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French Pages 280 [208] Year 2018
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“TITLE” — 2018/11/30 — 13:02 — page 1 — #1
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Collection « Une Introduction à » dirigée par Michèle Leduc et Michel Le Bellac
Voyage dans les mathématiques de l’espace-temps Trous noirs, big-bang, singularités
Stéphane Collion
EDP Sciences 17, avenue du Hoggar Parc d‘activités de Courtaboeuf, BP 112 91944 Les Ulis Cedex A, France
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“Copyright” — 2018/12/7 — 15:09 — page ix — #1
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Dans la même collection L’aventure du grand collisionneur LHC Daniel Denegri, Claude Guyot, Andreas Hoecker et Lydia Roos, préface de C. Rubbia Le climat : la Terre et les hommes Jean Poitou, Pascale Braconnot et Valérie Masson-Delmotte, préface de J. Jouzel Aux origines de la masse : particules élémentaires et symétrie fondamentales Jean Iliopoulos, préface de F. Englert Les relativités : espace, temps, gravitation Michel Le Bellac, préface de T. Damour Le temps : mesurable, réversible, insaisissable ? Mathias Fink, Michel Le Bellac et Michèle Leduc La révolution des exoplanètes James Lequeux, Thérèse Encrenaz et Fabienne Casoli À l’orée du cosmos Alain Omont Vertigineuses symétries Antony Zee, traduit par Michel Le Bellac Le temps des neurones – Les horloges du cerveau Dean Buonomano, traduit par Michel Le Bellac Retrouvez tous nos ouvrages et nos collections sur http://laboutique.edpsciences.fr
Imprimé en France ISBN (papier) : 978-2-7598-2279-9 – ISBN (ebook) : 978-2-7598-2278-2 © 2019, EDP Sciences, 17, avenue du Hoggar, BP 112, Parc d’activités de Courtaboeuf, 91944 Les Ulis Cedex A Tous droits de traduction, d’adaptation et de reproduction par tous procédés réservés pour tous pays. Toute reproduction ou représentation intégrale ou partielle, par quelque procédé que ce soit, des pages publiées dans le présent ouvrage, faite sans l’autorisation de l’éditeur est illicite et constitue une contrefaçon. Seules sont autorisées, d’une part, les reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective, et d’autre part, les courtes citations justifiées par le caractère scientifique ou d’information de l’œuvre dans laquelle elles sont incorporées (art. L. 122-4, L. 122-5 et L. 335-2 du Code de la propriété intellectuelle). Des photocopies payantes peuvent être réalisées avec l’accord de l’éditeur. S’adresser au : Centre français d’exploitation du droit de copie, 3, rue Hautefeuille, 75006 Paris. Tél. : 01 43 26 95 35.ix
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À Maïa, Lili et Isia. À Alice, toujours.
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“Copyright” — 2018/12/7 — 15:09 — page x — #2
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Merci... ... à Michel Vaugon et Eric Gourgoulhon. Leurs enseignements, nos nombreuses discussions (autour de bons repas) et leur vision profonde de la relativité, issue de leur passion pour les mathématiques, m’ont profondément inspiré et ont donc inspiré l’écriture de ce livre. Merci à Eric de m’avoir encouragé à le publier, d’avoir patiemment relu les dernières versions, et de m’avoir fourni les premières et plus belles figures ! J’espère que ce livre saura convaincre Michel de l’utilité de la vulgarisation ! Merci pour votre amitié. ... à mes amis César, Eric, Benoit, Pierre-Yves, Emmanuel, Marc, Camille, d’avoir lu les premières versions de ce livre. C’est l’intelligence de leurs questions et de leurs remarques qui a permis de rendre ce livre bien meilleur. ... à Sophie Hosotte, d’avoir su accepter avec beaucoup de patience mes très nombreuses « dernières corrections », et d’avoir su mettre aussi magnifiquement en forme mon manuscrit. Merci à toute l’équipe d’EDP Sciences. ... enfin, à Michèle et Michel, d’avoir su détecter dans l’horrible manuscrit que je leur avais envoyé l’ébauche d’un livre. C’est leur gentillesse, leurs encouragements, leurs nombreuses relectures, la bienveillance et la profondeur de leurs conseils, qui a permis de transformer mon texte initial en ce beau livre. ... que ce livre soit le témoignage de ma gratitude et de mon affection.
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“Avont-propos” — 2018/11/30 — 20:52 — page v — #1
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Avant-propos Ce livre vous invite à un voyage à travers les mathématiques de l’espace-temps, pour en admirer la beauté et la puissance. Il vous propose de découvrir la théorie de la relativité générale d’Einstein, en montrant qu’elle est une théorie fondamentalement géométrique. Nous explorerons ainsi grâce aux mathématiques certains des mystères les plus fascinants de la physique : la gravitation, les paradoxes temporels, les singularités de l’espace-temps, les trous noirs, les trous de ver, le big-bang... Cacher les mathématiques de la relativité générale, c’est occulter sa nature profonde, et c’est passer à côté de certains de ses aspects les plus merveilleux ! Le but de ce livre n’est donc pas de proposer un texte de plus de vulgarisation de la relativité restreinte ou générale... Il en existe déjà beaucoup, certains excellents. Il s’agit ici d’un ouvrage de vulgarisation des mathématiques de la relativité générale. Mais c’est surtout un texte qui veut raconter le lien profond entre les mathématiques et la physique, et plus précisément entre la branche des mathématiques que l’on appelle la géométrie différentielle et la relativité générale. Nous présenterons donc les idées et phénomènes physiques fascinants de la relativité d’Einstein, comme le fameux paradoxe des jumeaux, en montrant qu’ils ne sont que l’expression de la géométrie de l’espace-temps. L’un des buts est en fait d’essayer de montrer que la relativité générale, c’est de la géométrie. Ce livre veut parler de mathématiques. Par conséquent, contrairement à quasiment tous les auteurs, je n’ai pas cherché à cacher les formules... Je trouve cela malhonnête, car c’est nier la nature fondamentale des mathématiques et de la physique. Ainsi, quelques figures ou quelques courts exemples de « formules » extraits d’ouvrages de mathématiques illustreront la présentation des principaux objets mathématiques de la relativité générale.
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“Avont-propos” — 2018/11/30 — 20:52 — page vi — #2
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La vulgarisation scientifique est un art difficile, mais elle est pourtant d’une très grande importance, bien que souvent négligée. En effet, le fossé qui se creuse entre les connaissances générales du « grand public » et les connaissances scientifiques de pointe devient énorme, et cela permet malheureusement la propagation de contre-vérités et l’émergence de « pseudo-sciences ». Dans cet ouvrage, nous voulons témoigner de notre confiance envers les lecteurs, en les invitant à partager une partie de l’une des plus grandes réalisations humaines : les mathématiques. Il est également fondamental d’expliquer ce que représente la démarche scientifique, pour mieux comprendre les limites de nos connaissances, mais aussi pour prendre confiance dans la valeur de la science. Nous en verrons des exemples dans ce livre. L’une des difficultés est aussi de savoir à quel niveau se placer. Tout texte de vulgarisation devrait commencer par définir le niveau requis pour l’aborder. Un niveau moindre peut être compensé par une motivation supérieure, et l’envie de se laisser entraîner à la rêverie et à l’émerveillement. Ce livre se veut à mi-chemin entre vulgarisation et introduction aux cours universitaires. Je pense donc qu’il est abordable sans problème par des étudiants en première ou deuxième année d’étude scientifique, ou pour ceux qui ont suivi un cursus du style ingénieur. Mais il est certainement abordable par toute personne curieuse et motivée par les découvertes scientifiques les plus fascinantes de notre époque. Bonne lecture !
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Avant-propos
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Table des matières Avant-propos
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1 Introduction 1.1 La géométrisation de la physique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1.2 Les mathématiques dans ce livre . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1.3 Précisions sur le niveau mathématique de ce texte. . . . . . . . . . . . . . . . . 1.4 Présentation des chapitres suivants . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
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2 De l’espace et du temps à l’espace-temps. La relativité restreinte 9 2.1 Préambule . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 9 2.2 Les notions fondamentales d’observateur et de référentiel . . . . . . . . 10 2.3 Comparaison des expériences : changements d’observateurs, relativité . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 12 2.4 Mesures de distance et de durée . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 16 2.5 Diagrammes d’espace-temps . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 18 2.6 Lignes d’univers. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 20 2.7 Mesure de distances, pseudo-distances . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 21 2.8 Espace euclidien et géométrie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 28 2.9 De la géométrie de Newton à la géométrie d’Einstein. . . . . . . . . . . . . 41 2.10 La géométrie einstenienne par l’image . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 49 2.11 Conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 69 3 La géométrie riemannienne et les variétés différentielles 71 3.1 Les variétés différentielles : « les super-espaces » . . . . . . . . . . . . . . . . . 72 3.2 La géométrie riemannienne, le langage de la relativité . . . . . . . . . . . 76 4 Espace-temps et gravitation : la relativité Générale 4.1 De la relativité restreinte à la relativité générale . . . . . . . . . . . . . . . . . . 4.2 L’universalité de la chute des corps . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 4.3 Les géodésiques de l’espace-temps . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
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4.4 4.5 4.6 4.7 4.8 4.9 4.10
La courbure de l’espace-temps . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 98 La relativité générale, une théorie géométrique . . . . . . . . . . . . . . . . . 104 Visualiser l’espace-temps courbe . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 106 La lumière dans l’espace-temps courbe . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 110 Les ondes gravitationnelles . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 117 De la théorie à la pratique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 122 Einstein s’est-il « trompé » ? La démarche scientifique . . . . . . . . . . 126
5 Les Singularités de l’espace-temps 5.1 Singularités... . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 5.2 Trous noirs... . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 5.3 Big-bang... . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 5.4 Trous de ver... . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 5.5 Réalité des singularités de l’espace-temps . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
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6 Unification et Géométrisation 6.1 De l’unification en physique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 6.2 Le principe du catalogue . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 6.3 La géométrisation de la physique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 6.4 L’unification de la gravitation et de l’électromagnétisme . . . . . . . . 6.5 L’espace-temps de Kaluza-Klein . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 6.6 Réalité des dimensions supplémentaires . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
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7 Quelques réflexions sur les mathématiques, la physique, et la vulgarisation 7.1 Du plaisir de faire des mathématiques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 7.2 De l’élégance de la relativité générale . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 7.3 L’Univers sans foi ni loi. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 7.4 De l’intérêt de la recherche fondamentale . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 7.5 Des Mathématiques et de la vulgarisation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 7.6 Dernières remarques sur les rapports entre mathématiques et physique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
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Annexe A
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Bibliographie
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Table des matières
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“Chapter-1” — 2018/12/6 — 17:05 — page 1 — #1
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1 Introduction 1.1
La géométrisation de la physique
Au commencement était l’espace-temps et la liberté. Puis sont venus les physiciens, leurs lois et leurs machines. Les mathématiques et la physique sont sans doute deux aspects d’un même plaisir intellectuel, une compréhension de l’univers qui nous entoure. La physique tente de modéliser la nature pour, d’une part chercher à en comprendre le fonctionnement, et, d’autre part, prédire son évolution ou du moins le résultat d’expériences qui portent sur elle. Il se trouve que c’est à travers les mathématiques que la physique s’exprime le mieux, à travers elles que ses modèles sont le plus efficaces. De son côté, les mathématiques cherchent à extraire des structures communes à divers aspects de la nature, comme les nombres qui servent aussi bien à compter les étoiles dans le ciel que les moutons d’un troupeau, ou les figures géométriques qui peuvent décrire aussi bien la trajectoire des planètes autour du Soleil que la forme des champs que veulent se partager des paysans. Autrement dit, les mathématiques servent à simplifier le réel. (Ce à quoi certains pourraient répondre que c’est raté !) Puis, une fois définies ces structures, les mathématiques s’amusent à les faire vivre puis à les questionner pour mieux les comprendre, quitte à s’éloigner de leur origine naturelle. Les mathématiques ont ainsi leur logique propre, et une immense partie des mathématiques se développe sans aucun lien avec la physique ni aucune volonté d’application concrète. Mais il est fascinant de constater qu’après avoir évolué dans les mains (ou plutôt la tête !) des mathématiciens, des structures et des développements
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purement mathématiques peuvent revenir vers les physiciens pour leur offrir de nouveaux concepts avec lesquels ils pourront modéliser de nouveau la nature de manière plus précise et sophistiquée. Puis cet échange entre mathématiques et physique recommence, à un niveau toujours plus élevé, à partir de questionnements de la physique, ou parfois, d’ailleurs, des mathématiques. C’est très typiquement le cas de la relativité générale, la théorie de la gravitation d’Einstein. À partir de questions sur la nature du temps, de l’espace et de la gravitation, Einstein est allé chercher les outils de la géométrie différentielle, une branche importante des mathématiques qui s’était développée très loin au-delà des problèmes physiques qui l’avaient fait naître durant l’Antiquité, et avait connu un développement important au XIXe siècle avec des mathématiciens comme Gauss puis Riemann. Une fois posé par Einstein le modèle mathématique de l’espace-temps et de la gravitation à partir des objets développés antérieurement par les mathématiciens, le travail des physiciens consiste à en extraire une vision et des outils physiques leur permettant d’aller explorer l’univers pour en obtenir une meilleure description. Mais les mathématiques ont également servi de moyen d’exploration de certains des aspects les plus extraordinaires de la relativité générale. Nous verrons ainsi, au chapitre 5, que deux mathématiciens et physiciens exceptionnels, Roger Penrose et Stephen Hawking, ont utilisé des méthodes purement mathématiques, des techniques très subtiles de topologie et de géométrie différentielle, pour démontrer de manière purement mathématique l’existence très probable des trous noirs et du big-bang. Les mathématiciens aiment aussi revenir sur les théories physiques, surtout quand elles sont aussi belles et bien posées mathématiquement que la relativité, pour voir si on peut en tirer de nouveaux développements et objets mathématiques. Pour les mathématiciens spécialistes de géométrie différentielle, il est donc naturel de chercher à approfondir l’exploration des aspects les plus géométriques de la relativité générale, pour prolonger l’émerveillement. La géométrie différentielle et la relativité générale sont faites l’une pour l’autre, comme nous le verrons au long de ce livre. La relativité générale a ainsi suggéré depuis 100 ans de nombreux problèmes purement mathématiques, et a entraîné un développement important de la géométrie différentielle. Poussant plus loin cette démarche, les mathématiciens peuvent s’amuser à chercher si, à l’inverse des physiciens, on ne peut pas voir toute la physique issue du modèle théorique de base de la relativité d’Einstein comme une branche, magnifique par ailleurs, de la géométrie différentielle. Plus précisément, il s’agit de voir si tous les objets physiques dont traitent la relativité générale et l’électromagnétisme, par exemple, ne peuvent être considérés comme des objets de nature
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Chapitre 1. Introduction
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géométrique. C’est ce qu’on appelle la géométrisation de la physique. Avec la relativité générale, Einstein avait géométrisé la gravitation ; il entreprit immédiatement de poursuivre cette démarche avec l’autre interaction connue à cette époque, l’électromagnétisme. La première tentative sérieuse d’unification géométrique de la gravitation et de l’électromagnétisme est néanmoins due à Hermann Weyl, un des grand mathématicien du XXe siècle, dès 1919. Sa méthode se heurta à des obstructions physiques, de la part d’Einstein lui-même, qui avait pourtant été séduit par cette approche. Mais certaines des premières découvertes de la mécanique quantique devaient être prises en compte. Une autre tentative, particulièrement spectaculaire, suivit en 1922 : la théorie de Kaluza et Klein, deux mathématiciens. Leur idée, pour inclure l’électromagnétisme dans une même description géométrique que la gravitation, était d’envisager un univers à 5 dimensions ! Là aussi, leur tentative n’aboutit pas, même si Einstein lui-même travailla longtemps sur cette idée. De 1920 à sa mort en 1955, Einstein poursuivi sans relâche, mais sans succès, la quête d’une unification géométrique de la gravitation et de l’électromagnétisme. Longtemps dénigrées, les tentatives d’Einstein sont aujourd’hui au cœur de la physique théorique. Depuis 30 ans, les méthodes de Weyl, Kaluza et Klein réapparaissent dans les tentatives modernes d’unification de la physique, sous les noms de théorie de jauge et de théorie des cordes. Nous en reparlerons plus précisément au chapitre 6. C’est donc à travers des regards de mathématiciens sur une théorie physique, par ailleurs extrêmement efficace, que de nouvelles approches de la physique ont été suggérées. Elles ont été motivées par la nature profondément géométrique de la relativité générale, qui révolutionnait la vision newtonienne de l’espace et du temps. L’idée est de réinscrire dans un cadre mathématique unifié des objets physiques divers pour voir s’ils peuvent être rassemblés dans les objets mathématiques naturellement issus de la géométrie différentielle. Le but de ce livre est donc de présenter cette vision des rapports entre physique et mathématiques, et plus particulièrement de montrer que relativité générale et géométrie différentielle sont intimement liées. Notons qu’Einstein lui-même était insatisfait de la partie physique de son « équation » (dont nous parlerons au chapitre 4), par opposition à sa partie géométrique. Contrairement aux autres livres, nous présenterons donc les idées et les phénomènes physiques fascinants de la relativité d’Einstein en montrant leur nature fondamentalement géométrique. Nous montrerons même qu’elle peut être vue comme de la géométrie « pure ». Par exemple, le fameux « paradoxe des jumeaux » et les différences spectaculaires de vieillissement des personnages du film Interstellar seront présentés ainsi.
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Nous verrons aussi que les progrès de la physique ont suivi les progrès des mathématiques. Pour passer de la relativité restreinte d’Einstein, Poincaré et Minkowski de 1905 à la relativité générale de 1916, Einstein a dû passer d’une extension, certes géniale, de la géométrie traditionnelle d’Euclide à la géométrie riemannienne, due à Riemann en 1850, que nous décrirons au chapitre 3. Recherche mathématique et recherche physique apparaîtront ainsi indissociables. Mais contrairement à ce que l’on croit souvent, les mathématiques ne progressent pas toujours en réponse à des questions venant de la physique. L’exemple de la géométrie riemannienne montre que des développements purement internes aux mathématiques ont en général précédé les progrès de la physique. C’est en effet ces concepts mathématiques nouveaux qui ont inspiré Einstein, lui permettant de résoudre l’extraordinaire défi qu’il s’était fixé, loin d’ailleurs de tout travail ou besoin expérimental, en cherchant une théorie de la gravitation radicalement différente de celle de Newton, et profondément géométrique. Cet étonnant pouvoir des mathématiques conduisit le Prix Nobel de physique Eugène Wigner à écrire un célèbre article où il parle de « la déraisonnable efficacité de mathématiques » dans les sciences naturelles. Il a fallu à Einstein une intuition et un sens physique exceptionnels pour mettre au point sa théorie de la relativité générale. Mais cette théorie n’existerait pas sans les mathématiques très belles et pures que constituent la géométrie riemannienne, et qu’Einstein a su merveilleusement utiliser.
1.2
Les mathématiques dans ce livre
Les mathématiques sont une partie majeure de la culture et du développement de la connaissance humaine. Notre description du monde par les sciences physiques passe par les mathématiques. Pourtant, les ouvrages de vulgarisation sur la physique moderne, parlant de big-bang, de trous noirs, ou de particules, cherchent systématiquement à en exclure les mathématiques, de peur d’effrayer le lecteur. Or les théories correspondantes, relativité et mécanique quantique, sont fondamentalement mathématiques, dans leur expression mais aussi dans les concepts sur lesquels elles s’appuient. Ne pas parler de mathématiques sur ces sujets, c’est en dissimuler une part essentielle. L’objectif de ce livre est donc clairement inverse. Notre but est de montrer des mathématiques à l’œuvre, et même quelques formules ! Nous essayerons de faire sentir ce que sont les mathématiques, et pourquoi elles sont indissociables de la physique. Les mathématiques et l’astronomie (qui est aujourd’hui devenue
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l’astrophysique) sont nées ensemble, telles des sœurs jumelles ; ce sont les plus vieilles sciences. En les liant ici, nous verrons que les mathématiques ne doivent pas être présentées, comme trop souvent, sous leur aspect « utilitaire », mais comme une approche passionnante de la compréhension de l’univers qui nous entoure. C’est ce que je me suis efforcé de prouver dans ce texte, dont le but est d’ailleurs de montrer que la physique, c’est des maths ! (Ce qu’un physicien contestera...) Dans le texte apparaîtront donc quelques figures « techniques » issues de cours de mathématiques ou de relativité, accompagnées d’un petit extrait de la définition mathématique précise, voire d’une formule. Ces figures sont à prendre comme des dessins ou des tableaux, pour apprécier la beauté des objets mathématiques, et pour montrer les symboles que les chercheurs manipulent. En fin d’ouvrage, l’annexe donnera des explications plus détaillées des objets mathématiques présentés dans le corps du livre. Il s’adresse aux lecteurs curieux ou exigeants, qui possèdent une certaine maîtrise scientifique, telle une ou deux années d’études scientifiques post-bac. Bien que d’un niveau plus élevé, ces explications demeurent heuristiques. Elles sont suivies d’extraits de cours de niveau Master, mais il ne s’agit pas d’un cours complet. Cela pourra permettre à un lecteur curieux d’avoir une idée plus précise de l’aspect des mathématiques utilisées, et peut servir à un étudiant de motivation supplémentaire.
1.3
Précisions sur le niveau mathématique de ce texte
Comme je l’ai dit dans l’avant-propos, ce livre se veut à mi-chemin entre vulgarisation et introduction aux cours universitaires. Le chapitre 2 traite de la relativité dite restreinte, élaborée en 1905. Les mathématiques sur lesquelles elle s’appuie sont relativement élémentaires, c’est essentiellement le théorème de Pythagore que l’on voit au collège, puis la géométrie affine que l’on voit au cours de la première année post-bac. Néanmoins nous verrons la présentation moderne de cette géométrie, et des généralisations du théorème de Pythagore, adaptées à la relativité. Mais le sujet de ce livre est clairement la relativité générale, élaborée en 1916 par Einstein, dont nous parlons à partir du chapitre 4. Là, les mathématiques à l’œuvre sont beaucoup plus sophistiquées ; il s’agit de la géométrie différentielle et riemannienne. Par conséquent, nous « vulgarisons » sensiblement plus les objets mathématiques, tout en les exposant précisément et rigoureusement. Je pense que ce texte est abordable sans problème par des étudiants en première ou deuxième année d’études scientifiques, ou pour ceux qui ont suivi
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un cursus du style ingénieur. Mais il est certainement abordable par toute personne curieuse et motivée par les découvertes scientifiques les plus fascinantes de notre époque. Même si certaines parties vous semblent ardues, laissez-vous porter par les mathématiques à l’œuvre dans l’espace-temps, et rêvez sur les idées extraordinaires offertes par la relativité générale : « paradoxe » des jumeaux, singularités de l’espace-temps, espace-temps à cinq dimensions... 1.4
Présentation des chapitres suivants
Pour aider le lecteur, nous présentons ici les différents chapitres et leurs objectifs. – Chapitre 2 : Bien que le thème central de ce livre soit la relativité générale, nous commencerons par présenter la géométrie de la relativité restreinte Le but de ce chapitre ne sera pas de faire un exposé complet de relativité restreinte (on pourra pour cela se reporter à l’ouvrage de Michel Le Bellac dans la même collection). Nous introduirons dans ce chapitre des concepts essentiels à la présentation de la géométrie, beaucoup plus sophistiquée, de la relativité générale. – Chapitre 3 : Le but de ce chapitre est d’introduire le cadre géométrique dans lequel s’exprime la théorie de la relativité générale. Il s’agit de définir les espaces géométriques qui modéliseront l’espace-temps courbé par la gravitation, les variétés. – Chapitre 4 : C’est le cœur de l’ouvrage. Il s’agit de montrer la nature fondamentalement géométrique de la relativité générale. – Chapitre 5 : Pour montrer de façon spectaculaire les liens entre mathématiques et physique, nous présentons les théorèmes de singularités de Penrose et Hawking. Ces théorèmes, purement mathématiques dans leur expression et leur démonstration, prouvent l’existence d’objets physiques extraordinaires, les trous noirs, le big-bang et les trous de ver. – Chapitre 6 : Ce chapitre traite d’une démarche essentielle en physique, l’unification des théories décrivant divers phénomènes, et montre par un exemple, la théorie de Kaluza-Klein, comment les mathématiques, et en particulier la géométrie différentielle, peuvent parfois suggérer des méthodes d’unification. – Chapitre 7 : Un chapitre plus personnel de réflexions sur ce que sont les mathématiques, leur rapport à la physique, l’importance de la recherche fondamentale et de la vulgarisation.
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Chapitre 1. Introduction
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– Annexe : Cet annexe reprend un à un les principaux objets mathématiques de la relativité générale, en en donnant des explications plus détaillées mais sous une forme heuristique. Il regroupe des exemples et des extraits de cours de mathématiques et de relativité générale, pour montrer à quoi ressemblent les outils et les symboles que doivent apprendre les étudiants en mathématiques, et que manipulent les chercheurs en relativité générale.
F IGURE 1.1. Albert Einstein. 1879-1955. Physicien, mais aussi mathématicien !
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2 De l’espace et du temps à l’espace-temps. La relativité restreinte 2.1
Préambule
Bien que le thème central de ce livre soit la relativité générale, on ne peut commencer sans parler de la relativité restreinte. C’est en fait la description de l’espace-temps sans gravitation. Le but de ce chapitre n’est pas de faire un exposé de relativité restreinte, mais de présenter les outils géométriques qui la fondent, et surtout de présenter la structure géométrique essentielle de l’espacetemps : son feuilletage par les cônes de lumière. Nous introduirons également les concepts essentiels de la relativité : diagrammes d’espace-temps, lignes d’univers, courbes de genre temps ou lumière. Cela nous mènera, à partir du chapitre suivant, vers une géométrie encore plus sophistiquée, celle de la relativité générale. Nous allons donc présenter ici la géométrie utilisée en relativité restreinte. Nous verrons que les effets surprenants de la relativité, dilatation des durées, contraction des longueurs, « paradoxe » des jumeaux de Langevin, ne sont que des effets dus à la géométrie de l’espace-temps. Ainsi apparaîtra l’unité profonde qui existe entre la physique et la géométrie. Nous ne chercherons pas dans ce livre à faire une présentation historique précise de la relativité ; de nombreux ouvrages ont déjà été écrits sur le sujet. En ce sens, notre présentation de l’évolution des idées sera schématique,
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et adoptera un point de vue et un langage (mathématique) modernes. Cette présentation portera essentiellement sur l’évolution du modèle géométrique utilisé pour mesurer les distances et les durées entre les événements physiques, depuis la théorie de Newton jusqu’à celle d’Einstein. Nous verrons donc l’évolution du modèle mathématique, de l’espace et du temps de Newton, vers l’espace-temps d’Einstein. Nous pouvons quand même présenter le contexte historique de l’émergence de la relativité d’Einstein. En 1900, deux grandes théories dominent la physique : la théorie newtonienne de la gravitation et l’électromagnétisme de Maxwell. Elles décrivent ce qui semble être alors les deux seules forces de l’univers. Leurs succès sont tellement éclatants, qu’un grand physicien de l’époque, Lord Kelvin, déclara que l’on avait atteint la fin de la physique théorique ! Et pourtant de nombreuses expériences montrent à cette époque que ce bel édifice se fissure : les célèbres expériences de Michelson et Morley commencent à suggérer que la vitesse de la lumière est la même pour tous les observateurs, et qu’elle est indépendante du mouvement de la source. Cela contredit la conception newtonienne de la mesure et de l’addition des vitesses. Par ailleurs, plusieurs physiciens, en particulier Poincaré, Lorentz et Einstein, commencent à mettre en doute le caractère absolu de la notion de simultanéité. Bien qu’en partie issues de l’expérience, leurs idées proviennent surtout de réflexions profondes sur la nature du temps, de l’espace, et de la façon de mesurer les distances et les durées. Il est bien connu qu’Einstein était un grand adepte des « expériences de pensées ». Loin des laboratoires, c’est pourtant lui qui trouva l’approche des notions de temps et d’espace qui, aujourd’hui encore, s’avère être la plus pertinente, et qui en particulier rejeta définitivement l’idée d’un temps absolu de référence.
2.2
Les notions fondamentales d’observateur et de référentiel
Il est apparu depuis Galilée et Newton que pour décrire toute expérience ou tout phénomène physique, il fallait faire appel à la notion de référentiel ou d’observateur. Ainsi, dans le domaine de la physique qui nous intéresse ici, dont l’objet est de décrire le mouvement des corps matériels, et dans la description des ondes électromagnétiques, donc en particulier de la lumière, on rapporte tous les phénomènes à un « observateur » (être abstrait !) muni de moyens de « mesurer » des « distances » et des « durées ». Cet observateur rapporte alors ces mesures à un cadre géométrique, un référentiel, qui est donc un espace
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géométrique dont les points représentent les positions (spatiotemporelles) des objets étudiés, et les courbes, les trajectoires de ces objets. Le point fondamental qui constitue le passage, l’évolution, de la physique newtonienne à la relativité restreinte, puis à la relativité générale, c’est la modification de la nature de cet espace géométrique. Ainsi pour Newton, et sans doute depuis l’Antiquité, l’univers se décrivait comme étant un espace euclidien à trois dimensions, le temps et les durées se mesurant sur un autre espace, une droite (espace à une dimension) indépendante. Ainsi la description newtonienne du mouvement se fait dans un espace géométrique qui est un couple formé d’un espace euclidien à trois dimensions et d’une droite indépendante. Un événement physique se définit par les données du lieu où il se situe et de la date à laquelle il se produit. Pour repérer les événements dans l’espace, on trace trois droites perpendiculaires entre elles, sur lesquelles on note les coordonnées des points ; c’est ce qu’on appelle un repère. Le temps se marque sur la droite indépendante.
F IGURE 2.1. On associe à un référentiel un repère qui fournit les coordonnées des événements. Chez Newton, il y a un repère pour les positions spatiales et un repère pour les dates.
La première idée géniale d’Einstein a été de comprendre, à partir d’expériences qui mettaient en défaut la description newtonienne (mesure de la vitesse de la lumière dans différents référentiels), qu’une description correcte du mouvement des objets physiques ou des ondes électromagnétiques ne pouvait se faire en séparant l’espace et le temps, mais que les mesures de distance et de durées étaient intimement entremêlées. Il comprit donc, après que Minkowski
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l’eut convaincu, que cette partie de la physique devait se faire dans un espace géométrique à quatre dimensions. L’espace-temps était né. La deuxième idée géniale d’Einstein a été d’imaginer qu’une description correcte du mouvement des objets soumis à la gravitation devait se faire non plus dans un espace euclidien classique, mais dans un espace géométrique courbé par la présence de masse et d’énergie. L’univers espace-temps est courbe, il n’y a plus de ligne droite, il n’y a plus que des géodésiques, courbes qui généralisent la notion de droite, et qui réalisent (dans certains cas) le plus court chemin entre deux points sur une surface courbe. Cela révolutionna complètement la conception de l’espace et du temps. On quitte alors le domaine de la relativité restreinte, et on entre dans le domaine de la relativité générale, que nous découvrirons à partir du chapitre suivant. Mais il convient de commencer par l’espace-temps plat de la relativité restreinte, dont le but essentiel est de modéliser correctement la façon de mesurer les distances et les durées en l’absence de gravitation.
2.3
Comparaison des expériences : changements d’observateurs, relativité
Un des problèmes centraux, voire le problème central, de tout modèle pour la mécanique (c’est-à-dire l’étude du mouvement des corps matériels), est de définir une classe d’observateurs pour laquelle les équations du mouvement sont les plus simples possibles. Ensuite, cela faisant partie du même problème, il faut décrire comment passer des équations d’un observateur à celles d’un autre : on appelle cela les règles de changement de référentiel. Ainsi, en mécanique newtonienne, la classe privilégiée est celle des observateurs qui se déplacent les uns par rapport aux autres en ligne droite et à vitesse constante, on les appelle observateurs galiléens ; à noter qu’il faut postuler l’existence d’au moins un tel observateur. Pour ces observateurs, Newton réussit à écrire des règles magnifiquement simples et efficaces dont les succès furent énormes. Elles permettent de décrire tous les mouvement courants, du mouvement des projectiles en chute libre, à celui des particules chargées dans un champ magnétique, jusqu’au mouvement des planètes du système solaire. En fait tout ce qui ne bouge « pas trop vite ». La relativité restreinte, premier pas d’Einstein, utilise la même classe d’observateurs. En revanche ils sont maintenant regardés, comme nous l’avons dit, comme vivant dans un univers à quatre dimensions, l’espace-temps. Ce qui diffère fondamentalement, ce sont les règles de changement de référentiels.
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Il est important de noter que ni la théorie newtonienne, ni la théorie einsteinienne, n’empêchent d’écrire les équations du mouvement pour d’autres classes d’observateurs, par exemple des observateurs « qui tournent », donc qui accélèrent. Simplement, les équations sont plus compliquées, plus difficiles à résoudre. Ainsi, il faut par exemple introduire des forces fictives « d’inertie », traduisant l’accélération de ces observateurs. Une remarque au passage : on entend souvent dire que ce n’est pas le Soleil qui tourne autour de la Terre, mais que c’est la Terre qui tourne autour du Soleil ; c’est faux. On peut tout à fait considérer que le Soleil tourne autour de la Terre, c’est-à-dire choisir comme observateur et donc comme « centre » du référentiel un Terrien. Mais alors la description du mouvement des planètes du système solaire devient très compliquée : c’est le modèle des épicycles de Ptolémée. De même, en prenant le Soleil comme centre, la description du mouvement des étoiles de la Galaxie devient tout aussi compliquée. La relativité générale tire son nom du fait qu’elle prend comme classe d’observateurs privilégiés tous les observateurs possibles ! (Même si certains sont plus commodes que d’autres.) L’évolution des idées est venue de réflexions simples mais profondes de Poincaré, d’Einstein et de quelques autres autour de 1900 sur la façon dont deux observateurs devaient communiquer pour comparer leurs mesures. Il leur est apparu que tous les échanges d’informations sont basés sur des échanges de signaux lumineux. En gros, il faut « voir » l’autre observateur, voir sa montre, sa règle. Tout repose donc sur la lumière et sa vitesse. Ils ont compris que beaucoup de préjugés régissaient l’établissement des règles de passage d’un référentiel à l’autre. Le plus emblématique était le préjugé sur la simultanéité de deux événements vus par deux observateurs différents : la physique newtonienne supposait le caractère absolu des mesures de durées, le « temps » était universel. Cela impliquait en particulier que deux événements, vus comme simultanés par un observateur, devaient être vus comme simultanés par tous les autres. Or les expériences faites pour mesurer la vitesse de la lumière, mais surtout des réflexions profondes sur les principes de comparaisons de mesures du temps entre deux observateurs, finirent par prouver que ce point de vue n’était pas tenable. Poincaré et Einstein en vinrent à poser le postulat suivant : La vitesse de la lumière (dans le vide) est la même pour tous les observateurs galiléens et est indépendante du mouvement de la source. Dans la physique newtonienne, la loi d’addition des vitesses stipule que, si vous êtes assis sur le quai d’une gare, et que vous voyez passer un train à 100 km/h dans lequel un de vos amis se
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met à avancer d’un pas rapide à 5 km/h (pour lui, dans le train), vous voyez cet ami se déplacer à 100 + 5 = 105 km/h. Mais les expériences du début du
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siècle montrèrent que, si au lieu de
se déplacer, votre ami tire devant lui un flash de lumière, mesuré par lui partant à 300 000 km/s, vous voyez depuis le quai le flash se déplacer à la même vitesse de 300 000 km/s. La lumière ne respecte pas la loi d’addition newtonienne des vitesses. Cette loi d’addition, qui s’applique à tous les objets physiques, doit donc être modifiée et affinée. Ce sera un des résultats importants de la relativité einsteinienne.
Or si l’on se souvient qu’une vitesse c’est une distance divisée par une durée, il apparait que les mesures de distances et de durées effectuées par deux observateurs en mouvement l’un par rapport à l’autre ne peuvent coïncider ; les mesures de distances et de séparation temporelle entre deux événements dépendent de l’observateur. Einstein fut celui qui alla le plus loin en rejetant définitivement l’existence d’un temps absolu, universel. C’est son point de vue, révolutionnaire, qui s’avéra le bon. Le principe de relativité, datant en fait de Galilée et non d’Einstein, ajoute à ces considérations le postulat que les lois de la physique doivent s’exprimer de la même manière dans tous les référentiels. La constance de la vitesse de la lumière, postulat fondamental, s’insère ainsi parfaitement dans ce principe. C’est la conjonction de ce postulat et du principe de relativité qui détermina toutes les reflexions d’Einstein, le menant à sa théorie de la relativité restreinte. Par ailleurs, Einstein tira rapidement de ces postulats, par des considérations d’énergie, la conséquence suivante : La vitesse de la lumière est une vitesse limite qu’aucun objet ou signal physique ne peut dépasser. Remarque : De manière un peu surprenante, l’existence d’hypothétiques particules se déplaçant plus vite que la lumière ne contredirait pas les principes essentiels de la relativité restreinte : ce qui importe, c’est que la vitesse limite ne puisse pas être franchie, soit en accélérant, soit en décélérant ! Le principe de relativité tire son nom du principe que tous les mouvements rectilignes et à vitesse constante sont équivalents, ou relatifs, et qu’en particulier il est impossible de définir un état de repos absolu. Vous le constatez souvent vous-même lorsque vous prenez le train et avez l’impression que c’est le quai qui se met en mouvement et s’éloigne alors que votre train est « au repos ». Ce point de vue est tout aussi « vrai » que celui consistant à dire que le train avance et que le quai est au repos ; le train et le quai sont deux référentiels équivalents. « Le mouvement est comme rien » dit Galilée. Autrement dit, deux
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observateurs en mouvement rectiligne uniforme l’un par rapport à l’autre sont équivalents vis-à-vis des expériences physiques, ils ne peuvent pas observer des phénomènes différents (même si l’on doit tenir compte de leur vitesse relative pour comparer leurs mesures). Il existe une autre approche de la relativité restreinte, basée sur une notion mathématique profonde, la symétrie. C’est ce point de vue qui guida le mathématicien Henri Poincaré : il partit en effet de l’observation de certaines symétries dans les lois de la physique pour en déduire les propriétés que devaient nécessairement posséder les mesures de distances et de durées, ainsi que les règles de passage d’un référentiel à un autre. Ce point de vue, différent du nôtre, est exposé dans l’ouvrage de Anthony Zee, Vertigineuses symétries, dans la même collection. En toute rigueur, l’émergence de la relativité restreinte s’appuya sur deux problèmes liés mais distincts : 1/ Existe-t-il une invariance des lois physiques par rapport à un changement de référentiel ? 2/ Quelle est la loi de transformation entre deux référentiels ?
F IGURE 2.2. Henri Poincaré, 1854-1912, est considéré comme un géant des mathématiques. Il fut aussi un physicien exceptionnel et un philosophe reconnu. Ses contributions en mathématiques couvrent tous les domaines ; il en a fondé plusieurs nouveaux, comme la topologie ou les systèmes dynamiques, à l’origine de la notion de chaos. En physique, ses contributions sont également remarquables. Il est un précurseur majeur de la théorie de la relativité restreinte.
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Une théorie mathématique solide est bâtie sur un système d’axiomes cohérent, et sur des théorèmes rigoureusement démontrés selon la démarche propre aux mathématiques. Elle peut alors engendrer de nouveaux théorèmes importants et de grande portée pour les mathématiques elle-mêmes. C’est le cas de la géométrie que nous allons présenter dans ce chapitre et dans les suivants. Les physiciens peuvent ensuite utiliser ces théories mathématiques pour élaborer des modèles décrivant la nature, et en déduire des conséquences ou des prédictions grâce aux théorèmes qu’elles fournissent. Mais seule la confrontation à l’expérience et à l’observation permettra de justifier a posteriori ces modèles. Les mathématiques peuvent être parfaitement justes, mais la physique qu’on en tire peut, elle, être complètement fausse ! Nous en reparlerons plusieurs fois dans cet ouvrage. Notre but dans ce livre est donc de présenter les modèles géométriques, mathématiques, de la relativité restreinte et générale. Nous verrons que l’on peut déduire mathématiquement de ces modèles des phénomènes spectaculaires concernant les mesures du temps ou le mouvement de la lumière, comme le paradoxe des jumeaux, les trous noirs, le big-bang. Depuis 100 ans, toutes les expériences réalisées et toutes les observations effectuées semblent confirmer la justesse du modèle choisi par Einstein entre 1905 et 1916 pour décrire l’espace-temps et la gravitation.
2.4
Mesures de distance et de durée
Les considérations menant à la relativité générale partent d’interrogations très simples : comment deux observateurs en mouvement l’un par rapport à l’autre comparent-ils leurs mesures de distances et de durées ? Puisqu’il faut abandonner l’idée qu’il y a une référence absolue de temps ou de distance, comment vont-ils faire pour se mettre d’accord sur quoi que ce soit ? C’est là que la magie de la lumière intervient. En effet, d’après le postulat d’Einstein, tous les observateurs mesurent la même vitesse de la lumière ; ils seront donc d’accord là-dessus. C’est donc en s’échangeant des signaux lumineux qu’ils vont pouvoir comparer leurs mesures. L’exemple le plus simple est la comparaison des durées, que l’on présente de la manière suivante. Considérons deux observateurs, A et B, qui se croisent en un point O où ils synchronisent leurs horloges, et qui ensuite s’éloignent l’un de l’autre, B s’éloignant à une vitesse constante de A. Regardant sa montre, A envoie chaque seconde un flash lumineux vers B, celui-ci notant leur arrivée à l’aide de son chrono. Considérant seulement la constance de la vitesse de la lumière pour A et B, et utilisant les mesures de durées, selon A ou selon B, entre les départs et les arrivées des flashs, on montre que A et B ne
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mesureront pas les mêmes durées entre deux événements ! C’est la fameuse dilatation relativiste du temps. Les calculs à faire pour prouver cet effet sont très simples, mais exigent un raisonnement rigoureux s’affranchissant des réflexes et surtout des préjugés classiques concernant la mesure des durées. Ils s’appuient sur des considérations purement géométriques. Nous les exposerons à la fin de ce chapitre.
FIGURE 2.3. Nous verrons que dans l’espace-temps de la relativité, un observateur galiléen est représenté par une droite. Pour comparer leurs mesures, deux observateurs, ici A et B, s’envoient des flashs lumineux, et notent sur leur horloges respectives les heures de départ et d’arrivée de ces flashs. À la lumière est associée une particule, le photon. C’est le photon qui véhicule la lumière et les flashs lumineux ci-dessus seront en fait des photons.
La meilleure façon de mesurer des distances en relativité, c’est de mesurer des temps. En effet, la vitesse de la lumière étant la même pour tout le monde, pour mesurer la distance entre deux points, la meilleure façon c’est de faire faire un aller-retour à un rayon lumineux entre ces deux points, puis de multiplier le résultat par la vitesse de la lumière ; on obtient (le double de) la distance. On conçoit alors que, de même qu’il y a dilatation des durées entre deux observateurs, il va y avoir une différence entre les mesures de longueurs : si A mesure une règle qu’il tient dans sa main et trouve une longueur de 1 mètre, B, observant la règle depuis son référentiel, trouvera une longueur strictement inférieure : c’est la contraction des longueurs relativistes. L’objet de ce chapitre est de montrer que ces phénomènes étonnants sont dus à la géométrie de l’espace-temps. Attention, ces effets ne sont pas de pures élucubrations mathématiques ; ce sont des effets parfaitement observés expérimentalement. On les observe sur des particules pénétrant l’atmosphère terrestre dont la durée de vie est perçue par l’observateur sur Terre comme étant beaucoup plus longue qu’elle ne l’est pour les particules. On l’a aussi observé en faisant faire le tour du monde en avion à des horloges que l’on a ensuite comparées à des horloges restées au sol. Pourquoi n’observe-t-on pas ces effets plus directement ? Simplement parce que la vitesse de la lumière est énorme : 300 000 km/s, et que les vitesses que nous « utilisons » tous les jours sont minuscules en comparaison. Ainsi le décalage de durée pour une horloge embarquée dans un Concorde a été mesuré : 0,0000000002 sec après que le Concorde a fait un tour du monde ! Par
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contre, dans un vaisseau spatial se déplaçant à 90 % de la vitesse de la lumière (270 000 km/s), un observateur terrestre verrait une horloge indiquer une durée de une heure quand sa propre horloge indiquerait une durée de 2 heures. C’est donc dans le domaine des accélérateurs de particules, où l’on fait accélérer des particules, électrons, protons et autres, jusqu’à de telles vitesses que l’on observe de tels effets. C’est aussi maintenant dans le domaine de l’astrophysique, car les distances parcourues par la lumière en provenance de galaxies lointaines sont énormes, et sans les corrections relativistes, il serait impossible d’interpréter correctement les photos telles les merveilles offertes par le télescope Hubble. La lumière semble donc jouer un rôle fondamental. C’est elle qui gouverne les mesures de temps et de distances dans l’univers. C’est un fait, vérifié avec une extraordinaire précision. Néanmoins, si faire jouer ce rôle à la lumière est séduisant, il faut signaler qu’en toute rigueur, ce qui structure la relativité restreinte dans son rôle de théorie de la mesure des distances et des durées, c’est en fait l’existence d’une vitesse limite, identique pour tous les observateurs. Même si la lumière ne se déplaçait pas à cette vitesse limite, par exemple si l’on découvrait que le photon n’est pas de masse nulle, la relativité garderait sa cohérence. Pour faire simple, nous considérerons cependant dans ce livre que la lumière se déplace bien à cette vitesse limite, et est identique pour tous les observateurs. À ce jour, c’est ce que semblent indiquer toutes les expériences et observations.
2.5
Diagrammes d’espace-temps
Nous allons voir que tous les raisonnements menant à ces phénomènes relativistes sont des raisonnements géométriques. Pour les mener à bien, on fait d’ailleurs des petits dessins très simples (allez voir des cours de licence de relativité, vous verrez systématiquement des dessins de trains se déplaçant devant un quai, car c’est ainsi qu’Einstein présentait la relativité en 1910.) Mais l’aspect le plus profond de la théorie, c’est le choix de l’espace géométrique servant de référentiel. Si initialement, en 1905, Einstein utilisait encore un repère euclidien à 3 dimensions équipé d’horloges en chaque point pour mesurer le temps, le fait que, comme nous l’avons vu plus haut, les mesures de temps et de distances ne peuvent plus être indépendantes, amenèrent Minkowski, dès 1907, à comprendre que le cadre naturel pour décrire le mouvement des objets physiques était bien un espace géométrique à 4 dimensions, où les 4 coordonnées de temps et d’espace ( x, y, z, t), sont mises sur un pied d’égalité. C’est l’espace-temps ! On définit la dimension d’un espace géométrique comme étant le nombre de coordonnées nécessaires pour repérer un point. Nous y reviendrons un peu plus
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loin. (Les mathématiques considèrent aussi d’autres définitions de la dimension pour certains espaces géométriques sophistiqués comme les fractales. Nous n’en aurons pas besoin en relativité...). Malheureusement, il est impossible de faire des dessins d’un espace de dimension 4 sur une feuille de papier ! L’idée est alors de « supprimer » une dimension spatiale, c’est-à-dire de faire « comme si » notre espace classique était de dimension 2. Par exemple si on a choisi des coordonnées ( x, y, z, t), on ne garde que ( x, y, t). On obtient alors ce qu’on appelle un diagramme d’espace-temps. Par ailleurs, il est d’usage dans les diagrammes d’espace-temps de placer l’axe « temporel » verticalement. Lorsqu’un repère est choisi, la vitesse de la lumière, systématiquement notée c par les physiciens, apparaît pour servir de facteur de conversion temps-distance. Mais souvent, les théoriciens choisissent des unités pour que c = 1, ce qui permet de faire disparaître ce facteur.
FIGURE 2.4. Diagramme d’espace-temps dans lequel on a supprimé une coordonnée d’espace. La lettre c apparaissant dans l’expression c.t sur l’axe vertical de la coordonnée de temps désigne la vitesse de la lumière. Elle sert de facteur de conversion d’unités entre les durées et les longueurs, pour pouvoir les ajouter ou soustraire dans les formules que nous verrons. Mais les théoriciens, et les mathématiciens, ont pour habitude de faire comme si les unités étaient choisies pour que c = 1, de sorte que ce facteur disparaît des formules...
Il faut noter qu’on peut aussi faire de la mécanique newtonienne dans un espace-temps de dimension 4. D’un point de vue naïf, il s’agit juste d’une façon de noter les positions d’un objet au cours du temps. C’est fondamentalement la façon de mesurer les distances et les durées qui établira la différence entre la théorie de Newton et la théorie d’Einstein. Néanmoins, avant Einstein, du fait du caractère absolu du temps et de l’espace, il ne semblait y avoir aucun intérêt à représenter le mouvement autrement que dans un espace de dimension 3. Montrons par un petit dessin comment on passe de la représentation du mouvement d’un objet sur un plan de dimension 2, et chronométré indépendamment, à la représentation du même mouvement dans un diagramme d’espace-temps de dimension 3, où la troisième coordonnée est le temps. Voir figure 2.5. Les diagrammes d’espace-temps sont donc des dessins où apparaissent un axe lié au temps. Ils ne doivent pas vous impressionner : vous en avez faits à l’école élémentaire ! En effet, ce ne sont finalement rien d’autre que les
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F IGURE 2.5. À gauche, un mouvement circulaire représenté dans l’espace classique, sans indication de temps. À droite, sa visualisation dans un diagramme d’espace-temps, l’axe des temps étant vertical.
diagrammes chemin-de-fer que vous utilisiez dans des problèmes de maths pour calculer l’heure de croisement de deux trains circulant en sens opposé.
F IGURE 2.6. Un diagrammes chemin-de-fer est un diagramme d’espace-temps !
2.6
Lignes d’univers
Nous l’avons dit, les points de l’espace-temps sont ce qu’on appelle des événements : pour définir un événement, il faut dire où et quand il se produit. Quand vous donnez rendez-vous à quelqu’un, il ne suffit pas de lui dire où, il faut aussi dire quand. Un objet qui se déplace est alors représenté par une courbe « qui avance dans le temps », c’est-à-dire dont les points successifs sont à des dates successives.
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Un observateur galiléen en est un cas particulier, celui où la courbe est une droite. La courbe d’un objet est appelée sa ligne d’univers. C’est donc l’ensemble des positions successives de l’objet lorsque « le temps s’écoule ». Elle représente toute son histoire, puisqu’elle incorpore ses positions à des dates successives. C’est un concept fondamental, que nous utiliserons systématiquement dans l’espacetemps.
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Ligne et tube d’ univers :
FIGURE 2.7. L’union mathématique de l’espace et du temps. À gauche : ligne d’univers d’un « point matériel », qui représente un « petit » objet. À droite : l’histoire d’un « gros » objet, comme une étoile est représentée par un « tube » d’univers, constitué de l’ensemble de toutes les lignes d’univers de ses particules. Quand on enlève une dimension spatiale, comme sur ce schéma d’espacetemps, une sphère devient un disque.
2.7 2.7.1
Mesure de distances, pseudo-distances Pythagore est éternel !
Pour définir une géométrie, il faut non seulement le cadre, l’ensemble des points, caractérisé essentiellement ici par sa dimension, c’est-à-dire le nombre de coordonnées, mais il faut aussi un moyen de relier ces points entre eux, c’est-à-dire
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de mesurer la distance entre deux points. Rappelons en effet que « géométrie » signifie exactement « science de la mesure du terrain ». Or nous allons voir que sur un même espace de points, on peut définir différentes manières de mesurer les distances, et nous verrons que cela mène à des géométries différentes. Ce qui distinguera fondamentalement la géométrie de la mécanique newtonienne de celle de la mécanique d’Einstein, c’est effectivement la façon de mesurer les distances entre deux événements de l’espace-temps. Tout part du légendaire théorème de Pythagore... En effet, dans un triangle rectangle « le carré de l’hypoténuse est égal à la somme des carrés des deux autres côtés » ! Cela permet donc de calculer la longueur du grand côté lorsque l’on connaît la longueur des deux petits.
F IGURE 2.8. Pythagore : c2 = a2 + b2 , donc c =
√
a2 + b 2 .
On utilise cela dans l’espace euclidien « classique » de dimension 2, car en utilisant le théorème de Pythagore, et une fois choisi un repère avec des axes perpendiculaires et un système de coordonnées, on voit que la distance de l’origine O du repère à un point M de coordonnées ( x, y) est OM = x2 + y2 .
− →
− →
F IGURE 2.9. OM = x2 + y2 , etsi u et v sont des vecteurs de base du repère, de longueur 1, la − → − → − → longueur de w = x. u + y. v est x2 + y2 .
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On utilise aussi Pythagore pour mesurer la longueur des vecteurs : ce sont des « flèches » souvent utilisées en physique pour représenter des déplacements, ou des vitesses. Les vecteurs peuvent aussi se dessiner dans un repère et Pythagore permet d’en calculer la longueur : si on se déplace d’une distance x le long de la droite horizontale et d’une distance y le long de la droite verticale, x2 + y2 est la longueur du déplacement total. Nous y reviendrons plus précisément plus loin. Pour les lecteurs exigeants : notons que la distance entre deux points quelconques de coordonnées respectives ( x1 , y1 ) et ( x2 , y2 ) est : ( x1 − x2 )2 + (y1 − y2 )2 . En effet, ( x1 − x2 ) et (y1 − y2 ) sont les écarts horizontaux et verticaux entre les deux points.
Ensuite, il est très simple de généraliser cela à l’espace euclidien « classique » de dimension 3, et une fois choisi un repère et son système de coordonnées, on voit que la distance de l’origine O du repère à un point M de coordonnées ( x, y, z) est : OM = x2 + y2 + z2
F IGURE 2.10. On généralise facilement le théorème de Pythagore au cas d’un repère de dimension 3.
Maintenant, la magie des mathématiques intervient : les mathématiques permettent de définir et d’utiliser des espaces géométriques que l’on ne peut pas « visualiser ». Nous pouvons ainsi généraliser le théorème de Pythagore à des espaces de dimension quelconque, munis d’un nombre correspondant d’axes de coordonnées, même si nous ne pouvons les dessiner. En particulier, dans un espace de dimension 4, où l’on repère donc les points avec 4 coordonnées, ( x, y, z, w) on peut définir la distance euclidienne entre un point d’origine O et un point M de coordonnées ( x, y, z, w) par : OM = x2 + y2 + z2 + w2
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2.7.2
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La géométrie classique de Newton
Commençons par regarder la géométrie de la physique newtonienne. Comme nous l’avons dit ci-dessus, on peut faire de la mécanique newtonienne dans un espace-temps de dimension 4. Mais traditionnellement, on considère que le référentiel se scinde en deux espaces géométriques, un espace euclidien « spatial » de dimension 3 et un espace « temporel » de dimension 1, une droite, où l’on mesure le temps. On doit donc introduire deux distances euclidiennes. Pour un observateur newtonien O, au centre d’un repère, qui considère un événement M de coordonnées spatio-temporelles ( x, y, z, t), on définit une distance spatiale OM = x2 + y2 + z2 et une « distance temporelle » : t.
F IGURE 2.11. Espace et temps newtonien.
Maintenant, le point clef de la physique newtonienne, c’est que l’espace « temporel » est absolu, c’est le même pour tous les observateurs. Alors, en imposant une condition naturelle sur le temps (la linéarité), l’espace « spatial » sera identique pour tous les observateurs. Ainsi, si l’on considère un autre observateur O , distinct de O, muni d’autres axes pour repérer les positions spatiales des événements, il trouvera quand même avec ses coordonnées la même distance spatiale entre O et M ; la longueur de l’hypoténuse d’un triangle est bien sûr indépendante des coordonnées. Mais surtout, comme il utilise le même espace « temporel », il trouvera la même distance « temporelle », autrement dit la même durée entre les événements O et M que celle qu’a mesurée O. Deux observateurs mesurent les mêmes distances et les mêmes durées. En particulier, si deux événements M et M sont simultanés pour O, ils sont simultanés pour O .
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F IGURE 2.12. Chez Newton, deux observateurs mesurent les mêmes distances et les mêmes durées.
2.7.3
Une nouvelle géométrie pour l’espace-temps : Poincaré-Einstein-Minkowski
Nous avons dit qu’autour de 1900, les expériences faites avec la lumière mirent en évidence des contradictions avec la façon newtonienne de mesurer les distances et les temps. Il fallut donc trouver une nouvelle géométrie. Minkowski, s’appuyant sur les travaux d’Einstein et de Poincaré, partit de l’idée suivante : si c est la vitesse de la lumière, alors un photon émis au point O, de coordonnées (0, 0, 0), parcourt en un temps t une distance c.t. Si on appelle ( x, y, z) les coordonnées du photon à cet instant t, sa distance spatiale à O peut alors aussi s’écrire x2 + y2 + z2 . Élevant au carré ces deux distances, on a donc x2 + y2 + z2 = (ct)2 , soit : x2 + y2 + z2 − (ct)2 = 0. La vitesse de la lumière étant la même pour tous les observateurs, Minkowski en déduisit qu’à ce même instant, un observateur utilisant d’autres axes de coordonnées centrés au point O, de coordonnées x , y , z , t , verrait le photon échelle de temps. Donc, au point de coordonnées ( x , y , z ) à une date t sur son avec ces coordonnées, l’observateur noterait que c.t = x2 + y2 + z2 , et donc que x2 + y2 + z2 = (ct )2 , soit x2 + y2 + z2 − (ct )2 = 0. Ainsi, sur la trajectoire d’un photon, la quantité x2 + y2 + z2 − (ct)2 est la même pour touts les observateurs. Cette quantité semble donc représenter quelque chose d’important dans la structure de l’espace-temps.
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F IGURE 2.13. La position d’un photon est évaluée en utilisant deux jeux différents de coordonnées centrées au point d’émission. (On a « supprimé » les coordonnées y, z sur ce diagramme d’espace-temps). Chacun apporte le même constat : x2 + y2 + z2 − (ct )2 = x 2 + y2 + z2 − (ct )2 = 0
Cette vision quadri-dimensionnelle amena d’abord Minkowski à concevoir la nécessité de fusionner les mesures de distances et de durées, et donc la nécessité d’une autre géométrie pour l’espace-temps. Par ailleurs, hormis le signe « moins » avant (ct)2 , la quantité x2 + y2 + z2 − (ct)2 ressemble à la formule de Pythagore dans un espace à 4 dimensions donnant le carré de l’hypoténuse en fonction de la somme des carrés des autres côtés (avec ct en dernière coordonnée). Si on pose comme les théoriciens c = 1, cette quantité devient en effet x2 + y2 + z2 − t2 . C’est ce qui suggéra à Minkowski une autre façon de mesurer les distances spatio-temporelles dans l’espace-temps.
F IGURE 2.14. Hermann Minkowski, 1864-1909, mathématicien et physicien théoricien. En 1907, Minkowski se rend compte que le travail de Hendrik Lorentz et Einstein pourrait être mieux compris dans un « continuum espace-temps » à 4 dimensions : « Désormais l’espace en lui-même et le temps en lui-même sont destinés à s’évanouir comme des ombres, et seule pourra prétendre à une existence indépendante une espèce d’union de l’un et de l’autre ».
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Quelle géométrie faut-il alors mettre sur l’espace-temps pour modéliser correctement le mouvement des corps matériels et des photons ? L’idée magnifique de Minkowski (en 1907) est extrêmement simple et élégante : il suffit de modifier la façon de mesurer la distance spatio-temporelle entre deux événements, en modifiant le théorème de Pythagore. D’abord, on abandonne définitivement le découpage newtonien de l’espace et du temps, on utilise l’espace-temps de dimension 4. Ensuite, une fois choisi un repère, et en choisissant les unités de sorte que c = 1, on définit l’intervalle entre l’origine O du repère et un événement M de coordonnées spatio-temporelles ( x, y, z, t) : intervalle (OM ) = x2 + y2 + z2 − t2 . C’est la version einsteinienne du carré de l’hypoténuse du triangle de Pythagore. Le terme intervalle est un peu trompeur, car il fait penser à une longueur alors que c’est plutôt une somme de carrés de longueurs ; mais c’est le terme utilisé en relativité. Pour retrouver une notion de distance, on définit alors la pseudodistance entre ces deux événements comme : x 2 + y2 + z2 − t 2 . Tout est là, dans le petit signe « moins » devant t2 ! En fait comme x2 + y2 + z2 − t2 peut être un nombre négatif (contrairement à x2 + y2 + z2 + t2 qui est une somme de carrés), la pseudo-distance est : | x2 + y2 + z2 − t2 |, la valeur absolue étant là pour être sûr que l’expression sous la racine soit positive. Ce qui est extraordinaire, c’est que cette simple petite modification dans la façon de mesurer des « distances », que nous appellerons donc des pseudo-distances dans l’espace-temps, induit une géométrie complètement différente, qui permet de modéliser toute la théorie de la relativité d’Einstein, et en particulier l’invariance de la vitesse de la lumière. Nous allons voir quelques illustrations de cette nouvelle géométrie et en particulier comment l’espace-temps devient « tissé » par la lumière. Notons qu’on appelle cette pseudo-distance, inspirée de la distance euclidienne, une distance lorentzienne. Nous la noterons d L : d L (OM ), c’est la pseudo-distance entre O et M. Elle sert donc à mesurer une « séparation » entre deux événements spatio-temporels, qu’il conviendrait, par analogie avec le terme espace-temps, d’appeler une distance-durée. C’est l’intervalle qui exprime la fusion de l’espace et du temps. En effet, comme le carré de l’hypoténuse d’un triangle, l’intervalle entre deux événements spatio-temporels ne dépend pas de l’observateur et de son choix de coordonnées. Si un autre observateur O utilise des coordonnées ( x , y , z , t ), il devra trouver la même « pseudo-mesure » d’intervalle x2 + y2 + z2 − t2 que VOYAGE DANS LES MATHÉMATIQUES DE L’ESPACE-TEMPS
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l’observateur O. Donc puisque ses mesures « spatiales » ( x , y , z ) et « temporelles » t peuvent être différentes entre ces deux événements, seule la fusion des deux mesures a un sens. Étant donné un espace de dimension 4, qui sera l’espace-temps, sur lequel on a défini une distance lorentzienne d L , nous allons voir qu’on peut définir naturellement (mathématiquement parlant, c’est-à-dire sans autre donnée que cette distance) des droites particulières représentant les lignes d’univers des photons, donc de la lumière. Il apparaîtra alors une structure géométrique remarquable, le feuilletage de l’espace-temps par les cônes de lumière. 2.8
Espace euclidien et géométrie
Dans la partie qui précède, nous avons vu comment le théorème de Pythagore avait été généralisé par Minkowski pour envisager d’autres façon de mesurer des « distances » spatio temporelles dans l’espace-temps. Nous allons revisiter dans cette partie la géométrie classique d’Euclide et ses objets à l’aide de notions mathématiques modernes, et voir comment les mathématiques permettent d’utiliser ces notions pour les appliquer à la relativité. Nous verrons en effet que sur un même espace géométrique, fait de points et de droites, on peut créer différentes géométries, c’est-à-dire différentes manières de mesurer les distances entre les points, et les angles entre les droites. Nous découvrirons au passage la notion de structure mathématique, une des notions les plus importantes des mathématiques du XXe siècle. 2.8.1
L’espace affine Éuclidien
Vecteurs, espace affine
La première étape consiste à définir précisément l’espace de la géométrie classique, où l’on dispose d’une notion naturelle de droites. Le but est de généraliser la notion d’espace issue de la géométrie euclidienne sans introduire a priori de notions d’angle et de distance. Dans ses Éléments, Euclide supposait que les notions de plan, d’espace, de points et de droites étaient primitives, signifiant qu’il supposait inutile d’en donner une définition, et s’appuyait donc sur l’image intuitive que tout le monde en avait. Euclide donnait ensuite une liste d’axiomes, règles du jeu définissant sa géométrie. Par exemple : par deux points distincts, il passe exactement une droite, ou le fameux cinquième axiome : par un point P extérieur à une droite Δ donnée, on peut faire passer exactement une droite parallèle à Δ. Signalons que c’est la remise en cause de ce cinquième axiome, au XIXe siècle, qui mena aux géométries non
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euclidiennes donnant naissance à l’étude d’espaces « courbes » dont nous parlerons au chapitre suivant. Aujourd’hui, deux mille ans après Euclide, on définit l’espace géométrique de la géométrie classique en faisant appel à la notion de vecteurs. Ce terme, peutêtre abstrait pour certains, ne recouvre en fait que la notion assez intuitive de déplacement en ligne droite : étant donné deux points A et B de l’espace, le −→ vecteur AB, c’est la « flèche » allant de A à B, ou, intuitivement, le « déplacement en ligne droite » de A à B. L’intérêt fondamental des vecteurs, c’est qu’on peut les additionner : aller → −→ −→ − de A à B, puis de B à C, c’est aller de A à C, ce qui s’écrit AB + BC = AC. −→ On peut donc aussi les soustraire : − AB, c’est le déplacement de B vers A. Il y a − → alors aussi un vecteur nul, 0 : on ne se déplace pas ! Enfin, on peut multiplier un −→ vecteur par un nombre : 2 AB, c’est deux fois le déplacement de A à B (vous aurez dépassé alors B !) ; on peut multiplier un vecteur par n’importe quel nombre réel. Enfin, si le déplacement de A à B est le même que le déplacement de D à E, on −→ −→ identifie les vecteurs AB et DE.
F IGURE 2.15. La notion de vecteur peut être considérée comme la modélisation mathématique de la notion
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de déplacement. On considère que AB et DE sont un seul et même vecteur, car ils représentent le même déplacement.
L’ensemble des vecteurs forme ce qu’on appelle un espace vectoriel. Ce qui définit fondamentalement un espace vectoriel, ce sont les opérations algébriques que l’on peut faire sur les vecteurs : addition, soustraction, existence d’un vecteur nul, multiplication par un nombre. Si l’on oublie les points pour ne plus considérer que les vecteurs, en pensant à des déplacements, l’espace vectoriel → → u,− v , et la acquiert une existence propre. On note par exemple les vecteurs, − − → − → somme de deux vecteurs u + v correspond simplement au déplacement total → → → u puis de − v . On dit qu’un vecteur − u effectué après s’être déplacé le long de − − → − → − → est parallèle (ou colinéaire) à un vecteur v si u = λ v pour un nombre réel λ. Pour un physicien, un vecteur peut alors aussi représenter une vitesse, d’où l’importance de cette notion (une vitesse c’est un déplacement divisé par un temps).
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F IGURE 2.16. Un espace vectoriel est un ensemble de vecteurs, de « flèches », caractérisé fondamentalement par les opérations algébriques que l’on peut faire sur eux. Notons que pour un mathématicien, on ramène tous les pieds des flèches sur un zéro, le déplacement nul, qui marque en quelque sorte le centre de l’espace.
La définition moderne de l’espace de la géométrie classique est alors celle d’espace affine : un espace affine est un ensemble de points, associé à un espace de vecteurs, où l’on considère que deux points distincts définissent un vecteur → −→ −→ − de telle sorte que (i)/ AB + BC = AC (si l’on va de A à B puis de B à C, cela revient à avoir fait le déplacement de A à C), et (ii)/ pour tout point A et tout −→ → → u , il existe un point B tel que AB = − u , (si on part de A en effectuant le vecteur − → u , il existe un point d’arrivée B). C’est alors à travers l’espace des déplacement − vecteurs qu’on définit précisément la notion de droite : trois points A, B, C sont −→ −→ −→ −→ alignés si le vecteur AC est parallèle à AB : AC = λ. AB pour un nombre λ.
F IGURE 2.17. Un espace affine est un ensemble de points où est définie une notion de droite. Il est défini comme un ensemble de points associé à un espace de vecteurs, que l’on peut voir comme les déplacements d’un point à un autre.
Dans un espace affine, on peut parler d’alignement, de parallélisme, de barycentre. Sous la forme qui utilise les rapports de mesures algébriques, qui est une
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notion affine, on dispose par exemple du fameux théorème de Thalès. Mais à ce stade, il n’y a aucune notion de longueur ou de distance !
Repère, coordonnées, dimension
Imaginons que dans le plan, vous vous donniez deux déplacements non paral→ → lèles, c’est-à-dire deux vecteurs − u et − v non parallèles, que nous appelons vecteurs de base. Peut-on obtenir tous les autres vecteurs du plan à partir de ces deux déplacements ? Autrement dit, peut-on obtenir tous les vecteurs du plan → u avec un certain nombre de vecen composant un certain nombre de vecteurs − → → → → teurs − v ? Tout vecteur du plan − w peut effectivement s’écrire x.− u + y.− v , pour certains nombres x, y. Les nombres x, y s’appellent les coordonnées, ou compo→ → → w dans la base (− u ,− v ). santes, du vecteur − Dans le plan, un seul vecteur de base ne suffirait pas, deux suffisent : le plan est de dimension 2. Pour un espace affine donné, le nombre minimal de déplacements de base qui permettent de reconstituer tous les déplacements est la dimension de cet espace. Ainsi, dans l’espace, il en faut 3. (S’il en faut un nombre infini, la dimension est infinie, ça existe en maths ! ) Si sur un sol plat vous voulez indiquer comment, partant d’un point O, il faut rejoindre un trésor, vous indiquez le nombre de pas à faire vers l’est, et le nombre de pas vers l’ouest. Pour qu’un oiseau rejoigne son nid, on lui indiquera le nombre de battements d’aile vers l’est, le nombre vers l’ouest, le nombre vers le haut...
F IGURE 2.18. Vecteurs de bases et coordonnées : une fois choisis des vecteurs de base, on dit plus simplement une base, tous les vecteurs acquièrent des coordonnées, qui représentent leur décomposition en ces déplacements de base. On transpose ensuite cela dans l’espace des points, en choisissant un point origine.
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Dans l’espace affine des points, un repère consiste en la donnée d’un point origine O, et d’un nombre minimal de vecteurs déplacement de base, non parallèles. Les coordonnées d’un point M correspondent aux quantités de chaque vecteur de base qu’il faut suivre pour partir de O et arriver en M. La dimension d’un espace affine est le nombre minimal de coordonnées qu’il faut pour repéréer un point. Dans l’espace-temps, il faut quatre coordonnées pour repérer un événement. Remarque : Nous tracerons souvent les vecteurs directement sur l’espace des points, ce qui revient à confondre l’espace des vecteurs avec celui des points. Ce n’est pas parfaitement rigoureux, mais c’est bien commode... La notion de structure mathématique
Les opérations algébriques définies sur les vecteurs amènent à la notion fondamentale en mathématique de structure ; c’est essentiellement un moyen de relier les objets d’un même ensemble entre eux. Dans un espace vectoriel, on additionne deux vecteurs pour en obtenir un troisième ; c’est une structure algébrique. C’est l’intérêt de l’espace vectoriel par rapport à l’ensemble des points qui seul ne possède aucune structure ; l’espace des points récupère la structure algébrique de l’espace des vecteurs. Au début du XXe siècle, il est en effet apparu aux mathématiciens que l’important pour développer des théories ce n’était pas la nature des objets étudiés, mais leurs relations au sein de leur ensemble. Ainsi, ce qui compte dans un espace vectoriel, c’est le fait de pouvoir additionner ou soustraire les vecteurs. Ce sont ces possibilités de manipulations algébriques qui permettent de définir des objets extrêmement puissants, comme les matrices ou les déterminants, servant ensuite à résoudre des problèmes difficiles. Cette définition des espaces de la géométrie classique peut sembler inutilement sophistiquée, mais elle offre une richesse et des possibilités de généralisation que ne permettaient pas les éléments d’Euclide. Par exemple, on a pu transposer au calcul différentiel (qui est l’étude des fonctions numériques à l’aide des notions de dérivées ou d’intégrales), des idées géométriques, en considérant les fonctions comme des vecteurs. La géométrie est alors devenue un moyen d’étude extrêmement puissant des fonctions. La notion de structure est une des idées les plus importantes des mathématiques du XXe siècle, même s’il est vrai qu’elle a fait faire un bond à l’abstraction mathématique. Mais l’abstraction n’est jamais un but en soi en
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mathématiques, elle doit permettre une meilleure compréhension des aspects fondamentaux d’une théorie, et permettre ainsi de la développer pour résoudre de nouveaux problèmes. 2.8.2
Distances et orthogonalité : le produit scalaire
Nous disposons donc maintenant d’un espace géométrique généralisant le plan et l’espace classique. Pour parvenir à une géométrie, il nous faut maintenant un moyen de mesurer les distances. En effet, nous venons de décrire une structure algébrique sur notre espace de points, il nous faut donc maintenant un autre type fondamental de structure, une structure métrique : il s’agit de relier les points d’un ensemble par une notion de distance. Nous avons vu dans la première partie de ce chapitre que la mesure des distances entre deux points en géométrie classique était liée au théorème de Pythagore. Mais ce théorème est lui-même lié à un concept fondamental : l’orthogonalité. En effet, le théorème de Pythagore ne s’applique que dans un triangle rectangle, c’est-à-dire où les deux petits côtés sont orthogonaux. Les notions de longueur et d’orthogonalité sont les deux concepts fondamentaux de la géométrie dans les espaces affines. Ce qui permet de retrouver la notion classique de droite et de parallélisme sur un ensemble de points, c’est l’espace des vecteurs qui lui est associé et représentant les déplacements d’un point à un autre. Les mathématiciens ont trouvé (après quelques siècles de mise au point !) des fonctions spéciales sur les espaces de vecteurs, qui non seulement donnent la longueur ou pseudo-longueur des vecteurs, mais qui permettent aussi de dire quels vecteurs sont orthogonaux : il s’agit des produits scalaires. La distance entre deux points A et B sera alors la −→ longueur du vecteur AB, et deux droites de l’espace affine seront orthogonales si les vecteurs qui les portent sont orthogonaux. Comment donc définir une notion de longueur et d’orthogonalité sur l’espace des vecteurs ? Il faut s’inspirer de ce qu’on fait en physique ! Nous avons vu que dans un espace vectoriel, on pouvait trouver des vecteurs de base, qui servent ensuite à décomposer les autres vecteurs. Et bien, ce sont ces vecteurs de base qui vont servir d’étalons de mesure de longueur et de référence d’orthogonalité. Autrement dit, on va choisir une base, dont les vecteurs définiront sur chaque axe l’unité de longueur, et on décidera que ces vecteurs de base fixent l’étalon d’orthogonalité. On mesurera alors la longueur des autres vecteurs, et l’orthogonalité des vecteurs entre eux, en se référant à cette base-étalon. Ce qui peut surprendre, c’est que dans un espace de vecteurs, il n’y a pas a priori de
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choix naturel de base étalon, ni de formule de mesure pré-établie ; c’est ce qui permet de créer des géométries différentes sur un même espace.
F IGURE 2.19. On peut choisir aussi bien comme base étalon les vecteurs de la figure de gauche que ceux de la figure de droite ! Bien sûr, il en résultera des figures un peu différentes...
Le principe est donc de choisir une base de vecteurs étalons, et de copier Pythagore (ou pseudo-Pythagore pour la relativité, nous le verrons !), en utilisant les coordonnées pour trouver la (pseudo-)longueur des vecteurs ou vérifier leur orthogonalité. Par exemple, avec les figures ci-dessus où une −−→ base de vecteurs étalons est choisie, on définira la longueur du vecteur OM, donc la distance de O à M, par x2 + y2 , pour retrouver Pythagore. Mais, suivant Minkowski,on pourra plutôt choisir de définir une pseudo-longueur, en | x2 − y2 |. Il reste alors à trouver un moyen de caractériser posant OM = l’orthogonalité. Ici encore, il est apparu que ce qui comptait dans les notions de longueur et d’orthogonalité, ce sont leurs propriétés algébriques naturelles. Par exemple, si l’on multiplie un vecteur par un nombre, sa longueur est multipliée par le même nombre (plus exactement sa valeur absolue, si le nombre est négatif) ; multiplier deux vecteurs orthogonaux par des nombres les laisse orthogonaux. Le produit scalaire est alors une opération effectuée sur deux vecteurs pour obtenir un nombre, par exemple une formule utilisant leurs coordonnées dans une base. Si dans cette opération on combine un vecteur avec lui-même, on dira que le nombre obtenu est le carré de sa longueur (ou pseudo-longueur). Si le nombre obtenu en appliquant le produit scalaire à deux vecteurs différents est zéro, on dira que ces vecteurs sont orthogonaux ; le zéro du produit scalaire sera la référence d’orthogonalité. L’astuce est de faire ressembler cette opération sur les vecteurs à un produit de nombres, d’où le nom ; le but est de permettre des manipulations algébriques permettant de faire des calculs et de résoudre efficacement certains problèmes. Mathématiquement, on demande ainsi que le produit scalaire soit une fonction → → u ,− v ) associe un nombre, et qui vérifie trois propriétés qui à deux vecteurs (− 34
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algébriques répondant aux doux noms de bilinéarité, symétrie, et non-dégénérescence. Les deux premières permettent de faire comme si on multipliait les vecteurs avec les mêmes règles de manipulation que les nombres usuels. La troisième est un peu subtile, c’est elle qui permet de définir correctement l’orthogonalité. Ce sont ces propriétés qui permettent ensuite de définir des (pseudo-)longueurs et l’orthogonalité entre vecteurs. C’est le choix du produit scalaire utilisé (de la « formule ») qui déterminera la géométrie obtenue. On pourra choisir des produits scalaires euclidiens, qui donneront la géométrie usuelle, ou des produits scalaires lorentziens, qui donneront la géométrie de la relativité restreinte. En résumé : Sur l’espace vectoriel associé à l’espace affine choisi, on se donne un produit → → u .− v scalaire à partir d’une formule sur les coordonnées des vecteurs. Notons − → → u et − v ; c’est un nombre. le produit scalaire de deux vecteurs − − → − → On définit alors la longueur (ou pseudo-longueur) || u || d’un vecteur u par → → → → → ||− u || = |− u .− u | , la valeur absolue étant là car le produit − u .− u peut être négatif. La (pseudo-)distance entre deux points O et M est définie comme étant −−→ la (pseudo-)longueur du vecteur OM. → → u ,− v en disant qu’ils sont On définit l’orthogonalité entre deux vecteurs − − → − → orthogonaux si u . v = 0. Nous allons voir qu’avec la pseudo-longueur, c’est essentiellement à travers cette notion qu’apparaît la différence entre la géométrie newtonienne et la géométrie einsteinienne, car l’orthogonalité pour un produit scalaire lorentzien est très différente de l’orthogonalité euclidienne classique. C’est grâce à l’orthogonalité que l’on verra apparaître la relativité de la notion de simultanéité. Bien que surprenante, car semblant partir à l’envers, c’est cette définition abstraite du produit scalaire qui s’avère être la bonne, car elle permet de généraliser le théorème de Pythagore à des espaces de dimension quelconque, mais aussi à la géométrie de Minkowski. Le plus simple est d’illustrer la notion de produit scalaire par les deux exemples les plus importants, en dimension 2 pour bien voir les choses.
La géométrie euclidienne classique
Pour retrouver la géométrie usuelle, celle vue au lycée, on définit un produit scalaire euclidien : sur un plan, espace à 2 dimensions, après avoir choisi un repère étalon, le produit scalaire euclidien pour deux vecteurs de composantes − → − → − → → a = ( x, y) et b = ( x , y ), est : − a . b = x.x + y.y . D’après la définition donnée, VOYAGE DANS LES MATHÉMATIQUES DE L’ESPACE-TEMPS
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→ la longueur d’un vecteur − w = ( x, y) est alors x2 + y2 . On retrouve bien la formule classique de Pythagore !
Produit scalaire euclidien en dimension 2. → → u et − v , qui On choisit deux vecteurs de base − déterminent un repère d’axe x, y. On définit le produit scalaire suivant entre → deux vecteurs de composantes − a = ( x, y) et − → − → − → b = ( x , y ) : a . b = x.x + y.y . → a est alors par définition La longueur de − → ||− a || = x2 + y2 .
− → → → → → u ,− v ,− a , b ,− w de la figure ci-dessus. Alors : On considère les cinq vecteurs − − → → → → u .− v = 1×0+0×1 = 0:− u et − v sont bien orthogonaux ! − → − → a . b = 2 × 1 + 1 × 2 = 4. √ √ → → w est ||− w || = 32 + 32 = 18. La longueur de − Sur la figure ci-dessus, et sur la suivante, nous avons représenté les vecteurs → → u et − v faisant un angle droit usuel, mais c’est une représentation convende base − tionnelle, puisqu’avant d’avoir choisi une base étalon et un produit scalaire, il n’y a pas moyen de parler d’orthogonalité ! La géométrie lorentzienne
Reprenons exactement la même figure que pour le produit scalaire euclidien, mais en définissant un autre produit scalaire. Souvenez-vous que Minkowski avait eu l’idée de modifier le carré de l’hypothénuse de Pythagore, x2 + y2 , en introduisant un signe « moins », ce qui en dimension 2 donne x2 − y2 . On peut appliquer cette idée au produit scalaire euclidien que l’on vient de voir, pour obtenir un produit scalaire dit lorentzien (on aurait pu dire minkowskien, mais Lorentz eut son rôle aussi). Ce simple petit changement de signe va donner des longueurs et des orthogonalités bien différentes... (On a remplacé la coordonnée y par t dans le schéma ci-dessous pour se mettre dans le cadre d’un espacetemps, mais ce n’est qu’un changement de nom !)
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Produit scalaire lorentzien en dimension 2. → → u et − v , qui On choisit deux vecteurs de base − déterminent un repère d’axe x, t. On définit le produit scalaire suivant entre deux − → → a = ( x, t) et b = vecteurs de composantes − − → → ( x , t ) : − a . b = x.x − t.t . → a est alors par définiLa pseudo-longueur de − − → 2 2 tion | a | = | x − t |.
− → → → → → u ,− v ,− a , b ,− w de la figure ci-dessus. Alors : On considère les cinq vecteurs − − → → → → u .− v = 1×0−0×1 = 0:− u et − v sont bien orthogonaux. − → − → − → → a . b = 2×1−1×2 = 0:− a√et b sont aussi orthogonaux ! → → → w est |− w | = 32 − 32 = 0 : − w est de pseudo-longueur nulle ! La longueur de − → → → w .− w = 0, − w est donc orthoMais on voit aussi que, sans être le vecteur nul, − gonal à lui-même ! Avec ce produit lorentzien, deux vecteurs sont orthogonaux → u et s’ils sont symétriques par rapport aux diagonales à 45◦ . C’est pourquoi ici − − → − → − → v , comme a et b , sont orthogonaux ! → w peut Retenons qu’avec un produit scalaire lorentzien, un vecteur non nul − − → − → avoir une pseudo-longueur nulle, que son carré scalaire w . w , s’il n’est pas nul, peut être positif ou négatif. Enfin, avec ce produit lorentzien, deux vecteurs sont orthogonaux s’ils sont symétriques par rapport aux diagonales à 45◦ . Signalons que le produit scalaire permet aussi de définir une notion d’angle entre deux vecteurs. Un produit scalaire euclidien permet par exemple d’obtenir le cosinus de l’angle usuel. Un produit scalaire lorentzien permet de définir un angle hyperbolique. − → → Pour les lecteurs exigeants : Deux vecteurs − a = ( x, t) et b = ( x , t ) sont orthogonaux si − → − → a . b = x.x − t.t = 0, ce qu’on peut écrire t/x = x /t . Or, t/x, c’est la pente de la droite portée − → → par − a , et t /x la pente de la droite portée par b . Les deux droites sont orthogonales pour ce produit scalaire lorentzien si la pente de l’une est l’inverse de l’autre, ce qui signifie exactement qu’elles sont symétriques par rapport aux diagonales.
Produit scalaire sur l’espace-temps
Généraliser le produit scalaire lorentzien vu ci-dessus en dimension 2 à un espace de dimension 4 ne pose aucune difficulté. Dans un espace vectoriel de di− → → → → u ,− v ,− w , t formant une base. Dans cette mension 4, choisissons 4 vecteurs −
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base, considérée comme étalon de mesure et d’orthogonalité, si deux vecteurs − → − → a et b ont des composantes ( x, y, z, t) et ( x , y , z , t ), on définit le produit scalaire lorentzien sur l’espace-temps par :
− → − → a . b = x.x + y.y + z.z − t.t . Une fois choisi un point origine O dans l’espace affine associé, pour un point M de coordonnées ( x, y, z, t), on aura :
−−→ −−→ OM.OM = x2 + y2 + z2 − t2 , c’est ce que nous avons appelé l’intervalle entre O et M. La pseudo-distance de −−→ O à M sera donnée par la pseudo-longueur de OM : −−→ −−→ |OM.OM| = | x2 + y2 + z2 − t2 | On retrouvera bien la pseudo-distance lorentzienne d L (OM ) issue du théorème de Pythagore modifié. Produit scalaire et choix des coordonnées
Même si une base étalon particulière a été utilisée pour définir un produit scalaire, la valeur du produit de deux vecteurs ne dépendra plus ensuite des coordonnées utilisées, il suffit de transposer aux nouvelles coordonnées la formule initiale, ce qui est en général assez simple. Nous allons le voir ci-aprés pour les repères dit orthonormés. C’est en particulier ce que l’on fait pour représenter les mesures de différents observateurs. Pour un produit scalaire donné, il n’y a pas de base étalon absolue, il y a une infinité de bases étalons possibles et équivalentes. Ainsi, bien que nous ayons utilisé dans les figures précédentes une base et un repère étalon pour définir le produit scalaire, il faut pouvoir s’affranchir des coordonnées pour pouvoir se concentrer sur les propriétés algébriques du produit scalaire, car ce sont ces propriétés qui révèlent en fait la nature profonde, intrinsèque, des objets manipulés. Il faut donc insister sur l’importance de développer la notion de produit scalaire indépendamment de tout choix particulier d’un système de coordonnées. L’utilisation des coordonnées est souvent indispensable à l’obtention de résultats numériques, mais leur emploi systématique dans les définitions masque la nature profonde des notions géométriques sous-jacentes. Ce sont bien les propriétés algébriques demandées, par définition, au produit scalaire qui permettent de définir les (pseudo-)longueurs et l’orthogonalité.
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En particulier, si sur un espace géométrique de dimension 4 on définit un produit scalaire lorentzien, l’intervalle entre deux points O et M est défini, indépendamment −−→ −−→ de toutes coordonnées, par : OM.OM. L’intérêt est que, une fois des notions géométriques définies ainsi, on dit de manière intrinsèque, on pourra les utiliser avec n’importe quel système de coordonnées, pas forcément rapportées à des axes orthogonaux, comme les coordonnées polaires. Néanmoins, les repères composés de vecteurs orthogonaux sont bien sûr les plus commodes. Si grâce au repère de base initial et au produit scalaire − → → → → u ∗, − v ∗, − w ∗ , t ∗ , orthogonaux deux-à-deux on trouve quatre autres vecteurs, − et de pseudo-longueur 1, ces vecteurs pourront servir de nouveaux vecteurs étalons de base pour définir un nouveau repère centré sur O. Dans ce nouveau repère, dit orthonormé, le produit scalaire, choisi et défini dans la première base, se calculera selon la même formule mais avec les nouvelles coordonnées : si l’événement M est de coordonnées ( x∗ , y∗ , z∗ , t∗ ) dans ce nouveau repère, on aura la même formule :
−−→ −−→ OM.OM = x2∗ + y2∗ + z2∗ − t2∗ −−→ La pseudo-distance de O à M sera donnée par la pseudo-longueur de OM : −−→ −−→ |OM.OM | = | x2∗ + y2∗ + z2∗ − t2∗ | Les coordonnées de chaque vecteur seront différentes dans ce nouveau repère, mais les résultats du calcul de produits scalaires ou de longueurs seront les mêmes. Passer d’un repère à un autre est ce qu’on appelle un changement de référentiel. Si le produit scalaire utilisé a été correctement défini, ce changement de référentiel sera sans effet sur la valeur du produit de deux vecteurs donnés. (Cela est bien sûr aussi valable pour un produit scalaire euclidien.) Résumé
Résumons tout cela. On se donne donc un espace affine de dimension 4 ; il y a une notion naturelle de droite, mais à ce stade aucune notion de longueur ou d’angle. En particulier, on ne peut pas parler de droites orthogonales. Sur l’espace vectoriel associé à cet espace affine, on définit alors maintenant un produit scalaire : on a alors une géométrie ! On peut parler de distance et d’orthogonalité. Étant donné une droite, on appelle vecteur directeur de cette droite un vecteur dont « l’axe » est parallèle à la droite. Deux droites sont orthogonales si elles ont des vecteurs directeurs orthogonaux. Un repère est orthonormé, s’il a
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des axes de coordonnées orthogonaux, avec des vecteurs de base de longueur 1. Attention, nous avons vu que l’orthogonalité pour un produit scalaire euclidien est très différente de l’orthogonalité pour un produit scalaire lorentzien. Sur notre espace de dimension 4, on se donne donc un produit scalaire. On dira que l’on a un produit scalaire euclidien s’il existe un repère dans → u = ( x1 , y1 , z1 , t 1 ) lequel, une fois qu’on a pris les coordonnées de deux vecteurs − → et − v = ( x2 , y2 , z2 , t2 ), leur produit scalaire s’écrit dans ce repère :
− → → u .− v = x1 .x2 + y1 .y2 + z1 .z2 + t1 .t2 On dira que l’on a un produit scalaire lorentzien s’il existe un repère dans → u = ( x1 , y1 , z1 , t 1 ) lequel, une fois qu’on a pris les coordonnées de deux vecteurs − → et − v = ( x2 , y2 , z2 , t2 ), leur produit scalaire s’écrit dans ce repère :
− → → u .− v = x1 .x2 + y1 .y2 + z1 .z2 − t1 .t2 (attention au signe « moins »). Dans les deux cas, on dit que les vecteurs sont orthogonaux si leur produit → → u .− v = 0. scalaire est nul : − Notez que ceci se généralise à n’importe quelle dimension. C’est un long préambule mathématique, mais l’énorme intérêt est qu’une fois admis ces connaissances des mathématiques, la physique devient beaucoup plus simple. Il n’y a plus qu’à faire des dessins.
F IGURE 2.20. Hendrik Antoon Lorentz, 1853-1928, physicien. Prix Nobel de physique de 1902. Il a laissé son nom aux transformations de Lorentz qui sont à la base de la théorie de la relativité restreinte. Elles ont été proposées par Lorentz dans le but d’expliquer les résultats de l’expérience de Michelson-Morley sur la vitesse de la lumière par une contraction réelle des longueurs dans le sens du mouvement.
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De la géométrie de Newton à la géométrie d’Einstein
Pour commencer à construire un modèle mathématique pour faire de la physique, il faut définir l’univers, c’est-à-dire le « cadre » dans lequel « vivent » les événements physiques. Cela n’a absolument rien d’évident. Nous sommes maintenant tellement habitués (et influencés par nos sens, essentiellement la vision) à nous représenter l’univers comme un espace euclidien à 3 dimensions, que nous ne nous rendons plus compte à quel point cela est déjà un énorme préjugé, un énorme postulat. Nous avons déjà dit qu’il semblait depuis 1907 plus approprié de choisir un espace-temps de dimension 4. Il semblait encore « naturel » à cette date de supposer que l’espace-temps était euclidien. Mais insistons lourdement sur le fait que cela est un postulat. Ce choix de modèle est basé sur des préjugés épistémologiques majeurs. Pourquoi l’espacetemps n’aurait-il que 4 dimensions, plutôt que 5 ou 11 ou 26 ? Pourquoi serait-il euclidien (c’est-à-dire fait de droites) plutôt que courbe et ayant la forme d’un tore de dimension 11 ? En 1900, ces questions ne se posaient pas (quoique Riemann les eût déjà posées en 1850), il semblait « évident » que l’espace était euclidien. Aujourd’hui il est bien compris que le choix d’un modèle géométrique pour l’univers n’est qu’un postulat, que seule la confrontation à l’expérience peut valider à posteriori. Ainsi, la relativité générale, concevant l’espace-temps comme un espace courbe, semble offrir une meilleure description. Mais ce modèle sera peut-être à rejeter dans quelques années si des expériences l’infirment. Dans ce chapitre, nous considérerons l’espace-temps de Minkowski, un espace affine muni d’un produit scalaire lorentzien, apte à modéliser les mesures de distances et de durées en relativité restreinte. Mais commençons par revoir le modèle newtonien. 2.9.1
La géométrie de Newton
Résumons le modèle de la mécanique newtonnienne. Il consiste en la donnée de trois éléments : un espace géométrique, une mesure de temps, une mesure de distance spatiale. On commence par le choix d’un espace géométrique. Nous avons vu que, bien qu’initialement Newton ait séparé le repère associé aux positions spatiales de celui associé aux « positions » temporelles, on pouvait aujourd’hui énoncer les principes de la mécanique newtonienne dans un espace-temps à quatre dimensions. C’est la conception des mesures temporelles qui fera fondamentalement la différence avec la relativité restreinte. Vu ainsi d’un point de vue moderne, on choisit donc comme espace géométrique un espace affine de dimension 4. À ce stade, « l’univers » ne dispose que
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de la notion de points et de droites. Les points de cet espace-temps sont appelés les événements. Étant donné deux événements A, B, le « déplacement » de A à −→ B est le vecteur AB. Le point de départ d’un modèle pour la mécanique est la définition du temps. Pour Newton, le temps est une fonction « absolue » t valable sur tout l’espace : à tout couple de points ( A, B) de l’espace-temps, on associe la durée écoulée entre −→ A et B, t( AB). Si on choisit un point origine O, tout événement A se voit alors −→ attribué une date : t(OA). On postule que cette fonction « temps » est « linéaire », ce qui implique qu’étant donné un point A, l’ensemble des points M tels que −−→ t( AM) = 0 est un « sous-espace affine de dimension 3 », c’est-à-dire un morceau, lui-même euclidien et de dimension 3, de l’espace-temps. Ce sous-espace est l’ensemble des événements simultanés à A.
F IGURE 2.21. L’espace-temps Newtonien.
Il est fondamental de comprendre que la mécanique newtonienne postule l’existence d’un temps universel, défini et identique sur tout l’espace et pour tous les observateurs. De plus, la condition de linéarité imposée à la fonction t implique que tous les espaces de simultanéité sont parallèles entre eux, et, mathématiquement parlant, naturellement identifiables à un unique espace affine de dimension 3, par exemple l’espace de simultanéité du point O si on a choisi une origine. On a donc un temps absolu qui implique un espace absolu de référence. Cet espace de référence dépend du choix d’une origine temporelle, arbitraire. L’espace-temps est feuilleté par les espaces de simultanéité, chacun étant repéré par sa date absolue. Chacune de ces feuilles représente l’espace absolu vu à la date absolue correspondante.
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Le point clef de la géométrie newtonienne est donc que, si l’on considère deux observateurs, puisqu’ils utilisent le même temps t, leurs espaces de simultanéité sont les mêmes : deux événements, simultanés pour l’un, sont simultanés aussi pour l’autre. Enfin, on choisit sur l’espace absolu un produit scalaire euclidien classique pour mesurer les distances « spatiales » entre les événements.
F IGURE 2.22. Temps absolu de Newton, impliquant un espace absolu de référence.
Voilà donc le cadre géométrique de la mécanique newtonienne. Répétons, qu’après le choix d’un espace affine de dimension 4, le postulat fondamental est celui de l’existence d’un temps universel, la fonction t. C’est ce temps qui détermine toute la géométrie de l’espace-temps, et en particulier qui permet de définir un espace absolu. Cet espace absolu résulte de l’existence du temps absolu, car il correspond à l’identification de tous les espaces de simultanéité. Le choix d’une distance euclidienne sur l’espace absolu est d’ailleurs en quelque sorte secondaire, bien qu’évidemment nécessaire. Le passage à la géométrie einsteinienne va reposer essentiellement sur l’abandon de l’idée d’un temps absolu et sur un rôle fondamental donné à la lumière, comme déterminant les mesures de temps. 2.9.2
La géométrie d’Einstein
Une géométrie, rappelons-le, c’est un espace de points (un espace affine, dans ce chapitre) et un moyen de mesurer les distances entre ces points. Celle de la mécanique newtonienne est particulièrement compliquée, puisqu’il faut découper l’espace-temps en deux, et introduire deux « distances », une pour le temps (les durées), et une pour les distances spatiales. Il en résulte un feuilletage très rigide de l’espace-temps, avec des espaces de simultanéité tous parallèles entre eux.
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L’axiomatique de la mécanique d’Einstein est beaucoup plus simple : L’espace-temps est un espace affine E de dimension 4 dont l’espace vectoriel associé est muni d’un produit scalaire lorentzien. C’est tout. Le point fondamental est maintenant que les mesures de temps et de distance spatiale sont regroupées dans une seule distance spatio-temporelle, la pseudodistance lorentzienne, qui se calcule à partir du produit scalaire lorentzien. Le modèle est beaucoup plus simple formellement, mais donne lieu à une géométrie beaucoup plus riche. Rappelons que, une fois que l’on a choisi un repère approprié, la pseudodistance lorentzienne, entre un point origine O et un événement M de coordonnées spatio-temporelles ( x, y, z, t), s’écrit : d L (OM ) = | x2 + y2 + z2 − t2 |, c’est-à-dire « Pythagore modifié ». Ce que nous avons appelé intervalle (le carré de l’hypoténuse d’Einstein) entre −−→ −−→ O et M est donné par le produit scalaire : OM.OM = x2 + y2 + z2 − t2 . Encore une fois tout est dans le signe « moins » devant t2 : pour une géométrie euclidienne, il n’y a que des « plus », et donc si un vecteur est non nul, au moins une de ses composantes est non nulle, et donc sa longueur est strictement positive. Mais avec un produit scalaire lorentzien, du fait du signe « moins », il va exister des événements M « éloignés » de O dont la pseudo-distance à O sera pourtant nulle, à savoir ceux pour lesquels x2 + y2 + z2 = t2 . Les droites reliant O à M dans ce cas vont jouer un rôle fondamental : on postule qu’elles représentent les lignes d’univers des photons, c’est-à-dire des rayons lumineux. On dit que ce sont des droites de genre lumière ; les vecteurs directeurs des droites de genre lumière représentent les déplacements des photons. Pour justifier cette représentation des photons, souvenez-vous que pour les théoriciens, la vitesse de la lumière c = 1. Donc si M, de coordonnées ( x, y, z, t), est un photon parti de O, la distance qu’il a parcouru en un temps t est x2 + y2 + z2 , mais elle vaut aussi c.t = 1.t ; élevant au carré, on a x2 + y2 + z2 = t2 . Sans faire référence à des coordonnées, une droite de genre lumière est une droite de l’espace-temps dont → → → u vérifie − u .− u = 0. tout vecteur directeur − Le « paradoxe » des jumeaux
Commençons par un aspect spectaculaire de la nouvelle géométrie que l’on obtient lorsqu’on utilise une distance lorentzienne : « l’inégalité triangulaire inversée ». Lorsqu’on se donne 3 points A, B, C formant un triangle dans un espace affine, si l’on mesure les longueurs des côtés avec une distance « normale »,
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euclidienne, la somme des longueurs de deux côtés est toujours supérieure à la longueur du troisième. Par contre, avec une distance lorentzienne, cela n’est plus toujours le cas : pour certains triangles, la longueur d’un côté est supérieure à la somme des longueurs des deux autres côtés ! Cela se montre assez simplement, par exemple en utilisant des coordonnées d’un repère bien choisi. Nous en donnerons une preuve à la fin de ce chapitre. C’est la base du fameux « paradoxe » des jumeaux dont nous reparlerons.
FIGURE 2.23. L’inégalité triangulaire lorentzienne. Dans la géométrie lorentzienne, pour ce triangle : AB + BC < AC .
FIGURE 2.24. L’inégalité triangulaire inversée de Lorentz, sur un exemple. Dans le repère ( x, t ), on prend le produit scalaire lorentzien x.x − t.t .
−→ − → −→ AC = (0, 10). Alors leurs pseudo-longueurs sont respectivement : −→ | AB| = |32 − 52 | = |9 − 25| = 4 − → | BC| = |(−3)2 − 52 | = |9 − 25| = 4 −→ | AC| = |02 − 102 | = | − 100| = 10 Donc AB + BC = 8 et AC = 10.
Les coordonnées des vecteurs sont : AB = (3, 5), BC = (−3, 5) et
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Dans l’espace-temps de la relativité restreinte, le plus court chemin entre deux points n’est pas toujours la ligne droite ! Nous allons maintenant présenter tous les objets de la mécanique relativiste de manière purement géométrique (ce qui est la vision moderne), et nous mettrons en évidence de la même manière le fait que la notion de simultanéité dépend de l’observateur. Insistons encore une fois sur le fait que nous postulons cette géométrie comme décrivant l’univers physique. En postulant une géométrie différente de celle de Newton, il est normal de trouver des phénomènes différents. Seule la confrontation à l’expérience permet d’affirmer que ces nouveaux postulats donnent une meilleure description de la réalité que ceux de Newton... ce qui est le cas ! Les cônes de lumière
Nous avons vu que la structure géométrique fondamentale de la mécanique newtonienne est le feuilletage de l’espace-temps par les espaces de simultanéité, eux-mêmes définis grâce à la fonction temps universel t. En mécanique relativiste, le produit scalaire lorentzien va fournir une tout autre structure géométrique, le feuilletage de l’espace-temps par les cônes de lumière. L’intervalle x2 + y2 + z2 − t2 , entre deux événements O et M, permet de partager l’ensemble des droites passant par O en trois sous-ensembles : – si l’intervalle entre O et M est positif, on dit que la droite (OM ) est de genre espace ; – si l’intervalle entre O et M est négatif, on dit que la droite (OM ) est de genre temps ; – si l’intervalle entre O et M est nul, on dit que la droite (OM ) est de genre lumière. Rappelons que l’intervalle entre O et M est donné indépendamment des coor−−→ −−→ données par le produit scalaire OM.OM. On parle donc aussi du genre du vec−−→ teur OM.
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F IGURE 2.25. Genre des vecteurs (en dimension 2). On étend la notion de genre (temps, espace ou lu− → − →− → mière) aux vecteurs en définissant « l’intervalle » d’un vecteur u comme étant le produit scalaire u . u . Dans des coordonnées x, t où le produit scalaire est défini par x.x − t.t , le genre d’un vecteur de coordon− →− → − → nées ( x, t ) est alors donné par le signe de x2 − t2 : v . v = 12 − 22 = −3 < 0, v est de genre temps. − → − → − → − → − → − → 2 2 2 2 u . u = 2 − 1 = 3 > 0, u est de genre espace. w . w = 3 − 3 = 0, w est de genre lumière.
On montre facilement que l’ensemble des droites de genre lumière passant par un point O fixé forme un double cône (de dimension 3 dans l’espace-temps de dimension 4). De même, les vecteurs de genre lumière issus de 0 forment aussi un double cône. On appelle ce double cône, pour les droites ou les vecteurs, le cône de lumière. Dans nos diagrammes d’espace-temps (où une dimension spatiale est supprimée, ce qui donne l’image classique d’un cône, surface de dimension 2), l’axe des t a été orienté vers le haut : le cône supérieur s’appelle donc le cône futur, celui du bas, le cône passé. Voir figure 2.26. Les droites de genre temps représentent les lignes d’univers des observateurs galiléens ou des objets physiques en mouvement rectiligne uniforme, se déplaçant moins vite que la lumière. Les vecteurs de genre temps représentent leurs déplacements spatio-temporels. Les droites de genre lumière représentent les lignes d’univers des photons. Les vecteurs de genre lumière représentent donc leurs déplacements spatiotemporels. Il est assez simple de justifier ces représentations. En effet, si on pense à un → v de coordonnées ( x, y, z, t) comme au déplacement spatio-temporel vecteur − d’un objet, on peut considérer de manière « classique » que les coordonnées
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F IGURE 2.26. Il faut simplement retenir que les droites ou vecteurs de genre temps sont à l’intérieur du cône de lumière, ceux de genre espace sont à l’extérieur. Il faut aussi noter que dans ce diagramme d’espacetemps, une dimension spatiale a été supprimée, et que l’axe des temps est vertical. Par conséquent, chaque tranche horizontale du cône, qui sur ce dessin est un cercle, est en fait une sphère : la lumière quitte l’origine du cône dans toutes les directions de l’espace à la même vitesse, et crée donc, à chaque instant, une sphère. C’est pourquoi le cône de lumière est de dimension 3 dans l’espace-temps de dimension 4.
( x, y, z) représentent les déplacements « spatiaux » le long des axes correspondants, et que la coordonnée t représente le déplacement « temporel ». La longueur spatiale du déplacement est alors d’après le théorème classique de Pythagore x2 + y2 + z2 , et la durée de parcours de ce déplacement spatial est t (ou |t| si t est négatif, ce qui représente un déplacement « vers le passé »). La vitesse classique de l’objet est la distance divisée par le temps, soit :
x 2 + y2 + z2 . |t|
→ v est un vecteur de genre temps, par définition x2 + y2 + Par conséquent, si − z2 − t2 < 0, ce qui est équivalent à x2 + y2 + z2 /|t| < 1. Or 1 c’est la vitesse de la lumière, car en tant que théoriciens, nous avons considéré des unités telles que la vitesse de la lumière c = 1 : l’objet s’est donc déplacé « moins vite que la lumière ». → 2 2 2 2 v est un vecteur Si − de genre lumière, par définition x + y + z − t = 0, ce qui est équivalent à x2 + y2 + z2 /|t| = 1 = c : l’objet s’est déplacé à la vitesse de la lumière. Les droites de genre espace passant par O sont à l’extérieur du cône de lumière, elles représenteraient les « particules » hypothétiques se déplaçant plus 48
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vite que la lumière. A priori, pour l’instant, il est supposé qu’aucun objet physique ne se déplace plus vite que la lumière. Mais attention, nous l’avons déjà mentionné, leur existence éventuelle ne contredirait pas les autres principes de la relativité ! (Du moins, à condition que ces particules supra-luminiques n’interagissent pas avec les particules ordinaires.) Nous en reparlerons un peu plus loin. Aucun point d’un espace affine n’est particulier, tous les points de l’espacetemps se valent. Chaque point de l’espace peut donc être pris comme origine O d’un cône de lumière tel que nous venons de le construire. C’est ainsi que nous voyons apparaître le feuilletage de l’espace-temps par ces cônes de lumière. Répétons que le point clef de toutes ces définitions est qu’elles ne dépendent pas des coordonnées choisies. En effet la valeur de l’intervalle entre deux événements O et M ne dépend que du produit scalaire défini, et cette valeur doit être la même dans tous les repères où l’on calculera ce produit scalaire. L’idée, c’est que l’intervalle ne dépend pas plus du choix des coordonnées que le carré de la longueur de l’hypoténuse d’un triangle en géométrie classique ne dépend des coordonnées utilisées pour la mesurer. Choisir un observateur avec ses axes de coordonnées, c’est seulement choisir une manière particulière de calculer la pseudo-distance, ou l’intervalle, entre deux événements. Le genre (temps, lumière ou espace) d’un vecteur ou d’une droite ne dépend pas de l’observateur. En particulier, tous les observateurs s’accorderont sur une valeur particulière de l’intervalle, à savoir zéro ! Chaque point de l’espace-temps est donc équipé d’un cône de lumière indépendant de tout choix de coordonnées, puisque les droites qui l’engendrent sont définies, parmi les droites passant par ce point, → → → u vérifie − u .− u = 0. comme les droites dont tout vecteur directeur − Cela signifie exactement que tous les observateurs voient les mêmes droites de lumière. Dit autrement, cela implique que les cônes de lumière sont les mêmes pour tous. Il est alors facile de montrer, avec le produit scalaire, que tous les observateurs mesurent la même vitesse de la lumière. La conséquence est que cela force leurs mesures de distances et de durées à être différentes, à être relatives. Après ce long préambule mathématique, qui a effectivement mené à ce modèle d’espace-temps et de mécanique, on peut ne se concentrer que sur l’aspect visuel et géométrique. 2.10
La géométrie einsteinienne par l’image
2.10.1
Fondements
Reprenons donc visuellement la situation : si l’exposé mathématique qui précède vous a fatigué, vous pouvez ne retenir que ce qui suit !
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Le modèle postulé pour décrire la mécanique des objets physiques se déplaçant dans l’espace-temps est le suivant. La structure de base de la relativité restreinte, c’est le feuilletage de l’espace-temps par les cônes de lumière. L’espacetemps de la relativité restreinte est donc un espace euclidien de dimension 4 sur lequel on se donne en chaque point un double cône. Ces cônes doivent tous être parallèles entre eux.
F IGURE 2.27. L’espace-temps de la relativité restreinte est muni en chaque point d’un cône de lumière. Tous les cônes de lumière sont parallèles. À droite, si on supprime deux dimensions spatiales comme sur la plupart des diagrammes d’espace-temps, les cônes sont « plats ».
Le cône de lumière est vraiment l’objet fondamental de la relativité. On prend alors les définitions des différentes droites données dans la partie précédente comme des postulats sur le comportement de la matière. En particulier, les droites de genre lumière sont celles qui forment le cône issu d’un point O ; elles représentent les lignes d’univers des photons passant par O. On postule alors que tous les objets physiques ayant une masse positive ont une ligne d’univers qui est toujours à l’intérieur du cône de lumière issu de chaque point qui la compose. On appelle une telle courbe, une courbe de genre temps (rigoureusement, le vecteur tangent en chaque point de la courbe doit être de genre temps). Une courbe qui sort du cône de lumière issu d’un de ses point représenterait un objet qui à cet instant se déplacerait plus vite que la lumière ; on postule que cela est interdit... Voir figure 2.28. Remarque importante : nous l’avons déjà mentionné, l’existence de particules supra-luminiques ne contredirait pas les principes de la relativité restreinte. Pour que le modèle physique que l’on tire de la géométrie que nous avons présenté fonctionne, il faut que la vitesse de la lumière ne puisse pas être franchie, dans un sens ou dans l’autre. Pour nous, géométriquement, cela signifie qu’une ligne d’univers ne peut jamais traverser la surface d’un cône de lumière. Dit autrement, la ligne d’univers d’un objet physique ne doit jamais changer de genre, elle est
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F IGURE 2.28. Récapitulatif des courbes possibles passant par un événement. À droite, une ligne d’univers d’un objet physique : les vecteurs tangents en chaque point de la ligne d’univers doivent toujours être à l’intérieur du cône de lumière.
soit toujours de genre temps, soit toujours de genre espace. Notons que cette impossibilité, que nous présentons ici comme un postulat, se démontre en fait assez simplement si l’on introduit les notions physiques d’énergie (et de quantité de mouvement, ou impulsion). Nous ne le ferons pas ici (voir Tachyon, un aperçu graphique, d’E. Gourgoulhon), notre objectif étant l’étude du modèle géométrique et de ses conséquences sur les mesures de temps. La trajectoire spatio-temporelle d’un observateur, être physique idéalisé, mais quand même censé vous représenter vous, ou moi, est décrite par une courbe de genre temps bien sûr. Les observateurs privilégiés de la relativité restreinte sont les observateurs dont la ligne d’univers est une droite (donc de genre temps). On les appelle les observateurs galiléens ou inertiels, ils se déplacent les uns par rapport aux autres à vitesse constante, sans accélération. Encore une fois, c’est la confrontation de ce modèle à l’expérience qui le validera ou l’infirmera. Disons tout de suite que depuis 1905 jusqu’à aujourd’hui, le modèle relativiste n’a jamais été pris en défaut et a même été vérifié avec une extraordinaire précision. Lorsqu’on néglige la gravitation, comme en physique des particules, rien ne permet pour l’instant de remettre en cause la relativité restreinte. Les réflexions d’Einstein et de Poincaré amenèrent à constater qu’un observateur, un physicien, dans son train/sa voiture/son vaisseau spatial, ne pouvait mesurer le temps que dans son très proche voisinage, en se référant à un phénomène périodique en contact avec lui comme le battement de son cœur, le mouvement d’un pendule tenu dans sa main, ou bien sûr aujourd’hui, à la rotation
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de l’aiguille de la montre à son poignet. Par contre c’est un préjugé newtonien, et faux d’après l’expérience, de supposer qu’il peut affirmer qu’un observateur lointain et en déplacement par rapport à lui mesurera les mêmes durées en se référant à une montre identique accrochée à son propre poignet. Le temps mesuré par un observateur à l’aide d’une montre qui se déplace avec lui, collée à lui, s’appelle le temps propre de cet observateur ; c’est le seul temps qui a un sens physique pour cet observateur. La notion de temps propre est LA notion fondamentale en relativité. On relie très naturellement cette définition physique du temps propre à la géométrie que nous avons définie. En effet, un observateur dont la ligne d’univers est une droite peut utiliser sa ligne d’univers comme axe « temporel » d’un repère. S’il utilise la pseudo-distance lorentzienne pour calculer la pseudodistance entre deux points O et M de sa ligne d’univers, il n’utilisera en fait que la coordonnée temporelle t car, dans son repère, les coordonnées « spatiales » x, y, z de O et M seront égales à zéro : √ | x 2 + y2 + z2 − t 2 | = t 2 = | t | Il considérera donc que la pseudo-distance entre ces deux points est une durée. On appelle donc le temps ainsi mesuré par un observateur le long de sa propre ligne d’univers son temps propre.
F IGURE 2.29. Le temps propre de l’observateur 1 est la pseudo-distance qu’il mesure le long de sa ligne d’univers : si M est de coordonnées (0, 0, 0, t ) dans le repère dont l’axe « temporel » (des « t ») est la ligne d’univers de l’Observateur 1, alors | t | est le temps propre écoulé pour cet observateur entre O et M. (Un seul axe « spatial », x, a été représenté pour l’observateur 1. Il est orthogonal à la ligne d’univers de cet observateur pour le produit scalaire lorentzien !) Pour le calculer quand la ligne d’univers n’est pas une droite (observateur 2, ligne rouge ci-dessus), on utilise une méthode mathématique un peu plus sophistiquée : une intégrale. Nous y reviendrons dans le cadre de la relativité générale.
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Comment un observateur va-t-il dater les événements à distance ? Il va se servir de la seule chose certaine pour tous : la lumière et sa vitesse. Pour dater un événement M lointain, il va faire faire un aller-retour à un flash lumineux vers M, et utiliser les heures de départ et de retour de ce flash, en imaginant qu’il soit réfléchi (par un miroir par exemple) par l’événement. Cet événement, comme la rencontre de deux particules ou l’explosion d’une étoile, est un point dans l’espace-temps. Il est donc caractérisé par une position spatiale et temporelle. L’observateur appelle t1 l’heure de départ mesuré avec sa montre, donc son temps propre, et t2 l’heure de retour. Il attribuera alors la date t = (t2 + t1 )/2 à l’événement M, c’est-à-dire le « temps milieu » entre le départ et le retour du flash. C’est bien un choix naturel lorsque l’on considère que la vitesse de la lumière est la même dans toutes les directions, car alors, intuitivement, le temps mis par un photon pour aller de l’observateur à M est le même que celui mis par un photon pour aller de M à l’observateur. Appelant A le point de sa ligne d’univers au temps t, l’observateur calculera la distance de A à l’événement M en multipliant la moitié du temps aller-retour par la vitesse de la lumière : d = c.(t2 − t1 )/2. C’est une mesure au radar, qu’on utilise aussi pour un observateur qui accélère.
Observateur inertiel
Observateur qui accélère
F IGURE 2.30. Ci-dessus, mesure au radar et définition einsteinienne de la simultanéité : la date et la distance de M pour l’observateur O sont : t = (t2 + t1 )/2 et d = c.(t2 − t1 )/2. Les événements A et M sont simultanés pour O si et seulement si A est situé à mi-temps de l’aller-retour d’un photon de O vers M. L’ensemble des événements simultanés pour cet observateur à cet événement A est l’ensemble des événements qui auront la même date pour lui ; c’est l’espace de simultanéité de A pour cet observateur.
À ce stade, le lecteur pressé peut passer directement au chapitre suivant, et revenir ici ensuite explorer deux raisonnements un peu subtils, mais spectaculaires.
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2.10.2
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Simultanéité
Nous ne voulons pas faire un cours complet de relativité restreinte, mais seulement montrer la nature géométrique de deux de ses conséquences les plus spectaculaires : la relativité de la simultanéité, et le « paradoxe » des jumeaux de Langevin. Les raisonnements sont plus subtils que techniquement difficiles. La définition de la méthode radar pour dater les événements montre qu’une droite de genre temps, représentant la ligne d’univers d’un observateur inertiel, va aussi servir à cet observateur d’axe « temporel » dans le repère qu’il se fixera. Son espace de simultanéité lui servira à faire les mesures « spatiales ». Comment dessiner les espaces de simultanéité d’un observateur ? Il faut utiliser les rayons lumineux bien sûr ! Si l’on choisit des unités adéquates, les droites de genre lumière sont celles inclinées de 45 degrés, cette situation étant ensuite indépendante de tout système de coordonnées puisque le genre lumière d’une droite est absolu. Les événements simultanés à un événement A, de date t pour l’observateur, sont tous ceux qui peuvent recevoir et réfléchir un flash lumineux issu de la ligne d’univers de l’observateur et dont la moyenne de l’heure de départ et de l’heure de retour, mesurée au chrono de l’observateur en question, est t.
F IGURE 2.31. Espace de simultanéité. Pour un observateur inertiel, les espaces de simultanéité sont des plans orthogonaux, au sens de l’orthogonalité lorentzienne, à sa ligne d’univers. (Notons que si la ligne d’univers de l’observateur n’est pas une droite, parce que cet observateur accélère, les espaces de simultanéité ne seront pas en général des plans.)
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Il peut être intéressant, pour simplifier les dessins, de supprimer encore une dimension, c’est-à-dire regarder le dessin précédent par la tranche ; (plus précisément, alors qu’on a déjà fixé la coordonnée spatiale z, on fixe maintenant aussi y, et on ne garde que deux coordonnées, x et t). Nous allons le faire pour comparer les espaces de simultanéité de deux observateurs. Pour faire cela il faut utiliser la notion, fondamentale lorsque qu’on utilise des produits scalaires, de l’orthogonalité. Dans le langage courant, lorsqu’on dit que deux droites sont orthogonales, on veut dire qu’elles forment un angle droit. Cela fait implicitement référence à l’utilisation du produit scalaire euclidien, qui est une façon particulière de mesurer les angles. Mais attention : nous utilisons maintenant le produit scalaire lorentzien de la relativité einsteinienne. Que sont alors deux droites orthogonales avec ce produit scalaire ? Nous l’avons vu dans le paragraphe introduisant le produit scalaire lorentzien, ce sont les rayons lumineux, c’est-à-dire les droites de genre lumière, qui vont donner la solution : Deux droites D et D de l’espace-temps, se coupant en un point O, sont orthogonales pour le produit scalaire lorentzien si elles sont symétriques par rapport à une droite lumière passant par O. Il est alors facile de montrer que pour un observateur représenté par une droite D de genre temps, les espaces de simultanéité sont toutes les droites orthogonales à D pour le produit scalaire lorentzien, droites qui sont alors de genre espace. L’espace de simultanéité de l’observateur à un instant donné t de son temps propre constitue « l’espace » de dimension 3 de cet observateur, à ce moment.
F IGURE 2.32. Les figures ci-dessus, fondamentales, vont nous permettre de justifier le tracé des espaces de simultanéité et de montrer un effet spectaculaire de la relativité restreinte, la relativité de la notion de simultanéité.
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Figure A : deux observateurs en déplacement relatif, A et B, se croisent en un événement O. Ils veulent dater deux événements M et N. Ils utilisent donc la méthode radar, en « flashant » M et N. Sur la figure, les événement M, N et O sont simultanés pour A : O est en effet au milieu des départs et retours des photons (lignes pointillées à 45◦ ) qui partent de la droite d’univers de A et y reviennent. En revanche, pour flasher l’événement N, l’observateur B doit faire partir son photon en B1, et il revient en B2. On voit que le milieu du segment [ B1, B2] est avant O sur la droite d’univers de B, l’événement N s’est donc produit pour B avant O. De même, pour flasher l’événement M, B doit faire partir son photon en b1, avec un retour en b2. Le milieu de [b1, b2] étant après O, B considère que l’événement M s’est produit après O. Les événements M et N sont simultanés pour l’observateur A, mais N se produit avant M pour l’observateur B. Le point clef de la démonstration est évidemment que les droites de lumière sont indépendantes de l’observateur ; A et B utilisent donc les mêmes droites pour « flasher » M et N. Quelques indications pour comprendre la construction de ce schéma : tous les photons suivent des lignes d’univers inclinées à 45◦ . Pour trouver A1 et b1, par exemple, on considère l’une des deux lignes d’univers de photon passant par M, et A1 et b1 sont alors à l’intersection de cette ligne avec celles des observateurs. Notons qu’en 2 dimensions, pour M, il y a un photon arrivant de la droite et un de la gauche. Physiquement, les observateurs n’ont pas vraiment à deviner quand envoyer le photon. On peut imaginer qu’ils en envoient en permanance, en les codant par exemple en fréquence, et qu’ils regardent celui qui leur revient de M en imaginant que celui-ci est le seul événement équipé d’un miroir. Pour toucher M, le photon envoyé par A va passer par la ligne d’univers de B au moment où celui-ci tire son propre photon, puisqu’il faut être sur la ligne d’univers des photons qui arrivent en M.
Figure B : l’axe noir marqué ct est la ligne d’univers de l’observateur A, c’est aussi l’axe temporel de son repère ; l’axe x est son axe spatial. De même l’axe rouge ct est la ligne d’univers et l’axe temporel de l’observateur B, l’axe x , son axe spatial. En vert, nous avons tracé une droite lumière Δ. D’après notre définition de l’orthogonalité lorentzienne, les deux droites rouges, symétriques par rapport à Δ, sont orthogonales, et peuvent donc servir d’axes d’un repère orthonormé relativiste. Idem pour les axes noirs. Les flèches vertes matérialisent des photons. (Ici encore, la lettre c représente la vitesse de la lumière, et sert de facteur de conversion entre unités de distances et de temps pour avoir des droites lumières à 45◦ ). Alors, l’axe x , orthogonal à la droite d’univers ct , est l’espace de simulanéité de l’événement O pour l’observateur B. En effet, considérant n’importe quel événement M sur cet axe x , on voit que O est au milieu du départ et du retour d’un photon envoyé par B pour flasher l’événement M. De même, l’axe x est l’espace de simulanéité de l’événement O pour l’observateur A.
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On peut le prouver par un raisonnement de géométrie élémentaire : les droites Δ et ( B1, M ) sont parallèles, et ( M, B2) leur est perpendiculaire (au sens classique !). Or, (ct ) et ( x ) étant symétriques par rapport à Δ, Δ coupe le segment [M, B2] en son milieu D. Par le théorème de Thalès, le point O où Δ coupe la droite (B1, B2) est le milieu du segment [B1, B2]. Bien que cherchant à prouver un résultat de géométrie lorentzienne, nous utilisons sur ce diagramme d’espace-temps un raisonnement de géométrie euclidienne !
Une remarque importante concernant les espaces de simultanéité
On pourrait être tenté de dire que l’espace de simultanéité d’un observateur, c’est « l’espace » que « voit » cet observateur à un instant donné. Ce n’est pas exact, car il ne peut voir un point de cet espace que lorsqu’un rayon lumineux issu de ce point atteint sa ligne d’univers, c’est-à-dire après la date attribuée à ce point. C’est exactement pour cela qu’en astronomie, on dit que voir loin c’est voir il y a longtemps. Quand Hubble prend une photo d’une galaxie dite être « à 10 millions d’années lumière », c’est que la photo montre comment était cette galaxie il y a 10 millions d’années ; autrement dit, cette galaxie est sur l’espace de simultanéité de la ligne d’univers de Hubble en date d’il y a 10 millions d’années... date à laquelle le télescope spatial n’existait manifestement pas ! (En fait, bien sûr, on assimile sa ligne d’univers à celle de la Terre).
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F IGURE 2.33. Mélanger le temps et l’espace a-t-il un sens physique ?. Si nous prenons une photo du Soleil, les photons qui marqueront le capteur de l’appareil auront quitté le Soleil 8 minutes auparavant. Pour la Lune, les photons auront quitté notre satellite 1 seconde plus tôt. La réponse est donc oui ! Seul le mélange du temps et de l’espace a un sens...
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Une autre présentation de la relativité de la simultanéité
La relativité de la simultanéité est tellement fondamentale que nous allons la montrer encore, grâce à une figure utilisant le tracé des espaces de simultanéité. On considère toujours nos deux observateurs A et B, et leur droite d’univers respective. Soit deux événements M et N sur un même espace de simultanéité de A, de date t( M ) = t( N ). Ces deux événements sont donc simultanés pour l’observateur A.
F IGURE 2.34. Espaces de simultanéité : en vert, une droite lumière servant à tracer l’espace de simultanéité pour B, passant par M. Celui passant par N, lui, est parallèle. Les événements M et N sont simultanés pour l’observateur A mais pas pour l’observateur B.
Puisque B est un observateur en mouvement par rapport à A, leurs lignes d’univers ne sont pas parallèles. Traçons maintenant les espaces de simultanéité de B passant par M et N en utilisant les droites lumières qui, c’est le point fondamental, sont les mêmes pour A et B puisque la vitesse de la lumière est la même pour les deux observateurs. Pour ce tracé, nous utilisons la règle d’orthogonalité lorentzienne : on trace les droites symétriques de la droite d’univers de B par rapport aux droites lumières. On constate alors d’une part que
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les espaces de simultanéité de B sont différents de ceux de A, et d’autre part que pour B, ceux passant par M et N ne sont pas confondus ; autrement dit les deux événements M et N ne sont pas simultanés pour B, alors qu’ils le sont pour A. La simultanéité de deux événements dépend donc de l’observateur, c’est une différence majeure par rapport à la mécanique newtonienne. Cela prouve qu’il est impossible d’associer une date unique à chaque événement de l’espace-temps, mais seulement des dates relatives aux observateurs. Ainsi, si deux événements M et N sont simultanés pour un observateur, un deuxième observateur pourra voir M se produire avant N, alors qu’un troisième observateur pourra voir M se produire après N. Cette différence dans la datation des événements et donc dans la mesure des durées est à la base de tous les phénomènes déroutants de la relativité, a priori paradoxaux parce que contraires à l’expérience quotidienne. Contraction des longueurs
La relativité de la simultanéité amène immédiatement à l’un des effets fondamentaux, et fondateurs de la relativité. Considérons en effet le problème de la mesure d’une règle rigide par un observateur. Pour aborder ce problème rigoureusement, il faut se débarrasser de ses préjugés « newtoniens », et en particulier ici du caractère absolu de la simultanéité. Pour mesurer la longueur « spatiale » d’une règle, un observateur va devoir considérer les lignes d’univers de chacune des extrémités de la règle, et attribuer une distance à la « séparation » entre ces lignes. La seule façon cohérente de le faire est d’utiliser deux points-événements simultanés pour lui sur ces lignes d’univers. La pseudo-distance entre ces points sera alors, pour lui, une distance spatiale, qu’il appellera la longueur de la règle. Pour comparer les mesures de deux observateurs, il faut donc considérer, pour les événements des lignes d’univers des extrémités de la règle, les espaces de simultanéité relatifs à chaque observateur. On constate alors que les observateurs vont devoir utiliser pour leur mesure des événements spatio-temporels différents. Il apparaît ainsi que l’observateur pour lequel la règle est en mouvement va mesurer une longueur plus courte que celui pour lequel elle est immobile. On montre précisément que pour l’observateur qui voit la règle en mouvement, les longueurs sont contractées dans les directions parallèles au mouvement, mais qu’elles restent inchangées dans les directions transverses au mouvement.
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Mesure d’une règle par deux observateurs en mouvement relatif. Les lignes d’univers des extrémités de la règle (en pointillés bleus) sont parallèles à la ligne d’univers de B, ce qui signifie que la règle est immobile pour B. L’observateur A mesure la longueur de la règle à l’aide de la pseudo-distance entre les événements M et N, simultanés pour lui. L’observateur B la mesure à l’aide de la pseudo-distance entre les événements M et N ; l’événement N étant sur l’espace de simultanéité, relatif à B, de M.
−−→ −−→ À titre d’exemple numérique, nous avons indiqué les composantes des vecteurs MN et MN , ainsi que les composantes d’un vecteur directeur de la ligne d’univers de B. Ce dernier vecteur −−→ est orthogonal à MN , puisque 4 × 1 − 2 × 2 = 0, donc la droite ( MN ) est l’espace de simultanéité de M pour B. Le√segment [ MN ] est la règle « vue » et mesurée par l’observateur A, sa pseudo-longueur est 32 = 3. Le segment [ MN √ ] est la règle √ « vue » et mesurée par l’observateur B, sa pseudo-longueur est 42 − 22 = 12 = 3, 4... > 3.
Remarque : ce n’est pas parce qu’un segment « paraît » plus long qu’un autre sur un schéma d’espace-temps que sa pseudo-longueur est supérieure. Tracez par exemple le segment de composantes (5, 4) (de pseudo-longueur 3), et celui de composantes (4, 0) (de pseudo-longueur 4). Pensez aussi aux vecteurs de genre lumière, de pseudo-longueur nulle.
Ces effets de contractions des longueurs dans certaines directions, conjugués à la finitude de la vitesse de la lumière, induisent des déformations des images des objets observés se déplaçant à des vitesses proches de celle de la lumière. Ces déformations sont complexes à calculer, car il faut prendre en compte le fait que l’image perçue à un instant donné par un observateur provient de son cône de lumière passé, sur lequel cette image s’étend.
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F IGURE 2.35. Image perçue par un observateur d’un objet en mouvement. Pour calculer l’image d’un objet en mouvement perçue par un observateur, il faut non seulement calculer la contraction de certaines longueurs sur l’espace de simultanéité, mais aussi projeter ensuite le résultat sur le cône de lumière passé de l’observateur, car c’est de là qu’arrive l’image.
Présentation historique de la relativité de la simultanéité
Il est amusant de rappeler l’illustration que donnait Einstein de la relativité de la simultanéité en utilisant des observateurs sur des trains et des quais. Einstein considérait deux observateurs, une observatrice dans un train, un observateur, sur le quai, regardant le train passer.
F IGURE 2.36. Illustration d’Einstein pour la relativité de la simultanéité.
Einstein considérait des signaux lumineux émis par deux lampes fixées aux extrémités du wagon où se trouve le passager du train. supposant qu’ils atteignent la passagère située au centre du véhicule quand celle-ci passe devant l’observateur au sol. Si la passagère du train considère l’émission des deux signaux simultanés, utilisant la constance de la vitesse de la lumière pour tous les observateurs, l’observateur sur le quai doit nécessairement considérer que la lampe en queue de wagon a été allumée avant celle en tête ; pour lui, les deux émissions ne peuvent pas avoir été simultanées.
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À l’origine, en 1905, Einstein démontrait cet effet en utilisant pour chaque observateur un repère de dimension 3 dont chaque point est muni d’une horloge. Deux observateurs en mouvement l’un par rapport à l’autre sont donc représentés par deux cristaux d’horloges en mouvement relatif. La démonstration des effets relativistes apparaît alors sensiblement plus compliquée qu’avec la vision d’un espace-temps à 4 dimensions.
F IGURE 2.37. Cristal d’horloges synchronisées, permettant de dater chaque événement dans un espace euclidien de dimension 3.
Autrement dit, une fois accepté l’espace-temps à 4 dimensions, les démonstrations des effets physiques subtils de la relativité deviennent beaucoup plus naturelles. L’objectif de ce livre étant de montrer le lien profond entre géométrie et physique, insistons sur le fait que ces phénomènes physiques contre-intuitifs découlent d’une géométrie elle-même contre-intuitive. Ainsi nous avons vu que le concept d’orthogonalité en géométrie relativiste est très différent de celui de la géométrie classique : deux droites D et D sont orthogonales si elles sont symétriques par rapport à une droite lumière. Donc en particulier, il en résulte qu’une droite lumière est orthogonale à elle-même ! Formellement, ce principe d’orthogonalité se montre en utilisant le produit scalaire lorentzien que nous avons décrit, un objet géométrique. 2.10.3
Le paradoxe des jumeaux
Nous avons vu un autre aspect déroutant de cette géométrie : l’inégalité triangulaire inversée de Lorentz. En géométrie euclidienne classique, la longueur d’un côté d’un triangle est toujours inférieure à la somme des longueurs des deux autres côtés. Dans la géométrie relativiste, c’est parfois l’inverse : dans l’espace-temps de la relativité restreinte, le plus court chemin entre deux points n’est pas toujours la ligne droite. Plus un voyageur fera de virages, plus son trajet spatio-temporel sera court ! Cette inégalité triangulaire « à l’envers »
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va nous donner l’explication géométrique du fameux paradoxe des jumeaux de Langevin. Revenons sur la définition fondamentale du temps propre d’un observateur : le temps propre d’un observateur, c’est la pseudo-distance, ou distance-durée, entre deux points de sa propre ligne d’univers, mesurée le long de cette ligne. Physiquement, il s’agit de la durée de son voyage entre ces deux points mesurée par une horloge qu’il transporte avec lui. Nous avons vu que c’était facile à calculer si cette ligne est une droite. Si la ligne d’univers est une courbe quelconque (de genre temps), une opération mathématique un peu plus sophistiquée (une intégrale !) permet aussi d’en mesurer la longueur-durée. Considérons ici le cas d’une droite. Si A et B sont deux points de la droite d’univers d’un observateur, le temps propre écoulé entre ces deux événements, pour cet observateur, est la distance lorentzienne d L ( A, B), c’est-à-dire la pseudo-longueur du segment [ A, B]. Cette distance-durée n’est bien qu’une durée, car l’observateur représenté par la droite considère qu’il ne se déplace pas « spatialement » par rapport à son horloge, il considère qu’il reste « fixé » sur son axe temporel. Supposons que la ligne d’univers de la Terre est représentée par une droite (A,C) et qu’un spationaute quitte son frère jumeau, restant sur la Terre, à bord d’une fusée au point-événement A. Le spationaute voyage jusqu’à un point de l’espace-temps B où il fait demi-tour, puis retrouve son frère (resté sur Terre) en C. (Voir la figure ci-après). Ce spationaute mesure son temps propre le long de sa propre ligne d’univers, composée des deux segments [ A, B] et [ B, C ]. Le frère terrestre mesure lui son temps propre sur le segment [ A, C ]. L’inégalité triangulaire inversée donne : d L ( A, C ) > d L ( A, B) + d L ( B, C ). Cela signifie très exactement que le frère resté sur Terre a mesuré une durée du voyage supérieure à celle qu’a mesuré le spationaute sur sa propre montre ; autrement dit, le spationaute aura moins vieilli pendant son voyage que son frère jumeau resté sur Terre ! Ce phénomène, apparemment surprenant, a été vérifié expérimentalement (pas avec des cosmonautes, mais avec des horloges atomiques transportées dans des avions !), et est en parfait accord avec la théorie... Voir figure 2.38. Les pseudo-distances sont des distances-durées. Mais pour l’observateur qui reste sur Terre, la mesure de son déplacement dans l’espace-temps n’est qu’une mesure de durée puisqu’il est immobile dans son référentiel. La pseudo-distance qu’il mesure entre le départ et le retour de son frère, c’est exactement une durée de son temps propre. De même, le voyageur est immobile dans le référentiel de sa fusée ; les pseudo-distances qu’il mesure avec l’horloge de cette fusée sont des durées de son temps propre à lui. D’où l’importance fondamentale de la notion de temps propre, car on peut toujours s’y ramener pour mesurer des
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F IGURE 2.38. Le temps propre t du frère resté sur Terre est noté sur l’axe vertical. Le temps propre T du voyageur est indiqué le long des lignes d’univers de son voyage. B se situe à une distance spatiale mesurée par le Terrien de 3 années-lumière. La différence dans l’écoulement des temps propres des deux jumeaux apparaît en utilisant des photons, dont les lignes d’univers sont matérialisées par les diagonales en pointillés verts : le Terrien envoie un flash lumineux tous les ans, lus sur sa montre terrienne. Sur son trajet aller, le spationaute les voit arriver tous les deux ans, lus sur la pendule de la fusée. Sur le trajet retour, il les voit arriver tous les six mois. C’est à partir de ce phénomène (Doppler) que l’on montre la dilatation des durées. À leurs retrouvailles, le Terrien aura vieilli de 10 ans, le spationaute de 8 ans.
pseudo-distances le long de la ligne d’univers d’un observateur. L’inégalité triangulaire inversée de la géométrie relativiste correspond ainsi exactement au fameux « paradoxe » des jumeaux. Nous allons prouver cet apparent paradoxe des jumeaux très simplement en utilisant le produit scalaire lorentzien dans un repère bien choisi. Signalons que dans ce chapitre nous avons déjà vu le calcul sur un cas particulier de cette figure, lorsque nous avons présenté l’inégalité triangulaire. L’idée, en supprimant ici deux dimensions spatiales, est tout simplement de choisir un repère dont l’axe des temps est la ligne d’univers de la Terre, vue dans le référentiel qui lui est lié. On choisit alors comme axe d’espace un axe perpendiculaire pour le produit scalaire lorentzien à cet axe des temps, ce qui est toujours possible. Sur nos figures, on a placé l’axe des temps verticalement, les droites lumière sont à 45◦ , donc l’axe d’espace est horizontal, mais c’est parce
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qu’il est alors symétrique par rapport à la droite lumière passant par le point A. On suppose que le voyageur part de A et voyage jusqu’en B, situé pour le Terrien à une distance X, atteint pour le Terrien au temps T, et qu’il revient sur Terre au temps 2.T, lu sur la montre du Terrien. Le temps 2.T est la durée de temps propre du Terrien entre le départ et le retour de son frère.
F IGURE 2.39. Un repère adapté où l’axe des temps est la ligne d’univers du frère terrestre. Dans le repère
( x, t), dont l’axe des temps est la ligne d’univers du Terrien, on prend le produit scalaire lorentzien x.x − t.t . La pseudo-longueur d’un vecteur de composante ( x, t ) est donc | x2 − t2 |. Les coordonnées des vecteurs −→ − → −→ sont : AB = ( X, T ), BC = (− X, T ) et AC = (0, 2.T ), avec T > 0 car tous les vecteurs sont dirigés vers −→ le futur. Alors leurs pseudo-longueurs sont respectivement : | AB| = | X 2 − T 2 | − → | BC| = |(− X )2 − T 2 | = | X2 − T 2 | −→ | AC| = |02 − (2.T )2 | = | − 4.T 2 | = 2.T
−→ − → Le point clef, c’est que AB et BC sont des vecteurs de genre temps. Leur intervalle (l’intervalle entre les points qui définissent ces vecteurs, si l’on préfère) −→ −→ − →− → est donc négatif. Ainsi AB. AB = X 2 − T 2 < 0, et BC. BC = (− X )2 − T 2 = X 2 − T 2 < 0. Par conséquent, cela signifie que X 2 < T 2 . La valeur absolue |X 2 − T 2 | vaut donc T 2 − X 2 , qui est strictement plus petit que T 2 puisque X 2 est un nombre strictement positif. √ √ Par conséquent |X 2 − T 2 | = T 2 − X 2 < T 2 = T. Les pseudo-longueurs −→ − → de AB et BC sont ainsi strictement inférieures à T, et donc leur somme est
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strictement inférieure à 2.T. C’est exactement l’inégalité triangulaire à l’envers annoncée. −→ Mais la pseudo-longueur de AB, c’est la durée entre A et B lue par le voyageur sur sa montre, c’est une durée de son temps propre. De même la pseudo-longueur − → de BC, c’est la durée de temps propre du voyageur entre B et C. On obtient donc que la somme des deux durées, trajet aller et trajet retour, mesurées par la montre du voyageur, est inférieure à la durée mesurée par le frère resté sur terre entre le départ et le retour. Remarque : Nous avons fait la preuve dans le cas où le triangle est isocèle, puisque nous avons AB = BC, mais ce n’est pas vraiment intervenu dans les calculs. Ces calculs se généralisent sans aucune difficulté au cas où les trajets aller et retour ne sont pas de même longueur, c’est-à-dire à un triangle quelconque. Il suffit de prendre pour coordonnées du point B : ( X, α.T ) pour un coefficient α compris entre 0 et 2. On suit ensuite le même raisonnement. −→ − → Ce qui compte fondamentalement, c’est que AB et BC soient des vecteurs de genre temps. À ce point, on pourrait crier au « paradoxe » comme de nombreuses personnes le firent lorsque Paul Langevin présenta cet effet dans ses conférences sur la relativité en 1910. En effet, puisque les effets doivent être « relatifs », on pourrait être tenté de dire que si le frère voyageur voit son frère terrestre plus vieux, réciproquement, le frère terrestre devrait voir le voyageur plus vieux aussi... d’où le « paradoxe » et donc certainement une grave erreur dans la relativité restreinte ! Mais la situation n’est pas du tout symétrique : les trajectoires dans l’espace-temps sont fondamentalement différentes. Celle du frère restant sur Terre est une droite, celle du spationaute ne l’est pas. C’est ce regard de la situation géométrique dans l’espace-temps à 4 dimensions qui résout le paradoxe. Le « paradoxe » des jumeaux est donc un effet spectaculaire de la relativité ; mais il n’a rien de paradoxal ! De nombreux ouvrages sur la relativité prétendent qu’il faut faire intervenir la relativité générale pour traiter le paradoxe des jumeaux, car il faut tenir compte de l’accélération du voyageur. C’est inexact : non seulement la relativité restreinte peut parfaitement traiter les mouvements accélérés (les physiciens des particules s’en servent d’ailleurs dans les synchrotrons en accélérant des particules sur des trajectoires circulaires), mais de plus, c’est bien l’asymétrie des trajectoires qui résout le paradoxe, plus que les accélérations. Dilatation des durées
Le point-événement de demi-tour B se produit à une date T pour le Terrien. C’est d’ailleurs la coordonnée temporelle de ce point dans le repère lié à la Terre que
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√ −→ nous avons choisie. Mais la pseudo-longueur | AB| = |X 2 − T 2 | = T 2 − X 2 du segment [ AB] est exactement le temps propre écoulé pour le spationaute entre √ 2 son départ en A et le demi-tour en B, lu sur l’horloge de la fusée. Or T − X 2 < T, ce qui signifie que pour le Terrien il s’est écoulé un temps supérieur entre A et B à celui mesuré par le spationaute. C’est la dilatation des durées. Mais ce calcul serait analogue et symétrique si on le faisait dans un repère lié au spationaute sur son trajet entre A et B : ainsi, au point de demi-tour, si le Terrien calcule que son frère voyageur a moins vieilli que lui, le spationaute calcule aussi que son frère Terrien a moins vieilli ! Pour le comprendre, il faut tracer les espaces de simultanéité de B pour chacun des frères : pour le voyageur, le point simultané à son demi-tour sur la ligne d’univers de la Terre n’est pas le même que pour le Terrien.
F IGURE 2.40. Dilatation des durées et espaces de √ simultanéité. Le temps propre écoulé pour le spationaute entre son départ en A et son demi-tour en B est T 2 − X 2 . C’est la pseudo-distance entre A et B, par définition. Pour le Terrien, l’événement de demi-tour B se produit simultanément à celui de date T sur sa √ ligne d’univers, et nous avons vu que T > T 2 − X 2 . Pour le spationaute, l’événement simultané à son demi-tour sur la ligne d’univers de la Terre est à l’intersection B de l’espace de simultanéité de B relatif à la
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fusée √ et de la ligne d’univers de la Terre. On calcule facilement que T : = | AB | = ( T 2 − X 2 )/T et que T < T 2 − X2 . Cela signifie qu’au moment du demi-tour, le spationaute considère que son frère terrien a moins vieilli que lui.
Avant le demi-tour, les trajectoires spatio-temporelles sont encore équivalentes, ce sont encore deux droites ! On peut en effet, pour l’illustrer, considérer le schéma d’espace-temps que ferait le spationaute sur son trajet aller en
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choisissant un repère lié à la fusée avec des axes verticaux et horizontaux, ce qui n’est qu’un choix conventionnel.
F IGURE 2.41. Point de vue du spationaute sur son trajet aller entre A et B.
Là encore, ce paradoxe apparent, chaque frère voyant l’autre plus vieux, n’en est un que si l’on cherche à parler de durées indépendamment du processus de mesure du temps... Pour les lecteurs exigeants : pour calculer les coordonnées du point d’intersection de l’espace de simultanéité de B pour le spationaute avec la ligne d’univers de la Terre, il suffit de remarquer que cet espace de simultanéité est la droite dont un vecteur directeur e st de composantes ( T, X ). L’équation de cette droite est X.x − T.t + T 2 − X2 . Pour x = 0, on obtient T = ( T 2 − X2 )/T. Alors √ √ T < T 2 − X2 , car T 2 − X2 < T.
Il est intéressant de donner une application numérique de cet effet de dilatation des durées. Pour une vitesse relative v de 90 % de la vitesse de la lumière, soit 270000 km/sec, le facteur de dilatation vaut 2. Ainsi, lorsque le spationaute mesure une durée écoulée sur sa montre d’un an, l’observateur resté sur Terre mesure sur sa propre montre une durée de 2 ans... C’est le facteur de dilatation utilisé sur le schéma illustrant le voyage dans la section précédente. Vous voyez que les effets ne deviennent notables que pour des vitesses proches de celle de la lumière. Nous n’en faisons donc pas l’expérience, même avec les fusées les plus rapides ! Notons que l’inégalité triangulaire inversée est valable pour des triangles composés de morceaux de lignes d’univers d’objets physiques, c’est-à-dire pour des morceaux de droites de genre temps. Pour des triangles composés de
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morceaux de droites de genre espace, l’inégalité triangulaire classique reste valable, ce qui est normal puisque ces droites se situent alors dans une tranche « spatiale » de l’espace-temps, où s’applique la géométrie classique...
2.11
Conclusion
Quelques remarques s’imposent à la fin de ce chapitre. Premièrement, l’exposé que j’ai donné ici est précis et conforme à une présentation moderne de la relativité. Autrement dit, bien que présentées de manière succincte, toutes les mathématiques nécessaires sont ici. Notons néanmoins que cette présentation fondée sur la notion de produit scalaire a mis quelques décennies à être mise au point, et a suivi l’évolution des idées mathématiques. Si l’utilisation du modèle mathématique dans des expériences sophistiquées de physique, typiquement celles de la physique des particules, peut mener à des calculs très complexes, les principes de la relativité restreinte et la présentation des phénomènes marquants de comparaison des mesures de distances et de durée n’en demandent pas beaucoup plus que ce que vous avez vu ici. Deuxièmement, vous avez vu que la démonstration de la relativité de la simultanéité est purement géométrique. Pourquoi mène-t-elle à un résultat apparemment contraire à nos habitudes ? Car nous avons l’habitude de raisonner, et de voir, en utilisant des mesures d’angles « euclidiennes » et non « lorentziennes ». C’est bien une nouvelle géométrie qu’il faut utiliser et apprendre à appréhender ; il faut se débarrasser de ses habitudes « euclidiennes ». Il faut faire attention aux dessins et abandonner ses réflexes. En particulier, nous avons vu que la notion d’orthogonalité est modifiée et que la ligne droite n’est plus le plus court chemin. Il fallut plusieurs années de travail conjoint de mathématiciens et de physiciens pour comprendre que l’intervalle devait être compris comme le carré d’une pseudo-distance et en arriver à la notion moderne de produit scalaire lorentzien, indépendante des coordonnées. C’est cette évolution dans la compréhension des concepts de base qui permit d’obtenir une vision géométrique des phénomènes étonnants de la relativité. Il en est toujours ainsi en recherche : il faut du temps pour mettre au point, finaliser et finalement obtenir la bonne façon de voir une théorie. Troisièmement, il faut bien comprendre qu’avec la relativité restreinte est venue une remise en cause profonde de la notion de temps et de distance. En relativité générale, on ne parlera quasiment plus de distance ou de vitesse, tant ces notions peuvent mener à des ambiguïtés. Seul le temps propre, celui attaché à
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un observateur donné, garde un sens physique, mais il ne lui permet de mesurer des durées que relativement à lui-même. Il est intéressant de noter que la relativité restreinte est aussi appelée chronogéométrie. Les phénomènes surprenants et apparemment paradoxaux de dilatation des durées ou de contraction des longueurs ne sont donc bien que des manifestations de la géométrie de l’espace-temps, géométrie différente de celle à laquelle nous sommes habitués. Les termes même de contraction ou de dilatation sont trompeurs : aucune règle ne se contracte, et aucun temps ne se dilate ! Ces expressions ont été introduites autour de 1905 lorsque les physiciens découvraient ces phénomènes contre-intuitifs. Mais ils sont seulement liés à la nécessité de définir rigoureusement et sans préjugés les processus de mesure des temps et des distances. Il convient en fait d’abandonner ces concepts classiques au profit du temps propre, ou plus précisément du produit scalaire de l’espace-temps et de la pseudo-distance associée. Nous l’avons vu, c’est la géométrie lorentzienne qui permet de le faire sans ambiguïté, et c’est elle qui offre, actuellement, la meilleure description du monde physique.
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3 La géométrie riemannienne et les variétés différentielles Depuis l’Antiquité jusqu’à Newton, il apparaissait naturel de décrire l’espace à l’aide de la géométrie classique d’Euclide, la géométrie faite de droites et de plans. Nous avons vu que cette géométrie, moyennant un changement déjà révolutionnaire de la façon de mesurer les distances et les durées, permettait de rendre compte de la constance de la vitesse de la lumière, et, au-delà, de modéliser correctement la chronogéométrie, c’est à-dire les mesures de distances et de durées. Cette géométrie permet aussi de modéliser la mécanique des objets en l’absence de gravitation et se déplaçant à des vitesses proches de celle de la lumière. Autour de 1850, un mathématicien exceptionnel, Bernhard Riemann, remit en question ce préjugé du caractère euclidien de l’espace, et inventa une géométrie généralisant celle d’Euclide, en introduisant l’idée d’espace géométrique courbe, dans laquelle la notion de droite devait faire place à une notion de courbes de longueur minimale, les géodésiques. Malgré ces intuitions géniales, la physique continua à utiliser la géométrie euclidienne pour décrire l’univers jusqu’au début du XXe siècle. Les idées géométriques de Riemann se développèrent alors de manière purement interne aux mathématiques, donnant lieu à l’étude des géométries non euclidiennes. Ces géométries amenèrent paradoxalement les mathématiciens à s’éloigner de la physique, et, à côté d’autres considérations, cela conduisit à ce qu’on appela la crise des fondements des mathématiques, car il fut compris que pour pouvoir se développer, les mathématiques devaient parfois s’affranchir de leur lien au monde « réel ». Les mathématiques entrèrent alors dans un nouvel âge, et connurent un développement extraordinaire qui
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dure toujours. Il y a eu beaucoup plus de mathématiques produites entre 1900 et aujourd’hui qu’entre l’Antiquité d’Euclide et 1900 ! Pourtant, c’est seulement soixante ans après leur découverte que les idées révolutionnaires de Riemann servirent de sources d’inspiration à Einstein pour concevoir un espace-temps courbe, susceptible de modéliser l’effet de la gravitation sur les objets physiques et la lumière. Il est donc tout à fait remarquable de constater que des développements purement internes aux mathématiques ont précédé de soixante ans leur utilisation par la physique. On assiste aujourd’hui à un nouveau rapprochement des mathématiques et de la physique, bien que les mathématiques gardent toujours une certaine indépendance, nécessaire à leur développement. Nous en reparlerons au dernier chapitre. Ce chapitre a donc pour objectif d’introduire le cadre géométrique dans lequel s’exprimera la théorie de la relativité générale. Il s’agit de définir les espaces géométriques qui modéliseront le célèbre espace-temps courbe de la relativité d’Einstein. 3.1
Les variétés différentielles : « les super-espaces »
Le chemin qui mène de la relativité restreinte à la relativité générale commence avec les espaces géométriques inventés par les mathématiciens pour généraliser à des dimensions quelconques les courbes, les surfaces et les volumes. Ces espaces géométriques s’appellent les variétés différentielles. Hypersurfaces ou « super-espaces » aurait été plus joli et parlant, mais malheureusement, c’est comme ça... Nous dirons maintenant variétés pour faire court, sous-entendant différentielles. Dans ces conditions, une courbe est une variété de dimension 1, une surface est une variété de dimension 2, et un volume est une variété de dimension 3. Regardons la surface d’une sphère ou d’un tore. Si l’on coupe un très petit morceau de ces surfaces, il ressemblera à un petit morceau d’une feuille de papier (bien qu’il ne soit pas forcément parfaitement plat). Une feuille de papier a deux dimensions, on dira donc que ces surfaces ont deux dimensions également.
F IGURE 3.1. Exemples de variétés de dimension 2.De gauche à droite : plan, cylindre, sphère et tore ; c’est la surface de ces formes qui est de dimension 2. L’intérieur de la sphère, la boule considérée comme volume, est de dimension 3.
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Pour définir plus précisément la notion de dimension, il faut faire appel à la notion de coordonnées. Appelons espace géométrique un ensemble de points, sans plus de précision. Une variété de dimension n est un espace géométrique où, autour de chaque point fixé P, on peut repérer les autres points à l’aide de n coordonnées ( x1 , x2 , ..., xn ), c’est-à-dire à l’aide de n nombres. Lorsqu’on a choisi ainsi des coordonnées sur un petit voisinage du point P, on dit qu’on a défini une carte autour de P. Par exemple, pour repérer un point à la surface de la Terre, il faut 2 coordonnées, comme la latitude et la longitude. Pour repérer un avion qui évolue dans l’espace, il en faut 3 : latitude, longitude et altitude. Ensuite, la grande magie des mathématiques, c’est de pouvoir jouer avec des objets géométriques qu’on ne peut pas visualiser, mais parfaitement définir. On peut donc définir sans difficultés des variétés de dimensions quelconques. Ainsi, le fameux espace-temps est une variété de dimension 4 : ses points, appelés en physique événements, se repèrent par 4 coordonnées ( x, y, z, t), trois coordonnées d’espace et une de temps. Pour définir un événement, il faut dire où et quand il se produit.
F IGURE 3.2. Une variété est définie par l’existence d’une carte autour de chaque point. Mathématiquement, une carte est une fonction bijective, bicontinue du voisinage d’un point p sur un morceau d’espace affine, le point p allant sur l’origine 0 d’un repère. Cette fonction sert à « remonter » le repère sur la variété. Le nombre de coordonnées nécessaires pour repérer les points autour de p définit la dimension de la variété.
Cette possibilité d’utiliser une carte autour de chaque point peut aussi s’exprimer de la manière suivante : on dit qu’au voisinage de chaque point, la variété ressemble à l’espace affine euclidien de même dimension, celui de la géométrie élémentaire, fait de droites, mais sans notion de distance, tel que nous l’avons défini au chapitre précédent. C’est bien ce qu’on observe à la surface de la Terre : autour de nous la Terre a l’air plate, mais si on regarde d’assez loin,
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on commence à voir que notre sol est courbé, puis dans une navette spatiale, on découvre que la Terre n’est pas du tout un plan. Il est très important de noter qu’en général il faut plusieurs cartes pour couvrir l’ensemble d’une variété. Une variété peut en effet être globalement très différente de l’espace euclidien. Par exemple, la sphère n’est manifestement pas comme le plan : une carte a des bords et le plan (mathématique) est infini, alors que la sphère est finie et sans bord. C’est à cause de ces différences qualitatives, dites de nature topologique, qu’il faudra forcément au moins deux cartes pour couvrir toute la sphère.
F IGURE 3.3. Il faut au moins deux cartes pour couvrir la sphère. Par exemple, la carte de Mercator, à gauche, ne peut représenter les pôles. Il faudra lui adjoindre deux cartes stéréopolaires, à droite, pour représenter la région des pôles. Notez par ailleurs la forte déformation de l’allure des continents et de leur aire dans les régions limites des cartes. Cela est lié à la courbure de la Terre par opposition à la platitude de la carte.
Une variété différentielle est un espace géométrique muni d’un ensemble de cartes, opportunément appelé atlas par les mathématiciens, tel que chaque point soit dans au moins une carte. On demande que les cartes vérifient un axiome de compatibilité dans les zones où elles se recoupent, cet axiome permettant de définir des objets intrinsèques à la variété, c’est-à -dire ne dépendant pas du choix éventuel d’une carte pour les définir. Voir figure 3.4. L’espace affine euclidien est un cas particulier de variété, c’est en quelque sorte le modèle élémentaire. Étudier les variétés, c’est essayer de comprendre ce que l’on peut encore faire sur un espace géométrique qui ressemble localement (sur des petits voisinages de chaque point) à l’espace euclidien, mais qui en diffère beaucoup globalement ; pensez systématiquement à la différence entre le plan, la sphère et le tore. Un autre point essentiel est à noter : une variété peut être définie sans faire référence à un espace extérieur dans lequel elle serait dessinée : ce sont les cartes, et la façon dont on demande qu’elles se recollent, qui définissent sa forme. Songez à la
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Schéma utilisé dans la définition mathématique d’une variété différentielle :
F IGURE 3.4. Une variété est essentiellement définie par un espace géométrique sur lequel on postule l’existence de cartes, ce qui est assez simple. En revanche, pour y transposer le calcul différentiel classique de l’espace euclidien, il faut un axiome technique supplémentaire, la différentiabilité des applications de changements de carte. Voir l’annexe pour plus de détails.
reconstruction, en dessin industriel ou en imagerie médicale, de la surface d’un volume à partir d’images planes obtenues par projection.
F IGURE 3.5. Les cartes, ici obtenues par projection, suffisent à définir une surface.
Faire référence à un espace extérieur masque souvent les propriétés intrinsèques, profondes, des variétés que l’on veut étudier. C’est une grande réalisation des mathématiciens du XIXe siècle, Gauss et Riemann en particulier, que d’avoir compris que l’on pouvait étudier ces espaces géométriques sans faire référence à un espace extérieur les englobant. Cela permet de plus de
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définir facilement certaines variétés compliquées qui n’apparaissent pas naturellement comme sous-ensemble d’un espace euclidien. C’est le cas par exemple de la bouteille de Klein :
F IGURE 3.6. La bouteille de Klein : c’est une surface fermée, une variété de dimension 2 donc, qui a la particularité de ne délimiter ni intérieur, ni extérieur. On ne peut pas la représenter dans l’espace euclidien à 3 dimensions sans qu’elle se recoupe. Pour la représenter correctement, sans auto-intersection, il faut vivre dans un espace euclidien à 4 dimensions...
Malgré tout, des théorèmes mathématiques très difficiles, dus à Whitney puis Nash dans les années 1950, prouvent que toute variété peut « vivre » dans un espace euclidien, pourvu qu’il soit de dimension assez grande : une variété de dimension n peut être « dessinée » dans un espace euclidien de dimension 2n. Ainsi certaines surfaces (variétés de dimension 2) ne peuvent être dessinées que dans un espace euclidien de dimension 4 ! Sur une variété différentielle, il n’y a à ce stade aucune notion de distance entre les points. De même qu’il a fallu définir la notion de produit scalaire sur les espaces affines pour y faire de la géométrie, pour faire de la géométrie sur une variété, il va falloir définir un moyen d’y mesurer les distances. Nous présentons brièvement cet aspect de la théorie des variétés ci-dessous, avant de le développer en détail au chapitre suivant dans le cadre de la relativité générale. 3.2
La géométrie riemannienne, le langage de la relativité
La géométrie riemannienne traite de la façon de mesurer des distances dans les variétés différentielles. Rappelons que « géométrie » signifie exactement
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« science de la mesure du terrain ». Nous présenterons précisément les objets de la géométrie riemannienne au chapitre suivant, mais nous voulons en donner ici un premier aperçu, heuristique. Sur une très petite portion d’une variété, grâce aux cartes, on peut faire de la géométrie comme dans l’espace euclidien. Mais sur la globalité de la variété, la géométrie peut être très différente. Ainsi, la notion classique de droite de la géométrie euclidienne est remplacée, lorsque l’on se donne un moyen de mesurer les distances sur une variété, par la notion plus générale de géodésique, courbe qui réalise le plus court chemin entre deux points. Alors, tandis que deux droites initialement parallèles dans le plan ne se couperont jamais, deux géodésiques initialement parallèles sur une variété peuvent finir par se couper. Par exemple, prenez deux avions quittant l’équateur de la Terre et se dirigeant plein Nord ; ils commenceront sur des trajets parallèles et pourtant leur trajectoires se couperont au pôle nord. Ces différences de géométrie sont liées à une notion essentielle : la courbure.
F IGURE 3.7. Sur une sphère, deux géodésiques initialement parallèles se coupent... Sur la sphère, les géodésiques sont les grands cercles, cercles dont le centre est confondu avec celui de la sphère. Sur la Terre, les méridiens sont ainsi des géodésiques. Sur cette figure, deux avions quittent l’équateur en suivant des méridiens vers le pôle Nord, où ils se croiseront.
Les notions de géodésique et de courbure sont fondamentales en relativité générale, et nous les définirons précisément dans le chapitre 4. Nous verrons qu’on peut définir l’accélération d’une courbe, relativement à la variété sur laquelle elle est tracée, et nous définirons en fait une géodésique comme une courbe d’accélération nulle. Dans la géométrie classique des variétés, on montre alors que le plus court chemin entre deux points, lorsqu’il existe, est réalisé par une
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géodésique. Nous verrons ensuite que le comportement relatif des géodésiques est dicté par la courbure. En modifiant ensuite la géométrie de manière analogue à ce qui a été fait en relativité restreinte, on associera aux géodésiques des pseudo-longueurs, et, physiquement, nous présenterons les géodésiques comme les courbes inertielles, celles que suivent les corps en « chute libre », c’est-à-dire qui ne subissent aucune autre force que la gravitation. Géodésiques comme lignes d’univers des objets en chute libre et courbure pour en dicter le comportement relatif seront les deux grandes idées de la relativité générale. Les variétés sont depuis 100 ans des objets absolument centraux et fondamentaux des mathématiques, bien que curieusement enseignés très tard dans les cursus de mathématiques. Elles représentent le concept le plus général d’espaces géométriques, en ce sens qu’elles permettent de concevoir (presque) tous les espaces géométriques, « lisses » et d’une dimension donnée, généralisant toutes les surfaces que vous pouvez imaginer. (On peut en mathématiques définir d’autres types d’espace géométrique, comme les graphes ou des collages d’espaces de dimensions différentes, ou encore les fractales). La grande force des variétés, c’est que comme on sait faire du calcul différentiel et intégral dans l’espace euclidien, c’est-à-dire définir les dérivées et les intégrales des fonctions numériques, on sait en faire sur une variété : il suffit d’en transposer les outils à l’aide des cartes. On dispose ainsi de l’extraordinaire puissance du calcul différentiel qui devient alors un outil fondamental pour faire
F IGURE 3.8. Courbes sur une variété. Nous représenterons souvent une variété comme un morceau de surface, comme ci-dessus, car on ne sait pas dessiner un espace géométrique de dimension supérieure à 3 ! Ainsi, l’espace-temps de la relativité générale est modélisé par une variété de dimension 4. L’histoire d’un objet physique est représentée par une courbe tracée sur la variété. Une géodésique représentera un objet en chute libre. Ce schéma sera expliqué au chapitre 4...
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de la géométrie. Nous vous renvoyons, lorsque vous en aurez envie, à l’annexe, qui donne quelques idées de ce qu’est le calcul différentiel. La géométrie différentielle, et donc la relativité générale, c’est essentiellement du calcul différentiel sur les variétés. En effet, c’est dans ces concepts de variétés, de géodésiques et de courbure, inventés par le mathématicien Bernhard Riemann en 1850, qu’Einstein a trouvé l’inspiration pour créer sa théorie de la gravitation, en 1916. Quelques variétés, pour en montrer la richesse :
Variété de Calabi-Yau :
Elle est utilisée dans la théorie des cordes, théorie qui tente d’unifier la relativité générale et la physique quantique. Elle ne peut pas être représentée sans auto-intersection dans l’espace de dimension 3...
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Variétés à bord :
On peut définir des variétés avec un bord. Il suffit d’utiliser pour les points du bord une carte... à bord ! Le cylindre a ainsi pour bord les deux cercles rouges. La bande de Moëbius a pour bord une unique courbe fermée, ici en jaune.
F IGURE 3.10. Bernhard Riemann, 1826-1866. Sa célèbre soutenance d’habilitation, en 1854, intitulée Sur les hypothèses sous-jacentes à la géométrie, jette les bases de la géométrie différentielle. Il y introduit la bonne façon d’étendre à n dimensions les résultats de Gauss sur les surfaces. Cette soutenance a profondément changé la conception de la notion de géométrie.
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4 Espace-temps et gravitation : la relativité générale 4.1
De la relativité restreinte à la relativité générale
Nous pouvons proposer deux approches pour passer de la relativité dite « restreinte » à la relativité générale : une approche physique et une approche mathématique. Commençons par l’approche physique. Historiquement, en 1906, on ne connaissait que deux « forces », ou interactions, la gravitation et l’interaction électromagnétique. La relativité restreinte a été créée pour l’électromagnétisme. En effet, les réflexions d’Einstein et de Poincaré sur la mesure du temps partaient de l’étude de la vitesse de la lumière, qui est une onde électromagnétique, et dont les mesures apparaissaient en contradiction avec les lois d’addition des vitesses de la théorie newtonienne. La théorie de la relativité restreinte résout ces problèmes, et la théorie relativiste de l’électromagnétisme classique (non quantique) est considérée comme une des plus belles théories physiques. Il était alors naturel, en 1906, de vouloir y inclure la gravitation. Or, après 4 ou 5 ans d’un énorme travail, Einstein comprit qu’on ne pouvait modéliser la gravitation dans le cadre d’un espace affine, mais qu’on pouvait y arriver dans un espace géométrique plus général, une variété. Une des grandes motivations d’Einstein, et un des grands problèmes à résoudre, était que la théorie de Newton supposait que la gravitation était non seulement une action « à distance », mais aussi que sa propagation était instantanée, ce qui contredisait le postulat de la relativité restreinte selon lequel rien ne se propage plus vite que la lumière. Après encore
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5 années d’un travail acharné, cela mena Einstein à la théorie de la relativité générale. Les raisons qui menèrent Einstein à l’utilisation d’une variété plutôt que d’un espace affine étaient de nature physique. Mais on peut en donner une approche plus géométrique. Nous avons insisté sur le fait que le choix d’un espace géométrique particulier pour modéliser les phénomènes physiques était en luimême un postulat, et donc un a priori important. Or nous avons postulé que le modèle de la relativité restreinte reposait sur l’utilisation d’un espace affine, fait de droites. Mais un espace affine est une structure assez rigide, constituée en fait d’un contenu géométrique, l’ensemble des points, auquel on superpose une structure algébrique très rigide, l’espace vectoriel des déplacements. Nous avons justement vu que la notion qui fournissait les espaces géométriques les plus généraux sur lesquels on peut encore faire des calculs, c’est la notion de variété vue au chapitre précédent. Il est donc naturel de voir si on peut transposer les notions de courbes de genre temps, lumière et espace, si efficaces pour l’électromagnétisme, à un espace géométrique plus général que l’espace affine, pour modéliser la gravitation et également se débarrasser d’un maximum de postulats difficiles à justifier, comme celui de droite, d’observateurs galiléens, etc. Il est intéressant d’ailleurs d’essayer de définir, physiquement, une droite. Qu’est-ce qu’une droite ? Essentiellement, on est tenté de définir une droite à l’aide d’une visée optique, on aligne deux points avec le regard. C’est donc qu’on utilise des rayons de lumière. Mais qu’est-ce qui prouve que la lumière se propage « en ligne droite » ? On a justement découvert, et surtout observé, que la trajectoire de la lumière était déviée par la présence de masse ; la notion de ligne droite, physiquement, ne tient pas. On rentre dans la relativité générale...
4.2
L’universalité de la chute des corps
Pour un mathématicien, la seule volonté de généraliser aux variétés la géométrie affine lorentzienne de la relativité restreinte serait une justification suffisante. Mais comme nous l’avons dit, les mathématiques et la physique sont particulièrement belles quand elles s’enrichissent mutuellement. Revenons donc un peu sur la motivation physique. L’un des constats fondamentaux de la physique, initié par Galilée, a été que tous les objets soumis à la gravitation subissaient la même accélération, indépendamment de leur composition, et donc adoptaient la même trajectoire. Ceci est en net contraste avec l’interaction électromagnétique. En effet,
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soumis à un champ électromagnétique, la trajectoire d’un objet va dépendre de sa charge, qui peut être positive, négative ou nulle. La charge électrique d’un objet est une de ses caractéristiques intrinsèques fondamentales, au même titre que sa masse. L’universalité de la chute des corps a donc été érigée en principe fondamental de la physique. On appelle aussi ce postulat principe d’équivalence, car en approfondissant sa signification, il mène également à postuler l’égalité de la masse inerte, qui représente la résistance d’un corps à une modification de son mouvement, et de la masse grave représentant la quantité de matière soumise à la gravitation. Il peut aussi s’interpréter comme l’équivalence locale de la gravitation et d’une accélération ; c’est l’interprétation qui mena Einstein à sa théorie. Sous sa forme d’universalité de la chute des corps, ce principe a été vérifié avec une extraordinaire précision en décembre 2017 par l’expérience Microscope, qui a mesuré l’accélération de deux corps de masses et de compositions différentes placés en orbite à 700 km de la Terre. Ce principe est le fondement de la relativité générale. Mais si le mouvement d’un objet dans un champ gravitationnel ne dépend pas de sa composition, de quoi dépend-il ? Si le mouvement d’un corps soumis à la gravité n’est pas dû à sa composition interne, c’est que la cause du mouvement est étrangère à cette composition. Le coup de génie d’Einstein a été de comprendre que le mouvement d’un corps soumis à la gravité ne devait pas être dû à la nature du corps lui-même mais à la forme géométrique de l’espace-temps dans lequel il vivait. L’idée est que l’espace-temps n’est plus, comme en mécanique newtonienne ou relativité restreinte, un cadre fixe et immuable, mais devient une entité physique à part entière, dynamique et interagissant avec la matière et l’énergie qu’il contient. Toute masse (et donc toute énergie, puisque masse et énergie sont équivalentes, par la célèbre formule E = m.c2 ) déforme l’espacetemps, et en retour les objets physiques doivent suivre certaines trajectoires sur cet espace-temps déformé. Quelles trajectoires ? Nous allons voir que l’on peut transposer sur une variété le produit scalaire d’un espace affine, et donc transposer un moyen de mesurer des longueurs, ou des pseudo-longueurs. On dit dans ce cas qu’on a pourvu la variété d’une métrique riemannienne ou lorentzienne, selon le type de produit scalaire qu’on a transposé. Il existe alors sur la variété une famille naturelle de trajectoires, celles qui rendent extrémales la (pseudo-)longueur entre deux points, les géodésiques. On considère par ailleurs maintenant qu’un corps est libre s’il n’est soumis à aucune autre interaction que la gravitation, il n’est par exemple pas soumis à une interaction électromagnétique (le terme libre a donc en relativité générale un sens très différent de celui de la mécanique newtonienne, où un corps soumis à la gravitation n’est pas libre).
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La théorie de la gravitation selon Einstein prend alors une forme extrêmement simple et élégante : L’espace-temps est une variété de dimension 4 munie d’une métrique lorentzienne. Les corps libres suivent les géodésiques de genre temps de l’espace-temps. La lumière suit les géodésiques de genre lumière. Nous avons vu au chapitre précédent ce qu’était une variété, et nous avons évoqué la notion de géodésique. Nous allons voir ce qu’est une métrique. L’objet de ce chapitre est de présenter toutes les notions apparaissant dans ces trois phrases, pour faire sentir l’union profonde entre géométrie riemannienne et relativité générale. Si les postulats physiques sont donc beaucoup moins nombreux que dans les théories précédentes, il faut reconnaître que les outils mathématiques sur lesquels ils s’appuient sont beaucoup plus sophistiqués ! En effet, déjà une variété différentielle est mathématiquement un objet sensiblement plus sophistiqué qu’un espace affine ; y transposer les outils du calcul différentiel implique d’élaborer une théorie un peu longue à mettre en place. Quand on y ajoute en plus une manière de mesurer les distances, ce qu’on appelle une métrique, cela rajoute également pas mal d’objets à développer. Ces difficultés, doublées du fait qu’en 1910 la géométrie différentielle en était à ses début et qu’il n’y avait donc pas de livre de « cours » correspondant, ont contribué à donner à la relativité générale la réputation d’une théorie extrêmement difficile, et ont donc freiné son développement. Mais, près de cent ans après sa création, toutes ces notions mathématiques sont devenues classiques dans l’enseignement des maths, on trouve des livres de cours très clairs, et la relativité générale a vraiment pu prendre son essor depuis 40 ans. Car la récompense, une fois maîtrisés les outils de la géométrie différentielle et riemannienne (la géométrie riemannienne, c’est la théorie traitant des variétés sur lesquelles on a mis une métrique), est énorme. La relativité générale devient une théorie extrêmement élégante, reposant sur un minimum de postulats ; toute la théorie est contenue dans les trois lignes en italique ci-dessus, auxquelles on rajoute l’équation phare de la théorie, l’équation d’Einstein : 1 Rμν − S. gμν = Tμν 2 Cette équation est exposée pour montrer à quoi elle ressemble, mais chaque terme demande une explication qui, a priori, dépasse de loin le niveau de ce texte : il faut simplement un cours de géométrie riemannienne ! Nous allons quand même tenter d’en comprendre la signification. Disons tout de suite que la partie de gauche de l’équation décrit la forme géométrique de l’espace-temps, et le terme de droite le contenu en matière de l’univers. Autrement dit, c’est
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cette équation qui décrit comment l’espace-temps se déforme sous la présence de matière.
4.3
Les géodésiques de l’espace-temps
Nous ne pouvons pas faire un exposé aussi complet des mathématiques nécessaires à la relativité générale que nous l’avons fait pour la relativité restreinte, mais nous allons donner une idée de la façon dont on transpose les notions de courbes de genre temps ou lumière d’un espace affine à une variété. La première idée naturelle est d’utiliser les cartes. Souvenez-vous du chapitre 3. Une variété est un espace géométrique sur lequel on peut définir une carte au voisinage de chaque point, c’est-à-dire une correspondance (bijective, ou bi-univoque) avec un morceau de l’espace affine, plat, usuel. Avec ces cartes on peut tenter de ramener sur la variété les calculs que l’on peut faire sur l’espace affine, comme les dérivées, les intégrales, et, en particulier pour la relativité, les mesures d’angles et de distances. Ainsi, si l’on a deux courbes qui se croisent sur la variété en un point, on peut les regarder dans une carte autour du point d’intersection, et mesurer par exemple l’angle qu’elles font, comme on sait le faire dans un espace affine (l’angle de leurs tangentes). Puis on peut être tenté de remonter ce calcul sur la variété, toujours avec la carte. Mais la difficulté est que la carte peut déformer fortement l’image de la variété : pensez aux cartes de la Terre que vous trouvez dans un atlas : si ces cartes vous montrent l’équateur comme une droite horizontale au milieu de la page, les images du Groenland et de l’Antarctique vont être fortement déformées, les surfaces seront disproportionnées. Il faut alors utiliser une autre carte, adaptée, centrée sur l’Arctique par exemple. Au passage, notons que le problème de la représentation de la Terre à l’aide de cartes est un problème qui occupe les mathématiciens depuis des siècles. Voir figure 4.1. C’est en effet là qu’intervient une notion fondamentale pour la géométrie Riemannienne, la courbure. On le sent effectivement, la sphère est courbée, la carte est plate. Et c’est là la difficulté majeure de la transposition aux variétés des outils développés sur les espaces affines. Si l’outil de base du calcul différentiel, la dérivée des fonctions, se transporte très facilement sur une variété à l’aide de la notion de carte, et permet de faire déjà énormément de choses, la notion de mesure d’angle et de distance, elle, passe très mal, et cela est lié à cette notion de courbure. C’est pour résoudre ces difficultés qu’on développe la géométrie riemannienne. Les notions de courbure et de géodésiques sont les notions centrales de la géométrie riemannienne, et donc de la relativité générale. Il nous faut donc
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F IGURE 4.1. Différents choix de cartes donneront une apparence complètement différente des continents. Certaines cartes, les cartes conformes, peuvent transposer la valeur des angles de la Terre vers la carte. En revanche, aucune carte ne peut respecter les rapports de distances mesurés à la surface de la Terre sur l’ensemble de son domaine. Cela est dû à la courbure de la Terre, par opposition à la platitude de la carte.
les approfondir. Heureusement, pour les surfaces (de dimension 2), la notion intuitive de courbure, par opposition à la platitude d’un plan, correspond assez bien à la notion mathématique. Malheureusement, à partir de la dimension 3, le concept de courbure devient très compliqué à définir. Le plus simple est de le présenter à travers son effet sur les géodésiques, c’est d’ailleurs la description qui est la plus utile pour la relativité générale. Les concepts et les objets mathématiques à introduire pour définir correctement les géodésiques sont un peu sophistiqués, mais assez visuels. Nous voulons donc en faire sentir l’essence au lecteur, et montrer que les géodésiques sont des objets plus subtils que ce que l’on présente dans les articles de vulgarisation. Comme pour la relativité restreinte, nous présenterons un résumé « par l’image » de ce qu’il faut retenir dans un encadré accompagné d’une figure, page 94. Disons tout de suite que l’idée essentielle est la suivante : La relativité générale modélise l’espace-temps par un espace géométrique de dimension 4, de forme quelconque : une variété. En chaque point, on y trace un cône de lumière. Les lignes d’univers des objets physiques doivent passer en chaque point à l’intérieur de ces cônes de lumière. La lumière suivra les bords de ces cônes. Les géodésiques sont des courbes inertielles, sans accélération, que suivent les objets libres et la lumière. Les premiers objets qu’il faut définir sur une variété sont les vecteurs tangents et l’espace tangent en un point. On peut le faire à l’aide d’une carte.
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Ici, le concept correspond parfaitement à l’image intuitive de vecteurs tangents et de plan tangent à une surface. On peut aussi dire que le plan tangent est la version infinitésimale d’une carte : imaginez que vous regardiez la Terre sur laquelle vous vivez, une sphère, avec un microscope dont vous augmentez le grossissement. Appelons P la position du microscope. Au début, la surface autour de P apparaît légèrement courbée dans votre microscope, puis, au fur et à mesure que vous augmentez le grossissement, ce que vous voyez autour de P a l’air de plus en plus plat. Quand le grossissement devient infini, vous voyez l’espace tangent en P !
FIGURE 4.2. Bien que la définition mathématique du plan tangent à une variété soit un peu délicate (voir l’annexe), l’idée correspond parfaitement à l’image intuitive du plan tangent à une surface. Sur une variété M , l ’espace tangent T p M au point p est un espace de vecteurs, de même dimension que la variété.
Pour bien définir et utiliser l’espace tangent, il faut tracer des courbes sur la variété. Les courbes seront notre principal outil d’exploration de la géométrie d’une variété, et donc de l’espace-temps. Intuitivement, sur une variété ou dans l’espace euclidien, une courbe représente un point mobile dont on repère les positions successives à l’aide d’un paramètre, comme le temps. Physiquement, une courbe représente donc la trajectoire, ou la ligne d’univers dans l’espacetemps, d’un objet ponctuel. Mathématiquement, une courbe est une fonction (continue) qui associe à tout paramètre réel t d’un intervalle, un point de la variété. L’image est simple :
F IGURE 4.3. Une courbe repère les positions successives d’un point à l’aide d’un paramètre.
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Revenons à l’espace tangent. C’est un espace vectoriel, un espace de vecteurs. Les vecteurs tangents sont en fait définis (mathématiquement) comme étant les vecteurs vitesse des courbes tracées sur la variété. Si une courbe passe par un point P, le vecteur vitesse de cette courbe en P est un vecteur de l’espace tangent en P. Cela correspond parfaitement à l’image intuitive que vous pouvez vous faire du vecteur vitesse en un point d’une courbe, lorsque cette courbe représente le déplacement d’un objet sur la variété : par exemple, la vitesse d’une voiture sur une route à la surface de la Terre. C’est essentiellement avec cette notion qu’on retrouve les outils du calcul différentiel sur une variété (voir l’annexe). L’espace tangent est de même dimension que la variété.
F IGURE 4.4. Un vecteur tangent au point p doit être vu comme le vecteur vitesse d’une courbe passant par p, ce vecteur donnant la direction et « l’intensité » de la vitesse. L’espace tangent en p, c’est en fait l’ensemble des vecteurs tangents en p. Pour « calculer » le vecteur vitesse, on peut utiliser une carte : si une courbe est une fonction qui marque les positions successives d’un point mobile au cours du temps, sa dérivée est sa vitesse ; on calcule cette dérivée à l’aide des coordonnées fournies par la carte.
Maintenant, l’espace tangent étant un espace vectoriel, comme l’espace des déplacements d’un espace affine, on peut donc y faire tout ce qu’on savait faire dans ce cas. En particulier, on peut y mettre un produit scalaire, euclidien ou lorentzien. Donc, une fois choisi un tel produit scalaire, on peut mesurer la (pseudo-)longueur d’un vecteur tangent, et définir l’orthogonalité entre deux vecteurs tangents au même point. On peut faire cela sur tous les espaces tangents. Quand on a défini un produit scalaire sur chaque espace tangent d’une variété, on dit qu’on a muni cette variété d’une métrique. (Notons que le produit scalaire doit « varier continûment d’un espace tangent à l’autre », ce qui a un sens mathématique précis, sur lequel nous passerons. Une métrique peut être construite sur une variété en donnant une « formule » dans chaque carte
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d’un atlas de la variété, ces formules devant être compatibles entre elles ; voir la dernière partie de l’annexe).
F IGURE 4.5. La métrique d’une variété. Figure de gauche : chaque espace tangent est un espace vectoriel sur lequel on met un produit scalaire. On peut donc mesurer la (pseudo-)longueur des vecteurs en chaque point, ainsi que les angles qu’ils font entre eux. On peut alors calculer la (pseudo-)longueur d’une courbe sur la variété. Figure de droite : la métrique permettra aussi d’évaluer comment évolue la longueur et l’orientation du vecteur vitesse d’une courbe d’un point à un autre, et donc d’en calculer l’accélération.
Ensuite, si on sait mesurer le vecteur vitesse d’une courbe en chacun de ses points, c’est une procédure mathématique classique que d’obtenir la longueur de cette courbe entre deux de ses points : on intègre la longueur des vecteurs vitesse entre ces deux points. Vous savez le faire : si vous roulez pendant trois heures à une vitesse moyenne de 130 km/h, vous aurez parcouru 390 km ! Vous avez « intégré » la vitesse sur une durée de 3 heures ! L’intégrale d’une fonction, c’est en effet simplement la valeur moyenne de cette fonction, multipliée par la longueur de l’intervalle d’intégration (pour les lecteurs curieux, voir l’annexe). La longueur d’une courbe sur une variété, c’est l’intégrale de la longueur de ses vecteurs vitesse entre ses extrémités. Nous considérons désormais une variété munie d’une métrique. La variété est une variété riemannienne si le produit scalaire sur chaque espace tangent est euclidien. C’est une variété lorentzienne si le produit scalaire sur chaque espace tangent est lorentzien. Sur une variété munie d’une métrique, on va donc pouvoir calculer la longueur (ou la pseudo-longueur) des courbes qui y
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sont tracées. Mais, avec un produit scalaire lorentzien, l’interprétation est un peu subtile, nous allons le voir. Du jargon mathématique : les adjectifs riemannienne et lorentzienne désignent donc deux choix possibles de produits scalaires sur les espaces tangents. Historiquement, la géométrie riemannienne est la branche des mathématiques qui étudie les variétés riemanniennes. Mais on utilise évidemment les même concepts et les mêmes outils pour étudier les variétés lorentziennes. On appelle donc géométrie pseudo-riemannienne l’étude des variétés munies d’une métrique, quelle qu’elle soit. Dans ce livre, l’expression variété pseudo-riemannienne désignera donc une variété munie d’une métrique, qu’elle soit riemannienne ou lorentzienne. L’inventivité et les subtilités du langage des mathématiques font partie de leur charme... Sur une variété riemannienne, avec un produit scalaire euclidien sur chaque espace tangent, on obtient une mesure naturelle, classique, des vecteurs vitesse et des angles que ceux-ci font entre eux ; on obtient donc une notion naturelle de longueur des courbes qui y sont tracées. On peut alors se demander s’il existe un plus court chemin entre deux points donnés d’une variété. Il est facile de constater qu’il n’en existe pas toujours ! En effet, si vous considérez par exemple le plan avec sa distance euclidienne classique, et que vous y faites un « trou », en retirant simplement un point, alors, il n’existe pas de plus court chemin entre deux points symétriques par rapport à ce trou, mais seulement des chemins de plus en plus courts entre ces points.
F IGURE 4.6. Un trou empêche l’existence d’un plus court chemin. Si on enlève un point dans le plan, ici le point O, il n’existe pas de plus court chemin entre A et B. En effet, on ne peut plus passer par O, et on peut seulement trouver des chemins de plus en plus courts.
Si on exclut ces cas « pathologiques », autrement dit s’il n’y a pas de « trou » dans la variété, (ce qui se définit facilement mathématiquement), alors il y a un plus court chemin, et ce chemin est une géodésique. Sur la sphère par exemple, les géodésiques sont les grands cercles, ceux dont le centre est confondu avec le centre de la sphère. Ce sont ces cercles que suivent les avions à la surface de la Terre. Attention : sur une variété, il peut y avoir plusieurs géodésiques, voire une infinité, entre deux points ; le plus court chemin
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entre deux points n’est pas forcément unique ! Sur la Terre par exemple, tous les méridiens allant du pôle Nord au pôle Sud sont des géodésiques.
F IGURE 4.7. Les géodésiques de la sphère sont en traits pleins, ce sont des grands cercles. Les courbes pointillées, des parallèles autres que l’équateur, ne sont pas des géodésiques. Évidemment, lorsque l’on considère deux points sur la sphère, il faut prendre le plus petit des deux arcs de grand cercle qui passe par ces points pour obtenir le plus court chemin ; il faut prendre celui qui fait moins d’un demi-tour ! C’est pourquoi une géodésique ne réalise le plus court chemin entre deux de ses points que lorsqu’on la considère sur des régions assez petites. Voici un exemple important de formule de géométrie différentielle, l’équation
des géodésiques dans une carte :
d2 ( x k ◦ γ ) dt2
+ ∑i,j Γ kij (γ ) d( xdt◦γ ) d( xdt◦γ ) = 0... i
j
Mathématiquement, une géodésique sur une variété riemannienne est une courbe qui réalise « localement » le plus court chemin entre deux quelconques de ses points. « Localement » signifie que, pour certaines variétés, c’est chaque tronçon « assez petit » de la géodésique qui réalise le plus court chemin entre deux quelconques de ses points. L’exemple de la sphère montre pourquoi : un grand cercle est une géodésique, mais entre deux points, il faut prendre l’arc qui fait moins d’un demi-tour pour avoir le plus court chemin ! On peut avoir des situations analogues sur des variétés plus compliquées (voir les images du tore, un peu plus loin). La notion de plus court chemin est beaucoup plus subtile sur une variété que dans l’espace euclidien. Sur une variété riemannienne « sans trou », on retrouve néanmoins une notion de distance très intuitive : la distance entre deux points de la variété, c’est la longueur de la plus petite courbe qui les joint, et cette courbe de longueur minimale est une géodésique. Pour les lecteurs exigeants : les énoncés précis caractérisant les géodésiques comme courbes de longueurs minimales sont assez techniques. Il faut dire : autour de chaque point p, il existe une région (qui peut être toute la variété) où tout point peut être relié à p par une courbe de longueur minimale, qui est alors une géodésique. Pour les points au-delà de cette région, l’existence d’une géodésique minimale n’est pas garantie. S’il y a « des trous », la distance entre deux points d’une
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variété riemannienne, c’est la borne inférieure des longueurs des courbes qui les joignent, même quand il n’y a pas de géodésique joignant ces deux points.
Sur une variété munie d’une métrique, il semble donc naturel de vouloir définir les géodésiques comme des courbes de longueur minimale. Mais on voit déjà dans le cas d’une métrique classique, riemannienne, que ce n’est pas simple : il faut qu’il n’y ait pas de trous, et que les points à relier ne soient pas trop éloignés. Si l’on considère maintenant une métrique lorentzienne, la définition des géodésiques comme courbe de longueur minimale n’est pas possible. En effet, de même que sur un espace affine un produit scalaire lorentzien donnait une géométrie très différente d’un produit scalaire euclidien, une métrique lorentzienne va donner une géométrie très différente d’une métrique riemannienne. En particulier, comme en relativité restreinte, nous allons voir que la notion de distance devient ambiguë sur une variété lorentzienne : songez au paradoxe des jumeaux, ou à l’inégalité triangulaire inversée, qui montrent que dans certains cas, la ligne droite est le plus long chemin entre deux points. Si l’on veut caractériser des courbes de longueurs extrémales (maximales ou minimales), il va donc falloir définir les géodésiques d’une autre manière. C’est encore la métrique qui va permettre une meilleure approche. En effet, l’un des énormes intérêts d’une métrique sur une variété, c’est que cela permet également de définir l’accélération d’une courbe, allant donc audelà de la seule définition de sa vitesse.
F IGURE 4.8. Géodésiques du tore. Le lecteur peut feuilleter l’annexe pour voir quelques détails supplémentaires sur les mathématiques des géodésiques.
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L’accélération d’une courbe, c’est le taux de variation de son vecteur vitesse d’un point à un autre. Une métrique est nécessaire pour évaluer la variation d’angle ou de longueur des vecteurs vitesse. Cette notion correspond à l’idée intuitive : une courbe qui tourne ou qui change de vitesse a une accélération non nulle. On définit alors une géodésique comme une courbe d’accélération nulle. Définir une géodésique comme une courbe d’accélération nulle, bien que moins intuitif que comme une courbe de longueur minimale, a une très belle interprétation physique. Une géodésique est une courbe « naturelle » sur une variété munie d’une métrique : elle se contente de suivre les creux et les bosses de la variété. En effet, l’accélération doit se mesurer au sein de la variété où la courbe vit, sans faire référence à un quelconque espace extérieur englobant la variété. C’est donc le chemin que suivrait une bille lancée sur cette variété et qui roulerait sans frottement et sans glissement. C’est la meilleure façon de définir les géodésiques, car la définition a alors un sens aussi bien sur une variété riemannienne que lorentzienne, sur laquelle la notion de longueur devient compliquée. Sur une variété avec une métrique riemannienne, les géodésiques, définies comme courbes d’accélération nulle, sont bien les courbes qui réalisent les plus courts chemins lorsqu’ils existent, comme nous les avions initialement présentées ; les deux points de vue sont donc équivalents dans ce cas. Pour voir à quoi ressemble les géodésiques d’une variété lorentzienne, examinons maintenant les différents types de courbes que l’on peut y définir. Dans la géométrie de la relativité restreinte, le produit scalaire permettait de définir trois familles de vecteurs, les vecteurs de genre temps, lumière et espace. Or, avec une métrique, on a fait de chaque espace tangent un modèle réduit de l’espace de la relativité restreinte. C’est bien le but d’ailleurs : sur chaque carte assez petite, la variété doit être « presque » l’espace de la relativité restreinte, et c’est globalement que la gravitation déforme la variété. L’espace tangent, c’est une carte « infinitésimale ». Grâce au produit scalaire sur chaque espace tangent, on peut donc dessiner un cône de lumière au point de contact avec la variété, et ainsi définir des vecteurs de genre temps, lumière et espace. Voir figure 4.9. En considérant le cône de lumière tracé au point de contact de chaque espace tangent, on obtient un cône de lumière attaché à chaque point de la variété. L’ensemble de ces cônes de lumière est, comme en relativité restreinte, une structure fondamentale de la variété espace-temps. Une courbe tracée sur la variété sera alors dite de genre temps si tous ses vecteurs vitesse sont de genre temps, elle sera dite de genre lumière si tous ses vecteurs vitesse sont de genre lumière, et enfin de genre espace si tous ses vecteurs vitesse sont de genre espace.
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F IGURE 4.9. Au point de contact avec la variété, grâce à la métrique, on trace un cône de lumière sur le plan tangent (ici en vert). On définit alors, pour ce point, les vecteurs tangents de genre temps, espace et lumière, selon qu’ils sont à l’intérieur, à l’extérieur, ou sur ce cône. En bleu, un vecteur de genre temps. En vert, un vecteur de genre lumière. En noir, un vecteur de genre espace. (Deux dimensions spatiales ayant été supprimées sur ce dessin, le cône est « plat ».)
Remarque : une courbe quelconque peut changer de genre d’un point à un autre, mais elle présente alors peu d’intérêt, tant sur le plan mathématique que physique.
Ce qu’il faut retenir à ce stade : de manière intuitive, on peut se contenter de retenir que la relativité générale modélise l’espace-temps par un espace géométrique de dimension 4 et de forme quelconque, une variété, sur laquelle on trace, en chaque point, un cône de lumière. Les courbes de genre temps sont les courbes qui passent en chaque point à l’intérieur des cônes de lumière ; on postule que ce sont les lignes d’univers des objets physiques. Il faut admettre aussi qu’on se donne un moyen (appelé métrique), de mesurer les (pseudo-)longueurs des courbes, ainsi que leur accélération. On définit alors les géodésiques comme les courbes d’accélération nulle, qui suivent naturellement les creux et les bosses de la variété espace-temps. La lumière suit des géodésiques qui sont en chaque point sur le bord des cônes de lumière. Voir Figure 4.10. Nous avons vu deux approches possibles des géodésiques ; courbes de longueur minimale sur une variété munie d’une métrique riemannienne, courbe d’accélération nulle sur une variété avec une métrique quelconque. Mais, si sur une variété lorentzienne on sait définir la pseudo-longueur des vecteurs vitesse d’une courbe, on peut aussi en intégrer la valeur entre deux de ses points, comme pour avoir sa longueur.
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F IGURE 4.10. À gauche : le produit scalaire mis sur chaque espace tangent permet de tracer un cône de lumière (tangent) en chaque point de la variété. Les espaces tangents sont indépendants les uns des autres, et la variété étant courbe, les cônes ne sont plus tous « alignés ». (Ici encore, deux dimensions spatiales étant supprimées, les cônes sont « plats ».) À droite : une courbe de genre temps (en rouge) reste toujours à l’intérieur de ses cônes de lumière (précisément, ses vecteurs vitesse sont tous de genre temps). Une courbe de genre lumière (en vert) est, intuitivement, sur les bords de ses cônes.
La pseudo-longueur d’une courbe sur une variété lorentzienne, c’est l’intégrale de la pseudo-longueur de ses vecteurs vitesse entre ses extrémités. La pseudo-longueur d’une courbe est donc la valeur moyenne des pseudolongueurs des vecteurs vitesse de cette courbe, multipliée par la longueur de l’intervalle des paramètres utilisés pour en repérer les points. Qu’obtient-on alors dans le cas lorentzien ? Souvenez-vous de la relativité restreinte : pour une courbe de genre temps, la pseudo-longueur entre deux de ses points était le temps propre mesuré par un observateur dont cette courbe représente la ligne d’univers. La relativité générale devant généraliser cela ( !), on garde cette interprétation. L’espace-temps de la relativité générale est modélisé par une variété lorentzienne. Une courbe de genre temps représente la ligne d’univers d’un objet physique. Sa pseudo-longueur entre deux de ses points représente le temps propre, mesuré par une horloge attachée à cet objet, écoulé entre ces deux points-événements. Voir Figure 4.11. Une géodésique de genre temps est alors aussi une courbe qui rend maximale la pseudo-distance entre deux points, ou, physiquement, qui rend maximal le temps propre écoulé entre les deux événements correspondant à ces points. Sur une variété lorentzienne, on a donc encore un lien entre l’accélération nulle d’une géodésique et ses propriétés vis-à-vis de la pseudolongueur. Mais une géodésique n’est plus le plus court chemin d’un point à un autre. C’est ainsi qu’on transpose le « paradoxe » des jumeaux à
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l’espace-temps courbe, car un individu qui « se laisse tomber » le long d’une géodésique entre deux événements vieillira plus qu’un voyageur empruntant un autre chemin spatio-temporel, sur lequel il y aura une accélération, entre ces mêmes événements. Voir Figure 4.12.
F IGURE 4.11. Pseudo-longueur d’une ligne d’univers de genre temps. La pseudo-longeur d’une ligne d’univers de genre temps entre deux points donne le temps propre écoulé entre les deux événements correspondants. On peut ainsi repérer chaque point d’une telle courbe par le temps propre écoulé depuis une origine
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choisie. Les mathématiciens l’écrivent L (c) = 0 | c˙ (t )| dt...
Pour les lecteurs exigeants : en toute rigueur, comme dans le cas riemannien, l’énoncé mathématique précis est un peu plus sophistiqué. Il faut dire : il existe autour de chaque point p une région (qui peut être toute la variété) où tout point qui peut être relié à p par une courbe de genre temps, peut aussi y être relié par une courbe de pseudo-longueur maximale, qui est alors une géodésique de genre temps. Pour des points au-delà de cette région, l’existence de cette géodésique maximale n’est pas garantie. Ainsi, une géodésique de genre temps est une courbe qui réalise localement le maximum de la pseudo-distance entre deux de ses points. Nous ne mentionnerons plus ces subtilités, importantes mais un peu techniques, car l’idée exposée ci-dessus est essentiellement ce qu’il faut retenir !
Attention : les dessins de variétés dans ce chapitre, présentées comme des surfaces (de dimension 2), représentent l’espace-temps de dimension 4 ! Donc, sur ces dessins, 2 dimensions spatiales ont été supprimées ! Les courbes tracées sont des lignes d’univers dans un diagramme d’espace-temps dont une dimension est le temps. Il faut donc prendre ces figures avec un peu de recul, et d’abstraction, même si elles sont suggestives...
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F IGURE 4.12. Paradoxe des jumeaux dans l’espace-temps courbe. Une métrique lorentzienne sur une variété va donner une géométrie contre-intuitive : la géodésique (bleue) de A à B est plus « longue » que la courbe qui accélère (rouge) joignant ces mêmes points. Pour prouver qu’une géodésique de genre temps est la plus longue des courbes de genre temps entre deux points donnés, on utilise l’inégalité triangulaire inversée de la relativité restreinte sur chaque espace tangent. On a représenté en vert des cônes de lumière : les vecteurs vitesse des courbes de genre temps sont, à chaque point, à l’intérieur du cône de lumière.
Pour bien comprendre cette remarque, il est utile de reconsidérer les diagrammes d’espace-temps que nous avons vus en relativité restreinte dans le cadre des variétés courbes. En effet, l’espace-temps de la relativité restreinte est un cas particulier où, en l’absence de gravitation, la variété espace-temps est plate (c’est le terme mathématique !). Un espace affine est un cas particulier de variété, et on peut utiliser des représentations analogues à ce que nous avons fait pour les variétés courbes.
F IGURE 4.13. L’espace-temps plat de la relativité restreinte, où il n’y a pas de gravitation. On l’appelle l’espace-temps de Minkowski. Tous les cônes sont parallèles. En rouge, toujours à l’intérieur de ses cônes de lumière, une courbe de genre temps. En bleu, une géodésique de genre temps : dans l’espace-temps plat, une géodésique est une ligne droite. Mais attention : dans l’espace-temps de Minkowski, avec une métrique lorentzienne, une droite-géodésique de genre temps est le plus long chemin d’un événement à un autre ! C’est le paradoxe des jumeaux, représenté, comme sur une variété, sur la figure de droite.
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Revenons aux pseudo-longueurs des courbes sur une variété lorentzienne. Les courbes de genre lumière ont des vecteurs vitesse de pseudo-longueur toujours nulle par définition ; la pseudo-longueur d’une courbe de genre lumière ne peut être que nulle. On peut définir la pseudo-longueur d’une courbe de genre espace, mais attention, cela ne correspond pas à une notion physique. C’est une des grandes subtilités de la relativité générale : il est très délicat de définir une distance correspondant à la notion intuitive, usuelle, de distance « spatiale » entre deux événements de l’espace-temps. En fait cette notion usuelle n’a plus vraiment de sens en relativité générale. Seul le temps propre, pseudo-longueur d’une courbe de genre temps, garde une signification physique ; c’est la notion fondamentale. Ayant donc défini les géodésiques comme des courbes d’accélération nulle, on a alors, dans une variété lorentzienne, trois familles de géodésiques : les géodésiques de genre temps, qui maximisent la pseudo-longueur (c’est-à-dire le temps propre) entre deux points parmi les courbes de genre temps qui les joignent ; les géodésiques de genre lumière, courbes d’accélération nulle entre deux quelconques de leurs points, et qui sont de longueur nulle ; et les géodésiques de genre espace, d’accélération nulle aussi, mais qui n’ont plus de propriétés particulières vis-à-vis de la distance. Il n’est donc plus possible, et c’est un point important, de définir naturellement une distance sur une variété lorentzienne. En résumé : l’espace-temps est une variété de dimension 4, sur laquelle on définit une métrique lorentzienne. Chaque espace tangent de la variété, ou chaque mini-carte, est alors un modèle réduit de la relativité restreinte. On a des courbes de genre temps, lumière ou espace, et des géodésiques de genre temps, lumière ou espace, qui sont les courbes d’accélération nulle. Les géodésiques de genre temps maximisent la pseudo-distance (le temps propre donc) entre deux points ; ces géodésiques représentent les objets en « chute libre », c’est-à-dire soumis uniquement à la gravitation. Les géodésiques lumière représentent les photons, la lumière. Les géodésiques sont les courbes naturelles d’une variété lorentzienne.
4.4
La courbure de l’espace-temps
Si le terme de courbure d’une surface est assez suggestif, en donner une définition mathématique précise dans le cadre des variétés est délicat. Dans ce livre, nous avons choisi d’adopter la définition suivante, bien adaptée à son utilisation en relativité :
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La courbure d’une variété, en un point donné, est une mesure du taux de dispersion ou de rapprochement des géodésiques issues de ce point. La courbure est, comme nous l’avons dit, une notion fondamentale, mais difficile, dans l’étude des variétés. Elle doit caractériser en chaque point la façon dont la variété s’écarte ou diffère de l’espace tangent en ce point, qui est un espace « plat », et ceci dans chacune des directions possibles issues de ce point. En dimension 2, sur une surface, il y a beaucoup de directions passant par un point. Mais, c’est un miracle de la géométrie des surfaces, on peut malgré tout caractériser en chaque point la courbure par un seul nombre. À partir de la dimension 3, ce n’est plus possible ; pour tenir compte de toutes les directions possibles, il ne faut plus un nombre, mais un ensemble de super-tableaux de nombres, appelé un tenseur, qui, pour une variété de dimension n, fournit en chaque point, et pour chaque choix de carte, n4 nombres (soit, pour la dimension 4, 256 nombres). Un tenseur de rang k sur une variété est une fonction qui en chaque point p de la variété permet d’obtenir des mesures ou des grandeurs concernant toute donnée de k vecteurs tangents en p, indépendamment de tout choix de coordonnées ; (voir l’annexe). Ainsi la métrique est un tenseur de rang 2 : en chaque point elle fournit le produit scalaire de 2 vecteurs. Le tenseur de courbure, de rang 4, est noté Rαβμν , où α, β, μ, ν sont des indices variant de 1 à n. Ce tenseur, appelé tenseur de courbure de Riemann, noté aussi R, est un objet difficile à définir et compliqué à manipuler, la définition étant liée à des subtilités de calcul différentiel. Heureusement, on peut en donner une description rigoureuse et pourtant très parlante, en la liant aux autres objets fondamentaux d’une variété munie d’une métrique, les géodésiques. Bien qu’étant un supertableau de nombres (un tenseur), la courbure de Riemann peut être dite, comme pour les courbures en dimension 2, positive, négative ou nulle. Les prototypes de ces trois types de courbures sont (en dimension 2, mais on a les analogues en dimensions supérieures) : la sphère, de courbure positive, la selle de cheval de courbure négative, et l’espace euclidien de courbure nulle. Voir figure 4.14. Les zones d’une variété où la courbure est positive se caractérisent par le fait que les géodésiques issues d’un point ont tendance à reconverger l’une vers l’autre, les zones où la courbure est négative par le fait que ces géodésiques s’éloignent l’une de l’autre de plus en plus vite. Enfin, la courbure nulle, sorte de courbure de référence, correspond à l’image de droites passant par un même point, dont on peut dire qu’elles s’éloignent l’une de l’autre à vitesse constante. La courbure donne le taux de convergence ou de dispersion des géodésiques en chaque point et dans chaque direction. Voir Figure 4.15.
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F IGURE 4.14. Signe de la courbure. La courbure est un objet difficile à définir sur une variété de dimension supérieure à 3. Néanmoins, on peut parler de courbure positive, négative ou nulle, dont les modèles types sont la sphère, la selle de cheval, et le plan. En dimension 2, sur les surfaces, on peut aussi caractériser la courbure par la somme des angles d’un triangle tracé avec des géodésiques : supérieure à 180◦ en courbure positive, inférieure en courbure négative, et bien sûr égale à 180◦ dans le plan (voir l’annexe). Pour se donner une idée de la complexité de la courbure, voilà sa « formule » dans une carte : R αβμν : = ∂Γα βν ∂x μ
−
∂Γα βμ ∂x ν
un tableau...
+ Γ ασμ Γ σβν − Γ ασν Γ σβμ avec Γ νμν = 12 gσν
∂gσν ∂x μ
. Cette formule est à apprécier ici comme
F IGURE 4.15. Courbure et déviation des géodésiques. À gauche, une courbure positive force les géodésiques à converger. À droite, une courbure négative force les géodésiques à se disperser.
Ainsi sur la sphère qui est de courbure positive, les méridiens issus du pôle Nord, qui sont des géodésiques, reconvergent vers le pôle Sud. C’est chacun des
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nombres du tenseur Rαβμν qui caractérise plus précisément le taux de rapprochement ou de dispersion des géodésiques dans chaque direction. La courbure mesure donc le taux de dispersion ou de rapprochement de géodésiques voisines. Le lecteur peut se contenter de cette définition, parfaitement rigoureuse d’ailleurs, et passer directement à la section suivante. Pour les plus exigeants, on peut préciser certains aspects techniques, qui s’interprètent néanmoins très bien visuellement. Mathématiquement, pour mesurer le mouvement relatif des géodésiques, on part d’une géodésique centrale, et on repère une géodésique (« infinitésimalement ») voisine par une famille de petits vecteurs déplacement J (t), appelés champs de Jacobi. Ainsi, les vecteurs J (t) marquent la position d’une géodésique voisine. La dérivée première de cette fonction-vecteur J (t) représente alors la vitesse relative, et sa dérivée seconde l’accélération relative de cette géodésique. Ces vecteurs de Jacobi sont des vecteurs tangents à la variété, placés en chaque point de la géodésique centrale (voir la figure ci-dessous).
F IGURE 4.16. L’évolution du vecteur séparation J (t ) représente le mouvement relatif de deux particules. On repère les géodésiques dans le voisinage d’une géodésique donnée c(t ) par un champ de vecteurs de Jacobi J (t ) le long de c. L’évolution de J (t ) au fil de la courbe c(t ) est mesurée par la courbure. L’influence de la courbure sur les géodésiques voisines permet de définir les forces de marée, c’est-à-dire les effets de la variation de la gravitation d’un point à un autre de l’espace-temps. Le mouvement relatif des particules est donc dicté par la courbure. Dans un livre de mathématiques, cela ressemble à : ... si J est un champ de Jacobi le long de la géodésique γ, alors J vérifie l’équation de déviation géodésique : ∇ 2∂t J (t) − R (γ˙ (t), J (t)) γ˙ (t) = 0 , où R est la courbure... Là aussi, cette formule est à apprécier comme un tableau..
L’évolution de ces vecteurs de Jacobi est mesurée par la courbure. En effet, une des équations fondamentales de la géométrie riemannienne est l’équation de déviation géodésique. Elle relie directement la dérivée seconde du champ de vecteurs J (t) à la courbure de la variété. Or, nous l’avons dit, puisque J (t) marque la position d’une géodésique voisine, sa dérivée seconde représente l’accélération relative de cette géodésique. C’est en ce sens que la courbure mesure le taux de dispersion des géodésiques.
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Physiquement, on peut imaginer qu’à l’instant t, le pied du vecteur J (t) est sur la particule dont la géodésique centrale est la ligne d’univers. La pointe du vecteur suit alors une particule voisine. Les physiciens appellent d’ailleurs souvent le vecteur J , le vecteur séparation. Ainsi, dire que la courbure mesure les variations du vecteur J signifie que la courbure dicte les trajectoires relatives des particules libres voisines. Signalons qu’une autre façon de définir la courbure consiste à regarder comment évolue un vecteur tangent à la variété que l’on déplace parallèlement à lui-même le long d’une petite courbe fermée. Si la variété est courbée, le vecteur ne terminera pas sa boucle dans la même position qu’au départ. Bien que moins parlante physiquement, cette approche mène à une définition de la courbure plus efficace dans de nombreux problèmes mathématiques.
F IGURE 4.17. Courbure et promenade d’un vecteur tangent. Si on translate un vecteur parallèlement à lui-même le long d’une boucle sur une surface plate, on revient sur le même vecteur. En revanche, sur une surface courbée, on revient sur un vecteur différent. C’est une autre façon de définir la courbure d’une variété. (Voir l’annexe).
La courbure d’Einstein
Nous l’avons dit, le tenseur de courbure de Riemann est compliqué à manipuler. Pour décrire la géométrie de la variété, on cherche donc souvent à se contenter d’utiliser des sous-produits simplifiés du tenseur de Riemann : l’idée est de considérer des sortes de « moyennes » de celui-ci. Le courbure « moyenne » la plus importante est sans doute le tenseur de courbure de Ricci, ou une variante plus utilisée en relativité, le tenseur de courbure d’Einstein (évidemment). Ce sont encore des tenseurs, des tableaux de nombres (disons ici des matrices, en chaque point et pour chaque choix de coordonnées), ne contenant « plus que » 16 nombres, notés Rμν pour la courbure de Ricci, et Gμν pour la courbure d’Einstein. Ils donnent donc, en chaque point, une sorte de moyenne de la courbure totale de Riemann. Avec la courbure d’Einstein, l’équation d’Einstein, vue plus haut, s’écrit de manière plus synthétique : Gμν = Tμν . 102
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La courbure de Riemann mesure en chaque point le comportement des géodésiques. La courbure d’Einstein Gμν , étant une sorte de « moyenne » de la courbure de Riemann, caractérisera donc, en chaque point, le comportement « moyen » des géodésiques. Malheureusement, si la courbure d’Einstein est particulièrement pertinente pour la physique et si elle peut donner effectivement des informations très importantes sur la géométrie de la variété, elle ne permet pas de la caractériser complètement. Un exemple important pour nous est la variété modélisant l’espace-temps en relativité générale : dans le vide autour d’une étoile ou d’un trou noir, l’équation d’Einstein impose que la courbure d’Einstein soit nulle (tous les nombres de la matrice Gμν valent zéro), alors que la courbure totale, la courbure de Riemann, ne l’est pas. Cela signifie simplement que dans le vide autour de l’étoile ou du trou noir, l’espace-temps est courbé : il y a de la gravitation. La courbure de Riemann demeure donc nécessaire, malgré sa complexité, pour décrire complètement la géométrie de la variété. Résumé
Nous avons maintenant posé tous les objets fondamentaux définis sur une variété riemannienne ou lorentzienne : Courbes, espaces tangents, vecteurs vitesse, métrique, accélération d’une courbe, géodésiques et courbure. Reprenons schématiquement l’élaboration de la géométrie différentielle moderne que nous avons survolée, de ses prémices à sa mise en œuvre en relativité générale. Au début il y a les espaces affines qui, une fois munis d’un produit scalaire classique, donnent la géométrie euclidienne classique. Mais on peut mettre aussi des produits scalaires (des mesures d’angles et de longueurs) non euclidiens sur un espace affine ; c’est la géométrie de la relativité restreinte. Les espaces affines sont trop restrictifs pour tout décrire. On invente alors les variétés (différentielles). Sur une variété on peut définir naturellement un espace tangent en chaque point et, pour toute courbe tracée sur la variété on sait alors définir son vecteur vitesse en chaque point. On a alors les objets de base du calcul différentiel : les dérivées des fonctions définies sur la variété (une fonction est une machine qui à chaque point de la variété associe un nombre, sa dérivée est son taux de variation). Mais on ne peut aller beaucoup plus loin sur les variétés sans autre structure. On y met alors une métrique. C’est un véritable couteau suisse que l’on introduit. Une métrique permet de mesurer les angles entre vecteurs sur chaque espace tangent ainsi que leur pseudo-longueur, permet de définir l’accélération d’une courbe, la pseudo-longueur de certaines d’entre elles, elle permet alors ensuite
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de définir les géodésiques, courbes d’acélération nulle, et enfin, la métrique permet de calculer la courbure de la variété. Au niveau du calcul différentiel, la métrique permet de définir des dérivées secondes, l’analyse sur les variétés (équations aux dérivées partielles par exemple, voir l’annexe) est portée à un niveau supérieur. On peut définir des métriques riemanniennes qui donnent une géométrie assez naturelle, ou des métriques lorentziennes qui donnent une géométrie plus subtile, apte à modéliser la relativité. On peut aussi définir d’autres types de métriques, qui intéressent les mathématiciens, et qui, un jour peut-être, permettront de modéliser de nouvelles découvertes physiques. Ici encore le préambule mathématique est long, d’autant qu’il est pour les variétés beaucoup plus vulgarisé que pour les espaces affines. Mais comme je l’ai dit, la récompense est que la relativité générale, vue géométriquement, devient une théorie d’une élégance et d’une richesse exceptionnelles, et pourtant d’une simplicité formelle sans équivalent. 4.5
La relativité générale, une théorie géométrique
Rappelons que la relativité générale est une théorie de l’espace-temps, c’est-àdire de la chronogéométrie, et de la gravitation. Si l’on admet la connaissance de la géométrie (pseudo-)riemannienne, ses principes sont très simples. L’espacetemps n’est plus un cadre fixe où se déroule les événements, mais une entité physique et dynamique à part entière. La matière et l’énergie « créent » de la gravitation en déformant l’espace-temps, et les objets libres suivent alors les géodésiques de l’espace-temps. Plus précisément, reprenant des lignes déjà écrites : L’espace-temps est une variété de dimension 4 munie d’une métrique lorentzienne. En chaque point-événement, la métrique permet de dessiner un cône de lumière. Les corps libres suivent les géodésiques de genre temps de l’espace-temps, qui sont en chaque point à l’intérieur de leur cône de lumière. La lumière suit les géodésiques de genre lumière. C’est la matière et l’énergie qu’il contient qui donnent sa forme, sa géométrie, à l’espace-temps. Ce qui manque évidemment dans la dernière phrase, c’est le lien précis entre géométrie et matière. C’est le rôle de l’équation d’Einstein que nous avons déjà présentée : Gμν = Tμν . Gμν est le tenseur de courbure d’Einstein. C’est ce terme qui va caractériser (partiellement) la géométrie de l’espace-temps. Nous l’avons dit, c’est une sorte de moyenne de la courbure (totale) de Riemann. La courbure d’Einstein décrira
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donc le comportement moyen des géodésiques, c’est-à-dire des lignes d’univers des corps libres et de la lumière. Tμν est le tenseur d’énergie-impulsion. C’est le côté physique de la théorie. Ce terme, un tenseur (ou intuitivement des matrices de nombres, comme Gμν ), doit préciser le contenu en masse-énergie de l’espace-temps, ou tout au moins, de la partie d’espace-temps que l’on étudie. Nous écrivons masse-énergie car nous rappelons que la célèbre formule E = m.c2 signifie exactement que masse et énergie sont fondamentalement liées, comme deux aspects d’une même entité. Ces matrices de nombres, donc, vont donner, en chaque point de la variété, la densité de masse-énergie et le flux de masse-énergie qui en part dans chaque direction. La grande trouvaille d’Einstein est donc que géométrie et flux de masse-énergie doivent être identifiés au sein de la variété espace-temps. Dit autrement, l’équation d’Einstein relie le comportement des géodésiques au contenu en matière de l’espace-temps. Comme nous l’avons dit au début de ce chapitre, la grande idée de départ d’Einstein a été de modéliser la gravitation par la courbure de l’espace-temps. La courbure, nous l’avons vu, mesure le taux de dispersion ou de rapprochement des géodésiques. Or, les géodésiques (de genre temps ou lumière) sont les lignes d’univers des objets ou des photons soumis à la gravitation. Le mouvement relatif des objets ou photons soumis à la gravitation est donc bien dicté par la courbure de l’espace-temps. Selon le physicien John Wheeler : L’espace-temps dit à la matière comment se déplacer. La matière dit à l’espace-temps comment se courber. La gravitation n’est plus une force, comme chez Newton. Pour Einstein, la gravitation c’est la forme de l’espace-temps. C’est pourquoi un objet qui n’est soumis qu’à la gravitation est libre, et suit donc une géodésique... Aspect local, aspect global
Nous avons présenté la courbure comme une mesure du taux de dispersion des géodésiques. Néanmoins, il ne faut pas croire que pour mesurer la courbure en un point de l’espace-temps, et donc la gravitation, il faille connaître un tas de géodésiques, sur des grandes « distances ». En fait, la courbure peut se calculer localement. Ce terme, typiquement mathématique, signifie que l’on peut calculer la courbure d’une variété en un point p en ne connaissant le comportement des géodésiques que sur un voisinage arbitrairement petit autour de p. Le passage du local au global est un problème mathématique typique : connaissant localement certaines caractéristiques de la variété, comme la
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courbure en chaque point, peut-on obtenir des informations globales sur la variété, comme sa forme (fini ou infini, avec bord ou sans bord...) ? Ces problèmes mathématiques sont parmi les plus difficiles, et donc les plus passionnants ! Nous en évoquerons quelques-uns dans ce livre. On peut en fait dire que la relativité générale est fondée sur trois postulats : – deux postulats géométriques globaux : l’espace-temps est une variété de dimension 4 munie d’une métrique lorentzienne. Les particules massives libres suivent les géodésiques de genre temps, les photons suivent les géodésiques de genre lumière. – un postulat physique local : l’équation d’Einstein Gμν = Tμν , qui relie localement la courbure au flux de matière-énergie. L’interaction entre la géométrie globale de la variété espace-temps et les mesures physiques locales de courbure, utilisant des modèles liés aux propriétés de la matière, est un des aspects particulièrement fascinants de la relativité générale. Nous présenterons au chapitre suivant un exemple spectaculaire de cet aspect, à travers les théorèmes de singularité de Penrose et Hawking. La partie physique de la théorie, alternatives
Signalons que dans l’équation d’Einstein, si le terme Gμν , géométrique, est défini sans ambiguïté, le terme physique Tμν , lui, est plus délicat à traiter. En effet, il repose sur des modèles empiriques de la matière observée, modèles qui évoluent sans cesse, au fur et à mesure des progrès des expériences et des observations. Certaines théories alternatives proposent aussi des modifications de l’équation d’Einstein. Plutôt que de chercher d’autres tenseurs d’énergie-impulsion, ces théories introduisent d’autres formes de couplage entre la géométrie et la matière, faisant intervenir d’autres termes géométriques, ou des termes physiques plus sophistiqués que le tenseur énergie-impulsion. Signalons quand même que pour l’instant, toutes les suggestions faites pour la remplacer n’ont pas réussi à faire mieux. La théorie, telle que présentée par Einstein il y a cent ans, résiste toujours extraordinairement bien aux tests auxquels elle est soumise. De plus, l’équation d’Einstein apparaît comme l’équation la plus simple reliant « naturellement » un terme géométrique et un terme physique. 4.6
Visualiser l’espace-temps courbe
L’illustration classique de la relativité générale, que l’on trouve dans tous les livres de vulgarisation sur le sujet, est l’image d’un drap sur lequel est posé une
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boule de bowling. Le drap représente l’espace-temps, et la boule de bowling une planète ou une étoile. La boule, par sa masse, déforme le tissu, lui donnant donc une géométrie différente de l’aspect plat, affine, qu’il aurait s’il était vide. Les corps libres qui passent à proximité de la boule étoile suivent alors les géodésiques du tissu, qui ne sont plus les lignes droites d’un tissu plat. Remarquons tout de suite que, puisqu’on considère le poids de la boule, on explique ainsi la gravitation par... la gravitation ! Explorons quand même cette image de la théorie d’Einstein puisqu’elle est assez parlante, avant d’en expliquer les lacunes.
F IGURE 4.18. Illustration « classique » de la relativité générale, qui explique la gravitation par... la gravitation !
Signalons que les corps libres eux-mêmes déforment le tissu espace-temps par leur masse. Mais on suit une procédure absolument classique en physique : les calculs de la courbure et des géodésiques de l’espace-temps dues à la seule boule-étoile sont déjà tellement difficiles qu’on considère que les déformations dues aux petits corps libres à proximité sont négligeables. De même, les systèmes d’étoiles binaires, c’est-à-dire deux étoiles proches tournant l’une autour de l’autre, sont très fréquents dans l’univers. Les calculs de la géométrie de l’espace-temps autour de ces systèmes ont également été réalisés, et sont très difficiles. Là encore, lorsque l’on cherche la trajectoire de petits corps libres autour de ces systèmes binaires, petites planètes, gaz de matière, ou hypothétique voyageur intersidéral, on en néglige l’influence en ne considérant que la géométrie due à la seule présence du système binaire. Et là encore on suppose que ces petits corps libres suivent les géodésiques de l’espace-temps dont la géométrie est celle due au seul système « central » et dont on étudie l’influence.
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F IGURE 4.19. Une figure un peu plus rigoureuse : En rouge, les trajectoires géodésiques de petits corps libres passant à proximité d’une grosse masse. En noir, des orbites stables, et des objets qui s’écrasent...
La remarque très importante à faire au sujet des figures ci-dessus est... qu’elles sont complètement fausses ! ! En effet, elles suggèrent que c’est l’espace, au sens classique du terme, qui est déformé. Mais en fait c’est l’espacetemps, donc en particulier aussi le temps, qui est déformé par la présence de masse-énérgie. Au début d’ailleurs, Einstein lui-même, au cours de ses recherches, pensait que seul l’espace était courbé. Mais c’est bien l’espace-temps tout entier qui est déformé, d’où la limite des dessins, qui ne présente pas la dimension temporelle, déformée, de l’espace-temps... Par ailleurs, ces dessins laissent penser que l’espace-temps est déformé, courbé, à l’intérieur d’un espace plus grand. Or, c’est là la force fondamentale de la notion de variété, on peut parler de courbure d’une variété de manière purement intrinsèque, c’est-à-dire sans faire référence à un quelconque espace ambiant. L’espace-temps est courbé « en lui-même », il n’y a pas, a priori, d’espace « autour de l’univers ». Enfin, il est absurde de représenter la boule touchant le drap, car on fait alors croire que c’est le « poids » classique de la boule qui déforme le drap, et on n’a rien gagné. Pour la relativité générale, c’est la « présence » de la boule qui déforme le drap. On la représente donc souvent « au-dessus » du drap, mais cette représentation demeure incorrecte, car il faut comprendre que la boule, la planète ou l’étoile qu’elle représente, fait partie de l’espace-temps.
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F IGURE 4.20.
Malgré ces limites, ces dessins donnent pourtant une bonne image de l’idée fondamentale de la théorie. Mais, bien qu’ils soient jolis et évocateurs, gardons à l’esprit les limitations de ces figures et en particulier le fait qu’il y manque la déformation du temps, absolument fondamentale pour obtenir une modélisation correcte de la gravitation. Nous verrons ci-après un autre type de diagramme, plus pertinent, basé sur les cônes de lumière. Il faut donc comprendre que la Lune, ou les satellites artificiels, suivent les géodésiques de l’espace-temps déformé par la Terre, et que leurs orbites ne sont des ellipses que dans l’espace perçu par un observateur terrestre, c’est-àdire lorsque l’on projette leurs lignes d’univers sur une « tranche spatiale » de l’espace-temps. Plus exactement, on peut définir comme en relativité restreinte l’espace de simultanéité d’un observateur, qui correspond intuitivement à l’espace de cet observateur à un moment donné. Si à chaque instant, un observateur terrestre note sur son espace de simultanéité instantané les positions successives d’un satellite ou de la Lune, il verra se dessiner sur celui-ci une ellipse. On peut donner un sens rigoureux à cela, et l’on retrouve bien des orbites elliptiques, mais la façon correcte de voir est de regarder dans l’espace-temps de dimension 4. Retenons qu’il est fondamental de noter qu’une masse, comme une planète, une étoile, ou un trou noir, modifie « l’écoulement » du temps autour d’elle car elle modifie la courbure de l’espace-temps, et donc l’allure des géodésiques de genre temps. Considérons ainsi deux observateurs munis de chronomètres identiques, l’un proche de la surface d’un trou noir (ou de toute autre masse) et l’autre très éloigné. Supposons que les deux
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observateurs sont immobiles l’un par rapport à l’autre. Si l’observateur près du trou noir émet des flashs lumineux toutes les secondes, mesurées sur son chronomètre, l’observateur lointain les verra lui parvenir séparés par un intervalle de temps, mesuré sur son propre chronomètre, beaucoup plus grand : plusieurs minutes, heures, jours, pourront séparer pour l’observateur lointain l’arrivée des flashs, l’intervalle étant d’autant plus grand que le champ gravitationnel, donc la courbure, est intense à l’endroit de l’émission des flashs. L’intervalle de temps deviendrait « infini » si les flashs étaient émis depuis la surface d’un trou noir. Pour l’observateur lointain, le temps de l’émetteur semble ralenti ; il s’agit d’un effet de dilatation des durées dû à la gravité. On l’appelle l’effet Einstein. Ceci est parfaitement vérifié et utilisé par exemple dans le système GPS, qui serait complètement inexploitable si on ne tenait pas compte de cet effet relativiste de dilatation des durées entre le satellite en orbite et le récepteur au sol dans votre voiture. C’est aussi l’explication des différences de vieillissement des personnages du film Interstellar : les voyageurs partant explorer une planète près d’un trou noir se retrouvent dans un champ de gravité beaucoup plus fort, et vieillissent donc moins vite que leur camarade resté en orbite, au loin. De plus, ce camarade suit une géodésique, l’orbite de chute libre de sa station autour du trou noir, ce qui tend également à le faire vieillir plus vite que les explorateurs parcourant dans leur fusée une courbe qui accélère ; c’est le « paradoxe » des jumeaux, exprimant que la géodésique rend maximum le temps propre écoulé entre deux événements (départ et retour des explorateurs).
4.7
La lumière dans l’espace-temps courbe
Les géodésiques tissent l’univers. Comme en relativité restreinte, la lumière va encore jouer un rôle particulier. En plus de ceux des espaces tangents, on peut aussi tracer des cônes de lumière directement sur la variété. En chaque point, chaque événement, de l’espace-temps, on regarde les géodésiques de genre lumière qui en partent ou qui y arrivent. La variété n’étant plus plate, ces géodésiques vont former sur la variété des cônes déformés, qui matérialiseront la forme de l’espace-temps à cet endroit, et donc l’influence de la gravité. L’ensemble de ces cônes de lumière déformés forme une structure fondamentale de la variété espace-temps, qu’on appelle sa structure causale. Une courbe de genre temps, représentant la ligne d’univers d’un objet physique, doit toujours être à l’intérieur du cône de lumière issu de chacun de ses points, car franchir le cône signifierait, à cet endroit, un dépassement de la
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vitesse de la lumière. On postule, (et on observe !) que cela est impossible. Les cônes de lumière de la variété déterminent donc les futurs possibles des objets physiques, dans l’espace-temps. Nous y reviendrons ci-après.
Trou noir, premier aperçu
Illustrons cette structure des cônes de lumière déformés sur l’objet le plus célèbre de la relativité générale : le trou noir. Nous en parlerons plus longuement au chapitre suivant, mais on peut déjà en présenter la caractéristique principale : la déformation extrême des cônes de lumière, tous tournés vers l’intérieur d’un « tube d’univers », représentant l’histoire de la surface du trou noir. (Le tube est formé par l’ensemble des lignes d’univers des points de la surface.) Cette orientation des cônes signifie qu’aucun photon ne peut s’échapper du tube, c’est la définition d’un trou noir : à partir d’une surface, appelée horizon des événements, tous les objets physiques et tous les photons sont capturés, rien ne peut sortir de l’horizon. En particulier le trou noir ne peut émettre aucune lumière, d’où son nom. Nous présentons ci-après un diagramme d’espace-temps représentant la fin de vie d’une étoile s’effondrant en trou noir. On représente, en vert, les cônes de lumière se déformant sous l’effet de la gravité, jusqu’à être entièrement tournés vers l’intérieur du trou noir, signifiant que la lumière ne peut plus s’en échapper. Un photon émis juste sur l’horizon, « vers l’extérieur », est piégé et sa ligne d’univers reste sur le tube d’univers de l’horizon ! Un trou noir peut même faire orbiter la lumière (à une certaine distance à l’extérieur de l’horizon) ! Notez qu’en dehors de l’horizon, les photons, et les objets physiques, peuvent toujours s’éloigner : un trou noir n’est pas un « aspirateur cosmique », comme cela est trop souvent représenté en science-fiction. Si l’on remplaçait notre Soleil par un trou noir de même masse (qui ferait 3 km de rayon, contre 700 000 km pour le Soleil), les orbites des planètes resteraient strictement identiques. Les phénomènes vraiment propres au trou noir apparaissent à l’intérieur ou au voisinage de l’horizon, dans l’espace vide précédemment occupé par la matière de l’étoile. C’est pourquoi sur ce schéma, loin de l’horizon, le cône de lumière reste vertical et identique à celui dessiné au niveau de l’étoile (en jaune), avant l’apparition du trou noir. Ces cônes lointains sont en fait légèrement inclinés puisque l’étoile déforme elle aussi l’espace-temps, c’est pour cela que les planètes orbitent autour ! Très près de l’étoile, les cônes de lumière sont plus nettement déformés, car toute masse dévie la lumière (mais beaucoup moins qu’un trou noir !). Ce type de schéma montrant des cônes de lumière déformés par la gravitation est la meilleure façon de représenter l’espace-temps courbe.
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F IGURE 4.21. Fin de vie d’une étoile s’effondrant en trou noir. Les cônes de lumière s’inclinent vers le tube représentant les lignes d’univers de la surface d’un trou noir, l’horizon. Une fois à l’intérieur, le cône de lumière du futur est entièrement tourné vers l’intérieur ; plus rien ne peut s’échapper. À la surface du trou noir, un photon émis vers l’extérieur reste piégé sur l’horizon. Loin du trou noir, rien n’est affecté : ceci est matérialisé par le cône vertical, non déformé.
Un trou noir est donc par définition une région « d’extension spatiale finie » de l’univers, délimitée par une frontière très particulière de l’espace-temps, l’horizon des événements. C’est une frontière à sens unique : tout objet ou photon pénétrant à l’intérieur de l’horizon ne peut plus jamais en ressortir... (Définir une « extension spatiale » finie n’est pas simple, puisqu’il n’y a pas d’espace absolu dans l’espacetemps : cela nécessite une définition mathématique...).
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Lumière et structure causale
Une courbe représentant la ligne d’univers d’un objet physique n’est pas forcément une géodésique, car un objet n’est pas forcément libre : une fusée qui utilise son moteur accélère, par exemple. Néanmoins, quelle que soit son allure, une ligne d’univers ne peut pas aller n’importe où. En effet, si rien ne peut aller plus vite que la lumière, deux points de l’espace-temps ne peuvent échanger des signaux, donc des informations, que si l’un est à l’intérieur, ou sur le bord, du cône de lumière de l’autre. Un point, comme un observateur, à l’extérieur du cône de lumière d’un événement donné, ne peut rien savoir de cet événement, car aucune ligne d’univers d’un objet physique ou d’un photon ne peut les joindre. Cela matérialise les liens de causalité dans l’univers : quels événements peuvent s’influencer physiquement. Comme nous l’avons dit en introduction de cette partie, c’est une donnée fondamentale de la géométrie de l’espace-temps, que l’on appelle sa structure causale.
F IGURE 4.22. Liens de causalité dans l’espace-temps. L’événement O peut envoyer des objets physiques vers M, et donc influencer cet événement. En revanche aucun signal physique, matériel ou lumineux, ne peut relier O et N car aucune ligne d’univers de genre temps ou lumière ne les joint. L’événement O ne peut avoir aucune influence physique sur l’événement N .
Si la structure causale de l’espace-temps plat de la relativité restreinte est très simple, puisque tous les cônes de lumière sont parallèles, la structure causale d’un espace-temps courbe peut être très complexe, et donner lieu à des effets contre-intuitifs. Cette structure est matérialisée par l’allure des cônes de lumière déformés par la courbure et orientés par la forme de la variété. Nous en avons vu une illustration frappante avec le schéma du trou noir, au paragraphe précédent : les événements à l’intérieur de l’horizon ne peuvent plus communiquer ni avoir aucune influence sur les événements à l’extérieur. Revoyez la richesse des figures de variétés exposées au chapitre précédent. On appelle topologie d’une variété sa forme, indépendamment de toute notion
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de distance ; c’est l’ensemble des propriétés qualitatives de sa géométrie (la variété est-elle fermée ou non, infinie ou non, avec ou sans trous, etc. Ce sont les propriétés invariantes par déformations continues). Alors, une variété à la topologie compliquée peut « enrouler » les cônes de lumière et permettre l’existence d’une courbe de genre temps fermée, c’est-à-dire, la création d’une boucle temporelle. Une topologie compliquée peut être associée à des zones de forte courbure, mais pas forcément.
F IGURE 4.23. Une boucle temporelle...
Une boucle temporelle représente une particule (physique) capable de retourner dans son passé ! Cela peut amener à considérer certains paradoxes, comme la possibilité pour un observateur de retourner dans son passé tuer ses propres parents avant la date de sa naissance... Notons néanmoins que l’existence d’une boucle temporelle ne permet pas de garantir l’existence d’un ensemble de courbes fermées représentant toutes les particules d’un système complexe, comme un observateur, et lui gardant sa cohérence physique. Si l’on veut exclure des modèles d’espace-temps les variétés permettant l’existence de tels paradoxes, il faut faire des hypothèses géométriques, qui deviennent alors des postulats physiques. Mais l’immense richesse des possibilités offertes par la géométrie de dimension 4 fait qu’il est délicat de formuler ces hypothèses, de nombreuses subtilités étant à éviter. Ici encore, la physique de la relativité générale apparaît intimement liée à la géométrie. La structure causale définie par les cônes de lumière, cônes dessinés par les géodésiques de genre lumière et orientés par la topologie de la variété espace-temps, offre de nouveau une vision profondément géométrique de l’espace-temps et de la gravitation.
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Déviation de la lumière
La lumière est certainement l’un des phénomènes physiques les plus fascinants. La lumière est une onde électromagnétique, c’est-à-dire qu’elle trouve son origine dans le déplacement de particules chargées. Elle est donc de même nature que les ondes radio, qui transportent la musique jusqu’à votre poste, que les rayons X, pour la radiologie, ou que l’infrarouge de votre zapette. Ce qui caractérise la lumière que nous, humains, percevons, c’est la gamme de fréquences que notre œil est capable de détecter. C’est une gamme étroite au milieu de toutes les fréquences possibles. La nature de la lumière est cependant extrêmement subtile. En effet, c’est donc une onde, vérifiant toutes les propriétés correspondantes : diffraction, réflexion, propagation... Néanmoins, il fut découvert des tas de phénomènes associés à la lumière qui ne peuvent s’expliquer que par une nature corpusculaire. D’où la notion de photon, ou grain de lumière. On peut d’ailleurs effectivement aujourd’hui réaliser des expériences qui isolent un photon ! Si la lumière est faite de corpuscules, on peut imaginer que ces photons ont une masse, et donc, après Newton, certains pensèrent que la lumière pouvait être soumise à la gravité. Néanmoins, à la fin du XIXe siècle, la balance penchait nettement en faveur d’une nature ondulatoire, par conséquent la lumière devait être de masse nulle, par consequent insensible à la gravitation. On postule donc que le photon est une particule de masse nulle. Mais la lumière transporte manifestement de l’énergie (les coups de soleil le prouvent !), et la célèbre formule d’Einstein, E = mc2 , signifie que l’énergie est équivalente à la masse. La lumière doit donc, en relativité générale, être soumise à la gravitation, sans pour autant devoir abandonner sa nature ondulatoire. Une compréhension profonde de la nature de la lumière passe par la physique quantique. Mais le mouvement de la lumière dans l’univers est bien du domaine de la relativité générale. Nous l’avons vu, on postule que les photons, ou plus simplement la lumière, suivent des géodésiques de genre lumière de l’espace-temps. C’est pourquoi, si l’espace-temps est courbé, la lumière ne se déplacera pas en « ligne droite ». (Notons ainsi qu’en relativité générale, on n’a pas besoin du concept de masse du photon.) Néanmoins, un postulat doit se confronter à l’observation. La déviation de la lumière fut la première prédiction à laquelle fut soumise la relativité générale en 1919. L’idée fut d’observer la position apparente d’étoiles connues lors d’une éclipse solaire. On constata que, lors de l’occultation du disque solaire par la Lune, on pouvait apercevoir à côté de celui-ci des étoiles dont la position était pourtant, pour un observateur terrestre, alignée avec le Soleil ; autrement dit, sans déviation des rayons lumineux par la masse du Soleil, ces étoiles auraient
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dû être masquées par le disque solaire. On peut calculer avec les équations de la relativité l’angle de déviation : celui-ci est en parfait accord avec l’observation faite.
F IGURE 4.24.
On se sert aujourd’hui de ce phénomène pour observer des galaxies lointaines, qui devraient être masquées par d’autres plus proches. Notez que, comme nous l’avions déjà évoqué, la déviation de la lumière prouve que le concept de ligne droite n’a aucun sens physique clairement défini... Lumière et photos astronomiques
Si les principes de la relativité générale sont simples, les mathématiques sont vraiment sophistiquées. Pour effectuer les calculs des géodésiques autour d’objets astrophysiques, on fait beaucoup d’hypothèses simplificatrices, des hypothèses géométriques, comme la parfaite sphéricité d’une étoile, ce qui n’est jamais le cas. Pensez que lorsque vous voyez une belle photo d’une galaxie située à quelques millions d’années-lumière, la trajectoire des rayons lumineux qui en proviennent a été déviée par toutes les masses présentes à proximité de leur route, autres galaxies, étoiles, nuages de gaz, etc. Donc l’image, la photo, que l’on essaye de prendre, doit être corrigée de ces phénomènes relativistes. De fait, la corrélation entre observations et travail théorique est une des difficultés majeures de l’astrophysique. Aussi bien les observations que la théorie évoluent au gré l’une de l’autre. Au sujet de l’expression années-lumière, il faut remarquer qu’elle est ambiguë, car la pseudo-longueur d’une géodésique de genre lumière est nulle ! Ce n’est qu’une expression suggestive. En fait, fondamentalement, il faut comprendre que la notion de distance perd beaucoup de sa pertinence en relativité,
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ne serait-ce que parce que, quelle que soit la définition adoptée, les mesures de distances seront extrêmement difficiles à des échelles astronomiques. Ainsi, on peut toujours définir des espaces de simultanéités comme on l’avait fait en relativité restreinte, mais les rayons lumineux ayant des trajectoires déformables, cet espace n’a plus aucun sens au-delà d’une certaine taille autour de l’observateur. Pensez que lorsque vous regardez le ciel, vous ne voyez pas toutes les étoiles au-dessus de votre tête « à un moment donné », car la lumière qui en provient n’a pas parcouru le même chemin, et donc l’image qui vous en arrive n’a pas été émise au « même moment », pas sur un même espace de simultanéité de la ligne d’univers de la Terre. L’image que vous voyez, par exemple sur une photo du télescope Hubble, est une « tranche » d’histoire qui s’étale sur des millions, voire des milliards, d’années terrestres ! Vertigineux, non ? En fait, toute image, toute information reçue sur Terre, provient de l’intérieur du cône de lumièré « arrière » de la Terre au moment de la réception. Il est physiquement impossible d’avoir une image de l’univers, de prendre des mesures le concernant, à un moment fixé t présent. Il faut toujours extrapoler la trajectoire, les lignes d’univers, de tous ses constituants à partir des observations ; c’est ce qu’on fait lorsqu’on présente une image « actuelle » de notre univers, c’est-à-dire lorsqu’on présente notre espace de simultanéité actuel. C’est sur cet espace, que l’on ne pourra jamais observer, que l’on évalue les distances, à l’aide des géodésiques de genre espace qui y sont tracées. Mais cette image dépend alors du choix de cet espace, qui n’a aucun caractère absolu.
4.8
Les ondes gravitationnelles
Ce qui établit la force d’une théorie physique c’est son pouvoir prédictif, c’est-à-dire sa capacité à prédire des phénomènes nouveaux, non encore observés. À ce titre, le relativité générale est particulièrement remarquable. Initialement, son succès fut dû à sa capacité à expliquer les particularités de l’orbite de Mercure, observées depuis le XIXe siècle et que la théorie newtonienne ne pouvait expliquer, et la déviation de la lumière, observée en 1919, que la théorie newtonienne ne pouvait même pas prendre en compte. Mais les moyens d’observation du début du XXe siècle ne permettaient pas d’aller plus loin. Nous avons vu que les fondements de la relativité générale sont très simples : deux postulats géométriques et une équation. Ce qui est remarquable, c’est qu’immédiatement après la publication de ces postulats, des théoriciens comme Lemaitre, s’appuyant sur des raisonnements et des développements mathématiques, prédirent l’existence de phénomènes ou d’objets physiques extraordinaires, comme les trous noirs ou le big-bang, c’est-à-dire l’évolution de l’univers.
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Ces phénomènes, qui suscitèrent longtemps la méfiance d’une grande partie de la communauté scientifique (et d’Einstein lui-même), furent confirmés par l’observation des décennies plus tard. Nous en parlerons au chapitre suivant. Parmi les prédictions de la théorie de la relativité, il en est une due à Einstein lui-même, dès 1916. Il s’agit de l’existence des ondes gravitationnelles. Utilisant son équation, et l’analysant finement, un peu « à la physicienne », c’est-à-dire en acceptant d’en simplifier certains aspects, Einstein prédit que toute accélération de masses dans l’univers devait engendrer une déformation de l’espace-temps se propageant à la manière d’une onde. En effet, l’un des fondements de la relativité est que rien, ni objet ni signal, ne peut se propager plus vite que la lumière. Imaginez une masse dans l’espacetemps, par exemple une grosse étoile, ou mieux un couple d’étoiles ou de trous noirs. Cette masse déforme l’espace-temps autour d’elle, c’est ainsi, nous l’avons vu, qu’on modélise son effet gravitationnel. Maintenant, si cette masse se met en mouvement (et donc qu’elle accélère, voir ci-dessous), la déformation de l’espace-temps va se modifier. En théorie newtonienne, cette modification va être instantanée. Mais en relativité générale, puisque rien ne se déplace plus vite que la lumière, cette déformation va se propager dans l’espace, au mieux à la vitesse de la lumière. Pas plus vite, sinon, en bougeant des masses, on pourrait envoyer des signaux plus rapidement que la lumière. Un tel mouvement accéléré de masses s’observe en particulier dans le cas de deux étoiles ou trous noirs en rotation l’un autour de l’autre. Ce qu’Einstein découvrit dans sa propre équation, c’est que la déformation se propage comme une ondulation de la structure même de l’espace-temps, et ceci exactement à la vitesse de la lumière. C’est assez remarquable car il n’y a a priori aucun lien entre lumière et gravité. Il est sans doute plus juste de dire que les ondes gravitationnelles, comme les ondes électromagnétiques, se propagent à la vitesse limite c définie par la relativité. Nous avons mentionné dans le chapitre sur la relativité restreinte que c’est l’existence d’une vitesse limite qui structure réellement la relativité, c’est cette vitesse qui joue un rôle déterminant dans le « tissage » de l’espace-temps... Dit autrement, lorsque des objets massifs se déplacent dans l’espace-temps, la courbure de l’espace-temps s’ajuste pour refléter le changement de la position de ces objets. Sous certaines circonstances, les objets accélérés peuvent produire une perturbation de l’espace-temps qui s’étend et se propage de manière analogue à « des vagues à la surface de l’eau ». On a appelé onde gravitationnelle ce type de perturbation, et Einstein prédit qu’elles se propageaient à la vitesse de la lumière. Ces ondes sont inexistantes dans la théorie newtonienne qui suppose une propagation instantanée de la gravitation. Une onde gravitationnelle est donc une oscillation de la courbure de l’espace-temps qui se propage à grande distance de son point de formation. Les ondes gravitationnelles traduisent la
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dynamique de l’espace-temps. Elles se distinguent des ondes électromagnétiques, qui sont des perturbations du champ électromagnétique se propageant dans l’espace-temps : les ondes gravitationnelles sont des ondes de l’espace-temps lui-même.
F IGURE 4.25. L’obtention de l’équation des ondes gravitationnelle est un travail mathématique délicat. Vous pouvez jeter un œil à l’annexe pour quelques détails. Ici, un illustration des ondes produites par la collision de deux trous noirs.
Pourquoi faut-il que les masses accélèrent ? On peut l’expliquer, de manière très simplifiée, par le principe de relativité vu au chapitre 2, « le mouvement est comme rien ». Si une masse se déplace, pour un observateur, en ligne droite à vitesse constante, le choix d’un référentiel lié à cette masse en fera un objet immobile. Donc il n’y aura pas de modification de la gravité, et donc pas de propagation d’ondes gravitationnelles. C’est pour cette même raison que seules les charges électriques qui accélèrent crée une onde électromagnétique. L’effet d’une onde gravitationnelle sur un ensemble d’objets se trouvant sur son passage est de modifier, de manière ondulatoire, la distance entre les objets, mais ceci sans que les objets ne se déplacent dans l’espace ! Cependant, selon une définition que l’on peut rendre précise, l’espace-temps est un milieu très rigide. Heureusement, car sinon la figure 4.26 illustre ce que vous subiriez à chaque passage d’une onde gravitationnelle sur terre. Il apparut donc que l’observation d’ondes gravitationnelles serait très difficile, car même issues du mouvement de masses énormes, l’ondulation de l’espace-temps est extrêmement faible.
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F IGURE 4.26. Passage d’une onde gravitationnelle. Le passage d’une onde gravitationnelle s’observe en considérant la déformation ondulatoire d’un cercle... et donc de tout corps physique !
Par ailleurs, nous avons présenté les ondes gravitationnelles comme elles le sont habituellement dans les articles de vulgarisation. Néanmoins, selon l’exposé que nous avons fait de la relativité, toute l’histoire d’un objet est donnée par sa ligne d’univers, courbe tracée dans l’espace-temps. Donc parler du mouvement, et de l’accélération d’une masse, et de la propagation d’une onde dans l’espace, signifie qu’un choix particulier de coordonnées de temps et d’espace a été fait. C’est en effet avec un tel choix particulier de coordonnées qu’Einstein découvrit un phénomène de propagation d’une variation des mesures de longueurs spatiales associées à ces coordonnées. Il apparaît donc aussi une difficulté plus conceptuelle à l’observation des ondes gravitationnelles : donner un sens physique à ce choix de coordonnées. C’est en utilisant le caractère intrinsèque de la mesure des pseudo-distances grâce à la métrique, y compris pour des courbes de genre espace, que l’on peut effectivement parvenir à donner une réalité physique à ces ondulations de l’espace-temps. La réalité des ondes gravitationnelles fut par conséquent longuement débattue. Einstein lui-même changea plusieurs fois d’avis à ce sujet, la question étant de savoir si ces ondes avaient effectivement une existence physique ou bien constituaient un artéfact mathématique résultant d’un choix du système de coordonnées. Pour statuer, et disposer à cette occasion d’un nouveau test de la relativité générale, seule la recherche expérimentale pouvait lever le doute... Les ondes gravitationnelles obtinrent une confirmation éclatante en 2015, exactement 100 ans après leur prédiction par Einstein. Une équipe internationale réalisa en effet la première détection directe d’ondes gravitationnelles le 14 septembre 2015 en utilisant les deux détecteurs jumeaux de LIGO aux États-Unis. Ces détecteurs sont constitués de deux bras perpendiculaires de 4 kilomètres de
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long, dans lesquels on fait circuler des rayons laser pour en mesurer avec une extraordinaire précision la longueur.
F IGURE 4.27.
Cette observation est une véritable prouesse aussi bien expérimentale que théorique. Il fallait effectivement determiner théoriquement la forme des signaux à détecter pour des tas de situations astronomiques possibles, mais aussi obtenir une extraordinaire précision de mesure : détecter une variation de longueur inférieure à 10−18 mètres ! Et la détection fut obtenue sur des ondes gravitationnelles produites par l’un des événements le plus violent possible, la collision (la coalescence) de deux trous noirs de 30 et 35 masses solaires ! Notons au passage d’ailleurs que ces observations sont considérées comme un argument de poids en faveur de l’existence des trous noirs, toujours observés de manière indirecte, puisque n’émettant pas, par définition, de lumière. Enfin, pour être complet, signalons que le trou noir résultant de la coalescence des deux trous noirs de 30 et 35 masses solaires ne pesait « que » 62 masses solaires. Les 3 masses solaires manquantes représentent l’énergie transportée par l’onde gravitationnelle résultante, selon la fameuse formule E = mc2 , signifiant que de la masse peut être convertie en énergie et vice-versa. Trois masses solaires représentent une énergie phénoménale. Cette découverte est sans doute l’une des plus importantes du siècle car cette observation ouvre un champ nouveau d’observation de l’univers à grande échelle, d’autant que les ondes gravitationnelles ne sont pas arrêtées par la matière.
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4.9
De la théorie à la pratique
Nous avons vu les postulats et les fondements de la théorie de la relativité générale. Mais comment passe-t-on de la théorie à son utilisation pour faire de l’astrophysique ? Comme toujours en physique, il faut faire des modèles. L’un des objectifs premiers de l’astrophysique est de déterminer la trajectoire des objets célestes. En relativité, une trajectoire est modélisée par une ligne d’univers. Et une ligne d’univers d’un corps libre, c’est une géodésique de l’espacetemps. Lorsque l’on veut étudier une situation astrophysique, gravité autour d’une étoile, d’un trou noir, mouvement relatif d’un couple d’étoiles à neutrons ou d’un couple de trous noirs, amas de galaxies, etc. il s’agit donc de trouver les géodésiques de l’espace-temps autour de ces objets. Un modèle d’espace-temps, c’est la donnée d’une variété et d’une métrique lorentzienne, qui devront décrire la forme de l’espace-temps autour des objets astrophysiques considérés. Il faudra choisir une variété différentielle de dimension 4, caractérisée essentiellement par sa topologie (sa forme, mais sans notion de distance), et une métrique permettant de calculer les pseudo-distances. Cette métrique précisera la forme de l’espace-temps, permettra de calculer les géodésiques et la courbure, qui donnera alors l’accélération relative des géodésiques. On obtiendra ainsi le « mouvement » (les lignes d’univers) des objets célestes. Deux démarches sont possibles pour établir un modèle.
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La première c’est de trouver directement quelle variété et quelle métrique vont représenter une situation physique. Le premier à avoir réalisé cet exploit est Karl Schwarzschild, dès 1916, soit quelques mois après la parution des articles d’Einstein, et alors qu’il était soldat sur le front russe. Sa solution surprit Einstein qui ne pensait pas que ses équations très complexes pourraient être résolues aussi vite. Elle modélise le champ de gravité autour d’une étoile parfaitement sphérique. La démarche de Schwarzschild est purement géométrique ! En ne supposant que cette parfaite symétrie sphérique, il put calculer la métrique susceptible de représenter l’espace-temps. Sa solution est toujours aujourd’hui celle qu’on utilise pour modéliser la gravité autour de la plupart des étoiles et de certains trous noir (les trous noirs sphériques et sans rotation). Il faut remarquer que cette démarche n’utilise pas la partie physique de l’équation d’Einstein, mais seulement sa partie géométrique, sous sa forme la plus simple : on demande que la courbure d’Einstein soit nulle dans le vide autour de l’étoile (ou du trou noir). Mais si la courbure d’Einstein est nulle, cela n’implique pas que la courbure de Riemann, la courbure « totale », soit nulle, et on peut donc avoir une géométrie très riche. La solution de Schwarzschild (à l’extérieur de l’étoile) ne fait intervenir aucune hypothèse sur la composition physique de l’étoile, seule intervient sa géométrie, à savoir sa sphéricité ! C’est pourquoi cette solution a une immense portée. L’autre démarche consiste à utiliser l’équation d’Einstein. On cherche alors à définir le tenseur d’énergie-impulsion qui décrit la matière et l’énergie des objets qu’on étudie. Cela commence par un travail de physiciens : il faut souvent s’appuyer sur l’autre théorie physique du XXe siècle, la mécanique quantique, pour deviner le comportement de la matière au sein des étoiles par exemple. En cosmologie, dont le but est de décrire la forme globale de l’univers, il faut faire des hypothèses plus générales, s’appuyant sur des principes épistémologiques, comme l’homogénéité et l’isotropie de l’univers. Si on arrive à définir un bon tenseur d’énergie-impulsion décrivant la situation sur le plan physique, l’équation d’Einstein dit qu’il est alors égal à la courbure d’Einstein de la variété espacetemps ; on obtiendra ainsi des informations sur sa géométrie. Cependant, nous l’avons déjà dit, la courbure d’Einstein ne suffit pas à la caractériser complètement. En particulier, on n’a pas directement la métrique, donc la forme exacte de l’espace-temps, car des métriques différentes peuvent parfois donner la même courbure d’Einstein. Trouver la métrique à partir de la courbure est un problème mathématique difficile, qui n’a pas toujours de solution. La seule connaissance de la courbure d’Einstein suffit néanmoins parfois à décrire quelques aspects de la forme de l’espace-temps, dans une démarche en quelque sorte indirecte. Mais il faut en général essayer de trouver la métrique...
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L’équation d’Einstein Gμν = Tμν représente 16 équations aux dérivées partielles liées (voir l’annexe pour une tentative d’explication de ce dont il s’agit). Fixer un modèle théorique d’un objet astrophysique, comme une étoile ou un trou noir, c’est donc se donner un tenseur d’énergie-impulsion Tμν , constitué de 16 fonctions définies sur la variété espace-temps. Résoudre les équations d’Einstein consiste alors, connaissant la courbure qui est définie par des dérivées partielles secondes de la métrique, à calculer les fonctions qui définissent cette métrique. C’est un travail mathématique d’une grande complexité. Aujourd’hui, cela se fait souvent par calcul numérique sur ordinateur. Mais l’élaboration des programmes informatiques permettant d’effectuer ces calculs est elle-même un travail mathématique très compliqué, qui fait aujourd’hui l’objet de recherches intensives... Comment valide-t-on ces modèles ? En observant finement la trajectoire des objets célestes, et en la comparant aux géodésiques calculées avec les modèles. Citons deux exemples. Tout d’abord, la sonde Cassini, qui nous a fourni pendant 15 ans des photos extraordinaires de Saturne, a aussi permis de mesurer un phénomène important lié à la déviation de la lumière, l’effet Shapiro. L’effet Shapiro, nommé en l’honneur de l’astrophysicien américain Irwin Ira Shapiro, aussi connu comme le retard de la lumière ou retard gravitationnel de la lumière, est un effet résultant de la relativité générale qui voit le temps d’arrivée d’un signal se propageant dans l’espace affecté par la présence de matière dans son voisinage. Cet effet est la combinaison double du fait que le signal observé ne se propage plus en ligne droite et parcourt ainsi un chemin plus grand que ce qu’il ferait en l’absence de masse dans son voisinage, et du fait que l’écoulement du temps est affecté par la présence de masse (c’est essentiellement ce dernier effet qui est mis en évidence dans l’effet Shapiro).
F IGURE 4.29. Pour mesurer l’effet Shapiro à l’aide de la sonde Cassini, les calculs de géodésique lumière ont été faits en utilisant la métrique de Schwarzschild. Le lecteur peut jeter un coup d’œil à l’annexe pour voir à quoi ressemble la formule donnant la métrique de Schwarzschild.
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Des calculs, entre autres de géodésiques lumière, ont été faits en appliquant la métrique de Schwarzschild au Soleil, et ont été comparés à des signaux envoyés par la sonde Cassini lorsqu’elle se trouvait de l’autre côté du Soleil par rapport à la Terre. Les résultats étaient en parfait accord avec la théorie de la relativité générale et avec la métrique de Schwarzschild. L’autre exemple c’est l’expérience GRAVITY, en cours en 2018. En utilisant des données du Very Large Telescope installé au Chili, il s’agit de mesurer les orbites des étoiles autour du trou noir supermassif au centre de notre Voie lactée, pour montrer les changements subtils prédits par la relativité générale. C’est en effet au plus près de ce trou noir, de 4 millions de masses solaires, que la trajectoire des objets peut se différencier nettement de celle prédite par la théorie de Newton. Il faudra alors comparer ces trajectoires observées avec celles calculées en utilisant la métrique de Kerr, métrique utilisée pour modéliser un trou noir en rotation, et qui est une généralisation de la métrique de Schwarzschild. Cette expérience GRAVITY, qui effectue déjà des mesures de haute précision du centre galactique, devrait révéler très clairement les effets relativistes généraux. Mais, comme dans toute expérience, l’instrument permettrait également aux astronomes de rechercher des écarts par rapport à la relativité générale...
F IGURE 4.30.
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Depuis 2015, l’observation des ondes gravitationnelles permet aussi de tester la relativité générale dans des situations extrêmes : collisions de trous noirs et d’étoiles à neutrons. Là encore, la relativité générale passe ces tests avec un impressionnant succès...
4.10
Einstein s’est-il « trompé » ? La démarche scientifique
Terminons ce chapitre par quelques remarques sur les « gros titres » que l’on voit régulièrement apparaître dans les journaux, du style « Einstein s’est trompé » ! Les progrès de l’observation astronomique depuis 50 ans sont absolument extraordinaires. On est passé des télescopes classiques à la radio-astronomie, aux télescopes spatiaux, et depuis 2015 aux observations d’ondes gravitationnelles. La relativité générale est donc confrontée à des observations de plus en plus fines portant sur toutes les échelles possibles de son application. Il apparaît donc régulièrement des observations qui semblent contredire certaines prédictions théoriques. Les plus emblématiques sont l’observation des vitesses de rotation des étoiles à la périphérie des galaxies, et les vitesses des galaxies ellesmêmes les unes par rapport aux autres dans les grands ensembles de galaxies appelés amas. Pour rendre compte de ces vitesses en respectant les modèles théoriques de la relativité générale, il a fallu introduire « la matière noire », un type de matière hypothétique, invisible au télescope, présente partout et possédant une masse permettant de rendre compte de ces vitesses inexpliquées d’étoiles et de galaxies. Dit autrement, la relativité générale peine à décrire ces effets sans faire intervenir l’hypothèse de la matière noire. Mais malgré 30 années d’efforts immenses, cette matière noire n’a jamais pu être détectée... Or, lorsque les observations expérimentales contredisent une théorie physique, c’est que celle-ci est incorrecte ou du moins a atteint ses limites. Einstein s’est-il donc « trompé » ? Tout d’abord, concernant la matière noire, la difficulté est qu’aucune des théories concurrentes à celle de la matière noire ne fait globalement mieux que la relativité générale. Mais là n’est pas le point essentiel. Ces gros titres, typiques de journalistes en quête de sensationnel, révèlent surtout une ignorance de ce qu’est la démarche scientifique. Einstein, en plus d’avoir inventé des théories remarquables, a été l’un des tout premiers physiciens à exprimer clairement que toute théorie physique ne pouvait être que provisoire, et à dire clairement que quasiment toutes ne pouvaient avoir qu’un domaine d’application limité qu’il convenait de définir. Il affirma lui-même, dès 1920, que sa théorie de la relativité générale devait être complétée, voire supplantée, puisque par exemple elle ne s’appliquait pas
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au comportement des atomes tel que décrit par la mécanique quantique. Il passa d’ailleurs les 30 dernières années de sa vie à chercher à dépasser sa propre théorie... sans y parvenir. Il est fondamental de comprendre que la recherche scientifique est une quête peut-être sans fin, une remise en question permanente face à l’observation, l’acceptation de l’erreur, et le refus du dogme. Un chercheur doit pendant la journée chercher à renforcer sa théorie et ses idées, et la nuit, chercher des contre-exemples ! Concernant la relativité, de nombreux chercheurs en relativité générale travaillent autant sur la relativité générale elle-même que sur des théories alternatives (théories tenseur-scalaires, théorie MOND...), permettant par exemple de se passer de l’hypothèse de matière noire. Einstein ne s’est donc jamais « trompé », (même s’il a parfois commis des erreurs, qu’il reconnut ensuite, comme tout bon scientifique), au sens où sa théorie n’est pas « fausse ». La théorie de la relativité générale devra un jour être remplacée par une théorie plus complète, rendant compte de phénomènes qu’elle ne peut expliquer. Mais cette théorie devra expliquer ce dont la relativité générale rend compte, de même que la relativité générale permet de retrouver la théorie newtonienne comme théorie approchée, c’est-à-dire avec un champ d’application plus limité, ou des résultats de mesure moins précis. La démarche scientifique est une méthode rigoureuse et bien définie de sélection des idées proposées pour décrire le monde qui nous entoure. Elle repose donc sur la définition précise de critères de validation et de vérification. Pour la physique (ou la biologie), il s’agit de la confrontation à l’expérience, à l’observation, et de la capacité à prédire les résultats d’expériences répétées. Pour les mathématiques, science un peu à part, il s’agit de la vérification du respect d’une démarche hypothético-déductive bien posée, à partir d’axiomes bien déterminés. Pour ces trois sciences, la vérification et la validation peuvent être difficiles et prendre de nombreuses années. Néanmoins, on considère qu’une théorie est scientifique si elle peut, au moins en principe, être réfutée d’après les critères de validation retenus (c’est le principe de Karl Popper). C’est pourquoi, par exemple, la théorie de Newton a « tenu » trois siècles avant de se révéler incomplète, car elle vérifiait toutes les observations effectuées, jusqu’à ce que les moyens d’observation permettent d’en détecter les limites. Ce qui ne l’empêche pas d’être encore utilisée abondamment dans son domaine de validité. Lorsqu’une théorie est en contradiction avec ses critères de validation, elle est soit incorrecte, et doit alors être rejetée, soit, éventuellement, elle doit être complétée et/ou affinée. En revanche, lorsque des théories sont validées ou lorsque des faits sont établis en respectant cette démarche et ce processus de validation, elles ne peuvent plus être contestées, même si des recherches plus poussées peuvent éventuellement les affiner. Seules la mise en évidence d’erreurs
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dans leur validation, ou l’observation expérimentale de résultats les contredisant, peuvent les remettre en cause. Toute théorie n’étant pas capable de se conformer à de tels modes de validation (comme l’astrologie, le créationnisme...) n’appartient pas au domaine des sciences, mais à celui de la croyance...
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Singularités...
Nous avons montré jusqu’ici le caractère fondamentalement géométrique de la relativité générale. Des résultats célèbres de deux mathématiciens-physiciens exceptionnels, Roger Penrose et Stephen Hawking, soulignent de manière encore plus spectaculaire le caractère indissociable des mathématiques et de la physique. Ces résultats ont particulièrement marqué la communauté des physiciens en montrant que des méthodes et des raisonnements purement et profondément mathématiques permettaient de prouver l’existence d’objets physiques. Ces résultats sont les fameux « théorèmes de singularité de Penrose et Hawking ». Pour les présenter, nous allons décrire brièvement l’histoire des cinquante premières années de la relativité générale. Einstein publia les articles fondateurs de la relativité générale en 1915. Sa théorie devait supplanter la théorie newtonienne en permettant d’expliquer certains des écarts de celle-ci avec les observations. La théorie d’Einstein, comme toute théorie qui se veut novatrice, devait également prédire des phénomènes physiques nouveaux. Or en 1920, les moyens d’observation astronomique étaient encore rudimentaires comparés à ceux, extraordinaires, dont nous disposons 100 ans plus tard. Néanmoins, Einstein eut la chance qu’ils permettent la vérification de sa théorie sur deux événements astronomiques : l’avance du périhélie de Mercure, et la mesure de la déviation de la lumière. Mais, on le sait aujourd’hui, la relativité générale montre aussi sa puissance dans le domaine des observations astronomiques à très grande échelle (ensembles de plusieurs galaxies, dits « amas ») et dans le domaine des champs de gravitation très intenses comme au centre des galaxies. Or à l’époque, 1920,
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ces domaines étaient totalement inaccessibles aux moyens d’observation : en 1920 on ne savait toujours pas si l’univers ne se limitait pas à notre seule galaxie ! C’est Hubble qui démontra en 1922 qu’il existait des milliers (en fait des milliards !) de galaxies en dehors de la nôtre. Mais, malgré cette prouesse, il ne pouvait pas en mesurer les masses et les vitesses et tester la relativité. La mécanique quantique, elle, disposait au contraire de moyens d’expérimentation dans les laboratoires qui lui assura tout de suite un énorme succès, et détourna en conséquence la très grande majorité des physiciens de la relativité générale à son profit. La relativité générale tomba progressivement un peu dans l’oubli... Il fallut attendre 1950 pour que de nouveaux moyens d’observation astronomique, en particulier la radio-astronomie, relance l’astronomie comme champ d’application et d’étude de la relativité générale. Néanmoins, beaucoup de prédictions de la relativité générale demeuraient inaccessibles... Dans les années 1930, George Lemaître avait construit des modèles idéalisés d’univers prédisant l’existence d’un big-bang, ainsi que des modèles d’étoiles prédisant l’existence des trous noirs. Vers 1938, Oppenheimer et Snyder construisirent un modèle théorique de l’effondrement d’une étoile en fin de vie devenant un trou noir. La solution de Schwarzschild, découverte en 1916 et dont nous avons déjà parlé, suggérait également la possibilité de l’existence de trous noirs, mais certaines de ses propriétés mathématiques mirent beaucoup de temps à être bien comprises, et cela freina l’acceptation des trous noirs comme réalité cosmologique (même si des physiciens comme Wheeler et Thorne défendirent cette possibilité des le dèbut des années 1960). Toutes ces prédictions théoriques demeuraient de plus invérifiables, et du coup une partie de la communauté scientifique doutait de leur réalité. En effet, ces modèles étaient très idéalisés, faisant des hypothèses simplificatrices importantes permettant de faire des calculs. De plus, le saut conceptuel, voire psychologique, à faire pour admettre l’existence de phénomènes aussi extrêmes était énorme. C’est là, dans les années 1960, qu’interviennent Hawking et Penrose. Roger Penrose, considéré aujourd’hui comme une des très grandes figures de la relativité générale, est à l’origine un « pur » mathématicien. Il aborda la relativité générale avec cette formation. Le travail qui le rendit célèbre consista à aborder l’existence des trous noirs sous un angle radicalement nouveau. Alors qu’Oppenheimer et Snyder utilisaient la physique nucléaire pour construire des modèles d’étoiles s’effondrant sur elles-mêmes, Penrose partit de considérations beaucoup plus générales sur la nature de la gravitation et de l’espace-temps, ne supposant même qu’une partie des fondements de la relativité générale, essentiellement ses aspects géométriques globaux : l’espace-temps est une variété avec une métrique lorentzienne, les objets libres suivent des géodésiques. Mais
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au lieu de s’appuyer sur toute la force de l’équation d’Einstein reliant courbure et masse-énergie, il ne supposa que certaines de ses conséquences : la gravitation est globalement attractive et l’énergie ne se propage pas plus vite que la lumière. Cela permettait d’englober d’éventuelles généralisations de la théorie de la relativité générale. Avec ces seules hypothèses, Penrose réussit à démontrer, de manière purement géométrique, que si la variété espace-temps présentait des zones de très forte courbure, ce qui physiquement pourrait être causé par une quantité suffisante de matière confinée dans un domaine suffisamment petit de l’espace, alors, nécessairement, certaines géodésiques de genre lumière (représentant des photons), ou de genre temps (représentant des objets matériels), ne peuvent se prolonger indéfiniment dans l’espace-temps. Cela ne signifie pas que les géodésiques s’arrêtent à cause de la destruction physique des photons ou des objets qu’elles représentent, mais signifie qu’une fois entrés dans la région de forte courbure, les objets ou photons, quelle que soit leur nature, ne peuvent plus avoir une existence infinie au sein de l’espace-temps représentant notre univers. Pour un objet physique, le fait qu’une géodésique de genre temps ne puisse se prolonger indéfiniment veut dire que l’objet qu’elle représente a une durée de temps propre finie, puisque la pseudo-longueur de la géodésique, c’est le temps propre. Pour les photons, on ne peut pas définir un temps propre, puisque la pseudolongueur d’une courbe de genre lumière est nulle par définition. Néanmoins, sur une variété, une courbe est toujours munie d’un paramètre, car mathématiquement, une courbe est une fonction qui associe à tout nombre d’un intervalle un point de la variété. Grâce à ce paramètre, on peut définir une durée de vie « mathématique » pour une géodésique de genre lumière, qui, bien que n’ayant pas de signification physique précise, permet néanmoins de caractériser le fait que le photon représenté par cette géodésique ait une existence finie ou infinie dans l’espace-temps. Signalons que s’il n’interagit pas avec une autre particule, ou s’il n’est pas capturé par une zone de forte compacité de masse comme dans le théorème de Penrose, un photon a a priori une existence infinie. (La mécanique quantique donne une durée de vie minimale pour le photon de 1018 ans, soit 100 millions de fois l’âge de l’univers, ce qui laisse le temps de voir venir...) C’est pourquoi on peut avoir des images des premières étoiles de l’univers, vieilles de 13 milliards d’années, ou du fond diffus cosmologique, première lueur de l’univers. Expliquons le théorème de Penrose un peu autrement, dans l’espoir d’éclairer ce résultat particulièrement subtil. Penrose appela une surface spatiale délimitant une région de très forte courbure une surface piégée. Par définition même d’une telle surface, tout objet ou photon représenté par une géodésique et pénétrant à l’intérieur d’une surface piégée ne pourra plus jamais en
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ressortir. Penrose montra d’une part qu’une concentration suffisante de masse pouvait effectivement engendrer une surface piégée dans la variété espacetemps. Mais de manière beaucoup plus spectaculaire, Penrose montra que l’existence même d’une surface piégée impliquait que certaines géodésiques (objet ou lumière) allaient chercher à « s’enfuir » de l’espace-temps en un temps fini, temps propre pour les objets ou temps « mathématique » pour les photons. Elles le font en déterminant en quelque sorte un « point de fuite », au sens de la peinture ou du dessin. Ce point de fuite n’est pas un point de l’espace-temps, mais en quelque sorte un « trou » dans celui-ci, impliquant la « fuite », hors du modèle d’univers retenu, de certaines géodésiques. C’est ce « point de fuite » de certaines géodésiques qu’on appelle une singularité. On dit qu’un espace-temps possédant de tels « trous » est incomplet, ou encore que c’est un espace-temps à singularités. Le théorème de Penrose dit donc qu’un espace-temps où existe une surface piégée contient des singularités. La méthode de Penrose consiste essentiellement en une étude très fine de la structure causale de l’espace-temps, que nous avons définie au chapitre précédent, dans la partie lumière et structure causale. Il s’agit de déterminer quels événements peuvent communiquer entre eux, lorsque les cônes de lumière sont fortement déformés par la courbure. Pour un mathématicien, le théorème de Penrose montre que quelques conditions géométriques locales (positivité de certaines courbures, traduisant le caractère attractif de la gravitation, et courbure très grande dans une petite région de l’espace-temps, traduisant la présence d’une surface piégée) imposent une caractéristique globale : la variété espace-temps est une variété à singularités. Ainsi, Penrose aborda le problème de l’existence des trous noirs non pas comme un problème physique, mais comme un problème géométrique. Voir figure 5.1. Nous reviendrons à la fin de ce chapitre sur la pertinence de ce modèle et l’existence de singularités, après avoir donné une autre description, un peu plus traditionnelle (mais pas trop quand même) des trous noirs et du big-bang. Notons néanmoins dès maintenant que l’importance des résultats de Penrose provient du fait qu’ils évitent les hypothèses simplificatrices et artificielles du modèle d’Oppenheimer et Snyder. En effet, tout modèle physique raisonnable d’étoile très massive implique une fin de vie de cette étoile qui va concentrer suffisamment de masse dans un espace suffisamment petit pour créer une surface piégée au sens de Penrose. Autrement dit, tout modèle raisonnable d’étoile implique l’existence de surfaces piégées, et donc de singularités. Signalons que dans la plupart des modèles de trous noirs ou de big-bangs, certaines quantités associées à la courbure « tendent vers l’infini » lorsque l’on suit les géodésiques ayant une durée de vie finie. Néanmoins, définir les singularités comme des lieus où la courbure « tend vers l’infini » ne s’est pas avéré être
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F IGURE 5.1. Schéma utilisé dans la démonstration du théorème de Penrose. . . , La partie grisée est l’intérieur du trou noir. Son bord est l’horizon des événements qui, une fois stabilisé, est une surface piégée. Les points qui se rapprochent, depuis l’extérieur, de l’horizon peuvent encore envoyer des signaux vers « l’infini » (la ligne en tirets verts) ; ces signaux sont les lignes d’univers rouges. Il faut alors prouver que tout signal émis par un point sur l’horizon, comme le point p, sera piégé et ne pourra pas quitter cette surface. Le point p ne peut plus communiquer qu’avec les points sur l’horizon, tel le point q (ou avec ceux à l’intérieur du trou noir). Un signal émis par un point intérieur à la surface piégée, tel le point m, sera irrémédiablement tordu et ne pourra jamais quitter l’intérieur ; il terminera sa vie vers la singularité...
la solution la plus pertinente. Bien que moins intuitive, une singularité comme point de fuite de certaines géodésiques s’est révélé être la définition la plus souple et la plus générale, permettant de montrer le caractère générique des trous noirs ou du big-bang en relativité générale, ainsi que dans d’éventuelles autres théories géométriques de la gravitation. Le point extraordinaire des résultats de Penrose est qu’ils reposent sur une démarche très éloignée des habitudes des physiciens, mais typique des mathématiques. En effet, sa démonstration de l’existence de singularités, donc des trous noirs, se fait par un raisonnement « par l’absurde ». Il s’agit d’une méthode de raisonnement très courante en mathématiques : pour démontrer un résultat (un théorème), vous supposez que le contraire est vrai, et vous démontrez alors que cette supposition mène à une contradiction avec vos hypothèses. C’est donc alors que votre supposition est fausse, et donc que son contraire, le résultat que vous cherchiez à prouver, est vrai ! Cette démonstration perturba d’ailleurs un peu les physiciens, car elle ne disait rien sur le processus de formation physique des trous noirs. Mais, démontrant que l’existence de ces
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objets particulièrement étranges était très probable, les résultats de Penrose encouragèrent les physiciens à développer leurs recherches sur le sujet, et introduisirent en plus de nouvelles méthodes, plus mathématiques, dans l’utilisation de la relativité générale. Pour voir à quoi cela ressemble : Extrait d’un livre sur les théorèmes de Penrose : Théoréme 1 Théorème de Penrose (1965) : Soit (M , g ) un espace-temps. Supposons que : – (1) : Ric (v, v) ≥ 0 pour tous les vecteurs tangents de genre lumière de M ; – (2) : M possède une hypersurface de Cauchy non compacte S ; – (3) : Σ est une sous-variété achronale piégée de dimension (n − 2) de M . Alors, M possède une géodésique de genre lumière incomplète vers le futur. Stephen Hawking étendit ensuite les idées de Penrose pour démontrer, selon les mêmes méthodes et principes, l’existence « générique » du big-bang, et étendit également la portée des résultats de Penrose concernant les trous noirs. Pour voir à quoi cela ressemble : Extrait d’un livre sur les théorèmes de Hawking : Théoréme 2 Théorème de Hawking (1967) : Supposons que Ric(v, v) ≥ 0 pour tous les vecteurs tangents de genre temps de M . Soit S une hypersurface de Cauchy de genre espace, dont la convergence vers le futur vérifie k ≤ b < 0. Alors toute courbe de genre temps partant de S et dirigée vers le passé est de longueur au plus 1/b. Il est tout à fait remarquable que les notions de trou noir et de big-bang soient apparues et aient été décrites comme des modèles mathématiques, des constructions géométriques dans la théorie des variétés différentielles, bien avant d’avoir été observées. Avec des raisonnements purement mathématiques et une démonstration « par l’absurde » très éloignée de l’observation et de l’analyse expérimentale habituelle en physique, Penrose et Hawking prouvèrent l’existence (très probable) d’objets physiques, vers lesquels les observateurs ont ensuite pu se tourner. Ces résultats sont pour moi un des exemples les plus extraordinaires des liens unissant mathématiques et physique.
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F IGURE 5.2. Sir Roger Penrose. Né en 1931. Mathématicien de formation, il se tourne dans les années 1960 vers la relativité générale, y apportant des contributions majeures : théorèmes de singularité, diagrammes de Carter-Penrose, théorie des twisteurs, conjecture de censure cosmique, réseaux de spin...
F IGURE 5.3. Stephen William Hawking (1942-2018). La clé de ses principaux travaux scientifiques est fondée, en collaboration avec Roger Penrose, sur l’élaboration des théorèmes des singularités, des théorèmes mathématiques profonds comme nous l’avons vu, et sur la prédiction théorique que les trous noirs devraient émettre du rayonnement.
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Trous noirs...
Nous reprenons ici la présentation de la « star » de la relativité générale, le trou noir. Nous en avons déjà donné une définition au chapitre sur la lumière dans l’espace-temps courbe, nous en faisons ici une description plus détaillée, prenant en compte la notion de singularité que nous venons de voir.
F IGURE 5.4. L’étonnante et spectaculaire image du disque d’accrétion d’un trou noir, calculée avec l’équation d’Einstein par J.-A. Marck (en 1996). Nous en donnons l’explication ci-dessous.
On sait que des objets ou des planètes peuvent se mettre en orbite autour d’une étoile. Autrement dit, leur géodésique-trajectoire est représentée, dans une tranche spatiale, par une ellipse autour de l’étoile. Mais si la trajectoire de la lumière est déviée par la présence d’une masse, peut-on imaginer que la lumière puisse se mettre en orbite autour d’une étoile, ou d’un corps massif ? Évidemment, la lumière, cela va très vite et c’est très léger ! Un photon a une masse nulle et va à la vitesse... de la lumière. Il faudrait donc un corps massif avec une énorme gravité. Des calculs précis montrent qu’effectivement, un corps suffisamment massif et compact peut créer une déformation suffisante de l’espace-temps pour piéger la lumière. En toute rigueur, c’est la compacité du corps qui importe (rapport de la masse sur le rayon). Reprenons notre image, fausse, du drap et de la boule. Imaginez une bille de 2 centimètres de diamètre qui aurait la masse de 2 caisses de boules de pétanque ; placez-la sur un drap élastique, vous concevez que le cône créé va être très profond et pointu. Les géodésiques vont donc plonger dans le trou ! Il se passe quelque chose d’encore plus spectaculaire que la mise en orbite des rayons lumineux. Si un corps suffisamment compact peut ainsi piéger la
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lumière, il créera une sphère spatiale, appelée horizon des événements, qui, bien qu’immatérielle, représentera une frontière particulière de l’espace-temps. Tout corps ou rayon lumineux, franchissant cet horizon vers l’intérieur ne pourra plus jamais en ressortir, et tout corps à l’intérieur devra inexorablement continuer sa plongée vers le centre ; en particulier, aucune lumière ne peut sortir de l’horizon vers un observateur extérieur, d’où le nom de trou noir donné à ces astres. Pour échapper à un trou noir, il faudrait se déplacer « plus vite que la lumière ». (Notons que les orbites possibles des rayons lumineux sont à l’extérieur de l’horizon, à une distance correspondant à une fois et demi le rayon de cette sphère pour un trou noir sans rotation.) La lumière ayant ce statut particulier de limite de déplacement dans l’espacetemps, un trou noir est lui-même un phénomène aux limites des déformations de l’espace-temps. Ces déformations dépassent l’imagination et l’intuition, il se passe au voisinage de l’horizon des phénomènes extrêmement spectaculaires. Pour en avoir une image plus parlante, je vous invite à lire l’introduction du livre de Kip Thorne Trous noirs et distorsions du temps, où l’auteur, Prix Nobel de physique en 2017 pour son travail sur les ondes gravitationnelles, décrit ce que percevrait un astronaute se promenant au voisinage d’un trou noir. (Kip Thorne a d’ailleurs été le conseiller scientifique de Christopher Nolan pour son film Interstellar). Pour commencer, les figures 5.5 de la page suivante expliquent schématiquement l’effet des trous noirs sur la lumière, et donc sur les images que nous pourrions avoir de leur environnement. Plus spectaculaire encore, l’astrophysicien Alain Riazuelo a fait un film montrant très précisément les déformations de la lumière au voisinage d’un trou noir, ceci en utilisant de façon très rigoureuse les équations de la relativité générale. Vous trouverez son film, très clair et spectaculaire, sur Youtube : Voyage au cœur d’un trou noir, d’Alain Riazuelo. Voir figure 5.6. Présentons maintenant quelques aspects étonnants de la géométrie des trous noirs. Nous avons dit que les lignes d’univers géodésiques de tous les objets et de la lumière passant l’horizon plongeaient vers le centre du trou noir. Ceci est imprécis, et du coup un peu faux... En effet le modèle de variété différentielle de l’espace-temps ne permet pas dans le cas d’un trou noir de parler du centre. Ce terme, bien que parlant, ne peut correspondre, dans le modèle de la relativité générale et compte tenu des énormes déformations de l’espace et du temps engendrées par un trou noir, à un point de l’espace-temps. Nous avons vu dans la partie précédente que mathématiquement, on parle d’une singularité. Ce n’est pas un point de la variété espace-temps, bien que cela soit difficile à concevoir. Le « centre » d’un trou noir ne peut être décrit que comme une sorte de « point de fuite », au sens du dessin ou de la peinture, des géodésiques de genre
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Un trou noir est généralement entouré d’un disque d’accrétion. Il s’agit de matière qui se met en orbite, en s’échauffant très fortement, autour du trou noir. Géométriquement, ce disque est parfaitement plat exactement comme les anneaux de Saturne. Mais à cause de la gravitation extrême à proximité du trou noir, l’image que nous en obtenons est fortement déformée, car les rayons lumineux qui passent à proximité de l’horizon du trou noir sont fortement courbés, certains faisant même plusieurs tours avant de partir vers l’observateur.
Schéma dû à J.P. Luminet, un des premiers théoriciens à avoir calculé l’image d’un disque autour d’un trou noir (citons également les travaux analogues de J.-A. Marck). Ce sont ces travaux théoriques qui fournissent le type d’image maintenant célèbre que l’on propose dés trous noirs.
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F IGURE 5.6. On observe une très forte déformation des images autour d’un trou noir, car il courbe très fortement la trajectoire des rayons lumineux. Il s’agit ici d’une image calculée par Alain Riazuelo.
temps et lumière. Plus précisément, les mathématiques de la relativité indiquent qu’un observateur physique, mesurant sur l’horloge associée à sa géodésique (celle accrochée à son poignet) son temps propre, ne peut exister au-delà d’un temps (propre) fini dans l’espace-temps modélisant l’univers ; au bout d’une durée finie de son temps propre, cet observateur n’est plus défini dans l’espacetemps ! C’est troublant, mais c’est comme ça. Puisque le centre du trou noir n’existe pas, géométriquement, on ne peut pas parler de rayon spatial du trou noir. Lorsqu’on utilise certaines cartes, c’està-dire certaines coordonnées, pour décrire le trou noir, on peut trouver un rayon infini et calculer alors un volume spatial à l’intérieur de l’horizon des événements du trou noir lui aussi infini ! Plus précisément, au voisinage du trou noir, certaines cartes de la variété espace-temps fournissent des coordonnées qui présentent des propriétés étonnantes, illustrant le caractère indissociable de l’espace et du temps : lorsque l’on franchit l’horizon du trou noir de l’extérieur vers l’intérieur, on constate que la coordonnée « temporelle » devient une coordonnée « spatiale », alors que la coordonnée spatiale qui aurait pu servir à mesurer la distance à un éventuel centre devient la coordonnée « temporelle ». Dit de manière imagée, le temps devient espace et vice-versa. Il en résulte qu’avec ces coordonnées, et toujours de manière imagée, le volume spatial à l’intérieur du trou noir est infini, alors que le
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temps y est fini. Il s’agit néanmoins d’un artéfact mathématique dû au choix des coordonnées, amusant, mais qui n’a pas vraiment de sens physique. En effet, si ces coordonnées ont des propriétés surprenantes, il faut être minutieux pour en tirer des interprétations physiques correctes. Ce n’est pas parce qu’on appelle une coordonnée « t » qu’elle représente toujours un temps physique... Rappelons que seul le temps propre, mesuré le long de la ligne d’univers d’un observateur, a un sens physique. Différents choix de coordonnées (de cartes) sont possibles, et nécessaires, pour décrire le voisinage et l’intérieur d’un trou noir en tant que variété, et certaines cartes se révèlent plus adaptées que d’autres pour comprendre les phénomènes physiques à l’œuvre. On étudie alors grâce à ces cartes le comportement des géodésiques de genre temps et lumière, ces géodésiques et leur comportement ne dépendant évidemment pas du choix des coordonnées. En particulier, des cartes convenables montrent qu’un observateur ne ressentirait rien de particulier lors du franchissement de l’horizon ; sa montre par exemple n’indiquerait rien de spécial. L’horizon des événements est une surface immatérielle, qui marque seulement une limite dans l’orientation des cônes de lumière. Retenons toutefois que, quelle que soit la carte choisie, il n’est pas possible de définir le centre d’un trou noir comme un point de l’espacetemps, et que donc on ne peut définir le rayon spatial d’un trou noir. Historiquement, c’est une mauvaise compréhension et une interprétation erronée des coordonnées utilisées par Karl Schwarzschild dans sa solution de l’équation d’Einstein qui a freiné, pendant de nombreuses années, l’acceptation de l’idée même de trou noir. Ces coordonnées étaient inadaptées à une description correcte de l’horizon, la métrique, c’est-à-dire les pseudo-distances mesurées, semblant y devenir infinies, ce qui n’est pas le cas, comme le montre une carte (des coordonnées) bien choisie. Le travail mathématique menant à la découverte de ces coordonnées convenables s’étala sur plusieurs années. Il n’en demeure pas moins, bien sûr, que la géométrie d’un trou noir est très particulière, et peut même être extrêmement sophistiquée. On s’attend, pour des raisons physiques, à ce que tous les trous noirs soient en rotation. L’espacetemps engendré par un trou noir en rotation est décrit par la métrique de Kerr, du nom du mathématicien qui a trouvé cette métrique généralisant celle de Schwarzschild. La description de la géométrie de la variété espace-temps munie de la métrique de Kerr fait l’objet de très nombreux articles et de plusieurs livres (difficiles) ! Ainsi, dans un trou noir de Kerr, la singularité à l’intérieur de l’horizon des événements, qui n’appartient pas à l’espace-temps, a la forme d’un anneau. Près de cette singularité annulaire, au cœur d’un trou noir de Kerr, il y a une région où existent des courbes de genre temps fermées, c’est-à-dire des boucles temporelles. Les géodésiques qui plongent dans le trou noir ont des trajectoires très complexes : seules certaines géodésiques, confinées sur le plan
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équatoriales, termineront en un temps fini sur la singularité annulaire ; les autres resteront indéfiniment piégées dans le trou noir sur des trajectoires compliquées, ou dans une sorte de prolongement mathématique infini du trou noir. Notons néanmoins que si ce prolongement mathématique est fondamental pour comprendre le comportement des géodésiques, il ne recouvre probablement aucune « réalité » physique. Tirer des interprétations physiques pertinentes de la très riche géométrie du trou noir de Kerr est un travail délicat. Voir Figures 5.7 et 5.8.
F IGURE 5.7. Structure d’un trou noir de Kerr. La structure complexe d’un trou noir de Kerr fait apparaître des régions aux propriétés physiques distinctes. L’horizon des événements est la deuxième surface en partant de l’extérieur. La surface externe, appelée ergosphère, marque la limite à partir de laquelle plus aucun objet, quelle que soit son accélération, ne peut rester immobile par rapport à un observateur lointain ; tout l’espacetemps est « entraîné en rotation » par le trou noir. Il y a un deuxième horizon, interne, l’horizon de Cauchy ; il peut également exister une deuxième ergosphère intérieure. On distingue, en rouge, la singularité annulaire.
Retenons que le point fondamental est qu’aucune courbe de genre temps ou lumière qui pénètre à l’intérieur de l’horizon des événements ne peut en ressortir ; c’est la définition même d’un trou noir. Par ailleurs, un trou noir est un objet idéal au sens de la géométrie ; il n’a ni bosse ni creux. De même qu’une sphère est entièrement caractérisée par son rayon, un trou noir est entièrement caractérisé par sa masse et sa vitesse de rotation. C’est un objet purement géométrique... On parle néanmoins souvent du « rayon » d’un trou noir. Nous avons ainsi dit que le « rayon » d’un trou noir de la masse du Soleil serait de 3 kilomètres. Il s’agit en fait d’une analogie commode. La métrique, l’outil pour mesurer les distances, est bien définie au voisinage de l’horizon des événements. On peut donc très bien mesurer la circonférence d’un trou noir. Le rayon dont on parle pour un
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F IGURE 5.8. Des cartes du trou noir de Kerr et de son extension mathématique infinie. Ce sont des schémas, dits de Carter-Penrose, qul l’on utilise pour étudier la structure causale de l’espace-temps, en y représentant les géodésiques (celles des photons en vert, à droite), ou diverses surfaces d’intérêt, comme l’horizon des événements (en noir gras, noté H ). Ces cartes sont obtenues en utilisant un choix particulier de coordonnées, découvertes par Carter, Boyer, Lindquist, entre autres.
F IGURE 5.9. En bleu, les trajectoires de quelques photons, sur un schéma de type « drap-boule » d’un trou noir. C’est le fait que certains d’entre eux fassent des quarts de tours, ou parfois plusieurs tours, avant de partir en direction de l’observateur qui explique la déformation des images des objets situés en « arrièreplan » du trou noir. Malgré les limitations de ce type de schéma évoquées au chapitre précédent, celui-ci suggère néanmoins efficacement le fait que le rayon du trou noir, distance du bord à un hypothétique centre, peut être vu comme infini.
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trou noir est alors cette circonférence divisée par 2π, c’est-à-dire qu’on utilise la formule classique donnant le périmètre du cercle en fonction du rayon. Dans l’étude des trous noirs, on montre que le « rayon » ainsi défini est directement proportionnel à la masse du trou noir, et les physiciens parlent effectivement de « rayon« par commodité, bien que la masse soit le paramètre fondamental. Mais retenons que géométriquement, seule la circonférence du trou noir est bien définie. Ainsi on peut parfaitement calculer rigoureusement la circonférence ou la surface d’un trou noir, et en déduire la « place qu’il occupe sur le ciel » pour un observateur extérieur et lointain. Mais plus on s’approche de l’horizon, plus la géométrie devient contre-intuitive... Le modèle de trou noir dans le cadre de la relativité générale ne permet pas d’aller jusqu’à la singularité, et pour l’instant aucun modèle physique ne permet de décrire ce qui se passe au « centre » d’un trou noir, Si personne ne sait ce que devient la matière plongeant dans un trou noir, on sait quand même qu’un astronaute plongeant dedans mourra bien avant d’atteindre les limites de l’espacetemps, déchiré par les gigantesques différences de gravitation qui s’exerceront entre ses pieds et sa tête, tant la gravitation varie de plus en plus rapidement à l’intérieur d’un trou noir. Ces phénomènes, dus aux variations de gravitation d’un point à l’autre de l’espace-temps et qui sont décrits mathématiquement par le tenseur de courbure de Riemann, sont appelés par les physiciens les forces de marées. L’intérieur du trou noir peut, lui, être décrit par la relativité jusqu’à cette singularité (qui, elle, est exclue). En gros, le drap est troué au fond du trou noir ! C’est exactement le même problème que celui de « l’instant zéro » de l’histoire de notre univers, le fameux big-bang, dont nous allons parler. Cette limite de la relativité signifie-t-elle qu’il est absurde d’envisager des trous noirs ? La question est légitime, et pendant longtemps les physiciens, dont Einstein lui-même, ont refusé d’admettre l’existence de telles aberrations de l’espace-temps. Néanmoins, les progrès de la physique nucléaire, amenant à une meilleure compréhension du fonctionnement des étoiles et de la structure de la matière, ont permis d’établir que les plus grosses étoiles, lorsqu’elles arrivent au terme de leur vie par épuisement de leur carburant nucléaire, s’effondrent sur elles-mêmes, sous l’effet de leur propre poids en créant un astre hyper-compact pouvant être un trou noir ; ces trous noirs sont dits stellaires. De plus, le progrès de l’observation astronomique a mis en évidence des phénomènes extraordinaires, comme le mouvement hyper-rapide de matière, ou même d’étoiles, autour d’un objet invisible, qui ne peuvent s’expliquer, au moins pour l’instant, qu’à l’aide du modèle de trou noir relativiste. Il y aurait ainsi au cœur de toutes les galaxies, dont la nôtre, des trous noirs de plusieurs millions, voire milliards, de fois la masse de notre Soleil ! Ces trous noirs, dit hyper-massifs,
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sont d’une origine encore très mal comprise, et différente des trous noirs d’origine stellaire. Les observations laissant croire à l’existence des trous noirs sont donc encore pour l’instant indirectes, bien que l’observation des ondes gravitationnelles en 2015 soit considérée comme un argument très fort en faveur de leur existence. Des observations spectaculaires de trous noirs sont envisageables à court terme : les expériences se mettent en place, comme l’Event Horizon Telescope qui devrait fournir en 2018 l’image de la silhouette du trou noir central de notre galaxie devant son disque d’accrétion. Nous avons donc actuellement la quasi-certitude de l’existence des trous noirs, mais pas encore la certitude absolue !
F IGURE 5.10. En utilisant la mise en commun de plusieurs télescopes à la surface de la Terre, et une technique appelée interférométrie, des équipes de scientifiques devraient fournir en 2018 les premières images du trou noir central de notre galaxie, Sagitaire A ∗ , trou noir de 4 millions de masses solaires. Cidessus, une image théorique de ce qui est attendu par ce télescope virtuel, baptisé Event Horizon Telescope. Elle représente l’image attendue du disque d’accrétion autour du trou noir, entraînant en rotation par son extrême gravité la matière à des vitesses proches de celle de la lumière. À cause de ces vitesses, le côté du disque où la matière se dirige vers l’observateur apparaît alors, par effet Doppler, nettement plus brillant que l’autre.
5.3
Big-bang...
Dans la théorie newtonienne, l’espace(-temps) était immuable, éternel. En effet, cet espace-temps étant considéré comme un cadre fixe, il ne pouvait évoluer. Or, avec la relativité générale, l’espace-temps devient un objet physique à part entière. La relativité générale a donc permis d’envisager l’univers tout entier en tant qu’objet d’étude, puisqu’ elle lui permet d’être susceptible de déformation,
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d’évolution. Grâce à la relativité générale, il devient possible de se poser des questions sur la forme de l’univers, son éventuel « début », son éventuelle « fin ». Pour un mathématicien, ces questions sont extrêmement naturelles, puisque ce sont des questions purement géométriques ! En effet, l’étude mathématique des variétés différentielles est essentiellement l’étude de leur géométrie. La modélisation de l’espace-temps, donc de l’univers, par une variété lorentzienne de dimension 4 englobe à la fois sa forme et son histoire, puisque le « temps » et « l’espace » sont inclus dans cette variété. Étudier la géométrie et la topologie (la forme « qualitative », indépendante des mesures de longueurs) des variétés de dimension 4 est un problème mathématique très difficile tant la dimension 4 offre un immense nombre de géométries possibles. Une géométrie et une topologie étant fixées sur une variété de dimension 4, considérer ensuite des tranches spatiales revient à considérer la forme spatiale de l’univers : est-il fini ou infini ? S’il est fini, a-t-il un bord ou non, comme une sphère ? Une géométrie particulière étant choisie, l’étude des courbes de genre temps revient à étudier la causalité dans l’univers ; en effet, rien n’interdit géométriquement l’existence de telles courbes fermées, ce qui signifierait qu’en évoluant vers le futur, un objet physique pourrait se retrouver dans son « passé » ! Les physiciens supposent que de telles géométries sont physiquement impossibles, car elles impliqueraient des paradoxes délicats à envisager, mais ce n’est qu’une supposition, l’univers étant « très grand » et « très vieux », on ne peut pour l’instant en être sûr... En étudiant les images de galaxies dans des directions différentes, les physiciens se sont demandé s’ils n’observaient pas plusieurs images d’une même galaxie, indiquant par là l’existence de géodésiques de genre lumière fermées, c’est-à-dire que la lumière parcourrait des boucles. Enfin, on peut étudier les singularités possibles des variétés de dimension 4. Ces singularités sont du même type que celles des trous noirs dont nous avons parlé plus haut. Certaines géométries impliquent que des géodésiques de genre temps, donc représentant l’histoire d’objets physiques, ne peuvent pas avoir une longueur infinie ; or la longueur d’une courbe de genre temps, c’est son temps propre. Un durée de temps propre fini vers le passé implique intuitivement un « début », et vers le futur, une « fin ». Mais attention, comme pour les trous noirs, cette longueur finie n’implique pas, mathématiquement, l’existence d’une extrémité de la courbe appartenant à la variété ! Cela est difficile à visualiser, car justement notre vue est adaptée à une conception euclidienne de la géométrie qui nous entoure, une géométrie très simple, et à des mesures de distances euclidiennes et non lorentziennes. Ainsi, le fameux big-bang correspond à l’observation des trajectoires des galaxies nous entourant. Ces trajectoires sont des géodésiques, car les galaxies ne sont soumises qu’à la gravitation, et on a montré qu’elles semblaient converger vers un « point de fuite » dans le passé, vers
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une singularité de la variété espace-temps, sans pour autant que cette singularité appartienne à la variété. C’est pourquoi les mathématiciens et les physiciens mettent en garde contre l’emploi abusif de l’expression « temps zéro » de l’univers, qui implique que l’on pourrait parler d’un avant. Comme pour un trou noir, on a de très bonnes raisons de croire à l’existence d’une singularité dans le passé, mais la théorie de la relativité, de même que la physique quantique, ne permettent pas à l’heure actuelle, de préciser la nature de cette singularité. Les notions communes de temps et de distances ne sont pas adaptées à la description de phénomènes aussi extrêmes que les trous noirs ou le big-bang. L’image d’une galaxie dite « à 10 millions d’années-lumière » a voyagé jusqu’à nous pendant 10 millions d’années, pendant lesquelles l’univers a connu une expansion ; parle-t-on de la distance au moment de l’émission de l’image, ou de la distance « actuelle » (sur notre espace de simultanéité de 2018), que nous n’avons aucun moyen de mesurer directement ? Seule une définition mathématique précise, mais liée à un modèle, permet de parler de distance. Concernant le temps, le big-bang est, nous l’avons dit, une singularité. Ce n’est donc pas un point de la variété espace-temps, le temps n’y est pas défini. Les temps et distances, qui permettent des expressions comme « 1 seconde après le big-bang », ou « telle galaxie est à 10 millions d’années lumière », sont en fait des temps et des distances construits à partir des modèles mathématiques utilisés pour décrire l’évolution et l’expansion de l’univers. On cherche évidemment à leur donner une pertinence physique, mais, insistons, ces temps et distances dépendent du modèle choisi, et peuvent donc varier d’un modèle à l’autre. Ainsi, les physiciens et les mathématiciens définissent très précisément ces notions à l’aide des mathématiques, mais si elles deviennent alors pertinentes pour les modèles, elles deviennent beaucoup plus difficiles à appréhender intuitivement. Précisons la manière dont l’observation astronomique permet d’étudier la géométrie de l’espace-temps. Il suffit de se reporter à la définition de la courbure que nous avons donnée dans la description des mathématiques de la relativité générale. Souvenons-nous que la courbure mesure le taux de dispersion, ou de rapprochement, des géodésiques. Or justement, observer le mouvement des étoiles ou des galaxies qui nous entourent, c’est observer leurs géodésiques dans l’espace-temps, puisque l’on suppose qu’à grande échelle, ces objets ne se déplacent que sous l’effet de la gravitation. Connaissant les géodésiques, on en déduit mathématiquement la courbure. Ensuite, connaissant la courbure d’une variété, c’est un problème mathématique, difficile d’ailleurs, d’en déduire la forme et la géométrie précise de la variété. Enfin, parmi les géométries que l’on trouve, certaines possèdent effectivement des singularités, de type trou noir ou big-bang. C’est donc bien l’observation qui montre que la géométrie de l’Univers espacetemps possède des singularités, même si la théorie de la relativité ne permet pas
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d’aller jusqu’à ces singularités. Ainsi, c’est Hubble qui vers 1922 a observé que les galaxies s’éloignaient les unes des autres. Passant le film à l’envers, on en déduisit que dans le passé, ces galaxies devaient être très très proches... tellement proches que toute la matière qu’elles contiennent devait être concentrée dans une zone minuscule d’une immense densité ; c’est le big-bang.
F IGURE 5.11. Illustration classique du modèle actuel d’évolution de notre univers : De gauche à droite, le big-bang, le fond diffus cosmologique, les premières étoiles, les galaxies... De plus, l’expansion de l’univers, symbolisée par l’évasement de la grille, se conçoit sans faire référence à un espace « extérieur ».
Rappelons par ailleurs qu’une variété peut se définir sans faire référence à un espace extérieur. Ainsi, on peut parler de l’expansion de l’univers sans faire référence à un espace extérieur dans lequel il s’étendrait. En effet, l’expansion signifie que la distance entre les galaxies augmente, alors que les galaxies restent fixes ! Si intuitivement cela semble dérangeant, mathématiquement, cela s’explique très simplement en disant que c’est la métrique qui évolue d’une tranche spatiale à une autre, sans que la variété espace-temps, elle, ne change. Voir figure 5.12. Bien que soulevant des difficultés théoriques encore importantes, les modèles d’évolution de notre univers à partir d’un big-bang apparaissent robustes. Ils s’appuient sur des observations rigoureuses soutenues par une théorie solide. La relativité générale présente des limites à son champ d’application, mais toutes les théories concurrentes essayées soutiennent également l’existence d’un big-bang. Tous les modèles actuels donnent, une fois définie une
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F IGURE 5.12. La variété espace-temps, avec l’expansion de ses tranches spatiales, due à l’évolution de la métrique le long d’un axe temporel, axe qu’il faut bien choisir pour obtenir un modèle cohérent. Vue autrement, l’expansion, c’est la dispersion des lignes d’univers géodésiques des galaxies, dispersion due à la courbure de l’espace-temps.
certaine manière de mesurer le « temps » autour de nous, un « âge » de l’univers d’environ 13,7 milliards d’années, et les descriptions de son évolution sont considérées comme excellentes par confrontation aux observations, à partir d’un âge de 380 000 ans, donc depuis plus de 13 milliards d’années, et probablement très bonnes depuis un âge de quelques minutes, voire secondes, ce qui est quand même extraordinaire. Bien sûr, il n’est pas dit que le progrès des observations futures ne remette pas en cause ces modèles, mais pour l’instant ils résistent bien. Pour terminer, un mathématicien n’a pas peur d’imaginer des géométries extrêmement compliquées pour une variété. On peut donc imaginer que nous soyons confinés dans un tout petit morceau de l’espace-temps, voyant un bigbang dans notre passé, mais que d’autres big-bang ou big-crunchs, comme on appelle une éventuelle singularité future, existent dans l’espace-temps, mais que nous ne pouvons pas voir, car l’information se déplaçant au mieux à la vitesse de la lumière, nous n’en avons pas encore reçu d’images...
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F IGURE 5.13. Un univers avec 2 big-bangs, 1 big-crunch ; nous vivons en bas, à gauche... D’après Michel Vaugon.
5.4
Trous de ver...
Nous avons vu, à travers les théorèmes de singularité de Hawking et Penrose, l’étonnante capacité des mathématiques à prédire, par des moyens détournés, l’existence d’objets physiques extraordinaires, qui sont ensuite effectivement observés. Mais les mathématiques permettent aussi d’aller plus loin, par le pouvoir d’imagination qu’elles offrent. Ce pouvoir se révèle par exemple à travers les propriétés de symétries que les mathématiques révèlent dans les équations, et qui ne seraient pas toujours accessibles à travers des observations ou expériences physiques. C’est grâce à ces symétries qu’ont par exemple été découvertes les anti-particules comme le positron, observé après sa mise en évidence par les propriétés de symétries de certaines équations de la mécanique quantique. Ces symétries dans les équations mathématiques suggèrent aussi des objets particulièrement étonnants, qui font beaucoup rêver les auteurs de sciencefiction, les trous de ver. Une partie d’entre eux sont des extensions géométriques des trous noirs, obtenues en considérant certaines symétries dans les équations de la métrique de Schwarzschild décrivant les trous noirs. Il faut revenir brièvement sur l’histoire de cette métrique. En effet, si les théorèmes de Hawking et Penrose ont montré que l’existence des trous noirs était très probable, historiquement, leur existence avait déjà été imaginée à partir de l’analyse de certaines propriétés de la métrique de Schwarzschild décrivant l’espace-temps autour d’un corps parfaitement sphérique. En effet, cette métrique faisait apparaître que si, pour une masse donnée, le rayon
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de l’objet était suffisamment petit, alors il devait exister une surface sphérique particulière séparant l’espace-temps en deux : à l’extérieur, les objets et la lumière peuvent rejoindre d’autres points extérieurs, mais aucun objet ni rayon lumineux ne peut quitter l’intérieur pour rejoindre l’extérieur. Cette surface, c’est l’horizon des événements, et elle correspond exactement à une surface piégée de Penrose. Une sphère de la masse du Soleil devrait avoir un rayon de 3 kilomètres pour être un trou noir. On pensait donc initialement qu’aucun objet massif ne pouvait avoir, dans la réalité, un rayon inférieur à celui de cette sphère des événements. (Rappelons que la notion de rayon n’est ici qu’une analogie : dans la géométrie de Schwarzschild, le « centre » du trou noir est une singularité, dont la distance à l’horizon serait rejetée « à l’infini » ; on ne peut en fait parler que de la circonférence d’un trou noir. Revoyez le schéma et les explications dans le paragraphe sur les trous noirs. ) Ce sont donc les théorèmes de Penrose et Hawking, ainsi que certains travaux pionniers d’Oppenheimer et Snyder sur la métrique de Schwarzschild, qui encouragèrent les physiciens à considérer plausible cette possibilité de l’existence d’un horizon des événements lors de l’effondrement de certaines étoiles. Le résidu de cet effondrement peut alors effectivement être décrit par la métrique de Schwarzschild. Or, poussant plus loin l’étude de la métrique de Schwarzschild, les mathématiciens ont constaté que celle-ci présentait des symétries étonnantes... Le principe de cette découverte est très schématiquement le suivant. Pour décrire cette métrique dans le cas d’un trou noir, on utilise certaines coordonnées, pour une desquelles on ne considère que les valeurs positives. Autrement dit, dans le repère associé à ces coordonnées, on considère que le trou noir « n’existe » que dans une partie du domaine du repère. Or la métrique peut également être écrite pour les valeurs négatives de cette coordonnée, autrement dit la métrique peut décrire un morceau d’espace-temps plus grand que celui initialement considéré. Les deux morceaux, le trou noir dans le morceau où la coordonnée spéciale est positive, et l’espace-temps dans le morceau où elle est négative, se touchent au point central du repère. La partie décrite par les coordonnées négatives, étant symétrique de celle décrivant le trou noir, présente des propriétés physiques également symétriques : tout les objets physiques et la lumière s’échappent forcément de l’intérieur vers l’extérieur d’une sphère symétrique à l’horizon du trou noir, et rien ne peut pénétrer à l’intérieur, c’est un trou blanc. Voir figure 5.14. Les symétries de cette figure suggérèrent aux mathématiciens l’existence de domaines de l’espace-temps qui prolonge le fond d’un trou noir par un « tube » relié à une autre région de l’univers. C’est ce prolongement que l’on appelle trou de ver. Mathématiquement, ces domaines sont obtenus en considérant des
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F IGURE 5.14. Une carte de l’espace-temps de Schwarzschild, étendu par symétrie. Diagramme d’espacetemps représentant certains éléments de la métrique de Schwarzschild. La partie supérieure du diagramme (M I I ), où T > 0, représente l’intérieur du trou noir. M I est l’extérieur. En trait noir plein, l’horizon des événements ; en pointillé rouge, la singularité centrale r = 0, où la métrique n’est pas définie. Les parties M I I I et M IV sont obtenues par symétrie, et on y étend la métrique, également par symétrie. La partie inférieure (M IV ) où T < 0 représente alors un trou blanc. Attention, les coordonnées X et T ne doivent pas ici être considéres comme des variables d’espace et de temps, elles « mélangent » les deux (ce qui est d’ailleurs un peu le principe en relativité !). La partie M I I I à gauche représente comme M I une région extérieure. Les trous de ver sont suggérés par l’étude des « tranches » horizontales de ce diagramme.
F IGURE 5.15. Vue imagée d’un trou de ver reliant des régions éloignées de l’univers.
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« tranches » horizontales (pour T > 0) du diagramme d’espace-temps présenté en figure 5.14. Selon le modèle ainsi créé, un trou de ver offrirait un « passage », un raccourci, entre deux points éloignés de l’espace-temps... Voir Figure 5.15. Néanmoins, ce diagramme d’espace-temps, qui suggère pourtant son existence, montre aussi qu’un trou de ver non seulement n’est pas stable et disparaitraît quasi instantanément, mais également qu’il n’existe aucune courbe de genre temps ou lumière joignant les régions extérieures M I et M I I I. Ces trous de ver ne sont donc pas traversables. Ci-dessous, les schémas montrant l’évolutions du trou de ver quand on observe les tranches du diagramme d’espace-temps lorsque T augmente (T n’est pas un temps « physique », mais mesure néanmoins une évolution dynamique).
F IGURE 5.16. La courte vie d’un trou de ver de Schwarzschild.
Bien que pour de nombreuses raisons physiques l’existence de trous de ver soit hautement improbable, ils ont évidemment énormément inspiré les auteurs de science-fiction, d’ailleurs parfois sur la suggestion des physiciens. C’est en effet Kip Thorne (Prix Nobel de physique en 2017), qui suggéra à Carl Sagan les trous de ver, pour permettre à son héroïne du livre Contact de voyager en des temps records entre deux points très éloignés de la galaxie. Il faut pour cela imaginer l’existence d’une énergie « négative » et colossale pour maintenir ouverte la gorge. Néanmoins, l’exemple des trous de ver montre le pouvoir spéculatif qu’offrent les mathématiques à la physique.
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F IGURE 5.17. Les trous de ver ont en particulier été utilis par Carl Sagan dans le scénario du livre Contact, puis par Christopher Nolan dans son film Interstellar, pour permettre des « voyages » entre deux points très éloignés de la galaxie en des temps records !
F IGURE 5.18. Kip Thorne, Prix Nobel de physique en 2017 pour ses travaux sur les ondes gravitationnelles. Il a apporté de nombreuses contributions à l’étude des trous noirs. Il a également conseillé plusieurs auteurs de science-fiction, popularisant la notion de trous de ver comme méthode de voyage spatio-temporel, bien qu’il ait contribué à prouver que leur existence était peu probable...
5.5
Réalité des singularités de l’espace-temps
L’existence de singularités de l’espace-temps est un domaine d’étude absolument fascinant de la relativité générale. Insistons une fois encore sur le fait que, même si le concept est difficile à appréhender, il a une pertinence physique. L’élaboration du concept fut assez difficile, en particulier du fait qu’une singularité
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n’est pas un lieu de l’espace-temps. C’est sans doute le point crucial. Il n’est pas possible de donner un sens précis à une phrase du genre « les géodésiques se rapprochent l’une de l’autre » dans une variété lorentzienne, car il n’y a pas de notion de distance définie de manière absolue. Cette idée de « point de fuite » nous a semblé la plus convenable. La seule définition correcte d’un espace-temps contenant des singularités est qu’il y existe des géodésiques de genre temps ou lumière qui ont une durée de vie (de temps propre pour le genre temps, et une définition analogue mais plus « mathématique » pour le genre lumière) finie dans l’espace-temps. Cette durée de vie finie, vers le passé (big-bang) ou vers le futur (trou noir), ne signifie pas que l’objet physique ou le photon correspondant explosent au sein de l’univers, mais qu’ils ne peuvent pas aller plus loin dans cet espace-temps. Il se passe bien quelque chose d’extraordinaire pour ces objets ou photons, mais on ne sait pas quoi. C’est bien une limitation de la relativité générale, mais pas comme certains pourraient le croire, un défaut. Toute théorie physique a (pour l’instant ?) un domaine de validité. Il n’empêche que la relativité permet d’aller très « près » de ces singularités, et elle dit alors « au-delà, ce n’est plus de mon ressort, trouvez une autre théorie ». Mais en revanche, pour peu qu’elle soit correcte dans ce domaine de validité, la relativité générale démontre bien l’existence de singularités. La compréhension du devenir « final » de la matière plongeant dans un trou noir, ou de la physique ayant engendré notre univers à partir du big-bang, est un défi majeur de la recherche en physique actuelle.
F IGURE 5.19. Le défi de la physique du XXIe siècle. Comprendre ce qui se passe au « centre » d’un trou noir impliquera sans doute le mariage de la relativité générale et de la mécanique quantique...
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6 Unification et géométrisation 6.1
De l’unification en physique
La physique cherche à modéliser une grande quantité de phénomènes naturels, apparaissant bien souvent au départ de nature fort diverse. Pour cela, les physiciens mettent au point une grande quantité de modèles, chacun étant utilisé dans son champ d’application. Pourtant, il n’est pas satisfaisant d’imaginer que des règles ou des lois physiques différentes s’appliquent au sein de la nature, en fonction du domaine considéré. C’est pourquoi les physiciens cherchent en permanence à rassembler divers modèles portant sur des phénomènes physiques différents au sein d’un seul modèle explicatif. C’est ce qu’on appelle l’unification de ces domaines. Actuellement, le grand défi de la physique est de réussir l’unification de la relativité générale et de la mécanique quantique, qui traite de la physique microscopique, des particules aux atomes. Ces deux théories reposent en effet sur des concepts et des postulats complètement différents, en particulier une conception radicalement différente de la nature de l’espace et du temps. Or il semble difficile d’imaginer que la nature de ces deux entités change lorsque l’on veut décrire le mouvement des atomes, ou lorsque l’on passe au mouvement des planètes.
6.2
Le principe du catalogue
Vers la fin du XVIe siècle, les descriptions du mouvement des planètes, de la trajectoire d’un boulet de canon, et de la chute d’une pomme, appartenaient à des domaines d’études différents. Chacun d’eux faisait l’objet de véritables
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catalogues décrivant pour chaque cas envisagé, chaque planète, chaque angle de tir et quantité de poudre utilisée, chaque hauteur de pommier, la trajectoire observée. Ces catalogues n’avaient donc quasiment aucun pouvoir explicatif, et, finalement, peu de pouvoir prédictif, car, par exemple pour les planètes, on présupposait le caractère immuable des orbites. La rotation de la Lune autour de la Terre apparaissait de nature différente de celle de la Terre autour du Soleil... Ce fut donc un extraordinaire accomplissement que celui de Newton lorsqu’il comprit que tous ces phénomènes n’étaient dus qu’à un seul, la gravitation : deux corps massifs s’attirent, indépendamment de leur nature. Il réussit en plus à donner deux lois très simples régissant la gravitation et le mouvement des − → − → → γ et F = G.(m.m )/r2 . Dans ces formules, F recorps y étant soumis : F = m.− présente la force s’exerçant entre les deux corps, m, m leur masse, r leur distance, G une constante universelle. Il inventa au passage la théorie mathématique permettant d’utiliser ces règles et de faire les calculs nécessaires à la prédiction des trajectoires en ne connaissant que la position et la vitesse initiales, le calcul différentiel ! Il remplaça ainsi des dizaines de catalogues de centaines de pages par deux petites formules (et un cours de calcul différentiel, d’accord !) Certes, ces formules redonnaient exactement les trajectoires décrites dans ces catalogues, on peut donc se demander si un tel développement mathématique était nécessaire. Très nettement oui. En effet, cette théorie offrait une explication unifiée et profonde d’un immense pan de la physique, car si on cherche toujours à comprendre la nature profonde de la gravitation, on sait qu’elle régit le mouvement de tous les corps en chute libre, quelle que soit leur nature. Ensuite, la possibilité d’appliquer ces règles à tous les objets permettait de prédire la trajectoire de tout nouvel objet : une nouvelle planète ou comète étant aperçue, il suffisait avec quelques observations de déterminer une position et une vitesse pour pouvoir prédire toute sa trajectoire future. Le plus spectaculaire exemple est sans doute la découverte de Neptune par le calcul, avant son observation au télescope ! Urbain Le Verrier observa des anomalies dans l’ellipse que devait parcourir Saturne autour du Soleil si l’on se fiait au calcul par les lois de Newton. Il en déduisit qu’une autre masse devait attirer Saturne, et calcula à quel endroit elle devait se trouver. Sur ses indications, l’astronome Johan Gale pointa son télescope... et trouva Neptune ! Et ce sont les mêmes calculs qui donneront le temps de chute d’une pomme, d’un caillou, qui permettront de trouver la masse d’un objet en chute libre connaissant sa trajectoire, etc. Enfin, le calcul différentiel se révéla être une théorie extrêmement puissante, qui non seulement irrigua toute la physique, mais qui connut et connaît toujours un développement interne aux mathématiques extraordinaire, permettant de faire aussi bien de la géométrie que de la théorie des nombres.
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De même, vers la fin du XVIIIe siècle, les phénomènes magnétiques et les phénomènes électriques semblaient appartenir à deux mondes différents. Chacun de ces domaines disposait donc de son catalogue de pages descriptives. Ce fut Faraday puis Maxwell qui comprirent que tous deux découlaient du mouvement de particules dotées de charges électriques, magnétisme et électricité n’étant que deux aspects d’une même réalité, dépendant d’ailleurs essentiellement de l’observateur. Ils inventèrent ainsi l’électromagnétisme. Dans les deux cas, il fut acquis une compréhension beaucoup plus profonde de ces phénomènes et une grande possibilité de prédiction des résultats d’expériences. Mais en plus, cela permit également de découvrir de nouveaux phénomènes comme la propagation des ondes électromagnétiques et la nature de la lumière ! On comprend donc la volonté des physiciens de réunir dans d’uniques modèles théoriques le plus grand nombre de phénomènes possible. Après la gravitation et l’électromagnétisme, le XXe siècle vit la découverte de deux autres interactions, l’interaction faible, régissant la désintégration radioactive de certaines particules, et l’interaction forte, expliquant la cohésion du noyau des atomes. Les physiciens ont réussi à unifier l’électromagnétisme et l’interaction faible ; l’association complète de l’interaction forte soulève encore de nombreuses difficultés. Le modèle théorique décrivant ces trois forces représente le modèle standard de la physique quantique, théorie qui traite du monde microscopique des particules. Mais le plus grand défi actuel, nous l’avons déjà dit, c’est l’unification de la gravitation et de la physique quantique.
6.3
La géométrisation de la physique
Nous avons vu qu’il était fascinant d’étudier les « liens » entre la géométrie (différentielle) et la physique, et plus précisément de comprendre quels objets et concepts physiques peuvent être décrits et modélisés par des objet géométriques. Pourrait-on montrer que tous les modèles physiques de mouvements de particules, de champ de gravitation, de champ électromagnétique, se ramènent à des modèles purement géométriques ? Peut-on montrer que tous ces objets ne sont que des manifestations de la géométrie de l’espace-temps, vu comme une variété pseudo-riemannienne ? En fait, toute la physique, dans la mesure où elle s’écrit avec des mathématiques, est forcément déjà un peu géométrique, puisque l’on parle de trajectoire, de forces et de champs qui sont des vecteurs et des « grandeurs » attachés à chaque point d’un espace géométrique. Mais il s’agit ici d’envisager d’aller plus loin.
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L’idée serait de montrer que les objets physiques ne sont que des manifestations de la géométrie de l’espace-temps, celui-ci étant considéré comme la donnée fondamentale et vu comme une variété différentielle. La différence est subtile mais amène à un autre regard qui permet d’aborder les choses différemment. Cette idée fut lancée autour de 1920 par quelques mathématiciens et physiciens (Weyl, Nordstrom, Kaluza, Klein, et Einstein lui-même), après la publication de la relativité générale, avec l’espoir d’obtenir une unification de la gravitation et de l’électromagnétisme. Signalons d’ailleurs qu’Einstein n’était pas satisfait de la partie physique de son équation Gμν = Tμν , car si la partie géométrique décrite par la courbure Gμν est clairement définie, la partie physique décrite par le terme Tμν est plus délicate à maîtriser, car c’est là qu’il faut chercher des modèles physiques pertinents, et c’est là qu’il y a donc le plus de débats, puisqu’il faut confronter ces modèles aux observations. Il est évidemment particulièrement difficile pour les physiciens de valider des modèles d’étoiles, d’étoiles à neutrons ou de trous noirs, ceux-ci étant par nature difficile d’accès pour vérification ! 6.4
L’unification de la gravitation et de l’électromagnétisme
En 1920, seules la gravitation et l’électromagnétisme étaient connues. Il était donc naturel, après la parution de la relativité générale, de tenter d’unifier ces deux interactions. Elles présentent de plus de nombreuses similitudes : action à longue distance, décroissance de la force associée comme l’inverse de la distance au carré, existence de quantités associées à chaque corps (masse ou charge), etc. Nous l’avons vu, la relativité générale donne une description géométrique de la gravitation. Einstein fut donc tenté d’inclure l’électromagnétisme dans cette vision géométrique comme étant elle aussi une déformation de l’espace-temps. Il comprit immédiatement après la publication de son travail sur la relativité générale l’importance d’une telle unification, et y consacra le reste de sa vie... sans succès. (Pourtant, ses idées et sa démarche souvent raillées entre 1930 et sa mort en 1955 par les physiciens lancés à la conquête de la physique quantique, furent reprises par ces mêmes physiciens à partir de 1970 dans la théorie des cordes !) Nous avons vu que la relativité générale utilisait en quelque sorte la géométrie la plus économique possible, une variété et une métrique. Pour y inclure l’électromagnétisme, il fallait donc enrichir la géométrie. La première tentative est due à Hermann Weyl, un des plus grands mathématiciens du XXe siècle, en 1919. En gros, son idée était de mettre sur la variété
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espace-temps, de dimension 4, deux métriques, une pour mesurer les pseudolongueurs associées à la gravitation, une autre pour celles associées à l’électromagnétisme. L’idée était remarquable sur le plan mathématique, mais elle se heurta malheureusement à des obstructions physiques immédiates de la part d’Einstein lui-même (la mécanique quantique commençait à s’affirmer). Elle fut donc abandonnée. Pourtant, les idées de Weyl furent réutilisées 30 ans plus tard pour l’unification des forces nucléaires ; ces idées sont regroupées dans ce qu’on appelle les théories de jauges. D’où l’importance de laisser le temps à la recherche fondamentale ! L’autre tentative, très spectaculaire a priori, fut lancée par Kaluza et Klein, en 1922. L’idée géniale était d’imaginer que l’espace-temps n’était pas de dimension 4, mais de dimension 5. Autrement dit, l’espace-temps dans lequel nous vivons serait en fait une variété de dimension 5. La « cinquième » dimension n’est pas perçue par les êtres humains car elle est « très petite » et fermée sur elle-même. En chaque point de l’espace-temps classique de dimension 4 que vous percevez, il y a une petite boucle microscopique offrant un degré de liberté supplémentaire aux particules. C’est le mouvement le long de ces boucles qui serait responsable des phénomènes électromagnétiques. Si là aussi ce genre de géométrie semble difficile à appréhender intuitivement, c’est la grande force des mathématiques que de permettre d’en donner sans difficulté particulière une description simple et parfaitement manipulable. Les mathématiques sont ainsi devenues les microscopes ou les télescopes avec lesquels les physiciens scrutent le monde réel ! Par ailleurs, comme nous l’avons dit déjà dans ce texte, prétendre que l’univers n’a que 3 ou 4 dimensions est un postulat très fort, reposant sur des préjugés heuristiques, épistémologiques, voire philosophiques. Il n’est peut-être dû qu’aux limitations de nos sens humains. Toujours est-il que cette proposition d’espacetemps de dimension 5, qui souleva immédiatement l’enthousiasme d’Einstein, et dont les premiers résultats semblaient très prometteurs, se heurta elle aussi rapidement à des obstructions physiques, d’autant que la naissance de la mécanique quantique compliquait les phénomènes à inclure. La théorie de Kaluza-Klein, comme on l’appelle, fut donc elle aussi rejetée... pour ressurgir dans les années 1980 dans la théorie des cordes, qui envisage maintenant un espace-temps... de dimension 11 ! La théorie de Kaluza-Klein est toujours d’actualité, 100 ans après son invention. Bien qu’elle revête aujourd’hui diverses formes, son but est toujours, de marier dans un même cadre géométrique la gravitation et l’électromagnétisme. Certains de ses développements visent à y inclure les autres interactions de la physique. Elle est alors contrainte par l’obligation d’intégrer les phénomènes quantiques, qui se marient très mal avec la vision relativiste de l’espacetemps. Ainsi, de nombreux articles sur la théorie de Kaluza-Klein, en lien avec la
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théorie des cordes, paraissent chaque année... Utilisant des approches diverses et variées, comme une démarche plus liée à l’étude mathématique des variétés lorentziennes, ils apportent peut-être des petites pierres de plus aux nombreuses tentatives effectuées pour rassembler la physique au sein d’un cadre unifié. Souvent c’est l’accumulation d’un grand nombre de regards différents qui permet un jour de trouver le bon point de vue... Et surtout, cela développe de belles théories et des questions mathématiques et physiques magnifiques. C’est ce plaisir créatif qui compte dans la recherche. 6.5
L’espace-temps de Kaluza-Klein
L’idée de Kaluza et Klein pour inclure géométriquement l’électromagnétisme dans le modèle de la relativité générale est donc de considérer un espace-temps à 5 dimensions. Mais l’espace-temps classique à 4 dimensions que nous percevons doit se singulariser au sein de cet espace. Prendre une variété quelconque à 5 dimensions ne permet pas cette distinction. Là encore, les mathématiques offrent des possibilités géométriques permettant de répondre à cette double exigence, un espace à 5 dimensions, dans lequel se distingue un espace-temps à 4 dimensions. Il s’agit de la structure de variété fibrée, une construction mathématique faite à partir de deux variétés. On « attache » une copie de l’une des deux variétés, appelée la fibre, en chaque point de l’autre, appelée la base.
F IGURE 6.1. Schéma de la définition d’une variété fibrée. Voir l’annexe.
Si visualiser cette construction semble difficile en 5 dimensions, on peut en donner un exemple très simple et pourtant rigoureux en 2 dimensions. Considérez une droite et un cercle. Ce sont deux variétés de dimension 1. Si vous attachez un cercle en chaque point de la droite, vous obtenez un cylindre ! De même, si vous prenez deux cercles, attachant une copie du deuxième cercle en chaque point du premier, vous obtenez un tore. Construits ainsi, une droite se singularisera dans le cylindre, et un cercle dans le tore.
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F IGURE 6.2. Un cylindre et un tore vus comme variétés fibrées. La variété de base, en rose sur ces schémas, se singularise dans la variété totale. La fibre type est en rouge.
Ces exemples expliquent aussi pourquoi, dans le modèle d’espace-temps à 5 dimensions de Kaluza-Klein, nous ne percevons pas la cinquième dimension. En effet, si l’on suppose que les cercles (les fibres) que l’on attache sont minuscules, et que l’on regarde d’assez loin, le cylindre sera perçu comme une droite à une dimension, et le tore comme un cercle à une dimension. Pour construire l’espace-temps de Kaluza-Klein, on attache un cercle (très petit) en chaque point d’un espace-temps classique à 4 dimensions. Ce cercle, en offrant une dimension supplémentaire, c’est-à-dire un degré de liberté supplémentaire, permet de définir géométriquement un potentiel électromagnétique, objet classique de la théorie de Maxwell. On obtient alors un cadre géométrique unifié pour la gravitation et l’électromagnétisme.
F IGURE 6.3. L’idée de Kaluza et Klein, pour unir la gravité et l’électromagnétisme, est « d’attacher » un cercle (une variété de dimension 1) en chaque point de l’espace-temps. Aujourd’hui, la théorie des cordes, qui tente d’unir la relativité générale et la physique quantique, attache en chaque point de l’espace temps des variétés (dites de Calabi-Yau) de diverses dimensions, de 6 à 22 ! Voir l’annexe.
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6.6
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Réalité des dimensions supplémentaires
Avec l’espace-temps de Kaluza-Klein, on rentre dans le domaine des théories spéculatives, très en vogue aujourd’hui. Comment considérer les dimensions supplémentaires de l’espace-temps ? Je pense que l’on peut adopter deux points de vue. Un, spéculatif et rêveur, l’autre plus pragmatique. On retrouve d’ailleurs ainsi les débats qui ont eu lieu, et existent encore, autour de l’interprétation de la mécanique quantique. Du côté spéculatif et rêveur, on peut éventuellement dire qu’une « dimension » a une certaine réalité si on peut s’y déplacer. Ainsi, bien qu’elle nous semble particulière, on peut se « déplacer » dans le temps : on sait y avancer à différentes « vitesses » grâce au « paradoxe » des jumeaux (au moins à l’aide de particules...). On peut considérer qu’un modèle d’univers à plus de 4 dimensions ne sera pertinent que si on arrive effectivement, selon un mode opératoire à définir, à se déplacer dans ces dimensions supplémentaires. Mais on peut adopter une démarche plus pragmatique, en considérant qu’un modèle à plus de 5 dimensions est pertinent dès lors qu’il permet de rendre compte des observations et des expériences physiques, sans forcément définir pour l’observateur humain un accès aux dimensions supplémentaires. Les « dimensions » supplémentaires, éventuellement fictives d’un point de vue épistémologique, seraient justifiées par l’efficacité du modèle. Il est ainsi intéressant de noter que Roger Penrose s’oppose dans plusieurs de ses écrits à « l’existence » de dimensions au-delà de 4. Pourtant, il a lui-même développé un modèle pour tenter d’unifier relativité générale et mécanique quantique, qui repose grossomodo sur une structure de variété fibrée de l’espace-temps. Il s’agit de sa théorie des twisteurs, qui, très grossièrement, considère un espace-temps de dimension 4 en chaque point duquel est attaché (selon les principes des variétés fibrées dont nous avons parlé) une sphère de Riemann, variété de dimension 2 (cette description des twisteurs est très approximative, les spécialistes me pardonneront). Ainsi, le modèle de Penrose est une variété de dimension 6, bien qu’il défende l’idée d’un espace-temps de dimension 4... En fait, cette discussion souligne le risque qu’il y a à confondre modèle et réalité. Considérons en effet la construction mathématique des nombres réels. Leur nom en révèle déjà l’ambiguïté. Les nombres réels complètent l’ensemble des nombres rationnels, les fractions de nombres entiers, avec des nombres comme √ 2. Ces nombres, irrationnels, peuvent être approchés√autant qu’on le veut par des fractions, sans jamais être atteints ! Le nombre 2 a-t-il alors une « réalité » ? Les nombres réels sont pourtant indispensables au calcul différentiel, √ qui lui-même est incontournable en physique. Notons plus simplement que 2, c’est la longueur de la diagonale d’un carré de côté 1 ! La légende veut que les
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√ Pythagoriciens, lorsqu’ils découvrirent l’irrationalité de 2, menacèrent de mort toute personne qui l’aurait révélée hors de leur cercle. Si l’on rajoute à cela les nombres imaginaires, indispensables en mécanique quantique... Nous laissons le soin à la lectrice et au lecteur de se faire la propre opinion...
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7 Quelques réflexions sur les mathématiques, la physique, et la vulgarisation 7.1
Du plaisir de faire des mathématiques
Nous voulons proposer ici très rapidement un point de vue décrivant le plaisir qu’il y a à faire des mathématiques, et quelques idées sur ce que sont (peut-être) les mathématiques. Ce point de vue est personnel, et bien qu’issu de conversations avec plusieurs collègues chercheurs et de diverses lectures, il ne reflète que celui de l’auteur. Il y a déjà un plaisir à manipuler ces objets étranges que sont les objets mathématiques. S’ils paraissent très abstraits à certains, le premier plaisir est de se les approprier en leur donnant une certaine « réalité » à force de les étudier et de les manipuler. Savoir si les objets mathématiques sont inventés par l’homme ou s’ils préexistent à leur découverte par les chercheurs est l’objet d’une abondante littérature. Pour être rapide, disons qu’une position intermédiaire et intéressante est celle disant que le fonctionnement des objets mathématiques est lié au fonctionnement de notre cerveau et de nos modes de perception. Ainsi, la notion d’ensemble mathématiques comme collection d’objets vérifiant une même propriété correspond à la notion de « concept » nous permettant de parler de différents objets sans les identifier précisément... Si l’on vous parle de clefs posées sur une table, et qu’on vous envoie les chercher en vous disant qu’elle sont dans un
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salon, bien que n’ayant jamais vu ces clefs et cette table, vous identifierez sans problème le salon, la table et les clefs. Certains neurobiologistes ont mis en évidence d’autres ressemblances plus profondes ; ainsi on pourrait imaginer que certains objets mathématiques existent dans notre cerveau, même si d’autres sont ensuite inventés par les chercheurs à partir de ceux-ci. En général, les mathématiciens reconnaissent que lorsqu’ils font des mathématiques, ils donnent une certaine réalité aux objets avec lesquels ils travaillent. Il y a donc ainsi un vrai plaisir à manipuler des objets qu’a priori on a du mal à visualiser, à concevoir. Il y a aussi du plaisir à apprendre à les maîtriser, en les utilisant pour résoudre des problèmes ou en résolvant des problèmes que l’on se pose sur eux. Ainsi le mathématicien est à la fois peintre surréaliste et joueur d’échecs. Peintre surréaliste, car il crée, parfois par pur plaisir esthétique, des objets abstraits. Il devient ensuite joueur d’échecs lorsqu’il cherche à résoudre les questions qu’il se pose sur les objets qu’il vient de créer. Mais la démarche se fait aussi dans l’autre sens, lorsque pour résoudre certains problèmes, le chercheur crée de nouveaux objets devenant alors des outils l’aidant dans son exploration. Ces outils peuvent ensuite à leur tour devenir des objets d’étude et ainsi de suite. C’est le cas des espaces fonctionnels et des méthodes variationnelles, objets qui étendent à des espaces assez abstraits de fonctions des notions plus concrètes de géométrie. Faisons, pour terminer ce paragraphe, une petite remarque au sujet d’un reproche souvent fait aux mathématiques, c’est-à-dire d’être trop abstraites, contrairement à la physique qui, soi-disant, s’intéresse à des objets très concrets. Parlons des objets de la physique d’aujourd’hui : êtes-vous capables de concevoir que notre univers est un espace à 4 dimensions que la matière courbe, espace soit infini soit fini mais sans bord, dans lequel existent des objets, les trous noirs, au voisinage duquel le temps perçu par un observateur distant ralentit indéfiniment ? De l’autre côté, êtes-vous capables de concevoir que les constituants de la matière, comme l’électron, sont des objets qui ne sont ni vraiment des particules, ni vraiment des ondes, mais un peu des deux, qui ne sont jamais vraiment localisés, et que l’on n’étudie qu’à travers des probabilités ? Aujourd’hui, la théorie des cordes, qui tente d’unifier la physique quantique des particules et la relativité générale traitant de la gravité, conçoit que notre univers a 11 dimensions, certaines de ces dimensions étant très « petites » et « fermées », et que les constituants de notre univers sont des sortes de cordes vibrantes... Certains objets mathématiques apparaissent beaucoup plus concrets ! En fait aujourd’hui, la recherche physique porte sur des objets tels qu’ils rendent impossible une perception sensorielle directe ou même simplement aidée par la technologie. La physique a finalement rapporté ses objets d’étude à des images mathématiques, ou, vues autrement, les mathématiques sont devenues les microscopes
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ou les télescopes avec lesquels les physiciens scrutent le monde réel. Enfin, il faut absolument comprendre que jamais les mathématiques ne se fixent l’abstraction comme un but en soi, les objets abstraits n’apparaissent que lorsqu’ils permettent une meilleure compréhension d’un problème en offrant un point de vue plus global.
7.2
De l’élégance de la relativité générale
Nous voulons insister encore une fois sur l’élégance de l’axiomatique de la relativité générale. Une fois acquis les outils de la géométrie riemannienne, les postulats de la relativité sont très simples : une variété avec une métrique de Lorentz, des objets libres suivant les géodésiques, et une équation reliant courbure et contenu en masse-énergie. La théorie de la relativité générale supprime les défauts majeurs de la théorie newtonienne comme l’action instantanée à distance. De plus elle avance d’un pas important dans la compréhension de ce qu’est la gravitation. Si elle n’explique pas pourquoi la matière déforme l’espace-temps, elle explique en revanche que la gravitation n’est que l’effet de cette déformation sur les trajectoires naturelles des objets libres. La gravitation n’apparaît plus comme une force « magique » entre les objets. Cette élégance est probablement la raison de l’attirance des mathématiciens pour cette théorie, car elle ne nécessite pas l’acquisition d’une connaissance de nombreux résultats expérimentaux pour en aborder les aspects fondamentaux, au moins au niveau théorique. De plus la relativité générale offre de nombreuses questions défiant les mathématiciens. Par exemple, pour retrouver une notion classique de causalité en relativité générale, il fallait se poser le problème suivant : connaissant un espace à trois dimensions, que l’on peut considérer être l’espace à un moment donné, et connaissant certaines conditions initiales, peut-on déterminer la forme de l’espace-temps autour de cette tranche spatiale, et donc en déterminer l’évolution ? La mathématicienne Yvonne Choquet-Bruhat a montré de nombreux théorèmes, dits théorèmes de Cauchy, particulièrement délicats, répondant à cette question. Ces théorèmes se sont avérés être des problèmes difficiles de géométrie différentielle, qui ont donné lieu à de nombreux développements de cette branche des mathématiques. Un autre exemple est la conjecture de la masse positive. La définition précise de la masse d’un objet astronomique est difficile en relativité générale, car on travaille dans l’espace-temps. En effet, on cherche à définir la masse d’un système isolé, c’est-à-dire un système physique confiné dans une portion bornée
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d’espace. Mais un tel système dans l’espace-temps est représenté par un « tube » d’univers, c’est-à-dire l’ensemble des lignes d’univers de chacune des particules qui le compose. Comment alors « découper » ce tube pour définir sans ambiguïté le système et évaluer sa masse ? Il faudrait définir une « tranche » spatiale dans laquelle comptabiliser la matière. Or, nous l’avons vu, il n’y a pas en relativité de manière absolue de définir une telle tranche spatiale. Obtenir une définition précise de la masse devient ainsi un problème géométrique difficile. Une des définitions proposées, appelée masse ADM, semble ainsi pertinente sur un plan physique. Mais pour certains cas où on souhaiterait appliquer cette méthode de calcul de la masse, il n’est pas évident que le résultat obtenu soit positif ! Démontrer que cette définition de la masse conduit toujours à une masse positive est un problème difficile, qui n’est pas complètement résolu, et qui est toujours étudié par les meilleurs spécialistes de géométrie différentielle...
7.3
L’univers sans foi ni loi
Le postulat fondamental sur lequel s’appuie toute la recherche en physique théorique, c’est que la nature obéit à des lois, et qu’on peut les trouver. Einstein disait : « le plus incompréhensible au sujet de l’univers, c’est qu’il soit compréhensible ». Ainsi, au départ de toutes les théories physiques actuelles, il y a des « principes » : « la nature doit se comporter comme ceci et comme cela » ; ce sont des postulats. Par exemple : la vitesse de la lumière est constante, les corps soumis à la gravitation tombent tous de la même façon, etc. Puis, on pense pouvoir trouver des lois auxquelles l’univers doit obéir. Ces lois doivent s’appliquer partout, à chaque nouvelle expérience effectuée, pour pouvoir en prédire le résultat. Si le résultat contredit la prédiction, c’est qu’on n’a pas trouvé la bonne loi, mais qu’on doit donc en trouver une autre. Ce principe de l’existence de lois est quand même sujet à questionnement. Pourquoi devrait-il y avoir des lois, n’est-ce-pas un abus anthropomorphique ? N’est-il pas plus raisonnable de penser que la nature n’obéit à aucune loi ? N’estil pas raisonnable de penser que ce que nous appelons des lois, ne sont que le constat de certaines « régularités » dans le monde physique qui nous entoure ? Ainsi, les postulats mathématiques sur lesquels se développent ensuite, grâce aux mathématiques, les théories physiques ne seraient que l’expression de ces régularités. Si l’on considère l’aspect géométrique de l’univers, cela revient à dire que la géométrie d’un petit morceau d’espace-temps nous entourant détermine la géométrie sur un domaine beaucoup plus grand. Les théorèmes d’Yvonne Choquet-Bruhat dont nous avons parlé au paragraphe précédent démontrent effectivement cela : sous certaines hypothèses, la connaissance de la géométrie de
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la variété sur un petit voisinage d’un point impose la forme géométrique sur toute la variété, ou du moins sur un plus grand morceau de celle-ci. Autrement dit, ce que les physiciens appellent des lois ne seraient que des théorèmes de géométrie, issus de postulats choisis à partir de l’expérience. Cela ne change pas grand-chose peut-on dire, car l’essentiel est d’avoir le pouvoir prédictif des théories physiques. Néanmoins, cela peut parfois permettre un regard un peu différent sur les choses. Ce regard peut suggérer, en s’affranchissant de certaines contraintes physiques, une approche mathématique plus libre de certains problèmes, par exemple les théories de Kaluza-Klein. Régulièrement, les physiciens sont obligés de reprendre leur travail, car un modèle n’apparaît plus correct. Il faut pourtant des trésors d’astuce et d’intelligence pour tirer d’un tas d’observations expérimentales des modèles généraux, mais ces efforts peuvent être ruinés instantanément. Ces modèles sont toujours provisoires, attendant une expérience pour les remettre en question. Un théorème mathématique, lui, une fois vérifié, restera à jamais vrai. C’est pourquoi il est pour certains beaucoup plus confortable d’être mathématicien... Le mathématicien provocateur considère parfois qu’en physique, il n’y a qu’une seule chose qui marche bien, ce sont les mathématiques ! Mais, bien que le propos de ce livre ait souvent été de présenter la relativité comme des mathématiques, la démarche du physicien implique parfois de s’éloigner des mathématiques. Il lui faut concevoir des vérifications expérimentales et tenir compte des résultats et des observations. Il lui faut rassembler ces résultats pour constituer des modèles, qui, ensuite, s’exprimeront grâce aux mathématiques. Le mathématicien n’a pas ces contraintes expérimentales : il doit au contraire s’éloigner des origines physiques de sa théorie pour développer et étudier les structures et les objets utilisés, et éventuellement en créer d’autres. À l’issue de ces développements, une nouvelle rencontre avec la physique aura peut-être lieu, qui provoquera des progrès aussi bien en physique qu’en mathématiques. L’objectif de ce texte est donc de convaincre la lectrice et le lecteur que les mathématiques et la physique sont des partenaires distincts mais indissociables, dont l’union fait la force...
7.4
De l’intérêt de la recherche fondamentale
Très souvent, on demande à celui qui fait des mathématiques, « à quoi ça sert ? » Curieusement, on ne pose pas cette question à celui qui fait de la peinture, de la musique, de l’histoire ou de la littérature ! Peut-être parce que beaucoup ont eu l’impression qu’on les faisait souffrir avec les mathématiques à l’école... Le
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simple fait que les mathématiques procurent un plaisir intellectuel à certains devrait suffire à les justifier. Mais reconnaissons que c’est une réponse un peu courte. Tout le monde sait que les mathématiques interviennent dans de nombreux domaines comme la physique en particulier, mais aussi la biologie et l’informatique, ou même, de manière moins désintéressée, l’économie. Il semble donc que la question porte sur le fait de faire des mathématiques dites « pures », c’est-à-dire qui ne s’intéressent pas aux applications possibles. À partir du moment où l’homme a cherché à compter et à mesurer les objets qui l’entourent, on peut dire qu’il a commencé à faire des maths. Historiquement donc, il est raisonnable de dire que toutes les branches des mathématiques furent à l’origine stimulées par des problèmes pratiques, comptables pour l’arithmétique, agricoles pour la géométrie, physiques pour l’analyse. La physique s’est, dès l’origine et jusqu’à aujourd’hui, imposée comme la plus grande source de développement des mathématiques : l’astronomie dès l’Antiquité, l’étude du mouvement pour l’analyse, en particulier le calcul différentiel dont nous avons parlé, à la Renaissance, et encore aujourd’hui pour de nombreux domaines. Mais une fois créées les théories mathématiques pour résoudre ces problèmes physiques, certains chercheurs développent ces théories par pure curiosité intellectuelle. Ils posent de nouvelles questions purement mathématiques au sujet des objets créés pour les physiciens, développent de nouvelles théories pour y répondre, cela en créant de nouveaux objets mathématiques, qui deviennent à leur tour des sujets d’étude et de problèmes, et ainsi de suite. Ce processus de développement interne des mathématiques est extraordinairement prolifique. Ainsi, nous l’avons déjà dit, sans même parler des mathématiques appliquées, il y a eu plus de théorèmes démontrés et donc d’objets et de théories mathématiques créés au XXe siècle que dans toute l’histoire précédente. Mais le plus extraordinaire c’est qu’inversement, des théories et des objets mathématiques deviennent, après un long développement purement mathématique et sans volonté d’application, une source d’inspiration pour les physiciens qui y puisent des concepts et des méthodes leur permettant de progresser dans leur description du monde réel. L’exemple le plus célèbre est celui de la relativité générale d’Einstein, qui a utilisé des outils mathématiques développés 50 ans auparavant pour résoudre des problèmes purement mathématiques. Cela est encore arrivé après avec la physique quantique et continue de se produire aujourd’hui au niveau le plus élevé de ce qu’on appelle d’ailleurs la physique mathématique. On en est arrivé en fait à de véritables allers-retours entre les maths et la physique, chacune étant source de questions comme d’inspiration pour l’autre. Ainsi, bien que cela ne l’explique pas, l’histoire prouve qu’il y a un intérêt à faire des mathématiques pures. Néanmoins, il est vrai que l’utilisation de
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certaines théories mathématiques « pures » peut intervenir très longtemps après leur création, voire même jamais. Faut-il alors ne faire que des mathématiques qui ont au moins une chance d’être un jour « utiles » ? Ce serait une grave erreur. D’abord parce qu’il est très difficile et souvent impossible de savoir si une théorie va trouver un jour une application. Ensuite parce qu’une théorie sans application peut permettre, en suggérant de nouvelles méthodes, de progresser dans une autre théorie. C’est là d’ailleurs un point fondamental à comprendre au sujet des mathématiques : elles semblent sectorisées en différentes branches (algèbre, analyse, géométrie, topologie, etc.) mais en fait elles forment un tout, chaque domaine étant nécessaire au développement et à la compréhension des autres. On peut dire en fait que bien souvent la recherche fondamentale consiste à chercher petit à petit, à travers l’étude de problèmes localisés, une meilleure compréhension globale. Enfin, que l’on croit que les mathématiques sont inventées ou découvertes, il y a dans le travail de recherche de l’imprévu et des découvertes inattendues. Ainsi, pour prendre un exemple simple, imaginons qu’un chercheur veuille prouver qu’une certaine équation différentielle a une solution parce qu’au départ il a de bonnes raisons de penser qu’il en existe effectivement. Il se peut très bien qu’en tentant de démontrer cette existence, il découvre en fait qu’il n’en existe pas, c’est-à-dire qu’il démontre précisément qu’il n’existe pas de solutions à son équation. Suivant la nature du problème, ce résultat a priori négatif peut en fait amener de nouvelles questions et déboucher sur de nouveaux théorèmes aux quels le chercheur ne pensait pas au départ. Cette situation est fréquente et a effectivement débouché sur de grandes théories. Cette part d’« imprévu » est un côté fascinant des mathématiques. La conclusion est qu’il est très difficile de fixer des objectifs à la recherche fondamentale, contrairement à ce que croient les « politiques » qui sont trop souvent complètement ignorants de ce qu’est la démarche scientifique. Bien sûr, les chercheurs se fixent des objectifs, mais il faut pouvoir s’en écarter pour faire parfois de grandes découvertes. Imposer un carcan et des objectifs d’applications à la recherche fera à coup sûr passer à côté de très nombreux résultats, l’histoire et un peu de réflexion sur le fonctionnement de la recherche le prouvent. De nombreux exemples montrent en effet que la recherche fondamentale aboutit souvent à des applications inattendues et pourtant importantes : le laser est issu des travaux de recherche fondamentale sur l’interaction lumière-matière. La découverte de la pénicilline a été complètement fortuite. Les mathématiques offrent également de nombreux exemples de découvertes inattendues, ou dont la portée dépasse de loin les objectifs initiaux. Par exemple, le problème de Yamabe concerne un problème d’existence de métriques aux propriétés de courbure particulières sur certaines variétés. Yamabe
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annonça dans un article, paru dans les années 1960, l’avoir résolu. Mais on découvrit quelques temps plus tard une erreur dans son argument. Il fallu près de 30 ans d’efforts de plusieurs mathématiciens pour parvenir à prouver effectivement le résultat annoncé par Yamabe, ceci en mettant au point des méthodes allant bien au-delà des techniques qu’il avait utilisé dans son article. Plus célèbre, le grand théorème de Fermat : le mathématicien toulousain Pierre de Fermat annonça dans une petite note en marge d’un de ses cahiers avoir prouvé que l’équation xn + yn = zn ne pouvait avoir de solution en nombres entiers dès que n ≥ 3. Il fallut 350 ans et les efforts de centaines de mathématiciens pour qu’en 1997, après 7 ans de travail acharné, dans un isolement quasi complet, Andrew Wiles, mathématicien anglais, finisse par apporter la preuve de cet énoncé, en développant des méthodes, des outils et des objets, dont la portée dépasse de très loin l’intérêt du théorème annoncé par Fermat. Dans un ordre d’idée similaire, Poincaré proposa en 1907 une conjecture de géométrie portant sur une propriété de la sphère de dimension 3. Pendant 100 ans, les mathématiciens tentèrent de démontrer cette conjecture en utilisant les méthodes du domaine mathématique auquel elle appartient, la topologie algébrique. Grigori Perelman, mathématicien russe s’étant totalement coupé pendant 8 ans de la communauté scientifique, apporta la preuve de la conjecture de Poincaré en ressortant les travaux du mathématicien anglais Hamilton, travaux abandonnés car n’ayant pas obtenu de succès, et considérés trop éloignés du domaine de la topologie algébrique. Les méthodes de Hamilton et Perelman appartiennent à une branche d’analyse « dure », les équations aux dérivées partielles sur les variétés. Il est fort peu probable qu’un organisme d’orientation de la recherche aurait pu parier sur le succès de ces méthodes. Et pourtant, ces méthodes en apparence très éloignées du problème de Poincaré, finirent par permettre à Perelman de démontrer un résultat beaucoup plus général que la conjecture de Poincaré, dont celui-ci n’est qu’un corollaire. Mais surtout, comme pour le théorème de Fermat, les méthodes développées par Hamilton et Perelman ont une portée et des applications qui dépassent de très loin leur utilité pour prouver le résultat initialement cherché. Les méthodes de Wiles et Perelman sont aujourd’hui appliquées à la résolution de nombreux problèmes difficiles et se développent dans de nombreux domaines des mathématiques éloignés de leur champ d’application originel. Enfin, les grandes avancées réalisées par les plus grands chercheurs s’appuient bien souvent sur les travaux de nombreux autres. La prouesse consiste souvent à tirer d’une multitude de résultats une vision globale et unificatrice, qui permet de faire de grands progrès. C’est souvent alors que la recherche fondamentale finit par trouver des applications.
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Ainsi, ce que les gouvernements actuels n’ont pas compris, c’est que pour que la science avance, il faut beaucoup de chercheurs, et des chercheurs qui soient libres, même si cela coûte cher. Un pays qui se prive de recherche fondamentale est à coup sûr un pays en voie de sous-développement. Cela risque d’être bientôt le cas des pays d’Europe et des Etats-Unis. Pasteur, qui s’y connaissait en recherche appliquée, disait « il n’y a pas de recherche appliquée, il n’y a que des applications de la recherche fondamentale ».
7.5
Des mathématiques et de la vulgarisation
Terminons par quelques remarques plus précises (et très personnelles) sur les mathématiques et leur vulgarisation dans les textes parlant de physique. Les mathématiques sont une partie majeure de la culture et du développement de la connaissance humaine. Notre description du monde, en particulier par les sciences physiques, passe par les mathématiques. Pourtant, elles souffrent d’une image particulière et malheureusement essentiellement négative. En France, leur utilisation comme moyen de sélection scolaire, stupide et niant par là-même leur essence profonde, a écœuré plus d’un élève. Les soidisant intellectuels, ceux qui « écrivent dans les journaux » ou les membres de la classe politique, sont systématiquement très ignorants du fonctionnement des sciences ; de fait, intellectuel semble signifier « littéraire ou économiste », jamais scientifique. Apparemment les scientifiques n’utilisent pas leur intellect ? Du coup, les sciences, mathématiques et physique fondamentale, sont très souvent dénigrées par ces pseudo-intellectuels. Il n’y a qu’à relire les propos consternants de certains ministres de l’Éducation contestant l’utilité d’apprendre des mathématiques au lycée, ou prétendant qu’il n’y a plus besoin de mathématiciens. Il n’y a qu’à observer toute la presse pour constater la part dérisoire occupée en France par l’information scientifique (il est à noter, à l’opposé, le nombre très élevé d’émissions scientifiques de très grande qualité produites et diffusées par la BBC anglaise). Enfin, le ministère de la Culture traite de tout, sauf de science. Il est d’ailleurs édifiant de constater le nombre de « célébrités » déclarant avec une immense fierté leur nullité en maths. S’il n’y a aucune honte à n’avoir aucune affinité avec les maths, on ne peut que regretter de passer à côté d’une part aussi importante des connaissances. Se vanterait-on ainsi de ne pas savoir lire ou de détester la musique ? Pourtant, les mathématiques sont une part fondamentale de la culture humaine, une de ses plus immenses réalisations. Toute l’évolution scientifique et technologique de l’humanité s’est construite sur le développement des mathématiques. Ces brillants intellectuels qui écrivent leur mépris des mathématiques
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sur leur ordinateur en envoyant des SMS sur leur smart-phone sont incapables de comprendre que ces outils n’existent que grâce aux mathématiques et aux physiciens théoriciens qui s’en sont servi pour développer la science permettant à ces technologies d’émerger. Il serait donc grand temps de replacer la physique et les mathématiques au milieu du bagage culturel que doit posséder tout citoyen, au même titre que la musique ou la littérature. Si un ministère des Sciences a pour rôle de réfléchir sur l’enseignement des sciences, un ministère de la Culture devrait aussi se préoccuper du bagage culturel scientifique. Au-delà, les choix fondamentaux de société que doivent faire les citoyens aujourd’hui concernant l’écologie, pour le nucléaire par exemple, sont fondamentalement des choix scientifiques. Le minimum de connaissance nécessaire est en réalité assez élevé. Pourtant, le fossé se creuse de plus en plus entre les connaissances scientifiques actuelles et celles de la population. Il ne s’agit pas pour tout le monde de devenir scientifique de haut niveau, car l’investissement en temps et en effort est considérable, mais pour chacun d’acquérir un bagage minimum permettant de connaître à peu près l’état actuel des connaissances scientifiques, de pouvoir faire des choix citoyens sur les sujets les nécessitant, et surtout accepter d’avoir du respect et non de la défiance à l’égard de ce qui est un pan essentiel de l’activité humaine. Cela doit passer par l’apprentissage systématique à l’école de ce qu’est la démarche scientifique : la démarche scientifique, c’est savoir prendre le temps d’analyser en profondeur un problème, explorer diverses pistes, refuser le dogme, accepter l’erreur et la remise en question. C’est aussi l’acceptation de faits lorsqu’ils sont établis en respectant des critères de validation précis, propres à cette démarche. Et surtout, la science c’est prendre plaisir à comprendre, à explorer, jusqu’à découvrir ou obtenir le résultat recherché. En cela, elle est manifestement à l’opposé de la démarche politique ! La démarche scientifique m’apparaît pourtant fondamentale pour tout citoyen. Les mathématiques ne doivent pas effrayer. Au contraire, elles doivent être admirées comme une des plus belles réalisations humaines. Certes, il est difficile sans effort d’en percevoir toute la beauté et la magie. Mais on peut quand même, avec un peu de volonté et en abandonnant son appréhension ( issue bien souvent de la sélection scolaire), en apercevoir quelques aspects esthétiques et ludiques. On peut acquérir une certaine sympathie à leur égard, sans pour autant être obligé d’avoir envie d’en faire. Si vous savez compter aussi bien des pommes que des voitures, si vous faites la différence entre un ballon de plage et une bouée canard, vous faites déjà des mathématiques très abstraites, en l’occurrence de l’arithmétique et de la topologie. Et laissez-vous émerveiller par des formules pleine d’intégrales comme par un tableau abstrait. On pourra ainsi lire avec plaisir le livre de Cédric Villani, Théorème vivant.
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Concernant plus précisément les ouvrages de vulgarisation sur la physique, il est regrettable que leurs auteurs cherchent trop souvent à en exclure les mathématiques, de peur d’effrayer le lecteur. Pourtant, ce lecteur est a priori quelqu’un qui s’intéresse aux sciences. Or comme nous l’avons dit au début de ce texte, mathématiques et physique sont indissociables. Curieusement, quand certains auteurs parlent de la physique de Newton, ils n’hésitent pas à mettre quelques formules. Pourtant il s’agit bien de mathématiques, qui étaient à l’époque du plus haut niveau (le calcul différentiel a été inventé par Newton et Leibniz au même moment). Cependant, quand ils veulent parler de big-bang, de trous noirs, ou de particules, ils ne veulent surtout plus en mettre. Or les théories correspondantes (relativité et mécanique quantique) sont fondamentalement mathématiques, dans leur expression mais aussi dans les concepts sur lesquels elles s’appuient. Ne pas parler de mathématiques sur ces sujets, c’est en dissimuler une part essentielle. Même si cela complique le travail de vulgarisation, il faut dire clairement que des mathématiques sont fondamentalement présentes, à quoi elles ressemblent, l’époque à laquelle elles appartiennent (en l’occurrence la nôtre), pour faire comprendre que les mathématiques continuent à se développer en même temps que la physique, et qu’elles sont indissociables.
Dernières remarques sur les rapports entre mathématiques et physique 7.6
Le mathématicien Vladimir Arnold disait : « Les mathématiques sont la branche de la physique où les expériences ne coûtent pas cher. » J’ai envie envie de dire : « La physique est la branche des mathématiques où le matériel coûte cher. » Les mathématiques et la physique sont un vieux couple de géants. Leur histoire est indissociable. Quasiment toutes les branches des mathématiques ont pour origine historique, parfois lointaine, des questionnements physiques. Puis, ces théories se développent de manière interne aux mathématiques, par pur jeu intellectuel. Elles constituent alors des pans autonomes de la mathématique, qui peut s’affirmer comme une science indépendante, au moins depuis le début du XIX e siècle. Puis, miraculeusement ( ? ?), parfois fort longtemps après, les nouveaux objets mathématiques, développés de manière interne, offrent aux physiciens les concepts nécessaires au développement de nouvelles théories. On pense bien sûr à l’exemple de la géométrie riemannienne et de la relativité générale. Aujourd’hui, en 2018, et sans doute depuis 1970 et les premiers théorèmes de singularité de Penrose et Hawking, puis la théorie des cordes avec E. Witten,
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l’interdépendance et l’interpénétration des mathématiques et de la physique sont très fortes. Ces trois chercheurs, « officiellement » physiciens, sont des mathématiciens exceptionnels. C’est leur compréhension profonde des mathématiques du XXe siècle qui a permis leurs « découvertes » et la mise au point de leurs résultats physiques. Les mathématiques restent – et resteront pour longtemps – un outil fondamental d’exploration de notre univers physique et intellectuel. Pour conclure, nous citons un paragraphe d’un joli petit livre de R. Osserman, les mathématiques de l’univers : il parle de la danse complexe que semblent exécuter inlassablement ces deux partenaires que sont la physique et les mathématiques. Tantôt elles sont collées l’une à l’autre, presque indiscernables, tantôt elles tournoient en s’éloignant l’une de l’autre sans cesser de s’observer de loin avec attention.
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Images mathématiques des objets présentés
Cette annexe reprend un à un les objets mathématiques présentés dans ce livre pour exposer les fondements de la relativité générale, en donnant des explications plus détaillées. Bien que d’un niveau plus élevé, ces explications demeurent heuristiques ; il ne s’agit pas d’un cours de mathématiques. Il s’agit de montrer à quoi ressemble le langage et les symboles manipulés par les théoriciens de la géométrie différentielle et de la relativité générale. Ce sont des images des mathématiques de l’espace-temps ! Selon votre « bagage » mathématique, vous pouvez lire ou survoler cette annexe, pour admirer ces images comme des tableaux d’art abstrait... Elles sont suivies d’extraits de cours de niveau Master. Cela peut permettre à un lecteur curieux d’avoir une idée plus précise de l’aspect des mathématiques utilisées, et peut servir à un étudiant de motivation supplémentaire. Nous vous invitons donc à parcourir cette annexe pour voir les « vraies » mathématiques à l’œuvre derrière les explications que nous en avons donné dans ce livre.
A.1.1
Le produit scalaire
Nous pouvons donner une définition intuitive du produit scalaire :
− → → → → u .− v =(longueur de − u )×(longueur de − v) − → − → × (une fonction de l’angle entre u et v ).
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Mais en fait, mathématiquement, on définit un produit scalaire comme étant une fonction attribuant à chaque couple de vecteurs d’un espace vectoriel un nombre, et vérifiant certaines propriétés algébriques. Ce sont ensuite ces propriétés qui permettent de définir des (pseudo-)longueurs et des (pseudo-)angles. Dans un livre de mathématiques, cela ressemble à : Un produit scalaire sur un espace vectoriel E est une fonction p : E × → → → → E → R, (− u ,− v ) → − u .− v qui vérifie : → → → → — p est bilinéaire : pour tout λ, μ ∈ R, pout tout − u ,− v ,− w , (λ.− u + → → → → → → → → → → → → → μ− v ).− w = λ.− u .− w + μ− v .− w et − u .(λ.− v + μ− w ) = λ.− u .− v + μ− u .− w; − → − → − → − → — p est symétrique : u . v = v . u ; → → → → u tel que ∀− v, − u .− v = 0 est — p est non dégénérée : un vecteur − nécessairement le vecteur nul. − → − → On définit alors la norme, ou pseudo-longueur, d’un vecteur u par || u || = → → |− u .− u |.
→ → → u on a − u .− u > 0, on dit que le produit Si pour tout vecteur non nul − scalaire est euclidien. On définit alors l’angle θ entre deux vecteurs non nuls − → → u ,− v comme le nombre tel que : → → → → u .− v )/||− u ||.||− v || cos(θ ) = (− Un produit scalaire lorentzien est défini en imposant une condition algébrique supplémentaire à p . On définit alors l’angle hyperbolique θ entre deux → → u ,− v comme le nombre tel que : vecteurs de genre temps − → → → → u .− v )/||− u ||.||− v || cosh(θ ) = −(− où cosh est le cosinus hyperbolique. Comme beaucoup de concepts mathématiques modernes, la mise au point de la notion de produit scalaire a pris plusieurs siècles... Nous pouvons néanmoins donner une approche schématique des idées qui y menèrent, montrant ainsi la démarche que suivent les mathématiciens, démarches parfois moins rigoureuses qu’on pourrait le croire. Reprenons le schéma que nous avions vu pour définir un repère avec des vecteurs de base apparaissant orthogonaux au sens usuel.
F IGURE A. 1. Si les vecteurs de base ont l’air orthogonaux, on a envie d’appliquer le théorème de Pythagore pour calculer la distance OM.
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Puisqu’on veut mesurer les longueurs en utilisant les axes du repère défini → → → → u et − v , il est naturel de supposer que − u et − v reprépar O et les vecteurs − − → → v sont sentent des unités de mesure, et qu’il sont donc de longueur 1. Si u et − → u orthogonaux, M est un sommet du triangle rectangle défini par le vecteur x.− → v . Le théorème de Pythagore nous dit donc que partant de O suivi du vecteur y.− → → → → x = x.− u et − y = y.− v . Dans l’espace OM2 = x2 + y2 . Notons pour simplifier − −−→ − → − → vectoriel associé à l’espace des points, on a alors OM = x + y . Considérant le −−→ → → x 2+− y 2. théorème de Pythagore, on aimerait écrire OM2 = − Multiplier des vecteurs entre eux n’a a priori aucun sens, car que signifierait multiplier des déplacement entre eux ? Mais contrairement à ce qu’on pourrait croire, les mathématiciens faisant de la recherche s’autorisent parfois à écrire des choses fausses pour essayer de contourner certaines difficultés, ou pour tenter de sentir la nature profonde de certains objets qu’ils ont inventés. C’est ainsi par exemple que Bombieri, autour de 1650, écrivit des racines carrés de nombres négatifs pour tenter de trouver des formules de résolution des équations du troisième degré ; il inventa ainsi les fameux nombres complexes, qui constituent aujourd’hui l’ensemble de nombres le plus important de toutes les mathématiques ! Faisons donc « comme si » on pouvait multiplier des vecteurs entre eux, → → u et − v pouvaient s’additionner et se en faisant « comme si » les symboles − multiplier comme des nombres usuels. −−→ −−→ → → → → → → x +− y . Alors OM2 , c’est (− x +− y ).( − x +− y ). Le vecteur OM est la somme − Si l’on développe ce produit de manière classique, on obtient :
−−→ → → → → → → OM2 = (− x )2 + − x .− y +− y .− x + (− y )2 . → → x .− y Pour retrouver le théorème de Pythagore, il faudrait que les « produits » − − → − → − → − → − → 2 et y . x soient nuls lorsque x et y sont orthogonaux, et que ( x ) soit le carré → x. de la longueur de − Le produit scalaire est donc défini comme une manière de multiplier les vecteurs de telle sorte que multiplier un vecteur par lui-même donnera le carré de sa longueur, et multiplier deux vecteurs orthogonaux ensemble donnera zéro. A.1.2
Les variétés différentielles
Une variété est essentiellement définie par un espace géométrique sur lequel on postule l’existence de cartes, ce qui est assez simple. En revanche, pour y transposer le calcul différentiel classique de l’espace euclidien, il faut un axiome technique supplémentaire, la différentiabilité des applications de changements de cartes.
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La différentiabilité des changements de cartes est l’axiome fondamental qui permet de définir des objets intrinsèques sur une variété, c’est-à-dire des objets ne dépendant pas d’un choix particulier de coordonnées.
Dans un livre de mathématiques, cela ressemble à : Étant donné un entier n ≥ 1, une variété de dimension n est un espace topologique M vérifiant les propriétés suivantes : 1. M est un espace séparé (aussi appelé espace de Hausdorff ) : tout couple de points distincts de M possède des voisinages disjoints. 2. M a une base dénombrable d’ouverts : il existe une famille dénombrable (Uk )k∈N d’ensembles ouverts de M tels que tout ouvert de M est la réunion (éventuellement infinie) d’ensembles de cette famille. 3. Autour de chaque point de M , il existe un voisinage homéomorphe à un ouvert de R n . Une variété différentielle est une variété M équipée d’un atlas (Uk , Φk )1≤k≤K tel que pour toute intersection non vide Ui ∩ U j , l’application, appelée changement de cartes, 1 n n Φi ◦ Φ− j : Φ j (Ui ∩ U j ) ⊂ R −→ Φi (Ui ∩ U j ) ⊂ R
(A.1)
est différentiable (i.e. C ∞ ). Signalons que le terme anglais pour variété est manifold, ce qui n’est pas plus parlant... A.1.3
Les vecteurs tangents
Il faut définir les vecteurs tangents sans faire référence à un espace ambiant qui entourerait la variété. Pour faire cela, on regarde toutes les courbes qui passent par un point donné p. On regroupe dans une même famille toutes celles qui,
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vues dans une carte, passent selon la même direction et avec la même vitesse au point p ; chacune de ces familles représente un vecteur tangent en p. Grâce à l’axiome de changement de cartes de la définition d’une variété, cette définition ne dépend pas de la carte choisie, et donne donc bien un objet intrinsèque sur la variété. Cette procédure mathématique est extrêmement puissante et fréquente, c’est ce qu’on appelle définir une relation d’équivalence.
F IGURE A. 2. Vecteurs tangents comme vecteurs vitesse, dans un livre de maths... ...on dit que c ∼ γ si, dans toute carte (U, ϕ), on a ( ϕ ◦ c) (0) = ( ϕ ◦ γ ) (0)... La difficulté pour définir les vecteurs tangents sur une variété « abstraite » est qu’il ne faut pas faire référence à un espace ambiant dans lequel la variété serait dessinée. Il faut faire appel aux cartes et à une construction mathématique abstraite (une relation d’équivalence), qui ne fait intervenir que des objets « intrinsèques », comme l’ensemble des courbes passant par un point, dont on identifie certaines familles pour définir un vecteur.
Dans un livre de mathématiques, cela ressemble à : Étant donné deux courbes γ1 : I1 → M et γ2 : I2 → M , telles que γ1 (0) = γ2 (0) = p, on dit que γ1 ∼ γ2 si, pour toute fonction lisse à valeurs réélles f ∈ C ∞ (M ), on a
( f ◦ γ1 ) ( 0) = ( f ◦ γ2 ) ( 0) . On note [γ] p la classe d’équivalence d’une courbe γ en p. Une classe d’équivalence de courbes pour cette relation est appelée vecteur tangent en p. Soit T p M l’ensemble de ces classes d’équivalence, il est appelé espace tangent en p.
Vecteurs tangents et dérivées des fonctions
C’est en fait la définition même des vecteurs tangents qui transposent aux variétés l’outil de base du calcul différentiel classique, la dérivée. La dérivée classique d’une fonction d’une variable réelle f ( x), c’est une mesure de son taux de variation lorsque x varie sur la droite des nombres réels. Les dérivées partielles d’une
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fonction de plusieurs variables f ( x, y, z), ce sont des mesures des taux de variation de f le long de droites parallèles aux axes de coordonnées. Or, la définition même d’une courbe sur une variété implique son paramétrage par une variable réelle, t par exemple : une courbe est en fait une fonction qui associe à tout paramètre réel t d’un intervalle, un point de la variété. On écrit : c : t ∈ ( a, b) → γ(t). Une fonction sur une variété associe à chaque point de la variété un nombre réel. On écrit : f : p ∈ M → f ( p) ∈ R. Par exemple, sur la variété « surface de la Terre », la fonction qui associe à chaque point de la Terre la température qu’il y fait. Pour évaluer le taux de variation d’une fonction f sur une variété autour d’un point p, on regarde comment varie f le long des courbes qui passent par p. Ainsi, chaque courbe, avec son paramétrage, va servir d’axe de coordonnées pour évaluer le taux de variation de f dans la direction du passage de la courbe en p. Or nous avons vu que l’on regroupait toutes les courbes ayant la même direction de passage au point p pour définir un vecteur tangent en p. C’est donc ainsi que l’on récupère la notion de dérivée directionnelle (le long d’un vecteur) d’une fonction sur une variété. On dispose alors de dérivées ∂f ∂f partielles des fonctions sur les variétés, analogue des classiques ∂x et ∂y .
F IGURE A. 3. Une courbe est par définition une fonction qui paramètre un ensemble de points de la variété. On regarde alors les taux de variation d’une fonction définie sur la variété le long de toutes les courbes passant par un point. Ces taux seront les dérivées partielles de la fonction dans chaque direction définie par les courbes.
Néanmoins, alors que dans l’espace euclidien, il est facile de généraliser les dérivées pour obtenir des dérivées secondes, troisièmes, etc., cela n’est pas possible sur une variété sans métrique. Heuristiquement, l’idée est que pour la dérivée première d’une fonction, on n’a besoin que des vecteurs tangents à la variété en tant que vecteur vitesse des courbes ; leur définition ne nécessite que la structure différentielle élémentaire de la variété. En revanche, la définition des dérivées secondes d’une fonction définie sur une variété nécessite l’utilisation des variations de ces vecteurs vitesse, c’est-à-dire de l’accélération des courbes. Or, nous avons vu que seule une métrique permet de définir l’accélération, car
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il faut un moyen de mesurer la variation de longueur ou d’angle des vecteurs vitesse. Nous y reviendrons ci-après. A.1.4
La métrique
Chaque espace tangent est un espace vectoriel. Une métrique place sur chaque espace tangent un produit scalaire. On peut donc mesurer la longueur des vecteurs en chaque point, ainsi que les angles qu’ils font entre eux. La métrique permettra aussi d’évaluer comment évolue la longueur du vecteur vitesse d’une courbe d’un point à un autre.
Dans un livre de mathématiques, cela ressemble à : Une variété semi-riemannienne est un couple (M , g ) où M est une variété différentielle, et g est un tenseur métrique sur M , i.e. un champ de tenseur vérifiant les propriétés suivantes : 1. g est un champ de tenseur de type (0, 2) : pour chaque point p ∈ M , g ( p) est une forme bilinéaire agissant sur les vecteurs de l’espace tangent T p (M ). 2. g est symétrique : g (u , v ) = g (v , u ). 3. g est non dégénérée : en tout point p ∈ M , un vecteur u tel que ∀v ∈ T p (M ), g (u , v ) = 0 est nécessairement le vecteur nul.
A.1.5
Les géodésiques, la pseudo-longueur d’une courbe
La meilleur façon de définir une géodésique, c’est de la définir comme une courbe d’accélération nulle. Cela implique de définir le taux de variation d’un vecteur tangent. En effet, considérant un vecteur tangent comme la vitesse d’une
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courbe, son taux de variation devient l’accélération de la courbe. En mathématiques, un taux de variation, c’est une dérivée. Il faut donc définir sur une variété une façon de dériver une « fonction vecteur », c’est-à-dire une fonction qui attache à chaque point de la variété un vecteur tangent ; on appelle une telle fonction un champ de vecteurs. Mais un taux de variation implique de comparer les valeurs d’une fonction à des points différents. Or, sur une variété (sans métrique), on ne peut pas comparer des vecteurs tangents attachés à des points distincts, car ils ne vivent pas dans le même espace tangent. Mais avec une métrique, un miracle se produit (c’est écrit ainsi dans les livres de géométrie riemannienne !) : avec une métrique apparaît une façon naturelle de définir le taux de variation, la dérivée donc, d’un champ de vecteurs. On appelle cette dérivée la connexion de Levi-Civita de la métrique. Pour une métrique g sur une variété M , cette dérivée se note souvent ∇ . Si on note γ une courbe sur la variété, on note γ˙ son vecteur vitesse, et ∇ γ˙ γ˙ son accélération... En géométrie différentielle, les notations deviennent vite compliquées... Dans un livre de mathématiques, cela ressemble à : Une courbe γ : ( a, b) → M est une géodésique de (M , g ) si son accélération est nulle pour tout t ∈ ( a, b) :
∇ γ˙ (t) γ˙ (t) ≡ 0. Soit U le domaine d’une carte de M de coordonnées locales ( x1 , ..., xn ). Une courbe γ dans U est une géodésique de M si et seulement si ses fonctions coordonnées xk ◦ γ vérifient d( x i ◦ γ ) d( x j ◦ γ ) d2 ( x k ◦ γ ) k + Γ ( γ ) =0 ∑ ij dt2 dt dt i,j pour 1 ≤ k ≤ n, où Γkij sont les symboles de Christoffel de la connexion ∇ dans U . Mesurer la (pseudo-)longueur d’une courbe est une procédure très classique en mathématiques. La courbe étant paramétrée par un nombre t, on intègre la mesure de son vecteur vitesse entre les deux valeurs extrêmes de son paramètre.
b a
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Si γ : [a, b] → M est une courbe, la pseudo-longueur de γ est : L (γ) = |γ˙ (t)| dt.
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Métrique et équations aux dérivées partielles
Une métrique permet donc de définir l’accélération d’une courbe grâce à la dérivation ∇ . Nous avons vu que les vecteurs vitesse permettaient de définir les dérivées premières d’une fonction sur une variété. Or, si l’on se souvient que la vitesse est la dérivée première de la position, et que, en tant que dérivée de la vitesse, l’accélération est la dérivée seconde de la position, on peut sentir que la dérivation ∇ va permettre de définir des dérivées secondes de fonctions sur la variété. On récupère ainsi des dérivées partielles secondes, analogues des ∂2 f
∂2 f
classiques ∂x∂y ou ∂x2 par exemple. Rappelons qu’une équation aux dérivées partielles classique dans l’espace euclidien est une équation qui fait intervenir les dérivées partielles d’une fonction numérique inconnue f . Exemple : ∂f ∂f + 3 + f ( x, y) = 0 ou ∂x ∂y
∂2 f ∂f + +f =0 ∂x∂y ∂y
Une métrique permettant de transposer aux variétés les dérivées partielles secondes, on peut alors définir des équations aux dérivées partielles sur les variétés, faisant intervenir des dérivées secondes de fonctions. L’exemple type qui nous intéresse dans ce livre est l’équation d’Einstein : 1 Rμν − S. gμν = Tμν 2 En effet, la courbure Rμν fait intervenir des dérivées partielles secondes des composantes de la métrique : R
α
βμν
:=
∂Γαβν ∂xμ
−
∂Γαβμ ∂xν
+ Γασμ Γσβν − Γασν Γσβμ
avec
Γνμν =
1 σν ∂gσν g . 2 ∂xμ
On voit à cette expression pourquoi résoudre l’équation d’Einstein est souvent un problème très difficile... A.1.6
La courbure et l’équation de déviation géodésique
Pour définir la courbure indépendamment des géodésiques, la bonne méthode est de regarder comment évolue un vecteur tangent, Z par exemple, lorsqu’on cherche à le déplacer parallèlement à lui-même le long d’une petite courbe tracée sur la variété, autour du point où on veut calculer la courbure. Définir ce que signifie parallèlement à lui-même nécessite l’utilisation de la métrique, pour exprimer que le vecteur ne tourne pas au sein de la variété, même si la variété est tordue.
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F IGURE A. 4. Le tenseur de Riemann est l’application X, Y, Z −→ R ( X, Y ) Z : = ∇ X ∇ Y Z − ∇ Y ∇ X Z − ∇ [ X,Y ] Z... Si on translate un vecteur parallèlement à lui-même le long d’une boucle sur une surface plate, on revient sur le même vecteur. En revanche, sur une surface courbée, on revient sur un vecteur différent.
Pour mesurer alors l’effet du déplacement du vecteur sur un chemin fermé, il faut calculer l’accélération du vecteur selon deux directions différentes, d’où les deux dérivées successives (∇ X ∇ Y Z) qui apparaissent dans la définition ci-après : Dans un livre de mathématiques, cela ressemble à : Définition 1 Soit M une variété munie d’une connexion affine ∇ . L’application : R : Γ( TM ) × Γ( TM ) × Γ( TM ) −→ Γ( TM ) donnée par : X, Y, Z −→ R ( X, Y ) Z := ∇ X ∇ Y Z − ∇ Y∇ X Z − ∇ [ X,Y] Z définit un tenseur, appelé tenseur de courbure de Riemann de (M , ∇ ). Si ∇ est la connextion de Levi-Civita associée à une métrique g , on dit que R est la courbure de Riemann de (M , g ). Dans une carte, les composantes du tenseur de Riemann sont données en fonction des symboles de Christoffel par Rα βμν =
∂Γα βν ∂xμ
−
∂Γα βμ ∂xν
+ Γα σμ Γσ βν − Γα σν Γσ βμ .
(A.2)
Comme nous l’avons vu, la courbure se manifeste par son effet sur le taux de dispersion ou de rapprochement de géodésiques voisines. Mathématiquement, pour mesurer ce taux, on part d’une géodésique centrale, et on repère une
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géodésique (« infinitésimalement ») voisine par une famille de petits vecteurs déplacement J (t), appelés champs de Jacobi. Ce sont des vecteurs tangents à la variété, placés en chaque point de la géodésique centrale. L’évolution de ces vecteurs de Jacobi est mesurée par la courbure. En effet, une des équations fondamentales de la géométrie riemannienne est l’équation de déviation géodésique. Elle relie directement la dérivée seconde du champ de vecteurs J (t) à la courbure de Riemann (notée R = Rαβμν dans le langage mathématique). Or, si J (t) marque la position d’une géodésique voisine, sa dérivée seconde est alors l’accélération relative de cette géodésique. C’est en ce sens que la courbure mesure le taux de dispersion des géodésiques.
F IGURE A. 5. On repère les géodésiques dans le voisinage d’une géodésique donnée c(t ) par un champ de vecteurs de Jacobi (c’est-à-dire une famille de vecteurs tangents à la variété) J (t ) le long de c. L’évolution de J (t ) au fil de la courbe c(t ) est mesurée par la courbure R . C’est à partir de l’équation décrivant quantitativement cette évolution que l’on définit physiquement les effets de marée.
Si J est un champ de Jacobi le long de la géodésique γ, alors J vérifie l’équation de déviation géodésique : ∇ 2∂t J (t) − R (γ˙ (t), J (t)) γ˙ (t) = 0 ...
A.1.7
Les tenseurs
Les tenseurs sont des objets un peu techniques, mais incontournables en géométrie riemannienne, et donc en relativité générale. Un tenseur de rang k sur une variété est une fonction qui en chaque point p de la variété permet d’obtenir des mesures ou des grandeurs concernant toute donnée de k vecteurs tangents en p, indépendamment de tout choix de coordonnées. Ainsi, la métrique est un tenseur particulier de rang 2 : en chaque point p, elle fournit le produit scalaire v1 .v2 pour chaque donnée de deux vecteurs v1 , v2 tangents en p. La courbure de Riemann R est un tenseur de rang 4, qui en chaque point p fournit un nombre R p (v1 , v2 , v3 , v4 ) pour chaque donnée de 4 vecteurs tangents v1 , v2 , v3 , v4 en p. VOYAGE DANS LES MATHÉMATIQUES DE L’ESPACE-TEMPS
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Un tenseur (covariant) de rang k au point p de la variété M est une application multilinéaire sur le produit cartésien de k copies de l’espace tangent en p, c’est-à-dire une application : T p : T p (M ) × · · · × T p (M ) −→ R k fois
(v 1 , . . . , v k ) −→ T p (v 1 , . . . , v k )
qui est linéaire en chacun de ses arguments. Un tenseur T de rang k sur la variété est une fonction qui à chaque point p de M associe un tenseur T p de rang k en p. A.1.8
L’intégrale
L’intégrale d’une fonction est un objet célèbre, que l’on peut aussi définir sur une variété munie d’une métrique. L’idée de la notion d’intégrale est en fait très simple : l’intégrale d’une fonction f définie sur une variété M a pour but d’en fournir sa valeur moyenne. En plus la notation est très jolie :
M
f
F IGURE A. 6. L’intégrale d’une fonction est simplement sa moyenne, multipliée par la longueur, la surface ou le volume du domaine sur lequel on l’intègre. Si cette longueur/surface/volume vaut 1, l’intégrale est exactement la valeur moyenne de la fonction.
F IGURE A. 7. L’intégrale de la fonction température sur la Terre va fournir la température moyenne...
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La raison pour laquelle il faut une métrique pour définir l’intégrale est assez subtile. Cela est lié entre autres au fait qu’il faut que le calcul fait pour obtenir cette intégrale sur une variété soit indépendant des différentes « cartes » que l’on peut utiliser sur la variété pour faire ce calcul. C’est aussi lié au fait qu’une métrique, qui permet de calculer des longueurs, permet donc aussi de calculer des volumes ; or volumes et intégrales sont étroitement liés. Ainsi, l’intégrale de f sur une variété M munie d’une métrique, souvent notée g , est la valeur moyenne de f sur M multipliée par le volume de M . Ça se note :
M
f dvg
La principale utilisation des intégrales que nous avons vue dans ce livre est le calcul de la longueur d’une courbe. (Signalons que cette intégrale est en fait plus simple que l’intégrale d’une vraie fonction sur la variété, car pour la longueur, on intègre en fait une fonction le long d’une courbe.) La ligne d’univers d’un objet est représentée par une courbe c sur la variété espace-temps M . On paramètre cette courbe par un paramètre temporel t (le temps propre par exemple) : c(t) est la position de l’objet sur sa ligne d’univers à l’instant t.
F IGURE A. 8. L’intégrale de la pseudo-longueur du vecteur vitesse d’une ligne d’univers paramétrée par son temps propre donnera le temps propre écoulé entre deux événements...
Si on note selon l’usage |c˙ (t)| la longueur du vecteur vitesse de la courbe c mesuré, grâce à la métrique de la variété, la longueur de la courbe entre l’instant t = 0 et l’instant t = T, c’est l’intégrale : T 0
|c˙ (t)|dt
Le « volume » de l’intervalle de mesure, c’est la durée T, et l’intégrale est donc la valeur moyenne de la vitesse multipliée par la durée T. Si en voiture, vous avez une vitesse moyenne de 130 km/h pendant 3 heures, vous aurez parcouru 390 km. VOYAGE DANS LES MATHÉMATIQUES DE L’ESPACE-TEMPS
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A.1.9
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Aspect local, aspect global
Nous avons présenté la courbure comme une mesure du taux de dispersion des géodésiques. Néanmoins, il ne faut pas croire que pour mesurer la courbure en un point de l’espace-temps, et donc la gravitation, il faille connaître un tas de géodésiques, sur des grandes « distances ». En fait, la courbure peut se calculer localement. Ce terme, typiquement mathématique, signifie que l’on peut calculer la courbure d’une variété en un point p en ne connaissant le comportement des géodésiques que sur un voisinage arbitrairement petit autour de p. Le passage du local au global est également un problème mathématique typique : connaissant localement certaines caractéristiques de la variété, comme la courbure en chaque point, peut-on obtenir des informations globales sur la variété, comme sa forme (finie ou infinie, avec bord ou sans bord...) ? Ces problèmes sont en général difficiles. Dans le cadre des liens avec la relativité, citons les théorèmes d’Yvonne Choquet-Bruhat. Ces théorèmes mathématiques, très difficiles, stipulent que la connaissance de la géométrie d’une « tranche » spatiale de l’espace-temps, à un moment donné (si on se fixe un certain choix de découpage en espace et temps), permet de connaître la géométrie de l’espacetemps sur un certain intervalle de temps. Autrement dit, ces théorèmes prouvent que la relativité générale est une théorie déterministe, au sens classique, physique, du terme. Cela n’a rien d’évident compte tenu de la formulation de la relativité générale : l’espace-temps inclut toutes les lignes d’univers de tous les objets physiques ; il inclut donc toute leur histoire. Ces théorèmes établissent en quelque sorte la relativité comme une théorie physique effective. Cependant, la possibilité de formuler localement les équations d’Einstein assurait, dès sa présentation, la possibilité de faire de la physique avec la relativité d’Einstein. A.1.10
L’équation d’Einstein
C’est l’équation phare de la relativité générale, qui relie la courbure de l’espacetemps à son contenu en matière-énergie. Elle fait intervenir divers avatars de la courbure de Riemann... Portrait de mathématique : On dit que la gravitation dans l’espace-temps (M , g ) satisfait à l’axiomatique de la relativité générale si la métrique g vérifie l’équation d’Einstein : R−
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1 T, S g . g + Λ g = 8πT 2
(A.3)
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où R est le tenseur de Ricci de g , S g est la courbure scalaire, de g , Λ est une constante appelée constante cosmologique, et T est le tenseur d’énergieimpulsion de la matière et des champs non gravitationnels, un (2, 0)-tenseur défini par la physique. A.1.11
La métrique de Schwarzschild
Pour définir le champ de gravitation produit par un corps sphérique, comme une étoile ou un trou noir, il faut déjà parvenir à définir ce qu’est une symétrie sphérique de l’espace dans l’espace-temps. C’est un problème géométrique délicat, car la sphéricité doit être décrite pour une tranche spatiale de l’espace-temps, sans affecter la partie temporelle. Or, il n’y a pas d’espace absolu en relativité... Dans un livre de mathématiques, cela ressemble à : L’espace-temps à l’extérieur d’un corps isolé à symétrie sphérique est donné par la métrique de Schwarzschild. Cette dernière est une solution de l’équation d’Einstein que l’on peut définir par l’existence d’un système de coordonnées ( xα ) = (ct, r, θ, ϕ), dites coordonnées de Schwarzschild, telles que les composantes gαβ du tenseur métrique g s’y écrivent :
2GM 2 2 2GM −1 2 c dt + 1 − 2 dr + r2 dθ 2 + sin2 θ dϕ2 . gαβ dx dx = − 1 − 2 c r c r (A.4) Il apparaît dans cette expression les constantes fondamentales c (vitesse de la lumière), et G (constante de Newton pour la gravitation) : α
β
G = 6, 6726 × 10−11 m3 kg−1 s−2 .
(A.5)
Hormis c et G, l’unique paramètre qui apparaît dans (A.9) est la constante M. Cette dernière dépend du corps central et nous verrons qu’elle correspond à la masse de ce corps. A.1.12
Le tenseur d’énergie-impulsion
Le tenseur d’énergie-impulsion est la partie de droite de l’équation d’Einstein. C’est un tableau de nombres qui doit représenter la quantité et le flux d’énergie dans une région donnée de l’espace-temps. Son obtention s’appuie sur des modèles physiques, et dépend donc de considérations expérimentales et théoriques. Voici par exemple à quoi ressemble le tenseur d’énergie-impulsion d’un champ électromagnétique, car comme toute forme d’énergie, un tel champ va déformer l’espace-temps ; autrement dit, la lumière peut créer de la gravitation ! VOYAGE DANS LES MATHÉMATIQUES DE L’ESPACE-TEMPS
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Dans un livre de physique, cela ressemble à : Sur un espace-temps (M , g ), soit F = (μ, e, X ) un fluide de particules chargées. Soit aussi F un champ électromagnétique. Le tenseur d’énergie := μX du fluide est défini par : impulsion du flux de matière-énergie F m m T := μX ⊗ X. En coordonnées ( T )ij = μXi X j si X = X i ∂i dans un champ de repères (∂i ). Si (∂i ) est un champ de repères où F = ( Fij ) et g = ( gij ), le tenseur d’énergie-impulsion du champ électromagnétique F est le (0,2)tenseur T F donné par : 1 TijF = Fik F kj + Fkl F kl gij 4 A.1.13
L’équation des ondes gravitationnelles
C’est un travail mathématique délicat que d’établir l’équation de propagation d’une onde gravitationnelle. On considère qu’une métrique « de fond » g de l’espace-temps est perturbée par le passage d’une vibration h , qui est elle-même une sorte de métrique. Ainsi, en chaque point de l’espace-temps, les pseudolongueurs sont mesurées par la somme g + h des deux métriques. C’est essentiellement sur h que va porter l’équation des ondes. Nous ne montrons ici qu’un extrait de cours de relativité, d’un niveau Master, sur ce sujet difficile, mais très « en pointe » depuis l’observation effective des ondes gravitationnelles. Dans un livre de physique, cela ressemble à : La variation de longueur δL := L − L0 par rapport à la situation où l’onde gravitationnelle est absente (L = L0 ) est donc 1 δL = hTT ni n j . L 2 ij
(A.6)
(A.7)
où x) = hTT ij ( t,
2G c4 r
1 r Pi k Pj l − Pij Pkl Q¨ ij t − . 2 c
avec
1 ρ(t,x ) x x − x ·x δij d3x . Qij (t) = 3 source
i j
(A.8)
Cette formule est appelée formule du quadrupôle. Elle relie le champ de rayonnement gravitationnel à la dérivée temporelle deuxième du moment quadrupolaire retardé de la source.
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A.1.14
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L’espace-temps de Kaluza-Klein
Les mathématiques offrent des possibilités géométriques permettant de répondre à la double exigence d’un espace à 5 dimensions dans lequel se distingue un espace-temps à 4 dimensions. Il s’agit de la structure de variété fibrée. Il s’agit d’une construction mathématique faite à partir de deux variétés. On « attache » une copie de l’une des deux variétés, appelée la fibre, en chaque point de l’autre, appelée la base.
F IGURE A. 9. Schéma de la définition d’une variété fibrée.
Si visualiser cette construction semble difficile en 5 dimensions, nous en avons vu un exemple très simple et pourtant rigoureux en 2 dimensions : une droite et un cercle sont deux variétés de dimension 1. Si vous attachez un cercle en chaque point de la droite, vous obtenez un cylindre ! De même, si vous prenez deux cercles, attachant une copie du deuxième cercle en chaque point du premier, vous obtenez un tore. Les variétés fibrées permettent évidemment d’obtenir des structures beaucoup plus riches que le cylindre ou le tore, car la fibre peut « tourner » autour de la variété de base. On peut ainsi construire la bande de Möbius, mais aussi des variétés beaucoup plus complexes, tout en gardant une possibilité d’y repérer la variété de base.
F IGURE A. 10. Pour construire le ruban de Möbius, on attache en chaque point d’un cercle (ici en rouge) un petit segment (la fibre, en vert), que l’on fait tourner progressivement d’un demitour sur un tour du cercle de base.
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Dans un livre de mathématiques, cela ressemble à : On dit qu’une application π : Y → X est une fibration de fibre F, s’il existe une variété F telle que tout x ∈ X a un voisinage U pour lequel existe un difféomorphisme : ψU : π −1 (U ) → U × F tel que p1 ◦ ψU = π où p1 : U × F → U est la projection sur le premier facteur. Autrement dit, le diagramme suivant est commutatif : ψU
π −1 (U ) −→ U × F π
↓ U
p1
Pour x ∈ X, l’ensemble π −1 ( x) := Xx est appelé la fibre de x. L’espace-temps de Kaluza-Klein se définit alors souvent comme suit : Dans un livre de physique, cela ressemble à : Définition 1 L’espace-temps de Kaluza-Klein : — (M , g ) est une variété lorentzienne, orientée en temps, telle que le groupe de Lie S1 opère librement et proprement sur M . Alors π : M → M est une S1 -fibration et M := M /S1 est une variété de dimension 4 qui représente l’espace-temps « classique ». — Choisissant une orientation sur S1 , on définit un champ de vecteurs Y sur M , en posant en chaque point x de M que Y x est le vecteur tangent à la fibre π −1 (π ( x)) en x, dans l’orientation choisie, et tel que g (Y , Y ) = 1. Y est appelé le potentiel électromagnétique de l’espacetemps M .
A.2
Un exemple de cours avancé : les géodésiques d’un trou noir
...Pour voir à quoi cela ressemble. Il faut en effet montrer ce qu’il y a derrière les explications « vulgarisées » que l’on présente. Il faut voir le travail réel qui mène aux phénomènes décrits, même s’il ne s’agit pas de le comprendre en détail. Et cela montre au lecteur qu’on ne le trompe pas. Il y a en plus une certaine esthétique dans tous ces symboles...
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Nous avons évoqué plusieurs fois la métrique de Schwarzschild. C’est en effet la première solution exacte des équations d’Einstein qui a été trouvée. Elle permet de calculer le mouvement des objets physiques et de la lumière autour d’un corps sphérique (sans rotation sur lui-même), comme une étoile. Mais c’est aussi elle qui révéla la possibilité de l’existence de trous noirs. Ce qui suit est un extrait d’un cours de relativité générale, niveau Master, d’Éric Gourgoulhon. Il s’agit d’une partie où est calculée l’équation des géodésiques autour d’une étoile et d’un trou noir. C’est à partir de ces équations que l’on peut produire les spectaculaires images réalistes de l’aspect qu’aurait l’environnement d’un trou noir, telles les spectaculaires images du trou noir Gargantua dans le film Interstellar de Christopher Nolan. Notons néanmoins que comme tous les corps dans l’Univers, les trous noirs réels doivent être en rotation. La solution de Schwarzschild, qui est statique, ne fournit alors qu’une description approchée. Les trous noirs étant accélérés par l’accrétion de matière, on s’attend à ce que la plupart d’entre eux soient en rotation rapide. La description par la métrique de Schwarzschild n’est alors pas satisfaisante. Il se trouve qu’une solution exacte de l’équation d’Einstein correspondant à un trou noir en rotation a été découverte en 1963 par le mathématicien néo zélandais Roy Kerr. De plus, cette solution recouvre tous les trous noirs stationnaires en rotation ! Mais elle présente une géométrie nettement plus sophistiquée et complexe que celle de Schwarzschild. Géodésiques lumière radiales de la métrique de Schwarzschild
Rappelons que l’espace-temps à l’extérieur d’un corps isolé à symétrie sphérique est donné par la métrique de Schwarzschild. Cette dernière est une solution de l’équation d’Einstein que l’on peut définir par l’existence d’un système de coordonnées ( xα ) = (ct, r, θ, ϕ), dites coordonnées de Schwarzschild, telles que les composantes gαβ du tenseur métrique g s’y écrivent :
2GM gαβ dx dx = − 1 − 2 c r α
β
2GM c dt + 1 − 2 c r 2
2
−1 dr2 + r2 dθ 2 + sin2 θ dϕ2 .
(A.9) Déterminons les géodésiques lumière radiales (c’est-à-dire à θ et ϕ fixés) de la métrique de Schwarzschild. Elles nous conduiront à un nouveau système de coordonnées : les coordonnées d’Eddington-Finkelstein. Recherche des géodésiques lumière radiale
Plaçons-nous dans le cadre des coordonnées de Schwarzschild ( xα ) = (ct, r, θ, ϕ). Une géodésique lumière est une géodésique de longueur nulle : on doit donc
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avoir le long de celle-ci : ds2 = gαβ dxα dx β = 0.
(A.10)
Par ailleurs, si l’on suppose la géodésique radiale, alors dθ = 0 et dϕ = 0 le long de celle-ci. En utilisant les composantes (A.9), la condition (A.10) devient donc :
2GM − 1− 2 c r
2GM c dt + 1 − 2 c r 2
2
c’est-à-dire c2 dt2 =
dr2 1−
d’où c dt = ±
2GM 2 c2 r
−1
dr2 = 0,
,
(A.11)
(A.12)
dr . 1 − 2GM c2 r
(A.13)
Cette équation s’intègre en ct = ±
r r0
dr = ± RS 1 − 2GM c2 r
x x0
dx , 1 − 1/x
(A.14)
où l’on a posé x := c2 r/(2GM ) = r/RS . L’intégrale sur x se calcule aisément :
x x x x dx x x −1+1 1 dx = dx = dx = 1+ x − 1 x −1 x0 1 − 1/x x0 x − 1 x0 x0 = x + ln | x − 1| − x0 − ln | x0 − 1|. (A.15) En reportant dans (A.14), il vient
r − 1 + const. ct = ± r + RS ln RS
(A.16)
En raison du ±, on obtient deux familles de géodésiques radiales, que l’on peut classer comme suit : — les géodésiques sortantes, pour lesquelles dr/dt > 0 ; leurs équations sont : ⎧ ⎨ ct = r + RS ln r − 1 + const. RS ⎩ ct = −r − RS ln 1 − r + const. RS 196
pour r > RS pour r < RS
(A.17)
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— les géodésiques entrantes, pour lesquelles dr/dt < 0 ; leurs équations sont : ⎧ ⎨ ct = −r − RS ln r − 1 + const. pour r > RS RS (A.18) ⎩ ct = r + RS ln 1 − r + const. pour r < R S RS Ces géodésiques sont représentées sur la figure A.11.
F IGURE A. 11. Géodésiques lumières radiales représentées en coordonnées de Schwarzschild (t, r ) : en vert et trait plein, les géodésiques sortantes ; en rouge et tirets, les géodésiques entrantes.
Pour r RS , on peut négliger le terme en logarithme dans les Eqs. (A.17) et (A.18), qui deviennent donc ct ±r + const.
(A.19)
On retrouve ainsi l’équation des rayons lumineux radiaux de l’espace-temps plat. On constate d’ailleurs sur la Fig. 11 que pour r RS , les géodésiques deviennent des droites de pente ±45◦ . .... Trou noir de Schwarzschild
....
Puisque det( gα˜ β˜ )
r = RS
= 0, g n’est donc pas dégénérée en r = RS . Nous
concluons donc que la singularité r = RS des coefficients métriques gαβ dans les coordonnées de Schwarzschild est due à ces coordonnées et ne reflète pas une singularité du tenseur métrique g . C’est un exemple de ce que l’on appelle une singularité de coordonnées. L’espace-temps de Schwarzschild est représenté sur la figure A.12 en coordonnées d’Eddington-Finkelstein 3+1. On voit clairement sur cette figure que
VOYAGE DANS LES MATHÉMATIQUES DE L’ESPACE-TEMPS
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les coordonnées de Schwarzschild (ct, r, θ, ϕ) sont pathologiques en r = RS car les hypersurfaces de coordonnée t constante ne traversent jamais l’hypersurface r = RS (elles « s’accumulent » en r = RS ). Singularité centrale
Examinons à présent la singularité en r = 0, qui est présente, non seulement dans les composantes du tenseur métrique en coordonnées de Schwarzschild, mais aussi dans celles en coordonnées d’Eddington-Finkelstein 3+1. Après avoir évalué le tenseur de Riemann associé à la métrique de Schwarzschild, par exemple en calculant ses composantes en coordonnées de Schwarzschild, on peut former le scalaire de Kretschmann Rαβμν Rαβμν , où Rαβμν := gασ Rσβμν et Rαβμν := g βγ gμρ gνσ Rαγρσ . On obtient Rαβμν Rαβμν = 12
R2S . r6
(A.20)
F IGURE A. 12. Espace-temps de Schwarzschild en coordonnées d’Eddington-Finkelstein 3+1 (ct˜, r, θ, ϕ). Les lignes en traits continus rouges représentent les hypersurfaces t = const où t est la coordonnée de Schwarzschild. Les droites en pointillés inclinées à −45◦ représentent les géodésiques lumière radiales entrantes et les autres lignes en pointillés les géodésiques lumière radiales sortantes. H est l’horizon des événements, situé en r = RS . Le vecteur de Killing associé à la stationnarité, ξ (0) = c−1∂ t˜, est une normale lumière de H . Il est donc tangent à H .
On note que Rαβμν Rαβμν diverge lorsque r → 0. Il s’agit là d’une singularité du tenseur métrique g , et non d’une simple singularité de coordonnées, car Rαβμν Rαβμν étant un champ scalaire, sa valeur en un point est indépendante de tout système de coordonnées.
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Annexe : Images des mathématiques de la relativité générale...
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“Bibliography” — 2018/12/12 — 14:20 — page 199 — #1
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