Les agrégats: Introduction au nano-monde 9782759821761

Le développement spectaculaire des nanotechnologies lors des vingt dernières années a introduit dans la vie courante tou

255 69 51MB

French Pages 426 [415] Year 2020

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Les agrégats: Introduction au nano-monde
 9782759821761

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Patrice Mélinon et Michel Broyer

Les agrégats Introduction au nanomonde

Dans la même collection Relativité restreinte Eric Gourgoulhon Physique quantique - Tomes 1 et 2 Michel Le Bellac Comprenons-nous vraiment la mécanique quantique ? 2e édition Franck Laloë Mécanique Quantique - Tomes 1, 2 et 3 - Nouvelle édition Claude Cohen-Tannoudji, Bernard Diu et Franck Laloë La théorie statistique des champs François David Physique quantique, information et calcul Pascal Degiovanni, Natacha Portier, Clément Cabart, Alexandre Feller et Benjamin Roussel Retrouvez tous nos ouvrages et nos collections sur http://laboutique.edpsciences.fr Imprimé en France c 2020, EDP Sciences, 17, avenue du Hoggar, BP 112, Parc d’activités de  Courtabœuf, 91944 Les Ulis Cedex A et CNRS Éditions, 15, rue Malebranche, 75005 Paris. Tous droits de traduction, d’adaptation et de reproduction par tous procédés réservés pour tous pays. Toute reproduction ou représentation intégrale ou partielle, par quelque procédé que ce soit, des pages publiées dans le présent ouvrage, faite sans l’autorisation de l’éditeur est illicite et constitue une contrefaçon. Seules sont autorisées, d’une part, les reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective, et d’autre part, les courtes citations justifiées par le caractère scientifique ou d’information de l’œuvre dans laquelle elles sont incorporées (art. L. 122-4, L. 122-5 et L. 335-2 du Code de la propriété intellectuelle). Des photocopies payantes peuvent être réalisées avec l’accord de l’éditeur. S’adresser au : Centre français d’exploitation du droit de copie, 3, rue Hautefeuille, 75006 Paris. Tél. : 01 43 26 95 35. EDP Sciences ISBN (papier) : 978-2-7598-2175-4, ISBN (ebook) : 978-2-7598-2176-1 CNRS Éditions ISBN (papier) : 978-2-271-13052-5, ISBN (ebook) : 978-2-271-13053-2

Table des matières Avant-propos Constantes et unités Sommaire . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Les quatres constantes fondamentales au sens d’Einstein Constantes physiques utilisées dans le livre en unités SI Unités d’énergie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Définition de l’énergie . . . . . . . . . . . . . . . . . . Correspondance des unités d’énergie . . . . . . . . . . Analogie électrostatique/magnétique . . . . . . . . . . .

ix . . . . . . .

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1 1 1 1 3 3 3 4

1 Introduction 1.1 La physique des agrégats : une science jeune . . . . . . . . . . . 1.2 Effet de taille, rôle de la surface . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1.2.1 Considération géométrique . . . . . . . . . . . . . . . . 1.2.2 Généralisation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1.3 Critère de Kubo de conductivité pour les agrégats métalliques . 1.4 Exemples de quelques effets de taille remarquables plus spécifiques 1.4.1 La découverte des fullerènes de carbone . . . . . . . . . 1.4.2 Transition isolant métal dans les agrégats des systèmes spécifiques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1.4.3 Magnétisme . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1.4.4 Catalyse hétérogène . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1.5 Petite disgression sur la loi en 1/R . . . . . . . . . . . . . . . . 1.6 Conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

7 7 9 9 10 10 12 12

2 Cohésion d’un agrégat : origine, liaison chimique 2.1 Introduction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 2.2 Cohésion d’un agrégat métallique : cas des métaux simples . . . 2.2.1 Hamiltonien et énergie de cohésion dans un métal simple 2.2.2 Modèle du jellium . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 2.2.3 Approche macroscopique : modèle de la goutte . . . . . 2.2.4 Liaisons fortes : Modèle TBSMA . . . . . . . . . . . . . 2.2.5 Modèle de la chimie quantique de Hückel . . . . . . . . 2.2.6 Modèle réaliste . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 2.3 Cohésion des systèmes purement covalents . . . . . . . . . . . 2.3.1 Introduction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 2.3.2 Géométrie dans la phase massive . . . . . . . . . . . . . 2.3.3 Énergie de cohésion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 2.3.4 Géométrie des agrégats covalents : quelques considérations générales . . . . . . . . . . . . . . . . . .

17 17 17 18 19 20 23 30 34 36 36 36 38

12 14 14 15 16

45

Les agrégats

iv 2.3.5 2.3.6 2.4

2.5

2.6

2.7

Les agrégats de carbone . . . . . . . . . . . . . . . Les agrégats de silicium, germanium et étain dans l’hybridation sp3 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Cohésion des systèmes ioniques . . . . . . . . . . . . . . 2.4.1 Introduction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 2.4.2 Liaison ionique dans la phase massive . . . . . . . 2.4.3 Règles de Pauling [Pauling (1929)] . . . . . . . . . 2.4.4 Composés ioniques concernés . . . . . . . . . . . . 2.4.5 Centres colorés . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Liaison ionique dans les agrégats . . . . . . . . . . . . . . 2.5.1 Généralités . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 2.5.2 Centres colorés dans les agrégats . . . . . . . . . . 2.5.3 Constante de Madelung dans les agrégats . . . . . 2.5.4 Modèle rigide . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Énergie de cohésion des agrégats ionocovalents . . . . . . 2.6.1 Ionicité de Pauling . . . . . . . . . . . . . . . . . . 2.6.2 Ionicité de Phillips [Phillips et Vechten (1969)] . . 2.6.3 Transition de phase . . . . . . . . . . . . . . . . . Cohésion des systèmes van der Waals . . . . . . . . . . . 2.7.1 Traitement classique . . . . . . . . . . . . . . . . . 2.7.2 Traitement quantique . . . . . . . . . . . . . . . . 2.7.3 Énergie van der Waals dans un agrégat . . . . . .

3 Effets de couches dans les agrégats métalliques 3.1 Introduction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 3.2 Résultats expérimentaux . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 3.2.1 Quelques anomalies dans les spectres de masse . . 3.2.2 Énergie de cohésion dans les agrégats : méthodes expérimentales et résultats . . . . . . . . . . . . . 3.2.3 Analogie avec les atomes et les noyaux . . . . . . 3.3 Couches électroniques pour les systèmes électroniques . . 3.3.1 Équation générale . . . . . . . . . . . . . . . . . . 3.3.2 Le modèle de l’atome hydrogénoïde . . . . . . . . 3.3.3 Cas des agrégats : choix du potentiel V (r ) . . . . 3.3.4 Déformation de la goutte- effet Jahn-Teller . . . . 3.3.5 Calculs avec un potentiel harmonique : modèle de Clemenger-Nilsson . . . . . . . . . . . . . . . . 3.4 Couches géométriques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 3.4.1 Généralités . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 3.4.2 Observation des nombres magiques géométriques . 3.5 Modèle des liaisons coupées . . . . . . . . . . . . . . . . . 3.5.1 Énergie de liaison . . . . . . . . . . . . . . . . . . 3.5.2 Couches géométriques . . . . . . . . . . . . . . . . 3.5.3 Résultats expérimentaux . . . . . . . . . . . . . .

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56 59 59 60 71 73 73 75 75 77 81 81 83 83 84 85 87 87 88 90

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93 93 94 94

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96 98 100 101 101 103 122

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125 125 125 125 127 127 139 142

Constantes et unités 3.6 3.7 3.8 4

v

Autres modèles . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 145 Conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 145 Annexe : mise en évidence des nombres magiques . . . . . . . . 146

Transition isolant métal dans les agrégats 149 4.1 Transition isolant métal en matière condensée . . . . . . . . . . 149 4.1.1 Introduction : de l’atome au solide, bandes d’énergie, définitions . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 149 4.1.2 Problème lié à la définition du métal . . . . . . . . . . 151 4.1.3 Approche atomique du caractère métallique : la « catastrophe » de la polarisabilité électrique . . . . 155 4.1.4 Approche macroscopique par la conductivité électrique 156 4.1.5 Approche dans le contexte de la théorie des bandes (Mott)158 4.1.6 Transition de Mott-Hubbard dans un système non mono électronique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 160 4.1.7 Effet de taille : problèmes expérimentaux . . . . . . . . 162 4.2 Transition isolant métal dans les agrégats métalliques . . . . . 164 4.2.1 Transition isolant métal due au confinement électronique 165 4.2.2 Prise en compte des dégénérescences dans le cadre du modèle en couches . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 166 4.2.3 Résultats expérimentaux . . . . . . . . . . . . . . . . . 170 4.2.4 Transition isolant métal dans les métaux divalents . . . 175 4.3 Transition isolant métal dans les semi-conducteurs . . . . . . . 179 4.3.1 Changement de coordination . . . . . . . . . . . . . . . 179 4.4 Confinement électronique dans les semi-conducteurs . . . . . . 182 4.4.1 Observation expérimentale . . . . . . . . . . . . . . . . 182 4.4.2 Confinement dans une boite . . . . . . . . . . . . . . . 183 4.4.3 Exciton de Wannier : modèle de Efros [Efros et Efros (1982)] . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 185 4.4.4 Modèles plus sophistiqués . . . . . . . . . . . . . . . . . 186 4.4.5 Agrégats de semi-conducteurs sans ligand . . . . . . . . 187 4.4.6 Conclusion sur les semi-conducteurs . . . . . . . . . . . 188 4.5 Conclusion générale . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 189 4.6 Annexes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 191 4.6.1 Rayon de Bohr aH . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 191 4.6.2 Conductance quantum unit . . . . . . . . . . . . . . . . 191 4.6.3 Critère de Ioffe Regel [Gurvitch (1981)] . . . . . . . . . 192 4.6.4 BIS versus UPS . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 193 4.6.5 Isolant de Mott : le cas de NiO . . . . . . . . . . . . . . 193

5 Métaux complexes 5.1 Introduction . . . 5.1.1 Structure 5.1.2 Structure solide . .

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . atomique des métaux . . . . . . . . des métaux et diagramme de phase . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

. . . . . . dans . . .

195 . . 195 . . 195 le . . 196

Les agrégats

vi 5.1.3

Relation entre la structure des agrégats et celle de phase solide . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 5.1.4 Surfaces de Fermi, conductivité, métallicité dans le solide . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 5.2 Méthodes expérimentales . . . . . . . . . . . . . . . . . . 5.2.1 Structure géométrique . . . . . . . . . . . . . . . . 5.2.2 Énergie de cohésion : CID . . . . . . . . . . . . . 5.3 Métaux alcalins, métaux nobles, rappels du cas de l’or . . 5.4 Métaux trivalents . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 5.4.1 Un métal caméléon : le bore . . . . . . . . . . . . 5.4.2 Aluminium . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 5.4.3 Le gallium . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 5.5 Métaux de transition . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 5.5.1 Les ferromagnétiques : fer, cobalt, nickel . . . . . 5.5.2 Un métal de transition complexe : le manganèse . 5.5.3 Un métal de transition simple : le ruthénium . . . 5.5.4 Le palladium . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 5.5.5 Platine . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 5.6 Métalloïdes semi-métaux . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 5.6.1 L’antimoine : unités tétraédriques . . . . . . . . . 5.7 Éléments lourds de la colonne IV . . . . . . . . . . . . . . 5.7.1 L’étain . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 5.7.2 Le plomb . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 5.8 Systèmes fortement corrélés : NiO . . . . . . . . . . . . . 5.9 Les lanthanides . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 5.10 Conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

la . . . 199

6 Dipôle et polarisabilité électrique 6.1 Introduction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 6.2 Mesures expérimentales . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 6.2.1 Mesure de la polarisabilité électrique en l’absence de dipôle permanent . . . . . . . . . . . . . . . . . 6.2.2 Mesure du dipôle électrique . . . . . . . . . . . . . 6.2.3 Comparaison avec les mesures magnétiques . . . . 6.3 Cas des atomes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 6.3.1 Rappels . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 6.3.2 Polarisabilité des atomes . . . . . . . . . . . . . . 6.3.3 Résultats . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 3 . 6.3.4 Évolution de la polarisabilité en fonction de Rat 6.4 Dimères alcalins: jellium ellipsoïdal . . . . . . . . . . . . . 6.5 Agrégats métalliques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 6.5.1 Dipôle électrique des agrégats . . . . . . . . . . . 6.5.2 Polarisabilité . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 6.6 Systèmes covalents . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 6.6.1 Agrégats de carbone . . . . . . . . . . . . . . . . . 6.6.2 Agrégats de silicium . . . . . . . . . . . . . . . . .

237 . . . 237 . . . 238

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200 203 204 207 208 211 211 213 216 218 218 219 220 222 225 225 226 229 229 230 231 233 234

239 240 244 245 245 245 248 248 252 253 253 255 262 262 266

Constantes et unités

7

vii

6.7

Systèmes ioniques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 6.7.1 Petits agrégats . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 6.7.2 Gros agrégats . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 6.7.3 Modèle des charges ponctuelles . . . . . . . . . . . . . . 6.8 Composés ionocovalents . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 6.9 Conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 6.10 Annexes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 6.10.1 Champ créé par un dipôle . . . . . . . . . . . . . . . . 6.10.2 Thomas-Fermi dans un système sans interaction . . . . 6.10.3 Densité électronique locale . . . . . . . . . . . . . . . . 6.10.4 Approximation RPA dans le modèle de Thomas-Fermi 6.10.5 Thomas-Fermi dans un système avec interaction . . . .

268 269 272 272 273 274 274 274 276 278 279 281

Magnétisme 7.1 Quelques définitions . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 7.2 Préambule . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 7.3 Magnétisme atomique et moléculaire . . . . . . . . . . . . . . . 7.3.1 Magnétisme atomique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 7.3.2 Mesure des moments magnétiques atomiques . . . . . . 7.4 Magnétisme dans le dimère . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 7.4.1 Approche par la physique moléculaire . . . . . . . . . . 7.4.2 Hamiltonien effectif d’Heisenberg . . . . . . . . . . . . 7.5 Magnétisme dans les n-mères . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 7.6 Magnétisme dans le solide . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 7.6.1 Origine du ferromagnétisme . . . . . . . . . . . . . . . 7.6.2 Magnétisme orbital . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 7.6.3 Magnétisme itinérant : critère de Stoner . . . . . . . . . 7.7 Domaines de Weiss . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 7.8 Magnétisme dans les clusters . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 7.8.1 Mesure du magnétisme dans les clusters . . . . . . . . . 7.8.2 Superparamagnétisme . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 7.8.3 Très petites tailles . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 7.8.4 Tailles intermédiaires . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 7.8.5 Grandes tailles : effets de surface . . . . . . . . . . . . . 7.9 Magnétisme dans les clusters : cas des non ferromagnétiques . . 7.9.1 Agrégats libres de systèmes paramagnétiques . . . . . . 7.9.2 Agrégats supportés ou avec ligands de systèmes diamagnétiques : le cas de l’or . . . . . . . . . . . . . . 7.10 Susceptibilité magnétique des petits agrégats métalliques dans le cadre du modèle de Kubo . . . . . . . . . . . . . . . 7.10.1 Cas du métal massif . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 7.10.2 Cas des petits agrégats monovalents . . . . . . . . . . . 7.11 Conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

283 283 283 283 283 289 290 290 291 296 297 297 298 298 301 303 303 308 309 310 313 316 317 318 322 322 324 324

Les agrégats

viii 8

Catalyse hétérogène 8.1 Introduction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 8.2 Catalyse en phase gazeuse . . . . . . . . . . . . . . . . 8.3 Catalyse hétérogène . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 8.3.1 Définition . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 8.3.2 Problématique . . . . . . . . . . . . . . . . . . 8.3.3 Principe d’une mesure en laboratoire . . . . . 8.4 La loi en 1/R : une spécificité dans les catalyseurs . . 8.5 Effet géométrique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 8.5.1 Coordination dans la phase massive . . . . . . 8.5.2 Coordination dans les agrégats de grande taille 8.6 Effet du substrat . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 8.6.1 Gros agrégats . . . . . . . . . . . . . . . . . . 8.6.2 Petits agrégats . . . . . . . . . . . . . . . . . . 8.7 Effet de taille . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 8.8 Activité et sélectivité . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 8.9 Morphologie des agrégats : aspect dynamique . . . . . 8.9.1 Dynamique sur la surface . . . . . . . . . . . . 8.9.2 Gros agrégats : approche thermodynamique . 8.9.3 Petits agrégats . . . . . . . . . . . . . . . . . . 8.10 Nouveaux catalyseurs : l’or . . . . . . . . . . . . . . . 8.10.1 Gros agrégats . . . . . . . . . . . . . . . . . . 8.10.2 Petits agrégats . . . . . . . . . . . . . . . . . . 8.11 Conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

9 Modèles ab initio 9.1 État fondamental . . . . . . . . . . . . . . . . . . 9.2 Born Oppenheimer . . . . . . . . . . . . . . . . . 9.3 Énergie de corrélation . . . . . . . . . . . . . . . 9.4 Hartree-Fock . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 9.5 Modèles post Hartree-Fock . . . . . . . . . . . . 9.5.1 Généralités . . . . . . . . . . . . . . . . . 9.5.2 Møller-Plesset . . . . . . . . . . . . . . . 9.6 Théorie de la DFT . . . . . . . . . . . . . . . . . 9.6.1 Généralités . . . . . . . . . . . . . . . . . 9.6.2 Théorèmes de Hohenberg et Kohn . . . . 9.6.3 Potentiel de Kohn-Sham . . . . . . . . . 9.6.4 Approximation LDA . . . . . . . . . . . . 9.6.5 Pseudopotentiel . . . . . . . . . . . . . . 9.7 Listes des principaux codes et abréviations DFT

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327 327 329 333 333 334 335 336 336 336 336 340 340 341 342 345 346 347 348 350 351 351 352 354

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357 357 357 358 358 360 360 360 362 362 363 364 365 368 369

Conclusion

373

Bibliography

377

Avant-propos Les agrégats : introduction au nano-monde Les nanotechnologies (ou nano-monde) concernent des objets de l’ordre du nanomètre (nm) c’est-à-dire du milliardième de mètre ou du millième de micromètre. En fait, les nano-objets ont des dimensions qui varient entre quelques nm et quelques centaines de nm. Ils contiennent entre quelques dizaines d’atomes et quelques dizaines ou centaines de milliers d’atomes. Le développement spectaculaire des nanotechnologies lors des vingt dernières années a introduit dans la vie courante toutes sortes de nano-objets ou de nano-particules utilisées aussi bien dans la cosmétique, les lubrifiants que dans les composants des objets de la plus haute technologie, la médecine, le textile, l’alimentation, etc. Les propriétés remarquables des nanoparticules (agent antioxydant par exemple) ont engendré leur utilisation massive également dans l’alimentation et l’habillement. Les problèmes de santé publique imposent de connaitre les propriétés de ces nanoparticules pour anticiper tout problème sanitaire. Ces nano-objets envahissent donc notre environnement. Leur faible dimension leur confère des propriétés particulièrement intéressantes pour toutes sortes d’applications en physique, chimie, biologie, mécanique, etc. Les scientifiques s’intéressent à leurs propriétés. Le domaine des nano-objets devient de plus en plus vaste et on peut écrire un livre juste sur la catalyse des nanoparticules ou sur leurs propriétés magnétiques, ou leurs propriétés optiques, ou sur la manière de les synthétiser. . . Nous avons choisi de nous intéresser aux propriétés de base et à la compréhension des aspects fondamentaux de ces nano-objets intermédiaires entre l’atome et la matière macroscopique. On se limitera essentiellement dans ce livre aux agrégats de N atomes identiques avec N compris entre quelques atomes et quelques dizaines de milliers même si dans certains cas on s’intéressera à des agrégats constitués de deux types d’atomes, par exemple les systèmes ioniques (NaCl)N . Les agrégats d’atomes font partie des nano-objets. Ils constituent un ensemble un peu plus simple et donc plus facile à comprendre. Ce sont en quelque sorte les prototypes des nano-objets. La physique des agrégats d’atomes s’est développée à partir des années 70 grâce aux développements de sources et notamment de sources à vaporisation

x

Les agrégats

laser permettant de produire en jet moléculaire des agrégats de pratiquement tous les atomes, notamment des métaux ou matériaux les plus réfractaires. Ces agrégats ont pu être étudiés par la spectroscopie laser associée à la spectrométrie de masse, techniques qui se sont aussi continûment améliorées depuis les années 70. Ensuite, à partir des années 90, ces agrégats produits de façon très contrôlée ont pu être déposés sur des surfaces pour des mesures de type physique des solides (microscopie électronique, STM, diffraction des rayons X, etc.) ou pour des applications. Parallèlement, les méthodes chimiques de synthèse se sont développées et permettent de produire en solution des agrégats (ou nanoclusters) protégés par des ligands. De même, les méthodes de calcul ab initio inspirées de la fonctionnelle de densité ont grandement bénéficié de l’amélioration spectaculaire de la puissance de calcul des ordinateurs. Cependant, même s’il existe un très grand nombre d’articles de revues et des compilations par un grand nombre d’auteurs, il n’existe pas de livre sur les agrégats avec un fil directeur clair qui est ici de comprendre comment on passe des propriétés de l’atome à celles de la matière condensée, et comment ces « objets intermédiaires » acquièrent des propriétés particulières. C’est donc un sujet très pluridisciplinaire. Il demande des connaissances en physique atomique de base, essentiellement sur les propriétés des fonctions d’onde des états fondamentaux des atomes les plus simples (alcalins) aux plus complexes (métaux de transition, voire terres rares). En effet, la fonction d’onde, souvent complexe, des atomes du tableau périodique contient « en germe » tous les ingrédients qui déterminent les propriétés de la phase condensée. De même, elle joue un rôle essentiel dans l’état intermédiaire que constituent les agrégats. Ce sujet demande aussi des connaissances en physique des solides et en cristallographie. En effet, on peut voir les agrégats comme une construction atome par atome, c’est le point de vue « bottom up » ou comme une réduction de taille à partir d’une phase massive, c’est le point de vue « top down ». De même, les notions de liaison chimique sont très importantes. On est vraiment dans le domaine de la Chimie Physique, à la fois « Chemical Physics » et « Physical Chemistry », termes qui ne se traduisent pas vraiment en français, ce qui illustre la faible prise en compte de l’interface Physique/Chimie dans le système français. Ce sujet des agrégats concerne aussi les calculs ab initio, qu’on appelle parfois « chimie quantique » en référence au caractère éminemment quantique de la fonction d’onde. Pour illustrer ces aspects pluridisciplinaires, on peut citer les unités d’énergie où on apprendra à jongler avec l’électron Volt, les kilocalories par mole, le cm−1 , le Hartree, le Rydberg, le Joule, le degré Kelvin, etc. Pour aider le lecteur, un résumé des unités et des systèmes d’unités utilisés sera donné au début du livre. Ce livre s’adresse à des étudiants de Master en Physique ou en Chimie qui s’intéressent aux nano-objets. En effet, l’explosion des nanosciences autour des années 2000 et ensuite renforce le besoin d’un livre sur les principes de base qui déterminent les propriétés de ces agrégats ou nanoparticules. Il s’adresse donc aussi aux chercheurs et aux enseignants qui se lancent dans les nanosciences

Avant-propos

xi

ou qui à un moment donné de leurs recherches sont amenés à travailler sur ce sujet. Le thème des agrégats reste très vaste et nous avons divisé le livre en 2 tomes. Le tome 1 concerne les agrégats dans l’état fondamental ou à température ambiante. Le tome 2 traitera des agrégats dans les états excités et inclura entre autres l’influence et le rôle de la température. Le tome 1 débute par une courte introduction, le chapitre 2 s’intéresse à l’énergie de cohésion dans les agrégats, le chapitre 3 concerne les effets de couches électroniques et atomiques surtout dans les systèmes les plus simples, le chapitre 4, la transition isolant métal en fonction de la taille, le chapitre 5, les métaux complexes, le chapitre 6, le dipôle et la polarisabilité électriques des agrégats, le chapitre 7, les propriétés magnétiques, et enfin le chapitre 8 la catalyse hétérogène par les agrégats. Une annexe concernera les méthodes de calcul théorique ab initio, notamment la fonctionnelle de densité. Le tome 2 suivra un an ou deux plus tard.

Constantes et unités Sommaire La physique des agrégats étant multidisciplinaire, elle fait appel à des systèmes d’unités hétérogènes notamment qui, parfois, pour les unités d’énergie ainsi que les notations des grandeurs physiques. Nous allons définir les systèmes d’unités et les symboles utilisés dans ce livre qui parfois ne sont pas les symboles usuels.

Les quatres constantes fondamentales au sens d’Einstein On pose par convention ~ = h/2π ~ = 1.054 571 726(47) × 10−34 J · s, ~ = h/2π : constante de Planck réduite en joules-secondes. h = 6.626 070 040(81) × 10−34 J · s : constante de Planck en joules-secondes. kB = 1.38064852(79) × 10−23 J K−1 : constante de Boltzman. c = 2.997 924 58 × 108 m · s−1 : vitesse de la lumière dans le vide en mètres par seconde. G = 6.67408(31) × 10−11 m3 · kg−1 · s−2 : constante gravitationnelle que nous n’utiliserons pas par la suite.

Constantes physiques utilisées dans le livre en unités SI On rappelle que le système SI est composé de sept unités de base : le mètre (m), le kilogramme (kg), la seconde (s), l’ampère (A), le kelvin (K), la candela (cd) et la mole (mol).

2

Les agrégats On pose par convention e2 =

qe2 4πǫ0

me = 9.10938356 × 10−31 kg : masse de l’électron au repos mp = 1.67262 × 10−27 kg : masse du proton Rapport de masse proton/électron : 1836.15267389(17) constante de structure fine α = e2 /~c, α = 7.297 352 5698(24) × 10−3 (sans dimension) qe = 1.602 176 565(35) × 10−19 C ou en ampère seconde A · s : unité atomique de charge (charge électrique élémentaire) (C pour Coulomb) Rayon de Bohr (unité atomique de longueur) est la longueur caractéristique 2 séparant l’électron du proton : a0 = m~e c2 a0 = 0.529 177 210 92(17) × 10−10 m ǫ0 = 8.854187817 × 10−12 F m−1 ou en A2 · s4 kg−1 · m−3 : constante diélectrique du vide (F pour Faraday, A pour Ampère). µ0 = 4π × 10−7 = 12.566370614 × 10−7 kg · m · s−2 · A−2 : perméabilité magnétique du vide ǫ0 et µ0 sont reliés à la constante fondamentale c par la relation c2 ǫ0 µ0 = 1 µB le magnéton de Bohr est une constante physique qui relie le moment magnéqe ~ tique de l’électron à son moment cinétique (ou angulaire) µB = 2m e µB = 927.4009994(57) × 10−26 J T−1 ou A · m2 (T pour Tesla) G0 = 7.7480917310(18) × 10−5 S ou en m−2 · kg−1 · s3 · A2 quantum de conductance, S pour Siemens NA = 6.022140857(74) × 1023 mol−1 nombre d’Avogadro La constante de Rydberg infinie R∞ est un nombre d’onde. Celle-ci est reliée à à une constante énergétique appelée énergie (constante) de Rydberg Ry correspondant à l’énergie d’ionisation d’un système hydrogénoïde dans lequel la masse du noyau est considérée comme infinie, par la relation Ry = hcR∞ et α2 c Ry = 12 α2 me c2 ou R∞ = me2h . R∞ = 1.0973731568508 × 107 m−1 = 13.605693009(84) eV En règle générale on utilise l’énergie (constante) de Rydberg RH correspondant à l’énergie d’ionisation de l’atome d’hydrogène. Celle-ci est liée à R∞ par un terme correctif tenant compte de la masse du proton RH = Ry 1+m1e /mp R = 8.3144598(48) J mol−1 K−1 constante molaire des gaz parfaits σ = 5.670367(13) × 10−8 W m−2 K−4 ou en kg · s−3 · K−4 constante de StefanBoltzmann, W pour Watt, K pour Kelvin gS = 2.00231930436182 facteur de Landé pour l’électron qe /me = 1.758820024(11) × 1011 C/kg rapport charge/masse de l’électron, C pour Coulomb le Debye noté D unité de moment dipolaire appartient au système CGS et a pour valeur 1D = 3.33564 × 10−30 C · m

Constantes et unités

3

Unités d’énergie Définition de l’énergie L’énergie E, grandeur fondamentale de la physique, peut s’exprimer en fonction des constantes fondamentales. E = me c2 = hν = kB T soit en unités réduites une énergie exprimée en uma (unité de masse atomique) ou en kg, en Herz (ou en m−1 plus communément en cm−1 par la relation ν = c/λ) ou en Kelvin. On a également d’autres relations secondaires : E = qe V (soit l’électron volt noté eV) et le Joule, énergie fournie par une puissance de 1 watt pendant une seconde (homogène à une énergie cinétique) ainsi que la calorie par mole qui fait intervenir le nombre d’Avogadro utilisée en calorimétrie. On utilise aussi parfois le système d’unités atomiques défini par q2 me = 1, ~ = 1, e2 = 4πǫe 0 = 1. On a alors α =

e2 ~c

et a0 =

~2 m e e2

= 1.

L’énergie Eh = m2e α2 c2 = 1 est l’unité d’énergie dans ce système et est appelée le Hartree. On vérifie que Eh = 2Ry : le Hartree vaut deux Rydbergs.

Correspondance des unités d’énergie Les différents tableaux donnent les correspondances pour les unités d’énergie (référence CODATA 2014 Mohr et al. (2012)). Les conversions en caractères gras sont les plus fréquemment utilisées. 1uma = 1.660539040(20) × 10−27 kg 1.08095438(62) × 1013 K 2.2523427206(10) × 1023 Hz 1.492418062(18) × 10−10 J 3.4231776902(16) × 107 Eh 931.4940954(57) × 106 eV 7.5130066166(34) × 1014 m−1 1 Hartree = 2.9212623197(13) × 10−8 uma 27.211 386 02(17) eV 6.579683920711(39) × 1015 Hz 2.194746313702(13) × 107 m−1 4.359744650(54) × 10−18 J

1 eV = 1.0735441105(66) × 10−9 uma 3.674932248(23) × 10−2 Eh 2.417989262(15) × 1014 Hz 8.065544005(50) × 105 m−1 = 8065.544005(50) cm−1 1.6021766208(98) × 10−19 J 1.16045221(67) × 104 K 1.782661907(11) × 10−36 kg 1 Herz = 4.4398216616(20) × 10−24 uma 4.4398216616(20) × 10−24 uma 4.135667662(25) × 10−15 eV 3.335640951 × 10−9 m−1 6.626070040(81) × 10−34 J

4

Les agrégats 3.1577513(18) × 105 K 4.850870129(60) × 10−35 kg

4.7992447(28) × 10−11 K 7.372497201(91) × 10−51 kg

1 Joule = 6.700535363(82) × 109 uma 6.241509126(38) × 1018 eV 2.293712317(28) × 1017 Eh 1.509190205(19) × 1033 Hz 5.034116651(62) × 1024 m−1 7.2429731(42) × 1022 K 1.112650056 × 10−17 kg

1 Kelvin = 9.2510842(53) × 10−14 uma 8.6173303(50) × 10−5 eV 3.1668105(18) × 10−6 Eh 2.0836612(12) × 1010 Hz 69.503457(40) m−1 1.38064852(79) × 10−23 J 1.53617865(88) × 10−40 kg

1 kg = 6.022140857(74) × 1026 uma 5.609588650(34) × 1035 eV 2.061485823(25) × 1034 Eh 1.356392512(17) × 1050 Hz 4.524438411(56) × 1041 m−1 8.987551787 × 1016 J 6.5096595(37) × 1039 K

1 m−1 = 1.33102504900(61) × 10−15 uma 1.2398419739(76) × 10−6 eV 4.556335252767(27) × 10−8 Eh 299792458 Hz 1.986445824(24) × 10−25 J 1.43877736(83) × 10−2 K 2.210219057(27) × 10−42 kg

Autres unités 1 cal=2.6131952590564 × 10+19 eV 1 eV=3.8267327959301 × 10−20 cal 1 eV=23.060 9 kcal/mole utilisé en calorimétrie 1 kcal/mole=0.043 363 4 eV 1 kcal/mole=349.757 cm−1 1 kcal/mole= 4.18400 kJ/mole 1 kcal/mole=503.228 K 1 kcal/mole=1.048 54 × 10+13 Hz

Analogie électrostatique/magnétique La physique des agrégats étant multidisciplinaire elle fait appel à des systèmes d’unités hétérogènes notamment pour les unités d’énergie ainsi que les notations des grandeurs physiques. Nous allons définir les systèmes d’unités et les symboles utilisés dans ce livre qui parfois ne sont pas les symboles usuels. Le moment dipolaire électrostatique total noté µdip s’écrit Z µdip = ρ(r)rd3 r (.1) V

ρ(r) est la densité de charges incluant tous les électrons et les noyaux, a une position r dans l’agrégat, la somme se faisant sur tout le volume. Pour le dipole magnétique, par analogie avec l’électrostatique (bien que les charges

Constantes et unités

5

magnétiques ponctuelles sont fictives, le calcul reste correct), on peut écrire une relation analogue sachant que le moment magnétique est une grandeur vectorielle Z 1 µef f = r × J(r)d3 r (.2) 2c V J est la densité de courant.

Chapitre 1 Introduction 1.1

La physique des agrégats : une science jeune

Il est très important de définir d’abord les objets auxquels on s’intéresse et leur dimension. Les agrégats atomiques ou moléculaires, plus souvent désignés par l’anglicisme clusters, sont des ensembles de quelques unités à quelques dizaines de milliers d’atomes ou de petites molécules. Du point de vue dimensionnel, le cluster se situe dans la terminologie actuelle entre l’atome et la nanoparticule : atome (10−10 m) → molécule (10−9 m) → cluster (10−9 − 10−8 m) → nanoparticule (10−8 m) → colloïde (10−8 − 10−6 m) → solide. Il y a très souvent recouvrement entre le terme agrégat ou cluster et le terme nanoparticule, mais une nanoparticule est en général plus grosse d’un facteur de l’ordre de 10. Dans ce livre on s’intéressera d’ailleurs essentiellement aux agrégats d’atomes, sauf dans le cas des agrégats ioniques ou dans le cas d’agrégats mixtes constitués de deux atomes, tels que silicium et carbone, ou or et argent. La physique des agrégats, qu’on peut appeler « Physique de la Matière Divisée » est à comparer avec la physique atomique et moléculaire d’un côté, et de l’autre côté la physique de la matière condensée. Il s’agit de bien comprendre comment on passe des propriétés de l’atome à celles du solide. On dit parfois que les propriétés d’un agrégat peuvent changer si le nombre d’atomes change d’une seule unité, c’est le domaine où « chaque atome compte ». Nous verrons que cela est souvent vérifié. La science des agrégats est relativement jeune car, jusqu’à une date récente, on ne savait pas fabriquer des agrégats avec un nombre d’atomes bien contrôlé. C’est à partir des années 80 qu’on a pu produire des agrégats nus dans les jets moléculaires, grâce notamment aux sources à vaporisation laser développées d’abord par RE. Smalley à partir de 1981 [Dietz et al. (1981)]. Parallèlement, les chimistes ont pu contrôler de façon de plus en plus précise les agrégats protégés par des ligands en phase liquide. Sur les petits systèmes on peut atteindre la précision de l’atome comme pour Au25 (SG)18 par exemple (SG acronyme du ligand, le glutathiol). Bien sûr, pour de si petites tailles, les ligands jouent un rôle important dans les propriétés et on doit en tenir compte. Mais les nanoparticules en phase liquide ont joué un rôle essentiel

8

Les agrégats

Fig. 1.1 – Image obtenue par la manipulation à très basse température de 73 atomes de cobalt pour écrire le logo « NIST » [Celotta et al. (2014)]. Reprinted by permission from AIP Publishing, Review of Scientific Instruments, COPYRIGHT 2014. dans la compréhension des propriétés optiques. De plus, la recherche sur les agrégats a bénéficié non seulement des méthodes de synthèse, mais également des méthodes de spectroscopie optique et de spectrométrie de masse. Enfin pour les agrégats déposés sur les surfaces, l’amélioration des microscopes électroniques a joué un rôle important, et surtout la découverte du microscope tunnel par Binning et Rohrer en 1982 [G. Binnig et al. (1982)] a permis non seulement d’observer ces particules dans des conditions confortables (à l’air), mais aussi de les manipuler comme l’atteste la célèbre figure du logo IBM obtenue par Don Eigler du laboratoire d’IBM avec des atomes de xénon ou bien de l’écriture de « NIST » avec 73 atomes de cobalt (figure 1.1). L’étude des agrégats est par essence même multidisciplinaire car elle se situe au carrefour de plusieurs disciplines : la physique atomique et moléculaire, la chimie, la physique du solide et la physique nucléaire dont elle emprunte un certain nombre de concepts (notamment le modèle de la goutte et la structure dite en « couches »). Il est difficile de savoir à quel moment cette discipline est née, mais elle a été popularisée par la célèbre phrase prononcée par Richard Feynman en 1959 au cours d’une conférence de l’American Chemical Society « There is plenty of room at the bottom » ce qui pourrait se traduire par « Il y a plein de place vers le bas ». Cette phrase traduit le fait que la frontière entre les propriétés de l’atome et celle du solide était suffisamment éloignée pour imaginer un monde intermédiaire, un no man’s land, peuplé de molécules géantes, de clusters avec des propriétés surprenantes et inconnues à l’époque. Ces propriétés, dont nous allons donner quelques exemples de façon non exhaustive dans l’introduction, seront reprises et étudiées par la suite. Elles sont suffisamment importantes pour justifier une recherche en aval baptisée « nanotechnologie » qui, dès la fin des années 90, a diffusé dans toutes les disciplines, y compris la physique, la chimie, la biologie et la médecine.

Introduction

9

Il est difficile de connaitre les premiers effets de taille mis en évidence, nom donné à ces propriétés spécifiques étudiées dans la littérature. On peut citer le travail de Takagi [Takagi (1954)] qui, dès 1954, a mis en évidence la dépendance en 1/R de la température de fusion des petites particules, et ce en validant une prédiction théorique donnée par Pawlow en 1909 [Pawlow (1909)]. On peut donc faire commencer la physique des agrégats dans les années 50. De même, on savait qu’il fallait utiliser des petites particules du groupe du platine pour la catalyse hétérogène. Mais il était alors difficile de contrôler la taille de ces petites particules.

1.2 1.2.1

Effet de taille, rôle de la surface Considération géométrique

Le phénomène le plus trivial auquel on pense dans un agrégat de N atomes, c’est que le nombre d’atomes sur la surface est important par rapport au nombre d’atomes dans le volume, surtout si on compare à un matériau massif. On s’attend à ce que certaines propriétés dépendent du rapport entre le nombre d’atomes sur la surface et le nombre d’atomes total. On peut facilement estimer ce rapport. On appelle rs le rayon moyen occupé par un atome. Il est défini par la relation : 4 4 (1.1) V = πR3 = πrs3 N 3 3 où V est le volume de l’agrégat et R son rayon. On en déduit que R = rs N 1/3 . Si Ns est le nombre d’atomes sur la surface, alors la surface S est S = Ns πrs2 = 4πR2 , ceci est valable si l’agrégat est assez gros et possède une structure proche de la sphère. On en déduit que Ns = 4N 2/3 et le rapport vaut (figure 1.2) : 4 rs Ns = 1/3 = 4 (1.2) N R N On obtient donc une dépendance en 1/R. La figure 1.2 montre cette dépendance [Jortner (1992)] comparée à la réalité pour une structure icosaédrique que nous aurons l’occasion de discuter par la suite. La dépendance en 1/R est assez bien vérifiée pour des agrégats au-delà de la centaine d’atomes dans des structures compactes comme les icosaèdres. En effet la formule ci-dessus donne Ns /N > 1 si N > 64, ce qui est évidemment absurde. Il est facile de comprendre que ce rapport tend vers 1 pour N petit, car dès que le nombre d’atomes est inférieur ou de l’ordre de 10, tous les atomes sont sur la surface. Nous verrons par la suite que la dépendance en 1/R joue un rôle important même si elle peut parfois être fortuite. Elle est même parfois observée alors que la notion de surface ne peut être définie, par exemple pour N < 10, Ns /N = 1 quel que soit N et pourtant la loi en 1/R peut encore s’appliquer en prolongeant la définition de R par la relation R = rs N 1/3 . On peut considérer cette loi en 1/R comme un facteur d’échelle. Les propriétés intéressantes seront celles qui s’écartent de cette loi générale en 1/R.

Les agrégats

10 1.0

nS /n

0.8

pente 4

0.6 0.4 0.2

0

0.2

0.4

0.6

0.8

1.0

n -1/3 Fig. 1.2 – Rapport surface sur volume en 1/R pour des agrégats supposés sphériques (asymptote de pente 4) et des agrégats icosaédriques [Jortner (1992)]. Dans la figure originale, n est le nombre d’atomes total et n−1/3 est proportionnel à 1/R, ns est le nombre d’atomes sur la surface.

1.2.2

Généralisation

Les effets de taille obéissent à une classe d’universalité. À toute particule on peut associer une longueur d’onde. Prenons pour exemple l’interaction d’un photon et d’un agrégat. Dans un solide massif, la longueur d’onde du photon est très petite face à la longueur caractéristique du solide (sa dimension). Dans un agrégat de petite taille ce n’est pas le cas. En généralisant avec la loi générale utilisée en physique statistique [Guisbiers et Buchaillot (2009)] on écrira qu’un phénomène physique X peut se développer X=(

Xbulk 1+

)1/2S = Xbulk (1 − ξ(R) 2R

2

ξ(R) ξ(R) + − . . .)1/2S 2R 4R2

(1.3)

avec S = 1/2 pour un système fermionique, ξ est une longueur caractéristique dite longueur de corrélation, la dépendance en 1/R apparait au développement au premier ordre en admettant que la longueur caractéristique ne dépende pas elle-même de R.

1.3

Critère de Kubo de conductivité pour les agrégats métalliques

Les matériaux sont généralement classés en trois catégories : conducteurs (pas de gap), semi-conducteurs (bande interdite (ou gap) inférieure à 2 eV), isolants (bande interdite (ou gap) supérieure à 2 eV). Pour les métaux on sait que la liaison métallique est caractérisée par la délocalisation des électrons. Dans le

Introduction

11

solide on peut considérer en première approximation que les électrons sont libres et confinés dans le volume du solide. On utilise la statistique de FermiDirac et les électrons peuplent les niveaux en dessous du niveau de Fermi EF . La densité d’états dans un parallélépipède est alors donnée par : ρ(E) = V AE 1/2

(1.4)

e 3/2 V est le volume de l’agrégat et A une constante : A = 2π1 2 ( 2m , me 2 ) étant la masse de l’électron. On peut admettre à ce stade qu’il n’y a pas de dégénérescence autre que la dégénérescence 2 due au spin de l’électron. Ceci suppose que les agrégats sont déformés par rapport à une sphère et c’est généralement le cas pour des agrégats déposés sur un support. L’écart moyen δ au niveau de Fermi EF entre les niveaux d’énergie est alors :

δ=

4EF 3N

(1.5)

EF est donné par EF = 3/2(N/V A)2/3 et dans ce modèle EF est indépendant de N car le volume est proportionnel à N , V = (4/3)πrs3 N = (4/3)πR3 . On peut d’ailleurs remarquer que EF varie en 1/rs2 . EF est de l’ordre de quelques eV (3.24 eV pour le sodium, 5.49 eV pour l’argent). Pour un morceau de métal macroscopique, N est de l’ordre du nombre d’Avogadro et l’écart entre les niveaux d’énergie est totalement négligeable devant kB T (kB constante de Boltzmann, T la température). On dit qu’il n’y a pas de gap d’énergie. Dans un agrégat, on remarque tout de suite que, dès que le nombre d’atomes est inférieur à 100, l’écart entre les niveaux d’énergie devient de l’ordre de kB T . C’est le critère de Kubo [Kubo (1962)]. Si δ > kB T , alors l’agrégat devient semi-conducteur. Pour les agrégats de sodium de 100 atomes à température ambiante (kB T = 0.025 eV), le critère de Kubo est largement en faveur d’un semi-conducteur car δ = 0.04 eV. Si on tient compte des dégénérescences qui dépendent de la géométrie du cluster, le gap est encore plus élevé. Cependant, tout dépend à quelles propriétés on s’intéresse. Vis-à-vis de l’écart entre les niveaux d’énergie, les petits agrégats sont clairement « semiconducteurs ». C’est pour cela que ces petits agrégats comme Ag8 ou les petits agrégats d’or fluorescent [Zheng et al. (2012)]. Mais si on s’intéresse à la liaison entre les atomes, les électrons restent délocalisés en première approximation. On dit que la liaison reste métallique. On pourra donc toujours utiliser, dans une certaine mesure, l’approximation des électrons libres dans une boite, plus précisément dans une sphère. Cela donnera des images (interprétations physiques) fructueuses comme on le verra au chapitre 3 pour les effets de couches électroniques. On retrouvera ces effets collectifs, même à petite taille, pour les propriétés optiques dans les petits clusters. Bien sûr, pour l’optique dans les petits systèmes, la géométrie jouera aussi un rôle important comme on le verra dans le tome 2.

Les agrégats

12

1.4

Exemples de quelques effets de taille remarquables plus spécifiques

Aux paragraphes 1.2 et 1.3, nous avons décrit des phénomènes qui obéissent à des lois d’échelle. Mais la physique des agrégats montre aussi des propriétés remarquables, des surprises. Dans ce paragraphe, nous allons juste les évoquer de façon non exhaustive car ces effets seront traités de façon détaillée dans les chapitres suivants.

1.4.1

La découverte des fullerènes de carbone

Le carbone est connu pour exister sous deux formes dans sa phase condensée : le graphite et le diamant, le graphite étant la forme la plus stable et le diamant la forme métastable. Cet élément est connu pour donner différents types de liaisons covalentes liées aux hybridations sp, sp2 , sp3 selon la position de ses voisins. On pourrait dire que le carbone « joue » avec ses voisins, sp pour 2 voisins (forme linéaire), sp2 (graphite) pour 3, sp3 (diamant) pour 4. Que se passe-t-il quand on a un très petit nombre d’atomes ? A priori, chaque fois qu’on ajoute un atome, la structure change car il faut tenir compte des atomes extérieurs. En 1985, R.E. Smalley et ses collaborateurs [Kroto et al. (1985)] découvrent une nouvelle classe de molécules : les fullerènes de carbone qui sont des molécules cages constituées de pentagones et d’hexagones, la plus célèbre et la plus stable étant le C60 constituée de 12 pentagones et 20 hexagones. Le C60 sera ensuite synthétisé en phase condensée, ainsi que d’autres fullerènes. Nous reviendrons sur ces structures au chapitre 2 et sur le type de liaison, mais il est intéressant de remarquer que ces structures en cage avaient été pressenties par les cristallographes dès 1970 [Hoard et al. (1970); Jemmis et Jayasree (2003)], (voir figure 1.3). Il fallait encore les observer et les synthétiser pour le carbone. D’ailleurs la découverte du C60 a stimulé les recherches sur les nanostructures de carbone. Les nanotubes, puis le graphène ont ensuite été découverts et synthétisés. Il y a eu un prix Nobel de Chimie pour le C60 (1996) et un prix Nobel de Physique pour le graphène (2010).

1.4.2

Transition isolant métal dans les agrégats des systèmes spécifiques

Les atomes de métaux divalents ont une couche électronique externe s2 . C’est une couche complète qui conduit en principe à une bande s complète dans le solide. Pourtant, ces métaux sont d’excellents conducteurs. Cela est dû au fait que dans le solide la bande p vide (état excité) se mélange avec la bande s, ce qui donne une bande sp non complète, donc un conducteur (figure 1.4). Si on revient sur les petits agrégats, le dimère a une liaison principalement de type Van der Waals. Le cas du mercure dont l’atome a le gap le plus élevé a été bien étudié [Bréchignac et al. (1988); Busani et al. (1998)].

Introduction

13

Fig. 1.3 – Fac similé d’une partie d’une publication de Hoard et al. de 1970 [Hoard et al. (1970)] montrant l’analogie entre B84 élément constituant le bore dans la phase rhomboédrique et la structure de 60 atomes pouvant exister dans le carbone. La transformation B84 → C60 est indiquée dans la figure du bas (d’après la figure originale de Jemmis et collaborateurs [Jemmis et Jayasree (2003)]).

Fig. 1.4 – Passage de l’atome au solide dans le mercure avec la formation de la bande sp.

Cet effet a été observé de façon spectaculaire dans le mercure et on peut voir la bande s et la bande p se rapprocher progressivement puis se rejoindre vers 400 atomes [Busani et al. (1998)]. On observe donc une transition isolant métal progressive. On reviendra sur ces métaux par la suite.

Les agrégats

14

À l’inverse le silicium, qui est semi-conducteur, devient « métallique » en dessous d’une certaine taille par un changement de structure cristallographique [Sattler et Nalwa (2002)], c’est-à-dire une plus grande compacité et un plus grand nombre de voisins (supérieur à 4) dans les petits agrégats (voir le chapitre 2). Ce nombre de voisins est nettement supérieur à 4. Cela signifie qu’il n’y a pas de gap d’énergie dans les petits agrégats de silicium comme dans la phase macroscopique. Mais comme ce sont de petits systèmes, il peut quand même y avoir des écarts d’énergie importants. On peut aussi rapprocher ce phénomène de la phase métallique du silicium à haute pression, plus compacte [McMillan et al. (2005)].

1.4.3

Magnétisme

Tout étudiant en physique apprend que seuls trois éléments simples sont ferromagnétiques à température ambiante dans la phase macroscopique : le fer, le cobalt et le nickel (auxquels on pourrait rajouter le gadolinium qui a une température de Curie de 292 K). Ceci est expliqué par la théorie du magnétisme itinérant de Stoner qui prend en compte la forte densité électronique et une forte intégrale d’échange. Cependant en réduisant la taille, le ferromagnétisme peut apparaitre sur d’autres métaux et ce à température ambiante car la température de Curie dépend de la taille. Le cas le plus surprenant est celui de l’or, métal noble réputé ne présentant pas de ferromagnétisme dans le solide. Dans le cas des agrégats libres, la théorie prévoit un ferromagnétisme dans les petits agrégats d’or [R. Singh et P. Kroll (2008)] qui, néanmoins, comme le montre la figure 1.5, reste très faible par rapport à celui du fer (voir chapitre 7). Ce ferromagnétisme de l’or est observé expérimentalement dans des petits agrégats d’or encapsulés dans une matrice de polymère [Luo et al. (2007)].

1.4.4

Catalyse hétérogène

Un catalyseur hétérogène est un élément de matière qui augmente de façon drastique la vitesse d’une réaction chimique sans pour autant s’en trouver modifié à la fin. On dit que le catalyseur subit un cycle de réactions chimiques à l’issue desquelles la réaction cherchée a eu lieu et le catalyseur est revenu à l’état initial. Cela permet de recommencer et de recycler en permanence le catalyseur. En fait, c’est la surface de ce catalyseur qui est importante car les réactants viennent s’y piéger. Il faut donc que le catalyseur possède le maximum de surface à présenter aux gaz qui réagissent. De ce point de vue la « matière divisée », les nanoparticules, les clusters, sont indispensables pour la catalyse hétérogène, ce qui est connu depuis longtemps. Pour les éléments monoatomiques, la science des agrégats va permettre de comprendre les catalyseurs classiques comme les éléments du groupe du platine : Ru, Rh, Pd, Re, Ir, Pt. Par contre les métaux nobles, et particulièrement l’or, ont une faible réactivité (dans la croyance populaire, l’or est inaltérable). Pour les agrégats d’or, il n’en est pas de même. Le chimiste japonais Haruta a montré en 1997 [Haruta

Introduction

15 B (FeN )

B (AuN )

AuN

5 4

FeN 3

2 1

Fig. 1.5 – Valeurs calculées du moment magnétique total exprimé en magnétons de Bohr pour des agrégats de fer FeN [R. Singh et P. Kroll (2008)] et d’or AuN clusters [Luo et al. (2007)]. Contrairement au fer le moment magnétique total n’augmente pas avec le nombre d’atomes mais dépend fortement de la symétrie de la particule. Son origine est très différente de celle du fer.

(1997)] que les agrégats d’or supportés catalysent l’oxydation par l’oxygène du monoxyde de carbone. Cette activité catalytique se déroule spécifiquement sur les coins et les arêtes des nanoparticules et dépend du support. Pour les petits agrégats libres de tout support, l’oxydation du CO a également été prédite et observée.

1.5

Petite disgression sur la loi en 1/R

Comme nous l’avons introduit au paragraphe 1.2, le principal effet de taille suit une loi en 1/R. La signification de R n’est pas aussi triviale qu’elle y parait. Dans de nombreux ouvrages on trouvera (nous l’utiliserons aussi abusivement par la suite) la notion de surface sur volume (c’est-à-dire pour une sphère 1/R). A priori cette propriété semblerait indiquer que le critère pertinent est le rapport entre le nombre d’atomes en surface et le nombre d’atomes en volume. Ceci est vrai pour les très grandes tailles (>20 nm) lorsque ce rapport est négligeable mais absurde pour les petites tailles et ce, pour deux raisons : - Le rapport surface sur volume sous-entend le rapport du nombre d’atomes de surface sur le nombre d’atomes total qui intègre non seulement les atomes

Les agrégats

16

de volume mais aussi les atomes de surface. Pourquoi recompter les atomes de surface ? - Dans un système compact (théorème de Kepler) il faut avoir au moins 13 atomes pour introduire un atome de volume, soit un atome en volume entouré de 12 voisins en surface. Comme nous le verrons par la suite, la loi en 1/R, si l’on néglige les nombres magiques, est valable pour des tailles aussi petites que . . . le dimère ! (voir par exemple le potentiel d’ionisation). Dans ce cas, où est la surface, où est le volume ! Bien que cette discussion semble stérile, il est à noter que le rapport 1/R ne traduit pas la notion de surface et de volume mais la notion de « balle » au sens de la topologie (dans un espace euclidien la balle est le volume délimité par une couche sphérique à deux dimensions). Ainsi, le nuage électronique autour d’un dimère peut être assimilé à une balle de rayon R, R étant le « cut off » de l’extension du nuage électronique. Même si dans le langage courant on peut parler de surface et de volume, c’est la rupture de symétrie dans l’espace à l’interface agrégat/vide qui définit la propriété en 1/R. Il n’est donc pas étonnant que la loi en 1/R soit universelle et ce pour des tailles beaucoup plus petites que N = 13 atomes. En d’autres termes, le rayon d’un agrégat est défini par la taille du nuage électronique global. C’est dans cet esprit que le rayon d’un atome est défini.

1.6

Conclusion

La liste des effets n’est pas exhaustive, mais elle montre la richesse de ce domaine qui va bien au-delà des effets d’échelles auxquels on s’attend. Comme le disaient certains orateurs lors des premières conférences sur ce domaine dans les années 80 ou 90, « Small is different » et aussi « Small is beautiful ». Et c’est bien le cas. Nous allons illustrer tout cela par la suite en décrivant les propriétés des agrégats découvertes récemment. Dans le tome 1, nous nous intéresserons aux agrégats dans l’état fondamental, c’est-à-dire à relativement basse température, typiquement proche de la température ambiante. Ceci signifie que dans cette partie, le couplage avec les phonons ne sera pratiquement pas discuté. Dans le tome 2, nous décrirons les effets thermiques. L’énergie des phonons étant faible face à l’énergie de cohésion, nous parlerons d’un agrégat dans un état faiblement excité. Nous étudierons l’influence de la température et nous serons amenés à réviser les modèles thermodynamiques et statistiques, car l’approximation des grands nombres n’est plus valable. En particulier, nous nous intéresserons aux changements d’état comme la fusion, et nous verrons que pour de si petits systèmes, il est difficile de définir la température et le thermomètre qui la mesure. La suite du tome 2 sera consacrée aux états excités dans le domaine de quelques eV, interaction avec la lumière, propriétés optiques, excitations collectives du type plasmon de surface, puis ensuite la fragmentation ou l’explosion Coulombienne dans les états très excités, et enfin la dynamique électronique à différentes échelles de temps.

Chapitre 2 Cohésion d’un agrégat : origine, liaison chimique 2.1

Introduction

L’énergie de liaison d’un agrégat est le paramètre le plus simple à calculer car cette grandeur fait intervenir uniquement l’état fondamental. C’est donc le paramètre que l’on sait calculer avec la plus grande précision. Nous traiterons dans ce chapitre différents types de liaison : métallique, covalente, ionique et van der Waals. Concernant la liaison métallique, il est bien connu en physique du solide que c’est la liaison la plus complexe à décrire puisqu’elle est de nature essentiellement quantique (elle fait intervenir entre autre l’énergie du gaz d’électrons de Fermi). En partant de l’observation de plusieurs spectres de masse expérimentaux montrant des distributions d’agrégats ou bien des intensités relatives de populations d’agrégats en fonction de leurs tailles, force est de constater que les agrégats métalliques présentent des propriétés différentes de celles de la phase massive. On rappelle pour cela que dans la phase massive, l’énergie de cohésion est définie à température nulle comme l’énergie nécessaire pour briser toutes les liaisons, c’està-dire l’énergie qu’il faut fournir pour transformer le solide en un gaz parfait où tous les atomes sont sans interaction. Cette même définition sera utilisée pour les agrégats. La liaison métallique est traitée ici dans le modèle le plus simple correspondant à la délocalisation des électrons s. Pour tous ces modèles, on supposera que la température est nulle donc kB T = 0. En conséquence, énergie libre et enthalpie seront confondues. Il en sera de même pour les autres types de liaison.

2.2

Cohésion d’un agrégat métallique : cas des métaux simples

Les métaux simples sont les métaux alcalins et alcalinoterreux où la liaison est due aux électrons s. Cela concerne aussi en première approximation les métaux nobles, le cuivre, l’argent et l’or.

Les agrégats

18

2.2.1

Hamiltonien et énergie de cohésion dans un métal simple

La liaison métallique est purement quantique et provient du recouvrement optimal des orbitales des électrons de valence (figure 2.1). Dans un métal simple ayant un électron s de valence d’orbitale sphérique, le maximum de recouvrement aura lieu pour une structure cristalline bien définie où le recouvrement est maximal. On peut montrer en topologie [R.P. Bambah (1954)] que dans l’espace euclidien à 3D le recouvrement maximal est du type cubique centré, bien que la compacité maximale soit dans sa structure duale, c’est-à-dire cubique à faces centrées (conjecture de Kepler démontrée par Hales [Hales (2005)]). Tous les métaux alcalins dans les conditions normales sont cubiques centrés.

Fig. 2.1 – Couverture du plan par des cercles, comparaison entre recouvrement optimal et empilement le plus compact. Dans un réseau 2D l’empilement le plus compact est la structure hexagonale.

Écrivons l’hamiltonien dans un cristal de N atomes métalliques de valence Z dans l’approximation de Born Oppenheimer (les noyaux sont fixes dans l’espace) H=

N  −2 2 i=1

2me

i



 i,j

1  1  Zi Zj e2 Zi e2 e2 + + (2.1) |ri − Rj | 2 |ri − rj | 2 |Ri − Rj | i,j=i

i,j=i

H = Ec + U en + U ee + U nn en

(2.2)

Ec est l’énergie cinétique des électrons, U est l’interaction Coulombienne totale, U nn la répulsion nucléaire, U ee est la répulsion Coulombienne entre électrons. Il n’est pas possible de résoudre formellement l’équation 2.1 car le terme U ee interdit l’obtention des fonctions propres de H. Parmi toutes les approximations de modèles quantiques, la théorie de la fonctionnelle de la densité [W. Kohn (1999)] occupe une place particulière pour calculer l’énergie de cohésion d’un système de façon ab initio (sans aucun paramètre prérequis).

Cohésion d’un agrégat : origine, liaison chimique

2.2.2

19

Modèle du jellium

Le modèle du jellium, appelé modèle du gaz électronique uniforme (ou homogène), consiste à traiter le problème d’un gaz d’électrons uniformément réparti dans une sphère de volume Ω et chargée positivement de charge homogène, appelée « background ». L’hamiltonien s’écrit ˆ back + H ˆ el−back ˆ =H ˆ el + H H

(2.3)

Le premier terme se décompose en deux parties : l’énergie cinétique du gaz d’électrons et la répulsion électron-électron, respectivement. ˆ el = H

N N   p2i e2 + 2m i μn =

(2.26)

r

L’ordre n du moment μn est égal au nombre total n de chemins de sauts que l’on peut faire en partant d’un atome et en revenant sur cet atome. On se contentera des premiers voisins, c’est-à-dire on considère le nombre de chemins existant entre un atome et un de ses premiers voisins, qui est de 2. Un exemple est donné sur la figure 2.3. Dans le modèle des liaisons fortes (TB pour « Tight Binding ») ou de Hückel, les seuls éléments de matrice non nuls entre premiers voisins sont notés β, on aura la relation très simple (voir la figure 2.3) μ2 = Zβ 2

(2.27)

ou Z est le nombre de premiers voisins. Outre le traitement limité aux premiers voisins, on peut encore simplifier le problème en prenant une densité d’états ρ(E), constante caractérisée par sa largeur W . 1 si E < W/2 (2.28) ρ(E) = W ρ(E) = 0 si E > W/2

(2.29)

Pour un métal simple monovalent, cette bande est à moitié remplie, le moment d’ordre 2 s’écrit d’après l’équation 2.25  μ2 =

W/2

−W/2

ρ(E)E 2 dE =

W2 12

(2.30)

l’énergie de cohésion d’origine électronique que l’on considère ici coincider avec l’énergie de cohésion du système s’écrit  Ecoh,e = Ecoh =

0

−W/2

Eρ(E)dE =

W 4

(2.31)

en utilisant 2.30 et 2.31 √ Ecoh =

3 1/2 μ 2 2

(2.32)

Cohésion d’un agrégat : origine, liaison chimique

25

Fig. 2.3 – Exemple de chemins dans l’agrégat de six atomes illustré sur la figure (normalisé en unités de β). Le moment est calculé pour l’atome central. Le moment d’ordre 2 total est de 4 (il y a quatre voisins), ce moment correspond à une trajectoire fermée qui va de l’atome voisin et qui revient au point de départ. On notera que dans cette structure il n’y a pas de moment d’ordre 3. Le moment d’ordre 4 pour illustration est décomposé dans toutes les trajectoires possibles sachant que l’on peut parcourir deux fois le même trajet (μ4b ), décrire une trajectoire entre deux premiers voisins (μ4a ) ou bien entre un premier et un second voisin (μ4c ). On vérifiera que dans le cas d’une structure diamant (chaque atome a quatre voisins) le moment d’ordre 4 est de 28. L’atome n’ayant qu’un seul voisin a un moment d’ordre 2 de 1.

l’équation 2.27 nous donne la valeur de μ2 √ Ecoh =

3 1/2 Z β 2

(2.33)

β est une énergie qui fait intervenir le recouvrement entre les orbitales d’atomes voisins, on l’appelle souvent intégrale de recouvrement ou intégrale de saut. Contrairement au modèle des liaisons coupées ou la dépendance est en Z, le modèle TBSMA donne une dépendance en Z 1/2 . Cependant, dans tous les cas, on s’attend à ce que l’énergie de cohésion soit maximale lorsque la surface du polyèdre est minimale, et à ce que la surface de chaque facette soit la plus compacte possible. En effet l’énergie de cohésion augmente avec Z même si c’est seulement en Z 1/2 .

Les agrégats

26 2.2.4.2

Évolution de la distance interatomique avec la taille dans l’approximation TBSMA

Dans le paragraphe précédent on a calculé l’énergie de cohésion électronique assimilée à l’énergie de cohésion. On peut maintenant calculer l’énergie de cohésion de façon plus précise. Pour cela, on suppose que tous les atomes de l’agrégat sont équivalents et distants de r entre chaque voisin. Le nombre de premiers voisins est noté Z. Le modèle le plus simple consiste à représenter le potentiel d’interaction entre deux atomes à l’aide d’un potentiel à deux corps. Pour calculer l’énergie totale, il faut deux termes, l’un représentant l’énergie d’attraction donné par l’équation 2.31, énergie d’origine électronique, l’autre donné par un terme de répulsion. De plus, il faut introduire une dépendance de l’énergie avec la distance r. Nous allons discuter ces deux termes. i) Énergie d’attraction Cette énergie d’origine électronique (d’où l’indice « e ») est donnée par l’équation 2.33 √ 3√ Zβ (2.34) Ecoh,e = 2 Le terme de recouvrement β dépend de la distance r. Cette dépendance est aussi fonction du type d’orbitales concernées par l’intermédiaire de leurs extensions spatiales et angulaires. La façon la plus simple de représenter la dépendance en r consiste à prendre une loi empirique de type exponentielle β = β0 exp(−qr)

(2.35)

β0 est une constante supposée connue, q est un nombre réel positif (attention de ne pas confondre avec la charge) dépendant de l’élément constituant l’agrégat. L’énergie d’attraction s’écrit √ 3√ Zβ0 exp(−qr) (2.36) Ecoh,e = 2 ii) Énergie de répulsion Cette énergie notée Erep,e provient de la répulsion des nuages électroniques et des noyaux lorsque r est inférieur à la distance d d’équilibre entre les atomes. Pour deux atomes on choisira un potentiel empirique de forme exponentielle avec un coefficient réel positif p supposé connu. Cette répulsion est additive lorsque le nombre de premiers voisins croit Erep,e = ZC exp(−pr)

(2.37)

Le terme C est une constante supposée connue. On en déduit l’énergie de cohésion √ 3√ Zβ0 exp(−qr) − ZC exp(−pr) (2.38) Ecoh (r) = Ecoh,e − Erep,e = 2

Cohésion d’un agrégat : origine, liaison chimique

27

La distance d’équilibre d est définie classiquement par la condition δEcoh (r) = 0 |r=d δr Soit exp((p − q)d) =

p√ 2 C Z√ q 3 β0

(2.39)

(2.40)

Pour supprimer la constante C, on peut introduire l’énergie de cohésion du solide massif notée Esolide . Ce terme est obtenu pour le cas particulier Z = Z∞ et d = d∞ , Z∞ et d∞ étant le nombre de premiers voisins et la distance interatomique dans le solide massif. On a donc le cas particulier exp((p − q)d∞ ) =

p 4 C Z∞ √ q 12 β0

(2.41)

Soit en combinant les équations 2.40 et 2.41, il vient exp(p − q)(d∞ − d) = (

Z∞ 1/2 ) Z

(2.42)

On obtient donc une relation entre la distance d’équilibre interatomique dans une petite particule d et sa valeur dans la phase massive d∞ . d = d∞ −

Z∞ 1 ln 2(p − q) Z

(2.43)

L’expérience montre que (p-q) est en général un terme positif. Dans une petite particule, Z représente le nombre moyen de premiers voisins sommé sur tous les atomes. Sa valeur ne peut excéder Z∞ dans la phase massive (sauf changement de type de liaison avec la taille), soit Z < Z∞ . On en déduit que la distance d est toujours inférieure à d∞ . Cet effet est appelé phénomène de contraction. Il est vérifié dans le cas des métaux simples (alcalins et métaux nobles). La figure 2.4 montre la valeur obtenue dans le cas du cuivre. Ces valeurs sont déduites de la spectroscopie d’absorption X (EXAFS). Pour le cuivre des valeurs raisonnables de p et q sont respectivement p = 9d−1 ∞ et . L’équation 2.43 donne pour le dimère (Z = 1), d = 2.35 Å à q = 3d−1 ∞ comparer à la valeur expérimentale d = 2.23 Å (voir figure 2.4). Pour une particule de 55 atomes (Z = 7.85) on aura d = 2.51 Å valeur très proche du solide massif. Ceci est confirmé si l’on regarde la courbe 2.4 qui tend très vite vers son asymptote. En fait cette propriété est assez générale pour les métaux et notre modèle, même sommaire, explique que la distance interatomique dans le dimère est en général inférieure à cette même distance en phase condensée. Cette propriété traduit le fait qu’avec beaucoup de voisins les atomes sont contraints et soumis à la répulsion des nuages électroniques de plus d’atomes (dans un dimère les nuages électroniques peuvent plus facilement se déformer). En fait cette propriété est assez générale pour les métaux. Il y a quand même des exceptions, comme le mercure et les éléments de la même colonne Zn et

Les agrégats

28

Fig. 2.4 – Variation de la distance interatomique en fonction de la taille pour des agrégats de cuivre. Ces distances sont obtenues à partir de l’analyse de la structure EXAFS d’agrégats de cuivre dispersés dans une matrice d’argon solide à une température de 4.2 K. Dans ces conditions, on suppose que la matrice ne joue aucun rôle (pas de pression exercée sur les agrégats). D’après la référence [Jiang et al. (1987)]. Les mesures originales proviennent de la publication de Montano et al [Montano et al. (1986)]. Reprinted by permission from American Physical Society, Physical review B, COPYRIGHT 1987.

Cd (voir tableau 2.3), sur lesquelles nous reviendrons dans un autre chapitre et qui font intervenir une hybridation. Il est à noter que la contraction des distances quand la taille diminue peut s’interpréter par un modèle phénoménologique simple basé sur la contrainte de surface et l’équation de Laplace. On peut montrer que le stress de surface fs peut s’écrire dans un système homogène et isotrope (cubique faces centrées par exemple) [Mays et al. (1968) ; Vermaak et al. (1968)] fs = −

3 Δd∞ R 2 d∞ K

(2.44)

où K est le module de compressibilité relié à la pression de Laplace P exercée sur la particule de rayon R et de volume V −ΔV PV Le stress de surface est responsable de la contraction de la particule. K=

2.2.4.3

(2.45)

Énergie de cohésion

Nous avons tous les ingrédients pour calculer l’énergie de cohésion d’un agrégat. Pour des raisons de commodité, l’énergie de cohésion sera normalisée par

Cohésion d’un agrégat : origine, liaison chimique

29

Tab. 2.3 – Valeurs expérimentales de la distance entre premiers voisins dans le solide et dans le dimère pour quelques métaux (en Å). Pour le solide, les données sont tirées de la référence [Kittel (2005)]. Le signe * indique que les données sont tirées de la référence [Jules et Lombardi (2003)]. Le signe ♣ indique que les données sont tirées de la référence [Ruette et al. (2005)]. Le signe ♦ indique que les données sont tirées de la référence [Meyer et Bohn (2010)]. Le signe ♥ indique que les données sont tirées de la référence [Gerber et Broida (1976)]. Le signe ♠ indique que les données sont tirées de la référence [Gerber et Broida (1976)]. Le signe ¶ indique que les données sont tirées de la référence [Lim et al. (2005)]. On note que la contraction a lieu sauf pour les éléments divalents de la colonne du zinc ou l’hybridation sp va jouer un rôle fondamental (voir le chapitre transition isolant métal). Le dimère de mercure a une grande taille en raison du caractère Van der Waals, donc peu liant, de la liaison. Il en est de même pour les éléments de la même colonne Cd et Zn.

solide dimère solide dimère solide dimère

Li 3.02 2.67 ♣ Al 2.86 2.7♠ Sb 2.91 2.21

Na 3.66 3.08 ♣ Ag 2.89 2.53♣ Bi 3.07 2.66 ♥

K 4.52 4.16 ♦ Au 2.88 2.47 * Hg 3.01 3.63 *

Rb 4.84 4.50 ♦ Ba 4.35 Cd 2.98 4.07 *

Cs 5.24 4.6 ¶ Pt 2.77 2.33 * Zn 2.67 4.19 *

rapport à l’énergie dans la phase massive. Le lecteur vérifiera à partir des équations 2.38 et 2.43, qu’il est possible d’écrire Ecoh = (

p − q −1 Z 1/2 qZ ) Esolide [( exp q(d∞ − d) − exp p(d∞ − d)] (2.46) p Z∞ pZ∞

la simplification de cette expression en utilisant la forme exp(ab) = (exp(a))b mène à l’équation Ecoh = Esolide (

Z (p−2q)/2(p−q) ) Z∞

(2.47)

On remarquera qu’en général p > 2q ce qui est une condition réaliste. Si p >> q, l’équation précédente se résume à la loi asymptotique telle que nous l’avons définie dans l’équation 2.33. Ecoh = Esolide (

Z 1/2 ) Z∞

(2.48)

Z est relié à la taille et demande la connaissance de la structure du réseau, du polyèdre et de la position éventuelle des atomes si le polyèdre est incomplet (nombre magique géométrique). On peut recalculer la forme d’équilibre obtenue dans ce formalisme à partir du modèle TBSMA. Intuitivement, ce modèle cherche à maximaliser la compacité et donnera des résultats similaires

Les agrégats

30

au modèle des liaisons coupées (puisque p > 2q). Ceci a une importance considérable pour la stabilité liée aux couches géométriques. Il y aura excès de « stabilité » pour des polyèdres parfaits. Dans le cas du sodium, des valeurs raisonnables de p et q sont respective−1 ment, p = 7.75d−1 ∞ et q = 1.65d∞ . On prendra une structure où Z∞ = 12 (la phase massive est cubique centrée, mais l’observation des nombres magiques est en faveur d’une structure à douze voisins (icosaèdre, voir paragraphe suivant). En utilisant Esolide = 1.33 eV, nous pouvons par exemple calculer l’énergie de cohésion définie pour des agrégats de sodium de 2, 15 et 94 atomes comme défini dans le tableau 2.2. Ces agrégats ne correspondent pas à des structures en couches atomiques fermées. Nous pouvons en première approximation estimer grossièrement Z en prenant sa valeur pour des polyèdres voisins, à savoir N = 13 (Z = 7) et N = 55 (Z = 7.85). Les résultats sont donnés tableau 2.2 colonne C.

2.2.5

Modèle de la chimie quantique de Hückel

2.2.5.1

Introduction

Le modèle TBSMA repose sur l’hypothèse de l’existence de bandes d’énergie. Il s’agit donc explicitement d’un modèle issu de la physique des solides où la notion de périodicité est acquise. Ce formalisme est discutable dans le cas de petites particules où la périodicité n’est pas une propriété du système. On a donc intérêt, pour les particules de très petite taille, à calculer l’énergie électronique à partir de la chimie quantique. Le modèle le plus simple est donné par l’approximation de Hückel. Cette méthode très simplifiée néglige les termes d’échange et de corrélation. Elle est très utilisée (avec succès) pour les molécules organiques. On peut essayer de l’appliquer aux agrégats. Prenons le cas le plus simple où il n’y a qu’une seule fonction d’onde | Ψ par site de type s. Dans ce modèle, la fonction d’onde |Ψ est donnée par une combinaison linéaire d’orbitales atomiques |m correspondant à celles de l’atome isolé. Soit l’expression de |Ψ  am |m (2.49) |Ψ = m

am sont les coefficients, m indique l’indice de l’atome considéré. Dans le modèle le plus simple (métaux alcalins, métaux nobles), |m correspond à des orbitales de type s (sphériques). Écrivons l’hamiltonien du système H   am |m = E am |m (2.50) H|Ψ = H m

m

Soit encore l’hamiltonien Hückel proprement dit   |m m| + β |m n| H = (Eat + α) m

(2.51)

m,n

α et β sont des paramètres explicites. α s’appelle intégrale de dérive. Elle traduit le décalage en énergie du niveau atomique de l’atome isolé m Eat

Cohésion d’un agrégat : origine, liaison chimique

31

comparé à celle de l’atome m appartenant à l’agrégat. β est appelé intégrale de résonance et correspond dans le modèle TBSMA à l’intégrale de recouvrement ou intégrale de saut. Cette intégrale correspond à la liaison covalente liante établie entre deux atomes dans le modèle de Heitler et London. Les deux atomes monovalents mettent en commun leurs électrons de spin opposés pour établir une liaison. Comme dans l’approximation au second moment, on se limitera aux premiers voisins. Donc pour un atome m donné, les interactions n’auront lieu qu’avec les atomes n vérifiant la condition « n est voisin de m ». Pour une chaine linéaire on aura n=m±1. Dans le modèle de Hückel, par commodité on choisit pour référence α = 0. Cette opération correspond à un simple décalage des énergies et n’affecte pas la comparaison des énergies de cohésion des agrégats en fonction de leurs tailles. De plus il est commode de donner les énergies de liaison en unités de β, soit pour les calculs β = 1. 2.2.5.2

Énergie de cohésion dans le modèle de Hückel

Dans le modèle de Hückel, l’énergie de cohésion correspond à l’énergie totale du système. Chaque solution de l’équation séculaire notée i fixe un niveau d’énergie sur lequel on peut mettre deux électrons. Le nombre total d’électrons correspond dans le cas d’un système monovalent au nombre d’atomes total N . Le nombre de valeurs propres ne pouvant pas excéder N , l’énergie totale (énergie propre solution de l’hamiltonien de Hückel) s’écrit soit j = N/2 avec N pair Etotale = N (Eat + α) + 2β

j 

i

(2.52)

i + βj+1

(2.53)

i

soit j = (N − 1)/2 avec N impair Etotale = N (Eat + α) + 2β

j  i

j fixe le niveau le plus haut en énergie pour accueillir les deux derniers électrons si N est pair, j +1 fixe le niveau le plus haut en énergie pour accueillir le dernier électron si N est impair. L’énergie de cohésion est la différence entre l’énergie totale de la particule et l’énergie des N atomes isolés constituant l’agrégat. Dans le cas de N pair Ecoh = Etotale − N Eat = N α + 2β

j 

i

(2.54)

i

dans le cas de N impair Ecoh = N α + 2β

j  i

i + βj+1

(2.55)

Les agrégats

32

Dans le cas où l’on compare avec le solide massif, on peut introduire l’énergie de cohésion par atome définie par Ecoh/at =

Ecoh N

(2.56)

La référence des énergies étant le niveau zéro, les valeurs propres négatives correspondent aux états liants de la molécule. On commencera donc à remplir les couches à partir des énergies les plus négatives. Dans le référentiel α = 0, β = 1, le formalisme se simplifie : soit l’équation séculaire  am (Hm,n − Eδm,n ) = 0 (2.57) m

ou encore det|(Hm,n − Eδm,n )| = 0

(2.58)

avec la notation classique, δm,n = 1 si m = n et δm,n = 0 si m = n Dans ce cas la valeur de Hm,n vérifie les conditions Hm,n = β = 1 si m est voisin de n et Hm,n = 0 si m n’est pas voisin de n. La figure 2.5 donne les énergies de liaison (énergie d’atomisation divisée par le nombre d’atomes) en unités de Hückel (α = 0, β = 1) pour des particules globalement de forme sphérique dans l’approximation de Hückel, et ce pour le système cubique dans les trois modes : P (primitif, cubique simple), I (centré, cubique centré) et F (cubique faces centrées). Le modèle est très proche du modèle de la goutte avec des irrégularités dans la courbe qui traduisent des excès de stabilité que le modèle de la goutte ne peut pas reproduire. Nous verrons dans le chapitre suivant que ces irrégularités s’expliquent par un modèle en couches [Lindsay et al. (1990)]. De ces trois courbes on peut extraire le meilleur fit (courbe continu). Pour les trois structures on obtient respectivement (en unités de β) structure cubique simple (cs) E = 2.0048(1 − 0.82N −1/3 )

(2.59)

structure cubique centré (cc) E = 2.0641(1 − 0.82N −1/3 )

(2.60)

structure cubique faces centrées (cfc) E = 2.6168(1 − 0.82N −1/3 )

(2.61)

On trouve que la dépendance en taille est la même que pour le modèle de la goutte avec le même préfacteur 0.82 (équation 2.19). Ce résultat a semblé étrange dans un premier temps à la communauté scientifique dans la mesure où le modèle de Hückel ne tient pas compte de l’échange corrélation alors que le modèle de la goutte en tient compte dans l’approximation du jellium où le

Cohésion d’un agrégat : origine, liaison chimique

33

Fig. 2.5 – Énergies de liaison (énergie d’atomisation divisée par le nombre d’atomes) en unités de Hückel (α = 0, β = 1) pour des particules de forme quasi-sphérique dans l’approximation de Hückel et ce pour le système cubique dans les trois modes P (primitif, cubique simple) I (centré, cubique centré) et F (cubique faces centrées) [Lindsay et al. (1990)]. Par comparaison le modèle de la goutte est représenté en trait plein. On notera que le modèle de Hückel intègre la symétrie du réseau contrairement au modèle de la goutte ou le modèle TBSMA. Dans ce dernier la symétrie du réseau nécessiterait l’introduction des moments supérieurs à 4 dans le calcul.

gaz d’électrons est traité exactement. La première erreur serait de considérer que les termes d’échange et de corrélation sont négligeables. Il n’en est rien ! Dans un système où les électrons sont tous délocalisés (métaux simples avec des électrons de valence de type s), le terme d’échange compense le terme de corrélation. Nous verrons par la suite le cas opposé de la liaison ionique où les électrons sont fortement localisés. Dans ce cas les termes d’échange et de corrélation ont une amplitude sensiblement égale et s’ajoutent. Ceci est à l’origine de la constante de Madelung comme nous le verrons par la suite. 2.2.5.3

Géométrie des petits agrégats

La figure 2.6 donne en comparaison les géométries prévues pour les premiers agrégats de sodium neutres dans le schéma de Hückel par D.M. Lindsay et collaborateurs [Lindsay et al. (1987a); Wang et al. (1987); Lindsay et al. (1987b)] (partie gauche) et dans un calcul autocohérent dans le formalisme de la DFT et l’approximation de la densité locale (à droite) par J.L. Martins et collaborateurs [Martins et al. (1985)] ou V. Bonacic-Kouteck` y [Bonacic-Kouteck` y et al. (1988)].

Les agrégats

34 (unités atomiques) Na 3 D3h Na 9 D 3h

Na 4 D2h

Na 8 D 2d

Na 5 C 2v

Na 6 C 5v

Na 7 D 5h

Fig. 2.6 – Géométrie d’équilibre pour les premiers agrégats neutres de sodium. À gauche, modèle de Hückel, à droite modèle « auto cohérent ». Les figures originales sont données dans les articles suivants : modèle de Hückel [Lindsay et al. (1987a); Wang et al. (1987); Lindsay et al. (1987b)], modèle auto cohérent [Martins et al. (1985)]. (Droite) Reprinted by permission from American Physical Society, Physical review B, COPYRIGHT 1985. (gauche) Reprinted by permission from AIP publishing, Journal of Chemical Physics, COPYRIGHT 1987.

Il est remarquable de constater que les géométries sont sensiblement identiques dans les deux formalismes. Le calcul auto cohérent donne des informations sur la distance entre atomes. Cet accord quasi parfait ne doit pas masquer la réalité. Il est dû au fait que le terme d’échange corrélation est peu influent dans les alcalins, ce qui valide une approximation de type Hückel. Dans le cas de métaux plus complexes, les géométries de Hückel peuvent être très éloignées de la réalité. Ceci est normal, sinon on aurait des structures universelles pour les petits agrégats métalliques. En fait ce qui est surprenant c’est que le modèle de Hückel marche pour les petits agrégats d’alcalins, à cause d’effets de compensation.

2.2.6

Modèle réaliste

Le modèle de Hückel ne traite pas les termes d’échange corrélation. Des calculs dans le formalisme de la DFT donnent des résultats plus pertinents surtout pour les métaux plus complexes que les alcalins. Il reste le problème des isomères. Une des techniques utilisées consiste à partir d’une géométrie « raisonnable » proche d’un polyèdre « standard » et d’optimiser la géométrie autour de la géométrie de départ. On trouvera dans la littérature spécialisée les différents algorithmes utilisés (dynamique moléculaire, Monte Carlo, gradient conjugué . . . ). Cependant, rien ne prouve que la géométrie trouvée soit la plus stable. Il suffit par exemple de converger vers un minimum local dans l’espace

Cohésion d’un agrégat : origine, liaison chimique

35

des phases. Pour illustrer les limites de validité du modèle de Hückel, il suffit de regarder l’évolution de la géométrie pour des agrégats métalliques de plus en plus complexes. - Métaux alcalins : les géométries données dans la figure 2.6 montrent que le modèle de Hückel est pertinent. - Métaux nobles : l’électron de valence est un électron s mais les états « d » très proches des états s, et même les états p plus profonds peuvent modifier l’énergie de cohésion. Le modèle de Hückel dans sa forme primitive ne décrit pas ces interactions. La figure 2.7 (gauche) montre la géométrie la plus stable pour des agrégats d’or calculée dans le formalisme autocohérent de la DFT. On voit que pour la plupart des agrégats, les prédictions d’un modèle de type Hückel ne sont pas correctes sauf pour Au5 . Cela fixe indirectement l’ordre de grandeur des termes correctifs (auto cohérence, échange corrélation) non pris en compte dans le diagramme de Hückel. - Métaux trivalents : il y a trois électrons de valence (deux électron s, un électron p). L’atome a donc une structure du type s2 p. Dans le solide, le comportement est du type trivalent. Sachant que la couche s est pleine, ce comportement dans le solide ne peut s’expliquer que si un électron s est promu dans un état p. On parlera alors d’hybridation entre les états s et p. Cette hybridation se fait lorsque le bilan énergétique est favorable. Il y a un coût en énergie pour passer d’un état s vers un état p (énergie de promotion) et un gain d’énergie en passant d’un système où il devient plus facile de faire une liaison trivalente (trois électrons participent à la liaison au lieu d’un seul). La figure 2.7 Al 4

Al 5

Al 6

Al 7

Al 8

Al 9

Al 10

Al 11

Fig. 2.7 – (Partie gauche) Géométries d’équilibre pour les premiers agrégats d’or neutres [Singh et Sarkar (2015)]. On comparera ces géométries avec celles prévues dans le modèle de Hückel de la figure 2.6. (Partie droite) Géométries d’équilibre pour les premiers agrégats d’aluminium neutres [R. Fournier (2007)]. (Gauche) Open access article is distributed under a Creative Commons Attribution (CC-BY) 4.0 license. (Droite) Reprinted by permission from American Chemical Society, Journal of Chemical Theory and Computation, COPYRIGHT 2007.

Les agrégats

36

(droite) donne les géométries possibles pour les petits agrégats d’aluminium. Celles-ci diffèrent des géométries de Hückel. L’hybridation est en grande partie responsable de cet écart. Notamment, on observe une transition rapide vers une forme tridimensionnelle caractéristique d’une augmentation du nombre de premiers voisins. Cette augmentation du nombre de premiers voisins favorise l’hybridation sp. Cependant les géométries prévues dépendent fortement du code de calcul utilisé illustrant l’importance des termes de corrélation.

2.3

Cohésion des systèmes purement covalents

2.3.1

Introduction

Dans le paragraphe 2.2, nous avons discuté le cas de la liaison métallique. Celle-ci est caractérisée par la délocalisation des électrons. La grande isotropie du système permet de valider en première approximation le modèle de la goutte. Nous allons maintenant aborder le problème des semi-conducteurs homonucléaires, purement covalents, ce qui signifie que la liaison est fortement localisée entre les atomes premiers voisins. En conséquence, le modèle de la goutte sera inadaptée. On distinguera deux classes d’atomes. Ceux appartenant au cœur de la particule et dont la liaison sera peu perturbée et ceux appartenant à la surface et dont la liaison sera perturbée par l’absence même de liaison au-delà de cette surface. Pour un raisonnement simple, nous adopterons le concept d’hybridation classique en chimie quantique. La liaison covalente « pure » concerne les quatre premiers éléments de la colonne IVA, à savoir le carbone, le silicium, le germanium et l’étain.

2.3.2

Géométrie dans la phase massive

Le carbone se présente sous quatre formes dans les conditions normales : le graphite (hexagonal et rhomboédrique) et le diamant (cubique et hexagonal) (voir figure 2.8). La phase clathrate n’est pas synthétisée à ce jour. Elle est théoriquement stable dans les conditions normales. Les phases communes sont le graphite hexagonal et le diamant cubique. La phase fullerite (empilement cubique faces centrées de fullerènes C60 ) peut être synthétisée, c’est un solide Van der Waals. La phase Schwarzite d’hybridation quasi sp2 et composée d’hexagones et d’heptagones n’a jamais pu être synthétisée. Le silicium se présente sous la forme diamant (cubique et hexagonal) et la forme clathrate de type II (empilement de fullerènes Si20 et Si28 partageant des faces communes. La phase clathrate « pure » n’est pas synthétisée à ce jour. Elle est stabilisée par des atomes dopants à l’intérieur des cages. La phase tétragonale du silicium β-étain (dite étain blanc) n’est pas une phase stable dans les conditions normales de pression et de température (300 K, P = 1 atm). Le germanium se présente sous la forme diamant (cubique) et clathrate (sous réserve d’un dopage). L’étain se présente sous la forme diamant cubique (α-étain) (dite

Cohésion d’un agrégat : origine, liaison chimique

a

37

b

d c

e g f Fig. 2.8 – Quelques phases cristallines pour les systèmes covalents. a : diamant hexagonal (C, Si), b : diamant cubique (C, Si, Ge, Sn), c : graphite hexagonal (C), d : graphite rhomboédrique (C), e : clathrate de type II (Si, Ge), f : fullerite (C), g : Schwarzite (C hypothétique). L’étain existe également dans la phase tétragonale (β étain) d’après la référence [P. Mélinon et B. Masenelli (2012)]. COPYRIGHT Pan Stanford 2012.

étain gris, c’est un semi-conducteur) et tétragonale (β-étain). Cette dernière phase est métallique. L’étain blanc est stable au dessus de 13 ◦ C. Prenons l’exemple du carbone. La phase stable dans les conditions standards (T = 300 K, P = 1 atm) est la phase type graphite (hybridation sp2 ). À haute température/haute pression, la phase graphitique se transforme en phase diamant. Le graphite liquide où l’on peut spéculer une haute coordinance apparait dans des conditions extrêmes ce qui est conforme avec les prédictions faites à partir des propriétés de l’atome. Ces phases de haute coordinance sont parfois dites métalliques. Dans le cas du silicium, la phase stable est la phase diamant. La phase BC8, phase de plus haute coordinance) apparait à haute pression (12 GPa environ). La phase liquide réputée de haute coordination apparait à une température voisine de 1700 K. Dans le cas du germanium, la tendance est identique avec une loi d’échelle conforme aux prédictions faites à partir de l’atome. Les phases types BC8 ou « liquide » apparaissent à des énergies (température ou pression) plus modérées. Pour l’étain, la phase stable à 300 K est la phase β métallique. La phase diamant α devient rapidement

Les agrégats

38

stable à basse température (T < 286 K). Le plomb situé juste en dessous dans la même colonne du tableau périodique est métallique à cause des effets relativistes dans l’atome (distorsion des orbites atomiques et effet spin orbite). Au fur et à mesure qu’on descend dans la colonne IV, les phases métalliques tendent à s’imposer. On voit donc clairement la corrélation entre les propriétés de l’atome et le solide correspondant. On peut donc raisonnablement s’attendre à ce que les propriétés des agrégats suivent cette corrélation.

2.3.3

Énergie de cohésion

2.3.3.1

Configuration de l’atome/ liaison chimique

Les éléments concernés sont dans la colonne IVA du tableau périodique et concernent donc cinq éléments : C, Si, Ge, Sn et Pb. La structure des électrons de valence de l’atome sont du type s2 p2 . On se limitera à ces quatre électrons pour définir la base dite « minimale ». Nous verrons par la suite que cette base est incomplète pour expliquer le comportement des agrégats de silicium, du germanium et de l’étain. Ce dernier n’est pas covalent en raison d’une forte métallicité due à un nombre quantique principal élevé et aux effets relativistes associés. On se restreint aux quatre premiers éléments, le cinquième, le plomb, étant métallique. Comme dans le paragraphe 2.2.5.1, nous utiliserons le modèle de Hückel introduit pour le carbone et les molécules organiques. L’hamiltonien s’écrit (on se limitera également à un modèle aux premiers voisins) |Ψ =



am |m

(2.62)

m

H = (Eat + α)

 m

|m m| + β



|m n|

(2.63)

m,n

Dans le cas des métaux monovalents on ne distingue qu’une seule intégrale de saut (ou intégrale de recouvrement) mélangeant les états s de chaque électron de valence soit (2.64) β =< si |V (i)|sj > Dans le cas des semiconducteurs, il y a quatre électrons de valence du type « s » et « p ». Nous distinguerons quatre types de  liaisons appelées intégrales de saut d’où l’utilisation de la notation générale β m,n -ssσ < 0 mélange entre les deux états « s » des deux atomes de la liaison. -spσ > 0 mélange entre un état « s » et un état « p » colinéaire (état σ) de l’autre atome de la liaison. -ppσ > 0 mélange entre deux états « p » colinéaires des deux atomes de la liaison dans la direction x. -ppπ < 0 (pour le carbone) mélange entre deux états « p » perpendiculaires à la liaison (état π) des deux atomes.

Cohésion d’un agrégat : origine, liaison chimique

39

Soit H l’hamiltonien du système, on définit les intégrales de saut Vssσ =< si |H|sj >

(2.65)

Vspσ =< si |H|pjx,y,z >

(2.66)

Vppσ =< pix |H|pjx >

(2.67)

Vppπ =< piξ |H|pjξ >

(2.68)

avec ξ = y, z On notera que le recouvrement d’une orbitale « s » et « pπ » est nul. Dans le modèle empirique universel de Harrisson [Harrison (1973); Harrison et Ciraci (1974)], on peut définir ces intégrales pour chaque élément. La dépendance d’après Harrisson est en 1/d2 où d est la distance entre les atomes. On a donc successivement (en eV.Å−2 ) Vssσ =

−10.67 d2

(2.69)

+14.02 (2.70) d2 +24.69 (2.71) Vppσ = d2 −6.17 (2.72) Vppπ = d2 Pour compléter ces valeurs, il reste à ajouter les termes diagonaux de l’hamiltonien définis par (2.73) s =< si |H|si > Vspσ =

p =< pi |H|pi >

(2.74)

Tab. 2.4 – Valeurs des intégrales de saut pour les orbitales atomiques, ainsi que la distance entre premiers voisins pour les éléments de la colonne IVA. Ces valeurs sont données par Harrison [Harrison (2012)]. élément C Si Ge Sn

d en Å 1.54 2.35 2.44 2.80

s -17.52 -13.55 -14.38 -12.50

p -8.97 -6.52 -6.36 -5.94

Vssσ -4.50 -1.93 -1.79 -1.36

Vspσ +5.91 +2.54 +2.36 +1.79

Vppσ +10.41 +4.17 +4.15 +3.15

Vppπ -2.60 +1.12 +1.04 +0.79

Le tableau 2.4 donne les différentes valeurs numériques pour le carbone, le silicium, le germanium et l’étain. On trouvera dans la littérature d’autres valeurs. Il ne faut pas oublier que celles-ci sont largement empiriques. Les paramètres définis concernent les orbitales atomiques. Nous allons maintenant définir les trois hybridations. Dans tous les cas il y a promotion d’un électron

Les agrégats

40

s vers un état p. On aura donc dans le solide en moyenne 1/4 des électrons dans un état s et 3/4 des électrons dans un état p. Le terme de dérive Δ appelé « énergie métallique » traduit l’énergie de promotion d’un électron s pour accéder à un état p sachant que les trois autres électrons (1 électron s et deux électrons p) restent inchangés. Δ=

s − p 4

(2.75)

le terme 1/4 provient du fait que par atome, seul un des quatre électrons est concerné par cette promotion. 2.3.3.2

Hybridation

Il reste à définir les trois hybridations (figure 2.9) possibles entre atomes voisins notées respectivement sp, sp2 et sp3 . base minimale avant hybridation

ns

np x

np z

np y

n=2 (C), , 3 (Si), 4 (Ge) 5 (Sn)

sp 2

sp 3 sp

Fig. 2.9 – Hybridations dans la base minimale sp. Dans l’hybridation sp3 les orbitales hybridées pointent dans la direction d’un tétraèdre. Les quatre orbitales hybrides s’écrivent ⎧ |h1 >= 12 [|s > +|px > +|py ⎪ ⎪ ⎪ ⎨ |h2 >= 12 [|s > +|px > −|py ⎪ |h3 >= 12 [|s > −|px > +|py ⎪ ⎪ ⎩ |h4 >= 12 [|s > −|px > −|py ou bien de façon compacte

> +|pz > −|pz > −|pz > +|pz

|ha >=

>] > >] >]

√ 1 [|s > + 3|p >] 2

(2.76)

Cohésion d’un agrégat : origine, liaison chimique

41

Dans l’hybridation sp2 le réseau cristallin est planaire et hexagonal. Les trois orbitales hybrides s’écrivent ⎧ 2 ⎪ √1 |s > − >= |h ⎪ 1 ⎨ 3 |px > 3 1 1 |h2 >= √3 |s > + √6 |px > + √12 |py > ⎪ ⎪ ⎩|h >= √1 |s > + √1 |p > − √1 |p > 3

3

6

x

2

y

auxquelles il faut rajouter une orbitale |pz > pure par atome qui sera à l’origine de la liaison « π ». Dans l’hybridation sp le réseau correspondant est linéaire. Les deux orbitales

hybrides s’écrivent |h1 >= √12 |s > +|px > |h2 >=

√1 |s 2

> −|px >

À laquelle il faut rajouter les orbitales |py > et |pz > pures. Chaque atome a deux voisins. 2.3.3.3

Énergie de cohésion

On peut construire des intégrales de saut dites de Slater-Koster. Parmi toutes les combinaisons possibles on ne retiendra que la liaison colinéaire entre deux atomes β qui est responsable de la cohésion électronique β = − < ha1 |H|hb1 >

(2.77)

a et b sont relatifs aux atomes a et b voisins entre eux. En particulier on aura pour l’intéraction π-π βπ = − < pz1 |H|pz2 >

(2.78)

On peut montrer respectivement que l’intégrale β s’écrit +1 (Vssσ + 2Vppσ + 2Vspσ ) (2.79) 2 √ −1 (−Vssσ − 2Vppσ − 2 2Vspσ ) βsp2 = (2.80) 3 √ −1 [−Vssσ + 6/ 3Vspσ + 3Vppσ ] (2.81) βsp3 = 4 En toute généralité cette formule demeure valable quelle que soit l’hybridation en écrivant pour une hybridation spn (n = 1, 2, 3). Si l’on suppose que l’énergie de cohésion est dominée par l’énergie de cohésion électronique, celle-ci peut s’écrire au premier ordre en fonction de β (voir annexe) βsp =

Ecoh,e = (n + 1)βspn − (n + 1)Δ +

(1 + n) Δ2 2 βspn

(2.82)

Les agrégats

42

À laquelle il faut ajouter l’énergie de cohésion de la bande π portée par le recouvrement des orbitales pz dans le cas de l’hybridation sp2 . On peut montrer que cette énergie de cohésion est égale à environ 1.5βπ . Dans le cas de l’hybridation sp, il faut ajouter l’énergie de cohésion de la bande π portée par le recouvrement des orbitales py et pz . On peut montrer que cette énergie de cohésion est égale à environ 2.6βπ . |Ecoh,e,sp3 | = 4|β0,sp3 | + 4Δ + 2 |Ecoh,e,sp2 | = 3|β0,sp2 | + 3Δ +

Δ2 |β0,sp3 |

3 Δ2 + 1.5|βπ,sp2 | 2 |β0,sp2 |

|Ecoh,e,sp | = 2|β0 sp| + 2Δ +

Δ2 + 2.6|βπ,sp | |β0,sp |

(2.83)

(2.84) (2.85)

Il est nécessaire de connaitre l’évolution de β en fonction de la distance r entre les atomes. On voit que dans le modèle de Harrisson, la dépendance de β est en 1/d2 . Pour des raisons de commodité de calcul (la fonction exponentielle est facile à dériver), il est plus simple d’écrire cette dépendance sous la forme (deq étant la distance d’équilibre) β = β0 exp(−q(d − deq )/deq )

(2.86)

q est un paramètre supposé connu, deq la distance entre deux atomes à l’équilibre, β0 l’intégrale de saut à la distance d’équilibre. Écrivons maintenant l’énergie de répulsion sous la forme Erep = ZC exp(−pr)

(2.87)

Erep = A exp(−p(d − deq )/deq )

(2.88)

ou plus explicitement

Le terme A est une constante supposée connue. On en déduit l’énergie de cohésion par exemple dans la base sp3 c, cEcoh = Ecoh,e − Erep = 4β0 e(−q(d−deq )/deq ) − 4Δ+ 3 2 (+q(d−deq )/deq ) Δ e − Ae(−p(d−deq )/deq ) β0

(2.89)

Le paramètre A se déduit à partir de l’énergie calculée à la distance d’équilibre δEcoh = 0 |d=deq (2.90) δr On en déduit Δ2 q ) (2.91) A = (−3β0 + 3 p β0

Cohésion d’un agrégat : origine, liaison chimique

43

Soit en combinant les équations 2.89 et 2.91 q Δ2 q Ecoh = 4β0 (1 − ) − 4Δ + 3( + 1) p p β0

(2.92)

Une formule approchée consiste à négliger le terme correctif en Δ β0 qui, dans le calcul de la densité d’états est largement surestimé. Dans ce cas, l’expérience montre que le rapport q/p est proche de 0.5, on peut donc donner une approximation de l’équation précédente 2

Ecoh = 2β0 − 4Δ

(2.93)

Le tableau 2.5 donne les valeurs des énergies de cohésion pour les quatre éléments. Ces valeurs sont à comparer aux valeurs réelles des énergies de cohésion. On voit que la tendance est correcte mais les valeurs trouvées sont très éloignées des valeurs expérimentales. Tab. 2.5 – Énergies de cohésion calculées par la formule 2.93 et comparées à l’expérience [Harrison (2012)]. élément C Si Ge Sn

2.3.3.4

Ecoh théorique 19.54 5.06 3.18 1.94

Ecoh expérimentale 7.36 4.62 3.88 3.12

Échange corrélation

Une amélioration substantielle consiste à utiliser un modèle hamiltonien du type Hartree Fock dans lequel on tient compte du principe d’exclusion de Pauli, le calcul étant auto cohérent. La construction d’une fonction antisymétrique de produits d’orbitales a pour conséquence d’introduire un terme d’échange. Il reste à tenir compte du terme de corrélation Ecor . L’énergie de Hartree Fock correspond au maximum espéré de l’énergie de cohésion vraie Eexact . On a coutume d’écrire (2.94) Eexact = EHartree − Ecorr Son origine est liée essentiellement à la corrélation des électrons entre eux (donc non indépendants), ceux-ci cherchant à augmenter au maximum leur distance respective pour minimiser la répulsion. Ce terme a été calculé de façon formelle pour un gaz d’électrons libres. On peut estimer un ordre de grandeur en comparant un atome, son anion et son cation. Soit 2X → X + + X −

(2.95)

La charge globale est nulle des deux côtés de l’équation 2.95. Cette réaction a pour énergie U =I −A (2.96)

Les agrégats

44

Où I est la première énergie d’ionisation e, A la première affinité électronique et U l’énergie de corrélation estimée dans cette approche. De façon classique, il s’agit de répartir un électron différemment puisqu’un électron se localise sur un des deux atomes. Cette fluctuation correspond approximativement à l’énergie de corrélation Ecorr . Le tableau 2.6 donne les valeurs numériques pour les quatre éléments considérés. Tab. 2.6 – Valeurs de l’énergie de corrélation pour les quatre éléments. Les valeurs du potentiel d’ionisation I et de l’affinité électronique se trouvent sur le site http ://www.webelements.com/webelements/index.html

élément carbone silicium germanium étain plomb

I (eV) 11.26 8.15 7.90 7.34 7.41

A (eV) 1.59 1.38 1.23 1.11 0.36

U (eV) 9.67 6.77 6.67 6.23 7.05

Cette énergie est considérable et n’est pas négligeable devant Ecoh dans le modèle de Hückel (voir le tableau 2.5). Il apparait donc que l’estimation de l’énergie de cohésion et de la bande interdite nécessite un modèle ab initio dans lequel les termes d’échange corrélation sont convenablement traités. Le modèle le plus utilisé actuellement est la fonctionnelle de densité de Kohn Sham, appelée parfois par raccourci « hamiltonien de Kohn Sham ». Cette énergie de corrélation change peu suivant la structure du solide. L’estimation d’une phase stable (par exemple phase graphite comparée au diamant) ne nécessite pas formellement un traitement exact de la corrélation. Des modèles plus simples sont satisfaisants. 2.3.3.5

Base non minimale comportant les états d

La structure électronique des éléments de la colonne IV comporte quatre électrons de valence. Nous pouvons considérer la possibilité d’avoir des états excités par promotion d’un électron interne d’une couche s ou p vers un état d. Par symétrie des orbitales, l’hybridation s-p-d imposera une géométrie beaucoup plus compacte au solide. Pour savoir si cette situation est probable il suffit de regarder l’énergie de promotion sur un atome (tableau 2.7) Qualitativement on voit que le carbone ne peut pas adopter une géométrie compacte par hybridation s-p-d car la promotion vers l’état 3d est trop élevée en énergie. Le silicium, germanium et étain peuvent adopter cette géométrie compacte dans certains cas, notamment sous haute pression. Or, un agrégat à l’état fondamental est soumis à une pression interne élevée donnée par la relation de Gibbs ΔP = 2γ/R où γ est la tension de surface. Les agrégats de petite taille de Si, Ge et Sn pourront donc aisément adopter une forme compacte analogue aux phases haute pression de ces éléments.

Cohésion d’un agrégat : origine, liaison chimique

45

Tab. 2.7 – Énergies de promotion s-p et s-d pour les éléments de la colonne IVA. Dans le cas du plomb la promotion s-p n’est pas observée en dessous du seuil d’ionisation. Les valeurs min et max correspondent aux différents états et nombres quantiques « J » d’après « Atomic Energy Levels » C.E. Moore, National Bureau of Standards » Washington USA.

carbone Δ(eV ) min Δ(eV ) max silicium Δ(eV ) min Δ(eV ) max germanium Δ(eV ) min Δ(eV ) max étain Δ(eV ) min Δ(eV ) max plomb Δ(eV ) min Δ(eV ) max

2.3.4

2s2 2p2 0 2.68 3s2 3p2 0 1.91 4s2 4p2 0 2.03 5s2 5p2 0 2.13 6s2 6p2 0 3.65

2s2p3 4.18 7.94 3s3p3 6.0 6.6 4s4p3 6.87 7.14 5s5p3 4.91 4.91 6s6p3 -

2s2 2p3d 9.63 9.83 3s2 3p3d 5.61 5.87 4s2 4p4d 6.0 6.55 5s2 5p5d 5.41 5.52 6s2 6p6d 5.63 5.71

Géométrie des agrégats covalents : quelques considérations générales

Un agrégat présente une surface. Une liaison existe dans le volume entre un atome A et un atome B. Si l’atome B est retiré (ce qui sera le cas pour les atomes de surface), on aura alors une liaison fictive entre A et B. Cette liaison fantôme est due au caractère covalent qui a tendance à localiser les électrons dans l’axe de la liaison géométrique AB. Cette liaison fantôme est appelée liaison pendante. Il apparait que la présence de liaisons pendantes diminue fortement l’énergie de cohésion du système. On dit que la liaison pendante est « déstabilisante ». La compacité n’est pas un critère de stabilité pour la liaison covalente, contrairement à la liaison métallique. Ainsi la structure diamant (Fd3m) a une compacité de 0.34 comparée à 0.74 pour la structure cfc. Le critère d’optimisation est un critère géométrique avec l’image classique de l’hybridation. On a ainsi des structures linéaires à une dimension (hybridation sp), planes (hybridation sp2 ) et tridimensionnelles (hybridation sp3 ). Ces structures sont caractérisées par l’angle dièdre de l’hybridation. Tout écart angulaire introduit une énergie élastique déstabilisante. Les structures covalentes sont caractérisées par une séparation entre les états liants et antiliants (bandgap en anglais) d’une fraction d’électron volt à quelques électrons volts. Le problème se pose pour les structures de petite taille. La présence d’atomes à la surface engendre des liaisons insatisfaites (liaisons pendantes) qui

Les agrégats

46

introduisent des états dans le gap. L’existence de ces états à la surface devient dramatique lorsque la taille de l’agrégat décroit. Pour résoudre ce problème, l’agrégat adoptera une géométrie de plus haute dimensionnalité. Le coût en énergie élastique (déformation du réseau) doit être largement compensé par la suppression des états de surface. Pour des raisons topologiques, il sera possible de passer d’un système 1D (sp) à 2D (sp2 ) et 2D (sp2 ) à 3D (sp3 ). Le passage 3D (sp3 ) à un espace supérieur n’étant pas possible, le système ne pourra que générer des déformations locales appelées reconstructions de surface ou bien une réhybridation avec une augmentation du nombre de premiers voisins.

2.3.5

Les agrégats de carbone

De par sa petite taille, l’atome de carbone est extrêmement flexible et adopte toutes sortes d’hybridations sp, sp2 et sp3 contrairement à ses voisins isoélectroniques (Si, Ge, Sn) qui, globalement, adoptent une structure sp3 . Il en résulte que la chimie organique à base de carbone est beaucoup plus riche que celle du silicium par exemple. Le carbone est un élément « à part » du tableau périodique. 2.3.5.1

Mise en évidence de nouvelles structures

Lors du développement des sources à vaporisation laser permettant de produire des agrégats de tout matériau, les premiers spectres de masse d’agrégats de carbone ont été obtenus. La figure 2.10 à droite montre le premier spectre publié [Rohlfing et al. (1984)]. Ce spectre contient l’essentiel, une intensité plus forte de C60 et C70 et de plus, à partir de 40 atomes, les agrégats possédant un nombre pair d’atomes sont pratiquement les seuls présents. Ceci fut remarqué par ces auteurs mais non interprété. Un peu plus tard, en 1985, Smalley et ses collaborateurs [Kroto et al. (1985)] construisirent une source à vaporisation laser permettant de favoriser la production des agrégats les plus stables. Ils montrèrent alors que le pic C60 dominait totalement le spectre de masse (figure 2.10 à gauche). À partir de considérations topologiques (l’agrégat icosaédrique tronqué de bore analogue au carbone est connu depuis des dizaines d’années par les cristallographes [Donohue (1974)]) et énergétiques, Kroto, Heath, O’Brien, Curl et Smalley [Kroto et al. (1985)] proposèrent pour C60 une structure particulière de molécule cage en icosaèdre tronqué (voir figure 2.11). En fait, le C60 a la structure d’un ballon de football, on peut parler de footballène ou buckminsterfullerène, du nom de l’architecte américain inventeur du dôme géodésique, R. Buckminster Fuller. Comme nous allons le voir dans le paragraphe 2.3.5.2, l’une des grandes propriétés des fullerènes est le nombre pair d’atomes (condition nécessaire mais non suffisante pour avoir des fullerènes). La figure 2.12 montre trois spectres de masse observés sur des agrégats de carbone produits dans une source à vaporisation laser. La taille des agrégats dépend des paramètres de

Cohésion d’un agrégat : origine, liaison chimique

47

Intensité du signal d’ions

a

b

c

nombre d’atomes de carbone par agrégat

nombre d’atomes de carbone par agrégat

Fig. 2.10 – À droite, spectre de masse original de Rohlfing Cox et Kaldor montrant des excès de stabilité pour C60 [Rohlfing et al. (1984)]. Curl et Smalley [Kroto et al. (1985)] ont mis en évidence (courbe de gauche) que des réglages optimisés (a, b, c) des paramètres de nucléation dans une source à vaporisation laser (pression d’hélium, retard entre l’impulsion laser et l’injection de l’hélium . . . ) permettaient de produire pratiquement que du C+ 60 dans le spectre de masse (courbe a). À gauche, spectres de masse obtenus par Kroto, Curl et Smalley [Kroto et al. (1985)]. (a) Pression d’hélium de 760 mbar avec retard optimisé entre pulse d’hélium et impulsion laser (6.4 eV, 1 mJ cm−2 ), (b) 760 mbar d’He et (c) 10 mbar d’He. (À droite) Reprinted by permission from AIP publishing, Journal of Chemical Physics, COPYRIGHT 1984. (À gauche) Reprinted by permission from Springer Nature, Nature, COPYRIGHT 1985.

Fig. 2.11 – Fullerène C60 de symétrie icosaédrique.

réglage de la source. On voit nettement une abondance anormale pour l’agrégat de 60 atomes. On voit également qu’à partir de 60 atomes les agrégats à nombre impair d’atomes deviennent très minoritaires et ce pour des tailles considérables allant jusqu’à 400 atomes (voir le détail du spectre).

48

Les agrégats

Fig. 2.12 – Fullerène C60 et spectres de masses dans différentes gamme de tailles. On voit que la parité subsiste pour des tailles considérables. La présence d’une intensité anormale peut être considérée comme une anomalie de stabilité [P. Mélinon et B. Masenelli (2012)]. COPYRIGHT Pan Stanford 2012.

Le problème de cette méthode de synthèse (source à vaporisation laser) est l’impossibilité de produire en grande quantité cette espèce. En 1990, Kratschner et ses collaborateurs [Krätschmer et al. (1990)] réussissent à isoler et produire en grande quantité du C60 . La méthode consiste à produire un arc électrique entre deux électrodes de graphite dans une enceinte remplie d’hélium. Un processus de nucléation et de croissance s’amorce et de la suie de carbone se dépose sur les parois froides. La suie récoltée sur les parois contient quelques pour-cent de molécules Cn (C60 , C70 , C84 . . . ). Ces molécules sont solubles dans des solvants organiques comme le benzène ou le toluène et leur séparation s’effectue par chromatographie en phase liquide. Le spectre d’absorption optique dépendant de la taille, la couleur du C60 est magenta alors que la solution de C70 est orangée. La structure du C60 peut être identifiée par spectroscopie Raman (figure 2.13). La structure fut également confirmée par diffraction des rayons X. La découverte du C60 , une nouvelle phase du carbone, fut couronnée en 1996 par le prix Nobel de Chimie, attribué à Curl, Kroto et Smalley. Comme le dit R.E. Smalley dans sa conférence Nobel [Smalley (1997)] : « The only character of true genius in the fullerene story is carbon. Fullerenes are made wherever carbon condenses. It just took us a little while to find out ». En résumé, R. E. Smalley dit que c’est le carbone qui « mérite » le prix Nobel. Il est vrai que cet atome est extraordinaire par sa capacité à s’arranger de différentes manières. Le carbone devait d’ailleurs « recevoir » un nouveau prix Nobel, en Physique cette fois, pour le graphène [Novoselov et al. (2005)]. Et dire que tout cela est « écrit » dans la fonction d’onde de l’atome de carbone comme nous l’avons signalé en préambule !

Cohésion d’un agrégat : origine, liaison chimique

49

Fig. 2.13 – Spectre Raman théorique et expérimental du fullerène C60 d’après la référence [Dong et al. (1993)]. Le calcul du spectre Raman d’une molécule hypothétique correspondant à la structure d’icosaèdre tronquée proposée dans la figure 2.11 correspond au spectre Raman théorique. Le nombre de raies observables écarte toute ambigüité sur la structure. Reprinted by permission from American Physical Society, Physical Review B, COPYRIGHT 1993.

Les composés du carbone du type C60 sont appelés « fullerènes » et ont tous des caractéristiques communes : - une structure en cage (tous les atomes sont sur la surface) - un nombre pair d’atomes - exactement douze cycles pentagonaux. S’il est possible de produire en quantité des espèces comme C60 , voire C70 , il est illusoire d’espérer obtenir en grandes quantités toutes les variétés de tailles. En 1991, Michael T. Bowers et collaborateurs [von Helden et al. (1991)] étudient la géométrie de nanoparticules en utilisant la chromatographie en phase gazeuse (figure 2.14). Des agrégats de carbone sont produits en phase libre puis triés en masse. Ces agrégats, ionisés et soumis à un champ électrique, traversent un tube rempli de gaz à pression contrôlée. Ces agrégats vont interagir avec le gaz et le temps de traversée du tube sera proportionnel à la section efficace de collision. Pour un nombre d’atomes donné, les formes les plus compactes, donc proches d’une sphère, auront la plus grande mobilité. On pourra donc aisément observer des isomères ayant des formes diverses : « linéaire », « plan », cages. . . L’identification se fait par simulation des sections efficaces de collision en utilisant la théorie cinétique des gaz « réels ». Le résultat le plus remarquable est l’existence de « familles ». Les agrégats de quelques atomes ont une géométrie linéaire. Puis apparaissent les structures en cycles (anneaux) voire en bi-cycles (« nœud papillon »). Les structures planaires apparaissent

Les agrégats

50

Fig. 2.14 –

Spectromètre de mobilité des ions développé par Jarrold et collaborateurs [Jarrold et Honea (1991); Hudgins et al. (1999)] et M.T. Bowers [von Helden et al. (1991)]. Le système couple une source d’agrégats de carbone et un spectromètre de masse situé à la sortie du tube de vol. Les structures métastables peuvent évoluer vers des structures stables par un recuit laser à l’entrée du tube de temps de vol [Hudgins et al. (1999)]. Reprinted by permission from AIP publishing, Journal of Chemical Physics, COPYRIGHT 1999.

ensuite pour laisser la place aux structures du type fullerène à partir de 36 atomes. Cependant, pour une même taille il y a plusieurs isomères possibles (figure 2.15). Le seul moyen d’obtenir avec certitude des fullerènes sans isomères (C60 , C70 ) est d’utiliser une méthode de purification par un solvant du type de celle de Kratschner et ses collaborateurs [Krätschmer et al. (1990)]. 2.3.5.2

Hybridation sp2 : les fullerènes

Cette hybridation ne concerne formellement que le carbone. L’agrégat adopte une forme sphérique (passage 2D-3D). Pour cela, on introduit des pentagones dans la structure hexagonale de départ. Ces pentagones ont pour effet de courber le plan basal. Le théorème de Descartes Euler donne la relation entre le nombre de sommets S, de faces F et d’arêtes A pour obtenir un polyèdre convexe dont tous les sommets sont inscrits sur une sphère. S+F −A=2

(2.97)

L’hybridation sp2 génère un arrangement hexagonal donc de coordination trois. On peut lui associer des défauts pentagonaux qui courbent le plan de base hexagonal en un réseau convexe. On cherchera donc en priorité l’association de p pentagones (nombre d’arêtes 5) et h hexagones (nombre d’arêtes 6). Soit F =p+h

(2.98)

Cohésion d’un agrégat : origine, liaison chimique

51

Fig. 2.15 – Figure originale de von Helden et collaborateurs [von Helden et al. (1991)] montrant les différents isomères de carbone. Reprinted by permission from AIP publishing, Journal of Chemical Physics, COPYRIGHT 1991.

Chaque arête relie deux sommets et chaque sommet partage une arête avec trois voisins 3S = 2A (2.99) chaque arête est commune à deux polygones 2A = 5p + 6h = 5p + 6(F − p)

(2.100)

Soit finalement en utilisant les équations 2.97, 2.99 et 2.100 p = 12

(2.101)

Ce résultat remarquable est assez surprenant. Le nombre de pentagones doit être exactement de douze, le nombre d’hexagones étant quelconque. La seule condition est un nombre pair d’hexagones. L’exemple le plus populaire est le fullerène C60 avec vingt hexagones (figure 2.12). Il s’agit d’un icosaèdre tronqué en forme de ballon de football. Il est le premier fullerène à vérifier la loi IPR, acronyme de « Isolated Pentagon Rule » c’est-à-dire que chaque pentagone est entouré par des hexagones. Cette loi empirique stipule que le principe d’isoler les pentagones est un gage de stabilité. On vérifie effectivement que C60 est le premier fullerène de la série que l’on peut synthétiser de façon stable. Le plus petit est le dodécaèdre pentagonal C20 (douze pentagones, aucun hexagone). Il est à la base des structures dites « clathrates ». Le passage 2D-3D s’accompagne d’une réhybridation (figure 2.16). Cette réhybridation peut s’expliquer à partir d’un modèle purement géométrique. Il est basé sur l’analyse des angles entre les différentes liaisons (POAV, acronym anglais de π-Orbital Axis Vector Analysis) [Haddon et al. (1986); Haddon

Les agrégats

52

(1986)]. La construction d’un fullerène peut se comprendre à partir de la courbure d’un plan de graphite (graphène). graphene

fullerene dC-C

90o

R

0

C60

Fig. 2.16 – Courbure d’un plan de graphène pour former un fullerène sphérique et angles associés. Le plus petit fullerène stable C60 possède 12 pentagones isolés les uns des autres et 20 hexagones. L’angle θπσ est la déviation entre les directions des orbitales π et σ par rapport à la référence dans le graphène (plan infini, pas de courbure θπσ = π/2 car dans le graphène les orbitales π sont orthogonales au plan basal des liaisons σ). Ce facteur est purement géométrique et directement relié à la courbure.

On ne tient pas compte des distorsions locales entre les angles d’un pentagone ou d’un hexagone (POAV niveau 1) [Haddon (1986)], ce qui revient à considérer une sphère homogène composée de cellules identiques (hexagones). Ce modèle est donc grossier puisqu’il ne tient pas compte des distorsions locales et des variations de longueurs de liaison entre les pentagones et les hexagones. Dans ce cas on peut écrire de façon générale (on normalisera dans la base sp3 ) |h1 >= N1 [|s > +λ1 |p1 >] |h2 >= N1 [|s > +λ2 |p2 >] |h3 >= N1 [|s > +λ3 |p3 >] |hπ >= Nπ [|s > +λπ |pπ >]

(2.102)

On s’intéresse précisément à la liaison π et la contribution des électrons s et p de l’atome à cette liaison (d’où l’acronyme POAV, voir ci-dessus). L’hybridation de façon synthétique s’écrit spn avec 2 ≤ n ≤ 3. De façon plus précise, on définit la part de la composante p des orbitales σ en écrivant spn et la part de la composante s des orbitales π en écrivant sm p avec la relation entre n et m n = 3m + 2 (2.103)

Cohésion d’un agrégat : origine, liaison chimique

53

Dans le cas de l’hybridation sp3 (n = 3, m = 1/3) la comparaison entre les équations 2.102 et 2.3.5.2 donnent √ (2.104) λ 1 = λ2 = λ3 = 3 et λπ =



3

(2.105)

Il s’agit de la forme synthétique des orbitales hybrides dans la base sp3 déjà explicité dans l’équation 2.76. Dans le cas de l’hybridation sp2 il n’y a pas de contribution des orbitales s dans la liaison π soit m = 0. Soit en toute généralité √ (2.106) λ 1 = λ2 = λ3 = n 1 λπ = √ m

(2.107)

(remarque : dans le cas de l’hybridation sp2 m = 0 donc λπ = ∞, l’indétermination est levée par le facteur Nπ qui dans ce cas est nul, le rapport λπ /Nπ étant fini, cela veut simplement dire que la contribution s dans l’orbitale π est strictement nulle dans la base sp2 ). Les conditions d’orthogonalité entre les différents hybrides imposent une relation entre λσ ( λσ = λ1,2,3 ) et λπ , soit (voir la figure 2.16) λσ λπ cos θπσ + 1 = 0

(2.108)

en utilisant les équations précédentes il vient m=

2 cos2 θπσ 1 − 3 cos2 θπσ

(2.109)

n=

2 1 − 3 cos2 θπσ

(2.110)

ou encore

Pour le graphène on retrouve naturellement n = 2. Pour l’hybridation sp3 n = 3 ce qui correspond un angle θπσ = 70.43◦ . Le désalignement par rapport au plan basal π/2 est de 19.47◦ soit un angle dièdre de (90 + 19.47 = 109.47◦ ) correspondant aux angles dièdres du tétraèdre élémentaire de l’hybridation sp3 . Calculons maintenant la surface occupée par un atome de carbone dans le réseau plan sp2 hexagonal, si dC−C est la distance entre deux atomes, la surface d’un hexagone Shexa s’écrit Shexa =

33/2 d2C−C 2

(2.111)

Les agrégats

54

Sur chaque arête on a un atome, soit six atomes pour un hexagone. Chaque arête étant commune à trois hexagones, il y a un motif de deux atomes par cellule hexagonale, soit la surface occupée par un atome Sat Sat =

33/2 d2C−C 4

(2.112)

Le plan de graphite constitue la surface d’une sphère de rayon R infini. Cette surface S serait (2.113) S = 4πR2 La surface comprend N atomes (N = ∞ dans le cas d’un réseau graphite) soit une relation entre Sat et S S = N Sat

(2.114)

On suppose maintenant que ce formalisme reste valable lorsque R est fini. Cela correspond au cas où l’on commence à introduire une courbure dans le plan de graphite. Les équations 2.113 et 2.114 permettent d’établir une relation entre R et dC−C 33/4 R = (2.115) 1/2 dC−C 4π N −1/2 La figure 2.16 montre les relations géométriques entre dC−C , R et θπσ . On a sin(θπσ −

dC−C π )= 2 2R

(2.116)

On en déduit d’après 2.115 et 2.116 sin(θπσ −

2π 1/2 N −1/2 π )= 2 33/4

(2.117)

En utilisant l’équation 2.114 on peut calculer n en fonction du nombre d’atomes 2 (2.118) n= 1 − √4π 3N Cette équation introduit l’hybridation moyenne en fonction de la taille. Lorsque N tend vers l’infini on retrouve le cas du graphite avec n = 2. Cette équation doit être valable pour N ≥ 20 atomes qui correspond à la plus petite cage sphérique possible. Dans ce cas on trouve n = 3.13, valeur très proche de 3. Ce résultat est remarquable, en effet le fullerène C20 a, d’après le modèle POAV (1), une hybridation du type sp3 . Cela est conforme à l’observation expérimentale faite sur la structure clathrate dans le cas du silicium (voir figure 2.8). Dans le cas de C60 le modèle donne une hybridation de sp2,3 conforme à l’analyse de Mulliken dans un calcul ab initio. L’énergie de cohésion de l’agrégat a, dans un schéma classique de Hückel, deux origines. Une énergie liée à la liaison dans le plan de base du type σ et une énergie liée à la délocalisation et le recouvrement des électrons π. Nous

Cohésion d’un agrégat : origine, liaison chimique

55

supposerons que l’énergie de cohésion par atome proportionnelle à un terme β sera diminuée au fur et à mesure qu’il y a désalignement des orbitales. Si ce désalignement est représenté par l’angle θπσ − π2 on peut écrire une variation quadratique de la forme π ΔE = −ξ(θπσ − )2 E 2

(2.119)

ξ est un facteur à préciser, E serait l’énergie de cohésion par atome d’un plan parfait, soit l’énergie de cohésion du graphite, et ΔE la diminution de l’énergie de cohésion par atome par rapport à cette référence. On peut le paramétrer en introduisant l’énergie de cohésion pour un agrégat connu, C60 par exemple. Cette énergie est mesurée expérimentalement et calculée à l’aide d’un modèle ab initio. Sachant que ΔE = 0.4eV on obtient une estimation de ξ soit ξ ≈ 3 × 10−3 . On voit que ce modèle empirique permet de prévoir l’énergie de cohésion par atome dans un fullerène (figure 2.17). La diminution de l’énergie de cohésion lorsque la taille du fullerène diminue explique le changement de structure pour les petites tailles au profil de l’hybridation sp. La transition entre plans de graphène et fullerènes s’explique par la compétition entre énergie de contrainte due à la courbure et énergie déstabilisante proportionnelle au nombre de liaisons pendantes comme indiqué sur la figure 2.18. Les très gros fullerènes deviennent instables. La liaison π va jouer un rôle et dans ces systèmes on observe des structures dites en oignons (fullerènes concentriques) qui peuvent se comprendre par la courbure du graphite à la place d’un simple plan de graphène. La séquence de construction de chaque couche est donnée par la relation Ni = N1 i2

(2.120)

avec pour i = 1 N1 = 60. Les nombres magiques de oignons seront 60, 300(60+ 240), 840(60 + 240 + 540), 1780(60 + 240 + 540 + 940), 3280 . . . Un exemple est donné figure 2.19. Cependant le modèle POAV a ses limites compte tenu qu’il repose sur le concept d’hybridation. Comme déjà mentionné, l’énergie de corrélation joue un grand rôle et seul un calcul ab initio intégrant le terme d’échange corrélation peut prédire l’isomère le plus stable (figure 2.20). 2.3.5.3

Hybridation sp : anneaux

On peut adopter la même démarche pour expliquer la formation des anneaux (passage d’une structure 1D à 2D) où l’on a compétition entre courbure et énergie déstabilisante portées par deux liaisons pendantes. La transition entre chaine et anneau se fait à partir de 10 atomes (en dessous la courbure est trop forte), valeur très proche de la prédiction déduite d’un calcul simple d’orbitales moléculaires de Pitzer et Clementi en 1959 [Pitzer et Clementi (1959)]. Comme

Les agrégats

56 3.2

1.2

3

0.8

2.8

0.6

2.6

0.4

2.4

0.2

2.2

0

0

50

100

150 N

200

250

mean hybridization n

E (eV)

1

2 300

2.17 – Énergie relative au graphène dans différents modèles [P. Mélinon et B. Masenelli (2012)], POAV (courbe du bas), liaisons fortes paramétrées [Zhang et al. (1992)] (carrés blancs) et calculs ab initio [B.I. Dunlap (1993)] (carrés noirs). Pour ces derniers, l’énergie est la différence entre l’énergie totale de la structure dans le formalisme de la fonctionnelle de densité diminuée de l’énergie totale de tous les atomes isolés de la structure, le tout divisé par le nombre d’atomes. La valeur de référence est C60 . L’hybridation moyenne dans le modèle POAV est également indiqué. COPYRIGHT Pan Stanford 2012. Fig.

le prévoit la règle d’aromaticité de Hückel, les systèmes ayant N = 4k + 2 atomes sont favorisés (donc les systèmes à nombre pair d’atomes, sans nécessairement avoir une structure de type fullerène !).

2.3.6

Les agrégats de silicium, germanium et étain dans l’hybridation sp3

2.3.6.1

Agrégats dans la base minimale sp

Les propriétés des fonctions d’ondes atomiques de ces éléments font qu’ils ne peuvent pas s’hybrider en sp2 ou sp, mais seulement en sp3 ou spd dans une base non minimale (voir ci-dessous). Comme signalé, les agrégats hybridés sp3 ne peuvent pas augmenter la dimensionnalité, on se contente d’une reconstruction de surface pour minimiser les liaisons pendantes. Le principe est exactement le même que celui décrit dans le modèle POAV. Le type de reconstruction dépend de la nature de l’élément. Par analogie avec le modèle POAV deux atomes de surface présentant des liaisons pendantes vont se dimériser pour favoriser le recouvrement des orbitales et ainsi gagner de l’énergie, ceci devant contrebalancer l’énergie élastique de contrainte liée au déplacement des deux atomes. Des reconstructions peuvent faire apparaitre un ensemble

Cohésion d’un agrégat : origine, liaison chimique

* *

* *

* *

* *

57

* *

* * périmètre moyen

zone de croisement

Fig. 2.18 – Nombre de liaisons pendantes dans une structure ouverte d’un agrégat de graphène (sans contrainte) comparé à des structures de type fullerènes respectant la règle des pentagones isolés, C60 étant la référence avec un nombre de liaisons pendantes nul (premier fullerène à respecter la règle des pentagones isolés où tous les pentagones sont entourés par des hexagones). Le cercle indique la zone de croisement. Les fullerènes au-delà de 70 atomes (ayant par construction un nombre pair d’atomes) n’ont pas de liaisons pendantes. Les valeurs numériques sont extraites de Haufler et collaborateurs [Haufler et al. (1991)].

Fig. 2.19 – Structure icosaédrique d’oignons « parfaits » d’après Terrones et collaborateurs [Terrones et al. (2002)] . Reprinted by permission from Springer nature, Structural Chemistry, COPYRIGHT 2002.

très élevé d’atomes de surface (par exemple reconstruction 7 × 7 du silicium). La plupart des reconstructions font apparaitre des structures pentagonales en surface. On considère que la reconstruction d’un agrégat de structure diamant peut être assimilée à une structure cœur coquille où le cœur est constitué par une structure diamant et une coquille du type fullerène. Ces structures ont pour nom les « buckyballs » (figure 2.21). Le même principe existe pour le silicium où l’agrégat Si33 est constitué d’un cœur « diamant » (un tétraèdre Si5 ) entouré d’un fullerène Si28 . Cet agrégat possède une bande interdite de 0.3-0.5 eV ce qui explique sa très faible réactivité envers l’ammoniac. Cet agrégat est considéré comme l’équivalent de C60 (plus petit fullerène à cœur plein

Les agrégats

58

Fig. 2.20 – Énergie de cohésion de différentes formes isomériques d’agrégats de carbone déduite d’un calcul Monte Carlo quantique d’après Kent et collaborateurs [Kent et al. (2000)]. Reprinted by permission from American Physical Society, Physical Review B, COPYRIGHT 2000.

N towards diamond

CN

(N=147) N onion

(-59.756 eV) (-59.538 eV)

(-60.04 eV)

towards graphite N

Fig. 2.21 – Transformation calculée d’un agrégat C147 (a) d’une structure « buckydiamond » vers une structure oignon, (b) d’une structure oignon vers une structure cage, (c) d’une structure « bucky-diamond » vers une structure cage. Les atomes de différentes couleurs sont tous du carbone. Tous ces isomères ont une différence totale d’énergie inférieure à 0.5 eV et donc coexistent dans une synthèse. D’après Yu et collaborateurs [Yu et al. (2009)]. Reprinted by permission from Elsevier, Physica E : Low-dimensional Systems and Nanostructures, COPYRIGHT 2009.

« stuffed fullerene »). La position de Si5 à l’intérieur de Si28 est multiple car ces structures sont quasi dégénérées (figure 2.22).

Cohésion d’un agrégat : origine, liaison chimique

59

Si33

Fig. 2.22 – Construction d’un agrégat Si33 pouvant être considérée comme un bucky diamond reconstruit à la surface [Mélinon et al. (1997)]. Reprinted by permission from AIP publishing, Journal of chemical physics, COPYRIGHT 1997.

2.3.6.2

Agrégats dans la base non minimale spd

Lorsque la taille des agrégats de silicium décroit, le nombre d’atomes en surface induit une densité de liaisons pendantes trop élevée pour assurer la stabilité de l’édifice. D’autres hybridations impliquant des électrons promus dans les états d permettent d’augmenter l’énergie en assurant un plus grand nombre de premiers voisins (figure 2.23). Ces agrégats adoptent des formes compactes avec des grandes familles cristallographiques (phase dite β étain, BC-8, ST-12. . . ). Comme signalé, ces structures sont issues du diagramme de phase haute pression du silicium massif (figure 2.24). Ces agrégats n’ont généralement pas de bande interdite, sauf celle liée aux agrégats ayant un très petit nombre d’atomes. Jarrold et Constant [Jarrold et Honea (1991)] ont montré, par mesure de chromatographie en phase gazeuse, la coexistence entre de nombreux isomères et une compétition entre des formes allongées (prolate) ou aplaties (oblate) (figure 2.23).

2.4

Cohésion des systèmes ioniques

2.4.1

Introduction

Contrairement aux autres types de liaisons discutés dans ce chapitre, celle-ci n’existe pas de façon formelle et reste associée à une partie covalente. Elle ne s’applique pas à des systèmes monophasés puisqu’elle nécessite une différence entre les électronégativités des éléments la composant (exemple : Na+ Cl− ). On se limitera au cas des liaisons quasiment purement ioniques, donc cela concerne typiquement l’association des éléments des colonnes I et VII (NaCl par exemple). Plus généralement, elle concerne aussi un métal et un élément des colonnes VI ou VII (par exemple ZnS ou oxydes métalliques). La liaison ionique est traitée convenablement de façon classique à l’aide de potentiels à 2

Les agrégats

60

Fig. 2.23 – a) Mobilités en fonction de la taille pour des agrégats de silicium. Les lignes pointillées sont des prédictions théoriques pour des formes allongées ou sphériques d’après Jarrold et Constant [Jarrold et Honea (1991)]. b) Autres mesures faites par Hudgins et collaborateurs [Hudgins et al. (1999)]. Les cercles noirs correspondent aux espèces les plus abondantes, les cercles blancs aux moins abondantes. Les carrés et les diamants sont des géométries calculées par Jackson et collaborateurs [Jackson et al. (2005)]. Les isomères calculés sont indiqués pour N = 22. Reprinted by permission from American Physical Society, Physical Review letters, COPYRIGHT 1991 (en haut) Reprinted by permission from American Physical Society, Physical Review letters, COPYRIGHT 2004 (en bas).

corps. Paradoxalement, le traitement quantique est beaucoup plus délicat en raison de la forte corrélation électronique.

2.4.2

Liaison ionique dans la phase massive

2.4.2.1

Définition

S’il existe une énorme différence d’électronégativité entre deux éléments, il y a transfert d’un ou plusieurs électrons de l’élément le plus électropositif vers

Cohésion d’un agrégat : origine, liaison chimique quatre premiers voisins

61 six premiers voisins

Fig. 2.24 – Diagrammes de phase du silicium, germanium et étain montrant la transition vers des phases compactes pour les petites tailles en raison de l’augmentation de la pression de Gibbs. D’après la base de données du « Phase diagrams of the elements Department of Energy’s (DOE) SciTech Connect » (figures disponibles dans la publication originale [Young (1975)] (voir également [Young (1991)])). l’élément le plus électronégatif. Les ions (anions) formés sont constitués d’un cœur central indéformable où l’essentiel de la densité électronique est concentré et d’une sphère extérieure déformable, polarisable, contenant une faible densité électronique. La liaison n’étant pas symétrique, l’atome le plus électronégatif reçoit un excès d’électrons et a donc une charge négative. Inversement, l’autre atome perd des électrons et acquiert une charge positive. La molécule est alors un dipôle électrique, on dit que la liaison est polarisée. La présence de liaisons polarisées n’implique pas l’existence d’un moment dipolaire global de la molécule, en effet les moments dipolaires des liaisons peuvent s’annuler les uns les autres pour des raisons géométriques. Comme nous allons le voir, la structure des agrégats ioniques suit parfaitement celle de la phase massive. Il est donc important de rappeler les propriétés de la liaison ionique. 2.4.2.2

Structures de la phase solide

Comme nous allons le voir par la suite, les composés fortement ioniques ont des structures cristallographiques de 3 types différents bien connues en matière condensée qu’on appelle : structure type NaCl, CsCl et ZnS, respectivement (voir figure 2.25).

Les agrégats

62

structure NaCl

structure CsCl

structure ZnS

Fig. 2.25 – Structures NaCl, CsCl et ZnS (cubique). Les atomes de couleur foncée (bleue) représentent les cations (Na+ , Cs+ , Zn++ ) et de couleur gris moyen (rouge) les anions (Cl− et S−− ). Les cations sont représentés par les sphères de petites tailles. La structure NaCl est cubique, sa base est un cube avec alternance d’ions positifs ou négatifs. Chaque ion positif a pour voisins 6 ions négatifs et inversement. La structure CsCl est cubique centrée, chaque ion est placé au centre d’un réseau cubique et possède 8 voisins d’ions de charge opposée. Dans le cas de ZnS (Zincblende structure) il s’agit d’un réseau diamant dans lequel chaque ion possède 4 voisins de charge opposée. La figure 2.26 donne les paramètres cristallographiques de ces trois structures. D’un point de vue cristallographique, si l’on oublie la nature différente des ions (en supposant que le rayon de l’anion soit identique à celui du cation), on aurait d’autres structures équivalentes indiquées sous la figure 2.26. Les premières zones de Brillouin correspondant à une forme de Wulff classique sont montrées. Le changement de structure aura une énorme importance pour la stabilité des agrégats. 2.4.2.3

Énergie de cohésion : approche classique « rigide »

Dans ces modèles, on suppose que les ions sont des objets indéformables. Ceci est un paramètre clef de la liaison ionique. Plus que la taille de l’ion lui-même la polarisation de l’ion (l’aptitude d’un ion à se déformer sous l’influence du champ électrique dû à son entourage) ou le pouvoir de polarisation pour le cation (l’aptitude à provoquer une déformation de l’anion) va favoriser le caractère covalent au détriment de l’ionicité (règles de Fajans [Fajans (1923)]). Ainsi AgCl est beaucoup moins ionique que NaCl. Les ions sont caractérisés par des grandeurs tabulées ri , rj et rij : Les rayons de l’anion i, du cation j et du couple anion-cation respectivement [Kittel (2005)]. Ces grandeurs sont connues et tabulées pour les principaux cristaux ioniques à partir des données expérimentales mesurables comme l’énergie de cohésion, les propriétés élastiques, les fréquences de vibration. . . Les potentiels utilisés par la suite sont des potentiels empiriques.

Cohésion d’un agrégat : origine, liaison chimique

63

Fig. 2.26 – Données cristallographiques et polyèdres associés pour les trois structures les plus courantes. On remarquera que la forme ZnS conserve le même polyèdre si l’on « oublie » la nature différente des anions et des cations.

2.4.2.4

Potentiel de Coulomb-Born-Mayer [M.L. Huggins et J.M. Mayer 1933] : approche rigide

Dans cette approche, on ne tient pas compte de la déformation des ions et on suppose que les atomes se comportent comme des charges ponctuelles, l’ionicité ayant sa valeur asymptotique fi = 1. Dans ce cas l’énergie potentielle entre deux ions de charges opposées à la distance r s’écrit Upot =

A −M(n)e2 + p r r

(2.121)

où e est la charge élémentaire normalisée (e2 = qe2 /4π0 ), n la valence, r la distance, M la constante de Madelung issue de la sommation de toutes les interactions attractives et répulsives dans le cristal. A et p sont des constantes caractérisant la partie répulsive du potentiel. La principale caractéristique de ce potentiel est la longue portée (potentiel de Coulomb en 1/r). Nous nous limiterons au cas d’un cristal où les atomes sont des centres de symétrie (nous verrons par la suite le problème lié aux structures non centrosymétriques). À l’équilibre r = Req on peut écrire δUpot =0 (2.122) δr ce qui nous donne l’énergie réticulaire totale d’un cristal comportant N anions et N cations Etot = Upot (r = Req ) = −

N M(n)2 e2 A + p Req Req

(2.123)

Req est la distance entre proches voisins. On peut donner une approximation de cette équation en introduisant un paramètre empirique ñ

Les agrégats

64 Etot = Upot (r = Req ) = −

N M(n)2 e2 1 (1 − ) Req n ˜

(2.124)

L’expérience montre que ñ ∼ 10. La constante de Madelung (sans dimension) M ne dépend que de la symétrie du réseau cristallin et s’écrit formellement    (−1)Φ(α, β, γ)Req (2.125) M= r(α, β, γ) α γ β

(α, β, γ) sont les coordonnées des atomes du cristal, Φ le potentiel en un point. Cette sommation s’effectue avec les premiers voisins, puis les seconds voisins, etc. Elle converge très lentement car il y a des termes positifs et négatifs (cations et anions) qui se compensent. On trouvera dans la littérature différentes approches pour accélérer la convergence [Izgorodina et al. (2009)]. Pour cela, on additionne le potentiel créé par les premiers voisins d’un ion quelconque (potentiel attractif), celui créé par ses seconds voisins (potentiel répulsif puisqu’il s’agit alors d’ions de même signe), celui créé par ses troisièmes voisins. . . Ce calcul met en jeu une série (infinie) de termes alternativement positifs ou négatifs en espérant que la série converge rapidement (ce qui n’est pas toujours le cas) (figure 2.27). Il est à noter que ce calcul repose sur le théorème de superposition (figure 2.27) dont la justification physique n’est pas triviale. En effet on considère que l’attraction pour le n-ième voisin est purement Coulombienne et s’affranchit de l’écrantage des (n−1) voisins précédents. La justification ne peut se faire, comme nous allons le voir par la suite, que par un calcul quantique. Le tableau 2.8 donne quelques valeurs de la constante de Madelung pour des structures standards Tab. 2.8 – Constantes de Madelung pour quelques structures standards. NaCl 1.748

2.4.2.5

CsCl 1.768

CaF2 2.524

ZnS 1.638

Potentiel Born-Mayer-Huggins : terme de polarisation

Pour un couple d’ions anion/cation notés respectivement i et j distants de r, les problèmes de polarisabilité sont traités en rajoutant à l’équation 2.121 un terme attractif du type Van der Waals −

ˆbij a ˆij − r6 r8

(2.126)

a ˆij et ˆbij sont des paramètres ajustables. Le premier terme est un terme attractif dipôle-dipôle (voir le paragraphe suivant), le second un terme attractif quadripôle-dipôle. On préfère écrire la partie répulsive du potentiel sous forme exponentielle et non en 1/rp comme dans l’équation 2.121 soit b(r) = cij b exp(ri + rj − rij )/ρ

(2.127)

Cohésion d’un agrégat : origine, liaison chimique

65

Fig. 2.27 – En haut, principe de superposition pour le calcul de la constante de Madelung dans une chaine linéaire. En bas, convergence de la constante de Madelung en fonction du nombre de voisins pour la structure NaCl. La convergence étant lente, cela peut se traduire par un effet sur des petits agrégats. Il existe plusieurs méthodes pour accélérer la convergence dans le calcul. i et j sont des ions du réseau, b, ρ et cij des constantes tabulées, ri et rj les rayons ioniques. Le potentiel de Born Mayer Huggins pour le réseau (type NaCl ou CsCl) s’écrit U=

C −Mn2 e D − 6 − 8 + B(r) r r r

(2.128)

C et D sont des constantes tabulées, B(r) est le potentiel répulsif (après intégration de b(r) sur tous les i, j). Celui-ci s’écrit à partir de l’équation 2.127 en tenant compte uniquement du nombre de premiers et seconds voisins pour deux cations B++ (r) = bc++ Zsv exp(2r+ − ςr)/ρ

(2.129)

B−− (r) = bc−− Zsv exp(2r− − ςr)/ρ

(2.130)

pour deux anions

pour un anion et un cation B+− (r) = bc+− Zpv exp(r+ + r− − r)/ρ

(2.131)

B(r) est définie par 1 B(r) = B+− (r) + [B++ (r) + B−− (r)] 2

(2.132)

Zpv est le nombre de premiers voisins d’un ion (entre + et -), Zsv le nombre de seconds voisins (entre + et + ou - et -), ς est le rapport des distances entre

Les agrégats

66

le second voisin et le premier voisin. L’ensemble des paramètres pour différents éléments est donné dans les tableaux 2.9, 2.10 et 2.11. Tab. 2.9 – Valeurs des rayons ioniques en Å d’après Huggins et collaborateurs [M.L. Huggins et J.M. Mayer (1933)] . r+ r−

Li+ 0.475 F− 1.110

Na+ 0.875 Cl− 1.475

K+ 1.185 Br− 1.600

Rb+ 1.320 I− 1.785

Cs+ 1.455

Tab. 2.10 – Paramètres universels ς, Zpv , Zsv , ρ en Å et cij en fonction de la structure (première ligne NaCl seconde ligne CsCl). Pour CsCl les valeurs particulières de cij sont entre parenthèses (d’après Huggins et collaborateurs [M.L. Huggins et J.M. Mayer (1933)]) .

ς 0.707 1.155

Zpv 6 8

Zsv 12 6

ρ 0.345 0.345

B++ 1.25 1.25 (2.00)

B−− 0.75 0.75 (0.75)

B+− 1.00 1.00 (1.375)

Tab. 2.11 – Valeurs de C et D pour quelques cristaux. Les unités respectives sont 10−60 erg.cm6 et 10−76 erg.cm8 . Pour les unités en eV.Å6 et eV.Å8 , les valeurs du tableau sont à multipliées par 0.625 (d’après Huggins et collaborateurs [M.L. Huggins et J.M. Mayer (1933)]). C C D D C C D D

LiF 18 NaCl 180 LiF 11 NaCl 180 LiBr 183 NaI 482 LiBr 190 NaI 630

NaF 46 KCl 452 NaF 31 KCl 560 NaBr 271 KI 924 NaBr 300 KI 1420

KF 167 RbCl 691 KF 150 RbCl 960 KBr 605 RbI 1330 KBr 800 RbI 2240

RbF 278 CsCl 1530 RbF 290 CsCl 2600 RbBr 898 CsI 2970 RbBr 1340 CsI 5800

CsF 495

LiCl 113

CsF 600

LiCl 104

CsBr 2070

LiI 363

CsBr 3600

LiI 470

Cohésion d’un agrégat : origine, liaison chimique 2.4.2.6

67

Énergie de cohésion : approche classique « non rigide »

[Thimme Gowda et al. (1985)] Comme nous l’avons déjà signalé, le cation va pouvoir déformer l’anion. On peut introduire une polarisabilité pour chaque ion avec possibilité de déformation de cet ion. L’ossature est toujours le potentiel de Born Mayer. Soit le potentiel « rigide » de Born Mayer que l’on peut réécrire sous la forme  1 qi qj rij (2.133) [ + Aij exp(− )] EBM = 4π r ρ 0 ij i 0.645 0.645 > r+ /r− > 0.414 0.414 > r+ /r− > 0.225 0.225 > r+ /r− > 0.155 0.155 > r+ /r−

Nv 12 8 8 8 4 4 4

polyèdre cubo cube AQ O T TE linéaire

struc. inconnue CsCl NaCl ZnS 2D 1D

M 1.763 1.748 1.638-1.641 1.386

Les agrégats

72 2.4.3.3

Règle 3 de Pauling

La stabilité des structures ayant différents polyèdres est dans l’ordre suivant : - les polyèdres partagent les sommets, - les polyèdres partagent les arêtes, - les polyèdres partagent les faces. Cette loi provient du fait que les ions de même charge situés au centre du polyèdre doivent être le plus éloigné possible l’un de l’autre pour minimiser la répulsion Coulombienne. La figure 2.29 illustre cette règle. Le tableau 2.14 donne les distances pour les polyèdres de la figure 2.29, distances normalisées au cas le plus favorable sommet-sommet. Cette distance concerne la partie répulsive cation-cation ou éventuellement anion-anion.

Structure NaCl

partage les faces coordination 8

Structure ReO 3

Structure CsCl

partage les sommets coordination 6

partage les arêtes coordination 6

Structure ZnS

coordination 4

Fig. 2.29 – Polyèdres de coordination pour quelques structures. Bien que la coordinance de la structure NaCl soit élevée, les polyèdres partagent leurs faces, ce qui est très défavorable. La structure CsCl serait moins favorable que la structure ReO3 sachant que pour une coordination égale, la structure ReO3 partage les sommets. Cependant les structures doivent obéir à la règle 1 et optimiser la compacité au vu du rapport r+ /r− .

Tab. 2.14 – Distances entre ions de même signe normalisées à la distance sommetsommet.

polyèdre cube octaèdre tétraèdre

sommet-sommet 1 1 1

arête-arête 0.71 0.71 0.58

face-face 0.58 0.58 0.33

Cohésion d’un agrégat : origine, liaison chimique 2.4.3.4

73

Règle 4 de Pauling

Dans un cristal contenant différents cations de valence élevée et de faible coordination, la règle numéro 1 n’est pas applicable. 2.4.3.5

Règle 5 de Pauling

Un composé ionique doit avoir un nombre minimum de constituants.

2.4.4

Composés ioniques concernés

De l’ensemble de ces règles, on en déduit qu’un composé sera considéré comme purement ionique si : - sa structure est cubique simple type NaCl ou bien centrée type CsCl - la structure reste cristalline. Ce dernier critère provient du fait que l’amorphisation nécessite un caractère covalent non négligeable. Pour la suite nous ne discuterons que de ce type de composés où l’ionicité est grande (fi > 0.785).

2.4.5

Centres colorés

Les défauts ponctuels sont des défauts sans dimension qui ont une taille de l’ordre de la distance interatomique. Nous nous limiterons aux lacunes et aux interstitiels. La présence de défauts ponctuels entraine une distorsion locale du réseau cristallin et engendre un champ de contrainte dans un volume du cristal supérieur à celui du défaut lui-même. Les lacunes correspondent à des sites atomiques inoccupés dans la structure. Les interstitiels sont des atomes qui s’insèrent dans les espaces vides du réseau cristallin. Ces défauts correspondent à des sites, qui, normalement occupés dans le cristal parfait, sont inoccupés dans le cristal réel. Dans les cristaux ioniques, la création de défauts doit préserver la neutralité électrique du matériau. En conséquence, les défauts sont créés par paire de signes opposés. On distingue les défauts de Shottky constitués de l’association d’une lacune anionique et d’une lacune cationique et les défauts de Frenkel constitués par l’association d’une espèce (anion ou cation) interstitielle et de la lacune associée. Il existe un grand nombre de défauts dans un cristal ionique, nous nous limiterons au centre F (F provient de Farbe en allemand qui signifie couleur, l’énergie d’absorption étant dans le visible pour un matériau pur transparent lorsqu’il est sans défaut). Ce défaut (qui n’est pas un défaut de Frenkel) dit de centre F est illustré dans la figure 2.30, il correspond à une lacune anionique Cl− sur l’exemple de la figure. Pour préserver la neutralité on aura donc un électron célibataire piégé au centre d’un octaèdre cationique (Na+ ).

Les agrégats

74

Fig. 2.30 – Illustration d’un défaut de type F. L’environnement de l’électron est composé aux premiers voisins par des cations en sites octaédriques. Ceci peut être donné approximativement par une symétrie sphérique [Laughlin (1965)] ou encore de façon plus simplifiée par une boite. En première approximation, on pourra considérer que le système est globalement modélisé par un électron confiné dans une boite. L’énergie de l’électron confiné s’écrit simplement En =

2 π 2 2 k 2 = 2m 2m(nd)2

(2.148)

n est un nombre entier 1, 2 . . . , d est la largeur du puits (la moitié du paramètre de maille a). L’énergie associée au centre F s’écrit en faisant la différence entre le fondamental n = 1 et la première harmonique n = 2 soit E2p−1s =

32 π 2 8md2

(2.149)

La notation 1s et 2p correspond au traitement complet d’un électron plongé dans un potentiel de symétrie sphérique qui fait intervenir dans la distribution radiale le nombre quantique l. Le potentiel est obtenu par intégration dans une sphère d’Ewald utilisée pour calculer la constante de Madelung (potentiel créé par l’alternance des charges + et -). Ce traitement plus réaliste est mentionné dans l’article original de Laughlin [Laughlin (1965)]. L’équation 2.149 montre que le seul paramètre est le paramètre de maille (a = 2d). En fait expérimentalement, la bande d’absorption du centre F suit une loi universelle dite de Mollwo-Ivet [Popov et al. (2010)] E(F centre) = 17.7a−1.84 eV

(2.150)

Cohésion d’un agrégat : origine, liaison chimique

75

(a en Å). La dépendance en puissance inférieure à 2 s’explique par le fait que le modèle utilisé pour obtenir l’équation 2.149 est trop simplifié. On utilise aussi une masse effective dans l’équation 2.149 à la place de m pour en tenir compte. Ce phénomène est également observé dans le confinement des semiconducteurs puisque l’on traite également (voir chapitre 4) le confinement d’un électron dans une boite. Cette énergie E(F centre) est comprise entre 1.5 et 4 eV pour la plupart des composés ioniques. Cette composante dans le visible justifie le nom de « centre coloré ».

2.5 2.5.1

Liaison ionique dans les agrégats Généralités

Dans les agrégats, on s’attend à ce que la liaison ionique reste ionique comme elle l’est dans la molécule diatomique (NaCl par exemple). La structure des agrégats « ioniques » sera donc a priori proche de la phase solide en ce qui concerne l’arrangement des anions et des cations. En effet la distribution radiale de paires d’un composé ionique met en évidence un ordre à courte et à moyenne distance concernant les polyèdres de coordination. Les anions restent entourés d’un maximum de cations et vice-versa. On doit s’attendre qu’un effet de taille conserve cette règle qui semble générale. Cependant, un certain nombre de paramètres peuvent fortement influencer la structure finale, à savoir - le réseau cristallin, - la constante de Madelung, - la présence des faces, - le non respect de la neutralité électrique puisque le nombre de cations peut être différent du nombre d’anions, - la brisure de symétrie due à la surface qui peut générer un moment dipolaire. En résumé, les règles de Pauling ne peuvent pas être strictement satisfaites dans tous les cas, particulièrement pour les petits agrégats. Cependant la très grande portée de la liaison ionique (en 1/R) fera en sorte que ces règles soient largement préservées. 2.5.1.1

Plans denses

La surface d’un composé ionique engendre une brisure de symétrie dans l’environnement de l’ion. Les tableau 2.15 et 2.16 donnent les valeurs des énergies de surface pour les principaux plans observés dans les structures NaCl et CsCl. Le calcul [van Zeggeren et Benson (1957)] utilise le potentiel de Born-MayerHuggins décrit dans le paragraphe 2.4.2.6. La figure 2.31 montre trois familles de plans de haute symétrie. D’après la figure 2.31, les faces les plus denses doivent être pour la structure NaCl les plans (111), et respectivement (110) pour la structure CsCl. Cependant, on voit d’après cette même figure, que

Les agrégats

76

Tab. 2.15 – Énergies de surface γ(100) en meV/Å2 pour une face (100). LiF 10.55 LiBr 12.23

NaF 13.04 NaBr 11.04

KF 12.17 KBr 9.42

RbF CsF LiCl NaCl KCl RbCl CsCl 11.61 13.04 12.03 10.17 9.67 RbBr CsBr LiI NaI KI RbI CsI 8.99 - 11.29 10.05 8.49 8.11 -

Tab. 2.16 – Énergies de surface γ(110) en meV/Å2 pour une face (110). l’astérisque * désigne les structures qui cristallisent suivant le réseau cfc de NaCl. Les autres structures sont du type cc CsCl.

LiF* 51.9 LiBr* 30.3

NaF* 39.9 NaBr* 24.7

KF* RbF* CsF 30.1 27.0 25.3 KBr* RbBr* CsBr 19.8 18.2 14.0

LiCl* 34.8 LiI* 25.3

NaCl* 27.8 NaI* 21.1

KCl* RbCl* CsCl 22.0 20.2 15.2 KI* RbI* CsI 17.1 15.8 12.6

Structure NaCl

plan (110)

plan (110)

plan (111)

structure CsCl

plan (100)

plan (110)

plan (111)

Fig. 2.31 – Plans (100), (110) et (111) pour les structures NaCl et CsCl. Les flèches indiquent les plans denses au sens de la cristallographie. Les figures encadrées représentent les plans réellement observés.

la famille de plans (111) a peu de chance d’exister en raison de la configuration géométrique des charges, ce qui est confirmé par le calcul (pour NaCl, γ111 = ∞). En effet les plans (111) sont composés soit d’anions soit de cations d’où une forte répulsion Coulombienne dans le plan. La structure NaCl va adopter des familles de plans (100) les plus stables (alternance de cations et d’anions). Pour la structure CsCl ce sera des plans (110). Dans ce cas, la forme d’équilibre des agrégats type NaCl sera un cube, et ce malgré le fait que cette face soit peu dense dans la structure cubique faces centrées du réseau lui-même.

Cohésion d’un agrégat : origine, liaison chimique

77

On remarque l’énorme différence entre les énergies de surface (100) et (110) dans la structure NaCl (voir les tableau 2.15 et 2.16). Si l’on applique le théorème de Wulff, on aurait la relation R110 = R100

γ110 = 2.37R100 γ100

(2.151)

Sachant que dans un cube, toute troncature d’une arête disparait lorsque R110 > 21/2 R100 , la forme d’équilibre de la structure NaCl sera un hexaèdre (cube) parfait. 2.5.1.2

Polarisation

Il est intéressant de connaitre l’origine de l’énergie de surface. Dans la liaison délocalisée (un métal), l’énergie de surface représente essentiellement le déficit de coordinance. Dans le cas de la liaison ionique, la configuration géométrique des charges et la polarisation jouent un rôle fondamental. Les tableau 2.17 et 2.18 donnent la contribution due aux dipôles (dipôle et quadrupôle) calculée à l’aide du potentiel de Born Mayer Huggins dans l’énergie de surface. Le reste est dû à la partie attractive/répulsive. On voit que cette contribution représente la moitié de l’énergie de surface pour une famille de plans (100) et seulement d’un quart pour une famille de plans (110). On remarquera une anomalie sur les composés du lithium où la polarisabilité est extrêmement forte.

2.5.2

Centres colorés dans les agrégats

Dans un agrégat, pour des raisons topologiques (un cube parfait peut comporter un nombre impair d’atomes), on pourra être amené à ne pas conserver la neutralité électrique du matériau. Celui-ci se trouve naturellement chargé Tab. 2.17 – Contribution exprimée en pourcents de la polarisabilité dans l’énergie de surface d’un plan (100) d’après Van Zeggeren et collaborateurs [van Zeggeren et Benson (1957)]. LiF 87.3 LiBr 65.8

NaF 43.8 NaBr 48.6

KF 44.4 KBr 47.4

RbF CsF LiCl NaCl KCl 51.9 64.1 66.8 46.9 47.2 RbBr CsBr LiI NaI KI 50.7 67.8 52.5 49.2

RbCl CsCl 51.4 RbI CsI 51.6 -

Tab. 2.18 – Contribution exprimée en pourcents de la polarisabilité dans l’énergie de surface d’un plan (110) d’après Van Zeggeren et collaborateurs [van Zeggeren et Benson (1957)]. LiF 19.5 LiBr 28.4

NaF 26.8 NaBr 24.1

KF 23.2 KBr 26.6

RbF 26.9 RbBr 30.0

CsF 35.6 CsBr 55.1

LiCl 26.8 LiI 32.2

NaCl 22.2 NaI 27.3

KCl 26.1 KI 28.2

RbCl 29.8 RbI 31.2

CsCl 53.6 CsI 55.5

Les agrégats

78

positivement ou négativement. Barnett et Landman [Barnett et Landman (1996)] ont étudié la structure théorique de petits agrégats de NaCl (Na4 Cl4 ) dont l’un non stœchiométrique (Na4 Cl3 ). L’étude des courbes isoélectroniques montre une localisation de l’électron là où il y a la lacune de chlore, ce qui s’apparente directement à un centre F (figure 2.32). Naturellement les effets de taille finie donnent des énergies différentes de celles obtenues pour le solide massif.

Fig. 2.32 – Courbes isoélectroniques comparées dans Na4 Cl4 (à gauche) et Na4 Cl3 (à droite). La géométrie calculée à l’état fondamental montre que le cube est préservé. La courbe isoélectronique de l’état HOMO est également montrée, d’après [Barnett et Landman (1996)]. Reprinted by permission from American Chemical Society, The Journal of Physical Chemistry A, COPYRIGHT 1996.

L’arrangement particulier des anions et cations (notamment dans un système sous stœchiométrique) peut conduire à la création d’un dipôle. Le dipôle est mesuré par une méthode analogue à la technique de Stern et Gerlach pour le moment magnétique en utilisant cette fois un champ électrique inhomogène (voir chapitre 6). On définit trois grandeurs caractéristiques, la polarisabilité moyenne αe , le moment permanent du dipôle μdip et la susceptibilité électrique χe . Les relations classiques sont P = αe E

(2.152)

La polarisabilité αe est le rapport du moment dipolaire induit P sur le champ électrique (en C · m2 · V−1 = A2 · s4 · kg−1 ou plus simplement en unités cgs en cm3 ). Le moment permanent du dipôle en unités de Debye (3.34 × 10−30 C · m) est la distance entre les charges multipliée par la charge et la susceptibilité électrique est déduite de la loi de Langevin (à l’équilibre thermique à une température donnée T ) < μ2dip >T + αe (2.153) χe = 3kB T

Cohésion d’un agrégat : origine, liaison chimique

79

Fig. 2.33 – Formes d’équilibre et susceptibilité d’agrégats de Csn Clm calculée (trait bleu représenté avec des ronds) et mesurée (trait rouge représenté avec des traits munis d’une barre d’erreur). La flèche montre l’orientation du dipôle, la densité électronique est également représentée, d’après [Jraij et al. (2006)]. Reprinted by permission from Elsevier, Chemical Physics, COPYRIGHT 2006. Tab. 2.19 – Polarisabilité (en 3 ), moment dipolaire en Debye et susceptibilité calculée et mesurée pour des agrégats Csn Cln−1 d’après [Jraij et al. (2006)].

n 6 8 9 12 14 15 16 18

structure 2×3×3 2×2×4 2×3×3 2×3×4 3×3×3 2×3×5 2×4×4 3×3×4

αe (theo) 145 155 152 164 623 177 182 185

μdip (theo) 3.4 3.9 11.2 4.9 32.8 11.5 5.2 25.9

χe (theo) 238 278 1154 353 9263 1236 398 5577

χe (exp) 233±24 274±39 953±106 400±44 1945±196 1160±133 477±68 4244±370

< μ2dip >T est la valeur moyenne de la fluctuation du carré du dipôle à une température donnée en l’absence de champ électrique extérieur. La figure 2.33 montre l’évolution de la susceptibilité d’agrégats de Csn Clm comparée à des calculs ab initio. Les valeurs numériques de αe , μdip et χe pour ces agrégats sont données dans le tableau 2.19. On note l’écart (également visible sur la figure 2.33) pour l’agrégat Cs14 Cl13 . Cela provient de la géométrie de cet agrégat probablement différente à la température de mesure de la structure optimisée dans un calcul ab initio à température nulle. Jraij et collaborateurs [Jraij et al. (2006)] ont montré que des isomères métastables présentent une grande fluctuation de la susceptibilité. Comme cela est illustré sur la figure 2.33, les dipôles mesurés des agrégats de CsCl s’interprètent très bien dans une structure type NaCl qui n’est pas cubique centrée comme dans la phase massive de CsCl. Ceci se comprend

Les agrégats

80

assez bien pour un petit nombre d’ions. En effet, si n est petit, il est difficile de construire une structure compacte cubique avec autant d’anions que de cations (un anion au centre d’un cube de cations correspond à 1 anion pour 8 cations et est très instable). Des mesures de diffraction électronique [Krückeberg et al. (2000)] réalisées sur des nanocristaux de (CsI)n Cs+ avec 30 < n < 39 ont montré la prédominance des structures NaCl sauf pour n = 32, alors que dans la phase massive, CsI possède une coordinance 8 (structure CsCl). Il faut donc que n soit suffisamment élevé pour retrouver la structure massive CsCl et on peut observer des fluctuations de structure en fonction de n car il y a compétition entre la compacité et l’arrangement plus favorable des atomes. En résumé, cette transition de phase entre le type CsCl et NaCl pourrait être due au fait que pour de très petits agrégats (n, m petit) la structure CsCl ne permet pas de construire un édifice compact Csn Clm . 2.5.2.1

Agrégats ioniques avec un électron en excès

Il est très facile de produire dans les jets moléculaires des agrégats non stœchiométriques du type Mn Xn−1 où M est un métal et X un halogène. En général, on montre que l’électron en excès, dû à l’atome métallique excédentaire, se localise à la place de l’halogène manquant. On obtient encore une structure de type cubique (ou cuboïde), mais la présence d’un électron remplaçant l’halogène induit des déformations dans les distances interatomiques. Dans certains cas, Na14 F13 par exemple, l’électron en excès peut se localiser sur une surface et être très peu lié (2 eV au lieu de 3.5 eV en moyenne pour les électrons localisés [Honea et al. (1989, 1993)]. De plus, ces agrégats présentent une bande d’absorption dans le rouge ou proche de l’infrarouge analogue à l’absorption par les centres colorés dans la phase condensée. Les petits systèmes peuvent avoir des structures non cubiques et de toute façon quand le nombre d’atomes est insuffisant pour faire un cube complet, il faut bien une certaine réorganisation même si le squelette reste globalement cubique (voir figures 2.33 et 2.35). Finalement ces agrégats avec un électron en excès sont plus faciles à étudier (mesures du dipôle électrique, spectroscopie, etc). Les résultats obtenus confirment la persistance de la structure globalement cubique dans ces systèmes. Dans les petits agrégats cette structure est du type NaCl, même pour Csn Cln−1 (si n < 32). En effet, avec un nombre limité d’ions il est beaucoup plus facile d’arranger anions et cations en respectant la neutralité dans une structure cubique à face centrée que dans une structure cubique centrée ou cubique simple. 2.5.2.2

Reconstruction de surface

Pour des agrégats de grande taille où la notion de facettes a un sens (plus de 1000 atomes) on peut supposer que la forme d’équilibre sera comme dans le solide en fonction de la reconstruction de surface (comme c’est le cas pour les systèmes covalents). Le dipôle total à la surface (111) de la structure NaCl est proportionnel au nombre de plans (111) et de ce fait diverge lorsque la taille

Cohésion d’un agrégat : origine, liaison chimique

81

du cristal croit. En effet chaque plan (111) est formé par des ions de même signe. On aura donc alternance de plans notés +1-1. Le dipôle total tend vers l’infini. L’énergie de surface (111) est donc infinie, la face n’est pas stable. Dans certaines conditions ces plans (111) peuvent exister [Masel (1996)]. À haute température, on observe la formation d’une troncature (111) du cristal cubique de NaCl (heaxaèdre tronqué). Dans le cas de NaCl cette transition a lieu autour de 920 K, en dessous de la température de fusion. Ceci prouve que la face (111) instable peut exister. Pour cela, les ions à la surface du cristal à proximité des coins peuvent bouger. La reconstruction de surface nécessite de garder constante la surface du plan de façon à ne pas modifier le réseau cristallin.

2.5.3

Constante de Madelung dans les agrégats

Dans la liaison covalente du type sp, le terme attractif représenté par l’intégrale β (voir paragraphe 2.3) varie en 1/d2 au sens de Harrisson. Dans les cristaux ioniques, l’énergie due à Coulomb fait intervenir un potentiel en 1/d. Intuitivement, on pourrait penser que l’énergie dépend des premiers voisins et bien au-delà. En conséquence, la constante de Madelung devrait être extrêmement sensible à la taille de l’agrégat (il suffit de regarder les oscillations dans la figure 2.27). En fait, il n’en est rien. Wolf [Wolf (1992)] a calculé, en utilisant un modèle dipolaire (ou octopolaire) exact, l’évolution de M en fonction de la distance. La constante de Madelung atteint sa valeur asymptotique du cristal au-delà d’une distance égale à 3a, a étant la longueur du cube de la maille conventionnelle dans une structure type NaCl (a = 2dA−B , A l’anion, B le cation). Pour des tailles supérieures à quelques dizaines d’atomes, il n’est pas prouvé que la constante de Madelung soit profondément modifiée (tout du moins pour les atomes au centre du cristal) et ce en raison de la reconstruction de surface.

2.5.4

Modèle rigide

Dans cette approche naïve, nous allons supposer que la nanoparticule a exactement la structure du cristal massif. L’énergie de cohésion va dépendre de la constante de Madelung. Si le nombre d’atomes est petit, chaque atome (ou chaque famille d’atomes par symétrie) aura sa propre constante. A priori, la variation de la constante sera la plus faible pour l’atome central. Si l’on raisonne sur une maille conventionnelle de 2 × 2 × 2 atomes, la neutralité est respectée, tous les atomes ont le même environnement soit 1 3 M8 = 3 × (1) − √ + √ = 1.456 3 2

(2.154)

La valeur pour le cristal étant 1.74756. Si l’on raisonne sur une maille conventionnelle de NaCl contenant 3×3×3 atomes (soit un cube de 27 atomes), la neutralité n’est pas respectée (nombre impair d’atomes). L’atome central

Les agrégats

82 aura pour constante de Madelung Mcentre 8 12 Mcentre = 6 × (1) − √ + √ = 2.134 2 3

(2.155)

6 1 3 3 3 3 3 Mcoin = 3 × (1) − √ + √ − + √ − √ − √ + = 1.351 (2.156) 2 2 3 5 2 2 6 2 En résumé il est très difficile de faire des prévisions de la constante de Madelung dans un agrégat sans faire a priori un calcul (il existe des procédures de convergence accélérées). L’expérience montre que les structures ioniques sont très proches de la structure de la phase massive (figure 2.34).

Fig. 2.34 – Spectre de masse d’agrégats ionisés (NaI)n Na+ montrant les stabilités relatives de structures cuboïdes analogues à la phase massive cfc, d’après [Martin (1996)]. Reprinted by permission from Elsevier, Physics Report, COPYRIGHT 1996.

En effet toute introduction de désordre diminue la constante de Madelung. L’interaction en 1/R à très grande distance (la convergence est très lente) impose un ordre à grande distance. La figure 2.34 montre un spectre de masse d’agrégats dont la forme générale est un cuboïde. Des formes allongées avec des transitions structurales peuvent être observées [Hudgins et al. (1997)]. Si les agrégats neutres sont composés d’un nombre égal d’anions et de cations et donc d’un nombre pair d’atomes, les ions ont toujours un nombre impair d’atomes pour satisfaire la neutralité électrique. Il y a donc des arêtes ayant un nombre impair d’atomes ce qui impose une reconstruction. Si l’ion manquant est dans le volume ou en surface la physique des défauts est celle des centres colorés. La figure 2.35 montre des prédictions théoriques pour la structure d’agrégats NaCl dans le formalisme de Coulomb plus le potentiel de Born-Mayer.

Cohésion d’un agrégat : origine, liaison chimique

83

Fig. 2.35 – Structures théoriques les plus stables dans un modèle classique de Coulomb avec le potentiel de Born-Meyer, d’après Doyes et collaborateurs [Doye et Wales (1999)]. Reprinted by permission from American Physical Society, Physical Review B, COPYRIGHT 1999.

2.6

Énergie de cohésion des agrégats ionocovalents

La liaison iono-covalente est intermédiaire entre la liaison ionique et la liaison covalente. Elle concerne les éléments anions et cations n’appartenant pas aux colonnes I et VII. Le paramètre important est l’ionicité entre 0 (purement covalent) et 100% (purement ionique) qui peut se calculer dans plusieurs modèles.

2.6.1

Ionicité de Pauling

La différence d’électropositivité entre les deux atomes A et B donne l’ionicité au sens de Pauling. Cette ionicité est calculée à partir des énergies de liaison des éléments purs et de leurs complexes. Soit A et B deux éléments, EAA , EBB et EAB les énergies de liaison exprimées en eV/atome des éléments purs A et B et du complexe AB, respectivement, on peut écrire les différences d’électronégativité  EAA + EBB (2.157) XA − XB = χ EAB − 2

Les agrégats

84

ou encore en utilisant la moyenne géométrique à la place de la moyenne arithmétique  (2.158) XA − XB = χ EAB − EA EB χ et χ sont des paramètres tabulés. Pauling a pris comme référence le fluor comme étant l’élément le plus électronégatif soit XA = 4. L’ionicité exprimée en pour cent s’écrit pour un composé AB fi,P auling = 100[1 −

−(XA − XB )2 1 exp( )] 4 4

(2.159)

avec Z le nombre de premiers voisins de l’ion considéré. Cette formule tient compte du fait qu’une ionicité égale à 1 n’existe pas. Les composés ayant le plus haut degré d’ionicité ont une ionicité d’environ 0.98.

2.6.2

Ionicité de Phillips [Phillips et Vechten (1969)]

Un critère utilisant le modèle des liaisons fortes décrites dans le chapitre 2 donne un autre critère appelé critère de Phillips. Pour cela écrivons dans le modèle moléculaire de Hückel la matrice pour un système purement covalent   α β (2.160) β α les valeurs propres correspondantes sont cov =α±β E±

(2.161)

Dans le cas d’un système partiellement ionique, le terme α intra atomique ne sera pas le même suivant les deux atomes, soit αA et αB . On peut supposer que l’intégrale de saut liant deux atomes s’écrive β ∗ , on aura comme matrice   αA β ∗ (2.162) β ∗ αB les valeurs propres correspondantes sont  αA + αB (αA − αB )2 ionocov ± β ∗2 + E± = 2 4

(2.163)

l’indice « ionocov » signifie qu’a priori la liaison est partiellement ionique et partiellement covalente, on parlera de liaison ionocovalente. On peut définir αA,B par rapport à une valeur moyenne notée α, soit αA = α(1 + A) et αB = α(1 + B), l’équation précédente s’écrit ionocov E±

A+B α± = 2

 β ∗2 +

α2 (A − B)2 4

(2.164)

Cohésion d’un agrégat : origine, liaison chimique

85

On peut définir l’ionicité par la grandeur C = A − B où A et B sont des nombres sans dimension. Si l’ionicité est nulle, on retrouve le système purement covalent définit par l’équation 2.161. L’équation précédente est de la forme ionocov = E±

1 (α0 ± β0 ) 2

(2.165)

 avec α0 = (A + B)α et β0 = 4β ∗2 +α2 (A − B)2 La fraction de la liaison ionique est définie par le facteur fi fi =

α2 (A − B)2 β02

(2.166)

de même la fraction covalente est définit par fc = 1 − fi fc =

4β ∗2 β02

(2.167)

Phillips [Phillips (1970)] propose une équation empirique donnant la valeur α(A − B) ZB 3 ZA − ) exp (−2krAB ) (2.168) α(A − B) = ( 2 rA rB ZA et ZB sont les valences des atomes A et B respectivement, rA et rB leurs rayons covalents (c’est-à-dire la liaison dans le solide A − A, respectivement B − B), 2rAB la distance entre A et B dans le solide AB, k est un facteur que l’on peut calculer. Le tableau 2.20 donne les valeurs de la ionicité pour quelques composés ioniques dans les approches de Pauling et de Phillips [Lawaetz (1971); Lucovsky et al. (1971); G.G. Hall (1991)]

2.6.3

Transition de phase

Le dipôle permanent d’un agrégat peut avoir pour origine une sousstœchiométrie ou un dipôle intrinsèque à une face. Par exemple, la face (111) composée uniquement d’anions ou de cations n’est pas stable. Si la distance entre deux faces est réduite on peut avoir dans le cas de faces polaires deux surfaces ayant des charges opposées, il y a création d’un dipôle permanent à l’échelle de l’agrégat. De plus, les agrégats cristallisant dans la structure wurtzite (dépend de l’ionicité de Phillips) présentent des faces polaires en raison du caractère non-centrosymétrique de la structure (il n’y a pas de centre d’inversion) [Wander et al. (2001)]. Les détails cristallographiques sont illustrés dans la figure 2.36. La formation de surfaces polaires et du moment dipolaire entre faces opposées (voir figure 2.36) engendre une reconstruction de surface pour minimiser l’énergie liée au dipôle. Lorsque la reconstruction de surface (un mouvement opposé suivant l’axe z des charges + et − peut rendre la face non polaire) reste insuffisante on peut observer une transition de phase vers la phase graphitique qui présente dans le plan basal une situation électriquement neutre

Les agrégats

86

Tab. 2.20 – Ionicités, structures et constantes de Madelung associées pour différents composés classés par ordre d’ionicité de Phillips. On considère empiriquement que la limite d’ionicité est de 0.785. cc type CsCl, cs type NaCl, cfc type ZnS. Les valeurs sont tirées des références [Lawaetz (1971); Lucovsky et al. (1971); G.G. Hall (1991); Phillips (1970)]. élément

structure

Pauling

NaCl CsI CsCl CsBr RbBr KCl KBr NaF LiF

cfc cc cc cc cfc cfc cfc cfc cfc

0.94 0.98 0.98 0.98 0.94 0.95 0.91 0.98 0.98

CuF ZnS AlSb BN SiC Si

zincblende (c) zincblende (c) (wurtzite zincblende (c) (wurtzite zincblende (c) (wurtzite zincblende (c) (wurtzite

0.92 0.59 0.26 0.42 0.11

(hex)) (hex)) (hex)) (hex))

diamant

0

Phillips ioniques 0.935 0.963 0.963 0.962 0.957 0.953 0.952 0.946 0.915 0.785 0.766 0.623 0.426 0.256 0.177 covalent 0

Madelung M

composé

1.747558 1.762670 1.762670 1.762670 1.747558 1.747558 1.747558 1.747558 1.747558

I-VII I-VII I-VII I-VII I-VII I-VII I-VII I-VII I-VII

1.63806 1.63806 (1.64132) 1.63806 (1.64132) 1.63806 (1.64132) 1.63806 (1.64132)

I-VII II-VI III-V III-V IV-IV

-

IV-IV

surface neutre non polaire

polaire

surface anionique zinc

face polaire (1001)

face_ non polaire (1010)

surface cationique oxygène

Fig. 2.36 – Illustration du type de face dans la pseudo-maille de Wigner-Seitz de la structure wurtzite de ZnO avec les faces polaires et non polaires. Dans un système stœchiométrique une surface du type (1001) polaire anionique correspond à une face opposée (100¯ 1) cationique d’où un dipôle permanent. La figure est extraite en partie de la référence [Dulub et al. (2002)]. Reprinted by permission from Elsevier, Surface Science, COPYRIGHT 2002.

(non polaire) comme illustrée dans la figure 2.37. Il est intéressant de connaitre le nombre d’atomes où apparait cette transition de phase. Ce calcul a été fait pour une structure infinie dans le plan xy, le paramètre étant le nombre

Cohésion d’un agrégat : origine, liaison chimique wurtzite

87 [0001]

graphite

Fig. 2.37 – Transformation de la phase wurtzite dans la phase graphite et énergie de clivage associée. La flèche donne la direction de l’axe z. Les ronds rouges montrent la transition pour deux familles de plans d’après la référence [Freeman et al. (2006)]. Reprinted by permission from Americal Physical Society, Physical Review Letters, COPYRIGHT 2006.

de couches suivant l’axe z (figure 2.37). On s’intéresse à l’énergie de clivage, énergie pour séparer deux plans donnés. Pour la famille de plans (0001), la séparation génère deux plans (0001) et (000¯1), on ne peut donc les dissocier. La figure 2.37 montre, pour le cas de GaN, la transition entre la structure wurtzite et la structure graphite. Pour la structure wurtzite, l’énergie de clivage dépend faiblement du nombre de couches alors que pour la structure graphite celle-ci est proportionnelle (pour le domaine de taille considéré) au nombre de couches. L’énergie de clivage (deux fois l’énergie de surface puisque le clivage crée deux surfaces) est plus grande dans le cas d’une surface polaire [Freeman et al. (2006)]. Le même raisonnement peut être appliqué à NaCl lorsque l’on a des faces polaires du type (111) [Kvashnin et al. (2014)].

2.7

Cohésion des systèmes van der Waals

2.7.1

Traitement classique

La liaison Van der Waals concerne essentiellement les gaz rares et l’assemblage de molécules du type fullerène comme C60 dont toutes les liaisons sont saturées. La liaison van der Waals dans un dimère est décrite par l’interaction Lennard Jones comme la somme d’un terme attractif en R−6 et d’un terme répulsif en R−12 , où R est la distance entre deux atomes V = 4[(

σ V dW 12 σV dW 6 ) −( ) ] R R

(2.169)

Les agrégats

88

Fig. 2.38 – À gauche potentiel de Van der Waals pour les gaz rares. À droite polarisation d’un atome d’hydrogène sur l’autre atome dans la molécule H2 .  est le puits de potentiel entre les deux atomes, 21/6 σV dW la distance d’équilibre. La liaison est énergétiquement plus petite devant l’énergie thermique à 300 K dans le cas des dimères de gaz rares (voir figure 2.38). Le terme classique attractif provient de l’interaction d’un dipôle instantané sur un atome et du dipôle induit sur l’autre atome (voir figure 2.38). Le potentiel d’interaction s’écrit V =

−αμ2 4π0 R6

(2.170)

α est la polarisabilité de l’atome de gaz rare du dimère.

2.7.2

Traitement quantique

La question est de savoir comment se crée le dipôle à l’intérieur de l’atome et de comprendre quantiquement la dépendance en R−6 . Ceci est une conséquence du principe d’Heisenberg où l’on a une fluctuation permanente du nuage électronique (l’énergie de l’électron n’est jamais nulle). Pour cela on utilise l’analogie avec l’oscillateur harmonique. Le modèle le plus simple consiste à traiter le cas de la molécule d’hydrogène où un électron est soumis à l’interaction de l’autre électron des deux protons supposés immobiles et ce lié par un oscillateur harmonique à température nulle (énergie de point zéro). En d’autres termes, on prend le modèle de l’électron élastiquement lié comme analogie à la déformation du dipôle induite dans le dimère d’un atome sur l’autre. Le déplacement du nuage électronique est supposé régi par des lois analogues à l’oscillateur harmonique. Écrivons l’hamiltonien de l’oscillateur harmonique à une dimension pour les deux électrons (voir figure 2.38) H0 =

1 1 P12 P2 + mω02 x21 + 2 + mω02 x22 2m 2 2m 2

(2.171)

Cohésion d’un agrégat : origine, liaison chimique

89

l’hamiltonien de l’interaction de Coulomb s’écrit H1 = e2 (

1 1 1 1 + + + ) R R + x1 − x2 R + x1 R − x2

(2.172)

la fluctuation est petite par rapport à R distance d’équilibre entre les deux atomes e2 x1 x2 ) (2.173) H1 = −2( R3 Pour extraire les valeurs propres on fait la transformation habituelle x± =

x1 ± x2 √ 2

(2.174)

soit l’hamiltonien total du système H = H0 + H1 H=

p2 p2+ 1 2e2 1 2e2 + − + (mω02 − 3 )x2+ + (mω02 + 3 )x2− 2m 2m 2 R 2 R

(2.175)

soit l’oscillateur harmonique de fréquence ω± H=

p2 p2+ 1 1 2 + − + (mω+ )x2+ + (mω− )x2− 2m 2m 2 2 

il vient ω± =

ω02 ∓

2e2 mR3

(2.176)

(2.177)

un développement limité donne e2 e4 − + ... mω0 R3 2m2 ω03 R6

ω ± = ω0 ∓

(2.178)

l’énergie de Van der Waals est l’énergie de point zéro, la différence entre l’énergie du système fluctuant et l’énergie du système statique V (R) =

1 1 1 ω+ + ω− − 2 ω0 2 2 2

(2.179)

soit V (R) sous sa forme habituelle en fonction de qe (e2 = qe2 /4π0 ) V (R) =

qe4 2 32π m2 20 ω03 R6



1 R6

(2.180)

Dans cette approche simpliste l’interaction de Van der Waals correspond au couplage au point zéro d’oscillateurs harmoniques et est donc purement

Les agrégats

90

quantique même s’il est possible de faire un traitement « classique » dipôle induit-dipôle induit.

2.7.3

Énergie van der Waals dans un agrégat

2.7.3.1

Géométrie : que dit la topologie

Comme nous l’avons vu pour un métal alcalin le maximum de cohésion est atteint pour un recouvrement maximal c’est-à-dire un empilement cubique centré. L’interaction de Van der Waals sera maximale dans le cas dual où l’on a un maximum de premiers voisins (interactions à très faible portée) c’est-à-dire une compacité maximale. La compacité maximale n’est pas connue formellement dans l’espace à 3D (tout du moins au niveau local). La conjecture de Kepler indique une structure cubique faces centrées ou bien hexagonale compacte avec douze premiers voisins et un facteur de remplissage associé de 0.7405. Hormis l’hélium, les gaz rares sont cubiques faces centrées. Cependant il existe une conjecture dite de Rogers [C.A. Rogers (1963)] montrant qu’il existe formellement des empilements plus compacts avec comme borne supérieure un facteur de remplissage de 0.7796. Bien que la démonstration soit un des problèmes les plus importants en mathématiques (le fameux problème de la conjecture de Kepler démontré formellement par Hales en 1998 [Hales (2005)]) on peut raisonnablement penser que la structure de Rogers ne peut exister qu’au sens local et en aucun cas projetée à l’infini. Cette compacité est très proche de la structure icosaédrique dont l’axe de symétrie d’ordre 5 empêche toute symétrie de translation. Les agrégats van der Waals auront, en dessous d’une certaine taille, une structure icosaédrique. 2.7.3.2

Énergie

Le potentiel Van der Waals s’écrit pour un agrégat en première approximation en faisant une sommation de paires  σ σ 6 [( )12 − ( ) ] (2.181) V (R) = 4 R R ij ij i R. Dans ce cas E peut être positif ou négatif, mais on ne s’intéresse qu’aux états de E < 0 sin(KR) = 0

(3.21)

KR = nπ

(3.22)

Effets de couches dans les agrégats métalliques

105

Soit en utilisant les équations 3.18, 3.19, 3.20 et 3.22  2me (V0 − En,0 ) = nπ (3.23) 2 n2  2 π 2 (3.24) En,0 = −V0 + 2me R2 On retrouve bien pour les états s (l=0) l’énergie quantifiée d’un électron libre dans une boite avec K = π/R. Les états 1s, 2s, 3s . . . correspondent au cas n = 1, 2, 3 . . . respectivement. Dans le cas des électrons libres dans une boite, on prend comme convention V0 = 0 ce qui ne pose pas de problème puisque seul l’écart entre le fond du puits et le bord doit être infini. Pour examiner les états p, il faut reprendre l’équation en faisant l = 1. Dans ce cas le potentiel centrifuge est non nul et les solutions radiales sont les fonctions de Bessel sphériques. Si le potentiel a un puit infini, nous pouvons écrire de façon stricte que la fonction d’onde doit s’annuler au point r = R. Or la partie radiale de la fonction d’onde est proportionnelle à la fonction de Bessel sphérique, ce qui revient à écrire que les solutions sont données par les zéros de la fonction de Bessel sphérique. Le tableau donne les premières valeurs et leurs indexations (l = 0, état s), (l = 1, état p). . . et les différentes solutions notées n (n = 1, n = 2 . . .). jl (KR) = (−1)l (KR)l (

1 sin(KR) d )l =0 KR d(KR) KR

(3.25)

jl (KR) est une fonction de Bessel sphérique. Tab. 3.2 – Premières valeurs tabulées de jl (KR) pour différentes valeurs de l. La fonction a une infinité de solutions classées par ordre croissant. L’index de classement n (n = 1 première solution), (n = 2 deuxième solution) est assimilé à n nombre quantique principal. ordre n=1 n=2 n=3 n=4 n=5

KR (l = 0) 3.1416 (1s) 6.2832 (2s) 9.4248 (3s) 12.566 (4s) 15.7080 (5s)

KR (l = 1) 4.49341 (1p) 7.72525 (2p) 10.9041 (3p) 14.0662 (4p) 17.2208 (5p)

KR (l = 2) 5.76346 (1d) 9.09501 (2d) 12.3229 (3d) 15.5146 (4d) 18.6890 (5d)

KR (l = 3) 6.98793 (1f) 10.4171 (2f) 13.6980 (3f) 16.9236 (4f) 20.1218 (5f)

On notera que pour l = 0, on retrouve le cas discuté précédemment dans l’équation 3.24. On peut donc aisément interclasser les niveaux. La séquence d’apparition est la suivante 1s, 1p, 1d, 2s, 1f, 2p, 1g, 2d, 1h, 3s, 2f . . .

(3.26)

d’où une séquence de nombres magiques Nmagique = 2, 10, 18, 20, 34, 40, 58, 70 . . .

(3.27)

Les agrégats

106

Les zéros des fonctions de Bessel sont tous différents, il n’y a donc pas de dégénérescence en l dans les niveaux (contrairement au potentiel harmonique développé par la suite). Sachant que l’énergie s’écrit E = EK,l = En = +

2 (KR)2 2 K 2 =+ 2m 2me R2

(3.28)

Si l’on introduit le nombre d’atomes R = rs N 1/3 Soit E = EK,l = + 3.3.3.3

2 (KR)2 − V0 2me rs2 N 2/3

(3.29)

(3.30)

Potentiel harmonique

Le potentiel harmonique n’a pas de réalité physique mais introduit des bords moins raides. Par commodité on peut calculer la séquence en utilisant un potentiel harmonique isotrope. Celui-ci n’est pas très réaliste puisque le fond du puits harmonique n’est pas très plat. Cependant il possède des solutions analytiques d’où son intérêt. On aura à résoudre les niveaux d’énergie d’un électron plongé dans le potentiel Vef f Vef f =

1 mω02 r2 2

(3.31)

Il suffit de résoudre l’équation de Schrödinger avec pour hamiltonien H H=

1 p2 + me ω02 r2 2me 2

(3.32)

La solution s’écrit (voir Cohen-Tannoundji tome 1 p. 824) 3 Ek,l = ω(k + l + ) 2

(3.33)

On pose en général, n = k + l, k est un entier pair positif ou nul, l un entier. Il reste à estimer l’énergie ω. Dans l’agrégat, l’énergie de Fermi est : 3 EF = ω(nmax + ) 2

(3.34)

Où nmax est le dernier niveau peuplé à T = 0. On peut montrer que nmax est en première approximation égal à N 1/3 où N est le nombre total d’électrons ; en tenant compte du caractère dégénéré des niveaux (formule 3.37 ci-dessous), on obtient : (3.35) ω = EF /N 1/3

Effets de couches dans les agrégats métalliques

107

EF est le niveau de Fermi dans la phase massive 3 Ek,l = EF /N 1/3 (k + l + ) 2

(3.36)

le degré de dégénérescence gk,l du niveau Ek,l s’écrit en posant n = k + l gn =

1 (n + 1)(n + 2) 2

(3.37)

Soit (cette dégénérescence est à multiplier par 2 à cause du spin de l’électron) g0 = 2, g1 = 6, g2 = 12, g3 = 20, g4 = 30, g5 = 42, g6 = 56...

(3.38)

Sachant que k est pair, l et n des entiers, les solutions possibles seront (en utilisant la nomenclature standard pour les nombres quantiques principaux n et orbitaux l) n = 0 l = 0(k = 0) n = 1 l = 1(k = 0) n = 2 l = 0(k = 2) n = 3 l = 1(k = 2) n = 4 l = 0(k = 4) n = 5 l = 1(k = 4) le système de notation

l = 2(k l = 3(k l = 2(k l = 3(k sera

= 0) = 0) = 2) l = 4(k = 0) = 2) l = 5(k = 0)

0s 1p 2s, 2d 3p, 3f 4s, 4d, 4g 5p, 5d, 5h On utilisera la notation synthétique 0s, 1p, (2s, 2d), (3p, 3f ), (4s, 4d, 4g), (5p, 5d, 5h)

(3.39)

On peut utiliser une autre convention plus proche des couches atomiques habituelles dans laquelle le nombre quantique principal est k et l le nombre quantique orbital. On aura ainsi la correspondance : k = 0 correspond à la couche 1, k = 2 correspond à la couche 2, k = 4 correspond à la couche 3. . . l = 0 correspond à la couche s, l = 1 correspond à la couche p, l = 2 correspond à la couche d. . . Le système de notation synthétique sera 1s, 1p, (1d, 2s), (1f, 2p), (1g, 2d, 3s), (1h, 2f, 3p)

(3.40)

Chaque fois que le nombre d’électrons coïncide avec la dégénérescence d’un niveau (au facteur deux près pour le spin), il y aura fermeture de couche et

Les agrégats

108

excès de stabilité. Sur chaque niveau on pourra donc mettre 2gn électrons avec gn donné par l’équation 3.37. Pour un élément monovalent (un électron par atome), le nombre total d’électrons sera la somme cumulée des dégénérescences Nmagique =

i 

gn

(3.41)

n=0

Nmagique est le nombre d’atomes de l’agrégat (nombre d’électrons) où il y a fermeture de couche Nmagique = 2, 8, 20, 40, 70, 112

(3.42)

Si l’on tient compte des dégénérescences à l’intérieur de chaque séquence, on aura, d’après l’équation 3.40 Nmagique = 2, 8, (18, 20), (34, 40), (58, 68, 70), (92, 106, 112)

(3.43)

Cette séquence peut être comparée à la séquence expérimentale donnée, par exemple, dans le cas d’agrégats de sodium des figures 3.1 et 3.10

Fig. 3.10 – Spectre de masse d’agrégats de sodium chauds produits par une source thermique révélant la structure en couches électroniques comparée au calcul [Knight et al. (1984)]. Reprinted by permission from American Physical Society, Physical Review Letters, COPYRIGHT 1984.

Effets de couches dans les agrégats métalliques

109

Nmagique = 2, 8, (18, 20), 40, 58, 92

(3.44)

L’accord est globalement correct compte tenu du fait que le potentiel est peu adapté aux gros agrégats pour lesquels le potentiel effectif vu par un électron est très plat sur une fraction importante du rayon. Calculons maintenant l’écart d’énergie associé à une fermeture de couche. Pour une couche N donnée, l’énergie s’obtient en sommant les énergies de chaque niveau et en prenant en compte le facteur de dégénérescence gni , soit E(N ) = 2

n=n max 

gni En = 2

n=0

EF N 1/3

n=n max  n=0

3 gn (n + ) 2

(3.45)

nmax correspond au niveau le plus haut que l’on doit considérer pour ranger les N électrons. Le préfacteur 2 est la dégénérescence de spin. On aura

et

gni = gn

(3.46)

gni max = gnmax

(3.47)

si tous les niveaux correspondant à la couche nmax sont occupés (couche fermée) (3.48) gni max = i i étant le nombre d’électrons que l’on met sur ce dernier niveau nmax . On peut définir l’écart d’énergie ΔE(N ) lié à la fermeture de couche en comparant l’énergie d’un agrégat pour un nombre magique donné N ∗ et ses deux voisins immédiats (N − 1)∗ et (N + 1)∗ respectivement, soit ΔE = E(N + 1)∗ − E(N )∗ − (E(N )∗ − E(N − 1)∗ ) = E(N + 1)∗ + E(N − 1)∗ − 2E(N )∗

(3.49)

Réécrivons l’équation 3.49 E(N ∗ ) = 2

n=n max 

gn En =

n=0

EF N ∗1/3

n=n max  n=0

3 gn (n + ) 2

(3.50)

le dernier niveau nmax est totalement occupé. Pour l’agrégat de (N − 1)∗ atomes, la sommation se fait aussi jusqu’à nmax avec gni max = (gnmax − 1), sachant que dans la formule on a intégré le préfacteur 2 pour la dégénérescence de spin, on écrira gni max = (gnmax − 1/2) de façon à avoir 2gnmax pour l’agrégat de N atomes et 2gnmax − 1 = 2(gnmax − 1/2) pour l’agrégat de (N − 1) atomes. Soit E(N − 1)∗ = 2

n=n max −1

gn En + (2gnmax − 1)Enmax

n=0

=2

EF (N − 1)∗1/3

n=n max −1 n=0

EF 3 3 gn (n + ) + (2gnmax − 1)(nmax + ) ∗1/3 2 2 (N − 1) (3.51)

Les agrégats

110

Pour l’agrégat de (N + 1)∗ atomes, la sommation se fera jusqu’à nmax + 1 puisque l’électron supplémentaire devra occuper le niveau supérieur. E(N + 1)∗ = 2 =2

EF (N + 1)∗1/3

n=n max  n=0

n=n max 

gn En + Enmax+1

n=0

EF 3 5 gn (n + ) + (nmax + ) 2 2 (N + 1)∗1/3

(3.52)

On peut donc calculer la grandeur ΔE(N ). Le tableau 3.3 donne les valeurs de E(N ) et de ΔE(N ) = Δ(N ) pour 2 < N < 12. La courbe correspondante est donnée figure 3.11. Tab. 3.3 – Quelques valeurs de E(N ) et ΔE(N ) = Δ(N ) déduites des équations 3.49, 3.50, 3.51, 3.52. N 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12

3.3.3.4

E(N ) 1.5EF 1.833EF 2EF 2.1EF 2.167EF 2.214EF 2.25EF 2.389EF 2.5EF 2.591EF 2.667EF

Δ(N ) 0.333EF -0.166EF -0.067EF -0.033EF -0.02EF -0.011EF 0.103EF -0.028EF -0.02EF -0.015EF -0.012EF

N 13 14 15 16 17 18 19 20 21 22 23

E(N ) 2.731EF 2.786EF 2.833EF 2.875EF 2.912EF 2.944EF 2.974EF 3EF 3.071EF 3.136EF 3.196EF

Δ(N ) -0.009EF -0.008EF -0.005EF -0.005EF -0.005EF -0.002EF 0.333EF -0.004EF 0.045EF -0.006EF -0.005EF

Potentiel de Woods-Saxon

Le nuage d’électrons déborde de l’agrégat (spill out en anglais) car le potentiel à la surface ne peut pas être assimilé à un potentiel à bord raide infini (voir figure 3.12). Un potentiel empirique a été proposé par Woods-Saxon pour tenir compte de ce débordement. Ce modèle a d’abord été utilisé classiquement en physique nucléaire Vef f (r) = −V0 /1 + exp[(r − RN e )/a]

(3.53)

Vef f est un puits de potentiel de profondeur finie (V0 ) à fond plat avec un bord arrondi caractérisé par le paramètre de peau a, similaire à celui dans lequel sont confinés les nucléons du noyau. 1/3 Dans l’expression précédente, RN e = rs Ne est le rayon de l’agrégat, Ne étant le nombre d’électrons de conduction confinés et rs le rayon de WignerSeitz électronique, paramètre caractérisant le volume moyen par électron de

Effets de couches dans les agrégats métalliques

111

Fig. 3.11 – Δ(N ) déduit des valeurs calculées dans le tableau 3.3.

Fig. 3.12 – Exemples de puits de potentiel central Vef f (r) de forme simple, utilisés pour décrire approximativement la structure en couches électroniques dans les agrégats métalliques, illustrés ici avec l’agrégat de sodium Na40 formé de N = 40 atomes et qui possède donc Ne = 40 électrons de conduction délocalisés. À gauche : potentiel « carré » de profondeur finie à fond plat (−V0 ) et à bord raide. À droite : potentiel de profondeur finie à fond plat (−V0 ) et à bord adouci (ou bord non-abrupt). La forme de celui-ci est de type Woods-Saxon Vef f (r) = −V0 /(1 + exp[(r − RN e )/a]). r est la distance de l’électron au centre de l’agrégat ; RN e est le rayon de l’agrégat ; a caractérise le degré de raideur du profil de surface (d’après une figure originale de la référence « Les nanosciences : nanotechnologie et nanophysique » (Belin) éditée par [Lahmani et al. (2009)] dans le chapitre de A. Perez, P. Mélinon, J. Lermé et J.-F. Brevet « Agrégats et colloïdes ». COPYRIGHT Belin 2009.

Les agrégats

112

conduction de l’élément considéré. Ce rayon est relié à la densité de charge moyenne par unité de volume par la relation : n0 = qe (3/4πrs3 )

(3.54)

Le calcul de la séquence de nombres magiques n’est pas analytique. La résolution numérique donne pour séquence de nombres magiques Nmagique = 2, 8, (18, 20), (34, 40), (58, 68, 70), (92, 106, 112)

(3.55)

On retrouve ainsi les mêmes séquences de nombres magiques avec un potentiel plus réaliste mais imposé. On peut donc passer à un modèle plus proche de la réalité, le modèle du jellium. 3.3.3.5

Modèle du jellium auto-cohérent ou self consistent

Dans ce modèle le puits de potentiel vu par un électron n’est pas défini a priori par un potentiel à deux corps mais est calculé de façon auto-cohérente. Le calcul plus rigoureux de la structure en couches électroniques requiert la détermination – pour chaque taille – du potentiel effectif auto cohérent correspondant, tels ceux de la figure 3.12 (auto cohérent : la forme du potentiel n’est pas imposée a priori, mais dépend de la configuration électronique, via la densité électronique associée) [Lahmani et al. (2009)]. Le modèle du jellium auto cohérent constitue une excellente approximation pour décrire, du moins qualitativement, la structure en couches électroniques dans les agrégats de métaux simples. Dans ce modèle la structure ionique discrète est modélisée par une densité de charge positive homogène sphérique à bord raide (voir la figure 3.13). La densité de charge s’écrit alors : n+ (r) = n0 H(RN e − r)

(3.56)

où H(x) est la fonction « saut » définie par H(x > 0) = 1 et H(x < 0) = 0, et n0 la densité moyenne de charge des ions dans la phase massive de l’élément. La structure électronique de l’état fondamental est en général calculée dans le formalisme de la théorie de la fonctionnelle de la densité (DFT) en résolvant de manière auto cohérente les équations de Kohn-Sham (KS) (voir l’annexe pour plus de détails sur cette théorie) ; le terme auto-cohérent signifie que le puits de potentiel effectif Vef f (r), qui confine spatialement les électrons , n’est pas imposé mais dépend des solutions des équations de Kohn-Sham via la densité électronique n(r)], il vient ainsi : [

−2 2 ∇ + Vef f (r, n)]Ψi (r) = i Ψi (r) 2m

avec n(r) = −qe

Ne  i=1

|Ψi (r)|2

(3.57)

(3.58)

Effets de couches dans les agrégats métalliques

113

et Vef f (n, r) = Vjel (r) + Ve−e (r)

(3.59)

où n(r) est la densité électronique (négative) exprimée en fonction des modules au carré des orbitales de Kohn-Sham occupées Ψi (r), produit d’une fonction radiale Rn,l (r) et d’une harmonique sphérique Ylm (θ, ϕ) et où Vef f (r) est le potentiel effectif électronique de confinement, somme de l’interaction entre l’électron et le jellium chargé positivement Vjel (r) (Q est la charge positive totale) et d’une contribution purement électronique Ve−e (r) incluant, outre le terme classique d’interaction Coulombienne entre l’électron et les autres électrons, le terme d’échange-corrélation. Vjel (r) est donné par : −qe Q pour r ≥ RN e Vjel (r) = (3.60) 4π0 r qe Q[(r/RN e )2 − 3] pour r ≤ RN e (3.61) 8π0 RN e Lorsque la convergence est atteinte, le système peut être considéré – formellement – comme équivalent à un système de Ne électrons indépendants plongés dans le potentiel central Vef f (r) proche du potentiel de WoodsSaxon. Cette image physique simplifiée est suffisante pour supporter l’intuition dans tout ce qui suit. La figure 3.13 présente les résultats utiles à la discussion obtenus dans le cadre de ce modèle (paramètre unique rs ) pour des agrégats neutres de sodium NaN (rs = 3, 93 Bohr). On remarquera que le potentiel effectif introduit naturellement le débordement du nuage électronique « spill out » comme dans le modèle de WoodsSaxon, et une modulation du fond du puits qui n’existe pas dans un potentiel monoélectronique habituel. Cette oscillation ne remet pas en cause la séquence globale des couches électroniques donnée par les modèles de type Woods-Saxon. Le potentiel effectif à fond plat (figure 3.13) a un bord dont la raideur reste quasiment homothétique lorsque le rayon augmente. On a en quelque sorte un atome géant avec un potentiel à fond plat. Vjel (r) =

3.3.3.6

Séquence de nombres magiques

La séquence de nombres magiques peut s’écrire de façon approchée à partir de l’équation 3.41 i lmax(i)   2(2l + 1), (3.62) Nmagique = n=1

l=0

i est le dernier nombre quantique principal atteint. Nmagique = 2, 8, 18, 20, 34, 40, 58, 90, 92, 138, 198, 268, 338, 440, 562, 704, 852, 1032, 1206, 1430 . . .

(3.63)

Cette séquence donne toutes les valeurs de couches et sous-couches possibles. Dans le cas du sodium, Martin et collaborateurs (voir la figure 3.14)

Les agrégats

114

Fig. 3.13 – Densités électroniques n(r) et potentiels effectifs auto-cohérents Vef f (r) calculés dans le cadre du modèle du jellium (voir la figure 3.12) pour des agrégats magiques de sodium (Ne = N = 20, 58, 138, . . .). Les niveaux électroniques occupés, ainsi que les deux premiers inoccupés, de l’agrégat Na58 sont symbolisés par des lignes horizontales. Les évolutions en fonction de la taille du niveau de Fermi EF (dernier niveau occupé) et des niveaux 1g (niveau de Fermi de Na58 ) et 3s sont indiquées par des petits tirets. On peut noter aussi que les profils de surface de n(r) et Vef f (r), ainsi que la valeur moyenne du fond du potentiel effectif (−V0 ) et le niveau de Fermi, sont quasiment indépendants de la taille (d’après une figure originale de la référence « Les nanosciences : nanotechnologie et nanophysique » (Belin) éditée par [Lahmani et al. (2009)] dans le chapitre de A. Perez, P. Mélinon, J. Lermé et J.-F. Brevet « Agrégats et colloïdes ». COPYRIGHT Belin 2009.

ont trouvé expérimentalement la séquence suivante (pour N < 1500 atomes) Nmagique = 2, 8, 18, 20, 34, 40, 58, 90, 92, 138, 198, 263, 341, 443, 557, 700, 840, 1040, 1220, 1430 . . .

(3.64)

L’accord entre séquences théorique et expérimentale est remarquable. De plus, il est aisé de vérifier que la séquence de nombres magiques varie comme le cube de l’indice de couche noté « K ». Soit l’équation 3.65. Nmagique = NK ∼ K 3

(3.65)

Ce résultat est important puisque le tracé expérimental en N 1/3 fera apparaitre des nombres magiques à intervalles réguliers. L’expérience montre que dans le cas des nombres magiques associés aux couches électroniques, une 1/3 modulation, dont la période observée est ΔNe ≈ 0.6, période souvent qualifiée « d’universelle » car elle est identique pour tous les métaux dans le cadre du modèle du jellium. C’est cette période que l’on utilisera par la suite comme signature des couches électroniques.

Effets de couches dans les agrégats métalliques 3.3.3.7

115

Universalité de la séquence de couches électroniques 1/3

Avant de justifier rigoureusement la modulation ΔNe ≈ 0, 6, il est remarquable de penser que la structure électronique en couches est observable dans des gammes de grandes tailles N . De nombreux mécanismes ou paramètres, sans influence majeure pour N faible, semblent limiter aux petites tailles l’observation de la structure en couches. Citons par exemple les effets thermiques, l’isomérisme de forme, ou la structure granulaire du fond ionique (ces effets conduisent tous à un élargissement effectif des niveaux En,l par levée de dégénérescence), et plus intrinsèquement la décroissance des gaps ΔEn,l (à comparer avec l’énergie kB T ). L’examen des spectres de la figure 3.14 jette un démenti sur cet a priori.

Fig. 3.14 – Spectre expérimental d’agrégats de sodium photoionisés à 400 nm (spectre du haut) et 410 nm (spectre du bas). Pour mettre en évidence la modulation universelle, le spectre est tracé en fonction de N 1/3 [Martin et al. (1990)]. Lors de la photoionisation proche du seuil d’ionisation, les couches pleines apparaissent comme des minima. À partir de 1980 atomes, les nombres magiques correspondent aux couches atomiques. Reprinted by permission from Elsevier, Chemical Physics Letters, COPYRIGHT 1990.

En fait l’analyse des spectres des niveaux En,l montre que ceux-ci tendent à se regrouper en paquets plus ou moins distincts selon la zone énergétique, suggérant que ces paquets de niveaux vont jouer le même rôle que celui joué par les niveaux individuels En,l dans la gamme des petites tailles (voir la figure 3.15).

116

Les agrégats

Fig. 3.15 – Niveaux d’énergie En,l dans un puits carré de profondeur V0 = 0.22 u.a. ∼ 6 eV et de rayon R = 53.34 Bohr (ces paramètres correspondent à l’agrégat Na2500 ) ; voir les figures 3.10 (puits carré) et 3.12 (valeur de V0 )). Les hauteurs des « bâtons » dans le dessin du bas sont les facteurs de dégénérescence des niveaux électroniques individuels, soit g = 2(2l + 1). EF est le niveau de Fermi (le dernier niveau contenant des électrons). Le spectre énergétique est très dense lorsque la taille N de l’agrégat est grande (voir la figure 3.10 pour comparaison) (d’après une figure originale de la référence « Les nanosciences : nanotechnologie et nanophysique » (Belin) éditée par [Lahmani et al. (2009)] dans le chapitre de A. Perez, P. Mélinon, J. Lermé et J.-F. Brevet « Agrégats et colloïdes ». COPYRIGHT Belin 2009. Lorsque le spectre est dense, cette structuration énergétique est difficilement perceptible mais des modulations très marquées sont cependant apparentes dans la densité d’états lissée DN (E) (voir la légende de la figure 3.15 pour la définition de cette quantité ; l’indice N est rajouté ici pour rappeler que la densité d’états dépend de N ). Une caractéristique remarquable de cette modulation est sa quasi-harmonicité (c’est-à-dire périodique) en fonction de (E + V0 )1/2 (énergie mesurée par rapport au fond du puits de potentiel, c’est-à-dire l’énergie cinétique Ec ). Les propriétés des agrégats étant directement corrélées au spectre électronique En,l du voisinage du niveau de Fermi EF (N ) [en conséquence à DN (EF )], EF (N ) étant quasiment indépendant de la taille (voir la figure 3.12 ; les variations sont en outre infimes aux grandes 2 tailles N > qq102 ), et à cause de la loi d’échelle approximative En,l ∝ 1/RN e (conduisant à un tassement des modulations vers le fond du puits lorsque la taille Ne augmente),on s’attend à ce que cette structure en couches de type nouveau (décrite en termes de paquets de niveaux ou d’oscillations dans

Effets de couches dans les agrégats métalliques

117

la densité d’états) soit reflétée d’une part directement dans les spectres de masse expérimentaux, d’autre part dans l’évolution des propriétés physiques des agrégats en fonction de la taille. Cette prédiction théorique est donc confirmée par l’expérience. Des spectres 1/3 de masse dont l’intensité oscille régulièrement en fonction de Ne (la période 1/3 ≈ 0.6 est souvent qualifiée « d’universelle » car elle est observée ΔNe identique pour tous les métaux), analogues à celui de la figure 3.15. Un autre phénomène est observable sur la courbe théorique de la figure 3.15. Il s’agit d’un battement associé à une modulation des couches qu’on appelle supercouche. Nous allons maintenant examiner l’origine physique de ce battement. 3.3.3.8

Supercouches électroniques

Cette structure en supercouche est observable dans le domaine des grandes tailles d’agrégats avec un nombre d’électrons de valence de 500 ou plus. Elle correspond à une modulation périodique de l’intensité des effets de couches et est analogue à une figure de battement résultant de l’interférence qui apparait lorsqu’on additionne deux signaux de fréquence voisine. Les couches électro1/3 niques ont la même périodicité (ΔNe = 0.6), mais avec un décalage d’une 1/3 demie-période (ΔNe = 0.3) au niveau du nœud du battement où les effets de couches s’annulent presque. La figure 3.15 montre ces battements dans la densité d’états. Cette super-structure, appelée supercouche peut être interprétée par la théorie semi-classique de la densité d’états et correspond à la contribution à la densité d’états de principalement deux orbites électroniques classiques, comme nous le verrons ci-dessous. Ces effets de modulation de couches et de battement se retrouvent sur le spectre de masse. La première observation expérimentale a été obtenue sur les agrégats de sodium (Figure 3.16). Au-delà de 500 atomes, les effets de couches deviennent plus faibles et un traitement du signal, prenant en compte notamment des effets thermiques, est nécessaire pour les faire apparaitre [Pedersen et al. (1991)]. Cependant, le signal sur bruit est suffisant pour faire apparaitre le nœud du battement ainsi que le décalage d’une demi-période dans la séquence des nombres magiques. Cet effet de supercouche avait été prévu par Balian et Bloch dès les années 1970 [Balian et Bloch (1971)] dans le cadre de l’étude des effets de couches en physique nucléaire. Mais dans les noyaux, il n’est pas possible de dépasser 250 nucléons et le nœud de supercouche n’est pas observable. Ces effets de couches et de supercouches sont une propriété de la stabilité énergétique pour un système de fermions confinés dans un potentiel effectif sphérique proche d’un potentiel de Woods-Saxon comme ceux dessinés figure 3.12, c’est-à-dire les potentiels à fond plat et à bords raides. Dans les agrégats métalliques, on n’est pas limité en nombre d’électrons de valence. On peut facilement en atteindre plusieurs milliers comme cela a été montré dans le cas du gallium qui est un métal trivalent [Pellarin et al. (1995)]. La figure 3.17 montre des spectres de masse obtenus sur les agrégats de

118

Les agrégats

Fig. 3.16 – Signal obtenu après traitement numérique d’un spectre de masse d’agrégats de sodium, pour tenir compte des effets de température et de taille, révélant la structure en supercouches électroniques [Pedersen et al. (1991)]. Les tailles magiques sont les minima du spectre. On remarque que l’amplitude des effets de couches passe par un minimum aux alentours de N = 1000 (cette zone est appelée nœud de la structure en supercouches électroniques). Un décalage égal à ΔN 1/3 ≈ 0.3 dans la séquence périodique des tailles magiques successives est également observé au nœud du battement. Note additionnelle : figure construite en utilisant le spectre expérimental traité figurant dans l’article intitulé « Observation of quantum supershells in clusters of sodium atoms » [Pedersen et al. (1991)]. Reprinted by permission from Springer nature, Nature, COPYRIGHT 1991.

gallium dans un domaine de taille s’étendant de 500 à 5000 atomes (de 1500 à 1/3 15000 électrons). On voit bien apparaitre des couches périodiques en Ne avec la périodicité de 0.6 et deux nœuds de supercouche correspondant à environ 2500 et 7500 électrons. Les résultats sont bien reproduits par des calculs de type jellium auto-cohérent en utilisant des pseudo-potentiels adaptés. On peut 1/3 remarquer que la périodicité (ΔNe = 0.6) est la même que pour le sodium. Par contre le nœud de supercouche est très sensible au potentiel effectif, ce qui explique que le premier nœud soit à 1000 électrons pour le sodium et à 2500 électrons pour le gallium. Ces effets de supercouches électroniques ont également été observés pour le lithium qui est tout à fait analogue au sodium. Ils ont également été observés dans le cas d’un métal divalent qui est le mercure, même si dans ce dernier cas le nœud de supercouche est obtenu de façon moins nette que pour le sodium et le gallium [Ito et al. (1993)]. Tous ces résultats montrent le caractère général des effets de couches (périodicité de 0,6) et supercouches dans les agrégats métalliques de métaux simples comme les alcalins, les métaux trivalents et dans une moindre mesure les métaux divalents (voir le chapitre suivant sur la

Effets de couches dans les agrégats métalliques

119

b

a

Fig. 3.17 – (a) Spectres de masse obtenus au voisinage du seuil d’ionisation (hν= 4.72, 4.68, 4.63 eV pour les spectres A, B, C. Le spectre C’ est le spectre C dont on a enlevé 80 % de l’enveloppe avant de le multiplier par 5. Les deux nœuds de supercouche sont indiqués par des flèches (d’après une figure originale de la référence « Les nanosciences : nanotechnologie et nanophysique » (Belin) éditée par [Lahmani et al. (2009)] dans le chapitre de A. Perez, P. Mélinon, J. Lermé et J.-F. Brevet « Agrégats et colloïdes ». (b) Énergie de couche calculée dans le cadre du modèle du jellium en utilisant des pseudo-potentiels d’interaction électron-ion (d’après une figure originale de [Pellarin et al. (1995)]). Reprinted by permission from American Physical Society, Physical Review B, COPYRIGHT 1995. transition isolant-métal). Comme nous l’avons déjà dit, ces effets sont liés au confinement d’un ensemble de fermions dans un potentiel effectif à fond plat et bords raides. On peut donner une interprétation semi-classique assez simple de ces effets. 3.3.3.9

Interprétation semi-classique des structures en couches et supercouches électroniques

Les résultats décrits au paragraphe précédent, en particulier la période en 1/3 ΔNe = 0.6 et le battement peuvent être interprétés intuitivement et qualitativement dans le cadre de la théorie semi-classique de la densité d’états d’un électron confiné dans un puits de potentiel à fond plat. Cette théorie est reliée aux règles de quantification semi-classiques des intégrales d’action de Bohr-Sommerfeld. On montre dans cette théorie que la densité d’états peut s’exprimer en fonction des cosinus de l’intégrale d’action d’un certain nombre d’orbites fermées. Si cette intégrale d’action est égale à un nombre entier de p, la densité d’états est extremum et on aura un effet de couche (un maximum ou un minimum de l’énergie). Pour simplifier, considérons le cas d’un strict potentiel « carré » (rayon 1/3 R = rs Ne et profondeur V0 ), tel celui figurant sur la figure 3.12. Dans ce

Les agrégats

120

cas l’impulsion est constante au cours du mouvement, l’intégrale d’action se calcule aisément, et s’exprime simplement comme le produit de l’impulsion et de la longueur de la trajectoire LM tel que :  (3.66) p(r)dr = [2me Ec]1/2 LM = [2me Ec ]1/2 αM rs Ne1/3 où Ec = E + V0 [p = (2me Ec )1/2 ] est l’énergie cinétique de l’électron et LM = αM R étant la longueur de la trajectoire, αM est un nombre spécifique de la trajectoire M considérée (par exemple αc = 4(2)1/2 pour le carré, αt = 3(3)1/2 pour le triangle, . . . ). Ce qui est important, c’est la densité d’états au niveau de Fermi. On peut montrer que dans les agrégats, l’énergie de Fermi est en première approximation indépendante de la taille et que l’intégrale d’action ne dépend donc que de la longueur de l’orbite, elle-même reliée au rayon et 1/3 proportionnelle à Ne . La densité d’états oscille donc comme le cosinus de 1/3 l’action avec une périodicité en Ne . On peut montrer que le développement semi-classique de la densité d’états peut être considéré comme la somme des contributions de chaque orbite fermée avec une amplitude AM . La figure 3.18 montre le type d’orbites fermées qu’on est amené à considérer. Dans le cas du puits carré, on peut montrer que la contribution essentielle à la densité d’états est donnée par les orbites carrée et triangulaire. De plus ces deux orbites contribuent avec la même amplitude, donc en première approximation f luc (EF ) au niveau de Fermi est donnée par la somme de la densité d’états DN e deux cosinus qui oscillent à des fréquences très voisines, ce qui donne lieu à un phénomène de battement qui s’écrit selon l’équation suivante : αc − αt 1/3 Φc − Φt )Ne + ] 2 2 αc + αt 1/3 Φc + Φt · cos[a( )Ne + ] 2 2

f luc (EF ) ≈ 2Acos[a( DN e

(3.67)

avec a = (9π/4)1/3 . Pour étudier intuitivement cette équation, considérons le cas particulier où les phases sont nulles f luc (EF ) ≈ 2Acos[a( DN e

αc − αt 1/3 αc + αt 1/3 )Ne ]cos[a( )Ne ] 2 2

(3.68)

Les trajectoires les plus importantes sont le carré et le triangle soit αc = 4(2)1/2 pour le carré et αt = 3(3)1/2 pour le triangle f luc DN (EF ) ≈ 2Acos[0.442Ne1/3 ]cos[10.418Ne1/3 ] e

(3.69)

Soit de façon plus commode en unités de radian f luc (EF ) ≈ 2Acos[0.442(Ne1/3 /57.3)]cos[10.418(Ne1/3 /57.3)] DN e

(3.70)

Effets de couches dans les agrégats métalliques

121

Fig. 3.18 – Trajectoires classiques fermées d’un électron confiné dans un puits de potentiel sphérique à fond plat et bords raides (voir la figure 3.12, dessin de gauche). Seules les trajectoires les plus courtes à un ou deux tours sont dessinées. La notation M (q, n) signifie que la trajectoire est caractérisée par q tours et n rebonds contre la surface (pour les détails voir la référence « Les nanosciences : nanotechnologie et nanophysique » (Belin) éditée par [Lahmani et al. (2009)] dans le chapitre de A. Perez, P. Mélinon, J. Lermé et J.-F. Brevet « Agrégats et colloïdes ».

La figure 3.19 représente cette courbe. Cette expression permet « d’expliquer » simplement et qualitativement toutes les observations expérimentales. Le second facteur oscillant (le terme « rapide ») est responsable des effets de couches modulant périodiquement les spectres de masse (période de l’ordre de 0.6 pour ΔNe ). Le premier facteur (facteur gouvernant l’amplitude des effets de couches), de période plus longue (terme « lent »), est responsable de la structure en supercouches. Les nœuds sont les gammes de taille pour lesquelles la phase du premier facteur oscillant est voisine de π/2, 3π/2, . . . Le 1/3 décalage ΔNe = 0.3 dans la séquence régulière des nombres magiques successifs, observés aux nœuds de la structure en supercouches, résulte du fait que ce premier facteur change de signe à chaque nœud (la suite logique des maxima apparait comme des minima, ou vice-versa, à chaque « traversée » d’un nœud). Dans la réalité, on n’a pas un puits carré, le potentiel de l’électron de valence n’est pas forcément Coulombien et on peut être amené à utiliser des pseudo-potentiels dans le modèle du jellium. On peut aussi prendre un jellium avec des bords moins raides. Les triangles et les carrés peuvent être plus ou moins arrondis. Tout ceci ne change pas l’essentiel, en particulier la périodicité 1/3 Ne = 0.6, reste la même tant que le potentiel effectif est proche d’un potentiel à fond assez plat avec éventuellement des oscillations faibles par rapport à

122

Les agrégats

Fig. 3.19 – Courbe tracée pour l’équation 3.70. Cette courbe montre les effets de battement sur le plan des principes, mais il faut faire des calculs plus réalistes pour expliquer la position des nœuds de supercouche pour le sodium et le gallium (figures 3.16 et 3.17).

la profondeur du puits. Par contre le nœud de supercouche est sensible à la forme des bords du puits comme le montre la comparaison entre le sodium et le gallium. Ces effets de couches électroniques et supercouches sont assez remarquables et assez universels. Ils traduisent le confinement d’un gaz de fermions dans un potentiel « à fond plat » et bords raides. Ils supposent des électrons « libres », c’est-à-dire des métaux alcalins, divalents ou trivalents. Pour les métaux de transition, le caractère plus complexe de la liaison métallique introduit d’autres effets, notamment structuraux, comme nous le verrons dans le chapitre sur les métaux complexes. Enfin il faut remarquer que ces couches électroniques sont liées à la symétrie sphérique qui suppose l’absence de facettage marqué, c’est-àdire des particules quasi liquides. Ces effets peuvent résister à des déformations ellipsoïdes de la particule qui diminuent les gaps d’énergie (ou l’amplitude des oscillations de la densité d’états). Mais les couches électroniques disparaissent lorsque les facettes sont bien définies comme nous le verrons dans le cas des agrégats d’aluminium. On parlera alors de couches atomiques.

3.3.4

Déformation de la goutte-effet Jahn-Teller

Comme nous l’avons vu, les effets de couches électroniques calculés dans les paragraphes précédents supposent la symétrie sphérique. Mais rien n’oblige les agrégats à conserver la forme sphérique. La physique dit en fait le contraire. Le théorème de Jahn-Teller dit que : « Dans un système à haute symétrie et dont les niveaux d’énergie sont dégénérés, la brisure de symétrie lève la

Effets de couches dans les agrégats métalliques

123

dégénérescence et abaisse l’énergie ». Or les niveaux d’énergie des agrégats sphériques sont fortement dégénérés comme on l’a vu (dégénérescence en 2(2l+ 1) où l est le moment angulaire). Les agrégats qui ne correspondent pas à des couches complètes ont des niveaux dégénérés et vont donc se déformer pour minimiser l’énergie. D’autres informations peuvent être tirées du spectre de masse de la figure 3.1. Des fluctuations dans les intensités des pics successifs, de période ΔN = 2 (les alternances paire-impaire), et dans une moindre mesure ΔN = 4, sont clairement observées (voir l’intensité des agrégats Na8 et Na12 ). Ces alternances affectent aussi la plupart des propriétés physiques des agrégats métalliques MN . Par exemple, pour les éléments monovalents, les agrégats neutres pairs (N = Ne pair) sont plus abondants, donc plus stables. De même que pour les effets de couches électroniques majeurs, la corrélation de ces fluctuations avec la structure électronique du nano-objet est confirmée par simple comparaison + − etMN . En effet, avec les propriétés mesurées avec des agrégats ioniques MN puisque les tailles magiques correspondent à des nombres d’électrons spécifiques, les tailles magiques N (nombre d’atomes) sont décalées de +1 ou −1 dans les spectres de masse de cations (Ne = N − 1) et d’anions (Ne = N + 1) respectivement, relativement aux tailles magiques N des agrégats neutres (voir la figure 3.2). Ces fluctuations sont associées à la perte de la symétrie sphérique induite par l’effet Jahn-Teller (voir la figure 3.20), « brisure de symétrie » qui s’explique de façon analogue aux déformations ellipsoïdales des noyaux atomiques non magiques [pour ceux-ci s’ajoutent aussi le mécanisme d’appariement de type BCS (Bardeen-Cooper-Schrieffer) des nucléons]. Donnons une brève description de l’effet Jahn-Teller dans le cas présent. Considérons une taille Ne non magique dont le niveau de Fermi électronique En,l , obtenu dans le cadre d’un modèle imposant la symétrie sphérique (tel le modèle du jellium décrit précédemment), est rempli par un nombre d’électrons (noté m) inférieur à la dégénérescence g = 2(2l + 1) du niveau à un électron En,l . On a le choix pour « caser » ces m électrons dans ces g états individuels. Plusieurs états (en nombre p) correspondent donc au niveau fondamental E0 du système des Ne électrons [p est en fait le nombre de sousensembles différents contenant m éléments (distincts) que l’on peut former à partir d’un ensemble contenant g éléments, c’est-à-dire le nombre de combinaisons p = g!/[m!(g − m)!] où m! est la fonction factorielle]. La déformation de l’agrégat aura pour influence de scinder le niveau fondamental E0 , p fois dégénéré, en plusieurs sous-niveaux, certains ayant une énergie inférieure à E0 , d’autres supérieure à E0 . L’énergie fondamentale de l’agrégat sera donc abaissée lorsque la symétrie sphérique sera « brisée » (voir la figure 3.20), et minimale pour une déformation spécifique. Avec un modèle sans restriction de symétrie, par exemple avec un jellium homogène libre de se déformer à volume constant (donc non forcément sphérique), on pourra déterminer la forme d’équilibre de l’agrégat et sa structure électronique. Si l’on se restreint aux déformations ellipsoïdales possédant un axe de révolution (Oz) le nombre quantique l spécifiant les niveaux à un électron En,l (conduisant à la

124

Les agrégats

Fig. 3.20 – L’effet Jahn-Teller est un phénomène extrêmement général en physique. Lorsqu’un système possède une haute symétrie (l’effet est illustré ici avec la symétrie sphérique, en d’autres termes l’invariance par rotation), les niveaux quantiques sont − presque toujours − dégénérés : plusieurs états quantiques (en nombre p) correspondent à cette énergie (dans le cas de l’invariance par rotation p = 2J + 1, J étant le nombre quantique correspondant au moment cinétique total du système dans le niveau considéré). La perte de la haute symétrie, par déformation, lève, partiellement ou totalement, la dégénérescence du niveau initial, certains états quantiques étant alors d’énergie plus basse, d’autres d’énergie plus haute. La déformation (on parle de brisure de symétrie en physique) conduit donc à accroitre la stabilité du système. La géométrie de haute symétrie ne sera conservée que si le niveau n’est pas dégénéré (dans cet exemple si J = 0), la déformation conduisant presque toujours à une augmentation de l’énergie (pour les détails voir la référence « Les nanosciences : nanotechnologie et nanophysique » (Belin) éditée par [Lahmani et al. (2009)] dans le chapitre de A. Perez, P. Mélinon, J. Lermé et J.-F. Brevet « Agrégats et colloïdes ».

dégénérescence orbitale 2l + 1 en symétrie sphérique) est remplacé par celui (Λ = 0, ±1, ±2, ....) associé à la projection du moment angulaire sur l’axe de révolution (l’invariance par rotation autour de l’axe Oz est conservée), ce qui conduit à des dégénérescences orbitales 2 (Λ = 0) ou 1 (Λ = 0), l’énergie ne dépendant que de | Λ |. Les dégénérescences des niveaux électroniques à un électron sont donc 4 ou 2 lorsqu’on inclut la dégénérescence de spin. Ceci explique les alternances observées sur les spectres de masse des agrégats d’alcalins, comme par exemple sur la figure 3.1 et aussi la périodicité ΔN = 4. La minimisation de l’énergie totale vis-à-vis des paramètres de déformation confirme l’origine physique des fluctuations d’intensité. Le calcul montre également que, d’une taille à la suivante, la forme minimisant l’énergie totale peut changer radicalement, passant de la forme cigare à soucoupe ou vice-versa, la forme sphérique étant celle d’équilibre pour les tailles magiques dont la dégénérescence est 1. Pour les plus petits agrégats, on peut utiliser un modèle simple avec un potentiel harmonique.

Effets de couches dans les agrégats métalliques

3.3.5

125

Calculs avec un potentiel anharmonique : modèle de Clemenger-Nilsson

Pour les petits agrégats, on peut garder un potentiel harmonique et introduire un terme d’anharmonicité comme le fait K. Clemenger [Clemenger (1985)], qui introduit un terme anharmonique en l2 , où l est le moment angulaire. Cette méthode est analogue à ce qui a été fait pour la déformation des noyaux (modèle de Nilsson) et est parfois appelée pour les agrégats, modèle de Clemenger-Nilsson. Ceci permet de calculer simplement la déformation des agrégats et d’expliquer l’essentiel des effets observés pour les petits agrégats d’alcalins comme sur le spectre des agrégats de sodium de la figure 3.1 ou ceux de métaux nobles (figure 3.2). Nous reviendrons sur ce modèle au chapitre suivant sur la transition isolant métal, lorsqu’on s’intéressera aux gaps d’énergie dans les agrégats métalliques. Le potentiel anharmonique limite cependant ce modèle aux petits agrégats car ce potentiel n’est pas « à fond plat ». On peut aussi utiliser un jellium avec déformation ellipsoïdale et optimiser la déformation. Ce modèle est moins limité, mais nettement plus compliqué et long au niveau des calculs. De toute façon, le jellium ellipsoïdal ne prendra pas en compte l’existence éventuelle de facettes. Le modèle de Clemenger-Nilsson sera développé dans le chapitre suivant.

3.4 3.4.1

Couches géométriques Généralités

Dans le modèle précédent on s’est intéressé au confinement d’un système fermionique où la géométrie de l’agrégat n’était pas explicite (sphérique). Toute particule cristallisée dans une phase solide possède une géométrie dictée par le groupe d’espace du réseau cristallin. On aura donc une anisotropie de forme en référence à une sphère isotrope. Les nombres magiques vont apparaitre pour des formes particulières qui minimisent cette anisotropie. On comprend de façon sous-jacente que la température va jouer un rôle fondamental. Lorsque la température est très faible, l’agrégat est en phase solide et peut montrer ce genre d’anisotropie. Au contraire un agrégat très chaud est sphérique (liquide) et les seuls nombres magiques potentiellement observables correspondent aux nombres magiques électroniques.

3.4.2

Observation des nombres magiques géométriques

La figure 3.21 montre une distribution de taille d’agrégats de sodium de grandes tailles. Des excès de stabilité apparaissent pour des tailles particulières dont la séquence est la suivante Nmagique = 1980, 2820, 3800, 5070, 6550, 8170, 10200, 12500, 15100, 18000, 21300...

(3.71)

126

Les agrégats

Fig. 3.21 – Spectre expérimental d’agrégats de sodium photoionisés à 415nm (spectre du haut) et 423 nm (spectre du bas). Pour mettre en évidence la modulation universelle, le spectre est tracé en fonction de N . Le spectre original est issu de la publication de T.P. Martin et collaborateurs [Martin et al. (1990)] dans la revue Chem. Phys. Lett. volume 172, page 209 (1990). Le nombre très élevé d’atomes par agrégat ne permet pas une séparation bien définie de chaque pic. Il y a donc un effet de lissage, ce qui met en évidence la modulation. Reprinted by permission from Elsevier, Chemical Physics Letters, COPYRIGHT 1990. Ces nombres sont difficilement explicables par un modèle en couches élec1/3 troniques car le critère ΔNe = ΔN 1/3 ≈ 0.6 n’est pas vérifié (la périodicité 1/3 ≈ 1.494). Considérons le même spectre pour des agrégats correspond à ΔN de plus faibles masses (figure 3.14). Il apparait sur ce spectre des faibles masses une double modulation en N 1/3 (ΔN 1/3 ≈ 0.6 pour les faibles masses et ΔN 1/3 ≈ 1.494 pour les masses les plus élevées). Il y a donc intervention d’un autre effet lié à la géométrie de la particule. Les nombres magiques associés sont appelés nombres magiques géométriques. Comme nous le verrons par la suite, ces tailles correspondent à des formes géométriques particulières d’où leurs noms. Dans le modèle de la goutte, la forme de l’agrégat est sphérique. Un tel modèle ne contient aucune information sur la forme et donc est incapable de décrire les « couches géométriques ».

Effets de couches dans les agrégats métalliques

3.5

127

Modèle des liaisons coupées

Contrairement au modèle de la goutte, la forme de la particule va jouer un rôle important. Ce modèle concerne donc la phase solide. Les modèles que nous allons décrire sont faits pour expliquer les nombres magiques observés dans les figures 3.14 et 3.21 inexpliqués par le modèle de la goutte quelle que soit le degré de sophistication (calcul auto cohérent dans le formalisme de la DFT, correction Jahn-Teller . . . ). Ces modèles sont donc intéressants car l’énergie de cohésion va dépendre de la forme d’équilibre de la particule.

3.5.1

Énergie de liaison

Le modèle dit des liaisons coupées est utilisé par les cristallographes. Dans ce modèle, l’énergie de cohésion d’un atome est proportionnelle au nombre de liaisons donc au nombre de premiers voisins Z (coordination). Ecoh = Z × Eat

(3.72)

Eat est l’énergie de cohésion d’un atome par « unité de coordination ». Ce modèle intuitif surestime l’énergie. Le problème est d’estimer la valeur de Z. Dans le solide massif, on aura Z = Z∞ , valeur fixée par la structure du cristal (Z∞ = 12 pour un système compact). On comprend intuitivement que Z dépend de la position de chaque atome dans la particule. La forme d’équilibre correspond à un polyèdre ayant comme caractéristique plusieurs faces, arêtes et coins. On pourra donc définir Zi dans chaque cas, i caractérisant chaque configuration : i) Zi = Z∞ pour les atomes de cœur ii) Zi = Zf pour les faces iii) Zi = Za pour les arêtes iv) Zi = Zc pour les coins Ces valeurs dépendent du type de faces, coins et arêtes. Si NT est le nombre total d’atomes de la particule, l’énergie de cohésion totale dans la phase massive s’écrit Emassif = Z∞ × Eat NT

(3.73)

Dans le cas de la nanoparticule, l’énergie de cohésion totale s’écrit  Zi × Eat N(Zi ) (3.74) Ecoh = Zi

où N(Zi ) est le nombre d’atomes ayant une coordination Zi donnée. Comme pour le modèle de la goutte, on peut introduire le paramètre sans dimension Enorm   Zi × N(Zi ) 1 Enorm = Zi × Eat N(Zi ) × = Zi (3.75) Z∞ × Eat NT Z∞ × NT Zi

Les agrégats

128

 Il reste à déterminer la grandeur N (Zi ) Zi . On voit que l’énergie de cohésion sera d’autant plus grande que cette grandeur sera importante. 3.5.1.1

Polyèdre de Wulff

La particule est composée par l’assemblage plus ou moins ordonné d’atomes assimilés à des sphères. Cet assemblage de sphères ne peut pas donner naissance à une sphère mais à un polyèdre caractérisé par des facettes externes. La forme et la nature du polyèdre dépendent de l’énergie de cohésion des atomes. Dans le cas d’une structure cristallographique tridimensionelle, la réponse est donnée par la construction de Wulff [M.J.K. MacKenzie et Nicholas (1962)]. Le critère de construction vérifie la loi suivante : soit une facette de surface S caractérisée par les indices de Miller (hkl) (Γ est la tension de surface) et Rhkl la distance d’un plan (hkl) au centre de l’agrégat, la surface S est directement reliée au taux de couverture c’est-à-dire à la densité surfacique par atome. Pour une structure cubique faces centrées, le maximum de densité surfacique est obtenue pour une face (111) Γhkl Shkl = constante (3.76) Rhkl Il s’agit du théorème de Wulff [Wulff (1901)] où Shkl est la surface équivalente occupée par atome dans une famille de plans (hkl) (le lecteur ne doit pas faire la confusion avec le diamètre équivalent d’un atome dans le cristal). Formellement la construction de Wulff est en fait un diagramme polaire de l’énergie de surface (appelée γ-plot) dont les points d’inflexion correspondent aux énergies de surface les plus faibles, ce qui permet de construire une projection de la forme d’équilibre. La démonstration formelle en a été faite par Dinghas [Dinghas (1944)]. Nous utiliserons par la suite le théorème de Wulff pour décrire qualitativement la forme d’un cristal à 0 K à partir des énergies de surface. On peut écrire cette équation en fonction de l’énergie de surface par atome γhkl = Γhkl Shkl γhkl = constante (3.77) Rhkl S’il n’existe aucune anisotropie (modèle de la goutte Γhkl Shkl = ΓS), on obtient simplement γ = constante (3.78) R C’est l’équation d’une sphère (goutte) puisque R est constant. Si l’on tient compte de la nécessité d’avoir des facettes, la construction devient très difficile. On peut cependant estimer la forme du polyèdre à partir d’un raisonnement simple. Considérons la structure cubique à faces centrées (notation cfc), la coordination dans le réseau est de douze (chaque atome a douze premiers voisins). C’est la phase la plus compacte avec la phase hexagonale compacte. Cette structure a deux polyèdres caractéristiques associés : le polyèdre de WignerSeitz (maille élémentaire dans l’espace direct) et son polyèdre dual (maille

Effets de couches dans les agrégats métalliques

129

de Wigner-Seitz dans l’espace réciproque) appelé première zone de Brillouin. Celui-ci est un cuboctaèdre à faces hexagonales appelé octaèdre tronqué, polyèdre semi-régulier composé de six carrés (faces (100)) et de huit hexagones (faces (111))(voir figure 3.22).

Fig. 3.22 – Image de microscopie électronique à haute résolution d’un cuboctaèdre à faces hexagonales d’un agrégat de cobalt comportant environ 1000 atomes et une représentation de ce polyèdre (en dessous). Le cliché de microscopie provient de la publication de Jamet et collaborateurs [Jamet et al. (2001)]. Reprinted by permission from American Physical Society, Physical Review Letters, COPYRIGHT 2001. Les faces (111) sont les plus denses avec une coordination de neuf. Les faces (100) ont une coordination de huit. Appliquons la construction de Wulff sachant que dans un cuboctaèdre à faces hexagonales, la distance des facettes au centre est dans un rapport √ 3 R111 (3.79) = R100 2 Γ100 S100 Γ111 S111 = (3.80) R111 R100 D’après l’équation 3.80 la surface est une fonction du nombre d’atomes et dépend de l’arrangement. En introduisant le taux de couverture oc de la surface (densité surfacique), on a oc(100) S111 = S100 oc(111)

(3.81)

Les agrégats

130

La densité surfacique se calcule en assimilant les atomes à des disques (une surface est à 2D) et en calculant le taux de remplissage. On vérifie aisément que la surface (111) a un taux remplissage oc = √π12 , et pour une facette (100) oc = π4 (voir figure 3.23). On a donc Γ111 Γ111 S111 R100 = =1 Γ100 S100 R111 Γ100

(3.82)

Si la tension de surface ne varie pas trop avec le type de face, alors le polyèdre de Wulff ne sera pas trop éloigné du cuboctaèdre à faces hexagonales. La figure 3.22 montre une particule de cobalt cfc ayant cette structure. Attention, l’énergie de surface qui est en général mentionnée dans la littérature est le produit de la tension de surface par unité d’aire. Dans ce cas l’énergie de surface notée γ est dans le rapport indiqué par l’équation 3.79 √ 3 γ111 (3.83) = γ100 2 Le tableau 3.4 donne les valeurs calculées par un formalisme DFT. On voit que pour les métaux nobles (or, argent) la forme d’équilibre ne sera pas trop éloignée du cuboctaèdre à faces hexagonales. Dans le cas du platine et du palladium, il y a une forte anisotropie (Γ100 = Γ111 ). Tab. 3.4 – Énergie de surface γ en eV/atome calculée pour les deux types de face (100) et (111) pour différents métaux cfc d’après [Zhang et al. (2008)].

élément argent or palladium platine

γ100 0.407 0.375 0.755 0.853

γ111 0.324 0.262 0.498 0.495

γ111 /γ100 0.796 0.699 0.660 0.580

cubo faces hex équation 3.82 0.866 0.866 0.866 0.866

La figure 3.23 montre la construction de ce cuboctaèdre à faces hexagonales qui peut simplement être obtenu par troncature d’un octaèdre. Si cette troncature se fait de façon plus sévère (dans le plan médian d’une arête), on obtient un autre polyèdre semi-régulier appelé cuboctaèdre à faces triangulaires. On prendra soin de ne pas confondre ces deux polyèdres. Le cuboctaèdre à faces triangulaires est proche de l’icosaèdre. 2 R111 =√ R100 3

(3.84)

Réécrivons la condition donnée par la relation 3.80 Γ111 S111 R100 Γ111 3 =1 = Γ100 S100 R111 Γ100 4 Soit Γ111 =

4 Γ100 3

(3.85)

(3.86)

Effets de couches dans les agrégats métalliques

131

troncature

Fig. 3.23 – Représentation des cuboctaèdres à faces hexagonales (image de droite) et triangulaires (image de gauche). Ces deux polyèdres diffèrent par leurs troncatures (voir dessin). Ils sont constitués par 8 hexagones et 6 carrés pour le cuboctaèdre à faces hexagonales et 8 triangles et six carrés pour celui à faces triangulaires. Ces deux polyèdres sont des polyèdres semi-réguliers (dont la surface est formée de deux familles de faces étant des polygones réguliers) et font partie des 13 polyèdres d’Archimède. Souvent dans la littérature on fait la confusion entre le cuboctaèdre et l’octaèdre tronqué.

En fait il faut minimiser l’énergie de surface (cf. le modèle de la goutte donné dans l’équation 2.13 du chapitre 2). Cette minimisation passe par deux outils : la minimisation de l’énergie de surface proprement dite et la minimisation du rapport surface sur volume. Donc, si l’on observe la figure 3.23, on remarque que le cuboctaèdre à faces triangulaires présente une surface de facettes (100) bien plus importante que la surface de facettes (111) comparée au cuboctaèdre à faces hexagonales, ce qui signifie que les facettes (111) sont énergétiquement défavorables (on compare l’équation 3.86 et l’équation 3.82). Cette condition n’est pas très réaliste pour un métal « simple » (voir le tableau 3.4). On trouve dans la littérature un certain nombre de travaux mentionnant le cuboctaèdre à faces triangulaires. En fait, cette structure est intéressante car elle découle d’une transformation topologique simple de l’icosaèdre (figure 3.25). Dans ce cas, il est commode de comparer ces deux structures qui ont le même nombre d’atomes. Nous verrons que dans le cas de métaux complexes, voire, de systèmes covalents où les électrons sont fortement localisés, la condition donnée par l’équation 3.88 est raisonnable. Le cas extrême est donné par l’absence de troncature, c’est-à-dire l’octaèdre parfait (voir la figure 3.23). Dans ce cas on aura 1 R111 (3.87) =√ R100 3 et Γ111 =

2 Γ100 3

(3.88)

Les agrégats

132

Ce cas limite correspond au cas où l’énergie d’une facette (100) est tellement importante que l’agrégat ne présente pas de facette (100). On retrouve le cas opposé dans le chapitre 2 pour les systèmes ioniques. Les faces (111) ont la même polarité et n’existent pas dans NaCl. Dans ce cas, on aura des formes d’équilibre d’un cube « simple ». Il est toutefois important de souligner que ces considérations sont à l’équilibre thermodynamique. Lors de la croissance d’un cristal, les phénomènes cinétiques (vitesse de croissance) vont jouer un rôle important et modifier la forme générale du cristal après croissance. La figure 3.24 montre quelques formes observées pour le carbone diamant. Cellesci dépendent d’une part de la taille (thermodynamique) et d’autre part du mode de croissance (cinétique).

Fig. 3.24 – Différentes formes observées pour des cristaux de diamant. (a) cristal macroscopique de type octaédrique (https://www.therawstone.com/collections/ raw), (b) cuboctaèdre à faces triangulaires (Laboratory of the High-Temperature Materials of the Moscow Steel and Alloys Institute, https ://commons.wikimedia.org/wiki/ File :Diamond_cuboctahedron.jpg), (c) fullerènes avec angles réentrants (structure concave au niveau des pentagones) [Butler et Oleynik (2008)], (d) cuboctaèdres à faces hexagonales (http://www.chm. bris.ac.uk/pt/diamond/semflat.htm), (e) structures pentagonales multimaclées [Bement et al. (2014)]. Reprinted by permission from Royal Society, Royal Society, COPYRIGHT 2008. Copyright (2014) National Academy of Sciences.

3.5.1.2

Forme d’équilibre de l’agrégat

Comme nous l’avons signalé, l’anisotropie de surface γ(100)/γ(111) dans un système cfc en accord avec la construction de Wulff est le rapport des distances √ de ces facettes au centre de l’agrégat, soit idéalement γ(100)/γ(111) = 2/ 3 = √ 1.15 (ou bien γ(111)/γ(100) = 3/2). Cette valeur tend vers un lorsque l’on s’approche de la température de fusion pour rejoindre le cas décrit par le

Effets de couches dans les agrégats métalliques

133

Fig. 3.25 – Représentation de l’icosaèdre et du cuboctaèdre à faces triangulaires et transformation topologique associée montrant qu’une déformation continue permet de passer d’une structure à l’autre. Les mathématiciens parlent de transformation « planétaire ». Cette figure est extraite du livre de J.H. Conway et N.J.A. Sloane « Sphere Packings, Lattices and Groups » A series of Comprehensive Studies in Mathematics Springer Verlag (1991) page 29 [Conway et Sloane (2013)]. COPYRIGHT Springer Science+Business Media New York 2013. modèle de la goutte. Pour les grandes tailles, le rapport surface/volume devient négligeable et cette anisotropie tend également vers un comme illustré dans la figure 3.26.

Fig. 3.26 – Évolution de l’anisotropie dans un agrégat de palladium en fonction de la taille d’après le livre « Nanomaterials and Nanochemistry » édité par C. Bréchignac et collaborateurs [Bréchignac et al. (2008)]. La figure originale provient du chapitre « Size effects on Structure and Morphology of Free and Supported Nanoparticles » de C. Henry. COPYRIGHT Springer 2008. Dans un petit agrégat, il faut minimiser l’énergie de surface, on s’attend à ce que l’énergie de cohésion soit maximale, lorsque la surface du polyèdre est minimale, et à ce que la surface de chaque facette soit la plus compacte possible. Cette propriété est la clef pour comprendre la forme d’équilibre des petites particules métalliques. Il reste à

134

Les agrégats

construire un polyèdre qui vérifie cette proposition. Cependant, il n’existe pas de relation simple entre ces deux conditions. Trouver le polyèdre le plus compact Comme pour construire une approximation du polyèdre de Wulff, nous raisonnerons sur la structure cfc. La compacité d’un polyèdre peut être calculée à partir du critère suivant. Considérons un ensemble de points dans un polyèdre occupé par des enfants. L’école étant au centre du polyèdre, il s’agit de minimiser la distance quadratique moyenne que doit faire un enfant pour aller a l’école (calcul du second moment). Intuitivement, on comprend que la sphère sera le cas parfait. On trouvera dans les livres de topologie ce critère de « surface minimum » tabulé pour un grand nombre de polyèdres. Nous nous limiterons dans la figure 3.27 aux polyèdres réguliers et un semi-régulier (le polyèdre de Wulff). La compacité maximum correspond à l’icosaèdre.

Fig. 3.27 – Polyèdres réguliers et cuboctaèdre à faces hexagonales. Le groupe de symétrie et la compacité sont indiqués. Le second moment (noté SM sur la figure) qui caractérise la compacité est normalisé par rapport à la sphère. Un second moment proche de 1 indique un polyèdre compact. Par définition la sphère a un SM de 1. Le formalisme utilisé pour calculer le second moment provient du livre de J.H. Conway et N.J.A. Sloane « Sphere Packings, Lattices and Groups » A series of Comprehensive Studies in Mathematics Springer Verlag (1991) page 450 [Conway et Sloane (1993)].

Effets de couches dans les agrégats métalliques

135

Facettes compactes La compacité des facettes impose que le groupe ponctuel du polyèdre soit compatible avec celui du groupe d’espace du réseau. Ainsi, le cube, l’octaèdre, l’octaèdre tronqué sont compatibles avec la structure cfc. La question posée est la suivante : peut-on construire un polyèdre uniquement avec des faces (111) les plus compactes dans notre réseau cubique faces centrées ? La réponse est oui, il s’agit de l’octaèdre (voir figure 3.27) non tronqué. Dans le cas de l’icosaèdre, le groupe ponctuel Ih n’est pas compatible (on rappelle que l’icosaèdre ne possède pas la symétrie de translation et n’appartient pas aux 230 groupes des systèmes 3D). La quadrature du cercle. . . Les compacités du polyèdre et des facettes correspondantes n’étant pas directement corrélées, on doit trouver un compromis. Pour cela, nous devons calculer (par exemple dans le modèle des liaisons coupées) l’énergie de cohésion de la particule pour trouver le polyèdre le plus stable. Nous nous limiterons à deux polyèdres : - l’octaèdre peu compact (voir figure 3.27) mais comportant des faces (111) compactes, - l’octaèdre tronqué (c.f Wulff) plus compact mais comportant des faces moins compactes (100). Cette analyse doit être complétée par le cas des atomes spéciaux ayant une coordination spécifique : i) les atomes appartenant aux arêtes, ii) les atomes appartenant aux sommets. Ces atomes jouent un rôle fondamental pour les processus de catalyse. On trouve dans la littérature la coordination de chaque atome en fonction du nombre d’atomes d’un polyèdre « couche » par « couche ». On comprend que cette quantification couche par couche s’explique par le fait que la construction d’un polyèdre homothétique nécessite un nombre d’atomes bien défini. Le tableau 3.5 donne ces valeurs pour les deux polyèdres. Pour indication, on pourra comparer cette énergie dans le modèle de la goutte décrit dans le chapitre 2. Le résultat est donné dans la figure 3.28. L’écart est très faible. Pour les très petites tailles, le cuboctaèdre est le meilleur candidat. À partir de ces considérations, on en déduit les propriétés suivantes : - plus le polyèdre est petit, plus la coordination moyenne est faible, donc une énergie de cohésion faible ; - la différence d’énergie est très faible, il y a donc compétition entre différentes structures avec des transitions de phases possibles ; - pour les particules nanométriques (moins de 1000 atomes), la contribution des atomes « spéciaux » (arêtes, coins) va devenir critique.

Les agrégats

136

Tab. 3.5 – Nombre d’atomes ayant une coordination C (C = 4, 7, 8, 9 et 12) pour deux types de polyèdre et en fonction du nombre total d’atomes de la particule [Hardeveld et F. Hartog (1969)]. Nombre d’atomes de coordination i N(i) nombre total d’atomes NT , cuboctaèdre à faces hexagonales : cfh, octaèdre : octa.

octa. couche m NT N(4) N(7) N(7) N(12) cfh couche m NT N(6) N(7) N(8) N(9) N(12)

2 6 6 0 0 0

3 19 6 12 0 1

2 38 24 0 0 8 6

3 201 24 36 6 56 79

4 44 6 24 8 6

m>4 + 1) 6 12(m − 2) 4(m − 3)(m − 2) 1 3 2 3 (2m − 12m + 25m − 18) 1 2 3 m(2m

m>3 16m3 − 33m2 + 24m − 6 24 36(m − 2) 6(m − 2)2 8(3m2 − 9m + 7) 3 16m − 63m2 + 84m − 38

Fig. 3.28 – Enorm calculée dans trois modèles. Lorsque le nombre d’atomes croit, Enorm tend vers un, la valeur du matériau massif. On voit clairement que l’énergie décroit très rapidement lorsque la taille est inférieure à 1000 atomes.

La question que l’on peut se poser à ce stade du raisonnement est la suivante : peut-on faire mieux que le cuboctaèdre ?

Effets de couches dans les agrégats métalliques

137

L’icosaèdre, la forme la plus compacte (voir figures 3.27 et 3.29) a deux propriétés qui a priori ne lui sont pas favorables - pas de symétrie de translation ; - le groupe ponctuel est Ih . La première restriction n’est pas fondamentale pour des particules de très petites tailles où la notion de périodicité perd son sens. La seconde restriction peut être contournée de la manière suivante. Il y a trois façons de générer un icosaèdre : - la première consiste à construire un icosaèdre par intersection d’une famille de plans du type (h, k, l) avec l = 0 et h/k proche de o, o étant le nombre d’or (o = 1/2 + 5/2) dans un réseau cfc par exemple. Les indices de Miller étant des nombres entiers, cela n’est pas possible, une solution approchée pourrait être une famille de plans (h = 162 k = 100 l = 0) ! ! ! Cette famille de plans (h/K tend vers le nombre d’or) génère des faces très peu denses donc est peu favorable à une forte cohésion : - la seconde solution consiste à construire un icosaèdre à partir de vingt tétraèdres cfc (voir figure 3.29) judicieusement empilés. On obtient ainsi une structure localement cfc avec, entre chaque tétraèdre, une macle. Cette structure, appelée multimaclée (MTP pour multi twinned particles en anglais), est observée pour des petits agrégats. Toutes les faces sont denses (faces (111)). Mais l’absence de symétrie de translation doit intervenir. En effet, l’empilement de vingt tétraèdres ne pave pas la totalité de l’espace, laissant un « vide » dans la structure appelé défaut de fermeture. Ce « vide » est comblé par une relaxation plus ou moins homogène des atomes . - La structure est un véritable icosaèdre de symétrie Ih construit autour d’un atome central entouré de deux couronnes de cinq atomes (voir figure 3.29). On peut montrer que cet icosaèdre s’obtient en déformant un cuboctaèdre à faces triangulaires. Le défaut de fermeture est comblé par l’introduction de deux distances radiale et tangentielle. L’écart est de l’ordre de 5%. L’affaiblissement du recouvrement des orbitales diminue la cohésion mais reste raisonnable pour les très petites tailles. La transition d’une phase proche d’un polyèdre de Wulff vers l’icosaèdre est une caractéristique des nanostructures. On prendra soin de ne pas confondre le décaèdre et l’icosaèdre, tous deux étant des structures relaxées multimaclées cfc de symétrie cinq. Ces deux dernières ont été mises en évidence par diffraction et microscopie électronique à transmission à haute résolution (figure 3.30). Le décaèdre observé suivant l’axe d’ordre cinq fait clairement apparaitre les cinq sous-réseaux cfc. L’icosaèdre a une structure en amas globulaire caractéristique qui ne peut être identifiée que par simulation d’image. La plupart des structures observées correspondent à des décaèdres. Ces structures sont en principe moins stables mais plus facile à observer !

Les agrégats

138

Fig. 3.29 – Décaèdre construit à partir de cinq tétraèdres (a). Icosaèdre construit à partir de vingt tétraèdres (b). Plus petit icosaèdre de 13 atomes (c) comparé à la structure cfc (octaèdre tronqué à faces triangulaires) pour le même agrégat (d).

b

a

c

d

e Fig. 3.30 – Image en deuxième contraste d’un icosaèdre d’or (d) observé en microscopie à très haute résolution comparée avec un décaèdre (a) suivant l’axe de symétrie d’ordre cinq. (b) indique la micro diffraction du décaèdre montrant clairement la symétrie d’ordre 5 (10 points), (e) indique la représentation de l’icosaèdre. La structure globulaire typique de l’icosaèdre est difficile à imager, un exemple est donné sur la figure c (théorique) et d (expérimental). Les images proviennent de la thèse de PhD de M. Flueli (n.796) Lausanne EPFL Suisse (1989).

Effets de couches dans les agrégats métalliques

139

Ce modèle ne comporte aucun ingrédient « quantique ». Il n’est donc pas capable de décrire un effet de couche électronique. Pour la même raison, il ne peut pas traiter l’alternance paire-impaire.

3.5.2

Couches géométriques

Ce modèle montre que le critère de compacité, donc le polyèdre « parfait », doit être la forme la plus stable. Pour un polyèdre donné, on peut construire une succession de polyèdres par homothétie. Le nombre d’atomes est quantifié puisque celui-ci ne correspond qu’à un seul polyèdre donné. On parlera de couches géométriques et de nombres magiques par analogie avec les couches électroniques. Les tableaux 3.6, 3.7, 3.8 et 3.9 donnent la séquence de nombres magiques pour quelques polyèdres et la structure cristallographique associée. Tab. 3.6 – Nombres magiques pour les couches géométriques dans le cas d’une structure cubique à faces centrées d’après Hartog [Hardeveld et F. Hartog (1969)] complétée de la référence [Kaatz et Bultheel (2015)]. tet. : tétraèdre, oct. : octaèdre, dr : dodécaèdre rhombique, cft : cuboctaèdre à faces triangulaires, cfh : cuboctaèdre à faces hexagonales. tet. m N cube m N oct. m N dr m N cft m N cfh m N

2 4

3 10

4 20

5 35

6 56

2 14

3 63

4 172

5 365

6 666

2 6

3 19

4 44

5 85

6 195

2 93

3 617

4 1957

5 4497

6 8621

>3 64m3 − 168m2 + 148m − 43

2 13

3 55

4 147

5 309

6 561

>5 m pair(10/3)m3 + 5m2 + (11/3)m + 1 m impair (10/3)m3 + 3m2 − (1/3)m

2 38

3 201

4 586

5 1289

6 2406

>6 16m3 − 33m2 + 24m − 6

1 (m 6

>6 + 1)(m + 2)

>3 4m3 − 6m2 + 3m >4 1 m(2m2 3

+ 1)

La figure 3.31 montre les polyèdres correspondant à quatre nombres magiques (m = 3, 4, 5 et 6) pour une structure cuboctaédrique à faces hexagonales. La séquence principale s’écrira par exemple pour la structure du cuboctaédre hexagonale à faces centrées Nmagique = 38, 201, 586, 1289, 2406, 4033, 6266 . . .

Les agrégats

140

Tab. 3.7 – Nombres magiques pour les couches géométriques dans le cas d’une structure cubique centrée d’après Hartog [Hardeveld et F. Hartog (1969)].

cube m N oct. m N dr m N

2 3 9 35 2 3 15 57

>3 m3 + (m − 1)3 >3 + 1)(4m − 3)

1 2 3 (2m

2 3 >3 15 65 (2m − 1)(2m2 − 2m + 1)

Tab. 3.8 – Nombres magiques pour les couches géométriques dans le cas d’une structure hexagonale compacte d’après Hartog, pbh : prisme bipyramidal à base hexagonale.

pbh [10¯ 11] m N

3 15

4 34

5 65

>5

1 2 2 m(m

+ 1)

Tab. 3.9 – Nombres magiques pour les couches géométriques dans le cas d’une structure appartenant au groupe de l’icosaèdre, ico : icosaèdre, dp : décaèdre pentagonal, d’après [Kaatz et Bultheel (2015)]. ico m N dp m N

2 13

3 55

4 147

5 309

>5 (10/3)m3 + 5m2 + (11/3)m + 1

2 7

3 23

4 54

5 105

>5 (5/3)m3 + (1/6)m

La séquence principale s’écrira par exemple pour la structure du docaèdre rhombique Nmagique = 15, 65, 175, 369, 671, 1105, 1695, 2465, 3439, 4641, 6095 . . . La figure 3.32 montre la séquence des premiers icosaèdres correspondant aux premiers nombres magiques. La séquence principale s’écrira par exemple pour la structure icosaédrique Nmagique = 13, 55, 147, 309, 561, 923, 1415, 2057, 2869, 3871, 5083, 6525 . . .

Effets de couches dans les agrégats métalliques

141

Fig. 3.31 – Empilement de sphères dures pour les premiers cuboctaèdres à faces hexagonales.

Fig. 3.32 – Empilement de sphères dures pour les premiers icosaèdres. Une autre façon d’écrire cette séquence est donnée par l’équation Nmagique =

1 (10m3 − 15m2 + 11m − 3) 3

(3.89)

La séquence de nombres magiques peut être synthétisée par une équation générique (3.90) N ∗ = an3 + bn2 + cn + d où a, b, c et d sont des coefficients donnés dans le tableau 3.10.

Les agrégats

142

Tab. 3.10 – Coefficients a, b, c et d dans les polyèdres standards. Les polyèdres en caractères gras sont des polyèdres de Wulff. ico : icosaèdre, cuboft : cuboctahedron à faces triangulaires, cubofh : cuboctaèdre à faces hexagonales, deca : decaèdre, decat : décaèdre tronqué, octa : octaèdre, tetrahedron (tetra), dodécaèdre rhombique (doder), hexaèdre rhombique (hexar), bipyramide hexagonale (biph), bipyramide tronquée (bipt).

réseau cfc cfc cfc cfc cfc cfc cfc cfc cfc cc cc cc cc hcp hcp

polyèdre ico cuboft cubofh deca decat octa tetra cube doder hexar doder cube (N>3) octa (N>3) biph (N>5) [10¯11] bipt [10¯11]+[0001]

a 10/3 10/3 16 5/6 10/3 2/3 1/6 4 64 1 4 2 8/3 1/2 14/4

b -5 -5 -33 1/6 -5 1/3 1/2 -6 -168 0 -6 -3 -2 0 -21/4

c 11/3 11/3 24 0 11/3 0 1/3 3 148 0 4 3 4/3 1/2 14/4

d -1 -1 -6 0 -1 0 0 0 -43 0 -1 0 -1 0 -3

Pour chaque structure, la forme la plus compacte correspond au polyèdre de la première zone de Brillouin soit :  pour la structure cubique à faces centrées (cfc) : le cuboctaèdre à faces hexagonales,  pour la structure cubique centrée (cc) : le dodécaèdre rhombique,  pour la structure hexagonales compacte (hcp) : le prisme bipyramidal à base hexagonale. Une alternative est possible pour la structure cfc : l’icosaèdre et le décaèdre.

3.5.3

Résultats expérimentaux

Comme cela est illustré sur le spectre de masse des agrégats de sodium de la figure 3.21, des nombres magiques peuvent apparaitre sur les spectres et être corrélés à des couches atomiques. Par exemple sur la figure 3.21, la séquence observée correspond en gros aux icosaèdres complets : 2057, 2869, 3871, 5083. . . et la périodicité des couches de ΔN 1/3 = 1.494 correspond à la séquence des icosaèdres. Mais, comme cela est illustré sur le tableau 3.10, la séquence des icosaèdres (formule 3.89) est la même que celle des cuboctaèdres

Effets de couches dans les agrégats métalliques

143

à faces triangulaires et celle des décaèdres tronqués. Dans le cas des agrégats de sodium (N > 2000), on ne peut pas décider entre ces trois structures. Il y a d’autres cas où cela est possible car il peut apparaitre des structures sur le spectre de masse entre les nombres magiques des couches atomiques, ce sont en quelque sorte des sous-couches. La figure 3.33 montre un spectre de masse d’agrégats de calcium qui est très structuré. On peut faire un spectre de « différence » (voir la légende de la figure 3.33) pour mieux faire apparaitre les effets de couches. Les couches principales correspondent aux séquences de la formule 3.89, c’est-à-dire 561, 923, 1415, 2057, 2869, 3871, 5083. Les structures entre les couches principales peuvent s’interpréter comme des ombrelles adjacentes remplissant un certain nombre de faces triangulaires permettant de construire peu à peu une nouvelle couche atomique [Martin (1996)], et on a une sous-couche chaque fois qu’une ombrelle est remplie. Les sous-couches correspondent aux icosaèdres.

Fig. 3.33 – Spectre de masse de « différence » des agrégats de calcium. a) Spectre de masse légèrement lissée, b) même spectre fortement lissé pour faire disparaitre les oscillations. La différence a-b fait apparaitre les effets de couche (d’après la figure originale [Martin (1996)]). Reprinted by permission from Elsevier, Physics Report, COPYRIGHT 1996. Des structures icosaédriques avec les mêmes nombres magiques et les mêmes sous-couches ont été également observées dans les agrégats de nickel et de cobalt [Pellarin et al. (1994)]. Il faut noter aussi que la structure des agrégats de métaux de transition, triés en masse et stockés dans une trappe à ions, a été étudiée par diffraction électronique [Rapps et al. (2013)]. Ces études ont mis en évidence trois types de structure compactes dont les icosaèdres

144

Les agrégats

Fig. 3.34 – A) Spectre de masse des agrégats d’aluminium avec une source à 300 K. Le spectre en dessous est un spectre de « différence » (voir la légende de la figure 3.33). Les oscillations correspondent au remplissage des faces triangulaires d’un octaèdre (couches atomiques, voir le texte). B) Même spectre de masse avec une source d’agrégat chauffée à 600 K. La période des oscillations a changé et correspond aux couches 1/3 électroniques (ΔNe = 0.6) (d’après la figure originale [Baguenard et al. (1994)]). Reprinted by permission from AIP Publishing, Journal of Chemical Physics, COPYRIGHT 1994.

(voir le chapitre sur les métaux complexes). Ceci confirme l’importance des structures compactes d’ordre 5 pour accommoder l’énergie de surface dans les petits agrégats. Des couches atomiques ont également été observées sur les spectres de masse des agrégats d’aluminium [Martin (1996)]. Dans ce cas, on observe des octaèdres complets qui sont une structure compacte cfc (voir la figure 3.34A). La périodicité des octaèdres est ΔN 1/3 = (2/3)1/3 = 0.8736 (formule du tableau 3.10). Mais en fait, les oscillations sur le spectre de masse correspondent à chaque fois qu’une face triangulaire est remplie et il faut compléter 4 faces triangulaires pour rajouter une couche atomique complète. Donc la périodicité est ΔN 1/3 = 0.2184, et si on compte le nombre d’électrons de 1/3 valence, on obtient ΔNe = 0.3149. La périodicité est environ deux fois plus 1/3 rapide que la périodicité des couches électroniques ΔNe = 0.6. On peut se demander pourquoi on observe des couches atomiques dans les agrégats d’aluminium et des couches électroniques dans ceux de gallium. L’idée qui vient immédiatement est que le gallium a un point de fusion bas (29.76 o C) comparé à l’aluminium (660.3 o C). Il est donc normal que les agrégats de gallium fassent des gouttes, des formes sphériques, alors que l’aluminium, plus rigide, a une structure cristallographique bien définie. La figure 3.34 montre d’ailleurs

Effets de couches dans les agrégats métalliques

145

[Baguenard et al. (1994)] que si on chauffe les agrégats d’aluminium en portant la source à 600 K (330 o C environ), on retrouve les couches électroniques 1/3 avec la périodicité ΔNe = 0.6. On peut remarquer qu’on trouve des couches électroniques pour les métaux à bas point de fusion, les alcalins, le gallium, le mercure, etc. On montrera dans le tome 2 que le point de fusion des agrégats a tendance à diminuer avec la taille, ce qui favorise les couches électroniques pour les petites tailles. Ceci explique le passage des couches électroniques aux couches atomiques (figure 3.14) pour le sodium quand la taille augmente. Par contre dans les agrégats à point de fusion plus élevé, comme le calcium (842 ◦ C) et les alcalino-terreux en général, ainsi que l’aluminium et certains métaux de transition, on aura plutôt des couches atomiques. De plus dans l’aluminium, l’hybridation sp, responsable du caractère trivalent de la liaison, favorise sans doute les octaèdres par rapport aux icosaèdres. L’hybridation sp est fortement anisotrope. En effet, on retrouve les icosaèdres pour les gaz rares, les métaux alcalins et les alcalino-terreux comme le calcium, le strontium ou le baryum pour lesquels la liaison délocalisée, de type s, est isotrope.

3.6

Autres modèles

La méthode des liaisons coupées est évidemment très simplifiée. Comme son nom l’indique, elle ne permet que de compter les liaisons, et donc de faire de la cristallographie à l’échelle nanométrique, de répertorier les géométries les plus favorables et de dégager les grandes tendances. Si on s’intéresse maintenant à un système donné dans un domaine de taille donné, toutes les méthodes de calculs évoquées dans le chapitre précédent sur l’énergie de liaison peuvent être utilisées pour calculer la géométrie et les propriétés des agrégats, comme la méthode des liaisons fortes (TBSMA), la méthode de Hückel. Les meilleurs résultats sont obtenus par des méthodes ab initio du type fonctionnelle de densité. Dans ce dernier cas, les calculs sont longs et complexes, mais ils donnent de bons résultats pour les métaux simples, notamment alcalins. Pour les métaux plus complexes, on est vite limité en taille.

3.7

Conclusion

En conclusion, on peut dire que lorsque les agrégats métalliques ont des formes grossièrement sphériques, on observe des couches électroniques avec des stabilités plus grandes pour les couches électroniques complètes. Ces stabilités particulières correspondent à des gaps d’énergie au niveau de la surface de Fermi. Nous reviendrons sur la valeur de ces gaps dans le chapitre suivant sur la transition isolant métal. Les effets observables ne sont pas limités aux très petits agrégats et sont mesurables jusqu’à environ 15000 électrons de valence. Ceci a permis la mise en évidence pour la première fois des supercouches électroniques prédites dès 1970 pour des fermions confinés dans un potentiel à fond à peu près plat. Cette forme sphérique des agrégats suppose une phase liquide,

Les agrégats

146

ou au moins une fusion de surface. Les agrégats métalliques sous forme de gouttelettes pourront subir des déformations ellipsoïdales du type Jahn-Teller lorsqu’on aura une couche électronique incomplète. Cet effet diminue les gaps d’énergie et donc les écarts de stabilité, mais ne change pas qualitativement les effets de couches électroniques. Cette symétrie « sphérique », ou si on préfère le caractère « liquide », explique que les effets de couches électroniques soient observés principalement pour des métaux à bas point de fusion comme les alcalins, et dans une certaine mesure, les métaux trivalents ou les agrégats de mercure de grande taille. Pour les métaux possédant un point de fusion plus élevé, les agrégats auront tendance à être facettés et la stabilité maximale sera obtenue pour les couches atomiques complètes. On peut en quelque sorte revisiter la cristallographie pour des cristaux de tailles nanométriques. Des structures icosaédriques ont été observées dans le cas des alcalino-terreux (Ca, Sr, Ba. . . ) mais aussi sur des métaux de transition (Ni, Co). Les résultats montrent l’importance des structures de symétrie d’ordre 5 dans ce domaine de taille (300 à 10000 atomes, soit quelques nm de diamètre) pour accommoder l’énergie de surface (sauf dans le cas particulier de l’aluminium). L’importance des symétries d’ordre 5 avait déjà été mise en évidence au chapitre précédent pour les gaz rares et le carbone (fullerènes).

3.8

Annexe : mise en évidence des nombres magiques

Soit l’équation 3.52. Prenons un exemple, N ∗ = 8, dans ce cas nmax = 1 puisque le premier niveau n = 0 peut être occupé par deux électrons et le second n = 1 par 6 électrons. Les équations 3.50, 3.51 et 3.52 donnent E(N ∗ = 8) = 2

3 9EF EF 3 [ + 3 × (1 + )] = 8 2 2 4

3 31EF EF 3 EF + × 5(1 + ) = 7 2 7 2 14 3 3 E 5 43EF E F F [ + 3 × (1 + )] + (1 + ) = E((N + 1)∗ = 9) = 2 9 2 2 9 2 18 EF ΔE(N = 8) = E(N + 1)∗ − E(N )∗ − (E(N )∗ − E(N − 1)∗ ) = 10 prenons l’exemple d’un agrégat de N = 7 atomes : E((N − 1)∗ = 7) = 2

(3.91) (3.92) (3.93) (3.94)

E((N = 7) = 2

3 31EF EF 3 E F + × 5(1 + ) = 7 2 7 2 14

(3.95)

E((N = 6) = 2

E F 3 EF 3 13EF + × 4(1 + ) = 6 2 6 2 6

(3.96)

Effets de couches dans les agrégats métalliques E(N = 8) = 2

3 9EF EF 3 [ + 3 × (1 + )] = 8 2 2 4

soit ΔE(N = 7) = −

EF 8.4

147 (3.97)

(3.98)

prenons l’exemple N = 9 E(N = 9) = 2

EF 3 3 EF 43EF [ + 3 × (1 + )] + (1 + 5/2) = 9 2 2 9 18

3 9EF EF 3 [ + 3 × (1 + )] = 8 2 2 4 EF 3 3 EF 25EF E(N = 10) = 2 [ + 3 × (1 + )] + 2 (1 + 5/2) = 10 2 2 10 10 soit 1EF ΔE(N = 9) = − 50 On voit donc un excès de stabilité pour ΔE(N = 8). E(N = 8) = 2

(3.99) (3.100) (3.101)

(3.102)

Chapitre 4 Transition isolant métal dans les agrégats 4.1

4.1.1

Transition isolant métal en matière condensée Introduction : de l’atome au solide, bandes d’énergie, définitions

On considère qu’un agrégat constitue un nouvel état de la matière intermédiaire entre l’atome caractérisé par des niveaux discrets bien séparés, et le solide, caractérisé par des bandes d’énergie continues (quasi continues). Dans le cas du solide, si le niveau de Fermi est au milieu d’une bande d’énergie, on dira qu’on a un métal (qui est un conducteur de l’électricité). Si le niveau de Fermi est situé entre deux bandes d’énergie bien séparées (plusieurs eV), on aura un isolant. La distance entre deux bandes est appelée gap d’énergie. Si le gap est faible, de l’ordre ou légèrement supérieur à quelques kB T l’énergie thermique, on aura un semi-conducteur, comme par exemple le silicium. La figure 4.1 illustre qualitativement la formation d’une bande d’énergie dans le cas d’un métal simple (par exemple le sodium) pour les électrons de valence. Cette bande est appelée bande de conduction. Dans les agrégats métalliques de N atomes, les niveaux d’énergie restent discrets, mais la distance entre niveaux décroit quand le nombre d’atomes augmente. On peut donc, sans que le type de liaison évolue, passer d’un système « isolant » à un système « semi-conducteur » puis « métallique » en faisant varier le nombre d’atomes. La formation d’une bande (voir figure 4.1) peut se voir en utilisant un calcul de type liaisons fortes sans tenir compte des répulsions atomiques. Soit E0 l’énergie d’un électron sur un niveau s (métal monovalent), l’énergie d’un électron dans le solide dépend de la dispersion suivant la valeur de k. Dans

150

Les agrégats

Fig. 4.1 – Représentation schématique de la construction d’une bande d’énergie dans un métal au fur et à mesure que le nombre d’atomes N augmente. En gris/rouge, le cas du sodium avec une largeur de bande totale de 16 β avec le niveau de Fermi au milieu de la bande.

le cas du sodium cubique centré, on a la relation de dispersion → b − → b − → − b (4.1) E( k ) = E0 − 8α − 8β cos k x cos k y cos k z 2 2 2 ⎛ ⎞ → b− x → − →⎝ − → − ⎠, α et β ont été by b est le vecteur de Bravais b → − → − → − b/2( x + y + z ) définis dans le chapitre 2. La contribution de α est souvent négligée, on aura → − une énergie minimale de E(k) = E0 − 8β en k = 0 et E(k) = E0 + 8β en → − → − k = 2π b x par exemple. La largeur totale de la bande est de 16β. Dans le solide, on peut considérer en première approximation que les électrons sont libres et confinés dans le volume du solide. On utilise la statistique de FermiDirac et les électrons peuplent les niveaux en dessous du niveau de Fermi EF . Cette bande est donc à moitié remplie et fixe le niveau de Fermi au niveau zéro. La figure 4.1 illustre dans un cas simple la transition isolant-métal dans les agrégats en fonction de la taille. En introduisant les bandes d’énergie, on a ainsi donné une définition en mécanique quantique de ce qu’est un métal, un semi-conducteur et un isolant : si le gap d’énergie est très grand devant kB T on a un isolant, de l’ordre ou légèrement supérieur à quelques kB T on a un semi-conducteur, et s’il est inférieur à kB T on a un métal. L’avantage de cette définition est qu’elle est valable aussi bien pour le métal que pour les agrégats. N’oublions pas que cette image reste simpliste. Le calcul d’une bande interdite, quel que soit son degré de sophistication, consiste à utiliser de façon sousjacente la notion de bandes d’énergie. La théorie des bandes est une approche

Transition isolant métal dans les agrégats

151

monoélectronique où l’électron est une particule « indépendante ». Comme nous le verrons par la suite (modèle de Hubbard), l’existence de corrélation entre électrons, elle, même issue d’un problème à N corps, peut invalider l’approche monoélectronique. L’exemple le plus célèbre est NiO. Ce matériau à nombre impair d’électrons doit être un métal dans l’approximation de la théorie des bandes. Pourtant celui-ci est isolant ! [de Boer et Verwey (1937)] (voir annexe). En fait, le calcul de la conductivité électrique nécessite l’utilisation de la théorie appelée Dynamical mean-field theory DMFT (qui traite partiellement le problème à N corps) et qui est une approche différente de la théorie habituelle des bandes. Comme nous le verrons par la suite, le modèle de conductivité de Drude, même s’il est possible de l’introduire de façon classique, ne peut se comprendre que dans le formalisme de la DMFT (utilisation des fonctions de Green formalisme de Greenwood Kubo . . . ). L’équation de Drude introduit la notion de masse effective qui, dans un modèle monoélectronique, est simplement reliée à la courbure des bandes. Ainsi dans un système fortement corrélé (semi-conducteurs avec états résonants), par phénomène d’interférences quantiques, il est possible de créer un gap (masse effective infinie) sans pour autant avoir une courbure infinie. Il est donc nécessaire de mettre en garde le lecteur sur le traitement de la transition isolant métal par l’approche monoélectronique. Cette approche qui associe état métallique et bande interdite n’est pas suffisante.

4.1.2

Problème lié à la définition du métal

4.1.2.1

Métal versus « métallicité »

La disparition des niveaux discrets au profil de bandes continues partiellement remplies est un aspect de la transition isolant métal. Cependant en physique du solide, la conductivité électrique d’un métal est basée sur la notion de transport des électrons. Ce transport n’existe pas à l’équilibre thermodynamique et nécessite de fait d’être hors équilibre. Le problème sous-jacent est sa transposition dans un agrégat libre où la notion même de transport est inopérante (dans un petit agrégat métallique, le transport peut être gelé par le blocage de Coulomb par exemple). Pour un chimiste, la délocalisation des fonctions d’onde (dans Na3 par exemple) est suffisante pour définir un état métallique. Pour aborder ce sujet, on peut se poser la question de la nature d’un métal à travers quelques modèles standards développés au cours du XXe siècle [Imada et al. (1998)]. En règle générale, il faudra distinguer la notion de transition isolant métal, faisant intervenir la notion de conductance minimum, de la notion de recouvrement des bandes ou pas, et donc l’apparition d’une bande interdite. De façon rigoureuse, la transition isolant métal définie par la disparition du gap est reliée à la notion de métallicité au sens de Harrison (un composé à gap nul à une métallicité de 1) alors que l’on devrait réserver le terme métal pour les propriétés de transport sous-jacentes (dépendance de la conductivité en température, propriétés thermiques . . . ). Par la suite on utilisera abusivement le terme métal pour la disparition du gap.

Les agrégats

152

Fig. 4.2 – Représentation schématique montrant la différence entre régime diffusif (macroscopique) et balistique dans le cas des agrégats. La trajectoire de l’électron étant linéaire, on raisonnera en termes de probabilité comme pour l’effet tunnel avec une matrice de transmission t(E) et une matrice de réflexion r(E), les deux étant reliées par la relation indiquée sur la figure. 4.1.2.2

Transport dans un agrégat : problème lié à la mesure

La corrélation entre les notions de métallicité et d’état métallique est loin d’être évidente. Pour le montrer nous pouvons raisonner sur un cas très simple de conduction électrique sur des atomes formant une chaine linéaire hypothétique (du sodium par exemple). Considérons un agrégat dont la dimension est inférieure au libre parcours moyen d’un électron : le système est en régime balistique : la résistivité ne dépend plus de la longueur mais du nombre de canaux de transmission (la conductance est donc quantifiée). Les électrons de conduction au voisinage du niveau de Fermi ont une trajectoire linéaire entre les deux électrodes. Comme indiqué dans le paragraphe suivant, l’unité de conductance est donnée par la conductance quantique unitaire G (quantum unit of conductance) (voir l’équation 4.51 de l’annexe 4.6.2). On rappelle que la conductance exprimée en Siemens (S) est l’inverse de la résistance (1 S = 1 Ω−1 ). G=

e2 = 0.775 × 10−4 S π

(4.2)

S’il n’y avait aucune interaction entre l’agrégat et les électrodes, la conductance serait indépendante de la dimension de la chaine, au moins dans le régime balistique (voir la figure 4.2). Dans les faits, des phénomènes de résonance liés à la densité d’états au niveau de Fermi vont intervenir. Pour cela on peut idéaliser le système par

Transition isolant métal dans les agrégats

153

Fig. 4.3 – En haut : représentation d’un agrégat linéaire entre deux électrodes linéaires, les intégrales de recouvrement et de dérive sont mentionnées (d’après [Khomyakov et Brocks (2006)]). Pour traiter le problème à une dimension, les électrodes sont idéalisées par une chaine linéaire. Le schéma de droite montre la configuration des niveaux de Hückel pour des agrégats pairs (even) ou impairs (odd) d’atomes. En bas : configuration utilisée pour un agrégat linéaire d’or ou de platine. Le paramètre « a » est la distance interatomique. La conductance calculée en fonction de la taille de l’agrégat est mentionnée à droite en bas (d’après les figures originales de [De la Vega et al. (2004)]). Reprinted by permission from American Physical Society, Physical Review B, COPYRIGHT 2004. une chaine linéaire d’atomes de sodium connectée à deux électrodes linéaires semi-infinies (figure 4.3). La chaine est caractérisée en liaisons fortes par une intégrale de recouvrement β entre les atomes de sodium et un paramètre de dérive α (voir chapitre 2). De même, les électrodes sont caractérisées par les termes β  et α respectivement (l’électrode est prise en référence β  = 1). L’interface entre la chaine et l’électrode est caractérisée par βc qui est l’intégrale de recouvrement entre un atome de l’électrode et un atome de l’agrégat. On suppose que la tension appliquée entre les électrodes est très faible, que le système est symétrique et qu’il n’y a pas de transfert de charge (α = α ). En prenant comme origine des énergies α, le niveau de Fermi est égal à zéro. Le diagramme de Hückel pour une chaine linéaire fait apparaitre des états HOMO partiellement remplis (donc pas de bande interdite) pour un nombre impair d’atomes et des états HOMO remplis (donc une bande interdite) pour un nombre pair d’atomes en accord avec la relation bien connue de la quantification sur une chaine linéaire.

Les agrégats

154 E = α + 2β cos

πk n+1

(4.3)

n est le nombre d’atomes, k un entier. Examinons la conductance de ce système en relation avec l’existence ou non d’une bande interdite (fonction de la parité). La conductance totale de ce système L est donnée par le formalisme de Landauer-Büttiker [Büttiker et al. (1985)]  |tn,n |2 (4.4) L=G n,n

t est l’amplitude de transmission, n et n sont des canaux de transmission. Le calcul formel est difficile et nécessite d’utiliser le formalisme des fonctions de Green. Il est possible de montrer analytiquement que dans un modèle aussi simple (en fait les résultats dépendent fortement de la nature des électrodes [Lang (2007)]), on a pour une différence de tension entre électrodes aussi petite que possible (dans le cadre de la réponse linéaire) L = GT (EF )

(4.5)

T est la transmission pour une énergie égale au niveau de Fermi. T (EF ) dépend de la parité du nombre d’électrons. Pour un nombre impair d’électrons, le dernier niveau n’est pas occupé entièrement, il n’y a donc pas de bande interdite [Khomyakov et Brocks (2006)] Limpair = G

(4.6)

Pour un nombre pair d’électrons, le dernier niveau HOMO est entièrement occupé (deux électrons), il y a donc une bande interdite (LUMO est le niveau situé juste au-dessus) 4βc4 /β 2 (4.7) Lpair = G (1 + βc4 /β 2 )2 Cette conductance dépend de la nature de l’interface. Dans le cas d’un nombre impair d’atomes, la conductance est égale à G (il n’y a qu’un seul canal de conduction). Considérons un agrégat entre deux électrodes. En l’absence de contact (agrégat libre) la conductance d’un agrégat à nombre pair d’atomes (avec un gap), serait faible (car βc 20) (voir figure 4.11). Mais dans ces systèmes les atomes d’or forment une liaison avec les ligands et on ne connait pas le nombre d’électrons libres pour un nombre donné d’atomes d’or. En fait, si on prend un autre ligand, les résultats sont différents. Ceci a été montré pas T. Tsukuda et son équipe [Negishi et al. (2005)] qui ont produit des agrégats d’or protégés par des molécules de glutathion SG. Ils ont montré que pour les petits agrégats comme Au10 SG10 , il n’y avait pas d’électrons délocalisés. Pour Au25 SG18 , il y avait un cœur Au− 7 qui contenait 8 électrons délocalisés (voir aussi [Hamouda et al. (2010)]). Le gap mesuré pour Au25 correspond ici à Au− 7 . Il est donc très difficile de mesurer des gaps sur ces systèmes car tout dépend du ligand. Ces nanoclusters sont cependant fascinants par leurs propriétés optiques. Ce sont pour les plus petites tailles des semi-conducteurs, des quantum dots qui peuvent être utilisés comme marqueurs dans beaucoup d’applications. Le rôle des ligands est illustré dans la figure 4.15 où l’on voit le glissement du signal de luminescence pour différents ligands. Au fur et à mesure que les ligands apparient des électrons célibataires, le nombre total d’électrons libres au sein de l’agrégat chute, ce qui s’interprète comme une diminution effective de la taille de la partie « métallique » d’où un « blue shift » possible.

Transition isolant métal dans les agrégats

175

Fig. 4.15 – Signal de luminescence en fonction de l’interaction entre le ligand et le solvant pour des agrégats d’argent encapsulés (la nature du colloïde ne permet pas de connaitre explicitement la taille d’un agrégat) [Zheng et al. (2004, 2007)]. Reprinted by permission from American Physical Society, Physical Review Letters, COPYRIGHT 2004.

4.2.3.4

Conclusion

En conclusion, dans ce paragraphe, nous avons souligné le caractère semiconducteur des petits clusters métalliques. Ceci leur donne des propriétés optiques remarquables comme la luminescence. La dépendance en taille du gap est difficile à calculer analytiquement car on est dans le régime où chaque atome compte. Le modèle de Kubo en 1/N donne seulement le gap minimum, mais le gap peut être plus élevé et se rapprocher de la loi en 1/N 1/3 . Le fait de protéger les clusters par des ligands permet des mesures et une utilisation faciles, mais dans un si petit système la présence des ligands ne peut être négligée. De plus la présence des ligands a tendance à garder une structure assez sphérique aux nanoclusters qui ne peuvent pas se déformer comme les agrégats libres, ce qui conduit à des gaps assez élevés, ce sont en quelque sorte des atomes multiélectroniques dans un potentiel confiné par les ligands.

4.2.4

Transition isolant métal dans les métaux divalents

Les atomes divalents ont une structure atomique ns2 et donc a priori dans le solide la bande s est pleine. Cela pourrait conduire à un isolant dans le solide. En fait il n’en est rien à cause de l’hybridation s-p qui conduit à une bande sp qui n’est pas pleine (voir [Bréchignac et al. (1985) ; Bréchignac et al. (1988)]

Les agrégats

176

et la figure 4.16 ci-dessous). Une première indication qualitative de la taille critique de transition consiste à regarder le gap atomique des éléments divalents correspondant à la transition s vers p (on peut se limiter aux transitions 1S 0 vers 3 P 0 ). On s’attend a priori à ce qu’un faible gap atomique soit comblé pour une taille plus faible que dans le cas d’un fort gap (tableau 4.2), car l’hybridation sera plus facile pour un faible gap atomique. Tab. 4.2 – Gaps atomiques pour quelques éléments divalents en eV. 1S 0 vers 3 P 0 1S 0 vers 3 P 1

Zn 4.0 -

Cd 3.73 -

Hg 4.67 -

Mg 2.71 -

Ca 1.88 -

Sr 1.78 -

Ba 1.52 1.12

Fig. 4.16 – (Droite) Spectre de photoélectrons de Hg− n dans un domaine de taille compris entre 3 et 250 atomes. L’énergie d’excitation du laser est de 7.9 eV. Les traits rouges (lignes pointillées) matérialisent les états HOMO et LUMO. La transition isolant métal apparait au delà de 100 atomes. (Gauche) En haut schéma montrant la formation de la bande dans le mercure par hybridation s-p. En bas, dépendance en taille de l’énergie de liaison des photoélectrons pour HOMO (cercles ouverts) et LUMO (cercles pleins). La bande s-p est la différence entre ces deux valeurs (triangles ouverts). Le trait continu représente l’ajustement de la courbe sur une fonction en 1/R (d’après les figures originales de Busani et collaborateurs [Busani et al. (1998)]). Pour le mercure on voit une rupture de pente (trait continu) pour la courbe sp se situant à n−1/3 = 0.42 soit n = 13 atomes. Reprinted by permission from American Physical Society, Physical Review Letters, COPYRIGHT 1998.

Transition isolant métal dans les agrégats 4.2.4.1

177

L’exemple du mercure

L’hybridation peut donc être une cause de transition isolant métal ou métal isolant. Cette transition isolant métal peut être par exemple observée dans les phases très hautes pressions du sodium (avec une bande interdite de plusieurs eV), transition due à l’hybridation s-p-d [Ma et al. (2009)]. Dans l’état atomique le mercure adopte une structure électronique proche d’un gaz rare soit 1s2 2s2 2p6 3s2 3p6 3d10 4s2 4p6 4d10 5s2 5p6 4f 14 5d10 6s2 . Si le mercure gardait sa structure de départ et compte tenu de la forte énergie de corrélation (U = I − A = 10.4 eV) comparée par exemple à celle du sodium (U = 4.6 eV), le mercure sous la forme massive devrait être isolant, or le mercure est un « bon » métal. Ceci s’explique par la promotion d’un électron s dans un état p qui permet d’avoir des états (bandes) partiellement occupé(e)s. Le dimère est connu pour être une molécule Van der Waals, dans l’état fondamental + 1 + g (Og ), l’énergie de dissociation est de 0.042 eV [Dolg et Flad (1996)]. On peut donc admettre qu’il n’y pas d’hybridation pour le dimère. L’hybridation se fait très lentement suivant le schéma de la figure 4.16. En mesurant le spectre de photoélectrons émis par des agrégats de mercure chargés négativement, Busani et collaborateurs [Busani et al. (1998)] ont mis en évidence la diminution de la bande interdite lorsque l’hybridation sp se fait dans l’agrégat. La transition a lieu pour 150 atomes environ ce qui montre que l’hybridation sp est très lente (figure 4.16). Cette valeur est peut être sous-estimée et la transition isolant métal pourrait se situer plutôt vers 400 atomes [Busani et al. (1998)]. Cependant cette transition s’amorce autour de 13 atomes qui correspond à une rupture dans la courbe en 1/R [Bréchignac et al. (1988)] (voir figure 4.16). Kang et collaborateurs [Kang et al. (2010)] ont montré par le calcul que l’agrégat Hg8 a encore une différence HOMO-LUMO de 4.9 eV (voir tableau 4.3) alors qu’expérimentalement ce gap est d’environ 2 eV. Ceci illustre la difficulté des calculs dans un système à forte énergie de corrélation et fortement relativiste. Tab. 4.3 – Symétrie, énergie de cohésion par atome et différence entre HOMO et LUMO (bande interdite) pour les premiers agrégats de mercure calculés dans le formalisme de la DFT [Kang et al. (2010)]. On notera que la bande interdite donnée par la DFT surestime d’un facteur 2 celle mesurée expérimentalement. Il est bien connu que la DFT sous-estime naturellement la bande interdite. Il n’y a pas d’explication claire à ce paradoxe. On peut raisonnablement penser que la fonctionnelle de la densité est trop simpliste et que les interactions spin orbite et Van der Waals sont sous-estimées. Cependant à un facteur d’échelle près, la dépendance en fonction de la taille est parfaitement reproduite par ce formalisme.

nombre d’atomes N 3 4 5 6 7 8

symétrie D3h Td D3h C2v D5h Cs

Ecoh /N 0.031 0.055 0.06 0.065 0.071 0.074

HOMO-LUMO 5.742 5.469 5.061 5.089 5.007 4.898

Les agrégats

178 4.2.4.2

Autres métaux divalents

Cadmium et Zinc Le mercure étant un atome lourd, les électrons de valence sont relativistes (contraction des orbitales) et ceci pourrait expliquer la forte valeur de N pour la transition isolant métal. Dans le cas du zinc, celle-ci apparait pour une valeur beaucoup plus faible, N = 32 environ (figure 4.17). Pour les très petites tailles, N = 2 − 18 atomes, on observe une diminution graduelle du gap avec la taille dans un métal ayant une couche s pleine et une couche p vide (modèle de Bloch-Wilson) [Kostko et al. (2005)]. L’analyse peut aussi être perturbée par la présence d’isomères métastables dans la gamme de température considérée. La figure 4.17 montre quelques isomères d’agrégats de zinc déduits du spectre de photoémission en comparaison entre l’expérience et la simulation [Aguado et al. (2015)]. De même une analyse fine des isomères peut montrer la coexistence entre des états métalliques au sein de l’agrégat

Fig. 4.17 – (En haut à gauche) Énergie des photoélectrons s et p d’agrégats de

zinc Z− n . On notera la similarité avec le spectre du magnésium (figure 4.18). (D’après la figure originale de la référence [Kostko (2007)]). En bas : isomères des agrégats de zinc et orbitales électroniques pour deux isomères de Zn11 montrant un cœur électronique « métallique » et des liaisons pendantes localisées. D’après la référence [Aguado et al. (2015)]. Reprinted by permission from Royal Society of Chemistry (Great Britain), Nanoscale, COPYRIGHT 2018.

Transition isolant métal dans les agrégats

179

avec une délocalisation des électrons, et un état isolant avec la présence de liaisons pendantes (on peut parler improprement de particules de type Janus électroniques) [Aguado et al. (2015)]. Magnésium, Strontium La figure 4.18 montre la transition isolant métal dans le cas du magnésium (structure de l’atome [N e]3s2 ) déduite de l’évolution de l’affinité électronique et du potentiel d’ionisation en fonction de la taille. Dans le cas du magnésium on voit deux contributions notées « s » et « p » qui se rejoignent autour de 18 atomes. Cette taille est considérée comme la transition isolant métal issue du croisement d’une bande s pleine et d’une bande p totalement vide. La nouvelle bande est partiellement occupée et autorise la conduction électrique. Un résultat similaire est obtenu pour les agrégats de strontium, sachant que les niveaux d proches en énergie de la bande p vont jouer un rôle (figure 4.19). Le strontium a une structure électronique [Kr]5s2 isoélectronique du magnésium étudié dans le chapitre précédent. Contrairement au magnésium, il y a des électrons d dans le cœur. Comme indiqué sur la figure 4.19, le niveau 4d n’est pas trop éloigné du niveau 5s (voir le tableau 4.4). L’écart d’énergie entre les niveaux s et p dans le magnésium et le strontium peut expliquer la transition isolant métal beaucoup plus rapide dans le strontium (13 atomes) que dans le cas du magnésium (18 atomes). 4.2.4.3

Conclusion sur les métaux divalents

En conclusion, dans presque tous les métaux divalents, lorsque la taille des agrégats augmente, la coordination moyenne augmente et l’hybridation des bandes s-p conduit assez vite à la délocalisation des électrons vers 20-30 atomes. Dans le cas du mercure, les électrons sont plus lents à se délocaliser et la transition vers la liaison métallique se produit au-delà de 200 atomes où un gap de 0.2-0.3 eV persiste et s’atténue peu à peu. Ceci est dû à un gap s-p plus important dans l’atome et aux effets relativistes.

4.3 4.3.1

Transition isolant métal dans les semi-conducteurs Changement de coordination

Une transition isolant métal ou métal isolant peut apparaitre lorsqu’un agrégat devient beaucoup plus stable dans une phase cristallographique qui n’est pas celle que l’on observerait dans la phase massive. Lorsque le nombre de premiers voisins augmente, les recouvrements d’orbitales favorisent la métallicité donc un état « métallique » (l’exemple dans la phase solide est l’étain alpha et beta discuté dans le chapite 2). Cela provient de la largeur des bandes qui varie en N 1/2 , N nombre de premiers voisins (équation 4.20). C’est également le cas

Fig. 4.18 – Cas du magnésium, évolution de l’affinité électronique notée AE en fonction de la taille. WF est le travail de sortie correspondant au potentiel d’ionisation du solide massif, valeur assymptotique pour N → ∞. Dans le cas du magnésium, on voit clairement la fusion des bandes s et p autour de Mg18 . À droite : représentation de l’hybridation en fonction de la taille (d’après les figures originales de la référence [Kostko (2007)]). Figure tirée de « Inaugural-Dissertation » « Photoelectron spectroscopy of mass-selected sodium, coinage metal and divalent metal cluster anions » by Oleg Kostko. Fakultät für Mathematik und Physik der Albert-LudwigUniversität Freiburg im Breisgau.

180 Les agrégats

Fig. 4.19 – Même légende que la figure 4.18 dans le cas du strontium. Figure tirée de « Inaugural-Dissertation » « Photoelectron spectroscopy of mass-selected sodium, coinage metal and divalent metal cluster anions » by Oleg Kostko. Fakultät für Mathematik und Physik der Albert-Ludwig-Universität Freiburg im Breisgau.

Transition isolant métal dans les agrégats 181

Les agrégats

182

Tab. 4.4 – Énergie de quelques transitions atomiques dans le strontium et le magnésium en eV [Sansonetti et al. (2005)]. strontium niveau 5s2 5s5p 5s4d magnésium niveau 3s2 3s3p 3s3d

énergie 0 1.79843 2.271300 énergie 0 2.711592 5.94592

configuration S 3 0 P 3D 1

configuration S 3 0 P 3 0 P 1

du silicium qui adopte une structure compacte de type métallique pour les très petits agrégats. On distinguera deux régimes. Dans un premier temps pour des tailles intermédiaires, typiquement 50-1000 atomes, l’agrégat conserve une structure tétra-coordonnée (chaque atome a quatre voisins) mais les atomes de surface se reconstruisent. On peut observer trois grandes familles d’agrégats, les bucky diamonds, où la structure externe adopte une structure de type fullérène, les structures en oignons et les structures proches du diamant (figure 4.20). (On rappelle que le bucky diamond, par analogie avec un ballon de football, est une forme dérivée d’un fullerène dans lequel il y a des atomes à l’intérieur du ballon). Le second régime (petits agrégats « prolate » et « oblate ») correspond à des structures compactes avec une coordination strictement supérieure à quatre.

4.4

Confinement électronique dans les semi-conducteurs

On a vu au chapitre 2 que dans les petits agrégats de silicium par exemple, le type de liaison entre les atomes changeait à cause de la réorganisation de surface pour accommoder les liaisons pendantes. On peut par contre garder le même arrangement des atomes que dans le solide en saturant les liaisons pendantes. On pourra donc étudier à la fois l’effet du confinement électronique dans les agrégats avec ligands et la transition semi-conducteur métal dans les petits agrégats sans ligand.

4.4.1

Observation expérimentale

Le confinement dans un agrégat semi-conducteur nécessite de saturer toutes les liaisons pendantes car celles-ci introduisent des états (l’analogue des états de surface pour un solide massif) dans la bande interdite. Pour cela on passive

Transition isolant métal dans les agrégats

183

Fig. 4.20 – Énergie de cohésion pour quelques agrégats de silicium dans différentes structures (bucky-balls, oignons, fullerènes à cœur plein. . . ). Les atomes en couleur bleue (foncé) sont les atomes de cœur, les atomes de couleur jaune (clair) sont les atomes de surface [Yang et al. (2015)]. Reprinted by permission from American Chemical Society, The Journal of Physical Chemistry C, COPYRIGHT 2015.

l’agrégat avec de l’hydrogène en admettant que la nature de la liaison X-H (X étant l’élément semi-conducteur) ne modifie pas le spectre de niveaux électroniques du semi-conducteur. On admet également (ce qui est largement vérifié expérimentalement) que la structure de l’agrégat conserve la structure de la phase massive. Ceci est utile pour pouvoir faire des calculs sur une structure connue. La figure 4.21 montre l’évolution de la bande interdite dans des agrégats de silicium passivés produits dans une source à pyrolyse laser suivie d’une détente adiabatique, les agrégats neutres étant sélectionnés en masse par un hacheur mécanique [Ledoux et al. (2002)].

4.4.2

Confinement dans une boite

Pour des raisons de commodité on utilisera une boite parallélépipédique. Les niveaux d’énergie dans un modèle d’électrons libres s’écrivent Enx,ny,nz =

2 π 2 nx 2 ny nz (( ) + ( )2 + ( )2 ) 2me Lx Ly Lz

(4.37)

me la masse de l’électron libre. Soit Eg,∞ le gap (bande interdite) d’un semi-conducteur dans la phase massive, le nouveau gap d’une « boite quantique » sera (n = 1, on assimile Lx,y,z à R) (4.38) Eg = Eg,∞ + Ex,y,z

Les agrégats

184

Fig. 4.21 – Signal de luminescence d’agrégats de silicium passivés et dépendance du gap de luminescence en fonction de la taille. La loi de confinement suit une loi en 1/R1.39 (les données numériques sont dans la référence [Ledoux et al. (2002)]).

Eg = Eg,∞ +

2 π 2 2mR2

(4.39)

Il s’agit du modèle de confinement dans un puits carré décrit précédemment. Le confinement quantique est extrêmement important en optique car il a deux conséquences, d’une part, augmenter le gap suivant une loi en 1/R2 et d’autre part, par brisure de symétrie, autoriser des transitions optiques radiatives dans des semi-conducteurs à gap indirect (le silicium par exemple) en fournissant une énergie Δk le long d’une branche d’une courbe de dispersion avant la transition verticale. Nous allons maintenant nous intéresser au problème de la bande interdite qui nécessite un calcul sophistiqué au delà d’un modèle d’hamiltonien monoélectronique. Dans un premier temps des modèles de type perturbatif ont été introduits pour estimer cette bande interdite de façon analytique. Le modèle le plus simple est celui de l’exciton. Le confinement (excitonique) augmente les forces d’oscillateurs au voisinage des seuils d’absorption de la lumière [Bénédict et al. (2003)]. En d’autres termes, on peut fabriquer des émetteurs de lumière à partir de semi-conducteurs à bandes interdites indirectes (Si, Ge. . . ), matériaux aisément intégrables dans les puces utilisées en micro-électronique.

Transition isolant métal dans les agrégats

4.4.3

185

Exciton de Wannier : modèle de Efros [Efros et Efros (1982)]

Le modèle suppose un modèle quasi parabolique (la masse de l’électron est simplement remplacée par une masse effective), un potentiel infini à bords raides (type potentiel carré) et une particule sphérique de rayon R. Lors de l’émission de lumière, il y a formation d’un exciton qui est une quasi-particule que l’on peut voir comme une paire électron trou liée par des forces de Coulomb. Dans un semi-conducteur, on parlera d’exciton de Wannier car son rayon analogue au rayon de Bohr est beaucoup plus grand que le paramètre de maille. Le rayon de Bohr a pour valeur (q la charge de l’électron) a0 =

2 4π0 = 0.529A˙ me qe2

(4.40)

Dans le modèle hydrogénoïde, l’électron et le trou ont une orbite assimilable à un état s (atome d’hydrogène) dans lequel l’exciton (paire électron trou) est plongé dans un milieu diélectrique de permittivité r . On aura donc les rayons de Bohr suivant : pour l’électron de masse effective m∗e ae =

2 4π0 r m∗e qe2

(4.41)

pour le trou de masse effective m∗h ae =

2 4π0 r m∗h qe2

(4.42)

enfin pour l’exciton considéré comme une quasi-particule de masse réduite μ = ( m1∗ + m1∗ )−1 e

h

ab =

2 4π0 r μqe2

(4.43)

On comprend que le rayon de Bohr est augmenté de la valeur de r , pour le silicium r = 11.7, ce qui engendre un confinement de l’exciton pour des particules de taille inférieure à 5 Å. Nous allons examiner les cas possibles. Il est à noter que ce modèle est purement qualitatif car les masses effectives sont très mal définies et fortement anisotropiques dans une direction donnée du cristal. À T = 300 K on trouve dans la littérature m∗e = 1.17me et m∗h = 0.81me [Barber (1967)]. D’autres valeurs très différentes sont mentionnées. 4.4.3.1

Faible confinement

On peut distinguer plusieurs confinements en comparant la taille de la boite ou R avec le rayon de Bohr. Dans le régime de faible confinement l’interaction

Les agrégats

186

entre l’électron et le trou est dominée par l’énergie de Coulomb, le décalage en énergie pour le niveau le plus bas (n = 1) s’écrit simplement ΔE =

2 π 2 2M R2

(4.44)

où M est la masse de l’exciton M = m∗e + m∗h 4.4.3.2

Fort confinement

Dans le régime de fort confinement (le rayon R est plus petit que le rayon de l’exciton), l’exciton ne peut pas exister, l’électron et le trou sont des particules indépendantes. Le confinement est donné par l’équation ΔE =

2 π 2 2 π 2 ≈ 2μR2 2m∗e R2

(4.45)

Un calcul plus précis fait par Kayanuma [Kayanuma (1988)] introduit deux termes correctifs dont l’attraction Coulombienne [Bruce (1984)] et un terme d’énergie de corrélation spatiale ΔE =

13.606me 1 1.786q 2 2 π 2 1 + 0.284( 2 1 ( ∗ + ∗)− ) 2 2R me mh r R r ( m∗ + m1∗ )−1 e

(4.46)

h

La bande interdite de l’agrégat s’écrit simplement Eg = Eg,∞ + ΔE

4.4.4

(4.47)

Modèles plus sophistiqués

Le calcul d’une bande interdite est un challenge pour les théoriciens car on doit calculer non seulement l’orbitale HOMO (acronyme de highest occupied molecular orbital) qui est la plus haute orbitale occupée par au moins un électron (donc le bas de la bande de valence pour un solide massif) mais aussi l’orbitale LUMO (acronyme de lowest unoccupied molecular orbital) qui est l’orbitale la plus basse en énergie non occupée par un électron (le bas de la bande de conduction pour un solide massif). Le premier terme est aisément calculable dans un formalisme de la DFT standard puisque HOMO se détermine à l’état fondamental. Il n’en est pas de même pour LUMO qui nécessite de connaitre le premier état excité. Le formalisme standard de la DFT (approximation de la LDA ou GGA) sous-estime systématiquement la position de LUMO. Dans le cas du silicium, le gap calculé dans le solide est de 0.6 eV au lieu de 1.17 eV mesuré expérimentalement (ceci est dû à une discontinuité du potentiel représentant la partie dite à N corps pour un système à N et N + 1 électrons). De plus pour les très petites tailles l’influence de l’exciton devient primordiale, or l’exciton est par essence même une quasi-particule dont l’origine est un problème à N corps, une description avec un hamiltonien monoélectronique ne suffisant pas.

Transition isolant métal dans les agrégats 4.4.4.1

187

Cas des très petites tailles

Il s’agit d’un des problèmes les plus complexes. D’une part, il n’existe pas à ce jour des mesures fiables faites sur des agrégats parfaitement passivés (un seul atome d’oxygène peut, par la nature de la liaison chimique, fausser les résultats). D’autre part, le problème à N corps devient primordial car le confinement est tel que l’exciton (ou tout du moins son image) joue un rôle primordial. Cependant, le nombre limité d’atomes permet de faire des calculs sophistiqués qui intègrent le problème à N corps ou au moins dans une forme perturbative. Une des méthodes est la QMC (Quantum Monte Carlo) qui inclut les termes d’échange et de corrélation entre tous les électrons [Williamson et al. (2002)] (en principe c’est une des méthodes les plus précises mais très couteuse en temps de calcul). On peut également utiliser l’approche dite GW-BSE (BetheSalpeter) incluant les corrections du type quasi-particule qui traite le problème à N corps dans une approche perturbative. La TDDFT (time dependent density functional theory) est une autre méthode dite perturbative. La figure 4.22 montre la grande difficulté du traitement théorique, sachant qu’aucune méthode n’est capable de donner à la fois un spectre d’excitation correct pour le solide et la molécule. 4.4.4.2

Tailles intermédiaires

Pour les tailles intermédiaires on utilise des méthodes semi ab initio où certains paramètres sont plus ou moins ajustés [Delerue et al. (1998); Niquet et al. (2000); Ren et Dow (1992)]. La figure 4.23 montre le confinement dans un modèle de liaisons fortes paramétré par rapport à des calculs ab initio [Niquet et al. (2000)].

4.4.5

Agrégats de semi-conducteurs sans ligand

Le problème du confinement tel qu’il est défini devient caduque car la présence de liaisons pendantes sur la surface introduit des états localisés dans la bande interdite. Schématiquement on peut le voir en faisant un calcul simple de liaisons fortes sur des agrégats de silicium passivés par de l’hydrogène comparés à des agrégats non passivés et non reconstruits en surface (figure 4.24). On voit clairement la disparition de la bande interdite pour les agrégats non passivés. Pour des raisons énergétiques, le sytème va se reconstruire en surface pour minimiser les liaisons pendantes. Dans certains cas, on observera des nombres magiques pour lesquels il y a une bande interdite. La disparition de la loi de confinement est observée expérimentalement en étudiant par spectroscopie STM la densité d’états d’agrégats de silicium puis déposés sur du graphite HOPG [Marsen et al. (2000)]. La bande interdite fluctue fortement pour les petites tailles et le système devient métallique pour les agrégats de plus de 15 atomes (figure 4.25).

Les agrégats

188

Fig. 4.22 – Comparaison entre différentes méthodes ab initio intégrant à différentes échelles le problème à N corps. Pour la technique BSE le spectre d’excitation de N électrons est comparé au spectre d’excitation de (N +1) électrons et au spectre de (N −1) électrons, alors que la technique TDLDA (TDDFT dans l’approximation adiabatique de la densité locale) ne traite que le spectre d’un système à N électrons [Bénédict et al. (2003)]. À gauche le calcul correspond au solide de silicium, à droite la molécule SiH4 et les agrégats de silicium en fonction de la taille. Reprinted by permission from American Physical Society, Physical Review B, COPYRIGHT 2003.

4.4.6

Conclusion sur les semi-conducteurs

En conclusion, dans les agrégats de semi-conducteurs, on peut faire varier le gap qui augmente avec la taille à condition de saturer les liaisons pendantes. Ceci permet de modifier notamment les propriétés optiques. Par contre, si les agrégats restent nus, la coordination moyenne des atomes augmente et on observe une transition semi-conducteur métal lorsque la taille diminue. Cela se traduit par des états dans le gap car on est bien incapable de mesurer la conductivité. A contrario, on peut remarquer que les propriétés extraordinaires des semi-conducteurs nécessitent une certaine taille ou en tous cas un arrangement atomique donné. L’existence d’états dans le gap, dans les agrégats de semi-conducteurs nus, les rend peu intéressants pour les applications, du moins pour l’instant. Ce fut à certains égards une déception pour les pionniers de cette physique comme Richard Smalley, même si bien sûr cela reste un joli problème de matière condensée.

Transition isolant métal dans les agrégats

189

Fig. 4.23 – Comparaison du confinement dans des agrégats de silicium pour un modèle sphérique entre des calculs de liaisons fortes, de pseudo-potentiel (PP) et de DFT dans le formalisme de la LDA (LDA) [Niquet et al. (2000)]. Reprinted by permission from American Physical Society, Physical Review B, COPYRIGHT 2000.

4.5

Conclusion générale

La transition isolant métal ou métal isolant est le phénomène le plus remarquable dans les effets de taille sur les très petits agrégats. Il met également en évidence le rôle des corrélations notamment sur les systèmes divalents. La dépendance en taille du gap est difficile à calculer analytiquement car on est dans le régime où chaque atome compte. Le modèle de Kubo en 1/N donne seulement le gap minimum, mais le gap peut être plus élevé et se rapprocher de la loi en 1/N 1/3 . En tout état de cause, la dépendance en taille est du type α N avec 1/3 < α < 1. Le fait de protéger les clusters par des ligands permet des mesures et une utilisation faciles, mais dans un si petit système la présence des ligands ne peut être négligée. Le calcul de la bande interdite sous-entend une approche monoélectroniquee même si l’on introduit des corrections liées à la corrélation. Le lecteur doit garder à l’esprit que la bande interdite n’est pas une condition suffisante pour décrire un métal. La notion de conductivité, dont le modèle de Drude est la version la plus simpliste, fait intervenir des effets dynamiques non pris en compte dans une approche simpliste HOMO LUMO. La notion de transport balistique ne permet pas de différencier clairement l’existence d’un gap dans la mesure où le transport, illustré par la conductance, est fortement dépendant de la nature des électrodes. En tout

190

Les agrégats

Fig. 4.24 – Densité d’états électroniques pour des agrégats de silicium dans un modèle rigide avec ou sans hydrogène de passivation. L’ouverture de la bande interdite est matérialisée par les traits discontinus rouges (figure de droite). Les traits discontinus bleus (figure de gauche) montrent le comblement de la bande interdite par les états de surface en l’absence d’hydrogène [Mélinon et al. (1997)]. Reprinted by permission from AIP Publishing, Journal Chemical Physics, COPYRIGHT 1998.

Fig. 4.25 – Gap d’énergie pour des petits agrégats de silicium déposés sur du graphite HOPG. Les mesures pour chaque taille sont illustrées dans la figure 4.7 [Marsen et al. (2000)]. Reprinted by permission from Elsevier, Journal of Electron Spectroscopy and Related Phenomena, COPYRIGHT 2000.

état de cause il n’est pas possible d’avoir une information sur un agrégat libre au niveau du transport. En ce qui concerne les autres types de mesure comme la photo-émission, elles reposent sur des hypothèses adiabatiques dont la pertinence peut être questionnée. Les transitions isolant métal font partie d’une

Transition isolant métal dans les agrégats

191

nouvelle discipline : l’électronique moléculaire, qui dépasse largement le cadre de ce livre.

4.6 4.6.1

Annexes Rayon de Bohr aH

Dans un solide on peut utiliser le modèle hydrogénoïde dans lequel on traite par analogie avec l’atome d’hydrogène, un rayon équivalent à celui de Bohr pour l’hydrogène, lorsque l’électron voit un milieu effectif constitué de la constante diélectrique statique  du milieu. Cette constante  diverge (infini) pour un bon métal. On ne peut donc définir cette constante qu’au voisinage de la transition isolant métal, voire dans un diélectrique qui, lui, est « isolant ». Le paramètre aH en fonction de a0 , le rayon de Bohr standard, s’écrit aH = a0 

me m∗

(4.48)

me est la masse de l’électron, m∗ la masse effective de l’électron dans le système considéré. Si l’on observe les surfaces de Fermi données dans la figure 5.9 du chapitre 5 et la définition de m∗ dans l’équation 5.2 du chapitre 5, on comprend intuitivement que aH n’est pas une constante. Celui-ci est constant pour les alcalins qui ont une surface de Fermi sphérique et où s’applique strictement le modèle hydrogénoïde. Dans les autres cas, aH dépend du vecteur k donc de la direction cristallographique. Pour le calcul de la transition isolant métal dans un matériau, on ne peut pas prendre la constante diélectrique qui diverge après la transition. On distinguera deux cas. Pour le cas des semi-conducteurs (problème traité par Mott) dopés, on prendra la constante diélectrique du matériau de base, le silicium par exemple ( = 12). Le dopage responsable de la transition n’affecte pas le matériau lui-même. Dans le cas d’un métal aH est l’extension radiale de la densité électronique associée à l’électron de valence qui est responsable de la conduction. La transition isolant métal, correspond à l’ionisation de l’électron, son extension maximale est le rayon effectif de Bohr [Edwards et al. (2010)]. C’est ce rayon qui permet de renormaliser la figure 4.5.

4.6.2

Conductance quantum unit

On peut calculer de façon intuitive la conductance minimum en appliquant le principe d’Heisenberg ΔEΔt ∼ h. Le courant minimal est donné par la relation qe /τ où t = τ est le temps de transit. En admettant qu’on applique une tension V ayant pour énergie correspondante E = qe V , on aura ΔEΔτ =

qe V qe ∼h I

(4.49)

Les agrégats

192 d’après la loi de Ohm, la conductance G = I/V , il vient qe2 2π

G=

(4.50)

En fait la définition pour la conductance quantique unitaire (voir l’équation 4.58) est q2 (4.51) G= e π

4.6.3

Critère de Ioffe Regel [Gurvitch (1981)]

Dans la théorie de Drude, le libre parcours moyen λ entre deux collisions s’écrit pour un électron λ = VF τ (4.52) sachant que VF , la vitesse de Fermi, est reliée à kF par la relation 2 kF2 1 ∗ 2 m VF = 2 2m∗

(4.53)

m∗ est la masse effective valable dans un système monoélectronique (approche classique) ou bien dans une approche de quasi-particule (approche quantique). Cette masse n’intervient pas pour la suite. VF =

kF m∗

(4.54)

La conduction critique au sens de Ioffe Regel correspond à la valeur du libre parcours moyen égal à la distance caractéristique (maille) « a » du réseau (on suppose un réseau cubique simple). On obtient donc une valeur pour τcrit d’après 4.52 a (4.55) τcrit = VF sachant qu’il y a α électrons par unité de volume du réseau a3 , la valeur de kF définissant la surface de Fermi s’écrit kF =

π 1/3 α a

(4.56)

En utilisant les équations 5.1 (chapitre 5), 4.54 et 4.55, il vient σc =

1 2/3 e2 α π a

(4.57)

Soit en définissant la conductance quantique unitaire G (quantum unit of conductance) q2 (4.58) G = e = 0.775 × 10−4 S π

Transition isolant métal dans les agrégats

193

l’équation 4.57 s’écrit

Gα2/3 (4.59) a Dans le cas du sodium bcc α = 2, a = 4.28 Å. Le critère de Ioffe-Regel définit une valeur approximative, à savoir α = 1 et a = 4 Å, d’où une valeur de σc = 2000 S.cm−1 , valeur utilisée dans le paragraphe 4.6.3. Dans le cas du sodium, on aurait formellement σc = 3000 S.cm−1 . σc =

4.6.4

BIS versus UPS

La spectroscopie de photoélectrons consiste à envoyer un photon d’énergie connue (photon X pour sonder les niveaux profonds dits de cœur (XPS), photon UV pour sonder les états de valence (UPS)) et d’analyser en énergie les photoélectrons émis. La différence d’énergie renseigne sur le niveau analysé dans l’élément considéré. La spectroscopie de photoémission inverse IPES (Inverse Photo Electron Spectroscopy) consiste à envoyer un électron d’énergie connue et d’analyser l’énergie des photons émis. Si l’on s’intéresse à une seule énergie de photon, émis on parlera de spectroscopie BIS (Bremsstrahlung Isochromate Spectroscopy). Ces deux techniques sont complémentaires car la PES sonde tous les états (si l’énergie du photon incident le permet) situés en dessous du niveau de Fermi (états occupés). La spectroscopie IPES sonde tous les états au-dessus du niveau du vide (états vides). La différence entre les deux permet de mesurer la bande interdite dans le cas d’un isolant, sachant que la PES (généralement l’UPS) renseigne sur la valeur EF − EV et l’IPES sur la valeur EC − EF , la bande interdite étant Eg = EC − EF (figure 4.26).

4.6.5

Isolant de Mott : le cas de NiO

L’explication du caractère isolant de NiO a été donnée par Mott et Peierls [Mott et Peierls (1937)]. L’idée est de considérer NiO sous la forme (Ni2+ O2− )2 → Ni3+ O2− + Ni1+ O2−

(4.60)

à la place d’un traitement standard « à la Pauling » Ni2+ O2−

(4.61)

NiO a une structure cubique, le champ cristallin (symétrie cubique octaédrique) dédouble le niveau d pouvant contenir 10 électrons en deux sousniveaux contenant respectivement 6 et 4 électrons (voir figure 4.27). L’ion Ni2+ a une structure d8 donc une des sous-bandes est partiellement occupée, d’où un état métallique. En fait, il peut y avoir un processus de dimérisation comme dans le sodium. Pour celui-ci, cette dimérisation est improbable car l’énergie de corrélation est faible (4.6 eV) devant la largeur de bande W (voir paragraphe 4.1.6). Ce n’est pas le cas dans NiO où l’interaction de Coulomb entre les électrons d fortement localisés est de 9 eV. Les sauts électroniques ne sont pas possible, NiO est un isolant avec une bande interdite de 3.7 eV.

194

Les agrégats

Fig. 4.26 – Principe de la mesure PES et IPES sur un matériau ayant une bande interdite, EV et EC sont le haut de la bande de valence et le bas de la bande de conduction, respectivement (HOMO et LUMO dans un schéma moléculaire). Dans le cas de la PES, on utilise préférentiellement des photons UV de faible énergie ( gradz Fz

(6.8)

< cos θ > est la valeur moyenne de cos θ sur une demi-période de rotation. On montre que le profil du jet est élargi et symétrique si le champ électrique n’est pas trop élevé. Pour des champs très forts et des petites molécules, notamment diatomiques, on montre que la molécule peut s’orienter dans le champ. Ce cas n’est pas envisagé dans ce chapitre. La figure 6.3(b) montre un exemple de profil de faisceau obtenu sur TiC60 . Cette expérience permet de montrer qu’à la température de l’expérience (85 K), la molécule TiC60 est rigide, c’est-à-dire que l’atome de titane ne bouge pas sur le C60 et ne saute pas d’une position à l’autre. Dans l’exemple simple choisi, ceci dépend de la barrière énergétique pour que l’atome change de position (passe d’un site à l’autre). Dans cette expérience, le dipôle électrique de TiC60 est mesuré et vaut 8.1 ± 1.5 D. Il est dû au transfert de charge important entre l’atome de titane et le C60 . Cet exemple illustre la possibilité de mesurer le dipôle électrique dans de grosses molécules comme ce fut ensuite réalisé pour des biomolécules [Broyer et al. (2007)] et des agrégats métalliques (voir la suite). Il faut pour cela connaitre les moments d’inertie, donc la structure de la molécule. 6.2.2.2

Molécule polaire non rigide

Une molécule non rigide est une molécule où les atomes se déplacent facilement même pendant une période de rotation de la molécule. Cela signifie que le couplage vibration rotation joue un rôle important ou que certains modes de vibration sont particulièrement mous. Cela dépend évidemment de la température de la molécule (ou de l’agrégat). Une molécule non rigide à température ambiante (300 K) peut devenir rigide à une température plus basse. Pour un système non rigide, on ne peut plus calculer la force moyenne selon le modèle de la toupie. Si les fluctuations des positions des atomes sont suffisamment importantes, il y a thermalisation et la distribution des dipôles sera donnée par une distribution canonique. Dans le cadre de la théorie de la réponse linéaire, la valeur du dipôle dans le champ électrique est proportionnelle à la moyenne du carré du dipôle en champ nul < μ2 >0 et au champ électrique. La valeur moyenne du dipôle en présence du champ est donnée par la loi de Langevin : < μ >= [αavg +

< μ2 >0 ]Fz = χFz 3kB T

(6.9)

χ est la susceptibilité électrique statique analogue à la susceptibilité magnétique. On peut donc parler de para-électricité. Dans ce cas les profils des faisceaux sont analogues à ceux obtenus pour une molécule ou un agrégat sans dipôle permanent. On observe une déviation globale du faisceau

Dipôle et polarisabilité électrique

243

moléculaire. La figure 6.4(a) montre un profil avec et sans champ électrique dans le déflecteur pour KC60 et la susceptibilité varie bien en 1/T (figure 6.4(b))[Broyer et al. (2002); Rayane et al. (2000)]. Si on diminue la température, on va retrouver à basse température (vers 85 K) des profils analogues à la figure 6.3(b) (élargissement correspondant au cas rigide), mais entre les deux cas le problème n’est pas simple.

Fig. 6.4 – (en haut) Profils expérimentaux de faisceaux de KC60 en champ nul et

dans un champ électrique de 15×106 V.m−1 (25 kV). (en bas) Susceptibilités de KC60 en fonction de l’inverse de la température de la source qui varie de 300 K à 483 K. Les résultats (fit linéaire) sont en accord avec la formule 6.9 [Broyer et al. (2002)]. Reprinted by permission from Elsevier Masson SAS, C. R. Physique 3, COPYRIGHT 2002.

6.2.2.3

Cas intermédiaire

En effet, il existe des cas où la molécule n’est pas tout à fait rigide, sans que pour autant la thermalisation soit réalisée complètement. Dans ce cas « intermédiaire », il faut faire le calcul qui n’est pas toujours possible. Le cas du complexe « atome métallique C60 » (noté MC60 ) est un cas modèle. L’atome métallique est situé au-dessus du centre d’un hexagone (ou d’un pentagone). À basse température il ne bouge pas (molécule rigide), à température plus élevée, il bouge et on peut faire un modèle basée sur la valeur de la barrière de potentiel associée au saut de l’atome métallique d’un site à l’autre. On peut observer des cas intermédiaires où le profil du faisceau montre à la fois un

244

Les agrégats

élargissement et une déviation [Dugourd et al. (2000)]. Dans le cas général, il n’y a pas de solution simple car il faut traiter l’hamiltonien (en mécanique classique ou quantique) en tenant compte de la vibration, de la rotation et du champ électrique. À notre connaissance, il n’existe pas de traitement général et on ne peut que traiter des cas simples comme MC60 par exemple. La diagonalisation du hamiltonien de molécules complexes en l’absence de vibration montre déjà des comportements chaotiques [Abd El Rahim et al. (2005)] qui peuvent expliquer qu’en présence de vibration avec des modes très mous on obtienne rapidement une thermalisation de type para électricité. En conclusion, on peut mesurer le dipôle électrique par la méthode générale de déviation dans un champ électrique inhomogène (expérience de type Stern et Gerlach) dans les deux cas suivants : - Molécule rigide, donc plutôt à basse température. Il faut quand même connaitre la structure (et les moments d’inertie) de la molécule ou de l’agrégat. On mesure alors un élargissement du faisceau. - Molécule non rigide dans le cadre de la para-électricité (équation 6.9) plutôt à des températures de typiquement 300 K ou plus. Évidemment le choix de la température de l’expérience dépend du système étudié. On observe alors une déviation du faisceau et on peut mesurer < μ2 >0 la valeur moyenne de μ2 en champ nul.

6.2.3

Comparaison avec les mesures magnétiques

Il y a beaucoup d’analogie entre les mesures magnétiques et électriques. En particulier, lorsqu’il y a thermalisation, la formule 6.9 s’applique dans les deux cas et on peut mesurer une déviation dans un montage de type Stern et Gerlach. Il y a cependant des différences, d’un point de vue général, l’hamiltonien Stark est impair alors que l’hamiltonien Zeeman est pair et donne directement une contribution diagonale à l’ordre 1 de la théorie des perturbations. Dans le cas « rigide », le calcul de l’élargissement du faisceau sera différent et plus simple dans le cas magnétique. Pour les systèmes magnétiques on parlera de « locked moments », c’est-à-dire de moments magnétiques « verrouillés » par rapport au référentiel moléculaire. Il est à noter que dans la littérature, on utilise le dipôle par atome ce qui n’a pas de sens physique. Cette propriété, contrairement au moment magnétique porté par chaque atome, est une propriété collective de l’agrégat. Dans le cas particulier des agrégats d’atomes, il y a aussi une différence importante car un atome donné n’a jamais de dipôle électrique, alors qu’il peut avoir un moment magnétique. Le dipôle électrique d’un agrégat d’atomes sera en relation avec la répartition globale des charges dans cet agrégat. Le moment magnétique d’un agrégat résultera de l’addition possible des moments magnétiques atomiques (état de hautes valeurs de spin). Cela aura un sens de parler de moment magnétique par atome, lequel varie régulièrement et assez peu avec la taille pour les systèmes franchement magnétiques comme par exemple Fe, Co et Ni. En conséquence le moment magnétique global de l’agrégat sera très grand et le terme Zeeman important.

Dipôle et polarisabilité électrique

245

Ceci va contribuer à découpler le moment magnétique global de l’axe moléculaire même à température assez basse. On pourra considérer que le moment magnétique géant est quasiment libre par rapport aux axes moléculaires et s’oriente dans le champ magnétique, c’est le super paramagnétisme. Pour que la formule 6.9 s’applique il faut quand même un couplage avec la vibration et la rotation moléculaire pour assurer la thermalisation. Dans les mesures de magnétisme des agrégats, on observera le plus souvent le super paramagnétisme même à des températures assez basses (voir chapitre suivant). L’essentiel des mesures sur les agrégats libres est fait dans le cadre du super paramagnétisme. Cependant dans certaines expériences à très basse température, on observera bien des agrégats magnétiques avec des « locked moments ». Concernant le dipôle des agrégats d’atomes métalliques, il traduit essentiellement un écrantage imparfait, le dipôle sera toujours faible et il sera moins justifié de parler de dipôle par atome, même si on le fait très souvent dans la littérature par analogie au magnétisme.

6.3 6.3.1

Cas des atomes Rappels

Dans le cas d’un atome, le moment dipolaire électrique μdipole est :  μdipole = qe re (6.10) Dans l’équation 6.10, la sommation doit être faite sur tous les électrons et qe est la charge de l’électron. Dans un état atomique donné, μdipole est nul à cause de la symétrie sphérique et du fait que le moment dipolaire est un opérateur vectoriel impair (on se limitée ici aux interactions électromagnétiques). Par contre cet opérateur est responsable des transitions entre niveaux atomiques. De plus, en présence d’un champ électrique, les atomes sont polarisables et leur polarisabilité électrique est définie par les équations 6.1 et 6.2.

6.3.2

Polarisabilité des atomes

6.3.2.1

Approche théorique

Le modèle de départ est l’atome de Thomson, dit aussi modèle de « plum pudding » [Thomson (1904)] : on considère une charge positive +Zqe uniformément répartie dans une sphère de rayon Rat dans laquelle se meuvent des charges ponctuelles négatives (les électrons −Zqe ). Bien que ce modèle fut invalidé par la suite en 1909, il est à la base du calcul de la polarisabilité. Pour des raisons plus réalistes nous allons raisonner sur le modèle « amélioré » de Rutherford (qui reste classique) dans lequel les charges positives sont concentrées au centre dans le noyau (figure 6.5). Sous l’action d’un champ électrique extérieur E, les charges plus et moins vont se déplacer en sens opposé, l’équilibre étant maintenu par une force de rappel due à l’interaction Coulombienne.

Les agrégats

246

Fig. 6.5 – Modèle de l’atome et paramètres de calcul pour la déformation sous champ. Le paramètre d est le déplacement des charges lorsque l’on applique un champ Eext .

Supposons que le déplacement soit d (d 2 +α 3kB T

(6.40)

En conséquence, il est difficile de séparer les deux contributions à la susceptibilité, d’autant que la contribution du dipôle est souvent dominante

Dipôle et polarisabilité électrique

271

Fig. 6.24 – Polarisabilité calculée pour des agrégats de silicium de forme compacte ou prolate. Le modèle théorique du jellium sphérique correspond à une équation de la forme 6.29 dans laquelle on a un spill out fixé à δ = 0.278 Å. Le modèle cylindrique introduit une anisotropie pour fitter au mieux les agrégats « prolate ». Les carrés pleins correspondent à des formes « prolate » et les carrés vides à des formes compactes. Les trianges vides correspondent à des formes calculées pour l’état fondamental de ces agrégats. Ceux-ci ont tendance, au-delà de 10 atomes, à prendre une forme « prolate ». [Jackson et al. (2005)]. Reprinted by permission from Americal Physical Society, Journal of Physical Review A, COPYRIGHT 2005. Tab. 6.4 – Moments dipolaires exprimés en Debye pour l’agrégat du type A18

X18 (A atome alcalin, X halogène), valeurs expérimentales et calculs ab initio au niveau HF/LAN2DZ [Compagnon (2003)] comparés au dimère [Fedorov et al. (2014)]. élément NaF NaCl NaBr KBr RbCl RbI CsCl CsBr

A18 X18 µdip,e (exp) 16.9 ± 1.7 17.3 ± 1.7 14.6 ± 1.5 19.1 ± 2.0 22.8 ± 2.3 24.4 ± 2.5 22.6 ± 2.3 22.3 ± 2.2

A18 X18 µdip,e (theo) 17.56 18.16 17.23 24.11 25.46 26.18 27.91 28.58

AXµdip,e (exp)

AXµdip,e (theo)

9.001 3.1 0.566

3.29 0.65

1.22

1.3

dans la formule ci-dessus [Rayane et al. (2002)]. Les calculs théoriques montrent que la présence d’un électron en excès (centre coloré) joue également

Les agrégats

272

Fig. 6.25 – Géométries optimisées, moments permanents statiques et polarisabilité statique dans les premiers agrégats de NaCl stœchiométriques [Sommerfeld et al. (2010)]. Reprinted by permission from AIP Publishing, The Journal of Chemical Physics, COPYRIGHT 2010.

un rôle et tend à augmenter la polarisabilité [Rayane et al. (2002)]. À ce stade, il n’est pas possible d’extraire une loi générale en fonction de N ou R pour la polarisabilité des agrégats d’halides. En fait, il faudrait faire des mesures de type Stern et Gerlach à basse température pour séparer la contribution de la polarisabilité (déviation du jet) de celle du dipôle (élargissement du jet). À notre connaissance, ces mesures n’ont pas été réalisées.

6.7.2

Gros agrégats

Le problème de la polarisation, composante de l’énergie de cohésion a déjà été évoqué dans le chapitre 2 (paragraphe 2.5.1.2). La polarisabilité des anions (composante principale dans le cristal) varie fortement avec la distance interatomique mais faiblement avec le type de réseau (NaCl, CsCl. . . ) et la coordinance (donc la taille) [Grimes et al. (1992)]. Expérimentalement, il semble que la polarisabilité diminue avec l’augmentation de la taille (coordination), et ce lorsque la distance interatomique reste inchangée [Zhang et al. (2012)].

6.7.3

Modèle des charges ponctuelles

Comme nous l’avons signalé dans le chapitre 2, la liaison ionique repose sur le modèle des charges ponctuelles. Dans ce cas le moment dipolaire est la contribution majeure à la susceptibilité, la polarisabilité devrait être nulle puisque l’atome ne peut pas se déformer. L’écart au modèle des charges ponctuelles se

Dipôle et polarisabilité électrique

273

traduit par une baisse de l’ionicité de Phillips. Prenons par exemple le cas de NaCl et AgCl. Ces deux composés ioniques ont la même structure mais des moments dipolaires (μ(NaCl) = 9.002 ± 0.001 et μ(AgCl) = 6.68 ± 0.06) et une ionicité de Phillips f(NaCl)=0.94, f(AgCl)=0.85 différents. Na (α = 23.8 Å3 ) et Cl (α = 2.2 Å3 ) dans le composé NaCl (Na+ Cl− ) ont comme configuration les atomes de Ne (α = 0.396 Å3 ) et d’Ar (α = 1.64 Å3 ) respectivement (voir la figure 6.6). Dans le cas de AgCl, la configuration est respectivement Pd (α = 4.7 Å3 ) et Ar (α = 1.64 Å3 ). La polarisation d’un composé ionique est maximale pour un cation très petit et un anion très grand et polarisable. Ici l’anion est le même (Cl− ), mais le cation dans le cas d’AgCl est considérablement plus grand que dans le cas de NaCl.

6.8

Composés ionocovalents

Comme nous l’avons indiqué dans le chapitre 2, les composés ionocovalents sont définis par une liaison en partie covalente et en partie ionique, la frontière étant fixée arbitrairement par l’ionicité critique de Phillips [Phillips et Vechten (1969)]. La figure 6.26 reporte la valeur de α pour deux semiconducteurs GaN AsM et GeN TeM . L’ionicité (voir chapitre 2.2.3.1) introduit un transfert de charge à l’intérieur de l’agrégat. Dans le cas des composés de GaAs, α augmente lorsque l’on diminue la taille. En dehors des fluctuations dues à un défaut de stœchiométrie, la valeur du solide massif est atteinte pour N + M = 12 environ. Dans le cas des composés de GeTe, on observe un effet très fort de

Fig. 6.26 – Polarisabilité mesurée à deux températures pour des agrégats GaN AsM et GeN TeM mesurées par déflection dans un champ électrique inhomogène [Schäfer et al. (1996)]. Reprinted by permission from Americal Physical Society, Physical Review Letters, COPYRIGHT 1996.

Les agrégats

274

la température sur α, contrairement à GaAs qui pourrait s’expliquer par le comportement ferroélectrique (dipôle permanent) bien connu du solide GeTe [Jackson et al. (2005) ; Apell et al. (2002)].

6.9

Conclusion

Le moment dipolaire d’un agrégat, s’il existe, dépend fortement de la géométrie de celui-ci. Il est donc indispensable au préalable d’avoir une idée de la géométrie de l’agrégat. Cette grandeur est une propriété de l’agrégat dans l’état fondamental. L’existence d’un moment dipolaire est un signe fort d’un écrantage imparfait des électrons de valence, donc d’un état que l’on peut qualifier « d’isolant ». Sauf accident, le moment dipolaire de la plupart des métaux, y compris ceux qualifiés de « mauvais métaux », reste faible et difficilement mesurable. Le moment dipolaire est pratiquement nul pour les agrégats de métaux alcalins où l’écrantage est fort. Le calcul de la polarisabilité nécessite de traiter les états excités et dépend fortement de la nature de la liaison chimique. Cependant, pour les agrégats métalliques, le comportement moyen, hormis les effets de couches géométriques et électroniques et les hybridations au sein de l’agrégat, est assez bien décrit par la formulation la plus simple, à savoir que la polarisabilité est donnée en première approximation (ordre 0) par le volume de l’agrégat. Le phénomène de spill out, qui augmente la polarisabilité des petits agrégats, est beaucoup plus important pour les électrons de valence dits « libres » (métaux alcalins par exemple) qui voient peu le réseau ionique, ce qui facilite le débordement du nuage électronique à la surface. Pour les autres métaux, où les électrons p et d participent à la liaison, le spill out est peu important. Pour les agrégats de systèmes covalents, le dipôle dépend de la géométrie et reste faible à cause des caractéristiques de la liaison covalente. La polarisabilité dépend de la géométrie. Dans les fullerènes de carbone, la polarisabilité augmente plus vite que le nombre d’atomes à cause de l’augmentation du volume extérieur (sphéroïde creux). Dans le silicium, la présence de liaisons pendantes (non saturées) conduit à des variations fortes d’une taille à l’autre. Les systèmes ioniques sont caractérisés par des dipôles assez forts qui varient beaucoup d’une taille à l’autre en fonction de la répartition des charges.

6.10

Annexes

Nous allons définir un certain nombre de paramètres utiles pour la modélisation de la polarisabilité

6.10.1

Champ créé par un dipôle

Le potentiel créé par un dipôle au point r s’écrit (voir figure 6.27) V =

1 −qe 1 +qe + 4π0 AM 4π0 BM

(6.41)

Dipôle et polarisabilité électrique

275

Fig. 6.27 – Modélisation du dipôle. On a (BM )2 = (BO + OM )2 = r2 +

a2 − ar cos θ 4

(6.42)

(AM )2 = (AO + OM )2 = r2 +

a2 + ar cos θ 4

(6.43)

de même

En se plaçant loin du dipôle, c’est-à-dire r >> a (forme dite asymptotique), on peut se contenter du développement au premier ordre de la fonction (1+x)n ou (1 − x)n V =

a cos θ a cos θ qe a cos θ qe [(1 + ) − (1 − )] = 4π0 r 2r 2r 4π0 r2

(6.44)

Si le dipôle a été créé par un champ extérieur E, au point r on aura un champ qe a cos θ − Er cos θ (6.45) V = 4π0 r2 En posant le moment dipolaire μ = qe .a. soit un potentiel asymptotique de la forme V (r → ∞) = E cos θ(−r +

μ ) 4Eπ0 r2

(6.46)

sachant que μ = αE (α est la polarisabilité), il vient V (r → ∞) = E cos θ(−r +

α ) 4π0 r2

(6.47)

Les agrégats

276

6.10.2

Thomas-Fermi dans un système sans interaction

La méthode la plus simple pour traiter le problème de façon non empirique consiste à utiliser l’approximation de Thomas-Fermi. Cette approximation suppose que le potentiel chimique en chaque point r dépende uniquement de la concentration en électrons sur ce même point. En raison du principe d’Heisenberg, on ne peut pas localiser un électron en un point, le paquet d’onde occupant une dimension de 1/kF où kF est le vecteur d’onde au niveau de Fermi. Il s’agit donc d’un modèle semi-classique. Pour cela, revenons au modèle des électrons libres où la densité électronique ρ(r ) est constante, c’est-à-dire  ρ(r )d3 r (6.48) N= V



soit N =ρ

V

d3 r = ρV

(6.49)

soit ρ = N/V . 2 k2 Le vecteur d’onde au niveau de Fermi s’écrit (EF = 2mFe est l’énergie de Fermi) N (6.50) kF3 = 3π 2 = 3π 2 ρ V L’énergie cinétique T s’écrit en sommant sur tous les états k ≤ kF à l’intérieur d’une sphère de rayon kF qui, par passage à la limite, donne  kF V 4πk 2 Edk (6.51) T =2 (2π)3 0 k . avec E = 2m Soit après intégration (le préfacteur 2 provient de la dégénérescence de spin) V 2 5 k (6.52) T = 2 π 5m F soit en utilisant 6.50 et 6.52 (ρ = N/V ) 2 2

T =N

3 2 kF2 3 = N EF 5 2m 5

(6.53)

Le caractère uniforme de la densité ne permet pas de traiter la variation locale de la densité électronique dans un agrégat qui se traduit par le spill out. Écrivons maintenant une variation de la densité électronique ρ(r ) à partir de l’équation 6.50 k 3 (r ) (6.54) ρ(r ) = F 2 3π L’énergie cinétique T devient, au sens de Thomas-Fermi  T 3 d r TT F = (6.55) V V

Dipôle et polarisabilité électrique

277

Soit, en utilisant 6.54 dans 6.55  2 3 (3π 2 )2/3 ρ5/3 d3 r TT F = 2m 5 e V  en posant γ = (3π 2 )2/3 2m on obtient  3γ ρ(r )5/3 d3 r TT F = V 5

(6.56)

2

(6.57)

La polarisabalité apparait lorsque l’on soumet le nuage électronique à un potentiel Vext (r) extérieur. Dans ce cas l’énergie potentielle U s’écrit  ρ(r )Vext (r)d3 r (6.58) U = qe V

On aura donc une énergie totale   3ρ(r )5/3 γ 3 Etot = d r + qe ρ(r )Vext (r)d3 r 5 V V

(6.59)

le premier terme est l’énergie cinétique, le second terme est l’interaction du nuage électronique avec le potentiel extérieur. Avec bien sûr la condition de normalisation  ρ(r )d3 r = N (6.60) V

On peut chercher le minimum d’énergie en mimimisant l’énergie totale par rapport à la densité ρ(r ) en utilisant le principe variationnel en introduisant μpot , un multiplicateur de Lagrange (qui ne dépend pas de r ) δ (Etot − μpot N ) = 0 δρ(r) En injectant 6.59 dans 6.61 (l’intégration se fait dans le volume)  δ(Etot − μpot N ) = [γρ(r )2/3 + qe Vext (r ) − μpot )]δρ(r )d3 r = 0 soit

μpot = γρ(r )2/3 + qe Vext (r )

(6.61)

(6.62)

(6.63)

Compte tenu de la valeur de γ et de l’équation 6.54 μpot =

2 kF2 (r ) + qe Vext (r ) 2m

(6.64)

μpot est donc le potentiel chimique qui se confond à T = 0 K avec le niveau de Fermi.

Les agrégats

278 En utilisant 6.54 et 6.64 on peut éliminer kF 1 [2m(μpot − Vext (r ))]3/2 3π 2 3

ρ(r ) =

(6.65)

Cette équation donne la dépendance de la densité électronique en fonction de r. Contrairement au potentiel de Woods-Saxon définit de façon empirique, ρ(r) dépend explicitement de la nature du champ (via le potentiel) extérieur appliqué. Supposons maintenant que l’on superpose une petite variation de potentiel δVext (r ) à Vext (r ), il va en résulter une variation de la densité électronique δρ(r ). En supposant que la perturbation apporte une réponse linéaire, on peut écrire à partir de l’équation 6.65 ρ(r ) + δρ(r ) =

1 [2me (μpot − Vext (r ) − δVext (r ))]3/2 3π 2 3

(6.66)

La susceptibilité électrique, notée ici χT F , est reliée aux variations de V (r ) et ρ(r ), ce qui revient à calculer la variation δρ(r) en dérivant l’équation 6.65 par rapport à δVext (r) (2me )3/2 (μpot − Vext (r))1/2 2π 2 3

δρ(r ) =

La susceptibilité électrique est donnée par l’équation générale  δρ(r ) = dr’ χT F (r,r’ )δVext (r’ ) soit

(6.67)

(6.68)

δρ(r ) δVext (r’ )

(6.69)

(2me )3/2 (μ − Vext (r ))1/2 δD (r-r’ ) 2π 2 3

(6.70)

χT F (r,r’ ) = d’où, d’après 6.66 et 6.69 χT F (r,r’ ) =

où δD est la fonction de Dirac. La susceptibilité au sens de Thomas-Fermi est une grandeur locale.

6.10.3

Densité électronique locale

6.10.3.1

Jellium non auto cohérent

Dans une sphère homogène et isotrope dite « jellium dur » par analogie avec le potentiel « sphères dures », la densité électronique s’écrit ρjel =

3 4πrs3

(6.71)

Dipôle et polarisabilité électrique

279

rs est le rayon de Wigner-Seitz associé à un atome. La dépendance la plus simple consiste à prendre une forme analytique empirique donnée par un potentiel du type Woods-Saxon ρjel (r ) =

3 r − R −1 (1 + exp ) 3 4πrs σjel

(6.72)

σjel est l’épaisseur de la surface avec comme condition de normalisation  ρjel (r )d3 r (6.73) N= V

Les paramètres R rayon de l’agrégat, et σjel permettent d’ajuster le spill out. 6.10.3.2

Fonction empirique dite « trial function »

On s’intéresse à la détermination du spill out calculée de façon auto cohérente. Il existe dans la littérature des densités exprimées sous forme analytique (fonctions d’essai) qui décrivent la densité électronique ρ(r ) à l’état fondamental. La plus utilisée est celle donnée par Smith [Smith (1969)] dans laquelle on peut intégrer l’énergie d’échange et de corrélation ρ(r ) =

1+

ρjel [(1 − 0.5 exp β(r − r ))θ(R − r ) −βr + 3 exp (βr )3

6 (βr )2

+ 0.5 exp β(r − r )θ(r − r )]

(6.74)

dans laquelle ρjel est la densité électronique homogène donnée par la relation du type 6.71, θ est la fonction échelon de Heaviside, θ(R-r ) = 1 si R>r et 0 si RR).

6.10.4

Approximation RPA dans le modèle de ThomasFermi

Le moment dipolaire (en Coulomb.mètre ou Debye dans la convention qe ≡ 1) d’une particule métallique sphérique en réponse à un champ extérieur s’écrit en toute généralité  (6.75) μ = qe d3 r ρin (r ) ρin (r ) est la densité de charge induite au point r . A priori, cette quantité est difficilement calculable, on utilise une approximation dite RPA (Random Phase Approximation) où les électrons ne réagissent qu’à la somme d’un potentiel extérieur et un potentiel d’écrantage [Bohm et Pines (1953)]. Dans le cadre

Les agrégats

280 de cette approximation, on peut écrire [Rice et al. (1973)]  ρin (r ) = − d3 r’ Vloc (r’ )χ(r , r’ )

(6.76)

χ(r , r’ ) appelée « density response » est une fonction qui décrit la réponse de la densité électronique à un champ extérieur (ici électrostatique), Vloc (r’ ) est le potentiel (électrostatique) local. Celui-ci est solution de l’équation de Poisson ρin (r ) =0 (6.77) ΔVloc (r ) + 0 Soit en utilisant 6.76 1 ΔVloc (r ) = 0



d3 r’ Vloc (r’ )χ(r , r’ )

(6.78)

Cette équation peut être simplifiée dans l’approximation de Thomas-Fermi [Rice et al. (1973)] (6.79) ΔVloc (r ) = kS (r )2 Vloc (r ) où kS = (4/aB )(3n/π 1/3 ) est le vecteur d’onde de Thomas-Fermi définissant l’écrantage d’un électron (sur une distance de 1/kS ) dans le modèle des électrons libres. La densité électronique ρ(r ) est donnée par la fonction triale 6.74. kS (r )2 est le vecteur d’onde de Fermi pour une densité électronique dépendante de r. La première forme empirique proposée s’écrit [Rice et al. (1973)] kS (r )2 = kS soit Δ2 Vloc (r ) = kS2

n(r ) n

n(r ) Vloc (r ) n

(6.80)

(6.81)

La présence du terme n(r) n induit un faible écrantage. Dans le cas d’un fort écrantage on peut utiliser une autre forme empirique [Bao (1986)] kS (r )2 = (4/aB )(3n(r )/π 1/3 )

(6.82)

La figure 6.15 montre que les deux approximations donnent des résultats divergents, à savoir une augmentation ou une diminution de la polarisabilité lorsque la taille de l’agrégat décroit. Ceci montre la limite du modèle utilisé et le rôle fondamental de l’écrantage dans la mesure où rien ne justifie un modèle plutôt que l’autre. Un calcul self consistent [Ekardt (1985)] dans le cadre du jellium TDLDA (time dependent local-density approximation) incluant échange et corrélation, qui est beaucoup plus précis, donne définitivement une dépendance conforme avec l’expérience, à savoir une tendance à l’augmentation de la polarisabilité par atome lorsque la taille de l’agrégat décroit. Toutefois ce genre de modèle ne traite pas explicitement la dépendance angulaire

Dipôle et polarisabilité électrique

281

des fonctions d’ondes, notamment le problème des nombres magiques (voir [Ekardt et Penzar (1986)]. Des méthodes de DFT dérivées de la chimie quantique, beaucoup plus précises, sont utilisées actuellement. Il reste intéressant de connaitre la limite des modèles simples pour voir les paramètres pertinents. La susceptibilité dépend fortement de l’amplitude de l’écrantage.

6.10.5

Thomas-Fermi dans un système avec interaction

En présence d’un champ extérieur le potentiel s’écrit   1 n(r)n(r ) 3 drdr n(r)Vext (r)d r + U = qe 2 |r − r | V

(6.83)

Le premier terme est l’interaction du nuage électronique avec le potentiel extérieur, le second l’interaction électrostatique du nuage électronique avec lui-même, c’est ce terme qui est à l’origine du terme de Hartree quand on tient compte de l’énergie d’échange. On aura donc une énergie totale    1 3γ n(r)n(r ) n(r)5/3 d3 r + e drdr (6.84) n(r)Vext (r)d3 r + Etot = | 5 2 |r − r V V Cette formule est considérée comme l’ancêtre de la théorie de la fonctionnelle de densité (voir l’annexe 9).

Chapitre 7 Magnétisme 7.1

Quelques définitions

Par la suite on utilisera les conventions habituelles définies au début du livre : Charge de l’électron qe avec e2 = qe2 /4π0 ; magnéton de Bohr μB = qe /2me avec me la masse de l’électron.

7.2

Préambule

Dans la plupart des cas, la physique des agrégats se résume à étudier la transition entre l’atome et le cristal. Généralement cette transition se fait de façon plus ou moins monotone (excepté les nombres magiques et autres transitions du type isolant métal) et est parfaitement illustrée par la loi en 1/R (R le rayon de l’agrégat). Le magnétisme (les différents cas sont illustrés dans la figure 7.1) échappe totalement à ce raisonnement. Pour s’en convaincre, il suffit de regarder le moment magnétique porté par les atomes individuels et le magnétisme des atomes dans la phase solide. Les figures 7.2 et 7.3 donnent respectivement les éléments magnétiques dans la phase atomique et solide. On voit nettement que l’ordre magnétique disparait pour la plupart des éléments lorsque l’on construit le cristal. Le lecteur doit donc s’attendre à une grande complexité dans l’apparition (ou la disparition) du magnétisme dans les petits agrégats. Le magnétisme est une des propriétés les plus difficiles à comprendre à l’échelle nanométrique.

7.3 7.3.1

Magnétisme atomique et moléculaire Magnétisme atomique

Compte tenu du rapport de masse entre l’électron et le noyau, on ne discute pas le moment magnétique nucléaire.

284

Les agrégats

- Dans un atome, les mouvements des électrons sur leurs orbites engendrent un moment cinétique que l’on appelle moment cinétique orbital noté L.

Fig. 7.1 – Schéma illustrant les différents types de magnétisme rencontrés par la suite. À gauche, le moment résultant de spin est nul dans le cas du paramagnétisme (pas de champ H appliqué) et de l’antiferromagnétisme (sous champ appliqué). À droite, la résultante sous champ est non nulle dans le cas du ferromagnétisme (les spins sont orientés dans la même direction que le champ), le ferrimagnétisme, cas intermédiaire entre le para- et le ferromagnétisme et le diamagnétisme (spins orientés dans le sens contraire du champ).

Fig. 7.2 – Tableau périodique des atomes magnétiques (ronds rouges). Il y a 79 atomes magnétiques sur les 103 éléments. (Le tableau périodique a pour source https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Periodic_table_large.svg).

7. Magnétisme

285

Fig. 7.3 – Tableau périodique des atomes magnétiques dans la phase solide. Par convention, on ne considère que l’ordre magnétique, soit les ferromagnétiques (ronds rouges), les antiferromagnétiques (ronds bleus) et les ferrimagnétiques (ronds jaunes). Les autres éléments sont dits dans des phases non ordonnées (paramagnétique et diamagnétique). (Le tableau périodique a pour source https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Periodic_table_large.svg.).

Classiquement, on considère que les mouvements orbitaux des électrons créent des courants électriques, responsables des moments magnétiques des atomes. À ce moment orbital, on doit rajouter le moment cinétique propre des électrons, appelé spin électronique, noté S. Le moment magnétique orbital s’écrit → − (7.1) μ L = gL μB L/ T est le magnéton de Bohr (T : Tesla, J : Joule). μB = 9.3 × 10−24 J ·  Dans cette notation L = [L(L + 1)] où L est un entier, L2 = L(L + 1)2 . μB est parfois donné en GigaHz par Tesla via la relation μB B = hν. En première approximation, μB vaut 14 GHz par Tesla (1 cm−1 = 30 GHz et 1 eV = 8065.5 cm−1 , voir les unités données au début de l’ouvrage). gL est le facteur de Landé orbital. Dans l’atome d’hydrogène qui a un seul électron, gL = 1, dans un atome plus complexe, gL dépend du couplage, mais dans un couplage LS pur, gL = 1. De la même façon, on peut définir  le moment magnétique associé au spin électronique S, qui vaut 1/2 et S = [S(S + 1)]. − → μ S = gS μB S/

(7.2)

En première approximation gS = 2, mais si on tient compte des corrections radiatives (électrodynamique quantique) gS = 2.002. Dans la suite de ce chapitre ces corrections radiatives ne seront pas considérées, étant donné la précision des mesures sur les clusters.

Les agrégats

286

En physique atomique, l’interaction spin orbite traduit le couplage entre le moment orbital et le spin. Le moment angulaire total J combine le moment angulaire orbital L et le spin S via l’équation de couplage : J = L + S (figure 7.4). La recherche des valeurs propres de J2 peut être effectuée suivant deux schémas de couplage : le couplage de Russell-Saunders et le couplage J.J qui correspondent à deux cas limites.

Fig. 7.4 – Représentation vectorielle du moment cinétique total J de l’atome dans une approximation de couplage fort avec et sans champ magnétique (hypothèse de champ magnétique faible). En l’absence de champ, L et S précessent autour de J avec la fréquence de structure fine (très rapide). En présence de champ, L et S continuent de précesser autour de J à la même fréquence et J précesse autour du champ à la fréquence Zeeman nettement plus faible.

7.3.1.1

Couplage Russel-Saunders

Pour les atomes légers (typiquement Z < 30), les interactions électrostatiques entre électrons sont plus fortes que les interactions entre le spin d’un électron et son propre mouvement orbital. Dans ce cas, les moments angulaires orbitaux li , comme les spins de chaque électron si , s’ajoutent (pour les faibles champs magnétiques) n  li (7.3) L= i=1

S=

n 

si

(7.4)

i=1

Cette hypothèse, dite de couplage faible, correspond au couplage LS dit de Russel-Saunders. Elle traduit le fait que les opérateurs L et S commutent avec les termes électrostatiques du hamiltonien.

7. Magnétisme 7.3.1.2

287

Couplage fort JJ

Pour les atomes lourds (lanthanides par exemple), les interactions spin-orbite des électrons individuels sont plus grandes que celles entre spins ou entre moments angulaires orbitaux. Dans ce cas on parlera de couplage JJ, chaque électron combine d’abord son spin si et son moment orbital li , dans le moment total de chaque électron ji . Dans le couplage JJ, on a : J=

n 

ji =

i=1

7.3.1.3

n 

(li + si )

(7.5)

i=1

Éléments légers : couplage de Russel-Saunders

Le moment magnétique total MJ de l’atome est proportionnel à J dans une configuration donnée (théorème de Wigner-Eckart), − → μ J = gJ μB J/

(7.6)

Le couplage LS (Russel-Saunders) est le plus fréquent sauf pour les atomes très lourds. Chaque niveau atomique est noté 2S+1 LJ avec la convention habituelle S, P, D, F, G correspondant respectivement à L = 0, 1, 2, 3, 4. Le tableau 7.1 donne les valeurs [Sansonetti et al. (2005)] pour l’état fondamental des métaux de transition de la première ligne (couche 3d incomplète) en accord avec les règles de Hund. Il faut noter que les règles de Hund (remplissage n + l croissant) ne s’appliquent pas pour les atomes de cuivre et de chrome. Tab. 7.1 – Configuration spectrale pour la première ligne des éléments de transition (structure 3dn 4s2 ) déduite des règles de Hund. Dans le cas du cuivre et du chrome sont indiqués l’écart en énergie (en cm−1 ) entre la prévision de Hund et le véritable état fondamental (ΔE = 0) [Sansonetti et al. (2005)]. dn d1 d2 d3 d5 d4 d5 d6 d7 d8 d10 d9

2 ↑ ↑ ↑ ↑ ↑ ↑ ↑↓ ↑↓ ↑↓ ↑↓ ↑↓

1

0

-1

-2

↑ ↑ ↑ ↑ ↑ ↑ ↑↓ ↑↓ ↑↓ ↑↓

↑ ↑ ↑ ↑ ↑ ↑ ↑↓ ↑↓ ↑↓

↑ ↑ ↑ ↑ ↑ ↑ ↑↓ ↑↓

↑ ↑ ↑ ↑ ↑ ↑↓ ↑

ΔE 0 0 0 0 7751 0 0 0 0 0 11203

ground state 2 D3/2 3 F2 4 F3/2 7 S3 5 D 6 S 5 D4 4 F9/2 3 F4 2 S1/2 2 D

symbole Sc Ti V Cr Cr Mn Fe Co Ni Cu Cu

Le facteur de Landé gJ se calcule par le théorème de Wigner-Eckart, qu’on appelle parfois théorème des projections ou modèle vectoriel lorsqu’on se limite

Les agrégats

288 aux termes diagonaux de l’hamiltonien. On obtient : J(J + 1) − S(S + 1) + L(L + 1) 2J(J + 1) J(J + 1) + S(S + 1) − L(L + 1) +gS 2J(J + 1)

g J = gL

(7.7)

Si on considère que gS = 2 et gL = 1, la formule précédente devient gJ = 1 +

J(J + 1) − L(L + 1) + S(S + 1) 2J(J + 1)

(7.8)

On peut remarquer que si L = S alors gJ = 3/2. En couplage LS valable pour tous les éléments de la première ligne des métaux de transition (tableaux 7.1 et 7.2), la notation 2S+1 LJ s’applique. Pour le fer par exemple, la configuration de l’état fondamental est 5 DJ (L = 2 et S = 2) avec 4 sous-niveaux de structure fine correspondant à J = 4, 3, 2, 1, 0 dans cet ordre en commençant par le plus bas qui est 5 D4 (tableau 7.2). Le moment magnétique est μJ = gJ μB J/. Il est proportionnel à J. Comme L = S(= 2), gJ = 3/2. Dans l’état le plus bas J = 4, le moment magnétique vaut 6μB . Tab. 7.2 – Premiers états de l’atome de fer. configuration 3d6 4s2

terme a5 D

J 4 3 2 1 0

niveau (cm−1 (ΔE)). 0.000 415.933 704.007 888.132 978.074

En fait dans une vapeur d’atomes de fer qui est à haute température, les autres niveaux de structure fine sont aussi peuplés et le moment magnétique moyen est un peu plus faible et vaut 4.8μB pour une température de 1700 K (voir tableau 7.3). Si on tient compte des effets thermiques, le moment magnétique s’écrit :  J μ(J)Ω(J, T ) (7.9) μef f =  J Ω(J, T ) avec Ω(J, T ) = (2J + 1) exp −ΔE/kB T ), ΔE étant donné dans le tableau 7.2. ΔE est indépendant de la température mais les états peuplés dépendent de celle-ci. Le moment magnétique effectif est donc dépendant de la température comme indiqué dans le tableau. Le tableau 7.3 donne les valeurs du moment magnétique effectif pour l’atome de fer pour quelques températures. Il faut remarquer que dans une vapeur d’atomes de fer par exemple, qui est très diluée, les moments magnétiques de chaque atome sont désordonnés et le moment magnétique résultant

7. Magnétisme

289

Tab. 7.3 – Moment magnétique effectif μef f en unités de μB pour différentes températures.

T μef f

0K 6

300 K 5.97

1700 K 4.8

est nul en l’absence de champ magnétique. En présence de champ, les atomes ont tendance à s’orienter selon les lois du paramagnétisme. Disons pour résumer que dans l’état fondamental du fer atomique, le moment magnétique « disponible » est de 6μB . On trouve parfois dans la littérature en matière condensée, la valeur de 4μB prise comme référence pour l’atome de fer, qui en fait correspond au magnétisme associé au spin S qui est ici égal à 2. En effet dans le solide on néglige souvent le moment orbital des électrons de la bande de conduction. Le magnétisme dans le solide ignore la description microscopique exacte du couplage dans les atomes car celle-ci n’a pas lieu d’être, les écarts entre sous-niveaux sont négligeables lorsque l’on a affaire à une bande d’énergie dans le solide. 7.3.1.4

Éléments lourds : couplage j-j

Pour les éléments lourds, le facteur de Landé n’est pas donné par la formule 7.7. Il faut faire le calcul en couplage J.J ce qui ne présente pas de difficulté mais ne sera pas abordé ici.

7.3.2

Mesure des moments magnétiques atomiques

En 1896, Peter Zeeman découvrit que les raies lumineuses peuvent se séparer en plusieurs composantes en présence du champ magnétique : c’est « l’effet Zeeman », qui dépend de l’état excité et aussi de l’état fondamental. L’effet Zeeman jouera et joue encore un rôle essentiel en physique atomique. Il était difficile à interpréter en détail lorsqu’on ne connaissait pas la quantification des niveaux d’énergie. En 1922, Stern et Gerlach [Gerlach et Stern (1922)] réalisent un faisceau d’atomes d’argent bien collimaté, qu’ils font passer dans un gradient de champ magnétique inhomogène dans la direction Oz (voir la figure 7.5). Il y a donc une force s’exerçant sur les atomes, orientée suivant l’axe Oz F = μz gradBz

(7.10)

Les atomes sont déviés suivant la valeur de μz . En fait, Stern et Gerlach trouve deux taches correspondant aux valeurs possibles du spin selon z. En effet l’état fondamental de l’atome d’argent est 2 S1/2 . Historiquement, cette expérience a démontré la quantification du moment magnétique des atomes. Ce type d’expérience, appelé « expérience Stern et Gerlach », sera réalisé sur beaucoup d’atomes et de molécules pour la mesure des moments magnétiques. Comme nous le verrons, elle sera aussi largement utilisée pour la mesure

Les agrégats

290

Fig. 7.5 – Synoptique de l’expérience de Stern et Gerlach. du moment magnétique des agrégats d’atomes. Ce type de montage, dans lequel un gradient de champ électrique remplace celui du champ magnétique, est aussi utilisé pour mesurer le dipôle et la polarisabilité des atomes, des molécules et des agrégats libres en jet moléculaire (voir chapitre précédent).

7.4 7.4.1

Magnétisme dans le dimère Approche par la physique moléculaire

Dans un dimère comme dans une molécule diatomique, il y a un axe de symétrie, l’axe Oz qui réunit les deux atomes. On montre que seule la projection Λ de L est conservée. Concernant le spin S il faut distinguer deux cas [Herzberg (1950)] : - Le cas (a) de Hund où seule la projection Σ de S sur Oz est conservée et la somme de ces 2 moments angulaires électroniques Λ et Σ (Ω = Λ + Σ) dirigés selon Oz se couplent au moment angulaire de rotation N pour donner le moment angulaire total Jtotal de la molécule. Le moment magnétique vaut alors : (Λ + Σ)(Λ + 2Σ) → − ]μB Jtotal / μ Jtotal = [ (7.11) Jtotal (Jtotal + 1) Le magnétisme total est fortement réduit dès que Jtotal est grand à cause du terme en (Jtotal (Jtotal + 1) au dénominateur. - Le cas (b) de Hund correspond aux dimères de métaux de transition de la ligne du Fer, Nickel, Cobalt (couche 3d incomplète). En effet l’interaction

7. Magnétisme

291

effective entre les deux spins atomiques du type S1 · S2 est forte (voir plus loin). Si u est le vecteur unitaire de l’axe Oz, Λ u se couple avec N pour donner K, et K se couple avec le spin S pour donner Jtotal , le moment angulaire total de la molécule. Le moment magnétique total est alors égal à [Herzberg (1950)] : − → μ Jtotal = [

[Jtotal (Jtotal + 1) + K(K + 1) − S(S + 1)] Λ2 ] μB Jtotal / K(K + 1) 2Jtotal (Jtotal + 1) [Jtotal (Jtotal + 1) − K(K + 1) + S(S + 1)] 2μB Jtotal / + 2Jtotal (Jtotal + 1) (7.12)

On reconnait le terme orbital et le terme de spin. Sauf aux très basses températures les niveaux de J et K élevés sont peuplés et K est pratiquement égal à J. L’équation 7.12 devient : Λ2 ]μB Jtotal / K(K + 1) [Jtotal (Jtotal + 1) − K(K + 1) + S(S + 1)] 2μB Jtotal / + Jtotal (2Jtotal + 1)

− → μ Jtotal = [

(7.13)

Le magnétisme orbital est divisé par K(K + 1) et le magnétisme de spin par Jtotal (Jtotal + 1). Ils sont donc fortement réduits. En fait, dans la pratique, le couplage spin-rotation entre S et K est très faible et, dès que le champ magnétique est important, Jtotal n’est pas une constante du mouvement car le terme Zeeman (de l’ordre de 2μB S) l’emporte sur le couplage spin rotation et S se découple de K. On obtient alors : − → μ Jtotal = [

Λ2 ]μB K/ + 2μB S/ K(K + 1)

(7.14)

On voit donc que, dans ce cas-là, le magnétisme de spin est préservé, alors que le magnétisme orbital est réduit et devient négligeable. Le tableau 7.4 donne l’état moléculaire fondamental pour quelques dimères de métaux de transition. Par exemple, dans le cas de l’état fondamental 7 Δ de Fe2 , S = 3 et Λ = 2 et l’application de la formule 7.14 donnent un moment magnétique de 6μB + un effet orbital assez faible qui dépendra de la valeur de K, donc de la température. La valeur expérimentale de Cox et collaborateurs [Cox et al. (1985)] est de 6.5μB et est en accord avec la formule 7.14.

7.4.2

Hamiltonien effectif d’Heisenberg

Dans le cas du ferromagnétisme, les moments magnétiques des atomes sont tous orientés dans la même direction (figure 7.6). Comme on l’a dit déjà, le magnétisme est surtout dû au spin. Cela semble contraire au principe de Pauli qui, en général, consiste à ranger les spins en appariant deux spins de directions opposées. En réalité ce n’est pas contradictoire du tout et le principe de Pauli

Les agrégats

292

Tab. 7.4 – État fondamental supposé de dimères de quelques métaux de transition : seconde colonne sans couplage spin orbite caractérisé par LZ , S le spin total et g la parité (g gerate, u ungerate) (d’après [Strandberg et al. (2007)]). D’autres configurations sont données dans la littérature [Ozaki et Kino (2004)]. dimère Co2 Rh2 Ni2 Pd2 Fe2 Ru2

état fondamental Δ(S = 2)g Δ(S = 2)g Σ(S = 1)g Σ(S = 1)g Δ(S = 3)g Σ(S = 2)g

Fig. 7.6 – États singulet et triplet dans un dimère d’hydrogène. dit seulement que la fonction d’onde totale est antisymétrique par échange de deux électrons. Pour expliquer le ferromagnétisme, Heisenberg [Heisenberg (1928)] introduit un hamiltonien effectif basé sur le système le plus simple à deux niveaux : la molécule d’hydrogène. Dans le cas de deux atomes 1 et 2 de la molécule d’hydrogène, on écrit : HHeisenberg = −J1,2 S1 S2

(7.15)

H est le produit scalaire des opérateurs vectoriels S1 et S2 . Dans le cas d’un dimère avec deux électrons de valence, comme pour H2 ou par extension les dimères d’alcalins, Na2 par exemple, c’est le traitement de Heitler-London. On peut prendre comme fonction d’onde des combinaisons d’orbitales atomiques, ce qui donne : Ψ(r1 , r2 ) = φA (r1 )φB (r2 ) ± φB (r1 )φA (r2 )

(7.16)

Dans cette équation, r1 et r2 sont les coordonnées des deux électrons et φA et φB sont les fonctions d’onde atomiques centrées à la position de chaque atome (figure 7.6 ). Lorsqu’on a le signe + dans 7.16, la fonction d’onde orbitale

7. Magnétisme

293

est symétrique (état singulet antisymétrique de spin (| ↑↓ − | ↑↓)) et si on a le signe -, elle est antisymétrique (état triplet symétrique de spin | ↑↑, | ↓↓ et (| ↑↓ + | ↓↑)) ; donc la fonction d’onde totale est bien antisymétrique. On peut alors montrer que la séparation entre l’état triplet Es et l’état singulet Et s’écrit :  (7.17) Es − Et = dr1 dr2 φA (r1 )φB (r2 )V (r1 , r2 )φB (r1 )φB (r2 ) V (r1 , r2 ) =

e2 e2 e2 e2 − + − r12 RAB |r1 − RA | |r2 − RB |

(7.18)

r12 est la distance entre les deux électrons et RAB la distance des deux noyaux, RA et RB les coordonnées des deux noyaux. L’intégrale est appelée intégrale d’échange car on échange les coordonnées des 2 électrons dans cette intégrale. Si on considère les spins 1/2 des deux électrons S1 et S2 , on peut écrire un hamiltonien effectif qui représente l’énergie des deux niveaux : Hef f ectif =

1 (Es + 3Et ) − (Es − Et )S1 .S2 4

(7.19)

On peut donc assimiler cet hamiltonien effectif à l’hamiltonien de Heisenberg avec : (7.20) J12 = Es − Et On remarque que l’hamiltonien de Heisenberg n’est pas un terme magnétique mais électrostatique (origine purement Coulombienne). Le terme magnétique dipôle-dipôle existe mais est beaucoup plus faible. C’est bien une énergie d’échange liée directement au principe de Pauli et à la symétrie des fonctions d’onde. J12 est positif si les termes répulsifs du potentiel V (r1 , r2 ) l’emportent. Si J12 est positif, l’état fondamental est l’état triplet avec un moment magnétique. En fait pour les alcalins, les termes attractifs l’emportent et l’état fondamental des dimères d’alcalin est un état singulet sans moment magnétique. Pour que les termes répulsifs l’emportent, il faut que la densité électronique soit très élevée. C’est le cas pour Cobalt, Fer et Nickel qui ont les plus petits rayons atomiques (figure 7.7) et beaucoup d’électrons (s et d) participant à la liaison. Tant que l’on considère le sous-espace où les électrons occupent uniquement les états orbitaux « s » de chaque atome, on peut regarder l’énergie d’échange comme un hamiltonien de spin en attachant à chaque atome des spins, il suffit alors de diagonaliser un hamiltonien à deux spins. D’un système de fermions en interaction, on est donc passé à un système de spins en interaction. En fait, la molécule H2 est simple. Les autres éléments ont plus d’un électron par atome. Les orbitales atomiques se combinent en accord avec les règles de symétrie. Dans le cas de la molécule d’azote on a des liaisons de type σ et π. La figure 7.8 montre les états de plus haute énergie occupés par des états π. Le spin total est nul, la molécule est diamagnétique comme H2 . Dans le cas de l’oxygène, les deux électrons supplémentaires en accord avec les règles de Hund

294

Les agrégats

Fig. 7.7 – Rayon métallique des éléments de transition (d’après General Trends among the Transition Metals - Chemistry LibreTexts). Le rayon est déduit de la structure cristallographique.

occupent deux états dégénérés avec le même spin (état triplet). La molécule est donc paramagnétique, le singulet étant dans ce cas un état excité. Si l’on considère le dimère de fer, le tableau 7.4 nous donne un état « fondamental ». Cependant le dimère est d’une extrême complexité comme le résume le titre de la publication de Kalemos [Kalemos (2015)] « Fe2 : As simple as a Herculean − labour. Neutral (Fe2 ), cationic (Fe+ 2 ), and anionic (Fe2 ) species » où cet auteur mentionne 175 états moléculaires possibles, excluant tout raisonnement simple, pour prévoir l’état de spin ! Pour s’en convaincre, on peut examiner l’énergie de dissociation calculée dans différents formalismes comparée à l’expérience : tous les modèles, sauf un, surestiment cette énergie (voir tableau 7.5). mélange 59 états Il en est de même pour Ni2 où l’interaction spin −orbite + électroniques avec un état fondamental supposé (3 g +1 g ) [Pinegar et al. (1995)] différent d’autres prédictions (voir tableau 7.4). Néanmoins on utilise avec succès le hamiltonien de Heisenberg sans preuve théorique de sa validité. L’avantage de se référer à l’approche de Heitler-London est de faire comprendre sur un exemple simple l’origine physique des termes en jeu. Aller plus loin est bien au-delà du sujet de ce livre où on s’intéresse d’abord aux agrégats. À ce stade, on peut citer le livre de référence en matière condensée, Solid State Physics de N. W. Ashcroft et N.D. Mermin : « One

7. Magnétisme

295

must remember that much subtle physics and quite complex approximations must be delved into before one can even arrive at a Heisenberg Hamiltonian ».

Fig. 7.8 – À gauche : niveaux moléculaires fondamentaux des dimères de la première ligne (d’après [Miessler et al. (2014)]). Les éléments encadrés sont paramagnétiques, les autres diamagnétiques [Jia et Quadrelli (2014)]. À droite : formation des niveaux moléculaires du dimère à partir des niveaux atomiques dans le cas d’un élément paramagnétique (le dioxygène) et diamagnétique (le diazote). On voit bien que les niveaux occupés les plus hauts en énergie de O2 sont partiellement occupés par deux électrons de spin up, les niveaux de plus haute énergie de N2 sont totalement occupés. Reprinted by permission from Royal Society of Chemistry (Great Britain), Royal Society of Chemistry, COPYRIGHT 2014. Tab. 7.5 – Distance d’équilibre en unités de a0 et énergie de liaison EB en eV dans le dimère de fer calculées dans différents formalismes ab initio et comparaison avec l’expérience [Ma et al. (2007)] (pour le calcul MRCI(+Q)/cc-pVQZ [Kalemos (2015)]). a0 EB a0 EB

VWN 1.962 -4.26474 PBE 2.006 -3.49674

PW91 2.002 -3.64510 MRCI(+Q)/ccŰpVQZ 2.19201 -0.98

BP 2.005 -3.51657 Exp 2.02±0.02 -1.3

BLYP 2.020 -3.19814

Les agrégats

296

7.5

Magnétisme dans les n-mères

Le calcul des effets magnétiques devient de plus en plus inextricable quand le nombre d’atomes augmente (Fe3 , Fe4 . . . ). Mais si le spin total St est découplé de la rotation (terme Zeeman supérieur au terme spin rotation), alors on obtient une formule analogue à la formule 7.14 ci-dessus :  → − +2μB St / (7.21) μ Jtotal =  où est un terme orbital faible. Le terme orbital devient négligeable, surtout si K est grand, ce qui sera bien le cas, car lorsque la taille augmente la constante de rotation B diminue, et les valeurs de K peuplées sont de plus en plus grandes (l’énergie de rotation est proportionnelle à BK(K + 1)). Dans la formule 7.21, le terme orbital est inversement proportionnel à K(K + 1) et est donc complétement dilué. Donc finalement, seule compte la valeur totale du spin St . Le problème n’est pas pour autant résolu car il est très difficile de calculer l’état fondamental de ces systèmes, surtout que cet état fondamental peut être quasi dégénéré entre des états ayant différentes valeurs de spin total. D’une part, on doit connaitre la géométrie d’équilibre de l’agrégat, d’autre part l’énergie de corrélation U de Hubbard (voir chapitre 4) devient un facteur important et rend difficile à estimer le moment effectif [Rollmann et Entel (2004)]. Il n’existe donc pas de modèle phénoménologique simple pour estimer le moment effectif. L’importance de la corrélation est illustrée dans la figure 7.9 où l’on voit le rôle joué par la géométrie et l’énergie de corrélation U . Mais à ce stade, la physique des solides nous fait deviner ce vers quoi on va tendre. En effet, on a alors un moment magnétique effectif par atome (voir paragraphe suivant). On va vers une situation où le spin, donc le moment magnétique, sera proportionnel au nombre d’atomes, ce qui n’est pas évident a priori. Ce phénomène remarquable ne se produit pas dans les agrégats de la plupart des métaux. Cela vient du fait que, dans les métaux « magnétiques », le terme d’interaction effectif entre deux atomes voisins, dit terme d’échange −J12 S1 · S2 , est plus grand que la structure fine et le couplage spin rotation et que J12 a le bon signe (voir ci-dessous). Finalement Cox et collaborateurs [Cox et al. (1985)] ont mesuré un moment magnétique de 8.1μB pour Fe3 soit 2.7μB par atome proche de la valeur dans le solide massif 2.3μB . La convergence (plus ou moins) rapide du moment magnétique des agrégats vers la valeur du solide permet (souvent) de considérer un agrégat comme un petit solide avec des termes correctifs représentés par une anisotropie. Le tableau 7.5 donne quelques valeurs de μB par atome pour les premiers agrégats de fer calculées par DFT.

7. Magnétisme

297

Fig. 7.9 – Courbes d’équilibre du dimère Fe2 en fonction de la corrélation (valeur arbitraire) et de la symétrie dans le formalisme DFT-GGA+U. La valeur conventionnelle pour le modèle GGA ici est U = 1 eV. Les autres valeurs représentent des valeurs arbitraires de corrélations plus importantes [Rollmann et al. (2006b)]. Ce même traitement peut être fait sur des agrégats Fe3 et Fe4 (d’après la référence [Rollmann et Entel (2004)]). Reprinted by permission from American Chemical Society, The Journal of Physical Chemistry A, COPYRIGHT 2006. Tab. 7.6 – Moments magnétiques par atome de fer pour les agrégats de N = 2 à 17 calculés en DFT après optimisation de la géométrie [Diéguez et al. (2001)]. On voit que le moment magnétique évolue très peu avec la taille. N μB /at N μB /at

7.6 7.6.1

2 3 11 2.7

3 2.7 12 2.7

4 3 13 2.6

5 3.2 14 3

6 3.3 15 3.2

7 3.1 16 3.1

8 3.3 17 3.1

9 2.9 ∞ 2.3

10 2.8

Magnétisme dans le solide Origine du ferromagnétisme

On s’attend (bien que ce ne soit pas trivial) à ce que le magnétisme apparaisse pour les éléments ayant une très forte densité électronique, c’est-à-dire un « petit » rayon métallique où l’énergie d’échange pourra dominer : les éléments ayant des électrons d ou/et f . La figure 7.7 donne l’évolution du rayon métallique pour les éléments de transition. On voit clairement que pour une même structure électronique, le fer, le cobalt et le nickel sont des bons candidats. L’ordre de grandeur de l’interaction d’échange est de 10 à 100 meV

Les agrégats

298

pour les éléments 3d et de 1 à 10 meV pour les 4f . Dans la théorie du magnétisme quantique, l’hamiltonien de Heisenberg décrit un ensemble de moments magnétiques localisés en interaction et s’écrit dans un solide, i et j étant des voisins, H le champ magnétique externe (cela suppose que l’on néglige les interactions dipolaires à grande distance du type RKKY, Ruderman-KittelKasuya-Yoshida [Yosida (1957)]) HHeisenberg = −

 1  Jij Si .Sj − gi μB H.Si 2 i

(7.22)

i,j,i=j

Le signe 1/2 provient du fait qu’il ne faut pas compter deux fois la même interaction. Pour Jij < 0 l’interaction est antiferromagnétique et pour Jij > 0 elle est ferromagnétique (il y a aussi une autre convention d’écriture où le signe de J est inversé). On s’intéresse ici au cas du ferromagnétisme où tous les spins sont alignés. Si on alignait les spins atomiques de fer dans le solide, on aurait 4μB par atome et pas 2.3. Il en va de même pour le cobalt et le nickel. Le calcul n’est donc pas trivial, l’approche de Heisenberg reste phénoménologique. L’approche Heisenberg dans la phase massive sous-entend l’absence de champ cristallin (symétrie sphérique). Dans le cas des agrégats, l’approche de Heisenberg n’est pas valide car, pour les petites tailles, les atomes sont presque tous en surface et ont donc leurs orbitales très contraintes et perturbées par la brisure de symétrie de surface, ce qui doit modifier le moment magnétique par rapport au cas où il n’y a aucune contrainte.

7.6.2

Magnétisme orbital

Dans le solide, la trajectoire de l’électron est très complexe, en partie liée à la délocalisation qui peut engendrer des orbitales souvent non magnétiques. Deux cas peuvent se présenter, les éléments légers dont le magnétisme est porté par des orbitales d qui respectent les couplages Russel-Saunders dans lequel on peut appliquer le concept de magnétisme itinérant, les orbitales d étant en interaction avec les autres orbitales. Ces trajectoires vont dépendre de l’interaction avec le champ résultat dit champ cristallin et sont non magnétiques. On utilise le terme abusif « magnétisme orbital bloqué » qui signifie simplement que la contribution orbitalaire dans le facteur de Landé est nul. Les éléments lourds comme les terres rares ont des électrons f fortement localisés et un magnétisme plus proche de celui de l’atome (le moment orbitalaire n’est pas négligeable).

7.6.3

Magnétisme itinérant : critère de Stoner

Le magnétisme dans le solide étant un problème à N -corps, il a fallu développer des approximations. Dans le premier cas, les électrons responsables du magnétisme restent parfaitement localisés autour de leur noyau d’origine et se trouvent dans un état électronique assez proche de celui de l’atome ou de l’ion

7. Magnétisme

299

Fig. 7.10 – À gauche : représentation d’une trajectoire électronique dans un solide cubique simple montrant l’inversion de courbure en fonction de la position des ions en comparaison avec l’orbite circulaire dans l’atome. À droite : schéma de principe du modèle de Stoner, la valeur ξμtotal est exagérée. libre : c’est le modèle du magnétisme des électrons localisés. Dans le second cas, les électrons responsables du magnétisme sont des électrons de conduction : il s’agit du magnétisme dit itinérant. Nous ne nous intéresserons qu’à ce dernier cas applicable pour les éléments de la ligne du fer. On ne raisonne que sur la population de spins. Dans le cas où il y aurait du magnétisme orbitalaire (on le néglige dans les métaux d) il faudrait rajouter le terme d’interaction spin orbite. Le magnétisme itinérant a été introduit par Stoner [Stoner et al. (1934)]. Dans une approximation rigide, on supposera que les densités d’états des spins ↑ et ↓ sont tout simplement décalées rigidement l’une par rapport à l’autre d’une quantité ξμtotal où ξ traduit l’importance du décalage (figure 7.10) et μtotal est le moment magnétique. Ce paramètre reflète l’interaction entre électrons de même site atomique. Les densités d’états associées au spin s’écrivent (le moment magnétique total intègre tous les atomes contrairement au magnétisme d’un atome isolé) 1 n↑ (E) = n0 (E + ξμtotal ) 2 il vient n0 =

1 n↓ (E) = n0 (E − ξμtotal ) 2

1 [n↑ (E) + n↓ (E)] 2

(7.23)

(7.24)

dans le cas d’un matériau non magnétique n0 = n↑ (E) = n↓ (E)

(7.25)

Les agrégats

300

Formellement le moment magnétique μtotal est donné par l’intégration de la densité d’états donnant le nombre d’atomes effectifs contribuant au moment  EF  EF n↑ (E)dE − n↓ (E)dE] (7.26) μtotal = μB [ −∞

−∞

où μB est le magnéton de Bohr. Cette équation doit être autocohérente puisque n↑ (E) et n↓ (E) dépendent de μtotal,ef f , on aura donc une fonction du type (7.27) μtotal = F (μtotal ) On peut écrire en faisant un changement de variable  F (μtotal ) =

EF + 12 ξμtotal

EF − 12 ξμtotal

n0 (E)dE

(7.28)

L’écart 12 ξμtotal est faible devant EF , on peut donc se limiter à un développement limité au premier ordre du type f (x +

Δx Δx  Δx ) − f (x − )≈ f (x) 2 2 2

(7.29)

Soit en identifiant la dérivée f ’(x) avec n0 (E)

soit la dérivée

F (μtotal ) = ξμtotal n0 (E)

(7.30)

δF (μtotal ) = ξn0 (E) δμtotal

(7.31)

Écrivons la dérivée au point μtotal = 0, limite où il y a apparition du magnétisme δF (μtotal ) = ξn0 (EF ) (7.32) δμtotal μtotal =0 Le critère de Stoner pour l’apparition du ferromagnétisme s’écrit dans le cas d’une dérivée supérieure à 1, soit ξn0 (EF ) > 1. À température ambiante, seuls Co, Ni et Fe vérifient le critère de Stoner. Le magnétisme résulte de la compétition entre le gain d’ énergie d’interaction d’échange (favorisant le déplacement de bandes et les spins parallèles) et l’accroissement d’énergie cinétique qui favorise le couplage de spins antiparallèles. En d’autres termes, l’ordre ferromagnétique est stable si l’on gagne plus en énergie d’échange qu’on ne perd en énergie cinétique. Dans la plupart des cas, le magnétisme vient essentiellement dans les solides des intégrales d’échange décrit par un hamiltonien d’Heisenberg H (les interactions dipolaires sont faibles) H=−

1 Ji,j si .sj 2 i,j

(7.33)

7. Magnétisme

301

i, j sont les sites atomiques, la sommation se fait sur les premiers voisins, Ji,j est l’intégrale d’échange, si elle est positive l’état fondamental est obtenu pour tous les spins alignés ↑. On ne peut pas calculer de façon simple le moment magnétique dans le solide. Pour le fer on peut montrer qu’il y a interaction entre les états 4s et 3d. Le tableau 7.7 donne la répartition des électrons dans le Co, Ni et Fe. Le tableau 7.8 donne le moment calculé pour l’atome et le solide. Tab. 7.7 – Répartition des électrons calculée pour le Fe, Co et Ni. Les valeurs entre parenthèses correspondraient à l’absence d’hybridation dans le solide [Geoffroy (2006)]. élément Fe Co Ni

4s ↑ 0.45 (0.5) 0.35 (0.5) 0.30 (0.5)

4s ↓ 0.45(0.5) 0.35(0.5) 0.30(0.5)

3d ↑ 4.7(5) 5(5) 5(5)

3d ↓ 2.4(2) 3.3(3) 4.4(4)

Tab. 7.8 – Moment magnétique du fer, nickel et cobalt à T =0 K. Fe Co Ni

μtotal 2.3 1.7 0.6

μ(atome) 6 5.77 5

μ(atome,spin) 4 2 3

La figure 7.11 représente les populations liantes et antiliantes correspondant aux deux états de spin (COHV) pour la première ligne des métaux de transition. On voit que seuls Mn, Fe, Co et Ni sont magnétiques. Le chrome est un cas limite où le croisement se fait au niveau de Fermi [Landrum et Dronskowski (2000)]. Le modèle de Stoner donne des indications sur le magnétisme en fonction de la taille. Comme on peut le voir dans la formule 7.32, le ferromagnétisme apparaitra d’autant plus facilement que la densité d’états au niveau de Fermi est élevée. Or, dans le chapitre 2 (cf. équation 2.31), l’énergie de cohésion est proportionnelle à la largeur de la bande (approximation de la bande d’énergie rectangulaire) et au nombre de premiers voisins. Il en résulte que pour les petites tailles, cette bande va se rétrécir, ce qui entraine une augmentation de n0 (EF ). On s’attend donc à voir un renforcement du magnétisme dans les petis agrégats pour un matériau ferromagnétique.

7.7

Domaines de Weiss

Le modèle d’Heisenberg montre que dans une chaine infinie, les spins dans un ferromagnétique en dessous de la température de Curie doivent être tous alignés.

Les agrégats

302

Fig. 7.11 – Densité d’états « DOS » et « Crystal orbital hamilton population » donnant les orbitales liantes à droite de la courbe échelle des fortes énergies en valeurs absolues et antiliantes à gauche de la courbe au voisinage du niveau de Fermi, d’après [Steinberg et Dronskowski (2018)]. Une partie de la courbe originale se trouve dans la référence [Landrum et Dronskowski (2000)]. Un schéma simple dans l’approximation des bandes rectangulaires est donné à côté. (Creative Commons Attribution License open access CC BY 4.0). Dans un solide 3D avec une structure cristalline donnée, l’énergie totale est la somme de plusieurs contributions Etotal = Ee´change + Ems + Eame + Emc + EZeeman

(7.34)

- Ee´change est l’énergie d’échange telle que nous l’avons décrite, EZeeman est l’énergie de Zeeman due au champ magnétique externe. Les autres contributions sont liées à la symétrie du cristal : - Ems est l’énergie magnétostatique autocohérente due à l’interaction du champ magnétique créé par l’aimantation dans une certaine partie de l’échantillon sur d’autres parties du même échantillon. Sa minimisation nécessite d’avoir une aimantation parallèle aux surfaces de l’échantillon ; - Eame est l’énergie d’anisotropie magnétoélastique due à l’effet de la magnétostriction. Cette énergie est minimale quand tous les axes d’aimantation des domaines dans un cristal sont parallèles ; - Emc est l’énergie d’anisotropie magnétocristalline : lorsqu’un atome est placé au sein d’un cristal, ses orbitales atomiques subissent une levée de dégénérescence (on n’est pas dans une symétrie sphérique comme dans le modèle d’Heisenberg). Sa minimisation nécessite que l’aimantation soit le long de l’axe dit de facile aimantation qui dépend de la symétrie du cristal. Il ne peut pas y avoir un seul domaine (tous les spins alignés) car dans ce cas, pour un solide infini, l’énergie totale serait infinie principalement dû

7. Magnétisme

303

au fait que Ems serait très élevée. Pour satisfaire au mieux la minimisation de l’énergie totale, il y a création de domaines magnétiques dits de Weiss (dont la taille est variable mais qui, à notre échelle, est macroscopique : 1 − 100 μm) dans lesquels tous les spins sont alignés (dû à l’énergie d’échange). La distribution des macrospins (chaque domaine de Weiss a un spin résultant géant) et le nombre de domaines provient de la minimisation de l’énergie totale. La transition entre deux domaines de Weiss forme la paroi de Bloch, elle a lieu sur une certaine distance sur laquelle on observe une rotation du spin d’une direction à l’autre. La taille des domaines dépend des termes évoqués. Dans la plupart des cas, elle est supérieure à plusieurs dizaines de nanomètres. Pour les clusters de moins de 1000 atomes, on observe un monodomaine et nous pouvons appliquer le modèle de Stoner et Wohlfarth [Stoner et Wohlfarth (1948)] où tous les spins du cluster ont le même comportement, l’agrégat se comporte comme un nanoaimant unique. Ceci est illustré sur le schéma de principe de la figure 7.12 (on rappelle qu’un domaine de Weiss peut atteindre plusieurs dizaines de microns).

Fig. 7.12 – Schéma illustrant deux cas d’agrégats en relation avec des domaines de Weiss. Si l’agrégat est plus petit qu’un domaine moyen de Weiss alors il se comporte comme un spin géant monodomaine sous-champ modéré. Si l’agrégat est plus gros, il sera polyphasé avec plusieurs domaines. Ce cas complexe n’est pas discuté et correspond à des tailles élevées pour les agrégats.

7.8 7.8.1

Magnétisme dans les clusters Mesure du magnétisme dans les clusters

Il faut distinguer les mesures sur les agrégats libres qui sont effectuées en jet moléculaire et les mesures sur les agrégats supportés. Comme nous l’avons

304

Les agrégats

discuté, l’expérience de Stern et Gerlach se fait sur des atomes ou agrégats en phase gazeuse (sans support). La principale difficulté est d’estimer la température des agrégats dans la mesure où une expérience faite dans un jet supersonique ne permet pas de connaitre a priori la température des agrégats d’autant plus que dans une détente adiabatique (nécessaire pour la nucléation en agrégats) il n’y a pas équipartition des degrés de liberté (Ttranslation < Trotation < Tvibration ). La température jouant un rôle impor→ tant dans la détermination de − μ Jtotal , il peut y avoir de grandes différences entre des mesures faites dans des conditions de préparation des agrégats différentes. Une possibilité consiste à mesurer des agrégats supportés où la température est fixée par ceux-ci. C’est le cas des nanoparticules dont la croissance se fait au sein d’une goutte d’hélium superfluide [Yang et al. (2013)]. Le dispositif de synthèse et de mesures devient extrêmement complexe. Une autre possibilité consiste à faire des mesures de dichroïsme magnétique sur des agrégats supportés. Cependant les transferts de charge agrégat/support peuvent altérer la mesure, voire créer du ferromagnétisme là où il n’y en a pas a priori. On considère que ces deux techniques sont complémentaires. 7.8.1.1

Expérience de Stern et Gerlach sur les agrégats libres

Les agrégats magnétiques de quelques dizaines à quelques milliers d’atomes se comportent comme un seul domaine de Weiss. Pour les agrégats libres de tout support, le spin total St est très grand et comme on l’a vu dans le cas des dimères, le spin est faiblement couplé à l’axe caractéristique de l’agrégat et le magnétisme orbital sera faible. Mais l’orientation de l’agrégat est a priori quelconque et dans une expérience de Stern et Gerlach (voir figure 7.5), les agrégats sont désordonnés et sont déviés suivant la valeur de μz , la projection du moment magnétique sur la direction du champ. On s’attend à avoir 2St + 1 taches sur l’écran de détection (St est grand, de l’ordre de 10-15 pour 10 atomes de Fer et 100-150 pour 100 atomes de Fer). En effet, à la limite du solide on aura 2.3μB par atome, soit un spin « moyen » de 1.15 par atome pour le fer. Cela peut sembler choquant de considérer un « spin » non-entier ou demientier. En fait, seul compte le spin total qui, lui, est entier ou demi-entier. De plus, l’état fondamental peut être dégénéré. Et de toute façon, on observera que le moment magnétique par atome fluctue avec la taille et on n’aura jamais exactement 1.15 pour une taille donnée. En conclusion, pour un cluster de taille assez élevée (au-delà de quelques dizaines d’atomes), on devrait avoir un très grand nombre de taches dans l’expérience de Stern et Gerlach. En fait, on n’aura jamais la résolution pour les séparer. On s’attendrait donc à ce que le jet s’élargisse et la mesure de cet élargissement donnerait le moment magnétique global. On retrouve en quelque sorte la physique classique pour les grands nombres. En fait, ce qui a été observé dans la plupart des expériences de Stern et Gerlach sur les agrégats magnétiques, c’est une déviation globale du jet moléculaire. Le moment magnétique « géant » de l’agrégat, qui est faiblement lié à

7. Magnétisme

305

la géométrie du cluster, s’oriente dans le champ magnétique de Stern et Gerlach selon la loi de Langevin qui s’écrit ici pour des champs magnétiques suffisamment faibles (chaque agrégat se comporte comme un nanoaimant unique N μat en raison de l’énergie d’échange) : Mcluster (T ) = (N μat )2 B/3kB T

(7.35)

Ceci définit une susceptibilité χ = (N μat )2 /3kB T , où N est le nombre d’atomes de l’agrégat, μat le moment magnétique « moyen » par atome, B le champ appliqué et T la température. Cette orientation est possible grâce au couplage faible de type spin-rotation entre le moment magnétique et le moment cinétique de rotation de la molécule. Ce couplage doit être suffisamment faible pour que le spin, en présence du champ, ne soit pas entrainé dans la rotation de la molécule, mais il doit être suffisant pour permettre la thermalisation de la molécule, y compris des variables de spin. Le même type de problème se retrouve dans le cas du dipôle électrique des agrégats ou de molécules plus ou moins rigides. La question de la valeur de la température d’un agrégat n’est pas simple. Dans un jet d’agrégats, la température est le plus souvent définie par une zone de thermalisation dans la source d’agrégats. Mais on n’est jamais tout à fait sûr que la thermalisation soit parfaitement réalisée. On peut parler de superparamagnétisme puisque l’agrégat libre possède un moment magnétique important proportionnel au nombre d’atomes (en première approximation), et ce moment s’oriente dans le champ magnétique. On peut aussi bien considérer l’agrégat comme un petit domaine de Weiss. Le ferromagnétisme s’exprime ici par le fait que les spins sont alignés en première approximation. 7.8.1.2

Mesure du dichroïsme magnétique dans le cas des agrégats supportés

Le dichroïsme magnétique se fait sur des agrégats supportés et, contrairement à l’expérience de Stern et Gerlach, permet de mesurer des agrégats de très grande taille, voire la phase massive. Le dichroïsme circulaire magnétique de rayons X, XMCD (X-ray Magnetic Circular Dichroism en anglais) est la différence des spectres d’absorption des rayons X dans un champ magnétique, entre les deux polarisations circulaires opposées de la lumière. La différence des spectres au seuil d’absorption entre les deux polarisations (circulaire droite et gauche) donne des informations sur le moment magnétique orbital (s’il existe) et le spin. Pour observer un signal il faut deux conditions : d’une part fournir l’énergie nécessaire pour créer un photoélectron qui sera détecté (seuil d’ionisation), on utilise en principe les niveaux de cœur d’où la nécessité d’avoir des photons très énergétiques ; et d’autre part les transitions (absorption d’un photon) doivent satisfaire les règles de sélection des transitions dipolaire électriques ΔL = ±1, ΔS = 0, ΔJ = 0,±1, ΔM = ±1, ΔM = 1 pour l’hélicité droite, ΔM = −1 pour l’hélicité gauche (ceci n’est valable que pour les éléments légers où l’on néglige les transitions quadrupolaires).

Les agrégats

306

Fig. 7.13 – Principe de la XMCD entre des niveaux de cœur 2p et 3d dans un matériau léger vérifiant le critère de Stoner [Garad (2012)]. Figure extraite de la thèse de H.M. Garad « L’anisotropie magnétique perpendiculaire induite par oxydation et recuit thermique : de la structure au magnétisme » Université de grenoble 2012.

La différence des spectres peut se comprendre intuitivement sur la figure 7.13 dans le cas d’un métal de transition ferromagnétique [Stöhr (1999)]. On considère l’exemple d’une transition L2,3 (c’est-à-dire les niveaux de cœur 2p1/2 et 2p3/2 ) vers M4,5 (c’est-à-dire les niveaux de cœur 3d3/2 et 3d5/2 ). Les intensités relatives des transitions sont données par les règles de BurgerDorgello [Brisset et al. (2012)], soit pour ΔJ = 0 ± 1 une intensité de rapport 9/1/5 pour les transitions 2p3/2 − 3d5/2 , 2p3/2 − 3d3/2 et 2p1/2 − 3d3/2 , respectivement. Les états d sont ici au niveau de Fermi. Dans le cas d’un ferromagnétique, le critère de Stoner est vérifié et il y a un déséquilibre entre la population d’états de spins ↑ et de spins ↓. Comme indiqué sur le dessin (figure 7.13), hormis les conditions déjà énoncées pour observer une transition, il faut la présence d’états vides. Ces états au-dessus du niveau de Fermi sont moins nombreux dans le cas de la population ↓ que pour la population ↑. Il reste à induire ces transitions soit vers les états ↑ ou ↓. Puisque la transition se fait à ΔS = 0, ce sont les états 2p1/2 ou 2p3/2 avec la population ↓ qui transitent vers l’état 3d de population ↓ et vice-versa. L’excitation sélective des états de spin se fait par l’hélicité, la polarisation circulaire gauche ΔM = −1 excitera les états de spin ↓ et vice-versa. Il en résulte que le signal issu de l’hélicité droite sera plus intense puisque le nombre d’états libres au-dessus du niveau de Fermi est plus grand dans ce cas. On a donc un système d’équations donnant une intensité relative d’absorption Iab (E) =

1 + − (I (E) + Iab (E)) 2 ab

(7.36)

7. Magnétisme

307

Fig. 7.14 – Dichroïsme magnétique observé sur les transitions 2p-3d [Hurm (2009)] sur des agrégats de fer de sept atomes [Lau et al. (2002)]. Reprinted by permission from Amerinca Physical Society, Physical Review Letters, COPYRIGHT 2002. COPYRIGHT Verlag Berlin GmbH, 2009 (principe de la mesure) à droite.

et

1 + − (I (E) − Iab (E)) (7.37) 2 ab Les signes + et - sont relatifs à l’hélicité. La première équation est l’intensité en absorption X classique, la seconde est discriminante. En combinant les deux équations et en écrivant une théorie [Thole et al. (1992); Carra et al. (1993) basée sur les règles de somme, on peut en déduire la population liée au spin et au moment orbital. La figure 7.14 montre un signal XMCD pour des agrégats de fer. Ceux-ci sont déposés sur un substrat magnétique (film mince de nickel) préalablement aimanté par un pulse de champ (le substrat a une forte rémanence) pour aligner tous les moments magnétiques des agrégats. Pour remonter aux composantes orbitalaires et de spin, outre les règles de somme, il faut posséder le spectre d’absorption en champ nul et calculer son intégrale, puis faire la différence des deux absorptions obtenues pour les deux polarisations. Le résultat est donné dans la figure 7.14 pour le fer. On écrit les deux moments de spin et orbitaux ΔIab (E) =

μS = 2μB < Sz >

μL = μB < Lz >

(7.38)

Ces deux moments sont déduits des spectres par intégration et règles de somme sur les transitions.

Les agrégats

308

7.8.2

Superparamagnétisme

Dans des clusters, l’aimantation peut se renverser spontanément sous l’influence de la température (voir figure 7.15). Le temps moyen entre deux renversements est appelé temps de relaxation de Néel. Les mesures se faisant à température finie, le comportement de ces particules sans champ est analogue au cas du paramagnétisme classique. Si le temps utilisé pour mesurer l’aimantation de ces clusters est beaucoup plus grand que le temps de relaxation de Néel, leur aimantation apparait nulle : on dit qu’ils sont dans un état superparamagnétique. Le temps caractéristique de retournement spontané peut s’écrire [Néel et HEBD (1949); Dormann et al. (1988)] τ = τ0 exp KV /kB T

(7.39)

τ0 est une constante, KV est l’énergie de barrière égale au produit d’un terme K appelé anisotropie, et du volume V de la particule. KV est l’énergie de barrière associée au mouvement de l’aimantation qui, partant de son axe

Fig. 7.15 – Analogie entre le paramagnétisme atomique et le superparamagnétisme observé dans un agrégat ferromagnétique. En haut, le paramagnétisme atomique : les moments magnétiques sont aléatoirement distribués sans champ et alignés souschamp magnétique H. En bas, le superparamagnétisme où chaque agrégat (ici un icosaèdre où l’axe de facile aimantation est situé le long de l’axe de symétrie d’ordre cinq) voit son macrospin aligné dans le champ si celui-ci a une température inférieure à la température de blocage (Tblocage = KV /kB T voir texte). Dans ce cas (faible température) le superparamagnétisme est du paramagnétisme en faisant une loi d’échelle atome/agrégat. À haute température on se trouve dans une configuration identique à celle observée sans champ. Le superparamagnétisme ne s’observe que dans un ensemble d’agrégats. Ce n’est pas une propriété intrinsèque d’un agrégat. Celui-ci individuellement est porteur d’un macrospin (donc un ferromagnétique) comme un atome paramagnétique est porteur d’un moment magnétique « atomique ».

7. Magnétisme

309

facile initial, passe par un axe difficile, puis revient sur un autre axe facile. On comprend pourquoi, dans les clusters de très petites tailles, ceux-ci ont un comportement superparamagnétique (V est faible). Lorsque le temps d’observation est long devant τ le moment magnétique moyen est donné par l’approximation de Langevin pour un système superparamagnétique de moment N μ, où μ est le moment par atome et N le nombre d’atomes dans l’agrégat M = N μ(coth

kB T N μB − ) kB T N μB

(7.40)

qui se réduit pour les grands champs à M = Nμ

(7.41)

et pour les petits champs à : χ=

(N μ)2 B 3kB T

(7.42)

Pour atteindre la vraie valeur du moment M = N μ, il faudra travailler à la fois à très basse température et à champ saturé (si c’est possible, sinon on devra extrapoler la courbe de l’équation 7.40). En résumé, les agrégats de petites tailles se comportent comme des nanoaimants et la physique est la même que pour des atomes individuels porteurs d’un moment magnétique. Seule la valeur du moment sera différente puisque dans un agrégat le moment magnétique sera la somme des moments individuels (hypothèse dite du monodomaine). Comme nous l’avons vu précédemment, pour les gros agrégats ayant un volume supérieur au domaine de Weiss, la notion de macrospin n’est plus applicable et le superparamagnétisme défini précédemment doit être corrigé. Cependant ceci concerne uniquement des agrégats de tailles micrométriques que nous ne discuterons pas.

7.8.3

Très petites tailles

Nous sommes dans le domaine du superparamagnétisme avec une anisotropie uniaxiale décrite par le modèle de Stoner et Wohlfarth. Intuitivement on comprend que le moment magnétique va varier avec la taille [Rollmann et al. (2006a)]. Celui-ci va diminuer lorsque l’on augmente la taille pour passer de la valeur dans l’atome à celle du solide. Des mesures XMCD (figure 7.16) ont été faites sur des agrégats de cobalt chargés triés en taille. La figure 7.17(a) montre, dans le cas des agrégats de fer, l’évolution du moment magnétique de spin normalisé à une valeur (supposée) de 4μB pour l’atome avec la répartition de la composante orbitalaire et la composante de spin. On voit très bien que le magnétisme pour les très petits agrégats 0. - L’anisotropie magnétocristalline due au couplage de la magnétisation avec le réseau cristallin par l’intermédiaire du couplage spin orbite, dans un agrégat de structure cristalline cubique EM C = K4M C (m2[100] × m2[010] + m2[100] × m2[001] + m2[010] × m2[001] ) V +K6M C (m2[100] × m2[010] × m2[001] )

(7.45)

7. Magnétisme

315

Les directions cristallographiques sont données dans la figure 7.22

Fig. 7.22 – Différentes configurations d’anisotropies pour les principales directions cristallographiques d’un agrégat de 1289 atomes supposés ayant sa forme d’équilibre [Jamet et al. (2004)]. Reprinted by permission from Americal Physical Society, Physical Review B, COPYRIGHT 2004. Le champ cristallin étant différent entre le volume et la surface, on définira deux moment magnétiques correspondant aux atomes de volume et aux atomes de surface (modèle de la goutte comme décrit dans les chapitres précédents), soit une anisotropie de surface définit par Esurf ace = K1surf ace m2z + K2surf ace m2y V

(7.46)

avec z et y les axes de facile (difficile) aimantation, respectivement < 0, K2surf ace > 0). Outre le superparamagnétisme qui peut apparaitre en dessous d’une température donnée (voir équation 7.39), les propriétés de ces agrégats suivent une évolution classique donnée dans le modèle de la goutte comme indiqué sur la figure 7.23. Pour cela on supposera un moment moyen μS attribué à la surface et un moment moyen μV attribué au volume [Nikiforov et al. (2012)] (K1surf ace

μ(N ) = μ0V + f (1 − μ0S )N −1/3

(7.47)

f est un facteur numérique qui intègre des facteurs géométriques et la nature de la surface. Bien entendu, ce modèle ne permet pas de comprendre les nombres magiques de la figure 7.22. Ce genre de relation peut être aussi déduit d’un modèle d’Ising de champ moyen [Nikiforov et al. (2012)].

316

Les agrégats

Ce modèle simple permet de comprendre l’évolution du moment en fonction de la taille. Les particules n’étant pas sphérique, on peut introduire une anisotropie de surface liée aux types de facette. Un exemple en est donné pour une particule de cobalt cfc dans la figure 7.22, dans ce cas il faut utiliser l’ensemble des équations 7.43, 7.44, 7.45 et 7.46. En ce qui concerne l’anisotropie de surface, celle-ci a tendance à modifier le basculement cohérent des spins lors d’une transition : le basculement cohérent étant la base de la notion de macrospin du modèle de Stoner et Wohlfarth. Une illustration de la distribution des spins dans un agrégat est donnée dans la référence [Garanin et Kachkachi (2003)]. Dans ce type de modèle, seuls les atomes de cœur situés loin de la surface ont des spins parallèles.

Fig. 7.23 – Simulation Monte Carlo : simulation de la dépendance du moment magnétique total (normalisé par atome) en fonction de N −1/3 (N est le nombre d’atomes) pour une particule sphérique avec différentes valeurs du moment de surface (paramètre s) et une température T fixée arbitrairement à 0.3J en dessous de la température de Curie pour chaque valeur de N [Nikiforov et al. (2012)], la valeur de J est donnée par l’hamiltonien d’Heisenberg (équation 7.32 dans laquelle J est indépendant de i et j).

7.9

Magnétisme dans les clusters : cas des non ferromagnétiques

Dans la phase volumique, la plupart des métaux non ferromagnétiques sont paramagnétiques sauf quelques-uns comme l’or, l’argent, le bismuth. . . qui sont diamagnétiques. L’origine du paramagnétisme dans les métaux est double. D’une part, la susceptibilité paramagnétique des électrons de conduction, dite de Pauli, décrite dans le modèle des électrons libres [Kittel (2005)]. D’autre

7. Magnétisme

317

part, une contribution, dite de Van Vleck, qui concerne des espèces avec une configuration électronique particulière (dernière couche électronique à un électron près du demi-remplissage) [Kittel (2005)]. Les matériaux paramagnétiques sont caractérisés par une susceptibilité magnétique positive mais faible dont la valeur est comprise entre 10−5 et 10−3 (sans dimension). Par comparaison, la susceptibilité magnétique positive des métaux dits « ferromagnétiques » comme le fer atteint 200 au-delà de la température de Curie. Si à faible température, les moments individuels des atomes ne sont pas bloqués dans le même état au sein de l’agrégat, celui-ci sera paramagnétique (attention de ne pas confondre avec le superparamagnétisme qui concerne le comportement d’une assemblée d’agrégats ferromagnétiques !).

7.9.1

Agrégats libres de systèmes paramagnétiques

Un cas très intéressant concerne le magnétisme dans les matériaux paramagnétiques. La plupart des atomes ont un moment magnétique non nul, en conséquence nous pouvons nous interroger sur la disparition du magnétisme lorsque la taille croit, le matériau massif étant non ferromagnétique. Un bon exemple est donné par le rhodium isoélectronique du cobalt dont la configuration atomique à l’état fondamental est 4 F9/2 et dont la phase cubique faces centrées est paramagnétique. On peut donc imaginer des agrégats de métaux dits paramagnétiques qui sont porteurs d’un macrospin que l’on peut qualifier de « comportement ferromagnétique » et ce, dans une gamme de taille définie sachant que, dans la phase volumique, ce ferromagnétisme est absent. La figure 7.24(a,b) présente des expériences Stern et Gerlach faites sur des petits agrégats de rhodium où l’on voit nettement l’effondrement du ferromagnétisme au-delà de 20 atomes. Le moment magnétique non nul pour les très petits agrégats de rhodium a été mis en évidence par des calculs ab initio [Chien et al. (1998)]. Le tableau 7.9 donne la gamme de moments magnétiques pour quelques agrégats de rhodium calculés dans un formalisme de liaisons fortes « spd » (ce formalisme paramétré sur des calculs ab initio permet d’étendre les calculs pour des agrégats de plusieurs centaines d’atomes). La contribution du magnétisme orbitalaire est trouvée négligeable [Barreteau et al. (2000)]. Tab. 7.9 – Valeurs du moment magnétique en unités de μB pour différents agrégats. La valeur dépend de la géométrie. L’état fondamental étant calculé à 0 K, le moment supposé se situe entre les deux valeurs extrêmes [Barreteau et al. (2000)]. agrégat Rh2 Rh4 Rh7 Rh9 Rh12 Rh19 Rh147

moment 1 0-0.5 0.143-1.285 0.555 0-1.166 0.684-1.105 0.009-0.217

agrégat Rh3 Rh6 Rh8 Rh10 Rh13 Rh55

moment 0.333-1 0-1.333 0-1.25 0.2-1 0.076-1.153 0.127-0.348

Les agrégats

318

Fig. 7.24 – Expériences Stern et Gerlach sur des agrégats de rhodium montrant l’évolution du moment magnétique avec la taille (a) pour les faibles tailles où il y a le magnétisme du type « ferro », (b) pour les grandes tailles où le magnétisme disparait au-delà de 60 atomes [Cox et al. (1994)]. Reprinted by permission from Americal Physical Society, Physical Review B, COPYRIGHT 1994.

7.9.2

Agrégats supportés ou avec ligands de systèmes diamagnétiques : le cas de l’or

Le (ferro) magnétisme dans les agrégats de métaux diamagnétiques dans la phase massive (l’or par exemple) est controversé et difficile à expliquer à ce jour. Notamment le rôle des ligands est complexe (on trouvera des détails dans la référence [Agrachev et al. (2017)]). Par la suite, nous donnerons l’état de l’art sur ce sujet et quelques explications possibles. 7.9.2.1

Grandes tailles

L’or dans la phase solide est diamagnétique avec une susceptibilité χ = −1.4210−7 emu/g Oe. Cependant, du ferromagnétisme est observé dans des agrégats d’or bien qu’aucun (para)ferromagnétisme ne soit observé dans des agrégats d’or pur. Les mesures se font sur des agrégats supportés entourés de ligands [Pineider et al. (2013)] (figure 7.25). Il a été montré que la présence d’ions divalents Fe2+ à la surface est indispensable pour induire du magnétisme dans l’or. Un échantillon d’or entouré d’un oxyde γFe2 O3 ne présente pas de polarisation de spin des électrons 5d de l’or alors qu’une double coquille FeO@Fe3 O4 induit une polarisation. Les mesures faites au seuil L2 et L3 de l’or par XMCD révèle une contribution orbitalaire non négligeable (morb /mspin = 0.38) [Pineider et al. (2013)]. Des transferts électroniques entre les atomes d’or et les ligands (non magnétiques) sont probablement à l’origine du magnétisme. En utilisant un modèle simple de confinement d’un gaz électronique sur une surface sphérique (l’agrégat étant supposé sphérique) on peut montrer l’apparition du paramagnétisme lorsque l’on a une évolution de la densité d’états au niveau de Fermi N (EF ). Pour cela, on utilise un modèle de confinement d’un gaz électronique sur une surface. Supposons que les ligands à la surface donnent partiellement des

7. Magnétisme

319

Fig. 7.25 – Un moment magnétique est induit dans le cœur d’or quand la coquille magnétique contient un oxyde de fer réduit directement au contact de l’or. (À droite) Aucun moment magnétique n’est induit dans l’or. (À gauche) Dans cette configuration d’oxydes un moment magnétique est induit (la signature du « ferromagnétisme » étant ici l’apparition d’un cycle d’hytérésis). Les courbes d’hystérèses sont normalisées à un champ magnétique de 5 T et une température de 3 K. La figure en insert montre un agrandissement à l’origine [Pineider et al. (2013)]. La taille du domaine d’or est indiquée sur la courbe. Le magnétisme de l’or est mis en évidence par XMCD au seuil L2 et L3 . Reprinted by permission from Americal Chemical Society, ACS Nano, COPYRIGHT 2013. électrons à l’agrégat d’or, ces électrons peuvent sauter de site en site. On supposera également que les écarts entre les niveaux d’énergie au voisinage du niveau de Fermi sont plus petits que l’énergie thermique. Dans ce cas, on a un pseudo-gaz électronique à la surface d’une sphère R, l’épaisseur d’une monocouche étant . L’énergie d’un électron confiné sur une sphère de rayon R et de moment angulaire l s’écrit [Tempere et al. (2002)] El =

2 l(l + 1) 2m∗e R2

(7.48)

Soit m∗e la masse effective de l’électron, lF le moment angulaire du niveau d’énergie correspondant au niveau de Fermi qui s’écrit EF =

2 lF (lF + 1) 2m∗e R2

(7.49)

Les agrégats

320

Soit n* le nombre d’électrons qui occupe le niveau de Fermi, deux cas sont possibles (7.50) n∗ = 2(2lF + 1) dans ce cas le niveau de Fermi est rempli, le système est diamagnétique n∗ > 1) 1 μB lF2 (7.52) 3 On peut montrer que lF dépend directement du rayon de la particule et du taux d’électrons transférés par les ligands. Le moment magnétique sera d’autant plus élevé que la fraction d’électrons transférés sera importante et la dépendance se fait en 1/R. < μlF >=

7.9.2.2

Petites tailles : agrégats purs

La configuration électronique d’un atome d’or est une couche fermée (5d10 ) à laquelle on rajoute un électron s (voir le tableau 7.10). Pour les petits agrégats, comme le suggère le tableau 7.10, le taux d’occupation est très proche de la configuration de l’atome minimisant la formation d’une bande 6s-5d importante lorsque l’hybridation se fait en construisant le solide. Les agrégats d’or (pur) ont un moment magnétique très faible. Cependant des calculs DFT [Luo et al. (2007)] laissent entendre que du magnétisme est présent comme indiqué sur la figure 7.26. Le magnétisme disparait très rapidement lorsque la taille croit. Tab. 7.10 – Population de Mulliken dans des agrégats d’or calculée montrant la faible promotion 5d (6s, 6p) [J. Sui et al. (2014)]. N 0 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12

5d 10 9.87 9.782 9.76 9.622 9.664 9.556 9.620 9.526 9.516 9.473 9.471 9.473

6s 1 0.863 0.871 0.802 0.897 0.889 0.824 0.914 0.786 0.775 0.817 0.827 0.834

6p 0 0.069 0.193 0.337 0.440 0.408 0.542 0.451 0.602 0.613 0.639 0.642 0.630

Au 0 0.198 0.154 0.101 0.059 0.039 0.078 0.015 0.086 0.096 0.071 0.06 0.063

7. Magnétisme

321

Fig. 7.26 – Calcul du couplage d’échange de Hund J pour différentes tailles et géométries d’agrégats d’or [Luo et al. (2007)]. À titre de comparaison, on donne la valeur pour le fer dans une structure icosaédrique (13, 55 et 147 atomes). Si le magnétisme de l’or et du fer sont « comparables » pour 13 atomes, le magnétisme de l’or s’effondre pour les grandes tailles. Reprinted by permission from Americal Chemical Society, Nano Letters, COPYRIGHT 2007. 7.9.2.3

Petites tailles : agrégats avec ligands

Considérons le cas d’un agrégat d’or entouré de thiols de formule synthétique Au25 (SCH3 )18 ]+ . Celui-ci est constitué d’un cœur d’or Au7 de structure quasi planaire entouré d’une structure cage composée d’atomes d’or et de soufre [Socaciu et al. (2003)] (figure 7.27) (on ne tient pas compte des groupes méthyles). La densité d’états projetés (spin up et spin down) est inchangée pour la structure cœur coquille mais fait apparaitre un moment non nul pour l’agrégat de cœur. Selon les calculs théoriques, ce moment va varier en fonction du degré de charge de la molécule [Iwasa et Nobusada (2007)] comme indiqué sur la figure 7.27. Contrairement au modèle développé pour les grandes tailles, il semble que le moment magnétique soit porté ici par les atomes de cœur et non de surface. Une autre origine possible du magnétisme dans les très petits agrégats serait due au magnétisme orbitalaire. Gréget et collaborateurs attribuent le magnétisme des agrégats d’or entourés de ligands à la persistance de boucles de courant induites sous-champ magnétique qui pourraient s’interpréter comme un magnétisme orbitalaire [Gréget et al. (2012)] (figure 7.28). Finalement, le transfert d’électrons via le support ou les ligands peut changer les propriétés magnétiques des agrégats en accord qualitatif avec l’interprétation par le hamiltonien de Heisenberg (terme d’échange).

Les agrégats

322

Fig. 7.27 – Densités, d’états calculées pour les populations de spin up (rouge) et down (bleu) pour différents états de charge dans un agrégat d’or entouré de thiols [Iwasa et Nobusada (2007); Socaciu et al. (2003)]. Par souci de simplicité, les groupes méthyles ne sont pas représentés. Reprinted by permission from Elsevier, Chemical Physics letters, COPYRIGHT 2007.

7.10

7.10.1

Susceptibilité magnétique des petits agrégats métalliques dans le cadre du modèle de Kubo Cas du métal massif

Si on considère un métal non ferromagnétique dans le cadre du modèle des électrons libres, la susceptibilité magnétique est pratiquement indépendante de la température. Cela est dû à la distribution de Fermi-Dirac qui oblige à ranger les électrons de spins opposés en dessous du niveau de Fermi. Il y a cependant une susceptibilité magnétique à température nulle qui est due au fait que les électrons, dont le moment magnétique est dans la direction du champ, ont une énergie plus faible que ceux qui sont dans la direction opposée et sont

7. Magnétisme

323

Fig. 7.28 – Figure de gauche : moment magnétique normalisé en fonction de la température pour des agrégats d’or entourés de dodécanethiol, l’or massif diamagnétique est la référence. Figure de droite : analogie entre un courant créé dans un tore et celui engendré dans un cluster (d’après la référence [Nealon et al. (2012)], la figure originale se trouve dans la référence [Gréget et al. (2012)]). Reprinted by permission from National Center for Nanoscience and Technology ; Royal Society of Chemistry (Great Britain), Nanoscale, COPYRIGHT 2018.

donc plus nombreux. Le calcul montre [Kittel (2005)] que la susceptibilité à température nulle est alors donnée par la formule χ = μ2B ρ(EF ) = μ2B

3N −1 E 2 F

(7.53)

C’est la susceptibilité de Pauli qu’on appelle χP . Or on a montré, dans le cadre du modèle de Kubo, que (voir chapitre 4 équation 4.27) ρ(EF ) =

2 Δ

(7.54)

où Δ est l’écart entre les niveaux d’énergie et le niveau de Fermi. On rappelle que dans le modèle du Kubo, les niveaux sont équidistants au voisinage de la surface de Fermi et que la seule dégénérescence est celle du spin. On en déduit donc que la susceptibilité de Pauli est : χP =

2μ2B Δ

(7.55)

Cette susceptibilité de Pauli, calculée à température nulle, ne change pratiquement pas avec la température car il y a peu d’électrons au-dessus de la surface de Fermi. Elle est beaucoup plus faible que la susceptibilité qu’auraient un ensemble d’électrons liés chacun à un point d’un réseau cristallin, qui seraient donc discernables et dont la susceptibilité serait donnée par la formule de Curie : N μ2B (7.56) χc = kB T En effet, l’énergie de Fermi EF est très grande devant l’énergie thermique kB T .

Les agrégats

324

7.10.2

Cas des petits agrégats monovalents

Dans le cas des agrégats de métaux monovalents, et particulièrement les plus simples les agrégats de métaux alcalins, le modèle de Kubo s’applique dans une certaine mesure pour les petites tailles. Si on considère un agrégat de métaux monovalents avec un nombre impair d’atomes, le nombre d’électrons libres est impair. Dans le modèle de Kubo, les niveaux au voisinage de la surface de Fermi sont équidistants, séparés de l’énergie Δ. Soit l’agrégat est impair et donc il y a un électron non apparié, libre en quelque sorte, et qui va contribuer à la susceptibilité par le terme : χc =

μ2B kB T

(7.57)

C’est la susceptibilité de Curie pour un seul électron. Cette susceptibilité est faible mais dès que Δ devient nettement plus grand que kB T , elle domine la susceptibilité de Pauli (formule 7.55). La contribution des excitations thermiques des autres électrons sera plus faible car proportionnelle à exp − (Δ/kB T ). La contribution des excitations thermiques des électrons des agrégats pairs sera également proportionnelle à exp − (Δ/kB T ), donc elle aussi négligeable. En conclusion, dans les agrégats de métaux monovalents de moins de 100 atomes à basse température (Δ >> kB T ), les deux termes importants dans la susceptibilité sont : la susceptibilité des agrégats impairs et la susceptibilité de Pauli. En fait, dans une population d’agrégats non triés en taille à l’atome près, la moitié des agrégats sont pairs et l’autre moitié sont impairs. Donc dans ce cas : 1 μ2B (7.58) χtotal = (χpair + χimpair )  2 2kB T On peut donc, en principe sur des agrégats de quelques dizaines d’atomes, observer une susceptibilité magnétique supérieure à la susceptibilité de Pauli. Des expériences ont été réalisées à basse température sur des agrégats d’argent déposés dans une matrice de gaz rare [Monot et Millet (1976); Tani (2002)]. Une susceptibilité supérieure à celle de Pauli est bien observée, mais l’interprétation des expériences est difficile. Le modèle de Kubo est trop simplifié. Il y a des dégénérescences et surtout les particules n’ont pas toutes la même forme donc elles n’ont pas toutes les mêmes niveaux d’énergie. On peut alors faire des calculs plus sophistiqués en introduisant des fluctuations des niveaux d’énergie [Halperin (1986)]. Cependant il n’y a pas eu de résultats expérimentaux spectaculaires dans ce domaine, qui est confiné aux spécialistes.

7.11

Conclusion

Dans les agrégats, le moment magnétique total est important pour les éléments qui sont ferromagnétiques dans le solide. À température ambiante, ce

7. Magnétisme

325

sont essentiellement les agrégats de fer, nickel et cobalt. Dans les petits agrégats libres de quelques atomes, ces éléments présentent des états moléculaires de haute valeur du spin. On peut montrer que, si on tient compte de la rotation et de la vibration, le moment magnétique orbital couplé à l’axe de symétrie moléculaire devient négligeable devant le magnétisme dû au spin. On aura essentiellement un magnétisme de spin. Si on considère des agrégats d’éléments ferromagnétiques dans un domaine de taille de 10 à 1000 atomes (1 à 4 nm environ), nous avons montré que, grâce au terme d’échange de Heisenberg, tous les spins atomiques étaient alignés et l’agrégat se comportait comme un seul domaine de Weiss. Les mesures du moment magnétique de ces agrégats (expérience de Stern et Gerlach) ont donné des moments magnétiques par atome qui diminuent graduellement (avec quelques oscillations) de la valeur du moment magnétique atomique vers celle du moment par atome dans le solide, valeur qui est plus faible. Ceci peut être interprété comme une anisotropie de surface (point de vue de matière condensée) ou des interactions entre atomes différentes au niveau de la surface par rapport au volume (point de vue moléculaire). Des calculs de DFT ont également été réalisés et mettent en évidence des états de haute valeur du spin. Tous les résultats expérimentaux cités ci-dessus sont obtenus sur les agrégats libres pour lesquels il n’est pas toujours facile de contrôler précisément la température, même si on peut réaliser une thermalisation plus ou moins complète dans un jet moléculaire d’agrégats. Il a cependant été possible de montrer que, dans un large domaine de température, les agrégats magnétiques libres avaient un comportement superparamagnétique et que donc le moment magnétique « géant » de chaque agrégat s’orientait statistiquement dans un champ magnétique extérieur appliqué. Si on considère maintenant des agrégats ferromagnétiques de taille donnée, déposés sur un support, la mesure du dichroïsme circulaire permet des études précises et fines du magnétisme en fonction d’une température bien contrôlée. Les résultats ont montré également que le moment magnétique par atome diminuait lorsque la taille augmentait, mais il était souvent difficile de distinguer l’effet de taille de l’influence de la surface du support. Comme ces agrégats ne sont pas en rotation et sont immobiles sur le support, on pourra retrouver un magnétisme orbital via les expériences de dichroïsme circulaire. On peut aussi se demander si certains matériaux, qui ne sont pas ferromagnétiques dans le solide mais ont des propriétés électroniques proches, pourraient avoir des états de haut spin, donc des moments magnétiques importants. Ceci a été observé, notamment dans le cas du rhodium, où un moment magnétique par atome de l’ordre de 0.5μB a été observé jusqu’à une vingtaine d’atomes. On pourrait aussi imaginer, en faisant un agrégat mixte atome ferromagnétique et atome non ferromagnétique, par exemple Con Agm , faire basculer les atomes Ag vers des états de haut spin en augmentant la densité électronique de Ag par transfert électronique entre les deux atomes, car on sait que la densité électronique joue un rôle crucial pour le signe de l’intégrale d’échange J12 . On parle parfois de façon imagée d’« injection de spin » ceci a été fait mais nous avons choisi de ne pas aborder le cas des agrégats mixtes dans cet ouvrage.

326

Les agrégats

Par contre, on peut aussi augmenter la densité électronique (« injecter des spins ») en entourant un agrégat avec des ligands. Et cela a été réalisé sur l’or, comme c’est expliqué un peu plus haut dans ce chapitre. Ceci pourrait un jour être réalisé dans d’autres systèmes que l’or. Mais l’or joue un rôle particulier dans l’imaginaire des physiciens. Ainsi ils se sont attachés à montrer que les agrégats d’or, en plus de leurs prodigieuses propriétés optiques, pouvaient en plus être à la fois de petits moments magnétiques et de petits catalyseurs (voir chapitre suivant), même s’il faut pour cela l’aide de supports ou de ligands appropriés.

Chapitre 8 Catalyse hétérogène 8.1

Introduction

Dans ce chapitre, on s’intéresse au cas où les agrégats sont en phase solide (ou liquide) et interagissent avec des molécules, il s’agit du domaine de la catalyse hétérogène (dans notre cas le catalyseur est un solide). La réaction a lieu à l’interface entre le solide et la phase gazeuse. Elle sera donc d’autant plus performante que cette surface est importante. La mise en évidence des effets de taille dans une réaction catalysée par l’agrégat est extrêmement difficile. Chaque réaction mettant en jeu différentes espèces est spécifique et peut induire un comportement opposé pour un agrégat donné. Il n’est donc pas possible de donner des lois universelles pour la catalyse. Le lecteur peut s’en convaincre par la conclusion d’un article du chimiste G.C. Bond en 1985 « The origins of particle size effects in heterogeneous catalysis » [Bond (1985)] : « The reader might be tempted to wonder at the end of this short review whether particle size really does affect the rates or mechanisms of any catalysed reaction. I have emphasised the uncertainties and the traps into which the unwary can fall (and have fallen), because I do not wish to see theoreticians waste their time explaining the trivial or unreliable. Genuine effects undoubtedly exist, but are probably fewer than is generally supposed. The electronic character of the surface atoms is probably more important than coordination number per se, although some reactions appear to need specific ensembles of atoms. It is the balance of these two factors which will determine the sense of the change, and this explains why different reactions and different metals show various behaviors. » ce qui pourrait se traduire par « Le lecteur pourrait être tenté de se demander à la fin de cet article de revue si la taille de la particule affecte vraiment les taux ou les mécanismes d’une réaction catalysée. J’ai souligné les incertitudes et les pièges dans

328

Les agrégats

lesquels les imprudents peuvent tomber (et sont tombés), parce que je ne veux pas imaginer que des théoriciens gaspillent leur temps en expliquant l’insignifiant ou l’incertain. Des effets véritables existent sans aucun doute, mais sont probablement moindre que ce qui est généralement supposé. Le caractère électronique des atomes superficiels est probablement plus important que le nombre de coordination en soi, bien que quelques réactions semblent avoir besoin des ensembles spécifiques d’atomes. C’est l’équilibre de ces deux facteurs qui déterminera le sens du changement et ceci explique pourquoi des réactions différentes et des métaux différents montrent divers comportements ». Les mécanismes participant aux effets de taille sont nombreux, incluant le support, la modification de la structure électronique intrinsèque ou bien, lors de la réaction avec la molécule, la coordination. . . Depuis les vingt dernières années, les progrès dans la synthèse des agrégats ont permis d’éclaircir le paysage un peu pessimiste des chimistes des années 80. Cependant, comme nous allons le voir par la suite, les mécanismes microscopiques sont sensibles à la présence de défauts, notamment dans le substrat. Les catalyseurs industriels ignorent ces mécanismes car les composés catalyseur/substrat utilisés dans l’industrie sont très mal caractérisés. Ce chapitre est donc consacré à la catalyse modèle, plus proche de la « réactivité » que de la catalyse proprement dite. Cependant, la découverte de l’activité catalytique de l’or, notamment pour l’oxydation de CO est un grand succès de la physique des agrégats. Dans ce chapitre, on utilisera le mot « catalyse » pour un couple agrégat/support. Par contre, on parlera de « catalyse en phase gazeuse » lorsque l’agrégat responsable de la réaction catalytique sera isolé (libre de tout support). Cette catalyse en phase gazeuse est très utile pour comprendre les mécanismes de base du processus de la réaction catalytique. Il ne faut pas confondre la « catalyse en phase gazeuse » et la réactivité chimique des agrégats. Dans ce dernier cas, on se contente de faire réagir en phase gazeuse un agrégat avec différentes molécules telles que H2 , CO, O2 , etc. Cette réactivité (ou dans certains cas adsorption sur la surface) est intéressante en soi et est de plus le premier pas vers une réaction catalytique. Les premières expériences de réactivité en phase gazeuse ont été imaginées par les groupes de L. Wöste [Fayet et Wöste (1986)], A. Kaldor [Cox et al. (1991)] (agrégats d’or) et A. Castelmann [Castleman et Keesee (1988)]. C’est un domaine assez vaste avec des effets de tailles importants pour des agrégats contenant moins de 50 atomes. On ne l’abordera pas ici. Par contre la catalyse en phase gazeuse, comme la catalyse sur un support, suppose un ensemble de réactions où, à la fin, le catalyseur est revenu à l’état initial et où la réaction recherchée a eu lieu (voir la définition de la catalyse hétérogène au paragraphe suivant). On trouvera une revue non exhaustive sur la catalyse en phase gazeuse dans les références [Woodruff (2007); Lang et Bernhardt (2012)].

8. Catalyse hétérogène

8.2

329

Catalyse en phase gazeuse

La figure 8.1 montre la place qu’occupe la catalyse en phase gazeuse dans la catalyse en fonction de la complexité des catalyseurs et de la pression des réactants. Clairement, la catalyse d’un agrégat en phase gazeuse est moins complexe que la catalyse avec agrégat sur support et plus complexe que la catalyse sur une surface idéale. Elle est limitée en pression à quelques Pascals. Il existe un grand nombre de dispositifs expérimentaux pour mesurer la

Fig. 8.1 – Position occupée par la catalyse en phase gazeuse dans le paysage de la catalyse hétérogène, d’après la référence [Lang et Bernhardt (2012)]. Reprinted by permission from Royal Society of Chemistry (Great Britain), Royal Society of Chemistry, COPYRIGHT 2012. réactivité et la catalyse en phase gazeuse. Toutes ces méthodes sont basées sur la spectrométrie de masse. La possibilité de produire des agrégats libres − chargés, de sélectionner une taille donnée M+ n ou Mn dans un piège électrostatique, permet d’étudier des réactions de catalyse appelées réactions modèles. Celles-ci sont très éloignées de la catalyse industrielle où le support est toujours présent mais elles présentent l’intérêt de comprendre les mécanismes de la catalyse sur l’agrégat sans aucune autre interaction. L’étude par spectrométrie de masse des espèces formées en cours de réaction permet de proposer des schémas réactionnels que l’on peut valider par des calculs ab initio. Ces calculs permettent également de repérer et de quantifier les abaissements de barrière réactionnelle par les agrégats. La figure 8.2, montre un dispositif pour cette étude. Généralement, on étudie la probabilité de former un complexe en faisant réagir un gaz et un agrégat de taille donnée. La sélectivité s’observe par comparaison des produits

330

Les agrégats

Fig. 8.2 – Dispositif pour l’étude de la catalyse en phase gazeuse [Heiz et Landman (2007)]. La source CORDIS produit des agrégats par bombardement d’une cible avec des ions argon de forte énergie (une dizaine de keV). Bernhardt T., Heiz U., Landman U. (2007) Chemical and Catalytic Properties of Size-Selected Free and Supported Clusters. In : Heiz U., Landman U. (eds) Nanocatalysis. Nanoscience and Technology. Springer, Berlin, Heidelberg, COPYRIGHT Springer-Verlag Berlin Heidelberg 2007.

formés d’une taille à l’autre. Dans la figure 8.2, le premier quadrupôle Q1 permet de sélectionner une taille donnée, qui réagit avec les gaz considérés (par exemple CO et O2 pour l’oxydation de CO), les produits formés sont mesurés à la sortie du quadrupôle Q3. La température de zone de réaction peut être modifiée pour des études en fonction de la température. La première expérience de catalyse en phase gazeuse a été réalisée par Shi − et Ervin en 1998 sur les petits agrégats de platine Pt+ n et Ptn [Shi et Ervin (1998)]. Ils ont observé l’oxydation de CO par O2 et N2 O, et la régénération de l’agrégat de platine. Ils ont également observé, dans le cas de Pt+ 7 , l’empoisonnement du catalyseur par l’absorption séquentielle de CO lorsqu’on augmente trop la pression de CO. Un autre exemple très intéressant de catalyse en phase gazeuse est le cas des agrégats d’or, surtout après les expériences d’Haruta sur ces mêmes agrégats en phase supportée. Les expériences ont été réalisées par Bernhardt et Wöste en 2003 [Socaciu et al. (2003)]. La figure 8.3 donne l’exemple du cycle correspondant à l’oxydation de CO par O2 , catalysée par Au− 2 . Les calculs théoriques du groupe de U. Landman [Landman et al. (2007)] ont permis de comprendre les barrières de potentiel des différentes réactions en relation avec la dépendance en température. Outre le rôle de la charge de l’agrégat, la comparaison avec la théorie illustre la complexité des processus mis en jeu et la difficulté

8. Catalyse hétérogène

331

Fig. 8.3 – Représentation schématique de l’oxydation de CO par le dioxygène avec comme catalyseur l’anion Au− 2 . Les valeurs numériques encadrées donnent les barrières calculées en eV (sphères jaunes : Au, sphères rouges : O, sphères grises : C) [Lang et Bernhardt (2012); Socaciu et al. (2003)]. Reprinted by permission from Royal Society of Chemistry (Great Britain), Royal Society of Chemistry, COPYRIGHT 2012. à donner des règles générales. De même, en phase supportée, les transferts de charge entre le support et l’agrégat sont amenés à jouer un rôle important. Les figures 8.4 et 8.5 montrent un autre exemple de mécanisme d’oxydation du CO par un agrégat de palladium Pd+ 4 [Lang et al. (2015)]. Dans ce cas, on peut comparer ce qui se passe en phase gazeuse par rapport à une surface de palladium (111) et on constate de fortes similarités entre le schéma réactionnel observé sur une surface et dans un agrégat (ici Pd+ 6 ). En conclusion de ce paragraphe, on peut dire que les études de catalyse en phase gazeuse se sont bien développées ces dernières années. Elles permettent une compréhension fine des processus en jeu via une comparaison avec les calculs théoriques ab initio de type DFT. Ces études sont faites sur des agrégats de quelques atomes et les effets observés changent de façon importante d’une taille à l’autre. On est dans le domaine où « chaque atome compte » et la réaction chimique est une sorte d’amplificateur des différences de propriétés électroniques qui existent entre deux tailles successives.

332

Les agrégats

Fig. 8.4 – (a) Distribution de masse des ions après un temps de réaction de 0.1 s obtenue sur un agrégat trié en masse Pd+ 4 , (b) cinétique (symbole ouvert, la couleur correspond à l’espèce de la distribution de masse) obtenue de la réaction de Pd+ 4 avec un mélange 11 :1 O2 /CO à température ambiante (p(O2 ) = 0.100 Pa, p(CO) = 0.009 Pa). La ligne en pointillée donne la production de CO2 à partir d’un mécanisme dont les détails sont donnés dans la référence [Lang et al. (2015)] (modèle de Hinshelwood-Lindemann associée à la théorie RKKM), (c) mécanisme réactionnel proposé déduit de ces courbes (d’après la figure originale de la référence [Lang et al. (2015)]). Reprinted by permission from Americal Chemical Society, ACS Catalysis, COPYRIGHT 2015.

Fig. 8.5 – Comparaison entre le mécanisme réactionnel de l’oxydation de CO sur une surface de Pd(111) et celui déduit de l’analyse de la réactivité de Pd+ 6 (d’après la figure originale de la référence [Lang et al. (2015)]). Reprinted by permission from Americal Chemical Society, ACS Catalysis, COPYRIGHT 2015.

8. Catalyse hétérogène

8.3 8.3.1

333

Catalyse hétérogène Définition

Un catalyseur (mot introduit par Berzélius en 1835) est une substance qui modifie le taux de réaction sans être modifié lui-même dans le processus complet. La capacité des métaux de transition àccepter des électrons venant des molécules extérieures (du fait de leurs bandes d incomplètes) en font les candidats naturels pour la catalyse (voir figure 8.6). Les molécules sont adsorbées sur la surface de l’agrégat (généralement par une liaison faible), ceci facilite le taux de réactions par différents facteurs :

Fig. 8.6 – Éléments du tableau périodique utilisés comme catalyseurs. L’or est un matériau dont l’activité a été mise en évidence dans les années 90 sous forme d’agrégats. - Un facteur stérique, les molécules adsorbées sont de fait en grande concentration, facilitant le taux réactionnel qui dépend de la fréquence de collisions. - Un abaissement de la barrière énergétique : les liaisons qui se forment sur le catalyseur peuvent diminuer la densité d’électrons provenant des molécules de liaisons internes (transfert vers les états d du métal de transition), ce qui peut dans certains cas affaiblir la barrière énergétique de la réaction. - Les réactifs peuvent être adsorbés sur la surface métallique dans la bonne orientation pour que la réaction se produise. - L’adsorption doit être suffisamment faible pour permettre une désorption permettant à d’autres molécules d’interagir. Si cette adsorption est trop forte, on parlera de catalyseur empoisonné. - Le spin (ferromagnétisme et antiferromagnétisme) joue également un rôle [Falicov et Somorjai (1985)]. - La rugosité de surface (pour les surfaces non denses) [Falicov et Somorjai (1985)].

Les agrégats

334

Les métaux de transition utilisés en catalyse (Pt, Pd, Rh, Ir . . . ) sont coûteux. Comme nous le verrons par la suite, les agrégats permettent de réduire considérablement la quantité de matière, leur utilisation dans l’industrie a été initiée par la catalyse depuis de nombreuses décennies. Plus récemment, avec les travaux d’Haruta [Haruta (1997)] et de Hutchings (pour une revue [Hutchings (2005)]), les catalyseurs ont été étendus aux métaux nobles, beaucoup moins coûteux. L’objectif est d’une part, d’augmenter l’efficacité de la réaction et d’autre part, la sélectivité lorsqu’il y a compétition entre plusieurs mécanismes réactionnels dont certains produits formés sont jugés indésirables. Cette augmentation de la sélectivité passe par l’utilisation d’une « ingénierie » de la structure électronique du catalyseur et nécessite généralement l’utilisation de plusieurs métaux au sein du catalyseur.

8.3.2

Problématique

Une réaction chimique (figure 8.7) a deux aspects : l’un thermodynamique, l’autre cinétique. L’aspect thermodynamique est facile à traiter car il considère un état initial (les produits avant transformation) et un état final (les produits de la réaction). Ceci se résume au calcul de la barrière dans le cas d’une réaction endothermique ou de l’énergie fournie pour une réaction exothermique.

Fig. 8.7 – Principe de la catalyse hétérogène. Les atomes ou molécules A (bleu, gros diamètre) et B (rouge, petit diamètre) arrivent au voisinage de la surface du catalyseur. Le schéma représente le cas où A est adsorbé. La réaction de formation du complexe AB a lieu sur la surface avec un réarrangement des électrons au sein du complexe). Le complexe est désorbé de la surface et retourne en phase gazeuse, la réaction de formation coûte moins chère en énergie (voir le bilan sur les barrières énergétiques à franchir) que la réaction directe en phase gazeuse non catalysée. (Source : http://spaceflight.esa.int/impress/text/education/Catalysis/index.html.)

8. Catalyse hétérogène

335

La présence d’un catalyseur décompose le processus en plusieurs étapes, chaque étape pouvant être caractérisée par un état thermodynamique. L’aspect cinétique est beaucoup plus délicat car le mécanisme est non décrit a priori et nécessite en théorie d’explorer la totalité de l’espace des phases, ce qui est impossible à réaliser. Le catalyseur modifie les barrières mais également les chemins réactionnels et donc a une action prépondérante sur la cinétique.

8.3.3

Principe d’une mesure en laboratoire

Le principe de base de la mesure consiste à calculer le nombre de collisions se produisant entre deux espèces par unité de temps et de volume et comparer au nombre de molécules transformées. La réaction a lieu dans un réacteur où l’on met en présence le catalyseur et les molécules de base à une pression connue. Plusieurs modes de fonctionnement sont possibles : pression statique de gaz où l’on mesure la diminution des espèces initiales au cours du temps au profit de l’espèce finale dans un réacteur fermé (i.e. pas de flux de gaz), pression constante de gaz où l’on remplace les espèces initiales consommées au cours du temps dans un réacteur ouvert (i.e. sous flux de gaz). On peut également pulser le gaz pour avoir des informations sur la cinétique réactionnelle. Généralement la pression de gaz est mesurée par un spectromètre de masse (analyseur de pression partielle). On peut utiliser toutes les méthodes d’analyses disponibles (spectroscopie infra rouge, luminescence. . . ). Pour la mesure de la réactivité on peut considérer 3 types : - (a) La probabilité de réaction d’une espèce donnée qui est la probabilité qu’une molécule qui arrive sur la surface du catalyseur soit transformée. Cette mesure est facile sur une surface monocristalline d’un catalyseur modèle mais plus compliquée sur un catalyseur réel. - (b) La vitesse de réaction qui est le nombre de molécules de produit obtenues par seconde qui peut être rapporté à un atome de surface de catalyseur ou à un gramme de catalyseur. - (c) Le nombre de rotation (turnover number : TON, ou turnover frequency : TOF) qui est le nombre de molécules produites par seconde et par site actif de catalyseur (généralement on prend tous les atomes de surface) à l’état stationnaire. Cette mesure est celle généralement utilisée en catalyse réelle (milieu industriel) mais elle nécessite une très bonne caractérisation structurale du catalyseur. Pour des catalyseurs supportés, il n’est pas toujours facile de relier ces trois mesures entre elles. D’une manière générale, ces trois mesures dépendent de la pression totale (et des pressions partielles des gaz réactifs).

Les agrégats

336

8.4

La loi en 1/R : une spécificité dans les catalyseurs

L’activité d’un catalyseur est quantifiée par le taux de production par unité de temps de la molécule C formée par réaction (catalysée) des molécules A et B (voir figure 8.7). La réaction ayant lieu à l’interface entre le solide et la phase gazeuse, la notion de surface sur volume prend ici tout son sens. En admettant qu’il n’y ait aucun effet de taille proprement dit (c’est-à-dire que les atomes de surface aient la même activité quel que soit le type de facette ou de coordination et qu’il n’y ait pas de variation de la structure électronique de l’agrégat en fonction de la taille), l’efficacité d’un catalyseur dépend en 1/R, dans la mesure où les réactions sont normalisées en quantité de matière équivalente. Ici la dépendance en 1/R n’est pas un effet de taille mais un simple effet de « renormalisation ». Ceci explique pourquoi l’industrie s’est emparée des agrégats de métaux catalytiques bien avant que l’on ait eu conscience que des effets de taille pouvaient se produire. Cependant cette approche sousentend que l’on utilise la mesure de vitesse de réaction en se référant à 1g de catalyseur, ce qui n’est pas toujours le cas dans la littérature. De plus en plus (même en catalyse industrielle), on tend à mesurer le TON (ou TOF). Dans ce cas on peut directement observer la présence d’un réel effet de taille puisque dans ce cas on normalise par rapport au nombre d’atomes de surface.

8.5 8.5.1

Effet géométrique Coordination dans la phase massive

La corrélation entre l’activité catalytique (taux réactionnel) et la coordination des atomes de surface dans une orientation donnée a été proposée (théoriquement) par Falicov et Sommorjai en 1985 [Falicov et Somorjai (1985)] et expérimentalement par Spencer, Schoonmaker et Somorjai en 1982 [Spencer et al. (1982)]. Le choix de cliver une surface suivant une orientation précise permet de faire varier la coordination Z des atomes. Ces études historiques ont été facilitées par le degré de complexité structurale moindre en accord avec la figure 8.1. La figure 8.8 montre l’influence de la nature du métal et de la coordination sur la synthèse de l’ammoniaque NH3 par le procédé Haber - Bosch (N2 + 3H2  2NH3 (ΔH = −92.4 kJ mol−1 )). Le tableau 8.1 indique pour le nickel la relation entre la coordination Z et le taux d’occupation moyen de la bande d. La modification du taux d’occupation de la bande d explique que l’activité catalytique dépend de la coordination.

8.5.2

Coordination dans les agrégats de grande taille

On s’intéresse ici aux cas des agrégats de grande taille où l’on peut définir des facettes (on raisonne sur les formes d’équilibre données par le polyèdre de Wulff, voir chapitre 2). L’effet géométrique concerne la coordination des atomes

8. Catalyse hétérogène

337

Fig. 8.8 – Activité catalytique (taux réactionnel) pour différentes surfaces (fer et rhénium) pour la synthèse de l’ammoniaque. On remarquera que certaines surfaces sont inactives, d’autres très actives. Compte tenu de la symétrie du réseau cristallin, ces surfaces ne sont pas toujours planes (on parle de rugosité). Dans le cas du fer α cubique centré, les faces (dites planes) denses de haute coordination sont les faces (110) puis (100) et (111). Le rhénium est hexagonal compact d’où l’utilisation de quatre indices de Miller (voir cours de cristallographie). La rugosité peut apparaitre avec le problème des marches décrites par des surfaces ayant des très grands indices de Miller (figure du haut) (d’après les figures originales de [Falicov et Somorjai (1985)]. Copyright National Academy of Sciences 1985).

Tab. 8.1 – Configuration de l’état d moyen en fonction de Z pour le nickel, d’après les calculs théoriques de la référence [Falicov et Somorjai (1985)]. La coordination Z s’obtient sur des surfaces à marches dans différentes orientations cristallographiques.

atome solide atome de surface atome de surface surface (111) atome de surface

Z 12 11 10 9 7

dn d8 (T=0K) d9.44 d9.48 d9.55 d9.62 d9.75

en surface qui peuvent se décomposer en trois grandes familles : les atomes de face, dont la coordination est celle d’une surface d’un cristal infini (pour la face considérée), les atomes de l’arête et les atomes de coins. Le rapport entre ceux-ci dépend d’une part de la taille, d’autre part de la géométrie de l’agrégat. Le chapitre 3 donne les coordinations pour plusieurs tailles et structures des

338

Les agrégats

Fig. 8.9 – (a) Consommation d’H2 en fonction de la taille moyenne (diamètre) des agrégats de palladium (pour la même quantité de matière), (b) rapport de population entre atomes de faces et d’arêtes, (c) courbe décrite dans (a) normalisée par site actif [Wilson et al. (2006)]. Reprinted by permission from Americal Chemical Society, Journal of the American Chemical Society, COPYRIGHT 2006.

agrégats. Lorsque la taille décroit, la coordination moyenne décroit car les atomes de coins (les plus faiblement coordonnés, leurs nombres sont constants pour une structure d’équilibre donnée) et les atomes d’arêtes voient leurs contributions augmenter par rapport aux atomes d’une face, ceux-ci étant identiques à la surface d’un monocristal. La figure 8.9 montre une réaction d’hydrogénation d’un alcène (c’est une réaction chimique qui consiste en l’addition d’une molécule de dihydrogène (H2 ) à un alcène). Le paramètre pertinent est la consommation d’hydrogène en fonction du temps. Le catalyseur est un agrégat de palladium dont on fait varier la taille moyenne. La figure (a) montre la consommation d’hydrogène pour différentes tailles, la quantité de matière étant constante. Cela veut dire que, au fur et à mesure que la taille de l’agrégat croit, la densité d’agrégats décroit. La figure (b) représente le rapport de population des atomes de faces et d’arêtes. Une lecture de cette courbe indique que l’efficacité réactionnelle augmente avec la taille. Pour lever toute ambiguïté, la courbe (a) est tracée en normalisant le taux d’H2 consommé par site « actif » (figure c). Cette procédure permet de séparer, l’effet de la coordination (faces, arêtes, coins) et l’effet de taille. Pour les atomes de face, il n’y a pas d’évolution donc pas d’effet de taille au-dessus de 1.5 nm. Cependant, on voit clairement que l’efficacité augmente pour les atomes d’arêtes, il s’agit d’un effet de taille (de même pour les atomes de faces dans les agrégats de diamètres inférieurs à 1.5 nm). Sans ambiguïté, l’efficacité augmente avec la taille des agrégats pour ce type de réaction.

8. Catalyse hétérogène

339

Fig. 8.10 – Energie d’adsorption calculée pour différentes coordinations des agrégats entre 13 et 1415 atomes dans une configuration cuboctaèdre à faces triangulaires (celle-ci n’est pas la plus stable mais possède la même série de nombres magiques que l’icosaèdre, voir chapitre 2). Les traits pleins correspondent aux surfaces massives, les traits pointillés aux surfaces massives mesurées expérimentalement. En bas, contours isoélectroniques donnant la densité électronique résultante ρagregat+CO − ρagregat − ρCO comparée à la phase massive (orientation (111)). Les courbes iso-électroniques ont un pas de 0.001e/Å3 , d’après [Li et al. (2013)]. On remarquera que les contours isoélectroniques sont identiques entre la surface infinie (111) et l’agrégat de 561 atomes. Reprinted by permission from Americal Chemical Society, Journal of Physical Chemistry Letters, COPYRIGHT 2013.

On peut étudier l’efficacité d’une réaction dans le formalisme de la DFT sur des agrégats modèles correspondant à un modèle en couches géométriques (nombres magiques). La figure 8.10 montre l’efficacité d’adsorption de CO (réaction fondamentale pour l’oxydation de CO) calculée pour des agrégats de platine entre 13 et 1415 atomes [Li et al. (2013)]. Cette efficacité se traduit par l’énergie d’adsorption (voir figure 8.7). On remarque, comme dans l’expérience précédente, que la coordination joue un rôle et que l’effet de taille lié à un changement de structure électronique apparait pour des tailles inférieures à 147 atomes, soit environ 1.5 nm. Bien que ce calcul ne soit fait que pour des cuboctaèdres avec des couches atomiques complètes et sans relaxation, cette transition au-dessous de 147 atomes est bien observée expérimentalement [Sitja et al. (2013)] sur

Les agrégats

340

Fig. 8.11 – Évolution de l’énergie d’adsorption de CO en fonction de la taille des agrégats de palladium observée expérimentalement. On remarquera la même tendance que les prévisions théoriques pour des agrégats de platine données dans la figure précédente dans le domaine de taille dit « moléculaire » de 10 à 140 atomes, d’après [Sitja et al. (2013)]. Reprinted by permission from Americal Chemical Society, Nanoletters, COPYRIGHT 2013.

des réseaux réguliers d’agrégats de Pd (de 5 à quelques milliers d’atomes) très peu dispersés en taille pour lesquels on a mesuré l’énergie d’adsorption par une technique de jet moléculaire pulsé (sous ultravide) : la transition entre le comportement « moléculaire » (= non scalable regime) et le comportement « solide massif » (= scalable regime) apparait aux environs de 150-200 atomes (figure 8.11). En fait, pour l’expérience de la figure 8.11 le calcul théorique de Li collaborateurs [Li et al. (2013)] explique seulement l’augmentation de l’énergie d’adsorption quand la taille diminue de 140 atomes à 10 environ. L’augmentation au-delà de la taille de 140 atomes est attribuée au couplage entre l’agrégat et son support (effet de polarisation et contraction du réseau du support [Sitja et al. (2013)]).

8.6 8.6.1

Effet du substrat Gros agrégats

On s’intéresse au cas des agrégats dont le diamètre est supérieur à 2 nm, qui semble être une taille critique (voir au-dessus). Dans la pratique, les catalyseurs sont supportés sur des substrats inertes chimiquement et thermiquement

8. Catalyse hétérogène

341

Fig. 8.12 – Agrégats d’or préparés en phase gazeuse (pas de ligand) et déposés sur différents substrats (poudre de Al2 O3 , ZrO2 et TiO2 ). Le taux de conversion normalisé de CO (oxydation de CO) est donné en fonction de la température. La meilleure efficacité est obtenue pour le support présentant la température la plus basse (ici TiO2 d’après la référence [Arrii et al. (2004)]). Reprinted by permission from Americal Chemical Society, Journal of American Chemical Society, COPYRIGHT 2004.

(généralement des oxydes). La population de l’état d joue un rôle primordial. Lorsque des agrégats de très grandes tailles sont supportés, le transfert d’électrons entre agrégats et support ne joue aucun rôle. Ce n’est pas le cas lorsque la déplétion ou l’excès de charge dans l’agrégat en interaction avec un substrat va modifier sa structure électronique donc l’efficacité d’une réaction. Ceci est illustré figure 8.12 où des agrégats d’or de 3 nm de diamètre moyen sont déposés sur différents substrats γ-Al2 O3 , ZrO2 et TiO2 [Arrii et al. (2004)].

8.6.2

Petits agrégats

Pour étudier en détail le mécanisme de transfert entre l’agrégat et le support, Brunne et collaborateurs [Bonanni et al. (2012)] ont déposé des agrégats sélectionnés en taille Pd7 sur la même substrat (TiO2 ) préparé avec deux stœchiométries. L’un est stœchiométrique de formulation TiO2 , l’autre possède des lacunes d’oxygène TiOx x < 2. Pour étudier la cinétique, on utilise deux faisceaux pulsés, l’un de CO suivi après un délai de quelques secondes par un faisceau d’O2 . À 300 K il n’y a aucune activité car le catalyseur est empoisonné par CO empêchant toute interaction du platine avec le dioxygène O2 nécessaire pour dissocier celuici. À haute température, le processus peut s’amorcer. La réaction optimale est donnée à une certaine température et un certain délai entre l’adsorption préliminaire de CO suivie de la disssociation du dioxygène sur

Les agrégats

342

Fig. 8.13 – Taux de conversion en CO2 par des agrégats de Pt sur une surface déficitaire en oxygène mais pas trop éloignée de la stœchiométrique TiO2 (en bleu à gauche) (« Low Reduction » noté LR) et une surface TiOx (« High reduction » noté HR)(en gris à droite) comprenant des lacunes de dioxygène et des ions Ti3+ interstitiels. La surface agit comme un « getter » et pompe tout le dioxygène de la réaction en raison de la migration des ions Ti3+ avides de dioxygène. Les courbes rouges (les plus foncés, matérialisée par un carré noir) et oranges (les plus claires, matérialisée par un carré blanc) représentent les signaux respectivement en phase avec le pulse de CO et le pulse d’O2 (d’après les figures originales de la référence [Bonanni et al. (2012)]). Reprinted by permission from Americal Chemical Society, Journal of American Chemical Society, COPYRIGHT 2012. l’agrégat nécessaire à la formation de CO2 . Ceci est illustré dans la figure 8.13 où l’on voit un maximum autour d’une température de 520 K. Le signal de CO2 enregistré en phase avec le pulse de CO est donné par la figure en rouge, le signal en phase avec le pulse de O2 par la courbe en orange. Le phénomène remarquable est le gel de l’activité catalytique en présence des ions Ti3+ dans le substrat sous-stœchiométrique. Ces ions, mobiles à la température considérée (T > 400 K), vont migrer à la surface et réagir avec O2 pour former des composés TiOx . Ceci est un exemple où la présence des défauts dans le substrat peut provoquer la suppression de l’activité catalytique.

8.7

Effet de taille

L’effet de taille (appelé effet de structure électronique) apparait de façon implicite dans les figures 8.9 et 8.10 en dessous d’une taille de 1.5 nm où l’activité catalytique n’est plus constante. Pour les petits agrégats, Xu et collaborateurs [Xu et al. (1994)] ont observé dès 1994 un effet important pour les agrégats IrN et PtN . Les agrégats étant déposés sur un substrat, l’effet de taille est encore

8. Catalyse hétérogène

343

plus sensible à la nature du substrat. Ceci est illustré dans le tableau 8.2 pour une réaction d’hydrogénation du toluène. Tab. 8.2 – Activité relative TOF (turnover frequency) (10−3 s−1 ) pour une réaction d’hydrogénation du toluène pour deux tailles Ir4 et Ir6 en fonction du support [Xu et al. (1994)]

TOF TOF

Ir4 /γ − Al2 O3 0.94

Ir4 /MgO 0.63 Ir6 /MgO 0.23

Ir4 /NaY zeolite 0.52 Ir6 /NaY zeolite 0.25

Fig. 8.14 – Intégration du taux de CO2 produit dans des cycles de température programmés (TPR pour « temperature-programmed reaction ») en fonction de la taille de l’agrégat de palladium déposé sur alumine crûe sur un substrat de rhénium [0001]. Les niveaux de cœur de l’état 3d5/2 sont donnés en comparaison. En raison de la dispersion des résultats obtenus sur chaque cycle (le catalyseur ne retrouve pas exactement sa forme initiale), la comparaison se fait sur la valeur moyenne en trait plein. Pour distinguer la formation de CO2 issu du gaz résiduel, on utilise la procédure standard à savoir du CO isotopiquement pur 13 C16 O et de l’oxygène 18 O (d’après la figure originale de la référence [Kane et al. (2014)]). Reprinted by permission from Elsevier, International Journal of Mass Spectrometry, COPYRIGHT 2014. De nombreuses expériences (une revue exhaustive est donnée dans la référence [Kane et al. (2014)]) ont montré la forte dépendance de l’activité en fonction de la taille. Un exemple en est donné sur l’oxydation de CO (CO + 1/2O2 → CO2 ) par des agrégats sélectionnés en taille [Kane et al. (2014)] de PdN (1 < N < 30) déposés sur de l’alumine crûe sur un monocristal de Re [0001] (figure 8.14). La corrélation entre l’énergie de liaison de l’électron

344

Les agrégats

Fig. 8.15 – Activités catalytiques du platine (oxydation de CO) déposé sur Fe2 O3 en fonction de la taille (diamètre) déduite de la microscopie électronique. Les conditions de réaction sont 0.5 % de CO et 10 % de O2 (d’après la figure originale de la référence [An et al. (2013)]). Reprinted by permission from American Chemical Society, The Journal of Physical Chemistry C, COPYRIGHT 2013. 3d5/2 mesurée par photoémission X et l’activité illustre bien l’effet « électronique ». Un effet de taille est également observé pour l’oxydation de CO sur des agrégats de platine sélectionnés en taille puis déposés sur un substrat de MgO(100) [Heiz et al. (1999)]. Dans certains cas, l’activité catalytique peut être nulle pour un agrégat, c’est le cas de Pd4 qui ne catalyse pas (il s’agit ici d’une réaction électrocatalytique) la réaction d’oxydation de l’eau, contrairement à Pd6 et Pd17 [Kwon et al. (2013)]. Un autre exemple d’effet de taille concerne l’oxydation de CO par des agrégats de platine déposés sur un support Fe2 O3 . On voit que dans les conditions expérimentales données, l’optimum de taille est de l’ordre de 1.9 ± 0.2 nm (figure 8.15). La mesure de la population « d » des agrégats déduite de l’analyse de la résonance blanche au seuil L3 du platine en XANES montre que l’hybridation (sp)-d dépend de la taille (on se rapproche de l’hybridation de l’atome pour les faibles tailles). Comme nous l’avons indiqué, il y a une corrélation entre l’occupation de la bande « d » et le processus de catalyse, sans toutefois être une corrélation linéaire. Cependant, l’effet de taille proprement dit est difficile à interpréter en raison de la largeur non négligeable de la distribution de taille des agrégats incidents.

8. Catalyse hétérogène

8.8

345

Activité et sélectivité

Dans l’industrie chimique, l’efficacité d’un catalyseur n’est pas le seul paramètre pertinent. Dans certains cas, plusieurs chemins réactionnels sont possibles, pouvant donner lieu à la formation du produit désiré et d’autres produits jugés indésirables. Dans ce cas, il faudra de nouveau séparer la partie utile des produits indésirables, ce qui est coûteux en énergie. Prenons l’exemple simple d’une réaction très importante en chimie : la déshydrogénation d’un alcane (processus consistant à enlever de l’hydrogène dans la molécule). Une des réactions majeures est la formation de propylène C3 H6 à partir du propane C3 H8 . Le procédé classique, consistant à craquer la molécule, est un procédé endothermique donc coûteux en énergie. La déshydrogénation oxydante (ODH en anglais) est un processus exothermique nécessitant d’être catalysé, mais qui a le défaut d’augmenter le nombre de chemins réactionnels (figure 8.16).

Fig. 8.16 – Chemins réactionnels possibles lors de la déshydrogénation oxydante du propane en vue de former du propylène. Toutes les autres voies tendent à diminuer la proportion de propylène. Le catalyseur idéal ne fournirait que la réaction encadrée, dans ce cas ce catalyseur serait considéré comme totalement sélectif.

Vajda et collaborateurs [Vajda et al. (2009)] ont étudié l’efficacité et la sélectivité d’agrégats de platine Pt8−10 sur la formation du propylène à partir du propane (figure 8.17). Les agrégats de platine sont déposés sur un substrat de structure particulière (membrane d’Al2 O3 poreuse) avec ou sans oxyde d’étain SnO (voir figure 8.17). On voit clairement que l’efficacité (activité) et la sélectivité sont bien meilleures pour Pt8−10 , que ce soit sur un catalyseur de platine massique ou bien un catalyseur d’oxyde de vanadium. Encore une fois, la sélectivité dépend de la nature du substrat et de la température à laquelle la réaction est catalysée. La figure 8.18 montre le schéma réactionnel de la

Les agrégats

346

Fig. 8.17 – (En haut) Schéma montrant la structure du substrat d’Al2 O3 poreux (noté AAO) avec et sans SnO. La structure de Pt8 sur Al2 O3 sans SnO est déduite de calculs DFT. (En bas) Sélectivité et efficacité de la réaction de déshydrogénation en fonction de plusieurs paramètres : nature du substrat, nature du catalyseur, température de la réaction, densité de surface. On voit clairement que Pt8−10 est un bon candidat pour cette réaction comparé au catalyseur standard à base de VOx . La notation V/nm2 indique une densité de surface, à savoir le nombre d’atomes V par nm2 (d’après les figures originales de la référence [Vajda et al. (2009)]). Reprinted by permission from Springer Nature, Nature Materials, COPYRIGHT 2009.

formation du propylène, avec globalement une réaction exothermique associée à une barrière de 0.95 eV calculée dans un formalisme de la DFT [Vajda et al. (2009)].

8.9

Morphologie des agrégats : aspect dynamique

Les études précédentes montrent que pour les gros agrégats, la coordination est le paramètre important. En dessous d’une taille critique de 2 nm, des effets électroniques (les effets de taille) peuvent apparaitre. Cependant les prévisions théoriques sont difficiles à réaliser car la nature du substrat intervient, ce qui nécessite de calculer (ceci est particulièrement critique pour les calculs ab initio du type DFT) la structure et les propriétés électroniques du couple agrégat/substrat en plus des molécules qui doivent réagir. Tous ces calculs sont faits de façon statique et oublient la possibilité pour l’agrégat de changer de forme, voire de structure pendant la réaction (figure 8.18). Ce changement

8. Catalyse hétérogène

347

Fig. 8.18 – Chemin réactionnel et barrières énergétiques (exprimées en eV) associées dans la réaction de déshydrogénation du propane en vue de la formation du propylène calculées, par un formalisme DFT, d’après la figure originale de la référence [Vajda et al. (2009)]. Cependant, on doit noter que la réaction de catalyse est partielle : à la fin les deux atomes d’hydrogène se retrouvent liés à l’agrégat de platine et réagissent avec le dioxygène. La réaction sera totale lorsque le catalyseur reviendra à son état initial. Reprinted by permission from Springer Nature, Nature Materials, COPYRIGHT 2009. va jouer sur la coordination et plus largement sur l’évolution de la bande d. Formellement, cela nécessite de réaliser de la dynamique moléculaire sur des très gros systèmes dynamique, inacessibles, au niveau de la dynamique moléculaire quantique ab initio. Ceci reste une barrière majeure de compréhension du mécanisme réactionnel.

8.9.1

Dynamique sur la surface

Somorjai et collaborateurs [Tao et al. (2010)] ont étudié l’influence de l’adsorption de CO sur une surface de platine (557). Cette surface est caractérisée par des marches d’épaisseur de 2 monocouches de platine. Lorsque la pression de CO est très faible, on observe une évolution de la périodicité des marches suivie par une reconstruction totale en nanoclusters de platine à haute pression de CO (une monocouche de CO). Cette réorganisation minimise la répulsion des molécules de CO entre elles qui déstabilisent la surface [Tao et al. (2010)] (figure 8.19).

Les agrégats

348

Fig. 8.19 – Reconstruction de surface pendant l’adsorption de CO sur une surface platine observée par microscopie STM (image 40 × 50 nm). Les atomes en clair représentent la première monocouche, ceux foncés la seconde monocouche (d’après la figure de la référence [Dou et al. (2017)], les figures originales sont dans la référence [Tao et al. (2010)]). (A) Surface sous ultra vide, (B) surface avec une faible pression de CO, (C) surface avec 1 torr de CO. En dessous, modèle « ball and stick » de la surface sous ultra vide avec les marches et la même surface en présence de CO. Reprinted by permission from Royal Society of Chemistry (Great Britain), Royal Society of Chemistry, COPYRIGHT 2017.

8.9.2

Gros agrégats : approche thermodynamique

8.9.2.1

Modèle dérivé du polyèdre de Wulff

La forme d’équilibre est donnée par le polyèdre de Wulff qui fait intervenir l’énergie de surface. Toute adsorption de molécules sur la surface (étape 1 de la catalyse hétérogène) modifie l’énergie de surface et donc la forme d’équilibre. Une façon phénoménologique de traduire cette modification consiste à modifier l’énergie de surface γhkl [Zhu et al. (2016)] Eads ) (8.1) A ∗ où γhkl est la nouvelle énergie de surface, Eads est l’énergie d’adsorption, θ le taux de couverture et A l’unité de surface. La fonction θ dépend de la pression et de la température. Il est donc possible de tracer des isothermes (bares) donnant la structure d’équilibre en fonction de P et T pour différentes tailles et éléments. Le changement de structure affecte directement la coordination moyenne (figure 8.20). ∗ = γhkl − θ( γhkl

8. Catalyse hétérogène

349

Fig. 8.20 – Structures géométriques en fonction de la pression, de la température et de la taille pour des agrégats de cuivre et en fonction des éléments pour une taille de 8 nm dans le cas d’une pression de vapeur d’eau (d’après les figures originales de la référence [Zhu et al. (2016)]). Reprinted by permission from American Chemical Society, Nanoletters, COPYRIGHT 2016.

8.9.2.2

Modèle dérivé d’une approche atomistique

Dans le calcul de la forme d’équilibre (sous vide ou en présence d’adsorbat), le modèle de Wulff n’est strictement applicable que pour un cristal massif. Pour des petits agrégats, on doit tenir compte de l’énergie des arêtes, ce qui n’est pas facile. Un autre problème est qu’en appliquant une forme de Wulff, on ne considère que des tailles magiques d’agrégats (couches atomiques pleines) ce qui est loin d’être le cas en réalité. À l’aide d’un modèle atomistique autocohérent, Rahm et Ehrart [Rahm et Erhart (2017)] ont calculé la stabilité de gros agrégats pour toutes les tailles, y comprises celles qui ne correspondent pas aux nombres magiques. La figure 8.21 montre l’excès de stabilité pour les nombres magiques et les sous-couches de remplissage. C’est le même formalisme adopté dans le chapitre consacré aux nombres magiques. Le point de départ est de définir l’énergie de cohésion sous forme polynomiale

Les agrégats

350

Fig. 8.21 – Énergie d’un icosaèdre incomplet avec comme référence un icosaèdre parfait (nombre magique). Plus l’énergie est élevée, moins l’agrégat est stable. Les atomes coloriés en orange (en clair) correspondent à des faces (111) complètes, les atomes en rouge (en foncé) à des arêtes complètes, d’après [Rahm et Erhart (2017)]). Reprinted by permission from American Chemical Society, Nanoletters, COPYRIGHT 2017.

Ecoh(N ) = aN + bN 2/3 + cN 1/3 + d

(8.2)

la difficulté est de déterminer les coefficients a, b, c et d (cf. chapitre 2).

8.9.3

Petits agrégats

Les progrès de la microscopie électronique à transmission en haute résolution sous atmosphère réactive ont permis de montrer l’évolution in situ de la forme d’un agrégat pendant la réaction (figure 8.22). La figure 8.23 illustre deux exemples. Dans le cas d’un agrégat d’or [Giorgio et al. (2006)], la présence d’hydrogène participe au facettage de celui-ci lorsque la particule de départ a une forme relativement sphérique loin de son polyèdre d’équilibre. L’ajout d’oxygène va au contraire faire disparaitre les facettes. Le système est réversible puisque l’ajout d’hydrogène va recréer le facettage. Il s’agit bien d’une évolution de la forme de l’agrégat pendant la réaction. Ce phénomène n’est pas réservé aux agrégats de métaux de transition. Dans le cas des agrégats de cuivre de structure cfc, on peut observer une modification du rapport des surfaces (100), (110) et (111) en présence de vapeur d’eau et d’hydrogène [Hansen et al. (2002)]. Il est à noter que la plupart des calculs prédictifs sur les schémas réactionnels ne prennent pas en compte la dynamique du changement de forme de l’agrégat pendant la réaction. Seule la dynamique moléculaire pourrait apporter des informations sur ce sujet.

8. Catalyse hétérogène

351

Fig. 8.22 – À gauche : photo du premier prototype de microscope environnemental (Sydney ESEM prototype, Gerry Danilatos 2008). À droite : principe de la microscopie environnementale. Le problème technologique est de pouvoir maintenir la colonne du microscope sous vide sachant que l’on envoie une pression de gaz formée par les produits qui doivent réagir. Pour cela, la zone où interagit les électrons et le substrat (catalyseur supporté) doit être la plus petite possible pour éviter toute diffusion qui provoquerait une perte du signal et la perte de la haute résolution. Dans le microscope illustré dans la figure, un système de pompage différentiel (noté gas-out) permet d’assurer un gradient de pression, celle-ci étant confinée au voisinage du catalyseur. Actuellement on s’oriente vers des cellules fermées munies de hublots très minces (Si3 N4 quelques dizaines de nanomètres) que le faisceau d’électrons peut traverser sans trop de pertes (d’après la figure originale de la référence [Jinschek et Helveg (2012)]). Reprinted by permission from Elsevier, Micron, COPYRIGHT 2012 (photo de gauche open access Creative Commons Attribution CC BY 3.0).

8.10

Nouveaux catalyseurs : l’or

Masatake Haruta a montré en 1997 [Haruta (1997)] que les agrégats d’or supportés catalysent l’oxydation par l’oxygène du monoxyde de carbone à basse température (T < 300 K). Graham J. Hutchings [Hutchings (2005)] a étudié la synthèse de H2 O2 à partir de H2 et O2 à l’aide de petits agrégats d’or. C’était la première fois que l’on observait une activité catalytique sur un matériau noble, l’or réputé inerte à toute réaction chimique standard.

8.10.1

Gros agrégats

Comme nous l’avons déjà illustré précédemment, l’or est utilisé pour l’oxydation de CO. Cependant les agrégats d’or ne présentent une activité catalytique qu’en présence d’un substrat ou bien lorsque les agrégats d’or ont un état de charge non nul (anion ou cation) (l’interaction avec un substrat provoque ce transfert de charge). La réactivité en fonction de la taille et du réactif montre

Les agrégats

352

Fig. 8.23 – (a) Évolution d’un agrégat de cuivre sous différentes atmosphères (T = 220 ◦ C) (A,B) 1.5 mbar d’H2 , (C,D) H2 + H2 O (rapport H2 /H2 O = 3/1), Ptotal = 1.5 mbar, (E,F) H2 + CO (rapport H2 /CO = 95/5) Ptotal = 5 mbar (d’après la référence [Hansen et al. (2002)]. (b) Évolution d’un agrégat d’or sous vide puis soumis à une pression de 2 mbars d’H2 . L’agrégat est ensuite soumis à une pression de 2 mbar d’O2 puis de nouveau une pression de 2 mbar d’H2 . On observe la réversibilité du système : facettage sous H2 , destruction du facettage sous O2 et retour au facettage sous H2 (d’après la référence [Giorgio et al. (2006)]). Ces deux expériences montrent l’aspect dynamique de la réaction de catalyse, celui-ci subissant des transformations morphologiques pendant la réaction. On parlera de réaction catalytique si celui-ci à la fin de la réaction retrouve sa forme originelle. Reprinted by permission from Elsevier, Ultramicroscopy, COPYRIGHT 2006.

que l’état de charge joue un rôle important [Cox et al. (1991); Atanasov (2014); Kimble et al. (2004); Hagen et al. (2002)]. L’effet de taille est très important comme le suggère les figures 8.24 et 8.25. L’activité catalytique cesse au-delà de 5 nm, ce qui montre l’importance des effets électroniques au détriment d’un simple problème de coordination. On peut supposer qu’il n’y a plus de transfert de charge significatif dans les gros agrégats.

8.10.2

Petits agrégats

L’activité catalytique (oxydation de CO) montre l’existence de nombres magiques [Arenz et al. (2006)] (figure 8.26).

8. Catalyse hétérogène

353

Fig. 8.24 – Oxydation de CO par des agrégats d’or. La reconstruction pendant l’adsorption de CO calculée dans un formalisme de DFT est montrée, la couleur bleue (généralement les arêtes) indique des sites de faible coordination, la couleur jaune (généralement les faces) des sites de haute coordination (d’après la figure originale de la référence [Taylor et al. (2015)]). Reprinted by permission from American Chemical Society, ACS Catalysis, COPYRIGHT 2015.

Fig. 8.25 – Oxydation de CO par des agrégats d’or en fonction de la taille et du support (d’après la figure originale de la référence [Taylor et al. (2015)]). Reprinted by permission from American Chemical Society, ACS Catalysis, COPYRIGHT 2015.

Pour les agrégats de taille inférieure à 1 nm un effet d’empoisonnement par CO est observé, provoquant l’effondrement de l’activité catalytique (figure 8.27). Ceci est dû à l’extrême dépendance en taille de la structure électronique de l’agrégat et de la présence de défauts dans le substrat. Dans le cas de Au6 déposé sur MgO (neutre ou chargé positivement en cas de lacune de Mg), l’interaction agrégat/O2 n’est pas suffisante pour retenir O2 sur la

Les agrégats

354

Fig. 8.26 – Oxydation de CO par des agrégats d’or en fonction de la taille. Le substrat est un film (100) de MgO avec beaucoup de défauts (d’après les figure originales de la référence [Landman et al. (2007)]) (la figure originale se trouve dans la référence [Arenz et al. (2006)]). Reprinted by permission from Springer Nature, Topics in Catalysis, COPYRIGHT 2007.

Fig. 8.27 – Empoisonnement d’un agrégat Au6 par CO en fonction de l’énergie d’adsorption de l’oxygène (d’après les figures originales de la référence [Stamatakis et al. (2012)]). Reprinted by permission from American Chemical Society, Nanoletters, COPYRIGHT 2012.

surface, la molécule CO s’adsorbe sur toute la surface et empoisonne l’or [Stamatakis et al. (2012)].

8.11

Conclusion

Il n’est pas possible de tirer un ensemble de règles concernant les effets de taille. Cependant, s’il n’est pas possible de prédire de façon explicite un effet

8. Catalyse hétérogène

355

de taille pour une réaction donnée, on peut espérer avoir trois contributions : - L’effet de taille en 1/R trivial dû à l’augmentation du rapport surface sur volume, les sites potentiellement actifs n’étant qu’à la surface. - Le changement de coordination qui est un effet géométrique. Celui-ci est responsable de la modification de la forme de la nanoparticule pendant la réaction. Le changement de coordination induit un changement de la structure électronique comme nous l’avons décrit dans le modèles TBSMA (voir chapitre 2). - Un effet de taille électronique (transfert de charges, promotion des électrons. . . ) dont le point d’orgue est l’utilisation des agrégats d’or supportés en catalyse. Dans ce cas, la nature du substrat joue un rôle et l’effet de taille est très prononcé avec l’apparition de nombres magiques. La population des états « d » est un des points clefs de la réaction en catalyse hétérogène. Celle-ci dépend de la taille, de la coordination et de la nature de l’interaction avec le substrat. Il reste difficile de comprendre une réaction en milieu « réel » (industriel) à partir des réactions modèles décrites dans ce chapitre. La catalyse hétérogène reste une discipline complexe dans laquelle le nombre de paramètres est souvent trop important pour prédire le mécanisme, ce qui justifie un consensus concernant les catalyseurs : « Often, we have no idea why they work » (« souvent on n’a aucune idée du fonctionnement »). Cependant les progrès dans la compréhension de la dynamique réactionnelle sur des agrégats non supportés, couplés aux progrès des ordinateurs pour la simulation ab initio doit permettre dans la prochaine décennie une meilleure compréhension de la catalyse.

Chapitre 9 Modèles ab initio 9.1

État fondamental

Dans cette annexe, nous nous intéressons aux différents modèles, notamment issus de la chimie quantique et de la théorie de la fonctionnelle de densité qui sont les outils modernes pour calculer les propriétés des agrégats. Le développement des outils informatiques permet de restreindre les hypothèses de calcul et d’atteindre la notion de calcul ab initio ou premier principe. Un calcul est qualifié de calcul ab initio s’il repose sur les lois physiques de base et est établi sans postulat additionnel ou modèle spécial. Nous allons voir que ce n’est pas souvent le cas. . . La physique des agrégats s’interprète largement dans le cadre de la mécanique quantique non relativiste. Dans le cas où la relativité joue un rôle (spin, orbitales relativistes, couplage spin orbite. . . ), le formalisme se fera dans le cadre de la théorie des perturbations en utilisant l’équation de Schrödinger.

9.2

Born Oppenheimer

L’approximation de Born Oppenheimer [Born et Oppenheimer (1927)] consiste à découpler la rotation des noyaux, la vibration des noyaux, et le mouvement des électrons en faisant remarquer que la masse de l’électron est très petite devant la masse des protons ou neutrons. Les constantes de temps du mouvement étant très différentes, on peut utiliser une hypothèse adiabatique, les électrons voient un noyau immobile. Celui-ci n’apparait pas explicitement dans la résolution de l’équation de Schrödinger qui est le produit de deux hamiltoniens, l’un nucléaire, l’autre électronique, totalement indépendants. On s’intéresse à la partie « électronique » décrivant le système d’électrons de la molécule : Hψ(ri , R) = Eψ(ri , R)

(9.1)

Dans l’hamiltonien il ne reste que les termes électroniques à calculer explicitement

Les agrégats

358 Helec = Te + V (ri , R)

(9.2)

avec r et R les coordonnées associées aux électrons et aux noyaux (immobiles), respectivement Helec = −

1 i

2

∇2i −

 ZA  1  ZA ZB + + riA i>j rij RAB i,A

et Tn = −

(9.3)

B>A

 A

1 ∇2 2MA A

(9.4)

Il n’en demeure pas moins que le calcul est irréaliste pour un gros système (un agrégat par exemple) dans la mesure où le potentiel d’interaction est une somme sur toutes les combinaisons possibles. L’approximation de Born Oppenheimer demande de calculer les termes de corrélation électrons/électrons nécessitant un hamiltonien multi-électronique.

9.3

Énergie de corrélation

Soit deux électrons A et B indépendants et ρA et ρB leur densité électronique respective, on a (9.5) ρ(rA , rB ) ∼ ρ(rA )ρ(rB ) où ρ(rA , rB ) est la probabilité de trouver l’électron A à la position rA et l’électron B à la position rB . Si les deux électrons sont corrélés, l’équation précédente est fausse car la probabilité de trouver l’électron A à une certaine position de l’espace dépend de la position de l’électron B, et inversement. Cet écart est appelé « corrélation ».

9.4

Hartree-Fock

Le but est d’une part de tenir compte du spin en ayant des fonctions d’ondes antisymétriques, d’autre part de raisonner sur un hamiltonien monoélectronique [Slater (1951)] simplifiant considérablement le système. Les fonctions d’ondes antisymétriques introduisent la notion exacte d’énergie d’échange (principe de Pauli). On résout les équations de façon autocohérente (figure 9.1) dite d’approximation monoélectronique où la fonction d’onde est une combinaison linéaire d’orbitales atomiques (orbitales dites de Slater). Une simplification supplémentaire consiste à donner l’approximation de ces dernières, analytiquement complexes, par une combinaison linéaire de fonctions de Gauss [Boys (1950)]. La méthode de Hartree-Fock est une approximation de champ moyen à particules indépendantes. Écrivons la fonction d’onde de Hartree-Fock sous forme d’une combinaison linéaire à partir du déterminant de Slater

9. Modèles ab initio

359

Fig. 9.1 – Organigramme du calcul autocohérent de Hartree-Fock.

ΨHF

  φ1 (ξ1 )  1  φ1 (ξ2 ) =√  . N !  .. φ1 (ξN )

φ2 (ξ1 ) φ2 (ξ2 ) .. .

... ... .. .

φ2 (ξN )

...

 φN (ξ1 )  φN (ξ2 )   ..  .  φN (ξN )

(9.6)

Les fonctions d’ondes dépendant du spin Φi (ξi ) sont les solutions d’un système d’équations différentielles couplées appelées équations de Hartree-Fock Fˆi φi (ξi ) = i φi (ξi )

(9.7)

où Fˆi est l’opérateur de Fock. Dans le cas des atomes et des molécules, l’opérateur de Fock a pour expression :  2 2 ˆj) ∇ξi + VˆeN (ξi ) + (Jˆj − K Fˆi = − 2m j

(9.8)

Le premier terme est l’énergie cinétique de l’électron i, VˆeN (ξi ) est le potentiel électrostatique entre l’électron i et les noyaux, Jˆj est le potentiel moyen ˆ j le terme d’échange lié à l’antisymétrie. créé par les autres électrons et K Encore une fois, il n’y a pas de terme de corrélation car c’est une théorie de champ moyen. Dans un système à N électrons, on peut écrire N/2

Fˆi = 2(



i )ΨHF

(9.9)

i=1

où i est l’énergie de l’orbitale de Hartree-Fock i appartenant à une orbitale spatiale doublement occupée par deux électrons de spins opposés.

Les agrégats

360

9.5 9.5.1

Modèles post Hartree-Fock Généralités

Il existe un grand nombre de méthodes dites post Hartree-Fock qui tiennent compte de la corrélation. Parmi elles on peut citer la méthode dite « interaction de configuration » dans laquelle on développe la fonction d’onde du système en une combinaison linéaire Ψ=

n 

SO ci ΦSO = c0 ΦSO i 0 + c1 Φ1 + ...

(9.10)

i=0

SO désigne « spin orbite ». Le premier terme est le terme de HartreeFock. Nous allons maintenant nous intéresser à la première méthode dite post Hartree-Fock développée par Møller et Plesset.

9.5.2

Møller-Plesset

Le gros défaut de la méthode de Hartree-Fock réside dans le fait que la partie monoélectronique ne contient pas de termes de corrélation (interaction électron/électron). La théorie de la perturbation de Møller-Plesset (MP) [Møller et Plesset (1934)] est une des nombreuses méthodes post Hartree-Fock ab initio en chimie quantique. Elle améliore la méthode de Hartree-Fock en y apportant les effets de corrélation électronique au moyen de la théorie de la perturbation de Rayleigh-Schrödinger (RS-PT) au deuxième (MP2), troisième (MP3) ou quatrième (MP4) ordre. ˆ Écrivons le nouvel hamiltonien H H = Hˆ0 + λVˆper

(9.11)

ˆ 0 est la partie non perturbée de l’hamiltonien supposé diagonalisé et Vpert H la perturbation. Comme dans toutes les théories de perturbation, le résultat sera d’autant plus exact que le terme λ sera petit. En développant en séries de Taylor en puissance de λ on peut écrire (c’est le même formalisme que l’on utilise dans la théorie de l’électron quasi libre)    ˆ 0 + λVˆper )( λi Ψin ) = ( λi Eni )( λi Ψin ) (9.12) (H i=0

i=0

i=0

Écrivons le développement au premier ordre en λ ˆ 0 + λVˆper )(Ψ0n + λΨ1n ) = (En0 + λEn1 )(Ψ0n + λΨ1n ) (H

(9.13)

sachant qu’à l’ordre zéro (Hˆ0 Ψ0n ) = (En0 Ψ0n )

(9.14)

Les termes du premier ordre sont ceux qui sont multipliés par λ ˆ 0 Ψ1n + Vˆper Ψ0n = En0 Ψ1n + En1 Ψ0n H

(9.15)

9. Modèles ab initio

361

On a simplement En1 = Ψ0n |Vper |Ψ0n 

(9.16)

La perturbation ne fait que décaler l’énergie du système non perturbé d’une valeur En1 . Il faut donc poursuivre le développement en écrivant la fonction d’onde perturbée au premier ordre. Celle-ci est une combinaison linéaire de la fonction d’onde non perturbée |Ψ1n  = Il vient |Ψ1n  =

 m

am |Ψom 

 Ψo |V |Ψo  m n |Ψom  0 En0 − Em

(9.17)

(9.18)

m=n

Le terme correctif au deuxième ordre pour l’énergie fait intervenir la perturbation  |Ψo |V |Ψo |2 m n (9.19) En2 = 0 En0 − Em m=n

Nous allons maintenant supposer que l’état non perturbé est donné par l’énergie correpondant à l’hamiltonien de Fock (Ψ0 = ΨHF ), soit Fˆ l’opérateur de Fock (voir 9.8) ˆ − Fˆ − ΨHF |H − F |ΨHF  Vˆ = H

(9.20)

On peut donc définir un décalage sur l’opérateur de Fock dû à la perturˆ0 bation, sachant qu’à l’ordre zéro on aura un nouvel opérateur de Fock H ˆ HF ΨHF = ΨHF |H|ΨHF ΨHF = E HF ΨHF H

(9.21)

On peut donc définir l’énergie propre de Møller-Plesset à l’ordre 0 E = EM P 0 = E HF

(9.22)

De même que l’énergie de Møller-Plesset à l’ordre 1 qui est nulle (la perturbation n’intervient pas à l’ordre 1) E = E M P 0 + EM P 1

(9.23)

EM P 1 = 0

(9.24)

E = EM P 0 + EM P 1 + EM P 2 = E HF + EM P 2

(9.25)

et l’énergie à l’ordre 2

Les agrégats

362

EM P 2 fait intervenir les déterminants de Slater dans une base d’états doublement excités (il n’y a pas de contribution des états simplement excités) et qui peut s’écrire dans le cas simple d’un système à deux électrons  −1 ϕi (1)ϕj (2)|r12 |ϕa (1)ϕb (2) EM P 2 = i,j,a,b −1 −1 2ϕa (1)ϕb (2)|r12 |ϕi (1)ϕj (2) − ϕa (1)ϕb (2)|r12 |ϕj (1)ϕi (2) × εi + εj − εa − εb

(9.26)

où Ψi et Ψj sont les orbitales occupées et Ψa et Ψb des orbitales non occupées (virtuelles). Les énergies des orbitales correspondantes s’écrivent i , j , a et b , respectivement. On voit que l’on fait apparaitre des états virtuels non occupés directement reliés à l’existence de corrélation électronique. Les développements peuvent se faire à un ordre supérieur sans garantie de convergence donc de résultat plus précis. La méthode de Møller-Plesset souffre de deux défauts : d’une part, elle n’est pas variationnelle donc ne donne pas forcément l’état fondamental, d’autre part la contamination de spin (mélange artificiel de plusieurs états de spins électroniques qui provient du fait que les parties spatiales des fonctions d’ondes spin-orbite peuvent différer) peut induire des erreurs importantes. Pour éviter cette contamination, on peut utiliser une base restreinte en couches ouvertes de Hartree-Fock.

9.6 9.6.1

Théorie de la DFT Généralités

La méthode de Hartree-Fock permet de connaitre exactement l’énergie d’échange mais ne traite pas la corrélation. La théorie de la fonctionnelle de la densité a pour but de remplacer la fonction d’onde multiélectronique par la densité électronique en tant que quantité de base pour les calculs, et ce pour limiter les calculs sachant que pour N particules il y a 3N variables dans la fonction d’onde multiélectronique et seulement trois variables pour la densité ρ(r). La première formulation de la DFT dite « semi-classique » est celle proposée par Thomas-Fermi (voir chapitre sur la polarisabilité). D’un point de vue quantique, le formalisme a été étendu par Hohenberg, Kohn et Sham [Kohn et Sham (1965)]. Le principe consiste à considérer un système fictif de particules n’interagissant pas entre elles (donc pas de corrélation) qui auraient la même densité qu’un système de particules en interaction (par exemple celui correspondant à un système décrit par l’approximation de Born-Oppenheimer). On introduit donc un potentiel local fictif Vef f (r) appelé potentiel de KohnSham dans lequel les particules sans interaction se meuvent. La théorie de la DFT est exacte et permet de transformer un système multiélectronique en un hamiltonien monoélectronique. Cependant, le prix à payer n’est pas négligeable :

9. Modèles ab initio

363

- Les orbitales de Kohn-Sham et leurs énergies n’ont pas de sens physique. - La théorie n’a de sens qu’à l’état fondamental, elle ne peut pas traiter les états excités. Le calcul d’une bande interdite qui nécessite de connaitre le premier état excité (LUMO) est donc faux. Pour utiliser les résultats de la DFT dans les états excités, on introduit d’autres méthodes (TDDFT (Time Dependent DFT), RPA (Random Phase Approximation), GW (quasiparticle). . . ) (voir tome 2). - Il s’agit d’une fonctionnelle de densité, on ne peut pas séparer le terme d’échange et celui de corrélation, la séparation effective de ces deux termes dans le calcul introduit une source d’erreur. - L’expérience (tout du moins la comparaison avec les expériences) montre, par exemple, que dans sa version élémentaire dite LDA : - Les énergies de liaisons (cohésion) sont surestimées, alors que l’énergie Hartree-Fock les sous-estiment. - La géométrie est assez bien reproduite. - Les forces intermoléculaires sont faibles et les liaisons hydrogènes sont mal reproduites en raison de l’inhomogénéité de la densité électronique dans la partie liante de la liaison. - Les forces de dispersion ne sont pas prises en compte en raison d’effet de corrélation non locale non intégrée dans le modèle.

9.6.2

Théorèmes de Hohenberg et Kohn

9.6.2.1

Premier théorème

La densité électronique ρ(r) est la seule fonction nécessaire pour obtenir toutes les propriétés électroniques d’un système quelconque (à l’état fondamental). La fonction d’onde Kohn-Sham est un simple déterminant de Slater construit autour d’une combinaison d’orbitales de Kohn-Sham de la forme (−

2 2 ∇ + Veff (r))φi (r) = εi φi (r) 2m

(9.27)

la densité ρ(r) s’écrivant ρ(r) =

N 

|φi (r)|2

(9.28)

i

9.6.2.2

Second théorème

Il existe une fonctionnelle d’énergie E(ρ) qui est minimum pour la densité électronique quelconque ρ(r) correspondant à l’état fondamental. En résumé : toutes les propriétés d’un système défini par un potentiel externe peuvent être déterminées à partir de la densité électronique de l’état fondamental. L’énergie du système atteint sa valeur minimale si et seulement si

Les agrégats

364

la densité électronique est celle de l’état fondamental. On peut donc résoudre le problème de Born-Oppenheimer si on connait cette fonctionnelle de densité.

9.6.3

Potentiel de Kohn-Sham

L’énergie totale du système (ce que l’on cherche) est exprimée comme une fonctionnelle de la densité  (9.29) E(ρ) = Ts (ρ) + dr Vext (r)ρ(r) + EH (ρ) + Exc (ρ)E(ρ) Le premier terme est l’énergie cinétique au sens de Kohn-Sham Ts (ρ) =

N   i=1

  2 2 dr φ∗i (r) − ∇ φi (r) 2m

(9.30)

Vext (r) est le potentiel entre les électrons et les noyaux de charge z en interaction (comme pour Born-Oppenheinmer équation 9.3), EH est l’énergie d’interaction Coulombienne classique entre paire d’électrons appelée « potentiel de Hartree » qui s’écrit   e2 ρ(r)ρ(r ) dr dr (9.31) EH = 2 |r − r | Le dernier terme est le terme d’échange-corrélation. On peut montrer que l’on peut introduire le potentiel effectif Vef f (r) que verrait des électrons sans interaction dans un système équivalent de particules avec interaction dans un potentiel Vext (r) Vef f (r) = Vext (r) + VCoulomb (r) + Vxc (r)

(9.32)

avec le potentiel d’échange-corrélation Vxc (r) ≡

δExc [ρ] δρ(r)

Exc (ρ) étant l’énergie totale d’échange corrélation  ρ(r ) dr VCoulomb (r) = e2 |r − r |

(9.33)

(9.34)

Soit finalement un hamiltonien monoélectronique dit de Kohn-Sham dans un formalisme de Schrödinger 



 ∇2 + Vext + VH + Vxc φi = i φi 2m

(9.35)

Équation qui est résolue de façon itérative car chaque électron subit l’effet du potentiel effectif créé par tous les autres électrons base d’un système dit corrélé (voir figure 9.2). Contrairement à Hartree-Fock, les niveaux d’énergie i

9. Modèles ab initio

365

Fig. 9.2 – Organigramme du calcul autocohérent de l’hamiltonien Kohn-Sham.

des orbitales Kohn-Sham n’ont pas de signification physique évidente. Seules l’énergie totale, l’énergie de Fermi et la densité électronique ont un sens physique. Les autres paramètres sont des intermédiaires de calcul dans le processus d’itération. Il est à noter que dans le calcul, on doit non seulement résoudre l’équation de Schrödinger monoélectronique Kohn-Sham mais aussi une nouvelle équation qui donne la densité électronique en fonction des fonctions d’ondes Kohn-Sham (voir figure 9.2) 9.6.3.1

Comparaison DFT/modèles post Hartree-Fock

Aucun modèle n’est universel, la DFT est une méthode élégante qui transforme un hamiltonien multiélectronique en un hamiltonien monoélectronique en payant le prix de l’abandon de « la signification physique » des orbitales et de leurs énergies associées. Cependant il est intéressant de tester la performance des méthodes en examinant le temps de calcul avec comme paramètre le nombre d’atomes N de l’agrégat. Le tableau 9.1 donne les performances de quelques modèles. On voit que la DFT est de loin la méthode la plus rapide. La méthode CCSD(T) (voir tableau) qualifiée de « gold-standard of quantum chemistry » a une dépendance en N 7 et interdit tout calcul pour des agrégats de plusieurs centaines d’atomes (facteur N 4 par rapport à la DFT) !

9.6.4

Approximation LDA

L’énergie d’échange corrélation est divisée en deux termes (un terme d’échange, un terme de corrélation) bien qu’il n’y ait pas de justification formelle de cette

Les agrégats

366

Tab. 9.1 – Performances de quelques modèles en temps de calcul [Sousa et al. (2007)]. On comprend aisément qu’il ne sera pas possible de traiter des agrégats au-delà d’une centaine d’atomes avec des méthodes au-delà de MP2. facteur d’échelle N3 N4 N5 N6 N7 N8 N9 N 10

méthode DFT HF MP2 MP3,CISD,CCSD,QCISD MP4,CCSD(T),QCISD(T) MP5,CISDT,CCSDT MP6 MP7,CISDTQ,CCSDTQ

décomposition, somme toute arbitraire Exc (ρ) = Ex (ρ) + Ec (ρ)

(9.36)

Nous allons considérer l’approximation locale la plus simple (LDA Local Density Approximation) dans laquelle ces énergies ne dépendent que de ρ. L’approximation de la fonctionnelle densité locale consiste à supposer que l’énergie d’échange et corrélation est une fonctionnelle locale de la densité p(r), c’est-à-dire, qu’elle ne dépend que de la densité au point r. Pour un système à spins non polarisés, l’énergie d’échange corrélation s’écrit  LDA [ρ] = ρ(r)Vxc (ρ) dr (9.37) Exc Vxc (ρ) est le potentiel d’échange corrélation par particule dans un gaz d’électrons homogène de densité de charge ρ = N/V d’où le nom LDA. Le terme en ρ(r) montre de façon explicite que la densité n’est pas uniforme pour le calcul de l’énergie d’échange corrélation. D’après les équations 9.33 et 9.37, le potentiel d’échange corrélation en LDA s’écrit δVxc (ρ(r)) LDA (9.38) [r] = Vxc (ρ(r)) + ρ(r) Vxc δρ(r) 9.6.4.1

Énergie d’échange

La façon la plus simple d’écrire l’énergie d’échange est donnée par l’approximation de Thomas-Fermi [Slater (1951)]. Comme nous l’avons signalé dans le chapitre 6 ce calcul repose sur la densité électronique d’un gaz d’électrons libres dans une sphère uniformément chargée. Écrivons la valeur du potentiel d’échange Vx (ρ), celle-ci est proportionnelle à ρ1/3 pour une sphère formée par un gaz homogène d’électrons libres [Slater (1951); Dirac (1930)] (une démonstration est donnée dans la référence [Scuseria et Staroverov (2005)]). 3 3 x (ρ) = − ( )1/3 ρ1/3 4 π

(9.39)

9. Modèles ab initio

367

Pour un système non uniforme, on remplace la densité du gaz d’électrons libres par la densité réelle du gaz, cette fois non uniforme 3 3 x (ρ(r)) = − ( )1/3 ρ(r)1/3 4 π

(9.40)

Soit l’énergie d’échange 9.37 ExLDA (ρ) =

3 3 1/3 ( ) 4 π



ρ4/3 (r)d3 r

(9.41)

ou bien plus simplement en introduisant le rayon rs de la sphère de Wigner3 Seitz rs = ( )1/3 ρ1/3 4π 3 x [ρ] = − 2/3 rs (9.42) 4 Une version donnée par Slater [Slater (1951)] tient compte du spin (LSD Local Spin Density)  4/3 4/3 LSD 1/3 3 3 1/3 (ρ(r)↑ + ρ(r)↓ )d3 r ( ) (9.43) Ex (ρ) = −2 4 π 9.6.4.2

Énergie de corrélation

C’est évidemment la quantité la plus difficile à estimer puisque, par essence, il s’agit d’un problème à N corps. Il existe dans la littérature un certain nombre de fonctions analytiques qui donnent des valeurs approchées de l’énergie de corrélation. La plus simple est donnée par Wigner-Ceperley-Alder [Ceperley et Alder (1980)] c (ρ) = −

0.44 rs + 7.8

(9.44)

Une autre forme standard est donnée par Chachiyo-Karasiev [Chachiyo (2016); Karasiev (2016)] qui reproduit assez bien des calculs plus sophistiqués de Monte Carlo quantique dans une large gamme de densité électronique 2 < rs < 100. Pour les spins non polarisés c (ρ) = [

ln 2 − 1 21.739 21.739 ](1 + − ) 4π 2 rs rs2

(9.45)

ln 2 − 1 28.356 21.739 ](1 + − ) 4π 2 rs rs2

(9.46)

pour le spin polarisé c (ρ) = [ 9.6.4.3

GGA

La problématique de l’approximation LDA apparait pour le calcul des très petits systèmes (petits agrégats) où la notion de corrélation fait intervenir

Les agrégats

368

l’interaction d’un électron avec un gaz homogène dont lui-même fait partie ! On va donc introduire une erreur importante si l’on doit considérer le cas non physique de l’interaction de l’électron avec lui-même. De plus, on peut considérer que tous les systèmes réels sont inhomogènes, c’est-à-dire que la densité électronique possède une variation spatiale. Une amélioration au modèle LDA est apportée en introduisant une dépendance de l’énergie d’échange corrélation notée GGA (Generalized Gradient Approximation) xc non seulement avec ρ mais également avec son gradient Δρ, soit pour l’énergie totale d’échange corrélation  GGA [nα , nβ ] = n( r)xc [nα , nβ , ∇nα , ∇nβ ]d3 r (9.47) Exc 9.6.4.4

Échelle de Perdew-Jacob

Comme pour les modèles post Hartree-Fock, on peut améliorer les modèles de la DFT au détriment du temps de calcul. Perdew, en référence avec le livre de Jacob, a défini une échelle (figure 9.3) où chaque approximation trouve sa place dans la complexité.

Fig. 9.3 – Échelle de Perdew-Jacob [Sousa et al. (2007)].

9.6.5

Pseudopotentiel

Le potentiel extérieur Vext (r) est le potentiel Coulombien créé par les noyaux en enlevant tous les électrons. En fonction de la densité on aura  (9.48) Vext (ρ) = Vext (r)ρ(r)d3 r

9. Modèles ab initio

369

On peut faire la distinction entre deux types d’électrons : les électrons de cœur et les électrons de valence. Les orbitales de cœur localisées près du noyau sont les plus basses en énergie et ne participent pas aux liaisons chimiques. Elles sont difficiles à représenter sur une base d’ondes planes car elles possèdent généralement de fortes oscillations autour des noyaux. Les orbitales de valence de plus haute énergie sont peu localisées et s’étendent donc loin du noyau. Pour simplifier le problème, Fermi émit l’idée que l’on pouvait remplacer les électrons de cœur par un pseudopotentiel effectif. Le nouveau système n’est plus le système binaire « noyaux nus-électrons » mais le sytème ternaire « (noyaux nus+électrons de cœur)-électrons de valence ». Le système « noyaux nus+électrons de cœur » est un potentiel effectif beaucoup plus faible que le vrai potentiel dans la mesure où le noyau est écranté par les électrons de cœur. Il existe trois familles de pseudopotentiels dont la description sort du cadre de ce livre : - les pseudopotentiels à norme conservée de Hamann [Hamann et al. (1979)] ; - les pseudopotentiels dits « ultra-softs » de Vanderbilt [Vanderbilt (1990)] ; - les pseudopotentiels « dual space Gaussian » de Goedecker [Goedecker et al. (1996)]. Chaque pseudopotentiel a des propriétés mathématiques remarquables. Il existe de nombreuses versions améliorées dans la littérature.

9.7

Listes des principaux codes et abréviations DFT

Une liste plus exhaustive est donnée dans la référence [Sousa et al. (2007)]. Pour les états fondamentaux moléculaires qui sont dégénérés avec des états excités bas, la DFT et la méthode de Hartree-Fock sont inappropriées. Voici quelques codes utilisés en chimie quantique : voir tableaux 9.2–9.4

Les agrégats

370

Tab. 9.2 – Fonctions d’échange corrélation disponibles dans la plupart des librairies de codes DFT.

acronyme nom HF Hartree-Fock exchange S Slater-Dirac exchange functional VWN Vosko-Wilk-Nusair correlation functional S-VWN Slater-Dirac-Vosko-WilkNusair exchange/correlation functional DPW Slater-Dirac-Perdew-Wang exchange correlation functional B88 Slater-Dirac-Becke exchange functional LYP Lee-Yang-Parr correlation functional B-LYP B88 exchange plus LYP correlation functional B-VWN B88 exchange plusVWN correlation functional B-P86 B88 exchange plus VWN plus Perdew correlation functional PBE Perdew-Burke-Ernzerhof exchange correlation functional TPSS Tao-Perdew-StatoverovScuseria- exchange correlation functional BH-LYP Becke’s half-and-half exchange in a combination with the LYP correlation functional B3-LYP Becke’s three-parameter functional 08S+0.72B88+ 0.2HF+0.19VWN+0.81LYP B3-LYP 0.75(S+PBE)+0.25HF +PW+PBE LHF effective (Hartree-Fock) exact exchange Kohn-Sham potential B2-PLYP Double-Hydbrid Functional

référence [Dirac (1929)]

remarque historique historique

[Vosko et al. (1980)]

historique

[Vosko et al. (1980)]

historique

[Perdew et Wang (1992)] [Becke (1988)]

version 1988

[Lee et al. (1988)] [Lee et al. (1988)] [Becke (1988)] [Perdew (1986)]

[Perdew et al. (1996)]

[Tao et al. (2003)]

[Becke (1993b)]

combinaison linéaire

[Becke (1993a)]

combinaison linéaire

[Della Sala et Görling (2002)] [Grimme (2006)]

9. Modèles ab initio

371

Tab. 9.3 – acronyme nom DFT Density Functional Theory LDA Local Density Approximation LSD Local Spin Density GGA generalized gradient approximation metasecond derivate GGA density H-GGA hybrid functional HMHybrid-Meta GGA GGA functional TDDFT Time Dependent DFT GW quasiparticle selfconsistent

référence [Hohenberg et Kohn (1964)]

remarque historique

[Pople et al. (1992)]

historique

[Perdew et Zunger (1981)] [Grimme (2006)]

historique

[Tao et al. (2003)] [Grimme (2006)] [Peverati et Truhlar (2011)] [Runge et Gross (1984)] [Aryasetiawan et Gunnarsson version (1998)] « écranté » de Hartree-Fock

Les agrégats

372 Tab. 9.4 – acronyme MCSCF CASSCF

CASPT2

MRCI(Q)

CC EOMCC CCSD EOMCCSD CCSD(T)

MRCI(+Q)/ ccŰpVQZ

nom Multi-configurational self-consistent field complete-activespace self-consistentfield second-order multireference perturbation theory based on CASSCF internally contracted multi-reference configuration interaction singles and doubles method with the quasi-degenerate Davidson correction single-reference coupled-cluster quation-of-motion coupled-cluster singles and doubles CC single and double EOMCC quasi-perturbative non-iterative treatment of triples

référence [Hinze (1973)]

remarque

[Roos (1987)]

[Grimme et Waletzke (2000)]

[Shamasundar et al. (2011)]

[Watts et al. (1993)] [Purvis III et Bartlett (1982)] [Nooijen et Bartlett (1997)] [Yang et al. (2012)]

[Werner et al. (2012)] pour les détails voir Molpro Quantum Chemistry Software

Conclusion Ce premier tome est dédié aux propriétés des agrégats proches de l’état fondamental. L’évolution de l’énergie de cohésion en fonction de la taille présente une évolution régulière prévisible, sauf pour certaines tailles particulières. Ces effets sont en général associés à des couches électroniques pour les métaux, en particulier pour les métaux les plus simples (alcalins, aluminium, métaux nobles). De plus, la surface joue un rôle très important et on observe des stabilités plus importantes pour certaines géométries avec des polyèdres complets comme les icosaèdres ou des cuboctaèdres. Ce sont les effets de couches atomiques. Pour certains éléments cependant, des changements plus importants apparaissent, comme la transition isolant métal en fonction de la taille dans les métaux divalents, ou des modifications du type de liaison ou de l’hybridation sp comme dans les éléments de la colonne du carbone, avec notamment la découverte de C60 et des fullerènes. Les métaux complexes, tels que les métaux de transition et les terres rares, offrent également une grande palette de structures et de propriétés possibles qui sont décrites dans un chapitre dédié. Enfin les trois derniers chapitres s’intéressent à des propriétés particulières des agrégats, comme l’influence d’un champ électrique (dipôle et polarisabilité électrique), le magnétisme, et enfin le rôle des agrégats en catalyse hétérogène. Que peut-on apprendre à partir de ce panorama de la physique des agrégats ? En tout premier lieu, la loi en 1/R, où R est le rayon des agrégats, est une loi de référence, toujours évoquée, même quand elle n’est pas valable. Elle permet alors de voir qu’il se passe quelque chose d’important, différent de ce qu’on attend, comme une transition isolant métal, un arrangement atomique différent. Comme nous l’avons déjà signalé, cette loi en 1/R est robuste, quasi universelle, valable quel que soit le nombre d’atomes et la nature des éléments constituant l’agrégat. En fait, c’est une propriété topologique liée à l’existence d’une frontière : au-delà de R il y a le vide, d’où une discontinuité. Cette loi en 1/R présente de nombreux accidents appelés nombres magiques. Ceux-ci peuvent avoir différentes origines. Nous avons discuté les nombres magiques d’origine géométrique liés à l’existence d’une forme polyédrale de l’agrégat qui peut s’éloigner de la forme purement sphérique de la loi en 1/R. C’est la nature discrète de l’empilement des atomes qui en est à l’origine. D’autre part nous avons discuté le modèle en couches électroniques lié directement à des effets quantiques (confinement quantique). Outre le modèle en 1/R, la physique des

374

Les agrégats

agrégats introduit l’effet de la dimensionnalité bien connue en physique du solide avec pour exemple le cas emblématique du modèle du confinement dans les semi-conducteurs (confinement électronique). Cependant tout n’est pas compris, loin de là, dans la physique des agrégats. Le magnétisme à l’échelle de la (poly)molécule reste d’une grande complexité. Le passage du magnétisme atomique au magnétisme dans le solide demeure assez compliqué même si l’effondrement du magnétisme orbital au fur et à mesure que l’on augmente la taille est à peu près compris. Ceci n’est pas étonnant car même en physique du solide, dans un système ordonné, la compréhension du magnétisme à l’échelle atomique reste difficile. D’autres propriétés, comme la susceptibilité ou la catalyse sont difficiles à étudier en raison des protocoles expérimentaux complexes. En particulier, la catalyse hétérogène fait intervenir la structure et les propriétés du support qui sont d’autant plus importantes que l’agrégat est petit. Le lecteur pourrait légitimement se poser la question de la transition entre la physique moléculaire et la physique du solide qui est la quintessence et l’objet même de la physique des agrégats. Il semble qu’on puisse en première approximation définir une taille magique d’environ 2 nm pour cette transition. Les déviations importantes (le solide étant pris en référence) des propriétés des agrégats apparaissent en dessous de ce diamètre critique. Ce diamètre correspond à environ 200 atomes pour un métal (un peu plus pour le carbone qui est de toute façon très particulier comme on l’a vu). Nous verrons dans le tome 2 que cette taille magique est assez robuste quelle que soit la propriété étudiée. Que penser de cette valeur ? Celle-ci correspond grossièrement au moment où le nombre d’atomes de surface est équivalent ou proche du nombre d’atomes de volume, et où les liaisons atomiques établies en physique de la matière condensée apparaissent avec leurs propriétés caractéristiques bien définies. En dessous de 2 nm, les atomes de surface dominent. On peut aussi voir le problème du côté de l’atome et de la molécule, et considérer que dans cette situation, en dessous de 2 nm, chaque atome compte, c’est-à-dire que les propriétés, la structure, l’arrangement atomique change si on ajoute seulement un atome. Ce livre est basé dans la plupart des cas sur des modèles simples phénoménologiques. Les progrès faits dans le domaine informatique laissent présager à terme que les propriétés des agrégats pourront être calculées de façon ab initio. L’accord théorie expérience va s’améliorer dans le futur. Cependant l’approche phénoménologique demeurera incontournable pour comprendre les paramètres pertinents pour chaque propriété. Enfin la physique des agrégats permet d’envisager beaucoup de propriétés possibles pour la matière divisée, puisque si on change quelques atomes, on change la propriété à laquelle on s’intéresse. Ceci explique le succès de la nanophysique, et des nanosciences plus généralement. Dans ce livre, pour des raisons de simplicité, on s’est volontairement limité aux agrégats Mn constitués d’un seul type d’atomes. La variété des propriétés possibles est encore bien plus grande si on autorise plusieurs types d’atomes en fabriquant des agrégats mixtes, qu’on appelle parfois nano-alliages. Et on peut même envisager de renverser le paradigme : si on cherche telle propriété, que

Conclusion

375

faut-il choisir ? Quel nano-alliage, avec quels atomes, avec quels arrangements, dans quelle phase topologique ? C’est sans doute le chemin du futur. En catalyse déjà, on cherche à remplacer des nanoparticules de métaux de transitions chers, car peu abondants à la surface de la terre, par des nano-alliages faits d’atomes plus courants et donc moins chers.

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