Le Rire Des Sages: L'humour dans la Mishna et la Tosefta (Collection de la Revue des Etudes juives, 60) (French Edition) 9042942800, 9789042942806

Le judaisme rabbinique a pu notamment s'imposer en tant qu'orthodoxie grace a son importante production litter

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French Pages 427 [433] Year 2021

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Table of contents :
TABLE DES MATIÈRES
CADRE CONCEPTUEL
LE RIRE DANS LA LITTÉRATURE RABBINIQUE

Le Rire Des Sages: L'humour dans la Mishna et la Tosefta (Collection de la Revue des Etudes juives, 60) (French Edition)
 9042942800, 9789042942806

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Avigail Ohali

LE RIRE DES SAGES L’humour dans la Mishna et la Tosefta

Collection de la Revue des Études juives

Peeters Paris-Louvain 2021

LE RIRE DES SAGES

Société des Études juives Collection de la Revue des Études juives dirigée par José Costa, Alessandro Guetta et Max Polonovski Comité éditorial José COSTA, Danielle DELMAIRE, Sylvie-Anne GOLDBERG, Alessandro GUETTA, Mireille HADAS-LEBEL, Danièle IANCU-AGOU, André LEMAIRE, Max POLONOVSKI, Jean-Pierre ROTHSCHILD, Daniel TOLLET Volume 60

Avigail Ohali

LE RIRE DES SAGES L’humour dans la Mishna et la Tosefta

Collection de la Revue des Études juives dirigée par José Costa, Alessandro Guetta et Max Polonovski

Peeters Paris-Louvain-Bristol, CT 2021

A catalogue record for this book is available from the Library of Congress.

ISBN 978-90-429-4280-6 eISBN 978-90-429-4281-3 D/2021/0602/105 © 2021 – PEETERS, Bondgenotenlaan 153, 3000 Leuven, Belgium

REMERCIEMENTS

Pour sa patience, sa pédagogie à la fois exigeante et bienveillante, son savoir et son ouverture d’esprit, merci infiniment à mon directeur de thèse, José Costa, qui m’a guidée et m’a fait confiance dans mon parcours de recherche pendant sept années. L’autonomie totale qu’il m’a laissée et la réactivité dont il a su faire preuve aux moments où je l’ai sollicité ont été précieuses. Le présent ouvrage est l’adaptation de la thèse de doctorat que j’ai réalisée sous sa direction. José Costa l’a révisé de près, sur le plan de la forme comme du fond, avant son acceptation par la prestigieuse Collection de la Revue des études juives. Merci à Guila Cooper qui m’a accueillie à la Bibliothèque de l’Alliance israélite universelle avec beaucoup de disponibilité, un grand professionalisme et un sens inégalé de l’écoute ; à Tali Latowicki pour son attention et pour m’avoir mis en contact avec Haim Weiss ; à Haim Weiss lui-même, le premier à m’avoir donné quelques pistes bibliographiques sur le sujet : je peux enfin répondre à la question incrédule qu’il m’avait posée lors de notre première conversation téléphonique : « tu as trouvé de l’humour dans la Mishna ?! ». Merci à ma maman, Lilit Or, dont l’écoute et le soutien sont précieux, et à ma fille aînée, Tal Gottesman, qui sait m’écouter et me montrer son admiration quand j’en ai vraiment besoin. Je suis particulièrement reconnaissante à Grégoire Gasser, mon époux, qui m’a soutenu directement et indirectement au quotidien, qui a relu mes textes et écouté mes raisonnements tarabiscotés (parfois à des heures incongrues), sans lui je ne serai pas parvenue au terme de ce travail !

TABLE DES MATIÈRES

REMERCIEMENTS......................................................................................

V

TABLE DES MATIÈRES ..............................................................................

VII

LISTE DES ABRÉVIATIONS .........................................................................

XI

TRANSCRIPTION ET CITATIONS .................................................................. XIII AVANT-PROPOS ........................................................................................

XV

I. Cadre conceptuel A. L’HUMOUR, APERÇU THÉORIQUE ......................................................... A.1. L’incongruité, l’approche cognitive et la fonction intellectuelle............................................................................................... A.2. La moquerie, le sentiment de supériorité et la fonction agressive ................................................................................................. A.3. La théorie sociale selon Bergson et les fonctions sociales de l’humour......................................................................................... A.4. La théorie psychanalytique de Freud et les fonctions psychologiques .......................................................................................... A.5. La physiologie du rire, la catharsis et la fonction thérapeutique ............................................................................................... B. LE

RIRE DANS L’ANTIQUITÉ

:

1 3 6 8 10 11

EXPRESSIONS ET GENRES LITTÉRAIRES

DANS LA CULTURE GRÉCO-ROMAINE.....................................................

B.1. Les genres littéraires .................................................................. B.2. Le rire des poètes tragiques et des philosophes ........................ C. LE RIRE DANS LA BIBLE HÉBRAÏQUE ET LE NOUVEAU TESTAMENT ..... C.1. Y a-t-il de l’humour dans la Bible hébraïque ? ........................ C.2. Le champ lexical de l’humour, du rire et du comique dans la Bible ............................................................................................... C.3. L’humour comme un outil d’exégèse ........................................ C.4. L’humour dans le Nouveau Testament ......................................

12 13 17 22 22 24 26 27

VIII

TABLE DES MATIÈRES

II. Le rire dans la littérature rabbinique A. LE CHAMP LEXICAL DU RIRE DANS LA LITTÉRATURE RABBINIQUE ....... A.1. Aperçu général........................................................................... A.2. Les racines ṣḥq et śḥq ............................................................... A.3. La raillerie : la racine lwṣ ......................................................... A.4. La moquerie : les racines l‘g et lglg ......................................... A.5. Les racines araméennes : bdḥ, gḥk, ḥwk et ṭll .........................

31 32 33 43 45 47

B. REJET DU RIRE ....................................................................................

50

C. LES DIFFÉRENTES ÉTUDES SUR LE RIRE RABBINIQUE............................ C.1. D. Lifshitz – Thèse de doctorat et articles thématiques ........... C.2. R. Kushelevsky – L’ironie dans l’histoire de Rabbi Yehoshua‘ ben Lewi qui entre au Paradis ....................................................... C.3. B. Engelman – Humour déclaré, perceptible et caché dans le TB .................................................................................................. C.4. A. Kovelman – « Farce in the Talmud ».................................. C.5. D. Boyarin – Socrates and the Fat Rabbis ............................... C.6. H. M. Zellentin – Rabbinic Parodies ........................................

54 54 61 63 66 67 68

III. Le rire des tanna’im PRÉAMBULE : QUELQUES REMARQUES À A. LES

RABBINS



PROPOS DU CORPUS. ..................

RÉCITS CENTRÉS SUR LES TANNA’IM LES PLUS IMPOR-

TANTS ..................................................................................................

73

Rabban Gamliel et son entourage. ............................................ R’ ‘Aqiba ................................................................................... R’ Ṭarfon ................................................................................... Autres rabbins ............................................................................ Les controverses entre les écoles de Shammay et de Hillel.....

85 85 133 141 156 173

B. LES « AUTRES » – LES GROUPES EN MARGE DU MOUVEMENT RABBINIQUE .................................................................................................. B.1. R’ Ḥanina ben Dosa et les faiseurs de miracles ....................... B.2. Les gens de Jérusalem ............................................................... B.3. Les prêtres .................................................................................. B.4. Les boéthusiens et les sadducéens.............................................

198 198 216 222 264

A.1. A.2. A.3. A.4. A.5.

C. LES AUTRES RÉCITS ............................................................................ 274 C.1. La conscience tannaïtique de l’importance de l’humour .......... 275 C.2. L’ironie et le mot d’esprit rabbiniques ...................................... 277

TABLE DES MATIÈRES

C.3. C.4. C.5. C.6. C.7.

Ironie du sort ou ironie divine – rira bien qui rira le dernier ... Absurdité de la halakha ............................................................. Jeux de mots et expressions amusantes..................................... Paraboles .................................................................................... Les grands contes.......................................................................

IX 308 312 334 337 344

CONCLUSION............................................................................................ 349

Annexes Annexe 1 – Liste des récits non humoristiques de la troisième partie. Annexe 2 – Sifre Ba-midbar 115 .......................................................... Annexe 3 – Sifre Debarim 43 ............................................................... Annexe 4 – Tableau récapitulatif du champ lexical ............................. Annexe 5 – TB Ketubbot 77b ............................................................... Annexe 6 – Parallèles de T Ketubbot 5, 9 ............................................

353 357 360 363 364 366

BIBLIOGRAPHIE ........................................................................................ Sources hébraïques et araméennes .................................................... Autres sources anciennes................................................................... Dictionnaires ...................................................................................... Littérature secondaire ........................................................................

369 369 369 369 370

INDEX ...................................................................................................... Index des auteurs ............................................................................... Index des citations ............................................................................. Index des noms de personne et de lieu .............................................

377 377 381 405

LISTE DES ABRÉVIATIONS

M T TB TY

Mishna Tosefta Talmud de Babylone Talmud de Jérusalem

Les autres recueils rabbiniques sont notés par la transcription de leurs noms hébraïques, sans abréviation.

LIVRES DE LA BIBLE HÉBRAÏQUE

Gn

Genèse

Esd

Esdras

Jl

Joël

Ex

Exode

Ne

Néhémie

Am

Amos

Lv

Lévitique

Est

Esther

Ab

Abdias

Nb

Nombres

Jb

Job

Jon

Jonas

Dt

Deutéronome

Ps

Psaumes

Mi

Michée

Jos

Josué

Pr

Proverbes

Na

Nahoum

Jg

Juges

Qo

Ecclésiaste

Ha

Habacuc

Rt

Ruth

Ct

Cantique des cantiques

So

Sophonie

1S

1 Samuel

Is

Isaïe

Ag

Aggée

2S

2 Samuel

Jr

Jérémie

Za

Zacharie

1R

1 Rois

Lm

Lamentations

Ml

Malachie

2R

2 Rois

Ez

Ézéchiel

1 Ch 1 Chroniques

Dn

Daniel

2 Ch 2 Chroniques

Os

Osée

TRANSCRIPTION ET CITATIONS

Nous utilisons la transcription suivante pour l’hébreu : ’ pour ‫( א‬uniquement dans le corps du mot et quand il est consonne) ; b pour ‫ בּ‬et ‫ ; ב‬w pour ‫ ; ו‬ḥ pour ‫ ; ח‬ṭ pour ‫ ; ט‬k et kh pour ‫ כּ‬et ‫ ‘ ; כ‬pour ‫ ; ע‬s pour ‫ ; ס‬p pour ‫פּ‬ et f pour ‫ ; פ‬ṣ pour ‫ ; צ‬q pour ‫ ; ק‬sh pour ‫ שׁ‬et s pour ֹ ‫ש‬, sauf dans le chapitre concernant le champ lexical où ces consonnes seront notées š pour ‫ שׁ‬et ś pour ֹ ‫ש‬. Les citations sont placées entre guillemets, sauf pour les citations des versets bibliques, notées en italiques.

AVANT-PROPOS

Un jour, en feuilletant le Talmud, je suis tombée sur l’histoire de la rencontre entre un magicien perse et des cadavres de rabbins (TB Baba Batra 58a). Le fou rire que j’ai eu à ce moment précis m’a donné l’envie d’étudier l’humour des rabbins. Je me suis demandée si mon rire a été provoqué par le décalage temporel et culturel entre le texte et moi-même, ou si les rabbins produisaient intentionnellement de l’humour. Ma curiosité a été éveillée. Une exploration des matériaux universitaires m’a fait découvrir des études fort intéressantes et en plein essor. A. Kovelman1 et D. Boyarin2 évoquent la présence du spoudogeloion, le mélange du sérieux et du comique, dans le TB. Boyarin compare certains passages du TB à la satire ménipée et avance, suivant Bakhtin et ses notions de polyphonie et de dialogisme3, que le vrai dialogue dans le Talmud n’est pas entre les différents sages, mais entre le discours sérieux et le discours comique et subversif. Il soutient que l’interaction entre le sérieux et le comique a un sens philosophique et épistémologique pour les rédacteurs du Talmud, qui trouvent dans le rire un outil dans leur quête de la vérité. H. Zellentin4 a étudié les parodies talmudiques. Il a montré que ces dernières révèlent des aspects polémiques dans les textes talmudiques, notamment la polémique antichrétienne : les rabbins avaient une connaissance précise des textes chrétiens qu’ils n’hésitaient pas à parodier. Aux côtés des genres littéraires humoristiques comme la satire et la parodie, nous trouvons également dans la littérature rabbinique des techniques et des formes littéraires liées au rire et à l’humour. R. Kushelevsky5 a montré comment, en se concentrant sur l’ironie littéraire des récits, on peut y trouver des significations qui restent autrement cachées. Ainsi, une lecture centrée sur les aspects non sérieux des textes rabbiniques révèle en eux des significations ignorées ; en ce sens, le rire est révélateur de vérité. 1

A. KOVELMAN, « Farce in the Talmud », The Review of Rabbinic Judaism 5, 2002, p. 86-92 ; ID., Between Alexandria and Jerusalem. The Dynamic of Jewish and Hellenistic Culture, Leyde/Boston, 2005. 2 D. BOYARIN, Socrates and the Fat Rabbis, Chicago, 2009. 3 M. BAKHTIN, La poétique de Dostoïevski, Paris, 1970. 4 H. M. ZELLENTIN, Rabbinic Parodies of Jewish and Christian Literature, Tübingen, 2011. 5 R. KUSHELEVSKY, « Humor we-tifqudaw be-girse’ot ha-sippur rabbi Yehoshua‘ ben Lewi u-mal’akh ha-mawet », Meḥqere Yerushalayim be-folqelor yehudi 19/20, 1998, p. 329344.

XVI

AVANT-PROPOS

Outre l’apport d’une recherche sur l’humour dans la quête d’une meilleure compréhension des écrits rabbiniques, de la pensée et des préoccupations des rabbins, l’humour talmudique est considéré comme l’ancêtre de l’humour juif actuel. B. Engelman6 évoque deux contributions du Talmud au développement de l’humour juif : le sens de l’humour qui se développe dans le contexte particulier de l’étude talmudique, et l’humour déjà présent dans le TB, qu’il s’est engagé à analyser. Les études précédentes sur l’humour des rabbins apportent donc de nouvelles perspectives à la fois dans le domaine des études rabbiniques classiques et dans celui de l’humour juif. Elles restent cependant peu nombreuses, aucune n’est réellement exhaustive, et surtout, elles n’évoquent que très peu les écrits les plus anciens, les écrits tannaïtiques. Or, les bases théoriques posées par des chercheurs comme R. Kushelevsky, H. Zellentin, A. Kovelman, D. Boyarin et d’autres, pour le TY, le TB et le midrash aggada, ne peuvent-elles pas concerner également la Mishna, la Tosefta et le midrash halakha ? Les amora’im ne sont-ils pas les successeurs naturels des tanna’im ? Les écrits tannaïtiques ne sont-ils pas la pierre d’angle de l’essor qu’a pu connaître le mouvement rabbinique à la fin de l’antiquité ? L’humour juif, si réputé, ne prend-il pas sa source dans ces textes fondateurs les plus anciens ? Ayant pour objectif l’étude de l’humour tannaïtique, ce livre se limite à la Mishna et la Tosefta, laissant de côté le midrash halakha (belle perspective pour la suite de la recherche !). Nous avons repéré tous les matériaux narratifs dans ces deux corpus et analysé tous ceux qui présentent des aspects humoristiques. Nous avons également fait le choix d’analyser certains récits sans humour lorsqu’ils sont importants pour la compréhension des récits humoristiques apparentés ou des thématiques centrales de notre recherche. Dans notre analyse des récits, nous avons cherché à déterminer les formes d’humour, c’est-à-dire les genres et les techniques littéraires employées par les rédacteurs, ainsi que les fonctions de l’humour, c’est-à-dire les raisons qui ont motivé les rédacteurs de textes juridiques, sérieux, austères et souvent elliptiques, à utiliser l’humour. Le cadre théorique que nous allons présenter dans l’introduction va du plus général au plus spécifique. Nous allons d’abord nous appuyer sur les recherches modernes sur l’humour pour en définir les formes et les fonctions. Puis, nous nous intéresserons à l’humour dans l’antiquité en nous concentrant sur les environnements culturels proches des rabbins : la littérature gréco-romaine, la Bible hébraïque et le

6 B. ENGELMAN, « Humor muṣhar galuy we-samuy be-talmud babli », Be-khol derakhekha da‘ehu 8, 1999, p. 7-28.

AVANT-PROPOS

XVII

Nouveau Testament. La deuxième partie de l’introduction concerne le rire des rabbins de l’antiquité dans sa globalité. Nous présenterons notre analyse exhaustive du champ lexical du rire dans la littérature rabbinique classique. Cette étude montre le rapport explicite des rabbins au rire et la place que ce dernier avait dans leur pensée, place ambivalente où le rejet et l’apologie se côtoient. Nous traiterons ensuite la question de cette ambivalence envers le rire dans la littérature gréco-romaine et chez les Pères de l’Église. Dans cette partie, nous aborderons également les études précédentes sur l’humour des rabbins, qui ont été pour nous une source d’inspiration importante. L’étude de l’humour dans les textes tannaïtiques est divisée en trois chapitres. Le premier est consacré aux figures centrales du mouvement tannaïtique, le deuxième aux groupes qui se trouvent à la marge de ce mouvement. Le troisième chapitre regroupe des thématiques variées et les récits y sont classés majoritairement selon la forme humoristique employée. Outre l’analyse de l’humour, à l’aide des outils théoriques existants que nous présentons dans la première partie de l’introduction, nous avons établi un classement qui nous est propre de l’humour rabbinique. Ce dernier s’exprime à trois niveaux : – L’humour interne. Ce sont les mots d’esprit et l’ironie (ainsi que d’autres formes humoristiques) dans les échanges entre les protagonistes des récits : une métaphore ou une image amusante, des noms et des surnoms basés sur des jeux de mots ou moqueurs. L’humour interne peut avoir une fonction littéraire dans le récit, ou des fonctions sociales et psychologiques dans les rapports entre les protagonistes de la narration ; – L’humour narratif. Ce sont les effets comiques ou les retournements ironiques dans le déroulement du récit. R. Kushelevsky s’est particulièrement intéressée à ce type d’humour, qui peut avoir une fonction littéraire, mais aussi révèle des polémiques, des tensions et des idées qu’une lecture ne mettant pas l’accent sur l’humour ignore ; – L’humour philosophique. Ce sont des récits dont le caractère comique, fantastique, grotesque, parodique, etc. contraste avec le contexte littéraire sérieux. Cette tension peut exprimer des fonctions épistémologique, polémique et politique, comme le montrent D. Boyarin et H. Zellentin. Une lecture comporte toujours un aspect subjectif plus ou moins prononcé. Notre travail qui propose une nouvelle perspective sur les textes rabbiniques ne déroge pas à cette règle, mais il n’en aspire pas moins à une certaine objectivité. Il nous faut donc placer les récits humoristiques dans le contexte normatif de la pensée rabbinique afin de comprendre l’humour des rabbins de l’antiquité.

XVIII

AVANT-PROPOS

Après une lecture « rapprochée »7 qui permet une analyse fine de toutes les nuances internes des récits, ces derniers seront examinés dans leur contexte littéraire immédiat, puis confrontés à leur contexte intertextuel, au contexte historique et aux commentaires traditionnels et modernes. En combinant ces approches, il nous semble qu’il est possible d’obtenir une lecture relativement objective des textes. Parfois, lors de la lecture « rapprochée », certains détails des récits paraissent étranges ou incongrus. Ces anomalies dans le texte, ces complexités, peuvent représenter un potentiel humoristique. Une lecture intertextuelle, c’est-à-dire la confrontation du texte avec d’autres passages apparentés, peut, comme nous le verrons, rendre explicite l’humour qui s’y trouve dissimulé. N’oublions pas que notre étude porte sur les textes rabbiniques, qui ont aujourd’hui un statut canonique et sacré. Ils sont au fondement de l’orthodoxie juive depuis la fin de l’antiquité. Quand bien même l’humour est inhérent à la tradition juive, notre approche reste subversive. Notre lecture centrée sur l’humour tente de découvrir des aspects nouveaux dans les textes et il arrive qu’elle contredise les commentaires traditionnels et les travaux universitaires. Nous avons traduit tous les textes à partir des manuscrits disponibles sur la base de données ma’agarim de l’Académie de la langue hébraïque. Pour la Mishna, il s’agit du ms Kaufmann A50, Budapest ; pour la Tosefta du ms Vienne 46. Les manuscrits pour les autres corpus cités et les variantes sont indiqués au cas par cas en note. Quant à la traduction elle-même, nous avons fait le choix de l’approche la plus littérale possible, car elle permet de rendre compte des détails, ce qui est primordial pour notre recherche. Les termes techniques sont traduits dans la mesure du possible, et indiqués en transcription en note. Lorsque la traduction d’un terme technique n’est pas aisée, il sera transcrit dans le texte puis expliqué en note. Pour les versets bibliques, nous citons la traduction du Rabbinat lorsqu’elle convient au sens que les rabbins donnent au verset. Lorsque celle-ci n’est pas adéquate, nous proposons une traduction littérale et indiquons en note la traduction du Rabbinat et d’autres traductions usuelles. Les traductions des textes de Flavius Josèphe sont tirées du site suivant: http:/remacle.org./bloodwolf/historiens/Flajose/intro.htm.

7 Méthode de critique littéraire, terme traduit de l’anglais close reading, l’équivalent en hébreu de qeri’a ṣemuda.

I CADRE CONCEPTUEL

A. L’humour, aperçu théorique Le mot et la notion d’humour ont déjà fait couler beaucoup d’encre, il y a presque autant de théories et d’explications que de savants sur ce sujet. Il est donc important de poser le cadre théorique de notre recherche en commençant par quelques définitions8 : « Humour [ymur] n. m. (1725 mot angl., du fr. humeur). Forme d’esprit qui cherche à mettre en valeur avec drôlerie le caractère ridicule, insolite ou absurde de certains aspects de la réalité (…)9. » « Humour (du latin humor, “liquide”). Qualité d’un texte qui met le lecteur dans un état d’esprit agréable. À cette fin, l’écrivain peut mettre en œuvre un éventail de procédés qui engendre, d’une manière ou d’une autre, des effets de contraste. L’humour couvre une vaste gamme de nuances : du vulgaire le plus plat à l’esprit raffiné, de la satire aiguë à l’ironie délicate. En un sens plus étroit, l’humour est un trait d’esprit qui permet au lecteur de faire contrepoids aux images assombries du réel10. »

Cette définition de l’humour littéraire fait apparaître deux points de vue opposés. Le premier considère que le mot humour « couvre une vaste gamme de nuances : du vulgaire le plus plat à l’esprit raffiné, de la satire aiguë à l’ironie délicate ». Le deuxième s’attache au sens étroit du mot disant que « l’humour est un trait d’esprit qui permet au lecteur de faire contrepoids aux images assombries du réel ». Dans le cadre de cette recherche, c’est le sens large que nous adoptons, mobilisé notamment par les sociétés savantes qui se consacrent à la recherche sur l’humour11. D’autres chercheurs comme G. Rabinovitch privilégient le sens étroit : « De la dérision à la moquerie, de la parodie à la satire, de l’ironie au persiflage, de la raillerie au sarcasme, de la farce au burlesque, le champ lexical est vaste pour désigner les inflexions de ces rires mordants, distinguer leurs nuances stylistiques, différencier la plus grande légèreté de leur timbre. Il en

8 Les dictionnaires se recoupent beaucoup, nous proposons donc ici deux définitions, l’une d’un dictionnaire général de la langue française, l’autre d’un dictionnaire de termes littéraires. 9 Le Larousse des noms communs, Paris, 2008, p. 687. 10 Dictionnaire des termes littéraires, Paris, 2001, p. 240. 11 The International Society for Humor Studies ; The Israely Society for Humor Studies.

2

CADRE CONCEPTUEL

est un pourtant qui a fini par s’en démarquer, sinon s’en exclure : l’humour12. »

Le sens restreint accordé au mot humour engage deux dimensions importantes : l’une historique et l’autre éthique. Du point de vue historique, le mot rire était employé de manière générale pour évoquer non seulement le phénomène physique, mais aussi ce qui le provoque, jusqu’à l’emploi au XVIIIe siècle en Angleterre du terme humour pour désigner un état d’esprit non sérieux, enjoué, qui porte un regard détaché et amusé sur la réalité parfois triste. D’un point de vue éthique, l’humour, comme l’indique G. Rabinovitch, se distingue des formes aggressives de rire, puisqu’il est marqué par la bienveillance et l’autodérision. Malgré l’importance de l’historicité du mot et de sa dimension éthique, pour des raisons pratiques, nous allons utiliser le sens large du mot humour, pour désigner toute expression non sérieuse et amusée. Même si dans ce livre nous employons le mot humour pour désigner entre autres ce que Rabinovitch appelle « les rires mordants », nous verrons que ces formes aggressives d’expressions non sérieuses comportent dans la littérature tannaïtique une dimension éthique. Les rabbins, même lorsqu’ils se moquent ou ironisent, développent ces « rires mordants » dans un discours visant, soit à se détacher d’une triste réalité par l’autodérision, soit à remettre dans les rangs de manière bienveillante une « brebis égarée ». L’humour est profondément humain, comme le rire13 lui-même, et la théorisation du rire et de ce qui le provoque préoccupe les philosophes depuis l’antiquité jusqu’à nos jours. Dans l’antiquité, il faut bien sûr mentionner Platon14 et Aristote15, mais aussi Cicéron16, qui distingue l’humour verbal, circonstanciel, et caractériel et classe l’humour verbal par catégories : double-sens, surprise, jeux de mots, noms atypiques, proverbes, allégorie, ironie, métaphore, etc. Si le Moyen-âge ne connaît pas d’études significatives sur le rire, la Renaissance et la modernité connaissent Joubert17 (XVIe), Spinoza18, Descartes19, Hobbes20 (XVIIe), et les Allemands Kant21 12 G. RABINOVITCH, Et vous trouvez ça drôle  ?! Variations sur le propre de l’homme, Paris, 2011, p. 23. 13 Le mot rire signifie pour nous la réaction à l’humour, qui peut revêtir une large gamme de nuances : d’un sourire interne jusqu’au rire qui secoue le corps et provoque des larmes. 14 Voir p. 6, 15, 19-20, 50, 67 (toutes les indications sous la forme « voir p. » sont des renvois internes à notre propre ouvrage). 15 ARISTOTE, Poétique 1447a-1449b. 16 CICÉRON, De oratore 2, 54-71. 17 L. JOUBERT, Traité du ris, Paris, 1579. 18 B. SPINOZA, L’éthique, Amsterdam, 1677. 19 R. DESCARTES, Les passions de l’âme, Paris, 1649. 20 T. HOBBES, Leviathan, Londres, 1651. 21 E. KANT, Critique de la faculté de juger, Berlin, 1790.

L’HUMOUR, APERÇU THÉORIQUE

3

et Johann Paul F. Richter22 (XVIIIe). Au XIXe et au début du XXe siècle, deux nouveaux et importants axes de recherche apparaissent : l’étude sociologique avec notamment Schopenhauer23 et Bergson24, et l’approche psychanalytique de Freud25. Dans le courant du XXe siècle, l’humour devient un domaine de recherche spécifique et pluridisciplinaire. A.1. L’incongruité, l’approche cognitive et la fonction intellectuelle Le rire de Sara dans Gn 18, 9-15, et la réaction divine à son rire ont été interprétés de nombreuses manières. Selon A. Sover26, Sara rit parce que l’idée d’enfanter à un âge avancé lui semble incongrue. Dieu comprend son rire et l’accepte, précisément parce qu’il est naturel que l’homme rie des incongruités. La notion d’incongruité dans le comique a été développée par plusieurs chercheurs et de manière variée. L’idée d’opposition se trouve chez J. M. Willman27 qui avance que l’effet comique est créé par l’association d’idées opposées. J. M. Willman est proche de P. Buet28 qui trouve dans le comique une disproportion, une anomalie, un accident ou une contradiction. Le comique apparaît lorsqu’une exagération considérable crée un désordre imprévu. Un tel désordre peut s’exprimer dans le cas précis de la taille. Spencer29, par exemple, explique que l’incongruité résulte du transfert d’idées du grand vers le petit, ce que A. Sover30 rectifie en disant qu’il s’agit d’une incongruité résultant de l’incohérence de taille (il donne l’exemple d’un chapeau d’adulte porté par un enfant et d’un chapeau de bébé porté par un adulte)31. Un genre littéraire spécifique développe l’incongruité en lien avec l’exagération : le grand conte, genre dont relèvent les récits du baron de Münchhausen, employé également par Mark Twain32. À cette idée d’opposition, on peut ajouter la notion d’attente, comme le fait W. Hazlitt33 en disant que ce qui est drôle est généré par une séparation d’idées, par une contradiction hasardeuse entre nos attentes et la réalité.

22

JEAN-PAUL, Poétique ou introduction à l’esthétique, Paris, 1862. A. SCHOPENHAUER, Le monde comme volonté et comme représentation, Leipzig, 1819. 24 H. BERGSON, Le rire, Paris, 1900. 25 S. FREUD, Le mot d’esprit et sa relation à l’inconscient, Leipzig/Vienne, 1905. 26 A. SOVER, Humor. The Pathway to Human Laughter (en hébreu), Jérusalem, 2009, p. 18. 27 J. M. WILLMAN, « An Analysis of Humor and Laughter », American Journal of Psychology 53, 1940, p. 70-85. 28 P. BUET, Le rire au théâtre, Paris, 1943, p. 809. 29 H. SPENCER, Essays (The Physiology of Laughter), vol. 1, Londres, 1868, p. 194-210. 30 SOVER, Humor…, p. 19. 31 Ce type précis d’incongruité se trouve dans T Kippurim 1, 21-22. Voir p. 243. 32 C. BALDICK, The Oxford Dictionary of Literary Terms, New York, 2008, p. 331. 33 W. HAZLITT, Lectures on the English Comic Writers, Londres, 1818, p. 4. 23

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CADRE CONCEPTUEL

Schopenhauer34 comme Hazlitt trouve l’origine de l’effet comique dans le décalage entre les attentes et la réalité. Sover35 précise la notion d’attente : il s’agit en fait de nos connaissances acquises, la réalité telle que nous la concevons (et pas seulement d’une attente concrète). L’incongruité, présente dans chaque situation comique, peut ainsi être conçue comme une innovation qui se trouve en décalage avec notre perception habituelle de la réalité. La notion d’incongruité est fondamentale dans notre recherche, où les attentes dont parlent Schopenhauer, Hazlitt et Sover, peuvent être identifiées avec les normes rabbiniques. La Mishna et la Tosefta se présentent d’abord comme des textes juridiques qui décrivent le système rabbinique de manière sérieuse et codée. Les genres littéraires dans les textes rabbiniques36 suivent également des structures visibles et stables. Il est donc assez aisé d’y découvrir des disproportions, anomalies, contradictions et exagérations. L’incongruité apparaît à travers le décalage entre la norme rabbinique et les détails des récits, et permet de qualifier ces derniers d’humoristiques. Lorsque l’incongruité n’est pas comprise elle peut passer inaperçue ou bien être considérée comme une erreur. Si l’on répond sérieusement à une question rhétorique posée avec ironie, le procédé humoristique n’est pas compris et passe inaperçu. Si on ne comprend pas la transformation humoristique d’un mot ou d’une expression, on peut la considérer comme une simple erreur. Les textes rabbiniques que nous lisons de manière humoristique font souvent l’objet de lectures non humoristiques. Nous verrons précisément comment les incongruités que nous mettons en lumière sont soit ignorées37 soit considérées comme des erreurs38. La théorie cognitive Apparentées à la notion d’incongruité, les théories cognitives définissent le processus intellectuel de la perception de l’humour. Pour Nerhardt39, l’humour est le résultat d’une contradiction entre deux représentations mentales,

34 A. SCHOPENHAUER, Le monde comme volonté et comme représentation, Paris, 1966, p. 93-94. 35 SOVER, Humor…, p. 20. 36 Décrits dans le préambule à la troisième partie. 37 Voir notre commentaire de M Berakhot 1, 3-4, p. 175-178, en rapport avec la lecture d’A. Tropper. 38 Voir notre commentaire de T Kippurim 1, 12, p. 237-241, en rapport avec la lecture d’A. Tropper. 39 G. NERHARDT, « Incongruity and Funniness. Towards a New Descriptive Model », dans A. J. CHAPMAN, H. C. FOOT (éd.), Humor and Laughter. Theory, Research and Applications, Londres, 1976.

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idée présente également chez Bergson40 qui soutient qu’une situation est comique lorsque les événements peuvent être perçus de deux façons distinctes et que la pensée oscille constamment entre les deux possibilités : le sens réel et le sens possible d’une seule et même réalité. Cette insistance sur l’aspect mental de la perception de l’humour se retrouve chez Saulnier41 qui soutient que l’humour est le comportement de la pensée et chez Auboin42, pour qui l’humour est un phénomène essentiellement intellectuel dans lequel la logique cohabite avec l’absurde. Le comique bouleverse les critères logiques et la pensée agit simultanément dans deux directions. Koestler43 développe la théorie cognitive et trouve des points communs entre la créativité humoristique et la créativité scientifique et artistique. Selon lui, l’humour brise la logique. Une pensée humoristique prend des directions créatives et inhabituelles, tout comme les innovations scientifiques ou artistiques. Une pensée créative dans la science, l’art tout comme dans l’humour, crée des associations d’éléments éloignés, voire opposés. L’humour est donc un effort créatif intellectuel. Koestler définit la pensée humoristique comme une dissociation : le cerveau prend conscience d’un élément (idée, situation, mot) qui peut être associé à deux niveaux de pensée différents ; le rire est le résultat de la compréhension du comique : l’association des deux niveaux de la pensée par une seule et même idée. Si l’humour est créé par l’association d’éléments naturellement très éloignés, en comprendre les liens et en rire implique des capacités intellectuelles élevées et une pensée non conventionnelle. Koestler considère la compréhension de l’humour comme une création et De Bono44 appelle ce type d’activité intellectuelle la « pensée latérale ». Comprendre l’humour, mais également le produire, constitue un défi intellectuel qui témoigne de bonnes capacités cognitives, et contribue à les améliorer. L’aspect intellectuel dans la production et la réception de l’humour rejoint ce qu’avance B. Engelman à propos de l’humour rabbinique. D’une part, l’activité intellectuelle des rabbins est un milieu propice à la production de l’humour ; d’autre part, l’humour joue un rôle dans le développement intellectuel des sages. L’univers érudit dans lequel se développe la littérature rabbinique, malgré ses objectifs d’abord sérieux, est donc propice au développement d’un humour spécifique45.

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H. BERGSON, Le Rire, Paris, 2007, p. 73-75. Cl. SAULNIER, Le sens du comique, Paris, 1940, p. 138. E. AUBOIN, Technique et psychologie du comique, Thèse de doctorat, Marseille, 1948. A. KOESTLER, The Act of Creation, New York, 1964. E. DE BONO, The Use of Lateral Thinking, Londres, 1967, p. 126-127. Voir p. 76.

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L’humour permet la remise en ordre cognitive de l’individu, mais il permet également de le faire changer et évoluer. Selon De Bono46, le cerveau humain classe les informations qu’il reçoit selon les systèmes qu’il connaît. Une situation inhabituelle sera donc examinée par rapport aux systèmes préalablement connus. À partir du moment où cette situation est perçue comme comique, son existence, si inhabituelle qu’elle soit, sera validée et elle pourra coexister avec les systèmes précédents. Cela permet de faire évoluer les modes de pensée, les normes et les comportements. Nous rions des situations inhabituelles, des incongruités ; ces « anomalies », qui nous font d’abord rire, rentrent ensuite dans notre système de valeurs. C’est peutêtre la raison pour laquelle nous rions rarement d’une même plaisanterie la seconde fois avec la même intensité, ou des choses qui paraissaient autrefois incongrues semblent aujourd’hui parfaitement normales. L’humour reflète l’adaptabilité humaine tout en contribuant à la façonner. A.2. La moquerie, le sentiment de supériorité et la fonction agressive D’aucuns disent que l’homme qui rit se sent supérieur à celui dont il rit (ou dont il se moque). L’une des versions dominantes de cette théorie soutient que le rire est un outil d’humiliation. Le premier à établir cette théorie est Platon. Il condamne le rire moqueur et humiliant dans le Philèbe et la République, et critique Homère pour avoir décrit la moquerie des dieux à l’égard d’Héphaïstos qui boitait47. Aristote48 est plus conciliant sur le rire, disant que ce qui fait rire est une anomalie ou une laideur inoffensive. La tragédie selon Aristote imite les personnes d’un rang supérieur alors que la comédie concerne des figures issues des strates intérieures de la société. Au XVIIe siècle, Hobbes49 suit Platon en mettant l’accent sur le sentiment de supériorité de celui qui rit envers l’objet du rire et en considérant l’action de se moquer comme une faiblesse humaine. Au XVIIIe siècle, Philbert50 va même jusqu’à dire que le sentiment de supériorité est une condition préalable pour le rire et que la personne inférieure ne peut pas faire rire ; il appartient à la personne supérieure de rire d’elle. Au XIXe siècle, Bain51 continue la pensée de Hobbes, disant que le rire résultant d’un sentiment de supériorité est comme le rire associé à une victoire, avec la satisfaction d’humilier l’objet de la moquerie. Selon lui, le rire naît seulement lors de la dégradation de quelque chose (ou quelqu’un) d’honorable dans des 46 47 48 49 50 51

DE BONO, The Use…, p. 126-127. PLATON, République 388e-389a. ARISTOTE, Poétique 1449a-b. T. HOBBES, Léviathan, Ph. FOLLIOT (trad.), Dieppe, 2002, p. 59. L. PHILBERT, Le Rire. Essai littéraire, moral et psychologique, Paris, 1883, p. 454. A. BAIN, Les émotions et la volonté, Paris, 1885, p. 250-251.

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circonstances où la pitié n’est pas assez forte pour l’emporter sur le rire. Au XXe siècle, Sully52 poursuit ce courant de pensée en disant que la vue de la victoire ou la supériorité d’un homme sur un autre nous procure de la satisfaction et nous fait donc rire ; l’homme qui rit de la situation s’identifie au personnage supérieur. Goldstein53 souligne également la satisfaction du rieur qui s’identifie au personnage vainqueur ou supérieur, et se sent luimême meilleur. Tourner en dérision selon cette théorie est une manière de montrer la supériorité du moqueur et l’infériorité de l’objet de la moquerie. C’est une théorie qui rejoint la fonction agressive de l’humour et est apparentée à l’humour rhétorique des rabbins qui intervient dans des polémiques avec des individus ou des groupes marginaux ou dissidents. Il ne faut cependant pas oublier que le mouvement tannaïtique est un mouvement minoritaire qui cherche à imposer sa notoriété, notamment à travers les textes54. La moquerie agressive, qui peut en apparence être une démonstration de supériorité, est en réalité la volonté d’établir cette supériorité par la rhétorique du rire. Si la moquerie est une forme agressive d’humour, la fonction agressive s’exprime non seulement dans la démonstration de la supériorité du moqueur, comme nous venons de l’évoquer, mais également dans la libération d’une agressivité physique, transformée en moquerie ou humour agressif. L’agressivité devient émotionnelle et intellectuelle, en conformité avec le concept freudien de l’humour qui met l’accent sur la transformation de l’agressivité physique, censurée par le surmoi, transformation due à l’éducation et à la socialisation de l’individu. D’autres thèmes « tabou » ou censurés, qui n’ont rien d’agressif, relèvent de cette même catégorie, comme par exemple la sexualité. Dans ce sens, la libération de l’agressivité et la démonstration d’une supériorité désirée sont des fonctions psychologiques de l’humour, apparentées à celles que nous évoquons plus loin (p. 10). Il faut également rapprocher cet aspect du rire de la moquerie divine agressive, présente dans Ps 2, 4 et interprétée par les rabbins dans TB ‘Aboda Zara 3b (voir p. 40). Plutôt tardive, cette préoccupation est absente de notre corpus, où l’on peut néanmoins trouver l’idée du rire de la victoire dans quelques textes, notamment en lien avec les thèmes de l’ironie divine ou de l’ironie du sort55.

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J. SULLY, Essai sur le rire, Paris, 1904, p. 108. J. H. GOLDSTEIN, P. E. MCGHEE, The Psychology of Humor. Theoretical Perspectives and Empirical Issues, New York, 1972, p. 6-7. 54 Ce point de vue est aujourd’hui admis par presque tous les chercheurs. 55 Voir p. 308. 53

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A.3. La théorie sociale selon Bergson et les fonctions sociales de l’humour Dans son traité Le Rire (1900), d’abord publié sous la forme de trois articles dans la Revue de Paris, Bergson développe une théorie sociale du rire à la suite d’autres philosophes comme Schopenhauer. Ce dernier56 affirme que des animaux peuvent nous paraître ridicules parce qu’ils nous semblent humains ; c’est notre point de vue humain qui leur donne une dimension humoristique. Bergson adopte cette théorie et affirme que le comique ne se trouve que dans ce qui est humain, ou ressemble à l’humain ou est créé ou utilisé par l’homme. Kris57 avance que lorsque le comique apparaît par rapport à quelque chose qui n’est pas humain, c’est le résultat d’une analogie avec une activité humaine. Selon Bergson, le rire n’existe qu’en tant que fonction sociale. A. Sover58 tente de nuancer cet avis en disant que le rire est, en effet, amplifié lorsque nous sommes en compagnie d’autres personnes, mais qu’une personne seule réagit également aux situations comiques. Il donne aussi l’exemple de bébés qui créent des situations comiques ou en rient. S’il a bien raison de nuancer la théorie trop extrême de Bergson, son argumentation ne nous semble pas assez convaincante, puisque même lorsqu’il est seul, l’homme a reçu une éducation sociale, son isolement est temporaire et il se projette mentalement dans un cadre social. La théorie de Bergson reste donc valable puisqu’il affirme que l’on ne peut rire d’une situation comique (ou d’un texte, une plaisanterie, etc.) que si l’on fait partie du cercle social dans lequel elle est créée, ou pour généraliser cette idée : il faut avoir une connaissance préalable du système de valeurs d’une société pour comprendre l’humour qu’elle produit. Pour remettre en question la théorie de Bergson, il faudrait vérifier si un homme qui a vécu toute sa vie en réclusion est capable de rire et de réagir à des situations comiques. Pour Bergson, le rire est un instrument social permettant de critiquer des membres de la société qui ne sont pas conformes à ses normes. « Toujours un peu humiliant pour celui qui en est l’objet, le rire est véritablement une espèce de brimade sociale59. » Nous verrons que cette fonction de « brimade sociale » est centrale dans l’humour tannaïtique, car elle intervient dans l’humour « interne » comme dans l’humour « narratif », et on peut même considérer l’humour « philosophique » comme une brimade sociale que les rabbins opèrent sur eux-mêmes. 56 A. SCHOPENHAUER, Le monde comme volonté et comme représentation, A. BURDEAU (trad.), Paris, 1912, p. 63-66. 57 E. KRIS, Psychoanalytic Explorations in Art, New York, 1952. 58 SOVER, Humor…, p. 25. 59 BERGSON, Le Rire…, p. 103.

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Bergson souligne également une incompatibilité entre le rire et les sentiments, le rire étant une fonction intellectuelle de l’homme, qui, lorsqu’il rit, n’éprouve pas des sentiments tels que la compassion ou l’affection. Sover60 propose très justement de nuancer la théorie de Bergson : le sentiment peut accompagner le rire (on peut rire d’un être aimé), il peut également augmenter ou diminuer son intensité (selon les sentiments que l’on éprouve envers l’objet d’une situation comique). Quant à la formation de situations comiques, Bergson l’associe à une « mécanisation du vivant », c’est-à-dire le fait d’attribuer un comportement mécanique à un être vivant ou de présenter des hommes comme des machines. D’autres éléments à l’origine du comique sont selon lui la répétition de mots ou de situations, l’inversion de rôles ou de valeurs, et les phénomènes de « double sens », avec notamment la prise au sens propre des expressions imagées ou métaphoriques. Ces théorisations nous seront utiles dans l’analyse de certains récits tannaïtiques61. Un autre aspect important développé par Bergson est la prise de distance par rapport à la réalité grâce au regard humoristique. C’est un point qui se rapproche de la fonction psychologique du rire : « L’observation d’où naît la comédie est une observation extérieure62. » Nous adhérons parfaitement à cette théorie. Encore dans le champ psychologique, Bergson devance Freud en rapprochant le comique, et plus particulièrement l’absurde, du rêve. Il décrit la similitude des processus intellectuels du rêveur et du rieur. Les fonctions sociales de l’humour sont nombreuses. C’est un moyen de communication important au sein d’un groupe, il sert à le consolider et à améliorer son état d’esprit en général. L’importance du rire et de l’humour en société valorise les individus qui ont le sens de l’humour et encore plus ceux qui le produisent. Les premières communications sociales des bébés passent d’ailleurs par le rire et par le sourire. Plus l’enfant s’intègre dans la société et développe une perception de ses normes, plus il trouvera drôles les situations incongrues. Ceci renvoie à l’idée que pour comprendre l’humour, il faut connaître au préalable le système normatif dans lequel il est produit. L’humour permet à la société de définir son système normatif et de recadrer les individus qui ne respectent pas les normes de manière douce et bienveillante. Contrairement à la critique directe, la critique humoristique permet à l’individu de revenir aux normes sans malaise. On peut d’ailleurs déceler dans chaque comédie un élément critique qui devient très prononcé

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SOVER, Humor…, p. 26. Voir notamment notre analyse de T Shabbat 13, 4, p. 112-115. BERGSON, Le Rire…, p. 129.

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dans les satires sociales et politiques. Nous verrons dans la troisième partie de la thèse comment ces fonctions sociales s’expriment dans l’humour tannaïtique. A.4. La théorie psychanalytique de Freud63 et les fonctions psychologiques Freud rapproche le mot d’esprit (Witz) des rêves en affirmant que, comme le rêve permet à l’homme de faire face à la réalité et aux sentiments refoulés, le rire permet à l’homme d’aborder des sujets délicats ou interdits et de contourner la censure du surmoi. Les sujets censurés touchent à la sexualité et à l’agressivité, mais aussi à d’autres domaines, comme la pensée logique ou le comportement normatif. Le mot d’esprit permet de dépasser les normes et les interdits. Freud différencie le mot d’esprit « intéressé » du mot d’esprit « innocent ». Il fait également une distinction entre le mot d’esprit, le comique (forme, situation et action) et l’humour qui est un processus émotionnel transformant des situations de souffrance en situations de plaisir. L’ironie chez Freud est une forme de mot d’esprit. Les fonctions psychologiques de l’humour sont nombreuses. Il permet de se protéger des situations stressantes ou effrayantes, et de maintenir un équilibre cognitif. Certains chercheurs64 comprennent le rire comme une réaction instinctive liée notamment au mécanisme de survie. L’autodérision peut donc être conçue comme un système de protection. L’homme produit de l’humour et rit avant, pendant et après des événements difficiles ou douloureux. A. Memmi65 écrit notamment à propos de l’humour juif qu’il est « l’incarnation de la souffrance juive et dans le même temps la tentative d’y donner une réponse ». Un regard comique sur une situation difficile permet à quelqu’un de faire face à la réalité et de rétablir (ou maintenir) son équilibre mental. L’humour est l’un des outils intellectuels qui permettent d’affronter des situations d’angoisse ou d’effroi. Pour développer la capacité à faire face à de telles situations avec humour, l’homme se confronte à des simulations, notamment dans la littérature et le cinéma qui sont également le cadre idéal pour proposer des solutions. Bettelheim66 écrit à propos des contes qu’ils reflètent le monde intérieur, souvent turbulent, de l’homme et qu’ils permettent à ce dernier de rétablir un équilibre avec lui-même et avec le monde qui l’entoure. Un moyen de protection puissant est l’humour noir, créé 63

S. FREUD, Le mot d’esprit et ses rapports avec l’inconscient, Paris, 1988. C. Saulnier, H. C. McComas. 65 A. MEMMI, La libération du juif, Paris, 1966, p. 41. 66 B. BETTELHEIM, The Uses of Enchantment. The Meaning and Importance of Fairy Tales, New York, 1976. 64

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lors de situations de souffrance extrême, souvent à propos de sujets dont on souffre. Il permet de faire face aux aspects psychologiques de la souffrance. Selon la théorie de l’incongruité qui rejoint la théorie cognitive du rire, l’homme rit lorsqu’il rencontre une situation inhabituelle, qui n’est pas en adéquation avec sa perception habituelle de la réalité. Cette situation inhabituelle est un désordre cognitif, et le rire (c’est-à-dire la reconnaissance de l’humour) est une façon de mettre les choses en ordre, il sert donc à conserver un équilibre cognitif. Nous verrons dans la troisième partie de la thèse comment l’humour permet aux protagonistes des récits de faire face à leurs difficultés dans le cadre de l’humour interne. Nous aborderons également les fonctions psychologiques de l’humour narratif et philosophique, notamment dans les polémiques rabbiniques internes et externes. Lorsque les rabbins se moquent de groupes dissidents, et présentent leur mouvement comme un mouvement dirigeant, ils expriment non pas la réalité telle qu’elle est, mais telle qu’ils veulent qu’elle soit, et se libèrent ainsi, à travers le texte, des souffrances ou des difficultés de la réalité. A.5. La physiologie du rire, la catharsis et la fonction thérapeutique La physiologie du rire a intéressé les savants depuis l’antiquité. Cicéron67 ne fait que mentionner les parties du corps qui participent au rire. Nous trouvons un texte similaire repris de nombreuses fois dans la littérature rabbinique68. Des théories diverses et variées sont développées à partir du XVIe siècle, mais elles n’apportent rien d’intéressant à notre propos. Nous noterons simplement que des sentiments positifs comme négatifs qui n’ont pas été exprimés sont libérés notamment par le rire, ou la réaction à l’humour69. Le rire est donc une libération à la fois mentale et physique, puisqu’en riant, l’activité corporelle est accrue. Les pleurs peuvent avoir la même fonction purificatrice, mais ils ne procurent pas du plaisir comme le rire. En lien avec l’aspect physiologique du rire et sa fonction thérapeutique, de nombreux chercheurs, psychologues et médecins ont souligné les bienfaits du rire pour la santé physique et mentale, et ont également développé des techniques thérapeutiques qui utilisent l’humour. Le psychothérapeute V. Frankl70 a été le premier à proposer un traitement des détresses 67

CICÉRON, De oratore 2, 54. Voir p. 34, note 137. 69 Idées présentes chez Kant dans la Critique de la Faculté de Juger et chez Spencer dans Essays (The Physiology of Laughter). 70 V. E. FRANKL, Découvrir un sens à sa vie avec la logothérapie, Montréal, 1988. 68

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émotionnelles par « l’intention paradoxale » qui consiste à développer un regard inversé et humoristique sur l’origine ou la raison de la détresse. Dans les années 1970, le docteur Adams fonde l’institut Gesundheit qui intègre la thérapie par le rire et l’humour dans sa vision nouvelle de la médecine. Le docteur Kirsner71 utilise l’humour comme méthode pour réduire les douleurs et améliorer la longévité des malades du cancer : les témoignages de ses patients confirment l’efficacité de la méthode. Il n’y a pas de fonction réellement thérapeutique dans l’humour des tanna’im, mais l’humour pédagogique peut être rapproché de l’humour thérapeutique. Les ouvrages que nous avons consultés à propos de l’humour dans une culture ou un corpus donné (que ce soit dans la littérature rabbinique, dans la Bible, etc.) commencent, bien évidemment, par une tentative de définir ce qu’est l’humour, phénomène inhérent à l’homme. Ce dernier aime rire, s’amuser, sourire…, ces comportements peuvent exprimer de nombreux sentiments et avoir des fonctions multiples. L’humour englobe les différentes expressions et fonctions décrites plus haut. Nous mettrons donc en lumière dans la Mishna et la Tosefta l’ironie, le sarcasme, les plaisanteries bienveillantes, les farces, les situations et comportements comiques, les incongruités, les paradoxes, les énigmes, les parodies, les caricatures, etc., en nous appuyant sur les théories évoquées. Après ces définitions théoriques générales, nous allons aborder des définitions plus spécifiques à notre sujet. Le judaïsme évolue dans un environnement hellénisé depuis la conquête de la Judée par Alexandre le Grand en 332 av. J.-C. Les rabbins vivaient donc dans un environnement hellénistique et malgré leur volonté de s’en démarquer, partageaient, du moins partiellement, sa culture72. Nous allons nous intéresser maintenant de plus près à l’expression de l’humour dans la littérature gréco-romaine.

B. Le rire dans l’antiquité : expressions et genres littéraires dans la culture gréco-romaine Le rire s’exprime de manière différente selon le genre littéraire et l’auteur. Nous définirons ici brièvement les notions fondamentales qui concernent 71 B. KIRSNER, « The Use of Humor in the Treatment of People with Cancer », dans E. S. BUCKMAN (éd.), The Handbook of Humor. Clinical Applications in Psychotherapy, Malabar, 1994, p. 148-154. 72 Voir notamment S. LIEBERMAN, Greek in Jewish Palestine / Hellenism in Jewish Palestine, New York, 1994 ; L. I. LEVINE, Judaism and Hellenism in Antiquity. Conflict or Confluence  ?, Washington, 1998.

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l’expression du rire et de l’humour dans la littérature grecque et hellénistique (de l’époque classique – VIe siècle av. J.-C. à l’antiquité tardive), à savoir les genres et les techniques littéraires qui permettent de théoriser l’humour tannaïtique. Nous définirons d’abord quelques notions de base d’après des dictionnaires, puis nous nous intéresserons à l’expression de l’humour chez les poètes tragiques et surtout chez les philosophes, dans des textes apparentés aux écrits rabbiniques dans la mesure où ils n’ont pas de visée comique en tant que telle, et intègrent des éléments humoristiques dans un discours majoritairement sérieux. B.1. Les genres littéraires La comédie grecque apparaît au VIe siècle av. J.-C. Consistant d’abord en des expressions populaires et spontanées (plaisanteries et chansons) qui suivaient les cérémonies religieuses lors des fêtes en l’honneur de Dionysos, la comédie grecque devient un genre littéraire au Ve siècle, surtout illustrée à cette époque, celle de la « comédie ancienne », par Aristophane. Marquée par une grande liberté du langage et des gestes, la comédie d’Aristophane marie la bouffonnerie et la poésie. Elle est caractérisée d’un côté par une fantaisie qui s’éloigne de la réalité, et de l’autre par sa proximité avec l’actualité contemporaine, ce qui lui permet de critiquer ouvertement des personnages et des mœurs publics, y compris les fondements de la cité. À partir de la fin du Ve siècle, il s’agit de la « comédie moyenne » (jusqu’en 330) où les auteurs évitent les satires sur l’actualité et choisissent des sujets dans la mythologie ou l’observation des mœurs, tendance qui se confirme à l’époque de la « comédie nouvelle » (330-250), notamment avec Ménandre, qui écrit surtout des comédies de l’amour contrarié, pour exprimer une morale positive73. Le chemin parcouru est celui « du comique au plaisant, du merveilleux et du bouffon au naturel, de la satire débridée à la leçon de morale, de la fête populaire au divertissement de bonne compagnie »74. À Rome, la comédie subit une évolution semblable ; les traditions théâtrales populaires, libres et diversifiées, laisseront la place à la comédie de Plaute (254-184), inspirée de la « comédie nouvelle », à laquelle succéderont les œuvres de Caecilius Statius et de Térence. La satire « (du latin satura, “plat rempli de différents fruits”) [est un] I. genre poétique latin. Comme l’indique l’étymologie du mot, il s’agissait 73 La littérature tannaïtique est peu propice à l’emploi de ce genre. Nous avons cependant trouvé un récit dans Sifre Debarim 131 apparenté à la comédie nouvelle. Voir Annexe 2. 74 Dictionnaire des genres et notions littéraires, Paris, 2001, p. 138.

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à l’origine d’une pièce en vers mêlant des mètres variés, d’une sorte de farce tournant en dérision une personne ou une situation. Lucilius (IIe siècle av. J.-C.) lui donna sa forme caractéristique, c’est-à-dire l’hexamètre ; elle fut ensuite pratiquée, entre autres, par Horace et Juvénal ; II. tout texte littéraire qui dénonce par la raillerie »75. Le drame satirique est « une performance humoristique présentée dans des concours dramatiques athéniens, à la suite d’une trilogie de tragédies. Le drame satirique comportait un cœur de satyres (hommes avec des queues et des oreilles de cheval), et son action était la représentation burlesque d’un récit mythologique approprié dans le contexte des tragédies présentées, employant un langage et des gestes obscènes »76. La satire ménippée « (du nom du poète et philosophe grec Ménippe de Gadara, IIIe siècle av. J.-C.), [est une] forme de satire antique, caractérisée par le mélange de prose et de vers. Après Ménippe, ce genre a été pratiqué, chez les Grecs, par Lucien et, dans le domaine latin, par Varron. (…). La satire ménippée emprunte généralement la forme d’un débat ou d’un dialogue dans lequel des comportements intellectuels ou des positions philosophiques se trouvent ridiculisés ; l’ambition est d’arriver par là aux questions essentielles. Souvent interviennent des épisodes fantastiques, comme des voyages dans le ciel, des descentes aux enfers ou des rêves : de tels épisodes visent d’une part à remettre en question notre vision habituelle du monde et, de l’autre, à accentuer la caricature dans la présentation des problèmes sociopolitiques qui font l’actualité. (…) M. Bakhtin (…) a situé la satire ménippée dans la tradition carnavalesque77 (…) »78. La parodie « (du grec parôdia, “imitation bouffonne d’un chant poétique”) [était] au départ, un pendant comique de la tragédie. Ensuite, plus généralement, [un] ouvrage qui ridiculise un modèle sérieux connu, un courant littéraire déterminé ou une certaine manière d’écrire, en accentuant leurs caractéristiques thématiques ou formelles (…) »79. H. Zellentin souligne, d’après L. Hutcheon, la possibilité que le texte imité par la parodie ne soit pas le texte visé par sa critique80. La farce « (du latin farcire, “engraisser”, d’où garnir, bourrer) [est une] pièce comique courte, connue dès l’Antiquité (Aristophane et Plaute), mais qui s’épanouit surtout à la fin du Moyen-Âge. Elle servait alors 75

Ibid., p. 437-438. BALDICK, The Oxford Dictionary…, p. 299. 77 D. Boyarin s’est appuyé sur les travaux de M. Bakhtin et a comparé les passages carnavalesques du TB à la satire ménipée. Ce développement théorique peut éclairer également certains récits tannaïtiques. Voir p. 67-68, et l’analyse de T Kippurim 1, 14, p. 241-243. 78 Dictionnaire des genres…, p. 438 79 Dictionnaire des termes littéraires…, p. 352. 80 ZELLENTIN, Rabbinic Parodies…, p. 13. 76

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à “farcir” d’intermèdes burlesques les spectacles sérieux (moralités et mystères) »81. L’ironie « (du grec eirôneia, “interrogation”, d’où action d’interroger en feignant l’ignorance) [est une] figure de pensée qui consiste à dire le contraire de ce qu’on veut faire entendre, dans le but de railler, non de tromper (…). Le sens véritable du message se révèle par le contexte, le ton ou les mimiques du locuteur. L’auto-ironie permet à l’auteur (ou au locuteur) de se prendre pour cible (…). L’ironie socratique est une figure de style de Socrate dans les dialogues platoniciens, qui feint l’ignorance afin d’exposer les contradictions dans les discours de ses interlocuteurs en leur posant maintes questions. L’ironie situationnelle ou dramatique n’est pas textuelle, mais résulte d’un concours de circonstances »82. Le sarcasme « (du grec sarkazein, “mordre la chair”) [est une] moquerie mordante, proche de l’ironie, mais d’un ton plus agressif. Alors que l’effet de l’ironie dépend d’une formulation ambiguë (qui crée une tension entre le sens implicite et la formulation explicite), le sarcasme est souvent plus direct »83. La caricature « (de l’italien caricare, “charger”) [est un] portrait intentionnellement chargé, voire contrefait d’une personne, qui s’attaque aux travers et aux vices de celle-ci (…) »84. Certains termes, tels que burlesque, grotesque et même humour, commencent à être employés très tardivement, à l’époque moderne. D’un côté, nous pouvons considérer leur utilisation à propos de la littérature ancienne comme anachronique, mais de l’autre, nous pouvons affirmer qu’il s’agit d’appellations nouvelles de notions bien anciennes. Ce ne sont que les noms qui sont nouveaux, et non les pratiques. Un bon exemple est celui du mot humour. L’étymologie du nom, du latin humor, « liquide », a évolué vers son sens actuel seulement au XVIIe siècle85, à travers un passage par l’anglais. Pourtant, le sens de l’humour, c’est-à-dire la volonté de rire et de faire rire, ou la capacité à percevoir des traits comiques d’une réalité ou d’un texte, est une caractéristique inhérente à l’être humain. Notons une fois de plus que nous entendons par rire la réaction à l’humour. Ce rire peut s’exprimer dans une large gamme de nuances : du sourire interne jusqu’au rire qui secoue le corps et fait couler des larmes.

81 82 83 84 85

Dictionnaire des termes littéraires…, p. 200. Ibid., p. 257-258. Ibid., p. 437. Ibid., p. 84. Voir note 13, p. 2.

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La comédie perçue par Aristote Bien que l’objet de la Poétique d’Aristote soit la description de la tragédie, celle de la comédie relevait également de son projet comme il le déclare dans le sixième chapitre : « De l’art d’imiter en hexamètres et de la comédie nous parlerons plus tard » (1449b)86. À partir des éléments de comparaison et de différentiation entre tragédie et comédie, si peu nombreux soient-ils dans le traité, nous pouvons tout de même tirer quelques conclusions. Au début du traité, Aristote déclare que la comédie, comme la tragédie, est de l’ordre de l’imitation : « L’épopée, et la poésie tragique comme aussi la comédie, l’art du poète de dithyrambe et, pour la plus grande partie, celui du joueur de flûte et de cithare, se trouvent tous être, d’une manière générale, des imitations. Mais ils diffèrent les uns des autres par trois aspects : ou bien ils imitent par des moyens différents, ou bien ils imitent des objets différents, et non de la même manière » (1447a)87.

Au quatrième chapitre, il avance l’idée que la volonté de créer et de « consommer » de l’art poétique, qu’il soit tragique ou comique, est essentiellement humaine : « À l’origine de l’art poétique dans son ensemble, il semble bien y avoir deux causes, toutes deux naturelles. Imiter est en effet, dès leur enfance, une tendance naturelle aux hommes (…) comme la tendance commune à tous, de prendre plaisir aux représentations (…) : nous prenons plaisir à contempler les images les plus exactes de choses dont la vue nous est pénible dans la réalité, comme les formes d’animaux les plus méprisés et des cadavres. Une autre raison est qu’apprendre est un grand plaisir, non seulement pour les philosophes, mais pareillement aussi pour les autres hommes » (1448b).

Dans ce paragraphe, il est important de souligner qu’Aristote a déjà décelé dans l’art poétique les fonctions psychologiques (il permet de traiter des sujets inabordables dans la réalité) et pédagogiques (il contient un enseignement). Selon lui, avant de relever de deux catégories distinctes, le tragique et le comique pouvaient se présenter ensemble dans une même œuvre. À ce sujet il mentionne notamment Homère : « Quant à Homère, s’il a été le poète par excellence pour les sujets élevés (…), il a également été le premier à montrer les traits principaux de la comédie en donnant une forme dramatique, non au blâme, mais au comique » (1448b) ; puis il trace une évolution de la tragédie à partir du drame satirique : « La tragédie gagna encore en ampleur après avoir abandonné – puisque tirant son origine du drame satirique elle a connu une évolution – les histoires brèves et le langage comique » (1449b). 86 87

ARISTOTE, Poétique, M. MAGNIEN (trad.), Paris, 1990, p. 91. Ibid., p. 85.

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Comparons la brève définition de la comédie du cinquième chapitre avec celle de la tragédie dans le sixième chapitre : « La comédie est, comme nous l’avons dit, une imitation d’hommes sans grande vertu – non qu’elle traite du vice dans sa totalité, puisque le comique n’est qu’une partie du laid. Le comique tient en effet à un défaut et à une laideur qui n’entraînent ni douleur ni dommage : ainsi par exemple un masque comique peut être laid et difforme sans exprimer de douleur » (1449b). « La tragédie est donc l’imitation d’une action noble (…) c’est une imitation faite par des personnages en action et non par le moyen d’une narration, et qui par l’entremise de la pitié et de la crainte, accomplit la purgation des émotions de ce genre » (1449b).

Dans cette dernière définition, Aristote souligne la fonction purificatrice de la tragédie, qui permet de ressentir et d’évacuer des sentiments comme la pitié et la crainte. La dualité des définitions du comique et du tragique (le tragique imite le noble ; le comique, le vulgaire), peut nous permettre de supposer que cette même fonction de purge aurait été attribuée par Aristote à la comédie également, mais pour d’autres émotions. Les deux choses « laides » évoquées au quatrième chapitre (les animaux méprisés et les cadavres) suggèrent que si le tragique permet d’évacuer la pitié et la crainte, le comique permettrait d’évacuer le mépris et la peur ou le dégoût de la mort. Aristote souligne donc trois fonctions importantes du rire mentionnées au premier chapitre : plaisir, pédagogie et catharsis (ou thérapie). Le lien entre la théorisation ancienne d’Aristote et la théorisation moderne de l’humour vient à l’appui de notre démarche qui consiste à mobiliser les théories modernes de l’humour pour analyser les textes tannaïtiques. La littérature rabbinique ne comporte pas une telle théorisation, et nous pouvons nous appuyer seulement sur des déclarations rabbiniques indirectes à propos du rire et de l’humour, et proposer un discours théorique à partir d’elles, comme le fait notre étude transversale du champ lexical du rire dans la littérature rabbinique88. Très peu de récits tannaïtiques reconnaissent l’humour pédagogique des rabbins89, ils ne constituent pas une théorisation rabbinique de l’humour, mais montrent une certaine conscience rabbinique de ce phénomène. B.2. Le rire des poètes tragiques et des philosophes La comédie ancienne vise à faire rire le public et utilise pour cela, entre autres, le ridicule extrême et la présentation grotesque des personnages. Les sujets qu’elle aborde évoluent d’une satire sociale très prononcée, présentée 88 89

Voir p. 31. Voir p. 275-276.

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avec une grande liberté d’expression et de gestes dans la comédie ancienne, vers des comédies de mœurs plus subtiles qui présentent l’idéal amoureux dans la comédie nouvelle. Dans la littérature hellénistique, le rire ne s’exprime pas uniquement par la comédie. Les poètes tragiques et les philosophes se permettent quelques escapades humoristiques. Les formes et les fonctions de l’humour dans ces deux catégories de textes sont fort apparentées aux formes et aux fonctions de l’humour rabbinique. L’humour, exprimé notamment à travers des énigmes, des paradoxes, des jeux, des présentations comiques, etc., permet une prise de distance par rapport au texte, attire l’attention sur certains détails ou révèle des vérités cachées. Selon J. Jouanna, étudier le rire et le sourire dans la tragédie « permettra de regarder d’un œil neuf la distance de l’auteur tragique par rapport à son œuvre90 ». A. Hurst avance que « l’énigme est utilisée sur la scène comique91 » et est apparentée au mécanisme du rire tel que le présentent Baudelaire (qui insiste sur le sentiment de supériorité, dans le cas de l’énigme, de celui qui connaît la réponse par rapport à celui qui ne la connaît pas), et Freud (qui insiste, lui, sur l’effet comique de la condensation du sens). Hurst souligne que les énigmes dans l’Alexandra de Lycophron sont en « relation avec les procédés de la comédie : énigme, frustration, dérision, pouvoir de berner dont dispose qui en sait le plus long »92. B. LeclercqNeveu analyse les hymnes de Callimaque (305-240 av. J.-C.). Malgré le fait qu’« il y a quelques décennies (…) on voyait dans les hymnes de l’érudit Callimaque des œuvres religieuses composées par un poète dévot et destinées à être pieusement déclamées devant un vaste auditoire »93, en les analysant en détail, elle montre de nombreuses présentations comiques des dieux ou des figures héroïques, et d’autres éléments humoristiques comme des paradoxes, des jeux et des devinettes, adressés parfois, non par un personnage à un autre personnage, mais par le rédacteur au lecteur. S. Agache analyse l’humour dans le Traité d’agriculture de Varron (116-27 av. J.-C.) et conclut que pour ce dernier « plaisanter, c’est donner des clés pour comprendre le sens de son ouvrage aux visées très multiples, où la stylisation et les éléments symboliques, que coche précisément l’humour, ont une place déterminante »94. 90 J. JOUANNA, « Le sourire des Tragiques grecs », dans M. TRÉDÉ, P. HOFFMAN, C. AUVRAY-ASSAYAS (éd.), Le Rire des Anciens. Actes du colloque international 11-13 janvier 1995, Paris, 1998, p. 176. 91 A. HURST, « Lycophron : la condensation du sens, le comique et l’Alexandra », dans Ibid., p. 182. 92 Ibid., p. 186. 93 B. LECLERCQ-NEVEU, « Jeux d’esprit et mystifications chez Callimaque », dans TRÉDÉ, HOFFMAN, AUVRAY-ASSAYAS (éd.), Le Rire des Anciens…, p. 189. 94 S. AGACHE, « Construction dramatique et humour dans le Traité d’agriculture de Varron », dans Ibid., p. 230.

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Comme chez les poètes tragiques, chez les philosophes et les lettrés, l’emploi du rire est subtil. Ici l’humour a une fonction intellectuelle, rhétorique et idéologique. J.-Cl. Carrière95, par exemple, qui écrit à propos des aspects comiques des banquets en s’appuyant sur les exemples du Banquet de Xénophon et du Phèdre de Platon, met en avant l’utilisation idéologique des genres et des techniques comiques. Une autre finalité du mélange sérieux-comique est étudiée par F. Frazier96 qui traite de la conception du banquet de Plutarque, en analysant ses Propos de Table. Le banquet étant une situation de détente et d’amusement, Plutarque en souligne la finalité morale en insistant sur le mélange de l’amusant et du sérieux, le dernier étant la finalité et l’objectif du premier. Selon E. Jouët-Pastré, si Platon semble s’opposer au rire et le condamne à plusieurs reprises97, « ce n’est pas le rire en tant que tel qui est rejeté, mais le manque de mesure »98. Ce n’est donc pas la condamnation du rire en soi, mais seulement du rire excessif, qui « dépossède les hommes ou les dieux d’une possible maîtrise d’eux-mêmes ». Elle avance l’idée que si l’homme du commun a ou doit avoir peur du ridicule, « cette peur est dépassée par le philosophe dans un souci de vérité. (…) non seulement il accepte de s’exposer aux rires des autres, mais encore il s’attache à l’étude des choses dites risibles ». Le rire est donc d’abord un signe pour le philosophe. « Quand il rencontre le rire, il rencontre un objet que les hommes se refusent de penser et qu’ils masquent par leur rire99. » L’auteur donne l’exemple de Socrate qui s’expose au rire dans la République, lorsqu’il propose des idées contraires au sens commun pour fonder la cité, certaines auxquelles il n’adhère pas, comme la pratique de la gymnastique par les femmes, et d’autres qu’il affirme de manière sérieuse, comme la gouvernance de la cité par des philosophes100. Le dépassement de la peur du ridicule par le philosophe lui permet de surmonter les tabous ou lui donne la capacité de traiter tous les sujets possibles et imaginables, si futiles qu’ils puissent paraître, puisque tout participe à la recherche de la vérité101. Le rire est également un outil pédagogique pour le philosophe qui « peut devenir maître du rire des 95 J. Cl. CARRIÈRE, « Socratisme, platonisme et comédie dans le Banquet de Xénophon », dans Ibid., p. 243. 96 F. FRAZIER, « La paideia dans les Propos de Table de Plutarque », dans Ibid., p. 284. 97 Nous reviendrons sur ce sujet dans le chapitre consacré au rejet du rire. 98 E. JOUËT-PASTRÉ, « Le rire de Platon : un détour sur la voie de la vérité », dans Ibid., p. 274. 99 Ibid., p. 275. 100 Cet usage du rire rejoint sa fonction intellectuelle et la théorie de De Bono à propos de la contribution de l’humour à l’évolution des systèmes de valeurs des sociétés. Voir p. 5-6. 101 Cette idée, soulignée par Aristote dans les Parties des animaux (654a), est omniprésente dans la littérature rabbinique où il est parfaitement naturel de parler avec autant de sérieux des aspects très corporels et « vulgaires » de la vie comme des pratiques religieuses et spirituelles les plus élevées.

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autres ». En effet, dans les dialogues platoniciens, Socrate fait souvent rire ses interlocuteurs, et ce dans le but de transmettre son idéologie. L’auteur cite ici le Phédon (64a7) où Socrate provoque le rire de ses auditeurs en exprimant un paradoxe à propos de la perception de la mort par le philosophe : « il serait assurément déconcertant de mettre tout son zèle à mourir durant sa vie quand on est philosophe, et de s’irriter à l’approche de la mort »102. L’interlocuteur de Socrate, Simmias, rit malgré lui103. E. JouëtPastré conclut que le rire chez Platon est un instrument au service de la pensée et attire également l’attention sur le « comique même des dialogues platoniciens, foisonnant de scènes drôles, de parodies, de pastiches (…) destinés (…) à mettre en branle notre pensée »104. D. Boyarin a montré que la comparaison entre les textes du TB et les écrits de Platon contribue à éclairer les récits carnavalesques des rabbins. C’est aussi le cas pour les écrits tannaïtiques. Nous retrouvons dans l’analyse de E. Jouët-Pastré plusieurs idées que nous mettons en avant dans notre thèse, notamment la distinction entre l’humour à l’échelle de l’œuvre, qui participe à la recherche de la vérité, notion apparentée à ce que nous avons défini comme humour « philosophique », et l’humour pédagogique qui est présent dans la littérature rabbinique, et relève de l’humour « interne »105. C. Auvray-Assayas s’interroge sur le rôle de la citation comique dans La nature des dieux de Cicéron. Ce dernier, qui qualifie le sujet de « particulièrement difficile et obscur », incite le public à le juger comme au spectacle. Auvray-Assayas soutient que c’est «  pour combattre l’oubli et réveiller les esprits assoupis que Cicéron fait résonner dans tout le débat sur les dieux les accents d’un rire aux fonctions multiples, sans hésiter à jouer avec virtuosité des citations, des parodies et des caricatures, rattachées avec art à la figure énigmatique de Socrate ». Selon elle, le rire de Cicéron « ne vise pas les dieux (…) [mais] dénonce les idées reçues106. » Dans le De oratore, Cicéron aborde l’importance de l’humour dans l’art oratoire qui « admet aussi la plaisanterie, avantage précieux pour l’orateur ». Il distingue deux formes de plaisanterie, l’une qui permet de « raconter agréablement »,

102

JOUËT-PASTRÉ, « Le rire de Platon… », p. 277. Ce passage évoqué par R. Kushelevsky (« Humor… » et p. 61-63 du présent ouvrage) est fort intéressant, d’une part par la thématique de la mort, qui est l’objet du rire et d’autre part par la technique, celle du paradoxe. Ces deux aspects rejoignent les expressions de l’humour dans la littérature rabbinique, où les paradoxes sont abondants et le thème de la mort souvent abordé de manière humoristique. Ils sont surtout visibles dans la littérature amoraïque, qui n’est pas étudiée dans le cadre de notre livre. 104 JOUËT-PASTRÉ, « Le rire de Platon… », p. 279. 105 Voir p. XVII. 106 C. AUVRAY-ASSAYAS, « La citation comique dans le De natura deorum de Cicéron », dans TRÉDÉ, HOFFMAN, AUVRAY-ASSAYAS (éd.), Le Rire des Anciens…, p. 306. 103

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l’autre, de « lancer quelques traits, jeter du ridicule »107. Il rappelle cependant que l’orateur doit rester modéré dans l’humour afin de ne ridiculiser ni sa propre personne, ni ses interlocuteurs ou adversaires. F. Desbordes a traité le lien entre la rhétorique et le rire chez Quintilien. Selon ce dernier, il y aurait une « incompatibilité entre le pouvoir irrépressible du rire et l’idéal rhétorique du contrôle absolu de l’orateur sur ce qu’il fait et dit108 ». Le rôle du rire dans l’art de la rhétorique est suggéré par Aristote (Rhétorique 1415a37) et évoqué par Cicéron (De oratore 3, 87-89) et par Strabon (De oratore 2, 216), qui soulignent l’importance de faire rire les auditeurs, mais sans en expliquer les modalités. Strabon avance que faire rire relève d’un talent naturel et n’est pas un art que l’on peut enseigner. Quintilien suit cette idée et procède par élimination en disant ce qu’il ne faut pas faire pour faire rire. Il distingue ainsi le rire convenable du rire inapproprié109. Il tente de classer les différentes catégories du comique selon les grilles de classement de la rhétorique, et également d’en analyser les mécanismes, mais ses résultats ne sont pas d’un grand intérêt ici. Le mélange sérieux-comique des poètes tragiques et des philosophes se trouve également dans les écrits rabbiniques. Notons que la plupart des chercheurs ont souligné principalement les fonctions rhétoriques et pédagogiques de l’humour des philosophes, tout comme l’utilisation de techniques humoristiques plutôt intellectuelles comme les allusions comiques, les paradoxes, les énigmes, mais aussi les situations et échanges comiques des dialogues mêmes. Nous retrouvons aussi ces caractéristiques dans la littérature rabbinique. Cependant, à la différence des philosophes, les rabbins ne portent presque pas de jugements théoriques à propos de l’humour. L’étude transversale du champ lexical du rire peut témoigner indirectement de leur rapport ambivalent à ces phénomènes, ambivalence qui rejoint celle des auteurs grecs. Nous allons maintenant nous intéresser aux expressions de l’humour et du rire dans la Bible hébraïque et le Nouveau Testament, deux corpus qui sont, naturellement, en étroite relation avec la littérature rabbinique.

107

CICÉRON, De oratore 2, 71. F. DESBORDES, « La rhétorique et le rire selon Quintilien », dans TRÉDÉ, HOFFMAN, AUVRAY-ASSAYAS (éd.), Le Rire des Anciens…, p. 307. 109 Idée qui sera développée dans le chapitre à propos du rejet du rire. 108

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C. Le rire dans la Bible hébraïque et le Nouveau Testament La Bible est une littérature sérieuse à visées idéologiques et pédagogiques, mais elle n’est pas dénuée d’humour. Le rire de Sara à l’idée incongrue d’avoir un enfant à quatre-vingt-dix ans ou les farces que Samson joue aux Philistins n’en sont que les exemples les plus évidents. Une lecture plus approfondie révèle un humour plus subtil là où l’on ne s’y attend pas forcément, comme dans les récits de la tour de Babel110, de Job111 ou de Jonas112. C.1. Y a-t-il de l’humour dans la Bible hébraïque ? Dans l’introduction à l’ouvrage On Humour and the Comic in the Hebrew Bible113, Y. T. Radday se demande pourquoi la Bible hébraïque a souvent été considérée comme dénuée d’humour. Il commence par exposer la difficulté voire l’impossibilité de définir ce qu’est l’humour, terme fluide selon lui, et interchangeable avec tant d’autres mots difficilement définissables : esprit, plaisanterie, satire, ironie, sarcasme, burlesque, caricature, comédie, parodie, comique. Nous avons déjà abordé ces termes dans le premier chapitre de cette partie. Radday insiste sur le caractère subjectif de l’humour, idée qu’il faut nuancer, puisque l’humour intervient dans la communication et a une fonction avant tout sociale, comme nous l’avons montré plus haut. Il s’agirait donc d’une subjectivité sociale, ce qui renvoie à l’idée qu’il faut connaître au préalable le système de valeurs d’une société pour comprendre l’humour qu’elle produit. Un autre aspect de l’humour implique une prise de distance vis-à-vis de soi. Radday cite Hermann Hesse selon qui « l’humour élevé commence par ne pas se prendre trop au sérieux », ce à quoi Radday ajoute « qu’une trop forte dose de respect envers quelque sujet que ce soit, est vouée à tuer même les formes les plus bienveillantes d’humour »114. Le respect que suscitent les écrits religieux à leurs lecteurs peut donc expliquer pourquoi de nombreux chercheurs et commentateurs ont négligé les aspects humoristiques de la Bible. Les écrits rabbiniques ont un statut canonique dans la tradition juive au même titre que la Bible. La même difficulté se 110

N. ARARAT, « Ma‘ase dor ha-pelagga ki-derama saṭirit  », Beit Mikra 39, 1994, p. 224-

231. 111 W. WHEDBEE, « The Comedy of Job  », dans Y. T. RADDAY, A. BRENNER (éd.), On Humour and the Comic in the Hebrew Bible, Sheffield, 1990, p. 217-249. 112 D. MARCUS, From Balaam to Jonah. Anti-Prophetic Satire in the Hebrew Bible, Atlanta, 1995. 113 RADDAY, BRENNER (éd.), On Humour… 114 Ibid., p. 24.

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présente dans la recherche sur l’humour des textes rabbiniques anciens, qui peut susciter l’opposition de lecteurs traditionnels. Radday souligne deux difficultés majeures : l’une est la différence entre l’humour intentionnel du rédacteur (biblique) et ce qui amuse le commentateur, l’autre est le manque d’information que nous avons concernant les intentions de l’auteur. Ce sont en effet deux problématiques importantes dans l’étude des textes anciens, et que nous espérons surmonter à l’aide des outils théoriques évoqués dans le premier chapitre. La rigueur de l’analyse littéraire et une lecture qui prend en compte la langue de l’auteur, le contexte littéraire immédiat et l’idéologie de l’ouvrage tout entier, permettent un accès plus aisé à l’humour biblique comme à l’humour rabbinique. Pourquoi donc l’humour dans la Bible a-t-il été ignoré ? se demande Radday. Selon lui les raisons sont multiples. D’abord, l’humour est spécifique à une culture, une langue et une époque. Ensuite, l’humour littéraire est souvent très subtil et sa compréhension suppose que auteur et destinataire aient connaissance des mêmes subtilités linguistiques et culturelles. Selon Radday, les exégètes chrétiens sont moins disposés à trouver de l’humour dans la Bible que leurs homologues juifs. À la suite de Paul qui rejette la loi, les chrétiens considèrent les parties narratives de la Bible avec la plus grande révérence, incompatible avec l’humour. Radday mentionne également le manichéisme et la vision binaire du bien et du mal, attitude sérieuse qui empêche le sens de l’humour de se développer. Le calvinisme, qui est le point culminant de cette tendance, interdit le rire et le sourire à l’homme, a fortiori à Dieu. Pour les juifs, en revanche, les narrations bibliques sont secondaires : étant prises moins au sérieux, elles peuvent plus facilement être l’objet d’une lecture humoristique. Cette vision quelque peu binaire, bien qu’elle soit en partie juste, est fort contestable à plusieurs niveaux. D’abord, le rejet du rire existe dans une certaine mesure à l’intérieur du judaïsme, ensuite, il n’est absolument pas évident que la narration soit secondaire dans la théologie juive115. Une parabole amusante dans TB Baba Qamma 60b116 illustre l’importance égale de la halakha et de la aggada. Aussi, le Maharal de Prague dans son ouvrage Be’er ha-gola insiste particulièrement sur la valeur des parties non halakhiques des enseignements rabbiniques. La place de l’humour dans le judaïsme, probablement 115 Le terme aggada, qui signifie « narration » et désigne communément les parties narratives de la littérature rabbinique (en hébreu moderne ce mot désigne tout conte ou récit fictif), était à l’origine utilisé par les rabbins de l’antiquité pour désigner un commentaire exégétique de la Bible. 116 Rab Ami et Rab Ashi étaient assis devant R’ Yiṣḥaq Nappaḥa. Lorsque l’un d’entre eux lui demanda des enseignements halakhiques et l’autre des enseignements aggadiques, R’ Yiṣḥaq Nappaḥa leur raconta une parabole à propos d’un homme qui avait deux femmes, l’une jeune et l’autre âgée, la jeune lui arrachait les cheveux blancs et l’âgée les cheveux noirs. L’homme est devenu chauve.

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plus grande et évidente que dans le christianisme, comme l’avance Radday, est peut-être due à des choix épistémologiques. Radday soutient que l’humour n’est pas considéré comme sacrilège dans le judaïsme qui a une vision optimiste de l’espèce humaine « intrinsèquement perfectible ». Il s’appuie sur les trois occurrences bibliques qui relatent le rire de Dieu (en l’appelant « le Dieu juif »). Il avance également qu’à partir du Ve siècle de notre ère, période qui coïncide avec l’adoption du christianisme comme religion officielle de l’Empire romain (à la fin du IVe siècle), la lecture de la Bible est devenue plus austère et ignorait l’humour biblique. Il ne se base sur aucun exemple midrashique pour cela, et ne donne aucune autre référence. Il nous semble que c’est bien la tendance inverse que manifeste la littérature rabbinique, et que les expressions de l’humour, aussi bien dans l’exégèse que dans les textes narratifs, s’accroissent avec le temps. C’est également l’hypothèse de H. M. Zellentin concernant la parodie : « Malgré le peu de preuves que nous avons, il est tentant de repérer une évolution chronologique, de l’absence presque totale de la parodie dans la période tannaïtique jusqu’aux parodies sophistiquées et bien étayées dans le Bavli, en passant par les parodies reconnaissables dans les textes amoraïques de Palestine. Si la flagrante orientation parodique de certains textes rabbiniques posttalmudiques, comme l’Alphabet de Ben Sira ou des versions tardives des Toldot Yeshu, est également prise en compte, l’évolution littéraire de la parodie devient encore plus évidente117. »

Radday finit par définir l’humour biblique comme « hautement littéraire, raffiné, allusif, qui ne tient parfois qu’à une lettre (…). [Humour] qui connaît l’ironie, la parodie, la satire et bien d’autres genres d’humour littéraire (…). Qui implique des fous, des avares, des fanfarons, des délinquants et autres figures grotesques, mais aussi des charmeurs, de belles femmes et de jeunes naïfs ». Radday soutient que « l’humour biblique n’est jamais mis en évidence ce qui rend difficile la tâche de le trouver », puis conclut que « l’humour biblique n’est jamais vulgaire ou frivole, mais intelligent, subtil et implicite (…) et n’a pas d’équivalent dans l’antiquité »118. Cette description pourrait également convenir à l’humour rabbinique ! C.2. Le champ lexical de l’humour, du rire et du comique dans la Bible Un autre article important dans le même ouvrage est celui d’A. Brenner qui analyse le champ lexical de l’humour, du rire et du comique dans la Bible 117 118

ZELLENTIN, Rabbinic Parodies…, p. 230. RaDDAY, BRENNER (éd.), On Humour…, p. 38.

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hébraïque. Elle divise les groupes de termes en trois niveaux, du plus évident au moins explicite, et détermine le sens des mots en s’appuyant sur le contexte et sur la comparaison avec d’autres langues sémitiques. Dans le premier niveau se trouvent les racines ṣḥq et śḥq119. Brenner apporte les détails chiffrés des diverses formes (verbales et nominales) et occurrences de chacune des racines. Si la racine ṣḥq semble être la plus ancienne des deux, śḥq est la plus fréquemment utilisée. Les deux racines ont des sens proches qui varient selon le contexte. Avec le sens élémentaire de « rire », ces deux termes peuvent avoir aussi le sens de « jouer », « s’amuser », « se distraire », ou encore avoir des connotations sexuelles. Ils peuvent également signifier la « joie », la « dérision » et la « danse ». Brenner constate donc un large spectre de sens pour les deux racines : de la joie et du rire qui en résulte, en passant par le jeu et l’amusement (de soimême ou d’un public) et jusqu’à la dérision et aux moqueries, bienveillantes ou cruelles, voire le mépris. Dans quelques cas, c’est le sens contraire qui est attribué à ces deux racines : « tristesse » et « pleurs ». Il est, en effet, très intéressant de constater que les expressions du rire et de l’humour peuvent être si variées. Nous retrouverons cette diversité dans le champ lexical du rire rabbinique. Le deuxième niveau comporte les racines htl/tll, qls120 et lwṣ. Les trois termes relèvent plutôt de la moquerie et de la dérision, parfois aussi de la tromperie, de l’énigme ou de la satire. Le troisième niveau concerne les racines l‘g et l‘b (hapax), exprimant la moquerie voire le mépris, ces termes pouvant parfois s’éloigner de la notion de l’humour. Cependant, dans quelques occurrences, la racine l‘g est présentée comme synonyme de śmḥ, la joie et de ṣḥq, le rire. Brenner déplore un champ lexical de l’humour en hébreu biblique qui est « déséquilibré et appauvri », où des « termes exprimant la joie et un rire léger, plaisant, innocent, existent seulement au premier niveau et même là sont plutôt neutres et peuvent signifier la joie, la comédie et les plaisanteries tout comme le ridicule, la débauche et l’injure. Au plus bas niveau de la hiérarchie du champ, les informations disponibles témoignent seulement des catégories d’un rire “lourd” : satire, sarcasme, ironie, mépris, absurde et grotesque »121. Bien que cet article ait une valeur considérable dans notre étude, nous ne partageons pas le jugement porté par Brenner, puisque nous considérons 119 Lorsque nous abordons la question du champ lexical dans la Bible comme dans la littérature rabbinique, nous adoptons la translittération scientifique pour les lettres shin (š) et sin (ś). 120 Racine qui a un sens bien différent en hébreu biblique (« se moquer ») et en hébreu mishnique et talmudique (« faire des louanges »). 121 A. BRENNER, « On the Semantic Field of Humour, Laughter and the Comic in the Old Testament », dans RaDDAY, BRENNER (éd.), On Humour…, p. 57.

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ce « rire lourd » comme partie intégrante de l’humour sous ses diverses formes. En effet, l’humour en général et l’humour littéraire en particulier, est un outil idéologique précieux ; c’est notamment l’ironie, la satire, l’absurde et le grotesque qui sont les formes centrales de l’humour idéologique. Nous voyons la Bible et la littérature rabbinique comme des littératures idéologiques, et l’humour participe et contribue à ces idéologies. De quelle manière il le fait et qu’est-ce qu’il exprime précisément, c’est bien là l’objet de notre étude. Brenner mentionne également l’évolution du champ sémantique de l’humour dans l’hébreu mishnique. L’usage des verbes bibliques est plus fréquent et élargi, et d’autres racines apparaissent (ḥwk, gḥk, bdḥ). Cette dernière remarque est en fait un anachronisme, puisque ces racines sont d’origine araméenne et ne sont attestées que dans des recueils rabbiniques tardifs. Brenner soutient que « en hébreu mishnique tout comme en araméen (…), les termes pour rire, sourire, s’amuser et amuser sont abondants tout comme les termes pour décrire l’injure et le ridicule. L’hébreu mishnique (…) fournit un cadre beaucoup plus large pour l’expression de l’humour et ses concepts bipolaires »122. Nous allons adopter la démarche de Brenner et proposer une étude exhaustive du champ lexical du rire dans la littérature rabbinique. Enfin, l’idée qu’avance Brenner d’une évolution du rapport au rire et à l’humour dans la littérature juive entre la Bible et les écrits rabbiniques, perceptible via l’évolution du champ lexical, reste à vérifier puisque l’humour (dans la Bible, aussi bien que dans les écrits rabbiniques) s’exprime également sans indices lexicaux. C.3. L’humour comme un outil d’exégèse Un article de F. Landy123 sur l’humour comme un outil pour l’exégèse biblique propose donc une certaine lecture de la Bible. Il nous semble que, malgré une certaine fidélité au texte, notamment dans l’analyse des retournements ironiques des récits, l’auteur reste très subjectif dans sa lecture et voit finalement des aspects comiques où bon lui semble. Ce qu’il estime incongru ne l’était peut-être pas pour les lecteurs dans l’antiquité. Landy ne se pose pas la question de l’objectif de chaque narration et de sa place dans son contexte, ce qui l’amène à négliger le sens de l’utilisation des techniques comiques.

122

Ibid., p. 58. F. LANDY, « Humour as a Tool for Biblical Exegesis », dans RADDAY, BRENNER (éd.), On Humour…, p. 99-115. 123

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C.4. L’humour dans le Nouveau Testament Même si Radday soutient que le judaïsme fait plus facilement usage de l’humour que le christianisme, de nombreux savants ont trouvé de l’humour dans le Nouveau Testament124. C’est notamment le cas de J. Jonsson125. Dans un chapitre à propos de la relation entre l’humour et le religieux, l’auteur affirme que malgré un antagonisme entre l’humour ou le rire et une certaine expression de la foi, l’humour en tant que sentiment de vie n’est pas incompatible avec la religion. Il mentionne des exemples de foi pieuse qui impliquent une joie expressive ou débouchent sur elle : la valorisation de la joie chez Luther et dans le mouvement hassidique ou le lien entre humour et religion chez Karl Barth. Jonsson considère l’ironie de Socrate, non seulement comme une technique rhétorique, mais aussi comme une expression religieuse, puisque Socrate croit agir selon l’ordre divin. Il souligne également le comportement ironique des dieux des religions païennes hellénistiques et nordiques envers les hommes, et conclut que dans certaines religions il est possible d’exprimer la foi à travers l’humour ou encore à travers une joie amusée. Jonsson cherche aussi à savoir si l’on peut rire des choses sacrées. Il cite des anecdotes humoristiques du Moyen-Âge, qui vont dans ce sens, tout comme des exemples de la littérature grecque ancienne où la religion païenne semble visée par la critique humoristique d’auteurs comme Aristophane, Ménandre et Cicéron. Il suggère que la ridiculisation de la religion païenne résulte de la volonté d’affirmer la foi philosophique, plus abstraite, voire monothéiste. Il conclut en affirmant que l’humour et la joie peuvent être des expressions du religieux, et que des personnes pieuses peuvent exprimer leur foi par l’humour et même rire des choses sacrées. Ce que Jonsson décrit ici relève en fait de la moquerie polémique et désacralisante126. Concernant l’humour dans le Nouveau Testament, Jonsson soutient que les auteurs de ce dernier étaient influencés par l’humour rabbinique et par l’ironie prophétique de la Bible hébraïque, tout comme par la pensée hellénistique. Jonsson note l’emploi de l’humour et de l’ironie comme méthode éducative et rhétorique dans l’académie rabbinique. Selon lui, les auteurs du Nouveau Testament sont issus de ce milieu, où il est commun de ridiculiser un adversaire dans une discussion polémique ou faire rire comme méthode

124 L. NIETING, « Humour in the New Testament », Dialog 22, 1983, p. 168-170 ; T. THATCHER, « The Sabbath Trick : Unstable Irony in the Fourth Gospel », Journal of the Study of the New Testament 76, 1999, p. 53-77 ; D. E. TRUEBLOOD, The Humor of Christ, New York, 1964. 125 J. JONSSON, Humour and Irony in the New Testament. Illuminated by Parallels in Talmud and Midrash, Reykjavik, 1965. 126 Phénomène lié à la moquerie et au sentiment de supériorité, voir p. 6.

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éducative. L’humour pouvait également servir à adoucir une critique, autrement trop blessante, ou comme un moyen mnémotechnique (jeu de mots, paradoxe, parabole). Jonsson classe l’humour du Nouveau Testament en trois catégories. La première concerne les trois évangiles synoptiques qui ont de nombreux parallèles avec la littérature rabbinique. On trouve en effet dans ces deux corpus un sens de l’humour, une conception du comique, des situations et des personnages comiques (par exemple les idiots pieux, les arrogants ou prétentieux qui se trouvent en difficulté précisément à cause de leurs défauts, etc) qui se ressemblent beaucoup. Le Jésus des évangiles synoptiques est conçu par Jonsson comme un rabbin, qui s’exprime avec autant d’humour et d’ironie que tout autre rabbin de son époque. La deuxième catégorie d’humour se trouve dans l’évangile de Jean, où il n’est plus question de l’humour de Jésus en tant qu’homme, mais plutôt de l’ironie divine, qui ridiculise l’existence humaine. La troisième catégorie se trouve dans les écrits de Paul et dans les Actes des Apôtres. Selon Jonsson, l’auteur des Épîtres est très expressif, et son humour suit ses états d’âme, allant d’un sarcasme amer jusqu’à une autodérision sympathique voire de l’humour enfantin. L’ironie polémique de Paul a un caractère « socratique », et rejoint dans une certaine mesure l’ironie divine de l’évangile de Jean. Jonsson qualifie les Actes de « littérature amusante », caractérisée principalement par un comique de situation et une construction dramatique « aristotélicienne » avec un début, un conflit et un point culminant. Dans sa conclusion, Jonsson soutient qu’à première vue, les différentes expressions de l’humour dans le Nouveau Testament sont trop diversifiées pour présenter une véritable cohérence, et qu’une grande différence peut être notée entre le Nouveau Testament et la littérature rabbinique. Jonsson estime que le judaïsme rabbinique, avant et après l’avènement du christianisme, luttait constamment pour sa survie et que son espoir eschatologique liait intiment son avenir avec celui de l’humanité tout entière. L’origine de l’humour rabbinique ne réside pas dans une ignorance des difficultés existentielles, mais au contraire, dans une foi optimiste et un espoir pour le futur127. Cet aspect était partagé par les auteurs chrétiens. Ainsi, l’espoir eschatologique et la vision optimiste de la vie qui en résulte sont un point commun entre le judaïsme rabbinique et le christianisme. Si le rapport des rabbins à l’apocalyptique reste controversé et discuté128, il est clair que la 127 Nous pouvons citer à ce propos le récit à propos du rire de R’ ‘Aqiba dans Sifre Debarim 43, voir annexe 3. 128 Voir J. COSTA, « Littérature apocalyptique et judaïsme rabbinique : le problème de la Bat Qol », Revue des études juives 169, 2010, p. 57-96, et la bibliographie p. 58, notes 4 et 5.

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vision optimiste qui résulte de l’espoir eschatologique est enseignée par les deux littératures, rabbinique et chrétienne. La différence réside plutôt dans la croyance ou non en l’incarnation de cet espoir dans Jésus. Jonsson souligne également le rôle joué par le christianisme dans l’évolution du sens de l’humour à cette époque. D’un humour méprisant et agressif, qui caractérisait l’aristocratie grecque et romaine, on passe à un humour plus bienveillant, issu de la valorisation (ou du moins de l’absence de dévalorisation) des hommes simples ou des classes sociales inférieures par le christianisme. L’auteur mentionne brièvement l’interdit chrétien de rire, dont il donne deux explications. L’une est que le rire semble indigne devant les nombreuses souffrances de l’humanité, l’autre est qu’à une certaine époque la vie chrétienne était considérée comme un rituel en tant que tel, et que rire serait donc synonyme de profanation. Il conclut que le christianisme du Nouveau Testament ne condamne en aucun cas le sourire. L’ouvrage de Jonsson pose un important problème méthodologique : la plupart des exemples de textes rabbiniques cités sont largement postérieurs à la rédaction du Nouveau Testament. Certes, les matériaux rabbiniques sont difficiles à dater, et dans un corpus tardif peuvent apparaître des matériaux anciens, mais il est essentiel de noter que la grande majorité des exemples proviennent du TB et de corpus midrashiques tardifs. Il est donc naïf et en grande partie anachronique d’affirmer que l’humour rabbinique est au fondement de l’humour néotestamentaire. Dans cette première partie, nous nous sommes intéressée aux expressions de l’humour dans la littérature gréco-romaine, la Bible et le Nouveau Testament pour replacer la littérature rabbinique dans son contexte culturel. Sérieux et idéologiques, les textes rabbiniques ont peu en commun avec la comédie. Ce sont plutôt les expressions de l’humour dans les textes non comiques qui éclairent le débat sur l’humour des rabbins. Dans ces textes, l’humour est subtil, et l’ironie, les paradoxes, les énigmes, les allusions, etc. sont au service des idées que veulent transmettre les auteurs. Nous allons maintenant rentrer dans l’univers rabbinique avec l’étude du champ lexical du rire et de l’humour, la question du rejet du rire et les différentes études qui ont été consacrées à l’humour rabbinique.

II LE RIRE DANS LA LITTÉRATURE RABBINIQUE

A. Le champ lexical du rire dans la littérature rabbinique La littérature rabbinique classique présente des formes extrêmement diverses et variées d’humour, que nous nous sommes engagée à explorer. L’humour en soi est une notion à la fois vaste et difficile à cerner. Dans notre recherche, nous avons adopté une définition large qui englobe aussi bien les plaisanteries bienveillantes que le rire moqueur et mordant, l’ironie, le sarcasme, le burlesque, le grotesque, etc. De manière générale, on s’accorde à dire que l’humour concerne les choses qui font rire. Lorsqu’il s’agit d’humour littéraire, objet de notre recherche, le rire peut s’exprimer de manière très discrète. Le retournement ironique d’une narration est une forme d’humour, mais ne provoquera pas forcément un rire visible ou audible chez le lecteur (ou l’auditeur), ce sera dans ce cas un sourire voire un amusement intellectuel sans conséquence physique. À l’inverse, le rire peut résulter d’une joie qui n’a rien d’humoristique. Néanmoins, le rire est lié à l’humour et il est important d’explorer ses différentes expressions dans la littérature rabbinique afin d’avoir une vision globale sur la manière dont les rabbins perçoivent ce phénomène physique et psychique129. Pour analyser le champ lexical du rire et de l’humour dans la littérature rabbinique classique, nous avons procédé à une étude systématique de toutes les occurrences des racines hébraïques et araméennes en lien avec ce domaine : ṣḥq, śḥq, l‘g, lglg, lwṣ, ḥwk, bdḥ, gḥk, ṭll, htl. Cette étude tant quantitative que qualitative permettra d’analyser les positions qu’adoptent les rédacteurs des compilations rabbiniques vis-à-vis du rire sous toutes ses formes à différentes époques et dans différents lieux. Nous essaierons d’apporter des éléments de réponse aux questions suivantes : les rabbins sont-ils bienveillants ou hostiles envers le rire et l’humour ? Le rapport entre bienveillance et hostilité à l’égard de l’humour et du rire a-t-il évolué entre l’époque tannaïtique et l’époque post-talmudique ? L’humour est-il perçu différemment en Palestine et en Babylonie ?

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Voir notre distinction entre humour et rire p. 1-2.

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A.1. Aperçu général130 Nous donnons ici un aperçu de 475 textes où apparaissent des occurrences verbales ou nominales des racines mentionnées ci-dessus. Ces textes proviennent des recueils les plus anciens, jusqu’aux recueils midrashiques les plus tardifs131. La racine la plus fréquente est śḥq : elle apparaît dans 269 textes (y compris les parallèles) et présente aussi la plus grande diversité de significations. Cette diversité apparaît également dans les textes où figure la racine ṣḥq (31 textes y compris les parallèles), très proche voire synonyme de śḥq, mais qui est, toutefois, proportionnellement plus présente dans les recueils les plus anciens. Parmi les textes où figurent ces deux racines, une petite moitié exprime une attitude neutre ou bienveillante envers le rire dans ses diverses nuances et une grande moitié le rejette ou l’occulte. En outre, on peut noter une évolution dans le rapport entre l’attitude négative et l’attitude positive envers le rire et ses dérivés : dans les textes tannaïtiques on constate plus d’acceptation que de rejet, dans les textes amoraïques la proportion est à peu près égale, et dans les textes plus tardifs on trouve plus de textes qui rejettent le rire et l’humour que de textes qui les acceptent. La racine lwṣ (62 textes avec les parallèles) présente également une assez grande diversité de sens et une majorité écrasante de textes qui rejettent et condamnent cette forme de rire ou d’humour mordant. Notons enfin que la grande majorité des textes proviennent de recueils tardifs. Les racines l‘g et lglg n’ont pas la même diversité sémantique. Elles expriment surtout diverses nuances de la moquerie, condamnée dans la très grande majorité des textes. Parmi les occurrences de l‘g (50 textes), la plupart sont tardives, alors que lglg (12 textes) apparaît quasi-exclusivement dans des recueils amoraïques (sans aucun texte tannaïtique). Les racines araméennes ḥwk, bdḥ, gḥk, et ṭll sont totalement absentes des recueils tannaïtiques et quasi-absentes des recueils midrashiques tardifs. Les racines ḥwk (14 textes), bdḥ (17 textes), et ṭll (3 textes) se retrouvent essentiellement dans le TB132. De manière générale, ces textes ont une attitude ambiguë envers l’humour. D’une part, ils ont des caractéristiques humoristiques avérées, mais de l’autre, beaucoup d’entre eux rejettent explicitement 130

Voir également le tableau récapitulatif, annexe 4. Nous divisons les recueils en trois catégories :1. les textes tannaïtiques comportant la Mishna, la Tosefta et les Midrashim halakhiques, datant du IIIe siècle ; 2. les textes « amoraïques » comportant les deux Talmuds ainsi que les Midrashim aggadiques datant des Ve et VIe siècles ; 3. les recueils midrashiques tardifs (à partir du VIIe siècle). On notera cependant que la rédaction de TB est aujourd’hui souvent datée du VIIe voire du VIIIe siècle. Dans les notes qui suivent, les pages de certaines éditions de référence sont indiquées entre parenthèses. 132 Une seule occurrence de ḥwk et de bdḥ apparaissent dans un Midrash palestinien. 131

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la moquerie, qui peut dans les récits avoir des conséquences graves sur la santé des rabbins133. La racine gḥk (17 textes) est bien plus fréquente dans les textes palestiniens (3 occurrences dans le TB). Elle reflète aussi une attitude ambiguë envers le rire et l’humour. Comme dans les textes babyloniens, l’humour apparaît dans les récits, mais ces derniers peuvent en même temps restreindre le rire ou le condamner. Notons toutefois l’absence du thème de la susceptibilité rabbinique dans les textes palestiniens. Cette préoccupation semble être caractéristique des rabbins babyloniens134. Passons à présent à l’analyse détaillée. A.2. Les racines ṣḥq et śḥq La racine ṣḥq apparaît 21 fois, et dans 10 traditions parallèles avec śḥq. Parmi les 21 références, 6 présentent le rire de manière positive (le rire optimiste de R’ ‘Aqiba, le rire divin, les jeux entre mari et femme, l’idée de chance ou l’acceptation du châtiment divin) ou neutre (l’origine physiologique du rire), 9 expriment une forme d’agressivité (moquerie, tromperie, flatterie hypocrite ou colère divine) où la moquerie et la tromperie sont reconnues, mais critiquées (à l’exception des deux textes concernant la colère divine qui est, elle, bienvenue) ; dans 6 textes, le rire est rejeté par le détournement du sens premier du mot. 6 parmi les 21 textes se trouvent dans les recueils les plus anciens : une seule occurrence dans la Mishna où le verbe signifie se moquer, taquiner ; trois occurrences dans la Tosefta avec trois sens différents, rire, tromper/ taquiner et idolâtrie ou héritage (tradition exégétique à propos du rire d’Ismaël dans Gn 21, 9) ; deux occurrences dans Sifre Debarim dont l’une avec un parallèle dans la Mekhilta de-rabbi Shim‘on ben Yoḥay, qui renvoient au rire et à la moquerie. Parmi ces six textes, cinq pourraient présenter une forme d’humour et l’un d’entre eux (une tradition exégétique dans la Tosefta) s’oppose au rire, en le comparant à l’idolâtrie, et en donnant au mot des sens différents, occultant ainsi son sens premier. 9 traditions parallèles dans des recueils plus tardifs (TB, TY, Midrashim aggadiques palestiniens) citent la racine śḥq. 7 textes proviennent des recueils midrashiques tardifs, parmi lesquels 4 occultent le rire en détournant le sens premier du mot. Pour la racine ṣḥq, on peut noter une évolution entre les textes tannaïtiques et amoraïques (en Palestine comme en Babylonie), qui tendent plutôt 133 Les rabbins qui sont objet de moquerie souffrent d’une faiblesse physique et mentale (ḥalsha da‘teh) dont ils peuvent mourir (TB Baba Batra 9b ; TB Mo‘ed Qaṭan 17a ; TB Baba Qamma 117a…). Voir aussi S. VALLER, Sorrow and Distress in Talmudic Stories (en hébreu), Tel Aviv, 2012, p. 46-91. 134 Voir à ce sujet J. L. RUBENSTEIN, Talmudic Stories, Baltimore, 1999, p. 275-277 ; VALLER, Sorrow and Distress…, p. 208-212.

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à accepter le rire, et les textes post-amoraïques qui tendent plutôt à le rejeter ou à l’occulter. Cette racine a une grande diversité sémantique. Le sens de « taquiner » ou « se jouer de quelqu’un », « tromper » ou « faire une farce » apparaît 4 fois135. Celui de « rire » proprement dit (celui des personnages des récits, résultant d’une perception de l’humour, ou d’une attitude optimiste), c’està-dire sa description en tant que phénomène humain, est attesté 3 fois136. L’origine physiologique du rire, située dans la rate, est évoquée avec cette racine dans une tradition qui a de nombreux parallèles137. Le détournement interprétatif du mot et l’attribution de sens péjoratifs (idolâtrie, sang versé, débauche, inceste) ou neutres (héritage) à la racine caractérisent 5 textes138. Une tradition assez répandue139 porte sur Lv 11, 6, dans le contexte des treize versets modifiés lors de la traduction en grec du Pentateuque pour le roi Ptolémée. Enfin, sept autres textes utilisent la racine ṣḥq de manière variée : « flatterie » ou « sourire hypocrite140 », sexualité141, le rire divin devant la souffrance ou la défaite des méchants142, l’idée de « chance »143 : un homme chanceux est un homme à qui « l’heure rit », la moquerie humiliante et méprisante144. La racine śḥq apparaît 205 fois avec 64 parallèles. Parmi les 205 textes, seulement 18 proviennent de recueils tannaïtiques, 74 sont amoraïques et 113 sont tirés de recueils midrashiques tardifs. 104 parmi les 205 présentent une attitude négative envers le rire : rire inapproprié ou frivolité, jeu inapproprié, attribution de sens négatifs à la racine (débauche, idolâtrie, violence), condamnation d’une moquerie méprisante, détournement ou restriction de l’idée du rire divin. Cependant, dans 101 traditions, on peut trouver une attitude neutre ou positive envers le rire et même une reconnaissance des bienfaits de l’humour ainsi que la valorisation de l’humour du texte 135 M Giṭṭin 6, 6 (parallèle : TB Ḥullin 39b (śḥq)) ; Sifre Debarim 355 (parallèle : TB Menaḥot 85b (śḥq)) ; T Ketubbot 9, 2 ; TB Ketubbot 79a. 136 Sifre Debarim 43 (parallèles : Mekhilta de-rabbi Shim‘on ben Yoḥay 15, 1 ; Ekha Rabba 5, 18 (śḥq), Rut Zuṭa 1, 8 (śḥq) ; TB Makkot 24a (śḥq)) ; T Berakhot 2, 21. 137 Wa-yiqra Rabba 4, 4 (parallèles : TB Berakhot 61a ; Qohelet Rabba 7, 19, 1 ; Ḥuppat Eliyyahu 234 ; Midrash Tehillim 103, 1 (216a) ; Testament de Nephtali (1ère version) 197). 138 T Soṭa 6, 6 (parallèles (śḥq) : Be-reshit Rabba 53, 11 ; Shemot Rabba 1, 1 ; Shemot Rabba 42, 1 ; Midrash Tanḥuma Shemot 1) ; Shemot Rabba 41, 7 ; Midrash Tanḥuma Ki Tissa 20 ; Midrash Tanḥuma (BUBER) Toledot 18 ; Midrash Tehillim 26, 2 (108b). 139 TY Megilla 1, 8 (parallèles : TB Megilla 9a ; Be-reshit Rabba 48, 17 ; Abot de-rabbi Natan B 37 (47b) ; Midrash Tanḥuma Shemot 22; Sefer Tora 1, 6). 140 TY ‘Erubin 5, 1 (parallèle : TY Sanhedrin 13, 3). 141 TB Ḥagiga 5b (parallèle : TB Berakhot 62a). 142 Hekhalot Rabbati 6, 3 ; Abba Guryon 1, 14. 143 Midrash Tanḥuma (MANN) Wa-yishlaḥ 175. 144 Ma‘ase Alexandros 5 ; Abba Guryon 4, 32. Dans la longue séquence de Abba Guryon 4, 32, 4 racines (lwṣ, l‘g, ṣḥq, htl) expriment l’attitude rebelle, moqueuse et méprisante des juifs à l’égard des Perses (discours accusateur d’Haman auprès du roi).

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biblique et de Dieu en tant que son auteur. On peut noter une évolution dans l’évaluation du rire à travers le temps : si, dans le corpus tannaïtique, un tiers seulement des textes met l’accent sur son rejet (7 sur 18 textes), dans les textes amoraïques il s’agit d’une grande moitié (35 sur 74) et, dans les textes plus tardifs, il s’agit d’une nette majorité (62 sur 113). Le rire inapproprié Le sens de « rire inapproprié » et d’« amusement futile », qui doivent être restreints, évités ou limités, notamment lors de la prière, ou réservés au monde à venir, est attesté dans 19 traditions avec de nombreux parallèles145. Parmi ces traditions qui présentent toutes un rejet du rire, deux sont tannaïtiques et six proviennent de recueils midrashiques tardifs. Notons cependant que deux parmi ces dernières ont une attitude nuancée envers le rire : dans TB Shabbat 30b, l’idée de l’incompatibilité de l’amusement futile avec la Shekhina est suivie par la mention d’une habitude de Raba, celle de commencer ses leçons sérieuses par quelques mots de plaisanterie. Ces mots ainsi que le rire ou la bonne humeur des rabbins sont désignés par la racine araméenne bdḥ. Dans TB Sanhedrin 93b (un midrash sur Daniel), le fait de s’abstenir du rire, du sommeil et des besoins naturels permet aux quatre personnages de rester auprès du roi. À première vue, ce sont des attributs positifs, mais si l’on prend en considération l’importance de la santé pour les rabbins, qui ordonnent de ne pas se retenir d’aller aux toilettes, même pendant l’étude ou la prière, il semble que le rire soit aussi un besoin naturel, et donc positif. Le jeu Le sens de « jeu » (de ballon, de dés, avec une sauterelle ou d’autres animaux) apparaît 20 fois146. Il peut s’agir d’un jeu innocent (jeu d’enfants) ou 145 M Demay 2, 3 (parallèle : Midrash Tanḥuma Wa-yiqra 7) ; T Berakhot 3, 21 (parallèles : TY Berakhot 5, 1 ; Midrash Tehillim 17, 6 (65b) ; Midrash Tehillim 24, 3 (102b) ; Midrash Tehillim 108, 1 (232a)) ; TY Soṭa 1, 1 ; TB Berakhot 31b ; TB Mo‘ed Qaṭan 26b ; TB Sanhedrin 93b ; TB Shabbat 30b (parallèle : TB Pesaḥim 117a) ; Abot de-rabbi Natan A 26 (41b) ; Be-reshit Rabba 22, 6 ; Derekh Ereṣ Zuṭa 5, 1 ; Derekh Ereṣ Zuṭa 5, 5 ; Kalla Rabbati 9, 2 ; M Abot 6, 5 ; Midrash Tanḥuma Ki Tissa 14 ; Midrash Tanḥuma Wa-yiqra 7 ; Eliyyahu Rabba 11 ; Midrash Tehillim 17, 6 (65b) ; Midrash Tehillim 24, 3 (102b) ; Ba-midbar Rabba 9, 30. 146 M Shabbat 9, 7 (parallèle : TY Shabbat 9, 7) ; M Rosh ha-shana 1, 8 (parallèles : M Sanhedrin 3, 3 ; M Shebu‘ot 7, 4 ; TB Yoma 74a ; TB ‘Erubin 82a ; Derekh Ereṣ Rabba 2, 6 ; Ḥuppat Eliyyahu 67) ; M Bekhorot 5, 3 ; M Kelim 24, 4 ; T Shabbat 10, 10 (parallèle : TB Sanhedrin 77b) ; T Sanhedrin 5, 2 (parallèles : TY Sanhedrin 3, 3 ; TY Rosh ha-shana 1, 8 ; TY Shebu‘ot 7, 4 ; TB Sanhedrin 25a-b) ; TY Ta‘anit 4, 6 ; TB Baba Meṣi‘a 20b ; TB ‘Erubin 104a ; Abot de-rabbi Natan A 21 (37b) ; Ekha Rabba 2, 4 ; Ḥuppat Eliyyahu 77 ;

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d’un jeu de hasard, comme le jeu de dés, qui est une raison pour discréditer un témoin, ou encore de transgressions liées au jeu comme la profanation du shabbat, ou un document produit par un prêteur, considéré comme un jeu et donc non valable. Parmi ces 20 textes, 6 sont tannaïtiques, 5 sont amoraïques et 9 proviennent de recueils midrashiques plus tardifs. 12 des 20 textes rejettent et condamnent le jeu. Parmi ces 12 textes, 2 sont tannaïtiques (sur 6), 5 sont amoraïques (la totalité) et 5 post-amoraïques. Deux autres textes présentent des aspects fort problématiques liés au jeu : le jeu des femmes (ou sorcières) avec un chien errant147 est une des causes possibles de sa folie ; le jeu avec des enfants148 retarde l’arrivée du Messie. La gemara s’interroge sur cette dernière affirmation et, après avoir écarté l’idée que le jeu avec des enfants implique des relations homosexuelles, elle le définit comme le mariage avec des mineurs ne pouvant pas (encore) avoir d’enfants. La débauche et la sexualité Dans 20 textes, la racine śḥq se réfère à la débauche qui est condamnée. 3 d’entre eux sont tannaïtiques, 5 sont amoraïques, les 12 autres proviennent de recueils midrashiques tardifs. Le rire qui mène à la débauche ou à la transgression, ou qui est lui-même un acte de séduction inapproprié apparaît dans 8 traditions149. Des abus ou des transgressions sexuels ou encore des jeux sexuels plus ou moins inappropriés, exprimés par la racine śḥq, apparaissent dans 12 traditions150, l’une d’entre elles (Midrash ‘Aseret ha-dibberot 7 (82)) ayant un parallèle avec la racine htl. Dans un texte tardif, le sens sexuel n’est pas lié à une transgression151.

Midrash Tanḥuma Yelammedenu 5, ‘Eqeb 222 ; Eliyyahu Rabba 7 ; Eliyyahu Rabba 15 ; Midrash Hallel 102 ; Midrash Tehillim 26, 7 (110b) ; Midrash Tehillim 39, 2 (128a) ; Midrash Tehillim 50, 3 (140b) ; Ba-midbar Rabba 2, 15. 147 TB Yoma 83b. 148 TB Nidda 13b. 149 M Soṭa 1, 4 (parallèles : Sifre Ba-midbar 12 ; Midrash Agur 18 ; Ba-midbar Rabba 9, 17 : Ba-midbar Rabba 9, 33) ; M Abot 3, 13 ; Abot de-rabbi Natan B 33 (36a-b) ; Ester Rabba 2, 13 ; Rut Rabba 4, 9 ; Shemot Rabba 30, 21 ; Midrash Tanḥuma Naso 2 ; Eliyyahu Rabba 13. 150 T Soṭa 5, 9 ; TB Ketubbot 72b ; TB Soṭa 32b ; Abot de-rabbi Natan B 3 (6b) ; Wayiqra Rabba 32, 4 ; Debarim Rabba 3, 17 ; Pirqe de-rabbi Eli‘ezer, chapitres supplémentaires 5 ; Shemot Rabba 42, 8 ; Midrash ‘Aseret ha-dibberot 3 (73) ; Midrash ‘Aseret hadibberot 7 (82) (parallèle : Ma‘ase Rabbi Me’ir 184 ; dans ce parallèle : c’était le soir de Purim, variante apologétique de R’ Me’ir, qui rend légitime son excès d’alcool) ; Ba-midbar Rabba 9, 12 ; Ba-midbar Rabba 10, 2. 151 Otiyyot de-rabbi ‘Aqiba A 381.

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Les plaisanteries 6 traditions dont une tannaïtique et deux amoraïques traitent des plaisanteries. L’amusement ou la plaisanterie bienvenus et acceptés (voire pris en compte par la halakha) apparaissent dans 2 textes152. La plaisanterie qui touche à la tromperie, prise en compte par la halakha mais condamnée, caractérise 2 traditions153. Le sens de « tromperie » voire de « mensonge » et la plaisanterie en tant que contraire de la réalité (Gehazi qui ne croit pas aux miracles) concernent les deux traditions restantes154. Un phénomène naturel Le rire comme phénomène humain naturel, positif et/ou souhaité, apparaît dans 16 traditions155. Parmi ces textes, aucun n’est tannaïtique, 7 sont amoraïques, 3 proviennent de recueils mystiques et 6 de recueils midrashiques tardifs. L’idée est parfois exprimée par la négation. Dans TB Shabbat 149b et dans Toledot Ben Sira A 226, nous lisons que, pendant la vie de Nabuchodonosor (dans Toledot Ben Sira il n’est pas nommé), aucune créature/ aucun homme n’a ri. Dans Merkaba Rabba 4a-b, il s’agit du fait de s’abstenir de plusieurs besoins humains essentiels et naturels : la nourriture, les relations sexuelles, le rire et le chant (rire et chanter sont donc deux activités aussi naturelles et humaines que se nourrir et procréer). Le Midrash Ḥaserot wiyterot 14 commente le choix du nom d’Isaac. Une dernière tradition évoque le sourire comme expression de la joie et moyen de communication156. La danse et les louanges Le sens de « danse (ou) chant qui montre la joie ou les louanges » apparaît 11 fois157 dans une optique positive. Dans TB Qiddushin 63a, la danse du 152 153

M Makhshirin 5, 1 ; Eliyyahu Rabba 5. TY Qiddushin 1, 2 (parallèles : TY Qiddushin 3, 2 ; ‘Abadim 1, 10) ; TB Qiddushin

19b. 154

Midrash ‘Aseret ha-dibberot 5; Pirqe de-rabbi Eli‘ezer 33. TB Ketubbot 103b ; TB ‘Erubin 65a (parallèle : Ḥuppat Eliyyahu 152) ; TB Shabbat 149b ; TB Shabbat 151b ; Abot de-rabbi Natan A 25 (40b) ; Abot de-rabbi Natan A 41 (66b) (parallèle : Ḥuppat Eliyyahu 32) ; Abot de-rabbi Natan B 48 (66b) (parallèle : Ekha Rabba 2, 15) ; Merkaba Rabba 4a-b ; Sefer Yeṣira 5, 1-2 ; Semaḥot 2, 5 ; Midrash Ḥaserot wi-yterot 14 ; Midrash Tehillim 22, 7 (92b) (béatitude, bien-être) ; Midrash Tehillim 92, 13 (206b) ; Ma‘ase Alexandros 11 (482) ; Toledot Ben Sira A 226. 156 Shir ha-shirim Rabba 1, 2, 3. 157 Mekhilta de-rabbi Shim‘on ben Yoḥay 6, 2 ; TB Qiddushin 63a ; Abot de-rabbi Natan A 4 (9b) ; Abot de-rabbi Natan A 31 (46a) ; Pirqe de-rabbi Eli‘ezer 38 ; Pirqe de-rabbi Eli‘ezer 49 ; Otiyyot de-rabbi ‘Aqiba A 360 ; Otiyyot de-rabbi ‘Aqiba B 413 ; Midrash Alfa Betot 1, 422 ; Midrash Hallel 96 ; Midrash Qonen 1, 26 ; Midrash Tehillim 36, 1 (125a) ; Ba-midbar Rabba 4, 20. 155

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fiancé peut valider le mariage en tant qu’équivalent d’une pièce de monnaie (peruṭa) et les Pirqe de-rabbi Eli‘ezer 49 évoquent la danse dénudée des femmes lors du banquet d’Assuérus. Ba-midbar Rabba 4, 20 affirme d’abord qu’il est nécessaire de glorifier Dieu et enchaîne avec une longue séquence narrative. Dans cette séquence, la racine śḥq qui est employée au pa‘al et au pi‘el désigne d’abord le jeu ou le rire inapproprié d’un enfant à la synagogue comme étant la diminution de la gloire divine, puis la glorification de Dieu par le chant ou le fait d’agiter le lulab. Plus loin dans le texte, elle est associée à la danse du roi David devant l’arche d’alliance. Quatre textes présentent une approche moins positive, avec notamment le sens de « se ridiculiser » ou « se donner en spectacle »158, le détournement du sens premier de la racine śḥq pour signifier la célébration pieuse159, et l’utilisation de la danse et du rire, comme source de bruit, pour réveiller quelqu’un160. La moquerie Le sens de « moquerie » est attesté dans 42 traditions avec plusieurs nuances. Une forme d’agressivité et d’animosité se retrouve dans toutes ces traditions. 3 de ces textes sont tannaïtiques et manifestent une tendance polémique tout en acceptant la moquerie. 8 textes proviennent de recueils « amoraïques » et les autres de recueils midrashiques plus tardifs. L’idée que la moquerie comporte un danger, lié à la susceptibilité des rabbins, est propre au TB, et est exprimée également par la racine araméenne gḥk. Dans 3 traditions161, la racine signifie « rire à cause d’une incongruité », ce rire étant souvent proche de la moquerie (le rieur se moque de celui qui agit de manière incongrue ou non conforme à ses propres usages) qui peut être douce ou plus mordante. La moquerie est également liée à la susceptibilité rabbinique (la réaction des rabbins à la moquerie peut avoir des conséquences désastreuses)162. Le sens de « moquerie » ou « dérision » apparaît dans 20 traditions163. Dans Midrash Tanḥuma Noaḥ 5, la racine śḥq est accompagnée de la racine 158

TY Soṭa 3, 4 ; Midrash Tanḥuma Noaḥ 13. Qohelet Rabba 10, 19, 1. 160 Yehudit 14 (57). 161 Sifre Ba-midbar 131 ; T Baba Qamma 2, 13 (parallèle : Qohelet Rabba 6, 11, 1) ; Midrash Tanḥuma Wa-yera 12 (parallèle : Aggadat Be-reshit 25, 2 (50)). 162 TB Ḥagiga 5b. 163 Abot de-rabbi Natan A 7 (18a) ; Abot de-rabbi Natan B 12 (15b) ; Ester Rabba 4, 12 ; Barayta de-nidda 1, 1 ; Midrash Agur 7 ; Pirqe de-rabbi Eli‘ezer 23 ; Shemot Rabba 39, 2 ; Midrash Tanḥuma Noaḥ 5 ; Midrash Tanḥuma Yitro 7 ; Midrash Tanḥuma Teruma 2 ; Midrash Tanḥuma Balaq 13 ; Midrash Tanḥuma (BUBER) Wa-era 12 (parallèle : Shemot Rabba 9, 6) ; Abba Guryon 3, 26 ; Abba Guryon 3-4 (parallèle : Ester Rabba 7, 13 (l‘g)) ; Aggadat Be-reshit 13, 3 (29) ; Eliyyahu Rabba 29 ; Eliyyahu Rabba 31 ; Midrash Tehillim 4, 13 (25a) ; Midrash Tehillim 34, 1 (123a) ; Panim Aḥerim 2, 6 (75). 159

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l‘g : ce sont les contemporains de Noé qui se moquent de lui. Dans Abba Guryon 3-4, la racine śḥq est employée en parallèle avec lwṣ et l‘g : Haman se plaint que les juifs se moquent des Perses. La moquerie qui tend vers le mépris voire l’humiliation est attestée dans 6 traditions, 4 fois en parallèle avec la racine bzy (Midrash Mishle 1, 25 ajoute une troisième racine, l‘g)164 et 2 fois sans lien avec cette racine165. La moquerie qui touche à la tromperie caractérise 5 traditions166. Dans Debarim Rabba 1, 15, Esaü se plaint que Jacob s’est moqué de lui en lui achetant le droit d’aînesse. Dans Midrash Mishle 11, 28, la femme de Coré considère les précisions de Moïse à propos du fil bleu azur comme inutiles, et ses propos comme une tromperie. Elle propose de faire un châle de prière entièrement bleu azur pour simplifier la tâche. Dans Ba-midbar Rabba 9, 9, la moquerie est une tromperie ou une transgression commise impunément, vouée à être punie par le rire divin dans le monde à venir. La polémique et l’animosité liée à la moquerie concernent enfin 6 traditions. 3 textes167 évoquent la moquerie des nations envers Israël, qui est dominé et souffrant dans le monde présent. La moquerie peut également exprimer l’animosité des non-juifs envers Israël168, l’humiliation ou la défaite des ennemis d’Israël169, ou d’autres formes de polémique170. Un seul texte, tiré du TB,171 rapporte les modifications apportées au texte de la Tora, au moment de sa traduction en grec pour le roi Ptolémée. Ce motif est déjà attesté dans des versions palestiniennes plus anciennes (Mekhilta de-rabbi Yishma‘el, TY), mais la version du TB comporte des traits spécifiques, parmi lesquels l’affirmation suivante : le texte de la Tora est notamment modifié pour éviter que le roi ait l’impression que les juifs se moquent de lui. Idolâtrie et violence Dans 10 textes exclusivement issus des Midrashim palestiniens (8 sont postamoraïques), la racine śḥq est associée à l’idolâtrie et à la violence, qui sont fortement condamnées et rejetées. La violence évoquée est celle des jeux de 164 Midrash Tanḥuma (BUBER) Toledot 4 ; Midrash Tanḥuma (BUBER) Wa-era 18 ; Ḥashmona’im 1 (12) ; Midrash Mishle 1, 25. 165 Pesiqta Rabbati 34 (159a) (en lien avec 158b, voir l‘g) ; Midrash Hallel 90. 166 Debarim Rabba 1, 15 ; Midrash Tanḥuma Naso 5 (proche de Ba-midbar Rabba 9, 9 ; Midrash Tanḥuma (BUBER) Bo 19 ; Midrash Mishle 11, 28). 167 Shir ha-shirim Rabba 6, 11, 1 ; Semaḥot de-rabbi Ḥiyya 3, 5 ; Ekha Zuṭa 23. 168 Debarim Rabba (LIEBERMAN) Debarim 27. 169 Midrash ‘Aseret ha-melakhim 43. 170 Megillat Ta‘anit 1, 2 ; Megillat Ta‘anit 5, 2 ; Megillat Ta‘anit 8, 3 (3 références parallèles). 171 TB Megilla 9b (parallèle : Midrash Tanḥuma Shemot 22).

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l’arène et du cirque. 4 textes condamnent l’amusement que l’on retire des spectacles des nations172. Un commentaire sur 2 S 2, 14173 concerne les joutes entre jeunes guerriers : « Abner est mort, car il a ri du sang des jeunes hommes. » Le mot śeḥoq signifie ici « jeu » et il exprime vraisemblement une critique des jeux gréco-romains, notamment parce que les plus anciennes occurrences du texte se trouvent dans le TY. Le sens de « jeu de combat » se retrouve dans une autre tradition174. 4 textes175 traitent de l’idolâtrie. Dans Midrash ‘Aseret ha-dibberot 2, il peut s’agir de l’adoration de démons. Ba-midbar Rabba 9, 48 s’intéresse à un niveau intermédiaire de participation à l’idolâtrie collective du veau d’or. Celui qui danse et rit n’est pas mis à mort tout de suite comme celui qui a offert de l’encens, mais il est soumis à une procédure d’examen comme la femme souçonnée d’adultère. Les aspects eschatologiques 35 textes sont eschatologiques à des niveaux divers. L’un d’entre eux est tannaïtique, deux proviennent de la littérature mystique, 13 sont amoraïques et 19 sont tirés de recueils midrashiques tardifs. Dans 21 traditions, l’idée du rire divin est évacuée, détournée ou limitée, le rire signifiant alors la sainteté, la colère, le châtiment, l’humiliation, etc. Le rire divin agressif joue un rôle dans 15 de ces 21 textes. Lorsque Dieu se moque des méchants ou des ennemis d’Israël, son rire est une forme de vengeance176. Dieu rit, car il se moque de l’incapacité des nations à se convertir à la fin des temps177. Le rire divin apparaît aussi comme un châtiment destructeur, irréversible, par opposition à la colère divine qui mène au repentir178. Un texte179 évoque le rire divin comme le châtiment infligé au peuple d’Israël parce qu’il s’est détourné de Dieu, et deux autres passages180 172 Ekha Rabba Petiḥa 3 (parallèle : Pesiqta de-rab Kahana 15) ; Be-reshit Rabba 80, 1 ; Pesiqta de-rab Kahana 27 (parallèles : Qohelet Rabba 2, 2, 1-3 ; Midrash Tanḥuma Aḥare Mot 1 ; Qohelet Zuṭa 2, 2). 173 TY Soṭa 1, 8 (parallèles : TY Pe’a 1, 1 ; Wa-yiqra Rabba 26, 2 ; Pesiqta de-rab Kahana 4 ; Midrash Tanḥuma Ḥuqqat 4 ; Midrash Agur 9 ; Midrash Tanḥuma Mas‘e 12 ; Eliyyahu Rabba 13). 174 Qohelet Rabba 3, 11, 3. 175 Eliyyahu Rabba 13 ; Midrash ‘Aseret ha-dibberot 2 ; Ba-midbar Rabba 9, 47 ; Bamidbar Rabba 9, 48. 176 Ester Rabba 3, 12 ; Eliyyahu Rabba 28 ; Midrash Alfa Betot 10, 435 ; Midrash ‘Aseret Haruge Malkhut 89 (ms Livourne)/90 (ms Milan). 177 TB ‘Aboda Zara 3b (parallèle : Midrash Tanḥuma Shofeṭim 9). 178 Pesiqta de-rab Kahana 27 (parallèles : Qohelet Rabba 2, 2, 1-3 ; Midrash Tanḥuma Aḥare Mot 1 (commentaire sur Qo 2, 2, l’autre interprétation de ce texte concerne les jeux païens dans l’arène)) ; Hekhalot (fragments de la geniza) 357 ; Qohelet Rabba 7, 3, 1 ; Midrash Tanḥuma (version longue) Be-shallaḥ 115 ; Qohelet Zuṭa 7, 3 ; Ba-midbar Rabba 9, 9. 179 Aggadat Be-reshit 74, 3 (144). 180 Midrash Mishle 1, 11 ; Midrash Mishle 1, 12.

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le comprennent comme une menace ou une réprimande. Un autre texte181 contient une longue séquence fortement opposée au rire, qui reprend diverses traditions anciennes en précisant que le rire mène à la transgression et à la débauche, qu’il est idolâtrie et meurtre, qu’il est lui-même une transgression sexuelle et que Dieu ne rit jamais sauf à un moment précis à la fin des temps, où il se moque des nations et se réjouit de leur défaite. Six autres textes évacuent l’idée du rire divin sans se référer à la violence. Le rire divin exprime les bienfaits de Dieu, que ce soit pour les justes dans le monde à venir ou pour les méchants dans le monde présent182. Dans un commentaire sur le Psaume 2183 (racines śḥq et l‘g), les quatre mentions du rire de Dieu dans la Bible sont interprétées comme des manifestations de sa sainteté. Dans un autre texte184, le rire de l’attribut de stricte justice accompagne en réalité des interdits. Le rire divin n’est pas nécessairement l’objet d’un processus de limitation ou d’évacuation. C’est le cas du jeu de Dieu avec le Léviathan185 et d’un texte186 où le rire et la colère divine ont le même résultat : le manque de satisfaction de Dieu. Les nations se moquent de Dieu dans 2 traditions187 (racines śḥq et l‘g), ce qui provoque ses pleurs. Proche du rire divin, celui de la Tora188 est la récompense eschatologique pour l’homme qui l’a étudiée. Le rire des anges189 exprime leur joie du fait que Jacob a gagné le droit d’aînesse. Dans ce passage, la racine araméenne ḥwk signifie la moquerie d’un groupe d’hérétiques ou de débauchés à l’égard d’Ésaü. Dans 7 textes, le rire est un témoin d’événements eschatologiques ou célestes. Deux d’entre eux190 mettent en scène des rires d’animaux (des chiens et l’âne de Ḥanina ben Dosa). Quatre autres191 rapprochent le rire optimiste de R’ ‘Aqiba (en tant que protagoniste ou transmetteur) et l’espérance eschatologique. Un texte mystique192 indique que l’on peut faire chanter et rire un serpent si l’on récite le livre du vêtement (sefer ha-malbush).

181

Eliyyahu Rabba 13. TB Shabbat 30b. 183 Midrash Tehillim 2, 6 (14a). 184 TY Sanhedrin 2, 4. 185 Pirqe de-rabbi Eli‘ezer 9. 186 Ekha Rabba Petiḥa 14. 187 Ekha Rabba Petiḥa 24 ; Ekha Zuṭa 26. 188 Be-reshit Rabba 59, 2 (parallèle : Shemot Rabba 52, 3). 189 Be-reshit Rabba 63, 14. 190 TB Baba Qamma 60b ; Abot de-rabbi Natan A 8 (19b). 191 T Kippurim 2, 7 (parallèles : TY Yoma 3, 13 ; TY Sheqalim 5, 1 ; TB Yoma 38a ; Shir ha-shirim Rabba 3, 6, 4 (ṣḥq)) ; TB Sanhedrin 101a ; TB ‘Aboda Zara 20a ; Midrash Tehillim 15, 7 (60a). 192 Sefer ha-malbush 2, 2. Bref recueil mystique apparenté à la littérature des Palais, contenant probablement des matériaux du IIIe et IVe siècles, appelé également Sefer Razi’el. Voir STEMBERGER, Introduction…, p. 393. 182

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La rétribution eschatologique exprimée par le rire apparaît dans 4 textes. Dans le monde futur même, le rire est lié au bien-être et à la victoire193. La récompense consiste à « se moquer » et la punition à être l’objet de la moquerie »194. Humour de la Tora 6 textes, tous issus des Midrashim palestiniens, tardifs pour 4 d’entre eux, reconnaissent l’humour de la Tora ou de Dieu en tant que son auteur. Une tradition avec plusieurs parallèles195 concerne les différentes facettes de Dieu et de l’enseignement : la aggada est la facette souriante (amusante ou rieuse) de l’enseignement. Au moment de la construction du Tabernacle, Dieu se rit en fait des anges, car il avait déjà écrit que sa gloire se répandrait d’abord sur la terre196. L’humour de la Tora s’exprime enfin à travers le principe ironique de « mesure pour mesure »197. Autres significations Une tradition198 évoque le cas de l’esclave qui demande à son maître de lui soigner l’œil ou la dent et le maître blesse l’organe au lieu de le soigner, ce qui procure à l’esclave la liberté. « L’esclave rit de son maître et devient libre. » Est-ce le rire de la joie de retrouver la liberté ou bien un rire agressif qui se moque du maître ? La racine śḥq exprime dans 4 traditions199 l’élargissement d’une mesure (de longueur, poids, superficie ou volume) : une mesure « qui rit » est une mesure légèrement augmentée (en opposition à une mesure triste, légèrement diminuée). Elle est enfin associée dans 7 traditions à l’idée de chance200 : un homme à qui « l’heure sourit » est un homme chanceux.

193

Shemot Rabba 25, 8 (où il s’agit d’une parabole portant sur Israël). Midrash Tehillim 104, 21-22 (223a-b) ; Midrash Tanḥuma Yelammedenu 11, Debarim 74 ; Pesiqta Rabbati 11 (42a-b). 195 Pesiqta de-rab Kahana 12 (parallèles : Pesiqta Rabbati 21 (101a-b) ; Soferim 16, 3 ; Midrash Tanḥuma (BUBER) Yitro 17). 196 Midrash Tanḥuma Teruma 9 ; Pesiqta Rabbati 5 (21a) (parallèle : Ba-midbar Rabba 12, 7). 197 Be-reshit Rabba 85, 9 ; Aggadat Be-reshit 76, 2 (146) ; Aggadat Be-reshit 76, 3 (147). 198 T Baba Qamma 9, 25 (parallèles : TB Baba Qamma 26b ; TB Qiddushin 24b). 199 T Miqwa’ot 7, 6 (parallèle : TB ‘Erubin 83a) ; TY Sheqalim 6, 6 ; TB Sukka 7a ; TB ‘Erubin 3b. 200 TY Sanhedrin 10, 2 ; TB Berakhot 7b (parallèle : TB Megilla 6b) ; TB Pesaḥim 112a-113b (parallèle : Ḥuppat Eliyyahu 86) ; Ḥuppat Eliyyahu 85 ; Alef Bet de-ben Sira 263 ; Alef Bet de-ben Sira 277 ; Midrash ‘Aseret ha-dibberot 10. 194

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A.3. La raillerie : la racine lwṣ Elle apparaît 41 fois avec 21 parallèles. Parmi ces 41 textes, seulement 3 sont tannaïtiques et 15 amoraïques, 23 proviennent de recueils midrashiques tardifs. Hormis 4 traditions qui présentent une forme d’humour et deux traditions qui ne concernent pas le champ lexical du rire et de l’humour, tous les textes condamnent et rejettent la pitrerie. Le rejet explicite et catégorique de la pitrerie201 ou des pitres202 est exprimé dans 20 traditions203 avec de nombreux parallèles. Midrash Agur 10 contient une très longue séquence exégétique qui condamne la pitrerie de différents personnages bibliques. L’interprétation attribue au terme « pitrerie » une large gamme de nuances : moquerie (l‘g), rire méprisant (ṣḥq), injure (qll), mais aussi ironie et sarcasme des personnages bibliques, sans lien cette fois avec le champ lexical. La séquence reconnaît ainsi dans la racine lwṣ une forme d’humour mordant et agressif du texte biblique. Un passage parallèle de T Baba Qamma 2, 13 considère le rire moqueur du personnage à cause d’une incongruité, comme une moquerie très prononcée, liée aux racines lglg et lṣṣ, touchant au mépris. Cette moquerie est immédiatement punie par un concours de circonstances. C’est une confirmation du retournement ironique de cette narration, mais qui condamne fortement la moquerie. Une forme de pitrerie est néanmoins acceptée dans la séquence, celle d’Élie face aux prophètes de Ba‘al (1 R 18, 27) (racine htl). Dans Bamidbar Rabba 10, 2, le persifleur est un ivrogne, méchant et arrogant. Ce fort rejet se retrouve dans deux autres textes204 où le sens de la racine est proche de l’idolâtrie qui est, bien évidemment, rejetée. La « société des railleurs »205 de Ps 1, 1206 est comprise en lien avec une « conversation (ou activité) futile »207 ou avec un sens proche de l’idolâtrie, « le fait de regarder les spectacles des nations »208. Dans un autre 201

Leṣut, laṣon, leṣanut. Leṣim, leṣanim. 203 TY Berakhot 2, 7 (parallèle : Pesiqta (fragments) 176) ; TB Soṭa 42a (parallèles : TB Sanhedrin 103a ; Ḥuppat Eliyyahu 95 ; Midrash ‘Aseret ha-dibberot 9 ; Midrash Tehillim 101, 3 (214b)) ; TB Qiddushin 66a ; Abot de-rabbi Natan A 21 (37b) ; Ekha Rabba Petiḥa 12 (parallèle : Qohelet Rabba 8, 8, 1) ; Ekha Rabba Petiḥa 15 ; Derekh Ereṣ Zuṭa 6, 5 (parallèle : Pirqe Derekh Ereṣ 9) ; Wa-yiqra Rabba 15, 4 ; Shir ha-shirim Rabba 1, 3, 2 ; Shir ha-shirim Rabba 3, 4, 2 ; Debarim Rabba 5, 15 ; Midrash Agur 10 ; Otiyyot de-rabbi ‘Aqiba B 417 ; Eliyyahu Rabba 24 ; Midrash Mishle 9, 12 ; Midrash Mishle 11, 19 ; Midrash Mishle 20, 1 ; Midrash Tehillim 1, 7 (4b-5a) ; Midrash Tehillim 78, 2 (173a) (parallèle : Midrash Tehillim 105, 12 (226b)) ; Ba-midbar Rabba 10, 2. 204 T ‘Aboda Zara 4, 4 ; Pesiqta de-rab Kahana 13. 205 Moshab leṣim. 206 Heureux l’homme qui ne suit point les conseils des méchants, qui ne se tient pas dans la voie des pécheurs, et ne prend point place dans la société des railleurs. 207 M Abot 3, 2 (parallèle Abot de-rabbi Natan B 34 (37b)) ; TB Qiddushin 41a. 208 T ‘Aboda Zara 2, 5-6 (parallèles : TY ‘Aboda Zara 1, 7 ; TB ‘Aboda Zara 18b-19a). 202

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commentaire209, la « société des railleurs » est le lieu où évolue le serpent du jardin d’Éden, décrit comme un persifleur et un diffamateur. Le verset est aussi appliqué à la moquerie et à la rébellion de Coré210. Ce dernier s’exprime avec des « paroles de pitrerie »211 contre Moïse et Aaron, ce qui paraît d’abord négatif, mais, en réalité, Coré critique avec un humour subtil la classe sacerdotale et le détournement des préceptes. La moquerie est évoquée dans 9 textes. Trois d’entre eux212 ont également des aspects humoristiques (retournement ironique et autodérision des rabbins, ironie, récits amusants). Dans deux autres213, la moquerie touche au mépris. Dans 4 traditions214, les pitres de la génération215 critiquent divers personnages bibliques (Moïse, Abraham, David). Leurs propos moqueurs, souvent rejetés en bloc ou considérés comme des mensonges, sont dans certains cas pris en considération et démentis. Les pitres peuvent être des « persifleurs »216 et l’humour, sous forme d’ironie ou de sarcasme verbal, apparaît entre les protagonistes de la narration217. Lorsque l’ironie est celle de la Tora ou de Dieu, elle est la bienvenue. Une tradition218 offre des jeux de mots autour de la racine lwṣ : le mot meliṣa signifie la Tora, la forme verbale mitloṣeṣ signifie la moquerie de la Tora, la réponse à la pitrerie219 est la pitrerie elle-même. Ici, la pitrerie est rejetée, mais en même temps elle est la réponse ou le châtiment des pitres. Ce principe ironique est attesté dans un autre texte220, où Dieu se venge de la raillerie des nations par la raillerie elle-même (mesure pour mesure). Enfin, deux traditions ne sont pas liées à notre champ lexical. L’une221 emploie le mot meliṣa dans le sens de « prophétie », l’autre222 dans le sens de « l’explication d’une parabole ».

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Midrash Tehillim 1, 9 (5a-b). Midrash Tehillim 1, 15 (7b-8a). 211 Dibre leṣanut. 212 TB Qiddushin 81a ; Midrash Agur 14 ; Toledot Ben Sira A 245 (dans la version B avec l‘g). 213 Abba Guryon 3-4 (en lien avec les racines l‘g et śḥq. Parallèle : Ester Rabba 7, 13) ; Debarim Rabba 7, 4. 214 Shemot Rabba 51, 6 ; Shemot Rabba 52, 2 ; Shemot Rabba 52, 3 (parallèle : Midrash Tanḥuma Pequde 6-7, 11) ; Midrash Tanḥuma Toledot 6. 215 Leṣane ha-dor. 216 Leṣanin. 217 TY Berakhot 2, 1 (parallèle : TY Mo‘ed Qaṭan 3, 7 ; TY Sheqalim 2, 5). 218 Midrash Mishle 1, 6. 219 Leṣanut. 220 Ba-midbar Rabba 11, 1. 221 Abot de-rabbi Natan A 34 (51b) (parallèles : Abot de-rabbi Natan B 37 (48a) ; Bereshit Rabba 44, 6 ; Shir ha-shirim Rabba 3, 4, 2 ; Ḥuppat Eliyyahu 227 ; Midrash Agur 6 ; Aggadat Be-reshit 14, 3 (31)). 222 Midrash Tehillim 24, 2 (102a). 210

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A.4. La moquerie : les racines l‘g et lglg La racine l‘g apparaît dans 45 traditions avec 5 parallèles. Un seul texte est tannaïtique et 9 sont amoraïques. 35 proviennent de recueils midrashiques tardifs. La majorité des occurrences emploient la racine avec le sens de « moquerie », cette notion pouvant couvrir une large gamme de nuances. L’agressivité et l’animosité, attestées dans la plupart des textes sous différentes formes, sont rejetées lorsqu’il ne s’agit pas de la vengeance divine ou de l’agressivité des juifs envers leurs ennemis. L’idée d’une moquerie agressive caractérise particulièrement 3 textes. Dans la Mekhilta de-rabbi Yishma‘el Shira 7223, le chant de la mer prononcé par Moïse est attribué à l’esprit saint et constitue une réponse moqueuse de Dieu à Pharaon. La moquerie divine peut être aussi une forme de vengeance224. Dans un texte225 qui commente Pr 22, 8, le verbe mal‘igin exprime la joie des juifs à la perspective de l’exécution d’Haman. La moquerie touchant au mépris (des commandements ou de la parole divine, des paroles des sages, des faibles ou des pauvres, de la rédemption…), modérément ou fortement rejetée voire objet d’un châtiment sévère, revient dans 11 traditions226. Le verbe « se moquer » dans Pr 17, 5, « celui qui se moque du pauvre accomplit un blasphème »227, est interprété en lien avec le mépris, et peut concerner entre autres la profanation d’un cimetière228. Les sens de « mépris », « humiliation » ou « manque de respect » sont attribués à la racine l‘g en parallèle avec les racines bzy et śḥq229. L‘g exprime le mépris des nations envers Israël230 (dans le parallèle, c’est la racine qls) ou le mépris des enfants d’Israël envers leurs prophètes231 (en compagnie de la racine śḥq). Dans 9 textes, la racine l‘g a le sens de « moquerie » en parallèle avec d’autres racines. 5 textes232 l’emploient en parallèle avec śḥq et, dans 3 d’entre 223 Mekhilta de-rabbi Yishma‘el, Shira 7 (parallèle : Mekhilta de-rabbi Shim‘on ben Yoḥay 15, 10). 224 Midrash Tanḥuma (BUBER) Wa-yera 24. 225 Midrash Tehillim 22, 21 (96b). 226 TY Pe’a 1, 1 (parallèle : TY Qiddushin 1, 7) ; TB Giṭṭin 57a (parallèle : TB ‘Erubin 21b) ; Pirqe Derekh Ereṣ 7 ; Midrash Tanḥuma Be-har Sinay 2 ; Midrash Tanḥuma (BUBER) Wa-yeṣe 10 ; Midrash Tanḥuma (BUBER) Qoraḥ 2 ; Eliyyahu Rabba 4 ; Pesiqta Rabbati 34 (158b) (aspects eschatologiques) ; Shemot Rabba 9, 7 ; Toledot Ben Sira A 205 (parallèle : Toledot Ben Sira B 205) ; Toledot Ben Sira A 239 (parallèles : Toledot Ben Sira B 237 et 239). 227 Traduction du Rabbinat : Railler le pauvre, c’est outrager celui qui l’a créé  ; qui se réjouit d’un malheur ne demeure pas impuni. 228 TY Berakhot 2, 2 ; TB Berakhot 18a ; TB Menaḥot 41a. 229 Midrash Mishle 1, 25 ; Midrash ‘Aseret ha-dibberot 5. 230 Aggadat Rabbi Yishma‘el 4. 231 Pesiqta Rabbati 26 (129b). 232 Ekha Rabba Petiḥa 24 ; Ekha Zuṭa 26 ; Pesiqta Rabbati 37 (162b) ; Debarim Rabba (LIEBERMAN) Debarim 27 ; Midrash Tanḥuma Noaḥ 5.

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eux233, Dieu et le Messie sont l’objet de la moquerie. Dans deux autres textes234, elle apparaît en parallèle avec la racine lwṣ, une fois235 en parallèle avec les racines śḥq, l‘g, lwṣ et ṣḥq, et une fois236 avec les racines lwṣ, ṣḥq, htl, lglg et qll. Sans aspects comiques ou humoristiques, la moquerie dégradante et condamnable est mentionnée dans 3 traditions237. L’émancipation (ou le comportement indépendant) d’une femme est considérée comme une moquerie méprisante (par l’ennemi, c’est-à-dire le gouverneur assyrien)238. Les Hébreux, qui sont le sujet du verbe l‘g, expriment devant Dieu des doutes concernant les descriptions de la terre promise239. La moquerie en lien avec l’humour est attestée dans 9 traditions240. Elle a le sens de plaisanterie241 dans un seul texte242. La moquerie peut se manifester dans un échange verbal, dans un contexte polémique (les nations se moquent d’Israël), dans un propos moqueur (ironie, comique de situation, plaisanteries) et aussi dans une narration. La racine lglg apparaît dans 8 textes avec 4 parallèles. Parmi ces 8 textes, aucun n’est tannaïtique, 7 sont amoraïques et le dernier est tardif. 2 textes manifestent une attitude neutre envers la moquerie et un texte reflète une attitude positive envers les fautes de prononciation d’un enfant. La racine peut désigner la moquerie au sens propre du terme243, mais aussi une moquerie qui tend vers le mensonge244. Dans le sens de « moquerie des paroles des sages », ayant une conséquence fatale pour le moqueur, cette racine est attestée trois fois avec 3 parallèles245. Dans 2 traditions246, la racine revêt le sens de « bégaiement » ou « trouble de la parole », soit avec un sens péjoratif (en tant que conséquence d’une transgression des lois de la nidda), soit 233

Ekha Rabba Petiḥa 24 ; Ekha Zuṭa 26 ; Pesiqta Rabbati 37 (162b). Midrash Tanḥuma Toledot 6 ; Eliyyahu Zuṭa 14. 235 Abba Guryon 3. 236 Midrash Agur 10. 237 Midrash Tanḥuma (MANN) Noaḥ 151 ; Aggadat Be-reshit 1, 2 (2-3) ; Aggadat Bereshit 37, 5 (75). 238 Yehudit 12. 239 Midrash Tanḥuma Shelaḥ 5. 240 Ekha Rabba Petiḥa 17 (parallèle : Ekha Rabba 3, 5) ; Wa-yiqra Rabba 6, 2 ; Midrash Agur 8 ; Midrash Shene Ketubim 219 ; Pirqe de-rabbi Eli‘ezer 24 ; Pirqe de-rabbi Eli‘ezer 39 ; Midrash ‘Aseret ha-dibberot 10 ; Pesiqta Rabbati 14 (56a) (avec śḥq) ; Toledot Ben Sira A 252 (Parallèle : Toledot Ben Sira B 252). 241 Le‘iga. 242 Alef Bet de-ben Sira (268). 243 TB Shabbat 30b. 244 Be-reshit Rabba 60, 2. 245 TB Baba Batra 75a (parallèles : TB Sanhedrin 100a ; Midrash Tehillim 87, 2 (189a)) ; TB Qiddushin 81b ; TY Berakhot, 6, 2 (parallèle : TB Berakhot 39a). Pour cette dernière tradition un parallèle est établi entre la racine ḥwk et la racine lglg. 246 Barayta de-nidda 1, 2 ; Shir ha-shirim Rabba 2, 4, 1. 234

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avec un sens positif (les fautes de prononciation des enfants). Alors que T Baba Qamma 2, 13 emploie le verbe śaḥaq, son parallèle dans le TB préfère recourir à la racine lglg (la version du Midrash Agur combine ligleg et nitloṣeṣ)247. A.5. Les racines araméennes : bdḥ, gḥk, ḥwk et ṭll La racine bdḥ apparaît 16 fois avec un parallèle. Tous ces textes proviennent du TB à l’exception d’un passage qui provient de la Pesiqta de-rab Kahana et qui est le seul à donner un sens très péjoratif à cette racine. Elle est employée 6 fois248 avec le sens de « bonne humeur » ou « joie », dont on doit se méfier, qu’il faut justifier ou restreindre. Toutefois, les récits sont eux-mêmes humoristiques. 3 autres occurrences montrent une joie acceptée ou naturelle, liée à une perspective eschatologique249 ou simplement souhaitée et bienvenue250. Dans TB Ta‘anit 22a, il s’agit de deux plaisantins qui réjouissent les gens tristes probablement par des plaisanteries dont on ne connaît pas la nature. La racine est employée une fois251 avec la négation252, dans le sens de mauvaise humeur ou mécontentement. Elle peut aussi revêtir le sens de « familiarité » ou « relations amicales »253. L’humour rabbinique proprement dit se manifeste dans 4 traditions sous les modalités suivantes : la plaisanterie254, le fait de rire et de faire rire255 et la réponse humoristique dans le débat talmudique lui-même256. Dans TB Baba Batra 9b, la réponse humoristique d’un rabbin a des conséquences graves sur la santé de son collègue. Le motif de la faiblesse d’esprit257 liée à la honte causée par la plaisanterie ou la moquerie (réelle ou imaginaire) est caractéristique du TB. Nous verrons plus loin cette détresse des rabbins dans 6 textes dont 5 proviennent du TB, où la moquerie est exprimée par la racine ḥwk. Dans une seule tradition258 palestinienne, la racine bdḥ a un sens péjoratif, celui de « moquerie » ou « mépris ». La racine gḥk apparaît 16 fois avec un parallèle. 3 de ces 17 textes proviennent du TB, 9 du TY et 5 des recueils midrashiques palestiniens dont 247 248 249 250 251 252 253 254 255 256 257 258

TB Baba Qamma 50b (parallèle : Midrash Agur 10). TB Berakhot 30b-31a (4 occurrences) ; TB Berakhot 55a ; TB Shabbat 77b. TB Sukka 53a ; TB Mo‘ed Qaṭan 17a. TB Ta‘anit 22a. TB Nedarim 91b. De-la’ hawa bediḥa da‘tah. TB Ḥullin 32a. TB Shabbat 30b (parallèle : TB Pesaḥim 117a). TB Nedarim 50b-51a (avec ḥwk). TB Baba Qamma 17b ; TB Baba Batra 9b. Ḥalsha da‘teh. Pesiqta de-rab Kahana 3.

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2 tardifs. 10 textes sont humoristiques, mais gardent une réserve vis-à-vis du rire. 3 traditions emploient la racine dans le sens de « rire à cause d’une incongruité »259 et 4 autres260 avec le sens de « rire » ou de « plaisanterie », en tant que phénomènes naturels, acceptés voire souhaités. Elles mêlent toutes halakha et humour. Un rapport plus ambivalent à l’humour se trouve dans 3 textes, qui condamnent le rire tout en étant humoristiques. Un récit lié au rejet ou à l’interdiction du rire261 met en scène un rabbin qui essaie d’en faire rire un autre par des raisonnements ridicules, mais sans succès. Un autre texte262 présente un pitre263 dont le comportement et le rire sont condamnables. Dans ce récit, qui condamne la pitrerie, l’humour s’exprime par l’ironie de la narration, dans laquelle le rire est la cause directe de la punition du pitre rieur. Un texte264 rapporte le rire de R’ ‘Aqiba lors de son supplice. Ce rire est le résultat du bonheur qu’il éprouve enfin de pouvoir accomplir le précepte d’aimer Dieu de toute son âme, c’est-à-dire en allant jusqu’à lui donner son âme, au moment du martyre. Ce passage, comme les autres occurrences du rire de R’ ‘Aqiba, peut être interprété, soit comme un rire lié à une expérience mystique ou un savoir eschatologique, soit comme une forme d’humour consolateur qui permet de faire face à une réalité terrible. Les 6 autres textes manifestent un rapport plus négatif au rire, que celuici soit associé à l’idolâtrie265, à la danse d’un démon266, à une joie excessive due à l’abus d’alcool (ce rire est rejeté dans le contexte du deuil)267, ou encore à la remarque d’un hérétique268 qui accuse Dieu d’être un farceur269. Dans un texte270, il s’agit du rire (ou du sourire) de joie d’un messager divin (l’ange gardien des hommes selon Jastrow). La racine gḥk peut exprimer le rire de la moquerie, en parallèle avec la racine lglg271. La moquerie est non seulement fortement condamnée, mais elle a également des conséquences désastreuses (la mort des protagonistes).

259 260 261 262 263 264 265 266 267 268 269 270 271

TY Baba Meṣi‘a 2, 4 ; Be-reshit Rabba 30, 8 ; Midrash Shemu’el 9, 3 (74). TY Baba Batra 3, 7 ; TY Yebamot 8, 6 ; TY Qiddushin 3, 5 ; TB Shabbat 64a. TB Nidda 23a. TY Berakhot 2, 7. Leṣan. TY Berakhot 9, 5 (parallèle : TY Soṭa 5, 5). Be-reshit Rabba 23, 6. Be-reshit Rabba 63, 8. TY Berakhot 3, 1. Mina. TB Sanhedrin 39a. Qohelet Rabba 3, 2, 4. TY Berakhot 6, 2.

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Le sage qui condamne la moquerie et le rire dans ce récit est Bar Qappara272. La racine ḥwk apparaît 14 fois sans traditions parallèles. 13 de ces 14 textes proviennent du TB et 1 de Be-reshit Rabba. Dans 7 textes où le sens du mot est la moquerie, cette dernière a ou peut avoir des conséquences graves à cause de la susceptibilité rabbinique. Il s’agit donc d’une restriction voire d’un rejet de cet aspect du rire. Cependant, ces textes comportent des aspects humoristiques et pourraient même exprimer une forme d’autodérision rabbinique. Un autre passage rejette le rire méprisant d’un ennemi d’Israël. 6 textes manifestent une attitude neutre ou positive envers le rire. Le rire ou la moquerie entre les rabbins dans le débat talmudique273 représente un exemple d’humour rabbinique. Le rire peut succéder aux pleurs et résulter d’une joie liée à la connaissance eschatologique, avec des aspects humoristiques274. Le rire ou la moquerie qui suscite la susceptibilité des interlocuteurs (des rabbins, mais parfois aussi des personnages non rabbiniques, tel un gouverneur romain) apparaît 6 fois275 avec une dimension humoristique. La susceptibilité rabbinique, notamment dans TB Baba Qamma 117a, peut avoir des conséquences graves, notamment causer la mort de certains interlocuteurs. Un récit276 contient les deux aspects à la fois : le rire qui résulte de la joie liée à une connaissance eschatologique de l’avenir, mais qui est perçu par un rabbin comme de la moquerie. L’expression de la bonne humeur se fait avec la racine bdḥ. Le sens de « rire » apparaît dans une tradition relevant de l’humour macabre277 et dans une tradition humoristique où l’objet du rire (ou de la moquerie) n’est pas certain278. Le rire méprisant d’un ennemi d’Israël (Sennachérib)279 intervient dans le manuscrit yéménite (830). Le verbe « il a ri »280 a été en revanche supprimé dans la version imprimée (Venise). Un passage281 emploie la racine dans le sens de « plaisanterie ». Il mentionne les précautions orthographiques qu’il faut prendre pour éviter des ambiguïtés, sans avoir d’aspects humoristiques. 272 Ce sage est considéré comme ayant un sens de l’humour développé dans TB Nedarim 50b-51a, voir p. 47 et note 255. Il est intéressant de noter la différence entre le TY et le TB concernant Bar Qappara. 273 TB ‘Erubin 47b-48a. 274 TB Berakhot 18b ; TB Giṭṭin 68a-b (dans cette tradition c’est Ashmeday qui rit). 275 TB Ta‘anit 21a ; TB Yebamot 64b ; TB Giṭṭin 47a ; TB Giṭṭin 55b ; TB Baba Qamma 117a ; Be-reshit Rabba 63, 8. 276 TB Mo‘ed Qaṭan 17a. 277 TB Soṭa 13a. 278 TB Sanhedrin 96a. 279 TB Sanhedrin 95a. 280 Aḥekh. 281 TB Giṭṭin 85b.

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La racine tll est employée dans 4 traditions sans parallèles. Elle signifie le jonglage282, le jeu283 (comme le jeu d’échecs selon Jastrow) et la pitrerie ou la moquerie des paroles des sages284, fortement rejetées. Un texte285 évoque le jeu eschatologique de Dieu avec le Léviathan. Le TB commente Ps 104, 26286, et explique que Dieu joue avec le mâle du Léviathan, car il aurait été inapproprié pour lui de jouer avec la femelle, ce qui semble donner une connotation sexuelle à ce jeu. L’étude du champ lexical du rire dans la littérature rabbinique montre le rapport ambivalent des rabbins envers ce phénomène. Le rire en tant que phénomène naturel est accepté, tout comme les plaisanteries, mais la moquerie et la raillerie sont rejetées. Dans les textes tannaïtiques, nous notons une acceptation plus grande que le rejet, la halakha prend même en compte les plaisanteries dans deux textes. Dans les textes amoraïques, un certain équilibre est noté entre l’hostilité et la bienveillance envers le rire. Les rabbins babyloniens sont particulièrement susceptibles à la moquerie qui peut être la cause de souffrances physiques et même entraîner la mort. Cependant, certains textes babyloniens qui rejettent explicitement le rire sont humoristiques. Ce rapport paradoxal rejoint la fonction épistémologique de l’humour rabbinique évoqué par D. Boyarin. Les textes post-amoraïques en revanche, montrent une plus grande hostilité envers le rire que leurs prédécesseurs.

B. Rejet du rire À ce point de notre développement, il est intéressant de comparer la place qu’occupe le rire chez les rabbins et celle qui est la sienne dans la littérature hellénistique et chez les Pères de l’Église. Dans la culture hellénistique, la méfiance à l’égard du rire est présente chez Platon et Quintilien. Dans le Philèbe (49b-50e), Platon définit le rire comme un plaisir, mais démontre qu’il peut être mélangé à la douleur. Il s’agit d’un cas où l’on rit à cause du ridicule de certains amis, ce que Platon définit comme un plaisir impur287. Sa condamnation de ce type de rire est claire quand il dit que les plaisirs purs sont bien plus proches de la 282

TB Sukka 53a. TB Qiddushin 21b. 284 TB ‘Erubin 68b. 285 TB Baba Batra 74b. 286 … ce Léviathan que tu as formé pour s’y ébattre. 287 Se moquer d’ennemis est un plaisir pur selon Platon et une idée présente mais controversée dans la littérature rabbinique : Dieu réprimande les anges qui se réjouissent de la destruction des Égyptiens (TB Megilla 10b), mais lui-même rit dans le monde futur après la défaite des nations (TB ‘Aboda Zara 3a). 283

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vérité que les plaisirs impurs (52b-53c). Dans la République, il écrit : « Il faut condamner aussi le penchant au rire, car on ne se livre pas à une grande gaîté sans que l’âme éprouve une grande agitation » (388e), puis condamne le rire des dieux : « Alors ne souffrons pas qu’on représente devant nous des hommes graves, encore moins des dieux dominés par le rire » (388e-389a). Platon cite ensuite l’Iliade (1, 599) et critique Homère pour avoir décrit les dieux se moquant d’Héphaïstos qui les servait, assimilant le rire au mensonge, une opinion que partage Quintilien. Ce dernier, qui accepte dans une certaine mesure le rire comme un outil rhétorique, « met beaucoup de soin à distinguer le rire convenable du rire inconvenant par une série de restrictions. (…) L’orateur (…) doit s’interdire le comique de gestes, les grimaces, les bouffonneries, les obscénités, même suggérées (…)288 » afin de préserver sa dignité et son autorité. L’orateur ne doit pas utiliser de plaisanteries vulgaires pour amuser son auditoire. Par ces distinctions, Quintilien se démarque de Cicéron qui avait la réputation d’aimer rire et « dont Caton pouvait dire sévèrement : “nous avons un consul… amusant”289 ». Le contexte dans lequel on plaide est également un enjeu important dans la restriction de l’expression comique de l’orateur. Le sujet abordé peut être déterminant, l’orateur doit être attentif à ne pas ridiculiser ou offenser ses interlocuteurs, voire à se ridiculiser lui-même. Le rire de Quintilien est modéré et « politiquement correct »290. Malgré ces restrictions, Quintilien reste méfiant vis-à-vis du rire, même raffiné, élégant et convenable, et ce pour plusieurs raisons. Le rire est moralement suspect, car il est assimilé au mensonge, puisque la plaisanterie implique une certaine déformation de la réalité et s’éloigne donc de la vérité. Le rire est également gênant, car il génère du désordre social et moral, il permet de critiquer, d’humilier, il relève d’une passion et est parfois une envie incontrôlable. Le rire est difficilement analysable et ne peut pas réellement s’enseigner, faire rire relève d’un talent personnel et d’une intuition, choses qui échappent par définition au contrôle et à la préparation. Parmi les Pères de l’Eglise, l’austérité liée au cadre monastique est fortement accentuée. Dans son édition des Règles monastiques, Basile de Césarée (329-379) expose à plusieurs reprises son hostilité au rire. Dans la Petite règle 31, il cite Lc 6, 25 et Rm 2 , 23 pour établir «  qu’il n’y a jamais pour le chrétien de circonstance où il puisse rire »291, car cela est assimilé à une transgression de la loi divine. La Grande règle 17 intitulée « il faut aussi se modérer dans le rire » est un exposé exégétique bien plus long et élaboré 288 289 290 291

DESBORDES, « La rhétorique et le rire selon Quintilien », p. 309. Ibid. Ibid. BASILE DE CÉSARÉE, Petites règles d’ascétisme 31.

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qui condamne le rire. Si Basile accepte le « sourire joyeux, l’épanouissement de l’âme », en se basant sur Pr 15, 13, il condamne fortement le « rire bruyant et immodéré (…) signe d’intempérance » qui « prouve qu’on ne sait ni se maintenir dans le calme, ni réprimer la frivolité de l’âme par la sainte raison ». Il appuie son raisonnement sur Qo 2, 2292 et 7, 6293. Il donne également l’exemple de Jésus qui ne s’est jamais livré au rire selon les récits évangéliques, et qui « se lamente sur ceux qui rient » dans Lc 6, 25. Basile a cependant lu les Écritures et y a constaté la présence du rire, mais il l’interprète à sa manière. Il considère le rire dont parle Sara dans Gn 21, 6 (Dieu m’a accordé de rire) comme l’expression de « la joie de l’âme et le plaisir provoqué par diverses espèces de biens ». Cette interprétation est très proche de la traduction du Rabbinat : Sara dit  : Dieu m’a donné une félicité et quiconque l’apprendra me félicitera qui semble ignorer le sens de l’humour de Sara. Une traduction littérale du verset294 donnerait plutôt : Sara dit  : Dieu a fait le rire pour moi, quiconque entendra rira de moi, et nous proposons de traduire ainsi : Sara dit  : Dieu m’a joué des tours, quiconque entendra parler de ce qui m’arrive rira d’une telle incongruité. Basile s’appuie également sur Jb 8, 21, qu’il traduit ainsi : Bouche sincère connaîtra le rire, et soutient que le rire dans la Bible ne signifie en réalité que l’allégresse, alors que le verset parle de Dieu qui remplira la bouche du juste par le rire de la victoire, ce qui semble être un vrai rire de bon cœur et pas uniquement un sourire timide de contentement. Ce discours hostile au rire se trouve avant une valorisation de la privation des plaisirs corporels, notamment la nourriture, privation qui doit amener à l’affaiblissement du corps de l’ascète, qui glorifie ainsi Dieu. L’abstention du rire, parmi d’autres mesures ascétiques, est donc assimilée à la glorification de Dieu. Tertullien295 fait l’apologie du christianisme dans son Apologétique (fin du IIe siècle). Il tient un discours fortement opposé aux spectacles et particulièrement aux expressions humoristiques. Il condamne toute forme de spectacle qui est assimilé, selon lui, à de l’idolâtrie et conduit à la débauche. 292 Qo 2, 2 n’est pas une condamnation du rire seul, mais un rejet de différentes activités humaines et matérielles : la recherche de la richesse et des plaisirs corporels et matériels. C’est en effet une idée qui rejoint l’ascétisme chrétien. 293 Si la traduction du verset est juste, Basile ignore ici le contexte où le texte dit une chose et son contraire. Dans le verset 3, il s’agit de l’apologie de la colère qui est meilleure que le rire (ṭob ka‘as mi-seḥoq), d’où, dans le verset 4, l’attribution du chagrin (un équivalent de la colère) au sage et de la joie au sot (leb ḥakhamim be-bet ebel, we-leb kesilim be-bet simḥa), alors que, dans le verset 9, la colère est au contraire attribuée aux sots (… ki kha‘as be-ḥeq kesilim yanuaḥ). 294 Wa-tomer Sara ṣeḥoq ‘asa li Elohim  : kol ha-shomea‘ yiṣaḥaq li. 295 Pour ses rapports au judaïsme, voir S. E. BINDER, Tertullian, On Idolatry and Mishnah Avodah Zarah. Questioning the Parting of the Ways between Christians and Jews, Leyde/ Boston, 2012.

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« Les autres inventions bouffonnes font même servir à vos divertissements le déshonneur des dieux296. » C’est ainsi que Tertullien ouvre le quinzième chapitre de l’Apologétique où il s’insurge contre les contenus des spectacles païens qui tournent en dérision les dieux et les présentent comme des personnages ridicules et au sommet de l’immoralité. « La majesté divine n’estelle pas violée et la divinité n’est-elle pas outragée ? » interroge-t-il, puis conclut : « Et vous applaudissez297 ! » Tertullien condamne également le plaisir et le rire des spectateurs à la vue de supplices et de souffrances : « Nous avons ri aussi, dans les intermèdes cruels de midi, de Mercure qui éprouvait les morts avec le fer rouge298. » Si Tertullien condamne la religion païenne et ses spectacles, il fait en même temps l’apologie des chrétiens et déclare au chapitre trente-huit en s’adressant aux païens : « De même, nous renonçons à vos spectacles, parce que nous renonçons aux superstitions d’où ils tirent, nous le savons, leur origine et que nous sommes étrangers aux choses elles-mêmes qui s’y passent. Notre langue, nos yeux n’ont rien de commun avec la folie du cirque, avec l’impudicité du théâtre, avec l’atrocité de l’arène, avec la frivolité du xyste. En quoi vous offensonsnous, si nous préférons d’autres plaisirs ? Enfin, si nous ne voulons pas nous divertir, le dommage est pour nous, si dommage il y a, et non pour vous299. »

Ainsi le rire, l’amusement, la dérision et la caricature sont liés aux spectacles qui sont assimilés chez Tertullien à de l’idolâtrie et doivent donc être évités à tout prix. Un bon chrétien ne doit en aucun cas fréquenter les lieux où on s’y adonne : « Aucun chrétien ne se trouve là, à moins qu’il ne soit chrétien ; ou bien, s’il est coupable d’un autre crime, il n’est plus chrétien300. » Cette condamnation des jeux est proche de celle que nous trouvons dans les écrits tannaïtiques. Saint Augustin (354-430) condamne également les représentations théâtrales et les théâtres en tant que lieux d’expression du paganisme. Les théâtres, « écoles publiques de honteuses dissolutions et de toutes sortes de crimes »301 selon Saint Augustin, sont en voie de disparition et de destruction en parallèle au déclin du paganisme et à cause de ce même déclin. Mentionner que « dans presque toutes les villes on voit tomber les théâtres »302 n’est qu’un prétexte permettant à Saint Augustin de faire l’apologie du christianisme et ridiculiser les dieux gréco-romains : « Si les dieux 296 297 298 299 300 301 302

TERTULLIEN, Apologétique 15, 1. Ibid. 15, 3. Ibid. 15, 5. Ibid. 38, 4-5. Ibid. 44, 3. SAINT AUGUSTIN, Accord des évangélistes 51. Ibid.

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sont offensés parce qu’ils voient disparaître tant d’ignobles ressources de leur culte, on peut juger quels sont ces dieux qui prennent plaisir à de pareils hommages303.» Le rapport ambivalent des rabbins au rire est proche de celui que l’on trouve chez Platon. Dans les deux cas, on retrouve le rejet d’un rire passionnel incontrôlable, et l’acceptation des formes modérées du rire, aux côtés de l’utilisation de l’humour comme moyen rhétorique. La littérature grecque cependant, connaît également les genres littéraires comiques où il n’y a plus aucune ambivalence, puisque susciter le rire est l’un des objectifs des auteurs. Chez les Pères, en revanche, le rejet du rire devient explicite et majoritaire.

C. Les différentes études sur le rire rabbinique Bien que le sujet ne soit pas encore suffisamment étudié, l’humour dans la littérature rabbinique a déjà fait l’objet de plusieurs études dont une thèse de doctorat. À notre connaissance, le premier article moderne à ce sujet date de 1886. A. Kohut, avant d’en apporter quelques exemples, écrit que « non seulement les héros matures et les leaders du judaïsme ont su démontrer leur esprit vif, leur humour onctueux et leur satire mordante dans leurs controverses polémiques, mais même de petits enfants, selon des passages du Talmud et du Midrash, en ont fait preuve »304. Ce bref article précurseur n’a pas eu de successeurs pendant un siècle. En 1994, D. Lifshitz a écrit sa thèse de doctorat (non publiée) sur l’humour dans le Talmud, dont il a tiré quelques articles thématiques. C.1. D. Lifshitz – Thèse de doctorat et articles thématiques Caractéristiques et fonctions de l’humour dans le Talmud. Thèse de doctorat soutenue à l’Université Bar-Ilan, sous la direction de Y. Friedlender, en 1994305. Lifshitz commence par présenter ses trois objectifs : la recherche des extraits humoristiques dans les deux Talmuds ; la caractérisation de ces extraits selon les différents types d’humour ; l’analyse de la fonction des extraits dans la sugya talmudique. La thèse contient en effet des extraits 303

Ibid. A. KOHUT, « Wit, Humor and Anecdote in the Talmud and Midrash », The American Hebrew 2-3, 7 mai - 11 juin 1886. 305 D. LIFSHITZ, Ifyuno we-tifqudo shel ha-humor ba-talmud, thèse de doctorat, Ramat Gan, 1994. 304

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humoristiques, mais qui sont surtout classés par thématique et très peu commentés. Le contexte de leur apparition n’est que rarement mentionné, tout comme la fonction dans la sugya. Il faut également noter que Lifshitz se permet de citer des extraits très courts, parfois même des parties de narrations. L’auteur déclare traiter le texte tel qu’il a été lu et reçu à travers les générations. Il se base donc sur les versions les plus tardives et considère également l’humour des commentaires médiévaux du Talmud. Sa méthode herméneutique se fonde sur des « critères esthétiques généraux » et sur « les critères usuels de la recherche de l’humour », elle est donc « objective et subjective à la fois »306. Si telles sont ses intentions, le résultat ne met pas en évidence la méthode objective. Très peu d’arguments littéraires et historiques sont proposés, ce sont surtout des critères subjectifs qui sont mis en avant dans les brefs commentaires des extraits. Lifshitz considère l’humour comme « un attribut humain immuable et intemporel qui n’évolue pas à travers l’histoire, mais se diversifie seulement ». Il déclare ne s’intéresser ni aux liens entre l’humour et d’autres aspects de la vie, ni aux liens entre l’humour talmudique et l’humour dans d’autres cultures ou langues, et ne pas tenter de définir de manière exhaustive ce qu’est l’humour. Cette thèse constitue néanmoins un corpus de récits humoristiques. Nous en résumerons les principales idées. Lifshitz commence par s’interroger sur la présence de l’humour dans le Talmud, ouvrage à visée d’abord et surtout juridique selon lui. Il répond à cette interrogation en disant que comme le Talmud se préoccupe de la vie des hommes et comporte de nombreux passages narratifs, et que l’humour est une caractéristique de l’homme, il est parfaitement naturel d’y trouver de l’humour. Il traite ensuite les fonctions de l’humour, en général et dans le Talmud. Pour cela il reprend un tableau de H. W. Fowler307 qui définit l’objectif, le domaine, la méthode et le « public cible » des termes suivants : humour, esprit, ironie, satire, sarcasme, grotesque, comique. Lifshitz souligne qu’en règle générale l’objectif de l’humour talmudique n’est pas de faire rire ou d’amuser. Il soutient que cet humour a d’abord et surtout un objectif didactique qui tente de dire la vérité à travers l’amusement308. Il avance que « les caractéristiques littéraires dans le Talmud ne diffèrent pas des autres littératures, on y trouve des techniques telles que les proverbes,

306

Ibid., p. A. H. W. FOWLER, A Dictionnary of Modern English Usage, Oxford, 1965, p. 252-253. 308 D. Boyarin soutient un argument proche. Selon lui, l’objectif du Talmud n’est pas de « dire » la vérité, mais de « l’atteindre » à travers la dialectique de la sugya. La voix humoristique, telle que Boyarin la décrit dans son ouvrage Socrates and the Fat Rabbis, remet en cause la voix sérieuse du Talmud. L’humour exprime donc une autocritique, qui est, selon Boyarin, indispensable aux rabbins pour précisément atteindre la vérité (p. 80). 307

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jeux de mots, paraboles, récits et dialogues et des genres comiques tels que la satire, l’ironie, le macabre, le sarcasme, le grotesque, etc309. » À la question de savoir si l’on peut classer l’humour talmudique dans l’humour juif il répond positivement. Il cite A. Ziv310 et précise les caractéristiques de l’humour juif qui s’expriment dans l’humour talmudique : la volonté de transformer une réalité tragique en « réalité » humoristique afin de mieux y faire face, une volonté d’autoaffirmation collective vis-à-vis de la société environnante et l’autodérision comme une forme d’autocritique. Selon Lifshitz, le caractère normatif et religieux du Talmud ne permet pas certaines expressions humoristiques, notamment sexuelles ou agressives. Ce dernier point est contestable, puisque les rabbins de manière très naturelle, discutent de tous les sujets possibles et imaginables. Il semble qu’ils n’avaient pas de tabous dans les sujets abordés, comme nous pouvons en avoir aujourd’hui. Aussi, ils font très souvent preuve d’agressivité verbale voire corporelle, notamment dans le TB. L’auteur semble ignorer ici les intentions des rédacteurs et adopte un point de vue trop subjectif à notre goût. Nous tenterons précisément d’éviter ce type d’approche et chercherons au contraire à placer le texte dans son contexte historico-culturel. Lifshitz classe les extraits humoristiques par thématiques et indique pour chaque récit la technique ou le genre humoristique utilisés (ironie, sarcasme, etc.). Il précise également quelle est la fonction de l’humour dans le récit. Selon lui, il est difficile de distinguer si cette fonction est simplement de rajouter une pointe de légèreté au texte ou bien de résoudre un problème ou un conflit (il est étrange de ne trouver que deux fonctions possibles dans son argumention). Bien que l’auteur déclare rechercher la fonction de l’humour dans la sugya, les récits ne sont jamais placés dans leurs contextes littéraires. Il nous semble pourtant indispensable de prendre en compte ce contexte et de chercher à comprendre pourquoi les rédacteurs choisissent le ton humoristique précisément là où ils le font311. Pour conclure l’introduction, Lifshitz pose la question de la position du Talmud lui-même envers l’humour. Il distingue entre deux niveaux : la considération de l’humour du Talmud par ses compilateurs, et l’humour tel qu’il est perçu dans chaque narration. L’auteur soutient qu’il existe trop peu de témoignages dans le Talmud de la volonté des compilateurs de faire de l’humour. La valeur humoristique du Talmud, selon Lifshitz, est celle que lui-même, en tant que lecteur, attribue au texte. Pourtant, de nombreux chercheurs soutiennent

309

LIFSHITZ, Ifyuno…, p. B. Ibid., p. 9-10. 311 C’est notamment la méthode que propose Radday pour arriver à discerner les intentions humoristiques des rédacteurs de textes anciens, voir p. 23. 310

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précisément l’inverse, notamment H. M. Zellentin312 et D. Boyarin313 qui révèlent, chacun à sa manière, l’intention humoristique profonde des rédacteurs talmudiques. L’auteur étudie ensuite quelques mentions explicites du rire ou du sourire et constate deux tendances contradictoires : l’une qui accepte la joie, les sourires et le rire, même celui de Dieu, l’autre qui condamne toute forme d’humour. Il résout la contradiction en distinguant simplement deux formes d’humour : l’un destructeur, qui prend la forme de la dérision et la légèreté d’esprit, l’autre constructeur, celui de la joie du commandement. Il apporte quelques exemples de traditions du TB qui favorisent, limitent ou condamnent le rire. Pour l’attitude positive à l’égard du rire, il mentionne le rire de Dieu au moment du monde futur dans TB ‘Aboda Zara 3b et Shabbat 30b, mais ignore totalement dans son commentaire la dimension eschatologique de ce rire et son contexte314. Il mentionne également le sourire de Dieu dans l’histoire du four de ‘Akhnay (TB Baba Meṣi‘a 59b) et le récit (TB Ta‘anit 22b) dans lequel deux hommes ont droit à une part au monde futur grâce au fait qu’ils ont amusé les gens tristes et résolu des querelles avec des plaisanteries315. Les extraits sont classés par thématiques et, dans certains cas, par technique humoristique. La première partie (chapitres 1 à 3) est consacrée à l’humour du tribunal316. Un premier chapitre traite de l’honneur dû au tribunal, et comporte des récits où l’humour est exprimé par des situations comiques. Le deuxième chapitre montre l’ironie qui transparaît dans la prononciation des verdicts. Le troisième chapitre concerne la critique juridique formulée de manière sarcastique. Une deuxième partie (chapitres 4 à 7) est consacrée à l’éducation. Le quatrième chapitre regroupe des récits comiques à propos de disciples extraordinaires ou particulièrement critiques. Le cinquième chapitre aborde l’ironie, voire la grossièreté de certains disciples. Le sixième chapitre s’intéresse aux situations comiques ou à l’ironie associées à l’honneur, au mépris et à l’humilité. Le septième chapitre porte sur la critique dans l’apprentissage exprimée par la satire. Les chapitres huit et neuf traitent des relations entre hommes et femmes dans des récits qui emploient l’ironie, la satire, le grotesque ou le comique. Le dixième chapitre est consacré au sujet de la fille qui est une préoccupation particulière des parents. Le onzième chapitre concerne la nourriture, le plaisir ou le danger de manger, l’excès de nourriture et les bonnes manières. Le douzième et

312 313 314 315 316

ZELLENTIN, Rabbinic Parodies… BOYARIN, Socrates… Voir p. 40-41. Notre étude exhaustive du champ lexical permet de préciser cette comparaison. Bet din.

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dernier chapitre porte sur les aspects ironiques et sarcastiques de la relation entre Israël et les nations. Les extraits sont tirés majoritairement du TB, mais également du TY et des recueils midrashiques palestiniens. Si les analyses dans la plupart des cas ne sont pas très approfondies (les textes ne sont pas traduits et sont très peu commentés), la valeur du travail n’est pas négligeable, car il constitue un corpus de références précieux, et ce malgré le caractère parfois subjectif du choix des extraits. « Regard humoristique sur les noms et les surnoms dans le Talmud317.  » La signification particulière des noms est un phénomène bien reconnu dans la littérature talmudique et une technique littéraire qui s’inscrit, d’ailleurs, dans la continuité de la Bible. Selon J. L. Rubenstein318 les noms des protagonistes servent très souvent à les caractériser dans le cadre minimaliste des narrations talmudiques. Lifshitz commente 14 exemples de noms ou surnoms humoristiques, tous tirés du TB. Il montre comment le nom d’une personne peut servir à formuler une insulte bien tournée à son égard, ou encore la correspondance que trouvent les rabbins entre le nom d’une personne et son comportement ou son apparence. Les noms peuvent parfois servir à l’argumentation juridique ou au règlement des différends. Les rabbins commentent également les noms bibliques pour concilier des versets contradictoires. Lifshitz apporte enfin des exemples de surnoms inventés par les protagonistes des récits dans des échanges verbaux quelque peu musclés. Dans une brève conclusion, il soutient que si le Talmud utilise des noms ou surnoms humoristiques aussi bien pour les femmes que pour les hommes, l’agressivité n’est exprimée qu’envers ces derniers. « Des faces amusées dans les récits de la Destruction319. » Selon Lifshitz, le rire lié au sujet de la Destruction a une fonction thérapeutique : il faut rire au lieu de pleurer pour faire face aux moments difficiles. « Le traumatisme créé par la Destruction [du Temple] a laissé ses traces dans la littérature rabbinique, dans le Midrash comme dans la halakha. Ironiquement, il a également favorisé l’expression d’un rire [ou d’une joie] promettant

317 D. LIFSHITZ, « Shemot we-khinnuyim ba-talmud be-aspaqlariya humorisṭit », We-elle shemot 3, 2002, p. 95-109. 318 RUBENSTEIN, Talmudic…, p. 246-247. 319 D. LIFSHITZ, « Panim soḥaqot be-aggadot ha-ḥurban », Ha-daf ha-ḥodeshi le-moreshet yisra’el, Tammuz, 2000, p. 14-15.

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l’espoir de la rédemption et d’un humour porteur d’espoir. Ces expressions montrent un état d’esprit constructif malgré la crise de la Destruction. »

Il revient ici sur l’histoire de R’ ‘Aqiba (TB Makkot 24a-b) qui rit alors que ses amis pleurent, en voyant le triomphe de Rome et la misère d’Israël. Cette histoire se termine par l’exclamation des amis de R’ ‘Aqiba : « ‘Aqiba tu nous as consolés ! ‘Aqiba tu nous as consolés ! », ce qui lie de manière explicite le rire à la consolation et montre l’acceptation de l’approche positive de R’ ‘Aqiba par ses amis320. Selon Lifshitz, les expressions humoristiques dans ֶEkha Rabba, même si elles n’ont pas de rapport direct avec la Destruction, n’en sont pas moins en relation avec ce sujet par le fait qu’elles sont placées dans un midrash dont la Destruction est le thème principal. Lifshitz commente enfin deux récits humoristiques à propos de la ruse des juifs face aux païens dans Ekha Rabba 1, 4-6. « Le pouvoir vu par la satire talmudique321. » Ce bref article présente des anecdotes talmudiques concernant l’autorité et le pouvoir. Lifshitz attire d’abord l’attention sur leur genre littéraire : la satire, à la fois une critique sociale et une autocritique. Ce choix stylistique, comme l’humour dans un sens large, arrive à révéler les défauts et faiblesses, mais en même temps à les comprendre et à les accepter. Après avoir analysé cinq récits des deux Talmuds, Lifshitz conclut que « si les sages du Talmud ne sont pas opposés au principe de l’autorité dominante, puisqu’elle a un intérêt social évident, ils mettent en garde par la satire contre ses aspects négatifs. Ils acceptent avec humour l’impuissance du sage devant la force de l’envie de dominer, sont sarcastiques à l’égard de sa pseudo-récompense et se moquent de ceux qui l’achètent ». « L’humour noir dans la perspective talmudique322. » Si des analyses psychologiques modernes323 définissent l’humour noir ou l’humour macabre324 comme un moyen de protection psychologique contre diverses peurs et autres angoisses, notamment de la mort, Lifshitz avance que ces explications ne sont pas pertinentes pour l’humour talmudique, car 320 Ce récit est l’adaptation d’une version plus ancienne de Sifre Debarim (voir annexe 3). Le rire participe ici à la valorisation de la souffrance (un autre parallèle de ce récit se trouve dans la Mekhilta de-rabbi Shim‘on ben Yoḥay 15, 1). 321 D. LIFSHITZ, « Ha-serara be-hebeṭ ha-saṭira ha-talmudit », Ha-ṣofe, 15 décembre 2000. 322 ID., « Ha-humor ha-shaḥor ba-hebeṭ ha-talmudi », Lekket, www.lekket.com, 2001. 323 L’auteur cite à ce propos A. Ziv, A. Zeidman, Y. Kaufman. 324 Lifshitz considère que les genres humoristiques sont un « concept ouvert », puisque leurs définitions ne font pas l’unanimité parmi les chercheurs.

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pour le Talmud la mort n’est pas un phénomène mystique effrayant dont il faut se protéger325. L’auteur soutient que les genres humoristiques sont difficiles à définir et restent un « concept ouvert ». Il tente de délimiter l’humour noir selon les thématiques qu’il touche, à savoir des sujets tragiques et négatifs, que l’humour noir contribue à transformer : peur et tristesse cèdent leur place à la dérision et la légèreté. Selon Lifshitz, « le narrateur talmudique utilise l’humour noir pour sa charge émotionnelle comme un outil didactique ». Les exemples de récits donnés dans l’article, tirés des deux Talmuds, traitent des sujets suivants : soin du cadavre d’un défunt, enterrement, deuil, lamentation et monde futur. Si le caractère humoristique des exemples apportés est assez évident, les interprétations qu’en propose Lifshitz sont parfois contestables. Il commente le caractère comique de la purification de Tibériade par R’ Shim‘on ben Yoḥay (TY Shebi‘it 9, 1), mais l’anecdote est analysée sans considérer la totalité du récit et son contexte. Dans le commentaire de TB Shabbat 152b, il s’agit d’interactions avec des personnages morts qui, selon Lifshitz, « ignorent les lois de la nature ». Quelle était néanmoins la conception des lois de la nature selon les rabbins ? L’auteur ne l’explique pas. On ne sait donc pas si l’effet comique qu’il décrit résulte du décalage entre le récit et la perception du lecteur moderne rationaliste, ou bien d’une réelle incongruité entre le comportement des personnages et les conventions rabbiniques de l’époque. Lifshitz ne cherche pas à discerner les intentions du rédacteur talmudique. Il soutient également que « la rencontre entre le vivant et le mort dans une ambiance légère et naturelle et en ignorant le côté mystique et effrayant attribué au monde des morts, caractérise sans doute l’approche qu’a le narrateur talmudique du monde des morts ». Il ne précise pas qui attribue ce «  côté mystique et effrayant » au monde des morts : est-ce le lecteur, donc lui-même ? Est-ce le rédacteur talmudique dans d’autres récits ? Si oui, lesquels et comment ? L’analyse reste superficielle. Dans une brève conclusion, Lifshitz revient sur l’idée que « l’humour noir dans le Talmud n’affronte pas la peur de la mort, et ne se moque pas non plus du défunt, mais considère la mort comme partie intégrante de la vie »326. Il soutient que c’est avec ironie que l’être humain avec ses passions et faiblesses continue à fonctionner après la mort, comme si de rien n’était et c’est ce qui crée l’effet comique. Le statut de la mort dans la littérature rabbinique n’est pas expliqué, notamment la déclaration qu’« il n’y a pas de [mauvais] penchant dans ce monde-là [c’est-à-dire l’au-delà] » (TB Baba 325 Il se base sur un passage de E. E. URBACH, Les sages d’Israël. Conceptions et croyances des maîtres du Talmud, Paris, 1996, p. 446 (p. 379 dans l’édition hébraïque), mais semble ignorer de nombreuses histoires où les rabbins ont peur de la mort. 326 LIFSHITZ, « Ha-humor ha-shaḥor… », p. 18.

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Batra 58a), ou que « quand l’homme meurt, il est libéré des commandements » (TB Shabbat 151b). Pour cette raison peut-être, la préoccupation des rabbins pour les vêtements qu’ils porteront à leur propre enterrement (TY Kil’ayim 9, 4) est perçue comme tout simplement comique, alors qu’il est possible de l’expliquer autrement327. L’aspect comique de ce passage est d’ailleurs fort contestable. En règle générale, Lifshitz a tendance à apporter des anecdotes sorties de leur contexte et à analyser les effets humoristiques du point de vue du lecteur moderne, sans s’interroger sur la manière dont les rabbins concevaient les sujets traités. C.2. R. Kushelevsky – L’ironie dans l’histoire de Rabbi Yehoshua‘ ben Lewi qui entre au paradis328 R. Kushelevsky, spécialisée dans les études thématiques et l’analyse littéraire, s’est intéressée à l’histoire qui raconte l’entrée de Rabbi Yehoshua‘ ben Lewi (dans la suite du développement RYBL) dans le jardin d’Éden. Elle traite des fonctions de l’humour dans les trois versions de l’histoire de RYBL et de l’ange de la mort. L’aspect comique de l’histoire s’exprime selon elle par l’ironie dans la version talmudique (TB Ketubbot 77b), les deux autres versions étant un texte karaïte du XIIe siècle où le comique s’exprime par la parodie, et l’histoire racontée par Micha Josef Berdyczewski (1924) où il revêt un aspect mythologique. Selon Kushelevsky, « l’ange de la mort est un antagoniste et le fait de le vaincre exprime la supériorité de l’homme. D’un point de vue existentiel, ces récits incarnent la conscience que la mort est un aspect de la vie. La victoire sur la mort n’est pas son annulation, mais une forme d’existence qui ne la nie pas et en même temps préserve la liberté de l’esprit humain. L’humour dans ces récits est l’expression de la capacité à accepter la mort sans amertume et avec compréhension, en tant qu’une dimension qui définit, par sa négation, l’existence humaine »329. Kushelevsky cite ici le propos de S. Kierkegaard330 sur Socrate qui perçoit l’énigme de la mort comme libératrice. Le récit talmudique331 présente ironiquement l’ange de la mort. La situation dans laquelle il se trouve lorsque sa victime lui échappe est le résultat 327 Il est bien plus probable que cette préoccupation n’est pas humoristique, voir par exemple TB Sanhedrin 90b où il est indiqué que les justes enterrés avec leurs vêtements ressuscitent également habillés. Voir aussi J. COSTA, L’au-delà et la résurrection dans la littérature rabbinique ancienne, Paris/Louvain, 2004, p. 224-233. 328 KUSHELEVSKY, « Humor… », p. 329-344. 329 Ibid., p. 331. 330 S. KIERKEGAARD, The Concept of Irony, L. M. CAPEL (trad.), Bloomington, 1968, p. 270. 331 Voir Annexe 5.

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de son indulgence envers RYBL, son manque de vigilance et sa trop grande confiance en lui (pour la réussite de sa mission). C’est l’histoire suivante dans la sugya qui, par un clin d’œil humoristique, montre que l’ange de la mort a bien retenu la leçon, puisque lors de la mort de Ḥanina bar Pappa, il ne répète pas sa précédente erreur. J. Fraenkel332 voit en ces deux récits deux approches opposées du même sujet, à savoir la mort et l’étude de la Tora. C’est le regard en arrière qui révèle l’ironie et la préméditation des actions de RYBL. Les intentions de ce dernier étaient peut-être dissimulées au départ, mais jamais niées. Kushelevsky analyse précisément la question de la dissimulation de la vérité comme étant l’objet même de l’ironie : « l’ambiguïté ironique des paroles de RYBL résulte de la tension entre ce qui est dit clairement et ce qui est sous-entendu »333. Les actions de RYBL peuvent être comprises comme étant conformes aux « conventions » du dernier souhait. C’est ainsi que l’ange de la mort comprend la situation, mais en réalité, les intentions de RYBL sont de ne pas mourir et d’empêcher l’ange de la mort de tuer par la suite. C’est seulement après être entré (illicitement) au paradis que RYBL déclare clairement ses intentions du départ. RYBL est très sûr de lui. Contrairement au lecteur averti qui peut imaginer au début de l’histoire l’évolution des événements, l’ange de la mort est un personnage dont les connaissances sont limitées à son propre point de vue. Au début du récit, nous apprenons que RYBL était « immunisé » contre la mort, vertu qu’il a obtenue par sa conviction que la Tora le protège des maladies. Le saut de RYBL dans le paradis est un moment charnière dans le récit, où l’ironie ne vise plus l’ange de la mort, mais RYBL luimême et avec lui, l’homme en général. En effet, RYBL saute dans le paradis vivant et à ce moment, Élie annonce son arrivée. L’annonce d’Élie peut être perçue comme une louange de RYBL et une demande de lui faire de la place puisqu’il est un véritable juste, mais les événements qui suivent l’annonce la mettent dans une lumière différente : celle d’une réelle demande de dégager une place (assise ?) pour RYBL puisqu’il n’a pas sa place au paradis. C’est la scène de la confrontation avec Rabbi Shim‘on ben Yoḥay, assis sur treize trônes d’or qui éclaire le récit de cette manière, tout comme le doute sur le mérite de RYBL (est-il ou non un véritable juste ?) et surtout la fin ouverte de l’histoire (nous ne savons pas si RYBL a finalement une place au paradis). Selon Kushelevsky, l’ambiguïté du concept de « lieu » ou « place » rejoint celle du concept d’« identité », deux termes qui ont un sens dans la réalité terrestre, mais pas dans la réalité du paradis, où il ne 332 J. FRAENKEL, « Demuto shel rabbi Yehoshua‘ ben Lewi be-sippure ha-talmud hababli », dans A. SHINAN (éd.), Proceedings of the Sixth World Congress of Jewish Studies, Jérusalem, 1977, p. 403-417. 333 KUSHELEVSKY, « Humor… », p. 334.

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peut y avoir de « place » pour un vivant et où l’« identité » n’est pas mesurée par le nom d’une personne. Pour Kushelevsky, l’explication du narrateur, à savoir que RYBL a dit que l’arc-en-ciel est apparu de son vivant par humilité, n’est pas convaincante, mais au contraire ironique. Cette pseudo-louange montre en fait l’inverse : selon les critères du paradis, RYBL ne peut pas proclamer son mérite tant qu’il prétend y rester de son vivant. Ainsi, l’image de Rabbi Shim‘on ben Yoḥay assis sur les treize trônes devant RYBL qui ne trouve pas sa place au paradis, rejoint la demande première de RYBL qui voulait voir sa place au paradis. Au moment où il demande à la voir, le récit change de direction et nous ne savons pas ce qu’il a vu. La question reste donc sans réponse : a-t-il une place qui lui est attribuée ? L’a-t-il vue ? Pour Kushelevsky, le texte exprime une approche ironique qui vise l’homme en général et suggère une lecture différente de l’histoire : celle où l’homme ne peut pas vaincre la mort (opinion confirmée par la voix céleste). Les deux personnages de l’histoire, l’ange de la mort et RYBL, sont deux aspects de l’humain. Les deux points de vue ironiques qui visent les deux personnages créent ainsi une double approche : d’un côté l’homme a les moyens de faire face à la mort, de l’autre sa définition même prédétermine l’issue de cette lutte. L’analyse de Kushelevsky, fine et approfondie, prend en considération tous les aspects du récit et permet de voir à la fois la technique littéraire et le sens qu’elle porte. Dans cette lecture, l’attention portée sur l’ironie révèle clairement des idées nouvelles par rapport à une interprétation lisse qui ignore la dimension humoristique du récit. C.3. B. Engelman – Humour déclaré, perceptible et caché dans le TB Dans son article334, B. Engelman apporte des exemples de passages humoristiques qu’il classe selon des critères esthétiques et thématiques. Nous présenterons ici ses hypothèses et conclusions sans citer les exemples. Engelman mentionne deux contributions du Talmud au développement de l’humour juif. Le premier aspect est le sens de l’humour qui peut se développer dans le contexte particulier de l’étude talmudique, celui d’une tension intellectuelle, faite d’échanges et de compétitions avec un partage des résultats et un engagement fort vis-à-vis des normes. L’univers rabbinique où existe une tension entre individualisme et sens collectif est, selon l’auteur, un contexte important pour le développement intellectuel du peuple juif y compris le sens de l’humour. L’autre contribution est l’humour déjà présent dans le TB, qui est le sujet de l’article. 334

ENGELMAN, « Humor…»

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L’article est basé sur deux principes. L’un d’entre eux est que les sages du Talmud étaient réellement des sages, et que, comme les érudits de nos jours, ils avaient de l’esprit. L’autre principe est que les plaisanteries peuvent expliquer certains sujets obscurs dans le Talmud. Engelman propose la définition suivante de l’humour : «  Des propos surprenants qui procurent du plaisir », tout en admettant la difficulté de définir l’humour et citant d’autres définitions possibles et notamment l’ouvrage d’A. Zeideman335 qui en propose une synthèse. L’auteur classe les expressions de l’humour en trois catégories (comme l’indique le nom de l’article). Le mot bediḥuta apparaît 17 fois (sous diverses formes) dans le TB, et dans huit cas il est accompagné d’une phrase, cette dernière peut alors être considérée comme amusante. Malgré sa définition du mot bediḥuta comme décrivant un état de joie ou de simple bonne humeur, et non une plaisanterie, ces propos sont considérés par Engelman comme de l’humour déclaré, puisque le Talmud déclare qu’il s’agit de propos différents du reste du texte. Engelman inclut dans cette catégorie les cas où ce sont les commentateurs traditionnels (Rashi et Tosafistes) qui ont ajouté le mot bediḥuta. Le fait que ce soient les commentateurs qui définissent certains propos comme humoristiques conforte la thèse d’Engelman à propos de l’humour non déclaré du Talmud qu’il divise en deux catégories : l’humour visible ou perceptible, et l’humour caché ou dissimulé. Après avoir présenté la liste des dix-sept occurrences du terme bediḥuta, sans en donner une analyse approfondie, en ignorant parfois le sens du mot dans son contexte et en le comprenant comme une plaisanterie, Engelman conclut en ces termes : « Les compilateurs du Talmud étaient non seulement conscients des expressions humoristiques des sages, mais ils leur donnaient une pleine légitimité en les insérant dans le texte canonique sacré et en les dispersant dans les discussions habituelles (halakhiques et exégétiques). Cette dispersion est particulièrement perceptible quand on la compare avec des passages atypiques du Talmud qui apparaissent sous forme de blocs, comme les récits de Rabba bar bar Ḥanna…336 »

Engelman propose de classer l’humour « visible » selon sa formation ou sa création, en donnant quelques indices sur le pourquoi de cette création et les circonstances dans lesquelles il apparaît. Le type le plus important d’humour selon lui est le jeu de mots, et la source la plus importante de ce dernier est l’Écriture. Les jeux de mots peuvent s’exprimer par le double sens des mots (selon le son, l’écriture, l’étymologie ou le langage quotidien), ou encore les jeux sonores. Une autre catégorie dans l’humour visible 335 336

A. ZEIDMAN, Humour, Tel Aviv, 1994. ENGELMAN, « Humor… », p. 13.

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est celle de l’humour personnel, qui passe par le lien entre le nom du protagoniste et ses propos, dans les moqueries personnelles ou intercommunautaires, l’autodérision, etc. Il y a également une catégorie qu’Engelman appelle « l’humour gratuit », qui ne contient visiblement pas d’objectif didactique précis et peut être mal compris à cause de la différence culturelle entre les rédacteurs des textes et les lecteurs modernes. Engelman consacre une place particulière aux énigmes, des procédés humoristiques attestés en abondance dans le Talmud. Dans la catégorie de l’humour dissimulé, l’auteur apporte deux exemples de « plaisanteries complexes » et mentionne le fait qu’un verset cité par les rabbins est parfois incomplet et que la clé de la compréhension des propos rabbiniques se trouve souvent dans la suite du verset ou dans le verset qui le précède, mais il n’est pas du tout évident que cette technique puisse être considérée comme de l’humour. En conclusion, Engelman souligne les raisons pour lesquelles les rabbins font appel à l’humour: – Faire de l’esprit permet au sage de se sortir d’une situation embarrassante ; – Le sage souhaite avancer un argument exceptionnel, il utilise donc une méthode exceptionnelle ; – Le sage avance un argument trop ordinaire, il utilise donc une méthode pas tout à fait sérieuse ; – L’exégète souhaite obtenir l’attention de son public et le rendre attentif. L’auteur conclut avec des arguments en faveur de l’existence d’un véritable humour rabbinique, conscient de lui-même : – Dans le Talmud, on trouve une relation positive à l’humour dans les textes employant le mot bediḥuta ; – L’exégèse rabbinique comporte de l’humour et est même basée sur certains principes que nous définissons aujourd’hui comme de l’humour (double sens, jeux de mots…) ; – Cette exégèse s’oppose consciemment au sens littéral, elle demande de la créativité et de l’audace de la part de l’exégète et la capacité et l’envie de sortir d’un cadre préétabli ; – La définition de départ : « des propos surprenants qui procurent du plaisir » correspond aux exemples de l’article. Malgré le grand intérêt de l’article, notamment en tant que corpus d’exemples, la définition trop sommaire de l’humour ou la considération de certaines méthodes exégétiques courantes comme humoristiques nous semblent fort problématiques.

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C.4. A. Kovelman – « Farce in the Talmud » A. Kovelman démontre la présence de farces dans la littérature rabbinique ancienne. Dans son article « Farce in the Talmud »337, il soutient que contrairement à la littérature moraliste de la période du second Temple, le Midrash rabbinique est explicitement et sciemment comique et ironique. Il propose une analyse comparée de la lecture du livre d’Esther par Flavius Josèphe et par les rabbins en Palestine et en Babylonie. Si chez Flavius Josèphe (Antiquités juives 11, 6, 10) le comique implicite de la narration biblique est rendu explicite, mais le style biblique solennel est préservé, dans les commentaires rabbiniques d’Esther le récit devient une véritable farce. Kovelman donne l’exemple du passage de l’humiliation de Haman dans TB Megilla 16a. Les détails ajoutés (Haman qui devient le serviteur de Mardochée préposé au bain, son repose-pied pour monter à cheval et la personne sur laquelle sa propre fille déverse le contenu d’un pot de chambre), sont expliqués par E. Segal338 comme une réponse à la demande du public qui souhaitait faire durer l’humiliation du méchant pour mieux évacuer la haine. Ils sont au contraire pour Kovelman les témoins d’un désir de divertissement. Il décrit la congrégation comme l’équivalent d’un public de théâtre qui demande donc une « performance théâtrale ». Kovelman développe cette idée d’abord à travers le pot de chambre renversé, motif très fréquent chez les auteurs grecs classiques, qui est également présent dans la littérature rabbinique (il cite TB Yoma 87a et TY Mo‘ed Qaṭan 3, 1), puis se concentre sur la figure de Haman, présenté par les rabbins, non comme un méchant terrifiant, mais plutôt comme un bouffon comique. Il s’appuie notamment sur Ester Rabba 7, 12 où Haman tente de convaincre le roi de se débarrasser des juifs. Kovelman montre que l’argument de Haman, selon lequel le peuple juif est constamment en congé à cause de ses fêtes, a plusieurs parallèles dans la littérature gréco-romaine, où il est utilisé contre les Grecs (Horace), et plus souvent contre les juifs (Sénèque et Tacite). Il pointe également la ressemblance entre la figure rabbinique de Haman et celle de l’Agélaste chez Plaute, personnage qui ne rit jamais et qui symbolise les valeurs éthiques et traditionnelles romaines. De même que l’Agélaste est vaincu et humilié chez Plaute, de même Haman l’est chez les rabbins (palestiniens comme babyloniens). Concernant le style du Midrash, Kovelman montre comment les expansions d’Ester Rabba transforment le texte biblique solennel en un dialogue comique. Il cite enfin M. Bakhtin pour inscrire le mélange du sérieux et du

337

KOVELMAN, « Farce… », p. 86-92. E. SEGAL, The Babylonian Esther Midrash. A Critical Commentary, vol. 3, Atlanta, 1994, p. 120. 338

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comique caractéristique de la littérature rabbinique dans le genre littéraire hellénistique sérieux-comique de l’antiquité tardive. Si selon Bakhtin « le rire détruit la distance épique »339, Kovelman soutient que c’est précisément ce que fait le Midrash avec la Bible. Il précise cependant que « contrairement à la parodie gréco-romaine, le Midrash ne se moque pas des genres anciens. Au lieu de cela, il familiarise le présent avec le passé et transforme ce dernier en quelque chose de moins solennel et de plus drôle. Paradoxalement, cette familiarisation crée un grand nombre de miracles dans les Midrashim »340. Concernant ce dernier point il cite à nouveau Bakhtin selon qui « dans ce monde, rendu totalement familier, le sujet se déplace avec une étonnante et fantastique liberté entre le ciel et la terre, entre la terre et le monde des morts, entre présent, passé et futur »341. C.5. D. Boyarin – Socrates and the Fat Rabbis Une étude importante à propos de l’humour rabbinique (qui s’appuie également sur les travaux de M. Bakhtin) est celle de D. Boyarin qui, dans son ouvrage Socrates and the Fat Rabbis342, propose une lecture comparée des écrits de Platon et du TB. Il démontre le lien culturel qui existe entre la littérature hellénistique et le TB, malgré l’écart temporel et géographique, et s’appuie sur les méthodes d’analyse littéraire de M. Bakhtin pour expliquer la place de l’humour dans les deux corpus. Il montre la présence de deux voix différentes, l’une sérieuse, l’autre comique, qui sont mélangées et imbriquées l’une dans l’autre : c’est le genre littéraire sérieux-comique. La voix sérieuse représente la recherche de la vérité, par la dialectique philosophique chez Platon et par la dialectique halakhique dans le Talmud. La voix comique représente la remise en question et l’autocritique du système normatif sérieux. Cette autocritique fait partie intégrante de l’idéologie, le doute fait ainsi partie de la vérité. Boyarin commente la présence des deux voix, sérieuse et comique, au sein d’une même sugya, comme celle qui évoque la figure de R’ Ele‘azar l’obèse dans le septième chapitre de TB Baba Meṣi‘a (83b-84a), avec ses narrations grotesques et satiriques. Il compare les narrations talmudiques à la satire ménippée, et particulièrement à celle de Lucien de Samosate, auteur grec du IIe siècle, qui est caractérisée, entre autres, par la simultanéité de l’affirmation et de la critique de soi. Boyarin renvoie ici à la déclaration suivante de M. Bakhtin : « Une importante caractéristique de la ménippée 339 340 341 342

M. BAKHTIN, The Dialogic Imagination. Four Essays, Austin, 1996, p. 35. KOVELMAN, « Farce… », p. 91. BAKHTIN, The Dialogic Imagination…, p. 26. BOYARIN, Socrates…

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est la combinaison organique d’éléments fantastiques, symboliques, voire mystiques et religieux, avec un naturalisme cru et vulgaire. Les aventures de la vérité sur terre ont souvent lieu sur la grande route, dans des maisons closes, dans des tanières de voleurs, des tavernes, des marchés, des prisons, des orgies de cultes secrets, etc343. » À côté de la recherche dans une seule et même sugya du couple « dialectique halakhique et homélie pieuse » d’un côté et « narrations grotesques et fantastiques » de l’autre, Boyarin présente le sérieux-comique du TB de manière plus transversale, à travers les narrations biographiques, et particulièrement celles qui concernent R’ Me’ir. Il précise que l’étude de la Tora est pour les rabbins ce que la philosophie est pour Platon et ses successeurs : un mode de vie ascétique qui demande une discipline physique et mentale stricte, et par lequel l’âme de l’homme juif atteint son plus haut degré possible de spiritualité ou de proximité avec Dieu344. Le langage de ce mode de vie est le langage normatif du Talmud, et l’un des héros les plus importants de ce langage est R’ Me’ir, maître de Rabbi (Yehuda ha-nasi), à qui sont attribuées toutes les traditions anonymes de la Mishna. Il est considéré comme un héros de la halakha, un homme saint et un faiseur de miracles. Après avoir apporté quelques exemples pour confirmer ces propos, Boyarin analyse des narrations « biographiques » ménippéennes au sujet du même R’ Me’ir, notamment son voyage pour sauver sa belle-sœur de l’esclavage et de la prostitution, son passage dans une taverne redoutable et sa rencontre douteuse avec le prophète Élie déguisé en prostituée. Ces voyages extraordinaires et carnavalesques forment un net contraste avec la place normative de R’ Me’ir. Ce contraste comporte précisément une valeur épistémologique : les rédacteurs du TB utilisent le dialogue entre le discours sérieux et normatif et le discours carnavalesque pour questionner leur propre système de valeurs. C.6. H. M. Zellentin – Rabbinic Parodies Un autre aspect important de l’humour rabbinique a été traité par H. M. Zellentin, dans son ouvrage Rabbinic Parodies of Jewish and Christian Literature345. Zellentin définit la notion de parodie, à la suite de L. Hutcheon346, comme « une forme de répétition avec une distance critique et ironique »347, 343 M. BAKHTIN, Problems of Dostoevsky’s Poetics, C. EMERSON (éd. et trad.), Minneapolis, 1984. 344 Voir R. NAIWELD, Les antiphilosophes, Paris, 2011, p. 51-66. 345 ZELLENTIN, Rabbinic Parodies… 346 L. HUTCHEON, A Theory of Parody. The Teaching of Twentieth-Century Art Forms, Urbana/Chicago, 2000. 347 ZELLENTIN, Rabbinic Parodies…, p. 2.

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ou encore « une forme d’imitation, mais une imitation caractérisée par une inversion ironique qui ne vise pas toujours les textes parodiés »348. L’examen des tensions socio-politiques entre les différentes communautés rabbiniques, dans leur contexte historique (l’auteur mentionne les travaux de G. Stemberger et I. Gafni), permet à l’auteur de présenter sa thèse principale : « La littérature rabbinique amoraïque, du IVe au VIIe siècles, les Midrashim palestiniens, le Talmud de Palestine et le Talmud de Babylone, présentaient les tensions discursives de leur époque par des parodies sur la littérature et l’exégèse produites par des rabbins et des auteurs chrétiens, grecs ou syriaques. Ces parodies apparaissent (…) au milieu des discours halakhiques et midrashiques sérieux. Ces parodies (…) montrent comment les rabbins se critiquaient euxmêmes ou critiquaient leurs opposants, au sein ou à l’extérieur de leurs communautés. Cette étude des parodies pourrait ouvrir la voie à une réévaluation de toute répétition rabbinique accompagnée de variantes comme l’expression d’une possible distance critique349. »

La parodie rabbinique n’est pas un genre, mais une technique littéraire qui s’inscrit dans les genres rabbiniques que sont la sugya talmudique, le midrash exégétique et le midrash homilétique. L’auteur met l’accent sur l’origine orale des textes rabbiniques, choisit d’appeler le « public cible » de ces textes « auditeurs » plutôt que « lecteurs » et insiste sur la nécessité, pour les auditeurs, de connaître au préalable un grand nombre de traditions textuelles, y compris les relations qui existent entre elles, afin de comprendre le texte communiqué. Il souligne également l’intérêt de considérer le contexte historique complet des textes étudiés, tant celui des auteurs que celui des auditeurs. Selon lui, il y a une différence majeure entre la littérature rabbinique palestinienne et babylonienne : dans la première, la polysémie des idées est plus grande alors que dans la seconde, la voix de l’auteur est plus nette et son autorité plus affirmée. La parodie crée à la fois une ressemblance et une incongruité, cette dernière représentant le décalage entre le texte parodié et la vision du monde de l’auteur de la parodie. La distance temporelle qui sépare le lecteur moderne de ces textes impose de distinguer l’incongruité intentionnelle des auteurs anciens et ce qui peut paraître incongru à un lecteur du XXIe siècle. La présence de parodies satiriques dans la littérature rabbinique ne saurait enlever à cette dernière son caractère sérieux. La combinaison du sérieux avec le parodique et le satirique rappelle des genres de la littérature hellénistique, notamment la narration philosophique ancienne et le roman grec. Zellentin mentionne à ce sujet l’ouvrage de D. Boyarin Socrates and the Fat

348 349

HUTCHEON, A Theory of Parody…, p. 6. ZELLENTIN, Rabbinic Parodies…, p. 4.

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Rabbis, cité plus haut, et souligne que le mélange sérieux-comique que décrit Boyarin est en étroite relation avec l’étude de la parodie. Malgré l’usage d’éléments comiques, la parodie rabbinique a les mêmes objectifs sérieux que la littérature rabbinique dans son ensemble. Si Boyarin avance que les rabbins babyloniens ont été sensibles à l’influence hellénistique du genre sérieux-comique, à travers une transmission orale transculturelle, notamment via une migration de l’école chrétienne syriaque, Zellentin propose une autre hypothèse, celle d’une forte influence hellénistique en Palestine, reprise et largement amplifiée par les rabbins babyloniens. L’objet de l’ouvrage est d’utiliser le concept de parodie afin d’éclairer à la fois la manière avec laquelle les rabbins critiquent leurs propres textes, et leur connaissance (probablement critique) de textes non rabbiniques. L’ouvrage ne tend pas à être exhaustif sur la connaissance qu’avaient les rabbins des autres littératures : il se limite aux textes rabbiniques et chrétiens. Si un modèle largement maintenu encore aujourd’hui conçoit les rabbins comme : 1. en conflit avec les non-juifs ; 2. ignorants ou indifférents envers le christianisme ; 3. soumis à la tradition rabbinique ; Zellentin soutient que la parodie permet d’intervertir ce modèle et voir les rabbins comme : 1. en interaction avec les cultures environnantes ; 2. connaissant et critiquant des textes chrétiens ; 3. en conflit avec d’autres rabbins et capables d’une autocritique. La parodie exprime une critique, qu’elle soit une autocritique au sein d’une même communauté rabbinique (ce que l’auteur appelle une parodie intra-rabbinique), une critique d’un autre courant au sein du mouvement rabbinique (inter-rabbinique), ou une critique des adversaires non rabbiniques (une parodie externe). Zellentin montre que les trois aspects sont souvent entremêlés et comportent, le plus fréquemment, une parodie exégétique, c’est-à-dire une imitation des Ecritures avec une tentative de confirmer la suprématie de l’exégèse rabbinique sur celle d’un mouvement adverse. Toutes les parodies étudiées dans l’ouvrage reflètent un contexte culturel hellénistique. Zellentin fait encore référence à D. Boyarin pour conforter l’idée que, dans le mélange du sérieux et du comique, le deuxième élément sert à remettre en question le premier. Pour retracer l’évolution de la parodie entre le TY et le TB, Zellentin définit les différences entre les parodies palestiniennes et babyloniennes. Selon lui, « critiquer un adversaire en utilisant sa propre logique et terminologie est l’aspect le plus sophistiqué de la satire dans l’antiquité tardive, qui

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caractérise les parodies babyloniennes »350. Le TB est plus centré sur l’imitation textuelle et, par une rigueur analytique, montre les tensions internes des textes visés. Dans le TY, au contraire, l’imitation textuelle est plus allusive et l’on constate peu d’analyse de la logique interne des textes imités. Zellentin propose deux hypothèses pour expliquer cette différence : – Les auteurs babyloniens étaient plus conscients des effets de la parodie et donc plus rigoureux dans sa production, alors que pour les auteurs palestiniens il s’agissait d’une technique naturelle qui faisait instinctivement partie de leur discours. – Le « public cible » des rabbins babyloniens était moins réceptif à la parodie hellénistique, ce qui demandait un effort supplémentaire de la part des rédacteurs, alors que le « public cible » des rabbins palestiniens était plus familier avec cette technique ce qui demandait moins de rigueur de la part des rédacteurs (ou locuteurs). Zellentin esquisse l’histoire suivante de la parodie au sein de « la communauté textuelle de la Bible hébraïque » : la parodie est reniée ou oubliée à l’époque tannaïtique, elle se développe d’abord en Palestine à l’époque amoraïque avec des techniques peu évoluées puis en Babylonie avec une grande rigueur et virtuosité. Il continue cette esquisse en évoquant des écrits rabbiniques post-talmudiques qui présentent « une tendance parodique stupéfiante »351. Zellentin explique l’absence (ou la présence infime) de parodies dans la littérature tannaïtique par sa définition de la parodie : imitation avec modification d’un texte connu du « public cible ». Le mouvement rabbinique étant en pleine constitution à l’époque tannaïtique et, si l’on excepte la Bible, les auteurs n’avaient pas un corpus littéraire déterminé à imiter. Les amora’im, en revanche, avaient à la fois un corpus rabbinique et une sensibilité plus grande à la littérature hellénistique352. Malgré le fait que la parodie soit une notion moderne, son application à la littérature rabbinique permet d’éclairer l’autocritique des rabbins ainsi que leur connaissance des textes non rabbiniques, sujets récemment étudiés et encore débattus parmi les chercheurs. Zellentin cite les principaux auteurs de théories sur les différents aspects de l’autocritique rabbinique (Boyarin, Wimpfheimer, Vidas, Kalmin, Rubenstein, Schäfer), dans la continuité desquels son ouvrage s’inscrit, avec la différence fondamentale que les auteurs cités se concentrent principalement sur le TB alors 350

Ibid., p. 228. Ibid., p. 230. 352 L’auteur donne ici un contre-exemple d’une possible parodie tannaïtique, mais n’offre pas d’explication plus poussée de cette théorie. Ainsi, il n’explique pas la présumée ignorance ou le manque de sensibilité des tanna’im à l’égard de la littérature grecque. 351

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que lui-même s’intéresse autant, voire plus, à la littérature rabbinique palestinienne. L’étude de la parodie peut aider à comprendre la pensée rabbinique et la façon avec laquelle les rabbins produisent un dialogue à la fois interne, en s’autocritiquant, et externe, avec les différents interlocuteurs de leur environnement culturel.

Comme nous l’avons exposé dans l’introduction, nous divisons l’humour des rabbins en trois catégories, l’humour « interne », « narratif » et « philosophique ». Lifshitz et Engelman se sont concentrés principalement sur le premier niveau. L’étude de Kushelevsky illustre bien le second. Kovelman, Boyarin et Zellentin se sont plutôt intéressés au troisième. Les trois niveaux peuvent bien évidemment apparaître ensemble dans un seul et même texte. Passons maintenant à l’étude de l’humour tannaïtique.

III LE RIRE DES TANNA’IM

Préambule : quelques remarques à propos du corpus La Mishna est élaborée et compilée par les sages du mouvement rabbinique sous l’hégémonie romaine. D’un point de vue formel, elle partage de nombreux traits avec la littérature juridique romaine de cette époque353. Il est tout d’abord important de décrire et définir les genres et styles littéraires dans les écrits tannaïtiques. Dans son livre Stories of the Law, M. SimonShoshan classe les différents genres de la Mishna selon leur niveau de narrativité354. Ce classement de genres littéraires, avancé pour la Mishna seule par Simon-Shoshan, est valable également pour la Tosefta, même si cette dernière présente des qualités rédactionnelles plus libres et fluctuantes que la Mishna. Simon-Shoshan divise d’abord les textes mishniques en trois catégories : les textes « non réels », « réels » et les actes de discours. A. Les textes « non réels » (irrealis) sont des passages qui représentent des situations ou des actions hypothétiques ou potentielles. Cette première catégorie est majoritaire dans la Mishna et la Tosefta. Ces textes hypothétiques se divisent en deux grandes sous-catégories, les formulations apodictiques, qui sont des enseignements absolus d’une vérité incontestable, et les formulations casuistiques, où un cas particulier est exposé et donne lieu à un enseignement halakhique spécifique (si … il faut alors…). Que ce soit pour la formulation apodictique ou casuistique, ces textes se présentent comme ayant une autorité atemporelle. B. Les textes « réels » (realis) relatent des événements spécifiques du passé, qui peuvent être des événements ponctuels ou des événements répétés (décrivant, par exemple, des habitudes ou des rituels). Ces textes présentent des niveaux de narrativité variés. M. Simon-Shoshan prend en compte la spécificité d’un texte et son dynamisme pour définir s’il peut être considéré comme un récit proprement dit ou non. Selon lui, il faut à la fois une spécificité importante (un événement qui n’est arrivé qu’un seule fois) 353 Y. ELMAN, « Order, Sequence and Selection : The Mishna’s Anthological Choices », dans D. STERN (éd.), The Anthology in Jewish Literature, Oxford, 2004, p. 53-80 ; C. HEZSER, « The Codification of Legal Knowledge in Late Antiquity : The Talmud Yerushalmi and Roman Law Codes », dans P. SCHÄFER (éd.), The Talmud Yerushalmi and Graeco-Roman Culture, vol. 1, Tübingen, 1993, p. 581-641. 354 M. SIMON-SHOSHAN, Stories of the Law, New York, 2012, p. 46.

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et un dynamisme important (une succession d’actions liées entre elles) pour qu’un texte soit considéré comme un récit. Un événement unique ou répété dans le passé, n’est pas, selon lui, un récit proprement dit. Ce type de texte relève du niveau le plus bas de narrativité des textes « réels » dans la Mishna. À un niveau plus élevé de narrativité, il place les récits rituels, qui décrivent le plus souvent le rituel des prêtres dans le Temple. Ces textes non plus ne sont pas considérés par lui comme des récits. Les récits rabbiniques proprement dits sont les ma‘asim. Ce sont les textes au niveau de narrativité le plus élevé. Ceux-ci se divisent en trois genres : l’exemplum, le récit de cas et le récit étiologique. Cette catégorisation des textes mishniques selon leur degré de narrativité est très utile, mais n’est pas tout à fait adaptée à notre objet de recherche, l’humour. Si, selon Simon-Shoshan, un texte à propos d’un événement répété dans le passé ne peut pas être considéré comme un récit proprement dit, car il manque de spécificité, nous considérons, qu’il reste très proche des ma‘asim et peut présenter, au même titre, des traits humoristiques liés aux comportements ou aux habitudes des sages ou de personnages non rabbiniques. Simon-Shoshan avance également qu’un ma‘ase qui relate un seul événement (une seule action) qui a eu lieu dans le passé n’est pas considéré comme un récit, car il manque le dynamisme venant de la succession de plusieurs événements. Cette distinction n’est pas pertinente dans notre recherche. Quand bien même un passage manque de dynamisme, il peut contenir de l’humour. Ainsi, même si les narrations rituelles sont considérées comme relevant d’un niveau de narrativité moindre que les récits, elles nous semblent tout aussi essentielles, et peuvent contenir également de l’humour. Voici maintenant comment Simon-Shoshan définit les trois genres littéraires des récits rabbiniques. Ces définitions nous semblent tout à fait justes : L’exemplum « Les exempla (ou exempla halakhiques) sont des ma‘asim (récits rabbiniques) qui relatent les actions de rabbins individuels ou de groupes de personnes qui sont considérés comme des justes et des érudits en matière de halakha. Leurs actions peuvent alors apparaître comme des précédents (au sens de la jurisprudence) d’un bon comportement halakhique355. »

355

Ibid., p. 46.

PRÉAMBULE

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Le récit de cas « Les récits de cas relatent un maʿase qui est un événement dont le statut halakhique est ambigu d’une certaine manière. Un ou plusieurs rabbins réagissent alors à ce maʿase, en général en émettant une décision halakhique356. » Le récit étiologique « Les récits étiologiques relatent les origines d’une décision rabbinique. En règle générale ils emploient une terminologie spécifique sans l’usage du terme maʿase. (…) Ces récits commencent d’habitude avec le mot barishona (à l’origine) suivi de la description d’une coutume ou un rituel accompli dans le passé. Le passage suivant commence par la préposition “lorsque” et décrit un ou plusieurs événements qui empêchent l’accomplissement du rituel comme à l’origine. Enfin, le terme tiqqenu signifiant “ils ont instauré” (littéralement : “réparé”) ou “décrété” introduit un amendement rabbinique consistant en une nouvelle pratique357. » C. Les actes de discours relèvent, comme les récits, des textes « réels ». Lorsqu’une halakha est attribuée à un rabbin spécifique « Rabbi x dit », le niveau de narrativité est plus élevé. Ces paroles attribuées à des rabbins spécifiques peuvent aussi être des discussions au sens propre, et dans ce cas considérées comme des récits de la maison d’étude. Ces récits mobilisent fréquemment des versets, et il arrive parfois que les sages citent des versets de manière humoristique. Nous avons donc les trois genres de ma‘asim (l’exemplum, le récit de cas, le récit étiologique) dont parle M. Simon-Shoshan et deux autres types de textes narratifs : le récit de la maison d’étude et les descriptions des rituels, que nous considérons comme proches des récits. À ces cinq types de textes narratifs il faut ajouter la parabole (mashal), définie par J. Fraenkel comme un récit allégorique court servant d’exemple pour un autre propos. Fraenkel souligne la fonction rhétorique de la parabole dans la littérature rabbinique, mais surtout sa fonction théologique : la parabole définit très souvent la relation entre l’homme et Dieu358. Presque tous les textes que nous analysons dans ce travail sont narratifs. Les textes « non réels », qui présentent de manière neutre et atemporelle la halakha et revendiquent une autorité incontestable, ont naturellement un potentiel humoristique très faible.

356 357 358

Ibid., p. 47. Ibid., p. 48-49. J. FRAENKEL, Midrash and Aggadah (en hébreu), Tel Aviv, 1996, p. 403-420.

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Shoshan propose également une comparaison formelle de la Mishna avec d’autres recueils du même espace géo-historique. Cette comparaison est très utile pour comprendre les rapports qu’entretiennent les différents types de discours tannaïtique entre eux. Elle permet de mieux saisir la démarche rédactionnelle des rabbins et ainsi de mieux repérer et comprendre leur humour. Il montre que, du point de vue de la forme et de la narrativité, la Mishna présente bien plus de similarités avec la loi romaine qu’avec la loi biblique, les codes de loi du Proche Orient ancien et même la loi qumrânienne. Shoshan commence par comparer la Mishna avec des collections législatives en écriture cunéiforme rédigées en sumérien, akkadien et hittite et datant majoritairement du deuxième millénaire avant notre ère. Il constate que les lois y sont présentées dans une formulation non-narrative, majoritairement casuistique, et plutôt homogène du point de vue de la narrativité. Cependant, en dehors de ces codes de lois, d’autres recueils en cunéiforme ont été trouvés. Certains d’entre eux regroupent des textes semblables aux récits de la maison d’étude et aux récits de cas que l’on trouve dans la Mishna ; d’autres contiennent des récits de rituels, semblables aux descriptions du culte du Temple de la Mishna. Ainsi, là où la Mishna regroupe les genres littéraires et les entremêle, la littérature cunéiforme les sépare. Une autre différence majeure entre les anciens codes de loi mésopotamiens et la Mishna est le cadre narratif. Le prologue et l’épilogue du code de Hammurabi sont l’exemple le mieux conservé d’un tel cadre, qui place le texte de loi dans un contexte historique et idéologique bien précis. Ce cadre est absent de la Mishna (à l’exception du traité Abot, mais sa rédaction est souvent datée bien après la compilation de la Mishna359). Un autre élément de comparaison important est le texte de la Tora. Si, à première vue, la loi semble être entremêlée dans une narration biblique très élaborée, plusieurs biblistes360 ont démontré qu’en réalité les textes de lois et les textes narratifs entretiennent les mêmes relations que dans la littérature juridique mésopotamienne. La narration biblique forme un cadre 359 S. SHARVIT, Massekhet Abot le-doroteha, Jérusalem, 2004 ; A. GUTTMANN, « Tractate Abot. Its Place in Rabbinic Literature », The Jewish Quarterly Review 41, 1950, p. 181-193 ; G. STEMBERGER, « Die innerrabbinische Überlieferung von Mischna Avot », dans Judaica Minora II, Tübingen, 2010, p. 331-346 (article publié en 1996) ; J. NEUSNER, Introduction to Rabbinic Literature, p. 172 cité par G. STEMBERGER, « Mischna Avot. Frühe Weisheitsschrift, pharisäisches Erbe oder spätrabbinische Bildung ? », dans Judaica Minora II…, p. 318. 360 D. R. HILLERS, Covenant. The History of a Biblical Idea, Baltimore, 1969 ; J. MAGONET, « “Halakhah” and “Aggadah” in the Bible » (en hébreu), dans S. JAPHET (éd.), The Bible in Light of Its Interpreters  : Sarah Kamin Memorial Volume, Jérusalem, 1994, p. 651-660 ; J. W. WATTS, « Rhetorical Strategy in the Composition of the Pentateuch », Journal for the Study of the Old Testament 68, 1995, p. 3-22.

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narratif autour des textes purement législatifs, et globalement non narratifs. Comme les anciens textes de loi mésopotamiens et la Tora, les textes de loi de Qumrân doivent entrer dans la comparaison, notamment le Rouleau de Damas. Ce dernier a été comparé à la Mishna par S. Fraade361, qui a montré que la démarche entreprise par les rédacteurs du rouleau était proche de celle des rabbins, notamment en ce qui concerne la reprise et la réinterprétation des lois bibliques. Cependant, ainsi que le souligne Simon-Shoshan362, du point de vue de la narrativité, le Rouleau de Damas est semblable à la Tora et aux textes de loi mésopotamiens, et diffère de la Mishna, puisqu’il comporte une formulation législative non narrative et plutôt uniforme (majoritairement apodictique) et un prologue narratif élaboré. Contrairement à ces exemples, la comparaison entre la Mishna et la loi romaine révèle leur grande ressemblance formelle, ressemblance qui ne semble pas étonnante compte tenu du contexte géo-historique de la compilation de la Mishna. La comparaison entre les écrits rabbiniques et la loi romaine a déjà été l’objet de plusieurs études. Simon-Shoshan s’appuie particulièrement sur les travaux de C. Heszer et Y. Elman363 et propose une comparaison formelle, prenant en compte la richesse narrative des deux corpus parallèles. La ressemblance est flagrante et touche à plusieurs aspects : – L’hétérogénéité des formulations : les parties non narratives entremêlent des formulations apodictiques et casuistiques de la loi ; – La narrativité : des récits sont insérés au sein même du corpus législatif ; – Les genres multiples : les narrations peuvent prendre la forme de récits étiologiques, de récits de cas ou d’anecdotes ; – La référence aux autorités antérieures : des citations de corpus et d’autorités antérieures sont fréquentes dans l’exposition de la loi. Selon C. Heszer364, les différentes typologies de textes s’assemblent sous la forme d’une exposition unifiée de la loi, dans le droit romain tout comme dans la littérature rabbinique. Shoshan souligne cependant deux différences entre la loi romaine et les textes rabbiniques. Tout d’abord, la Mishna présente très souvent des points de vue divergents et contradictoires, et ne tranche pas la halakha. Ce n’est le cas ni dans les Institutes ni dans le Digeste, qui ne présentent pas d’opinions contradictoires et offrent une vision unifiée de la loi. On peut aussi noter que les divers recueils de lois romaines comportent un cadre narratif 361 S. FRAADE, « Ancient Jewish Law and Narrative in Comparative Perspective : The Damascus Document and the Mishnah », Diné Israel 24, 2007, p. 65-99. 362 SIMON-SHOSHAN, Stories…, p. 79. 363 Voir note 359. 364 HEZSER, « The Codification …», p. 590-595.

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qui retrace l’histoire de la loi depuis la fondation de Rome. Ce genre de cadre est absent de la Mishna365. Simon-Shoshan conclut que, malgré ces deux différences, la Mishna est formellement bien plus proche de la loi romaine que de ses prédécesseurs moyen-orientaux. Selon lui, on ne peut pas penser que les rabbins aient eu accès aux compilations du droit romain et qu’ils aient été influencés directement par ces ouvrages. Il s’agirait plutôt d’une influence indirecte, un développement parallèle dans la même ère géo-historique et socio-politique. Simon-Shoshan s’appuie notamment sur le fait que le Digest et les Institutes ont été compilés bien plus tard que la Mishna. Cependant, une influence directe n’est pas à exclure. Dans un article à propos de la figure du patriarche dans le contexte de la rivalité entre judaïsme rabbinique et judaïsme synagogal, alors qu’il traite de l’hellénisation du patriarche, J. Costa écrit que « l’auteur de la Mishna est le premier rabbin à avoir présenté la loi orale sous la forme d’un code. Or, plusieurs commentateurs modernes ont noté l’origine hellénistique de cette pratique »366. Costa, qui suit sur ce point L. I. Levine, ajoute que « Rabbi Yehuda ha-nasi a compilé la Mishna et les Midrashim tannaïtiques ont été composés à l’époque des Sévères, au moment même où Gaius, Papinianus, Paulus et Ulpien compilaient les codes du droit romain et commentaient les matériaux législatifs antérieurs »367. Plus récemment, N. Dohrmann a soutenu l’idée que le langage juridique employé par les tanna’im dans la Mishna et la Tosefta est une innovation par rapport au type de langage employé dans d’autres littératures juives antérieures et contemporaines et découle précisément de leur vision d’euxmêmes comme des experts de la loi, comparables aux juristes romains qui représentaient l’essence même de l’autorité impériale auprès des citoyens. Quand bien même les rabbins n’avaient pas un réel pouvoir judiciaire sur les juifs en terre d’Israël, ils se présentaient comme les équivalents juifs des juristes du pouvoir romain. Certes, la loi des rabbins découle de la Tora et de la tradition juives, mais le langage utilisé pour formuler la halakha, écrit Dohrmann, adopte le style juridique romain qui accorde au juriste et à sa rhétorique la valeur la plus haute368. Toutefois, l’analyse formelle de la Mishna permet à Simon-Shoshan d’affirmer son caractère unique. La Mishna comporte une multitude de genres 365

Sauf si l’on prend en compte le début du traité Abot, voir p. 90 et note 365. J. COSTA, « Entre judaïsme rabbinique et judaïsme synagogal : la figure du patriarche », Judaïsme ancien, Ancient Judaism 1, 2013, p. 63-128. 367 LEVINE, Judaism and Hellenism…, p. 135. 368 N. B. DOHRMANN, « Law and Imperial Idioms : Rabbinic Legalism in a Roman World », dans N. B. DOHRMANN, A. YOSHIKO REED (éd.), Jews, Christians and the Roman Empire. The Poetics of Power in Late Antiquity, Philadelphie, 2013, p. 63-78. 366

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entremêlés, présente une pluralité d’opinions, n’a pas de cadre narratif clairement identifié et garde le débat ouvert. Ces éléments octroient au texte un dynamisme et une tension que l’on peut qualifier de dialogique369. Le dialogisme du texte, venant d’une interaction de plusieurs types de discours, est précisément la théorie de M. Bakhtin, appliquée au TB par D. Boyarin dans Socrates and the Fat Rabbis370. Nous verrons que, comme les passages carnavalesques questionnent la vérité des textes normatifs du TB (Boyarin), l’humour des tanna’im leur permet d’exprimer des messages complexes de nature variée. La relation entre narration et loi a fait l’objet de nombreuses études et théories universitaires. La plupart de ces études se concentrent sur les récits qui encadrent la loi : les prologues et épilogues qui placent les textes législatifs dans un contexte historique précis. Ces cadres narratifs affirment l’autorité de la personne qui est à l’origine de la loi et octroient au système législatif un statut supérieur, car il devient un système social371. SimonShoshan souligne le fait que ces études se focalisent sur les cadres narratifs qu’elles placent en opposition avec les anecdotes, trop spécifiques et particulières pour partager les préoccupations des cadres narratifs globaux. Il remet en question cette dichotomie en avançant qu’« une série de cas similaires peut exprimer collectivement une loi ou un principe législatif » et que « les anecdotes juridiques ont même la possibilité d’aller plus loin. En tant que groupe, ces anecdotes dépeignent le système juridique comme un ensemble »372. Simon-Shoshan explique ensuite que les rabbins, individuellement ou collectivement, sont au centre des anecdotes rabbiniques et que « l’autorité rabbinique est au centre des préoccupations idéologiques des histoires dans la Mishna. Ces récits montrent comment le système halakhique décrit dans la Mishna dépend fondamentalement du fait que les rabbins détiennent une autorité absolue au sein de la communauté de pratique : ils interprètent, légifèrent et incarnent la loi »373. Il propose de considérer l’absence d’un cadre narratif proprement dit comme un « mécanisme qui permet un certain niveau de pluralisme au sein de la communauté rabbinique »374. Il souligne l’aspect idéologique de la Mishna dont « l’utilisation collective des anecdotes permet d’affirmer l’autorité rabbinique et, indirectement, la revendication des rabbins d’être les successeurs véritables de l’Israël biblique »375. 369 370 371 372 373 374 375

SIMON-SHOSHAN, Stories…, p. 10. Ibid., p. 80-82. Voir les références citées par Ibid., p. 84. Ibid., p. 85. Ibid. Ibid., p. 91. Ibid.

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Il ajoute cependant que la lecture et l’analyse des récits montrent que « même les aspects manifestement idéologiques de la Mishna sont en réalité à voix multiples, et construisent et déconstruisent simultanément la notion d’une autorité rabbinique centrale ayant pour racine la tradition biblique. (…) Les récits mishniques sont autant un argument confirmant l’autorité rabbinique qu’un discours à propos de la nature et l’étendue de cette autorité »376. Le cadre théorique posé par Simon-Shoshan concernant la Mishna complète celui décrit par Boyarin concernant le TB. Nous nous plaçons dans la continuité de ces théories. Ce que Simon-Shoshan avance sur la Mishna est également valable pour la Tosefta et nous verrons comment l’humour est pour les rabbins un outil rhétorique qui révèle des aspects idéologiques variés. L’analyse de l’humour permet d’approfondir la compréhension du discours et de l’idéologie tannaïtique dans toute sa complexité. Chaque récit tannaïtique est significatif sur deux plans : – dans son contexte littéraire immédiat où il entretient un rapport particulier avec des passages non humoristiques ou non narratifs ; – dans un contexte littéraire transversal où il entretient un rapport complexe avec d’autres récits et passages du même thème. Ainsi, nous allons procéder à une présentation exhaustive des passages humoristiques de la Mishna et la Tosefta en usant des deux approches. Certaines thématiques seront principalement traitées de manière transversale et intertextuelle, chaque récit étant quand même analysé dans son contexte immédiat. D’autres passages seront expliqués d’une manière linéaire, dans une approche comparative par traité ou par chapitre, et l’intertextualité sera abordée sur un plan secondaire. M. Simon-Shoshan, dont l’analyse formelle de la Mishna nous a été précieuse, considère cet ouvrage essentiellement comme un code. Or, il nous semble évident que la Mishna ne se limite pas à l’aspect législatif. SimonShoshan lui-même, d’ailleurs, souligne son caractère idéologique. Il est néanmoins certain que la Mishna est le texte fondateur et fondamental du judaïsme rabbinique. C’est probablement la compilation qui a permis au mouvement marginal des tanna’im de devenir au fil des siècles l’orthodoxie juive. La définir est une tache compliquée. Est-elle un texte de loi, un manuel d’étude, un manifeste idéologique377 ? Probablement les trois à la fois. Nous allons entrer dans le vif de notre sujet en commençant par le commencement, à savoir le premier paragraphe du premier traité de la Mishna, 376

Ibid. Sur la définition de la Mishna comme un code, un manuel ou un recueil, voir STEMBERGER, Introduction…, p. 172-176. 377

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qui mérite une attention particulière, bien qu’il ne présente pas d’aspects humoristiques. Comme l’a souligné Simon-Shoshan, la majeure partie du texte de la Mishna ressemble à un texte législatif, mais contrairement à des recueils de lois semblables (les codes bibliques, romains…) elle ne comporte pas d’introduction qui servirait de cadre narratif et la situerait dans l’espace et le temps. Cette absence de cadre narratif confère à la Mishna un caractère atemporel. Il faut également noter l’anonymat de l’auteur et d’une grande partie des traditions citées, ce qui suggère une autorité collective qui n’est pas clairement et précisément identifiée. M Berakhot 1, 1378 « (a) À partir de quand récite-t-on le shema‘ le soir ? (b) À partir de l’heure où les prêtres entrent manger leur teruma et jusqu’à la fin de la première garde. Paroles de R’ Eli‘ezer. (c) Et les sages disent : jusqu’à minuit. (d) Rabban Gamliel379 dit : jusqu’à l’aube. (e) Histoire de ses fils qui revinrent de la taverne. Ils lui dirent : nous n’avons pas récité le shema‘. Il leur dit : si l’aube ne s’est pas levée, vous êtes autorisés à le réciter. (f) Et ceci ne concerne pas uniquement cette loi, mais à chaque fois que les sages disent “jusqu’à minuit”, le commandement est à accomplir jusqu’à l’aube. La combustion des graisses et des membres et la consommation des sacrifices pascals380 sont des commandements qui peuvent être accomplis jusqu’à l’aube. [Pour] chaque [sacrifice] qui doit être consommé au cours d’une journée, le commandement peut être accompli jusqu’à l’aube. Si tel est le cas, pourquoi donc les sages disent “jusqu’à minuit” ? Ce n’est que pour éloigner l’homme de la transgression. »

Si la Mishna manque d’un cadre narratif, son premier paragraphe contient déjà l’esquisse d’un tel cadre. Nous avons divisé ce paragraphe en 6 parties, la dernière, plus longue, pouvant être sous-divisée, mais ceci n’a pas d’intérêt pour notre propos. La première phrase de la Mishna (a) est une question rhétorique anonyme. La question porte sur le moment adéquat pour la récitation du shema‘ au soir. Ceci implique que les destinataires du texte savent au préalable trois choses: – ce qu’est le shema‘  ; – l’obligation de réciter ce texte deux fois par jour, soir et matin ; – l’origine biblique de ce texte et de cette obligation selon la lecture rabbinique du Pentateuque.

378 Voir aussi R. HIDARY, Dispute for the Sake of Heaven. Legal Pluralism in the Talmud, Rhode Island, 2010, p. 241-273. 379 Il s’agit de Rabban Gamliel II. Gamliel est la forme simplifiée de la transcription Gamli’el. 380 Akhilat pesaḥim. Ce detail est absent des éditions courantes.

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L’auteur anonyme apporte alors trois réponses différentes à la question qu’il a posée, celles de R’ Eli‘ezer (b), des sages (c) et de Rabban Gamliel (d). L’opinion de Rabban Gamliel est suivie d’un passage narratif à propos de ses deux fils (e). L’auteur anonyme procède ensuite à une explication détaillée qui concilie l’opinion de Rabban Gamliel avec la déclaration des sages (f). La première opinion est celle de R’ Eli‘ezer. Elle est citée, mais apparemment elle n’est pas acceptée par l’autorité anonyme du texte. Les propos de R’ Eli‘ezer sous-entendent aussi des éléments supplémentaires que le destinataire du texte doit connaître au préalable : l’identité des prêtres, la définition de la teruma et les conditions requises pour sa consommation. L’utilisation des coutumes et obligations des prêtres comme repère temporel est intéressante. La compilation du texte s’est effectuée bien après la destruction du Temple, et même les sages cités ont enseigné après cette destruction. Le fait de mentionner la prêtrise est une manière de lier le texte au culte du Temple et d’intégrer la classe sacerdotale dans le cadre rabbinique. Ainsi, les parties (a) et (b) situent le texte dans la continuité de la Tora et de l’époque du second Temple, ce qui revient à déclarer implicitement que les auteurs du texte sont les successeurs naturels des autorités bibliques et sacerdotales381. Dans les parties (b), (c) et (d), le lecteur fait connaissance avec les protagonistes de la Mishna, les tanna’im. Les opinions divergentes des trois réponses sont ensuite conciliées dans la partie explicative (f), qui clôt le paragraphe. Cette dernière partie ne mentionne pas du tout l’opinion de R’ Eli‘ezer, ce qui revient à la rejeter implicitement. Elle explique la compatibilité entre l’opinion de Rabban Gamliel et la déclaration des sages. La hiérarchie ainsi créée semble étonnante au lecteur averti. Nous savons que la décision suivant l’opinion de la majorité est un principe rabbinique fondamental382, et pourtant, dans ce paragraphe, c’est l’opinion minoritaire qui prime, et celle de la majorité n’est qu’un élément complémentaire ! De plus, nous avons un contraste fort entre deux opinions individuelles citées : celle de R’ Eli‘ezer n’a aucun poids et elle n’est même pas mentionnée dans la conclusion du paragraphe, alors que celle de Rabban Gamliel est acceptée et fait autorité, même par rapport à l’opinion du groupe. Ce paragraphe présente donc la hiérarchie interne entre les sages et montre que l’organisation des tanna’im n’est ni égalitaire ni équitable. Certains sages sont plus importants que d’autres.

381 Voir N. S. COHN, The Memory of the Temple and the Making of the Rabbis, Philadelphie, 2012. 382 Voir Mekhilta de-rabbi Yishma‘el, Mishpaṭim, Kaspa 20 ; M Sanhedrin 1, 6.

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La dernière partie (f) présente deux autres principes rabbiniques importants : la déduction d’une règle générale à partir d’un cas particulier et le fait que les sages sont garants de l’accomplissement des commandements. L’anonymat de la question rhétorique (a) et de la partie explicative (f) est également très significatif : l’auteur anonyme semble être omniscient, il ne mentionne ni son identité ni l’origine ou la justification de son autorité. Il se présente ainsi comme une autorité transcendante383. La partie narrative (d) est particulièrement digne d’intérêt. Ce récit à propos des fils de Rabban Gamliel semble superflu. Nous connaissons déjà son opinion, et nous savons qu’elle fait autorité, pourquoi donc nous raconter ce récit ? Quelle est sa réelle fonction ? Analysons-le de plus près. Le paragraphe entier concerne la plage horaire pendant laquelle la récitation du shema‘ du soir est valable : du coucher du soleil jusqu’à l’aube. Le récit à propos des fils de Rabban Gamliel commence aussitôt après l’opinion de ce dernier. Ils reviennent du bet ha-mishte, littéralement « la maison du banquet », terme traduit dans certaines éditions384 par « le festin de noces », mais aucun détail ne permet de dire qu’il s’agit d’autre chose que d’une taverne. D’après le contexte, il est clair que les deux fils rentrent après minuit. La discussion relatée avec leur père implique que ce dernier est éveillé au moment de leur retour. Nous pouvons donc aisément imaginer la situation : le père, Rabban Gamliel, éveillé, occupé le plus probablement à étudier, qui accueille ses deux fils légèrement (ou lourdement) ivres, après une nuit passée à la taverne. Dans la version manuscrite385, il leur indique qu’ils sont autorisés à réciter le shema‘, dans les éditions courantes ils sont obligés de le réciter. La version des éditions courantes suggère des fils égarés repris par un père sévère. Celle du manuscrit sous-entend qu’ils auraient demandé ou du moins exprimé la volonté de réciter le shema‘, de revenir dans le droit chemin, et que leur père les aurait rassurés en disant qu’il n’était pas trop tard pour cela. Dans les deux cas, le récit présente une tension familiale entre deux fils au comportement libéré et un père qui doit les ramener ou leur permettre de rester dans la norme rabbinique. Quel est le rapport entre ce récit et le reste du paragraphe ? Pour cela il faut d’abord déterminer le genre de notre récit. Est-ce un récit de cas ou bien un exemplum ? Il est tentant d’analyser cette histoire comme un récit de cas. Le cas particulier est celui des deux fils revenant tard et le rôle de Rabban Gamliel 383 Concernant l’absence d’une autorité explicite de la Mishna, voir J. NEUSNER, The Oral Torah. The Sacred Books of Judaism, an Introduction, Atlanta, 1991, p. 62-71. 384 TB Soncino : « wedding feast » ; http://www.emishnah.com : « a feast ». 385 Ms Kaufmann A50, Budapest.

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dans l’histoire est celui d’un rabbin décisionnaire, qui exprime son opinion et tranche la halakha vis-à-vis de ce cas particulier. Dans une telle lecture, il y a une dichotomie entre le père et ses deux fils : le père est le représentant de la norme rabbinique et de son autorité et les fils, quand bien même ils sont soumis à cette autorité, se trouvent à la marge, sinon à l’extérieur de l’univers rabbinique. Cependant, une autre lecture est envisageable, celle d’un exemplum. Dans ce cas, nous avons deux possibilités : la première est de voir en Rabban Gamliel seul l’exemple, l’incarnation de la halakha, la seconde de voir les trois protagonistes (Rabban Gamliel et ses deux fils) comme l’exemple à suivre. Dans une lecture en tant qu’exemplum, Rabban Gamliel incarne le comportement d’un sage qui est aussi un père vis-à-vis de ses fils : il attend leur retour tardif à la maison et les guide vers un retour dans la norme rabbinique. C’est la responsabilité paternelle d’un rabbin. Si les deux fils font partie de l’exemple à suivre, on peut interpréter leur comportement comme la vie naturelle de jeunes gens, qui concilient l’amusement avec les obligations. Une lecture où les deux fils ne font pas partie de l’exemple à suivre augmente la tension au sein du récit, et insiste sur le fait que ces deux jeunes sont l’exemple à ne pas suivre. La fonction de ce récit dans son contexte est tout d’abord de montrer que les préoccupations de la Mishna ne sont pas uniquement théoriques, mais qu’elles concernent la vie des juifs. Le sage de la Mishna est également un homme qui vit, travaille et fonde une famille dont il est responsable. Cependant, l’ambiguïté et les tensions multiples qui s’y trouvent sont intrigantes : pourquoi Rabban Gamliel bénéficie-t-il d’un statut particulier ? A-t-il légiféré ainsi à cause du comportement trop laxiste de ses fils ? Peut-il réellement servir de modèle dans la Mishna ? Le tout premier paragraphe de la Mishna est significatif pour notre travail. Il regroupe plusieurs thématiques qui s’avèrent prépondérantes dans l’étude de l’humour tannaïtique : – Rabban Gamliel : son statut particulier, son autorité et son entourage, notamment ses deux fils. – Les prêtres et la soumission du sacerdoce à la loi rabbinique. – La marginalité de certains rabbins, notamment R’ Eli‘ezer. Nous passons maintenant à la présentation des récits humoristiques dans la Mishna et la Tosefta selon une division thématique. Dans une première partie, nous aborderons les récits à propos des héros de la littérature tannaïtique, les sages qui représentent la norme rabbinique et se trouvent au centre du cercle des tanna’im. La deuxième partie portera sur les formes et les fonctions de l’humour dans les récits qui mettent en scène des groupes à la

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marge de la norme rabbinique. Dans une troisième partie, nous verrons des récits relevant d’autres thématiques.

A. Les rabbins – récits centrés sur les tanna’im les plus importants A.1. Rabban Gamliel386 et son entourage La fonction patriarcale proprement dite de Rabban Gamliel n’est aucunement démontrée, ainsi que le souligne J. Costa387, mais le statut précis de Rabban Gamliel n’a qu’une importance secondaire dans notre cas. Qu’il soit le premier patriarche ou non388, les textes tannaïtiques le présentent comme un sage prééminent, chef d’un tribunal, d’une famille influente et riche et ayant des liens avec des juifs non rabbiniques à la périphérie de la terre d’Israël et en diaspora, qu’il rencontre lors de ses voyages. Si J. Costa insiste sur la forte hellénisation du patriarche et son rapprochement avec la diaspora juive hellénisée à partir du IIIe siècle, nous pouvons déjà constater cette tendance dans les récits tannaïtiques sur la famille Gamliel. La prise en compte de l’humour dans ces récits permet de révéler la méfiance des rabbins vis-à-vis de Gamliel, en tant que patriarche ou en tant que rabbin exerçant un pouvoir trop autoritaire et ayant des habitudes et des goûts trop luxueux. Tout cela n’est pas sans rapport avec l’hellénisation. Or, nous constatons que les deux récits où Rabban Gamliel se rend à la frontière nord de la terre d’Israël contiennent une note de dérision en présentant le sage comme ivre. Ils expriment une certaine méfiance envers les voyages « officiels » dans lesquels Rabban Gamliel rencontre un chef de synagogue et un juif non rabbinique. La tendance à l’hellénisation et au lien avec les judaïsmes non rabbiniques est donc perceptible chez Rabban Gamliel et est critiquée dans le texte par le moyen de l’humour. Soixante-dix passages narratifs concernent Rabban Gamliel, ses fils, son entourage et ses habitudes. Trente-quatre parmi ces passages ne sont pas humoristiques. Les récits sans humour abordent des sujets variés qui contribuent à établir la place de Rabban Gamliel en tant que dirigeant des cercles rabbiniques de son époque. Les récits humoristiques en revanche remettent en question l’autorité de Rabban Gamliel et son statut privilégié.

386 387 388

Il s’agit de Rabban Gamliel II. COSTA, « Entre judaïsme rabbinique et judaïsme synagogal… », p. 63-128. Ibid., p. 75.

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Les récits édifiants : autorité et comportement Six passages389 mentionnent des décrets de Rabban Gamliel et son tribunal. Dix-huit passages390 affirment l’autorité de Rabban Gamliel, et un passage celle de son fils Shim‘on391. Parmi ces textes, un seul392 présente une dimension humoristique, mais conserve une vision édifiante de Rabban Gamliel. Un texte aborde l’autorité de Rabban Gamliel sur des juifs non rabbiniques393, trois textes394 soulignent son autorité lorsque son opinion est minoritaire, un autre passage relate sa rivalité avec Rabban Yoḥanan ben Zakkay395, et un dernier extrait remet en question son autorité, mais sans faire usage de l’humour396. Ces récits à propos de l’autorité de Rabban Gamliel sont presque totalement dénués d’humour (un seul récit parmi les vingt-cinq comporte une dimension humoristique). D’autres récits évoquent le comportement de Rabban Gamliel et ses habitudes. Ils sont caractérisés par un équilibre entre narrations humoristiques et non humoristiques. Treize passages397 racontent les habitudes de Rabban Gamliel lui-même ou de sa maisonnée. Parmi ces récits, sept398 sont dénués d’humour. Nous trouvons six399 exempla proprement dits dont quatre400 ne contiennent pas d’humour et un401 présente Rabban Gamliel comme l’exemple à suivre, et tourne R’ Ṣadoq en dérision. Ainsi, la moitié402 des récits dans cette thématique sont dénués d’humour et envisagent Rabban Gamliel de manière édifiante.

389 T Berakhot 2, 6 ; T Kil’ayim 4, 1 ; T Shebi‘it 1, 1 ; T Shebi‘it 6, 27 ; M Giṭṭin 4, 2 (deux décrets). 390 T Kil’ayim 3, 5 ; M Ma‘aser Sheni 5, 9 ; M Ḥalla 4, 7 ; M Giṭṭin 1, 4 ; M Giṭṭin 1, 5 ; M Ketubbot 13, 1-9 ; T Sanhedrin 2, 6 ; M ‘Eduyot 7, 7 ; M ‘Eduyot 8, 3 ; M Kelim 5, 4 ; T Kelim Baba Qamma 4, 4 ; T Kelim Baba Meṣi‘a 11, 2 ; T Kelim Baba Batra 2, 4 ; T Ohalot 16, 11 ; T Nidda 5, 15 ; M Yadayim 4, 4. 391 T ‘Erubin 6, 25. 392 T Kelim Baba Batra 2, 4. 393 T Sanhedrin 2, 6. 394 M Giṭṭin 1, 5 ; M Ketubbot 13, 1-9 ; T Kelim Baba Qamma 4, 4. 395 M ‘Eduyot 8, 3. 396 M Yadayim 4, 4. 397 M Pe’a 2, 4 ; T Shabbat 7, 5 ; T Shabbat 12, 17 ; M ‘Erubin 6, 2 ; M Beṣa 2, 6 ; T Yom Ṭob 2, 13 ; T Yom Ṭob 2, 14 ; T Yom Ṭob 2, 15 ; T Yom Ṭob 2, 16 ; M ‘Eduyot 3, 10 ; T Ḥalla 2, 5 ; T Shabbat 1, 22 ; M Beṣa 3, 2. 398 M Pe’a 2, 4 ; T Shabbat 7, 5 ; T Shabbat 12, 17 ; M ‘Erubin 6, 2 ; T Ḥalla 2, 5 ; T Shabbat 1, 22 ; M Beṣa 3, 2. 399 M Shabbat 16, 8 ; T Shabbat 13, 14 ; T Pesaḥim 10, 12 ; M Sukka 2, 5 ; M Baba Meṣi‘a 5, 8 ; T Miqwa’ot 6, 2-3. 400 M Shabbat 16, 8 ; T Shabbat 13, 14 ; T Pesaḥim 10, 12 ; M Baba Meṣi‘a 5, 8. 401 M Sukka 2, 5. 402 Neuf parmi les dix-huit récits.

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Les récits (majoritairement) humoristiques403 Parmi ces récits, on distinguera ceux qui tournent en dérision Rabban Gamliel lui-même404 ou ses fils405 (10), parodient des exempla406 (2), relatent des coutumes inhabituelles et non conformes de Rabban Gamliel ou de sa maisonnée407 (6), questionnent l’autorité de Rabban Gamliel408 (5, dont un récit qui le fait sans humour409), concernent Rabban Gamliel l’ancien410 (3, dont un est sans humour411), et montrent l’humour de Rabban Gamliel lui-même (1)412. M Berakhot 1, 1 « À partir de quand récite-t-on le shema‘ le soir ? À partir de l’heure où les prêtres entrent manger leur teruma et jusqu’à la fin de la première garde. Paroles de R’ Eli‘ezer. Et les sages disent : jusqu’à minuit. Rabban Gamliel dit : jusqu’à l’aube. Histoire de ses fils qui revinrent de la taverne. Ils lui dirent : nous n’avons pas récité le shema‘. Il leur dit : si l’aube ne s’est pas levée, vous êtes autorisés à le réciter. »

Nous avons déjà vu que ce récit soulève de nombreuses questions et comporte des tensions multiples. S’il ne comporte pas vraiment de dimension humoristique, il aborde deux thématiques importantes que nous retrouvons dans plusieurs passages humoristiques : le statut particulier de Rabban Gamliel et le comportement douteux de ses fils. Les trois récits suivants concernent précisément le statut particulier de Rabban Gamliel. M Berakhot 2, 5-7 « Un jeune marié est exempt de la récitation du shema‘ la nuit de noces et jusqu’à la fin du shabbat s’il n’a pas accompli l’acte. Histoire de Rabban Gamliel qui se maria et récita [le shema‘] la nuit même. [Les sages] lui dirent : ne nous as-tu pas appris que le jeune marié est exempt de la récitation du shema‘ la nuit de noces ? Il leur répondit : je ne vous écoute pas !

403 404

Vingt-sept récits dont deux sans humour. T Terumot 2, 13 ; T Shabbat 13, 1-3 ; T Pesaḥim 2, 15-16 ; T Pesaḥim 3, 11 ; T Sukka

2, 11. 405 M Berakhot 1, 1 ; T Shabbat 7, 16-17 ; T Mo‘ed Qaṭan 2, 14-16 ; T Sukka 4, 4 ; T Megilla 3, 35. 406 M Demay 3, 1 ; M ‘Erubin 4, 1-2. 407 M Berakhot 2, 5-7 (3 récits) ; M Pesaḥim 7, 2 ; M Sukka 2, 1 ; M ‘Aboda Zara 3, 4. 408 T Berakhot 4, 15 ; T Shabbat 7, 7-9 ; M Pe’a 2, 6 ; M Rosh ha-shana 2, 8-9 ; T Ta‘aniyyot 2, 5. 409 M Pe’a 2, 6. 410 M ‘Orla 2, 12 ; T Shabbat 7, 18 ; M Rosh ha-shana 2, 5. 411 M ‘Orla 2, 12. 412 M Keritot 3, 7.

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[Voulez-vous] me refuser le royaume des cieux pour une heure ?! Il [Rabban Gamliel] se lava la première nuit après la mort de sa femme. [Les sages] lui demandèrent : ne nous as-tu pas appris que l’endeuillé ne doit pas se laver ? Il leur répondit : je ne suis pas comme tous les hommes, je suis très délicat ! Et lorsque Ṭabi, son esclave, est mort, il reçut pour lui les condoléances. [Les sages] lui demandèrent : ne nous as-tu pas appris qu’il ne faut pas recevoir les condoléances pour les esclaves ? Il leur répondit : Ṭabi mon esclave n’est pas comme les autres esclaves, il était kasher ! »

Dans ces trois exempla, Rabban Gamliel agit en contradiction avec ses propres enseignements. Lorsque les sages viennent lui demander des comptes à propos de son comportement, il se justifie à la manière de « faites ce que je dis et ne faites pas ce que je fais » et se déclare différent des autres. Cette présentation est ambiguë. Le premier exemplum concerne la nuit de noces. Nous pouvons nous demander comment les sages en sont venus à savoir que Rabban Gamliel s’était levé de son lit de noces pour réciter le shema‘. Etaient-ils présents dans la pièce ? Leur a-t-il raconté ? Dans les deux cas, cela semble suspect. Si la halakha vise d’abord à exempter le marié – préoccupé par son mariage et peut-être fatigué par la fête – d’une contrainte, nous ne pouvons pas ignorer son caractère « romantique », ou en tout cas, bénéfique également pour la nouvelle épouse, qui, grâce à cet allègement, bénéficie d’une nuit de noces ininterrompue avec son nouveau mari. Dans sa réponse « [Voulez-vous] me refuser le royaume des cieux pour une heure ?! », Rabban Gamliel sous-entend selon nous que le fait de ne pas réciter le shema‘ pendant la période préconisée par la halakha réduirait son mérite. Il se montre bien plus soucieux de son âme éternelle que de sa nouvelle épouse, et révèle ainsi un caractère bien égoïste, dissimulé sous une apparence pieuse. Le deuxième exemplum confirme ce caractère égoïste, mais cette fois avec une bonne dose d’autodérision. Rabban Gamliel avait délaissé sa femme lors de la nuit de noces, et il le refait lors de sa mort en transgressant l’interdit de se laver. Cette fois, il se qualifie lui-même de délicat (ou méticuleux) en utilisant un terme péjoratif413, donc en se moquant de lui-même. Dans le troisième exemplum, il ne s’agit pas de Rabban Gamliel luimême qui est différent de ses semblables, mais de son esclave. Manifestement, sa distinction particulière a pu déteindre sur son proche serviteur. Cet ensemble de trois récits présente Rabban Gamliel d’une manière à la fois édifiante et ridicule. L’humour au premier niveau (humour interne) est très mineur ici et se limite à l’autodérision de Rabban Gamliel dans le deuxième exemplum. Cependant, nous trouvons ici l’humour au troisième niveau, idéologique ou épistémologique. Les exempla servent en général 413

Isṭenis, signifiant selon Jastrow délicat, de santé faible ou méticuleux.

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à montrer le chemin à suivre, incarné par le comportement de sages illustres. Or, ici, trois exempla font précisément le contraire, en détournant et parodiant le genre : Rabban Gamliel est meilleur que le commun des mortels, il peut donc s’imposer un comportement plus strict (exemplum 1) ou se permettre des libertés exceptionnelles (exempla 2 et 3) à sa guise, mais reste une autorité dirigeante et continue à fixer la halakha contrairement à son propre comportement. Cette présentation ambiguë remet en question, à travers la dérision subtile et la parodie du genre de l’exemplum, la légitimité de l’autorité de Rabban Gamliel et plus généralement sa place de dirigeant dans les cercles rabbiniques. La mishna suivante autorise finalement à suivre l’exemple de Rabban Gamliel et réciter le shema‘ lors de la nuit de noces, mais Rabban Shim‘on ben Gamliel ajoute une remarque intéressante : « ce n’est pas toute personne qui souhaite s’appeler par le nom qui peut le faire ». Selon Bertinoro414, il s’agit d’une mise en garde : ce n’est pas n’importe quel homme qui peut se considérer aussi vertueux qu’un sage et réciter le shema‘ avec une réelle intention pieuse lors de sa nuit de noces. Cette remarque et son interprétation qui octroient un air pieux et vertueux au premier exemplum, contribuent également à confirmer l’indifférence de Rabban Gamliel vis-à-vis de sa femme, dans sa vie comme dans sa mort, et finalement son grand égoïsme. D’autres passages concernent le statut particulier de Rabban Gamliel et surtout de son serviteur Ṭabi415. M Sukka 2, 1 « Celui qui dort [dans la cabane] sous un lit n’a pas accompli son devoir [de dormir dans la cabane]. R’ Yehuda dit : nous avions l’habitude de dormir sous les lits devant les anciens. R’ Shim‘on dit : il arriva que Ṭabi, le serviteur de Rabban Gamliel, dorme sous le lit [de son maître dans la cabane]. Rabban Gamliel dit aux anciens : avez-vous vu Ṭabi mon serviteur ? Il est un disciple des sages et il sait que les serviteurs sont exempts [d’accomplir 414 R’ ‘Obadya de Bertinoro est un rabbin italien (1445-1515), auteur d’un commentaire classique de la Mishna. 415 L’esclave non-juif est la propriété de son maître selon Lv 25, 44-49. Cependant, il est indiqué dans Ex 20, 10 que les esclaves et les servantes respectent le repos du shabbat au même titre que les Hébreux et tous les membres de leur maison. Dans la Mishna, concernant certaines lois, l’esclave et la servante non-juifs partagent le statut des enfants mineurs et des femmes (M Ma‘aser Sheni 4, 4 ; M Baba Meṣi‘a 1, 5). Dans M Baba Meṣi‘a 7, 6, l’esclave et la servante partagent le statut des enfants mineurs et des bêtes, alors que la femme est classée dans la catégorie des enfants majeurs. Selon Maïmonide (Mishne Tora, Qedushsha, Issure Bi’a 13, 11 ; Qinyan, ‘Abadim 8, 4), l’esclave étranger doit accomplir certains commandements : la circoncision et le repos du shabbat. Concernant les vœux faits par l’esclave, le maître peut les défaire et peut obliger son esclave à rompre un vœu de naziréat. Un maître ne doit pas enseigner la Tora à son esclave, car une fois instruit, celui-ci ne pourra pas être libéré.

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le commandement] de la cabane, alors il dort sous le lit. Par nos voies, nous avons appris que celui qui dort sous le lit n’a pas accompli son devoir [de dormir dans la cabane] ».

Cette mishna se divise en trois parties. Dans la première, la mishna anonyme énonce le principe selon lequel dormir sous un lit dans la cabane n’est pas considéré comme accomplir correctement le commandement. Dans la deuxième, R’ Yehuda s’oppose à cet avis anonyme et raconte (à la première personne du pluriel) que lui et d’autres sages dormaient, au contraire, sous les lits des anciens dans la cabane, accomplissant ainsi le commandement. Dans la troisième, R’ Shim‘on raconte une anecdote à propos de Ṭabi, le serviteur de Rabban Gamliel pour prouver que R’ Yehuda a tort. Le récit raconté par R’ Shim‘on fait partie d’une série d’anecdotes à propos de Ṭabi, serviteur de Rabban Gamliel, dont le statut n’est pas toujours conforme à celui de l’esclave cananéen. Rabban Gamliel est souvent enclin à tordre la halakha lorsqu’il s’agit de lui-même ou de son serviteur bien-aimé416. Un premier élément humoristique se trouve dans la juxtaposition des récits de R’ Yehuda et de R’ Shim‘on. Si R’ Yehuda déclare, pour contredire la halakha anonyme, que lui-même dormait sous le lit, R’ Shim‘on déclare que R’ Yehuda a en réalité agi comme Ṭabi et le présente ainsi sous un angle dégradant. Le récit de R’ Shim‘on est donc une comparaison moqueuse qui non seulement contredit R’ Yehuda en matière de halakha, mais se place en critique mordante du rabbin et de son comportement. L’humour est ici agressif et mordant et entre dans la catégorie de l’humour interne, révélant une rivalité entre les deux protagonistes417. Un deuxième élément humoristique consiste dans la phrase de Rabban Gamliel. Ce dernier commence par une question : avez-vous vu mon serviteur Ṭabi ? Rabban Gamliel attire l’attention des sages sur le comportement de son serviteur qu’il considère comme un bon exemple. C’est presque une attitude paternelle, celle d’un père fier de son fils et souhaitant le montrer à son entourage. Cependant, l’objet qui suscite la fierté de Rabban Gamliel est quelque peu paradoxal : selon Rabban Gamliel, Ṭabi est un disciple des sages, puisqu’il connaît la halakha, mais connaissant si bien la halakha, il

416 C. HEZSER, « The Social Status of Slaves in the Talmud Yerushalmi and in GraecoRoman Society », dans P. SCHÄFER (éd.), The Talmud Yerushalmi and Graeco-Roman Culture, vol. 3, Tübingen, 2002, p. 91-138. 417 La classification de ce passage en tant qu’humour interne est problématique, car le texte ne dit pas explicitement que R’ Shim‘on et R’ Yehuda débattent ensemble. S’il s’agit d’une discussion, l’humour relève, en effet, du premier niveau. S’il s’agit d’une juxtaposition des deux opinions par le rédacteur anonyme de la Mishna, il faut classer l’humour dans le deuxième niveau, celui de la narration, la moquerie visant R’ Yehuda venant du rédacteur et non de R’ Shim‘on.

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reconnaît sa place inférieure aux vrais disciples des sages : il n’est pas juif, il ne doit donc pas accomplir le commandement de la cabane418. C’est bien pour cela qu’il dort sous le lit. Le récit raconté par R’ Shim‘on permet de critiquer l’opinion de R’ Yehuda avec une comparaison moqueuse (fonction sociale). Qui est R’ Shim‘on ? Généralement, quand le nom Shim‘on est employé seul, il renvoie à R’ Shim‘on ben Yoḥay. Il est cependant tentant de supposer que ce R’ Shim‘on n’est autre que le fils de Rabban Gamliel. Une telle hypothèse permettrait de lire ici une tension entre les fils de Rabban Gamliel et son serviteur bien-aimé. Le récit permet dans ce cas à R’ Shim‘on de tourner en dérision l’attitude paternelle de son père envers Ṭabi (fonction psychologique). Le récit suivant évoque également la place privilégiée de Rabban Gamliel, mais cette fois c’est son autorité halakhique qui est remise en question. T Berakhot 4, 15 « (…) Histoire de Rabban Gamliel et des anciens qui étaient attablés à Jericho. On leur apporta des dattes et ils mangèrent. R’ ‘Aqiba se précipita419 et prononça une bénédiction sur les figues. Rabban Gamliel lui dit : ‘Aqiba, pourquoi te places-tu dans420 les controverses ? Il lui dit : Rabbi, tu nous as enseigné de suivre la majorité (Ex 23, 2). Quand bien même tu dis une chose et tes amis disent autre chose, la halakha est fixée selon la majorité421. »

Ce récit est placé dans une mishna qui concerne les bénédictions à réciter après avoir mangé l’une des sept espèces422. Selon Rabban Gamliel, il faut réciter trois bénédictions et selon les sages une seule. Dans plusieurs passages de la Mishna et de la Tosefta423, ce type de controverse n’est ni commenté ni résolu. Le principe de la majorité est sous-entendu. Mais ici nous avons une anecdote qui indique clairement qu’il faut suivre l’opinion majoritaire. Elle met en scène un groupe de sages : Rabban Gamliel et les anciens, attablés, et auxquels on apporte des dattes. Ce détail, « on leur apporta des dattes », nous indique qu’ils étaient servis à table, probablement 418 Les esclaves cananéens ont le même statut que les femmes et les enfants concernant ce commandement, c’est-à-dire qu’ils n’y sont pas astreints. 419 Littéralement : « sauta ». 420 Littéralement : « pourquoi mets-tu ta tête entre les controverses ? » 421 Voir aussi un récit semblable de T Yom Ṭob 2, 12, commenté ci-après, p. 124. 422 Espèces mentionnées dans Dt 8, 8 : un pays qui produit le froment et l’orge, le raisin, la figue et la grenade, l’olive huileuse et le miel. 423 M Giṭṭin 1, 5 : Rabban Gamliel accepte le témoignage des samaritains contrairement à l’opinion de la majorité ; M Ketubbot 13, 1-9 : Rabban Gamliel accepte les sept enseignements de Admon, contrairement à l’opinion majoritaire ; T Kelim Baba Qamma 4, 4 : Rabban Gamliel déclare les fours de Kefar Sigena purs et les sages les déclarent impurs. La halakha anonyme suit l’opinion majoritaire.

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par des serviteurs. Le caractère solennel du repas est confirmé par le fait que le texte parle d’anciens et non de sages : il s’agit d’un repas de maîtres éminents. Avec l’arrivée des dattes, nous apprenons que R’ ‘Aqiba était parmi ces sages, mais il n’est pas indiqué qu’il était attablé avec eux. R’ ‘Aqiba se précipite pour réciter une bénédiction. Son action est surprenante, et il se fait aussitôt gronder par son maître. La remarque de Rabban Gamliel est exprimée par un langage imagé et une question rhétorique. Cette réprimande reste dans la hiérarchie initiale du récit : le maître gronde son disciple. Aussitôt, un retournement ironique se produit dans la narration : le disciple rappelle à son maître la halakha qu’il a lui-même enseignée, concernant le principe de la majorité qui l’emporte lorsqu’il y a une controverse entre les sages. L’enseignement de Rabban Gamliel, tout comme son disciple fidèle, se retourne ironiquement contre lui-même, et le sage éminent reste muet. L’humour dans ce récit relève du deuxième niveau, c’est un retournement ironique de la narration, avec une présentation surprenante et légèrement comique de l’action de R’ ‘Aqiba. L’ironie narrative crée un contraste entre la position élevée de Rabban Gamliel au début, et sa défaite halakhique à la fin. Le récit tourne en dérision Rabban Gamliel et l’idée que certains sages puissent être, grâce à leur place importante dans la hiérarchie rabbinique, au-dessus du principe de la majorité qui fixe la halakha. L’ironie incarnée par l’action de R’ ‘Aqiba, tournant narratif dans le récit, sert ainsi à critiquer de manière très subtile Rabban Gamliel lui-même. Le récit rappelle donc que la halakha doit être fixée selon l’opinion majoritaire, sans exception, même si l’opinion minoritaire est celle d’un sage prééminent voire d’un patriarche. Ce récit est particulièrement intéressant, car il contredit à ce que nous avons lu dans M Berakhot 1, 1 : au début du traité, l’opinion minoritaire de Rabban Gamliel fait autorité et le rédacteur anonyme de la Mishna s’efforce de la justifier, alors qu’ici, c’est précisément le contraire. La suprématie de Rabban Gamliel est donc remise en question à travers l’humour, mais elle peut également l’être dans un récit sans humour, comme dans le passage suivant. M Pe’a 2, 6 « Histoire de R’ Shim‘on de Miṣpa qui sema son champ devant Rabban Gamliel et ils montèrent à la chambre de la pierre taillée424 pour poser une question. Naḥum le scribe dit : j’ai reçu de mon maître Maysha qui a reçu de son père qui a reçu des couples qui ont reçu des prophètes une halakha donnée

424

Lishkat ha-gazit.

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à Moïse au Sinaï [qui dit] “celui qui sème son champ avec deux sortes de semences de blé, s’il les met dans une seule grange, il ne donne qu’une seule pe’a425, s’il les met dans deux granges, il donne deux pe’ot426”. »

Ce récit sans humour est tout de même intéressant, car nous avons ici Rabban Gamliel427, qui monte au Temple avec R’ Shim‘on. Les deux étaient manifestement en désaccord concernant la question de la pe’a, ils consultent Naḥum le scribe. Ce dernier ne porte pas le titre de Rabbi et a une fonction au Temple, ce qui place les deux sages dont l’éminent Rabban Gamliel, en position de subordination par rapport à un simple scribe. De plus, c’est ce dernier qui détient le savoir transmis depuis Moïse à travers les générations. Que peut signifier cette présentation des sages comme subordonnés à l’autorité non rabbinique du Temple, celle du grand Sanhedrin ? Pour les rabbins qui rédigent la Mishna, le Temple de Jérusalem n’est qu’un souvenir lointain. Dans plusieurs récits428, ils s’attribuent une autorité sur les affaires liées au culte dans le Temple, mais ici nous avons une approche différente. Nous savons que la Mishna est un texte finement rédigé dont la langue concise et précise n’est pas le fruit du hasard. Nous pouvons donc supposer que c’est également le cas dans notre récit. Quel intérêt ont les sages à placer Rabban Gamliel dans une position subordonnée par rapport à un scribe qui n’est même pas rabbin ? Est-ce une manière de limiter ou abaisser le degré d’influence de la famille Gamliel ? Le rédacteur veut-il rappeler à la famille du patriarche qu’il ne faut pas abuser du pouvoir ? Il nous semble que la fonction de ce récit est double. D’un côté, il présente la plus haute autorité rabbinique comme étant subordonnée à la tradition, ce qui permet de déclarer qu’en général, c’est la tradition qui prime et non le pouvoir politique. De l’autre côté, le récit lie Rabban Gamliel directement à des traditions remontant jusqu’à Moïse au Sinaï, ce qui permet d’affirmer et légitimer son autorité. Nous voyons que la rhétorique rabbinique complexe, qui s’exprime souvent à travers l’humour, peut aussi se déployer sans lui. Le récit suivant relate à nouveau un comportement de Rabban Gamliel, non conforme et contraire à la halakha.

425 Partie à l’extrémité d’un champ que le propriétaire ne doit pas moissonner, afin de la laisser aux pauvres. Commandement fondé, entre autres, sur Lv 19, 9. Les sages ont déterminé sa mesure à un soixantième de la récolte. 426 Pluriel hébraïque de pe’a. 427 D’un point de vue chronologique, il s’agit vraisemblablement de Rabban Gamliel l’ancien. Cependant, le texte de la Mishna ne le précise pas. Cette absence est révélatrice, car elle crée une ambiguïté qui renforce la continuité apparente entre l’autorité de la famille Gamliel dans le présent rabbinique et dans le passé de l’époque du Temple. 428 Notamment le premier chapitre de M Yoma.

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M Demay 3, 1 « Il est autorisé de nourrir les pauvres avec du demay429. Il est autorisé de nourrir les troupes de passage avec du demay. Rabban Gamliel nourrissait ses ouvriers avec du demay. À propos des collecteurs de charité, à l’école de Shammay, ils disent qu’ils doivent donner la nourriture dont la dîme a été correctement prélevée à ceux qui ne prélèvent pas correctement et vice versa, ainsi tous les hommes se retrouvent à manger la nourriture correctement dîmée. Et les sages disent qu’il faut prélever et distribuer indifféremment et quiconque veut prélever correctement, c’est à lui de le faire. »

Cette mishna présente d’abord deux cas où il est autorisé de donner de la nourriture demay, c’est-à-dire une nourriture dont les prélèvements en matière de dîme sont douteux. Pour les deux catégories citées, les raisons semblent tout à fait naturelles. Il paraît logique d’encourager la population à donner aux pauvres, et donc d’alléger les restrictions sur la nourriture donnée aux nécessiteux. Il semble aussi sensé de ne pas obliger les gens à être scrupuleux quant aux prélèvements, lorsqu’ils nourrissent les troupes romaines de passage qui n’accordent aucune importance aux prélèvements obligatoires des juifs. Après ces deux catégories, la Mishna nous raconte que Rabban Gamliel avait l’habitude de nourrir ses ouvriers avec du demay. Il est clair que l’habitude de Rabban Gamliel ne rentre pas dans les deux catégories citées et ne suit absolument pas la même logique. Si Rabban Gamliel a les moyens d’employer des ouvriers, il a sûrement les moyens et surtout l’obligation de les nourrir. L’utilisation de la nourriture demay ne doit pas dans ce cas être tolérée. Cette idée est confirmée par Bertinoro qui précise que la halakha n’est pas fixée selon Rabban Gamliel. En fait, cette remarque est un euphémisme, car la Mishna présente clairement l’action de Rabban Gamliel comme contraire à la halakha. Le récit est donc un exemplum qui présente Rabban Gamliel non comme l’exemple à suivre, mais comme l’exemple à ne surtout pas suivre. Nous pouvons l’appeler le contre-exemplum, ou l’exemplum parodié. Rabban Gamliel y est présenté comme détournant la halakha pour économiser un peu de nourriture. Le parallèle de ce passage dans la Tosefta (Demay 3, 15) apporte un détail complémentaire : Rabban Gamliel donnait, en effet, de la nourriture demay à ses ouvriers, mais il les en informait, ce qui réduit la gravité de son acte. En informant ses ouvriers, il reste dans le cadre de la halakha. Le parallèle de la Tosefta confirme que la mishna, où il n’est pas question d’informer les ouvriers, est problématique. La Mishna présente clairement Rabban Gamliel comme fautif. Si le texte de la Mishna est antérieur à celui de la Tosefta, nous pouvons lire la Tosefta comme une tentative d’explication apologétique 429

Nourriture dont le prélèvement de la dîme n’est pas certain.

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de la Mishna, une glose destinée à remettre les choses dans l’ordre et sauver l’honneur de Rabban Gamliel. Mais il est également possible que le texte de la Mishna soit postérieur au passage de la Tosefta. Dans ce cas la rédaction de l’exemplum parodié est intentionnelle. Cette deuxième hypothèse montrerait que le rédacteur de la Mishna a intentionnellement décrit Rabban Gamliel de manière négative, en parodiant un genre largement attesté dans les écrits tannaïtiques, celui de l’exemplum, utilisant ainsi une méthode humoristique pour critiquer le patriarche. Dans le même paragraphe, après un récit donnant un exemple trop permissif, vient précisément le contraire : l’exemple trop strict. Celui-ci porte sur les enseignements de l’école de Shammay, qui a trouvé une astuce pour donner à tous les juifs la possibilité de manger une nourriture correctement dîmée. Cette astuce est peu contraignante, et pourtant, les sages préconisent de ne pas la suivre, peut-être pour faciliter au maximum le déroulement de la charité, ce que confirme l’énoncé au début de la mishna. Un autre récit tourne Rabban Gamliel en dérision en dénonçant son avarice : T Sukka 2, 11 « Le premier jour chômé de la fête, un homme n’accomplit pas son devoir avec le lulab430 de son prochain, sauf si ce dernier le lui donne comme un cadeau sans condition. Il arriva que Rabban Gamliel et les anciens viennent en bateau et ils n’avaient pas avec eux un lulab. Rabban Gamliel acheta un lulab pour un dinar d’or et une fois qu’il a accompli son devoir avec lui, il le donna à son compagnon et ce dernier à son tour le donna à son compagnon [et ainsi de suite] jusqu’à ce que tous accomplissent leur devoir puis ils le lui ont rendu. R’ Yose dit : si le premier jour de la fête tombe un shabbat, après avoir accompli le devoir avec le lulab, il est interdit de le déplacer. »

Ce texte présente la marche à suivre lorsque plusieurs personnes ne possèdent qu’un seul lulab le premier jour de la fête de Sukkot. L’astuce consiste à faire cadeau du lulab à son prochain afin qu’il puisse accomplir le commandement et s’acquitter de son devoir. Le récit qui illustre cette règle concerne Rabban Gamliel et les anciens. Si par sa forme, il semble être un récit de cas classique431, deux détails sont néanmoins étranges. Le premier de ces détails est l’achat d’un seul lulab par Rabban Gamliel. Certes, les sages se trouvent sur un bateau, mais ce bateau semble être équipé du nécessaire pour la fête. Pourquoi donc Rabban Gamliel n’achète-t-il qu’un seul 430 Bouquet rituel de la fête de Sukkot, composé de quatre espèces végétales : une branche de palmier, une branche de saule, une branche de myrte et un cédrat. Le commandement est basé sur Lv 23, 40. 431 Voir p. 75.

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lulab ? Ne peut-il pas offrir des lulabim à tous ses compagnons ? Nous apprenons par ailleurs qu’après s’être passé, en tant que cadeau sans condition, le lulab les uns aux autres, les anciens le rendent à son propriétaire. Ceci semble contradictoire avec le fait que le lulab a été donné en cadeau. Ces deux détails présentent Rabban Gamliel comme quelqu’un d’avare et les deux récits qui précèdent notre paragraphe confirment cette idée. Dans T Sukka 2, 9, il est question du lulab donné de père en fils dans certaines villes pendant des périodes de pénurie. Les sages (avis collectif anonyme) répondent à R’ Yehuda, transmetteur de l’anecdote, que la pénurie ne constitue pas « une preuve ». Cette coutume, acceptée pendant des périodes difficiles, n’est donc pas une pratique à suivre lorsque l’on peut faire autrement. Dans T Sukka 2, 10, il est question des gens de Jérusalem. Ces derniers sont des gens avec de grands moyens, car ils attachent leur lulab avec des ficelles dorées. Il est également raconté qu’ils avaient l’habitude de garder le lulab avec eux dans la synagogue, ce qui sous-entend qu’ils ne l’ont pas donné en cadeau à quelqu’un d’autre432. Basée sur le commandement de Lv 23, 40433, la question du don du lulab apparaît également dans M Sukka 4, 4 (commenté plus loin, p. 344), M Sukka 3, 11 et 3, 13 et Sifra Emor 12, 3 où nous trouvons un parallèle de notre récit. Sifra Emor 12, 3 « (Lv 23, 40) Vous prendrez, le premier jour, du fruit de l’arbre hadar, des branches de palmier, des rameaux de l’arbre aboth et des saules de rivière  ; et vous vous réjouirez, en présence de l’Éternel votre Dieu, pendant sept jours. Vous prendrez. R’ Yehuda dit : il est écrit ici « l’action de prendre » et il est écrit plus loin « l’action de prendre ». De même que l’action de prendre dont il s’agit plus loin concerne le bouquet attaché, de même, ici, il s’agit du bouquet attaché. Et les sages disent : même s’il n’est pas attaché, [le bouquet] est apte [à être utilisé]. Vous prendrez pour vous, [cela signifie] chacun. Pour vous, [c’est-à-dire un bouquet] qui vous appartient, qui n’est pas volé. À partir de là, [ils] dirent : “un homme ne s’acquitte pas de son devoir le premier jour chômé de la fête avec le lulab de son prochain” (M Sukka 3, 13). Mais si [un homme qui possède un lulab] le veut bien, il peut le donner en tant que cadeau 432 Dans un article récent, N. L. Frisch analyse la coutume consistant à donner le lulab comme un cadeau qu’il faut retourner à son propriétaire d’origine. Dans cette perspective, le comportement des sages dans le bateau est parfaitement conforme à la halakha. Or, si l’analyse des textes qu’elle propose, en rapport avec des études anthropologiques sur le don retournable comme un facteur de cohésion sociale, est très intéressante, elle semble surtout concerner les textes talmudiques : « The Returnable Gift of Sukot Festival from Historical and Anthropological Perspective », Revue des études juives 176, 2017, p. 25-48. 433 Vous prendrez, le premier jour, du fruit de l’arbre hadar, des branches de palmier, des rameaux de l’arbre aboth et des saules de rivière  ; et vous vous réjouirez, en présence de l’Éternel votre Dieu, pendant sept jours.

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à son prochain et son prochain à son prochain, même s’ils sont une centaine. Histoire de Rabban Gamliel et des anciens qui venaient en bateau et seulement Rabban Gamliel avait un lulab. Rabban Gamliel le prit et le donna à R’ Yehoshua‘ et R’ Yehoshua‘ [le donna] à R’ Ele‘azar ben ‘Azarya et R’ Ele‘azar ben ‘Azarya [le donna] à R’ ‘Aqiba et tous se sont acquittés avec lui de leur devoir. »

M Sukka 3, 11 « (…) celui qui prend un lulab de son prochain pendant la septième [année] doit lui donner un cédrat en tant que cadeau car il n’est pas autorisé à le prendre pendant la septième [année]. »

M Sukka 3, 13 « Si le premier jour de la fête est un jour de shabbat, tous434 amènent leurs lulabim à la synagogue. Chacun reconnaît le sien et le prend car ils ont dit : un homme ne s’acquitte pas de son devoir le premier jour chômé de la fête avec le lulab de son prochain. Les autres jours de la fête, un homme peut s’acquitter de son devoir avec le lulab de son prochain. »

Dans ces trois textes tannaïtiques, il est clairement dit, comme dans M Sukka 4, 4, que le devoir de prendre le lulab ne peut pas être accompli avec un lulab appartenant à une autre personne, sauf s’il est donné comme un cadeau. Il n’est aucunement question ni dans la Mishna ni dans le Sifra de retourner le cadeau à son propriétaire d’origine. Aussi, dans la Tosefta, le retour du lulab à Rabban Gamliel n’a pas d’appui halakhique. Selon J. L. Moss435, les anecdotes dans la Tosefta contredisent souvent la halakha dans leur contexte immédiat. La pénurie dont parle N. L. Frisch et le développement d’une halakha concernant le don obligatoirement retournable du lulab semblent donc être des préoccupations de l’époque amoraïque436. Nous soutenons finalement que T Sukka 2, 11 doit être lu à la lumière des deux récits qui le précèdent dans T Sukka 2, 9 et 10. La double mention de l’or, pour les gens de Jérusalem et pour Rabban Gamliel, suggère que le onzième et dernier paragraphe tourne subtilement et de manière presque dissimulée en dérision Rabban Gamliel : c’est précisément un soupçon d’avarice qui est critiqué437. 434

Kol ha-‘am. J. L. MOSS, Midrash and Legend, Piscataway, 2003, p. 587. 436 FRISCH, « The Returnable Gift of Sukot Festival… », p. 25-48. 437 Le récit de M Baba Meṣi‘a 5, 8 insiste, au contraire, sur le caractère généreux et désintéressé de Rabban Gamliel : « Rabban Gamliel prêtait à ses métayers. Si c’était au prix fort, il le baissait ou alors il leur donnait au prix faible puis l’augmentait. Il prenait d’eux le prix bas. Ce n’est pas que la halakha soit ainsi, mais lui voulait s’imposer la manière stricte. » 435

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Dans le récit suivant, R’ Yuda raconte une anecdote dont l’un des protagonistes est Rabban Gamliel. Les détails de l’anecdote et surtout les nondits y tournent en dérision la figure du sage. T Terumot 2, 13 « (…) mais la ‘orla438 et les mélanges de la vigne sont les mêmes pour les non-juifs439 en terre d’Israël, en Syrie et en dehors de la terre, sauf que R’ Yudan440 dit : le non-juif441 de Syrie n’a pas [à accomplir l’obligation de consommer les fruits de] la vigne la quatrième année [à Jérusalem]. R’ Yuda442 dit : histoire de Shibyon, chef de l’assemblée de Kezib, qui prit d’un nonjuif443 les fruits d’une vigne de quatre années et lui donna leur équivalent en argent. Et il vint demander à Rabban Gamliel qui était en voyage [si cela était autorisé] et celui-ci lui dit : attends que nous soyons en marche. [Les sages] lui dirent : de là, tu tires une preuve ?! Il lui envoya même en secret par un messager [le mot suivant] : ce que tu as fait est fait, mais ne le répète pas. »

Dans ce paragraphe, R’ Yehuda est en désaccord avec les sages concernant le statut de la Syrie pour la question des fruits de la vigne de la quatrième année. Selon les sages, la terre d’Israël et la Syrie ont le même statut en ce qui concerne la ‘orla, notamment celle de la vigne des non-juifs, c’est-àdire l’obligation de consommer les fruits de la quatrième année (ou leur équivalent pécuniaire) à Jérusalem. Selon R’ Yehuda, « le non-juif de Syrie n’a pas [à accomplir l’obligation de consommer les fruits de] la vigne la quatrième année [à Jérusalem] ». La discussion halakhique est ici le cadre narratif dans lequel, pour appuyer son opinion, R’ Yehuda raconte un récit de cas. Ce dernier présente un certain Shibyon, chef de l’assemblée de Kezib (rosh ha-keneset shel Kezib). Contrairement au manuscrit de Vienne que nous avons suivi, le manuscrit d’Erfurt et la version imprimée parlent d’un chef de synagogue (rosh bet ha-keneset). Ainsi, chef de l’assemblée ou chef de la synagogue, ce Shibyon est un notable juif non rabbinique. La ville de Kezib (ou Akhezib) marquait pour les sages la frontière de la terre d’Israël au nord-ouest.

438 L’interdit de manger les fruits d’un arbre pendant ses trois premières années. Basé sur Lv 19, 23. 439 Goy. 440 Orthographe du nom dans le ms Vienne 46. Il s’agit probablement de R’ Yehuda (voir la version du TY). 441 Nokhri. 442 Orthographe du nom dans le ms Vienne 46. Il s’agit probablement de R’ Yehuda (voir la version du TY). 443 Goy.

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La ville est considérée dans la Mishna comme faisant partie de la terre d’Israël444, alors que dans la Tosefta elle est considérée comme en dehors445. La question halakhique nous intéresse moins ici que les détails du récit. Ce dernier présente un notable juif d’une ville frontalière. Il ne semble pas faire partie des cercles rabbiniques, mais il est préoccupé par l’accomplissement de la halakha. Après avoir agi d’une certaine manière, il demande à Rabban Gamliel, manifestement en voyage dans la région, si son acte est valable. Le début du récit est conforme à l’image normative de Rabban Gamliel : c’est un sage important dont l’opinion en matière de halakha fait autorité. C’est un dirigeant446 qui exerce son autorité sur des communautés juives non rabbiniques et se déplace dans le pays pour les rencontrer. Le fait qu’un chef de synagogue s’adresse à Rabban Gamliel évoque l’idée que le patriarcat soit lié au courant du judaïsme synagogal447. Tous les détails du récit jusqu’à la réponse de Rabban Gamliel confirment la place privilégiée de ce dernier en tant que patriarche (ou du moins dirigeant) et sage éminent, qui exerce son autorité sur les juifs du mouvement rabbinique comme sur les juifs extérieurs à ce mouvement. Le lieu où se trouve Rabban Gamliel est à la frontière de la terre d’Israël, mais le fait qu’il soit en voyage sousentend qu’il entretient des rapports avec des communautés juives de la diaspora. Habituellement, les récits de cas comportent deux parties : la première consiste à exposer le cas particulier lui-même, et la seconde rapporte l’opinion des sages à propos de ce cas. Ici, nous avons une première partie conforme au modèle, mais la seconde partie est plus surprenante. Au lieu d’exprimer son opinion à propos du cas particulier, Rabban Gamliel demande à Shibyon d’attendre qu’ils soient en marche, puis le récit s’arrête. Le cas reste sans décision de la part de Rabban Gamliel. Pourquoi donc demande-t-il à Shibyon d’attendre qu’ils soient en marche ? Pourquoi ne donne-t-il aucune réponse à la question posée ? Selon S. Lieberman448, Rabban Gamliel aurait été saoul et c’est pourquoi il demande à Shibyon d’attendre qu’ils soient en marche avant de lui 444 Voir M Shebi‘it 6, 1 ; M Ḥalla 4, 8 (Kezib fait partie de la terre d’Israël selon Rabban Gamliel). 445 T Demay 1, 4 ; T Shebi‘it 4, 6 ; T Ohalot 18, 14. 446 Patriarche ou non. 447 J. Costa (« Entre judaïsme rabbinique et judaïsme synagogal… », p. 83) avance l’hypothèse que « le patriarche était au début le dirigeant du mouvement rabbinique et au terme de sa trajectoire historique, il est devenu le dirigeant du judaïsme palestinien majoritaire de l’époque, c’est-à-dire le judaïsme synagogal. Les sources rabbiniques reflètent essentiellement le patriarche du début, c’est-à-dire le patriarche rabbinique… ». Ce récit de la Tosefta suggère une origine plus ancienne de la relation entre la famille du patriarche et le judaïsme synagogal, ainsi que de l’hostilité des rabbins vis-à-vis de cette relation. 448 S. LIEBERMAN, Tosefta Ki-fshutah. Zera‘im, vol. 1, Newark, 1955, p. 318.

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répondre. Les propos de Rabban Gamliel marquent un changement et un retournement dans le récit. Étant ivre, il ne peut plus incarner l’autorité qu’il représente. Il demande, certes, à son interlocuteur d’attendre la réponse, mais cette dernière ne vient pas. Au lieu du sage éminent qu’il aurait dû être, compte tenu du début du récit, nous avons un Rabban Gamliel ivre et muet. Le contraste entre les deux parties montre qu’il s’agit clairement d’une présentation dégradante du sage, qui le tourne en dérision. Nous pouvons même considérer ce récit comme un détournement ou une parodie d’un récit de cas. Après avoir tourné en dérision Rabban Gamliel, le rédacteur nous ramène au cadre narratif, à savoir la discussion entre R’ Yehuda et les sages. Ces derniers rapportent la réponse présumée de Rabban Gamliel. Cet « épilogue » représente un retour à la norme. Le récit raconté par R’ Yehuda qui est une parodie sur un récit de cas tourne donc en dérision Rabban Gamliel, alors que la réponse des sages rétablit sa place respectable et normative dans le monde rabbinique. Ce partage des tâches est significatif, car, dans de nombreuses controverses449, R’ Yehuda exprime une opinion minoritaire rejetée par la majorité, un rejet exprimé parfois d’une manière expéditive ou abaissante. Cependant, même si la dérision de Rabban Gamliel est ici dissimulée et avancée par un sage dont les dits sont souvent rejetés, il faut rapprocher le texte d’un autre récit de voyage de Rabban Gamliel à Kezib, qui est aussi un autre cas d’ivresse. T Pesaḥim 2, 15-16 « Histoire de Rabban Gamliel qui allait de ‘Akko à Kezib. Il trouva une miche de pain450 en route. Il dit à son serviteur : Ṭabi, prends cette miche de pain. Il vit un non-juif et lui dit : Mabgay, prends cette miche de pain. R’ Il‘ay lui courut après et lui demanda : qui es-tu ?451 Il lui répondit : je suis un garde de refuge. Il lui demanda [encore] : quel est ton nom ? Il lui répondit : Mabgay. Il lui demanda : Rabban Gamliel te connaissait-il ? Il lui répondit : non. À partir d’ici, nous avons appris que Rabban Gamliel était inspiré par l’esprit saint. Et à partir de ses paroles nous avons appris trois choses. Nous avons appris que le ḥameṣ d’un non-juif452 après Pesaḥ est aussitôt autorisé, qu’il ne faut pas passer à côté de la nourriture [jetée par terre sans la ramasser] et qu’on se base sur la majorité de ceux qui passent sur les routes453. [Rabban Gamliel] arriva à Kezib. Vint un [homme] et il lui demanda [de défaire] son vœu. Il dit à celui qui était avec lui : avons-nous bu le quart [d’un log]454 du vin italien ? 449 450 451 452 453 454

T Terumot 1, 1 ; T Shabbat 15, 9 ; T ‘Erubin 5, 24 ; T ‘Erubin 6, 2. Gelusqin, du pain à base d’une farine blanche supérieure. Littéralement : « quelle est ta qualité ? » Nokhri. Pour déterminer si le pain abandonné appartenait à un juif ou à un non-juif. Environ 100 ml.

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Il lui répondit : oui. Il lui dit : dans ce cas, promène-toi avec nous jusqu’à ce que nous dissipions l’effet du vin et il marcha avec eux jusqu’à ce qu’ils arrivent à Sullam-Ṣor et lorsqu’ils arrivèrent à Sullam-Ṣor, il [Rabban Gamliel] descendit de l’âne et s’enveloppa [de son manteau] et défit son vœu. Nous avons appris beaucoup de choses ce jour-là. Nous avons appris que le quart d’un log de vin rend ivre, et [que] la route élimine [l’effet] du vin et [que] l’on n’enseigne pas après avoir bu du vin455, et on ne défait pas les vœux, ni en chevauchant, ni en marchant, ni debout, mais [seulement] en étant enveloppé et assis. »

Cette riche narration vise avant tout à présenter Rabban Gamliel de manière édifiante. Elle apparaît dans la Tosefta après un enseignement concernant le ḥameṣ, nourriture qui comporte des céréales levées, interdite à la consommation pendant Pesaḥ. La Tosefta enseigne que si l’on trouve du ḥameṣ en grande quantité sur la route, il est autorisé à la consommation une fois que la fête de Pesaḥ est terminée, même si la nourriture a été trouvée pendant la fête. Nous ne savons pas si les événements racontés ici ont eu lieu pendant ou après la fête. La narration évoque un voyage de Rabban Gamliel dans le nord de la terre d’Israël. Elle est composée de deux parties : la première se déroule entre ‘Akko et Kezib, et la seconde entre Kezib et Sullam-Ṣor. Rabban ‘Gamliel est accompagné de Ṭabi son serviteur et probablement aussi de son disciple R’ Il‘ay456. Cette situation présente Rabban Gamliel comme un notable en voyage officiel aux confins de sa juridiction, avec deux accompagnateurs qui lui sont subordonnés. Ceci constitue un premier détail édifiant. L’événement dans ce récit est la miche de pain trouvée sur la route. Rabban Gamliel fait ramasser le pain par son serviteur puis s’adresse à un passant par son nom et lui donne le pain. Après l’observation de son maître, R’ Il‘ay pose trois questions à Mabgay et découvre qu’il est en effet un nonjuif. Un commentaire anonyme déclare que Rabban Gamliel a deviné le nom de l’étranger par inspiration divine, puis explique les points halakhiques qui peuvent être déduits du comportement du sage. Le récit est donc un exemplum édifiant. Les points halakhiques mentionnés indiquent que la région où voyageait Rabban Gamliel était habitée majoritairement par des non-juifs (Rabban Gamliel a déduit que le pain abandonné était celui d’un non-juif, car la majorité des passants de la route sont des non-juifs). Arrivé à Kezib, Rabban Gamliel est abordé par un homme qui lui demande 455 En morin shetuye yayin. On peut également traduire ainsi : « les enseignants ne sont jamais ivres ». 456 Dans le ms Erfurt : « Histoire de Rabban Gamliel et R’ Il‘ay qui voyagaient à partir de ‘Akko… » ; dans Wa-yiqra Rabba 37, 3 : « Rabban Gamliel allait de ‘Akko à Kezib. Ṭabi son serviteur marchait devant lui et R’ Il‘ay derrière lui. » Le TB (‘Erubin 64b) ne mentionne pas Ṭabi : « Histoire de Rabban Gamliel qui chevauchait un âne sur le chemin de ‘Akko à Kezib, et R’ Il‘ay marchait derrière lui… »

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d’annuler son vœu. Cette demande indique qu’il s’agit d’un juif qui reconnaît l’autorité rabbinique, représentée ici par Rabban Gamliel. Ce dernier ne souhaite pas annuler le vœu après avoir bu du vin, il demande à l’homme de l’accompagner sur son chemin pour en dissiper l’effet enivrant. Ensuite, il descend de son âne et s’assoit de manière solennelle pour défaire le vœu. Le commentaire anonyme à la fin du récit explique l’histoire en précisant l’effet du vin, la manière de le dissiper et les enseignements halakhiques que l’on peut tirer du comportement de Rabban Gamliel. C’est à nouveau un exemplum édifiant. Cependant, une phrase du récit mérite une attention particulière : « Il (Rabban Gamliel) demanda à la personne qui était avec lui : avons-nous bu le quart [d’un log] de vin ? » Lorsque l’homme de Kezib demande à Rabban Gamliel d’annuler son vœu, ce dernier pose une question à « l’homme qui était avec lui ». Qui est cet homme ? Nous savons que Rabban Gamliel était accompagné de Ṭabi et de R’ Il‘ay, et qu’une troisième personne, l’homme de Kezib, s’adresse à lui. Auquel de ces trois hommes s’adresse Rabban Gamliel457 ? Et, plus important encore, comment un sage si éminent, inspiré par l’esprit saint et capable de deviner l’identité d’un étranger croisé en route, peut-il ne pas savoir s’il a bu et combien il a bu de vin ? Est-il ivre à ce point ? La sugya du TB dans laquelle nous trouvons le parallèle de ce récit est particulièrement préoccupée par la question de l’ivresse. Selon le texte, le quart d’un log de vin est une quantité qui enivre sans réellement intoxiquer. Le TB distingue entre un homme qui a bu (shatuy) et celui qui est intoxiqué par le vin (shikkor). La conclusion du récit dans le parallèle du TB précise que la consommation d’un quart de log de vin italien, précisément celui qu’a consommé Rabban Gamliel, relève de la deuxième catégorie, c’est-àdire que Rabban Gamliel était réellement ivre. Ce récit qui parle explicitement de l’intoxication de Rabban Gamliel par le vin confirme le commentaire de S. Liberman à propos de l’ébriété de Rabban Gamliel dans le récit de T Terumot 2, 13. Les deux récits présentent Rabban Gamliel comme une autorité rabbinique ayant une influence dans des milieux moins rabbinisés et les deux récits suggèrent de manière implicite la tendance qu’a Rabban Gamliel à profiter de son statut et peut-être de l’accueil des habitants lors de ses voyages. Une critique peut ainsi être lue entre les lignes de ces récits édifiants, au caractère humoristique mineur. Dans le septième chapitre du traité Shabbat de la Tosefta, nous trouvons plusieurs récits apparentés que nous allons étudier ensemble. 457 Dans le parallèle de Wa-yiqra Rabba 37, 3, il s’adresse à R’ Il‘ay. Les autres parallèles (TY ‘Aboda Zara 1, 9 ; TB ‘Erubin 64b) ne précisent pas l’identité de l’accompagnateur mais indiquent qu’il ne s’agit pas de l’homme de Kezib.

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T Shabbat 7, 5 « Dire marpe458 [à quelqu’un qui a éternué] est une pratique superstitieuse459. R’ Ele‘azar fils de R’ Ṣadoq dit : on ne dit pas marpe pour ne pas interrompre l’étude. Ceux de la famille de Rabban Gamliel ne disaient pas marpe, car c’est une pratique superstitieuse. »

T Shabbat 7, 7-9 « Celui qui dit : “Buvez et laissez-en”, c’est une pratique superstitieuse. “Buvez et laissez-en”, ce n’est pas une pratique superstitieuse. “Buvez et laissez-en, le vin est [consacré] à votre vie”, ce n’est pas une pratique superstitieuse. Il arriva que R’ ‘Aqiba donne un banquet en l’honneur de son fils. À chaque tonneau qu’il a ouvert, il a dit : “à la vie de nos rabbins et à la vie de leurs disciples”. »

T Shabbat 7, 16-17 « On fait couler le vin et l’huile dans des tuyaux devant les mariés et mariées et ce n’est pas une pratique superstitieuse. Une fois, Yehuda et Hillel, les fils de Rabban Gamliel, sont entrés dans la ville de Kabul et les gens de la ville ont fait couler du vin et de l’huile devant eux dans des tuyaux. »

T Shabbat 7, 18 « On allume un bûcher en l’honneur des rois (après leur mort) et ce n’est pas une pratique superstitieuse, ainsi qu’il est écrit : (Jr 34, 5) Tu mourras en paix, et comme on allumait un bûcher pour tes ancêtres, [les anciens rois qui t’ont précédé, on en allumera en ton honneur…]. De même que l’on allume un bûcher pour les rois, on en allume un pour les princes460, mais pas pour les simples particuliers. Que brûle-t-on sur le bûcher ? Son lit et ses draps. Lorsque Rabban Gamliel l’ancien est mort, Onqelos le prosélyte brûla en son honneur [des objets valant] plus de soixante-dix mane. »

Ces quatre anecdotes doivent être considérées ensemble. Elles concernent toutes, d’une manière ou d’une autre, l’entourage de Rabban Gamliel. Dans la première nous apprenons que les membres de la famille (littéralement : « maison ») de Rabban Gamliel ne disaient pas marpe, car ils considéraient que c’était une pratique superstitieuse. Cette anecdote suppose donc une attitude stricte envers la superstition dans la maison de Rabban Gamliel. Il n’y a pas d’humour dans ce texte. La deuxième anecdote est à propos de R’ ‘Aqiba, un disciple de Rabban Gamliel. Nous apprenons que lors d’un banquet donné en l’honneur de son fils, R’ ‘Aqiba buvait à la vie de ses 458 459 460

Guérison. Littéralement : « relève des “chemins de l’Amoréen”. » Nasi.

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maîtres. Son comportement sert ici d’exemplum, qui confirme la halakha stipulée juste avant l’anecdote. Il faut cependant noter l’étrange formulation de la halakha. Dans cette deuxième anecdote, il n’y a pas non plus d’humour. La troisième anecdote, qui se trouve un peu plus loin dans le chapitre, concerne les deux fils de Rabban Gamliel. Dans la halakha qui précède l’anecdote, nous apprenons qu’il est permis de faire couler le vin et l’huile devant les mariés dans des tuyaux. Cette action honore les mariés et constitue un signe de joie voire un symbole de prospérité. Quant à l’anecdote, elle raconte que lorsque les deux frères sont entrés dans la ville de Kabul, ses habitants ont fait couler devant eux le vin et l’huile dans des tuyaux. Nous pouvons, bien sûr, suivre S. Lieberman461 et voir dans cette pratique une manière d’honorer les deux invités, mais cette explication ne nous semble pas suffisante. Il y a un décalage important entre la halakha et l’anecdote. Pourquoi les gens de Kabul traitent-ils les deux frères comme des mariés ? Y a-t-il dans leur acte de respect une dimension ironique ? Enfin, la quatrième anecdote évoque Rabban Gamliel l’ancien, ou plutôt Onqelos le prosélyte, qui a accordé des honneurs royaux à feu Rabban Gamliel, en brûlant en son honneur l’équivalent de soixante-dix mane (7000 dinars, une somme colossale !). Si Rabban Gamliel était, en effet, un patriarche (nasi), allumer un bûcher en son honneur après sa mort est autorisé, car ce n’est pas une pratique superstitieuse. La Tosefta donne même un appui scripturaire qui montre l’ancienneté de cette coutume et son caractère bien juif, mais l’acte de Onqelos le prosélyte semble tout de même un peu excessif. Avait-il réellement besoin de brûler des biens aussi précieux pour honorer l’illustre défunt ? Il nous semble que cette exagération est quelque peu grotesque. Pour mieux analyser et comprendre cette suite de quatre anecdotes et déterminer la nature du potentiel humoristique que comportent les deux dernières, nous allons les rapprocher d’une autre suite d’anecdotes à propos de R’ ‘Aqiba, Rabban Gamliel (probablement II) et les fils de Rabban Gamliel III. T Mo‘ed Qaṭan 2, 14-16 « On peut s’asseoir sur un banc de non-juifs pendant le shabbat. Auparavant, on disait que c’était interdit jusqu’à ce que R’ ‘Aqiba vienne et enseigne que l’on peut s’asseoir sur un banc de non-juifs le jour du shabbat. Et il arriva que Rabban Gamliel (II ?) s’asseoie sur un banc de non-juifs un jour de shabbat à ‘Akko. On lui a dit : nous n’avons pas l’habitude de faire ainsi et nous asseoir sur un banc de non-juifs un jour de shabbat. Et il n’a pas voulu dire : “vous êtes autorisés à le faire”, alors il s’est levé et il est parti. Il arriva que Yehuda 461

S. LIEBERMAN, Tosefta Ki-fshutah. Mo‘ed, vol. 3, Newark, 1962, p. 100.

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et Hillel, les fils de Rabban Gamliel (III), entrent se laver [ensemble] à Kabul. On leur a dit : nous n’avons pas l’habitude de laisser se laver deux frères ensemble. Ils ne voulaient pas leur dire : “vous êtes autorisés à le faire”, alors ils sont entrés se laver l’un après l’autre. Il arriva encore que Yehuda et Hillel, les fils de Rabban Gamliel, sortent avec des pantoufles d’or un jour de shabbat à Biri. On leur a dit : nous n’avons pas l’habitude de faire ainsi [et] sortir avec des pantoufles d’or un jour de shabbat. Ils ne voulaient pas leur dire : “vous êtes autorisés à le faire”, alors ils les ont fait renvoyer [à la maison] par leurs esclaves. »

Nous avons ici une succession de quatre anecdotes. La première est une anecdote étiologique sans humour qui explique que s’asseoir sur un banc de non-juifs un jour de shabbat était interdit jusqu’à ce que R’ ‘Aqiba enseigne le contraire. L’anecdote suivante fournit l’explication : l’action de Rabban Gamliel est probablement à l’origine de l’enseignement de R’ ‘Aqiba. Rabban Gamliel est le maître de R’ ‘Aqiba, et son comportement lui sert donc d’exemple et de fondement pour fixer la halakha. Les trois anecdotes suivantes suivent toutes la même structure : le protagoniste principal se trouve ou se rend dans un lieu et agit contrairement aux coutumes locales. Les habitants du lieu le lui font remarquer et, au lieu d’expliquer que l’acte est autorisé, le protagoniste se plie en silence aux coutumes locales. À première vue, cela enseigne un principe simple : les coutumes locales sont prioritaires par rapport à la halakha des rabbins. Ce principe pourrait paraître problématique d’un point de vue rabbinique, mais, ainsi que le montre R. Hidary, la littérature tannaïtique l’accepte sans aucun problème462 et il en est de même des Talmuds. Toujours selon Hidary, le TY permet des pratiques diverses lorsqu’il s’agit de coutumes (minhag) locales, mais insiste sur l’uniformité de la loi (halakha), alors que le TB admet aussi la diversité au niveau des lois463. Cependant, A. Amit464 souligne l’absence de lien entre les villes mentionnées dans les anecdotes et l’autorité rabbinique. Les commentaires des Talmuds proposent donc des manières différentes d’accepter les limites de cette autorité. Comment alors comprendre nos trois anecdotes ? Dans ces anecdotes, les gens de la ville viennent voir le protagoniste principal pour lui faire remarquer son erreur. Cela signifie qu’ils ont au préalable observé son comportement et que ce dernier était en décalage avec leurs coutumes. Le comportement de l’invité semble étrange et incongru aux autochtones. Il peut donc constituer un terreau fertile à la moquerie. Le parallèle des trois anecdotes dans le TB rend la moquerie explicite. 462

HIDARY, Dispute…, p. 84-85. Ibid., p. 81. 464 A. AMIT, Maqom she-nahagu. Pesaḥim, pereq rebi‘i min ha-talmud ha-babli, Jérusalem, 2009, p. 74-75. 463

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TB Pesaḥim 51a « À ce sujet : ce qui est autorisé mais d’autres ont l’habitude d’interdire, c’est interdit de le leur autoriser. Rab Ḥisda dit : cela concerne les samaritains, mais le reste du monde non. Mais voici qu’il a été enseigné : deux frères peuvent se laver ensemble, mais ne peuvent pas se laver ensemble à Kabul. Il arriva que Yehuda et Hillel, les fils de Rabban Gamliel, se lavent ensemble à Kabul et toute la province s’est moquée465 d’eux et ils dirent : nous n’avons jamais vu cela ! Et Hillel s’est retiré dans l’antichambre et il n’a pas voulu leur dire : “vous êtes autorisés à le faire”. Et on sort en pantoufles le jour du shabbat, mais on ne sort pas en pantoufles le shabbat à Boro. Il arriva que Yehuda et Hillel, les fils de Rabban Gamliel, sortent en pantoufles le shabbat et toute la province s’est moquée d’eux et ils dirent, nous n’avons jamais vu cela ! Alors ils ont enlevé les pantoufles et les ont données à leurs serviteurs et n’ont pas voulu leur dire : “vous êtes autorisés à le faire”. On s’assoit sur des bancs de non-juifs le shabbat mais on ne s’assoit pas sur des bancs de non-juifs le shabbat à ‘Akko. Il arriva que Rabban Shim‘on ben Gamliel s’asseoie sur des bancs de non-juifs le shabbat à ‘Akko et toute la province s’est moquée de lui en disant : nous n’avons jamais vu cela ! Alors il se laissa tomber et s’assit par terre et il n’a pas voulu leur dire : “vous êtes autorisés à le faire”. »

Nous pouvons constater plusieurs différences significatives entre les deux versions : – L’ordre des récits : la Tosefta commence par le récit à propos des bancs des non-juifs alors qu’il est le dernier dans le TB ; – Le personnage qui s’assoit sur un banc de non-juifs est Rabban Gamliel dans la Tosefta et Rabban Shim‘on ben Gamliel dans le TB ; – Les pantoufles de Yehuda et Hillel sont en or dans la Tosefta et dans une matière non précisée dans le TB ; – La moquerie des autochtones est implicite dans la Tosefta et explicite dans le TB ; – La différence entre la halakha et les coutumes locales est harmonisée dans le TB et non dans la Tosefta. La version plus tardive, celle du TB, est plus lisse et harmonisée : nous savons exactement à quoi servent ces trois anecdotes. Elles mentionnent trois cas où les rabbins suivent la halakha dans un lieu où les coutumes sont différentes (plus strictes) et expliquent comment il faut agir lorsque le comportement halakhiquement correct semble incongru et suscite la moquerie des autochtones. La moquerie est légitime, mais ne remet pas en cause la halakha, ce qui signifie que malgré la moquerie qu’il suscite, le TB ne considère pas le comportement des protagonistes rabbiniques comme risible ou incongru.

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La‘aza ‘alehem medina.

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Le contexte de rédaction du TB doit être à l’origine de cette évolution. Nous pouvons noter deux aspects. Le premier concerne le pluralisme religieux en Babylonie sassanide ainsi que l’évoque S. Secunda466. La coexistence de plusieurs religions, chacune gérée par son propre système hiérarchique, distinct de la loi de l’empire, rend légitime la pluralité des coutumes et les différences d’opinions. Ainsi, il est à la fois légitime de trouver le comportement d’une autre communauté incongru, sans que cela ne remette en question les pratiques de ladite communauté. Le second concerne la figure de l’exilarque en Babylonie. L’exilarque est un chef puissant dont le pouvoir ressemblait à celui d’un suzerain, détenant des hommes armés et proche du pouvoir séculier467. Il est fort probable que les sages babyloniens projettent sur la figure du patriarche celle de l’exilarque, dont l’institution dépendait de l’ascendance familiale468. Ainsi, le comportement, quand bien même curieux, des membres de la famille Gamliel est forcément accepté, comme celui d’un monarque. R. Hidary469 analyse les commentaires que font TY et TB des récits tannaïques sur Rabban Gamliel et son entourage et montre qu’il existe une différence fondamentale entre les visions palestinienne et babylonienne. Les amora’im palestiniens sont méfiants et critiques vis-à-vis du traitement particulier dont fait preuve la famille Gamliel et s’opposent à la pratique contraire à l’opinion majoritaire que Rabban Gamliel adopte assez souvent. Leurs homologues babyloniens, en revanche, cherchent à concilier l’opinion de la majorité avec celle des Gamliel et valident l’opinion de ces derniers. Le TB souligne que dans les trois anecdotes le comportement rabbinique est incongru aux yeux des autochtones. Il n’en affirme pas moins sa légitimité, mais est-ce le message de la Tosefta  ? Il nous semble que ce n’est pas le cas. La Tosefta reste implicite, certes, quant à la moquerie des autochtones, mais elle n’affirme pas non plus que le comportement des protagonistes est réellement acceptable. Le détail concernant les pantoufles de Yehuda et Hillel, que le TB omet, peut être significatif : dans la Tosefta, il s’agit de pantoufles dorées, des chaussures somptueuses et coquettes, et d’usage plutôt féminin à en croire T Shabbat 4, 11 ou encore TY Qiddushin

466 S. SECUNDA, The Iranian Talmud. Reading the Bavli in Its Sasanian Context, Philadelphie, 2013, p. 110-143. 467 C’est également le cas du patriarche. Voir COSTA, « Entre judaïsme rabbinique et judaïsme synagogal… », p. 64-73. 468 I. GAFNI, « The Political, Social and Economic History of Babylonian Jewry, 224-238 CE », dans S. KATZ (éd.), The Cambridge History of Judaism, Cambridge, 2006, p. 792-820 et particulièrement p. 801-804. 469 HIDARY, Dispute…, p. 241-273.

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1, 7470. Cette critique implicite par le biais de l’humour rejoint celle bien plus évidente du TY. Ces éléments (la coquetterie des pantoufles et le bain commun) peuventils suggérer implicitement l’homosexualité et une relation incestueuse entre les deux frères ? Lus séparément, les récits à propos de Yehuda et Hillel ont un potentiel humoristique. Dans T Shabbat 7, 17, c’est le décalage entre le récit et la halakha qui le précède qui nous interpelle, car les deux frères sont assimilés à des mariés. Dans T Mo‘ed Qaṭan 2, 15-16, le comportement des deux frères est tourné subtilement en dérision. La Tosefta, contrairement au TB, ne précise pas que leur comportement était légitime : la seule légitimité stipulée dans la Tosefta concerne le fait de s’asseoir sur un banc de nonjuifs, alors que le TB harmonise la séquence et dit explicitement que les frères ont agi conformément à la halakha. Une lecture intertextuelle des deux récits (T Shabbat 7, 17 et T Mo‘ed Qaṭan 2, 15-16) permet d’expliciter le potentiel humoristique de T Shabbat : si dans Mo‘ed Qaṭan, les gens de Kabul trouvent le comportement des deux frères incongru et proche d’une relation homo-érotique incestueuse, dans Shabbat, ils traitent les deux frères comme un couple de mariés. Ce rapprochement intertextuel donne un sens nouveau à l’acte des gens de Kabul : derrière la réception apparemment honorifique se cache en fait une moquerie mordante du comportement incongru des deux frères471. La quatrième anecdote (T Shabbat 7, 18) raconte que, lorsque Rabban Gamliel l’ancien est mort, Onqelos le prosélyte alluma un bûcher en son honneur pour une valeur de plus de 7000 dinars. La halakha qui précède cette brève anecdote explique que les rois avaient droit à cette coutume honorifique depuis les temps bibliques et que l’on fait de même pour le prince, en hébreu nasi, c’est-à-dire probablement le patriarche. Si Rabban Gamliel l’ancien avait, en effet, exercé la fonction patriarcale, il serait naturel qu’il soit ainsi honoré472, mais Onqelos le prosélyte semble faire du zèle en brûlant l’équivalent d’une somme exagérément élevée. Onqelos le prosélyte apparaît dans quatre autres passages de la Tosefta  : T Demay 6, 13 et T Ḥagiga 3, 3 sont deux passages narratifs édifiants qui 470 Dans TB Yebamot 102b, les hommes portent également ce type de chaussures ouvertes (qordeqisin). 471 Ce type d’humour relève de la deuxième catégorie, l’humour narratif. 472 La datation de l’institution patriarcale est fort problématique. José Costa (« Entre judaïsme rabbinique et judaïsme synagogal… », p. 75) mentionne des opinions divergentes, selon lesquelles le premier patriarche serait Hillel l’ancien (H. Mantel), Rabban Gamliel II (D. Goodblatt) ou encore Rabbi Yehuda ha-nasi (M. Jacobs). Même s’il est possible que Rabban Gamliel l’ancien ait été réellement patriarche, il nous semble que dans notre texte la mention de son nom est une construction littéraire dans laquelle il représente soit la figure de Rabban Gamliel II, soit l’institution du patriarcat de manière générale.

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louent Onqelos pour son respect scrupuleux de la halakha ; T Kelim Baba Batra 2, 4 (récit commenté ci-après) évoque la subordination de Onqelos à l’autorité de Rabban Gamliel. T Miqwa’ot 6, 2-3 est un passage où Rabban Gamliel est présenté comme moins respectueux de la halakha que Onqelos. T Miqwa’ot 6, 2-3 « Rabban Shim‘on ben Gamliel dit : je n’ai pas de halakha à enseigner, mais une histoire, à propos du jardin d’un oppresseur à Damin où des prêtres escaladaient la clôture, descendaient et s’immergeaient. R’ Yehuda dit : histoire d’un bain rituel entre Usha et Shefar‘am, qui appartenait à Shefar‘am et R’ Dosa y faisait asseoir deux disciples des sages afin que l’eau arrive au volume de quarante se’a. Une autre histoire à propos du plateau de Bet ‘Anat où le bain rituel contenait plus de deux mille kor473. Ils vinrent interroger [à son sujet] R’ Ḥanina ben Teradyon qui le déclara non-conforme. Un autre [sage] dit : des non-juifs y sont entrés et ont changé l’eau dans la nuit, puis l’ont rempli à l’aide d’un jet. Et histoire de Rabban Gamliel et de Onqelos le prosélyte qui venaient à Ascalon et Rabban Gamliel s’immergea dans le bain public et Onqelos dans la mer. R’ Yehoshua‘ ben Qabusay dit : j’étais avec eux et Rabban Gamliel ne s’immergea que dans la mer. »

Dans cette suite de récits, qui ne sont pas humoristiques, c’est la quatrième anecdote qui nous intéresse. Le récit à propos de Rabban Gamliel et Onqelos prenant un bain à Ascalon semble anodin, mais la remarque de R’ Yehoshua‘ ben Qabusay est significative : le fait que Rabban Gamliel ne s’est immergé que dans la mer sous-entend que s’immerger dans le bain public est problématique. Ce détail confirme les tendances hellénistes de la famille patriarcale des Gamliel, car la fréquentation d’un bain public est partie intégrante d’un mode de vie hellénisé474. L’exemplum à propos de Onqelos et de Rabban Gamliel, suivi de la remarque de R’ Yehoshua‘, présente Onqelos comme le bon exemple à suivre et Rabban Gamliel comme le contreexemple. Ce récit, où la relation de Onqelos le prosélyte avec la famille Gamliel est évoquée en même temps que les tendances hellénisées de cette dernière, permet probablement d’éclairer l’anecdote dans T Shabbat 7, 18. La dimension humoristique des récits dans T Shabbat et T Mo‘ed Qaṭan reste relativement mineure, mais elle est tout de même présente et perceptible. Cette ambiguïté permet à la Tosefta d’exprimer ses réserves vis-à-vis de la position du patriarche en général et de la famille de Rabban Gamliel en particulier. L’humour interne (celui des gens de Kabul) et l’humour 473 La plus grande mesure de volume pour les liquides, l’équivalent de 720 log, c’est-àdire environ 72 litres. 474 M. JACOBS, « Römische Thermenkultur im Spiegel des Talmud Yerushalmi », dans SCHÄFER (éd.), The Talmud Yerushalmi…, vol. 1, p. 219-311.

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narratif expriment une critique implicite de l’autorité de Rabban Gamliel et de son entourage. Les récits critiquent plus particulièrement le comportement des deux fils de Rabban Gamliel, ce qui rappelle les tensions que nous avions déjà pointées dans notre lecture de M Berakhot 1, 1. Ce qui restait largement implicite dans la Mishna est bien plus clairement exprimé par l’humour dans la Tosefta. Il est intéressant de noter deux évolutions opposées dans les deux Talmuds. Le TB rend explicite l’incongruité et l’humour interne tout en validant le comportement des fils de Rabban Gamliel, alors que le TY, ainsi que le montre R. Hidary, critique explicitement le particularisme des Gamliel et de l’institution patriarcale. Au début du troisième siècle, les rédacteurs de la Tosefta expriment leur méfiance à l’égard du patriarche de manière subtilement humoristique, cette critique devient explicite chez les amora’im de Palestine, mais elle est totalement évacuée par leurs homologues babyloniens, qui ne manquent pas de confirmer, cependant, quelques détails humoristiques et incongrus des récits. T Shabbat 12, 17 « On lave dix verres, ainsi au cas où il le voudrait, il pourra boire dans l’un d’eux. On prépare dix lits, ainsi au cas où il le voudrait, il pourra se coucher dans l’un d’eux. Ceux de la maison de Rabban Gamliel ne pliaient pas leurs draps, car ils avaient l’habitude de les changer. »

Cette petite anecdote concerne les habitudes de la maison de Rabban Gamliel où il n’était pas nécessaire de plier les draps, car on les changeait directement. Sans humour, ce passage évoque la richesse et le luxe qui régnaient dans la famille Gamliel, ce qui rappelle aussi l’influence de Rabban Gamliel et sa place privilégiée parmi les rabbins, voire sa fonction de patriarche. T Shabbat 13, 1-3 « Bien qu’ils aient dit que l’on ne doit pas lire les Écrits saints [pendant le shabbat], on peut les répéter et les interpréter, et si l’on doit vérifier quelque chose, on prend [le livre] et on vérifie. R’ Neḥemya demande : pourquoi ontils dit qu’il ne faut pas lire les Écrits saints ? C’est à cause des documents des simples particuliers, afin que l’on dise : si c’est interdit de lire les Écrits saints, a fortiori [il est interdit de lire] les documents des simples particuliers475. Même quand ils sont traduits et rédigés dans toutes les langues, on doit les

475 Shiṭre hedyoṭot : le mot sheṭar signifie document légal ou titre de créance. Selon Rashi (TB Shabbat 116b), ce sont des documents marchands qu’il est interdit de lire pendant le shabbat. Voir aussi TY Shabbat 16, 1.

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sauver [du feu] et on doit les cacher476. R’ Yose dit : il arriva que R’ Ḥalafta aille chez Rabban Gamliel à Tibériade et il le trouva assis sur la table de Yoḥanan ben Nazif, avec dans sa main un livre de Job qu’il lisait. R’ Ḥalafta lui dit : je me souviens de Rabban Gamliel l’ancien, ton grand-père, qui était assis sur une marche au mont du Temple et on lui apporta un livre de Job traduit et il dit au maçon de le cacher sous une pierre477. À ce même moment, Rabban Gamliel envoya cacher [le livre de Job]. R’ Yose fils de R’ Yehuda dit : il mit un mélange de mortier sur lui. Rabbi dit : il y a deux réponses à cela. La première est : il n’y avait pas de mortier sur le mont du Temple. Autre réponse : doit-on les détruire activement ? Non, on les place dans un lieu sale et ils moisissent d’eux-mêmes. »

Nous avons ici une anecdote à propos de Rabban Gamliel II, pris en flagrant délit de « faute » par R’ Ḥalafta, l’un des contemporains de son grand-père Rabban Gamliel l’ancien. R’ Ḥalafta le trouve en effet chez un certain Yoḥanan ben Nazif en train de lire le livre de Job (ou ce que le texte suggère implicitement, une traduction de ce livre)478. Il le réprimande en racontant un souvenir au sujet de Rabban Gamliel l’ancien, qui avait fait le nécessaire, lui, avec le livre de Job. Cette réprimande ne manque pas de faire réagir notre protagoniste qui s’empresse de cacher le livre. Plusieurs détails rendent cette petite anecdote amusante : – La figure éminente prise en flagrant délit qui est un renversement de situation surprenant et amusant ; – Le lieu où se trouve Rabban Gamliel : la maison de Yoḥanan ben Nazif. Or, le verbe nazaf signifie en hébreu « réprimander », « gronder », comme si le lieu où est assis Rabban Gamliel indiquait la suite du récit. C’est un jeu de mots révélateur et intentionnel479 ; – Le caractère allusif de la réprimande qui met en valeur la différence de génération entre les deux protagonistes et inverse la position initiale de Rabban Gamliel. Lui qui est un patriarche et un sage important, devient « le petit fils de… » qui, de plus, n’obéit pas à la halakha ; – La rapidité d’action de Rabban Gamliel qui a très vite reconnu sa faute et son infériorité vis-à-vis de R’ Ḥalafta ; – L’absence de paroles de Rabban Gamliel est également significative. Le parallèle du TY ne mentionne que l’anecdote à propos de Rabban Gamliel l’ancien au Temple. Il ne comporte aucune dimension humoristique. 476

C’est-à-dire qu’il ne faut pas les détruire. C’est-à-dire dans les gravats, un lieu où le livre serait détérioré. 478 H. MACK, Ella mashal haya. Iyyob be-sifrut ha-bayit ha-sheni u-be-‘ene ḥazal, Ramat Gan, 2004, p. 191-207. 479 Les parallèles de ce récit rendent encore plus explicite le jeu de mots dans le nom de Yoḥanan ben Nazif : dans les ms de Leyde et d’Erfurt : Yoḥanan ben ha-nazuf (le réprimandé) ; dans les éditions courantes du TB : Yoḥanan ha-nazuf. 477

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Voici maintenant le parallèle du TB Shabbat 115a : « (…) R’ Yose dit : on ne sauve pas [les Ecritures traduites du feu]. Et R’ Yose dit : histoire de Abba Ḥilafta qui alla chez Rabban Gamliel ben Rabbi à Tibériade et le trouva assis à la table de R’ Yoḥanan ben ha-nazif avec dans sa main une traduction du livre de Job qu’il lisait. Il lui dit : je me souviens de Rabban Gamliel ton grand-père qui se tenait debout sur une marche au mont du Temple et on apporta devant lui un livre de Job traduit et il dit au maçon : enfonce-le sous la rangée de pierres. Lui aussi [Rabban Gamliel ben Rabbi] lui donna l’ordre de le cacher. R’ Yose fils de R’ Yehuda dit : on mit sur lui un tas de mortier. Rabbi dit : il y a deux réponses à cela. La première est : y avaitil du mortier au mont du Temple ? Autre réponse : est-il autorisé de les détruire par sa propre main ? Non, on doit les poser dans un lieu dangereux et elles se détériorent d’elles-mêmes. »

Le récit utilise l’ironie interne (dans le discours de R’ Ḥalafta), un jeu de mots révélateur (le nom de l’hôte de Rabban Gamliel) et la dégradation de la dignité habituelle du protagoniste pour tourner en dérision la figure de Rabban Gamliel. La critique exprimée par cette dérision reste dissimulée : l’anecdote finit par le retour de Rabban Gamliel sur le droit chemin, puisqu’il imite l’action de son grand-père. Cependant, son silence et sa présentation comme un petit-fils égaré restent gravés dans le souvenir du lecteur / auditeur. La Tosefta critique ainsi une figure éminente sans toutefois la décrédibiliser entièrement. L’humour est ici un moyen d’exprimer une critique tout en gardant l’objet de la critique dans le cadre normatif. Cette fonction s’opère à deux niveaux : celui de l’humour interne et celui de l’humour narratif. La critique sociale humoristique qui permet un retour paisible vers le droit chemin est précisément l’une des fonctions du rire mises en avant par Bergson480. À la suite de ce récit, nous trouvons une autre anecdote, reprise notamment dans la suyga parallèle du TB. La deuxième anecdote, qui ne concerne pas Rabban Gamliel, peut aider à confirmer notre analyse de T Shabbat 13, 1-3. T Shabbat 13, 4 « S’ils sont écrits en peinture, en encre rouge, en résine, [on les sauve] et [s’ils sont écrits] en vitriol, on les sauve et on les cache. Les bénédictions, même s’il y a des lettres du Nom et de nombreux passages de la Tora, on ne les sauve pas, mais on les cache et elles sont brûlées sur place. C’est pourquoi on dit : “les scribes de bénédictions sont comme ceux qui brûlent la Tora”. Et il arriva à un scribe [qui copiait des] bénédictions qu’on le dénonce à R’ Yishma‘el et R’ Yishma‘el alla l’examiner. Lorsqu’il montait à l’échelle, il l’a remarqué, il 480 « Le rire est, avant tout, une correction. (…) La société se venge par lui des libertés qu’on a prises avec elle » : BERGSON, Le Rire…, p. 150.

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a pris un livre de bénédictions et l’a mis dans une tasse d’eau. Ainsi, R’ Yishma‘el lui dit : le dernier châtiment fut plus sévère que le premier. »

La Tosefta nous indique ici que, contrairement aux écrits saints, les bénédictions ne doivent pas être sauvées du feu (pendant le shabbat). C’est pourquoi on dit que les scribes des bénédictions sont considérés comme « ceux qui brûlent la Tora ». Cette remarque en soi a déjà une dimension absurde. Ce dicton signifie-t-il qu’il est illégitime d’écrire les bénédictions ? Est-il donc également illégitime de les lire à partir d’un support écrit ? Le dicton est immédiatement suivi d’une anecdote. Un scribe de bénédictions est dénoncé auprès de R’ Yishma‘el qui alla « l’examiner » ou « le vérifier » (le-bodqo). L’objet de la vérification n’est pas précisé, mais il est probable que R’ Yishma‘el cherche à savoir si ce scribe fait partie de ceux qui brûlent la Tora. Cette supposition est confirmée par la suite du récit, car le scribe, qui montait à l’échelle, a tout à coup senti que R’ Yishma‘el l’espionnait. Aussitôt, il prend un volume de bénédictions et le jette dans une tasse d’eau pour prouver qu’il ne brûle pas la Tora. Il fait au contraire le nécessaire pour éviter que le livre de bénédictions ne soit brûlé. Nous avons dans ce récit une véritable situation comique. Un rabbin respectable se faufile chez un scribe anonyme pour l’espionner. Nous pouvons facilement imaginer comment, sans le saluer ni même annoncer sa présence, il monte derrière lui sur l’échelle pour bien l’observer, ce que le scribe ne manque pas de remarquer. Le geste brusque et surprenant du scribe accentue le caractère comique du récit. C’est un geste incongru et complètement absurde. Pour sauver le livre du feu ou plutôt, pour montrer que le livre ne peut pas être détruit par le feu, le scribe le détériore dans l’eau. À ce geste surprenant, R’ Yishma‘el réagit avec une remarque énigmatique481 qui peut être lue de deux manières différentes, soit : « le dernier châtiment est plus dur que le premier », soit : « le châtiment du dernier est plus dur que celui du premier ». Nous ne savons pas non plus qui est châtié. Est-ce le scribe de notre récit ? S’agit-il des groupes mentionnés dans le dicton : les scribes de bénédictions et ceux qui brûlent la Tora ? Ou bien est-ce le livre de bénédictions lui-même qui est châtié ? Nous pouvons donc proposer plusieurs lectures : – Le châtiment infligé au scribe pour le dernier acte, celui d’avoir mis le livre dans une tasse d’eau, est plus sévère que le châtiment qui lui serait infligé pour avoir simplement écrit les bénédictions et ainsi les avoir exposées à un éventuel incendie ; – Le châtiment infligé à ceux qui brûlent la Tora (cités en dernier dans le dicton) est plus sévère que celui infligé aux scribes de bénédictions ; 481

Qashe ‘onesh ha-aḥaron yoter min ha-rishon.

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– Le dernier châtiment infligé au livre de bénédictions, l’immersion dans l’eau, est plus sévère que l’éventualité d’être détruit par le feu. Notre anecdote a une autre dimension humoristique : la halakha qui interdit de sauver les livres de bénédictions du feu est liée au dicton « les scribes de bénédictions sont comme ceux qui brûlent la Tora » et elle contribue à l’expliquer. Il est clair que les scribes des bénédictions ne passent pas leur temps à brûler des copies de la Tora, c’est une comparaison qui exprime deux choses à la fois : – Le danger réel pour ces bénédictions d’être détruites par le feu dans le cas d’un incendie qui a lieu pendant le shabbat. Précisons qu’il s’agit seulement d’une éventualité et non d’une certitude ; – Il est fort possible que le dicton soit lié à l’interdit de mettre par écrit la Tora orale482. Que ce soit pour la première signification ou pour la seconde, la comparaison entre les scribes et ceux qui brûlent la Tora reste abstraite ou métaphorique. Or, l’anecdote interprète le dicton d’une manière tout à fait concrète. Le scribe met le livre dans l’eau afin qu’il ne puisse pas être brûlé. Il pense le protéger ou au moins veut montrer à R’ Yishma‘el qu’il n’est pas concrètement quelqu’un qui brûle la Tora. L’anecdote propose donc une lecture littérale du proverbe métaphorique : c’est un procédé humoristique souligné par Bergson : « On obtient un effet comique quand on affecte d’entendre une expression au propre alors qu’elle était employée au figuré. […] Dès que notre attention se concentre sur la matérialité d’une métaphore, l’idée exprimée devient comique483. » Quelle est la fonction de l’humour dans ce passage ? Du point de vue halakhique, la question centrale est la rédaction des bénédictions. En précisant que l’on n’a pas le droit de sauver les bénédictions écrites du feu pendant le shabbat, la halakha crée, certes, une hiérarchie entre les Écrits saints et les bénédictions, qui ont un statut inférieur, mais, en même temps, elle reconnaît la légitimité de la rédaction des bénédictions. Si cela était totalement interdit, la Tosefta nous l’aurait précisé. Il y a donc une ambiguïté du statut des bénédictions : d’une part, leur rédaction est tolérée, d’autre part, elle est critiquée et reste marginale voire suspecte. L’anecdote est en parfait accord avec cette ambiguïté. Un groupe anonyme dénonce le scribe à R’ Yishma‘el et ce dernier va le surveiller. Ces détails montrent que le scribe

482 Voir STEMBERGER, Introduction…, p. 57-71, qui affirme le caractère principalement oral de l’enseignement rabbinique, mais évoque également l’existence de textes écrits destinés à l’usage privé. 483 BERGSON, Le Rire…, p. 87-88.

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est suspect, et son activité n’est pas tout à fait légitime484. Cependant, le récit ne relate pas de conséquences graves pour ce scribe, et il contient seulement une remarque énigmatique du sage, sans préciser si le scribe doit être châtié, et ce que serait la nature de son châtiment. En fait, le récit tourne en dérision la figure du scribe qui agit de manière absurde et entend au sens littéral le proverbe métaphorique. La succession de ces deux anecdotes (celle sur Rabban Gamliel et le livre de Job, celle sur R’ Yishma‘el et le scribe) nous incite à les comparer. Dans les deux récits, un protagoniste agit de manière non conforme et un autre le réprimande. Rabban Gamliel, le « fautif » dans la première anecdote, est analogue au scribe dans la seconde, et R’ Ḥalafta à R’ Yishma‘el. Cette comparaison est significative dans la mesure où elle confirme la critique que la Tosefta exprime envers Rabban Gamliel et peut ainsi appuyer notre lecture qui insiste sur la dérision. Le rédacteur de la Tosefta tourne en dérision les deux personnages qui agissent mal, le scribe et Rabban Gamliel. Notons également un petit détail textuel : le mot lashon, central dans l’enseignement de la halakha dans le paragraphe 2, est repris dans l’anecdote du paragraphe 4. R’ Yishma‘el répond au scribe « par cette langue » (lashon ze). Cet écho textuel appuie notre démarche comparative des deux anecdotes. L’anecdote suivante concerne Rabban Gamliel et trois autres sages très importants qui sont les piliers de la littérature tannaïtique, R’ ‘Aqiba, R’ Yehoshua‘ et R’ Ele‘azar ben ‘Azarya. M ‘Erubin 4, 1-2 « Celui qui a été sorti [du domaine permis du shabbat] par des non-juifs485 ou par un mauvais esprit486 n’a plus que quatre coudées [comme domaine autorisé au déplacement]. S’il a été ramené [par ces mêmes personnes], c’est comme s’il n’était pas sorti. Si on l’a mené vers une autre ville, on l’a mis dans une bergerie ou dans un enclos, Rabban Gamliel et R’ Ele‘azar ben ‘Azarya disent qu’il peut se déplacer partout [dans cet espace donné, alors que] R’ Yehoshua‘ et R’ ‘Aqiba disent qu’il n’a que quatre coudées [pour se déplacer]. Une fois ils revenaient [tous quatre] de Brindisi487 et leur bateau voguait en mer. Rabban Gamliel et R’ Ele‘azar ben ‘Azarya se déplaçaient dans tout le bateau, alors que R’ Yehoshua‘ et R’ ‘Aqiba ne bougeaient pas de l’espace de quatre coudées, c’est-à-dire qu’ils voulaient s’imposer des mesures strictes. Une fois, [il arriva qu’] ils ne rentrent pas au port avant la tombée de la nuit. Ils demandèrent à Rabban Gamliel : pouvons-nous descendre ? Il leur répondit : c’est 484 Sur la rivalité entre les sages et les scribes, voir C. HEZSER, The Social Structure of the Rabbinic Movement in Roman Palestine, Tübingen, 1997, p. 467-475. 485 Goyim. 486 Selon Rashi, une folie passagère. 487 En Italie.

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autorisé, car j’étais attentif et nous sommes arrivés dans le domaine [du shabbat488] avant la tombée de la nuit. »

Ici, après des précisions halakhiques qui expriment leur désaccord mutuel, nous avons un récit où les quatre rabbins confirment par leur comportement leurs enseignements théoriques. L’image de deux des sages qui se déplacent librement dans le bateau face aux deux autres restreints dans une petite superficie de quatre coudées peut déjà nous paraître comique. Ces quatre rabbins sont les protagonistes d’autres récits de voyage dans la littérature tannaïtique, notamment Sifre Debarim 43, où s’exprime l’humour de R’ ‘Aqiba489. Notons également que Rabban Gamliel est le protagoniste de plusieurs récits relatant des voyages en mer. Nous avons analysé le récit de T Sukka 2, 11 (p. 95). Il faut également noter plusieurs récits édifiants sans humour qui mettent en avant l’autorité de Rabban Gamliel : M Shabbat 16, 8 (parallèle : T Shabbat 13, 14), et M Ma‘aser Sheni 5, 9. C. Hezser avance que « la mobilité et la communication étaient essentielles pour établir les rapports d’autorité entre les rabbins. Les rabbins qui étaient les plus mobiles et qui maintenaient les liens les plus importants avec des collègues et avec des laïcs seraient les plus influents dans le réseau rabbinique »490. Cette description correspond bien à la figure de Rabban Gamliel dans ces récits. M ‘Erubin 6, 2 « Rabban Gamliel raconte : voici ce qui arriva une fois avec un sadducéen qui habitait avec nous dans la [même] rue à Jérusalem. Mon père nous a dit : dépêchez-vous de sortir tous les ustensiles dans la rue avant qu’il ne sorte les siens et que cela vous soit interdit. R’ Yehuda le dit autrement [il pense que le père de Rabban Gamliel a plutôt dit] : dépêchez-vous de faire tout ce qu’il faut dans ma rue, avant qu’il ne sorte [ses affaires] et que cela vous soit interdit. »

Les rabbins ont institué la loi du mélange des cours, qui permet à deux familles juives de fusionner symboliquement leurs espaces privatifs extérieurs et ainsi d’élargir l’espace où les déplacements d’objets sont autorisés pendant le shabbat. Mais qu’en est-il lorsque l’espace extérieur est partagé entre juifs et non-juifs ? Le début du sixième chapitre du traité ‘Erubin de la Mishna concerne précisément ce cas. La transformation d’un espace partagé (semi-public) en un espace privatif via le ‘erub n’est pas autorisée, lorsqu’il s’agit d’un non-juif ou d’une personne qui ne reconnaît pas la loi du ‘erub (c’est-à-dire la loi rabbinique). Ce sont les paroles de R’ Me’ir 488 489 490

Probablement le domaine shabbatique de la ville portuaire. Voir annexe 3. C. HEZSER, Jewish Travel in Antiquity, Tübingen, 2011, p. 413.

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(attribution absente du manuscrit). R’ Eli‘ezer ben Ya‘aqob réduit la portée de cet interdit à un cas où au moins deux juifs habiteraient la même rue avec un non-juif (ou un juif non rabbinique). Selon Bertinoro, dans ce cas, le juif doit louer l’espace du non-juif, mais ce dernier ne sera pas forcément disposé à accepter une telle affaire, ce qui limiterait les mouvements des juifs habitant avec des non-juifs, pendant le shabbat. Bertinoro avance que cette mesure était destinée à dissuader les juifs d’habiter à proximité des non-juifs. Notre récit, raconté par Rabban Gamliel, concerne un sadducéen, qui, ainsi que nous le savons, ne reconnaît pas la loi rabbinique, et rentre dans la catégorie mentionnée dans la première mishna. Rabban Gamliel pense autrement : selon lui, le sadducéen est considéré comme un juif. Il raconte un récit pour prouver son opinion, selon lequel même son père considérait le sadducéen comme un juif, puisqu’il pensait que le sadducéen, après avoir renoncé à ses droits de propriété, pourrait, en posant ses ustensiles dans la rue, revenir sur sa décision491. R’ Yehuda n’est pas d’accord et apporte une autre version de ce qu’aurait pu dire le père de Rabban Gamliel, montrant que le sadducéen est considéré comme un non-juif492. R’ Yehuda réfute sans grande difficulté Rabban Gamliel, mais il semble que ce récit ne comporte pas d’humour. T Pesaḥim 3, 11 Si le premier soir de Pesaḥ tombe un jour de shabbat, la Tosefta indique qu’il faut nettoyer tout le levain la veille du shabbat, puis elle relate une controverse entre R’ Me’ir et les sages à propos de la teruma pure et impure. Selon R’ Me’ir, il faut supprimer le pain levé de teruma avant le shabbat et selon les sages pendant le shabbat. R’ Ele‘azar fils de R’ Ṣadoq propose de résoudre la controverse en disant que la teruma dont les bénéficiaires sont peu nombreux peut être détruite avant le shabbat, alors que le ḥullin dont les bénéficiaires sont nombreux doit être détruit plus tard, pendant le shabbat. « R’ Ele‘azar fils de R’ Ṣadoq raconte : une fois, alors que nous étions assis devant Rabban Gamliel dans la maison d’étude à Lod, vint Zonan le responsable et il dit : il est temps de nettoyer le levain. Nous sommes allés, moi et mon père, à la maison de Rabban Gamliel et nous avons nettoyé le levain. » 491 Un juif peut renoncer à ses droits de propriété, de manière à permettre à tous les autres juifs habitant l’allée d’effectuer le ‘erub. 492 Si Rabban Gamliel demande à ses fils de satisfaire tous leurs besoins avant que le jour ne se termine (il faut dans ce cas lire ainsi le texte : « avant qu’il [le jour] ne sorte »), c’est que, contrairement à un juif, le sadducéen n’a pas la possibilité de renoncer à ses droits de propriété.

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Ce récit ne semble pas à première lecture humoristique. Cependant, certains détails nous paraissent énigmatiques. La situation initiale est celle de l’étude. R’ Ele‘azar et son père sont assis devant Rabban Gamliel. Cette situation indique que c’est ce dernier qui dirige la session d’étude. Il est dans une position supérieure de dirigeant. Après l’annonce de Zonan le responsable, dont l’objet de la responsabilité n’est pas précisé, les deux sages s’en vont nettoyer le levain… chez Rabban Gamliel ! Pourquoi donc ne rentrent-ils pas chez eux préparer leur propre maison pour la fête ? Nous allons comparer notre récit avec son parallèle dans TB Pesaḥim 49a : « R’ Ele‘azar fils de R’ Ṣadoq raconte : une fois, mon père s’arrêta pour le shabbat à Yabne et le 14 [Nisan] tombait [précisément ce] shabbat. Zonan, le responsable de la maison de Rabban Gamliel, vint et dit : rentrez chez vous, car l’heure du nettoyage [du levain] est arrivée. J’ai suivi mon père et nous avons nettoyé le levain. »

La version du TB est différente de celle de la Tosefta. Le lien avec l’enseignement halakhique y est mis en évidence : il s’agit bien d’un 14 Nisan qui tombe un jour de shabbat, alors que ceci n’est que sous-entendu dans la Tosefta. La ville n’est pas la même : Lod dans la Tosefta, Yabne dans le TB. Le personnage de Zonan ne semble pas avoir tout à fait la même fonction dans les deux textes. Dans la Tosefta, il est qualifié de « responsable » sans que l’objet de sa responsabilité soit précisé. Dans le texte du TB, Zonan est qualifié de « responsable de la maison de Rabban Gamliel », une sorte d’intendant personnel, une fonction qui relève de la sphère privée, à caractère plutôt technique. Dans Tosefta Ki-fshutah, en revanche, S. Lieberman indique que ce personnage est identique à Zonan le ḥazzan (surintendant ou crieur), mentionné dans TY Berakhot 4, 1. Ceci donne une allure publique à sa responsabilité, liée à une fonction dans la « maison du conseil », pour reprendre le terme du TY (bet ha-wa‘ad) (pouvons-nous également parler d’une fonction liturgique à la synagogue ?). Ce rapprochement entre le Zonan de la Tosefta et celui du TY pourrait se révéler suggestif. Le personnage de Zonan le responsable apparaît dans la version palestinienne (TY Berakhot 4, 1) du récit de la destitution de Rabban Gamliel et de son remplacement temporaire par R’ Ele‘azar ben ‘Azarya. « Histoire d’un disciple qui vint et demanda à R’ Yehoshua‘ : la prière du soir, qu’en est-il ? Il dit : facultative. Il vint et demanda à Rabban Gamliel : la prière du soir, qu’en est-il ? Il lui dit : obligatoire. [Le disciple] lui dit : voici que R’ Yehoshua‘ m’a dit qu’elle était facultative. [Rabban Gamliel] lui dit : demain, lorsque j’entrerai dans la maison du conseil, lève-toi et interroge [à propos] de cette halakha. Le lendemain, le disciple se leva et interrogea Rabban Gamliel : la prière du soir, qu’en est-il ? Il lui dit : elle est obligatoire. Le disciple répondit : mais R’ Yehoshua‘ m’a dit qu’elle était facultative.

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Rabban Gamliel demanda à R’ Yehoshua‘ : est-ce toi qui dis qu’elle est facultative ? R’ Yehoshua‘ lui dit : non. Rabban Gamliel lui dit : lève-toi sur tes jambes et qu’ils témoignent pour toi. Rabban Gamliel était assis et il enseignait alors que R’ Yehoshua‘ était debout sur ses jambes, jusqu’à ce que tout le peuple proteste et dise à R’ Ḥuṣpit l’interprète : laisse le peuple partir ! [Puis] ils dirent à R’ Zinon493 le crieur494 : parle ! Et il leur dit : commencez ! Et tous se mirent debout sur leurs jambes et lui dirent : (Na 3, 19) car sur qui ton mal ne passe pas en perpétuité495  ? Ils allèrent et nommèrent R’ Ele‘azar ben ‘Azarya dans la session, alors qu’il avait seize ans, et sa tête se remplit [soudain] de cheveux blancs. Et R’ ‘Aqiba était assis et se lamentait disant : ce n’est pas qu’il est fils de Tora plus que moi, mais il est fils de grands plus que moi. Heureux est l’homme dont les pères ont obtenu le mérite pour lui. Heureux est l’homme qui a un piquet auquel il peut s’accrocher. Et quel était le piquet de R’ Ele‘azar ben ‘Azarya ? Il était [descendant] d’Esdras, à la dixième génération et certains disent que ses yeux ressemblaient aux siens. Et combien de bancs y avait-il ? R’ Ya‘aqob ben Sisi dit : il y avait quatre-vingts bancs de disciples de sages sans compter ceux qui se tenaient debout derrière la clôture. C’est ce que nous avons enseigné là-bas : “le jour où ils firent asseoir R’ Ele‘azar ben ‘Azarya dans la session” (M Zebaḥim, 1, 3). Là-bas nous avons enseigné : “voici l’enseignement qu’enseigna R’ Ele‘azar ben ‘Azarya devant les sages dans la vigne à Yabne” (M Ketubbot 4, 6). Et y avait-il une vigne ? En fait, ce sont les disciples des sages qui étaient rangés en lignes comme une vigne. Aussitôt, Rabban Gamliel s’en alla chez chacun d’eux afin de les apaiser chez eux. Il alla auprès de R’ Yehoshua‘ et le trouva assis en train de fabriquer des aiguilles, et lui dit : c’est ainsi que tu gagnes ta vie ? [R’ Yehoshua‘] lui dit : et ce n’est que maintenant que tu veux [le] savoir ? Malheur à la génération dont tu pourvois aux besoins ! [Rabban Gamliel] lui dit : je te demande pardon. Et ils envoyèrent auprès de R’ Ele‘azar ben ‘Azarya un blanchisseur, et certains disent que c’était R’ ‘Aqiba qui lui dit : celui qui est un éclabousseur, fils d’éclabousseur, éclaboussera. Celui qui n’est ni éclabousseur, ni fils d’éclabousseur dira à l’éclabousseur, fils d’éclabousseur : tes eaux proviennent d’une cave et ta cendre d’un four496. [R’ Ele‘azar ben ‘Azarya] lui dit : vous êtes apaisés. Moi et vous nous sommes soumis à Rabban Gamliel. Quand bien même, ils ne l’ont pas déchu de sa gloire, mais l’ont nommé chef du tribunal. »

Dans son article à propos de la déposition de Rabban Gamliel, H. Shapira497 propose une analyse critique et comparative de TY Berakhot 4, 1 et TB Berakhot 27b-28a. Tout en avançant que le récit de la déposition de Rabban 493

Une variante orthographique du nom. Nous préférons traduire ainsi dans le contexte du TY. 495 Traduction très littérale. Il semble que l’assemblée mobilise ce verset pour dénoncer l’abus d’autorité de Rabban Gamliel : ses membres lui posent cette question rhétorique et déclarent en même temps qu’ils sont tous, comme R’ Yehoshua‘, victimes de son abus. 496 Et non des eaux vives et des cendres de la vache rousse comme indiqué dans Nb 19, 2 et 7. 497 H. SHAPIRA, « The Deposition of Rabban Gamaliel. Between History and Legend » (en hébreu), Zion 64, 1999, p. 5-38. Voir aussi S. LIEBERMAN, Tosefta Ki-fshutah. Mo‘ed, vol. 4, Newark, 1962, p. 153-154. 494

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Gamliel de ses fonctions (indéterminées dans le TY et probablement patriarcales dans le TB) est une construction amoraïque qui n’a aucun lien avec la réalité historique de l’époque de Yabne, Shapira repère un noyau tannaïtique dans le récit. Ce noyau tannaïtique, raconté en hébreu et commun aux deux Talmuds, correspond à la première partie du récit : un différend halakhique entre Rabban Gamliel et R’ Yehoshua‘, à la suite duquel Rabban Gamliel se montre excessivement autoritaire et humilie publiquement R’ Yehoshua‘, ce qui cause la révolte du peuple et sa protestation publique. Ce noyau considéré comme tannaïtique par Shapira est précisément la partie du récit qui nous intéresse, car le personnage de Zonan le crieur en fait partie. Si nous suivons la remarque de S. Lieberman qui identifie le Zonan de notre récit de la Tosefta à Zinon le crieur du TY, d’une part, et l’opinion de H. Shapira disant que le début du récit dans TY est tannaïtique, de l’autre, nous pouvons supposer que les auteurs de la Tosefta connaissaient le récit de la révolte dans la maison du conseil. Ces éléments peuvent expliquer l’anomalie que nous avons trouvée dans le récit de la Tosefta  : pourquoi R’ Ele‘azar et son père R’ Ṣadoq vont-ils nettoyer le levain dans la maison de Rabban Gamliel ? Et pourquoi la formulation du récit est-elle si elliptique de manière générale ? Il est probable que la mention de Zonan le crieur soit la clé du problème, liant notre récit de la Tosefta au problème récurrent de l’autorité excessive exercée par Rabban Gamliel. Ce problème est notamment présent dans un autre récit où Rabban Gamliel se montre autoritaire et humilie R’ Yehoshua‘. M Rosh ha-shana 2, 8-9 « Rabban Gamliel avait des modèles de la lune sous diverses formes dans son grenier sur un tableau et sur le mur. Il les montrait aux simples particuliers en disant : est-ce une forme comme ceci que tu as vue, ou comme ceci ? Une fois, deux témoins vinrent et dirent : nous avons vu la lune à l’aube à l’est et au crépuscule à l’ouest. R’ Yoḥanan ben Nuri dit : ce sont de faux témoins et lorsqu’ils sont arrivés à Yabne, Rabban Gamliel reçut leur témoignage. Une deuxième fois, deux témoins vinrent et dirent : nous l’avons vue au moment prévu, mais la nuit suivante, lorsqu’elle devait être clairement visible, elle ne l’était pas. Et Rabban Gamliel a reçu leur témoignage. R’ Dosa ben Arkines dit : ce sont de faux témoins. Comment peut-on témoigner qu’une femme a accouché et le lendemain qu’elle est enceinte jusqu’aux dents ? R’ Yehoshua‘ lui dit : je vois [la logique dans] tes paroles. Rabban Gamliel lui envoya [un message disant] : je décrète que tu dois venir chez moi avec ton bâton et ton argent le jour où Yom ha-kippurim doit avoir lieu selon ton calcul. R’ ‘Aqiba alla [le voir] et le trouva en grande détresse. Il lui dit : je dois apprendre que tout ce qu’a fait Rabban Gamliel est vraiment fait, car il est écrit : (Lv 23, 4) voici les temps désignés de l’Eternel, les lectures saintes que vous appellerez, qu’ils soient [fixés] à leurs temps justes ou non, je n’ai pas d’autres temps

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désignés que ceux-là. [R’ Yehoshua‘] s’en alla chez R’ Dosa ben Arkines qui lui dit : si nous nous mettons à remettre en question le tribunal de Rabban Gamliel, nous devons remettre en question tous les tribunaux depuis le temps de Moïse jusqu’au temps présent puisqu’il est écrit : (Ex 24, 9) Moïse monta avec Aaron, Nadab et Abihou et soixante-dix hommes parmi les anciens d’Israël. Et pourquoi les noms des anciens ne sont-ils pas mentionnés ? Ce n’est que pour t’enseigner que chaque groupe de trois anciens qui a formé un tribunal, le voici égal au tribunal de Moïse. [R’ Yehoshua‘] prit son bâton et son argent dans sa main et partit vers Yabne chez Rabban Gamliel le jour où Yom ha-kippurim avait lieu selon son calcul. Rabban Gamliel se leva et lui donna un baiser sur sa tête et lui dit : viens en paix, mon maître et mon disciple. Mon maître en sagesse, et mon disciple, car tu t’es soumis à mes paroles. »

Ce récit, long et très riche, ce qui est assez inhabituel dans la Mishna, mérite notre attention, bien que la dimension humoristique y soit mineure et dissimulée. La mishna 8 marque le passage d’une description anonyme et générale de la fixation du calendrier par le tribunal, à un récit traitant spécifiquement du tribunal de Rabban Gamliel à Yabne. Dans les deux anecdotes, Rabban Gamliel accepte des témoignages rejetés par trois rabbins opposants : R’ Yoḥanan ben Nuri, R’ Dosa ben Arkines, et R’ Yehoshua‘. Il y a un trait humoristique dans la remarque de R’ Dosa ben Arkines, qui compare la lune à une femme enceinte et montre par cette comparaison amusée l’absurdité du témoignage. Cette remarque relève de l’humour interne : R’ Dosa critique Rabban Gamliel avec une question rhétorique qui comporte une parabole, et cette comparaison humoristique est une manière d’adoucir la critique émise. La prudence de R’ Dosa semble nécessaire, car Rabban Gamliel est décrit comme très autoritaire. Ceci est confirmé dans la mishna suivante où Rabban Gamliel oblige R’ Yehoshua‘ à reconnaître le calendrier fixé par le tribunal en profanant Yom ha-kippurim selon son propre calcul. Si la Mishna est généralement avare en récits et encore plus en descriptions d’émotions, nous avons ici l’exception qui confirme la règle : un long récit qui relate les états d’âme du pauvre R’ Yehoshua‘. Il reste chez lui en grande détresse, et R’ ‘Aqiba vient le voir pour le convaincre de se soumettre à l’autorité de Rabban Gamliel. Après avoir entendu cet argument, R’ Yehoshua‘ ne semble pas convaincu, car il va voir R’ Dosa ben Arkines, celui qui s’est permis dans la mishna précédente de critiquer Rabban Gamliel avec un peu d’humour. Nous pouvons aisément imaginer que R’ Yehoshua‘ espère trouver un soutien auprès de lui, mais R’ Dosa n’est pas un frondeur. Il conseille, lui aussi, à R’ Yehoshua‘ de se soumettre à l’autorité centrale. Ainsi, le pauvre sage se voit contraint de profaner le jour le plus sacré dans le calendrier. La Mishna nous le décrit avec son bâton et son argent en main. Nous pouvons aisément imaginer l’humiliation de ce sage, qui n’est plus tout jeune et qui doit se soumettre à l’autorité cruelle de son

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collègue. La figure de R’ Yehoshua‘ dans ce récit est décrite de manière à la fois comique, triste et touchante. À son arrivée, R’ Yehoshua‘ est accueilli chaleureusement par Rabban Gamliel qui le félicite de s’être soumis au décret. Rabban Gamliel se comporte comme un maître à l’égard de son disciple. Le baiser sur la tête marque sa supériorité à l’égard de R’ Yehoshua‘. Il est également très bavard, ce qui forme un contraste avec le silence du visiteur. Cependant, Rabban Gamliel reconnaît que R’ Yehoshua‘ le surpasse en sagesse. Est-ce une remarque ironique ? Mielleuse ? Ou bien est-ce la confirmation que ce récit serait une présentation grotesque de l’autorité arbitraire de Rabban Gamliel ? Il n’est donc pas impossible que le noyau du récit dans TY Berakhot 4, 1 soit réellement tannaïtique ainsi que le soutient H. Shapira. Ce noyau reflète des préoccupations tannaïtiques concernant les aspects problématiques de l’autorité exercée par Rabban Gamliel, aspects que nous trouvons dans plusieurs passages de la Mishna et la Tosefta. L’anomalie que nous avons relevée dans le récit de T Pesaḥim 3, 11 se retrouve dans d’autres passages qui remettent en cause les excès d’autorité de Rabban Gamliel tout en adoptant une position ambivalente à son égard : d’une part, Rabban Gamliel avait un statut privilégié reconnu par ses pairs, d’autre part, les sages intègrent dans leurs récits des nuances humoristiques pour dénoncer ses abus d’autorité. M Sukka 2, 4-5 « … On mange et on boit une collation rapide [même] en dehors de la cabane. Il arriva que l’on apporte devant Rabban Yoḥanan ben Zakkay un plat cuisiné à goûter et à Rabban Gamliel deux dattes et un seau d’eau et ils dirent : faitesles monter dans la cabane. Et lorsque l’on donna à R’ Ṣadoq à manger moins que le volume d’un œuf, il prit la nourriture dans la serviette et la mangea en dehors de la cabane et ne prononça pas l’action de grâce après l’avoir mangée. »

Selon Bertinoro, les deux premiers protagonistes se montrent plus stricts que nécessaire en mangeant même une collation rapide dans la cabane, alors que la halakha permet qu’elle soit consommée à l’extérieur. Il explique également les différents gestes de R’ Ṣadoq. Ce dernier suit la halakha en prenant sa collation rapide à l’extérieur de la cabane. Il s’empare de la nourriture qu’on lui a donnée avec une serviette pour éviter de se laver les mains au préalable, et puisque c’est un petit repas, rapide et insignifiant, il ne dit pas l’action de grâce après manger. À partir du commentaire traditionnel, le comportement des trois rabbins est parfaitement cohérent. Cependant, il nous semble que cette explication « lissante » n’est pas satisfaisante. Tout d’abord, on peut remettre en question le caractère rapide

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et occasionnel de la collation proposée aux deux premiers protagonistes. On apporte à Rabban Yoḥanan ben Zakkay un plat cuisiné. C’est uniquement pour le goûter, certes, mais la quantité n’est pas précisée et la nature du plat convient plutôt à un vrai repas qu’à une petite collation. À Rabban Gamliel, on apporte réellement une quantité de nourriture insignifiante (deux dattes), mais elle est accompagnée par de l’eau en grande quantité. Ce texte montre un contraste entre les deux premiers protagonistes et le troisième. Si les deux premiers sont présentés, en effet, comme très pieux puisqu’ils s’astreignent à une attitude plus stricte que nécessaire, R’ Ṣadoq est décrit, il nous semble, avec dérision. La description de son geste – s’emparer de la nourriture (à l’identité indéterminée) avec une serviette pour éviter de se laver les mains – implique qu’il était pressé de manger. Le contraste avec Rabban Yoḥanan ben Zakkay et Rabban Gamliel accentue son comportement hâtif et le présente ainsi sous un angle ridicule, presque comme un glouton. L’attitude de R’ Ṣadoq, tournée légèrement en dérision, met en valeur le comportement strict et pieux des deux autres rabbins. Ainsi, si par une lecture sérieuse et lissante, le comportement de R’ Ṣadoq confirme la halakha précédente, la lecture légèrement humoristique conforterait l’attitude stricte comme l’exemple à suivre. Ici, la légère nuance humoristique a donc une fonction didactique et sociale. T Sukka 4, 4 « Histoire de Rabban Shim‘on ben Gamliel qui dansait avec huit torches enflammées et aucune ne touchait le sol. Et lorsqu’il faisait sa révérence, il posait son doigt par terre, se pliait et se redressait aussitôt. »

Dans ce passage, nous avons l’image d’un grand sage qui danse ou jongle avec des torches. Rabban Shim‘on ben Gamliel agit comme les pieux et les faiseurs de miracles mentionnés dans le deuxième paragraphe du chapitre. En cela, il dépasse les limites de la communauté rabbinique proprement dite et il surpasse également dans sa danse les danseurs « attitrés ». Le nombre de torches qu’il manipule semble excessif et la description de ses révérences montre une maîtrise exceptionnelle de son art : faire la révérence en touchant le sol tout en continuant à jongler avec huit torches en feu ! Ce récit ouvre une série de récits nostalgiques sur la grande joie de la fête de l’eau au Temple ou à l’époque du Temple. L’ambiance générale dans ces récits est celle de l’exagération nostalgique : tout était beau, grandiose et magnifique dans le passé. Ces passages évoquent le genre littéraire du grand conte. L’exagération qui touche au grotesque peut-elle être interprétée ici aussi comme une forme d’autodérision de la part des rédacteurs ?

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M Beṣa 2, 6 « Pour trois choses, Rabban Gamliel adoptait l’opinion stricte de l’école de Shammay : on ne préserve pas l’eau chaude le jour de fête pour [y cuisiner] pendant le shabbat, on ne redresse pas la bougie un jour de fête et on ne fait pas de grosses miches de pain, mais des petites. Rabban Gamliel dit : depuis l’époque de la maison de mon père, on ne fait le pain qu’en petites miches. On lui a dit : que pouvons-nous leur faire à [ceux de] la maison de ton père qui adoptaient l’opinion stricte pour eux-mêmes et laissaient tout Israël suivre l’opinion permissive et préparer de grosses et de petites miches498 ?! »

Le sujet de cette mishna n’a rien d’humoristique, mais une note d’amusement ou d’ironie est perceptible dans la question rhétorique des sages (le groupe anonyme). C’est une façon délicate d’informer Rabban Gamliel que son opinion et son exemple ne sont pas suivis par la halakha. L’humour des sages (au premier niveau) a ici une fonction sociale : il exprime la critique d’une manière douce et atténuée. T Yom Ṭob 2, 12 « Ceux de la maison de Rabban Gamliel ne redressaient pas une bougie le soir d’un jour de fête. Et il arriva à Rabban Gamliel et aux anciens, lorsqu’ils étaient attablés à Rome, qu’une bougie tombe le soir d’un jour de fête et R’ ‘Aqiba se leva et la redressa. Rabban Gamliel lui dit : ‘Aqiba, pourquoi te places-tu dans499 les controverses ? Il lui dit : Rabbi, tu nous as enseigné de suivre la majorité (Ex 23, 2). Quand bien même tu l’interdis, puisqu’ils le permettent, la halakha est fixée selon la majorité. R’ Yehuda dit au nom de Rabban Gamliel : on déplace la lampe pendant le jour de fête, mais [si elle tombe], on ne la redresse pas. »

Comme nous l’indique la Mishna (Beṣa 2, 6 et ‘Eduyot 3, 10), Rabban Gamliel adoptait l’opinion stricte sur trois points de halakha, dont la question de la bougie qui tombe et qu’il faut redresser. L’anecdote dans la Tosefta relate l’action de R’ ‘Aqiba qui défie son maître en redressant la lampe qui est tombée. Rabban Gamliel le réprimande et l’accuse de se mêler d’une controverse qui ne le regarde pas, ce à quoi R’ ‘Aqiba répond avec un trait d’ironie socratique, puisqu’il feint l’innocence pour justifier son action. Il s’agit donc ici de l’humour rabbinique interne. T Yom Ṭob 2, 13 « Ceux de la maison de Rabban Gamliel lavaient [le sol] entre les lits un jour de fête. R’ Ele‘azar fils de R’ Ṣadoq dit : nous avons mangé de nombreuses 498 Parallèle : M ‘Eduyot 3, 10, avec une petite variante concernant le pain : ce ne sont pas de grosses ou de petites miches mais du pain tressé ou plat. 499 Littéralement : « pourquoi mets-tu ta tête entre les controverses ? »

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fois dans la maison de Rabban Gamliel et je ne les ai pas vus laver les lits, mais ils étendaient des draps la veille du jour de fête et lorsque des invités entraient, ils les enlevaient. On lui dit : dans ce cas, même pendant le shabbat, c’est autorisé de faire ainsi. »

Dans ce paragraphe, une autre coutume de la maison de Rabban Gamliel est abordée. Cette fois, il s’agit de la question de la propreté et du nettoyage autorisé ou non pendant un jour de fête. Si l’opinion anonyme indique que dans la maison de Rabban Gamliel on lavait le sol entre les lits (ce sont probablement les lits sur lesquels on s’allongeait pour manger) pendant un jour de fête, R’ Ele‘azar fils de R’ Ṣadoq nie cette information. Selon lui, on ne lavait pas entre les lits, mais on les couvrait simplement d’un drap pour éviter qu’ils ne se salissent, un drap que l’on enlevait juste avant l’arrivée des invités. Cette négation de l’avis anonyme pourrait contenir un trait de dérision, qui se moquerait des pratiques douteuses de la maison de Gamliel en matière d’hygiène. T Yom Ṭob 2, 14 « Ceux de la maison de Rabban Gamliel faisaient entrer les épices à brûler [de fin de repas] dans un contenant fermé [sous-vide]. R’ Ele‘azar fils de R’ Ṣadoq dit : nous avons mangé de nombreuses fois à la maison de Rabban Gamliel et je ne les ai jamais vus faire entrer les épices à brûler dans un contenant fermé, mais ils faisaient plutôt fumer les épices dans des caisses [métalliques] à partir de la veille d’un jour de fête et lorsque des invités entraient, ils les ouvraient. On lui dit : dans ce cas, même pendant le shabbat, c’est autorisé de faire ainsi. »

Ce paragraphe présente des coutumes de la maison de Rabban Gamliel, qui servent de base pour fixer la halakha. T Yom Ṭob 2, 15 « Que signifie un chevreau casqué ? Il est entièrement rôti, sa tête, ses membres et ses entrailles. Si la moindre part est cuite ou pochée, ce n’est pas un chevreau casqué. On fait un chevreau casqué au premier jour de la fête [de Sukkot] et au dernier jour de Pesaḥ. Un veau casqué au premier jour de Pesaḥ, mais pas un chevreau casqué. R’ Yose dit : Thodos de Rome apprenait aux gens de Rome à prendre des agneaux les veilles de Pesaḥ et à les préparer casqués. On lui dit : il n’est pas loin de faire manger des aliments consacrés500 à l’extérieur [du Temple], car ils sont appelés Pesaḥim. »

Dans ce paragraphe qui n’est pas humoristique, R’ Yose évoque Thodos de Rome. La place de ce récit dans une succession d’anecdotes à propos de 500

Qodashim.

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Rabban Gamliel paraît étrange à première vue. Une analyse intertextuelle nous permet néanmoins d’établir un lien entre ce récit et son contexte : la Tosefta compare en fait Thodos de Rome à Rabban Gamliel, comme nous le verrons ci-après. T Yom Ṭob 2, 16 « Ceux de la maison de Rabban Gamliel avaient l’habitude de moudre les poivres avec leurs meules. R’ Ele‘azar fils de R’ Ṣadoq dit : une fois, mon père était attablé devant Rabban Gamliel et on apporta devant lui des plats à base de poisson assaisonnés de poivre moulu et mon père a retiré sa main des plats. Il lui dit : ne crains pas, les poivres ont été moulus la veille du jour de fête. »

Cette série d’anecdotes commente les trois points de halakha sur lesquels Rabban Gamliel adopte une opinion permissive. La séquence présente Rabban Gamliel comme une figure éminente dont les coutumes définissent la halakha, mais elle remet subtilement en question cette autorité avec des pointes d’humour. Dans le 12e paragraphe, R’ ‘Aqiba répond à son maître avec ironie et le remet à sa place. Dans le 13e paragraphe, c’est l’hygiène de Rabban Gamliel qui est tournée subtilement en dérision. Le 14e ne comporte pas de traits ironiques ou humoristiques. Dans le 15e paragraphe, il n’est pas question de Rabban Gamliel, mais de Thodos qui enseignait aux gens de Rome à manger la viande rôtie, ce qui est assimilé à un sacrifice et donc interdit par les rabbins en dehors du Temple ou après sa destruction. Dans M Beṣa 2, 7, nous apprenons que Rabban Gamliel permettait aussi la consommation de viande rôtie. La Tosefta fait donc une analogie entre Thodos de Rome et Rabban Gamliel, exprimant ainsi sa critique de ce dernier. Dans notre commentaire de M Bekhorot 4, 4 ci-après, nous traitons notamment du personnage de Thodos de Rome, qui est manifestement extérieur aux cercles des rabbins et en compétition avec eux pour l’exercice de l’autorité. La comparaison entre ce personnage et Rabban Gamliel est révélatrice. La méfiance que les sages expriment vis-à-vis de Thodos est également tournée vers Rabban Gamliel, qui se retrouve lui aussi marginalisé, tout en exerçant sur les autres rabbins une autorité qu’ils ne peuvent pas contester. Aussi, il est intéressant de rapprocher ce passage sur Thodos de Rome du récit suivant. M Pesaḥim 7, 2 « Il ne faut rôtir l’agneau pascal ni sur une brochette métallique, ni sur une grille métallique. R’ Ṣadoq raconte : il arriva que Rabban Gamliel dise à son serviteur Ṭabi : sors et fais-nous rôtir l’agneau pascal sur la grille [métallique]… »

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Rabban Gamliel permettait donc de cuire l’agneau pascal, d’une manière qui n’est pas conforme à l’opinion des sages, ce qui confirme notre hypothèse d’une analogie entre Thodos de Rome et Rabban Gamliel. Dans le traité parallèle de la Mishna (M Beṣa), il est indiqué que ces trois points de halakha sont autorisés par Rabban Gamliel, mais interdits par les sages, c’est-à-dire que la halakha est fixée selon l’avis des sages et non suivant le comportement de Rabban Gamliel. Dans la Tosefta, au contraire, si l’opinion anonyme énonce les coutumes de Rabban Gamliel, les anecdotes contredisent l’opinion anonyme et le résultat est que la halakha est fixée selon le comportement de Rabban Gamliel décrit dans l’anecdote. Ainsi, le message de la Tosefta est très complexe. On commence par formuler l’opinion anonyme concernant les coutumes qui sont rejetées dans la Tosefta. R’ Ele‘azar contredit ensuite l’opinion anonyme, disant que les coutumes dans la maison de Rabban Gamliel étaient différentes, puis le groupe anonyme (les sages) confirme que, dans ce cas, la halakha peut être fixée selon les coutumes de Rabban Gamliel. À première vue, il y a une contradiction double entre la Mishna et la Tosefta. La Tosefta contredit la véracité de l’information apportée dans la Mishna à propos des coutumes de Rabban Gamliel tout comme le fait que la halakha n’est pas fixée selon ses opinions. Cependant, les quelques détails humoristiques qui tournent en dérision Rabban Gamliel, vont, au contraire, dans le sens d’un rejet de l’opinion de ce dernier sur ces points spécifiques de halakha. Nous pouvons donc observer un rapport intéressant entre la Mishna et la Tosefta  : dans la Tosefta, le rejet des opinions de Rabban Gamliel est subtilement présenté à travers l’humour et reste ambigu, alors que dans la Mishna, la question est tranchée et il n’y a plus d’ambiguïté. Les informations sont claires. Dans le 16e paragraphe de la Tosefta, la suite d’anecdotes continue suivant la même structure. Cependant, sur la question du poivre moulu un jour de fête, la Mishna (Beṣa 2, 8) n’attribue pas l’opinion permissive à Rabban Gamliel, mais à R’ Ele‘azar ben ‘Azarya. M Rosh ha-shana 2, 5 « Il y avait une grande cour à Jérusalem qui s’appelait Bet Ya‘azaq et là-bas tous les témoins se rassemblaient et le tribunal les examinait. Et on leur offrait de grands banquets afin de les habituer à venir. À l’origine, ils ne sortaient pas de la cour pendant toute la journée, [mais] Rabban Gamliel l’ancien a décrété qu’ils pouvaient se déplacer de 2000 coudées dans chaque direction et [il a] non seulement [décrété] cela, mais [aussi] que la sage-femme qui vient assister à un accouchement ou un homme qui vient secourir [les habitants, victimes] d’une attaque ou d’une inondation ou d’un incendie ou d’éboulements, deviennent semblables aux habitants de la ville et peuvent se déplacer de 2000 coudées dans chaque direction. »

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Si les deux premiers paragraphes du chapitre 2 sont plutôt laconiques et informatifs, les deux suivants décrivent le spectacle grandiose des feux allumés chaque mois pour annoncer le calendrier à la diaspora. Cette description n’est pas humoristique, mais semble exagérée sinon totalement fantasmée. Dans le cinquième paragraphe, nous sommes dans « l’ère rabbinique », c’est-à-dire après l’annulation de la coutume d’allumer des feux et l’instauration du système des témoins et des messagers pour l’établissement et la diffusion du calendrier mensuel. Ce passage ouvre une série de récits qui occupent tout le deuxième chapitre et qui concernent la question des témoins de la nouvelle lune. Sur un ton réaliste, il nous livre des informations sur l’accueil des témoins à Jérusalem. La description insiste ici sur la grande taille de la cour, sur le nombre important des témoins (« tous les témoins ») et sur l’ampleur des banquets que l’on donnait pour ces témoins. Ces trois détails laissent imaginer une foule de témoins dans une grande cour, qui mangent et qui boivent allègrement. La description semble néanmoins exagérée, à la manière d’un grand conte501, et donc peut-être grotesque. Dans ce même paragraphe, nous apprenons que les témoins faisaient partie d’une catégorie de visiteurs qui avaient le droit de considérer Jérusalem comme leur ville d’origine pendant le shabbat et de se déplacer sur une distance de 2000 coudées. Outre les témoins, nous trouvons dans cette catégorie des personnes qui sauvent la vie d’autrui : les sages femmes, les secouristes et les pompiers. Le statut accordé aux témoins semble, lui aussi, grotesque : la vie d’autrui ne dépend pas de leur témoignage. Le calendrier rabbinique a-t-il autant d’importance que la vie humaine ? L’autorité rabbinique est au cœur du passage, puisque c’est Rabban Gamliel l’ancien qui décrète l’autorisation de déplacement. Il n’est pas possible cependant d’ignorer les deux exagérations (la description de la cour et la mention des sauveteurs), dont le caractère grotesque tourne en dérision cette même autorité rabbinique. La première exagération pourrait remettre en question la véracité du rapport rabbinique au passé, et la seconde pourrait susciter le doute sur l’ordre de priorité rabbinique, le calendrier étant aussi important à ses yeux que la vie humaine. Notons que la thématique de la halakha qui serait plus importante que la vie humaine se retrouve dans d’autres passages, comme T Kippurim 1, 12, où c’est la pureté rituelle qui est plus importante que la vie d’un jeune prêtre502. Dans le même ordre d’idées, nous pouvons également citer T Kippurim 1, 8, où un boéthusien s’attend à la mort prochaine de son fils, car il n’a pas respecté l’autorité rabbinique503. 501 502 503

Voir p. 3. Voir ci-après p. 237. Voir ci-après p. 235.

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T Ta‘aniyyot 2, 5 « Il arriva que le jeûne soit annoncé pendant Ḥanukka à Lod. On l’a dit à R’ Eli‘ezer et il se coupa les cheveux. [On l’a dit] à R’ Yehoshua‘ et il prit un bain. R’ Yehoshua‘ leur dit : sortez et continuez à jeûner. Tant que Rabban Gamliel était en vie, la halakha était fixée selon ses paroles. Après la mort de Rabban Gamliel, R’ Yehoshua‘ voulut annuler ses paroles. R’ Yoḥanan ben Nuri se leva et dit : il faut que le corps suive la tête. Tant que Rabban Gamliel était vivant, la halakha était fixée selon ses paroles. Maintenant qu’il est mort, vous voulez annuler ses paroles ?! R’ Yehoshua‘ dit : nous entendons tes paroles. La halakha a été fixée selon les paroles de Rabban Gamliel et personne ne les remettait en question. »

Nous avons ici un récit intéressant à propos de R’ Yehoshua‘ et R’ Eli‘ezer, qui ne sont pas d’accord avec la halakha de Rabban Gamliel sur les jours de jeûne504. Selon Rabban Gamliel, il faut continuer à jeûner pendant les jours de fête, alors que c’est normalement interdit. Selon ses deux opposants, il faut interrompre le jeûne. Ce qu’ils font, l’un en prenant un bain et l’autre en se coupant les cheveux. R’ Yoḥanan ben Nuri défend la halakha de Rabban Gamliel après sa mort et parvient à imposer son avis à R’ Yehoshua‘. La dimension humoristique de ce récit reste très mineure et se limite à l’humour interne, c’est-à-dire celui des rabbins eux-mêmes dans le récit. Sa première manifestation est dans les actions de R’ Eli‘ezer et R’ Yehoshua‘. Pour exprimer leur désaccord avec Rabban Gamliel, ils ne passent pas par la voie habituelle, celle du débat, mais préfèrent l’action aux paroles. Ce mode d’expression inhabituel est amusant. La deuxième manifestation se trouve dans les propos de R’ Yoḥanan ben Nuri. Pour insister sur la primauté des enseignements de Rabban Gamliel, il utilise une métaphore amusante : le corps doit suivre la tête. Il compare ainsi le mouvement rabbinique (ou la communauté juive) à un corps505, et son chef, Rabban Gamliel, à une tête. R’ Eli‘ezer et R’ Yehoshua‘ font bien évidemment partie du corps. Cette métaphore est amusante en soi, mais elle l’est d’autant plus quand on considère qu’elle est en rapport avec l’action des deux sages et avec leur préoccupation excessive de la propreté et de l’hygiène. Ainsi, cette métaphore n’est pas seulement une figure de style, mais une manière de critiquer les agissements des deux rabbins rebelles.

504 La fixation des jours de jeûne est une prérogative du patriarche, contestée par certains rabbins, voir COSTA, « Entre judaïsme rabbinique et judaïsme synagogal… », p. 101-102. 505 Sur la présentation d’Israël comme un corps, voir S. STERN, Jewish Identity in Early Rabbinic Writings, Leyde, 1994, p. 12.

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M ‘Aboda Zara 3, 4 « Peraqlos fils de Pelasalos interrogea Rabban Gamliel à ‘Akko, alors qu’il se baignait dans les bains d’Aphrodite. Il lui dit : il est écrit dans votre Tora (Dt 13, 18) Rien n’adhérera à ta main de l’interdit, pourquoi [donc] te baignestu dans les bains d’Aphrodite ? [Rabban Gamliel] lui dit : il ne faut pas répondre dans le bain. Et lorsqu’il sortit, il lui dit : ce n’est pas moi qui suis entré dans son domaine, mais elle qui est entrée dans le mien. Il ne faut pas dire : des bains ont été construits en l’honneur d’Aphrodite, mais au contraire : Aphrodite est venue en guise de décoration pour les bains. Autre explication : [même] si on te donnait beaucoup d’argent, entrerais-tu pour faire ton culte idolâtre, en étant nu et impur à cause d’un écoulement séminal et aurais-tu uriné devant ta statue ? Et celle-ci, elle se tient près de la rigole et le peuple entier urine devant elle ! [D’ailleurs], il n’a été écrit que leurs dieux506, donc, tout ce que l’on fait dans un but idolâtre est interdit et ce qui n’est pas fait dans un but idolâtre est autorisé. »

Ce texte met en scène un dialogue entre deux personnages, l’un, Peraqlos fils de Pelasalos, est un personnage non rabbinique et peut-être un philosophe (comme l’indique la version citée dans le TB ‘Aboda Zara 44b), l’autre Rabban Gamliel, probablement le second. Le lieu de leur rencontre est le bain public à ‘Akko où est placée une statue d’Aphrodite. Le philosophe provoque Rabban Gamliel en lui demandant pourquoi il s’autorise à profiter d’un lieu associé à l’idolâtrie. En d’autres termes, il l’accuse de pratiquer un culte idolâtre. Selon E. Friedheim507, certains chercheurs ont essayé de réduire la portée de la question en avançant que les bains publics étaient seulement décorés avec des statues de divinités et n’étaient pas des lieux de culte, mais les rapports de fouilles archéologiques confirment le caractère cultuel des bains. Dans son accusation, le philosophe cite la Tora et prouve ainsi son érudition. Le caractère humoristique de cette anecdote se trouve essentiellement dans les réponses ironiques de Rabban Gamliel. Ayant entendu l’accusation savante du philosophe, Rabban Gamliel ne s’affole pas et par la simple affirmation que l’on ne répond pas [à une question concernant la Tora] dans le bain, exprime plusieurs idées à la fois. Tout d’abord, il remet le philosophe à sa place en lui montrant que même s’il peut citer le Pentateuque, il ne connaît pas les enseignements des rabbins. Il se montre calme et sûr de 506 Rabban Gamliel fait ici référence à un verset, mais puisqu’il s’agit d’un seul mot, très répandu dans la Bible, il est difficile de savoir lequel. La traduction Soncino du TB ‘Aboda Zara 44b propose Dt 7, 16 : Tu anéantiras donc tous les peuples que te livre l’Éternel, ton Dieu, sans laisser ton œil s’attendrir sur eux, de peur que tu n’adores leurs divinités ; car ce serait un piège pour toi et Dt 12, 2 : Vous devez détruire tous les lieux où les peuples dépossédés par vous auront honoré leurs dieux, sur les hautes montagnes et sur les collines, et au pied des arbres touffus. 507 E. FRIEDHEIM, « Ma‘ase Rabban Gamliel ba-merḥaṣ shel Afrodiṭi be-‘Akko. ‘Iyyun be-re’aliyya ereṣ yisre’elit », Cathedra 105, 2002, p. 7-32.

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lui, car le récit sous-entend qu’il n’interrompt pas son bain. Enfin, il gagne du temps avant d’exprimer sa réponse. À sa sortie, Rabban Gamliel renverse la situation : ce n’est pas lui qui entre dans le temple d’une déesse païenne, mais elle qui entre dans son domaine, la statue étant un simple ornement du bain et non un objet d’adoration et de culte. Rabban Gamliel a déjà ridiculisé le philosophe à l’intérieur du bain en se moquant de son ignorance, maintenant il ridiculise la statue d’Aphrodite, réduite à être une simple décoration. Il poursuit cette ridiculisation en décrivant de manière très dégradante la position de la statue de la déesse, près de la rigole, exposée à la nudité et à l’urine des clients du bain, ce qu’il considère comme tout le contraire d’un culte religieux. Selon ce propos, il est impossible que sa présence dans le bain soit associée à un culte idolâtre. Les deux Talmuds s’interrogent sur cet argument avancé par Rabban Gamliel et le décrivent comme mensonger ou de mauvaise foi. Il est vrai que le culte du Ba‘al Pe‘or, comme il est décrit dans M Sanhedrin 7, 6 et cité dans Sifre Debarim 131, consiste précisément à se découvrir devant la statue de la divinité voire à faire ses besoins devant elle. De plus, dans M ‘Aboda Zara 4, 5, il est stipulé que cracher, uriner ou déféquer devant une idole n’annule pas l’objet de l’idolâtrie. La réponse ironique de Rabban Gamliel, « ce n’est pas moi qui suis entré dans son domaine, mais elle qui est entrée dans le mien », a été interprétée de plusieurs manières. Rashi avance qu’il s’agit simplement d’une question chronologique : le bain existait avant que la statue n’y soit placée, ce qui fait de cette dernière un simple ornement. A. Yadin508 propose de voir ici un dialogue philosophique dans lequel le philosophe critique le paganisme, mais Y. Furstenberg509 estime que l’identification de Peraqlos avec un philosophe n’est pas suffisamment fondée dans le texte. L’effet comique réside dans l’image qui se dégage de cette phrase. En fait, c’est Rabban Gamliel qui se déplace : il est entré dans le bain avant le début des événements décrits dans le récit et il sort du bain en cours de récit. Il est mobile alors que la statue, par définition, est immobile. Dans sa phrase, il utilise un verbe qui décrit un mouvement, ce qui personnifie la statue et crée un effet comique : elle n’aurait, bien évidemment, pas pu se déplacer. Il est difficile d’attribuer une valeur historique au récit lui-même, mais il est susceptible de refléter une certaine réalité historique, qui reste à préciser. 508 A. YADIN, « Rabban Gamliel, Aphrodite’s Bath and the Question of Pagan Monotheism », The Jewish Quarterly Review 96, 2, 2006, p. 149-179. 509 Y. FURSTENBERG, « Biṭṭul ‘aboda zara : ha-di’alog shel ha-ḥakhamim ‘im ha-elilut taḥat ha-qesarut ha-romit » (en hébreu), Reshit 1, 2009, p. 117-144.

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Il faut rappeler ici que la Mishna est transmise et rédigée en hébreu : c’est une langue qui est inaccessible aux Romains, a priori non hébraïsants. C’est donc un texte rédigé par des érudits appartenant au mouvement rabbinique et destiné à être étudié par des membres du mouvement rabbinique et probablement aussi à être diffusé auprès des juifs (du moins ceux qui comprennent l’hébreu). On peut supposer que les rabbins avaient des ambitions de domination politique au sein de la société juive sous le pouvoir romain. Il s’agit donc ici d’un texte juif, rédigé en hébreu, pour être lu par des juifs. Ce texte place Rabban Gamliel dans un espace public romain. La ridiculisation du personnage romain et de la statue d’Aphrodite établit la légitimité des actes du sage. Par sa réponse humoristique, Rabban Gamliel montre qu’il est au-dessus de toute tentation liée à l’idolâtrie. Il peut par un simple raisonnement réfuter le Romain et démontrer que son bain n’a rien d’idolâtre. Ce discours est destiné à des juifs et montre à ses lecteurs ou auditeurs comment ils peuvent se placer dans l’espace public romain, et s’intégrer à la société romaine, tout en gardant leur caractère juif. Cependant, le récit ne fait pas ce que fait son personnage principal. Rabban Gamliel interagit avec le Romain et le ridiculise par ses paroles, ce qui est un comportement audacieux. Le récit en revanche, placé dans la Mishna et rédigé en hébreu, n’est pas destiné à interagir avec des lecteurs ou des auditeurs romains. Il permet au contraire aux juifs de s’exprimer en toute sécurité sans risquer d’éveiller la colère du pouvoir romain. On peut donc attribuer deux fonctions à l’utilisation de l’humour dans le discours de Rabban Gamliel. La première fonction est rhétorique : l’ironie de Rabban Gamliel remet le Romain à sa place et rétablit le bon ordre des choses. Un juif peut se laver dans un bain public, car cela ne relève pas de l’idolâtrie. La seconde est psychologique : la ridiculisation du Romain est une forme de libération, de catharsis, qui permet de maintenir un discours de résistance tout en le cachant bien au milieu des lois et dans une langue inaccessible au pouvoir. Le récit affirme donc l’autorité de Rabban Gamliel et souligne le fait qu’il se comporte adéquatement vis-à-vis des non-juifs, contrairement à d’autres récits510 où ses relations avec des non-juifs ou des juifs non rabbiniques sont critiquées à travers l’humour. T Kelim Baba Batra 2, 4 « Une cuillère que les prêtres utilisent et également le couvercle d’une marmite, s’ils sont gravés et reçoivent un quelconque contenu, sont impurs et sinon, ils sont purs. Histoire du cuisinier de Onqelos le prosélyte, qui apporta 510

T Pesaḥim 2, 15-16 ; T Mo‘ed Qaṭan 2, 14-16.

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son couvercle devant Rabban Gamliel et il y avait quatre-vingt-cinq anciens assis. Rabban Gamliel prit le couvercle et le regarda puis le donna à son voisin et son voisin à son voisin. Lorsqu’il vit qu’ils ne dirent rien à propos de lui, Rabban Gamliel prit un fil du tissu511 d’un disciple qui était assis [là] et ils tendirent [le fil] sur le couvercle et trouvèrent qu’il était gravé d’un [dessin] quelconque. [Rabban Gamliel] le déclara impur. »

Il s’agit d’un récit plutôt édifiant présentant les sages assis en très grand nombre pour prendre des décisions. Ici le doute émane du cuisinier de Onqelos le prosélyte, un personnage étroitement lié au mouvement rabbinique. Le récit n’est cependant pas dénué d’une dimension humoristique. Rabban Gamliel résout le problème très facilement, à l’aide d’un fil, alors que quatre-vingt-cinq anciens restent totalement muets face à la difficulté. Le récit n’indique que deux transferts du couvercle de main en main, mais la répétition dans la phrase suggère que le couvercle a été vu par tous les sages présents. Ce groupe considérable de sages est donc ridiculisé par le récit, qui les dépeint comme inutiles et muets, et les place en contraste fort avec Rabban Gamliel. Cette ridiculisation vient affirmer l’autorité de Rabban Gamliel ainsi que l’idée qu’une élite restreinte et minutieusement choisie est meilleure pour diriger le peuple qu’une trop grande assemblée. A.2. R’ ‘Aqiba R’ ‘Aqiba apparaît dans de nombreux récits avec d’autres protagonistes. Dans cette partie, nous allons présenter quelques récits qui le concernent plus particulièrement. Quinze récits ou passages narratifs le présentent sans humour. Ces passages font de lui une figure importante dans les cercles rabbiniques (6)512. Il participe aux discussions de la maison d’étude et fixe la halakha par des décisions (5)513 ou en tant qu’exemple de bon comportement514. Un récit sans humour515 ouvre une longue séquence concernant de Rabban Gamliel et son entourage, déjà commentée avec les récits sur Rabban Gamliel516. Enfin, dans deux passages non humoristiques, R’ ‘Aqiba se comporte contrairement à l’opinion de la majorité517. Les douze récits humoristiques laissent apparaître le caractère bien affirmé de R’ ‘Aqiba. Il s’exprime souvent avec ironie, ce qui peut aller 511

Sadin, peut-être un châle de prière. M ‘Erubin 4, 1-2 ; M Ta‘anit 4, 4 ; M Yebamot 16, 6-7 ; M Nega‘im 7, 4 ; T Nega‘im 1, 1 ; T Ohalot 3, 7. 513 T Demay 4, 13 ; M Yebamot 12, 5 ; T Ḥagiga 2, 9 ; T Baba Batra 1, 11 ; T Nidda 5, 16. 514 M Ma‘aser Sheni 2, 7. 515 T Shabbat 7, 7-9. 516 Voir p. 103. 517 T Shebi‘it 4, 21 ; T Sanhedrin 2, 8. 512

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jusqu’à l’agressivité verbale (5)518. Sa fonction d’enseignant est évoquée dans deux récits519, et dans deux autres il transmet un contenu humoristique520. Il est également le transmetteur d’un récit où le rire est lié à l’espérance eschatologique dans T Kippurim 2, 7521. Ce récit est apparenté à Sifre Debarim 43 (voir annexe 3) où R’ ‘Aqiba manifeste une vision optimiste liée à sa foi, mais que l’on peut aussi comprendre comme une manière humoristique de se détacher d’une réalité douloureuse. T Berakhot 3, 5 « R’ Yehuda dit : lorsque R’ ‘Aqiba priait avec la communauté, il raccourcissait [sa prière] devant tous [les présents]. Et lorsqu’il priait seul, un homme le laissait dans un certain coin puis le retrouvait dans un autre coin à cause de toutes les prosternations et les courbettes. »

Ce passage est un exemplum dont le protagoniste est R’ ‘Aqiba. Ce dernier adoptait une pratique très stricte lorsqu’il priait seul, et au contraire, une pratique beaucoup moins exigeante lorsqu’il priait avec l’assemblée. À première vue, cela semble un récit édifiant, mettant en avant la ferveur religieuse du grand tanna, mais il est difficile d’ignorer complètement l’aspect quelque peu grotesque d’un Rabbi ‘Aqiba, totalement absorbé dans une prière très longue et se prosternant sans arrêt dans tous les sens522. Cette ardeur extravagante n’était pas un secret, puisque R’ Yehuda a pu en témoigner. Vu le caractère majoritairement collectif de la prière juive, il est possible que le récit exprime une certaine critique envers Rabbi ‘Aqiba, qui réservait sa prière la plus fervente à ses moments de solitude au lieu d’en faire profiter la communauté. Les trois récits suivants523 montrent l’ironie de R’ Aqiba lui-même. M Terumot 9, 2 « (…) et les juifs pauvres et les prêtres pauvres ramassent la glanure524 qui relève de la teruma. Les juifs pauvres vendent la leur aux prêtres et peuvent jouir de l’argent. R’ Ṭarfon dit : seuls les prêtres pauvres peuvent ramasser, de peur que les juifs mettent la teruma dans leurs bouches par inadvertance. 518

M Terumot 9, 2 ; T Sheqalim 1, 7 ; T Nidda 6, 6 ; M Miqwa’ot 7, 1 ; M Shebi‘it 8,

9-10. 519

M Nidda 8, 5 ; T Zabim 1, 5-6. T Yebamot 14, 5 ; M Keritot 3, 7. 521 Étudié dans le chapitre concernant les prêtres, p. 244. 522 Cette prière est considérée comme extatique, proche de celle des ḥasidim : J. BONSIRVEN, Le judaïsme palestinien au temps de Jésus Christ (édition abrégée), Paris, 1935, p. 124. Sur la prosternation, voir U. EHRLICH, The Nonverbal Language of Prayer. A New Approach to Jewish Liturgy, Tübingen, 2004, p. 29-63. 523 M Terumot 9, 2 ; T Sheqalim 1, 7 ; T Nidda 6, 6. 524 Leqeṭ. 520

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R’ ‘Aqiba lui dit : dans ce cas, seuls ceux qui sont en état de pureté rituelle peuvent ramasser ! »

Dans cette mishna, il est question de la teruma sur la glanure, c’est-à-dire sur la récolte tombée et laissée dans le champ qui peut être ramassée par les pauvres. La halakha stipule que, puisque ce sont uniquement les prêtres qui ont le droit de consommer la teruma, les pauvres qui ne sont pas prêtres peuvent la ramasser dans le champ et la revendre aux prêtres. R’ Ṭarfon (qui était prêtre, ne l’oublions pas) n’est pas d’accord. Selon lui, seuls les prêtres peuvent ramasser la glanure relevant de la teruma, car les juifs pourraient la manger par inadvertance. R’ ‘Aqiba lui répond par une remarque ironique : si l’on suit cette logique, il faudrait restreindre davantage encore le nombre de personnes autorisées à ramasser la teruma, puisqu’un prêtre en état d’impureté rituelle n’a pas non plus le droit de la consommer. Il est clair que la remarque de R’ ‘Aqiba n’est pas sérieuse mais ironique. C’est un exemple d’humour rabbinique au premier niveau, dans la discussion entre les sages. R’ ‘Aqiba critique ainsi R’ Ṭarfon et son attachement au particularisme sacerdotal525. T Sheqalim 1, 7 « On achète des non-juifs les sacrifices publics contre de l’argent et on reçoit de leur part des volailles et des offrandes de bois, d’encens et de sel. Paroles de R’ Yose le Galiléen. R’ ‘Aqiba lui dit : même si tu étais assis et tu enseignais toute la journée, nous ne recevrions de leur part que l’holocauste526 et les offrandes de paix527. On ne reçoit pas de leur part un don charitable consacré pour la réparation du Temple, mais, s’ils ont déjà consacré leur don528, leur contribution est valable. »

Dans ce paragraphe, il y a un désaccord entre R’ Yose et R’ ‘Aqiba à propos de ce que l’on peut accepter de la part des non-juifs en termes de sacrifices et d’offrandes au Temple. Le contenu de la controverse n’a pas d’importance pour nous, mais sa forme nous intéresse, notamment celle de l’objection de Rabbi ‘Aqiba. Ce dernier ne se contente pas de dire qu’il n’est pas d’accord et d’exprimer son opinion, il met dans sa phrase beaucoup d’ironie moqueuse. Il aurait pu simplement dire à R’ Yose : « non, nous ne recevons de leur part que… », mais il a choisi d’insister sur l’erreur de R’ Yose en adoptant un ton à la fois humoristique et agressif. L’humour dans ce passage n’a manifestement pas de signification particulière. La réplique de R’

525 Sur la place ambivalente de R’ Ṭarfon, rabbin et prêtre à la fois, voir le chapitre suivant, p. 141. 526 ‘Ola. 527 Shelamim. 528 C’est-à-dire qu’ils ont déjà contribué à la caisse du Temple.

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‘Aqiba pourrait être réellement authentique et représenter ainsi l’ironie, voire le sarcasme interne dans la discussion rabbinique même. T Nidda 6, 6 « R’ Shim‘on dit : Ḥananya ben Ḥakhinay me trouva à Sidon et me dit : lorsque tu iras chez R’ ‘Aqiba, demande-lui : jusqu’à quand une jeune fille peut-elle refuser [de se marier] ? S’il te dit : jusqu’à ce qu’elle fasse pousser deux poils, dis-lui : mais, n’est-ce pas que, devant vous tous, Ben Shelaqit témoigna à Yabne que c’est jusqu’à ce qu’elle soit totalement poilue ? Lorsque je suis venu exposer cet argument devant R’ ‘Aqiba, il me dit : je ne sais rien de la pilosité complète, je ne connais pas Ben Shelaqit, je ne connais que la halakha à propos des deux poils. »

Dans ce passage également, R’ ‘Aqiba s’exprime avec ironie. Il s’agit même d’ironie socratique, puisque le sage feint l’ignorance. M Miqwa’ot 7, 1 « (…) les éléments suivants font monter le niveau du bain rituel, mais ne le rendent pas inapte (à être utilisé) : la neige, la grêle, le gel, la stalactite, le sel et la boue fine. R’ ‘Aqiba dit : Yishma‘el argumentait contre moi en disant que la neige ne faisait pas monter le niveau d’eau dans le bain rituel et les gens de Medeba témoignèrent en son nom et dirent qu’il leur a dit : sortez et apportez d’abord de la neige ! (…) »

Dans ce passage, R’ ‘Aqiba raconte une controverse qu’il a eue avec Yishma‘el (notons qu’il ne l’appelle pas Rabbi). Il relate un détail que des personnes de la ville de Medeba, se trouvant à l’est du Jourdain, lui ont raconté au sujet de R’ Yishma‘el. En effet, ce dernier leur a dit, pour appuyer son propos, d’apporter de la neige, manifestement afin de se livrer à une expérience. Le climat en terre d’Israël et particulièrement dans la vallée du Jourdain est peu propice à la neige. Il semble que R’ Yishma‘el soit quelque peu de mauvaise foi en faisant une telle injonction aux gens de Medeba. L’humour rabbinique du premier niveau se manifeste donc deux fois : d’abord dans la demande absurde de R’ Yishma‘el, puis dans l’ironie de R’ ‘Aqiba qui raconte les absurdités dites par R’ Yishma‘el afin d’appuyer sa propre position. Notons également dans ce récit la mention de la ville et des gens de Medeba, qui ne semblent pas faire partie du mouvement rabbinique, mais sont présentés par les rabbins comme subordonnés à leurs enseignements et à leurs décisions. On peut y voir une revendication d’autorité par le rédacteur de la Mishna529. 529 Sur la question des juifs qui obéissent à la halakha des rabbins sans faire partie du mouvement rabbinique, voir S. S. MILLER, Sages and Commoners in Late Antique ’Ereẓ Israel, Tübingen, 2006.

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Dans le récit suivant, l’ironie de R’ ‘Aqiba est accentuée au point de devenir de l’agressivité verbale. M Shebi‘it 8, 9-10 « Du cuir enduit avec de l’huile de la septième année. R’ Eli‘ezer dit qu’il doit être brûlé et les sages disent qu’il faut en consommer l’équivalent. Ils dirent devant R’ ‘Aqiba : R’ Eli‘ezer disait que le cuir enduit avec l’huile de la septième année doit être brûlé. Il leur dit : taisez-vous ! Je ne vous dirai pas ce qu’en disait R’ Eli‘ezer ! Ils dirent encore devant lui : R’ Eli‘ezer disait que celui qui mange le pain des samaritains est comme celui qui mange la viande de porc. Il leur dit : taisez-vous ! Je ne vous dirai pas ce qu’en disait R’ Eli‘ezer ! »

Ces deux mishnayot présentent une structure particulière. Le passage commence par un énoncé non narratif où une question anonyme est posée concernant le cuir enduit avec l’huile de la septième année. Ensuite, R’ Eli‘ezer et les sages donnent deux réponses différentes à cette question. À la suite de ce passage non narratif, nous avons une discussion entre les sages et R’ ‘Aqiba. Les sages demandent à deux reprises à R’ ‘Aqiba de confirmer ce qu’ils savent de l’opinion de R’ Eli‘ezer, mais R’ ‘Aqiba refuse de le faire, et le fait d’une manière grossière en disant aux sages de se taire. Pourquoi cette grossièreté ? Selon Bertinoro, R’ ‘Aqiba ne voulait pas révéler les opinions très permissives de R’ Eli‘ezer sur ces sujets. Ce passage n’est pas humoristique, mais révèle des tensions entre les sages ainsi que le caractère bien trempé de R’ ‘Aqiba530. Une autre facette pyschologique de R’ ‘Aqiba apparaît dans deux récits où il se précipite pour fixer la halakha en présence de Rabban Gamliel. Dans T Berakhot 4, 15, la précipitation de R’ ‘Aqiba marque le retournement ironique de la narration. Cette ironie narrative tourne en dérision Rabban Gamliel531. Dans le récit suivant, le caractère de R’ ‘Aqiba apparaît de la même manière, mais sans humour et sans tourner en dérision Rabban Gamliel. T Demay 5, 24 « R’ Shim‘on dit : [il y a] trois décrets à propos du demay532. Histoire de nos maîtres qui sont entrés dans des villes samaritaines en bord de route et on

530 Nous pouvons comparer le texte avec le dialogue entre R’ ‘Aqiba et R’ Pappos dans la Mekhilta de-rabbi Yishma‘el, Be-shallaḥ, Wa-yehi 6 : R’ Pappos interprète l’Écriture et R’ ‘Aqiba lui répond à plusieurs reprises avec un seul mot « cela suffit » (dayyekha). 531 Voir p. 91. 532 Une récolte dont le prélèvement de la dîme est incertain.

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apporta devant eux des légumes. R’ ‘Aqiba se précipita533 et en préleva la dîme wadday534. Rabban Gamliel lui dit : comment ton cœur te laisse-t-il transgresser les paroles de tes compagnons et qui t’a donné la permission de prélever la dîme ? [R’ ‘Aqiba] lui dit : est-ce que j’ai fixé la halakha pour Israël ? Je n’ai prélevé que sur mes propres légumes. [Rabban Gamliel] lui dit : sache que tu as fixé la halakha pour Israël, lorsque tu as prélevé sur tes propres légumes. Lorsque Rabban Gamliel vint parmi eux, il établit leurs céréales et leurs légumineuses comme étant demay et tous leurs fruits comme étant wadday. Lorsque Rabban Shim‘on ben Gamliel revint parmi eux, il vit qu’ils s’étaient corrompus et qu’ils avaient fait tous leurs fruits wadday. »

Ce récit présente le principe de l’exemplum  : Rabban Gamliel déclare que R’ ‘Aqiba fixe la halakha par son comportement même. On peut le rapprocher d’un autre récit, dans T Berakhot 4, 15, où R’ ‘Aqiba « saute » et prononce une bénédiction en contradiction avec l’opinion de Rabban Gamliel, mais en accord avec l’opinion majoritaire. Ici, Rabban Gamliel gronde son disciple, mais il semble que cela soit justifié et sans humour. R’ ‘Aqiba conçoit-il une halakha à deux mesures : stricte pour lui-même et permissive pour les autres ? Cette idée est également évoquée dans T Berakhot 3, 5535. Un autre récit met aussi en scène un désaccord entre R’ ‘Aqiba et Rabban Gamliel, sans humour et sans remise en question de l’autorité de Rabban Gamliel. M Rosh ha-shana 1, 5-6 « Que [la lune] soit clairement visible ou non, on est autorisé à profaner le shabbat pour [venir témoigner à Jérusalem sur la nouvelle lune]. R Yose dit : si [la lune] est clairement visible, on n’a pas le droit de profaner le shabbat [pour venir témoigner]. Il arriva que plus de quarante paires [de témoins] partirent [pour témoigner] et R’ ‘Aqiba les retint à Lod. Rabban Gamliel lui envoya [le message suivant :] si tu retiens ces nombreux [témoins], ton action leur sera un obstacle dans le futur536. »

Le caractère affirmé de R’ ‘Aqiba se laisse entrevoir également dans deux récits où il apparaît en tant qu’enseignant.

533 534

Qafaṣ, littéralement : « sauta ». Une récolte dont on sait de manière certaine que le prélèvement de la dîme n’a pas été

fait. 535

Voir p. 134. C’est-à-dire qu’ils ne viendront plus témoigner à cause de la difficulté de se rendre à Jérusalem. 536

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M Nidda 8, 5 « Histoire d’une femme qui vint devant R’ ‘Aqiba et lui dit : j’ai vu une tache [de sang]. Il lui demanda : peut-être étais-tu blessée ? Elle lui répondit : oui, et j’ai survécu. Ou peut-être pouvait-elle se montrer et se remettre à saigner ? [poursuivit-il]. Elle lui répondit : oui. R’ ‘Aqiba la déclara pure. Il vit les disciples se regarder les uns les autres. Il leur dit : pourquoi ce cas est-il difficile à vos yeux ? Les sages ne voulaient pas appliquer la manière stricte, mais au contraire, la manière permissive, puisqu’il est écrit : (Lv 15, 19) Lorsqu’une femme éprouvera le flux, [son flux, c’est le sang qui s’échappe de son corps], il n’est pas écrit une tache. »

Probablement sans humour, ce récit permet d’apercevoir le comportement des disciples en présence de R’ ‘Aqiba. Ce dernier remarque les regards suspicieux qu’échangent les disciples sans oser s’opposer à lui verbalement. T Zabim 1, 5-6 « Lorsque R’ ‘Aqiba ordonnait les halakhot pour les disciples, il dit : quiconque a entendu une explication logique à propos de l’enseignement d’un collègue, qu’il vienne l’exposer. R’ Shim‘on dit devant lui au nom de R’ Ele‘azar fils de R’ Yehuda de Bartuta : les écoles de Hillel et de Shammay n’étaient pas en désaccord concernant un homme qui a vu un écoulement un premier jour, le deuxième jour l’écoulement s’est arrêté et au troisième jour il a vu deux écoulements – il n’est pas considéré comme un zab proprement dit, mais concernant un homme qui voit deux écoulements le premier jour, ou un écoulement important comme deux, au deuxième jour l’écoulement s’arrête et au troisième jour il en voit un. [R’ ‘Aqiba] lui répondit : on n’accorde pas la louange à quiconque se précipite [pour apporter un enseignement], mais à celui qui en explique la logique ! R’ Shim’on dit devant lui : ainsi dirent ceux de l’école de Hillel à ceux de l’école de Shammay (…)537 R’ ‘Aqiba finit par enseigner selon les paroles de R’ Shim‘on. »

Sans avoir un caractère humoristique clair, cette anecdote n’est pas dénuée d’intérêt. R’ ‘Aqiba, qui agit en tant qu’enseignant, met en ordre les enseignements destinés à ses disciples. En faisant cela, il les invite à exposer leur savoir. Celui qui répond à son appel, R’ Shim‘on, parle d’une controverse entre les écoles de Hillel et de Shammay, mais ses propos ne satisfont pas R’ ‘Aqiba, car il n’en a pas exposé la logique. Une note humoristique se trouve dans la réprimande de R’ ‘Aqiba qui dit littéralement : « on n’accorde pas la louange à quiconque se précipite538 [pour apporter un enseignement], mais à celui qui en explique la logique ! » Ainsi, il annonce d’une manière indirecte à son disciple qu’il s’est exprimé trop rapidement. 537 538

Nous omettons ici l’explication halakhique, sans objet pour notre propos. Littéralement : « qui saute ».

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Ironiquement, dans T Demay 5, 24539, c’est R’ ‘Aqiba lui-même qui se précipite ! R’ Shim‘on explique alors la logique de l’enseignement et parvient manifestement à convaincre R’ ‘Aqiba, puisque ce dernier adopte l’enseignement exposé. Les deux paragraphes qui suivent cette anecdote poursuivent la discussion à propos de la controverse entre les deux écoles. Il nous semble que le passage donne un aperçu de l’ambiance de la maison d’étude telle que les sages l’ont vécue ou bien telle qu’ils désiraient la représenter. Nous avons l’autorité supérieure, R’ ‘Aqiba, qui s’occupe du « programme scolaire » de ses disciples et leur donne des exercices. Son autorité consiste également à évaluer les connaissances des disciples ce qu’il fait dans l’anecdote avec une touche bienveillante d’humour. Dans les deux passages suivants R’ ‘Aqiba est le transmetteur d’un contenu humoristique. T Yebamot 14, 5 « Si un homme tombe à l’eau, qu’elle soit avec fin540 ou sans fin541, sa femme ne peut pas se remarier. Paroles de R’ Me’ir. Mais les sages disent que, si l’on voit les limites de l’eau, elle est autorisée à se remarier, mais, si on ne les voit pas, elle n’est pas autorisée, à cause de l’éventualité qu’une vague déplace [l’homme] et le ramène à la terre ferme. R’ ‘Aqiba dit : lorsque j’allais en mer, j’ai vu un bateau échoué et je regrettai [la mort des] disciples des sages qui étaient dans [ce bateau]. Et lorsque je suis arrivé à Mazaga en Cappadoce, j’ai vu [un des disciples] assis et il me posa des questions de halakha. Je lui ai demandé : comment es-tu monté de la mer ? Il m’a répondu : une vague m’a poussé vers une autre, et cette autre vers une autre, jusqu’à ce que j’arrive à la terre ferme. J’ai dit : oh que les paroles des sages sont grandes, car ils disent : si l’on voit les limites de l’eau, sa femme est autorisée à se remarier, si l’on ne voit pas les limites de l’eau, elle n’est pas autorisée. »

Le récit raconté par R’ ‘Aqiba est d’abord une apologie des enseignements rabbiniques, du principe de la décision halakhique selon l’opinion majoritaire et un rejet de l’opinion de R’ Me’ir. Cependant, les détails du récit sont humoristiques. Dans la première partie, R’ ‘Aqiba parle de son émotion à la vue d’un bateau échoué. Ce regret sous-entend que, pour R’ ‘Aqiba, il n’y a eu aucun rescapé. Ce qui semble étrange est le fait que son regret ne concerne que les disciples des sages et non toutes les victimes de la catastrophe. R’ ‘Aqiba rencontre ensuite un disciple qui est manifestement un rescapé de l’accident. Cette rencontre comporte une surprise comique : le lecteur (ou auditeur) du récit s’attend à ce que le disciple rescapé parle spontanément de son 539 540 541

Voir p. 137. C’est-à-dire qu’on peut voir ses limites. Qu’on ne peut pas voir ses limites.

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vécu ou soit en train de se remettre de ses émotions. Mais non, imperturbable, il fait ce que font les disciples des sages habituellement : il pose des questions halakhiques. La description de la manière dont il a été sauvé confime mot pour mot la halakha qui précède le récit. Elle peut être perçue comme miraculeuse, exagérée et apparentée au genre du grand conte. La ressemblance textuelle parfaite entre les faits et la halakha est également révélatrice de la construction littéraire intentionnelle de ce passage. R’ ‘Aqiba conclut avec une remarque apologétique qui rappelle la halakha. L’humour dans ce récit relève du troisième niveau, celui de l’humour épistémologique. Loin de se limiter à une apologie explicite de l’institution et des enseignements rabbiniques, le texte remet aussi en question l’arrogance particulariste des rabbins à travers le manque de compassion de R’ ‘Aqiba envers les victimes non rabbiniques de l’accident. La surprise comique que forment les questions halakhiques du disciple critique l’attachement parfois excessif des rabbins à l’étude. La description du disciple sauvé des eaux à la manière du grand conte subvertit la halakha elle-même. Une suite de quatre mishnayot (M Keritot 3, 7-10) présente une discussion rabbinique relevant du genre des récits de la maison d’étude542 et où R’ ‘Aqiba raconte à la première personne les questions qu’il a posées à ses maîtres et collègues. La première question concerne un cas halakhique absurde. M Keritot 3, 7 « R’ ‘Aqiba dit : j’ai demandé à Rabban Gamliel et à R’ Yehoshua‘ au marché d’Emmaüs lorsqu’ils sont allés acheter une bête pour le banquet de son543 fils : celui qui couche avec sa soeur et avec la soeur de son père et avec la soeur de sa mère en une seule action cachée, qu’en est-il ? Est-il redevable d’un seul sacrifice pour tous [ces péchés] ou bien un sacrifice par péché ? Ils répondirent : nous n’avons rien entendu sur ce cas précis, mais nous avons entendu [une tradition], à propos d’un homme qui couche avec ses cinq femmes quand elles ont leurs règles en cachette, [disant] qu’il est redevable pour chacun des péchés, et nous voyons ici un raisonnement a fortiori. »

A.3. Rabbi Ṭarfon Rabbi Ṭarfon est une figure problématique. C’est un sage à part entière, mais il est également prêtre, d’une ascendance illustre et disciple de l’école de

542 543

Voir p. 75. Probablement le fils de Rabban Gamliel.

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Shammay544. Il est riche, c’est un point suspect, mais en même temps très généreux et pieux. Des controverses l’opposent souvent à R’ ‘Aqiba. La critique émise envers lui est dissimulée dans l’humour, parfois l’autodérision. P. Alexander545 soutient qu’un judaïsme sacerdotal continuait à exister en terre d’Israël comme en diaspora après 70, et souligne la rivalité entre ce mouvement et le judaïsme rabbinique, tous deux attachés à la définition de la loi à partir de la Tora. Il émet l’hypothèse que de nombreux prêtres se sont associés aux rabbins après 70, ce qui explique la place importante des sujets liés au sacerdoce dans les écrits tannaïtiques (la pureté rituelle, les prélévements destinés aux prêtres), et va jusqu’à soutenir que M Qodashim est un vestige d’une Mishna sacerdotale546. Onze récits présentent R’ Ṭarfon de manière édifiante, comme un maître qui enseigne la halakha à ses disciples (5)547, un sage qui prend des décisions halakhiques (4)548, ou un exemple à suivre (2)549. M Terumot 9, 2550 est un récit mettant en scène R’ ‘Aqiba et R’ Ṭarfon. Le premier s’exprime avec ironie et vise dans sa critique humoristique le second. Les quatorze récits humoristiques évoquent R’ Ṭarfon de manière tragicomique (4)551, soulignent son humour et sa tendance à faire de l’autodérision (7)552, ou encore le décrivent de manière ambivalente : édifiante et moqueuse à la fois (3)553. M Berakhot 1, 3 « [Les sages de] l’école de Shammay disent : le soir, tous les hommes doivent s’incliner et réciter [le shema‘] et le matin [ils réciteront] debout, puisqu’il est écrit : (Dt 6, 7) à ton coucher et à ton lever. [Les sages de] l’école de Hillel disent : tous les hommes récitent selon leur manière554 puisqu’il est écrit : (id.) et lorsque tu marches sur un chemin. Dans ce cas, pourquoi est-il écrit à ton coucher et à ton lever ? Ce n’est que pour signifier l’heure habituelle555 544 STEMBERGER, Introduction…, p. 101 ; A. HYMAN, Toledot tanna’im we-amora’im, vol. 2, Londres, 1910, p. 524-529. 545 P. S. ALEXANDER, « What Happened to the Jewish Priesthood after 70 ? », dans Z. RODGERS, M. DALY-DENTON, A. FITZPATRICK MCKINLEY (éd.), A Wandering Galilean. Essays in Honour of Seán Freyne, Leyde, 2009, p. 5-33. 546 Ibid., p. 25-27. 547 T Berakhot 4, 16-17 (3 récits) ; T Makhshirin 2, 14 ; T Nidda 2, 8. 548 T Demay 5, 22 ; M Ta‘anit 3, 9 ; T Yebamot 12, 15 ; T Kelim Baba Meṣi‘a 1, 6. 549 T Bekhorot 6, 14 ; T Nega‘im 8, 2. 550 Voir p. 134. 551 M Berakhot 1, 3 ; T Shabbat 5, 11-13 ; M ‘Erubin 4, 4 ; T Ḥagiga 3, 33. 552 T Zebaḥim 1, 8 ; T Ohalot 15, 12-13 ; M Ohalot 16, 1 ; T Yebamot 14, 10 ; T Miqwa’ot 1, 16-20 ; M Bekhorot 4, 4 ; T Miqwa’ot 7, 11. 553 T Yebamot 1, 10 ; M Beṣa 3, 5 ; T Ketubbot 5, 1. 554 Littéralement : « selon leur chemin » (ke-darkan). 555 Littéralement : « à l’heure où c’est le chemin des hommes de… » (be-sha‘a shederekh she-bene adam…).

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à laquelle les gens se couchent et l’heure habituelle à laquelle les gens se lèvent. R’ Ṭarfon raconte : je venais sur un chemin et je me suis penché pour réciter [le shema‘], selon les enseignements de l’école de Shammay et je me suis mis en danger à cause des bandits. [Les sages]556 lui dirent : [si un malheur t’était arrivé], tu n’aurais que toi-même à accuser puisque tu as transgressé les enseignements de l’école de Hillel. »

L’analyse détaillée de ce récit se trouve dans le chapitre concernant les controverses entre les écoles de Shammay et de Hillel (p. 173). Il est cependant important d’aborder ici les éléments relatifs à R’ Ṭarfon, notamment lorsque ce dernier est en voyage. L’humour s’exprime d’abord dans le décalage entre deux interprétations du mot derekh dans Dt 6, 7. Celle de l’école de Hillel insiste sur plusieurs significations non-littérales du mot, alors que R’ Ṭarfon s’attache, au contraire, à son sens littéral. R’ Ṭarfon ignore la complexité du raisonnement de l’école de Hillel et ne garde que le sens premier du mot, comme un enfant qui est incapable de comprendre l’ironie ou les jeux de mots des adultes et en reste au sens premier des conversations. À travers le caractère naïf de la déclaration de R’ Ṭarfon, le texte souligne la simplicité et la rigidité du raisonnement de l’école de Shammay et se moque à la fois de cette dernière et de R’ Ṭarfon. Dans la déclaration de R’ Ṭarfon, on peut lire également une forme d’autocritique. R’ Ṭarfon est un disciple de l’école de Shammay, et suit les enseignements de cette dernière, mais raconte que ce comportement l’avait exposé à un danger physique réel. La position penchée, exigée par l’école de Shammay, rend le voyageur plus vulnérable. Dans la suite du texte, les sages réprimandent ouvertement le comportement de R’ Ṭarfon, tout en détournant ses propos avec ironie : le danger, selon les sages, ne vient pas de la position penchée, plus vulnérable, ni de l’enseignement de l’école de Shammay, mais du fait que R’ Ṭarfon ait transgressé l’opinion de l’école de Hillel. Cette ironie est rendue plus explicite dans le parallèle du TB Berakhot 11a. Dans son commentaire de ce récit que nous reprenons plus loin, A. Tropper pointe le fait que la réprimande des sages est incohérente. En effet, si l’école de Hillel ne préconise pas une position précise pour la récitation du shema‘, cela signifie que l’homme peut réciter cette prière dans la position qu’il souhaite, et dans ce cas R’ Ṭarfon n’a pas transgressé les enseignements de l’école de Hillel. Tropper résout cette incohérence en expliquant les aspects halakhiques : en réalité, 556 Dans notre corpus, de nombreux récits emploient une forme plurielle sans sujet. Si cette forme, conformément à l’usage en hébreu moderne, est parfois traduite par l’impersonnel « on », dans la plupart des textes traduits ici il s’agit d’un groupe de personnes que nous identifions comme les sages. Nous mettons donc ce sujet entre crochets. Ce choix du rédacteur ne nous semble pas le fruit du hasard : c’est l’autorité générale du texte qui est ainsi exprimée et en gardant son anonymat elle est difficilement contestable.

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l’école de Hillel permettait toute position pour la récitation du shema‘, sauf celle préconisée par l’école de Shammay557. Cette explication est précieuse, car elle insiste sur l’aspect polémique de la logique de l’école de Hillel. Elle ignore cependant les aspects humoristiques du passage, qui tourne en dérision l’école de Shammay, R’ Ṭarfon ainsi que l’aspect parfois arbitraire de l’autorité rabbinique. T Shabbat 5, 11-13 « Les messagers peuvent sortir avec leurs foulards et non seulement les messagers, dirent-ils, mais tout homme. Les sages parlent cependant au présent. R’ Yehuda raconte : il arriva que Horqenos fils de R’ Eli‘ezer soit sorti avec son foulard dans le domaine public, mais un fil était attaché sur son doigt. Les sages dirent : il n’avait pas besoin [de ce fil]. Les bergers peuvent sortir avec leurs sacs et non seulement les bergers, dirent-ils, mais tout homme. Les sages parlent cependant au présent. R’ Yehuda raconte : il arriva que R’ Ṭarfon soit sorti la nuit du shabbat pour aller à la maison d’étude et on lui donna un drap qu’il tenait de ses deux mains pour se protéger des pluies. »

Nous avons ici deux halakhot et deux récits. La première halakha autorise les messagers à sortir le jour du shabbat avec un foulard. La Tosefta précise qu’il s’agit en réalité d’une autorisation générale, ce que le récit à propos de Horqenos vient confirmer. Ce récit n’a rien d’amusant. La deuxième halakha, très proche de la première, concerne les bergers, qui sont autorisés à sortir couverts de leurs sacs, puisqu’ils sont obligés d’emmener paître le troupeau, même pendant le shabbat et malgré les éventuelles intempéries. Cette autorisation est élargie par la Tosefta à tous les hommes, ce que vient confirmer le récit à propos de R’ Ṭarfon. Mais ce dernier a des traits comiques lorsque nous imaginons le respectable rabbin partir étudier la nuit du shabbat, mais contraint de se protéger de la pluie à l’aide d’un drap. Il est cependant probable que, dans ce récit, le rédacteur de la Tosefta n’ait eu aucune intention humoristique et que la dimension amusante relève de notre lecture subjective. M ‘Erubin 4, 4 « Celui qui s’est assis en chemin [pour se reposer avant le début du shabbat] puis s’est levé [une fois la nuit tombée] et le voici près d’une ville, il n’y entrera pas, car ce n’était pas son intention au départ. Paroles de R’ Me’ir. R’ Yehuda dit qu’il peut entrer. R’ Yehuda raconte : il arriva une fois que R’ Ṭarfon entra sans en avoir l’intention. »

557 A. TROPPER, Like Clay in the Hands of the Potter. Sage Stories in Rabbinic Literature (en hébreu), Jérusalem, 2011, p. 49.

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Cette mishna concerne la limite territoriale du shabbat, c’est-à-dire la distance que l’on peut parcourir pendant le shabbat. Un homme se trouvant dans un endroit isolé doit rester dans un périmètre de quatre coudées. S’il se trouve dans une ville, ce périmètre est de deux mille coudées autour de la ville558. À la suite du désaccord entre R’ Me’ir et R’ Yehuda, ce dernier raconte un très bref exemplum pour confirmer son opinion. Selon M. SimonShoshan, ce récit de la Mishna est une adaptation raccourcie et simplifiée d’une barayta aggadique plus ancienne se trouvant dans TB ‘Erubin 45a559. Simon-Shoshan explique que le rédacteur de la Mishna a « dépouillé » un récit de son contenu aggadique pour le rendre purement halakhique et l’adapter à son contexte. C’est un exemple de l’austérité textuelle de la Mishna. Nous allons donc étudier la version de ce récit que Simon-Shoshan considère comme plus ancienne. TB ‘Erubin 45a « Il a été enseigné : R’ Yehuda raconta une histoire sur R’ Ṭarfon qui était en voyage. La nuit était tombée et il se coucha à l’extérieur d’une ville. À l’aube, des bergers [qui gardent] du bétail le trouvèrent et lui dirent : Rabbi, voici que la ville est devant toi, entre ! Il entra, s’assit dans la maison d’étude et enseigna toute la journée. R’ Ya‘aqob dit [à R’ Yehuda] : de là, tu tires une preuve ?! Peut-être qu’il avait l’intention d’y entrer. Ou bien la maison d’étude était à l’intérieur de son domaine sabbatique560. »

R’ Ṭarfon se couche la veille du shabbat à l’extérieur d’une ville. La réaction des bergers qui le trouvent au matin suggère qu’en effet, il ne savait pas qu’il se trouvait à proximité d’une ville. La phrase des bergers laisse entendre que la ville était très proche de l’endroit où se trouvait R’ Ṭarfon. Le récit confirme donc l’opinion de R’ Yehuda : R’ Ṭarfon n’avait pas l’intention d’entrer dans la ville, et il y est entré tout de même. R’ Ṭarfon voyage seul. Le nuit tombe et il s’arrête pour dormir dans un pré, nous pouvons le déduire de la présence des bergers au matin (ce ne sont pas des laboureurs). Le fait qu’il s’arrête à proximité d’une ville sans y entrer montre que R’ Ṭarfon ne savait pas où il était. Il y a un aspect touchant et risible à la fois dans la présentation d’un sage perdu en chemin. Lors de la rencontre avec les bergers, R’ Ṭarfon ne parle pas, ce qui est étonnant lorsqu’il s’agit d’un rabbin. R’ Ṭarfon entre dans la ville, mais s’installe dans la maison d’étude toute la journée. La succession des trois verbes : « il entra, s’assit dans la maison d’étude et enseigna tout la journée » laisse entendre que R’ Ṭarfon est réellement resté assis à un seul 558 559 560

A. STEINSALTZ, Le Talmud. Guide et lexiques, Paris, 1995, p. 244. SIMON-SHOSHAN, Stories…, p. 99-106. Ms Vatican 109.

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endroit durant tout le shabbat. Nous pouvons donc supposer qu’il s’est imposé la limite restreinte de quatre coudées, ce qui confirme qu’il n’avait pas l’intention d’entrer dans la ville au départ, et qu’il s’était réellement perdu en chemin. Le fait de s’imposer cette restriction et d’enseigner toute la journée est louable, ce sont des détails édifiants. Le récit comporte donc un contraste entre une présentation tragi-comique du sage perdu, et une présentation édifiante du sage qui s’impose une limite stricte et enseigne pendant tout le shabbat. Un autre récit présente R’ Ṭarfon en chemin et de manière tragi-comique. T Ḥagiga 3, 33 « Il arriva que R’ Ṭarfon marchait sur un chemin. Un vieillard le trouva et lui dit : comment se fait-il que les gens se moquent de toi derrière ton dos, alors que toutes tes paroles sont vérité et droiture ? C’est parce que tu acceptes la teruma pendant tous les jours de l’année de tout homme. R’ Ṭarfon dit : que je sois dépouillé de mes enfants561, si ce n’est pas une halakha que je détiens de Rabban Yoḥanan ben Zakkay qui m’a dit : tu as la permission de recevoir la teruma pendant tous les jours de l’année de tout homme. Et maintenant les gens disent du mal de moi. Je décrète sur moi-même de ne pas recevoir la teruma pendant tous les jours de l’année de tout homme sauf s’il me dit : j’ai parmi elle un quart de qodesh. »

Ce récit est placé après une discussion halakhique concernant les prélèvements que les prêtres peuvent recevoir d’hommes simples (‘am ha-areṣ), en étant certains qu’ils ont été prélevés en état de pureté rituelle. Les sages sont plus stricts concernant la teruma qui est acceptable de la part d’un homme simple à un seul moment de l’année, dans la période qui suit immédiatement la fabrication du vin et de l’huile. Les autres jours de l’année, le produit est susceptible d’impureté et ne doit donc pas être consommé. La dimension humoristique du récit réside dans la présentation tragicomique de R’ Ṭarfon. Il marche tranquillement sur son chemin sans se soucier de quoi que ce soit et découvre tout d’un coup une vérité terrible : les gens se moquent de lui derrière son dos. La découverte de cette réalité se fait par le biais du vieillard. C’est un homme juif neutre qui ne fait pas partie du mouvement rabbinique562. Nous aurions pu nous attendre à une réaction forte de la part de R’ Ṭarfon, qui aurait pu consister dans le rejet vigoureux des paroles du vieillard, mais curieusement, il se justifie auprès de lui, et de surcroît, en jurant sur la vie de ses enfants. Cette expression est 561

Aqappeaḥ et banay. Ce personnage non rabbinique est à rapprocher d’une figure semblable dans TB Shabbat 33b-34a. Il s’agit du célèbre récit du séjour de R’ Shim‘on ben Yoḥay dans la grotte avec son fils R’ Ele‘azar. La figure du vieillard qui se dépêche de rentrer chez lui avec deux bouquets de myrte est un élément important qui précipite le déroulement du récit. 562

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caractéristique de R’ Ṭarfon qui avait l’habitude de jurer sur la vie de ses enfants, comme nous pouvons le voir dans les trois textes suivants. T Zebaḥim 1, 8 « (…) [R’ ‘Aqiba compare563 la réception du sang et le versement du sang sur l’autel]564. R’ Ṭarfon lui dit : ‘Aqiba, jusqu’à quand amasseras-tu et apporteras-tu sur nous [tes paroles] ?! Que je sois dépouillé de mes enfants si je n’ai pas entendu [qu’il y a bien] une différence entre la réception et le versement [du sang] et toi tu les compares. [R’ ‘Aqiba] lui répondit : permets-moi de te dire ce que tu m’as enseigné. Il lui dit : dis ! [R’ ‘Aqiba] expliqua : pour la réception, la pensée et l’acte ne sont pas les mêmes, alors que pour le versement, la pensée et l’acte sont les mêmes. Celui qui reçoit à l’extérieur, c’est conforme et celui qui verse à l’extérieur, c’est non-conforme. Si on l’a reçu de manière non conforme, on n’est pas obligé à cause de cela [d’apporter une offrande]. S’ils l’ont versé et qu’il est non-conforme, ils sont obligés [d’apporter une offrande] ! [R’ Ṭarfon] lui dit : pardi ! Tu ne t’es incliné ni à droite ni à gauche, moi, j’ai entendu [l’enseignement] et je n’avais pas à l’interpréter, alors que toi tu l’interprètes et tu es d’accord avec la halakha. Ainsi celui qui s’éloigne de toi, c’est comme s’il s’éloignait de sa vie ! »

Dans ce passage, nous trouvons un exemple de l’humour au premier niveau, qui se trouve dans la première phrase de R’ Ṭarfon. Ce dernier s’exprime, en effet, avec sarcasme pour s’opposer à R’ ‘Aqiba : « ‘Aqiba, jusqu’à quand amasseras-tu et apporteras-tu sur nous [tes paroles]565 ?! ». Aussitôt après cette opposition sarcastique, R’ Ṭarfon jure sur la vie de ses enfants pour appuyer son propos avec une phrase qui le caractérise dans plusieurs controverses : « que je sois dépouillé de mes enfants ». Cette même phrase apparaît dans deux récits avec un jeu de mots. M Ohalot 16, 1 « (…) R’ Ṭarfon dit : Que je sois dépouillé de mes enfants, si cette halakha n’est pas dépouillée ! (…)566 »

T Ohalot 15, 12-13 « Tous les objets portatifs apportent l’impureté au manche de l’aiguillon [du bétail]. R’ Ṭarfon dit : que je sois dépouillé de mes enfants si cette halakha n’est pas dépouillée ! Celui qui voit la chose ne sait pas ce que c’est, mais celui qui entend a entendu et a fait une erreur567. Histoire d’un homme qui 563

Maqqish. Nous nous contentons de résumer le raisonnement halakhique au début du paragraphe, sans le traduire entièrement. 565 ‘Ad matay atta megabbeb u-mebi ‘alenu. 566 Aqappeaḥ et banay she-zot halakha mequppaḥat. 567 Sens peu clair. 564

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passait avec un aiguillon de bétail sur son épaule et l’un de ses côtés surplomba une tombe. Ils le déclarèrent impur, car il formait une tente au-dessus d’un cadavre. Et celui qui entend a entendu et a fait une erreur. R’ Yehuda dit : histoire d’un homme qui labourait la terre. Alors qu’il remuait la charrue, le crâne d’un mort se trouva collé à la charrue et ils le déclarèrent impur, car [le laboureur] déplaçait un cadavre. Et celui qui entend a entendu et a fait une erreur568. »

Dans cette séquence nous trouvons deux éléments humoristiques : l’un est l’exclamation de R’ Ṭarfon exprimée avec un jeu de mots, l’autre est le deuxième récit où un crâne se colle à la charrue d’un agriculteur, ce qui peut être considéré comme un exemple d’humour noir. M Beṣa 3, 5 « Une bête qui meurt un jour de fête, il ne faut pas la déplacer. Il arriva qu’on interroge R’ Ṭarfon à propos d’une telle bête et du prélèvement sur la galette569 qui devient impur. Il entra dans la maison d’étude et posa la question et on lui a dit qu’il ne faut pas les déplacer. »

Dans cette anecdote un groupe anonyme interroge R’ Ṭarfon. L’identité de ces personnes reste obscure, sont-ils des juifs rabbiniques ? R’ Ṭarfon ne sait pas répondre à leur question halakhique et entre dans la maison d’étude pour interroger d’autres rabbins. C’est une présentation très étonnante de R’ Ṭarfon qui est en fort contraste avec les récits sans humour où le sage est, au contraire, présenté dans une situation d’enseignement avec plusieurs disciples570. Est-ce une anecdote qui tourne en dérision R’ Ṭarfon ? T Yebamot 1, 10 « … On demanda à R’ Yehoshua‘ : qu’en est-il des enfants des secondes femmes ? Il leur dit : pourquoi mettez-vous ma tête entre deux grandes montagnes, entre l’école de Shammay et l’école de Hillel ? Est-ce pour qu’ils fracassent ma tête ?! Je ne fais que témoigner à propos de la famille Bet Alubay571 de Bet Ṣeba’im572 et à propos de la famille Bet Qippay573 de Bet Meqoshesh574 qui étaient des enfants de secondes femmes et d’eux sont nés des grands-prêtres qui sacrifiaient sur l’autel. R’ Ṭarfon dit : j’aimerais tant575 me marier avec la rivale576 de ma fille pour qu’elle devienne femme de prêtre… » 568 Variante de l’édition de Venise 1521 : « Histoire d’un homme qui labourait la terre. Il remua la charrue et un crâne entier se trouva collé à la charrue. Ils le déclarèrent impur, car il formait une tente au-dessus d’un cadavre… » 569 Ḥalla. 570 Voir p. 142. 571 Maison des misérables. 572 Maison des cerfs. 573 Maison de ceux qui flottent. 574 Maison du ramasseur. 575 Ta’eb ani. 576 Ṣara.

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Trois éléments attirent notre attention dans ce texte. Le premier est la remarque de R’ Yehoshua‘ qui ne veut pas trancher entre les deux écoles et les compare à deux grandes montagnes qui menacent de fracasser sa tête. C’est une comparaison qui peut être humoristique. Le deuxième réside dans les noms des familles cités par R’ Yehoshua‘. Il se peut que ce soient des noms dont la signification est moqueuse. Le troisième est la remarque de R’ Ṭarfon. Il exprime son désir de montrer par son propre exemple que l’école de Shammay (dont il est issu) a raison. Il utilise un verbe très fort (ta’eb) pour exprimer son désir ardent d’accomplir un commandement, ce qui peut certes paraître naturel pour un rabbin. Cependant, le verbe employé étant trop fort pour être ignoré, ce désir nous semble grotesquement exagéré. T Yebamot 14, 10 « On ne vérifie pas les témoignages à propos des femmes par une enquête et un interrogatoire577. R’ Ṭarfon et R’ ‘Aqiba disent que l’on vérifie les témoignages à propos des femmes par une enquête et un interrogatoire. Histoire d’un homme qui vint devant R’ Ṭarfon témoigner [de la mort d’un homme] pour permettre à sa femme de se remarier. [R’ Ṭarfon] lui demanda : mon fils, quel est le témoignage dont tu as connaissance sur cette femme ? Il répondit : Rabbi, il était avec nous dans un convoi et une troupe nous attaqua et il s’accrocha à une branche de figuier et l’arracha [pour l’utiliser comme une arme] et réussit à faire reculer la troupe. Je lui dis : je te félicite Ari. Il me dit : tu as bien dit, c’est précisément mon nom, c’est ainsi que l’on me surnomme dans ma ville : Yoḥanan fils de Yonatan Arya de Kefar Shaḥara. [R’ Ṭarfon] lui dit : tu as bien parlé mon fils, Yonatan fils de Yoḥanan Arya de Kefar Shaḥara. Il répondit : non, j’ai dit Yoḥanan fils de Yonatan Arya de Kefar Shaḥara. [R’ Ṭarfon] lui dit : mais n’as-tu pas dit ainsi : Yonatan fils de Yoḥanan Arya de Kefar Shaḥara ? Il répondit : non, mais Yoḥanan fils de Yonatan Arya de Kefar Shaḥara. R’ Ṭarfon vérifia son témoignage trois fois et le trouva fiable et autorisa la femme [du défunt] à se remarier suite à son témoignage. À partir de là, on généralisa la vérification des témoignages à propos des femmes par une enquête et un interrogatoire. R’ ‘Aqiba leur dit : le jour où l’aubergiste sera [fiable, la femme de prêtre] sera [également] fiable. »

Ce paragraphe est le dernier du traité Yebamot. Il est placé après une longue série de récits de cas sans humour. Ces récits mettent en scène des juifs anonymes578 qui présentent leurs témoignages de décès devant les sages afin qu’ils décident si la femme du défunt peut se remarier. C’est également le cas de l’homme venu témoigner devant R’ Ṭarfon. Ce dernier interroge l’homme afin d’être certain que son témoignage est fiable, en employant

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Bi-derisha u-ba-ḥaqira. Ils ne sont pas qualifiés de disciples de sages (talmide ḥakhamim). Il s’agit donc de juifs qui ne sont pas des rabbins mais qui reconnaissent l’autorité de ces derniers puisqu’ils font appel à l’expertise rabbinique. 578

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une technique humoristique : il inverse les noms prononcés par l’homme. Il s’agit donc d’un humour au premier niveau. T Ketubbot 5, 1 « (…) Nos maîtres disaient : la femme juive ne mange pas la teruma tant qu’elle n’est pas entrée dans le dais nuptial, et la femme dont le mari est mort tant qu’elle n’a pas accompli l’acte sexuel avec son beau-frère. Si elle meurt, son mari hérite d’elle. R’ Menaḥem ben Nappa [dit] au nom de R’ Eli‘ezer ha-qappar : histoire de R’ Ṭarfon qui consacra trois cents femmes afin de les nourrir par la teruma, car c’étaient des années de sécheresse. Aussitôt, Yoḥanan ben Bagbag envoya [un mot] chez R’ Yehuda ben Betera à Neṣibin lui disant : j’ai entendu que tu disais qu’une fille juive fiancée à un prêtre peut manger la teruma. [R’ Yehuda] lui envoya [une réponse] lui disant : je te tenais en estime comme érudit dans les secrets de la Tora579, [mais je vois que] tu ne sais [même] pas juger par le principe a fortiori ! Si une servante cananéenne n’acquiert pas le droit de manger la teruma par l’acte sexuel, mais l’acquiert par le transfert d’argent, une fille juive qui acquiert le droit de manger la teruma par l’acte sexuel, a fortiori doit-elle l’acquérir par le transfert d’argent. Mais que puisje faire, puisque les sages disent qu’une fiancée juive ne mange pas la teruma avant d’entrer sous le dais nuptial [et] si elle meurt, son mari hérite d’elle ? »

Plusieurs détails nous interpellent dans ce texte. Le premier est l’action de R’ Ṭarfon. Ce dernier, motivé par une intention noble, souhaite faire profiter de ses richesses un grand nombre de femmes lors d’une période de famine. Son acte revêt néanmoins un caractère à la fois astucieux et grotesque. C’est une astuce qui détourne la halakha : en agissant ainsi, R’ Ṭarfon dénonce en quelque sorte les privilèges de la prêtrise dont il fait partie. C’est donc un acte à la fois de dénonciation et d’autodérision. Le caractère grandiose et exagéré du nombre de femmes donne à l’acte un aspect grotesque et souligne ainsi son caractère comique. Ce mélange de grande bonté et de ridicule caractérise d’autres récits qui présentent R’ Ṭarfon sous un angle tragi-comique. Le deuxième point qui mérite une attention particulière est l’échange entre Yoḥanan ben Bagbag et R’ Yehuda ben Betera, car il revêt l’aspect d’un « mot d’esprit ». Yoḥanan ben Bagbag lance une sorte de défi à R’ Yehuda ben Betera par une question ironique. C’est donc un personnage au nom énigmatique qui n’a pas le titre de Rabbi qui remet en question un personnage qui semble détenir une certaine autorité. La réponse de R’ Yehuda continue dans le même esprit ironique : « je pensais que… mais je vois que… » Le reproche que fait R’ Yehuda ben Betera à Yoḥanan ben 579 Ḥadre tora, littéralement : « les chambres de la Tora ». Cette expression est liée à une connaissance mystique et profonde de la Tora. Voir M. VIDAS, Tradition and the Formation of the Talmud, Oxford, 2014, p. 182-185.

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Bagbag est celui de ne pas connaître l’interprétation que l’on trouve dans Sifre Ba-midbar 117, où il est clairement dit que même la fiancée juive d’un prêtre peut bénéficier de la nourriture sacrée. M Bekhorot 4, 4 « Celui qui n’est pas un expert et a vu un premier-né se faire égorger selon sa décision, alors celui-ci sera enterré et [le preneur de décision] payera de ses biens. S’il a exempté le redevable ou obligé l’exempté, s’il a déclaré impur ce qui est pur ou vice versa, ce qu’il a fait est fait et il payera de ses biens. S’il est expert du tribunal, il est exempt de tout paiement. Histoire d’une vache dont l’utérus fut retiré et R’ Ṭarfon la donna à manger aux chiens. Et le cas fut apporté devant les sages et ils autorisèrent [la vache à la consommation]. R’ Theodoros le médecin dit : ni la vache ni la truie ne quittent Alexandrie avant qu’on ne leur retire l’utérus, afin qu’elles n’enfantent pas. R’ Ṭarfon dit : voici ton âne qui s’en va, R’ Ṭarfon ! R’ ‘Aqiba lui dit : R’ Ṭarfon, tu es exempt de payer, puisque tu es un expert du tribunal et quiconque est expert du tribunal est exempt de payer. »

Ce récit nous présente d’abord un premier événement : R’ Ṭarfon déclare qu’une vache dont l’utérus a été retiré est impure. Sa viande est donc impropre à la consommation des juifs et doit être donnée aux chiens. Le deuxième événement est la décision des sages concernant la pratique de R’ Ṭarfon : ils estiment au contraire que la vache est propre à la consommation. La succession de ces deux événements attire notre attention : dans les récits de cas habituels, les sages prennent le plus souvent une décision concernant les actions de juifs non rabbiniques, alors qu’ici il s’agit de R’ Ṭarfon, un tanna du IIe siècle ayant une place centrale dans le mouvement rabbinique. La suite du texte évoque un certain R’ Theodoros le médecin, qui semble être un habitant d’Alexandrie. Qui est ce personnage ? À l’exception de notre récit, il apparaît également dans T Ohalot 4, 2, où il appartient à un groupe de médecins qui apporte une « expertise » dans la reconnaissance d’ossements, pour une question de pureté et d’impureté. Un autre personnage au nom semblable est cité dans T Yom Ṭob 2, 15 : Thodos de Rome, qui a instauré la coutume de manger des chevreaux rôtis au moment de Pesaḥ à Rome, contrairement à l’opinion des sages qui ne pouvaient pas l’excommunier à cause de son statut social ou politique élevé. Ces trois récits sont cités plusieurs fois dans les Talmuds580. Ce personnage semble fort suspect aux yeux des rabbins ultérieurs (il aurait dû être excommunié, il parle de la viande de porc…).

580 Parallèle de M Bekhorot 4, 4 : TB Sanhedrin 33a. Parallèles de T Ohalot 4, 2 : TY Berakhot 1, 1 ; TB Nazir 52a. Parallèles de T Yom Ṭob 2, 15 : TY Pesaḥim 7, 1 ; TY Beṣa 2, 7 ; TY Mo‘ed Qaṭan 3, 1 ; TB Berakhot 19a ; TB Pesaḥim 53a-b ; TB Beṣa 23a.

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T Ohalot 4, 2 « R’ Yehuda dit : R’ ‘Aqiba considérait six choses comme impures, mais il a changé d’avis. Histoire où l’on apporta des paniers d’ossements de Kefar Ṭabi et on les posa à l’air [libre] dans la synagogue à Lod. Theodoros le médecin entra et avec lui tous les médecins. Ils dirent : il n’y a ici ni la colonne vertébrale d’un seul mort, ni le crâne d’un seul mort. [Les sages] dirent : puisqu’il y a ici [des sages] qui considèrent cela impur et d’autres qui considèrent cela pur, nous allons voter. Ils commencèrent par R’ ‘Aqiba qui déclara le cas pur. Ils lui dirent : puisque toi, qui avais l’habitude de déclarer de tels cas impurs, tu déclares maintenant [le cas] pur, ils peuvent être déclarés purs. R’ Shim‘on dit : et jusqu’au jour de la mort de R’ ‘Aqiba, [ce dernier] continuait à considérer cela impur, et je ne sais pas si, à sa mort, il est revenu sur son opinion. »

Théodoros le médecin ne fait clairement pas partie du mouvement rabbinique. Dans M Bekhorot 4, 4 comme dans T Ohalot 4, 2, il est un expert qui donne son opinion sur un cas suspect d’impureté rituelle. Dans les deux récits, il décide que le cas est pur, contre l’opinion d’un sage important, R’ Ṭarfon dans M Bekhorot et R’ ‘Aqiba dans T Ohalot. Dans les deux récits, les sages se soumettent à l’opinion du médecin. R’ Ṭarfon le fait d’ailleurs avec humour en disant : voici ton âne qui s’en va, R’ Ṭarfon ! C’est une manière d’accepter la réalité douloureuse de devoir se soumettre à l’opinion de ce médecin, auquel les sages accordent un respect considérable. Il n’est pas certain que Thodos de Rome, cité dans T Yom Ṭob 2, 15, soit le même homme que Théodoros le médecin, mais cela est probable. Il s’agit d’un juif non rabbinique qui a instauré des coutumes « sacrificielles » à Rome contrairement à l’avis des sages, mais ces derniers ne peuvent s’opposer à lui, car il bénéficie manifestement d’une impunité due à son statut social ou politique. Cette autorité extérieure au mouvement rabbinique est bien celle que détient le médecin dans notre récit. Dans M Bekhorot, ce personnage est d’ailleurs fort suspect : pourquoi parle-t-il de la viande de porc ? Cela ne paraît pas très juif… La phrase de R’ Ṭarfon relève ici de l’humour au premier niveau, dans l’échange entre les sages. Avec une subtile ironie, R’ Ṭarfon exprime son manque de pouvoir devant l’autorité non rabbinique de ce médecin. Il accepte la réalité tout en s’en détachant : c’est la fonction psychologique de l’humour. Dans la suite du récit, les sages rétablissent l’ordre : R’ Ṭarfon est exempt de payer, car il est un expert du tribunal. Il semble qu’il s’agisse ici d’une astuce des sages, car, s’il avait été vraiment expert, il aurait su qu’il n’avait rien à payer suite à son erreur. Le côté autoritaire et presque menaçant de ce médecin ressort de manière plus claire dans le récit de T Ohalot, où R’ ‘Aqiba se prononce conformément à l’opinion des médecins, alors que selon R’ Shim‘on il pensait précisément le contraire, et ce, jusqu’à la fin de sa vie. Le sage ressent manifestement de la crainte envers ce médecin et ses collègues.

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À la lumière de ce récit, qui n’est pas en soi humoristique, la remarque de R’ Ṭarfon, à première vue très mineure, reçoit une importance considérable. En acceptant ainsi son sort avec un humour détaché, R’ Ṭarfon évoque la triste réalité dans laquelle se trouvent les sages : la soumission à une autorité extérieure à leur mouvement et le manque d’autonomie, parfois même en ce qui concerne la vie religieuse. T Miqwa’ot 1, 16-20 « Un bain rituel qui a été mesuré et trouvé manquant, toutes les purifications qui ont été faites en lui, qu’il soit dans le domaine privé ou dans le domaine public, sont impures. R’ Shim‘on dit : c’est impur uniquement si le bain rituel est dans le domaine privé. S’il est dans le domaine public, c’est pur. R’ Shim‘on raconte : histoire de la piscine581 de Dasqas à Yabne qui fut mesurée et trouvée manquante. R’ Ṭarfon déclara [les purifications précédentes] pures et R’ ‘Aqiba les déclara impures. R’ Ṭarfon dit : puisque ce bain rituel est considéré comme pur, il sera toujours considéré comme pur jusqu’au moment où l’on sait qu’il est devenu impur. R’ ‘Aqiba dit : puisque ce bain rituel est considéré comme impur, il sera toujours considéré comme impur tant qu’on ne sait pas qu’il est devenu pur. R’ Ṭarfon dit : à quoi cela ressemble-t-il ? Au [cas de] celui qui accomplissait des sacrifices sur l’autel et il s’est avéré ensuite qu’il était le fils d’une divorcée ou le fils d’une veuve libérée du lévirat582, dont le service est autorisé. R’ ‘Aqiba dit : à quoi cela ressemble-t-il ? Au [cas de] celui qui accomplissait des sacrifices sur l’autel et il s’est avéré qu’il avait une malformation, et que son service est interdit. R’ Ṭarfon lui dit : tu le compares à un [prêtre] malformé et moi à un fils de divorcée ou un fils d’une veuve libérée du lévirat. Nous verrons à qui il ressemble. S’il ressemble davantage à un malformé, nous ferons notre déduction à partir du [cas du] malformé et s’il ressemble davantage à un fils de divorcée ou un fils d’une veuve libérée du lévirat, nous ferons notre déduction à partir de ces deux cas. R’ ‘Aqiba dit : le bain rituel, sa malformation est en lui-même, tout comme le prêtre malformé, sa malformation est en lui-même. Le fils d’une divorcée ou d’une veuve libérée du lévirat ne peut pas constituer une preuve, car sa malformation se trouve dans d’autres personnes que lui. Aussi, le bain rituel est invalidé à cause de [sa situation] particulière, comme le prêtre malformé est inapte à cause de [sa situation] particulière. On ne peut pas prouver [le cas du bain rituel] à partir d’un fils de divorcée ou d’une veuve libérée du lévirat qui sont inaptes à cause de leur famille. Ils votèrent le cas et le déclarèrent impur. R’ Ṭarfon lui dit : R’ ‘Aqiba, celui qui s’écarte de toi s’écarte de sa propre vie ! »

Dans cette longue controverse entre R’ Ṭarfon et R’ ‘Aqiba, les deux sages utilisent la même technique pour prouver leurs opinions respectives, mais usent chacun un élément de comparaison différent. R’ ‘Aqiba réussit à prouver que son argument est plus logique et gagne la controverse par un vote des sages. C’est la démonstration d’un procédé rabbinique classique. 581 582

Yegoret. Terme au sens peu clair. Nous l’avons traduit en tenant compte du contexte. Ḥaluṣa.

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L’humour ici est d’un caractère très mineur et se trouve uniquement dans la dernière exclamation de R’ Ṭarfon. Après avoir échoué à convaincre ses collègues qui ont voté contre lui, nous pouvons imaginer sa déception. La Tosefta ne se contente pas de nous donner le résultat du vote, elle est également intéressée par la réaction du perdant. Celui-ci accepte le joug de sa propre société et reconnaît la supériorité de son adversaire, mais sa remarque est pleine d’ambiguïté. Si, a priori, il montre une humble reconnaissance de l’autorité rabbinique, c’est-à-dire du vote, et de la supériorité des arguments de son adversaire, nous pouvons ressentir une critique dissimulée. R’ Ṭarfon déclare que s’opposer à R’ ‘Aqiba revient à mourir, et révèle ainsi des tensions internes au mouvement rabbinique. Les sages, apparemment, ne sont pas tous égaux, et il y a une certaine pression de la collectivité, qui oblige l’individu à s’effacer. C’est une déclaration sarcastique et tragique, qui est apparentée à la présentation tragi-comique de R’ Ṭarfon dans T Ḥagiga 3, 33, TB ‘Erubin 45a et M Berakhot 1, 3. T Miqwa’ot 7, 11 « Une vache ayant bu l’eau de la faute et que l’on a abattue dans un intervalle de vingt-quatre heures [est-elle pure ou impure] ? Un tel cas arriva et R’ Yose le Galiléen le déclara pur, alors que R’ ‘Aqiba le déclara impur. R’ Ṭarfon appuya [l’opinion de] R’ Yose le Galiléen. R’ Shim‘on ben Nannas appuya [l’opinion de] R’ ‘Aqiba. R’ Shim‘on ben Nannas renvoya583 R’ Ṭarfon. R’ Yose le Galiléen renvoya R’ Shim‘on ben Nannas. R’ ‘Aqiba renvoya R’ Yose le Galiléen. Quelque temps après, il lui trouva une réponse. Il lui dit : puis-je revenir ? [R’ ‘Aqiba] lui répondit : je ne l’autoriserais pas à n’importe qui, mais à toi oui, car tu es Yose le Galiléen. [R’ Yose dit :] je te dirai, voici qu’il est écrit : (Nb 19, 9) [Cependant un homme pur recueillera les cendres de la vache et les déposera hors du camp, en lieu pur], où elles resteront en dépôt, pour la communauté des enfants d’Israël, en vue de l’eau lustrale  : [c’est un purificatoire]. Lorsque les eaux restent en dépôt, ce sont les eaux lustrales, et non lorsque la vache les boit. Un tel cas arriva et trente-deux anciens votèrent à Lod et le déclarèrent pur. Au même moment, R’ Ṭarfon lut ce verset : (Dn 8, 4) Je vis le bélier donnant des coups de corne du côté de l’ouest, du nord et du midi  ; aucune des bêtes ne lui résistait et personne ne pouvait se défendre contre ses coups. Il en faisait à sa volonté et allait grandissant. [C’est] R’ ‘Aqiba. (Dn 8, 5) Et moi je vis et voilà qu’un bouc vint de l’occident, franchissant la surface de toute la terre sans toucher le sol  ; ce bouc avait une corne considérable entre les yeux. C’est Yose le Galiléen et sa réponse. (Dn 8, 6-7) Il arriva jusqu’au bélier, muni de deux cornes, que j’avais vu se tenir en face du fleuve, et se rua sur lui dans le paroxysme de sa force. Je le vis atteindre le bélier, se précipiter avec fureur contre lui, frapper le bélier et briser ses 583

Silleq.

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deux cornes. Ce sont ‘Aqiba et Shim‘on ben Nannas. (Id.) Sans que le bélier eût la force de lui tenir tête. C’est ‘Aqiba. (Id.) II le jeta à terre, le foula aux pieds. C’est R’ Yose le Galiléen. (Id.) et personne ne put sauver le bélier de ses coups. Ce sont les trente-deux anciens qui votèrent à Lod et la [la vache] déclarèrent pure. »

L’humour rabbinique s’exprime dans ce passage au premier niveau (humour interne) et au deuxième (humour narratif). Le récit commence par une controverse entre R’ ‘Aqiba et R’ Yose le Galiléen. Le rédacteur nous indique que deux autres rabbins sont venus appuyer les opinions des rabbins en désaccord, R’ Ṭarfon et R’ Shim‘on ben Nannas. Les trois premiers sont de la même génération, la troisième des tanna’im, et R’ ‘Aqiba est le plus important parmi eux si nous devons suivre le nombre de fois qu’ils sont cités dans la littérature tannaïtique (y compris les recueils midrashiques) : environ mille pour R’ ‘Aqiba, environ cent quatre-vingts pour R’ Ṭarfon et R’ Yose le Galiléen. R’ Shim‘on ben Nannas appartient à la génération suivante, c’est un disciple de R’ ‘Aqiba et il n’est cité qu’une vingtaine de fois dans la littérature tannaïtique. Le passage suivant nous indique une succession de renvois. On ne sait pas très bien d’où les sages sont renvoyés, nous pouvons supposer qu’il s’agit de la maison d’étude. La succession présente une dimension humoristique narrative où la répétition mécanique et expéditive d’une même action par trois rabbins peut être liée à la théorie du comique telle que Bergson l’a exposée584. La succession de renvois d’un sage par un autre s’arrête avec R’ ‘Aqiba, présenté ainsi comme le plus important des quatre. Dans la suite du récit, R’ Yose le Galiléen demande à revenir à la maison d’étude et à la discussion interrompue. Le rédacteur introduit cette demande en indiquant que, quelque temps après, il a trouvé une réponse. Le temps écoulé entre la controverse initiale et la réponse trouvée participe à la moquerie narrative de R’ Yose, dont l’acuité intellectuelle et la capacité à soutenir son opinion dans un désaccord halakhique sont remises en question et moquées par le rédacteur. Sa position inférieure à R’ ‘Aqiba est également soulignée : c’est à ce dernier que revient de décider si oui ou non R’ Yose peut revenir. R’ Yose justifie sa réponse en citant un verset des Nombres, ce à quoi R’ Ṭarfon réagit aussitôt en citant un verset de Daniel à propos d’un bélier donnant des coups de corne et auquel personne ne peut résister. Cette citation est clairement une comparaison, une parabole, dans laquelle le bélier auquel nul ne peut résister est R’ ‘Aqiba. R’ Ṭarfon poursuit sa citation de Dn 8 et identifie le bouc qui a une corne considérable entre les yeux

584

Voir p. 9.

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à R’ Yose et sa réponse. La corne entre les yeux est ce qui permet au bouc (R’ Yose) de l’emporter sur le bélier (R’ ‘Aqiba). La mobilisation des versets est tout à fait inhabituelle dans ce passage, car elle ne sert pas à prouver un point de halakha, ou un argument théologique, comme c’est souvent le cas dans le Midrash. Les citations de R’ Ṭarfon donnent un cadre narratif et une explication au déroulement des événements dans la maison d’étude. La parabole de R’ Ṭarfon explique la supériorité de R’ Yose dans cette controverse : le bouc (R’ Yose) a vaincu le bélier auquel nul ne pouvait résister (R’ ‘Aqiba). L’explication de la situation par la parabole n’est pas dénuée d’une moquerie sous-entendue qui vise l’agressivité dans la controverse entre les sages. L’humour interne de R’ Ṭarfon complète donc l’autodérision exprimée par l’humour narratif du rédacteur. A.4. Autres rabbins Les huit récits585 commentés dans cette partie concernent principalement R’ Me’ir, R’ Yishma‘el, R’ Eli‘ezer et R’ Yehoshua‘. D’autres rabbins y apparaissent également. Ils évoquent l’intransigeance de l’autorité rabbinique et les rivalités entre rabbins, ainsi que la question de la beauté physique. M Yadayim 4, 3 « En ce jour-là, ils demandèrent : Amon et Moab, qu’en est-il durant la septième année ? R’ Ṭarfon décréta [qu’ils doivent donner] la dîme du pauvre, alors que R’ Ele‘azar ben ‘Azarya décréta [qu’ils doivent donner] la seconde dîme. R’ Yishma‘el dit : Ele‘azar ben ‘Azarya, c’est à toi d’enseigner la preuve, car tu enseignes la mesure stricte, et celui qui est le plus strict doit apporter la preuve de son enseignement. R’ Ele‘azar ben ‘Azarya lui répondit : Yishma‘el, mon frère, je n’ai pas changé l’ordre des années, c’est R’ Ṭarfon, mon frère, qui l’a changé, et c’est à lui d’enseigner la preuve. R’ Ṭarfon répondit : l’Égypte est en dehors du pays et Amon et Moab sont en dehors du pays, de même qu’en Égypte, on donne la dîme du pauvre pendant la septième année, de même en Amon et Moab, on doit donner la dîme du pauvre pendant la septième année. R’ Ele‘azar ben ‘Azarya répondit : la Babylonie est en dehors du pays et Amon et Moab sont en dehors du pays, de même qu’en Babylonie, on donne la seconde dîme pendant la septième année, de même en Amon et Moab, on doit donner la seconde dîme pendant la septième année. R’ Ṭarfon dit : l’Égypte, puisqu’elle est proche [de la terre d’Israël], on décida que ce soit la dîme du pauvre afin que les pauvres d’Israël puissent être aidés par cette dîme pendant la septième année. Amon et Moab, qui sont aussi proches [d’Israël], il faut décider que ce soit la dîme du pauvre afin que les 585 T Shabbat 1, 13 ; T Shabbat 12, 12 ; T Soṭa 7, 8-15 ; M Yadayim 4, 3 ; T Yadayim 2, 16 ; T Horayot 2, 5-6 ; M Nedarim 9, 10 ; T Ḥullin 2, 22-23.

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pauvres d’Israël puissent être aidés par cette dîme pendant la septième année. R’ Ele‘azar ben ‘Azarya lui répondit : tu te présentes comme celui qui fait profiter les pauvres des richesses, mais en réalité tu leur fais perdre leur vie, et tu décides pour le ciel qu’il arrête de faire descendre la rosée et la pluie puisqu’il est écrit : (Ml 3, 8) L’homme peut-il voler de Dieu  ? Et voici que vous me volez et vous demandez  : en quoi t’avons-nous volé  ? La dîme et la teruma. R’ Ṭarfon répondit586. R’ Yehoshua‘ dit : voici que je vais répondre aux propos de mon frère Ṭarfon, mais pas directement à ses propos. L’Égypte est un cas nouveau alors que la Babylonie est un cas ancien, et ce qui est devant nous est un cas nouveau. Un cas nouveau peut être déduit à partir d’un autre cas nouveau et non à partir d’un cas ancien. L’Égypte est un cas [décrété par] les sages et la Babylonie est un cas [décrété par] les prophètes, et ce qui est discuté devant nous est un cas [qui relève] des sages. Un cas [décrété par] les sages peut être déduit à partir d’un autre cas [décrété par] les sages et non à partir d’un cas [décrété par] les prophètes. Ils votèrent et décidèrent : Amon et Moab prélèveront la dîme du pauvre pendant la septième année. Lorsque R’ Yose ben Dormasqit vint auprès de R’ Eli‘ezer à Lod, ce dernier lui demanda : quelle nouveauté y avait-il à la maison d’étude aujourd’hui ? Il lui répondit : [les sages] ont voté et décidé : Amon et Moab prélèveront la dîme du pauvre pendant la septième année. R’ Eli‘ezer se mit à pleurer et dit : (Ps 25, 14) Le secret de l’Éternel [est enseigné] à ceux qui le craignent, son alliance les informe. Sors leur dire : ne craignez pas quant à votre vote, j’ai reçu l’enseignement de la part de Rabban Yoḥanan ben Zakkay qui l’a entendu de son maître et son maître de son maître, [il s’agit d’une] halakha donnée à Moïse au Sinaï, selon laquelle Amon et Moab prélèveront la dîme du pauvre pendant la septième année587. »

C’est une très longue narration qui rapporte une controverse entre R’ Ṭarfon et R’ Ele‘azar ben ‘Azarya. Plusieurs éléments humoristiques sont à noter ici. R’ Ele‘azar ben ‘Azarya et R’ Eli‘ezer citent tous deux des versets de manière ironique, en critiquant leurs collègues. R’ Ele‘azar ben ‘Azarya accuse avec sarcasme R’ Ṭarfon et ce dernier reste silencieux. C’est R’ Yehoshua‘ qui doit venir à son aide dans l’argumentation ce qui contribue à sa présentation tragi-comique. La suite du récit concerne R’ Eli‘ezer. Nous pouvons noter le caractère grotesque de sa réaction émotionnelle ainsi que l’ironie de ses propos. Il déclare que la grande polémique à la maison d’étude, rapportée comme une nouveauté, est en réalité une halakha enseignée à Moïse au Sinaï et se moque ainsi de l’ignorance des sages. Le parallèle de ce récit dans la Tosefta comporte une variante intéressante.

586

Sa réponse n’est pas indiquée. Dans la mishna suivante, la controverse continue entre Rabban Gamliel et R’ Yehoshua‘. L’opinion de ce dernier l’emporte. Parallèle : T Yadayim 2, 17-18. 587

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T Yadayim 2, 16 « R’ Yose ben Dormasqit dit : j’étais avec les premiers anciens de Yabne. [Je suis parti] vers Lod et je suis venu et j’ai trouvé R’ Eli‘ezer assis dans une boutique de boulangers à Lod. Il me demanda : quelle nouveauté y avait-il à la maison d’étude aujourd’hui ? Je lui ai dit : nous sommes tes disciples et nous buvons tes eaux. Il me répéta : quand bien même, quelle nouveauté ? Je lui ai dit les halakhot et les réponses du vote et lorsque je suis arrivé à ce vote, ses yeux versaient des larmes. Il dit : (Ps 25, 14) Le secret de l’Éternel [est enseigné] à ceux qui le craignent, [son alliance les informe]. Et [l’Écriture] dit [également] : (Am 3, 7) car l’Éternel Dieu ne fait rien s’il n’a pas révélé son secret à ses serviteurs les prophètes. Sors leur dire : ne vous précipitez pas dans votre vote, j’ai reçu l’enseignement de la part de Rabban Yoḥanan ben Zakkay qui l’a entendu de la part des couples et les couples des prophètes et les prophètes [ont reçu] la halakha donnée à Moïse au Sinaï, que l’on prélève la dîme du pauvre pendant la septième année. »

Dans ce parallèle, la conversation entre R’ Eli‘ezer et R’ Yose ben Dormasqit est plus étoffée, et comporte la phrase « nous sommes tes disciples et nous buvons tes eaux », qui exprime le grand respect de R’ Yose ben Dormasqit envers R’ Eli‘ezer. Pourquoi ce dernier n’était-il pas à la maison d’étude ? Pourquoi s’exprime-t-il avec une ironie moqueuse contre ses collègues ? La phrase « nous sommes tes disciples et nous buvons tes eaux » fait écho à un autre récit semblable qui concerne R’ Yehoshua‘. T Soṭa 7, 8-15 « Tous sont aptes à monter les marches de la salle, qu’ils soient valides ou handicapés, que ce soit dans le bon groupe ou non, mis à part celui dont le visage, les mains ou les pieds sont difformes, afin qu’il ne lève pas ses mains dans le Temple, car les [gens du] peuple le regardent. Et de même [qu’il en est ainsi concernant] la levée des mains dans le Temple, il en est ainsi dans les provinces588. Histoire de R’ Yoḥanan ben Beroqa et R’ Ele‘azar ha-samma qui allèrent de Yabne à Lod et furent reçus par R’ Yehoshua‘ à Peqi‘in. R’ Yehoshua‘ leur dit : quel enseignement nouveau y avait-il à la maison d’étude aujourd’hui ? Ils lui répondirent : nous sommes tes disciples et nous buvons tes eaux. Il leur dit : il est impossible qu’il n’y ait pas d’enseignement nouveau à la maison d’étude. De qui était-ce le shabbat ? Ils lui dirent : de R’ Ele‘azar ben ‘Azarya. Il leur demanda : quelle était la lecture ? [Ils répondirent] : (Dt 31, 12) Assemble [le peuple entier], hommes, femmes et enfants, [ainsi que l’étranger qui est dans tes murs, afin qu’ils entendent et s’instruisent, et révèrent l’Éternel, votre Dieu, et s’appliquent à pratiquer toutes les paroles de cette doctrine]. Il leur demanda : et quelle exégèse a-t-il prononcée à propos de ce passage ? Ils lui répondirent qu’il a enseigné ainsi : si les hommes vinrent pour étudier et les femmes pour entendre, les enfants, pourquoi vinrent-ils ? C’est pour donner une récompense à ceux qui les ont 588

Gebulin.

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amenés. Et il enseigna encore : (Dt 26, 17-19) Tu as glorifié aujourd’hui l’Éternel [en promettant de l’adopter pour ton Dieu, de marcher dans ses voies, d’observer ses lois, ses préceptes, ses statuts, et d’écouter sa parole. Et l’Éternel t’a glorifié à son tour [en te conviant à être son peuple privilégié, comme il te l’a annoncé, et à garder tous ses commandements. Il veut que tu deviennes la première de toutes les nations qu’il a faites, en gloire, en renommée et en dignité  ; que tu sois un peuple consacré à l’Éternel, ton Dieu, comme il l’a déclaré.]. Le Saint, béni soit-Il, leur dit : de même que vous avez fait de moi [votre] seul objet d’amour en ce monde-ci, de même je ferai de vous [mon] seul objet d’amour dans le monde à venir. Et il enseigna encore : (Qo 12, 11) Les paroles des sages sont comme des aiguillons, [les dires des auteurs de collections], comme des clous bien plantés  : [tout émane d’un seul et même pasteur]. De même que l’aiguillon dirige la vache afin d’apporter la vie dans le monde, de même les paroles de Tora ne sont pas autre chose que la vie pour le monde, ainsi qu’il est écrit : (Pr 3, 18) Elle est un arbre de vie pour ceux qui la saisissent, ceux qui s’approchent d’elle sont heureux. De même que cet aiguillon peut se déplacer, de même les paroles de la Tora. Et qu’enseigne la phrase comme des clous bien plantés ? De même que les plantations croissent et se multiplient, de même les paroles de Tora croissent et se multiplient. [Et qu’enseigne la phrase] les détenteurs de collections ? Ce sont ceux qui entrent et s’assoient par groupes et disent à propos de ce qui est impur [qu’il est] impur et à propos de ce qui est pur [qu’il est] pur, à propos de l’impur à sa place et à propos du pur à sa place. Afin qu’un homme ne puisse pas se dire : puisque l’école de Shammay déclare [telle chose] impure et l’école de Hillel [la] déclare pure, ou qu’untel interdit [telle chose] et un autre l’autorise, à quoi bon étudier la Tora ? La lecture approfondie [des versets suivants] enseigne : (Dt 4, 12) paroles, (Ex 34, 27589) les paroles, (Ex 1, 1) [Dieu prononça] toutes ces paroles, (Dt 1, 1) Ce sont les paroles, (Qo 12, 11) tout émane d’un seul et même pasteur. Un seul Dieu les créa. Un seul pourvoyeur les donna, maître de tous les actes, béni soit-Il. Ils dirent : toi aussi, fais pour cela des chambres et mets-y les paroles de l’école de Shammay et de l’école de Hillel, les paroles de ceux qui disent « impur » et ceux qui disent « pur ». Il leur dit : il n’existe pas une génération orpheline, si R’ Eli‘ezer en fait partie. On faisait pour lui une estrade de bois dans la salle et il s’asseyait sur elle. R’ Eli ‘ezer ben Ya ‘aqob dit : [c’était] sur le mont du Temple, ainsi qu’il est écrit : (Ne 8, 3-5) Il en fit la lecture devant la place qui précède la porte de l’eau, depuis l’aurore jusqu’au milieu de la journée, (…) Esdras se tenait sur une estrade en bois, qu’on avait élevée pour la circonstance (…) Esdras ouvrit le livre aux yeux de tout le peuple (…). Ce jour, les prêtres se tenaient aux clôtures et aux brèches avec des trompettes d’or dans leurs mains. Ils faisaient retentir la teqi‘a, la teru‘a et la teqi‘a. Si un prêtre n’avait pas de trompette en main, les gens disaient : on dirait que ce n’est pas un prêtre. Les habitants de Jérusalem gagnaient un grand salaire ce jour-là, car ils louaient des trompettes à un dinar d’or. Ce jour, R’ Ṭarfon vit un boiteux debout en train de sonner les trompettes. D’ici vient la preuve que les boiteux peuvent sonner la trompette dans le Temple. Au nom de R’ Natan, ils dirent : [les enfants d’] Israël sont destinés à la destruction, car ils ont été hypocrites avec le roi Agrippa. » 589

Le mot se trouve dans un très grand nombre de versets.

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C’est une longue séquence qui commence par la halakha 8, suivie d’un récit ouvrant sur un très long midrash édifiant qui finit par deux autres anecdotes dans la halakha 15. Quelques détails nous interpellent particulièrement. Dans le récit initial, les trois disciples refusent d’abord de rapporter à leur maître R’ Yehoshua‘ ce qui a été dit dans la maison d’étude. Ils tiennent des propos évasifs, mais R’ Yehoshua‘ n’est pas dupe et leur pose les bonnes questions. De leurs réponses, il ressort que l’enseignement était très important, long et édifiant. Il concerne d’abord la halakha 8 et l’assemblée d’Israël tout entière dans le Temple. Ensuite, par une ironie textuelle, le midrash porte sur l’unité de la parole divine et le fait que même des enseignements d’écoles opposées sont tous légitimes et considérés comme faisant partie de l’unicité de la Tora. Ceci est comme une réponse de R’ Yehoshua‘ à ses disciples : de même que mes enseignements sont de la Tora, de même ceux de tous mes collègues le sont. Il s’agit donc d’une ironie narrative qui permet au texte de la Tosefta de moquer la trop grande fidélité des disciples envers leurs maîtres. La moquerie est marquée par une autocritique vis-à-vis des rivalités internes dans le mouvement rabbinique. La séquence édifiante continue avec une comparaison de R’ Eli‘ezer avec Esdras, créant ainsi une continuité entre le passé biblique post-exilique et le mouvement rabbinique. La description édifiante de nombreux prêtres sonnant les trompettes dans le Temple est agrémentée d’un petit détail anecdotique qui moque ces mêmes prêtres. Nous apprenons en effet qu’un prêtre sans trompette était considéré par la foule comme n’étant pas un prêtre. La Tosefta raconte que ce jour-là, la location de trompettes était une affaire en or (dans les deux sens du terme) pour les habitants de Jérusalem. Ce petit détail moque à la fois la cupidité et le sang-froid des gens de Jérusalem (moqués pour ces mêmes raisons dans d’autres récits) et l’attachement à l’apparence des prêtres (caractéristique également moquée dans d’autres passages). L’absence de R’ Yehoshua‘ de la maison d’étude, alors que c’est R’ Ele‘azar ben ‘Azarya qui enseigne, est selon nous significative. Il est probable que cette situation soit liée à l’histoire de la déposition de Rabban Gamliel590 et à l’humiliation publique qu’il a infligée à R’ Yehoshua‘, qui serait, pour un temps limité, mis à l’écart de la maison d’étude. Un rapprochement entre T Soṭa 7, 8- 15 et T Yadayim 2, 16 montre que R’ Yehoshua‘ et R’ Eli‘ezer se trouvent tous les deux dans la même situation : ils sont à l’extérieur de la maison d’étude et demandent à entendre l’enseignement par l’intermédiaire de leurs disciples. Ces derniers commencent par refuser en prononçant la phrase : « nous sommes tes disciples et nous buvons tes eaux ». Les deux rabbins semblent être mis à l’écart de 590

Voir p. 118-120.

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leurs collègues, autrement dit excommuniés. Les pleurs de R’ Eli‘ezer, démonstration d’émotion rare dans les écrits tannaïtiques, viennent appuyer cette hypothèse. Il est donc tentant de supposer que le texte de T Yadayim 2, 16 fait écho aux récits talmudiques de l’excommunication de R’ Eli‘ezer à la suite de la controverse sur le four de ‘Akhnay (TY Mo‘ed Qatan 3, 1 et TB Baba Meṣi‘a 59a-b). Or, cette controverse apparaît également dans T ‘Eduyot 2, 1, un passage qui mentionne la multitude des controverses causées par ce point spécifique de halakha. Il est évident que les récits élaborés de l’excommunication de R’ Eli‘ezer sont tardifs591, mais le récit de T Yadayim 2, 16, marqué par l’émotion et la moquerie de R’ Eli‘ezer, suggère que le noyau de ce récit était connu des tanna’im. L’attention portée à l’humour pourrait ainsi contribuer à une meilleure connaissance de l’histoire des traditions rabbiniques. T Shabbat 1, 13 « R’ Yishma‘el dit : une fois, je lisais à la lumière d’une bougie et je voulais l’incliner. Je [me suis] dit que les paroles des sages sont grandes lorsqu’ils disent : il ne faut pas lire le soir du shabbat à la lumière d’une bougie. R’ Natan dit : il l’a sûrement inclinée, et il est écrit dans son carnet592 : Yishma‘el, fils d’Elisha‘, a incliné sa bougie pendant le shabbat. Lorsque le Temple sera reconstruit, il apportera une offrande expiatoire. »

R’ Yishma‘el raconte ici à la première personne comment il a failli transgresser l’interdit d’incliner une bougie pendant le shabbat. Il fait l’éloge des paroles des sages qui interdisent la lecture à la lumière d’une bougie pendant le shabbat et éloignent ainsi la possibilité de la transgression. Cette déclaration de R’ Yishma‘el semble un peu suspecte : pourquoi raconte-t-il qu’il voulait incliner la bougie ? L’insistance sur la volonté sans la précision de l’acte sous-entend que la transgression n’a pas été commise, mais dans ce cas, quel est l’intérêt d’en parler ? La déclaration de R’ Yishma‘el revêt une dimension de mauvaise foi et nous avons l’impression que sa remarque est le résultat de sa culpabilité. La suite du récit, attribuée à R’ Natan, confirme cette idée : selon lui, R’ Yishma‘el a sûrement incliné la bougie. Deux générations séparent les deux tanna’im. La remarque de R’ Natan ne peut donc être qu’une supposition, un commentaire, qui détecte la mauvaise foi de R’ Yishma‘el et la révèle avec sarcasme593. 591

RUBENSTEIN, Talmudic…, p. 34-63. Pineqas. 593 Nous classons ce type d’humour dans la première catégorie, l’humour interne, car il se trouve dans la manière même dont s’expriment les sages : l’ironie hypocrite pour R’ Yishma‘el, le sarcasme pour R’ Natan. 592

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La suite du texte peut être attribuée à R’ Natan ou bien à un commentaire anonyme. Que signifie « il est écrit dans son carnet » ? Le carnet de qui ? Pouvons-nous imaginer que R’ Natan et ses contemporains avaient sous la main le carnet de notes de R’ Yishma‘el ? Dans ce cas, R’ Yishma‘el, qui n’a pas osé déclarer ouvertement sa faute, l’aurait consignée dans un carnet avec la promesse d’apporter une offrande expiatoire lorsque le Temple sera reconstruit. Cette lecture est rendue explicite dans le TB. Dans TB Shabbat 12b, nous trouvons une version du récit qui répond à nos interrogations594 : le texte, introduit de manière anonyme, commence par supposer que R’ Yishma‘el a incliné la bougie, ce à quoi, un autre avis anonyme répond qu’il a simplement voulu l’incliner. Dans cette version, R’ Natan dit clairement : « il a lu, incliné [la bougie] puis a écrit dans son carnet… » Dans le TB, contrairement à la Tosefta, il s’agit sans aucun doute du carnet qui appartient à R’ Yishma‘el, où ce dernier écrit à la première personne. Le TB ôte ainsi du récit de la Tosefta toute forme d’ambiguïté. De plus, la remarque de R’ Natan est placée après deux avis opposés et devient donc le troisième avis décisif. Ce nouvel aspect enlève à la remarque initiale de la Tosefta sa dimension sarcastique. Le TB rend cependant explicite la critique de R’ Yishma‘el par la remarque de R’ Abba sur la différence ou l’étrangeté de R’ Yishma‘el qui se comporte comme un simple particulier lorsqu’il s’agit des paroles de la Tora, qui sont ici les paroles des sages. Pouvons-nous être certains que le carnet dont parle le récit appartient bien à R’ Yishma‘el ? Si le TB l’affirme clairement, la Tosefta est plus elliptique à ce sujet : ce qui est écrit dans le carnet est rédigé à la troisième personne et présenté comme une obligation imposée par quelqu’un à R’ Yishma‘el. Pouvons-nous supposer qu’il s’agisse du carnet d’une autorité supérieure à R’ Yishma‘el ? Un autre sage ? L’ambiguïté de la Tosefta a pour conséquence que R’ Yishma‘el est décrit de deux façons opposées. Le récit affirme, d’une part, sa place dans la société rabbinique, et d’autre part il le critique. D’un côté, R’ Yishma‘el fait l’éloge des enseignements des sages et promet d’apporter une offrande expiatoire pour sa faute. De l’autre, R’ Yishma‘el n’a pas obéi aux paroles des sages et il peine à avouer sa faute. Ainsi, si l’on ignore la dimension 594 « Un homme ne doit pas lire [à la lumière d’une bougie] par crainte qu’il ne l’incline. R’ Yishma‘el ben Elisha‘ dit : je lirai et je n’inclinerai pas ! [Il arriva cependant] une fois qu’il a lu et il a incliné la bougie. Il a incliné, penses-tu ? Dis plutôt qu’il voulait incliner. Il dit : Oh combien sont grandes les paroles des sages qui disaient qu’un homme ne doit pas lire [à la lumière d’une bougie] par crainte qu’il ne l’incline ! R’ Natan dit : Il a lu, et il a incliné [la bougie] et il a écrit dans son carnet : moi, Yishma‘el ben Elisha‘, j’ai incliné une bougie pendant le shabbat et lorsque le Temple sera reconstruit, j’apporterai une offrande expiatoire importante pour cette faute. R’ Abba dit : R’ Yishma‘el est étrange [on peut traduire aussi : différent], car il se fait comme un simple particulier lorsqu’il s’agit de paroles de Tora » (TB Shabbat 12b).

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humoristique du texte, c’est plutôt le premier aspect qui prévaut, mais si l’on prend en compte le sarcasme de R’ Natan et l’ambivalence générale de la Tosefta dans ce récit, on est plutôt en présence de la critique subtile d’un rabbin qui ose braver un interdit de ses collègues. Si l’affirmation de la légitimité de R’ Yishma‘el est confirmée dans le TB, son caractère différent et étrange devient aussi beaucoup plus explicite. T Horayot 2, 5-6 « (…) L’homme est prioritaire sur la femme lorsqu’il s’agit de sauver une vie ou rendre un bien perdu. La femme est prioritaire sur l’homme lorsqu’il s’agit de couvrir [la nudité] et de délivrer de prison. Si les deux sont dans une situation dégradante595, l’homme est prioritaire. Histoire de R’ Yehoshua‘ qui est allé à Rome. On lui dit : il y a un jeune garçon, jérusalémite, beau par les yeux et par l’apparence, qui est un sujet de moquerie596 [publique]. R’ Yehoshua‘ alla vérifier cela. Lorsqu’il arriva à la porte [de sa cellule], il récita ce verset : (Is 42, 24) Qui a livré Jacob au pillage et Israël à l’avidité des ravisseurs [si ce n’est l’Éternel]  ? Le jeune garçon prit la parole et dit : (id.) C’est que nous avons péché contre lui  : [l’on a refusé de marcher dans ses voies, et l’on n’a pas obéi à sa doctrine]. À ce moment, R’ Yehoshua‘ dit : j’appelle le ciel et la terre comme témoins, que je ne bougerai pas d’ici tant que je ne l’ai pas racheté pour une somme considérable. Il le racheta pour une somme considérable et l’envoya en terre d’Israël, et à propos de lui il a été écrit : (Lm 4, 2) Les fils de Sion, si prisés, qui valaient leur pesant d’or fin597. »

Ce récit vient expliquer les raisons du principe qui le précède : la priorité de l’homme sur la femme lorsque les deux sont dans une situation dégradante. Cette priorité s’explique par le potentiel de l’homme en matière de Tora, puisqu’il est susceptible de l’enseigner. L’importance de l’étude et de l’enseignement de la Tora est d’ailleurs évoquée dans la première partie de la halakha 5. L’anecdote raconte la libération d’un enfant prisonnier, placé dans une situation dégradante et donc objet de moquerie. R’ Yehoshua‘, le protagoniste principal du récit, entend en effet parler d’un enfant d’une très grande beauté, dont la description évoque le roi David (1 S 16, 12). Le parallèle de ce récit dans TB Giṭṭin 58a identifie l’enfant, il s’agit de R’ Yishma‘el. Le passage du TB s’intéresse à la beauté physique en 595

Qalqala. Ms Erfurt : qalon. Qeles. Ms Erfurt : qalon. 597 Le parallèle de TY Horayot 3, 7 présente deux variantes. La première est la description de l’enfant emprisonné qui évoque le roi David de manière encore plus explicite : « Roux, avec une beauté des yeux et bon d’apparence et ses mèches sont rangées en boucles » (description à rapprocher de 1 S 16, 12) et qui rappelle également les boucles du bien-aimé dans Ct 5, 11. La deuxième est le mot qalon utilisé à la place de qeles, ce qui confirme la traduction de qeles par moquerie ou mépris. 596

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particulier, mais ce n’est pas le cas du récit de la Tosefta. Détachée d’un tel contexte, l’information concernant la beauté de l’enfant paraît suspecte : pourquoi la Tosefta se préoccupe-t-elle de nous en informer ? Qu’est-ce que cela signifie quant à la motivation de R’ Yehoshua‘ ? N’était-il pas suffisant qu’un enfant soit captif et humilié ? En quoi sa beauté contribue-t-elle au déroulement de l’histoire ? Ce détail suscite des interrogations. Si l’enfant était laid, R’ Yehoshua‘ serait-il aussi motivé pour aller l’examiner ? R’ Yehoshua‘ n’était-il pas réputé pour sa laideur exceptionnelle ? Dans TB Ta‘anit 7a et dans TB Nedarim 50a, la fille de l’empereur dit à R’ Yehoshua‘ qu’il est une Tora glorieuse dans un contenant laid. C’est une référence anachronique, mais il n’est pas impossible que les traditions à propos de la laideur de R’ Yehoshua‘, ou du moins de son apparence négligée due à son métier, soient anciennes. Nous proposons donc de lire ce détail comme une critique sarcastique et mordante de R’ Yehoshua‘ lui-même, en tant que représentant du mouvement rabbinique. Dans la suite du récit, nous notons un « retour à la norme » : pour examiner si l’enfant vaut la peine d’être libéré, R’ Yehoshua‘ récite un verset et l’enfant le complète. Le verset récité suggère que la captivité de l’enfant est une punition divine, ce que l’enfant accepte humblement en récitant la fin du verset. Cette érudition impressionne R’ Yehoshua‘ qui s’engage à libérer l’enfant coûte que coûte, ce qu’il fait, et tout est bien qui finit bien, l’enfant étant envoyé en terre d’Israël. La fin heureuse de l’histoire est agrémentée d’un verset. Dans le texte, nous avons seulement les mots « chers enfants de Sion », mais la suite du verset, qui à première vue parle de la qualité des enfants de Sion, dont cet enfant érudit est un bon représentant, peut également être lue d’une autre manière. Les différentes traductions598 mettent en avant « ces enfants de Sion qui valent leur pesant d’or ». Si la lecture métaphorique est privilégiée par les traducteurs, il est probable que, comme à leur habitude, les rabbins adoptent une lecture réelle, physique. L’enfant ayant dû être racheté et affranchi précisément en déboursant une somme considérable, pourquoi ne pas comprendre « son pesant d’or » au sens propre ? Cette dernière lecture est ironique, et il est fort probable que ce soit un double sens intentionnel de la part du rédacteur de la Tosefta, qui exprime ainsi de manière humoristique sa critique de R’ Yehoshua‘ et des rabbins. Cette lecture ironique prend tout son sens avec la suite de la Tosefta, puisque nous lisons dans le paragraphe suivant :

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Rabbinat, A. Chouraqui, La Bible en français courant.

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T Horayot 2, 7 « D’où [savons-nous] que quiconque enseigne un chapitre à son prochain est considéré comme s’il l’avait créé, décoré et apporté dans le monde ? C’est parce qu’il est écrit : (Jr 15, 19) Si tu fais sortir ce qui est précieux de ce qui a peu de valeur, tu seras comme ma bouche, comme cette même bouche qui jeta le souffle dans le premier homme. Ainsi, quiconque fait entrer un seul être sous les ailes de la Shekhina, on le considère comme s’il l’avait créé et décoré et apporté dans le monde. La Tora est précieuse, puisqu’il est écrit : (Pr 3, 15) Elle est plus précieuse que les perles. (Pr 20, 15) Il existe de l’or, une quantité de perles fines  ; mais la parure précieuse entre toutes, ce sont des lèvres intelligentes. »

Ce passage exégétique édifiant vante la valeur de la Tora par-dessus toute richesse matérielle. Il a une fonction double : d’une part, confirmer que l’échange savant entre R’ Yehoshua‘ et l’enfant prisonnier est, en effet, une chose positive et précieuse. Ce passage comporte néanmoins aussi un complément à la critique ironique exprimée par le verset de Lm 4, 2 : l’attachement aux richesses matérielles, comme la beauté physique ou l’or, ne peut pas égaler l’attachement à la Tora. La lecture des deux passages ensemble éclaire l’utilisation de l’humour dans le récit sur R’ Yehoshua‘ et l’enfant prisonnier. Dans la halakha 7, le message est clairement édifiant et pieux, alors que dans notre récit il y a une mise en garde contre la transgression des idées édifiantes. L’humour du récit a une fonction didactique et théologique dont le message est confirmé par le paragraphe qui le suit. La question de la beauté physique en rapport avec R’ Yishma‘el apparaît également dans le récit suivant. M Nedarim 9, 10 « [Si un homme fait un vœu en disant :] je m’interdis599 de me marier avec une telle qui est laide, et la voici belle ; qui est noire, et la voici blanche ; qui est petite et la voici grande, le vœu est nul, non pas parce qu’elle était laide et est devenue belle, noire et devenue blanche, petite et devenue grande, mais parce que c’est un vœu erroné. Histoire d’un homme qui fit vœu de ne pas profiter de la fille de sa sœur [qui était pauvre]600. On fit entrer la fille dans la maison de R’ Yishma‘el et on la rendit belle. R’ Yishma‘el lui demanda : mon fils, as-tu fait un vœu à propos de cette femme ? Il répondit : non. R’ Yishma‘el défit son vœu. À cette heure, R’ Yishma‘el pleura et dit : les filles d’Israël sont belles, mais la pauvreté les rend laides. Lorsque R’ Yishma‘el est mort, les filles d’Israël se lamentaient et disaient : ô filles d’Israël, pleurez R’ Yishma‘el ! Et ainsi dit l’Écriture : (2 S 1, 24) Filles d’Israël, pleurez Saül [qui vous habillait richement de pourpre, qui ajoutait des joyaux d’or à votre parure] !  » 599 600

Qonam. Complété selon Bertinoro.

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Ce récit ne mentionne pas la beauté de R’ Yishma‘el lui-même, mais l’évoque à travers la comparaison avec le roi Saül. Ce dernier, fortement critiqué dans la Bible, l’est également dans les textes rabbiniques. L’analogie faite entre R’ Yishma‘el et le roi Saül est donc marquée par l’ironie qui dénonce l’attention excessive portée à l’apparence physique. Le traité Ḥullin de la Tosefta commence par une déclaration intéressante qui compare l’abattage du non-juif avec celui d’un singe. T Ḥullin 1, 1 « Tous sont aptes à abattre l’animal, même le samaritain, même l’incirconcis, et même le juif apostat601. L’abattage de l’hérétique602 est idolâtrie, l’abattage du non-juif 603 est invalide et l’abattage du singe est invalide, puisqu’il est écrit : (Dt 12, 21) … tu pourras tuer [de la manière que je t’ai prescrite, de ton gros ou menu bétail que l’Éternel t’aura donné], et en manger [dans tes villes tout comme il te plaira]. [Ce n’est] pas [l’animal] abattu par un non-juif ou par un singe ou l’animal abattu spontanément. »

Dans le deuxième chapitre (T Ḥullin 2, 15) se trouve un autre rapprochement dégradant : les non-juifs sont comparés à des chiens604. Les sages se moquent ainsi des non-juifs, dans une volonté de maintenir une séparation claire entre ces derniers et les juifs, notamment pour la question de la viande et de l’abattage rituel. Cette séparation continue dans le passage suivant, non narratif, qui dresse une liste curieuse : T Ḥullin 2, 18 « Celui qui abat un animal au nom du soleil, au nom de la lune, au nom des étoiles, au nom des constellations, au nom de Michaël, ministre de la grande armée et [même] au nom d’un petit ver de terre, voici que c’est une viande d’abattage des morts. »

Le débat à propos des non-juifs continue dans cette halakha : T Ḥullin 2, 20 « Il est autorisé de profiter de la viande se trouvant dans la main d’un non-juif, [mais il est interdit de profiter de la viande se trouvant] dans la main d’un hérétique. La viande sortant d’un temple idolâtre, c’est de la viande d’abattage de morts, puisqu’ils dirent : l’abattage des hérétiques c’est de l’idolâtrie, leur 601

Meshummad. Min. 603 Goy. 604 Une comparaison semblable se trouve dans T ‘Erubin 5, 19 : « une cour de non-juifs est comme l’étable d’une bête… » 602

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pain est un pain samaritain, le vin est un vin de libation, leurs fruits ne sont pas dîmés, leurs livres sont des livres de magie et leurs enfants sont des mamzerim605. »

Ce paragraphe n’est ni humoristique ni narratif, mais il forme un préambule intéressant pour les deux récits qui vont suivre. Nous y trouvons plusieurs catégories de personnes. Les non-juifs (goyim) sont ici moins dangereux que les hérétiques (minim), puisque la viande tenue par un non-juif est autorisée alors que celle tenue par un hérétique est interdite. Le paragraphe nous offre ensuite une mise en garde importante contre ces hérétiques, qui semblent être des personnages fort suspects ! T Ḥullin 2, 21 interdit d’ailleurs tout contact avec les hérétiques : le commerce (vente et achat) comme le mariage, que ce soit avec des hommes ou des femmes. Il ne faut pas enseigner un métier à leurs fils et il ne faut pas se faire soigner ou aider par eux. Leur identité n’est pourtant pas élucidée, du moins pas encore. Ce sont les deux récits qui suivent ce paragraphe qui nous en donnent une idée. T Ḥullin 2, 22-23 « Histoire de R’ Ele‘azar ben Dama qui a été mordu par un serpent et Ya‘aqob de Kefar Samma est venu le soigner au nom de Yeshua‘ ben Panṭera. R’ Yishma‘el ne l’a pas laissé faire en lui disant : tu n’as pas le droit Ben Dama. Celui-ci lui répondit : je t’apporterai une preuve qu’il peut me soigner, mais il n’a pas eu le temps d’apporter la preuve avant de mourir. R’ Yishma‘el dit : sois heureux Ben Dama, car tu t’en es sorti indemne et tu n’as pas ouvert une brèche dans la clôture des sages, car quiconque brise la clôture des sages, à la fin une calamité viendra sur lui, ainsi qu’il est écrit : (Qo 10, 8) [Celui qui creuse une fosse y tombe], celui qui renverse une clôture, le serpent le mord. »

Le récit met en scène trois personnages du début du IIe siècle : R’ Ele‘azar ben Dama606, R’ Yishma‘el607 et Ya‘aqob de Kefar Samma, un certain disciple de Yeshua‘ (Jésus). Ya‘aqob de Kefar Samma reste muet durant la narration, son silence est révélateur : sa parole n’a pas de place dans la Tosefta.

605 Terme souvent traduit par « bâtard », ce qui n’est pas exact. Le mamzer est un enfant issu d’une union prohibée par Lv 18. Il est un juif à part entière, sauf en ce qui concerne le mariage. 606 On sait peu de choses sur ce tanna. TB et Qohelet Rabba indiquent qu’il est le neveu de R’ Yishma‘el, son interlocuteur dans le récit. 607 Tanna illustre de la troisième génération et grand rival de Rabbi ‘Aqiba, à qui on attribue tradionnellement la rédaction de la Mekhilta.

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Ele‘azar ben Dama, mordu par un serpent, souhaite se faire soigner par Ya‘aqob de Kefar Samma608. L’interdit de se faire soigner par les hérétiques, stipulé dans la halakha précédente, est illustré par l’intervention de R’ Yishma‘el ainsi que par l’exemple concret d’un hérétique, en la personne de Ya‘aqob de Kefar Samma. En quoi devaient consister les soins prodigués par ce mystérieux Ya‘aqob ? Le texte indique qu’il s’agit de soigner « au nom de Yeshua‘ ben Panṭera ». La formulation hébraïque – be-shem – comporte une certaine ambiguïté : il peut s’agir d’une simple transmission du savoir de guérison du maître (Yeshua‘) au disciple (Ya‘aqob), ou bien, nous pouvons lire : « par le nom » ou « à l’aide du nom » de Yeshua‘, et le nom devient ainsi le moyen de guérison. P. Schäfer609 propose de rapprocher ce passage de la pratique consistant à murmurer sur une blessure ou une morsure de serpent. Cette méthode est mentionnée dans M Sanhedrin 10, 1 où elle est fortement condamnée par R’ ‘Aqiba : « Voici ceux qui n’ont pas part au monde futur : celui qui nie la résurrection et l’origine céleste de la Tora, et l’épicurien. R’ ‘Aqiba dit : aussi celui qui lit les livres extérieurs et celui qui murmure sur la blessure en disant : (Ex 15, 26)… toute la maladie que j’ai infligée à l’Égyptien, je ne l’infligerai pas à toi, car je suis l’Éternel celui qui te guérit 610. Abba Sha’ul dit : aussi celui qui prononce le Nom par ses lettres. »

TY ‘Aboda Zara 2, 2 et TY Shabbat 14, 4 sont des parallèles de notre récit qui mentionnent explicitement le fait de murmurer le nom de Jésus comme moyen de guérison. Cependant, dans la Tosefta, mais aussi dans TY et TB, il est permis de murmurer sur une morsure de scorpion ou de serpent et de remédier à une maladie oculaire en passant une amulette sur l’œil pendant le shabbat (T Shabbat 7, 23 ; TY Shabbat 14, 3-5 ; TB Sanhedrin 101a). La lecture de Rashi tente, selon Schäfer, de diminuer la dimension « magique » de ces coutumes611. En tout cas, il s’agit ici d’une méthode douteuse, en lien avec la magie pratiquée par Jésus. Les rabbins racontent qu’il est revenu d’Égypte après avoir appris cette pratique (TB Sanhedrin 67a)612. 608 Le nom du village, plus loin dans le récit, est Sekhanya. P. Schäfer (Jesus in the Talmud, Princeton, 2007, p. 163, note 14) propose de voir dans la modification du nom la volonté de rimer avec le nom Dama mais surtout le jeu de mot entre samma et sam (remède). Nous pouvons ajouter que le nom Sekhanya ressemble à sakkana, danger. 609 SCHÄFER, Jesus…, p. 52-54. 610 Traduction du Rabbinat : … aucune des plaies dont j’ai frappé l’Égypte ne t’atteindra, car moi, l’Éternel, je te préserverai. 611 SCHÄFER, Jesus…, p. 53. 612 Voir aussi T. MURCIA, Jésus dans le Talmud et la littérature rabbinique ancienne, Turnhout, 2014, p. 343-347.

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R’ Yishma‘el interdit l’acte « médical » au nom de Jésus et préfère voir mourir son collègue (voire son neveu si l’on suit le TB). Une remarque est tout de même intéressante : R’ Ele‘azar supplie R’ Yishma‘el de le laisser prouver que la méthode est efficace613. Pourquoi l’efficacité de la méthode est-elle importante à ses yeux ? Est-ce que la réussite de la guérison peut influer sur le choix d’une méthode hérétique ? Cette demande de R’ Ele‘azar attire notre attention sur le fait que la vie humaine a plus de valeur à ses yeux que l’adhésion à un courant politique ou religieux. Ce n’est pas le cas de R’ Yishma‘el. Pour lui, la valeur suprême semble être l’acceptation pleine et entière de l’autorité des rabbins. À la mort de son collègue, il le déclare chanceux d’être indemne et de ne pas avoir rompu la clôture des sages. Notons qu’il s’agit bien ici de l’autorité rabbinique et non des paroles de la Tora. Il cite un verset pour appuyer son propos, mais la citation est paradoxale : alors que R’ Yishma‘el félicite, avec une ironie amère, R’ Ele‘azar de ne pas avoir ébréché la clôture, il déclare que celui qui la brise sera mordu par un serpent, mais Ele‘azar a déjà été mordu par un serpent ! Alors a-t-il péché ou non contre la clôture, et si oui, quelle clôture614 ? Les deux Talmuds se posent exactement la même question, mais donnent deux réponses différentes. Dans les traditions amoraïques palestiniennes (TY Shabbat 14, 4 ; TY ‘Aboda Zara 2, 2 ; Qohelet Rabba 1, 8, 3), la réponse concerne la doctrine rabbinique de la rétribution eschatologique : puisqu’il s’est laissé mourir plutôt que de transgresser les commandements des sages, R’ Ele‘azar sera récompensé dans le monde futur et il n’y sera pas « mordu par un serpent ». Le TB (‘Aboda Zara 27b), en revanche, adopte une position critique vis-à-vis des sages : selon lui, en effet, R’ Ele‘azar ben Dama a été mordu par un serpent, le serpent des rabbins, morsure à laquelle il n’y a pas de remède ! La Tosefta présente donc un paradoxe et les textes tardifs offrent deux interprétations possibles : la palestinienne, pieuse, qui tente de résoudre le paradoxe, la babylonienne, critique, qui explicite la dimension critique de la Tosefta. Les deux explications peuvent être complémentaires, comme nous le verrons par la suite. « Histoire de R’ Eli‘ezer qui a été capturé à cause d’une affaire d’hérésie et on le fit monter sur l’estrade pour le juger. Le gouverneur lui dit : un ancien

613 Nous comprenons ainsi la phrase : « je t’apporterai une preuve qu’il peut me soigner ». 614 Dans le verset, on retrouve l’idée de « mesure pour mesure » et le motif de la morsure du serpent. La brèche qu’a ouverte R’ Ele‘azar ben Dama serait ici son inclination vers les enseignements et les pratiques chrétiens. Dans le verset, la brèche est la cause de la morsure du serpent, alors que dans le récit c’est l’inverse : la morsure est à l’origine de la volonté de soigner à l’aide des méthodes de Jésus ou encore par la magie liée à son nom, prononcé ou inscrit sur des amulettes.

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comme toi s’affaire-t-il à ces choses-là ? R’ Eli‘ezer lui répondit : je fais confiance au juge. Ledit gouverneur pensait que R’ Eli‘ezer parlait de lui, alors que R’ Eli‘ezer parlait de son Père aux cieux. Le gouverneur lui dit : puisque tu me fais confiance, moi aussi je dis ainsi : il est possible que ces vieillards [sages ?] se trompent. [Je t’accorde] le pardon615, voici que tu es libre. »

Dans cette partie, nous rencontrons R’ Eli‘ezer ben Horqenos, un tanna de la 2e génération, d’un groupe plus ancien que celui de R’ Yishma‘el. Il est présenté par certains chercheurs comme ayant un fort penchant vers le christianisme (voire comme un Jésus rabbinique)616. Selon G. Stemberger, ces idées sont sans fondement617. Notre sage est accusé d’hérésie, comme nous pouvons le comprendre, à la suite à une dénonciation par un groupe de personnes âgées (aux cheveux gris)618. Il est monté sur une estrade, c’est-àdire un lieu officiel et public, pour être jugé par un gouverneur romain. H. Maccoby619 accorde une vérité historique à ce passage et le place pendant le règne de Trajan (98-117), qui est selon lui une période de persécution contre les chrétiens. Cependant, selon M.-F. Baslez, la persécution des chrétiens dans les deux premiers siècles de notre ère relevait plutôt d’initiatives individuelles et non de la politique de l’empire620. C’est à partir de l’édit de Caracalla (212), accordant la citoyenneté à tous les habitants libres de l’empire, qu’une véritable politique anti-chrétienne se met en place, du règne de Dèce (249-251) jusqu’à celui de Dioclétien vers la fin du IIIe siècle621. Nous devons placer ce texte dans le contexte historique de sa rédaction, c’est-à-dire le IIIe siècle, parce qu’à cette époque on reprochait aux chrétiens de se tenir à l’écart de la vie de la cité, ainsi que le note S. Honigman622. C’est une forme de persécution politique plus que religieuse, qui s’exprime notamment dans le Discours véritable de Celse, rédigé dans le dernier quart du IIe siècle et critiqué à son tour par Origène dans sa Réfutation. Celse reprochait aux chrétiens de « miner l’ordre social et former un État dans l’État » ou encore de nuire « à la santé publique en détournant les adeptes des médecins attitrés au profit de promesses illusoires de guérison ». 615

Dimus. D. BOYARIN, Dying for God. Martyrdom and the Making of Christianity and Judaism, Stanford, 1999, p. 26-41. 617 STEMBERGER, Introduction…, p. 99. 618 L’âge dans l’antiquité, notamment dans la littérature rabbinique, était un facteur positif, un signe de sagesse. 619 H. MACCOBY, Jesus the Pharisee, Londres, 2003, p. 144. 620 M.-F. BASLEZ, Les persécutions dans l’Antiquité. Victimes, héros, martyrs, Paris, 2007, p. 263-295. 621 Ibid., p. 299-300. 622 S. HONIGMAN, « Les Conditions de diffusion du christianisme dans l’Empire romain », conférence pour l’APHG Basse-Normandie, Université de Caen, juillet 1996. 616

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Ces éléments historiques nous permettent de lire le récit de la Tosefta comme une forme d’adhésion aux idées de Celse ou du moins une sorte de déclaration de fidélité à Rome623. Nous pouvons parfaitement lire ici à la fois la volonté des rabbins d’être citoyens romains reconnus, tout en gardant une forme de résistance. Le premier récit critique farouchement les soins par le nom de Jésus, au point qu’un sage en laisse mourir un autre et se place ainsi dans la position du juge qui condamne à mort l’hérétique. La deuxième partie du récit relate un procès public mené par un dignitaire romain contre un sage juif. Dans la discussion, il est clair que le dignitaire romain connaît R’ Eli‘ezer ou au moins reconnaît son statut important dans le mouvement rabbinique : « un sage comme toi ». Il montre également son étonnement de voir R’ Eli‘ezer pencher vers la déviance. L’expression « des choses hérétiques », peut se référer à des paroles comme à des actes (l’ambiguïté vient de l’hébreu dabar). La réponse de R’ Eli‘ezer est ambiguë : il déclare qu’il fait confiance au juge. Cette déclaration qui concerne en principe Dieu est comprise par le gouverneur comme une reconnaissance de sa propre autorité. Elle est donc une déclaration rebelle, qui défie l’autorité du juge romain, mais qui joue sur la signification double du mot juge. Elle est comprise par l’interlocuteur à l’extrême opposé de l’intention du locuteur, comme une soumission à son pouvoir. Malgré son esprit rebelle, R’ Eli‘ezer bénéficie de la clémence du juge qui lui dit : « puisque tu me fais confiance, (…) je t’accorde le pardon ». Le gouverneur romain se présente ici comme l’égal de Dieu avec ses deux attributs, la rigueur et la miséricorde, la justice et le pardon. Il est clair que le sage n’adhère pas à la possibilité qu’un homme, a fortiori un Romain, puisse incarner ces attributs divins, mais il n’en profite pas moins du malentendu. Le sage fait semblant de reconnaître l’autorité du juge romain, il se présente donc comme un citoyen fidèle tout en résistant à l’autorité par sa déclaration ambiguë, qui tourne en dérision le pouvoir romain. Les rabbins se placent ainsi en opposition aux chrétiens et du côté des Romains, tout en gardant une nuance de résistance, exprimée avec humour. Après avoir tourné en dérision le juge romain, et enfin libre, R’ Eli‘ezer n’est pourtant pas tranquille, car, comme il l’a dit, il fait confiance au juge,

623 Concernant la rédaction de la Mishna comme un projet d’autodéfinition des sages en tant que sujets libres de l’empire romain, tout en gardant une forme de résistance et d’indépendance, voir R. NAIWELD, « Les Juifs et l’Empire », Annuaire de l’École pratique des hautes études (EPHE), Section des sciences religieuses 122, 2015, p. 239-240.

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c’est-à-dire, au seul juge proprement dit, celui qu’il ne pourra ni tromper ni tourner en dérision, Dieu. Le récit continue : « Lorsqu’il s’en alla de l’estrade, il regretta d’avoir été capturé pour des choses [relevant] de l’hérésie624. Ses disciples sont entrés [chez lui] afin de le consoler, mais il n’a pas accepté [leur consolation]. R’ ‘Aqiba est entré et lui a dit : puis-je te dire une chose ? Peut-être seras-tu consolé ? Il lui répondit : parle ! [R’ ‘Aqiba] lui dit : peut-être l’un des hérétiques t’a dit une parole d’hérésie et elle t’a donné du plaisir ? Il (Eli‘ezer) lui dit : par les cieux ! Tu m’as rappelé [quelque chose] ! Une fois, je marchais dans une rue de Sepphoris et j’ai rencontré Ya‘aqob de Kefar Sekhanya et il [m’a] dit une parole d’hérésie au nom de Yeshua‘ ben Panṭera et [cela] m’a donné du plaisir. J’ai été capturé pour des paroles d’hérésie, car j’ai transgressé les paroles de la Tora : (Pr 5, 8) Éloigne tes pas de cette étrangère  ; ne t’approche pas de l’entrée de sa maison, (Pr 7, 26) car nombreuses sont les victimes dont elle a causé la chute, [et ceux qu’elle a fait périr sont foule]. Car R’ Eli‘ezer disait : un homme doit toujours fuir la laideur et ce qui ressemble à la laideur. »

Plusieurs éléments intéressants ressortent de cette troisième et dernière partie de la narration. R’ Eli‘ezer exprime un profond regret d’avoir été séduit par les enseignements de Jésus transmis par Ya‘aqob de Kefar Sekhanya (et non Samma comme plus haut, c’est probablement un jeu de mot, samma signifiant remède et sakkana danger). Jesus est appelé « Ben Panṭera », un nom romain, ce qui sous-entend que Jésus était issu d’une union illicite de sa mère avec un Romain. C’est une manière de neutraliser la théologie chrétienne par un nom moqueur625. Les versets cités comparent les enseignements de Jésus à la femme étrangère dans Pr 5 et à la prostituée dans Pr 7. Cependant, malgré ces comparaisons dégradantes et la présentation de Jésus en tant que bâtard, R’ Eli‘ezer reconnaît avoir été séduit par ses enseignements, c’est donc une forme de rencontre. Son interprétation des événements souligne d’ailleurs le parallèle et l’opposition entre les paroles d’hérésie (dibre minut) et les paroles de Tora (dibre tora). Notons également que l’inquiétude de R’ Eli‘ezer montre qu’il ne lui suffit pas d’être acquitté par le tribunal romain. Notre texte ne mentionne pas la nature de l’enseignement de Ya‘aqob de Kefar Sekhanya, mais, dans les versions plus tardives du récit (Qohelet Rabba et TB ‘Aboda Zara 27b), nous pouvons lire l’enseignement de Jésus qui concerne précisément les prostituées et leurs éventuelles contributions au Temple, ce qui pourrait être en lien avec la citation de Pr 7, 26. Le récit dans la Tosefta est probablement la version la plus ancienne de ces traditions. Il est intéressant de noter que seul le parallèle dans Qohelet Rabba 1,

624 625

Dibre minut. Voir aussi BOYARIN, Dying for God…, p. 154, note 27.

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8, 3 (commentaire sur Qo 1, 8) reprend le récit de la Tosefta dans son intégralité, mais en inversant les deux parties. Les autres parallèles palestiniens et babyloniens reprennent l’une ou l’autre. Le rôle de l’humour dans ces deux récits apparentés est très intéressant. Dans le premier récit, l’humour réside dans l’ironie amère de R’ Yishma‘el qui dit que R’ Ele‘azar ben Dama s’en est sorti indemne, et dans le raisonnement paradoxal basé sur la citation de Qo 10, 8. Ces éléments humoristiques critiquent l’intransigeance de l’autorité rabbinique, plus importante aux yeux de certains rabbins que la vie elle-même. Dans le deuxième récit, R’ Eli‘ezer, coupable de la même faute que R’ Ele‘azar ben Dama, c’est-à-dire d’avoir un penchant chrétien, tourne en dérision l’autorité romaine, et s’en sort réellement indemne. R’ Eli‘ezer ne défie pas l’autorité des sages, au contraire, il écoute son collègue et disciple, reconnaît sa faute et se repent. L’humour et la tension entre les deux récits affirment donc l’importance de l’autorité rabbinique, son pouvoir de résistance à l’autorité romaine, mais en même temps, critiquent la position extrême que peuvent avoir certains sages. Le récit suivant concerne également l’importance de l’autorité rabbinique qui prévaut sur la santé, mais celui-ci n’est pas humoristique. T Shabbat 12, 12 « Un homme peut enduire d’huile une blessure du moment où il n’utilise ni coton ni chiffon. On peut faire une compresse [chaude] pour un malade le shabbat. Quand [est-ce permis] ? Lorsque le mélange a été fait la veille du shabbat, mais, s’il n’a pas été mélangé la veille du shabbat, c’est interdit, car on ne fait pas le mélange initial pendant le shabbat. On ne mélange pas le vin et l’huile pour le malade le jour du shabbat. R’ Shim‘on ben Ele‘azar dit au nom de R’ Me’ir : on mélange le vin et l’huile pour un malade le jour du shabbat. R’ Shim‘on ben Ele‘azar raconte : une fois, R’ Me’ir est tombé malade et j’ai voulu faire pour lui [le mélange d’huile et de vin], mais il ne m’a pas laissé faire. Je lui ai dit : notre maître, vas-tu annuler tes propres enseignements de ton vivant ! Il nous a répondu : quand bien même j’ai dit ainsi, je ne pourrai jamais transgresser les enseignements de mes collègues. »

A.5. Les controverses entre les écoles de Shammay et de Hillel « Lorsque les disciples de Shammay et de Hillel qui ne faisaient pas leur travail correctement sont devenus nombreux, les controverses sont devenues nombreuses en Israël et se sont formées deux Torot » (T Soṭa 14, 9).

Ces textes abordent deux figures essentielles dans les écrits rabbiniques, mais d’une manière qui marginalise l’une d’entre elles : Shammay l’ancien. C’est pourquoi l’étude que nous allons leur consacrer est située à la fin de ce premier chapitre : elle constitue ainsi une bonne transition vers le

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deuxième chapitre, qui regroupe les récits sur les figures se trouvant à la marge du mouvement rabbinique. Les controverses entre l’école de Shammay et l’école de Hillel occupent une place importante dans la littérature rabbinique ancienne. Les passages tannaïtiques sont longuement commentés dans les deux Talmuds. Ces controverses ont également été l’objet de nombreux commentaires médiévaux et modernes, au point que, en hébreu moderne, les expressions « école de Shammay » et « école de Hillel » sont devenues respectivement synonymes d’approche stricte et d’approche permissive, d’austérité et de bienveillance. Nous trouvons dans la Mishna et la Tosefta trente-trois passages narratifs à propos de ces controverses. Tous ne sont pas des récits à proprement parler. Parmi ces 33 textes, 16 présentent des dimensions humoristiques. Parmi les 17 passages non humoristiques, 9 passages626 ne sont pas des récits au sens strict mais des paragraphes dotés d’un haut niveau de narrativité, c’est-à-dire contenant un long échange verbal entre différents protagonistes, ce qui les apparente aux récits de la maison d’étude définis par M. Simon-Shoshan627. Ces passages relatent les arguments avancés par chacune des écoles, sans trancher en matière de halakha. Dans M Miqwa’ot 4, 1, le fait que la controverse n’est pas résolue est souligné par R’ Yose. Trois récits628 rejettent les opinions de l’école de Shammay et attestent la primauté des opinions de l’école de Hillel. Dans T Kil’ayim 1, 4, nous lisons un récit sans humour qui rejette la décision d’un disciple de l’école de Shammay629. M Shebi‘it 10, 3 mentionne le prosbol, un décret de Hillel. M Demay 3, 1 est un texte que nous avons commenté (p. 94) concernant Rabban Gamliel. La partie rejetant les opinions de l’école de Shammay n’est pas humoristique. Trois passages630 affirment la légitimité des opinions de l’école de Shammay. Dans M Demay 6, 6, nous apprenons que les membres modestes de l’école de Hillel agissaient selon les enseignements de l’école de Shammay. Dans T Shabbat 1, 16-22, nous trouvons les dix-huit mesures ou décrets qui manifestent la victoire de l’école de Shammay sur celle de Hillel.

626 T Shebi‘it 1, 5 ; T Terumot 3, 16 ; T Terumot 6, 4 ; T Ma‘aser Sheni 2, 11 ; T Rosh ha-shana 2, 17 ; M Keritot 1, 6 ; T Ohalot 15, 9-11 ; M Miqwa’ot 4, 1 ; M Makhshirin 1, 4 (parallèle : T Makhshirin 1, 3). 627 Voir p. 75. 628 T Kil’ayim 1, 4 ; M Shebi‘it 10, 3 ; M Demay 3, 1. 629 « Au marché de Sepphoris, on faisait “chevaucher” deux espèces de poiriers l’un par dessus l’autre. Un disciple les trouva et leur dit que c’était interdit. Ils les ont coupés puis vinrent demander à Yabne. Les sages leur dirent : celui que vous avez rencontré n’était autre qu’un disciple de l’école de Shammay. » 630 M Demay 6, 6 ; T Shabbat 1, 16-22 ; M Miqwa’ot 4, 5.

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M Miqwa’ot 4, 5 est un récit de cas concernant les opinions de l’école de Shammay. Enfin, deux récits631 sont neutres. Dans M ‘Orla 2, 5, un disciple de Shammay (sans le titre de Rabbi) atteste que la halakha entendue de la bouche de Shammay l’ancien est identique à l’enseignement de l’école de Hillel. T ‘Eduyot 1, 1-3 enchaîne une controverse au haut niveau de narrativité puis un récit sans humour sur les tisseurs de la porte des ordures à Jérusalem, qui ont témoigné de la halakha apprise de Shema‘ya et Abṭalyon, un témoignage accepté par les sages. Nous allons maintenant lire attentivement tous les passages à potentiel humoristique. M Berakhot 1, 3 « [Les sages de] l’école de Shammay disent : le soir, tous les hommes doivent s’incliner et réciter [le shema‘] et le matin [ils réciteront] debout, puisqu’il est écrit : (Dt 6, 7) à ton coucher et à ton lever. [Les sages de] l’école de Hillel disent : tous les hommes récitent selon leur manière632, puisqu’il est écrit : (id.) et lorsque tu marches sur un chemin. Dans ce cas, pourquoi est-il écrit à ton coucher et à ton lever ? Ce n’est que pour signifier l’heure habituelle633 à laquelle les gens se couchent et l’heure habituelle à laquelle les gens se lèvent. R’ Ṭarfon raconte : [lorsque] je venais sur un chemin, je me suis incliné pour réciter [le shema‘] selon les enseignements de l’école de Shammay et je me suis mis en danger à cause des bandits. [Les sages] lui dirent : [si un malheur t’était arrivé], tu n’aurais que toi-même à accuser puisque tu as transgressé les enseignements de l’école de Hillel. »

Cette anecdote que R’ Ṭarfon raconte à la première personne ne semble pas humoristique à première vue, mais elle mérite une attention particulière, tout comme la mishna dans laquelle elle se trouve. Un premier élément proche de l’humour se trouve dans les différentes occurrences du mot chemin (derekh). L’argument avancé par l’école de Hillel est basé sur la lecture non littérale du mot « chemin » dans le verset de Dt 6, 7. En effet, outre son sens premier, ce mot peut signifier en hébreu « la manière » ou « l’habitude ». Ce sont précisément les deux sens donnés au mot derekh dans l’argument de l’école de Hillel qui démontre que la position exigée par l’école de Shammay, à savoir être debout lors de la récitation du matin et incliné lors de celle du soir, n’a pas d’importance. Le fait de mobiliser les différentes significations d’un mot dans un verset est une pratique tout à fait naturelle pour les sages, et n’est donc pas humoristique. Cependant, 631

M ‘Orla 2, 5 ; T ‘Eduyot 1, 1-3. Littéralement : « selon leur chemin » (ke-darkan). 633 Littéralement : « à l’heure où c’est le chemin des hommes de… » (be-sha‘a shederekh she-bene adam…). 632

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R’ Ṭarfon mobilise le sens premier, littéral, du terme, en faisant abstraction du raisonnement exégétique qui vient d’être exposé. Ce raisonnement est conforme à l’opinion de l’école de Shammay qui mobilise également le sens littéral du verset pour les positions inclinée et debout de la récitation. Ceci est cohérent avec le contenu de l’anecdote de R’ Ṭarfon, mais il nous semble que la première phrase de l’anecdote comporte également une dimension humoristique. En effet, R’ Ṭarfon ignore la complexité du raisonnement de l’école de Hillel et ne garde que le sens premier du mot, comme un enfant qui est incapable de comprendre l’ironie ou les jeux de mots des adultes et en reste au sens premier des conversations. À travers le caractère naïf voire simplet de la déclaration de R’ Ṭarfon, le texte souligne la simplicité et la rigidité du raisonnement de l’école de Shammay et tourne ainsi en dérision à la fois le raisonnement et le sage qui l’expose, R’ Ṭarfon. Dans la déclaration de R’ Ṭarfon, on peut lire également une forme d’autocritique. R’ Ṭarfon est un disciple de l’école de Shammay, et suit les enseignements de cette dernière, mais raconte que ce comportement l’avait exposé à un danger physique réel. La position inclinée, exigée par l’école de Shammay, rend le voyageur plus vulnérable. Elle est suivie de la réponse des sages qui réprimandent ouvertement le comportement de R’ Ṭarfon, tout en détournant ses propos. Le danger, selon les sages, ne vient pas de la position inclinée, plus vulnérable, ni de l’enseignement de l’école de Shammay, mais du fait que R’ Ṭarfon a transgressé l’opinion de l’école de Hillel. Dans le parallèle du TB Berakhot 11a, ce récit vient appuyer l’opinion de Rab Naḥman : « Rab Naḥman dit : celui qui agit selon les enseignements de l’école de Shammay doit être mis à mort. » Cette remarque souligne l’ironie dans la réaction des sages à l’anecdote. Ce n’est pas le fait de se poser dans une position inclinée, vulnérable et moins vigilante, qui est la cause du danger, mais la désobéissance au consensus rabbinique qui constitue un danger de mort, voire doit être puni par la peine capitale. Ainsi, le danger auquel s’est exposé R’ Ṭarfon n’est pas le fruit du hasard, mais bien de l’ironie du sort, ou plutôt de la providence qui est soumise à l’opinion des sages. La question de la position debout et inclinée pour la récitation du shema‘ se trouve également dans un récit de la Tosefta, lui aussi présent dans la sugya du TB Berakhot 11a. T Berakhot 1, 4 « Histoire de R’ Yishma‘el et R’ Ele‘azar ben ‘Azarya qui étaient ensemble en un même lieu. R’ Yishma‘el était incliné et R’ Ele‘azar ben ‘Azarya était debout. Le moment est venu de réciter le shema‘. R’ Yishma‘el s’est mis debout et R’ Ele‘azar ben ‘Azarya s’est incliné. R’ Yishma‘el lui dit : qu’estce que cela Ele‘azar ? Il répondit : Yishma‘el, mon frère, [cela ressemble]

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à un [homme] à qui l’on demande : pourquoi ta barbe est-elle longue ? Et il répond : qu’elle soit livrée aux destructeurs ! Moi qui étais debout, je me suis incliné et toi qui étais incliné, tu t’es mis debout. [R’ Yishma‘el] lui dit : tu t’es incliné pour accomplir les paroles de l’école de Shammay et je me suis mis debout pour accomplir les paroles de l’école de Hillel. Autre argument : afin que les disciples ne voient pas et ne fixent pas la halakha selon tes paroles. »

Dans ce récit, nous trouvons une situation comique où deux sages, placés initialement dans des positions opposées, changent simultanément leurs positions respectives. Nous pouvons aisément imaginer l’aspect mécanique du mouvement simultané, ce qui renvoie à la théorie de Bergson concernant les effets comiques qui résultent de la mécanique appliquée à l’humain : « Les attitudes, gestes et mouvements du corps humain sont risibles dans l’exacte mesure où ce corps nous fait penser à une simple mécanique634. » On pourrait, certes, objecter et dire qu’il ne s’agit en réalité que d’un cas présenté pour préciser la halakha, mais d’autres éléments viennent appuyer la lecture humoristique du récit. Lorsque R’ Yishma‘el exprime son étonnement, R’ Ele‘azar ben ‘Azarya répond par une parabole humoristique. La formule « parabole, à quoi cela ressemble » est absente, mais elle est sousentendue, et nous la retrouvons dans le parallèle du TB (qui omet l’étonnement de R’ Yishma‘el). R’ Ele‘azar ben ‘Azarya compare le comportement de R’ Yishma‘el à celui d’un homme qui porte une très longue barbe. Cet énoncé peu clair est expliqué par deux commentateurs du TB. Selon Rashi, il s’agit d’un homme qui porte une longue et belle barbe et qui réagit aux compliments qu’on lui fait en la coupant, comme pour énerver ses interlocuteurs. Selon le Rashba (XIIIe siècle, Espagne), le port d’une très longue barbe est un comportement didactique qui vise à montrer aux hérétiques qui se rasent la bonne manière de faire. Il semble que l’explication de Rashi prend en compte la dimension comique de la situation, alors que Rashba penche plutôt vers l’aspect pédagogique du comportement des deux sages. A. Tropper commente ces textes635 à la lumière du parallèle de Sifre Debarim 34 qui est, selon lui, la version la plus ancienne du récit. Il montre qu’à l’origine, R’ Yishma‘el et R’ Ele‘azar ben ‘Azarya avaient l’intention de réciter le shema‘ selon l’enseignement de l’école de Hillel qu’ils ne comprenaient pas de la même manière. Dans Sifre Debarim 34, R’ Yishma‘el se lève pour ne pas réciter dans une position inclinée, et R’ Ele‘azar ben ‘Azarya s’incline pour montrer à R’ Yishma‘el que ce n’est pas nécessaire. Ironiquement, R’ Ele‘azar ben ‘Azarya finit par accomplir l’enseignement de l’école de Shammay à cause de son excès de zèle. Tropper, qui se concentre sur les aspects halakhiques des récits, ignore leurs aspects humoristiques. 634 635

BERGSON, Le rire…, p. 23. TROPPER, Like Clay…, p. 46-66.

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Cependant, il souligne très justement l’évolution de la polémique, qui oppose deux interprétations différentes de l’enseignement de l’école de Hillel dans Sifre Debarim 34 alors qu’elle est devenue une controverse entre les écoles de Shammay et de Hillel dans la Mishna et la Tosefta. La sugya du TB dans laquelle se trouve le parallèle de notre récit met clairement l’accent sur l’aspect pédagogique. À la suite de ce récit, nous trouvons deux autres récits tannaïtiques, l’un à propos du comportement de R’ Yoḥanan ben ha-ḥoroni dans la cabane (M Sukka 2, 7) et l’autre, tiré de M Berakhot 1, 3, commenté plus haut concernant R’ Ṭarfon qui s’était mis en danger en récitant le shema‘ en route, en position inclinée. Les commentaires des amora’im portent sur la question de la primauté des enseignements de l’école de Hillel sur ceux de l’école de Shammay et même si la sugya se termine par une condamnation des enseignements de l’école de Shammay par Rab Naḥman, nous y trouvons également les opinions de Rab Yeḥezqel et de Rab Yosef, le premier admettant la légitimité de la coexistence des deux écoles. Quant au récit dans la Tosefta, nous pouvons y déceler deux strates rédactionnelles : la première est le récit lui-même, et la seconde une glose636 en guise de conclusion, introduite par dabar aḥer, qui signifie « autre argument ». L’aspect pédagogique est également présent dans le récit de la Tosefta, mais il est distinct du récit. C’est une interprétation supplémentaire qui neutralise le caractère comique des événements. La clé du mystère de ce passage est la parabole de R’ Ele‘azar ben ‘Azarya. Il nous semble que le défi et l’entêtement que Rashi met en avant dans l’action de l’homme qui coupe sa belle barbe après avoir reçu un compliment, est liée au récit lui-même, alors que l’interprétation de Rashba concernant l’aspect pédagogique d’une telle action est plutôt liée à la glose finale du récit de la Tosefta. Ainsi, si nous séparons les deux strates rédactionnelles, nous avons un récit mettant en scène deux sages qui agissent et créent une situation comique, puis ils commentent cette situation, en la mettant en perspective, faisant ainsi preuve d’un sens d’humour développé. Ce passage doit donc être classé dans la première catégorie de l’humour rabbinique. La glose finale, en revanche, neutralise l’aspect humoristique du comportement des sages. En mettant l’accent sur l’aspect pédagogique, elle fait du récit un exemplum, dans lequel le comportement rabbinique sert de base pour fixer la halakha. Un troisième récit tannaïtique est mobilisé par le TB dans la même sugya :

636 Il est également possible de considérer le passage à partir de dabar aḥer comme la suite des propos de R’ Yishma‘el.

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M Sukka 2, 7 « Si un homme s’assoit avec sa tête et la plus grande partie de son corps dans la cabane alors que sa table est à l’intérieur de la maison, l’école de Shammay rejette [sa position] et l’école de Hillel l’accepte. [Les membres de] l’école de Hillel dirent aux [membres de] l’école de Shammay : une fois, les anciens de l’école de Shammay et les anciens de l’école de Hillel sont allés visiter Yoḥanan ben ha-ḥoroni et ils l’ont trouvé avec sa tête et la plus grande partie de son corps dans la cabane et sa table était dans la maison. [Les membres de] l’école de Shammay dirent [à ceux de l’école de Hillel] : de ce cas, vous tirez une preuve ?! Même eux637 lui ont dit : si tu as l’habitude de faire ainsi, tu n’as jamais accompli le commandement de la cabane de ta vie ! »

Dans cette mishna, nous avons un cas de figure bien précis, celui d’une cabane attenante à une maison. Si un homme est attablé en étant assis dans la cabane alors que sa table est à l’intérieur de la maison, l’école de Hillel accepte sa position alors que l’école de Shammay la considère comme invalide. Pour résoudre la controverse, les membres de l’école de Hillel racontent une anecdote à ceux de l’école de Shammay à propos des anciens des deux écoles. Nous avons donc ici une première anecdote (l’anecdote-cadre) qui relate une conversation dans le présent rabbinique et cette conversation contient à son tour une autre anecdote qui, elle, concerne le passé. Cette deuxième anecdote raconte une visite que les anciens des deux écoles ont rendue à Yoḥanan ben ha-ḥoroni. Ils l’ont trouvé attablé avec sa tête et la plus grande partie de son corps dans la cabane alors que sa table était dans la maison. La description de Yoḥanan ben ha-ḥoroni est identique à la description préalable dans la mishna anonyme. Ce sont les disciples de l’école de Hillel qui racontent l’anecdote, censée apporter la preuve que leur opinion est la bonne et que cette position est valable. Cependant, les disciples de l’école de Shammay n’acceptent pas cette preuve, car, selon eux, déjà à l’époque, les anciens de l’école de Shammay refusaient cette position douteuse et avaient même réprimandé Yoḥanan en lui disant que s’il avait l’habitude de s’asseoir ainsi, il n’avait jamais réellement accompli le commandement de la cabane. Plusieurs éléments nous interpellent dans ce récit. Le premier est l’absence du titre « Rabbi » pour Yoḥanan ben ha-ḥoroni. Quel est le statut de ce personnage ? Dans son commentaire du récit, M. Simon-Shoshan638 souligne le caractère ambigu de sa position. D’un côté, les membres de l’école de Hillel le citent comme un exemple pour confirmer leur opinion halakhique. C’est ce que Simon-Shoshan appelle « être une autorité »,

637 638

Les anciens qui sont allés chez Yoḥanan ben ha-ḥoroni. SIMON-SHOSHAN, Stories…, p. 146-148.

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c’est-à-dire incarner l’autorité rabbinique par le comportement qui détermine la halakha. Simon-Shoshan classe ce récit dans le genre de l’exemplum. Le protagoniste qui détermine la halakha dans ce type de récit incarne l’autorité rabbinique par son comportement. À première vue, c’est le cas de Yoḥanan ben ha-ḥoroni, du moins du point de vue des hillelites, mais il n’est pas appelé « Rabbi ». Cette anomalie a manifestement dérangé les commentateurs, car la version manuscrite a été « corrigée » et dans plusieurs versions imprimées, nous trouvons l’ajout du titre manquant. SimonShoshan avance que, malgré l’absence du titre, la position de Yoḥanan semble tout de même confirmée par la visite que les anciens des deux écoles lui rendent. Selon lui, les visiteurs honorent l’homme par leur visite comme les disciples doivent honorer leur maître par une visite pendant les fêtes (TB Rosh ha-shana 16b ; TB Sukka 27b), mais il ajoute aussitôt que cette coutume n’est relatée que dans le TB et seulement dans deux passages. Notre lecture ne suit pas cette idée. La « délégation » d’anciens des deux écoles nous semble grotesquement grande. C’est une exagération humoristique qui forme un contraste avec la solitude de l’hôte. Le caractère respectable et éminent des visiteurs forme également un contraste avec le caractère modeste de Yoḥanan ben ha-ḥoroni, matérialisé surtout par l’absence du titre « Rabbi ». Un passage de la Tosefta peut appuyer cette idée : T Sukka 2, 3639 « Histoire des gens de Jérusalem qui plaçaient leurs lits dans des fenêtres de dix paumes640 de hauteur et ils plaçaient le toit en feuillage par-dessus et dormaient en-dessous (…). R’ Ele‘azar fils de R’ Ṣadoq dit : lorsque j’étudiais chez Yoḥanan ben ha-ḥoronit, je l’ai vu manger du pain sec, car c’étaient des années de sécheresse. Je suis venu le dire à mon père et il m’a dit : tiens, prends des olives pour lui. Je lui ai apporté des olives. Il les a prises, les a regardées et a vu qu’elles étaient humides. Il dit : je ne mange pas d’olives. Je suis venu le dire à mon père et il m’a répondu : va lui dire que [le contenant des olives] était troué suivant les enseignements de l’école de Hillel, mais obstrué par la levure. Ceci t’informe qu’il mangeait sa nourriture profane en état de pureté, car même s’il était un disciple de l’école de Shammay, il n’agissait que selon les enseignements de l’école de Hillel. La halakha est toujours fixée selon les enseignements de l’école de Hillel. Quiconque veut accumuler les interdits et agir à la fois selon les paroles de l’école de Shammay et selon les paroles de l’école de Hillel, sur celui-ci, il a été dit : (Qo 2, 14) le sot chemine dans les ténèbres. Quiconque agit selon les permissions de l’école de Shammay et les permissions de l’école de Hillel est un méchant. Mais si [l’on agit] selon les enseignements de l’école de Shammay, [il faut respecter à la fois] leurs opinions permissives et strictes et si [l’on agit] selon les enseignements de l’école de Hillel, [il faut respecter à la fois] leurs opinions permissives et strictes. » 639 640

Parallèle : T ‘Eduyot 2, 2. Ṭefaḥim.

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Dans ce paragraphe qui concerne les controverses entre les deux écoles de Shammay et de Hillel, nous trouvons un récit halakhique sans humour à propos des gens de Jérusalem, puis un autre récit à propos de R’ Ele‘azar fils de R’ Ṣadoq qui était un disciple de Yoḥanan ben ha-ḥoronit. Si ce très long paragraphe ne comporte pas d’aspects humoristiques dans la Tosefta, il permet d’éclairer M Sukka 2, 7-8 : la visite des sages des deux écoles chez Yoḥanan ben ha-ḥoroni, et le récit à propos de Shammay qui installe une cabane au-dessus du berceau de son petit-fils nouveau-né. À partir de ce récit, nous apprenons que Yoḥanan ben ha-ḥoroni(t) faisait bien partie du mouvement rabbinique. Il était disciple de l’école de Shammay et maître de R’ Ele‘azar fils de R’ Ṣadoq. Nous apprenons également qu’il respectait scrupuleusement certaines règles de pureté rituelle. Cependant, Yoḥanan n’est pas appelé « Rabbi ». L’absence de ce titre est-elle due à sa position ambiguë de disciple de l’école de Shammay, qui suit la halakha de l’école de Hillel ? La Tosefta fixe ici la halakha selon les enseignements de l’école de Hillel, sans enlever leur légitimité aux enseignements de l’école de Shammay. Ainsi, ce texte véhicule à peu près les mêmes idées que M Sukka 2, 7-8, mais si dans la Tosefta le message est plutôt direct et dénué d’humour, dans la Mishna il est humoristique et plus ambigu. Revenons maintenant au texte de M Sukka 2, 7. L’exagération grotesque (la délégation si grande qui rend visite à Yoḥanan) et l’incongruité de la comparaison entre l’hôte malgré lui et les visiteurs qui n’ont pas été invités, participent ici à l’absurdité du passage tout entier. La controverse entre les deux écoles était censée être résolue par l’anecdote, mais ce n’est absolument pas le cas. À la fin de la lecture, nous restons tout aussi perplexes et n’avons aucun renseignement quant à la halakha qu’il faut suivre. Il y a donc dans ce passage de l’humour à deux niveaux : au niveau narratif (le deuxième) et au niveau idéologique (le troisième). La Mishna présente ici les controverses interminables entre les deux écoles comme grotesques et absurdes ce qui forme une autocritique par l’autodérision. Les trois récits ci-dessus sont mobilisés par la sugya du TB Berakhot 11a qui a une structure circulaire, partant de M Berakhot 1, 3 et se terminant par l’anecdote de cette même mishna. TB Berakhot 11a « Gemara : le raisonnement de l’école de Hillel ne pose pas de difficulté puisqu’il explique son propre argument et celui de l’école de Shammay. Mais l’école de Shammay, quel est son argument ? Ils disent que l’Écriture aurait dû stipuler : le matin et le soir. Et pourquoi est-il écrit (Dt 6, 7) à ton coucher et à ton lever ? À ton coucher [signifie qu’à l’heure du coucher], il faut réellement être couché et à ton lever [signifie qu’à l’heure du lever], il faut être réellement levé. L’école de Hillel demande : pourquoi donc est-il écrit : (id.) lorsque tu marches sur un chemin ? L’école de Shammay interprète aussi

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lorsque tu marches sur un chemin, ainsi qu’il a été enseigné : (id.) lorsque tu résides dans ta maison, hormis celui qui est occupé avec un commandement ; (id.) et lorsque tu marches sur un chemin, hormis le [nouveau] marié. À partir de là, ils dirent que celui qui se marie avec une vierge est exempt [de la récitation du shema‘] et celui qui se marie avec une veuve doit [le] réciter. Quelle en est la raison ? Rab Papa dit : (…)641 Nos maîtres ont enseigné : [les sages de] l’école de Hillel disent : on récite [le shema‘] debout, assis ou en faisant son travail. Histoire de R’ Yishma‘el et R’ Ele‘azar ben ‘Azarya qui dînaient ensemble en un même lieu. R’ Yishma‘el était incliné et R’ Ele‘azar ben ‘Azarya était debout. Lorsque le moment vint de réciter le shema‘, R’ Ele‘azar ben ‘Azarya s’inclina et R’ Yishma‘el se mit debout. Il lui dit : Yishma‘el, mon frère, je vais te raconter une parabole. A quoi cela ressemble-t-il ? À un homme à qui l’on demande : pourquoi ta barbe est-elle longue ? Et il répond : qu’elle soit livrée aux destructeurs ! Il en est de même pour toi : tant que j’étais redressé, tu étais debout et maintenant que je me suis incliné, tu t’es mis debout. [R’ Yishma‘el] lui dit : tu as agi selon les paroles de l’école de Shammay et j’ai agi selon les paroles de l’école de Hillel. Autre argument : afin que les disciples ne [me] voient pas [rester en position couchée] et ne fixent pas la halakha selon tes paroles. Que signifie “autre argument” ? Si l’on dit : la position inclinée est autorisée par les deux écoles, il faut répondre que la position inclinée est autorisée [par l’école de Hillel] seulement si la personne était déjà inclinée. Dans notre cas, puisqu’il était debout jusqu’au moment de réciter puis s’est incliné pour réciter, les [disciples] pourraient en déduire qu’ils suivent [tous deux] les enseignements de l’école de Shammay et fixer ainsi la halakha pour les générations à venir. Rab Yeḥezqel enseigne : si un homme agit selon les enseignements de l’école de Hillel, c’est valable, selon les enseignements de l’école de Shammay, c’est valable. Rab Yosef dit : s’il agit selon les enseignements de l’école de Shammay, c’est comme s’il n’avait rien fait du tout, ainsi qu’il a été enseigné : Si un homme s’assoit avec sa tête et la plus grande partie de son corps dans la cabane alors que sa table est à l’intérieur de la maison, l’école de Shammay rejette [sa position] et l’école de Hillel l’accepte. [Les membres de] l’école de Hillel dirent aux [membres de] l’école de Shammay : une fois, les anciens de l’école de Shammay et les anciens de l’école de Hillel sont allés visiter Yoḥanan ben Ḥoranit et ils l’ont trouvé avec sa tête et la plus grande partie de son corps dans la cabane et sa table était à l’intérieur de la maison et ils ne dirent rien. [Les membres de] l’école de Shammay dirent [à ceux de l’école de Hillel] : de ce cas, vous tirez une preuve ?! Même eux lui ont dit : si tu as l’habitude de faire ainsi, tu n’as jamais accompli le commandement de la cabane de ta vie ! Rab Naḥman dit : celui qui agit selon les enseignements de l’école de Shammay doit être mis à mort, ainsi qu’il a été enseigné : R’ Ṭarfon raconte : une fois, [lorsque] je venais sur un chemin, je me suis incliné pour réciter [le shema‘] selon les enseignements de l’école de Shammay et je me suis mis en danger à cause des bandits. [Les sages] me dirent : [si un malheur t’était arrivé], tu n’aurais que toi-même à accuser, puisque tu as transgressé les enseignements de l’école de Hillel. »

641

Passage sans importance pour notre propos.

LES RABBINS

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Dans cette sugya, le TB tranche en faveur de la primauté de l’école de Hillel, tout en montrant une certaine tolérance pour le fait de citer et d’expliquer les enseignements de l’école de Shammay. En mettant en rapport les trois récits tannaïtiques et en les commentant, le TB transforme leurs aspects humoristiques. Concernant M Berakhot 1, 3, la remarque de Rab Naḥman à la fin de la sugya transforme ce qui était de l’ironie dans la Mishna en une attaque directe et claire sur ceux qui suivent les enseignements de l’école de Shammay. L’aspect humoristique est neutralisé, mais l’orientation hostile à l’école de Shammay est accentuée. Concernant T Berakhot 1, 4, le commentaire amoraïque semble centré sur l’aspect pédagogique du récit alors que le commentaire de Rashi souligne le regard humoristique de la parabole sur l’action et la situation. Le message complexe de la Tosefta est préservé, y compris l’aspect humoristique. Le récit de M Sukka 2, 7 est cité dans le TB presque sans modification. La seule différence est le titre « Rabbi » attribué à Yoḥanan ha-ḥoroni, alors qu’il est absent dans la Mishna. Cet ajout neutralise d’une certaine manière la probable incongruité que nous avons signalée dans notre commentaire, celle d’une visite en grande pompe de nombreux sages des deux écoles rivales à un simple particulier qui tente d’accomplir humblement le commandement de la cabane. Le TB est centré sur l’issue de la controverse et non sur la controverse elle-même. L’attention portée à l’humour montre que dans les récits tannaïtiques, les controverses entre les deux écoles sont un sujet sensible et non résolu, alors que les amora’im ont déjà une réponse au problème. T Pe’a 4, 10 « Un pauvre qui donne un sou à la caisse et une tranche de pain pour le plat, on les reçoit de sa part. S’il ne donne pas, on ne l’oblige pas à donner. Si on lui a donné [des vêtements] neufs et qu’il rend des [vêtements] usés, on les reçoit de sa part. S’il ne donne pas, on ne l’oblige pas à donner. S’il avait l’habitude de porter un vêtement de laine, on lui donne un vêtement de laine, [s’il avait l’habitude de recevoir] une pièce de monnaie, on lui donne une pièce de monnaie, une pâte, on lui donne une pâte, du pain, on lui donne du pain. S’il avait l’habitude qu’on le nourrisse dans sa bouche, on le nourrit dans sa bouche. Puisqu’il est écrit : (Dt 15, 8) [donne-lui] en raison de son besoin, de ce qui lui manque. Même un esclave, même un cheval. Lui, c’est la femme, puisqu’il est écrit : (Gn 2, 18) Je lui ferai une aide pour lui642. Histoire de Hillel l’ancien qui prit pour un pauvre de famille noble un cheval afin qu’il puisse s’entraîner et un esclave pour le servir. Encore une histoire des gens de Galilée qui faisaient monter pour un ancien une livre de viande à Sepphoris chaque jour. » 642

Traduction du Rabbinat : je lui ferai une aide digne de lui.

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Ce paragraphe expose un principe concernant la pauvreté : un pauvre est celui qui manque de quelque chose par rapport à son train de vie habituel. Dès le moment où sa vie change à cause d’un manque matériel qui l’oblige à changer ses habitudes, la société doit pourvoir à ses besoins. La halakha donne quelques exemples qui semblent logiques : s’il avait l’habitude de porter un vêtement de laine ou de manger des aliments particuliers, on tente de lui apporter ce qui se rapproche au mieux de ses habitudes. S’il avait l’habitude d’être nourri ou qu’il ne peut pas se nourrir seul, on le fait pour lui. Après l’appui scripturaire, la Tosefta précise que même un cheval et un esclave font partie des choses que la communauté doit fournir à un pauvre. La partie non narrative de ce passage comporte les éléments suivants : – Les libertés accordées aux pauvres qui souhaitent contribuer à la communauté ou rendre ce qui leur a été donné ; – Une liste de choses que la communauté doit donner à un pauvre s’il avait l’habitude de les utiliser : un vêtement de laine, une pièce de monnaie, de la pâte, du pain, nourrir le pauvre dans sa bouche ; – Un appui scripturaire ; – Un complément de la liste de choses : même un cheval et même un esclave ; – Une remarque exégétique supplémentaire (qui n’a pas d’importance pour notre propos). Le passage non narratif est suivi par deux récits. À première vue, il n’y a aucune difficulté, anomalie ou humour dans ce passage. La partie non narrative stipule que même un cheval ou un esclave peuvent faire partie des choses dont on doit pourvoir un pauvre. Le récit à propos de Hillel l’ancien semble être un exemplum classique qui confirme la remarque non narrative. Cependant, une lecture plus attentive révèle quelques contradictions. Notons d’abord une différence fondamentale entre la remarque « même un cheval, même un esclave » et le récit à propos de Hillel l’ancien. La remarque non narrative vient compléter les principes expliqués avant elle : on doit donner aux pauvres pour subvenir à leurs besoins. Si un homme ne peut pas manger seul, il faut le nourrir « dans sa bouche ». À la suite de cela, lorsque nous lisons « même un cheval, même un esclave », il est logique de penser que le cheval servirait à un pauvre qui ne peut pas se déplacer et l’esclave ou le serviteur à un pauvre qui n’est pas autonome. Ces deux exemples évoquent les auxiliaires de vie. Or, ce qui est raconté à propos de Hillel l’ancien est d’un tout autre ordre : il prit pour un homme de bonne famille devenu pauvre un cheval pour s’entraîner et un esclave pour courir devant lui, c’est-à-dire l’honorer. Ce sont clairement des luxes totalement superflus.

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L’aspect superflu ressort également de l’anecdote à propos des gens de Galilée. Une livre de viande est, selon les normes actuelles, une quantité exagérée pour une consommation quotidienne. Était-ce le cas également dans l’antiquité ? Les deux anecdotes nous semblent donc marquées par des exagérations grotesques. Comment pouvons-nous déterminer si c’est bien le cas ? Pour ce faire, nous allons comparer ce texte à ses parallèles. T Pe’a 4, 8 est le parallèle textuel de M Pe’a 8, 7, c’est-à-dire le passage qui détermine les aides alimentaires et pécuniaires accordées aux pauvres. Il s’agit de la fin du traité Pe’a de la Mishna qui traite successivement des obligations de la société envers les pauvres, des conditions de ressources permettant aux individus de bénéficier des aides et de certains enseignements moraux relatifs au fait de ne pas profiter des aides sociales lorsqu’on n’est pas dans la nécessité et de la vertu de ne pas en profiter même si on en a besoin. La fin du traité Pe’a de la Tosefta (halakhot 18-21) est également marquée par des enseignements moraux concernant les aides sociales et la charité. Nous y trouvons notamment un récit édifiant sur le roi Monobaz, qui a gaspillé toute sa fortune lors des années de sécheresse pour nourrir les pauvres. Il y a donc une cohérence entre la Mishna et la Tosefta. M Pe’a 8, 7 et T Pe’a 4, 8 sont des textes parallèles. Les deux traités se terminent par des enseignements moraux aux messages proches, qui valorisent le don charitable et encouragent à profiter des aides sociales avec la plus grande retenue. Les deux anecdotes de T Pe’a 4, 10 évoquent, au contraire, le don charitable ou social de produits de luxe. Ce contraste vient confirmer notre hypothèse de départ concernant le décalage entre la partie non narrative et les anecdotes, mais notre lecture de ce passage en tant qu’exagération grotesque humoristique doit encore être confirmée. Les parallèles talmudiques peuvent nous éclairer sur ce point. Le parallèle du TY va dans le sens opposé de notre théorie. En effet, le TY ne propose aucun commentaire du récit à propos de Hillel l’ancien. Il ajoute cependant un bref commentaire de la deuxième anecdote : « Histoire des gens de Galilée qui faisaient monter pour un ancien une livre de viande de volaille chaque jour. Et est-ce possible de faire ainsi ? C’est qu’il ne mangeait pas avec d’autres personnes. » Le TY semble donc confirmer les faits décrits dans cette anecdote comme conformes à la halakha, mais ce n’est pas le cas du TB. TB Ketubbot 67b « … Nos maîtres ont enseigné : (Dt 15, 8) en raison de son besoin, [cela signifie] que tu es obligé de le nourrir et tu n’es pas obligé de l’enrichir. (Id.) de ce

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qui lui manque, même un cheval pour le monter et un esclave pour courir devant lui. On racontait à propos de Hillel l’ancien qu’il prit pour un pauvre de bonne famille un cheval pour le monter et un esclave pour courir devant lui. Une fois, il ne trouva pas un esclave pour courir devant lui, alors il courut [luimême] devant lui une distance de trois milles. Nos maîtres ont enseigné : histoire des gens de la haute Galilée qui prirent pour un pauvre de Sepphoris une livre de viande chaque jour. Une livre de viande ?! Pourquoi est-ce considéré comme une grande quantité ?! Rab Huna dit : une livre de cervelles de volailles, et si tu veux, dis : la viande achetée pour une livre de pièces de monnaie. Rab Ashi dit : là-bas, c’était un petit village et chaque jour, il fallait abattre une bête à cause de lui. Un homme vint devant R’ Neḥemya. Ce dernier lui demanda : qu’as-tu l’habitude de manger ? Il répondit : de la viande grasse et du vin ancien. Supporteras-tu [de manger] avec moi des lentilles ? Il supporta [de manger] avec lui des lentilles, mais il mourut. On disait : malheur à celui qui a été tué par Neḥemya. Au contraire, [ils auraient dû dire] : malheur à Neḥemya qui l’a tué ! [Mais en réalité], il faut dire que cet homme n’aurait pas dû s’autoriser de tels luxes. Un homme est venu devant Raba [pour lui demander de la nourriture]. [Raba] lui demanda : qu’as-tu l’habitude de manger ? Il lui dit : de la poularde grasse et du vin ancien. Et tu n’as jamais craint d’être un fardeau pour la communauté ? Il lui dit : ce n’est pas leurs biens que je mange, mais ceux du Miséricordieux que je mange, ainsi que l’on enseigne à partir de l’Écriture : (Ps 145, 15) Tous les yeux se tournent avec espoir vers toi, et, toi, tu leur donnes leur nourriture en temps voulu. Ce verset enseigne qu’à chacun, le Saint, béni soit-Il, donne sa subsistance en temps voulu. À ce moment, vint la sœur de Raba qu’il n’avait pas vu pendant douze années et elle lui apporta une poularde grasse et du vin ancien. [L’homme dit] : c’est précisément ce que j’ai dit643 ! [Raba] lui dit : je reconnais que tu as raison, viens manger. »

Nous retrouvons nos deux anecdotes dans la sugya du TB. L’histoire à propos de Hillel l’ancien est reprise presque à l’identique, mais comporte un ajout : « Une fois, il ne trouva pas un esclave pour courir devant lui, alors il courut [lui-même] devant lui une distance de trois milles. » Ce détail ajouté est clairement absurde : quelle halakha stipule qu’un sage doit servir d’esclave à un noble appauvri ? L’absurdité du détail vient confirmer celle de l’ensemble du récit. La deuxième anecdote suscite également les commentaires talmudiques. La question anonyme : « une livre de viande ?! Pourquoi est-ce considéré comme une grande quantité ?! » est révélatrice. Pour le rédacteur du TB, il est clair que la quantité de viande mentionnée dans la Tosefta doit être grande, mais la livre de viande n’est pas une quantité suffisamment exagérée. Rab Huna et Rab Ashi proposent chacun une hypothèse pour expliquer qu’en réalité cette quantité est exagérément grande. Dans sa reprise des deux récits, le TB confirme donc notre hypothèse à propos du caractère grotesque des récits de la Tosefta. 643

Traduction selon la lecture de Rashi.

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Nous avons ici un exemple d’humour du troisième niveau : le niveau philosophique ou épistémologique. Il est clair que la nécessité a ses limites, et qu’un pauvre ne peut pas prétendre mener un train de vie de riche. La Tosefta place deux récits grotesques côte à côte avec la halakha pieuse pour la remettre en question et définir ses limites. Il est également significatif que le personnage cité soit Hillel l’ancien. Lorsqu’il s’agit des controverses entre les écoles de Hillel et de Shammay, la littérature rabbinique penche majoritairement du côté de Hillel, valorisant la bienveillance, la tolérance et une vision moins stricte de la halakha, mais ici la Tosefta définit les limites de l’indulgence en tournant en dérision le sage qui l’incarne. La suite de la sugya du TB est également intéressante, bien qu’elle dépasse le cadre de notre travail. Nous allons donc l’évoquer très brièvement. Nous y trouvons deux récits, l’un à propos de R’ Neḥemya, l’autre à propos de Raba. Ces deux rabbins se voient l’un et l’autre réclamer de la nourriture coûteuse par un pauvre aux goûts luxueux. Les réactions des sages sont très critiques envers leurs interlocuteurs : R’ Neḥemya propose à l’homme habitué à la viande grasse de manger des lentilles, Raba demande à l’homme habitué à la poularde grasse s’il n’a pas l’impression d’être un fardeau pour la communauté. Les deux récits ont une issue qui désavoue la critique des rabbins et confirme la demande de leurs interlocuteurs : celui de R’ Neḥemya meurt par suite de la consommation de lentilles, celui de Raba finit par obtenir le repas initialement demandé. L’issue des récits semble à première vue contraire au message de la Tosefta, à savoir qu’en effet, même si ce sont des goûts de luxe, il faut donner aux nécessiteux tout ce qu’ils avaient l’habitude de consommer et d’utiliser à leur heure de gloire. Cependant, l’humour dans ces deux anecdotes ne peut pas être ignoré. Nous y trouvons l’intervention ironique de la providence, des retournements surprenants, notamment l’apparition d’un deus ex machina (la sœur de Raba), et une tonalité générale folklorique voire carnavalesque. Ainsi, le message initial est tourné en dérision et remis en question par la forme humoristique des récits. L’humour narratif a ici une fonction épistémologique. T Shabbat 16, 7 « L’école de Hillel enseigne : on débarrasse de la table les os et les épluchures. L’école de Shammay enseigne : il faut enlever tout le plateau et le secouer [pour ne pas toucher les déchets directement]. Zekharya ben Abqiles n’agissait ni selon les enseignements de l’école de Shammay, ni selon les enseignements de l’école de Hillel, mais prenait [les déchets] et les jetait derrière le lit. R’ Yose dit : la modestie [extrême] de R’ Zekharya ben Abqiles a brûlé le palais. »

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Nous avons ici une discussion concernant les restes de nourriture qui se trouvent sur la table et qu’il ne faut logiquement pas déplacer pendant le shabbat, car il ne s’agit pas de nourriture, ni pour l’homme ni pour les animaux. Le texte met en opposition l’école de Hillel, qui permet tout simplement de débarrasser la table des os et des épluchures, et celle de Shammay, qui demande pour cela de ne pas toucher directement les déchets, mais de secouer le plateau. En somme, la controverse n’en est pas vraiment une, car les deux écoles permettent de nettoyer la table. L’anecdote concerne ici Zekharya ben Abqiles, qui n’agissait suivant aucune des deux écoles, mais avait sa propre solution : de jeter directement les déchets derrière son lit. La version du TB (Shabbat 143a) rend explicite cette image : il mangeait, puis en se retournant, crachait les déchets directement derrière le lit ou le canapé dans lequel il était allongé. C’est une image comique d’un sage qui crache les déchets grossièrement et en plus, derrière le canapé, ce qui pourrait probablement créer un problème d’hygiène. Le TB, qui présente différentes manières de débarrasser la table, mentionne deux amora’im qui crachaient leurs déchets, Rab Sheshet et Rab Papa. Si l’image de Zekharya ben Abqiles crachant ses déchets derrière le canapé est rendue explicite dans le TB, elle est également rendue légitime, puisque c’est une pratique comme une autre qui permet de détourner l’interdit de déplacer les objets644 et garder une table propre pendant le shabbat. La Tosefta en revanche, ne voit pas d’un bon œil le comportement de Zekharya ben Abqiles. Tout d’abord, le titre « Rabbi » est omis de la première mention de son nom. Ensuite, il est explicitement mentionné que son comportement n’est pas conforme aux enseignements des deux écoles. Enfin, la remarque de R’ Yose est clairement négative et renvoie aux récits de la destruction rapportés dans TB Giṭṭin 56a et dans Ekha Rabba 4, 3. Nous avons ici un cas où la présentation comique est plutôt mineure alors que la critique est très explicite. T Pesaḥim 4, 13-14 « Une fois, le 14 [Nisan] tomba le shabbat. On demanda à Hillel l’ancien : est-ce que le [sacrifice de] Pesaḥ repousse [l’obligation de préserver] le shabbat ? Il leur répondit : avons-nous uniquement un seul [sacrifice de] Pesaḥ pendant l’année qui repousse [l’obligation de préserver] le shabbat ? Nous avons plus de trois cents Pesaḥim qui repoussent [tous l’obligation de préserver] le shabbat. Toute l’assemblée s’est réunie contre lui. Il leur dit : le sacrifice perpétuel est un sacrifice public et le sacrifice de Pesaḥ est un sacrifice public. Si le sacrifice perpétuel en tant que sacrifice public repousse le shabbat, le sacrifice de Pesaḥ aussi en tant que sacrifice public repousse le shabbat. 644

Muqṣe.

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Autre argument : il est écrit à propos du sacrifice perpétuel : (Nb 28, 1) en son temps645, et il est écrit à propos du sacrifice de Pesaḥ : (Nb 9, 2) en son temps. De même que le sacrifice perpétuel dont il est écrit en son temps repousse [l’obligation de préserver] le shabbat, de même le sacrifice de Pesaḥ dont il est écrit en son temps repousse [l’obligation de préserver] le shabbat. Et [j’ai encore un argument] a fortiori : si le sacrifice perpétuel qui est [un commandement dont la transgression n’est pas] passible de retranchement646 repousse [l’obligation de préserver] le shabbat, le sacrifice de Pesaḥ qui est [un commandement dont la transgression est] passible de retranchement, ne doit-il pas a fortiori repousser [l’obligation de préserver] le shabbat ? Et [je peux vous dire encore que] j’ai reçu l’enseignement de mes maîtres, [qui disaient] que le sacrifice de Pesaḥ repousse [l’obligation de préserver] le shabbat, non seulement le sacrifice du premier jour, mais aussi celui du dernier jour, et non seulement le sacrifice public, mais aussi le sacrifice individuel. Ils lui dirent : que fera le peuple qui n’a pas apporté les couteaux et les sacrifices au Temple ? Il leur dit : laissez-les. Ils sont inspirés par l’esprit saint. S’ils ne sont pas euxmêmes des prophètes, ils sont fils de prophètes. Que firent les juifs à ce moment ? Quiconque avait un agneau, il cacha [le couteau] dans sa laine, et [quiconque] avait un chevreau, il attacha [le couteau] entre ses cornes. Ainsi, ils apportèrent les couteaux et les sacrifices au Temple et sacrifièrent leurs Pesaḥim. Ce jour-là, ils nommèrent Hillel patriarche et il leur enseigna les lois de Pesaḥ. »

Dans ce long récit, l’assemblée s’adresse à Hillel l’ancien avec une question halakhique sur le sacrifice pascal. Hillel donne une réponse quelque peu incongrue : il dit qu’en réalité il n’y a pas un seul, mais plus de trois cents sacrifices pascals647, ce qui est en décalage par rapport aux attentes de l’assemblée. La réponse humoristique et surprenante de Hillel (humour interne) ne fait pas rire le peuple. Ce dernier n’a pas compris la plaisanterie et réagit violemment, mais Hillel donne ensuite trois explications logiques de son argument, ce qui finit par convaincre l’assemblée qui l’honore en le nommant patriarche. C’est un récit édifiant qui présente l’éloquence de Hillel l’ancien et son humour. Les parallèles de ce récit dans TB Pesaḥim 66a et TY Pesaḥim 6, 1, tous deux presque identiques, présentent une approche très différente. Les récits talmudiques identifient le groupe anonyme qui s’adresse à Hillel. Il s’agit des gens de Betera dans le TB et des anciens de Betera dans le TY. Ces gens ignorent la halakha (TY) ou l’auraient oubliée (TB). Ils cherchent quelqu’un pour les informer et entendent parler d’un homme venu de Babylonie, appelé Hillel le Babylonien, qui connaît la halakha puisqu’il a été le disciple de Shema‘ya et Abṭalyon (littéralement : « il a servi

645

Be-mo‘ado. Karet. 647 Selon TY Pesaḥim 6, 1, ce nombre correspond au sacrifice perpétuel (bi-quotidien), ainsi qu’aux sacrifices supplémentaires du shabbat, des jours de fête et des néoménies. 646

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(shimmesh) avec eux »). Les gens s’adressent donc à Hillel. Sa réponse dans le TB est plus modérée que dans la Tosefta : il parle de deux cents au lieu de trois cents sacrifices pascals. Dans le TY, sa réponse est progressive : il dit d’abord qu’il y a plusieurs sacrifices susceptibles de repousser le repos obligatoire du shabbat, puis explique que, selon certains, ils sont au nombre de cent, selon d’autres, deux cents et selon d’autres encore, trois cents. Cette réponse modérée, surtout dans le TY, enlève toute la dimension humoristique que la réponse de Hillel avait dans la Tosefta. Les deux Talmuds reprennent ensuite les différents arguments de Hillel. Si la Tosefta présente ces arguments de manière ininterrompue, dans le TB il s’agit d’un dialogue entre Hillel et ses interlocuteurs, et dans le TY il y a une variante intéressante : les anciens de Betera n’acceptent l’argument que lorsque Hillel insiste sur le fait qu’il a appris la halakha de Shema‘ya et Abṭalyon. Ces différences montrent les préoccupations spécifiques à chaque Talmud  : dans le TB, l’échange d’opinions et le raisonnement logique sont valorisés, alors que le TY valorise plutôt la transmission de maître à disciple. Après sa nomination en tant que patriarche, les deux Talmuds racontent que Hillel s’était mis à taquiner ses interlocuteurs (hitḥil meqanṭeran bidebarim648) et qu’à cause de cela, il a oublié la halakha, dont il s’est ensuite rappelé en voyant les juifs qui apportaient les couteaux au Temple, en les attachant sur les animaux des sacrifices. Il y a donc un rapport intéressant entre la version tannaïtique et les versions amoraïques de ce récit. Les versions tardives confirment le fait que Hillel a utilisé une forme d’humour verbal, mais, dans ces versions, l’humour intervient vers la fin du récit et prend la forme d’une moquerie plutôt agressive, alors que, dans la Tosefta, il se manifeste par une plaisanterie bienveillante au début du récit. Aussi, le récit de la Tosefta présente Hillel de manière édifiante. Il expose ses arguments sans que ses interlocuteurs l’interrompent, et il n’y a aucune mention de son oubli de la halakha. Dans les Talmuds, au contraire, il est tourné en dérision, et le TY fait le lien entre sa moquerie qui vise les anciens de Betera et son oubli de la halakha. Flavius Josèphe (Antiquités juives 17, 2, 2), mentionne un certain Babylonien qui aurait fondé une ville appelée Bathyra à l’époque du roi Hérode, mais ce chef militaire venu de Babylonie ressemble fort peu au personnage de Hillel l’ancien des textes rabbiniques. Il est cependant intéressant de noter deux détails. Le premier est la mention de Ben Betera dans T Pesaḥim 4, 9. Le second est la mention du recensement de la population par Agrippa dans T Pesaḥim 4, 15 (voir p. 282), puisque la suite du texte de Flavius

648

Le contenu de ces paroles moqueuses n’est pas précisé.

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Josèphe évoque les impôts levés par Agrippa. Le lien entre ces récits rabbiniques et le passage de Flavius Josèphe est cependant très faible. T Kippurim 4, 2 « On instruit les enfants proches de la majorité, un an et deux ans avant [cette dernière], afin qu’ils soient habitués à accomplir les commandements. R’ ‘Aqiba dispensait les pères d’être présents à la maison d’étude, afin qu’ils aillent nourrir leurs enfants [pendant le Yom ha-kippurim]. Il arriva que Shammay l’ancien refuse de nourrir son fils et on l’obliga à le nourrir de sa propre main. »

L’enseignement de la Tosefta explique la marche à suivre concernant le jeûne du Yom Kippur. Les enfants à partir de treize ans sont obligés de jeûner et commencent à s’y habituer un an ou deux avant leur majorité religieuse. Les plus jeunes, quant à eux, non seulement ne sont pas obligés de jeûner, mais il est même essentiel de les nourrir, car autrement ce serait dangereux pour leur santé. La Tosefta raconte l’habitude qu’avait R’ ‘Aqiba de libérer les pères de famille de leurs obligations dans la maison d’étude, pour qu’ils s’occupent de leurs petits. Le récit qui suit la halakha met en scène Shammay l’ancien, connu pour ses opinions halakhiques strictes. L’appellation « ancien » suggère un âge avancé et un statut social important. Shammay est en effet décrit dans les textes rabbiniques comme étant d’un certain âge et maître de nombreux disciples. Son refus de nourrir son fils met visiblement la santé de ce dernier en péril. Le vieux Shammay est contraint de le nourrir, et même de sa propre main ! C’est un retournement de situation comique qui ridiculise le sage. Un autre aspect intéressant est la contrainte même. Vu le statut de Shammay dans les textes rabbiniques, on pourrait s’attendre à ce qu’il soit soutenu par ses disciples. Or, dans ce récit, il semble n’avoir aucun soutien et aucune autorité. C’est un groupe anonyme qui le contraint à agir contrairement à ses convictions. La Tosefta présente ce groupe anonyme comme une autorité rabbinique collective, en cherchant à ancrer son autorité dans le passé (l’époque de Shammay l’ancien). La juxtaposition de deux textes concernant des personnages historiquement très éloignés, R’ ‘Aqiba et Shammay, contribue à la construction d’une continuité entre les époques et la consolidation de l’autorité des rabbins dans le présent comme dans le passé pré-rabbinique. M Sukka 2, 8 « Les femmes, les esclaves et les enfants sont exempts de [l’obligation de dormir et manger dans] la cabane. Chaque enfant, qui n’est pas dépendant de sa mère, est obligé [d’accomplir le commandement] de la cabane. Il arriva

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que la belle-fille de Shammay l’ancien accouche. Il réduisit [alors] le plâtre [du toit]649 et plaça le toit végétal650 au-dessus du lit pour le petit. »

Cette mishna est composée de trois parties. La première indique de manière non narrative trois catégories de personnes qui sont exemptes du commandement de la cabane. La deuxième, non narrative également, émet une réserve vis-à-vis de la première. L’enfant qui n’est plus dépendant de sa mère est, selon le TB, un enfant qui ne crie pas « maman » en se réveillant. La troisième partie est narrative : il s’agit d’un exemplum dont les protagonistes sont Shammay l’ancien, sa belle-fille et son petit-fils nouveau-né. Dans l’exemplum, le sage ne détermine pas la halakha par l’enseignement, mais l’incarne par son comportement. Le comportement de Shammay n’est accompagné d’aucune réaction de la part des sages, ce qui signifie, à première vue, qu’il constitue le bon exemple, mais qu’en est-il lorsqu’on examine le récit de plus près ? L’événement principal dans ce récit est la naissance du petit-fils de Shammay l’ancien. Le récit est très bref, mais nous avons tout de même une succession de détails significatifs : la belle-fille de Shammay accouche d’un enfant et le tout récent grand-père s’empresse d’ouvrir un trou dans le toit, afin d’y poser le toit en feuillage, pour créer une cabane au-dessus du berceau du nouveau-né. L’action de Shammay est en contradiction avec l’enseignement qui la précède dans la même mishna. Elle contredit probablement aussi l’enseignement de M Sukka 1, 7, qui autorise de dresser le toit en feuillage directement sur le toit de la maison, si le plâtre est parti à cause de l’usure, mais qui ne précise nullement que l’on doit ou que l’on peut détériorer le toit d’une maison pour en faire une cabane. Shammay agit donc contrairement à deux enseignements halakhiques, mais ce n’est pas tout, il agit également à l’inverse du bon sens et de la compassion que l’on attend d’un grand-père. Il est en effet naturel qu’un homme veuille protéger son petit-fils nouveau-né et ne l’expose pas aux vents, aux pluies ou au soleil ardent sous un léger toit de feuillage. Ces contradictions éclairent le récit tout autrement. Ce n’est pas un exemplum, mais un contre-exemplum, une parodie. Le récit tourne en dérision Shammay l’ancien en le décrivant comme un grand-père inconscient voire cruel, qui agit contrairement aux enseignements des sages. La Mishna parodie le genre de l’exemplum et se moque des opinions trop strictes de Shammay.

649 650

Piḥet et ha-ma‘aziba, c’est-à-dire qu’il a fait un trou dans le toit. Sekhakh.

LES RABBINS

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Il est intéressant de noter la succession des deux mishnayot 7 et 8. Dans la septième mishna651, le texte tourne en dérision de manière générale les controverses entre les deux écoles sans se prononcer en faveur de l’une ou de l’autre. Dans la huitième, le rédacteur offre un message complexe. Il utilise des formes humoristiques (parodie, dérision, humour absurde) pour se moquer des manières strictes de Shammay et ainsi se prononce en faveur de l’opinion plus indulgente de Hillel. Mais pourquoi utiliser l’humour pour exprimer la critique et ne pas procéder d’une autre manière ? En fait, la Mishna recourt à l’humour afin de produire une critique subtile de Shammay et ses opinions, qui permet de dénoncer une approche trop stricte de la halakha sans exclure l’objet de la critique, c’est-à-dire Shammay, du cadre normatif. Si les rédacteurs de la Mishna voulaient exclure Shammay, ils n’auraient pas inséré un récit humoristique dans le texte. Comme l’a bien montré Bergson, l’humour permet de critiquer d’une manière inclusive. La Mishna atteint ainsi son double objectif : elle dénonce les opinions strictes de Shammay, tout en les incluant dans son discours. T Ḥagiga 2, 11 « Histoire d’Hillel l’ancien qui a imposé ses mains sur l’holocauste652 dans l’esplanade [du Temple] et les disciples de Shammay se sont unis contre lui. Il leur dit : venez voir, c’est une femelle et je dois en faire des offrandes de paix653. Il leur parla longuement et ils s’en allèrent. Aussitôt, [les disciples de] l’école de Shammay prirent le dessus et voulurent fixer la halakha selon leurs enseignements. Il y avait aussi Baba ben Buṭa, un des disciples de l’école de Shammay, mais il savait que la halakha était fixée selon les enseignements de l’école d’Hillel en tout lieu. Il alla apporter toutes les brebis de Kedar, les plaça dans l’esplanade [du Temple] et dit : quiconque doit apporter des holocaustes et des offrandes de paix, qu’il vienne, qu’il prenne et qu’il impose ses mains sur la bête afin de la consacrer ! [Des gens] sont venus, ont pris les bêtes, ont fait des holocaustes et ont imposé leurs mains sur elles pour les consacrer. Ce jour-là, la halakha fût fixée selon les enseignements de l’école d’Hillel et personne ne remit ce fait en question. »

Ce récit relate un désaccord entre les deux écoles de Shammay et de Hillel. Pour certaines offrandes et certains sacrifices, il fallait imposer les mains sur la bête en prononçant quelques mots, pour consacrer le sacrifice à un but précis. Selon l’école de Shammay, imposer les mains sur la bête est une action assimilable à la chevaucher, car à travers les mains, c’est le poids de la personne qui exerce une pression sur l’animal. L’école de Shammay 651 652 653

Voir le texte p. 179. ‘Ola. Shelamim.

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interdit donc cette action pendant les jours de fête. L’école de Hillel en revanche la permet. Le récit concerne Hillel l’ancien en personne, qui impose ses mains sur la bête à sacrifier lors d’un jour de fête. En faisant cela, il suscite une réaction violente chez les disciples de Shammay654. Hillel se sort de cette situation menaçante grâce à son éloquence. Ne pouvant pas apporter une réponse adéquate à Hillel, les disciples de Shammay s’en vont, mais reviennent aussitôt qu’ils sont en grand nombre afin de fixer la halakha. L’animosité et la violence sont à nouveau implicitement exprimées : le petit groupe qui ne peut pas se mesurer à l’éloquence du grand sage s’en va chercher du renfort pour vaincre la sagesse par la force. Le contraste entre Hillel et les disciples de Shammay tourne en dérision ces derniers qui sont présentés comme des brutes aux capacités intellectuelles limitées, à l’exception de Baba ben Buṭa. Ce dernier savait que la halakha doit toujours être fixée selon les enseignements de l’école de Hillel, et a réagi à la situation en amenant « toutes les brebis de Kedar » dans l’esplanade du Temple. L’action de Baba ben Buṭa est humoristique à plusieurs niveaux. Il apporte un nombre excessif de brebis dans l’esplanade du Temple. C’est une action positive qui permet finalement de fixer la halakha selon les enseignements de l’école de Hillel, mais c’est aussi une exagération grotesque qui résulte en une image comique. L’idée d’une exagération grotesque est d’ailleurs confirmée par l’expression « les brebis de Kedar ». Malgré l’absence de la formule habituelle introduisant une citation (she-ne’emar), c’est une allusion textuelle évidente à Is 60, 7 : Toutes les brebis de Kedar s’assembleront vers toi, les béliers de Nebayot seront à ton service, ils monteront avec désir sur mon autel et je glorifierai la maison de ma gloire. L’allusion au verset est donc d’abord proverbiale, c’est-à-dire qu’elle permet d’évoquer un très grand nombre. Mais ce n’est pas sa seule fonction. Dans le chapitre 60, Isaïe s’adresse à Jérusalem avec une prophétie positive concernant les temps messianiques, où Jérusalem retrouvera sa gloire et toutes les nations s’y rassembleront. Le verset en question concerne précisément les brebis de Kedar et les sacrifices. Si nous regardons les deux versets suivants, nous y trouvons la mention des enfants qui viennent des pays dispersés et s’assemblent dans Jérusalem avec leurs richesses ainsi que le saint Israël, pour glorifier le nom de l’Éternel. La suite du récit se comprend aisément sur l’arrière-plan de ces versets : les gens qui viennent offrir 654 La violence des accusateurs est implicitement exprimée dans la phrase « les disciples de Shammay se sont unis contre lui », littéralement « sur lui » (‘alaw). Le contraste entre le groupe et l’individu suggère également une situation menaçante. Hillel agit seul en consacrant son propre animal au sacrifice, alors que le groupe agit à cause de son acte individuel et contre lui.

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en sacrifice les brebis de Kedar, apportées par Baba ben Buṭa, sont « les enfants » qui s’assemblent dans le verset. Le saint Israël peut se référer soit au peuple, soit à Hillel l’ancien lui-même, qui a permis cette glorification de l’Éternel. À première vue, la citation du verset donne donc une vision plutôt édifiante de la personne de Hillel. Cependant, il ne faut pas oublier deux points importants. Le premier est le contexte messianique des versets d’Isaïe. Le second est le contexte historique dans lequel a été rédigée la Tosefta. La Tosefta est compilée à une époque où le Temple est détruit depuis de longues années et le temps des sacrifices est révolu. Il est clair que, pour les rédacteurs de ce texte, l’époque de Hillel l’ancien ne pouvait pas correspondre aux temps messianiques. Certes, nous pouvons expliquer cela en disant que les rabbins étaient simplement nostalgiques du passé, mais la volonté des rabbins de substituer la pratique rabbinique à la pratique sacerdotale peut remettre cette hypothèse en question. L’introduction du facteur humoristique pourrait fournir une explication. Même si elle fait de Hillel un personnage édifiant et qu’elle confirme la suprématie de ses enseignements sur l’école de Shammay, l’expression « les brebis de Kedar » peut aussi être lue comme une allusion ironique au verset d’Isaïe. Ainsi, comparer la Jérusalem de l’époque du second Temple à la Jérusalem messianique d’Isaïe est une absurdité, surtout après la description des « voyous » de l’école de Shammay et leur comportement menaçant dans le Temple. L’allusion ironique au verset renforce le contraste entre l’idylle des temps messianiques et les luttes intestines qui régnaient à l’époque de Shammay et de Hillel, tournant ainsi en dérision cette rivalité interne au courant rabbinique. Cette ironie dissimulée est donc de l’autodérision rabbinique. L’humour ici doit être classé au deuxième niveau, celui de l’humour narratif. T Ḥagiga, 2, 12 « Une autre histoire à propos d’un disciple de l’école de Hillel qui imposa ses mains sur l’holocauste. Un disciple de l’école de Shammay le trouva ainsi et lui dit : qu’est-ce que l’imposition [des mains] ? Le premier répondit : qu’estce que le silence ? Ainsi, il l’a fait taire avec une réprimande. »

Ce récit est la suite du précédent. Cette fois, ce n’est pas Hillel, mais l’un des disciples de son école qui impose ses mains sur le sacrifice. Un disciple de l’école de Shammay passe à côté de lui et le réprimande par une question rhétorique : « qu’est-ce que l’imposition des mains ? », c’est-à-dire : pourquoi fais-tu cela alors que c’est interdit ? Le premier disciple ne se laisse pas faire, et répond avec humour en reprenant la formulation de son interlocuteur : « qu’est-ce que le silence ? » L’humour réside à la fois dans la reprise

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ironique de la question de l’adversaire et dans l’inversion de sa signification. Le disciple de Shammay aurait dû se taire, mais il a parlé. Celui de Hillel aurait dû logiquement demander : « que sont ces paroles ? », mais il a dit : « qu’est-ce que le silence ? », faisant ainsi savoir à son adversaire le comportement qu’il aurait dû adopter. Comme le dit le rédacteur de la Tosefta à la fin du texte, cette question est bel et bien une réprimande. Le passage est donc un exemple d’humour rabbinique interne, où le disciple se sort d’une situation délicate par une remarque humoristique qui fait taire son adversaire. La polémique entre les deux écoles se poursuit dans T Ḥagiga 2, 13 et porte désormais sur la fête de Shabu‘ot. Un récit de cas concernant le décès d’un certain Alexa de Lod met en scène R’ Ṭarfon, disciple de l’école de Shammay, qui prend une décision halakhique suivant l’opinion de l’école de Hillel. Il n’y a pas d’humour. T Ohalot 5, 11-12 « Si une femme pétrit [une pâte] dans un pétrin, alors que ses mains sont occupées avec une autre pâte655, tant qu’elle lève une [main] et baisse l’autre ou vice versa, la femme et le pétrin sont impurs de l’impureté qui dure sept jours656, et la pâte est pure. Si elle retire ses mains et les remet [dans la pâte], elle devient impure et rend impure la pâte. R’ Yehoshua‘ dit : j’ai honte à cause de vos enseignements, école de Shammay ! Comment est-ce possible que la femme et le pétrin soient impurs de l’impureté qui dure sept jours et que la pâte soit pure, que la carafe657 soit impure de l’impureté qui dure sept jours, et que les liquides soient purs ? L’un des disciples de l’école de Shammay s’est mis debout et a dit devant lui : Rabbi, je dirai devant toi la raison pour laquelle l’école de Shammay enseigne cela. [R’ Yehoshua‘] lui répondit : parle ! [Le disciple dit :] les ustensiles d’un homme simple658, sont-ils purs ou impurs ? [R’ Yehoshua‘] lui répondit : [ils sont] impurs. [Le disciple dit :] et quelque chose d’impur protège-t-il [de l’impureté] ? Dans ce cas, que celui-ci protège [de l’impureté] les ustensiles d’un compagnon659 ! Autre argument : un homme simple te dit sur son ustensile qu’il est impur. Quand nous avons purifié les aliments et les boissons qui sont à l’intérieur de lui, nous avons purifié [la nourriture] ellemême, mais quand nous avons purifié l’ustensile, tu l’as purifié pour toi et pour lui. R’ Yehoshua‘ se remit à enseigner selon les paroles du disciple. R’ Yehoshua‘ dit : je vous ai dit des ossements, école de Shammay ! »

Nous trouvons dans ce récit un dialogue halakhique entre R’ Yehoshua‘ et un disciple de l’école de Shammay. Après l’énoncé de la halakha, R’ Yehoshua‘ s’emporte et conteste d’une manière imagée l’enseignement attribué à l’école de Shammay. 655 656 657 658 659

Elle pétrit deux pâtes simultanément, chacune d’une main. Ṭum’at shib‘a. Login. ‘Am ha-areṣ. Ḥaber.

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C’est un petit détail qui nous indique l’emportement de R’ Yehoshua‘ : le fait qu’il se soit mis debout. Ce changement de position est un détail stéréotypé des récits rabbiniques et représente une manière énergique pour un rabbin d’exprimer son objection. Ce changement de position ainsi que l’exclamation de R’ Yehoshua‘ renforcent le caractère appuyé voire violent de son objection. À cette objection virulente, s’oppose, non pas un sage qui porte le titre Rabbi, mais un disciple, qui plus est, anonyme. Il s’exprime calmement et poliment, puisqu’il demande l’autorisation de parler à R’ Yehoshua‘, et expose ses deux arguments de manière très détaillée, alors que R’ Yehoshua‘ était beaucoup plus lapidaire. Ce dernier finit par admettre son tort, ainsi que nous l’indique le narrateur, puisqu’il se remet à enseigner selon les enseignements de l’école de Shammay. Le récit se termine par une phrase humoristique de R’ Yehoshua‘ dans laquelle il s’exprime avec autodérision : « je vous ai dit des ossements » c’est-à-dire, des bêtises, mais des bêtises qui véhiculent l’impureté la plus élevée, précisément, le sujet de la discussion halakhique. C’est une phrase qui utilise donc la technique humoristique du double sens dans un objectif d’autodérision. Si cette dernière phrase est à classer dans le premier niveau humoristique, celui des échanges entre les sages, nous ne pouvons pas négliger l’aspect littéraire du récit tout entier. Plusieurs détails opposent les deux interlocuteurs de cette narration. R’ Yehoshua‘ est un sage, son identité est bien connue, il s’exprime de manière agressive et brève. Devant lui, nous trouvons un disciple, anonyme, qui s’exprime longuement et poliment. Il est clair que le narrateur dans ce récit offre une image négative de R’ Yehoshua‘, même le sage finit par se plier à l’argument du disciple et qu’il reconnaît son erreur par une formule humoristique. Dans la Mishna et la Tosefta, nous trouvons de nombreuses références à la rivalité entre les écoles de Shammay et Hillel, qui donnent majoritairement l’avantage à Hillel. Ceci nous indique le courant dominant dans le mouvement tannaïtique ainsi que le parti pris des rédacteurs de ses corpus. L’anecdote, que nous venons de commenter, est donc l’exception qui confirme la règle : un récit dont le rédacteur favorise l’opinion de l’école de Shammay. T Nidda 9, 19 « Celui que les sages de l’école de Hillel appelaient “gourmand”660, R’ Yehuda l’appelait “un homme qui couche avec une femme en état de menstruation”661… » 660 661

Gargeran. Bo‘el nidda.

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Ce paragraphe, qui clôt le traité Nidda de la Tosefta, présente un niveau élevé de narrativité et relate une controverse entre l’école de Hillel et celle de Shammay. Cette controverse n’a rien d’humoristique. C’est seulement la première phrase du paragraphe qui attire notre attention. Les sages de l’école de Hillel appellent par un euphémisme humoristique et bienveillant (gargeran, c’est-à-dire gourmand) un homme qui couche avec une femme en état de menstruation (bo‘el nidda). L’humour est ici au premier niveau, mais a une fonction qui touche directement la halakha. Les sages de l’école de Hillel expriment ainsi leur opinion indulgente envers l’homme qui désire sa femme à tel point qu’il ne peut pas attendre, ainsi que la suite du paragraphe le confirme.

B. Les « autres » – les groupes en marge du mouvement rabbinique Dans le premier chapitre, nous avons étudié des récits concernant les figures centrales du mouvement rabbinique. Nous avons vu comment une lecture axée sur les aspects humoristiques des textes peut apporter une lumière nouvelle sur notre compréhension de ces rabbins importants. L’humour permet aux rédacteurs des textes d’exprimer des idées complexes : d’une part, il confirme la position des rabbins dirigeants, et d’autre part, il émet des réserves vis-à-vis d’eux ou de certaines de leurs pratiques. Dans ce deuxième chapitre, nous allons étudier des textes traitant des groupes à la marge du mouvement tannaïtique. Nous verrons comment, à l’aide de l’humour, les rédacteurs des textes parviennent à stigmatiser leur marginalité, tout en affirmant leur autorité sur eux. B.1. R’ Ḥanina ben Dosa et les faiseurs de miracles « Lorsque mourut R’ Ḥanina ben Dosa, il n’y avait plus de faiseurs de miracles en Israël » (T Soṭa 15, 5).

Cette thématique nous semble importante malgré le faible nombre de textes : sept récits humoristiques et trois sans humour. T Pe’a 3, 8 est un récit édifiant à propos d’un homme pieux (ḥasid). T Sukka 4, 2 est le deuxième paragraphe d’un chapitre qui raconte les célébrations du puisement de l’eau : les pieux (ḥasidim) et les faiseurs de miracles (anshe ma‘ase) jonglaient avec des torches et disaient des louanges devant le public. Dans T Baba Qamma 11, 14, nous trouvons la mention de Yesha‘ya (ou Hosha‘ya), homme de Ṭeriya, un amora palestinien de la 4e génération, qui agissait de manière pieuse.

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M Berakhot 5, 5 « Celui qui prie et se trompe, c’est un mauvais signe pour lui. Et si c’est un émissaire public, c’est un mauvais signe pour ses commanditaires, car l’émissaire d’une personne est comme cette personne. On disait à propos de R’ Ḥanina ben Dosa qu’il priait pour les malades en disant : celui-ci vivra et celui-ci mourra. [Les sages] lui demandaient : d’où le sais-tu ? Il leur répondait : si ma prière est fluide dans ma bouche, je sais que la personne est reçue, et sinon, je sais qu’elle est perdue. »

Ce récit sans humour concerne l’effet puissant de la prière de R’ Ḥanina ben Dosa et ses pouvoirs miraculeux. C’est un récit édifiant qui présente le sage mystique au centre de la société rabbinique. La question des sages montre qu’ils tenaient R’ Ḥanina ben Dosa en estime dans le domaine de la prière, qu’ils avaient du respect pour lui et que ses pouvoirs leur paraissaient mystérieux. Il est intéressant de rapprocher cette histoire édifiante du récit suivant. T Berakhot 3, 20 « On disait à propos de R’ Ḥanina ben Dosa : alors qu’il était en train de prier, un serpent662 l’a mordu et il n’a pas cessé de prier. Ses disciples se rendirent auprès de lui et le trouvèrent mort à l’entrée de son trou. Ils dirent : malheur à l’homme mordu par un serpent, et malheur au serpent qui a mordu Ben Dosa ! »

La première phrase de ce récit annonce un événement tragique : R’ Ḥanina ben Dosa est mordu par un serpent. Nous pouvons imaginer que sa vie est en péril. Cependant, nous dit le récit, il n’a pas cessé sa prière. Après cette première phrase tragique, le texte continue en parlant des disciples du sage. Nous pourrions nous attendre à ce qu’ils demandent à leur maître s’il va bien et qu’ils lui apportent secours, mais, de manière surprenante, ils vont plutôt voir le serpent ! Le voyant mort devant son trou, ils terminent le récit par une exclamation qui met en avant le caractère miraculeux qui entoure tous les récits consacrés à R’ Ḥanina ben Dosa. Le comique de l’histoire résulte du retournement de situation : alors que la vie de l’homme était en péril, c’est finalement le serpent qui est mort parce qu’il a eu le malheur de mordre la mauvaise personne, l’homme pieux dont la prière est si puissante qu’elle tue l’animal. Ce récit apparaît dans les deux Talmuds. TY Berakhot 5, 1 « On disait à propos de R’ Ḥanina ben Dosa : alors qu’il se tenait debout et était en train de prier, un serpent663 est venu et l’a mordu, et il n’a pas cessé de prier. Et [ils] se rendirent auprès de lui et trouvèrent ce serpent mort devant 662 663

‘Arod. Ḥabarbar.

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l’entrée de son trou. Ils dirent : malheur à un homme mordu par un serpent et malheur au serpent qui a mordu R’ Ḥanina ben Dosa ! Quelle est la particularité de ce serpent ? Lorsqu’il mord un homme, si un homme arrive à une source d’eau avant le serpent, ce dernier meurt, et si le serpent arrive à une source d’eau avant l’homme, ce dernier meurt. Ses disciples lui demandèrent : Rabbi, n’as-tu pas senti [la morsure du serpent] ? Il leur dit : qu’un [malheur] m’advienne, si l’intention de mon cœur [n’était pas assez tournée] vers la prière et j’ai senti quelque chose. R’ Yiṣḥaq fils de R’ Ele‘azar dit : le Saint, béni soit-Il, créa une source d’eau sous ses pieds, afin d’accomplir ce qui est écrit : (Ps 145, 19) Il accomplit les désirs de ses fidèles, entend leurs supplications et leur porte secours. »

La version du TY reprend presque à l’identique le récit de la Tosefta en y ajoutant des explications : si un homme est mordu par un serpent nommé ḥabarbar (une sorte d’animal hybride entre le lézard et la tortue, selon TB Ḥullin 127a), cette morsure peut résulter en la mort de l’homme ou du serpent, selon que l’un ou l’autre arrive en premier à une source d’eau. Les disciples de R’ Ḥanina s’étonnent que leur maître n’ait pas senti la morsure. La réponse de R’ Ḥanina laisse entendre que sa concentration sur la prière en est la raison. La glose de R’ Yiṣḥaq fils de R’ Ele‘azar donne l’explication finale : pour récompenser R’ Ḥanina de sa fidélité, Dieu a miraculeusement fait jaillir une source d’eau à ses pieds, et ainsi il a été sauvé. Les explications du TY évacuent les aspects humoristiques du récit de la Tosefta et réduisent la dimension surnaturelle de la mort du serpent : d’abord, la morsure de cet animal n’est pas nécessairement mortelle, le remède évoqué étant accessible à tous. Ce n’est pas un présumé pouvoir mystique ou surnaturel de R’ Ḥanina lui-même qui lui a permis de rester en vie, mais Dieu qui l’a récompensé de sa grande fidélité. Le TB en revanche, présente le récit d’une manière radicalement opposée : TB Berakhot 33a « Nos maîtres ont enseigné : il arriva à un certain endroit qu’un serpent blesse les gens. Ils vinrent et informèrent R’ Ḥanina ben Dosa. Il leur dit : montrezmoi son trou. Il prit son talon et le plaça sur l’ouverture. [Le serpent] sortit, le mordit et mourut. [R’ Ḥanina] le prit sur son épaule et l’emmena à la maison d’étude. Il leur dit : mes enfants, regardez, ce n’est pas le serpent qui fait mourir, mais le péché qui fait mourir. À cette heure-ci, on disait : malheur à l’homme qui a été blessé par un serpent, et malheur au serpent qui a été blessé par R’ Ḥanina ben Dosa ! »

Ici, l’incident d’un serpent qui mord R’ Ḥanina n’est pas accidentel. Un groupe de personnes, dont l’identité n’est pas précisée, fait appel à R’ Ḥanina afin qu’il les sauve de la menace d’un serpent. R’ Ḥanina a donc déjà la réputation de pouvoir sauver la communauté d’une telle menace. En l’absence d’appellation précise, le groupe de gens pourrait contenir des rabbins, des juifs non rabbiniques voire des non-juifs. R’ Ḥanina place son pied

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sur le trou du serpent intentionnellement : il souhaite se faire mordre, car c’est précisément sa méthode pour tuer le serpent. Une fois sa mission achevée, il emmène la bête à la maison d’étude. Cela suggère que les personnes qui ont fait appel à lui sont probablement des juifs rabbiniques. Le texte décrit l’homme avec un serpent mort sur l’épaule, c’est une image impressionnante, celle d’un héros doté d’une grande force physique. La leçon qu’il en tire est étrange : en disant que c’est le péché et non le serpent qui fait mourir (cf. Mc 7, 15-23), R’ Ḥanina suggère que la morsure du serpent n’est mortelle que pour celui qui a péché. La mort du serpent lui-même peut aussi être liée à cette idée du péché. Dans ce cas, le « péché » du serpent est le fait de mordre et tuer les gens. La leçon de R’ Ḥanina semble quelque peu malhonnête, car l’ordre naturel des choses est que l’homme soit affecté lorsqu’il est mordu par un serpent, ou un autre animal venimeux, et si la communauté fait appel à R’ Ḥanina, c’est précisément parce qu’il est réputé avoir des pouvoirs extraordinaires, lui permettant de résoudre le problème. Le récit se termine par la phrase proverbiale sur R’ Ḥanina ben Dosa et le serpent, identique à celle de la Tosefta. Le récit du TB accentue à la fois l’aspect édifiant et l’aspect humoristique du récit de la Tosefta. D’un côté, le pouvoir de R’ Ḥanina contre le serpent est bien plus impressionant, car le sage sait d’avance que si l’animal le mord, il mourra. Aussi, il est présenté avec l’animal sur les épaules, comme un héros menaçant. Après de telles prouesses, le sarcasme de la phrase finale devient plus évident. Alors qu’elle semble être un compliment, cette phrase est à comprendre au sens littéral : malheur au serpent qui mord R’ Ḥanina, malheur à lui, car il mourra, non pas parce qu’il est coupable, mais parce que R’ Ḥanina est un homme dangereux dont il faut se méfier. Le manque de précision quant au groupe de gens qui fait appel à R’ Ḥanina doit être compris comme une volonté des rabbins de dissimuler leur identité et de dissimuler le fait qu’ils sont obligés à faire appel à cet homme douteux et menaçant, un rabbin à la marge de leur mouvement. Notons également que le TB, contrairement au TY et à la Tosefta, ne mentionne pas les disciples de R’ Ḥanina. Le récit du TB accentue l’effet comique du récit de la Tosefta  : la présentation amusée du mérite du sage pieux révèle une certaine méfiance des rabbins vis-à-vis de « l’homme d’action », du faiseur de miracles. La catégorie des faiseurs de miracles (comme Ḥoni ha-me‘aggel) est à la marge de la société rabbinique et les sages montrent ainsi par un humour subtil leur désir de les garder sous contrôle. M Ta‘anit 3, 8 « On sonne le shofar pour tout malheur susceptible d’arriver à la communauté, sauf pour l’abondance des pluies. Il arriva que l’on dise à Ḥoni ha-me‘aggel :

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prie afin que les pluies viennent. Il leur dit : sortez et faites rentrer les fours de Pesaḥ pour qu’ils ne pourrissent pas. Et il pria, mais les pluies ne sont pas arrivées. Il traça un cercle et se plaça dedans et dit : maître du monde, tes fils se sont tournés vers moi, car je suis devant toi comme un membre de ta maison. Je jure par ton nom illustre que je ne bougerai pas d’ici jusqu’à ce que tu aies pitié de tes fils. Les pluies commencèrent à tomber par gouttes. Il dit : ce n’est pas ce que j’ai demandé, mais [je voulais] des pluies [qui remplissent] les citernes, les trous et les grottes. [Les pluies] tombèrent [alors] avec grande force. Il dit : ce n’est pas ce que j’ai demandé, mais [je voulais] des pluies de volonté, de bénédiction et de don. Elles tombèrent en bonne quantité, jusqu’à ce que [le peuple] d’Israël soit obligé de monter de Jérusalem vers le mont du Temple à cause des pluies. Ils dirent [à Ḥoni] : de même que tu as prié pour qu’elles viennent, de même prie pour qu’elles s’en aillent. Il leur dit : sortez et regardez si la pierre des [objets] égarés n’a pas disparu [sous l’eau]. Shim‘on ben Sheṭaḥ lui envoya [un mot] disant : tu aurais dû être excommunié, mais que puis-je te faire puisque tu t’attires les bonnes grâces du Lieu comme un fils s’attire les bonnes grâces de son père et [ce dernier] accomplit sa volonté ? Et [c’est] à propos de toi [que] l’Écriture dit : (Pr 23, 25) Que ton père et ta mère se réjouissent donc  ; qu’elle jubile, celle qui t’a enfanté  ! »

Ce célèbre récit664 comporte plusieurs traits humoristiques. Il commence comme un récit de cas665 placé après la mention de la halakha, mais il est inhabituellement long et très riche en détails. Le personnage principal n’y est pas un sage, mais un « homme d’action », un faiseur de miracles666. C’est un charismatique aux pouvoirs mystiques, dont l’autorité prend sa source non pas dans le savoir et l’étude de la Tora et de la halakha, mais dans une relation directe avec le divin. Ce type de personnage est nécessaire aux yeux des rabbins, sinon, ce récit n’aurait pas sa place dans la Mishna, mais les rabbins restent tout de même méfiants et tentent de limiter la portée de son influence. L’humour joue un rôle important dans la critique rabbinique de Ḥoni ha-me‘aggel. Le récit commence par la demande d’un groupe anonyme, qui contient manifestement des sages. Ces sages ou rabbins demandent à Ḥoni de prier afin que les pluies viennent. Avant de commencer sa prière, Ḥoni répond aux sages et sa réponse n’est pas un simple acquiescement. Avec une confiance en soi démesurée, Ḥoni dit aux sages de rentrer vite leurs fours de Pesaḥ, car ils risquent d’être détériorés par la pluie abondante et 664 A. AVERY-PECK, « The Galilean Charismatic and Rabbinic Piety : The Holy Man in the Talmudic Literature », dans A. LEVINE, D. ALLISON, J. CROSSAN (éd.), The Historical Jesus in Context, Princeton, 2006, p. 149-165 ; D. NOY, « Tefillat ha-tamim morida geshamim », Maḥanayim 51, 1961, p. 34-45 ; J. GOLDIN, « On Honi the Circle-Maker : A Demanding Prayer », dans B. EICHLER, J. H. TIGAY (éd.), Studies in Midrash and Related Literature, Philadelphie, 1988, p. 331-335. 665 Voir p. 75. 666 S. SAFRAI, Z. SAFRAI, « Rabbinic Holy Men », dans M. POORTHUIS, J. J. SCHWARTZ (éd.), Saints and Role Models in Judaism and Christianity, Leyde, 2004, p. 59-78.

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imminente qui résultera de ses prières. Si cette confiance en soi paraît grotesque, nous avons aussitôt la confirmation qu’elle l’est effectivement, car Ḥoni prie et les pluies n’arrivent pas. Cette première partie présente une tension entre deux tendances. D’une part, les rabbins se tournent vers Ḥoni, le mystique, pour obtenir son aide en temps de détresse, c’est-à-dire qu’ils reconnaissent son pouvoir. D’autre part, l’extrême confiance en soi de Ḥoni et l’échec de sa prière contribuent à le tourner quelque peu en dérision. Cependant, la critique, déjà évoquée, est exprimée à travers l’humour (une exagération grotesque dans ce cas) et permet d’intégrer un message polémique sans gêner la fluidité de la narration. Après ce premier échec, Ḥoni emploie les grands moyens. Dans un grand geste dramatique, il dessine un cercle (magique) par terre, se place dedans et se lance dans un discours solennel. Dans son discours, à première vue altruiste puisque Ḥoni agit pour répondre à la demande de la communauté, il continue à se vanter. Cette fois, ce n’est pas de son pouvoir, mais de sa relation privilégiée avec Dieu. « Je suis comme un membre de ta maison » dit-il. Comme M. Simon-Shoshan l’a souligné dans son commentaire de ce récit667, l’expression ben bayit est ambiguë. Le mot ben, fils, désigne la filiation, une intimité familiale. L’état construit ben bayit peut signifier un membre de la famille proche, mais il peut également désigner ceux qui vivent dans la maison du maître, c’est-à-dire les serviteurs ou les esclaves. Quand bien même ce soit dans la « maison » de Dieu, ce dernier sens est moins valorisant pour l’homme charismatique. Notons également la différence entre l’expression « tes fils » (ou « tes enfants ») pour décrire la communauté juive et « membre de la maison » pour désigner Ḥoni. Ḥoni se montre familier avec Dieu, mais il s’exclut de la communauté. Lui-même n’a pas besoin de cette pluie, selon ses propres paroles. L’insolence de Ḥoni est notable : il se permet de mettre en garde Dieu en personne. Et, en effet, comme s’il a appuyé sur un bouton ou tourné un robinet, quelques gouttes commencent à tomber. Pour ajuster le débit, Ḥoni continue ses revendications : « ce n’est pas assez » dit-il à Dieu, puis « c’est trop fort ». Si le sens premier de ce passage peut être lu comme une forte valorisation de l’homme de miracles, qui commande à l’action divine, nous pouvons proposer une lecture plus subtile. Ici, ce sont les « réactions » de Dieu qui nous intéressent, car ses réponses aux réclamations de Ḥoni ont une dimension humoristique. En effet, il « joue sur les mots » et réagit avec ironie aux demandes du faiseur de miracles. Lorsque Ḥoni déclare avec un 667 M. SIMON-SHOSHAN, « The Story of Honi Hame‘agel in Mishnah Ta‘anit 3 : 8. A Case Study in the Art of Mishnaic Narrative » (en hébreu), Jerusalem Studies in Hebrew Literature 26, 2013, p. 1-20.

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grand pathos qu’il ne bougera pas du cercle tant qu’il ne pleut pas, aussitôt la pluie arrive, ce qui permet logiquement à Ḥoni de sortir du cercle, mais ce n’est pas la pluie désirée. Dieu a fait tomber seulement quelques gouttes. Ceci répond à la demande insolente de Ḥoni, mais ne répond pas aux besoins en eau de la population. À la deuxième réclamation, Dieu réagit de la même manière, en jouant sur les mots. Ḥoni réclame une pluie qui remplisse les citernes et les grottes, et Dieu envoie une pluie féroce, menaçante et dangereuse. C’est uniquement à la troisième réclamation, bien plus précise, que Dieu fait tomber la quantité de pluie attendue. Ce passage est particulièrement intéressant, car il s’agit ici de l’humour de Dieu en personne ! Dieu réagit en jouant sur les mots et en prenant au sens littéral les demandes de Honi. Dieu crée par son ironie un décalage comique entre la demande et la réponse, et remet ainsi en cause les demandes de son interlocuteur insolent. Il finit, certes, par céder à sa volonté, mais ne manque pas de la tourner en dérision au passage. C’est à nouveau un message ambigu qui est véhiculé par l’humour, une critique amusée étant dissimulée dans un texte plutôt édifiant. Ainsi, les pluies tombent enfin à la bonne mesure, mais elles finissent par contraindre le peuple à s’abriter sur le mont du Temple. Les sages, qui voient le danger, demandent à Ḥoni de prier à nouveau, cette fois pour arrêter les pluies. Cette demande est contraire à ce qui est stipulé dans la halakha au début de notre mishna. Ḥoni semble le savoir, puisqu’il refuse de le faire. Cependant, il n’exprime pas son refus de manière directe : « sortez et regardez si la pierre des [objets] égarés n’a pas disparu [sous l’eau] » dit-il, c’està-dire : si elle n’est toujours pas couverte ou détruite par les eaux. Ici, le récit reste inexpliqué. Les sages avaient-ils vu la pierre des objets trouvés ? Était-elle en place ? À quel moment les pluies se sont-elles arrêtées ? Ḥoni a-t-il obéi aux sages et a-t-il prié pour que les pluies cessent ? Les informations concernant la pluie elle-même sont réellement absentes. Mais nous pouvons déduire de la suite du récit, que, cette fois, Ḥoni n’a pas obéi aux sages. En effet, Shim‘on ben Sheṭaḥ envoie à Ḥoni un message exprimant sa colère : « tu aurais dû être excommunié ! » Si Shim‘on ben Sheṭaḥ est en colère parce que l’homme charismatique ne lui obéit pas, il reconnaît également la raison de cette désobéissance : sa relation privilégiée avec Dieu. Alors que Ḥoni s’est comparé à un membre de la maison, un serviteur, Shim‘on ben Sheṭaḥ propose une autre comparaison. Selon lui, Ḥoni ha-me‘aggel n’est autre qu’un fils gâté : « tu t’attires les bonnes grâces du Lieu, comme un fils s’attire les bonnes grâces de son père ». Le verbe utilisé est particulier, car il est construit avec la racine ḥṭ’, qui signifie « péché ». Même si ce n’est pas le sens du verbe dans ce contexte, cela confère une signification négative au mot. Par cette déclaration, Shim‘on ben Sheṭaḥ exprime son impuissance devant la relation privilégiée de Ḥoni

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avec Dieu. Nous pouvons entendre toute sa frustration dans cette exclamation. Il finit son propos, comme il se doit, par une citation, mais c’est une citation ironique : « À propos de toi, l’Écriture dit : Que ton père et ta mère se réjouissent donc… » Il est clair que Shim‘on ben Sheṭaḥ n’apprécie pas Ḥoni et critique son attitude d’enfant gâté. Sa citation du verset est donc à lire au second degré, sur le ton de l’ironie amère, où l’on dit une chose, mais où l’on pense précisément le contraire. Ainsi, l’humour est présent dans toutes les parties de ce récit. Dans la première partie, il s’agit du caractère grotesque de la confiance exagérée que Ḥoni a en lui-même, dont la dimension humoristique est confirmée par le contraste entre cette confiance et l’absence de résultat des premières prières. La deuxième partie révèle l’humour et l’ironie divines, et la troisième l’ironie de l’institution rabbinique, impuissante devant la relation privilégiée du faiseur de miracles avec Dieu. Dans les deux premières parties, l’humour véhicule une critique de l’Autre qui est à l’intérieur, « l’homme d’action » qui participe à la communauté rabbinique. Dans la troisième, l’ironie du sage lui permet d’évacuer et d’exprimer sa colère, mais elle exprime également une dose d’autodérision, car le sage reconnaît son manque de pouvoir et d’influence. Ce récit a plusieurs parallèles, qui peuvent contribuer à sa compréhension. TB Ta‘anit 23a « Nos maîtres ont enseigné : une fois, le mois de Adar était presque terminé et il n’y avait pas eu de pluies. Ils envoyèrent [dire] à Ḥoni ha-me‘aggel : prie afin que les pluies tombent. Il leur dit : sortez et rangez les fours de Pesaḥ, afin qu’ils ne se détériorent pas. Il pria et les pluies ne sont pas tombées. Il traça un cercle et se tint debout à l’intérieur, comme l’avait fait le prophète Habacuc, ainsi qu’il est écrit : (Ha 2, 1) Je me tiens debout sur ma garde, je me place sur le fort afin d’attendre ce qu’Il me dira et ce que je répondrai au sujet de ma récrimination. Il dit devant lui : maître du monde, tes enfants se sont tournés vers moi, car je suis comme un membre de ta maison devant toi. Je jure par ton grand nom que je ne bougerai pas d’ici jusqu’à ce que tu aies pitié de tes enfants. Les pluies commencèrent à tomber par gouttes. Ils lui dirent : Rabbi, nous sommes venus te voir [pour] ne pas mourir. Il nous semble que les pluies ne tombent que pour défaire ton serment. Il leur dit : vous êtes venus me voir et vous ne mourrez pas. Il dit : ce n’est pas ce que j’ai demandé, mais des pluies [qui remplissent] les citernes, les trous et les grottes. [Les pluies] tombèrent [alors] avec férocité. Chacune des gouttes pouvait remplir l’ouverture d’un tonneau. Les sages estimèrent [que] chaque goutte ne mesurait pas moins d’un log668. Ils lui dirent : Rabbi, nous sommes venus te voir [pour] ne pas mourir. Il nous semble que les pluies ne tombent que pour détruire le monde. Il leur dit : 668

Mesure de volume correspondant à six œufs ou 300ml selon Maimonide.

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vous êtes venus me voir et vous ne mourrez pas. Il dit : ce n’est pas ce que j’ai demandé, mais des pluies de volonté, de bénédiction et de don. Elles tombèrent correctement, jusqu’à ce que [le peuple] d’Israël soit obligé de sortir de Jérusalem vers le mont du Temple à cause des pluies. Ils dirent [à Ḥoni] : de même que tu as prié pour qu’elles viennent, de même prie pour qu’elles s’en aillent. Il leur dit : j’ai reçu [une tradition disant] qu’il ne faut pas prier pour [faire cesser] l’abondance du bien. Mais, malgré tout, apportez-moi un taureau de remerciement. Ils apportèrent un taureau de remerciement. Il imposa ses deux mains sur lui et dit : maître du monde, ton peuple Israël que tu as fait sortir d’Égypte ne peut recevoir ni l’abondance de bien, ni l’abondance de calamité. Tu les as comblés avec le bien, ils ne peuvent pas le recevoir. Tu t’es fâché contre eux, ils ne peuvent pas le recevoir. Puisses-tu vouloir qu’il y ait du vent dans le monde. Aussitôt, le vent souffla, les nuages se dispersèrent et le soleil brilla. Ils sortirent et trouvèrent sur le mont du Temple des truffes et des champignons. Shim‘on ben Sheṭaḥ lui envoya [un mot] disant : si tu n’étais pas Ḥoni, j’aurais décrété ton excommunication. Si ces années étaient [des années de sécheresse], comme au temps d’Élie qui détenait les clés du ciel [pour faire tomber les pluies], le nom du ciel aurait été profané à cause de toi, mais que puis-je faire puisque tu t’attires les bonnes grâces devant le Lieu, comme un fils s’attire les bonnes grâces devant son père et [ce dernier] accomplit sa volonté. [Le fils] dit : emmène-moi [au bain d’eau] chaude, il l’emmène [au bain d’eau] chaude, [au bain d’eau] froide, il l’emmène [au bain d’eau] froide, donne-moi des noix, des pèches, des amandes et des grenades, il lui donne. [C’est] à propos de toi [que] l’Écriture dit : (Pr 23, 25) Que ton père et ta mère se réjouissent donc  ; qu’elle jubile, celle qui t’a enfanté  ! »

Le parallèle de TB Ta‘anit 23a est le seul qui reprend le récit de la Mishna dans son intégralité, et y ajoute quelques détails significatifs. Dans le récit de la Mishna, Ḥoni réagit à l’action du ciel de sa propre initiative : lorsque la pluie n’est pas assez forte, il réclame une pluie abondante et lorsque la pluie est trop forte, il demande à Dieu de l’ajuster aux besoins des hommes. Dans le TB, c’est le groupe de personnes, qui a fait appel à Ḥoni, qui fait remarquer à ce dernier que la pluie ne tombe pas en quantité suffisante. Il le fait d’ailleurs avec énormément de respect, en disant : « nous venons te voir afin de ne pas mourir ». D’autres ajouts concernent la demande de Ḥoni d’arrêter les pluies ainsi que la fin des précipitations. Dans la Mishna, il n’y a que la phrase énigmatique de Ḥoni (« sortez et regardez si la pierre des [objets] égarés n’a pas disparu [sous l’eau] »), sans précisions sur son éventuelle demande d’arrêter les pluies. Dans le TB, en revanche, Ḥoni se montre réticent à transgresser la halakha, qui interdit de prier pour demander l’arrêt d’une faveur divine. Il procède néanmoins à une demande solennelle et respectueuse, à l’aide d’un taureau expiatoire. Cette demande est aussitôt exaucée et provoque l’apparition de champignons et de truffes sur le mont du Temple. La remarque finale de Shim‘on ben Sheṭaḥ semble,

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après cette cérémonie, un peu exagérée, puisque Ḥoni s’est montré plutôt respectueux et ne s’est pas conduit comme un enfant gâté. Les ajouts du TB réduisent l’effet humoristique du récit. L’échange direct entre Ḥoni et Dieu dans la Mishna (la pluie étant la réaction divine à la demande de Ḥoni) devient un échange entre trois interlocuteurs : ce n’est plus Ḥoni qui interprète la réaction ironique du ciel, mais le groupe qui l’a sollicité. L’interprétation moins directe de la réaction du ciel attire l’attention sur cette ironie divine, mais en enlevant la surprise et la fluidité de l’échange et donc l’effet comique qu’elles produisent dans la Mishna. Le personnage de Ḥoni est présenté de manière plus détaillée dans le TB que dans la Mishna. Le TB commence par comparer Ḥoni au prophète Habacuc, en citant Ha 2, 1. Cette comparaison met en avant le don prophétique de Ḥoni. Elle a un caractère édifiant, qui est renforcé par la manière dont le groupe qui sollicite Ḥoni l’interpelle (« nous venons te voir pour ne pas mourir »). Les détails plus significatifs concernent la demande de Ḥoni d’arrêter les pluies. Alors que la Mishna ne mentionne pas une telle demande, le TB raconte l’événement en décrivant Ḥoni comme un prêtre qui apporte un sacrifice expiatoire. Ḥoni est donc doublement suspect : il est doté d’un don prophétique qui lui permet de communiquer directement avec Dieu, et il agit comme un prêtre. Or, les rabbins sont aussi méfiants vis-à-vis de la révélation directe669 que de la prêtrise670 ! Un certain Onias, mentionné par Flavius Josèphe, semble être le même personnage que Ḥoni : « Arétas, fort de ces promesses, marcha contre Aristobule avec cinquante mille cavaliers et de l’infanterie, et le vainquit en bataille rangée. À la suite de cette victoire, il y eut de nombreuses défections en faveur d’Hyrcan, et Aristobule abandonné s’enfuit à Jérusalem. Mais le roi des Arabes, à la tête de toutes ses troupes, vint attaquer le Temple et l’y assiégea, avec l’aide du peuple, qui s’était prononcé pour Hyrcan, tandis que les prêtres seuls restaient fidèles à Aristobule. Arétas, ayant réuni les forces des Arabes et des Juifs, poussa vivement le siège. Comme ces événements se passaient vers le temps de la fête des Azymes, que nous appelons la Pâque, les plus considérables des Juifs, abandonnant le pays, s’enfuirent en Égypte. Un certain Onias, homme juste et pieux, qui, jadis, au moment d’une sécheresse, avait prié Dieu d’y mettre fin, et dont les prières exaucées avaient amené la pluie, s’était caché en voyant que la rébellion continuait toujours aussi violente ; amené au camp des Juifs, on l’invita, de la même façon qu’il avait autrefois par ses prières fait cesser la sécheresse, à prononcer des imprécations contre Aristobule et ses partisans. Comme il s’y refusait et comme son refus lui attirait les violences de la foule, se dressant au milieu des Juifs, il s’écria : ô Dieu, roi de tout l’univers, puisque ceux qui m’entourent sont ton peuple, et que ceux qui sont assiégés sont tes prêtres, je te demande de ne pas écouter ce que demande ton peuple contre tes 669 670

Voir COSTA, « Littérature apocalyptique et judaïsme rabbinique… » Voir le chapitre sur les prêtres, p. 222-264.

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prêtres, et de ne pas exaucer les prières de tes prêtres contre ton peuple. Quand il eut prié de la sorte, les plus méchants des Juifs qui étaient autour de lui le lapidèrent671. »

Dans ce passage qui donne peut-être une certaine pertinence historique au récit de la Mishna, Onias refuse de participer à un conflit politique entre différents groupes juifs. La phrase qu’il prononce concerne la confrontation entre les prêtres et le peuple. Or, dans le TB, Ḥoni impose ses mains sur le taureau de remerciement à la manière d’un prêtre. Les rabbins du TB connaissaient-il ce passage de Flavius Josèphe ? Cela reste une question difficile. Il ressort en tout cas du texte de TB que Ḥoni se comporte comme un prêtre, alors qu’il n’en est pas un. Le TB exprime ainsi doublement sa méfiance : non seulement la classe sacerdotale doit être maintenue à la fois à la marge et dans le cadre des cercles rabbiniques, mais Ḥoni prend la liberté d’accomplir un acte sacerdotal sans en avoir la légitimité. La comparaison entre Ḥoni et le prophète Élie, dans le texte du TB, peut être rapprochée de la mention de Ḥoni dans Be-reshit Rabba 13, 7 (version de Vilna) : « (Gn 2, 5) et il n’y avait pas d’homme pour travailler (la-‘abod) la terre. Il n’y avait pas d’homme pour inciter les créatures à servir (le-ha‘abid) le Saint, béni soit-Il, comme Élie et comme Ḥoni ha-me‘aggel… »

TB Berakhot 19a mentionne également le désir qu’éprouvait Shim‘on ben Sheṭaḥ d’excommunier Ḥoni et il enchaîne avec un récit sur Thodos de Rome. Cette juxtaposition est particulièrement intéressante, car les deux personnages sont douteux et extérieurs au mouvement rabbinique, mais ils exercent un pouvoir sur les juifs rabbiniques ou obéissant à la halakha des rabbins. Les tensions que nous avons soulignées dans le récit de la Mishna à propos de Ḥoni sont totalement absentes du parallèle de la Tosefta. Dans ce dernier, ce n’est pas Ḥoni, mais un ḥasid anonyme qui prie pour la pluie. Ce passage n’est pas humoristique et ne se montre pas méfiant vis-à-vis de l’homme pieux. T Ta‘aniyyot 2, 13 « Il arriva que l’on dise à un ḥasid : prie afin que les pluies viennent. Il pria et les pluies sont arrivées. On lui dit : de même que tu as prié pour qu’elles viennent, de même prie pour qu’elles s’en aillent. Il leur dit : sortez voir si un homme qui se tient à l’extrémité du Ophel peut tremper son pied dans la rivière Qidron. [Si c’est le cas], nous prierons pour que les pluies s’arrêtent, mais nous 671 FLAVIUS JOSÈPHE, Antiquités juives 14, 2, 1, Th. REINACH (éd.), J. CHAMONARD (trad.), Paris, 1904.

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sommes [de toute manière] certains que le Lieu ne fera pas venir un déluge sur le monde, car il est écrit : (Gn 9, 11) nul déluge, désormais, [ne désolera la terre]. Et l’Écriture dit également : (Is 54, 9) Certes, je ferai en cela comme pour les eaux de Noé  : de même que j’ai juré [que le déluge de Noé ne désolerait plus la terre, ainsi je jure de ne plus m’irriter ni diriger des menaces contre toi]. R’ Me’ir dit : il n’y a plus eu de déluge d’eau, mais un déluge de feu et de soufre comme [celui qu’] il a fait venir sur les Sodomites, car il est écrit : (Gn 19, 24) L’Éternel fit pleuvoir sur Sodome [et sur Gommorrhe du soufre et du feu]. R’ Yehuda dit : il n’y a plus de déluge pour tous les vivants, mais il y a un déluge individuel. Comment ? Si un homme tombe en mer et meurt ou si son bateau coule et il meurt, voici son propre déluge. R’ Yose dit : il n’y aura plus un déluge universel, mais il y aura un déluge particulier, pour les nations du monde lors des temps messianiques, car il est écrit : (Za 11, 10) Je prendrai672 mon bâton «  Bienveillance  » et le briserai, afin de rompre mon alliance que j’avais conclue avec toutes les nations et l’Écriture dit ensuite : (Za 11, 11) Elle sera ainsi rompue ce jour-là.  »

Le récit de la Tosefta n’est pas humoristique. Tous les éléments comiques que nous avons soulignés dans la Mishna en sont absents. L’homme pieux ne se vante pas de ses pouvoirs. Sa prière est exaucée tout de suite et il n’y a pas d’ironie divine. La remarque de l’homme pieux à propos du déluge est même le sujet d’un débat exégétique des rabbins dans la suite du récit. Si le TB considère cette histoire du ḥasid comme distincte de celle de Ḥoni hame‘aggel, M. Simon-Shoshan673 y voit une tradition narrative, antérieure au récit de la Mishna. T Baba Qamma 8, 13 « Tous les érudits qui sont apparus en Israël entre la mort de Moïse et jusqu’à ce qu’apparaissent Yose ben Yo‘ezer, homme de Ṣereda et Yosef674 ben Yoḥanan, homme de Jérusalem, on ne peut pas leur trouver de tare. [De même, tous les érudits qui sont apparus en Israël] entre la mort de Yose ben Yo‘ezer homme de Ṣereda et Yosef ben Yoḥanan homme de Jérusalem et jusqu’à ce qu’apparaisse R’ Yehuda ben Baba, on ne peut pas leur trouver de tare. On disait à propos de R’ Yehuda ben Baba que tous ses actes étaient faits pour la gloire des cieux, sauf le fait qu’il élevait du petit bétail. Ainsi, il arriva une fois qu’il tombe malade. Un médecin vint le voir et lui dit : il n’y a pas pour toi d’autre remède que le lait bouillant. Il prit pour lui une chèvre et l’attacha aux pieds du lit, et il en tétait le lait bouillant, car il toussait fortement675. Une fois, les sages voulaient entrer chez lui. Ils dirent : comment pouvons-nous entrer

672 Nous apportons ici une modification à la traduction du Rabbinat. Les verbes dans la traduction initiale sont au passé, conformément à la grammaire biblique, mais le futur convient mieux au sens que R’ Yehuda donne au verset cité. Il s’agit de l’alliance qui sera rompue lors des temps messianiques. 673 SIMON-SHOSHAN, « The Story of Honi Hame‘agel… », p. 16-17. 674 Appelé habituellement Yose. 675 Littéralement : « Il gémissait. »

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chez lui, puisqu’un bandit se trouve avec lui dans la maison ? Et lorsqu’il mourut, ils cherchèrent scrupuleusement dans ses actes et ne trouvèrent que cette faute-là. Lui aussi, il dit au moment de sa mort : je sais que je n’ai sur ma conscience d’autre faute que celle-ci : j’ai transgressé les paroles de mes compagnons. »

Notre paragraphe commence par un énoncé édifiant, qui lie l’époque biblique au présent rabbinique et présente l’idée d’une chaîne ininterrompue de sages érudits (comparés à des grappes de raisins) de Moïse, en passant par les fameux « couples », jusqu’à Yehuda ben Baba, le protagoniste principal de notre récit. Il affirme que tous ces érudits sont des justes sans faille. Notons dans cette introduction une certaine ambiguïté : nous ne savons pas précisément si le dernier de la liste, Yehuda ben Baba, fait partie des érudits sans tare, ou bien s’il brise la chaîne parfaite. En d’autres termes : est-il également parfait comme tous les autres ou a-t-il commis une faute ? Le récit qui suit l’introduction vise à éclaircir cette question. Yehuda ben Baba est un tanna contemporain de R’ ‘Aqiba, dont plusieurs enseignements sont mentionnés dans la Mishna et la Tosefta. Sa place semble centrale parmi les sages de la Mishna, et son autorité est confirmée dans des récits comme T Terumot 7, 15 et T Yom Ṭob 2, 6. Dans T Soṭa 13, 4676, nous lisons : « aussi à propos de Yehuda ben Baba, les sages décrétèrent qu’il sera dit : “qu’il est modeste, qu’il est pieux !”, mais les temps sont devenus dangereux ». Nous avons là deux informations importantes : R’ Yehuda ben Baba était considéré comme un homme pieux (ḥasid) et il vivait dans une période de persécution. En effet, dans des sources amoraïques (Ekha Rabba et TB), Yehuda ben Baba est cité comme l’un des martyrs tués pendant « la persécution d’Hadrien »677. Il est cependant important de noter que, dans T Soṭa 13, 4, la déclaration des sages concernant R’ Yehuda ben Baba en tant qu’homme pieux suit plusieurs déclarations semblables, motivées par la manifestation d’une voix céleste (bat qol). Or, ce mode de révélation directe est affecté d’une tonalité négative dans certains textes rabbiniques. J. Costa évoque par exemple sept textes dans lesquels « [la] Bat Qol vient (…) confirmer l’accès au monde futur par une voie plus que problématique, le suicide, de personnages qui occupent une place marginale dans le système rabbinique678 ». Selon J. Costa679, les récits du martyre de R’ Ḥanina ben Teradyon (TB ‘Aboda Zara 18a) et de R’ ‘Aqiba (TB Berakhot 61b) échappent à cette règle, mais il nous semble, au contraire, que la présence de la voix céleste dans ces 676 677 678 679

Voir COSTA, « Littérature apocalyptique et judaïsme rabbinique… », p. 68. Voir M. HADAS-LEBEL, Jérusalem contre Rome, Paris, 2012 (1990), p. 173-182. COSTA, « Littérature apocalyptique et judaïsme rabbinique … », p. 91. Ibid.

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récits est l’un des indicateurs de l’ambivalence rabbinique vis-à-vis du martyr. Le mérite des martyrs dans les récits rabbiniques doit donc être relativisé et considéré avec prudence680. D’autres sources vantent le caractère pieux de R’ Yehuda ben Baba, et le parallèle du récit dans le TB ne mentionne pas son nom, mais l’appelle simplement un pieux (ḥasid). Le mot ḥasid, dérivé de la racine ḥsd, signifie généralement « pieux ». Il a donc un sens très positif, et le fait de l’évoquer au sujet de R’ Yehuda constitue un grand compliment pour lui. Cependant, ce terme n’a pas qu’un sens positif. Les ḥasidim étaient un groupe à part dans la littérature tannaïtique, comme nous pouvons le voir dans M Sukka 5, 4, où les ḥasidim apparaissent aux côtés des « hommes d’action » (anshe ma‘ase). Ces deux groupes de juifs ne sont pas tout à fait rabbiniques. Ce ne sont pas des rabbins mais des mystiques, des faiseurs de miracles681. Ainsi, avant même de commencer à commenter notre récit, nous avons devant nous une figure ambiguë, celle d’un sage parfaitement rabbinique, qui enseigne la halakha et fait autorité, mais qui pourrait briser la chaîne ininterrompue des sages sans faille. Il est appelé « pieux », ce qui pourrait laisser penser qu’il appartient à un groupe non rabbinique et un peu suspect. Enfin, nous savons à partir de sources plus tardives qu’il fait partie des martyrs682. Les martyrs sont également un sujet ambivalent dans les textes rabbiniques, d’une part valorisés, et de l’autre, critiqués683. La première phrase du récit explique qu’en effet, Yehuda ben Baba a brisé la chaîne parfaite, avec une seule faute : il a élevé du petit bétail, une pratique interdite par la halakha, deux paragraphes plus haut. Le récit en lui-même présente le sage malade et souffrant d’une toux violente, dont le seul remède selon le médecin est le lait bouillant. La description du sage tétant le lait de la chèvre nous paraît comique. Cependant, nous apprenons également que la bête était attachée aux pieds du lit, ainsi qu’il est autorisé de le faire selon le paragraphe précédent, dans le cas où l’on veut apporter du petit bétail à l’occasion d’une célébration. Si l’image comique présente 680 Une lecture des aspects humoristiques de la sugya, où l’on trouve le récit du martyre de R’ ‘Aqiba (TB Berakhot 61b), révèle une critique dissimulée du sage. 681 Voir note 666, p. 202. 682 L’absence de traditions à propos de ces événements dans la littérature tannaïtique ne signifie pas nécessairement que les tanna’im ne connaissaient pas ces traditions (et qu’elles sont entièrement dénuées de noyau historique). La période dans laquelle les textes tannaïtiques sont rédigés est, certes, une période favorable aux juifs rabbiniques, mais raconter ces récits subversifs devait être, nous pouvons aisément l’imaginer, dangereux. Il n’est que naturel de retrouver ces traditions dans des textes rédigés des siècles plus tard et dans une zone géographique non concernée par les protagonistes des récits. 683 Voir par exemple la présentation ambivalente de R’ Ḥanina ben Teradyon dans TB ‘Aboda Zara 17b.

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le sage de manière dégradante, le récit nous montre également qu’en réalité, il n’a pas agi contrairement à la halakha (sauf si nous considérons que la chèvre restait auprès de lui pendant plus de trente jours). Dans la suite du récit, les sages, qui veulent lui rendre visite, s’abstiennent d’entrer chez lui à cause de la chèvre qu’ils nomment « le bandit ». C’est une appellation amusante. Si une chèvre en liberté aurait pu représenter un danger pour les champs, ce n’est pas le cas de cet animal qui est attaché au lit. Cette appellation (« le bandit ») ainsi que le comportement peureux des sages les font apparaître à leur tour sous un angle ridicule : ils renoncent à rendre visite à un compagnon malade à cause d’une chèvre attachée au lit. Après la mort de R’ Yehuda ben Baba, les sages confirment qu’il s’agissait bien d’une faute, quand bien même ce serait la seule qu’il a commise. Le récit indique que, lui aussi, avant de mourir, a reconnu avoir fauté. Mais dans sa phrase, R’ Yehuda ben Baba révèle le vrai caractère de sa faute, qui consiste à avoir transgressé les paroles des sages. Nous pouvons ressentir entre les lignes une certaine frustration quant au caractère arbitraire de cette situation : les sages évitent de voir l’ami malade, uniquement parce qu’il a légèrement dévié de la halakha pour des raisons de santé. Cette phrase de conclusion confirme l’autorité incontestable des rabbins, mais avec l’image comique des sages craignant la chèvre, elle critique aussi le caractère arbitraire et intransigeant de leur autorité. L’humour dans ce récit relève du deuxième niveau, celui de l’humour narratif. Il remplit plusieurs fonctions. La présentation ridicule de R’ Yehuda ben Baba sème le doute sur son appartenance pleine et entière au cercle rabbinique, ce qui pourrait être corroboré par l’appellation ḥasid et l’appartenance au groupe des martyrs dans les textes plus tardifs. La présentation comique du groupe des sages permet de véhiculer une forme d’autocritique. La chèvre est-elle réellement un danger si grand qu’elle empêche de rendre visite à un malade ? La santé et le bien-être d’un homme sont-ils si peu importants comparés à la parole des sages ? Il semble que cette présentation moqueuse pose d’une manière subtile les limites de l’autorité rabbinique. M Keritot 6, 3684 « R’ Eli‘ezer dit : un homme peut apporter de son propre gré le sacrifice de culpabilité douteuse, chaque jour et à toute heure qu’il voudra. Celui-ci s’appelait le sacrifice de culpabilité des hommes pieux685. On disait à propos de Baba ben Buṭa qu’il apportait de son propre gré le sacrifice de culpabilité douteuse chaque jour, sauf le lendemain du Yom ha-kippurim. Il dit : par le nom de ce foyer ! S’ils me laissaient faire, je l’apporterais ! Mais ils me disent : attends 684 685

Parallèle : T Keritot 4, 4. Ḥasidim.

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d’être dans le doute. Et les sages disent : il ne faut apporter le sacrifice de culpabilité douteuse que pour une faute dont l’accomplissement volontaire est passible de retranchement686 et l’accomplissement involontaire oblige à apporter l’offrande expiatoire687. »

Cette mishna commence par une règle de R’ Eli‘ezer, expliquant que l’on peut apporter à tout moment de son plein gré une offrande expiatoire. À la suite de cette explication, nous avons un récit à propos de Baba ben Buṭa, qui usait et abusait de cette liberté en apportant tous les jours de l’année une offrande expiatoire, tous les jours sauf un, le lendemain du Yom Kippur. À première vue, l’action de Baba ben Buṭa est positive et doit être considérée comme pieuse, surtout quand on considère le nom donné à ce type d’offrande juste avant le début du récit (« sacrifice de culpabilité des hommes pieux »). Il n’est cependant pas sûr que ce soit le cas. La piété de Baba ben Buṭa semble excessive. Il regrette d’ailleurs, avec un grand pathos, de ne pas pouvoir apporter une offrande le lendemain du Yom Kippur. Il ne peut pas le faire, car il obéit aux sages qui s’y opposent. La dernière remarque du paragraphe, qui ne fait pas partie du récit, présente l’opinion rabbinique : le sacrifice de culpabilité douteuse doit être limité à un seul type de faute. Cette dernière remarque place le protagoniste du récit en dehors de la norme rabbinique et confirme le caractère exagéré et grotesque de ses habitudes. Dans T Ḥagiga 2, 11688 également, Baba ben Buṭa montre un zèle particulier vis-à-vis des sacrifices, et là aussi, il est ridiculisé par le rédacteur du texte. Nous avons donc deux récits à propos du même personnage, disciple de l’école de Shammay selon T Ḥagiga 2, 11, mais qui ne porte pas le titre de Rabbi. En tant que shammaïte, il semble déjà un peu suspect. Son zèle concernant les sacrifices est présenté de manière grotesque, ce qui le tourne en dérision. Il semble que les tanna’im expriment ici une critique subtile à l’égard de deux choses : d’abord, de l’homme lui-même, qui semble être un membre du mouvement rabbinique, mais pas tout à fait conforme ; ensuite de l’attachement trop fort aux sacrifices. À l’époque de la rédaction de ces textes, les sacrifices ne sont plus une réalité, mais un sujet d’étude courant. L’étude des lois sur les sacrifices a en effet probablement remplacé l’acte physique. Un attachement particulier à l’acte des sacrifices ne peut donc pas être l’objet d’une valorisation excessive. C’est cette idée que le texte exprime de manière subtile. Cette critique a cependant une limite, le fait que les sacrifices restent un objet légitime d’étude.

686 687 688

Karet. Ḥaṭat. Voir p. 193.

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T Shabbat 13, 9 « Un non-juif qui vient éteindre un incendie [pendant le shabbat], il ne faut lui dire ni “éteins-le” ni “ne l’éteins pas”. Il arriva qu’un incendie éclate dans la cour de Yosef ben Simay de Shiḥin. Les gens du fort de Sepphoris sont venus pour l’éteindre et il ne les a pas laissé faire. Un nuage est descendu et l’a éteint. Les sages dirent : il ne devait pas [agir ainsi], mais, à la fin du shabbat, il envoya à chacun d’entre eux un sela‘ et, à leur officier, il envoya cinquante dinars. »

Nous apprenons dans cette halakha que, si un incendie se déclare un jour de shabbat chez un juif et qu’un non-juif vient pour l’éteindre, le juif ne doit pas lui dire ce qu’il doit faire ou ne pas faire. La halakha demande donc un comportement passif vis-à-vis de l’incendie et vis-à-vis des non-juifs, même si ces derniers peuvent aider la victime. L’anecdote raconte qu’un certain juif de Shiḥin, qui n’est pas appelé Rabbi, a été victime d’un incendie. Les gens du fort de Sepphoris viennent pour l’éteindre. Cette description ainsi que la fin du récit nous indiquent qu’ils étaient nombreux. Le déroulement du récit est curieux : un groupe de soldats romains du fort de Sepphoris se déplace pour aider un juif d’un village voisin. Pourquoi le font-ils ? Est-ce par pur altruisme ? Est-ce par obligation ? Les soldats romains étaient-ils responsables de la sécurité des environs ? Est-ce simplement par amitié ? Le parallèle dans le TB (Shabbat 121a) indique que Yosef ben Simay était un administrateur du roi. La solution proposée par la barayta dans le TB peut être une simple hypothèse, mais elle peut également être fondée sur une réelle connaissance historique. Le juif de Shiḥin ne les laisse pas faire. Pourquoi donc ? Est-ce par suspicion ? Par zèle religieux ? Un événement opportun survient : un nuage descend et éteint le feu. L’arrivée du nuage, qui suit le refus de l’aide des soldats par Yosef ben Simay, semble être un détail fort symbolique, bien que le récit ne le précise pas explicitement. Elle peut être interprétée de deux manières : – Yosef ben Simay, qui n’est pas Rabbi, est un personnage charismatique et ce nuage est un miracle qu’il aurait provoqué. Dans ce cas, son refus de recevoir l’aide des soldats serait dû à sa confiance en la providence et éventuellement à sa connaissance de l’avenir ; – L’arrivée du nuage est une récompense accordée à Yosef ben Simay pour son refus d’accepter l’aide des soldats. C’est la providence divine qui tient compte du zèle religieux. Ce zèle peut être compris de deux manières opposées : soit Yosef refuse l’aide des soldats car il ne veut aucun contact avec eux, soit il refuse car il souhaite qu’eux aussi respectent l’interdit d’éteindre le feu pendant le shabbat.

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Le parallèle du TB nous explique que Yosef ben Simay a agi de la sorte par respect pour le shabbat, mais répète à deux reprises que cela n’était pas nécessaire, car le non-juif n’est pas tenu de respecter le repos sabbatique. Dans le TY, nous trouvons trois parallèles de ce récit (TY Yoma 8, 7 ; TY Nedarim 4, 7 ; TY Shabbat 17, 6)689. Dans Nedarim et Shabbat, il fait partie d’une suite de trois récits d’incendie, et dans Yoma, la suite est seulement constituée de deux récits, le premier étant absent. Dans le TY (comme dans le TB d’ailleurs), Yosef est appelé Yose. Le TY confirme le caractère charismatique de Yosef ben Simay, en précisant ce qu’a dit le protagoniste à ses bienfaiteurs : « laissez le percepteur collecter son dû », c’est-à-dire : laissez Dieu accomplir son dessein. La suite du récit indique qu’« aussitôt un nuage se forma au-dessus de lui et des pluies tombèrent et éteignirent le feu ». Il n’est pas certain que le récit de la Tosefta soit humoristique. Ce qui pourrait attirer notre attention est le contraste entre le groupe de soldats, qui semble être conséquent (bien que le récit ne le précise pas explicitement) et le protagoniste principal du récit, seul face à ce groupe. Le récit est dramatique : un feu se déclare, une troupe de soldats vient porter secours à l’homme mystique qui pourrait également être un administrateur impérial, mais celui-ci s’oppose à l’aide des soldats, en se fiant à la providence divine. En effet, le miracle ne tarde pas à arriver. Le récit ne le précise pas, mais nous pouvons imaginer que la troupe repart alors, comme elle était venue. Dès qu’il peut le faire, notre protagoniste envoie une récompense à la troupe qui s’est déplacée. Cette récompense semble également un peu exagérée : cinquante dinars pour n’avoir finalement pas fait grand-chose, si l’on excepte l’intention d’aider. Les deux exagérations donnent un aspect légèrement absurde à la narration et tournent quelque peu en dérision son protagoniste principal. Il est clair que le comportement de Yosef ben Simay n’est pas conforme à l’enseignement 689

« Un étranger qui vient éteindre… Au temps de R’ Ami, un incendie s’est déclaré au village. R’ Ami sortit annoncer dans les rues des Araméens [le message suivant] en disant : celui qui [vient éteindre le feu] ne sera pas perdant. R’ Ele‘azar fils de R’ Yose dit devant R’ Yose : il y avait un danger. [Mais, lui répond-t-on], s’il y avait un danger, même R’ Ami [lui-même] aurait pu éteindre le feu. N’est-ce pas ainsi que l’on a enseigné : lorsqu’il y a un danger, on ne dit pas : que ces choses soient faites par les femmes et les enfants, et même par les non-juifs majeurs, mais elles sont même faites par un juif ? Il arriva qu’un feu se déclare dans la cour de Yose ben Simay et les gens du fort de Sepphoris sont venu l’éteindre, mais il ne les a pas laissé faire. Il leur dit : laissez le percepteur collecter son dû. Aussitôt, le nuage se noua au-dessus de lui et l’éteignit. A la fin du shabbat, il envoya à chacun d’eux un sela‘ et à leur capitaine cinquante dinars. Les sages dirent : il ne devait pas faire ainsi. Un Nabatéen était dans le quartier de R’ Yona. Un incendie est survenu dans le quartier de R’ Yona, le Nabatéen voulait l’éteindre mais on ne l’a pas laissé faire. On lui a dit : dépends-tu de ta bonne fortune ? Il répondit : oui. Et tout le quartier fut sauvé. R’ Yudan de Kefar Emmi a étendu son manteau sur un tas [de paille en feu] et le feu s’est enfui de lui. »

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rabbinique, mais l’aspect humoristique reste très mineur dans ce récit. Les rabbins n’ont d’ailleurs aucun pouvoir et aucune influence sur ce personnage, vraisemblablement charismatique, qui agit comme bon lui semble, en interaction avec les non-juifs, qui sont ici des Romains. Les rabbins ne peuvent pas faire plus que commenter l’action de Yosef ben Simay et la déclarer non conforme à la halakha. B.2. Les gens de Jérusalem La catégorie des gens de Jérusalem apparaît dans neuf passages690, dont l’un691 n’est ni narratif ni humoristique. Ce dernier indique que, selon R’ Me’ir, les gens de Jérusalem se comportaient suivant la halakha des sages, alors que les sages pensaient le contraire. Les huit autres textes sont narratifs. L’humour n’y est pas très évident, mais étudiés ensemble dans une approche intertextuelle, ils laissent apparaître l’ironie et la méfiance des rabbins vis-à-vis des gens de Jérusalem, qui forment un groupe à part. Ils sont notamment critiqués pour leur cupidité, leur attachement au luxe et aux coutumes hellénistiques, et peut-être leur lien privilégié avec la synagogue. La forme employée est toujours la même, l’ironie. Elle est toujours perceptible, bien que dissimulée et atténuée. Est-ce là une indication de l’influence qu’avaient les gens de Jérusalem, si bien que les rabbins auraient craint d’exprimer leur critique de manière plus explicite692 ? T Berakhot 4, 9-10 « Rabban Shim‘on ben Gamliel dit : il y avait une grande coutume à Jérusalem. On étendait une nappe sur la porte. Tant que la nappe était étendue, les invités entraient. Lorsque la nappe était enlevée, les invités n’avaient plus le droit d’entrer. Et il y avait encore une autre coutume à Jérusalem. On donnait la charge de faire le repas à un cuisinier [professionnel]. Si une chose n’était pas bonne dans le repas, le cuisinier était puni. Tout se faisait en fonction de l’honneur des invités et tout se faisait en fonction de l’honneur du maître de maison. »

Le parallèle de ces deux passages dans Ekha Rabba 4, 4 en éclaire la lecture humoristique. Dans Ekha Rabba, nous trouvons une longue succession de commentaires narratifs de Lm 4, 2 : les précieux fils de Sion, qui valent leur 690 T Berakhot 4, 9-10 ; T Pe’a 4, 11 ; M Ma‘aserot 2, 5 ; M Sukka 3, 8 ; T Sukka 2, 3 ; T Sukka 2, 10 ; T Menaḥot 10, 25 ; M Keritot 1, 7. 691 T Menaḥot 10, 25. 692 A priori, le contexte historique penche plutôt dans une autre direction, puisque Jérusalem est devenue après 135 une ville païenne interdite aux juifs. Cependant, l’ironie des récits peut également représenter une strate ancienne de la littérature tannaïtique, antérieure à la compilation finale des textes.

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pesant d’or. Le commentateur se demande : « en quoi étaient-ils précieux ? » Les réponses sont multiples : – Un homme ou une femme de Jérusalem qui se mariait avec un citadin ou une citadine recevaient littéralement leur pesant d’or ; – Un homme de Jérusalem, qui se mariait avec une femme d’un milieu social plus élevé que lui, plaçait plus de tables que les dépenses, alors que si elle était d’un milieu social moins élevé, il plaçait moins de tables que les dépenses ; – Un homme de Jérusalem ne se rendait pas à un banquet avant d’y être convié au moins deux fois. Ces trois interprétations mettent l’accent sur le caractère aristocratique et matérialiste des gens de Jérusalem, dont les coutumes raffinées semblent moquées. Elles sont suivies de l’histoire de la destruction du Temple, suite au malentendu entre Qamṣa et Ben Qamṣa. Ce récit met aussi l’accent sur l’attachement des gens de Jérusalem aux choses matérielles et aux apparences. Après ces quatre traditions, nous trouvons une interprétation différente : les gens de Jérusalem sont précieux, car aucun d’eux ne donnait naissance à des enfants difformes. Cette interprétation est suivie de l’histoire de R’ Yehoshua‘ qui libère de la prison romaine un très bel enfant, auquel il applique le verset Lm 4, 2693. Suite à cette narration, le commentateur anonyme propose une autre lecture disant que les gens de Jérusalem étaient précieux, car ils n’acceptaient pas une invitation à dîner sans connaître l’identité des autres convives, et ils ne signaient pas (un document officiel) avant de connaître l’identité de l’autre signataire. Cette lecture peut être interprétée d’un point de vue positif (prudence, volonté d’être en bonne compagnie) ou négatif (snobisme)694. Selon une autre interprétation : les gens de Jérusalem étaient précieux car, lorsque l’un d’eux se rendait à un banquet, il retournait sa manche gauche pour montrer qu’il s’était rendu au banquet où l’on s’accoude sur le bras gauche, et éviter ainsi ceux qui n’ont pas été invités à ce banquet. Une dernière lecture les dit précieux, car aucun d’eux n’a jamais réclamé de manger gratuitement (sans être convié explicitement). À la suite de ce passage, apparaît le parallèle de notre texte de la Tosefta. La structure de la séquence exégétique sur Lm 4, 2 est donc la suivante : – Lecture 1 – cupidité – Lecture 2 – cupidité

693

Voir p. 163. Dans Mekhilta de-rabbi Yishma‘el, Mishpaṭim, Kaspa 20, le sujet de cet énoncé est « les savants (beqi’e ha-da‘at) de Jérusalem », appellation clairement positive. Ekha Rabba présente une vision plus ambiguë. 694

218 – – – – – – – – – –

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Lecture 3 – snobisme, aristocratie Histoire de Qamṣa et ben Qamṣa (raison de la destruction du Temple) Lecture 4 – beauté physique Histoire de R’ Yehoshua‘ et l’enfant en prison Lecture 5 – prudence, bonne éducation / snobisme Lecture 6 – snobisme, participation à des banquets hellenistiques Lecture 7 – richesse Lecture 8 – le drap étendu sur la porte durant le repas (parallèle de la T) Lecture 9 – le cuisinier était puni s’il ratait ses plats (parallèle de la T) Lecture 10 – les gens de Jérusalem étaient délicats et faisaient attention à ce qu’ils mangeaient afin de ne pas s’intoxiquer.

Concernant la question du drap étendu durant le repas, S. Lieberman695 propose deux lectures. Selon la première, le drap indique aux invités le moment convenable pour se rendre au banquet. Lorsque le drap était enlevé, ils ne pouvaient plus entrer. Selon la deuxième, le drap était une sorte de menu696, sur lequel étaient dessinés et présentés les aliments, afin que les convives ne mangent pas une chose qui leur était interdite. S. Lieberman rapproche ce passage de la lecture 10 de Ekha Rabba. Les deux anecdotes de la Tosefta présentent donc les gens de Jérusalem dans le cadre du banquet hellénistique. La lecture de Ekha Rabba met l’accent sur le côté négatif de ces coutumes et intègre dans la séquence deux récits humoristiques. L’humour dans la Tosefta est beaucoup moins perceptible. Il se trouve seulement dans l’adjectif employé par Rabban Shim‘on ben Gamliel, « une grande coutume », c’est-à-dire une coutume raffinée. Nous voyons dans l’emploi de cet adjectif (« grande ») de l’ironie (humour au premier niveau) de la part de Rabban Shim‘on ben Gamliel, qui exprime ainsi sa critique implicite envers ces coutumes, trop raffinées, trop « grandes » à son goût. T Pe’a 4, 11 « Si [un homme] avait l’habitude d’utiliser des ustensiles d’or, il devait les vendre et utiliser des ustensiles d’argent. [S’il avait l’habitude d’utiliser] des ustensiles d’argent, il devait les vendre et utiliser des ustensiles de cuivre. [S’il avait l’habitude d’utiliser] des ustensiles de cuivre, il devait les vendre et utiliser des ustensiles de verre. [Ils] disaient : la famille Bet Nebaṭla était à Jérusalem et avait un lien généalogique avec Arnon le Jebuséen. Les sages firent monter pour eux trois cents sicles d’or et ils ne voulaient pas les faire sortir de Jérusalem. »

695 696

LIEBERMAN, Tosefta Ki-fshutah, vol. 1, p. 62-63. Voir également TY ‘Aboda Zara 3, 1.

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Ce récit est la suite de T Pe’a 4, 10, passage aux traits carnavalesques, étudié plus haut dans le cadre des controverses entre les écoles de Shammay et de Hillel697. La halakha concerne des personnes aisées qui se trouvent dans le besoin et doivent vendre des biens pour subsister, ce qui implique une réduction de leur train de vie. Elle est suivie d’une anecdote sur une famille de Jérusalem, dont la lignée remonte à Arnon ou Aravna le Jébuséen, mentionné dans 2 S 24, 18-25. Dans ce passage biblique, le roi David lui achète son aire pour y bâtir un autel. Dans les parallèles de l’anecdote (Sifre Debarim 110 et 303 ; TY Pe’a 8, 8), ce ne sont pas trois cent sicles, mais six cent kikkar d’or que les sages donnent à cette famille. Cette somme, qui correspond à la dîme du pauvre selon le Sifre, est excessivement élevée, ce qui semble s’inscrire dans la continuité des détails grotesques de T Pe’a 4, 10. Comment interpréter la phrase : « ils ne voulaient pas les faire sortir de Jérusalem » ? S’agit-il des membres de la famille ou de l’argent que les sages ne souhaitent pas voir quitter la ville ? Et pour quelle raison ? Afin qu’ils ne profitent pas du don pour s’enrichir, ou bien pour garder cette famille, dont la lignée remonte à l’époque biblique, dans la ville ? Ou bien faut-il lire : les membres de la famille Nebaṭla ne voulaient pas faire sortir l’argent de Jérusalem ? Quelle que soit la lecture retenue, la famille Nebaṭla remonte à l’époque biblique et a des origines non juives, qui devraient susciter la méfiance des rabbins. Le trait humoristique du passage, sous la forme du détail grotesque de la somme d’argent exagérée, suggère probablement une attitude ambigüe des rédacteurs vis-à-vis de cette famille. M Ma‘aserot 2, 5 « Si un homme dit à son prochain : tiens ce isar 698 et donne-moi en échange cinq figues. Il n’en mangera pas, tant qu’il n’a pas prélevé la dîme. Paroles de R’ Me’ir. R’ Yehuda dit : s’il les mange une par une, il en est exempt. R’ Yehuda dit : histoire d’un jardin de roses à Jérusalem, d’où l’on vendait des figues : trois ou quatre contre un isar. Jamais on n’en a prélevé la teruma et la dîme. »

Le récit de cas, cité par R’ Yehuda pour appuyer son opinion, évoque un jardin de roses où on faisait également pousser des figues. Il semble que ces fruits étaient très luxueux, vu leur prix élevé. Si une lecture isolée ne révèle pas de dimension humoristique dans le texte, deux éléments intertextuels sont néanmoins à prendre en considération : le caractère marginal des

697

Voir p. 183. Une pièce de monnaie romaine, équivalente à un vingt-quatrième de dinar (voir M. JASTROW, Dictionary of Targumim, Talmud and Midrashic Literature, New York, 1926). 698

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opinions de R’ Yehuda d’une part, et les coutumes et goûts luxueux des gens de Jérusalem d’autre part. M Sukka 3, 8 « On n’attache le lulab que par l’une de ses espèces, paroles de R’ Yehuda. R’ Me’ir dit : [on peut l’attacher avec ce que l’on veut], même avec une ficelle. R’ Me’ir raconte : il arriva que les gens de Jérusalem attachent leurs lulabim avec des rubans d’or. »

À première vue, ce passage ne semble pas du tout humoristique. R’ Yehuda est préoccupé par la matière qui sert à relier les espèces du bouquet de Sukkot. Selon lui, il faut utiliser l’une d’entre elles comme lien, afin de ne pas en ajouter d’autres. R’ Me’ir, au contraire, pense que l’on peut attacher le bouquet avec ce que l’on veut, même avec une simple ficelle. Il raconte à ce propos un exemplum : les gens de Jérusalem attachaient leurs bouquets avec des rubans d’or. Quelle est l’attitude de la Mishna envers les gens de Jérusalem ? Le récit qui les présente comme étant trop coquets et désireux de montrer leur richesse n’est pas dénué d’ironie et suggère la présence discrète d’un antagonisme entre eux et les rabbins. T Sukka 2, 3 « Histoire des gens de Jérusalem qui plaçaient leurs lits dans des fenêtres de dix paumes699 de hauteur et ils plaçaient le toit en feuillage par-dessus et dormaient en-dessous (…)700 »

La cabane des gens de Jérusalem n’est pas conforme à la halakha de M Sukka 1, 1. Selon TY Sukka 1, 1, cette manière d’édifier la cabane était la coutume des gens riches. Le fait que ce passage soit placé dans un paragraphe à propos d’une controverse entre les écoles de Shammay et de Hillel est également significatif. Les gens de Jérusalem agissent clairement d’une manière douteuse vis-à-vis du commandement de la cabane. T Sukka 2, 10 « Le lulab de Sukkot, qu’il soit attaché ou non, est valide. R’ Yehuda dit : attaché, il est valide, et non attaché, invalide. Il ne faut pas l’attacher pendant un jour chômé de fête, mais on peut en prélever une branche afin de l’attacher. On n’attache le lulab qu’avec l’une de ses espèces. Paroles de R’ Yehuda. R’ Me’ir dit : même avec une corde. R’ Me’ir raconte : histoire des gens de Jérusalem qui attachaient leurs lulabim avec des ficelles d’or. [Les sages] lui 699 700

Ṭefaḥim. La suite du paragraphe est commenté p. 180.

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répondirent : de là, tu tires une preuve ?! Même eux, ils l’attachaient par une de ses espèces, par-dessous [la ficelle d’or]. R’ Ele‘azar fils de R’ Ṣadoq dit : ainsi faisaient les gens de Jérusalem. [Un homme] entrait à la synagogue avec son bouquet à la main. [Lorsqu’il] se levait pour traduire et passer devant l’estrade, il avait son bouquet à la main. [Lorsqu’il] se levait pour lire dans la Tora et lever ses mains, il posait [le bouquet] par terre. Il sortait de la synagogue avec son bouquet à la main. [Lorsqu’il] entrait dans la maison d’étude, il le donnait à son fils ou à son messager, afin que celui-ci le ramène à la maison. »

Ce passage est a priori sans humour, mais il contient peut-être une pointe d’ironie sur les coutumes luxueuses des gens de Jérusalem : la ficelle dorée et le messager qui se tient à la disposition des hommes. Notons que les gens de Jérusalem fréquentent la synagogue et la maison d’étude. Cette dernière est une institution rabbinique, mais qu’en est-il de la synagogue ? Les rabbins n’étaient-ils pas méfiants vis-à-vis du judaïsme synagogal701 ? Observons enfin que ces informations proviennent de R’ Ele‘azar fils de R’ Ṣadoq, disciple de Yoḥanan ben ha-ḥoronit selon T Sukka 2, 3. M Keritot 1, 7 « Si une femme doit apporter une offrande expiatoire pour cinq accouchements douteux ou cinq écoulements douteux, elle apporte un seul sacrifice, elle est autorisée à en consommer la viande et elle n’est pas redevable du reste. S’il s’agit de cinq accouchements ou cinq écoulements certains, elle apporte un seul sacrifice, elle est autorisée à en consommer la viande, mais elle est redevable du reste [des sacrifices]. Il arriva une fois que les nids702 à Jérusalem coûtaient un dinar d’or. Rabban Shim‘on ben Gamliel dit : par ce foyer703, je ne dormirai pas cette nuit, tant que les nids ne coûteront pas un seul dinar ordinaire. Et il entra au tribunal et enseigna : une femme, redevable de cinq accouchements ou cinq écoulements certains, apporte un seul sacrifice, elle est autorisée à en consommer la viande et elle n’est pas redevable du reste. Et le prix des nids est descendu le jour même à deux quarts de dinar. »

Les femmes qui ont contracté l’impureté rituelle doivent apporter une offrande expiatoire de deux oiseaux, appelés « nid ». Le récit rappelle une situation gênante, où le prix de ces nids est extrêmement élevé au point d’être inaccessible. Le protagoniste du récit, Rabban Shim‘on ben Gamliel,

701 Voir sur ce point J. COSTA, « Qu’est-ce que le “judaïsme synagogal” ? », Judaïsme ancien, Ancient Judaism 3, 2015, p. 63-218 et S. C. MIMOUNI, « Le “judaïsme sacerdotal et synagogal” en Palestine et en Diaspora entre le IIe et le VIe siècle : propositions pour un nouveau concept », dans Comptes rendus de l’académie des inscriptions et belles-lettres, Paris, 2015, p. 113-147. 702 Offrande expiatoire apportée par les femmes dans les cas mentionnés ci-dessus. 703 Le Temple.

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réagit à cela d’une manière radicale : il change la halakha. Son astuce marche, puisqu’il réussit à faire baisser les prix. L’humour est ici d’un caractère mineur et relève du deuxième niveau, celui de l’humour narratif. Il moque de manière ironique la cupidité des marchands de Jérusalem. Le récit dans sa totalité est une présentation édifiante de l’institution rabbinique : les sages sont pourvus d’une réelle autorité dans la Jérusalem du second Temple et la halakha, qui est respectée à la lettre, a une influence directe sur les valeurs marchandes. Les sages apparaissent ici non seulement comme une classe dirigeante au niveau juridique et religieux, mais aussi comme ayant une influence directe sur l’économie. B.3. Les prêtres « … un mamzer disciple des sages est plus important (qodem) qu’un grandprêtre ‘am ha-areṣ » (T Horayot 2, 10).

Les prêtres sont les protagonistes de nombreux récits tannaïtiques : vingttrois récits sans humour704 et trente-neuf récits humoristiques. Ces récits, pour des raisons évidentes liées à la fonction sacerdotale, concernent principalement l’époque du second Temple. Ils sont concentrés majoritairement dans les ordres Qodashim et Ṭaharot qui portent spécifiquement sur le culte, ainsi que dans les traités concernant le Yom Kippur de la Mishna et la Tosefta (M Yoma et T Kippurim). Certains traités des ordres Qodashim et Ṭaharot, notamment Para, Tamid et Middot, comportent des chapitres qui sont presque entièrement narratifs. C’est également le cas d’une partie des traités M Yoma et T Kippurim. Selon N. Cohn705, ces descriptions cultuelles sont, pour les rabbins, un outil rhétorique leur permettant de revendiquer l’autorité rituelle et juridique sur les juifs de la terre d’Israël à l’époque du second Temple, époque où plusieurs modèles et idéologies juifs étaient en compétition. Lorsque les rabbins se présentent comme exerçant une autorité dans le passé, ils donnent une légitimité à l’autorité qu’ils revendiquent dans le présent rabbinique. Cohn avance qu’à travers le texte de la Mishna, les rabbins cherchaient à se

704 T Pe’a 4, 3 (coutumes des prêtres) ; M Ḥalla 4, 7 (l’autorité rabbinique en lien avec celle qui est exercée dans le Temple) ; M Pesaḥim 1, 6 ; M Pesaḥim 5 (Temple) ; T Pesaḥim 8, 10 ; M Sheqalim 1, 4 (critique dissimulée des prêtres) ; M Ketubbot 1, 5 (tribunal des prêtres) ; M Zebaḥim 9, 3 (désaccord entre R’ ‘Aqiba et R’ Ḥananya chef des prêtres) ; M Zebaḥim 12, 4 (id.) ; T Zebaḥim 9, 5 (id.) ; M Menaḥot 11, 5-7 (description du Temple et des actions des prêtres) ; T Menaḥot 7, 17-19 ; M ‘Arakhin 2, 4 ; M ‘Arakhin 2, 6 (lévites) ; T ‘Arakhin 1, 14 ; T Me‘ila 1, 16 (édifiant) ; M Tamid (traité narratif et édifiant, Temple, prêtres) ; M Middot (id.) ; M Middot 2, 5 ; M Middot 5, 4 ; T Ohalot 18, 2. 705 COHN, The Memory…, p. 3.

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présenter comme des juristes romains et comme la loi civile relevait exclusivement des tribunaux romains, ils se sont concentrés sur la loi rituelle. Nous allons commenter plusieurs passages (M Yoma 1, 1-5, M Para 3, 1-8, M Sukka 4, 4) où, selon Cohn, l’intervention du grand tribunal706, comme corps décisionnaire concernant le rituel du Temple, constitue un élément majeur de la relecture rabbinique du passé. Selon lui, les polémiques sectaires, telles que nous les trouvons entre les rabbins et les prêtres, les sadducéens et les boéthusiens, sont des faits du passé et ne sont plus d’actualité à l’époque de la rédaction des textes707. Il avance que « la mémoire du Temple exprimée dans les récits rituels crée un mythe des origines »708 pour les rabbins et participe à leur revendication d’autorité. Cohn souligne que la voix anonyme de la Mishna décrit les rituels comme des actions répétées et régulières709, ce qui contribue à la vraisemblance des récits. La citation de rabbins plus tardifs (R’ Yose, R’ Yehuda) cherche à montrer la présence de l’autorité rabbinique dans ces narrations710, mais elle est également paradoxale, car elle remet en question la vérité de la voix anonyme. L’humour joue d’ailleurs un rôle significatif dans cette remise en question que les rabbins opèrent sur eux-mêmes. Nous pensons que l’humour dans ces récits joue un rôle important dans la revendication rabbinique d’autorité. Cette dernière est une idée avancée par Cohn (sans lien avec l’humour) dans son commentaire des récits qui décrivent le Temple : « La construction et la cartographie de l’espace sacré du Temple confirment la primauté des rabbins et de leurs prédécesseurs parmi les différents sous-groupes des Judéens en Palestine romaine, et l’autorité de la version rabbinique de ce qui doit être fait par ces Judéens au sein des espaces ritualisés et sacralisés711. » Selon Cohn, la description rabbinique du Temple se place en opposition à Ez 40-43, car « dans la Mishna, le Saint des Saints est largement absent, mentionné seulement occasionnellement. Le lieu le plus important dans cette carte mishnaïque n’est pas le Saint des Saints où va le grand-prêtre, mais la chambre de la pierre de taille712 où siège le grand Sanhedrin et où vont ses membres »713, imaginés par les rabbins comme leurs prédécesseurs. Les rabbins prennent ainsi le dessus sur les prêtres dans la topographie du Temple. La revendication d’autorité dans le passé rejoint cette même revendication dans le présent et 706 707 708 709 710 711 712 713

Sanhedrin. COHN, The Memory…, p. 46. Ibid., p. 56. Ibid., p. 61. Ibid., p. 70. Ibid., p. 74. Lishkat ha-gazit. COHN, The Memory…, p. 87.

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la volonté de s’autodéfinir vis-à-vis de groupes opposants. L’humour est un des outils rhétoriques que les rabbins utilisent dans la réalisation de cet objectif. Il participe pleinement à la rhétorique des récits du Temple mise en avant par Cohn : « Le Temple était à la fois un élément primordial dans la culture judéenne et un lieu important, ayant le pouvoir d’accorder l’autorité et la légitimité à des individus ou à des groupes, et à des idées et des pratiques spécifiques. De plus, le discours construit autour du Temple avait un rôle fondamental dans l’autodéfinition de chacun des auteurs ou des groupes714. » Nous allons commencer l’étude des récits de manière linéaire, en analysant d’abord les traités M Yoma et T Kippurim. Après une présentation générale de M Yoma, nous étudierons les récits de T Kippurim, pour avoir une vision d’ensemble des deux traités afin de les comparer. Nous verrons que l’humour est plus évident et visible dans les récits de la Tosefta, qui n’hésitent pas à se moquer des prêtres de manière ouverte. La Mishna, en revanche, est bien plus réservée et se caractérise surtout par l’emploi de l’ironie dans un cadre général plutôt sérieux. M Yoma 1 Le premier chapitre de M Yoma ne comporte aucun récit proprement dit. Il décrit la semaine qui précède le Yom Kippur et les coutumes qui concernent le grand-prêtre. Le style est celui d’une description d’événements répétés ou habituels dans le passé715. Ce chapitre de narrations « nostalgiques », où les tanna’im évoquent l’époque du Temple, permet aux rédacteurs de la Mishna de construire l’image d’un passé « rabbinisé » et présenter ainsi les sages de la Mishna comme les successeurs des autorités juives de l’époque du second Temple, ainsi que le suggère N. Cohn716. Malgré l’absence de récits, ce chapitre mérite une attention particulière. Toutes les actions du grand-prêtre, dans la semaine qui précède le Yom Kippur, y sont décrites, mais le grand-prêtre lui-même apparaît comme quelqu’un de totalement passif. Il accomplit, certes, les sacrifices, mais, en dehors de ces derniers, ce sont différents groupes de personnes qui agissent autour de lui : un groupe anonyme (qui se manifeste uniquement par la forme impersonnelle des verbes), les sages, les anciens du tribunal, les anciens du sacerdoce et les jeunes lévites. Le grand-prêtre est présenté comme une marionnette entre les mains de différents groupes dirigeants, parmi lesquels le groupe anonyme et celui des 714 715 716

Ibid., p. 116. Voir p. 73-74. Voir p. 223, notes 707-711, 713.

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sages (est-ce un seul et même groupe ?) semblent être dominants. Cette présentation n’est pas dénuée d’une dimension ironique. Tout en voyant l’institution de la grande prêtrise comme indispensable à l’accomplissement du culte du Yom Kippur, elle décrit le grand-prêtre comme un objet. Cette réification tourne en dérision la prêtrise en général et le grand-prêtre en particulier. À travers cette moquerie, la Mishna accomplit deux objectifs à la fois : d’une part, ses rédacteurs soulignent la présence continue de l’autorité des sages de l’époque du Temple jusqu’à celle de la Mishna ; d’autre part, ils réduisent les prêtres à la position de simples exécutants et les privent ainsi de toute forme d’autorité. D’ailleurs, si l’on regarde le dernier chapitre du traité Yoma, qui traite des coutumes du Yom Kippur dans le présent rabbinique, on peut constater que le grand-prêtre n’a plus aucune importance et aucun rôle. La classe sacerdotale n’est d’ailleurs pas du tout mentionnée. Le passé « fantasmé », décrit dans les autres chapitres du traité, est totalement dépassé et remplacé par le nouveau rituel que proposent les tanna’im. L’ironie du premier chapitre de M Yoma se manifeste également dans les deux récits suivants, où les prêtres apparaissent comme des instruments au service des rabbins. Ces textes se moquent des prêtres et ironisent sur eux. M Nega‘im 3, 1 « Tous deviennent impurs par les maladies de peau, sauf les non-juifs et les étrangers résidents717. Tous sont aptes à voir les maladies de peau, mais c’est la bouche d’un prêtre qui doit annoncer l’impureté et la pureté. Ils lui disent : “dis impur” et il dit impur, “dis pur” et il dit pur (…) »

M Para 3, 1 « Sept jours avant de brûler la vache, [ils] emmènent le prêtre qui brûle la vache de sa maison vers la salle placée face au nord-est du Temple718, qui s’appelait la maison de pierre. Pendant les sept jours, [ils] l’aspergeaient avec toutes [les eaux des] offrandes expiatoires qui y étaient. R’ Yose dit : ils ne l’aspergeaient que le troisième et le septième jour. R’ Ḥananya, chef des prêtres, dit : ils aspergeaient le prêtre qui brûle la vache pendant les sept jours, et celui du Yom ha-kippurim uniquement le troisième et le septième jour. »

M Yoma 2, 1-2 « Auparavant, quiconque voulait débarrasser l’autel des cendres pouvait le faire. S’ils étaient nombreux [à vouloir le faire] et qu’ils couraient et montaient la 717 718

Toshab. Bira.

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rampe, celui qui devançait l’autre et arrivait à une distance de quatre coudées [de l’autel] gagnait [le droit de le débarrasser]. Si deux d’entre eux arrivaient en même temps, l’officier leur disait : montrez vos doigts et ils sortaient un ou deux doigts et on ne sort pas le pouce dans le Temple719. Il arriva une fois que deux [prêtres] couraient et montaient la rampe [menant à l’autel] et ils arrivèrent en même temps. L’un d’eux poussa l’autre et celui-ci se cassa la jambe. Lorsqu’au tribunal, on a vu qu’ils se mettaient en danger, ils décrétèrent de choisir celui qui débarrasse l’autel des cendres uniquement par tirage au sort. »

Ces deux mishnayot comportent des matériaux narratifs composites. L’ensemble forme un récit étiologique720, où la raison du changement des coutumes est en soi une unité narrative. Ce passage présente un comique de situation imagé dans la première mishna comme dans la deuxième. L’image des prêtres, qui font la course pour arriver à l’autel, est comique et fait penser à des enfants qui font la course, simplement pour le plaisir d’être le premier. Ce passage tourne en dérision les prêtres, qui apparaissent comme avides d’honneurs, en l’occurrence l’honneur de débarrasser l’autel de ses cendres. La Mishna souligne aussi l’abondance des prêtres, probablement pour critiquer le caractère superflu de ce grand nombre de serviteurs. Le récit, par lequel la Mishna illustre le danger d’une telle compétition entre les prêtres, est réellement digne d’une comédie slapstick721. Son parallèle dans la Tosefta, marqué par l’humour noir, le sarcasme mordant et une dimension autocritique prononcée, est beaucoup moins modéré722. La suite du deuxième chapitre concerne les tirages au sort pour l’accomplissement des différents rituels. M Yoma 3 Le troisième chapitre de M Yoma aborde le rituel accompli par le grandprêtre au Temple. Ce chapitre se termine par des récits, mettant en scène des personnes louées ou blâmées pour leurs actions en faveur ou en défaveur du Temple et de la transmission du rituel. Ces passages (M Yoma 3, 9-11) sont un résumé des récits bien plus longs que nous pouvons lire dans la Tosefta. Offrant bien plus d’informations, la Tosefta se révèle aussi plus ambivalente. Le récit sur les miracles accomplis pour les portes de Niqanor, seulement mentionné dans la Mishna, a un caractère fantastique et carnavalesque dans la Tosefta et rappelle, par sa forme et son contenu, les récits fantastiques sur les voyages de Rabba bar bar Ḥanna dans le TB. 719 Selon Bertinoro, il s’agissait d’un tirage au sort qui consistait à compter les doigts, pour éviter de compter directement les personnes. 720 Voir p. 75. 721 Genre comique qui emploie une activité physique exagérée et violente. 722 Voir l’analyse comparative ci-après.

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M Yoma 4-6 Le quatrième chapitre de M Yoma ne comporte pas, lui non plus, de passages humoristiques. Il décrit le rituel du bouc émissaire et du bouc expiatoire. Parmi les six mishnayot, quatre présentent un désaccord entre les sages concernant les coutumes du passé (4, 1 ; 4, 4 ; 4, 5 ; 4, 6). Le désaccord est particulièrement net dans la dernière mishna du chapitre, où il s’agit d’une réelle controverse entre R’ Me’ir, R’ Yose et R’ Yehuda. La multiplicité des opinions citées suggère que les sages de la Mishna (ou ses rédacteurs) ne savaient pas au juste comment se déroulait le rituel du Temple dans le passé. Le cinquième chapitre porte sur le sacrifice du bouc expiatoire. Dans trois des sept mishnayot, les sages sont en désaccord au sujet du passé. Le sixième chapitre concerne l’envoi du bouc émissaire vers le désert. Il contient deux mishnayot intéressantes, dont l’une a un aspect humoristique. M Yoma 6, 3-4 « [Le grand-prêtre] confie [le bouc émissaire] à celui qui doit le conduire [dans le désert]. Tous sont aptes à le conduire, mais les grands-prêtres ont établi de ne pas laisser un simple juif le conduire. R’ Yose dit : il arriva une fois que ‘Arsela de Sepphoris l’a conduit et il était un simple juif. Et on fait pour lui une estrade à cause des Babyloniens, qui avaient l’habitude d’arracher ses poils en lui disant : prends [nos péchés] et sors [de la ville] ! Prends [nos péchés] et sors [de la ville] ! Les notables de Jérusalem l’accompagnaient jusqu’à la première cabane. [Il y avait] dix cabanes entre Jérusalem et la falaise, sur une distance de quatre-vingt-dix ris. Sept et demi étaient l’équivalent d’un mille. »

Dans M Yoma 6, 3, nous apprenons que les prêtres se sont accordés l’exclusivité de la tâche qui consiste à amener le bouc émissaire dans le désert. Une petite anecdote raconte qu’un certain ‘Arsela de Sepphoris a eu l’occasion d’accomplir cette tâche, alors qu’il n’était pas un prêtre mais un simple juif. Cette mishna et l’anecdote qu’elle comporte suggèrent un antagonisme entre la classe sacerdotale et le reste d’Israël, cette fois sans humour. Dans M Yoma 6, 4, il est question d’une estrade particulière, créée pour conduire le bouc émissaire directement du Temple vers l’extérieur de la ville, de manière à éviter que les Babyloniens lui arrachent les poils en lui disant : « prends [nos péchés] et sors [de la ville] ! Prends [nos péchés] et sors [de la ville] ! » Les Babyloniens sont présentés ici avec une certaine dérision. Leur action, que la collectivité a voulu éviter, puisqu’une estrade particulière a été bâtie pour cela, montre leur anxiété. La Mishna veut-elle suggérer que leurs péchés sont plus graves ou plus nombreux que ceux des autres juifs et qu’ils constituent un groupe à part dans l’assemblée d’Israël ?

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Il est intéressant de noter que, dans la Tosefta, ce ne sont pas les Babyloniens mais les juifs d’Alexandrie, qui avaient l’habitude de tirer les poils du bouc émissaire. C’est clairement l’adaptation d’une anecdote moqueuse pour dénoncer un groupe « autre », mal vu par les rédacteurs du texte. Cette présentation humoristique permet aux rédacteurs de dénoncer ce groupe, tout en l’incluant comme une partie légitime de l’assemblée d’Israël. La suite du texte mishnique précise qu’il y avait dix cabanes de ravitaillement sur le trajet entre Jérusalem et le rocher à partir duquel le bouc était jeté. La Mishna est affirmative sur le nombre de cabanes et la distance entre elles, contrairement à la Tosefta où un débat est ouvert entre les rabbins, qui comporte des aspects humoristiques et qui montre la grande incertitude des rédacteurs vis-à-vis du passé. M Yoma 7 Le septième chapitre continue la description du rituel du Temple et s’intéresse à la lecture de la Tora par le grand-prêtre. Dans la troisième mishna, il y a un désaccord entre R’ Eli‘ezer et R’ ‘Aqiba concernant l’ordre des sacrifices. La quatrième mishna raconte la fin du rituel et le retour du grandprêtre chez lui pour donner une fête à ses amis. Le grand-prêtre se réjouit en effet d’être sorti indemne du rituel du Yom Kippur, considéré traditionnellement comme dangereux. M Yoma 8 Le huitième chapitre est le seul à ne pas parler du Temple. Il traite du jeûne, du repentir et du pardon et ne comporte ni humour ni anecdotes. Nous allons maintenant étudier les récits de T Kippurim selon leur ordre d’apparition dans le traité. T Kippurim 1, 4 « R’ Yose raconte : il arriva une fois que Yosef ben Elim de Sepphoris serve à la place du grand-prêtre pendant une heure, alors qu’il n’était apte [à servir] ni en tant que grand-prêtre, ni en tant que simple prêtre. Lorsqu’il sortit, il demanda au roi : le taureau et le bouc sacrifiés aujourd’hui, sont-ils ma part ou celle du grand-prêtre ? Le roi savait de quoi il parlait et lui dit : qu’est-ce que c’est que cela, fils de Elim ? Cela ne te suffit pas d’avoir servi à la place du grand-prêtre pendant une heure devant celui qui parla et le monde fût, tu demandes la grande prêtrise pour toi ?! À ce moment, le fils de Elim a compris qu’il était déchu de la prêtrise. »

Yosef ben Elim de Sepphoris a remplacé le grand-prêtre pendant une heure, alors qu’il n’était apte à servir ni comme grand-prêtre, ni comme

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simple prêtre. Il se montre prétentieux avec le roi et est déchu de la prêtrise. Cette histoire, riche en détails, confirme la halakha précédente mais sans humour. Elle a de nombreux parallèles dans les deux Talmuds et chez Flavius Josèphe. Il est intéressant de noter que les parallèles dans le TY (Yoma 1, 1 ; Horayot 3, 4) reprennent le récit en entier, alors que, chez Flavius Josèphe et dans le TB (Yoma 12b, Horayot 12b), c’est seulement la première partie du récit qui est mentionnée, et la discussion avec le roi est absente. Les parallèles rabbiniques et celui de F. Josèphe précisent la raison pour laquelle le grand-prêtre a dû être remplacé : une impureté séminale dans le TY, un défaut quelconque dans le TB et un rêve érotique chez Flavius Josèphe. La Tosefta ne donne aucune explication du remplacement et semble bien plus préoccupée par la discussion avec le roi (selon Flavius Josèphe, il s’agit du roi Hérode). En effet, Yosef ben Elim, le remplaçant, après avoir accompli son travail, semble avoir pris goût à sa nouvelle fonction. Il ignore vraisemblablement ce qui est stipulé dans la Tosefta juste avant notre récit : si le grand-prêtre a un empêchement, il peut être remplacé temporairement, mais il revient ensuite à sa fonction première. En réalité, comme le suggère la réponse répressive du roi, Yosef ben Elim savait parfaitement qu’il ne pourrait pas rester en fonction, mais il feint l’ignorance (procédé en soi humoristique, car assimilable à l’ironie socratique) et pose une question faussement innocente. Le roi fait comprendre son erreur à Yosef ben Elim par une question rhétorique accusatrice, tout en soulignant et en dénonçant son avidité en matière de pouvoir. Si cette anecdote du premier chapitre du traité ne comporte pas d’effet comique proprement dit, elle n’est pas dénuée d’humour dans l’ironie socratique de Yosef ben Elim, mais surtout dans la réponse rhétorique du roi. Celle-ci dénonce les prêtres avides de pouvoir et dépeint le fils de Elim comme un simple exécutant, sans aucun mérite ni aucune perspective, mais ayant une grande ambition qui ne sera jamais satisfaite. C’est une présentation ironique voire sarcastique du personnage et des conséquences que peut avoir le pouvoir sacerdotal. Sans réelle comédie mais avec beaucoup d’ironie, l’anecdote annonce le reste du chapitre qui va réellement tourner en dérision les prêtres et la fonction sacerdotale. T Kippurim 1, 6 « Le grand-prêtre doit être plus grand que ses collègues723 en beauté, force, richesse, savoir et apparence. Si ce n’est pas le cas, d’où savons-nous que ses collègues doivent l’élever ? Nous le savons car il est écrit : (Lv 21, 10) Quant 723

Littéralement : « ses frères ».

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au pontife supérieur à ses frères…, [c’est à dire] que ses collègues doivent faire en sorte qu’il soit grand. On disait à propos de Pineḥas, homme de Ḥabta, qu’il a été tiré au sort pour être grand-prêtre et les trésoriers et les secrétaires [du Temple] sont allés le chercher. Ils l’ont trouvé en train de creuser [dans une carrière] et ont rempli la carrière de dinars d’or pour lui. R’ Ḥanina ben Gamliel dit : ce n’était pas un tailleur de pierre, il était notre semblable724, et ils l’ont trouvé en train de labourer, ainsi qu’il est écrit à propos d’Élisée : (1 R 19, 19) [Il partit de ce lieu et rencontra Élisée fils de Chafat, qui labourait] ayant douze paires de bœufs [devant lui] et se tenant près de la douzième.  »

L’enseignement de la Tosefta porte ici sur l’obligation qu’a le grand-prêtre d’être « grand », c’est-à-dire plus beau, riche et intelligent que ses collègues. Si ce n’est pas le cas, ses collègues ont l’obligation de le rendre meilleur qu’eux. L’anecdote concerne précisément un tel cas. Il s’agit de Pineḥas du village de Ḥabta725, qui était selon l’avis anonyme de la Tosefta un tailleur de pierre ou un mineur dans une carrière. Les fonctionnaires du Temple remplissent pour lui la carrière de pièces d’or, ce qui donne l’image comique d’un pauvre homme qui ignore probablement avoir été tiré au sort pour devenir le prochain grand-prêtre, et qui continue à exercer son métier difficile. L’acte des fonctionnaires du Temple semble grotesque : il consiste à remplir la carrière d’or, afin que l’heureux élu le trouve comme par hasard. La Tosefta ne le précise pas, mais nous pouvons imaginer la stupéfaction de Pineḥas lorsqu’il trouva ce grand trésor. R’ Ḥanina ben Gamliel n’est pas d’accord avec l’avis anonyme. Selon lui, ce n’était pas un homme de si modeste origine. Le mot qu’il emploie, « notre marié », peut signifier « notre semblable » ou encore « notre lauréat ». La citation qui compare ce Pineḥas à Élisée confirme l’avis de Ḥanina ben Gamliel. Ce dernier est issu d’une lignée distinguée, celle du patriarche. Ce n’est donc pas étonnant qu’il accorde une importance majeure à la question de l’ascendance et qu’il s’oppose fortement au récit anonyme de la Tosefta, qui tourne en dérision la position du grand-prêtre et considère comme douteuse la manière dont il a été élu. Ce récit a un parallèle chez Flavius Josèphe726 : « Enfin, le peuple se trouva réduit à un tel degré d’impuissance et de terreur, et les factieux s’emportèrent à un tel degré de folie qu’ils prirent en main l’élection des grands prêtres. Sans tenir aucun compte des familles parmi lesquelles les grands prêtres étaient choisis alternativement, ils élevèrent à cette charge des hommes inconnus et de basse origine, pour trouver en eux des complices de leurs impiétés ; car ceux qui obtenaient, sans en être dignes, les 724

Littéralement : « notre marié » (ḥatanenu). F. Josèphe note le nom de ce village, Aphthia, mais ne mentionne pas sa localisation précise. 726 FLAVIUS JOSÈPHE, Guerre des juifs 4, 3, 6-9, T. REINACH (éd.), R. HARMAND (trad.), S. REINACH, J. WEILL (notes), Paris, 1932. 725

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plus grands honneurs devaient être nécessairement soumis à ceux qui les leur avaient procurés. Quant aux prêtres qui étaient en charge, les factieux les mettaient aux prises par des machinations et des mensonges, cherchant leur propre avantage dans les querelles de ceux qui pouvaient leur faire obstacle : jusqu’au moment où, rassasiés de crimes commis envers les hommes, ils élevèrent leur insolence contre Dieu et portèrent leurs pieds souillés dans le sanctuaire. La multitude commençait d’ailleurs à se soulever contre eux, à la voix du plus âgé des grands prêtres, Ananos, homme d’une parfaite modération et qui peut-être eût sauvé la ville, s’il avait échappé aux mains des conjurés. Mais ceux-ci firent du Temple de Dieu leur citadelle et leur refuge contre les troubles civils ; le Saint des Saints devint l’asile de leur tyrannie. À tout cela s’ajouta de la bouffonnerie, plus pénible encore que les forfaits ; car pour éprouver l’abattement du peuple et mesurer leur propre puissance, ils entreprirent de tirer au sort les grands prêtres, alors qu’ils se succédaient, comme nous l’avons dit, au sein des mêmes familles. Ils donnaient pour prétexte de cette innovation un ancien usage, prétendant que le tirage au sort avait aussi, dans l’antiquité, la fonction sacerdotale : mais en fait, il y avait là une violation d’une loi solidement établie, et un moyen pour eux d’acquérir de l’autorité en s’attribuant à eux-mêmes le droit de conférer de hautes fonctions. En conséquence, ils mandèrent une des tribus pontificales, la tribu Eniachim et procédèrent au choix par le sort d’un grand-prêtre : le hasard désigna un homme dont la personne témoignait trop bien de leur infamie. C’était un nommé Phanni fils de Samuel, du bourg d’Aphthia. Non seulement il n’appartenait pas à une famille de grands prêtres, mais il était ignorant au point de ne pas savoir ce qu’étaient les fonctions sacerdotales. Ils l’arrachèrent donc malgré lui à la campagne et, comme un acteur en scène, le parèrent d’un masque étranger ; ils lui firent revêtir les vêtements sacrés et l’instruisirent de ce qu’il avait à faire. Pour ces gens, une si grande impiété n’était qu’un sujet de moquerie et de badinage ; mais les autres prêtres, contemplant de loin cette dérision de la loi, ne pouvaient retenir leurs larmes et pleuraient sur cette dégradation des honneurs sacrés. Ce dernier trait d’audace parut insupportable au peuple qui se souleva en masse comme pour abolir la tyrannie. Ceux qui passaient pour les chefs du peuple, Goryon fils de Joseph, et Siméon fils de Gamaliel, encouragèrent dans les assemblées un grand nombre de Juifs, qu’ils visitaient d’ailleurs chacun en particulier, à punir sans tarder les violateurs de la liberté, à purifier le sanctuaire de ces meurtriers. Quant aux grands prêtres, les plus illustres d’entre eux, Jésus fils de Gamalas et Ananos, fils d’Ananos, reprochaient au peuple, dans des réunions, son indolence, et l’excitaient contre les zélateurs ; car ils s’étaient donné ce nom à eux-mêmes, comme si des actions vertueuses, et non les entreprises les plus criminelles, étaient l’objet véritable de leurs efforts. »

Selon Flavius Josèphe, pendant la grande révolte (66-73), un groupe d’insurgés qui s’autoproclamaient « zélotes » s’est emparé du Temple et de la responsabilité du sacerdoce, en instaurant le tirage au sort comme méthode d’élection des grands prêtres. Les zélotes ont présenté cette méthode d’élection comme ancienne et vénérable, alors que c’était une pure innovation qui permettait à ces insurgés, fortement critiqués par Flavius Josèphe, « d’acquérir de l’autorité en s’attribuant à eux-mêmes le droit de conférer de hautes fonctions ».

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Flavius Josèphe raconte donc l’élection par ce groupe d’un grand-prêtre nommé Phanni fils de Samuel, du bourg d’Aphthia, qui n’était pas d’une famille de grands-prêtres et en plus était un ignorant. Les zélotes l’ont arraché à la campagne, l’ont vêtu des vêtements du grand-prêtre, lui ont « mis un masque sur le visage », c’est-à-dire qu’ils lui ont fait jouer la comédie, le masque étant une allusion aux masques des acteurs, et « l’instruisirent de ce qu’il avait à faire ». Toujours selon Flavius Josèphe, « ceux qui passaient pour les chefs du peuple », des grands prêtres ou des figures de la classe sacerdotale « légitime », se sont opposés aux zélotes. L’échec de cette opposition a lourdement pesé sur la suite de la révolte et explique probablement son issue tragique. Le message de Flavius Josèphe est clair. Il distingue d’un côté les « bons », constitués par les prêtres et les chefs légitimes du peuple et de l’autre les « méchants », que sont les zélotes insurgés qui détournent le sacerdoce à des fins purement politiques. Les zélotes tournent en dérision la prêtrise en choisissant un grand-prêtre d’origine paysanne et ignorant, par un tirage au sort, et cela pour s’octroyer le pouvoir sur le Temple et sur le peuple. Il faut cependant noter que les zélotes appartenaient en réalité à la prêtrise727. Le récit de la Tosefta est bien plus nuancé. Le tirage au sort est critiqué, mais de manière très modérée à travers le comique du récit. La Tosefta commence par mentionner l’homme désigné par tirage au sort pour être grand-prêtre et raconte que plusieurs notables du Temple sont allés le chercher. C’est une délégation importante d’hommes « fins », aux mains délicates (on peut l’imaginer, puisqu’ils ne travaillent pas la terre) et soigneusement habillés (c’est aussi dans l’ordre du probable), qui part chercher l’heureux élu. À leur grande surprise, ils le trouvent dans la carrière en train de tailler des pierres. Le fort contraste entre les fonctionnaires et l’ouvrier est déjà un premier effet comique qui tourne en dérision l’étiquette du Temple : d’un côté une délégation importante de fonctionnaires, de l’autre une méthode d’élection douteuse, par laquelle les fonctionnaires se trouvent confrontés à un simple tailleur de pierre, contraints à aller le chercher en personne dans un lieu (sale) qu’ils ne fréquentent pas d’habitude. Comme il doit être plus élevé qu’eux dans la hiérarchie sociale, ils remplissent la carrière de pièces d’or. Ici aussi, il y a un contraste avec le texte de la Tosefta qui mentionnait cinq critères : beauté, force, richesse, savoir et apparence. Or, ce n’est que de la richesse que s’occupent les fonctionnaires du Temple, comme si l’argent pouvait tout acheter, y compris la sagesse.

727 S. C. MIMOUNI, Le judaïsme ancien du VIe siècle avant notre ère au IIIe siècle de notre ère, Paris, 2012, p. 442.

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Ce récit anonyme suscite la réaction de R’ Ḥanina ben Gamliel, probablement le fils de Gamliel II. Que ce dernier soit patriarche ou non728, les sources rabbiniques le présentent comme un descendant du roi David729. Il n’est pas prêtre, mais doit accorder une importance majeure à la question de l’ascendance. R’ Ḥanina contredit le récit anonyme de la Tosefta. Selon lui, Pineḥas n’était pas un tailleur de pierre, mais un paysan, comme l’indique Flavius Josèphe. Cependant, le verset cité permet de comparer Pineḥas à Élisée, un grand prophète ayant eu une révélation pendant qu’il labourait son champ. R’ Ḥanina précise même qu’« il était notre semblable », c’està-dire, qu’il faisait partie du mouvement rabbinique, donc qu’il était instruit et par là même supérieur aux fonctionnaires du Temple. Cette réaction contextualise l’humour de la Tosefta qui pourrait être défini comme une parodie du texte de Flavius Josèphe730. Selon R’ Ḥanina, qui semble connaître ce texte, l’élection de Pineḥas était légitime et ne consistait pas en une dérision du Temple. Nous pouvons également comparer le récit de la Tosefta avec le texte de l’historien romain Denys d’Halicarnasse, racontant la nomination de Lucius Quinctius Cincinnatus en tant que dictateur : « Le consul de la ville, Fabius, envoya des hommes chercher Quinctius pour lui confier le commandement. Or, il se trouva que le personnage était alors occupé à un travail aux champs ; voyant la foule s’approcher et devinant que c’était lui qu’elle venait trouver, il prit un vêtement plus convenable et marcha à leur rencontre. Lorsqu’il fut à proximité, ils lui amenèrent des chevaux parés de très beaux ornements, lui présentèrent vingt-quatre haches avec les faisceaux et lui remirent une toge pourpre, ainsi que les autres insignes dont était paré autrefois le pouvoir des rois ; alors, apprenant qu’il avait été proclamé dictateur de la cité, bien loin de se réjouir d’avoir obtenu un si grand honneur, il dit avec irritation : eh bien donc, cette année encore, la récolte sera perdue parce que je ne pourrai pas m’en occuper, et tous nous connaîtrons la faim, à la male heure731 ! »

Dans ce texte, deux éléments font écho au récit de T Kippurim 1, 6 : – un groupe de personnes qui cherche à proclamer l’autorité d’un individu, trouvant ce dernier en train de faire un travail manuel ; – le groupe apporte des richesses à l’élu. 728

COSTA, « Entre judaïsme rabbinique et judaïsme synagogal … », p. 74. D. GOODBLATT, The Monarchic Principle. Studies in Jewish Self-government in Antiquity, Tübingen, 1994, p. 146-147. 730 Selon V. Noam, les rabbins ne connaissaient pas directement le texte de Flavius Josèphe. Elle explique les parallèles entre les deux corpus par l’existence d’une source commune plus ancienne. V. NOAM, « Ha-im hikkiru ḥazal et kitbe Yosef ben Mattityahu ? », Tarbiz 81, 2013, p. 367-395. Sur les influences directes et indirectes entre textes rabbiniques et traditions non rabbiniques contemporaines, voir aussi A. TROPPER, Simeon the Righteous in Rabbinic Literature. A Legend Reinvented, Leyde, 2013, p. 8. 731 DENYS d’HALICARNASSE, Antiquités romaines 10, 24, 9. Traduction de Véronique Décultot dont l’aide pour ce passage m’a été précieuse. 729

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À la différence du grand-prêtre choisi de la Tosefta qui reste passif et muet dans la narration, Lucius Quinctius Cincinnatus, lui, connaît l’objet de la visite de la foule. Il est actif et va à la rencontre des hommes, mais s’exprime en tournant en derision la fonction qui lui est octroyée. Sur ce dernier point, le texte est proche du récit rabbinique. En racontant l’élection de Pineḥas homme de Ḥabta pour la fonction de grand-prêtre, les sages s’approprient un événement (ou du moins le souvenir d’un événement) du passé et l’incluent dans le récit rabbinique collectif. Ils se présentent en tant que classe dirigeante dans le passé comme dans le présent. La remarque de Ḥanina l’emporte dans ce récit, mais elle ne supprime pas pour autant la dérision, qui garde tout son sens et toute sa légitimité et émet une critique modérée et humoristique du sacerdoce. T Kippurim 1, 7 « Lorsque les rois sont devenus trop nombreux, ils ont décrété d’ordonner des prêtres et ils les ordonnaient tous les ans. »

Cet enseignement n’a pas de caractère humoristique avéré, mais il nous interpelle par son contexte. Après avoir moqué l’institution de la prêtrise et la manière d’élire les grands prêtres, la Tosefta continue dans le même esprit et rapporte un récit étiologique. Que signifie « lorsque les rois sont devenus trop nombreux » ? Qui sont ces personnages qui aspirent à la domination ? S’agit-il ici d’une description historique ? Est-ce une allusion au pouvoir romain et à la dynastie hérodienne et donc une critique des retournements et jeux politiques ? Un passage de Flavius Josèphe semble corroborer cette idée : il affirme que les grands-prêtres se succédaient au gré des envies des gouverneurs romains732. Le texte de T Kippurim 3, 20 que nous commentons ci-après semble faire écho à ce passage en particulier. S. Lieberman733 propose de lire « lorsque les rois malhonnêtes sont devenus nombreux » ou « lorsque les rois se sont mis à gouverner avec arrogance ». Il compare également les manuscrits, dont certains emploient l’adjectif « simples » pour les prêtres. Le bon texte serait donc : « lorsque les rois malhonnêtes sont devenus nombreux, ils ont décrété d’ordonner des grands-prêtres simples », l’adjectif simple pouvant désigner soit un homme sans origine sacerdotale, soit un homme non instruit. « Et ils les ordonnaient tous les ans » : cette multiplication des personnes exerçant les fonctions sacerdotales constitue une banalisation du sacerdoce. Ainsi la Tosefta

732 733

FLAVIUS JOSÈPHE, Antiquités juives 18, 2, 33-35. LIEBERMAN, Tosefta Ki-fshutah, vol. 4, p. 222.

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critique à la fois l’utilisation politique de la fonction sacerdotale et la banalisation du sacerdoce. Le passage de la Tosefta a la forme d’un récit étiologique, qui rapporte un événement ayant pour conséquence le changement du rituel. Les récits étiologiques rapportent généralement des décrets rabbiniques en utilisant une forme verbale impersonnelle, c’est-à-dire en hébreu la troisième personne du pluriel. Cependant, si nous tenons compte du texte de Flavius Josèphe, il est difficile d’attribuer l’ordination des prêtres à l’autorité rabbinique. Il semblerait donc que le texte de la Tosefta soit une exception à la règle, et que la forme verbale impersonnelle se réfère plutôt aux rois qu’aux rabbins. On peut aussi estimer que la formulation du texte est suffisamment ambiguë pour éviter cette exception : la Tosefta revendiquerait pour les rabbins le pouvoir d’ordonner des grands-prêtres (ou des prêtres) de manière régulière, s’appropriant ainsi l’institution de la prêtrise. T Kippurim 1, 8 « Pourquoi se retire-t-il et pleure-t-il ? [Il agit ainsi], parce que l’on doit lui faire prêter serment. Pourquoi se retirent-ils et pleurent-ils ? [Ils agissent ainsi], parce qu’ils doivent lui faire prêter serment. Et pourquoi doivent-ils lui faire prêter serment ? C’est déjà arrivé qu’un boéthusien fasse brûler l’encens alors qu’il était [encore] à l’extérieur. Un nuage de fumée est (alors) sorti et a effrayé toute l’assemblée du Temple. Les boéthusiens disaient qu’il devait brûler l’encens alors qu’il était [encore] à l’extérieur, ainsi qu’il est écrit : (Lv 16, 13) … de sorte que le nuage aromatique enveloppe [le propitiatoire qui abrite le Statut, et qu’il ne meure point]. Les sages leur ont répondu : mais il a déjà été écrit [au début du même verset] : (id.) Il jettera le fumigatoire sur le feu, devant le Seigneur, ceci [nous indique que] celui qui brûle l’encens ne doit le faire qu’à l’intérieur ! Si c’est ainsi, pourquoi donc est-il écrit : de sorte que le nuage aromatique enveloppe le propitiatoire ? Ceci enseigne qu’il doit faire monter la fumée, et s’il ne fait pas monter la fumée, il doit être mis à mort. Lorsqu’il est sorti, il a dit à son père : toute votre vie vous ne faisiez rien d’autre qu’enseigner734 jusqu’à ce que moi, je me sois levé et que j’aie enfin fait quelque chose. Il lui a répondu : quand bien même nous enseignons sans agir, nous obéissons aux paroles des sages. Je me demande si tu auras une longue vie… Trois jours ne sont pas passés avant qu’il ne soit mis dans sa tombe ! »

Cet enseignement concerne la question d’un serment que doit prêter le grand-prêtre. Nous savons qu’il se retire et pleure avant de prêter serment, comme s’il s’agissait d’un deuil. En quoi consiste ce serment et pourquoi cause-t-il tant de chagrin ? Qui sont les personnes qui font prêter serment au grand-prêtre et pourquoi cela leur cause également tant de chagrin ?

734

Interpréter les Écritures.

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Le récit qui suit l’enseignement nous fournit une explication. Le jeune grand-prêtre boéthusien dans ce récit brûle l’encens selon l’interprétation boéthusienne des Écritures, semant ainsi la panique générale dans le Temple (la Tosefta explique la différence de lecture entre les rabbins et les boéthusiens). À sa sortie du Temple, le jeune grand-prêtre se vante auprès de son père de mettre en pratique les enseignements des boéthusiens alors que ces derniers étudient sans agir. Son père le réprimande aussitôt, en lui disant que si interpréter les Écritures différemment des rabbins est toléré, agir contre leurs opinions est très dangereux. « Je me demande si tu auras une longue vie » dit-il, et en effet, le jeune homme meurt dans les trois jours. Le récit commence par des sanglots dans le Temple : c’est une présentation exagérée et grotesque, mais l’effet comique réside surtout dans la mort subite du jeune boéthusien, annoncée par les paroles de son père. Le père boéthusien, avec une ironie amère voire du sarcasme, préfère sa propre sécurité à celle de son fils. Aussi, la punition (mort soudaine et prématurée) semble exagérée en comparaison avec la faute du jeune homme et par la même grotesque. Ce récit comique présente deux types de boéthusiens, le mauvais et le bon. Le jeune grand-prêtre est un idiot qui veut faire « le beau » dans le Temple et se vanter, mais il finit prématurément. Le plus âgé est aussi le plus sage : il se soumet à l’autorité rabbinique et reste en vie. L’humour noir est ici un outil rhétorique qui permet aux rabbins de déterminer ce qu’ils sont prêts à tolérer au sein de leur société. C’est une réelle démonstration de force discursive, qui montre le pouvoir de vie et de mort, qu’a (ou qu’aimerait avoir) le mouvement rabbinique. T Kippurim 1, 9 « Avec quel doigt claque-t-on ? C’est avec le majeur de la main droite. [Il ne fallait garder éveillé le grand-prêtre qu’] avec la bouche et pas avec une harpe ou avec un violon. Que disaient-ils ? (Ps 127, 1) Cantique des degrés. De Salomon. Si l’Éternel ne bâtit pas une maison, etc. Ils ne dormaient pas de la nuit et restaient avec le grand-prêtre afin de l’amuser par la parole. Ils avaient l’habitude de faire ainsi dans les provinces après la destruction du Temple, en souvenir du Temple, mais, c’étaient [tout de même] des pécheurs. »

Ce récit nostalgique n’est pas humoristique, mais il est intéressant à mentionner, car il brise en quelque sorte la séquence narrative de la Tosefta en évoquant une coutume postérieure à la destruction du Temple qui vise à préserver sa mémoire. Les gens des provinces extérieures à Jérusalem sont cités, même s’ils étaient des pécheurs, car ils restaient éveillés à étudier la Tora toute la nuit. C’est ici une manière d’inclure un groupe vraisemblablement autre que celui des rédacteurs de la Tosefta dans l’ensemble des « bonnes pratiques », tout en réservant une place à la critique rabbinique.

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T Kippurim 1, 12 « Histoire de deux prêtres qui couraient à vitesse égale et montaient l’estrade. L’un d’eux a poussé l’autre à une distance de [moins de] quatre coudées [de l’autel], puis il a pris un couteau et le lui a planté dans le cœur. Vint R’ Ṣadoq qui se plaça sur l’estrade entre les poteaux et dit : écoutez-moi maison d’Israël, nos frères, voici ce que dit l’Écriture : (Dt 21 1-2) Si l’on trouve [dans le pays que l’Éternel, ton Dieu, te donne en possession] un cadavre [gisant en plein champ, et que l’auteur du meurtre soit resté inconnu], tes anciens et tes juges s’y transporteront, et mesureront [la distance jusqu’aux villes situées autour du cadavre]. Allons mesurer et déterminons pour qui il faut apporter une génisse, est-ce pour le palais ou pour les compartiments ? Toute l’assemblée se mit à pleurer avec lui puis vint le père de l’enfant qui leur dit : mes frères, puis-je être votre expiation ? Mon fils735 étant encore entre la vie et la mort, le couteau ne devient donc pas impur. Ceci pour t’enseigner que l’impureté du couteau est plus insupportable à Israël que le sang versé, ainsi qu’il est écrit : (2 R 21, 16) Manassé répandit aussi le sang innocent en si grande abondance que Jérusalem en était remplie d’une extrémité à l’autre… À partir de ce verset, ils dirent : à cause du sang versé, la Shekhina se retire et le Temple devient impur. »

Ce récit très riche en détails a plusieurs parallèles dont l’un se trouve dans M Yoma 2, 2 (commenté plus haut) avec une fonction étiologique : il explique en effet que les tirages au sort étaient nécessaires dans le Temple pour éviter la compétition dangereuse entre les prêtres. Si dans la Mishna, on a une version « allégée » où le prêtre se casse seulement une jambe, le récit de la Tosefta est plutôt sanglant. Deux prêtres courent vers l’autel. Le premier arrivé aura le droit de le débarrasser des cendres. L’un d’eux pousse l’autre (sciemment ou par mégarde, le texte ne précise pas), qui, grâce à cela, ironie du sort, obtient un avantage dans la course. Voyant qu’il allait perdre la course, le prêtre qui a poussé son collègue prend un couteau et le plante dans le cœur de celui qui a été poussé. Après l’image comique de la compétition entre les deux prêtre, agrémentée de l’ironie du sort qui fait presque gagner celui qui a été poussé, nous avons une surprise effrayante : un meurtre, commis en plein jour et devant témoins. Aussitôt, R’ Ṣadoq736 se place devant l’assemblée737 et cite le commandement biblique de la génisse à la nuque brisée. Rappelons brièvement ce commandement : lorsqu’un cadavre se trouve dans un champ et l’on ne connaît pas son 735

Littéralement : « son fils ». Qui est ce R’ Ṣadoq ? Selon S. Lieberman (Tosefta Ki-fshutah, vol. 4, p. 224), il peut s’agir d’un contemporain de Rabban Yoḥanan ben Zakkay (d’une génération plus ancienne) ou plus vraisemblablement de R’ Ṣadoq le pharisien mentionné par Flavius Josèphe dans Antiquités juives 18, 1, 4. S’il s’agit en effet d’un personnage ayant vécu plus de soixante années avant la destruction du Temple, il est très étrange de voir que la Tosefta lui attribue le titre de Rabbi. 737 Lieberman (Ibid., p. 225) s’interroge sur la nature de cette assemblée : s’agit-il du peuple réuni sur le mont du Temple ou bien des prêtres à l’intérieur du Temple ? Pour notre sujet, cela importe peu. 736

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assassin, il faut déterminer quelle est la ville la plus proche et cette ville doit apporter un sacrifice expiatoire, celui d’une génisse rousse que l’on égorge dans la rivière. Ici, R’ Ṣadoq propose d’effectuer des mesures afin de savoir si le sacrifice doit venir du palais du Temple (où se trouvent les prêtres) ou bien des annexes (où se trouve par exemple le Sanhédrin). La remarque de R’ Ṣadoq est clairement ironique, voire sarcastique, puisque, dans notre cas, l’identité du meurtrier comme celle de la victime est connue de tous738 ! De plus, cette remarque décharge le meurtrier de sa responsabilité et accuse les institutions sacerdotale et juridique à sa place739. Peut-elle être lue comme une critique du pouvoir et de l’organisation du culte du Temple ? La tragédie prend ensuite de l’ampleur avec les sanglots collectifs de l’assemblée, mais aussitôt un retournement comique d’un humour noir avéré se produit : le père de la victime, qui était, nous l’apprenons, assez jeune (elle est appelée enfant), vient et s’adresse aux membres de l’assemblée. Il leur dit : « Mes frères, puis-je être votre expiation ? Mon fils étant encore entre la vie et la mort, le couteau ne devient donc pas impur ! » A. Tropper a comparé ce récit avec ses parallèles tannaïtiques, à savoir : M Yoma 2, 2, T Shebu‘ot 1, 3-4 et Sifre Ba-midbar 161740. Selon lui, la version la plus ancienne du récit est celle du Sifre. Il émet également l’hypothèse d’une version orale, plus ancienne encore, apparentée à un récit de meurtre dans le Temple que l’on trouve chez Flavius Josèphe, dans les Antiquités juives 11, 7, 1. Tropper avance que le récit dans le Sifre cherche à « décrire le faible niveau moral du peuple d’Israël à la fin de l’époque du second Temple, et expliquer pourquoi Dieu a puni le peuple en détruisant le Temple. Le Sifre enseigne que, de même que le sang versé par Manasseh est la cause de la destruction du premier Temple, de même le meurtre du prêtre dans le sanctuaire est la cause de la destruction du second Temple »741. Il évoque deux évolutions parallèles du récit sans lien entre elles, l’une dans T Shebu‘ot 1, 3-4, et l’autre dans M Yoma 2, 2. Selon Tropper, le rédacteur de T Shebu‘ot cite le récit pour confirmer la déclaration suivante : « l’impureté du Temple et ses saintetés est plus grave que toutes les fautes citées dans la Tora (…) et l’impureté du Temple et ses saintetés est la plus grave de toutes »742. Le rédacteur de T Shebu‘ot considère donc réellement que l’impureté du couteau est plus grave que le sang

738 Selon le TB (Yoma 23b), R’ Ṣadoq fait cette remarque pour éveiller la sensibilité de l’assemblée et faire pleurer le peuple. 739 Sans oublier que la Mishna indique qu’il ne faut pas apporter une génisse pour la ville de Jérusalem (M Soṭa 9, 2). 740 TROPPER, Like Clay…, p. 27-45. 741 Ibid., p. 42-43. 742 T Shebu‘ot 1, 3.

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versé, alors qu’à l’origine, le récit a été raconté pour dire précisément l’inverse, le sang versé étant la cause de la destruction du Temple. Concernant M Yoma, Tropper explique que la Mishna mobilise le récit pour décrire l’histoire « administrative » du culte dans le Temple, dans un objectif étiologique (différent de l’objectif théologique du Sifre), et le rédacteur « a décidé d’adoucir le récit afin de l’adapter à sa nouvelle fonction »743. Le récit dans T Kippurim serait la version la plus tardive. Selon le texte de la Mishna, le fait d’être à quatre coudées de l’autel donne le droit d’accomplir le culte. Ce détail semble à Tropper « artificiel et forcé »744, et il l’explique en disant que le rédacteur de la Mishna l’a intégré à la halakha initiale dans un souci de fidélité au récit de meurtre qu’il connaissait. Initialement, ce détail signifiait simplement que le prêtre qui a devancé745 l’autre allait gagner la course, et le rédacteur de la Mishna a transformé ce détail en principe halakhique, comme par erreur. Or, à notre avis, avancer qu’il s’agit d’une erreur de la part du rédacteur de la Mishna, reviendrait à le sous-estimer. Nous pensons au contraire que le rédacteur donne un sens nouveau à ce détail, afin de neutraliser l’aspect macabre du récit, et y introduire de l’ironie, ce qui renforce la dimension pédagogique et étiologique du texte : le prêtre violent perd la course et, en poussant son « adversaire », il provoque même sa victoire ! Comme indiqué dans TB Yoma 23b, Tropper considère que l’intention de R’ Ṣadoq était d’éveiller la culpabilité de l’assemblée dans l’objectif d’une repentance collective. L’intention pédagogique de R’ Ṣadoq est l’explication habituelle de l’absurdité de ses propos, explication qui ignore l’aspect grotesque de la situation. Les propos du père de la victime sont interprétés comme « surprenants » et « horrifiants »746. J. Fraenkel considère également qu’ « il y a ici une occultation des valeurs humaines sensibles au profit d’un intérêt excessif pour les formes superficielles de culte »747. Les trois parallèles du récit du meurtre se terminent par la citation de 2 R 21, 16. Selon Tropper, cette citation et la remarque qui la suit concernant la destruction du Temple à cause de la violence et du sang versé, sont uniquement à leur place dans la version du Sifre. En effet, celle-ci commence par la remarque suivante : « (Nb 25, 34) Ne déshonorez point le pays où vous habiterez, [dans lequel je résiderai  ; car moi-même, Éternel, je réside au milieu des enfants d’Israël]. L’Écriture dit que le sang versé 743

TROPPER, Like Clay…, p. 43. Ibid., p. 31. 745 La version du Sifre et de T Shebu‘ot utilise le verbe we-qadam au lieu de we-daḥaf dans M Yoma et T Kippurim. 746 TROPPER, Like Clay…, p. 32. 747 J. FRAENKEL, The Aggadic Narrative. Harmony of Form and Content (en hébreu), Tel Aviv, 2001, p. 38. 744

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souille la terre et fait fuir la Shekhina, et à cause du sang versé le Temple fut détruit. » L’analyse de Tropper paraît parfaitement juste quant au message théologique que le passage cherche à transmettre. Dans la version de T Shebu‘ot 1, 3-4, le récit est précédé du passage suivant : « R’ Shim‘on disait : l’impureté du Temple et de ses saintetés est plus grave que toutes les fautes citées dans la Tora… et l’impureté du sanctuaire est la plus grave de toutes. » L’accent est mis sur les fautes liées à l’impureté et non sur le sang versé, ce qui est en contradiction avec l’exégèse finale. Tropper explique cette discordance en disant que le parallèle de T Shebu‘ot cite le passage en entier, malgré le fait qu’il cherche à transmettre un message différent. Les parallèles dans TY Yoma 2, 2 et TB Yoma 23b omettent au contraire la partie finale. Tropper explique ainsi la présence de cette conclusion dans les récits tannaïtiques : « Il semble que les compilateurs des deux autres versions tannaïtiques748 n’ont pas omis l’exégèse de fin comme le TY, car ils ont vu dans le rapport éloigné entre l’impureté du couteau dans le récit et l’impureté du Temple dans l’exégèse une raison suffisante pour la conserver. Il est également probable que, pour eux, lorsqu’il y a un mort dans le Temple, il devient impur749. » L’analyse de Tropper est d’une grande valeur quant à l’évolution historique du récit, mais il nous semble que sa lecture sous-estime la finesse de rédaction de la Tosefta et de la Mishna. L’humour peut contribuer à une meilleure compréhension de ce qui semble contradictoire dans ces passages. D. Lifshitz a commenté le parallèle du TY dans le cadre d’une communication sur l’humour noir dans le Talmud750. Il souligne que la remarque du père de la victime est innocente : le père veut réellement rassurer le peuple en larmes. Il attire également l’attention sur le contraste fort entre les cris de R’ Ṣadoq et les pleurs de l’assemblée, aussi dramatiques que tragiques, et les « mots d’encouragement » du père qui pense réellement résoudre le problème. La Tosefta confirme l’absurdité de la remarque du père : l’impureté d’un couteau est plus insupportable à l’assemblée d’Israël que le sang versé. Cette conclusion de la Tosefta est, selon Lifshitz, une remarque satirique et sarcastique. Le récit et sa conclusion sont fort intéressants. Ils dénoncent la violence et l’hypocrisie de la classe sacerdotale et tournent en dérision la préoccupation excessive pour la pureté rituelle. Cette critique forte du sacerdoce dans T Kippurim n’est donc pas dénuée d’autodérision puisque les sages se préoccupaient aussi de pureté rituelle, comme le montre bien le contexte du 748 749 750

C’est-à-dire T Kippurim 1, 12 et T Shebu‘ot 1, 3-4. TROPPER, Like Clay…, p. 33. Voir p. 59-61.

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récit dans T Shebu‘ot. En affirmant que le sang versé est la raison de la souillure du Temple et du départ de la Shekhina, la conclusion peut être lue comme une mise en garde que les rabbins s’adressent à eux-mêmes. C’est comme si les rédacteurs de la Tosefta disaient : regardez comment les prêtres agissaient dans le passé, veillons à ne pas suivre le même exemple. Tropper propose de lire l’omission de la conclusion dans les deux Talmuds comme une correction amoraïque. Selon lui, les sages du TY et du TB ont perçu le caractère contradictoire du texte et l’ont lissé en conséquence. Nous proposons ici une explication différente. La phrase « à cause de…, le Temple fut détruit et la Shekhina est partie » apparaît dans la littérature amoraïque pour introduire un autre récit, celui de Qamṣa et Ben Qamṣa (TB Giṭṭin 55b et Ekha Rabba 4, 2). Les amora’im de Palestine et de Babylonie expliquaient donc autrement la chute de Jérusalem. Le récit sur Qamṣa et Ben Qamṣa vise dans une critique humoristique non pas les prêtres, mais les juifs hellénisés de Jérusalem. Il n’est donc pas impossible que pour les amora’im, notamment ceux de Palestine, la priorité était de s’affirmer face au judaïsme hellénisé. La phrase structurelle et mnémotechnique qui introduit la raison de la destruction du Temple, étant mobilisée dans un autre contexte, n’avait plus sa raison d’apparaître après le récit dans le traité Yoma du TY et du TB. T Kippurim 1, 14 Dans T Kippurim 1, 13, il est question du tirage au sort des différentes tâches qu’il faut accomplir dans le Temple. Concernant les sacrifices, certains animaux sont portés à l’autel par plusieurs prêtres, notamment ceux qui sont grands et lourds. Il est précisé que la jambe d’un bœuf est portée à l’autel par deux prêtres. « Histoire des fils de Martha fille de Boéthus : l’un d’eux portait avec deux doigts deux cuisses d’un taureau d’une valeur de mille dinars, et il marchait talon collé au pouce751 et les montait sur l’autel. »

Martha (Miryam) représente ici la fille riche de la classe sacerdotale, et elle est la fille de Boéthus, qui pourrait être, selon Abot de-rabbi Natan A 5 (13b), le fondateur du mouvement boéthusien752. Malgré sa datation finale tardive, le recueil des Abot de-rabbi Natan contient aussi des matériaux d’origine tannaïtique753. Peut-être que les traditions ultérieures ont une

751

C’est-à-dire très lentement. Selon ce passage, le mouvement sadducéen tient son nom de Ṣadoq et le mouvement boéthusien de Boéthus, tous deux disciples d’Antigonos de Sokho (IIe siècle av. J.-C.). 753 STEMBERGER, Introduction…, p. 263. 752

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tendance inclusive, alors que, dans la Tosefta, la classe sacerdotale et les boéthusiens sont considérés davantage comme « autres »754. Dans cette anecdote, l’humour réside dans les exagérations grotesques. Martha fille de Boéthus est un symbole de richesse excessive. Cette richesse lui permet de dépenser des sommes extravagantes (mille dinars) pour un animal de sacrifice. La description de la force de son fils est également grotesque : si, comme nous l’avons appris dans le paragraphe précédent, il faut deux prêtres pour porter la jambe d’un simple taureau, le fils de Martha porte seul, avec deux doigts seulement, la cuisse, probablement très grande et lourde, d’un taureau très coûteux. Le texte indique qu’il marche lentement. Cette lenteur peut être due à la difficulté de la tâche ou au contraire au fait que le fils de Martha ne ressent pas le besoin de se dépêcher pour se débarrasser du fardeau. Dans cette anecdote, l’exagération grotesque tourne en dérision son objet, c’est-à-dire Martha fille de Boéthus et son fils, et peut-être par extension, les boéthusiens. Mais, à la différence de l’anecdote précédente, il y a aussi dans cette critique une dimension positive. Nous pouvons en effet considérer l’excès de fortune et de force physique comme l’expression de la vaillance. On retrouve une ambiguïté semblable dans le cas de R’ Ele‘azar fils de R’ Shim‘on, présenté comme grotesquement gros, mais dont la taille exprime aussi la vaillance755. Le texte a un parallèle dans la Lettre d’Aristée (§ 92-95) : « Le cérémonial qu’observent les prêtres est incomparable par le déploiement de force physique qu’il comporte et par son ordonnance de bon ordre et de silence : c’est spontanément que tous peinent à un office très fatigant et sont attentifs chacun au rôle qui lui est prescrit. Sans interruption, ils assurent le service, qui du bois, qui de l’huile, qui de la fleur de farine, qui des parfums ; d’autres, au service des holocaustes, ont à dépenser beaucoup plus de force encore : ils saisissent des deux mains écartées les cuisses des veaux, ce qui représente presque plus de deux talents pour chacune, d’un geste admirable des deux mains, les élèvent à la hauteur voulue et les mettent sur l’autel sans manquer leur coup. De même aussi, les brebis et les boucs sont étonnants de poids et de graisse, car ceux dont c’est l’office choisissent toujours des bêtes absolument sans défaut, particulièrement bien engraissées, et alors c’est la même manœuvre que plus haut. Pour les pauses, ils ont un local réservé, où s’assoient ceux qui sont de repos, et chaque fois parmi ceux qui attendaient leur tour, un groupe s’empresse de se lever, sans que personne ait à commander l’ordre du service. Il règne un silence absolu, à croire qu’il n’y a personne, alors que les officiants sont environ sept cents – et la foule de ceux qui offrent les victimes

754 Cette présentation est proche des traditions hérésiologiques chrétiennes. Selon D. Boyarin, lorsque les rabbins nomment un groupe de juifs, ces derniers sont considérés comme des hérétiques. D. BOYARIN, Border Lines. The Partition of Judaeo-Christianity, Philadelphie, 2004, p. 42. 755 ID., Socrates…, p. 175-186.

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passablement nombreuse – mais tout se passe avec la révérence que mérite la divine Majesté756. »

La Lettre d’Aristée présente le culte du Temple de manière apologétique. Le texte décrit la multitude des prêtres du Temple, chacun chargé d’une tâche différente, comme nous pouvons le lire dans la littérature rabbinique, ainsi que l’effort physique des prêtres qui devaient transporter la viande jusqu’à l’autel. Il insiste particulièrement sur les prêtres qui portaient avec deux mains les cuisses d’un veau de quatre-vingt kilos, manifestant ainsi une grande force physique757. Le texte de la Tosefta semble faire écho à la Lettre d’Aristée voire la parodier. La ressemblance entre les deux textes suggère que les rédacteurs de la Tosefta connaissaient la Lettre d’Aristée et l’ont détournée en reprenant le récit de manière grotesque. Ainsi, l’apologie de la classe sacerdotale devient de la dérision, mais sans perdre toutefois entièrement sa dimension édifiante. T Kippurim 1, 21-22 « Tout vaut trente mane758. Ceux-là, on les prend de la somme consacrée. Si l’on veut faire un ajout, il faut le faire à partir de ses propres ressources. Histoire de Yishma‘el ben Piabi : sa mère lui a préparé une tunique d’une valeur de cent mane et il faisait des sacrifices sur l’autel. Encore une histoire à propos de R’ Ele‘azar ben Ḥarso : sa mère lui a préparé une tunique d’une valeur de deux ribo759 et il faisait des sacrifices sur l’autel, mais ses frères prêtres l’ont fait descendre car il semblait nu à travers la tunique. »

Après l’enseignement qui précise la valeur optimale de tout vêtement, et donc également des tuniques des prêtres, nous avons deux anecdotes successives. La première explique simplement que quiconque souhaite ajouter à la valeur optimale (et qui en a les moyens) peut le faire à partir de ses propres deniers. Yishma‘el ben Piabi a pu accomplir les sacrifices sur l’autel avec la tunique somptueuse que lui a préparée sa mère. La deuxième anecdote est bien différente. Elle évoque une tunique dont la valeur est grotesquement exagérée : de cent nous passons à vingt-mille mane. La tunique est tellement coûteuse qu’elle est trop ample : le corps du prêtre apparaît à travers. Sa nudité l’empêche de continuer son travail et ses collègues le font descendre de l’autel. Un autre élément paraît comique : les prêtres coquets dépendent de leur mère pour les habiller. Ils sont dépeints par le rédacteur de la Tosefta comme des enfants gâtés et totalement 756 757 758 759

La Lettre d’Aristée à Philocrate, A. PELLETIER (trad.), Paris, 1962, p. 149-151. Ibid., p. 148, note 1. Somme équivalente à 100 sicles. 10 000, une très grande somme d’argent.

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dépendants. La prêtrise et notamment le caractère coquet et superficiel de certains prêtres sont une fois de plus tournés en dérision par la Tosefta. T Kippurim 2, 2-8 C’est une longue séquence que nous considérons comme une seule unité. Elle se retrouve dans M Yoma 3, 10-11, mais sous une forme très raccourcie. Elle aborde différents personnages de l’époque du Temple, considérés positivement ou négativement. « … Et il y avait une urne dans laquelle il y avait deux lots. Ils étaient en bois et Ben Gamla les a faits en or, et on le loue pour cela. Ben Qaṭin a fait douze récipients pour l’évier afin que douze prêtres puissent y faire des sanctifications, alors qu’auparavant il n’y avait que deux récipients et seulement deux prêtres pouvaient y faire des sanctifications. On le loue pour cela. Le roi Monobaz a fait tous les manches des couteaux du Yom ha-kippurim en or et on le loue pour cela. Hélène sa mère a fait un lustre d’or pour l’ouverture du palais. Elle a aussi fait une tablette d’or, où la péricope Soṭa était écrite et, lorsque le soleil se levait, des étincelles émanaient d’elle et ainsi on savait que le soleil se levait. Toutes les portes qui s’y trouvaient ont été transformées en or à l’exception des portes de Niqanor, parce que leur cuivre devenait jaune [et elles paraissaient dorées]. R’ Eli‘ezer ben Ya‘aqob dit : c’était du cuivre corinthien et il était aussi beau que l’or. Quel est le miracle qui leur est arrivé ? On racontait que, lorsque Niqanor les apportait d’Alexandrie, un flot marin menaçait de noyer le bateau. [Les marins] prirent [alors] l’une des portes et la jetèrent dans la mer. Ils voulaient jeter l’autre, mais Niqanor ne les a pas laissés faire. Il leur a dit : si vous jetez l’autre [porte] à la mer, jetez-moi avec elle. Et il regretta profondément la porte perdue jusqu’à ce que le bateau arrive au port de Jaffa. Et lorsqu’il arriva au port de Jaffa, [la porte] remonta d’en-dessous du bateau en faisant des bulles. Et certains disent : un animal marin l’avait avalée et, lorsque Niqanor est arrivé au port de Jaffa, il l’a vomie et la projetée à terre. Et, à propos de lui, on dit dans la tradition : (Ct 1, 17) Les solives de nos maisons sont de cèdre, [nos lambris sont de cyprès]. Les membres de la famille Garmo étaient experts dans la production du pain de présentation, mais ils ne voulaient pas l’enseigner. Les sages ont envoyé chercher des savants d’Alexandrie en Égypte qui étaient également experts comme eux, sauf qu’ils ne savaient pas sortir [le pain] du four [sans l’abîmer]. Les membres de la famille Garmo étaient experts, ils allumaient le four de l’extérieur et enlevaient le pain de l’intérieur. Les [savants] alexandrins ne faisaient pas ainsi et certains disent que leur pain était moisi. Lorsque les sages l’ont appris, ils dirent : le Saint, béni soit-Il, n’a créé le monde que pour sa gloire, car il est écrit : (Is 43, 7) tous ceux qui se réclament de mon nom, tous ceux que, pour ma gloire, j’ai créés, formés, organisés. On envoya les chercher, mais ils ne sont pas venus avant que l’on double leur salaire. [Auparavant], ils prenaient douze mane chaque jour, et, à leur retour, ils en prenaient vingtquatre, paroles de R’ Me’ir. R’ Yehuda dit qu’[auparavant], ils prenaient vingtquatre mane, et, à leur retour, ils en prenaient quarante-huit. Les sages leur ont demandé : quelle raison vous a empêché d’enseigner votre savoir ? Ils dirent : ils savaient à la maison de notre père que le Temple allait être détruit et ils ne

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voulaient pas divulguer leur savoir, afin que l’on ne fasse pas de sacrifices païens de la même manière que l’on procédait devant le Lieu. Et on les loue pour la raison suivante : jamais on ne trouvait du pain blanc entre les mains de leurs fils et de leurs filles pour que personne ne puisse dire qu’ils se nourrissent du pain de présentation, ceci pour accomplir le verset : (Nb 32, 22) vous serez quittes envers Dieu et envers Israël. Ceux de la maison de Abṭines étaient experts dans la préparation et la crémation de l’encens et ils ne voulaient pas enseigner leur savoir. Les sages envoyèrent chercher des artisans d’Alexandrie en Égypte qui savaient préparer l’encens, mais ne savaient pas le brûler correctement. La fumée [de l’encens brûlé par des membres] de la famille Abṭines montait jusqu’aux poutres puis elle tournait et descendait. Celle des artisans d’Alexandrie tournait et descendait tout de suite. Lorsque les sages l’ont appris, ils dirent : le Lieu n’a créé le monde que pour sa gloire, car il est écrit : (Pr 16, 4) Toute l’œuvre de l’Éternel est [destinée] à celui qui Lui répond760. Les sages les envoyèrent chercher et ils ne sont pas venus avant que l’on double leur salaire. Ils prenaient douze mane chaque jour et, à leur retour, ils en prenaient vingt-quatre, paroles de R’ Me’ir. R’ Yehuda dit : ils prenaient vingtquatre mane chaque jour et, à leur retour, ils en prenaient quarante-huit. Les sages leur ont demandé : quelle raison vous a empêché d’enseigner votre savoir ? Ils leur répondirent : ils savaient, à la maison de notre père, que le Temple allait être détruit et ils ne voulaient pas divulguer leur savoir, afin que l’on ne prépare pas l’encens pour le culte païen de la même manière que l’on procédait devant le Lieu. Et on les loue pour la raison suivante : jamais une femme ne sortait de chez eux pomponnée761 et ce n’est pas tout : lorsqu’il se mariaient avec une femme venant d’ailleurs, ils décrétaient qu’elle ne devait pas se parfumer, afin que l’on ne puisse pas dire que c’est avec la préparation de l’encens qu’elle se parfume. Ils faisaient ainsi pour accomplir le verset : (Nb 32, 22) vous serez quittes envers Dieu et envers Israël. R’ ‘Aqiba dit : Shim‘on ben Luga m’a raconté : moi-même et un enfant parmi leurs descendants, nous cueillions des herbes dans un champ. Je l’ai vu rire et pleurer et je lui ai demandé : pourquoi as-tu pleuré ? Il m’a dit : à cause de la gloire de la maison de mon père qui est en exil. Je lui ai demandé : pourquoi as-tu ri ? Il m’a dit : à la fin, dans le futur à venir, le Saint, béni soit-Il, réjouira ses enfants. Je lui ai demandé : qu’as-tu vu ? Il dit : en haut, la fumée montait devant moi. Je lui ai dit : montre-le-moi ! Il m’a répondu : c’est un serment parmi nous qu’on ne le montre à personne. R’ Yoḥanan ben Nuri dit : une fois, alors que j’étais en route, un vieillard m’a trouvé et m’a dit : je suis de la famille Abṭines. Auparavant, lorsque les membres de la maison de notre père étaient humbles, ils échangeaient leurs rouleaux. Maintenant, en voici un pour toi et fais attention, car c’est un rouleau de signes. Lorsque je suis venu exposer les choses devant R’ ‘Aqiba, il m’a dit : maintenant, tu ne dois pas dire du mal d’eux. C’est de là que Ben ‘Azzay déduit l’enseignement suivant : c’est à partir de ce qui est à toi que l’on te donnera, c’est par ton nom que l’on t’appellera et à ta place que l’on te fera asseoir. Il n’y a aucun oubli devant le Lieu. Un homme ne bénéficie pas des intentions de son prochain. Agdes ben Lewi connaissait 760 Traduction par mes soins. La traduction du Rabbinat est la suivante : L’Éternel a tout fait pour un but prédestiné ; celle d’André Chouraqui : IHVH-Adonaï a tout œuvré pour sa réponse. 761 Littéralement : « parfumée ».

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bien les cantiques, mais il ne voulait pas les enseigner. Les sages lui ont demandé : quelle raison t’a empêché d’enseigner ton savoir ? Il leur répondit : les membres de la maison de mon père savaient que le Temple allait être détruit et ils ne voulaient pas divulguer leur savoir, afin que l’on ne chante pas pour le culte idolâtre de la même manière que l’on procédait devant le Lieu. Ben Qamṣar connaissait l’écriture, mais il ne voulait pas enseigner son savoir. On lui a demandé : quelle raison t’a empêché d’enseigner ton savoir ? Il se tut. Ceux-ci ont trouvé une réponse à leurs questions, Ben Qamṣar n’a pas trouvé une réponse à ses questions. Eux désiraient accroître leur gloire et amoindrir la gloire des cieux, c’est pourquoi leur gloire a été amoindrie et la gloire des cieux accrue. On ne trouva pour eux ni bonne réputation ni bon souvenir dans le monde. À propos des premiers, il a été écrit : (Pr 10, 7) La mémoire du juste est une bénédiction et, à propos de ceux-ci, il a été écrit : (id.) Le nom des méchants tombe en pourriture. »

Cette longue séquence édifiante et nostalgique comporte quelques éléments humoristiques. Elle est probablement plus tardive que son parallèle de la Mishna. La question « Quel est le miracle qui leur est arrivé ? » (concernant les portes de Niqanor) permet de le supposer. Aucune mention de miracle ne se trouve dans la Tosefta avant cette question, ce qui suggère que le rédacteur de la Tosefta avait connaissance du texte de la Mishna, de manière directe ou indirecte. Quant à ce dernier, beaucoup plus court, il est uniquement édifiant et n’a pas de dimension humoristique. Une comparaison des deux versions nous permettra de comprendre l’humour dans le texte de la Tosefta. M Yoma 3, 9-11 « … Et il y avait une urne dans laquelle il y avait deux lots. Ils étaient en bois et Ben Gamla les a faits en or, et on le loue pour cela. Ben Qaṭin a fait douze récipients pour l’évier, alors qu’auparavant il n’y avait que deux récipients et il a fait un mécanisme pour l’évier, afin que ses eaux ne contractent pas l’impureté pendant la nuit. Le roi Monobaz a fait tous les manches des ustensiles du Yom ha-kippurim en or. Hélène sa mère a fait un lustre d’or pour l’ouverture du palais. Elle a aussi fait une tablette d’or, où la péricope Soṭa était écrite. Des miracles ont été accomplis pour les portes de Niqanor, on le loue pour cela. Ceux-là, on les blâme. Les membres de la famille Garmo ne voulaient pas enseigner la production du pain de présentation. Les membres de la famille Abṭines ne voulaient pas enseigner la préparation et la crémation de l’encens. Agdes ben Lewi connaissait bien les cantiques, mais il ne voulait pas les enseigner. Ben Qamṣar ne voulait pas enseigner l’art de l’écriture. À propos des premiers, il a été écrit : (Pr 10, 7) La mémoire du juste est une bénédiction et à propos des seconds, il a été écrit : Le nom des méchants tombe en pourriture. »

Le texte de la Mishna ne pose aucun problème de compréhension. Le roi Monobaz, Hélène et Niqanor sont loués pour avoir contribué à la somptuosité du Temple. Les familles Garmo et Abṭines, et les experts Agdes ben

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Lewi et Ben Qamṣar sont blâmés parce qu’ils ne voulaient pas enseigner leur savoir-faire cultuel. Le texte de la Tosefta est bien plus riche en détails et beaucoup plus ambigu. Nous sommes particulièrement intéressés par le récit concernant les portes de Niqanor. La brève mention concernant les miracles qui sont arrivés à ces portes se trouve dans M Yoma 3, 10 et dans M Middot 2, 3, sans aucune explication. La Tosefta raconte que Niqanor avait apporté d’Alexandrie par bateau deux portes pour le Temple. Une tempête menaçant de faire chavirer le bateau, les marins jettent l’une des portes à la mer. Ces détails rappellent clairement le récit biblique de Jonas. La porte se déplace ensuite sous l’eau en suivant le bateau et, en arrivant au port, elle refait surface en faisant des bulles762. Le texte emploie une expression imagée qui laisse clairement imaginer la situation. La fin alternative de l’histoire, mettant en scène un animal marin qui aurait avalé puis vomi la porte, fait aussi allusion au récit de Jonas. L’aspect édifiant de ce récit miraculeux est relativisé par l’ambiance carnavalesque qui le domine. Le texte de la Tosefta offre des informations sur le miracle mentionné dans la Mishna, mais en même temps il change la manière dont on perçoit le protagoniste principal du récit. Dans la Mishna, Niqanor est loué, alors que, dans la Tosefta, cela n’est pas indiqué et un doute quant à la valeur de Niqanor et de son acte est suggéré par l’aspect carnavalesque du récit763. Un autre détail fantastique, qui s’ajoute à l’aspect carnavalesque de la séquence, concerne la tablette d’or faite par Hélène, sur laquelle la péricope Soṭa était écrite. Selon la Tosefta, « lorsque le soleil se levait, des étincelles émanaient d’elle et ainsi on savait que le soleil se levait ». Ce détail surréaliste est absent de la Mishna. Il relève du même genre que le récit sur les portes de Niqanor. La même ambiguïté se retrouve dans le reste de la séquence. La Mishna condamne les familles qui refusent d’enseigner leur savoir-faire cultuel, alors que la Tosefta donne beaucoup plus de détails concernant chaque famille et son interaction avec les sages. Elle ne condamne pas ces personnes de manière catégorique et, au contraire, elle les loue même dans certains cas. La Tosefta donne aussi les raisons de leur refus d’enseigner : ils savaient que le Temple allait être détruit et ils voulaient protéger leur savoir. Dans la séquence, le récit raconté par R’ ‘Aqiba nous intéresse particulièrement puisqu’il mentionne le rire. L’enfant de la famille Abṭines pleure puis rit, ce qui surprend Shim‘on ben Luga. L’enfant pleure à cause de la triste réalité de sa famille dans le temps présent et rit parce qu’il connaît

762 763

Haya meba‘bea‘ we-‘ole. Aspect qui relève de l’humour « philosophique ». Voir p. XVII.

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l’avenir et a l’espoir d’une rédemption. Ce rire optimiste, lié à l’espoir eschatologique, est apparenté au rire de R’ ‘Aqiba dans Sifre Debarim 43764. Le contexte dans lequel se trouve notre séquence est celui des descriptions cultuelles du Temple, permettant aux rabbins de revendiquer l’autorité rituelle et juridique sur les juifs de la terre d’Israël à l’époque du second Temple. Le récit fantastique et carnavalesque intégré dans ce contexte solennel est apparenté aux récits grotesques et fantastiques qui se mêlent au discours normatif du TB, comme l’a bien montré D. Boyarin765. Notre séquence relève du genre sérieux-comique et l’humour qui s’y trouve est donc du troisième niveau. T Kippurim 2, 13 « Il sort, rentre par sa propre entrée et récite une prière courte dans la maison extérieure. Il ne prolongeait pas la prière afin de ne pas effrayer [l’assemblée d’] Israël. Il arriva qu’un grand-prêtre prolonge [la prière]. Ils lui dirent : pour quelle raison as-tu prolongé [ainsi la prière] ? Il leur répondit : je prie pour vous et pour le Temple de vos ancêtres, afin qu’il ne soit pas détruit. Ils lui dirent : quand bien même, tu n’as pas le droit de modifier [le rituel]. »

Ce récit n’est pas en soi humoristique. Il consiste en une simple anecdote à propos d’un grand-prêtre qui a récité une prière plus longue que ce que prescrit le rituel et qui a reçu pour cela des remontrances de la part d’un groupe anonyme de personnes (le sujet des verbes n’est pas précisé). Il s’ajoute néanmoins aux matériaux narratifs du traité et fait écho à deux aspects que nous avons rencontrés dans les récits précédents, l’un formel et l’autre thématique. Sur un plan formel, la question « pour quelle raison … »766 du groupe non sacerdotal, qui représente ici l’autorité rabbinique, apparaissait aussi dans les récits sur les experts du culte qui ne voulaient pas enseigner leurs méthodes. Sur un plan thématique, le récit présente un antagonisme entre le groupe rabbinique qui exerce l’autorité et la classe sacerdotale. La réponse du prêtre à la question est très différente des réponses que nous avons rencontrées plus haut. Si les familles Garmo et Abṭines ainsi que Agdes ben Lewi ont pu voir l’avenir et prédire la destruction du Temple, le prêtre, lui, n’a rien vu767. Au contraire, il prolonge sa prière pour éviter la destruction du sanctuaire, comme s’il en ignorait le caractère inévitable. 764

Voir annexe 3. Voir p. 67-68. 766 Littéralement : « qu’as-tu vu ? » 767 La question du groupe « pour quelle raison… », formulée avec les mots « qu’as-tu vu… », comporte en réalité un double sens : l’interrogation sur la raison d’agir des protagonistes est le sens réel, mais le sens littéral est également mobilisé (les protagonistes des récits précédents voient réellement l’avenir, alors que le prêtre ne voit pas, il est ignorant). 765

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Le récit souligne donc à la fois son ignorance et sa soumission à l’autorité collective anonyme, celle que revendiquent les rédacteurs de la Tosefta, et qu’ils transfèrent dans le passé. Il faut noter également la deuxième personne qu’emploie le grand-prêtre en parlant du Temple. Il parle du « Temple de vos ancêtres », comme s’il ne faisait pas partie de l’assemblée d’Israël. Ceci ne fait que renforcer le sentiment que la classe sacerdotale n’était considérée par les tanna’im que comme un groupe de techniciens du Temple, de simples exécutants. T Kippurim 3, 13 « On fait pour le [bouc émissaire] une estrade à cause des Alexandrins qui avaient l’habitude de tirer ses poils. Et on lui dit : prends et sors, prends et sors ! Les notables de Jérusalem l’accompagnaient jusqu’à la première cabane, car il y avait dix cabanes dans un espace de douze milles, paroles de R’ Me’ir. R’ Yehuda dit [qu’il y avait] neuf cabanes dans un espace de dix milles. R’ Yose dit : il y avait cinq cabanes dans un espace de dix milles et on établissait une union symbolique768 entre elles. R’ Yose fils de R’ Yehuda a dit : je peux [même] dire qu’il n’y en avait que deux. »

Dans cette discussion à propos du bouc émissaire que l’on envoyait hors de Jérusalem, la Tosefta évoque les coutumes du passé. Le texte rentre donc dans la catégorie du discours nostalgique. Dans de nombreux passages semblables, les sages ne sont pas d’accord à propos de la description du passé et montrent ainsi qu’ils ne savent pas réellement comment se passaient les choses. Dans notre texte également, il y a un désaccord entre les sages, quant au nombre de cabanes qu’il y avait à Jérusalem. Elles étaient au nombre de dix pour R’ Me’ir, neuf pour R’ Yehuda et cinq pour R’ Yose. La dernière opinion, celle de R’ Yose fils de R’ Yehuda, réduit même leur nombre à deux. L’ensemble du texte et surtout sa pointe ultime soulignent avec ironie et autodérision le caractère hypothétique des discussions rabbiniques du passé. Nous pouvons constater dans la Tosefta ce que D. Boyarin a longuement développé à propos des passages grotesques dans le TB, à savoir que l’emploi de l’humour permet à un seul et même texte d’atteindre deux objectifs à la fois : le premier est d’affirmer l’autorité rabbinique et le deuxième est de remettre en question cette même autorité. Ceci montre que les rabbins étaient conscients de l’importance du texte dans la construction de l’image de leur mouvement, et ils savaient que le texte ne représente pas forcément une réalité, mais plutôt ce que cette réalité devrait ou aurait dû être.

768

‘Erub.

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T Kippurim 3, 20 « [Quand il rentre chez lui après le rituel du Yom Kippur], il donne un banquet à tous ses amis [pour fêter le fait] d’être sorti en paix. Il arriva à Shim‘on ben Qimeḥit, qui est sorti parler avec le roi le soir, qu’un jet jaillit sur sa bouche769 et tomba sur ses vêtements. Son frère est entré servir à sa place en tant que grand-prêtre. [Voici que] la mère de ces deux-là a vu [parmi ses enfants] deux grands-prêtres le même jour770. »

Ce passage soulève de nombreuses questions. Dans M Yoma 7, 4 également, nous lisons que le grand-prêtre « fait un jour de fête pour tous ses amis, car il est sorti en paix771». Que signifie « sortir en paix » ? Cela peut faire référence à un danger physique auquel le grand-prêtre est exposé, de par sa proximité avec le divin pendant le Yom Kippur. Cette idée rappelle le triste sort de Nadab et Abihou dans Lv 10, 1-2772. « Sortir en paix » pourrait également signifier avoir accompli le rituel sans aucun problème, aucun empêchement, ou encore « en entier » (idée véhiculée par la racine šlm). Si la première possibilité est plausible pour le texte de la Mishna, il est clair que c’est la seconde qui correspond le mieux au texte de la Tosefta, comme nous le suggère le récit à propos de Shim‘on ben Qimeḥit, qui n’a pas pu accomplir le rituel en entier. Qui est ce Shim‘on ben Qimeḥit ? Le premier détail à remarquer est le fait qu’il soit désigné par un matronyme. Pour un prêtre, cela semble problématique, car le statut sacerdotal est transmis par le père773. Dans deux des parallèles du récit, on trouve Yishma‘el au lieu de Shim‘on. Dans TB Yoma 47a, deux récits sont mentionnés, l’un à propos de Shim‘on et l’autre à propos de Yishma‘el, tous deux fils de Qimeḥit. Dans ARN A 35, on a un seul récit à propos de Yishma‘el ben Qimeḥit. Le Maharsha774 identifie Yishma‘el ben Qimeḥit avec Yishma‘el ben Piabi, en expliquant qu’il s’agit des noms de ses deux parents. Cette explication ne nous semble pas convaincante, étant donné que dans tous les parallèles

769 C’est la leçon du ms Vienne mais, dans tous les parallèles (y compris le ms Erfurt), la préposition est « de » (min) et pas « sur » (‘al). 770 9 Parallèles : TY Yoma 1, 1 ; TY Megilla 1, 9 ; TY Horayot 3, 4 ; TB Yoma 47a ; Wa-yiqra Rabba 20, 11 ; Pesiqta de-rab Kahana 27 ; Abot de-rabbi Natan A 35 (53a) ; Midrash Tanḥuma Aḥare Mot 7 ; Ba-midbar Rabba 2, 26. 771 Yom ṭob ‘asa le-khol ohabaw she-yaṣa be-shalom. 772 Les fils d’Aaron, Nadab et Abihou, prenant chacun leur encensoir, y mirent du feu, sur lequel ils jetèrent de l’encens, et apportèrent devant le Seigneur un feu profane sans qu’il le leur eût commandé. Et un feu s’élança de devant le Seigneur et les dévora, et ils moururent devant le Seigneur. 773 M Qiddushin 3, 12. 774 Ḥiddushe Aggadot Yoma 47a.

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palestiniens le prénom Yishma‘el est totalement absent. Ces deux noms apparaissent d’ailleurs chez Flavius Josèphe : « … Son successeur fut Tiberius Nero fils de sa femme Julia ; ce fut le troisième empereur romain. Il envoya comme gouverneur de Judée Valerius Gratus, pour succéder à Annius Rufus. Celui-ci destitua de la prêtrise Anan et désigna comme grand pontife Ismaël fils de Phabi. Il le destitua peu après et investit du grand pontificat Éléazar, fils du grand pontife Anan. Une année après, l’ayant également privé de ses fonctions, il transmit le grand pontificat à Simon fils de Camith. Celui-ci n’avait pas rempli cette charge pendant plus d’un an quand lui succéda Joseph, appelé aussi Caïphe. Gratus, après avoir fait cela, rentra à Rome ; il avait passé onze ans en Judée. Ponce Pilate lui succéda775. »

Nous retrouvons dans ce passage les deux noms, Yishma‘el ben Piabi (Phabi chez Flavius Josèphe) et Shim‘on ben Qimeḥit (Camith chez Flavius Josèphe). Il s’agit ici de deux personnes bien distinctes. À ce sujet, le parallèle dans le TB est intéressant : « On disait à propos de Yishma‘el ben Qimeḥit qu’il sortit parler avec un Arabe dans la rue et un jet jaillit de sa bouche et tomba sur son vêtement, et son frère Yoshbab vint servir à sa place. Ainsi, leur mère vit deux [de ses fils] grands-prêtres en un seul jour. On disait à propos de Shim‘on ben Qimeḥit qu’il sortit parler avec un gouverneur dans la rue et un jet jaillit de sa bouche et tomba sur son vêtement et Yosef son frère vint servir à sa place. Ainsi leur mère vit deux [de ses fils] grands-prêtres en un seul jour. Qimeḥit avait sept fils et tous ont servi comme grand-prêtre pendant sa vie. On lui demanda : qu’as-tu fait pour mériter cela ? Elle répondit : pendant tous les jours de ma [vie], les poutres de ma maison n’ont pas aperçu mes cheveux. On lui dit : nombreuses ont été celles qui ont fait ainsi et cela ne leur a été d’aucune utilité. »

Le TB raconte deux récits semblables à propos de deux frères, Yishma‘el et Shim‘on. Tous deux ont été remplacés par un de leurs frères après avoir fait la même chose : sortir discuter avec un étranger dans la rue et contracter l’impureté rituelle. Parmi tous les parallèles rabbiniques, la version babylonienne du récit est la plus proche du texte de Flavius Josèphe, car elle mentionne à la fois Yishma‘el et Shim‘on et indique que Yosef a remplacé Shim‘on en tant que grand-prêtre. Dans sept parallèles palestiniens du récit, il s’agit uniquement de Shim‘on ben Qimeḥit et le nom Yishma‘el n’est pas mentionné. Ces sept passages contiennent un « épilogue » semblable à celui du TB : « Qimeḥit avait sept fils, tous des grands prêtres. » Quant à l’interlocuteur de Shim‘on dans la rue, son identité n’est pas clairement fixée : il peut s’agir d’un roi (« il sortit

775

FLAVIUS JOSÈPHE, Antiquités juives 18, 2, 33-35, REINACH (éd.), CHAMONARD (trad.)…

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parler avec un roi au soir776 »), ou d’un roi arabe »777, ou d’un simple Arabe778. Dans les sept parallèles, le nom du frère remplaçant Shim‘on est connu, il s’agit de Yehuda. Le nom Yishma‘el apparaît dans un huitième parallèle du récit, celui des Abot de-rabbi Natan, que nous examinerons ci-après. Nous avons donc montré que sortir « en paix » signifie accomplir le rituel en entier, si l’on suit le texte de la Tosefta. Nous avons également une idée plus précise de l’identité du protagoniste de notre récit. Reste à déterminer pourquoi il n’a pas pu accomplir l’intégralité du rituel et pourquoi il devait se faire remplacer. La formulation du texte de la Tosefta n’est pas très claire : « un jet jaillit sur sa bouche et tomba sur ses vêtements ». Dans tous les parallèles, la préposition « sur » est remplacée par « de », ce qui rend la phrase bien plus intelligible : l’interlocuteur de Shim‘on ben Qimeḥit a tout simplement postillonné pendant la conversation, et cela a véhiculé l’impureté rituelle au vêtement du grand-prêtre. Un seul parallèle, celui des Abot de-rabbi Natan, suggère un incident différent : « Dix miracles sont arrivés à nos ancêtres au Temple. Jamais une mouche n’a été vue dans l’abattoir et aucun grand-prêtre n’a eu un écoulement séminal pendant le Yom ha-kippurim, sauf Yishma‘el ben Qimeḥit qui sortit discuter avec le gouverneur et un écoulement jaillit de sa bouche et tomba sur son vêtement, et son frère entra et servit comme grand-prêtre à sa place et leur mère a vu ce même jour deux grands-prêtres [parmi ses fils]. Les sages la virent et dirent : quel était ton mérite ? Elle dit : jamais les poutres de ma maison n’ont vu les cheveux de ma tête779. »

Ce parallèle commente M Abot 5, 5, où on trouve la liste des dix miracles qui ont eu lieu dans le Temple, parmi lesquels le fait que « jamais un grandprêtre n’a eu d’écoulement de sperme un Yom ha-kippurim ». Le contexte dans lequel se trouve le récit ne laisse donc pas de doute. Ce n’est pas de la salive qu’il s’agit, mais d’un écoulement séminal, ce qui est beaucoup plus logique car la salive n’est pas en principe source d’impureté rituelle. La scène d’une discussion entre le grand-prêtre et le gouverneur (hegmon), durant laquelle a lieu l’incident, donne une allure fort suspecte au récit et suggère une dimension homo-érotique à la conversation. Comment donc comprendre la tradition la plus ancienne, celle de la Tosefta, à la lumière de tous ces parallèles ? Comme nous l’avons déjà

776 T Kippurim 3, 20 : ‘arbit ; TY Yoma 1, 1 : ‘ereb yom ha-kippurim ; TY Horayot 3, 4 : ‘ereb yom ha-kippurim. 777 Wa-yiqra Rabba 20, 11 : ha-melekh ha-‘arabi ; Pesiqta de-rab Kahana 27 (également dans Midrash Tanḥuma Aḥare Mot 7 et Ba-midbar Rabba 2, 26) : melekh ha-‘arbiyyim. Dans TY Megilla 1, 9, on a : melekh ‘arabi ‘ereb yom ha-kippurim. 778 TB Yoma 47a : ‘arabi. 779 Abot de-rabbi Natan A 35 (53a).

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signalé, le texte du TB est celui qui partage le plus de détails avec celui de Flavius Josèphe. Cela suggère que le noyau du récit pourrait avoir un certain fondement historique, connu par les rabbins babyloniens. Cependant, il n’est pas non plus exclu que les rédacteurs de la Tosefta aient partagé cette connaissance. Le « flou » historique des textes tannaïtiques est un phénomène fréquent, qui semble participer d’une volonté rhétorique de rendre le texte intemporel780. Concernant l’origine de l’impureté rituelle contractée par le grand-prêtre, le texte de la Tosefta est encore une fois flou et ambigu, alors que les parallèles tardifs sont bien plus clairs. Un seul parallèle suggère qu’il s’agit d’un écoulement de sperme, les autres mentionnant la salive. Il nous semble que l’humour est un paramètre qui permettrait d’expliquer le texte et les relations qu’il entretient avec ses différents parallèles. Nous adoptons l’hypothèse fort plausible que les rédacteurs de la Tosefta connaissaient le texte de Flavius Josèphe et considérons donc le récit de la Tosefta comme une parodie textuelle. Si, chez Flavius Josèphe, ce sont les gouverneurs romains qui jouent avec les grands-prêtres comme avec des pions, en les nommant et en les déposant à volonté781, dans la Tosefta les remplacements sont dus au comportement inapproprié des prêtres eux-mêmes. Le texte de la Tosefta décrit une situation problématique, dans laquelle le grand-prêtre interrompt son travail sacré et sort du Temple pour discuter avec le roi. Pendant cette discussion, son vêtement contracte l’impureté rituelle, sans que la nature de celle-ci soit tout à fait expliquée par la Tosefta. Il nous semble que les parallèles du TY, du Midrash et du TB tentent d’évacuer le caractère gênant de cette rencontre, qui est, au contraire, rendu explicite dans Abot de-rabbi Natan. C’est une discussion qui a fini par un écoulement séminal sur le vêtement du grandprêtre. La Tosefta se moque ainsi de la relation privilégiée entre les rois et les grands-prêtres. La suite du texte concerne le remplacement de Shim‘on par son frère. La Tosefta indique que la mère a vu deux de ses fils grands-prêtres le même jour. À première vue, c’est une remarque positive, qui devrait rendre la mère toute fière, mais la cause du remplacement est en réalité une honte pour le grand-prêtre, et cette remarque est ironique et moqueuse. La parodie et l’ironie permettent ainsi à la Tosefta de dénoncer la corruption de la grande prêtrise d’une manière dissimulée et ambiguë.

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Ce phénomène est plus prononcé dans la Mishna que dans la Tosefta. Idée qui apparaît notamment dans T Kippurim 1, 7, et qui vient appuyer l’hypothèse de la connaissance du texte de Flavius Josèphe par les rédacteurs de la Tosefta. 781

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T Shebi‘it 5, 2 « Il ne faut pas apporter la teruma de l’étranger vers la terre d’Israël. Rabban Shim‘on ben Gamliel raconte : j’ai vu Shim‘on bar Kahana qui buvait le vin de teruma à ‘Akko et il a dit : je l’ai reçu de Cilicie et ils décrétèrent qu’il doit le boire dans le bateau. »

Ce personnage non rabbinique a été pris « la main dans le sac ». S’il boit le vin de teruma, c’est qu’il est prêtre. Les sages l’obligent à consommer son vin dans un bateau. Par le moyen de la présentation comique de Shim‘on bar Kahana, les rabbins le critiquent indirectement et déclarent exercer leur autorité sur lui. M Sheqalim 6, 1-2 « Il y avait treize shofarot, treize tables et treize prosternations dans le Temple. Ceux de la maison de Rabban Gamliel et ceux de la maison de R’ Ḥananya, chef des prêtres, se prosternaient à quatorze endroits. Et où se trouvait le quatorzième lieu ? Il se trouvait face au compartiment de bois, car ils avaient une tradition de leurs pères [qui affirmait] que là était cachée l’arche. Il arriva qu’un prêtre qui s’affairait782 [à cet endroit] vit le plancher qui était différent. Il vint et dit [cela] à son collègue, mais il n’eut pas le temps de finir sa phrase que son âme était [déjà] au nord. Et ils ont su [ainsi] avec certitude que là-bas était cachée l’arche. »

Dans la première mishna, nous avons une description des coutumes du Temple, et la mention de deux familles qui détenaient des connaissances à propos de la cachette secrète de l’arche. La Mishna utilise le mot aron, qui pourrait faire référence à l’arche de l’alliance qui abritait les tables de la loi et qui aurait été cachée par le roi Josias dans des galeries souterraines construites par Salomon. Le récit sur le prêtre comporte un certain élément de surprise qui peut être lu comme un comique de situation : il s’agit de la mort subite du protagoniste du récit, qui n’a même pas le temps de finir sa phrase. Cette mort soudaine est manifestement une intervention divine qui cherche à garder secrète la cachette de l’arche, conférant ainsi une dimension mystique au Temple. La présence de l’humour reste cependant incertaine et mineure dans ce récit. M Sukka 4, 9 « La libation de l’eau, comment [était-elle accomplie] ? (…) Et, au [prêtre] qui fait la libation, on dit : lève tes mains, car une fois [un prêtre] a versé l’eau sur ses pieds et le peuple l’a lapidé avec ses cédrats. » 782 Mit‘asseq. Selon Bertinoro, ce prêtre, qui était par ailleurs difforme, enlevait du tas le bois infesté de vers, car il était inapte à servir sur l’autel.

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Cette mishna raconte les différentes étapes de la libation d’eau, accomplie chaque jour pendant la fête de Sukkot. On apportait de l’eau de la source voisine appelée Shiloaḥ, pour la verser sur l’autel. La description qui précède la petite anecdote dépeint une atmosphère solennelle, avec une procession importante, accompagnée par des sons de cor (shofar). L’anecdote qui nous intéresse est un très bref récit expliquant pourquoi on demande au prêtre de lever ses mains. Selon le sens obvie, c’est pour éviter de renverser l’eau, par mégarde, ailleurs que sur l’autel et d’attirer ainsi la colère de la foule, mais les détails du récit recèlent des effets comiques : d’abord l’image d’un prêtre maladroit qui renverse l’eau sur ses pieds, puis la réaction immédiate, surprenante et grotesquement exagérée de la foule, qui le lapide avec les cédrats, une des quatre espèces du bouquet. Pourquoi tourner ainsi en dérision le prêtre maladroit et le déchaînement de la foule ? Le récit est précédé par sa solution : ce que l’on dit au prêtre pour éviter précisément ce type d’événement malheureux. Qui est le sujet du verbe impersonnel « on dit » ? Ceci reste un mystère. Si la réponse la plus évidente est qu’il s’agit des prêtres, il est aussi possible que les rabbins se réfèrent aux ancêtres de leur mouvement, présents de manière significative dans le culte du Temple. Hormis l’anonymat de l’autorité qui sauve la situation, un autre anonymat est révélateur, celui du prêtre moqué pour sa maladresse. Restant anonyme, il représente en fait la classe sacerdotale tout entière. Le déchaînement de la foule, une réaction grotesque tournée en dérision, est placé en contraste fort avec l’atmosphère de sainteté qui domine la description dans cette mishna. Ce contraste confirme le caractère comique de l’anecdote, mais il pourrait véhiculer un sens plus profond. En juxtaposant le comique avec la sainteté et la solennité du Temple, la Mishna remet en question le principe même de la sainteté. Certes, le groupe anonyme dans cette mishna prononce une phrase pour préserver la sainteté, mais, si dire par précaution au prêtre de lever ses mains peut prévenir le danger, cela confirme également le potentiel dangereux d’un tel rassemblement populaire au Temple. Ainsi, nous pouvons lire l’anecdote comme tournant en dérision, non seulement les prêtres et la foule, mais l’idée même d’un culte collectif « grand public »783. Après tout, les rabbins ne proposent-ils pas une alternative à ce culte qui ne peut plus être accompli ? Le comique véhicule ainsi plusieurs idées qui peuvent être complémentaires ou contradictoires : affirmation de l’autorité des rabbins et ancrage de la source de leur autorité dans le Temple d’un côté et remise en cause de la nécessité même du Temple de l’autre. 783 Notons qu’une lecture non humoristique de ce passage est également envisageable. Le contraste serait dans ce cas entre l’aspect positif de la sainteté et sa facette noire.

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Il est intéressant de noter l’existence d’un autre passage de la Mishna qui fixe la halakha de manière à éviter la violence dans la foule. Nous lisons dans M Pe’a 4, 4 qu’il ne faut pas couper la récolte du coin (pe’a) avec des outils tranchants ou dangereux, de peur que les pauvres ne se frappent les uns les autres. Le principe de précaution est présenté ici sans humour, ce qui est significatif : la Mishna ne tourne pas en dérision ceux qui récoltent la pe’a, au contraire, elle prend au sérieux le danger éventuel de la situation. Le contraste entre les deux passages confirme la lecture humoristique de M Sukka 4, 9. Un parallèle de ce récit apparaît dans T Sukka 3, 16, où le prêtre maladroit est identifié comme un boéthusien. La polémique dans la Tosefta est donc plus spécifique784. Deux autres récits, où le danger de la violence dans le Temple est tourné en dérision, se trouvent dans M Yoma 2, 2 (voir p. 225-226) et M Sukka 4, 4 (voir p. 344). Plus généralement, la Mishna et la Tosefta entretiennent un rapport ambivalent avec le concept de danger, qui peut être lié à des periodes de persécution ou à des problèmes de santé. Dans certains passages785, la halakha est fixée de manière à éviter le danger. D’autres passages786 au contraire indiquent que le danger n’est pas une raison valable pour déterminer la halakha. T Sukka 4, 28 « [La garde de] Bilga distribue toujours le pain de présentation dans le sud, et son anneau est fixé et sa fenêtre obstruée, à cause de Miryam, fille de Bilga, qui est devenue apostate. Elle s’en est allée se marier avec un militaire parmi les rois grecs et, lorsque les non-juifs sont entrés dans le Temple, elle est venue taper787 sur le toit de l’autel en lui disant : loup, loup ! Tu as détruit la fortune d’Israël et tu ne les as pas soutenus au moment de leur malheur ! Et certains disent qu’à cause du retard dans les gardes, [la garde de] Yeshebab est entrée et a accompli le sacrifice à sa place. C’est pourquoi [la garde de] Bilga semble toujours être sur le point de partir, alors que [la garde de] Yeshebab semble toujours être sur le point d’entrer. Aucun voisin n’a reçu de récompense, sauf [la garde de] Yeshebab qui était la voisine de [la garde de] Bilga et a reçu une récompense. » 784

Voir p. 266. M Berakhot 4, 4 ; M Terumot 8, 6 ; M Ma‘aser Sheni 4, 11 ; M Shabbat 19, 1 ; M ‘Erubin 10, 1 ; M Ketubbot 9, 9 ; M Ḥullin 3, 5 ; T Berakhot 3, 7 ; T Berakhot 5, 8 ; T Terumot 7, 16 ; T Shabbat 4, 9 ; T Shabbat 6, 14 ; T Shabbat 9, 22 ; T Shabbat 14, 9 ; T ‘Erubin 8, 16 ; T Megilla 3, 30 ; T Mo‘ed Qaṭan 1, 7 ; T Ketubbot 1, 1 ; T Ketubbot 5, 5 ; T Ketubbot 9, 6 ; T Giṭṭin 3, 6 ; T Baba Meṣi‘a 2, 17 ; T Baba Batra 6, 15 ; T ‘Aboda Zara 7, 6 ; T Ḥullin 4, 5 ; T Nidda 2, 5 ; T Miqwa’ot 7, 6. 786 T Berakhot 2, 13 ; T ‘Erubin 5, 24 ; T ‘Erubin 8, 16 ; T Sukka 1, 7 ; T Megilla 2, 4. 787 Dans le parallèle du TB, Miryam tape avec sa sandale sur l’autel. S. Lieberman (Tosefta Ki-fshutah, vol. 4, p. 278) ajoute qu’il s’agit d’un geste habituel chez les Grecs, qui punissaient ainsi leurs enfants. 785

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Le parallèle de ce texte dans M Sukka 5, 8 est constitué uniquement de la première phrase du texte de la Tosefta : « [La garde de] Bilga distribue toujours le pain de présentation dans le sud, et son anneau est fixé et sa fenêtre obstruée. » Si ce passage de la Mishna reste simplement informatif, l’anecdote de la Tosefta est riche en détails et n’est pas dénuée d’humour. La question théologique qu’elle aborde est la responsabilité intergénérationnelle pour les fautes. Dans ce cas, c’est la garde d’un prêtre nommé Bilga qui subit les conséquences du comportement inapproprié de la fille de ce prêtre. Cette fille, Miryam, s’est retirée de la communauté juive (ou du judaïsme) en se mariant avec un officier grec. De plus, elle s’est permis un comportement inapproprié et blasphématoire dans le Temple et sur l’autel. C’est précisément la description de son action dans le Temple qui est comique : loin de la solennité des rituels, une femme se déchaîne sur l’autel et le frappe (avec sa sandale, nous dit TB Sukka 56b) en criant des absurdités : « Loup, loup. » Pourquoi traite-t-elle l’autel de « loup » ? S’adresset-elle à Dieu ainsi ? Y a-t-il un peu d’ironie dans la punition de la garde de Bilga ? Celle-ci semble en effet être toujours sur le point de partir de l’autel, ce qu’on peut considérer comme une forme d’humiliation. M Rosh ha-shana 1, 7 « Un père et son fils qui ont vu la nouvelle lune iront [témoigner]. Ce n’est pas qu’ils peuvent former ensemble une paire de témoins, mais si l’un d’eux est disqualifié [en tant que témoin], l’autre peut se joindre à une autre personne pour former une paire. R’ Shim‘on dit : un père et son fils et tous les proches parents sont aptes à témoigner ensemble de la nouvelle lune. R’ Yose dit : il arriva que Ṭobya le médecin observe la nouvelle lune à Jérusalem, lui, son fils et son esclave affranchi. Les prêtres ont accepté son témoignage et celui de son fils et ont disqualifié son esclave. Et lorsqu’ils sont arrivés au tribunal, on a accepté son témoignage et celui de son esclave et on a disqualifié son fils. »

Ce paragraphe sans humour comporte deux parties, la première informative et la deuxième narrative. Dans la partie informative, l’opinion anonyme explique l’interdiction pour un père et un fils de témoigner ensemble de la vision de la nouvelle lune. L’avis anonyme est suivi par l’opinion de R’ Shim‘on, selon laquelle le témoignage d’un père avec son fils ou avec des personnes issues de la même famille est valable. La partie narrative présente la même controverse en attribuant les opinions contraires à deux groupes distincts. L’opinion anonyme de la Tosefta correspond à la halakha du tribunal et l’opinion de R’ Shim‘on à la halakha des prêtres. L’idée d’une halakha sacerdotale est évoquée par M. Simon-Shoshan dans son commentaire de ce texte788. Elle concorde avec le scénario de 788

SIMON-SHOSHAN, Stories…, p. 181-183. Voir également la bibliographie note 31, p. 181.

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P. Alexander, qui souligne l’intégration d’un nombre significatif de prêtres au mouvement rabbinique et l’existence d’une Mishna sacerdotale qui aurait été intégrée dans celle des rabbins789. La partie narrative du paragraphe n’indique pas quelle halakha est correcte. La fin du récit est ouverte : les deux autorités, celle du tribunal et celle des prêtres, agissent chacune selon son avis pour fixer le calendrier. Le fait que le tribunal est cité en dernier suggère sa plus grande importance, mais la Mishna accepte quand même l’existence d’une autre autorité, placée dans les mains des prêtres. La partie informative transpose en revanche cette rivalité entre deux courants de l’époque du Temple dans le temps des rabbins et la transforme en une discussion banale entre l’opinion collective et anonyme des sages et l’opinion individuelle d’un rabbin. Cette transposition désamorce la difficulté de la partie narrative, puisque, par définition, c’est l’opinion majoritaire des sages qui l’emporte, c’est-à-dire celle qui correspond à l’autorité du tribunal. La combinaison des parties narrative et informative permet donc à la Mishna de reconnaître l’autorité sacerdotale tout en la désamorçant. L’ambivalence du passage n’est cependant pas humoristique. T Soṭa 13, 8 « Histoire d’un prêtre de Sepphoris qui prit sa part et la part de son ami, et quand bien même rien n’est monté dans sa main. Et on l’a appelé fils du voleur jusqu’à ce jour. »

Ce bref récit mentionne une appellation moqueuse au sujet d’un prêtre de Sepphoris. T ‘Aboda Zara 3, 10 « Histoire de Rabban Gamliel l’ancien qui maria une femme790 à Shim‘on ben Natan’el le prêtre et il décréta comme une condition qu’elle ne fasse pas avec lui les puretés pour son compte791. Rabban Shim‘on ben Gamliel dit : il n’en a pas besoin, car on n’oblige pas le compagnon792 à faire les puretés pour le compte d’un homme simple793. Et qui est un homme simple ? Celui qui ne mange pas sa nourriture profane en état de pureté, paroles de R’ Me’ir. Et les sages disent : celui qui ne prélève pas la dîme. »

789

Voir p. 142, notes 545 et 546. Variante dans le ms Erfurt : « sa fille ». 791 La femme n’est pas issue de la classe sacerdotale mais d’une famille d’hommes simples (‘am ha-areṣ), elle ne doit donc pas accomplir le rituel sacerdotal avec son mari ou a sa place. 792 Ḥaber. 793 ‘Am ha-areṣ. 790

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Ce passage relate un mariage entre une femme anonyme et Shim‘on ben Natan’el le prêtre. La condition du mariage, établie par Rabban Gamliel l’ancien, est que la femme « ne fasse pas avec lui les puretés pour son compte ». Le sens précis de cette condition n’a pas beaucoup d’importance pour notre sujet. C’est la remarque de Rabban Shim‘on ben Gamliel qui nous intéresse ici. Il explique que la condition n’est pas nécessaire, puisque le compagnon n’est jamais obligé de « faire les puretés » pour le compte d’un homme simple (‘am ha-areṣ). Nous comprenons que l’homme simple et le compagnon, dont parle Rabban Shim‘on ben Gamliel, sont respectivement Shim‘on ben Natan’el et son épouse. Or, si la femme peut, en effet, être issue d’une famille de compagnons qui s’imposent des règles strictes en ce qui concerne la pureté rituelle, un prêtre doit par définition respecter la pureté rituelle. Dans la halakha qui précède le récit, les sages préconisent de décréter une condition équivalente à celle de Rabban Gamliel l’ancien dans le cas où une femme est donnée en mariage à un ‘am ha-areṣ, c’est-àdire un homme qui ne s’impose pas les règles strictes des compagnons. Le paragraphe joue donc sur le double sens du terme ‘am ha-areṣ : puisque Shim‘on ben Natan’el doit forcément respecter la pureté rituelle comme les prêtres et les compagnons, il faut comprendre qu’il est ignorant. L’anecdote n’est pas humoristique, mais elle comporte un élément intéressant : l’absence du titre Rabbi pour le prêtre en question. Ce même personnage est mentionné dans M Abot 2, 8 avec le titre Rabbi : R’ Shim‘on ben Natan’el est l’un des disciples de Rabban Yoḥanan ben Zakkay794. Le titre est mentionné également dans TY Ḥagiga 2, 1 où R’ Yosef le prêtre et R’ Shim‘on ben Natan’el étudient le récit du char lors d’un jour de Tammuz, où la terre tremble et un arc-en-ciel apparaît. Une voix céleste invite alors les protagonistes à venir recevoir leur récompense eschatologique dans « le troisième groupe ». La voix céleste, ainsi que l’a montré J. Costa, se manifeste très souvent pour inviter au monde futur des personnages problématiques ou marginaux795. Cet aspect problématique peut éclairer l’ambiguïté de la Tosefta quant à Shim‘on ben Natan’el. Il est important de préciser que J. Costa n’évoque pas la marginalité de ce rabbin en particulier et qu’en effet, le texte de TY Ḥagiga 2, 1 ne suggère pas que R’ Shim‘on ben Natan’el est un personnage marginal. Néanmoins, l’invitation à la récompense eschatologique énoncée par la voix céleste relie implicitement ce rabbin à un groupe de personnages marginaux ou douteux.

794 Cette tradition est commentée dans Abot de-rabbi Natan B 29 (29b), où le nom apparaît une fois avec le titre Rabbi et une fois sans. Un autre passage dans Abot de-rabbi Natan B 13 (16a-b) mentionne Shim‘on ben Natan’el avec le titre Rabbi trois fois et dans Abot derabbi Natan A 14 (29b) il n’a pas ce titre. 795 COSTA, « Littérature apocalyptique et judaïsme rabbinique … », p. 88-93.

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T Zebaḥim 11, 16 « Auparavant on entreposait les peaux des sacrifices saints dans la salle de la Parwa796. Le soir, on les distribuait à chaque famille qui [était de service] ce jour. Les grands de la prêtrise venaient et les prenaient par [la force du] bras. [Ils] décrétèrent de les distribuer chaque veille de shabbat à chaque garde, mais les grands de la prêtrise venaient les prendre par [la force du] bras. Les propriétaires décidèrent de les consacrer au ciel. »

Même s’il n’est pas humoristique, ce passage a attiré notre attention, parce qu’il insiste sur une catégorie spécifique de prêtres, les grands de la prêtrise. De quelle grandeur s’agit-il  ? Est-ce celle du respect, de la hiérarchie, de l’honneur ? Le texte semble plutôt se référer à la taille physique des prêtres qui viennent prendre de force des morceaux de viande qui ne leur sont pas destinés. Ce sont bel et bien des prêtres voyous ! La Tosefta explique ici deux changements successifs de la coutume : après un premier décret qui n’a pas résolu le problème, les propriétaires des peaux trouvent une solution. Le récit présente les prêtres bandits comme une réelle menace dans le Temple. Cette menace n’était pas isolée, ainsi que le montre la halakha suivante dans le même chapitre : T Zebaḥim 11, 17 « Abba Sha’ul dit : il y avait des poutres de sycomore à Jéricho et des bandits les prenaient de force. [Les gens de Jéricho] décidèrent de les consacrer au ciel. [Les sages] dirent : les propriétaires ne consacraient au ciel que les poutres de sycomore. »

Dans le traité Menaḥot de la Tosefta, nous trouvons un parallèle intéressant de ces deux paragraphes. T Menaḥot 13, 18-22 « Auparavant, on entreposait les peaux des sacrifices saints dans la salle de la Parwa. Le soir, on les distribuait à chaque famille qui [était de service] ce jour. Les grands de la prêtrise venaient et les prenaient par [la force du] bras. [Ils] décrétèrent de les distribuer chaque veille de shabbat à chaque garde, mais les grands de la prêtrise venaient les prendre par [la force du] bras. Les propriétaires décidèrent de les consacrer au ciel. Ils dirent : en quelques jours, les prêtres couvraient toute la salle de plaques d’or, [d’une taille de] cent sur cent797 et de la largeur d’un dinar d’or. Ils couvraient ainsi [la salle] jusqu’à la fête de pèlerinage, et lors de la fête de pèlerinage, ils les pliaient et les posaient sur les marches du mont du Temple, afin que le peuple voie la beauté de leurs ornements, qui étaient sans aucune faille. Après la fête, ils les remettaient à 796 797

Lishkat bet ha-parwa. L’unité de mesure n’est pas spécifiée.

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leur place. Abba Sha’ul dit : il y avait des poutres de sycomore à Jéricho, et des bandits798 venaient et les prenaient par [la force du] bras. Les propriétaires décidèrent de les consacrer au ciel. [Les sages] dirent : les propriétaires ne consacraient au ciel que les poutres de sycomore. À propos d’eux et de leurs semblables et de ceux qui agissent comme eux, Abba Sha’ul ben Boṭnit et Abba Yose ben Yoḥanan de Jérusalem disaient : malheur à moi à cause de la famille Boéthus, malheur à moi à cause de leur bâton, malheur à moi à cause de la famille Qadros, malheur à moi à cause de leur plume, malheur à moi à cause de la famille Elḥanan, malheur à moi à cause de leur murmure, malheur à moi à cause de la famille Elisha‘, malheur à moi à cause de leur poing, malheur à moi à cause de la famille de Yishma‘el ben Piabi, car ils sont grands-prêtres, leurs fils sont des trésoriers, leurs gendres des préposés, leurs esclaves viennent et nous battent avec des bâtons. R’ Yoḥanan ben Torta dit : pourquoi Shilo fut-elle détruite ? Parce que les saintetés y ont été profanées. Pourquoi la Jérusalem du premier Temple fut-elle détruite ? A cause de l’idolâtrie, de l’inceste et des violences799 qui s’y déroulaient. Mais concernant la dernière [Jérusalem]800, nous savons qu’ils801 étudiaient la Tora avec ardeur et qu’ils étaient prudents avec les dîmes. Pourquoi ont-ils été exilés ? Parce qu’ils aimaient la fortune et se haïssaient les uns les autres. Ceci vient t’enseigner que la haine entre un homme et son prochain est grave devant le Lieu et elle est équivalente à l’idolâtrie, à l’inceste et à la violence. Mais le dernier Temple qui sera construit pendant notre vie, pendant nos jours, qu’a-t-il été écrit à propos de lui ? (Is 2, 2-3) Il arrivera, à la fin des temps, que la montagne de la maison du Seigneur sera affermie sur la cime des montagnes et se dressera au-dessus des collines, et toutes les nations y afflueront. Et nombre de peuples iront en disant  : or çà, gravissons la montagne de l’Éternel pour gagner la maison du Dieu de Jacob, afin qu’il nous enseigne ses voies et que nous puissions suivre ses sentiers, car c’est de Sion que sort la doctrine et de Jérusalem la parole du Seigneur. Et l’Écriture dit également : (Jr 31, 5) Oui, il viendra un jour où les noṣerim s’écrieront sur la montagne d’Éphraïm  : debout  ! Montons à Sion vers l’Éternel, notre Dieu  ! »

Nous retrouvons dans cette longue séquence les mêmes éléments comiques que dans T Zebaḥim 11, 16-17, avec les prêtres violents dans le Temple et dans la ville de Jéricho. C’est une critique explicite de la classe sacerdotale. Le texte offre des détails précis sur l’objet de la moquerie, à savoir les noms des familles : Boéthus, Elḥanan, Elisha‘, Yishma‘el ben Piabi, que les rabbins accusent ouvertement. Une autre accusation intéressante vise la cupidité et la violence des gens de Jérusalem. L’attachement des gens de Jérusalem aux choses matérielles ainsi que leurs fines manières sont particulièrement visés par l’ironie des rabbins dans plusieurs récits, comme nous l’avons montré dans le précédent chapitre (p. 216-222).

798 799 800 801

Littéralement : « des hommes de poing ». Shefikhut damim. Celle du second Temple. Les gens de Jérusalem.

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Les versets cités (Is 2, 2-3 ; Jr 31, 5) annoncent une rédemption dont le texte attend la réalisation dans le présent rabbinique. Les noṣerim, mentionnés dans Jr 31, 5, peuvent-ils représenter les chrétiens ? En tout cas, la classe sacerdotale, certaines familles de cette classe ou encore les gens de Jérusalem constituent des groupes que les rabbins considèrent comme « autres ». M Tamid 3, 8 « De Jéricho, on entendait le son du grand portail qui s’ouvrait. De Jéricho, on entendait le son du râteau. De Jéricho, on entendait le son du bois dans lequel Ben Qaṭin fit une structure d’évier. De Jéricho, on entendait la voix de Gabini le porte-voix. De Jéricho, on entendait le son de la flûte. De Jéricho, on entendait le son de la cloche, et il dit : la voix du grand-prêtre y arrivait lorsqu’il mentionnait le Nom le Yom ha-kippurim. De Jéricho, on sentait l’odeur de l’encens. R’ Ele‘azar ben Dilgay dit : il y avait des chèvres dans la maison de mon père sur les montagnes de Mikhwar et elles éternuaient à cause de l’odeur de l’encens. »

Dans un récit édifiant et à la suite d’un paragraphe tout aussi édifiant sur la portée lointaine des sons, voix et odeurs du Temple, nous avons tout à coup un récit comique et grotesque. R’ Ele‘azar ben Dilgay, nom qui fait allusion à des sauts de chèvre (dillug), raconte précisément que les chèvres de son père éternuaient, dans cette région au-delà de la Mer Morte, à cause de l’odeur de l’encens venant du Temple. C’est clairement une exagération, tout comme le paragraphe entier, mais l’image des chèvres qui éternuent est, contrairement au reste du paragraphe, comique. Le nom du propriétaire des chèvres peut également être lu comme un jeu de mots. L’insertion d’un trait comique brise ici le caractère solennel et édifiant du traité et le remet en perspective, ce qui est aussi clairement perceptible dans les passages du traité Yoma consacrés au Temple. Comme le traité Tamid, le traité Middot est également narratif. On y rencontre une description édifiante des coutumes du Temple, du travail et des habitudes des prêtres. M Middot 1, 2 « Le préposé du mont du Temple allait voir chacun des gardes avec des torches allumées devant lui. À chaque garde qui n’était pas debout, l’homme du mont du Temple disait : la paix soit sur toi. Il était manifestement endormi, alors il le frappait avec son baton et avait l’autorisation de brûler son habit. Ils demandaient : qu’est-ce que cette voix dans la salle ? C’est la voix d’un lévite qui se fait battre et dont les vêtements brûlent, car il dormait pendant sa garde. R’ Eli‘ezer ben Ya‘aqob dit : une fois on trouva le frère de ma mère endormi et on brûla son vêtement. »

La présence de l’humour n’est pas évidente dans ce récit. Cependant, la description des gardes endormis et la réaction violente du préposé à leur

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égard peuvent être interprétées comme un comique de situation, typique de la comédie slapstick. T Kelim Baba Qamma 1, 6 « On peut entrer [dans l’espace] entre la salle et l’autel sans se laver les mains et les pieds. Paroles de R’ Me’ir. Et les sages disent : on ne peut pas entrer [sans effectuer ce lavage]. Shim‘on l’humble dit devant R’ Eli‘ezer : je suis entré [dans l’espace] entre la salle et l’autel sans me laver les mains et les pieds. Il lui dit : qui est plus précieux, toi ou le grand-prêtre ? Il s’est tu. Il lui dit encore : tu as honte de dire que le chien du grand-prêtre est plus précieux que toi. Il répondit : Rabbi, tu l’as dit. [R’ Eli‘ezer] lui dit : par le service ! Même un grand-prêtre, [s’il avait commis une telle faute], on aurait blessé sa tête avec un bâton de bois ! Que vas-tu faire, puisque le surintendant du Temple ne t’a pas vu ?! (…) »

Ce récit met en scène R’ Eli‘ezer qui discute avec un certain Shim‘on l’humble. C’est la seule fois où ce Shim‘on apparaît dans la littérature rabbinique. Il ne porte pas le titre de Rabbi et semble être un prêtre qui a servi au Temple. Son surnom, l’humble, est à première vue positif. Si nous devons placer ce dialogue dans un contexte historique, il aurait été tenu au tournant du premier siècle, à l’époque de R’ Eli‘ezer (90-110 n. e.). Shim‘on l’humble est donc un interlocuteur non rabbinique, qui apporte un témoignage sur l’époque du second Temple. La halakha oppose ici l’opinion de R’ Me’ir à celle des sages. Le récit de cas particulier raconté par Shim‘on l’humble conforte l’opinion de R’ Me’ir, mais il est exposé à l’intérieur du récit-cadre qui relate la conversation de Shim‘on l’humble et R’ Eli‘ezer. Ce dernier réagit énérgiquement au récit de Shim‘on l’humble. Dans une première réprimande, R’ Eli‘ezer rabaisse Shim‘on en lui disant qu’il est moins précieux que le grand-prêtre. Après un silence de Shim‘on, R’ Eli‘ezer le place encore plus bas dans la hiérarchie : il est moins précieux que le chien du grand-prêtre. Cette comparaison est réellement dégradante. R’ Eli‘ezer explique alors que, si le grand-prêtre avait commis une telle faute, il se serait puni lui-même, mais que Shim‘on l’humble s’en sort parce qu’il n’a pas été pris en flagrant délit. Selon la remarque de R’ Eli‘ezer, la punition n’est plus possible, ce qui confirme que cette conversation a eu lieu après la destruction du Temple. Les réprimandes de R’ Eli‘ezer comportent une comparaison moqueuse de Shim‘on l’humble à un chien, ce qui pourrait être considéré comme une forme d’humour du premier niveau. M Ohalot 17, 5 « (…) R’ Yehuda dit : (voici une) histoire sur des épîtres qui arrivèrent de la province maritime pour les fils des grands-prêtres et il y avait une se’a ou deux se’a de sceaux gravés, et ils n’en craignaient pas l’impureté. »

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Y a-t-il un aspect stéréotypé dans ce récit, exprimé par la provenance des épîtres (elles viennent de la « province maritime » que les rabbins mentionnent dans de nombreux contextes) ? R’ Yehuda cite le récit comme une preuve que les sceaux gravés, s’ils sont en petit nombre, ne véhiculent pas l’impureté rituelle. Ceci semble confirmer l’opinion majoritaire citée juste avant le récit dans le même paragraphe, à laquelle s’oppose celle de R’ Eli‘ezer. Le caractère humoristique n’est donc pas évident, mais la présentation stéréotypée est à noter. T Ohalot 16, 13 « R’ Yehuda dit : une fosse dans laquelle on jette les mort-nés est considérée pure. R’ Yehuda raconte : histoire de la servante d’un oppresseur de Dimin qui jeta un mort-né dans une fosse. Un prêtre vint et jeta un coup d’oeil [dans la fosse], pour savoir ce qu’elle y avait fait tomber. Le cas fut exposé devant les sages et ils le déclarèrent pur, car une belette ou une hyène l’emporte aussitôt [qu’il est jeté dans la fosse]. »

Dans ce paragraphe, R’ Yehuda expose la halakha et confirme lui-même son propos par un récit de cas. Le récit nous présente une femme non rabbinique et probablement non juive qui jette son nouveau-né mort dans une fosse. Un autre personnage non rabbinique, un prêtre anonyme, vient et agit d’une manière superflue, il jette un coup d’oeil dans la fosse. Les sages, devant qui le cas est exposé, savent bien que cela n’est pas nécessaire. Ils décrètent aussitôt que le prêtre reste pur. Ce récit montre l’autorité rabbinique sur des personnes qui ne font pas partie des cercles des sages : les rabbins revendiquent ainsi leur pouvoir. Le prêtre apparaît sous un angle ridicule, il fait un geste superflu et ne décide rien. Le personnage ridiculisé du prêtre forme un contraste avec le « personnage » collectif des sages : 1. Le prêtre est seul et les sages sont un groupe. 2. Le prêtre se déplace sur le lieu de l’événement, alors que le cas est exposé devant les sages. 3. Le prêtre ne s’exprime pas, alors que les sages s’expriment et prennent une décision. Si l’humour ici n’est pas central, il est tout de même présent de manière fine dans le contraste entre la présentation du prêtre et celle des sages. B.4. Les boéthusiens et les sadducéens T Sukka 3, 1 « Le [commandement du] lulab repousse le [repos obligatoire du] shabbat le premier jour et le [commandement des branches de] saule le dernier jour. Il

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arriva que les boéthusiens cachent les branches de saule sous de gros rochers la veille du shabbat. Les paysans802 les ont reconnus et sont venus les tirer et les enlever de dessous les rochers pendant le shabbat, car les boéthusiens ne reconnaissent pas que le commandement du saule repousse le [repos obligatoire du] shabbat. Le [commandement du] saule est une halakha [enseignée oralement] à Moïse au Sinaï […] »

Les boéthusiens veulent empêcher l’accomplissement du commandement des branches de saule pendant le shabbat, car ils ne sont pas d’accord avec ce qu’enseignent les rabbins dans la Tosefta. Pour ce faire, ils cachent les branches sous de gros rochers qu’il est interdit de soulever pendant le jour du shabbat. Les paysans (ou hommes simples, non rabbiniques) sauvent la situation en soulevant les rochers ce qui permet d’accomplir le rituel. Il y a une note humoristique dans la ruse des boéthusiens ainsi que dans le fait que cette ruse est déjouée par un élément inattendu, l’intervention des paysans. On ne sait pas clairement si ces derniers ignorent l’interdit de soulever les rochers pendant le shabbat ou s’ils sont indifférents à l’importance de le respecter. Dans les deux cas, l’ignorance ou l’indifférence ne sont guère compatibles avec la finalité de leur action : permettre l’accomplissement du rituel dans le Temple. Si le repos du shabbat n’est pas important pour eux, pourquoi donc le commandement des branches de saule le serait-il ? Nous trouvons un parallèle de cette anecdote dans TB Sukka 43b. Dans le ms Oxford e51803, il manque le dénouement de l’intrigue avec les paysans, que nous retrouvons dans la version de Venise804. Ce parallèle présente des variantes intéressantes. Les pierres n’y sont pas qualifiées de grandes ou grosses. Le moment des événements (veille du shabbat pour l’action des boéthusiens et jour du shabbat pour l’action des paysans) n’est pas spécifié. L’action des boéthusiens est en revanche décrite avec plus de 802 ‘Amme ha-areṣ. Ce terme signifie littéralement « les peuples de la terre ». Il peut désigner des hommes simples non instruits, des autochtones ou des personnes travaillant la terre. 803 « Le [commandement du] lulab repousse le [repos obligatoire du] shabbat le premier jour et le [commandement des branches de] saule le dernier jour. Une fois, le septième jour [où l’on doit accomplir le rituel des branches] de saule tomba un jour de shabbat. [Ils] apportèrent des branches de saule et les posèrent dans la salle du Temple. Les boéthusiens les reconnurent et les cachèrent sous des rochers, parce que les boéthusiens ne reconnaissent pas que le [rituel] où l’on frappe [le sol avec] le saule repousse le [repos obligatoire du] shabbat. » 804 « Le [commandement du] lulab repousse le [repos obligatoire du] shabbat le premier jour et le [commandement des branches de] saule le dernier jour. Une fois, le septième jour [où l’on doit accomplir le rituel des branches] de saule tomba un jour de shabbat. [Ils] apportèrent des branches de saule et les posèrent dans la salle du Temple. Les boéthusiens les reconnurent et les cachèrent sous des rochers. Le lendemain, des paysans les reconnurent, les retirèrent du dessous des rochers et les prêtres les apportèrent et les placèrent sur les côtés de l’autel, parce que les boéthusiens ne reconnaissent pas que le [rituel] où l’on frappe [le sol avec] le saule repousse le [repos obligatoire du] shabbat. »

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précision : ils ont volé les branches posées dans le Temple par un groupe de sages ou de prêtres. L’action des boéthusiens dans le TB est malveillante mais n’a pas de dimension comique. T Sukka 3, 16 « Quand fait-on la libation de l’eau ? En même temps que [le sacrifice] des [différents] membres du sacrifice perpétuel805. Il est déjà arrivé qu’un boéthusien fasse la libation sur ses pieds et le peuple entier l’a lapidé avec ses cédrats. Le coin de l’autel a été endommagé et le culte a dû être interrompu ce jour-là, jusqu’à ce que l’on amène un bloc de sel pour le mettre sur l’autel, afin qu’il ne paraisse pas endommagé. En effet, un autel qui n’a ni coin ni base est invalide. R’ Yose fils de R’ Yehuda dit : même [l’absence d’un relief] qui contourne [l’autel le rend invalide]. »

M Sukka 4, 9 « On dit au prêtre qui fait la libation de lever ses mains, car il est déjà arrivé qu’un certain prêtre verse l’eau sur ses pieds et le peuple entier l’a lapidé avec ses cédrats. »

Ce récit étiologique comporte deux effets comiques : la maladresse du prêtre et la colère soudaine de la foule. C’est surtout la réaction soudaine de la foule qui est grotesquement exagérée. Les gens utilisent une partie de leur bouquet rituel, le cédrat, qui est un fruit précieux, pour exprimer leur colère. Dans le récit parallèle de la Tosefta, le prêtre maladroit est clairement identifié, c’est un boéthusien (dans le parallèle du TB, c’est un sadducéen). Ceci confère au texte une dimension polémique, alors que dans la Mishna, qui ne précise pas l’appartenance sectaire du personnage, l’anecdote garde un caractère plus général. La Mishna a supprimé pour ce passage l’idée d’une rivalité politique dans le Temple. La dimension comique reste cependant la même dans les deux versions. Elle réside dans le contraste entre le décorum du Temple et l’erreur humaine maladroite suivie de la réaction déchaînée de la foule. Un aspect important du récit de la Tosefta est l’intensité de la violence de la foule qui va jusqu’à casser l’autel, pièce centrale dans le culte du Temple. La maladresse du malheureux boéthusien est à l’origine d’une interruption du culte, le temps que l’autel puisse être réparé. T Rosh ha-shana 1, 15 « Auparavant on recevait le témoignage [de la vision d’une nouvelle lune pour déterminer le premier jour] du mois de tout homme. Une fois, les boéthusiens 805

Tamid.

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ont payé deux témoins afin qu’ils viennent induire en erreur les sages. C’est parce que les boéthusiens n’admettent pas de fixer la [fête du] rassemblement806 [à un autre moment] qu’après le shabbat. L’un [des témoins] est venu, a donné son témoignage et est reparti. Le deuxième est venu et a dit : je montais à Ma‘ale Edomim et je l’ai vu couché entre deux rochers, sa tête comme celle d’un veau, ses oreilles comme celles d’un chevreau, ses cornes comme celles d’un cerf et sa queue reposait entre ses cuisses. Je l’ai vu, je me suis effrayé et je suis tombé en arrière. Et voici que j’ai deux cents zuz enveloppés dans mon foulard. On lui a dit : ces deux cents zuz te sont accordés comme un cadeau, et celui qui t’a payé sera pendu sur le poteau. Pourquoi pensais-tu en avoir besoin ? Il leur dit : j’ai ouï dire que les boéthusiens cherchent à tromper les sages, je me suis dit, il vaut mieux que j’y aille afin d’en informer les sages. »

Ce passage commence comme un récit étiologique avec le mot « auparavant » (ba-rishona), mais la structure habituelle des récits étiologiques y est absente. D’habitude, après la description des coutumes du passé, vient un événement gênant entraînant un décret rabbinique qui modifie la halakha. Or, ici nous n’avons aucun décret rabbinique à l’issue de l’événement gênant. La fin du récit reste ouverte. Le récit commence de manière sérieuse. La Tosefta nous informe qu’une fois, les boéthusiens avaient l’intention d’induire les sages en erreur, et pour cela ils ont engagé deux témoins. Le premier remplit correctement sa mission en donnant simplement son témoignage, mais ce n’est pas le cas pour le second. Celui-ci raconte des absurdités aux sages et avoue avoir reçu de l’argent. Suite à l’interrogation des sages, il avoue ce qui s’est passé, mais reste cependant partiellement malhonnête puisqu’il dit : « j’ai ouï dire que les boéthusiens veulent tromper les sages », alors qu’il le savait parfaitement puisqu’il a été engagé précisément dans cet objectif. Néanmoins, même avec sa réponse douteuse, il révèle la motivation de ses propos absurdes : il voulait informer les sages de l’intention des boéthusiens. On peut donc se demander pourquoi il n’a pas simplement dit la vérité aux sages et pourquoi il a choisi de raconter des histoires loufoques. La Tosefta ne nous fournit pas la réponse, mais nous pouvons la déduire du récit et de la réaction des sages. Lorsque ces derniers entendent le témoignage absurde et l’aveu d’avoir reçu de l’argent, ils répondent aussitôt que le témoin peut garder son argent qui lui est donné comme un cadeau, et accusent celui qui l’a engagé. Pour eux, le témoin lui-même n’est pas fautif. Peut-être ce témoin qui voulait, en effet, révéler la vérité aux sages a-t-il craint qu’en l’exposant de manière simple et crue, il susciterait la colère des rabbins, alors qu’en racontant des histoires drôles, il susciterait, au contraire, leur bienveillance ? Le témoin aurait choisi de s’exprimer avec humour 806

‘Aṣeret. C’est la fête de Shabu‘ot.

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pour se protéger, pour communiquer un message désagréable sans éveiller la colère de ses interlocuteurs. Il s’agirait d’un l’humour au premier niveau, ayant une fonction didactique ou rhétorique et psychologique. M Menaḥot 10, 3807 « Comment faisaient-ils [pour accomplir le commandement de l’offrande de l’orge] ? Les émissaires du tribunal partaient la veille du jour de la fête [de Pesaḥ] et faisaient des gerbes attachées au sol afin de faciliter la moisson. Toutes les villes environnantes se réunissaient pour que la moisson soit faite comme une grande cérémonie. Lorsque la nuit tombait, [les émissaires] disaient aux [villageois] : “le soleil s’est-il couché ?” Ils disaient : “oui”. “Le soleil s’est-il couché ?” Ils disaient : “oui”. “Cette faux”. Ils disaient : “oui”. “Cette faux”. Ils disaient : “oui”. “Cette caisse”. Ils disaient : “oui”. “Cette caisse”. Ils disaient : “oui”. Et [s’il s’agissait d’un jour de] shabbat, ils leur disaient : “ce shabbat”. Ils disaient : “oui”. “Ce shabbat”. Ils disaient : “oui”. “Je moissonnerai”. Ils disaient : “moissonne !” “Je moissonnerai”. Ils disaient : “moissonne !” Chaque chose était dite trois fois. Et ils répondaient : “oui, oui, oui”. Tout cela pourquoi ? À cause des boéthusiens qui disaient qu’il ne faut pas moissonner l’orge à la sortie du jour de fête. »

Le texte constitue une description détaillée et édifiante de la moisson de l’orge, qui donnait lieu à une offrande (appelée‘omer en hébreu). Le cérémonial, déployé à cette occasion, est justifié par une controverse avec les boéthusiens. L’aspect exagéré de la situation et la répétition de chaque phrase à trois reprise comporte un certain effet comique. La description des coutumes relevant de l’époque du second Temple est à rapprocher des récits concernant le culte même du Temple, où la dimension édifiante touche parfois au grotesque. Ici, la Mishna déclare clairement que la cérémonie est intentionnellement exagérée dans un objectif polémique, à cause des différends halakhiques avec les boéthusiens. La lecture humoristique du passage n’est pas du tout évidente. Le texte suivant ne concerne pas les boéthusiens en tant que groupe, mais un homme qui semble être apparenté à ce groupe : Boéthus fils de Zonan. T Shabbat 3, 3-4 « Un bain dont les arrivées d’eau sont fermées la veille du shabbat, on peut s’y baigner dès la sortie du shabbat. Si ses arrivées d’eau sont fermées la veille d’un jour de fête, on peut y entrer pour transpirer808 pendant le jour de fête, puis sortir et se rincer à l’eau froide. R’ Yehuda raconte : il arriva dans le bain de Bene Beraq que les arrivées d’eau soient fermées la veille d’un jour de fête. R’ ‘Aqiba et R’ Ele‘azar ben ‘Azarya y sont entrés pour transpirer puis ils 807 808

Parallèle : T Menaḥot 10, 23. Il s’agit probablement d’un bain de vapeur.

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sortirent et se lavèrent à l’eau froide, mais ses eaux chaudes étaient couvertes de copeaux de bois. Lorsque les transgresseurs sont devenus nombreux, ils ont rétabli l’interdit. Il est permis d’uriner dans les bassins des grandes villes pendant le shabbat. Il ne faut se rincer ni à l’eau chaude, ni à l’eau froide. Paroles de R’ Me’ir. R’ Shim‘on l’autorise. R’ Yehuda dit : à l’eau froide, mais pas à l’eau chaude. R’ Yehuda a dit sur le cas de Boéthus fils de Zonan : on remplissait pour lui un seau d’eau froide la veille du shabbat et on le versait sur lui pendant le shabbat pour le refroidir. »

Ce paragraphe se divise en six parties : – Une première partie halakhique concernant les bains d’eau chaude et froide pendant le shabbat et les jours de fête ; – Un exemplum raconté par R’ Yehuda mettant en scène R’ ‘Aqiba et R’ Ele‘azar ben ‘Azarya. Ce récit non humoristique confirme la halakha précédente ; – Un récit étiologique ; – Une autre halakha qui n’est pas directement liée à la précédente ; – Des opinions halakhiques divergentes à propos de l’autorisation de se laver pendant le shabbat  : l’interdit de R’ Me’ir, l’autorisation de R’ Shim‘on, puis l’opinion de R’ Yehuda qui interdit l’usage de l’eau chaude, mais autorise l’eau froide ; – Un exemplum raconté par R’ Yehuda, dont le protagoniste est Boéthus fils de Zonan. Nous avons ici deux exempla racontés par R’ Yehuda (entrecoupés par un récit étiologique). Dans le premier, R’ Yehuda raconte une histoire qui confirme son opinion halakhique, à mi-chemin entre les opinions opposées de R’ Me’ir et R’ Shim‘on. Le comportement de R’ ‘Aqiba et de R’ Ele‘azar ben ‘Azarya est un exemple qui permet de fixer la halakha. Cette histoire est suivie par un récit étiologique, qui explique pourquoi la permission de venir se réchauffer dans le bain puis se rincer à l’eau froide à l’extérieur a finalement été supprimée. Les responsables de cette suppression sont les transgresseurs, ceux qui utilisaient également l’eau chaude à l’intérieur du bain, qui sont devenus trop nombreux. Dans ces deux parties narratives, il n’y a pas d’humour. La quatrième mishna concerne le fait de se baigner le jour du shabbat. Encore une fois, nous avons trois avis différents : R’ Me’ir qui interdit l’eau froide comme l’eau chaude, R’ Shim‘on qui permet les deux et R’ Yehuda qui permet l’eau froide, mais pas l’eau chaude. Le récit raconté par R’ Yehuda pour prouver son avis concerne cette fois, non pas un membre respectable du mouvement rabbinique, mais un personnage douteux : Boéthus fils de Zonan. Hormis notre récit, Boéthus fils de Zonan apparaît cinq fois dans la littérature tannaïtique. Il est décrit deux fois comme agissant selon les paroles

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des sages809, une fois comme quelqu’un dont le comportement est estimé valable par les sages810, et il est même présenté deux fois comme un interlocuteur légitime des sages811. Cependant, dans T Menaḥot 13, 21, à l’intérieur d’une séquence qui présente la classe sacerdotale de manière très péjorative, nous lisons le passage suivant : « À propos d’eux et de leurs semblables et de ceux qui agissent comme eux, Abba Sha’ul ben Boṭnit et Abba Yose ben Yoḥanan de Jérusalem disaient : malheur à moi à cause de la famille Boéthus, malheur à moi à cause de leur bâton. Malheur à moi à cause de la famille Qadros, malheur à moi à cause de leur plume. Malheur à moi à cause de la famille Elḥanan, malheur à moi à cause de la maison de leur murmure. Malheur à moi à cause de la famille Elisha‘, malheur à moi à cause de leur poing. Malheur à moi à cause de la famille de Yishma‘el ben Piabi, car ils sont grands-prêtres, leurs fils sont des trésoriers, leurs gendres des préposés et leurs esclaves viennent et nous battent avec des bâtons. »

La famille Boéthus fait partie de la classe sacerdotale que la Tosefta décrit comme étant corrompue et violente, ne cherchant que le pouvoir, l’argent et l’autorité. D’autres passages donnent une image plus négative des boéthusiens, parce qu’ils s’opposent aux rabbins ou du moins à leur halakha812. La dimension amusante dans notre récit concerne un détail. Pourquoi doit-on refroidir ce Boéthus fils de Zonan ? Pourquoi a-t-il chaud au point où il faille prévoir un seau d’eau fraîche à la veille du shabbat ? Ne peut-il pas attendre la fin du shabbat comme tout le monde ? R’ Yehuda n’a-t-il pas trouvé un meilleur exemple pour appuyer son opinion ? T Para 3, 7-8 « (…) et ils rendaient impur le prêtre qui brûlait la vache à cause des sadducéens, afin qu’ils ne disent pas qu’elle ne pouvait être brûlée que par les [prêtres en état de pureté] après le coucher du soleil. Histoire d’un sadducéen qui est devenu pur après le coucher du soleil et il vint pour brûler la vache. Yoḥanan ben Zakkay, qui savait ce qu’il allait faire, vint et posa ses deux mains sur lui et lui dit : monsieur le grand-prêtre, que tu es beau et digne d’être grand-prêtre ! Descends pour t’immerger une fois. [Le saducéen] descendit, s’immergea et remonta. Une fois remonté, il lui abima l’oreille. Il lui dit : Ben Zakkay, lorsque j’aurai le temps, [je me vengerai] de toi ! [Yoḥanan ben Zakkay] lui répondit : lorsque tu auras le temps. Trois jours ne sont pas passés avant qu’il soit mis dans sa tombe. Son père vint voir Rabban Yoḥanan ben Zakkay et lui dit : Ben Zakkay, mon fils n’a pas eu le temps. »

809

M Baba Meṣia 5, 3 ; T Baba Meṣia 4, 2 (ici le comportement de Boéthus n’est pas une preuve valable). 810 M ‘Aboda Zara 5, 2. 811 T Pesaḥim 2, 19 (voir p. 280) ; T Pesaḥim 10, 12. 812 M Menaḥot 10, 3 ; T Kippurim 1, 8 ; T Sukka 3, 1 ; T Sukka 3, 16 ; T Rosh ha-shana 1, 15 ; T Sanhedrin 6, 6 ; T Menaḥot 10, 23 ; T Yadayim 2, 20.

LES « AUTRES »

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Nous avons ici un exemple d’humour rabbinique interne et narratif à la fois, et par lequel les sages veulent affirmer leur position et leur autorité face aux sadducéens. La Tosefta indique un désaccord entre les sages et les sadducéens concernant l’état de pureté rituelle du prêtre qui brûle la vache rousse. Les sadducéens ont une position plus stricte que celle des sages, car ils considèrent qu’il faut attendre le coucher du soleil pour valider l’état de pureté, ce que les sages n’exigent pas. L’opposition des sages est particulièrement tranchée, puisqu’ils vont jusqu’à rendre le prêtre impur après le coucher du soleil. Après cette présentation générale, la Tosefta expose un cas spécifique. Un prêtre sadducéen, qui était en état de pureté après le coucher du soleil, rencontre Yoḥanan ben Zakkay. Ce dernier, pour le rendre impur, pose ses deux mains sur lui. Il ne se contente pas de cela : il lui tient un discours flatteur, clairement ironique et le convainc ainsi de s’immerger à nouveau. Cette ruse est une diversion destinée à permettre à Yoḥanan ben Zakkay de disqualifier le prêtre : lorsqu’il remonte de la source, Yoḥanan ben Zakkay le blesse en effet à l’oreille, ce qui le rend inapte à accomplir le rituel. L’humour interne dans ce récit est celui de Yoḥanan ben Zakkay. Il est présent à la fois dans ses propos ironiques et dans son action rusée. C’est un humour aggressif et manipulateur. Le prêtre sadducéen comprend bien qu’il a été trompé et manipulé, et ici intervient l’humour narratif. L’adversaire de Yoḥanan ben Zakkay apparaît en effet comme un personnage primaire sans subtilité et il ne lui reste qu’à menacer bêtement le sage de se venger de lui lorsqu’il en aura l’occasion. Yoḥanan ben Zakkay ne perd pas son ironie initiale, et répond calmement : « lorsque tu auras le temps ». Il donne ainsi l’impression de connaître parfaitement l’avenir que le récit expose aussitôt de manière ironique : le prêtre s’est retrouvé dans sa tombe dans les trois jours. L’ironie interne dans les propos de Yoḥanan ben Zakkay lui permet de prendre le dessus sur le prêtre sadducéen, et l’ironie narrative du récit prolonge la victoire rabbinique et la généralise. La fin de l’histoire est cependant moins drôle. Le père du défunt vient voir Yoḥanan ben Zakkay et lui dit simplement que son fils est mort, qu’il « n’a pas eu le temps ». Avec cette remarque, le rédacteur de la Tosefta expose le chagrin du père et la tragédie entraînée par le conflit entre les deux groupes juifs. Cette conclusion tragique contraste avec le caractère comique du récit et exprime une forme d’autocritique des sages vis-à-vis de l’ironie macabre de Rabban Yoḥanan ben Zakkay. T Nidda 5, 2-3 « Les femmes sadducéennes, si elles suivent le chemin de leurs ancêtres, elles sont considérées comme les samaritaines, mais si elles adoptent les voies d’Israël, elles sont considérées comme les israélites. Histoire d’un sadducéen qui

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discuta avec le grand-prêtre et un jet jaillit de sa bouche et tomba sur ses vêtements, et le visage du grand-prêtre devint vert. Il vint et interrogea la femme [du sadducéen] qui dit : monsieur le prêtre, quand bien même nous sommes des femmes sadducéennes, nous consultons toutes un sage. R’ Yose dit : si les sages sont experts au sujet des saducéennes, c’est parce qu’elles avaient toutes l’habitude de consulter les sages, sauf une parmi elles qui est morte. »

Deux éléments attirent notre attention dans ce récit, qui relèvent tous deux du deuxième niveau d’humour, l’humour narratif. Le premier est le visage du prêtre qui devient vert à cause de l’événement indésirable de la souillure de ses vêtements par la salive (ou le liquide séminal ?) du saducéen. Le second est la remarque de R’ Yose à propos de la seule femme sadducéenne qui ne consultait pas les sages et en est morte. Le caractère laconique et simpliste du lien de cause à effet constitue une forme d’humour macabre de la part du rédacteur (ou de R’ Yose). Ce récit doit être rapproché de T Kippurim 3, 20813. M Yadayim 4, 6814 « Les sadducéens disent : nous vous plaignons, les pharisiens, car vous dites que les Ecritures saintes rendent les mains impures, alors que les livres de Homère815 ne les rendent pas impures. Rabban Yoḥanan ben Zakkay dit : et n’avons-nous que cela contre les pharisiens816 ? N’est-ce pas qu’ils disent également que les ossements d’un âne sont purs, alors que les ossements de Yoḥanan le grand-prêtre sont impurs ?! [Les sadducéens] répondirent : leur degré d’impureté est en fonction de l’affection qu’on leur porte, afin qu’un homme ne fasse pas des ossements de son père et de sa mère des cuillères. Il leur dit : de même, le degré d’impureté des Écrits saints est en fonction de l’affection qu’on leur porte, et les livres d’Homère, que l’on n’affectionne pas, ne rendent pas les mains impures. »

Ce passage est finement rédigé et comporte plusieurs éléments humoristiques significatifs. Il commence par une remarque des sadducéens défiant les pharisiens, qui sont manifestement ici les sages817. Rabban Yoḥanan ben Zakkay relève le défi avec ironie : il pose deux questions rhétoriques qui feignent de montrer l’absurdité de la logique rabbinique. La feinte fonctionne à merveille et les sadducéens tombent dans le piège : ils défendent l’argument des rabbins dans leur réponse. Notons ici l’image comique des 813

Voir p. 250. Parallèle : T Yadayim 2, 19-20, Les sadducéens dans la Mishna sont des boéthusiens dans la Tosefta. 815 Dans le texte : meron. 816 Remarque ironique selon la traduction Soncino du TB. 817 C’est une appellation « extérieure », c’est-à-dire que ce sont les sadducéens qui désignent ainsi les sages, mais les sages ne s’autodésignent par cette appellation que dans le cadre de la controverse. 814

LES « AUTRES »

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cuillères fabriquées avec les ossements des parents. Rabban Yoḥanan ben Zakkay s’appuie ensuite sur la réponse naïve des sadducéens pour prouver la logique de la halakha des sages. Les questions rhétoriques de Rabban Yoḥanan ben Zakkay ont des affinités avec l’ironie socratique. Nous pensons que cette ressemblance n’est pas le fruit du hasard, comme le suggère la référence à des livres grecs dans le texte. Les livres grecs ne rendant pas les mains impures, les sages devaient probablement les lire. Ils en connaissaient même les techniques rhétoriques, comme le prouve le rédacteur de ce passage. Ainsi, l’ironie se trouve ici à la fois au premier niveau (celui de la communication entre les protagonistes), au deuxième niveau (celui de la narration : les adversaires naïfs tombent dans le piège et sont vaincus) et aussi au troisième niveau (le rédacteur nous révèle ses choix rédactionnels et forme une déclaration épistémologique). T Ḥagiga 3, 35 « Celui qui emprunte des ustensiles à un artisan ‘am ha-areṣ et qui confie des ustensiles à un artisan ‘am ha-areṣ, [ils sont] fiables pour la pureté de l’offrande expiatoire, mais ne sont pas fiables pour la pureté de la teruma. Une table devenue impure, on l’immerge [dans l’eau pour la purifier] en son temps, même pendant le shabbat. Une fois, ils immergèrent la lampe [dans l’eau pour la purifier] lors d’un jour de fête et les sadducéens disaient : venez voir les pharisiens qui font immerger la lumière de la lune ! »

Le traité Ḥagiga (ainsi que l’ordre Mo‘ed) se termine par ce récit. Après quelques enseignements concernant les personnes fiables ou non pour les questions de pureté rituelle, la Tosefta indique que l’on peut purifier une table qui a contracté l’impureté rituelle pendant un jour de fête. À la suite de cette indication, la Tosefta mentionne un cas où un groupe non identifié a purifié « la lampe »818 pendant un jour de fête. Ce groupe anonyme respecte la halakha de la Tosefta, il pourrait donc s’agir de juifs qui adhèrent au mouvement rabbinique ou bien des sages eux-mêmes, puisque la forme impersonnelle du verbe « ils immergèrent », peut renvoyer à l’anonymat collectif qui représente les sages. Dans leur remarque, les sadducéens identifient ces personnes comme des pharisiens. Cette remarque, qui exprime d’abord un étonnement, semble également moqueuse. L’appelation « pharisiens » (perushim), c’est-à-dire les séparés, n’est pas dénuée d’une dimension péjorative, c’est une appellation que les sages n’emploient jamais pour se désigner eux-mêmes.

818

S’agit-il de la lampe du Temple ?

274

LE RIRE DES TANNA’IM

Les sadducéens se moquent de ce que font les juifs rabbiniques : immerger la lampe pour la purifier. Cette pratique leur semble ridicule puisqu’ils n’adhèrent pas à la définition rabbinique de l’impureté rituelle. Cette moquerie extérieure envers les sages est une manière surprenante de finir un traité et un ordre. Pourquoi donc ce récit est-il placé ici ? Quel est l’intérêt des rabbins à se présenter eux-mêmes comme l’objet de la moquerie des sadducéens ? Ces derniers voient les rabbins comme un groupe extérieur, dissident, qui se retire et se met à l’écart. Or, les sages pensent tout le contraire : ils décrivent leur groupe comme un mouvement dirigeant, au cœur de la société judéenne de son époque. Un autre point curieux est la moquerie même des sadducéens. Ils reprochent aux sages leur action en disant qu’ils lavent la lumière de la lune. Si le message des saducéens semble ridiculiser l’action des sages, le rédacteur de la Tosefta vise l’objectif contraire. La halakha rabbinique est clairement légitime et nécessaire à ses yeux. L’action par laquelle les sages purifient la lampe l’est donc naturellement aussi. C’est l’interprétation sadducéenne de cette action qui est l’objet du ridicule. C’est donc en réalité le rédacteur de la Tosefta qui se moque des sadducéens qui prennent la lampe pour la lune, une erreur clairement grotesque permettant de faire des sadducéens des simplets et des ignorants. Il est finalement intéressant de voir que les sages choisissent ce message humoristique inversé pour finir le traité Ḥagiga et l’ordre Mo‘ed. En laissant une place à la moquerie des sadducéens, ils intègrent un triple message : 1. L’existence de la polémique entre sages et sadducéens ; 2. Le ridicule des arguments sadducéens ; 3. La légitimité et la suprématie des arguments et de la halakha des sages.

C. Les autres récits Ce troisième chapitre regroupe tous les récits qui ne sont pas inclus dans les deux premiers chapitres. Par définition, il sera un peu plus varié et moins monolithique. Trois cent cinquante récits819 ne présentent aucun trait humoristique, alors que quatre-vingt récits ont des aspects humoristiques variés. Parmi les récits qui présentent des traits humoristiques, quelques thématiques importantes sont à noter : – Le mot d’esprit et l’ironie rabbinique. C’est l’expression même de l’humour des tanna’im dans leurs échanges verbaux les uns avec les autres. C’est l’humour rabbinique proprement dit, celui qui s’exprime au premier niveau. 819

Voir la liste des récits en annexe 1.

LES AUTRES RÉCITS

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– L’absurdité de la halakha. Cette thématique pose problème, car il n’est pas certain qu’elle puisse être considérée comme de l’humour rabbinique. Pousser le raisonnement logique à l’extrême au point d’évoquer des situations totalement absurdes est néanmoins une pratique qui peut toucher à la fonction intellectuelle de l’humour. Il nous semble que ces passages représentent l’embryon du witz rabbinique, du pilpul que l’on trouve dans le TB et dans la littérature rabbinique médiévale et moderne. – La notion de l’ironie divine ou l’ironie du sort. On appelle ironie du sort le renversement de situation symétrique d’une narration. Le rouleau d’Esther présente de nombreux exemples de ce procédé littéraire. Deux d’entre eux concernent la figure de Haman. Le premier se trouve dans Est 6, 6-12. Le roi demande à Haman comment récompenser Mardochée, mais Haman pense que c’est lui-même que le roi souhaite rétribuer. Haman finit par promener son ennemi sur le cheval du roi dans la ville. Le deuxième est le projet de Haman de faire pendre Mardochée sur une potence haute de cinquante coudées (Est 5, 14). Or, c’est Haman qui est finalement pendu sur la potence (Est 8, 7). Le principe de mesure pour mesure (midda ke-neged midda), c’est-à-dire une récompense à la hauteur de la vertu et une punition à la hauteur du péché, est également un exemple d’une telle ironie du sort. Cette dernière peut aussi être qualifiée d’ironie divine lorsqu’il s’agit de textes religieux. Pour commencer ce chapitre, nous lirons d’abord trois passages qui montrent que les tanna’im étaient conscients de la notion d’humour et de ses bienfaits. C.1. La conscience tannaïtique de l’importance de l’humour T Ohalot 16, 8 « [Un prêtre] qui vérifie [la présence de cadavres dans un terrain] peut manger son dema‘820. [Un prêtre] qui débarrasse une ruine821 ne peut pas manger son dema‘. Les disciples de Rabban Yoḥanan ben Zakkay lui demandèrent : [un prêtre] qui vérifie [la présence de cadavres dans un terrain], peut-il manger [son dema‘] ? Il leur répondit : il ne peut pas manger. Ils lui dirent : [pourtant], tu nous as enseigné qu’il pouvait manger. Il leur dit : vous avez bien parlé. Ce que mes mains ont fait et mes yeux ont vu, je l’ai oublié, a fortiori ce qu’ont entendu mes oreilles. Et ce n’est pas qu’il ne savait pas, mais il voulait stimuler les disciples. Et certains disent que c’est à Hillel l’ancien qu’ils posèrent la question. Et ce n’est pas qu’il ne savait pas, mais il voulait stimuler les disciples. R’ Yehoshua‘ dit : celui qui enseigne et ne travaille pas, c’est comme un homme qui sème et ne récolte pas. Celui qui étudie la Tora 820 821

Synonyme de teruma : la nourriture que les prêtres doivent manger en état de pureté rituelle. D’une maison qui s’est écroulée sur un homme et a causé sa mort (Soncino).

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puis l’oublie ressemble à une femme qui enfante et enterre [ce qu’elle a enfanté]. R’ ‘Aqiba dit : le chant de chaque jour est le chant [véritable] ! »

Dans ce récit, les disciples de Yoḥanan ben Zakkay lui posent des questions. En répondant, le maître contredit ce qu’il a enseigné dans le passé. Les disciples le lui font remarquer et il leur répond avec beaucoup d’autodérision et reconnaît son erreur. Cet aveu de faiblesse, où le sage admet avoir oublié ce qu’il avait enseigné dans le passé, est présenté par l’auteur de la Tosefta comme une méthode d’enseignement. C’est ici une déclaration claire et nette du fait que Rabban Yoḥanan ben Zakkay plaisantait en disant cela, et ce dans l’objectif de stimuler ses disciples. La Tosefta donne donc un exemple de l’utilisation de l’humour dans l’enseignement. Les deux déclarations solennelles de R’ Yehoshua‘ confirment cette idée : il est peu probable que la Tosefta se permette de comparer Rabban Yoḥanan ben Zakkay et Hillel l’ancien à une femme qui enfante des mortnés ou à un agriculteur incapable de récolter ce qu’il a semé. Le dicton de R’ ‘Aqiba clôt le paragraphe d’une manière solennelle en faisant l’éloge de la répétition quotidienne de l’enseignement. Ce texte n’est pas destiné à amuser le lecteur ou l’auditeur. Il reste cependant extrêmement important, car il y a ici une reconnaissance claire des bienfaits de l’humour dans le contexte de l’enseignement. L’exemple donné, attribué à deux sages, est à classer dans le premier niveau de l’humour. Un récit semblable apparaît à propos d’une autre halakha : T Para 4, 7 « Les disciples de Rabban Yoḥanan ben Zakkay lui demandèrent : la vache, avec quels vêtements son rituel est-il accompli ? Il leur répondit : avec des vêtements d’or. Ils lui dirent : [pourtant], tu nous as enseigné que c’était avec des vêtements blancs. Il leur dit : vous avez bien parlé. Ce que mes mains ont fait et que mes yeux ont vu, je l’ai oublié, a fortiori ce qu’ont entendu mes oreilles. Et ce n’est pas qu’il ne savait pas, mais il voulait stimuler les disciples. Et certains disent que c’est à Hillel l’ancien qu’ils posèrent la question. Et ce n’est pas qu’il ne savait pas, mais il voulait stimuler les disciples. R’ Yehoshua‘ dit : celui qui enseigne et ne travaille pas, c’est comme un homme qui sème et ne récolte pas. Celui qui étudie la Tora puis l’oublie ressemble à une femme qui enfante et enterre [ce qu’elle a enfanté]. R’ ‘Aqiba dit : le chant de chaque jour est le chant [véritable] ! »

M Giṭṭin 6, 6 « Si un homme qui est tombé dans une citerne dit : que celui qui entend ma voix donne l’acte de divorce822 à ma femme. Alors ceux [qui entendent sa 822

Geṭ.

LES AUTRES RÉCITS

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voix] écriront et donneront [l’acte de divorce à sa femme]. Si un homme en bonne santé dit : écrivez un acte de divorce et donnez-le à ma femme, alors qu’il voulait simplement se moquer d’elle, [doit-on donner l’acte de divorce à sa femme] ? Histoire d’un homme en bonne santé qui dit : écrivez un acte de divorce et donnez-le à ma femme, puis il monta sur un toit, tomba et mourut. Rabban Shim‘on ben Gamliel dit au nom des sages : s’il est tombé de lui-même, alors l’acte de divorce est valable et si c’est le vent qui l’a fait tomber, alors l’acte de divorce n’est pas valable. »

La halakha prend en considération la provocation humoristique ou moqueuse du mari. Ce n’est pas de l’humour proprement dit, mais la reconnaissance par les rabbins que l’humour est inhérent à l’homme. Un autre récit qui présente la conscience rabbinique de l’humour se trouve dans T Yebamot 3, 1, commenté ci-après p. 290. C.2. L’ironie et le mot d’esprit rabbiniques Dans cette thématique, trente-deux parmi les trente-sept récits proviennent de la Tosefta823. T Berakhot 5, 1-2 « Un homme ne doit pas manger la veille du shabbat, à partir de l’après-midi, afin qu’il entre dans le repos du shabbat avec appétit. Paroles de R’ Yehuda. R’ Yose dit : il continue à manger jusqu’à la tombée de la nuit. Histoire de Rabban Shim‘on ben Gamliel, R’ Yehuda et R’ Yose qui étaient attablés à ‘Akko et le shabbat allait commencer824. Rabban Shim‘on ben Gamliel dit à R’ Yose : je vous en prie maître, voulez-vous que nous arrêtions de manger jusqu’au début du shabbat ? Il répondit : chaque jour tu fais l’apologie de mes enseignements devant R’ Yehuda, et maintenant tu fais l’apologie des enseignements de R’ Yehuda devant moi ?! Veux-tu aussi conquérir la reine avec moi dans ma maison ?! [Rabban Shim‘on ben Gamliel] lui dit : dans ce cas, nous ne nous arrêterons pas, de peur que la halakha soit fixée pour les générations [à venir]. Ils dirent : ils n’ont pas bougé de là jusqu’à ce qu’ils fixent la halakha selon R’ Yose. »

Nous avons ici deux paragraphes successifs. Le premier cite les opinions opposées de deux sages, sans fixer la halakha. Le second est narratif et met 823 T Berakhot 5, 1-2 ; T Ma‘aser Sheni 3, 18 ; T Ḥalla 1, 10 ; T Shabbat 11, 15 ; T Pesaḥim 2, 19 ; T Pesaḥim 4, 11-12 ; T Pesaḥim 4, 15 ; T Sukka 1, 9 ; T Sukka 2, 1 ; T Yom Ṭob 2, 6 ; T Megilla 3, 30 ; T Megilla 3, 34 ; T Yebamot 3, 1 ; T Ketubbot 5, 9 ; T Soṭa 15, 11 ; M Baba Batra 9, 7 ; T Sanhedrin 8, 3 ; T Makkot 1, 3 ; M ‘Aboda Zara 4, 7 ; T ‘Aboda Zara 1, 20 ; T Zebaḥim 2, 17 ; T Bekhorot 5, 6-7 ; T Me‘ila 1, 5 ; M Kelim 17, 16 ; T Ohalot 2, 6 ; T Ohalot 18, 15-18 ; M Nega‘im 9, 3 ; M Nega‘im 11, 7 ; T Nega‘im 9, 9 ; T Miqwa’ot 5, 14 ; T Nidda 1, 5 ; T Makhshirin 3, 3 ; T Makhshirin 3, 4 ; T Makhshirin 3, 5-6 ; T Yebamot 8, 7 ; T Bekhorot 4, 8. 824 Littéralement : « le jour s’est sanctifié sur eux ».

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LE RIRE DES TANNA’IM

en scène ces deux sages avec un troisième rabbin. Rabban Shim‘on ben Gamliel a clairement, dès le début du récit, un rôle important : étant le troisième sage, son opinion est décisive pour former une majorité et fixer la halakha. Il s’adresse à R’ Yose avec une remarque sournoise, en lui demandant s’il veut s’arrêter de manger avant le shabbat, suivant ainsi l’opinion de son rival R’ Yehuda. La provocation ne rate pas sa cible, et R’ Yose répond avec deux questions rhétoriques. La première, prononcée sur un ton amer, révèle l’hypocrisie de Rabban Shim‘on ben Gamliel qui a manifestement changé d’opinion uniquement par intérêt. La deuxième ne concerne pas directement le sujet halakhique et constitue une question rhétorique ironique : jusqu’où va ta traitrise ? Iras-tu jusqu’à coucher avec ma femme ? (ou bien faut-il comprendre : veux-tu conquérir le pouvoir dans ma maison ?). La réprimande ironique fait son effet et Rabban Shim‘on ben Gamliel accepte de fixer la halakha selon R’ Yose. Ce récit est un exemple de l’humour rabbinique interne (premier niveau), qui prend la forme de questions rhétoriques ironiques et intervient dans l’échange entre les sages. T Ma‘aser Sheni 3, 18 « Histoire de Rabban Shim‘on ben Gamliel, R’ Yehuda et R’ Yose qui sont entrés chez un propriétaire à Kezib. Ils dirent : nous ne savons pas comment ce propriétaire rend ses fruits aptes [à être profanés]. Comme il les a entendus, il alla apporter devant eux un coffre plein de dinars d’or. Ils lui dirent : comment rends-tu tes fruits aptes ? Il leur dit : je parle ainsi et ainsi : la seconde dîme concernant cet objet est rendue profane par cet isar. Ils lui dirent : sors manger tes sous. Tu as gagné beaucoup de pièces, mais tu as perdu des âmes. »

Dans ce récit, un groupe de sages se rend chez un aubergiste qui est clairement extérieur au cercle rabbinique, mais semble être un juif. Une fois chez lui, ils se demandent si leur hôte prélève bien la seconde dîme. L’hôte entend leur conversation et leur montre aussitôt un coffre plein de pièces d’or. Il répond à leur question en leur expliquant comment il s’y prend pour profaner les fruits de la seconde dîme. Sa manière de faire n’est clairement pas conforme à la halakha, puisque les sages répondent avec une ironie mordante : « sors manger tes sous ». Ils ajoutent un triste verdict : l’homme a amassé beaucoup d’or mais a perdu des âmes. Cette dernière remarque énigmatique est expliquée dans TY Demay 4, 5825 : « celui qui mange ses fruits dans un doute quant à la seconde dîme est passible de la peine de mort ».

825

262.

Voir aussi S. LIEBERMAN, Tosefta Ki-fshutah. Zera‘im, vol. 2, Newark, 1955, p. 261-

LES AUTRES RÉCITS

279

C’est donc un exemple de l’humour rabbinique interne qui intervient dans une interaction entre des rabbins et un juif non rabbinique pour exprimer la critique des sages. L’ironie rabbinique est relativement agressive dans ce récit. T Ḥalla 1, 10 « R’ Eli‘ezer dit : la pâte est prélevée826 du pur sur l’impur. [Les sages] dirent devant R’ Yishma‘el : n’y avait-il pas untel dans le sud qui enseignait cet enseignement ? Il leur dit : le vêtement que portait mon père et la plaque qu’il portait entre ses yeux, ne dois-je pas les utiliser pour enseigner à chaque enseignant des enseignements ? Ils lui dirent : c’est au nom de R’ Eli‘ezer [que nous avons cité l’enseignement]. Il leur dit : lui aussi a quelque chose à quoi s’accrocher ! »

Nous avons ici un exemple d’humour rabbinique interne (premier niveau). La citation de l’opinion de R’ Eli‘ezer est suivie d’un récit où les sages (un groupe anonyme) posent une question rhétorique ironique à R’ Yishma‘el. L’ironie réside dans le fait qu’ils dissimulent une partie de la vérité pour mettre R’ Yishma‘el à l’épreuve. Ce procédé rhétorique est à rapprocher de l’ironie socratique dans les dialogues platoniciens. La réponse de R’ Yishma‘el comporte, elle aussi, une dimension ironique. Pour critiquer le fait que les sages citent une opinion « d’untel », c’est-à-dire anonyme, il revendique sa descendance honorable, en évoquant le vêtement et l’accessoire sacerdotaux de son père. Ces deux répliques ironiques créent une tension qui est dénouée avec la révélation de la vérité par les sages et la reconnaissance par R’ Yishma‘el de la légitimité de R’ Eli‘ezer. T Shabbat 11, 15 « Celui qui blesse sa chair [en écrivant dessus], R’ Eli‘ezer l’oblige [à apporter une offrande expiatoire] et les sages l’exemptent. R’ Eli‘ezer leur a dit : n’estce pas que Ben Siṭera827 étudiait uniquement comme cela ? Ils lui répondirent : et à cause d’un seul sot devons-nous punir tous les éclairés ?! »

Dans ce désaccord entre R’ Eli‘ezer et les sages, ces derniers considèrent que celui qui écrit sur son corps pendant le shabbat n’est pas redevable d’une offrande expiatoire, alors que R’ Eli‘ezer a une opinion plus stricte, rappelant qu’un certain Ben Siṭera étudiait comme cela. Les sages répondent à R’ Eli‘ezer par une question rhétorique sarcastique. La dimension humoristique est relativement mineure dans cette anecdote et se trouve uniquement dans

826 827

Ce prélèvement de la pâte est destiné aux prêtres. Ben Seṭada dans le ms Erfurt.

280

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le sarcasme des sages828. Dans TB Sanhedrin 67a, Ben Siṭera est identifié à Ben Pandera c’est-à-dire Jésus. La Tosefta dissimule l’identité du personnage en lui donnant un surnom dérivé de son comportement. Il avait l’habitude d’écrire en gravant sur sa peau et ainsi il a pu ramener d’Égypte certaines connaissances magiques, comme nous l’apprenons dans TY Shabbat 14, 4 et dans TB Shabbat 104b829. T Pesaḥim 2, 19 « On accomplit son devoir avec des gâteaux qu’ils soient faits avec des dessins élaborés ou non. Et on ne fait pas de gâteaux avec des dessins élaborés pendant Pesaḥ. R’ Yehuda dit : Boéthus fils de Zonan demanda aux sages : pourquoi ne fait-on pas de gâteaux avec des dessins élaborés ? On lui répondit : car la femme risque de s’appliquer longtemps [à les former] et ainsi leur pâte sera levée. Il leur dit : dans ce cas, qu’ils soient faits dans un moule. On lui dit : les gens diront alors : tous les gâteaux avec des dessins élaborés sont interdits, [seuls] les gâteaux de Boéthus sont autorisés ! »

Ce passage est un récit de la maison d’étude : il relate une discussion rabbinique, mais ne comporte pas d’anecdote. L’humour n’y prend pas une place très importante : il se trouve dans la réponse des sages à l’argument de Boéthus fils de Zonan. Dans la conversation, Boéthus pose une question aux sages à laquelle ils apportent une réponse très logique : il est interdit de confectionner des gâteaux avec des dessins élaborés pendant Pesaḥ, car cela augmente le temps de préparation et risque de faire lever la pâte. Boéthus propose de confectionner les dessins avec des moules830. Les sages rejettent cette proposition avec ironie : veux-tu que l’on dise que tous les gâteaux à dessins sont interdits sauf les tiens ?! T Pesaḥim 4, 11-12 La dixième halakha raconte le déroulement du sacrifice pascal dans le Temple. Ce passage de la Tosefta correspond à M Pesaḥim 5, 5-10. Le rituel devant être accompli par tout le peuple, les deux recueils relatent un sacrifice « à la chaîne », où le peuple entre dans le Temple en trois groupes. Chacun égorge son agneau et les prêtres par une chaîne humaine recueillent le sang et le jettent sur l’autel. Pendant la cérémonie, les lévites chantaient le hallel. Si le hallel était terminé, les lévites recommençaient le chant depuis le début. La Mishna, comme la Tosefta, dit que, pour le troisième

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Humour interne. Voir aussi MURCIA, Jésus dans le Talmud…, p. 323-325. Dafus : un moule à gateau ou un emporte-pièce.

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groupe, les lévites ne terminaient jamais le hallel, car ce groupe était plus petit que les deux autres. « Jamais le troisième groupe n’a pu réciter (Ps 116, 1) J’aime que l’Éternel écoute…, parce que ses membres étaient peu nombreux. Il s’appelait le groupe des paresseux. »

Si la Mishna dit simplement que les hommes de ce groupe étaient peu nombreux, la Tosefta, ajoute une autre information : elle dit que ce groupe s’appelait le groupe des paresseux. Cette appellation suggère que ceux qui faisaient partie du troisième groupe ne s’étaient pas empressés de venir accomplir le rituel au Temple, ce sont les retardataires, les négligents. C’est donc une appellation moqueuse. La description continue en racontant que les prêtres nettoyaient la salle des sacrifices même pendant le shabbat et ce, contrairement à la volonté des sages. Quand Pesaḥ tombe en semaine, les lévites lavent normalement par terre. Si le jour de Pesaḥ tombe un shabbat, la Tosefta raconte que les prêtres inondaient la pièce en y introduisant un courant d’eau et en bouchant les sorties d’eau. Un peu plus loin dans la description, la Tosefta s’interroge sur un autre moment, où les prêtres bouchaient les évacuations dans la salle : cette fois la salle s’inondait de sang et les prêtres devaient se déplacer sur des plateformes. Cette description est suivie d’une brève anecdote : « R’ Eli‘ezer ben Ya‘aqob dit : le troisième groupe s’en est allé s’asseoir dans la salle des femmes. »

Cette brève anecdote contredit la Mishna, où il est clairement raconté qu’après la cérémonie, le premier groupe sortait et allait s’asseoir sur le mont du Temple, le deuxième se retirait dans la cour et le troisième restait sur place, c’est-à-dire dans la salle. Le déroulement des événements dans la Mishna est très cohérent, et l’on peut aisément s’imaginer les actions des trois groupes aux différents moments du rituel. Dans la Tosefta, en revanche, il n’est nullement question des deux premiers groupes. Nous ne savons pas où ils se sont retirés pour laisser la place au troisième. Nous savons seulement qu’après la fin des sacrifices, la salle était remplie de sang et que les prêtres devaient se déplacer sur des plateformes pour ne pas se salir. La Tosefta raconte alors que le troisième groupe, celui que le texte a déjà appelé avec une ironie moqueuse « le groupe des paresseux », s’est retiré. Mais ce n’est pas vers un endroit quelconque puisqu’il s’agit de la salle réservée aux femmes ! La Tosefta semble vouloir réellement ridiculiser ce troisième groupe. La raison pour laquelle les rédacteurs de la Tosefta ont décidé de se moquer de ces retardataires n’est pas très claire. Est-ce une moquerie qui aurait des objectifs éducatifs, comme le

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suggère le commentaire du TB ? Le TB insiste en effet sur la nécessité de diviser la communauté en trois groupes, mais explique que faire partie du troisième groupe est une malchance, comme il est nécessaire de donner naissance à des filles et à des garçons, mais être parents de garçons est un bonheur alors qu’avoir des filles est un malheur… La Tosefta veut-elle exprimer le message qu’il faut s’empresser d’accomplir le rituel, afin de ne pas avoir le malheur de faire partie de ce troisième groupe ? T Pesaḥim 4, 15 « Une fois, le roi Agrippa voulut recenser la population. Il dit aux prêtres : enlevez pour moi un rein de chacun des sacrifices pascals et ils ont enlevé pour lui six cent mille paires de reins, le double du nombre de ceux qui sont sortis d’Égypte. Il n’y avait pas un seul de ces sacrifices pascals qui n’était pas destiné à au moins831 dix personnes, [et, dans ce grand nombre de personnes,] ceux qui étaient impurs et ceux qui étaient partis pour un long voyage n’ont [même] pas été comptés. Ce jour-là, [les enfants d’] Israël sont entrés dans le mont du Temple et [ils étaient si nombreux qu’] il ne pouvait pas les contenir tous. Ce Pesaḥ a été appelé Pesaḥ des écrasés. »

Ce récit semble avoir un noyau historique : le recensement accompli par le roi Agrippa II pour le compte du gouverneur romain de la Syrie, Caius Cestius Gallus. Flavius Josèphe le décrit de la manière suivante832 : « … La preuve certaine que la ville contenait une population si considérable, nous la trouvons dans le recensement de Cestius, qui voulait montrer à Néron, plein de mépris pour cette nation, la prospérité de sa capitale. Il pria les grandsprêtres de deviser quelque moyen pour recenser la population. Or, la fête, appelée Pâque, approchait ; on y sacrifie de la neuvième heure à la onzième et, pour chaque sacrifice, il y a une confrérie d’au moins dix hommes, car il n’est pas permis de prendre ce repas seul, et souvent on s’assemble au nombre de vingt. Les prêtres comptèrent donc deux cent cinquante-cinq mille six cents victimes. Si l’on suppose dix personnes pour se partager chacune, on obtient le chiffre de deux millions sept cent mille hommes tous purs et saints ; car ni les lépreux, ni ceux qui souffrent de gonorrhée, ni les femmes, pendant la menstruation, ni les autres personnes souillées d’une manière ou d’une autre, ne peuvent participer au sacrifice, non plus que les hommes de race étrangère venus à Jérusalem par dévotion833. »

831 Le mot employé dans la Tosefta est « plus » mais, suivant le commentaire de S. Lieberman dans Tosefta Ki-fshutah (vol. 4, p. 165-166) et les parallèles de l’histoire, il faut comprendre « au moins ». 832 FLAVIUS JOSÈPHE, Guerre des juifs 6, 9, 3, REINACH (éd.), HARMAND (trad.), REINACH, WEILL (notes)… 833 Probablement des « sympathisants », voir S. C. MIMOUNI, Les chrétiens d’origine juive dans l’Antiquité, Paris, 2004, p. 17.

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Flavius Josèphe relate ce recensement pour appuyer son estimation du nombre de morts et de prisonniers pendant la grande révolte (66-73), plus d’un million selon lui. Les chiffres avancés dans son raisonnement sont bien précis. Qu’ils soient exacts ou exagérés (ce qui est bien plus probable), la précision de l’information confère une image de vérité à son discours. Le texte de la Tosefta, en revanche, utilise des expressions stéréotypées et exagérées pour donner l’impression d’une foule innombrable834. Le chiffre de six cents mille multiplié par dix impliquerait que six millions d’hommes se trouvaient à Jérusalem, ce qui, pour l’époque, est tout à fait invraisemblable, et même de nos jours, la vieille ville de Jérusalem ne pourrait pas contenir autant de visiteurs à la fois. La Tosefta raconte, en effet, que cette année-là, le nombre de personnes au mont du Temple était si grand qu’il n’y avait pas suffisamment de place pour tout le monde, et ajoute une information fort énigmatique : cette fête de Pesaḥ a été appelée Pesaḥ des écrasés. La dimension humoristique du récit se trouve précisément dans cette dernière remarque et dans le nom donné à la fête de cette année-là. Ce nom semble lié au nombre important de personnes et au fait que le mont du Temple ne pouvait pas les contenir toutes, si bien que certains individus ont été écrasés au passage. Ce nom est comique car il met l’accent, non pas sur l’aspect glorieux d’un nombre important d’hommes pieux au Temple, comme on pourrait s’attendre à le lire, et comme c’est le cas dans le texte de Flavius Josèphe, mais au contraire sur l’aspect péjoratif d’une telle multitude. De plus, avec un seul mot, la Tosefta dépeint tout l’inconvénient d’une grande foule qui se presse dans une superficie limitée. Ce qui est seulement suggéré dans la Tosefta, par le nom comique et énigmatique donné à la fête, devient parfaitement explicite dans les parallèles plus tardifs de ce récit : « Une fois, ils sont entrés dans le mont du Temple et [ils étaient si nombreux qu’] il ne pouvait pas les contenir tous. Il y avait un vieillard et ils l’ont piétiné. Ce Pesaḥ a été appelé Pesaḥ des écrasés, car ils ont écrasé le vieillard » (Ekha Rabba 1, 2). « Nos maîtres ont enseigné : jamais un homme n’avait été écrasé dans la salle, sauf lors d’une fête de Pesaḥ à l’époque de Hillel où un homme s’était fait écraser et il a été appelé Pesaḥ des écrasés. Nos maîtres ont enseigné : une fois, le roi Agrippa voulait poser ses yeux sur la population d’Israël. Il dit au prêtre : pose tes yeux sur les sacrifices pascals. [Le prêtre] prit un rein de chacun des sacrifices et six cent mille paires de reins ont été rassemblées, le 834 L’expression « le double du nombre de ceux qui sont sortis d’Égypte » (kiflayim mi-yoṣe’e miṣrayim) est employée habituellement pour désigner un très grand nombre. D’autres occurrences de cette expression se trouvent par exemple dans T Sukka 4, 6 ; TY Ta‘anit 4, 8.

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double du nombre de ceux qui sont sortis d’Égypte, mis à part ceux qui étaient impurs et ceux qui venaient de loin. Il n’y avait pas un seul de ces sacrifices pascals qui n’était pas destiné à moins de dix personnes et il a été appelé Pesaḥ des écrasés » (TB Pesaḥim 64b).

Ces deux parallèles insistent bien sur le caractère unique du malheureux événement : un homme seulement a été écrasé et cela a suffi pour nommer ainsi la fête de Pesaḥ de cette année. Le Midrash et le Talmud tentent d’expliquer le nom donné à la fête dans la Tosefta. Cette explication logique s’efforce d’évacuer l’aspect ridicule et comique de l’appellation, mais il reste un contraste incongru entre le pluriel du nom de la fête et le caractère unique et finalement assez marginal de l’événement. Cependant, il faut noter une différence entre les deux récits. Dans Ekha Rabba, nous avons simplement l’information à propos du vieillard qui vient s’ajouter au récit de la Tosefta. L’incongruité du nom donné à la fête est préservée, car si dans la Tosefta nous pouvons imaginer que de nombreuses personnes ont été écrasées dans le chahut général de la fête, ce qui donnerait une raison valable pour la nommer ainsi, dans le Midrash plus tardif, c’est un événement presque insignifiant. Le TB en revanche raconte l’histoire différemment. Le récit à propos du vieillard écrasé est présenté comme une barayta d’introduction au récit de la Tosefta, dans laquelle le cas du vieillard écrasé n’est pas une simple explication du nom de la fête, mais un événement unique et exceptionnel. La barayta qui raconte le recensement du roi Agrippa comporte quelques différences avec le récit de la Tosefta dont la plus significative est l’absence de la phrase à propos du peuple qui s’est entassé dans le mont du Temple, trop petit pour contenir tout le monde. Dans le TB, nous avons donc une explication unique pour le nom de la fête : le cas du vieillard, alors que dans le récit de la Tosefta c’est le chahut général du peuple qui semble être à l’origine de l’appellation moqueuse. Le TB diminue et neutralise ainsi l’effet comique. Pourquoi la Tosefta donne-t-elle ce nom moqueur à la fête. Est-ce un témoignage réel sur une appellation humoristique populaire ? C’est probable, car ce récit semble basé sur un noyau historique. Il est probable également que la Tosefta réagit ici au récit de Flavius Josèphe en le parodiant. Les chiffres précis, mais invraisemblables avancés par Flavius Josèphe sont transformés dans le récit rabbinique en chiffres symboliques et stéréotypés. La Tosefta souligne aussi qu’il est impossible qu’autant de sacrifices soient accomplis le même jour et que le mont du Temple ne peut pas contenir autant de monde. L’appellation moqueuse de la fête attire ainsi l’attention vers l’incongruité du récit de Flavius Josèphe et présente tout le récit comme une parodie. Cependant, cette parodie ne neutralise pas le caractère édifiant du texte qui insiste sur le grand nombre des juifs à l’époque du second Temple. La parodie revêt ainsi une forte dimension d’autodérision.

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T Sukka 1, 9 « Histoire de R’ Eli‘ezer qui était attablé dans la cabane835 de Yoḥanan ben Il‘ay à Césarion, alors que le soleil a atteint la cabane. [Yoḥanan] demanda à [R’ Eli‘ezer] : [voulez-vous] que je couvre la cabane avec un drap ? [R’ Eli‘ezer] répondit : tu n’as pas une seule tribu d’Israël qui n’a pas un prophète issu d’elle. Le soleil arriva jusqu’à la moitié de la cabane. [Yoḥanan] demanda à [R’ Eli‘ezer] : [voulez-vous] que je couvre la cabane avec un drap ? [R’ Eli‘ezer] répondit : tu n’as pas une seule tribu d’Israël qui n’a pas un juge issu d’elle. Les tribus de Juda et Benjamin ont [même] établi des rois selon les paroles des prophètes. Le soleil arriva aux pieds de R’ Eli‘ezer. [Yoḥanan] prit le drap et couvrit la cabane. R’ Eli‘ezer étendit ses jambes et s’en alla. »

Dans le paragraphe qui précède ce récit, il est question, entre autres, d’un drap que l’on peut étendre sur un lit redressé dans la cabane, afin de protéger la nourriture ou bien un cadavre du soleil. La Tosefta cite cependant l’opinion de R’ Eli‘ezer qui est confirmée par les sages : selon lui, il est interdit de bâtir une tente pendant le shabbat et les jours de fête. La juxtaposition de ces deux enseignements laisse entendre que le fait de protéger la nourriture du soleil dans la cabane avec un drap n’est pas considéré comme la création d’une tente. Notre récit concerne deux hommes dont un seul est appelé Rabbi : c’est en effet R’ Eli‘ezer qui est accueilli par Yoḥanan ben Il‘ay. Le lieu de la rencontre est précisé, Césarion (ville de la haute Galilée), mais le moment ne l’est pas. Il est bien évidemment sous-entendu que cela se passe pendant la fête de Sukkot. Alors que R’ Eli‘ezer est attablé836, le soleil837 arrive dans la cabane. Le mot « soleil » met le récit en relation avec le paragraphe précédent et l’autorisation d’étendre un drap pour s’en protéger. Il faut noter cependant que dans le récit, Yoḥanan ben Il‘ay ne cherche pas à protéger de la nourriture ou un cadavre, mais semble se soucier du bien-être et du confort de son hôte. Son respect de R’ Eli‘ezer est grand : non seulement il veille à son confort, mais avant d’agir il lui demande sa permission. L’incongruité du récit survient à ce moment dans la réponse de R’ Eli‘ezer. Au lieu de répondre à la question, R’ Eli‘ezer se met à parler de tout autre chose, il évoque les tribus d’Israël et leur capacité à établir des prophètes. Yoḥanan n’a pas réagi à cette réponse curieuse et n’a visiblement pas étendu le drap, car peu après le soleil arrive au milieu de la cabane. Une fois de plus, Yoḥanan veut protéger son hôte et lui demande s’il peut étendre un drap pour le faire. À nouveau, R’ Eli‘ezer raconte des histoires sans lien avec la 835 836 837

Sukka. Haya meseb. Ḥamma.

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question posée, à propos des tribus d’Israël qui ont établi des juges, et des rois… Et une fois de plus Yoḥanan ne réagit pas aux propos obscurs du rabbin. Dans la troisième et dernière étape du récit, le soleil arrive jusqu’aux pieds de R’ Eli‘ezer. Cette fois Yoḥanan ne demande rien. Il ne parle pas, mais prend simplement un drap et l’étend sur la cabane. À ce moment, R’ Eli‘ezer étend ses jambes et s’en va sans dire un mot. Le comportement de R’ Eli‘ezer est étrange et incongru. Ses réponses décalées sont très énigmatiques et sa manière de partir est brusque et surprenante. Notons également le contraste entre les deux personnages. Yoḥanan fait ce qui semble logique, poli et bienveillant, alors que R’ Eli‘ezer s’en va sans même dire au revoir ou merci. Comment interpréter les paroles et le comportement de R’ Eli‘ezer ? Par ses deux réponses évasives, R’ Eli‘ezer déclare clairement qu’il n’a pas envie de répondre aux questions de Yoḥanan. Nous savons à partir du paragraphe précédent que R’ Eli‘ezer s’oppose à la création d’une tente pendant le shabbat ou les jours de fête. Selon l’enseignement de la Tosefta, le fait de protéger le contenu de la cabane par un drap n’est pas considéré comme la création d’une tente. Il semble que le comportement de R’ Eli‘ezer révèle son opinion. Selon lui, c’est assimilé à la création d’une tente, puisque l’objectif du drap était de le protéger lui, et non la nourriture ou un cadavre. Était-ce un jour de shabbat ? La Tosefta ne le dit pas, mais nous pouvons le supposer aisément. Si R’ Eli‘ezer ne voulait pas que Yoḥanan étende le drap sur la cabane, pourquoi ne l’a-t-il pas simplement dit ? Quel est le sens de ses réponses et de son comportement énigmatique voire malpoli ? Si R’ Eli‘ezer considérait que le fait d’étendre un drap sur la cabane est assimilable à la création d’une tente, et était donc en désaccord avec les sages, peut-être voulait-il par humilité ne pas contredire ses collègues d’une manière franche, ce qui l’aurait amené à choisir l’allusion. Dans ce cas, il serait possible d’interpréter son départ précipité comme la volonté d’éviter une confrontation. Le caractère brusque et malpoli du départ du sage laisse cependant penser que la Tosefta tourne en dérision R’ Eli‘ezer. Un sage rabbinique qui n’ose pas dire son opinion, cela paraît étrange. Au lieu de se conformer à l’opinion majoritaire, ou d’exprimer explicitement son désaccord, R’ Eli‘ezer choisit l’opposition passive. Nous ne pouvons pas ignorer le caractère comique de ses réponses et de son geste. Le parallèle du récit dans TB Sukka 27b met en lumière l’aspect moqueur du récit. Le TB précise, en effet, qu’il s’agissait d’un jour de shabbat. L’explication que les sages babyloniens donnent pour le comportement incongru de R’ Eli‘ezer est qu’il n’a jamais prononcé un enseignement qu’il n’avait pas appris de la bouche de son maître. Cette caractéristique, d’un conservatisme extrême, semble être moquée par le TB. Les sages de Babylonie

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encourageaient, en effet, la pratique de la déduction et le fait de convaincre ses adversaires par des arguments. C’est clairement une déclaration moqueuse au sujet de R’ Eli‘ezer. La sugya de T Sukka cite également le récit suivant, dans lequel nous percevons l’humour de R’ Eli‘ezer lui-même. T Sukka 2, 1 « Ceux qui se déplacent pour accomplir un commandement sont exempts [du commandement] de la cabane, quand bien même on disait que ce n’était pas louable pour un homme de délaisser sa maison lors d’une fête de pèlerinage. Histoire de R’ Il‘ay qui alla chez R’ Eli‘ezer à Lod et ce dernier lui dit : que t’arrive-t-il Il‘ay, n’es-tu pas de ceux qui chôment pendant la fête de pèlerinage ? [En réalité,] on disait que ce n’était pas louable pour un homme de délaisser sa maison lors d’une fête de pèlerinage, seulement parce qu’il est écrit : (Dt 16, 14) et tu te réjouiras pendant la fête [et, avec toi, ton fils et ta fille, ton serviteur et ta servante, et le lévite, l’étranger, l’orphelin, la veuve qui seront dans tes murs]838.  »

Dans ce récit R’ Eli‘ezer pose une question ironique et taquine son disciple venu lui rendre une visite de courtoisie. C’est de l’humour rabbinique interne qui intervient entre le maître et son disciple. Dans le parallèle de TB Sukka 27b, ce récit apparaît avant celui de T Sukka 1, 9. Le premier chapitre de T Sukka comporte treize halakhot, les deux récits se trouvent donc à proximité dans leur contexte tannaïtique. Cependant le rapprochement et l’inversion de l’ordre dans la sugya du TB sont significatifs. Cette sugya présente d’abord le récit de T Sukka 2, 1 qui met en avant l’humour de R’ Eli‘ezer, puis le récit de T Sukka 1, 9 qui tourne en dérision le sage. Ensuite, le TB cite une barayta qui explique que R’ Eli‘ezer n’a jamais enseigné une chose s’il ne l’avait pas entendu de son maître839, puis continue avec une présentation des vertus de R’ Eli‘ezer et Rabban Yoḥanan ben Zakkay. La tension entre la description édifiante et la moquerie de R’ Eli‘ezer dans le TB rejoint celle que nous trouvons dans la Tosefta entre les récits de T Sukka 1, 9 et 2, 1. M ‘Erubin 2, 6 « R’ Il‘ay dit : j’ai entendu de la part de R’ Eli‘ezer que (…). J’ai quémandé auprès de tous ses disciples en me cherchant un compagnon, mais je n’en ai pas trouvé. » 838 Le verset indique qu’il faut se réjouir pendant la fête avec tous les membres de la maison et même les étrangers qui vivent « dans tes murs », c’est-à-dire, dans la ville. On comprend ainsi pourquoi il n’est pas louable de quitter sa maison pendant la fête. 839 Voir M Nega‘im 9, 3, p. 303.

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Dans ce passage, R’ Il‘ay raconte qu’il a appris trois enseignements halakhiques de la part de R’ Eli‘ezer, puis qu’il a cherché parmi tous les disciples de ce dernier quelqu’un pour confirmer son opinion, mais il n’en a pas trouvé. La formulation de sa phrase (« j’ai quémandé… ») suggère une note d’autodérision. Nous pouvons rapprocher cette quête d’un « compagnon » de celle de Diogène de Sinope qui cherchait un homme, c’est-àdire l’homme véritable ou idéal, impossible à trouver. Sa quête, relatée par Diogène Laërce, est marquée par des aspects comiques (il cherche avec une lanterne en plein jour), et ironiques (c’est une action délibérément humoristique qui tourne en dérision l’homme idéal décrit par Platon)840. T Yom Ṭob 2, 6 « On ne prépare à manger ni pour la consommation des non-juifs, ni pour la consommation des chiens lors d’un jour de fête. Il arriva que Shim‘on hatemani ne sorte pas la veille d’un jour de fête [pour aller] à la maison d’étude. Le lendemain matin, R’ Yehuda ben Baba le rencontra et lui demanda : pourquoi n’es-tu pas venu hier soir à la maison d’étude ? Il répondit : un commandement s’est présenté à moi, alors je l’ai accompli. Une troupe de non-juifs est entrée en ville et [les habitants] craignaient qu’ils provoquent les gens de la ville. Nous avons préparé pour eux un veau et nous les avons fait boire et nous les avons lavés afin qu’ils n’importunent pas les gens de la ville. [R’ Yehuda] lui dit : je me demande si ta récompense ne sera pas finalement une punition, car on dit que l’on ne prépare à manger ni pour la consommation des non-juifs, ni pour la consommation des chiens lors d’un jour de fête. »

Lors d’un jour de fête, il est autorisé de cuisiner certaines choses et sous certaines conditions pour la consommation pendant le jour de la fête, mais cela est formellement interdit si c’est pour nourrir des non-juifs et des… chiens ! Cette comparaison est, en soi, humoristique. Les sages placent les non-juifs dans la même catégorie que l’animal. La finalité de cette comparaison semble évidente : elle vise à dégrader l’image des non-juifs et renforcer la séparation entre juifs et non-juifs pendant les fêtes (voire de manière permanente ?)841. Le récit de Shim‘on ha-temani n’est pas en soi humoristique. Dans ce passage, l’humour se trouve dans les questions ironiques de R’ Yehuda. Lorsqu’il demande à Shim‘on pourquoi il n’était pas présent à la maison d’étude la veille de la fête, il exprime déjà sa critique. Avec sa question rhétorique qui montre que R’ Shim‘on a transgressé la halakha, il tourne en dérision la définition d’un commandement par Shim‘on ha-temani. Celle-ci

840 DIOGÈNE LAËRCE, Vies et doctrines des philosophes illustres, M.-O. GOULET-CAZÉ (éd.), Paris, 2009, 6, 41, p. 718. 841 Sur la comparaison du non-juif et de l’animal, voir STERN, Jewish Identity…, p. 33-39.

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est selon R’ Yehuda une simple excuse ne pas célébrer la fête et pour « faire la fête » avec les visiteurs non-juifs. C’est un exemple d’humour rabbinique interne. T Megilla 3, 30 « Un aveugle peut réciter les bénédictions avant le shema‘ et le targum. R’ Yehuda dit : celui qui n’a jamais vu la lumière de sa vie ne peut pas réciter les bénédictions avant le shema‘. On lui a répondu : ils sont nombreux ceux qui ont étudié le récit du char alors qu’ils ne l’ont jamais vu ! »

Dans ce passage, R’ Yehuda s’oppose à la halakha disant qu’un aveugle de naissance peut réciter les bénédictions avant le shema‘. Ceci sous-entend que pour R’ Yehuda, l’aveugle qui n’a jamais vu réellement la lumière ne peut pas bénir son créateur842. Bertinoro explique que pour les sages, l’aveugle profite de la lumière à travers les personnes valides qui l’assistent au quotidien. La réponse des sages remet R’ Yehuda à sa place avec un humour mordant : on peut étudier une chose intellectuellement sans en avoir eu une vision directe. C’est un exemple de l’humour rabbinique interne qui joue un rôle dans les échanges entre rabbins. À première vue, la réponse des rabbins évoque l’étude du récit du char divin, en rapport avec des expériences mystiques. Néanmoins, selon P. Schäfer843, les textes tannaïtiques, notamment M Ḥagiga 2, 1, ne s’opposent pas à une expérience mystique proprement dite mais imposent des restrictions à l’exégèse d’Ez 1. Schäfer avance également que la strate tannaïtique du récit des quatre rabbins qui entrent dans le pardes fait référence à l’étude de certains textes et non à des pratiques extatiques844. T Megilla 3, 34 « [Le verset] (Ez 16, 2) [Fils de l’homme,] fais connaître à Jérusalem [ses abominations] est lu et traduit. Il arriva qu’un [homme] lisait devant R’ Eli‘ezer fais connaître à Jérusalem, [R’ Eli‘ezer] lui dit : sors et fais connaître les abominations de ta mère ! »

Ce passage est un autre exemple de l’humour rabbinique interne. La halakha s’interroge sur l’autorisation de lire et de traduire divers passages bibliques problématiques. La Tosefta nous informe qu’un passage d’Ezéchiel est lu et traduit. Il s’agit d’une prophétie d’Ezéchiel contre la ville de Jérusalem, où le prophète compare la ville à une femme débauchée qui se livre à la 842 Formule de la bénédiction : « Béni sois-tu, Éternel notre Dieu, roi du monde, créateur de la lumière et auteur des ténèbres, artisan de paix, à l’origine de tout. » 843 P. SCHÄFER, The Origins of Jewish Mysticism, Tübingen, 2009, p. 175-242. 844 Ibid., p. 213.

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prostitution. Bien que selon la halakha il faille lire et traduire ce passage, R’ Eli‘ezer a fait des remontrances à un homme qui le lisait, peut-être parce qu’il jugeait que l’homme en question n’en était pas digne. Il réagit donc de manière impulsive et avec colère, mais il le fait d’une façon amusante. Il détourne le verset biblique et le parodie pour faire comprendre au pauvre homme qu’il n’est pas digne d’une telle lecture. Les deux Talmuds confirment cette interprétation : dans le TY, l’homme est un mamzer et, dans le TB, on lui a trouvé une tare. La Mishna (M Megilla 4, 10) n’a pas gardé trace de ce passage, mais mentionne seulement le désaccord de R’ Eli‘ezer avec les sages à ce sujet. T Yebamot 3, 1 « … on demanda à R’ Eli‘ezer : un mamzer peut-il hériter ? Il répondit : peutil libérer [la femme de son frère de l’obligation du lévirat] ? [On lui demanda alors] : et peut-il libérer [la femme de son frère de l’obligation du lévirat] ? Il répondit : peut-il hériter ? [On lui demanda alors] : peut-il hériter ? Il répondit : peut-il peindre en blanc sa maison ? Peut-il peindre en blanc sa tombe ? [On lui demanda alors] : peut-il peindre en blanc sa tombe ? Il répondit : peutil élever des chiens ? [On lui demanda alors] : peut-il élever des chiens ? Il répondit : peut-il élever des cochons ? [On lui demanda alors] : peut-il élever des cochons ? Il répondit : peut-il élever des coqs ? [On lui demanda alors] : peut-il élever des coqs ? Il répondit : peut-il élever du petit bétail ? [On lui demanda alors] : peut-il élever du petit bétail ? Il répondit : peut-il sauver le berger du loup ? [On lui demanda alors] : peut-il sauver le berger du loup ? Il répondit : il me semble que vous ne m’avez interrogé qu’à propos de la brebis. [On lui demanda alors] : et la brebis, peut-il la sauver ? Il répondit : il me semble que vous ne m’avez interrogé qu’à propos du berger. Untel, irat-il au monde futur ? [On lui demanda alors] : et untel, ira-t-il au monde futur ? Il répondit : il me semble que vous ne m’avez interrogé qu’à propos d’untel. [On lui demanda alors] : et untel, ira-t-il au monde futur ? Et ce n’est pas que R’ Eli‘ezer voulait les divertir [avec toutes ces questions absurdes], mais il n’a jamais dit une chose qu’il n’a pas entendue [de son maître]. »

Nous lisons dans ce passage un échange entre R’ Eli‘ezer et les sages (un pluriel anonyme). R’ Eli‘ezer répond aux questions des sages par des questions absurdes845, comme pour créer une diversion. Cela produit un effet comique, que le rédacteur de la Tosefta reconnaît et tente d’évacuer par la remarque qui clôt le passage et le troisième chapitre. Cette remarque, qui dit clairement qu’il ne s’agit pas d’humour ici, confirme en réalité l’absurdité des réponses et l’effet comique qui en découle. De plus, elle nous montre que les rabbins étaient sensibles à la dimension comique de telles questions rhétoriques. 845 R’ Eli‘ezer s’exprime d’une manière semblable dans d’autres passages. Voir T Sukka 2, 1 (p. 287) et M Baba Batra 9, 7 (p. 296).

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T Ketubbot 5, 9 « (…) Histoire de la fille de Naqdimon ben Guryon qui a obtenu par un décret des sages cinq cents dinars d’or846 par jour pour la caisse des parfums, et elle n’était qu’en attente d’un beau-frère847. Elle aussi les injuria et leur dit : donnez la même chose à vos filles ! R’ Ele‘azar fils de R’ Ṣadoq dit : que je ne voie pas la rédemption, si je ne l’ai pas vue ramasser des brins d’orge sous les pattes des chevaux à ‘Akko. J’ai récité à propos d’elle ce verset : (Ct 1, 8) Si tu ne le sais pas, ô la plus belle des femmes, [suis donc les traces des brebis, et fais paître tes chevreaux près des huttes des bergers]. »

La Tosefta explique que la pension (alimentaire) allouée à une femme doit être à la hauteur de son train de vie et apporte un récit de cas pour appuyer cette idée. Plusieurs détails attirent notre attention ici. Tout d’abord, il ne s’agit pas d’une pension alimentaire proprement dite : la somme faramineuse est destinée à la caisse des parfums ou des épices. Elle tient donc compte de la coquetterie ou du goût très raffiné des femmes concernées. Quand bien même il s’agit d’une somme excessive, il n’est pas sûr que ce détail soit une exagération grotesque. Le deuxième détail qui nous interpelle est la réaction de la femme. C’est là que nous trouvons un soupçon d’humour. Malgré la somme élevée que les sages lui ont accordée, la femme n’est pas contente et les injurie en disant : « donnez la même chose à vos filles ! » Pour la Tosefta, cette phrase est négative, mais, en elle-même, elle demeure ambiguë, car on peut aussi la lire comme une formule de gratitude : merci pour cette somme élevée, je souhaite le même sort à vos filles ! L’indication par la Tosefta qu’il s’agit d’une injure permet de comprendre l’ironie dans la phrase de la femme, ironie qui serait exprimée ici par le ton de la voix. C’est donc de l’humour interne, car il s’agit d’un procédé utilisé par le personnage même du récit. Ce premier récit est suivi des propos de R’ Ṣadoq qui raconte une autre histoire au sujet de la même femme. L’histoire montre à quel point elle est devenue pauvre par la suite. R’ Ṣadoq finit son récit par un verset qui nous interpelle également, car sa signification reste obscure. Le passage comporte plusieurs parallèles qui permettent de mieux l’expliquer. Nous trouvons en effet dans le corpus tannaïtique un autre récit sur la fille de Naqdimon ben Guryon qui permet d’élucider la citation énigmatique de R’ Ṣadoq :

846 847

Dinere zahab. Yabam.

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Sifre Debarim 305848 « Histoire de Yoḥanan ben Zakkay qui chevauchait un âne et ses disciples marchaient derrière lui. Il vit une jeune femme qui ramassait des épis d’orge sous les excréments des bêtes des Arabes. Lorsqu’elle vit Rabban Yoḥanan ben Zakkay, elle s’enveloppa de sa chevelure et se mit devant lui en disant : Rabbi, pourvois à mes besoins ! Il lui demanda : de qui es-tu la fille ? Elle répondit : la fille de Naqdimon ben Guryon. Elle lui dit [encore] : Rabbi, te souviens-tu du moment où tu as signé mon acte de mariage849 ? Rabban Yoḥanan ben Zakkay dit à ses disciples : j’ai signé l’acte de mariage de cette femme et j’y ai lu [que sa belle-famille lui avait accordé] mille milliers de dinars d’or. Son père n’entrait pas se prosterner au mont du Temple, avant que l’on étende sous ses pieds des draps de laine. Il entrait, se prosternait et rentrait joyeux à sa maison. Toute ma vie, j’ai cherché un verset et je l’ai [enfin] trouvé : (Ct 1, 8) Si tu ne le sais pas, ô la plus belle des femmes, [suis donc les traces des brebis, et fais paître tes chevreaux près des huttes des bergers]. Ne lis pas gediyyotayikh850 mais gewiyyotayikh 851, car tant que les juifs852 suivent la volonté du Lieu, aucune nation et aucun royaume ne les dominent. Lorsqu’ils ne suivent pas la volonté du Lieu, il les livre à la plus abjecte de toutes les nations, et non seulement à une nation abjecte, mais aux bêtes de cette nation abjecte. »

Ce récit ne comporte aucun trait humoristique. Il permet cependant de comprendre la citation de Ct 1, 8 par R’ Ṣadoq dans la Tosefta. La fille de Naqdimon est à la fois « la plus belle des femmes », habituée à un train de vie luxueux, et le corps qui doit être nourri comme celui d’une bête « près des huttes des bergers ». Cette citation met en lumière la dégradation de la condition de la femme et la lie à un péché. Même si la lecture la plus évidente crée un lien entre la situation précaire de la fille de Naqdimon ben Guryon et les péchés d’Israël, il faut noter que la dégradation ici ne concerne que la femme, puisque Yoḥanan ben Zakkay est lui en pleine forme : il chevauche son âne et il est suivi par ses disciples. La punition de la femme doit donc être liée à son péché personnel : l’injure qu’elle a prononcée envers les sages. Le récit du Sifre nous offre également des informations sur Naqdimon ben Guryon lui-même, sa richesse et ses habitudes excessives voire corrompues lorsqu’il allait au Temple. Une lecture du Sifre seul, sans l’éclairage de la Tosefta, nous amènerait à voir dans le comportement du père la faute qui a conduit à la déchéance de sa fille. Nous avons donc ici deux récits 848 Ms Vatican 32. Le récit est précédé d’un commentaire de Dt 31, 7 : « Alors Moïse appela Josué, et lui dit en présence de tout Israël  : Sois fort et vaillant  !…, [Moïse] dit à [Josué] : ce peuple que je te confie est encore composé de chevreaux (gedayin), c’est-à-dire d’enfants, ne sois pas trop strict avec eux… » 849 Ketubba. 850 Tes chevreaux. 851 Tes cadavres. 852 Littéralement : « Israël. »

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différents à propos d’une même femme. Les deux citent le même verset. Si dans le Midrash, il peut y avoir une explication plausible à la citation, dans le texte de la Tosefta elle n’est pas compréhensible, à moins d’en faire une lecture intertextuelle. Le lien entre les deux récits nous semble évident et il est confirmé par le parallèle que nous trouvons dans TB. TB Ketubbot 66b « Rab Yehuda dit au nom de Shemu’el : histoire de la fille de Naqdimon ben Guryon, qui a obtenu par un décret des sages quatre cents pièces d’or853 par jour pour la caisse des parfums. Elle leur dit : décrétez la même chose pour vos filles ! Ils répondirent après elle : amen. Nos maîtres ont enseigné : histoire de Rabban Yoḥanan ben Zakkay, qui chevauchait un âne et sortait de Jérusalem et ses disciples marchaient derrière lui. Il vit une jeune femme qui ramassait des épis d’orge entre les pattes des bêtes des Arabes. Lorsqu’elle le vit, elle s’enveloppa de sa chevelure et se mit devant lui en disant : Rabbi, pourvois à mes besoins ! Il lui demanda : ma fille, de qui es-tu la fille ? Elle répondit : je suis la fille de Naqdimon ben Guryon. Il lui dit : ma fille, où est la fortune de la maison de ton père ? Elle lui répondit : n’y a-t-il pas un proverbe couramment récité à Jérusalem, “le sel de la fortune est sa diminution854” ? Il lui dit : “le sel de la fortune est la charité855”. Et [la fortune] de ta belle famille, où est-elle ? Elle lui dit : celle-ci est venu et a détruit celle-là. Elle lui dit [encore] : Rabbi, te souviens-tu du moment où tu as signé mon acte de mariage ? Rabban Yoḥanan ben Zakkay dit à ses disciples : Je me souviens d’avoir signé l’acte de mariage de cette femme et j’y ai lu “mille milliers de dinars d’or” de la famille de son père sans compter [l’argent venant] de sa belle famille. Rabban Yoḥanan ben Zakkay pleura et dit : heureux sont les juifs. Lorsqu’ils accomplissent la volonté du Lieu, aucune personne ne peut les combattre, mais, lorsqu’ils n’accomplissent pas la volonté du Lieu, il les livre à une nation abjecte, et non seulement à cette (nation), mais aux bêtes d’une nation abjecte. Et Naqdimon ben Guryon ne donnait-il pas de [l’argent pour le commandement de] la charité ? N’est-il pas enseigné [dans une barayta] : on disait à propos de Naqdimon ben Guryon que lorsqu’il partait de chez lui vers la maison d’étude, on étendait sous [ses pieds] des draps de laine et les pauvres venaient et les retiraient de dessous ses pieds ? On répondit à cela : il fit cela [uniquement] pour sa propre glorification. Et si tu veux, tu peux dire qu’il n’a pas agi comme il aurait dû, ainsi que le disent les gens : selon la force du chameau est sa charge. Il a été enseigné : R’ Ele‘azar ben R’ Ṣadoq dit : que je ne voie pas la rédemption, si je ne l’ai pas vue ramasser des épis d’orge entre les pattes des chevaux des Arabes à ‘Akko, et j’ai récité à propos d’elle ce verset : (Ct 1, 8) Si tu ne le sais pas, ô la plus belle des femmes, [suis donc les traces des brebis, et fais paître tes

853

Zehubim. Melaḥ mamon ḥaser, c’est-à-dire : ce qui conserve la fortune est le fait de la diminuer pour la charité. 855 Melaḥ mamon ḥesed. 854

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chevreaux près des huttes des bergers]. Ne lis pas gediyyotayikh856 mais gewiyyotayikh 857, car tant que les juifs suivent la volonté du Lieu, aucune nation et aucun royaume ne les dominent. Lorsqu’ils ne suivent pas la volonté du Lieu, il les livre à la plus abjecte de toutes les nations, et non seulement à une nation abjecte, mais aux bêtes de cette nation abjecte. »

La version babylonienne reprend les deux récits précédents et les harmonise. Nous y trouvons d’abord le récit de la Tosefta, (sans les propos de R’ Ṣadoq) suivi du récit du Sifre avec quelques variantes indiquées en caractères gras. La variante la plus importante est le fait que la fille explique elle-même sa pauvreté par les fautes de son père et de sa belle-famille. Le Talmud s’interroge donc sur le comportement de Naqdimon et confirme l’idée qu’il n’était pas assez charitable ou encore qu’il l’était, mais pour de mauvaises raisons. Le récit se termine par la citation et son explication. Pour revenir à notre sujet, l’humour, nous notons une variante importante dans le récit du TB : les sages répondent à l’injure de la femme. Ils lui disent : « amen ». C’est une réponse amusée et subversive à la réplique ironique de la femme, une réponse qui détourne l’ironie et la transforme en bénédiction. Ainsi, dans le texte du TB, les sages désamorcent l’ironie injurieuse de la femme avec humour. Ce type d’humour est également de l’humour interne, l’humour rabbinique à proprement parler. Il est donc intéressant de voir que les sages pouvaient utiliser l’humour de la même manière que nous le faisons aujourd’hui, mais il reste une question importante à aborder, celle de la datation. La remarque des sages estelle d’origine tannaïtique ? Les sages babyloniens rapportent rarement les traditions anciennes sans rien y changer, et les ajouts et modifications du rédacteur du TB dans la longue barayta ne sont pas difficiles à repérer. Cependant, en observant les autres parallèles de ce texte dans Ekha Rabba 1, 48858 et TY Ketubbot 5, 9859, nous observons que, malgré les différences, la réponse des sages (« amen ») est présente partout. Les questionnements sur la nature de la faute de Naqdimon restent propres au TB, alors que la réponse humoristique des sages se trouve dans tous les parallèles palestiniens. Dans le TY, les traditions sont racontées par des amora’im et la remarque humoristique à propos de la réponse des sages est citée par R’ Aḥa (320-350), ce qui est également le cas dans le récit de Ekha Rabba. La remarque de R’ Aḥa est formulée à la première personne du pluriel, mais la chronologie rabbinique ne permet pas d’imaginer que R’ Aḥa et Yoḥanan ben Zakkay étaient tous deux auprès de la gente dame. Ce « nous » signifie donc « nous les rabbins en général », ainsi que cela 856 857 858 859

Tes chevreaux. Tes cadavres. Voir annexe 6. Ibid.

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ressort du TB. Les récits cités par le TY, le TB et le Midrash ont sans doute plusieurs noyaux tannaïtiques860. Ces noyaux ne comportent pas le « amen » des sages, mais la triple citation de la réponse nous permet de supposer que cette remarque aurait pu faire partie de la tradition originale des tanna’im. T Soṭa 15, 11 « Lorsque le dernier Temple fut détruit, les ascètes861 sont devenus nombreux, qui ne mangeaient pas de viande et ne buvaient pas de vin. R’ Yehoshua‘ s’en est pris à eux en leur disant : mes enfants, pourquoi donc ne mangez-vous pas de viande ? Ils lui dirent : comment mangerons-nous de la viande, alors que chaque jour la viande était sacrifiée sur l’autel et maintenant ce n’est plus le cas ? Il leur dit : [d’accord], nous ne mangerons [donc] pas [de viande]. Et pourquoi donc ne buvez-vous pas de vin ? Ils lui dirent : comment boironsnous du vin, alors qu’il était versé sur l’autel chaque jour et maintenant ce n’est plus le cas ? Il leur dit : [d’accord], nous ne boirons [donc] pas [de vin]. Il continua : dans ce cas, nous ne mangerons pas non plus du pain, car on apportait les deux miches de pain et le pain de présentation, et nous ne boirons plus de l’eau, car on faisait la libation d’eau à Sukkot. Nous ne mangerons plus non plus les figues et les raisins, car on en apportait les prémices à Shabu‘ot. Ils se turent. Il leur dit : mes enfants, il ne faut être ni trop endeuillé ni pas assez. C’est ainsi que les sages dirent : un homme peint en blanc sa maison, mais laisse un coin sans peinture en souvenir de Jérusalem. Une femme se fait belle en laissant un coin en souvenir de Jérusalem, ainsi qu’il est écrit : (Ps 137, 5-6) Si je t’oublie jamais, Jérusalem, que ma droite me refuse son service  ! Que ma langue s’attache à mon palais, si je ne me souviens toujours de toi, si je ne place Jérusalem au sommet de toutes mes joies  ! Et tous ceux qui pleurent Jérusalem dans ce monde-ci se réjouiront avec elle dans le monde à venir, ainsi qu’il est écrit : (Is 66, 10) Réjouissez-vous avec Jérusalem et soyez dans l’allégresse à cause d’elle, vous tous qui l’aimez  ! Prenez part à sa joie, vous tous qui êtes en deuil à son sujet  ! »

Ce récit clôt le traité. Il relève du genre édifiant avec une note d’humour du premier niveau, un humour rabbinique dans l’échange même entre R’ Yehoshua‘ et les ascètes. Il y a donc ici une démonstration de supériorité des idées rabbiniques sur la logique ascétique. L’humour interne intervient dans une polémique entre l’idéologie rabbinique et l’idéologie externe au mouvement. R’ Yehoshua‘ fait preuve d’ironie subtile et montre aux ascètes l’absurdité de leur démarche. Après les avoir fait taire par son ironie, il reprend son propos de manière bienveillante et non humoristique. La fin du récit, de nature exégétique, dans laquelle c’est uniquement le sage qui s’exprime face au groupe dissident qui se tait, permet à la Tosefta d’affirmer la capacité des rabbins à incarner l’autorité religieuse et juridique à laquelle ils aspirent. 860

Pour une étude comparative des différents parallèles, voir MOSS, Midrash…, p. 104-

112. 861

Perushin.

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M Baba Batra 9, 7 « Celui qui divise ses biens par la parole, R’ Eli‘ezer dit : qu’il soit en bonne santé ou gravement malade, les biens immobiliers s’acquièrent par l’argent, par un billet ou par un acte indiquant la propriété et les biens mobiliers ne s’acquièrent que par leur possession physique. [Les sages] lui dirent : histoire de la mère des fils de Rokhel qui était malade. Elle dit : que ma broche soit donnée à ma fille, elle vaut douze mane. Elle mourut et on accomplit ses paroles. [R’ Eli‘ezer] leur répondit : les fils de Rokhel [mériteraient] d’être enterrés, pas leur mère ! »

La halakha anonyme affirme que la division d’un héritage est possible par une simple parole, mais R’ Eli‘ezer n’est pas d’accord et indique comment il faut acquérir les biens, mobiliers et immobiliers. À cela, les sages répondent par un récit de cas à propos d’une femme qui a laissé sa broche de grande valeur à sa fille plutôt qu’à ses fils, qui auraient logiquement dû recevoir l’héritage et donner une pension alimentaire à leur sœur. R’ Eli‘ezer répond aux sages qu’il s’agit d’un cas particulier, puisque les fils en question mériteraient la mort prématurée, ce qui laisse supposer qu’il s’agit de pécheurs. L’humour dans ce récit se trouve dans le sarcasme de la remarque de R’ Eli‘ezer. T Sanhedrin 8, 3 « Comment détermine-t-on [l’identité d’un meurtrier] ? Peut-être direz-vous : nous avons vu un homme courir après son ami avec une épée à la main ? Il s’enfuit loin de lui et entra dans une boutique et [l’homme tenant l’épée] entra après lui dans la boutique, nous y sommes entrés après lui et nous l’avons trouvé mort, l’épée était dans la main de l’assassin et du sang en coulait. Peutêtre direz-vous : si ce n’est pas lui, qui donc l’a tué ? R’ Shim‘on ben Sheṭaḥ dit : que je ne vive pas pour voir la rédemption, si je n’ai pas vu un homme courant après son ami avec une épée à la main. Il s’enfuit loin de lui et entra dans une ruine. [L’homme tenant l’épée] entra après lui, j’y suis entré après lui et je l’ai trouvé mort, l’épée était dans la main de l’assassin et du sang en coulait. Je lui dis : méchant ! Qui a tué cet homme ? Que je ne vive pas pour voir la rédemption, si ce n’est pas l’un d’entre nous qui l’a tué ! Mais que puis-je faire puisque ton jugement n’est pas sous ma responsabilité, et que la Tora stipule : (Dt 17, 6) C’est sur la déposition de deux ou de trois témoins que sera mis à mort celui qui encourt la peine capitale  ; [il ne pourra être supplicié sur le dire d’un seul témoin]  ? Mais celui qui connaît les pensées s’acquittera du châtiment de cet homme. Il n’a pas pu bouger de ce lieu, avant qu’un serpent le morde et qu’il meurre ! »

Ce passage n’est pas dénué d’humour, comme le montre d’emblée l’enseignement qui précède le récit, dans lequel le problème est exposé avec ironie. Il est clair que dans une situation où l’on trouve, dans un lieu clos, un homme mort avec un autre individu armé d’une épée dégoulinante de sang, il ne peut y avoir de doute sur l’identité du meurtrier.

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Shim‘on ben Sheṭaḥ (appelé ici Rabbi) raconte ensuite une histoire fort semblable au cas qui vient d’être évoqué. Ses propos sont également ironiques : ayant suivi les deux hommes dans la ruine, le sage se retrouve face à l’assassin présumé, qui tient dans sa main une épée ensanglantée à côté du cadavre. Il s’adresse à lui en le traitant de méchant, mais reste prudent dans son accusation : l’un de nous l’a tué, lui dit-il. Il est vrai que le fait qu’il y ait deux personnes devant le cadavre place Shim‘on ben Sheṭaḥ dans une position où l’on peut douter de lui, mais la situation décrite dans le récit ne laisse pas vraiment de place au doute. C’est donc une forme d’ironie verbale. Les deux passages ironiques relèvent du premier niveau d’humour. Shim‘on ben Sheṭaḥ déclare enfin son impuissance devant la situation : il ne peut rien faire étant le seul témoin dans l’histoire. Il se montre néanmoins confiant en la providence, qui ne tarde pas à apporter la conclusion du récit sous la forme de l’ironie du sort (ou l’ironie divine) : l’accusé, mordu par un serpent, est « exécuté » sur le champ. La dernière touche ironique appartient au deuxième niveau d’humour, celui de l’ironie narrative. L’humour dans ce passage a visiblement une fonction psychologique. La règle intransigeante qui exige deux témoins dans les affaires de meurtre peut paraître absurde dans des cas où il n’y a aucun doute sur la culpabilité de l’assassin, mais l’absence de deux témoins rend le tribunal impuissant. L’anecdote racontée ici a deux fonctions. Shim‘on ben Sheṭaḥ montre d’abord qu’il est absolument impossible de déroger à la règle des deux témoins. Par son ironie verbale, il exprime à quel point cela est douloureux pour lui-même. L’ironie narrative permet de libérer les auditeurs (ou lecteurs) du récit de l’absurdité d’une telle situation, avec la promesse d’un équilibre rétabli par la providence. T Makkot 1, 3 « Un billet datant d’un jour de shabbat ou du dix Tishre, R’ Yehuda le considère comme valable et R’ Yose comme non valable. R’ Yehuda lui dit : un cas fut présenté devant toi à Sepphoris et tu l’as autorisé ! R’ Yose lui dit : moi, je n’ai pas autorisé [ce cas] et, si je l’ai autorisé, alors je l’ai autorisé ! »

R’ Yehuda reproche à R’ Yose de ne pas être cohérent avec son propre enseignement. R’ Yose nie les faits rapportés par R’ Yehuda, mais dit que même s’il a, en effet, autorisé cela dans le passé, c’est du passé. La réponse dynamique de R’ Yose réfute d’une manière légèrement malhonnête l’argument de R’ Yehuda. R’ Yose use d’un ton autoritaire, car il n’a pas une réponse pertinente à donner à son interlocuteur. C’est une méthode douteuse qui présente le sage sous un angle ridicule. Les opinions de R’ Yehuda sont très souvent opposées à celle de la majorité et sont rarement suivies. Les

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sages n’hésitent pas à le refuter d’une manière un peu expéditive. C’est également le cas dans notre récit, mais ici la réfutation n’est pas justifiée. Ainsi, pour la Tosefta, certaines manifestations de l’autorité rabbinique n’échappent pas au ridicule. M ‘Aboda Zara 4, 7 « [Des non-juifs] demandèrent aux anciens à Rome : s’Il ne veut pas que l’idolâtrie existe, pourquoi donc ne l’annule-t-Il pas ? Ils répondirent : si [les idolâtres] vouaient un culte à une chose dont le monde n’a pas besoin, Il l’annulerait, mais voici qu’ils vouent un culte au soleil, à la lune et aux astres, doit-Il anéantir son monde à cause des sots ?!862 [Les non-juifs] leur dirent : dans ce cas, qu’Il anéantisse les choses dont le monde n’a pas besoin et qu’Il maintienne les choses dont le monde a besoin. [Les sages répondirent] : ainsi, nous encouragerions ces idolâtres, puisqu’ils pourraient dire : sachez que les choses [maintenues] sont des divinités puisqu’elles n’ont pas été anéanties ! »

Ce récit rapporte un dialogue polémique entre deux groupes. Des personnes non identifiées tentent de mettre en difficulté un groupe de sages. Selon le récit, cela se passe à Rome, mais nous n’avons aucune autre indication sur l’époque, le lieu précis ou l’identité des personnes. Le parallèle de T ‘Aboda Zara 7, 7863 présente un contenu similaire, mais plus succinct et dénué d’humour. Il apporte aussi une information complémentaire concernant les protagonistes : les interlocuteurs des sages sont des philosophes. L’échange est clairement polémique, les non-juifs essayant de défier la toute-puissance du Dieu unique. Leur question est posée avec ironie : s’il est si puissant et si opposé à l’idolâtrie, pourquoi ne fait-il rien pour la supprimer ? Les sages donnent une explication et l’habillent de sarcasme : doit-il anéantir le monde à cause des idiots864 ? Les idiots sont, bien évidemment, les idolâtres dont font partie les interlocuteurs des sages. La suite du dialogue, où les non-juifs pensent avoir réponse à tout (qu’Il détruise uniquement ce dont le monde n’a pas besoin), donne le dernier mot aux sages, qui répondent avec une logique imparable. Le récit, qui met en scène un échange polémique entre deux groupes, relève du premier niveau d’humour. 862

Question similaire à celle que l’on trouve dans T Shabbat 11, 15, voir p. 279. « Des philosophes demandèrent aux anciens à Rome : s’Il ne veut pas de l’idolâtrie, pourquoi donc ne l’annule-t-Il pas ? [Ils répondirent :] si [les idolâtres] vouaient un culte à une seule chose, Il l’aurait annulée, mais voici qu’ils vouent un culte au soleil, à la lune et aux astres, doit-Il anéantir son monde à cause des sots ? Non, Il laisse le monde suivre son cours et les sots qui le détériorent devront dans le futur rendre des comptes. Un voleur, s’il sème des graines, elles ne pousseront pas, s’il couche avec une femme, elle n’aura pas d’enfant. Il laisse le monde suivre son cours et les sots qui le détériorent viendront et rendront des comptes. » 864 Un argument sarcastique semblable se trouve dans T Shabbat 11, 15, p. 279. 863

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Comme dans le récit concernant Rabban Gamliel et le bain d’Aphrodite, le rédacteur attribue aux non-juifs une certaine connaissance du judaïsme, de ses textes et croyances, mais une connaissance partielle ou erronée, ce qui permet aux sages de les ridiculiser et se montrer supérieurs à eux. T ‘Aboda Zara 1, 20 « [Ils] demandèrent à R’ Yehoshua‘ : un homme peut-il enseigner à son fils la littérature grecque ? Il leur répondit : il peut la lui enseigner à une heure qui n’est ni jour ni nuit, puisqu’il est écrit : (Jos 1, 8) [Ce livre de la Tora ne doit pas quitter ta bouche], tu le méditeras jour et nuit. »

Le passage se réduit à un échange entre un groupe de sages ou de disciples et R’ Yehoshua‘. Ce dernier répond à la question posée avec un humour subtil : oui, dit-il, il suffit de trouver un moment qui n’est ni le jour ni la nuit, pour ne pas contredire l’Écriture, ce qui est, bien sûr, impossible ! Il s’agit ici d’une manière humoristique de formuler l’interdit, c’est-à-dire de l’humour au premier niveau, mais pourquoi la Tosefta a-t-elle privilégié cette formulation humoristique ? Pour répondre à la question, il est nécessaire de se tourner vers les autres textes parlant du grec dans la littérature rabbinique. Dans M Soṭa 9, 14, il est question d’un décret rabbinique contre l’enseignement du grec lors de la « guerre de Quietus », c’est-à-dire la révolte de 115-117. Le terme employé est « grec », ce qui sous-entend qu’il s’agit de la langue et non de la sagesse, mais ce n’est pas explicitement précisé. L’interdit de la Mishna est donc formel, et semble très restrictif, car il porte directement sur la langue. Le parallèle de M Soṭa 9, 14 dans T Soṭa 15, 8 précise que Rabban Gamliel était autorisé à enseigner le grec à ses fils, car les Gamliel étaient proches du pouvoir. TY ‘Aboda Zara 2, 2 énonce une autorisation semblable à propos d’un autre membre illustre de cette famille, Rabbi Yehuda ha-nasi. Dans TY Pe’a 1, 1 et TY Soṭa 9, 14, nous trouvons le parallèle de T ‘Aboda Zara 1, 20, mais qui omet le mot littérature ou sagesse et parle du grec en général : cette omission est significative, car elle s’accorde avec la Mishna quant à la portée de la restriction (il est interdit d’étudier le grec et non la littérature grecque). TB Ḥagiga 15b raconte que Elisha‘ ben Abuya est appelé « Aḥer », parce que le « chant grec ne cessait pas [de retentir] dans sa maison »865, et « que lorsqu’il était dans la maison d’étude, des livres des minim tombaient de son sein ». Le commentaire de M Soṭa 9, 14 dans TB Soṭa 49b (parallèle : TB Baba Qamma 82b-83a) distingue entre la langue grecque, autorisée à l’étude, et 865

Zemer yewani lo pasaq mi-beto.

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la sagesse grecque, interdite. L’autorisation spéciale accordée à la famille de Rabban Gamliel concerne la sagesse grecque, alors que, dans TB Baba Qamma 82b, il est explicitement stipulé que celui qui enseigne à son fils la sagesse grecque est maudit. Le parallèle de notre texte dans TB Menaḥot 99b comporte les récits que nous trouvons également dans TB Soṭa 49b et TB Baba Qamma 82b-83a, y compris la malédiction frappant l’homme qui enseigne à son fils la sagesse grecque. Le parallèle du récit de la Mishna présente quelques variantes : « … Ben Dama, fils de la sœur de R’ Yishma‘el, demanda à R’ Yishma‘el : [un homme] comme moi qui a appris toute la Tora, peut-il apprendre la sagesse grecque ? [R’ Yishma‘el] a lu à propos de lui ce verset : (Jos 1, 8) Ce livre de la Tora ne doit pas quitter ta bouche, tu le méditeras jour et nuit [afin d’en observer avec soin tout le contenu  ; car alors seulement tu prospéreras dans tes voies, alors seulement tu seras heureux]. Va trouver une heure qui n’est ni jour ni nuit pour y apprendre la sagesse grecque ! »

Dans ce parallèle, les protagonistes ne sont pas les mêmes, mais le principe est identique. Le TB accentue l’effet comique de la conversation. Ben Dama, qui ne porte pas le titre de Rabbi, pose sa question de manière très orgueilleuse, en se qualifiant d’homme qui a appris toute la Tora. Ayant épuisé ce sujet, il cherche maintenant à étudier autre chose. La réponse de R’ Yishma‘el est d’autant plus amusante qu’elle remet le disciple arrogant à sa juste place avec humour. De plus, sa citation du verset ne concerne pas seulement l’interdit d’étudier la sagesse grecque, mais également le fait que c’est seulement en étudiant et en observant « avec soin tout le contenu » que l’homme peut être heureux. En évoquant la fin du verset de Josué, R’ Yishma‘el mobilise deux idées supplémentaires : la première est que, quand bien même Ben Dama pense avoir appris toute la Tora, ce n’est pas un sujet que l’on peut terminer d’étudier ; la seconde est que seule la Tora peut procurer le bonheur, ce qui sous-entend que la sagesse grecque ne saurait le faire. La lecture intertextuelle du récit de la Tosefta met en avant le rôle de l’humour dans la manière dont l’interdit d’étudier le grec a été formulé. Les rabbins avaient une position ambiguë envers la langue et la sagesse grecques. Majoritairement interdite, leur étude était néanmoins autorisée dans certains cas et pour certaines personnes. La formulation humoristique de l’interdit introduit une ambiguïté, qui enlève à l’interdit son caractère absolu, et le rend donc plus discutable. La distinction dans le TB entre langue et sagesse grecques est absente du TY, ce qui suggère une plus grande méfiance vis-à-vis du grec parmi les rabbins palestiniens866. Le TY ne parle pas non plus de « littérature 866

Voir S. LIEBERMAN, Hellenism in Jewish Palestine, New York, 1962, p. 100-114.

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grecque », comme la Tosefta. Les textes de la Tosefta à propos de la langue et la sagesse grecques ont une position plus proche de celle du TB867. T Zebaḥim 2, 17 « Rabbi dit : une fois nous étions assis devant R’ Ele‘azar et Issi le babylonien, qu’il aimait bien, était assis devant lui. Il lui demanda : Rabbi, celui qui égorge le sacrifice pour manger ses viandes sacrificielles et faire fumer sa viande, qu’en est-il ? Il répondit : c’est permis. [Il lui demanda à nouveau :] Et laisser son sang et sa viande sacrificielle jusqu’au lendemain ou les faire sortir, qu’en est-il ? Il lui répondit : c’est permis, mais R’ Eli‘ezer l’interdit et R’ Yehoshua‘ le permet. [Issi] lui demanda : répète pour moi l’enseignement, et il le répéta pour lui. Le soir, [Issi] vint chez [R’ Ele‘azar] et lui demanda : répète pour moi l’enseignement et il lui répéta l’enseignement. Il lui dit : qu’as-tu Yose, peut-être n’as-tu pas mis toute l’intention nécessaire à ton écoute ? Il lui répondit : oui Rabbi, mais R’ Yehuda nous a enseigné que c’était interdit et je suis allé voir tous mes amis et je n’ai trouvé pour lui aucun appui. Je pensais avoir peut-être fait une erreur. Maintenant que tu m’as enseigné la parole au nom de R’ Eli‘ezer, tu m’as rendu ce que j’ai perdu ! Ses larmes coulaient et il dit : soyez heureux les justes, car vous rendez la Tora aimable, pour accomplir ce qui est écrit : (Ps 119, 97) Oh que j’aime ta Tora, toute la journée elle est l’objet de ma conversation  ! puisque Yehuda est le fils de R’ Il‘ay et Il‘ay est le disciple de R’ Eli‘ezer, c’est pour cette raison qu’il enseigne selon l’opinion de R’ Eli‘ezer. »

Nous avons ici un récit amusant et touchant, qui donne un aperçu des relations entre maître et disciple et éclaire la controverse située dans le paragraphe précédent. L’aspect humoristique du texte est relativement mineur. Une remarque de Issi (ou Yose) relève de l’humour au premier niveau : « tu m’as rendu ce que j’ai perdu ». Avec cette remarque, Issi formule de manière humoristique la contradiction qu’il souhaitait résoudre. Un autre détail renforce la dimension humoristique de l’anecdote : le fait que Issi demande qu’on lui répète plusieurs fois la leçon. Cette répétition ne manque pas d’étonner R’ Ele‘azar, ce qui confirme son caractère inhabituel. Le comportement de Issi est amusant dans ce récit, avec une tonalité bienveillante. Le passage peut donc être classé tout entier dans la première catégorie de l’humour. Sa fonction est didactique : rendre l’étude divertissante et agréable. T Bekhorot 5, 6-7 « Un [membre] supplémentaire, s’il comporte un os, [l’animal] est impropre [à la consommation], sinon, il est autorisé. Un [membre] supplémentaire, ainsi 867

Voir aussi STERN, Jewish Identity…, p. 176-181.

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que le dit [la Mishna] : “ses doigts de main et de pied, six et six, R’ Yehuda autorise et R’ Yose interdit” (M Bekhorot 7, 6). R’ Yehuda dit : le cas fut présenté devant R’ Ṭarfon et il dit : pourvu que, comme lui, les grands prêtres soient nombreux en Israël. R’ Yose lui répondit : c’est ainsi qu’il dit : pourvu que, comme lui, se réduisent les netinim et les mamzerim en Israël. »

Une controverse entre R’ Yehuda et R’ Yose, déjà attestée dans la Mishna, est présentée ici avec une pointe d’humour. Pour appuyer son opinion, R’ Yehuda raconte un récit où, selon lui, R’ Ṭarfon confirme son opinion. Les propos rapportés par R’ Yehuda et attribués à R’ Ṭarfon ne sont pas un simple commentaire halakhique, mais forment une paraphrase amusante. Selon ce récit, R’ Ṭarfon a été confronté au cas d’une bête ayant vingtquatre doigts, et, au lieu de simplement autoriser sa consommation, il a exprimé le souhait que les grands prêtres soient abondants en Israël « comme lui ». Comment devons-nous comprendre cette comparaison ? Est-ce qu’elle signifie que les grands prêtres doivent être aussi nombreux que les membres de l’animal ? La suite du texte, où R’ Yose attribue des propos différents à R’ Ṭarfon, suggère une autre lecture : que des grands prêtres avec une telle malformation soient nombreux en Israël. Nous pouvons, bien évidemment, comprendre cette exclamation ainsi : ce défaut n’en est pas réellement un, les grands-prêtres pourraient avoir vingt-quatre doigts sans que cela pose de problème. L’idée de nombreux grands prêtres mutants, et surtout l’idée que R’ Ṭarfon puisse souhaiter une telle multitude de grands-prêtres malformés est néanmoins saugrenue. La réponse de R’ Yose, attribuant des propos contraires à R’ Ṭarfon, révèle que le récit initial de R’ Yehuda n’était probablement pas la restitution fidèle d’un événement passé. Cette brève discussion manifeste la rivalité qui existe entre les deux sages ainsi que de l’humour au premier niveau. T Ohalot 2, 6 « Un crâne qui a un seul long trou ou plusieurs trous qui s’additionnent en un trou complet, [est-il pur ou impur ?] R’ Yose ben ha-meshullam [dit] : histoire à ‘En Bul d’un homme dont le crâne fut coupé et le médecin le répara à l’aide d’une greffe faite d’une écorce de citrouille, et l’homme survécut. R’ Shim‘on ben Ele‘azar lui dit : de là, tu apportes une preuve ?! Quand bien même il survécut durant tous les beaux jours, lorsque les pluies lui tombèrent dessus, il prit froid et mourut ! »

Cette histoire nous expose un fait médical étonnant : une greffe de crâne en écorce de citrouille. Si la première partie de l’histoire, racontée par R’ Yose, est informative et optimiste, puisque l’homme au crâne blessé a survécu, la réponse de R’ Shim‘on comporte du sarcasme touchant à l’humour noir. Pour prouver que son collègue a tort, R’ Shim‘on raconte la fin malheureuse

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du blessé, causée, selon lui, par le fait que la greffe n’était pas étanche. Ce raisonnement nous semble un peu artificiel, car nous pouvons imaginer qu’un homme dont le crâne est blessé à ce point aurait évité d’être en contact avec la pluie. La description lapidaire de R’ Shim‘on, qui campe un homme sous la pluie, avec de l’eau qui ruisselle et pénètre son crâne greffé, relève manifestement de la caricature. Elle est à classer dans le premier niveau d’humour, celui de l’échange entre les sages. Si le cas du patient est réel, nous avons devant nous un bel exemple d’art narratif des rabbins, qui n’hésitent pas à présenter les faits comme cela les arrange pour défendre un argument halakhique. M Nega‘im 9, 3 « [Ils] demandèrent à R’ Eli‘ezer : [qu’en est-il de] celui qui présente une tache claire dans sa main de la taille d’un sela‘ et elle est située dans le lieu d’une brûlure de sheḥin ? Il leur répondit : il doit s’isoler. Ils lui demandèrent : pourquoi donc ? Des poils blancs ne peuvent pas y pousser, la tache ne peut pas se répandre, et la chair saine ne cause pas en elle d’impureté. Il leur répondit : j’ai entendu [un enseignement disant qu’] elle risque de se contracter et puis de se répandre. Ils lui répondirent : mais n’est-ce pas que la place qu’elle occupe est comme celle d’une graine ? Il leur dit : je n’ai pas entendu [d’enseignement à ce propos]. R’ Yehuda ben Betera lui dit : puis-je enseigner à partir de ce cas ? [R’ Eli‘ezer] lui dit : si c’est pour accomplir les paroles des sages, oui. [R’ Yehuda] lui dit : il se peut qu’une autre tache de sheḥin se présente sur lui, en dehors de la tache initiale, et qu’elle se répande sur elle. [R’ Eli‘ezer] lui dit : tu es un grand sage, car tu as accompli les paroles des sages. »

Un groupe anonyme de sages pose une question halakhique à R’ Eli‘ezer, à laquelle il répond. Sa réponse n’a manifestement pas satisfait les sages, car ils enchaînent avec des objections. À ces objections, R’ Eli‘ezer ne répond pas par un raisonnement personnel, mais par des arguments entendus et appris de ses maîtres, ainsi qu’il avait l’habitude de le faire868. L’une des objections le met en réelle difficulté : « je n’ai pas entendu [d’enseignement à ce propos] », dit-il. La difficulté se dénoue grâce à l’intervention de R’ Yehuda ben Betera. Celui-ci demande avec prudence à R’ Eli‘ezer s’il peut enseigner quelque chose « à partir de ce cas », ce à quoi R’ Eli‘ezer répond : seulement « si c’est pour accomplir les paroles des sages ». Il ne précise pas quels sages, mais utilise bien un pluriel. R’ Yehuda apporte un argument qui confirme l’opinion de R’ Eli‘ezer. Ce dernier qualifie alors R’ Yehuda de « grand sage », car il a « accompli les paroles des sages ». 868

A. HYMAN, Toledot tanna’im we-amora’im, vol. 1, Londres, 1910, p. 163.

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L’humour du récit, à classer dans le premier niveau, se trouve précisément dans la dernière remarque de R’ Eli‘ezer, qui se trouvait en difficulté, seul face à un groupe de sages et en manque d’arguments convaincants. Lorsqu’il donne l’autorisation à R’ Yehuda ben Betera de s’exprimer, il ne précise pas l’identité des sages dont il parle. Il pourrait s’agir de ses interlocuteurs, du mouvement rabbinique en général ou encore de ses maîtres. Une seule chose est certaine, il ne peut pas s’agir de R’ Eli‘ezer lui-même, puisqu’il emploie un pluriel. Il nous semble que cette ambiguïté n’est pas le fruit du hasard, elle est au contraire désirée par R’ Eli‘ezer lui-même. La remarque de R’ Yehuda confirme l’opinion de R’ Eli‘ezer : concrètement, R’ Yehuda a accompli les paroles d’un sage, c’est-à-dire de R’ Eli‘ezer, mais ce dernier ne revendique qu’indirectement ce fait. Il nous suggère néanmoins l’identité des sages : lui-même et ses maîtres. Ainsi, avec une ironie subtile, il exclut ses interlocuteurs directs du groupe des sages dont il faut accomplir les paroles et arrive avec humour à se sortir d’une situation embarrassante. Un récit identique se trouve dans M Nega‘im 11, 7, avec les mêmes protagonistes et la même structure, mais la halakha est différente. T Nega‘im 9, 9 « (…) deux meṣora‘im : le sang de purification de l’un d’eux a été jeté sur l’autel et l’autre est mort. À propos de ce cas, les gens d’Alexandrie interrogèrent R’ Yehoshua‘ et il leur dit : il ne peut pas apporter une offrande expiatoire de gros bétail, car elle est apportée uniquement en cas de doute, et il ne peut pas apporter une offrande expiatoire de volaille, car un riche qui apporte un sacrifice de pauvre n’est pas exempt. Alors, comment fait-il ? Il lègue ses biens par écrit à un autre et apporte un sacrifice de pauvre, ainsi le pauvre peut apporter une offrande de volaille. R’ Yehoshua‘ leur dit : maintenant, vous avez posé une question intelligente ! »

Dans ce récit qui est essentiellement halakhique, nous retenons uniquement la dernière affirmation de R’ Yehoshua‘, qui félicite les gens d’Alexandrie d’avoir posé une question intelligente. Le mot « maintenant » donne une note d’ironie à cette affirmation, car si « maintenant » la question est intelligente, cela signifie que les précédentes questions ne l’étaient pas. C’est un exemple d’humour rabbinique du premier niveau, qui établit la supériorité des sages sur les autres groupes juifs et consolide leur autorité. T Miqwa’ot 5, 14 « Un homme qui plonge [en sautant] dans le bain rituel, c’est obscène. Celui qui s’immerge deux fois, c’est obscène. Celui qui dit à son ami : mets ton bras autour de moi dans le bain rituel, c’est obscène. R’ Yehuda dit : mets ton bras autour de lui jusqu’à ce que son âme parte ! »

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Ce passage non narratif de la Tosefta définit certaines actions dans le bain rituel comme obscènes. C’est le cas d’un homme qui dit à son ami de l’enlacer. R’ Yehuda propose de détourner cette demande obscène en prononçant une injonction comique : si un homme dit à un autre de mettre son bras autour de lui, que la personne sollicitée le fasse, mais pour étrangler celui qui a formulé la demande. T Nidda 1, 5 « R’ Eli‘ezer dit que, pour quatre [catégories de] femmes, il suffit [de compter la période d’impureté à partir de] l’heure [où elles constatent l’apparition de leurs règles] : une vierge, une femme enceinte, une femme allaitante et une femme âgée. R’ Yehoshua‘ dit : je n’ai entendu cela qu’à propos d’une vierge. R’ Eli‘ezer lui dit : on ne demande pas à celui qui n’a pas vu la nouvelle lune de venir témoigner ! Tu n’as pas entendu, mais nous, nous avons entendu ! Tu as entendu l’enseignement à propos d’une catégorie et nous avons entendu l’enseignement à propos de quatre catégories. Tant que R’ Eli‘ezer était vivant, le peuple agissait selon ses paroles, et, après la mort de R’ Eli‘ezer, R’ Yehoshua‘ voulut rétablir les choses comme elles étaient auparavant, mais la halakha resta fixée selon l’enseignement de R’ Eli‘ezer. »

Nous avons ici une controverse entre R’ Eli‘ezer et R’ Yehoshua‘. Quand R’ Eli‘ezer répond à son adversaire, il reprend son propos (« je n’ai pas entendu … ») en le détournant légèrement dans le cadre d’une comparaison pourvue d’humour (de l’ordre de l’humour interne) : « on ne demande pas à celui qui n’a pas vu de venir témoigner ». T Makhshirin 3, 3-4 « Ḥilefta ben Qawina dit : l’ail ba‘al bekhi [devient impur], suivant [le verset] : (Lv 11, 38) Mais si de l’eau a été jetée sur un végétal…, car on le mouille avec de l’eau puis on le tresse. Les sages dirent : dans ce cas, qu’il soit impur pour Ḥilefta ben Qawina et pur pour tout Israël. Yehoshua‘ ben Peraḥya dit : les [épis de] blé venant d’Alexandrie sont impurs à cause de leur contenant. Les sages dirent : dans ce cas, qu’ils soient impurs pour Yehoshua‘ ben Peraḥya et purs pour tout Israël. »

Ce passage contient deux halakhot, enseignées par des personnes qui ne portent pas le titre de Rabbi. Ces personnes déclarent impurs deux produits, l’ail et le blé d’Alexandrie, contrairement à l’opinion des sages. Ces derniers ne semblent pas avoir suffisamment d’autorité sur les deux personnages, pour les contraindre à changer d’avis ou pour s’opposer directement à eux, et ils choisissent, par conséquent, l’ironie pour exprimer leur désaccord. Ils ne disent pas aux interlocuteurs qu’ils ont tort, mais simplement, que si tel est leur avis, les produits seront impurs pour eux, donc interdits, alors qu’ils seront autorisés au reste du peuple d’Israël. Ainsi, le fait de contredire les

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sages n’a aucun effet sur le peuple d’Israël (à commencer par les sages euxmêmes). Il affecte en revanche les opposants des sages, qui se trouvent lésés après avoir exprimé une opinion anti-rabbinique. Cette forme d’ironie relève de l’humour interne (premier niveau) et permet aux sages d’affirmer leur autorité face aux dissidents, d’une manière subtile mais sans laisser de place à des objections. Le passage est d’ailleurs suivi par deux récits étiologiques sur les gens de Sepphoris, qui acceptent l’autorité des sages sans discussion. T Makhshirin 3, 5-6 « Auparavant, les prémices des courgettes et des courges à Sepphoris étaient impures, car ils les essuyaient avec une éponge au moment de la récolte. [Ensuite], les gens de Sepphoris acceptèrent de ne plus faire ainsi. Auparavant, les graines moulues de fèves et de haricots étaient impures, car ils les faisaient tremper dans l’eau au moment de la mouture. »

Ces deux récits étiologiques ne présentent aucun trait humoristique, mais ils constituent pourtant une sorte de complément à l’ironie du passage précédent. Le deuxième récit est manifestement tronqué, car il présente seulement la situation initiale sans le changement. Par déduction, nous pouvons néanmoins supposer que les gens de Sepphoris ont accepté l’autorité rabbinique pour les farines de fèves et de haricots comme ils l’ont fait pour les récoltes de courges et de courgettes. T Yebamot 8, 7 « R’ ‘Aqiba dit : celui qui verse le sang, c’est comme s’il réduit l’image [de Dieu], puisqu’il est écrit : (Gn 9, 6) Celui qui verse le sang de l’homme, par l’homme son sang sera versé, [car l’homme a été fait à l’image de Dieu]. R’ Ele‘azar ben ‘Azarya dit : celui qui ne s’occupe pas du [commandement de la] procréation, c’est comme s’il verse le sang et réduit l’image [de Dieu], puisqu’il est écrit : (id.) car l’homme a été fait à l’image de Dieu et, [aussitôt après], il est écrit : (Gn 9, 7) et vous, croissez et multipliez, etc. R’ Ele‘azar ben ‘Azarya lui dit : Ben ‘Azzay, les paroles sont belles lorsqu’elles sortent de la bouche de ceux qui les accomplissent. Il y a celui qui enseigne bien, mais n’accomplit pas son enseignement, et celui qui accomplit mais n’enseigne pas bien. Ben ‘Azzay enseigne bien, mais n’accomplit pas. [Ben ‘Azzay] lui dit : que puis-je faire ? Mon âme désire la Tora ! Que le monde subsiste grâce à d’autres ! »

Ce passage est une discussion rabbinique (probablement un récit de bet hamidrash), dont le contenu n’a pas d’importance pour notre propos869. Sa 869 Selon les rabbins antiques, l’homme, et plus particulièrement l’homme juif, créé à l’image de Dieu, doit préserver et nourrir la divinité à travers le commandement de la reproduction et l’accomplissement plus général de la Tora : voir sur ce point Y. LORBERBAUM, In

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dimension humoristique, si on peut la considérer comme telle, relève du premier niveau d’humour et se trouve dans la réponse de Ben ‘Azzay. Ce dernier se décharge du commandement qu’il met pourtant lui-même en avant. Sur un ton proche de l’autodérision, il accepte son propre défaut, un peu à la manière de R’ Ṭarfon, quand il dit : « voici ton âne qui s’en va ». T Bekhorot 4, 8 « R’ Yose dit : histoire du taureau de Bet Menaḥem que l’on fit asseoir sur son derrière, et on pressa ses testicules, mais seulement l’un [d’entre eux] est apparu. Il fut égorgé et le deuxième [testicule] fut trouvé, attaché au flanc. Le cas fut apporté devant R’ ‘Aqiba et il déclara la viande propre à la consommation. Et, lorsque les choses ont été dites devant R’ Yoḥanan ben Nuri, il dit : R’ ‘Aqiba vous a fait manger des cadavres. Si les cornes ou les pieds sont percés ou enlevés, et le pénis est avec eux, l’animal sera abattu. »

Ce texte explique la méthode à suivre pour vérifier si un taureau est propre à la consommation. Ladite méthode pourrait sembler comique, mais elle était probablement un sujet extrêmement sérieux aux yeux des sages. R’ ‘Aqiba a permis de consommer la viande du taureau de Bet Menaḥem, conformément à la halakha 7, qui se trouve juste avant le récit. Son collègue R’ Yoḥanan ben Nuri n’est pas d’accord avec sa décision et il s’exprime, au sujet de R’ ‘Aqiba, de manière sarcastique : « R’ ‘Aqiba vous a fait manger des cadavres. » Cette remarque laisse transparaître une certaine rivalité entre les deux sages. Il n’est pas sûr pour autant qu’elle soit humoristique. T Nidda 5, 16-17 « Histoire d’un enfant qui consacra sa hache au ciel et son père l’amena devant R’ ‘Aqiba qui l’examina. Il lui demanda : mon fils, à quoi l’as-tu consacrée ? Peut-être était-ce au soleil et à la lune et aux planètes et aux astres qui sont beaux ? Il répondit : je ne l’ai consacrée qu’à celui à qui appartient le fer, béni soit-Il. R’ ‘Aqiba dit : celui-ci a été examiné et il est valable. Encore une histoire à propos d’un enfant. Lorsqu’ils venaient en bateau, une grande vague les menaça et ils crièrent vers leurs dieux, ainsi qu’il est écrit : (Jon 1, 5) Les matelots prirent peur, et chacun d’invoquer son dieu. Cet enfant leur dit : jusqu’à quand ferez-vous les idiots ? Invoquez plutôt celui qui créa la mer ! Le cas fut exposé devant les sages qui dirent : celui-ci a été examiné et il est valable. »

Ces deux récits édifiants ne portent pas sur des rabbins, mais sur des enfants. Aucun élément humoristique n’est perceptible dans le premier récit, où la God’s Image. Myth, Theology, and Law in Classical Judaism, Cambridge, 2015. Lorberbaum souligne l’ironie du récit et l’hypocrisie de Ben ‘Azzay (p. 225-226).

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piété et les connaissances de l’enfant sont confirmées par R’ ‘Aqiba. Il n’en est pas de même pour le deuxième récit, qui est inspiré du livre de Jonas, dont il cite un verset. En effet, il met en scène un enfant, qui s’adresse aux autres passagers du bateau avec ironie, afin de leur montrer l’absurdité de leur comportement idolâtre. Dans le récit suivant, c’est également un personnage non rabbinique qui s’exprime de manière ironique ou sarcastique. T Ketubbot 4, 7 « Un homme peut épouser une femme, en mettant comme condition de ne pas la nourrir870 ou de ne pas la faire subsister, et ce n’est pas tout, car il peut convenir avec elle que ce soit elle qui le nourrisse, pourvoie à ses besoins et lui permette d’étudier871 la Tora. Histoire de Yehoshua‘ fils de R’ ‘Aqiba, qui épousa une femme et convint avec elle qu’elle le nourrisse, pourvoie à ses besoins et lui permette d’étudier la Tora. Des années de sécheresse arrivèrent. Ils se levèrent et divisèrent [leur fortune]872. Elle commença à se plaindre de lui auprès des sages, [car elle s’était uniquement engagée à subvenir à ses besoins et non à dilapider sa fortune]873 et, lorsqu’il arriva au tribunal, il leur dit : je lui fais confiance plus qu’à toute autre personne. Elle leur dit : certainement ! Ce sont les conditions qu’il m’a imposées. Les sages lui dirent : il n’y a rien [qui puisse défaire un contrat] après sa conclusion. »

Ce passage évoque Yehoshua‘, le fils de R’ ‘Aqiba, qui a épousé une femme et a convenu avec elle qu’elle subvienne à ses besoins, afin qu’il puisse étudier. Lors d’une période de pénurie, la femme s’est plaint auprès des sages, parce qu’elle était obligée de dépenser sa fortune. Yehoshua‘ arrive au tribunal et déclare qu’il fait confiance à sa femme, remarque qui semble bienveillante. La femme réagit pourtant de manière sarcastique à l’égard de son mari. La réaction agressive de la femme permet donc de supposer que la remarque bienveillante de Yehoshua‘ était ironique. C.3. Ironie du sort ou ironie divine – rira bien qui rira le dernier Le principe de « mesure pour mesure » est largement répandu dans la littérature hébraïque ancienne. On le trouve dans la loi du Pentateuque (proche du code d’Hammurabi sur cet aspect) comme dans plusieurs récits, à commencer par celui du jardin d’Éden et de la punition du serpent. Il exprime l’idée d’une punition équivalente au péché. Si l’on prend en compte ce principe de justice stricte et équitable, les péchés qui restent impunis posent 870

C’est-à-dire lui donner une pension alimentaire. Littéralement : « enseigner ». 872 Complété d’après le TY. 873 Complété d’après S. LIEBERMAN, Tosefta Ki-fshutah. Nashim, vol. 6, Newark, 1967, p. 244. 871

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un problème moral, résolu en théorie par l’idée d’une rétribution eschatologique, chez les rabbins comme dans d’autres littératures anciennes. Le rire et l’humour peuvent être liés à cette idée, comme dans le cas de R’ ‘Aqiba et de son optimisme eschatologique, notamment dans Sifre Debarim 43874. Le principe de « mesure pour mesure » peut néanmoins renvoyer aussi à l’ironie du sort ou de la providence, comme dans le texte de T Sanhedrin 8, 3, commenté plus haut (p. 296). Même si les passages qui suggèrent la lecture ironique de ce principe ne sont que quatre, ils méritent une attention particulière. Deux passages non narratifs évoquent l’ironie de la providence à travers la rétribution du pécheur dans le monde présent. M Pe’a 8, 9 met en garde de ne pas abuser des dons aux pauvres. Celui qui bénéficie de ce qui est destiné aux pauvres, sans être vraiment dans la nécessité, finira par devenir réellement pauvre. Celui qui est dans la nécessité, mais se prive de ce à quoi il a droit, finira par devenir riche et donner aux autres. T Pe’a 4, 14 s’exprime de manière assez semblable : « Celui qui fait semblant d’être aveugle ou borgne, d’avoir le ventre gonflé à cause de la faim ou d’avoir des mollets gonflés, ne sortira pas du monde, tant que le handicap qu’il a feint n’est pas devenu réel. »

Un autre texte insiste sur l’ironie du cours de la vie et de Dieu par le biais d’un jeu de mots : M Abot 2, 6 « Aussi [Hillel] vit un crâne flotter sur l’eau et lui dit : parce que tu as noyé quelqu’un, tu as été noyé, à la fin ceux qui t’ont noyé seront noyés. »

Nous avons ici un passage où Hillel se promène dans la nature et, à la vue d’un crâne flottant sur l’eau, il émet des réflexions sur l’ironie du sort, articulées autour du principe de « mesure pour mesure ». Un certain effet dramatique entoure cette scène, et il est amusant d’imaginer Hillel l’ancien parler à un crâne errant (ce qui rappelle le personnage d’Hamlet). Aussi, il y a un jeu sonore avec quatre répétitions du verbe se noyer. Ce passage peut être rapproché du proverbe attribué au philosophe chinois Lao Tseu (VIe siècle av. n. e.) : « Si quelqu’un t’a offensé, ne cherche pas à te venger. Assieds-toi au bord de la rivière et bientôt tu verras passer son cadavre. » Un récit plus élaboré combine à la fois l’ironie du sort, l’ironie narrative, la moquerie, et des termes relevant du champ lexical du rire.

874

Voir p. 28 et annexe 3.

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T Baba Qamma, 2, 13 « Histoire d’un homme qui enlevait des pierres de son champ et les mettait dans le domaine public. Un juste le poursuivit et lui dit : pourquoi ramasses-tu donc des pierres dans [un domaine] qui ne t’appartient pas et les poses-tu à l’intérieur [du domaine] qui t’appartient ? L’homme se moqua de lui. Quelque temps plus tard, ledit homme se trouva dans le besoin et vendit son champ. Lorsqu’il marchait dans ce même lieu, il trébucha [sur les pierres qu’il y avait posées auparavant], il dit : ce n’est pas pour rien que cet homme m’a dit ce qu’il a dit, puisque voici que j’enlevais des pierres d’un domaine qui n’est pas à moi pour les mettre dans ce qui est à moi875. »

Dans ce récit, un juste voit un homme nettoyer son champ et poser des pierres sur la voie publique. Le juste semble dire des absurdités, il inverse la réalité, ce qui ne manque pas de faire rire l’homme qui se moque de lui. Après quelque temps, l’homme réalise que le juste avait raison, et il admet son erreur. Le récit comporte donc deux éléments humoristiques : l’homme qui nettoie son champ rit parce que les paroles du juste lui semblent incongrues, la narration est ensuite marquée par un retournement ironique, reconnu et souligné par ce même homme, devenu en quelque sorte un « propriétaire » de la voie publique, autrement dit un « sans domicile fixe ». Le récit est placé dans une discussion halakhique sur les dommages causés à un tiers par des objets laissés sur la voie publique, que ce soient des déchets ou des biens. Plus simplement, le texte aborde l’interdiction de souiller la voie publique, afin de ne pas gêner les autres. La discussion juridique qui précède la narration concerne les pierres que l’on enlève d’un champ (afin de pouvoir le labourer). Rabbi Yehoshua‘ permet de les transférer dans l’espace public, à condition que cela demeure provisoire. T Baba Qamma 2, 12 « On enlève les pierres via le domaine public. Paroles de R’ Yehoshua‘. R’ ‘Aqiba dit : de même qu’il n’a pas le droit de nuire, de même il n’a pas le droit d’enlever [les pierres de cette manière], et s’il [les] a enlevées de son champ, il doit les faire sortir vers la mer ou vers un lieu rocailleux. Et celui qui enlève les pierres les prend au milieu [du champ] et les pose sur les côtés. Si un autre homme vient et subit un dommage à cause d’elles, alors [le propriétaire du champ lui] est redevable [d’un dédommagement], bien qu’on ait dit que c’est comme s’il dégageait le chemin pour le bétail en posant [les obstacles] devant les hommes, [comme s’il dégageait le chemin] des voyants pour mettre [les obstacles] devant les aveugles. C’est en effet l’habitude du bétail de marcher au milieu [du champ] et [l’habitude] des hommes [de marcher] sur les côtés, c’est l’habitude des voyants de marcher au milieu [d’un

875 Nous traduisons ici par la première personne, alors que l’homme se parle à lui-même à la deuxième personne.

LES AUTRES RÉCITS

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chemin ou un champ] et [l’habitude] des aveugles [de s’éloigner] du milieu. Celui qui enlève et prend [les pierres] de son champ pour les poser dans le domaine public, et un autre homme vient et subit un dommage à cause d’elles, alors [le propriétaire du champ lui] est redevable [d’un dédommagement], bien qu’on ait dit que c’est comme s’il enlevait les pierres d’un [champ] qui n’est pas à lui et qu’il les mettait dans [un champ] qui est à lui. »

La halakha est claire : à partir du moment où l’on pose des objets, par exemple des pierres, sur la voie publique, et que quelqu’un subit un dommage à cause de cela, le responsable doit dédommager la victime. La dernière remarque du texte est pourtant très obscure : comment se fait-il que le champ dégagé par le propriétaire soit considéré comme « un [champ] qui n’est pas à lui », alors que le domaine public est qualifié de « [champ] qui est à lui » ? Le commentaire Minḥat Bikkurim explique que, puisque le domaine public appartient à tous, il est aussi la propriété de chaque individu, ce qui n’est pas le cas pour une propriété privée dont l’individu peut perdre la possession. La narration et son contexte halakhique montrent cependant que les rabbins établissaient une différence fondamentale entre la possession par un individu d’un domaine qui est strictement à lui et sa « possession » d’un domaine par le simple fait qu’il appartient à tout le monde. Dans le premier cas, un homme peut faire ce qu’il veut de son domaine pour son propre bien (dans ce cas enlever des pierres pour labourer) et dans le second, il doit respecter les autres usagers et il ne doit en aucun cas déranger et mettre en danger les autres. Dans la narration, l’homme était propriétaire et les circonstances l’ont amené à perdre sa propriété. Le fait que le domaine public, voisinant son ancienne propriété, soit « à lui » sous-entend qu’il est resté dans la même région et n’est pas parti tenter sa chance ailleurs, mais nous ne savons pas où il habite, ni ce qu’il fait, même s’il semble être devenu un résident de la voie publique. À la moquerie du propriétaire et au retournement ironique qui se produit dans l’anecdote s’ajoute un autre aspect humoristique qui concerne la place du récit dans son contexte. Si la halakha semble, au départ, soucieuse des bonnes relations entre concitoyens, la remarque énigmatique et l’anecdote explicative justifient l’interdit de souiller la voie publique par une raison bien plus égoïste et humaine qui consiste à mettre en garde le lecteur : s’il se permet de souiller égoïstement le domaine public, il risque de se retrouver à la rue, précisément dans ce domaine public qu’il a lui-même souillé. L’humour a donc une fonction didactique dans ce passage. Le principe de « mesure contre mesure » n’est cependant pas toujours présenté de manière humoristique. Dans le troisième chapitre de T Soṭa, il fait l’objet d’une véritable démonstration halakhique, que le quatrième chapitre prolonge en une longue séquence exégétique édifiante.

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C.4. Absurdité de la halakha876 T Kil’ayim 5, 6 « Issi le Babylonien dit : il est interdit par un raisonnement a fortiori de chevaucher une mule. Si dans un lieu où il est autorisé de porter deux robes comme une seule, voici que c’est interdit à cause du mélange, dans un lieu où il est interdit de conduire deux bêtes ensemble, ne doit-il pas être interdit [de chevaucher une mule] à cause du mélange ? [Ils] lui dirent : voici que l’Écriture dit (1 R 1, 33) vous ferez monter Salomon, mon fils, sur ma propre mule, et vous le conduirez vers le Ghihôn. Il leur dit : on ne répond pas à partir de Teqoa‘. [Ils] lui dirent : voici que l’Écriture dit : (1 R 15, 5) David avait fait ce qui est droit aux yeux de l’Éternel et n’avait contrevenu, toute sa vie, à aucune de ses prescriptions, à part l’affaire d’Urie, le Héthéen. »

Dans ce récit, Issi le Babylonien considère qu’il est interdit de chevaucher une mule, car elle est considérée comme un mélange d’animaux. C’est une idée qui peut sembler amusante, voire absurde. Était-ce le cas pour les anciens ? Ce n’est pas certain. Issi apparaît néanmoins comme extérieur au groupe des sages qui lui répond, et de plus, il n’a pas le titre de Rabbi. Sa remarque « on ne répond pas à partir de Teqoa‘ » n’est pas très claire. Teqoa‘ est-il le nom d’une localité dont provient une huile d’olive de grande qualité ou le mot renvoie-t-il à la sonnerie du shofar  ? Dans les deux cas, il peut y avoir un lien avec l’épisode du sacre de Salomon, qui ne peut pas constituer une preuve. Plus loin dans le chapitre (T Kil’ayim 5, 15), la halakha dit précisément le contraire de l’opinion de Issi le Babylonien : il est autorisé de porter deux robes l’une par dessus l’autre. M Megilla 1, 3 « Quelle ville est [considérée comme] grande ? S’il y a dix paresseux. Moins que cela, c’est un village… »

Le terme baṭlanin, que nous avons traduit ici « paresseux », signifie littéralement des hommes oisifs. La réception de ce texte (TB, Rashi, Bertinoro) indique qu’il s’agit de dix hommes qui peuvent à tout moment se rendre disponibles pour la prière à la synagogue et former le minyan. Ce terme peut également être lié à l’otium romain, qui se distingue de l’activité militaire ou commerciale. L’otium correspond à une simple période de repos et de loisir ou à un temps dédié à des activités de contemplation et d’étude. Dans

876 Seize textes : T Kil’ayim 5, 6 ; M Megilla 1, 3 ; T Megilla 3, 12 ; M Yebamot 16, 4 (3 récits) ; T Terumot 7, 12 ; T Nidda 2, 5 ; M Bekhorot 5, 3 ; T Keritot 2, 14 ; T Keritot 2, 15 ; T Nedarim 2, 1 ; M Nazir 2, 2 ; M Nazir 2, 3 ; M Nazir 5, 5 ; T ‘Erubin 6, 4 ; M Sanhedrin 5, 2.

LES AUTRES RÉCITS

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la culture romaine, le terme otium revêt des significations positives comme négatives. Le texte de la Mishna n’est probablement pas humoristique, mais pour un lecteur moderne, le terme baṭlan a une connotation négative, il désigne un fainéant. Sans être de l’humour rabbinique, la définition de la taille d’une ville selon le nombre de schnorrers qui y résident peut amuser le lecteur d’aujourd’hui. T Megilla 3, 12 « Une synagogue qui n’a qu’un seul homme apte à lire [la Tora] devant le public877, cet homme se lève, lit et se rassoit, puis se lève, lit et se rassoit, se lève, lit et se rassoit, même sept fois. »

Ce passage n’est pas narratif, il décrit la marche à suivre lorsqu’il n’y a pas assez de lecteurs à la synagogue. Il n’est probablement pas humoristique aux yeux des rabbins et doit être motivé par des raisons halakhiques. Il y a cependant un aspect comique dans le fait répété de se lever et de se rasseoir, une action mécanique rappelant Bergson et sa « mécanisation du vivant » qui produit un effet comique878. M Yebamot 16, 4 « [Si un homme] tombe à l’eau, que ce soit une eau avec fin879 ou sans fin880, sa femme est interdite [au remariage]. R’ Me’ir dit : il arriva qu’un homme tombe dans une grande citerne et qu’il remonte au bout de trois jours. R’ Yose dit : il arriva qu’un aveugle descende s’immerger dans une grotte et que son guide descende après lui [pour le sauver]. Ils y sont restés le temps que leurs âmes partent et l’on a marié leurs femmes. Il arriva encore en Asie que l’on fasse descendre un homme dans la mer, [mais, au moment de le remonter], ils n’ont récupéré que sa jambe. Les sages leur ont dit : s’il s’agit de la partie de la jambe au-dessus du genou, sa femme peut se remarier. Si c’est en-dessous du genou, elle ne peut pas se remarier. »

Ce passage comporte trois récits qui viennent illustrer une halakha. Aucun ne peut être considéré comme humoristique. Nous notons cependant un trait d’humour noir ou macabre dans le dernier récit, avec un homme qui descend en mer et dont on ne remonte que la jambe. En dépit du caractère choquant de l’anecdote, les sages ne manifestent aucune émotion et ils ne s’intéressent qu’à la portion de la jambe qui a été retrouvée et aux 877 Alors qu’il faut un lecteur pour chaque séquence de la péricope, entre 5 et 7 selon les occasions. 878 Voir p. 9. 879 Un eau dont on peut voir toutes les extrémités. 880 On ne peut pas voir ses limites.

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conséquences halakhiques qui en découlent. L’effet humoristique, produit par le texte, n’est probablement pas intentionnel. T Terumot 7, 12 « La sauce, le vinaigre et la saumure sont autorisés à la consommation, [contrairement aux autres liquides qui sont interdits] lorsqu’ils ont été gardés à découvert, [car les serpents ne sont pas susceptibles d’en boire et y laisser du venin]. R’ Shim‘on l’interdit. R’ Shim‘on dit : je l’ai vu boire de la sauce à Sidon. [Les sages] lui dirent : on n’apporte pas de preuve à partir des idiots881. »

A priori sans humour, ce petit récit de R’ Shim‘on à propos d’un serpent (c’est ainsi que S. Lieberman comprend ce passage), qui aurait bu de la sauce, est tout de même étrange. C’est surtout la réponse des sages qui semble amusante, car ils attribuent une caractéristique humaine, la sottise, à un serpent. Peuvent-ils vraiment considérer un serpent comme idiot ? T Nidda 2, 5 « Un enfant qui reconnaît sa mère n’est pas confié à une autre nourrice pour éviter le danger de mort882. Un enfant peut téter [le sein] d’une étrangère et d’une bête impure même pendant le shabbat. S’il est grand, c’est interdit. Abba Sha’ul dit : nous avions l’habitude de téter [le sein] des bêtes pures lors d’un jour de fête. »

La halakha dans ce passage indique que, du moment où un enfant est suffisamment grand pour se nourrir autrement qu’au sein, et que sa mère ne peut plus l’allaiter, il est interdit de le confier à une nourrice de substitution. Le texte affirme aussi qu’un enfant est autorisé à téter le sein d’une bête impure pendant le shabbat, c’est-à-dire que téter une bête impure n’est pas assimilé à traire un animal, action interdite pendant le shabbat. Compte tenu de ces éléments, la déclaration de Abba Sha’ul semble étrange : parle-t-il de lui-même ? S’agit-il de souvenirs d’enfance ou bien de coutumes de personnes adultes ? S’il se souvient de ce qu’il a fait lui-même, il constitue un exemple de « grand » qui tète une bête pendant un temps « religieux » (en l’occurrence une fête), donc un exemplum qui pourrait contredire la halakha. Dans ce cas, pourquoi la Tosefta ne réagit-elle pas à cette déclaration ?

881 Ce type de sarcasme envers les « sots » ou les « idiots » est à rapprocher de celui qu’on trouve dans T Shabbat 11, 15, où il vise la figure de Ben Siṭera (ou Ben Seṭada), voir p. 279. Voir également LIEBERMAN, Tosefta Ki-fshutah, vol. 1, p. 145-146. 882 S’il est assez grand pour reconnaître sa mère, il peut se nourrir autrement qu’au sein.

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T Keritot 2, 14 « R’ Yehuda dit : R’ Eli‘ezer et R’ Yehoshua‘ n’étaient pas en désaccord à propos de celui qui a l’intention de faire un travail donné. Comment ? Sa femme et sa sœur, il avait l’intention de coucher avec l’une et il coucha avec l’autre. Ses deux femmes, l’une en état de menstruation et l’autre non, il avait l’intention de coucher avec l’une et il coucha avec l’autre. Des figues et des raisins se trouvent devant lui, il avait l’intention de ramasser des figues et il ramassa des raisins, ou alors, il avait l’intention de ramasser des raisins et il ramassa des figues. Il avait l’intention de ramasser des [figues] noires et il ramassa des blanches ou des blanches et il ramassa des noires. R’ Eli‘ezer l’oblige [dans un tel cas à apporter] une offrande expiatoire et R’ Yehoshua‘ l’exempte. R’ Yehuda dit : R’ Yehoshua‘ l’exemptait aussi du sacrifice de culpabilité douteuse. R’ Shim‘on Shezuri et R’ Shim‘on disent : ils n’étaient pas en désaccord à propos d’une “chose à deux noms”, puisque R’ Eli‘ezer l’oblige [dans un tel cas d’apporter] une offrande expiatoire et R’ Yehoshua‘ l’exempte, paroles de R’ Yose. »

T Keritot 2, 15 « [Si] le Yom ha-kippurim a lieu la veille du shabbat [et qu’un homme] accomplit un travail au crépuscule, R’ Eli‘ezer l’oblige [dans un tel cas à apporter] une offrande expiatoire et R’ Yehoshua‘ l’exempte. R’ Yose dit : je ne vois pas la logique de R’ Eli‘ezer dans cette affaire, puisque je dis : s’il a écrit deux lettres, l’une durant le shabbat et l’autre durant le Yom ha-kippurim, il est exempt, puisque les deux jours ne peuvent pas s’additionner pour constituer un seul et même travail. [Les sages] lui dirent : la frappe à l’aide d’un marteau le prouvera. Il leur répondit : la levée [du marteau] était pendant le shabbat et le coup883 pendant le Yom ha-kippurim (…) »

Ces deux paragraphes non narratifs présentent des cas où la halakha est basée sur des suppositions absurdes. Dans le paragraphe 14, le cas où un homme a l’intention de cueillir une certaine catégorie de fruits, mais en cueille une autre, est plausible. Le deuxième cas, celui d’un homme qui couche accidentellement avec la mauvaise femme, est également possible, mais semble peu probable, à moins que la femme en état de menstruation ait l’intention explicite de coucher avec son mari pour le rendre impur884. Le paragraphe 15 cite deux cas d’un travail dont les deux « parties » ont lieu lors de jours chômés successifs : écrire une lettre ou lever un marteau pendant le shabbat, écrire une deuxième lettre ou baisser le marteau pendant

883

Littéralement : « la descente ». Le récit biblique de Jacob, qui découvre après la nuit de noces qu’il s’est marié avec Léa et non avec Rachel, est un exemple où l’homme est en effet ignorant et couche avec une femme qu’il prend pour une autre, mais cela est possible uniquement parce que la femme est au courant de la tromperie et en est complice. 884

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le Yom Kippur. Ces deux cas ne sont-ils pas totalement absurdes ? Les sages prenaient-ils ces exemples au sérieux ? M Nazir 2, 2 « Si un homme dit : cette vache a dû prononcer [un vœu de naziréat en disant] : si je me mets debout, me voici nezira, [ou bien] cette porte a dû prononcer [un vœu de naziréat en disant] : si je me laisse ouvrir, me voici nazir885. L’école de Shammay dit qu’il est nazir et l’école de Hillel dit qu’il n’est pas nazir. R’ Yehuda dit : lorsque [les sages de] l’école de Shammay ont enseigné cela, l’enseignement ne concernait que le cas d’un homme qui dit : cette vache m’est interdite comme un sacrifice, si elle se met debout. »

Ce passage non narratif présente le cas d’un homme qui n’arrive pas à ouvrir une porte ou bien à contrôler sa vache pour la mettre debout. Le texte de la Mishna ne relate pas clairement la frustration de l’homme, ni son énervement, mais il laisse apparaître ces deux sentiments à travers les exemples donnés. Il est, bien évidemment, absurde d’imaginer qu’une vache prononce un vœu de naziréat, afin de ne pas se mettre debout, et encore plus absurde d’imaginer qu’une porte puisse le faire. La finalité de cette mishna, qui présente également une controverse entre les écoles de Shammay et de Hillel, est manifestement de parler de cas où la prononciation du vœu par l’homme n’est pas réellement motivée par une réflexion et une volonté réelle, mais plutôt par une pulsion éphémère ou un désir de s’interdire un produit spécifique, ainsi que nous le lisons dans la mishna qui précède et dans celle qui suit. Nous pouvons tout de même nous demander pourquoi la Mishna ne précise pas le principe général et se concentre sur des exemples absurdes. Le résultat est fort amusant et l’était probablement aussi aux yeux des anciens. Le commentaire du TB se concentre sur les aspects logiques et halakhiques de la question, mais ouvre son commentaire par la question rhétorique : « une vache peut-elle parler ? » Cette question souligne l’absurdité de l’exemple de la Mishna, mais le commentaire qui la suit évacue cette absurdité et traite le sujet de manière sérieuse. Le TY procède de même : il souligne l’absurdité d’une vache et d’une porte qui parlent, pour ensuite expliquer de manière sérieuse les intentions du rédacteur de cette mishna. Que ce passage ait pu amuser ses lecteurs ou auditeurs anciens est donc fort probable, mais nous pouvons nous interroger sur l’intention de ses auteurs : avaient-ils réellement pour finalité de produire un texte amusant ? Les sages continuent sur la même question dans la mishna suivante : 885 Bertinoro ajoute ici dans son commentaire : « et que l’homme prononce un vœu de naziréat [à cause] de la vache ou de la porte en disant : si elle se met debout ou qu’elle s’ouvre, je serai nazir à cause d’elle ».

LES AUTRES RÉCITS

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M Nazir 2, 3 «Si on sert un verre [de vin] à un homme qui dit : me voici nazir de lui, alors il est nazir. Histoire d’une femme qui était ivre886. On lui servit le verre de vin et elle dit : me voici nezira de lui. Les sages dirent : elle voulait simplement dire : le voici interdit à moi comme un sacrifice, [pour ne pas boire un verre supplémentaire]. »

Il est donc, à nouveau, question de l’intention de la personne qui prononce les mots « me voici nazir ». L’anecdote ici est très courte et n’a rien de véritablement humoristique. Il s’agit uniquement d’une femme ivre qui veut faire attention à ne pas le devenir davantage. Ce récit peut-il éclairer le contenu amusant de la mishna précédente ? S’il paraît confirmer le caractère non humoristique de ces passages, le thème de l’ivresse et particulièrement de la femme ivre nous interpelle. Peut-être avons-nous ici un sujet d’étude parfaitement sérieux, mais qui est abordé avec humour par les tanna’im. Ses détails croustillants auraient ainsi stimulé l’imaginaire des sages anciens. Les exemples de la vache et de la porte confortent une telle idée, qui vient souligner la place de l’humour au sein même de la maison d’étude tannaïtique. M Nazir 5, 5887 « Si deux hommes marchent sur un chemin et l’un d’eux dit [en croisant une troisième personne] : me voici un nazir, si cet homme n’est pas untel. Un autre vient et dit : me voici nazir, si c’est lui. Un autre vient et dit : me voici nazir, si l’un de vous deux n’en est pas un. Un autre vient et dit : me voici nazir, si vous n’êtes pas tous deux nezirim. Un autre vient et dit : me voici nazir, si vous n’êtes pas tous des nezirim. L’école de Shammay dit : ils sont tous nezirim. L’école de Hillel dit : seuls ceux dont les conditions annoncées sont accomplies le sont. R’ Ṭarfon dit : aucun d’eux n’est nazir. »

Le sujet d’étude dans ce paragraphe semble humoristique, comme dans M Nazir 2, 2-3. T Nazir 4, 7 « Shim‘on le juste dit : je n’ai jamais mangé l’offrande de culpabilité d’un nazir888 de ma vie, sauf une seule fois. Histoire d’un [homme] qui vint vers moi du sud et j’ai vu qu’il avait de beaux yeux, une belle apparence et des cheveux bouclés. Je lui demandai : mon fils, pourquoi veux-tu détruire cette belle chevelure ? Il me répondit : j’étais en train de faire paître [le troupeau] dans ma ville et je suis allé puiser de l’eau dans la rivière. J’ai regardé mon reflet et ma 886 887 888

Ou sur le point de le devenir. Parallèle : T Nazir 3, 19. Asham nazir.

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passion s’est saisie de moi, voulant me faire sortir du monde. J’ai dit [à ma passion] : méchante ! Tu n’aurais pas dû t’éprendre d’une chose qui ne t’appartient pas et qui dans le futur redeviendra terre, vermine et vers ! Me voici obligé de raser [mes cheveux] pour le nom des cieux. Je baissai sa tête, lui donnai un baiser et dis : mon fils, pourvu que des hommes comme toi, qui accomplissent la volonté du Lieu, soient nombreux parmi le peuple d’Israël, c’est sur toi que s’accomplit le verset : (Nb 6, 2) un homme ou une femme fait expressément vœu d’être nazir, voulant s’abstenir en l’honneur de l’Éternel. »

Ce récit, très riche en détails, était bien connu des rabbins889. A. Tropper890 estime qu’au sein des versions tannaïtiques, celle du Sifre Ba-midbar est plus ancienne que celle de la Tosefta891. Sifre Ba-midbar 22 commente Nb 6, 2 : Parle aux enfants d’Israël et dis-leur  : si un homme ou une femme fait expressément vœu d’être abstème, voulant s’abstenir en l’honneur de l’Éternel. Dans ce Midrash, le récit vient illustrer une interprétation anonyme, mettant l’accent sur la motivation de la personne qui fait vœu de naziréat : ce voeu doit être un acte par lequel elle se consacre à Dieu, de manière désintéressée892. La Tosefta est amenée à citer le récit, parce qu’elle traite de l’offrande de culpabilité du nazir. Le narrateur, Shim‘on le juste, ouvre le récit par une déclaration curieuse : pourquoi n’a-t-il mangé qu’une seule fois l’offrande de culpabilité ? Les questions soulevées par les amora’im concernant cette déclaration se concentrent sur deux points : – Puisque le grand-prêtre est censé manger les offrandes de culpabilité des nezirim, pourquoi Shim‘on le juste ne l’a-t-il pas fait auparavant ? Avaitil des objections halakhiques ou idéologiques contre les offrandes de culpabilité, les nezirim ou les ascètes ? A-t-il été tout simplement privé de cette offrande pour une raison plus pragmatique ? – Est-il possible que, même si Shim‘on le juste ne cite que l’offrande de culpabilité, il se réfère en réalité à toutes les offrandes du naziréat ? Concernant la deuxième question, il faut d’abord noter que l’offrande de culpabilité ne fait pas partie des offrandes habituelles des nezirim, apportées à la fin de la période de trente jours de naziréat. Le nazir est redevable de cette offrande, quand il contracte inopinément l’impureté rituelle à cause du 889 On compte un parallèle tannaïtique (Sifre Ba-midbar 22), quatre parallèles talmudiques (TY Nedarim 1, 1 ; TY Nazir 1, 7 ; TB Nedarim 9b ; TB Nazir 4b) et un parallèle tardif (Bamidbar Rabba 10). 890 TROPPER, Simeon…, p. 81-111. 891 J. L. Moss évoque une source orale commune aux deux passages tannaïtiques. Dans la Tosefta, le texte consiste en un récit de cas, alors que, dans le Sifre, il fonctionne comme une parabole. MOSS, Midrash…, p. 312-314. 892 Le Midrash commente les deux derniers mots du verset le-hazzir le-YHWH ainsi : « c’est un commandement de devenir nazir pour le Nom ».

LES AUTRES RÉCITS

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contact avec un cadavre. Dans le TB, l’offrande de culpabilité dont parle Shim‘on le juste est comprise dans un sens étroit, alors que, dans le TY, elle représente toutes les offrandes d’un nazir, qu’elles soient habituelles ou exceptionnelles. C’est aussi le sens étroit que l’on trouve dans la Tosefta, puisqu’elle insère le récit dans une suite de lois concernant l’impureté rituelle contractée au contact d’un cadavre893. Sur la première question, les deux Talmuds proposent des éclairages variés. Shim‘on le juste aurait été idéologiquement opposé au naziréat et à l’ascetisme de manière générale, ou alors, il se serait abstenu de manger l’offrande (celle de culpabilité ou toutes les offrandes du naziréat) à cause du regret que les nezirim devaient ressentir après avoir fait le vœu, ou encore à cause des motivations intéressées, liées à un moment de détresse, qui les ont poussés à prononcer leur vœu. Or, comme le montre Tropper, prononcer un vœu de naziréat dans un moment de détresse physique ou morale était une chose plutôt banale, citée de nombreuses fois dans la Mishna et qui avait son équivalent dans la religion grecque. Selon D. Weiss Halivni894, Shim‘on n’était pas opposé à l’institution du naziréat mais seulement aux vœux qui découlaient de motivations frivoles. Dans la lecture de Tropper, le nazir venant du sud était pourtant motivé par une réelle dévotion et son acte de consécration à Dieu était sincère. Toutes les explications qui viennent d’être citées présupposent que Shim‘on le juste s’est intentionnellement abstenu de manger l’offrande de culpabilité. Or, selon A. Shemesh895, les offrandes de culpabilité étaient plutôt rares, puisqu’elles devaient être apportées seulement si le nazir avait contracté l’impureté rituelle au contact d’un cadavre, et la probabilité de contracter une telle impureté était assez faible pour un nazir, qui doit se tenir à distance des cadavres et dont le vœu ne dure que trente jours896. L’offrande de culpabilité n’étant pas fréquente, Shim‘on le juste n’avait tout simplement pas eu l’occasion d’en manger plus d’une fois. Tropper s’accorde avec cette dernière lecture et estime que, pour cette raison, le récit vaut la peine d’être écouté897. Or, les récits tannaïtiques étant si succincts et minimalistes, nous pensons qu’il ne faut pas sous-estimer les capacités et les intentions rédactionnelles de leurs auteurs. En outre, le récit ne donne aucune information concernant les circonstances dans lesquelles

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Cette lecture littérale est considérée comme la plus ancienne par Tropper. D. WEISS-HALIVNI, « On the Supposed Anti-Asceticism or Anti-Nazritism of Simon the Just », The Jewish Quarterly Review 58, 1968, p. 243-252. 895 Cité par TROPPER, Simeon…, p. 90. 896 Ce point est confirmé dans Y. FURSTENBERG, Ṭahara u-qehila ba-‘et ha-‘attiqa, Jérusalem, 2016, p. 49-50. 897 TROPPER, Simeon…, p. 93. 894

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le nazir a contracté l’impureté d’un cadavre. Cette omission doit être également significative. Après sa première déclaration, Shim‘on le juste raconte à la première personne qu’il a rencontré un homme du sud. La provenance de l’homme, selon Tropper, peut évoquer le stéréotype rabbinique de l’homme simple et ignorant, ce qui impliquerait des attentes réduites de la part du lecteur/auditeur quant à ses qualités morales898. Il en est de même pour son métier, car les bergers étaient généralement suspects aux yeux des rabbins899. Shim‘on le juste insiste sur la beauté de son interlocuteur, notamment de ses cheveux900. La réponse du berger est un retour sur les circonstances dans lesquelles il a fait le vœu de naziréat. Son récit est construit à partir de deux sources textuelles. La première source est le mythe de Narcisse. Ce dernier, populaire dans le monde gréco-romain, était manifestement connu du rédacteur du récit tannaïtique, même si on ne peut parler de véritables citations textuelles. Le mythe de Narcisse, qui existe dans de nombreuses versions, est raconté notamment par Ovide dans le troisième livre des Métamorphoses. Un jeune chasseur, exceptionnellement beau, objet de l’amour de nombreux soupirants (femmes et hommes), était trop arrogant pour leur rendre cet amour. L’un de ses admirateurs demanda aux dieux de le punir avec un amour non réciproque, et, en effet, Narcisse tomba amoureux de son propre reflet dans l’eau d’une source, dont il n’arriva pas à se détacher, jusqu’à en mourir. La deuxième source textuelle est la Bible. Toutes les versions du récit donnent une description du jeune berger inspirée de plusieurs figures bibliques : le roi David (1 S 16, 10-12), le bien-aimé du Cantique des Cantiques (Ct 5, 10), et surtout Absalon (2 S 14, 25-26). Comme le note Tropper, les seules descriptions un peu développées, dans la Bible, de la beauté masculine concernent ces deux derniers personnages. Les tanna’im, conscients de l’importance accordée à la chevelure d’Absalon dans la Bible, soulignent dans un texte de la Mekhilta de-rabbi Yishma‘el (Shira 2) que la mort d’Absalon relève du principe « mesure pour mesure » (il était orgueilleux de sa chevelure et celle-ci a été la cause de sa mort) et que son vœu de 898

Ibid. TROPPER, Simeon…, p. 95. Les bergers comme les voleurs ne sont pas acceptés comme témoins dans T Sanhedrin 5, 5, et ne voient pas de signes de bénédiction comme ceux qui se bagarrent dans la rue et ceux qui coupent les bons arbres dans T Bikkurim 2, 16. 900 La question que Shim‘on pose à l’homme concernant la destruction de sa chevelure indique qu’il est un nazir, et la phrase d’introduction concernant l’offrande de culpabilité suggère que ce nazir a accidentellement contracté l’impureté d’un cadavre. Le moment de la rencontre entre l’homme et le grand prêtre doit donc être celui où l’homme est déjà considéré comme purifié, c’est-à-dire sept jours après sa « contamination » mais avant de s’être rasé les cheveux comme le rituel l’exige. Voir Nb 6, 9-12 et Nb 19, 11-12. 899

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naziréat a notamment été motivé par son orgueil (il ne voulait pas se couper les cheveux). Notons cependant que Tropper ne remarque pas la dimension péjorative du commentaire de la Mekhilta. Contrairement à Absalon, devenu nazir par orgueil, le berger du sud est devenu nazir pour combattre son orgueil. Les rabbins font donc référence à leur propre lecture de la figure d’Absalon, pour marquer la différence entre ce dernier et le berger. Le mythe de Narcisse est également évoqué avec des modifications significatives : Narcisse est un chasseur, alors que le nazir de la Tosefta est un berger. Cette opposition renvoie au couple de Jacob et Ésaü : le premier, ancêtre d’Israël, était un berger, le second, ancêtre de Rome, était un chasseur. La tragédie même de Narcisse, qui n’arrive pas à se détacher de son reflet, est renversée par le récit rabbinique. Ce renversement s’opère grâce à la seule phrase humoristique de l’histoire : le berger se décrit lui-même avec autodérision et raconte sa manière imagée de gronder ses cheveux et sa passion. Cet humour relève du premier niveau (c’est le personnage qui en fait preuve), mais également du deuxième niveau, puisque la phrase humoristique exprime l’opposition (parodique) entre le texte rabbinique et le mythe de Narcisse, son arrière-plan littéraire. Revenons à présent sur les deux détails énigmatiques que nous avons relevés, à savoir le fait que Shim‘on le juste n’a mangé qu’une seule fois l’offrande de culpabilité d’un nazir et l’absence d’informations sur les circonstances dans lesquelles le berger a contracté l’impureté rituelle. Dans la littérature rabbinique, cette impureté est liée à des contacts physiques avec les sources d’impureté, mais on trouve d’autres conceptions de l’impureté dans les écrits de la secte de Qumrân. Pour le rouleau de Damas, par exemple, une pensée impure peut engendrer l’impureté du corps901. Nous proposons donc une lecture du récit, qui diffère de celle de Tropper sur les deux points suivants : – La provenance de l’homme n’est pas un détail stéréotypé suggérant son ignorance, elle indique plutôt son appartenance à la communauté de Qumrân ; – Le récit ne mentionne pas le contact de l’homme avec un cadavre, car c’est en rencontrant son reflet qu’il a contracté l’impureté rituelle. Celleci a pu être engendrée par l’impureté de sa pensée902 : il était épris de sa propre personne, ce qui est assimilable à une passion homo-érotique. Un autre facteur a pu jouer un rôle : sa proximité avec la mort, qui est comparable au contact avec un cadavre. En effet, sa passion a failli le faire 901 E. QIMRON, Megillot midbar Yehuda. Ha-ḥibburim ha-‘ibriyyim, Jérusalem, 2010, p. 28-29. 902 Selon TROPPER, Simeon…, p. 98, note 51, c’est une notion halakhique improbable.

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mourir et le modèle qui a inspiré son personnage, Narcisse, est mort noyé. Nous avons donc un récit de la Tosefta, qui entretient des liens complexes avec ses sources littéraires. Inspiré de Narcisse, son protagoniste principal est en réalité son opposé. Berger comme Jacob et non chasseur comme Ésaü, il parvient à maîtriser sa passion. Contrairement à Absalon, il ne cède pas à son orgueil. La maîtrise de la passion passe, dans ce récit, par un cadre normatif, celui de la halakha903. Si notre hypothèse sur la provenance du berger est exacte, elle implique que les rabbins revendiquaient une certaine autorité sur un membre de la secte de Qumrân. Tout en étant globalement édifiant, le texte est une parodie et il donne de ce fait à l’humour une place centrale, que ses lecteurs (ou auditeurs) antiques ont probablement perçue. T Berakhot 2, 13 « Un homme qui a eu un écoulement de sperme et qui n’a pas d’eau pour s’immerger, il lit le shema‘ sans le faire entendre à ses oreilles. Paroles de R’ Me’ir. Et les sages disent : il lit le shema‘, le fait entendre à ses oreilles et récite la bénédiction avant et après. Rabbi Me’ir dit : une fois, nous étions assis dans la maison d’étude devant R’ ‘Aqiba et nous lisions le shema‘ sans le faire entendre à nos oreilles, à cause d’un officier qui se tenait devant la porte. [Les sages] lui dirent : [le comportement à] l’heure du danger ne constitue pas une preuve. »

Ce paragraphe curieux commence par une partie non narrative, dans laquelle R’ Me’ir expose son opinion concernant la récitation du shema‘ par un homme ayant eu un écoulement séminal : il doit réciter la prière à voix basse. Les sages ne sont pas du même avis. Pour confirmer son opinion, R’ Me’ir raconte une anecdote à propos du comportement d’un groupe de sages à un moment particulier. Le récit qu’il raconte est clairement décalé par rapport à son propos de départ, où il était question d’un homme ayant eu un écoulement séminal. Que vient faire ici cette histoire sur un officier planté devant la porte de la maison d’étude ? La mention du récit est absurde et les sages en informent R’ Me’ir904.

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C’est donc la dualité yeṣer/Tora qui est évoquée par le texte. Notre lecture du raisonnement de R’ Me’ir comme étant absurde ne s’impose pas nécessairement. Le lien entre les deux cas, un écoulement de sperme et une période de persécution, pourrait être la récitation discrète du shema‘. Les sages rejettent l’opinion de R’ Me’ir sans la qualifier explicitement d’absurde. Ce récit est à rapprocher de T ‘Erubin 5, 24 (p. 327), où les sages rejettent l’opinion de R’ Yehuda qui base ses raisonnements sur des anecdotes relatives à une période de persécution. 904

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T Pesaḥim 10, 9 raconte la coutume consistant à cacher le pain azyme (maṣṣa) pendant le repas de Pesaḥ, pour garder les enfants éveillés (une astuce pratiquée jusqu’à nos jours). C’est un passage non narratif qui présente une pratique amusante. T Giṭṭin 5, 12 « [Si un homme dit à sa femme : voici ton acte de divorce], à condition que tu ne t’envoles pas dans les airs, [ou] à condition que tu ne traverses pas la grande mer à pied, l’acte de divorce est valable. [S’il dit : voici ton acte de divorce], à condition que tu t’envoles dans les airs, [ou] à condition que tu traverses la grande mer à pied, l’acte de divorce n’est pas valable… »

Ce passage évoque les conditions qu’un homme peut imposer pour donner l’acte de divorce à sa femme. Il enseigne que l’acte de divorce est uniquement valable, si la condition stipulée par l’homme est plausible. Pour illustrer ce principe, les rabbins donnent des exemples de conditions, mais elles sont absurdes. Nous pensons que ce choix rédactionnel est motivé par la volonté de s’amuser pendant l’étude. T Qiddushin 5, 15905 « Rabbi dit : un homme doit toujours s’efforcer d’enseigner à son fils un métier honnête et facile et [il doit] prier celui qui possède la richesse906, car il n’y a aucun métier dénué de pauvreté. Ceci t’informe que l’on n’obtient ni la richesse ni la pauvreté d’un métier. R’ Shim‘on ben Ele‘azar dit : as-tu vu de ta vie un lion manutentionnaire, un cerf amasseur de fruits d’été, un renard épicier, un loup potier ?! [As-tu vu de ta vie] un fauve, un animal ou un volatile qui ont un métier ? Et eux n’ont été créés que pour me servir et moi [je n’ai été créé] que pour servir mon créateur. Et n’est-ce pas que les choses peuvent être expliquées par un raisonnement a fortiori : si eux, qui n’ont été créés que pour me servir, subsistent sans souffrance, moi, qui suis créé pour servir mon créateur, ne dois-je pas subsister sans souffrance ? Sauf que j’ai mal agi et ainsi j’ai détérioré mon gagne-pain. »

Ce passage théologique sérieux contient des images absurdes d’animaux ayant des métiers. Il est évident que l’absurdité est un effet désiré par R’ Shim‘on et qu’elle participe à son raisonnement. Dans la septième lettre d’Héraclite, on trouve un passage semblable : les éléphants n’aiment pas l’argent, les lions n’amassent pas des fruits, les bœufs ne préparent pas de boissons à base de miel et de lait et les taureaux ne portent pas d’instruments tranchants907. 905 906 907

Parallèles : TY Qiddushin 4, 14 ; TB Qiddushin 82b sans variantes notables. C’est-à-dire Dieu. S. LIEBERMAN, Tosefta Ki-fshutah. Nashim, vol. 8, Newark, 1973, p. 297-299.

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T Baba Batra 10, 12 « R’ Eli‘ezer dit : histoire d’un Méronite qui était à Jérusalem et avait beaucoup de biens mobiliers qu’il voulait léguer en tant que cadeau. [Les sages] lui dirent : tu ne peux pas, car tu n’as pas de terre. Il se leva et acheta un rocher près de Jérusalem. Il dit : le nord de celui-ci [est donné] à untel et, avec lui, cent [têtes de] petit bétail et cent tonneaux, le sud de celui-ci [est donné] à untel et, avec lui, cent [têtes de] petit bétail et cent tonneaux. Les sages ont confirmé ses paroles. »

Dans ce récit, l’astucieux Méronite réussit à contourner l’interdit des sages d’une manière amusante : puisqu’il faut être propriétaire d’un bien immobilier pour léguer ses biens mobiliers en tant que cadeau, il s’achète un rocher, un bien immobilier tout à fait minimal et se permet même de le diviser en deux. Les sages n’ont pas d’autre choix que d’accepter son comportement. La réaction du Méronite à l’interdit des sages tourne en dérision le côté arbitraire de la halakha et donc l’insertion de ce récit dans la Tosefta peut être perçu comme une forme d’autodérision. En même temps, le Méronite ne se permet pas d’ignorer tout simplement l’opinion rabbinique et il déploie des efforts pour trouver une astuce, lui permettant d’atteindre son but tout en respectant l’interdit rabbinique. Le récit ne peut d’ailleurs se terminer, sans que les sages ne donnent leur aval à l’action. La structure et la conclusion du récit sont donc une confirmation de l’autorité rabbinique. L’humour dans ce passage se trouve à mi-chemin entre l’humour interne et l’humour narratif. L’échange entre les sages et le juif non rabbinique s’effectue par la parole faisant autorité du côté des sages et par l’action subversive du côté du Méronite, mais son comportement peut être perçu comme une réponse ironique : il prend à la lettre et respecte à la lettre l’interdit rabbinique. Cependant, le fait que ce soit une action et non une réponse verbale place ce type d’expression plus près du deuxième niveau, celui de l’humour narratif. Un autre récit met en scène un juif non rabbinique qui tente de déjouer la halakha, mais avec moins de succès. M Baba Qamma 8, 6 « (…) Celui qui défait la chevelure d’une femme doit lui donner quatre cents zuz. Tout [est compensé] selon l’honneur de [la personne lésée]. R’ ‘Aqiba dit : même les pauvres d’Israël sont considérés comme des hommes libres déchus de leurs biens, car ils sont les descendants d’Abraham, Isaac et Jacob. Histoire d’un homme qui défit la chevelure d’une femme et elle vint devant R’ ‘Aqiba qui obligea l’homme à lui donner quatre cents zuz. L’homme lui dit : Rabbi, laisse-moi du temps [pour payer], et il lui laissa du temps. Il attendit qu’elle se mette debout à l’entrée de sa cour et cassa devant elle un flacon

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d’huile d’une valeur d’un isar. La femme découvrit sa tête, prit l’huile et enduisit sa tête avec elle. L’homme fit venir des témoins, vint devant R’ ‘Aqiba et lui dit : c’est à cette femme [qui se découvre la tête toute seule pour sauver l’équivalent d’un isar] que je dois payer quatre cents zuz  ?! R’ ‘Aqiba lui répondit : ce que tu dis n’a aucune importance, car celui qui se porte préjudice à lui-même, quand bien même c’est interdit, il est exempt de réparation pécuniaire, alors que, si ce sont des tiers qui lui portent préjudice, ils sont obligés [de verser une réparation]. »

Dans ce récit, l’homme doit payer quatre cents zuz à une femme, dont il a découvert la tête en public. Pour ne pas payer la somme, l’homme demande à R’ ‘Aqiba du temps, en dissimulant son intention de déjouer la halakha par une ruse. Il casse un flacon d’huile devant la femme et celle-ci se découvre la tête pour en enduire ses cheveux, afin que l’huile ne soit pas perdue. L’homme fait venir des témoins et peut ainsi accuser la femme de se découvrir la chevelure toute seule. Sa ruse n’est pas assez astucieuse et il est finalement obligé de payer. M Shebu‘ot 3, 8 « Quand un serment est-il vain ? C’est lorsqu’un homme fait le serment de modifier ce que l’homme connaît. [Il est vain], s’il dit à propos d’un poteau de pierre qu’il est d’or, à propos d’un homme qu’il est une femme et à propos d’une femme qu’elle est un homme. [Il est vain], s’il fait un serment à propos d’une chose impossible, [par exemple] s’il dit : si je ne vois pas un chameau volant, ou : si je ne vois pas un serpent aussi grand que la poutre de la presse à huile. [Il est vain], si un homme dit aux témoins : venez témoigner pour moi [et ils disent] : nous faisons le serment de ne pas témoigner pour toi. Si un homme fait le serment d’annuler un commandement, [par exemple] de ne pas faire la cabane, de ne pas prendre le lulab ou de ne pas mettre les phylactères, c’est un serment vain. S’il est fait intentionnellement, il est puni de coups de bâton, et s’il est fait non intentionnellement, il en est exempt. »

Dans cette mishna non narrative, l’humour se trouve dans les exemples de serments absurdes. Le paragraphe cherche à définir ce qu’est un serment vain. Dans la première partie de la mishna, une liste nous indique qu’un serment prononcé sur ce qui est absurde, impossible et contraire à la réalité est considéré comme vain. La deuxième partie de la mishna expose des cas de serments qui annulent certains commandements et que la Mishna qualifie aussi de vains. Cette comparaison place les commandements et le rituel juif au même niveau que la réalité naturelle. Pratiquer les commandements est naturel, logique, évident. De même qu’un homme ne peut pas être une femme et vice versa, de même il est impossible de ne pas faire la cabane ou prendre le lulab. C’est un message théologique fort et clair à propos du caractère naturel et immuable des commandements. Les exemples amusants sont donc ici au service d’un message théologique sérieux.

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Le même principe est évoqué dans T Nedarim 2, 1, où nous trouvons trois exemples de vœux exagérés : « [Si un homme] dit : qonam si je n’ai pas participé à un repas, [où il y avait] un agneau pascal dont la queue908 pesait dix livres909, si je n’ai pas bu un vin dont le log vaut un dinar d’or, si je n’ai pas vu un serpent gros comme la poutre de la presse à huile, de même que les vœux exagérés sont [automatiquement] défaits, de même les serments exagérés sont [automatiquement] défaits. »

M Demay 3, 4-6 Ce passage est composé de trois mishnayot. La première mentionne trois catégories de personnes : le samaritain, le ‘am ha-areṣ et le non-juif (nokhri). Les deux premiers sont fiables quant aux prélèvements des dîmes, alors que le troisième ne l’est pas. La deuxième mishna ajoute une autre catégorie, celle de l’aubergiste. Une femme non-juive qui tient une auberge n’est pas fiable en matière de prélèvements. Il faut donc effectuer ces derniers, avant de lui donner de la nourriture à cuire, et une fois qu’elle sert le plat, il faut prélever à nouveau les dîmes. L’aubergiste est présentée sous un angle très péjoratif, comme une personne malhonnête. La troisième mishna aborde enfin une troisième catégorie, celle de la belle-mère : M Demay 3, 6 « Celui qui donne [de la nourriture à cuire] à sa belle-mère doit prélever la dîme sur ce qu’il lui donne et sur ce qu’il prend d’elle, car elle est suspectée de remplacer ce qui s’est détérioré. R’ Yehuda dit : elle veut le bien-être de sa fille et elle a honte de [ne pas honorer] son gendre. R’ Yehuda confirme qu’il donne à sa belle-mère la récolte de l’année de jachère, car elle n’est pas suspectée de donner à sa fille la récole de l’année de jachère. »

La belle-mère, qui comme l’aubergiste apparaît d’abord sous un angle péjoratif, s’avère finalement avoir de bonnes intentions et des circonstances atténuantes. Si elle est suspectée, c’est seulement parce qu’elle veut donner la meilleure nourriture à sa fille et a honte de servir une nourriture détériorée à son gendre. Ce détail révèle une tendance bien connue dans les histoires de famille, celle de la tension entre belles-mères et gendres. Cette tension a notamment été remarquée et commentée par Freud : « Il est à peu près certain qu’il existe dans la situation psychologique du gendre et de la belle-mère quelque chose qui favorise l’hostilité entre eux et rend difficile leur vie en commun. Le fait que chez les peuples civilisés les rapports 908 909

Alya. Liṭerin.

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entre gendre et belle-mère constituent généralement l’objet préféré de plaisanteries et de railleries serait une preuve qu’il entre, dans leurs relations affectives, des éléments d’opposition tranchée. À mon avis, il s’agit là de relations “ambivalentes”, se composant à la fois d’éléments affectueux et d’éléments hostiles910. »

Notre texte offre donc un embryon de cette idée, sans toutefois être humoristique. Son parallèle dans T Demay 4, 31-32 n’évoque pas la catégorie de la belle-mère. Les deux textes suivants rapportent également les opinions de R’ Yehuda, qui sont rapportées avec une pointe d’humour tout en étant rejetées. T ‘Erubin 5, 24 Dans ce paragraphe, la Tosefta parle d’un cas où plusieurs cours donnent sur une même allée et les habitants ont oublié de préparer le ‘erub911. La halakha anonyme interdit de déplacer des objets des cours vers l’allée et vice versa, alors que R’ Shim‘on a une opinion différente. Selon lui, tant que tous les habitants ont oublié le ‘erub, l’ensemble des cours et l’allée sont considérés comme un seul et même domaine et il est donc autorisé de déplacer des objets. Suite à cet enseignement, Rabbi raconte une expérience personnelle. « Rabbi dit : lorsque j’étudiais chez R’ Shim‘on à Teqoa‘, nous déplacions des compresses d’huile de la cour au toit et de toit en toit et de clôture en clôture, jusqu’à ce que nous arrivions à la source d’eau et nous nous y baignions. R’ Yehuda dit : il arriva qu’à l’heure du danger nous montions un rouleau de la Tora d’une cour au toit et d’un toit à un autre toit et nous le lisions. On lui répondit : l’heure du danger ne constitue pas une preuve. »

Le récit de Rabbi n’est pas humoristique, il ne fait que confirmer la halakha. L’exemple donné pour illustrer l’enseignement général de R’ Shim‘on concerne les habitudes en matière d’hygiène : les compresses imbibées d’huile étaient nécessaires pour le bain. Une deuxième anecdote suit la première : cette fois, il s’agit de R’ Yehuda qui raconte le déplacement d’un rouleau de la Tora. L’exemple de R’ Yehuda n’est pas bon, il est trop spécifique et ne peut pas servir de preuve. C’est ce que lui disent ses collègues. Une certaine incongruité réside dans le contraste entre les deux exemples : le premier général et anodin, le second spécifique et extrême. R’ Yehuda semble avoir mal compris le raisonnement de ses collègues. Il propose une anecdote qui n’est pas pertinente et se fait reprendre aussitôt. L’incongruité reste cependant très mineure dans ce passage. 910 911

versa.

S. FREUD, Totem et tabou, S. JANKÉLÉVITCH (trad.), Paris, 1965, p. 30. L’union symbolique de plusieurs cours qui permet de porter des cours à l’allée et vice

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T ‘Erubin 6, 2 « R’ Yehuda raconta : il arriva que nous étions dans la cour de la famille Geluda à Lod et nous cuisinions une marmite de lentilles. Un [homme] se tenait debout à l’entrée de l’allée et disait : j’ai gagné pour vous une marmite de lentilles. »

Il est fort probable que cette brève anecdote soit totalement dépourvue d’humour, et qu’elle représente tout simplement la halakha selon R’ Yehuda, qui diffère souvent de celle de l’opinion majoritaire. Il faut cependant noter que la situation décrite ici est contraire à l’enseignement du paragraphe précédent. Dans T ‘Erubin 6, 1, nous apprenons, au sujet de la personne qui pose la nourriture dans l’espace commun, que si cette nourriture lui appartient, elle déclare que tous les habitants de l’allée peuvent en jouir. Or, le cas décrit par R’ Yehuda est précisément à opposé de cet exemple. R’ Yehuda décrit un travail fait en commun par les habitants de l’allée qui cuisinent ensemble une marmite de lentilles, et un homme qui ne participe pas au travail commun déclare qu’il « gagne » pour la communauté une marmite de lentilles. Cela semble absurde. Qui est ce parasite qui ne travaille pas et veut jouir des biens communs ? T Baba Qamma 10, 38 « Ben Bagbag dit : un homme ne doit pas prendre ce qui lui appartient de la maison d’autrui, afin de ne pas être soupçonné de vol. Ben Bagbag disait aussi : un homme ne doit pas voler ce qui lui appartient de la maison d’un voleur, pour ne pas paraître voleur à son tour. Il doit lui casser les dents et prendre [de force ce qui lui appartient] à partir de sa main. »

Cette halakha étonnante incite les hommes à la violence, mais, quand bien même cela peut paraître absurde, il est fort probable que les rabbins prenaient cela très au sérieux. T ‘Erubin 6, 4 « R’ Shim‘on ben Ele‘azar raconte : une fois nous étions assis devant R’ Me’ir à Damas912 et l’un [de nous] dit : j’ai effectué l’union symbolique avec des oignons. Et R’ Me’ir le fit asseoir dans [une superficie de] quatre coudées… »

Notre récit concerne une situation à mi-chemin entre l’étude et l’action. R’ Shim‘on raconte un événement qui s’est vraisemblablement produit un shabbat, alors qu’un groupe de personnes est assis devant R’ Me’ir, la position assise suggérant une session d’étude. L’un des présents rapporte ce

912

Dans le texte : ‘Ardasqos, nom perse de la ville de Damas (Jastrow).

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qu’il a fait. R’ Me’ir réagit aussitôt et l’oblige à rester dans une superficie de quatre coudées. L’acte répréhensible de ce personnage, visiblement subordonné à R’ Me’ir (est-ce un disciple ?), est d’avoir réalisé l’union symbolique avec des oignons. La halakha précédente n’interdit pas une telle pratique, mais elle ne l’autorise pas explicitement non plus. Or, R’ Me’ir la rejette avec vigueur. Il y a une dimension comique dans le décret de R’ Me’ir, car il semble suivre le goût personnel du sage : les oignons sont un aliment et devraient donc convenir, mais R’ Me’ir manifestement ne les aime pas et ne les consomme probablement pas. Une telle lecture, qui intègre le goût personnel dans l’application de la loi, tourne en dérision la décision de R’ Me’ir. Dans ce récit, R’ Me’ir est dépeint comme ayant une forte autorité sur les personnes qui l’entourent, mais sa décision arbitraire, qui repose sur son goût personnel, relativise son autorité et remet en cause également celle de l’institution rabbinique. La phrase utilisée « R’ Me’ir le fit asseoir dans [une superficie] de quatre coudées » donne l’impression d’un grand pouvoir accordé au rabbin. Il impose des limites à l’homme, sans prendre en considération le consentement de ce dernier. Notre récit apparaît également dans le TB ‘Erubin 29a, qui discute l’identité des aliments que l’on peut utiliser pour le mélange symbolique des cours. Les oignons, comme les olives, sont autorisés, mais doivent être dans une quantité suffisante pour deux repas (en tant qu’accompagnement du pain). TB ‘Erubin 29a « N’est-il pas enseigné : R’ Shim‘on ben Ele‘azar raconte : une fois, R’ Me’ir s’arrêta pour le shabbat à Damas ? Un homme vint et lui dit : j’ai fait l’union symbolique avec des oignons, [pour pouvoir aller] à Ṭib‘in. R’ Me’ir le fit asseoir dans [une superficie de] quatre coudées. Ce n’est pas une difficulté : [dans le cas de cet homme], l’union symbolique a été faite avec des feuilles [d’oignons], alors que [la halakha concerne l’union symbolique faite] avec les racines. »

Dans le TB, l’anecdote est plus détaillée : R’ Me’ir était dans la ville de Damas pour le shabbat, et un homme vint le voir pour lui dire qu’il avait fait une union symbolique avec des oignons pour aller à Ṭib‘in, ce qui sousentend que cette ville ne se trouve pas à plus de deux mille coudées de l’endroit où il a effectué son union symbolique. On peut aussi en déduire que Damas était sur le chemin entre cet endroit et la ville de Ṭib‘in. Le TB est préoccupé par l’aliment qui sert à faire l’union symbolique. Il stipule clairement que les oignons sont autorisés, mais précise aussi que les aliments doivent être en quantité suffisante pour la consommation. Le fait que R’ Me’ir ordonne à l’homme de rester dans les quatre coudées, c’est-à-dire qu’il n’accepte pas la validité de son union symbolique, est donc contraire

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à l’avis général du TB. Le Talmud réconcilie les deux opinions en précisant que l’union symbolique a été réalisée sur la base de feuilles d’oignons et non d’oignons eux-mêmes. Ainsi, bien que le TB résolve la difficulté facilement, il souligne tout de même qu’il y en avait une au départ. Le récit sur R’ Me’ir n’était pas en accord avec la tradition générale à propos des oignons. Ceci confirme notre idée de départ, selon laquelle il y avait bien un problème dans la décision de R’ Me’ir. Le TB cherche à évacuer le problème, en avançant qu’il s’agit d’une partie différente du légume, mais ne se fonde pour cela sur aucun détail du récit. La conciliation tardive de la difficulté, par l’auteur anonyme du TB, est une preuve de l’incongruité du décret de R’ Me’ir. Elle permet de déduire que, pour R’ Me’ir, les oignons n’étaient pas un aliment propre à la consommation et confirme la dimension personnelle de sa décision halakhique. Bien qu’un peu dissimulé, l’aspect comique n’est pas moins présent dans cette anecdote de la Tosefta qui, tout en affirmant l’autorité du sage, tourne en dérision le fondement de sa décision, ce que l’on peut comprendre comme une critique de l’autorité rabbinique, lorsque ses décisions sont trop arbitraires ou tirées d’arguments trop personnels. M Sanhedrin 5, 2 « Celui qui est plus exhaustif dans les contre-interrogatoires913 est plus digne de louange. Histoire de [Rabban Yoḥanan] ben Zakkay qui a contre-interrogé [les témoins qui ont témoigné à propos d’un assassinat sous un figuier]914 concernant [l’apparence] des tiges des figues. »

Dans le cadre des affaires criminelles, il est particulièrement nécessaire de mener une enquête approfondie afin de vérifier l’authenticité des témoignages. Selon la Mishna, Rabban Yoḥanan ben Zakkay illustre parfaitement ce principe : il a été jusqu’à interroger les témoins d’un assassinat sous un figuier sur les tiges des figues. On peut se demander néanmoins si ce type d’interrogation est réellement pertinent. Rabban Yoḥanan ben Zakkay pensait-il vraiment que les témoins d’un assassinat puissent faire attention aux tiges des figues et à leur forme ? Si l’absurdité de la démarche semble évidente pour le lecteur moderne, nous devons tout de même rester prudents. Le rédacteur de la Mishna était-il conscient de cette absurdité ? Estce un effet désiré dans ce récit ? Un détail pourrait aller dans ce sens. Il s’agit du nom Ben Zakkay, mentionné sans le titre habituel « Rabban ». Cette absence suggère que le comportement du sage pourrait ne pas faire 913 914

Bediqot. Complété d’après Bertinoro.

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autorité. Bertinoro affirme que le sage était au moment du récit « un disciple » devant son maître. Il est difficile de savoir si ce commentaire est exact, mais le fait que l’exemple cité pose un problème au niveau de l’autorité est confirmé par le texte suivant. TB Sanhedrin 41a « On enseigne là-bas : “histoire de [Rabban Yoḥanan] ben Zakkay, qui a contre-interrogé [les témoins qui ont témoigné à propos d’un assassinat sous un figuier] concernant [l’apparence] des tiges des figues”. (…) Rami bar Ḥama dit : il interrogea [les témoins] à propos d’un homme qui coupa une tige de figue un jour de shabbat, et devait être mis à mort. N’a-t-il pas été enseigné que [les sages] lui dirent : l’homme a commis un meurtre sous un figuier ? Non, dit Rami bar Ḥama, l’homme a tué en poignardant sa victime avec une branche de figuier. Écoutez, il leur demanda : ce figuier, ses branches étaientelles fines ou grosses ? Ses figues noires ou blanches ? Rab Yosef dit : on ne peut pas apporter l’opinion de Ben Zakkay comme contre-exemple, puisqu’il assimilait les vérifications915 aux interrogatoires916. Qui est Ben Zakkay ? Si nous disons que c’est Rabban Yoḥanan ben Zakkay, était-il membre du Sanhédrin [à ce moment-là] ? Et n’est-ce pas que l’on enseigna : Rabban Yoḥanan ben Zakkay vécut cent vingt ans. Pendant quarante ans il fit du commerce, pendant quarante ans il étudia et pendant quarante ans il enseigna ? Et on enseigna : quarante ans avant la destruction du Temple, le Sanhédrin s’exila et s’installa à Ḥanut. Et R’ Yiṣḥaq bar Abdimi dit : c’est-à-dire qu’ils ne jugeaient pas les affaires pécuniaires917. Quelle idée ! Au contraire, il faut dire qu’ils ne jugeaient pas les affaires criminelles918. Et n’est-ce pas que l’on enseigna : “lorsque le Temple fut détruit, Rabban Yoḥanan ben Zakkay décréta [des décrets]” (M Rosh ha-shana 4, 1) ? Ce doit être un autre Ben Zakkay. Aussi, cela est fort probable puisque, s’il s’agissait de Rabban Yoḥanan ben Zakkay, il serait bien appelé Rabban. Mais n’est-ce pas qu’on a enseigné ainsi : histoire de Rabban Yoḥanan ben Zakkay, qui a contre-interrogé concernant des tiges de figues ? Alors, il devait être un disciple assis devant son maître à ce moment-là. Il prononça un enseignement qui paraissait logique à son maître et il le fixa en son nom. Ainsi, il est appelé Ben Zakkay à l’origine et Rabban Yoḥanan ben Zakkay une fois devenu maître. »

Le TB s’interroge, comme nous l’avons fait, sur la raison pour laquelle Ben Zakkay pose des questions aux témoins sur les tiges des figues. Il propose plusieurs hypothèses, où l’aspect des tiges permettrait de confirmer la culpabilité de l’accusé. La première suggère qu’il s’agissait d’un homme qui a coupé une branche de figuier pendant le shabbat, péché passible de la peine de mort. Il était donc important de connaître l’aspect des tiges pour s’assurer de la culpabilité de l’homme. La voix anonyme met en doute cette 915 916 917 918

Bediqot. Ḥaqirot. Dine qenasot. Dine nefashot.

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hypothèse et affirme qu’il est plutôt question d’un meurtre commis sous un figuier, comme l’indique Bertinoro pour le texte de la Mishna. L’objection de Rami bar Ḥama à la voix anonyme souligne que le cas de l’assassinat sous un figuier ne nécessitait pas réellement tant de zèle au sujet des tiges. Elle met ainsi en évidence le côté absurde du zèle de Ben Zakkay. Rami bar Ḥama propose une lecture plus littérale du récit de départ : un meurtre a été commis avec une branche de figuier en guise d’arme. Il s’agirait d’une arme plutôt inhabituelle et inefficace, mais qui justifie l’interrogatoire approfondi concernant les tiges. Dans la suite du commentaire, le TB, gêné par la mention de Ben Zakkay sans le titre « Rabban », avance plusieurs explications pour résoudre le problème. L’hypothèse selon laquelle, au moment du récit, Yoḥanan ben Zakkay n’était qu’un disciple est adoptée par Bertinoro dans son commentaire de la Mishna. Le commentaire du TB confirme donc le soupçon d’humour trouvé dans la Mishna, mais, en même temps, il l’évacue totalement et confirme son caractère très mineur. Il s’agit ici d’un humour narratif. M Bekhorot 5, 3 « Celui qui mutile l’oreille d’un premier-né, il ne pourra jamais l’abattre. Paroles de R’ Eli‘ezer. Et les sages disent : s’il acquiert un autre défaut, il pourra l’abattre. Histoire d’un vieux bélier, avec une longue fourrure pendante. Un officier romain le vit et demanda : qu’en est-il de celui-ci ? [Pourquoi le laisse-t-on vieillir sans le tondre et sans l’abattre ?] On lui répondit : c’est un premier-né et il n’est pas abattu, sauf s’il a un défaut. Il prit un poignard et mutila son oreille. Lorsque le cas est parvenu devant les sages, ils permirent [d’abattre l’animal]. Lorsqu’il a vu qu’ils permettaient la chose, il alla mutiler les oreilles d’autres premiers-nés, mais [cette fois] ils interdirent [l’abattage]. Une fois, des enfants jouaient dans le champ et ils attachaient les queues des agneaux les unes avec les autres. La queue de l’un s’est rompue et il s’avéra qu’il était un premier-né. Lorsque le cas est parvenu devant les sages, ils permirent [de l’abattre]. Ils ont vu que les sages permettaient la chose, alors ils sont allés attacher les queues d’autres premiers-nés, mais, cette fois, les sages interdirent. Voici la règle : lorsque [la mutilation est faite] en connaissance de cause, c’est interdit [d’abattre l’animal], et sans connaissance de cause, c’est autorisé. »

Cette mishna contient deux récits successifs avec un comique de situation. Dans le premier, un officier romain se trouve face à quelque chose qui l’étonne et qui lui semble incongru : un bélier que l’on a laissé vivre, sans même tondre ses poils. L’idée qu’un animal puisse mener « la belle vie », sans que l’homme en profite, surprend le Romain, qui n’est manifestement pas familier avec la halakha qui interdit d’abattre et de tondre les premiersnés. Le Romain est surpris par un phénomène, qui est parfaitement banal pour un juif, à cause de son ignorance. Le deuxième récit évoque des

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enfants, qui s’amusent à attacher deux agneaux par leurs queues. C’est un jeu quelque peu cruel, certes, mais qui résulte en une situation comique. L’incongruité du premier récit ne peut pas réellement être considérée comme de l’humour, car elle résulte du décalage entre la halakha des juifs et la mentalité du Romain, mais l’action des enfants du deuxième récit est une manifestation réelle d’humour enfantin, dont la finalité est l’amusement. C’est de l’humour au premier niveau, celui des protagonistes du récit. L’humour n’est pas présent à d’autres niveaux dans ces deux récits, dont la finalité est halakhique et sérieuse, ainsi que le montre la conclusion du paragraphe. T Kelim Baba Qamma 4, 17 « À quel moment un four contracte-t-il l’impureté ? Dès qu’on l’allume pour y faire cuire des pâtisseries. R’ Shim‘on le déclare aussitôt impur. Rabban Shim‘on ben Gamliel dit au nom de R’ Shila : s’il a été enduit en état de pureté et qu’il devient impur, à quel moment [re]devient-il pur ? R’ Ḥalafta de Kefar Ḥananya dit : j’ai interrogé Shim‘on ben Ḥananya, qui a interrogé le fils de R’ Ḥanina ben Teradyon, qui dit : lorsqu’il est déplacé de son emplacement [initial], alors que sa fille dit : lorsqu’on enlève sa couverture. Lorsque ces choses furent dites devant R’ Yehuda ben Baba, il dit : sa fille a mieux raisonné que son fils ! »

Cette narration, sans avoir un caractère humoristique avéré, est tout de même amusante par la multitude d’interlocuteurs qui s’y succèdent. R’1 déclare : j’ai demandé à R’2, qui demanda au fils de R’3, qui dit X, mais sa fille dit Y, et, lorsque les choses furent dites devant R’4, il déclara que Y était mieux que X. Ce récit met donc en scène pas moins de six interlocuteurs. Si la transmission des enseignements est un fait habituel dans la littérature rabbinique, dans ce récit elle est exagérée jusqu’à devenir amusante. Est-ce un effet comique désiré par le rédacteur de la Tosefta  ? Il nous semble que non, mais l’effet tarabiscoté et un peu maladroit du texte est bien présent, alors comment l’expliquer ? L’explication réside probablement dans la conclusion du paragraphe, qui donne raison à une femme. C’est une exception dans une société rabbinique essentiellement masculine, et elle a visiblement embarrassé le rédacteur de la Tosefta. C’est comme si le rédacteur, qui doit rapporter les faits comme il les a connus ou reçus, était gêné par cette soudaine apparition d’une opinion féminine et se sentait obligé de la justifier, en parlant explicitement des liens de fraternité et d’affiliation de la femme qui l’énonce et en précisant exactement qui a dit quoi. Le rédacteur de la Tosefta aurait pu simplement écrire : « R’ Ḥalafta de Kefar Ḥananya dit au nom de la fille de R’ Ḥanina ben Teradyon… », mais il a choisi au contraire une présentation bien plus

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complexe de la chaîne de transmission. L’effet comique de cette dernière est donc révélateur de la gêne qu’éprouve le rédacteur devant une opinion halakhique attribuée à une femme. C.5. Jeux de mots et expressions amusantes T Shabbat 12, 13 « On boit l’eau du compost, l’eau des palmiers et l’eau des racines919 et on s’y lave le visage, les mains et les pieds, mais on ne doit pas laver la sandale920 avec ces eaux. R’ Yoḥanan le cordonnier921 le permet… »

Ce passage halakhique ne comporte pas de récit, mais uniquement un jeu de mots entre le sage qui permet (Rabbi Yoḥanan le cordonnier, ha-sandelar) et l’objet de sa permission (la sandale, ha-sandal). M Sheqalim 5, 1 « Voici les officiers qui étaient dans le Temple. Yoḥanan ben Pineḥas [était chargé] des sceaux, Aḥya des [offrandes à base de] farine [des libations]922, Mattitya ben Shemu’el, des tirages au sort, Petaḥya des offrandes d’oiseaux. Ce Petaḥya était [en fait] Mardochée et pourquoi s’appelait-il Petaḥya ? C’est parce qu’il ouvrait923 les paroles et les interprétait et il connaissait soixante-dix langues. »

Ce passage explique le nom de l’un des officiers du second Temple. Cette explication est basée sur un jeu de mots. L’homme s’appelait Petaḥya, car il ouvrait (haya poteaḥ), c’est-à-dire expliquait les paroles de la Tora. T Sheqalim 2, 15 « … Ils se rassemblaient tous, les officiers924 ouvraient [les portes] et les trésoriers entraient et sortaient. C’est selon leur rang qu’ils entraient et sortaient. R’ Yehuda dit : et pourquoi s’appelait-il amarkol ? C’est parce qu’il était mar925 ‘al 926 ha-kol 927. »

919

Boissons purgatives. Ha-sandal. 921 Ha-sandelar. 922 Dans le ms Kaufmann A50, les deux mots apparaissent. La version de Venise ne mentionne que les libations. 923 Haya poteaḥ : il expliquait. 924 Amarkolin. 925 Maître. 926 Sur. 927 Tout. 920

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R’ Yehuda explique lui aussi le nom de l’un des officiers du Temple par un jeu de mots. Ce jeu de mots peut-il être perçu comme humoristique ? Ce n’est pas certain, car, si l’on suit Jastrow, il s’agit de l’étymologie réelle du nom. M Baba Meṣi‘a 7, 5 « Un ouvrier peut manger des concombres, même pour la valeur d’un dinar, ou des dates, même pour la valeur d’un dinar. R’ Ele‘azar ha-samma dit : un ouvrier ne doit pas manger pour une valeur qui excède son salaire. Les sages l’autorisent, mais enseignent à l’homme de ne pas être glouton et de fermer l’ouverture de sa face928. »

Les sages enseignent à l’homme de ne pas être glouton. La suite de la phrase, « fermer l’ouverture de sa face », est une image amusante pour décrire la bouche. Bertinoro comprend ici : les sages enseignent de ne pas être glouton, afin de ne pas donner une raison à la porte [qui le nourrit] de se fermer, c’est-à-dire pour éviter d’être licencié. Le commentaire de Bertinoro donne donc une lecture allégorique de l’expression, et propose de lire le fait d’être glouton comme la cause et la fermeture de l’ouverture, c’est-à-dire le licenciement, comme la conséquence. Cependant, une deuxième lecture est possible, dans laquelle l’injonction de ne pas être glouton est suivie par une explication à comprendre au sens purement physique. Suivant cette lecture, le rédacteur de la Mishna aurait fait un choix presque poétique au lieu de dire simplement la bouche, qui donne un résultat humoristique ou, du moins, amusant. Il est encore plus intéressant de ne pas trancher entre les deux lectures et de les combiner l’une avec l’autre. Une interprétation de l’expression, à la fois physique (« l’ouverture de la face » = la bouche qu’il faut fermer pour ne pas être glouton) et allégorique (« l’ouverture devant sa face » = la porte du salaire qui se ferme à lui), pourrait en effet expliquer le choix littéraire du rédacteur de la Mishna. En utilisant cette expression, il obtient en même temps deux résultats : il formule un double sens et peut éventuellement amuser son lecteur ou auditeur. T ‘Aboda Zara 7, 4 « Tous les lieux appelés d’un nom de louange à l’idolâtrie, on les appelle d’un nom dégradant. Celui appelé Pene melekh [visage de roi] est appelé Pene keleb [visage de chien]. ‘En Kos [œil de la coupe] est appelé ‘En Qoṣ [œil de la ronce]. Gadya [chevreau] est appelé Galya [nu]… »

928

Ha-petaḥ le-fanaw.

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Ce passage non narratif de la Tosefta expose la règle pour les jeux de mots sur les noms de lieux idolâtres, pour les dénigrer. Le passage en lui-même n’est pas humoristique, mais il constitue un encouragement à la moquerie de la part des rabbins. La moquerie est ici un moyen idéologique exprimant le refus de l’idolâtrie. L’humour a une fonction polémique et théologique. C’est également un des rares passages tannaïtiques, où les sages font preuve d’une attitude consciente à l’égard de l’humour. Les chapitres 14 et 15 de T Soṭa présentent une vision pessimiste de l’histoire, à l’époque biblique pour le chapitre 14 et à l’époque rabbinique pour le chapitre 15. Ce sont des textes sérieux et édifiants, qui comportent quelques expressions imagées, comme des hommes qualifiés de « cracheurs » ou des femmes « au cou penché et aux yeux qui se baladent ». Ces expressions ne sont probablement pas humoristiques. Nous notons seulement un jeu de mots : T Soṭa 15, 5 « Lorsque Abba Yose ben Qoṭnit, homme de929 Qeṭanta, est mort, l’attitude pieuse a été diminuée en Israël. Pourquoi s’appelait-il homme de Qeṭanta ? Parce qu’il représentait la petite part930 de l’attitude pieuse. »

Au sein de la longue séquence édifiante et pessimiste apparaît ce jeu de mots selon lequel quand certains hommes meurent, leurs qualités disparaissent également du monde. Dans le cas de Abba Yose ben Qoṭnit, il s’agit de l’attitude pieuse. Cependant, le texte s’interroge sur la signification du nom de cet homme et propose une explication moqueuse basée sur le jeu de mots initial autour de la racine qṭn, signifiant petit. Les trois passages suivants ne sont pas forcément humoristiques, mais, comme ils développent des paradoxes, ils ne peuvent qu’intriguer leur lecteur. T Berakhot 2, 21 « Hillel l’ancien dit : ne parais pas nu, ne parais pas habillé, ne parais pas debout, ne parais pas assis, ne parais pas riant et ne parais pas pleurant, puisqu’il est écrit : (Qo 3, 4-5) un temps pour rire et un temps pour pleurer, un temps pour étreindre et un temps pour s’éloigner de l’étreinte931. »

929

Ish. Qoṭena. 931 Traduction du Rabbinat des deux versets entiers : un temps pour pleurer et un temps pour rire, un temps pour se lamenter et un temps pour danser  ; un temps pour jeter des pierres et un temps pour ramasser des pierres, un temps pour embrasser et un temps pour repousser les caresses. 930

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L’énoncé de Hillel relève clairement du paradoxe : est-il possible qu’un homme ne soit ni debout, ni assis, ni nu ni habillé en même temps ? Ce paradoxe peut-il être considéré comme une forme d’humour ? T Shabbat 7, 23-25 « … R’ Yose disait aussi : dans toutes les villes, vous ne trouverez pas de pires personnes que les Sodomites, car, tant qu’un homme est mauvais, on l’appelle Sodomite. Vous ne trouverez pas parmi les peuples un peuple plus dur que le peuple amoréen, car, si un homme est dur, on l’appelle Amoréen. R’ Nehoray dit : il n’y a pas dans les villes [des gens] plus tolérants que les Sodomites, et ainsi nous trouvons que Loth a exploré toutes les villes des environs et n’a pas trouvé un lieu plus tolérant que Sodome (…) et Rabban Shim‘on ben Gamliel dit : vous ne trouverez pas parmi les peuples un peuple plus tolérant que les Amoréens. Ainsi, nous savons qu’ils croyaient en Dieu et qu’ils ont été exilés vers l’Afrique, et Dieu leur donna une terre aussi belle que la leur et la terre d’Israël a été appelée d’après eux. »

Dans ces paragraphes de conclusion, on trouve au sujet de deux peuples (les Sodomites, les Amoréens) une opinion et son contraire. M Kelim 17, 16 « (…) à propos de tous, Rabban Yoḥanan ben Zakkay dit : malheur à moi si je parle, malheur à moi si je ne parle pas ! »

Ce passage comporte une exclamation curieuse et paradoxale de Rabban Yoḥanan ben Zakkay. C.6. Paraboles932 T Sheqalim 1, 6 « À partir du moment où ils s’installaient dans le Temple933, ils saisissaient [les biens] d’Israël pour [obtenir] leurs sicles, afin que les sacrifices publics soient offerts à partir d’eux. Ceci est comparable934 à un [homme] qui avait une blessure à la jambe. Le médecin le ligota et coupa dans sa chair, afin de le soigner. Ainsi, le Saint, béni soit-Il, dit : saisissez [les biens] d’Israël pour [obtenir] leurs sicles, afin que les sacrifices publics soient offerts à partir de cet argent,

932 Six paraboles humoristiques : T Sheqalim 1, 6 ; T Sukka 2, 6 ; M Sukka 2, 9 ; T Berakhot 6, 18 ; T Sanhedrin 1, 2 ; T Berakhot 1, 11 ; et une sans humour : T Soṭa 15, 7. 933 Dans M Sheqalim 1, 3, nous lisons : « Le 15 du mois [de Adar], des bureaux [de change et de recouvrement] s’installaient dans la province. Le 25 du mois, ils s’installaient au Temple [pour démontrer le caractère urgent d’apporter la contribution avant le premier Nisan]. » 934 Mashal.

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car les sacrifices publics procurent la paix et l’expiation entre Israël et leur père qui est dans les cieux. Et nous trouvons la même chose pour la contribution des sicles, que donnaient les enfants d’Israël dans le désert, ainsi qu’il est écrit : (Ex 30, 16) tu prendras l’argent des expiations de la part des enfants d’Israël [et tu le consacreras au travail de la tente d’assignation]. »

Ce paragraphe concerne la saisie des biens du peuple d’Israël, pour obtenir la taxe du demi-sicle, destinée à financer les sacrifices publics au Temple. Ni la Tosefta, ni la Mishna, ne précisent qui étaient les autorités compétentes pour collecter cet impôt. La mention de la saisie des biens à partir du vingt-cinq du mois de Adar montre que, dans la mémoire des rabbins, tous les juifs n’étaient pas disposés à payer cette taxe. Selon la Tosefta, cette taxe était un mal nécessaire, car, grâce à elle, les prêtres offraient les sacrifices publics pour expier les fautes du peuple et apaiser ainsi les relations entre Dieu et Israël. Une parabole illustre cette idée. C’est précisément cette parabole qui attire notre intention. Elle semble illustrer parfaitement le propos de la Tosefta à propos du mal du demi-sicle, mais la comparaison est quelque peu exagérée et grotesque. Dans la parabole, l’homme qui représente Israël est réellement blessé et nécessite un traitement qu’il ne veut manifestement pas recevoir, puisque le médecin doit le ligoter afin de le lui administrer. Le traitement lui-même paraît étrange : couper ou tailler dans la chair, pour soigner la jambe, semble excessif, exagéré et grotesque. Cet étrange traitement est sciemment présenté par la Tosefta comme inutile, voire nuisible au patient. Cependant, le passage qui suit la parabole explique l’importance des sacrifices en apportant un appui scripturaire à cette pratique. La succession des deux discours crée une dialectique intéressante. D’une part, le texte (à caractère officiel) de la Tosefta fait l’apologie de la taxe du demi-sicle en insistant sur sa nécessité et sur sa finalité (l’expiation des péchés et la réconciliation avec Dieu) ; d’autre part, la parabole remet en question cette apologie. La Tosefta irait-elle jusqu’à nier la nécessité des sacrifices ? Ce n’est pas improbable. Les rabbins écrivent à une époque où le Temple et les sacrifices publics n’existent plus. Le repentir et l’expiation passent maintenant par la prière et l’étude. L’obsolescence des sacrifices n’est cependant pas totale, car les rabbins revendiquent l’autorité sur le peuple juif du présent et cette autorité découle en partie de celle de leurs prédécesseurs de l’époque du Temple. Ainsi, cette époque fait l’objet d’une description précise et l’espoir d’une reconstruction est évoqué à plusieurs reprises935. L’exagération grotesque de la parabole parvient ainsi à remettre en cause de manière nuancée et discrète l’idée des sacrifices, tout en confortant la

935

Notamment dans T Shabbat 1, 13, voir p. 161.

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validité du discours officiel qui en fait l’apologie et décrit avec nostalgie le passé du Temple. T Sukka 2, 6 « Les éclipses des astres lumineux sont un mauvais signe pour les nations du monde. Ceci est comparable à un roi de chair et de sang qui a construit un palais. Il l’a embelli, y a préparé un banquet et a ensuite fait entrer les invités. Il se fâcha [néanmoins] contre eux et il dit au serviteur d’enlever la bougie de devant eux. Ils se trouvèrent tous assis dans l’obscurité. R’ Me’ir disait : les éclipses des astres lumineux sont un mauvais signe pour les ennemis d’Israël, car ils ont l’habitude des calamités. Ceci est comparé à un scribe qui entre dans une école et dit : apportez-moi le bâton. Qui s’inquiète ? Celui qui a l’habitude d’être frappé… »

Ce paragraphe (qui continue ensuite en détaillant les différentes éclipses et leurs significations respectives) se situe après un enseignement qui explique les événements cosmiques par le comportement des gens. Le sujet est sérieux et théologique et ne présente pas d’aspects humoristiques majeurs. Les paraboles, en revanche, sont amusantes. La première décrit la situation incongrue d’un roi qui reçoit des invités en grande pompe, pour finalement se fâcher contre eux et les laisser assis dans l’obscurité. Dans la seconde, on trouve la description moqueuse d’un maître d’école qui, en demandant le bâton, suscite la peur de ceux qui ont l’habitude d’être frappés. C’est un exemple du trait d’esprit rabbinique qui intervient dans l’étude, ce que nous avons défini comme l’humour interne. Les personnages de ces paraboles, les invités assis dans l’obscurité et les élèves turbulents qui prennent peur, représentent les nations du monde et les ennemis d’Israël (c’est-à-dire Israël !). L’humour a ainsi une fonction psychologique libératrice, qui permet aux sages de se libérer du tragique de l’oppression et de l’inconnu des aléas de la nature. M Sukka 2, 9 « [Pendant] les sept jours [de la fête de Sukkot], l’homme fait de sa cabane sa demeure permanente et de sa maison sa demeure temporaire. S’il pleut, à partir de quel moment peut-on quitter [la cabane et se mettre à l’abri dans la maison] ? À partir du moment où le ragoût commence à tourner. À quoi cela ressemble-t-il ? Ceci est comparable à un esclave qui vient servir à boire à son maître et [ce dernier] renverse le pichet sur sa figure. »

La dernière mishna du deuxième chapitre comporte deux parties. La première s’interroge sur le moment où on est autorisé à quitter la cabane, en cas de forte pluie. Elle répond que c’est à partir du moment où un plat cuisiné, présent dans la cabane, se détériore. Cette déclaration halakhique

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non narrative est suivie d’une parabole. Les paraboles sont très rares dans la Mishna. On les trouve plutôt dans les recueils exégétiques, où la relation du peuple d’Israël avec Dieu est souvent comparée à celle d’un roi et de ses sujets, d’un père et de ses enfants ou encore d’un maître et de ses serviteurs. Il s’agit donc d’un enseignement théologique936. La Mishna se préoccupe rarement de questions théologiques et cite aussi peu de versets. Elle est surtout préoccupée par la relation que l’homme entretient avec le monde qui l’entoure, dans l’objectif d’accomplir les commandements. La parabole met ici en scène un esclave qui fait son devoir : il vient servir à boire à son maître, ou bien mélanger son vin avec de l’eau, comme il était coutume de le faire à l’époque937. Le maître, au lieu d’accepter le service, renverse la boisson ou l’eau contenue dans la carafe sur la tête de l’esclave. C’est un geste agressif exprimant une réprimande. Le serviteur est clairement l’homme juif qui tente de servir son maître, c’est-à-dire Dieu, en accomplissant les commandements, et plus particulièrement le commandement de la cabane. L’eau renversée sur la tête dans la parabole représenterait donc la pluie dans la Mishna. Dans cette parabole, la pluie n’est pas un simple élément naturel qui gêne l’accomplissement d’un commandement, c’est un acte divin. En envoyant la pluie, Dieu signifie qu’il rejette le service rendu par l’homme juif, le commandement de la cabane. La parabole redonne un sens théologique à ce commandement et par extension à tous les commandements, qui deviennent ainsi un moyen de servir Dieu et de se rapprocher de lui. Cependant, la forme de la parabole nous interpelle. Elle contient une image comique, celle d’un maître dont le comportement est tout à fait incompréhensible. Le serviteur veut servir son maître comme il se doit et, soudain, sans qu’il n’ait rien fait pour le mériter (du moins en apparence), il reçoit le pichet d’eau à la figure. Cette description peut facilement être classée comme un comique de situation. Cette absurdité est une manière de nuancer le message théologique véhiculé par la parabole. Si chaque homme juif peut, en effet, se rapprocher de Dieu à travers l’accomplissement des commandements, Dieu ne lui devient pas pour autant plus compréhensible. La pluie au mauvais moment peut être perçue comme une punition, mais l’homme ne sait pas toujours pour quelle raison il est puni. Le comportement absurde du maître dans le parabole est donc comparable aux événements absurdes, subis par les hommes dans le monde. Le comique de situation révèle l’impuissance de l’homme devant une action divine incompréhensible et imprévisible. 936 D. STERN, « The Function of the Parable in Rabbinic Literature », Jerusalem Studies in Hebrew Literature 7, 1985, p. 90-102. 937 Voir, par exemple, M Nidda 2, 7.

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L’effet comique de la parabole présente l’esclave et par conséquent, l’homme (juif) sous un angle ridicule : il est l’objet d’une farce et se retrouve trempé à la fin de l’anecdote. C’est le message principal du texte, qui souligne l’insignifiance de l’homme devant Dieu. Cependant, le caractère arbitraire et inintelligible de l’action du maître, et par conséquent de la réaction divine, peut également sembler ridicule. Nous pouvons aller un peu plus loin et avancer qu’ici, les sages font preuve d’un humour juif presque moderne : à travers une parabole pleine d’autodérision, ils jettent un regard lucide et désabusé sur une réalité insaisissable, et, par l’humour, s’en affranchissent, ou du moins, parviennent à y faire face. T Berakhot 6, 18 « R’ Yehuda dit : un homme est obligé de réciter trois bénédictions chaque jour : béni [sois-tu, Éternel, roi du monde], qui ne m’as pas fait non-juif938 ; [béni sois-tu, Éternel, roi du monde], qui ne m’as pas fait ignorant939 ; [béni sois-tu, Éternel, roi du monde], qui ne m’as pas fait femme. Non-juif, ainsi qu’il est écrit : (Is 40, 17) Toutes les nations sont comme rien devant lui  ; il les considère comme le vide et le néant. Un ignorant, [pourquoi ?] Parce que l’ignorant ne craint pas le péché. Une femme, [pourquoi] ? Parce que les femmes ne sont pas astreintes à accomplir les commandements. Parabole, à quoi cela ressemble-t-il ? À un roi de chair et de sang qui dit à son serviteur : cuis pour moi un ragoût, mais le serviteur n’a jamais fait la cuisine. Il finit par détériorer le ragoût et suscite la colère de son maître. [Cela ressemble à un roi qui demande à son serviteur] de faire l’ourlet de sa robe, mais le serviteur n’a jamais fait de couture de sa vie. Il finit par salir la robe et suscite la colère de son maître. »

R’ Yehuda insiste ici sur trois bénédictions particulièrement importantes. Pour la première il apporte un appui scripturaire, pour la seconde un proverbe que l’on trouve également dans M Abot 2, 5. Pour expliquer la troisième, il raconte une parabole. Celle-ci met en scène un serviteur qui doit accomplir un travail pour son maître, et qui échoue parce qu’il n’a pas le savoir-faire nécessaire à la réalisation de la tâche. Le serviteur inexpérimenté représente les femmes, qui ne sont pas obligées d’accomplir certains commandements, ce fait les rend inexpérimentées et donc susceptibles de mettre Dieu en colère. Comme dans M Sukka 2, 9, la parabole définit les relations entre les hommes et Dieu. Si, dans M Sukka 2, 9, l’humour de la parabole avait une fonction psychologique, ici, la parabole relève plutôt d’une moquerie et d’un sentiment de supériorité de R’ Yehuda (et des rabbins en général) envers les femmes.

938 939

Goy. Bur.

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T Sanhedrin 1, 2 « R’ Eli‘ezer ben Ya‘aqob dit : qu’enseigne une lecture approfondie du verset : (Ps 10, 3) celui qui rompt bénit, il blasphème l’Éternel940  ? On raconte une parabole, à quoi cela ressemble-t-il ? À un homme qui vole une se’a941 de blé, la mout, la fait cuire et en prélève la pâte puis nourrit ses enfants. Comment peut-il bénir Dieu ? Il ne fait que blasphémer ! C’est à propos de cela qu’il a été dit : (id.) celui qui rompt [le pain]942, bénit [-t-il ? Non,] il blasphème l’Éternel. »

Ce passage exégétique se trouve dans un paragraphe où il est question de la décision finale du tribunal, qui, une fois rendue, n’est pas modifiable : « (…) de même que le jugement est rendu par trois juges, de même un compromis est rendu par trois juges. Dès que le jugement est terminé, il est interdit de le rompre943. R’ Eli‘ezer fils de R’ Yose le Galiléen dit : quiconque rompt [le jugement], le voici pécheur. Quiconque bénit celui qui rompt, voici qu’il blasphème devant le Lieu, ainsi qu’il est écrit : (Ps 10, 3) celui qui rompt bénit, maudit l’Éternel944 (…). »

À la suite de cette interprétation, R’ Eli‘ezer ben Ya‘aqob propose une lecture approfondie du verset à l’aide d’une parabole, qui présente le cas paradoxal d’un voleur qui prélève la pâte. Cette lecture transforme le verset en une question rhétorique suivie d’une réponse et s’interroge sur l’identité de « celui qui rompt ». Dans la lecture précédente, « celui qui rompt » était l’homme qui rompt le jugement. « Rompre » ou « diviser » est bien l’un des sens possibles de ce verbe. Un autre sens concerne l’idée de profit (beṣa‘). Dans l’interprétation de R’ Eli‘ezer ben Ya‘aqob, il semble que les deux sens soient mobilisés en même temps : le voleur de blé a fait du profit et a également rompu le pain. L’utilisation d’un seul mot, en faisant appel à ses deux sens, est un procédé qui, d’un point de vue cognitif, est apparenté à l’humour. La parabole comporte deux autres éléments humoristiques. C’est le cas du comportement du voleur, dont la Tosefta se moque. Il est en effet absurde que le voleur se montre scrupuleux quant au prélèvement de la pâte sur l’objet même de son vol (des grains de blé). En même temps, si l’on prend en compte le sens de « profiteur » pour le mot boṣea‘, la quantité de blé est trop infime pour qu’on puisse parler de profit. Il en est de même pour l’usage qu’en fait le voleur : nourrir sa famille. Sur ce point la Tosefta fait 940

U-boṣea‘ berekh ni’eṣ YHWH. Unité de volume qui correspond à 6 kab. 942 C’est-à-dire un voleur. 943 Li-beṣoa‘. 944 Il d’agit d’une traduction très littérale du verset. Le Rabbinat traduit ainsi : le spoliateur blasphème, outrage l’Éternel  ; la Bible en français courant ainsi : en empochant ses gains malhonnêtes, il maudit le Seigneur, il se moque de lui. 941

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preuve d’autodérision, puisqu’elle moque sa propre lecture du verset (celle de R’ Eli‘ezer ben Ya‘aqob). La dimension humoristique du texte consiste donc essentiellement en l’évocation simultanée de plusieurs idées liées au même mot. Elle relève du troisième niveau, celui de l’humour épistémologique. La Tosefta propose une lecture d’un verset, mais l’usage de l’humour permet de relativiser cette lecture. En se moquant de sa propre interprétation, la Tosefta en appelle à l’esprit critique du lecteur et se remet en question, tout en affirmant sa méthode et son autorité. T Berakhot 1, 11 « De même (Is 43, 18) Ne vous rappelez pas des premières [années] et ne contemplez pas les [temps] anciens. Ne vous rappelez pas des premières [années], ce sont celles des royaumes, et ne contemplez pas les [temps] anciens, ce sont ceux de l’Égypte. (Is 43, 19) Voici que je crée une [ère] nouvelle, maintenant elle surgit, c’est la guerre de Gog et Magog. [R’ Ele‘azar ben ‘Azarya] raconte une parabole, à quoi cela ressemble-t-il ? À un homme qui était en voyage et un loup l’attaqua. Il fut sauvé, puis il continua son chemin en racontant l’histoire du loup. [Ensuite], un lion l’attaqua et il fut sauvé. Il oublia [donc] l’histoire du loup et raconta celle du lion. Ensuite, un serpent l’attaqua et il fut sauvé. Il oublia les histoires des deux autres et continua en racontant l’histoire du serpent. De même, [pour] Israël, les mauvais temps récents font oublier les anciens. »

Cette parabole ne pose aucune difficulté de compréhension. Le peuple d’Israël est comparé à l’homme et les oppresseurs d’Israël aux fauves qui l’attaquent. L’homme de la parabole se déplace et, après la première attaque, il continue son chemin en racontant l’histoire du loup. La parabole ne précise pas à qui il la raconte, parce qu’il se raconte l’histoire à lui-même, comme le peuple d’Israël se raconte les récits de son passé. La transmission de la Tora et de l’histoire est une valeur centrale dans les textes juifs, à commencer par la Bible. Si la mémoire est si importante, l’oubli est forcément condamné. L’oubli de l’homme se répète à chaque fois de manière immédiate : il est systématique et stéréotypé. L’homme est donc présenté sous un angle ridicule : il est naïf (il n’apprend pas de sa propre expérience et ne se montre pas prudent vis-à-vis des fauves) et a manifestement peu d’acuité intellectuelle, puisqu’il a une mémoire bien courte. À travers cette parabole, les sages tournent en dérision le peuple d’Israël, auquel ils attribuent cette naïveté et cette mémoire courte. Reste à préciser l’objet de la moquerie. Le peuple d’Israël dont il est question ici pourrait englober les sages. Dans ce cas, le texte exprimerait de l’autodérision. Il nous semble néanmoins qu’il s’agit plutôt du peuple sans

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les sages. Ces derniers sont en effet des témoins, qui cultivent l’étude et la mémoire. Le texte critiquerait les juifs non rabbiniques, qui seraient au contraire enclins à négliger les leçons du passé. Une parabole apparentée, mais sans humour, se trouve dans T Soṭa 15, 7 : « On raconte une parabole, à quoi cela ressemble-t-il ? À un [homme] qui a péché945 dans la ville. On le confia à un fabricant de ceintures946 et [celui-ci] le fouetta. Il était plus fort que le fabricant de ceintures, [alors] on le confia à un magistrat947 et [celui-ci] le frappa. Il était plus fort que le magistrat, [alors] on le confia à un centurion948 et [celui-ci] l’emprisonna. Il était plus fort que le centurion, [alors] on le confia à l’autorité949 et [celle-ci] le jeta dans la fournaise950. De même, [pour] Israël, les derniers malheurs font oublier les premiers. »

C.7. Les grands contes M Sukka 4, 4 « Le commandement du lulab, comment [était-il accompli] ? Tous apportaient leurs lulabim au mont du Temple. Les intendants les recevaient de leurs mains et les rangeaient sur le toit du balcon. Les vieillards951 déposaient les leurs dans la chambre. Ils leur apprenaient à dire : quiconque a reçu mon lulab dans sa main, voici que c’est un cadeau pour lui. Le lendemain, ils se levaient tôt et venaient au Temple et les intendants jetaient [les lulabim] devant eux et [les gens] les saisissaient et se frappaient les uns les autres avec. Lorsque [les membres du] tribunal ont vu qu’ils se mettaient en danger, ils décrétèrent que chacun garde le lulab chez soi. »

Ce récit raconte les coutumes anciennes concernant le commandement du lulab, le bouquet rituel de la fête de Sukkot. Puisqu’il fallait répéter le rituel dans le Temple pendant les sept jours de la fête, les gens déposaient leurs bouquets des quatre espèces dans le Temple, afin de les retrouver chaque matin pour accomplir le rituel. Dans ce dépôt collectif, il est, bien évidemment, impossible de retrouver le bouquet initialement déposé, de sorte que les officiers du Temple enseignaient au peuple comment utiliser indifféremment n’importe quel bouquet, en déclarant que le leur était donné en cadeau. À première vue, cela aurait dû permettre le bon déroulement du rituel, mais le peuple réagit d’une manière étrange. Au lieu de s’emparer tranquillement des lulabim que les officiers du Temple leur jetaient, ils les 945

Saraḥ. Raṣ‘an. 947 Ba‘al zemora. 948 Qiṭeron. 949 Shileṭon. 950 Qamin. 951 Zeqenim, terme signifiant « les anciens », mais qui se réfère dans ce contexte à l’âge des personnes et non à leur statut social. 946

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saisissaient violemment et s’en servaient pour se frapper les uns et les autres. L’image décrite dans ce récit est comique : des officiers lancent les objets aux hommes, comme s’ils jetaient de la nourriture aux animaux, et les hommes à leur tour se comportent de manière bestiale et sauvage. Cette présentation moqueuse tourne en dérision le petit peuple venu célébrer la fête dans le Temple. Dans la suite du texte, le tribunal joue un rôle salvateur. Ses membres saisissent l’urgence de la situation, qui met en danger les gens, et instaurent une nouvelle manière de faire par un décret. Le récit présente le tribunal comme une instance supérieure, exerçant une autorité non seulement sur le peuple, mais aussi sur les officiers du Temple. Comme l’a montré N. Cohn952, il n’est pas certain qu’une telle entité ait réellement existé, mais les rabbins la considèrent comme une institution pré-rabbinique, source de l’autorité de leur propre mouvement et enseignement. C’est donc une démonstration d’autorité et de pouvoir, mais la supériorité du tribunal a une fonction supplémentaire. Elle met dans la même catégorie les officiers du Temple et le peuple. Ainsi, le comportement ridicule du peuple se joint aux méthodes peu avisées des officiers du Temple. Ces derniers sont donc aussi objet de moquerie. L’effet comique participe donc à la démonstration de pouvoir des rabbins et à leur revendication d’une autorité exercée dans le passé, dans le Temple même. T Sukka 4, 5 « R’ Yehoshua‘ ben Ḥananya raconte : pendant toute la période de la fête de l’eau, nous ne dormions pas. Nous nous levions à l’aube pour le sacrifice perpétuel du matin, de là [nous allions] à la synagogue, de là [nous allions] aux sacrifices supplémentaires, de là [nous allions] au repas, de là [nous allions] à la maison d’étude, de là [nous allions] au sacrifice perpétuel du crépuscule et de là à la célébration de la fête de l’eau. »

Ce récit semble être sérieux et raconter simplement les actions successives des sages pendant la fête. R’ Yehoshua‘ ben Ḥananya est un tanna de la deuxième génération, ayant enseigné entre 90 et 130 de notre ère, mais qui a connu également l’époque du second Temple. Son récit est marqué par un ton nostalgique. Or, la mémoire des événements lointains est souvent trompeuse, et s’accompagne de la tendance à embellir et exagérer les événements du passé. Cela semble être le cas ici.

952

COHN, The Memory…, p. 87.

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T Sukka 4, 6 « R’ Yehuda dit : celui qui n’a pas vu la synagogue953 d’Alexandrie en Egypte n’a pas vu l’honneur [accordé] à Israël de sa vie. Il y avait une sorte de grande basilique954, avec deux rangées de colonnes955, l’une devant l’autre. Parfois, il y avait une foule deux fois plus grande que [le nombre de] ceux qui sont sortis d’Égypte956. Il y avait soixante et onze sièges d’or pour soixante et onze anciens, chaque siège valait 250000957. Une estrade de bois [se dressait] au milieu et l’administrateur de l’assemblée958 se tenait debout sur elle avec les étoffes959 dans sa main. [Quand] quelqu’un prenait [le rouleau] pour lire, il remuait les étoffes et ils [la foule] répondaient “amen” à chacune des bénédictions. Il levait les étoffes et ils répondaient “amen”. Ils ne s’asseyaient pas mélangés, [mais] les orfèvres entre eux, les joailliers960 entre eux et les tisseurs entre eux, les tisseurs de Tarsus entre eux et les forgerons entre eux. Et tout cela pourquoi ? Pour que les clients puissent venir et solliciter les artisans, afin que ces derniers puissent gagner leur vie. »

Après les récits portant sur le Temple de Jérusalem, nous avons un nouveau récit qui concerne la grande synagogue d’Alexandrie en Égypte. La somptuosité et la richesse du lieu ainsi que le nombre de personnes qui s’y trouvent sont manifestement exagérés, notamment au vu de l’expression stéréotypée « le double de ceux qui sont sortis d’Égypte ». Ce passage clôt la série de récits nostalgiques sur les fêtes à l’époque du Temple. Toute la séquence peut être classée en tant que « grand conte », un genre littéraire, dont les récits de Tartarin de Tarascon ou ceux du baron de Münchhausen sont de bons représentants. Ce genre mêle humour, folklore et sens de l’exagération. Les descriptions tannaïtiques du Temple et de l’époque du Temple sont considérées par N. Cohn comme un genre littéraire à part entière. Selon lui, les rabbins racontent le passé de manière à construire leur identité collective présente. Le caractère édifiant de ces narrations donne de l’importance au mouvement rabbinique en rappelant son passé glorieux961. Cependant, il nous semble que la séquence de la Tosefta dépasse le cadre des descriptions édifiantes du passé, que l’on trouve dans la Mishna et sur lesquelles N. Cohn base sa théorie. Cette séquence est certes édifiante, mais elle est également fortement stéréotypée et exagérée, ainsi que nous l’avons souligné, et présente les caractéristiques du grand conte. Ce genre littéraire cultive aussi l’autodérision, ce que nous pouvons déceler dans le texte de la Tosefta  : la 953 954 955 956 957 958 959 960 961

Dipelisṭewan. Basileqi. Seṭew. Kiflayim ke-yoṣe’e miṣrayim. Le texte ne précise pas le type de monnaie. Ḥazzan ha-keneset. Sudarin. Fabricants d’argenterie. COHN, The Memory…, p. 8.

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description est édifiante au point de devenir grotesque et surréaliste. La Tosefta suggère ainsi que certains récits peuvent être des constructions idéologiques, sans lien avec la réalité historique, et mine par la même de l’intérieur le discours rabbinique « officiel ». T Kelim Baba Batra 1, 2-3 « Une femme en état de menstruation, qui tire la corde et appuie de son pied sur le poids qui repose sur le piston qui monte et descend, [rend] le vêtement [confectionné] impur [de l’impureté] de la chaussure. Histoire d’une femme qui tissait un vêtement en état de pureté rituelle et qui vint [ensuite] devant R’ Yishma‘el afin qu’il l’examine. Elle lui dit : je sais que le vêtement n’a pas contracté l’impureté, mais je ne voulais pas le garder. Après les vérifications auxquelles procéda R’ Yishma‘el, elle lui dit : je sais qu’une femme en état de menstruation est entrée et a tiré la corde avec moi. R’ Yishma‘el dit : ô que les paroles des sages sont grandes, puisqu’ils disent que, si [le tisseur] n’avait pas l’intention de garder [le vêtement], il devient impur. Encore l’histoire d’une femme qui [cette fois] tissait une nappe en état de pureté rituelle et qui vint devant R’ Yishma‘el afin qu’il l’examine. Elle lui dit : Rabbi, je sais que la nappe n’a pas contracté l’impureté rituelle, mais je ne voulais pas la garder. Après les vérifications auxquelles procéda R’ Yishma‘el, elle lui dit : je sais qu’un fil s’est cassé et je l’ai attaché avec ma bouche. R’ Yishma‘el dit : ô que les paroles des sages sont grandes, puisqu’ils disent que, si [le tisseur] n’avait pas l’intention de garder [le tissu], il devient impur. »

Dans ces deux récits, l’importance des enseignements rabbiniques est confirmée par des preuves miraculeuses. L’enchaînement de ces preuves produit un effet systématique et stéréotypé. Les récits sont bel et bien apparentés au genre du grand conte et sont à la fois édifiants et carnavalesques. M Sanhedrin 6, 4 « (…) Tous les lapidés sont pendus. Paroles de R’ Eli‘ezer. Et les sages disent que ce sont uniquement le blasphémateur et l’idolâtre qui sont pendus. L’homme est pendu face au peuple et la femme face au poteau. Paroles de R’ Eli‘ezer. Les sages disent que l’homme est pendu, mais pas la femme. R’ Eli‘ezer dit : histoire de Shim‘on ben Sheṭaḥ qui fit pendre des femmes à Ascalon. [Les sages] lui répondirent : il fit pendre quatre-vingts femmes, alors que l’on ne peut pas juger plus d’une personne en un jour. »

Dans ce passage de la Mishna, R’ Eli‘ezer est en désaccord avec les sages. Pour appuyer son opinion que la femme doit être pendue au même titre que l’homme, il raconte l’histoire de Shim‘on ben Sheṭaḥ qui a fait pendre des femmes. Les sages précisent qu’il s’agissait de quatre-vingts femmes, un nombre conséquent. Malgré ce détail qui semble exagéré, ce récit n’est pas humoristique et ne relève pas du genre des grands contes. Son parallèle dans Sifre Debarim 221 ne l’est pas non plus. Il indique uniquement que, dans cette période, il était nécessaire d’agir ainsi, sans donner d’explication

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supplémentaire. L’explication se trouve en fait dans TY Ḥagiga 2, 2 : ces femmes étaient des sorcières. Le récit du TY est humoristique, mais dépasse le cadre de notre étude. Shim‘on ben Sheṭaḥ apparaît dans un autre récit tannaïtique sans humour, dont le parallèle talmudique est humoristique. T Sanhedrin 6, 6 « Les témoins ne sont jamais déclarés mensongers avant la fin du procès. Ils ne reçoivent pas les coups de bâton, ne paient pas l’amende et ne sont pas exécutés avant la fin du procès. Un témoin n’est jamais déclaré mensonger sans que son binôme ne soit déclaré mensonger, et ne reçoit pas les coups de bâton sans que son binôme les reçoive et n’est pas exécuté sans que son binôme le soit et ne paie pas l’amende sans que son binôme la paie. R’ Yehuda ben Ṭabbay dit : que je ne voie pas la rédemption, si je n’ai pas fait mourir un témoin mensonger, pour arracher [cette opinion] du cœur des boéthusiens qui disaient : [un témoin mensonger n’est pas tué], tant que le condamné n’est pas mis à mort [suite à son témoignage]. Shim‘on ben Sheṭaḥ lui dit : que je ne voie pas la rédemption, si tu n’as pas versé le sang d’un innocent ! Voici que la Tora dit : (Dt 17, 6) C’est sur la déposition de deux ou de trois témoins que sera mis à mort celui qui encourt la peine capitale  ; [il ne pourra être supplicié sur le dire d’un seul témoin]. Ceci vaut à propos des témoins et à propos des [témoins] mensongers. Pour les témoins, deux, et, pour les [témoins] mensongers, deux. De même qu’il faut deux témoins, il faut deux témoins mensongers [avérés afin de les mettre à mort]. À cette heure, Yehuda ben Ṭabbay962 prit la décision de n’enseigner la halakha qu’à partir des paroles de Shim‘on ben Sheṭaḥ. »

Yehuda ben Ṭabbay (chef du tribunal, selon TB Ḥagiga 16b) avoue avoir exécuté un homme, soupçonné d’être un témoin mensonger. Il justifie son acte par la volonté de démontrer aux boéthusiens leur erreur. Ils pensent en effet qu’un témoin mensonger n’est puni que si le verdict qui a suivi le témoignage du témoin mensonger a réellement été mis en œuvre. Shim‘on ben Sheṭaḥ (le patriarche selon le TB) répond à son collègue en lui disant qu’il a versé du sang innocent. Le résultat est la soumission de Yehuda ben Ṭabbay à l’opinion de Shim‘on ben Sheṭaḥ. Notons que l’attribution de ces rôles aux deux personnages se trouve aussi dans la Tosefta : T Ḥagiga 2, 8 « … Shim‘on ben Sheṭaḥ était le patriarche963. Yehuda ben Ṭabbay était le chef du tribunal964… »

La suite du récit dans le parallèle du TB Ḥagiga 16b est comique et tourne en dérision Yehuda ben Ṭabbay, mais elle dépasse le cadre de notre étude. 962 963 964

Il ne porte pas le titre « Rabbi » dans cette phrase. Nasi. Ab bet din.

CONCLUSION

Le point de départ de ce travail était le constat que les études académiques sur l’humour des rabbins de l’antiquité contribuent de manière significative à la compréhension des textes rabbiniques. Les résultats de ces travaux sur l’humour dans le TY, le TB et le midrash aggada trouvent un écho dans notre propre étude. Nous avons découvert dans les écrits tannaïtiques des exemples de noms et surnoms humoristiques965, d’humour noir966 et de satire sur le pouvoir967 évoqués par D. Lifshitz968, d’ironie narrative969 mise en avant par R. Kushelevsky970 et de parodies971 étudiées par H. Zellentin972 ainsi que des exemples de passages carnavalesques973 et sérieux-comiques974 étudiés par D. Boyarin975 et A. Kovelman976. Nous avons également noté chez les tanna’im ce qu’avance B. Engelman977 sur le TB : les rabbins font consciemment de l’humour978 et ce dernier est inhérent à leur activité intellectuelle979. Étudier de manière exhaustive l’humour dans la Mishna et la Tosefta nous a permis de développer de nouvelles perspectives sur ces ouvrages et leurs différents protagonistes, essentiellement articulées autour des thèmes suivants : les polémiques internes et externes au mouvement rabbinique, les traits de caractère de certains rabbins, leur manière d’étudier et les différences dans le traitement de l’humour en fonction des corpus.

965 T Pesaḥim 4, 15 (p. 282) ; T Shabbat 12, 13 ; M Sheqalim 5, 1 ; T Sheqalim 2, 15 (p. 334). 966 T Ohalot 15, 12-13 (p. 147) ; T Kippurim 1, 12 (p. 237). 967 Voir notamment les récits qui dénoncent l’abus d’autorité de Rabban Gamliel. 968 Voir p. 54-61. 969 T Berakhot 4, 15 (p. 91) ; T Soṭa 7, 8-15 (p. 158). 970 Voir p. 74. 971 M Sukka 2, 8 (p. 191) ; T Kippurim 1, 6 (p. 229). 972 Voir p. 68-72. 973 T Pe’a 4, 10 (p. 183) ; T Kippurim 2, 2-8 (p. 244). 974 Voir le sous-chapitre sur les « grands contes ». 975 Voir p. 67-68. 976 Voir p. 66-67. 977 Voir p. 63-65. 978 Voir le sous-chapitre sur la conscience rabbinique de l’humour. 979 Voir le sous-chapitre sur l’absurdité de la halakha.

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CONCLUSION

Les polémiques internes et externes Malgré sa position centrale dans le mouvement rabbinique, ou peut-être à cause d’elle, Rabban Gamliel est l’objet de récits qui le tournent en dérision et critiquent notamment les privilèges qu’il s’accorde, ses pratiques luxueuses et hellénisées, le comportement douteux de ses fils et ses abus d’autorité. La présentation tragi-comique de R’ Ṭarfon est liée à son statut ambigu, celui d’un sage important dont les enseignements et les décisions halakhiques sont valorisés, mais dont les origines sacerdotales et l’appartenance à l’école de Shammay sont suspectes. Les récits humoristiques relatant les controverses entre les écoles de Hillel et de Shammay tournent en dérision Shammay lui-même, ses disciples et ses opinions. Le fait de recourir à l’humour pour renforcer la position de Hillel suggère cependant que sa primauté, admise et reconnue dans les Talmuds, n’était pas encore évidente à l’époque tannaïtique. L’aspect quantitatif est également significatif. Parmi les récits concernant Rabban Gamliel et les écoles de Hillel et de Shammay, le nombre des textes humoristiques et non humoristiques est sensiblement égal980. Dans le deuxième chapitre, nous avons évoqué des groupes, considérés par les rabbins comme « autres » à différents degrés. L’humour joue un rôle important dans la polémique contre les faiseurs de miracles. Les tendances hellénistiques et les goûts luxueux des gens de Jérusalem sont critiqués par le biais de propos ironiques. La classe sacerdotale ainsi que les sadducéens et les boéthusiens sont tournés en dérision à travers des formes humoristiques variées. Là aussi, l’aspect quantitatif est révélateur : les récits humoristiques sont largement majoritaires (70%)981.

Les rabbins et l’étude Le troisième chapitre prend en compte tous les récits tannaïtiques qui n’ont pas été commentés dans les deux premiers chapitres. Il laisse apparaître plus directement l’humour des tanna’im. Le sous-chapitre consacré à leur ironie et leurs mots d’esprit permet de faire le lien entre l’humour juif moderne et les textes tannaïtiques. Plusieurs récits révèlent les types d’humour propres à plusieurs rabbins et à leurs traits de caractère, comme l’ironie parfois agressive de R’ ‘Aqiba et l’autodérision de R’ Ṭarfon. Leur sens de l’humour se manifeste aussi par le choix de certains sujets d’étude, drôles ou 980 981

83 récits humoristiques et 77 sans humour. 64 récits humoristiques et 27 sans humour.

CONCLUSION

351

absurdes. On notera cependant que, dans le corpus considéré par le troisième chapitre, la majorité écrasante des textes n’est pas humoristique : ils sont d’abord et avant tout sérieux et normatifs. En dépit de leur nombre plus modeste, les textes qui présentent l’humour des tanna’im et surtout ceux qui montrent qu’ils étaient conscients de ce phénomène sont essentiels. Ils contribuent notamment à confirmer, dans les textes des deux premiers chapitres, le côté intentionnel de l’humour, qui revêt des formes très variées et assure des fonctions avant tout rhétoriques et polémiques.

L’humour à travers les différents corpus rabbiniques Dans le sous-chapitre concernant les prêtres, nous avons comparé le traité Yoma de la Mishna et le traité Kippurim de la Tosefta. La Mishna est plutôt caractérisée par une ironie réservée et dissimulée, alors que la Tosefta privilégie un humour libre et expressif. Cette différence est également perceptible dans le sous-chapitre sur l’ironie et les mots d’esprit, où presque la totalité des textes provient de la Tosefta. Dans Midrash and Legend, J. Moss remarque que la Mishna préfère les anecdotes très brèves, ne conservant que la partie narrative strictement nécessaire pour clarifier un principe légal. Le récit dans la Mishna est donc un élément essentiel de l’argumentation dans laquelle il apparaît : il contribue à sa cohérence, en confirmant régulièrement l’opinion majoritaire982. Les autorités, qui bénéficient le plus souvent de ces confirmations, sont « les sages », la voix anonyme de la Mishna et Rabban Gamliel, et, dans une moindre mesure, R’ ‘Aqiba, R’ Yose ben Ḥalafta, R’ Yehuda ben Il‘ay, Rabban Shim‘on ben Gamliel, R’ Eli‘ezer et R’ Yehoshua‘. Les récits dans la Mishna ont généralement une fonction halakhique983. M. Simon-Shoshan montre néanmoins que cette fonction halakhique est ambivalente, puisque la voix narrative et la voix non narrative sont en tension, ce qui crée une polyphonie984. Concernant les récits dans la Tosefta, Moss observe qu’ils sont souvent cités pour appuyer une opinion rejetée (contrairement aux Midrashim halakhiques qui mentionnent seulement des récits de cas confirmant la loi dérivée du texte biblique). La Tosefta rejette tout aussi souvent la conclusion de l’anecdote985. Dans la Tosefta, les protagonistes les plus fréquents sont R’ Yehuda ben Il‘ay, R’ ‘Aqiba, Rabban Gamliel, R’ Yose ben Ḥalafta, 982 983 984 985

MOSS, Midrash…, p. 574. Ibid., p. 586. SIMON-SHOSHAN, Stories…, p. 67-72. MOSS, Midrash…, p. 587.

352

CONCLUSION

R’ Ele‘azar fils de R’ Ṣadoq et R’ Yoḥanan ben Nuri. La contradiction fréquente entre les récits et leur contexte halakhique montre, selon Moss, que les deux types de discours ont été développés séparément puis articulés dans un deuxième temps986. À la lumière de ces analyses de Moss, il n’est pas surprenant que l’humour soit plus abondant dans la Tosefta que dans la Mishna et que lorsqu’un récit se trouve dans les deux corpus, il soit souvent riche en détails et en humour dans la Tosefta, et plutôt laconique et sérieux dans la Mishna. Quelques exceptions méritent néanmoins d’être notées. C’est le cas de deux récits du traité ‘Aboda Zara de la Mishna : M ‘Aboda Zara 4, 7 et M ‘Aboda Zara 3, 4. Ces deux textes mettent en scène des rabbins qui tournent en dérision les non-juifs et l’idolâtrie. Dans M ‘Aboda Zara 4, 7, un groupe d’anciens répond à des idolâtres à Rome, alors que le parallèle dans la Tosefta n’est pas humoristique. M ‘Aboda Zara 3, 4 contient le célèbre récit sur Rabban Gamliel dans le bain d’Aphrodite, où il ridiculise l’idolâtrie. Ce récit n’a pas de parallèle dans la Tosefta. Il est intéressant de voir que les rapports de Rabban Gamliel avec les non-juifs dans la Tosefta sont globalement moqués et critiqués, alors que, dans la Mishna, c’est lui-même qui tourne en dérision les non-juifs idolâtres. Deux autres récits présentent les mêmes caractéristiques. M Sukka 2, 8 est un texte qui tourne en dérision Shammay l’ancien et le critique. Ce récit n’a pas de parallèle dans la Tosefta. Le récit sur Ḥoni ha-me‘aggel dans M Ta‘anit 3, 8 ironise sur le faiseur de miracles, alors que son parallèle de la Tosefta est moins élaboré, dénué d’humour et neutre. Les parallèles amoraïques reprennent les récits de la Tosefta, en les mettant en relation et en développant un discours propre. Le TB en particulier met en avant l’humour dans la Tosefta, parfois en l’accentuant, parfois, au contraire, en l’évacuant. La Mishna et le TB sont des textes considérés comme canoniques, ce qui n’est pas le cas de la Tosefta. Ceci explique peut-être le fait que l’humour des tanna’im a souvent été ignoré comme sujet d’étude et a seulement été souligné de manière ponctuelle par les chercheurs. Notre étude a mobilisé plusieurs approches complémentaires pour étudier l’humour des tanna’im, qui se révèle complexe et varié. Elle a permis de faire remonter les origines de l’humour juif à l’époque tannaïtique, d’expliquer certains textes énigmatiques, et de mieux connaître la pensée des tanna’im. L’étude systématique des récits dans la Mishna et la Tosefta doit maintenant être poursuivie par celle des récits contenus dans les Midrashim halakhiques.

986

Ibid., p. 603-604.

ANNEXES

Annexe 1 – Liste des récits non humoristiques de la troisième partie T Berakhot 2, 11 (contre exemplum) ; T Berakhot 3, 2 (exemplum) ; T Berakhot 3, 7 (exemplum) ; T Berakhot 3, 21 (champ lexical) ; T Berakhot 6, 2 (narrativité élevée, discours édifiant) ; T Pe’a 3, 2 (narrativité élevée) ; T Pe’a 4, 18 (récit édifiant) ; T Demay 1, 13-14 (narrativité élevée) ; T Demay 2, 2 ; T Demay 2, 17 ; T Demay 3, 9 (comparaison imagée, non narratif) ; T Demay 5, 22 ; T Demay 6, 13 (récit édifiant, Onqelos le prosélyte) ; M Kil’ayim 4, 9 (case story, autorité rabbinique) ; M Kil’ayim 6, 4 (case story, autorité rabbinique, parallèle : T Kil’ayim 4, 7) ; M Kil’ayim 7, 5 (case story, autorité rabbinique) ; T Kil’ayim 1, 3 (case story, autorité rabbinique) ; T Kil’ayim 2, 12 (case story, autorité rabbinique) ; M Shebi‘it 10, 9 ; T Shebi‘it 3, 5 (+ M Shebi‘it 3, 10, le domaine public) ; T Shebi‘it 4, 13 (case story, autorité rabbinique) ; M Terumot 4, 13 ; M Terumot 8, 2 ; T Terumot 1, 15 (case story, autorité rabbinique, non-juifs) ; T Terumot 3, 4 (2 case stories, autorité rabbinique) ; T Terumot 3, 18 (R’ Eli‘ezer) ; T Terumot 4, 2 (R’ Yishma‘el fils de R’ Yose) ; T Terumot 5, 10 (R’ Yehuda ben Babab) ; T Terumot 7, 14 (exemplum) ; T Terumot 7, 15 (case story) (R’ Yehuda ben Babab) ; T Terumot 7, 20 (passage exégétique non narratif, non-juifs) ; T Ma‘aserot 2, 1 (exemplum, case story) ; M Ma‘aser Sheni 4, 11 (l’heure du danger) ; M Ma‘aser Sheni 5, 10-14 (coutumes) ; M Ma‘aser Sheni 5, 15 (fin du traité) (tout le 5e chapitre : discours édifiant du passé) ; T Ma‘aser Sheni 1, 13 (narrativité élevée) ; T Ma‘aser Sheni 1, 14 (R’ Yehuda ben Gadish, R’ Eli‘ezer) ; T Ma‘aser Sheni 2, 15 (non narratif, Jérusalem) ; T Ma‘aser Sheni 3, 13 (non narratif : « en ce tempsci ») ; T Ma‘aser Sheni 3, 14 (non narratif : « en ce temps-ci ») ; T Ma‘aser Sheni 5, 14 (coutumes du passé) ; T Ma‘aser Sheni 5, 15 (« Lorsque le Temple fut détruit… ») ; M Ḥalla 2, 5 (case story) ; T ‘Orla 1, 8 (fin du traité, très longue transmission) ; M Bikkurim 1, 3 (case story) ; M Bikkurim Chapitre 3 (description édifiante, les prémices au Temple) ; T Bikkurim 2, 8-10 (coutumes du passé) ; M Shabbat 3, 4 (case story) ; M Shabbat 14, 4 (non narratif) ; M Shabbat 16, 7 (case story) ; M Shabbat 22, 3 (case story) ; M Shabbat 24, 5 (exemplum) ; T Shabbat 2, 3 (bet midrash) ; T Shabbat 2, 5 (case story) ; T Shabbat 9, 21 (coutume, exemplum) ; T Shabbat 12, 12 ; T Shabbat 13, 11 (non-juifs, prêtres) ; T Shabbat 15, 8 ; T Shabbat 15, 9 (Ben Koziba) ; M ‘Erubin 8, 7 ; M ‘Erubin 10, 9 ;

354

ANNEXE 1

M ‘Erubin 10, 10 ; T ‘Erubin 1, 2 ; T ‘Erubin 3, 17 ; T ‘Erubin 4, 16 (autorité rabbinique) ; T ‘Erubin 5, 7 ; T ‘Erubin 6, 26 (R’ Yehuda) ; T ‘Erubin 7, 13 (R’ Yehuda) ; M Pesaḥim 4, 8 (autorité rabbinique) ; M Pesaḥim 6, 1 (R’ ‘Aqiba, R’ Yehoshua‘, R’ Eli‘ezer, bet midrash) ; M Pesaḥim 6, 2 (R’ ‘Aqiba, R’ Yehoshua‘, R’ Eli‘ezer, bet midrash) ; M Pesaḥim 6, 5 (R’ ‘Aqiba, R’ Yehoshua‘, R’ Eli‘ezer, bet midrash) ; T Pesaḥim 3, 19 (autorité rabbinique) ; T Pesaḥim 3, 20 (autorité rabbinique) ; T Pesaḥim 8, 4 ; T Pesaḥim 10, 10 (exemplum) ; M Sheqalim 1, 3 (Temple) ; M Sheqalim 2, 4 (nostalgie) ; T Sukka 1, 1 (reine Hélène d’Adiabène) ; T Sukka 1, 7 (R’ Yehuda) ; T Sukka 2, 2 (2 récits, 1 controverse) ; T Sukka 2, 9 (R’ Yehuda); M Beṣa 3, 8 (édifiant, parallèle : T Yom Ṭob 3, 8) ; M Rosh ha-shana 2, 3-4 (allumage des feux, fantasme ou réalité ?) ; T Rosh hashana 1, 16 ; T Rosh ha-shana 2, 11 ; M Ta‘anit 2, 5 (case story) ; M Ta‘anit 3, 5-6 (décrets rabbiniques) ; M Ta‘anit 4, 6 (historique) ; T Ta‘aniyyot 1, 10 (coutumes du passé) ; T Ta‘aniyyot 1, 11-13 (Temple) ; T Ta‘aniyyot 2, 1-2 (Temple) ; M Megilla 4, 8-9 (minim, ḥiṣonim) ; T Megilla 2, 4-5 (3 récits) ; T Megilla 2, 8 ; T Megilla 2, 17 ; T Megilla 3, 15 (allumage des feux et les « fratries » de Jérusalem) ; T Megilla 3, 21-22 (synagogue + Temple) ; T Megilla 3, 30 (roi Monobaz) ; T Megilla 3, 37 (minim) ; T Ḥagiga 2, 1-7 (séquence du pardes) ; T Ḥagiga 3, 3 ; M Yebamot 6, 4 (case story : Martha fille de Boéthus) ; M Yebamot 8, 4 ; T Yebamot 4, 5 ; T Yebamot 6, 8 (2 case stories) ; T Yebamot 10, 3 ; T Yebamot 12, 9 ; T Yebamot 12, 11 ; T Yebamot 14, 6 (2 case stories) ; T Yebamot 14, 7 (3 case stories) ; T Yebamot 14, 8 ; T Yebamot 14, 9 ; M Ketubbot 1, 10 ; M Ketubbot 2, 9 ; M Ketubbot 7, 10 ; M Ketubbot 10, 5 (coutumes à Jérusalem) ; T Ketubbot 3, 2 ; T Ketubbot 7, 11 ; T Ketubbot 9, 2 (champ lexical) ; M Nedarim 5, 6 (astuces pour détourner les vœux) ; M Nedarim 6, 6 ; M Nedarim 9, 5 ; M Nedarim 9, 8 (R’ Me’ir et les oignons) ; T Nedarim 5, 1 ; M Nazir 1, 7 ; M Nazir 3, 6 (reine Hélène d’Adiabène) ; M Nazir 5, 4 (case story) ; M Nazir 6, 11 ; M Nazir 7, 4 ; T Nazir 4, 10 ; T Nazir 5, 1 (étiologique) ; M Soṭa, pas d’humour, diverses thématiques narratives : Chapitre 7 ; M Soṭa 7, 8 ; Chapitre 8 ; M Soṭa 9, 9-15 ; M Soṭa 9, 15 (Temple, récits étiologiques, mentions historiques, coutumes…) ; T Soṭa 2, 1 (Temple) ; T Soṭa 8, 5 (midrash sur Josué) ; T Soṭa 11, 3 (parabole) ; T Soṭa 13, 1-2 (la détérioration du temps) ; T Soṭa 13, 4-6 (bat qol) ; T Soṭa 13, 7 (Temple) ; M Giṭṭin 4, 7 (case story) ; M Giṭṭin 7, 5 (case story) ; T Giṭṭin 1, 3 (case story, les frontières de la terre d’Israël) ; T Giṭṭin 2, 10 (case story) ; T Giṭṭin 5, 4 (case story) ; T Qiddushin 5, 4 (R’ Yehuda, prosélytes égyptiens) ; T Qiddushin 5, 10 (R’ Yehuda, zoophilie et homosexualité) ; M Baba Meṣi‘a 3, 7 (les souris ne se préoccupent pas de la taille du sac) ; M Baba Meṣi‘a 5, 3 (Boéthus fils de Zonan, autorité rabbinique) ; M Baba Meṣi‘a 8, 8 (autorité rabbinique) ; T Baba Meṣi‘a 3, 10 (parallèle

LISTE DES RÉCITS NON HUMORISTIQUES

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de M Baba Meṣi‘a 3, 7) ; T Baba Meṣi‘a 3, 25 ; T Baba Meṣi‘a 4, 2 (Boéthus fils de Zonan + REBA) ; T Baba Meṣi‘a 6, 17 ; T Baba Batra 4, 3-4 (servante = vache) ; T Baba Batra 4, 5 (servante dépressive) ; T Baba Batra 4, 7 (champ lexical) ; M Sanhedrin 3, 6 (coutumes du Sanhédrin) ; M Sanhedrin 4, 3-4 (description physique du tribunal) ; M Sanhedrin 4, 5 (coutumes) ; M Sanhedrin 5, 1 (coutumes) ; M Sanhedrin 5, 4-5 (coutumes, procès) ; M Sanhedrin 6, 1-4 (coutumes, exécution) ; M Sanhedrin 7, 2 (case story) ; M Sanhedrin 7, 3 (coutumes, exécution) ; M Sanhedrin 11, 2 (description) ; T Sanhedrin 2, 10 (case story, R’ Yehuda + 2, 8 : R’ ‘Aqiba) ; T Sanhedrin 3, 4 (description du passé) ; T Sanhedrin 5, 1 (case story, R’ Yehuda) ; T Sanhedrin 7, 8 (passé) ; T Sanhedrin 8, 1-2 (description du Sanhédrin) ; T Sanhedrin 7, 11 : les 7 mesures de Hillel l’ancien ; T Sanhedrin 8, 4-9 (parabole) ; T Sanhedrin 9, 5 (récit tragique) ; T Sanhedrin 9, 6 (forme du tribunal) ; T Sanhedrin 9, 7 ; T Sanhedrin 9, 11 ; T Sanhedrin 10, 11 ; T Sanhedrin 12, 9 - 13, 12 (fin du chapitre 13, part au monde futur) ; M ‘Eduyot 7, 3 (case story, autorité rabbinique) ; M ‘Eduyot 7, 4 (case story, lishkat ha-gazit) ; M ‘Eduyot 8, 2 ; M ‘Eduyot 8, 7 ; T ‘Eduyot 1, 1 ; T ‘Eduyot 1, 4-5 ; T ‘Eduyot 2, 1 ; T ‘Eduyot 3, 1 (Menaḥem ben Sangay, lorsqu’on le fit asseoir à la session (yeshiba)) ; T ‘Eduyot 3, 3 (continuité du culte à Jérusalem après la destruction, R’ Yehoshua‘) ; T ‘Eduyot 3, 4 ; M ‘Aboda Zara 1, 4 (autorité rabbinique) ; M ‘Aboda Zara 2, 5 ; M ‘Aboda Zara 3, 7 (autorité rabbinique) ; M ‘Aboda Zara 4, 10 (mini case stories) ; M ‘Aboda Zara 4, 12 (case story) ; M ‘Aboda Zara 5, 2 (case story, Boéthus fils de Zonan) ; T ‘Aboda Zara 2, 5-6 (moshab leṣim) ; T ‘Aboda Zara 3, 7 (autorité rabbinique) ; T ‘Aboda Zara 4, 4 (champ lexical, jeux de mots) ; T ‘Aboda Zara 5, 4 (midrash sur Elimelekh (Ruth)) ; T ‘Aboda Zara 5, 11 (autorité rabbinique + R’ Yehuda et son tribunal) ; T ‘Aboda Zara 6, 2 (R’ Ḥananya ben Gamliel) ; T ‘Aboda Zara 8, 6 (case story) ; T ‘Aboda Zara 8, 8 (2 case stories, nokhri / goy) ; M Zebaḥim Chapitre 6 (description du culte au passé « ils avaient l’habitude de… ») ; M Zebaḥim 7, 4 ; M Zebaḥim 8, 10 ; M Zebaḥim 14, 4 jusqu’à la fin (le mishkan et les bamot, les coutumes bibliques) ; T Zebaḥim 1, 1 ; T Zebaḥim 1, 5 ; T Zebaḥim 6, 11 (description physique du Temple) ; T Zebaḥim 7, 1 (id.) ; T Zebaḥim 7, 6 (id.) ; T Zebaḥim 7, 16-20 ; T Zebaḥim 11, 17 (autorité rabbinique) ; T Zebaḥim 13, 20 (fin du traité, court midrash) ; M Menaḥot 10, 2 ; M Menaḥot 10, 5 ; M Menaḥot 10, 8 ; T Menaḥot 6, 2 (rituel) ; T Menaḥot 8, 19 (controverse R’ Eli‘ezer / R’ Yehoshua‘) ; T Menaḥot 9, 3 (rituel) ; T Menaḥot 10, 2-8 (rituel) ; T Menaḥot 10, 13 ; T Menaḥot 10, 26 (Temple) ; T Menaḥot 11, 1-18 (tout le chapitre) (Temple / passé) ; T Menaḥot 12, 8-9 (narrativité élevée) ; T Menaḥot 13, 12-14 (des sacrifices offerts dans la maison de Ḥonyo) ; M Ḥullin 2, 9 ; M Ḥullin 4, 7 ; T Ḥullin 2, 4 (case story) ; T Ḥullin 2, 13

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ANNEXE 1

(case story) ; T Ḥullin 2, 20 (minim) ; T Ḥullin 4, 9 ; T Ḥullin 6, 12-13 (narrativité élevée) ; T Ḥullin 6, 12-13 (narrativité élevée) ; T Ḥullin 10, 16 ; M Bekhorot 4, 5 (autorité rabbinique) ; M Bekhorot 6, 6 ; T Bekhorot 3, 7 (autorité rabbinique) ; T Bekhorot 4, 6 ; T Bekhorot 4, 11 (autorité rabbinique) ; T Bekhorot 6, 11 ; T Bekhorot 7, 2 ; M ‘Arakhin 5, 1 ; M ‘Arakhin 8, 1 ; T ‘Arakhin 1, 9-10 (midrash sur le Sinaï) ; T ‘Arakhin 1, 13 (Temple) ; T ‘Arakhin 2, 1-2 (coutumes du Temple) ; T ‘Arakhin 2, 3-7 (Temple) ; T ‘Arakhin 3, 1 ; T ‘Arakhin 4, 20 ; T ‘Arakhin 5, 15 : « (…) R’ Yose dit : c’est la mishna de R’ ‘Aqiba, la première mishna (…) » ; T ‘Arakhin 5, 16 ; M Temura 3, 1 ; T Temura 4, 16 (coutumes du Temple) ; M Kelim 5, 10 (four de ‘Akhnay et Ben Dinay) ; M Kelim 6, 2 ; M Kelim 7, 1 ; M Kelim 13, 7 ; M Kelim 17, 9 ; T Kelim Baba Qamma 6, 3-4 (bet midrash) ; T Kelim Baba Meṣi‘a 1, 5 (narrativité élevée) ; T Kelim Baba Meṣi‘a 2, 1 (R’ Eli‘ezer) ; T Kelim Baba Meṣi‘a 3, 14 ; T Kelim Baba Meṣi‘a 5, 3 ; T Kelim Baba Meṣi‘a 7, 9 ; T Kelim Baba Batra 3, 4 (R’ Yehuda) ; T Kelim Baba Batra 5, 6 (autorité rabbinique) ; T Kelim Baba Batra 7, 10 ; T Ohalot 3, 9 ; T Ohalot 4, 10-12 (lien avec T Kippurim) ; T Ohalot 5, 8 ; T Ohalot 16, 3 ; M Nega‘im Chapitre 14 (narrativité élevée) ; T Nega‘im 1, 16 (Hillel l’ancien) ; T Nega‘im 2, 3 (R’ Yose) ; T Nega‘im 6, 1 (R’ Ele‘azar fils de R’ Shim‘on) ; T Nega‘im 6, 2 ; T Nega‘im 8, 9-10 (Temple) ; T Para 5, 6 ; T Para 5, 10 ; T Para 7, 4 ; T Para 11, 2 ; M Ṭaharot 7, 9 ; T Ṭaharot 6, 1 (case story) ; T Ṭaharot 6, 7 (case story) ; T Ṭaharot 8, 10 (case story) ; T Ṭaharot 9, 14 (case story) ; T Miqwa’ot 2, 5 ; T Miqwa’ot 2, 10 ; T Miqwa’ot 4, 7 ; T Miqwa’ot 7, 6 (champ lexical) ; T Miqwa’ot 7, 10 ; M Nidda 2, 5 (parabole) ; M Nidda 5, 7 (parabole) ; M Nidda 7, 4 (samaritains) ; T Nidda 1, 9 (case story) ; T Nidda 3, 5 ; T Nidda 4, 3-4 ; T Nidda 4, 6 ; T Nidda 5, 14 ; T Nidda 6, 3 ; T Nidda 6, 17 ; T Nidda 7, 1 ; T Nidda 7, 3 ; T Nidda 8, 5-7 (3 récits élaborés, sans humour) ; M Makhshirin 3, 4 ; M Makhshirin 5, 1 (champ lexical) ; T Zabim 1, 11 (parabole) ; M Ṭebul Yom 4, 6 (scribes, parallèle : T Ṭebul Yom 2, 14) ; T Ṭebul Yom 1, 10 (scribes) ; T Ṭebul Yom 2, 5 (case story, R’ Yehuda ben Baba) ; M Yadayim 3, 1 ; M Yadayim 3, 2 ; T Me‘ila 1, 5 ; T Ohalot 18, 15-18 (autorité rabbinique ; non-juifs) ; T Qiddushin 3, 6 ; T Shebu‘ot 3, 6 (échange avec un non-juif) ; T Bekhorot 3, 14 ; T Baba Qamma 8, 16 (autorité rabbinique) ; T Baba Qamma 9, 25 (champ lexical) ; T Demay 3, 14 ; T Terumot 1, 1 ; T Ma‘aser Sheni 5, 16 ; T Shabbat 13, 11 (non-juifs, prêtres) ; T Shabbat 15, 8 ; T Shabbat 15, 9 (Ben Koziba) ; T Kelim Baba Batra 2, 1-3 (case stories édifiants, Temple) ; T Ohalot 4, 14 (bet midrash) ; T Nega‘im 8, 6 ; T Para 4, 9 ; T Para 10, 2 ; T Ḥagiga 2, 1-7 (pardes) ; T Para 10, 3 ; M Baba Meṣi‘a 7, 1 ; T Ketubbot 4, 9 (Hillel l’ancien) ; T Nidda 4, 17 (Cléopâtre) ; T Nidda 6, 8 ; M ‘Eduyot 5, 6-7 (autorité rabbinique, décision par la majorité) ; T Giṭṭin 7, 1-5.

Annexe 2 – Sifre Ba-midbar 115 Le livre des Nombres mentionne le commandement de porter un vêtement aux quatre franges apparentes. Ces franges doivent rappeler à l’homme juif les commandements divins et l’inciter à les respecter ou l’empêcher de les transgresser : (Nb 15, 37-40) L’Éternel parla à Moïse en ces termes  : Parle aux enfants d’Israël, et dis-leur de se faire des franges aux coins de leurs vêtements, dans toutes leurs générations, et d’ajouter à la frange de chaque coin un cordon d’azur. Cela formera pour vous des franges dont la vue vous rappellera tous les commandements de l’Éternel, afin que vous les exécutiez et ne vous égariez pas à la suite de votre cœur et de vos yeux, qui vous entraînent à l’infidélité. Vous vous rappellerez ainsi et vous accomplirez tous mes commandements, et vous serez saints pour votre Dieu.

Nous trouvons un commentaire de ce texte dans le Sifre Ba-midbar, un recueil exégétique tannaïtique sur les Nombres. Dans le paragraphe concerné (115), les sages discutent divers aspects du commandement des franges : les personnes concernées (les femmes en sont dispensées), les aspects techniques concernant la forme des franges et les particularités linguistiques et théologiques des versets. Les rabbins tentent de déterminer quelles sont les transgressions comprises dans l’égarement « à la suite de votre cœur et de vos yeux » : ils citent l’hérésie, l’idolâtrie et la débauche. Ils évoquent également la question de la sainteté, en insistant sur le fait que les franges rendent Israël saint. Au milieu de cette discussion solennelle, nous lisons le récit suivant : « R’ Natan dit : tu n’as aucun commandement qui ne procure pas de récompense. Va apprendre à partir du commandement de la frange. Voici l’histoire d’un homme prudent, qui respectait scrupuleusement le commandement de la frange. Il a entendu dire qu’il y a une prostituée dans une ville éloignée en bord de mer987 et elle demande quatre cents pièces d’or comme salaire. Il lui expédia quatre cents pièces d’or et celle-ci lui fixa un rendez-vous. Lorsqu’il arriva [chez elle], il vint s’asseoir sur le pas de sa porte. Sa servante entra [dans la maison] et annonça [à sa maîtresse] : l’homme à qui vous avez donné rendezvous, le voici assis sur le pas de la porte. Elle lui dit : fais-le entrer. Lorsqu’il entra, elle lui prépara sept couchettes d’argent superposées avec une couverture d’or. Entre chaque matelas, il y avait un banc d’argent et une couverture d’or. Au moment où ils en arrivèrent à l’acte, ses quatre franges venaient et lui paraissaient comme quatre témoins et elles tapaient sur son visage. Aussitôt, il tomba [du lit] et se retrouva assis à même le sol. Elle aussi tomba [du lit] et se 987 Dans les récits rabbiniques anciens, la ville en bord de mer correspond au motif stéréotypé d’une ville fictive très éloignée.

358

ANNEXE 2

retrouva assise à même le sol. Elle lui dit : par le nom de la déesse romaine de l’amour, je ne te laisserai pas [partir] avant que tu ne me dises quel défaut tu m’as trouvé ! Pardi ! Je ne t’ai trouvé aucun défaut, ta beauté n’a pas d’égale dans le monde entier ! Il y a néanmoins un commandement facile, qui nous a été ordonné par Dieu, où il est écrit deux fois : je suis l’Éternel votre Dieu. La première fois signifie : je donnerai la récompense, et la deuxième fois : je suis le juge punisseur. Elle lui dit : pardi ! Je ne te laisse pas partir avant que tu ne me donnes ton nom, le nom de ta ville et le nom de la maison d’étude où tu étudies la Tora. Il lui écrivit son nom, le nom de sa ville et le nom de sa maison d’étude où il étudie la Tora. Elle se leva et distribua toute sa fortune : un tiers pour les autorités, un tiers pour les pauvres et elle garda un tiers pour elle. Elle se leva et alla à la maison d’étude de R’ Ḥiyya. Elle lui dit : Rabbi, convertismoi ! Il répondit : peut-être [veux-tu te convertir, car] tu as l’œil sur l’un des disciples ? Elle sortit le papier que l’homme lui avait donné. Il lui dit : viens obtenir ce qui t’est dû. Les choses qu’elle lui donnait dans le péché, elle pouvait maintenant les lui donner en toute légitimité. Voici sa récompense dans ce monde-ci et, pour le monde à venir, je ne sais pas. »

Et ils vécurent heureux et eurent beaucoup d’enfants… C’est ainsi que nous pourrions conclure ce récit, digne d’un conte de fée ou d’une comédie romantique. Analysons-le brièvement. Le héros est un homme prudent988 vis-à-vis du commandement de la frange, ce qui ne l’empêche pas d’aimer les prostituées. Ce tempérament prudent et méticuleux le caractérise tout le long du récit. En effet, ce n’est pas sur un coup de tête qu’il se rend chez la prostituée, car elle habite loin de chez lui, demande un prix élevé et a un emploi de temps très chargé. L’homme fixe un rendez-vous, envoie l’argent à l’avance, fait le long voyage et attend même sur le pas de la porte. Cette préparation à l’acte du côté de l’homme est suivie par celle de la riche prostituée. C’est la servante qui fait entrer l’homme, pour lequel la prostituée a préparé une somptueuse couchette, avec sept lits superposés et agrémentés de draps précieux. L’homme doit maintenant grimper jusqu’au sommet du lit. Après une préparation et une attente fort longue, l’homme a eu largement le temps de réfléchir à la mauvaise action qu’il s’apprête à commettre. Il semble néanmoins déterminé à aller au bout de cette action. La description détaillée des événements touche au grotesque. Les détails stéréotypés et exagérés, comme la distance qui sépare l’homme de la ville, la somme d’argent, l’attente à la porte et les lits hauts et somptueux, donnent au récit une ambiance légendaire et folklorique. Les effets comiques du récit se déploient particulièrement au moment de l’acte sexuel lui-même. Nous apprenons que l’homme a gardé son vêtement à franges et que ces dernières viennent le frapper au visage. Cette image comique est suivie d’une chute grotesque : l’homme, puis la femme, glissent du lit et se retrouvent brusquement assis par terre. C’est un comique de situation classique, dont l’effet est 988

Zahir.

SIFRE BA-MIDBAR 115

359

amplifié par la surprise et le contraste avec la description longue et détaillée qui le précède. Après la chute comique apparaît le premier dialogue du récit, où les personnages révèlent plus leurs sentiments. La femme veut savoir quel défaut son client lui a trouvé pour tomber ainsi du lit, et l’homme lui explique son problème moral en citant des versets. Cette discussion opère un changement radical chez la prostituée. Le repentir de l’homme l’inspire et elle aussi se repent. L’histoire se termine par une fin heureuse, en l’occurrence un mariage. Par son contenu et son style, ce texte doit être rapproché de la nouvelle comédie grecque, très populaire à l’époque hellénistique (c’est le cas par exemple des Sicyoniens de Ménandre) ou des comédies latines de Plaute qui est un contemporain des tanna’im. Marqué par un ton léger et un contenu osé, il est surprenant de le trouver inséré dans un discours normatif sur la portée des commandements et la sainteté. La morale du récit concerne la question de la débauche et la doctrine de la rétribution. Pourquoi les rabbins ont-ils placé une comédie au milieu d’une discussion exégétique sérieuse et solennelle ? Dans des textes plus tardifs, notamment ceux du TB, le contraste entre comique et sérieux véhicule un sens épistémologique, mais il n’est pas certain que ce soit le cas ici. Pour comprendre la fonction du rire dans le récit, le rapprochement avec la nouvelle comédie grecque est probablement le plus fructueux. Le récit est d’abord et avant tout conçu pour aboutir à une leçon morale : même un commandement qui semble futile porte ses fruits, dans ce monde-ci comme dans le monde futur. Le caractère drôle et le dénouement heureux du récit confortent par ailleurs la thèse que nous avons affaire à un interlude divertissant dans l’étude sérieuse de la Tora.

Annexe 3 – Sifre Debarim 43 « Lorsque Rabban Gamliel et R’ Yehoshua‘ et R’ El‘azar ben ‘Azarya et R’ ‘Aqiba entrèrent dans [le territoire de] Rome, ils entendirent le tumulte [de la grande ville] depuis Puteoli, à 120 milles [de Rome]989. Ils se mirent à pleurer et R’ ‘Aqiba riait. Ils lui dirent : ‘Aqiba, pourquoi pleurons-nous donc, alors que tu ris ? Il leur répondit : pourquoi pleurez-vous ? Ils lui dirent : comment ne pas pleurer [en voyant] les nations qui se livrent à l’idolâtrie, font des sacrifices à des idoles et se prosternent devant des statues vivre saines et sauves, paisibles et insouciantes, alors que la maison où repose le pied de notre Dieu est consumée par le feu et [devient] la demeure des animaux des champs ?! [R’ ‘Aqiba] leur dit : moi aussi, c’est pour la même raison que je ris : s’il récompense ainsi ceux qui le fâchent, a fortiori [il récompensera d’autant plus] ceux qui lui obéissent. Encore une fois, ils montèrent vers Jérusalem. Lorsqu’ils arrivèrent au [mont] Scopus, ils déchirèrent leurs vêtements. Lorsqu’ils arrivèrent au mont du Temple, ils virent un renard sortir de l’enceinte du Saint des Saints. Ils se mirent à pleurer et R’ ‘Aqiba riait. Ils lui dirent : ‘Aqiba, tu nous laisses toujours perplexes, car nous pleurons et tu ris ! Il leur demanda : pourquoi pleurez-vous ? Ils lui répondirent : comment ne pas pleurer alors que, du lieu dont il est écrit : et l’étranger qui s’approche sera mis à mort (4 occurrences de ce verset : Nb 1, 51 ; 3, 10 ; 3, 38 ; 18, 7), voici que sort un renard. À propos de nous s’accomplit le verset : (Lm 5, 17-18) Ce qui nous déchire le cœur, [ce qui obscurcit nos yeux,] c’est de voir le mont Sion en ruines, [foulé par les renards]. Il leur dit : moi aussi, c’est pour la même raison que je ris, puisqu’il dit : (Is 8, 2) Je me fis assister de témoins dignes de foi, etc.990. Et quel est le lien entre Urie et Zacharie ? Urie dit : (Jr 26, 18) Ainsi a parlé l’Éternel-Cébaoth  : Sion sera labourée comme un champ991, et Zacharie dit : (Za 8, 4-5) Ainsi parle l’Éternel-Cébaoth  : De nouveau des vieux et des vieilles seront assis, etc.992 Et les places de la cité, etc.993. Le Lieu dit : voici que j’ai ces deux témoins. Si les paroles d’Urie s’accomplissent, les paroles de Zacharie s’accompliront également, et si les paroles d’Urie sont annulées, les paroles de Zacharie seront annulées également. Je me suis réjoui que la prophétie d’Urie se soit accomplie, [car cela m’assure] qu’à la fin, la prophétie de Zacharie s’accomplira également [dans le monde futur]. Ils lui répondirent ainsi : tu nous as consolés ‘Aqiba ! »

989 Mesure de longueur, environ 1 km. Il s’agit probablement de la ville de Pouzzoles, à plus de 200 km de Rome. 990 Suite du verset : d’Urie le pontife et de Zacharie fils de Yebérékhyahou. 991 Suite du verset : Jérusalem deviendra un monceau de ruines et la montagne du Temple une hauteur boisée. Cette prophétie est attribuée dans le verset à Michée de Moréchet mais dans le verset 20 du même chapitre il s’agit d’un autre prophète, Urie fils de Chemaya de Kiriat-Yearim. 992 Suite du verset : sur les places de Jérusalem, tous un bâton à la main à cause de leur grand âge. 993 Suite du verset : seront pleines de jeunes garçons et de jeunes filles qui s’ébattront sur ces places.

SIFRE DEBARIM 43

361

Cette narration se trouve dans le commentaire de Dt 11, 15-16, où le Sifre s’interroge sur le lien entre les deux versets (15 : … tu mangeras à ta faim, 16 : Prenez garde…), c’est-à-dire entre la promesse d’abondance et la mise en garde contre le fait de s’éloigner de Dieu qui risque d’entraîner une sanction. La réponse du midrash est simple et consiste à dire que la rébellion (contre Dieu) n’est suscitée que par l’abondance, la satiété et la satisfaction. Une succession d’exemples bibliques est proposée, à la façon habituelle du Midrash  : la génération du déluge, celle de la tour de Babel, les habitants de Sodome et les filles de Loth. Dans les quatre exemples, le midrash prouve que les protagonistes ont commis des fautes suite à leur état de satisfaction. La séquence met en garde le lecteur de ne pas se sentir trop satisfait, et de se méfier de l’abondance qui mène au péché. Le récit la complète avec l’aspect inverse de la doctrine de la rétribution : la valorisation de la souffrance dans ce monde-ci, accompagnée de l’espoir eschatologique d’une rétribution dans l’au-delà. R. Naiweld développe ce thème et contribue ainsi à éclairer notre texte : « Le discours rabbinique propose un moyen de communiquer avec le divin par l’intermédiaire d’événements quotidiens, que les rabbins qualifient de souffrances – yissourim. Si les souffrances sont envoyées par Dieu, elles contiennent des messages et c’est en les interprétant que l’individu obtient des informations concernant son salut dans le monde-à-venir (…) l’usage rabbinique des souffrances est (…) caractérisé par une forte dualité : d’une part, elles sont des messages volontaires de la part de Dieu, d’autre part elles se présentent dans les domaines les moins sacrés de la vie994. »

Selon D. Lifshitz, qui s’intéresse au parallèle du texte du Sifre dans le TB, il s’agit d’un récit didactique qui souligne les bienfaits thérapeutiques du rire et de l’humour. La différence de point de vue entre Rabbi ‘Aqiba et ses compagnons montre que les rabbins étaient également conscients du caractère personnel et subjectif du sens de l’humour. La conclusion du récit, où Rabbi ‘Aqiba parvient à consoler ses interlocuteurs, met en avant la fonction sociale de l’humour et le fait qu’il peut s’acquérir par l’éducation. En fait, l’attitude de Rabbi ‘Aqiba peut être autant perçue comme une inspiration prophétique995 et comme une manifestation d’humour. La confrontation des deux lectures, l’une centrée sur la valeur des souffrances, l’autre sur l’humour optimiste et le rire, résulte en un paradoxe intéressant : les souffrances sont valorisées au point de devenir une source de rire et de réjouissances dans ce monde-ci.

994

NAIWELD, Les antiphilosophes…, p. 130. Prophétie indirecte puisqu’il s’agit de l’interprétation d’événements terrestres à la lumière des Écritures. 995

362

ANNEXE 3

Si le rire de R’ ‘Aqiba est d’abord et surtout une manifestation de sa foi en Dieu et sa confiance en la rétribution dans le monde futur, il n’en reste pas moins une manifestation de son sens de l’humour. Ceci est particulièrement évident quand on compare son comportement à celui de ses trois compagnons. Ils sont, on peut le supposer, tout aussi pieux et confiants en Dieu que Rabbi ‘Aqiba, mais ce n’est que ce dernier qui sait rire de la triste situation à laquelle ils sont tous confrontés. Une histoire semblable dans la Tosefta semble préciser le moment, où R’ ‘Aqiba a acquis son regard optimiste et plein d’humour face à la souffrance. T Kippurim 2, 7 « R’ ‘Aqiba dit : Shim‘on ben Luga m’a raconté : moi-même et l’un des enfants de leurs enfants996, nous ramassions de l’herbe dans un champ. Je l’ai vu rire et pleurer et lui ai demandé : pourquoi donc as-tu pleuré ? Il me répondit : à cause de l’honneur de la maison de mon père qui est exilée. Je lui demandai encore : pourquoi donc as-tu ri ? Il répondit : à la fin, dans le monde futur, le Saint, béni soit-Il, fera se réjouir ses enfants. Je lui demandai : qu’astu vu ? Il dit : en haut, la fumée montait et venait vers moi. Je lui ai dit : montre-le-moi ! Il me dit : c’est un serment parmi nous de ne le montrer à aucun homme ! »

Ce récit fait partie d’une longue narration à propos des coutumes du Yom Kippur. Différentes familles détenaient les connaissances nécessaires à la fabrication de divers objets du culte, notamment le pain et l’encens, mais ne voulaient pas transmettre leur savoir. À la question des sages qui voulaient savoir pourquoi, ils répondaient qu’ils savaient que le Temple allait être détruit et ne voulaient pas que les païens puissent s’inspirer du culte juif, le détourner et se l’approprier. La famille Garmo était experte dans la fabrication du pain et la famille Abṭines dans celle de l’encens. Le rire de l’enfant Abṭines résulte de sa connaissance de l’avenir. Il en est de même du soin que met sa famille à préserver dans la discrétion son savoir. L’intérêt du texte de la Tosefta par rapport à celui du Sifre réside dans une inversion du rapport entre la cause et l’effet. Dans le Sifre, la souffrance est une source de savoir qui permet l’espérance en une rétribution eschatologique et produit le rire, alors que, dans la Tosefta, la révélation précède non seulement les réactions émotives (pleurs et rire), mais également les événements. Il s’agit peut-être, pour la Tosefta, d’une forme de révélation directe, comme le suggère d’ailleurs la question « qu’as-tu vu ? » et la réponse de l’enfant qui concerne « l’en-haut ».

996

C’est-à-dire un descendant de la famille Abṭines.

Annexe 4 – Tableau récapitulatif du champ lexical

ṢḤQ

ŚḤQ

Rire

6

20

Moquerie

2

42

5 (une partie)

20

Sexe (sans débauche)

1

1

Plaisanterie

4

6

Jeu Sexe (débauche)

LWṢ

L‘G

37

43

6

14

7

1

TLL

HTL

BDḤ 4

1

1

3

1

1 1

5 (une 10 (une partie) partie)

Flatterie/Hypocrisie

1

Chance

1

Meurtre/Violence

5

20

Tromperie/Mensonge Idolâtrie

LGLG ḤWK GḤK

3

7

5 (une 10 (une partie) partie)

Phénomène naturel

16

Danse

11

Eschatologie

35

Humour (de la Tora)

6

Prophétie/Parabole

2

Doute

1

Trouble de la parole

2

Bonne humeur

10

Amitié

1

Autres

1

1

Total

21

205

1 42

45

8

14

16

4

16

Annexe 5 – TB Ketubbot 77b « R’ Yoḥanan proclame : éloignez-vous des mouches [qui étaient en contact avec] un malade de ra’atan997, [à une distance d’au moins] quatre coudées998. R’ Ze‘ira ne s’asseyait jamais là où le vent [soufflait de] sa [direction]999, R’ Ele‘azar n’entrait jamais dans sa tente. R’ Ami et R’ Asi ne mangeaient pas d’œufs de cette rue. R’ Yehoshua‘ ben Lewi s’attachait à eux et étudiait la Tora. Quel [verset] interprétait-il1000 ? (Pr 5, 29) Biche d’amour, gazelle pleine de grâce. Si elle1001 exhale sa grâce1002 sur ceux qui l’étudient, ne [les] protègerait-elle pas vraiment ? Lorsque son âme était sur le point de se reposer1003, on dit à l’ange de la mort : va faire pour lui ce qu’il désire. Il alla et se montra à lui1004. [R’ Yehoshua‘ ben Lewi] lui dit : montre-moi ma place au jardin d’Éden1005. [L’ange de la mort] lui répondit : d’accord. [R’ Yehoshua‘ ben Lewi] lui dit : donne-moi ton couteau afin qu’il ne m’effraie pas sur le chemin. Il le lui donna. Quand il arriva là-bas, [l’ange de la mort] le souleva et lui montra le jardin d’Éden1006. [R’ Yehoshua‘ ben Lewi] lui dit : soulève-moi encore un peu. Il le souleva1007. Il sauta et tomba de ce côté-là. [L’ange de la mort] saisit [R’ Yehoshua‘ ben Lewi] par le coin de son vêtement. [R’ Yehoshua‘ ben Lewi] lui dit : je jure que je ne reviendrai pas. Le Saint, béni soit-Il, leur dit : allez voir1008. Si, [durant sa vie], il a interrogé [un rabbin au sujet de l’annulation] d’un serment, il reviendra, sinon, il ne reviendra pas. [L’ange de la mort] a dit à [R’ Yehoshua‘ ben Lewi] : donne-moi mon couteau. Il ne voulut pas le lui rendre. Une voix céleste se manifesta et lui dit : donnele-lui, car il en a besoin pour [tuer] les créatures. Élie proclama devant lui : faites place à Bar Leway, faites place à Bar Leway ! [R’ Yehoshua‘ ben Lewi] alla et trouva R’ Shim‘on ben Yoḥay qui était assis sur treize trônes d’or et il lui dit : es-tu Bar Leway ? Il lui dit : oui. [Il lui demanda encore :] un arc-enciel a-t-il été vu durant ta vie ? Il lui dit : oui. S’il en est ainsi, [poursuivit R’ Shim‘on], tu n’es pas Bar Leway. Or, ce n’était pas [le cas], [car1009] il n’y

997

Manuscrit : ratan. Une grave maladie de peau, apparemment très contagieuse. Selon le commentaire de l’édition Steinsaltz, il s’agirait peut-être de la lèpre. 998 La précision des quatre coudées est absente de Vilna. 999 Littéralement : « dans son vent ». 1000 Vilna : « Il disait. » 1001 La Tora. 1002 Les mots « gazelle pleine de grâce » (ya‘alat ḥen) sont lus ainsi : « fait monter la grâce » (ma‘alat ha-ḥen), ce que nous avons traduit par : « exhale sa grâce ». 1003 Vilna : « lorsqu’il se coucha ». 1004 L’ange de la mort se montra à Rabbi Yehoshua‘ ben Lewi. 1005 La précision « au jardin d’Éden » est absente de Vilna. 1006 La précision « le jardin d’Éden » est absente de Vilna. 1007 « Il lui dit : Soulève-moi encore un peu. Il le souleva » : passage absent de Vilna. 1008 Précision absente de Vilna. 1009 Précision de Vilna.

TB KETUBBOT 77b

365

avait eu aucun [arc-en-ciel pendant sa vie]. Et ce qu’il lui a dit, [comment le comprendre]1010 ? Il pensa ainsi1011 : de cette manière1012, je ne proclamerai pas mon propre mérite1013. »

1010

Question absente de Vilna. Vilna : « En fait, il pensa. » 1012 Absent de Vilna. 1013 L’arc-en-ciel est le signe que Dieu n’anéantira plus le monde malgré les péchés des hommes. Durant la vie d’un juste, sa seule présence dans le monde suffit pour en assurer la pérennité et l’arc-en-ciel n’apparaît donc pas. La raison du mensonge de Rabbi Yehoshua‘ ben Lewi réside dans son humilité. 1011

Annexe 6 – Parallèles de T Ketubbot 5, 9 Ekha Rabba 1, 48 « Histoire de Miryam, la fille de Naqdimon, qui a obtenu par un décret des sages cinq cents dinars d’or par jour pour la caisse des parfums. Elle aussi, elle se leva et les injuria, en leur disant : donnez la même chose à vos filles ! R’ Aḥa dit : aussi, nous avons répondu après elle : amen. R’ Ele‘azar dit : que je ne voie pas la rédemption, si je ne l’ai pas vue ramasser des brins d’orge du dessous des pattes de leurs chevaux à ‘Akko, et j’ai récité à propos d’elle ce verset : (Ct 1, 8) Si tu ne le sais pas, ô la plus belle des femmes, [suis donc les traces des brebis, et fais paître tes chevreaux près des huttes des bergers]. Ne lis pas gediyyotayikh1014, mais gewiyyotayikh 1015. »

Ce parallèle est suivi de deux récits, le premier concernant Miryam, la fille de Boéthus le boulanger, qui était prisonnière à ‘Akko et a été libérée par les sages, le second concernant Miryam, la fille du boulanger, qui avait sept fils martyrs. TY Ketubbot 5, 9 « “Il lui donne une pièce d’argent pour ses besoins et elle mange avec lui d’une veille de shabbat à une veille de shabbat” (Mishna). Ces paroles sont dites en “langage propre”1016. Shim‘on bar Ba dit au nom de R’ Yoḥanan qu’il s’agit de réellement manger. Selon l’opinion de Rab, elle mange aux frais de l’homme. Selon l’opinion de R’ Yoḥanan, elle mange à ses propres frais. Le vin ne lui est pas procuré, car les femmes pauvres ne boivent pas de vin. Quant aux riches, elles en boivent : voici que l’on enseigne l’histoire de Martha fille de Boéthus, pour laquelle les sages ont décrété deux se’ot de vin par jour. Un tribunal décrète-t-il du vin ? R’ Ḥiyya bar Ada dit [qu’ils ne le font pas], à cause [du verset] : (Os 4, 11) La débauche, le vin et le moût [leur] enlèvent toute intelligence. Nous enseignons cependant : une femme qui allaite, on diminue [la quantité] de son travail et on lui ajoute de la nourriture. Qu’ajoutet-on ? R’ Yehoshu‘a ben Lewi dit que l’on ajoute du vin, car il augmente [la quantité] de lait. R’ Ḥizqiyya et R’ Abbahu au nom de R’ Yoḥanan : ils décrètent aussi [du vin] pour sa cuisine. Cependant, elle les injuria et leur dit : donnez la même chose à vos filles ! R’ Aḥa dit : et nous lui avons répondu : amen. R’ Ele‘azar fils de R’ Ṣadoq dit : que je ne voie pas la rédemption, si je ne l’ai pas vue ramasser des brins d’orge entre les pattes des chevaux à ‘Akko, et j’ai récité à propos d’elle ce verset : (Dt 28, 56) La plus sensible parmi vous et la plus délicate, [si délicate et si sensible qu’elle n’aurait jamais risqué de poser la plante de son pied sur la terre, verra d’un œil hostile l’homme qu’elle 1014 1015 1016

Tes chevreaux. Tes cadavres. Elles constituent un euphémisme et font en fait allusion à des relations sexuelles.

PARALLÈLES DE T KETUBBOT 5, 9

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serrait dans ses bras, et son fils et sa fille]  ; (Ct 1, 8) Si tu ne le sais pas, ô la plus belle des femmes, suis donc les traces des brebis, [et fais paître tes chevreaux près des huttes des bergers]. N’a-t-on pas enseigné l’histoire de Miryam fille de Shim‘on ben Guryon, qui avait obtenu par un décret des sages cinq cents dinars d’or par jour pour la caisse des parfums, et elle n’était qu’en attente d’un beau-frère ? Quand bien même, elle les injuria et leur dit : donnez ainsi à vos filles ! R’ Aḥa dit : et nous lui avons répondu : amen. R’ Ele‘azar fils de R’ Ṣadoq dit : que je ne voie pas la rédemption, si je ne l’ai pas vue attachée par ses cheveux à la queue d’un cheval à ‘Akko, et j’ai récité à propos d’elle ce verset : (Dt 28, 56) La plus sensible parmi vous et la plus délicate, [si délicate et si sensible qu’elle n’aurait jamais risqué de poser la plante de son pied sur la terre, verra d’un œil hostile l’homme qu’elle serrait dans ses bras, et son fils et sa fille].  »

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INDEX DES AUTEURS

SOURCES Aristophane : 13, 14, 27 Aristote : 2, 6, 16, 17, 19, 21, 369 Barth, K. : 27 Basile de Césarée : 51, 52, 369 Baudelaire : 18 Bergson : VII, 3, 5, 8, 9, 112, 114, 155, 177, 193, 313, 370 Bertinoro (‘Obadya de) : 89, 94, 117, 122, 137, 165, 226, 254, 289, 312, 316, 330332, 335 Bettelheim, B. : 10, 370 Caecilius Statius : 13 Callimaque : 18 Caton : 51 Celse : 170, 171 Cicéron : 2, 11, 20, 21, 27, 51, 369 Denys d’Halicarnasse : 233 Descartes : 2, 371 Diogène Laërce : 288 Flavius Josèphe : 66, 190, 191, 207, 208, 229-235, 237, 238, 251, 253, 282-284, 369 Freud : VII, 3, 9, 10, 18, 326, 327, 371

Lucien de Samosate : 14, 67 Lucilius : 14 Luther : 27 Lycophron : 18 Maharal (Yehuda Loew) : 22 Maharsha (Shemu’el Edels) : 250 Maïmonide : 89, 205 Ménandre : 13, 27, 359 Ménippe de Gadara : 14 Origène : 170 Ovide : 320 Platon : 2, 6, 19, 20, 50, 51, 54, 67, 68, 288, 369 Plaute : 13, 14, 66, 359 Plutarque : 19 Quintilien : 21, 50, 51 Rashba (Shelomo ben Abraham Ibn Adderet) : 177, 178 Rashi (Shelomo ben Yiṣḥaqi) : 64, 110, 115, 131, 168, 177, 178, 183, 312

Héraclite : 323 Hobbes : 2, 6, 372 Horace : 14, 66

Saint Augustin : 53, 369 Schopenhauer : 3, 4, 8, 374 Sénèque : 66 Spencer, H. : 3, 11, 375 Spinoza : 2, 375 Strabon : 21

Jean-Paul : 3, 372 Juvénal : 14

Tacite : 66 Tertullien : 52, 53, 369

Kant : 2, 11, 373 Kierkegaard : 61, 373 Koestler, A. : 5, 373

Ulpien : 78

Lao Tseu : 309

Xénophon : 19

Varron : 14, 18

378 LITTÉRATURE

INDEX SECONDAIRE

Agache, S. : 18, 370 Alexander, P. S. : 142, 258, 370 Amit, A. : 105, 370 Ararat, N. : 22, 370 Aubouin, E. : 5, 370 Auvray-Assayas, C. : 20, 370 Avery-Peck, A. : 202, 370 Bain, A. : 6, 370 Bakhtin, M. : XV, 14, 66-68, 79, 370 Baldick, C. : 3, 14, 369 Baslez, M.-F. : 170, 370 Berdyczewski, M. J. : 61 Binder, S. E. : 52, 370 Bonsirven, J. : 134, 370 Boyarin, D. : VIII, XV-XVII, 14, 50, 55-57, 67-72, 79, 80, 170, 172, 242, 248, 249, 349, 370 Brenner, A. : 22, 24-26, 370 Buet, P. : 3, 370 Carrière, J.-Cl. : 19, 370 Chouraqui, A. : 164, 245, 369 Cohn, N. S. : 82, 222-224, 345, 346, 371 Costa, J. : 28, 78, 85, 99, 107, 108, 129, 207, 210, 221, 233, 259, 371 De Bono, E. : 5, 6, 19, 371 Desbordes, F. : 21, 51, 371 Dohrmann, N. : 78, 371 Ehrlich, U. : 134, 371 Elman, Y. : 73, 77, 371 Engelmann, B. : VIII, XVI, 5, 63-65, 72, 349, 371 Fowller, H. W. : 55, 369 Fraade, S. : 77, 371 Fraenkel, J. : 62, 75, 239, 371 Frankl, V. E. : 11, 371 Frazier, F. : 19, 371 Friedheim, E. : 130, 371 Frisch, N. L. : 96, 97, 371 Furstenberg, Y. : 131, 319, 371 Gafni, I. : 69, 107, 372 Goldin, J. : 202, 372 Goldstein, J. H. : 7, 372

Goodblatt, D. : 108, 233, 372 Guttmann, A. : 76, 372 Hadas-Lebel, M. : 210, 372 Hazlitt, W. : 3, 4, 372 Hesse, H. : 22 Hezser, C. : 73, 77, 90, 115, 116, 372 Hidary, R. : 81, 105, 107, 110, 372 Hillers, D. R. : 76, 372 Honigman, S. : 170, 372 Hurst, A. : 18, 372 Hutcheon, L. : 14, 68, 69, 372 Hyman, A. : 142, 303, 372 Jacobs, M. : 108, 109 Jastrow, M. : 50, 88, 219, 328, 335, 369 Jonsson, J. : 27-29, 372 Jouanna, J. : 18, 372 Joubert, L. : 2, 372 Jouet-Pastre, E. : 19, 20, 373 Kalmin, R. L. : 71 Kaufman, Y. : 59 Kirsner, B. : 12 Kohut, A. : 54, 373 Kovelman, A. : VIII, XV, XVI, 66, 67, 72, 349, 373 Kris, E. : 8, 373 Kushelevsky, R. : VIII, XV-XVII, 20, 61-63, 72, 349, 373 Landy, F. : 26, 373 Leclercq-Neveu, B. : 18, 373 Levine, L. I. : 12, 78, 373 Lieberman, S. : 12, 99, 102, 104, 118, 120, 218, 234, 237, 256, 278, 282, 300, 314, 323, 373 Lifshitz, D. : VIII, 54-61, 72, 240, 349, 361, 373 Lorberbaum, Y. : 306, 307 Maccoby, H. : 170, 373 Mack, H. : 111 Magonet, J. : 76, 373 Mantel, H. : 108 Marcus, D. : 22, 373 McComas, H. C. : 10 Memmi, A. : 10, 373 Miller, S. S. : 136, 373 Mimouni, S. C. : 232, 282, 374

INDEX DES AUTEURS

Moss, J. L. : 97, 295, 318, 351, 352, 374 Murcia, T. : 168, 280, 374 Naiweld, R. : 68, 171, 361, 374 Nerhardt, G. : 4, 374 Neusner, J. : 76, 83, 374 Nieting, L. : 27, 374 Noam, V. : 233, 374 Noy, D. : 202, 374 Philbert, L. : 6, 374

379

Stemberger, G. : 41, 69, 76, 80, 114, 142, 170, 241, 375 Stern, D. : 340, 375 Stern, S. : 129, 288, 301, 375 Sully, J. : 7, 375 Térence : 13 Thatcher, T. : 27, 375 Tropper, A. : 4, 143, 144, 177, 233, 238241, 318-321, 375 Trueblood, E. D. : 27, 375 Twain, M. : 3

Qimron, E. : 321, 374 Urbach, E. E. : 60, 375 Rabinovitch, G. : 1, 2, 374 Radday, Y. T. : 22-24, 27, 56, 374 Rubenstein, J. L. : 33, 58, 71, 161, 374 Safrai, S. : 202 Safrai, Z. : 202, 374 Saulnier, Cl. : 5, 10, 374 Schäfer, P. : 71, 168, 289, 374 Secunda, S. : 107, 374 Segal, E. : 66, 374 Shapira, H. : 119, 120, 122, 374 Sharvit, S. : 76, 374 Shemesh, A. : 319 Simon-Shoshan, M. : 73-81, 145, 174, 179, 180, 203, 209, 257, 351, 374 Sover, A. : 3, 4, 8, 9, 375 Steinsaltz, A. : 145, 364, 369, 375

Valler, S. : 33, 375 Vidas, M. : 71, 150 Watts, J. W. : 76 Weiss Halivni, D. : 319, 375 Whedbee, W. : 22, 375 Willman, J. M. : 3, 375 Wimpfheimer, B. : 71 Yadin, A. : 131, 375 Zeidman, A. : 59, 64, 375 Zellentin, H. M. : VIII, XV-XVII, 14, 22, 57, 68-72, 349, 375 Ziv, A. : 56, 59

INDEX DES CITATIONS

Littérature biblique BIBLE HÉBRAÏQUE Genèse 2, 5 : 208 2, 18 : 183 9, 6 : 306 9, 7 : 306 9, 11 : 209 18, 9-15 : 3 19, 24 : 209 21, 6 : 52 21, 9 : 33 Exode 1, 1 : 159 15, 26 : 168 20, 10 : 89 23, 2 : 91, 124 24, 9 : 121 30, 16 : 338 34, 27 : 159 Lévitique 10, 1-2 : 250 11, 6 : 34 11, 38 : 305 15, 19 : 139 16, 13 : 235 18 : 167 19, 9 : 93 19, 23 : 98 21, 10 : 229 23, 4 : 120 23, 40 : 95, 96 25, 44-49 : 89 Nombres 1, 51 : 360 3, 10 : 360 3, 38 : 360 6, 2 : 318

6, 9-12 : 320 9, 2 : 189 15, 37-40 : 357 18, 7 : 360 19, 2 : 119 19, 7 : 119 19, 9 : 154 19, 11-12 : 320 25, 34 : 239 28, 1 : 189 32, 22 : 245 Deutéronome 1, 1 : 159 4, 12 : 159 6, 7 : 142, 143, 175, 181, 182 7, 16 : 130 8, 8 : 91 11, 15-16 : 361 12, 2 : 130 12, 21 : 166 13, 18 : 130 15, 8 : 183, 185 16, 14 : 287 17, 6 : 296, 348 21, 1-2 : 237 26, 17-19 : 159 28, 56 : 366, 367 31, 7 : 292 31, 12 : 158 Josué 1, 8 : 299, 300 1 Samuel 16, 10-12 : 320 16, 12 : 163 2 Samuel 1, 24 : 165 2, 14 : 40

382 14, 25-26 : 320 24, 18-25 : 219 1 Rois 1, 33 : 312 15, 5 : 312 18, 27 : 43 19, 19 : 230 2 Rois 21, 16 : 237, 239 Isaïe 2, 2-3 : 261, 262 8, 2 : 360 40, 17 : 341 42, 24 : 163 43, 7 : 244 43, 18 : 343 43, 19 : 343 54, 9 : 209 60, 7 : 194 66, 10 : 295 Jérémie 15, 19 : 165 26, 18 : 360 31, 5 : 261, 262 34, 5 : 103 Ezéchiel 1 : 289 16, 2 : 289 40-43 : 223 Osée 4, 11 : 366 Amos 3, 7 : 158 Jonas 1, 5 : 307 Nahoum 3, 19 : 119 Habacuc 2, 1 : 205, 207

INDEX

Zacharie 8, 4-5 : 360 11, 10 : 209 11, 11 : 209 Malachie 3, 8 : 157 Psaumes 1, 1 : 43 2, 4 : 7 10, 3 : 342 25, 14 : 157, 158 104, 26 : 50 116, 1 : 281 119, 97 : 301 127, 1 : 236 137, 5-6 : 295 145, 15 : 186 145, 19 : 200 Proverbes 3, 15 : 165 3, 18 : 159 5, 8 : 172 5, 29 : 364 7, 26 : 172 10, 7 : 245 15, 13 : 52 16, 4 : 245 17, 5 : 45 20, 15 : 165 22, 8 : 45 23, 25 : 202, 206 Job 8, 21 : 52 Cantique des Cantiques 1, 8 : 291-293, 366, 367 1, 17 : 244 5, 10 : 320 5, 11 : 163 Lamentations 4, 2 : 163, 165, 216, 217 5, 17-18 : 360

INDEX DES CITATIONS

APOCRYPHES ET PSEUDÉPIGRAPHES

Ecclésiaste 1, 8 : 173 2, 2 : 52 2, 14 : 180 3, 4-5 : 336 7, 6 : 52 10, 8 : 167, 173 12, 11 : 159

Judith (Yehudit) 12 : 46 14 : 38 1 Maccabées (Ḥashmona’im) 1 (12) : 39 Testament de Nephtali (1ère version) 197 : 34

Esther 5, 14 : 275 6, 6-12 : 275 8, 7 : 275

NOUVEAU TESTAMENT

Daniel 8, 4 : 154 8, 5 : 154 8, 6-7 : 154

Évangile de Marc 7, 15-23 : 201

Néhémie 8, 3-5 : 159

Épître aux Romains 2, 23 : 51

Évangile de Luc 6, 25 : 51, 52

Littérature rabbinique MISHNA Berakhot 1, 1 : 81, 87, 92, 110 1, 3 : 142, 154, 175, 178, 181, 183 1, 3-4 : 4 2, 5-7 : 87 4, 4 : 256 5, 5 : 199 Pe’a 2, 4 : 86 2, 6 : 87, 92 4, 4 : 256 8, 7 : 185 8, 9 : 309 Demay 2, 3 : 35 3, 1 : 87, 94, 174 3, 4-6 : 326 6, 6 : 174

Kil’ayim 4, 9 : 353 6, 4 : 353 7, 5 : 353 Shebi‘it 3, 10 : 353 6, 1 : 99 8, 9-10 : 134, 137 10, 3 : 174 10, 9 : 353 Terumot 4, 13 : 353 8, 2 : 353 8, 6 : 256 9, 2 : 134, 142 Ma‘aserot 2, 5 : 216, 219

383

384 Ma‘aser Sheni 2, 7 : 133 4, 4 : 89 4, 11 : 256, 353 5, 9 : 86, 116 5, 10-14 : 353 5, 15 : 353 Ḥalla 2, 5 : 353 4, 7 : 86, 222 4, 8 : 99 ‘Orla 2, 5 : 175 2, 12 : 87 Bikkurim 1, 3 : 353 3 : 353 Shabbat 3, 4 : 353 9, 7 : 35 14, 4 : 353 16, 7 : 353 16, 8 : 86, 116 19, 1 : 256 22, 3 : 353 24, 5 : 353 ‘Erubin 2, 6 : 287 4, 1-2 : 87, 133 4, 4 : 142, 143 6, 2 : 86, 116 8, 7 : 353 10, 1 : 256 10, 9 : 353 10, 10 : 354 Pesaḥim 1, 6 : 222 4, 8 : 354 5 : 222 5, 5-10 : 280 6, 1 : 354 6, 2 : 354 6, 5 : 354 7, 2 : 87, 126

INDEX

Sheqalim 1, 3 : 337, 354 1, 4 : 222 2, 4 : 354 5, 1 : 334, 349 6, 1-2 : 254 Yoma 1 : 224 1, 1-5 : 223 2, 1-2 : 225, 237, 238, 256 3 : 226 3, 9-11 : 226, 244, 246, 247 4, 1 : 227 4, 4 : 227 4, 5 : 227 4, 6 : 227 6, 3-4 : 227 7 : 228 7, 4 : 250 8 : 228 Sukka 1, 1 : 220 1, 7 : 192 2, 1 : 87, 89 2, 4 : 122 2, 5 : 86, 122 2, 7 : 177-179, 181, 183, 193 2, 8 : 181, 191, 193, 349, 352 2, 9 : 337, 339, 341 3, 8 : 216, 220 3, 11 : 96, 97 3, 13 : 96, 97 4, 4 : 96, 97, 223, 256, 344 4, 9 : 254, 256, 266 5, 4 : 211 5, 8 : 257 Beṣa 2, 6 : 2, 7 : 2, 8 : 3, 2 : 3, 5 : 3, 8 :

86, 124 126 127 86 142, 148 354

Rosh ha-shana 1, 5-6 : 138 1, 7 : 257

INDEX DES CITATIONS

1, 2, 2, 2, 4,

8 : 35 3-4 : 354 5 : 87, 127 8-9 : 87, 120 1 : 331

Ta‘anit 2, 5 : 354 3, 5-6 : 354 3, 8 : 201, 352 3, 9 : 142 4, 4 : 133 4, 6 : 354 Megilla 1, 3 : 312 4, 8-9 : 354 4, 10 : 290 Ḥagiga 2, 1 : 289 Yebamot 6, 4 : 354 8, 4 : 354 12, 5 : 133 16, 4 : 312, 313 16, 6-7 : 133 Ketubbot 1, 5 : 222 1, 10 : 354 2, 9 : 354 4, 6 : 119 7, 10 : 354 9, 9 : 256 10, 5 : 354 13, 1-9 : 86, 91 Nedarim 5, 6 : 354 6, 6 : 354 9, 5 : 354 9, 8 : 354 9, 10 : 156, 165 Nazir 1, 7 : 354 2, 2 : 312, 316, 317 2, 3 : 312, 317

3, 5, 5, 6, 7,

6 : 354 4 : 354 5 : 312, 317 11 : 354 4 : 354

Soṭa 1, 4 : 36 7 : 354 7, 8 : 354 8 : 354 9, 2 : 238 9, 9-15 : 354 9, 14 : 299 Giṭṭin 1, 4 : 86 1, 5 : 86, 91 4, 2 : 86 4, 7 : 354 6, 6 : 34, 276 7, 5 : 354 Qiddushin 3, 12 : 250 Baba Qamma 8, 6 : 324 Baba Meṣi‘a 1, 5 : 89 3, 7 : 354, 355 5, 2 : 270 5, 3 : 270, 354 5, 8 : 86, 97 7, 1 : 356 7, 5 : 335 7, 6 : 89 8, 8 : 354 Baba Batra 9, 7 : 277, 296 Sanhedrin 1, 6 : 82 3, 3 : 35 3, 6 : 355 4, 3-4 : 355 4, 5 : 355 5, 1 : 355

385

386

INDEX

5, 2 : 312, 330 5, 4-5 : 355 6, 1-4 : 355 6, 4 : 347 7, 2 : 355 7, 3 : 355 7, 6 : 131 10, 1 : 168 11, 2 : 355

12, 4 : 222 14, 4 : 355

Shebu‘ot 3, 8 : 325 7, 4 : 35

Ḥullin 2, 9 : 355 3, 5 : 256 4, 7 : 355

‘Eduyot 3, 10 : 86, 124 5, 6-7 : 356 7, 3 : 355 7, 4 : 355 7, 7 : 86 8, 2 : 355 8, 3 : 86 8, 7 : 355 ‘Aboda Zara 1, 4 : 355 2, 5 : 355 3, 4 : 87, 130, 352 3, 7 : 355 4, 5 : 131 4, 7 : 277, 298, 352 4, 10 : 355 4, 12 : 355 5, 2 : 355 Abot 2, 5 : 341 2, 6 : 309 2, 8 : 259 3, 2 : 43 3, 13 : 36 5, 5 : 252 6, 5 : 35 Zebaḥim 1, 3 : 119 6 : 355 7, 4 : 355 8, 10 : 355 9, 3 : 222

Menaḥot 10, 2 : 355 10, 3 : 268, 270 10, 5 : 355 10, 8 : 355 11, 5-7 : 222

Bekhorot 1, 3 : 142 4, 4 : 126, 142, 151, 152 4, 5 : 356 5, 3 : 35, 312, 332 6, 6 : 356 7, 6 : 302 ‘Arakhin 2, 4 : 222 2, 6 : 222 5, 1 : 356 8, 1 : 356 Temura 3, 1 : 356 Keritot 1, 6 : 174 1, 7 : 216, 221 3, 7 : 87, 134, 141 6, 3 : 212 Tamid 3, 8 : 262 Middot 1, 2 : 262 2, 3 : 247 2, 5 : 222 5, 4 : 222 Kelim 5, 4 : 86 5, 10 : 356

INDEX DES CITATIONS

6, 2 : 356 7, 1 : 356 13, 7 : 356 17, 9 : 356 17, 16 : 277, 337 24, 4 : 35 Ohalot 16, 1 : 147 17, 5 : 263 Nega‘im 3, 1 : 225 7, 4 : 133 9, 3 : 277, 287, 303 11, 7 : 277, 304 14 : 356 Para 3, 1-8 : 223, 225 Ṭaharot 7, 9 : 356 Miqwa’ot 4, 1 : 174 4, 5 : 174, 175 7, 1 : 134, 136 Nidda 2, 5 : 356 2, 7 : 340 5, 7 : 356 7, 4 : 356 8, 5 : 134, 139 Makhshirin 1, 4 : 174 3, 4 : 356 5, 1 : 37, 356 Ṭebul Yom 4, 6 : 356 Yadayim 3, 1 : 356 3, 2 : 356 4, 3 : 156 4, 4 : 86 4, 6 : 272

TOSEFTA Berakhot 1, 4 : 176, 183 1, 11 : 337, 343 2, 6 : 86 2, 11 : 353 2, 13 : 256, 322 2, 21 : 34, 336 3, 2 : 353 3, 5 : 134, 138 3, 7 : 256, 353 3, 20 : 199 3, 21 : 35, 353 4, 9-10 : 216 4, 15 : 87, 91, 137, 138, 349 4, 16-17 : 142 5, 1-2 : 277 5, 8 : 256 6, 2 : 353 6, 18 : 337, 341 Pe’a 3, 2 : 353 3, 8 : 198 4, 3 : 222 4, 8 : 185 4, 10 : 183, 185, 219, 349 4, 11 : 216, 218 4, 14 : 309 4, 18 : 353 Demay 1, 4 : 99 1, 13-14 : 353 2, 2 : 353 2, 17 : 353 3, 9 : 353 3, 14 : 356 3, 15 : 94 4, 13 : 133 4, 31-32 : 327 5, 22 : 142, 353 5, 24 : 137, 140 6, 13 : 108, 353 Kil’ayim 1, 3 : 353 1, 4 : 174 2, 12 : 353

387

388 3, 4, 4, 5, 5,

5 : 86 1 : 86 7 : 353 6 : 312 15 : 312

Shebi‘it 1, 1 : 86, 356 1, 5 : 174 3, 5 : 353 4, 6 : 99 4, 13 : 353 4, 21 : 133 5, 2 : 254 6, 27 : 86 Terumot 1, 1 : 100 1, 15 : 353 2, 13 : 87, 97, 102 3, 4 : 353 3, 16 : 174 3, 18 : 353 4, 2 : 353 5, 10 : 353 6, 4 : 174 7, 12 : 312, 314 7, 14 : 353 7, 15 : 210, 353 7, 16 : 256 7, 20 : 353 Ma‘aserot 2, 1 : 353 Ma‘aser Sheni 1, 13 : 353 1, 14 : 353 2, 11 : 174 2, 15 : 353 3, 13 : 353 3, 14 : 353 3, 18 : 277, 278 5, 14 : 353 5, 15 : 353 5, 16 : 356 Ḥalla 1, 10 : 277, 279 2, 5 : 86

INDEX

‘Orla 1, 8 : 353 Bikkurim 2, 8-10 : 353 2, 16 : 320 Shabbat 1, 13 : 156, 161, 338 1, 16-22 : 86, 174 2, 3 : 353 2, 5 : 353 3, 3-4 : 268 4, 9 : 256 4, 11 : 107 5, 11-13 : 142, 144 6, 14 : 256 7, 5 : 86, 103 7, 7-9 : 87, 103, 133 7, 16-17 : 87, 103, 108 7, 18 : 87, 103, 108, 109 7, 23 : 168 7, 23-25 : 337 9, 21 : 353 9, 22 : 256 10, 10 : 35 11, 15 : 277, 279, 298, 314 12, 12 : 156, 173, 353 12, 13 : 334, 349 12, 17 : 86, 110 13, 1-3 : 87, 110, 112 13, 4 : 9, 112 13, 9 : 214 13, 11 : 353, 356 13, 14 : 86, 116 14, 9 : 256 15, 8 : 353, 356 15, 9 : 100, 353, 356 16, 7 : 187 ‘Erubin 1, 2 : 354 3, 17 : 354 4, 16 : 354 5, 7 : 354 5, 19 : 166 5, 24 : 100, 256, 322, 327 6, 1 : 328 6, 2 : 100, 328 6, 4 : 312, 328

389

INDEX DES CITATIONS

6, 6, 7, 8,

25 : 26 : 13 : 16 :

86 354 354 256

Pesaḥim 2, 15-16 : 87, 100, 132 2, 19 : 270, 277, 280 3, 11 : 87, 117, 122 3, 19 : 354 3, 20 : 354 4, 9 : 190 4, 11-12 : 277, 280 4, 13-14 : 188 4, 15 : 190, 277, 282, 349 8, 4 : 354 8, 10 : 222 10, 9 : 323 10, 10 : 354 10, 12 : 86, 270 Sheqalim 1, 6 : 337 1, 7 : 135 2, 15 : 334, 349 Kippurim 1, 4 : 228 1, 6 : 229, 233, 349 1, 7 : 134, 234, 253 1, 8 : 128, 235, 270 1, 9 : 236 1, 12 : 4, 128, 237, 240, 349 1, 13 : 241 1, 14 : 14, 241 1, 21-22 : 3, 243 2, 2-8 : 244, 349 2, 7 : 41, 134, 362 2, 13 : 248 3, 13 : 249 3, 20 : 234, 250, 252, 272 4, 2 : 191 Sukka 1, 7 : 256, 1, 9 : 277, 2, 1 : 277, 2, 2 : 354 2, 3 : 180, 2, 6 : 337,

354 285, 287 287, 290 216, 220, 221 339

2, 2, 2, 3, 3, 4, 4, 4, 4, 4,

9 : 96, 97, 354 10 : 96, 97, 216, 220 11 : 87, 95, 97, 116 1 : 264, 270 16 : 256, 266, 270 2 : 198 4 : 87, 123 5 : 345 6 : 283, 346 28 : 256

Yom Ṭob 2, 6 : 210, 2, 12 : 91, 2, 13 : 86, 2, 14 : 86, 2, 15 : 86, 2, 16 : 86, 3, 8 : 354

277, 288 124 124 125 125, 151, 152 126

Rosh ha-shana 1, 15 : 266, 270 1, 16 : 354 2, 11 : 354 2, 17 : 174 Ta‘aniyyot 1, 10 : 354 1, 11-13 : 354 2, 1-2 : 354 2, 5 : 87, 129 2, 13 : 208 Megilla 2, 4 : 256 2, 4-5 : 354 2, 8 : 354 2, 17 : 354 3, 12 : 312, 313 3, 15 : 354 3, 21-22 : 354 3, 30 : 256, 277, 289, 354 3, 34 : 277, 289 3, 35 : 87 3, 37 : 354 Mo‘ed Qaṭan 1, 7 : 256 2, 14-16 : 87, 104, 108, 132

390 Ḥagiga 2, 1-7 : 354, 356 2, 8 : 348 2, 9 : 133 2, 11 : 193, 213 2, 12 : 195 2, 13 : 196 3, 3 : 108, 354 3, 33 : 142, 146, 154 3, 35 : 273 Yebamot 1, 10 : 142, 148 3, 1 : 277, 290 4, 5 : 354 6, 8 : 354 8, 7 : 277, 306 10, 3 : 354 12, 9 : 354 12, 11 : 354 12, 15 : 142 14, 5 : 134, 140 14, 6 : 354 14, 7 : 354 14, 8 : 354 14, 9 : 354 14, 10 : 142, 149 Ketubbot 1, 1 : 256 3, 2 : 354 4, 7 : 308 4, 9 : 356 5, 1 : 142, 150 5, 5 : 256 5, 9 : IX, 277, 291, 366 7, 11 : 354 9, 2 : 34, 354 9, 6 : 256 Nedarim 2, 1 : 312, 326 5, 1 : 354 Nazir 3, 19 : 317 4, 7 : 317 4, 10 : 354 5, 1 : 354

INDEX

Soṭa 2, 1 : 354 5, 9 : 36 6, 6 : 34 7, 8-15 : 156, 158, 160, 349 8, 5 : 354 11, 3 : 354 13, 1-2 : 354 13, 4 : 210 13, 4-6 : 354 13, 7 : 354 13, 8 : 258 14, 9 : 173 15, 5 : 198, 336 15, 7 : 337, 344 15, 8 : 299 15, 11 : 277, 295 Giṭṭin 1, 3 : 354 2, 10 : 354 3, 6 : 256 5, 4 : 354 5, 12 : 323 7, 1-5 : 356 Qiddushin 3, 6 : 356 5, 4 : 354 5, 10 : 354 5, 15 : 323 Baba Qamma 2, 12 : 310 2, 13 : 38, 43, 47, 310 8, 13 : 209 8, 16 : 356 9, 25 : 42, 356 10, 38 : 328 11, 14 : 198 Baba Meṣi‘a 2, 17 : 256 3, 10 : 354 3, 25 : 355 4, 2 : 270, 355 6, 17 : 355 Baba Batra 1, 11 : 133

INDEX DES CITATIONS

4, 3-4 : 355 4, 5 : 355 4, 7 : 355 6, 15 : 256 10, 12 : 324 Sanhedrin 1, 2 : 337, 342 2, 6 : 86 2, 8 : 133, 355 2, 10 : 355 3, 4 : 355 5, 1 : 355 5, 2 : 35 5, 5 : 320 6, 6 : 270, 348 7, 8 : 355 7, 11 : 355 8, 1-2 : 355 8, 3 : 277, 296, 309 8, 4-9 : 355 9, 5 : 355 9, 6 : 355 9, 7 : 355 9, 11 : 355 10, 11 : 355 12, 9-13, 12 : 355 Makkot 1, 3 : 277, 297 Shebu‘ot 1, 3-4 : 238, 240 3, 6 : 356 ‘Eduyot 1, 1 : 355 1, 1-3 : 175 1, 4-5 : 355 2, 1 : 161, 355 2, 2 : 180 3, 1 : 355 3, 3 : 355 3, 4 : 355 ‘Aboda Zara 1, 20 : 277, 299 2, 5-6 : 43, 355 3, 7 : 355 3, 10 : 258

4, 5, 5, 6, 7, 7, 7, 8, 8,

4 : 43, 355 4 : 355 11 : 355 2 : 355 4 : 335 6 : 256 7 : 298 6 : 355 8 : 355

Horayot 2, 5-6 : 156, 163, 217 2, 7 : 165 2, 10 : 222 Zebaḥim 1, 1 : 355 1, 5 : 355 1, 8 : 142, 147 2, 17 : 277, 301 6, 11 : 355 7, 1 : 355 7, 6 : 355 7, 16-20 : 355 9, 5 : 222 11, 16 : 260, 261 11, 17 : 260, 261, 355 13, 20 : 355 Menaḥot 6, 2 : 355 7, 17-19 : 222 8, 19 : 355 9, 3 : 355 10, 2-8 : 355 10, 13 : 355 10, 23 : 268, 270 10, 25 : 216 10, 26 : 355 11, 1-18 : 355 12, 8-9 : 355 13, 12-14 : 355 13, 18-22 : 260, 261, 270 Ḥullin 1, 1 : 166 2, 4 : 355 2, 13 : 355 2, 15 : 166 2, 18 : 166

391

392 2, 20 : 166, 356 2, 21 : 167 2, 22-23 : 156, 167 4, 5 : 256 4, 9 : 356 6, 12-13 : 356 10, 16 : 356 Bekhorot 3, 7 : 356 3, 14 : 356 4, 6 : 356 4, 8 : 277, 307 4, 11 : 356 5, 6-7 : 277, 301 6, 11 : 356 6, 14 : 142 7, 2 : 356 ‘Arakhin 1, 9-10 : 356 1, 13 : 356 1, 14 : 222 2, 1-2 : 356 2, 3-7 : 356 3, 1 : 356 4, 20 : 356 5, 15 : 356 5, 16 : 356 Temura 4, 16 : 356 Keritot 2, 14 : 312, 315 2, 15 : 312, 315 4, 4 : 212 Me‘ila 1, 5 : 277, 356 1, 16 : 222 Kelim Baba Qamma 1, 6 : 263 4, 4 : 86, 91 4, 17 : 333 6, 3-4 : 356 Kelim Baba Meṣi‘a 1, 5 : 356

INDEX

1, 6 : 142 2, 1 : 356 3, 14 : 356 5, 3 : 356 7, 9 : 356 11, 2 : 86 Kelim Baba Batra 1, 2-3 : 347 2, 1-3 : 356 2, 4 : 86, 109, 132 3, 4 : 356 5, 6 : 356 7, 10 : 356 Ohalot 2, 6 : 277, 302 3, 7 : 133 3, 9 : 356 4, 2 : 151, 152 4, 10-12 : 356 4, 14 : 356 5, 8 : 356 5, 11-12 : 196 15, 9-11 : 174 15, 12-13 : 142, 147, 349 16, 3 : 356 16, 8 : 275 16, 11 : 86 16, 13 : 264 18, 2 : 222 18, 14 : 99 18, 15-18 : 277, 356 Nega‘im 1, 1 : 133 1, 16 : 356 2, 3 : 356 6, 1 : 356 6, 2 : 356 8, 2 : 142 8, 6 : 356 8, 9-10 : 356 9, 9 : 277, 304 Para 3, 7-8 : 270 4, 7 : 276 4, 9 : 356 5, 6 : 356

393

INDEX DES CITATIONS

5, 10 : 356 7, 4 : 356 10, 2 : 356 10, 3 : 356 11, 2 : 356 Ṭaharot 6, 1 : 356 6, 7 : 356 8, 10 : 356 9, 14 : 356

3, 4 : 277, 305 3, 5-6 : 277, 306 Zabim 1, 5-6 : 134, 139 1, 11 : 356 Ṭebul Yom 1, 10 : 356 2, 5 : 356 2, 14 : 356

Miqwa’ot 1, 16-20 : 142, 153 2, 5 : 356 2, 10 : 356 4, 7 : 356 5, 14 : 277, 304 6, 2-3 : 86, 109 7, 6 : 42, 256, 356 7, 10 : 356 7, 11 : 142, 154

Yadayim 2, 16 : 156, 158, 160, 161 2, 17-18 : 157 2, 19-20 : 272 2, 20 : 270

Nidda 1, 5 : 277, 305 1, 9 : 356 2, 5 : 256, 312, 314 2, 8 : 142 3, 5 : 356 4, 3-4 : 356 4, 6 : 356 4, 17 : 356 5, 2-3 : 271 5, 14 : 356 5, 15 : 86 5, 16 : 133, 307 5, 17 : 307 6, 3 : 356 6, 6 : 134, 136 6, 8 : 356 6, 17 : 356 7, 1 : 356 7, 3 : 356 8, 5-7 : 356 9, 19 : 197

MEKHILTA DE-RABBI YISHMA‘EL Be-shallaḥ, Wa-yehi, 6 : 137 Shira 2 : 320 Shira 7 : 45 Mishpaṭim, Kaspa, 20 : 82, 217

Makhshirin 1, 3 : 174 2, 14 : 142 3, 3 : 277, 305

MEGILLAT TA‘ANIT 1, 2 : 39 5, 2 : 39 8, 3 : 39

MEKHILTA DE-RABBI SHIM‘ON 6, 2 : 37 15, 1 : 34, 59 15, 10 : 45

BEN

YOḤAY

SIFRA Emor 12, 3 : 96 SIFRE BA-MIDBAR 12 : 36 22 : 318 115 : 9, 357 117 : 151 131 : 38 161 : 238 SIFRE DEBARIM 34 : 177, 178 43 : 9, 28, 34, 116, 134, 248, 309, 360 110 : 219 131 : 13, 131

394 221 : 303 : 305 : 355 :

INDEX

347 219 292 34

TALMUD YERUSHALMI Berakhot 1, 1 : 151 2, 1 : 44 2, 2 : 45 2, 7 : 43, 48 3, 1 : 48 4, 1 : 118, 122 5, 1 : 35, 199 6, 2 : 46, 48 9, 5 : 48 Pe’a 1, 1 : 40, 45, 299 8, 8 : 219 Demay 4, 5 : 278 Kil’ayim 9, 4 : 61 Shebi‘it 9, 1 : 60 Shabbat 9, 7 : 35 14, 3-5 : 168 14, 4 : 168, 169, 280 16, 1 : 110 17, 6 : 215 ‘Erubin 5, 1 : 34 Pesaḥim 6, 1 : 189 7, 1 : 151 Sheqalim 2, 5 : 44 5, 1 : 41 6, 6 : 42

Yoma 1, 1 : 229, 250, 252 2, 2 : 240 3, 13 : 41 8, 7 : 215 Sukka 1, 1 : 220 Beṣa 2, 7 : 151 Rosh ha-shana 1, 8 : 35 Ta‘anit 4, 6 : 35 4, 8 : 283 Megilla 1, 8 : 34 1, 9 : 250, 252 Mo‘ed Qaṭan 3, 1 : 66, 151, 161 3, 7 : 44 Ḥagiga 2, 1 : 259 2, 2 : 348 Yebamot 8, 6 : 48 Ketubbot 5, 9 : 294, 366 Nedarim 1, 1 : 318 4, 7 : 215 Nazir 1, 7 : 318 Soṭa 1, 1 : 35 1, 8 : 40 3, 4 : 38 5, 5 : 48 9, 14 : 299

INDEX DES CITATIONS

Qiddushin 1, 2 : 37 1, 7 : 45, 107, 108 3, 2 : 37 3, 5 : 48 4, 14 : 323 Baba Meṣi‘a 2, 4 : 48 Baba Batra 3, 7 : 48 Sanhedrin 2, 4 : 41 3, 3 : 35 10, 2 : 42 13, 3 : 34 Shebu‘ot 7, 4 : 35 ‘Aboda Zara 1, 7 : 43 1, 9 : 102 2, 2 : 168, 169, 299 3, 1 : 218 Horayot 3, 4 : 229, 250, 252 3, 7 : 163 TALMUD BABLI Berakhot 7b : 42 11a : 143, 176, 181, 182 18a : 45 18b : 49 19a : 151, 208 27b-28a : 119 30b-31a : 47 31b : 35 33a : 200 39a : 46 55a : 47 61a : 34 61b : 210 62a : 34

Shabbat 12b : 162 30b : 35, 41, 46, 47, 57 33b-34a : 146 64a : 48 77b : 47 104b : 280 115a : 112 116b : 110 121a : 214 143a : 188 149b : 37 151b : 37, 61 152b : 60 ‘Erubin 3b : 42 21b : 45 29a : 329 45a : 145, 154 47b-48a : 49 64b : 101, 102 65a : 37 68b : 50 82a : 35 83a : 42 104a : 35 Pesaḥim 49a : 118 51a : 106 53a-b : 151 64b : 284 66a : 189 112a-113b : 42 117a : 35, 47 Yoma 12b : 229 23b : 238-240 38a : 41 47a : 250, 252 74a : 35 83b : 36 87a : 66 Sukka 7a : 42 27b : 180, 286, 287 43b : 265

395

396 53a : 47, 50 56b : 257 Beṣa 23a : 151 Rosh ha-shana 16b : 180 Ta‘anit 7a : 164 21a : 49 22a : 47 22b : 57 23a : 205, 206 Megilla 6b : 42 9a : 34 9b : 39 10b : 50 16a : 66 Mo‘ed Qaṭan 17a : 33, 47, 49 26b : 35 Ḥagiga 5b : 34, 38 15b : 299 16b : 348 Yebamot 64b : 49 102b : 108 Ketubbot 66b : 293 67b : 185 72b : 36 77b : IX, 35, 61, 364 79a : 34 103b : 37 Nedarim 9b : 318 50a : 164 50b-51a : 47, 49 91b : 47

INDEX

Nazir 4b : 318 52a : 151 Soṭa 13a : 49 32b : 36 42a : 43 49b : 299, 300 Giṭṭin 47a : 49 55b : 49, 241 56a : 188 57a : 45 58a : 163 68a-b : 49 85b : 49 Qiddushin 19b : 37 21b : 50 24b : 42 41a : 43 63a : 37 66a : 43 81a : 44 81b : 46 82b : 323 Baba Qamma 17b : 47 26b : 42 50b : 47 60b : 22, 41 82b-83a : 299, 300 117a : 33, 49 Baba Meṣi‘a 20b : 35 59a-b : 161 59b : 57 83b-84a : 67 Baba Batra 9b : 33, 47 58a : 15, 60 74b : 50 75a : 46

397

INDEX DES CITATIONS

Sanhedrin 25a-b : 35 33a : 151 39a : 48 41a : 331 67a : 168, 280 77b : 35 90b : 61 93b : 35 95a : 49 96a : 49 100a : 46 101a : 41, 168 103a : 43 Makkot 24a : 34 24a-b : 59 ‘Aboda Zara 3a : 50 3b : 7, 40, 57 17b : 211 18a : 210 18b-19a : 43 20a : 41 27b : 169, 172 44b : 130 Horayot 12b : 229 Menaḥot 41a : 45 85b : 34 99b : 300 Ḥullin 32a : 47 39b : 34 127a : 200 Nidda 13b : 36 23a : 48

ABOT DE-RABBI NATAN Recension A 4 (9b) : 37 5 (13b) : 241 7 (18a) : 38 8 (19b) : 41 14 (29b) : 259 21 (37b) : 35, 43 25 (40b) : 37 26 (41b) : 35 31 (46a) : 37 34 (51b) : 44 35 (53a) : 250, 252 41 (66b) : 37 Recension B 3 (6b) : 36 12 (15b) : 38 13 (16a-b) : 259 29 (29b) : 259 33 (36a-b) : 36 34 (37b) : 43 37 (47b) : 34, 44 48 (66b) : 37 BARAYTA 1, 1 : 38 1, 2 : 46

DE-NIDDA

DEREKH EREṢ RABBA 2, 6 : 35 DEREKH EREṢ ZUṬA 5, 1 : 35 5, 5 : 35 6, 5 : 43 KALLA RABBATI 9, 2 : 35 SEFER TORA 1, 6 : 34

TRAITÉS MINEURS

SEMAḤOT 2, 5 : 37

‘ABADIM 1, 10 : 37

SEMAḤOT 3, 5 : 39

DE-RABBI

ḤIYYA

398 SOFERIM 16, 3 : 42 MIDRASH RABBA Be-reshit Rabba 13, 7 : 208 22, 6 : 35 23, 6 : 48 30, 8 : 48 44, 6 : 44 48,17 : 34 53, 11 : 34 59, 2 : 41 60, 2 : 46 63, 8 : 48, 49 63, 14 : 41 80, 1 : 40 85, 9 : 42 Shemot Rabba 1, 1 : 34 9, 6 : 38 9, 7 : 45 25, 8 : 42 30, 21 : 36 39, 2 : 38 41, 7 : 34 42, 1 : 34 42, 8 : 36 51, 6 : 44 52, 2 : 44 52, 3 : 41, 44 Wa-yiqra Rabba 4, 4 : 34 6, 2 : 46 15, 4 : 43 20, 11 : 250, 252 26, 2 : 40 32, 4 : 36 37, 3 : 101, 102 Ba-midbar Rabba 2, 15 : 36 2, 26 : 250, 252 4, 20 : 37 9, 9 : 39, 40 9, 12 : 36

INDEX

9, 17 : 36 9, 30 : 35 9, 33 : 36 9, 47 : 40 9, 48 : 40 10 : 318 10, 2 : 36, 43 11, 1 : 44 12, 7 : 42 Debarim Rabba 1, 15 : 39 3, 17 : 36 5, 15 : 43 7, 4 : 44 Debarim Rabba (éd. LIEBERMAN) Debarim, 27 : 39, 45 Ester Rabba 2, 13 : 36 3, 12 : 40 4, 12 : 38 7, 12 : 66 7, 13 : 38, 44 Shir ha-shirim Rabba 1, 2, 3 : 37 1, 3, 2 : 43 2, 4, 1 : 46 3, 4, 2 : 43, 44 3, 6, 4 : 41 6, 11, 1 : 39 Rut Rabba 4, 9 : 36 Rut Zuṭa 1, 8 : 34 Ekha Rabba Petiḥa 3 : 40 Petiḥa 12 : 43 Petiḥa 14 : 41 Petiḥa 15 : 43 Petiḥa 17 : 46 Petiḥa 24 : 41, 45, 46 1, 2 : 283

INDEX DES CITATIONS

1, 1, 2, 2, 3, 4, 4, 4, 5,

4-6 : 59 48 : 294, 366 4 : 35 15 : 37 5 : 46 2 : 241 3 : 188 4 : 216 18 : 34

Ekha Zuṭa 23 : 39 26 : 41, 45, 46 Qohelet Rabba 1, 8, 3 : 169, 172, 173 2, 2, 1-3 : 40 3, 2, 4 : 48 3, 11, 3 : 40 6, 11, 1 : 38, 39 7, 3, 1 : 40 7, 19, 1 : 34 8, 8, 1 : 43 10, 19, 1 : 38 Qohelet Zuṭa 2, 2 : 40 7, 3 : 40 AUTRES MIDRASHIM (OU OUVRAGES AGGADIQUES) ABBA GURYON 1, 14 : 34 3, 26 : 38 3-4 : 38, 44, 46 4, 32 : 34

ALEF BET DE-BEN SIRA 263 : 42 268 : 46 277 : 42 ELIYYAHU RABBA 4 : 45 5 : 37 7 : 36 11 : 35 13 : 36, 40, 41 15 : 36 24 : 43 28 : 40 29 : 38 31 : 38 ELIYYAHU ZUṬA 14 : 46 ḤUPPAT ELIYYAHU 32 : 37 67 : 35 77 : 35 85 : 42 86 : 42 95 : 43 152 : 37 227 : 44 234 : 34 MA‘ASE ALEXANDROS 5 : 34 11 : 37 MA‘ASE RABBI ME’IR 184 : 36

AGGADAT BE-RESHIT 1, 2 (2-3) : 46 13, 3 (29) : 38 14, 3 (31) : 44 25, 2 (50) : 38 37, 5 (75) : 46 74, 3 (144) : 40 76, 2 (146) : 42 76, 3 (147) : 42

MIDRASH AGUR 6 : 44 7 : 38 8 : 46 9 : 40 10 : 43, 46, 47 14 : 44 18 : 36

AGGADAT RABBI YISHMA‘EL 4 : 45

MIDRASH ALFA BETOT 1, 422 : 37

399

400

INDEX

10, 435 : 40 MIDRASH ‘ASERET 2 : 40 3 : 36 5 : 37, 45 7 : 36 9 : 43 10 : 42, 46

HA-DIBBEROT

MIDRASH ‘ASERET 43 : 39

HA-MELAKHIM

MIDRASH ‘ASERET HARUGE MALKHUT 89/90 : 40 MIDRASH HALLEL 90 : 39 96 : 37 102 : 36 MIDRASH ḤASEROT 14 : 37

WI-YTEROT

MIDRASH MISHLE 1, 6 : 44 1, 11 : 40 1, 12 : 40 1, 25 : 39, 45 9, 12 : 43 11, 19 : 43 11, 28 : 39 20, 1 : 43 MIDRASH QONEN 1, 26 : 37 MIDRASH SHEMU’EL 9, 3 (74) : 48 MIDRASH SHENE KETUBIM 219 : 46 MIDRASH TANḤUMA Noaḥ 5 : 38, 45 Noaḥ 13 : 38 Wa-yera 12 : 38 Toledot 6 : 44, 45 Shemot 1 : 34 Shemot 22 : 34, 39

Yitro 7 : 38 Teruma 2 : 38 Teruma 9 : 42 Ki Tissa 14 : 35 Ki Tissa 20 : 34 Pequde 6-7, 11 : 44 Wa-yiqra 7 : 34, 35 Aḥare Mot 1 : 40 Aḥare Mot 7 : 250, 252 Be-har Sinay 2 : 45 Naso 2 : 36 Naso 5 : 39 Shelaḥ 5 : 46 Ḥuqqat 4 : 40 Balaq 13 : 38 Mas‘e 12 : 40 Shofeṭim 9 : 40 MIDRASH TANḤUMA (ÉD. BUBER) Wa-yera 24 : 45 Toledot 4 : 39 Toledot 18 : 34 Wa-yeṣe 10 : 45 Wa-era 12 : 38 Wa-era 18 : 39 Bo 19 : 39 Yitro 17 : 42 Qoraḥ 2 : 45 MIDRASH TANḤUMA (ÉD. MAN) Noaḥ 151 : 46 Wa-yishlaḥ 175 : 34 MIDRASH TANḤUMA (version longue) Be-shallaḥ 115 : 40 MIDRASH TANḤUMA YELAMMEDENU 11, Debarim 74 : 42 5, ‘Eqeb 222 : 36 MIDRASH TEHILLIM 1, 7 (4b-5a) : 43 1, 9 (5a-b) : 44 1, 15 (7b-8a) : 44 2, 6 (14a) : 41 4, 13 (25a) : 38 15, 7 (60a) : 41 17, 6 (65b) : 35 22, 7 (92b) : 37 22, 21 (96b) : 45

INDEX DES CITATIONS

24, 2 (102a) : 44 24, 3 (102b) : 35 26, 2 (108b) : 34 26, 7 (110b) : 36 34, 1 (123a) : 38 36, 1 (125a) : 37 39, 2 (128a) : 36 50, 3 (140b) : 36 78, 2 (173a) : 43 87, 2 (189a) : 46 92, 13 (206b) : 37 101, 3 (214b) : 43 103, 1 (216a) : 34 104, 21-22 (223a-b) : 42 105, 12 (226b) : 43 108, 1 (232a) : 35 OTIYYOT

DE-RABBI

‘AQIBA

Recension A 360 : 37 381 : 36 Recension B 413 : 37 417 : 43 PANIM AḤERIM 2, 6 : 38 PESIQTA DE-RAB KAHANA 3 : 47 4 : 40 12 : 42 13 : 43 15 : 40 27 : 40, 250, 252 PESIQTA (fragments) 176 : 43 PESIQTA RABBATI 5 (21a) : 42 11 (42a-b) : 42 14 (56a) : 46

21 26 34 34 37

(101a-b) : 42 (129b) : 45 (158b) : 39, 45 (158b-159a) : 39 (162b) : 45, 46

PIRQE DE-RABBI ELI‘EZER 5 : 36 9 : 41 23 : 38 24 : 46 33 : 37 38 : 37 39 : 46 49 : 37 PIRQE DEREKH EREṢ 7 : 45 9 : 43 TOLEDOT BEN SIRA Recension A 205 : 45 226 : 37 239 : 45 245 : 44 252 : 46 Recension B 205 : 45 237 : 45 239 : 45 252 : 46 OUVRAGES MÉDIÉVAUX MISHNE TORA Qedushsha, Issure Bi’a 13, 11 : 89 Qinyan, ‘Abadim 8, 4 : 89

401

402

INDEX

Littérature mystique juive HEKHALOT (Fragments) 357 : 40

SEFER HA-MALBUSH 2, 2 : 41

HEKHALOT RABBATI 6, 3 : 34

SEFER YEṢIRA 5, 1-2 : 37

MERKABA RABBA 4a-b : 37

Littérature grecque et latine

Lettre d’Aristée à Philocrate 92-95 : 242, 243 ARISTOTE Parties des animaux 654a : 19 Poétique 1447a-1449b : 2, 16 1449a-b : 6, 16, 17 Rhétorique 1415a37 : 21 BASILE DE CÉSARÉE Grandes règles d’ascétisme 17 : 51

DIOGÈNE LAËRCE Vies et doctrines des philosophes illustres 6, 41 : 288 FLAVIUS JOSÈPHE Antiquités juives 11, 6, 10 : 66 11, 7, 1 : 238 14, 2, 1 : 207, 208 17, 2, 2 : 190 18, 1, 4 : 237 18, 2, 33-35 : 234, 251 Guerre des juifs 4, 3, 6-9 : 230 6, 9, 3 : 282 HÉRACLITE

Petites règles d’ascétisme 31 : 51 CICÉRON

Lettres 7 : 323 HOMÈRE

De oratore 2, 54-71 : 2, 21 3, 87-89 : 21

Iliade 1, 599 : 51

DENYS D’HALICARNASSE

ORIGÈNE

Antiquités romaines 10, 24, 9 : 233

Contre Celse 1 : 170

INDEX DES CITATIONS

OVIDE

SAINT AUGUSTIN

Métamorphoses 3, 336-510 : 320

Accord des évangélistes 51 : 53, 54

PLATON

STRABON

Phédon 64a7 : 20

De oratore 2, 216 : 21

Philèbe 49b-50e : 50 52b-53c : 51

TERTULLIEN

République 388e-389a : 6, 51

Apologétique 15, 1 : 53 15, 3 : 53 15, 5 : 53 38, 4-5 : 53 44, 3 : 53

403

INDEX DES NOMS DE PERSONNE ET DE LIEU

Aaron : 43, 121, 250 Abba : 162 Abba Ḥilafta : 112 Abba Sha’ul : 168, 260, 261, 314 Abba Sha’ul ben Boṭnit : 261, 270 Abba Yose ben Qoṭnit : 336 Abba Yose ben Yoḥanan : 261, 270 Abbahu : 366 Abihou : 121, 250 Abner : 40 Abraham : 44, 324 Absalon : 320-322 Abṭalyon : 175, 189, 190 Abṭines : 245-248, 362 Admon : 91 Afrique : 337 Agdes ben Lewi : 245-248 Agélaste : 66 Agrippa : 159, 190, 191, 282-284 Aḥa : 294, 366 Aḥya : 334 ‘Akhnay : 356 ‘Akko : 100, 101, 104, 130, 254, 277, 291, 293, 366, 367 Alexa : 196 Alexandrie : XV, 151, 228, 244, 245, 247, 304, 305, 346 Ami : 22, 215, 364 Amon : 156, 157 Anan : 251 Ananos : 231 Ananos fils d’Ananos : 231 Annius Rufus : 251 Antigonos de Sokho : 241 Aphrodite : 130-132, 299, 352 ‘Aqiba : VIII, 28, 33, 41, 48, 59, 91, 92, 97, 103-105, 115, 116, 119, 120, 124, 126, 133-142, 147, 149, 151-156, 167, 168, 172, 191, 210, 222, 228, 245, 247, 248, 268, 269, 276, 306-310, 322, 324, 325, 350, 351, 354-356, 360-362 Arétas : 207 Ari : 149

Aristobule : 207 Arnon (Aravna) : 218, 219 ‘Arsela : 227 Ascalon : 109, 347 Ashi : 22, 186 Ashmeday : 49 Asi : 364 Assuérus : 38 Ba‘al : 43 Ba‘al Pe‘or : 131 Baba ben Buṭa : 193-195, 212, 213 Babel : 361 Babylonie : 107, 156, 157 Balaam : 22 Bar Qappara : 49 Bathyra : 189, 190 Ben Betera : 190 Ben Dama : 300 Ben Dinay : 356 Ben Gamla : 244, 246 Ben Koziba : 353, 356 Ben Pandera : 280 Ben Qamṣa (Qamṣar) : 217, 218, 241, 246, 247 Ben Qaṭin : 244, 246, 262 Ben Shelaqit : 136 Ben Siṭera (Ben Seṭada) : 279, 280, 314 Bene Beraq : 268 Benjamin : 285 Bet Alubay : 148 Bet ‘Anat : 109 Bet Menaḥem : 307 Bet Meqoshesh : 148 Bet Nebaṭla : 218, 219 Bet Qippay : 148 Bet Ṣeba’im : 148 Bet Ya‘azaq : 127 Bilga : 256, 257 Biri (Boro) : 105, 106 Boéthus : 241, 261, 270 Boéthus fils de Zonan : 268-270, 280, 354, 355

406

INDEX

Brindisi : 115 Caius Cestius Gallus : 282 Cappadoce : 140 Caracalla : 170 Césarion : 285 Chemaya : 360 Cilicie : 254 Cléopâtre : 356 Coré : 39, 44 Damas (‘Ardasqos) : 321, 328, 329 Damin : 109 Daniel : 35 Dasqas : 153 David : 44, 163, 219, 233, 312, 320 Dèce : 170 Dimin : 264 Dioclétien : 170 Diogène de Sinope : 288 Dionysos : 13 Dosa : 109 Dosa ben Arkines : 120, 121 Égypte : 156, 157, 206, 244, 245, 280, 282-284, 343, 346 Ele‘azar : 67, 301, 366 Ele‘azar ben ‘Azarya : 97, 115, 118, 119, 127, 156-158, 160, 176-178, 182, 268, 269, 306, 343, 355, 360 Ele‘azar ben Dama : 167-169, 173 Ele‘azar ben Dilgay : 262 Ele‘azar ben Ḥarso : 243 Ele‘azar fils de R’ Ṣadoq : 103, 117, 118, 120, 124-127, 180, 181, 221, 241, 291, 293, 352, 366, 367 Ele‘azar fils de R’ Shim‘on : 146, 242, 356 Ele‘azar fils de R’ Yehuda de Bartuta : 139 Ele‘azar fils de R’ Yose : 215 Ele‘azar ha-samma : 158, 335 Elḥanan : 261, 270 Élie : 43, 62, 68, 206, 208, 364 Eli‘ezer : 81, 82, 84, 87, 129, 137, 156161, 169-173, 212, 213, 228, 263, 264, 279, 285-290, 296, 301, 303-305, 315, 324, 332, 347, 351, 353-356 Eli‘ezer ben Ya‘aqob : 117, 159, 244, 262, 281, 342, 343

Eli‘ezer fils de R’ Yose le Galiléen : 342 Eli‘ezer ha-qappar : 150 Elimelekh : 355 Élisée : 230, 233 Elisha‘ : 161, 162, 261, 270 Elisha‘ ben Abuya : 299 Emmaüs : 141 ‘En Bul : 302 Eniachim : 231 ‘En Kos : 335 Éphraïm : 261 Ésaü : 41, 321, 322 Esdras : 119, 159, 160 Esther : 66, 275 Fabius : 233 Gabini : 262 Gadya : 335 Gaius : 78 Gamliel (II) : VIII, 81-112, 115-133, 137, 138, 141, 157, 160, 174, 254, 299, 300, 349-352, 360 Gamliel (III) : 104-110, 350 Gamliel ben Rabbi : 112 Gamliel l’ancien : 87, 93, 103, 104, 108, 111, 127, 258, 259 Garmo : 244, 246, 248, 362 Gehazi : 37 Geluda : 328 Ghihôn : 312 Goryon fils de Joseph : 231 Habacuc : 205, 207 Ḥabta (Aphthia) : 230-232 Hadrien : 210 Ḥalafta : 111, 115, 333 Haman : 34, 39, 45, 66, 275 Hamlet : 309 Hammurabi : 76, 308 Ḥananya ben Ḥakhinay : 136 Ḥananya chef des prêtres : 222, 225, 254 Ḥanina bar Pappa : 62 Ḥanina ben Dosa : VIII, 41, 198-201 Ḥanina (Ḥananya) ben Gamliel : 230, 233, 234, 355 Ḥanina ben Teradyon : 109, 210, 211, 333 Ḥanut : 331 Hélène : 244, 246, 247, 354 Héphaïstos : 6, 51

INDEX DES NOMS DE PERSONNE ET DE LIEU

Hérode : 190, 229 Ḥilefta ben Qawina : 305 Hillel fils de Rabban Gamliel : 103, 105-108 Hillel l’ancien : VIII, 108, 139, 142-144, 148, 159, 173-198, 219, 220, 275, 276, 283, 309, 316, 317, 336, 337, 350, 355, 356 Ḥisda : 106 Ḥiyya : 358 Ḥiyya bar Ada : 366 Ḥizqiyya : 366 Homère : 6, 16, 51, 272 Ḥoni ha-me‘aggel : 201-209, 352 Horqenos fils de R’ Eli‘ezer : 144 Huna : 186 Ḥuṣpit : 119 Hyrcan : 207 Il‘ay : 100-102, 287, 288, 301 Isaac : 37, 324 Ismaël : 33 Issi le babylonien : 301, 312 Jacob : 41, 163, 261, 315, 321, 322, 324 Jaffa : 244 Jéricho : 91, 260-262 Jérusalem : XV, 93, 96, 98, 116, 127, 128, 138, 159, 160, 175, 180, 181, 194, 195, 202, 206, 207, 209, 216-222, 227, 228, 236-238, 241, 249, 257, 261, 262, 270, 282, 283, 289, 293, 295, 324, 346, 350, 353, 354, 360 Jésus : 28, 29, 52, 167-172, 280 Jésus fils de Gamalas : 231 Job : 22, 111, 112, 115 Jonas : 22, 247 Joseph (Caïphe) : 251 Josias : 254 Josué : 292 Juda : 285 Julia : 251 Kabul : 103-106, 109 Kedar : 193-195 Kefar Emmi : 215 Kefar Ḥananya : 333 Kefar Samma : 167, 168, 172 Kefar Sekhanya : 168, 172 Kefar Shaḥara : 149 Kefar Sigena : 91

407

Kefar Ṭabi : 152 Kezib : 98-102, 278 Kiriat-Yearim : 360 Léa : 315 Lod : 117, 118, 129, 138, 152, 154, 157, 158, 196, 287, 328 Loth : 337, 361 Lucius Quinctius Cincinnatus : 233, 234 Ma‘ale Edomim : 267 Mabgay : 100, 101 Manassé : 237, 238 Mardochée (Petaḥya) : 66, 275, 334 Martha fille de Boéthus : 241, 242, 354, 366 Mattitya ben Shemu’el : 334 Maysha : 92 Mazaga : 140 Medeba : 136 Me’ir : 36, 68, 116, 117, 140, 144, 145, 156, 173, 209, 219, 220, 227, 244, 245, 249, 258, 263, 269, 313, 322, 328-330, 339, 354 Menaḥem ben Nappa : 150 Menaḥem ben Sangay : 355 Michaël : 166 Michée : 360 Mikhwar : 262 Miryam fille de Bilga : 256, 257 Miryam fille de Naqdimon : 366 Miryam fille de Shim‘on ben Guryon : 367 Miṣpa : 92 Moab : 156, 157 Moïse : 39, 44, 45, 93, 121, 157, 158, 209, 210, 265, 292, 357 Monobaz : 185, 244, 246, 354 Münchhausen (Baron de) : 3, 346 Nabuchodonosor : 37 Nadab : 121, 250 Naḥman : 176, 178, 182, 183 Naḥum le scribe : 92, 93 Naqdimon ben Guryon : 291-294, 366 Narcisse : 320-322 Natan : 159, 161-163, 357 Nebayot : 194 Neḥemya : 110, 186, 187 Nehoray : 337

408

INDEX

Néron : 282 Neṣibin : 150 Niqanor : 226, 244, 246, 247 Noé : 39, 209 Onias : 207, 208 Onqelos : 103, 104, 108, 109, 132, 133, 353 Ophel : 208 Papinianus : 78 Pappa : 182, 188 Pappos : 137 Parwa : 260 Paul : 22 Paulus : 78 Pene melekh : 335 Peqi‘in : 158 Peraqlos fils de Pelasalos : 130, 131 Phanni fils de Samuel : 231, 232 Pharaon : 45 Pineḥas homme de Ḥabta : 230, 233, 234 Ponce Pilate : 251 Pouzzoles : 360 Ptolémée : 34, 39 Puteoli : 360 Qadros : 261, 270 Qamṣa : 217, 218, 241 Qeṭanta : 336 Qidron : 208 Qimeḥit : 251 Quiétus : 299 Raba : 35, 186, 187 Rabba bar bar Ḥanna : 64, 226 Rabbi : 68, 78, 108, 111, 299, 301, 323, 327 Rachel : 315 Rami bar Ḥama : 331, 332 Rokhel : 296 Rome : 78, 125, 126, 151, 163, 171, 251, 298, 321, 352, 360 Ṣadoq : 86, 120, 122, 123, 126, 237-240, 291, 292, 294 Salomon : 236, 254, 312 Samson : 22 Sara : 22 Saül : 165, 166

Sennachérib : 49 Sepphoris : 172, 174, 183, 186, 214, 215, 227, 228, 258, 297, 306 Ṣereda : 209 Shammay : VIII, 94, 95, 124, 139, 142144, 148, 149, 159, 173-183, 187, 188, 191-198, 213, 219, 220, 316, 317, 350, 352 Shefar‘am : 109 Shema‘ya : 175, 189, 190 Shemu’el : 293 Sheshet : 188 Shibyon : 98, 99 Shiḥin : 214 Shila : 333 Shilo : 261 Shiloaḥ : 255 Shim‘on : 89-91, 136, 137, 139, 140, 152, 153, 240, 257, 269, 314, 315, 327, 333 Shim‘on bar Abba : 366 Shim‘on bar Kahana : 254 Shim‘on ben ‘Azzay : 245, 306, 307 Shim‘on ben Ele‘azar : 173, 302, 303, 323, 328, 329 Shim‘on ben Gamliel : 86, 89, 91, 106, 109, 123, 138, 216, 218, 221, 231, 254, 258, 259, 277, 278, 333, 337, 351 Shim‘on ben Ḥananya : 333 Shim‘on ben Luga : 245, 247, 362 Shim‘on ben Nannas : 154, 155 Shim‘on ben Natan’el : 258, 259 Shim‘on ben Qimeḥit : 250-253 Shim‘on ben Sheṭaḥ : 202, 204-206, 208, 296, 297, 347, 348 Shim‘on ben Yoḥay : 60, 62, 63, 91, 146, 364 Shim‘on de Miṣpa : 92, 93 Shim‘on ha-temani : 288 Shim‘on le juste : 317-321 Shim‘on l’humble : 263 Shim‘on Shezuri : 315 Sidon : 136, 314 Simmias : 20 Sinaï : 93, 157, 158, 265, 356 Socrate : 14, 19, 20, 27, 61, 67 Sodome : 337, 361 Sullam Ṣor : 101 Syrie : 97, 282 Ṭabi : 88-91, 100, 101, 126

INDEX DES NOMS DE PERSONNE ET DE LIEU

Ṭarfon : VIII, 134, 135, 141-157, 159, 175, 176, 178, 182, 196, 302, 317, 350 Tartarin de Tarascon : 346 Teqoa‘ : 312, 327 Ṭeriya : 198 Theodoros : 151, 152 Thodos de Rome : 125-127, 151, 152, 208 Tibériade : 60, 111, 112 Tiberius Nero : 251 Ṭib‘in : 329 Ṭobya : 257 Trajan : 170 Ulpien : 78 Urie : 312, 360 Usha : 109 Valerius Gratus : 251 Ya‘aqob : 145 Ya‘aqob ben Sisi : 119 Ya‘aqob de Kefar Samma : 167, 168, 172 Yabne : 118-121, 136, 153, 158, 174 Yeḥezqel : 178, 182 Yehoshua‘ (ben Ḥananya) : 97, 115, 118122, 129, 141, 148, 149, 156-158, 160, 163-165, 196, 197, 217, 218, 276, 295, 299, 301, 304, 305, 310, 315, 345, 351, 354, 355, 360 Yehoshua‘ ben Lewi : VIII, XV, 61-63, 364-366 Yehoshua‘ ben Peraḥya : 305 Yehoshua‘ ben Qabusay : 109 Yehoshua‘ fils de R‘ ‘Aqiba : 308 Yehuda (ben Il‘ay) : 89, 90, 96, 98, 99, 109, 116, 117, 124, 134, 144, 145, 148, 152, 197, 209, 219, 220, 223, 227, 244, 245, 249, 263, 264, 268-270, 277, 278, 280, 289, 297, 301, 302, 304, 305, 315, 316, 322, 326-328, 334, 335, 341, 351, 354-356 Yehuda : 293 Yehuda ben Baba : 209-212, 288, 289, 333, 353, 356 Yehuda ben Betera : 150, 303, 304 Yehuda ben Gadish : 353 Yehuda ben Ṭabbay : 348 Yehuda de Bartuta : 139 Yehuda fils de Rabban Gamliel : 103-108 Yesha‘ya (Hosha‘ya) : 198

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Yeshebab : 256 Yeshua‘ ben Panṭera : 167, 168, 172 Yiṣḥaq bar Abdimi : 331 Yiṣḥaq fils de R’ Ele‘azar : 200 Yiṣḥaq Nappaḥa : 22 Yishma‘el : 112-115, 136, 156, 161-163, 165-170, 173, 176-178, 182, 279, 300, 347, 353 Yishma‘el ben Piabi : 243, 250, 251, 261, 270 Yishma‘el ben Qimeḥit : 250-252 Yoḥanan : 364, 366 Yoḥanan ben Bagbag : 150, 328 Yoḥanan ben Beroqa : 158 Yoḥanan ben ha-ḥoroni(t) : 178-183, 221 Yoḥanan ben Il‘ay : 285, 286 Yoḥanan ben Nazif : 111, 112 Yoḥanan ben Nuri : 120, 129, 245, 307, 352 Yoḥanan ben Pineḥas : 334 Yoḥanan ben Torta : 261 Yoḥanan ben Zakkay : 86, 122, 123, 146, 157, 158, 237, 259, 270-273, 275, 276, 287, 292-294, 330-332, 337 Yoḥanan fils de Yonatan Arya : 149 Yoḥanan le cordonnier  : 334 Yoḥanan le grand-prêtre : 272 Yona : 215 Yose : 95, 111, 112, 125, 138, 174, 187, 188, 209, 215, 223, 225, 227, 228, 249, 257, 272, 277, 278, 297, 301, 302, 307, 313, 315, 337, 351, 353, 356 Yose ben Dormasqit : 157, 158 Yose ben ha-meshullam : 302 Yose ben Yo‘ezer : 209 Yose fils de R’ Yehuda : 111, 112, 249, 266 Yose le Galiléen : 135, 154-156 Yosef (bar Ḥiyya) : 178, 182, 331 Yosef ben Elim : 228, 229 Yosef ben Qimeḥit : 251 Yosef ben Simay : 214, 215 Yosef (Yose) ben Yoḥanan : 209 Yosef le prêtre : 259 Yoshbab : 251 Yuda : 98 Yudan : 98, 215 Zacharie : 360 Ze‘ira : 364 Zekharya ben Abqiles : 187, 188 Zonan (Zinon) : 117-120

Collection de la Revue des études juives 1. Gérard NAHON - Charles TOUATI (éd.), Hommage à Georges Vajda. Études d’histoire et de pensée juives, 1980 - 1 vol. in -8° de VII + 611 pages. 2. Roland GOETSCHEL, Meïr Ibn Gabbay. Le Discours de la Kabbale espagnole, 1981 1 vol. in -8° de 565 pages. 3. André CAQUOT - Mireille HADAS-LEBEL - Jean RIAUD (éd.), Hellenica et Judaica, Hommage à Valentin Nikiprowetzky, 1986 - 1 vol. in -8° de IV + 520 pages. 4. Philippe GIGNOUX, Incantations magiques syriaques, 1987 - 1 vol. in -8° de 72 pages + 4 planches. 5. Roger KOHN, Les Juifs de la France du Nord dans la seconde moitié du XIVe siècle, 1988 1 vol. in -8° de XL + 358 pages. 6. Jean-Pierre ROTHSCHILD - Guy-Dominique SIXDENIER (éd.), Études samaritaines, Pentateuque et Targum, exégèse et philologie, chroniques. Communications présentées à la Table Ronde internationale: «Les manuscrits samaritains: problèmes et méthodes» (Paris, 7-9 octobre 1985), 1988 - l vol. in -8° de 314 pages. 7. Maurice LIBER, Les juifs et la convocation des États Généraux (1789). Réédition d’articles de la Revue avec une bibliographie établie par Roger KOHN et une introduction nouvelle de Gérard NAHON, 1989 - 1 vol. in -8° de XX + 202 pages. 8. Paul FENTON, ‫ אלפי יהודה‬Bibliographie de l’œuvre de Georges Vajda, 1991 - l vol. in -8° de 130 pages. 9. Micheline CHAZE, L’Imitatio Dei dans le Targum et la Aggada, 1991 - l vol. in -8° de 202 pages (paru d’abord dans la Bibliothèque de l’École pratique des Hautes études, Section des sciences religieuses, Vol. XCVII). 10. Gérard WEIL, La Bibliothèque de Gersonide, d’après son catalogue autographe. Édité par Frédéric CHARTRAIN avec la collaboration d’Anne-Marie WEIL-GUÉNY et Joseph SHATZMILLER, 1991 - l vol. in -8° de 168 pages. 11. Gilbert DAHAN (éd.), Gersonide en son temps: science et philosophie médiévales, avec une Préface de Charles TOUATI, 1991 - l vol. in -8° de 384 pages. 12. Mireille HADAS-LEBEL - Évelyne OLIEL-GRAUSZ (éd.), Les Juifs et la Révolution française. Histoire et mentalités. Actes du Colloque tenu au Collège de France et à l’École Normale Supérieure les 16, 17 et 18 mai 1989, avec le concours de Geneviève CHAZELAS, 1992 - l vol. in -8° de 380 pages, illustrations. 13. Mireille HADAS-LEBEL, Histoire de la langue hébraïque des origines à l’époque de la Mishna, 1995 - 1 vol. in -8° de 220 pages. 14. Israël LÉVI, Le ravissement du Messie à sa naissance. Édité par Evelyne PATLAGEAN, 1994 - 1 vol. in -8° de 328 pages. 15. Joseph SHATZMILLER, La deuxième controverse de Paris. Un chapitre dans la polémique entre chrétiens et juifs au Moyen Âge, 1994 - 1 vol. in -8° de 136 pages. 15bis. Charles TOUATI, Le Kuzari Apologie de la religion méprisée par Juda Hallevi. Traduit sur le texte original arabe confronté avec la version hébraïque et accompagné d’une introduction et de notes, 1994 - 1 vol. in -8° de XVI + 253 pages (paru d’abord dans la Bibliothèque de l’École pratique des Hautes études, Section des sciences religieuses, vol. C). 16. Carol IANCU, Les juifs en Roumanie (1919-1938). De l’émancipation à la marginalisation, 1995 - 1 vol. in -8° de 410 pages. 17. Gilbert DAHAN - Gérard NAHON - Élie NICOLAS (éd.), De Rashi aux Tosafistes. Le Talmud de France. La culture juive en France du Nord au Moyen Âge, 1997 - 1 vol. in -8° de 405 pages. 18. Michel REMAUD, Le mérite des pères dans la tradition juive, 1998 - 1 vol. in -8° de 367 pages. 19. Philippe CASSUTO, Spinoza hébraïsant. L’hébreu dans le Tractatus theologico-politicus et le Compendium grammatices linguae hebreæ, 1999 - 1 vol. in -8° de 370 pages. 20. Danièle IANCU-AGOU, Juifs et néophytes en Provence. L’exemple d’Aix à travers le destin de Régine Abram de Draguignan (1469-1525), 2001 - 1 vol. in -8° de 698 pages. 21. Cyril ASLANOV, Le provençal des Juifs et l’hébreu en Provence. Le dictionnaire Sersot ha-kesef de Joseph Caspi, 2001 - 1 vol. in -8° de VIII + 232 pages.

22. Gad FREUDENTHAL - Jean-Pierre ROTHSCHILD - Gilbert DAHAN (éd.), Torah et Science: perspectives historiques et théoriques. Études offertes à Charles Touati, 2001 - 1 vol. in -8° de V + 284 pages. 23. Henry MÉCHOULAN - Gérard NAHON (éd.), Mémorial I.-S. Révah. Études sur le marranisme, l’hétérodoxie juive et Spinoza, 2001 - 1 vol. in -8° de III + 562 pages. 24. Georges VAJDA, Le Commentaire sur le Livre de la Création de Dunas ben Tamim de Kairouan (Xe siècle), Nouvelle Édition revue et augmentée par Paul B. FENTON, 2002 1 vol. in -8° de VIII + 248 pages. 25. Gilles DORIVAL (éd.), David, Jésus et la reine Esther. Recherches sur le Psaume 21 (22 TM), 2002 - 1 vol. in -8° de VI + 401 pages. 26. Max POLONOVSKI (éd.), Le patrimoine juif européen, Actes du colloque international tenu à Paris au Musée d’Art et d’Histoire du Judaïsme les 26, 27 et 28 janvier 1999, 2002 - 1 vol. in -8° de 346 pages. 27. Sophie KESSLER MESGUICH, La langue des Sages. Matériaux pour une étude linguistique de l’hébreu de la Mishna, 2002 - 1 vol. in -8° de XVIII + 258 pages. 28. Jean-Pierre ROTHSCHILD, Tables et index de la Revue des études juives. Tomes CXXXIX à CLVIII (1980-1999), 2003, - 1 vol. in -8° de IV + 349 pages. 29. Judith OLSZOWY-SCHLANGER, Les manuscrits hébreux dans l’Angleterre médiévale: étude historique et paléographique, 2003, - 1 vol. in -8° de IX + 328 pages. 30. Simon SCHWARZFUCHS, Le Mémorial de la communauté des Juifs de Carpentras au XVIIIe siècle, 2003 - 1 vol. in -8° de VI + 150 pages. 31. Adriana DESTRO - Mauro PESCE (éd.), Ritual and Ethics. Patterns of Repentance Judaism, Christianity, Islam. Second International Conference of Mediterraneum, 2004 - 1 vol. in -8° de XII + 167 pages. 32. Justin TAYLOR, Pythagoreans and Essenes. Structural Parallels, 2004 - 1 vol. in -8° de XI + 127 pages. 33. José COSTA, L’au-delà et la résurrection dans la littérature rabbinique ancienne, 2004 1 vol. in -8° de 663 pages. 34. Philippe PIERRET, Mémoires, mentalités religieuses, art funéraire: la partie juive du cimetière du Dieweg à Bruxelles, XIXe-XXe siècle, 2005 - 1 vol. in -8° de XXII + 285 pages. 35. Gilles DORIVAL (éd.), Qu’est-ce qu’un corpus littéraire? Recherches sur le corpus biblique et sur les corpus patristiques, 2005 - 1 vol. in -8° de X + 141 pages. 36. Danièle IANCU-AGOU (éd.), L’expulsion des Juifs de Provence et de l’Europe méditerranéenne (XVe-XVIe siècles). Exil et Conversions, 2005 - 1 vol. in -8° de XX + 335 pages. 37. Albert VAN DER HEIDE - Irene E. ZWIEP (éd.), Jewish Studies and the European Academic World. Plenary Lectures Read at the VIth Congress of the European Association for Jewish Studies (EAJS), Amsterdam, July 2002, 2005 - 1 vol. in -8° de XIX + 163 pages. 38. Simon C. MIMOUNI - Judith OLSZOWY-SCHLANGER (éd.), Les revues scientifiques d’études juives: passé et avenir. À l’occasion du 120e anniversaire de la Revue des études juives. Actes de la Table Ronde de Paris, 13-14 novembre 2002, 2006 - 1 vol. in-8° de X + 303 pages. 39. Bruce MITCHELL, Language Politics and Language Survival: Yiddish among The Haredim in Post-War Britain, 2006 - 1 vol. in -8° de XVIII + 176 pages. 40. André LEMAIRE - Simon C. MIMOUNI (éd.), Qoumrân et le judaïsme du tournant de notre ère. Actes de la Table Ronde, Collège de France, 16 novembre 2004, 2006 - 1 vol. in -8° de X + 153 pages. 41. Bernhard BLUMENKRANZ, Juifs et chrétiens dans le monde occidental, 430-1096, avec une Préface de Gilbert Dahan, 1960 (2006) - 1 vol. in -8° de IV* + XIV + 440 pages (paru d’abord dans la Collection des «études juives», vol. 2). 42. Simon C. MIMOUNI, La circoncision dans le monde judéen aux époques grecque et romaine. Histoire d’un conflit interne au judaïsme, 2007 - 1 vol. in -8° de XVIII + 388 pages. 43. Bernhard BLUMENKRANZ, Les auteurs chrétiens latins du Moyen Age sur les Juifs et le Judaïsme, avec une Préface de Gilbert DAHAN, 1963 (2007) - 1 vol. in -8° de VIII + 304 pages (paru d’abord dans la Collection des «études juives», vol. 4).

44. Y. Tzvi LANGERMANN - Josef STERN (éd.), Adaptations and Innovations. Studies on the Interaction between Jewish and Islamic Thought and Literature from the Early Middle Ages to the Late Twentieth Century, Dedicated to Professor Joel L. Kraemer, 2007 1 vol. in -8° de X + 441 pages. 45. Karine MOEGLIN, Présence et absence juive en Allemagne: Schmalkalden 1810-2000, 2012 - 1 vol. in -8° de XXXII + 550 pages. 46. Danièle IANCU-AGOU - Car ol IANCU (éd.), L’écriture de l’histoire juive. Mélanges en l’honneur de Gérard Nahon, 2012 - 1 vol. in -8° de XLIII + 686 pages. 47. Nicole BELAYCHE - Simon C. MIMOUNI (éd.), Entre lignes de partage et territoires de passage. Les identités religieuses dans les mondes grec et romain. «Paganismes», «judaïsmes», «christianismes», 2009 - 1 vol. in -8° de VIII + 502 pages. 48. Danièle IANCU-AGOU, Provincia judaica. Dictionnaire de géographie historique des juifs en Provence médiévale, 2009 - 1 vol. in -8° de XXII + 248 pages + 23 planches. 49. Henri GROSS, Gallia Judaica. Dictionnaire géographique de la France d’après les sources rabbiniques, avec une Préface de Danièle IANCU-AGOU et Gérard NAHON et un Supplément de Simon SCHWARZFUCHS, 1897 (2010) - 1 vol. in -8° de IV* + VI + 766 + XCVIII** pages. 50. Florence BOUET, Les Cantiques des degrés (Psaumes 119-133) selon la Bible grecque des Septante, 2013 - 1 vol. in -8° de XVIII + 264 pages. 51. David HAMIDOVIC, L’Écrit de Damas. Le manifeste des esséniens, 2011 - 1 vol. in -8° de XIX + 222 pages. 52. Caroline ARNOULD-BEHAR - André LEMAIRE (éd.), Jérusalem antique et médiévale. Mélanges en l’honneur d’Ernest-Marie Laperrousaz, 2011 - 1 vol. in -8° de VI + 192 pages. 53. Bernard POUDERON, Genèse et réception du Roman pseudo-clémentin. Études littéraires et historiques, 2012 - 1 vol. in -8° de XXXIII + 346 pages. 54. José COSTA, De l’importance des textes considérés comme mineurs: l’exemple du Midrash Hallel. Traduction annotée d’un Midrash entre aggada et mystique, 2013 - 1 vol. in -8° de XIV + 476 pages. 55. Claude DENJEAN, Identités juives entre ancrages et passages en Catalogne, du XIIe au XVe siècle, 2015 - 1 vol. in -8° de VIII + 537 pages. 56. Marie-Françoise BASLEZ - Olivier MUNNICH (éd.), La mémoire des persécutions. Autour des livres des Maccabées, 2014 - 1 vol. in -8° de X + 406 pages. 57. Richard AYOUN, Juifs d’Algérie 1830-1907. Inventaire des archives consistoriales et bibliographie, 2017 - 3 vol. en -8°, XXXIV + 1555 pages. 58. Paola FERRUTA - Martin DUMONT - Daniel TOLLET (éd.), Entre judaïsme et christianisme. Les conversions en Europe, de l’époque moderne à l’apparition de l’antisémitisme politique, 2017 - 1 vol. in -8° de VI + 211 pages. 59. Elie SHEID, Mémoires sur les colonies juives et les voyages en Palestine et en Syrie du premier octobre 1883 à la fin 1899, 2020 - 1 vol. in -8° de IV + 326 pages. 60. Avigail OHALI, Le rire des sages. L’humour dans la Mishna et la Tosefta, 2021 - 1 vol. in -8° de XVIII + 409 pages.

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