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French Pages 54 Year 1952
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Note : Seule la partie
Le mystère du gouvernement divin à laquelle Marie-Dominique Philippe a participée est ici présentée.
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Nihil obstat :
Imprimi potest :
Parisiis, die ia dec. 1951
Parisiis, die 3a dec. 1951
P. Boissblot, O. P. Lect. in S. Theol.
A.-M. Avril, O. P. prior prov.
V. Vergriete, O. P. Lect. in S. Theol.
Imprimatur :
Parisiis, die 6a dec. 1951 Pbtrus Brot vie. gen.
INITIATION THÉOLOGIQUE par un groupe de théologiens
TOME II DIEU ET
SA
CRÉATION
Quatrième édition (22° mille)
LES ÉDITIONS DU CERF 2^ Boulevard Latour-'MauLourg, Pans-ye ^7
CHAPITRE IX
LE MYSTÈRE DU GOUVERNEMENT DIVIN
par A. Viard, o. p. et M.-D. Philippe, o. p.
Sommaire Première partie LE GOUVERNEMENT DIVIN DANS LA TRADITION DE L’ÉGLISE ................................................................... 411
I. La Sainte Écriture, par A. Viard.....................................
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A. L’ancien Testament........................................................... 1. Universalité du gouvernement divin........................... 2. Le péché et le gouvernement divin............................. 3. L’histoire et le gouvernement divin............................
411 411 415 415
nouveau Testament..................................................... Le gouvernement du mondepar Dieu........................ Tout rassembler dans leChrist ................................. Pères de l’Église..................................................... liturgie ...................................................................... conciles ......................................................................
419 419 420 422 432 433
B. Le 1. 2. II. Les III. La IV. Les
Deuxième Partie ESQUISSE D’UNE SYNTHÈSE THÉOLOGIQUE par M.-D. Philippe..................................................................... 435
I. Justification de l’existence du gouvernement divin 1. Arguments philosophiques venant de la connaissance 435 de l’univers ..................................................... 435
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2. Arguments philosophiques venant de la nature même du Dieu-Créateur............................................. 436
II. Structure essentielle du gouvernement divin.......... 1. Dieu gouverne le monde en vue de sa propre bonté 2. Dieu dirige l’univers pour la gloire des élus.............. 3. Le Gouvernement divin est un gouvernement mo narchique ........................................................ 4. Rien n’échappe au gouvernement de Dieu................ 5. Il y a un ordre dans le Gouvernement divin.............. 6. Dieu n’a pas d’opposants...........................................
436 436 438
III. Les effets du gouvernement divin............................... 1. L’effet propre est l’assimilation à la bonté divine.... 2. Maintenir dans le bien............................................... 3. L’annihilation............................................................. 4. Dieu ne se contente pas de conserver, il achève ce qu’il a commencé ........................................ a) Action sur l’univers physique............................. b) Action sur les intelligences................................... c) Action sur le monde des volontés....................... d) Dieu opère en tous ceux qui agissent.................... Dieu est fin ultime................................................. Dieu est cause première efficiente........................ Dieu est forme subsistante................................... e) Dieu peut agir sur ses créatures par le miracle....
446 446 447 449 45° 450 451 451 452 453 453 453 453
Conclusion................................................................................
454
Bibliographie ..........................................................................
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439 441 443 444
PREMIÈRE PARTIE
LE GOUVERNEMENT DIVIN DANS LA TRADITION DE L’ÉGLISE
I. La sainte écriture Gouverner, c’est agir en vue d’un but. L’Écriture tout entière proclame que Dieu ne cesse d’agir dans le monde. Tout lui est soumis et tout est dirigé par lui. Ses intentions cependant, les desseins qu’il poursuit dans son gouvernement du monde, n’apparaissent pas toujours en pleine clarté. C’est un mystère dont la révélation totale n’apparaîtra qu’au jour où l’œuvre divine sera parvenue à son terme. Cependant une large part de celle-ci se trouve déjà accomplie. Les différents livres de la Bible la décrivent. Leurs récits et les textes prophétiques qui les complètent peuvent déjà nous donner une connaissance suffisamment précise de ce que Dieu veut faire du monde qu’il a créé.
A. L’Ancien testament i. Universalité
du
gouvernement
divin.
Dieu reste le maître du monde : « C’est à Dieu qu’es' la terre et ce qui la remplit, le monde et tous ceux qui l’habitent » (Ps., 24, 1). « Ton règne est un règne éternel et ton empire durera durant sout les siècles » (Ps. 45, 13). « Notre Dieu habite dans le ciel ; il fait tout ce qui lui plaît » (Ps., 115, 3). Partout sa volonté s’accomplit : Je suis Dieu ; il n’en est pas d’autre. J’annonce dès le début ce qui viendra et bien à l’avance ce qui n’est pas encore. Je dis : mon dessein tiendra, et je ferai tout ce que je veux...
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Ce que j’ai décidé, je le fais venir ; ce que j’ai projeté, je l’ac complis. (Is., 46, 9-11).
Rien ne saurait subsister sans lui : Tu aimes tout ce qui existe et tu n’as nul dégoût des êtres que tu as faits... Comment quelque chose pourrait—il subsister, si tu ne le voulais ? (Sag., 11, 24-25).
Tout dépend de lui : Il couvre de nuages les cieux et prépare de la pluie pour la terre. Il couvre les montagnes de verdure et d’herbe, pour le bien de l’homme. Il donne leur nourriture aux animaux, aux petits des corbeaux qui crient. (Ps. 147, 8-9). Tes créatures attendent de toi que tu leur donnes à temps leur nourriture. Quant tu leur donnes, ils ramassent ; quand tu ouvres la main, ils se rassasient de bonnes choses. Si tu caches ton visage, ils sont perdus ; si tu leur retires le souffle, ils expirent et retournent à leur poussière. Si tu envoies ton souffle, ils sont créés, et tu renouvelles la face de la terre. (Ps. 104, 23-30). Tous regardent, pleins d’espoir, vers toi et tu leur donnes, quand il est temps leur nourriture. Oui, tu ouvres ta main et, bienveillant, tu rassasies tout ce qui vit. (Ps. 145, 15-16 ; cf. Jer., 5, 24).
L’homme s’agite, mais c’est Dieu qui le mène : Le cœur de l’homme médite sa voie, mais c’est Dieu qui dirige ses pas. (Prov., 16, 9). Oui, tout ce que nous faisons, c’est toi qui, pour nous, l’accomplis ». (Is. 26, 12). Vous êtes dans ma main, maison d’Israël, comme l’argile dans la main du potier. (Jer., 18, 6). Le cœur d’un roi est dans la main de Dieu comme un cours d’eau qu’il dirige où il lui plaît. (Prov., 21, 1).
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Cet empire total de Dieu ne supprime pas la liberté de l’homme car, en le créant, Dieu « l’a laissé dans la main de son conseil... Devant les hommes sont la vie et la mort ; ce qui leur plaît leur sera donné » (Eccli., 15, 14-17 ; cf. Deut., 30, 15-19). Ceux qui ont ainsi « choisi la vie », accepté de se laisser guider par Dieu, peuvent chanter les bienfaits dont il les comble : Le Seigneur est mon berger, je ne manque de rien. il m’installe en de verts pâturages, il me conduit vers des eaux reposantes. Il refait mon âme ; il me mène par de bons chemins, à cause de son nom. Irais-je en un val ténébreux, je ne craindrais nul mal, car tu es avec moi. Ta houlette et ton bâton, voilà qui me rassure. Tu dresses une table devant moi, en présence de mes adversaires. Tu oins ma tête d’huile ; ma coupe déborde. Oui, bonheur et grâce m’accompagneront tous les jours de ma vie et j’habiterai la maison du Seigneur durant de longs jours. (Ps. 23). Mets ton plaisir dans le Seigneur et il accomplira les désirs de ton cœur. Confie ton sort au Seigneur, espère en lui et il agira. Il fera briller ta justice comme l’aurore et ton droit comme l’heure de midi... Les humbles posséderont la terre et jouiront d’une longue paix... Le Seigneur veille sur les jours des gens intègres et leur héritage subsistera toujours. Qu’il vienne un malheur, ils ne seront pas déçus ; les jours de famine, ils seront rassasiés... Le Seigneur affermit les pas de l’homme et veille sur sa route. S’il trébuche, il ne tombe pas, car le Seigneur tient sa main. J’ai été jeune, maintenant je suis vieux. Jamais je n’ai vu le juste abandonné ni ses enfants mendier du pain... Détourne-toi du mal et fais le bien, et tu demeureras toujours, car le Seigneur aime la justice et ne délaisse pas ses fidèles... Les justes posséderont la terre et y demeureront à jamais. (Ps. 37)-
Le sort du juste est ici opposé à celui des : méchants ». Ceux-ci peuvent connaître des réussites passagères ; ils seront finalement châtiés : Ne t’irrite pas du sort des méchants ; n’envie pas ceux qui font le mal, Initiation théologique II.
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car ils se faneront aussi vite que l’herbe ; tel le gazon vert, ils se flétriront... Encore un peu et le méchant ne sera plus... Le Seigneur rit de lui, car il voit que son jour approche... Leur épée entrera dans leur cœur et leurs arcs seront brisés... Les impies seront exterminés et la race des méchants anéantie... (id).
Les souffrances et l’oppression des justes sont donc tenus pour passager. On les regarde souvent comme des moyens de purification : Dieu, tu nous a mis à l’épreuve, mis au creuset comme on y met l’argent. Tu nous a fait tomber dans le piège, tu as chargé nos reins d’un lourd fardeau. Tu as permis que les chars nous écrasent ; nous sommes passés dans le feu et dans l’eau, mais tu nous a délivrés et comblés. (Ps. 66, 10-12).
C’est la thèse que soutient également l’un des amis de Job : « Heureux l’homme que Dieu reprend... » (Job, 5, 17-27). Mais est-il vrai que le juste soit toujours, dès cette vie, sauvé et qu’il « entre mûr dans le tombeau » ? Peut-on même affir mer, comme Élihou, que « le Tout-Puissant est grand en force et en droit, qu’il déborde de justice et n’opprime pas » ? (Job, 37, 23). Après l’intervention de Dieu, Job reconnaît bien qu’il avait tort de se plaindre : « Je sais que tu peux tout... Aussi, plein de confusion, je me repens... » (Job, 42, 2, 6). Il n’est pas éclairé sur le sens de sa souffrance. La solu tion du problème que pose la souffrance des justes n’est en effet pas donnée. Elle ne pouvait l’être dans l’Ancien Testa ment qui n’envisage guère que des récompenses temporelles et tout au plus une certaine intimité avec Dieu. Les pers pectives d’un bonheur éternel n’apparaîtront guère qu’aux derniers temps du judaïsme. Le mystère subsiste donc. On ne peut que reconnaître la toute-puissance de Dieu et la misère de l’homme, sans pouvoir comprendre encore com ment Dieu saura faire le bonheur des justes : Qui donc peut parler et faire qu’une chose soit, sans que le Seigneur le décide ? N’est-ce pas de la bouche du Seigneur que sortent et les maux et les biens ? De quoi l’homme peut-il se plaindre ? Que chacun s’en prenne à son péché 1 (Lamentations, 3, 37-39).
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2. Le péché et le gouvernement divin.
Le péché est en effet l’obstacle essentiel à la réalisation des desseins de Dieu. Entré dans le monde par la volonté de l’homme, il domine le monde et l’homme. Il possède comme une double réalité, l’une extérieure à l’homme, qui s’identifie à la puissance mauvaise, le diable, dont il procède (cf. Sag., 2, 24), l’autre intérieure à lui. Le salut n’est donc possible que si le péché peut être vaincu sous ces deux aspects. Il faut que son empire soit brisé, mais il faut également que l’homme cesse de consentir à sa domination en lui. Cette double vic toire est nécessaire pour que la bonté de la création (cf. Gen., 1, 31) soit, ou du moins redevienne, une réalité. Aussi c’est, peut-on dire, une véritable lutte qui va s’enga ger, menée par Dieu contre les forces du mal, du péché, dans l’ensemble du monde et au cœur même de l’homme. Celui-ci, loin de seconder les desseins miséricordieux de Dieu à son égard, va le plus souvent les contrecarrer. Dieu cependant sera finalement victorieux et sauvera l’homme, réalisant ainsi, malgré les obstacles qu’il rencontrera, les desseins d’amour de sa création. Quels étaient donc les desseins de Dieu ? « Dieu a créé l’homme pour qu’il soit immortel et l’a fait à sa propre image » (Sag., 2, 23). Il lui avait donné le pouvoir « de soumettre la terre et de dominer sur les poissons de la mer, sur les oiseaux du ciel et sur tous les animaux qui ram pent sur la terre » (Gen., 1, 28). L’homme s’est, il est vrai, révolté contre lui. Ce fait ne pourra pas néanmoins empêcher la volonté de Dieu de s’accomplir. Le bien qu’il avait voulu se réalisera : « Les œuvres du Seigneur sont toutes très bonnes et tout ce qu’il a ordonné, le temps venu, s’accomplira... Il pourvoit à tout besoin en son temps » (Eccli., 39, 16-33). Comment s’y prendra-t-il pour vaincre le mal et ramener à lui, en la sauvant, l’humanité qui s’était délibérément éloignée de lui, c’est ce que le déroulement de l’histoire, telle que la Bible la retrace, nous apprendra. 3. L’histoire et le gouvernement divin. Malgré la chute de l’homme, la bonté essentielle du monde créé, affirmée par le premier chapitre de la Genèse, demeure. On assiste bien, dans les chapitres qui suivent à une sorte de progrès constant du mal, progrès tel que la Bible en vient
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à mettre sur les lèvres de Dieu le regret d’avoir créé le monde et la volonté de le détruire (Gen., 6, 5-7). Cependant les mêmes chapitres témoignent d’une constante miséricorde de Dieu à l’égard de l’humanité coupable. La mort fait son œuvre, mais en même temps la vie continue. La naissance de nouveaux humains marque son triomphe ; et c’est un don divin, comme le marque l’interprétation du nom de Caïn dans l’exclamation d’Eve : « J’ai acquis un homme, par Dieu » (Gen., 4, 1) et du nom de Seth : « Dieu m’a donné un autre enfant » (Gen., 4, 25). Le déluge semble sur le point d’anéantir l’humanité. Dieu cependant, bien qu’il punisse ses crimes, la sauve. Il accepte l’homme tel qu’il est, avec « les penchants de son cœur, mauvais dès sa jeunesse » (Gen., 8, 21), et fait même alliance avec lui : « J’établis mon alliance avec vous et avec vos des cendants et avec tous les êtres vivants qui sont avec vous... il n’y aura plus d’extermination par les eaux du déluge ; il n’y aura plus de déluge pour ravager la terre » (Gen., 9, 9-11) Cette promesse par laquelle Dieu s’engage est surtout négative. Elle montre néanmoins sa bonté persistante pour l’humanité, malgré ses fautes. Ce n’était d’ailleurs qu’un prélude à l’œuvre positive de salut dont la Bible va mainte nant décrire les étapes. La première est le choix gratuit d’Abraham, qui répond à la création gratuite du début. L’alliance que Dieu contracte avec lui possède cette fois un contenu positif. Il s’engage à lui donner le pays dans lequel il n’est encore qu’un hôte de passage et à faire de lui le père d’un peuple, qui sera son propre peuple. C’est pourquoi la bienveillance montrée par Dieu à l’égard d’Abraham se continue à l’égard de ses des cendants. Il intervient sans cesse en leur faveur. Leurs fautes mêmes servent à l’accomplissement de ses desseins. C’est ainsi que Joseph, vendu par ses frères et devenu leur sau veur, peut leur dire : « Vous m’avez voulu du mal, mais Dieu en a tiré un bien et assuré par là l’existence de tout un peuple » (Gen., 50, 20). C’est ce peuple, menacé d’anéantissement, que Moïse conduit au Sinaï où Dieu se révèle à lui. La multiplicité des prodiges qui se déroulent alors, et qui continueront plus tard, traduit de façon tangible l’intervention constante de Dieu. Le peuple qu’il sauve ne lui en sait d’ailleurs nul gré et se révolte contre lui. Le Psaume 105 qui chante les bienfaits de Dieu et le psaume 106 qui rappelle l’ingratitude d’Israël
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expriment bien ces deux aspects de son histoire à cette époque et même dans la suite. C’est ainsi que Dieu, par pure miséricorde et malgré les résistances qu’il rencontre, se crée son peuple, lui donne une terre, le pays de Canaan, et enfin un roi. Le règne de David est un sommet. Il semble que les desseins de Dieu soient, sinon pleinement accomplis, du moins sur le point de s’ac complir. Un peuple fort lui est consacré et le sert. Ne lui suffirait-il pas d’assurer sa domination sur les autres peuples pour que l’univers entier lui soit soumis ? Cependant, après la mort de Salomon, le royaume de David se coupe en deux. Ses héritiers n’en conservent que la part la plus médiocre. Et c’est la décadence irrémédiable, malgré des sursauts, dus surtout à l’intervention des prophètes. Le peuple de Dieu se rend de plus en plus semblable aux peuples qui l’environnent. Chose étrange ! Dieu semble à la fois lutter contre cette décadence et la précipiter. En envoyant Isaïe il lui dit : « Va dire à ce peuple : Écoutez, écoutez sans comprendre ; regardez, regardez sans rien reconnaître. Alourdis le cœur de ce peuple, bouche-lui les oreilles et fermelui les yeux. Que ses yeux ne voient pas, que ses oreilles n’en tendent pas, que son cœur ne comprenne pas, pour qu’il ne se convertisse pas, qu’il ne guérisse pas » (Is., 6, 9-10). Il faut donc que vienne le châtiment annoncé, la ruine du royaume et de Jérusalem et la déportation de ses habitants à Babylone, après la ruine du royaume du Nord sous les coups de l’Assyrie. Dieu a averti son peuple. Celui-ci ayant refusé de lui revenir, il le brise. Et il convoque pour cela tous ses ennemis qui n’apparaissaient guère jusqu’alors que comme ses propres ennemis, dignes de sa colère. Ils deviennent ses instruments contre son propre peuple : « Le Seigneur fait venir sur eux les eaux du fleuve, fortes et abondantes, le roi d’Assyrie et toute sa majesté » (Is., 8, 7). « J’amène du Nord une calamité et une grande dévastation... pour réduire ton pays en désert » (Jér., 4, 6-7 ; cf. 1, 13-15). Assyriens et Chaldéens, comme jadis les Égyptiens au temps de Moïse, collaborent ainsi, sans qu’ils le sachent, à l’exécution des desseins de Dieu. Dieu, qu’ils ignorent, les mène. Toute l’histoire dépend de lui. Si Dieu rejette son peuple et semble l’anéantir, ce n’est pas simplement pour le punir de ses infidélités. Isaïe, qui annonce la ruine décidée, est aussi le prophète d’Emmanuel et du royaume davidique restauré (cf. Is., 11). Les deux
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événements sont donc liés. La ruine du royaume temporel prépare donc une nouvelle étape du peuple de Dieu, un nou veau progrès dans la réalisation des desseins de Dieu. Le judaïsme issu de l’exil, grâce au petit Reste fidèle, aura un caractère plus spirituel. La loi et la forme de piété qu’elle impose pourront suffire désormais à distinguer le peuple de Dieu. Mais cette étape nouvelle n’aurait pas été possible si le peuple élu n’avait acquis, sous la forme d’un royaume indépendant, le sentiment de sa valeur propre et de son appartenance toute spéciale à Dieu. Pour réaliser cette étape nouvelle, qui suppose le retour des exilés de Babylone à Jérusalem, Dieu met une fois de plus en mouvement les empires. Il suscite les Mèdes (Is., 13-17) et choisit Cyrus, qui les conduit (Is., 41, 2-5). Cyrus est son Oint. Il l’a « pris par la main pour terrasser les nations et désarmer les rois... C’est à cause de mon serviteur Jacob et d’Israël mon élu que je t’ai appelé par ton nom, que je t’ai donné un titre d’honneur... afin qu’on sache du levant au couchant qu’il n’y a rien en dehors de moi... Je fais le bonheur et je crée le malheur ; c’est moi qui fais tout cela... C’est moi qui ai suscité Cyrus... Il rebâtira ma ville et relâchera mes déportés » (45, 2-13). L’histoire universelle se trouve ainsi subordonnée à l’histoire d’Israël. Il en est de même dans les visions apoca lyptiques du livre de Daniel où les luttes terrestres semblent se doubler de luttes célestes entre les « anges » des différents pays ou plutôt entre les « anges » qui sont au service d’Israël et les « anges des nations qui lui sont hostiles » (Dan., 10, 13, 20, 21). Tout cela doit se terminer par le triomphe des sains, du Très-Haut : « Le règne, la puissance et la gloire de tous les royaumes de la terre seront donnés au peuple des saints du Très-Haut ; son règne n’aura pas de fin et tous les empires lui seront soumis » (Dan., 7, 27). C’est donc le triomphe annoncé, sinon de tout le peuple élu, du moins d’une partie de celui-ci, les Juifs fidèles, associés à un personnage mystérieux apparu dans une vision et qui ressemble à un être humain, à « un fils d’homme » qui, « venu avec les nuées du ciel », reçoit de Dieu un pou voir identique : « On lui donna la puissance, la gloire et la royauté. Tous les peuples et toutes les nations lui seront soumis. Son empire est un empire éternel qui n’aura jamais de fin » (Dan., 7, 14). L’opposition entre ce peuple des saints et les autres peuples semblerait donc devoir demeurer, même aux derniers temps.
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419 Cependant le livre d’Isaïe connaissait un autre personnage « transpercé pour nos infidélités, broyé pour nos fautes... par les plaies de qui nous sommes guéris » (Is., 53, 4-5) et qui fait ainsi triompher le dessein de Dieu (53, 10), non seu lement au bénéfice d’Israël, mais aussi de l’ensemble des nations. Dieu lui dit en effet : « C’est peu que tu sois mon serviteur pour rétablir les tribus de Jacob et pour ramener les survivants d’Israël ; je ferai de toi la lumière des nations, pour que mon salut parvienne jusqu’aux extrémités de la terre » (49, 6). L’ancien Testament ne nous donne donc pas une image pleinement nette et suffisamment cohérente des desseins de Dieu sur le monde : « Qui peut connaître les desseins de Dieu ou pénétrer ce que veut le Seigneur ? » (Sag., 9, 13). Il reste dominé par l’idée de l’alliance faite avec les seuls descendants d’Abraham, tout en laissant néanmoins pressentir que les autres peuples devaient avoir part eux aussi aux béné dictions qui découlent de cette alliance. Comment cela devait-il se produire ? Il appartenait au nouveau Testament de nous le révéler en nous faisant connaître une nouvelle alliance destinée à remplacer l’alliance avec Israël, qui n’était que provisoire, alliance offerte cette fois à tous les hommes sans aucune distinction. B. Le nouveau testament
1. Le gouvernement du monde par Dieu.
Le nouveau Testament affirme, comme l’ancien, le gou vernement absolu de Dieu sur toutes choses. Saint Paul rappelle qu’il n’a cessé « de multiplier ses bienfaits, en dis pensant du ciel pluies et saisons bienfaisantes, en rassasiant les cœurs de nourriture et de joie » (Actes, 14, 16-17). “ C’est lui qui donne à tous vie, souffle et toutes choses..., lui qui a répandu le genre humain sur toute la surface de la terre, fixé des temps déterminés et les limites de leur domaine... C’est en lui que nous avons la vie, le mouvement, l’être » (17, 25-28). Jésus proclame Dieu « Père, Seigneur du ciel et de la terre » (Mat., 11, 25). Dieu est « Notre Père ». C’est lui qui donne aux fleurs des champs leur parure et nourrit les oiseaux du ciel, dont pas un ne tombe à terre à son insu. A plus forte raison veille-t-il sur la vie de ses enfants, les hommes !
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(cf. Mat., 5, 25-32 5 10, 29-31). Une note nouvelle semble apparaître dans ces textes, celle d’un lien plus intime et plus étroit entre les hommes et Dieu qu’au temps de l’Ancien Testament. C’est le résultat de la venue de Jésus sur terre. C’est en effet grâce à lui que le salut du monde peut s’accomplir. Avant lui, la victoire sur le péché était impossible. Après les succès des Macchabées et la reconstitution du royaume d’Israël sous la direction de leurs descendants, les Asmonéens, princes de race sacerdotale, la prophétie de Daniel avait pu sembler sur le point de se réaliser. Mais le nouveau royaume s’était vite sécularisé. Ce n’était donc pas lui qui pouvait ramener sur terre le règne de la justice de Dieu. Le péché restait maître du monde et Israël lui-même n’échappait pas à sa domination. Était-ce donc un échec pour le gouvernement de Dieu ? Non, car tout ce qui avait été jusqu’alors accompli n’était qu’une préparation (cf. Gai., 3, 19-29). Dieu avait révélé au monde, par son peuple, ses exigences de justice et de pureté totale. Mais l’homme, livré à lui-même et dominé par le péché, ne pouvait y satisfaire pleinement (cf. Rom., 7, 14-24). Dieu seul pouvait réaliser en lui ce qu’il lui demandait. C’est ce qui allait devenir possible, grâce à une union plus étroite entre l’homme et Dieu, qui permettrait une victoire défini tive sur le péché et le triomphe de la vie divine dans le monde.
2. Tout rassembler dans le Christ. C’est alors en effet que, les temps accomplis. Dieu a révélé le secret jusqu’alors caché de son gouvernement du monde : « tout rassembler dans le Christ » (Eph., 1, 9-10). C’est vers lui que tout convergeait ; c’est lui qui donne à tout son véri table sens. Grâce à lui l’opposition entre Juifs et non Juifs prend fin. Ceux-ci peuvent être désormais, comme les premiers, héri tiers des promesses faites à Abraham, mais entendues en leur sens le plus riche (Eph., 3, 6 ; cf. 2, 11-19 ; Rom., 4). « Il n’y a plus de Grec ou de Juif, de circoncis ou d’incirconcis, de Barbare, de Scythe, d’esclave, d’homme libre ; le Christ est tout en tous » (Col., 3, 11). L’unité du genre humain peut devenir une réalité. La cause profonde en est la victoire du Christ, par sa mort, sur le péché qui est la raison profonde
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de tous les désordres introduits dans le monde, (cf. Col., I, 20-21). Ainsi commence une nouvelle création, dont le Christ est la tête (cf. Eph., 2, 10-15 5 2 Cor., 5, 17 ; Gai., 6, 15). Mais elle n’est autre que le monde voulu dès le début par Dieu et qui se réalise, malgré le péché (on pourrait aussi bien dire : à cause du péché). Le Christ est en effet premier de toute la création : « Tout a été créé en lui... par lui et pour lui ; il est avant toutes choses et tout subsiste en lui » (Col., 1, 1517). C’est donc par lui et pour lui que Dieu gouverne le monde. « Mon Père ne cesse d’agir, et moi aussi j’agis » disait Jésus (Jean, 5, 17). C’est donc lui qui, mystérieuse ment présent dans le monde, continuait d’en maintenir, malgré le péché, la cohésion au moins partielle. Il l’affermit désormais d’une manière définitive en liant tous les êtres à lui de la manière la plus étroite. En cette nouvelle création, où s’épanouit la première, se constitue en effet le corps du Christ qui un jour atteindra sa situation parfaite (cf. Eph., 4, 12-13), dans l’union totale à lui de tous ceux qui auront accepté le don de l’amour divin qui leur est fait en lui. Dans cette nouvelle création Dieu respecte en effet, comme au début, notre liberté. Il y montre avec quelle sagesse il a su accomplir ses desseins à notre égard (cf. Eph., 3, 8-11), qui témoignent de « la richesse de sa miséricorde » et » de son immense amour » pour nous (Eph., 2, 4). Par la prédica tion de l’Évangile du Christ est offerte à chacun la possibilité de partager sa victoire. Pour ceux qui acceptent ses dons et qui deviennent, en son Fils, ses fils, « Dieu fait que tout concoure à leur bien » (Rom., 8, 28). Il s’agit évidemment de leur bien spirituel. Les réussites temporelles sont ici secon daires et subordonnées. Ceux qui refusent ces dons permettent au mal, vaincu par le Christ, mais toujours actif en eux, de continuer ses ravages dans le monde. De cette permanente nocivité du mal, Dieu n’est pas responsable. Son œuvre n’est pas encore achevée. Il ne faut pas non plus interpréter « l’endurcissement » dont parle l’Écriture (cf. Rom., 9, 14-18) comme une volonté divine de perdre tel ou tel. Dieu se sert de leurs fautes, on pourrait même dire les provoque, pour réaliser son œuvre de miséri corde, quelquefois même à leur égard. La faute du premier homme n’est-elle pas déjà d’une certaine manière cause de l’Incarnation Rédemptrice ? Tout cela prépare la victoire définitive du Christ sur l’en semble des puissances du mal et sur la mort elle-même. La
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création tout entière retrouvera alors, dans la gloire des fils de Dieu (cf. Rom., 8, 19-22), l’équilibre et l’unité auxquels elle aspire, car tout cela sera alors pleinement soumis par le Christ à Dieu, qui sera tout en tous (1 Cor., 15, 22-28). Rien ne saurait en effet empêcher ce triomphe de l’amour que Dieu porte à sa créature et qui s’exprime en toutes ses œuvres (cf. 8, 37-39). II. Les Pères de l’église
La vie des chrétiens, à chaque époque, doit affronter de nouvelles menaces, surmonter de nouvelles difficultés. Sous le choc de ces oppositions la doctrine de foi tend à « s’adapter », à se conformer aux idées du siècle, ou bien, ce qui revient au même, à s’affadir. Les théologiens et les pasteurs dont la charge est de « garder le dépôt » (1 Tim., 6, 20) doivent jalou sement veiller à ce que la foi reste intègre et pure. Lorsqu’elle est attaquée, ou lorsqu’elle a tendance à se laisser contaminer par des idées philosophiques, ils doivent intervenir et l’expli citer aux fidèles. C’est ce que firent, chacun pour leur époque et leur pays, les premiers Pères. Parmi tous les Pères de l’Église latine, qu’il nous suffise ici de mentionner saint Augustin. Le crédit dont celui-ci jouit dans toute la théologie, d’une part, et le genre d’objections auxquelles il eut à répondre, légitiment amplement ce choix. De quoi s’agissait-il en effet à la fin du IVe siècle ? Il s’agis sait d’abord de répondre aux attaques des païens. Ceux-ci, humiliés dans leur honneur de vieux romains par les inva sions barbares, accusaient les chrétiens des malheurs de l’Empire. Ils voyaient une coïncidence entre la chute de l’Em pire et les progrès du christianisme et dénonçaient celui-ci comme un adversaire de la civilisation et de la prospérité temporelle. Saint Augustin écrira pour leur répondre son ou vrage sur La Cité de Dieu. C’est un vaste traité historique et théologique du gouvernement de Dieu sur toute l’humanité. Il s’agissait en second lieu des manichéens. Ceux-ci, très répandus alors en Afrique, divisaient les créatures en deux sortes dont les unes, bonnes, relevaient du gouvernement d’un Dieu bon, les autres, mauvaises, relevaient du gouver nement contraire d’un principe mauvais, non soumis au Dieu bon mais égal et opposé. Saint Augustin doit perpétuelle ment défendre contre eux l’universalité et l’unité du gouver nement de Dieu.
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423 Enfin saint Augustin rencontre les pélagiens. Soucieux maladroitement de sauver la liberté humaine, ils professent que l’homme peut toujours, seul et de lui-même, faire le bien, que Dieu ne peut intervenir au cœur même de sa volonté libre, mais seulement par des secours extérieurs. C’était nier la prédestination au profit d’une simple « prévision » divine, et par suite, diminuer considérablement l’étendue du Gouver nement divin. Nous ne nous arrêterons cependant pas à ce troisième aspect de la théologie d’Augustin puisqu’il doit faire l’objet du chapitre sur la grâce. Nous présenterons seu lement une esquisse de la défense d’Augustin contre les païens et les manichéens. Tout d’abord, affirme saint Augustin, rien n’est livré au hasard, Dieu ne cesse de gouverner sa création. Plusieurs fois le docteur d’Hippone revient sur le verset de la Genèse : « Et Dieu se reposa le septième jour » (Gen., 2, 2). Faut-il entendre par là que Dieu abandonne sa création et cesse de s’en occuper? Non : Dieu, après avoir achevé l’œuvre de la création, n’a plus rien créé de nouveau dans le monde. Les êtres créés ne font que changer et se transformer, et Dieu depuis la création n’a créé aucune espèce nouvelle. Cependant, il est nécessaire que Dieu agisse et conduise ce qu’il a fait, car si le monde n’était pas gouverné par celui qui l’a créé, il retomberait aussitôt dans le néant. Comme il n’a rien ajouté à la création, l’Écriture dit qu’il s’est reposé de toutes ses œuvres ; mais comme il ne cesse de gouverner ce qu’il a créé, NotreSeigneur a pu dire en un sens véritable : « Mon Père agit toujours... » Il gouverne le monde qu’il a créé, donc il ne cesse point d’agir, et il le gouverne avec autant de facilité qu’il l’a créé. N’allez point croire que, Dieu ayant créé le monde sans travail, il se fatigue à le gouverner, comme nous voyons se fatiguer ceux qui construisent ou dirigent un navire. Car ce ne sont que des hommes. Dieu a dit, et tout a été fait. Il ne lui coûte point davantage pour gouverner toute chose par la puissance de son Verbe1.
Et ailleurs : Quand le Seigneur dit : « Mon Père agit jusqu’aujourd’hui », il le montre continuant, en quelque sorte, son œuvre, en contenant et gouvernant toute la création. Si l’on soustrait ce mouvement (de la Sagesse2) et si Dieu cesse cette opération, toutes choses périront infailliblement. Quant à ce mot de saint Paul aux Corinthiens : « C’est en lui que nous avons la vie, le mouvement et l’être3 », si on y réfléchit... il 1. Sermon 125, § 4, - Cf. lettre 166, § 12 2. Sag., 8, x ; 7, 26. 3. Act., 18, 28.
De Civ. Dei, I, ch. 36.
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est favorable à la pensée qui nous fait croire et dire que Dieu agit sans cesse dans les êtres qu’il a créés. Il suit de là que, si Dieu retirait cette opération aux choses, nous cesserions de vivre, de nous mouvoir, et d’être.
Il est donc clair que Dieu n’a pas cessé un seul jour de gouverner les choses qu’il a faites, de peur qu’elles ne perdissent à l’instant même leurs mouvements naturels par lesquels elles se meuvent et végètent, sont des natures et persévèrent chacune selon son genre, dans ce qu’elles sont, et cesseraient d’être même des choses si elles venaient à être privées du mouvement de la Sagesse de Dieu par laquelle il dispose tout avec douceur. Voilà pourquoi, par le repos de Dieu, nous entendons qu’il a cessé dès lors de faire de nouvelles créatures, non de contenir et de gouverner celles qu’il a faites (continere et gubernare1}.
Et de même enfin, Dieu agit dans l’âme des justes et dans leur volonté : Il n’en est pas de Dieu comme de l’homme ; celui-ci travaille la terre afin qu’elle soit cultivée et fertile, et si, son travail achevé, il s’éloigne, laissant la terre labourée, ou ensemencée, ou arrosée, et le reste, le travail qu’il a fait demeure, même quand il s’éloigne. Il n’en est pas ainsi de Dieu : quand il fait l’homme juste, il ne le justifie pas de manière que s’il s’éloigne de lui, la justice qu’il a opérée en lui demeure : mais, de même que l’air n’est point rendu lumineux par la présence de la lumière, mais le devient seulement, car s’il était rendu lumineux au lieu de le devenir seulement, il demeurerait lumineux même en l’absence de la lumière, ainsi l’homme est éclairé par la présence de Dieu, et retombe incontinent dans les ténèbres lorsque Dieu s’éloigne. Or, ce n’est pas par la distance des lieux, mais par l’écart de la volonté qu’on s’éloigne de Dieu2.
De quoi Dieu s’occupe-t-il ? — De tout. Rien n’échappe au gouvernement de Dieu. Pas même les biens temporels. Ce n’est pas vrai de dire que Dieu ne s’occuperait que des biens spirituels en excluant les choses matérielles et temporelles comme si elles pouvaient être mauvaises en elles-mêmes ou négligeables : Ainsi le Dieu créateur et dispensateur de la félicité... donne seul aux bons et aux méchants les royaumes de la terre, non point au hasard et en aveugle, car il n’est pas la Fortune, mais dans un ordre et sur un plan que nous ignorons et qu’il connaît très bien, ordre et plan dont il n’est point l’esclave, mais dont il dispose en maître et en souverain3. i. Sur les douze livres de la Genèse au sens lût., livre 4, ch. 12. 2. Id., livre 8, ch. 12. 3. De Civ. Dei, IV, ch. 33.
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Pour montrer que ces biens de la terre, objet unique des vœux de tous ceux qui ne savent pas en apprécier d’autres, sont aussi au pouvoir et à la disposition de sa Providence, à l’exclusion de cette foule de faux dieux adorés par les Romains, il a voulu que son peuple, entré en Égypte en fort petit nombre, y reçût un accroissement mer veilleux et en fût délivré par les plus insignes prodiges1. Dieu luimême a voulu délivrer tous ces enfants des tentatives criminelles des Égyptiens et les dérober à la mort (Ex., 1, 15). Tous ces biens (enfants nombreux, nourriture de la manne, victoires), pour les quels les Romains ont invoqué la multitude des faux dieux, ils les ont reçus bien plus heureusement du seul Dieu véritable2. Les royaumes de la terre sont assurément établis par la divine Providence3.
Et ailleurs : Ce n’est du reste que dans cet au-delà que la Providence pourra réaliser pleinement ses préférences divines à l’égard des bons et sa justice à l’égard des autres ; ici sur terre, elle doit à l’égard de cer tains biens, être comme indifférente : « Quant à ces biens et à ces maux temporels, elle a voulu qu’ils fussent communs aux uns et aux autres ; et cela pour qu’on ne désirât point avec trop d’avidité des biens que possèdent aussi les méchants, et qu’on ne redoutât point avec trop de lâcheté des maux, qui souvent sont le partage même des bons. » Mais malgré cela, elle agit encore avec une certaine diversité à l’égard des uns et des autres : « Cependant, souvent, dans cette distribution des biens et des maux, la main de Dieu se montre d’une manière évidente. Car, si Dieu punissait ici-bas tout péché d’un châtiment manifeste, on croirait que rien n’est réservé pour le jugement dernier ; d’un autre côté, si aucun crime n’était frappé dès ici-bas de peines évidentes, on douterait de la Providence de Dieu. Il en est de même des faveurs temporelles : on croirait qu’il n’en est pas le dispensa teur s’il ne les déversait parfois avec une libéralité éclatante sur ceux qui les lui demandent ; mais s’il les accordait toujours, on serait tenté de croire que c’est pour de tels biens qu’il faut le servir, et cette sorte de culte, loin de nous rendre pieux, nous porterait à la cupidité et à l’avarice. Cela étant ainsi, lorsque les bons et les méchants souffrent les mêmes maux, ils ne sont pas pour cela confon dus entre eux parce qu’ils sont soumis aux mêmes afflictions1. »
La grande question est celle du mal. Tout d’abord saint Augustin affirme que Dieu n’est pas l’auteur du mal. Dieu est-il l’auteur du mal ? Supposez un être qui soit l’auteur de tout ce qui existe et dont la bonté consiste à donner l’être à tout ce qui est, le non-être ne peut lui appartenir en aucune manière. 1. 2. 3. 4.
Ibid., ch. 34. Ibid. Op. cit., V, ch. 1. De Civ. Dei, liv. 4, ch. 38.
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Mais, être et n’avoir aucun défaut, c’est le bien, et le mal, c’est d’être défectueux. Or celui à qui le non-être n’appartient pas n’est pas cause de ce qui est défectueux, c’est-à-dire de la tendance au non-être puisque, si je peux m’exprimer ainsi, il est la cause de l’être. Il ne peut donc être que la cause du bien, et à cause de cela il est lui-même le souve rain bien (Cf. Qu. 83, ch. 21).
Si le mal existe cependant, il a sa place et son utilité dans l’univers. Si le désordre et la confusion paraissent régner dans les choses humaines, n’allons pas en conclure qu’elles ne sont point soumises à un gouvernement. Tous les hommes sont aux lieux qu’ils doivent occuper ; mais chacun s’imagine qu’il n’a point la place que l’ordre devrait lui assigner. Considérez seulement ce que vous voulez être : l’Artisan suprême saura vous placer alors à l’endroit qui vous convient. Voyez ce peintre : on place sous ses yeux des couleurs variées, et il sait quelle partie de son tableau chacune de ces couleurs doit occuper. Le pécheur a choisi d’être la couleur noire ; en conclu rez-vous que le divin ouvrier ne pourra lui trouver sa place dans l’ordre établi ? Que de choses ne fait-on pas avec la couleur noire ? A combien d’ornements le peintre ne la fait-il pas servir ? Il s’en sert pour les cheveux, pour la barbe, pour les sourcils ; mais pour le front, il n’emploie que la couleur blanche... Et n’est-ce pas ce que nous voyons se faire tous les jours dans le monde par la simple auto rité des lois humaines ? Un homme a voulu se rendre voleur avec effraction : le juge sait qu’il a violé la loi ; il sait où il doit l’envoyer, et il lui assigne la place que mérite justement son crime. Cet homme a mal agi, mais la loi n’agit point mal en lui assignant cette place. Il a voulu être voleur avec effraction, il sera condamné aux mines. Or, combien d’œuvres magnifiques seront dues à son travail ? Son châtiment servira ainsi à l’ornementation de la cité. Dieu sait donc également où vous placer. Ne croyez point que vous déran giez les desseins de Dieu, en choisissant d’être mauvais. Celui qui a su vous créer serait-il embarrassé pour vous ordonner ? Ce que vous avez de bon a faire, c’est de vous efforcer d’obtenir une place parmi les bons (Sermon 125, 1 5).
Dieu en définitive se sert du mal pour le bien. Ne devraient-ils pas, [les Romains] s’ils avaient quelque raison, re connaître dans les maux qu’ils ont soufferts des barbares la main de la Providence, qui se sert souvent de la guerre pour punir et réprimer la corruption des mœurs chez les méchants, qui exerce par cette sorte d’afflictions les âmes justes et fidèles ; soit qu’étant ainsi éprouvées, elles passent à une vie meilleure, soit que Dieu les garde sur la terre pour l’accomplissement de ses desseins ? (De Civit. Dei, I, ch. 1).
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A propos des vierges violées par les barbares, saint Augustin écrit ceci : Comme donc quelques-uns sont enlevés par la mort de peur que la corruption ne les pervertisse (Sag., 4, n), de même, quelque chose a été ravi à ces personnes par la violence, de crainte que la prospérité n’altérât leur modestie. Ainsi ni celles qui étaient trop vaines de leur vertu intacte, ni celles qui, sans l’insolence des ennemis auraient pu le devenir, n’ont perdu la chasteté, mais elles ont appris à être humbles ; celles-là ont été guéries de l’orgueil ; celles-ci en ont été préservées. Voyez s’il est arrivé aux chrétiens fidèles et pieux quelque mal qui ne puisse se changer en bien. Serait-elle fausse, par hasard, cette parole de l’Apôtre : « Pour ceux qui aiment Dieu, nous savons que tout concourt à leur bien » (Rom., 8, 28) ? Ils ont perdu tout ce qu’ils possédaient, mais ont-ils perdu la foi, la piété et ces biens de l’homme intérieur « qui le rendent riche devant Dieu » ? (r Pi., 3, 4) (I, ch. 10). Cependant, objecte-t-on, une longue famine a consumé une foule de chrétiens. Les vrais fidèles ont encore, par une pieuse rési gnation, tourné cette épreuve à leur avantage : car ceux que la famine a fait périr, elle les a, comme toute autre maladie du corps, soustraits aux maux de cette vie. A ceux qu’elle n’a pas fait mourir elle a enseigné une abstinence plus étroite et des jeûnes plus longs (I, ch. 10, fin).
Dieu est maître de toutes ses créatures. Il se sert des démons eux-mêmes : Le pouvoir qui, à des temps prévus et déterminés, est accordé aux démons d’exciter leurs adorateurs à persécuter cruellement la cité de Dieu, de réclamer des sacrifices non seulement de ceux qui leur en offrent ou qui sont disposés à leur en offrir, mais de les ' exiger même par la violence de ceux qui les leur dénient, ce pouvoir, dis-je, loin d’être funeste à l’Église, lui est au contraire avantageux. Il complète le nombre des martyrs (De Civ. Dei, X, 21).
Le pouvoir des démons dépend du bon plaisir de Dieu, de son ordre providentiel : Leur puissance est une puissance de démons, soit lorsqu’ils font du bien tout en nuisant davantage parce qu’ils sont alors plus perfides, soit lorsqu’ils font ouvertement du mal. Et encore, ils n’exercent cette puissance pour une chose ou pour l’autre que dans le temps et dans la mesure où cela leur est permis, suivant les desseins profonds et mystérieux de la Providence divine (De Civ. Dei> VIII, 24).
Dieu se sert des tyrans ; parlant de l’atroce succès de Marius
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(qui fut sept fois consul, auteur d’affreuses guerres civiles), saint Augustin affirme : Je n’attribue pas son succès à je ne sais quelle Marica, je l’attri bue à une disposition secrète de la Providence divine, pour fermer la bouche des païens et garantir de l’erreur ceux qui, au lieu d’écouter les passions, veulent peser sagement les choses. En effet, si les démons exercent quelque action sur ces événements, ils ne peuvent dépasser les limites qu’il plaît à la Toute-Puissance divine de leur fixer. Ainsi nous apprenons à ne point trop estimer la prospérité ter restre, qui bien souvent est le partage des méchants... [Ces esprits impurs] sont comme les méchants ici-bas : ils ne peuvent faire tout ce qu’ils voudraient, mais seulement ce que leur permet la disposi tion de celui dont personne ne peut comprendre pleinement, ni reprendre justement les décrets (II, ch. 23).
Parlant de Néron, saint Augustin affirme : Et cependant, c’est en de pareilles mains que la Providence du Dieu souverain remet l’exercice de la puissance suprême, quand elle juge que les hommes méritent d’avoir de tels maîtres. La parole divine est très claire à ce sujet, car c’est la Sagesse même qui a dit: « C’est par moi que régnent les rois, et que les tyrans dominent la terre » (Prov., 8, 15). Et dans un autre endroit de la Sainte Écriture il est dit que « c’est Dieu qui fait régner les princes fourbes, à cause de la perversité des peuples ».
Le Gouvernement de Dieu ne doit pas se juger uniquement d’après ce que nous constatons ici-bas, sur cette terre, mais il est éternel. C’est pourquoi quelquefois Dieu, par un secret jugement, lâche la bride aux mauvaises pas sions, se réservant de les punir d’une manière manifeste au dernier jugement (De Civ. Dei, I, ch. 25). Il a plu à la divine Providence de préparer aux bons dans l’avenir des biens dont ne jouiront point les méchants, et de réserver aux impies des maux que les justes n’auront point à souffrir (De Civ. Dei, I, 8).
Dieu se sert des maux, des souffrances. A nous aussi de les utiliser en vue de la fin à laquelle ils sont destinés : La différence entre ceux qui souffrent subsiste malgré la parité des tourments, et, bien que soumis aux mêmes épreuves, autre est la vertu, autre le vice. Sur le même brasier, l’or resplendit et la paille fume ; le même traîneau écrase le chaume et nettoie le froment ; l’huile et la lie ne sont point confondues, bien que serrées par le même pressoir. Ainsi, la même calamité tombant sur les bons et sur les méchants, éprouve, purifie, perfectionne les uns, tandis qu’elle perd, ruine et endurcit les autres ; au milieu des mêmes épreuves, ceux-ci rugissent et blasphèment contre Dieu, ceux-là
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l’invoquent et le bénissent... Agités par un même mouvement, la fange répand une odeur fétide et le baume des parfums exquis. Ce n’est qu’aux bons que [Dieu] accorde la félicité : les esclaves n’en sont point exclus, et sa possession n’est pas assurée aux rois mêmes ; elle ne saurait être complète en cette vie ; mais seulement dans l’autre, où il n’y aura plus d’esclaves (De Civ. Dei, IV, ch. 38).
Saint Augustin s’attarde longuement pour expliquer com ment il est normal que les justes soient punis avec les méchants par certaines peines temporelles : Ils sont punis comme eux, non pas parce qu’ils vivent comme eux, mais parce que, comme eux, ils aiment cette vie temporelle, bien qu’ils n’y soient pas aussi fortement attachés. Cette vie, les bons devraient la mépriser, pour que les méchants repris et corrigés pussent obtenir la vie éternelle (De Civ. Dei, I, ch. 9).
Mais en tout ce que fait Dieu il y a toujours miséricorde et justice :
En Juda, il y eut des rois qui offensèrent Dieu gravement par leur impiété et attirèrent sur eux et sur le peuple qui les imitait des châtiments salutaires... Mais en revanche, les rois pieux de Juda se rendirent célèbres par des vertus peu communes, tandis que les rois d’Israël ont tous été réprouvés par leur perversité plus ou moins profonde. Ainsi les deux pays éprouvaient, selon l’ordre ou la permission de la divine Providence, les vicissitudes de la bonne et de la mauvaise fortunes. Dans ce dernier cas, au fléau des guerres étrangères se joignait celui des guerres civiles, mais toujours de manière à montrer claire ment d’après l’évidence des causes qui avaient amené ces résultats divers, le doigt de la miséricorde ou de la justice de Dieu (De Civ. Dei, XVII, 23). Les Égyptiens détestaient cette multitude d’insectes que Dieu leur envoya pour châtier leur orgueil (XII, 4). En réalité, c’est toujours la miséricorde qui domine dans cette conduite divine sur les hommes, si terrible qu’elle puisse paraître quelquefois — le prophète l’affirme :
Je châtierai leurs iniquités avec la verge et leurs péchés avec le fouet, sans pourtant éloigner d’eux ma miséricorde (Ps. 88, 33).
Au milieu des afflictions les plus grandes la miséricorde infinie de Dieu se manifeste et se fait sentir : Dieu n’a point abandonné le prophète dans les entrailles d’un monstre (Jonas, 2, 1), il n’a pas délaissé ses serviteurs sous la domi-
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nation d’un peuple barbare, il est vrai, mais pourtant composé d’hommes... (De Civ. Dei, I, ch. 14).
N’essayons pas cependant de donner réponse à toutes les questions. La conduite de Dieu reste impénétrable ici-bas. A la question qu’on lui pose : « Pourquoi Dieu crée-t-il des âmes pour ceux dont il sait que la vie sera si courte ? », saint Augustin commence par répondre : « C’est pour con vaincre ou punir les parents de leurs péchés. » Mais cette réponse ne peut le satisfaire, elle n’est pas toujours vraie. C’est pourquoi il élève plus haut son regard : On peut aussi s’en remettre à la sagesse de celui qui règle avec tant d’ordre et d’éclat toutes les choses passagères du monde, parmi lesquelles il faut comprendre la naissance et la mort des êtres vivants. Mais nous ne pouvons pénétrer ces mystères, sed nos ista sentire non possumus. Si nous les comprenions, nous serions comme inondés d’une joie ineffable. Ce n’est pas en vain que le Prophète, à qui une inspiration divine avait découvert ses secrets, dit que « Dieu conduit le cours des siècles avec une admirable harmonie1 ».
Malgré cela, il donne certaines explications qui peuvent nous faire comprendre la conduite de Dieu. Aux vierges qui ont été violées et qui se demandent pourquoi Dieu a permis cette faute contre elles, saint Augustin répond : Examinez vos consciences : ne vous êtes-vous point enorgueillies de votre virginité et de votre continence ? Trop sensibles aux lou anges des hommes, n’avez-vous point jalousé celles qui possédaient les mêmes dons ?... Si votre conscience vous dit qu’il en est ainsi, alors ne soyez pas surprises d’avoir perdu ce par quoi vous cherchiez à plaire aux hommes, et d’avoir conservé ce qui échappe à leur vue. Si vous n’avez pas consenti au péché, c’est Dieu qui par sa grâce, et l’opprobre souffert de la part des hommes, a succédé à la gloire humaine, pour vous détourner d’aimer trop cette dernière. Faibles âmes, que l’un et l’autre vous consolent, d’un côté c’est l’épreuve qui sanctifie, de l’autre le châtiment qui instruit.
Citons pour terminer cette belle comparaison entre la mu sique et la science du Gouvernement divin : C’est pour donner aux mortels doués d’une âme raisonnable le sentiment d’une chose si merveilleuse, que Dieu, dans sa bonté, laissa tomber du ciel la science de la musique, c’est-à-dire l’intelli gence des modulations. Si un homme habile dans cet art sait quelle durée il faut donner aux sons afin que leur extension et leur succession 1. Is., 40, 26. Cf. De Civ. Dei, I, ch. 29; 11,29 ; XII, ch. 4, où saint Augustin dit que les voies de Dieu sont impénétrables et incompréhensibles. C’est un abîme.
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donnent aux chants un cours et une mesure de temps, qui en font la beauté, combien plus Dieu, dans la sagesse par qui tout a été fait, et qui est bien supérieure à tous les arts, a-t-il pu déterminer, pour la naissance et la mort de tous les êtres, des espaces de temps qui sont comme les syllabes et les mots de cette vie ! Et si dans cet admi rable cantique des choses qui naissent et qui meurent sur la terre, il a accordé à chacune plus ou moins de durée, c’est que sa prescience éternelle savait comment il fallait en régler l’harmonie. Si l’on peut dire cela de la feuille de l’arbre et du nombre de nos cheveux, à plus forte raison peut-on le dire de la naissance et de la mort de chaque homme, dont la vie temporelle est plus ou moins pro longée, selon que le dispensateur de tous les temps l’a jugée conve nable à l’harmonie de l’univers {Lettre, 166, § 13).
Il va sans dire que le problème du mal et le problème du Gouvernement divin par rapport au mal ont maintes fois excité la plume des théologiens. On se reportera pour cette question à la théologie du mal (livre 2, chapitre 2). Nous ne citerons ici qu’un texte caractéristique de saint Jean Damascène (675749) afin que l’Église d’Orient ne soit pas absente de nos perspectives : Il faut savoir que c’est l’usage de la Sainte Écriture d’appeler opé ration la simple permission de Dieu, comme lorsque l’Apôtre dit dans l’Épître aux Romains : « Le potier n’est-il pas maître de l’argile pour faire avec la même masse un vase d’honneur et un vase d’un usage vil » (Rom., 9, 21). C’est lui qui fait ceci et cela, puisque lui seul est le Démiurge de tout ; ce n’est cependant pas lui qui fait les choses honorables et les choses viles, mais le libre choix de chacun. Cela est manifeste d’après ce que dit le même Apôtre dans sa seconde Épître à Timothée : « Dans une grande maison, il n’y a pas seulement des vases d’or et d’argent, mais il y en a aussi de bois et de terre ; les uns sont des vases d’honneur et les autres sont d’un usage vil. Si donc quelqu’un se conserve pur en s’abstenant de ces choses, il sera un vase d’honneur, sanctifié et utile à son maître, propre à toute bonne œuvre » (2 Tim., 9, 20-21). Il est clair que l’on se purifie volontairement, car il dit : « Si quelqu’un se conserve pur » ; ce qui suit en sens inverse est l’opposé, à savoir : Si quelqu’un ne se conserve pas, il sera un vase d’un usage vil, inutile à son maître et digne d’être brisé. Voilà pourquoi le passage cité et les suivants : « Dieu a renfermé tous les hommes dans l’incrédulité » (Rom., 11, 32) et: « Dieu leur a donné un esprit de componction, des yeux pour ne pas voir et des oreilles pour ne pas entendre » (Rom., 11, 8), ne doivent pas s’entendre dans ce sens que Dieu lui-même aurait fait ces choses, mais dans ce sens qu’il les a permises, parce que le bien est libre et nullement violent. C’est donc la coutume de la Sainte Écriture de parler de la permission de Dieu comme si elle était son opération et son action ; bien plus lorsqu’elle dit : « Dieu crée le mal » (Is., 4 5,7) et qu’ “ ü n’y a pas de mal dans la ville qui n’ait été
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fait par Dieu » (Amos, 3, 6), elle ne veut pas dire que Dieu soit la cause du mal, mais elle indique que le mot « mal » a deux sens : tantôt il désigne ce qui est mauvais par sa nature, c’est-à-dire ce qui s’oppose à la vertu et à la volonté de Dieu ; tantôt il indique ce qui est mauvais et pénible pour notre sensibilité, comme les afflic tions et les calamités. Ces dernières, quoiqu’elles paraissent mau vaises, parce qu’elles sont douloureuses, sont en réalité bonnes, parce qu’elles servent à la conversion et au salut de ceux qui savent en profiter ; l’Écriture dit qu’elles viennent de Dieu. Il faut savoir aussi que nous sommes la cause de ces maux. Car des maux involon taires proviennent de maux volontaires. Il faut savoir également que l’usage de l’Écriture est de parler de certains événements qui devraient être dits fortuits, comme s’ils avaient eu une cause, comme lorsqu’elle dit : « J’ai péché contre toi seul, et j’ai fait ce qui est mal à tes yeux, en sorte que tu seras justifié dans tes discours et tu vain cras dans ton jugement » (Ps. 50, 6). Le pécheur n’a pas péché pour que Dieu vainque, ni Dieu n’a besoin de notre péché pour paraître vainqueur. Car il triomphe sans contestation de tous les hommes, même de ceux qui ne pèchent pas, puisqu’il est Démiurge, incompréhensible et incréé, et que sa gloire est naturelle, et non adventice, mais parce qu’il n’est nullement injuste en se livrant à la colère, lorsque nous péchons, et qu’il se manifeste comme vainqueur de notre malice lorsqu’il pardonne à ceux qui font péni tence, ce n’est pas pour cela que nous péchons, mais parce que la chose arrive ainsi. Comme lorsque quelqu’un vaque à son travail et que son ami survient, il dit : « Mon ami est venu pour que je ne travaille pas aujourd’hui. » Cependant son ami n’est pas venu pour qu’il ne travaille pas, mais la chose est arrivée ainsi ; car occupé à recevoir un ami, il cesse son ouvrage. Ces choses sont dites for tuites, parce qu’elles arrivent ainsi. Dieu ne veut pas seulement être juste lui-même, mais il veut aussi que tous les hommes lui ressem blent autant qu’il est possible, (Cf. De Fide orth., IV 19, P. G. 94, 1192-1193).
III. La liturgie
L’Église est l’éducatrice de notre foi. Il n’est donc pas sans intérêt de rappeler ses incessantes recommandations de prier Dieu non seulement pour l’obtention des biens surnaturels et éternels, mais même aussi pour les biens temporels. Dans les périodes de calamités, de détresse, de guerre ou de famine, l’Église redouble ses recommandations et impose même certaines prières. Tout cela n’aurait aucun sens si Dieu n’était à la fois celui qui régit les cœurs et les intelligences et celui qui régit les lois du monde physique et dispense les biens même matériels. Voici quelques Oraisons tirées du missel.
LES CONCILES
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Oraison pour échapper à « toute adversité » : Seigneur, gardez votre famille par une miséricorde continuelle, afin qu’elle puisse, protégée par vous, échapper à toute adversité, et rester fidèle à vous servir dans la pratique des bonnes œuvres (Oraison du 21e dimanche après la Pentecôte.)
Oraison pour demander la paix, en temps de guerre : O Dieu, qui mettez fin aux guerres et qui, par la puissance de votre secours, repoussez les agresseurs de ceux qui espèrent en vous, assissez vos serviteurs qui implorent votre miséricorde, afin que, la férocité de leurs ennemis étant vaincue, nous vous louions en une incessante action de grâce (Oraison de la messe pour le temps de guerre).
Oraison pour demander la pluie : O Dieu, en qui nous avons la vie, le mouvement et l’être, accordeznous la pluie nécessaire à la terre, afin qu’étant suffisamment soutenus par les biens du temps présent, nous aspirions avec plus de confiance aux biens de l’éternité.
IV. Les conciles Chaque théologien entend la doctrine de foi selon ses moyens et l’exprime de même. Sa formulation est plus ou moins heureuse et adéquate. L’Église, sachant qu’il y a de multiples façons de considérer le mystère bien qu’elle puisse donner sa préférence à telle ou telle théologie dans son ensemble, n’intervient pas à propos de chaque publication. Elle laisse l’intelligence en travail développer autant qu’elle le peut ses considérations et son analyse. Guidée par un instinct très sûr du Saint-Esprit, l’Église intervient cependant, tôt ou tard, devant l’erreur. Le théo logien bénéficie alors de ces interventions ; il en prend acte immédiatement. Nous citerons donc ici les grandes affir mations des conciles. Tout d’abord, l’Église défend l’existence du gouvernement universel et absolu de Dieu. Elle le rappelle à l’occasion de ses professions de foi et souvent dans les premiers canons des conciles. Tel le premier canon du concile de Latran en 649 : Si quelqu’un ne confesse pas... que Dieu... est créateur et pro tecteur de toutes choses — créatricem omnium et protectricem — qu’il soit condamné *. x. Cf. Denz. n° 254.
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A l’autre extrémité du temps de l’Église, le concile du Vatican réitère cette doctrine et affirme que, toutes les choses qu’il a faites, Dieu veille sur elles par sa provi dence et les gouverne « atteignant avec force d’une extrémité du monde à l’autre et disposant tout avec suavité » (Sag., 8, r). « Tout est à nu et à découvert à ses yeux (Héb., 4, 13), même les choses futures qui dépendent de l’acte libre des créatures 1 ».
Certaines erreurs particulières, condamnées par l’Église au cours des siècles, sont l’occasion de préciser, négativement cette fois, la doctrine. 1) Au concile de Sens (1140), l’Église condamne les erreurs d’Abélard prétendant que « Dieu ne devait, ni ne pouvait empêcher les maux » et que les puissances des trois Personnes divines ne seraient pas égales2. 2) Au concile de Constance (1414), l’Église condamne l’erreur de Jean Wicleff, qui affirmait que « Dieu devait obéir au diable »3. 3) Au concile de Trente, elle précise que celui-ci est ana thème, qui déclare que Dieu opère également les bonnes et les mauvaises œuvres non seulement en les permettant mais en propre et par lui-même, de telle sorte qu’on peut lui attri buer de la même façon la trahison de Judas et la vocation de Paul4. D’autres affirmations du magistère, sans concerner expli citement le Gouvernement divin, jettent indirectement une lumière sur cette doctrine. Par exemple celles qui reven diquent la liberté humaine, celles qui rejettent le détermi nisme absolu, ou encore la dépendance de l’âme humaine à l’égard des astres. Citons par exemple : « Si quelqu’un dit que les -âmes humaines dépendent d’un signe fatal dans le ciel, qu’il soit anathème5 ». Au concile de Constance (14141417), l’Église condamne l’erreur de Jean Wicleff déclarant que « toutes choses arrivaient de nécessité absolue6 ». 1. 2. 3. 4. 5. 6.
Session 3. chap. 1. Cf. Denz. n. 1784. Denz., 375 et 368. 16e concile œcuménique, session 8 ; cf. Denz., n. 586. Session 6, chap. 16 Canon 6 ; Denz., n° 816. Concile de Braga ; Espagne, 561, cf. Denz., n. 239. Cf. Denz., n. 607.
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SECONDE PARTIE
ESQUISSE D’UNE SYNTHÈSE THÉOLOGIQUE i. Justification de l’existence du Gouvernement divin.
Le théologien n’a pas à prouver l’existence du Gouverne ment divin : il y croit comme à un objet de sa foi, révélé par l’Écriture et par la Tradition. Cette affirmation que le monde est gouverné par Dieu fait donc partie de ce qui est présupposé à la science théologique, un de ses principes et non un des objets de sa recherche. Cependant la théologie, en tant qu’elle est une sagesse, doit défendre ses propres principes et mon trer leur légitimité. En face de ceux qui, niant l’existence d’un tel gouvernement, prétendent que le monde se dirige lui-même, qu’il possède sa propre autonomie, ou de ceux qui disent au contraire que le monde est soumis à un destin inexorable, à des lois nécessaires et infaillibles, elle doit mon trer l’impossibilité et l’absurdité de telles positions philo sophiques et exposer le bien-fondé de l’affirmation révélée. Le Gouvernement divin étant, comme son nom l’indique, une certaine action divine en vue du bien et de la perfection de l’univers, on peut justifier son existence à la fois à partir de l’univers, qui porte en lui comme la marque de cette ac tion, et à partir de Dieu lui-même, qui, par son activité créa trice, se lie en quelque sorte au bien de sa créature. C’est pourquoi la théologie, pour légitimer cette existence, utihse deux sortes d’arguments : les premiers lui viennent de sa connaissance philosophique de l’univers ; les seconds lui sont donnés par la connaissance philosophique de la nature même du Dieu Créateur et de ses perfections. Arguments philosophiques venant de la connaissance de Vunivers. ■ L’harmonie physique et l’ordre de l’univers, non seule ment statique mais surtout dynamique, c’est-à-dire la per manence dans l’être des réalités existantes, leurs interactions.
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sont les grands témoins de cette influence permanente de l’action gubernatrice du Dieu-Créateur. Cette unité foncière de l’univers dans son mouvement et au sein même de sa variété, montre clairement qu’il ne peut trouver en lui son explication et qu’il ne saurait demeurer clos sur lui-même. Il ne peut être mené que par une force intelligente. L’analogie de la flèche lancée vers un but précis et celle de l’ordre régnant dans une maison, qui toutes deux manifestent l’existence d’une activité intelligente et habile, permettent de mieux saisir comment l’ordre statique et l’ordre dynamique de l’univers font appel à l’existence d’un être intelligent et sage qui l’organise et le dirige activement. Arguments philosophiques venant de la nature même du DieuCréateur. L’unique motif qui explique l’action créatrice, c’est l’amour infini que Dieu a pour lui-même. Dieu crée par amour et à cause de sa bonté souveraine. Sa bonté ne peut s’arrêter au premier don de l’existence : elle demande de se prolonger en conservant ces êtres créés et en leur permettant d’atteindre leur propre perfection. L’action créatrice, précisément parce qu’elle communique l’être à une réalité qui n’est pas Dieu, ne peut cesser sans immédiatement entraîner l’annihilation de cette même réalité. Celle-ci, en effet, n’étant pas Dieu, ne possède pas l’être par soi-même, mais le reçoit totalement de lui, c’est-à-dire qu’elle le reçoit dans une dépendance toujours actuelle. Si donc Dieu cesse de lui communiquer l’être, elle n’est plus. Mais un tel geste ne peut être attribué à Dieu, il s’opposerait à sa sagesse et à sa bonté, puisqu’il détruirait ce qui est l’œuvre de son Amour. Donc l’action créatrice de Dieu doit se continuer en une action de conser vation à l’égard de ses créatures.
2. Structure essentielle du Gouvernement divin.
Si le théologien n’a pas, à proprement parler, à prouver l’existence du Gouvernement divin, il doit, à partir des don nées révélées auxquelles il adhère par la foi, chercher à saisir la structure essentielle de ce gouvernement, en se servant de certaines analogies empruntées au monde humain. Dieu gouverne le monde en vue de sa propre Bonté. Gouverner, c’est, dans notre langage humain, conduire quelqu’un ou quelque chose vers sa fin propre ; c’est lui indi-
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quer ou même lui fournir les moyens qui lui permettent d’ac quérir le parfait épanouissement de son être. On dira d’un père qu’il gouverne ses enfants lorsque., par une bonne édu cation, il les met en état de devenir des hommes parfaits, capables de fonder à leur tour un foyer et de gouverner leurs enfants ; on dira d’un chef d’État qu’il gouverne ses sujets lorsque, grâce à une bonne administration politique, il leur permet de mener une vie humaine heureuse et épanouie. Il est facile de constater que, dans cette action gubernatrice, le but joue un rôle essentiel. C’est lui qui commande à la fois les moyens et la manière de les employer. C’est donc vrai ment le but qui donne aux divers gouvernements leur phy sionomie propre et les distingue entre eux. Pour saisir la physionomie spéciale du gouvernement divin, la première condition qui s’impose au théologien, c’est d’en découvrir le but. Or, ce but ne peut être que Dieu lui-même, ou ce qui revient au même, la bonté souveraine de Dieu. L’É criture le dit nettement : « Le Seigneur a tout opéré pour luimême » (Prov., 16, 4). Expliquons-nous, La fin propre du Gouvernement divin ne peut être, cela est clair, un bien particulier ; il ne s’occupe pas de tel être sin gulier à l’exclusion des autres ; il s’intéresse à tous les êtres créés, sans aucune exception. C’est pourquoi, au delà de tous les biens particuliers, qui demeurent toujours partiels et exclusifs, ce gouvernement doit tendre vers un bien univer sel. Mais un tel bien, cela ne peut être que la bonté même de Dieu considérée en elle-même. Toute bonté créée étant partici pée, est nécessairement dépendante et relative, nécessairement particulière. Seule, l’essence même de la Bonté divine peut finaliser le gouvernement divin. Du reste, l’action de Dieu ad extra ne peut être finalisée que par la bonté même de Dieu. Aucune bonté en dehors de Dieu ne peut être son but propre. Or, s’il est vrai de dire que Dieu crée uniquement par amour pour sa propre bonté, il faut affirmer que par le même amour il gouverne son œuvre. Quand nous disons que Dieu gouverne l’univers en vue de sa propre bonté, ne pensons pas cependant qu’il agisse alors à la manière d’un tyran régissant ses sujets en vue de son bon heur personnel et égoïste et s’enrichissant aux dépens du bien de ses sujets. Dieu ne peut s’enrichir du bien de l’univers. La perfection de l’univers ne peut rien ajouter à la bonté de Dieu, qui se suffit à elle-même et qui ne peut connaître aucun accroissement, puisqu’elle est infinie. C’est pourquoi, en disant que la bonté même de Dieu est la fin du Gouver-
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nement divin, on marque immédiatement la perfection unique et la transcendance de cette action gubernatrice. Ayant sa source et sa fin propre dans la bonté infinie de Dieu, cette action est souverainement bienfaisante et libérale. La bonté infinie de Dieu ne peut rien attendre de la perfection propre des créatures ni même de l’action gubernatrice de Dieu. Dieu exerce donc sur ses créatures un gouvernement royal précisément en ce sens qu’il ne peut rien recevoir d’elles, tandis qu’elles reçoivent tout de lui. Elles demeurent sous son entière dépendance. Dieu dirige ses créatures vers leur propre perfection dans l’unique but de leur communiquer plus libéralement sa bonté. Aucun gouvernement humain ne peut être aussi totalement désintéressé. Seul Dieu peut gouverner ses sujets uniquement pour leur bien, sans aucun intérêt personnel, sans aucun souci de son propre avantage. Et cependant, il faut également affirmer que Dieu gouverne tout l’univers pour sa gloire, c’est-à-dire pour la manifes tation de sa bonté et de son amour. Dieu dirige ceux qui lui sont soumis vers lui-même, et c’est en faisant cela qu’il réa lise le but essentiel de tout gouvernement : conduire chacun de ses sujets vers sa propre perfection, puisque la bonté divine, à cause même de sa transcendance, s’impose avec une néces sité absolue à toutes les créatures et, loin de détruire leurs perfections particulières ou de s’y opposer, les conserve et les parachève. Pour caractériser le Gouvernement divin on doit donc dire qu’il est à la fois tout entier finalisé par la bonté de celui qui gouverne : Dieu est tout entier tourné vers le bien particulier de chacun de ceux qui sont gouvernés, chacune des créatures. Par le fait même, c’est un gouvernement tout à fait personnel et souverainement libre : Dieu n’a de compte à rendre à per sonne ; — et c’est un gouvernement infiniment maternel qui s’intéresse au bien de chaque créature et qui peut satisfaire parfaitement les aspirations les plus profondes et les plus particulières de chacune. C’est pourquoi on doit dire que le gouvernement que Dieu exerce sur l’univers est un gouverne ment parfait, puisque la perfection d’un gouvernement se mesure à la fin qu’il poursuit et que la bonté de Dieu est infiniment parfaite.
Dieu dirige l’univers pour la gloire des élus. C’est évidemment à l’égard de l’homme que le Gouver nement divin donne, si l’on peut dire, toute sa mesure et que nous pouvons le mieux saisir ce qu’il est.
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Lorsqu’il s’agit de l’univers physique comme tel, le théo logien précise que la bonté souveraine de Dieu est bien la fin, mais la fin ultime extrinsèque, tandis que l’ordre et l’harmonie de cet univers physique en sont la fin propre et immanente. Cette fin immanente est évidemment toute ordonnée à la fin extrinsèque, mais elle demeure une fin intermédiaire. Par contre, l’homme, grâce à son intelligence et à sa vocation à la vie surnaturelle, ne peut avoir d’autre béatitude parfaite que la contemplation même de Dieu. Cette béatitude est vraiment la plus grande gloire [extrinsèque] de Dieu, la mani festation ultime de sa bonté et de son amour, et elle est en même temps la perfection de l’homme, sa plus grande gloire. « Dieu lui-même, dit Isaïe, sera la gloire de tout élu » (60, 19). C’est donc bien cette béatitude qui, de fait, finalise tout le gouvernement de Dieu.
Le Gouvernement divin est un gouvernement monarchique. Que l’univers soit gouverné par un seul Dieu-Créateur, la Révélation nous l’enseigne explicitement et la Tradition ne cesse de nous le rappeler. Le théologien n’a donc pas à démontrer cette vérité ; mais, en montrant le lien de nécessité qui existe entre perfection et unité dans le gouvernement divin, il peut nous faire mieux comprendre son caractère divin : son indivisibilité, sa simplicité absolue, qui n’exclut pas sa souplesse et sa diversité. Normalement, tout gouvernement pour être parfait exige une certaine unité. C’est un fait d’expérience qu’il suffit souvent de diviser un gouvernement pour l’affaiblir et même parfois l’anéantir, si la division est profonde. Il n’y aura plus alors qu’une apparence de gouvernement ; en réalité, c’est l’anarchie. Ceci tient à la nature même du gouvernement et à son but : guider ceux qui lui sont soumis vers leur propre bien. Une telle action possède une perfection et une bonté surabondantes ; elle ne consiste pas seulement à se diriger soi-même vers le bien — ce qui déjà serait beau, — mais elle dirige les autres chacun vers son propre bien — ce qui exige une surabondance de perfection. Or, tout être par fait doit être également un. Nous allons le montrer. Au point de vue métaphysique, tout être est nécessairement un. L’unité est le premier bien que l’être doit sauvegarder. Sans elle il ne peut être parfait et bon. Tout gouvernement, pour réaliser son but, doit donc avoir une certaine unité. Plus son but est élevé, c’est-à-dire plus il doit conduire ceux qu’il dirige vers une perfection éminente, plus grande aussi devra
LE MYSTÈRE DU GOUVERNEMENT DIVIN 440 être son unité. C’est pourquoi le Gouvernement divin possède, en raison même de sa perfection, une unité absolue. Il se trouve réalisé dans une tête unique, puisqu’il est bien évident que l’unité de l’individu est plus parfaite que l’union de plu sieurs. C’est donc un gouvernement « monarchique » parfait. Il n’y a qu’un seul Seigneur sur l’univers, et ce Seigneur ne partage pas avec d’autres le suprême exercice de son autorité souveraine. Comprenons bien le caractère unique de cette « divine monarchie », qui possède éminemment les perfections de toutes les autres formes de gouvernement. N’oublions pas que l’unité absolue de ce Gouvernement divin est exigée en raison même de sa perfection, et ne réduisons pas cette unité à celle des gouvernements humains. Lorsqu’il s’agit de gouvernements humains, en effet, il peut y avoir des conflits entre l’idéal et les réalisations pratiques. Plus profondément encore, l’idéal lui-même demeure un idéal politique, donc complexe. A l’égard de la vie humaine, les exigences de l’unité et celles de la perfection sont diverses et quelquefois opposées et même contradictoires. C’est pourquoi si, en soi, la notion de gouvernement réclame l’unité (plus un gouvernement est un, plus, normalement, il peut être parfait), cela ne veut pas dire que le gouvernement humain le plus parfait soit nécessairement le plus simple, celui qui se réalise dans l’unité la plus grande. Au contraire, le gouvernement humain le plus parfait sera le plus complexe, celui qui présentera une synthèse harmonieuse des diverses formes de gouvernements. Au surplus, suivant les circons tances, il peut se faire que pour tel peuple, à tel moment, la meilleure forme de gouvernement ne soit pas celle qui, en elle-même, possède la plus grande perfection. Pour juger des relations concrètes entre l’unité et la perfection d’un gouver nement humain, il faut donc toujours tenir compte de cette double relativité. A l’égard du Gouvernement divin, notre jugement doit être tout autre. Ce gouvernement étant une action divine « ad extra » dans le prolongement de l’action créatrice, conserve en lui-même, d’une façon éminente, toutes les exigences de l’ordre métaphysique. Dans les actions divines, il n’y a pas de dégradation de l’ordre métaphysique à l’ordre psychologique ou moral et politique ; c’est pourquoi l’être, l’unité et la per fection y demeurent convertibles. La perfection du Gouver nement divin, loin d’exclure l’unité et la simplicité, les ré-
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clame. Aussi ce gouvernement peut-il être le plus indivisible et le plus parfait. Rien n’échappe au gouvernement de Dieu. Le gouvernement de Dieu n’est pas réservé à telle ou telle catégorie d’êtres, à telle ou telle nation, mais il s’étend en réalité à tout ce qui existe. L’Écriture, ici encore, est explicite. Le théologien peut s’efforcer de comprendre le caractère propre de cette universalité de deux façons : i) en la considé rant dans le prolongement même de l’action créatrice ; 2) en la déduisant de la fin même de ce gouvernement : la bonté de Dieu. 1. La production d’un être et son achèvement relèvent en réalité d’une même cause, puisque, normalement, celui qui donne à un être sa nature doit aussi lui communiquer sa per fection et sa fin. Au point de vue métaphysique, le principe d’un être et sa fin se correspondent. C’est pourquoi Dieu crée et gouverne l’univers en vertu d’une même cause. Or, en tant que Créateur — principe — Dieu n’agit pas comme une cause particulière de tel ou tel genre d’êtres, mais comme la cause la plus universelle et, en même temps, la plus singulière de tout être. Tout ce qui existe dépend de sa causalité créatrice. Donc, nécessairement Dieu gouverne — fin — tous les êtres qu’il a créés. 2. L’extension de tout gouvernement se prend de sa fin. Plus celle-ci est universelle, capable de finaliser d’autres fins secondaires et intermédiaires, plus ce gouvernement est uni versel, capable de diriger une multitude plus grande d’êtres et de les conduire à leur fin. C’est pourquoi le Gouvernement divin, ayant comme fin la bonté divine elle-même, possède une universalité infinie. De même qu’aucune réalité n’échappe au pouvoir créa teur de Dieu et à l’attraction de sa bonté, aucune réalité n’échappe à l’emprise de son gouvernement. Rien n’arrive en dehors de ce gouvernement. Le hasard, la fortune n’existent que par rapport à des causes particulières et limitées comme des faits qui échappent à leurs influences propres et à leurs prévisions. Par rapport au Gouvernement divin, on ne peut parler de hasard ou de fortune, car tout ce qui est dépend du Dieu créateur et de son gouvernement. En vertu de ce même principe, aucun être, aucun acte ne sont totalement mauvais. Le mal ne peut être que partiel, puisqu’il est toujours une certaine privation. Dans la mesure
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où il suppose un sujet qu’il affecte, il est sous l’emprise du gouvernement universel de Dieu. Notons que l’universalité de ce Gouvernement divin ne provient pas d’une abstraction, qui impliquerait toujours un certain appauvrissement ; elle se fonde sur la transcendance même de la cause créatrice et sur la perfection de la bonté subsistante de Dieu. Par là s’affirme la différence essentielle qui sépare le Gou vernement divin de celui des hommes. Celui-ci a toujours comme fin propre un certain bien commun, qui demeure relatif, si éminent et si noble qu’il soit. Ce bien commun ne peut être, en même temps, la béatitude personnelle parfaite de l’homme, puisqu’il ne peut le satisfaire entièrement dans ce qu’il a de plus personnel. De plus, dans la mesure où il est commun, ce bien ne peut exercer pleinement sur chaque homme la force attractive caractéristique du bien. Tout gouvernement humain a un certain caractère abstrait qui nuit à son efficacité et à son emprise, tout en lui permet tant d’avoir une certaine universalité. Dans tout gouverne ment humain, le champ de rayonnement et l’efficacité de l’emprise progressent toujours d’une façon inverse. Un choix s’impose et exige nécessairement des sacrifices. Un gouver nement qui veut exercer une influence immédiate et efficace doit limiter le nombre de ses gouvernés ; et s’il veut, au contraire, étendre son champ d’action, son influence sur chacun sera nécessairement moins directe et moins efficace. Le Gouvernement divin, au contraire, est absolu et infini. Il peut s’étendre à tout ce qui est créé et demeurer d’une effica cité particulière totale. Tout en étant la bonté propre de Dieu, sa bonté personnelle, la bonté divine peut être aussi, d’une certaine façon, la bonté propre de toutes les créatures et celle de chacune en particulier. Le caractère singulier de la bonté de Dieu ne nuit pas à son influence universelle, et cette influence ne retire rien à sa force attractive particulière. Dans le Gouvernement divin, universalité et efficacité vont de pair et ne peuvent se séparer 1. Au surplus, universalité ne veut pas dire ici gouvernement « en série ». Dire que Dieu gouverne tous les êtres ne signifie pas qu’il les gouverne tous de la même façon. La diversité i. On pourrait, par là, énumérer les diverses qualités de ce gouvernement, puisque toutes les qualités, nécessairement divisées et dispersées dans les autres gouvernements, en raison des limites de leur universalité et de leur efficacité, — le gouvernement du père de famille comporte d’autres perfec tions que celui du roi ou celui d’un chef d’entreprise, —• se trouvent rassem blées dans ce modèle de tous les gouvernements.
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même des êtres qu’il a créés modifie et diversifie son action gubernatrice. Certains êtres sont incapables de se mouvoir, d’autres se meuvent, d’autres enfin se meuvent librement, et Dieu dirige tous les êtres selon ce qu’ils sont. C’est le même gouvernement qui conduit vers le même bien tous ces êtres, mais qui les conduit diversement, suivant leurs exigences propres et leur capacité particulière. Il faut donc dire que ce gouvernement, tout en étant le plus universel et le plus indivi sible, dans son origine et dans son terme, est en même temps le plus adapté, le plus diversifié par rapport aux sujets qu’il dirige.
Il y a un ordre dans le Gouvernement divin. Le gouvernement de Dieu se réalise selon un certain ordre. Dieu gouverne l’univers en se servant d’intermédiaires. Ceci, loin de nuire à la perfection et à l’efficacité de son gouverne ment, manifeste au contraire sa surabondante perfection. Si, en effet, du point de vue de la connaissance pratique, il est plus parfait de connaître immédiatement par soi-même tous les détails singuliers de ceux qui nous sont soumis, du point de vue de l’exécution, au contraire, la perfection consiste à com muniquer le plus possible la bonté que l’on possède. Or, il est évident, celui-là donnera davantage qui, non content de cons tituer des êtres bons en soi, constitue aussi des êtres causes de bonté pour d’autres. Voilà pourquoi, lorsqu’il s’agit de la providence, Dieu prévoit lui-même immédiatement tout, jusqu’aux moindres détails et jusqu’aux moindres circons tances ; tandis que, lorsqu’il s’agit de son gouvernement, Dieu se sert d’auxiliaires, de causes secondes ordonnées entre elles et hiérarchisées. Grâce à elles, Dieu communique davantage sa bonté et la manifeste plus explicitement. Il n’est plus seu lement principe, mais encore principe de principe. Du point de vue de la connaissance, Dieu n’a pas d’intermédiaires ; il connaît tout immédiatement par lui-même. Du point de vue de l’exécution, Dieu manifeste sa perfection surabon dante en communiquant certains de ses pouvoirs à des inter médiaires. Beaucoup d’erreurs et de sophismes proviennent de ce qu’on ne fait pas cette distinction. On prétend devoir retrouver dans l’exécution les exigences propres de la connaissance, ou, à l’inverse, on affirme, que Dieu doit exécuter immédiatement tous ses décrets, sans se servir de telle ou telle créature, ou encore, au contraire, qu’il ne prévoit pas immédiatement, selon
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le mystère du gouvernement divin
sa Providence, les événements dans leurs détails singuliers1, Dieu n’a pas d’opposants. Non seulement aucune créature n’échappe à l’emprise et à la direction du Gouvernement divin, mais aucune créature ne peut diminuer son efficacité, faire obstacle à ses ordres. Autre ment dit, comme le gouvernement de Dieu possède une effica cité universelle, qui ne connaît pas de limites en dehors de celles fixées par sa sagesse, de même il possède une efficacité infaillible qui, en définitive, ne connaît pas d’échec. Dieu, cependant, tolère le refus de sa créature libre. De tels refus sont mystérieusement acceptés par Dieu en vue d’un plus grand bien. Dieu demeure en définitive le Maître souverain. Ces per missions divines font, elles aussi, « partie » de son gouverne ment, mais elles ne sont jamais son dernier mot. Dans l’efficacité infaillible du Gouvernement divin, précisons-le bien, il faut distinguer avec le plus grand soin le Gou vernement divin vu du point de vue de telle ou telle cause particulière par laquelle il se réalise, par exemple lorsqu’il s’impose par telle ou telle loi morale, et le Gouvernement divin vu du point de vue de la Cause première elle-même. Dans le premier cas, rien n’empêche qu’il puisse y avoir de la part des créatures raisonnables certains refus, certaines opposi tions. Voilà comment le pécheur rejette véritablement les ordres de Dieu et se révolte contre lui. Son opposition au Gouvernement divin n’est que partielle. Même comme pé cheur, il ne s’oppose pas à Dieu Auteur de son être et qui le dirige en tant que Cause première et universelle de toutes choses. Considéré de cette façon, c’est-à-dire selon le second membre de la distinction, le Gouvernement divin possède i. Ces principes se trouvent évidemment réalisés d’une manière moins parfaite quand il s’agit de la connaissance humaine et de l’activité des hommes, bien qu’ils demeurent toujours vrais. Lorsqu’un chef de gouverne ment humain fait appel à des ministres pour exécuter ses ordres, ce n’est pas seulement à cause de l’imperfection et des limites de son pouvoir exé cutif, cela fait partie, en réalité, de la perfection même de son gouvernement. Grâce à ses ministres, son pouvoir non seulement reçoit comme une sorte de splendeur, mais peut aussi se communiquer plus parfaitement. Au contraire, la nécessité de demander conseil et de se renseigner auprès d’autres personnes pour amplifier et perfectionner ses connaissances pratiques provient de la faiblesse de la faculté humaine de connaître, surtout dans ce domaine pra tique, toujours si complexe. L’intelligence humaine ne peut pas, immédiate ment, par elle-même, savoir tout ce qu’il est nécessaire de connaître pour ordonner et commander. Elle supplée à cette déficience en demandant conseil. Bien que la connaissance reçue par les autres ne pourra jamais être aussi parfaite que celle acquise par l’expérience immédiate.
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alors une efficacité infaillible ; il ne peut connaître aucuen opposition puisqu’il transcende tous les contraires, comme l’action créatrice elle-même, dont il est la continuation. Nous pouvons encore saisir la transcendance de l’efficacité du Gouvernement divin à partir de sa fin propre, la bonté de Dieu. Dieu, avons-nous déjà dit, ne cherche que le bien de ses créatures. Or, chaque créature, dans son opération propre, ne cherche elle-même que son bien. Toute réalité tend natu rellement vers le bien qu’elle désire. Cette tendance naturelle est un effet de Dieu ; elle est comme la marque de la bonté de Dieu au cœur même de toute créature. De cette façon, on comprend comment l’efficacité du gouvernement divin se réalise sans aucune opposition et sans aucune contrariété de la part des créatures. En effet, chaque créature en se portant spontanément vers son bien, est dirigée par Dieu. Par là nous comprenons comment ce gouvernement, tout en étant souve rain, métaphysiquement inflexible et inviolable, n’est pour tant pas tyrannique, mais infiniment « suave ». On peut dire, en effet, que le Gouvernement divin se réali sant dans le prolongement de l’action créatrice, est à la fois le plus intime et le plus impératif. Dieu, par son action créatrice, est intimement présent à ses créatures. Il est plus intime à ses créatures que celles-ci ne le sont à elles-mêmes. En créant il agit bien comme un artiste, mais d’une manière toute diffé rente de l’artiste humain qui façonne son œuvre de l’extérieur L’action créatrice, tout en ayant un mode libre et artistique, demeure cependant une action qui agit de l’intérieur et com munique à ses effets ce qui leur est le plus immanent. Le Gouvernement divin, prolongeant et achevant cette action créatrice, possède donc à l’égard de ses sujets la même inté riorité, la même intimité. Dieu, comme suprême Seigneur, peut conduire ses créatures avec une infinie souplesse et s’in sinuer avec suavité en elles. Cette conduite de Dieu semble s’effacer devant les initiatives des créatures elle-mêmes, telle ment elle s’incruste profondément en elles et pénètre dans ce qui leur est le plus impénétrable. Cette suavité, cette divine adaptation n’enlèvent rien à son caractère impératif. Dieu demeure toujours, dans son gouver nement, souverainement libre à l’égard de sa créature. Il est toujours ce qui ne peut être modifié par aucune de ses créa tures, ce qui demeure immuable, éternellement le même. Les ordres de son gouvernement connaissent le même pouvoir impératif et efficace de sa parole créatrice. Ils ne peuvent avoir de limites en dehors de celles imposées par sa sagesse. Initiation théologique II.
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Celle-ci est la règle propre, et l’unique règle de son gouver nement. C’est vraiment le » suaviter » et le « fortiter » qui caracté risent un tel gouvernement. Dieu conduit ses créatures « sua vement », parce qu’il les dirige de l’intérieur ; il semble comme s’adapter à leurs convenances profondes, les disposer et les incliner dans le sens même de leur être et de leur attrait profond. Il les dirige « fortement », parce qu’il agit toujours en Souverain Maître, supprimant, dans leurs racines mêmes, tou tes les causes possibles de rébellion et de révolte. « La Sagesse atteint avec force d’un point du monde à l’autre, et dispose tout avec douceur » (Sag., 8, i). 3. Les effets du Gouvernement divin.
L’effet propre est l’assimilation à la Bonté divine. Le théologien n’a pas à étudier les effets du Gouvernement divin dans leur infinie singularité. Considérés de ce point de vue, ceux-ci échappent en effet à la science. Mais il essaie de préciser l’effet propre de cette action divine en tant qu’elle se distingue des autres actions divines. En fonction même de la fin propre du Gouvernement divin, la bonté divine, on peut affirmer que son effet ne peut être que l’assimilation à la Bonté divine elle-même : Dieu veut tout conformer à lui. Cette assimilation se réalise dans la créature selon deux effets particuliers : la conservation dans le bien et la rénovation vers le bien. Autrement dit, le Gouvernement divin étant tout finalisé par la bonté même de Dieu, ne peut avoir comme résul tat propre que de rendre semblable toute créature à cette divine bonté. Et ceci de deux façons particulières par leur permanence dans le bien de toute créature, et par leurs interactions. Certains pourraient penser que l’effet propre du Gouver nement de Dieu, ce soit plutôt l’ordre qui existe dans le monde puisque ce bien de l’ordre est, pour l’univers, ce qui l’assimile le plus parfaitement à la bonté immuable de Dieu. Ceci n’est pas faux, mais ce n’est pas suffisamment dire. Car, en réalité, l’ordre de l’univers est quelque chose de complexe, qui résulte à la fois de la permanence des diverses réalités instituées par Dieu et de leurs changements réciproques. Tout ordre exige une distinction formelle entre les réalités ordonnées, d’où résultent nécessairement certains échanges entre elles. Si en
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effet, il y a une distinction formelle parmi celles-ci, il y a des réalités supérieures à d’autres et qui peuvent alors agir sur elles. L’ordre statique des réalités entraîne leur ordre dynamique. C’est pourquoi, dire que les deux effets du Gou vernement divin sont la conservation dans l’être et la réno vation mutuelle ne fait que préciser cette autre affirmation : l’effet du Gouvernement divin, c’est l’ordre statique et dy namique de l’univers. Maintenir dans le bien. Conserver une chose peut s’entendre de deux façons : i) empêcher qu’elle se corrompe, en écartant tout ce qui pour rait lui nuire et être cause de sa désagrégation ; 2) exercer sur elle, directement et immédiatement, une influence efficace et salvatrice. Il est bien évident que, selon le premier sens, il faut dire que Dieu ne conserve que certaines de ses créatures : les êtres corruptibles. Les créatures incorruptibles, qui n’ont pas de cause de désagrégation, n’ont pas besoin d’une telle protec tion. Par contre, selon le deuxième sens, il faut dire que Dieu conserve tous les êtres qu’il a créés, puisqu’il les maintient dans l’être par sa vertu toute-puissante. Sans cette influence divine efficace, ils retomberaient dans le néant. Seule cette seconde façon d’envisager la conservation est l’effet propre du Gouvernement divin 5 seule elle est coextensible à celui-ci. Si l’on veut saisir la nécessité de cette action conservatrice de Dieu et comment elle se réalise, il faut bien discerner l’effi cacité propre de la « cause équivoque » et ne pas la confondre avec celle de la « cause univoque ». Celle-ci, c’est-à-dire celle qui est du même genre que son effet, agit seulement sur le devenir de son effet, tandis que la cause équivoque agit sur l’être même de son effet. Par exemple, le maçon qui construit une maison n’est cause que du devenir de celle-ci, c’est-à-dire de sa construction ; il n’est pas directement cause de son être. C’est pourquoi, la construction une fois achevée, le maçon peut cesser d’agir : la maison demeure. Sa conservation dé pend en réalité, non de la cause artistique, mais de la nature des éléments mis en jeu. D’une façon générale, toute cause qui n’est pas cause propre de la forme par laquelle telle réalité existe, n’est cause que du devenir de ses effets. Chaque fois en effet que la cause et l’effet seront de même espèce, la cause ne peut être cause propre de l’effet produit, puisque tous deux possèdent une même nature. Le seul lien de dépendance qu’il puisse y avoir entre eux ne peut être que matériel ; il ne con-
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cerne que l’effet. Il faut chercher plus haut la cause de cette nature que l’effet possède en commun avec la cause. Par contre, lorsqu’il n’y a pas de ressemblance formelle entre l’effet produit et sa cause, c’est-à-dire lorsque l’effet n’a pas la même forme, la même nature que la cause, ou si l’on veut lorsqu’il ne possède qu’une forme dégradée de sa cause, alors il dépend de sa cause non seulement quant à son devenir mais aussi quant à sa forme, donc aussi quant à son être. Nous avons alors une « cause équivoque ». Les anciens donnaient habituellement comme exemple de causalité équivoque, l’action illuminatrice du soleil sur l’air, parce que dès que cette action cesse, immédiatement l’air n’est plus illuminé. Selon leur conception physique, l’air est incapable de posséder la lumière comme le soleil la possède. En tant qu’illuminé, il dépend donc toujours de l’action solaire puisqu’il ne possède jamais la lumière par lui-même. Sans discuter la valeur scientifique de ce fait, nous pouvons nous en servir pour illustrer ce qui caractérise la causalité équivoque. Selon celle-ci, l’effet demeure toujours, dans son être propre, en dépendance immédiate de l’influence actuelle de sa cause. Dieu, comme Créateur, est précisément cause équivoque de ses créatures, puisque seul il possède l’être par lui-même et essentiellement, tandis que les créatures ne le possèdent que par participation. C’est pourquoi toute créature demeure en dépendance immédiate et actuelle de l’action créatrice de Dieu. Voilà comment il faut comprendre l’action conservatrice de Dieu, dans le prolongement même de son action créatrice. Il ne s’agit pas, en réalité, d’une nouvelle action de la part de Dieu : c’est la même action qui se continue dans le temps. Néanmoins, elle possède certains caractères qui lui sont tout à fait propres. Elle peut être participée par les créatures, ce qui répugne à l’action créatrice. Dieu peut se servir de cer taines créatures pour en conserver d’autres, non pour en créer. Créer, en effet, est une opération première qui ne peut rien supposer du côté de son effet ; conserver est, au contraire, une opération seconde qui en présuppose toujours une autre antérieure — l’exister même — et qui, par le fait même, ne peut s’exercer qu’à l’égard d’un être existant : on ne peut conserver que ce qui existe déjà. C’est pourquoi cette action conserva trice se réalise de fait selon l’ordre institué par Dieu dans son action créatrice, en se servant de causes secondes. Précisons encore que, si Dieu peut communiquer à une créature le pouvoir d’en conserver une autre, en aucun cas il
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ne peut lui donner ce pouvoir pour elle-même ; car la commu nication d’un tel pouvoir entraînerait l’indépendance à l’égard de la cause propre de l’être, ce qui est impossible pour un être créé. Jamais une créature ne pourra, par elle-même, se conser ver dans l’être. Ceci est assez normal, car on ne peut servir d’instrument que pour les autres ; pour soi-même, on ne peut posséder que telle ou telle forme d’être, ou au contraire, être en dépendance de telle ou telle cause, en raison de la même forme que l’on a. L’annihilation. Après avoir parlé de la conservation des êtres, nous devons dire ùn mot de l’annihilation, c’est-à-dire du retour des êtres au néant. Puisque toute créature demeure en dépendance étroite de l’influx conservateur de Dieu, la simple cessation de cet influx conservateur plongerait l’être créé dans le néant, dans le non-être absolu, l’annihilerait. On pourrait ici se poser deux questions : Dieu peut-il faire cesser librement cet influx conserva teur ? la cessation de cet influx est-elle vraiment en son pouvoir ? Si Dieu, usant de son pouvoir souverain, faisait en fait cesser son influx conservateur, la cessation de cet influx seraitelle conforme à sa Sagesse ? A la première question, il faut répondre : étant donné que le pouvoir conservateur des créatures est dans le prolon gement du pouvoir créateur, puisque celui-ci est libre, celui-là l’est également. Dieu conserve librement l’univers, et aucune créature ne pourra jamais le contraindre à agir. Dieu peut donc suspendre son influx conservateur quand il le veut. Pour parler d’une façon tout à fait exacte, il faudrait dire que, si Dieu suspendait son influx conservateur, il ne serait pas cause propre de l’annihilation de la créature, mais il en serait la cause accidentelle, car il n’y a pas de cause propre du nonêtre. Tout être, en tant qu’il est, ne peut être cause propre que de l’être. Dieu serait donc cause accidentelle du non-être en cessant l’influx qui empêche les réalités de retourner dans leur néant. A la seconde question, il faut au contraire répondre par la négative. Nous avons dit que toute l’activité extérieure de Dieu avait pour but de manifester sa bonté. Une telle annihi lation ne pourrait donc se justifier que si elle manifestait avec
LE MYSTÈRE DU GOUVERNEMENT DIVIN 450 éclat la toute-puissance et la souveraine bonté de Dieu. Or, précisément c’est la conservation dans l’être qui réalise cela et non la suppression de cette conservation. Ce n’est pas en réduisant tout au néant que Dieu peut manifester sa bonté et la puissance de sa vertu. Donc, si Dieu peut retirer librement son influx conservateur et annihiler tous les êtres qu’il veut, de fait, il ne le veut pas : ce serait contraire à la Sagesse divine.
Dieu ne se contente pas de « conserver », il achève ce qu’il a commencé. Dieu non seulement conserve dans le bien toutes ses créa tures, mais il les renouvelle aussi incessamment. De l’intérieur, il les transforme, les achève et les perfectionne. C’est le second effet du Gouvernement divin : Dieu conserve pour achever et perfectionner. Voyons dans le détail cet effet de l’action guber natrice de Dieu. a) Sur l’univers physique. Dieu peut agir immédiatement sur les éléments constitutifs des réalités physiques. Il peut donner réalité à toutes les possibilités de la matière puisqu’il est le Créateur de tout. Tout ce que les causes secondes peuvent réaliser, Dieu peut le faire éminemment, d’une façon plus efficace et plus péné trante, puisque sa vertu est infinie, et puisque c’est lui qui donne aux causes secondes le pouvoir de causes. Ce que la vertu de la pluie et celle du soleil combinées peuvent faire sur les genres des plantes pour les faire pousser. Dieu le peut immédiatement par sa vertu propre, sans le soleil et sans la pluie. Et de même pour les êtres inanimés. Dieu peut faire que tel limon devienne charbon, sans en passer par la série des transformations physiques et chimiques dont celui-ci est or dinairement le résultat. Et ainsi de suite. Il est clair cependant que cette action de Dieu sur la cons titution des corps physiques, sur leur substance même., est toute différente de celle des causes secondes. Celles-ci agissent de l’extérieur, dans un contact physique, lequel, étant toujours réciproque, modifie les deux corps en présence, il y a inter action. Dieu étant incorporel et immuable, n’agit pas par un tel contact ; il touche les créatures physiques en les transfor mant, sans être lui-même touché. Le contact n’est plus réci proque. Dieu agit d’une façon transcendante, et en même temps immanente. Il a atteint la créature corporelle dans ses principes singuliers d’être, c’est-à-dire de l’intérieur, et non plus de l’extérieur.
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b) Sur les intelligences. Dieu peut agir sur les intelligences créées et les perfection ner. Il peut les enseigner, non seulement comme un maître humain qui présente à ses élèves de nouveaux objets de con naissance, mais comme un Maître intérieur qui illumine en donnant de nouvelles lumières et une nouvelle acuité de re gard, une nouvelle puissance de pénétration. Pour mieux comprendre la manière dont Dieu peut agir sur les intelligences créées, il faut faire appel à la métaphysique de la connaissance. Tout acte de connaissance implique en effet, à son origine, deux principes : une faculté capable de connaître et un objet intimement présent, déterminant la faculté. C’est pourquoi Dieu, parce qu’il est Père des intelli gences et parce qu’il est premier Etre intelligible, peut agir sur toutes les intelligences créées de deux manières : parce qu’il est Père des intelligences, il communique à toute intelli gence le pouvoir de connaître, le pouvoir d’atteindre la vérité ; par le fait même, il agit immédiatement sur cette faculté, l’améliore, lui donne une plus grande capacité de péné tration. Parce qu’il est premier Etre intelligible, parce qu’il contient tous les principes d’intelligibilité des réalités, parce que tout intelligible trouve en lui son intelligibilité dernière et son explication exhaustive, il est l’objet parfait, capable de déterminer toutes les intelligences créées. On peut dire que Dieu enseigne les intelligences d’une manière à la fois souve rainement subjective et souverainement objective. En réalité, son enseignement, qui est un des aspects de son gouvernement, se situe au delà de cette distinction : il est divin. Il peut à la fois donner une nouvelle lumière et présenter de nouveaux objets. c) Sur le monde des volontés. Dieu n’est pas seulement le Père des intelligences, il est aussi le Père des volontés. Il peut agir sur les volontés, sur les cœurs, les convertir et les perfectionner. « Dieu opère en nous le vouloir et le perfectionnement », dit saint Paul (Phi., 2, 13). Ici encore, pour préciser la manière dont Dieu éduque les volontés créées, il faut faire appel à la métaphysique de l’acte de volonté. Celui-ci dépend à la fois de son objet, le bien, et de la faculté de vouloir. Dieu, parce qu’il est le Père de toutes les volontés, et parce qu’il est le Bien suprême et subsistant con tenant les perfections de toutes les autres bontés, peut avoir
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une double efficacité sur tous les actes créés de volonté. Bien suprême et subsistant, il est le seul objet qui puisse satisfaire toute volonté créée. Puisque la volonté en effet est capable d’aimer le bien parce que c’est le bien, son objet propre est le bien universel. Et puisque les biens créés, étant particuliers, ne peuvent épuiser son désir, Dieu seul, comme Bien subsis tant, peut parfaitement satisfaire la volonté, apaiser son désir. Parce qu’il est l’auteur des facultés volontaires, Dieu peut les mouvoir de l’intérieur, en les inclinant et les déterminant plus efficacement vers le bien. Cette dernière façon d’agir sur les volontés créées est propre à Dieu et lui est réservée. Seul Dieu peut toucher immédiatement le cœur de l’homme et modifier son pouvoir d’aimer. Toute volonté, qu’on la considère en elle-même ou à l’égard des forces de la nature, demeure toujours libre et autonome. Les créatures ne peuvent l’atteindre qu’indirectement, en lui présentant le bien qu’elles constituent. Le bien ainsi présenté pourra alors exercer son attraction, être aimé. Ce pouvoir d’attraction demeurera toujours relatif puisqu’il s’agit de biens limités et participés, mais ce sont les seuls biens que les créatures puissent d’ellesmêmes présenter. Dieu au contraire peut incliner la volonté du dedans. Il peut lui faire aimer ce qu’auparavant elle détestait. Là où il n’y avait qu’amour passionné du vice, il peut mettre dans le cœur répulsion ou dégoût pour ce vice, et attrait pour la vertu contraire. Il peut mettre dans la volonté d’un homme le désir du martyre, là où il n’y avait qu’amour de soi, faiblesse et crainte de la mort. d) Dieu opère en tous ceux qui agissent (Is., 26, 12). Nous avons dit : Dieu peut agir sur les corps, sur les intelli gences et sur les volontés. Ce n’est pas assez dire. Il faut affir mer que tous les êtres qui agissent sont mûs par Dieu et agis sent sous son influence efficace. Pour mieux saisir cette efficacité de l’action divine en toute action créée, il faut de nouveau faire appel à l’analyse méta physique. Celle-ci requiert toujours le concours des causes finale, efficiente et formelle. L’artiste qui fait une œuvre, par exemple, se détermine en vue d’un certain but, si capricieux soit-il peut-être : il désire au moins faire telle œuvre d’art. En vue de ce but précis, il emploie tel ou tel instrument : et il choisit tel instrument de préférence à d’autres, à cause de sa forme propre qui le rend apte à réaliser cette œuvre.
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L’action de Dieu, en toute action créée, se retrouve dans la perspective de ces trois causes : l. Dieu est fin ultime. Dieu est le Bien, cause de tout bien. A ce titre il est le but ultime qui rend compte de toutes les actions libres et naturelles. 2. Dieu est cause première efficiente. Les causes efficientes secondes agissent toujours en vertu des causes premières qui les font agir. Toute cause efficiente est limitée et agit donc en vertu de l’efficacité même de Dieu. 3. Dieu est forme subsistante. Dieu communique à chaque créature sa forme, son espèce, sa nature et la lui conserve. Il est donc l’exemplaire et le modèle des formes de tous les êtres créés. Par là, nous comprenons combien intime est le concours efficace de Dieu, puisqu’il atteint la forme propre des créa tures et de leurs activités. Ce concours efficace de Dieu, qui compénètre toute activité et la vivifie, ne s’oppose nullement à l’activité réelle des causes secondes des créatures, car il se réalise sur un plan tout à fait différent. Il ne supplante pas les causes secondes ; il ne nuit pas à leur efficacité. Bien au contraire. Sans lui elles ne peuvent rien causer. L’action de Dieu coexiste avec celle des causes secondes pour leur donner pouvoir de causer et les mainte nir dans cette vertu. Si l’on prétendait que Dieu agit seul et que la créature n’est qu’un pur instrument entre ses mains, il faudrait alors nier tout l’ordre des causalités dans l’univers, et considérer toutes les créatures comme « vaines ». Mais si l’on prétendait que seules les causes secondes agissent et que le concours efficace de Dieu est inutile, on ne pourrait plus expliquer l’existence même de ces activités : les causes secondes, à elles seules, ne pouvant rendre raison de leur ultime actualité. e) Dieu peut agir sur ses créatures par le miracle. Les miracles sont des faits extraordinaires qui se réalisent en dehors du jeu normal des causes secondes et ne peuvent s’ex pliquer que par une intervention immédiate de la volonté de Dieu. Par exemple le jeu normal des causes secondes — phy siques et chimiques — dans un cadavre, c’est que celui-ci entre peu à peu en décomposition et en putréfaction. Si le cœur tout d’un coup se met à battre et la vie à revenir, il y a intervention d’une cause qui dépasse le jeu ordinaire des causes secondes, c’est-à-dire qu’il y a miracle. Que Dieu ait le pouvoir de faire des miracles, cela peut être
LE MYSTÈRE DU GOUVERNEMENT DIVIN 454 affirmé avec certitude puisque l’action divine n’est pas soumise à l’ordre naturel des choses. Dieu peut agir indépendamment des causes secondes ; il peut, par lui-même, tenir leur place et opérer ce que d’ordinaire elles opèrent. Ne croyons pas pour autant qu’il soit nécessaire d’opposer le Dieu créateur de l’ordre naturel au Dieu auteur des miracles. L’ordre naturel peut, en effet, être considéré de deux façons : soit qu’on le voit dépendre immédiatement de la cause pre mière, soit qu’on le voit dépendre des causes secondes. Il est évident que dans le premier cas Dieu ne peut rien faire contre l’ordre naturel. Dans le second cas, il peut agir en dehors de cet ordre, car il le transcende et n’en dépend pas. Dieu aurait pu instituer un autre « ordre naturel ». Il en est le maître absolu et peut agir vis-à-vis de lui selon son bon plaisir. Allons-nous dire alors que Dieu, lorsqu’il fait un miracle, agit contre les lois de la nature ? Non, puisque précisément il agit alors comme auteur de la nature, en vue d’une fin supé rieure à telle nature particulière, mais qui n’est pas opposée à la fin ultime de toute la nature. Celle-ci au contraire demeure la même. Selon la manière dont elles transcendent le pouvoir de la nature, nous pourrions alors classer les œuvres miraculeuses de trois façons : a) en ce qui regarde le fait lui-même qui est accompli ; par exemple, lorsqu’il s’agit de la glorification du corps hu main ; b) en ce qui regarde le sujet du miracle ; par exemple, lors qu’il s’agit de la résurrection des corps, de la guérison d’un aveugle. Le fait miraculeux, considéré en lui-même et en tous les éléments auxquels il fait appel, pourrait être l’œuvre des forces de la nature, mais celles-ci, de fait, sont incapables de le réaliser dans tel sujet ; c) en ce qui regarde la manière de la réalisation ; par exemple, le cas d’une guérison subite sans aucun soin médical. Les mi racles de cette sorte sont les moins parfaits.
Conclusion Notons, pour terminer, les deux effets caractéristiques du Gouvernement divin : conserver, rénover. Le premier concer ne l’être, le second, le devenir; le premier qui fonde le second et
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qui s’y trouve comme ordonné, car ce devenir est, de fait, un achèvement, un perfectionnement. Le gouvernement de Dieu étant un gouvernement de sa gesse, est à la fois un gouvernement qui garde, qui conserve, et un gouvernement qui perpétuellement transforme, modifie, achève. On pourrait dire que ce gouvernement est plus con servateur que tout autre gouvernement conservateur, et plus révolutionnaire que tout autre gouvernement révolutionnaire, sans avoir les imperfections de ce que nous comprenons ordinairement sous ces deux formes de gouvernement. En effet, le propre du gouvernement conservateur est de s’appuyer sur ce qui a déjà fait ses preuves et de vouloir garder jalouse ment tout ce que la tradition lui a transmis. Cette tendance risque toujours de devenir exclusive et de considérer toute évolution et tout changement comme un mal, comme une dégradation. Le propre du gouvernement révolutionnaire est, au contraire, de s’appuyer sur ce qui est jeune, ardent, plein d’espoir, et de miser avant tout sur ces valeurs encore en germe. Cette tendance risque toujours, elle aussi, de devenir excessive. On considère alors tout traditionalisme comme de l’archaïsme, comme quelque chose de mort, de sclérosé, et donc d’alourdissant. Ces excès, dans les deux cas, proviennent d’un manque d’in telligence et d’une passion partisane. On ne sait plus discerner ce qui doit être jalousement gardé de ce qui doit être rejeté et qui demande un rajeunissement. On ne sait plus discerner entre les principes et leurs conclusions. On ne comprend plus que tout véritable renouveau doit se faire en s’appuyant sur la tradition et que toute tradition vivante doit toujours demeu rer accueillante au progrès. Le Gouvernement divin, transcendant tout esprit de « parti » et ne connaissant pas ces tendances exclusives, garde avec sagesse ce qui doit être conservé, — tout ce qui est — et, à par tir même de là, en s’appuyant en quelque sorte sur ce qu’il garde, il renouvelle et perfectionne sans cesse tout ce qui est. Son gouvernement se fonde sur les natures qu’il a créées une fois et qui sont stables. Mais elles possèdent une tendance foncière à s’assimiler progressivement , selon leurs moyens, à Dieu qui sans cesse les aide et les soutient, les perfectionnant et les transformant selon ce qu’elles doivent devenir. Son gou vernement, dans sa synthèse conservatrice et révolutionnaire, est le modèle de tout gouvernement.
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Bibliographie
Le maître-livre en la matière est celui de A.-D. Sertillanges, Dieu gouverne, Paris, Spes, 1942. On trouvera aussi quelques chapitres concernant le Gouvernement divin dans les ouvrages du P. Garrigou-Lagrange, en particulier son commentaire de saint Thomas, De Deo Uno, Paris, Desclée de B., 1938, et La Providence et la confiance en Dieu, Paris, Desclée, 1932. Sur la doctrine de saint Augustin, on peut citer parmi une multitude de travaux : É. Gilson, Philosophie et incarnation selon saint Augustin, Montréal, Inst. d’ét. méd., 1947.
Enfin, sur l’antiquité grecque, en particulier, ces anciens témoins de la Tradition que sont les Irénée, Justin, Hippolyte, on consultera le gros ouvrage de
D. Amand, Fatalisme et liberté dans l’antiquité grecque, Louvain, Bibl. de l’Université, 1945, in-8, xxvni 608 p.
TABLE DES MATIÈRES DU TOME II
Livre i : Dieu est
Ch. Ch. Ch.
I. La révélation de Dieu, par Ch. Larcher,.................. n II. Dieu est, par H. Paissac,.......................................... 31 III. Dieu est Père, Fils, Esprit-Saint, par J.Isaac, .... 143 Livre
ii
(Première partie) : Dieu crée
La création, par A.-D. Sertillanges,.................... 207 Le mal dans le monde, par F. Petit, ...................... 225 Les anges, par P. Benoist d’Azy, .......................... 249 L’octave de la création : 1. Le récit de la Genèse, par M.-L. Dumeste, .. 285 2. La théologie du Cosmos, par D. DüBARLE, . .. 303 Ch. VIII. L’homme: 1. Esquisses d’une théologie de l’homme, par B. Hansoul,................................................................ 349 2. La justice originelle, par I. DALMAIS,.............. 389 Ch. V. Ch. IV. Ch. VI. Ch. VII.
Livre ii (Seconde partie) : Dieu gouverne
Section I. - Le gouvernement divin en lui-même. 407 IX. Le mystère du gouvernement divin, par A. Viard et M.-D. Philippe,.................... 409 Section II. - Les coopérateurs et les ministres du gouvernement divin : Ch. X. Les anges dans le gouvernement divin, par P. Benoist d’Azy, ................................... 457 Ch. XI. L’homme coopérateur de Dieu, par A.-M.. Henry, ... 477 Section III - Le dessein de Dieu............................ 501 Ch. XII. Les deux économies du gouvernement divin : Satan et le Christ, par L. Bouyer, . 503
Ch.
Index des références scripturaires............................................... Index des noms propres............................................................. Index des matières traitées.................................................
537 551 561
Les Réflexions et Perspectives, sauf pour le Chapitre II, sont de A.-M. Henry, o. p.
D’IMPRIMER
ACHEVÉ LE
SUR
30
LES
PRESSES
L’IMPRIMERIE
A
1957
JANVIER
DE
TARDY
BOURGES
D.L. l-'Trim. 53 - lmp. 1304 - Éd. 4.600