Les animaux aquatiques en latin : étude linguistique et sociétale (French Edition) 9782140335808, 2140335805

Cet ouvrage donne pour la première fois une liste complète des noms des animaux aquatiques en latin (notamment chez Plin

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Sommaire
INTRODUCTION
PARTIE I LES ANIMAUX AQUATIQUES DANS LA LANGUE LATINE ET LA SOCIETE ROMAINE
PARTIE II LES CATEGORIES DES ANIMAUX AQUATIQUES
PARTIE III TABLEAU SYNOPTIQUE
PARTIE IV SYNTHESE LINGUISTIQUE
CONCLUSION
Index des termes français
BIBLIOGRAPHIE
ABRÉVIATIONS
ANNEXE
TABLE DES MATIÈRES
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Les animaux aquatiques en latin : étude linguistique et sociétale (French Edition)
 9782140335808, 2140335805

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Cet ouvrage donne pour la première fois une liste complète des noms des animaux aquatiques en latin (notamment chez Pline l’Ancien, Ovide, Ausone) classés selon la zoologie moderne : poissons, crustacés, mollusques, éponges, oursins, étoiles de mer, vers, mammifères marins et « monstres » marins. Ils sont traités de manière pluridisciplinaire : traits saillants de la dénomination (cognition), attestations, formation du terme (emprunté, hérité, de date latine, suffixation) avec de nouvelles étymologies. Un exceptionnel tableau synoptique et deux index donnent les noms latins, français, anglais, italiens, allemands et les noms scientifiques de Linné. Le transfert métaphorique dénominatif est dominant à partir des entités terrestres perçues comme ressemblantes. Les animaux aquatiques jouent un grand rôle (cf. topoï et proverbes) : gastronomie, médecine, religion, aquaculture, ostréiculture, surpêche, disparités économiques des consommateurs.

Michèle FRUYT est professeur émérite de linguistique latine à SorbonneUniversité. Mauro LASAGNA est membre de l’Accademia Nazionale Virgiliana de Mantoue.

Couverture : composition de J.-M. Lartigaud à partir d’une mosaïque de Pompéi.

ISBN : 978-2-14-033580-8

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Michèle FRUYT et Mauro LASAGNA

Les animaux aquatiques en latin : étude linguistique et sociétale

Les animaux aquatiques en latin : étude linguistique et sociétale

                                    

Les animaux aquatiques en latin : étude linguistique et sociétale

Ouvrages de la série « Grammaire et linguistique » St. Dorothée, À l’origine du signe, le latin signum, 2006. M. Fruyt & S. Van Laer (dir.), Adverbes et évolution linguistique en latin, 2008. A. Thibault (dir.), Gallicismes et théorie de l’emprunt linguistique, 2009. L. Nadjo, La composition nominale. Études de linguistique latine. Textes réunis par F. Guillaumont et D. Roussel, 2010. L. Nadjo, Du latin au français d’Afrique noire. Textes réunis par F. Guillaumont et D. Roussel, 2010. C. Moussy, Synonymie et antonymie en latin, 2010. O. Spevak (dir.), Le syntagme nominal en latin, 2010. S. Roesch (dir.), Prier dans la Rome antique. Études lexicales, 2010. M. Fruyt & O. Spevak (dir.), La quantification en latin, 2010. J.-P. Brachet, M. Fruyt & P. Lecaudé (dir.), Les adverbes latins, 2012. A. Thibault (dir.), Le français dans les Antilles : études linguistiques, 2012. A. Christol & O. Spevak (dir.), Les évolutions du latin, 2012. M. Biraud (dir.), (Dis)continuité en linguistique latine et grecque. Hommage à Chantal Kircher-Durand, 2012. A. Rousseau, Grammaire explicative du gotique, 2012. Ch. Guittard & M. Mazoyer (dir.), La prière dans les langues indoeuropéennes : linguistique et religion, 2014. Ch. Guittard & M. Mazoyer (dir.), La fondation dans les langues indoeuropéennes : religion, droit et linguistique, 2014. G.B. Tara, Les périphrases verbales avec habeo en latin tardif, 2014. B. Bortolussi & P. Lecaudé (dir.), La causativité en latin, 2014. A. Morel-Alizon & J.-F. Thomas (dir.), La causalité en latin, 2014. M. Gayno, Le participe en latin aux VIe et VIIe s. ap. J.-C. Syntaxe et sémantique, 2015. C. Bodelot, M. Lasagna, A. Orlandini & M. Poirier, Invitation au thème latin. Latine reddere, 2018. J. Dalbera & D. Longrée (dir.), La langue d’Apulée dans les Métamorphoses, 2019. T. Taous, « Combattre » dans les épopées latines (-IIIes./+Iers.). Étude sémantique, 2020. M. Fruyt, A. Ollivier & T. Taous (dir.), Le vocabulaire intellectuel latin. Analyse linguistique, 2020. A. Christol, Le lexique culinaire latin : l’alimentation animale, 2022.

Michèle FRUYT et Mauro LASAGNA

Les animaux aquatiques en latin : étude linguistique et sociétale

Série « Grammaire et linguistique » dirigée par Michèle Fruyt et Michel Mazoyer Collection Kubaba Couverture : Maquette de Jean-Michel LARTIGAUD www.lartigaud.com Illustration : Composition à partir d’une mosaïque de Pompéi (Casa del fauno) Museo Archeologico Nazionale di Napoli Logo de l’Association Kubaba : Vladimir Tchernychev

Comité scientifique de la série « Grammaire et linguistique » : Colette Bodelot, Bernard Bortolussi, Jean-Paul Brachet, Michèle Fruyt, Maria Jimenez, Anna Orlandini, Paolo Poccetti, Sophie Roesch, André Thibault, Jean-François Thomas, Christian Touratier, Sophie Van Laer

Centre Alfred ERNOUT de Linguistique latine, Sorbonne-Université, 28 rue Serpente, 75006-Paris

© L’Harmattan, 2023 5-7, rue de l’Ecole-Polytechnique, 75005 Paris http://www.editions-harmattan.fr ISBN : 978-2-14-033580-8 EAN : 9782140335808

 

AVANT-PROPOS

La première élaboration de cet ouvrage s’inséra dans les travaux du projet financé par l’ANR intitulé Dictionnaire historique et Encyclopédie linguistique du latin (DHELL) et réalisé pendant plusieurs années par l’équipe du Centre Alfred Ernout de Paris-Sorbonne (Paris IV). Une première étape figura sur le site du DHELL hébergé à l’Université de ParisSorbonne, devenue Sorbonne-Université, de 2011 à 2021. Le présent ouvrage en constitue une version très largement développée et remaniée. Le fait que la pérennité du site du DHELL ne soit pas assurée nous a poussés à recourir à une publication sur papier afin de sauvegarder pour la postérité un texte d’une grande qualité et utilité et d’autant plus précieux qu’il est pluridisciplinaire. Nous tenons à remercier vivement Andrea Truzzi pour ses précieuses informations scientifiques, Anne Ollivier pour sa collaboration et Caroline Février pour ses remarques et informations bibliographiques. Michèle Fruyt et Mauro Lasagna

ENGLISH SUMMARY This book gives, for the first time, a complete list of the aquatic animals attested throughout the whole Latin period (especially in Pliny the Elder, Ovid and Ausonius), classified according to modern zoological criteria: sea and river fish, crustaceans, shellfish, cnidaria, etc. (sponges, sea urchins, star fish, etc.), marine mammals and marine “monsters”. Each animal is analysed in a multidisciplinary manner: a description of its salient features justifying its denomination, the attestations of the name in the Latin texts, its origin and its morphological formation (borrowed, inherited or created by Latin, suffixation, etc.), including some new etymologies. A unique, easy to use and comprehensive synoptic table, along with indexes in French and English, facilitate access to the French, English, Italian and German names as well as to the scientific, Linnaean names. Through its linguistic and cognitive analyses, the book shows that the dominant denominative process here is metaphorical transfer from terrestrial animals with perceived similarities. The book also analyses the major role (which is confirmed by

Latin topoi and proverbs) played by marine animals in Roman society in gastronomy, medicine, religion, perception of the sea, aquaculture and oyster farming             

Sommaire Introduction Partie I : Les animaux aquatiques dans la langue latine et la société romaine Section I : Nos sources : les textes latins Section II : Aspects linguistiques de ce lexique Section III : Un terme générique : piscis Section IV : Les termes génériques des coquillages Section V : Les animaux aquatiques dans la société romaine Section VI : Conceptions de la mer et du monde Section VII : Les animaux aquatiques dans le savoir partagé Section VIII : Les dénominations descriptives Section IX : Orientation des transferts métaphoriques

11 17 17 29 35 45 54 70 78 87 99

Partie II : Les catégories des animaux aquatiques Introduction Chapitre 1 : Les poissons de mer Chapitre 2 : Les poissons de rivière Chapitre 3 : Les crustacés Chapitre 4 : Les mollusques Chapitre 5 : Cnidaires, annélides, échinodermes, spongiaires Chapitre 6 : Les mammifères marins Chapitre 7 : Monstres marins, animaux fabuleux, beluae Chapitre 8 : Les reptiles

107 107 109 231 271 291 337 353 363 375

Partie III : Tableau synoptique. Noms latins, noms scientifiques, noms français, italiens, anglais, allemands des animaux aquatiques

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Partie IV : Synthèse linguistique A. Les critères d’analyse B. Les types de dénominations selon les catégories d’aquatilia C. Formation des mots de date latine D. La suffixation E. Ré-interprétations en latin

415 415 422 431 432 441

Conclusion

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Index des termes français Index des termes anglais Bibliographie Abréviations Annexe Table des matières

453 460 469 478 479 481

 INTRODUCTION

La documentation disponible aujourd’hui sur les animaux aquatiques est remarquable, aussi bien par les sites qui présentent photos, vidéos, explications et descriptions détaillées que par les ouvrages scientifiques servant de référence. Nul n’a désormais besoin de faire de la plongée sousmarine pour connaître les animaux aquatiques dans leur milieu naturel. En outre, la zoologie moderne produit des classifications multiples pour cerner au plus près les réalités d’un point de vue scientifique. Notre rôle de latinistes est de compléter les démarches et connaissances contemporaines en remontant aux sources. Etablir un corpus complet des dénominations attestées en latin pour les animaux aquatiques est donc faire œuvre scientifique, même à l’heure actuelle. Le champ d’observation des latinistes pour les animaux aquatiques, ce sont les textes latins dans leur ensemble. Les textes peuvent être complétés par l’iconographie des animaux dans les mosaïques antiques, prouesses artistiques dont la précision permet parfois d’identifier les genres et des espèces. 1. Apport et originalité de notre ouvrage Le présent ouvrage donne une liste complète des noms des animaux aquatiques attestés dans les textes latins de l’Antiquité, ce qui n’avait pas été fait auparavant. En outre, ces termes sont traités de manière pluridisciplinaire et le livre intéresse plusieurs publics. Le livre fournit des données sur la langue latine et son vocabulaire technique, la linguistique latine et ses aspects lexicaux, synchroniques et diachroniques, le contenu des textes latins scientifiques et littéraires écrits en prose ou en poésie. Il offre aussi des informations (Partie I) sur la vie matérielle, l’alimentation, les fortunes différentes des couches sociales, l’élevage des poissons, la surexploitation de la mer, les goûts et les coutumes de la société romaine depuis l’époque archaïque au -IIIes. jusqu’à l’époque tardive. L’ouvrage touche aussi le public intéressé par les animaux aquatiques au sens large (le sens d’aquatilia chez Pline l’Ancien) : essentiellement les poissons, bien sûr, mais aussi les crustacés, les mollusques et en particulier les coquillages, divers animaux marins comme les éponges, les oursins ou les étoiles de mer, les mammifères marins et enfin les « monstres marins ». Les « monstres marins », hors du domaine de la zoologie, constituent un thème littéraire et iconographique récurrent dans l’imaginaire depuis l’Antiquité jusqu’à la Renaissance, et même au-delà, par exemple dans les tragédies classiques du XVIIes. Dans la Phèdre de Racine, suivant une tradition mythologique et littéraire (présente chez Euripide Hippolyte v.1173-1254 et Sénèque Phèdre v.1000-1114), c’est un monstre surgissant

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de la mer qui cause la mort d’Hippolyte. Les zoologues trouveront dans ce livre l’origine des dénominations à la base de leur nomenclature scientifique. Les éléments des binômes créés par le savant suédois Linné au XVIIIes., fondateur de la zoologie moderne, reproduisent la terminologie latine et grecque de Pline l’Ancien. 2. Ligne directrice de l’ouvrage Nos prédécesseurs latinistes dans le domaine des termes latins d’ichthyologie ont mis l’accent sur l’identification des poissons, crustacés, mollusques et autres, tâche délicate nécessitant de grandes compétences sur les textes latins, souvent maigres en informations précises, ainsi que des connaissances directes des animaux. Ces identifications ont laissé des zones d’ombre bien compréhensibles étant donné la nature des sources. Notre apport réside dans l’identification des animaux (souvent problématique), mais aussi dans la recherche de la raison d’être de leurs dénominations, le pourquoi pouvant justifier que tel ou tel animal aquatique s’appelle ainsi en latin. Notre étude lexicale et linguistique prend en compte le statut des termes dans le lexique latin, leur niveau de langue, la distribution de leurs attestations, le nombre de leurs occurrences, leur fonctionnement sémantique et sémantico-référentiel, leur formation, leur origine et étymologie ainsi que les procédés cognitifs qui sous-tendent leur création en mettant en lumière la nature et l’identité des traits saillants sélectionnés dans chaque animal par la communauté linguistique. De ce fait, le vocabulaire des animaux aquatiques, parce qu’il fait partie des catégories naturelles, révèle les procédés de création lexicale de ces domaines de la connaissance et, notamment, de domaines qui ne sont pas immédiatement accessibles à la communauté linguistique. Le latin illustre alors des phénomènes cognitifs répandus dans un grand nombre de langues. 3. Notre corpus L’établissement de notre corpus de termes latins nécessita de poser des frontières en délimitant l’expression animaux aquatiques, d’une part du point de vue des realia ou entités concrètes extralinguistiques, et d’autre part du point de vue lexical des termes latins qui dénomment et dénotent ces realia. Dans un second temps, la classification de ces données obligea à choisir une méthode et des critères pertinents. 3.1. Délimitation des animaux aquatiques Le terme latin dénotant la catégorie des « animaux aquatiques » est ăquātĭlĭa (cité au -Iers. par Varron dans son De lingua Latina 5,77,1), substantif neutre pluriel, qui représente la substantivation de l’adjectif aquatilis,-e, bâti sur aqua « eau » avec le suffixe -tilis/-atilis. Nous entendons par aquatilia les animaux vivant dans l’eau de mer et l’eau douce avec une définition plus restrictive que celle de notre principal

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informateur, Pline l’Ancien, qui traite, au +Iers. dans son encyclopédie l’Histoire naturelle, d’animaux qu’il considère comme aquatiques comme la loutre, le castor, l’hippopotame, mais que nous considérons comme terrestres. Nous prenons en considération les reptiles vivant dans l’eau ou proches de l’eau (la couleuvre d’eau, la tortue d’eau). Pour ce qui est de leur milieu naturel, les animaux dont la dénomination est étudiée ici sont, pour la plupart, des animaux marins et ce ne sont que des animaux marins pour les mammifères marins. La quasi-totalité des crustacés et coquillages sont également marins. Mais les poissons vivent dans la mer et dans les rivières, les fleuves, les lacs et les étangs. Les frontières marines n’étant pas étanches, des espèces d’eau douce ou saumâtre fréquentent les estuaires, les lagunes, les zones côtières. Inversement, certains poissons de mer remontent les rivières à des périodes de l’année pour leur reproduction (le saumon, l’esturgeon, etc.). On peut supposer que les dénominations élaborées en latin par les Romains portaient sur les animaux aquatiques qu’ils connaissaient le mieux : en premier lieu ceux rencontrés en Méditerranée occidentale et orientale, puis en Mer noire, dans l’Océan Atlantique sur la côte ibérique et gauloise jusqu’aux îles britanniques. Dans l’Atlantique, peut-être certains poissons remontaient-ils les côtes africaines vers le Nord. 3.2. Délimitation des termes latins Parmi les termes attestés dans les textes latins, nous avons retenu trois types de lexèmes : les noms importants, rencontrés dans des textes techniques mais aussi littéraires ; ensuite ceux qui se trouvent au moins chez deux auteurs, et ceux qui se trouvent au moins deux fois chez le même auteur (surtout Pline l’Ancien) ; enfin d’autres noms pour les animaux dont l’auteur (Pline l’Ancien) donne une description détaillée, même si ces termes ont une seule occurrence. Notre point de départ pour les textes de la période classique est l’ouvrage fondamental d’E. de Saint-Denis : Le vocabulaire des animaux marins en latin classique (Paris, Klincksieck, 1947), qui traite 260 noms d’animaux marins en considérant les textes depuis la période archaïque (les Hedyphagetica d’Ennius ; Lucilius) jusqu'à Pline l'Ancien, et, en outre, Isidore de Séville. Mais cet ouvrage ne prend pas en compte le texte fondamental d’Ausone pour les poissons de rivière : La Moselle (Mosella). Il était donc nécessaire d’inclure les données fournies par Ausone, dont la prise en compte justifierait à elle seule l’existence du présent ouvrage. Nous avons également largement bénéficié des commentaires d’E. de Saint-Denis dans ses deux volumes de la CUF (Paris, Belles Lettres) que sont les éditions des livres 9 et 32 de l’Histoire naturelle de Pline l’Ancien (respectivement 1955 et 1966). L’enquête d’E. de Saint-Denis est aussi exhaustive que possible pour la bibliographie antérieure. C’est une véritable mise au point des connaissances de son époque, une précieuse synthèse des

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travaux antérieurs sur les animaux aquatiques. Nous n’avons retenu que certains noms des animaux marins dont E. de Saint-Denis estime qu’ils sont « inconnus » ou non identifiables, certains termes étant d’attestation trop fragile. Par contre, nous avons ajouté certains termes de l’époque classique omis par E. de Saint-Denis (caluaria par exemple) et nous avons actualisé ce corpus lexical par rapport aux éditions de textes parues après 1947. Enfin, comme nous l’avons dit, nous avons intégré les lexèmes cités par Ausone. 4. Méthode, classement et présentation des données dans la Partie II Il convenait de clarifier les listes d’E. de Saint-Denis (1947) à l’aide d’une classification. Il était nécessaire de classer les différents animaux aquatiques dont les noms figurent dans les textes latins selon les critères scientifiques des naturalistes contemporains, ce qui fut réalisé grâce aux précieuses connaissances d’Andrea Truzzi, naturaliste. Des précisions pour les poissons de mer nous furent aussi fournies par P. Louisy (2002) et par d’autres spécialistes contemporains pour les poissons de mer et d’eau douce. 4.1. Classement scientifique et références modernes Ainsi notre étude est-elle organisée selon les classements scientifiques modernes. Comme ils sont variables (puisqu’on enregistre constamment des propositions nouvelles pour des changements de classification et de dénomination), nous avons retenu le classement le plus usuel pour les nonspécialistes de zoologie selon les indications d’Andrea Truzzi. C’est sur ce critère de classification contemporaine qu’est fondée la succession de nos 8 chapitres dans la 2e partie intitulée Les catégories des animaux aquatiques, qui est un dictionnaire raisonné des noms des animaux aquatiques en latin. Nous distinguons les catégories suivantes. Les poissons sont une superclasse du phylum Cordata (fr. Cordés). Nous séparons les poissons de mer (chapitre 1) et les poissons d’eau douce, de rivière, de fleuve ou d’étang (chapitre 2). Certains poissons sont à la fois de mer et de rivière : ils sont traités à la fois dans les chapitres 1 et 2 et leurs statuts variés sont expliqués dans l’introduction du chapitre 2. Les crustacés sont une classe du phylum Arthropodes (chapitre 3). Les mollusques constituent un véritable phylum (chapitre 4). Dans le chapitre 5, nous regroupons les annélides (scolopendre), les cœlentérés ou cnidaires (les polypes, méduses, coraux, actinies, madrépores), les étoiles de mer, les hérissons de mer, les holothuries, les ophiures (Échinodermes), les éponges (Spongiaires). Les mammifères marins font l’objet du chapitre 6. Le chapitre 7 concerne quelques animaux fabuleux et monstres marins relevant de l’imaginaire de la communauté linguistique, les beluae « bêtes marines de grande taille ». Enfin dans le chapitre 8 sur les reptiles figurent les noms de deux animaux aquatiques qui sont des reptiles dans la classification contemporaine : le serpent d’eau et la tortue d’eau.

Introduction

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4.2. Numérotation univoque des dénominations latines À l’intérieur de chaque chapitre de la 2e partie, chaque animal aquatique est affecté d’un numéro univoque à 2 chiffres : le 1er chiffre est celui du chapitre où il se trouve et le 2e celui de son entrée par ordre alphabétique à l’intérieur de ce chapitre. Ainsi le poisson appelé pompilus « le poissonpilote » correspond-il au numéro 1.102 puisqu’il appartient au chapitre 1 des Poissons de mer et que son entrée est la 102e dans ce chapitre 1. Le terme ostrea « l’huître » a le numéro 4.27 parce qu’il est traité dans le chapitre 4 des mollusques et qu’il y occupe par ordre alphabétique la 27e place. 4.3. Contenu de chaque entrée dans la Partie II Chaque nom latin bénéficie d’une entrée du dictionnaire dans la 2e partie. Dans chaque entrée, quand les informations sont connues, elles sont présentées selon l’ordre suivant. -Identification de l’animal. Après le nom latin servant de titre à l’entrée de dictionnaire, figurent les dénominations usuelles en français, le nom scientifique dans la nomenclature de l’ichthyologie moderne, les dénominations correspondantes en italien, anglais et allemand. Pour les noms dans ces langues modernes, nous avons dû sélectionner seulement certaines dénominations, car elles sont nombreuses et variées selon les circonstances, les régions, les époques, les usages de chaque groupe social et de chaque idiolecte. Par exemple, les poissons ont des noms si variés lorsqu’ils sont en vente sur un marché que la législation oblige désormais les poissonniers à indiquer, en plus du nom vernaculaire, le nom scientifique binomial pour éviter le flou des dénominations vernaculaires. -Description de l’animal. Elle insiste sur les traits pertinents perçus de manière cognitive par la communauté linguistique et qui justifient sa dénomination (traits physiques ou de comportement, d’habitat, etc.). -Attestations dans les textes latins. Nous donnons les références, depuis l’époque archaïque jusqu’à l’époque tardive, avec une sélection de passages accompagnés d’une traduction, que le terme soit savant avec peu d’occurrences limitées aux textes scientifiques, ou qu’il soit usuel dans la langue courante et figure dans les textes littéraires en prose et en poésie. -Formation du terme et son origine. Le terme peut être emprunté au grec ou au gaulois, hérité de l’indo-européen ou fabriqué en latin même. S’il est de date latine, nous analysons les modalités de la création lexicale, c.-à-d. son procédé de dénomination. -Création lexicale. Une comparaison entre la dénomination latine et notre connaissance de l’animal peut révéler les traits saillants sélectionnés dans l’animal par la perception des sujets parlants. Ces traits sont retenus comme fondement pour la création lexicale aboutissant à la dénomination. -Procédé de dénomination. La nature des traits saillants explique le procédé de dénomination appliqué à l’animal. Si le terme est de date latine et fabriqué en latin, nous étudions les ressorts de la création lexicale, c.-à-d.

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son procédé de dénomination. L’étude distingue 2 types de procédés dénominatifs, direct et indirect. Dans le procédé direct, le nouveau terme est fait sur la base de l’orthonyme du trait saillant sélectionné dans l’animal (par ex. fr. un rouget sur rouge, un barbeau sur barbe, lat. barbus « barbeau » sur barba « barbe », aurata « dorade, celle qui est dorée » sur aurum « or »). Dans le procédé indirect, on recourt à une autre entité dont on estime qu’elle partage le même trait saillant que l’animal aquatique et on transfère la dénomination de cette autre entité pour en faire la nouvelle dénomination de l’animal aquatique (par ex. fr. aiguille (de mer) sur aiguille, ange (de mer) sur ange, lat. acus « aiguille de mer » sur acus « aiguille », lat. leo « homard » sur leo « lion »). 5. Tableau synoptique dans la Partie III L’ensemble de ces données sur chacun des 286 termes latins répertoriés ainsi que sur chaque animal aquatique dénommé est résumé dans la 3e partie de manière synthétique dans un tableau présentant dans des colonnes successives le nom latin, le nom scientifique linnéen, les noms français, italien, anglais, allemand1. En outre, à la fin de l’ouvrage, deux index, des termes français et anglais, permettent de retrouver les termes latins par un autre biais. 6. Synthèse quantitative et qualitative (Partie IV) A l’issue de l’étude on comptabilise tous les termes étudiés, puis on les distribue selon leur origine en distinguant les nombreux emprunts au grec, les quelques emprunts au gaulois et à une autre langue, les termes hérités de l’indo-européen et les termes d’origine obscure. Comme leur création est antérieure au latin et ne s’est pas faite en latin même, ils ne sont pas impliqués dans l’étude des procédés de dénomination, qui ne concernent que les termes de date latine, donc un sous-ensemble de notre vocabulaire. L’étude qualitative des termes latins met en lumière les procédés de dénomination dominants sur l’ensemble du corpus.

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Comme nous l’avons dit au §4.3, étant donné le nombre et la grande variété des appellations vernaculaires en usage actuellement dans ces langues modernes, le lecteur nous pardonnera d’avoir dû opérer une sélection parmi elles.



PARTIE I

LES ANIMAUX AQUATIQUES DANS LA LANGUE LATINE ET LA SOCIETE ROMAINE

SECTION I : NOS SOURCES : LES TEXTES LATINS Quelques auteurs latins consacrèrent des parties de leur œuvre aux animaux aquatiques (Pline l’Ancien) et aux poissons (Ovide). D’autres attestent des noms de poissons, de mollusques et autres animaux aquatiques occasionnellement (à l’époque archaïque -IIIe/-IIes. Ennius et Plaute et -IIes. Lucilius ; au -Iers. Varron, Cicéron, Horace, Properce ; au +Iers. Quintilien, Martial, Juvénal ; au +IIes. Apulée ; au +IVes. Ausone ; au début du +Ves. Macrobe ; à différentes époques, surtout tardives Apicius). Mais c’est Pline l’Ancien au +Iers. qui développe de la manière la plus complète la notion d’aquatilia « animaux aquatiques », fondement du matériau linguistique de cet ouvrage. 1. Pline l’Ancien Les noms latins des animaux vivant dans l'eau sont connus principalement par Pline l’Ancien dans son encyclopédie Historia naturalis « Histoire naturelle » (+1er s.1) en particulier dans les livres 9 et 322. Parmi les listes qu’il dresse dans cette encyclopédie, qui se veut la somme des connaissances naturalistes de son époque (noms d’animaux, de plantes, de pierres et minéraux, de phénomènes naturels, etc.), se trouvent des listes d’animaux aquatiques. Pline est largement dépendant d’Aristote, qu’il traduit dans certains passages : ce sont principalement les œuvres d’Aristote consacrées aux animaux en général : Historia animalium (dont les livres VI, VIII partiellement, IX, X sont douteux), De partibus animalium, De incessu animalium, De generatione animalium. On peut également penser que Pline connaissait aussi les œuvres de Théophraste sur les animaux, que nous ne possédons pas. Mais l’établissement du texte de Pline pose des problèmes de sorte que nombre de termes sont de forme incertaine. E. de Saint-Denis (édition de Pline 32, CUF, Paris, 1966, Belles Lettres, p.14) souligne ces incertitudes, affirmant que les corrections des éditeurs sont parfois hasardeuses et que la  1

Pline l’Ancien est mort lors de l’éruption du Vésuve en +79. Les auteurs latins principalement cités par Pline sont Mécène, Cornélius Népos, Sénèque, Cicéron, Trebius Niger, Nigidius, Ovide (cf. Pline 1,9 ; 1,32). 2

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Partie I

collection Loeb les a acceptées. Il dit, de manière critique, avoir renoncé à corriger la grammaticalité du texte parce que cela « serait contraire à l’esprit d’un ouvrage qui n’est qu’une juxtaposition de notes techniques, une collection de fiches… et même une sorte de vide-poches où l’auteur a fourré ce qu’il n’avait pas utilisé dans le livre IX. ». E. de Saint-Denis dans son édition du livre 9 (1955 : 12-19) montre clairement comment Pline s’est inspiré d’Aristote, en mettant en parallèle les passages des deux auteurs. Il souligne que la lecture que Pline fit d’Aristote n’est pas toujours exacte et qu’elle repose parfois sur des faux-sens et des contre-sens. Il montre également que Pline a pu reprendre sans discussion des affirmations inexactes d’Aristote. Sa conclusion (1955 : 19) : « Pline manque de personnalité et d’esprit critique. Timidement, une seule fois, à propos de la respiration des animaux aquatiques (en 9,16-18), il ose contredire Aristote et les savants illustres qui l’ont suivi » nous paraît trop sévère : en effet, Pline demeure pour nous une source inestimable d’informations et il introduit, comme nous allons le voir, des critères classificatoires relativement pertinents. 1.1. Nature des renseignements fournis. Comme le regrette H.-J. Cotte (1944 : 7-8), Pline s’est souvent plus intéressé aux noms grecs des aquatilia qu’aux noms latins vernaculaires et en particulier à ceux en usage dans l’« argot professionnel » des pêcheurs du Latium. Dans le livre 9 notamment, il a « traduit et latinisé les noms grecs à tour de bras. » (H.-J. Cotte 1944 : 8). C’est surtout dans le livre 32 qu’il introduit des termes latins synonymes des termes grecs correspondants. 1.2. Délimitation des aquatilia chez Pline. Contrairement à la zoologie moderne, Pline entend aquatilia au sens large de « animaux qui vivent dans l’eau », de sorte qu’il y mêle les castors, les crocodiles, les hippopotames, etc., autant de bêtes que nous n’incluons pas dans notre étude. Dans le livre 32, il souligne que certains aquatilia vivent aussi sur la terre : •Pline 32,26 : Spectabili naturae potentia in iis quoque quibus et in terris uictus est, sicut fibris, quos castoras uocant. « La puissance de la nature est remarquable également dans les êtres aquatiques qui vivent aussi sur la terre, comme les bièvres qu’on appelle castors. » (trad. E. de Saint-Denis)

A l’autre extrémité du domaine, à l’issue du livre 32, Pline pose une frontière entre les aquatilia, qu’il vient d’étudier, et ce qui, selon lui, ne relève pas des aquatilia : les algae « les algues » (alga,-ae F.), qu’il considère implicitement comme des inanimés, contrairement aux animalia, qui sont des animés : •Pline 32,154 : Exeunt praeter haec et purgamenta aliqua relatu indigna et algis potius adnumeranda quam animalibus. « La mer rejette aussi certaines excrétions qui ne méritent pas d’être citées et qui devraient être comptées parmi les algues plutôt que parmi les animaux. » (trad. E. de Saint-Denis)

Partie I

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La valeur sémantique « être animé » se manifeste dans la formation même du terme animal, animalis Nt., substantivation au neutre d’un adjectif suffixé en -ālis,-e sur la base de anima,-ae F. « souffle vital ». Le sens littéral d’animal est donc « qui est pourvu d’une anima, d’un souffle vital ». 1.3. Le livre 9. Ce livre, consacré aux animaux aquatiques, révèle les conceptions de Pline (et probablement de ses contemporains) sur la mer3 et sa perception des animaux aquatiques. 1.3.1. Grandeur, fécondité, supériorité de la mer. Pline ouvre le livre 9 en annonçant qu’il va traiter des animaux vivant dans les mers (aequor, aequoris Nt. « plaine de la mer, mer »4), les fleuves et rivières (amnis,-is M. « cours d’eau, rivière, fleuve ») ainsi que les étangs (stagnum,-i Nt. « eau stagnante, bassin, étang »5) : •Pline 9,1 : prius aequorum, amnium stagnorumque dicentur. « en premier lieu seront traités les animaux des mers, des rivières et des étangs. »

Il affirme qu’on trouve parmi eux des animaux plus grands que les animaux terrestres (9,2). Il mentionne l’idée, commune à son époque, selon laquelle la mer est un monde privilégié puisque tout ce qui existe dans la nature existe aussi dans la mer, et qu’il y a même dans la mer des entités qui n’existent nulle part ailleurs6. La mer a une supériorité sur les autres domaines naturels par sa fécondité7. Pline (9,2) admire l’abondance de la nourriture fournie par la mer, sa puissance créatrice, même pour créer des monstres (monstrifica). 1.3.2. La mer reflète la terre. Une idée fondamentale chez Pline est que la mer représente le calque, le reflet, le miroir de la terre 8 (Pline 9,3 : simulacra… ; et colore et odore similem). Or c’est cette conception de la mer qui justifie les procédés de dénomination dans le lexique des animaux

 3

Voir Partie I, Section VI,§1-2 ; et résumé du livre 9 dans l’Annexe. Aequor (bâti sur l’adjectif aequus,-a,-um « égal, plat » avec le suffixe -or,-oris) renvoie à une surface plane terrestre « plaine » et maritime « mer ». 5 On rattache stagnum à i.-e.*steh2-/*sth2- « se tenir debout » avec un sème de verticalité et « se tenir immobile » avec un sème d’absence de mouvement et d’immobilité. Il contient le radical latin stā-/stă-, présent dans le verbe stāre « se tenir debout immobile », les substantifs stătus,-tūs M. « situation, posture », stătĭō « état d’immobilité », stătŭa « statue », etc. Bien que nous ne puissions pas connaître la longueur de la voyelle a dans stagnum (puisque la syllabe est fermée), nous postulons un a bref comme pour les autres substantifs. 6 Selon J. Trinquier (2022), Pline présente, dans la préface du livre 9, un modèle zoogonique d’inspiration astrologique, où des semences célestes tombées dans la mer génèrent des êtres parfois monstrueux. Cet auteur souligne, en outre, les contradictions de ces passages du livre 9 avec la fin du livre 32. 7 Voir le texte Partie I, Section VI,§2.2. 8 Idée développée et texte dans : Partie I, Section VI,§1-2 et notamment §2.1. 4

Partie I

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aquatiques : la plupart sont des transferts métaphoriques où les entités terrestres donnent leurs noms aux entités marines9. 1.3.3. Le nombre des pisces. Pline (9,43) dénombre les différentes sortes de pisces avec plus de 70 espèces de poissons (piscium species) et il y ajoute 30 espèces de crustacés (crustis intecta)10. Ce passage pose des problèmes d’interprétation pour la signification de piscis chez Pline, qui est employé avec plusieurs significations, restreintes et larges. 1.3.4. Un critère classificatoire : ce qui recouvre les aquatilia. Pline introduit un critère de classification des aquatilia selon leur tegumen ou tegumentum 11 , leur enveloppe ou protection, littéralement « ce qui les recouvre, ce qui les entoure » : •Pline 9,40 : Aquatilium tegumenta plura sunt. Alia corio et pilo integuntur ut uituli et hippopotami, alia corio tantum ut delphini, cortice ut testudines, silicum duritia ut ostreae et conchae, crustis12 ut locustae, crustis et spinis ut echini, squamis ut pisces, aspera cute ut squatina, qua lignum et ebora poliuntur, molli ut murenae, alia nulla ut polypi. « Les téguments des animaux aquatiques sont de plusieurs sortes : les uns sont couverts de cuir et de poil, comme les veaux marins et les hippopotames ; les autres de cuir seulement, comme les dauphins ; d’écaille13, comme les tortues ; de pierre dure, comme les huîtres et les coquillages ; de carapaces, comme les langoustes ; de carapaces et de piquants, comme les oursins ; d’écailles, comme les poissons ; d’une peau rugueuse, comme l’ange, qui sert à polir le bois et l’ivoire ; ou molle, comme les murènes ; les autres n’ont pas de peau, comme les poulpes. » (trad. E. de Saint-Denis)

Pour Pline, dans ce passage, les poissons, pisces, se distinguent des autres aquatilia parce qu’ils sont caractérisés par des écailles (squamae)14, tandis que les autres animaux marins n’ont pas d’écailles. Selon Pline, le veau marin et l’hippopotame ont du cuir et des poils. La carapace des tortues est ici appelée cortex (terme employé pour l’écorce d’un arbre, la coquille d’un œuf, etc.). Les huîtres et les coquillages sont protégés par la dureté de la pierre appelée silex « pierre dure, caillou » (silicum duritia « par la dureté des pierres »); les homards et les langoustes par une crusta « croûte,  9

Partie I, Section VIII,§2.2. et Section IX. Voir Partie I, Section III,§3. 11 Tĕgumĕn,-minis Nt. et tĕgumentum,-i Nt. sont bâtis sur le radical latin tĕg« couvrir, recouvrir, protéger » (racine i.-e. *tĕg-) suivi des suffixes Nt. -mĕn,-mĭn-is ( lat. Carcinus ou par l’emploi du mot africain Nepa (selon A. Le Boeuffle 1987 : 79, n°215). L’étoile offre l’orientation inverse. Stella « étoile, astre, planète » (A. Le Boeuffle 1987 : 252, n°1160) est le seul terme céleste transféré en nom d’animal aquatique « l’étoile de mer » (n°5.12).  217

De même piscis lupus (Apic.4,II,n°159), piscis aurata (Apic.10,II,n°462). Le nom du poisson rubellio (sur ruber « rouge » avec le suffixe diminutif suivi du suffixe -io,-ionis M.) peut être renforcé par piscis chez Apicius (10,I,n°448), qui offre aussi scorpio piscis. Voir Partie I, Section VIII,§2.2. 218 Voir Partie I, Section VII,§2.2. ; voir aussi cancer chapitre 3.

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4. Dénominations astronomiques : de la terre au ciel Les noms des animaux terrestres servent de point de départ à la fois pour les noms des animaux aquatiques et pour les termes astronomiques. Le chien et la chienne. Les requins, associés aux notions d’agressivité et de danger, entrent en coïncidence avec le chien, animal conçu comme désagréable et mal traité219. Le nom du chien est appliqué à un poisson que l’homme n’aime pas, le squale ou requin : canis (marinus) M. « le chien de mer » et sur canis,-is F. « la chienne » est bâti canicula,-ae F. avec un suffixe diminutif -cula de ressemblance. Or, en astronomie, Canicula (A. Le Boeuffle 1987 : 80-82, n°217 ; à côté de Canis, Sirius) désigne la constellation australe du (Grand) Chien. Selon cet auteur, à l’origine Canis désignation du chien concernait une seule étoile, la plus brillante de tout le ciel des « fixes » : Σείριος « l’éclatant » (depuis Hésiode Op.609), Sirius (depuis Virg.G.4,425). « Cette étoile était associée au groupe voisin d’Orion et évoquait le chien qui accompagne le chasseur. Par la suite, au moins depuis Eudoxe, on dessina l’image d’un chien en réunissant les étoiles proches de Sirius. ». Selon A. Le Boeuffle, le terme latin le plus ancien devait être Canicula, où le suffixe avait une valeur métaphorique (« qui ressemble à... »). Sur ce substantif fut dérivé canicularis. Canis maior est employé depuis Vitruve et Hygin. Selon le même auteur, Canicula peut aussi désigner la constellation du Petit Chien ou Avant-Chien, Procyon (Προκύων), cette fois avec la valeur diminutive (petitesse) du suffixe en concurrence avec Canis minor ou minusculus. En astronomie comme en ichthyologie, le latin préféra canicula à canis, probablement en raison de la présence du suffixe -cula, outil de clarté pour l’identification du designatum, ainsi distingué de l’animal terrestre. L’aigle. Aquila « aigle » (oiseau) dénote aussi une sorte de raie aux grandes ailes et c’est en outre la dénomination la plus courante de l’Aigle, constellation boréale (A. Le Boeuffle 1987 : 50, n°109). Le bélier. Aries « bélier » dénote un poisson de mer inconnu, mais c’est aussi la dénomination principale de la constellation zodiacale du Bélier (A. Le Boeuffle 1987 : 55, n°133). L’âne. De même que l’âne asinus prête son nom à un poisson asellus « qui ressemble à l’asinus », de même les Aselli (ou Asini) « Anes » sont des étoiles de la constellation du Cancer (A. Le Boeuffle 1987 : 56, n°144). Le bovin. Bos M.F., qui dénomme le bovin et plusieurs animaux aquatiques, est aussi une dénomination rare du Taureau zodiacal (A. Le Boeuffle 1987 : 72, n°195). Le cheval fournit des noms d’animaux aquatiques (cf. l’hippocampe) ; equus « cheval » sert pour un monstre marin et (selon A. Le Boeuffle 1987 : 130-131,n°481) dénomme la constellation boréale du Cheval Pégase. Le lièvre. Lepus « le Lièvre » est le nom d’une constellation australe (A.  219

Voir cette Partie I, Section VII,§1.

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Le Boeuffle 1987 : 165, n°713), ainsi que celui d’un animal marin (n°4.17), à partir du nom de l’animal terrestre sauvage, mais bien connu. Le loup. Lupus est l’animal porté par le Centaure central dans sa main droite (A. Le Boeuffle 1987 : 85, n°245), et il est une figure de la Sphère Barbare (ibid. : 169, n°737). C’est aussi le nom d’un poisson de mer, à partir de l’animal terrestre sauvage, mais bien connu. Le renard. Vulpes « Renard » est le nom de l’étoile double ζ Vrsae maioris (Mizar) et g (Alcor) (A. Le Boeuffle 1987 : 277, n°1318). Mais les Anciens ne savaient pas que cette étoile était double : ils n’en voyaient qu’une seule. La souris. Mus désigne une figure de la Sphère Barbare (A. Le Boeuffle 1987 : 191, n°810). A partir de l’animal terrestre (sauvage, mais bien connu), le terme sert aussi pour un poisson, un monstre et une tortue. Le scorpion. Scorpio et Scorpius dénomme la constellation zodiacale du Scorpion (A. Le Boeuffle 1987 : 235, n°1097). Le terme sert aussi pour l’animal terrestre (sauvage, mais bien connu) et pour un poisson. La tortue ou carapace. Testudo « Carapace » est employé pour la Lyre, du Scorpion, du Cancer (A. Le Boeuffle 1987 : 259, n°1211). Le point de départ testudo renvoie à la carapace des tortues de mer et de terre. La baleine ou le monstre marin. La baleine étant le plus gros mammifère, son trait saillant est la grosseur. Le terme usuel en latin pour le mammifère marin est balena (et ses variantes). Or selon A. Le Boeuffle (1987 : 86, n°255), Cetus, qui est un terme grec correspondant pour la signification « baleine », désigne une constellation australe appelée « la Baleine » ou « Monstre marin » ; cet animal était représenté comme un monstre couvert d’écailles (Manilius 1,433) et pourvu d’une sorte de crête (crista Vitruve 9,5,3 ou spina Cic. Arat.154) (voir Chapitre 7 sous balaena). Mais en astronomie, la baleine ou monstre marin fournit aussi le terme Pistris/Pistrix pour la constellation australe de la Baleine ou Monstre marin (A. Le Boeuffle 1987 : 216, n°960). Belua « grosse bête monstrueuse » est aussi une dénomination peu fréquente de la constellation australe de « la Baleine » ou « Monstre marin » en concurrence avec Cetus (cf. n°255 : Cetus) (A. Le Boeuffle 1987 : 71, n°184). Le dauphin. Le terme d’origine grecque Delphin, Delphinus, Delphis « le dauphin » mammifère marin est aussi (A. Le Boeuffle 1987 : 119, n°402), la dénomination usuelle pour « le Dauphin », constellation boréale. La barbe. Barba fournit des noms dans plusieurs domaines naturels220. C’est aussi le nom d’une comète (A. Le Boeuffle 1987 : 71, n°179). La Néréide. Nereis : figure de la Sphère Barbare « à rapprocher sans doute du Dauphin » (A. Le Boeuffle 1987 : 193, n°827). Le terme sert aussi pour un monstre marin. Le cercle ou disque. Orbis « peut désigner le cercle parallèle à  220

Pour la barbe de l’homme et le poisson barbeau : Section VIII,§1.1.6 et §2.1.

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l’équateur céleste que le soleil paraît décrire autour de la terre en une journée » (A. Le Boeuffle 1987 : 204, n°890, c). Le terme sert aussi pour un poisson de mer. L’épée. Xiphias « Epée », nom de comète (A. Le Boeuffle 1987 : 278, n°1321) en raison de la forme de la comète longue et fine. Le terme dénote aussi un poisson de mer. La déesse Vénus. Venus dénomme la planète Vénus ; et une figure de la Sphère Barbare (A. Le Boeuffle 1987 : 267, n°1280). L’adjectif suffixé uener-ia sert à dénommer un coquillage. L’observateur du ciel. Vranoscopos « Observateur du ciel » est un nom rare du Sagittaire zodiacal ou du Centaure austral (A. Le Boeuffle 1987 : 276, n°1313bis). Le terme dénomme aussi un poisson de mer. A cette liste où un terme astronomique est lié à un nom d’animal aquatique et d’entité terrestre, on peut ajouter les situations lexicales suivantes, qui sont proches. Hircus « bouc », nom d’un animal terrestre mais non d’un animal aquatique (A. Le Boeuffle 1987 : 148, n°602) est aussi le nom d’une comète, du Capricorne, et d’une figure de la Sphère Barbare. Monstrum « Monstre » « entre dans diverses périphrases poétiques qui désignent tantôt la Baleine, tantôt le Scorpion » (A. Le Boeuffle 1987 : 185, n°800). Anguis « serpent » a pour suffixé anguilla « anguille ». L’idée associée à l’anguille est qu’elle s’échappe en glissant entre les mains (Plaute utilise le verbe elabor « glisser hors de » en Pseud.747)221. Or la constellation du Dragon Anguis conserve le trait saillant ‘glissant’. Elle est décrite avec elabor par Virgile et elle conserve dans le contexte les traits ‘souplesse’, ‘courbure’, ‘sinuosité’ (flexu sinuoso) caractéristiques du serpent : •Virg. G.1,244-245 : Maximus hic flexu sinuoso elabitur Anguis/Circum perque duas in morem fluminis Arctos,/ « Ici l’immense Dragon se faufile d’un mouvement sinueux, à la façon d’un fleuve, autour et au travers des deux Ourses. »

Selon A. Le Bœuffle (1987 : 43, n°80), Anguis désigne l’un des reptiles de la sphère céleste, surtout le Serpent d’Ophiuchus, parfois le Dragon, plus rarement l’Hydre, et (1987 : 124, n°450) Draco « le Dragon, le Serpent » désigne aussi l’un des reptiles de la sphère céleste, le Dragon polaire, le Serpent, mais concerne également 3 figures de la Sphère Barbare.

 221

Voir ci-dessus Partie I, Section VII,§1.2. et §2.2.



PARTIE II

LES CATEGORIES DES ANIMAUX AQUATIQUES Introduction La partie précédente a développé les questions générales de linguistique, socio-linguistique, histoire relatives aux animaux aquatiques. Il convient à présent d’étudier les différentes catégories de ces animaux telles qu’elles sont conçues par la science moderne, et, à l’intérieur de chaque catégorie, d’analyser les dénominations de chaque animal. 1. Classification différente dans les règnes animal, minéral, végétal La communauté linguistique latine et la société romaine ne conceptualisaient pas tous ces animaux dans la même catégorie, même si Pline les englobe sous le terme aquatilia. Pline présente les coquillages (les mollusques chapitre 4) comme relevant du règne minéral en raison de leur coquille, dont il dit qu’elle relève de la pierre1. Au contraire, il range les animaux de notre chapitre 5 (Cnidaires, annélides, échinodermes, spongiaires) dans le règne végétal, puisqu’il parle de « buissons, arbustes » à leur propos en projetant sur la mer ce qui existe sur la terre 2 . Les mammifères marins, de manière attendue, sont rapprochés des mammifères terrestres domestiques, entre autres parce qu’ils sont couverts de poils et de cuir. Les monstres marins occupent une place à part dans l’imaginaire et les topoï, mais leur existence ne peut être mise en doute puisqu’elle perdure jusqu’à la Renaissance. 2. Les aquatilia bénéfiques vs dangereux pour l’homme Les poissons, les crustacés, les coquillages bénéficient, pour leur quasitotalité, d’un jugement favorable parce qu’ils sont utiles pour l’homme, notamment dans son alimentation. Seuls n’en bénéficient pas les animaux dangereux, soit parce qu’ils sont indigestes, soit parce qu’ils menacent les êtres humains in situ dans l’eau lorsqu’on les approche ou lorsqu’on les capture et qu’ils se montrent agressifs. Ce sont surtout les raies et les requins : la torpedo paralysante, la squatina au dard redoutable, mais aussi la petite vive à l’épine dorsale venimeuse. Les animaux du chapitre 5 (Cnidaires, etc.) ont une utilité moindre, mais Pline valorise les diverses sortes d’éponges utiles. L’homme ne semble pas, d’après nos textes, tirer une utilité des mammifères marins, mais ils sont, néanmoins, importants parce qu’ils  1 2

Pour les textes, voir chapitre 4, Introduction. Pour les textes, voir chapitre 5, Introduction.

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Partie II

impressionnent par leur grande taille, leurs cris très sonores qui portent loin. Ils font partie du mystère et des mirabilia « merveilles, choses étonnantes » de la mer. Ils sont aussi valorisés par le fait qu’on les rapproche des mammifères terrestres domestiques (le bœuf, le veau) et que ce rapprochement coïncide avec l’idée générale, solidement enracinée dans la communauté linguistique, selon laquelle tout ce qui se trouve sur terre se trouve aussi dans la mer.



CHAPITRE 1 LES POISSONS DE MER Introduction Au sein des animaux aquatiques, les poissons ont une importance particulière, reflétée par leurs nombreuses dénominations et, à l’intérieur de la classe des poissons, les textes font largement état des poissons de mer, chez Plaute, Ovide, Pline l’Ancien parce qu’ils sont les plus nombreux et les plus appréciés à Rome dans l’alimentation, tandis qu’Ausone, au moment où il séjourne au bord de la Moselle, traite des seuls poissons de rivière1. Le chapitre des poissons de mer est le plus volumineux avec 148 entrées, où nombreux sont les poissons de Méditerranée puisque l’Italie, bordée par plusieurs mers, bénéficie d’une grande surface maritime. Les recettes de cuisine d’Apicius mentionnent beaucoup plus souvent des poissons de mer que des poissons d’eau douce. Certains poissons sont à la fois de mer et de rivière, de sorte qu’ils sont traités dans les chapitres 1 et 2 : silurus « le silure », phycis « l’épinoche ». Certains poissons de mer remontent les fleuves pour se reproduire : acipenser « l’esturgeon », alausa « l’alose », faber ou zaeus/zeus « le saint-pierre, la dorée », gladius ou xiphias « l’espadon », salmo « le saumon », uranoscopos ou callionymus « l’uranoscope ». 1. Identification Les identifications des poissons de mer offrent de nombreuses zones d’ombre. Nous parlons de « poisson indéterminé ou inconnu » pour les termes suivants (même si nous pouvons formuler des hypothèses) : aper, apriculus, bacchus, bancus, garos, sus, t(h)ursio, chromis, cercurus (poisson de roche), hippos (petit poisson de mer inconnu et sorte de crabe vagabond), hamio (poisson saxatile), ictinus (poisson volant inconnu), rubellio (poisson inconnu dont la couleur tire sur le rouge). Caluaria marina dénote un poisson de mer et un coquillage indéterminés. On ne peut savoir quel poisson s’appelle sudis, dont le nom grec est sphyraena selon Pline. Pour certains poissons non identifiés, nous formulons une proposition : ac(h)arne, anthias, carcarus « le squale-nez », cinaedus un labre jaune, erythinus « le pagre commun » ou « le serran », lupus « le loup de mer », « le bar », hyaena le porcus marinus, cyprinus peut-être « la carpe de mer ».  1

Voir Partie I, Section I et ci-dessous Partie II, Introduction du chap. 2.

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Partie II. Chapitre 1. Poissons de mer

2. Des dénominations non univoques Comme pour les autres animaux, les listes de Pline ne constituent pas une nomenclature scientifique. Il n’y a pas, en effet, de relation univoque entre les lexèmes et les entités dénotées2. 2.1. Un nom pour deux designata. Le même nom peut être porté par 2 animaux différents. Dans le cas le plus fréquent, un poisson de mer et un poisson de rivière ont le même nom : perca « la perche de mer » et « la perche de fleuve » ; umbra « l’ombrine commune » pour la mer et « l’ombre fluviatile, l’ombre » pour les rivières (autre nom comme poisson de rivière : thymallus) ; capito poisson de mer « le muge, le mulet, le chabot » et poisson de rivière « le chevesne, le meunier » ; coracinus/coruus pour la mer « coracin vulgaire, petit castagneau » et pour les rivières « le coracin du Nil » ; gobio/gobius pour la mer « le boulereau » et pour les rivières « le goujon » ; mustela pour la mer (autres noms rana, batracus) et les rivières. En outre asellus dénomme plusieurs poissons de mer différents (tous perçus comme ressemblant à l’âne) : « le merlu », « le merlan » (dénommé aussi par callarias). Le même poisson a 1 nom pour la femelle et 1 autre nom pour le mâle : sciaena « femelle de l’ombre » et sciadeus « mâle de l’ombre », le poisson dans son ensemble s’appelant umbra. Un même terme sert pour un poisson de mer et un monstre marin ou un animal fabuleux (chap. 7) : equus marinus ou hippocampus « l’hippocampe », pristis « la scie ». 2.2. Plusieurs noms pour un seul poisson. Inversement, un poisson de mer donné peut avoir plusieurs dénominations, souvent un terme qui se justifie à l’intérieur du latin (cité en premier) et un autre emprunté au grec : « l’aiguille de mer » acus et belone ; « le renard de mer » uulpes marina et alopex ; « le rémora » remora et echeneis ; « la daurade » : aurata et chrysophrys ; « l’alose » alausa et peut-être chalcis ; « le serran » perca, channe, peut-être anthias, peut-être erythinus ; « l’uranoscope » uranoscopos, callionymus ; « le turbot » rhombus, citharus ; « le denté » dentex, synodus ; « l’hippocampe » equus marinus, hippocampus ; « le loup, le bar » lupus, ac(h)arne ; « la scie » serra, pristis ; « le silure » silurus, glanis ; « la sole » lingulaca, solea ; « la mendole » maena, tragus ; « la sardine » sardina, trichias ; « la grenouille de mer / la baudroie / la lotte » mustela, rana, batrachus ; « le labre » avec différentes espèces selon la couleur : cinaedus (labre jaune) ; turdus (sorte de labre vert) ; merula (labre de couleur foncée, cf. turdus) ; « le pagre » erythinus (peut-être « le pagre commun » ou « le serran »), pager (pagre de couleur vermeille).  2

Voir Partie I, Section II,§1 et 5.

Partie II. Chapitre 1. Poissons de mer

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3. Les poissons de mer les plus importants 3.1. Les Sparides. La famille des Sparidae est particulièrement bien représentée dans notre corpus du fait que ces poissons étaient largement consommés, même si leurs qualités culinaires étaient inégales. Nous rencontrons dans nos textes presque tous les poissons de cette famille telle que présentée par P. Louisy (2002 : 128-145) : boca « la bogue », sarpa « la saupe », mormyr « le marbré », dentex « le denté », aurata « la daurade », pager « le pagre », erythinus (peut-être « le pageot » selon P. Louisy 2002 : 137, qui donne Pagellus erythinus Linnaeus 1758 comme nom scientifique), cantharus « la canthare » (le terme latin est masculin, mais le terme français est féminin en zoologie), sparus et sparulus « le spare », « le sparaillon », melanura « l’oblade », sargus « le sar ».

3.2. Le thon, la raie, le requin. Ces trois poissons de mer attirent l’attention par le nombre des dénominations dont ils bénéficient. 3.2.1. Le thon. Il joue un grand rôle dans l’alimentation, il est valorisé et recherché3. Tunnus (variantes orthographiques thynnus etc.) est le terme générique avec des termes spécifiques : amias, t(h)unnus, colia (colias), cordyla, orcynus, pelamys, sarda, tritomum. Les termes spécifiques servent pour les différentes espèces de thon ou pour la même espèce à des âges différents, et, dans le vocabulaire culinaire, pour les morceaux de thon préparés d’une certaine manière (thon salé, séché, coupé en morceaux de forme cubique). Le thon est le seul poisson pour lequel nous sont transmis des termes culinaires aussi précis. 3.2.2. La raie. Pour ce que nous appelons empiriquement « la raie », existent plusieurs appellations pouvant dénoter des espèces différentes : aquila « aigle de mer / la mourine / la mourine-vachette », batia « espèce de raie à tubercule épineux », bos marinus (raie dans le chap. 1, mammifère marin dans le chap. 6 ainsi que monstre marin dans le chap. 7), pastinaca, raia, trygon, torpedo, squatus et surtout squatina « l’ange de mer » (n°1.130)4.

3.2.3. Le requin. Ce que nous appelons « le requin » bénéficie de nombreux termes pour la même espèce ou des espèces différentes : caeruleus « le bleu/le peau bleue/sorte de chien de mer/petite roussette », glaucus et peut-être glauciscus, squalus « le squale », canicula et canis marinus « chienne de mer/roussette/chien de mer », galeos « sorte de roussette/chien de mer tacheté », lamia peut-être « la touille » requin à large gueule.

4. Un critère distinctif : le tegumen 4.1. L’écaille comme trait prototypique des poissons Dans le passage où Pline (9,40) classe les animaux aquatiques selon la nature de ce qui les recouvre et les protège (leur « enveloppe », tegumen/  3

Voir ci-dessus Partie I, Section V,§1.3. Cf. photos de P. Louisy 2002 : 476-477 : il range les raies et les requins dans la même catégorie. 4

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Partie II. Chapitre 1. Poissons de mer

tegumentum), il réserve le terme squama « écaille » aux poissons, mais il parle d’une cutis aspera « peau hérissée d’aspérités » pour l’ange (sorte de raie), et, au contraire, d’une mollis (cutis) « peau molle » pour la murène5 : •Pline 9,40 : Aquatilium tegumenta plura sunt. ; … squamis ut pisces, aspera cute ut squatina, qua lignum et ebora poliuntur, molli ut murenae. « Les téguments des animaux aquatiques sont de plusieurs sortes ; …d’écailles, comme les poissons ; d’une peau rugueuse, comme l’ange, qui sert à polir le bois et l’ivoire ; ou molle, comme les murènes. » (trad. E. de Saint-Denis)

4.2. Les poissons sans écailles6 Dans le passage précédent, si le critère classificatoire des poissons est l’écaille squama, Pline reconnaît, néanmoins, la différence présentée par les 2 pôles que sont la squatina « l’ange » (sorte de raie-requin) d’un côté et la muraena « la murène » de l’autre. Dans le 1er cas, les requins et les raies n’ont pas des écailles, mais des denticules et la squatina était célèbre dans l’Antiquité par la dureté exceptionnelle de sa peau, qu’on utilisait pour polir le bois. Dans le 2e cas, la murène fait partie des poissons sans écailles, dont la peau lisse est recouverte d’un mucus, de mucosités qui la protègent. Ovide rappelle aussi cette particularité de la murène : il la dit glissante (lubrica) et habile à utiliser son dos « lisse » (teres « arrondi, poli ») pour s’échapper : •Ov. Hal.27-29 : Et muraena ferox, teretis sibi conscia tergi,/Ad laxata magis conixa foramina retis/Tandem per multos euadit lubrica flexus. « La murène agressive, consciente de son dos lisse, s’évertue à distendre les mailles du filet ; visqueuse, elle réussit enfin à s’en évader, se tortillant maintes fois. » (trad. E. de Saint-Denis)

En outre, ce chapitre 1 traite d’autres poissons dépourvus d’écailles : silurus « le silure », anguilla « l’anguille », blendius « la baveuse »7. Le passage précédent de Pline (9,40) mérite notre attention. Après avoir présenté la « norme » des écailles pour les poissons, il cite 2 poissons qui n’ont pas le trait définitoire des écailles. Ceci structure la classe des poissons de manière prototypique : tous les poissons appartiennent à une même classe, mais certains offrent tous les traits distinctifs et sont donc prototypiques (au centre de la classe) tandis que d’autres ont seulement quelques traits8. Pline en 9,40, malgré les critiques des modernes pour une absence de continuité dans le raisonnement, est donc sur ce point particulièrement moderne et scientifique.  5

Voir l’ensemble du passage : Partie I, Section I,§1.2.4. Pour les poissons sans écailles : Partie I, Section III,§4. 7 Les Romains connaissaient l’existence de poissons sans écailles. 8 Par comparaison, on peut citer la classe des oiseaux : l’oiseau prototypique est le moineau (de petite taille, il vole, il est de couleur marron, il a de petites plumes, etc.), tandis que l’autruche est atypique dans la même classe (de grande taille, elle ne vole pas, mais marche, a de grandes plumes, etc.). 6

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5. Ovide et la pêche en mer Dans ses Halieutica, Ovide traite de la pêche en mer et des animaux pêchés. Les conseils pour la pêche en mer sont donnés aux vers 83-91 9. 5.1. Les poissons de mer cités par Ovide. Il distingue 2 sortes de poissons selon leur biotope : ceux qui vivent en haute mer (Hal.94-117) et ceux qui aiment les faibles profondeurs près de la côte, le sable couvert d’herbes (Hal.118-134)10. Termes cités en Hal.9-46: anthias (v.46), lupus (v.23 et 39 et lupi v.112), mugil (v.38), muraena (v.27 et 43), polypus (v.32), scarus (v.9 et 16), sepia (v.19). Poissons de haute mer cités en Hal.94-117 : boues (v.94), cantharus (v.103), cercyros (v.102), channe (v.108), chrysophrys (v.111), conger (v.115), echenais (v.99), elops (v.96), erythinus (v.104), faber (v.110), glaucus (v.117), hippuri (v.95), iulis (v.105), melanurus (v.113), merulae (v.114), milui (v.95), mormyres (v.110), orphos (v.104), percae (v.112), phager (v.107), pompile (v.101), sargus (v.105), saxatilis (v.109), scombri (v.94), scorpius (v.116), sparulus (v.106), synodontes (v.107), thunni (v.98), tragi (v.112), umbrae (v.111), xiphias (v.97). Poissons près des côtes aimant le sable et les herbes cités en Hal.118-134 : muraena (v.114), scarus (v.119), acipenser (v.134), asellus (v.133), caris (v.132), chromis (v.121), gobius (v.130), lamiros (v.120)11, lolligo (v.132), maenae (v.120), mullus (v.123), passer (v.124), ranae (v.126), rhombus (v.125), salpa (v.121), scarus (v.119), smaris (v.120), soleae (v.124), sues (v.132). 5.2. Une difficulté. Un terme n’a pas été pris compte dans ce chapitre 1 parce qu’il est d’attestation fragile et qu’il s’agit probablement d’un « mot fantôme » : epodes en Ov. Hal.126 : Tum epodes lati (début du vers) avec une lecture incertaine pour le . Le début du vers est difficile à scander avec cette leçon, car dans le 1er mot du vers Tum, la séquence devrait s’élider devant l’initiale vocalique du mot suivant. Or, il serait surprenant d’avoir une élision au 1er pied à l’initiale du vers et au 1er mot. En outre les dictionnaires donnent comme brèves les 2 voyelles situées dans les 2 premières syllabes d’ĕpŏdēs. Si tel est le cas, après élision du de Tum, le vers commencerait par 2 syllabes brèves, ce qui est contraire à l’hexamètre dactylique. Il faudrait donc supposer que l’élision de la séquence dans Tum n’a pas eu lieu (nous notons ici la longueur des syllabes et non des voyelles) : •Ov. Hal.126 : Tum ĕpŏ/dēs lā/tī, tūm / mōllēs / tērgŏrĕ / rānae/ E. de Saint-Denis (éd. Pline livre 32, commentaire p.134-135 à propos de Pline 32,152 : epodas) propose la forme lepores (de lepus, lĕpŏris M. « lièvre de mer ») attestée dans les manuscripts, meilleure pour la scansion, puisqu’elle évite l’élision de la finale du 1er mot :

 9 Selon Ovide, pour la pêche à la ligne, il faut éviter d’aller trop loin en pleine mer et d’explorer les profondeurs du large. Si le fond de la mer a des rochers, il faut des cannes à pêche flexibles, mais si la côte est dégagée, des filets. Il faut voir si une montagne fait de l’ombre sur la mer : certains poissons fuient cette ombre et d’autres la recherchent. Il faut observer si au fond de l’eau se trouvent des herbes, des algues. 10 Le texte est mutilé avec des lacunes. 11 Lamiros, d’attestation fragile (ici et Plin. 32,149), n’est pas retenu par notre étude et par le GGaffiot. De même, l’Oxford Latin Dictionary écrit sous lamirus : « [dub., cf. perh. Gk. λαρινός or λαριμός] An unidentified fish. ».

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•Ov. Hal. 126 : Tūm lĕpŏ/rēs lā/tī, tūm / mōllēs / tērgore / rānae/ Le GGaffiot a une entrée ĕpŏdes,-um M.pl. « poissons de mer inconnus » pour le passage de Pline 32,15212. La forme epodas d’acc.pl. est mentionnée par Pline dans un catalogue de poissons en 9,152, lorsqu’il donne des termes cités par Ovide mais que, écrit-il, on ne trouve chez aucun autre auteur et qui viennent peut-être du PontEuxin, puisque c’est là, en exil, qu’Ovide commença son livre à la fin de sa vie.

5.3. Le rôle du grec : les degrés d’intégration. Ovide préfère à plusieurs reprises le mot emprunté au grec plutôt que le terme latin. Cette catégorie d’origine grecque comporte plusieurs stades, allant de la non intégration au latin à l’intégration complète et ancienne. Parmi les mots d’origine grecque qu’il emploie, on trouve des mots grecs non intégrés en latin, des « xénismes » ou « pérégrinismes » qui pourraient même parfois être cités en alphabet grec et qu’il a trouvés chez les auteurs grecs spécialisés. Ovide a également recours à des mots empruntés au grec qui étaient déjà un peu intégrés en latin, mais seulement dans la langue technique des savants. Enfin Ovide emploie des mots d’origine grecque mais complètement latinisés et assimilés en latin. Pour cette utilisation privilégiée des termes d’origine grecque, les contraintes métriques ont pu jouer un rôle puisqu’il fallait éviter les termes incompatibles avec l’hexamètre dactylique (présentant 1 syllabe brève entre 2 syllabes longues). Les contraintes littéraires d’un haut niveau de langue ont aussi pu jouer dans la préférence du terme grec plutôt que du terme latin. Ovide est repris par Pline (livre 32) lorsque ce dernier dit ajouter à sa liste des termes qu’on ne trouve que chez Ovide. Ces termes attestés seulement par Ovide et Pline (avec ainsi 2 seules occurrences, dont l’une est dérivée de l’autre) n’appartenaient pas à la langue latine usuelle.

LISTE DES TERMES Dans les tableaux ci-dessous, à propos de chaque animal aquatique, la 1ère colonne donne le nom scientifique (binôme de Linné ou d’un savant ultérieur), les 2e, 3e, 4e colonnes contiennent les dénominations en italien, anglais, allemand.

1.1 acharne,-ae F. / acarne (variante orthographique). Poisson de mer inconnu, probablement « le bar, lubin, loup de mer » (Dicentrarchus labrax Linnaeus 1758 ; famille des Moronidae). Selon P. Louisy (2015 : 81), il s’agit du bar commun, fréquent en Méditerranée, en Mer noire et dans l’océan Atlantique de la Péninsule ibérique aux Iles britanniques13.  12

La raison pour laquelle le GGaffiot note 2 voyelles brèves pour les 2 premières syllabes est probablement la scansion d’Ov.Hal.126 sans élision pour Tum. 13 H.-J. Cotte (1944 : 75) renonce pour l’identité de ce poisson.

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Dicentrarchus labrax spigola, European der Wolfsbarsch (Linnaeus, 1758) branzino di mare seabass Les Romains connaissaient bien le « bar » ou « loup » puisqu’il est apprécié dans l’alimentation et qu’il est facile à identifier (museau presque droit, bouche fendue jusqu’à l’œil, tache sombre diffuse en haut de l’opercule, corps fusiforme à écailles bien visibles, dos sombre, flancs argentés)14. Il vit dans les eaux des rivages et du littoral, sur la roche et le sable. Il fournit des mets savoureux très recherchés (Enn. var.43V3=Hedyph.10W15 ; Lucil. 49M(ap.Gell.10,20,4) ; Plin. 32,145). Acharne est un emprunt au grec ἀχάρνας M./ἄχαρνος (Aristote, Athénée). Le terme, masculin en grec, est passé au féminin en latin. La variante orthographique en est fidèle au grec , tandis que celle en est une latinisation (adaptation aux phonèmes et graphèmes du latin). 1.2 ăcĭpēnsĕr,-ĕris M. « l’esturgeon » (Acipenser sturio Linnaeus 1758) et ăcĭpēnsis, -is chez Martial. L’esturgeon est un poisson de mer qui remonte les fleuves pour se reproduire. Il est donc aussi un poisson de rivière (n°2.1). Pour les Romains, il s’agit de l’esturgeon européen16. Il faut distinguer l’acipenser et l’helops (n°2.16 poisson de rivière), qui appartiennent au même genre, mais sont 2 espèces différentes. Baltic sturgeon, Acipenser sturio storione comune der Stör (Linnaeus, 1758) European sea sturgeon L’esturgeon est bien connu des Romains. Acipenser est attesté chez Plaute selon Macrobe (Pl.Bacc.fr. apudMacr.Sat.3,16,1: Vel nunc qui mihi in mari acipenser latuit antehac. « Et voici à présent l’esturgeon qui jusqu’ici pour moi était caché dans la mer. », le locuteur étant un parasite) ainsi que chez Lucilius (1240M=207W) 17 et Nigidius Figulus (113 Swoboda). L’esturgeon est au sommet de l’échelle du goût et considéré comme le plat le plus délicieux qui soit. Un passage de Cicéron, dans une perspective philosophique épicurienne opposée à l’école platonicienne, fait de l’acipenser le plus grand plaisir qui soit pour le goût, parallèlement à l’orgue hydraulique pour l’ouïe, aux fleurs colorées pour la vue, à un bouquet parfumé pour l’odorat (ainsi que le fait de brûler des parfums et de se parer de couronnes de roses) :  14

Malgré cette description précise, P. Louisy (2015 : 81) estime qu’on peut le confondre avec le bar tacheté, le mulet et le maigre. 15 Voir le texte Partie I, Section I,§2.3.1. 16 P. Louisy (2015 : 119) signale d’autres poissons du même nom aujourd’hui répertoriés dans d’autres régions du globe. 17 Dans ce passage de Lucilius, le terme est attesté à côté de squilla ; les 2 animaux y sont opposés par la taille, petite pour la squilla et dix fois plus grande pour l’esturgeon. Voir le texte Chapitre 3, s.v. squilla.

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•Cic. Tusc.3,43 : si quem tuorum adflictum maerore uideris, huic acipenserem potius quam aliquem Socraticum libellum dabis ? hydrauli hortabere ut audiat uoces potius quam Platonis ? expones quae spectet, florida et uaria ? fasciculum ad naris admouebis ? incendes odores et sertis redimiri iubebis et rosa ? « si tu vois quelqu’un des tiens accablé par le désespoir, lui donneras-tu un esturgeon plutôt qu’un traité socratique ? L’engageras-tu à entendre un air d’orgue hydraulique plutôt que la voix de Platon ? Attireras-tu ses regards sur un brillant parterre ? Lui mettras-tu sous le nez un bouquet ? Brûleras-tu des parfums et l’inviteras-tu à se couronner de roses ? » (trad. J. Humbert 1968, CUF)

Un autre passage de Cicéron présente une nette opposition entre 2 pôles : l’acipenser « esturgeon », qui est le meilleur poisson par excellence, et la mendole (maena n°1.81), qui est le plus mauvais de tous les poissons : •Cic. Fin.2,91: ‘Non minor, inquit, uoluptas percipitur ex uilissimis rebus quam ex pretiosissimis.’ Hoc est non modo cor non habere, sed ne palatum quidem. Qui enim uoluptatem ipsam contemnunt, iis licet dicere se acupenserem maenae non anteponere; cui uero in uoluptate summum bonum est, huic omnia sensu, non ratione sunt iudicanda, eaque dicenda optima, quae suauissima. « ‘On ne retire pas, dit-il, un plaisir moindre des aliments les plus vils que des aliments les plus précieux.’ Dire cela, c’est non seulement ne pas avoir de goût, mais c’est même ne pas avoir de palais. Ceux qui méprisent le plaisir en lui-même, il leur est permis de dire qu’ils ne préfèrent pas l’esturgeon à la mendole. Mais celui pour qui le plaisir est le souverain bien, celui-là doit juger de tout par les sens et non par la raison, et les choses qui doivent être dites les meilleures sont celles qui sont les plus agréables. »

Horace consacre un long passage à la nourriture onéreuse et luxueuse par opposition à la nourriture bon marché des gens pauvres18 . Le rhombus « turbot » et le mullus « surmulet » sont d’excellents poissons, très recherchés, par opposition au lupus, plus banal. Mais le plus onéreux et le plus rare est l’esturgeon. Horace (S.2,2,46-50) raconte un scandale survenu avant son époque lorsqu’un praeco « crieur public » servit un esturgeon19. Macrobe (Sat.3,16,1-9) parle longuement de l’esturgeon, et le §8 décrit la procession par laquelle un mets de ce poisson était porté, tel un dieu, aux invités par des serviteurs couronnés de guirlandes au son d’une flûte. L’esturgeon bénéficiait donc d’une axiologie positive et le terme acipenser était associé à des connotations favorables. Quelques traits remarquables Bien qu’il y eût des esturgeons en Italie, Ovide (Hal.134) leur attribue une origine étrangère20 : •Ov. Hal.134 : peregrinis acipenser nobilis undis. « esturgeon, fameux habitant des eaux étrangères » (trad. E. de Saint-Denis)

 18

Voir Partie I, Section IV,§1.1 pour la dimension sociale des poissons. Voir le texte complet sous rhombus n°1.108. 20 Il prête aussi une origine étrangère au petit esturgeon, l’helops n°2.16. 19

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Selon Pline (9,60) l’esturgeon a des écailles tournées vers la tête en sens inverse du déplacement du poisson. Il s’étonne qu’à son époque l’esturgeon ne soit plus recherché, alors qu’il était le poisson le plus prisé auparavant : •Pline 9,60 : Apud antiquos piscium nobilissimus habitus acipenser, unus omnium squamis ad os uersis contra quam in nando meant, nullo nunc in honore est, quod quidem miror, cum sit rarus inuentu. Quidam eum elopem uocant. « Chez les Anciens le poisson dont on faisait le plus grand cas était l’esturgeon, le seul qui ait les écailles tournées vers la tête, contrairement au mouvement de la nage ; aujourd’hui, il n’est plus en honneur, ce qui m’étonne en vérité, car il est rare. Certains l’appellent elops21. » (trad. E. de Saint-Denis)

Variantes formelles Chez Martial (13,91 : acipensem acc.sg.22), acipensis,-is est une variante morphologique de 3e déclinaison, thème en i, qui a l’avantage d’offrir un paradigme flexionnel plus régulier puisqu’isosyllabique (même nombre de syllabes dans la flexion) et relevant du type ciuis, le plus productif dans la 3e déclinaison, alors qu’a.ci.pen.ser nomin.sg. s’oppose à a.ci.pen.se.rem acc.sg., a.ci.pen.se.ris gén.sg., etc. pour le nombre des syllabes (hétérosyllabique). Un nomin.sg. en …er avait tendance à être régularisé en …ris comme dans les adjectifs du type acer, acris, acre « pointu » et siluestris,-is,-e où la forme ancienne de nomin.sg. M. est siluester. Chez Lucilius, acupenser est une variante graphique et/ou phonétique : le à la place du dans la 2e syllabe pourrait être phonétiquement justifié par le caractère labial de la consonne p suivante. Le timbre u pourrait également résulter d’un rapprochement synchronique avec les termes en acu- exprimant la notion de « pointe, pointu, aigu » (ăcŭs,-ūs F. « aiguille », ăcŭĕre « rendre aigu, pointu », ăcūmen « pointe », ăcŭlĕus « aiguillon », ăcūtus « aigu, pointu »). Athénée traduit le terme par le grec ἀκιπήσιος. En effet, dans a.ci.pén.ser, le à la fin de la 3e syllabe (accentuée) n’était pas prononcé et la voyelle précédente était longue par suite d’un ancien allongement compensatoire d’une voyelle située devant les séquences ns et nf. Les variantes graphiques aquipenser, accipenser manifestent des réinterprétations synchroniques par aqua « eau », accipio « recevoir, prendre », accipiter nom d’un oiseau de proie. Formation selon les dictionnaires étymologiques EM (7) voit dans lat. acipenser « esturgeon » un terme sans étymologie sûre, peut-être un ancien composé dont le 1er terme serait à rapprocher du radical latin ac- (présent dans acies, acus) « aigu, pointu, piquant ». Le terme est également mentionné par De Vaan (23) sous acu- angl. « sharp ». Le trait saillant sélectionné serait donc le museau et la silhouette allongés du  21

Mais l’acipenser et l’helops (n°2.16) sont des poissons différents. Mart.13,91 : Ad Palatinas acipensem mittite mensas. « Envoyez l’esturgeon aux tables du Palatin. » 22

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poisson. Le nez pointu est caractéristique de l’esturgeon de la Gironde en France. Dans le paragraphe précédent, nous avons également interprété la variante formelle acupenser avec la voyelle u comme le reflet d’une interprétation synchronique par le radical acu- présent dans des lexèmes dont la signification tourne autour de « pointe, pointu ». La 2e partie du mot est généralement considérée comme obscure. Mais De Vaan (23, s.v. acu-) mentionne des propositions (Oniga 1999 et Guasparri 2000) selon lesquelles la forme la plus ancienne serait le thème en i acupensis,-is de Martial. On serait passé ensuite à une flexion nominatif sg.-is, génitif sg.-eris, puis en -er,-eris par alignement du nominatif sg. sur le reste de la flexion. Ces propositions rattachent le 2e élément au substantif pensum,-i Nt. « poids », dont la forme °-pensis représenterait une variante en i. Guasparri propose un composé possessif « qui possède un poids d’aiguilles » en raison des barbillons en forme d’aiguilles. Mallory & Adams (2006 : 146-147) posent une forme i.-e. *haek̂e(tro)« esturgeon » régionale du nord-ouest d’une racine *haek̂- signifiant en anglais « sharp ». Le nom i.-e. de l’esturgeon se retrouverait dans lat. acipenser « esturgeon » (angl. sturgeon) avec des correspondants en baltique (lit. eškėtras) et slave. Le trait saillant « pointu, aigu, piquant » s’expliquerait par la forme de la tête de l’esturgeon (longue et pointue) et par la forme allongée de son corps. Proposition étymologique Nous proposons pour acipenser un composé nominal constitué en latin avec 2 éléments préexistants. A. Un trait saillant : les barbillons de l’esturgeon. Ils sont présentés comme caractéristiques de l’esturgeon par divers auteurs contemporains. Si nous faisons l’hypothèse que l’esturgeon le mieux connu des Romains était celui de l’estuaire du Pô dans l’Adriatique, nous constatons (photo de P. Louisy 2015 : 119) que cette variété d’esturgeon a le nez rond et large. Tous les esturgeons, en outre, se caractérisent par des barbillons longs et cylindriques très visibles à l’avant de la bouche sous le museau (photo de P. Louisy 2015 : 119 et illustration de K. Pivnička et alii 1987 : 70-72). B. Un composé bahuvrīhi fondé sur cette partie du corps. On peut donc proposer un composé bahuvrīhi ou possessif signifiant litt. « qui a des choses pendantes/longues, fines, pointues ». Le groupement le plus volumineux des bahuvrīhi en latin offre le nom d’une partie du corps en 2e terme et en 1er terme un qualificatif (nom de nombre, adjectif) décrivant une caractéristique de cette partie du corps23.  23

Quadru-pes « qui a 4 pattes, quadrupède » (quadru-° « quatre », pes, pedis « pied »), bi-membr-is,-e « qui a 2 membres » (bi-° « deux », membrum « membre »), magn-anim-us « magnanime » litt. « au grand cœur, qui a l’âme

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Dans cette hypothèse, le 1er terme ăcĭ-° relève du radical ac- (allomorphe acu-) avec le i bref de composition usuel à la fin du 1er terme d’un composé latin. Et le 2e terme °-penser ou °-pensis représente le radical pend- « pendre, être suspendu » de pend-ē-re suivi par une séquence finale -ter qui provient de *-tri-s ou -ter-i-s ou bien de *-tero-. On a donc phonétiquement *acĭ-pĕnd-t(e)rĭs > *acĭ-pens-s(e)ris (assibilation) > aci-pēnsrĭs (simplification de la sifflante géminée) > acĭpēnsĕr au nomin. sg. et acĭpēnsĕris au gén. sg. En effet, la rencontre de 2 dentales (…d-t…) à la frontière de morphème (qui est aussi une frontière de syllabe) produit une assibilation comme dans l’adjectif pēnsĭlis,-e « qui pend » avec le suffixe -tĭlis : *pĕnd-tĭlis > *pent-s-tĭlis > *pēns-sĭlis > pēnsĭlis, adjectif attesté chez Plaute24. La séquence finale représente : a) soit le suffixe -tris, attesté dans les adjectifs en -estris/-es-tris : terrestris (sur terra), siluestris (sur silua), campester/campestris (sur campus « plaine, champ libre ») et avec dissimilation 25 du r dans caelestis (sur caelum « ciel »). Mais pour ce suffixe, la base de suffixation est plutôt un substantif dénotant un lieu (terra, silua, campus), ce qui n’est pas le cas dans acipenser. b) soit le suffixe *-tero- suivi de la voyelle -i- flexionnelle (type fortis,-e pour les adjectifs de la 2e classe et ciuis,-is pour les substantifs de la 3e déclinaison). Ce morphème -i- qui conditionne la désinence du lexème est caractéristique des composés bahuvrīhi26. Le suffixe i.-e. *-tero-27 s’attache en latin au 2e terme d’oppositions à 2 termes : alter,-era,-erum « l’autre de 2, le second » (vs alius « autre » en général), dexter,-tra,-trum « situé à droite » vs sinister,-tra,-trum « situé à gauche » (cf. les adverbes ul-trā « au-delà » vs ci-trā « en-deçà »). Le suffixe montrerait ici dans acipenser que le poisson a des barbillons remarquables et plus remarquables que les autres poissons.

 grande » (magnus « grand », animus « courage »), serpenti-pes « qui a les pieds en forme de serpent » (serpens « serpent »), auri-com-us « qui a une chevelure d’or » (aurum « or », coma « chevelure »). 24 Et qui figure dans pensilis uua (Hor.) « raisin suspendu » parce que mis à sécher. La substantivation donne pensilia Nt.pl. (Varr. R.) « fruits suspendus séchés ». 25 Phénomène phonétique connu : caelum*cae.les.t(r)is>cae.les.tis, soit …l…tr…>…l…t…lorsque le groupe tr est situé à l’initiale de syllabe. Les phonèmes /l/ et /r/ étant des liquides, cette proximité entraîne des dissimilations et des substitutions dans un sens ou dans l’autre. 26 Cf. im-berb-i-s « qui n’a pas encore de barbe » à côté de barba,-ae « barbe » ; bimembr-is « qui a 2 membres/2 parties » sur membrum,-i « membre, partie ». 27 Parfois grammaticalisé comme morphème de comparatif (sk. -tara-, gr. -τερος).

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Cette séquence finale *-trĭs prend phonétiquement la forme -tĕr au nominatif M.sg. : acĭpēnsĕr offre le passage28 de la finale …rĭs à …ĕr attesté dans ācĕr, ācrĭs « pointu » et dans l’adverbe numéral *trĭs > tĕr « 3 fois ». Le phénomène s’applique aussi à la voyelle o brève en syllabe finale au nomin.sg. M. : puĕr*ăsĭllo-s>asellus). Pour un traitement semblable avec passage de r à l par assimilation régressive devant le suffixe *-lo-, voir rubellio n°1.109. A partir de tels mots s’est ensuite dégagé par mécoupure l’allomorphe -ellus,-a,-um (-illus) du suffixe diminutif52. Procédé de dénomination Le trait saillant de ressemblance avec l’âne est probablement la couleur, avec une certaine tonalité de gris et un ventre blanchâtre. Le merlu commun ou merlu blanc a le dos gris acier et les flancs plus clairs, le ventre blanc. Le merlan a également le ventre blanc (voir ci-dessus). Le couple asinus « âne »/asellus « poisson ressemblant à un âne » est parallèle au couple gr. ὄνος « âne », « merlu » (poisson), « cloporte » (insecte)/ὀνίσκος « merluche » (poisson), « cloporte » (insecte)53. Il ne s’agit pas d’un calque sémantique du latin sur le grec, mais de 2 dénominations parallèles fondées sur les mêmes processus cognitifs de dénomination : animal terrestre  animal aquatique. Les 2 animaux ont pour points communs d’être utiles et bénéfiques pour l’homme et d’être bien connus de lui. 1.16 aurāta,-ae, F. « la daurade, la daurade royale ». Famille des Sparidae. Voir chrysophrys n°1.39. Sparus aurata gilt head, die Dorade, orata gilthead seabream die gemaine Goldbrasse (Linnaeus, 1758) Fréquente dans tous les types de fonds, la daurade pénètre dans les eaux saumâtres des estuaires et des lagunes côtières en solitaire ou en groupe. Elle  51

Voir Partie I, Section I,§2.5. Pour ce suffixe et ses réalisations phonétiques : Partie IV,§8. 53 Sens donnés par le Dict.grec-français, V. Magnien & M. Lacroix p.1256 et 1257. 52

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était bien connue des Romains et faisait l’objet d’élevage54. La coloration du corps55 et des nageoires est gris-bleu avec un éclat argenté. Au-dessus de la naissance des pectorales et près du bord supérieur de l’opercule se trouvent 2 taches sombres ainsi qu’une bande dorée barrant le front entre les 2 yeux. Attestation Le terme est attesté au +Iers. chez Celse (2,18,65), Columelle (8,16,2 ; 8,16,8). Pline décrit ainsi le comportement des daurades en cas de canicule : •Pline 9,58 : Quidam rursus aestus inpatientia mediis feruoribus sexagenis diebus latent, ut glaucus, aselli, auratae. « Certains poissons, inversement, parce qu’ils ne supportent pas les pleines chaleurs, se cachent pendant 60 jours, comme le glaucus, les ânes de mer, les daurades. »

Le terme est mentionné par Pline (32,43 et 145), Martial (13,90,1 : les meilleures dorades viennent du lac Lucrin, où elles se nourrissent de coquillages) et Macrobe (Sat.3,15,2). P.Fest. (182L.) explique le terme et la graphie orata, d’où vient le surnom de Sergius Orata (mentionné en Varr.R.3,3,10 ; cf. le cognomen de Licinius Murena)56. Phonétique La forme à diphtongue initiale aurata avait dès l’époque archaïque et classique une variante graphique orata (cf. it. orata), la diphtongue /au/ ayant une variante diatopique et diastratique monophtonguée en [ō]. Statut dans le lexique latin Aurata est usuel avec un procédé de dénomination chromatique, ici par la couleur de l’or. Il est fait sur aurum,-i Nt. « or », la daurade étant « celle qui contient la couleur dorée » avec le suffixe -ātus,-a,-um (*-to- possessif). En effet, la dorade offre un bandeau frontal doré entre les yeux (P. Louisy 2015 :143 ; ainsi qu’une grande tache sombre verticale irrégulière en arrière de l’œil). Le même procédé dénominatif existe dans fr. daurade/dorade, emprunté à l’espagnol dorada (XVes.) de même sens, lui-même issu (avec l’influence de esp. dorar « dorer ») du latin aurata. Le procédé de dénomination par la couleur et la matière caractéristique de cette couleur est bien représenté en latin57. Autre dénomination Le même poisson a un nom savant chrysophrys F. « dorade » (Ov. Hal.111 ; Plin. 32,152) emprunté à gr. χρύσοφρυς « daurade », composé possessif litt. « qui a des sourcils d’or » (bande dorée entre les yeux). 1.17 bacchus,-i M. « poisson de haute mer », non identifié. On le rapproche parfois d’asellus. Voir callarias n°1.26. En Pline (9,61) les bacchi sont l’un des deux genres des poissons nommés aselli :  54

Partie I, Section V, §2.2. Selon K. Pivnička et alii 1987 : 219, s.v. Dorade royale. 56 Nom de poisson employé comme cognomen : Partie I, Section V,§5. 57 Partie I, Section VIII,§1.1. et §2.1. 55

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•Pline 9,61 : Asellorum duo genera, callariae minores et bacchi, qui non nisi in alto capiuntur, ideo praelati prioribus. « Il y a 2 espèces d’ânons : les callarias, qui sont les plus petits, et les bacchus, qu’on ne prend qu’en haute mer et qui sont, pour cette raison, préférés aux premiers. » (trad. E. de Saint-Denis)

Selon Pline, bacchus dénote le même poisson que le terme mizyene(m), mais la forme est douteuse. Bacchus est tiré du nom de la divinité Bacchus, usuel en latin. Puisqu’on considère que la forme bancus (n°1.18) en est une déformation, il devait avoir une certaine fréquence dans l’usage. Il est difficile de déceler la raison de la mise en relation du poisson avec la divinité. Une telle formation est aussi attestée dans ueneria « le coquillage de Vénus », et pour un anthroponyme dans achillium « l’éponge d’Achille ». 1.18 bancus,-i, M. : poisson de mer inconnu. Le terme, attesté chez Caelius Aurelianus (Acut.2,37,210), est considéré comme une déformation de bacchus (n°1.17), ce qui montre qu’il était entré dans l’usage. 1.19 batia,-ae, F. « espèce de raie », probablement la « raie à tubercules épineux ». Autres noms de raies : raia n°1.105, torpedo, pastinaca, trygon, rota dans ce chapitre des poissons de mer. thornback ray, Raja clavata der Nagelrochen razza chiodata thornback skate (Linnaeus, 1758) Le terme se trouve seulement chez Pline (32,77 ; 32,145). Il est emprunté à gr. βατίς,-ίδος F. (et βάτος M.). Les 2 termes dénotent un poisson, peutêtre « la raie », mais βατίς dénote aussi un oiseau. Le procédé de dénomination est donc peut-être en grec : oiseaupoisson, bien attesté pour les raies, dont les nageoires s’appellent des fr. ailes. Ce terme fut latinisé par le suffixe -ia,-ae F., qui entraîna un changement de flexion en se substituant au suffixe grec, qui n’avait pas de parallèle exact en latin. 1.20 batrachus,-i, M. « la grenouille de mer », « la baudroie », « la lotte » ; voir mustela et rana dans ce chapitre des poissons de mer. Lophius piscatorius rana pescatrice, der Seeteufel anglerfish (Linnaeus, 1758) pesce rospo Le terme, mentionné par Pline (32,145), peu attesté, représente un calque de signifiant du nom de la grenouille en grec βάτραχος, terme qui dénomme aussi en grec le même poisson « la grenouille de mer, la baudroie ». Le latin correspondant pour le même poisson à l’aide du même procédé de dénomination est rana n°1.106. Procédé de dénomination en latin et grec : grenouille  poisson ; animal terrestre  animal aquatique. 1.21 belonē,-es, F. « aiguille de mer » est l’équivalent d’origine grecque de la dénomination latine acus,-i M. « aiguille de mer » (n°1.3) pour le même poisson avec le même procédé de dénomination.

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Syngnathus acus (Linnaeus, 1758)

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greater pipefish, die Grosse longnosed pipefish, Seenadel narrowsnouted pipefish Le terme est emprunté pour le signifiant et le signifié à gr. βελόνη « aiguille » (instrument) et « aiguille de mer » (poisson). Le maintien de la désinence grecque (-e,-es) est l’indice d’un terme savant en latin. Pline (9,166) le met en équivalence dénotative avec lat. acus « aiguille de mer » : pesce ago

•Pline 9,166 : Acus siue belone unus piscium dehiscente propter multitudinem utero parit. « L’aiguille de mer ou belone est le seul poisson dont le ventre s’ouvre lors du frai à cause du grand nombre des œufs. » (trad. E. de SaintDenis)

Procédé habituel : instrument  poisson ; entité terrestre inanimée  animal aquatique, avec pour trait saillant la forme fine et allongée. 1.22 blendius,-ii M. « la baveuse, la blennie » Blennius (Linnaeus, 1758) bavosa occhiuta, butterfly blenny der Schleimfish Blennius ocellaris blennio (Linnaeus, 1758) Selon K. Pivnička et alii (1987 : 237, s.v. Blennie commune), les poissons appartenant à la famille des Blennidae ont un corps nu dépourvu d’écailles et protégé par une épaisse couche de mucus (« mucosités »). Pline (32,102) mentionne le gén.pl. blendiorum. Le terme, peu attesté, est de forme incertaine : dans l’index de Pline (1,32,31), on lit blendia. Formation du mot On rapproche lat. blendius du nom grec du même poisson βλέννος M. « la baveuse », associé à gr. βλέννα F./βλέννος,-ους Nt. « mucosité, morve », ce qui correspond au fait que le poisson, dépourvu d’écailles, est recouvert de mucosités. On rapproche aussi blendius à l’intérieur du latin de l’adjectif blennus « idiot, niais » (Pl. Bacch.1088 ; Lucil. 1063 M.). Proposition sur la formation du mot La finale -ius peut représenter le suffixe -ius,-a,-um adjectival et -ius,-i M./-ium,-i Nt. substantival (p…tr… Un composé poétique tardif à l’imitation d’Ovide199 présente pistri-° en er 1 terme avec ger- (radical de gerere « porter ») en 2e terme dans pistrĭ-gĕr « qui a une queue de poisson » chez Sidoine Apollinaire (Ep.4,8,5,v.1).  198

Cf. uic-trīx « victorieuse » sur uic-tŏr M. « vainqueur » ; cantā-trīx « oiseau chanteur » (accordé avec auis F. « oiseau ») sur canta-tor M. « celui qui chante ». 199 Pour les composés poétiques en °-ger : M. Diguet 2020.

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Attestation Pline (9,4 ; 9,8 ; 9,41 ; 32,144 ; 36,26) en donne parfois des caractéristiques erronées. Les auteurs latins en parlent de manière vague, ignorant la particularité du museau en forme de scie. Ce poisson est parfois confondu avec la « scie » serra. Voir serra. 1.104 psetta,-ae, F. « la barbue », sorte de poisson plat qui est souvent confondu avec le turbot ; voir rhombus poisson de mer. Scophthalmus rhombus rombo liscio brill der Glattbutt (Linnaeus, 1758) Le terme est emprunté au grec ψῆττα. Pour le latin, il est attesté seulement chez Pline en 9,57. Il est donc savant en latin. 1.105 raia,-ae, F. « la raie » (genre Raja Linnaeus, 1758). La raia serait la raie commune en Méditerranée, avec plusieurs espèces. Voir aquila, bos, batia, pastinaca poissons de mer. Raia spp. razza ocellate skate der Rochen Linnaeus, 1758 En Pline 9,78 dans une liste de poissons plats cartilagineux (d’après Aristote H.A.5,4,1-2), on trouve, en plus de raia « la raie » : pastinaca « la pastenague », squatina « l’ange », torpedo « la torpille », et : •Pline 9,78 : et quos bouis, lamiae, aquilae, ranae nominibus Graeci appellant. « et ceux que les Grecs appellent le bœuf, la touille, l’aigle de mer, la baudroie. »200

En 9,144, décrivant les ruses de la squatina et du rhombus pour capturer les poissons en se cachant dans le sable, Pline ajoute que les raiae font de même : •Pline 9,144 : Simili modo squatina et rhombus abditi pinnas exertas mouent specie uermiculorum, item quae uocantur raiae. « De même l’ange et le turbot, lorsqu’ils sont cachés, agitent hors du sable leurs nageoires, semblables à des vermisseaux ; les poissons appelés ‘raies’ font de même. » (trad. E. de SaintDenis)

En 9,161, Pline parle (d’après Aristote H.A.6,10,10) d’un poisson qui résulterait du métissage de la squatina et de la raia : •Pline 9,161 : Piscium diuersa genera non coeunt praeter squatinam et raiam, ex quibus nascitur priore parte raiae similis et nomen ex utroque compositum apud Graecos trahit. « Les poissons d’espèces différentes ne s’accouplent pas, sauf l’ange et la raie, qui donnent naissance à un poisson semblable à la raie par sa partie antérieure, recevant chez les Grecs un nom composé des deux autres. » (trad. E. de Saint-Denis)

Ce composé dont parle Pline est gr. ῥινόβατος : le 1er terme est associable à gr. ῥίνη, qui désigne le même poisson que lat. squatina « l’ange », et le 2e terme à gr. βάτος, qui désigne le même poisson que lat. raia « la raie ». Le  200

Voir ces termes ; passage cité sous squatina.

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poisson est le rhinobate (Rhinobatus rhinobatus, Linnaeus, 1758)201, connu en Méditerranée, semblable aux raies, excepté pour la queue, qui est plus grosse. P. Louisy mentionne (2002/2015 : 477) aussi « la raie-guitare fouisseuse » (Rhinobatus cemiculus, Geoffroy Saint-Hilaire 1817 ; famille des Rhinobatidae). Etymologie Raia n’a pas d’étymologie assurée. On a proposé un rapprochement avec radius « baguette » (avec des spécialisations « rayon de roue », « navette de tisserand »), étymologie possible. En zoologie, en effet, rădius dénote l’ergot de certains oiseaux, l’éperon (Pline 11,257 ; 30,97) et l’épine ou le dard d’un poisson (Pline 9,155). Il peut donc dénoter le dard de la raie, venimeux et dangereux pour l’homme et dont la forme est celle d’une queue longue et mince 202. Dénommer l’entité entière par l’une de ses parties et, pour la raie, par sa partie la plus redoutable relève de la synecdoque. Morphologie et phonétique Le terme radius,-ii M. passerait alors au féminin pour le nom du poisson (peut-être en alignement avec belua « grosse bête marine », squatina sorte de raie-requin, canicula, etc.) et on pourrait poser l’évolution phonétique suivante : *ră.dĭ.a (3 syllabes avec /i/ voyelle et centre de syllabe)>*ră.dya (2 syllabes après consonnification de /i/)>*ră.yya (assimilation régressive dans un groupe consonantique initial de syllabe à la frontière de syllabe 203 )>*ră.ya (simplification de la géminée) ou bien *răy.ya (assimilation régressive à la frontière de syllabe). Le GGaffiot pose răĭă avec 3 voyelles brèves. Mais le terme n’est pas attesté en poésie. On ne sait donc pas si la graphie fonctionne ici comme voyelle ou consonne, puisqu’elle représente le phonème /i/, qui a 2 réalisations phonétiquement conditionnées, l’une vocalique [ĭ] et l’autre consonantique [y]. On pourrait envisager théoriquement plusieurs prononciations de la graphie : [ră.ĭ.ă] (proposée par le GGaffiot), [ră.yă] (avec 2 syllabes brèves et un consonne) et [răy.yă] (avec une 1ère syllabe longue fermée contenant une voyelle brève)204.  201

En outre, pour le rhinobate : Raia rhinobatus L. selon E. de Saint-Denis, commentaire au passage de Pline. 202 Le même mot vaut pour l’aristoloche (une plante). 203 Le phénomène phonétique *dy->*yy->*y- est attesté dans Iū-piter rubellus (assimilation régressive à la frontière de syllabe *…r.l…>…l.l…). Le suffixe -iō,-iōnis M. (variante de -ō,-ōnis M.)216 est bien représenté dans les noms des catégories naturelles (plantes, oiseaux) et on le trouve dans plusieurs noms d’animaux aquatiques (sario, gobio). Rubellio illustre donc le procédé de dénomination direct par le trait saillant chromatique de la couleur rouge217. b) Anthias anthias (Linnaeus, 1758)

b) castagnola rossa

1.111 salmō,-ōnis, M. « le saumon » (Salmo salar, Linnaeus, 1758). Poisson de mer et de fleuve (voir salmo n°2.23, Poissons de rivière). Non méditerranéen, il vit dans la mer et remonte les fleuves pour la reproduction. Salmo salar salmone der Atlantischer Atlantic salmon (Linnaeus, 1758) atlantico Lachs  215

Le GGaffiot traduit par « rouget » pour Pline 32,138 ; Apic. 448. Pour le suffixe -io M., voir F. Gaide 1988. Voir Partie IV. 217 Voir Partie I, Section VIII,§1.1. et §2.1. 216

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Dans les noms scientifiques, Salmo fut employé pour différents poissons : « le saumon », « l’omble chevalier » (« la truite des Alpes »), « l’omble », « la truite de mer », « la truite fario » (P. Louisy 2015). Un poisson de rivière en Aquitaine : Pline Pline (9,68) signale la présence du salmo en Aquitaine. Il s’agit alors du saumon de l’Atlantique, poisson de mer et de rivière, qui remonte la Gironde et la Garonne pour la reproduction. Pline le qualifie de fluviatilis « de fleuve » probablement parce que c’est dans l’eau douce qu’il est capturé et que c’est dans les fleuves et leurs affluents qu’on l’observe le mieux. Pline (9,68) le cite dans une liste des meilleurs poissons selon les régions. C’est le salmo en Aquitaine, où ce poisson de fleuve est préféré dans cette région à tous les poissons de mer, remarque notable, puisque les poissons de mer sont jugés meilleurs que les poissons de rivière218. Un poisson de rivière dans la Moselle : Ausone Le salmo de la Moselle bénéficie d’une longue description laudative chez Ausone (Mos.97-105) pour ses caractéristiques physiques et la qualité de sa chair. Voir salmo n°2.23, poisson de rivière. Proposition Pour notre proposition étymologique, voir au chapitre 2 des poissons de rivière : salmo n°2.23, salar n°2.22, sario n°2.24. Procédé de dénomination Descriptif direct par un trait saillant de comportement du poisson. 1.112 salpa,-ae M./F. « la saupe » (Sarpa salpa Linnaeus, 1758). Sarpa salpa dreamfish, goldline, die Salpe salpa (Linnaeus, 1758) salema die Goldstrieme La salpa est un poisson à la chair peu appréciée selon Ovide (Hal.121 : merito uilissima salpa « la saupe justement méprisée »). Pline (9,68) cite salpa dans une liste de poissons considérés comme excellents dans certaines régions (coracinus, zaeus/faber, salpa, salmo) : la salpa serait appréciée dans la région d’Ebusum (près d’Ibiza), mais méprisée ailleurs parce que la chair doit être attendrie219. Pline 9,162 traite de la reproduction à l’automne. C’est un emprunt à gr. σάλπη (F., cf. Ovide) et σάλπης (M., cf. Pline). 1.113 saperda,-ae F. dénote un poisson considéré comme minable et de mauvaise qualité, utilisé pour les salaisons, « le petit castagneau » (Chromis chromis et Sparus chromis Linnaeus, 1758). der Schwalbenschwanz, Sparus chromis castagnola damselfish der Mönchsfisch (Linnaeus, 1758)  218 219

Voir le texte : Partie I, Section V,§1.3.1. Pour le passage, voir Partie I, Section V,§1.3.1.

200

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Saperda est attesté chez Lucilius (54M.=33 éd. Charpin=46 éd. Warmington) selon Varron (L.7,47) avec 2 autres noms de poissons (lupus, silurus). Sa conclusion est que les noms de poissons qu’il vient de citer sont d’origine grecque. Cela vaut pour saperda et silurus, mais non pour lupus220. •Varr. Men.311Cèbe (Non.176,20) : omnes uidemur nobis esse belli, festiui, saperdae cum simus σαπροί. « Il nous semble être tous des gens charmants, agréables, alors que nous sommes des petits castagneaux pourris. »221 •Pers. 5,134 : En saperdas aduehe Ponto. « Eh bien ! apporte des petits castagneaux du Pont. »222 •P.Fest.434,7L. : genus pessimi piscis. « saperda : une sorte de très mauvais poisson. »

Saperda est emprunté à gr. σαπέρδης, mais il est bien intégré au latin223 comme représentant des petits poissons de mauvaise qualité (le menu fretin), souvent utilisés pour les salaisons. Le poisson étant méprisable, le terme qui le dénote est péjoratif et dépréciatif puisqu’il est employé dans une sorte d’injure (voir ci-dessus le passage de Varron). Voir coracīnus (le même poisson s’appellerait χοραχῖνος avant la salaison, et σαπέρδης après). 1.114 sarda,-ae, F. « sorte de thon » (Sarda sarda Linnaeus, 1758) ; voir amias, thunnus/tunnus. Sarda sarda Atlantic bonito, (Bloch, 1793) palamita bloater, bone jack, der Pelamide ou Linnaeus, 1758 common bonito Selon K. Pivnička et alii (1987 : 249 s.v. Bonite à dos rayé, nom scientifique Sarda sarda), ce poisson appartient à la famille des Scombridae, qui regroupe 40 espèces de poissons marins pélagiques. Rapides nageurs au corps fuselé, ils ont un pédoncule caudal de forme caractéristique (nageoire échancrée en forme de « V »). La coloration est caractéristique : 7 à 9 bandes sombres obliques longitudinales sur la face dorsale. Le poisson se nourrit de sardines, d’anchois et de maquereaux. Les jeunes ont une coloration différente des adultes : ils ont des stries transversales (et non longitudinales) sur le dos. Ce trait bien visible explique, à notre avis, que le latin ait des termes spécifiques pour les jeunes de cette espèce. Attestation Pline rapproche la sarda de la pelamys, thon de forme allongée qui vient de l’Océan: •Plin. 32,151 : sarda (ita uocatur pelamys longa ex oceano ueniens)...« la sarde (on nomme ainsi le thon allongé venant de l’océan)… » (trad. E. de Saint-Denis)

 220

Voir le texte : Partie I, Section I,§2.3.2. et § 2.5. ; Section V,§1.1. Le GGaffiot traduit ici par « coracin ». 222 La CUF traduit ici saperdas par « coracins » : « Eh bien ! apporte du Pont des coracins. » (trad. A. Cartault 1921 (1966, 4e tirage), CUF) 223 Contrairement à ce qu’écrit P. Flobert (éd. Varron, De Lingua Latina VII, Paris, CUF, 2020, p.67, n.3 du §47). 221

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Il cite la sarda dans la longue liste des remèdes médicaux du livre 32: •Pline 32,46: Priuatim contra presteris morsum sarda prodest. « La pélamyde sarde en particulier est bonne contre la morsure du prester. »

Procédé de dénomination Le poisson sarda est dénommé de manière géographique d’après le nom de la Sardaigne224 Sardinia. Le même type de formation se trouve dans sardīna « petit poisson, sardinelle », mais sarda et sardina ne dénotent pas le même poisson225. Une base toponymique est fréquente pour les noms de plantes (J. André 1985), mais rare pour les poissons. 1.115 sardīna,-ae, F. « la sardine, la sardinelle ». C’est un petit poisson destiné à la salaison, mais, puisque les sardines vivent dans l’Atlantique, sardina indique plutôt les espèces de sardinelles de la Méditerranée. true sardine, die Europäische Sardina pilchardus sardina (les adultes), European Sardine bianchetto (les jeunes) (Walbaum, 1792) pilchard Chez Columelle (8,17,12), il s’agit de la sardine. Sardina, comme sarda, est dénommé de manière géographique d’après le nom de la Sardaigne Sardinia226. Une base toponymique est fréquente pour les noms de plantes (J. André 1985), mais rare pour les poissons. Voir sarda. 1.116 sargus,-i, M. « le sargue ». L’espèce dont parlent les auteurs latins est le Diplodus sargus (Linnaeus, 1758), qui a plusieurs lignes noires sur les flancs. Diplodus sargus die Bindenbrasse, sarago maggiore white seabream (Linnaeus, 1758) die Geissbrasse Selon K. Pivnička et alii (1987 : 213, s.v. Sar (sargue) commun), entre la dorsale et la ligne latérale, les flancs portent 8 à 9 bandes sombres verticales. Les flancs sont gris argent. C’est un poisson hermaphrodite (les glandes sexuelles sont d’abord mâles puis femelles). Ovide retient pour le sargue le trait saillant de ses marques ou taches (il s’agit de lignes, de zébrures) en employant le substantif nŏta,-ae F. « marque, signe » (ici notis), mais sans en préciser la couleur : •Ov. Hal.105 : Insignis sargusque notis. « le sargue remarquable par ses taches » (trad. E. de Saint-Denis)

Pline rapporte des renseignements pris chez Aristote en 9,65 ; 9,162 ; 9,182 ; 32,151. Le terme est emprunté au grec σαργός « poisson de mer », mais il  224

Selon H.-J. Cotte 1944 : 86, une pêche active était faite aux divers thons autour de la Sardaigne et on y préparait une conserve appelée salsamentum sardicum. 225 Pour ce procédé de dénomination, voir Partie I, Section VIII,§1.3. 226 Pour ce procédé de dénomination, voir Partie I, Section VIII,§1.3.

202

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est attesté en latin depuis l’époque archaïque chez Ennius (var. 37V3=Hedyph.4W) et Lucilius (1276 M.). 1.117 saurus,-i, M. « le saurel » (Trachurus trachurus Linnaeus, 1758). Trachurus trachurus suro, Atlantic horse die Bastardmakrele (Linnaeus, 1758) sugarello mackerel Selon Pline 32,89, un médicament pour la parotide est fait avec sauri piscis marini iocineribus. En Pline 32,151, le terme est attesté sous la forme sōrus, variante orthographique reflétant la prononciation monophtonguée en [ō] de la diphtongue /au/. Cette prononciation en voyelle longue existe depuis l’époque archaïque comme variante diatopique et diastratique. Le nom, emprunté au grec σαῦρος, lui vient de sa couleur verte. En Col. 8,17,12, la leçon est incertaine : praeberi conuenit… nec minus saurorum/scarorum branchiam. Le terme d’origine grecque était utilisé aussi en latin pour les lézards ou salamandres terrestres (cf. le passage de Laevius apud Apul. Apol.30 cité par E. de Saint-Denis pour le mot saurae). Procédé de dénomination Le terme latin est un emprunt au grec, mais en grec, la dénomination du lézard terrestre devient celle d’un poisson selon le procédé métaphorique habituel : lézard  poisson, donc animal terrestre  animal aquatique. 1.118 saxātilis,-e, adjectif « qui vit dans les rochers, saxatile » est substantivé au pluriel saxatiles pour une collectivité de poissons vivant dans les rochers, cet habitat étant significatif pour les pêcheurs et entrant assez souvent dans la description des poissons et de leurs particularités. Ovide emploie saxatilis,-is M. « le saxatile » au singulier comme un nom de poisson par une sorte de singulatif à partir du collectif saxatiles « les poissons saxatiles ». Il prête à ses écailles une couleur verte: •Ov. Hal.109 : Tum uiridis squamis paruo saxatilis ore. « puis le saxatile à la petite bouche et aux écailles vertes » (trad. E. de Saint-Denis)

On a une collectivité de poissons chez Columelle (8,17,11) : •Col.8,17,11 : Esca iacentium mollior esse debet quam saxatilium. « La nourriture des poissons (plats) qui restent sur les fonds sableux doit être plus molle que celle des poissons de rochers. » ; « The diet of flat fish ought to be softer than that of rock-fish. » (trad. E.S. Forster & Edward H. Heffner 1968 (éd. corrigée, 1ère éd. 1954) coll. Loeb).

Formation du mot C’est un adjectif suffixé en -ātilis,-e sur la base de saxum,-i Nt. « rocher, roche ». Ce suffixe se trouve dans un petit groupement appartenant au domaine de la nature pour qualifier des entités qui vivent dans un endroit. Le suffixe -atilis est parallèle à -aticus,-a,-um. Sur fluuius « rivière » avec le même sens « fluvial » existent flutiatilis (Cicéron, Tite-Live) et fluuiaticus (Columelle) ; scaenatilis (Varr. Men.304 Cèbe) et scaenaticus (Varr.

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Men.349 Cèbe) sont cités comme synonymes par Nonius (176 M.=259 L.)227. Il s’agit d’un élargissement par l’avant du suffixe productif -ālis. 1.119 scărus,-i M. « le scare ». Les Anciens connaissaient l’espèce de la Méditerranée orientale (Sparisoma cretense Linnaeus, 1758). scaro, pesce European der Europäischer Sparisoma cretense pappagallo del parrotfish Papageifisch (Linnaeus, 1758) Mediterraneo Le scare, très renommé (Hor. Epod.2,49 ; Petr. 93 ; Gell. 6,16 ; Plin. 9,62), est cité par Horace (S.2,2,21-22)228 comme un excellent poisson quand il critique les riches personnages consommant des mets luxueux et devenant blasés au point de méprisant la bonne nourriture, le scare et les huîtres. On faisait une sauce avec son foie et ses intestins (Mart.13,74 ; Suet. Vitell.13,5). Selon Pline (9,62) et d’autres auteurs, le scare est remarquable par son habileté à échapper aux nasses et par la solidarité entre les poissons de son espèce229. Ovide (Hal.9-18) développe ces faits et il est repris par Pline (32,11). Les scares étonnent aussi par l’étrange structure de leurs dents et leur façon de manger, dénotée par le verbe ruminare « ruminer » : •Ov. Hal.119 : scarus, epastas solus qui ruminat escas. « le scare, qui est le seul à ruminer les appâts qu’il a avalés. » (trad. E. de Saint-Denis) •Plin. 11,162 : nunc principatum scaro datur, qui solus piscium dicitur ruminare herbisque uesci. « le premier rang est accordé au scare, qui seul parmi les poissons a la réputation de ruminer et de se nourrir des herbes marines (algues). »

Autre dénomination Ennius (var.40V3=Hedyph.7W)230 appelle ce poisson : cerebrum Iouis litt. « le cerveau de Jupiter ». Il est difficile de déceler le trait à l’origine de ce nom et les éléments de ressemblance du poisson avec le « cerveau de Jupiter ». Une autre partie du corps de Jupiter, la barbe, servit à dénommer une plante : Iouis barba « la joubarbe » litt. « la barbe de Jupiter », le terme français étant un héritier phonétique direct de l’appellation latine (lat. iou(is)barba>fr. joubarbe). Origine Scarus « le scare » est emprunté à gr. σκάρος (cf. verbe σκαίρω « bondir ») et le poisson est dénommé en grec par ses bonds et coups de queue légendaires. Mais scarus est bien intégré en latin, puisqu’il est cité par des auteurs non techniques dans le cadre de la description des mœurs de leur temps ou comme symbole de bonne chair. La renommée du poisson fait que  227

Pour ce suffixe -atilis, voir M. Fruyt 1986, p.71,91,112. Voir le texte : Partie I, Section V,§1.1.3. 229 Cf. H.-J. Cotte (1944 : 62), qui reprend Elien et Oppien. 230 Voir Partie I, Section I,§2.3.1. 228

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Partie II. Chapitre 1. Poissons de mer

le terme était usuel dans la communauté linguistique, même si tout le monde ne pouvait pas manger ce poisson pour des raisons financières. 1.120 scĭădeūs,-ĕī M. « l’ombre » est le terme spécifique pour le mâle ; voir umbra n°1.144, scĭaena n°1.121. der Gewöhnliche Umber, Umbrina cirrosa corb der Umberfisch, ombrina (Linnaeus, 1758) der Schattenfisch Scĭădeūs, emprunté à gr. σκιαδεύς, est attesté en Pline 32,151. Parallèlement scĭaena,-ae F. pour la femelle est emprunté à gr. σκίαινα. 1.121 scĭaena,-ae F. « femelle de l’ombre ». Scĭaena (Pline 9,57 ; 32,151) est le terme spécifique pour la femelle, tandis que le nom du mâle est scĭădeūs n°1.120 à côté du terme générique umbra n°1.143. der Gewöhnliche Umber, Umbrina cirrosa corb der Umberfisch, ombrina (Linnaeus, 1758) der Schattenfisch Scĭaena est emprunté au grec σκίαινα. Le latin correspond sémantiquement à gr. σκίαινα « ombre » (poisson), adopté par Pline (32,151 : scĭaena), qui vient du nom de l’ombre (vs lumière) en grec : σκιά. Pour lat. umbra et gr. σκίαινα, il pourrait s’agir d’un calque sémantique231 du grec vers le latin. Mais nous préférons y voir 2 phénomènes cognitifs parallèles dans les 2 langues, le même poisson étant caractérisé par le même trait saillant. 1.122 scomber,-bri M. « le maquereau » (Scomber scombrus Linnaeus, 1758). Scomber scombrus sgombro, Atlantic mackerel die Makrele (Linnaeus, 1758) maccarello Selon K. Pivnička et alii (1987: 250, s.v. maquereau, nom scientifique Scomber scombrus), la face dorsale, de couleur bleu-vert, porte des zébrures sombres sinueuses et très apparentes. Poisson grégaire, il vit en bancs dans la zone côtière juste sous la surface. Sa chair est grasse et succulente. Le terme est bien attesté depuis l’époque archaïque, car le poisson était bien connu dans l’alimentation. Un passage de Plaute (Capt.851) range le maquereau dans les mets appréciés232. Catulle (95,7-8) évoque les poissons de la Padua (une des bouches du Pô). Ovide les signale aussi : •Ov. Hal.94 : gaudent pelago… scombri. « les maquereaux se plaisent dans la mer » (trad. E. de Saint-Denis)

 231 232

Calque sémantique entre le grec et le latin : C. Nicolas 1996. Voir le texte Partie I, Section V,§1.1.

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Selon Pline, dans l’eau les scombri « maquereaux » ont la couleur du soufre (cf. ci-dessus pour le bleu-vert) : •Plin. 9,49 : Cum thynnis haec et pelamydes in Pontum ad dulciora pabula intrant gregatim suis quaeque ducibus, et primi omnium scombri, quibus est in aqua sulpureus color, extra qui ceteris. « Il (= le poisson appelé amias) entre avec les thons ainsi que les pélamydes dans le Pont-Euxin pour s’y repaître d’une nourriture plus douce ; ils vont par bancs, qui ont chacun leur guide, et les premiers de tous sont les maquereaux, qui ont dans l’eau la couleur du soufre ; hors de l’eau, celle des autres poissons. » (trad. E. de Saint-Denis)

Autres occurrences : Pline 31,94 ; 32,151 ; Col. 8,17, 12 ; Pers. 1,43. Martial ironise et critique un certain Ligurinus qui invite chez lui ses amis à dîner uniquement pour leur lire ses mauvais poèmes. Il lui suggère d’utiliser le papyrus de ses poèmes pour emballer les maquereaux233 : •Mart. 3,50,9 : Quod si non scombris scelerata poemata donas,/Cenabis solus iam, Ligurine, domi./ « Que si tu ne fais pas cadeau aux maquereaux de tes poèmes scélérats, tu dîneras désormais seul chez toi, Ligurinus. » (trad. H. J. Izaac 1969, 3e éd., CUF)

De même : Mart.4,86,8. Martial fait plusieurs allusions aux maquereaux dans l’alimentation, pour la sauce avec laquelle on les mange (Mart.13,40,2), pour la sauce faite avec le sang frais d’un maquereau encore vivant (Mart.13,102,1). À propos d’une amphore de sauce faite avec du thon (Mart.13,103,2), l’amphore parle et dit que si la sauce qu’elle contient avait été faite avec du maquereau, elle n’aurait pas été envoyée au destinataire du poème, qui est pauvre, mais à un homme riche (W.C.A. Ker 1968, coll. Loeb p. 427, note 7). On voit ainsi que la chair du maquereau était appréciée. Origine Le terme est emprunté au grec σκόμβρος, d’étymologie obscure. Mais scomber est bien intégré en latin avec des attestations chez des auteurs non techniques Plaute, Catulle, Martial, dans des genres littéraires variés. L’évolution phonétique de la finale est conforme à la phonétique latine (nominatif sg. *…brŏs>…bĕr ; cf. *sacrŏs>sacĕr, etc.). 1.123 scorpaena,-ae F. « la scorpène », « la rascasse », Scorpaena scrofa (Linnaeus, 1758) et Scorpaena porcus (Linnaeus, 1758). a) der Grosser a) Scorpaena scrofa a) scorfano a) large-scaled Roter Drachenkopf, scorpion fish, (Linnaeus, 1758) rosso red scorpionfish die Grosse Meersau b) Scorpaena porcus b) scorfano b) small-scaled b) der Brauner Drachenkopf, scorpion fish, (Linnaeus, 1758) nero black scorpionfish die Kleine Meersau  233

Allusion à l’emploi que faisaient les marchands de poisson des livres (les rouleaux de papyrus) qui ne se vendaient pas. Cf. H. J. Izaac, éd. Martial 1969, CUF, commentaire p. 259.

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Le 1er poisson, la Scorpaena scrofa, plus grand et plus apprécié, est le scorpios des Anciens, à la couleur plus rouge et bigarrée, la rascasse rouge ; le 2e poisson, plus brun, serait la scorpaena. Description Selon K. Pivnička et alii (1987 : 266-267, s.v. rascasse brune, rascasse rouge), la « rascasse rouge » (Scorpaena scrofa) a une taille relativement petite ; son corps est recouvert de menues écailles cténoïdes. La tête, plutôt grosse, et le corps portent un grand nombre d’excroissances dermiques. Des glandes à venin se trouvent près de la base de la partie épineuse de la dorsale. Leur sécrétion pénètre dans la plaie quand on se pique à ces épines avec une inflammation douloureuse. La « rascasse brune » (Scorpaena porcus) a une robe grise parsemée de points et taches sombres. Elle vit près des côtes, parfois même enfouie dans le fond sableux. La « rascasse rouge » se distingue de la brune par sa couleur, sa taille et de nombreux lambeaux de peau sur son menton. La robe est brun-rouge sombre avec des marbrures foncées. Attestation Les périodes de reproduction sont le printemps et l’automne (Plin. 9,162 : scorpaenae bis ac sargi (se reproduisent), uere et autumno ; Pline 32,151). Origine Scorpaena est emprunté au grec σκόρπαινα à rapprocher du nom du scorpion : σκορπίος, d’étymologie obscure. Le nom du scorpion est également emprunté par le latin au grec, mais il est intégré en latin avec un suffixe latin en -iōn- : scorpio. Procédé de dénomination À l’intérieur du latin eut lieu le transfert métaphorique de dénomination entre le scorpion terrestre et le scorpion marin : voir scorpio et scorpios/scorpius, poisson de mer. Le poisson scorpaena ou scorpius/scorpio ressemble au scorpion terrestre parce qu’il pique avec une épine venimeuse. De ce fait on lui attribue le nom du scorpion terrestre. À ce trait taillant pourrait s’ajouter un autre point commun physique : le caractère épineux et repoussant des 2 animaux. Dénomination descriptive indirecte : scorpion terrestre  poisson. 1.124 scorpiō (marinus),-ōnis / scorpios / scorpius,-ii M. : « le scorpion (de mer) ». Selon E. de Saint-Denis (éd. Pline 32, CUF, p.125-126), le scorpio, roux et bigarré, est la « scorpène rouge », tandis que la scorpaena, qui est brune, est la « scorpène brune » ; voir scorpaena. der Grosser Roter Scorpaena scrofa scorfano large-scaled scorpion Drachenkopf, (Linnaeus, 1758) rosso fish, red scorpionfish die Grosse Meersau

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Le scorpion (poisson) et le scorpion terrestre ont en commun leur dangerosité et les coups qu’ils donnent, l’animal terrestre avec sa queue et le poisson avec sa tête comme le décrit Ovide : •Ov. Hal.116 : Et capitis duro nociturus scorpius234 ictu. « le scorpion capable de faire du mal par un rude coup de sa tête » (trad. E. de Saint-Denis)

Ce poisson entre comme composante dans des médicaments selon Pline, qui qualifie le poisson de rufus « roux » (adjectif qui s’applique par ex. aux bovins) : Plin. 32,70 : fel… marini scorpionis rufi. Pline mentionne aussi le terme en 32,128 ; 32,93 ; 32,94 ; 32,127 ; 32,128 ; 32,151. Origine Lat. scorpiō est emprunté au grec σκορπίος. Mais scorpiō est bien intégré puisque le latin a ajouté le suffixe -ō,-ōnis. Procédé de dénomination Lat. scorpio « le scorpion » dénote l’animal terrestre venimeux ainsi que diverses autres entités (une chenillette Pline, une plante Pline, une machine de jet Vitruve). On peut donc considérer que le nom latin du poisson, lui aussi, résulte d’un transfert métaphorique en latin même à partir de l’animal terrestre : scorpion  poisson qui ressemble à un scorpion. Le trait saillant est le fait de donner des coups dangereux. Procédé de dénomination : scorpion  poisson ; animal terrestre sauvage  animal aquatique. 1.125 serra,-ae F. « la scie », gros poisson cartilagineux ; voir pristis, qui est le nom le plus fréquent de ce poisson. a) der Gewöhnlicher a) Pristis pristis a) pesce sega a) common sawfish, Sägerochen, (Linnaeus, 1758) comune largetooth der Sägefisch b) der Kleinzahn b) Pristis pectinata b) pesce sega sawfish b) smalltooth Sägerochen, (Latham, 1794) sawfish der Kammsägefisch Pline 9,3 mentionne ce nom de poisson tiré du nom d’un instrument ; voir aussi Plin. 32,145. Isidore de Séville rapproche aussi l’instrument du poisson : •Isid. Et.12,6,16 : serra nuncupata quia serratam cristam habet, et subternatans nauem secat. « Le poisson s’appelle serra (‘scie’) parce qu’il a une crête en forme de scie et parce que, nageant au-dessous d’un navire, il le coupe. »

Pline semble distinguer pistrices et serrae (32,144-145), qui dénotent en fait le même poisson. Il s’agit du procédé de dénomination habituel par transfert métaphorique : scie (instrument)  poisson ; entité terrestre inanimée  animal aquatique.  234

Selon les éditeurs la leçon retenue est scorpius avec la désinence latine ou scorpios avec la désinence grecque.

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Partie II. Chapitre 1. Poissons de mer

1.126 silūrus,-i M. « le silure » (ou « le glanis »), gros poisson de mer et de fleuve (Silurus glanis Linnaeus, 1758) ; voir silurus n°2.25, Poissons de rivière ; le même poisson s’appelle peut-être aussi glanis n°2.14. Silurus glanis der Flusswels siluro sheatfish (Linnaeus, 1758) On trouve le silurus « silure » dans des fleuves, surtout le Danube, de l’Europe centrale et orientale, de la Mer noire et de la Caspienne. Il n’a pas d’écailles, mais un mucus qui le protège. Pour la description et le statut proverbial, voir silurus n°2.25. Attestation : Lucilius, Pline, Ausone Silurus est attesté dans un vers des Satires de Lucilius (Lucil. 54M.=33 éd. Charpin=46 éd. Warmington) cité par Varron (L.7,47) avec 2 autres noms de poissons lupus et saperda. Selon Varron, ces noms de poissons sont d’origine grecque, ce qui est vrai pour saperda et silurus, mais non pour lupus (terme latin transféré)235. Pline 9,45 décrit la force de ce poisson particulièrement grand ; en 32,145 il cite le silure parmi les poissons de mer et de fleuve. En 9,58 et 165, d’après Aristote, il appelle silurus le poisson qui s’appelle γλάνις. Il parle du silurus comme d’un poisson du Nil, mais affirme que ce poisson de fleuve se trouve aussi dans d’autres régions (Plin.9,44 : silurus in Nilo ; 9,125 : siluri fluuiatilis, qui et alibi quam in Nilo nascitur.)236. Pline cite silurus dans une série de très gros poissons aux côtés de t(h)unnus « le thon », isox (esox) « le saumon du Rhin », attilus237 : •Pline 9,44 : Praecipua magnitudine thynni... Fiunt et in quibusdam amnibus haud minores, silurus in Nilo,… « Les thons sont d’une grosseur remarquable…Il existe aussi dans certains fleuves des poissons qui ne sont pas plus petits : le silure dans le Nil …»

Ausone (Mos.135) décrit longuement avec admiration le silurus comme un poisson de rivière dans la Moselle : voir silurus n°2.25. Origine et statut Le terme est emprunté au grec σίλουρος. P. Flobert (éd. Varron, CUF, p.67, n.3 du §47) considère que t(h)unnus, gobio, saperda, silurus sont des emprunts « à peine assimilés », mais silurus est bien intégré au lexique latin (comme on le voit, entre autres, chez Ausone). Le poisson était très connu des Romains et même quasi proverbial238 : le silurus est le prototype du très gros poisson et on l’oppose contextuellement à des poissons de très petite taille comme le gobio (chap. 1 et 2).  235

Pour le texte, voir Partie I, Section I,§2.3.2. et § 2.5. ; Section V,§1.1. ; voir aussi saperda n°1.112 et silurus n°2.25. 236 L’édition Loeb traduit silurus par angl. Nile-perch litt. « la perche du Nil ». 237 Texte complet cité s.v. tunnus/thunnus chap.1, attilus n°2.5. 238 Voir Partie I, Section VII,§2.2.

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1.127 smaris / zmaris,-idis (variantes orthographiques) F. « le picarel » (Spicara smaris Linnaeus, 1758). a) Spicara smaris a) zerro a) picarel a) der Pikarel (Linnaeus, 1758) b) Spicara maena b) menola b) blotched b) der Laxierfisch (Linnaeus, 1758) picarel Le terme, qui a seulement quelques occurrences (Ov. Hal.120; Plin. 32,108 ; 32,128 ; 32,151), est un emprunt au grec σμαρίς et il ne semble pas intégré au lexique latin. 1.128 smyrus / zmyrus,-i M. « la murène mâle », poisson de mer différent de la murène. Pour les naturalistes modernes, c’est une espèce différente (Gymnothorax unicolor Delaroche, 1809) de la Muraena helena (Linnaeus, 1758), la murène commune bien connue des Anciens ; voir muraena. die Braune Gymnothorax unicolor murena nera brown murena monaca moray Muräne (Delaroche, 1809) Le terme est attesté chez Pline (32,151). En 9,76, il attribue à Aristote (H.A.5,9,4) le nom σμῦρος et la description des caractéristiques par opposition à la murena « la murène femelle » : •Pline 9,76 : discrimen esse quod murena uaria et infirma sit, zmyrus unicolor et robustus dentesque et extra os habeat. « la différence est que la murena a plusieurs couleurs et qu’elle est faible, le zmyrus a une seule couleur et il est robuste et il a des dents aussi à l’extérieur de la bouche. »

Cet emprunt au grec n’est pas intégré en latin. 1.129 solea,-ae F. « la sole ». La sole relève du genre Solea (Quensel, 1806) et comporte plusieurs espèces en Méditerranée : Solea solea (Linnaeus, 1758) espèce commune, Synapturichthyskleinii (Risso, 1827) plus petite et moins fréquente, Microchirus ocellatus (Linnaeus, 1758) plus rare, Pegusa lascaris (Risso, 1810) fréquente (Plin. 9,52 ; 9,57 ; 32,102 ; 32,151). a) Solea solea (Linnaeus, 1758) b) Synapturichthys kleinii (Risso, 1827) c) Microchirus ocellatus (Linnaeus, 1758) d) Pegusa lascaris (Risso, 1810)

a) sogliola comune b) sogliola turca c) sogliola occhiuta

a) common sole

a) die Seezunge

b) Klein’s sole

d) sogliola dal porro

d) sand sole, French sole

b) die Kleins Seezunge c) die Augenfleckige Seezunge, die Vieraugenzunge d) die Nasenzunge, die Sandzunge

c) eyed sole, foureyed sole

Selon K. Pivnička et alii (1987 : 292, s.v. sole commune, Solea solea), le poisson a une forme aplatie et de ce fait il est dénommé selon les langues par des objets de même forme : « langue de mer », « semelle », « sandale ». La sole a une petite tête arrondie et de petits yeux tous les 2 sur la même face

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Partie II. Chapitre 1. Poissons de mer

avec un corps de forme ovale. Brune avec des taches irrégulières sombres et claires, elle vit sur les fonds sableux. Sa chair est blanche et très délicate. Attestation Solea est assez bien attesté dans les textes. Varron (L.9,113)239 cite solea avec lupus, muraena, mustela lorsqu’il souligne la différence entre les espèces de poissons alors qu’à l’intérieur de chaque espèce chaque poisson pris individuellement est différent. Ovide souligne la couleur très blanche de la face aveugle de gauche de la solea (cf. passer) : •Ov. Hal.124 : Fulgentes soleae candore. « les soles éclatantes de blancheur » (trad. E. de Saint-Denis)

Parmi les poissons plats non cartilagineux, Pline (9,72) range les rhombi, soleae et passeres, également cités dans Ov. Hal.124-125 et Col. 8,16,7. Conscience linguistique et trait saillant Comme d’autres langues, le latin dénote la sole en lui attribuant le nom d’un objet terrestre plat « la chaussure légère ». Le principe de cette dénomination est perçu dans la conscience du sujet parlant, comme on le voit chez Plaute (Cas.495), qui fait un jeu de mots sur les 2 termes homonymes240 : solea « sole » (poisson) et solea « chaussure légère », et plus précisément « chaussure constituée essentiellement par une semelle », « semelle, partie plate d’une chaussure ». Le trait saillant est le caractère ‘plat’. La nature du transfert dénominatif est connue de la communauté linguistique. Quintilien (Inst.8,2,7 : voir turdus, poisson de mer) cite solea comme exemple de transfert métaphorique (objet concretpoisson), aux côtés de turdus (oiseaupoisson). Isidore fait aussi le rapprochement entre le nom de la partie plate d’une chaussure et celui du poisson : •Isid. Et.12,6,6 : solea, quod sit instar calciamentorum soleis. « Le poisson s’appelle solea parce qu’il ressemble à la semelle (solea) des chaussures (calciamentum). »

Procédé de dénomination Transfert métaphorique fondée sur la ressemblance de forme : semelle  poisson ; entité terrestre inanimée  animal aquatique.

1.130 spărus,-i, M. et son diminutif spărŭlus,-i M. correspondent au même poisson « le spare », « la brème de mer ». Le nom scientifique est Diplodus annularis (Linnaeus, 1758). Diplodus annularis sarago annular seabream die Ringelbrasse (Linnaeus, 1758) sparaglione Le diminutif sparulus est mentionné par Celse (2,18), Ovide, Martial. C’est un petit poisson à la livrée jaune d’or selon Ovide :  239

Voir le texte Partie I, Section I,§2.5. Nous préférons ici l’homonymie plutôt que la polysémie d’1 seul lexème, malgré les dictionnaires usuels, qui rangent les 2 valeurs sémantiques sous la même entrée. 240

Partie II. Chapitre 1. Poissons de mer

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•Ov. Hal.106 : Et super aurata sparulus ceruice refulgens. « et le spare qui brille sur le dessus par sa nuque dorée » ; « le sparaillon dont la nuque dorée resplendit » (trad. E. de Saint-Denis 1975, CUF) •Mart. 3,60,6 : res… mihi cum sparulo.

Sparus est emprunté au grec σπάρος. Sur lat. sparus fut bâti spar-ulus,-i M. avec le suffixe diminutif -ulus (…l…r… attestée pour le suffixe -ālis, qui donne -āris lorsque la base contient déjà un /r/ : familiafamiliaris. 69 Les allomorphes d’un même radical latin peuvent présenter des timbres et des longueurs vocaliques différents. On peut donc poser ici pour le même radical latin les allomorphes : sāl- / săl- / sār- / săr-.

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Partie II. Chapitre 2. Poissons de rivière

*sălārĭ>*sălārĕ>*sălār>sălăr70. Les exceptions sont rares71. Mais sălăr est un substantif masculin (cf. le vers d’Ausone ci-dessus, et l’alignement sur piscis,-is M.). Il faut donc poser *sălārĭs>*sălār>sălăr. Ce traitement se retrouve dans un nom de poissons terminé par …lis72 dans mugil, gén. mugilis M. « le mulet », où le nomin.M.sg. est issu de *mūgĭlis>mūgĭl. En latin, la séquence …rĭs à la finale absolue connaît des phénomènes phonétiques liés à la consonne liquide /r/ avec disparition de la voyelle brève postérieure à /r/ et réapparition d’un point d’appui vocalique à l’avant de ce /r/ sous la forme d’une voyelle brève de timbre e73 : l’adverbe *trĭs « 3 fois » donne tĕr ; l’adjectif siluestrĭs au nomin.M.sg. donne siluestĕr.  70

Phénomène attesté pour -āris/-ālis : a) animăllintĕr(r)>linter. Il cite les adj. au nomin.M.sg. ācĕr « vif », cĕlĕr « rapide », issus d’ācrĭs, cĕlĕrĭs selon ācr(ĭ)s>*ācr̥s>ācĕr(r) (assimilation progressive des consonnes et simplification de la consonne géminée à la finale absolue) et cĕlĕr(ĭ)s>cĕlĕr(r)> cĕlĕr. Même phénomène pour acipenser au chap. 1.

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A l’appui de salar, on peut citer pour la finale en …ar : a) l’adjectif pār, gén. păris « égal, semblable », thème en …i-, offre au nomin.M.sg. l’évolution *păris>*păr>pār (allongement d’un monosyllabe accentué) ; b) Lār, gén. Lăris M. « Lare » (gén.pl. Larum et Larium), ancien thème en …i-, donne nomin.M.sg. *Lărĭs>*Lăr>Lār (allongement d’un monosyllabe accentué)74. Ces faits confirment que sălăr M. au nomin.M.sg. provient de *sălārĭs avec la variante suffixale -ārĭs du suffixe -ālĭs. Voir sario n°2.24, salmo n°1.111 et n°2.23. Nomenclature scientifique Bien qu’il soit un hapax en latin, salar fut utilisé dans la nomenclature scientifique pour Salmo salar « saumon de l’Atlantique » (Linnaeus, 1758) (angl. Atlantic salmon). Voir salmo n°1.111 et n°2.23. 2.23 salmō,-ōnis, M. « le saumon » (Salmo salar Linnaeus, 1758). Il s’agit d’un poisson de mer et de fleuve, non méditerranéen. Il vit dans la mer et remonte les fleuves pour la reproduction. Voir salmo n°1.111. Salmo salar salmone der Atlantischer Atlantic salmon (Linnaeus, 1758) atlantico Lachs Le saumon de l’Atlantique (K. Pivnička et alii 1987 : 84) ne se reproduit qu’en eau douce. Au moment de leur maturité sexuelle (vers 4-5 ans), les poissons remontent les fleuves et vont frayer exactement à l’endroit où ils sont nés. Ils sont capables de sauter à plus de 2 mètres pour franchir les obstacles lorsqu’ils remontent les cours d’eau. Arrivées dans les frayères, les femelles creusent le fond par des battements violents de leur corps. La coloration est variable : au moment de la fraie des taches rouges et orangées apparaissent sur la tête et les flancs, le ventre devient rose. En 193575, on trouvait encore des saumons dans les rivières françaises. Attestation Lorsqu’il énumère les meilleurs poissons selon les régions, Pline (9,68) mentionne le salmo en Aquitaine76 et souligne que ce poisson de rivière y est préféré aux poissons de mer tant sa chair est excellente :  74

On peut ajouter mās, gén. măris M. « mâle, masculin » gén.pl. marium : au nomin.M.sg. *mărĭs>*măr>mār (allongement d’un monosyllabe accentué). Selon Priscien, mĕmŏr, gén. mĕmŏris « qui se souvient » avait pour ancien nomin.M.sg. mĕmŏrĭs avec un comparatif mĕmŏrĭŏr. Un grammairien pouvait donc comprendre un nomin.M.sg. en …ŏr comme résultant de l’évolution phonétique de …ŏrĭs. 75 Dans l’Allier à Brioude et au barrage de la Bajasse ; en Normandie à l’embouchure de la Sée, face à la baie du Mont Saint-Michel ; dans l’Orne, audessus de Caen ; dans la Sienne, à Coutances ; dans l’Authie et dans la Canche ; dans l’embouchure de la Somme, selon l’Almanach de la pêche, Les méthodes de progrès, publié sous la direction de L. Matout, Saison 1935, Paris, Société d’éditions, Publications et Industries annexes, p.18. 76 Pour le texte complet, voir : Partie I, Section V,§1.3.1.

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•Plin. 9,68 : in Aquitania salmo fluuiatilis marinis omnibus praefertur. C’est le saumon de l’Atlantique, poisson de mer qui remonte la Gironde et la Garonne pour la reproduction. Pline le qualifie de fluuiatilis « de fleuve » parce qu’il est pêché dans l’eau douce lorsqu’il remonte fleuves et rivières. Ausone (Mos.97-105 et 129) consacre un long passage au salmo comme poisson d’eau douce vivant dans la Moselle77. Il décrit l’aspect physique du poisson et les caractéristiques de sa chair. •Aus. Mos.97-100 : Nec te puniceo rutilantem uiscere, salmo,/Transierim, latae cuius uaga uerbera caudae/Gurgite de medio summas referuntur in undas,/Occultus placido cum proditur aequore pulsus. « Je ne te passerai pas sous silence toi non plus, saumon, toi qui rougeoies par ta chair couleur de pourpre, toi dont les coups vagabonds de ta large queue sont répercutés, du cœur des profondeurs, dans les eaux de surface, lorsque ton impulsion cachée est trahie par le flot tranquille. »78 •Aus. Mos. 101-105 : Tu loricato squamosus pectore, frontem/Lubricus 79 et dubiae facturus fercula cenae,/Tempora longarum fers incorrupte morarum,/Praesignis maculis capitis cui prodiga nutat/Aluus opimatoque fluens abdomine uenter. « Recouvert de nombreuses écailles sur ton poitrail cuirassé, mais lisse sur ta partie antérieure, digne de servir de plat dans un repas ‘incertain’, tu supportes sans te corrompre des durées de longs délais, toi dont la tête offre des taches remarquables, toi dont la panse généreuse penche vers le bas ainsi que le ventre qui s’écoule à partir d’un riche abdomen. »80

 77

La Moselle étant située loin de la mer, on se demande si les saumons remontent aussi loin dans le Rhin, puis dans la Moselle. Certains pensent que le poisson d’Ausone de la Moselle n’est pas le saumon, mais la truite saumonée. Mais selon des observations récentes, le saumon atteint la Moselle après avoir remonté le Rhin à partir de Rotterdam. Voir ci-dessus pour les rivières françaises en 1935. 78 « Je ne peux, toi non plus, avec ta chair pourpre, ô Saumon,/t’oublier: de ta large queue les sursauts vagabonds/du gouffre vont remontant jusqu’en haut de la napée/quand le calme des eaux trahit ta secrète poussée. » (trad. B. Combeaud); « Je ne te passerai pas sous silence, ô Saumon, toi dont la chair a l’éclat de la pourpre : du milieu de l’abîme, les coups vagabonds de ta large queue se répètent à la surface, et ton élan caché se trahit sur l’onde endormie. » (trad. E.-F. Corpet) ; « Nor shall I pass thee by, O Salmon, with flesh of rosy red, the random strokes of whose broad tail from the mid-depths are reproduced upon the surface, when the still water’s face betrays thy hidden course. » (trad. H. G. Evelyn White p. 233). 79 Ainsi lubricus « glissant, lisse » s’oppose à squamosus « qui a des écailles ». 80 « D’une cotte d’écaille au poitrail revêtu, le front/lisse, et fait pour servir à qui ne sait l’heure où il dîne,/tu supportes sans flétrir que longtemps on atermoie;/le chef noblement moucheté, généreux, tu opines/du flanc, et ton ventre opulent sous l’embonpoint ondoie. » (trad. B. Combeaud) ; « Ta poitrine est cuirassée d’écailles, ton front est lisse : tu peux faire l’ornement d’un repas ‘ambigu’, et tu supportes sans te corrompre les délais d’une longue attente : ta tête est semée de taches remarquables ; ton large ventre tremble sous le poids d’une panse gonflée de graisse. » (trad. E.-F. Corpet) ; « Thou, with breastplate of scales, in the fore-part smooth, and destined to form a course at some ‘doubtful dinner’ endurest untainted

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Formation du mot Lat. salmo n’a pas d’étymologie assurée selon les dictionnaires. Un nom i.-e. du saumon : *lók̑s (gén. *lek̑sós) est attesté en germanique (all. lachs), lituanien, slave, arménien, tokharien, selon Mallory & Adams (1997 : 497498). Mais il est différent du terme latin considéré ici. Proposition étymologique On peut voir dans sal-mōn- le radical latin sal-/sar- « sauter » rencontré dans le verbe sălĭō, sălīre « sauter »81 et dans les 2 autres noms de poisson cités par Ausone sălăr, sărĭō. Derrière ce radical latin sal-, sal-mōn- a le suffixe latin masculin -mōnrencontré aussi dans ser-mōn- de ser-mō, ser-mōn-is M. « conversation, échange de paroles » (sur le radical latin sĕr- présent dans le verbe sĕrĕre « tresser, tisser »)82. Ce suffixe -mōn- est une adaptation latine au masculin du suffixe neutre hérité de l’i.-e. -mĕn, -mĭn-ĭs Nt. (dans flūmĕn, agmĕn, etc.), qui forme un groupement important de termes exprimant le « siège du procès » (selon J. Perrot83) dénoté par le radical latin servant de base de suffixation et représenté aussi par ailleurs par un verbe. J. Haudry 84 a rapproché ce suffixe hérité de la valeur du cas instrumental en i.-e. Ce suffixe de « siège du procès » sert pour des entités inanimées qui sont aussi « ce par quoi se réalise le procès, ce qui permet la réalisation du procès ». Ainsi flūmen « cours d’eau, rivière, fleuve » est-il « l’entité où se réalise le procès de fluere ‘couler’, ce par quoi se réalise le procès de ‘couler’». Si l’entité dénotée est inanimée, le suffixe devient l’équivalent d’un suffixe d’instrument. Or les suffixes neutres d’instrument deviennent des suffixes d’agent s’ils passent au masculin. Ainsi ŏcŭlus,-i M. « œil » est-il bâti sur une racine i.-e. « voir » donnant lat. ŏc- avec le suffixe d’instrument85 -culum Nt. au masculin -culus. Oculus « œil » est litt. « ce au moyen de quoi l’on voit » comme instrument et « celui qui voit » comme agent. Le sens littéral de salmo est donc « entité où se réalise le fait de sauter/bondir » et « celui qui saute, qui bondit ». Salmo était d’autant plus conforme aux tendances du lexique latin qu’il se termine par la séquence …ōn-, retrouvée dans le suffixe -ō,-ōnis M. 86 (variante -io,-ionis M.) bien représenté dans les catégories naturelles et  through seasons of long delay - thou distinguished by the markings of thy head, whose generous paunch sways and whose belly droops with rolls of fat. » (trad. H.G. Evelyn White p. 233). 81 Le radical sal- se retrouve dans le fréquentatif sal-tare, le nom de procès sal-tus,tus M. « saut, bond » (saltum dare « faire un bond » Ov. M.4,551 ; 2,165). 82 Pour cette formation de sermo : M. Fruyt 2019 : 226. 83 J. Perrot 1961. 84 J. Haudry 1970. 85 Pour ce suffixe : G. Serbat 1975. 86 Pour le suffixe ..(i)o, …(i)onis, voir F. Gaide 1988 et Partie IV.

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notamment pour les poissons d’eau douce dans ce chapitre : capito, sario, gobio, tous cités par Ausone dans La Moselle. Un groupement de 3 noms de poisson sur salSalmo appartient à un petit groupement de 3 noms de poissons ayant le même trait saillant de comportement : leurs sauts ou bonds, et donc faits sur le radical latin sal- « sauter, bondir » et son allomorphe sar- : salmo « le saumon », salar « la truite », sario « la truite saumonée » (voir ces termes dans ce chap. 2). Salar et sario contiennent aussi le radical latin sal-/sar-87 « sauter, bondir » avec d’autres suffixes. Nomenclature scientifique Salmo figure comme 1er terme du binôme dans plusieurs noms scientifiques de poissons pour le saumon lui-même Salmo salar, et pour la truite indigène en Europe Salmo trutta (fr. truite Fario, angl. brown trout), qui existait dans l’Antiquité. Salmo figure aussi dans Salmo gairneri, qui était la dénomination scientifique jusqu’en 1980 de la « truite arc-en-ciel », angl. rainbow trout. Cette truite (aujourd’hui appelée Oncorhynchus mykiss) n’existait pas dans l’Antiquité, car l’Europe l’a reçue des Amériques. 2.24 sărĭō,-ōnis M. « la truite saumonée ». Nous traduisons sario de cette manière parce qu’Ausone (Mos.130) parle de sa forme ou apparence intermédiaire entre la truite et le saumon88. Salmo trutta trota (salmonata) brown trout die Bachforelle (Linnaeus, 1758) Il s’agit d’une truite, angl. brown trout, espèce de truite indigène en Europe, qui existait dans l’Antiquité. La double ressemblance du sario avec le salar et le salmo établie par Ausone est probablement due à l’aspect et à l’âge du poisson lors de la pêche. Puisque, selon Ausone, le sario n’est déjà plus un salar mais n’est pas encore un salmo, il existe une progression qui part du salar, passe ensuite au sario pour arriver au salmo. On peut faire l’hypothèse que salar dénote « la truite de rivière », sario « la truite commune » (nom scientifique Salmo trutta selon K. Pivnička et alii 1987 : 85)89 et salmo « le saumon » véritable (de l’Atlantique).  87

Pour l’allomorphe en /r/, voir sario. La véritable « truite saumonée » n’est pas une espèce à part, mais une variante moderne d’élevage dont la chair est rosée à cause d’une nourriture particulière (des caroténoïdes). Ausone (Mos.130) ne parle pas de la couleur de la chair du sario. 89 Sario pourrait aussi dénoter ce qu’on appelle « la truite de mer » (nom scientifique Salmo trutta trutta) rencontrée dans les rivières importantes et pêchée dans les courants rapides. Venue de la mer du Nord, elle remonte les fleuves et pénètre jusque dans les secteurs montagneux là où le frai est possible (S. Štochl 1972 : 69). 88

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Cette hypothèse est confirmée par le fait que la progression entre la truite de rivière, la truite commune et le saumon se manifeste, effectivement, sur plusieurs points. En 1er lieu, la taille des 3 poissons. Il existe entre la « truite de rivière », la « truite commune » et le « saumon » une progression de taille. La « truite commune » est plus grande que la truite de rivière mais plus petite que le saumon : la taille de la « truite de rivière » est de 40-60 cm (rarement jusqu’à 1 m) ; celle de la « truite commune » est de 50-80 cm (maximum 1,10 m) ; celle du saumon est 60-100 cm (maximum 1,50 m). En 2e lieu, la couleur des 3 poissons (selon K. Pivnička et alii 1987 : 8486). Du saumon à la truite commune, puis à la truite de rivière, on observe une diminution de la couleur rouge (orange, rose) : le poisson qui offre les colorations de rouge (orange, rose) les plus vives est le saumon, la truite commune offre des taches rouges, la truite de rivière a des taches rouges et noires parfois bordées de clair. En outre, selon K. Pivnička et alii (1987 : 85), la « truite commune » (nom scientifique Salmo trutta) possède des traits communs avec le « saumon ». En 1er lieu, comme le saumon, la « truite commune » est aussi un poisson de mer et de rivières qui remonte les fleuves (généralement au printemps) pour frayer (d’octobre à janvier) en pondant des œufs dans des nids creux de manière analogue au saumon. Une photo de la « truite commune » montre que, comme le saumon, elle saute très haut au-dessus des obstacles pour remonter la rivière et atteindre les lieux de frai90. En 2e lieu, comme le saumon, sa coloration est variable : des taches rouges apparaissent sur le corps de certains individus. En 3e lieu, la chair de la « truite commune » est d’excellente qualité et rappelle celle du saumon. La « truite commune » possède aussi des traits communs avec la « truite de rivière » puisque « lorsqu’on empêche ces truites de redescendre dans la mer, elles se transforment en 1 ou 2 générations et deviennent des truites de rivière. » (K.Pivnička et alii 1987 : 85). Attestation Sario est seulement attesté dans une occurrence chez Ausone dans la Mosella, ce qui garantit la longueur brève de la voyelle ă de la syllabe initiale. Dans ce passage, sario côtoie salmo et salar : •Aus. Mos.128-130 : Teque inter species geminas neutrumque et utrumque/Qui nec dum salmo, nec iam salar ambiguusque/Amborum medio, sario, intercepte sub aeuo ? « Et toi, entre 2 espèces, qui n’es aucune des 2 et pourtant les 2 à la fois, qui n’es pas encore un saumon et qui n’es déjà plus une truite, étant ambiguë entre les 2, truite saumonée, toi qui es pêchée au milieu de ta vie ? »91

 90

S. Štochl 1972 : 188-189. « et toi, le sang-mêlé, ni l’un ni l’autre et l’autre et l’un,/point encore saumon, truite déjà plus, entre-deux/qu’on pêche à un âge, ô Fario, des deux à mi-chemin? » (trad. B. Combeaud) ; « Et toi, qui participes de deux espèces, qui, sans être ni l’une ni l’autre, es de l’une et de l’autre, toi qui n’es pas encore le Saumon et n’es déjà 91

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Variantes de lecture Green en Aus. Mos.130, au lieu de sario des manuscrits et de la plupart des éditions, écrit uarie (adverbe). Le passage Aus. Mos.130 donna lieu à la forme fario, graphie fautive selon EM (et mauvaise lecture selon le GGaffiot). Le terme fario fut utilisé dans les noms scientifiques modernes : par ex. une espèce de sălăr M. « truite » présente sur les côtes italiennes a pour nom scientifique Salmo fario (Linnaeus, 1758). Fario est une lecture erronée pour sario, puisque les lettres et dans les manuscrits (surtout à l’initiale de mot) se confondent facilement (le fut lu comme un ). Formation du mot P. Flobert (GGaffiot s.v. sario)92, pour l’étymologie, renvoie à sar « sorte de poisson », attesté chez Isidore de Séville (Et.12,6,38). Il considère donc sario comme un dérivé suffixé en -io (-ionis) sur sar, autre nom de poisson. On traduit généralement sario par « truite saumonée » (GGaffiot). EM (595 s.v. sario) songe aussi avec hésitation à la truite saumonée. Selon Mallory & Adams (2006 : 146-147), sărĭō,-ōnis M. est emprunté à un terme gaulois issu de i.-e. *str̥(hx)yon- et les correspondants en germanique signifient « esturgeon » (angl. sturgeon) et en celtique « saumon »93. Proposition étymologique Nous proposons pour sărĭō une formation à l’aide de 2 éléments latins : le radical săl-/săr- « sauter, bondir » et le suffixe -iō,-iōn-is M. On peut analyser sario en săr-ĭō, thème săr-ĭōn- avec le radical latin săl-/săr« sauter, bondir » attesté dans sălio,-īre « sauter, bondir », et les autres noms de poissons sălăr, salmo. Dans sar-io, sar- fonctionne comme allomorphe de sal-, les phonèmes /l/ et /r/ étant tous 2 des liquides dont la proximité entraîne des phénomènes de dissimilation. Le radical est suivi de -ĭō,-iōnis M., allomorphe de -ō,-ōnis M.94, bien représenté pour les entités naturelles et pour les animaux aquatiques (gobio, capito)95. Le latin a formé 3 noms de poissons sur ce même radical latin « sauter, bondir » : en plus de sario, le groupement contient salmo « le saumon » et salar « la truite ». Les 3 poissons sont connus comme des poissons de rivière, même le saumon, puisque c’est là qu’on le pêche lorsqu’il remonte  plus la Truite, tu tiens, Truite saumonée, le milieu entre ces deux poissons, et tu dois avoir, pour être pêchée, la moitié de leur âge. » (trad. E.-F. Corpet) ; « and of thee, something between two species, who art neither and yet both, not yet salmon, no longer trout, and undefined betwixt these twain, art caught midway in thy life ? » (trad. H.G. Evelyn White p.235). 92 La forme sario est homophone de sario/sarrio, du verbe sarire/sarrire « sarcler ». 93 Ce nom de poisson n’est pas étudié par De Vaan. 94 F. Gaide 1988. Le suffixe est reconnu aussi dans sario par P. Flobert (GGaffiot s.v. sario), mais derrière une autre base de suffixation. 95 Voir Partie II, Chapitre 2, Introduction ; et Partie IV.

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pour la reproduction. En outre, le point commun physique entre ces 3 poissons est démontré par Ausone, qui met sur une même échelle croissante salar, sario, salmo en affirmant que le sario n’est déjà plus un salar, mais n’est pas encore un salmo et que le sario, intermédiaire entre le salar et le salmo, possède à la fois des traits des 2 autres poissons (voir salar n°2.22, salmo n°2.23 et n°1.111). 2.25 sĭlūrus,-i, M. « le silure » ou « glanis », gros poisson de mer et de fleuve (Silurus glanis Linnaeus, 1758). On le trouve dans des fleuves (surtout le Danube) de l’Europe centrale et orientale, de la mer Noire et de la Caspienne ; voir silurus n°1.126 poisson de mer ; le même poisson s’appelle peut-être aussi glanis n°2.14. Silurus glanis der Flusswels siluro sheatfish (Linnaeus, 1758) Le silure est le plus grand des poissons prédateurs des eaux douces96. Avec une apparence effrayante très différente des autres poissons, il ressemble à un énorme têtard de grenouille. Il a une puissante tête plate, une large gueule, un corps massif (il peut peser jusqu’à 20 kg) et lisse (il n’a pas d’écailles), 2 longues moustaches au-dessus de la bouche. Un silure pêchant la nuit à la surface de l’eau a pu effrayer les gens autrefois, comme un être surnaturel et monstrueux97. Il se cache dans la végétation. Sa couleur est chinée noir et blanc, foncée et claire. Il n’a pas de dents visibles. Attestation Le poisson est célèbre par sa grande taille quasi proverbiale qui fait partie des idées associées partagées par la communauté linguistique98. Ausone le compare à la baleine, le plus gros des mammifères. Le silure dans les textes, comme prototype du très gros poisson, entre en opposition avec de très petits poissons. Pour les occurrences chez Lucilius (cité par Varron) et Pline, voir silurus poisson de mer. Le poisson mentionné par Ausone en Mos.135 est le silure (Silurus glanis) pour certains (Corpet, De la Ville de Mirmont), mais pour Pastorino et Marsili, c’est l’esturgeon99 (cependant cf. Green p. 479). À notre avis, le poisson décrit par Ausone est bien le silure100. En effet, Ausone dit que le silurus de la Moselle est huileux (actaeo perductum oliuo) et il le compare à un mammifère. Ces 2 faits signifient qu’il glisse au toucher  96

S. Štochl 1972 : 129. S. Štochl 1972 : 138. 98 Partie I, Section VII,§2.2. 99 C.M. Ternes (1998 : 74) dit que le silurus d’Ausone est l’acipenser, l’esturgeon, mais reconnaît qu’il estimait précédemment qu’il s’agissait du silure. 100 B. Combeaud (éd. Ausone 2010 : 744) pense aussi qu’il s’agit du silure : « L’identification n’est pas douteuse et je puis personnellement attester sa présence de nos jours dans les eaux de la Gironde et de la Dordogne. » 97

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comme s’il était enduit d’huile. Or, selon K. Pivnička et alii (1987 : 140), le silure n’a pas d’écailles. L’esturgeon, au contraire, selon K. Pivnička et alii (1987 : 70), a de nombreuses scutelles (9-13 sur le dos, 24-44 sur les flancs, 9-11 sur le ventre). Donc au toucher l’esturgeon est extrêmement rugueux et râpeux ; en outre, il ne vit en eau douce qu’au moment de la fraie. De surcroît, S. Štochl (1970) ne mentionne pas l’esturgeon parmi les poissons des rivières et des étangs, alors qu’il fait une large part au silure (p.128-143). Comme Pline, il insiste sur la force de ce poisson qu’on ne peut pêcher à la ligne : « si le silure est grand c’est lui qui commande le pêcheur », « c’est une lutte épuisante qui souvent se termine par la victoire du silure » (p.132)101. Ausone compare le silure de la Moselle à un mammifère, tant sa taille est grande (magnus « grand » v.135) en employant le terme pecus « tête de bétail, bétail » et en le comparant au mammifère marin qu’est le dauphin. La transposition est exprimée par aequorum « des eaux, des plaines liquides » et amnicolam « habitant des rivières » : •Aus. Mos.135-137 : Nunc, pecus aequoreum, celebrabere, magne silure :/Quem uelut actaeo perductum tergora oliuo/Amnicolam delphina reor. « À présent, (bête de) bétail des plaines liquides, tu seras célébré, grand silure : toi qui es recouvert de bout en bout sur ton dos comme par de l’huile attique, et que je considère comme le dauphin habitant des rivières. »102

Ausone évoque le glissement ample et majestueux du silure déplaçant son corps tellement volumineux qu’il se trouve à l’étroit dans le lit de la rivière : •Aus. Mos.137-139 : sic per freta magnum/Laberis et longi uix corporis agmina soluis/Aut breuibus deprensa uadis aut fluminis uluis. « ainsi à travers les flots, tu glisses magnifiquement et tu étends à peine les parties en marche de ton corps dans toute sa longueur, ou bien elles sont bloquées par les hauts-fonds étroits ou par les herbages de la rivière. »103

 101

S. Štochl (1970) : seuls les engins résistants de pêche modernes (moulinet à tambour fixe) permettent de capturer un silure. Autrefois un grand silure se débarrassait de l’hameçon, cassait ligne et canne (p.134). On a découvert seulement récemment la richesse en silures des fleuves et des rivières de plaine (p.135). 102 « A toi, bête de mer, d’être loué, noble Silure,/avec ce dos qui d’être oint d’olive hellène a l’allure,/tu m’es le dauphin du fleuve. » (trad. B. Combeaud) ; « À toi mes louanges à présent, gibier de mer, énorme Silure, au dos empreint des reflets de l’olive actéenne, et que je regarde comme le Dauphin des rivières… » (trad. E.-F. Corpet) ; « Now, creature of the surface, shall thy praise be sung, O mighty Sheatfish, whom, with back glistening as though with olive-oil of Attica, I look on as a dolphin of the river » (trad. H.G. Evelyn White). 103 « ainsi, sur l’eau, noblement/tu glisses, peinant au dépli des longueurs de ton flanc/quand te gênent l’algue du fleuve ou des eaux peu profondes. » (trad. B. Combeaud) ; « à te voir ainsi promener au large ta vaste masse, ne déroulant qu’à peine toute l’étendue de ton grand corps au sein des eaux trop basses et des herbages qui le gênent. » (trad. E.-F. Corpet) ; « so mightily thou glidest through the waters and canst scarce extend thy trailing body to its full length, hampered by shallows or

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Ausone prête sa propre admiration aux eaux qui regardent passer cette merveille de la nature et emploie à cette occasion des expressions probablement influencées par Virgile (Enéide 8,91 : mirantur et undae) : •Aus. Mos.140-142 : At cum tranquillos moliris in amne meatus,/Te uirides ripae, te caerula turba natantum,/Te liquidae mirantur aquae. « Mais quand tu entreprends tes déplacements tranquillles dans la rivière, c’est toi que les vertes rives, toi que la foule bleu foncé des êtres qui nagent, toi que les eaux limpides regardent avec admiration. »104

Ausone décrit les vagues occasionnées par le déplacement du silure : •Aus. Mos. 142-143 : diffunditur alueo/Aestus et extremi procurrunt margine fluctus. « le flot se disperse dans toutes les directions dans le lit de la rivière et les vagues à la fin de leur progression courent dans les marges de la rivière. »105

Il compare le déplacement du silure aux mouvements d’eau les plus volumineux qu’on connaisse provenant d’un animal aquatique, la baleine de l’Atlantique106: •Aus. Mos.144-147 : Talis atlantico quondam ballena profundo,/Cum uento motuue suo telluris ad oras/Pellitur : exclusum exundat mare magnaque surgunt/ Aequora uicinique timent decrescere montes. « Telle (est) la baleine parfois dans le profond Atlantique, lorsqu’elle est poussée par le vent ou de son propre mouvement jusqu’aux rivages de la terre ferme : la mer, étant chassée, déborde et surgissent de grandes masses d’eau et les montagnes voisines craignent de diminuer en hauteur. »107

 by river-weeds. » (trad. H.G. Evelyn White). 104 « Mais, lorsque tu émeus le cours paisible de ces ondes,/c’est toi que ces bords verts, toi que les bancs bleus des poissons,/toi qu’admirent les claires eaux. » (trad. B. Combeaud) ; « Mais quand tu poursuis majestueusement ta marche dans le fleuve, à ta vue les verts rivages, à ta vue la troupe azurée des poissons, à ta vue l’onde limpide s’émerveille. » (trad. E.-F. Corpet) ; « But when thou urgest thy peaceful course in the stream, at thee the green banks marvel, at thee the azure throng of the finny tribe, at thee the limpid waters. » (trad. H.G. Evelyn White). 105 « en leur sein se propage/une vague dont l’onde glisse au loin jusqu’au rivage. » (trad. B. Combeaud) ; « La vague bouillonne, se divise et reflue en courant sur l’une et l’autre rive. » (trad. E.-F. Corpet) ; « in the channel a tide is rolled abroad on either hand, and the ends of the waves drive onward at the marge. » (trad. H.G. Evelyn White). 106 B. Combeaud (éd. Ausone 2010 : 742) estime qu’Ausone, qui vient de la région de Bordeaux, pense à la baleine de Biscaye. 107 « parfois la baleine ainsi, sur l’Atlantique profond,/par le vent ou sa course est à nos bords jusqu’à la plage/poussée; la mer s’ouvre et répand; énorme, le flot/s’enfle, et les cimes de déchoir tremblent dans le parage. » (trad. B. Combeaud) ; « Ainsi, parfois, dans les gouffres de l’Atlantique, si, poussée par les vents ou par son élan vers la plage, la Baleine refoule les flots qui se déchirent, les vagues surgissent immenses, et les montagnes voisines tremblent de décroître. » (trad. E.-F. Corpet) ; « So, when at times on the Atlantic deep a whale by wind or his own motion is driven to the verge of land, the sea displaced o’erflows, great waters rise, and neighbouring mountains fear to lose their height. » (trad. H.G. Evelyn White).

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De ce fait, Ausone s’autorise une conclusion en forme de métaphore : le silure est « la baleine de la Moselle » : •Aus. Mos.148-149 : Hic tamen, hic nostrae mitis ballena Mosellae/Exitio procul est magnoque honor additus amni. « Ici cependant, ici la douce baleine de notre Moselle est loin d’être une nuisance et elle est un honneur supplémentaire pour notre grande rivière. »108

Origine et statut dans le lexique latin Silurus, emprunté à gr. σίλουρος, est bien intégré en latin. Le poisson, bien connu, sert de symbole du gros poisson. Voir silurus n°1.126. 2.26 thy̆mallus,-i M. « l’ombre commun » (Thymallus thymallus Linnaeus, 1758). C’est poisson d’eau douce vivant dans les rivières et les fleuves (fluviatile). Thymallus thymallus temolo European grayling die Europäische Äsche (Linnaeus, 1758) Thymallus est attesté chez Ambroise (Hexameron) lorsqu’il fait l’éloge du thymallus pour son parfum agréable, qui est le même que celui du thym : •Ambr. Hexam.5,6: Neque te inhonoratum nostra prosecutione, thymalle, dimittam, cui a flore nomen inoleuit. Seu Ticini unda te fluminis seu amoeni Athesis109 unda nutrierit, flos es. Denique sermo testatior quod de eo qui gratam redoluit suauitatem dictum facete sit : Aut piscem olet aut florem ; ita idem pronuntiatus est piscis odor esse qui floris. Quid specie sua gratius, quid suauitate iocundius, quid odore fragrantius ? Quod mella fragrant 110 , hoc tu corpore tuo spiras…. « Et dans ma liste je ne te laisserai pas sans honneur, toi, thymallus/ombre, à qui s’accrocha un nom pris d’une fleur. Que ce soit l’onde du fleuve Tessin ou l’onde de l’agréable courant de l’Athésis qui t’a nourri, tu es une fleur. Enfin la parole en donne une bonne attestation, puisqu’on dit, par un trait d’esprit, de celui qui sent une odeur agréable : ‘Il sent ou le poisson ou la fleur’ ; ainsi déclare-t-on que l’odeur du poisson est la même que celle de la fleur. Qu’y a-t-il de plus agréable que son aspect, quoi de plus plaisant que sa douceur, qu’est-ce qui exhale une odeur plus vive ? Le parfum qu’exhale le miel, c’est celui qui émane de ton corps. » Pour Isidore de Séville, il est également clair que le terme thymallus vient de

thymum et que le poisson thymallus est dénommé d’après le thym :  108 « Lui pourtant, lui qui de Moselle est le doux baleineau,/loin d’en être le fléau, du grand fleuve accroît le lot! » (trad. B. Combeaud) ; « Mais lui, mais cette douce Baleine de notre Moselle, loin d’être un fléau, est un honneur de plus pour ce grand fleuve. » (trad. E.-F. Corpet) ; « Yet this - this gentle whale of our Moselle is far from havoc and brings glory to the mighty stream. » (trad. H.G. Evelyn White). 109 Cf. Virg.En.9,680 : Athesim seu propter amoenum. 110 Cf. Virg.G.4,169 : redolentque thymo fragrantia mella. « et le miel embaumé exhale une odeur de thym » (trad. É. de Saint-Denis)

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•Isid. Et.12,6,29 : thymallus ex flore nomen accepit : thymum quippe flos appellatur. « Le thymallus a reçu son nom d’une fleur : en effet, la fleur s’appelle thymum (‘thym’). » Origine

Le terme est emprunté au grec θυμάλλος, qui fonctionne déjà en grec comme nom de poisson (peut-être pour l’ombre). Interprétation synchronique Dans une réflexion métalinguistique, Ambroise et Isidore estiment que le nom de ce poisson provient du nom d’une fleur. Ils ont fait une association synchronique entre thymallus et le nom du thym : thymum,-i Nt./thymus,-i M. (plante odoriférante ; J. André 1985 : 260), emprunté au grec θύμος « thym ». Il pourrait s’agir d’une ré-interprétation synchronique à l’intérieur du latin même, puisque le nom de la plante était bien intégré en latin. L’odeur de thym est probablement le trait saillant puisque K. Pivnička et alii (1987 : 97) précisent que la chair du poisson, savoureuse, dégage à l’état frais une odeur de thym. Cette caractéristique peut justifier le terme thymallus dans son appellation scientifique sur le nom de plante lat. thymum/thymus « le thym » issu de grec θύμος. Voir umbra, n°2.29 et umbra n°1.144. 2.27 tinca,-ae F. « la tanche » (Tinca tinca Linnaeus, 1758). Tinca tinca die Schleie tinca tench (Linnaeus, 1758) Selon K. Pivnička et alii (1987 : 122), la tanche a un corps relativement court recouvert de toutes petites écailles (recouvertes d’un épais épiderme muqueux). La coloration est à dominante verte : le dos vert sombre, les flancs brun-vert à gris-vert avec un reflet doré. La face ventrale est nettement plus claire, les nageoires foncées. La tanche se tient près du fond. Elle se distingue par une exceptionnelle résistance au manque d’oxygène et supporte même des eaux acides et tourbeuses. Elle passe l’hiver en profondeur, enfouie dans la vase ou l’argile. Elle tombe dans une léthargie passagère semblable à l’hibernation lorsque l’eau se réchauffe trop en été. C’est l’un des poissons les plus connus. Sa chair est savoureuse, grasse et blanche. Tinca « tanche » est un hapax attesté seulement par Ausone (Mos.125 ; texte sous alausa n°2.2) dans son catalogue des poissons de la Moselle. Selon lui, il s’agit d’un mets de peu de prix, nourriture quotidienne de la majorité de la population. Le poisson est mentionné à côté de l’ablette (alburnus) et de l’alose (alausa) dans une série de poissons dont la chair est considérée par Ausone comme peu savoureuse et qui sont consommés par les gens modestes. Ausone donne une indication chromatique sur la tanche : il la qualifie de verte (uiridis), ce qui est conforme à la description ci-dessus.

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Le terme est emprunté au gaulois selon P.-Y. Lambert (2003 : 202)111, P. Flobert (GGaffiot s.v. tinca), mais X. Delamarre (20203) ne le mentionne pas. Selon EM (692) il est sans étymologie et son origine celtique est seulement possible. Même s’il est peu attesté, tinca devait être usuel dans la langue courante puisqu’il est passé par la voie phonétique dans le français tanche et dans d’autres langues romanes. 2.28 tructa,-ae F., tructus,-i M. « la truite » poisson de rivière ; voir salar n°2.22. Salmo trutta trota trout die Forelle (Linnaeus, 1758) Le terme est attesté à l’époque tardive chez Plinius Valerianus (5,43) (Pline-Valérien, remaniement tardif de Plin. Med.). Il est considéré comme l’équivalent de uarius,-ii par Isidore de Séville : •Isid. Et.12,6,6 : uarii a uarietate, quos uulgo tructas uocant. « Et les uarii (ont pris le nom) de la couleur variée (uarietas), eux qu’on appelle généralement ‘truites’ (tructa). »112

Ausone a d’autres noms pour les truites dans la Moselle : salar, sario. Statut dans le lexique latin Bien qu’il soit à peine attesté dans les textes latins, tructa F./tructus M. devait appartenir à la langue quotidienne usuelle puisqu’il est passé dans fr. truite, it. trota, esp. trucha. Il fut ré-utilisé sous la forme trutta dans les nomenclatures scientifiques. La forme à l’origine de fr. truite est tructa avec une consonne gutturale à la fin de la 1ère syllabe, puisqu’elle a provoqué une palatalisation dans le groupe consonantique …c.t… hétérosyllabique. Origine Le terme est peut-être emprunté au gaulois selon P. Flobert (GGaffiot s.v. tructa et tructus), mais X. Delamarre (20203) ne le cite pas. 2.29 umbra,-ae, F. dénote 2 poissons différents, l’un de mer et l’autre de rivière. « L’ombre fluviatile, l’ombre » est un poisson de rivière (Thymallus thymallus Linnaeus, 1758). Voir thymallus n°2.26. Thymallus thymallus die Europäische temolo European grayling (Linnaeus, 1758) Äsche Mais umbra « l’ombrine commune » est un poisson de mer (n°1.144 ; Umbrina cirrosa Linnaeus, 1758). Pour le poisson de mer, voir umbra n°1.144, sciaena n°1.121, sciadeus n°1.120.  111

P.-Y. Lambert (2003 : 202) pose : fr. tanche*kankr- en i.-e. (*…r…r…>*…n…r…), il estime que le grec a une forme simplifiée et qu’il s’agit d’une forme à redoublement. Selon Schrijver et De Vaan (97), gr. καρκίνος peut représenter un ancien *kr-kr-ino-. Mais le rapprochement avec le sanskrit karkaṭa-s « écrevisse », « homard » est discuté (De Vaan 86-87). Selon X. Delamarre (1984 : 145), le nom i.-e. de l’écrevisse est *karkr̥-, représenté dans lat. cancer,-cri M. « crabe » (animal de mer) et « écrevisse » (animal d'eau douce). Le latin viendrait de *carcro- « crabe, écrevisse » par dissimilation régressive …r…r>...n…r..., avec des correspondants dans gr. καρκίνος, sk. karkaṭas. Gr. καρκίνος offre une polysémie semblable à celle du latin : « crabe », « constellation du cancer », « chancre, cancer » (maladie), « pince pour saisir des objets dans le feu » (tenaille du forgeron), etc. pour divers objets en raison de leur forme25. Descendance et survie dans les langues modernes Lat. cancer/cancrus, acc.sg. cancrum a donné fr. chancre. Le substantif latin fut emprunté en germanique : v.-h.-a. kankur, m.-h.-a. kanker (EM 91). 3.5 carabus,-i M. « la langouste ». Le nom scientifique est Palinurus elephas (Fabricius, 1787) ; voir locusta « la langouste » n°3.11. die Europäischer common Palinurus elephas aragosta Languste (Fabricius, 1787) mediterranea spiny lobster Le terme est emprunté à gr. κάραβος et ne se trouve que chez Pline en 9,97. Il est donc savant et non usuel en latin. Le terme latin courant est locusta. 3.6 caris,-idis, F. « la crevette ». L’animal a pour noms scientifiques Scyllarus arctus (Linnaeus, 1758), Scyllarides latus (Latreille, 1802), Squilla mantis (Linnaeus, 1758).Voir cammarus « l’écrevisse » n°3.3 et squilla « la crevette et divers crustacés » n°3.16. a) cicala di a) small a) der Kleine Bärenkrebs a) Scyllarus arctus European locust mare, (Linnaeus, 1758) lobster b) Scyllarides latus magnosella b) Mediterrean b) der Große Bärenkrebs b) cicala grande (Latreille, 1802) di mare, magnosa slipper lobster c) Squilla mantis c) der Heuschreckenkrebs c) pannocchia, c) spottail (Linnaeus, 1758) canocchia mantis squillid  25

Cancer « crabe » a un homonyme cancer,-cri « barrière », terme archaïque attesté chez Paul Diacre (P.Fest. 40,8-9L.=p.46M. : Cancri dicebantur ab antiquis, qui nunc per diminutionem cancelli), remplacé par son diminutif cancellus,-i M. surtout au pluriel « barreaux » (Cic., Col.). Mais pour De Vaan (86-87) cancer « crabe » et cancer « barrière, barreaux » sont un seul et même lexème.

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Le terme est attesté chez Ovide (Hal.132 : sinuosaque caris « et la crevette en forme de courbe ») parmi les animaux aquatiques vivant sur les rivages et qui « aiment le sable » (Hal.118 : pisces laetantur harena). Selon E. de Saint-Denis (1947), c’est la crevette, mais le terme est emprunté à gr. καρίς,-ίδος (α long) « écrevisse, crabe, squille », d’étymologie incertaine26. Procédé de dénomination Il s’agit d’un crustacé de forme recourbée : sinuosus qui qualifie l’animal chez Ovide est un suffixé en -osus sur sinus,-us M. « courbure ». Cet adjectif de fonction descriptive souligne un trait saillant de l’animal. 3.7 elephantus,-i M. « éléphant de mer, éléphant marin, langouste ». Nous traitons aussi elephantus comme un monstre marin (n°7.6), qui est peut-être le morse. Voir carabus « la langouste » n°3.5, locusta « la langouste » n°3.11. Homarus gammarus der Europäischer astice European lobster (Linnaeus, 1758) Hummer Elephantus a plusieurs occurrences chez Pline (1,9,4 ; 9,10 ; 32,144 ; 32,148), mais il ne se trouve que chez cet auteur. Il dénote 2 animaux différents. Dans les 3 premiers passages de Pline, elephantus renvoie à un monstre marin rare, qui est peut-être le morse, puisque, comme l’éléphant, il a des défenses. En 9,10, Pline raconte une histoire fabuleuse de monstres abandonnés par la mer sur la côte des Santons (Saintonge) au temps de Tibère : éléphants, béliers de mer et néréides. En 32,144, il met les éléphants de mer dans son énumération des beluae « grosses bêtes marines ». Mais en 32,148, elephantus renvoie à une espèce de langouste, le trait saillant étant les 2 « antennes » de la langouste assimilées aux 2 défenses de l’éléphant : •Pline 32,148 : elephanti (locustarum generis nigri, pedibus quaternis bisulcis ; praeterea bracchia iis II binis articulis singulisque forcipibus denticulatis). « les éléphants (sortes de langoustes noires, dont 4 pattes sont fourchues, et les 2 autres ont chacune 2 articulations et une pince dentelée). » (trad. E. de SaintDenis)

Dans ce passage, Pline a condensé le développement par lequel Aristote distingue la langouste du homard d’après la couleur et la conformation des pattes. L’éléphant comme « une sorte de langouste noire » (locustarum generis nigri) est, en fait, le homard, qui est tacheté de noir selon E. de Saint-Denis (1947 : 36), qui précise qu’à Naples le homard s’appelle encore aujourd’hui du nom de l’éléphant it.-dial. elefante ou alifante di mare. 3.8 Heracleoticus (cancer) M. « espèce de crabe » (litt. « le crabe d’Héraclée »). Voir cancer n°3.4. Le terme est attesté en Pline 9,97 (texte dans l’Introduction de ce chapitre), où, en énumérant les espèces de crabe, Pline résume Aristote (H.A.4,2,2), qui en P.A.4,8 distingue les crabes  26

Selon Magnien & Lacroix, Dict.grec-français, 1969.

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d’Héraclée des maïas (maea n°3.12) par leurs pattes plus courtes. Terme savant non usuel, c’est un emprunt au grec Ἡρακλεωτικὸς (καρκίνος). 3.9 hippos,-i M. dénote une « espèce de crabe » inconnue en Pline 9,97, mais un « petit poisson de mer inconnu » en Pline 32,149. Pour les autres noms du crabe et de ses différentes espèces, voir cancer « crabe » n°3.4, Heracleoticus (cancer) « le crabe d’Héraclée » n°3.8, maea « le crabe maïa » n°3.12, pagurus « le tourteau, le poupart » n°3.13. die AugenpinselOcypode cursor granchio tufted ghost crab Reiterkrabbe (Linnaeus, 1758) fantasma Lat. hippos est emprunté au grec ἵππος « cheval » et le terme n’est pas bien intégré au latin puisqu’il se présente sous la forme du pluriel hippoe avec l’élément flexionnel du grec dans le passage suivant de Pline (cf. Aristote H.A.4,2,525 et suiv.), où il est dit que ces animaux sont appelés du nom des chevaux parce qu’ils sont remarquablement rapides : •Pline 9,97 : in Phoenice hippoe uocantur, tantae uelocitatis, ut consequi non sit. « En Phénicie on appelle chevaux des crabes si rapides qu’on ne peut les rattraper. » (trad. E. de Saint-Denis)

Le trait saillant du crabe hippos est donc sa rapidité de déplacement. Ainsi le nom du cheval a-t-il servi à dénommer, en raison de sa vélocité, le crabe vagabond et famélique qui habite les côtes de la Méditerranée orientale et méridionale, aujourd’hui appelé « crabe de terre, ocypode, crabe coursier » (Ocypode cursor Linnaeus, 1758). Il se tient dans la journée dans un trou qu’il a creusé et il sort après le coucher du soleil27. 3.10 leo,-onis M. « espèce de homard ». Le nom scientifique de Linné est le même que pour astacus (n°3.1). Homarus gammarus der Europäischer astice European lobster (Linnaeus, 1758) Hummer Le terme est attesté chez Pline en 9,97 parmi les espèces de crabes (cancrorum genera). C’est un cancer particulier au sens générique de la classe des crustacés : en effet, en 32,149, le leo est rapproché des cancri (au sens spécifique de « crabe ») pour les pinces, mais de la locusta « langouste » pour la forme du corps (texte s.v. locusta n°3.10). Origine et formation On considère généralement que leo « sorte de homard » est un emprunt au grec λέων (gén. λέοντος) « lion », employé comme nom de crustacé chez Athénée et Élien. Mais le nom de ce homard peut avoir été transféré en latin même à partir du nom du lion comme animal terrestre, considéré comme

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Selon E. de Saint Denis (éd. Pline 9, p.129), ces crabes vagabonds sont des crabes de terre, tourtouroux (Cancer cursor Linnaeus) sur les côtes de Syrie et d’Afrique.

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combattif et courageux 28. Pline, en effet, dans le passage cité ci-dessus souligne que ce homard a des pinces remarquables (comme celles du crabe), qui pouvaient donc être conçues comme des armes redoutables. Voir elephantus n°3.7, carabus n°3.5, locusta « la langouste » n°3.11, astacus « le homard » n°3.1. 3.11 lŏcusta,-ae F. « la langouste »29. Le nom scientifique est Palinurus elephas (Fabricius, 1787) ; voir carabus n°3.5, elephantus n°3.7. Palinurus elephas aragosta common spiny die Europäischer Languste (Fabricius, 1787) mediterranea lobster La langouste en Inde est particulièrement grande : •Pline 9,4 : Plurima autem et maxima animalia in Indico mari, ex quibus ballaenae quaternum iugerum, pristes ducenum cubitorum, quippe ubi locustae quaterna cubita impleant, anguillae quoque in Gange amne tricenos pedes. « Les animaux les plus nombreux et les plus grands se trouvent dans la mer des Indes, parmi lesquels il y a des baleines de 4 arpents, des scies de 200 coudées, là où, assurément, les langoustes atteignent 4 coudées et où les anguilles aussi dans le fleuve du Gange ont 30 pieds. »

La locusta « langouste » se reproduit en pondant des œufs et en les couvant (Pline 9,164)30. Elle a peur du poulpe, qui est un prédateur : •Pline 9,185 : polypum in tantum locusta pauet, ut, si iuxta uidit omnino, moriatur. (cf. Arist. H.A.8,2,590b) « la langouste craint tellement le poulpe que si elle le voit juste à côté d’elle, elle meurt. »

La locusta comme élément central au sein des crustacés La langouste (locusta) joue un rôle important dans la classe des crustacés puisqu’elle sert de repère pour décrire, définir et même identifier d’autres crustacés. Pline la cite comme référence pour la crusta « croûte, carapace » qui recouvre les crustacés (Pline 9,4031 : integuntur…crustis ut locustae.). Pline se sert de la locusta comme entité comparante pour décrire 2 autres crustacés, l’elephantus et le leo. Le 1er est dit « une sorte de langouste noire », qui est, en fait, un homard (Pline 32,148 ; voir elephantus n°3.7). Le leo « lion » est défini par référence au crabe pour les pinces et à la langouste pour le reste du corps : •Pline 32,149 : lolligo uolitans, locustae, lucerna, lelepris, lamirus, lepus, leones (quorum bracchia cancris similia sunt, reliqua pars locustae). « l’exocet volant, les langoustes, le lumineux, le lelepris, le lamirus, le lièvre, les lions (dont les pinces sont semblables à celle des crabes, et le reste du corps semblable à la langouste). » (trad. E. de Saint-Denis)

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Pour ces traits du lion leo (opposé à des animaux peureux, le renard uulpes, le cerf ceruus, le lièvre lepus) : C. Moussy 1989 : 317. Voir Partie I, Section VII,§1.2. 29 La voyelle de la syllabe initiale serait brève dans le nom commun. Mais EM (suivi par De Vaan) repère un o long chez Juvénal dans le nom propre Locusta. 30 Voir le texte dans l’Introduction de ce chapitre. 31 Voir le texte dans l’Introduction de ce chapitre.

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Le terme locusta et la langouste sont suffisamment bien connus de la communauté linguistique pour être mentionnés ailleurs que dans des textes techniques, par ex. chez Ambroise (Hex.5,26 : ille sinus maris cephalos alit…locustas alius). L’épigramme de Claudien (Carm.min.24Hall) est une description poétique de l’animal. Chez Pétrone (S.35 : super capricornum locustam marinam), la langouste se trouve au-dessus du signe du capricorne, ce qui coïncide avec la description de Pline (9,95), tirée d’Aristote, qui met en relief les « cornes » de l’animal. La locusta « langouste » est aussi le principal crustacé pour lequel Apicius fournit des recettes (Apic. 9,I, recettes n°398-403) : •n°398 : Ius in locusta et cammaris. « Sauce pour la langouste et les crevettes. » ; n°399 : Locustas assas sic facies. « Recette de langouste grillée. » (trad. J. André, 1974 (1987), CUF)32, litt. : « Vous ferez de la manière suivante les langoustes grillées. »

Procédé de dénomination Locusta est aussi le nom de la sauterelle (Tite-Live ; Pline). EM considère le sens « sauterelle » comme le plus ancien, rapprochant certaines formes de français où le nom de la sauterelle a donné celui de la crevette. Ce transfert métaphorique va dans le sens général : sauterelle langouste ; animal terrestre (insecte)  animal marin. Traits saillants dénominatifs Le trait saillant peut être le mouvement des 2 animaux : la sauterelle et la langouste se meuvent par sauts successifs dans les 2 éléments fluides que sont l’air et l’eau. Il peut s’agir aussi de leurs longues pattes. Selon l’interprétation synchronique d’Isidore de Séville, le terme correspondant en grec pour le sens, aussi bien pour l’animal marin que pour l’animal terrestre, est ἀστακός « homard » (voir astacus n°3.1). Il explique le nom des 2 animaux33 par le fait qu’ils ont de longues pattes en rapprochant le mot asta, qui semble être hasta « hampe (d’une arme de jet, etc.) » : •Isid. Et.12,8,9: locusta quod pedibus sit longis ueluti asta ; unde et eam Graeci tam maritimam quam terrestrem ἀστακόν appellant. « la locusta est appelée ainsi parce qu’elle a de longues pattes, comme pour ainsi dire asta (« hampe ») ; c’est pourquoi aussi les Grecs l’appellent ἀστακός aussi bien quand elle est marine que quand elle est terrestre. »

Cette explication, qui n’est pas à retenir comme étymologie en diachronie, montre que le trait « longues pattes » pouvait caractériser la langouste.  32

Apic.9,I,n°400 : Locusta elixa cum culinato. « Langouste bouillie à la sauce au cumin. » ; n°401 : Aliter locusta. Esicia de cauda eius sic facies. « Autre recette pour la langouste. Vous ferez de la manière suivante les quenelles à partir de queue de langouste » ; n°402 : In locusta elixa ; n°403 : Aliter in locusta. 33 Dans ce texte, Isidore confond les noms et les animaux dénotés : il parle au singulier d’un animal unique alors que c’est la dénomination qui est unique.

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Etymologie Les hypothèses proposées pour locusta restent fragiles. P. Flobert (GGaffiot) rapproche gr. ληκάω et λάξ34, angl. leg, suivant en partie J. Pokorny (IEW 673), qui rattache gr. λάξ, sk. r̥ kṣalā, all. « Fussgelenk bei Huftieren », lat. lacertus « muscle (biceps) », lat. lacerta all. « Eidechse », lat. locusta all. « Heuschrecke, Meerkrebs » ainsi que des formes germaniques (vieil-islandais, anglo-saxon, m.-h.-a., etc.) et lituaniennes de la racine i.-e. *lek- trouvée dans des termes signifiant all. « Gliedmassen » et all. « biegen, winden, springen, zappeln ». De Vaan (347-348) estime que le seul mot latin similaire pour la forme et le sens est lacerta « lézard », mais qu’il n’existe pas d’origine connue. Il conclut pour les 2 termes à des emprunts faits par le latin à une autre langue, dont il ne précise pas l’identité. Le rapprochement avec lacerta est évoqué rapidement par EM. 3.12 maea,-ae F. « le crabe maïa ». Ce crabe de grande taille, « maïa squinade » ou « araignée de mer », est très commun en Méditerranée. Les noms scientifiques sont Maja squinado (Herbst, 1788) et Maja crispata (Risso, 1826). a) die Grosse a) Mediterranean a) Maja squinado a) granceola Seespinne, (Herbst, 1788) spider crab b) Maja crispata (Risso, 1826)

b) granceola piccola

die Mittelmeer b) lesser spider crab, Seespinne b) die Kleine small spider crab Seespinne, die Kleine Mittelmeer Seespinne

Le terme est attesté en Pline 9,97 dans une liste d’espèces de crustacés. La démarche de Pline, critiquée par E. de Saint-Denis (éd. Pline 9, p.129), peut être considérée comme scientifique parce qu’elle utilise la conception prototypique des catégories naturelles35. 3.13 pagūrus,-i M. « espèce de crabe », « le tourteau » ou « le poupart ». Le nom scientifique est Cancer pagurus (Linnaeus, 1758). Cancer pagurus granciporro edible crab der Taschenkrebs (Linnaeus, 1758) atlantico Pagurus, emprunt à gr. πάγουρος, est cité par Pline en 9,97 pour une sorte de crabe (voir maea n°3.12 pour le texte). Le terme figure également chez l’agronome du +IVes. Palladius (1,35).

 34 35

Adverbe « avec le talon, avec le pied ». Voir l’Introduction de ce chapitre.

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3.14 pinophylax, M. « le pinnotère » est un nom de crustacé, mais il dénomme aussi un mollusque « le bernard l’ermite » (n°4.34). Il semble constituer une variante de pinotērēs (n°3.15). Pinnotheres pisum granchio pisello pea crab die Erdsenkrabbe (Linnaeus, 1758) Le terme est attesté en Pline 9,142 (voir pinoteres n°3.15 pour ce passage). 3.15 pinotērēs,-ae (variante orthographique pinnotērēs ; variante morphologique pinotēras,-ae ; variante lexicale pinothēras) M. dénote 2 animaux différents, ici un crustacé « le pinnotère » et, dans le chapitre 4, un mollusque « le bernard-l’ermite » (n°4.35) ; voir pinophylax (n°3.14). Pinnotheres pisum granchio pisello pea crab die Erdsenkrabbe (Linnaeus, 1758) Le crustacé appelé « le pinnotère » (Pinnotheres pisum Linnaeus, 1758 et 1767) est un crabe minuscule : •Pline 9,98 : Pinotheras uocatur minimus ex omni genere, ideo opportunus iniuriae. Huic sollertia est inanium ostrearum testis se condere et, cum adcreuerit, migrare in capaciores. « On appelle pinnotère le plus petit de toute cette classe, exposé par suite aux mauvais traitements. Il a l’habileté de se cacher dans des coquilles d’huîtres vides, et, lorsqu’il a grandi, de déménager pour en occuper de plus spacieuses. » (trad. E. de Saint-Denis)

Dans ce passage de Pline (9,98), il s’agit bien du minuscule crustacé. Mais selon E. de Saint-Denis (éd. Pline livre 9, p.129), pinotheras désigne dans ce passage le bernard-l’ermite. Il est possible, à notre avis, que Pline ait confondu les 2 animaux et juxtaposé dans sa rédaction un premier fait qui relève du crustacé et un second qui relève du mollusque. En effet, le comportement (le changement de coquille) est celui du bernard-l’ermite. Le crustacé pinnotère, crabe minuscule, est célèbre dans l’Antiquité en raison d’une stratégie de complicité qu’il entretient avec un grand coquillage, la pinne (pinna n°4.34). Il se loge dans la coquille de la pinne, et, selon les Anciens, les 2 s’aident réciproquement pour capturer de petits poissons. Pline (9,142 ; 32,150) mentionne aussi le terme pinophylax pour ce petit crustacé qui accompagne la pinne : •Pline 9,142 : Concharum generis et pina est. Nascitur in limosis, subrecta semper nec umquam sine comite, quem pinoteren uocant, alii pinophylacem, is est squilla parua, aliubi cancer dapis adsectator. « Une autre espèce de coquillage est la pinne. Elle naît dans les fonds limoneux ; elle se tient toujours verticale et elle a toujours un compagnon, appelé pinnotère, ou par d’autres pinnophylax ; c’est une petite squille, ou chez d’autres individus, un crabe, qui est son parasite. » (trad. E. de Saint-Denis)36

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Selon A. Truzzi, pinoteres et pinophylax pourraient dénoter 2 animaux différents, car il existe plusieurs espèces de crustacés ayant ce comportement et plusieurs coquillages qui s’y prêtent : par ex. le Pinnotheres pisum ici « le pinnotère » est commensal de plusieurs bivalves, surtout le Mactra stultorum, les ascidies et parfois

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Ce comportement du pinnotère et de la pinne, proverbial, est mentionné par Cicéron (Fin.3,63 ; Nat.2,123), qui appelle l’animal squilla (voir n°3.16). Pour le stratagème du pinnotère et de la pinne, voir pin(n)a n°4.3437. On estime généralement qu’il s’agit là d’une légende, mais la légende a un fond de vérité 38 : les zoologues appellent cette situation le commensalisme 39 . Dans cette association, le crabe pinnotère se met à l’intérieur des valves de la pinne et il en tire plusieurs avantages : de l’oxygène40 et des miettes alimentaires grâce aux courants d’eau qui sont aspirés par le mollusque, et, en outre, une protection contre les prédateurs. Par contre, Pline a tort sur certains points : les 2 animaux ne se nourrissent pas de poissons et le pinnotère ne stimule pas la pinne qui serrerait alors ses valves (pour capturer les poissons). On note avec grand intérêt que les Anciens s’étaient aperçus de ces associations complices entre les animaux dans un but alimentaire, même s’ils n’en distinguaient pas exactement les modalités. La pinne est, en effet, un très grand coquillage (60 cm, parfois jusqu’à 1 m)41 et les Anciens ont donc observé à l’intérieur la présence de petits poissons et de petits crabes (diamètre de carapace moyen : 15 mm). Pour le mollusque, qui est un coquillage « le bernard-l’ermite » (Pagurus bernhardus Linnaeus, 1758) en Pline 9,98, voir pinophylax n°4.34, pinoteres n°4.35. Il s’agit d’emprunts à gr. πιννοτήρης et πιννοφύλαξ. 3.16 squilla,-ae F. « la squille mante » (Squilla mantis Linnaeus, 1758) ainsi que différents crustacés ; voir caris n°3.6 et cammarus n°3.3. Squilla mantis pannocchia, spottail mantis der Heuschreckenkrebs (Linnaeus, 1758) canocchia squillid L’animal appelé « la squille mante » est présent dans les textes surtout comme un mets. Chez Lucilius, la petite squilla est opposée au grand  la Pinna nobilis ici « la pinne », tandis que le Nepinnotheres pinnotheres (Linnaeus 1758) est souvent le commensal de la Pinna nobilis et des ascidies. 37 Voir aussi Partie I, Section VII,§2.2. 38 Nous remercions A. Truzzi pour les informations sur la pinne et le pinnotère. 39 Le commensalisme est une association facultative entre 2 espèces différentes d’êtres vivants où l’une tire un bénéfice tandis que l’autre reste indifférente, n’étant ni lésée, ni avantagée. Un exemple classique est le rémora, qui se fixe sous des animaux marins (requins, cétacés, tortues) et bénéficie du transport et des restes de nourriture de son hôte (A. Truzzi). Voir remora n°1.107, echeneis n°1.53. 40 Comme tous les mollusques bivalves, la pinne est un filtreur d’eau de mer : elle est inhalée avec un siphon et expulsée avec un autre, après que le mollusque eut retenu les particules alimentaires avec ses branchies et les eut canalisées dans sa bouche interne grâce à un système de cils (A. Truzzi). 41 La pinne était un coquillage recherché car utile : voir pinna n°4.33.

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« esturgeon »42 (Lucil. 1240M=207W)43. Horace cite aussi la squilla comme remède et mets, associée à des escargots et à une murène : •Hor. S.2,4,58-59 : Tostis marcentem squillis recreabis et Afra/Potorem coclea. « avec des squilles rôties, tu ranimeras un buveur engourdi et aussi avec des limaçons d’Afrique. » (trad. F. Villeneuve 1932, CUF) • Hor. S.2,8,42-43 : Adfertur squillas inter murena natantis/In patina porrecta. « On apporte une murène couchée au milieu de squilles nageant dans un large plat. » (trad. F. Villeneuve 1932, CUF)

Mais l’identification est difficile. Le terme désigne « la squille mante », mais aussi d’autres crustacés de différentes tailles et natures. On pourrait le considérer comme un hyperonyme du vocabulaire culinaire pour une classe de crustacés ayant pour trait commun de relever de l’alimentation humaine. On détecte dans les textes au moins les 5 valeurs référentielles suivantes. 1. En Pline 9,142, squilla dénote la crevette (καρίδιον Aristote) (voir le texte s.v. pinoteres n°3.15 ci-dessus). 2. En Pline 9,158 : la caris « crevette » (voir ce mot n°3.6). 3. En Cic. Nat. 2,123 : le pinnotère (voir pinotērēs n°3.15). 4. Chez Juvénal en 5,81 (quae fertur domino squilla « la squille qui est apportée au maître de maison »), squilla désigne un crustacé beaucoup plus grand que la squille, qui mesure plus de 25 cm, puisque Juvénal (5,80-85) oppose la squilla, bonne nourriture, au cammarus, nourriture ordinaire ou médiocre44. 5. Chez Martial, il s’agit d’écrevisses d’eau douce vivant en groupe dans les eaux du bleu Liris (Mart.13,83)45. Une origine difficile L’étymologie de squilla est considérée comme obscure. Le GGaffiot distingue ce crustacé squilla de scilla,-ae F. « scille, oignon marin » (Pline 19,93), emprunt à gr. σκίλλα. Mais EM (602) s.v. scilla « scille, oignon marin » renvoie à squilla (EM 645) « squille » (crustacé) : d’un côté il rapproche les 2 termes parce que squilla est « souvent confondu avec scilla », mais de l’autre il les sépare : « les sens sont bien différents. » Propositions pour la formation du mot Squilla et scilla pouvaient appartenir en synchronie, dans la conscience du sujet parlant, au même groupement lexical, puisque les entités dénotées appartenaient au même domaine d’expérience de la mer.  42

Voir s.v. acipenser, Partie II, Chapitre 1 des poissons de mer. Voir le texte Partie I, Section I,§2.3.2. 44 La CUF donne « langouste » pour squilla et « langoustine » pour cammarus, mais cammarus ne peut ici dénoter que la crevette (voir cammarus n°3.3). Pour le texte de Juv. 5,80-85, voir Partie I, Section V,§1.1. 45 Mart.13,83 : Squillae. Caeruleus nos Liris amat…/…hinc squillae maxima turba sumus. « Les squilles. Le bleu Liris nous aime…: c’est de là que nous, écrevisses, nous provenons en très grande quantité. ». Nous nous démarquons ici de Walter C.A. Ker (coll. Loeb, 1978), qui traduit par angl. prawns « crevettes ». 43

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La variation graphique et phonétique -qu-/-c- n’est pas étonnante en latin. On observe une variation phonétiquement conditionnée entre -qu- et -c-, la labiovélaire -qu- /kw/ perdant son appendice labio-vélaire devant une voyelle d’arrière (cf. coquus>cocus « cuisinier » vs coquīna « cuisine, taverne » ; sequitur vs secūtus pour le verbe sequor « suivre »). Le maintien de -qudevant une voyelle d’arrière est soit purement graphique (coquus « cuisinier »), soit analogique pour maintenir la régularité flexionnelle pour le thème à l’intérieur d’un même paradigme (sequor, sequuntur face à la forme phonétiquement régulière, l’infinitif sequi « suivre »). Si l’on admet une variation synchronique -qu-/-c-, on peut voir dans le couple squilla/scilla le résultat d’une hypercorrection ou d’une réfection inverse sur le plan phonétique (de -c- à -qu-), liée à la perception d’une variation synchronique, de sorte que sur scilla, emprunté au grec, a pu être refait squilla. Scilla a pu fournir la base de squilla par rapprochement avec les termes en squ… renvoyant à des entités du même domaine d’expérience de la mer. Pour employer les termes de J. André (par ex. dans son ouvrage de 1985 sur les noms de plantes) mais sans connotation dépréciative, squilla serait une « déformation » de scilla par « étymologie populaire », c.-à-d. réinterprétation synchronique. Mais, étant donné la nature de notre corpus lexical et afin d’y intégrer squilla, nous proposons de considérer que squilla relève du radical latin squā-/squă- (ici avec un a bref) attesté dans squalus46, squatus, squatina, squama suivi de 2 suffixes de diminutifs en *-lo- au féminin. Squilla dénomme plusieurs crustacés, plus ou moins grands, mais qui, en tant que crustacés, sont recouverts de particules d’une dureté modérée qui doivent être retirées pour la consommation et correspondent donc à la notion d’« élément susceptible de désquamation » mise en lumière pour le radical squă-/squā-.

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Partie II, Chap.1, squalus n°1.131, squatus/squatina n°1.132.





CHAPITRE 4 LES MOLLUSQUES Introduction Selon le classement scientifique que nous suivons, ce que nous appelons en français mollusques et coquillages correspond à une seule catégorie : les mollusques, qui constituent un véritable phylum. Nous rencontrons 48 noms de mollusques, surtout des coquillages, mais aussi des mollusques sans coquille (le lièvre de mer, le calamar, le poulpe, la seiche, la sépiole). Ainsi, après les poissons de mer, ce sont les mollusques qui fournissent le plus grand nombre de dénominations. Il y a là un indice de leur importance dans l’alimentation et la vie des Romains. Il est fréquent que plusieurs dénominations soient affectées à un seul animal, avec notamment un nom latin usuel et un nom grec savant. Terme savant et terme usuel coexistent ainsi pour un même animal si ce dernier est particulièrement présent dans la vie quotidienne concrète. Les termes d’origine grecque ont plusieurs statuts en latin. Certains termes empruntés au grec sont savants, techniques et peu attestés, souvent cités par le seul Pline l’Ancien (ce sont parfois de véritables hapax avec 1 seule occurrence dans la littérature latine). Au contraire, certains termes d’origine grecque étaient parfaitement intégrés en latin dans la langue quotidienne, notamment celle des pêcheurs et des cuisiniers. Ainsi certains mollusques (la moule, le manche de couteau, le pourpre ou murex, la patelle, le nautile, le dail commun, la pinne marine ou jambonneau, le poulpe ou la pieuvre) ont-ils plusieurs dénominations, dont les unes sont savantes et limitées à Pline, tandis que les autres appartiennent à la langue courante : la moule (musculus, mutulus, mus, mys, myax, myiscus), le manche de couteau (aulos, donax, solen, dactylus, unguis), la came (cheme, glycymaris), l’escargot de mer ou d’autres coquillages spiralés (coclea, helix, actiphoros, strombus), le bernicle ou la patelle (lopada, otion), le peigne de mer (pecten/pectunculus), la pinne marine ou le jambonneau (pinna, perna, surena). Lorsque les indications données par les auteurs latins (notamment Pline) ne sont pas suffisantes pour identifier l’animal (hordeia, caluaria), nous formulons une hypothèse (actinophoros) ou nous déclarons l’entité inconnue ou indéterminée (caluaria marina, hordeia). Pour la grande majorité des termes nous avons identifié l’animal selon les critères de la zoologie moderne et donné ses noms actuels en français, italien, anglais, allemand.

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Certaines dénominations de mollusques apparaissent aussi dans d’autres chapitres puisque les mêmes termes servent aussi à dénommer d’autres animaux aquatiques (lolligo poisson de mer ; musculus poisson légendaire fabuleux peut-être le « poisson-pilote », chap. 7 ; caluaria poisson de mer ; mus (marinus) peut-être poisson de mer, probablement tortue chap. 8). Dans ce que nous appelons fr. mollusques, Pline distingue plusieurs catégories selon le tegumentum. Dans le passage où il classe les animaux selon ce qui les entoure (9,40) 1 , leur « enveloppe », Pline oppose les coquillages protégés par « une pierre dure » (silicum duritia) c.-à-d. une coquille, et les poulpes « sans protection, sans enveloppe » : •Pline 9,40 : Aquatilium tegumenta plura sunt....silicum duritia ut ostreae et conchae…alia nulla ut polypi. « Les téguments des animaux aquatiques sont de plusieurs sortes…de pierre dure, comme les huîtres et les coquillages…les autres n’ont pas de peau, comme les poulpes. » (trad. E. de Saint-Denis)

La plupart des animaux de ce chapitre sont des coquillages, donc des mollusques pourvus de coquille, dont les prototypes dans ce texte sont ostrea « huître » et concha « coquillage en général ». Dans les 48 entrées de ce chapitre, seuls 5 termes dénotent des mollusques sans coquille : lolligo « le calamar », polypus « le poulpe » ou « la pieuvre », ozaena « poulpe musqué », sepia « la seiche », lepus « le lièvre de mer ». Pline emploie le terme testa pour la coquille des coquillages. La testa est faite de pierre dure puisque Pline en 9,154 la qualifie de silicea (adjectif siliceus,-a,-um « de silex » sur silex « pierre dure, caillou, roc »). Ainsi apparaît une nouvelle classification plinienne. Parce que les coquillages ont une coquille de pierre, que la pierre relève du règne minéral et que les entités minérales se distinguent du règne animal par le fait qu’elles n’ont pas de vie, Pline considère que les coquillages dans leur ensemble, y compris le mollusque contenu dans la coquille, relèvent du règne minéral et n’ont pas de vie. En 9,154, il affirme, en effet, que les huîtres et les autres animaux recouverts d’une testa de pierre dure (silicea testa) sont dépourvus de sensation ou sensibilité (nullum sensum), et sont donc inertes sans perceptions : •Plin. 9,154 : Silicea testa inclusis fatendum est nullum esse sensum, ut ostreis. « On doit reconnaître que les animaux enfermés dans un test pierreux sont insensibles, les huîtres par exemple. » (trad. E. de Saint-Denis)

Ainsi Pline étend-il (abusivement) la nature inerte de la coquille, le contenant, à la nature du mollusque, le contenu. En outre, Pline, se faisant l’écho de ses contemporains, distingue les « bons » et les « mauvais » mollusques. Pour l’alimentation et la cuisine, les coquillages2 recherchés sont l’huître (ostreum/ostrea, spondylus « huître  1 2

Voir le texte complet Partie I, Section I,§1.2.4. Dans la classification de Columelle (8,16,7-8), les coquillages (murex, ostrea,

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épineuse »), la palourde (peloris). Mais sont également consommés : le manche de couteau (aulos, donax, solen, dactylus, unguis), la came (cheme, glycymaris), l’escargot de mer ou d’autres coquillages spiralés (coclea, helix, actiphoros, strombus), le bernicle ou la patelle (lopada, otion), la moule (musculus, mutulus, mus, mys, myax, myiscus), le peigne de mer (pecten, pectunculus), la pinne marine ou le jambonneau (pinna, perna, surena). Parmi les mollusques sans coquille, certains sont bons à consommer comme le calamar lolligo, le poulpe ou la pieuvre polypus, peut-être la seiche sepia, mais d’autres, non comestibles, sont dangereux (le poulpe musqué ozaena, le lièvre de mer ou aplysie lepus). Les pourpres sont très utiles puisqu’ils produisent la couleur pourpre, si appréciée pour la teinture, avec plusieurs termes spécifiques murex, purpura, bucinum, coluthia, coryphia. En outre, conchylium et conca « coquillage », termes génériques, dénotent aussi les pourpres dans des contextes où le pourpre est le coquillage par excellence. Les Romains ont donc donné un nom aux mollusques dont ils avaient besoin, ceux qui étaient utiles, qu’il fallait rechercher, et ceux qui étaient dangereux, qu’il fallait éviter. Ce que nous appelons fr. mollusques ne constitue pas pour Pline une classe unitaire. En 9,83, un classement de Pline pour introduire un nouveau groupement d’aquatilia est fondé sur une différence avec les poissons (au sens strict de ce terme en français) : il dit qu’il va parler d’une classe d’animaux qui se distinguent des (vrais) poissons parce qu’ils n’ont pas le sang que possèdent les poissons. Puis parmi ces aquatilia dont il va parler, il distingue 3 catégories selon la nature du tegumentum qui les recouvre. Il les présente en crescendo selon le critère de la dureté du tegumentum : •Pline 9,83 : Piscium sanguine carent de quibus dicemus. Sunt autem tria genera : primum quae mollia appellantur, dein contecta crustis tenuibus, postremo testis conclusa duris. Mollia sunt lolligo, saepia, polypus et cetera generis eius. « Les animaux dont nous allons parler n’ont pas le sang que possèdent les poissons3. Il y en a 3 sortes : en 1er lieu ceux qu’on appelle mollia « les mous », ensuite ceux qui sont protégés par des carapaces (crusta) minces, enfin ceux qui sont enfermés dans des coquilles (testa) dures. Les mous (mollia) sont le calamar, la seiche, le poulpe et les autres animaux de ce genre. ».

Ce texte échelonne les catégories sur l’échelle de la dureté. La 1ère catégorie représente le degré zéro de la dureté du tegumentum. On appelle ces animaux mollia « les mous » parce qu’ils ne sont pas entourés par la dureté d’une enveloppe. La 2e catégorie a un tegumentum de dureté modérée et faible : ce sont les crustacés. L’enveloppe est une crusta « croûte, carapace »  pectunculus, sphondylus) relèvent de la limosa regio, des endroits vaseux. 3 Les termes lat. piscis et fr. poisson sont ici à prendre au sens strict de ce que nous appelons poisson en français. Nous nous démarquons donc d’E. de Saint-Denis, qui traduit : « Les animaux dont nous allons parler n’ont pas de sang. ».

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qualifiée de tenuis « mince, facile à casser ». La 3e catégorie est au sommet de l’échelle de la dureté avec un tegumentum de grande dureté, une testa qualifiée par durus,-a,-um « dur ». Il s’agit de la coquille des coquillages4. Puisque les animaux de ce chapitre appelés aujourd’hui mollusques ne constituent pas une classe unitaire pour Pline, on comprend qu’il n’existe pas chez lui de terme générique pour l’ensemble de ces mollusques. Pline a un terme générique pour les 5 mollusques sans coquille, qu’il appelle mollia « les moux ». En Pline 9,40 (texte ci-dessus), le prototype est le poulpe polypus, qui est dit « sans peau » (nulla « aucune » renvoyant anaphoriquement à cute « peau ») d’après la traduction littérale d’E. de Saint-Denis, ce que nous pourrions traduire plutôt par « sans protection », « sans enveloppe », c.-à-d. « sans tegumentum ». Parce qu’ils entraient dans l’alimentation et la vie quotidienne, les coquillages bénéficient d’un riche vocabulaire. Subsumant les nombreux termes spécifiques, les termes génériques sont conc(h)a, conchylium5 et pour les coquillages spiralés coc(h)lea. Le terme générique des coquillages spiralés (coclea) peut être considéré comme inclus dans les termes génériques pour tous les coquillages (conca, conchylium). Mais ces 3 termes ont 2 fonctions : ils sont à la fois génériques pour des classes entières et spécifiques dans certains contextes pour le coquillage dont on parle. C’est pourquoi ils figurent dans notre Partie I comme termes génériques et dans ce chapitre 4 comme termes génériques et spécifiques. LISTE DES TERMES 4.1 actinophoros,-i F. « coquillage spiralé » ; voir helix n°4.15, coclea n°4.6. (Hexaplex trunculus (murice (banded dye- (die Abgestumpfte murex) Stachelschnecke) (Linnaeus, 1758)) troncato) Ce terme est attesté chez Pline comme autre nom du coquillage helix (32,147 : item helices (ab aliis actinophoroe dicuntur)). Emprunt savant à gr. ἀκτινοφόρος (nomin.pl. en -oe), il n’appartient pas à la langue courante. 4.2 aulos,-i M. « manche de couteau », coquillage bivalve ; voir donax n°4.13, solen n°4.40, dactylus n°4.12, unguis (onyx) n°4.47. a) cannolicchio, a) European a) die Grosse a) Solen vagina cappalunga razor shell Scheidenmuschel (Linnaeus, 1758) b) die Gefurchte b) Solen marginatus b) cannolicchio, b) grooved cappalunga razor shell Scheidenmuschel (Pulteney, 1799)  4

Pour la carapace très dure de la tortue, Pline utilise les termes cortex et testudo, tandis que Varron emploie testa (voir chap. 8, introduction et testudo n°8.4). 5 Voir Partie I, Section IV.

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Le terme, mentionné par Pline (32,103 ; 32,151), est emprunté au grec αὐλός « tout instrument à vent », « tout tuyau creux et allongé », d’où « animal marin de forme allongée »6. Le procédé dénominatif grec est donc la forme allongée de l’entité comparante et de l’entité comparée. Le terme demeure savant et technique en latin et n’appartient pas à la langue courante. 4.3 būcĭnum,-i Nt. « le buccin » coquillage ; voir pour les différentes espèces de pourpre purpura n°4.37, coluthia n°4.7, coryphia n°4.11, murex n°4.20, conchylium n°4.10. red-mouthed die RotmundStramonita haemastoma buccino rock shell Leistenschnecke (Linnaeus, 1767) Par une métonymie usuelle (attestée aussi pour purpura, murex), būcĭnum dénote non seulement le coquillage lui-même, mais le suc qui en sort et qui sert à fabriquer la matière colorante pour la teinture pourpre (Pline 9,134). Interprétation synchronique Selon Pline, si ce coquillage (qu’il présente comme servant pour la teinture pourpre de même que le purpura) est dénommé d’après le nom de la trompette (instrument), c’est qu’il ressemble au coquillage plus grand avec lequel on produit le son de la trompette (bucinum,-i M. « trompette ») : •Plin. 9,130 : Bucinum minor concha ad similitudinem eius qua bucini sonus editur - unde et causa nominis -, rotunditate oris in margine incisa… Bucinum non nisi petris adhaeret circaque scopulos legitur. « Le buccin est un coquillage plus petit ressemblant à l’instrument avec lequel on produit le son d’une trompette - d’où provient la raison de son nom - grâce à l’ouverture arrondie découpée sur le bord…Le buccin s’accroche seulement à des pierres et on le ramasse dans les rochers. »

Procédé de dénomination Le procédé de dénomination justifiant ce nom de coquillage à partir du nom de la trompette est donc le transfert métaphorique usuel : entité terrestre (objet)  entité aquatique (animal). Le même transfert métaphorique est attesté pour la trompette en phytonymie avec passage au genre masculin : būcinus,-i M. « la dauphinelle, le pied d’alouette » (Delphinium ajacis L.) dénomme des plantes dont la fleur ressemble à une trompette par son éperon (J. André 1985 : 40). Le trait saillant est donc la forme pour la plante. Formation du mot Būcĭnum,-i Nt. « trompette » est analysable en bū-cĭn-um comme un ancien composé. Le 1er membre est bū- allomorphe du radical du nom du bovin (bō-s, bŏu-is) ici sous la forme bū- (cf. būbīle Nt. « étable à bœufs » Pl., Cat. ; būbŭlus,-a,-um « de bœuf, de vache » Pl., Varr., Pline). Le 2e  6

Il convient de corriger certains dictionnaires grec-français (par ex. A. Bailly, Dictionnaire grec-français, Paris, Hachette, 16e éd. 1950), qui y voient un poisson et non un mollusque.

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membre est un allomorphe du radical căn-/-cĕn/-cĭn- associable à canere « jouer d’un instrument de musique » présent dans les noms d’agent et de métier tībī-cĕn (-cĭnis) M. « celui qui joue de la flûte » (tībĭa « flûte »), tŭbĭcĕn « celui qui joue de la trompette » (tŭba,-ae F. « trompette, trompe »). On peut donc prêter à bucinum la même formation qu’à būcĭna,-ae F. « cornet de bouvier »7 (Varr.R., Cic.), « trompette » (Cic., Virg.), qui entre dans le groupement des instruments de musique de genre féminin (cf. tibia, tuba). Le sens étymologique de būcĭna et būcĭnum pourrait être « cornet de bouvier » (P. Flobert GGaffiot s.v. bucina) litt. « instrument de musique pour les bovins ». Une extension sémantique aurait ensuite eu lieu pour dénoter des instruments identiques ou semblables ayant une autre destination. 4.4 calu̯ ārĭa (marina) Nt.pl. est un nom de coquillage indéterminé. Le terme dénote aussi un poisson de mer (n°1.28). Il est employé par Apulée dans un passage (Apologie 34,4-6) où il cite des noms d’animaux marins et de coquillages 8 . Marina caluaria est traduit par P. Vallette par « crânes marins » (passage sous ueretilla n°4.45) : •Apul. Apol.34,6 : eliciendis mortuis marina caluaria. « des crânes marins pour évoquer des morts. » (trad. P. Vallette 1924, CUF)

Ces « crânes marins » évoquent les morts par un trait dont nous ignorons la nature. Selon des éditions d’Apulée ces marina caluaria sont des coquillages ressemblant à des crânes humains, employés dans la nécromancie. Si tel est le cas, ces animaux sont différents des caluaria pinguia, poissons mentionnés par Ennius (Enn.var.43V2=Hedyph.v.10) selon un passage d’Apulée (Apol.39)9. P. Vallette (éd. Apulée, Apologie 1924, CUF) ne nous renseigne pas sur l’identité des marina caluaria (Apol.34,6) et caluaria pinguia (Apol.39,5,3, passage posant des difficultés d’interprétation : voir caluaria n°1.28). Caluaria ne figure pas dans l’ouvrage de E. de Saint-Denis sur les animaux marins (1947). 4.5 cheme,-es F. « came »/« chame » (genre de coquillage). Voir glycymaris n°4.14. die gemeine Chama gryphoides cama common jewel box (Linnaeus, 1758) Lappenmuschel Pline distingue plusieurs espèces de cames : •Pline 32,147 : chemae striatae, chemae leues, chemae peloridum generis, uarietate distantes et rotunditate, chemae glycymarides, quae sunt maiores quampelorides. « les chames striées, les chames lisses, les chames du genre

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Il sert de base de suffixation au nom d’agent būcĭnātor « celui qui sonne de la trompette » (César) et au verbe būcĭnāre « sonner de la trompette » (Varron). 8 Apulée crée aussi les noms de coquillages ueretilla et uirginal (n°4.45 et n°4.46). 9 Voir caluaria n°1.28 poisson de mer ; et Partie I, Section I,§2.3.1.

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palourde, qui diffèrent par leur bigarrure et l’arrondi de leur forme, les chames glycymarides, plus grandes que les palourdes. » (trad. E. de Saint-Denis)

Lat. cheme est un emprunt au grec χήμη « came » (coquillage). Le même coquillage s’appelle aussi glycymaris,-idis (n°4.14). Ces 2 appellations issues du grec sont savantes en latin. Termes techniques de zoologie de l’encyclopédie de Pline, ils devaient être inusités dans la langue courante. 4.6 coclea / cochlea,-ae F. et cochlos,-i M. « l’escargot de mer » coquillage10 ; voir helix n°4.15, actinophoros n°4.1, strombus n°4.42. Tritia mutabilis lumachina die Wandelbare mutable nassa (Linnaeus, 1758) di mare Reusenschnecke Ces 2 formes sont 2 variantes morphologiques d’un seul lexème qui se différencient par le suffixe (donc le type de flexion) et par le genre grammatical. Elles désignent une famille de mollusques gastéropodes dont la coquille spiralée rappelle l’escargot terrestre. Ce transfert métaphorique de l’escargot terrestre vers ce coquillage est fondé sur une ressemblance de forme, la spirale, très caractéristique. Le nom de l’escargot terrestre fut réemployé pour un coquillage qui lui ressemble par la forme de sa coquille. Attestation Pline cite coclea pour les espèces terrestres, qu’il appelle cocleae terrestres, et les espèces aquatiques, qu’il appelle cocleae aquatiles. Il rapproche donc « l’escargot de mer » et « l’escargot de terre » 11 : •Pline 9,101 : cocleae aquatiles terrestresque.

Et il a conscience du lien dénominatif entre l’animal terrestre et l’animal aquatique. Par l’emploi d’un même lexème, il semble les considérer comme 2 espèces différentes d’un même genre, distinguées seulement par leur lieu d’habitation. Pour les 2 animaux, la forme de la coquille est le trait saillant. Pline emploie aussi dans sa liste des animaux marins cochlos,-i M. « l’escargot de mer » au nomin.M.pl. avec une désinence de type grec en -oe (Pline 32,147 : cochloe, quorum generis pentadactyli). La reproduction des escargots de mer selon Pline se produit en hiver : •Pline 9,164 : cocleae hiberno tempore nascuntur. « les escargots naissent l’hiver. » (trad. E. de Saint-Denis)

Dans le domaine culinaire et médical, Horace (S.2,4,59)12 cite coclea pour des « colimaçons africains » à côté de squilla. Coc(h)lea pour la spirale (de l’escargot terrestre et du coquillage) fut lexicalisé dans des expressions figées ad cocleam, in cocleam « en spirale » (Celse) et pour un mouvement « en colimaçon, en tournant comme la coquille d’un escargot » (dans le Journal de voyage d’Egérie lorsque le  10

Pour ce terme, voir Partie I, Section IV termes génériques, §2. Selon Pline (9,173), Fuluius Lippinus créa le premier élevage d’escargots un peu avant la guerre civile menée par Pompée. 12 Voir le texte Partie II, Chapitre 3 des crustacés, s.v. squilla n°3.16. 11

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narrateur décrit l’ascension du Sinaï à dos d’âne)13. Le terme s’étend à des objets en forme en spirale (Vitruve: vis du pressoir et vis d’Archimède). Origine et statut Coclea/cochlea F. et cochlos M. sont considérés comme empruntés au grec κοχλίας « coquillage en spirale, limaçon », puis « divers objets en forme de spirale » et κόχλος (nomin.pl. -oe grec chez Pline) « grand coquillage en spirale », « conque marine servant de trompette », « limaçon ». S’ils sont empruntés au grec, ils ont connu des adaptations morphologiques avec latinisation de l’élément flexionnel. Les termes latin et grec offrent le même type de polysémie, mais il peut s’agir du même procédé dénominatif intervenu parallèlement en grec et en latin et qui est donc de nature cognitive étant donné le caractère frappant de la forme spiralée de la coquille. Etant donné le texte de Pline ci-dessus, le nom des coquillages à coquille en spirale pourrait être tiré par transfert de celui de l’escargot terrestre. En outre, nous proposons une origine i.-e. pour conca, coclea, conchylium/concilium à partir de i.-e. ko(n)kh-. Lat. coclea représente une variante sans nasale infixée et avec 2 suffixes (*-lo- et -eus,-a,-um)14. 4.7 coluthia,-orum Nt.pl. « espèce de pourpre », coquillage ; voir coryphia n°4.11, murex n°4.20, bucinum n°4.3, purpura n°4.37, conchylium n°4.10. Murex spp. murice murex snail die Stachelschnecke Linnaeus, 1758 Coluthia est un emprunt au grec selon Pline pour une espèce de pourpre et une autre appellation est coryphia (32,84 : muricum generis sunt quae uocant Graeci coluthia, alii coryphia ; 32,147 : coluthia siue coryphia). Mais coluthia et coryphia ne sont pas attestés en grec. En latin chez Pline, ils demeurent des termes techniques savants non usuels. 4.8 concha / conca,-ae F. signifie « le coquillage » en général comme terme générique des coquillages15. Mais il s’adapte aux contextes et s’applique aussi à des coquillages particuliers, tels a) « le bernard l’hermite » et b)16 « le murex » et même d’autres coquillages17.  13

Fin du +IVes. : Egérie Itinerarium 3,1: per girum, ut dicimus in coclea. « (nous montions) en tournant, comme on dit : en colimaçon. » 14 Voir la proposition pour coclea, conca, conchylium : Partie I, Section IV,§3.6.2. 15 Voir Partie I, Section IV,§1. 16 Voir murex n°4.20 et les différentes espèces de pourpre : purpura n°4.37, bucinum n°4.3, coluthia n°4.7, coryphia n°4.11. Pour l’huître et l’huître perlière, voir Partie I, Section IV,§1 sous conca terme générique. 17 Lucr. 2,501 : Purpura Thessalico concharum infecta colore « la pourpre teinte par la couleur thessalienne des coquillages » ; Plin. 9,94 : concham…In hanc condi nauplium, animal sepiae simile. « une conque…Le nauplius, animal ressemblant à la seiche, s’y enferme » (trad. E. de Saint-Denis) ; 9,130 : Concharum ad purpuras

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a) Pagurus a) paguro a) Bernhard’s a) der Gemeiner Einsiedlerkrebs, bernhardus bernardo hermit crab der Bernhardkrebs (Linnaeus, 1758) b) Murex spp. b) murice b) murex snail b) die Stachelschnecke Linnaeus, 1758 Conc(h)a a une bonne fréquence à toutes les époques de la latinité depuis l’époque archaïque. On le rencontre chez Plaute, Afranius, Lucrèce (2,374 : concharumque genus), Varron (L.), Cicéron (De or. 18 ), Horace, Tibulle, Properce, Columelle, Pline (9,102 ; 32,147), Isidore de Séville (Et.12,6,49). Chez Plaute, il figure dans une liste d’animaux marins, échinodermes et mollusques récoltés par les pêcheurs, qui sont ici les locuteurs : •Pl. Rud.297-298 : Echinos, lopadas, ostrias, balanos captamus, conchas, /Marinam urticam, musculos, placusias striatas. « Nous tâchons de prendre des oursins, des patelles, des huîtres, des glands, des conques, de l’ortie de mer, des moules, des plaguses striées19. » (trad. A. Ernout 1938, CUF)

Ce passage comporte, en plus de conc(h)a, plusieurs noms importants d’animaux marins : des coquillages (lopada « la patelle » n°4.19, ostreum/ostrea « l’huître » n°4.27, musculus « la moule » n°4.21) ainsi que d’autres animaux consommés (echinus « l’oursin » n°5.5, balanus « le gland de mer » n°3.2, urtica marina « l’ortie de mer n°5.14). Plaute (Rud.704) offre la lexie complexe concha Veneris litt. « le coquillage de Vénus », coquillage dénommé par sa forme, avec un jeu de mots obscène rapprochant l’organe anatomique féminin et l’ouverture en forme de fente de ce coquillage. Voir ueneria n°4.4 et nautilus n°4.26. Statut dans le lexique latin Conc(h)a est souvent considéré comme un emprunt au grec κόγχη. Mais s’il s’agit d’un emprunt, il relève de la strate des emprunts les plus anciens appelés « emprunts de civilisation » par A. Ernout 1954, et il s’est si bien intégré en latin qu’il est devenu le terme générique des coquillages. S’il s’agit d’un emprunt au grec, le du grec est, de manière attendue, représenté par en latin et prononcé ici comme une nasale vélaire parce que la nasale se trouve derrière une voyelle de timbre o20.  et conchylia…duo sunt genera. « Il y a 2 sortes de coquillages qui fournissent la pourpre et les couleurs conchyliennes. » (trad. E. de Saint-Denis). 18 Voir Partie I, Section IV,§1.1. 19 A. Ernout précise que placusias striatas (« des plaguses striées ») n’est pas sûr pour la forme et le sens. Il songe à une sorte de coquillage. Nous envisageons une déformation de pelagia, mentionné par Pline (9,131 : purpurae nomine alio pelagiae uocantur) lorsqu’il affirme que le coquillage appelé purpura porte aussi le nom pelagia. Ce pelagia est peut-être le même mot que pelagusiae, déformé en plagusiae/placusiae dans Pl.Rud.298. Voir murex n°4.20, purpura n°4.37. 20 Pour les nasales (distinction nasale vélaire vs palatale) dans un environnement phonétique où le point d’articulation varie selon le timbre de la voyelle précédente : C. Touratier s.v. signum, in M. Fruyt, A. Ollivier & T. Taous (dir.) 2020 : 259-260.

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O rigine i.-e. Mais conc(h)a est considéré par X. Delamarre (1984 : 145) comme hérité (de même que lat. cancer) du nom i.-e. du coquillage *konkhos figurant dans lat. concha/conca,-ae F., gr. κόγχος, sk. śankhás. A partir de là, nous proposons une origine i.-e. commune avec les autres termes latins génériques des coquillages avec des variations21. 4.9 conchŭla / concla,-ae F. « petit coquillage » est le diminutif de conc(h)a n°4.9. Il est attesté dans toute la latinité et dès Plaute à l’époque archaïque (Pl.Rud.304 ; Val.Max. 8,8,1; Celse 2,29 ; Apul.Apol.35). Phonétique Sur la base de suffixation conca « coquillage en général » est construit un diminutif en -ula, allomorphe attendu du suffixe latin de diminutif22. En outre, on observe la variante graphique et phonétique concla (issue de concŭla), selon un phénomène d’amuïssement de la voyelle brève -ŭ- en syllabe intérieure ouverte posttonique entre l’occlusive -c- et la liquide -l-, aboutissant au groupe -cl- à l’initiale de syllabe23. Statut dans le lexique latin Ce traitement phonétique montre que concula/concla était usuel dans la langue parlée familière, ce qui est confirmé par le témoignage de Plaute. 4.10 conchȳlĭum,-i Nt. « coquillage » 24 ; voir conc(h)a n°4.8, conchula n°4.9. Conchȳlĭum est bien attesté dans toute la latinité dans des genres littéraires variés (Lucr., Varr. L., Cic., Hor., Col., Pline, Mart.), ce qui montre qu’il relève du vocabulaire usuel. Origine et statut dans la langue latine Emprunt au grec κογχύλιον, conchylium était intégré en latin et fonctionnait comme membre à part entière du lexique latin, comme le montre sa bonne représentation dans les textes et la fonction sémantique qu’il y occupe, même si certains auteurs savants ont pleinement conscience de son origine grecque (il est cité par Varron L.5,77 comme un emprunt au grec). Les graphies et le dénonce comme d’origine grecque pour certains sujets parlants (ou certains scribes du Moyen Âge).  21

Partie I, Section IV,§3.6.2; et coclea n°4.6, conchylium n°4.10, conc(h)ula n°4.9. En effet, comme la dernière syllabe de la base commence par -c- (consonne occlusive gutturale sourde), le morphème de diminutif n’a pas la forme -culus, mais -ulus sans -c- afin d’éviter la succession de 2 syllabes commençant par la même consonne. Le latin connaît cet évitement à l’époque ancienne, comme le montre aussi le recours à l’haplologie. Pour ce suffixe voir Partie IV,§8. 23 Ce phénomène ancien en latin existe dans les vers comme une variante phonétique et métrique, par ex. chez Plaute pour le suffixe diminutif -culus,-a,-um et pour le suffixe de nom d’instrument -culum (pĕrīclum variante pour pĕrīcŭlum « danger »). 24 Pour conchylium comme terme générique, voir Partie I, Section IV,§3. 22

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Terme générique et terme spécifique Comme conc(h)a (n°4.8), conchylium peut servir de terme générique pour le coquillage (Cic. Diu.2,33 ; Hor. Epod.2,49 ; S.2,8,27 ; Pline 8,223 ; 9,37 ; 9,52). Mais conchylium au sens de « le coquillage par excellence » dans certains contextes dénote aussi le coquillage spécifique d’où l’on tire la pourpre (Lucr. 6,1074 ; Plin. 8,193; Isid. Et.12,6,50). Par métonymie (cf. purpura, concha, murex pour la même couleur pourpre), il renvoie à la pourpre comme teinture (Cic.), à des vêtements teints en pourpre (Juvénal)25. La série latine conc(h)a/conc(h)ŭla/conchȳlium est parallèle à la série grecque : κόγχη « coquillage »/κογχύλη « coquillage d’où l’on tire la pourpre »/κογχύλιον « petit coquillage, coquillage d’où l’on tire la pourpre ». Extension sémantique Dans un passage de Varron (L.5,77,4)26, l’oursin echinus est considéré comme un conchylium au même titre que l’huître, alors que l’oursin a une coquille ou coque différente de celle d’un coquillage (échinoderme selon la classification moderne echinus n°5.5). La valeur sémantique de conchylium s’étend ainsi à des animaux marins comestibles recherchés. Il devient un terme culinaire, comme piscis « poisson », qui, dans le vocabulaire des cuisiniers, en arrive à renvoyer à d’autres animaux aquatiques comestibles27. Origine i.-e. Nous proposons une origine i.-e. commune avec les autres noms génériques du coquillage en latin28. 4.11 coryphia « espèces de pourpre », coquillages. Voir pour les différentes espèces de pourpre coluthia n°4.7, murex n°4.20, bucinum n°4.3, purpura n°4.37, conchylium n°4.10. Murex spp. murice murex snail die Stachelschnecke Linnaeus, 1758 Le terme est un emprunt au grec selon Pline (32,84 ; 32,147), mais le terme n’est pas attesté en grec. Il s’agit d’un terme savant technique en latin. 4.12 dactylus,-i M. « le dail » ou « dail commun ». C’est un coquillage bivalve qui vit dans le limon durci ou les anfractuosités des roches et qui émet une lueur phosphorescente. On en distingue 2 genres. En Méditerranée, le premier a) est commun et le second b) est rare.  25

Voir Partie I, Section IV,§2.3. Voir Partie I, Section IV,§2.3. à propos de conchylium ; et echinus n°5.5. 27 Voir Partie I, Section III et Section IV,§3. 28 Partie I, Section IV,§3.6.2. ; et conc(h)a, coclea. 26

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a) Lithophaga lithophaga (Linnaeus, 1758) b) Pholas dactylus (Linnaeus, 1758)

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a) dattero di mare b) dattero bianco, ali d’angelo

a) European date mussel b) common piddock

a) die Dattelmuschel, die Europäische Steindattel, die Steindattel, die Seedattel b) die Dattelmuschel, die Grosse Bohrmuschel

Autres noms : solen n°4.40, unguis n°4.47, aulos n°4.2, donax n°4.13. Selon Pline, ces coquillages sont dénommés d’après leur ressemblance avec les ongles de l’homme (Pline 9,184 : concharum e genere sunt dactyli, ab humanorum unguium similitudine appellati ; de même 32,151). Dactylus est emprunté au grec δάκτυλος « doigt » appliqué aussi à tout objet en forme de doigt, en particulier à ce coquillage. Le même coquillage s’appelle en grec ὄνυξ (ὄνυχος) « ongle ». Dactylus est un emprunt savant de faible fréquence, non intégré en latin. Procédé de dénomination en grec On observe en grec un transfert dénominatif à partir d’une partie du corps de l’homme (doigt) vers un animal marin (entité terrestre (partie du corps)entité marine). Le même transfert explique la dénomination de ce coquillage par ὄνυξ « ongle ». 4.13 donax,-acis M. « manche de couteau », sorte de coquillage de forme allongée ; voir aulos n°4.2, solen n°4.40, dactylus n°4.12, unguis n°4.47. Solen vagina grooved (Linnaeus, 1758) cannolicchio, die Schwertmuschel razor shell Solen marginatus cappalunga (Pulteney, 1799) Le terme, mentionné par Pline (32,151), est un emprunt au grec δόναξ « le roseau », puis « le tube ». Il demeure savant et non intégré en latin. 4.14 glycymaris,-idis F. « espèce de came », coquillage ; voir cheme n°4.5. Chama gryphoides chama (Linnaeus, 1758) Le terme est emprunté à gr. γλυκυμαρίς F. « sorte de came » (coquillage). Pour Pline 32,147, c’est une espèce du genre cheme ( lat. -ulus ou bien la forme *-ko-lo- > lat. -culus25. En outre le suffixe *-lo- peut être redoublé, donnant lat. -ellus ou -illus. Selon nos propositions les termes se répartissent de la manière suivante. Pour le suffixe *-lo-, on rencontre : asellus M. (sur asinus M. « âne » ; le /l/ géminé résulte de *…n-lo-), attilus M. (sur atta M. « grand-père »), porc-ulus M. (sur porcus M. « porc, cochon »). Dans ling-ul-aca F. poisson (sur lingua F. « langue ») le suffixe de diminutif est suivi du suffixe -aca d’approximation et de ressemblance. Le double suffixe *-lo- est présent dans anguilla F. « anguille » (sur anguis M. « serpent »). La variante suffixale *-ko-lo- qui donne -culus se trouve dans apr-iculus M. (sur aper, apr-i M. « sanglier »), cani-cula F. (sur canis F. « chienne »), dracun-culus M. (sur draco M. « dragon, serpent »), mus-culus M. (sur mus M. « souris, petit rongeur »). 3.3.2. Pour les autres suffixes, à côté de ling-ul-aca (suffixe -aca ; sur lingua, voir ci-dessus le cumul avec le suffixe diminutif)26, on rencontre pastin-aca (avec le suffixe -aca sderrière pastinum « plantoir »)27, scorpi-o (suffixe -o,-onis M. sur scorpius « scorpion »). 3.4. Conclusion sur les transferts dans le chapitre 1. Les noms des poissons de mer élaborés en latin même se caractérisent par un fort pourcentage de dénominations reprenant de manière fidèle le terme latin préexistant d’une entité terrestre, alors que, plus rarement, ce terme est renforcé par un suffixe. Dans les autres chapitres pour les autres animaux aquatiques, cette formation des mots est attestée, mais dans des proportions moindres.  25

Ces 2 formes sont des allomorphes en distribution complémentaire : voir la répartition, voir ci-dessous §8. 26 Lingulaca apparaît 2 fois puisqu’il cumule 2 suffixes, mais il est comptabilisé 1 fois pour le nombre des lexèmes et des créations lexicales. 27 Autre hypothèse : un transfert à partir du phytonyme pastinaca.

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4. Les procédés directs de dénomination dans le chapitre 1 Pour le procédé direct par le trait saillant sélectionné dans l’animal aquatique, dans le chapitre 1 nous dénombrons 21 termes, où l’orthonyme du trait saillant constitue la base du nom de l’animal aquatique. Le contingent le plus volumineux regroupe 19 termes : aurata, caeruleus, capito, dentex, gerres, glaucus/glauciscus, hamio, mugil, perca, rubellio, salmo, sarda, sardina, saxatilis, squalus, squatina, squatus. Pour la formation des mots, ces substantifs sont des adjectifs substantivés (formés avec des suffixes d’adjectifs), ou bien ils sont formés par suffixation sur la base d’un substantif. Le trait saillant servant de base est exprimé par un adjectif dans le 1er cas (pour la couleur) et par un substantif dans le 2e cas (pour la partie du corps, la provenance géographique, ou autre). A ces formations comportant un suffixe (que ce dernier appartienne à l’adjectif de base ou apparaisse lors de la création lexicale) s’ajoutent les 2 composés acipenser, conger ainsi qu’1 formation particulière : remora (rétrograde sur le verbe remorari)28. 4.1. Formation à partir d’un adjectif. La dénomination résultant du procédé direct peut être un adjectif substantivé (ou bien être formée avec un suffixe formant des adjectifs si l’adjectif n’est pas attesté). Lorsque le lexème de départ est un adjectif et le lexème d’arrivée un substantif, cette substantivation d’un adjectif entraîne des changements morphologiques avec un changement de déclinaison et de genre grammatical. Cela obligerait les dictionnaires à faire 2 entrées différentes, puisqu’il s’agit de 2 lexèmes différents. Ce type est illustré par les noms formés à partir d’un adjectif de couleur : de l’adjectif caeruleus,-a,-um « bleu » on tire caeruleus,-i M. « le bleu » (sorte de squale ou chien de mer). L’adjectif glaucus,-a,-um « qui a une couleur claire terne »29 est substantivé dans glaucus,-i M. poisson ; de même pour glauciscus (même poisson). L’adjectif auratus,-a,-um « doré, qui contient de l’or (aurum) » donne aurata « la dorée » (suffixe *-to- « qui contient (l’entité dénotée par la base) »). Une succession de 3 suffixes est présente dans rubellio « celui qui est rougeâtre » sur l’adjectif ruber « rouge » suivi de 2 suffixes *-lo- successifs et du suffixe -io,-ionis M. Pour la base dénotant des inclusions comme parties du corps, nous proposons squatus « celui qui est pourvu de désquamations » (*-to-), squalus « celui qui relève de désquamations » (*-lo-). Pour une base marquant l’appartenance et la provenance, on peut citer sarda « la Sarde » (substantivation au F. de l’ethnique-ktétique Sardus « Sarde »), sardina  28

On pourrait peut-être ajouter clupea (origine géographique ?) et raia (partie du corps ?), mais nous avons préféré les comptabiliser dans les mots obscurs. 29 Bien que cet adjectif de couleur soit emprunté au grec, il fut parfaitement intégré en latin et la dénomination peut être considérée comme réalisée en latin.



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(provenance de Sardaigne : Sardinia ou Sardus,-a,-um ; suffixe *-no- de provenance). Une base indiquant le lieu où vit le poisson figure dans mugil « le boueux, le vaseux » (suffixe -ilis), saxatiles « ceux qui sont dans les rochers » (suffixe -atilis). 4.2. Formation à partir d’un substantif. L’utilisation de suffixes est majoritaire pour les noms faits par le procédé direct. Ces suffixes sont usuels et ne sont pas propres à la formation des noms d’animaux aquatiques. La dénomination peut contenir un suffixe formant des substantifs. Le trait saillant « tête remarquable » est exprimé par un substantif dans căpĭt-ō,-ōnis M. (n°1.33) « le muge, le mulet » et (n°2.7) « le chevesne, le meunier » sur la base de caput « tête » comme « celui qui se caractérise par sa grosse tête ». Littéralement capito signifie « celui qui a une tête remarquable, une grosse tête » (-o,-onis M. ; caput « tête »). De même dentex « celui qui est remarquable par ses dents, qui a de grandes dents » (-ex M. ; dens « dent »). Nous interprétons hamio comme « celui qu’on attrape à l’hameçon » (suffixe -io,-ionis M. ; hamus « hameçon »), et gerres comme « celui qui ressemble à des choses négligeables » (-ē- peut-être ancien collectif ; gerrae « choses négligeables »). Pour la raie-requin squatina nous proposons « celle qui appartient au squatus, qui fait couple avec le squatus » avec le suffixe -ī-na d’appartenance dans un couple d’êtres animés. Un suffixe de substantif se trouve derrière un radical verbal dans salmo « celui qui saute » (sal- « sauter », suffixe -mo,-monis M. ou -o,-onis M.). Un suffixe de substantif suit un élément de relation dans perca « celle qui a (des rayures) à travers (le corps) » (per/per- « à travers, sur toute la longueur, de part en part » ; suffixe *-kā F. du suffixe *-ko-). 4.3. Composés. Aux suffixés s’ajoutent 2 composés. Le sens littéral d’acipenser « l’esturgeon » est « qui a des parties pendantes de forme pointue » (composé bahuvrīhi ou possessif). Conger « le congre » est associable au verbe préverbé con-gerere « apporter avec, accumuler » avec une dénomination métonymique par le lieu et la proximité comme « celui qui vit dans des amas de rochers ». 4.4. Formation particulière. Remora « le rémora » est une formation rétrograde sur le verbe préverbé re-morari « retarder, tirer en arrière »30. 4.5. Conclusions sur le chapitre 1. Les créations lexicales de date latine du chapitre 1 (57 termes) offrent une majorité de transferts métaphoriques de dénomination (46 termes = 80%) selon le procédé indirect et une minorité d’appellations (11 termes) par le trait saillant selon le procédé direct.  30

Dans le procédé direct, nous ne traitons pas 2 termes classés dans les mots obscurs : raia « la raie » pourrait provenir de *radia F. sur radius « rayon, bâton » dénotant métaphoriquement « le dard de la raie » avec un sens littéral « celle qui a un dard/bâton remarquable ». De même clupea pourrait être fait sur un toponyme.

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5. Les créations lexicales dans le chapitre 2 Pour les poissons de rivière, une fois retirés les emprunts, les termes obscurs et les signifiants déjà présents dans les poissons de mer31, il reste 5 termes alburnus, barbus, lucius, salar, sario relevant tous du procédé direct par le trait saillant : la couleur pour alburnus (sur albus,-a-,um « blanc » et le suffixe -urnus), lucius (sur luc- « la lumière » suivi par le suffixe -ius) ; une partie du corps pour barbus (sur barba « la barbe ») ; le comportement sur sal- « sauter » pour salar (suffixe -alis/-aris), sario (suffixe -io,-ionis)32. 6. Les créations lexicales dans les chapitres 3 à 8 6.1. Le chapitre 3 des crustacés offre seulement 3 transferts métaphoriques selon le procédé indirect et les 3 sont avec maintien fidèle du signifiant dans balanus (« gland » et « gland de mer », leo (« lion » et « homard ») et locusta (« sauterelle » et « langouste »). Les crustacés n’ont pas d’occurrence du procédé direct par le trait saillant33. 6.2. Dans le chapitre 4 des mollusques34, les transferts sont majoritaires avec 11 termes. Parmi eux, 9 sont faits par maintien fidèle du signifiant : bucinum, lepus, hordeia, mus, pecten, perna, surena, unguis. Les mollusques tirent leurs noms d’entités terrestres inanimées : outils bucinum, pecten, parties du corps perna, surena, unguis. Seuls lepus (« lièvre » et « lièvre de mer ») et mus (« souris » et « moule ») font exception. Pour coclea « coquillage en spirale », nous proposons un terme hérité (proche de conc(h)a), mais il peut aussi s’agir d’un transfert à partir de l’escargot terrestre vers les coquillages offrant une coquille spiralée ; c’est pourquoi nous le comptons aussi parmi les transferts. En outre dans 2 termes faits par transfert fut ajouté le suffixe diminutif dans sa fonction de ressemblance : musculus-1 (-culus sur mus) et ueretilla (*-lo- sur ueretrum avec changement de genre grammatical et de flexion)35.

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Puisque la confusion des Romains entre 2 poissons différents fait qu’il n’a existé dans ce cas qu’1 seule création lexicale. Pour anguilla, c’est 1 seul et même poisson pour la mer et les rivières, donc 1 seule création lexicale. 32 Pour tous ces suffixes, voir ci-dessous §8. 33 Les crustacés sont plutôt nommés par des termes hérités (cancer, cammarus) et empruntés au grec, dont 2 sont bien intégrés en latin : astacus/astago, pinoteres. 34 En outre des mollusques usuels sont dénommés par 5 termes d’origine grecque parfaitement intégrés en latin : mutulus/mitulus, ostrea/-um, peloris, purpura, sepia ; ainsi que par 3 termes génériques hérités : conc(h)a, conchylium/concilium, coclea ; et un terme emprunté à une langue indéterminée murex. 35 Nous ne mentionnons pas ici lolligo parce que la base est d’origine obscure, même si le terme pourrait se terminer par le suffixe latin -go,-ginis.



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Sepiola sur sepia « seiche » est un vrai diminutif de sorte qu’il ne s’agit pas d’une nouvelle création lexicale. Il en est de même pour conchula/concla sur concha « coquillage » et muriculus sur murex « murex ». Le procédé direct est illustré par 2 noms de mollusques sur la base du trait saillant sélectionné. Ce sont des adjectifs substantivés : ueneria substantivation de uenerius,-a,-um « de Vénus, qui a un lien avec Vénus » (suffixe adjectival -ius), uirginal Nt. sur uirginalis,-e « de jeune fille, de vierge » (suffixe adjectival -alis)36 37. 6.3. Le chapitre 5 des cnidaires, etc. contient 5 termes issus de transferts avec fidélité de signifiant : cucumis, pulmo, scolopendra, stella, urtica. Ils proviennent des noms d’entités terrestres : 2 végétaux (cucumis, urtica), une partie du corps (pulmo), un insecte (scolopendra). Stella « étoile de mer » fait exception, seul terme des aquatilia à être transféré à partir d’une entité céleste, l’étoile. Proportionnellement, les transferts sont bien représentés dans le chapitre 5, mais contrairement aux poissons, les animaux de ce chapitre sont associés à des entités inanimées (sauf scolopendra pour l’insecte). Ce chapitre offre 1 occurrence du procédé direct par le trait saillant38 dans achillium « éponge très dense, très serrée », qui peut représenter l’anthroponyme Achillēs « Achille » pourvu du suffixe adjectival -ius,-a,-um selon une formation d’appartenance au sens de « l’éponge d’Achille », comme uener-ia est « le coquillage de Vénus ». 6.4. Dans le chapitre 6 des mammifères marins 4 termes résultent d’un transfert fidèle à partir du nom d’un mammifère terrestre domestique : aries, bos, porcus, uitulus. Le procédé direct par le trait saillant n’est pas illustré39. 6.5. Le chapitre 7 des monstres marins et animaux fabuleux contient 8 termes résultant d’un transfert à partir d’entités terrestres : arbor, elephantus-240, equus-2, homo, lucerna, mus-3, musculus-2, uitulus-2. Le transfert à partir d’un mammifère terrestre est attendu comme pour les autres animaux (equus, mus, musculus, uitulus), de même qu’à partir d’un outil  36

Pour ces suffixes voir ci-dessous §8. Le mollusque caluaria-2 (comme le poisson caluaria-1) est indéterminé et le terme d’origine obscure, même si nous y voyons le suffixe -aris/-alis au Nt.pl. 38 En outre 2 termes d’origine grecque intégrés en latin jouent un rôle majeur : echinus « l’oursin » et spongea « l’éponge ». Ce chapitre contient de nombreux termes issus du grec plus ou moins savants en latin : aplysiae, cnide, halipleumon, holothurium, manos, tragos. 39 Mais 4 termes de mammifères marins empruntés au grec et intégrés en latin semblent usuels : ballaena, delphinus, orca, phoca. D’autres termes issus du grec sont savants en latin : cetus, platanista. 40 Elephantus est emprunté au grec pour le mammifère terrestre « l’éléphant » ; intégré en latin, il est ensuite translaté au monstre marin. 37

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(lucerna) ou d’un végétal (arbor), mais le terme générique de l’être humain, homo est inattendu Le transfert est bien représenté dans ce chapitre, mais le procédé direct seulement par cornuta, substantivation au F. de cornutus,-a,um (cornu « corne » avec le suffixe *-to- de possession « qui contient… »)41. 6.6. Dans le chapitre 8 des reptiles, la tortue offre 2 termes mus-4 et testudo résultant de transferts et aucune occurrence du procédé direct42. 6.7. Une différenciation lexicale des animaux aquatiques se manifeste donc dans l’existence d’une corrélation entre la nature extralinguistique des animaux aquatiques et la manière dont ils sont dénommés. Pour les poissons, crustacés, mollusques, cnidaires (etc.), mammifères marins, monstres, reptiles, c.-à-d. 7 chapitres sur 8, le transfert dénominatif est (proportionnellement) bien représenté, mais les entités terrestres comparantes de départ ne sont pas de même nature. Les créations lexicales par le trait saillant (procédé direct) sont assez bien représentées pour les poissons et surtout les poissons de rivière. Mais on trouve seulement 2 occurrences pour les coquillages (dont 1 fragile créée par Apulée), 1 occurrence pour les spongiaires (chap.5) et les monstres marins, et aucune occurrence pour les crustacés et les mammifères marins. Pour l’ensemble des aquatilia, selon les relevés précédents, les créations lexicales de date latine faites par transfert sont de loin les plus nombreuses : 82 termes (Chap.1 : 49 termes, Chap.2 : aucun, Chap.3 : 3 termes, Chap.4 : 11 termes, Chap.5 : 5 termes, Chap.6 : 4 termes, Chap.7 : 8 termes, Chap.8 : 2 termes). Et les dénominations par le trait saillant (procédé direct) sont minoritaires : 22 termes (Chap.1 : 13 termes, Chap.2 : 5 termes, Chap.3 : aucun, Chap.4 : 2 termes, Chap.5 : 1, Chap.6 : aucun, Chap.7 : 1 terme, Chap.8 : aucun). Ainsi, sur les 104 termes (82+22) ayant résulté d’une création lexicale en latin, le procédé indirect par transfert dénominatif représente presque 80% donc les ¾ et le procédé indirect par le trait saillant 20% donc ¼. C. FORMATION DES MOTS DE DATE LATINE 7. Formation des mots pour l’ensemble des aquatilia Les formations de date latine dans les noms des animaux aquatiques sont élaborées : a) par transfert fidèle à l’identique avec maintien de la chaîne de phonèmes et, dans la plupart des cas, des caractéristiques grammaticales (genre grammatical, flexion), sans suffixation et sans composition (ci-dessus  41

D’autres termes de ce chapitre sont empruntés au grec : ballaena, campae, hippocampus, nereis, physeter, triton. Seul ballaena semble bien intégré en latin, même si hippocampus est bien attesté. Belua est de formation et d’origine obscures. 42 En outre natrix semble hérité et chelium est un emprunt savant au grec.



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§3.2.1.) ; b) par suffixation, ce qui est attendu puisque c’est le procédé le plus usuel et le plus productif dans le lexique latin en général ; c) rarement par composition avec seulement 2 composés selon nos propositions (acipenser, conger) ; d) par formation inverse ou rétrograde (un seul terme remora). Il convient donc de faire la synthèse de la suffixation, présente aussi bien dans les termes relevant du procédé direct que ceux relevant du procédé indirect par transfert. En effet, dans ce dernier cas la dénomination de l’animal aquatique peut résulter de l’addition d’un suffixe derrière le terme latin pré-existant dénotant l'entité terrestre de départ (voir ci-dessus §3.3.). Ces suffixes ne sont pas propres à la formation des noms des animaux aquatiques, mais se rencontrent dans l’ensemble du lexique latin. D. LA SUFFIXATION 8. Le suffixe diminutif -ulus et ses allomorphes Le suffixe latin de diminutif sous toutes ses variables est si productif qu’il est toujours disponible, moyennant le respect de certaines conditions morphologiques et sémantiques. C’est le plus fréquent dans notre corpus, où il est essentiellement en emploi de ressemblance et d’approximation43 avec ses différentes variantes morphologiquement et phonétiquement conditionnées : -culus / -iculus / -ulus / -lus / -illus / -ellus, toutes ces formes se présentant dans les trois genres grammaticaux (M. F. Nt.)44. La forme la plus fréquente est *-lo- qui donne -ulus,-a,-um. Un allomorphe *-ko-lo- donne -culus,-a,-um et -iculus,-a,-um. Un double suffixe *-lo- (*-l-lo-) donne les formes à /l/ géminé en -ellus,-a,um et -illus,-a,-um45. Varron (L.8,79) décrit en synchronie les mécanismes de cette suffixation diminutive en chaîne, propriété spécifique à ce suffixe46, en citant : cista « coffre », cistula « petit coffre, coffret », cistella « très petit coffret » ; auis « oiseau », auicula « petit oiseau », aucella « tout petit oiseau » ; caput « tête », capitulum « petite tête », capitellum « toute petite tête ».

Si, pour ces substantifs, le 3e élément de la chaîne repose bien sur un double suffixe *-lo-, par contre Varron cite les adjectifs en chaîne niger, nigriculus, nigellus alors qu’ils ne relèvent pas de la même formation : sur niger « noir », nigriculus « un peu noir, noirâtre » est bâti avec le suffixe -culus (issu de *-ko-lo-), tandis que nigellus est issu de niger suivi d’un seul suffixe *-lo- avec une assimilation régressive subie par la consonne /r/ finale de la base (*nigr(o)-lo-s>*nig°r-lo-s>nigel-lu-s). Ce phénomène (qui se produit  43

La présence de nombreux « diminutifs » est aussi signalée par E. de Saint-Denis (p. XXII), mais cet auteur n’analyse pas la fonction de ce suffixe. Pour cette valeur du suffixe de « diminutif », M. Fruyt 1989-c. 44 Pour ce suffixe : M. Fruyt 1989-c, 2021 ; F. Gaide 1992, 2002. 45 M. Fruyt 2021. 46 M. Fruyt 1989-c, 2021.

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lorsque la consonne finale de la base est /r/, /n/, /l/) se reflète pour nos animaux aquatiques dans asellus, rubellio, uĕrētilla, tandis qu’on a bien 2 suffixes *-lo- successifs dans anguilla et peut-être squilla. Selon une autre propriété spécifique du suffixe diminutif, lorsqu’il s’attache à un substantif, il conserve le genre grammatical du substantif de base (oppidum,-i Nt. « place-forte »oppid-ulum,-i Nt. « petite placeforte » ; auris,-is F. « oreille »  auricula,-ae F. « petite partie de l’oreille »). La valeur métaphorique « qui ressemble à, sorte de » du suffixe diminutif, bien attestée pour toutes les catégories naturelles : arbres, plantes47, oiseaux, est le suffixe le plus souvent employé pour dériver un nom d’animal aquatique à partir de celui de l’entité terrestre associée48. Il prend sa fonction de ressemblance pour « une entité qui ressemble à X », X étant l'entité terrestre dénotée par la base de suffixation. 8.1. Le suffixe diminutif apparaît le plus souvent sous la forme *-lo-, qui donne -ŭlus,-a/-ĭlus,-a/-lus,-a. -asellus poisson inconnu sur asinus « âne » (asel-lus uĕrētil-la. Le premier -l- de -illa est issu du -rde la dernière syllabe de ueretrum avec une assimilation régressive de r à l. Même phénomène dans rubel-l-io sur ruber / *rubro-, asel-lus sur asinus. 52 Pour lingulaca, M. Fruyt 1986. La même dénomination sert pour renvoyer à 3 entités différentes : le poisson, une plante lingulaca selon le même trait saillant de la forme plate. Plaute l’emploie pour une femme « qui a la langue bien pendue ». 53 Voir Partie I, Chapitre 1, s.v. anguilla n°1.7 et chapitre 2, n°2.4. 54 Voir Partie II, Chapitre 1, s.v. squalus, squatus/squatina. 55 Pisciculus entre dans l’anthroponymie comme surnom attesté chez Pline 36,39. 56 Voir Partie I, Section III,§6.1. 57 Voir Partie II, chapitre 1, s.v. dracō marinus n°1.52.

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-mustēla,-ae F. « la lotte » (n°1.90) ou « la lamproie », est issu du nom de la belette, qui comportait déjà ce suffixe. -nŏuācula,-ae F. (n°1.91) « le rasoir » ou « le rason » a pour base de suffixation le nom du rasoir ou du couteau nouācula,-ae F. suivi du suffixe d’instrument -culum au F. La séquence -cula, homophone du suffixe diminutif, provient d’un suffixe *-tlā, mais en synchronie une analyse nŏuācula/nŏu-ācula était possible par rapprochement avec nouus « nouveau », son verbe dérivé nouare et le suffixe -culus,-a,-um diminutif en même temps qu’avec le suffixe -culum d’instrument. -uĭtŭlus marīnus (n°6.10) M. « le phoque, le veau marin » peut contenir le diminutif -ulus pour un jeune bovin, par opposition à bos « bovin adulte ». En outre des ré-intérprétations par le suffixe latin de diminutif étaient possibles (voir ci-dessous). 9. Le suffixe -ōn- M. Le suffixe -ō,-ōnis M. avec l’allomorphe -iō58, qui forme des substantifs, est bien représenté dans les catégories naturelles. Il se rencontre dans sario, rubel-l-io (cumul de *-lo- diminutif et -io), capito, hamio, gobio. -gōbĭō,-ōnis ou gōbĭus,-ii 59 M. « le goujon » et « le boulereau » ou « goujon de mer » est considéré comme un emprunt à gr. κωβιός. Mais le terme latin attendu à partir du grec est en -ius. Dans gobio, le latin a ajouté un suffixe -iō,-iōnis M. Même si une origine gauloise est possible pour la base, la finale de gōb-iō, gob-iōnis M. peut être le suffixe latin -iō,-iōnis M. -hamiō,-iōnis M. (n°1.67) « poisson saxatile » a le suffixe -iō,-iōnis sur hāmus,-i M. « hameçon » pour des poissons que l’on pêche à la ligne dans les rochers près de la côte. -tursio/thursio,-iōnis M. (n°1.143) est le nom d’un animal aquatique, probablement un poisson, inconnu. La finale peut être le suffixe -io,-ionis. -scorpiō (marinus),-ōnis/scorpios/scorpius,-ii M. (n°1.124) « le scorpion (de mer) ». Scorpiō comporte le suffixe -(i)ō,-ōnis ajouté par le latin derrière une séquence empruntée au grec σκορπίος. Il est bien intégré en latin et n’est pas senti comme d’origine étrangère, comme le montre l’addition du suffixe latin. -căpĭtō,-ōnis M. (n°1.33) « le muge, le mulet » et (n°2.7) « le chevesne, le meunier » signifie litt. sur caput « tête » : « celui qui se caractérise par sa grosse tête, qui a une tête remarquable ». -sario (n°2.24.) pour un poisson de rivière intermédiaire entre le salmo « saumon » et le salar « la truite » est un hapax d’Ausone. La présence du suffixe -ōn- dans la création des noms des animaux aquatiques latins a pu être renforcée par l’existence, dans le même groupement, de termes où le suffixe figurait déjà dans le terme de départ lors  58 59



Pour ce suffixe : LH 1977 §321-323 ; F. Gaide 1988. Voir Partie II, chapitre 1 s.v. gobio/gobius et chapitre 2 s.v. gobio/gobius n°2.15.

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des transferts métaphoriques : pulmo,-ōnis M. (n°5.9) « poumon » et peutêtre « la méduse ». Certains termes d’origine grecque pouvaient aussi être associés en synchronie au suffixe latin : Tritōn,-ōnis M. (n°7.16) monstre marin, et halipleumon,-onis M. peut-être « la méduse ». 10. Le suffixe -ĕx,-ĭcis/-ĭx,-ĭcis F.M. Le suffixe -ĕx,-ĭcis a une variante phonétiquement conditionnée par fermeture de e bref en i bref en syllabe finale fermée : -ĭx,-ĭcis, mais dans certains termes -ĭx,-ĭcis peut aussi provenir d’un ancien i bref ou d’un ancien a bref. Il est attesté dans dentex, murex (voir aussi cortex chap.8, carapace de la tortue), natrix. Le suffixe -ex a valeur dépréciative60 dans les groupements des petits animaux gênants comme les insectes61 et d’autres animaux de petite taille62, des parties du corps dévalorisées, disgracieuses ou anormales63. Il renforce le nominatif sg. du nom du vieillard sen-ex M.F.64. Il est présent dans les phytonymes65 et d’autres domaines66. -dent-ex « le dentu » (variante phonétique dentix) est une appellation moqueuse péjorative pour un poisson caractérisé par ses dents67. -mūrex « murex, pourpre » coquillage est considéré (comme gr. πορφύρα) comme emprunté à une langue indéterminée ou « méditerranéenne ». On rapproche gr. μύαξ (-ακος) « moule », mais la finale du mot pourrait être le suffixe latin -ĕx,-ĭcis M. D’autres rapprochent μῦς « moule » à côté du sens hérité μῦς « souris » (lat. mūs, etc.), μυίσκος  60

Pour -ex,-icis M. : A. Ernout 1945 ; LH 1977,§329,p.375-376 ; M. Fruyt 1986. Insectes : pūlex « la puce, le pou » (Pl.Curc.500), cīmex « la punaise », cŭlex, etc. 62 Laurex pl. laurices « petits lapereaux pris sous la mère » Plin., sōrex (saur-). 63 Vertex « tourbillon des cheveux au sommet du crâne », pantex « panse, intestins » Pl. (>fr. panse), pōdex « l’anus, le derrière », pollex « pouce » (>fr. pouce), rāmex « vaisseaux pulmonaires, poumon » et « hernie, varicocèle » (sur ramus « rameau »), uărix « varice » (Cic., Cels. ; >fr. varice). 64 La présence de -ex au nomin.sg. dans sen-ex évite des phénomènes phonétiques (*sen-s>*sēs) qui obscurciraient le thème sen- hérité, présent dans le reste de la flexion : acc.sg. sen-em, gén.pl. sen-um. 65 Arbres : īlex « chêne vert », uītex « gattilier », lărix « mélèze, larix ». Plantes : cārex « laîche, carex », rŭmex « petite oseille, rumex » (>fr. ronce), ūlex « bruyère », fĭlĭx « fougère ». Parties de plantes : caudex/cōdex « souche, tronc d’arbre », cortex « écorce », frŭtex « arbrisseau, rejeton » (terme d’injure, Pl.). 66 Rŭpex « homme lourdaud » (Lucil. sur rūpēs « rocher »), ăpex « pointe, sommet », (h)irpex « sorte de herse pour arracher les mauvaises herbes » (Cat. ; sur (h)irpus « loup » mot « sabin » Serv. ou (h)ircus/irquus « bouc » et Pl. en parlant d’un débauché), pūmex « pierre ponce », silex « pierre dure », fornix « arc, voûte » (furnus « four » ; fornāx « four, fourneau »). 67 Voir Partie II, chapitre 1, s.v. dentex. 61

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« petite moule », considéré comme un diminutif de μῦς. Dans cette 2e hypothèse également la finale du mot peut être le suffixe latin -ĕx,-ĭcis M. -nătrĭx,-ĭcis F. (parfois M.) « serpent d’eau, couleuvre d’eau » offre le suffixe -ĭx,-ĭcis68 à rapprocher de -ĕx,-ĭcis M. Pour EM (431) et d’autres linguistes, le terme est hérité et il n’y a pas de lien étymologique entre nătrix « serpent d’eau » et le verbe nāre « nager ». Mais, étant donné la nature de l’animal dénoté, natrix fut rapproché en synchronie du radical latin nā-/nă« nager, circuler dans l’eau » cf. nāuis, nāuigium « navire », etc.). A une séquence héritée, le latin a ajouté le suffixe -ĭx,-ĭcis péjoratif et dépréciatif. En outre, …trĭx,-trĭc-is a pu en synchronie être rapproché du suffixe d’agent féminin en -trīx,-trīcis F., qui représente le suffixe d’agent M. -tor suivi du morphème de féminin hérité -ī- issu de i.-e. *-yh2-69. Le terme natrix aurait alors pu être interprété en synchronie comme « celle qui nage ». 11. Autres suffixes Le suffixe -gō,-gĭnis F. est bien représenté en latin (précédé d’une voyelle longue)70. Il dénote des altérations de la matière : le vert-de-gris pour le cuivre (aerūgō,-ginis sur aes, aeris Nt. « cuivre, bronze, airain »), la rouille (ferrūgō,-ginis) pour le fer (ferrum,-i M.)71. Pour les animaux aquatiques, ce suffixe est attesté dans astago, où le suffixe fut ajouté par le latin sur la base d’une séquence issue du grec : astacus est emprunté à gr. ἀστακός M. « le homard » et « l’écrevisse ». Astacus,-i M. (n°3.1) et astagō,-gĭnis F. « homard » sont des variantes morphologiques suffixales. Le terme étant intégré, sur sa base le latin a créé astagō,-gĭnis F. avec le suffixe -(a)gō,-gĭnis F. -lollīgō/lōlīgō,-ĭnis F. (n°1.79) poisson volant et « calamar » (n°4.18)72 contient le suffixe latin -gō,-ginis F. précédé d’une voyelle longue dans une analyse loll-īgō (si le i long appartient au suffixe) ou lollī-gō (si le i long est le phonème final de la base de suffixation ; un ancien i bref allongé lors de la suffixation, ou un ancien i long). La base de suffixation demeure obscure73. Le suffixe -aca d’approximation se trouve dans : -lingulaca « poisson plat » avec 2 suffixes successifs *-lo- au F. et -aca : lingualing-ulalingul-aca.  68

Sur ce suffixe ainsi que -ĕx,-ĭcis, voir M. Fruyt 1986. Cf. rēg-ī-na « reine » sur rēx « roi », gall-ī-na « poule » sur gallus « coq ». Cf. note 75. 70 Pour ce suffixe : A. Ernout 1946 ; LH 1977 §325. 71 La rouille du blé (rōbīgō,-inis), maladie de l’épi de blé qui devient rouge (radical rŭb-/rōb- « rouge », cf. rŭber, rŭbēre, rŭbŏr, rŭbĭdus/robidus, rūfus). 72 Le diminutif lolliguncula chez Plaute (Cas.494) est formé de manière régulière sur le thème en nasale lolligun- avec le suffixe -culus. 73 Voir les hypothèses sur ce terme dans Partie II, chapitres 1 et 4, s.v. 69



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-pastĭn-āca,-ae F. « la pastenague », raie sur pastinum « plantoir crochu » (outil) à cause de son dard. Le terme a pu faire l’objet d’une ré-interprétation par un suffixe agentif en /k/ (voir ci-dessous). Le suffixe *-no- est représenté par lat. -nus/-na, -urnus, -(i)-na, etc. La variante en -urnus (cf. diurnus, nocturnus) est présente dans alburnus,-ī M. (n°2.3.) « l’ablette » sur l’adjectif de couleur albus « blanc, de couleur claire » dans une analyse alb-urnus. Le suffixe -urnus, peu productif, se retrouve dans des dénominations d’entités concrètes des vocabulaires techniques74. Pour squatina,-ae F. sorte de requin-raie, nous proposons le suffixe -ī-na constitué de 2 morphèmes75 pour dénoter l’être féminin d’un couple d’êtres animés sur la base du nom de l’être masculin correspondant. Pour ictinus,-i M. (poisson de mer inconnu), d’origine obscure, on pourrait penser, avec réserve, à un suffixé en *-no- sur le nom de procès ĭctus (-tūs M., suffixe *-tu-) « coup, choc » sur le même radical que le verbe iăcio,-ĕre « lancer » (allomorphes de ce radical : i̯ăc-/-i̯ĭc- noté -ic-/ĭc-/i̯ēc-). S’il s’agit d’un poisson volant, le mouvement dans l’air dénoté par ce radical pourrait convenir. Sūrēna,-ae F. (n°4.43) « la pinne marine, le jambonneau », variante textuelle chez Varron (L.5,77,5), est analysable en sūr-ēna, dérivé de sūra « mollet » ; -ēna peut être le suffixe *-no- dans la fonction où il forme des adjectifs de matière. Perna,-ae F. (n°4.32) « le jambonneau, la pinne marine » est l’autre variante textuelle du passage de Varron (L.5,77,5). Il pourrait contenir le suffixe *-no- ou bien être interprété en synchronie comme contenant ce suffixe. Le suffixe -na appartient au terme de départ dans le transfert dénominatif de lucerna,-ae F. (n°7.10, animal phosphorescent indéterminé) à partir de lucerna « lampe », analysable en lŭc-erna sur le radical latin lūc-/lŭc- de la lumière avec un suffixe -erna. Le suffixe *-no- figure déjà dans la base dans sardīna,-ae, F. « la sardine, la sardinelle ». Sardina, comme sarda, est dénommé de manière géographique d’après le nom de la Sardaigne Sardinia76. En outre, plusieurs termes empruntés au grec à l’origine mais intégrés au latin ont pu être réanalysés avec ce suffixe latin (voir ci-dessous).  74

Cf. pour les noms de cépages : J. André 1953 et pour d’autres plantes 1956, 1985 ; C. Kircher-Durand 1982. 75 Cf. rēx thème rēg- « roi »  rēg-īna,-ae F. « reine » ; -ī- dit « d’appartenance » (ou de féminin), issu de i.-e. *-yeh2- est suivi de *-no- au féminin *-nā. Cf. note 69. 76 Pour ce procédé de dénomination, voir Partie I, Section VIII,§1.3.

Partie IV. Synthèse linguistique

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Le suffixe -ius figure dans : -ueneria,-ae F. « le coquillage de Vénus ». Ce nom est un suffixé en -ia sur le nom de la déesse Vénus : Venus,-eris F. Dans l’Antiquité, l’association entre la déesse Vénus et les coquillages est très fréquente. -lūcius,-ī M. « le brochet ». Lūcius « le brochet » peut être suffixé en -ius avec le radical latin lūc- (allomorphes lŭc- dans lucerna « lampe » et lūdans lumen « lumière ») qui dénote la lumière et la brillance, comme « celui qui brille » dans l’eau. Il n’existe pas de lien direct entre le nom du poisson et le prénom masculin. Les deux termes ont connu le même cheminement sémantique et sont tous deux faits sur le radical latin lūc- dénotant la lumière avec le même suffixe latin -ius (tes-tūdō litt. « le fait d’être dur ». On passe de l’abstrait au concret pour une entité possédant le sème ‘dur’ : la carapace de la tortue. Testudo s’est ensuite étendu à l’ensemble de l’animal caractérisé par sa carapace. Le suffixe -dō,-dĭnis F. n’a pas été ajouté au moment de la création du nom de poisson, il préexistait dans le terme de départ lors du transfert de dénomination. Cela renforce, néanmoins, la présence du suffixe dans le groupement : -torpēdo,-ĭnis F. (n°1.136) « la torpille », raie : la base torp-e- se trouve dans torpēre « être dans un état de torpeur », torp-or,-oris M. « la torpeur ». -hirundō,-ĭnis F. (n°1.72) « hirondelle » oiseau et « l’hirondelle de mer » poisson volant est d’étymologie inconnue, mais la finale rappelle le suffixe latin -dō,-dĭnis F. Le suffixe agentif *-ko-, *-ka85 appartient déjà au terme de départ dans le transfert avec urtīca,-ae F. « l’ortie de mer », méduse urticante. Le sens étymologique du phytonyme urtīca « ortie » a probablement pour sens étymologique « celle qui brûle » et le terme continua à être motivé, étant rapproché par certains auteurs du verbe urēre « brûler » (J. André 1985 : 276 ; M. Fruyt 1986). E. RÉINTERPRETATIONS EN LATIN 12. Réinterprétation par un suffixe latin Dans de nombreux cas des termes d’origine grecque intégrés au latin ont pu être réinterprétés comme latins selon des formations latines existantes. Le plus souvent il s’agit de suffixes latins. Un grand nombre des suffixes latins situés dans des noms d’animaux aquatiques peuvent s’être trouvés dans ce cas. Les réinterprétations ont également pu se produire pour des termes de facture latine. 12.1. Réinterprétation par le suffixe latin de diminutif Certains termes latins d’origine grecque terminés en …lus pouvaient être réinterprétés comme contenant le suffixe latin de diminutif, surtout si les mots d’origine grecque étaient parfaitement intégrés au latin.  84

Voir Partie II, chapitre 8, s.v. testudo n°8.4. Nous proposons le même participe parfait passif, cette fois substantivé, pour expliquer les substantifs testa, testum. 85 M. Fruyt 1986.



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Partie IV. Synthèse linguistique

-pompīlus,-i M. (n°1.102) « le poisson-pilote » a pu être l’objet d’une réinterprétation en latin (