Le Livre des Etats de Don Juan Manuel de Castille: Un essai de philosophie politique vers 1330 2503517811, 9782503517810

Vers 1300, le prince castillan Don Juan Manuel adresse ce Livre des Etats à un prélat, mais surtout à toute la Castille.

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French Pages 281 [284]

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Le Livre des Etats de Don Juan Manuel de Castille: Un essai de philosophie politique vers 1330
 2503517811, 9782503517810

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LE "LIVRE DES ÉTATS" DE DON JUAN MANUEL DE CASTILLE

MIROIR DU MOYEN ÂGE

MIROIR DU MOYEN ÂGE

,

LE ''LIVR E DES ETAT S'' DE DON JUAN MANU EL DE CAST ILLE Un essai de philosophi e politique vers 1330 par Béatrice LEROY

BR.EPOLS

© 2005, Brepols Publishers n.v., Turnhout, Belgiurn

Ali rights reserved. No part of this publication rnay be reproduced, stored in a retrieval system or transrnitted, in any form or by any means, electronic, mechanical, photocopying, recording, or otherwise, without the prior permission of the publisher. D/2005/0095/5 ISBN 2-503-51781-1 Printed in the E.U. on acid-free paper

TADLE DES MATIÈRES

Glossaire ................................... .

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' . P resentat1on . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . ....... .

9

Le monde de don Juan Manuel .................. .

11

Une culture ................................. .

15

Le Livre des États, Première Partie ................ .

21

Le Livre des États, Deuxième Partie ............... .

199

Conclusion ................................. .

271

Bibliographie complémentaire ................... .

273

GLOSSAIRE DES TERMES ESPAGNOLS

Adelantado - Littéralement: «remarquable», représentant du roi dans la province. L' Adelantado Mayor de la Frontière a la responsabilité générale des armées comme du gouvernement de la zone encerclant le royaume maure de Grenade. Alcalde - Juge, charge municipale. Alferez - Porte-étendard, plus haute charge militaire des armées du roi. Alguazil - Policier, office municipal. Fuero - Droit urbain, charte de droits et devoirs concédée à une ville, un village, une vallée, une province. Le Fuero General peut s'adresser à tout un royaume. Hidalgo - Littéralement: «fils de quelqu'un»; noble de naissance. Infant - Fils de roi. Infanzon - Petit noble, mais de noblesse véritable. Merino - Juge-Gouverneur de province, nommé par le roi, administrant une Merindad. Mesnadero - Responsable militaire d'une Mesnada, une mesnie, unité dans les armées royales. Ricombre - Littéralement: «riche homme», au plus haut de la noblesse, dans la Ricombria.

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PRÉSENTATION

La littérature politique médiévale est riche; bien avant les nouvelles orientations de Machiavel, les lv1iroirs au Prince, sous des titres divers, sous des formes diverses, fleurissent du XIIIème au XVème siècle, particulièrement en Castille. Les ecclésiastiques, comme il se doit, prennent la plume, notamment au xvème siècle Alfonso de Cartagena (t 1456) ou Rodrigo Sanchez de Arevalo (t 1470). Mais la réflexion sur le pouvoir, la cité, les sociétés politiques, est l'une des occupations choisies des membres de la noblesse castillane, tels le chancelier Pedro Lapez de Ayala (13321407), ou le poète lfiigo Lapez de Mendoza marquis de Santillana (1398-1458). Les princes eux-mêmes, à la suite du roi Alphonse X le Savant de Castille (1252-1284), écrivent pour eux et pour leur peuple, pour les hommes du pouvoir qui partagent leurs responsabilités, pour leurs fils qui leur succèdent, tels le roi Sanche 1 IV (1284-1294) le successeur d'Alphonse X • Don Juan Manuel, l'un des petits-fils du roi Ferdinand III de Castille (t 1252) a beaucoup écrit. Dans la préface du Libro de los Exemplos ou Comte Lucanor, l'un de ses derniers ouvrages, terminé avant 1340, il cite lui-même ses livres, qu'il a entreposés dans le couvent des Frères Prêcheurs qu'il a fondé à Pefiafiel, la Cr6nica Abreviada, qui est perdue, et les Livres, des Sages, de la Chevalerie, de l'infant (ou des Etats, celui qui va nous retenir), du Chevalier et de l'Ecuyer, du Comte (Lucanor ou des Exemples), de la Chasse, des Engins, des Poésies; ajoutons-y le Livre Infini et le Livre des Armes. Aujourd'hui, tous ces textes se trouvent réunis en un seul manuscrit, transcrits par un anony-

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Castigos e documentas del Rey don Sancho, ed. Pascual de GAYANGOS, Madrid, Diblioteca de Aut6res Espafioles (BAE), LI, 1952, p.79-228; Béatrice LEROY: Des Castillans témoins de leur temps, la littérature politique des XIV"" - XV'"' siècles, PULIM, 1995.

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PRÉSENTATION

me du XVèrne siècle, de la Bibliothèque Nationale à Madrid, sous la cote 6376. Il est probable que cette compilation avait été demandée à un chapelain par la famille Sanchez Manuel, des comtes de Carrion, à la tête de l'un des clans de la ville et du royaume de Murcie, descendant de l'un des fils de l'infant Manuel. Au cœur de cette œuvre, le Livre des Etats représente sans doute la réflexion la plus élaborée, alors que le Livre des Exemples ou Comte Lucanor, tout aussi riche, suit plus volontiers le ton du récit anecdotique qui est demandé par ce genre littéraire particulier qu'est l'Exemplun1 nlédiéval2 • Donjuan Manuel, suivant la Era wisigothique qui anticipe de 38 ans l'ère universelle et qui reste si chère au cœur des Castillans, date lui-même son Livre des Etats, à la fin de sa première partie, l'Ere 1368, soit l'année 1330, disant que Don Juan Manuel a alors 48 ans et qu'il achève cette rédaction à Pozancos dans l'évêché de Sigüenza, province de Guadalajara. Le Livre des Etats a naturellement éveillé l'attention des historiens espagnols et hispanistes, depuis Amador de los Rios et Pascual de Gayangos qui en fit une édition en 1860. Robert B. Tate et Jan R. MacPherson (Oxford, 1974) ont été les plus rigoureux des éditeurs, avant José Manuel Blecua, qui a repris le manuscrit original et a édité les œuvres complètes de donjuan Manuel, dans son castillan de 1330, en deux tomes, à Madrid en 1981. C'est cette édition que nous suivons avec reconnaissance dans cette traduction3. Le Libro de los Estados tient les pages 193 à 502 du premier tome. Dans le manuscrit du XVème siècle, le texte est écrit sur deux colonnes, avec rubriques, lettres majuscules rouges et vertes, et y occupe 216 folios. Le copiste a voulu rédiger les titres de chapitre, petites analyses reprenant le plus souvent la première phrase du paragraphe; tel, au chapitre 29 à titre d'exemple,« Le 2

CL. BEMONT, Jacques LE GOFF, Jean-Claude SCHMITT: l'Exemplum, Typologie des sources du Moyen Âge occidental, 40, Turnhout, 1982; Jacques BERLIOZ et Marie-Anne POLO de BEAULIEU : Entre lieux communs et vie quotidienne, le petit peuple dans les recueils d'Exempla des Xlll'm' et XIV'm' siècles, P. BOGLIONI, R. DELORT, C. GAUVARD, le petit peuple dans l'Occident médiéval, actes congrès Montréal 1999, Publications de la Sorbonne, 2002, p.41-66. 3 José Manuel BLECUA: Don juan Manuel, Obras completas, 2 tomes, ed. Gredos, Madrid, 1981, Biblioteca Rominica Hispinica. Nous avons pensé qu'il valait mieux suivre l'édition la plus récente du texte original.

PRÉSENTATION

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29ème chapitre dit comment Julio expliqua à l'infant qu'il y eut un empereur à Rome; qui s'appela Constantin et qui donna un pouvoir temporel au pape». Ainsi, pour les 100 chapitres de la première partie et les 51 de la seconde. Ces Indices ont été ajoutés par le copiste dans un but pédagogique. Le scribe a voulu aussi, selon les normes de présentation de son temps, recopier tous ces titres de chapitre ou ces périphrases annonçant les chapitres, en deux longues tables des matières qui introduisent chacune des deux parties, ce que nous ne transcrirons pas, y voyant par trop de surcharge. Car le Livre des Etats, après la dédicace de l'auteur et l'exposé de l'argument, est un long dialogue, les questions et les réponses s'enchaînant d'elles-mêmes, se répétant et se résumant selon un souci didactique avant de passer à un point différent. Don Juan Manuel l'offre à son beau-frère Juan d'Aragon, archevêque de Tolède depuis 1319 4 • Le prince a certainement conçu ce qui est maintenant la 1ère partie comme un tout, et a pensé s'arrêter là. Il a, quelques années plus tard, rajouté une seconde partie consacrée à la religion et au clergé, un peu comme un repentir d'avoir laissé la 1ère partie aux seuls laïques, et corrigeant alors quelques unes des conclusions et des réflexions de l'infant Joas. Cette 2ème partie comporte quelques lacunes dans les premiers chapitres du manuscrit. Mais sa pensée se suit sans hésitation, de !'Ecriture Sainte aux états du clergé.

Le monde de Donjuan Manuel D'après les premières lignes de son deuxième chapitre, il vit «une douloureuse et triste époque». Qu'en est-il en vérité? Le prince est né en 1282 à Escalona, dans la province de Tolède. Il est fils de l'infant Manuel, lui-même dernier fils du roi Ferdinand III de Castille et de la princesse Béatrice de Souabe, et sa mère 4

Don Juan d'Aragon est archevêque de Tolède de 1319 à 1328, puis archevêque de Tarragone où il meurt en 1334. Le Livre des Etats est donc rédigé de 1328 à 1330. Il est le troisième fils du roi Jacques II d'Aragon, métropolitain de Tolède en 1319 à l'âge de 15 ans. Très énergique et valeureux prélat, soucieux de défendre son Eglise, il n"a pas manqué de s'opposer à Don Juan Manuel, mais ces différends ne seront évoqués par l'auteur qu'à l'extrême fin de son Livre.

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PRÉSENTATION

est Béatrice de Savoie, évoquée au chapitre 67, elle aussi ayant apporté du sang germanique, voire impérial, aux Castillans, car on prétend alors que les Savoie descendent d'un neveu d'Otton III. Autant que du sang royal castillan, don Juan Manuel est fier de son sang Hohenstaufen, Béatrice de Souabe sa grand-mère étant la fille de Philippe de Souabe, l'un des fils de Frédéric Ier Barberousse et lui-même empereur après son frère aîné Henri VI, mais assassiné en 1208. Les heurts entre les familles rivales de l'empire sont, avec une certaine complaisance, évoqués ici au chapitre 50. Après la mort de Béatrice de Souabe, Ferdinand III se remaria avec Jeanne de Ponthieu, en eut encore trois enfants. Mais la longue descendance du premier mariage royal marque la carrière de don Juan Manuel. Car Ferdinand III, le grand reconquérant de Cordoue (1236) et de Séville (1248), a pour successeur Alphonse X le Savant, en 1252. Ce magnifique écrivain et législateur, reconquérant à son tour de Cadix, Niebla, et de Murcie en 1266, a néanmoins un règne très troublé en Castille, ses frères Felipe, Fadrique, Enrique, Fernando, étant sans cesse révoltés contre lui, comme l'est surtout son fils cadet Sancho, qui parvient à faire destituer ses neveux héritiers légitimes et fils de son frère aîné Ferdinand« de la Cercla», mort prématurément en 1275. Alphonse X lui-même, fils d'une Hohenstaufen, avait pensé se faire élire empereur, et y avait perdu temps, finances, forces politiques. L'infant Enrique dit« le Sénateur», se bat en Italie du Sud en soutenant Conradin, le jeune fils de Conrad IV et l'un des petits-fils de Frédéric II de Hohenstaufen-Hauteville, contre Charles d'Anjou conquérant le royaume de Naples; des forces castillanes sont allées se perdre avec l'infant Enrique vers Naples. Seul de tous ses frères et de ses neveux, l'infant Manuel, qui n'avait reçu du roi Ferdinand III mourant que son blason et son épée «Lobera» (selon le Livre des Armes), est demeuré fidèle à Alphonse X, du moins ne lui a jamais causé ni tort ni souci, ce qu'affirme don Juan Manuel et qui n'est peut-être pas si vrai. Les frères du roi, les fils du roi, font entrer la Castille dans de longues décennies de révoltes, de contestations du pouvoir, souvent aussi d'alliances frauduleuses avec les royaumes maures de Grenade, pour détourner les forces royales, pour y chercher une alliance