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French Pages 244 [248] Year 1968
L'Enseignement fran^ais de la Revolution ä nos jours
PUBLICATIONS DE LA FACULTfi DE DROIT ET DES SCIENCES ECONOMIQUES DE GRENOBLE Collection du Centre de Recherche d'Histoire Sconomique, sociale et institutionnelle
SERIE HISTOIRE INSTITUTIONNELLE VOLUME Ν" 1
Les volumes de la serie < Histoire Institutionnelle » sont publies par le Centre de Recherche d'Histoire economique, sociale et institutionnelle cree en 1962 au sein de la Faculte de Droit et des Sciences Economiques de Grenoble. Ces volumes presentent des ouvrages de membres du corps professoral, des travaux de colloques et des theses de doctorat prepares dans le cadre de la section « Histoire Institutionnelle » de ce Centre. Universite de Grenoble
Paris . Editions MOUTON . La Haye 1968
PUBLICATIONS DE LA FACULTfi DE DROIT ET DES SCIENCES ECONOMIQUES DE GRENOBLE
L'Enseignement francais de la Revolution ä nos jours par P. CHEVALLIER Professeur ά la Faculte de Droit et des Sciences Economiques de Grenoble
В. GROSPERRIN Agrigi de FUniversitt Chargi de Cours ά ΓInstitut d"Etudes Politiques de Grenoble
J. MAILLET Professeur ά la FacuM de Droit et des Sciences Economiques de Grenoble
Paris . Editions MOUTON . La Haye 1968
©Mouton & Cie, 1968
AVERTISSEMENT
Au moment ой се livre est mis sous presse, le gouvernement ргёраге deux decisions qui apporteront d'importantes modifications dans le domaine de l'orientation des Steves, d'une part, et dans celui des rapports de l'Etat et de l'enseignement prive, d'autre part. 1. Le Conseil des Ministres a adoptέ le 3 avril 1968 un dScret creant I'Office national d'information pour l'orientation pedagogique et professionnelle et surtout donnant un caractitre plus autoritaire ä l'orientation. C'est ainsi que seraient supprimis les examens d'appel relatifs ä l'entree en classe de 6' et ä 1'admission dans le second cycle de l'enseignement secondaire. Un corps nouveau de « professeurs-conseillers * sera chargS d'expliquer aux parents les decisions des conseils d'orientation. AppliquS des la rentrie de 1968 dans les acad6mies de Grenoble et de Reims, le nouveau systime sera ensuite itendu progressivement aux autres acadimies. 2. Selon la loi Debri, les contrats simples ne pouvaient etre conclus que pour une pSriode de neuf ans, iventuellement prolongee de trois ans. A cette prolongation, le gouvernement a preferi le depot au Parlement, des 1968, d'un projet de loi prorogeant la loi Debri tout en la modifiant sur certains points. Ce projet, discuti au Conseil supSrieur de VEducation nationale le 19 avril 1968 (et du reste repoussi par lui), donnerait des satisfactions nouvelles ά l'enseignement ρηνέ en perermisant les contrats simples signis par des itablissements du premier degre et en assouplissant l'obligation de respecter, dans les classes sous contrat d'association, la riglementation en vigueur dans l'enseignement public. Le gouvernement se riservermt Sgalement le droit de fixer par decret les conditions dans lesquelles les etablissements sous contrat devront s'adapter aux modalites nouvelles de l'orientation.
SOMMAIRE AVERTISSEMENT. AVANT-PROPOS. INTRODUCTION. P R E M I f i R E PARTIE : de 1789 a 1848. I. L'action de la Revolution SECTION I. Les grands projets relatifs ä l'Instruction publique . SECTION II. Les textes legislatifs II. Le Consulat et l'Empire, 1800-1814 SECTION I . Le Consulat SECTION
II. L ' E m p i r e
23 23 31 42 42
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III. La Restauration SECTION I. Luttes autour du systeme scolaire SECTION II. Le developpement de l'enseignement populaire . . IV. La Monarchie de Juillet SECTION I. Enseignement primaire SECTION II. Projets en faveur de la liberte de l'enseignement secondaire SECTION III. Enseignement superieur
57 58
63 69 69
74 78
D E U X I f i M E P A R T I E : de 1848 a 1940. I. 11' Republique
et Second Empire La loi Falloux II. Application de la loi Falloux durant le Second Empire II. La ΙΙΓ Republique SECTION SECTION
I.
SECTION I. D e SECTION II. La SECTION I I I . D e
1870 A 1879
83 83
97 108 109
periode des grands changements (1879-1905) . . 1905 A 1940
112 140
T R O I S I ß M E P A R T I E : de 1940 ä 1967. I. L'expansion I. L'augmentation des effectifs scolaires II. L'equipement scolaire et le recrutement maitres SECTION III. Le ргоЫёте de la democratisation II. Les reformes SECTION I. Le plan Langevin-Wallon SECTION II. Les r6formes de structure SECTION III. L'evolution des methodes d'enseignement III. Les rapports de l'Etat et de l'enseignement prive SECTION I. L'enseignement prive en France SECTION II. La « question scolaire » jusqu'en 1959 SECTION III. La loi Debre SECTION SECTION
161 161
des 164 170
177 179 184 209
221 221
222 225
CONCLUSION GENERALE
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BIBLIOGRAPHIE
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AVANT-PROPOS
Void dix ou quinze ans ä peine, revolution des donnees historiques concernant soit l'enseignement, soit plus largement l'education, soit plus limitativement les institutions scolaires et universitaires faisait encore l'objet d'un nombre relativement restreint d'etudes et paraissait ne pas attirer specialement les bistoriens. Les uns, notamment dans les facultes des lettres, se tournaient plus volontiere vers l'histoire politique, l'histoire economique et sociale, celle des relations internationales ou celle des religions; les autres, plus specialement dans les facultes de droit, s'interessaient surtout ä l'histoire des grands secteurs institutionnels : institutions constitutionnelles et politiques, institutions administratives, judiciaires, religieuses, voire militaires, notamment pour la periode ant6rieure ä la Revolution, sans omettre cependant des etudes importantes conduites par des historiens des institutions et par des specialistes du droit public, dans ces meines domaines et dans celui de l'histoire des idees politiques, pour la periode posterieure ä la Revolution. Aujourd'hui et depuis plusieurs annees, les etudes se sont au contraire multipliees dans le secteur de l'histoire de l'enseignement et de l'education : manuels, ouvrages generaux, ouvrages specialises, articles, monographies se trouvent en grand nombre ä la disposition du lecteur et du chercheur, ä cote d'ailleurs des travaux de divers colloques et de chapitres substantiels d'ouvrages consacres ä l'histoire des institutions publiques en general. Une telle transformation, particuliörement spectaculaire si l'on considfcre la qualit6 comme la quantite de ces travaux, tient sans doute ä des causes variees et profondes, que l'on peut rattacher d'une fagon generale ä une certaine reconversion de l'interet scientifique des historiens, et qui peuvent se relier ä deux grandes series de donnees. II parait en effet incontestable, d'un cote, que l'interet suscite par les problemes de l'education chez les specialistes des problemes actuels et l'importance prise par ces problemes dans le monde d'aujourd'hui ont agi indirectement sur les historiens. A chaque moment et dans chaque domaine, theoriciens de diverses disciplines, politiques et praticiens rencontrent inevitablement les probtemes de l'education, soit que ceux-ci apparaissent sous l'angle des conditions ä reunir pour obtenir des resultats donnes dans certains autres domaines, soit qu'il faille se ргёоссирег des implications, pour l'education, de reformes projetees ou de politiques suivies dans d'autres domaines. L'importance de l'enseignement et de la formation professionnelle pour la poursuite du developpement economique dans les pays industrialises et pour le demarrage de ce developpement dans les pays du Tiers Monde; les imperatifs de la democratisation joints aux aspirations educatives des diflterents groupes sociaux; la
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L'Enseignement franfais de la Revolution ä nos jours
n6cessit6 d'6tendre la progranimation ou la planification aux diffdrents secteurs de l'enseignement; le poids des charges impoeees aux Etats par l'augmentatioQ rapide de la scolarisation; les r6percussions de la croissance d6mographique et de Γ< explosion scolaire » dam le domaine des politiques de l'education; le souci d'elever le niveau culturel des hommes; les ргоЫёшез lies ä la mise au point de nouveaux instruments pέdagogiques et ä Taction 6ducative, directe ou indirecte, des moyens d'information moderne; la conjunction entre le d^veloppement du systёme d'enseignement et celui de la recherche scientifique et du progrfes technologique — tous ces ph6nom6nes ont, a cöte de bien d'autres, р1асё les ргоЫётев de l'education au centre des pr6occupations aussi bien de l'economiste et du sociologue ou du psychologue que du politique, du planificateur ou du responsable de l'aminagement du territoire. Leur importance ne pouvait pas ne pas frapper de nombreux historiens qui, rdorientant ces preoccupations dans leurs perspectives propres, ont tourne d61iberement leurs recherches vers Involution de l'enseignement dans le passe, et notamment dans le pass6 r6cent. D'autre part, et plus profondement encore, I'int6r6t des historiens s'est, depuis plusieurs decennies maintenant, assez largement reconvert! et diversifie. C'est ainsi qu'il se porte volontiere ä l'heure actuelle vers l'histoire des institutions, longtemps primee par l'histoire des faits, sinon т ё т е des 6v6nements. C'est ainsi 6galement que la recherche historique tend aujourdliui ä se faire plus complete et, dans le souci d'apprdhender plus pleinement la realite du passe et de s'en donner une comprehension plus globale, ä ne n6gliger aucun des secteurs de l'organisation sociale susceptibles de contribuer ä la connaissance historique. L'un et l'autre fait ont conduit tout naturellement ä une sorte de r6habilitation de l'histoire de l'enseignement et de l'6ducation, puisque les preoccupations d'histoire institutionnelle et d'histoire structurelle s'additionnent dans ce secteur. Sans doute faudrait-il 6galement mentionner d'autres causes qui sont venues ajouter leurs effets ä celui des pr6c6dentes. N'est-il pas juste d'6voquer ici la tendance fort heureuse, de plus en plus marqu6e, chez les spicialistes des ргоЫётев actuels ä se tourner vers l'histoire et ä у chercher des elements d'information ou de comprehension ? L'introduction, elle-meme t6moignage de cet int6ret pour l'histoire des institutions scolaires et universitaires, de l'enseignement de cette тайёге dans les programmes de divers itablissements, notamment des facultes de droit et des sciences economiques et des instituts de preparation ä 1'administration scolaire (I.P.A.S.) ? L'interet attach6 ä ces ргоЫётев par les organismes internationaux, par les responsables des politiques nationales, et par des 6tablissements tels que l'lnstitut national de l'administration scolaire (I.N.A.S.) ? C'est dans cette perspective generale que s'est р1асёе la r6aüsation de ce modeste ouvrage, fruit de l'effort conjugue de trois universitaires qui se trouvent engages de diverses fa^ons au sein de l'universit6 de Grenoble dans l'en-
AVANT-PROPOS
Voici dix ou quinze ans έ peine, revolution des donnees historiques concernant soit l'enseignement, soit plus largement l'education, soit plus limitativement les institutions scolaires et universitaires faisait encore l'objet d'un nombre relativement restreint d'etudes et paraissait ne pas attirer specialement les historiens. Les uns, notamment dans les facultes des lettres, se tournaient plus volontiere vers l'histoire politique, l'histoire economique et sociale, celle des relations internationales ou celle des religions; les autres, plus specialement dans les facultes de droit, s'interessaient surtout ä l'histoire des grands secteurs institutionnels : institutions constitutionnelles et politiques, institutions administratives, judiciaires, religieuses, voire militaires, notamment pour la periode ant6rieure ä la Revolution, sans omettre cependant des 6tudes importantes conduites par des historiens des institutions et par des specialistes du droit public, dans ces memes domaines et dans celui de l'histoire des idees politiques, pour la periode posterieure ä la Revolution. Aujourd'hui et depuis plusieurs annees, les etudes se sont au contraire multipliees dans le secteur de l'histoire de l'enseignement et de l'education : manuels, ouvrages generaux, ouvrages specialises, articles, monographies se trouvent en grand nombre ä la disposition du lecteur et du chercheur, ä cote d'ailleurs des travaux de divers colloques et de chapitres substantiels d'ouvrages consacres ä l'histoire des institutions publiques en g6neral. Une telle transformation, particulierement spectaculaire si l'on considere la qualite comme la quantite de ces travaux, tient sans doute ä des causes variees et profondes, que l'on peut rattacher d'une fagon generale ä une certaine reconversion de l'interet scientifique des historiens, et qui peuvent se relier ä deux grandes series de donnees. II parait en effet incontestable, d'un cote, que l'int6ret suscite par les problemes de l'education chez les specialistes des problemes actuels et l'importance prise par ces problemes dans le monde d'aujourd'hui ont agi indirectement sur les historiens. A chaque moment et dans chaque domaine, theoriciens de diverses disciplines, politiques et praticiens rencontrent inevitablement les problemes de l'education, soit que ceux-ci apparaissent sous l'angle des conditions ä reunir pour obtenir des resultats donnes dans certains autres domaines, soit qu'il faille se ргёоссирег des implications, pour l'education, de reformes projetees ou de politiques suivies dans d'autres domaines. L'importance de l'enseignement et de la formation professionnelle pour la poursuite du developpement 6conomique dans les pays industrialises et pour le demarrage de ce developpement dans les pays du Tiers Monde; les imperatifs de la democratisation joints aux aspirations educatives des differents groupes sociaux; la
INTRODUCTION
L'ENSEIGNEMENT FRANCAIS AVANT LA REVOLUTION Lorsque la Revolution se produisit, ouvrant un nouveau cycle devolution dass rhistoire de l'enseignement frangais, celui-ci avait dejä une trös loague histoire derriöre lui. C'est en effet а partir du 11* et du 12* siöcle que ses premiferes bases furent jetees. Sans doute existait-il auparavant des 616ments d'organisation scolaire, notamment quelques ecoles fonctionnant autour des cathddrales ou de certains monasteres, a la diligence des eveques, chanoines et abbes, et Charlemagne est reste celebre pour les encouragements qu'il a donn6s ä la formation de ces ecoles. Mais il ne s'agissait en fait que de lieux tr£s modestes ou des clercs, non specialises et procedant sans mdthode appropride, apprenaient ä lire un peu de latin et ä reciter des psaumes ä quelques enfants destines au service de l'Eglise et done ayant besoin de connaissances rudiment aires. Par contre, aux 11* et 12* si6cles, en liaison notamment avec la renaissance urbaine, la reactivation de certaines activites (administration, commerce, artisanat) et la formation d'une petite bourgeoisie locale, de nouveaux besoins apparaissent. Les < communes » commencent a creer des ecoles, oil des clercs fournis par le chancelier de l'eveche apprendront la lecture, l'ecriture, un peu de calcul et d'enseignement religieux ä des enfants qui, plus tard, pourront non seulement servir l'Eglise mais aussi exercer des activites commerciales ou des fonctions d'administration ou de justice locales. Alors aussi apparait un enseignement d'un niveau plus eleve et qui constituera l'origine de l'enseignement secondaire et des universites : les rois, les princes ou quelques villes creent des etablissements oü l'on enseigne les sept arts liberaux (grammaire, rhetorique et logique, qui forment le trivium ; arithmetique, geometrie, astronomie et musique qui constituent le quadrivium), tandis que l'enseignement de la th6ologie, du droit et de la medecine represente une sorte d'enseignement superieur. Le 13* siecle fut celui de l'organisation ; il apporta de l'ordre dans ce mouvement de proliferation assez anarchique, sinon dans les ecoles 616mentaires qui continuerent ä se creer de fa^on empirique, du moins aux niveaux secondaire et superieur qui rest£rent etroitement lies entre eux. Les professeurs et etudiants obtinrent d'abord l'autonomie ä l'egard de l'Etat et, partiellement, de l'Eglise et se constituörent en corps qui prirent le nom d'universit6s dotees de certains privilöges et d'une certaine independacce. Ces universites se doterent d'une organisation interne en quatre facultds : la facult6 des arts distribuait une sorte d'enseignement secondaire Oriente autour
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L'Enseignement fran^ais de la Revolution ä nos jours
de l'6tude des arts liberaux, qui, apr£s sept annees d'etudes, conduisait au diplome de determinance, appele έ partir du 14* sifecle baccalaureat; celui-ci permettait d'entrer dans l'une des trois autres facultes (theologie, decret c'est-adire droit, medecine) qui, au niveau de l'enseignement superieur, d61ivraient licence et doctorat et ouvraient l'accfcs ä l'enseignement et aux professions juridiques, administratives et medicates. Ces facultes 6taient gerees par des doyens 61us, sauf la faculty des arts dirigee par un recteur elu qui deviendra bientot le chef de l'ensemble de l'universit6, tandis que les 6tudiants s'organisaient, d'aprbs leur origine g6ographique, en « nations » representee chacune par un procureur elu et subdivis6es en « provinces ». Un el6ment de complication survint, au cours de се si&cle, lorsque se cre^rent au sein des universites des < collöges », qui etaient initialement des sortes d'internats dont les etudiants faisaient leurs 6tudes dans les facultes, mais qui en vinrent к leur tour ä donner un enseignement, de niveau secondaire, distinct de celui de la faculte des arts. A ces collöges universitaires s'adjoignirent ensuite des colleges ouverts en dehors des universites, notamment dans les villes oü n'existaient pas d'universites et dont les autorites ou la population voulaient disposer sur place d'un enseignement secondaire. Celui-ci se trouva ainsi distribue par les facultes des arts, par les collfeges rattaches aux universites et par des collöges independants, bien que ceux-ci ne pussent delivrer de diplomes : l'universite, attachde au monopole de la collation des grades, leur refusa ce droit et meme celui de presenter leurs elfeves aux examens de l'universite, de sorte que leur enseignement n'aboutissait ä aucun diplome. Ce systöme, bien qu'il marquät un progrfes considerable, comportait de grandes faiblesses. Les etablissements manquaient de moyens materiels, notamment d'argent et de locaux, car les princes, les villes ou les particuliers qui les fondaient ne pouvaient les doter suffisamment, et ils fonctionnaient dans des conditions generalement precaires. Iis manquaient 6galement de corps enseignants stables : les professeurs s'engageaient pour une certaine duree ä donner un enseignement determine et changeaient frequemment; ils ne recevaient de toute manure pas de formation particulifcre, et les plus c61ebres voyageaient ä travers l'Europe, parfois suivis de leurs 6tudiants, allant d'universite en universite et illustrant successivement chacune d'elles de leur savoir et de leur reputation. Enfin l'etat des method es d'enseignement constituait une autre faiblesse, soit parce que les techniques pedagogiques n'6taient guire developpees, soit parce que le contexte universitaire enferma vite professeurs et €tudiants dans des exercices assez formels : le principe — celui de la methode scolastique — consistait ä commenter des textes, notamment d'Aristote, des Ecritures ou des Peres de l'Eglise ; mais, comme il n'etait pas admis de remettre en discussion les idees fondamentales emises dans ces textes, tout effort critique et tout progrös des sciences se trouvaient ndcessairement limites, et l'on en arrivait ä reporter sur la forme l'int6ret des etudiants qui ne pouvaient s'attacher au
Introduction
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fond : l'art de bien poser la quaestio et la subtilite dans la disputatio formelle devinrent vite des fins en elles-memes. Le mouvement createur du 13* sifecle avait, malgre ses lacunes, puissamment marqu6 l'histoire de l'enseignement fransais; apres cet effort, les 14* et 15* siäcles apparaissent comme une periode de moindre changement. On observe certes un progrös quantitatif certain : beaucoup de « petites 6coles » furent encore cre6es pour repondre aux besoins elementaires, et des universitds nouvelles furent ouvertes : ainsi en Avignon en 1303, ä Orleans en 1306, к Cahors en 1332, к Angers en 1337, к Grenoble en 1339, к Aix en 1409, к Poitiers en 1431, ä Caen en 1437, etc. Mais les transformations qualitatives restörent limit6es et meme le systöme tendit, dans une certaine mesure, к se scl6roser tandis que les lacunes se faisaient plus apparentes. C'est ainsi que la mdthode scolastique, deviant vers le verbalisme et le formalisme, ne donnait aux 6tudiants qu'une formation toute intellectuelle et peu de connaissances, tandis que les universites, ratiocinant sans fin sur les memes thfcmes, apportaient fort peu к la science et ne constituaient plus des centres intellectuels actifs. Les maitres des enseignements έΐέmentaire et, souvent aussi, secondaire possedaient une instruction limitee et, frequemment, n'exerfaient leur fonction qu'ä titre temporaire ou de fagon accessoire ä une profession principale. De toute ташёге, les < petites ecoles > et, encore plus, les colleges 6taient peu nombreux et n'etaient frequentes que par une faible partie des enfants ; les fflles en 6taient trös gendralement exclues. Enfin, l'enseignement technique et professionnel etait a peu prös inexistant : l'apprentissage se faisait dans la famille ou chez un homme de metier, et il avait un caractäre tout pratique. Une tendance nouvelle m6rite cependant d'etre notee : au 15* sitele, l'Etat commenga к se ргёоссирег du βγβίέπιβ de l'enseignement, du moins au niveau universitaire. Le roi, dont l'autoritd s'affermissait au sortir de Гёге du morcellement f6odal, entendit manifester que l'enseignement le concernait, düt-il pour cela porter atteinte к la situation de l'Eglise et ä l'autonomie des universites : c'est ainsi qu'il сгёа de sa propre initiative de nouvelles universit6s ou modifia les statuts des anciennes (laicisant ainsi indirectement les professeurs de m6decine). Un nouveau partenaire entrait dans le jeu, qui continuerait к intervenir jusqu'ä la Revolution, en attendant de poser ensuite le principe qu'il avait pleine comp&ence dans tous les domaines de l'enseignement. Le Moyen Age avait ainsi beaucoup fait, en partant d'ä peu pres rien; mais, ä l'aube du 16* sifecle, la situation restait cependant assez precaire et d'enormes progrfes demeuraient ä realiser. La periode des 16*, 17* et 18* siöcles, bien qu'elle ne düt pas bouleverser les bases du systäme scolaire et universitaire, apporta precisement un certain nombre de changements et eut un role largement createur. De nombreux facteurs, qui contribuaient к faire evoluer la soci6te dans son ensemble comme dans ses divers secteurs, pouss£rent l'ecole к se transformer : la Renaissance, 2
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porteuse des conceptions humanistes et d'une nouvelle vision de ltiomme et de la soci6tö; la Riforme, qui mit en question le monopole scolaire de l'Eglise catholique et amena celle-ci ä accroitre son effort et ä moderniser son action ; le d6veloppement des sciences exactes, des tendances ration allstes, de Pesprit critique et scientifique, de l'int6ret pour des branches nouvelles du savoir (histoire, 6conomie, techniques); I'apparition de nouvelles iddes politiques et philosophiques au 18* siäcle; les progrfcs de l'&onomie, les transformations sociales, l'elargissement des esprits ä la suite des grandes ddcouvertes geographiques, l'arrivee au Stade de l'Etat-Nation et de la monarchic absolue. Tout cet ensemble de facteurs nouveaux provoqua une certaine evolution qui atteignit, il est vrai, ίτέβ inegalement les divers secteurs. L'enseignement 61ementaire progressa surtout en quantite : le Concile de Trente et diverses declarations royales posörent le principe que des ecoles devaient exister partout, et beaucoup furent effectivement creees au point que, vers 1789, 75 % des paroisses avaient au moins une ecole. Mais les conditions de l'enseignement 6taient mauvaises, tant pour les locaux (souvent des granges ou des caves), que pour les method es d'enseignement (mdthode individuelle dans laquelle le maitre s'occupait successivement de chaque elöve tandis que les autres etaient pendant ce temps livres ä eux-memes), la discipline (5ув1ёте de la ferule et des punitions) ou le niveau des maitres (la plupart du temps amateurs sedentaires ou itin6rants qui s'embauchaient parfois pour quelques semaines et servaient par ailleurs comme auxiliaires du cure comme sacristains ou sonneurs de cloches). Un effort remarquable fut cependant fait par les Fr£res des ecoles chretiennes, dont la congregation fut сгёее par J.-B. de la Salle, qui ouvrit sa premi£re ecole en 1679 et posa quelques principes tres nouveaux : formation de maitres specialises dans des sortes d'ecoles pedagogiques, emploi de la methode simultanee qui faisait travailler ä la fois tous les enfants d'une classe, int6ret pour les enfants pauvres car toutes ses ecoles etaient gratuites ; vers 1789, environ mille frfcres instruisaient environ 31 000 έΐένββ dans plus de 700 ecoles. Enfin, la Reforme posa un ргоЫёте serieux que l'6dit de Nantes (1598) resolut en autorisant les protestants ä ouvrir des 6coles particuliöres dans certaines regions, jusqu'ä ce que l'edit de Fontainebleau (1685) vint le leur interdire ; et ce n'est que dans les toutes dernieres anndes avant la Revolution qu'une tolerance reparut sur ce point. L'enseignement secondaire ne fut guέre modifie que par la creation de congregations nouvelles destinees ä assurer celui-ci : ainsi l'ordre des oratoriens, cree en 1611, qui introduisit notamment l'usage du frangais au lieu du latin et l'etude de l'histoire et de notions de mathematiques et de physique; ainsi surtout la Compagnie de Jesus creee en 1534 par Ignace de Loyola dans un effort d'adaptation lie к la Contre-Reforme. Les jesuites qui fondferent leur enseignement sur l'etude des « humanites >, sur la mdthode simultanee et sur une pedagogie de type humaniste (commentaire et discussion allies ä l'acquisi-
Introduction
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tion de connaissances par la memoire), prirent ainsi en main la formation d'enfants destinds ä devenir ult6rieurement les cadres du pays et par lä exercfcrent une influence profonde sur des secteurs importants de celui-ci. Us poss6daient 124 colleges qui fournissaient chaque аппёе un bon contingent de futurs cadres dotes d'une solide culture g6n6rale, lorsque, ä la suite d'un conffit prolong6 avec l'universit6, ils furent expulses en 1762 avant que le Pape ne decidät la dissolution de leur ordre en 1773. L'enseignement superieur, un moment revivifle par l'influence de 1Ъитаnisme, demeura ensuite trfcs statique : les 24 university» de la fin de l'Ancien Regime se bornaient & distribuer un enseignement traditionnel, ä delivrer des grades et ä defendre leur particularisme et leurs privil£ges, sans souci de toutes les tendances nouvelles et du bouillonnement des id£es qui agitaient la soci6t6, ni sans se ргёоссирег d'enrichir les connaissances et les sciences. On peut dire que, ä la veille de la Revolution, les universites n'etaient plus ä la mesure de leurs täches. Ce n'est pas cependant que I'Etat s'6tait desinteresse d'elles; au contraire, il intervint avec continuit6 dans ce secteur, у affirmant son droit a organiser et ä controler les 6tablissements d'enseignement superieur et le soustrayant ä l'influence de l'Eglise qui, par contre, restait maitresse des enseignements elementaire et secondaire. Mais I'Etat se preoccupa davantage de reglementer les universit6s et de les controler que de les animer et de les moderniser. Pour sa part, le 18* sifccle, dans le domaine de l'enseignement comme dans bien d'autres, devait 6mettre beaucoup d'idees nouvelles et т ё т е aboutir ä quelques realisations avant la Revolution. C'est ainsi que le droit de I'Etat έ diriger le systeme d'enseignement commenga ä etre affirme, de т ё т е que la necessite d'etendre largement l'dducation (plusieurs cahiers de dol6ances aux Etats gen6raux parlaient т ё т е d'< education nationale »); c'est ainsi que la necessite d'un enseignement professionnel et technique commen^ait ä etre ressentie par certains; c'est ainsi que de nouvelles idees 6taient emises sur le contenu de l'enseignement ou sur ses methodes, т ё т е si tous les novateurs n'exposaient pas toujours des projets aussi precis que FEmile de J.-J. Rousseau. De ce mouvement, c'est surtout l'enseignement professionnel qui b6n6ficia; non pas tant aux niveaux infdrieurs ой quelques dcoles ou des centres d'apprentissage furent crees, mais plutot ä un dchelon assez έίενέ. II s'agissait ici, plus que de ceder aux idees nouvelles, de r^pondre aux besoins nouveaux de I'Etat en matifcre de formation de cadres sp6cialis6s dans diffdrents secteurs publics. Aussi le principe consista-t-il ä сгёег des ecoles spdciales pr6parant des Ingenieurs ou des cadres militaires : Ecole royale militaire (1751), Ecole navale du Havre (1773), Ecole des ponts et chauss6es (1775), Ecole des mines (1778), etc. La situation restait cependant trfcs insuffisante dans tous les domaines й la veille de la R6volution, et une ceuvre immense restait ä accomplir tant sur le plan des principes et des conceptions que sur celui des rdalisations effectives, si immense que la Rdvolution et le 19* sifccle pourront l'entreprendre mais que
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L'Enseignement fran^ais de la Revolution ä nos jours
le 20* siäcle meme, compte tenu des besoins nouveaux apparus depuis lors, ne l'a pas encore menee ä son terme. Au cours d'une evolution de sept ä huit ^cles cependant, l'ancienne France avait pose un cadre gen6ral d'organisation, avait commence i meubler celui-ci par un ensemble d'etablissements et d'activitds et organise un premier systeme d'enseignement aux differents niveaux; s'il est vrai que son ceuvre restait tros incomptete quantitativement et qualitativement, il serait cependant injuste d'en nier les aspects positifs, compte tenu au surplus que les autres societes europeennes n'avaient que rarement pouss6 les efforts plus loin qu'elle.
PREMIERE PARTIE
DE 1789 A 1848
CHAPITRE I
L'ACnON DE LA REVOLUTION De 1789 ä 1799 apparaissent pour la premiire fois les grands principes qui donneront ä noire enseignement sa physionomie actuelle. Sur le plan doctrinal done, la Revolution apporte beaucoup. En est-il de тёте sur le plan det rialites pratiques ? Certes pas. En effet les vicissitudes et l'enchainement rapide de l'histoire rivolutionnaire ne se pretent guire aux rialisations concrites. Et e'est ainsi que Von assiste durant toute cette periode ä une iclosion d'idies qui ne peuvent trouver le cadre de leur application effective. Toutefois, e'est surtout ά l'Spoque de la Constituante et de la legislative que ce paradoxe est le plus Evident, la Convention et le Directoire ayant eprouve I'impSrieuse nicessiti de сгёег de nouvelles structures et de r&organiser rinstruction publique. Et e'est ainsi qu'aprds avoir brassi de nombreuses idees, la Rtvolution en vient ä promulguer un certain nombre de textes ISgislatifs, premiire etape vers la modernisation de nos institutions scolaires et universitaires.
SECTION I
LES GRANDS PROJETS RELATIFS
A L'lN STRUCTION
PUBLIQUE
Ces projets sont nombreux : on n'en compte pas moins de vingt-cinq de 1791 a 1799. Seuls ceux de Mirabeau, Talleyrand, Condorcet, Lakanal, Romme et Lepeletier, qui s'echelonnent de la Constituante έ la fin de la Convention, ρτέsentent des caractöres originaux qui ne seront pas perdus.
A. PROJETS DE MIRABEAU ET DE TALLEYRAND
Le discours sur l'education publique de Mirabeau inaugure Гёге des travaux novateurs, sans que ce texte ait eu pour autant une influence considerable. En effet, en refusant le principe de gratuite et en ne comprenant pas la place future de l'enseignement feminin, il n'a pas su percevoir l'ensemble des problömes pedagogiques. On lui doit par contre l'idee, reprise ensuite par tous les revolutionnaires, du role de l'education « dirig6e d'apres des vues nationales ». < L'espoir de la Patrie rέside surtout dans la g6n6ration qui s'eleve, et l'esprit de cette generation ne peut etre regarde comme independant des maitres qui l'instruisent ou des ecrivains qui vont s'emparer de leurs ргегшёгез
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opinions. Ces ecrivains et ces maitres ne doivent jamais pouvoir se trouver en opposition avec la morale publique. En cons6quence il convient que la volonte toute-puissante de la Nation les enchaine ä ses plans, leur indique son but 1 . » Beaucoup plus important et original apparait le plan r6dig6 par Talleyrand, presentö ä l'Assemblee nationale en septembre 1791. La n6cessite et l'utilite de rinstruction, les rapports de l'enseignement avec l'Etat, l'obligation, la gratuite, la la'icite, l'organisation materielle de l'enseignement, la situation du corps en sei gn ant, les programmes, enfin l'6ducation des filles sent 6voques. L'auteur lui-meme a resume ses vues ä la fin de son rapport dans une conclusion : « En attachant l'instruction publique a la Constitution, nous l'avons consideree dans sa source, dans son objet, dans ses rapports, dans son organisation, dans ses moyens. Dans sa source eile est un produit naturel de toute activite, done eile appartient a tous, ä tous les äges et ä tous les sexes. Dans ses rapports : elle en a d'intimes, et avec la soci6te, et avec les individus. Avec la societe : elle doit apprendre ä connaitre, ä d6fendre, ä ameliorer sans cesse sa constitution, et surtout ä la v6rifier par la morale qui est l'äme de tout. Avec les individus : elle doit les rendre meilleurs, plus heureux, plus utiles. Done elle doit exercer, developper, fortifier toutes les facultes physiques, intellectuelles, morales, et ouvrir toutes les routes pour qu'ils arrivent sürement au but auquel ils sont appeles. Dans son organisation elle doit se combiner avec celle du royaume; de lä, ecole primaire de district, de departement, enfin institution nationale; mais elle doit se combiner avec liberie; car ses rapports ne peuvent s'identifier en tout avec ceux de l'administration, de lä aussi des differences locales determinees par l'interet de la science et par le bien public 2. > Ainsi, pour Talleyrand, l'instruction publique represente-t-elle une fonction sociale. Tous les membres de la societe sans aucune distinction у ont droit. De meme cet enseignement doit embrasser toutes les branches de l'activit6 humaine, et enfin, sa division en plusieurs degres permet son adaptation aux differentes classes sociales et aux diff6rentes r6gions de France. Accessible a tous, sans distinction de fortune, l'instruction primaire ne sera cependant pas obligatoire. En eSet Talleyrand se prononce pour la libertä du рёге de famille : < La Nation oflre ä tous le bienfait de l'instruction, mais elle ne l'impose ä personne 8 . » Ce paradoxe n'est qu'apparent. II s'explique par la reaction contre toute forme de despotisme qui caracterise les premices de la Revolution. D'autre part Talleyrand limite le principe de la gratuitd ä l'enseignement primaire.
1. Texte citi par Filix ΡΟΝΤΕΠ., Histoire de Γ enseignement, 1789-1965. Paris, 1966, p. 54. 2. Texte cit6 par Victor BOISD6, L'enseignement primaire sous la Revolution. Paris, 1908, p. 54-55. 3. Texte citi par V. Boisoi, op. cit., p. 56.
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C'est, pour lui, le seul que l'Etat doive ä tous les citoyens parce qu'il est n6cessaire ä tous. C'est ainsi que, dans la hierarchie pr6conis6e, en liaison avec la division administrative du pays, seules les ecoles de canton seront gratuites. Mais faut-il en deduire que Talleyrand n'envisage pas la possibility pour les elöves brillants et peu fortunes d'entrer dans les 6coles des districts? Certes pas. Les jeunes gens pauvres pourront accdder ä tous les degr6s d'enseignement grace aux bourses reservees aux 61eves les plus doues. < II faut que Γέΐένε des ecoles primaires, qui a manifeste des dispositions precieuses qui l'appellent к l'ecole superieure, у parvienne aux depens de la soci6t6 s'il est pauvre; que de l'ecole de district, lorsqu'il s'y distinguera, il puisse s'elever sans obstacle et encore ä titre de recompense к l'ecole plus savante du dipartement et ainsi, de degre en degre, et par un choix toujours plus s6vöre, jusqu'ä l'Institut national» Le plan de Talleyrand prevoit en effet toute une hierarchie ä quatre degres : les ecoles primaires au chef-lieu de canton, les ecoles de district qui correspondent aux anciens colleges, avec une scolarite de sept ann6es, les ecoles de departement qui remplacent les anciennes facultes sup6rieures (theologie, m6decine, droit, art militaire), enfin, couronnant le tout, l'Institut national, organisme de recherche et de haut enseignement ä la fois. Divis6e en un certain nombre de sections englobant l'ensemble des domaines scientifiques, cette creation supposait en contrepartie la suppression des chaires du Coll&ge de France et du Jardin des pi antes. Sur le plan des methodes et des programmes, Talleyrand propose egalement d'int6ressantes innovations. Dans les ecoles primaires on enseignerait les principes de la langue nationale, soit parl6e, soit ecrite, afin de chasser < cette foule de dialectes corrompus, derniers vestiges de la fdodalite 5 », des notions de g6ographie, d'histoire et de botanique, sans exclure les el6ments de la religion, car les constituants pour la plupart lui restaient fid£les. Mais une formation j>hilosophique et civique, comprenant les principes de la logique, de la morale et de la Constitution, s'y ajouterait. Cette id6e d6jä exprimee par Mirabeau souligne ä nouveau la prdpond6rance accordee ä la formation du citoyen, de meme que le role attribue ä l'ecole dans l'affermissement du regime nouveau issu de la R6volution. Tres complet, le plan de Talleyrand traite enfin de l'administration de l'instruction publique comme de la nomination et du paiement des maitres. A la tete de cette administration, il instaure une commission g6n6rale composee de six commissaires et de six inspecteurs. Ces derniers, nomm6s par le roi, ne pourront etre destitu6s que par le corps 16gislatif. Quant aux maitres, к la suite d'examens, ils seront inscrits sur une liste d'aptitude et 61us par les directoires
4. Texte cit6 par V. Boisofi, op. eil., p. 58. 5. Texte citd par F. PONTEJL, op. cit., p. 56.
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de district pour les ecoles primaires ou de departement pour les 6coles de district et de d6partement Seules, en d6finitive, les conceptions relatives ä l'enseignement f6minin semblent quelque peu archaiques. En effet Talleyrand, pas plus que Mirabeau, n'a compris l'avenir auquel la femme est арре1ёе; il la cantonne dans un role domestique. II lui refuse une place dans le domaine politique, d'oü peut-etre la pauvret6 de son plan sur ce point B. PROJETS DE CONDORCET L'Assembl6e Constituante se s£pare le 25 septembre 1791 sans avoir le temps de prendre en consideration le plan de Talleyrand, qui n'avait d'ailleurs pas гаШё l'unanimite. Elle se borne к admettre implicitement la liberie de l'enseignement, mais laisse έ l'Assembl6e 16gislative, qui devait lui succeder, le soin d'61aborer les lois organiques dans ce domaine. Une des premieres ргёоссиpations de la nouvelle Assembl6e fut done de creer un Comite de l'lnstruction publique et de confer ä une commission de cinq membres, dont Condorcet, Lacep£de et Romme, l'etude de la nouvelle Charte scolaire. Condorcet fut charge d'6tablir le rapport. Presente au cours des s6ances des 20 et 21 avril 1792, son texte devait servir de base к la plupart des projets r6volutionnaires ulterieurs et, par sa соЬёгепсе et son modernisme, inspirer une bonne partie des reformes entreprises au 19* sifccle. Ne en 1741, mart en 1794, membre de l'Academie des sciences ä 26 ans, de l'Acadömie franfaise ä 41 ans, le marquis de Condorcet, illustre savant et άέραίέ de Paris ä l'Assemblee legislative, avait frequent6 Voltaire et les encyclop6distes. Son projet apparait comme une synthäse de la pensee du 18* stecle. II reunit pour la ргегтёге fois les trois principes fondamentaux de notre systöme d'instruction publique : egalite, lafcite, liberte. Afin de realiser d'une fa^on concrete son objectif d'6galite, Condorcet prevoit quatre degres d'enseignement, auxquels tous les citoyens riches ou pauvres pourront acceder, et ce indέpendamment de l'enseignement postscolaire dont il pressent pour la premifcre fois le role formateur. A la base se trouvent les 0coles primaires. Afin que tous les Frangais puissent en beneficier, il les preconise tres nombreuses sur l'ensemble du territoire : « Toute collection de maisons renfermant 400 habitants aura une ёсо1е et un maitre. Dans les villages ou il n'y aura qu'une ёсо1е primaire, les enfants des deux sexes у seront admis et recevront d'un т е т е instituteur une instruction έgale. Lorsqu'un village ou une ville aura deux ecoles, l'une d'elles sera confi6e a une institutrice, et les enfants des deux sexes seront separes e . » Mais 6. Texte cit6 par J. LEIF et G. RUSTIN, Histoire des institutions scolaires. Paris, 1963, p . 104-105.
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surtout afin de rendre cette mesure efficace, il ёпопсе le principe de la gratuitf etendu ä tous les degr6s de l'instruction : des bourses, attribudes aux meilleurs elfeves en fonction du seul merite, leur ouvriront sans incidence p6cuniaire Гассёв aux trois autres degr6s d'enseignement. Les 6coles du second degr6, pr6vues dans les villes de 4 ООО habitants, donnent, pendant trois ans, une formation prim aire зирёпеиге qui атёпе aux instituts. Ceux-ci, install^ dans les departements et dans les villes import antes, correspondent aux lycees actuels. La scolarit6 у dure cinq ans. A la suite de ce troisibme stade, les έΐένββ peuvent s'inscrire dans un 6tablissement d'enseignement sup&ieur d6nomm6 lyc£e ou 6cole du .quatrteme degr6. A la division traditionnelle en quatre facultes se substitue une division rationnelle en quatre classes, calquee sur celle des instituts : sciences mathemathiques et physiques, sciences morales et politiques, application des sciences aux arts et litt6rature et beaux-arts. Le but poursuivi est expos6 par Condorcet luimeme de la fa?on suivante : < Toutes les sciences у seront enseignees dans toute leur 6tendue. C'est lk que se forment les savants, ceux qui font de la culture de leur esprit, du perfectionnement de leurs propres facult6s une des occupations de leur vie, ceux qui se destinent ä des professions ой l'on ne peut obtenir de grands succ£s que par une 6tude approfondie d'une ou plusieurs sciences. C'est Ιέ aussi que doivent se former les professeurs. Cest au moyen de ces 6tablissements que chaque generation peut transmettre ä la generation suivante ce qu'elle a re?u de edle qui l'a prdcedee, et се qu'elle a pu у ajouter 7 . > Ainsi, pour la ргегтёге fois, la double fonction professionnelle et savante de l'enseignement superieur se trouve-t-elle parfaitement evoquee, de т ё т е que l'utilite des möthodes interdisciplinaires. Dans un souci de decentralisation les neuf lycees prevus seront repartis entre Paris et les principales villes de province. En ce qui concerne l'enseignement postscolaire, Condorcet charge les maitres primaires de faire, le dimanche, des conferences к l'intention de la population active. Le second principe enonce traduit l'idee de lai'cite, base de notre enseignement moderne. Ses programmes 6cartent tout enseignement religieux. En effet c'est ä la famille et aux ministres des cultes qu'incombe cette täche. La morale seule relfeve de l'Etat. « La Constitution reconnait ä chaque individu le droit de choisir son culte, chaque culte doit etre enseign6 dans le temple par ses propres ministres 8. > II en resulte aussi l'exclusion de la theologie au niveau des etudes superieures. Enfin la troisiöme grande id6e de Condorcet se rapporte ä la notion de liberte. Afin de la faire respecter dans les programmes au-delä de l'instruction 7. Texte cit6 par Louis LIARD, L'Enseignement supirieur en France, 1789-1889. Paris, 1888, t. I, p. 155. 8. Cf. Louis LIARD, op. cit., t. I, p. 157.
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dlementaire, il tient i preciser : * La puissance publique ne peut 6tablir un corps de doctrines qui doivent etre enseign6es exclusivement.» D'autre part, il ne considere pas que robligation scolaire doive s'imposer aux parents. Selon Iui, l'Etat n'a pas к s'attribuer le monopole de l'enseignement. Π offre ses ecoles, mais chacun doit demeurer libre de chercher l'instruction ailleurs. En consequence, tout citoyen peut ouvrir, sous les conditions requises par la loi, un 6tablissement scolaire. Mais c'est surtout dans le domaine administratif que la notion de liberte trouve sa plus forte expression. Sur се point le plan de Condorcet se s6pare diam6tralement de celui de Talleyrand, car il n'admet pas que le pouvoir ехёcutif intervienne dans le domaine de l'instruction publique, l'independance devant etre un principe absolu. И faut done qu'entre les pouvoirs publics et l'instruction s'interpose une autoritd neutre soustraite par sa nature aux vicissitudes de la politique : de lä le role administratif confi6 ä un cinquifeme degr6 n'ayant pas de täches enseignantes pr6cises, la « Soci6te des sciences et des arts >, sorte de directoire forme par l'elite savante, qui re^oit la direction du corps enseignant tout entier. D'autre part, chaque degr6 d'enseignement serait administre par un conseil nomme a l'echelon superieur : les 6coles prim aires et sup6rieures seraient done dirigees et inspect6es par les directoires 61us par les lycies, et les lycees par un directoire d6sign6 par la Societe des sciences et des arts. De т ё т е les nominations des maxtres se feraient partout ä l'dlection par le degre supdrieur, la < Societe > 61isant les professeurs des lyc6es; les lyc6es, les professeurs des instituts; et les instituts, les maitres des 6coles superieures et primaires. Seule se recruterait par un systöme de cooptation la « Soci6t6 des sciences et des arts ». Le projet de Condorcet ne fut pas discut6 publiquement. L'Assemblie nationale ne pouvait se resoudre, en effet, ä admettre l'ind6pendance absolue des corps savants et enseignants. En tout cas, tel sera le grief majeur retenu contre le systöme sous l'Assemblee suivante. C'est ainsi que Daunou reprochera к Condorcet, ennemi declar6 des corporations, d'avoir voulu en constituer une d'une autre espöce en formant une sorte « d'Eglise acaddmique sans contrepoids », isolee du regime commun d'administration publique9. Comme le projet de Talleyrand, celui de Condorcet n'eut done dans l'immediat aucune suite concröte.
С. PLAN D E SIEYES, D A U N O U ET LAKANAL
Au debut de la Convention, le premier Comite d'Instruction publique comprend une majoriti de girondins. II se contente de reprendre purement et sim9. C f . Louis LIA*D, op. cit., t. I, p. 164.
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plement le plan de Condorcet et choisit pour rapporteur le mathematicien Romme. Ce dernier depose son rapport en decembre 1792 sans chances d'aboutir, puisqu'une nouvelle tendance, Celle de la Plaine, apparaissait alors, provoquant l'61aboration d'un nouveau projet en juin 1793. Connu sous le nom de ses auteurs, Sieyös, Daunou et Lakanal, се dernier differe de celui de Condorcet par le refus de tout enseignement superieur. Sieyes et Daunou ne veulent qu'une seule еврёсе d'6coles, celles qui ont « pour objet de donner aux enfants de l'un et de l'autre sexe l'instruction пёсезsaire ä des citoyens frangais10 э. Et cette instruction, il la delimite ainsi : lecture, ecriture, rfegles de l'arithmetique, art de se servir des dictionnaires, premiöres connaissances de geometrie et de physique, de geographie, de morale et d'ordre social. C'est lä le minimum qui incombe ä la Rdpublique. Par consequent, puisque l'Etat ne s'interesse plus aux etablissements scolaires d'un degre sup6rieur, les anciens colleges et les anciennes universites peuvent renaitre librement avec le personnel de leur choix, c'est-ä-dire essentiellement eccl6siastique. Ce projet, qui prevoit en outre un bureau d'inspection compose de commissaires et une Commission centrale de l'instruction publique se renouvelant par cooptation, fut violemment attaque par les jacobins et en ddfinitive n'aboutit pas. En juillet 1793 l'initiative scolaire passait en effet aux montagnards. La Commission de l'instruction publique, dont Robespierre faisait partie, devait alors se passionner pour un ecrit dont l'auteur, Michel Lepeletier, ex-marquis de Saint-Fargeau, avait ete assassin6 le 20 janvier 1793 аргёэ avoir vot6 la mort de Louis XVI.
D. PLAN LEPELETIER
Le texte du m6moire Lepeletier fut lu integralement ä la Convention par Robespierre. Une quasi-unanimite se prononce en sa faveur et une commission de six membres est alors п о т т ё е afin de l'etudier comme base d'un texte legislatif reglementant l'ensemble des etablissements d'instruction publique. L'originalit6 consistait surtout, semble-t-il, ä reclamer pour tous les enfants une 6ducation commune. On a compare ce systfcme ä une sorte de republique platonicienne : < Je demande, 6crivait son auteur, que vous decretiez que depuis l'äge de cinq ans jusqu'ä douze ans pour les garfons, et jusqu'ä onze pour les filles, tous les enfants sans distinction et sans exception seront 61eves en commun aux d6pens de la Republique, et que tous, sous la sainte loi de l'egalitö, re^oivent memes vetements, т ё т е nouniture, memes soins » Les
10. Cf. Louis LIARD, op. cit., p. 173. 11. Cit6 par BOISD6, op. cit., p. 139.
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enfants vivraient done complement dans ces 6coles, et les parents auraient la faculte de les rencontrer souvent. И у aurait une < maison d'institution » dans les villes par section, dans les campagnes par canton. Les parents seraient obliges d'y faire 61ever leurs enfants, mais cette mesure ne s'appliquerait que quatre ans apr£s la promulgation de la loi. L'inexecution de ces dispositions entraine la perte des droits civiques : l'obligation scolaire devient done formelle. Les < maisons d'institution > seraient plac6es dans les edifices nation aux, maisons religieuses, habitations d'emigr6s et autres propri6t6s publiques. Les enfants у recevraient une instruction primaire assez d6veloppee, mais l'enseignement religieux serait exclu des programmes, les enfants pouvant toutefois le recevoir au temple le plus voisin. Quant au financement, il etait r6gle de la fagon suivante : dans chaque canton la ddpense de la « maison d'institution publique >, nourriture, habillement, entretien des enfants, serait payee par tous les habitants du canton au prorata de la contribution directe. Toutefois cet id6al communautaire n'est pas le seul poursuivi par Lepeletier. Au-dessus de l'education commune obligatoire pour tous, il veut, pour une elite, une culture compete et elevee. II demande en consequence « que les sciences et les beaux-arts soient enseign6s publiquement et gratuitement par des maitres salaries par la Nation >. A douze ans les enfants regoivent une orientation : le plus grand nombre sera destine ä l'agriculture et aux arts mecaniques, quelques-uns seront choisis par concours pour l'etude des arts d'agrdment, leur scolarite et leur entretien restant ä la charge de la Republique. Quant aux travailleurs manuels, ils apprendront leur m6tier < sur le tas » et recevront des lemons compl6mentaires les < jours de deiassement >. Leg£rement modifie par la Commission de l'Instruction publique, le projet de Lepeletier re^ut un accueil favorable, et finalement la Convention adopta le 13 aoüt 1793 le texte suivant : < La Convention nationale dderöte qu'il sera form6 des €tablissements ou les enfants seront elev6s, nourris, entretenus aux depens de la R6publique; il у aura des instituteurs particuliers pour les enfants des citoyens qui ne pourront ou ne voudront envoyer leurs enfants dans ces maisons. > Mais ce texte ne fut pas mis en application puisqu'il fut rapporte le 19 octobre, deux mois aprös son adoption. Quoi qu'il en soit le plan Lepeletier marque le plus haut niveau r6volutionnaire dans l'organisation de l'enseignement. Par la suite les mesures prises et effectivement appliquees reviendront ä des ccmceptions plus traditionnelles. D'autres projets purement speculatifs seront elabores, en particulier celui de Romme, au lendemain de la Terreur, lorsque la Montagne, affermissant son pouvoir r6volutionnaire, veut ä son tour doter la R6publique d'dcoles nationales. Ce plan, qui refuse l'obligation et consacre la gratuite, n'eut aueun succös et fut vite supplant6 par celui de Bouquier. A cette epoque, la Convention entre enfin dans Гёге des realisations pra-
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tiques et de la l6gisIatioo effectivement appliqu6e en тайёге d'histoire scolaire et universitaire.
SECTION I I
LES TEXTES
LEGISLATES
Les mesures prises durant la Constituante et la Legislative ne font qu'accelirer la ruine de l'enseignement public en France : elles sont destructrices dans Tensemble. Mais ä partir de la legislation Bouquier (19 ddcembre 1793), la necessitö d'une reconstruction s'impose. Les textes sont alors ä l'origine de divers plans renovateurs qui, avec des fortunes diverses, donneront ä notre enseignement une physionomie nouvelle jusqu'ä la fin du Directoire.
A. MESURES D E
DESTRUCTION
Jusque vers la fin de 1793, les mesures destructrices prevalurent Les conventionnels le reconnurent implicitement en faisant le bilan de се qui existait en 1789 : de nombreuses universites, des centaines de colleges, des petites ecoles partout dans le pays. Cette organisation, due aux initiatives priv6es et aux pouvoirs locaux, etait certes imparfaite; des rdformes s'imposaient que l'opinion publique reclamait d'ailleurs imp6rieusement dans les < cahiers », tandis que les corporations enseignantes, comme le clerge, prenaient la tete de се mouvement de revendications. Or, que fit PAssemblee Constituante pour repondre ä cette necessite ? Deux decrets d'une portee gen6rale. Le 21 ddcembre 1789, elle charge les assemblees de departement de la surveillance de l'education publique et de l'enseignement politique et moral, et, les 3 et 4 septembre 1791, elle ins£re dans la constitution un article portant qu'il sera сгёе et organise une instruction publique pour tous les citoyens : gratuite au premier degre, eile comprendra des etablissements repartis dans l'ensemble du royaume conformement ä la division administrative. C'est dans ce but que furent 6dictees des mesures imprecises destinees ä remedier ä l'abolition des dimes et des droits f6odaux, ä pallier l'ali6nation des biens affectes dans une mesure quelconque ä l'enseignement, ainsi qu'au maintien provisoire des ecoles publiques preexistantes. Un Comitö d'Instruction publique fut cree dös le 14 octobre 1791. Ce Coinit6 discute le plan Condorcet, ргёраге la suppression des corporations enseignantes et s'efforce d'apporter aux dtablissements scolaires en d6tresse quelques secours indispensables. Lä s'arrete l'ceuvre positive de la Constituante et de la legislative, et lorsque la Convention tente ä son tour une r6organisation,
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Instruction publique n'existait pratiquement plus qu'ä l'etat de ruines. Ce fait s'explique fort bien si l'on soage aux repercussions qu'eurent dans le domaine de l'enseignement les mesures g6nerales qui furent prises au debut de la Revolution. C'est ainsi par exemple que le decret du 4 aoüt 1789, en supprimant les dimes, enleva ä l'Eglise une partie des moyens financiers affect6s ä ses ecoles. Certes le texte ajoutait: « ... jusqu'ä ce que les anciens possesseurs soient entres en jouissance de leur remplacement, ΓAssemble nationale ordonne que lesdites dimes continueront d'etre pergues suivant les lois et en la ташёге accoutumee. > En fait les dimes ne furent pas payees dans la plupart des cas, et a partir du 1" janvier 1791, elles furent supprimees. En mettant les biens du clerg6 ä la disposition de la Nation, le d6cret du 2 novembre 1789 aboutit aux memes consequences. En effet, beaucoup d'6coles, de colteges, de congregations enseignantes tiraient l'es&entiel de leurs ressources des revenus d'Eglise. 11 est vrai que ces biens 6taient exclus de la vente imposee par la loi, mais la gestion en ayant ete transf6r6e en avril 1790 aux autorit6s administratives, il n'y eut plus de mesures d'exception pour les etablissements scolaires. Enfin, derniere disposition relative au financement des 6coles anterieures a la R6volution, le decret de fevrier 1790, en supprimant les octrois municipaux, εηΐένβ bien souvent aux communes la possibilite d'entretenir une ecole. Apres avoir tari les ressources de l'Instruction publique, les lois de la Constituante et de la Legislative vont en disperser le personnel. L'Assemblee decrete l'abolition des ordres religieux le 15 fevrier 1791, impose le serment de fid6lit6 ä tous les maitres de l'enseignement: < Nul individu ne sera appele a exercer et nul professeur ne pourra continuer aucune fonction ou ne remplir aucune place dans les 6tablissements appartenant ä l'Instruction publique dans tout le royaume qu'auparavant il n'ait prete le serment civique et, s'il est eccldsiastique, le serment des fonctionnaires publics eccl6siastiques. > Les refractaires seront dechus de leurs fonctions; les directoires de departement pourvoiront ä leur remplacement. On imagine sans peine les perturbations que devaient entrainer de telles dispositions. De violentes dissensions eclatent dans les etablissements d'enseignement secondaire, dont une partie des membres se refusent ä preter serment. Les maisons d'6ducation sont alors entierement divis6es, ce qui rendait 6videmment delicat le fonctionnement d'ecoles que la Constituante tenait neanmoins ä conserver. L'Assemblee legislative alia plus loin encore puisque, par un decret du 18 aoüt 1792, eile supprima les congrägations enseignantes, c'est-ä-dire les Freres des ecoles chretiennes, l'Oratoire, les sceurs enseignantes, etc. Toutefois, l'article 6 du decret precise que les membres des associations religieuses pourront conune tous les citoyens enseigner individuellement jusqu'ä l'organisation definitive de l'instruction publique en France. Les immeubles appartenant aux congregations seraient ali6nes aux memes conditions que les autres domaines nationaux, έ l'exception des bätiments et jardins de colldges.
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В. MESURES DE RECONSTRUCTION A l'6poque de la Convention, la ruine de l'enseignement en France semble pratiquement consommee. Deux decrets, l'un du 8 mars 1793, qui confirme celui du 18 aoüt 1792 au sujet des biens appartenant aux congregations enseignantes, et du 15 septembre 1793, qui supprime les universites, aboutissent au resultat recherche : les etablissements scolaires anterieurs ä la Revolution ne sont plus en mesure de distribuer l'enseignement; il faut done, ä partir des projets de la Constituante et de la Legislative, creer un nouveau systfcme. Le decret du 19 decembre 1793 (29 frimaire an II) elabore enfln un plan d'education general. Mais auparavant la Convention avait pris un certain nombre de mesures transitoires qui ont pour but, d'une part de poser des questions de prineipes, d'autre part de tenter de sauver ce qui peut l'etre encore dans le domaine de l'education nationale. Parmi les mesures de prineipes, celle prise par la Constitution montagnarde du 24 juin 1793 precise dans l'article 22 de la Declaration des Droits de l'homme : « L'instruction est le besoin de tous. La societe doit favoriser de tout son pouvoir les progres de la raison publique et mettre l'instruction ä la portee de tous les citoyens. » Par ailleurs, l'article 54 de la Constitution donne le titre de lois aux actes du pouvoir legislatif ayant trait ä l'instruction publique, et l'article 122 garantit ä tous les Frangais une instruction commune. Quant aux mesures de conservation, elles relevent toutes de l'idee qu'il faut donner aux institutions anciennes des assises nouvelles, c'est-ä-dire les rattacher directement ä l'Etat et pour cela les soustraire definitivement aux autorites ecclesiastiques. Deux textes en ce sens sont particulierement symptomatiques. Iis concernent plus particulierement l'enseignement primaire : il s'agit des decrets du 30 decembre 1792 et du 30 mai 1793, eux-memes completes par des dispositions transitoires de fevrier 1793 et de mars 1793 relatives au paiement des instituteurs et aux pensions qui pouvaient etre allouees aux maitres des colleges et autres etablissements d'enseignement public. Le decret du 30 decembre 1792 definit les ecoles primaires : « Les ecoles primaires formeront le premier degre d'instruction, on у enseignera les connaissances rigouremement necessaires ä tous les citoyens; les personnes chargees de l'enseignement dans ces ecoles s'appelleront instituteurs. » (Pour la premiere fois le terme apparait dans les textes legislatifs.) Quant au decret du 30 mai 1793, il precise qu'il у aura une ecole primaire dans tous les lieux de 200 a 1 500 individus, et que cette ecole recevra les enfants habitant ä 1 000 toises au plus, e'est-a-dire ä environ 2 kilomfetres de l'endroit. Les deux textes de fevrier 1793 et du 8 mars 1793 concernent plus particu3
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li6rement la r6tribution des instituteurs et des professeurs en exercice. En fevrier 1793 la retribution scolaire est supprimee dans les collöges lorsque lee professeurs sont payes par une collectivite administrative. Leur traitement dans les villes de plus de 30 000 ämes est Αχέ entre 1 500 et 2 000 livres, et dans les villes de moins de 30 000 habitants, entre 1 000 et 1 500 livres. Pour completer cette disposition, il est decide le 8 mars 1793 que < le paiement des professeurs et instituteurs, tant dans les colleges que dans tous les etabli»sements d'institution publique frangais, sera ä la charge de la nation». Les traitements seront payes desormais tous les trois mois par les receveurs des districts et preleves sur le produit des contributions publiques. Les frais d'entretien des bätiments et jardins scolaires incombent egalement ä la nation. Ces diverses dispositions demeurent extremement fragmentaires. Elles ne font qu'accuser la necessite d'une reforme d'ensemble. Cette reforme risulte essentiellement de quatre textes : le decret du 30 octobre 1793 (16gislation de brumaire), le decret du 19 decembre 1793 (29 frimaire an II), plus couramment appele decret Bouquier, le decret du 17 novembre 1794 (27 brumaire an III) ou decret Lakanal, enfin la loi du 25 octobre 1795 (3 brumaire ал IV), ceuvre de Daunou. a. Decret du 30 octobre 1793 Le decret du 30 octobre 1793 pose un principe d'organisation generale : toutes les localites de 400 a 1 500 habitants doivent avoir au moins une ecole ou l'instituteur enseignera les connaissances elementaires necessaires aux citoyens pour exercer leurs droits, remplir leurs devoirs et administrer leurs affaires domestiques. Ce n'est encore qu'une ebauche, car de nombreux points ne s'y trouvent pas evoques. Ainsi le texte demeure-t-il muet sur la question, pourtant fondamentale, de l'obligation scolaire et sur celle de savoir si les particuliers ont le droit d'ouvrir des 6coles et dans quelles conditions ils peuvent le faire. Mais c'est Ιέ un debut trfcs interessant qui annonce deja l'ecole primaire de l'avenir. En effet le texte precise que l'enseignement primaire devient gratuit et qualifie les instituteurs de fonctionnaires publics. Iis perfoivent un traitement fixe et sont loges aux frais des habitants. Les enfants sont admis dans les ecoles ä partir de l'äge de six ans, l'instruction se fait dans toutes les parties de la Republique en langue fran^aise, les dialectes par consequent ne sont plus enseign6s — ceci afin de creer une langue commune ä I'ensemble du pays. Enfin le recrutement des instituteurs s'effectue de la fagoa suivante : ils sont elus par le directoire du district, et les p£res de famille choisissent ensuite sur la liste qui leur est proposee. Ne sont pas 61igibles ceux qui n'ont pas de certificat de civisme : la legislation revolutionnaire apparait ici tr^s nettement puisqu'elle precise qu'il у a incompatibilite entre les fonctions d'instituteur et le service d'un culte.
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b. Dicret Bouquier Le decret du 19 decembre 1793 (29 frimaire an II) compete ces dispositions, II est dü au plan präsente par Bouquier le 8 decembre 1793 (18 frimaire an II) ä la Convention, au nom du Comit6 d'Instruction publique. Се projet avait pour caract6ristique de proscrire < ä jamais toute id6e de corps academique, de societe scientifique, de hi6rarchie pedagogique... Les nations libres n'ont pas besoin d'une caste de savants sp6culatifs, les sciences de pure speculation detachent de la soci6te les individus qui les cultivent et deviennent ä la longue un poison qui mine, enerve et detruit les гёриbliques > Dans de tell es conditions, le decret du 29 frimaire an II ne pouvait done porter que sur l'enseignement primaire. Celui-ci est declare obligatoire pour tous les enfants de six ä buit ans sous peine de sanctions contre les parents. II est gratuit L'instituteur recevra de l'Etat un traitement proportionnel au nombre de ses έΐένββ, quel que soit le type d'ecole. Mais l'enseignement reste libre, en ce sens que chacun peut ouvrir un 6tablissement d'education sous condition de faire une declaration ä la municipalite et de fournir un certificat de civisme et bonnes mceurs, ce qui limite de fa?on indirecte la libert6 d'enseigner. Chacun peut done confier ses enfants ä l'ecole de son choix. Cependant, autre restriction, les maitres doivent enseigner la constitution et les droits de l'homme et «tiliser les ouvrages imposes par la Convention. L'enseignement devient done neutre sur le plan religieux. Enfin il se trouve soumis ä la surveillance de la municipalite, des parents et de tous les citoyens (c'est-ä-dire en fait des associations et clubs r6volutionnaires locaux). C'est pourquoi on le donnait publiquement, toutes portes ouvertes. Ce texte est extremement important ä plusieurs 6gards. Tous les principes de la ΙΠ* R6publique s'y trouvent introduits : gratuite absolue, laicite et obligation. Enfin il fait apparaitre pour la premifcre fois l'id6e de libertö de l'enseignement. Се11ечп n'existait pas dans l'ancienne France, ой le monopole de l'Eglise catholique s'imposait, de telle sorte que l'on a pu pretendre que toute revendication de libert6 dans ce domaine constituerait une atteinte directe ä son hegdmonie. En tout cas, le ргоЫёте de la coexistence d'un enseignement public et ριϊνέ ne se posait pas jusqu'au d£cret de l'an II qui сгёе un enseignement primaire public. Ce d6cret, en rejetant le monopole, tranche cette question dans le sens de la liberty. Π suflBsait, en eifet, que le citoyen d£sireux d'ouvrir une ёсЫе ddpose une declaration έ la municipalitd et justifie de son civisme ainsi que de ses
12. Cf. F .
PONTOL,
op. cit., p. 70-71.
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bonnes mceurs. Aucun brevet de capacite n'etait exige. Cependant, place sous la surveillance de tous les citoyens, l'enseignement devait etre conforme aux livres adoptes et publies par la representation nationale. Се texte nouveau s'averait done favorable aux pretres enseignants. c. Deeret Lakanal
La Convention post-thermidorienne allait-elle maintenir ces dispositions ? En reprenant les principales dispositions du decret du 29 frimaire an II, le nouveau plan, dü ä Lakanal, semble aller dans ce sens. Toutefois, il marque un recul tres net par rapport au decret du 19 decembre 1793. En effet, si la liberie de l'enseignement est maintenue et permet la coexistence d'un enseignement public et d'un enseignement ρπνέ, l'obligation scolaire reclamee par le decret Bouquier est abandonnee, car la sanction contre les parents negligents disparait. Desormais, simplement «les jeunes citoyens qui n'auront pas frequente ces ecoles (primaires) seront examines en presence du peuple ä la fete de la jeunesse; et s'il est reconnu qu'ils n'ont pas les connaissances necessaires a des citoyens frangais, ils seront ecartes, jusqu'a ce qu'ils les aient acquises, de toutes les fonctions publiques ». Une ecole par tranche de 1 ООО habitants sera creee avec une section pour les gargons et une pour les filles. L'enseignement reste gratuit, l'instituteur sera toujours paye par l'Etat qui fournit en outre une retraite et le logement. Le decret du 17 novembre 1794 precise h cet effet que l'ecole publique doit etre installee dans «le ci-devant presbytere ä la disposition de la nation ». Quant au traitement des instituteurs et des institutrices publiques, qui seuls ont un salaire fixe de fonctionnaire, il est de 1 200 livres pour les instituteurs et 1 000 livres pour les institutrices (ce traitement est porte a 1200 et 1 500 livres pour les communes de plus de 20000 habitants). Enfin, pour la premiere fois, figure dans le decret Lakanal un programme d'enseignement : lecture, ecriture, declaration des droits, constitution, elements de grammaire fran^aise, calcul simple, arpentage, notions d'histoire naturelle et recitation des chants heroiques. Ce texte laisse en suspens plusieurs questions essentielles : Celles de la formation des maitres, Celles de l'enseignement secondaire et superieur. Des dispositions ulterieures vont combler ces lacunes. Le decret du 30 octobre 1794 (9 brumaire an III) porte creation de la premiere ecole normale ä Paris. Desormais les districts de la Republique devaient envoyer dans la capitale, ä raison d'un par 20 000 habitants, des jeunes gens äges d'au moins vingt et un ans appeles а у apprendre «1'art d'enseigner », avant d'ouvrir une ecole normale regionale. Cette tentative aboutit ä un echec. En effet, les cours donnes ä Paris par des maitres eminents tels Monge, Berthollet et Bernardin de Saint-Pierre, etaient d'un niveau beaucoup trop eleve.
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Aussi trös rapidement les candidats devinrent-ils de moins en moins nombreux et, des le 20 mai 1795 (30 floreal an III), l'ecole fut-elle fermee. Aucune mesure serieuse n'avait 6te encore prise afin de renouveler l'enseignement secondaire. Sur proposition de Lakanal, le 25 fevrier 1795 (7 ventose an III), les collfcges qui continuaient ä vivoter dans l'ensemble du pays sont supprimes et les ecoles centrales (une pour 300 000 habitants, soit 5 pour Paris et 86 pour la province) les remplacent. La creation d'ecoles secondaires privees ä cote de Celles de l'Etat n'est pas prevue; toutefois, en l'absence d'interdiction expresse, on peut en admettre la possibilite. Les methodes et les programmes n'etaient pas clairement definis, mais generalement l'enseignement etait distribue sous forme de cours portant sur les lettres, les arts et les sciences que l'eleve choisissait librement. L'instruction religieuse n'en faisait pas partie. Les professeurs, nommös ä la suite d'un examen par un jury d'instruction design6 par les administrations elues des departements, etaient controles par les municipalites, et leur remuneration variait suivant l'importance de la ville ou ils exergaient. La scolarite, sous reserve d'attributions de bourses ä des eleves meritants appeles « eläves de la patrie >, demeurait ä la charge des families. Au niveau de l'enseignement superieur, la Convention, qui avait supprime les universit6s en septembre 1793, cree un certain nombre de grandes ecoles ou etablissements de recherches scientifiques. Elle consacre la tendance nouvelle : cloisonner chaque sp>ecialite dans un institut autonome sans rapport avec les autres disciplines. On ne peut done pas considerer qu'elle a renove l'ensemble du systöme ancien, mais simplement rem6die ä la carence du haut enseignement dans quelques domaines particuliers. C'est ainsi que le Museum, le Conservatoire des arts et metiers, les Ecoles de medecine de Paris, Montpellier et Strasbourg, l'Ecole des langues orientales, l'Ecole des travaux publics, future Ecole polytechnique, voient le jour. Ces etablissements subsistent tous encore a l'heure actuelle. d. Loi
Daunou
Ces diverses realisations revelent le souci de la Convention, de juillet 1794 a octobre 1795, d'innover en matiere scolaire. Malheureusement, ä la veille de sa dissolution, la loi Daunou du 25 octobre 1795 (3 brumaire an IV), consideгёе comme la charte scolaire de la Revolution, marque un recul considerable par rapport aux prec6dents projets et aux realisations anterieures. Pour l'enseignement primaire on se contente desormais d'une ou plusieurs ecoles par canton : 1'ёсо1е de village et meme de commune disparait done; l'enseignement n'est pas obligatoire, le principe de 1'ёсо1е cantonale l'exclut d'ailleurs en fait. L'enseignement n'est pas gratuit; l'Etat fournit le logement de l'instituteur et le local de la classe, non le traitement; le maitre sera done
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paye grace ä une retribution versee par les eßves. Son traitement devient ainsi fonction de la frequentation scolaire. L'enseignement reste laique et camporte meme les 61ements de la morale republicaine, mais il est limite ä la lecture, l'6criture et le calcul, c'est-ä-dire que l'education de base non obligatoire se reduit aux connaissances elementaires et que l'initiation aux sciences, a la geographie, ä l'histoire, aux techniques, n'y figure pas. Enfin l'Etat η'organise pas les 6coIes dont la charge revient aux municipalites : celles-ci et les departements designent le jury d'instruction, nomment et revoquent les instituteurs, surveillent l'ecole. Laisser cette responsabilite a des collectivites locales qui ne voient pas l'interet de l'instruction, depourvues d'experience et de moyens administratifs ou materiels, souvent hostiles ä une ecole publique, revenait ä interdire tout developpement de l'enseignement elementaire. Le titre II de la loi Daunou organise les ecoles centrales ä raison d'une par departement. II envisage la creation d'etablissements secondaires prives en marge de ceux de l'Etat, et complete les dispositions de Lakanal, en fix ant un programme pedagogique d'ensemble : les eleves suivront trois cycles d'etudes ; de douze к quatorze ans, langues, dessin, histoire naturelle ; de quatorze ä seize ans, sciences ; de seize ä dix-huit ans, belles-lettres, grammaire generale, histoire, legislation. Eux-memes choisissent les cours auxquels ils veulent assister. Enfin les bourses prevues pour les eleves meritants disparaissent. Le titre III de la loi enumerait les ecoles qui devaient constituer le degre superieur de l'enseignement et creait l'lnstitut national des sciences et des arts, reclame par Condorcet, avec ses trois classes, sciences physiques et mathematiques, sciences morales et politiques, litterature et beaux-arts, appele ä representer < un abrege du monde savant ». Ce r6gime universitaire et scolaire va subsister pendant quatre ans, durant toute la periode du Directoire qui se montra peu soucieux de ce genre de questions. Toutefois, les articles 296 ä 300 de la Constitution du 22 aoüt 1795 {5 fructidor an III) fixent les principes generaux d'organisation scolaire, dont celui de la liberie de l'enseignement. Ce regime d'inspiration moderee reflate la mentalite de la bourgeoisie qui sort victorieuse de la Revolution, aprös la tentative populaire de la Convention.
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CONCLUSION L'ensemble des textes legislatifs votes par la Convention en vue d'une reorganisation de l'enseignement en France ne revolt qu'une application tr& limitee. Les r6alisations positives de la Revolution demeurent done extremement decevantes. II n'empeche que les principes et les idees qui se sont d6gages durant cette breve periode, en ouvrant la voie de l'avenir, lui donnent une importance fondamentale dans l'histoire de l'enseignement fran?ais. Les difficulles de toutes sortes inherentes ä l'epoque revolutionnaire, au climat politique troubld, a la guerre exterieure, aux dissensions internes, au manque d'argent, alors que la nation tout entiere peut enfin s'exprimer librement, expliquent ce decalage entre les programmes des doctrinaires et les realisations des gouvernants. Dans le domaine scolaire les difficult6s rencontrees relevent de trois ordres : installation mat6rielle des 6coles, recrutement du personnel enseignant, hostilite des peres de famille. C'est dans le primaire que ces trois obstacles joueront le plus fortement. Les probtömes d'installation materielle de l'ecole proviennent surtout de la penurie des locaux ou de la vetuste des etablissements reserves ä l'enseignement. La misere des instituteurs, qui touchent un traitement aleatoire beaucoup trop modique, les contraint ä rechercher de nombreuses täches annexes et ne facilite pas leur recrutement. C'est la peut-etre le frein le plus serieux au developpement de l'enseignement primaire. Outre que les maitres sont tres mal рауёз, ils ne resoivent aucune formation partiellere, et la crise du recrutement se trouve encore accrue du fait de Eviction de tous ceux qui ont dte ecart6s soit par les evenements revolutionnaires, soit en raison de leurs id6es ou convictions religieuses. Finalement l'ecole etait faite un peu par n'importe qui, у compris par des < sans-culottes» bien intentionnes, desireux de se mettre au service de la jeunesse et de la Republique, mais qui manquaient de toute preparation, parfois destruction, et qui, oubliant que l'enseignement est aussi un m6tier technique, croyaient que la bonne volonte suffisait. L'enseignement organise sur une base laique, Oriente dans un esprit politique, presentait par ailleurs l'inconvenient de detourner beaucoup de pires de famille de l'ecole publique. Ces derniers, en effet, refusent d'envoyer leurs enfants lä oü l'on remplace le catdchisme et les evangiles par la constitution et les droits de l'homme. L'obligation scolaire n'etait done pas respectde, si bien qu'ä la suite de la legislation Bouquier, on compte seulement б 831 6coles sur les 23 125 susceptibles d'etre etablies. La 16gislation Lakanal ne devait pas remddier aux difficult6s rencontrdes lors de la mise en application du d6cret de ddcembre 1793. Bien au contraire, dans une certaine mesure, eile allait meme renforcer la des affection de 1'ёсЫе
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publique. Aussi de plus en plus, au lendemain de Thermidor, les institutions privees se reconstituent-elles. Les antirevolutionnaires peuvent plus facilement s'exposer et recreer un reseau d'6tablissements comparable ä celui qui existait avant la Revolution. De lä s'ouvre la querelle « entre les influences religieuses et lai'ques, cette dispute interminable qui va constituer un des problemes les plus irreductibles et un des aspects les plus caracteristiques de la vie spirituelle de la France moderne jusqu'ä nos jours 13 ». Sous le Directoire, ä la suite de la legislation Daunou, ce mouvement s'accuse encore : certaines administrations departementales exhortent instituteurs et institutrices ä ne pas se laisser influencer par le renouveau de la pensee religieuse tandis que de leur cote les catholiques ripostent. Les 6veques constitutionnels se montrent resolus ä r6introduire le catechisme dans les programmes scolaires, ils sont soutenus par les pretres romains qui tirent toutes leurs ressources de l'enseignement. Aussi, ä partir de ce moment, l'ecole catholique s'oppose-t-elle ä l'ecole officielle. Le gouvernement tente de reagir lors du coup de force du 18 fructidor an V. Le 17 pluviose an VI (6 fevrier 1798), il ordonne que les 6tablissement libres soient visites par les autorites municipales chargees de s'assurer si les maitres ont soin de placer entre les mains de leurs eleves «les droits de l'homme, la constitution et les livres elementaires qui ont ete adoptes par la Convention ». Ce controle n'empeche pourtant pas les institutions privees de se developper. A partir de 1798, l'Eglise l'emporte sur l'Etat. Pour les autres degres d'enseignement certaines reserves s'imposent egalement, bien que les resultats paraissent moins n6gatifs. De nombreuses ecoles centrales creees par la legislation Läkanal connurent le succös, en particulier ä Chambery, Nantes, Bourges, Vienne, Metz, Nancy, Besan?on ; certaines comptent plus de 400 el£ves. Elles progressent sous le Consulat et on leur reconnait le merite d'avoir mis en evidence «le prix des sciences exactes et des sciences d'observation ». Malheureusement elles furent amen6es par Iä ä minimiser dans les programmes l'enseignement du fran^ais et du latin, et on leur reproche bien souvent l'absence d'internat et de tout souci d'6ducation religieuse. Les memes griefs que ceux adresses aux ecoles primaires amfenent les parents ä s'en detourner de plus en plus. Avec le retour ä la libert6, les collöges prives reapparaissent sous forme de pensionnats qui rendent leur place a Tinstruction religieuse et ä la culture classique traditionnelle. Ainsi la decadence est-elle inevitable, et les ecoles centrales amenees ä disparaitre. Mais Гехрепепсе qu'elles ont tentee ne fut pas perdue. En permettant aux enfants de choisir au sortir de l'ecole primaire, d6s l'äge de douze ans, entre diflferentes options sans qu'intervienne une veritable orientation, elles leur proposaient une formation trop difficile ä la suite d'un enseignement primaire souvent trts 1 3 . A. LATREILLE et t. Ill, p. 134.
R.
R£MOND,
Histoire du catholicisme en France. Paris, 1962,
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mediocre. Les ecoles centrales revelent ainsi la necessite absolue d'un echelon d'enseignement parfaitement coherent entre le primaire et le superieur, et annoncent les programmes et les methodes des futurs lycees. Dans l'enseignement superieur, la Revolution a laisse certaines realisations concretes. Toutes les ecoles speciales n'eurent pas la meme fortune. Ainsi l'Ecole normale d'instituteurs, comme l'Ecole de Mars pour la formation acceleree des cadres de l'armee, n'eurent qu'une existence ёрЬётеге. Par contre, l'Ecole polytechnique, destinee aux futurs ingenieurs civils et militaires, se revela d'emblee une excellente formule, tandis que d'autres ecoles speciales, en se maintenant jusqu'ä nos jours, ont prouve leur utilite. Restreindre l'oeuvre de la Revolution en matiere scolaire ä ces quelques resultats positifs consisterait neanmoins ä en limiter singulierement la portee. « La raison d'etre de toute revolution legitime, sa justification dans l'histoire, c'est de marquer le point de depart et de poser les forces generatrices et les idees directrices d'une evolution nouvelle, ecrit Liard qui ajoute : or c'est bien cela qu'a fait en matiere d'enseignement la Revolution fran5aise u . » Elle a congu l'idee que 1'instruction est un bien et une necessitd, un devoir de justice envers tous les citoyens, et qu'elle doit etre largement etendue au niveau elementaire comme au niveau superieur. Ses principes d'obligation scolaire et de gratuite montrent son souci de realiser ce premier objectif. En second lieu, elle a pose le droit fondamental de l'Etat en tant que tel ä intervenir dans l'enseignement, non seulement pour le controler mais pour l'organiser. C'est un renversement des conceptions anterieures, qui laissaient a l'Eglise, sauf dans les universites, la responsabilite totale de ce domaine. Cet enseignement public sera national; secularise de la base au sommet, il sera relie aux grandes institutions. Mais la Rέvolution ne nie pas pour autant le droit laisse ä chaque individu de communiquer ce qu'il sait et ce qu'il pense. L'enseignement est un droit pour chaque citoyen et la Constitution de l'an III en reconnait formellement la liberte. La Revolution renonce ä utiliser le monopole pour evincer definitivement l'Eglise, et bien que Napoleon ait recouru a cette pratique peu apres, la conception revolutionnaire l'emportera au 19* siecle. La encore, en anticipant sur l'histoire, eile avait su fournir un modele aux legislateurs de l'avenir.
14. Louis
LIARD,
op. cit., t. I, p. 308-309.
CHAPITRE II
LE CONSULAT ET L'EMPIRE : 1800-1814 Une loi du 10 mai 1806 annonce la criation de l'Universite impiriale : « II sera jormi sous le пот d'UniversitS impiriale un corps charge exclusivement de l'enseignement et de l'iducation publique dans tout I'Empire. » Entre I'enseignement tel qu'il etmt confu ä la fin de la Revolution et celui qui existait sous FAncien RSgime, Vempereur a choisi: il impose le monopole. Les dicrets du 17 mars 1808, du 17 septembre 1808 et du 15 novembre 1811 en assureront la mise en cettvre. Toutefois, cette riforme fondamentale ne se rialisa pas sans que des travaux prSparatoires fussent effectues durant la piriode du Consulat : le plan Chaptal et la loi de 1802, plus connue sous le пот de son auteur Fourcroy, assurent la transition tout en αηηοηςαηί Vavenir.
SECTION I
LE
CONSULAT
A. LE PLAN CHAPTAL Au lendemain de la Revolution, les conseillers locaux et les conseillers gen£raux, constatant la carence de l'enseignement en France, en demandent la reorganisation. lis souhaitent en particulier le retablissement de l'enseignement confessionnel. Bonaparte invite alors Chaptal, ministre de I'lnterieur, ä etablir un projet de loi qui sera presente au Conseil d'Etat le 18 brumaire an IX. Ce projet divisait l'enseignement en trois degres : les ecoles municipals, les ecoles communales et les ecoles speciales. Les ecoles municipales donneront l'enseignement 61ementaire; le maitre sera choisi par le conseil municipal et les pöres de famille. Les ecoles communales remplaceront les 6coles centrales. On constate en effet de plus en plus que l'entree dans les ecoles centrales, dont les programmes d^tudes sont dejä trös specialises, n'est pas suffisamment preparee au niveau du primaire. L'ecole communale s'en tiendra done ä des connaissances gέneгales permettant aux enfants d'accdder ensuite aux ecoles spdciales. Ces derniferes preparent ä la mέdecine, ä la legislation, aux arts mecaniques et chimiques, ä l'histoire naturelle, ä l'agriculture et ä l'economie rurale, ä l'art vdterinaire et ä Γ art du dessin et de la musique. Au sommet du systfeme enfin, l'lnstitut national diffuserait les rdsultats des
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decouvertes et reunirait les hommes les plus competents dans le domaine scientifique. Chaptal se declarait partisan de la liberte de l'enseignement : < Pour assurer l'instruction et la rendre g6nerale et accessible ä tous, le gouvernement doit сгёег partout des ecoles publiques, mais il appartient aux droits d'un chacun d'ouvrir aussi des ecoles et d'y admettre les enfants de tous ceux qui n'ont pas pour l'instituteur public le degre de confiance necessaire 15 .» En outre, le gouvernement n'a de regard sur la personne des maltres que < sous le double rapport des mceurs publiques et la tranquillite et sürete de I'Etat; hors de lä tout serait de sa part vexation et tyrannie 16 ». Enfin il n'appartient pas ä I'Etat d'imposer les methodes pedagogiques : « Astreindre l'enseignement a des methodes generales, le circonscrire dans des lignes tracees par le pouvoir, serait en effacer le plus beau caractere, l'independance. Croire tout faire est la plus absurde vanite, vouloir tout regier la plus funeste manie 1T . » Cette liberte deplut sans doute au Premier consul; le plan Chaptal ne fut pas retenu et, ä la suite d'un certain nombre d'enquetes aupres des collectivites locales, Fourcroy fut charg6 d'en etablir un nouveau qui, remanie par Bonaparte, devint le 1" mai 1802 (2 floreal an X), la grande loi scolaire du Consulat. B. LOI D U 2 F L O R E A L A N
X
La loi du 2 floreal an X (I er mai 1802) marque une etape essentielle vers le monopole. L'enseignement primaire s'y trouve peu concerne. II est laisse au soin des communes et I'Etat ne s'en occupe que pour en confier la surveillance au sousprefet. Comme sous la Revolution, un tel principe ne pouvait mener qu'ä la stagnation : seule sa prise en charge par I'Etat aurait pu, en affectant aux communes les moyens dont elles se trouvaient depourvues, lui dormer un vigoureux essor. Les instituteurs, choisis par les maires et les conseillers municipaux, recevaient un logement de la commune, ainsi qu'une retribution des parents, fixee par les municipalites. Un cinquiёme des enfants pouvait en etre exempte pour indigence. La loi ne prevoyait ni obligation, ni gratuite. En somme, c'6tait la legislation Daunou qui continuait, et comme ni les communes ni les sous-prefets ne firent un effort particulier afin de developper l'enseignement elementaire, il passa sous le controle de l'Eglise qui, au lendemain du Concordat de 1801, jouissait d'une large tolerance et dont les congregations
15. Texte cit6 par F. PONTE IL, op. cit., p. 95. 16. Ibidem. 17. Texte citfi par L. GRIMAUD, Histoire de la liberte de l'enseignement Grenoble, 1898, p. 75.
en France.
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enseignantes venaient de recevoir la possibilite de se reconstituer. L'enseignement primaire retourne done ä l'ancien regime. Les Freres des ecoles chretiennes chasses par la Revolution rentrent en 1801 et sont autorises en 1802. Reclames dans presque tous les departements, ils reprennent leurs traditions enseignantes et sont prefers aux instituteurs lai'ques. La loi de 1802 reorganise avec soin l'enseignement secondaire. C'est dans ce domaine que son action apparait la plus dvidente. Desormais on distingue les lycees, etablissements nationaux entretenus aux frais du Tresor public, des ecoles secondares, sortes de colleges communaux ou de colleges privds. L'Etat prend directement en charge les lycees qui se substituent aux ecoles centrales, ä raison d'un par circonscription de cour d'appel. II fournit les locaux, recrute et nomme les professeurs qui sont diriges par un proviseur, un censeur et un procureur (equivalent de l'intendant actuel), ainsi que par un bureau d'administration. Le prefet, les president, procureur general et avocat general de la cour d'appel, le maire et le proviseur le composent. En definitive done, les lycees sont controls par un groupe de repr6sentants locaux de l'Etat plus que par les agents academiques. Le texte precise que les proviseur, censeur et procureur doivent etre maries ou l'avoir ete, ce qui exclut les ecclesiastiques. Mais rien n'interdit ä ces derniers d'etre professeurs de lycee. La plupart des eleves sont internes; dans la majorite des cas ils acquittent le montant de leurs frais de scolarite, mais l'Etat se reserve le droit de recruter 6 400 d'entre eux auxquels il accorde une bourse d'etudes : 2 400 parmi les fils de militaires et de fonctionnaires, et 4 000 par concours entre les meilleurs eleves des ecoles secondares communales. Nommes par le Premier consul, les professeurs pergoivent un traitement de l'Etat, avec une retenue de 5 % pour la retraite aprös vingt ans d'exercice. La discipline dans les lycees ressemble ä celle des casernes : les eleves, en uniforme, se repartissent en compagnies commandees par un sergent et quatre caporaux pris parmi les meilleurs elements. L'ensemble se trouve place sous les ordres du sergent-major qui est, comme il se doit, le meilleur eleve de 1'etablissement. Les exercices et deplacements se font au son du tambour, et on applique des sanctions de type militaire, consignee, corvees, gardes forcees, tables de penitence au refectoire, privation de l'uniforme, cachot ou les eleves sont au pain et ä l'eau, avant de proeöder au renvoi. L'exercice du culte est assure. L'arrete du 19 frimaire an XII (10 decembre 1802) decide de la nomination d'un aumonier dans chaque lycee. C'est le retour de l'instruction religieuse dans les etablissement scolaires. Quant ä l'enseignement, il est organise de fagon ä remödier ä l'orientation trop scientifique des ecoles centrales. On revient done ä une culture plus classique. Deux sections sont creees, l'une scientifique ä base de mathematiques dans laquelle on pouvait entrer aprfes une в ш ё т е et une cinquieme litteraire,
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l'autre litteraire ä base de latin. Les etudes allaient de la sixifcme ä la rhetorique (classe de premiere) qui etait suivie d'une classe de mathematiques transcendantes preparant ä l'Ecole polytechnique. La loi du 2 floreal an X prevoit d'autre part la creation d'ecoles secondaires. II faut entendre par lä toutes Celles oü l'on enseigne les langues latine et frangaise, les premiers principes de la geographie, de l'histoire et des mathematiques. Leur programme s'ecarte ainsi de celui des lycees qu'il n'est pas question pour elles de concurrencer. Qu'elles soient etablies par les communes ou tenues par des maitres particuliers, la liberie de l'enseignement leur est reconnue bien que l'article 8 de la loi, dans son paragraphe 1", stipule : «II ne pourra etre etabli d'ecoles secondaires sans l'autorisation du gouvernement. » Au principe de l'autorisation prealable s'ajoute encore celui d'une surveillance et d'une inspection particulieres de la part des prefets : « Les ecoles secondaires, ainsi que toutes les ecoles particulieres dont l'enseignement sera superieur a celui des ecoles primaires seront placees sous la surveillance des prefets. » (Art. 8 de la loi de 1802.) L'enseignement etait payant, mais les etablissements devaient recevoir des boursiers dans une proportion d'un pour cinquante eleves. Toutes ces dispositions limitaient done la liberte de ces etablissements, crees uniquement en raison de la carence de l'instruction publique. Des 1806, les 377 ecoles secondaires particulieres que l'on ddnombre sur l'ensemble du territoire comptent environ 27 700 elöves, et les 370 6coles secondaires communales environ 23 000. A ces chiffres il faut ajouter 4 500 ecoles privees qui etaient en fait plus que de simples ecoles primaires, ainsi que les ecoles non autorisees, tenues par des particuliers ou des congregations religieuses, pas toujours reconnues. Au total 75 000 Cleves environ frequentaient des ecoles secondaires diverses, contre 15 000 pour les lycdes. La loi du 2 floreal an X aborde enfin la question de l'enseignement superieur. Sur се point toutefois eile se montre tres laconique et prevoit seulement que l'etude des sciences et des arts sera confiee aux ecoles specialisees de la Revolution, auxquelles s'ajoutent des ecoles de droit, trois nouvelles ecoles d'arts et metiers, une de mathematiques transcendantes, une de geographie, histoire et economie publique, une ecole de dessin, et surtout une ecole militaire installee d'abord ä Fontainebleau, puis ä Saint-Cyr. Ces diverses ecoles, soumises au controle des pouvoirs publics au meme titre que les autres etablissements, ont chacune un bureau d'administration compose en partie de personnalites locales, prefet, maire, membres du tribunal. Ainsi ä tous les echelons, qu'il s'agisse de l'enseignement primaire, secondaire ou superieur, les memes autorites administratives sont chargees de controler l'organisation de l'enseignement et la gestion des etablissements scolaires.
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L'Enseignement fran^ais de la Revolution ä nos jours
SECTION I I
L'EMPIRE
A. LOI D U
10 M A I
1806
Elle ne comporte que trods articles. Article premier : «II sera form6 sous le nom d'Universite imperiale un corps charge exclusivement de l'enseignement et de Education publique dans tout l'Empire. > Article 2 : « Les membres du corps enseignant contracteront des obligations civiles speciales et temporaires. » Article 3 : « L'organisation du corps enseignant sera pr6sent6e en forme de lois au corps legislatif ä la session de 1810. » Le texte tr£s bref du 10 mai 1806 pose done un principe nouveau et appelle un certain nombre de precisions complementaires destin6es ä en assurer la mise en ceuvre, objet des decrets de 1808 et de 1811. Toutefois, tel qu'il se presente, il apporte deux modifications importantes qu'il convient d'expliquer : d'une part il cree une corporation universitaire, d'autre part il aboutit au monopole. L'enseignement n'est, avant 1806, qu'une administration publique, c'est-ädire « une hierarchie de fonctionnaires, mais ce n'est pas un corps au sens organique du mot, e'est un ensemble ordonne oü chacun a sa place, comme dans un mecanisme les pieces qui le constituent, mais ой aussi, comme dans une machine, 1'unite ne peut etre qu'exterieure 18 ». Les lois de l'an X et de l'an XII ne lui avaient pas donne 1'unite organique et morale. Pour у remddier, Napoleon cherche ä le transformer en une corporation v6ritable. C'est le premier but de la loi du 10 mai 1806. II faut amener le corps enseignant tout entier к s'driger peu ä реи en un groupe isole de la nation avec ses privileges et ses servitudes et ä former ä l'interieur de l'Etat et de ses institutions une entite particulifere. Peut-on parier pour autant de corporation au sens de l'Ancien Regime, et envisager ici le retour aux universites medievales ? Certainement pas. En effet les corporations de l'Ancien Regime se formaient par la base, elles etaient spontandes, ce n'etait pas un reglement emane de l'autorit6 qui les constituait, mais simplement le principe de la necessite sociale. Au contraire, avec le texte napoleonien, la corporation se constitue ä l'echelon national par une decision
18. Louis LIARD, op. eil., t. II, p. 68.
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venant du sommet. Quant aux universites mddievales, elles ne sont pas reconstituees ici, en ce sens que le corps universitäre demeure unique pour l'ensemble du pays et qu'il ne saurait etre question d'un simple regroupement a l'echelon de facultes locales. D'ailleurs, le but poursuivi exclut toute possibilite de fractionnement. Ce que l'on veut faire, c'est transformer le corps enseignant tout entier en un instrument destin6 к dinger les opinions politiques et morales du pays : с II n'y aura pas d'etat politique fixe, avait dit Napoleon ä Fourcroy, s'il n'y a pas un corps enseignant avec des principes fixes. Tant qu'on n'apprendra pas dans l'enfance s'il faut etre r6publicain ou monarchiste, catholique ou irreligieux, l'Etat ne formera pas une nation. II reposera sur des bases incertaines ou vagues, il sera constamment expose aux desordres et aux changements 19 . » Cette т ё т е intention non deguisee de redonner au pays son unite, ä un moment ou une partie de la population retourne aux principes de l'Ancien Regime, et ou l'autre tente de conserver l'idee rivolutionnaire, explique aussi la naissance du monopole universitaire, second apport du texte de 1806. Mais ici le monopole ne doit pas s'entendre au sens actuel du terme. En effet l'intention du gouvernement n'est pas d'imposer une education unique, supprimant ainsi toutes les formes non etatiques d'enseignement, mais simplement de regrouper, sous sa tuteile et son contröle, l'ensemble des etablissements sco1aires. Ainsi le monopole, tel qu'il resulte du texte de 1806, laisse subsister la coexistence des etablissements ecclesiastiques et lai'cs. Les pr6ceptes de la religion catholique sont enseignes ä cote de la fidelite ä l'empereur, ä la monarcbie imperiale et ä la dynastie napoleonienne. La la'icite et l'independance politique ne sont pas des normes fondamentales : le monopole napoleonien se limite au controle de l'enseignement. II n'en vise ni la gestion, ni l'organisation, il ne signifie pas l'unite de fonctionnement, encore moins l'uniformite dans les programmes, sauf au point de vue de la collation des grades. Aussi apr£s la loi de 1806, les etablissements prives continueront-ils ä exister, mais leur appartenance i l'Universite imperiale ne leur laissera plus qu'une liberte restreinte.
B. D E C R E T S
DE
1808
Au debut de 1808, Napoleon demandait ä Fourcroy la r£daction d'un nouveau projet qui fut adopte par le Conseil d'Etat apr£s de nombreux remaniements pour devenir le decret du 17 mars 1808, portant organisation de l'Universite. II sera complete la т ё т е annee par celui du 17 decembre. L'op6ration etait illegale en la forme : la loi de 1806, article 3, pr6voyait en effet que cette organisation serait faite par une loi et les textes de 1808 ne sont que des 19. Texte cit6 par L. LUKD, op. cit., t. II, p. 70.
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d6crets. Mais les procfcs soulev6s sur ce point sous la Restauration n'aboutirent jamais. Ces textes ont une ampleur considerable. lis enoncent que tout etablissement d'instruction quel qu'il soit devra etre agrege ä l'Universite, moyennant un droit fixe et la prestation par ses membres d'un serment special de fidelite; par ailleurs ils congoivent l'organisation d'ensemble des trois degres d'enseignement, primaire, secondaire et sup6rieur. a. Organisation de rUniversite II faut distinguer trois types d'administration : l'administration centrale, l'administration academique et l'administration prefectorale. 1. L'administration centrale. Trois hauts fonctionnaires se trouvent ä la tete de l'Universite. lis sont aidds dans leur täche par un conseil et par les inspecteurs generaux. Le chef de l'Universite, «le grand maitre le chancelier et le tresorier etaient nomm6s et revoques par l'empereur. Le grand maitre avait des attributions administratives et disciplinaires. II presidait le Conseil de l'Universite, nommait a tous les emplois universitaires, accordait les bourses, d61ivrait les autorisations d'ouvrir les ecoles, decidait des promotions, delivrait les grades, infligeait les sanctions disciplinaires. Toutes les täches administratives, la garde du sceau et des archives dependaient du chancelier, tandis que toutes les questions financieres relevaient du tresorier qui rendait compte des recettes et depenses au grand maitre. Le Conseil de l'Universit6 se composait de 30 membres dont 10 nommes a vie par l'empereur et 20 chodsis pour un an dans le corps universitaire. Ce Conseil avait des attributions ä la fois administratives, disciplinaires et pedagogiques. C'est lui qui preparait les röglements relatifs ä l'Universite, jugeait les reclamations et les affaires disciplinaires, agreait les livres ä utiliser, etc. Les inspecteurs generaux enfin, nommes par le grand maitre, assuraient l'inspection des facultes, lycees et colleges. Pour certaines missions particulieres cm recourait ä des inspecteurs extraordinaires. 2. Administration academique. L'Universite, corps unique, etait divisee en 27 academies, correspondant au nombre des cours d'appel. Le recteur, des inspecteurs d'academie et le Conseil academique presidaient aux destinees de chacune d'entre elles. Nomme par le grand maitre le recteur etait renouvele tous les cinq ans. Les inspecteurs d'academie, designee egalement par le grand maitre sur presentation des recteurs, assuraient l'inspection des colteges, des institutions, des pensions et des ecoles primaires. Le Conseil academique enfin comprenait 10 membres nommes par le grand maitre; place sous la presidence du recteur, il se reunissait au moins deux fois par mois. C'est lui qui etait charge de
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toutes les affaires contentieuses concernant les ecoles et l'academie, ainsi que de l'examen des comptes des lycees et colleges. 3. Administration prefectorale. A ces deux types d'administration s'ajoute enfin le controle supplemental de l'administration prefectorale. Elle ne possedait, il est vrai, qu'un droit de surveillance. Les sous-prefets pouvaient etre delegues par les prefets pour surveiller colleges, lycees, institutions et pensions. Les instituteurs etant nommes par les municipalites, l'administration prefectorale se trouvait done amenee ä approuver ou ä rejeter les d61iberations des conseils municipaux sur ce point. b. Organisation des divers ordres d'enseignement 1. Enseignement elementaire. Presque rien ne fut fait par Napoleon ä ce niveau et l'enseignement elementaire resta ä peu präs dans le meme etat qu'ä l'epoque consulaire. La seule difference notoire consiste dans la reconnaissance par le grand maitre, le 4 aoüt 1810, des Freres des ecoles chretiennes qui vont se repandre un peu partout et developper un enseignement populaire gratuit. Mais ce n'est pas la rfegle generale puisque dans l'ensemble des ecoles les enfants payent une retribution scolaire, sauf le cinquieme d'entre eux susceptibles d'en etre dispenses pour indigence. D'autre part, il n'existe pas d'ecoles normales d'instituteurs. La valeur pedagogique du personnel enseignant ne s'ameliore pas et la misere des maitres s'avöre parfois telle que les habitants des communes doivent se cotiser pour leur assurer un traitement. Dans ces conditions la progression du nombre des ecoles ne se fait guere sentir. De nombreuses communes rurales en restent privees et en 1813, selon M. Ponteil, l'Empire ne compterait que 31 000 ecoles primaires avec 900 000 eleves20. Rien d'autre part ne fut organise officiellement ä l'intention des filles, pour lesquelles on se contente de l'enseignement des Sceurs. 2. Enseignement secondaire. Les etablissements secondaires se partagent en diverses categories. On distingue en effet, les lycees, etablissements publics d'Etat, les colleges, ecoles secondaires communales, les institutions, colleges prives qui vont jusqu'aux classes d'humanites, les pensions ou pensionnats, coll&ges prives allant jusqu'aux classes de grammaire 21 , enfin les petits seminaires qui donnent leur 2 0 . F . PONTEIL, op.
cit.,
p.
135.
21. II n'y a pas d'instruction primaire au 1усёе. Dans les lycees les dtudes durent s£x ans. Tous les έΐένεβ refoivent la т ё т е instruction : deux ann&s de grammaire, deux ann£es d'humanit6s, une аппёе de rh£torique, une аппёе de mathimatiques sp£ciales. ( С / . F . PONTEIL, op. 4
cit.,
p.
136.)
SO
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formation aux futurs clercs mais qui en fait admettent des externes pour des etudes ordinaires. Dans ces divers etablissements, le recrutement des professeurs, directeurs et censeurs s'effectue de la fagon suivante : dans les pensions, le directeur doit etre bachelier ёэ lettres ; dans les institutions, le directeur doit etre bachelier es lettres et bachelier es sciences ; dans les etablissements prives, aucun titre n'est exige; dans les colleges et lycees, les professeurs sont au moins bacheliers lorsqu'ils professent en 6*, 5*. 4° et 3*; ceux qui enseignent en seconde et premiere sont licencies; quant aux professeurs des classes terminales, ils sont docteurs. Les censeurs des lycees sont licencies a la fois es lettres et es sciences, les proviseurs sont docteurs es lettres et bacheliers es sciences. Mais cette exigence demeure toute theorique sous l'Empire. En effet, < le decret du 17 septembre 1808 decide que les maitres qui auront dix ans de fonctions dans l'instruction publique recevront l'equivalence du grade exige, et ceci jusqu'ä la fin de 1814. Un arrete du Conseil de l'Universite du 23 mai 1809 en arrive a accorder le doctorat £s sciences aux membres de la premiere classe de l'lnstitut, aux professeurs de l'Ecole polytechnique, du Museum, du Colßge, le doctorat es lettres aux membres des 2° et 3* classes de l'lnstitut, aux professeurs du College, etc. Le 22 aoüt, les membres de l'enseignement prive ayant dix ans de fonctions dans une ecole d'enseignement complet peuvent obtenir le baccalaureat (professeurs de 6*, 5е et 4'), la licence (professeurs de 3* et Τ), le doctorat (professeurs de rhetorique et de philosophic) et en theologie (professeurs de theologie). Pour les seminaristes, ä defaut de baccalaureat, un certificat d'etudes delivre par les professeurs du seminaire jusqu'ä l'organisation des facultes de theologie suffisait (arrete du 23 juin 1809) 22 ». Dans les lycees, les modifications apportees par les decrets de 1808 s'averent significatives : seuls les professeurs loges hors de l'etablissement peuvent se marier; les autres sont obligatoirement celibataires. Iis doivent porter l'habit noir avec une palme brodee en soie bleue ä gauche de la poitrine, et pendant les cours la robe academique avec epitoge jaune ou noire, suivant la specialite, et un, deux ou trois rangs d'hermine, suivant le grade. Iis sont tenus de rapporter au grand maitre tout propos contraire ä la doctrine et aux principes du gouvernement (obligation ä la delation, ä laquelle le concordat de 1801 soumettait egalement les ecclesiastiques), enfin ils beneficient d'une retraite apres trente ans de service grace ä un prelevement de 4 % sur le traitement annuel. Mais ils sont susceptibles d'encourir diverses sanctions : arrets, reprimande, censure, mutation, suspension, retraite anticipee, radiation avec exclusion definitive de la fonction publique. Les lycees n'eurent pas plus de succes qu'auparavant aupres des families, qui h6sitaient ä envoyer leurs enfants dans ces < casernes » scolaires auxquelles 2 2 . F . PONTE IL, op.
cit.,
p.
127.
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on ne manquait pas de faire une reputation de foyers d'atheisme et de centres de mauvaise education. II faut evidemment faire la part des abus due ä une mauvaise organisation, celle de la propagande interessee de bonne ou de mauvaise foi, celle des prejuges contre une institution nouvelle qui, ä priori, entrainait plutot l'hostilite que l'adhesion. Quoi qu'il en soit les lycees ne purent guere se developper et la situation restait favorable aux ecoles secondares communales et surtout privees, de meme qu'aux ecoles ecclesiastiques, c'est-adire aux petits s6minaires. Le decret de 1808 ne mentionnait pas l'enseignement feminin. Les jeunes filles ne disposent done pas d'un enseignement d'Etat. Ce sont encore les congregations religieuses qui se chargent de completer leur education : les programmes se limitent d'ailleurs essentiellement a l'etude de l'histoire, des arts et des langues vivantes. Dioceses etrangers compris, en 1808, les congregations enseignantes disposent de 467 maisons, 6 817 religieuses et 774 novices, avec un effectif de 10 280 eleves payantes et de 15 926 eleves gratuites 23 . 3. Enseignement superieur. Les vues de Napoleon en matiere d'enseignement superieur apparaissent singuliörement d6passees έ l'heure actuelle : « La premiere, celle qui domine toutes les autres, e'est que dans l'enseignement superieur la science n'est pas un but mais un moyen. La seconde est que l'enseignement superieur a pour limites le point meme oü les connaissances cessent d'etre necessaires ä l'exercice des professions. Par suite, doivent en etre bannies toutes les theories qui ne sont que des theories, toutes les vues qui ne sont que des vues de l'esprit, en un mot toute science pure et desinteressee. La troisieme, e'est que l'enseignement superieur, qui tire sa raison d'etre de l'utilite professionnelle, en tire aussi ses divisions 24 . » Pour lui, l'enseignement superieur doit ouvrir l'acces ä des professions specialisees, Celles de juriste, de medecin, par exemple. La formation generale donnee dans les facultes de lettres et de sciences lui apparait tout ä fait superflue. En effet, durant six annees de lycee, les jeunes gens ont re?u cette formation g6nerale et, arrives au stade superieur, n'ont plus besoin que d'une specialisation. Logiquement done, une telle conception devrait exclure les facult6s de sciences et de lettres; seules Celles de droit, de medecine, de th6ologie, seraient ä organiser et ä multiplier. Pourtant, et e'est lä un des paradoxes de la r6forme de 1808, les facultes de lettres et de sciences vont etre instituees et se multiplier tandis que les autres conservent les caractöres des ecoles speciales anterieures. Ceci provient du fait que l'on attribue ä nouveau ä l'enseignement superieur les deux täches fondamentales que l'Ancien Regime lui avait assignees et qui 2 3 . C f . F . PONTEIL, op. cil., p . 2 4 . L . LIARD, op. cit., p . 1 0 1 .
136.
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l'avaient confin6 dans un univers etroit et dans une vie routiniere : preparer aux diplomes et conferer les grades (baccalaureat, licence et doctorat). En fait les facultes de lettres et de sciences ne remplirent que tr£s imparfaitement cette täche. Les disciplines du baccalaureat sont enseignees dans les classes terminales de lycee, la faculte n'intervient done que comme jury d'examen 25. Au-dessus du baccalaureat, la licence et le doctorat es lettres ou sciences supposent en principe des etudes superieures faites έ la faculte. Mais en pratique, bien souvent, on permet aux etudiants de prendre en bloc leurs inscriptions sans tenir compte de leur assistance effective aux cours. D'ailleurs, en lettres ou en sciences, les professeurs des facultes n'etaient autres que ceux des classes superieures des lycees. A cote du role particulier devolu aux facultes de lettres et de sciences, le but final de l'enseignement superieur demeure la formation des cadres 61eves de l'Etat et de la societe : militaires dans les ecoles telles que Polytechnique, techniques aux Mines ou aux Ponts et Chaussees, administratifs, financiers et judiciaires dans les facultes de droit, personnel enseignant et cadres moyens dans les facultesi de lettres et de sciences, professions liberales dans les facultes de medecine et de droit, cadres ecclesiastiques dans les facultes de theologie. Et e'est dans cet esprit que l'on a maintenu les facultes un peu comme les anciennes ecoles speciales de l'epoque consulaire. En effet, implantees au cheflieu des academies sur l'ensemble du territoire et meme ä un certain moment hors de France, les facultes, si elles font partie de l'Universite sur le plan national, ne sont pas regroupees sur le plan academique en universites regionales. Elles constitutent des etablissements separes, isoles les uns des autres. Le seul lien qui les unit tient ä leur dependance vis-ä-vis de l'Universite, ä leur soumission aux memes autorites administratives. Chacune forme un tout, chaque doyen administre sa faculte sous le contröle du grand maitre et sans rapport avec les autres doyens du meme lieu, ni les doyens des facultes de meme discipline des autres academies. Ainsi, autant on regroupe l'ensemble du personnel enseignant sous un Statut unique, autant on isole les differents etablissements pour eviter tout rapprochement entre eux et ne les relier qu'ä l'administration centrale. L'Empire se borne done ä des vues etroites sur l'enseignement superieur; il ne congoit pas les facultes comme des organismes de recherche, mais comme des services publics specialises. Aussi n'est-il pas exager6 d'attribuer au role purement
25. Le d£cret du 17 mars 1808 transftre de la facultfi au lycfe qui en prend le monopole, la preparation directe et immidiate ä l'examen du baccalaurfeat. L'article 5 du Statut du 18 octobre 1808 pr6cise en effet que « p o u r etre re?u bachelier dans la faculti des lettres, il faudra avoir seize ans accomplis, ripondre sur tout ce qu'on enseigne dans les hautes classes des lyc6es. II faudra, de plus, produire un certiiicat des professeurs d'un lyc6e vis6 par le proviseur et constatant une assiduitö de deux ans. » (J.-B. РЮВЕТТА, Le Baccalauriat de l'enseignement secondaire. Paris, 1937, p. 24.)
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mecanique de tranmission de la connaissance, d6volu aux facultes sous l'Empire, le retard de notre evolution technique et economique au 19* siöcle.
С. MESURES DE 1811
Malgre les dispositions tres precises qui, depuis 1808, obligent tous les etablissements, quels qu'ils soient, a « etre agreges > dans l'Universite, les institutions scolaires confessionnelles libres se sont developpees. Leur enseignement ne correspond pas a l'etat d'esprit gouvernemental. D'autre part, en raison de la bienveillance du grand maitre Fontanes, elles echappent au controle des prefets et ne dependent bien souvent que de l'eveque. Les differents rapports adresses au ministere de l'lnterieur en 1809 et 1810 constatent que l'Universite risque de passer sous l'influence du clerge. Napoleon lui-meme s'inquifcte de cette situation et decide d'une reforme en 1811. Le decret du 15 novembre 1811 comporte un certain nombre de rögles et de sanctions tendant ä renforcer le monopole universitaire. II preconise tout d'abord la creation de 100 lycees sur tout le territoire de l'empire : 80 sont prevus pour 1812, 20 autres pour 1813. Les locaux des lycees existants devront accueillir 300 eleves, ceux des nouveaux etablissements seront amenages pour heberger 200 pensionnaires. Pour les ecoles la'iques, on opere une distinction entre les institutions ou pensions installees dans des villes privees de lycees ou colleges, et celles qui se trouvaient dans des villes dotees de tels etablissements. Les institutions de la premiere categorie enseigneront jusqu'aux classes d'humanites inclusivement, tandis que les pensions s'arreteront au niveau des classes de grammaire (plus quelques elements d'arithmetique et de geometrie) (Art. 16.) Les institutions rivales d'un lycee ou college ne pourront enseigner que les premiers elements (lecture, ecriture) (Art. 15). Les pensions se trouvant dans les memes conditions de lieu ne pourront avoir d'internes ages de plus de neuf ans que dans la mesure ou les lycees et collöges ne pourront les accueillir. Ces diverses dispositions tendaient ä eviter la concurrence entre les etablissements publics et prives. On en escomptait les resultats suivants : que desormais dans les villes depourvues d'enseignement d'Etat, les enfants soient obliges de se rendre au lycee le plus proche pour faire les deux annees terminales preparant au baccalaureat, et que dans les villes possedant une ёсо1е publique, les enfants puissent choisir un enseignement libre uniquement pour l'education elementaire. En consequence tous les eleves ages de plus de dix ans des etablissements prives dans les villes de lycees ou colleges suivront obligatoirement les cours de ces etablissements publics (Art. 22). lis porteront l'uniforme des lycees. Enfin les prefets re^oivent ä nouveau l'ordre de surveiller les etablissements libres. Ces mesures s'appliquent aussi aux petits seminaires : «Toutes les ecoles
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L'Enseignement fran$ais de la Revolution a nos jours
plus specialement consacrees ä Instruction des eteves qui se destinent ä l'etat ecclesiastique seront gouvernees par l'Universite. Elles ne pourront etre organisees que par eile, regies que sous son autorite et l'enseignement ne pourra etre donne que par des membres de l'Universite etant ä la disposition du grand maitre (Art. 15). И у aura une seule ecole secondaire ecclesiastique par departement (Art. 27), celle-ci sera dans une ville ou il у a un college ou un lycee, aucune ne pourra etre placee ä la Campagne (Art. 28-29). Dans tous les lieux ou il у a des ecoles ecclesiastiques, les elöves de ces ecoles seront conduits au lycee ou college pour у suivre leurs classes 2e . Ces diverses dispositions sont assorties de Sanctions. Si quelqu'un enseigne publiquement et tient ecole sans l'autorisation du grand maitre, il sera poursuivi par le procureur imperial. En cas de negligence de la part de се dernier, le recteur ou le grand maitre denoncera l'infraction au procureur general. Le ministfcre public fera fermer l'ecole, pourra decerner un mandat d'arret contre le delinquant, le traduira en police correctionnelle et requerra sa condamnation qui oscillera entre 100 et 3 000 francs d'amende. De meme les etablissements prives pourront etre fermes si le grand maitre, apres information et jugement du Conseil de l'Universite, constate des abus graves dans les institutions et pensions particulieres, ou apprend que l'enseignement suit des principes contraires ä ceux professes par l'Universite. Enfin ['application des mesures de suspension, reprimande, censure ou mutation prevues par les textes appartient soit au grand maitre, soit au Conseil academique. Le decret de 1811 renforce done de facjon definitive le monopole imperial. Les mesures draconiennes qu'il prend semblent ne plus admettre le developpement de l'enseignement prive sans un controle trfcs rigoureux de l'Etat. II n'est pas facile malheureusement de chiffrer avec exactitude le nombre des eleves frequentant les etablissements prives et les etablissements publics. Les statistiques ä cet egard apparaissent en effet souvent contradictoires. C'est ainsi que 1'expose sur la situation de l'Empire en 1813 donnait 18 000 eleves dans les lycees, 50 000 eleves de colleges, 47 000 eleves d'ecoles privees. Mais, par ailleurs, les chiffres donnes par Villemain en 1843, relatifs ä cette meme periode, semblent plus moderes : 382 lycees et colleges avec 44 051 eleves, 1 001 institutions et pensions avec 27 121 elfcves. Les decrets de 1811 auraient done renverse la situation au benefice de l'Universite. Mais ce n'est pas lä un avis general 27 . Ce qu'il у a de sür, c'est que les adversaires de l'Universite ont immediatement reagi et fait tout ce qu'ils ont pu pour tourner le decret de 1811. Les nombreux etablissements ecclesiastiques continuent a prosperer, en particulier les petits seminaires qui accueillent beaucoup d'externes pour leur scolarite compete et ce en dehors meme de toute vocation ä l'etat ecclesiastique. Dans 2 6 . C f . L . GRIMAUD, op. cit., p . 1 0 0 . 2 7 . C f . F . PONTEIL, op. cit., p . 1 5 3 .
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certaines regions, l'application des nouvelles regies fut mal surveillee. Les autorites responsables elles-memes ne signalent pas les irregularites, ä tel point que Guizot, en 1816, constate que l'administration universitaire sous l'Empire n'a cesse de « propager les principes religieux, les habitudes pieuses, les bonnes doctrines morales э.
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CONCLUSION Le bilan du role de l'Empire en matiere scolaire et universitaire peut s'ordonner autour de trois remarques generales. L'enseignement primaire n'a pas progresse. Seuls les enseignements secondaire et superieur ont ete reorganises. Meme si le niveau et les methodes laissent encore a desirer, les facultes, lycees, colleges, ecoles secondaires privees donnent un meilleur enseignement que celui de la Revolution et de l'Ancien Regime. La priorite accordee ä ces deux ordres d'enseignement correspond a un choix social et politique dans le sens des interets de la bourgeoisie. D'autre part, sous 1'apparence d'un monopole etatique strict, seul le cootrole de l'Etat est reel. En fait, face au developpement considerable des etablissements ecclesiastiques, l'empereur dut multiplier les textes pour limiter leur liberte. L'influence de l'Eglise fut done malgre tout considerable. Le grand maitre Fontanes lui etait devoue, un eveque occupait le poste de chancelier, un pretre et de fervents catholiques etaient membres du Conseil de l'Universite, des pretres dirigeaient lycees et colleges ou у enseignaient; les preceptes de la religion catholique figurent au premier rang des programmes ä cote de la fidelite ä l'empereur, < ä la monarchie imperiale, depositaire du bonheur des peuples, et ä la dynastie napoleonienne, conservatrice de l'unite de la France et de toutes les idees liberales >. Par consequent les etablissements prives se fondent sans difficultes durant l'Empire. lis conservent une certaine autonomie de fonctionnement, malgre le controle qui leur est imposd, et leur importance s'affirme presque egale ä celle des etablissements de l'Etat : la notion de monopole etatique ne doit pas preter a confusion. Enfin l'Universite imperiale a etabli le cadre juridique et administratif destine ä conditionner la vie des etablissements et l'organisation de l'instruction durant tout le 19* siöcle. Les luttes scolaires vont desormais se concentrer autour des ргоЫётев inherents au principe du monopole.
CHAPITRE III
LA RESTAURATION : 1814-1830 Avec le retour de la monarchie, une revision complete de I'edifice social s4mposmt. L'Universite napoleonienne semblait alors condamnee. Pourtant, ά la difference d'autres institutions, eile devait etre sauvee, mais moins par la logique des choses que par le jeu des circonstances. Liard resume en ces termes sa destinee sous la Restauration : « Des instititutions imperiales, il n'en etait pas une qui parüt plus qu'elle menacee de disparäitre avec I'Empire ; tout semblait le presager, et son origine qui la reliait a la Revolution, et l'office politique qu'avait voulu pour eile son fondaieur, et son monopole oil I'on voyait une entreprise sur les consciences et ses tendances reelles ou supposees qui la mettaient en antagonisme avec les nouvelles puissances du jour. De fait eile fut condamnAe, et d'un verdict ά реи pres unanime; on redigea тёте et Гоп publia sa sentence de mort. Pourtant eile continua de vivre, d'abord au jour le jour, de sursis en sursis, suspecte et toleree, puis petit ä petit raffermie, consolidee, plus tard rehabilitee et abritee par le pouvoir royal lui-meme, finalement triomphante et incorporee plus completement que sous I'Empire ά l'organisme gouvernemental28. » De tels revirements s'expliquent : la liberie accordee par la charte de 1814 permet aux partisans et adversmres du monopole de s'affronter avec violence et de prendre conscience des incidences politiques possibles du regime de l'iducation nationale. L'histoire de l'enseignement se trouve disormais directement melee aux luttes politiques de l'äpoque. Or, durant la Restauration, ces luttes ne manquerent pas. La monarchie liberale (de 1814 ä 1820), le gouvemement des ultras (1820 ά 1827), puis le retour ά un gouvernement modere (1827 a 1830) sont autant de phases qui remettent en cause, chacune ά leur tour, le sort de l'enseignement. Dans се climat politique trouble, la societi fran^aise evolue. La nicessite d'un enseignement populaire se fait sentir. La monarchie libirale reclame des citoyens eclaires, les progres de la technique et la montee du capitalisme rendent necessaire une instruction des cadres de base : < II n'est aucune situation, ecrit Guizot en 1816, aucune profession qui n'exige certaines connaissances sans lesquelles I'homme ne saurait travailler avec fruit, ni pour la societe, ni pour lui-meme » On rejoint done id les vues des Sconomistes liberaux, en particulier celles d'Adam Smith, qui priconisaient Гinstruction du peuple a 28. Louis LIARD, op. cit., t. II, p. 125-126. 29. Texte cit6 par GONTARD, L'Enseignement loi Guizot. Paris, 1959, p. 207.
primaire en France de la Revolution
ά la
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L'Enseignement frangais de la Revolution ä nos jours
l'instar de certaines conceptions etrangit res. he primaire avait ete neglige sous I'Empire, les conceptions sociales nouvelles vont tenter de le reorganiser completement. L'histoire de Venseignement durant la Restauration s'ordonne done autour de deux idees essentielles : luttes autour du systeme scolaire et evolution de la notion du monopole d'une part, reorganisation de Venseignement pnmaire d'autre part.
SECTION I
LUTTES
A.
SOUS
AUTOUR
LA
DU SYSTEME
MONARCHIE
LIBERALE
SCOLAIRE
(1814-1820)
Le rapport du roi aux chambres sur l'etat de la France insiste sur la necessite de rendre ä l'education nationale son liberalisme traditionnel, pour se maintenir au niveau des lumieres de l'Europe. Les premiers actes du souverain traduisent cette preoccupation : l'ordonnance du 5 octobre 1814 modifie les decrets de 1811 en faveur des petits seminaires. Le roi congoit l'importance primordiale que presente pour l'episcopat l'instruction des jeunes gens qui se destinent au sacerdoce. Des lors les autorites ecclesiastiques pourront gerer une ecole secondaire departementale dont ils nommeront les chefs et les instituteurs. Contrairement aux dispositions du decret de 1811, rien ne s'oppose plus ä leur installation ä la Campagne et dans les lieux ou il n'y a ni lycee, ni college communal. Enfin elles ne paieront pas la retribution. L'ordonnance du 15 fevrier 1815 tendait ä supprimer l'Universite imperiale. En effet, eile la morcelait en 17 universites, dotees d'une organisation separee et complete : un conseil, un recteur, des etablissements. L'Ecole normale constituait le point de rencontre des eleves qui allaient у apprendre a enseigner, puis retournaient dans leur province. Le grand maitre etait supprime et remplace par un Conseil royal dont le cardinal Bausset, eveque d'Alfes, prenait la presidence. Toutefois ce texte tres favorable aux liberaux n'abolissait pas le monopole : « Nul ne peut etablir un etablissement ou un pensionnat, ou devenir chef d'une institution ou d'un pensionnat dejä etabli, s'il n'a ete examine et düment autorise par le Conseil de l'Universite, et si cette autorisation n'a ete approuvee par le Conseil royal de l'instruction publique » (Art. 12 de l'ordonnance du 15 fevrier 1815). Cette disposition ne fut pas appliquee ; ä peine quinze jours plus tard, NapoΙέοη debarquait ä Cannes, et un de ses premiers soucis en arrivant ä Paris consistait ä retablir l'Universite imperiale telle qu'elle etait organisee par le decret du 17 mars 1808.
La Restauration
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Les Cent-Jours passes, Louis XVIII allait-il renoncer au monopole ? Une ordonnance du 15 aoüt 1815 decide de surseoir «ä toute innovation importante jusqu'au moment ou des circonstances plus heureuses nous permettront d'etablir une loi, les bases d'un systeme defmitif 30 ». Ainsi, provisoirement, le regime scolaire de l'Empire se poursuivait-il dans ses grandes lignes au profit du pouvoir royal. Certaines reformes cependant en assouplissaient le regime. Une Commission de l'Instruction publique regroupant les pouvoirs du grand maitre, du Conseil de l'Universite, du chancelier et du tresorier de l'Universite imperiale, fonctionnait sous le controle du ministre de l'Interieur. Le 31 octobre 1815, 17 facultes des lettres et 3 facultes de sciences etaient supprimees. Ainsi l'Universite se survivait-elle, et une telle situation ne pouvait evidemment manquer de susciter de nombreuses polemiques. Guizot et Royer-Collard prennent fait et cause pour le monopole, tandis que Lamennais mene l'opposition. Le conflit des lors ira toujours croissant. Certaines mesures favorables ä l'Eglise interviennent ä ce moment. L'ordonnance du 29 fevrier 1816, en particulier, rend ä l'Eglise catholique des droits etendus sur les ecoles, ce qui etait dans la logique d'une monarchie de droit divin et de legitimite traditionnelle. Ainsi les candidate instituteurs devaient-ils pr6senter un certificat de bonne conduite delivre par le maire et le eure, auquel s'ajoutait un brevet de capacite confere par l'inspecteur d'aeademie apres examen. D'autre part, ä la suite d'une transposition des conceptions napoleoniennes, la base de l'enseignement devient la religion, le respect des lois et l'amour du souverain (Art. 30), d'oii (Art. 40) le droit d'inspection des archeveques et eveques dans les ecoles catholiques. Enfin la surveillance de ces ecoles releve pour partie d'un « comite gratuit et de charite cree dans chaque canton, comprenant de droit le eure, le juge de paix, le principal du college, et pour partie de deux surveillants speciaux, «le eure et le maire ». L'Eglise ne fut pas tres satisfaite de ces mesures qui lui semblaient encore trop eloignees de la situation de l'Ancien Regime, qu'elle aurait souhaite reconduire totalement. En 1819, pourtant, eile enregistrait une nouvelle victoire, lorsqu'une circulaire en date du 16 mars decidait que les Freres des ecoles chretiennes font partie de l'Universite, mais qu'ils obtiennent leurs brevets sur le vu de la lettre d'obedience delivree par leur superieur general. Ce dernier detenait le brevet individuel et restait libre de nommer et de deplacer les Frferes. Par consequent, ces ecoles n'appartenaient plus ä l'Universite que nominalement. Cet accord fut etendu aux congregations enseignantes de femmes legalement reconnues. Malgre ce progrfcs, les attaques du parti pretre continuent avec virulence.
3 0 . С / . L E I F e t RUSTIN, op.
cit.,
p. 134.
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L'Enseignement frangais de la Revolution ä nos jours B. SOUS LE GOUVERNEMENT DES ULTRAS (1820-1827)
Dans la nuit du 13 au 14 fevrier 1820, le due de Berry fut assassine. Sa mort amena les ultras au pouvoir. Decazes demissionna des le 20 f6vrier, remplace d'abord par le due de Richelieu, puis en 1821 par le comte de Viltele qui fut president du Conseil jusqu'en 1828. Ce changement de politique devait avoir des incidences sur le plan de l'histoire scolaire. En effet, si le monopole se maintient avec les amenagements de la periode precedente, il tend desormais ä jouer en faveur de l'Eglise. La nomination, le I er juin 1822, de l'abbe Frayssinous comme grand maitre de l'Universite semble symptomatique ä cet egard. Le grand maitre assurera egalement les fonctions de recteur de l'Academie de Paris et l'une de ses premieres decisions (ordonnance du 6 septembre 1822) consiste ä supprimer l'Ecole normale superieure, afin de tarir le recrutement des professeurs la'iques pour les lycees. Ensuite il multiplie pour les congregations les automations d'enseigner, jusque-la limitees. L'ordonnance du 26 aoüt 1824 cree un ministere commun des Affaires ecclesiastiques et de l'Instruction publique. Frayssinous en regoit le portefeuille, tout en restant grand maitre de l'Universite de France et recteur de l'Academie de Paris. A cote de ces mesures toutes personnelles s'en ajoutent d'autres plus importantes qui consacrent l'influence religieuse dans le domaine de l'enseignement. II s'agit de l'ordonnance du 27 fevrier 1821 et de celle du 8 avril 1824. L'ordonnance du 27 fevrier 1821 comporte trois dispositions essentielles : 1. L'eveque, pour tout ce qui concerne la religion, avait le droit de surveillance sur tous les colleges de son diocese; il pouvait les visiter, et provoquer aupres du Conseil royal les mesures necessaires (Art. 14); 2. Les maisons particulieres qui avaient merite la confiance des families pouvaient etre elevees au rang de « colleges de plein exercice » (Art. 21, 22, 23); 3. Les cures ou desservants avaient la possibilite de former deux ou trois jeunes gens pour les petits seminaires, sans avoir ä payer la taxe universitaire, ce qui constitue une atteinte directe au monopole. Certaines dispositions concernent le traitement des aumöniers de colleges ainsi que leurs statuts. En raison de l'importance croissante de leur role, on leur accorde les memes avantages qu'aux censeurs. L'ordonnance du 8 avril 1824 place l'enseignement primaire sous le controle complet de l'Eglise catholique. Les autorites universitaires jugent de la capacite pedagogique et professionnelle des instituteurs, qui se materialise par la delivrance du brevet de capacite. Mais la surveillance, I'autorisation d'enseigner (necessaire en plus du brevet de capacite) et le droit de revocation reviennent ä l'eveque selon deux modalites differentes : s'il s'agit d'une ecole dite « dotee », e'est-a-dire qui vit des dotations offertes par les communes, par les
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particuliers ou les associations, et en outre si eile regoit au moins 50 elöves gratuits, les attributions appartiennent ä un comite preside par l'eveque; s'il s'agit d'une ecole * non dot6e », c'est-ä-dire ne remplissant pas toutes les conditions ci-dessus, elles appartiennent directement ä l'eveque. On peut dire que l'instituteur redevient alors ä peu ргёв се qu'il etait sous l'Ancien Regime : une sorte d'auxiliaire du eure qu'il assiste dans diverses tüches extra-scolaires, et sous l'autorite duquel il instruit les enfants de la commune, car en fait e'est ä ces conditions qu'il re9oit l'autorisation d'enseigner et conserve son poste. Suspensions et destitutions se succedent. Les recteurs, inspecteurs, proviseurs surtout, censeurs et professeurs de tous ordres, revoques, sont remplaces presque partout par des ecclesiastiques depourvus de competence p6dagogique. La faculte de medecine de Paris est obligee de suspendre ses cours, puis eile est reorganisee. Celle de droit perd plusieurs enseignements : droit administratis droit naturel, histoire du droit et economie politique. Une telle situation ne devait pas manquer de provoquer une violente reaction, une veritable resistance, non seulement dans le corps enseignant, mais chez les legitimistes et les catholiques les plus convaincus. La presse liberale s'en prend en particulier au retour des jesuites. A la suite de la reconnaissance de la Compagnie de Jesus par le pape Pie VII, le 7 aoüt 1814, l'episcopat fran?ais devait en favoriser la rentree. Cest ainsi qu'en 1827 on compte 364 peres jesuites, dont 297 employes dans 8 maisons d'education. Les liberaux denoncent alors avec violence l'illegalite et surtout l'immoralite de се retour : « Les jesuites nous sont rendus, ecrivait La Minerve des decembre 1819 ; au milieu de nous sont replaces des hommes que depuis un siecle les chaires, les confessionnaux, les colleges, le sol enfin, avaient cesse de supporter, des hommes chasses de tous les Etats, qui ne s'accommodaient ni de la corruption des peuples, ni de l'assassinat des rois... On reconstitue, on dote leurs couvents, on leur donne tous ensemble, nos biens ä devorer, nos families ä corrompre, et notre pays ä detruire S1. > Mais l'afiaire devait surtout s'envenimer lorsqu'un gentilhomme auvergnat, Montlosier, lan$a un memoire « ä consulter sur un systeme religieux tendant ä renverser la religion, la societe et le trone ». Ce memoire eut un retentissement consid6rable. Frayssinous se voit contraint d'avouer que les jesuites sont rentres illegalement en France, qu'ils у enseignent et у sont toleres. L'opposition renverse le gouvernement sur cette question. Villfcle est remplace par Martignac, e'est la fin de la politique des ultras. C. LES D E R N I E R E S
ANNEES
DE
LA
RESTAURATION
(1827-1830)
Vatimesnil regut le portefeuille de l'Instruction publique, desormais dissocie de celui des Cultes que conservait Mgr Frayssinous, bientot remplace par Mgr Feutrier, eveque de Beauvais. 31. C f . A . LATREILLE et R . RIMOND, op. cit., t. I l l , p . 245.
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L'Enseignement frangais de la Revolution ä nos jours
II allait se montrer ferme en face des pretentions clericales. En effet, un des premiers actes du nouveau gouvernement fut de faire nommer une commission chargee de constater l'etat des 6coles ecclesiastiques secondaires, leur conformite aux differentes dispositions legislatives en vigueur, et de rechercher les moyens d'assurer ä leur egard l'execution des lois du royaume. La commission reconnut d'abord l'irregularite de la presence d'enfants non destines au sacerdoce dans de pretendus sdminaires. Deux textes legislatifs tentent alors de corriger les abus de l'Eglise. L'ordonnance du 21 avril 1828 replace les ecoles sous l'autorite de l'administration academique et revient en gros ä l'ordonnance de 1816 : un comite d'arrondissement est superpose aux comites cantonaux de surveillance; les instituteurs qui continuent a donner l'enseignement religieux doivent etre capables de le faire. Pour en temoigner on exige d'eux un certificat delivre par un delegue de l'eveque. D'autre part la situation particuliere des Fräres des ecoles chretiennes fait l'objet de nouvelles dispositions quant au brevet de capacite auquel les Freres refusaient de se presenter, sous pretexte que leur qualite et l'autorisation de leur superieur attestaient de leur vocation d'enseignants. Deja en 1819 on avait trouve une solution de transaction ä ce propos : le recteur leur remettait un brevet sur simple presentation d'une lettre d'obedience de l'eveque. L'ordonnance de 1824 legalisa cette pratique. Dös lors il existait deux categories d'instituteurs : ceux qui devaient obtenir le brevet apres examen, et les Freres qui l'obtenaient ä titre d'equivalence de la lettre d'obedience delivree par l'eveque. Une ordonnance complementaire du 16 juin 1828 interdisait aux membres des congregations non autorisees de diriger « une ecole secondaire ecclesiastique », c'est-a-dire un petit seminaire, ou d'y enseigner. Cette mesure visait evidemment les jesuites. D'autre part, le nombre des eleves de ces ecoles etait limite a 20 000; elles ne pouvaient recevoir que des internes; les eleves ages de plus de quatorze ans etaient tenus, apres deux ans de sejour, de porter l'habit ecclesiastique; quant aux directeurs, proposes par l'eveque, ils devaient aussi etre agrees par le roi. Ces differentes mesures soulevent de nombreuses controverses. Lamennais en particulier se distingue par son ouvrage Du Progres de la Rivoluiton et de la guerre contre l'Eglise. Dans la presse se heurtent les cris de triomphe des D4bats : < Le sceptre de l'Inquisition est brise », et les cris de douleur de la Gazette de France : «11 ne reste plus qu'a consommer l'avenement de la Republique et l'erection des autels de la deesse Raison 32. » Dans le monde ecclesiastique, les eveques prennent pour la plupart une attitude belliqueuse en face de ce qu'ils considörent comme un empiötement sur leurs prerogatives.
3 2 . Cj.
A . LATREILLE e t R . RfMOND, op.
cit.,
t . ILL, p . 2 4 9 .
La Restauration
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Seuls les conseils de moderation du nonce a Paris finissent par faire ceder les plus gallicans et les forcent a se plier ä la nouvelle reglementation.
SECTION II
LE DEVELOPPEMENT
DE L'ENSEIGNEMENT
POPULAIRE
Durant la Restauration, les divers types d'enseignement, primaire, secondaire, superieur, subirent tous le contrecoup des transformations politiques. Toutefois l'enseignement primaire surtout re^ut des modifications. L'enseignement secondaire, en effet, avait ete considerablement ameliore sous l'Empire, et sa structure demeurera pratiquement ce qu'elle etait ä cette epoque, bien que l'opposition liberale marque un avantage. Vatimesnil reintroduit en effet dans les programmes les matieres qui en avaient ete exclues, accorde une place plus importante aux sciences et decrete que les lemons de philosophie se donneront exclusivement en fran?ais. C'etait revenir ä l'esprit des ecoles centrales de la Convention et s'eloigner de l'enseignement traditionnel prone par l'Eglise. A partir d'une disposition du Statut de 1821, favorable aux jeunes gens peu aptes aux etudes classiques, on cree un enseignement distinct en vue des carrieres commerciales ou industrielles. Ces cours speciaux sont ä l'origine des reformes qui aboutiront plus tard ä notre enseignement secondaire moderne. D'autre part, une ordonnance du 17 fevrier 1815 avait fait du baccalaureat la condition ргегтёге de toute carriere liberale. A la suite de nombreuses mesures transitoires, la circulaire du 19 juillet 1820 etend cette exigence ä l'acces aux grandes ecoles et aux administrations de l'Etat. Α dater de ce moment done « le grade de bachelier va ouvrir l'entree ä toutes les professions civiles et devenir par consequent pour la societe une garantie essentielle de la capacite de ceux qu'elle admettra ä la servir 3 3 ». C'est la consecration definitive de cet examen. , L'enseignement superieur n'echappe pas davantage ä la rigueur de la lutte qui se poursuit entre les monarchistes et une elite intellectuelle encore inspiree des idees directrices de la Revolution. Des professeurs suspects de liberalisme sont revoques ou suspendus de leurs fonctions. L'Ecole normale de Paris est supprimee et l'on exclut des facultes de droit les enseignements susceptibles de propager des idees liberales. Mais sous le minist£re Martignac, avec le retour en Sorbonne d'hommes comme Cousin et Guizot, l'enseignement superieur reprend sa liberte dans la diffusion des idees. 33. Texte citi par J.-B. PIOBETTA, op. cit., p. 34.
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II n'en reste pas moins que les mesures les plus constructives de la Restauration interviennent dans le domaine de l'enseignement primaire. C'est ä cette epoque que son retard s'accuse le plus nettement. En effet les enseignements secondaire et superieur avaient ete ameliores sous la pression de la bourgeoisie eclairee et de la jeunesse liberale qui у etaient directement interessees, tandis que la masse, bien souvent miserable, n'avait guere la possibilite de reagir par elle-meme. Cette reorganisation soubaitable se presente sous un double aspect, administratif et pedagogique. A. ORGANISATION ADMINISTRATIVE
L'ordonnance du 19 fevrier 1816 prescrit : « Toute commune sera tenue de pourvoir ä ce que les enfants qui l'habitent refoivent l'instruction primaire, et ä ce que les enfants indigents la regoivent gratuitement. » (Art. 14.) C'etait la un grand progres, et, effectivement, le nombre des communes pourvues d'6coles passa de 17 000 a 24 000 (sur 44 000) entre 1817 et 1820. Pour les filles le nombre d'ecoles resta minime (10 000 en 1830) et l'ordonnance interdit absolument les ecoles mixtes. De plus, il etait forme dans chaque canton un « comite gratuit et de charite pour surveiller et encourager l'instruction primaire ». Preside par le cure, il est compose du juge de paix, du principal du college, du sous-prefet et du procureur, plus trois ou quatre membres nommes, notables designee par le recteur sur avis du sous-prefet et de l'inspecteur d'academie avec l'approbation du prefet. Ce comite intervient dans la nomination et la revocation des maitres, il les controle et suscite la creation d'etablissements scolaires. Des organismes analogues existent egalement pour les ecoles protestantes et Israelites. D'autre part, pour pallier la penurie des maitres, la loi sur le recrutement du 10 mars 1818 accorde l'exemption du service militaire, qui durait six ans par tirage au sort, aux membres de l'Universite ayant contracte l'obligation decennale de se vouer au service de l'instruction publique, et ce en particulier aux instituteurs primaires. Mais par ailleurs, les textes legislatifs exigent de ces mcmes instituteurs la possession d'un brevet de capacite ä trois degres : celui du troisieme degre habilite a enseigner, ä lire, ä ecrire et ä apprendre les chiffres; le deuxieme est accorde ä ceux < qui possedent bien l'orthographe, la calligraphie et le calcul, et qui sont capables de donner un enseignement simultane analogue ä celui des Freres des ecoles chretiennes » ; le premier degre ou superieur autorise ä enseigner la grammaire, l'arithmetique, la geographie et l'arpentage. Le recteur delivre le brevet apres un examen subi devant l'inspecteur d'academie ou un autre fonctionnaire designe par ses soins, le plus souvent un principal de college. Depuis 1816 l'enseignement primaire re?oit une subvention du Tresor public. Cette subvention modeste (50 000 francs), bien qu'elle augmente par la
La Restauration
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suite reguförement, n'empeche pas l'instituteur de continuer ä traiter avec la municipalit6 quant au montant des retributions payees par les parents. Par cons6quent les exigences nouvelles en тайёге de capacite ne correspondent pas ä une amelioration de la condition des maitres. Ceux-ci sont toujours fort mal traites et contraints de se plier ä la tutelle de l'Eglise, qui retrouve son ancienne autorite sur l'ecole. II est vrai qu'au cours de la Restauration cette autorit6 devait se manifester de multiples fa^ons, pour revenir en 1828 aux dispositions de l'ordonnance de 1816 34 . A la fin de la Restauration l'ordonnance du 14 fevier 1830, dite ordonnance Guernon-Ranville 35, marque l'aboutissement de toutes les dispositions destinees ä soustraire l'enseignement primaire aux ecclesiastiques. Elle en confie le financement ä l'Etat et compete les textes de 1816 en mettant les communes en demeure de se pourvoir de « moyens suffisants d'instruction ». Les conseils municipaux devaient par consequent etre en mesure de voter des subventions destinees ä l'ecole et a son instituteur. II у avait la, pour ce dernier, cr6ation virtuelle d'une veritable carriere avec traitement fixe, avancement et pension. Cette ordonnance resta lettre morte, mais eile annonce tout l'essentiel de la loi Guizot de 1833. Enfin les ecoles normales d'instituteurs furent multipliees. A la suite de quelques creations de 1823 dans la Moselle et dans la Meuse, Vatismesnil, en 1828 et 1829, tente de les generaliser dans tous les departements. П у en eut 11 nouvelles en 1829 et 47 au total en 1832. Celle de Paris fut ouverte en 1831.
B. REFORME PEDAGOGIQUE
C'est sous la Restauration qu'apparait l'enseignement mutuel, r6forme pedagogique importante qui devait dechainer les passions et opposer une fois de plus catholiques et liberaux. En 1803, un Anglais, Lancaster, publiait un livre intitule Amilioration dans I'education des classes industrielles de la societe, qui posait les principes de l'6cole mutuelle, et qui fut traduit douze ans plus tard par le due La Rochefoucauld-Liancourt. La Societe pour l'instruction elementaire, fond6e en 1815 pendant les Cent-Jours, se livra aussitot ä une intense propagande en France. De nombreux etablissements de ce genre furent alors crees ä Paris surtout, mais aussi ä Besangon, Arras, Bordeaux, Poitiers, Nantes, Lyon, etc. La £ίοώέΐέ formait des maitres, creait des 6coles d'adultes et redigeait des ouvrages pedagogiques. Elle obtint l'adhesion de l'Empire des Cent-Jours, notamment avec Lazare Carnot, et continua ä se developper, puisqu'en 1817 tous les arrondissements de Paris etaient pourvus de < mutuelles >. En 1820 la 34. C). supra, p. 63. 35. Du пот du nouveau ministre de l'Instruction publique. 5
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L'Enseignement fran^ais de la Revolution ä nos jours
France en compte 1 500 qui absorbent la plus grande partie du credit annuel de 50 000 francs consacre ä l'enseignement primaire. Quelle 6tait done cette m6thode et к quoi peut-on attribuer son succfce? La methode consistait ä confier ä un έΐένβ plus avancd le soin d'enseigner i ses camarades ce que lui-meme savait deja : lire, ecrire et compter. Lee enfants s'enseignaient done les uns les autres. Reunis en classes selon leur niveau dans chaque matiere, ils pouvaient, en cours d'annee, passer dans une classe plus forte, une fois qu'ils avaient acquis les connaissances n6cessairee. Par consequent, il est concevable de se situer ä un niveau different selon lee disciplines, en lecture, en 6criture ou en calcul, mais aussi il se produit pendant l'annee un mouvement continuel dans la classification des elöves, les meilleurs acc£dant aux classes superieures ou devenant moniteurs. L'avantage pedagogique d'un tel systöme consiste en une emulation coratante et en une autodiscipline. Les sanctions etaient infligees par un veritable tribunal d'elöves, le coupable etant appele ä se d6fendre. Mais surtout ce syst£me permettait de scolariser un grand nombre d'enfants avec un petit nombre de maitres, et par consequent apportait une solution au ргоЫёте si grave de l'insuffisance du personnel enseignant et des difficultes de recrutement. Le succ£s initial de l'enseignement mutuel suscite de trös vives reactions de la part du clerge qui craint de perdre un grand nombre d'ecoles de ce fait. Les raisons qu'il allegue alors pour essayer d'en obtenir la fermeture sont d'ordre religieux et pedagogique. On fait valoir que l'origine du systfeme est due ä un groupe de protestants anglais et qu'il ben£ficie surtout de la faveur des milieux reformes fran^ais, mais on ajoute aussi que l'enseignement mutuel interdit toute formation morale et religieuse et favorise le regime politique r6publicain par l'esprit democratique de sa methode. Toujours est-il que l'Eglise use de toutes les armes dont elle dispose pour combattre lee mutuelles. Elle cree systematiquement des ecoles chretiennes auprös des nouvelles ecoles lalques, afin de les concurrencer. Certains cur6s, en chaire, lancent ГапаШёте contre elles et menacent de refuser aux enfants qui la frequentent le droit de faire leur premiere communion. Les liberaux de leur c6te reagissent. On cite des cas de batailles de rues entre les elöves des ecoles chretiennes et des mutuelles. II se cree ä leur sujet ce que l'on peut appeler ä l'epoque une veritable mystique. Le gouvernement tenta de concilier les antagonistes en recommandant de placer l'instruction religieuse au premier rang des programmes et en cherchant a donner de nouvelles bases historiques ä la methode, notamment en lui attribuant M°* de Maintenon comme precurseur. Ces efforts demeurerent vains. Deux tendances, l'une liberale, l'autre reactionnaire et clericale, continuent ä s'opposer a propos des mutuelles. Les resultats enregistres relletent d'ailleurs l'intensite de ces luttes, puisque pendant la periode des ultras on assiste ä un veritable effondrement de
La Restauration
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се type d'enseignement : les chiffres sont tres variables, certains auteurs parlent d'une diminution de 30 ä 40 % des mutuelles, d'autres de 83 %, mais tous par contre s'accordent ä reconnaitre que dans la derniere periode de la Restauration, elles devaient trouver une impulsion nouvelle 3e . Finalement, le systeme dura jusqu'en 1840, puis finit par disparaitre. II avait done et6 l'occasion d'un conflit d'un quart de siecle environ.
36. Cf. Georges DUVEAU, Les Instituteurs, Paris, 1957, p. 49, et CH. FOURWES, L'Enseignement frangais de 1789 ä 1945, Paris, 1965, P. 81.
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L'Enseignement fran^ais de la Revolution ä nos jours
CONCLUSION La Restauration n'a pas bouleversd l'histoire de l'enseignement frangais, Toutefois la periode qui s'etend de 1815 a 1830 presente un grand interet pour la comprehension de la suite de l'histoire scolaire et universitaire. C'est en effet sous la Restauration qu'est apparu ce que l'on а арре1ё par la suite le « grand malentendu37 ». La liberte de pensee et de presse accordee par la Charte de 1814 permet aux diverses tendances de s'exprimer et de manifester leur opposition ä l'Universite imperiale, mais c'est ici que la coupure se fait sentir tres nettement. Alors que les liberaux, tels Guizot ou Royer-Collard, songent simplement ä атёnager le monopole afin de le rendre plus humain et d'eviter la mainmise d'une seule famille spirituelle sur l'enseignement, les catholiques cherchent a s'en emparer pour le tourner ä leur profit afin de realiser d'une fagon totale la symbiose Universite-Eglise. Or cette т ё т е dualite se retrouve dans la conception qui, au-delä du probleme du monopole, se fait jour ä la fin de la Restauration, celle de la liberte de l'enseignement. Tous, en effet, quelles que soient leurs opinions, s'en proclament partisans. Seulement leurs conceptions different la encore totalement. Les catholiques voient dans la liberte de l'enseignement un moyen de lutter contre la laicite ; grace ä eile, ils comptent soustraire au controle de l'Etat le systfeme scolaire prive et ne renoncent ä une eventuelle tutelle sur l'enseignement public qu'avec la perspective de pouvoir s'en saisir ä la premise occasion. Pour les liberaux, illustres par Benjamin Constant, la liberte de l'enseignement ne represente pas un moyen de parvenir ä une mainmise sur l'enseignement, mais simplement une question de principe : seule la concurrence etendue ä tous les secteurs de l'activite humaine peut en favoriser le developpement et l'epanouissement complet. La liberte est indivisible; si on veut l'assurer dans le domaine politique et 6conomique, il faut l'exiger en tout. A cela s'ajoute encore une raison particuliöre : le monopole apparait ä certains comme une forme ha'issable de dirigisme intellectuel. Mais ces raisons toutes theoriques ne revetent jamais, comme Celles des catholiques, un aspect pratique. Autour de cette difference de conception se noue le debat qui desormais dominera toute l'histoire scolaire du 19* siöcle.
37. Robert
ESCABPIT,
Ecole Uäque, (cole du peuple. Paris, 1961, p. 111.
CHAPITRE IV
LA MONARCHIE DE JUILLET : 1830-1848 La monarchic de Jmllet entreprend une politique scolaire fondSe sur la promesse de la liberie de l'enseignement contenue dans la charte de 1830 : «11 sera pourvu par des lois separees et dans le plus court delai possible aux objets qui suivent... l'instruction publique et la liberie de l'enseignement. » (Art. 69.) Le nouveau roi avait jur6 fidelitS ä kl charte. II avait accepte, comme condition de sa couronne, les garanties que la nation lui avait imposees. Parmi elles se trouvait la liberti de l'enseignement reclamee par le parti pretre en accord avec les libSraux. Mais il fallait passer aux actes. La Restauration apparmt done (ГетЫёе engagie dans la voie de la liberie scolaire, mms ses realisations ne s'averent viritablement positives que dans le domaine de l'enseignement primaire. En effet, les tentatives eßectuees de 1830 ä 1848 n'empechent pas l'Eglise d'entretenir son opposition systemalique ά l'enseignement secondaire public, qui, mieux organisi, attire maintenant la majorite des Steves. Les autorisations d'ouvrir des ecoles privees etant largement accordees, c'est contre le principe тёте de l'autorisation, juge attentatoire ä la liberte religieuse, que proteste le parti ultramontain. Les debats autour de l'organisation de Fenseignement secondare et supSrieur ne font qu'envenimer des oppositions fondamentales sans jamais aboutir ά des resultats positifs tout au long de la monarchic de luillet. Par consequent Veffort accompli n'aboutit pas dans le secondaire, ni dans le superieur, ой Von se contente de nombreux projets dont aucun ne parvient ά realisation.
SECTION I
L'ENSEIGNEMENT
PRIMAIRE
Pour la ргепмёге fois le nouveau gouvernement comprend un ministre de l'instruction publique et des Cultes. Sous la Restauration, ce portefeuille avait eu pour titre « ministöre des Affaires ecclesiastiques et de l'instruction publique ». D6sormais, l'instruction publique prend le pas sur les Cultes. Ce poste fut confi6 en octobre 1832 ä Guizot. Avant son avfcnement, quatre projets relatifs ä l'enseignement primaire avaient vu le jour sans rdsultat. Cest done seulement en 1833 qu'une loi apporte enfin de veritables innovations.
70
L'Enseignement frangais de la Revolution ä nos jours
Guizot naquit к Nimes en 1787 et mourut ä Val-Richer en 1874. Issu d'une famille protestante, il fait ses etudes ä Genöve, puis ä l'ecole de droit de Paris. Nomme professeur d'histoire moderne ä la faculte des lettres puis conseiller d'Etat, il embrasse la с а т ё г е politique durant la Restauration, et sous la monarchic de Juillet devient trois fois ministre de l'Instruction publique et Premier ministre, au moins de fait, de 1840 a 1848. En 1870, il devait a nouveau s'occuper d'enseignement et presider une commission qui ouvrit les voies ä la liberie de l'enseignement superieur. En presentant la loi de 1833, Guizot expose dans quel esprit il a con?u son projet : « Notre premier soin a ete de restituer pleine et епйёге, selon l'esprit et le texte precis de la charte, la liberte d'enseignement... Done, ä cote de l'enseignement libre, l'enseignement par l'Etat. Puis des certificate de capacite! Une preuve de capacite de quiconque entreprend l'education de la jeunesse n'est pas plus entraver la liberte de l'enseignement qu'on ne gene la liberte des professions de l'avocat, du medecin ou du pharmacien, en leur imposant des preuves analogues de capacite... On porterait atteinte ä la liberte si, comme jusqu'ici, outre la condition du brevet, on imposait encore celle d'une autorisation prealable. La commencerait l'arbitraire. Nous le rejetons, et avec plaisir, car nous ne redoutons pas la liberte de l'enseignement, nous la provoquons, au contraire 3S. » L'idee de Guizot est done d'associer l'Eglise et l'Etat pour la grande oeuvre de l'education du peuple. € L'Etat et l'Eglise sont en fait d'instruction les seules puissances efficaces. » C'est sur «leur action preponderate et unie » qu'il faut compter 39 . A ce liberalisme s'ajoute aussi une conscience trfcs nette de l'importance de l'instruction populaire, qui lui apparait comme un devoir de justice et une necessite sociale : « Le minimum de l'instruction primaire est la dette etroite du pays envers tous ses enfants. Ce degre d'instruction doit se rencontrer dans le plus humble bourg comme dans la plus grande cite, partout ой il se trouve une creature humaine sur notre terre de France 40 . » C'est sur ces bases que fut congue la loi du 28 juin 1833. Cette loi reprend toutes les dispositions de l'ordonnance de 1816, eile en fait la synthöse, eile les complete, et c'est sans doute pour cette raison que, т ё т е sans innover, eile merite d'etre consideree comme la premiere charte de l'instruction primaire. La loi Guizot, relative au seul enseignement masculin, edicte les rfegles suivantes : l'autorisation prealable pour ouvrir un 6tablissement scolaire est supprimee; les ecoles primaires privees et leurs maitres cessent de faire partie de l'Universite et done d'en subir les contraintes. On leur reconnait notam-
38. GUIZOT, Mimoires,
t. Ill, p. 466, cit6 par GKIMAUD, op. tit., p. 241.
3 9 . C f . L E I F e t RUSTIN, op.
40.
Ibidem.
cit.,
p.
149.
La monarchie de Juillet : 1830-1848
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ment la liberty de s'organiser et d'etablir leurs programmes. Par cons6quent il existe desormais deux categories distinctes : les ecoles publiques qui dependent des communes, des departements ou de l'Etat; les 6coles priv6es confiees aux particuliers, associations ou congregations. Les ecoles publiques sont « Celles qu'entretiennent en tout ou en partie les communes, les departements ou l'Etat >. Desormais obligation etait faite aux communes de plus de 500 habitants d'avoir au moins un Etablissement d'enseignement. Malheureusement, aucune sanction n'etait pr6vue en ce sens, ni aucun moyen financier mis en ceuvre. D'autre part, la commune pouvait satisfaire ä son obligation theorique en envoyant les enfants dans l'ecole privee du lieu s'il en existait une. C'est done le regime de l'ordonnance de 1816 qui est maintenu. La loi Guizot s'avöre decevante sur ce point. Les ecoles privees laissees ä l'initiative des particuliers existaient deja avant 1833. L'innovation ne consiste done pas dans leur reconnaissance, mais en ce que, cessant d'etre integrees dans l'Universite, et beneficiant de la liberte, elles peuvent se creer et se gerer sans le controle de l'Etat. En effet, la сгёаtion d'un Etablissement primaire prive requiert simplement que le candidat ait dix-huit ans, qu'il ne soit pas frappe d'incapacite, qu'il presente un certificat de moralite delivre par le maire, qu'il depose une declaration ä la mairie, enfin qu'il ait un brevet de capacite, car l'Etat ne peut abandonner l'instruction des enfants ä des personnes incompetentes. Les Fr£res des ecoles chretiennes sont tenus d'avoir un brevet individuel aprfcs examen, une ordonnance du 18 avril 1831 en avait deja decide ainsi. D'autre part, si les institutions privees doivent enseigner les matieres imposees Qecture, ecriture, 616ments de la langue fran^aise et du calcul, systeme legal des poids et mesures, a cote de l'instruction morale et religieuse), elles ont la liberte de leurs m6thodes et le font dans l'esprit qui leur convient. Aussi la surveillance exercee par le comite d'arrondissement et les comites locaux (communaux) ainsi que par les autorites academiques et administratives, ne porte-t-elle pas sur l'enseignement. L'obligation n'est pas imposee aux parents. lis ne sont pas tenus d'envoyer les enfants ä l'ecole, il n'y a done pas d'innovation dans ce domaine. Sur ce point Guizot s'est oppose aux vues de Victor Cousin. La gratuit6 n'est pas non plus proclamee. L'instituteur re^oit un traitement fixe, alloue par la commune, qui ne pouvait descendre au-dessous de 200 francs, ainsi que le logement. Le complement de traitement est рауё par les parents sous forme d'une retribution perdue directement par les administrations fiscales, afin d'eviter au maitre de la reclamer lui-meme aux enfants ou aux parents. Enfin un pr6tevement de 5 % sur le traitement fixe allait ä une « Caisse d'6pargne et de prdvoyance des instituteurs ». Sauf pour les indigents done, l'dcole restait payante. L'instituteur prenait en charge l'education morale et religieuse. L'expose
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L'Enseignement frangais de la Revolution ä nos jours
des motifs de la loi prdcisait ä се sujet : « En substituant dans les ecoles ce que l'on appelle la morale civique ä l'instruction morale et religieuse, on commettrait d'abord une faute grave envers l'enfant qui a besoin de morale et de religion et ensuite on souteverait des resistances redoutables 41. » N6anmoins, l'article 2 ajoutait : < Le vceu des p£res de famille sera toujours consulte et suivi en ce qui concerne la participation de leurs enfants ä Instruction religieuse.» D'ailleurs l'ecole communale pouvait etre remplacee par l'ecole privee du lieu, ce qui accentuait encore son caractere confessionnel. La surveillance sur les 6coles primaires publiques etait exercee par les inspecteurs de l'Universit6 (l'ordonnance du 26 fevrier 1835 creera bientot des inspecteurs primaires sous le nom d'inspecteurs speciaux de l'instruction primaire), le maire pour la police generale, et pour l'enseignement le comit6 d'arrondissement et le comite local preside par le maire et comprenant le сигё et un ou plusieurs notables locaux. Ainsi autour de l'ecole se maintenait une pluralite d'organismes de controle. Ces differentes dispositions ne font que reprendre Celles dejä en vigueur. Pourtant la loi de 1833 comporte deux innovations tres importantes, d'une part eile cree des ecoles primaires superieures, et d'autre part eile amorce le developpement des ecoles normales. Les ecoles primaires superieures devaient etre instituees dans les villes de plus de 6 000 habitants et donner un enseignement d'un niveau plus eleve, comprenant des elements d'histoire et de geographie, certaines notions scientifiques, le chant et les methodes d'enseignement. Certains у decölent un debut d'enseignement professionnel. Malheureusement ces etablissements, un peu comparables ä ceux qui diffusent notre actuel enseignement secondaire court, n'eurent aucun succes. La loi de 1833 entreprend le developpement des ecoles normales afin de r6soudre le ргоЫёте de la formation des maitres. Elle decide que chaque departement doit entretenir une ecole normale d'instituteurs. Aux 47 qui existaient dejä s'en ajoutörent 18 en 1833, 8 en 1834, 3 en 1835 ; il у en aura 78 en 1850. Aprfes promulgation de la loi, Guizot en fait adresser un exemplaire a chaque instituteur; il у joint une circulaire ой il en appelle ä son sens du devoir, ä son civisme et ä sa « foi » dans la providence. Ceci montre ä quel point, le premier, il pressent Timportance sociale du maitre d'ecole. Aussi en depit de la timidite des principes peut-on consid6rer que pour la premiere fois une action d'envergure a 6te tentee en faveur de l'instruction du peuple. Les resultats furent d'ailleurs positifs; la proportion des illettres tombe de 47 % ä 33 % к la suite de la loi Guizot, entre 1834 et 1848 42.
4 1 . Cit6 par L E I F et RUSTIN, op. cit., p. 4 2 . C). C h . FOUEMEK, op. cit., p . 109.
1S2.
La monarchie de Juillet : 1830-1848
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Rien n'avait ete prevu en 1833 pour les 6coles primaires de filles. Cette lacune fut comblee par la loi du 23 juin 1836, due ä Pelet, successeur de Guizot. L'organisation d'une ecole de filles par commune 6tait facultative. Elle ne recevait le titre d'ecole primaire communale que lorsque le conseil municipal allouait ä l'institutrice un traitement fixe convenable; le montant de ce traitement n'etait pas impose, mais, quand on le jugeait süffisant, c'est la commune qui percevait la « retribution scolaire », afin de se dedommager des sacrifices qu'elle consentait. Les memes conditions de nomination etaient exigees des institutrices et des instituteurs, ainsi que le brevet et un certificat de bonne vie et moeurs. Des 6coles primaires superieures de jeunes filles sont egalement prevues; le brevet superieur est alors requis pour у enseigner. Un titre special de la loi precise que les institutrices congreganistes, quand elles appartiennent ä une congregation dont les statuts sont approuves, et qui se consacrent par vocation ä l'education enfantine, seraient dispensees du brevet et du certificat de moralite; la lettre d'ob6dience suffirait alors, sauf pour l'enseignement primaire superieur. En l'absence de toute disposition relative aux ecoles normales feminines, certains departements prennent l'initiative de ces creations qui iront en se generalisant. Une autre innovation est due ä Pelet: la mise en place des « salles d'asile ». Guizot s'etait particulierement interesse au probleme des enfants de deux ä six ans, que «leurs parents pauvres et occupes ne savent comment garder chez eux ». II existait jusque-lä de simples garderies sans aucun souci educatif. La circulaire du 9 avril 1836 pose les premiers fondements de l'education populaire maternelle. Dans son Manuel des salles d'asile, Cochin, leur fondateur ä Paris avec Mme Depastoret, les definit : « Des salles d'hospitalisation et d'education du premier äge. » En effet les enfants re?oivent desormais des rudiments de lecture, d'ecriture et de calcul. Le legislateur se preoccupe aussi des meilleures conditions d'hygiene : un medecin visitera les « salles » et vaccinera les enfants contre la variole. La circulaire du 9 avril 1836 pennet l'accroissement du nombre des salles d'asile de 200 en 1836 ä 800 en 1838. Les progräs de l'enseignement primaire durant la monarchie de Juillet sont considerables. Les statistiques malheureusement ne concordent pas toutes. L'ouvrage de M. Felix Ponteil indique les chiffres suivants : de 1834 ä 1848 le nombre des ecoles communales de garsons passe de 22 641 au 1er janvier 1834 ä 29 985 au 1" janvier 1840, et ä 32 964 au 1" janvier 1848 ; pour les filles les prog^s sont peu considerables : 5 453 au 1" janvier 1837, 5 878 au 1 er janvier 1840, 7 658 au 1" janvier 1848. Leur röpartition est trfcs inegale entre les departements ; les plus favorises sont la Manche, le Calvados, la Haute-Sadne, le Doubs, le Jura, la Meurthe, la Meuse, les Vosges et la Moselle. Le nombre des 61&ves des 6coles publiques et privdes s'est accru dans de larges proportions de 1831 к 1848 : 1 935 624 en 1831, 3 240 436 en 1846,
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L'Enseignement fransais de la Involution ä nos jours
avec une chute due & la crise des subsistances en 1847, 3 146 510, soit une augmentation generale de 444 % pour les gar^ons et de 922 % pour les fflles. Mais le nombre des ecoles privees de gar$ons decroit au profit des ecoles publiques. C'est l'inverse pour les 6coles feminines 43 . La loi de 1833 marque done un succfcs dans la mesure ou elle a atteint l'essentiel de ses objectifs et permis une large augmentation des effectifs scolaires. Elle a done entrain6 un rel£vement du niveau intellectuel de la nation, sans ameliorer la situation sociale des instituteurs, contrairement к се qu'en esperaient ses promoteurs. En effet, les maitres restent toujours soumis au controle des cures et leur situation materielle les oblige ä exercer des activites annexes de plus en plus vari6es, mais qui pour la plupart consistent ä aider les desservants d'Eglise dans leurs taches quotidiennes; des rivalites incessantes entre eux et ces derniers contribueront dans une large mesure, non seulement au developpement de l'anticlericalisme, mais aussi du socialisme dans le personnel enseignant.
SECTION
LES PRO JETS EN FAVEUR DE L'ENSEIGNEMENT
II
DE LA LIBERIE SECONDAIRE
Au d6but de la monarchie de Juillet la situation des ecoles demeure ce qu'elle etait en 1830. Les ecclesiastiques continuent ä enseigner; on accepte indifferemment comme professeurs des pretres ou des laics. Toutefois les partisans de l'ecole libre comprennent que l'Universite est en train de se consolider, les families ne boudant plus l'enseignement d'Etat, et qu'en laissant cette situation se developper, ils risquent de perdre tout espoir de reprendre en main la totalite de l'enseignement secondaire. Par ailleurs, ils supportent mal le controle de l'Etat et l'obligation de payer ä l'Universite une retribution proportionnelle au nombre de leurs eleves. Aussi, au nom de la liberte prevue par la charte de 1830, lancent-ils une campagne tres vigoureuse en faveur de leur conception de la libert6.
43. Pour les gallons, la population des 6coles a augment^ de 289 pour тШе, celle des icoles priv6es а сШшпиё de 232 pour mille. Pour les filles l'augmentation touche les 6coles publiques, 467 pour mille, et priv6es, 962 pour mille ; les statistiques r£vMent encore que 675 501 gar;ons, soit 280 pour mille, et 996 945 filles, soit 413 pour mille, ne re$oivent aucune instruction. Le nombre des recrues sachant au moins lire se pr6sente ainsi pour chaque classe : 1827, 420; 1831, 490; 1834, 520; 1840, 579; 1846, 634. (Cf F . PONTEIL, op. cit., p. 209-210.)
La monarcbie de Juillet : 1830-1848
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Trois ans apres la loi sur l'enseignement primaire, Guizot elabore un projet qui, pense-t-il, leur donnera pleine satisfaction. L'expose des motifs en indiquait bien l'esprit : < Le principe de la liberte applique a l'enseignement est une des cons6quences promises par la charte. Nous voulons dans leur plenitude et leur sincerit6 les consequences raisonnables de notre resolution. Aux maximes du monopole, nous substituons Celles de la concurrence. Les etablissements prives, les institutions et pensions subsistent au sein de l'Universite, ils en sont les auxiliaires, les succursales. D6sormais ils seront les libres emules des etablissements publics, coltöges royaux et communaux 4i . » Par consequent la liberte de l'enseignement etait garantie et Guizot tient ä preciser qu'il ne s'agit pas pour I'Etat de se decharger d'une partie de sa täche, mais au contraire de se mettre en devoir de soutenir « avec succes, avec eclat, une concurrence infatigable 45 ». Le projet ne parlait pas des petits seminaires, question particulierement delicate renvoyee ä des textes ulterieurs. Dans un tel esprit, l'autorisation prealable pour la fondation de nouveaux etablissements scolaires disparait. Des conditions de grades identiques sont imposees aux chefs d'etablissements, mais pas aux professeurs; enfin I'Etat conserve un droit d'inspection et decide que les tribunaux civils peuvent fermer un etablissement pour inconduite ou immoralite. Ces limites 6taient tout a fait modestes. Guizot avait ä peine depose son projet que le ministöre tombait (22 fevrier 1836). Mais quand il reprenait le portefeuille de l'Instruction publique, six mois plus tard, le rapport de la Commission avait ete depose par SaintMarc Girardin. Reprenant le plan Guizot point par point, се dernier у avait simplement ajoute le cas particulier des petits seminaires. Or c'est ä ce propos que la querelle devait eclater. En effet, un depute deposait un amendement obligeant tout chef d'etablissement libre a «jurer qu'il n'appartenait a aucune association ou corporation non autorisee ». Le spectre jesuitique etait encore trop puissant pour etre accepte, et malgre l'intervention de la Commission l'amendement fut vot6. C'etait modifier completement l'esprit des dispositions initiales. Le projet n'aboutit pas en definitive, puisque la chute du ministere empecha la Chambre haute d'en connaitre, mais il est ä l'origine du conflit extremement violent qui devait opposer le parti catholique, conduit par Montalembert, aux lib6raux. Les ministres de l'Instruction publique vont se succeder rapidement par la suite : Salvandy en 1837, Villemain en 1839, puis de nouveau en 1841, et Cousin en 1840. Chacun avance un plan de r6formes. Celui de Victor Cousin reprend les grandes idees 6mises par Guizot en 1836 : enseignement libre
44. Extrait du Moniteur de 1836 (IER ftvrier) cit6 par Louis GRIMAUD, op. cit., p. 250. 45. GUIZOT, Mimoires, t. ILL, p. 106, cit£ par Louis GRIMAUD, op. cit., p. 250.
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L'Enseignement frangais de la Revolution ä nos jours
sous certaines conditions, droit d'inspection, et surtout petits seminaires assimiles a des 6coles secondaires privees. Mais le cabinet tombe le 29 octobre 1840, et се projet ne fut pas en ddfinitive retenu. La Campagne se poursuit. En 1841, Villemain elabore un nouveau texte dans lequel il d6clare que «la liberte de l'enseignement n'etait point un ressort n6cessaire au mouvement de l'Etat, (que) le monopole 6tait une excellente mesure ä la suite d'un grand changement politique, et que depuis 1830 il avait rendu de grands services et pos6 d'utiles barriöres 46 ». Un tel retour en arriere ne pouvait manquer de susciter un veritable tolle. La presse s'en fait echo, L'Univers d'un cote, L'Ami de la religion de l'autre. Le projet fut finalement retire devant ces attaques concertees et, le 2 fevrier 1844, Villemain en deposait un nouveau qui peut se resumer ainsi : liberte pour tous d'ouvrir une maison d'instruction, incapacite des membres des congr6gations non autorisees, droit de surveillance de l'Etat. Des garanties sont prises avant l'ouverture de l'etablissement, et seuls etaient exempts d'envoyer leurs eleves au college ceux dont les maitres avaient le baccalaur6at. Pour pouvoir у preparer, les Etablissements libres devaient recourir ä des professeurs dotes des memes diplomes que ceux des classes terminales de 1ус6е. L'opposition du parti catholique renforce alors son unit6, effective depuis que la publication des Jesuites de Michelet a mis le comble ä l'indignation du clerge en 1843. Une soixantaine d'eveques adherent ä une adresse de Bonald menagant de < refuser tout concours ecclesiastique a un systeme qui serait directement et universellement dirige contre l'Eglise 4 7 ». Un Comite pour la defense de la liberte religieuse se constitue. Montalembert voit sa position consolidee, les eveques lui ouvrent leurs dioceses, et toute l'annee 1845 se passe ä mettre sur pied des campagnes de revendications en vue des futures elections. II semble done que l'on s'oriente vers la formation d'un parti fondamentalement oppose aux r6formes scolaires et qu'il n'y ait plus de compromis possibles. Toutefois Salvandy, qui remplace Villemain, depose le 12 avril 1847 un nouveau projet. II ne devait satisfaire ni les catholiques, ni les universitaires, et en definitive le gouvernement de Juillet tombera sans avoir realise son intention sincere de donner la liberte ä l'enseignement secondaire. Cette аЬшозрЬёге troublee n'allait pourtant pas l'empecher de se developper. Rien de fondamental ne fut change a son organisation. La division en collfeges royaux (ex-lycees) et collέges communaux demeure. « Au cours de la monarchic de Juillet, on denombre 46 collöges royaux (5 ä Paris inclus) avec 18 697 eteves, 312 collöges communaux avec 26 584 61&ves, 112 institutions et 914 pensions, soit 110 000 έΐένεβ environ auxquels il faut ajouter
4 6 . F . ΡΟΝΤΕΠ., op. cit., p . 1 8 5 . 4 7 . A . LATREILLE e t R . RFIMOND, op.
cit.,
p.
336.
La monarchie de Juillet : 1830-1848
77
20 000 seminaristes; on comptait 1 έΐένε pour 382 habitants sous l'Ancien Regime, 1 pour 493 en 1842 48. » Les modifications essentielles concernent le Statut des professeurs et les programmes. L'agregation se generalise comme titre d'enseignement dans les lycees. Celles de philosophie, de lettres et de grammaire existaient avant 1830, Celle d'histoire date du dέbut de la monarchie de Juillet, en 1840 celle de sciences se scinde en agregation de mathematiques et de sciences physiques. Le traitement des professeurs reste mediocre, les mieux retribues regoivent 3 000 francs par an, ä quoi s'ajoute le dixieme sur le prix de pension des internes. En fonction de leur anciennete dans l'etablissement, ils per^oivent en outre les deux tiers de la retribution des externes. Quelques reformes de programmes presentent un interet pour l'avenir. Une circulaire du 5 janvier 1838 decide que les langues vivantes, anglais et allemand, seront enseignees dans les colleges royaux, puis dans tous les colleges, et ä partir de 1845 une epreuve de langue apparait au baccalaur6at. En 1840 plusieurs circulaires remanient l'ensemble du cycle d'etudes. En effet tout l'enseignement scientifique est alors supprime de la 6* ä la rhetorique et reporte en philosophie. Les heures liberees de la sorte seront consacrdes aux langues vivantes. Des classes de mathematiques elementaires et de math6matiques speciales, reservees ä la preparation de certaines grandes ecoles, s'organisent separement. Tout ä fait ä la fin de la monarchie de Juillet, on s'efforce de creer un enseignement special parallele ä l'enseignement classique. Ouvert dans les colleges royaux et communaux des la classe de 4°, cet enseignement d'une duree de trois annees comprend des matieres scientifiques et pratiques, telles que la comptabilite generale, le droit commercial, l'economie agricole. L'enseignement litteraire s'y trouve represente par les langues vivantes et l'histoire. II permet d'acceder aux classes de mathematiques elementaires ou de math6matiques speciales. Place sur un pied d'egalite avec l'enseignement classique, deux voies lui sont ouvertes. Sera-t-il professionnel et technique? Sera-t-il la branche moderne de l'enseignement secondaire ? L'experience entreprise avec les cours speciaux annexes ä un certain nombre de colleges se developpe sans qu'on la definisse encore avec precision. On inaugure d'autre part en 1830 des epreuves ecrites au baccalaureat. Ces epreuves se passent en franjais, et en 1840, l'histoire naturelle entre au programme de la classe de philosophie, tandis que la chimie s'ajoute a la physique ; pour la premiere fois ä l'oral, une interrogation porte sur les classiques fran?ais. Enfin un reglement du 14 juillet 1840 cherche ä 61iminer les fraudes; desor-
48. F.
PONTEIL,
Les Institutions de la France de 1814 ä 1870. Paris, 1966, p. 248.
78
L'Enseignement fran9ais de la Revolution к nos jours
mais les certificate proviso ires delivres par les doyens seront vises par les recteurs; il est interdit aux professeurs de facultes de donner des lemons particulieres aux futurs bacheliers; les questions posees par le professeur seront tirees au sort et les proviseurs et les censeurs, elimines des commissions d'examens, remplaces par les inspecteurs d'academie.
SECTION I I I
L'ENSEIGNEMENT
SUPERIEUR
Durant la monarchic de Juillet, les seuls changements intervenus dans l'enseignement superieur consistent dans la creation d'un certain nombre de facultes nouvelles, de chaires, et dans l'elaboration de projets d'organisation d'etudes. La revolution de Fevrier devait stopper ces tentatives. Sur le plan des idees directrices, la question reste posee. Faut-il concentrer les facultes en quelques points du territoire, ou faut-il au contraire les multiplier un peu partout? Guizot et Cousin s'averent d'ardents defenseurs de la premifcre optique, tandis que Villemain et Salvandy soutiennent la seconde. Guizot, qui se proposait de creer quatre universites completes, ä Strasbourg, Rennes, Toulouse et Montpellier, afin de faire contrepoids ä celle de Paris, ne put donner suite ä ses projets. En fait, l'indifference de l'opinion ne l'y incite guere : « Le public ä cette epoque ne craignait et ne souhaitait ä peu pres rien, il n'etait preoccupe ä cet egard d'aucune grande idee, d'aucun impatient desir; l'ambition intellectuelle faiblissait devant l'ambition politique. Le haut enseignement tel qu'il 6tait constitue et donne suffisait aux besoins pratiques de la societe qui le considerait avec un melange de contentement et d'insouciance 49 . » Neanmoins quelques esprits novateurs continuent ä proner la constitution d'un petit nombre d'universites regroupant les facultes et constituant de veritables foyers intellectuels d'ensemble, susceptibles de ranimer le goüt de la science en province. Ces idees furent reprises par Victor Cousin, ministre de l'Instruction publique en 1840, et l'on passe alors ä une tentative de realisation. Une premiere universite serait installee ä titre d'essai ä Rennes. Malheureusement Cousin, qui se proposait d'etendre son experience ä plusieurs provinces frangaises, n'eut pas le temps de le faire. Les hasards du regime parlementaire amenerent a l'Instruction publique,
49. Texte cit6 par Louis LIAXD, op. cit., t. II, p. 183.
La monarchic de Juillet : 1830-1848
79
ä la suite de Guizot et de Cousin, des ministres aux vues totalement opposees : Villemain et Salvandy. Avec eux toute idee de concentration est abandonnee. Simplement on se contente de creer quelques facultes de plus ici ou lä. C*est ainsi que de 1830 ä 1847 on accroit constamment le nombre des facultes, pourtant deja largement süffisant. En sciences apparaissent Celles de Lyon, Bordeaux, Besangon; en lettres, Celles de Bordeaux, Lyon, Montpellier, Rennes, Poitiers, Aix et Grenoble. Et c'est en definitive ä 20 facultes que l'on tend quand s'arrete cette progression lors de la Evolution de Fevrier. Quelles raisons invoque-t-on pour justifier de telles creations ? L'interet des hautes etudes, la presence dans les grands centres de magistrate, d'un clerg6 susceptibles de profiter de l'instruction des facultes, mais surtout la volontd de conserver pour l'Etat seul la collation des grades que les catholiques cherchent ä detourner ä leur profit, et d'en confier la delivrance aux professeurs des facultes dont on pouvait esperer plus de garanties. II s'agit done surtout d'une mesure de precaution anterieure au depot d'un projet de loi consacrant la liberte complete de l'enseignement. On ne peut done considerer que la monarchie de Juillet ait fait progresser la double vocation de l'enseignement superieur qui consiste ä preparer ä diverses professions, telles celles de juristes, de medecins et de professeurs, tout en elevant le niveau des connaissances par la recherche desinteressee. Quelques resultats partiels demeurent neanmoins ä son actif. C'est eile qui, en 1841, a confere son role veritable ä l'Ecole normale superieure en lui attribuant une place preponderante dans la formation des futurs agreges. Elle a su egalement developper le goüt de l'hellenisme par la creation de l'Ecole fran^aise d'Athönes, en 1846. On lui doit enfin une nouvelle reglementation de l'Institut de France.
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L'Enseignement fran9ais de la Revolution ä nos jours
CONCLUSION Replac6 dans l'ensemble de lliistoire scolaire et universitaire de la France le role de la monarchie de Juillet parait assez mince en definitive. En effet, le primaire seul, ä la suite de la loi Guizot de 1833, regoit cette libert6 inscrite dans la charte et qui aurait du s'appliquer ä tous les ordres d'enseignement. Mais la bataille est desormais engagee. Les protagonistes sont en place, et chacun prepare les arguments qui devraient lui permettre de l'emporter. La monarchie de Juillet, si elle ne le resout pas, a done le merite de preciser les donnees du probleme : e'est un combat plus politique que pedagogique qui s'amorce. Les opinions des differents partis font peu de cas de l'avenir des enfants et de l'interet des families. Seules comptent les tendances politiques qui s'affrontent et cherchent a s'emparer de l'enseignement afin d'accroitre leur influence. La lutte, engagee sur ce terrain, annonce les grandes reformes de Falloux, Duruy et Ferry.
DEUXIEME PARTIE
DE 1848 A 1940
β
CHAPITRE I IIе REPUBLIQUE ET SECOND EMPIRE La priparation, le vote, le 15 mars 1850, et l'application de la loi Falloux dominent ГететЫе de l'histoire de l'enseignement en France de 1848 ά 1870. Sans doute се texte Ugislatif, que Von considere ä juste titre comme la charte de l'enseignement en France ä cette epoque, est-il remaniS lorsque le Second Empire entre dans sa phase liberale. Victor Duruy, en particulier, cherche ä en attenuer les effets, annongant par lä les reformes de Jules Ferry, mais l'echec qu'il rencontre alors prouve que les temps ne sont pas venus pour une transformation profortde de notre systeme scolaire et universitmre. Jusqu'ä la fin du Second Empire, les modifications аррог tees ne parviennent pas ä changer profondement la mentalite creee par la loi Falloux.
SECTION I
LA LOI
FALLOUX
A. C I R C O N S T A N C E S
POLITIQUES
En 1848, la Revolution, dont les causes sont sociales, aboutit au suffrage universel et к Election d'une Assemblee nationale Constituante chargee de rediger la future Constitution. Parmi les 900 deputes, on eut 450 republicains moderds, 200 orleanistes (parmi lesquels Thiers) et une cinquantaine de legitimistes dont le comte de Falloux. Enfin l'Assemblee comprenait 3 eveques, 15 pretres et 1 moine, Lacordaire, sans oublier ce membre extremement influent du parti catholique, Montalembert. Apres avoir longtemps milite, en 1843 celui-ci precise ses positions dans un ecrit intitule : Du devoir des catholiques dans la question de la libertS de l'enseignement. Ce texte est un veritable cri de guerre. Pour son auteur, en effet, la France est le seul pays ой rägne l'atheisme officiel; les Fran?ais у consentent parce que l'Universit6 les a formes, et les catholiques, s'ils veulent conserver ce qui reste de religion, doivent en consequence ä tout prix detruire le monopole. Malgr6 cet 6tat d'esprit, l'Assemblee Constituante reste fidele ä la doctrine de Carnot qui n'est en rien hostile ä la libert6, mais qui l'envisage sans menace pour l'Universite. L'article 9 de la Constitution pr6cisait : « L'enseignement est libre, la liberte de l'enseignement s'exerce sous la garantie des lois et la
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L'Enseignement frangais de la Revolution ä nos jours
surveillance de l'Etat, cette surveillance s'etend sur tous les etablissements d'6ducation et d'enseignement sans aucune exception 1 . » Montalembert et le parti catholique s'6taient efforcds de faire supprimer cette disposition. La Constituante devait neanmoins, sous l'e&et des circonstances, prendre des mesures qui auraient pu aboutir ä une v6ritable liberte de l'enseignement en France. Trös реи de temps apres l'election du president de la Republique, le comte de Falloux, pousse par Montalembert, est nomme ministre de l'lnstruction publique et des Cultes. Or, quinze jours aprfes sa nomination, le 4 janvier 1849, Le Moniteur publie deux rapports adresses au president de la Ripublique. Le premier envisage la reorganisation de l'enseignement primaire, le second traite de la liberte de l'enseignement. Chacun des deux rapports est accompagne d'un arrete instituant une commission chargee de preparer un projet de loi distinct. D'autre part, Falloux ddpose au meme moment sur le bureau de l'Assemblee un arrete du president de la Republique portant retrait du d6cret sur l'enseignement primaire presente quelques mois auparavant par Carnot. Sous le coup de l'irritation, la Constituante tente alors de s'emparer de la question. Elle nomme une commission. Cet effort tardif ne peut toutefois porter ses fruits; la Constituante abdique sa resolution de faire la loi organique de l'enseignement et laisse seulement dans ce domaine un testament philosophique resume dans le rapport de Jules Simon, qui ouvre la voie ä Falloux. Les commissions mises en place par le nouveau ministre vont-elles suivre l'esprit de la Constituante ? Certainement pas. En effet les donnees de l'echiquier politique se trouvent bouleversees ä la veille des elections du 13 mai 1849. Une psychose de peur s'est emparee du pays depuis les sanglantes journees de Juin 1848. Aussi les elections ä l'Assemblee legislative vont-elles donner naissance ä un parti nouveau, le « parti de l'Ordre », dont les commissions nommees par le comte de Falloux refletent les preoccupations. Subitement tous les adversaires du socialisme, repute l'ennemi capital de la societe et de la religion, se sont rassembles au sein de ce parti oü la plupart des catholiques liberaux se retrouvent avec les legitimistes et avec les pseudojacobins. Desormais le pouvoir legislatif passe ä droite, et le pretre apparait non comme un ennemi, mais comme le plus sür defenseur de la famille, de l'ordre et de la propriete. « On eut si peur des socialistes qu'on oublia de redouter les jesuites 2 . » C'est done dans un esprit tr&s different de celui de la Constituante que la commission nommee par Falloux, et qui doit soumettre son rapport ä la legislative, se met ä l'ceuvre.
1. MICHEL, La Loi Falloux. Paris, 1906, p. 69-70, note i. 2. P. de L A GORCE, Histoire de la seconde Ripublique frangmse. Paris, p. 276.
1887,
t.
II,
ΙΓ Rdpublique et Second Empire
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Loi de circonstance, la loi Falloux reflate l'ambiance politique mais aussi la personnalite de ceux qui ont έΐέ charges de son elaboration. En effet, ä chacune de ses etapes, un homme en assume la responsabilite pendant quelques semaines. C'est ainsi qu'aprfes Montalembert, son promoteur, le comte de Falloux qui lui donnera son nom, 1'аЬЬё Dupanloup, eveque en 1849, Thiers et le comte Beugnot, nous trouvons Parieu, ministre de l'Education et des Cultes au moment ой eile fut votee en mars 1850. L'empreinte la plus marquante est toutefois celle des redacteurs du projet. La Commission extra-parlementaire nommee ä cette occasion compte parmi ses membres six representants de l'Universite (dont les plus importants sont Cousin et Dubois), neuf catholiques partisans de la liberte, et enfin neuf del6gues qui devaient, en cas de conflit, tenir la balance egale entre les diverses pretentions. Mais, parmi les neuf membres charges d'equilibrer les parties en presence, l'Universite et les catholiques, deux seront amenes ä donner leur demission, et trois autres (Thiers, Corcelles et Fresneau) ont pris des engagements directs envers Falloux. D'emblee, le * parti catholique » a done la majorit6 ä l'interieur de la Commission. Toutefois l'homme fort n'en reste pas moins Thiers qui passe aux yeux de l'opinion non avertie pour un defenseur de l'Universite. N'avait-il pas, durant toute la monarchie de Juillet, soutenu sa cause avec energie ? N'avait-il pas fait de la politique lai'que anticongreganiste ? Sans doute il у avait eu le Thiers de 1844 et de 1846, mais, depuis, les circonstances s'etaient modifiees et le теше homme avait ecrit ä l'un de ses amis : « Quant ä la liberte de l'enseignement je suis change, je le suis non par une revolution de mes convictions, mais par une revolution dans l'etat social3. » Desormais l'enseignement du clerg6 lui parait meilleur que celui qui se prepare dans l'Universite. II veut faire front ä la demagogie, il refuse de lui livrer « les derniers debris de l'ordre social, c'est-ä-dire l'etablissement catholique4 ». Et c'est ainsi que Falloux etait dans le vrai lorsqu'il ecrivait que les гергёsentants de l'Etat occupaient dans la Commission la place qui devait leur revenir plus tard dans l'organisation nouvelle de l'instruction pubhque. Seulement il ne pr6cisait pas alors que cette place etait dejä sacrifiee ä ses yeux. A cot6 de Thiers, ralli6 aux catholiques, l'autre personnage essentiel est l'abbe Dupanloup qui, sans cesse sur la bräche, атёпе Thiers ä ses propres idees. On fera en effet dans la Commission, suivant l'expression de Dubois, € sans cesse le siёge de Thiers ». Ainsi constitudes, les commissions devaient s'occuper uniquement de l'enseignement primaire et de l'enseignement secondaire : les catholiques reservent la r6forme de l'enseignement superieur pour ш temps oü les circons-
3. Texte cit6 par P. de LA GOKCE, op. cit., p. 278. 4. Ibidem.
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L'Enseignement frangais de la Revolution έ nos jours
tances s'y preteront et prdferent scinder les divers ordres d'enseignement a f n d'amener le public к accepter progressivement leur conception de la liberte.
B. LE PROJET a. L'enseignement
primaire
Les principalis points de discussion portent sur la gratuite et l'obligation de l'enseignement, sur le role de l'Etat et le role du clerge sur l'ecole primaire, sur les tendances du corps des instituteurs et sur le recrutement des 6coles normales. Or, les resumes des discussions revelent que trös rapidement la Commission s'est ecartee des probßmes techniques et du principe de la liberte pour aborder avec passion les questions sous un angle social. La pensee de Thiers est revelatrice ä cet egard. C'est lui qui domine le debat. A ses yeux tout se resume dans la crainte que la societe ne soit sapee par les doctrines socialistes, dont ä l'entendre les instituteurs de France seraient tous de fervents adeptes. Ce qui l'epouvante, « c'est la presence dans les communes de 37 ООО socialistes et communistes, veritables anticures. A h ! si l'ecole devait etre tenue par le cure ou par son sacristain ce serait different. Mais avant tout, pas d'instituteurs lai'ques. Qu'on nous donne des Freres. Je suis pret ä donner au clerge tout l'enseignement primaire 5 . » Et Thiers, afin de rallier ä sa conviction les autres membres de la Commission, organise une sorte d'enquete sur la situation de l'enseignement primaire. Des la'iques et des ecclesiastiques particuliörement competents sont convoques et donnent leur avis. Cette enquete a pour objet de confirmer que l'instituteur et l'ecole normale primaire meritent tout le mal que Thiers pense d'eux, que les relations entre le clerge et l'ecole sont devenues intolerables et de s'assurer que l'Eglise est bien en mesure d'accepter la charge de l'enseignement primaire tout entier. Elle constitue dans l'elaboration de la loi de 1850 un premier mecompte. En effet les Freres des ecoles chretiennes et les Sceurs de la charite, appeles ä se prononcer, prennent courageusement la defense des instituteurs : « Le mal social, disent-ils trös sincörement, n'est pas profond. » Thiers alors, pour appuyer ses dires, oublie le ргоЫёте scolaire et se place uniquement sur le terrain social. A ses yeux, il у a deux moyens de defendre la societe : eviter tout d'abord que l'instruction se repande partout, car c'est « mettre du feu sous une marmite sans e a u 6 » que d'instruire le pauvre, car l'instruction est « un commencement d'aisance et l'aisance n'est pas reservee ä tous 7 », et confier dans la mesure du possible l'ecole primaire ä l'Eglise. 5. MICHEL, op. cit., p . 108.
6. Ibidem. 7. Ibidem.
II* Republique et Second Empire
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C'est dans cette optique que la Commission depose un projet qui ргёсопие le morcellement des academies, la suppression des ёcoles normales, des facilites exceptionnelles donnees aux pretres qui vont se consacrer ä l'enseignement, le vote contre l'obligation scolaire. De toutes ces propositions, celle qui envisage le morcellement des acad6mies porte peut-etre le coup le plus severe к l'Universite. En effet, dans le Conseil academique, le recteur etait une puissance, tandis que, dans le comite departemental, meme baptise du nom bizarre de conseil academique departemental, le recteur ne sera plus rien devant l'eveque. b. L'enseignement secondaire En abordant Ies questions de l'enseignement secondaire, la Commission touchait le point vif du debat. En effet, dans toutes les polemiques sur le monopole durant la monarchic de Juillet, ce n'est pas l'ecole primaire, c'est le collöge qui a ete en cause. Pour faire reconnaitre le droit des congregations ä en ouvrir en France, Montalembert, soutenu par I'episcopat, est reste sur la ЬгёсЬе depuis 1843. C'est done ici que devait se jouer la veritable partie. Elle fut plus difficile ä gagner dans la Commission en raison de l'attitude de Thiers qui prend la defense de l'Etat. Sans doute, il se rencontre « quelques professeurs qui cherchent ä enseigner des doctrines mauvaises, mais, declare Thiers, le corps lui-meme des professeurs n'est pas envahi par le m a l 8 » , et par consequent il n'y a pas de raison de se montrer particulierement favorable au college ecclesiastique. Pourquoi un tel raisonnement ? Parce que les masses ont besoin de verites imposees, que la foi doit etre leur seule philosophie, tandis que l'enseignement secondaire s'adresse aux classes moyennes qui, elles, se revolteraient contre de telles doctrines. Et ceci Гатёпе ä reclamer le maintien du certificat d'etudes 9 pour les candidats aux grades, car il lui parait indispensable que l'Etat puisse savoir ou les etudes ont ete faites et notamment si elles ont eu lieu en France (allusion aux colleges de jesuites qui forment un certain nombre d'enseignants en Belgique et en Suisse). L'abb6 Dupanloup s'efforce de refuter cette argumentation. II a le merite de poser le probleme avec clarte. Si l'on veut la paix, il faut que l'Universite fasse un certain nombre de concessions. Elle doit renoncer au certificat d'etudes, ä la secularisation des petits seminaires, aux grades exorbitants imposes aux maitres de l'enseignement prive, ä l'exclusion des congregations dument approuvees par l'Eglise. Seul ce dernier point soulfcve un ргоЫёте important. Alors que l'on admet toutes les sectes protestantes, < pourquoi, dira Dupanloup, cette effroyable
8 . MICHEL, op.
cit.,
p.
143.
9. C'est-ä-dire une attestation de scolariti dans toutes les classes sup6rieures des lycies.
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L'Enseignement frangais de la Revolution ä nos jours
injure & l'Eglise de lui refuser certaines congr6gations qu'elle approuve, et cela pour le motif que certaines d'entre elles, les j6suites, pour les appeler par leur nom, n'aiment peut-etre pas assez les institutions de l'Etat actuel, comme si cet amour devait etre de commande10 ». L'argumentation de Dupanloup s'av£re si convaincante qu'elle атёпе la Commission ä se rallier ä son avis, et ä reclamer pour les congregations le silence, et le renvoi en ce qui les concerne au d6bat futur sur les associations. Thiers s'incline en disant : « Soit, je ne m'oppose pas ä l'article, seulement je demande que, le jour oü il sera discute devant l'Assemblee, vous me laissiez me cacher sous une table, car comment pourrais-je demander aujourd'hui la reconnaissance du droit des jesuites ä enseigner dans notre pays, aprfcs avoir demande et obtenu, il у a si peu d'annees, leur exclusion de France 11 ? » Ainsi l'Eglise l'emporte sur tous les points, et jamais ne s'est mieux marque qu'au cours de ce debat sur l'enseignement secondaire le veritable caract&re de la future loi Falloux. II у a negotiation, transaction entre l'Eglise et l'Etat. L'Etat fait des concessions ä l'Eglise, l'Eglise fait des concessions a l'Etat et pour tenir un tel langage il fallait que l'Eglise se trouve presente en face de l'Etat comme une puissance en face d'une autre puissance. C'est d'ailleurs bien ainsi que Montalembert et Falloux avaient compris аргёв Dupanloup la veritable signification de la loi de 1850, et c'est pourquoi ils ont si volontiere employe pour la caracteriser l'expression de « concordat ». La discussion terminee, un projet est elabore par une sous-commission, projet dont les termes seront quelque peu modifies par la suite mais qui reste la base, tant par son esprit que par les dispositions qu'il prevoit, de la future Charte de l'enseignement primaire et secondaire de la France. Au terme des debats de la Commission extra-parlementaire, l'Universite conserve fort peu de choses : son nom, un vestige de son ancien Conseil, see recteurs qui deviennent de modestes fonctionnaires departementaux, la d6nomination des conseils academiques alors т ё т е que les « forces sociales > se sont substituees dans ces assemblees ä ceux qui ont la competence en тайёге d'education, le droit de conferer les grades enfin. Mais ces grades ne s'imposant pas ä l'enseignement libre n'y jouent qu'un r61e tres efface, presque insignifiant. Par consequent l'Universite ne garde que ce que l'on n'a pas pu lui oter. Par contre, que refoit l'Eglise ? Presque tout. Non seulement la suppression des entraves qui Fempechaient de naitre, c'est-a-dire la suppression du monopole (ceci resulte de l'article 56 du projet : < Tout Frangais äge de vingtcinq ans au moins pourra former un etablissement d'instruction scolaire »), la dispense des grades, le droit aux subventions des communes, des ddpartements
10. Cit6 par MICHEL, op. cit., p. 149. 11. A. de MELUN, Souvenirs, t. II, p. 67 ; cit6 par MICHEL, op. cit., p. 161.
II* Republique et Second Empire
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et de l'Etat, Гассёв pour Ies membres de l'enseignement ρπνέ к l'inspection de l'acad6mie et ä l'inspection generale, le silence sur les congregations religieuses enfin. c. Mise en discussion du projet Le travail preparatoire termine, Falloux pr6sente son projet aux chambres le 18 juin 1849. Une Commission parlementaire est alors nommee dont le rapporteur est le comte Beugnot. Sa position n'est pas trös differente de celle des tenants de la loi. Pour lui, la liberte de l'enseignement est un don de l'Etat, une faculte que l'Etat concede ä l'Eglise, parce qu'il a besoin de l'Eglise dans sa lutte contre le ρέήΐ social. Les promoteurs de la loi n'ont done pas de craintes au debut des travaux de la Commission parlementaire. Mais par la suite un certain nombre d'evenements vont remettre l'ensemble de leur projet en discussion. La bonne volonte du prince Louis-Napoleon vis-ä-vis du clerge s'etait quelque peu attenu6e ä la suite des discussions sur les audits pour l'expedition romaine qui venait d'opposer le pouvoir executif et l'Assembl6e. En outre, Falloux, malade, avait abandonne ses fonetions et quitte Paris. Une crise ministerielle eclatait d'ailleurs le 31 octobre, et l'on pouvait se demander quelle serait la position du nouveau ministre de l'Instruction publique, Parieu, ce dernier etant moins favorable aux catholiques que son predecesseur. Teiles etaient les inquietudes des promoteurs de la loi lorsque, le 7 novembre, un depute de la gauche, Pascal Duprat, rappela que la loi d'enseignement emanait de l'initiative gouvernementale et que par consequent, aux termes de l'article 75 de la Constitution, eile devait, avant d'arriver ä l'Assembl6e, etre renvoyee au Conseil d'Etat. Les adversaires de la loi souhaitent que le Conseil se prononce contre le projet. Leur espoir sera de9u : le Conseil d'Etat se contente de transferer & l'administration, aux fonetionnaires publics, le role que le gouvernement avait voulu deferer aux < forces sociales » representees par le clerge, la magistrature et les pöres de famille. Pour ses membres, la force se trouve entre les mains de Tadministration, idee qui aura une grande fortune par la suite. Tout n'etait pas cependant encore joue. Le debat allait reprendre ä l'Assemblee lorsque le nouveau ministre, Parieu, fit adopter d'urgence, le 2 janvier 1850, la loi sur les instituteurs. II est curieux de constater que e'est au moment ой le projet Falloux revenu du Conseil d'Etat etait sur le point d'etre mis ä l'ordre du jour que l'on decide de precipiter le vote d'une disposition partielle qui devait presque aussitot s'absorber dans une loi plus generale. A quoi bon en effet ce texte secondaire, si l'on voulait sinefcrement la charte organique ? Neanmoins, la loi subordonnant provisoirement les instituteurs ä l'autorite prefectorale fut votee le 11 janvier. Elle fut appelee un peu dedaigneusement < petite loi», par opposition ä la grande qu'on attendait, et ce
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L'Enseignement fran$ais de la Revolution ä nos jours
n'est que par la suite qu'intervinrent le debat public et le vote de la loi Falloux, obtenu к une majorite de 339 voix contre 237, le IS mars 18S0.
C. LE CONTENU DE LA LOI
Le texte definitif de la loi se divise en trois titres, chacun d'entre eux subdivis6 en chapitres. Le premier titre, intitule < Des autorites preposees ä l'enseignement», organise de iaqon generale l'administration et l'inspection scolaire. Le second concerne l'enseignement primaire, tandis que le titre 3 est consacre ä la reorganisation de l'enseignement secondaire. a. Autoritis ргёposSes ά l'enseignement Au sommet de l'organisation se trouve le Conseil superieur de l'lnstruction publique qui remplace le Conseil royal de l'Universite. Decidant pour tout le pays des questions de programme et de mise en application des textes legislatifs, ce Conseil comprend des personnalites ecclesiastiques, des membres de «l'enseignement libre » et des universitaires dont la place est minoritaire. En effet, ä cote de quatre archeveques ou eveques et d'un ministre de chacun des autres cultes reconnus, de trois membres de l'Institut et de trois membres de l'enseignement libre, nous n'avons que huit universitaires nommes par le ргёsident de la Republique en Conseil des ministres et cboisis parmi les anciens membres du Conseil de l'Universite, les inspecteurs generaux ou superieurs, les recteurs ou professeurs des facultes. Ces universitaires forment une section permanente specialement chargee «de l'examen preparatoire des questions qui se rapportent ä la police, ä la comptabilite et ä l'administration des ecoles publiques 12 ». A l'echelon inferieur, les etablissements d'enseignement relevent dans chaque departement d'une academie dont le conseil, preside par un recteur, comprend avec une faible minorite d'enseignants des delegues des autorites judiciaires et ecclesiastiques. En effet, parmi les membres du Conseil d'academie, ä c6t6 du recteur president, nous trouvons un inspecteur d'academie, un fonctionnaire de l'enseignement ou un inspecteur des ecoles primaires designe par le ministre, le prefet ou son delegue, l'eveque ou son delegue, un ecclesiastique designe par l'eveque, eventuellement un ministre de l'une des deux Eglises protestantes, un delegue du consistoire Israelite, un procureur general pres la cour d'appel ou un procureur de la Republique, enfin un membre de la cour d'appel ou du tribunal de ргепиёге instance et quatre membres elus par le conseil
12. Art. 6 de la loi du 15 novembre 1850.
IF Ripublique et Second Empire
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general. Les doyens de facultes ne sont pas membres de droit du Conseil acad6mique; ils ne sont appeles, avec voix deliberative, que pour les afiaires concernant leurs facultes respectives. Si l'on tient compte du fait que le recteur, comme l'inspecteur d'academie, peut etre choisi en dehors des membres de l'enseignement public et que les universitaires sont fort peu nombreux, soit dans le Conseil superieur, soit dans le Conseil d'academie, on se rend compte que les forces sociales, avec une place privilegiee faite к l'Eglise catholique, dominent la haute administration scolaire. Le morcellement des academies renforce encore cette impression. II у en a en effet 86 au lieu de 22. Le recteur est un fonctionnaire departemental sans autorite en face de l'eveque et du prefet, comme le prevoyait le projet de la Commission extra-parlementaire. Enfin les autorites d'inspection sont toujours multiples. A cote des inspecteurs generaux et superieurs, des inspecteurs d'academie, des delegues cantonaux, les maires et les cures se partagent la direction de l'Instruction publique. Un avantage est accorde aux ecoles libres : l'inspection ne les concerne que dans la mesure ou il s'agit de questions de moralite, d'hygiene et de salubrit6. Leur enseignement, en effet, ne releve des autorites indiquees que lorsqu'il s'agit de verifier s'il n'est pas contraire ä la morale, ä la religion et aux lois. Le titre premier de la loi de mars 1850 abolit enfin le monopole. Π etablit le dualisme scolaire reconnaissant officiellement deux especes d'ecoles primaires ou secondaires : « les ecoles fondees ou entretenues par les communes, les departements ou l'Etat, qui prennent le nom d'ecoles publiques, et les ecoles fondees et entretenues par des particuliers ou des associations, qui prennent le nom d'ecoles libres 13 ». b. Enseignement primaire Dans le titre II de la loi, reserve ä l'enseignement primaire, on ne trouve aucun texte creant l'obligation et la gratuite pour tous 14, mais apres la mise au premier rang du programme de «l'instruction morale et religieuse » (Art. 23) cette precision : « Dans les communes oü les differents cultes reconnus sont professds publiquement, des ecoles separees seront etablies pour les enfants appartenant ä chacun de ces cultes 1б . » И est vrai que, comme pour les ecoles mixtes et avec les memes restrictions, le Conseil academique pouvait autoriser la reunion de ces enfants.
13. Art. 14. Art. sont hors 15. Art.
17 de la loi du 15 mars 1850. 24 : < L'enseignement primaire est donn6 ä tous les enfants dont les families d'£tat de le payer. > 36.
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L'Enseignement frangais de la Revolution ä nos jours
De plus, sur l'autorisation du Conseil academique, une 6cole libre pouvait tenir lieu d'6cole publique ä condition qu'elle s'engage ä payer pour les indigents qui у seraient re§us. Les 6coles de filles ne sont pas encore tr£s r6pandues. Le texte de loi se contente de preciser qu'obligation est faite aux communes de plus de 800 habitants, ä condition toutefois que «leurs ressources ordinaires le leur permettent», de creer une ecole ä leur intention 18 . Enfin la loi, entre autres dispositions essentielles, s'int6resse au sort des instituteurs. L'instituteur est d6sormais п о т т ё par le conseil municipal. Au terme de l'article 31, ce peut etre un laic, un religieux ou une religieuse, et cela т ё т е dans les ecoles publiques. Si les conditions materielles des membres de l'enseignement primaire s'ameliorent 1T , les conditions de recrutement se modifient en faveur de l'enseignement libre 17 . Le brevet de capacite n'est plus absolument necessaire pour enseigner; le titre de bachelier, le titre de ministre d'un des cultes reconnus ou un certificat delivre par le Conseil academique ä quiconque justifie d'un stage de trois ans dans une ecole publique ou libre 1 8 peuvent le remplacer. Pour les religieuses une simple lettre d'obedience de leur superieure suffit19. De grandes facilites sont done donnees aux membres des congregations, alors que la loi redouble de mefiance ä l'egard de l'instituteur public 20 . Cette mefiance se manifeste egalement envers les 6coles normales. L'article 35 de la loi permet aux conseils generaux de les supprimer. Ainsi, ä l'echelon de l'enseignement primaire, l'Eglise se trouve associee, voire т ё т е dans une certaine mesure substituee, ä l'autorite publique. с. Enseignement
secondaire
A cote des lycees et des colleges communaux dont le Statut professoral et le regime demeuraient inchanges, la loi reconnait l'enseignement secondaire libre. Ces dtablissements peuvent recevoir des subventions des collectivites publiques et т ё т е un local. D'autre part les conditions exigees de celui qui veut ouvrir une ёсо1е et la dinger sont considerablement simplifiees. C'est ainsi que l'article 60 precise : < Tout Fran?ais äge de vingt-cinq ans au moins, n'ayant encouru aucune des
16. Art. 51. 17. Art. 38. 18. Cf. art. 25 et 47. 19. Art. 49. 20. Art. 33 : « Le recteur peut, suivant le cas, rdprimander, suspendre avee ou sans privation totale ou partielle de traitement, pour un temps qui n'exc£dera pas six mois, ou rövoquer l'instituteur communal.»
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incapacites comprises dans 1'article 26 de la presente loi (condamnation pour crime ou delit contraire ä la probite ou aux mceurs, individu prive par jugement de tout ou partie des droits mentionnös dans l'article 42 du Code penal), peut former un etablissement d'enseignement secondaire, sous la condition de faire au recteur de l'academie oü il se propose de s'6tablir les declarations prescrites par l'article 27 et en outre de deposer entre ses mains les pifcces suivantes dont il lui sera donne recepisse : 1. Un certificat de stage constatant qu'il a rempli pendant cinq ans au moins les fonctions de professeur ou de surveillant dans un 6tablissement d'instruction secondaire public ou libre ; 2. Soit le diplome de bachelier, soit un brevet de capacite d61ivre par un jury d'examen dans la forme determinee par l'article 62 (ce jury est compos6 de sept membres, у compris le recteur qui le preside. Un ministre du culte professe par le candidat et pris dans le Conseil academique, s'il n'y en a d6jä un dans le jury, sera appele avec voix deliberative. Le ministre, sur l'avis du Conseil superieur de l'Instruction publique, instituera des jurys speciaux pour l'enseignement professionnel; les programmes d'examen seront arretes par le Conseil superieur, etc.); 3. Le plan du local et l'indication de l'objet de l'enseignement. Par consequent, ä defaut du diplöme de bachelier ou de brevet de capacite secondaire plus accessible encore, un simple certificat de stage pedagogique comme professeur ou comme surveillant d'une dur6e de cinq ans dans l'enseignement public ou libre suffit. Ces facilites doivent permettre aux membres des congregations, qui n'ont pas l'habitude de prendre des grades universitaires, de fonder de nouveaux etablissements. Enfin la loi Falloux ne neglige pas les problemes des ecoles d'adultes et d'apprentis, ainsi que ceux qui sont speciflques aux ecoles de filles. Mais dans ces deux domaines ses dispositions sont fragmentaires, et Ton ne peut parier de reelles innovations. Quant aux salles d'asile, elles font l'objet d'une r6glementation : les articles 57, 58 et 59 de la loi prevoient la coexistence de salles d'asile publiques ou libres, les secondes pouvant recevoir des secours sur les budgets des communes, des departements et de l'Etat.
D. REACTIONS DE L'OPINION Tout au long de son elaboration, comme аргёз son vote, la loi Falloux devait susciter dans les milieux directement concernes, universites, clerge catholique ou Protestant, parti catholique, de trös nombreuses et tr^s violentes r6actions. Des la presentation devant l'Assemblde du projet 61abore par la Commission extra-parlementaire, la presse se dechaine, к l'exception du journal de 1'аЬЬё Dupanloup, L'Ami de la religion. Le National ddnonce la preponde-
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L'Enseignement fran$ais de la Revolution ä nos jours
ranee de l'dveque dans le Conseil academique departemental, tandis que La LibertS de pensäe insiste sur l'inevitable desorganisation de l'Universit6 due aux modifications du Conseil superieur, au morcellement des academies, au fait que les instituteurs sont d6sormais places sous l'autorit6 du cure, puis de l'eveque, puis du ministre, sur la menace qui p£se sur l'6cole normale, et enfin, sur la reduction des grades exigibles, moyen destin6 к diminuer l'importance des facultes qui les conförent. Mais ä ce moment les plaintes des universitaires et des adversaires de gauche n'ont pas grand poids. C'est sur la majorite de droite qu'il faut agir. Or cette majorite se disloque, et meme dans l'Eglise de France il у a plus d'une opinion sur le projet Falloux. A l'interieur du < parti catholique », la scission s'opere. Le parti de Veuillot, redacteur du journal L'Univers, se declare desormais l'ennemi de Dupanloup, Montalembert et Falloux. II n'estime pas qu'il у ait liberie mais coexistence de deux systömes, l'Eglise ne recevant qu'une faible part de ce qui lui revient de droit et entrant, malgre eile, dans le systöme anterieur du monopole. Et la polemique qui s'ensuit prend l'allure d'un veritable corps ä corps avec L'Ami de Ια religion. Les eveques, de leur cote, se r6velent pour la plupart hostiles au projet, et c'est ainsi qu'au moment ou laics et universitaires se plaignent que le Conseil academique soit ouvert aux ministres des cultes et ä leur influence, ils se refusent ä у coudoyer les representants des autres religions. Quant aux protestants, ils se rendent compte que dans la mesure ou les interets de l'Eglise catholique se trouvent avantages, ceux des dissidents sont compromis. Ils sentent aussi quelle menace рёве desormais sur l'enseignement laic en face d'un enseignement congreganiste auquel toutes les facilites sont procurees pour lui donner dans un avenir ίΓέβ proche un maximum d'extension. Toutefois, en dehors des milieux interesses et en particulier dans les conseils generaux, on n'accorde pas au projet une tres grande importance. La presse politique n'en pergoit pas les consequences, eile le considöre comme une mesure de salut public due aux circonstances et qui en aucun cas ne saurait engager l'avenir du pays. Au lendemain du vote, la meme impression se ddgage. Chez les catholiques, on ne desarme toujours pas, et il faut une intervention directe du pape pour que la loi soit acceptee et appliquee. Ce ne sera que beaucoup plus tard, lorsque la multiplication des colleges religieux et leur succäs dans le public auront fait p6netrer dans les milieux les plus hostiles ä l'Eglise un esprit nouveau, que l'opposition se calmera : l'experience forcera alors l'attachement du clerge ä la loi Falloux. Quant ä la gauche, malgre certaines interventions qui, telle celle de Victor Hugo, ddnoncent ä son propos < la sacristie souveraine, la liberte trahie, l'in-
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telligence vaincue et liee, Ies livres dechires, le prone remplagant la presse, Ia nuit faite dans les esprits par l'ombre des soutanes et les gdnies mat6s par les bedeaux >, eile ne s'alarme pas outre mesure. La plupart des journaux de Ι'έροque rassurent l'opinion en lui montrant que la Ιοί ne compromet pas l'avenir parce que, n'etant pas viable, eile ne sera pas ex6cutee. Et en definitive, au lendemain du vote du 15 mars 1850, peu nombreux sont ceux qui ont compris le sens profond et les consequences qui vont d6couler du texte de loi qui vient d'etre adopte.
E. LES CONSEQUENCES DIRECTES DE LA LOI FALLOUX Dans une circulaire en date du 27 aoüt 1850, le ministre Parieu ecrit aux recteurs : < Je mettrai au premier rang de vos obligations le sincere respect de cette liberte qui est pour ainsi dire le principe de la loi nouvelle. Con?ue et adoptee dans l'intention avouee d'affranchir l'enseignement prive de la tuteile de l'Etat, cette loi ne conserve aucune des barriöres que l'ancienne legislation avait etablies. Elle consacre tout ä la fois la liberte des pöres de famille et celle du citoyen qui peut desormais, sans autorisation prealable, se livrer ä l'education de la jeunesse 21 . » En aoüt 1850 un Comite d'enseignement libre se forme. Son but est d'obtenir de la loi tout се que l'on peut en tirer dans la pratique. Aussi, de 1850 ä 1860, le nombre des ecoles catholiques augmente-t-il considerablement. Pour Ie primaire, les statistiques revfclent une difi6rence trös nette entre l'enseignement des gargons et celui des filles. Le nombre des ecoles congreganistes de gargons triple de 1850 a 1863, puis il reste voisin de 3 000, contre 35 000 ecoles laiques. Mais cela ne doit pas faire illusion; les conseils municipaux pr6förent aux instituteurs des religieux qui sont presque partout ä la tete des ecoles primaires publiques. En revanche, les congregations feminines developpent autant leurs ecoles libres que leurs ecoles publiques. < Elles ont avec les unes et les autres (14 560) une superiorite ecrasante sur les 6coles laiques (6 500). Les efiectifs passent pour les gargons du cinquiöme au quart de l'effectif scolaire, pour les filles il l'emporte nettement sur les laics avec 1 203 817 contre 968 969. Π est curieux de constater sur les cartes de J. Maurain qu'en 1863 la Loire a 80 % de ses gar?ons chez les congreganistes; le Rhöne, l'Ardfeche, le Finistöre, les Cotes-du-Nord plus de 70 % ; la Loire-Inferieure n'a que 40 % et la Vendee moins de 20 %. Par contre, si 20 d6partements (Centre-Ouest, r6gion parisienne, Champagne et Bourgogne) n'ont pratiquement pas d'ecoles con-
21. Citi par Louis Grmaud, op. cit., p. 436-437.
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gr6ganistes de gar$ons, pour les filles aucun d6partement n'accuse une proportion de moins de 20 % 22 . » En ce qui concerne l'enseignement secondaire, la liberte creee par la loi Falloux devait beneficier en principe ä tous les enseignements libres, religieux ou non, et ceci sans distinction de confession. En fait, de cette liberte, seule l'Eglise catholique 6tait en mesure de tirer un reel parti 2 3 ; aussi au lendemain de la loi assiste-t-on ä la creation d'un dualisme scolaire, enseignement d'Etat, enseignement d'Eglise, et к une diminution rapide des etablissements prives non confessionnels 23. Le monopole avait profite aux pensions particulifcres. Elles recevaient les eleves que les families avaient confies aux professeurs de l'Universite mais non ä ses internats. Desormais, la mode conduit les enfants vers les collfcges ecclesiastiques. La plupart des ecoles privees de province vont done disparaitre et seules quelques grandes institutions comme Sainte-Barbe et Massin, ä Paris, demeureront prosp6res. Inverse etait la solution de l'Eglise catholique qui n'a meme pas besoin d'entamer de demarches auprös des conseils municipaux pour ouvrir de nouveaux etablissements et dont les progres sont considerables, puisque le comte Beugnot, avec le Comite de l'enseignement libre, peut constater qu'au bout d'une annee la loi Falloux avait permis de faire naitre 257 etablissements nouveaux, outre 119 petits seminaires qui se transformeront presque tous en collöges mixtes. « Vers 1840 les petits seminaires tournaient autour de 18 000 elöves, en 1860 ils atteignaient prfes de 23 000, on estimait qu'un tiers seulement de ces elöves aboutissaient au sacerdoce, d'autres ordinands venaient des presbyter es, des ecoles apostoliques, done une proportion importante d'entre eux venaient seulement у poursuivre des etudes secondaires 2 i . » La plupart des collöges catholiques etaient aux mains de pretres seculiers. Cela ne doit pourtant pas faire oublier qu'une partie du succfcs de l'Eglise revient aux congregations religieuses, aux maristes, et surtout aux jesuites. Ceux-ci n'avaient jamais cesse, т ё т е sous Louis-Philippe, d'instruire les enfants des families frangaises. Des colleges voisins de la fronti£re, Brugelette en Belgique et Fribourg en Suisse, leur 6taient destines. Aprös 1850, e'est en France т ё т е que de nombreux amis les aident ä s'etablir. La Compagnie de J6sus compte alors plus de 2 300 religieux, dont un tiers environ est employe dans plus de 25 colleges, rassemblant ä la fin de l'Empire ргёз de 10 000 έΐέves я®. Parmi ces collöges, Sainte-Gene^ve de la rue des Postes ргёраге aux grandes ecoles, Saint-Cyr et Polytechnique en particulier. Enfin, si la loi Falloux ne concerne pas l'enseignement superieur, elle атёпе
2 2 . A . LATREILLE, R . R£MOND, op.
cit.,
t . ILL, p .
342.
23. Toutefois, les dtablissements protestants, en dix ans, passent de 7 ä 13. 2 4 . A . LATREILLE e t R . R£MOND, op.
25. Ibidem.
cit.,
p. 343.
II* Republique et Second Empire
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l'Eglise, qui a bnisquement besoin d'un tres grand nombre de professeurs, к tenter d'organiser une pr6paration directe aux grades universitäres. Ses premiers essais dans се sens, celui de l'abbe Gratry d'ou sortit la renaissance de l'Oratoire, celui de Mgr Affre surtout qui ouvrit dans le vieux couvent des Carmes une 6cole destinee к dinger les 6tudiants ecclesiastiques vers la licence es lettres ou ös sciences, sont encore limites. Mais ils rev&ent l'impatience du clerge devant l'obligation d'envoyer ses enfants demander des grades ä l'Universit6 et preparent dans le monde catholique un courant de pensee favorable ä la liberte de l'enseignement superieur. Cette multiplication des 6coles catholiques ne constitue pas la seule consequence de la loi Falloux. II en est une plus profonde qui decoule d'ailleurs de Timportance prise par l'enseignement religieux en France. Par ses methodes d'education particulifcres, par l'esprit qu'il diffuse, par le fait qu'il attire une clientöle appartenant la plupart du temps aux milieux sociaux privilegies, cet enseignement aboutit en effet ä une separation de la jeunesse frangaise en deux groupes distincts, souvent antagonistes. L'union et la concorde preconisees devaient done en definitive favoriser l'opposition d'un enseignement d'Etat et d'un enseignement religieux, opposition qui domine depuis toute l'histoire scolaire de la France.
SECTION I I
APPLICATION DE LA LOI FALLOUX DU RANT LE SECOND EMPIRE
L'application de la loi Falloux jusqu'en 1870 va obeir aux vicissitudes generales des relations entre le regime et l'Eglise. Dans une premiöre periode de quatre annees eile s'oriente dans un sens nettement antirepublicain et antiuniversitaire. Puis, ä partir de 1854, la tendance, qui jouait jusque-lä en faveur de l'Eglise, se renverse. Toutefois les progrfcs de l'enseignement libre ne sont pas serieusement entraves, jusqu'au jour oü les rapports entre le clerge et le pouvoir se trouvent definitivement älteres par la question romaine et la publication du Syllabus. Alors, sous le ministöre de Victor Duruy (1863-1869), la concurrence laisse place ä une lutte contre ce que les universitäres commencent ä appeler l'influence cl6ricale. A. L ' E M P I R E
AUTORITAIRE
D e l'aveu general, les quatre ann6es qui succödent au vote de la loi Falloux constituent la periode la plus рёшЫе qu'ait eu ä traverser l'instruction publique au 19* siöcle. 7
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Le coup d'Etat du 2 decembre 1851 avait revolt les consciences universitaires. Aussi les mesures de repression furent-elles tr£s vives ä leur egard. Le premier decret du 9 mars 1852 rendu sur la proposition du nouveau ministre de l'Instruction publique, Fortoul, retire aux universitaires les dernifcres voies de recours que leur avait accordees la loi de 1850. < Le president de la Republique nomme et revoque, le ministre de l'Instruction publique nomme et revoque. » Deux membres de phrase qui ne laissent plus aucune garantie pour la destitution comme pour la juridiction des enseignants. C'etait une arme pour des executions premeditees : Guizot et Victor Cousin mis d'office ä la retraite, Michelet et Quinet revoques pour avoir donne un enseignement de nature ä troubler la paix publique, Jules Simon suspendu pour avoir revendique l'honneur d'avoir depose un bulletin de protestation lors du pl6biscite. On relfcve encore la destitution de 800 instituteurs dont le corps tout entier fait l'objet d'une persecution incessante. Les professeurs sont soumis au serment de fidelite sinon ils seront consid6r6s cOmme demissionnaires. D'autre part, d'apr£s une circulaire ministerielle du 20 mars 1852, с les instituteurs publics et la'iques pour s'endimancher et se rendre ä leurs reunions devaient porter l'uniforme, pantalons noirs, gilet et redingote de la meme couleur avec boutons dores et palmes sur les revers de la redingote, casquette noire avec palmes sur le devant». Le port de la moustache leur est interdit, < attendu qu'il importe que les derniferes traces d'anarchie disparaissent 2(1 ». A cela il faut ajouter les difficult6s dues au controle que l'Eglise est en droit d'exercer sur l'enseignement public. Dans les villages ce n'est pas sur l'6cole que porte la surveillance du cure, mais sur le maitre qu'il consid&re toujours un peu comme son bedeau, tandis que dans les colleges les aum6niers poursuivent les enseignants qui pretendent se soustraire aux obligations religieuses. On a des exemples prdcis de cette petite guerre locale qui devait marquer la g6n£ration des eläves instituteurs appeles ä prendre la direction des ecoles au moment de leur la'icisation. Fortoul ne se contente pas de maitriser les hommes, il cherche aussi ä maitriser les id6es. Pour у parvenir il reduit l'enseignement ou supprime des chaires. L'agr6gation se trouve r^duite ä deux concours, l'un pour tout ce qui est sciences, l'autre pour tout ce qui est lettres. Dans les lycees et colleges l'enseignement de la philosophie re^oit une з£уёге r6glementation, mais c'est encore dans les nouveaux programmes de l'Ecole normale que se revöle le mieux l'esprit des temps, tout s'y trouve regie, jour par jour, heure par heure, aucune place ne reste A la liberte ou ä l'initiative. La m6thode ä suivre est fix6e d'avance, la journee commence et finit par la рпёге, tandis que les heures d'etude, de lecture et les m6thodes de travail sont soigneusement delimitees.
26.
Georges
DUVEAU,
op. ext., p. 99.
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Le d6cret du 9 mars 1852 assure done d'abord une mise au pas de l'Universite. C'est aussi, sans que l'on en fasse l'aveu et bien que les relations entre l'Etat et l'Eglise soient toujours excellentes, une fa^on indirecte de reprendre a l'Eglise certains des pouvoirs de contröle sur l'enseignement que lui avait accordes la loi Falloux. Derriöre toute cette r6glementation autoritaire s'affirme la νοίοηίέ de lutter contre ses empietements. Dans cette optique le d£cret du 9 mars 1852 reorganise le Conseil superieur et place le pouvoir disciplinaire sur le corps enseignant tout entier directement entre les mains du pr6sident de la R6publique. Dans le Conseil superieur on supprime la section permanente ainsi que 1'election prdvue pour une durde de six annees cons6cutives des representants des diverses forces sociales, 6piscopat, magistrature, Conseil d'Etat et instituts. C'est une d6cision ministdrielle, renouvelöe chaque аппёе et toujours revocable, qui designe d6sormais tous les conseillers, et des lors « le conseil ne repräsente plus l'esprit g6n6ral de la societe mais la volonte particuliüre d'un ministre qui l'a choisi pour etre l'6cho de sa voix et l'executeur de ses ordres 27 >. Quelques semaines plus tard, Fortoul soumet un projet de loi au Conseil d'Etat. Sans revenir au monopole, ce qui eüt ete impensable dans le contexte politique de l'epoque, il r6serve ä l'Etat seul un droit de fermeture de tous les 6tablissements, qu'ils soient eccl6siastiques, congreganistes ou laiques. Cette mesure, jointe έ celle du d6cret du 9 mars 1852, aurait abouti ä la remise en cause de tous les avantages accord6s par la loi Falloux ä l'Eglise, mais elle demeura sans effet On restera jusqu'en 1854 sous le r6gime du decret du 9 mars. Un nouveau progr£s s'accomplit alors dans le sens du renforcement du röle de l'Etat avec la loi du 14 juin 1854 qui ne touche pas au principe de la liberte de l'enseignement mais reconstitue les grandes acaddmies. La France se divise desormais en seize circonscriptions acadömiques administrdes par un recteur, assistees par autant d'inspecteurs qu'il у a de d6partements dans l'Acad6mie. Аиргёв de chaque recteur siige un conseil dont les membres appartiennent en majorite ä l'Universit6. L'Eglise s'y trouve reprisentee par un 6veque et quelquefois par deux membres du clerg6 catholique d6sign6s par le ministre, mais sa place n'est plus souveraine. Au chef-lieu de chaque departement, un conseil de l'Instruction publique екегсе les attributions d6f6rees au Conseil academique par la loi de 1850 en ce qui concerne les affaires contentieuses et disciplinaires relatives aux 6tablissranents particuliers d'instruction secondaire. Enfin, le pr6fet re;oit les fonc-
27. De Broglie, rapport prisenti le 27 juin 1871 & l'Assembl£e nationale, ούέ par Louis GJUMA№, op. cit., p. 443.
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tions des anciens recteurs, en matifcre d'enseignement secondaire libre, ainsi que la surveillance disciplinaire sur l'instruction primaire publique ou libre. L'essentiel de la loi demeure cependant avant tout le retour au prestige des anciens recteurs qui ont ddsonnais une autorite 6gale к се lie des premiers pr6sidents et des procureurs gen6raux. C'6tait lä alterer l'esprit de la loi Falloux, mais la presse catholique protesta vainement. La loi de 1854 rend ä l'Etat l'autoritö et la responsabilit6 en тайёге d'enseignement. A la restauration des academies doit s'ajouter Celle des universites. € La 101 de 1854 ne se borne pas к donner ä l'instruction secondaire ce gouvernement fort et eclaire dont eile a besoin, eile relive, eile raffermit le baut enseignement; sous le nom d'academies elle reconstitue les anciennes universit6s, qui, reliees entre elles, penetr6es de l'esprit de l'Etat, seront autant de foyers de sciences et d'etudes pour la jeunesse de nos departements. » Or, с les facultes sont la vie et l'äme des academies, des universites. II ne doit у avoir des academies que lä oü se trouvent des facultes, un foyer intellectuel de quelque puissance, un centre ou l'instruction puisse se repandre utilement 28 ». II convenait done de donner sans retard aux facultes les ressources qu'elles n'avaient pas. Pour cela la loi de 1854 constitue un service financier special soumis au contrdle des pouvoirs publics. Mais, pour pleinement reussir, plutot qu'une caisse commune ä toutes les facultes de France, le systfeme aurait du accorder ä chaque facultö, ou mieux ä chaque groupe de facultes, une personnalite bien distincte, un budget a part, et ne pas exposer les economies des unes ä combler le deficit des autres. D'autre part, il aurait fallu que le gouvernement n'eüt pas d'arriöre-pensee et que, de l'augmentation des ressources propres des facultes, il n'eüt pas secretement escompte une diminution de la subvention du Tresor. Enfin, durant toute cette periode, l'attitude des responsables de l'enseignement superieur n'est pas faite pour favoriser son 6panouissement. Les programmes des professeurs sont traces d'avance par le ministre, dont la preoccupation essentielle consiste ä veiller ä ce que l'on ne s'en ecarte pas. II est prescrit que dans chaque salle de cours une place sera affectee au recteur ou к son delegue. Dans de telles conditions, des progrös sensibles ne pouvaient 6tre enregistres. A la suite de ces mesures autoritaires, le ministre Rouland, qui garda le portefeuille de l'instruction publique et des Cultes de 1856 ä 1863, s'effor?a de creer un climat plus serein dans l'Universite. Les mesures qu'il devait ргёconiser dans ce but n'ont pas un caractöre trös spectaculaire, mais elles constituent une transition entre l'Empire autoritaire et l'Empire liberal. Rouland retablit tout d'abord l'agregation de grammaire, puis celle d'his-
28. Extraits du rapport sur la loi de 1854, cit6 par Louis
LIARD,
t. II, p. 257-258.
II" Republique et Second Empire
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toire et de physique. II reorganise l'Ecole normale sup6rieure, cree plusieurs chaires dans les facultes, notamment έ la facult6 de medecine et έ la faculte de droit de Paris, inaugure un baccalauröat £s sciences restreint, reserve aux futurs etudiants en medecine, enfin rattache le budget de l'enseignement superieur ä celui de l'Etat. B. L ' E M P I R E
LIBERAL
A partir de 1860, la politique de l'Empire liberal, avec ses concessions ä l'opinion interieure, entraine un relfcvement de l'enseignement en France. Devenu ministre de l'Instruction publique en 1863, Victor Duruy fait figure de reformateur 6clair6 et ргёраге dans une large mesure l'ceuvre döcisive de la III* R6publique. La loi Falloux, durant toute cette p6riode, reste toujours en vigueur. L'6cole publique est souvent confessionnelle et les congr6ganistes peuvent toujours у enseigner. Toutefois, l'esprit qui preside aux r6formes de l'enseignement se transforme et, pendant les dernifcres ann6es du Second Empire, deux conceptions ideales de la soci6t6 commencent ä s'affronter : la socidte clericale et la soci6t6 lai'que, qui trouve un d6fenseur en la personne de Jean Масё et un organe de propagande dans la Ligue fran?aise de l'enseignement. C'est en 1863 que Napol6on III appelle au ministöre de l'Education nationale Duruy qui devait, en depit de l'opposition des catholiques, s'y maintenir jusqu'en 1869. VictOT Duruy est ne en 1811 ä Paris, dans un logis de la manufacture des Gobelins ou son рёге 6tait contremaitre. II grandit dans une а^оврЬёге ä la fois ΐΓέβ bonapartiste et anticl6ricale. Entrd к l'Ecole normale sup6rieure, il у eut comme professeur Michelet, et, aprös une brillante сагпёге, devint inspecteur general. Bien que ne participant pas ä la politique militante, il ne dissimulait pas ses idees et avait vot6 « non > au plebiscite de 1851. Aussi sa nomination fut-elle un acte significatif du renversement des tendances qui s'amor9ait, mais aussi un choix extremement heureux : avec une hauteur de vue incomparable, Duruy allait ouvrir к l'enseignement des perspectives nouvelles. Α. ENSEIGNEMENT PIUMAIRE
Le resultat des enquetes eflfectuöes sous la direction de Charles Robert, secritaire general du ministöre de l'Instruction publique, porte au pessimisme : « Les ecoles primaires devraient rassembler cinq millions d'enfants, mais 880 000 manquent к l'appel. 30 % des conscrits ne savent pas lire, 36 % des conjoints ne peuvent signer (28 % des homines, 44 % des femmes), la proportion des illettres varie suivant les couches sociales et selon les r6gions. Elle est par exemple
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L'Enseignement franjais de la Rivolution ä nos jours
deux fois plus forte chez les ouvriers de la grande Industrie que chez les artisans, les ouvriers travaillant dans de petits ateliers. EUe est faible dans l'Est, ä peine 2 % dans les Vosges, mais plus de 54 % dans la Haute-Vienne » Et cela ä une 6poque oü en Allemagne on compte seulement 2 a 3 % de consents illettr6s. Pour rattraper ce retard, Duruy s'efforce de placer l'instruction primaire au nombre des grands services publics de la nation, et surtout d'en imposer la charge finaneiöre ä la communaut6 tout епйёге. II prdconise l'enseignement gratuit et obligatoire, mais, en avance sur son temps, ne parvient pas ä faire prevaloir ses vues. La loi du 10 avril 1867 ne marque qu'une etape dans ces deux directions, par la disparition de la loi du maximum. Les communes pouvaient avec leurs ressources entretenir des ecoles gratuites, elles pouvaient assumer les frais de l'6ducation d'un certain nombre d'enfants pauvres, mais elles fixaient librement la proportion des enfants admis au benefice de la gratuite. Les subventions trfcs larges du departement et de l'Etat, que preconise la loi du 10 avril 1867, evitent d6sormais la distinction parmi les enfants pauvres entre elus et reprouves. Cependant cette gratuite scolaire ä eile seule ne permet pas toujours ä l'enfant d'etre instruit. Une aide financiere, dans certains cas, doit etre accord6e aux parents. Dans les annees 1860, nombreux sont les ouvriers qui maudissent l'ecole parce qu'elle arrache l'enfant ä la fabrique. Α l'äge de huit ans on peut entrer dans une filature et apporter quotidiennement quelques sous dans un foyer dont les ressources sont tr£s modiques. Aussi Duruy encourage-t-il la creation par les communes de caisses des dcoles, alimentdes par des cotisations volontaires, subventions et dons, destinds ä encourager et faciliter la frequentation scolaire par des rdcompenses aux ё1ёуез assidus et par des secours aux indigents. II con firme d'autre part les mesures favorables qui ont it6 prises par Rouland en faveur des instituteurs et notamment s'intdresse au sort des « suppleants appeles ä tenir une « dcole de hameau », qui ont desormais droit a un logement et ä un traitement communal fixe. Mais c'est surtout ä la criation de l'enseignement feminin que Victor Duruy a attach6 son nom. La loi du 10 avril 1867 Itablit l'obligation pour toute commune de plus de 500 habitants d'entretenir au moins une ёсо!е de filles, de payer le traitement de l'institutrice dans les memes conditions que Celles de l'instituteur et de lui fournir le logement. II nomme des institutrices adjointes, assimilees aux instituteurs adjoints, et, meme pour les communes pauvres ou d'accfes difficile, des instituteurs temporaires. A torn il recommande de faire obtenir ä leurs 61&ves le < certfficat d'6tudes primaires > instaure par ses soins en 1865.
2 9 . G . DUVBAU, op.
cit.,
p.
102.
II* Republique et Second Empire
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B. ENSEIGNEMENT SECOND AIRE
Un decret du 2 septembre 1863 reorganise l'enseignement dans les lycees. L'agregation de philosophie une fois retablie, les autres suivent, et les professeurs sont desormais trait6s avec consideration. Mais la nouveaute essentielle consiste dans l'introduction dans les programmes d'un enseignement d'histoire contemporaine. Quant ä l'essai tente par Fortoul d'une division des elfeves en sections classique et scientifique ä partir de la 3*, qui n'avait donne aucun resultat, il est abandonne. Les 6tudes classiques communes seront poursuivies jusqu'en classe de philosophie, mais avec un enseignement des sciences et des langues vivantes serieusement renforce. Ses tournees d'inspection g6nerale avaient permis ä Victor Duruy de constater que de nombreux eleves se destinant ä l'agriculture et au commerce perdaient leur temps sur les bancs des collöges ä traduire du latin, et il avait maintes fois ехргхтё ses craintes ä ce sujet. « Nous volons, disait-il, l'argent de ces gens-lä. > Aussi est-ce pour remedier ä cet etat de choses que la loi du 21 janvier 1865 cree un enseignement sans latin, que Ton appelle « enseignement special». Les tentatives entreprises par la Convention ä ce sujet avaient echoue : les ecoles primaires sup^rieures apparaissaient en effet en 1850 comme des foyers de socialisme et 6taient alors pratiquement supprimees. Seuls quelques cours speciaux existent encore ςέ et la; d'ailleurs le projet de Duruy se separe de celui de ses pred6cesseurs, en ce sens que desormais l'enseignement special se rattache non pas ä l'6cole primaire mais ä l'ecole secondaire. Sem but est de fournir < des chefs ä cette armee de travailleurs que forme Teaseignement primaire, dans l'agriculture, dans le nigoge, dans la banque, dans l'industrie, dans les administrations des grandes compagnies, dans ce vaste domaine qu'on appelle le monde des affaires. Or, pour etre bien remplis, ces emplois de direction et de controle exigent, outre une certaine somme de notions scientifiques, la connaissance des theories auxquelles ces notions se rattachent, l'habitude des m6thodes intellectuelles, et ce fond d'idees g6nerales qui peuvent donner ä l'esprit de la rectitude et de l'etendue. C'est par ce cöt6 que < l'enseignement secondaire special» se s6pare de l'enseignement primaire et se rapproche de l'enseignement classique 80 ». Cet enseignement nouveau aura une durde de trois ans. Les elöves de famille ^ s pauvre peuvent т ё т е le quitter au bout de deux ann6es ou d'une seule. Un baccalaurdat sp&ial sanetiemne ces 6tudes. Quant au programme pr6conise, il comprend l'enseignement moral et religieux, la litt6rature frangaise, l"histoire et la geographic, le calcul, et la comptabilit6 et legislation usuelle. Selon les besoins de la profession future on peut lui adjoindre les langues vivantes, le dessin, les appli30. Octave GRÜAKD, Education et instruction. Paris, 1912, p. 77-78.
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L'Enseignement fran$ais de la Involution a nos jours
cations des mathematiques, de la physique, de la chimie et de l'histoire naturelle. Un tel enseignement devait avoir ses collfcges, son есЫе normale, et ses maitres. L'ecole normale devint realit6 lorsque le ministre accepta l'offre de l'abbaye de Cluny, ou les cours furent inaugurds le 1" novembre 1866; mais le manque d'argent ne permit pas de сгёег des ecoles distinctes (sauf un essai heureux ä Mont-de-Marsan) et Г« enseignement special» dut s'installer dans les dtablissements de l'enseignement secondaire ä cöt6 de l'enseignement classique, ou il joua le röle de parent pauvre. Le Parlement refusa les credits, le personnel enseignant son concours, et les families leur confiance. N6anmoins, en 1868, plus du quart de la population scolaire secondaire suivait les cours speciaux. Enfin, comme pour le primaire, le nom de Duruy reste attache aux questions touchant ä l'enseignement feminin. Par une circulaire du 30 octobre 1867, il tente d'organiser des cours d'instruction secondaire pour les jeunes filles, qui seront donn6s par les memes professeurs que ceux des etablissements de garjons ; le programme ä enseigner est comparable ä celui de l'enseignement secondaire sp6cial, enseignement sans langues anciennes. Malgre la modestie de ses ambitions, cette innovation suscite dans le clerge de tres violentes critiques. La plupart des 6vSques prennent fait et cause contre lui, et се sera lä une des raisons qui feront perdre son poste ä Duruy en 1869. Ndanmoins, l'idee est Ianc6e et une association pour l'enseignement secondaire des jeunes filles se cree ä la Sorbonne ä la fin de 1867. С. ENSEIGNEMENT SUPERIEUR
Ministre novateur, Duruy est le premier qui, au cours du sifccle, declare que l'enseignement superieur repond ä de grands int6rets, « qu'il importe de ne point laisser deperir le goüt des etudes sSvöres, qu'il faut encourager et recruter le groupe des hommes d'elite dont la gloire rejaillit sur le pays tout entier et se continue dans son histoire, qu'enfin les grandes 6tudes rdagissent sur les etudes inferieures qu'elles entrainent ä leur suite pour les porter plus haut et plus loin 3 1 ». Neanmoins, malgre la grande misfere de l'enseignement superieur, il ne cherche pas ä en modifier l'organisation generale : « L'edifice est ancien, mais solide en ses assises ; il n'y faut que des appropriations pour des necessites nouvelles. » Ces necessites, il les envisage sous une double optique : l'enseignement superieur est en effet destine ä preparer la science et ä en assurer la diffusion.
31. Louis LIARD, op. cit., t. II, p. 286-287.
II* Republique et Second Empire
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L'Etat doit done developper les hautes dtudes thdoriques sans n6gliger l'enseignement. La vocation enseignante des facultes avait ete quelque peu delaissee. D'ailleurs leur organisation et le petit nombre de chaires dont elles disposaient ne leur permettaient pas d'etre, comme le voulait dejä Salvandy ä la fin de la monarchie de Juillet, des ecoles normales superieures formant les bacheliers qui se destinent ä l'enseignement secondaire. Un des objectifs de Duruy sera justement de leur redonner ce röle et de leur procurer un public d'etudiants. Puis, pour developper les 6tudes th&>riques, il сгёе ce qu'il appelle le « budget de la science >, destine ä fournir aux chercheurs des laboratoires, des moyens d'information, en tenant les bibliotheques au courant de toutes les publications savantes, en creant des recueils de periodiques pour rendre compte des travaux et des decouvertes de la France et de l'etranger et en accroissant le nombre des missions scientifiques. De ce programme sortit une institution durable, 1'« Ecole pratique des hautes etudes >, charg6e de favoriser les recherches savantes de tout ordre. Cette creation en 1868 fut l'oeuvre la plus importante du Second Empire dans le domaine de l'enseignement superieur. d.
ENSEIGNEMENT
DES
ADULTES
L'effort poursuivi par Duruy dans le but d'etendre l'instruction ä toutes les couches de la societe l'amene ä creer une organisation publique de conferences pour adultes. Une circulaire du 11 juillet 1865 attire l'attention des prefets sur leur interet dans le monde rural. Les recteurs 6galement sont alertes : l'administration doit assister les conseils gen6raux, les communes, les particuliers qui agissent individuellement ou qui se sont groupes en associations pour subvenir aux besoins de l'enseignement postscolaire. Son aide consistera a tenir compte aux instituteurs, directeurs de cours d'adultes, pour l'avancement et les recompenses honorifiques, du zele dont ils auront fait preuve et des resultats qu'ils auront obtenus. L'instruction fixe egalement les conditions dans lesquelles on peut ouvrir des 6coles ou des classes d'adultes communales. Cette s6rie de mesures ainsi que les subventions mises a la disposition des maitres amenent un progres trfes rapide des cours d'adultes : on en compte 33 638 avec 793 136 efcves en 1869 32. Cet effort considerable entrepris par Victor Duruy dans l'enseignement primaire, secondaire, superieur ou postscolaire devait porter ses fruits. « Les parents acqu6raient peu ä peu le sentiment qu'ils 6taient coupables en n'obligeant pas leurs enfants ä aller ä Гёсо1е, l'instruction se generalisant, ils deve-
32. Cf. Benigno CACERES, Histoire de rtducation
populaire.
Paris, 1964, p. 33.
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L'Enseignement franjais de la Revolution a nos jours
naient honteux de ne pas etre instruits 33 . > La formation d'une Ligue pour l'enseignement public en fut le couronnement. Π en existait d6ja une en Belgique qui, en septembre 1866, tint ä Liöge ses secondes assises annuelles, suscitant l'attention de Jean Mace. Un mois plus tard, le 25 octobre 1866, il lance un premier appel pour que la France possöde ä son tour une Ligue de l'enseignement; le succ& fut immddiat. En 1867, eile compte d6jä plus de 6 000 adhdrents et en aura 18 000 к la veille de la guerre de 1870. C'est en liaison avec la franc-magonnerie qu'elle poursuit son action et c'est λ eile que l'on doit ce nouvel argument electoral que l'on trouve dans les programmes presentes par les socialistes au printemps 1869 : instruction lalque et intdgrale, obligatoire pour tous et έ la charge de la nation, indemnite allouee i tous les enfants pendant la dur6e des etudes. Malgr6 l'opposition des dveques, le mouvement se developpe. Un certain nombre de personnalites, telles Gambetta, Rammarion et Paul Bert, lui apportent leur appui. Des journaux comme Le Siёс1е, Le Temps, Le Rappel et Le National se mettront ä la disposition de Jean Масё lorsqu'il organise en 1872 une vaste petition et recueille dans le public 1 267 000 signatures favorables έ sa саше, soumises ensuite ä l'Assemblde nationale ä Versailles.
33. R. THABAULT, cite par J. LEIP et G. RUSTIN, Histoire des institutions scolaires, Paris, p. 179.
1963,
II* Republique et Second Empire
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CONCLUSION De 1848 ä 1870, sous la ΙΓ Republique et sous l'Empire, la loi Falloux, νέπtable € charte » de l'enseignement primaire et secondaire, domine l'histoire scolaire de la France. Quels en furent les rdsultats pratiques ? Un ind6niable essor de la serialisation au niveau du primaire surtout, mais aussi un ddveloppement evident de l'enseignement organis6 directement par l'Eglise ou sous son contrdle. Les statistiques 84 ne sont encore utilisables que pour le primaire, elles rdvilent la progression suivante : en 1850, sur un total gen6ral de 3 322 000 elfeves, 954 000 frequentent les etablissements congreganistes (publics et prives), soit un pourcentage de 28,7 %. En 1875, sur un total de 4 610 000 enfants, 1 871 000 ont choisi les ecoles congreganistes, soit une proportion de 40,4 %. En 1879, ä la veille des lois de laicit6, le pourcentage est pass6 ä 40,5 %. Neanmoins ie clerg6 ne se considere pas satisfait pour autant et la lutte qui l'oppose aux universitaires laics ne fait que cristalliser des oppositions fondamentales qui accentuent encore la coupure de la jeunesse fran?aise entre celle qui re^oit son education de l'Eglise et celle qui est formee par les 6tablissements publics. De telles oppositions devaient toutefois susciter des r6actions salutaires. A la fin du Second Empire, Victor Duruy prend l'initiative d'un certain nombre de mesures. Elles ne sont pas encore acceptees et apparaissent revolutionnaires pour l'dpoque, mais suscitent neanmoins un renouveau d'interSt pour la question scolaire. C'est ά се moment en effet que Jean Масё et la Ligue de l'enseignement commencent ä rdpandre les grands principes qui, sous la ΙΙΓ R6publique, doteront notre enseignement de ses structures modernes.
34. Annuaire statistlque de la France, Paris, 1939 ; r6sum£ ritrospectif, p. 24.
CHAPITRE II
LA ΠΡ REPUBLIQUE Les hommes qui gouvernent la France durant la UP ϋέpublique ont accompli dans le domaine de l'iducation nationale une ceuvre considerable. Iis ont ete portes par um ideal inspiri des discours de Condorcet et de la Convention ainsi que des essais des penseurs, historiens, philosophes aussi, qui illustrerent le mouvement ideologique et social de 1848. Tous avaient proclame ä des degres divers la necessiti d'une instruction publique itendue ά l'ensemble des citoyens et d'une education liberale. Cette foi triomphe des innombrables obstacles qu'ils vont rencontrer dans leur täche. En effet, de 1871 ä 1914, la lutte entre l'Eglise catholique et l'Etat ά propos de la question scolaire fut toujours extrimement vive. Les parties en presence donnent chacune une interpritation diffärente ä la notion d"instruction due a tous, au fait de savoir si les femmes peuvent et doivent у avoir ассёз, ά la place qu'il faut fare ä la science dans l'iducation et surtout ä la possibilite de separer morale et religion. Par-dessus tout cela il у a le probleme de la forme de l'Etat, desormais directement Iii ä celui de l'ecole : l'ecole lmque pour les republicains n'est pas separable de leur cause; en la difendant, la Republique a le sentiment de lutter pour son existence; inversement FEglise, en s'engageant dans la lutte pour la restauration monarchique contre la Republique et son ecole, croit combattre pour sa survie. Et c'est au milieu du dechainement des passions que se votent toutes les grandes riformes qui vont doter la France de son systime scolaire et universitaire actuel. Ces transformations se font par Stapes. Au lendemain de 1870, la Ripublique ne represente guire plus qu'un mot impose par les circonstances. En fait, sous le couvert de Thiers puis de MacMahon, ce sont les monarchistes qui gouvernent, mettant ά profit Vincertitude (fun peuple epuisi par la defaite et la guerre civile. Le vote тёте de la constitution de 1875 n'abolit pas leur Hegemonie, qui se maintiendra jusqu'en 1879. Les decisions prises alors ne font que consolider les positions des catholiques et renforcer les consiquences de la loi Falloux. Ce n'est done qu'ä partir de 1880 que la notion de läicite peut comporter des applications pratiques. Le conflit qui en risulte entre l'Eglise et l'Etat aboutit ä wie separation en 1905, terme de cette piriode, la plus riche et la plus importante de l'histoire de l'enseignement durant la IIP Ripublique. La phase suivante se contente de divelopper et de mieux organiser I'ensei-
La III* Ripublique
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gnement de la France, surtout ä la suite de la guerre de 1914-1918 et ce jusqu'en 1939.
SECTION I
DE 1870 A 1879
Entre 1870 et 1875, on vota deux lois qui reflfctent l'esprit monarchique de l'Assembl6e nationale. A. REFORME D U CONSEIL SUPER1EUR D E L'INSTRUCTION PUBLIQUE
Le 20 avril 1871, un certain nombre de representants parmi lesquels l'eveque d'Orleans, Mgr Dupanloup, le due de Broglie et Saint-Marc Girardin, deposent une proposition en vue de reorganiser le Conseil sup6rieur de ['Instruction publique sur les bases de la loi de 1850 et d'abroger le decret du 9 mars 1852. Ce texte confiait au chef de l'Etat la nomination et la revocation des membres du Conseil superieur et Iui donnait le pouvoir diseiplinaire sur ceux de l'enseignement public. Une commission fut nommee et la discussion generale s'ouvrit le 8 janvier 1873. La gauche de l'Assemblee protesta contre la presence dans ce Conseil superieur des representants de l'Eglise : « L'Eglise veut avoir la haute main sur la direction de l'enseignement. Nous demandons, nous, au contraire que la direction et la surveillance de l'enseignement public soient uniquement confiees ä des lalques, ä des personnes devenues competentes par des habitudes de toute leur vie, au nom du principe qui s'impose a la France et qui est le caractöre exclusivement laique de l'enseignement public, dernier preservateur de la personnalit6 et de l'unite fran^aise 35 . » Mgr Dupanloup repondit en diveloppant les raisons pour lesquelles il convenait que l'episcopat fran?ais у eüt sa place : < C'est bien une force morale que l'Eglise, dit-il, et cette force, la societe ebranlee en a besoin ; car pour la raffermir et pour la sauver, sur quoi doit-on compter si ce n'est sur la morale du decalogue ? 36 » A la suite de l'examen de plusieurs contre-projets, l'Assemblee vota le 19 mars 1873 «la loi relative au Conseil superieur de l'lnstruction publique ». Tous les grands corps et les grandes activites у sont representee comme en 1850. Compose de 36 membres dont 4 membres du clerge catholique et 2 representants des confessions protestantes, il compte άέβοπηβϊβ un representant
3 5 . Entrait du discours du d6put6 BRISSON p. 474. 36. Cit6 par L. GRIMAUD, op. cit., p. 474.
I
l'Assemblee, cit6 par
L . GRIMAUD,
op. cit.,
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L'Enseignement fran^ais de la Revolution ä nos jours
de Гагтёе et de la marine nomme par le ministre int6ress6 (le Conseil sup£rieur de la guerre ou de l'amirautd entendu), des delegu6s de l'enseignement superieur, un membre du Conseil sup£rieur des arts et manufactures et un autre du Conseil superieur du commerce, repräsentant les branches de certains enseignements nouveaux. Sa competence reste pratiquement identique ä celle qui lui avait ete accordöe par la loi Falloux. Simplement, il ne peut plus prononcer une interdiction definitive de l'enseignement libre, ä la suite d'un jugement rendu par le Conseil academique qui a le pouvoir disciplinaire dans се domaine, que si la decision est prise aux deux tiers des suffrages. Grace a la loi de 1873, l'enseignement libre retrouve ainsi des garanties dont il n'avait pu profiter que deux ans ä peine. Complement logique de се texte, un projet ргёраге le remaniement des conseils academiques d6partementaux. II prevoit l'augmentation du nombre des membres qui у sont appeles, afin d'en faire des representants de toutes lee « forces vives > de la nation, et il en aurait 6t6 de т ё т е du conseil departemental, si, par suite de pr6occupations constitutionnelles, l'Assemblee ne l'avait abandonn6. Dans le т е т е temps, des questions touchant ä la gratuite et ä l'obligation scolaire sont a l'ordre du jour. Un certain nombre de propositions envisagent le ргоЫёте de la gratuite pour les 6coles publiques en face d'ecoles libres payantes et les sanctions ä infliger aux tuteurs et aux parents qui ne se conformeraient pas au principe de l'obligation. Се ne sont lä cependant que vceux de l'Assembl6e nationale dont l'ceuvre essentielle demeure la mise en place de la libertd de l'enseignement superieur.
B. LffiERTE DE L'ENSEIGNEMENT SUPERIEUR La loi Falloux avait prevu, pour une 6tape ult6rieure, l'organisation de cette liberte et, si la question n'est pas 6voqu6e, durant les ministöres de Fortoul et de Rouland, eile redevient d'actualit6 ä l'6poque de Duruy. Les inquietudes que suscite sa politique scolaire au sein du clerg6, Г1тефге1айоп malveillante de certaines de ses reformes favorisent l'61aboration d'une petition au Senat. Ce texte appelle l'attention sur le < mal» des facultes et prdconise comme remede, au nom de la morale et de l'ordre social ainsi que de la libert6 de conscience, la liberte pour l'enseignement supirieur. Le Senat, comme le gouvernement, ne s'y montre pas hostile et Duruy lui-meme prepare un projet en ce sens, qui n'aboutit pas. Sous l'Empire, une Commission se constitue, pr6sidee par Guizot. Tout le monde 6tant d'accord sur le principe, sa täche se limite ä des questions d'application et d'organisation. Or c'est justement ä ce sujet que vont naitre les plus grosses difficultes car, si l'on envisage comme un droit pour les citoyens
La ΠΓ Ripublique
111
d'ouvrir, sous des conditions ä ddterminer, des 6tablissements de haut enseignement en dehors des 6tablissements publics, l'Etat pouvait-il pour autant se dessaisir du droit de conferer les grades ? Les universitäres s'y refusent. La liberte d'enseignement et la collation des grades sont choses totalement distinctes ä leurs yeux; un office public ne peut en aucun cas etre confie ä l'enseignement libre. A cela les partisans de l'autre opinion repondent que donner la liberte sans donner les grades serait illusoire et frapperait les facultes libres d'infiriorite. II fallait trouver une solution. Finalement on est arriv6 έ un compromie : les 61eves des facult6s libres peuvent se presenter pour les grades, ou bien devant les facult6s d'Etat, ou bien devant un jury mixte, nomme par le ministre de l'Instruction publique, et compose, partie de professeurs des facultes d'Etat, partie de professeurs des facultes libres ä laquelle appartenaient les candidate. Le texte qui adopte cette institution en ouvre l'accfcs de fagon tres generale aux 61eves des facultes libres. Toute faculte de cet ordre avait done droit en principe ä un jury mixte, et, bien entendu, on relfcve lä un grave danger. Trop de facilites pour ouvrir un etablissement superieur risqueraient de permettre ä n'importe quel repetiteur, de droit par exemple, de conferer les grades. L'Assemble va done examiner la question de savoir comment les facultes pourront etre form6es, et decider en d6finitive que, pour qu'il у ait jury mixte, il faut que l'6tablissement libre comprenne au moins trois facultes, celle de th6ologie exceptee. De fa^on incidente les universit6s se trouvaient ainsi restaur6es en fait. La loi du 12 juillet 1875 r6glemente ces diverses dispositions : tout citoyen de vingt-cinq ans et toute association forrnee dans un dessein d'enseignement pourront ouvrir des cours ou des 6tablissements supirieurs dans les conditions suivantes : s'il s'agit de cours isol6s, une d6claration sera faite par leur auteur ; eile indiquera les nom, qualitd et domicile du d6clarant, le local ou ils auront lieu et l'objet de l'enseignement trait6. Dix jours ä l'avance, eile sera remise au chef-lieu de l'academie. Si les cours s'adressent ä des auditeurs non inscrits, cm doit se soumettre aux formalites exig6es par la loi pour la tenue des reunions publiques. Pourront prendre, d'autre part, le titre de facult6 libre tous les etablissements ouverts l^galement et comprenant au moins le т ё т е η ombre de professeurs pourvus du grade de docteur que les facult6s d'Etat qui comptent le moins de chaires. Trois facultes ont droit au nom d'< universite libre ». Les etablissements resteront toujours ouverts au d616gu6 du ministre de l'lnstruction publique. Iis pouvaient etre d6clar6s d'utilit6 publique et recevoir la capacite d'acquerir et de contracter ä titre опёгеих et avait la possibilite de constituer des associations charg6es de leur entretien. Enfin la collation des grades suivait la röglementation indiqu6e : ä cote du jury mixte, l'Etat conservait le droit de les d61ivrer aux 61feves de ses propres facult6s et ä ceux des facultis
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L'Enseignement franjais de la Revolution ä nos jours
libres qui se presenteraient devant elles, le baccalaurdat ёз lettres et £s sciences relevant de sa seule autorite. La loi profita presque exclusivement a l'Eglise. Quelques institutions laiques se cr6erent, mais il ne s'agissait que d'etablissements sans grande importance et dont la plupart furent ephemeres : une ecole de notariat ä Rennes, une 6cole de droit ä Nantes, affili6e comme une succursale ä la facult6 de droit de Rennes, une ecole dentaire, une ёсо1е de gardes-malades et d'ambulan^res ä Paris, une ecole d'ingenieurs a Marseille, plusieurs cours d'enseignement populaire ä l'Hotel de Ville de Paris. Par contre, les positions des catholiques, qui ont ete mises au point trös a l'avance, leur permettent de fonder des universit6s, ä Paris, Lille, Lyon et Angers. Une cinquiöme est annoncee ä Toulouse, en т ё т е temps qu'il s'y ouvre une faculte de droit et une faculte de lettres. Ces universites ont pour promoieur et pour patron les archeveques et les 6veques d'une ou plusieurs provinces ecclesiastiques et tout de suite elles savent sur quelles ressources elles peuvent compter : des dons, des souscriptions, le produit des quetes faites en leur faveur dans les eglises. Leurs bätiments s'amenagent, et elles entrent rapidement en fonctionnement. Recrute parmi des docteurs, ce qui constitue une garantie de capacite p6dagogique, le personnel des facultes libres doit s'engager ä conformer son enseignement ä la doctrine catholique. On ne rel£ve pas d'innovation tr^s marquante quant au programme; seul l'esprit dans lequel les mati£res sont enseignees leur donne un caractfere particulier. Les resultats, escomptes par tous ceux qui pensaient que les universites catholiques neutraliseraient le renouveau de la pensee scientifique dans les facultes d'Etat, s'averent en definitive decevants. En effet, la periode durant laquelle le jury mixte reste en vigueur se limite ä une duree de cinq ans. Comme nous le verrons, une fois la Republique affermie, le gouvernement reviendra sur cette decision. D'autre part, les frais d'organisation et de gestion sont tels que des creations envisag6es ne pourront se realiser. Faute d'etudiants ou pour des questions de depenses, les facultes catholiques, ä partir de 1880, ne se developpent plus.
SECTION I I
LA PERIODE
DES GRANDS
CHANGEMENTS
(1879-1905)
La periode qui s'etend de la nomination de Jules Ferry, au debut de fevrier 1879, comme ministre de l'lnstruction publique, ä la loi de separation des Eglises et de l'Etat le 9 decembre 1905, est prec6d6e par les elections du 14 octobre 1877.
La III* Rdpublique
113
Oes Elections ont envoye ä la Chambre une majoritd r6publicaine : 330 republicans, 210 conservateurs. Le ministere s'est retir6. Le Senat, lors de son renouvellement partiel en decembre 1877, a re9U une forte majorite favorable ä la Republique ; le regime politique nouveau peut done enfin agir. Sa premiere täche consiste ä reconstituer la soci6t6 la'ique. Or, parmi tous les problemes rencontres, celui de l'ecole domine. C'est done ä cette occasion que vont se produire les grands changements dans les institutions scolaires et universitäres de la France. Pour en comprendre la genfcse, il faut envisager certaines des causes qui les ont prepares et qui en expliquent la brusque eclosion au lendemain de l'election de Jules Ferry. 1. Les causes Tout de suite apr£s le desastre de 1870, l'opinion en France s'alarme. En effet, l'officier allemand est apparu mieux instruit que l'officier fran9ais, il sait lire une carte, et il parle notre langue. On en vient ä se poser la question de savoir qui a forme les vaineus, et la presse, pour у repondre, compare les systemes d'education des deux pays belligerants. Elle revele alors que les instituteurs d'Alsace-Lorraine beneficient maintenant de traitements superieurs ä ceux des instituteurs fran^ais, et constate que la gratuite scolaire fait partie du systeme allemand. Bien des gens prennent conscience du fait que, si la France veut ä son tour relever son niveau d'instruction, elle doit adopter des solutions aussi radicates. La transformation de l'etat d'esprit suscite par Jean Mace se developpe sous l'effet des circonstances. Des 1871, un des thfemes favoris dans les campagnes republicaines consiste A vanter l'education distribuee ä pleines mains et ä presenter la lutte contre l'ignorance comme la veritable grandeur d'une nation. Toutefcris, on ne parle pas encore de lai'cite, mais plutot d'ecoles « nonsectaires » (suivant la formule de Jean Mace), et 1'on se contente de reclamer obligation et gratuite. C'est la presse qui, par la suite, fera glisser le mouvement de revendications vers une campagne pour la lalcit6. Les choses semblent en effet liees, car lutter contre l'ignorance populaire, c'est en meme temps lutter contre la classe sociale qui en est responsable et qui devient par voie de consequence l'adversaire ä reduire. « Les 6coles congreganistes, ecrit le 25 novembre 1871 le journal La Republique frangaise, sont l'instrument de cette faction 37 », et ainsi se forme l'unite de ces trois mots : gratuite, obligation et laicite, comme se forme autour d'eux l'unite du parti republicain. D'autre part le discredit de l'idee religieuse en elle-meme est considerable
37.
8
Mona OZOUF, L'Ecole, l'tglise et la Ripublique, Paris, 1963, p. 32.
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dans « l'intelligence » frangaise vers 1876. C'est une nouvelle poussee de «l'esprit du siecle » (18* stecle) devenu l'esprit positiviste avec Auguste Comte, dont le savant Littre, fervent republicain, est le disciple, et aussi l'esprit evolutionniste depuis Darwin, ou encore l'esprit scientiste. La science, avec ses methodes strictement rationalistes, doit fournir la clef de tous les problemes de la destinee humaine. Refuser tout dogme theologique, c'est le devoir de tout etre pensant. « Croire est indigne d'un etre pensant 38 . » Une profonde haine entoure la hierarchie catholique et les moyens temporeis dont elle dispose (dont le principal depuis la loi Falloux est bien l'enseignement). De plus, le dogme de l'infaillibilite pontificale proclame par le concile du Vatican en 1870, comme l'agitation entretenue par les catholiques frangais contre la spoliation de l'Eglise par l'ltalie, exaspere les republicans. Son attitude enfin, au moment du coup d'Etat du 16 mai 1877 liant son sort aux derniers assauts contre la Republique, explique partiellement Taction anticlericale de la Republique triomphante. Mais toutes ces donnees politiques ne sont que causes accidentelles de dissensions ; la situation de l'Eglise de France ä partir de 1870 suscite, elle, une opposition permanente. Bien qu'il у ait parmi les eveques certains defenseurs attitres de la cause eccl6siastique, tel Mgr Freppel, qui succede ä Mgr Dupanloup, mort en 1878, le parti republicain ne trouve pas devant lui un episcopat rassemble et systematiquement enclin au combat. Par contre, la situation des congr6gations et leurs progres constants lui causent une particuliöre irritation. Les congregations d'hommes et de femmes sous l'Empire n'ont pas cesse de se developper. En 1877, le depute Keller, decrivant leurs oeuvres et leurs services, reconnait que le nombre des congreganistes depasse 158 000 dont 30 287 religieux et plus de 127 000 religieuses. « C'est en dehors de toute reconnaissance legale que depuis la monarchic de Juillet se sont constitu6es toutes les congregations d'hommes; or, dans ce pays ой la liberie d'association n'existe pas, ou le pouvoir peut ä chaque instant brandir contre les congregations non reconnues l'arsenal legislatif herite de la periode revolutionnaire et imperiale, elles ont passe de 59 en 1856 ä 116 en 1877, doublant presque en vingt ans 3 9 .» Ce phenomene donne naissance ä ce que l'on appelle le mythe de la congregation, c'est-a-dire d'une armee manceuvree en bloc par une autorite etrangdre en vue de la domination de l'Etat et de l'oppression des liberies individuelles. On ajoute a cela un argument qui frappe les esprits, celui de l'enorme fortune mal acquise qui se trouve ä leur disposition. Mais, plus encore que cet accaparement des biens publics, on reproche ä
38. J.-J. C H E V A L L I E R , Histoire des institutions politiques de la France moderne (17891945). Paris, 1958, p. 326. 3 9 . C f . A . L A T R B I L L E e t R . R£MOND, op.
cit.,
t. Ill, p .
432.
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l'Eglise son role en matiöre d'6ducation. Sa situation dans се domaine apparait extremement favorable. Au niveau primaire, les 71 547 ecoles que denombre la statistique dressee par le ministere pour 1876-1877 reunissaient 4 716 935 eleves. Elles se divisent en 6coles la'iques (51 657 avec 2 648 562 έΐέves) et congreganistes (avec 19 890 etablissements et 2 068 373 eleves). Ces ecoles sont en majorite des ecoles de filles, 528 communautes reconnues у distribuent l'enseignement tandis que « 22 associations charitables » sont admises ä fournir des maltres aux communes (les Freres des ecoles chretiennes ont une preponderance derasante avec 1 544 dcoles et plus de 300 000 eleves) 40 . Mais le fait qu'il n'y ait pas majorite chez les congreganistes ne doit pas faire oublier que l'ecole la'ique ne possöde qu'un Statut de neutralite tout ä fait relatif. Les röglements, les methodes sont places sous la direction et sous l'autorite des religieux. Le catechisme, les elements d'histoire sainte figurent au premier rang des programmes. Les instituteurs, toujours soumis ä la tuteile du cure, doivent amener les enfants aux offices et donner l'exemple par leur piet6. On ne peut done parier en aueun cas de secularisation. Dans l'enseignement secondaire, la preponderance de l'Eglise s'affirme plus encore. La menace du monopole desormais absolument ecartee depuis la loi Falloux, les maisons ecclesiastiques se sont multipliees dans toute la France. Dans certaines regions, les collöges religieux se font concurrence les uns aux autres. Au nombre de 309, recevant prös de 50 000 eleves auxquels il faut ajouter 23 000 pensionnaires des petits seminaires, le total des etablissements catholiques atteint presque celui de l'Etat. Les j6suites ä eux seuls detiennent 29 ecoles. En 1878-1879, la plus се1ёЬге d'entre elles, celle de la rue des Postes, grace ä ses succ£s aux grands concours, fournit plus du tiers des fonctionnaires 41 . Les colleges d'Etat, comme les lycees, n'echappent pas ä l'influence de l'Eglise. Le Conseil superieur de l'Instruction publique, reform6 en 1873, et qui compte 4 eveques, garde toujours la haute main sur eux en matiöre pedagogique, comme en matiöre disciplinaire. Chaque 1усёе a son aumonier, personnage particuliörement influent. Enfin certaines families suscitent la creation de pensions congreganistes afin d'eviter l'internat dans les etablissements publics et de n'en conserver que les avantages pedagogiques. Malgre cette situation extremement favorable, le clerge ne se dit pas satisfait. On retrouve toujours les critiques adressees ä l'Universite, < cette grande devastatrice de la foi >, et l'on pretend т ё т е que la situation a cruellement empire depuis l'epoque de la loi Falloux. Teiles sont les raisons qui placent Гёсо1е au centre de la querelle opposant l'Eglise aux republicains. Pour ces derniers I'6cole demeure sous la haute
4 0 . С/. A . LATREILLE et R. 41. Ibidem, p. 435.
MMOND,
op. eil., t.
ILL,
p. 436-437.
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police de ceux qu'elle considere maintenant comme des ennemis; pour l'Eglise, I'enseignement officiel ne doit pas etre confie ä ceux qu'elle traite, parce qu'ils sont republicans, de libres penseurs. Notion de lai'cite repandue dans la societe, circonstances politiques nouvelles, d6veloppement des congregations, problemes scolaires enfin, tout ceci cree en 1879 un terrain trfcs propice ä la lutte qui va s'engager. Mais, pour que le combat puisse etre mene, il fallait un homme qui en prenne l'initiative. Cet homme, ce fut Jules Ferry. 2. Jules Ferry Jules Ferry est ne ä Saint-Die dans les Vosges en 1832. Issu d'une famille de grande bourgeoisie, avocat au barreau de Paris, il se r6velait d'emblee un redoutable opposant republicain ä l'Empire. N'6tait-il pas l'auteur des articles parus en 1868 intitules « Les comptes fantastiques d'Haussmann » (requisitoire contre la gestion du prefet de la Seine) ? En 1869, il fut elu depute de Paris et le demeura par la suite. Positiviste et franc-mason avou6 dfes le debut de sa carriöre politique, il se presente comme le champion de l'education populaire. II veut se consacrer ä la realisation d'un systeme scolaire qui permette au peuple, parvenu au suffrage universel, d'acceder ä l'egalite devant l'instruction. C'est ainsi qu'en 1870 il prete, au cours d'une reunion tenue salle Мойёге ä Paris, le fameux serment qui devait le rendre c£Iebre : « Je me suis fait un serment : entre tous les problfcmes du temps present, j'en choisirai un auquel je consacrerai tout ce que j'ai d'intelligence, tout ce que j'ai d'äme, de cceur, de puissance physique et de puissance morale, et ее ргоЫёте, c'est le ргоЫ ё т е de l'education du peuple. » Mais, pour que Ferry puisse mettre sa decision ä profit, il fallait que certaines conditions soient remplies et en particulier qu'il se trouve appele au pouvoir dans un cabinet гёриЬНсаш. Cette condition se r6alisa au debut de fevrier 1879, lorsque Waddington le nomme ministre de l'instruction publique, poste qu'il occupa ä trois reprises : du 4 fevrier 1879 au 14 novembre 1881, avec la presidence du Conseil depuis le 23 septembre 1880; du 30 janvier au 7 aoüt 1882 et du 21 fevrier au 20 novembre 1883, c'est-ä-dire durant les neuf premiers mois de sa seconde presidence du Conseil qui s'acheva en mars 1885. L'equipe des collaborateurs qui entourferent Jules Ferry tout au long de son action publique presente 6galement une grande importance. Au premier plan se trouve un ancien professeur de Sorbonne, Paul Bert. Ce fut un eminent savant, specialiste de questions scientifiques et passionn6 de pedagogie. Depute de l'Yonne, il relaiera Jules Ferry au ministfcre de l'instruction publique et des cultes en 1882 et participera ä la defense de la loi d'octobre 1886 avant de mourir к Hanoi la т ё т е annee ä la suite d'une epiddmie. Ferdinand Buisson est un 6ducateur averti qui sera directeur de I'enseignement primaire pendant quinze ans et qui recrutera d'autres specialistes anim6s comme lui d'une v6ri-
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table foi la'ique, tel l'inspecteur g6neral F61ix Pecaut, ancien pasteur Protestant et futur fondateur de l'6cole de Fontenay-aux-Roses.
A. PREMIERES MESURES Avant т ё т е d'entrer dans le cceur du d6bat, c'est-ä-dire d'aborder la question de l'obligation et de la gratuite de l'enseignement, Нёе ä celle de la laicite, les röpublicains vont s'efforcer de revenir sur les lois de l'Assemblee nationale qui avaient consolide la loi Falloux et accorde des avantages supplementaires ä l'Eglise. Pour cela, ä la suite d'une proposition de Paul Bert, Jules Ferry depose le 15 mars 1879 deux projets sur le bureau de la Chambre. L'un visait la reorganisation du Conseil sup£rieur de l'lnstruction publique et des conseils academiques d0partementaux, l'autre se rapportait ä la liberty de l'enseignement sup6rieur. Ces projets devaient aboutir, le premier ä la loi du 27 fevrier 1880, le second a la loi du 18 mars 1880. α. RiFORME DU CONSEIL SUPÜlUEUR « Le Conseil superieur, disait le ministre dans son expos6 des motifs, ne doit etre selon nous qu'un conseil d'6tudes. Sa mission est par-dessus tout pέdagogique, c'est le grand comite de perfectionnement de l'enseignement national. La premise condition pour у prendre place est d'avoir une competence, d'appartenir ä l'enseignement Nour excluons par lä tous les 616ments incompetents systematiquement accumulds par le legislateur de 1850 et par celui de 1873 42 . II fallait done, en vertu du principe de la s6paration du spirituel et du temporel, exclure le banc des 6veques du Conseil supörieur de l'lnstruction publique, comme il l'avait ete de la Chambre haute. La discussion fut extremement apre. Le rapport sur le texte de loi d6clare que les ministres des cultes devaient d'autant moins sieger au Conseil sup£rieur qu'ils faisaient concurrence ä l'Etat : < En vain dira-t-on qu'ils reprdsentent la societe. La societe au nom de laquelle ils parlent et dont ils se disent les d6fenseurs se compose justement des families qui n'ont pas confiance dans les 6coles de l'Etat. Tout се que l'Etat peut leur accorder, c'est la faculte d'avoir d'autres ecoles ä des conditions fix6es par la loi. Leur donner aussi le pouvoir de dinger les siennes, ce serait abdiquer 43 . » A la suite de la loi du 27 fevrier 1880 se trouvent ecartes du nouveau Conseil superieur les representants des diff6rents cultes, les membres de la Cour de cassation, de Parmee, de la marine, de l'Academie de m6decine et du Conseil sup6rieur du commerce.
42. Cit£ par L.
GRIMAUD,
43. Ibidem, p. 563.
op. cit., p. 561.
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Deux sections sont reconstituees, l'une permanente, composee de neuf membres de l'enseignement public, I'autre non permanente, dans laquelle entrent les delegues de toutes les branches de l'enseignement, elus par leurs collögues. II s'y ajoute quatre membres de l'enseignement libre, nommes par le president de la Republique. La section permanente ne traite que des affaires touchant a l'enseignement public. Quant au Conseil, il donne son avis sur les räglements relatifs ä la surveillance des ecoles libres et statue en dernier ressort sur les jugements rendus par les conseils departementaux qui prononcent l'interdiction absolue d'enseigner contre un instituteur primaire, public ou libre. Les Conseils academiques sont egalement reformes. lis comprennent, sous la presidence du recteur, des enseignants et quatre membres des conseils generaux et municipaux qui concourent aux depenses de l'instruction dans leur ressort. Le ministre leur adjoint deux membres de l'ecole libre quand ils ont a juger une affaire qui la concerne. Leur competence est essentiellement d'ordre contentieux et disciplinaire. b. SUPPRESSION DU JURY MIXTE
Le second projet de Ferry s'attaquait directement au texte legislatif de juillet 1875, considere par Gambetta comme un « os dans la gorge de chaque republicain ». Nous savons qu'il avait cree un jury mixte et permettait ä l'Eglise de fonder des instituts et des facultes catholiques. Afin de revenir sur ces dispositions, la loi du 18 mars 1880 pose trois principes essentiels : elle rend ä l'Etat la collation exclusive des grades, et en consequence oblige tous les candidate aux memes conditions, d'äge, de programmes, d'inscription, de travaux pratiques, etc.; d'autre part, elle refuse aux etablissements libres d'enseignement superieur le titre d'Universit6 ainsi que la possibilite de se faire reconnaitre d'utilite publique ; enfin, eile accepte des cours isoles qui peuvent etre ouverts apres la remise au recteur, ou ä son defaut ä l'inspecteur d'academie, d'une declaration indiquant les nom et domicile de leur auteur, le local ou ils auront lieu et le sujet traite. Ainsi, par la suppression du jury mixte surtout, la loi de 1875 se trouve-t-elle remaniee. C. L'ARTICLE 7
Mais la veritable importance de la loi du 18 mars 1880 n'est pas Ιέ. Elle reside dans l'article 7 du projet qui, de fa^on incidente, enonce une interdiction d'ordre general : « Nul n'est admis ä diriger un etablissement public ou prive de quelque ordre qu'il soit ni а у donner l'enseignement s'il appartient a une congregation non autorisee. » Cette disposition devait susciter la premiere grande bataille qu'eut ä affronter Jules Ferry. « Par l'opposition forcenee qu'il souleva, par le violent et durable conflit qu'il suscita, par l'orientation qu'il donna pour un quart de siecle et plus ä la
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politique interieure de la III* republique, cet article 7, encore qu'il n'ait jamais re$u la sanction legislative et soit reste ä l'etat de projet, est devenu historique » Immediatement, la presse tout епйёге s'empare de l'affaire. Le debat sur l'ecole s'ouvre done par une lutte contre le clericalisme plus que par une lutte contre l'ignorance. Le climat en devient extremement violent. D'un cote la presse republicaine ameute l'opinion publique et vilipende ce que Ton appelle la veritable organisation des jesuites, leurs raneunes, leurs basses intrigues pour retablir leur domination, capter les heritages, se venger de leurs ennemis. L'article 7 devient alors le cri de ralliement des republicains et leur nouveau dogme de foi. De l'autre, la protestation des eveques unanimes ne revet pas toujours un ton de serenite. En face des insultes republicaines, certains de leurs articles denoncent «la generation simienne », qui ne peut plus avoir le droit de se considerer ä l'image de Dieu et qui est accusee de vouloir dechristianiser le monde. Ainsi, pendant deux ans, ä travers plusieurs changements de ministfcres, la question ne cesse-t-elle de s'envenimer, et la menace qui ä l'origine visait surtout les jesuites gagne l'ensemble des congregations. En mars 1880, il est decide que toute congregation qui ne ferait pas, dans le delai de trois mois, une demande reguliere d'autorisation encourrait Fapplication des lois en vigueur : loi organique du concordat du 18 germinal an X, article 11, article 4 de la loi du 3 messidor an XII (au terme duquel « aueune congregation ou association d'hommes ou de femmes ne pourra ä l'avenir se former sous pretexte de religion, ä moins qu'elle n'ait ete formellement autorisee par un decret imperial sur le vu des statuts et rfcglements »), et ordonnance de Charles X datant de 1828 qui excluait les jesuites de l'enseignement des petits seminaires et des colleges. Une circulaire de Fortoul avait officiellement declare que la loi Falloux ne pouvait en rien permettre d'eluder les prohibitions anterieures. Par cons6quent, malgre les protestations de la droite, les vieux textes sont parfaitement applicables, et seule une tolerance leur avait laisse la possibilite de se multiplier. Le Senat republicain s'oppose a la mise en pratique de l'article 7. La lutte entre Jules Ferry et son ancien ami Jules Simon met la Chambre haute en emoi tandis que dans toute la France les passions continuent ä faire rage. C'est alors que Freycinet, president du Conseil en mars 1880, informe le Senat que, s'il rejette l'article 7, le gouvernement prendra des mesures plus dures sous une autre forme. L'opposition du Senat continuant, ces mesures furent adoptees le 29 mars 1880 : un premier decret enjoint aux congregations non autorisdes, dites de Jesus, de se dissoudre dans le delai de trois mois, et, comme il etait
44. Maurice RECLUS, Jules Ferry. Paris, 1947, p. 149.
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clair que toutes les autres se solidariseraient avec la Compagnie de Jesus, un second texte, le lendemain, porte < que toute congregation ou communaute non autorisee etait tenue, dans le delai de trois mois, de faire les diligences n6cessaires ä l'effet d'obtenir la v6rification et l'approbation de ses statute et räglements, le tout sous les sanctions prevues par les lois existantes >. Ces decrets sont devenus historiques, et bien que Jules Ferry n'eüt pas pris part ä leur elaboration, le public lui en attribue la paternite, car il apparait alors comme le representant attitre des revendications lai'ques. L'application n'alla pas sans difficult6s. On confia aux autorites administratives et ä la police le soin de proceder ä l'expulsion des religieux qui ne s'6taient pas mis en rägle. A Paris d'abord, puis en province, ä Toulouse, ä Lille, les etablissements de jesuites, de dominicains, de franciscains, de Ьёпбdictins, de premontres (261 etablissements dTiommes), furent vides de leurs habitants. И en resulte des protestations et des manifestations, voire meme des menaces d'6meute. Mais c'est dans le corps des magistrate que l'opposition s'est revelee la plus violente : 200 procureurs, avocats generaux ou magistrate du siege donnerent leur demission, brisant ainsi leur сагпёге. Par voie d'autorite, Ferry gagne cette premiere bataille, mais il s'est mis dans une position plus difficile pour soutenir ses autres r6formes, celles qui, par une veritable revolution scolaire, vont donner ä l'enseignement sa physionomie moderne. В. LA REVOLUTION SCOLAIRE : LES GRANDES REFORMES
L'episode mouvemente suscit6 par les dέcrets consecutifs ä l'article 7 et leur application a l'avantage de poser pour la premiere fois dans le pays, dans toute son ampleur, le ргоЫёте de l'education nationale. Le credo de Jules Ferry devient celui de toute une g6n6ration. Science et democratic forment desormais un couple. « De la science, la d6mocratie peut et doit attendre la diffusion des lumiöres indispensables έ la formation de veritables citoyens adaptes au milieu et ä l'dpoque, capables de se conduire selon les lois de la raison, ainsi qu'un ideal collectif conforme au sens gen6ral de revolution humaine, aux exigences du progräs. L'enseignement qui, en derniere analyse, ne fait pas autre chose que de diffuser la science est done en т ё т е temps le premier devoir et la meilleure garantie de la democratic *5. * Or cet enseignement ne doit pas etre donne simplement ä une 61ite. Une selection qui consisterait ä le rdserver s'opposerait a cet ideal. « Avec l'inegalite de l'education, je vous defie d'avoir jamais l'egalite des droits », disait Ferry, et il ajoutait : « Je me suis fait un devoir, c'est de chercher a attenuer autant qu'il sera en moi ce privilege de la naissance en vertu duquel j'ai pu acquerir un peu de
45. Cit6 Maurice RECLUS, op. cit., p. 172.
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savoir, moi qui n'ai eu que la peine de naitre, alors que tant d'autres, nes dans la pauvrete, sont fatalement voues ä l'ignorance 4e . » Mais, si « admettre le peuple au pouvoir, c'est l'appeler au savoir >, l'intervention de l'Etat dans l'enseignement se justifie aussi par la necessite de preserver l'unite des donnies politiques essentielles. П fallait done pour cela contröler strictement les agissements du clerge, et c'est ici qu'apparait la notion de lai'cite et d'anticlericalisme dans le programme scolaire de Jules Ferry. II faut reprendre ä l'Eglise la place preeminente qu'elle occupe dans le domaine de l'enseignement, mais aussi seculariser l'instruction publique < parce que notre societe est une societe libre et laique et que l'enseignement dirige par le clerge d'alors s'inspirait de prineipes qui la contredisaient diametralement 47 ». Enfin on souhaite redonner ä la jeunesse l'unite qu'elle a perdue depuis la loi Falloux. Toutefois, Jules Ferry ne va pas prendre position contre la foi et contre ses ministres. И reste partisan du budget des cultes et du concordat, il tient pour necessaire l'existence de rapports effectifs suivis entre l'Eglise et l'Etat, il est attache ä la liberte de l'enseignement, et par suite adversaire declare du monopole. Jamais il ne cherche ä contester au clerge, ni meme aux congr6gations autorisees, le droit d'enseigner. « Si ma politique est nettement anticlericale, elle ne sera jamais antireligieuse » devait-il souvent declarer 48. Ce que veut Jules Ferry, c'est simplement rendre l'6cole publique la'ique, c'est-ä-dire lui donner un caractöre de neutralite absolue et placer l'enseignement des etablissements ecclesiastiques sous le regime de la loi et sous le controle de l'Etat Ferry admet la coexistence mais non la concurrence des 6coles en France. Sa notion de lai'cite s'identifie ä celle de tolerance. La lettre qu'il adresse aux instituteurs en 1883 en porte temoignage : « Si parfois vous 6tiez embarrass6s pour savoir jusqu'oü il vous est permis d'aller dans votre enseignement moral, voici une regie pratique, ä laquelle vous pourrez vous tenir. Au moment de proposer ä vos eleves un precepte, une maxime quelconque, demandez-vous s'il se trouve ä votre connaissance un seul homme qui puisse etre froisse par ce que vous allez dire. Demandez-vous si un рёге de famille, je dis, un seul, present ä votre classe et vous ecoutant, pourrait de bonne foi refuser son assentiment ä ce qu'il vous entendrait dire. Si oui, abstenez-vous de le dire 49 . » On peut done s'etonner que l'ceuvre scolaire de Jules Ferry ait pu dechainer les plus violentes passions, jusqu'ä ce jour du < ralliement», en 1890, ou Mgr Lavigerie, archeveque d'Alger, devait desavouer la politique de combat dans laquelle les conservateurs cl6ricaux s'etaient obstines pendant vingt ans. 46. Cit6 par Maurice R E C L U S , op. cit., p. 172. 4 7 . Maurice RECLUS, op. cit., p. 175. 48. C). Maurice POTTECHEH, Jules Ferry. Paris, 1931, p. 165. 4 9 . Cit6 par Albert BAYBT, Pour une riconciliation iranfaise, ImcitS XX' stiele. Paris, 1958, p .
37-38.
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a . REFORM ES DANS L'ENSEIGNEMENT PRIMAIRE
C'est dans le domaine de l'enseignement primaire que les mesures prises par Jules Ferry ont eu le plus grand retentissement, le primaire represente en effet l'enseignement populaire, celui qui atteint toutes les couches sociales. Le dinger, c'est, en meme temps, disposer des leviers de commande de la democratic. Aussi peut-on considerer cette premiere reforme comme la pierre angulaire de toutes celles qui lui succederont. 1. Situation de l'enseignement primaire en 1879 L'enseignement primaire en France se trouvait en 1879 dans un etat mediocre. La frequentation scolaire laissait beaucoup ä desirer. La plupart des ecoles manquaient de salubrite et de commodite. Le niveau pedagogique et intellectuel des instituteurs surtout s'averait insufflsant. D'apres les statistiques, sur 119 870 maitres ou maitresses, titulaires ou adjoints, on comptait 49 154 congreganistes60. Ces derniers suppleaient au brevet exige dans les ecoles publiques par la lettre d'obedience delivree par l'autorite religieuse. Les ecoles normales d'instituteurs fonctionnaient dans presque tous les departements, ä l'encontre de celles d'institutrices encore fort rares. Le premier souci de Jules Ferry concerne done le probleme des cadres. A l'instigation de Paul Bert, il obtient le vote de la loi du 8 aoüt 1879 : 67 ecoles normales d'institutrices et 8 d'instituteurs, l'ecole normale superieure de Fontenay-aux-Roses et celle de Saint-Cloud, pour la formation du personnel enseignant feminin et masculin, sont alors fondees. Cependant ce n'est lä qu'un prologue ä la trilogie legislative qui realise la reforme d'ensemble tant attendue. Trois projets de loi, resultant du demembrement d'un enorme plan de Paul Bert de 109 articles, de « digestion trop difficile pour passer tout d'un coup >, furent en effet necessaires pour en venir ä bout. 2. Reforme du titre de capacite Le premier de ces articles impose des titres de capacite dans l'instruction primaire. Victor Duruy, en 1870, denon?ait dejä les abus commis par les superieurs des congregations : « Trois aunes de drap noir mis sur les epaules d'un paysan leur suffisaient pour faire un dispense militaire et un instituteur 5 1 .» Desormais, au terme du projet, nul ne pourra enseigner dans les ecoles publiques ou privees, s'il ne produit le brevet de capacite simple ou superieur. Dans un dέlai d'une annee аргёэ la promulgation de la loi, a defaut de ce brevet, instituteurs et institutrices devaient se presenter ä l'examen en vue de l'obtenir. En cas d'echec, on leur offrait de nouveaux delais jusqu'ä la rentree d'oc50. Cf. Annuaire Statistique de la France, Paris, 1939 ; rdsum£ r6trospectif, p. 23. 51. Citi par Maurice RECLUS, op. cit., p. 208.
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tobre 1886. De larges mesures d'exception etaient prevues, en particulier pour les interesses ayant dejä trente-cinq ans d'äge et cinq ans de service. Quoi qu'il en soit, sans etre mentionnee expressement, la lettre d'obedience etait visee. La droite, la considerant comme une position-clef, fit une violente opposition au projet, qui passa malgre tout dans la loi du 16 juin 1881. 3. La gratuite Le second texte fondamental, issu egalement du « code » de Paul Bert, concerne la gratuite absolue dans l'enseignement primaire, prelude indispensable ä la notion d'obligation. Comment, en effet, celle-ci pourrait-elle s'imposer au pere de famille, si on ne le dispense d'abord des frais de scolarite ? Ce principe ne souläve pas de tres graves difficultes, en raison des efforts anterieurs de Guizot et Duruy. Le projet contenait les dispositions suivantes : Article 1" : «II ne sera plus per?u de retribution scolaire dans les ecoles publiques. » Article 2 : « Les quatre centimes speciaux autorises par les dispositions anterieures pour le service de l'instruction primaire sont obligatoires pour toutes les communes et compris dans leurs ressources ordinaires. » Article 3 : « En cas d'insuffisance des revenus des communes, les depenses seront couvertes par une subvention de l'Etat. > Mgr Freppel, representant la droite ä la Chambre, s'efforce de demontrer que la loi ruinerait les finances ainsi que l'ordre politique et social, les communes n'etant pas assez riches pour se voir imposer une telle charge. On objecte aussi que les parents qui envoient leurs enfants dans des etablissements prives seront defavorises, puisqu'ils paieront une double retribution scolaire du fait de leur participation ä l'impot, et que l'instruction patira de la gratuite, le public n'appreciant que ce qu'il paie. Les partisans du projet devaient sans difficultes retourner ces arguments, lis mettent en evidence le principe de l'egalite sociale et la necessite absolue de donner ä tous un minimum d'instruction. Finalement le texte fut adopte par la Chambre et le Senat. La loi du 16 juin 1881, promulguee le meme jour que celle sur les titres de capacite, instaure en France l'ecole gratuite pour tous. 4. Obligation et neutralitS Ce preliminaire indispensable obtenu, la partie decisive va pouvoir se jouer. Le troisieme projet de Ferry porte sur l'obligation dans l'enseignement primaire. II pose par voie de consequences necessaires le principe de la neutralit6 de l'ecole, c'est-ä-dire de la laicite. Resumant le projet, Maurice Reclus ecrit: « L'instruction primaire est obligatoire pour tous les enfants des deux sexes ages de six ä treize ans. Elle peut etre donnee soit dans les ecoles publiques, soit dans les ecoles libres, soit dans la
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famille ; le caractöre effectif et l'efficacite de l'enseignement familial scmt cont r o l . Une commission municipale scolaire est instituee pour surveiller et encourager la frequentation des dcoles, les infractions 6tant ä cet egard sanctionnees par des рёпаШ& de simple police pouvant aller jusqu'ä neuf jours d'emprisonnement. En somme, l'mstruction est obligatoire, mais l'ecole publique ne l'est pas, puisque les families peuvent opter pour l'6cole libre ou l'dducation familiale, celle-ci donnde par le рёге de famille ou par toute personne de son choix; l'on ne saurait concevoir de regime plus largement ouvert 5 2 . » Le projet enonce ensuite les matifcres au programme de l'instruction primaire, ёпишёгаНоп dans laquelle il remplace les mots «instruction morale et religieuse qui se trouvaient au premier plan de la loi Falloux, par les termes « d'instruction morale et civique ». C'est la suppression de l'instruction religieuse obligatoire, elle suscite chez les catholiques un veritable sentiment de revolte : « Quand vous dites que vous voulez universaliser l'instruction en France, vous ne dites que la moitie de votre dessein : vous voulez universaliser un enseignement antichr6tien et d6truire l'enseignement Chretien б3 . » II leur semble inadmissible que l'enseignement officiel se trouve r6duit desormais au silence sur Dieu et sur la Bible, alors que les enfants des ecoles sont en majorit6 baptis6s, et ils ne congoivent aucune morale' qui ne se refererait aux principes religieux. Pour eux l'6cole sans Dieu sera demain contre Dieu. A cela les tenants de la neutralite repliquaient : 6cole non pas sans Dieu, mais « sans pretres et sans cat6chisme ». Pour ce qui est de l'utilite de la lai'cite face ä une population en majorite catholique (sauf 500 000 protestants, 100 000 juifs et 82 000 individus ayant declar6 n'appartenir & < aucune religion 54 ») Ferry r6pond aisement que, si l'ecole 6tait confessionnelle, son νέπtable maitre ne serait pas l'Etat, mais l'Eglise. En outre, il replique ä ses detracteurs que des facilites seront reservees aux ministres des cultes pour l'instruction religieuse des enfants : les ecoles primaires vaqueront un jour par semaine, en plus du dimanche. Enfin il affirme que la morale enseignee sera t cette bonne et antique morale que nous avons regue de nos p£res et que nous nous honorons tous de suivre dans les relations de la vie, sans nous mettre en peine d'en discuter les bases philosophiques 56 ». Malgre toutes ces precisions et tous ces apaisements, le projet met au jour un malentendu fondamental. II provoque de longues querelles et deux annees de lutte scmt ndcessaires pour que la loi du 28 mars 1882 soit votee. Une fois le texte adopte par la Chambre, une bataille 6pique, rappelant par sa violence les debats de I'article 7, se d6roule en effet au Luxembourg.
52. Maurice
RECLUS, op. cit., p. 211. 5 3 . CHESNELONG, cit6 par A . LATEEILLE 5 4 . C f . C h . F O U R M E R , op. cit., p . 2 0 4 .
55. Citi par Ch.
FOUHRIER,
et
R . RÄMOND,
op. cit., p. 206.
op. cit., p.
463.
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Ferry est battu. Le S£nat adopte en juin 1881, par 139 voix contre 136, un amenderaent de Jules Simon ainsi redige : « Les maitres enseigneront ä leurs eteves leurs devoirs envers Dieu et envers la patrie », ce qui transforme comptetement, en faisant rentrer Dieu a l'6cole, l'esprit du projet. Mais ce n'est qu'un recul provisoire : Jules Ferry, redevenu ministre dans le second cabinet Freycinet, fait reprendre son texte au palais Bourbon avec les mots «instruction morale et civique » et le renvoie au palais du Luxembourg, ä la suite des elections senatoriales du 8 janvier 1882 plus favorables к la gauche. Utilisant habilement la menace qui p£se sur la Constitution depuis les elections de 1881, il parvient alors ä faire repousser l'amendement de Jules Simon ä une majorit6 de 167 voix contre 123. La loi du 28 mars 1882 achäve la realisation du programme des republicains : faire prevaloir dans l'enseignement populaire le principe trinitaire de la gratuite, de l'obligation et de la lai'cite. Desormais tous les enfants des deux sexes äges de six ans revolus ä treize ans doivent recevoir un enseignement, soit dans les 6coles publiques, soit dans les ecoles libres, soit т ё т е dans la famille. La frequentation scolaire est controlee par une commission municipale presid6e par le maire et dont l'inspecteur primaire fait partie. Elle convoque le pere dont l'enfant s'est absente au moins quatre demi-journ6es dans le mois, sans justification valable. En cas de recidive, le fait sera affich6 ä la mairie, puis des poursuites penales seront eventuellement intentees. De nombreuses dispenses d'assiduite peuvent jouer, en particulier en faveur des enfants emp!oy6s dans l'industrie ou l'agriculture, arriv6s ä l'äge de l'apprentissage. A partir de onze ans, les eleves peuvent se presenter au certificat d'etudes primaires qui, en cas de reussite, met un terme au temps de scolarite obligatoire. Quant au programme de l'6cole primaire, il doit etre simple : «II ne s'agit pas d'embrasser la totalit6 des connaissances, mais de bien apprendre, dans chaque matifere, ce qu'il n'est pas permis d'ignorer. L'instruction morale et civique sera dispens6e au т ё т е titre que les autres тайёгев des programmes, eile impregnera toute la vie de l'6cole, faisant passer dans la pratique les notions essentielles de morale humaine et mettant en 1шшёге les droits et les devoirs des citoyensBe. » La gymnastique est rendue obligatoire dans tous les etablissements par une loi du 27 fevrier 1880. 5. Enseignement primaire mpirieur Tout au long de cette periode mouvement6e, Jules Ferry s'interesse ä l'enseignement primaire sup6rieur. En 1881, dans un rapport adresse au president de la Republique, il pr6cise sa conception к ce sujet : «II ne faut pas que 56. Luc DECAUNES et N.-L. CAVALIER, Riformes et projets de riformes de l'enseignement frangais de la Rivolution ä nos jours. Paris, 1962, p. 86.
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l'enseignement primaire sup6rieur s'isole et vise ä une sorte d'existence ä part. Si haut et si loin qu'on doive aller, il est bon qu'on s'appuie toujours de quelque fa?on sur l'ecole populaire. S'il affectait de s'en s6parer par ses programmes, par le choix des maitres, par le recrutement des elöves, par le ton general des etudes, ou par le niveau des examens, il perdrait le meilleur de sa substance et, ä vrai dire, il n'aurait plus de raison d'etre... Mais, en meme temps et par une marche des choses non moins spontanee, les ecoles primaires supörieures tendent ä revetir, ä des degres divers, le caractere d'6coles professionnelles. Les elöves de l'ecole primaire sont quelque chose de plus que les ecoliers. Ce seraient des apprentis dejä disperses dans les ateliers si l'ecole, pour les retenir, ne se transformait elle-meme en atelier. De lä vient que de toutes nos ecoles primaires sup6rieures aucune n'a pu s'enfermer exclusivement dans les etudes proprement dites... De lä aussi l'impossibilite de les reduire toutes ä un type unique 57 . » C'est dans cet esprit que sont crees les cours elementaires places sous la tutelle de l'instituteur, qui apparaissent pour la premiere fois en 1881. Grace ä eux, l'enseignement primaire sup6rieur penötre jusqu'au cceur des campagnes ou desormais, sans abandonner leur milieu familial, gar?ons et filles peuvent, pendant un an ou deux, se preparer ä une meilleure situation. La souplesse des programmes permet en effet la criation de sections specialisees, commerciales, industrielles ou artisan ales repondant aux besoins regionaux. On peut done у deceler l'amorce d'un enseignement technique ou tout au moins professionnel. Quant aux 6tablissements primaires superieurs proprement dits destines ä une meilleure orientation des jeunes gens vers les carrifcres pratiques, ils ne cessent de se d6velopper en raison de la gratuitd et des bourses d'internat ou de demi-pension. Les etudes у sont dirig6es par un personnel forme dans les ecoles de Fontenay-aux-Roses et de Saint-Cloud et sanctionn6es par un brevet el6mentaire, le brevet d'enseignement primaire et le brevet sup6rieur. 6. Loi de 1886 Couronnant l'ensemble de ces mesures, la loi d'octobre 1886, appelee du nom du successeur de Ferry au ministöre de l'Instruction publique loi Goblet, apparait comme la Charte de l'enseignement primaire. C'est l'acte le plus important du troisieme ministöre Freycinet, et peut-etre eelui qui compte le plus depuis l'avönement des republicains. Plusieurs dispositions essentielles s*y trouvent rassembldes : successivement elles delimitent la distinction entre 6coles publiques et privees, laicisent le personnel enseignant, r6glementent l'inspection et organisent les ecoles maternelles. 57. Cit6 par E. DEVINAT : « L'6co!e primaire fransaise» dans Enseignement et άέτηοcratie. Paris, 1905, p. 90-91.
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1) Les ecoles privies Les ecoles privees sont soumises ä un certain oombre de regies d'organisation et d'ouverture. Desormais, pour у ехегсег, professeurs ou directeurs ne devront pas avoir ete condamnes pour actes contraires ä la probite ou aux mceurs; ils seront contraints de posseder un certificat cree par la loi du 16 juin 1881 ou les brevets demandes pour diriger une ecole superieure privee. Π у a lieu de se plier ä certaines formalites : manifester son intention au maire, lui designer le local ой l'on veut s'etablir, adresser les memes declarations au prefet, ä l'inspecteur d'academie et au procureur de la Republique, ainsi qu'un curriculum vitae. Le maire peut former contre l'ouverture de l'ecole des oppositions dont jugent le conseil departemental et en appel le Conseil superieur de l'Instruction publique. L'Etat s'est reserve sur les Ecoles libres un droit d'inspection et de surveillance. II porte uniquement sur la moralite, l'hygiene, la salubrite et l'observation des formalites prescrites par la loi du 28 mars 1882. II ne s'etend ä l'enseignement que pour s'assurer qu'il ne soit pas contraire ä la morale, к la constitution et aux lois. 2) Läicisation du personnel Le texte procede ensuite i la lalcisation du personnel enseignant. L'article 17, une des dispositions les plus contestees, precise : « Dans les ecoles publiques de tout ordre, l'enseignement est exclusivement confie ä un personnel lai'c. > C'est le complement necessaire de la loi de 1882 : il est impossible d'exiger d'un personnel congreganiste qu'il donne un enseignement neutre. La substitution des institutions lai'ques aux congr6ganistes s'echelonnera sur une periode de cinq ans dans les ecoles de gargons, mais dans celles de filles cm la laisse s'accomplir progressivement par le renouvellement des postes. Cette uniformisation entraine la necessite de preciser les autorites chargees de nommer les instituteurs. Toujours designes par le pr6fet, « sous l'autorit6 du ministre de l'Instruction publique et sur proposition de l'inspecteur d'academie > (Art. 26 de la loi de 1886), ils continueront d'Stre retribues ä traitement fixe par la commune jusqu'ä ce qu'une loi du 19 juillet 1889 sur les depenses de l'enseignement primaire, en mettant leur traitement ä la charge du Tresor, les assimile aux autres fonctionnaires de l'Etat. 3) РгоЫёте de l'inspection La loi tirait aussi les cons€quences de la laicisation en matiöre d'inspection : les ministres des cultes perdent la direction morale et leur droit de surveillance sur les ecoles primaires publiques. Iis sont remplac6s dans chaque departement par un conseil de l'enseignement primaire compos6 du prefet, de l'mspecteur d'academie, de quatre conseillers g6neraux elus par leurs collögues, des directeurs et directrices des ecoles normales, de deux representants elus des instituteurs et institutrices et de deux inspecteurs primaires nomm6s par le
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ministre. Des membres de l'enseignement libre lui sont adjoints lorsqu'il faut, dans les limites prescrites, prendre des mesures disciplinaires a l'encontre des ecoles privees. 4) Organisation des ecoles maternelles
La loi organique du 30 octobre 1866 se reföre 6galement aux ecoles maternelles. A la suite de leur assimilation aux ecoles primaires en 1881, un decret du 27 juillet 1882 devait substituer ce nom ä celui de « salles d'asile » et les organiser. Les enfants peuvent у etre admis ä l'äge de deux ans revolus et у rester jusqu'ä l'äge de quatre ans. Iis n'y sont re§us que sur Präsentation d'un billet d'admission sign6 par le maire et d'un certificat mödical düment legalise constatant qu'ils ne sont atteints d'aucune maladie contagieuse et qu'ils ont ete vaccines. D'autre part, au terme de la loi Goblet, nul ne peut dinger une ecole maternelle sans un certificat d'aptitude pedagogique. Depuis 1881, cet examen comportait deux parties, l'une theorique, l'autre pratique. Les ministres du culte ainsi que les < dames patronnesses » etaient exclus du jury, limite desormais aux membres de l'enseignement public et ä l'inspectrice departementale. En 1882, d'autre part, fut promulgue un decret portant organisation d'une institution pour la preparation des directrices d'ecoles maternelles. Celle qui existait dejä, plus connue sous le nom de sa fondatrice, Mm* Pape-Carpentier, se transforma en Ecole normale superieure de l'enseignement maternel. Le decret du 10 octobre 1881 assimilait les directrices aux institutrices quant au traitement, et celui du 14 juin 1884 fit de т ё т е au point de vue pedagogique. A cette date une ёсо1е maternelle se trouvait annexee ä chaque ecole normale d'institutrices, car la preparation devient identique pour tous ceux qui enseignent dans le primaire. Enfin, un decret du 18 janvier 1887 donne une nouvelle d6finition des ecoles maternelles : « Etablissements de ргепиёге education, ou les enfants des deux sexes resoivent en commun les soins que reclame leur developpement physique, intellectuel et moral. » B. ENSEIGNEMENT SECONDAIRE
La III* Republique s'interesse tout d'abord ä l'enseignement secondaire f6minin. 1. Riforme de l'enseignement feminin Avant l'avenement de Jules Ferry, un jeune d6pute alsacien et Israelite, Camille See, avait depose une proposition de loi ä la Chambre visant la creation de lycees et de colleges de jeunes filles comprenant internat et externat. En janvier 1880, le projet vint en discussion. II ne pouvait que susciter de
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tres nombreuses controverses. Deux traits essentiels frappaient les catholiques : la substitution de l'Etat ä l'initiative privee dans un secteur considerable de l'education, et la la'icit6 des programmes, oü pour la ргепйёге fois il n'etait plus question d'enseignement religieux mais moral. La presse s'empare alors de la question; les partisans de la reforme vantent les merites d'une separation, soutenant que l'appartenance de la femme ä l'Eglise provoque des dissensions familiales et qu'elle nuit ä l'unite du pays. Le National denonce par exemple l'espece de divorce intellectuel et moral constate dans presque toutes les families, qu'il attribue ä des educations divergentes. Cependant, on s'inquiete aussi des resultats auxquels elle pouvait aboutir. Les fflles seraient-elles aptes aux disciplines scientifiques ? Ne faudrait-il pas mettre au point d'abord une pedagogie appropriee, et, sur un plan plus gen6ral, les Iycees de jeunes filles ne deviendraient-ils pas de veritables « casernes »? Malgrd ces objections, le 21 decembre 1881, la loi Camille See est adoptee et on lui ajoute meme un texte creant une ecole normale feminine ä Sevres. C'est le pendant de l'Ecole normale superieure de garjons pour la formation de futurs professeurs. Les concours d'agregation, sans langues anciennes, leur seront ouverts en 1883. En effet les langues mortes ne font pas encore partie des programmes scolaires, specialement prevus pour les jeunes filles. 2. Creation de l'enseignement moderne La III* Republique realise, d'autre part, un progrfcs decisif en organisant l'enseignement moderne. Au lendemain du desastre de 1870, nombre de savants denoncent maintes lacunes dans notre education secondaire. Sans doute, l'etude du latin n'est pas mauvaise en soi, mais trop poussee et mal orientee eile oblige ä sacrifier des matieres essentielles, en particulier le frangais, l'histoire, la geographie et les langues vivantes. De plus, cette instruction surannee s'adresse ä des el6ves de valeur inegale qu'on laisse tous aller jusqu'ä la classe de philosophie. Jules Simon, en 1872, avait tente une premiere reforme. II n'eut pas le temps de la mener ä bien, mais la question desormais etait passee ä l'ordre du jour. Paradoxalement, ce sont ses ennemis, tel Mgr Ehipanloup, qui feront adopter la premiere modification importante : la division du baccalaureat en deux parties, la premiere placee к la fin de la rhetorique, la seconde renfermant cette grande nouveaute, une epreuve ecrite de langues vivantes. Toutefois, ce n'est que lorsque la Republique fut pleinement victorieuse qu'une transformation profonde s'accomplit sous l'egide de Jules Ferry. Le plan d'etudes du 2 aout 1880 decide que desormais le latin ne commencera plus qu'en 6* et le grec en 4е. II supprime les vers et le discours latin, donne plus d'importance aux exercices oraux et attribue le temps ainsi ИЬегё aux sciences. Trois cycles d'enseignement sont prevus se terminant avec la 9
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7*, la 4* et la rhetorique. Les elöves peuvent ainsi quitter le coltöge ä diffdrentes epoques en emportant un ensemble de connaissances bien coordonnees. Tandis que les th6oriciens discutent des merites de l'enseignement classique, les reformateurs entreprennent la renovation de l'enseignement special. Duruy en etait le promoteur et les faits avaient revel6 qu'il repondait ä des besoins evidents. Pourtant, bien que groupant en 1880 la moitie des effectifs scolaires dans les colleges communaux, et un peu plus du quart dans les lycees, on le considerait souvent reserve aux paresseux et aux incapables. Cela tenait a plusieurs raisons : on n'avait jamais pu preciser s'il s'agissait d'un enseignement theorique ou pratique; les professeurs trouvaient humiliant de s'y consacrer ; enfin il ne menait pas au baccalaureat. En 1882 un nouveau programme est prevu : l'enseignement special comprend desormais deux series d'etudes graduees, le cours moyen et le cours superieur qui duraient respectivement deux et trois ans. Plus pratique que theorique, il ne doit pourtant pas negliger toute culture desinteressee. Un baccalaureat sanctionne ces etudes, d'une duree de cinq puis de six ans ä partir du ministere de Rene Goblet. En 1891, Leon Bourgeois donne a l'enseignement special la qualification de « moderne », supprimant ainsi la deconsideration dont il faisait l'objet. D'une duree de six ans, ses programmes font une grande place aux langues vivantes, au franjais et aux sciences. 3. Reformes de Georges Leygues Aboutissement de ces changements successifs, les decrets et arretes de 1902, dus au ministre Georges Leygues, remanient le plan d'ensemble de l'enseignement secondaire : desormais, ä la suite de quatre annees d'etudes primaires, il se divise en deux branches de meme duree, l'une avec latin, l'autre sans latin. II appartient aux families de choisir ä l'entree de la 6" entre les sections A (latin obligatoire) et В (pas de latin, mais frangais-sciences). La section A comprend de la 6е ä la 3* des etudes communes i tous les eleves, sauf le grec devenu facultatif. Son premier cycle finit avec la 3"; les eleves suivront alors dans le second cycle une des sections A latin-grec, В latinlangues vivantes, С latin-sciences. L'enseignement sans latin passe lui aussi par un premier Stade de la 6" a la 3*, comprenant des etudes communes ou dominent le fran^ais et les sciences. II conduit ä un certificat d'etudes, car on espere que de nombreux elöves quitteront le lycee aprös la 3*; cet examen n'eut d'ailleurs aucun succbs. Ceux qui desirent continuer le peuvent dans une section D (sciences-langues vivantes) qui mene comme les trois autres au baccalaureat. Le baccalaureat de l'enseignement secondaire se divise en deux parties : la premiere se passe au moyen d'une des quatre series d'epreuves desormais instituees, et ceux qui ont reussi peuvent ensuite opter entre la philosophie ou les mathematiques et passer au bout d'un an la seconde partie de l'examen.
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Ces rdformes ne satisfont pas tout le monde. On leur reproche de negliger les etudes desinteressees et de tout ramener ä la preparation d'un diptöme. Elles ont pourtant le merite, apres la decade 1890-1900 durant laquelle les 61öves de l'enseignement secondaire sont alles plus volontiers dans les ecoles libres, de creer un nouvel afflux dans les lyc6es. Ce resultat se realise en partie grace aux lois sur la separation de l'Eglise et de l'Etat, mais aussi au plan d'etudes nouveau qui, developpant sciences et langues vivantes, ecarte bien des families des colleges ecclesiastiques plus attaches au grec et au latin. L'Etat lutte desormais avec avantage contre les ecoles du clerge en dormant un enseignement qui ne leur est pas traditionnel. C. ENSEIGNEMENT
SUPIJRIEUR
A la suite de la loi du 18 mars 1880, qui a retire la collation des grades aux facultes catholiques tout en maintenant celles-ci, l'enseignement superieur en France se developpe. Jusqu'en 1896 il entre dans sa phase d'organisation. Celle-ci se fait en deux etapes, la ргегшёге reforme les facultes, la seconde cree les universites actuelles. Duruy avait expose une theorie de l'enseignement supdrieur suffisamment nette pour que l'on puisse le considerer comme le premier ä avoir tente la reorganisation des facultes. Des idees identiques se retrouvent sous la IIP Republique : « II fallait que la science avec tout ce qu'elle implique d'esprit de verite et de liberte d'esprit, de foi dans les idees et de soumission aux faits, d'idealisme dans les conceptions et de realisme dans les methodes, füt chez elle non plus l'accident mais l'essentiel; il le fallait ä tous egards, et pour ramener ä leurs vivantes origines les educations professionnelles dont elles continueraient d'etre chargees, et pour prendre charge ä leur tour et pour leur part du progrös scientifique 68. » Les facultes ne sont plus considerees comme des etablissements uniquement charges de delivrer des diplomes professionnels ouvrant l'acces ä des carrieres determinees, telles la medecine, la pharmacie, le barreau ou la magistrature, et les professeurs ne sont plus contraints de se soumettre ä de strictes directives. lis doivent se sentir libres de poursuivre leurs recherches et d'en exposer les resultats. Pour cela, le premier article de la reforme ргёраге une refonte des programmes et des examens. A la base une culture professionnelle reste de rigueur, tandis qu'au sommet la recherche savante domine. Elle tend ä former l'elite qui contribuera au developpement de la science. Grace au recteur Liard, on тёпе aussi une politique d'expansion. On d6ve-
58. Louis LIARD, op. cit., p. 382-383.
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loppe les constructions universitäres, on augmente les credits, le personnel et le nombre de chaires. D'autre part si, en tant qu'etablissements d'Etat, les facultes restent soumises ä d'inevitables imperatifs, dans le domaine intellectuel et scientifique elles doivent beneficier d'un maximum de liberte. Dans ce but, on leur redonne la personnalite civile que depuis de nombreuses annees l'Etat leur avait confisquee. Tel est l'objet du decret du 25 juillet 1885 permettant aux facultes de recevoir des donations ou des legs, ainsi que des subventions quelle qu'en soit la provenance. Un certain nombre de villes organisent alors ä leurs frais des enseignements generalement adaptes aux problemes particuliers de leur region. Une loi de finances de 1890 complete ce decret, eile attribue aux facultes un budget et transforme en subventions les credits que l'Etat leur ouvrait pour leurs depenses materielles. Desormais elles peuvent elles-memes gerer leurs interets sous le controle du ministre responsable. Depuis le decret du 28 decembre 1885, l'organisation interieure des facultes comprend deux organismes distincts issus du personnel enseignant : l'assemblee et le conseil. « L'assemblee, c'est la Faculte enseignante et savante, eile comprend done tous les maitres titulaires et charges de cours, agreges et maitres de conferences. Le conseil, c'est l'etablissement public, la personne morale; par suite il ne comprend que les professeurs titulaires, c'est-ä-dire les pifeces fixes et permanentes. D'ou le depart des attributions : ä l'assemblee, tout ce qui est du ressort de la vie scolaire et scientifique, les questions relatives a l'enseignement, la distribution des cours, l'etablissement des programmes ; au conseil, tout ce qui a trait ä la vie civique et aux interets permanents du corps; par exemple, l'acceptation des dons et legs, l'emploi des subventions, l'etablissement du budget, l'administration des biens et les questions relatives aux chaires : maintien, transformation ou suppression, declaration de vacances et presentations59. » Place ä la tete de la faculte, le doyen est desormais elu par ses collfegues. Le second grand probleme concerne la renovation des universites. En 1883 Jules Ferry organise une enquete dans l'enseignement superieur. Les reponses revelant que l'on souhaite partout la cohesion, une reforme d'ensemble est decidee. Le passe traditionnel du haut enseignement en France ne permet pas de brusquer les choses et ce n'est qu'un decret de Rene Goblet du 28 decembre 1885 qui lui donne le depart, en instituant dans chaque ressort academique un nouveau conseil appele conseil general des facultes. Preside par le recteur, il se compose des doyens et de deux delegues elus par chaque faculte. II est
59. Louis
LIARD,
op. cit., p. 412.
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investi d'ime fonction de coordination dans l'ordre scientifique comme dans I'ordre administrativ financier et disciplinaire. Pourtant il ne s'agit lä que d'une ebauche des futurs conseils d'universite ; mais, comme l'experience reussit, le ministre Leon Bourgeois depose le 22 juillet 1890 sur le bureau du Senat un nouveau projet de loi. Ce texte definit les universites comme < des etablissements publics d'enseignement superieur, ayant pour objet l'enseignement et la culture de l'ensemble des sciences », et precise que pour leur formation les quatre facultes classiques, droit, medecine, lettres et sciences, sont indispensables. Quant ä leur organisation, eile reposait sur un conseil elu ä la tete duquel serait place le recteur d'acad6mie, representant direct de l'Etat. Leur service consistait ä delivrer les grades etablis par la loi; en dehors de cet imp6ratif, les universites gardaient toute liberie d'enseignement et de recherche. Enfin, elles sont dotees d'une organisation financiere : chacune d'entre elles dispose d'un budget alimente par le produit des dons et legs, les subventions des particuliers, des communes et des departements, les droits d'etudes et d'examens des etudiants et les allocations de l'Etat. Ce projet suscita une vive opposition parce qu'il ne permettait pas de creer des universites partout, mais il eut le merite de continuer ä donner ä la question une grande actualite et de permettre au successeur de Leon Bourgeois, Charles Dupuis, de faire inserer dans la loi de finances un article ainsi con?u : « Le corps forme par la reunion de plusieurs facultes de l'Etat dans un meme ressort academique est investi de la personnalite civile, il est represente par le conseil general des facultes. > Enfin, un siecle apres leur disparition en 1793, la loi du 10 juillet 1896 cree, ä partir du « corps des facultes », les universites. Le « conseil general» est transforme en « conseil d'universite ». Chacune d'entre elles est dotee d'un budget alimente par les droits d'etudes, d'inscription, de bibliotheques, de travaux pratiques, et surtout par les subventions de l'Etat, les dons et legs des particuliers eventuellement. Par consequent elles jouissent de l'autonomie financiere. Le recteur, fonctionnaire d'autorite, allait-il avoir des pouvoirs ä l'egard des facultes, ou, au contraire, deviendrait-il un representant de celles-ci elu par le corps professoral ? La loi de 1896 est muette sur ce point. La pratique aboutit ä un compromis : le recteur reste ce qu'il etait, c'est-ä-dire qu'il n'a pas de pouvoirs sur les facultes qui ont leurs propres organes de gestion. II est simplement le president du conseil de l'universite, lui-meme forme de гергёsentants des facultes. Le renouveau des universites donne naissance ä des institute qui se forment sous la pression des besoins industriels et scientifiques de chaque region, bien avant qu'un decret, en 1920, n'en d6termine le fonctionnement. Enfin on peut ajouter qu'en 1901 fut creee la Caisse des recherches scientifiques, origine du C.N.R.S.
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d. ENSEIGNEMENT TECHNIQUE
La IIP Republique prit un certain nombre de mesures dans le domaine de l'enseignement technique. Bien que Iimit6es, elles lui donnent un debut d'organisation. On se soucie tout d'abord de Amelioration des conditions de travail des jeunes qui sont formes < sur le tas ». Une ргепиёге loi, du 19 mai 1874, stipulait que tout apprenti devait obligatoirement frequenter l'ecole jusqu'ä l'äge de douze ans. Celle du 28 mars 1882 etablit en principe ä treize ans le terme de la scolarite. D'autre part, la duree de la journee de travail se reduit progressivement : fixee en 1892 ä dix heures pour les adolescents de treize a seize ans, et ä onze beures pour ceux de seize ä dix-huit ans, eile est ramenee en 1904 ä dix heures. Preludant ä l'enseignement technique, les travaux manuels sont introduits ä l'ecole primaire. Ds doivent non seulement satisfaire le besoin d'exercice physique des enfants, mais preparer l'apprentissage du metier, en donnant l'habitude et le goüt du travail professionnel. lis ont d'ailleurs une fonction d'orientation. En effet, lors du second congrös international de l'enseignement technique en 1889, un vceu demande qu'ils soient consus de ташёге ä permettre de deceler les aptitudes de l'enfant. La loi du 28 mars 1882 fixe leur duree ä deux ou trois heures par semaine. L'enseignement technique lui-meme fait un progrfcs considerable avec la loi du 11 decembre 1880 sur les ecoles manuelles d'apprentissage et les ecoles primaires complementaires. Preparee par le senateur Tolain, eile precise : « Les ecoles d'apprentissage, fondees par les communes et par les departements pour developper chez les jeunes gens qui se destinent aux professions manuelles la dexterite necessaire et les connaissances techniques, sont mises au nombre des ecoles primaires publiques. Les ecoles publiques d'enseignement complementaire dont le programme comprend des cours ou des classes d'enseignement professionnel sont assimilees aux ecoles manuelles d'apprentissage. > Ces nouveaux etablissements, identifies ä ceux de l'enseignement primaire, dependent к la fois du ministere de l'Instruction publique et de celui du Commerce, се qui occasionne de nombreux confiits. Aussi, pour у mettre fin, la loi de finances du 26 janvier 1892 les place-t-elle sous l'autorite exclusive du ministere du Commerce. lis se transforment alors en « ecoles pratiques du commerce et de l'industrie » (E.P.C.I.), avant de passer definitivement sous l'autorite du ministöre de l'Instruction publique en 1920 et de prendre le nom de colleges techniques. Pour completer cette creation, un decret du 9 juillet 1881 ouvre к Vierzon une ecole nationale d'enseignement primaire superieur et professionnel; d'autres creations de се genre suivent, ä Агтепйёгез et έ Voiron en 1882, a
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Nantes en 1898. Toutes se transforment par la suite en ecoles nationales professionelles. Ainsi la loi du 11 decembre 1880, avec ces deux types d'etablissements (collfcges techniques et έcoles nationales professionnelles), inaugure-t-elle l'enseignement technique au niveau moyen. Au niveau superieur, cet enseignement est dispense par les ecoles nationales des arts et metiers : Celles de Chälons-sur-Marne, d'Angers, d'Aix-enProvence ont ete installees au cours de la premiere moitie du 19* siecle, alors que Celles de Lille, de Cluny et de Paris sont fondees respectivement en 1881, 1901 et 1906. Elles forment des sous-ingenieurs к partir de 1885, et des Ingenieurs ä partir de 1907. Elles deviennent alors les « ecoles nationales d'ingenieurs des arts et metiers ». En application de la loi de 1880, les ecoles professionnelles feminines se creent. L'une d'entre elles, «l'ecole Lamartiniere de jeunes filles >, fondee en 1879 ä Lyon, deviendra ecole nationale professionnelle en 1937. Pour former les maitres de ces etablissements, on organise des 1882 des cours de travaux manuels dans les ecoles normales, puis l'on ouvre en 1884 une « Ecole normale speciale de travaux manuels », annexee ä l'ecole normale superieure de Saint-Cloud, et une section < normale » adjointe ä l'ecole nationale des arts et metiers de Chälons. II faut noter enfin que certaines ceuvres catholiques continuent ä se consacrer ä l'enseignement professionnel et que leurs dcoles peuvent recevoir des subventions de l'Etat. Les Freres de la doctrine chretienne assurent une formation calquee sur celle des « ecoles primaires superieures», tandis que les pretres salesiens de don Bosco distribuent un enseignement plus pratique. L'enseignement agricole releve du ministere de l'Agriculture. L'ecole forestiäre qui date de la Restauration, l'Institut agronomique fond6 en 1876 et les ecoles nationales d'agriculture en constituent le degre superieur, tandis que diverses ecoles specialisees et regionales, des ecoles « d'hiver et des ecoles d'enseignement menager agricole (avec une 6cole normale d'enseignement menager agricole) assurent son niveau moyen et elementaire. On a d'autre part mis « l'agriculture» au programme des ecoles primaires et des ecoles normales et l'on a tent6 de creer des fermes η ^ έ ΐ β β . Mais ce ne sont lä que des realisations limitees, alors que dans ce domaine de tres belies ceuvres voient le jour ä l'etranger, notamment au Danemark et en Hollande. e. ENSEIGNEMENT POPULAIRE
Les passions soulevees par l'affaire Dreyfus, en 1894, suscitent dans l'opinion fran?aise un mouvement d'inquietude pendant plusieurs annees. La nation tout entiäre prend une soudaine conscience de l'imperieuse necessite de developper l'esprit critique de tous les F r a n c i s au moyen d'une 6ducation qui leur permettrait de se forger une opinion en dehors de tous les
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prejuges sociaux. с II n'y a que le cri public qui puisse nous faire obtenir justice », 6crivait Voltaire. Ce cri, ä la suite de < 1'Affaire » et de la lettre d'Emile Zola J'accuse, doit de nouveau retentir, et c'est pour cela qu'un certain nombre d'ecrivains et d'hommes politiques mettent sur pied les universites popu1 aires. La Societe des universites populaires fut constitu6e le 12 mars 1898. Gabriel Feailles en etait le president, l'historien Henri Michel le vice-president, Deherne le secretaire. Elle se developpe ä Paris et en province jusqu'en 1902. Alain et Peguy feront partie des animateurs qui, un peu partout en France, vont s'efforcer de donner au monde des travailleurs une ouverture sur des problfcmes intellectuels et culturels totalement ignores par eux jusque-lä. Le mouvement revet des formes multiples. И donna naissance, en particulier, ä la Fondation universitaire de Belleville сгёее к l'instar des institutions britanniques. D6ja en 1896 Lέon Bourgeois, dans son discours presidentiel du XVT congres de la Ligue de l'enseignement, avait demande la mise au point d'institutions inspirees de Celles de l'Angleterre et du « palais du peuple » beige. Les animateurs de la Fondation de Belleville appartenaient pour la plupart a la haute societe protestante; c'etait Andre Siegfried, Paul Armand de Ville, Jean Schlumberger, etc. Le 1" mars 1902 il у a 47 universites populaires ä Paris, 48 en banlieue, 48 en province. Les programmes, les sujets traites, les auditoires different. Dans certaines villes on s'efforce de donner des cours du soir de litterature, d'histoire, de philosophie, de legislation usuelle. Les sciences naturelles et les mathematiques figurent egalement au programme. Dans d'autres on preffere le systeme des conferences, mettant en evidence les divers aspects d'un meme theme : alcoolisme, histoire et civilisation, questions sociales, droit, etc. Des ceuvres litteraires de Victor Hugo, de Zola, de МоПёге, sont expliquees, des lectures conseillees. Alors que certaines villes ont organise des « foyers > ou des « maisons du peuple», d'autres se contentent d'un enseignement populaire itinerant. Les conferenciers se transportent, soit dans des salles specialement amenagees, soit dans des ecoles communales, dans des bars, des brasseries, des cabarets, etc. Les cours se font la plupart du temps sous forme de causerie. On inaugure meme parfois des methodes nouvelles, c'est ainsi que la Societe du Havre essaie un systeme d'enseignement « par l'aspect », qui comportait entre autres l'utilisation de projections а Г aide d'une lanterne magique. De lä naquit peut-etre un de nos moyens modernes d'education des adultes. Pour essayer de coordonner ces procedes tres disparates, on cree, pour les animateurs des universites populaires, l'Ecole des hautes etudes sociales. Neanmoins, malgre tant de bonnes volontes, ce mouvement d'enthousiasme ne devait pas se maintenir longtemps. Charles Peguy dans Les Cahiers de la quinzaine donne une idee des difficultes rencontrees : manque de locaux,
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manque d'unite dans les programmes, impossibilite surtout pour les ouvriers de se rendre deux fois par semaine ä des cours du soir avec de longs trajets ä parcourir. Etait-il possible, d'autre part, pour ces travailleurs, d'assimiler les connaissances dont ils entendaient parier pour la premiere fois sans avoir a leur disposition les livres necessaires ? Une fois l'elan de l'affaire Dreyfus retombe, les universites populaires vont pericliter. Elles laissent une tres grande idee, celle d'une union possible entre ouvriers, etudiants et enseignants. « Dans les bourses du travail, les professeurs, les inspecteurs d'academie, les instituteurs, les etudiants, venaient non seulement enseigner mais apprendre. Iis sentaient la justice sociale comme une necessite vivante et desiraient sincerement la liberation du peuple. La fraternite a ete ä cette epoque mieux qu'un mot. Les intellectuels apprenaient ä connaitre un milieu, des hommes dont ils n'avaient pas soup^onne les difficiles conditions d'existence. Quant aux ouvriers ils croyaient pleinement ceux qui venaient vers eux. En т ё т е temps que le savoir, eux aussi decouvraient d'autres hommes eo . » Meme avant la creation des universites populaires, la IIP Republique s'etait souciee du developpement de l'enseignement postscolaire. L'idee lancee par Victor Duruy reprend vigueur dans la derniöre decade du 19* siecle, et de nombreux instituteurs perpetuent alors son oeuvre. De hautes personnalites officielles participent au congres libre et national des societes destruction et d'education populaire tenu au Havre le 29 aoüt 1895. A partir de се moment un rapport statistique en τένέΐβ les progres. Les catholiques, de leur cote, lancent un certain nombre de mouvements d'action sociale et culturelle. Parmi ceux-ci, il faut mentionner « Le Sillon » fonde par Marc Sangnier et un groupe de grands eleves du college Stanislas en 1894, dont l'histoire retrace la « prise de conscience par des jeunes intellectuels catholiques des problemes sociaux en partant de preoccupations educatives 61 ». Mettre en valeur la personne humaine pour la vouer au service de la cite, tel sera 1'objectif poursuivi. Pour cela on va ä la rencontre des ouvriers, et on leur donne des possibilites de loisirs et de culture. Les « cercles » crees dans cette intention sont un peu les pendants des universites populaires. On у etudie les objections que l'on fait ä la religion, les problemes de la famille et de l'education des enfants, le socialisme, le capitalisme, I'association, etc. Le clerge ne tarda pas ä leur reprocher de tendre ä devenir des « maisons de pure science » et de trop n6gliger la propagation de la foi. L'evolution politique du mouvement entraine sa condamnation ä Rome, Le 25 aoüt 1910, Pie X adresse aux archeveques de France une « mise en garde » ; c'est la fin du « Sillon ». Mais la pensee de се mouvement axe sur 60. Benigne CACERÜS, op. cit., p. 61.
61. Ibidem, p. 63.
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l'6ducation populaire, et qui le premier a conduit les catholiques к prendre conscience des problämes de notre temps, continuera jusqu'ä nos jours ä animer un grand nombre de chretiens. C'est encore Marc Sangnier qui сгёега les premiöres < auberges de la jeunesse > en France, comme il sera l'animateur de la « Jeune R6publique > en 1936 et, au lendemain de la Liberation, du < Mouvement republicain populaire ».
C. RUPTURE ENTRE L'EGLISE ET L'ETAT
L'affaire Dreyfus avait done suscite une prise de conscience nationale et fourni le point de depart ä certaines entreprises de democratisation de l'enseignement, qui sans eile seraient peut-etre restees ä l'etat de projet. Mais ce ne fut pas la son seul resultat. Elle devait aussi raviver la querelle entre l'Eglise et l'Etat et donner naissance ä la legislation qui, de 1901 ä 1905, concretisa la rupture ddfinitive. La nouvelle flambee d'anticlericalisme fut pr6cedee par une periode de reconciliation ouverte le 12 novembre 1890 sur une d6claration du cardinal Lavigerie, ä Alger. En presence des officiers de la flotte, ce dernier fait une veritable profession de foi republicaine. Les catholiques demeurent n6anmoins toujours hostiles, et, рош- couper court ä leurs reticences, Leon XIII est contraint de faire entendre sa « voix autorisee » dans l'encyclique Immortale Dei du 20 fevrier 1892. II demande aux fidöles de se rallier et d'accepter la constitution tout en essayant de transformer la legislation en cours. Un esprit nouveau domine par le souci d'apaisement prend alors naissance. En 1893, elu prdsident du Senat, Ferry lui-meme declare : « Notre Republique est ouverte ä tous, elle n'est la propriete d'aucune secte, d'aucun groupe, ce groupe fut-il celui des hommes qui l'ont fond6e. Le grand mouvement de ralliement qui s'opere est conduit par la force des choses et par les interets les plus eleves de la patrie e2 . » Et, bien qu'il proclame l'intangibilite des lois lalques, il preche de plus en plus la moderation dans leur application. Cette politique profite ä l'Eglise. Non seulement le concordat qu'on pouvait croire menace vers 1889 est prolong6, mais aussi l'application de la 16gislation anticongr6ganiste pratiquement suspendue. Les religieux chasses, у compris les jesuites, sont rentres dans leurs couvents et у ont repris leurs activites. Jamais l'enseignement libre ne connait de tels developpements qu'ä ce moment. < La population scolaire des 700 institutions secondaires catholiques (y compris 150 petits seminaires) depasse celle de l'Etat (52 % contre 48 %). Au niveau primaire, 3 000 ecoles ont pu etre ouvertes de 1887 ä 1895. Les catholiques se plaisent к relever qu'aussitot qu'une 6cole publique est lalcisee, sa clientele reflue vers les 6tablissements qui inspirent plus de confiance aux 62. Chi par J.-J.
CHEVALLIER,
op. clt., p. 422-423.
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families. Sans doute ceux qui voient plus loin se demandent si l'effort financier que cela represente (50 millions par an) sera supportable ä la longue. Mais enfin, on dispose encore de 50 000 instituteurs ou institutrices congreganistes β3. > Sous forme de patronages essentiellement, les oeuvres postscolaires catholiques font, elles aussi, de grands progres. Toutefois cet equilibre sur l'echiquier politique demeure extremement ргёcaire. Les radicaux n'ont jamais renonce ä l'oeuvre interrompue de lai'cisation, et il est bien evident que s'ils obtiennent, flanques des socialistes, la majorit6, la lutte reprendra. C'est ce qui se produisit ä la suite de la periode d'agitation dechainee dans tout le pays par l'affaire Dreyfus, avec les elections de 1898, puis la Constitution du ministere Waldeck-Rousseau, le 22 juin 1899, pour mettre fin ä l'agitation nationaliste et sauver la Republique. Waldeck-Rousseau exerce le pouvoir jusqu'au 28 mai 1902. II identifie la defense de la Republique avec la lutte anticongreganiste et se trouve ainsi ä l'origine des lois de separation. Celle qui est adoptee en juillet 1901 comprend deux parties distinctes : la premiere accorde la faculte de se constituer selon des formalites tres simples ä toute association dont le but ne serait pas contraire ä la constitution de l'Etat; la seconde soumet les congregations religieuses au contröle de l'Etat, lequel autorise ou non leur existence selon l'utilite qu'elles presentent et limite leur developpement. Toute congregation doit demander une autorisation sous peine de dissolution. C'est la resurrection de l'article 7. Emile Combes, successeur de Waldeck-Rousseau ä la suite des elections legislatives de 1902, se charge d'appliquer avec rigueur ces differentes dispositions. Des son arrivee au pouvoir, il fait fermer 125 ecoles de filles ouvertes par des congregations reconnues sans autorisation. Le mois suivant il prend une resolution identique contre 3 000 ecoles, qui, ouvertes avant 1901, croyaient en etre dispensees et il refuse de recevoir leurs demandes. En 1903, toutes celles emanant des ordres religieux sont automatiquement rejetees par le gouvernement et prös de 20 000 ecclesiastiques expulses ä la suite de cette fin de non-recevoir. La lutte contre les congregations enseignantes s'achfcve avec la loi du 7 juillet 1904, interdisant toute forme d'enseignement ä leurs membres, en raison de leur seule appartenance ä une congregation, quels que soient leurs titres, leurs aptitudes et les services rendus. II en resulte que toutes les congregations reputees enseignantes doivent disparaitre dans un delai de dix ans et se voient interdire toute espece de recrutement. La mesure visait tout particuliörement les Freres des ecoles chretiennes. Le 9 decembre 1905, sous le ministöre Rouvier, intervient enfin la loi de Separation de l'Eglise et de l'Etat. Elle decide que < seront supprimees des budgets de l'Etat, des departements et des communes toutes depenses rela-
6 3 . A . LATREILLE e t R . RIMOND, op.
cit.,
t. III, p. 485-486.
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tives a l'exercice des cultes », mais pr6cise que < pourront etre inscrites au dit budget les depenses relatives ä des exercices d'aumoiterie et destinees ä assurer le libre exercice des cultes dans les 6tablissements publics, tels que lycees, collöges, ecoles ». Ce texte met un terme apparent aux conflits qui ont oppos6 l'Eglise et l'Etat au sujet de la la'icit6 et du partage de l'enseignement pendant plus de vingtcinq ans. II annonce une periode moins troublee au cours de laquelle les reformes entreprises vont etre remaniees et consolidöes; cette periode dure jusqu'en 1940.
SECTION I I I
DE 1905 A 1940
L'histoire des institutions scolaires et universitaires de la France de 190S ä 1940 peut se diviser en deux phases : la premiere jusqu'en 1919, tout en τένέlant que le probleme est toujours ä l'ordre du jour, se contente de faire le bilan des grandes reformes passees et d'en tirer les conclusions pour l'avenir ; la seconde, de la fin de la premiere guerre mondiale jusqu'en 1940, remanie et consolide les institutions existantes. De grands changements n'interviennent que dans le domaine precis de l'enseignement technique qui entre alors dans sa phase de demarrage. A. DE 1905 A 1919 De 1905 a 1919 deux faits essentiels sont к retenir : la Campagne contre l'ecole publique qui se deroule ä partir de 1907 et donne naissance ä une meilleure prise de conscience de la laicite d'une part, les tentatives des enseignants pour se grouper, mettre en commun leurs idees et preparer l'avenir, d'autre part. Α. ΝΟΥΝ ELLE OFFENSIVE ANTILAIQUE
Οέβ 1907, la Campagne contre l'ecole laique prend, semble-t-il, un tour nouveau dans la presse conservatrice. On ne s'attaque plus au principe : l'ecole laique date de vingt-cinq ans, eile a forme suffisamment de generations pour qu'on ne la remette plus en cause. Aussi les directives des eveques s'attachentelles plutöt ä en limiter le prestige : « Vous surveillerez l'ecole publique, employant d'abord tous les moyens legaux pour la maintenir dans l'observation de ce que, ä defaut d'une expression meilleure, nous appellerons neutra-
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lit£ M . » Des associations de parents d'elfcves se forment alors pour contröler maitres et programmes et il semble qu'ä ce moment on s'en prenne surtout aux manuels d'enseignement primaire auxquels on reproche leur partialite : n'a-t-on pas remplace dans les livres de grammaire < les croix des tombeaux » par « les feux des fourneaux » ou « le temps pascal » par < le canal lateral » ? Ce sont lä des vetilles. Elles ont pourtant le merite de faire reflechir sur le veritable contenu de la la'icite. Le respect de la verite, fondement de l'ecole lai'que, n'est pas forcement neutralite et l'on constate qu'il est impossible pour un enseignant de ne pas prendre plus ou moins parti au moment d'exposer aux eleves des donnees de sciences ou de relater des faits historiques. L'ecole laique absolument neutre, comme le voulait Jules Ferry, apparait alors assez illusoire. La presse, d'autre part, tente durant toute cette periode de faire le bilan de ces vingt-cinq premiöres annees d'enseignement renove, et ä cette occasion les journaux catholiques s'opposent une fois de plus aux journaux republicains. D'une fagon generale toutefois, les grandes reformes ne sont pas remises en cause. Les lycees de jeunes filles par exemple sont devenus familiers ä l'opinion, et l'on cesse de s'en moquer. Jamais d'autre part il ne semble que l'on songe ä revenir sur la gratuite, ou ä faire une loi contraire ä l'obligation. Quant ä la la'icite, le point chaud du debat, eile n'est pas remise en question, bien qu'une fraction importante de l'opinion n'y soit toujours pas resignee. A cot6 de ce bilan positif, il у a de nombreuses critiques qui sont faites au systeme, auquel on reproche en particulier de ne pas etre assez democratique. Pourquoi a-t-on laisse le lycee payant ä cöte de l'ecole primaire gratuite ? C'est la une tare majeure. L'appr6ciation des resultats pratiques est moins optimiste. Un des soucis du legjslateur avait ete de former des ouvriers et des paysans capables de rompre avec les routines professionnelles et de s'adapter aux exigences modernes. Ce resultat est-il atteint ? « Une main-d'oeuvre qualifiee doit savoir lire et ecrire. Sur ce point le recensement de 1911 etablit que, si, en 1872, 434 Fransais sur 1 ООО ne savaient ni lire ni ecrire, ce chiffre etait tombe a 194 en 1901 et ä 112 en 1911 » Resultat appreciable done, mais toujours insuiiisant, et la presse attribue ce retard ä la negligence avec laquelle les commissions scolaires et les maires ont surveille l'application de la loi du 28 mars 1882. Elle estime qu'il у a encore une resistance sporadique ä la loi due au mauvais vouloir de certaines families de notables peu soucieuses de faire instruire une main-d'oeuvre domestique € dont l'ignorance garantit la
64. « Dfeclaration des cardinaux et des archeveques », publice dans Le Matin, le 12 septembre 1908, cit6 par Mona OZOUF, op. cit., p. 243. 65. M o n a OZOUF, op. cit., p. 248.
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docilite 6 6 ». Un autre grief trouve sa source dans l'exode rural attribue bien souvent au developpement de l'enseignement dans les campagnes, enseignement auquel on reproche de n'avoir pas su attacher l'enfant au sol natal en lui inculquant le goüt des travaux manuels. C'est lä indirectement critiquer les methodes pedagogiques qui ne font pas une part süffisante a la pratique et ne preparent pas l'ecolier ä la vie quotidienne. Enfin, l'ensemble des articles et ouvrages de cette 6poque revöle une certaine reticence ä l'encontre de l'enseignement moral. Cet echec provient du fait que les families n'attachent d'importance qu'aux succfes scolaires de fin d'annee. De plus, cette formation emane d'un instituteur qui n'a pas su encore se degager de toutes les polemiques dont il a ete victime pendant plusieurs decades. Et les catholiques ont beau jeu de vanter le calme des ecoles confessionnelles en affirmant que l'ecole lai'que rompt avec la tradition familiale et nationale, qu'elle est une ecole de « guerre civile », cause de recrudescence de la criminalite juvenile. L'organisation des premiers syndicate enseignants devait encore renforcer leur argumentation. b. L ' E S P R I T D'ASSOCIATION CHEZ LES ENSEIGNANTS
Deux grandes lois jouerent un röle essentiel dans ce domaine, celle de 1884 sur les syndicate, et celle de 1901 sur les associations. Les enseignants ne devaient pas tarder ä utiliser les possibilites qu'elles ouvraient. Mais si nous rencontrons un certain nombre de tentatives des 1887, date de la formation du premier syndicat des instituteurs et institutrices de France (dissous peu apres par une circulaire ministerielle) et des amicales d'instituteurs, c'est surtout a partir de 1907 que l'esprit d'association se developpe chez eux comme chez les professeurs de l'enseignement secondaire. Dans les annees 1905-1906, les amicales cherchent ä se transformer en syndicats. Leur manifeste, le 26 novembre 1905, precise : « Nous instruisons les enfants du peuple le jour, quoi de plus naturel que nous songions ä nous retrouver le soir avec les hommes du peuple.» C'est done en relation avec le syndicalisme ouvrier que se developpe un peu partout en France celui des instituteurs, et dans un tel contexte il ne pouvait manquer d'etre mele aux luttes sociales du moment. Le premier syndicat, cree en 1906-1907, a pour leader un instituteur adjoint de la Seine, Marius Nögre, que le gouvernement revoquera pour cette raison. L'elan lis sera pas pour autant brise, et en 1909 une federation nationale des syndicate d'instituteurs decide d'adherer ä la C.G.T., tandis qu'on envisage la creation d'un hebdomadaire, L'Ecole emancipSe, dont le premier numero
66. C). L'Aurore, 31 dicembre 1897, citfi par Mona
OZOUP,
op. cit., p. 250.
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parait en octobre 1910. Les congrös se succederont par la suite jusqu'ä la veille de la guerre de 1914. Dans l'enseignement secondaire, la meme tendance se manifeste. Une premiöre federation nationale instituee en 1896 avait obtenu quelques resultats comme la creation d'une societe de secours mutuel, mais bientot eile devait succomber ä l'indifference generale. En 1905 un effort beaucoup plus serieux, ä la suite de desaccords entre les membres de l'enseignement, aboutit a faire naitre non pas une mais quatre federations nationales, celle des repetiteurs de colleges, des repetiteurs de lycees, des professeurs de colleges, enfin celle qui unit aux professeurs des lycees de gar?ons tout l'enseignement secondaire feminin. Ce developpement corporatif pousse les professeurs de certaines disciplines a s'unir. Ceux d'histoire et ceux de langues vivantes en particulier forment des societes de specialistes, dont les decisions constituent souvent la base des futures reformes de programmes. Enfin l'esprit nouveau gagne les families d'elöves ou d'anciens elöves. Oes derniers se fedörent dans de nombreuses villes et constituent une « union des associations d'anciens eteves des lycees et colleges fran?ais », qui tient des congräs annuels et etudie des questions importantes, telles Celles touchant ä l'hygiöne de la jeunesse. Quant aux associations de parents d'eleves, elles formfcrent une federation nationale dont le role depuis la guerre de 1914-1918 s'est constamment accru. Ces divers mouvements d'association devaient se perpetuer dfcs la fin de la guerre 1914-1918 et danner naissance ä un groupement d'enseignants mobilises baptises les « Compagnons de l'Universite nouvelle ». Leur doctrine pedagogique et sociale est particuli£rement int6ressante, саг eile annonce les grandes reformes qui seront entreprises par la suite. Elle peut se resumer de la fagon suivante : plus de barriöre entre les divers ordres d'enseignement, une ecole obligatoire et gratuite pour les enfants de six ä quatorze ans, axee durant ce premier cycle sur une recherche des vocations et des aptitudes par des examens de selection aboutissant ä l'enseignement du second degre, enseignement qui peut etre celui des humanites ou une formation professionnelle. Ainsi l'idee-force qui se degage est-elle tout d'abord celle de «l'ecole unique ». L'enseignement sera identique pour tous les enfants, к quelque milieu qu'ils appartiennent, les petites classes des lycees devenant des ecoles primaires gratuites avec des instituteurs pour maitres. Durant cette premiere scolarite, l'enfant a surtout < appris ä apprendre ». A partir de lä, parents et professeurs sont en mesure de choisir la voie qui lui convient le mieux : s'il est attire par une culture intellectuelle plus etendue, il continuera ses etudes au Iycee; s'il recherche une culture professionnelle, il l'acquerra ä l'ecole technique ou dans les cours speciaux prevus ä cet effet, voire т ё т е dans l'atelier. Dans ce plan d'ensemble, l'enseignement professionnel apparait comme une
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n6cessit6 de plus en plus affirmee. L'education technique doit etre obligatoire pour les έΐένεβ qui quitteront le premier cycle sans poursuivre d'autres etudes. C'est la suite logique h. l'obligation de l'enseignement primaire prolong6. Bien entendu il sera gratuit puisqu'il s'adresse aux enfants des classes les moins favoris6es : une institution nouvelle, la taxe d'apprentissage, permettra de faire participer les entreprises ä cette ceuvre d'utilite nationale. Dans les lycees, les heures de classe diminueront au profit des heures d'etude. II faut developper l'effort personnel de Ι'έΐένε, tout en lui evitant de consacrer trop de temps ä prendre des cours sous la dictee du professeur. L'enseignement superieur et la recherche scientifique, de meme que la formation professionnelle des maitres, n'ont pas non plus ete negliges dans ce programme. A la division traditionnelle des facultes, les « Compagnons de l'Universite nouvelle » opposent la creation d'instituts de recherches specialises et, pour menager la transition entre le lycee et l'Universite, prevoient une preparation ä l'enseignement superieur. Pour cela on peut, soit augmenter la duree des etudes secondaires et ne faire penetrer les etudiants en faculte qu'apres leur service militaire, soit creer dans l'Universite meme un enseignement d'initiation d'une duree d'une ou deux annees. Cette solution semble presenter les meilleurs avantages : eile est ä l'origine des differentes propedeutiques. Enfin, les < Compagnons de l'Universite nouvelle » donnent к la formation des maitres une place essentielle dans la renovation de l'enseignement en France. Les instituteurs et les institutrices seront toujours formes dans les ecoles normales, dont le r61e professionnel est reconsidere. Les carrieres de professeurs de lycees et d'universite seront egalement modifiees. Les grandes innovations prevues, telles que prolongation de la scolarite obligatoire, creation d'un cycle d'observation, reorganisation de l'enseignement technique, role capital du travail personnel, creation de la classe de prop6deutique, reforme des concours d'agregation, precedent toutes du meme esprit de democratisation de l'enseignement et de promotion sociale. Elles sont de nouveau d'actualite depuis quelques annees. Les « Compagnons de l'Universit6 nouvelle » ont clairement decele les causes d'insufflsance de l'instruction au lendemain de la grande guerre. Malheureusement il etait alors trop tot pour en tirer les consequences pratiques. Et ce n'est qu'en 1927 que 33 associations qui participent aux travaux du соткё d'etude et d'action pour l'ecole unique, remettent un projet de Statut organique aux groupes parlementaires de l'Education nationale. Dans le т ё т е temps les grandes centrales syndicales ouvriöres s'interessent de plus en plus aux problemes pedagogiques, elles constituent des commissions speciales en vue de reformer l'enseignement ouvrier. En 1929, les propositions de la C.G.T. dans ce domaine furent consignees dans une brochure, La Reforme de l'enseignement et l'education ouvriere. Toutes ces tentatives denotent la sensibilite de l'opinion publique к tout ce
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qui concerne l'enseignement. Les associations, les syndicats, les amicales, ont eu le merite de presenter des idees neuves et d'offrir aux gouvernements qui se sont succede de 1919 ä 1940 des perspectives s'ouvrant sur les grandes reformes necessaires ä l'adaptation aux conditions economiques et sociales nouvelles de l'education. Dans les secteurs primaire, secondaire et superieur, technique surtout, de nombreuses decisions interviennent en ce sens de 1914 ä 1940.
B. D E Α. L'ENSEIGNEMENT
1919 A
1940
PRIMAIRE
Jusqu'en 1923 les reformes de l'enseignement primaire sont minimes. On se contente de prendre des mesures pour controler l'obligation, mesures maintes fois discutees, qui ne seront votees par la Chambre qu'aprös 1914. D'autre part, deux types d'etablissements particuliers, rattaches ä l'enseignement primaire, font l'objet de decisions legislatives favorables ä leur developpement. II s'agit de l'enseignement primaire special pour les enfants retardes ou arrieres et des ecoles maternelles. La loi du 28 mars 1882, sur l'obligation et la la'icite, avait dejä prevu qu'un reglement determinerait les moyens d'assurer l'instruction des enfants sourdsmuets et aveugles. Mais il ne s'agissait pas d'enfants arrieres ou retardes, et d'ailleurs le röglement annonce ne vint pas. Quelques classes speciales avaient ete creees ä Gentilly et ä Asnieres pour les sourds-muets, et c'est la ville de Lyon qui la premiere innova dans ce domaine, en instituant dös 1905, sous l'impulsion d'Edouard Herriot, des classes speciales. Paris suivit cet exemple en 1907, et c'est alors qu'intervint la loi du 15 avril 1909, texte qui constitue la charte de ce type d'enseignement en France. Elle prevoit que, sur la demande de la commune et des departements, des classes de perfectionnement pour les enfants arrieres des deux sexes seront annexees aux ecoles 61ementaires publiques, et egalement la creation d'ecoles autonomes de perfectionnement pouvant comprendre demi-pensionnat et internat. En 1914, 25 classes fonctionnaient dans toute la France. Leur nombre devait augmenter par la suite; on en compte une centaine vers 1930, et 240 en 1939, ce qui etait encore extremement insuffisant. Les ecoles maternelles, rattachees ä l'enseignement primaire, vont egalement, sous l'impulsion de l'inspectrice generale Pauline Kergomard, connaitre un developpement remarquable. Les instructions ministerielles du 16 mars 1905 et le decret du 15 juillet 1921 completent la legislation de 1886-1887 et donnent aux ecoles maternelles leur physionomie actuelle. Le regime des ecoles normales fut modifle par le decret du 4 aoüt 1905 qui 10
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place l'examen du brevet зирёпеиг к la fin de la seconde аппёе et consacre la troisifcme ä la formation professionnelle, c'est-ä-dire ä des stages pedagogiques dans l'ecole annexe. Ces reformes ne font que combler certaines lacunes ou completer la legislation d6)к existante. Celles qui interviennent de 1923 к 1939 transformed beaucoup plus profondement la pbysionomie de l'enseignement primaire. La ргегшёге emane de son directeur, Paul Lapie. Elle n'a pas grande port6e puisqu'elle consiste ä faire exclure du programme de morale les « devoirs envers Dieu », et ceci ä une 6poque ой les instituteurs comme les auteurs de manuels ont dejä procede d'eux-memes ä cette suppression. Une mesure plus importante tend ä mieux adapter les 6coles normales к la formation des maitres de l'enseignement primaire : les etudes sont elevees au niveau de Celles des classes terminales des lycees. L'enseignement psychologique et pedagogique ainsi que les exercices et les stages sont etendus sur les trois annees, l'on assure en т ё т е temps une preparation к un brevet superieur qui permet l'acc^s aux facultes. Sous le ministfere de Jean Zay, une loi du 9 aoüt 1936 apporte un important remaniement de structures к l'enseignement primaire proprement dit : la scolarite obligatoire est prolongee jusqu'ä l'äge de quatorze ans. Un programme particulier est etabli pour les classes dites de «scolarite prolongee» que devaient suivre, non seulement les 6leves qui avaient obtenu le certificat d'6tudes (en principe dös l'äge de onze ans), mais aussi ceux qui у avaient echou6. Le decret du 19 juin 1937 prevoit ä cet effet la fondation « d'ateliers-ecoles э par les villes et les groupements professionnels, avec la participation financiöre de l'Etat. Un arrete du 22 mai 1937 introduit dans les ecoles primaires elementaires l'obligation de consacrer une demi-journee par semaine ä l'education physique en plein air et des seances facultatives de loisirs diriges le samedi aprös midi. Enfin, reprenant l'idee d'une ecole unique, Jean Zay tente de realiser la liaison entre l'enseignement primaire et l'enseignement secondaire. Jusque-lä l'enseignement s'adressait ä deux classes sociales tres distinctes. Les lycees comportaient leurs propres classes 61ementaires, avec des maitres speciaux qui, en quatre annees au lieu de cinq, amenaient les eleves de la bourgeoisie au niveau du cours moyen d'oü partaient les etudes secondares proprement dites. Dösormais les classes elementaires des- lycees se trouveront assimilees totalement aux ecoles primaires, et la liaison entre l'enseignement primaire et le debut des etudes secondaires assuree. Les memes instituteurs, les memes programmes, le т ё т е certificat d'etudes est impose ä tous ä la suite d'un premier degre unique pour l'entree au lycee (c'est-ä-dire ä partir de ce moment dans le second degre). Cette possibilite d'un pont entre l'enseignement primaire et l'enseignement secondaire constitue certainement la reforme
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de l'enseignement primaire la plus importante ä la veille de la guerre de 1939. Malheureusement, eile n'aura que des effets limit6s en raison de la resistance des lyc6es ä recevoir les έΐένεβ provenant des ecoles communales. b. L'ENSEIGNEMENT SECONDAIRE
L'identification des petites classes de 1усёе ä Celles des ecoles primaires interesse tout aussi directement l'enseignement secondaire, mais d'autres modifications plus importantes l'ont precedee, qui remanient completement la structure de celui-ci. Les premiferes concement plus particuli£rement l'enseignement feminin. Depuis la loi de Camille S6e, le nombre des lycees et colleges de filles n'a pas cess6 d'augmenter, et les programmes enseign6s se rapprochent de plus en plus de ceux des lycees de gargons. Dös 1909 un enseignement facultatif de latin у est organise, mais l'assimilation ne devient totale qu'apres 1918 : les jeunes filles se preparent au baccalaureat comme les gar^ons, dedaignant les diplomes d'6tudes secondaires prevus pour elles. L'arrete du 25 juillet 1925 consacre cette evolution et decide l'identite de programmes et dTioraires pour les enseignements secondaires masculins et feminins. Tout en maintenant des concours distincts, on accorde une valeur 6gale aux agr6gations feminines et masculines. Les grandes reformes fondamentales de l'enseignement secondaire s'6chelonnent par la suite de la fin de la guerre aux premiäres annees 30. Б s'agit de Celles de Leon Berard en 1923, de Francois Albert en 1924 et 1925, du projet Anatole de Monzie en 1926, et des lois et circulaires de 1930, 31, 32 et 33. Ces d6cisions souvent contradictoires r6velent que des id6ologies oppos6es creent un conflit permanent ä l'interieur de l'Education nationale. Aussi Jean Zay, ministre ä l'epoque du Front populaire en 1936, tentera-t-il une refonte d'ensemble destin6e ä clarifier le ргоЫёте. Le projet Berard vise ä revenir ä un enseignement secondaire de type plus classique. II part du point de vue suivant: le ddveloppement de l'enseignement primaire superieur et de l'enseignement technique pennet d'exclure de l'enseignement secondaire toute prdoccupation utilitaire. Pourquoi, en effet, maintiendrait-on dans les lycees un enseignement moderne donne deja dans d'autres etablissements ? Le developpement de l'intelligence, tel est le but de l'enseignement secondaire. II apparait done inutile de donner aux jeunes gens une formation pratique qui ne soit pas un moyen de culture generale et qui risque de multiplier des connaissances « encombrantes >. En cons6quence les nouveaux programmes preconises rendent une place pr6ponderante aux mati&res traditionnelles, le latin en particulier. Pass6 dans l'arret6 du 3 d6cembre 1923, le projet de Leon Bdrard n'eut pas le temps de porter ses fruits car son application fut enrayee par des 6v6nements d'ordre politique. Quoi qu'il en soit, il marque un temps d'arret dans la democratisation de l'enseignement.
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En 1924, le nouveau ministre de l'Instruction publique, Francois Albert, eut pour premier soin de retablir l'enseignement moderne dans l'enseignement secondaire et de preparer un nouveau plan mis en application par un arrete du 3 juin 1925. Continuant et confirmant la reforme votee en 1902, il cherche ä consolider l'unite de l'enseignement, non seulement en maintenant l'egalite des sanctions pour les diverses options et la qualification des maitres, mais aussi en instituant ce que Ton appelle «l'amalgame ». Certaines disciplines, telles que le frangais, l'histoire, la geographie, les sciences, peuvent faire l'objet d'etudes communes aux el£ves des differentes sections. Desormais il у avait un premier cycle comprenant deux sections : A (avec latin) et В (sans latin), et un second cycle comprenant trois sections : A (latin-grec), A' (latin-sciences), В (sciences-langues). La section latin-langues prevue par Georges Leygues disparait. Ce remaniement d'ordre pedagogique laisse subsister des probßmes tels que celui de l'ecole unique, de l'amelioration de la frequentation scolaire, de la prolongation de la scolarite, et surtout celui de la gratuite des ecoles secondares. Anatole de Monzie se place justement dans cette perspective lorsqu'il d6pose une proposition de loi qui prevoit l'obligation jusqu'ä l'äge de quatorze ans et reglemente le controle de l'enseignement tout en prenant des dispositions pour le respect de la frequentation scolaire. En fait ce n'est que dix ans plus tard, avec la loi du 9 aoüt 1939, que le principe de l'obligation etendu ä l'äge de quatorze ans sera veritablement applique. Quant ä la gratuite dans l'enseignement secondaire, elle n'est obtenue qu'au terme d'une lutte assez longue : la loi de finances du 16 avril 1930 en decide I'application pour la classe de 6"; celle du 21 mars 1931 l'etend ä la classe de 5°, puis celle du 31 mars 1932 et du 11 avril 1933 aux classes plus elevees. La gratuite neanmoins laisse subsister certaines difficultes pour les families pauvres qui n'ont pas les moyens d'acheter livres et fournitures ni de subvenir ä l'entretien de leurs enfants durant leurs annees d'etudes. Aussi faut-il completer cette loi par la creation de bourses. Enfin la gratuite de l'enseignement du second degre pose le ргоЫёте de la fusion entre les sections de l'enseignement primaire superieur et les sections modernes des colleges et lycees. Desormais une separation, devenue artificielle, entre ecole primaire superieure et etablissement du second degre semble privee d'interet. Neanmoins les ecoles primaires superieures se maintiennent jusqu'ä la classe de seconde, en dehors des lycees et colleges. Ce desir d'unite se retrouve aussi dans la formation des maitres. La proposition de loi de Monzie exige pour les professeurs du second degre l'agregation puis, ä defaut, admet les professeurs munis de la licence ou d'un titre equivalent ou pouvant justifier d'un certain nombre d'annees d'exercice. Sur le rapport de Langevin, on envisage aussi l'institution d'un concours qui per-
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mettrait de recruter parmi les licencies un personnel enseignant pour le premier cycle du second degre. C'est d'ailleurs ä ce propos que se precise dans l'enseignement la distinction de trois degres et de deux cycles. Le premier degre est constitue par l'enseignement primaire elementaire, le second par les classes de l'enseignement secondaire jusqu'ä celle de 3", le troisieme par les etudes secondaires terminales ä partir de la seconde, tandis que le premier cycle correspond aux etudes en partie communes aux diverses sections et le second aux etudes specialisees. Cette nouvelle structure de l'enseignement a pour but de permettre orientation et selection. Ce sont des notions nouvelles qui n'ont pas ete envisagees jusque-la parce que l'enseignement secondaire s'adressait essentiellement aux classes riches se destinant aux carrieres liberales, aux grandes ecoles, ou au professorat, c'est-ädire ä des professions assez semblables ne necessitant pas au depart des orientations precises. La selection se faisait en fraction de la fortune des parents, de ce fait les erreurs commises ne presentaient pas de graves inconvenients. Avec la possibilite d'un passage des etablissements primaires superieurs aux etablissements secondaires, la question se pose de nouveau : ä quel äge, et par quels moyens, la selection s'operera-t-elle ? Une circulaire du 21 juin 1932 reglemente l'entree en 6* et determine les conditions de passage dans les classes suivantes : les eleves qui ont subi avec succes les epreuves du concours des bourses premiere serie, ou les eleves äges de dix ans juges aptes ä suivre des etudes secondaires у sont admis. Les considerants qui appuient sur ce point la circulaire du ministre Anatole de Monzie sont extremement interessante : « J'entends donner ä l'admission en 6* un caractöre d'epreuve et d'essai; il faut laisser ä chaque enfant admis en 6" la possibilite de courir sa chance pendant toute l'annee scolaire et renoncer ä toute eviction par epreuves generales, sans toutefois abolir les exclusions prononcees en vertu des reglements en vigueur. Par contre, ä la fin de la 6* une sanction dejä serieuse s'impose sous forme d'un premier examen d'orientation... Une commission aura ä examiner les aptitudes des el£ves qui auront subi sans succäs les epreuves de l'examen de passage institue par l'arrete du 3 octobre 1925. Elle decide s'ils redoubleront leur аппёе d'etudes, ou s'il leur sera conseille une autre orientation. En ce qui concerne le redoublement de la classe de 6", il ne devra etre envisage que dans des cas exceptionnels... La solution ordinaire, au sortir de la 6°, doit £tre pour tous les eläves trös faibles l'abandon d'etudes vers lesquelles lis paraissent avoir ete mal Orientes βτ. > Mais il faut en outre assurer l'orientation des eleves de 4* ou de 3* afin d'utiliser au mieux leurs aptitudes. Ce que l'on cherche alors, c'est ä etablir un pont entre les differentes categories du second degre. C'est ainsi que les el&ves
67. Cit6 par Luc
DECAUNES,
op. cit., p. 93-94.
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ayant accompli une ргегшёге аппёе d'enseignement primaire supdrieur peuvent acceder к la classe de 4* des lycees et coltöges s'ils montrent des dispositions particuliöres. Leurs professeurs, comme ceux de l'etablissement secondaire, seront consultes prealablement. Les elöves re?us au brevet elementaire ou au brevet d'enseignement primaire superieur qui d6sirent entrer au lycee, soit en classe de 3* В, soit en classe de 2* В, le peuvent. Et c'est ainsi que la liaison entre l'enseignement primaire superieur et le lycee se realise. En 1936, dans un climat politique et social different, celui du Front populate, les memes problömes reviennent ä l'ordre du jour, le ministre Jean Zay a laisse ä leur sujet un projet de reforme extremement important, tendant a promouvoir une refonte generale de l'organisation scolaire en France. Depose le 5 mars 1937 sur le bureau de la Chambre des deputes, son exposd des motifs declare : « L'heure parait venue de donner aux enseignements secondaire, primaire superieur et technique le Statut d'ensemble qu'ils attendent depuis de longues annees et dont de nombreuses mesures et experiences ont prepare la mise en ceuvre e8. > Pour cela, le certificat d'etudes, dont les epreuves ont lieu ä la fin de toutes les classes primaires elementaires, devient obligatoire pour entrer dans le second degre qui debute par une annee d'orientation commune 4 tous les elfcves. Les maitres emettront un avis afin de renseigner les families sur les aptitudes des enfants et sur les etudes pour lesquelles ils paraissent les mieux doues. Leur choix portera alors, soit sur l'enseignement classique, soit sur l'enseignement moderne, soit sin- l'enseignement technique, et les programmes de ces trois sections seront amenages de fagon ä faciliter le passage de l'une ä l'autre. Aprfcs quatre annees d'etudes les elfcves peuvent se presenter ä un premier examen qui, en cas de reussite, leur donne droit ä un diplome d'Etat. Mais ce n'est lit qu'une eventualite car ils ont la possibilite de prolonger leur scolarite pendant trois ans et de se presenter au baccalaureat, condition d'acces ä l'enseignement superieur. La formation des maitres preoccupe aussi le nouveau ministre. Son projet propose que Ton exige le baccalaureat des instituteurs, tout en maintenant leur formation dans les ecoles normales. Enfin, si l'agregation ne change pas et si le recrutement se fait toujours par voie de concours, les professeurs du second degre devront posseder un certificat d'aptitude pedagogique. Le projet de Jean Zay ne re?ut qu'une application partielle. Ses seules realisations consistent ä instituer ä titre experimental, au cours de l'annee scolaire 1937-1938, des classes d'orientation reunissant tous les eleves susceptibles de suivre les enseignements du second degre. Dans ces classes les methodes
68. Cit6 par Luc
DECAUNES, op.
cit.,
p. 98.
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actives, seances de loisirs dirig6s, confrontations entre professeurs, sont inaugur6es. Parmi les autres mesures fragmentaires, le rattachement de l'enseignement primaire superieur ä la direction de l'enseignement du second degre, par une circulaire ministerielle du 5 aoüt 1937, constitue une nouvelle etape de l'unification recherchee depuis le projet des « Compagnons de l'Universite nouvelle Cette unification supposait un amenagement des programmes de l'enseignement secondaire, de l'enseignement primaire superieur, et т ё т е de l'enseignement technique, pour permettre le passage d'un enseignement к l'autre au cours des quatre premieres annees d'etudes. Le decret du 21 mai 1937 et les arretes des 30 aoüt 1937 et 11 avril 1938 le realisent. Neanmoins ces possibilites demeureront toutes theoriques. Enfin, comme dans les ecoles primaires, on preconise une demi-journee d'education physique en plein air obligatoire dans les etablissements d'enseignement secondaire, ainsi que des seances facultatives de loisirs diriges. C. EDUCATION POSTSCOLAIRE
Le probleme des loisirs apparait, pour la premiere fois, comme fondamental. И d6borde le cadre des institutions scolaires et concerne aussi les adultes. En effet, depuis que la loi du 11 juin 1936 avait institue les conges payes, et celle du 12 juin la semaine de quarante heures, possibilite etait donnee aux travailleurs d'acceder aux loisirs et ä la culture. Un sous-secretariat d'Etat aux loisirs, anime par Leo Lagrange, dont le programme fait une large place ä l'education postscolaire, est alors cree. Or la situation dans ce domaine s'avere ä се moment extremement mediocre : < Une constatation s'impose d'abord : la regression lente mais continue des cours d'adultes. Les causes de cette baisse ont ete signalees les annees precedentes : faible natalite, depopulation et exode rural, instabilit6 du personnel dans beaucoup de postes, nomination de trop de jeunes gens, grand nombre des institutrices, fatigue des maitres provenant de la surcharge effective et du secretariat de la mairie, distractions de plus en plus nombreuses ofiertes aux jeunes gens, hostilite contre l'ecole la'ique (Ouest). L'indifference du maitre, lä ou eile est signalee, correspond ä l'indifference des pouvoirs publics. Le сгёdit inscrit au budget de l'Etat pour les oeuvres complementaires est inferieur ä ce qu'il etait en 1875 et ne permet d'accorder que des recompenses derisoires... Ajoutons que la retribution des cours industriels et des cours postscolaires agricoles et menagers agricoles, celle des cours organises pour les conscrits, ont pu rendre peu desirable un travail supplementaire non obligatoire. Les instituteurs s'orientent vers d'autres formes d'activites peri ou postscolaires ββ. » 69. Cit6 par B. CACÜR£S, op. cit., p. 92-93.
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A cela s'ajoute la constatation du mauvais 6tat de sant6 des Frangais. L'6quipement sanitaire est insuffisant, la tuberculose et l'alcoolisme se developpent sans que l'on puisse, pour у remedier, proposer ä tous des distractions de plein air. Seuls quelques privilegies et des athletes particulierement doues peuvent frequenter les rares stades existants. Pour la majorite des Fransais, le sport n'est encore qu'un spectacle. Aussi le programme de Leo Lagrange consiste-t-il, d'une part, ä mettre a la disposition des travailleurs des moyens de culture, et d'autre part ä developper dans tout le pays le goüt de l'exercice physique. C'est dans cet esprit que sont creees, ä Paris comme en province, des maisons de la culture et des cine-clubs. Les uns et les autres essaient d'interesser l'ensemble des Fransais aux problömes sociaux et politiques. Conferences, expositions, films d'avant-garde, tout ceci fait partie du nouveau programme culturel postscolaire. Un Conseil superieur des sports favorise par ailleurs l'amenagement dans les villes de stades, de terrains d'athletisme, de gymnases et de piscines. L'activite sportive apparait comme le meilleur emploi par la jeunesse des loisirs du week-end. Pour que l'ensemble de la population en prenne conscience, se developpe une politique de propagande en faveur du tourisme et des activites de plein air et, le 25 mai 1937, le brevet sportif populaire est institue. C'est aussi dans cet esprit que les premieres colonies de vacances sont ouvertes. En 1937, pres de 200 000 enfants quittaient leurs families durant les conges scolaires, au lieu de 25 000 recenses en 1905. Cependant des milliers de jeunes ecoliers ne peuvent encore s'eloigner des villes. A leur intention on se soucie de reorganiser les colonies de vacances avec l'aide de l'Etat. Une circulaire de Jean Zay, appuyee par la Ligue de l'enseignement, demande leur concours aux inspecteurs d'academie. Des centres de preparation assurent des stages aux moniteurs. Les futurs cadres charges de diriger par la suite les « centres » installes un peu partout ä la Campagne у re?oivent leur formation. d.
ENSEIGNEMENT SUPERIEUR
Dans l'enseignement superieur de rares changements interviennent durant la periode 1919-1940. Les effectifs croissent inegalement, et l'avance traditionnelle des facultes de droit, de medecine et de pharmacie se trouve remise en question devant la progression des facultes de lettres et des sciences. D'autre part, les etudiants frequentent de plus en plus l'Universite. Sur le plan institutionnel, en dehors de certaines reformes relatives ä des etablissements particuliers, un seul texte important fut adopte le 31 juillet 1920. II declare que les universites sont formees par la reunion de tous les etablissements publics d'enseignement superieur dependant du ministfcre de l'lnstruction publique (facultes, bibliotheques, instituts, observatoire, etc.). Ainsi la concep-
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tion que l'on s'en fait est-elle elargie : il ne s'agit plus seulement du corps des facultes et, par voie de consequence, le conseil de l'Universite trouve lä sa possibilite d'elargissement. Toutefois les facultes demeurent les pieces maitresses de l'enseignement superieur, pour la delivrance des grades comme pour la recherche qui commence ä s'organiser. Les instituts specialises se developpent grace ä l'aide des municipalites et de l'Etat. Enfin, il faut signaler la creation en 1939 du Centre national de la recherche scientiiique destine ä coordonner Taction des organismes de recherche et ä favoriser leur impulsion nouvelle. L'enseignement superieur conserve done une structure presque identique a celle qui lui venait des textes fondamentaux pris sur l'initiative de Louis Liard ä la fin du 19* siecle. Par contre, ä partir de 1919, l'enseignement technique va etre completement refondu. e.
ENSEIGNEMENT TECHNIQUE
En 1919, l'enseignement technique en France demeure encore inorganise. Les divers textes legislatifs rencontres ä partir de 1880, creant des ecoles professionnelles et surtout un enseignement primaire superieur, n'ont pas su lui donner sa physionomie unitaire. II faut coordonner les ecoles nationales professionnelles datant de 1881, les ecoles pratiques de commerce et d'industrie fondees en 1892, l'enseignement technique superieur comportant des 6coles centrales des arts et manufactures et des ecoles d'arts et metiers ainsi que les ecoles professionnelles privees. Ce sera le role de la loi Astier, veritable Charte de l'enseignement technique en France, votee le 25 juillet 1919. Elle commence par definir le role de l'enseignement technique : «II doit preparer les adolescents, sans prejudice d'un complement d'enseignement general, ä l'etude theorique et pratique des sciences et des arts et metiers, en vue de l'industrie et du commerce 70 .» Or, et e'est encore l'expose des motifs du texte legislatif qui nous l'indique : «II est temps, devant les besoms nouveaux de l'industrie, que l'Etat se substitue aux particuliers dans la täche de veiller ä l'education professionnelle des enfants d'ouvriers. Le commerce et l'industrie sont les principales sources de la richesse d'un pays. Une initiative qui tend a favoriser leur developpement doit etre consideree comme relevant de l'Etat » Pour cela, la loi Astier rattache l'enseignement technique au ministere du
70. Citfi par B. CAcfinis, op. cit., p. 76. 71. Cit6 par A. LfioN, Histoire de l'iducation technique. Paris, 1961, p. 95.
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Commerce et de l'Industrie. (Une loi du 20 janvier 1920 I'a tr£s rapidement modi£6e sur ce point, en cröant un Secr6tariat ä l'enseignement technique d6pendant directement du ministfcre de l'lnstruction publique.) D'autre part, eile en organise l'administration et l'inspection. Elle erее des comites departementaux et cantonaux charges de donner leur avis sur toutes les questions relatives au fonetionnement du service, et un Conseil sup&ieur de l'enseignement technique арре1ё ä se prononcer sur les projets de lois, rfeglements et decrets gen6raux, qui siegera independamment du Conseil вирёпеиг de l'lnstruction publique jusqu'en 1945. Precisant d'autre part les grandes categories d'ecoles publiques d'enseignement technique, industrielles ou commerciales, eile distingue Celles qui sont nationales, c'est-ä-dire entretenues par l'Etat, de Celles qui sont departementales ou communales, c'est-ä-dire ä la charge d'un ou plusieurs departements, d'une ou plusieurs communes. Elle etablit la liberie de l'enseignement technique en reglementant la erdation et le fonetionnement des ecoles professionnelles priv6es. Ces derniöres peuvent, sous certaines conditions, beneficier d'une reconnaissance de l'Etat et de subventions sur avis favorable de la commission permanente du Conseil superieur. Enfin, chaque 6cole specialisee prend le nom de la profession industrielle ou commerciale ä laquelle eile prepare et en regoit le Statut. Quant ä l'enseignement propre aux ecoles techniques, il relöve desormais d'une pedagogie nouvelle. Associant etroitement culture de l'homme et formation du produeteur, eile ne se cantonne plus dans des matieres purement utilitaires. Aussi la loi Astier s'interesse-t-elle ä la formation des maitres dont eile fixe les r&gles de nomination, d'avancement, de recrutement et de discipline. Mais surtout la loi Astier, et c'est lä sa grande innovation, pr£voit l'organisation de cours professionnels gratuits et obligatoires pour les jeunes gens et les jeunes filles de quatorze ä dix-huit ans dejä employes dans des entreprises. Ces cours auront lieu pendant la journee de travail, к raison de quatre heures par semaine, avec un minimum de cent heures par an. Une commission professionnelle est сЬа^ёе de les organiser en fonetion des besoins de la localit6. Les chefs d'entreprises industrielles ou commerciales peuvent en assurer le fonetionnement ä l'interieur de leurs entreprises. Apres trois ans, les interesses sont admis ä se presenter au certificat d'aptitude professionnelle (C.A.P.). La fr6quentation d'un cours payant conforme aux conditions pr6vues par la loi peut etre consideree comme equivalant ä la fr6quentation de l'enseignement donne « sur le tas ». Des 1922, la creation d'une orientation professionnelle complete cette reglementation. Bien qu'un decret du 23 septembre 1922 en reconnaisse le principe, eile ne devient obligatoire qu'ä la suite d'un nouveau decret du 24 mai 1938 : tout apprentissage doit etre alors precede d'une consultation au centre d'orientation.
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Parmi les mesures qui succedent ä la loi Astier, к partir de 1920, certaines int6ressent toutes les categories d'apprentis. Ainsi la loi de finances du 13 juillet 1925 impose aux entreprises la taxe d'apprentissage : 20 % des sommes versees ä titre de salaires par les employeurs sont affectees ä la formation des jeunes ouvriers, ce qui incite de nombreux industriels ä organiser eux-memes une formation professionnelle, des exonerations 6tant prevues pour de telles initiatives. D'autre part, en 1928, le Parlement modifie les dispositions du contrat d'apprentissage. Les conditions d'embauche pour les jeunes seront desormais consign6es dans un contrat conforme aux regies et aux coutumes de la profession, sous le controle et la garan tie des associations professionnelles. Ii precise les conditions de remuneration et de travail et fait etat des cours de perfectionnement que l'on s'engage ä leur faire suivre. En eilet, depuis 1926, le certificat d'aptitude professionnelle cree par la loi Astier est complete par le brevet professionnel que l'on peut obtenir deux ans apres le C.A.P. Enfin le decret-loi du 24 mai 1938 porte l'horaire annuel minimum des cours professionnels de 100 & 150 heures et rend plus imperative l'obligation pour les employeurs de presenter leurs apprentis aux examens, tandis qu'en 1939 les centres de formation professionnelle, ä l'origine des colleges techniques actuels, sont instaures. Dans le domaine plus particulier de l'apprentissage axtisanal, la loi du 26 juillet 1925 sur les chambres de metiers leur permet de creer ou de subventionner des cours professionnels, de participer ä la surveillance de l'apprentissage artisanal, d'instituer enfin un service d'orientation et de placement. La loi Walter Paulin du 10 mars 1937 impose l'apprentissage dans les entreprises artisanales et fait obligation ä tous les ouvriers debutants de se prdsenter ä l'artisan avec un certificat medical et d'orientation professionnelle. La fondation en 1934 d'une Ecole normale superieure de l'enseignement technique permet de donner une formation qualifiee ä l'ensemble de ses cadres. Et ainsi, de la loi Astier ä la seconde guerre mondiale, l'organisation de l'enseignement technique se precise. Correspondent non seulement aux vues des specialistes de l'Education nationale, mais aussi aux revendications des organisations ouvrieres (notamment ä Celles du congres C.G.T. de 1931 qui etablit les grandes lignes d'un projet dans ce domaine), eile s'ordonne desormais selon trois degres differents : ä la base, formation des ouvriers qualifies (multiples et diverses ecoles d'apprentissage et cours specialises); sur le plan intermediate, formation des cadres moyens de l'industrie et du commerce (ecoles pratiques, futurs colleges techniques, sections professionnelles des cours complementaires et ecoles de metiers, ecoles nationales professionnelles et 6coles superieures de commerce); enfin, au sommet, formation des cadres sup6rieurs necessaires ä l'economie frangaise par les instituts specialises, (Conservatoire des arts et metiers, Ecole nationale d'arts et metiers, Ecole centrale
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L'Enseignement frangais de la Revolution ä nos jours
des arts et manufactures, Ecole des hautes etudes commerciales, Ecoles de formation du personnel de l'enseignement technique). Jean Zay, dans son plan general d'ecole unique, ne devait pas manquer d'evoquer les difficultes que pr6sentaient ces multiples dchelons. N6anmoins l'enseignement technique fait prevaloir sa vocation particulifcre et se montre hostile ä toute tentative d'assimilation. Quant ä la formation agricole, eile echappe au contrdle de la direction de l'enseignement technique et demeure negligee par le legislateur. Le seul texte important ä ce sujet est celui du 2 aoüt 1918 qui prevoit des cours postscolaires agricoles et agricoles menagers facultatifs pour les jeunes gens et les jeunes filles de treize ä dix-sept ans. Cet enseignement doit avoir une duree de 150 heures par an. L'instituteur est seul susceptible de le donner dans les campagnes et cela suppose qu'il soit titulaire du brevet agricole delivre par le ministre de l'agriculture. Ce n'est la pourtant qu'un embryon d'organisation, puisqu'en 1938, 1 912 cours de cet ordre seulement fonctionnaient en France. Aussi un decret du 27 juin 1938 rendit-il cet enseignement obligatoire pour tous les gar?ons et toutes les filles de quatorze ä dix-sept ans se destinant a l'agriculture, et des cours par correspondance furent-ils organises afin de pallier l'absence de preparation dans de nombreuses communes. Dans le meme temps on fonde des ecoles nationales d'agriculture telle celle de Grignon, de meme que des ecoles ambulantes qui tiennent des sessions de trois mois dans diverses regions chaque annee. Mais il est bien evident que l'enseignement agricole n'est pas encore, ä cette epoque, veritablement organise.
La III· Republique
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CONCLUSION La legislation de la III" Republique pr6cise les caracteres fondamentaux et definit clairement les structures juridiques des divers ordres d'enseignement en France. Ses consequences concrätes n'apparaissent pas toutefois avec autant de nettete. L'accroissement des effectifs primaires se poursuit de fa?on continue sans que les lois de Jules Ferry, consacrant l'obligation, apportent de reelle transformation statistique. Calcule ä partir des classes d'äge cinq-quatorze ans, les seules connues pour cette epoque, il ne depasse pas 3 ä 4 % entre 1881 et 1901 72 . II n'en apparait pas moins evident que les structures de cet enseignement se trouvent des lors definitivement precisees, sans retour possible sur les principes de la'icite, d'obligation et de gratuite. Parallelement ä l'augmentation moderee dans l'enseignement primaire, les effectifs des ecoles maternelles progressent jusqu'en 1901, puis amorcent une baisse continue jusqu'en 1921, suivie d'une periode perturbee jusqu'ä 1939, date ä laquelle le nombre de leurs eleves est ä peine superieur ä celui de 1921. L'enseignement secondaire public masculin entre dans une phase de stagnation et meme de recul de 1887 ä 1919 (—5,6 % en quarante-deux ans), avant de connaitre sa veritable periode de « demarrage » de 1929 ä 1939 ( + 93,7 % en dix ans). Ce phenomene apparait d'autant plus remarquable que la periode concernee coincide avec la crise mondiale, la depression economique et la baisse des revenue qui en resultent, comme avec les evenements politiques et sociaux de 1933-1938. II s'explique aussi par les consequences demographiques et psychologiques de l'apres-guerre. L'augmentation des effectifs de l'enseignement secondaire ne depend done pas de facteurs strictement juridiques. La legislation semble toutefois plus determinante dans les domaines particuliers de l'enseignement secondaire feminin et des rapports entre les enseignements public et confessionnel. L'enseignement feminin, pratiquement inexistant en 1881, se revile en constante augmentation jusqu'en 1940, puisqu'il passe du chiffre de 300 elfcves en 1881 ä celui de 60 000 en 1940. Quant a l'enseignement congreganiste, il entre dans la voie de la disparition complete ä la suite des textes consacrant la rupture de l'Eglise et de l'Etat. L'enseignement superieur ne totalise qu'un nombre modeste d'etudiants, tous
72. Par contre, Selon M. PONTEIL, l'assiduitö des enfants se serait έΐβνέβ de 79 % en 1876-1877 к 92 % en 1886-1887, Ä la suite des lois de Jules Ferry. (F. ΡΟΝΤΕΠ., op. cit., p. 290 sq.)
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L'Enseignement fran$ais de la Revolution ä nos jours
issus de milieux bourgeois, et, en d6pit des r6formes de structures du 10 juillet 1896 cr6ant I'Universite, il n'entre pas encore dans sa phase d'expansion, quoique de 1886 ä 1939 les effectifs de la population estudiantine aient presque quintuple (16 587 en 1890 pour 78 973 en 1939)73. Dans le meme temps, l'entree des jeunes fflles en facult6 se realise dans line proportion qui se stabilises autour du tiers de l'effectif global (965 en 1900 - 24 048 en 1939). Enfin, les enseignements technique, m6nager et agricole inaugurent leur phase d°organisation. lis ne concernent cependant encore qu'un nombre infime d'etudiants. Ainsi, ä la veille de la guerre de 1939, l'instruction en France, malgre les efforts entrepris, laisse encore subsister de nombreux problömes. Quelques tentatives pour donner ä 1'enseignement primaire un tour plus egalitaire et realiser un passage plus aise du Primaire au Secondaire n'aboutissent que tr&s partiellement et «l'ecole unique » n'apparait encore que comme une utopie. La т ё т е absence de democratisation existe dans 1'enseignement sup^rieur, tandis que l'imperieuse necessite d'un developpement de 1'enseignement technique commence ä peine ä etre entrevue. Bien des reformes mises en oeuvre entre 1880 et 1939 m6ritaient done d'etre complet6es, de т е т е que de nouvelles formes d'enseignement s'imposaient. Mais la guerre de 1939-1940 et les sombres annees qui suivirent devaient singulierement retarder l'indeniable impulsion donn6e par la ΙΠ* Republique aux structures de 1'enseignement en France.
73. Etudiants 6trangers non compris.
IIIе PARTIE
DE 1940 A 1967
La prise de conscience des insuffisances et des archa'ismes du systeme scolaire et universitaire frangais ne s'est traduite avant 1939 que par des suggestions, des velleites de reforme et quelques mesures tres limitees. Mais, apres l'intermede du regime de Vichy, dont la politique scolaire n'a guere ete marquee que par quelques reculs, les conditions nouvelles qui se developpent apres 1945 vont entrainer de profonds changements. L'histoire scolaire du quart de siecle qui va de la seconde guerre mondiale ä l'application de la « reforme Fouchet» est caracterisee par une expansion considerable de l'Education nationale, par une serie de reformes qui vont bouleverser le visage de l'enseignement fran$ais, et par un rebondissement de la « question scolaire » qui aboutit ä une d6finition toute nouvelle des rapports de l'Etat et de l'enseignement prive.
CHAPITRE I
L'EXPANSION L'histoire de l'enseignement en France durant les vingt armies qui ont suivi la seconde guerre mondiale a eti dominee par une expansion remarquable, nee d'une augmentation des effectifs scolaires d'une ampleur impressionnante. En dix ans, par exemple, de la rentree de 1951 ä celle de 1961, les effectifs totaux de l'enseignement public et ρτϊνέ sont passes de 6 700 ООО ä 10 ООО ООО. Сеих du seul enseignement secondaire (entendu au sens large : general et technique, long et court) ont plus que double, passant de 1 200 000 ä 2 560 000. Ce qu'on a appele Г« explosion scolaire » s'explique un peu par la reprise demographique de l'apres-guerre, et beaucoup par revolution de l'economie et de la sociSte. Elle n'aurait pas du surprendre; car, dis avant guerre, la tendance ä une scolarisation de plus en plus prolongee des enfants, ά leur orientation de plus en plus frSquente vers l'enseignement secondaire, etait d6jä tris nette. Elle a en tout cas place la nation devant la necessite , quitte ä suivre un enseignement professionnel postscolaire ä temps partiel. Les autres accederont ä un second cycle profondement modifie, d'une part par la cr6ation d'un second cycle court, d'autre part par la transformation du second cycle long traditionnel. Le second cycle court, d'une durde de deux ans, sera dispense dans « des sortes d'6coles techniques ou pratiques qui prepareraient en fait les petits et moyens cadres de toutes les carrieres industrielles et commerciales, ainsi que les innombrables categories d'employes dont on a besoin dans les carrieres de la Fonction publique, des assurances, etc. 23 ». Ses sections techniques (industrielles et commerciales) correspondront en somme aux anciens colleges d'enseignement technique, dont la duree de scolarite sera ramenee de trois ä deux ans, les elfcves ayant dejä re?u un enseignement general au cours du premier cycle. Elles permettront d'obtenir un brevet d'etudes professionnelles. Ses sections < administratives >, qui restent presque entierement ä creer,
22. Arret6 du 7 ftvrier 1964 (paru au Journal officiel du 21 avril 1964). 23. Declaration du Premier ministre Georges Pompidou ä l'Assembl6e nationale, le 20 juin 1963.
Les reformes
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constitueront des collfcges de second cycle, qui conduiront les eleves ä un brevet d'enseignement general. Le second cycle long, d'une duree de trois ans, continuera ä se d6rouler dans les lycees, desormais reduits ä cette seule partie de l'enseignement; il conduira soit au baccalaureat, soit ä un brevet de technicien. La reforme confere ä ce second cycle long une plus grande continuite et une plus grande specialisation qu'auparavant. La plus grande continuite vient d'abord de la suppression de la premiere partie du baccalaureat, dont les epreuves venaient interrompre la scolarite de second cycle ä la fin de la classe de 1", et qui a disparu en deux etapes : en 1962, eile fut detachee de l'enseignement superieur, et organisee sur un plan departemental et non plus academique, sous le nom d'« examen probatoire ». Puis, en 1965, cet examen probatoire fut supprime purement et simplement. C'est desormais le chef d'etablissement qui, « en conseil de classe », admet ou non l'eleve de 1", au vu de son travail de l'annee, a passer dans une classe terminale 24. De plus, il lui indique dans quelle classe terminale il est juge apte ä preparer le baccalaureat. Si l'eleve conteste cette orientation, il devra se soumettre ä un examen d'appel. II n'a done plus le libre choix de son option apres l'entree en seconde et, en regle generale, ne peut done changer que difficilement d'orientation au cours de ses trois annees de second cycle. D'ailleurs, une plus grande specialisation des sections donne une coherence nouvelle ä cette scolarite de second cycle long : « Chaque section constituera un ensemble bien equilibre, ce qui n'est pas toujours le cas aujourd'hui parce que la possibilite de combiner librement les sections existantes de la seconde et de la premiere avec les options terminales a pour consequence que les eleves acquierent des formations tres diverses de valeur tres inegale et d'un contenu parfois assez disparate 25. » On a voulu mettre fin egalement ä ce paradoxe que les eleves litteraires abandonnaient pratiquement l'etude du frangais et des langues anciennes en classe de philosophic. Des l'entree en seconde, l'eleve sera desormais engage, selon la decision du conseil d'orientation de fin de 3е, dans une voie continue qui le menera ä une des cinq options du nouveau baccalaureat : une option litteraire (A), une option sciences economiques et sociales (В), une option mathematiques-physiques (C), une option mathematiques-biologie (D), une option technique (E). Certes, la culture generale n'est pas totalement
24. Ces nouvelles modalit6s d'accfes en classe terminale ont 6t6 appliqudes pour la premifere fois en 1965. Dans l'enseignement public, 76,5 % des dlfcves de 1" ont έίέ admis dans la classe sup6rieure, alors qu'en 1964, 65 % seulement des candidate avaient räussi ä l'examen probatoire. De plus, de nombreux 61feves non admis en classe terminale ont trouv6 refuge dans les classes terminales des 6tablissements privfe. Aussi le nombre des candidats au baccalaur6at en 1966 a-t-il erü brusquement de 38 %, et теше de 91 % pour les candidats venant de l'enseignement ρπνέ, par rapport ä 1965. 2 5 . Christian FOUCHET, ministre de l'Education nationale, dans la revue L'Education nationale, 22 octobre 1964, p. 4. 13
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L'Enseignement frangais de la Revolution ä nos jours
sacrifiee : dans toutes les sections, le fran$ais, fhistoire, la göographie, lea langues vivantes continuent d'etre enseignes, meme si les horaires de ces disciplines sont diminues. Mais la specialisation est incontestablement plus pouss6e qu'auparavant 2 e . Cette rdforme du second cycle long est 6troitement liee ä celle de l'enseignement superieur 27 : l'homogen6ite et la specialisation relative de ses trois annees d'etudes doivent en effet, dans l'esprit des auteurs de la r6forme, assurer une meilleure preparation aux 6tudes superieures. Mais un tel souci n'est-il pas premature ä ce niveau ? Ne risque-t-on pas, par une specialisation precoce dont le but est finalement de raccourcir la duree des etudes sup6rieures 28 , de nuire ä une formation equilibree de l'homme et du citoyen ? * * *
Selon quelles proportions les conseils d'orientation de la fin du premier cycle devront-ils aiguiller les eleves vers ces diverses voies du second cycle ? Pour l'etablissement de la carte scolaire du second degre au cours du V е Plan, les proportions suivantes ont ete indiquees * en se fondant sur les travaux preparatoires accomplis par les commissions de modernisation du V Plan, et notamment sur les etudes relatives ä revaluation globale de la demande spontanee et sur les besoins previsibles aux differents niveaux de qualification de l'emploi 29 » : —• 8 % des elöves relevent d'un enseignement special pour inadaptes; — 17 % doivent s'engager dans la vie active; — 40 % seront Orientes vers le second cycle court (dont 55 % dans des sections economiques et administratives, 34 % dans des sections industrielles et 11 % dans des sections agricoles); — 35 % seront Orientes vers le second cycle long (dont 62 % dans des sections classiques et modernes, 17 % dans des sections economiques et commerciales, 16 % dans des sections industrielles et 5 % dans des sections agricoles). II est evident que ces pourcentages peuvent varier selon la structure economique locale : leur adaptation est confiee aux commissions academiques de la carte scolaire, dont la composition est, pour cette raison, tres elargie 3 0 ; en font partie, outre les administrateurs de l'Education nationale et des enseignants, de hauts-fonctionnaires du ministere du Travail et de la Main-
26. La r6forme du second cycle s'est appliqu£e aux 61£ves de seconde ä la rentrfe de 1965. Celle du baccalaur6at ne s'appliquera done qu'en 1968. Un rigime transitoire est en vigueur en 1966 et 1967. Pour ce qui concerne le role du baccalaurdat dans l'acc^s ä l'enseignement supirieur, cj. p. 216-217. En ce qui concerne ses modalit6s d'organisation, c f . p. 216.217. 27. Cf. p. 201. 28. Id. 29. Circulaire du ministfcre de l'Education nationale du 5 janvier 1965. 30. ArrSti du ministöre de l'Education nationale du 5 ffivrier 1965.
Les r6formes
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d'CEuvre, du ministöre de l'Agriculture, des repräsentants des professions et des repr6sentants des associations de parents d'eleves. II est 6vident aussi que ces pourcentages ne pourront servir de base de travail que dans la mesure ой des 6tablissements seront ouverts en nombre süffisant dans toutes les branches d'orientation prevues dans la reforme : on peut se demander si la part de l'Education nationale dans les credits du V* Plan le permettra. L'administration a en tout cas defini le cadre de l'< unite d'orientation », c'est-a-dire «la circonscription geographique au sein de laquelle sera realis6e la ventilation de l'ensemble des effectifs vers les etablissements de second cycle non plus juxtaposes, mais coordonn6s 3 1 » : c'est le « district », correspondant au maximum ä une population de 200 000 habitants, et couvrant au minimum 10 « secteurs » de premier cycle. Dans ce district, l'accueil dans les etablissements de second cycle sera assure grace au transfert de classes de premier cycle des lycees dans des unites autonomes (colleges d'enseignement secondaire), et par la construction de colleges de second cycle court, groupant 400 ä 500 eleves et de lycees de second cycle long, groupant de 600 a 800 eleves. Tel sera le nouveau visage du second cycle de l'enseignement secondaire. On voit le role capital des conseils d'orientation de fin de 3" qui auront la resp o n s a b l e d'orienter les elöves vers ses diverses branches. A ces conseils assisteront du reste, outre les membres dejä cites ä propos des conseils d'orientation de fin du cycle d'observation, des representants des associations de parents d'eleves. Seront-ils plus efficaces que ceux dont nous avons dit l'echec au niveau de la 5 ' ? Pourront-ils briser la force de la preorientation ä l'entree du premier cycle? Sauront-ils persuader les parents d'accepter les frais inherents ä la poursuite des etudes de leurs enfants si ceux-ci sont jug6s dignes d'acc6der au second cycle, et surtout au second cycle long? Seront-ils enfin vraiment souverains, ou verront-ils au contraire leur liberte de decision limitee par l'insuffisance des capacites d'accueil, ou encore par la pression des besoins de l'economie ? De la reponse qui sera donnee ä ces questions dependra la reussite de la reforme du point de vue de la democratisation. CONCLUSION : LA MORT DU LYCEE La pression des effectifs, l'elan vers la democratisation de l'education, la modification des buts assignee ä l'enseignement par Involution de l'6conomie et de la societe ont done, en quelques ann6es, bouleverse de fond en comble l'enseignement secondaire fran^ais. La grande victime de cette revolution est le 1усёе traditionnel, situe dans
31. Circulaire du minist£re de l'Education nationale du 5 janvier 1965.
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les villes importantes, assurant ä un petit nombre d'eteves selectionnes, dans une proportion difficile ä determiner, par leurs aptitudes ou par la situation sociale de leurs parents, un enseignement d'« impregnation lente », de haute culture, dispense par des maitres tres specialises, et les conduisant des classes 61ementaires au seuil des facultes ou des grandes ecoles. Longtemps piece maitresse de 1'Universite, beneficiant d'un prestige soigneusement entretenu — qu'on songe aux « distributions solennelles des prix 3 2 », — citadelle de l'humanisme greco-latin, expression d'une societe et d'une epoque, le lycee n'est plus desormais qu'une survivance en voie de demantelement rapide. On peut entrevoir, ä travers la confusion actuelle, l'institution de base destinee ä lui succeder ; nous 1'appellerons, selon la suggestion de Jean Capelle, Γ« ecole moyenne » (qu'elle soit C.E.G. ou C.E.S.); dispersee, groupant tous les enfants de опте ä seize ans, eile completera pour les uns l'enseignement elementaire, et orientera peu ä peu les autres vers les diverses specialisations ulterieures. Chacun peut, selon ses conceptions sociales ou pedagogiques, se rejouir de cette revolution ou la regretter. Nous nous demanderons seulement ici dans quelle mesure eile realise le plan Langevin-Wallon. On constate, certes, une ressemblance des structures d'ensemble : l'ecole moyenne correspondant au cycle d'orientation du plan, et les diverses branches specialisees qui lui font suite repondant ä son cycle de determination. Mais deux differences capitales apparaissent vite : en premier lieu, les etablissements constituant l'ecole moyenne comprennent, dös l'äge de onze ans, des couloirs differant par le niveau moyen des eleves qui les frequentent, par le degre de qualification des maitres qui у enseignent, par les methodes pedagogiques qui у sont employees ; malgre les dispositions prises pour faciliter les passages d'un couloir ä un autre, on est loin de l'unite profonde et de la souplesse du systeme des options du plan Langevin-Wallon. Mais surtout, la modification des structures ne s'est pas accompagnee d'un programme de formation commune des maitres, ä un tres haut niveau, qui constituait un element essentiel du plan. De toute fagon, il etait difficile d'esperer que ses grandioses perspectives puissent etre realisees par une serie de reformes trop tardives, trop partielles et trop confuses. B. L E S T R A N S F O R M A T I O N S
DE
L'ENSEIGNEMENT
SUPERIEUR
A. JUSQU'EN 1 9 6 5
De 1945 a 1965, l'enseignement superieur n'a pas connu, dans ses structures, un bouleversement comparable ä celui qui a change le visage de l'enseigne-
32. Voir L'article de Viviane ISAMBERT-JAMATI : « La rigiditi d'une institution : structure scolaire et systömes de valeurs », Revue jrangaise de sociologie, 1966, VII-3.
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ment secondaire. Ses institutions essentielles, grandes ecoles, institute et facultes ont conserve, dans une large mesure, leur aspect traditionnel, malgre l'enorme accroissement des effectifs d'etudiants. Elles ont garde aussi, rappelons-le, le caractere peu democratique de leur recrutement 3 3 , du surtout, il est vrai, ä l'insuffisance de la democratisation au cours de la scolarite anterieure. Pourquoi cette stabilite relative? L e prestige de ses institutions et de ses maitres, l'esprit conservateur en matiere universitäre de nombreux professeurs, la relative autonomie de ses etablissements qui leur permet de prendre l'initiative d'amenagements importants sans qu'il soit besoin de decisions prises sur le plan national, l'expliquent sans doute. L e projet Langevin-Wallon lui-meme, si revolutionnaire dans d'autres domaines, ne l'etait pas en ce qui concerne les structures de l'enseignement superieur. II est certain que l'insuffisance de l'equipement et du recrutement des maitres a aussi freine beaucoup de reformes souhaitables. Cependant, les transformations n'ont pas manque. 1. Propedeutique Une des principales innovations a ete la creation, en 1947-1948, d'une annee de « propedeutique » ä l'entree des facultes des sciences et des lettres, annee dont le but etait triple. En premier lieu, elever derriere le baccalaureat, jusqu'ici condition necessaire et süffisante de l'acces aux etudes superieures, mais dont certains estimaient qu'il devenait trop facile ä obtenir, une seconde barriere qui devint effectivement le plus important obstacle : certaines annees, et dans certaines facultes, la moitie des etudiants, pourtant deja selectionnes par le baccalaureat, ne parvinrent pas ä le franchir. En second lieu, il s'agissait de proceder a une revision des connaissances, particuli^rement necessaire pour les litteraires qui avaient pratiquement abandonne durant l'annee de « philosophie » l'etude du fran5ais et des langues anciennes. En troisieme lieu, 1'аппёе de propedeutique devait constituer une initiation aux methodes de travail de l'enseignement superieur : barrage severe et conception hybride, eile devait s'attirer bien des critiques. 2. Les instituts L a triple necessite d'adapter l'enseignement au progres scientifique, aux nouveaux besoins en cadres specialises et ä 1'evolution lente, mais irresistible, de l'origine sociale des etudiants qui sont de moins en moins nombreux ä pouvoir compter, pour s'assurer une situation, sur des privileges hereditaires, a entrain6 la cr6ation d'6tablissements nouveaux et la transformation des facult6s. Ces etablissements nouveaux sont les instituts, de Facult6 ou d'Universite,
33. Cf. p. m .
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qui, apparus spontanement depuis longtemps et institutionalises depuis 1920, se multiplient ä partir de 1945. Leur interet est de dispenser un enseignement relevant ä la fois de plusieurs facultes, ou meme de facultes et d'organismes exterieurs ä l'Universite, et de donner une plus grande specialisation que les etudes superieures traditionnelles. Par exemple, les instituts d'6tudes politiques, crees par l'ordonnance du 9 octobre 1945, se sont vu assigner comme but de «coordonner et completer les enseignements des facult6s de droit et de lettres en matiöre economique, administrative et sociale » et de « former les έΐένεβ aux methodes de travail et d'exposition, et de les initier aux problemes concrets de l'administration et de la vie sociale ». Une de leurs fonctions est de preparer les etudiants au concours d'entree ä l'Ecole nationale d'administration qui forme les cadres superieurs de Tadministration de l'Etat. Les instituts presentent une extreme variete, tant par leur Statut et leur mode de gestion que par le niveau de recrutement de leurs etudiants : certains s'adressent ä des bacheliers, d'autres donnent une haute specialisation ä des jeunes gens dejä pourvus de diplomes d'enseignement superieur. La meme variete s'observe dans les buts de leurs enseignements : il s'agit tantot de completer la culture generale, tantot de preparer ä une profession precise, comme le font par exemple les instituts d'administration des entreprises, les instituts de preparation aux affaires, les instituts d'etudes judiciaires, les ecoles nationales superieures d'ingenieurs. Certains servent meme de cadre ä la preparation des diplomes traditionnels des facultds, tels les instituts de geographie. Cette variete et l'autonomie des instituts leur permettent de s'adapter avec souplesse et efficacite aux missions nouvelles de l'enseignement superieur. 3. Les facultes Les facultSs elles-memes ont connu une evolution que symbolise leur changement de denomination. Les facultes des lettres sont devenues en 1958 facultes des lettres et des sciences humaines, marquant ainsi la promotion en leur sein des etudes de sociologie, d'ethnographie, de demographie, de geographie humaine, de Psychologie, etc., promotion qui s'est aussi marquee par la creation de nouveaux certificate et de nouvelles licences, comme celle de psychologie (qui comprend trois certificats decernes par les facultes des lettres, et celui de psychophysiologic decerne par les facultes des sciences), ou celle de sociologie, ou encore celle d'histoire de l'art et d'archeologie. Au niveau meme des agregations, on constate cette evolution vers la specialisation : par exemple, l'agregation d'histoire et de geographie s'est scindee en deux (mais, ce qui est assez surprenant, pour les candidate masculins seulement). Par contre, la creation de l'agregation de lettres modernes, destinee aux 6tudiants ayant suivi une scolarite < moderne », a vivement mecontente les defenseurs de la culture classique qui sont parvenus, en 1965, ä у introduire une 6preuve obligatoire de latin.
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Les facultes des sciences ont vu surtout la multiplication de certificate et de licences de plus en plus sp6cialises. En 1958, par exemple, le certificat de physique generale fait place ä trois certificats nouveaux : electricit6, optique, thermodynamique et mecanique physique, auxquels s'ajoute en 196S celui de physique fondamentale. L'agrägation de physique elle-meme eclate, en 1964, en trois agregations nouvelles : physique, physique appliqu6e, et chimie. Les facult6s de droit, devenues en 1957 facult6s de droit et des sciences economiques, modification expressive par elle-meme, ont sans doute connu les modifications les plus profondes en raison de Involution des carrieres auxquelles elles conduisent : « La difficulte majeure que pr6sente l'organisation de l'enseignement du droit... est d'etablir un equilibre entre un enseignement de culture et un enseignement de formation professionnelle. Cet 6quilibre etait atteint sans trop de peine lorsque nos facultes avaient une activite ä peu pres limitee ä la formation des cadres de la famille judiciaire et de l'administration superieure; l'unite de recrutement « bourgeois » et l'unit6 de debouches avaient permis de maintenir, jusqu'ä la derniere guerre, un r6gime d'etudes et d'examens £χέ, dans ses grandes lignes, depuis le siecle dernier. Mais nos facultes devaient s'adapter aux transformations profondes qui se sont marqudes tant par l'augmentation du nombre de leurs etudiants et par la diversite nouvelle de leur origine sociale et de leur formation dans l'enseignement secondaire, par suite de la multiplicite des baccalaureats, que par le developpement du droit public et des problemes economiques et sociaux34. » La reforme de 1954 a porte la duree des etudes de trois ä quatre ans et les a reparties en deux cycles, le premier de culture generale, le second de specialisation, puisqu'il comprend trois options : droit priv6, droit public et science politique, economie politique. En 1959 a €t€ сгеёе une licence £s sciences economiques, dont la ргёрагайоп comporte un important enseignement math6matique. L'enseignement de la m6decine a ete marqu6 par la cr6ation, en application de l'ordonnance du 30 decembre 1958, des centres hospitaliers universitaires (C.H.U.) qui resultent d'une convention pass6e entre un centre hospitalier rdgional et une facult6 (ou dcole) de mέdecine. « Les parties convenantes congervent chacune leur personnalite et leur Statut, elles collaborent ä la gestion d'un organisme mixte dans lequel un personnel medical commun, recrut6 par un т ё т е concours, consacre la totalite de son activit6 professionnelle ä la triple mission de soins, d'enseignement, et de recherche 35. » Les professeurs exercent done с ä plein temps », abandonnant en principe la client£le priv6e. Its sont recrut6s par un concours national, et affect6s aux postes portes vacants
34. Louis TKOTABAS : < La licence en droit >, Revue de Ftnseignement supirteur, n· 3, p. 49-53. 35. Professeur Andr6 LEMAIRE, dans Le Monde, 26 j anvier 1966.
1958,
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L'Enseignement fran^ais de la Revolution ä nos jours
sur une liste nationale. II s'agit lä d'une transformation profonde dans le recrutement des maitres de l'enseignement medical. 4. La decentralisation La tres forte augmentation du nombre des etudiants a par ailleurs pose le Probleme de la decentralisation de l'enseignement superieur. Dans des facultes devenues gigantesques, le contact se perd entre le professeur et les etudiants, trop souvent entasses dans des salles trop petites. Rapprocher la faculte du lieu de residence familiale des etudiants est apparu aussi comme un precieux moyen de democratisation. On a done precede ä la creation de nouveaux centres universitaires, dans la banlieue parisienne (Orsay, Nanterre), et en province, au siege de nouvelles academies 3e . De plus, des colleges universitaires ont ete fondes dans certaines villes d'importance moyenne ä partir de 1957 pour les sciences, de 1960 pour les lettres, de 1963 pour le droit : sortes d'annexes des facultes du chef-lieu d'academie, ils dispensent au moins l'enseignement correspondant aux deux premieres annees des etudes sup6rieures. Mais cette decentralisation trouve vite ses limites, car on ne peut concevoir d'enseignement superieur trop eloigne des villes oü exercent les professeurs de renom, et surtout trop eloigne des bibliotheques et de l'ambiance de recherche des grands centres universitaires. On ne peut pas non plus disperser excessivement l'equipement et le personnel necessaires aux niveaux superieurs de l'enseignement et ä la recherche scientifique. 5. La recherche Le developpement de la recherche scientifique et sa liaison etroite avec l'enseignement constituent en effet un autre caractöre important de 1'evolution de l'enseignement superieur. Pour renforcer « les liens indissolubles entre l'enseignement et la recherche», un « troisieme cycle > a ete cree en 1955 dans les facultes des sciences, en 1958 dans les facultes des lettres, et en 1963 dans les facultes de droit et des sciences economiques. II est destine a « donner aux etudiants des connaissances approfondies dans une specialite et ä les former au maniement des methodes de recherche 37 » : intermediate entre la licence et le doctorat d'Etat traditionnel, ce cycle a connu rapidement un grand essor. Quant au Centre national de la recherche scientifique, cree en 1939, mais dont la charte a ete etablie par l'ordonnance du 2 novembre 1945 et l'organisation precisee par les decrets du 9 decembre 1959 et du 31 mars 1966, il a vu ses effectifs de chercheurs passer de 2 280 en 1945 a 11 324 en 1965. Par contre, il s'est vu enlever un certain nombre de domaines, par exemple
36. С/. p. 204. 37. Dicret du 19 avrü 1958.
Les reformes
201
par le commissariat ä l'Energie atomique, qui depend du Premier ministre, par le Comite de recherches spatiales relie au ministere des Armees, par l'lnstitut national d'etudes demographiques administre par le ministere de la Sante publique et de la Population, par la Delegation g6nerale ä la recherche scientifique et technique, etc. Des liens etroits ont toutefois ete assures entre ces organismes de recherche, par exemple par la Direction des recherches et moyens d'essai (1961). Ce developpement de la recherche pose de graves et difficiles problemes : comment preserver son independence tout en lui assurant les enormes moyens necessaires ? Comment la concilier avec le secret juge parfois indispensable ? Comment ne pas priver ä son profit l'enseignement de ses meilleurs maitres ? Comment ne pas sacrifier le developpement des sciences humaines? A ce niveau plus qu'ä tout autre s'impose le respect des valeurs traditionnelles de l'Universite fran9aise. 6. Les projets de re forme Pendant les vingt annees qui suivent la seconde guerre mondiale, l'enseignement superieur s'est done adapte dans une large mesure au progres economique et scientifique; mais, surtout ä partir de 1964, le besoin de reformes plus profondes a ete fortement ressenti et a provoque de vifs debats. Ce sont, semble-t-il, surtout l'augmentation du nombre des etudiants, due beaucoup moins, rappelons-le, ä l'arrivee de la « vague » demographique qu'ä la hausse du taux de scolarisation, le probleme de la democratisation, et la consideration du tres fort pourcentage d'echecs aux examens qui ont provoque cette mise en question de l'organisation traditionnelle. Les syndicate d'etudiants, et en particulier l'Union nationale des etudiants de France, ont reclame vivement une reforme des structures. La discussion s'est cristallisee surtout sur les conditions d'acces ä l'enseignement superieur, et eile n'est pas sans rappeler les controverses soulevees ä propos de l'entree en 6". Faut-il ouvrir largement les portes des facultes pour donner ä chacun sa chance, au risque d'abaisser le niveau des etudes, d'en transformer le caractere, de multiplier les echecs et les deceptions, de surestimer aussi les possibilites d'emploi a Tissue des etudes superieures ? Faut-il au contraire les entrouvrir seulement pour les eleves les plus brillants de l'enseignement secondaire, au risque de refouler ceux qui sont victimes seulement des conditions scolaires et des conditions sociales dans lesquelles se sont deroulees leurs etudes anterieures, sans compter ceux dont les aptitudes tres sp6cialis6es ne leur permettent de donner leur mesure qu'apres le niveau du baccalaureat, ni ceux encore dont les dons ne se revelent que ti£s tard ? b. L A R£FORME DE
1966
Le gouvernement, apr^s avoir r6uni une Commission de rdforme de l'enseigne-
202
L'Enseignement frangais de la Revolution a nos jours
ment sup€rieur dont les travaux et les conclusions sont rest6s trfcs confidentiels, a pris des decisions importantes, applicables progressivement ä partir de la rentree de 1966 38. L'aon6e de prop6deutique, jug6e inutile en raison de la rdforme du second cycle du second degr6, disparait. Les bacheliers entrent directement, soit dans les classes preparatories aux grandes dcoles, toujours installdes dans les lyc6es, soit dans les facultes. Les 6tudes des facult6s des sciences et des facult6s des lettres et sciences humaines sont r6organisees en trois cycles. Le premier cycle, d'une dur£e de deux ans, et au cours duquel un seul redoublement sera autorise, donne un enseignement general dans la discipline choisie par l'etudiant. A son issue, un examen permet d'obtenir le diplome universitaire d'etudes scientifiques ou littdraires (D.U.E.S. ou D.U.E.L.); de plus, le jury de cet examen donne a l'itudiant un conseil d'orientation pour ses etudes ulterieures. Le second cycle, egalement d'une duree de deux ans, comprend deux voies difKrentes : celle de la licence, qui, obtenue en un an, permet de ргёрагег durant une seconde аппёе, dans un centre p6dagogique r6gional, le certificat d'aptitude au professorat des enseignements de second degr6, et celle de la maxtrise, titre nouveau obtenu en deux ans, voie plus spdcialisde et plus orientee vers la recherche. Si des modalites ont pu etre introduites dans les 6tudes litteraires pour 6viter, en permettant aux licenci6s qui le desireraient de ргёрагег la maitrise, que la voie de la licence ne constitue une impasse et que les etudiants les moins brillants ne s'orientent seuls vers l'enseignement secondaire, de tels aminagements n'ont malheureusement pas έίέ prevus dans les facultes des sciences. Le troisiöme cycle enfin est consacr6 soit ä la recherche, soit ä la pr6paration de l'agrdgation, qui, tout en recrutant encore des maitres pour le second cycle du second degr6, conduira aussi aux сатёгев d'assistant et de maitre-assistant dans les facultes. Mais l'innovation la plus importante de la r6forme de l'enseignement superieur est la creation des Instituts universitäres de technologie (I.U.T.)3e. Elle a pour but d'offrir aux bacheliers une possibilit6 d'orientation, d'attirer ceux qui souhaitent une formation professionnelle rapide (la duree des έΗκΙεβ est de deux ans) et de fournir ä l'6conomie des cadres intermediaires entre les ingdnieurs, dont ils devront comprendre les raisonnements, et les producteurs, dont ils devront connaitre les problömes technologiques. Ces instituts seront places sous l'autorit6 d'un directeur, et administrds par un conseil d'6tablissement comprenant, outre des maitres de l'enseignement superieur, « des representants des professions et activit6s auxquelles pr6parent les 6tudes de l'Ins-
38. Voir les dfcrets et arrttfe des 22 juin 1966, 15 juület 1966, 15 fivrier 1967, 1" mars 1967 pour les facultas des sciences, et ceux des 22 juin 1966 et 2 f£vrier 1967 pour les facultas des lettres et des sciences humaines. 39. D£cret du 7 janvier 1966.
Les
räformes
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SCHEMA DE LA STRUCTURE DE L'ENSEIGNEMENT APRES APPLICATION COMPLETE DE LA REFORME
FACULTES INSTITUTS UNIVERSITÄRES de T E C H N O L O G I E
BREVET С.A.P. Diplöme de fin COLLEGES d'£tudes Second Cycle Court Enseignem' Enseign' obligatoires дёпёга! technique
ENSEIGNEMENT
du
PREMIER
CYCLE
10-
9-
ENSEIGNEMENT
8-
ELEMENTAIRE
76-· M A T E R N E L L E S
Mooyen ye
* Voir le schema d'un C.E.S., p. 189.
/Cf.S. NC.E.G.
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L'Enseignement frangais de la Revolution ä nos jours
titut. Ces personnalites seront choisies par le ministre de l'Education nationale sur des listes proposees par les organisations ou organismes professionnels interesses 40 . L'association des professions ä la gestion d'etablissements universitaires est done une des grandes nouveautes de cette reforme : quel que soit son int6r£t, elle ne sera pas sans poser des problfcmes. Une autre difficulte consiste dans les modalites d'orientation des bacheliers vers ce nouvel enseignement superieur « court». Selon les previsions du V* Plan, 25 % des etudiants seront dans les I.U.T. en 1972; mais comment seront-ils selectionnes ? Apres avoir hesite entre plusieurs formules, on semble vouloir laisser la liberte de choix aux bacheliers. Dans ces conditions, les I.U.T. ne risquent-ils pas de devenir le refuge des plus mauvais etudiants, et quelle sera alors la valeur du diplome qu'ils decerneront ? On peut se demander aussi si les I.U.T. n'attireront pas les enfants de families modestes qui ne peuvent envisager de longues et aleatoires etudes superieures. En ce sens, ils representeraient un certain progrёs dans la democratisation de l'enseignement. Mais ne risque-t-on alors de retrouver dans l'enseignement superieur le meme clivage social entre la voie courte des I.U.T. et la voie longue des facultes que celui constate au niveau de l'enseignement secondaire, entre l'enseignement secondaire court et l'enseignement secondaire long? Ni la reorganisation de l'enseignement superieur traditionnel, ni la creation d'un enseignement superieur court ne semblent done avoir resolu le difficile Probleme de la selection et de I'orientation des etudiants. Peut-etre l'institution d'une sorte de tronc commun par faculte et par discipline permettrait-elle seule, ä condition que le nombre des maitres suffise ä une < observation » serieuse des etudiants, de deceler les aptitudes et d'orienter avec surete.
C. L E D E V E L O P P E M E N T
DE L'ADMINISTRATION
UNIVERSITAIRE
a. SON ESSOR
Les räformes n'ont pas concerne seulement les institutions d'enseignement, mais aussi tous les services administratifs qu'exige l'enorme machine, demeuгёе cependant trös centralisee, qu'est devenue l'Universite. Sans pouvoir l'etudier ici, signalons le developpement d'organismes comme le Bureau universitaire de statistiques et de documentation scolaire et professionnelle (B.U.S.), dont une des fonctions essentielles est d'informer les jeunes et leurs families des possibilites d'etudes et des debouches qu'elles offrent, les Services d'orientation scolaire et professionnelle, l'lnstitut pedagogique national qui, avec les Centres regionaux de documentation p6dagogique, met ä la disposition des enseignants de precieux services, les Offices du baccalaureat ä qui 40. Dicret du 7 janvier 1966.
Les reformes
205
incombe la responsabilite de l'organisation de cet examen, le Centre national et les Centres regionaux des ceuvres universitaires et scolaires (C.R.O.U.) qui s'occupent de Taction sociale en faveur de la jeunesse scolarisee, etc. 41 . Notons aussi que de nouvelles academies, creees aux depens des plus vastes, et en particulier de celle de Paris, ont rendu plus rationnelle la carte de l'administration universitaire : ce sont Celles d'Amiens, de Limoges, de Nantes, de Nice, d'Orleans, de Reims, de Rouen. Pour assurer le fonctionnement de tous ces services, le recrutement d'administrateurs a naturellement ete amplifie et organise. Le Statut de 1951, puis celui de 1962 ont defini les carrieres administratives de l'Education nationale, auxquelles preparent les institute de preparation ä l'administration scolaire et universitaire (I.P.A.S.)42. Mais il est necessaire d'etudier de plus pres revolution de deux institutions essentielles : le ministere de l'Education nationale et le Conseil superieur de l'Education nationale. b.
L E MINISTERE
Le ministere de l'Education nationale fut reorganise completement des 1945 : « Pour la premiere fois, un immense effort fut entrepris pour reconstruire le ministere sur un plan logique et distribuer harmonieusement ses attributions entre des secteurs bien equilibres 43. » Cinq directions se partageaient en effet l'administration de tout le domaine culturel : l'enseignement, l'education physique et les sports, les arts et lettres, l'architecture, la recherche scientifique. Mais, durant les vingt annees suivantes, et en particulier sous la Vе Republique, le ministere a d'une part connu de profonds bouleversements de son organisation interne, et d'autre part perdu une tres large partie de ses attributions. La structure des services ministeriels a surtout ete modifiee lorsque la reforme de l'enseignement rendit perime et paralysant le cloisonnement traditionnel des directions. En 1960 fut creee la Direction generale de l'organisation et des programmes scolaires (D.G.O.P.S.), qui recouvrait l'ensemble des directions d'enseignement, celle de l'enseignement superieur conservant, seule, son autonomie. A l'interieur meme de cette Direction generale, les reformes de 1961 et 1962 distinguerent, non plus les divers ordres d'enseignement, mais < d'une part des services d'etudes, de planification et de prevision, et d'autre part des
41. Le gouvernement а аппопсё en 1966 la citation d'un vaste Office national d'information pour l'orientation pMagogique et professionnelle qui regroupera une partie de ces services. 42. lis ont 6t6 par la suite int6gr6s dans les centres de priparation ä l'administration g6n£rale, organis6s par le d£cret du 7 janvier 1966. 43. Jean MINOT : « Le Minist&re et sa mouvance », dans CR£MIEUX-BRILHAC, L'Education nationale, 1965, P. 330.
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L'Enseignement fran^ais de la Revolution ä nos jours
services d'organisation et de gestion. Ces derniers se subdivisaient ä leur tour en trois secteurs qui intdressaient le premier l'enseignement, le second l'organisation, le troisieme l'administration du personnel 44 ». La D.G.O.P.S. fut confiee ä Jean Capelle, createur de l'institut national des sciences appliquies de Lyon, et qui allait jouer un role primordial dans Elaboration des r6formes de structure de l'enseignement. Mais le decret du 15 octobre 1963 introduit une innovation importante dans l'organisation du ministöre par la creation du Secr6tariat general, dont la fonction primitive fut de coordination, de transmission, de controle. Puis lui furent directement rattaches le service du Budget, celui du Plan, celui de la Statistique et de la Conjoncture, ceux de l'Inspection generale, tandis que lui etait confere un pouvoir de decision. En meme temps, la D.G.O.P.S. 6clatait en sept directions paralleles. L'administration de l'Education nationale est done desormais fortement centralisee autour du Secretariat g6neral, dont le premier titulaire est Pierre Laurent, ancien directeur general du Travail et de la Main-dCEuvre au ministfere du Travail. Par ailleurs, le ministere de l'Education nationale, dejä prive depuis longtemps, au profit d'autres ministeres, de l'administration de nombreuses grandes ecoles 45 et de presque tout l'enseignement agricole, a vu encore exclure de sa competence un grand nombre de domaines importants. La сгёаtion, en 1959, du ministere des Affaires culturelles lui a enleve tout ce qui concerne l'architecture, les archives, les arts et lettres, les musees. En 1964, ses services medicaux et sociaux ont ete transferee au ministere de la Santi publique et de la Population. L'administration de la Jeunesse et des Sports a bendficie d'une autonomic croissante : confiee ä un haut commissaire en 1958, elle l'a ete ä un secretaire d'Etat en 1963, ä un ministre enfin en 1966, dans le troisieme ministere Pompidou 4β . Dans се т ё т е ministöre apparait un «secretaire d'Etat к l'education nationale », dont les attributions concernent plus particulierement l'enfance inadaptee, la promotion sociale et professionnelle, les activites periscolaires et postscolaires et la cooperation avec les pays d'outre-mer. Le ministöre de l'Education nationale a done 6t6 victime d'un veritable demantölement, et on peut regretter une telle dispersion de services s'occupant tous, en fin de compte, de l'education.
***
44. Id., p. 335. 45. On en trouvera la liste dans Jean MINOT, op. cit., p. 343. 46. Les attributions correspondant ä ces trois stades successifs ont 6t6 pr6cis6es par les d6crets des 27 septembre 1958, 29 juin 1963 et 22 janvier 1966.
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, ces 6tablissements nouveaux ne cessent de lutter pour s'integrer aux etablissements de type traditionnel et s'eloignent ainsi de leur fonetion originelle pour s'assimiler ä l'enseignement general. Tel a ete le cas de l'< Enseignement special > cree par Victor Duruy 2 , qui est devenu la branche « moderne » de l'enseignement secondaire g6neral; telle a 6te l'histoire des ecoles primaires sup6rieures 3 qui ont fini par s'integrer dans les collöges modernes quand ceux-ci allaient bientot devenir des lycees ; tel a 6te egalement le destin des cours complementaires, con$us ä l'origine comme distribuant un enseignement pratique destin6 ä donner une petite formation professionnelle adaptee ä l'economie locale, et dont le nombre des sections professionnelles est devenu peu ä peu derisoire au profit des sections d'enseignement general; les cours complementaires ont έΐέ finalement assimiles au premier cycle de l'enseignement secondaire. Се processus explique sans doute en grande partie pourquoi l'enseignement technique a toujours ete considere en France, έ l'exception de quelques grands etablissements, comme reserve a
2. Cf. p. 103. 3. С/. p. 125 sq.
Conclusion g6n£rale
237
des enfants defavorises par leur niveau social ou par leurs capacit6s intellectuelles. Aussi a-t-il cherche sa promotion non dans un progrfes qualitatif et dans l'obtention d'une dignit6 plus grande, mais dans l'osmose avec un enseignement general plus prestigieux. C'est pourtant la meme politique qui semble avoir inspire les reformes scolaires de la V* R6publique. Elles creent de tels exutoires ä cbacun des paliers essentiels de l'orientation : cr6ation des classes pratiques et des sections d'education professionnelle au niveau de la classe de 5", des colleges de second cycle au niveau de la classe de 3*, et enfin des Instituts universitäres de technologie au niveau du baccalaureat. Ces 6tablissements de formation professionnelle echapperont-ils ä revolution que nous venons de decrire ? Peut-on r6aliser l'objectif 16gitime de ргёрагег les jeunes a un m6tier tant que les conditions d'une orientation d6mocratique, basee sur les seules aptitudes des 61£ves, vers des etablissements techniques conduisant ä des situations inferieures ou moyennes ou vers des etablissements d'enseignement general conduisant aux fonctions dirigeantes, ne sont pas r6unies ? En l'absence d'une telle orientation, la force d'attirance de l'enseignement general demeurera, et continuera de d6valoriser l'enseignement professionnel. On peut se demander aussi dans quelle mesure les rdformes scolaires гёайsees par les gouvernements qui se sont succed6 depuis 1789 sont ä l'origine du progres de la scolarisation. Tout se passe en fait comme si, devant la mont6e spontanee de la demande d'enseignement, les pouvoirs publics l'enterinaient par des mesures d'obligation ou de prolongation de l'obligation. Une telle interpolation semble legitime ä propos de l'obligation scolaire, d6cidee en 1882 alors qu'un puissant mouvement de scolarisation se d6veloppait depuis longtemps et concernait d6jä une large majorite des enfants. Elle s'impose aussi en ce qui concerne la prolongation de la scolarite obligatoire jusqu'ä seize ans, decidee en 1959, mais rendue effective en 1967 seulement, grace au palliatif des sections d'education professionnelle, si l'on songe que le taux de scolarisation des enfants ag6s de quinze ans atteignait spontan6ment ргёз de 60 % dös la rentree de 1964. Plus que par des lois fixant l'obligation ou reformant les structures, c'est par Teflon d'6quipement en locaux et de formation des maitres que l'Etat peut favoriser le progrös de la scolarisation. Π s'agit moins pour lui de susciter la demande d'enseignement que d'y r6pondre efficacement en assurant un accueil satisfaisant dans les dtablissements. Au demeurant, l'instabilitd des institutions scolaires et universitaires, la multiplicit6 des reformes constitue un aspect caracteristique de l'histoire de l'enseignement en France. L'6difice universitaire n'a jamais pr6sent6 l'harmonie et la simplicite qu'on aurait pu souhaiter. C'est, d'abord, que toute r6forme se heurte a la resistance vigoureuse, ldgitime ou non, des structures et des personnels αϊ place et qu'on se voit contraint de maintenir des pans anciens au sein de la construction nouvelle. Mais c'est aussi un reflet de Pinstabilit6 politique fran$aise, d'autant plus que les questions d'enseignement tiennent une grande place dans les doctrines et programmes des partis ; aussi, tout changement de r6gime,
238
L'Enseignement frangais de la Revolution ä nos jours
ou meme de majorite ä l'intdrieur d'un meme rdgime, s'accompagne-t-il de la mise en ceuvre d'une politique scolaire nouvelle. Cette instabilit6, si elle n'a sans doute pas nui vraiment ä la progression de la scolarisation, a toutefois empeche de l'organiser rationnellement. La question des rapports entre l'Etat et l'enseignement enfin, les grands combats du monopole et de la liberie, de la lai'cit6 et de 1'Eglise, qui sont en France au coeur de l'histoire scolaire contemporaine, ont fortement aggrave cette complexite et cette instabilite. A cet egard, aucune solution durable n'a pu ßtre trouvee. Tout au plus peut-on constater que l'expansion de l'enseignement qui entraine la necessite d'une planiflcation, l'affaiblissement dans les programmes scolaires de la part des matiöres d'enseignement qui peuvent donner lieu к une interpretation ideologique, la disparition rapide dans la notion moderne de laicite des aspects antireligieux dont les circonstances historiques l'avaient marquee ä l'origine, l'acceptation par un grand nombre d'itablissements confessionnels d'une association contractuelle avec l'Etat сгёеп1 des conditions favorables ä un rassemblement autour de l'enseignement public. Mais le poids des traditions et la vive persistence d'un d6saccord de principe freinent vigoureusement cette evolution. Les transformations profondes et meme brutales que connait actuellement l'enseignement fran?ais permettront-elles de repondre aux besoins futurs de la societe fran^aise ?
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BIBLIOGRAPHIE DE LA 3 e PARTIE Cette bibliographie comprend : 1. Les livres les plus importants concernant la periode actuelle, ä f exclusion de ceux qui, se plagant dans une perspective historique de plus longue durie, ont ddjä έίέ signaUs plus haut. 2. Un certain nombre etarticles qui iclairent les tendances ricentes dans l'etude des questions efenseignement. 3. Les piriodiques spicialisis paraissant actuellement et dont il nous est apparu utile de donner la liste. I. — LIVRES Pierre BARRAL, < Forces religieuses et problemes scolaires », dans Forces religieuses et attitudes politiques dans la France contemporaine, sous la direction de Ren£ RIMOND. Cahiers de la Fondation nationale des sciences politiques, n° 130, Paris, 1965. Pierre BOURDIEU et J . - C . PASSERON, Les heritiers. Les itudiants et la culture. Paris, 1964.
Jacques BUR, Laiciti et ргоЫёте scolaire. Paris, 1959. Bernard CABY, Les nouveaux rapports de l'Etat et de l'enseignement privi. These de droit, Poitiers, 1962. Jean CAPELLE, L'icole de demain reste ά faire. Paris, 1 9 6 6 . Guy CAPLAT, L'administration de ΐEducation nationale et la riforme administrative. Services centraux et services acadimiques. Paris, 1960. CENTRE DE SCIENCES POLITIQUES DE L'INSTITUT D'ETUDES JURID I Q U E S D E N I C E , La laiciti. Paris, 1 9 6 0 . Jean CORNEC, Ldiciti. Paris, 1 9 6 5 . J . - L . CRIJMIEUX-BRILHAC (sous la direction de), L'Education nationale, le ministire, ΐadministration centrale, les services. Paris, 1965. Louis CROS, L'explosion scolaire. Paris, 1 9 6 0 . Pierre DRAN, Guide pratique de l'enseignement en France. Bibliothfeque Marabout, 1965. J . DUMAZEDIER
et F . de CHARNACE, Les sciences sociales du loisir et torganisation du loisir; bibliographie frangaise et guide d'orientation documentaire I. Paris, 1961. J . DUMAZEDIER et C . GUINCHAT, Les sciences sociales et forganisation du loisir; guide documentaire II, 1959-1964. Paris, 1965. J.-G. EBERSOLT (sous la direction de), LäicitS et paix scolaire, enquete et conclusions de la Fidiration protestante de Venseignement. Paris, 1957. ENCYCLOPEDIE PRATIQUE DE L'ENSEIGNEMENT EN FRANCE. Paris, Institut p6dagogique national, 1960. Andr6 FERRE, Ecoliers, parents et maitres dans la soeiiti scolaire. Paris, 1 9 6 4 . Roger GAL, Ой en est la pidagogie ? Paris, 1960.
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A . PUBLICATIONS OFFICIELLES OÜ OFFICIEÜSES
Avenirs (6dit6e par le Bureau universitaire de statistiques). Bulletin officiel de l'Education nationale (hebdomadaire). Dossiers documentaires (mensuels). L'Education nationale (hebdomadaire). Informations statistiques du ministöre de l'Education nationale (mensuel). Repires, revue europeenne pour l'expansion des recherches educatives et sociales (trimestrielle). Revue de Venseignement superieur (trimestrielle). Toutes ces publications sont edit6es par le Service d'6dition et de vente des publications de l'Education nationale. De plus, de nombreux fascicules des < Notes et etudes documentaires », publice dans la « Documentation franfaise » et 6dites par le Secretariat g6neral du gouvernement, concernent l'enseignement.
B.
PUBLICATIONS SYNDICALES, POLITIQUES ET DIVERSES
L'Agregation (bulletin de la Societe des agreges). Bulletin du Syndicat autonome de Venseignement superieur. Bulletin du Syndicat national de l'enseignement superieur (affilie i la Fideration de l'6ducation nationale). De l'enfant vers Phomme (organe de la F6d6ration des conseils de parents d'etöves des icoles publiques). L'ecole et la nation (6dit6e par le Parti communiste fran^ais). L'icole libiratrice (organe du Syndicat national des instituteurs, affilie ä la F6d6ration de l'dducation nationale). L'enseignement public (organe de la F6deration de l'6ducation nationale). La liberti de fenseignement (publi6e par le Secr6tariat d'6tudes pour la liberti de l'enseignement). La quinzaine universitaire (organe du Syndicat national des lycees, affilid к la Conf6d€ration g6n6rale des cadres).
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Syndicalisme universitäre (organe du Syndicat gdn6ral de l'Education nationale, affilie ä la Conf6d6ration franjaise d6mocratique du travail). L'Universiti syndicaliste (organe du Syndicat national des enseignements de second degr6 affili6 ä la F6d6ration de l'dducation nationale). La voix des parents (organe de la Fdddration des parents d'£l&ves des lyc6es, colleges et 6tablissements d'enseignement public). De plus, diverses revues consacrent fr6quemment des articles, voire des numiros spiciaux, aux problemes de l'enseignement. Citons Esprit, La pensie.
ACHEVE D'IMPRIMER LE 11 OCTOBRE 1 9 6 8 SUR LES PRESSES DE L'LMP RIM ERIE DE MONTSOURIS A CHATELAUDREN DEPOT L&3AL : 4" TR1MESTRE 1 9 6 8 № D'EDITEUR : 5 2