pour prendre certaines décisions essentielles, parfois sous la pression des élites non patriciennes. Cette consultation pouvait n’être qu’informelle, par convocation individuelle de ceux dont le Conseil souhaitait recueillir l’avis et l’assentiment, mais il existait aussi souvent une institution plus formelle sous le nom de Grand conseil. Ce que le terme désignait alors était pourtant de nature bien différente des vastes délégations que mettent en place certaines de nos chartes : il s’agissait souvent simplement de convoquer les membres du Conseil de l’année précédente, ce que certaines sources appellent « ruhender Rat » en opposition au « sitzender Rat », ou d’un second collège comportant le même nombre de membres que le Conseil principal. Il ne s’agissait donc alors pas vraiment d’un élargissement des bases sociales du Conseil et on n’aura certainement pas tort de lui accorder une place très mineure dans le processus de prise de décision. À l’inverse, les grands conseils de l’ère des métiers jouent un rôle qu’on a longtemps mésestimé, mais qui ne se réduit pas à une fonction de chambre d’enregistrement98. Dans la charte patricienne d’Augsbourg (1340), le Grand conseil n’est mentionné qu’en passant, pour recevoir avec le commun le serment des membres du Petit conseil : même si le texte ne précise pas ce qui, ici, est précisément entendu par « le commun », leur rôle dans la cérémonie est clairement celui d’une instance légitimante, représentant la ville face à un Petit conseil chargé de la gouverner. L’absence de définition de son rôle et même de sa composition laisse entendre que le Grand conseil était alors une évidence qu’il était inutile de préciser : si les différentes sources ne disent rien du nombre de ses membres99, c’est sans doute que la grande souplesse de son organisation donnaient au Petit conseil des moyens de contrôle d’autant plus grands. À Ulm, au contraire, la charte de 1397 intègre la présentation du Grand conseil sous forme d’un récit de ses origines : une ordnung a été faite autrefois, qui prévoyait l’existence d’un Petit conseil de trente-deux membres (c’est de la charte de 1345 qu’il s’agit, naturellement), et ces dispositions sont maintenues telles quelles ; mais, wan sich nü sid der zite alz diu vorgeschribn ordnung angefangen und gemacht ist, der stat loffe und sache hie mit der hilffe gotz vast gemeret hand, Darumbe und och umb kunfftig ufflöffe zwitracht und stoß ze furkomen und niderzelegen, So sien wir […] och uberainkomen, daz wir ainen grossen Rate hie ze Ulme och gesetzt und gemachet haben100.

Le récit est à vrai dire trompeur, en ce que le Grand conseil est bien attesté longtemps avant 1397, dès le début du siècle sous la forme d’un « alter rat » en complément d’un « neuer rat », puis progressivement, dans les années 1370, comme Grand conseil101. Pourquoi donc ce petit récit dans la charte de 1397 ? La justification par la complexité croissante des affaires du monde se distingue d’autres justifications possibles, par la

98 Cf. mes développements pour Augsbourg dans D. Adrian, Augsbourg à la fin du Moyen Âge, p. 201-205. 99 E. Schumann, Verfassung und Verwaltung des Rates in Augsburg von 1276 bis 1368, p. 17-19. 100 Ulm 1397, p. 509 : « comme depuis l’époque où cette dite ordonnance a été faite, les affaires et problèmes de la ville se sont fortement accrus avec l’aide de Dieu et aussi pour prévenir et empêcher à l’avenir émeutes, discorde et conflits, nous nous sommes mis d’accord pour créer et faire un Grand conseil ici à Ulm ». 101 W.-H. Petershagen, Schwörpflicht und Volksvergnügen, p. 44-47.

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légitimité de la communauté pour décider des affaires qui l’engagent toute entière, par la représentation, par la nécessité d’un contrôle de la gestion du Petit conseil : une telle vision historique a certainement avant tout un objectif pragmatique, en créant une nouvelle instance sans laisser place à la critique des institutions existantes. Avant et après la mise en place des métiers, des Grands conseils existent ainsi dans la plupart des villes, mais on pourrait souvent presque parler de deux instances homonymes tant la continuité peut paraître mince. La permanence du mot peut sans doute cependant jouer un rôle pour légitimer les Grands conseils de l’ère des métiers, puisqu’elle les place dans une continuité au lieu d’en faire une pure innovation, avec toutes les connotations négatives que l’innovation peut comporter dans ce contexte. Cependant, la redéfinition de ce Grand conseil et son étroite intégration dans l’édifice institutionnel sont dans la plupart des chartes un enjeu essentiel : au-delà même de toute idée de représentation élargie, le Grand conseil est un contrepoint indispensable pour éviter une concentration du pouvoir entre les mains du Petit conseil. La composition des Grands conseils varie significativement selon les villes, mais on peut dégager deux modèles principaux. L’un n’est rien d’autre que la prolongation du modèle des régimes patriciens où le Grand conseil ne fait que doubler le Petit conseil : l’idée sous-jacente est de garder à portée de la main des conseillers choisis pour nourrir le débat et s’assurer d’un compromis solide, sans ouvrir un dialogue avec l’ensemble de la société. C’est ce que fait Charles IV dans sa charte pour Heilbronn pour 1371 : le mot « Grand conseil » n’y est pas, mais le Conseil peut à sa guise convoquer « den alten rat, der nechste vor yn gewesen ist » (l’ancien Conseil qui a siégé juste avant eux). La tardive charte constitutionnelle de Rothenburg (1455), qui ne crée pas de métiers et en reste à un Conseil paritaire entre patriciens et handwerker (artisans), parle quant à elle de Conseil intérieur et Conseil extérieur, de seize membres chacun, avec pour l’un et l’autre un maire issu de leurs rangs mais désigné par l’autre Conseil. L’autre modèle, beaucoup plus courant et plus spécifique aux régimes de métiers, consiste à réunir l’ensemble des directions collectives des métiers, souvent qualifiées par le nombre de leurs membres. À Augsbourg (1368), le Grand conseil est défini de la façon suivante : chaque Zunftmeister doit « zwelf der erbersten us siner zunfft haben, die den rat haben gesworen ; und swenn man den grozzen rat haben wil, so sol man ir besenden, als vil man ir bedarf102 » (avoir [avec lui] douze des plus honorables de son métier, qui ont prêté serment au conseil ; et quand on veut avoir le Grand conseil, on doit en convoquer autant qu’on en a besoin en fonction de l’importance de la chose) : le Grand conseil se définit ainsi comme une extension du Petit, sans qu’y soient convoqués des patriciens supplémentaires, mais avec un élargissement de la représentation du reste du corps civique. L’effectif théorique, 216 membres des métiers et quinze patriciens, est considérable ; il a sans doute rarement été atteint103, mais cela dit tout même quelque chose de l’esprit d’une institution. On trouve un

102 Augsbourg 1368 II, p. 149-150. 103 Les premières listes du conseil (Augsburg, SA, Ratsbuch 271 et 272, 1403-1406 et 1412-1422) ne comptent ainsi que sept ou huit Douze pour certains petits métiers, et le nombre de patriciens est réduit à huit ; le chroniqueur Burkard Zink mentionne une séance du Grand conseil augsbourgeois en 1466, au cœur

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effectif similaire à Esslingen104, avec les Douze de chaque métier et douze patriciens, mais sans mention d’un mécanisme permettant de faire varier l’effectif du Grand conseil selon les besoins. Les Quatre-vingts de Rottweil, les cent quarante membres du Grand conseil de Constance sont d’autres exemples de ces effectifs d’autant plus considérables que, rappelons-le, beaucoup de ces villes ne comptaient que quelques milliers d’habitants, et sans doute parfois quelques centaines de bourgeois de plein exercice : être au Grand conseil, ce n’est pas avoir un grand pouvoir, mais c’est tout de même une présence sociale, par capillarité, du pouvoir municipal très concrète et quotidienne. Parfois, cependant, l’effectif précis du Conseil n’est pas précisé : à Reutlingen (1343), aucun chiffre n’est donné, l’attention étant concentrée sur les mécanismes de décision ; à Constance (1371), il n’est explicitement question que d’un seul Conseil, qualifié sans chiffres de « ainen ganzen vollen rat » (un Conseil plein et entier) : c’est sans doute du Grand conseil qu’il est question, d’autant que la charte mentionne par ailleurs les dix-neuf Zunftmeister et dix-neuf représentants des patriciens qu’il est aisé d’identifier comme le Petit conseil ; seule la pratique dont témoignent les listes annuelles du Conseil permet de connaître l’effectif considérable de 140 membres de cette instance. L’historiographie est longtemps partie du principe que le Petit conseil, bastion des élites politiques et sociales, exerçait le plus souvent la réalité du pouvoir face à des Grands conseils aux fonctions essentiellement consultatives. De nombreuses chartes entendent au contraire limiter soigneusement l’autonomie du Petit conseil, notamment en donnant un rôle significatif au Grand conseil. La liste des sujets où seul le Grand conseil est compétent est longue à Dinkelsbühl (1387) : « umb lipding hin zu gebn, umb groß gelt uzz zebringen, stuir an zelegen, umbg groß buwe und umb raisen mit gantzer oder halber Stat mit dem dritteil oder mit dem vierteil105 » (pour vendre des rentes viagères, pour réunir de grosses sommes, pour lever l’impôt, pour de grands chantiers et pour des expéditions avec toute la ville, ou la moitié, ou le tiers, ou le quart), autrement dit dans tous les sujets qui risqueraient de faire peser de lourdes charges sur l’ensemble de la communauté civique. On retrouve souvent des listes assez similaires de compétences réservées dans les chartes des autres villes106, d’autres ajoutent des thèmes qui leur sont propres : à Weißenburg (1377, § 3 et 7), ce n’est pas seulement les dépenses de la ville qui sont soumises au contrôle du Grand conseil, mais aussi les châtiments infligés par le Petit conseil en sa qualité de tribunal municipal. Il y a là un effet d’échelle : l’exercice de la justice est partout

d’une crise fiscale, à laquelle ont assisté « ob 200 mannen » (plus de deux cents hommes), ce qui est très proche de l’effectif maximal possible. Mais cette séance exceptionnelle ne dit rien sur l’assiduité au quotidien (CDS 5, p. 118). 104 Esslingen 1376, § 1 et 2 ; 1392, § 3-5. 105 Autrement dit, quand la ville envoie une expédition militaire avec la fraction citée du contingent bourgeois. 106 Cf. Munich 1403, § 7 et 8 (mais c’est le commun qui dispose de ces droits, et les conseils conservent l’exclusivité de l’activité législative, § 9, « als es von alter herchömen ist und ain rat pilleich tün sol » [tel que cela est transmis depuis longtemps et tel que le conseil doit légitimement faire]) ; Esslingen, communication à Reutlingen du droit de la ville, 1299 : « groziu sache, als umbe ainn uzzog ald umbe ain stiure » (UB Esslingen I, p. 137 : de grandes affaires, comme une expédition [militaire] ou un impôt).

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une des fonctions légitimantes essentielles du Conseil, mais ces fonctions sont dans les villes plus importantes systématiquement déléguées à des juges distincts des conseillers, ne serait-ce qu’en raison de la charge de travail impliquée. L’intérêt de cette disposition de Weißenburg, c’est qu’elle fait prendre conscience à quel point la justice, dans nos villes, est un enjeu politique : un Conseil exerçant lui-même la justice s’expose à l’accusation de rendre une justice politique, et le contrôle du Grand conseil en cette matière est le produit d’une juste méfiance. Mais cette surveillance est aussi un moyen de protéger le Petit conseil : la large publicité qui lui est donnée par le recours au Grand conseil vient garantir la conformité de la justice au droit et aux pratiques en vigueur. Le Grand conseil peut aussi avoir un rôle significatif dans les processus électoraux : à Reutlingen (1343), c’est au Grand conseil que revient le soin d’élire les conseillers patriciens, lors d’une séance à la Saint-Jacques, et c’est lui aussi qui choisit, à la Saint-Gall107, les quatre personnes chargées de vérifier les comptes de la ville. Avec un minimum de deux réunions ordinaires par an, sans compter d’éventuelles convocations ad hoc, le Grand conseil n’est donc pas une instance facultative. Réunir un aussi grand nombre de bourgeois, y compris ceux qui sont issus des petits métiers socialement modestes et homogènes, n’est jamais un exercice tout à fait innocent et sans danger. C’est là que, souvent, des contestations peuvent naître, mais on peut comprendre le calcul consistant à préférer affronter ce risque en soumettant les sujets brûlants à une instance représentative plutôt que de laisser le mécontentement dépasser le mécanisme institutionnel. Sans doute les chartes portent-elle la trace explicite d’une subordination du Grand conseil aux autres instances du pouvoir municipal : tandis que les sessions régulières du Petit conseil sont une évidence tacite, les conditions de convocation du Grand conseil sont souvent explicitement précisées, comme à Villingen (1324, p. 20) où, si on en croit la lettre de la charte, chacun des Zunftmeister et chacun des maires peut en demander la convocation qui doit alors être réalisée sans tarder. Dans beaucoup d’autres villes, les règles ne sont pas aussi libérales, mais cette disposition – dans une charte, rappelons-le, qui est rédigée au nom des seigneurs de la ville – montre de façon particulièrement vive l’importance de la légitimité populaire de cette instance. Cependant, cette mise en avant du Grand conseil ne semble pas suffire à Rottweil, où une bonne partie de la charte de 1378 est consacrée au fonctionnement d’une autre institution, les Vingt-deux, constituée de deux représentants de chacune des onze Zünfte. Cette charte d’une clarté toute relative ne précise pas vraiment les

107 Le Grand conseil d’Augsbourg se réunit également, de façon régulière, à la Saint-Gall, pour décider du taux de l’impôt annuel et chasser les bannis de la ville, selon une pratique qui date de l’époque patricienne (cf. F. Schmid-Grotz, Das Augsburger Stadtbuch – Ein Herrschaftsmedium in der spätmittelalterlichen Stadt ?, thèse [en ligne], Universität Augsburg, 2009, disponible sur [consulté le 20 décembre 2019], p. 130-135, qui mentionne notamment que l’implication du grand et du Petit conseil s’accompagne d’une mise en scène dont « die gemeinde », « la commune », est le public nécessaire, et D. Adrian, Augsbourg à la fin du Moyen Âge, p. 202-203).

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compétences de cette instance, pas plus d’ailleurs qu’elle ne nous informe sur la répartition des compétences entre le Petit conseil et les Quatre-vingts. Les chartes déjà citées de l’année suivante, destinées notamment à justifier cette innovation critiquée par certains, dessinent un portrait un peu plus précis qui confirme les indications de la charte de 1378108 : l’idée est visiblement de créer une institution plus ou moins indépendante capable de passer outre les pesanteurs institutionnelles, en une sorte de commission de réforme permanente susceptible d’intervenir sur tous les sujets où l’intérêt général n’aurait pas été pris en compte par les professionnels de la politique que sont, plus souvent qu’on ne le dit parfois, les membres des instances municipales. La commune

Mais le Grand conseil lui-même ne suffit pas toujours. Les chartes utilisent volontiers le mot Gemeinde (gemain, gemaind…), dont on ne sait jamais vraiment s’il faut le traduire par « le commun » ou « la commune109 ». « Commune », en tout cas, ce n’est jamais, ni dans nos chartes, ni dans les autres sources contemporaines, le « mot nouveau et détestable » que réprouve Guibert de Nogent : aucun emploi péjoratif du mot n’est à ma connaissance attesté dans la région, mais qu’entend-on exactement par là ? S’agit-il simplement de l’agglomération inorganique de tous les bourgeois, ou du petit peuple, par opposition à tous ceux (magistrats ou conseillers, patriciens) que singularise une forme ou une autre de distinction ? S’agit-il au contraire d’une institution juridiquement fondée, par exemple en forme de communauté jurée unie par le serment civique ? Les chartes, à vrai dire, permettent alternativement l’une ou l’autre interprétation : dans le sens le plus neutre du mot, la charte de Rottweil (1378) est suscrite par les différents magistrats et conseils « und die gemeinde gemainlich der statt ze Rottweil110 » (et le commun en général de la ville de Rottweil) : c’est ici à la fois l’ensemble des bourgeois qui est désigné et les gouvernés par opposition aux gouvernants, universitas civium ; dans le sens d’une opposition entre « le commun »

108 Cf. supra, p. 82. 109 Il existe en outre dans la région un mot « commun », employé avec le même sens (par exemple dans un des articles non politiques de la Regimentsordnung d’Esslingen (Esslingen, StA, Reichsstadt Fasz. 4 Nr. 5, Regimentsordnung 1491, p. 12) ; le mot est attesté à Augsbourg en 1398 (charte éd. CDS 4, p. 164 : « von dem commune diser stat »), dans un sens qui semble cependant désigner plus les finances communes que la communauté des bourgeois. Le sens politique du mot, comme groupe de ceux qui sont soumis à l’autorité du conseil, semble plus couramment utilisé à Nuremberg (cf. CDS 2, p. 324 et 515 [1449] : serment des artisans « derselben burger des ratz, des communs und der stat » [auxdits bourgeois du conseil, du commun et de la ville]). De façon plus nettement politique, dans le même sens que gemein(de), le mot est abondamment utilisé dans les actes du procès intenté en 1471 à Memmingen par les patriciens contre le conseil (SA Augsburg, Reichsstadt Memmingen Urkunden 394) : le mot n’est présent que dans les réponses du conseil, non dans les accusations des patriciens. Le mot n’est à l’inverse jamais employé dans nos chartes, trop précoces par rapport à la chronologie d’introduction de ce mot. 110 Cf. aussi Augsbourg 1340, p. 254 ; Memmingen 1347.

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et les patriciens, la charte d’Augsbourg (1368 II) oppose par exemple « ratgeben von den burgern » et « ratgeben von der gemeinde111 ». L’usage du mot pour désigner une institution plus nettement politique est naturellement plus rare que ces usages plus génériques, mais il est présent de façon ancienne dans l’organisation politique des villes. « La commune », ou « le commun », reçoit ainsi avec le Grand conseil le serment des nouveaux membres du Petit conseil à Augsbourg en 1340, et le protocole de la charte laisse entendre que cette commune s’est rassemblée à la demande des conseillers pour délibérer sur les conséquences à tirer de l’endettement insoluble de la ville. La commune comme institution, ce n’est que cela : une assemblée qui n’est réunie qu’en cas de crise, qui est certainement loin d’inclure tous les membres du corps civique et encore plus loin de leur donner également la possibilité de se faire entendre, pour une fois de manière très proche de ce que décrit Bernard Chevalier pour les villes françaises112. Ce n’est que cela, mais ce n’est pas rien : ce qu’indique cette possibilité ultime du recours à la commune, c’est l’idée d’une limite intrinsèque du principe de représentation ; les représentants ne sont jamais qu’un reflet imparfait de ceux qu’ils représentent, et il est des moments de crise où les représentants ne peuvent prendre sur eux la responsabilité de décider pour tous. La légitimité propre de la communauté civique est toujours sous-jacente. Dans la charte d’Ulm (1397), ce rôle de recours est explicitement mentionné : les grandes affaires, est-il écrit, ne peuvent être traités que « mit ainer gemainde wissen und willen » (après information et accord de la commune) : le mot n’est pas défini plus précisément, mais on voit bien qu’il ne s’agit pas ici d’une instance délibérante au même titre que les conseils, mais du recueil d’un consentement – il ne s’agit pas vraiment d’organiser un débat, mais de faire adopter par acclamation une décision préparée par les instances habituelles du gouvernement urbain. De manière plus forte encore, la charte de Pfullendorf (1383) recourt à une traduction on ne peut plus explicite du précepte latin Quod omnes tangit ab omnibus approbari debet : « Träff och ain sach an der Statt ehafti oder wär suzz alz haftig, daz si gantz gemaind anrůrte so sol man si für gantz gemaind ziehen113 » (S’il se passait une chose si essentielle pour la ville ou si dangereuse qu’elle engagerait tout le commun, on doit la présenter devant le commun) : l’indétermination du pluriel latin (omnibus) prend ici la forme d’un singulier définissant une instance politique précise. Les villes de Haute-Souabe étudiées par Peter Eitel développeront au cours du xve siècle un usage du mot Gemeinde pour désigner la plus large possible des assemblées politiques, composée en général, outre les patriciens ad hoc, de tous les membres des directions collectives des métiers (Cinq, Onze…)114 : le principe est

111 Augsbourg 1368 II, p. 149 : « conseillers [issus] des bourgeois » et « conseillers [issus] du commun » ; le mot « bourgeois » est ici employé stricto sensu, alors que la suscription de la même charte l’emploie lato sensu. Cf. aussi Ulm 1397, p. 259, qui parle de « alliu diu gemainde der antwerke » (tout le commun des arts). 112 B. Chevalier, Les bonnes villes en France du xive au xvie siècle, Paris, Aubier Montaigne, 1982 (Collection historique), p. 207-209. 113 Pfullendorf 1383, p. 165. 114 P. Eitel, Die oberschwäbischen Reichsstädte im Zeitalter der Zunftherrschaft, p. 60-66.

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le même que celui qui fonde le Grand conseil d’Augsbourg, et dans certaines villes, à Lindau ou Ravensburg, la Commune n’est rien d’autre que le Grand conseil, soit que les deux noms alternent, soit que la Commune exerce toutes les fonctions d’un Grand conseil. Dans d’autres villes cependant il y a une nette distinction entre les deux institutions, avec un Grand conseil plus réduit et une Commune convoquée plus rarement115. Cet usage frappant du mot « Commun(e) » pour désigner non pas l’ensemble des bourgeois mais une institution municipale répond sans doute à une volonté de donner à une institution représentative la légitimité suprême de l’impossible (ou non souhaitée) assemblée de l’ensemble de la bourgeoisie ; ce qui est cependant plus frappant encore est que cet usage est à la fois presque universel dans les villes de Haute-Souabe, entre Memmingen et la rive septentrionale du lac de Constance116 et parfaitement inconnu par ailleurs, le mot « commune » étant alors employé pour désigner l’ensemble de la communauté bourgeoise, sans signification politique précise et sans rôle institutionnel défini : il n’est donc pas douteux que l’usage se soit diffusé de proche en proche, dans cette région de taille finalement limitée, où les villes sont à la fois voisines et homogènes par leur taille réduite, sans compter que beaucoup d’entre elles ont introduit un régime des métiers à la même période, dans les années 1340. Les élections

Le processus électoral n’est jamais un simple choix technique, et c’est sans doute sur ce point que les solutions adoptées sont les plus diverses, c’est-à-dire les plus étroitement faites sur mesure pour s’adapter à chaque situation locale117. Tout ce que la représentation paritaire ou majoritaire de membres des métiers au Conseil représente d’ouverture sociale peut facilement être neutralisé quand, comme à Dinkelsbühl (1387, § 5), le choix du maître de chaque métier est confié aux douze conseillers patriciens de l’année précédente ; de ces douze patriciens, un seul est remplacé chaque année, et c’est par l’ensemble des conseillers patriciens et des maîtres de métier que le remplaçant est élu118. Tous les signes permettant de garantir la bonne

115 Cf. Dinkelsbühl 1387, § 2. 116 La région concernée a aussi comme caractéristique de ne pas attribuer un nombre de sièges précis aux patriciens, cf. P. Eitel, Die oberschwäbischen Reichsstädte im Zeitalter der Zunftherrschaft, p. 43. 117 L’absence de prise en compte des processus électoraux et de l’importance qu’ils peuvent avoir même pour le plus modeste métier est un des grands manques de l’article d’E. Maschke, « Verfassung und soziale Kräfte… », qui ne voit les élections que du point de vue du résultat, et pas du point de vue de l’électeur, et moins encore comme une relation entre élus et électeurs. 118 La charte précise aussi qu’en cas de décès d’un conseiller patricien son successeur doit être choisi dans les trois jours (§ 6) : la précision est sans doute voulue par les patriciens pour éviter que les métiers ne cherchent à laisser s’éteindre la partie patricienne du conseil. Cf. aussi Mosbach 1337 : le conseil est composé de deux groupes, douze juges et douze conseillers du commun, tous élus à vie, chacun des deux groupes se complétant par cooptation. Moins d’un an plus tard, une autre charte (UB Mosbach, p. 66-67) modifie la procédure en rompant l’étanchéité de ces deux groupes : les onze juges se complèteront certes par cooptation, mais ils devront choisir l’un des douze conseillers du commun, que ses onze confrères devront alors remplacer par un bourgeois extérieur au conseil.

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tenue du scrutin sont soigneusement placés, serment à faire prêter aux électeurs ou recours au secrétaire municipal et à un conseiller des métiers comme autorité neutre chargée d’« entendre » le vote119, pour prévenir les conflits au sein de cette étroite élite, exactement comme dans les systèmes politiques patriciens : il s’agit d’assurer la légitimité des élus, mais la fermeture du système ainsi produit est néanmoins patente. La cooptation, héritée des gouvernements patriciens, serait toujours possible : hors de ce cas particulier, elle est très rarement choisie. À Fribourg, la charte du comte de Fribourg créant les métiers en reste en 1293 à la nomination des responsables politiques par le seigneur, y compris les représentants des métiers120 ; dès 1316, pourtant, un accord entre le nouveau seigneur Conrad II de Fribourg et la ville met en place un véritable processus électoral : le maire est désormais élu par les deux collèges de vingt-quatre membres qui constituent le Conseil, et les métiers choisissent eux-mêmes leurs maîtres ; le seigneur se réserve simplement l’investiture de chaque élu121, tout en précisant que le résultat des élections est valable même sans investiture. Quelques décennies plus tard, lorsque le duc Léopold de Habsbourg annule en 1392 les nouvelles dispositions constitutionnelles mises en place sans son accord quatre ans plus tôt, il impose la présence de ses conseillers : dans un tel contexte punitif, cette disposition n’est pas sans poids, mais on voit aussi qu’une pure et simple nomination par le seigneur n’est plus d’actualité. Une autre restriction au libre suffrage est mise en place à Augsbourg en 1368 : seule la moitié du Conseil devra être renouvelée annuellement122, sans doute à la fois pour faciliter la transmission des savoirs politiques et pour éviter des mouvements d’opinion trop brusques. C’était d’ailleurs déjà le cas au titre du compromis de 1340123 – la pratique politique telle qu’on la connaît au xve siècle n’en restera pas là. L’introduction de représentants des handwerker à Rothenburg en 1455 s’accompagne visiblement d’une même crainte de l’instabilité du pouvoir : il est en effet prévu que, au Conseil intérieur comme au Conseil extérieur, le renouvellement annuel devra concerner au maximum le quart des membres124. Il ne s’agit pas, comme on peut s’en douter dans un tel cadre, d’une élection par l’ensemble de la population : c’est le Conseil intérieur qui élit le Conseil extérieur, et vice-versa ; de même, chacun des deux maires est élu par l’un des conseils dans les rangs de l’autre. Le renouvellement annuel est cependant la règle générale fréquemment réaffirmée dans les chartes, qui ancrent volontiers le processus électoral dans le cycle annuel, comme à Esslingen où le renouvellement occupe deux (1376) puis trois (1392)

119 À Munich, l’« ynnerer rat » (conseil intérieur, c’est-à-dire le Petit conseil) est « élu » par trois hommes seulement, l’un choisi par le conseil extérieur parmi les membres du conseil intérieur, les deux autres choisis par le conseil intérieur, l’un parmi les membres du conseil extérieur, l’autre dans le commun (Munich 1403, § 1). Le conseil extérieur, lui, est élu par le conseil intérieur. 120 Fribourg 1293 I, p. 141. 121 H. Schreiber, Urkundenbuch der Stadt Freiburg, p. 209 (les questions politiques ne sont qu’un aspect parmi d’autres de cette charte). 122 Augsbourg 1368 II, p. 149. 123 Augsbourg 1340, p. 355. 124 Dispositif similaire à Fribourg en 1392, p. 91.

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dimanches avant la Saint-Jacques (25 juillet)125. La lettre du Conseil à son homologue de Reutlingen en 1299 prévoyait déjà une réunion annuelle de tous les membres de chaque métier pour procéder à l’élection du Zunftmeister126, et la date de la Saint-Jacques est déjà citée en 1331 dans la seconde lettre à Reutlingen127. À Esslingen en 1376 (§ 1), la description du processus électoral est précédée par une déclaration de vacance de tous les offices municipaux, postes de conseillers comme charges de magistrat : en signalant ainsi que la continuité n’est ni une règle ni un droit, les rédacteurs de ces chartes soulignent bien que la liberté de choix des électeurs est un fondement du système politique. Dans un même ordre d’idées, les rédacteurs de la charte de Weißenburg prévoient quant à eux que les membres du Conseil intérieur devront remettre au Conseil extérieur les sceaux et les clefs de la ville, manière d’affirmer qu’ils perdent à cet instant tout droit au pouvoir : une telle médiation par des objets symboliques est très rare dans nos textes, elle n’en est que plus frappante. À Esslingen, au contraire, la place consacrée dans chacune des trois chartes successives aux élections a bien pour but d’assurer la légitimité la plus grande aux élus. En 1316, c’est l’élection de l’écoutète et du maire qui occupe l’attention ; en 1376, dans la charte copiée sur celle de Reutlingen (1374), c’est par la description du processus électoral que la charte procède à la mise en place des institutions. Si la structure globale du texte vient de Reutlingen, les règles du scrutin sont différentes : à Reutlingen, chaque métier élit librement un maître, qui choisira lui-même ses Douze ; à Esslingen, on élit d’abord trois conseillers qui constitueront la direction collective du métier, puis une sorte de second tour choisit parmi eux le maître de métier, tandis que les patriciens agissent « ze glicher wise » (de façon similaire). Esslingen reçoit en revanche, sans en changer le principe, un processus très complexe, à plusieurs niveaux (un premier collège de cinq membres en désignant un second de sept membres effectuant le choix final), pour élire les douze juges et les conseillers patriciens du Petit conseil (quatre à Reutlingen, six à Esslingen) ; comme à l’habitude, aucune explication n’est donnée pour justifier cette complexité à la vénitienne128, pas plus que sur les motivations des variantes qu’apportent les rédacteurs d’Esslingen au texte qu’ils imitent. La désignation du Conseil, cependant, passe d’abord par le choix des délégués de chaque métier. La grande place accordée dans ces systèmes politiques à une représentation large du corps social est une particularité frappante, et il est donc bien naturel que ces élections internes aux métiers soient souvent décrites dans les chartes : là aussi la légitimité des résultats peut être affaire de détails. À Dinkelsbühl (1387), les conseillers des métiers sont cooptés par les conseillers patriciens, ce qui réduit de beaucoup le rôle de la communauté des membres du métier comme lieu de démocratie directe ; tel est d’ailleurs bien le but principal de cette mesure, condition absolue 125 Pour une partie du conseil (les « juges » et les « conseillers »), la charte de 1392 prévoit cependant un processus qui atténue fortement l’annualité des fonctions : on procède simplement à un examen annuel de leur effectif, en décidant éventuellement d’en remplacer certains (§ 2). 126 UB Esslingen I, p. 136, § 3. 127 UB Esslingen I, p. 303, § 16. 128 À Esslingen, du reste, la charte de 1392 vient simplifier la procédure : les juges et les conseillers patriciens sont élus jusqu’à ce qu’il plaise aux maîtres de métier de les remplacer à l’occasion d’une réunion annuelle.

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pour rendre acceptable le partage du pouvoir imposé aux patriciens. À Constance, le processus est plus complexe : c’est par le moyen d’un corps intermédiaire de douze membres, six patriciens et six membres des métiers choisis par les dix-neuf maîtres de métier, que les conseillers sont désignés, sans précision sur la répartition des membres par métier. Cette pratique, qui fait éminemment penser à celle du vote par compromis en usage pour certaines élections ecclésiastiques129, est très inhabituelle en ville ; sa présence dans la charte d’arbitrage du burgrave Friedrich von Zollern en 1371, puis dans celle de Sigismond en 1430 montre qu’elle est ici importée par des pouvoirs extérieurs. L’objectif de cette procédure est patent : dans une ville où la conflictualité est persistante, une telle commission paritaire, loin des passions de la foule électorale, est jugée plus à même de mettre en place un compromis, auquel sa composition la contraint – la charte de 1371 (p. 320), craignant que les six électeurs patriciens et les six électeurs des métiers ne parviennent pas à s’entendre, prévoit que le bailli impérial pourra trancher. La suite de l’histoire politique de Constance, cependant, a largement déçu les espoirs d’apaisement placés en cette procédure. À Esslingen, en 1376 (§ 1), chaque métier élit trois hommes à sa tête, « sie syen zugeben oder nit » (qu’ils soient présents ou non) : un tel poste est une charge autant qu’un honneur, pas question de se défiler en s’abstenant de participer à la réunion électorale. Après ce premier tour, la communauté du métier élit parmi ces trois élus le maître du métier ; tous trois choisissent un quatrième homme, qui élira avec eux le cinquième des membres de la direction collective du métier, et ainsi de suite jusqu’à parvenir à un groupe de treize membres, maître compris : si le début de la procédure est particulièrement ouvert, les rédacteurs de la charte cherchent visiblement à constituer un collège uni et modéré. Ailleurs cependant, le processus électoral n’est qu’à peine effleuré, et on ne sait rien, par exemple, de l’usage du bulletin secret ou de haricots en guise de jetons de vote qui seront ensuite attestés par la pratique : il est certes abordé dans les chartes individuelles des métiers de Nördlingen130, mais on y apprend seulement que c’est tout le commun qui procède à l’élection et que la majorité prévaut : l’organisation concrète du scrutin reste affaire de pratique – c’est d’ailleurs encore le cas aujourd’hui, où c’est la loi électorale et non la constitution qui régit l’expression de la volonté populaire. À l’inverse, la charte presque contemporaine de Pfullendorf (1383) insiste avec sa prolixité habituelle sur la libre élection des représentants de chacune des six Zünfte, le maître comme les Sept qui l’entourent : c’est bien l’ensemble des membres de chaque Zunft qui votent, et c’est bien à la majorité, sans aucune autre condition. La procédure est d’autant plus notable que, contrairement à ce qui se passe presque partout ailleurs, le Petit conseil n’est pas un simple produit de la réunion de quelques patriciens avec les maîtres de métier : ces quarante-huit représentants des métiers ont aussi la charge d’élire d’abord le maire, puis, avec ce dernier, les onze conseillers (soit le maître et un autre membre de chaque métier, en comptant le maire qui n’est

129 J. Gaudemet, Les élections dans l’Église latine, p. 328-329. Une partie des objectifs de cette procédure est similaire à ceux des systèmes électoraux à plusieurs degrés (cf. supra, p. 146). 130 UB Nördlingen, t. I, p. 68-69 et 71.

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donc pas un patricien) et les six juges (patriciens) qui, avec le maire, constituent le Petit conseil de dix-huit membres131. C’est alors que les métiers doivent se réunir à nouveau pour renouveler les Sept, dont la réunion constitue le Grand conseil. Les dispositions des chartes sont pourtant loin d’aborder tous les éléments qui régissent le processus électoral et son efficacité politique. Les quelques traités de bon gouvernement préservés pour l’Allemagne du Sud, moins nombreux que dans beaucoup d’autres régions, ont beau définir comme leurs équivalents d’autres régions les qualités morales et intellectuelles des élus, les chartes constitutionnelles, au contraire, ne s’attardent pas sur cet aspect. Tout au plus demandent-t-elles aux métiers d’élire les plus aptes et les plus sages, ou elles soulignent que le choix des électeurs doit prendre en considération l’intérêt de la ville, parfois celui de l’Empire ou du pays – la charte d’Augsbourg en 1368 ne prend même pas la peine d’utiliser ces formules. Hors du cas déjà mentionné de Dinkelsbühl (1387), il n’y a pas de conditions posées à l’éligibilité de tel ou tel bourgeois : les électeurs ont tout loisir de voter pour le candidat qui leur agrée. Les procédures électorales elles-mêmes sont très peu présentes dans les chartes, alors qu’elles deviendront de plus en plus codifiées et surveillées à partir du xve siècle, avec un attachement indéniable à la sincérité des résultats du scrutin grâce à la surveillance du vote secret132. C’est que l’objectif des chartes, même quand elles fixent scrupuleusement l’ordre d’élection de chacune des instances et choisissent soigneusement qui sera chargé d’élire les magistrats ou les conseils, s’occupent bien moins d’établir un code électoral que de définir la position de chaque institution dans l’architecture générale et mettre en évidence les principes différents de légitimation de chacune d’elle.

Les magistratures Les représentants seigneuriaux

Schultheiß, Ammann, Ammeister, Bürgermeister, Vogt… Pour désigner les magistrats suprêmes dans les villes, le vocabulaire urbain fait preuve de son habituelle diversité, qui ne recouvre qu’imparfaitement la diversité des relations de pouvoir dans lesquelles s’inscrivent ces différents officiers. Deux groupes sont ici essentiels, dans ce monde urbain où chaque ville ne dispose que d’une souveraineté limitée : d’une part, les magistratures issues de la tutelle détentrice du pouvoir souverain ; d’autre part, celles qui émanent du pouvoir autonome de la ville. Le représentant du souverain ou du seigneur dans les villes est souvent désigné comme Schultheiß, latinisé sous la forme scultetus, et qu’on francise généralement en « écoutète » : il s’agit par excellence d’un office royal, qui renvoie au fait que beaucoup

131 Pfullendorf 1383, p. 162-163. 132 Cf. J. Leist, Reichsstadt Rottweil, p. 66-68, qui témoigne de la précision de la procédure de vote secret, avec comparaison à d’autres villes.

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de villes d’Empire se développent sur le domaine royal, où il exerce notamment la justice au nom du souverain133, mais il est souvent entre les mains des seigneurs urbains dans les villes qui, comme Mosbach, n’ont pas conquis leur autonomie : il figure en tête de la suscription de la charte de 1337 comme de celle qui, l’année suivante, complète la charte constitutionnelle par des dispositions sur les élections134 ; la suscription de la charte de 1337 ne comporte certes, avec lui, que les membres citadins du Conseil, mais elle ne manque pas de préciser que l’accord préalable des seigneurs de la ville avait été obtenu. Cette même révérence au seigneur ou à son représentant somme toute inévitable est aussi présente dans la charte de Munich en 1403. Le Schultheiß est encore essentiel dans la charte fribourgeoise de 1293, où il est le délégué du comte de Fribourg dans la ville, et où il joue un rôle de garant dans l’introduction des Zünfte, dont il doit par exemple défendre les règlementations internes : cette position inhabituelle ne serait pas possible dans une ville pleinement autonome, et si le seigneur doit le choisir au sein des Vingt-Quatre, la charte insiste sur la stricte obéissance qu’il doit au seigneur135. Au cours du xive siècle, les Fribourgeois prennent en gage l’office avant de créer un office proprement urbain – plus encore que celui, déjà présent en 1293, de maire –, celui d’Ammeister : les chartes de 1392 par lesquels le duc Léopold de Habsbourg reprend le contrôle de sa ville après les modifications constitutionnelles des années précédentes font de la suppression de cet office trop urbain la première de leurs dispositions136. La ville doit également rendre les lettres d’engagement de l’office du Schultheiß, même si le duc continue à choisir son titulaire au sein du Conseil (étant donné les compétences exigées, pouvait-il en être autrement ?). La suite de la charte laisse entendre les raisons profondes des changements réalisés en 1388 sans l’accord du duc : la ville doit accepter de laisser au duc toute latitude concernant l’installation de nobles et de clercs en ville et de placer sa politique étrangère sous tutelle, thèmes pour lesquels les élites municipales pouvaient avoir toute raison de vouloir agir par elles-mêmes. Ailleurs, il est simplement question de Vogt (bailli), qui renvoie plus largement à une fonction d’officier avec ou sans aspect régalien, comme à Augsbourg où l’office du Vogt de la ville, à l’origine officier de l’évêque seigneur de la ville, est usurpé par le souverain à partir de Rodolphe137 ; la ville n’obtient le droit de nommer le titulaire 133 Cf. Deutsches Rechtswörterbuch [en ligne], disponible sur (consulté le 20 décembre 2019), sub verbo, notamment § I 3 et I 4. 134 UB Mosbach, p. 66-67. 135 Fribourg 1293, p. 124. 136 Fribourg 1392, p. 89-90. 137 Cf. Augsburger Stadtlexikon Online [en ligne], dir. par G. Grünsteudel, G. Hägele et R. Frankenberger, disponible sur (consulté le 20 décembre 2019), art. « Vogtei » (R. Kiessling). Un autre officier urbain du seigneur, celui-là dépendant constamment de l’évêque, le burgrave (cf. ibid., art. « Burggrafenamt » [W. Wüst]) existe parallèlement à Augsbourg ; une liste informelle des droits subsistants du burgrave écrite en 1366 (BSB, cgm 574, fol. 22v-23r), deux ans donc avant le changement constitutionnel, montre bien que des revenus non négligeables sont encore attachés à l’office, sous forme de droits juridictionnels et de tutelle sur certaines professions, mais sans aucune trace d’influence sur le gouvernement urbain.

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de l’office qu’au xve siècle, bien après les chartes de 1368 qui n’en font pourtant pas mention : c’est que le bailli avait déjà été réduit à des fonctions judiciaires au service de la ville. Dans le même esprit, d’autres villes ont un officier appelé Ammann – le mot peut d’ailleurs être traduit par « officier », puisqu’il vient du mot Amt qui signifie précisément « office ». La prise de contrôle par le Conseil des officiers seigneuriaux encore puissants en ville avait été la grande affaire, pas toujours achevée d’ailleurs, pendant les décennies précédentes138, avec un succès suffisant pour que le rôle de ces officiers se réduise souvent au xve siècle à celui d’un employé du Conseil chargé de la sécurité et de la paix publique. Il lui reste néanmoins des droits financiers, redevances diverses ou fraction des amendes du tribunal municipal : c’est à cela que fait allusion la charte de Pfullendorf (1383, p. 161) quand les bourgeois qui la promulguent excluent les droits de l’Ammann de son champ d’application, et non à une question d’influence politique. L’engagement de ce genre d’offices par les souverains n’est de ce fait pas toujours un enjeu politique : s’il était important dans la phase de conquête de l’autonomie urbaine de capter ses fonctions politiques, l’office peut ne plus être alors qu’une source de revenus, et son détenteur importe assez peu. Seules des villes plus petites conservent plus longtemps cette tutelle : l’Ammann garde alors sa prééminence au moins théorique dans les institutions municipales, ce que les historiens ont souvent lu dans les suscriptions des chartes municipales (jusqu’à quelle date est-il en tête de la suscription ? jusqu’à quelle date y apparaît-il ?). Alors même que la charte ne mentionne aucune relation à la tutelle royale, la charte de Memmingen (1347) est suscrite par « Wir der Amman, der burgermaister, der Rat, die zunftmaister und die gemainde » (Nous l’Ammann, le maire, le Conseil, les maîtres de métier et la commune) : dans cette charte qui marque la création du poste de maire, ou plus précisément de « maître des bourgeois » (la traduction usuelle passe trop vite sur le sens du mot !), l’Ammann est encore placé en tête, dans une logique dégressive de légitimité et de pouvoir dont les historiens ont fait un ample usage139. Ce n’est donc qu’avec le consentement de l’Ammann que cette zunft avait été introduite, alors même que les chartes des années suivantes confirment bien que

138 Il s’agit dans certains cas de privilèges, parfois d’abord à durée limitée, accordés par l’autorité supérieure, et dans d’autres cas d’engagements (là aussi souvent d’abord à durée limitée, ou sous réserve d’un dégagement ultérieur). 139 À Esslingen en 1316, le Schultheiß est placé en seconde position, comme dans les chartes des années précédentes, et le texte prévoit (§ 3) les modalités de sa désignation par le conseil : là aussi, le magistrat impérial est conservé mais contrôlé. Le Schultheiß continue à apparaître dans la suscription des chartes dans les années suivantes, souvent en deuxième position, mais aussi parfois en première, notamment dans les chartes judiciaires, ce qui peut laisser penser qu’il possède des prérogatives dans ce domaine (UB Esslingen I, no 468, 472, 476, 479, 488, etc.). Il faut pour l’essentiel attendre 1350 (ibid., no 934 et 935) pour voir des chartes de portée générale suscrites sans le Schultheiß ; en 1360, l’office engagé jusqu’alors aux comtes de Wurtemberg est engagé par l’empereur à la ville (ibid., no 1143) ; s’il continue par la suite à présider le tribunal, la perte de son rôle politique est confirmée dans les années suivantes, jusqu’à la charte constitutionnelle de 1376 : non seulement il n’est plus présent dans la suscription, mais les modalités de sa désignation n’y sont pas reprises (tout comme en 1392).

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la charte de 1347 portait en germe la marginalisation politique de l’office140. Mais l’Ammann, depuis plusieurs décennies déjà, était au moins aussi dépendant du Conseil que celui-ci pouvait l’être de lui : depuis une charte de Henri VII en 1312, doublée l’année suivante par une charte des ducs d’Autriche dans la perspective de l’élection à venir141, les citadins avaient les moyens de s’assurer que l’Ammann serait à leur convenance. Cette prise de contrôle sur les officiers seigneuriaux est présente dans de nombreuses villes, et la charte de Rottweil (1378) en constitue un exemple caractéristique : le Schultheiß y est certes bien nommé, il est même en première position dans la suscription de la charte, mais son office est soumis au même renouvellement annuel, par les électeurs urbains, que celui du maire ou des maîtres de métier. Dans les chartes constitutionnelles cependant, la présence d’officiers seigneuriaux est assez rare, tant l’établissement d’une telle charte est peu compatible avec le maintien d’une tutelle de type seigneurial : c’est en tant que représentants directs de l’empereur que les baillis impériaux (Landvögte) Frick Humpis puis Friedrich von Zollern interviennent à Biberach en 1344 et en 1374 ; c’est comme arbitre que le même Friedrich promulgue une charte constitutionnelle à Constance en 1371. Qui plus est, ces représentants impériaux ont un champ d’action qui dépasse largement l’horizon urbain et n’y exercent donc, au quotidien, aucune autorité directe142 : leur action limitée montre bien que l’immédiateté impériale n’est pas comparable à une tutelle seigneuriale. Frick Humpis entérine encore à Biberach en 1344 le pouvoir de l’Ammann, mais son successeur de 1374 ne parle plus que du maire et du Conseil : la charte de 1344, qui prend parti pour le Conseil contre les patriciens exilés, est la première étape vers son exclusion des instances politiques urbaines143, selon un processus on ne peut plus commun dans la région. Mais, symptôme caractéristique du gouvernement peu structuré de l’Empire, ces officiers de haut rang que sont les baillis impériaux n’exercent pas durablement un tel magistère sur les villes d’Empire. La charte d’Isny (1381) accorde, elle aussi, une place particulière à l’Ammann : dans cette ville où les bourgeois utilisent la légitimité de leur seigneur pour fonder en droit le régime politique qu’ils créent, l’office est cité comme encore soumis au seigneur, mais de façon purement théorique, puisque les bourgeois ont pleine puissance de le nommer et de le déposer : il apparaît clairement comme un officier subalterne par rapport au maire. L’usage à des fins de politique interne d’un tel office est tout aussi net à Rottweil (1378), où l’office d’écoutète est confié de droit à un patricien ; la charte 140 Cf. les chartes citées dans les notes de l’article de F. Dobel, « Beiträge zur Verfassungsgeschichte der Reichsstadt Memmingen », ZHVS 3 (1876), p. 1-71, ici p. 50-51 : l’Ammann apparaît très rapidement en seconde position, avant de disparaître des suscriptions. 141 L’original de la charte de 1312 n’est pas conservé, mais elle est significativement transmise par une confirmation de Louis de Bavière en 1330, éd. J. Chr. Lünig, Das Teutsche Reichs-Archiv, [t. XIII] (Partis Specialis IV. und letzte Continuation), p. 1416, no 3. Charte de 1313 : MGH Const. V, p. 2. 142 Cf. la formule de la charte de 1374, où le bailli impérial déclare « daz wir darumb ir Genadiger Herre sein welln » (que nous voulons pour cela être leur gracieux seigneur). La charte du même pour Constance (1371, p. 320) prend tout de même la peine de préserver les droits du bailli impérial dans la ville des conséquences de l’arbitrage qu’il réalise. 143 K. O. Müller, Die oberschwäbischen Reichsstädte, p. 244-247 ; charte de 1344 : Stuttgart, HSA, B 162 U 32.

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n’évoque pas ses fonctions, même s’il est encore cité en première position dans la charte constitutionnelle comme il le sera toujours dans les décennies suivantes. Même si la charte montre que la ville en nomme le titulaire en toute liberté, l’office reste un office impérial, qui continue à obliger la ville à payer au souverain une redevance, et n’est engagé à la ville qu’en 1401144, sous réserve de rachat : l’office semble déjà à cette date être essentiellement concentré sur des fonctions judiciaires, et son titulaire en retire sans doute plus de prestige impérial et d’intérêt financier que de réelle capacité à peser dans la vie politique de la ville. De même, à Constance, les officiers seigneuriaux que sont Vogt et Ammann restent présents dans les affaires politiques de la ville : non seulement ils sont, contrairement à la plupart de leurs collègues, membres du Conseil, mais le bailli conserve aussi un rôle politique, certes secondaire, mais crucial dans l’organisation institutionnelle créée par la charte de 1371 : c’est lui qui vient départager les grands électeurs du Conseil s’ils ne parviennent pas à s’accorder, un peu à la façon des monarques constitutionnels d’aujourd’hui en cas de crise ministérielle. Le texte souligne par deux fois l’importance de l’office, liée à son essence impériale, en précisant bien que les droits du maire ne doivent pas empiéter sur les siens. La charte, bien sûr, est rédigée par le bailli de Souabe agissant au nom de l’empereur, ce qui peut justifier une telle attention à cet office. La charte de Sigismond145 met en place un dispositif original : le bailli et le maire doivent tous deux être renouvelés annuellement, de telle façon que chacun de ces deux offices soit alternativement occupé par un patricien et par un membre des métiers. Ce n’est donc pas pour rétablir une présence seigneuriale que le souverain réinvente cet office, mais comme manière de renforcer la parité en évitant que ces offices puissent servir de base de pouvoir pour l’un ou l’autre camp. Le bailli, mais aussi l’Ammann, sont d’ailleurs aussi membres du Conseil – le problème est que ni cette charte, ni les chartes précédentes qui auraient pu représenter une tradition ne précisent leurs rôles respectifs. Partout ailleurs, les magistrats seigneuriaux sont simplement absents des chartes des villes d’Empire. À Esslingen, les modalités de l’élection du Schultheiß figurent encore dans la charte de 1316 – il est révélateur de l’autonomie acquise par la ville que les citadins en décident par eux-mêmes, mais la situation est plus claire encore dans les chartes suivantes : l’office n’y apparaît tout simplement plus, alors qu’il existe encore, avec des compétences purement judiciaires. À Augsbourg, au contraire, on ne peut même pas dire que l’absence des officiers seigneuriaux traduise une nouvelle étape de l’autonomie urbaine : la question des officiers seigneuriaux si importante encore à la fin du xiiie siècle a perdu tout enjeu dès le début du siècle suivant, bien avant l’introduction des métiers en 1368. Les privilèges permettant aux citadins de contrôler ces offices, sous forme d’engagement, de droit de présentation, ou a minima de veto, ne suffisent cependant pas : l’évolution constitutionnelle de ces villes demande une étape plus décisive, la création de magistratures propres à la ville et ne tirant leur légitimité que du corps civique.

144 Cf. UB Rottweil, p. 258 (no 636) et 259-261 (no 642). 145 Constance 1430, p. 365.

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Les maires

Karl Otto Müller avait posé en principe, du moins pour les villes de Haute-Souabe qu’il étudiait, que l’institution de maires était un corollaire de l’introduction de régimes des métiers, à tel point que, faute de mieux, il pouvait faire de la mention d’un maire dans une charte un indice déterminant pour dater l’apparition d’un régime de métiers. La corrélation est certainement excessive, à la fois méthodologiquement et dans son application pour certaines villes, Wangen par exemple146, et elle est contredite par les faits dès qu’on atteint les plaines de la Basse-Souabe147, sans parler des autres régions concernées par notre corpus. Néanmoins, si la question des magistratures est fréquemment abordée dans les chartes constitutionnelles, elle occupe une place moins prééminente que ce qu’on pourrait attendre. Aucune charte, en tout cas, ne met en avant la création d’un poste de maire comme une conquête du nouveau régime. Il y a tout au plus une certaine logique à ce que l’introduction des Zünfte et l’apparition d’un maire aient lieu au même moment, ces deux évolutions étant fortement facilitées dans nos régions par le développement de l’autonomie urbaine dans le cadre impérial, mais naturellement la coïncidence ne vaut pas corrélation et encore moins causalité. Un paradoxe apparent est que, dans certaines villes du moins148, le maire est dans le système institutionnel celui qui défend avant tout les intérêts des patriciens : à Esslingen (1376, § 2), les Douze et les Deux patriciens, qui constituent leurs délégations dans les différentes formations élargies du Conseil, sont élus par « der burgermaister und die burger, die nit in den zunften sint » (le maire et les bourgeois qui ne sont pas dans les Zünfte) ; à Memmingen même, où les métiers dominent la vie politique, le poste du maire reste fermement aux mains des patriciens jusqu’aux dernières décennies du xve siècle ; à Pfullendorf, les patriciens sont ceux qui « under dem burgermaister sint149 » (sont sous le maire), comme si le maire n’était que l’équivalent pour les patriciens d’un Zunftmeister. Cette relation privilégiée a sans doute, dans beaucoup de ces villes, une justification historique. De même que pour les postes de conseillers, il pouvait paraître difficile de priver les patriciens de postes sur lesquels une longue coutume leur donnait un droit, sans distinguer privilège politique et patrimoine privé. Mais il faut peut-être ici remettre en cause le vocabulaire utilisé : 146 Pour Wangen (K. O. Müller, Die oberschwäbischen Reichsstädte…, p. 401), la discordance entre l’apparition du maire et la charte constitutionnelle de 1381 le conduit à supposer que les métiers sont apparus plusieurs décennies plus tôt, sans que les sources n’en donnent aucune indication. À Biberach (ibid., p. 247), l’office est attesté en 1349, cinq ans années après le soulèvement de 1344 qui donne lieu à la naissance des métiers, mais bien avant l’adoption du système politique de Ravensburg en 1374 ; cf. aussi pour Rottweil R. Elben, Das Patriziat der Reichsstadt Rottweil, p. 16-18. 147 À Augsbourg, un tel office est ainsi attesté, sous les noms magister civium/burgermeister ou phleger (ni la chronologie ni le sens de cette alternance n’est claire) dès le dernier tiers du xiiie siècle, cf. E. Schumann, Verfassung und Verwaltung des Rates in Augsburg von 1276 bis 1368, p. 21-22. 148 À Esslingen par exemple, la charte de 1392 (§ 7) précise bien que le maire (unique) doit être élu « uzzwendig oder inwendig des răts under den burgern und der gemainde » (au sein ou hors du conseil, parmi les bourgeois et le commun). 149 Pfullendorf 1387, p. 162.

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si, dans les villes concernées, il existe partout un Bürgermeister (et pas, comme dans certaines villes alsaciennes, des Stettmeister, ou, comme dans des villes plus petites, un Schultheiß ou un Ammann ayant conservé leur rôle politique), son rôle est-il le même partout ? Dans quelle mesure, par exemple, le maire patricien peut-il s’imposer face à des conseils majoritairement composés de représentants des métiers, à Memmingen par exemple150 ? La concession de ce poste aux patriciens, dans cette ville, pourrait bien être de pure forme, la pratique vidant l’office de ses moyens d’influencer la politique menée par le Conseil. C’est que, en effet, les charges des magistrats, à commencer par celles du maire, ne sont pas décrites dans les textes : seule la charte d’Isny en 1381, dont on a vu les particularités, précise que le maire a le pouvoir ainen Ammann und Rat, und den Zunfftmeistern oder der Gemaind ze Ißni zu ainander haißen ze gebietend und zesamment, und Frage darinne ze hend und ze tund, und was Brief komment ze empfahend, und ander Sach außzerichtend und ze tund, alsdenn ein Burgermaister von rechts wegen tun soll151.

Une telle précision était, à Isny, sans doute nécessaire, en raison de la position particulière de la ville par rapport à son seigneur ; ailleurs, même si cette description ne serait sans doute jamais très loin de la vérité, le maire n’est pas défini autrement que par son mode d’élection, ou, à Ulm, par cette belle formule générale : « ain gemainer man ze sind rychen und armen » (être un conciliateur pour les riches et les pauvres)152. Dans la description des procédures électorales annuelles qui constituent l’essentiel de beaucoup de chartes, l’élection du ou des maires occupe une place presque aussi importante que celle des conseils, et les modalités choisies pour cette élection sont au moins autant révélatrices de la conception du pouvoir politique et de ses relations avec le corps social que celles relatives au Conseil. Si le maire est dans certaines villes un poste de pouvoir plus ou moins efficace des patriciens, la pensée paritaire qui existe dans beaucoup de villes conduit à ce que deux maires soient en fonction en même temps, l’un patricien, l’autre issu des métiers. Cette dualité n’est du reste pas réellement nouvelle, puisqu’on trouve deux maires à Augsbourg avant 1368, dans l’idée d’empêcher la construction d’un pouvoir personnel, et peut-être aussi de favoriser la gestion des affaires publiques quand l’un des deux

150 En l’absence regrettable d’un Urkundenbuch de Memmingen, les chartes citées par F. Dobel, « Beiträge zur Verfassungsgeschichte der Reichsstadt Memmingen », n. 43, p. 51, laissent entendre que le maire aurait eu, et durablement, une importance particulière comme juge suprême au tribunal, fonction éminente sans doute, mais qui n’est pas en premier lieu politique. 151 Isny 1381, p. 245-246 : « de commander et de réunir l’Ammann, le conseil et les maîtres de métier ou la commune, d’y mener les débats, de recevoir les lettres qui arrivent et de traiter et faire les autres affaires, comme un maire doit le faire par droit ». Cf. aussi les dispositions éphémères du duc Albrecht pour Fribourg, 1454, p. 439 : au-delà même de l’office de maire, le duc est très soucieux de rendre explicites les fonctions et les prérogatives de chaque pôle du pouvoir municipal, certainement pour éviter que la pratique ne vienne atténuer les précautions prises pour conserver l’autorité du pouvoir seigneurial sur ces institutions. 152 Ulm 1397, p. 513.

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part en mission diplomatique153 : l’émergence des métiers donne simplement à cette dualité un sens nouveau ; les deux maires de Heilbronn (1371, § 1), de même, sont élus par chacune des deux moitiés du Conseil, les Treize élus par les patriciens et les Treize élus par le commun. À Munich (1403, § 10), le maire du « Conseil extérieur » a une fonction qui le distingue de son collègue : en l’absence d’une représentation du commun, c’est lui qui devra porter au Conseil les desiderata de la commune. Seule sans doute la charte de Weißenburg (1377) se dispense-t-elle de mentionner le maire, pourtant attesté dans la petite ville franconienne depuis 1355154 ; partout ailleurs, les modalités d’élection sont précisées, avec parfois des indications supplémentaires sur l’office qu’ils reçoivent alors. La charte de Dinkelsbühl (1387, § 1) précise qu’il n’y aura désormais pas plus de deux maires, et une simple apposition précise que ce sera au Petit conseil de les élire. À Esslingen, la charte de 1316 ne fait que confirmer la pratique précédente, où les maîtres de métier ont tout pouvoir pour nommer et déposer le maire à leur convenance, ce qui suppose que la pratique de la réélection annuelle n’était pas en vigueur. À l’inverse, les chartes de 1376 et de 1392 présentent l’élection du maire comme le point final et en quelque sorte le couronnement du long processus électoral annuel : c’est la solution la plus fréquemment retenue, sans doute à la fois parce que le Conseil conserve ici sa primauté originelle et parce que le maire sortant est en mesure de présider en toute impartialité au processus. Dans ces deux chartes, c’est par une formation plus large que le Petit conseil que le maire est élu, chaque Zunftmeister s’entourant de deux des Douze qui forment avec lui la direction collective du métier (1376, § 7 ; 1392, § 7), cet élargissement du Petit conseil à des représentants du Grand conseil pouvant tenir lieu d’une convocation de ce dernier. Comme pour le Conseil, l’élection du ou des maires est un enjeu politique, et ce que prévoient les chartes est révélateur du degré d’ouverture souhaité par les concepteurs du système politique, quand bien même l’élection directe du maire par le corps civique n’est jamais la solution retenue. L’élection par l’une ou l’autre formation du Conseil est la formule la plus fréquemment utilisée pour cette élection ; à Pfullendorf cependant, l’élection du maire, placée en première position dans le processus électoral, est le privilège des maîtres de métier et des Sept de chaque métier de l’année écoulée, avant que leur propre office soit remis en jeu155. Il y a là sans doute la combinaison entre le principe de continuité du pouvoir et l’exigence d’une large assise populaire de l’office : non seulement le collège chargé de l’élire est inhabituellement large, mais les patriciens en sont en outre exclus. Qui plus est, le

153 Ce n’est donc pas, contrairement à ce qu’écrit N. Bulst, « Politische Dimensionen des Rechts », p. 21, un effet des consultations menées en 1368 vers d’autres villes. 154 P. F. Haberkorn, « Weißenburg: Die städtische Verwaltung (Rat, Ämter und Dienste) im Spätmittelalter », in Reichsstädte in Franken, dir. par R. A. Müller, Munich, Haus der Bayerischen Geschichte, 1987, Aufsätze, t. I, p. 309-319, ici p. 311 ; les chartes continuent durablement à n’être suscrites que par la communauté civique. 155 La charte (Pfullendorf 1387, p. 163) distingue entre le moment d’entrée en vigueur du dispositif, où ce sont les maîtres et Sept qui viennent d’être élus qui choisissent le maire, et le fonctionnement ultérieur du système où ce sont ceux qui sont sur le point de sortir de charge qui le font.

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texte156 indique que les électeurs agissent « an ganzer gemaindt Statt » (à la place de l’ensemble de la commune) : l’idée d’une légitimité assise sur la représentation est on ne peut plus claire, mais on voit aussi là les considérations pratiques qui font que, précisément, ce n’est pas l’ensemble du corps civique qui vote directement. La charte précise du reste que les Zunftmeister et les Sept sont élus « mit ganzer Zunfft » (avec toute la Zunft) : ce n’est donc pas la crainte des élites politiques de se retrouver face à un élu trop radical qui motive ici l’écriture de la charte. Plus rares sont les chartes qui détaillent les conditions d’exercice de l’office. À Villingen (1324), on précise ainsi que le maire recevra une rémunération de six marcs d’argent et bénéficiera d’une exemption d’impôt, et on l’assure d’une immunité juridique au titre des actes relatifs à son office – précisions fort exceptionnelles, tant l’exercice bénévole des fonctions publiques est la norme157. Mais une autre clause, également rare dans les chartes de notre corpus mais souvent attestée dans la pratique politique d’autres villes, explique ce traitement privilégié : celui que le Grand conseil élit est obligé d’accepter l’office qui lui est confié ; cette disposition reflète la charge de travail attachée à cette fonction, qui conduit de nombreux membres des élites à en éviter l’honneur. Une autre disposition, plus ambiguë, se retrouve également de charte en charte, qui impose un intervalle d’un ou deux ans entre deux mandats, pour les maires notamment, mais souvent aussi pour d’autres responsables, les Zunftmeister par exemple à Reutlingen (1343). Est-ce pour garantir au maire élu que son investissement sera à durée limitée ? Est-ce au contraire pour empêcher les élus de profiter de la durée pour construire un pouvoir personnel ? La même règle, à vrai dire, peut avoir ces deux fonctions selon la ville concernée ; à Reutlingen, il semble que les maires aient pu rester longtemps en fonction jusque 1330158, en l’absence d’indications contraires de la lettre d’Esslingen en 1299 ; dès la charte de 1343 à l’inverse, une pause de deux ans entre chaque mandat est imposée sans exception possible, de même que dans celle de 1374 ; il en va de même à Esslingen, où la charte de 1392 abrège simplement cette pause à un an. Il est cependant parfois possible d’enchaîner plusieurs mandats, soit parce qu’aucune année de pause n’est prévue, soit que les rédacteurs souhaitent autoriser des exceptions pour des personnalités particulières. Cette sorte de méfiance face aux concentrations excessives du pouvoir est liée à l’étroite insertion des maires dans l’édifice institutionnel, par laquelle il prend part aux dispositifs de légitimation de ces pouvoirs : le maire tire sa légitimité de cette position, jamais de son office lui-même – on est ici très loin de la pensée politique du juriste de Silésie Nikolaus Wurm, qui faisait du maire, vers 1400, un substitut exact du seigneur urbain dont découlait, par conséquent, toute légitimité159.

156 Pfullendorf 1383, p. 163. 157 La rémunération du maire est précisée aussi dans la charte de Pfullendorf (1383, p. 165) : 5 livres par an, ce qui constitue plus un dédommagement presque symbolique qu’un véritable salaire. 158 W. Jäger, Die Freie Reichsstadt Reutlingen, p. 76. 159 Cf. D. Adrian, « Penser la politique dans les villes allemandes à la fin du Moyen Âge », p. 182.

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Autres dispositions Contrôles et contre-pouvoirs

Si la simple expression eine zunft permet de résumer toute l’ambition morale et politique de ces chartes, leurs textes témoignent assez des objectifs concrets, des difficultés réelles auxquelles la charte et le système institutionnel qu’elle décrit doivent apporter une réponse politique. En même temps qu’elles déterminent la composition des conseils, les chartes prennent souvent la précaution d’écarter du nouveau régime les dangers qui, aux yeux du moins de ceux qui les rédigent, menacent leur pérennité et leur stabilité. Dès qu’on sort des thématiques politiques au sens le plus étroit du terme, les mesures que contiennent les chartes étonnent par leur diversité thématique, par leur inventivité parfois : dès lors que l’inclusion de ces clauses variées a paru nécessaire aux acteurs, et quand bien même elles seraient très étrangères à ce que nous appelons droit constitutionnel, elles nous intéressent en ce qu’elles relèvent d’une même stratégie argumentative que les dispositions institutionnelles. On aurait bien tort d’y voir une tare propre à une pensée juridique un peu primitive : après tout, la francophonie bénéficie bien d’un titre à elle seule dans la constitution française de 1958 depuis une révision de 2008, une constitution paraissant de plus en plus destinée à accueillir toute une série de principes juridiques éloignés aussi bien des principes fondateurs que de l’organisation de l’État. Faisons d’abord un détour par le vignoble autrichien : l’étonnante charte du roi Ladislas de Hongrie pour la ville de Krems, petite ville territoriale de Basse-Autriche, en 1453160 se présente comme la résolution d’un conflit opposant deux entités définies comme « le juge et le Conseil » d’une part, « le Commun » d’autre part, sur une série de points conflictuels détaillés sans ordre logique décelable dans la charte. Deux complexes thématiques dominent le texte, les modalités de vente du vin et les questions constitutionnelles. Ces deux thèmes ne sont pas abordés l’un après l’autre, mais s’entremêlent, ce qui est la logique de l’arbitrage où il s’agit de trancher une série prédéfinie de points conflictuels, sans prétendre ni à l’organisation rationnelle, ni à l’exhaustivité. La revendication fondamentale du commun est de mettre fin aux privilèges économiques dont bénéficient les patriciens, ce qui leur est accordé ; les aspects politiques de la charte visent à garantir aux contestataires un droit de regard suffisamment étendu pour s’assurer que les patriciens ne tenteront pas de reprendre le contrôle. Nous ne savons pas en quels termes les contestataires avaient formulé leurs demandes, mais la réponse apportée est déjà significative de cette stratégie consistant à leur abandonner des contrepouvoirs pour éviter de leur reconnaître l’entrée dans les instances de pouvoir : un hôtel de ville en guise de maison commune doit éviter la privatisation du pouvoir municipal, un porte-parole est accordé au commun, et les bourgeois obtiennent (ou se voient confirmer) le droit de se rassembler dans le cloître des Dominicains chaque fois que nécessaire.

160 O. Brunner, Die Rechtsquellen der Städte Krems und Stein, p. 100-102.

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Les mesures prises à ce moment par le seigneur n’ont pourtant qu’un succès limité, ce que le caractère hybride de la charte peut certainement en partie expliquer ; le document par lequel le parti élitaire fait part de ses griefs à son seigneur quelques mois plus tard montre que la contestation n’a pas faibli, et que les différends relatifs à la vente du vin restent toujours aussi vifs. Pourtant, la conclusion de la charte montre bien la perspective politique que les patriciens de Krems jettent sur cet affrontement économique : Wann allergnedigister herr, was wir in solhen und andern treflichen und namhaften sachen gehanndelt haben, das haben wir albeg getan und gehanndelt mit den genanten und der eltern, daran der maist tail ewr kunigklichen stat zu Krembs anligt und auch die maistn purd in allen mitleidn der benanten stat tragen mussen. Solten wir aber nu zusehen, das solh jung und newkomen lewt die stat nach irm wolgevallen wolten regirn, als dann yetz vorhannden ist und uns auch das mit wortn und werhen ertzaigt haben, so mochten wir dem aid nicht genug tun161.

Il serait trop long de suivre ici le cours de cette discorde interne, mais elle montre bien à quel point les questions politiques ne sont jamais de simples querelles de forme, ou des querelles fratricides au sein d’élites vivant en vase clos : le texte cité laisse entrevoir que le commun s’est vigoureusement emparé des concessions faites par Ladislas, au grand dam des patriciens qui voient leur exclusivité politique réduite à un simple privilège formel – avec toujours, en arrière-pan, des intérêts économiques qui sont indissociablement liés à ces enjeux politiques. La charte de Ladislas aborde un autre point qui met en évidence la conditionnalité de la dévolution du pouvoir aux institutions municipales, celui de la vérification des comptes. Ce processus essentiel pour sauvegarder la légitimité des institutions et les protéger contre toute accusation de prévarication ou de prodigalité est largement pratiqué dans les villes concernées. Cette pratique est jugée assez essentielle pour figurer dans les chartes constitutionnelles que produisent certaines villes. À Reutlingen (1343) par exemple, c’est le Grand conseil qui nomme une commission composée de patriciens et de membres des métiers. Le recours au Grand conseil est aisément compréhensible, dès lors que ces questions financières, plus que tout autre thème, concernent tous les citadins – quod omnes tangit, à nouveau. Même dans la charte du duc Léopold pour Fribourg (1392), pourtant très soucieuse de préserver l’autorité du seigneur sur le Conseil et celle du Conseil sur le reste du corps politique, une commission paritaire est créée pour le contrôle des comptes. La charte d’Esslingen en 1316 prévoit une commission de deux patriciens et deux membres des métiers, tous extérieurs au Conseil et élus par lui ; le thème disparaît

161 Ibid., p. 110-111 : « Car, très gracieux seigneur, tout ce que nous avons fait dans de telles affaires et d’autres importantes et considérables, nous l’avons toujours fait et effectué avec les genanten et les anciens, dont dépend l’essentiel de votre ville royale de Krems et qui doivent aussi porter les plus lourds fardeaux dans toutes les vicissitudes de ladite ville. Si nous devions cependant voir que de tels gens jeunes et nouveaux venus entendent régir la ville selon leur bon vouloir, tel que cela se présente maintenant et tel qu’ils nous l’ont montré par leurs mots et leurs actes, nous ne pourrions plus satisfaire au serment [que nous vous avons prêté] ».

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de la charte de 1376, il est vrai copiée sur celle de Reutlingen, mais aussi de celle de 1392, soit que la pratique soit entrée dans les mœurs, soit que le problème des comptes soit passé au second plan après un moment de crise. À Augsbourg, où la vérification des comptes est attestée dès la mise en place du régime des métiers162, on n’a pas choisi de l’inscrire dans le texte fondateur du système. Les questions financières y ont pourtant leur place, selon des modalités qui ne font que souligner l’enjeu de communication qui s’attache à ces questions : « man sol ouch elliu jar rich und arme wiszen laun, wa ir stiur gult und zins hinkamen oder swaz die stat schuldig belibe oder swas ir mit gotes hilff vorbestaun muge163 » (on doit aussi chaque année faire savoir aux riches et aux pauvres où leurs impôts, taxes et cens vont ou ce dont la ville reste débitrice ou tout ce qu’elle va devoir affronter avec l’aide de Dieu), ce qui ne nous renseigne guère sur les modalités de cette communication, dans une ville où l’usage des proclamations reste très limité et particulièrement mal couvert par les sources conservées. La charte donne aussi d’importantes indications sur l’assiette de l’impôt annuel, dans une perspective qui est sans ambiguïté celle d’une exigence de justice fiscale. À Weißenburg (1377, § 2), la charte prévoit que deux conseillers de chaque Conseil, aidés par un secrétaire, doivent gérer les finances municipales, sous le contrôle d’une commission de cinq autres membres des conseils, choisis eux aussi à la fois dans le Petit et dans le Grand conseil : ces dispositions figurent assez tôt dans la charte, et non comme souvent après l’ensemble des dispositions institutionnelles, ce qui matérialise plus clairement encore qu’ailleurs le caractère essentiel de la procédure pour la légitimation de l’action publique. À Heilbronn (1371, § 7), la parité stricte que dessine la charte d’arbitrage de Charles IV ne semble pas suffire à assurer un exercice apaisé du pouvoir, dans une ville où les camps paraissent particulièrement tranchés : des bourgeois non membres du Conseil (deux patriciens, deux autres bourgeois) sont chargés de la gestion des finances municipales, et pas seulement du contrôle a posteriori des finances (ils sont au contraire, de façon logique, soumis au contrôle du Conseil) ; en outre, le maire et deux citadins hors Conseil – toujours à parité – doivent aussi avoir le contrôle des portes, des tours, des sceaux et des archives de la ville : nulle part ailleurs une pareille surveillance des activités du Conseil n’est prévue dans les chartes de notre corpus. Les questions financières sont aussi abordées dans quelques textes sous l’angle de la répartition des compétences entre Petit et Grand conseil : à l’exception temporaire de Constance, le Petit conseil est toujours l’instance dominante et la convocation du Grand conseil est laissée à son appréciation – ce qui ne veut pas dire, du reste, qu’il soit politiquement toujours possible et censé de s’en passer –, mais il est parfois prévu que seul le Grand conseil ait des compétences particulières en matière financière, notamment quand l’enjeu financier d’une décision dépasse une somme définie (5 livres à Augsbourg en 1340 comme en 1368, 10 livres à Reutlingen en 1343). Même dans la charte octroyée par les ducs de Bavière à leur résidence de Munich en 1403, dont l’essence est d’assurer durablement l’exclusion des non-patriciens du pouvoir

162 Augsbourg, StA, Baumeisterbuch 2, fol. 15r. 163 Augsbourg 1368 II, p. 151.

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municipal, avec ou sans métiers164, deux paragraphes (§ 7-8) sont consacrés aux sujets pour lesquels la consultation du commun est obligatoire : on retire au commun le droit de disposer d’un redner165 (§ 11 ; on traduirait presque ce mot par « tribun », à la romaine), mais on lui accorde un droit de regard sur l’impôt, sur les emprunts, sur les expéditions militaires, sur le contrôle des comptes urbains. À Augsbourg (1368 II, p. 150-151), les questions financières sont abordées de manière plus large : outre la répartition des compétences entre conseils et le contrôle des comptes, la charte faite une place importante à des dispositions fiscales au sujet de l’impôt annuel, payé par chacun sous forme de capitation et, pour les détenteurs de capitaux, sous forme proportionnelle. Il s’agit d’assurer que chacun contribue aux besoins communs selon ses possibilités ; l’impôt ainsi défini ne sera, dans les décennies suivantes, jamais soumis à contestation, à l’inverse des taxes sur la consommation (Ungelt) que la charte ne mentionne qu’à peine – elle indique que l’Ungelt ne devra pas durer au-delà de la fête de saint Pierre et saint Paul prochaine, promesse qui, comme souvent en matière fiscale, ne mérite pas une grande confiance. L’autre grand thème politique qui dépasse le cadre de la définition des institutions qui occupe l’essentiel des chartes est celui du droit de certaines parties du Conseil de s’assembler sans leurs collègues, les délégués des métiers sans les patriciens et vice-versa. La charte d’Esslingen en 1316 (§ 6) interdit ainsi de tenir de telles réunions séparées (« sunderigen rat »)166 : on connaît mal les circonstances qui entourent la rédaction de cette charte, mais la précaution n’indique pas une entente cordiale entre ces deux pôles opposés de la société urbaine. La charte de 1376 (§ 16) est plus permissive de ce point de vue, et celle de 1392 (§ 12) à sa suite : aucune interdiction complète n’est prononcée, la seule restriction est que, sur les sujets, « die diu stat angât » (qui concernent la ville), des représentants de l’autre partie doivent être convoqués. C’est à la fois le signe que ces deux groupes juridiques conservent encore à cette époque, un siècle après l’instauration des Zünfte, une identité bien séparée, et une reconnaissance par chaque partie du droit de l’autre partie à gérer de façon autonome les affaires qui la regardent en propre. Cela suppose une certaine confiance mutuelle, mais ce n’est pas le signe que les évolutions sociales auraient tendu à estomper les distinctions entre patriciens et autres bourgeois.

164 Munich est un exemple assez rare dans la région de ville où des corps de métier organisés et désignés par le mot Zunft apparaissent précocement (P. Dirr, Die Denkmäler des Münchner Stadtrechts, p. 274, 286, 287, etc., dans un registre réalisé majoritairement dans les années 1310), hors de tout contexte d’introduction d’un nouveau système politique. 165 Un redner von der gemain (tribun/avocat du commun), à qui le commun doit prêter serment, est déjà attesté par un texte des environs de 1320 (ibid., p. 288). 166 Cf. aussi la mesure très prudente prise par Charles IV pour tenter de pacifier les relations au sein du conseil de Heilbronn en 1371 (§ 4) : ce ne sont pas les réunions séparées qui sont interdites, mais le souverain impose aux deux moitiés du conseil de « wochenlich ane vorrate an dem dinstag ungeboten rat haben » (tenir un conseil sans convocation toutes les semaines sans réunion préparatoire le jeudi), pour y délibérer des « hefftig sache und der stete notdurffte » (affaires pressantes et des nécessités de la ville) : il ne s’agit donc pas même d’interdire formellement les réunions séparées, mais d’obtenir au moins que les deux moitiés du conseil se réunissent pour traiter les sujets essentiels.

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Dans aucune ville cependant la question des réunions séparées n’est aussi brûlante qu’à Constance. Sigismond, instruit par les exemples du passé, prend en 1430 une décision radicale, en décrétant que « die räte von den geslehten und von der gemeind entweder teyl on den andern keinen rat noch underred haben sollen167 » (les conseillers des lignages et du commun ne doivent pas tenir de conseil ni de discussion sans l’autre partie), en interdisant donc jusqu’aux réunions portant sur des sujets ne concernant que les Zünfte. Savait-il que, dans d’autres villes, une telle interdiction était en vigueur depuis longtemps ? Les élites qui l’avaient appelé à intervenir dans la ville lui avait certainement remontré les maux qu’avaient entraînés ces réunions séparées : le Petit conseil avait été dans les décennies précédentes pour ainsi dire mis à l’écart des circuits de décision au profit du Grand conseil168, largement dominé par les Zünfte, et de réunions séparées des conseillers des métiers. Instruit par l’exemple de Constance, Sigismond promulgue en septembre 1431 une charte169 interdisant les réunions séparées dans l’ensemble des villes d’Empire, « sunderlich der verainung zu Ulm und des obern bunds » (notamment [pour] l’association d’Ulm et la ligue supérieure), Sigismond justifie cette mesure par le contexte momentané, celui de son départ prévu vers l’Italie en vue d’obtenir la couronne impériale, et elle ne constitue donc pas le début d’une politique concertée de contrôle des gouvernements urbains. C’est naturellement la situation de Constance, explicitement mentionnée dans le texte, qui justifie cette démarche, mais la charte cite aussi plusieurs villes du nord de l’Empire (Brême, Wismar, Stettin et Halberstadt), bien loin de la ligue souabe mise en avant. On le voit, le roi ne va pas ici jusqu’aux formulations radicales qui lui sont prêtées dans la Reformatio Sigismundi, où c’est de la suppression sans retour des métiers qu’il est question170 ; pour autant, cette tentative de gestion interurbaine fait long feu, ne serait-ce que parce que le problème n’en est pas un dans beaucoup de villes – mais dans quelle mesure le souverain pouvait-il le savoir ? Jusqu’à quel point avait-il, avec ses conseillers, une véritable vision synthétique de l’organisation politique interne de chaque ville ? Il ne semble pas que cette royale décision ait, dans aucune de nos villes, connu un quelconque commencement d’application. Beaucoup d’autres chartes, cependant, et même les plus détaillées, ne prennent pas même la peine de mentionner la question ; celle de Munich en 1403 (§ 11) interdit seulement que le Conseil se tienne de façon secrète, « wan unser stat Münichen vor hayndlicher rät verdarben ist » (car notre ville de Munich a été gâtée à cause des conseils secrets). La possibilité d’une convocation séparée des conseillers de métier n’est pas non plus évoquée à Augsbourg ; la reconnaissance du rôle représentatif fondamental de ces conseillers conduit cependant les auteurs de la charte de 1368 à permettre aux métiers de préparer les séances du Grand conseil : non seulement le maître peut, un jour avant la séance, réunir ses Douze à l’hôtel de ville, à condition

167 Constance 1430, p. 364-365. 168 O. Feger, Vom Richtebrief zum Roten Buch, p. 32*. 169 Deutsche Reichstagsakten [Ältere Reihe], t. IX, p. 633, note 1 (continuée p. 634). 170 H. Koller, Die Reformation Kaiser Siegmunds, Stuttgart, Hiersemann, 1964 (MGH Staatsschriften 6), p. 266-269.

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que tous soient présents, mais il est aussi explicitement prévu qu’une réunion plénière du métier puisse être organisée pour discuter des questions les plus importantes171. Il ne s’agit ici aucunement, comme à Constance, de mettre hors circuit les patriciens, mais simplement de reconnaître les intérêts particuliers des différents métiers : on est bien loin des structures d’autorité qui, à la fin du xve siècle, viendront remplacer le caractère représentatif des directions des métiers. Dans d’autres villes cependant, les chartes se contentent de poser des conditions à ces réunions séparées : à Reutlingen, la charte de 1343 impose la présence de deux juges ou deux conseillers, chargés de contrôler le respect des lois de la ville ; à Pfullendorf (1383, p. 164), la charte interdit aux Sept de tous les métiers, formant le Grand conseil, de se réunir sans les maîtres de métier qui font partie du Petit conseil, a fortiori quand le Petit conseil est réuni, de façon à préserver la liberté de décision de ce dernier. Le Grand conseil, sans les maîtres donc, peut être convoqué par le Petit conseil, avec une pleine capacité de prendre des décisions ; si des métiers se réunissent dans d’autres circonstances, leur décision ne peut être définitive que si le Conseil donne son accord. La politique et au-delà

La fin des chartes peut être le lieu des dispositions les plus diverses, sortant nettement du cadre institutionnel, avec une prolixité en la matière plus ou moins grande selon les cas : on peut y voir une sorte de défilé bariolé des revendications contingentes des différents groupes sociaux, donnant à des décisions qu’ils jugent importantes une solennité qu’un simple décret du Conseil ne possède pas, et surtout une pérennité qui reste encore une sorte d’idéal juridique ; les chartes constitutionnelles jouent ainsi un rôle proche de celui que joue l’inscription de décisions dans les livres de droit. La charte de Rothenburg (1455) contient dans ses derniers articles une longue série de dispositions qu’on pourrait comparer aux cavaliers législatifs d’aujourd’hui : il y est question de droit successoral, de la garde de la ville, on y copie même, pour lui donner plus de solennité, une décision du Conseil déjà copiée dans le gesatzbuch (livre des lois) de la ville sur les devoirs de chacun dans la garde de la ville. Souvent cependant, si ces dispositions n’ont pas d’aspect institutionnel, elles ne sont pas dénuées d’importance politique, parce qu’elles jouent à divers titres sur la position du Conseil par rapport au corps social qu’il encadre ou sur la perception de son action. À Constance, Sigismond inclut dans sa charte de 1430 une disposition permettant aux citadins d’abandonner leur droit de bourgeoisie sans avoir à verser de compensation172. Une telle disposition n’a rien d’institutionnel, mais elle est pourtant un enjeu politique non négligeable : dans beaucoup de villes, l’abandon du droit de bourgeoisie s’accompagne d’un paiement pour compenser les pertes fiscales que cela suppose pour la ville. Ce dont il s’agit ici, ce n’est naturellement pas le contrôle des artisans pauvres, mais celui des familles marchandes, qui disposent de contacts

171 Augsbourg 1368 II, p. 150. 172 Constance 1430, p. 366.

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étendus dans la région et n’hésitent pas à passer d’une ville à l’autre en fonction de leurs intérêts personnels ou familiaux : dans un contexte où, par la grâce du souverain, ceux-ci avaient une chance historique de faire prévaloir leurs intérêts, cette dispense de taxe de sortie est donc une mesure particulièrement favorable aux patriciens et à leurs réseaux familiaux. Au-delà même de l’intérêt économique évident pour eux, cette mesure qui facilite un éventuel exil les place en quelque sorte hors du contrôle du Conseil. Un quart de siècle plus tard, le duc Albrecht, qui va jusqu’à abolir les métiers à Fribourg, accompagne cette intervention brutale de nombreuses mesures de détail : il faut certainement y voir, indirectement, une réponse aux maux dont le régime de métiers s’était à ses yeux rendu coupable173. Il y réorganise les Trinkstuben, il interdit les réunions séparées, mais il renforce aussi les exemptions fiscales des clercs et réorganise la justice municipale : acteur extérieur au milieu urbain, il est sans doute dépendant de ce que lui ont dit les élites municipales, mais il entend aussi, beaucoup plus que Sigismond à Constance, restaurer dans la ville un ordre social éloigné des réalités de son temps. Les dispositions diverses que contiennent les chartes, cependant, répondent pour la plupart à des objectifs beaucoup plus intrinsèquement urbains, par exemple en ce qui concerne la probité des acteurs politiques et la possibilié de contrôler leur action. Ce que nous appellerions aujourd’hui corruption est une pratique peut-être mieux intégrée dans les sociétés anciennes, mais la charte de Reutlingen (1343, p. 49) évoque le sujet : la distinction est subtile entre ce qui peut justifier l’interdiction des pots-de-vin (« daz gerichte oder Rat antreffe oder das der stat ze schaden komen müge », ce qui concernait le tribunal ou le Conseil ou ce qui pourrait entraîner des dommages pour la ville) et le reste174 ; dans le cas où ce seraient un « herre uf dem Lande » (seigneur de la campagne), il faudra demander l’autorisation du Conseil. On est donc loin d’une interdiction générale, loin même de l’idéal moral du conseiller défini par les miroirs urbains de la fin du Moyen Âge, mais cet encadrement limité, faute de mieux, respecte sans doute les seuils de tolérance du corps social. Dans un même ordre d’idées, la charte de Rottweil (1378, p. 174) fait une petite place à l’égalité des membres du Conseil et des autres bourgeois devant la justice : lors d’une altercation entre un simple bourgeois et un membre du Conseil, à insultes égales, chacun des deux devra être puni de la même façon. La conscience croissante du rôle de l’écrit dans l’administration, parallèle au développement de la production écrite des villes, a aussi sa traduction dans certaines chartes. On a pu voir que le texte de certaines chartes prévoyait les conditions de conservation de la charte elle-même – à Mosbach (1337), les deux maires, l’un patricien, l’autre membre du commun, disposent chacun d’une des deux clefs nécessaires pour l’ouverture des coffres contenant les archives et le sceau de la ville. De façon plus marquante encore, ce sont les treize membres du « Conseil intérieur » de Weißenburg qui détiennent les sceaux et les clefs des archives ; chaque année,

173 Fribourg 1454, p. 438-440. 174 Même formule à Rottweil (1378), p. 173.

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lors du renouvellement du Conseil, la charte de 1377 prévoit que les Treize doivent remettre clefs et sceaux aux Vingt-six qui constituent une sorte de Grand conseil, action rituelle qui marque leur sortie de charge175. À Augsbourg, en 1368176, le contrôle de toute une série d’éléments est à l’inverse réservé aux métiers, qui entendent exercer alors un pouvoir beaucoup plus absolu que la pratique paritaire du pouvoir qui s’installe dans les décennies suivantes : « unseriu insigel, unser stat buch, brief, dinkhus und gewelb mit siner zugehorunge » (nos sceaux, notre livre de la ville, les lettres, l’hôtel de ville et les voûtes avec tout ce qui leur appartient) sont confiées à la seule « gemeinde von den zunfften » (commune des Zünfte), au même titre que les portes de la ville, le beffroi et sa cloche177. Tous ces éléments ont en commun d’engager directement les fondements juridiques de la ville, et secondairement son autonomie : la présence des archives dans cette liste n’étonne guère à cette période où l’écrit, à commencer par les privilèges impériaux, est devenu une preuve juridique de plus en plus indispensable. Il en va de même trois ans plus tard à Heilbronn (§ 7) : tous ces éléments fondamentaux sont confiés au maire et à deux bourgeois de la ville non membres du Conseil, un patricien et un membre du commun. Tous ces éléments, joints à la vision plus traditionnelle de la sphère politique comme ensemble d’institutions et d’offices, montrent bien que la politique, dans nos villes n’est pas l’affaire exclusive de ceux qui en exercent les plus hautes fonctions. Si fortes que soient les influences interurbaines dans le mouvement qui voit les régimes de métiers se multiplier dans les villes d’Empire au cours du xive siècle, la multitude de mesures différentes contenues dans nos chartes, la multitude de possibles dont elles témoignent montrent bien qu’elles font bien plus qu’enregistrer de simples dispositions techniques : l’efficacité est une préoccupation constante de leurs rédacteurs, mais leur objet n’est pas le simple établissement d’une structure administrative. Les procédures comptent, et nos villes n’ont pas peur du raffinement en la matière, mais elles ont un but fondamental : assurer la pérennité de la paix civile, telle que les préambules l’invoquent volontiers, cela signifie, concrètement, trouver une manière de représenter la société urbaine dans sa pluralité, sans masquer les différences de fortune et de prestige (marchands et patriciens n’y sont pas égaux aux simples artisans, on l’a vu), mais en limitant aussi autant que faire se peut l’exclusion du corps politique de groupes sociaux entiers.

175 Weißenburg 1377, § 1. 176 Augsbourg 1368 II, p. 150. 177 On trouve un complexe thématique très proche à Heilbronn (1371, § 7), avec cette différence essentielle que le contrôle de tous ces garants de l’indépendance urbaine est confié à trois personnes, le maire et deux bourgeois extérieurs au conseil, un patricien et un membre du commun. Cf. aussi, de manière beaucoup plus circonscrite, le cas de Villingen (1324, p. 20), où le Grand conseil doit donner son accord chaque fois que le sceau de la ville doit être utilisé : cette disposition typique d’un contexte où l’usage de l’écrit reste étroitement limité et surveillé n’est sans doute pas promise à un grand avenir, mais elle exprime bien la conscience que la maîtrise de l’écrit est une condition indispensable à la maîtrise réelle du pouvoir politique dans la ville.

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Dans un second temps, au-delà de la question centrale de la représentation, les chartes s’intéressent, dans une proportion très variable selon les villes, à l’exercice du pouvoir par ceux qui participent directement à la sphère politique : en tentant de contrôler leur usage de l’argent public et en évitant la constitution de pôles de pouvoir court-circuitant les institutions municipales, leurs auteurs ont sans nul doute un réel objectif de transparence (« wiszen laun, wa ir stuir gult und zins hinkamen » [faire savoir où leurs impôts, redevances et cens sont allés], comme le dit on ne peut plus nettement la seconde charte augsbourgeoise de 1368178) ; mais au-delà de cette valeur rarement revendiquée mais souvent sous-jacente dans les régimes de métiers, le souci dominant est certainement avant tout la protection des gouvernants, contre eux-mêmes peut-être, mais surtout contre la contestation de leur action par le reste du corps civique : le pouvoir dévastateur du soupçon n’est pas qu’une préoccupation contemporaine.

178 Augsbourg 1368 II, p. 151.

Conclusion : circulations interurbaines

Pour notre corpus comme pour tous les thèmes que traite l’histoire urbaine, l’irrépressible diversité des situations locales peut laisser perplexe le lecteur le mieux intentionné. On a pu voir dans les pages qui précèdent comment la diversité de nos chartes reflète la prise en compte de la diversité des sociétés urbaines qui les ont vues naître ; le modèle politique qui leur est commun, celui de la Zunft comme système représentatif fondé sur les métiers, a eu tout au long du xive siècle de nombreuses occasions de montrer sa souplesse. Il ne s’agissait pas pour ces villes d’adopter un modèle prêt à l’emploi, mais un cadre conceptuel commun qui offre de multiples paramètres permettant de l’adapter à toutes les situations. Les systèmes politiques ainsi créés méritent l’attention de l’historien au moins par la volonté, manifeste et souvent explicite, d’élargir la participation politique et plus largement l’empreinte sociale du gouvernement urbain ; mais l’importance de l’écrit dans le processus d’adoption de régimes de métiers dans nos villes est un fait non moins marquant. La forme écrite, en matière de dispositions politiques, n’est pas une évidence, comme le montre encore aujourd’hui le système politique britannique, comme l’illustrait à l’époque de nos chartes l’Empire lui-même, et comme la part coutumière qui subsiste parallèlement aux constitutions écrites dans les démocraties modernes1 vient le rappeler. Le recours à l’écrit est bien entendu en forte croissance dans tous les domaines de la vie urbaine, mais au-delà des questions de technique administrative, ce qui frappe dans ces textes minutieux est le goût pour l’explicite dont font preuve les rédacteurs des chartes constitutionnelles : c’est peut-être cela qui marque la rupture la plus déterminante avec les gouvernements patriciens qui avaient, jusqu’à la fin du xiiie siècle au moins, constitué la norme politique dans les villes de notre corpus. Cette croyance en une vertu collective de la formulation explicite n’est pas toujours aussi affirmée qu’à Ulm, à Pfullendorf ou à Esslingen, mais toutes nos chartes consistent néanmoins en une mise par écrit de règles de fonctionnement jusqu’alors tacites, et dont le détail était réservé à ceux qu’elles concernaient au premier chef. Ce travail nouveau de formulation est soutenu par un contexte culturel commun à l’ensemble de la région, mais constitue dans chaque ville une rupture décidée et consciente avec des pratiques politiques plus anciennes.



1 Un exemple significatif de cette persistance du domaine coutumier est la très récente tradition d’octroyer la présidence de la commission des finances de l’A ssemblée nationale française à un membre de l’opposition : ne reposant sur aucun texte écrit, mise en place en 2007 seulement, elle semble largement perçue aujourd’hui comme un contre-pouvoir essentiel au jeu démocratique.

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Un des thèmes sous-jacents de l’étude qui précède est naturellement la démocratie, thème qui, après avoir été très familier à l’historiographie des villes allemandes au xixe et dans la première moitié du xxe siècle2, est devenu ces dernières décennies presque un tabou. L’anachronisme, certainement, est si grand, les différences avec le concept (ou l’idéal ?) moderne de la démocratie sont si patentes que les historiens évitent généralement d’utiliser le mot pour les villes d’Empire médiévales. Jürgen Sydow a pourtant fait remarquer en 1968 que, dès lors que le concept de ville est lui-même soumis à des évolutions considérables au fil du Moyen Âge, on peut aussi bien penser un concept de démocratie adapté aux différentes époques3. La définition d’un tel concept pour les villes de la fin du Moyen Âge aurait en outre le mérite considérable de contraindre à prendre en compte les aspirations politiques des citadins médiévaux, sans les réduire à un « homme médiéval » statufié, homo oeconomicus ne cherchant dans la politique que l’optimisation du cadre économique de son action. Il a été parfois utilisé même dans la recherche des dernières décennies, par exemple dans un volume collectif sur Ulm4, ou plus récemment encore dans la thèse d’Alexandra Gallo qui fait de Sisteron, très loin de la Souabe, « un atelier de la démocratie », dans son titre même5. De la même façon, Heinz Schilling ou Rolf Kießling6 parlent avec la prudence qui s’impose de république et de républicanisme pour nos villes, ce qui est du reste une manière de reculer devant le terme « démocratie » : ils soulignent par ces mots l’importance d’une organisation politique stabilisée par le fonctionnement régulier d’institutions clairement délimitées ; l’exigence de représentativité et de respect des intérêts de tous que le mot « démocratie » implique n’y figure pas. Les chartes constitutionnelles méritent d’occuper une place dans le débat, parce que ces textes réalisent le passage d’une forme de gouvernement essentiellement secrète et orale, telle que pratiquée par les gouvernements patriciens, à une forme écrite et publique. Ce qui, pour beaucoup d’historiens, rend insupportable l’assimilation des régimes de métiers, ou au moins des plus ouverts d’entre eux, à une forme de démocratie tient beaucoup plus dans le second terme de la comparaison que dans la situation des villes médiévales. Certainement, face à l’image d’une démocratie idéale, les villes étudiées ici font pâle figure. Mais les parlements du monde d’aujourd’hui ne





2 Cf. par exemple K. O. Müller, Die oberschwäbischen Reichsstädte, p. 278, qui parle de l’introduction des métiers à Isny comme « eine Demokratisierung bzw. Erweiterung des Rates » (une démocratisation ou extension du conseil). Pour des exemples plus anciens, cf. K. Schreiner, « Kommunebewegung und Zunftrevolution », par ex. p. 147 avec Ernst Theodor Gaupp qui interprète en 1824 l’évolution de la ville comme le passage d’un principe monarchique à un principe aristocratique (les gouvernements patriciens), puis avec les régimes de métiers à un principe démocratique. 3 J. Sydow, « Zur verfassungsgeschichtlichen Stellung von Reichsstadt… », p. 170. 4 H. E. Specker, Die Ulmer Bürgerschaft auf dem Weg zur Demokratie. 5 A. Gallo, Sisteron au Moyen Âge, un atelier de la démocratie, xiiie-xive siècles, Paris, Éditions du Comité des travaux historiques et scientifiques, 2016 (CTHS Histoire 60). 6 H. Schilling, « Gab es im späten Mittelalter und zu Beginn der Neuzeit in Deutschland einen städtischen „Republikanismus“ ? Zur politischen Kultur des alteuropäischen Stadtbürgertums », dans Republiken und Republikanismus im Europa der Frühen Neuzeit, dir. par H. G. Koenigsberger, Munich, Oldenbourg, 1988 (Schriften des Historischen Kollegs. Kolloquien 11), p. 101-144 ; R. Kießling, « Städtischer Republikanismus ».

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sont eux aussi qu’un reflet déformé de la société qu’ils représentent, et dans le corps civique contemporain des pans entiers sont tout autant éloignés de toute forme de participation politique directe – comme les plus modestes des membres des métiers. C’est moins un problème juridique qu’une question d’intégration sociale, même si le corps civique de nos villes est, naturellement, moins exhaustif que la citoyenneté moderne – mais du moins, s’il exclut les dépendants ou les femmes, il ne se limite pas à un étroit cercle élitaire. Quoi qu’il en soit, la distance entre ces villes et ce que décrivait Bernard Chevalier pour les bonnes villes françaises pourrait difficilement être plus grande. La différence tient d’abord à la place que tiennent les institutions dans la vie politique de ces villes : il y a dans toutes ces chartes, dans leurs usages, mais aussi dans d’autres documents, la conviction que c’est en dessinant les meilleures institutions possibles qu’on assurera la prospérité de la ville. Dans les échevinages des bonnes villes françaises, dit Bernard Chevalier, « la cooptation règne sans partage7 » : au contraire, dans nos villes, l’élection est le principe dominant, et ce n’est pas un fait négligeable. Les chartes constitutionnelles le disent avec force, et la pratique le confirme avec toutes les nuances qui s’imposent. Sans doute il existe une pensée anti-démocratique dans les villes, à Nuremberg naturellement où le paternalisme est l’essence de la pensée politique8, mais aussi à Ulm : lorsque le Conseil se présente dès le milieu du xve siècle comme une Oberkaitt (autorité) habilitée à « ir vnderthon vnd den gemein manne In aller erberkait vnd billichait zu regieren9 » (gouverner ses sujets et l’homme du commun en tout honneur et équité), il annonce une tendance souvent soulignée, celle d’une construction du Conseil comme autorité suprême et non comme instance représentative ; chez le duc Albrecht d’Autriche, c’est une pensée élitaire plus affirmée encore qui est à l’œuvre lorsqu’il supprime les métiers de Fribourg en 1454 : Und alsdann ettwieuil personen von den zünfften in den rat hie gangen sein, die nit als achtper noch tougenlich dartzu ainsteils an narung so vermügenlich nit waren, daz sü ainen rate ainer solher namhafften statt auszewarten wissten, noch deshalb gezimpten zu

7 B. Chevalier, Les bonnes villes en France…, p. 205. 8 Cf. par exemple le poème de Hans Rosenplut sur Nuremberg (Rosenplut, Reimpaarsprüche und Lieder, notamment p. 233). 9 Texte cité par E. Naujoks, Obrigkeitsgedanke, Zunftverfassung und Reformation, p. 15, d’après le prologue inédit d’un livre de droit du milieu du xve siècle. P. Blickle, « Politische Landschaft Oberschwaben », p. 21, considère avec raison qu’il faut sans doute voir dans ce passage au moins autant une tentative de se conformer aux conceptions politiques des princes et des souverains qu’une pensée politique autochtone. Il faudrait aussi s’interroger sur le sens précis de « vnderthon » : ces « sujets » sont-ils vraiment les bourgeois de la ville, ou plutôt les habitants du territoire de la ville ? Le juriste Johann Jacob Moser, qui s’interroge à la fin du xviiie siècle sur les constitutions des villes d’Empire, fait une distinction significative : « Der Magistrat ist der Burgerschafft Obrigkeit, aber nicht ihre Herrschaft ; und die Burger seynd des Raths Untergebene, aber nicht seine Unterthanen » (cité d’après E. Isenmann, « Die städtische Gemeinde im oberdeutschen-schweizerischen Raum », in Peter Blickle (dir.), Landgemeinde und Stadtgemeinde in Mitteleuropa. Ein struktureller Vergleich, Munich 1991, p. 191-261, ici p. 260 : Le magistrat [= le conseil] est l’autorité de la bourgeoisie, mais pas son seigneur ; et les bourgeois sont les administrés du conseil, mais pas ses sujets).

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geprauchen, nach dem und zu rat und gericht ainer statt nur personen gehörn zesetzen, die mit redlichkait auch vernunfft seyen, vnd irer narung rechtuerticlichen, und nach eren nutzlichen, den obligen mügen, daz nu an ettwieuil hantwerchern, die anders nit haben, dann was sy teglichs mit irer arbeit gewynnen vnd villeicht sunst datzu vngeschickt sind, nicht gesein mag10.

Y compris par son vocabulaire, ce texte anticipe très clairement l’argumentation de Charles Quint contre les régimes de métiers après 154811, et on peut sans doute admettre qu’une partie au moins de cette dévalorisation des métiers manuels était présente chez les élites urbaines elles-mêmes, et pas seulement à Fribourg. Dans cette justification, ce qui frappe est le souci de restreindre la participation politique à des élites fonctionnelles, distinguées par la naissance et le savoir. Repousser par principe la notion de démocratie, c’est ne pas reconnaître la force des objectifs poursuivis par nos citadins de Souabe, Franconie et régions voisines : l’élargissement de la participation politique est conçu, on l’a vu, comme une condition d’efficacité du processus de décision politique, contre la contestation des dirigeants par le commun des bourgeois, mais aussi contre les tentations auquel le pouvoir soumet ceux qui l’exercent. La vie politique intense qui en est la conséquence, pendant les longues décennies d’existence de ces régimes politiques, est la preuve que les citadins ont bel et bien pris possession des possibilités offertes par les chartes constitutionnelles. Celles-ci, dans la sobriété de leur rédaction, dans l’absence presque totale de toute forme de rituel ou de sacralité des processus institutionnels qu’elles décrivent, montrent sans ambiguïté que ce n’est pas simplement dans le spectacle édifiant du pouvoir qu’elles fondent la légitimité de l’action politique ; plutôt que de bien commun ou d’inscription dans un dessein divin, elles parlent de garanties d’indépendance et de procédures de contrôle, elles pèsent les équilibres numériques au sein des conseils, elles protègent le processus électoral des possibilités de confiscation du pouvoir. Elles sont éminemment pragmatiques dans leur conception, mais ce pragmatisme s’appuie sur des valeurs fortes : il s’agit, certes, de maintenir la prospérité de la ville et de défendre le bien commun, mais par la transparence, le consensus social, la responsabilisation du plus grand nombre. Ce n’est pas un mince accomplissement. Par tous ces aspects, les réflexions des auteurs des textes de notre corpus peuvent intéresser l’historien bien au-delà de la sphère locale à laquelle ces questions politiques urbaines ont souvent été réduites. Sans doute de telles chartes ne sont-elles pas de ces documents qui valent accès direct à la vie quotidienne de l’homme médiéval ou qui dessinent l’horizon intellectuel ou émotionnel d’un groupe social. Sans doute 10 Fribourg 1454, p. 435-436 : « Et comme certaines personnes des métiers sont allées au conseil qui n’étaient pas si honorables ni capables, en partie parce qu’elles ne disposaient pas de ressources suffisantes pour pouvoir pourvoir aux affaires d’une ville aussi considérable, et qui ne convenaient pas pour cela parce qu’il ne convient de désigner au conseil et au tribunal d’une ville que des personnes qui soient de bon sens en même temps qu’honnêtes, conformément à leurs ressources et utiles par honneur, puissent y pourvoir, ce qui n’est pas possible avec certains artisans qui n’ont pas autre chose que ce qu’ils gagnent quotidiennement par leur travail et y sont sans doute inaptes » (la traduction tient compte de la syntaxe confuse du texte original). 11 E. Naujoks, Kaiser Karl V. und die Zunftverfassung, notamment p. 51-53.

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n’ont-elles pas un ancrage philosophique ou une généalogie aussi prestigieux que les travaux des grands auteurs de la théorie savante produite dans les universités de leur temps, sans doute la réception de ces conceptions urbaines n’ont-elles guère dépassé l’aire géographique et les milieux sociaux qui ont été impliqués dans leur production. Est-ce une raison pour s’en désintéresser et concentrer son attention sur d’autres niveaux d’interaction politique, seigneurs, aristocrates et souverains, comme le fait volontiers l’historiographie allemande depuis quelque temps ? En réduisant le rapport des citadins à la politique à une question de valeurs, de pratiques de rites, en l’ancrant dans le champ des mentalités plutôt que dans celui d’une pensée construite, on ne fait que suivre une pente naturelle que nos sources favorisent, dès lors que les acteurs parlent si peu de théorie, ou plus prosaïquement de la démarche qu’ils ont suivie pour aboutir aux différents systèmes politiques de nos villes. Les chartes et la longue durée de leur validité montrent pourtant à quel point une telle pensée était présente. Les auteurs ont eu des conséquences politiques du processus électoral une conscience aiguë, et c’est cette conscience, et non un inépuisable localisme, qui leur fait inventer des systèmes toujours différents, parce que toujours adaptés à des objectifs politiques définis et d’ailleurs facilement lisibles dans les chartes. Il faut prendre au sérieux les acteurs de la société médiévale, non pour leur capacité à changer le monde ou à dessiner les chemins de l’avenir, mais pour la singularité de leur expérience, qu’ils soient rois, évêques, paysans ou même bourgeois d’une ville d’Empire. Les citadins d’Allemagne du Sud n’ont pas siégé dans l’église Saint-Paul de Francfort en 1848, ni en 1919 au Théâtre National de Weimar ; ils n’ont pas plus écrit Il Principe que le Defensor Pacis qui, composé pourtant dans l’entourage de Louis de Bavière dans les années 132012, n’est sans doute pas parvenu jusqu’à eux, et ils n’ont pas même eu la présence d’esprit de porter leurs réflexions au niveau d’une théorie politique. Nos chartes constitutionnelles en témoignent pourtant, les raffinements institutionnels qu’ils ont inventés pour leurs villes respectives ont beau être le produit d’un pragmatisme soucieux d’efficacité, leur ambition est de prendre en compte les réalités complexes de l’organisme urbain et de penser la sphère politique comme le lieu d’interactions constantes entre les groupes qui composent la société urbaine. Ils ne se contentent pas des valeurs passe-partout de la concorde, de la paix publique et du bien commun, et la justesse de leur appréhension du monde urbain est attestée par la longue durée des régimes ainsi créés. Il est temps de regarder penser ceux qui, dans la société médiévale, n’ont pas accès au monde des savants.

12 L’ouvrage de Marsile de Padoue n’a pas été traduit en allemand au Moyen Âge, et aucune diffusion dans les villes allemandes ne semble attestée au xive siècle (cf. la description des manuscrits dans l’édition des MGH : Marsile de Padoue, Defensor Pacis, éd. R. Stolz, Hanovre, Hahn, 1933 (MGH Fontes iuris in usum scholarum 7), p. VII-XLVI). Deux manuscrits ont certes appartenu à la famille Neithard, famille patricienne d’Ulm dont de nombreux membres exercent des charges de secrétaire municipal dans diverses villes de la région, et ils ont même sans doute été copiés pour eux ; mais ils ne datent que du milieu du xve siècle et l’un d’eux semble copié d’un manuscrit réalisé en 1401 (cf. ibid., p. XXI-XXII) : il apparaît que le concile de Constance a joué un rôle important dans la diffusion du traité dans le monde germanique, bien après la rédaction de nos chartes.

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Annexes

Les chartes constitutionnelles et leurs éditions1 Augsbourg, 1340 : copie dans Augsburg, Staats- und Stadtbibliothek, 2° Cod. Aug. 154, fol. 177r-179r2, éd. UB Augsburg. Augsbourg, 1368 I : Augsburg, SA, Reichsstadt Augsburg, Urkunden 143, éd. UB Augsburg II, p. 146-148, et StA Augsburg, Urkunden 1368 November 243. Augsbourg, 1368 II : Augsburg, SA, Reichsstadt Augsburg, Urkunden 144, éd. UB Augsburg II, p. 148-152. Biberach, 1374 : Stuttgart, HSA, B 162, U 33, éd. J. Chr. Lünig, Das Teutsche Reichs-Archiv, [t. XIII] (Partis Specialis IV. und letzte Continuation), p. 186-187. Constance, 1371 : Konstanz, StA, A I 8 Bd. 1, fol. 13r-v (copie dans la chronique de Schulthaiß), éd. Ph. Ruppert, Das alte Konstanz in Schrift und Stift, p. 319-322. Constance, 1430 : Karlsruhe, GLA, D 666, éd. ibid., p. 361-3684. Dinkelsbühl, 1387 : Augsburg, SA, Reichsstadt Dinkelsbühl Urkunden 23, éd. L. Beck, Beiträge zur Regiments- und Verfassunsgeschichte der ehemals freien Reichsstadt Dinkelsbühl, Beilage 1, p. 46-48. Esslingen, 1316 : Stuttgart, HSA, H 51, U 824 (copie dans la charte de Charles IV de 1375), éd. UB Esslingen, t. I, p. 214-216. Esslingen, 1376 : Ludwigsburg, SA, B 169, U 479, éd. ibid., t. II, p. 144-145. Esslingen, 1392 : Ludwigsburg, SA, B 169, U 480, éd. ibid., t. II, p. 336-3415. Fribourg-en-Brisgau, 1248 : Freiburg im Breisgau, StA, A 1 Va 1248 Mai, éd. M. Blattmann, Die Freiburger Stadtrechte, t. II, p. 701-704.





1 Les cotes d’archive ont été systématiquement précisées pour rendre plus pratique l’accès aux sources primaires. Je n’ai cependant pas pu consulter directement l’ensemble des documents originaux : seuls les documents mentionnés ci-après parmi les sources originales ont pu être consultés en version originale ou en version numérique ; dans ce cas, les textes sont cités d’après les originaux, la pagination issue de l’édition n’étant citée que pour faciliter l’accès au texte. 2 Manuscrit du Stadtrecht d’Augsbourg (1276), copié pour le bailli Ulrich Langenmantel en 1447, cf. R. Schmidt, « Zum Augsburger Stadtbuch von 1276 », p. 142-148. 3 Cf. sur ces deux originaux CDS 4, p. 132-134. 4 Cf. aussi O. Feger, Vom Richtebrief zum Roten Buch, p. 126-130 : description informelle du système politique de 1430 à destination du conseil de Fribourg. 5 Renouvellements de la charte en 1401 et 1414, dont les variantes sont éditées en note dans UB Esslingen II : Ludwigsburg, SA, B 169, U 481 et 482 ; renouvellements ultérieurs (à partir de 1491) : Esslingen, StA, F 4, Nr. 5.

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a n n e xe s

Fribourg-en-Brisgau, 1293 (privilège du comte de Fribourg) : Freiburg im Breisgau, StA, A 1 Ib Nr. 3 1293 August 28, éd. H. Schreiber, Urkundenbuch der Stadt Freiburg, t. I, p. 140-1436. Fribourg-en-Brisgau, 1392 I (24 mai) : Freiburg im Breisgau, StA, A1 Ie 1392 Mai 247, éd. ibid., t. II, p. 88-89. Fribourg-en-Brisgau, 1392 II (27 juin) : Freiburg im Breisgau, StA, A1 Ie 1392 Juni 278, éd. ibid., t. II, p. 89-92. Fribourg-en-Brisgau, 1454 : Freiburg im Breisgau, StA, A1 Ie 1454 August 24, éd. ibid., t. II, p. 434-441. Heilbronn, 1371 : Stuttgart, HSA, H 51 U 780, éd. UB Heilbronn, p. 122-125. Isny, 1381 : Stuttgart, HSA, B 193, U 73, éd. partielle T. Jäger, « Einige Verträge », t. III, p. 244-249. Memmingen, 1347 : Memmingen, StA, A 399/1, éd. F. Braun, « Die Einführung der Zunftverfassung… », p. 69. Mosbach, 1337 : Mosbach, StA, U 8, éd. UB Mosbach, p. 63-6410. Mosbach, 1435 : Mosbach, StA, U 57, éd. ibid., p. 210-212. Munich, 1403 : München, StA, Zimelie 9, fol. 27r-30v, éd. P. Dirr, Die Denkmäler des Münchner Stadtrechts, p. 604-609. Pfullendorf, 1383 : Karlsruhe, GLA, Bestand 2, 1647, éd. K. Walchner, Geschichte der Stadt Pfullendorf, p. 160-17411. Reutlingen, 1343 : Stuttgart, HSA, H 51 U 443, éd. C. F. Gayler, Historische Denkwürdigkeiten, t. I, p. 47-49. Reutlingen, 1374 : Reutlingen, StA, Statutenbuch I, p. 121-125, éd. ibid., p. 76-79. Rothenburg, 1455 : Rothenburg, StA, A 361, fol. 1 et B 186b (copie du xviie siècle), éd. R. W. von Betzold, Die Verfassung und Verwaltung der Reichsstadt Rothenburg, p. 171173. Rottweil, 1378 : StA Rottweil, éd. UB Rottweil, p. 173-175. Schwäbisch Hall, 1340 : I. Stuttgart, HSA, B 186 U 73 [charte des arbitres]12 ; II. Ibid., H 51 U 419 [charte de Louis de Bavière], éd. H. Lentze, Der Kaiser und die Zunftverfassung bis zum Tode Karls IV., p. 262-264 (I) et 264-266 (II).

6 Cf. aussi le code de droit promulgué le même jour (éd. M. Blattmann, Die Freiburger Stadtrechte, t. II, p. 672-694), et les projets précédents de 1275 (éd. de l’un des deux projets : ibid., t. II, p. 656-671). 7 Cf. aussi Karlsruhe, GLA, 21 Nr. 2518 (copie ou brouillon avec ratures). 8 Copies : Karlsruhe, GLA, 21 Nr. 2511 (charte du conseil) et 2512 (charte du duc). 9 Autre éd. : J. Miedel, « Kaiser Ludwig der Baier und die Reichsstadt Memmingen », Memminger Geschichtsblätter 19/2 (1933), p. 13 ; reproduction : R. Eirich, Memmingens Wirtschaft und Patriziat…, ill. 2. 10 Cf. aussi la charte de 1338 sur l’élection des juges et des jurés, p. 66-67. Les deux chartes de 1337 et 1435 sont aussi éditées dans Oberrheinische Stadtrechte. Fränkische Rechte, p. 547-549 et 570-572. 11 L’édition de Walchner n’a pas utilisé la charte originale, mais une copie plus tardive, peut-être celle conservée aujourd’hui à Karlsruhe, GLA, 217, no 304 (non datée). 12 Photo : G. Lubich, Geschichte der Stadt Schwäbisch Hall, p. 221 (légende erronée).

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Überlingen, 1309 : Karlsruhe, GLA, D 156, éd. F. Geier, Überlingen, p. 3113. Ulm, 134514 : Copie dans le Rotes Buch, Ludwigsburg, SA, B 207 Bd. 49, fol. 72r-73r, éd. C. Mollwo, Das rote Buch, p. 108-111. Ulm, 1397 : Ulm, StA, A Urk. 1397 März 26, éd. H. E. Specker (dir.), Ulmer Bürgerschaft, p. 508-514 (avec photo). Villingen, 1324 : Villingen-Schwenningen, StA, Best. 2.1, D 16, éd. C. Roder, Villingen, p. 17-2015. Wangen, 1381 : Stuttgart, HSA, H 51, U 892, éditée ci-dessous. Weißenburg, 1377 : Weißenburg, StA, U 1377 April 22, éd. P. F. Haberkorn, Weißenburg in Bayern, p. 279-281.

Charte de Wangen, 11 novembre 1381 Stuttgart, Hauptstaatsarchiv, H 51 U 892. Wir Wentzlaw von gots gnaden Romischer kuning zu alln zeiten merer des Reichs und kunig zu beheim bekennen und tun kund offen|lichen mit diesem brieue alln den die yn sehen oder horen lezen [sic], das wir gebeten seyn von wegen der Burgermeyster des Ammannes Rates| und der Burger gemeynlichen der Stat zu wangen unser und des Reichs lieben getrewen das wie yn eyne tzunfft die sie in der Stat| zu wangen gemacht haben gnedeclichen geruchten zu confirmiren. Des habn wir angesehen ire redeliche bete und auch durch dienste| wille die sie uns und dem Reiche getan haben und furbas dester volliclicher tun sullen und mogen yn kunfftigen zeiten und haben| der vorgenanten Stat von wangen die vorgenante czunfft die sie gemachet haben durch nuczes wille der vorgenanten Stat von be|sundern unseren gnaden bestetet beuestent und confirmiret, besteten beuesten und confirmiren yn die mit rechter wissen und Romische kung|licher mechte volkomenheit und craffte ditz brieues das sie in yre czunfft in der vorgenanten Stat zu wangen under enander seczczen| und entseczczen mogen noch [= nach] nutze und notdurfft der vorgenanten Stat wangen unstedelich doch uns und dem Reiche und yedem| manne an seynen rechten. Dorumb gebieten wir allen fursten geystlichen und werltlichen [sic] Grauen herren freyen dienstleuten Rittern| knechten Steten merckten dorffern und allen andern unßn und des Reichs lieben getrewen in welchirleye wesen eren oder wirden die seyn, das sie die vorgenanten Burger und Stat zu wangen an sulcher

13 Fac-similé : H. von Sybel, Th. Sickel, Kaiserurkunden in Abbildungen, fasc. 8 (1887), planche 8b, sans édition. Les successeurs de Henri VIII ont renouvelé ce privilège pendant quelques décennies, sans en détailler l’application (Frédéric le Beau en 1315, D 183 ; Louis de Bavière en 1330, D 216 ; Charles IV en 1348, D 265). 14 Le texte n’étant pas daté, la date de 1345 est une conjecture généralement reprise dans la recherche, cf. C. Keitel, « Städtische Bevölkerung und Stadtregiment », p. 105. 15 Photo : C. Bumiller, « Villingen im Spätmittelalter. Verfassung, Wirtschaft, Gesellschaft », in Villingen und Schwenningen. Geschichte und Kultur, dir. par H. Maulhardt, Villingen-Schwenningen, Kuhn, 1998, p. 119-154, ici p. 128. Cf. aussi la copie amendée de 1418, destinée à adapter le système de 1324 à un conseil dont le nombre de membres vient d’être diminué (variantes à l’édition citée et ibid., p. 93-94).

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unßre gnaden nicht hindern noch irren sullen in dhei|nem weis [sic], und were sie doran hinderte oder irrete der sol in unßr und des Reichs swere ungnade vorualln seyn. Mit urkunde ditz brie|ues vorsigelt mit unßre kuniglichen maiestat Ingsigel der geben ist zu frankenfurd uff dem moyen Noch Crists geburd drey|tzehenhundert Jar dornoch in dem Eynundachtzigsten Jare an sende Michals tage des heiligen Ertzengils unß Reiche der Behe|mischen in dem newenzehenden und des Romische in dem Sechsten Jahre. [mention de chancellerie] de mandato dni .. Regis d[omi]no Conr[ado] Mag[ist]ro curie| referente Martinus ecc[les]ie s[anc]te Cruc[is] Vrat[islauensis] scolastic[us]. [mentions dorsales, par ordre chronologique] R[egistrata] Johannes Lust/ zunft brief/ Konig wentzlaw frihait und bestattigung der zunfft zu wanngen xiijC lxxxj Jar/ 1381| No 5/ 14.26 8.

Bibliographie

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Hegel, Die Chroniken der deutschen Städte

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1 Ce texte, rédigé par le serviteur du conseil Clemens Jäger, est produit dans le cadre des troubles ayant suivi l’abolition du régime des métiers par Charles Quint ; Georg Österreicher a été maire dans une brève période où le régime des métiers a été rétabli ; cf. sur ce texte D. Adrian, Augsbourg à la fin du Moyen Âge, p. 133-134.

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Index géographique

Aalen  33 Aix-la-Chapelle (Aachen)  20, 52 Annweiler  61 Augsbourg (Augsburg)  5, 10-12, 14-16, 20, 27, 31, 34, 36, 37, 44-47, 49, 50, 5257, 64, 65, 67-70, 75, 76, 80, 84-86, 89, 92-100, 102, 104, 106, 111-113, 119, 122, 125, 127, 128, 130, 133-136, 139, 141, 143, 145, 147, 148, 150-154, 157, 158, 161-163, 168-171, 173, 174, 181, 186 Bayreuth  48 Berlin  20 Berne (Bern)  24 Biberach  25, 28, 36, 46, 57, 58, 81, 122, 134, 160, 162 Bönnigheim  47 Brême (Bremen)  170 Buchhorn  11, 12 Buchloe  10 Coblence (Koblenz)  138 Colmar  42, 58 Cologne (Köln)  32, 52, 89, 115, 131 Constance (Konstanz)  8, 11-16, 32, 34, 37-40, 42, 44, 45, 50, 52, 53, 57, 59, 60, 63, 67, 71, 76-78, 80, 81, 92, 99-101, 103, 105-107, 110, 113, 115, 118, 119, 126-128, 133, 135-138, 146, 149, 153, 156, 160, 161, 168, 170-172, 179, 181 Diessenhofen  60 Dillingen an der Donau  10 Dinkelsbühl  44, 46, 55, 56, 69, 72, 84, 94, 97-99, 128, 140-144, 146, 149, 153, 155, 157, 164

Donauwörth  76 Eisenach  88 Esslingen  11, 14, 16-18, 23, 25, 31, 36, 37, 41, 42, 52, 53, 55, 57, 63, 66, 68, 74, 75, 80, 81, 85-91, 93-95, 98-101, 105-107, 110, 111, 123, 128, 133, 134, 139-141, 143-146, 149, 151, 154-156, 159, 161, 162, 164, 165, 167, 169, 175, 181 Francfort-sur-le-Main (Frankfurt am Main)  52, 103, 179 Fribourg-en-Brisgau (Freiburg im Breisgau)  8, 10, 11, 13, 19, 24, 25, 28, 32-34, 40, 41, 49, 66, 72, 73, 88, 89, 94, 96, 97, 104, 109, 117-119, 124, 125, 128, 129, 131, 132, 135, 140, 142, 143, 154, 158, 163, 167, 172, 177, 178 Füssen  10 Gengenbach  10, 48, 66, 120, 143 Giengen an der Brenz  9 Haguenau  143 Halberstadt  170 Heidelberg  62, 124 Heilbronn  58, 59, 73, 94, 100, 101, 123, 134, 140, 141, 146, 148, 164, 168, 169, 173 Isny im Allgäu  5, 9, 11, 14, 16, 26, 27, 31, 47, 75, 78, 79, 119, 132, 141, 160, 163, 176 Kaufbeuren  33, 44, 45 Kempten (Allgäu)  9, 11, 27, 30, 31, 47, 61, 66, 104, 119

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in d e x géo gr ap h i q u e

Krems an der Donau  11, 54, 62, 119, 166, 167 Landau in der Pfalz  136 Leutkirch im Allgäu  11, 44, 45, 89 Lindau  9, 27-29, 33, 77, 89, 120, 137, 153 Lucerne (Luzern)  51, 96 Magdebourg (Magdeburg)  46, 131 Mayence (Mainz)  52, 131 Memmingen  10, 11, 14, 27, 32, 35, 36, 44, 46, 47, 49, 50, 55, 68, 75, 78, 81, 84, 97, 98, 107, 110, 115, 120, 122, 131, 132, 134, 137, 141, 143, 151, 153, 159, 160, 162, 163 Mosbach  11, 34, 56, 60, 84, 92, 99, 104, 124, 134, 143, 153, 158, 172 Mühlberg  61 Munich (München)  28, 54, 56, 57, 72, 78, 80, 84, 93, 95, 98, 101, 117, 121, 141, 142, 146, 149, 154, 158, 164, 168-170 Nördlingen  8, 12, 30-33, 36, 38, 49, 64, 67, 78, 98, 126, 127, 156 Nuremberg (Nürnberg)  8, 10-14, 19, 28, 44, 51, 61, 64, 65, 72, 81, 89, 110, 119, 120, 132, 151, 177 Offenburg  10, 49 Passau  72 Pfullendorf  5, 8, 14, 27, 36, 37, 45, 91, 92, 97, 99, 101, 125, 128, 131, 133, 134, 137, 141, 152, 156, 157, 159, 162, 164, 165, 171, 175 Ratisbonne (Regensburg)  20 Ravensburg  12, 17, 25, 28, 46, 58, 90, 119, 122, 137, 153, 162 Reutlingen  25, 27, 29, 36, 55-58, 67, 81, 87, 89, 91-94, 100, 102, 107, 123, 128, 133, 134, 139, 140, 144, 149, 150, 155, 165, 167, 168, 171, 172 Rothenburg ob der Tauber  28, 45, 59, 64, 65, 133, 138, 148, 154, 171

Rottweil  10, 26, 36, 52, 56, 68, 77, 79, 80, 82, 83, 87, 91, 93, 98, 102, 107-109, 111, 112, 130, 138, 141, 146, 149-151, 157, 160-162, 172, 182 Saint-Gall (St. Gallen)  45 Saulgau  25 Schaffhouse (Schaffhausen)  44, 60, 119 Schwäbisch Gmünd  14, 18, 29, 30, 33, 68, 110, 132 Schwäbisch Hall  30, 53, 62, 63, 75, 78, 85, 123, 136 Schweinfurt  10, 64 Sélestat  58, 73 Sisteron  176 Spire (Speyer)  7, 24, 129, 136 Stendal  20 Stettin (Szczecin)  170 Strasbourg  12, 52, 77, 80, 96, 101, 111, 120, 132 Stuttgart  10 Trèves (Trier)  138 Überlingen  11, 14, 35, 49, 57, 78, 89, 110, 111, 122, 137 Ulm  5, 9, 11, 12, 15-18, 23, 25, 43-46, 50, 52, 55, 63, 72-74, 78, 79, 81, 84-86, 89, 90, 95, 97, 98, 101, 102, 106, 111, 118, 121, 122, 125-127, 129, 130, 133, 134, 137, 145, 147, 152, 163, 170, 175-177, 179 Venise  120, 146 Villingen  10, 25, 43, 47, 88, 100, 111, 134, 135, 138, 150, 165, 173 Wangen im Allgäu  5, 11, 14, 35, 122, 162, 183 Weil der Stadt  9 Weimar  179 Weißenburg in Bayern  12, 63, 64, 68, 91, 93, 109, 124, 134, 138, 146, 149, 150, 155, 164, 168, 172, 173

i nd e x géo graphi q u e

Wimpfen (Bad Wimpfen)  47 Windsheim  10, 12, 64 Winterthur  135 Wismar  170

Worms  7, 81 Wurtzbourg (Würzburg)  65 Zurich (Zürich)  20, 71, 96, 132 Zwingenberg  80

203

Table des matières

Préface

5

Introduction

7

I. Des textes 23 Une charte ? 23 Le seuil de l’écrit 24 Plusieurs chartes 37 Chartes, codes, coutume 44 Désignations51 Bourgeois, souverains, arbitres 54 Nature juridique de ces chartes 66 II. Circonstances Le moment Procédures et influences Écrire les institutions municipales Expédition, promulgation, serments III. Des systèmes Principes constitutionnels Esquisse de vocabulaire du politique Les métiers au pouvoir Les groupes sociaux à l’œuvre Les Zünfte Les patriciens Le système des Conseils Le Petit conseil Le Grand conseil La commune Les élections Les magistratures Les représentants seigneuriaux Les maires Autres dispositions Contrôles et contre-pouvoirs La politique et au-delà

71 71 82 89 95 115 116 116 122 126 126 131 138 143 146 151 153 157 157 162 166 166 171

206

ta bl e d e s m at i è r e s

Conclusion : circulations interurbaines

175

Annexes Les chartes constitutionnelles et leurs éditions Charte de Wangen, 11 novembre 1381

181 181 183

Bibliographie 185 Abréviations185 Sources manuscrites 186 Sources imprimées 187 Études190 Index géographique

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