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French Pages 1014 [2388] Year 2019
LE CORAN DES HISTORIENS II COMMENTAIRE ET ANALYSE DU TEXTE CORANIQUE
Sous la direction de Mohammad Ali Amir-Moezzi Guillaume Dye
LE CORAN DES HISTORIENS II COMMENTAIRE ET ANALYSE DU TEXTE CORANIQUE Tome 1 : sourates 1-26
Ouvrage publie avec le concours de l 'Ecole Pratique des Hautes Etudes
LES EDITIONS DU CERF
Ri'~SHAN ~'"
CULTURAL HERITAGE
INSTITUTE
© Les Editions du Cerf, 2019 www .editionsducerf.fr 24, rue des Tanneries 75013 Paris ISBN : 978-2-204-13551-l
LISTE DES ABREVIATIONS BIBLIQUES
Ab, Abdias-Ac, Actes-Ag, Aggee-Am, Amos-Ap, Apocalypse - Ba, Baruch - 1 Co, 1re Corinthiens - 2 Co, 2e Corinthiens Col, Colossiens - Ct, Cantique des Cantiques - Do, Daniel - Dt, Deuteronome - Eccl, Ecclesiaste - Ep, Ephesiens - Esd, Esdras - Est, Esther - Ex, Exode - Ez, Ezechiel - Ga, Galates - Go, Genese Ha, Habacuc - He, Hebreux - Is, IsaYe - Jb, Job - Jc, Jacques - Jdt, Judith - Jg, Juges - Jl, Joel - Jo, Jean - 1 Jn, ire de Jean 2 Jo, 2e de Jean - 3 Jo, 3e de Jean - Jon, Jonas - Jos, Josue Jr, Jeremie -Jude, Jude - Le, Luc -Lm, Lamentations - Lv, Levitique - 1 M, 1er Maccabees - 2 M, 2e Maccabees - 3 M, 3e Maccabees 4 M, 4e Maccabees - Mc, Marc - Mi, Michee - Ml, Malachie Mt, Matthieu - Na, Nahum- Nb, Nombres - Ne, Nehernie- Os, Osee - 1 Par (1 er Chroniques ), 1ers Paralipomenes - 2 Par (2e Chron iques), 2e Paralipomenes - 1 P, ire de Pierre - 2 P, 2e de Pierre - Ph, Philippiens - Phm, Philemon - Pr, Proverbes - Ps, Psaumes - 1 R, 1er Regnes - 2 R, 2e Regnes - 3 R, 3e Regnes - 4 R, 4e Regnes - Rm, Romains - Rt, Ruth- Sg, Sagesse - Si, Siracide (Ecclesiastique) - So, Sophonie - Tb, Tobit - 1 Th, ire Thessaloniciens 2 Th, 2e Thessaloniciens - 1 Tm, 1re Timothee - 2 Tm, 2e Timothee - Tt, Tite - Za, Zacharie.
Mohammad Ali Amir-Moezzi et Guillaume Dye
INTRODUCTION AU VOLUME 2 Le volume 2 du Coran des historiens, intitule Commentaire et analyse du texte coranique, et presente en deux tomes (le premier portant sur les sourates 1 a 26, le second sur les sourates 27 a 114), constitue a ce jour le seul commentaire complet du Coran, selon l'approche philologique et historique, en langue frarn;aise, et quasiment le seul, acertains egards, dans une langue occidentale. 11 s'agit d'un commentaire continu de !'ensemble du Coran, fonde sur une approche historico-critique. L' objectif est de presenter la synthese des resultats des recherches scientifiques sur le Coran, du XIXe siecle a nos jours, augmentes, le cas echeant, de nouvelles pistes d'investigations selon les recherches des differents auteurs. Les commentaires sont, de maniere generale, divises en deux principales parties : premierement, une section intitulee Structure generale, qui contient une discussion generale de la sourate, de ses themes et genres litteraires principaux, de sa structure, incluant un plan ; deuxiemement, une section de commentaire proprement dit, ou la demarche historique et philologique est appliquee sourate par sourate et groupes de versets par groupes de versets, voire verset par verset. 11 n'existe pas vraiment d'ouvrage comparable. Les travaux anterieurs, auxquels nous nous referons abondamment et devons beaucoup, presentent en effet des approches et des objectifs differents. On doit ainsi a Richard Bell (1876-1952) un commentaire du Coran, qui n'a ete edite et publie par Bosworth et Richardson qu'en 1991 (A Commentary on the Qur'iin, 2 vol.). Ce commentaire consiste, pour une grande part, en des annotations verset par verset. L'ouvrage doit
etre lu en parallele de la traduction que Bell publia en 1937 (The Qur'iin. Translated with a Critical Re-Arrangement of the Surahs), ou ii proposait un rearrangement des sourates. Ces deux reuvres, d'une ampleur et d'un interet exceptionnels, ne refletent toutefois l'etat de la recherche qu'au milieu du xx 0 siecle. Le Commentary de Bell est neanmoins, avec le Coran des historiens, le seul veritable commentaire continu du Coran fonde sur l'approche historico-critique. Rudi Paret (1901-1983), outre sa traduction allemande (Der Koran. Ubersetzung von Rudi Paret), publiee en 1966 et souvent reeditee depuis, a publie, en 1971, un ouvrage intitule Der Koran. Kommentar und Konkordanz. II s'agit en fait moins d'un commentaire que d'une serie d' annotations de chaque verset, avec un renvoi systematique aux (tres nombreux) passages paralleles. Cet instrument de travail est extremement precieux, et meme indispensable, mais ii ne propose pas veritablement une interpretation historique du texte coranique. Plusieurs traductions du Coran ont aussi inclus une annotation abondante, qui est fort utile pour le chercheur: citons, sans souci d'exhaustivite, les traductions de Regis Blachere (Le Coran. Traduction suivant un essai de reclassement des sourates, 3 vol. ; id., Coran) et d' Arthur Droge (Qur' an). La traduction peut-etre la plus riche en termes de commentaires et de notes est la traduction allemande d' Adel Theodore Khoury (Der Koran, 12 vol.). Tout recemment, Gabriel Reynolds (The Qur'an and the Bible) a publie une version revisee de la traduction anglaise d' Ali Quri Qarai, completee par une serie de notes explicatives, parfois assez longues, qui soulignent les liens entre les corpus coranique et biblique. Mais la encore ii s'agit d'annotations, de references a des passages paralleles, d'indications sur des termes ou versets posant probleme, et non d'un commentaire historico-critique qui etudierait chaque sourate dans son entierete. Par ailleurs, horrnis l'ouvrage de Reynolds, et dans une certaine mesure celui de Droge, tous les textes mentionnes jusqu'ici reprennent la chronologie traditionnelle entre sourates mecquoises (de differentes periodes) et sourates medinoises. Un ouvrage recent, The Study Qur'iin, publie sous la direction de Seyyed Hossein Nasr, propose une nouvelle traduction anglaise et
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un commentaire complet du Coran, ainsi que diverses etudes complementaires. 11 s'agit toutefois d'un livre resolument confessionnel, et le commentaire, qui est fonde uniquement sur la litterature exegetique musulmane (quarante-et-un tafszr-s, ou commentaires), se revele totalement deconnecte du renouveau actuel des etudes sur le Coran, les origines et les debuts de l'islam et de toute approche seculiere et historico-critique (voir Powers, « Review » ). Le livre est certainement pertinent pour qui veut etudier la maniere dont la tradition islamique a compris et interprete le Coran ; pour l'historien qui considere le corpus coranique comme un document historique, linguistique, litteraire et religieux du vue siecle, il a un interet beaucoup plus limite. 11 existe aussi, bien sOr, des etudes commentant de maniere detaillee une ou plusieurs sourates specifiques, mais elles portent sur une partie limitee du corpus coranique : on en trouvera les references dans les bibliographies des differents chapitres de ce volume, ainsi que dans le volume 3 entierement bibliographique. On pense, par exemple, aux travaux de Michel Cuypers (Le Festin; id., Une apocalypse coranique), meme s'il s'agit d'une approche assez personnelle, et purement litteraire, ou de Bertram Schmitz (Der Koran, Sure 2). La traduction commentee de Bruno Bonnet-Eymard (Le Coran. Traduction et commentaire systematique, 3 tomes parus) ne porte que sur les sourates 1 a 5, et est extremement idiosyncratique : on peut y trouver quelques references et intuitions interessantes, au milieu de nombreuses analyses tres discutables car trop speculatives. Les projets qui se rapprochent le plus du Coran des historiens sont certainement le Corpus coranicum (Berlin-Brandenburgische Akademie der Wissenschaften, en collaboration avec plusieurs institutions europeennes) et le Qur'an Seminar. Le lecteur germanophone trouvera ainsi, sur le site internet du Corpus coranicum (corpuscoranicum.de), differentes rubriques devant a terme permettre, pour toute sourate et tout verset, de consulter la reproduction de manuscrits anciens (Handschriften), une liste de variantes de lectures (Lesarten), une liste et une traduction de textes pertinents pour comprendre le passage concerne (Umwelttexten) et un
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commentaire (Kommentar). Ce projet, entame il y a plus de douze ans, est en cours, et de nombreuses sourates n'ont toujours pas ete commentees 1• Angelika Neuwirth, a l' origine de ce projet, a par ailleurs pub lie deux volumes de commentaires (Der Koran, Bd. 1 : Friihmekkanische Suren; id., Der Koran. Bd. 2/1 : Friihmittelmekkanische Suren). La structure de ces commentaires est assez proche de celle adoptee ici : des remarques generales sur la structure et la nature de la sourate, et une analyse verset par verset ou groupe de versets par groupe de versets, avec une bibliographie finale (Neuwirth ajoute, avant le commentaire, une translitteration et une traduction de la sourate concemee). L'approche d' Angelika Neuwirth (et du Corpus coranicum) est toutefois, d'un point de vue scientifique, assez differente de celle du Coran des historiens dans la mesure elle se situe resolument dans le cadre du « paradigme noldekien », dont s'ecartent la plupart des contributeurs de ce volume (voir Dye, « Le corpus coranique: contexte et composition», volume 1, p. 735-826, en particulier p. 743-760) : aussi bien Neuwirth que le Corpus coranicum commentent ainsi le Coran en suivant l'ordre suppose de la proclamation des sourates, tel que Noldeke le reconstruit. Le present ouvrage, par certains cotes, se place davantage dans le prolongement du Qur'an Seminar (voir Azaiez, Reynolds, Tesei, Zafer [dir.], The Qur'an Seminar Commentary I Le Qur'an Seminar) - cinq des auteurs de ce volume ont d'ailleurs ete directement impliques dans les travaux du Qur'an Seminar (Azaiez, Dye, Kropp, Reynolds, Tesei). Comme le Qur'an Seminar, le Coran des historiens adopte une approche « coraniste » ( voir Reynolds, « Introduction »), en ne prenant pas pour point de depart l'exegese islamique et en ne presupposant pas la chronologie traditionnelle du developpement du Coran (sourates mecquoises et medinoises). Comme le Qur'an Seminar egalement, il s'agit ici d'une reuvre collective. La structure du livre est cependant fondamentalement differente: le Qur'an Seminar commente seulement cinquante extraits du Coran, dont 1. Au moment ou nous ecrivons ces lignes, ii manque Jes commentaires de cinquante-deux sourates (a savoir Jes sourates 2 a 14, 16 a 18, 21 a 25, 27 a 50, 57 a 67, 72, 109-110, 112 a 114), notamment Jes plus longues du corpus.
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chacun est analyse, mais de maniere relativement succincte, par plusieurs chercheurs. L'interet est bien sOr de montrer la variete des approches existantes (refletant par la-meme la richesse des recherches recentes), mais un tel commentaire est partiel, et ne permet pas de longs developpements, ni la discussion de certains sujets relevant de la critique de la redaction, comme la genese des longues sourates ou le profil du ou des auteurs impliques dans la composition du texte. Ce type de format, malgre son interet considerable, limite done la possibilite d'etudier le texte selon tout l'eventail des methodes historicocritiques. Le present travail vient done combler une lacune dans les etudes coraniques. 11 entend ainsi rapprocher la situation des etudes coraniques de celle des etudes bibliques et neotestamentaires, ou !'existence de tels commentaires est chose courante depuis assez longtemps. La lacune a combler n'est pas que scientifique: elle est aussi civique et politique. L'une des specificites de cet ouvrage est de vouloir rendre accessible a un public aussi large que possible les resultats et les debats de la recherche savante, sans pour autant sacrifier la rigueur, la precision et l' erudition scientifiques - tout en sachant que les specialistes trouveront ici beaucoup d'elements utiles. Les auteurs se sont done efforces de presenter leurs analyses avec toute la clarte necessaire, et d'expliquer certains termes techniques dans des notes de bas de page (cela n'est pas fait de maniere systematique: le principe est que, dans le commentaire de chaque sourate, l' explication d' un terme difficile n'est donnee qu'une fois, en note, a la premiere occurrence du terme). Cela nous conduit a quelques remarques sur le « mode d'emploi » de ce livre, et la maniere dont il convient de l'utiliser pour en tirer le meilleur profit. Ce livre n' est pas fait pour se substituer a la lecture du Coran; il est fait pour en accompagner et en guider la lecture. Contrairement a d'autres commentaires mentionnes plus haut, nous n'avons pas inclus, dans le corps de l'ouvrage, le texte arabe du Coran, ni une traduction : cela aurait considerablement alourdi le volume. 11 est aujourd'hui facile d'acceder au texte arabe du Coran, sous divers
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formats ou supports', et de nombreuses traductions sont disponibles (on ne peut d'ailleurs qu'encourager le lecteur, meme arabophone, a consulter des traductions differentes : les choix et les desaccords des traducteurs sont souvent l'indice des difficultes les plus profondes d'un texte). Nous recommandons done au lecteur de lire le Coran en meme temps qu'il lit ce volume du Coran des historiens. C'est precisement ainsi qu'il pourra tirer le meilleur parti du livre et comprendre, concretement, comment se fait la recherche historique et philologique. Les nombreuses references donnees dans la bibliographie de chaque chapitre, ainsi que dans le volume 3, orienteront le lecteur qui souhaiterait approfondir son exploration des etudes coraniques. Des ouvrages comme la deuxieme edition de L'Encyclopedie de l'Islam/ The Encyclopaedia of Islam, publie en frarn;ais et en anglais (Brill, 1960-2004), la troisieme edition de The Encyclopaedia of Islam, en cours de publication chez Brill depuis 2007, l' Encyclopaedia of the Qur'an editee par Jane Dammen McAuliffe (Brill, 2001-2006), ou le Dictionnaire du Coran edite par Mohammad Ali Amir-Moezzi, lui seront egalement tres utiles. Sur des questions d'ordre lexical, les ouvrages de Kassis, Concordance, d' Ambros et Prochazka, A Concise Dictionary, de Badawi et Abdel Haleem, Dictionary of Qur'anic Usage, et de Zammit, Comparative Lexical Study, peuvent se reveler precieux (voir aussi le site corpus.quran.com). Ce volume entend done inciter le lecteur a lire beaucoup, et meme a lire encore plus par la suite - et pas uniquement sur l'islam. S'il ya une chose qui apparait a la lecture de ces commentaires, c'est bien !'inscription du Coran dans le contexte historique et religieux du ProcheOrient tardo-antique, et tout l'interet qu'il y a a le comprendre a la lumiere des litteratures juives et chretiennes - or comme le disait Max Mi.iller (1823-1900), le pere de la mythologie comparee, « celui qui ne connait qu'une [religion] n'en connait aucune ». Les nombreuses references, dans les commentaires a des textes antiques juifs ou chretiens - comme ceux edites dans les series de la Patrologia Orientalis ou du Corpus Scriptorum Christianorum Orientalium - montrent a 1. On signalera ici la tres utile version du Coran en translitteration, due Zirker, permettant d'utiles recherches par mots-des.
a Hans
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quel point les etudes coraniques abordent des domaines varies, et nous esperons que le lecteur partagera la curiosite intellectuelle qui permet de telles approches pluridisciplinaires. 11 s'agit ici d'un commentaire collectif. Les auteurs des differents commentaires ne sont pas d'accord sur tout, et c'est sans doute heureux. 11s peuvent avoir des fac;ons differentes et complementaires, mais pas forcement incompatibles ou opposees, d'aborder et de comprendre le texte. Les interets scientifiques, la methode, l'approche, le style, la pedagogie, peuvent etre differents d'un auteur al'autre, et cette variete d'eclairages nous parait etre une force et une richesse. Une grande liberte a done ete laissee aux auteurs, et les directeurs de l'ouvrage n' ont pas cherche une uniformisation complete, meme si, quand cela etait possible ou pertinent, nous avons essaye d'uniformiser, autant que possible, la presentation. 11 reste bien sur des imperfections aisement reperables, qui feront toujours le bonheur des critiques, et il serait regrettable de les voir prives de ce plaisir. En 1881, Nietzsche ecrivait: On n'a pas ete philologue en vain, on !'est peut-etre encore, ce qui veut dire professeur de lente lecture - finalement on ecrit aussi lentement. [... ] Ne plus jamais rien ecrire qui n'accule au desespoir toutes Jes sortes d'hommes « presses ». La philologie, effectivement, est cet art venerable qui exige avant tout de son admirateur une chose: se tenir a l'ecart, prendre son temps, devenir silencieux, devenir lent - comme un art, une connaissance d'orfevre appliquee au mot, un art qui n'a qu'a executer que du travail subtil et precautionneux et n'arrive a rien s'il n'y arrive lento. C'est en cela precisement qu'elle est aujourd'hui plus necessaire que jamais, c' est par la qu' elle nous attire et nous charme le plus fortement au sein d'un age de « travail », autrement dit : de precipitation indecente et suante qui veut tout de suite « en avoir fini » avec tout, sans excepter I' ensemble des livres anciens et modernes : - quanta elle, elle n' en a pas si aisement fini avec quoi ce que ce soit, elle enseigne a bien lire, c'est-a-dire lentement, profondement, en regardant prudemment derriere et devant soi, avec des arriere-pensees, avec des portes ouvertes, avec des doigts et des yeux subtils [Nietzsche, Aurore, Avant-propos, § 5, trad. Julien Hervier, Paris, Gallimard, 1980, p. 18].
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Alors que ces phrases resonnent aujourd'hui avec encore plus de verite et d'urgence qu'au temps ou elles furent ecrites, que tant de domaines de la vie humaine sont soumis a la tyrannie de la rentabilite et de l'immediatete, que pullulent les lectures fondamentalistes, apologetiques et polemiques, qui sont toutes des lectures pressees, et sans la methode et la distance que requiert une approche scientifique, nous ne saurians trop louer les bienfaits de la lecture lente. C' est a une telle experience que nous convions le lecteur dans les pages qui suivent.
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PAUL NEUENKIRCHEN
Sourate 1 AL-FATI]fA
(L'OUVRANTE) STRUCTURE GENERALE
7 versets selon le decompte le plus courant (pour d'autres decomptes, voir infra, la partie concemant le statut de la basmala), dont les six premiers sont brefs et le demier est plus long. La rime est -zm/-zn.
Titre Le titre de la premiere sourate du Coran, contrairement aux autres sourates du corpus (a l'exception de la sourate 112), ne derive pas du contenu meme du texte mais de sa fonction: al-Fiitil:,a (i.e. Fiitil:,a al-Kitiib ou Fiitil:,a al-Qur'iin), a savoir « La liminaire » (Blachere, Coran, p. 125), « L'ouverture » (Berque, Coran, p. 23) ou plus litteralement « L'ouvrante » (i.e. L'ouvrante de l'Ecriture ou L'ouvrante du Coran). D'autres titres moins frequents lui sont aussi attribues, comme alJfamd, « La louange » (Blachere, Coran, p. 126), qui est tire du v. 2. D'autres titres derivent de ce deuxieme verset, comme en temoigne la tradition musulmane (par exemple, l'ensemble du deuxieme verset est considere comme le titre de la sourate dans divers l:,adzths rapportes, entre autres, par lbn f,lanbal dans son Musnad ou dans les Sunan d'alTirmidhI et d'al-DarimI). En outre, diverses sources musulmanes (tafszrs et l:,adzths) lui attribuent des noms qui sont en realite moins des titres que des epithetes. C'est le cas de Sab'an min al-mathiinz ou « Les sept
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versets a repeter dans l'Oraison » (voir Q 15 : 87) selon la traduction de Blachere (Coran, p. 125), ainsi que de Umm al-Kitab ou « Mere de l'Ecriture » (voir Q 3 : 7; 13 : 39; 43 : 4), et Umm al-Qur'an ou « Mere du Coran». Selon l'ouvrage de sciences coraniques Al-Itqan ft 'ulum al-Qur'an, compose par Jalal al-Din al-SuyutI (m. 911/1505), la premiere sourate du Coran connaitrait non moins de vingt-cinq titres differents (Blachere, Coran, p. 126).
Structure Michel Cuypers divise la sourate en trois parties avec un element central donnant a la sourate une forme concentrique. Le premier membre constitue des v. 1-4 presenterait un cas de parallelisme synonymique (ab/a'b'), le troisieme membre constitue des v. 6-7 formerait une antithese disposee en chiasme (ab/b'a') et, au centre, le v. 5 constituerait un autre cas de parallelisme et fonctionnerait comme une « charniere entre les deux unites qu'il relie » (« Analyse rhetorique », p. 235-238). Dans ce qui suit, nous optons pour un autre decoupage qui suit la thematique liturgique de la sourate, qui est introduite par une formule propitiatoire 1 (v. 1), renferme en son centre une doxologie2 (v. 2-4), se prolonge par une phrase d'adoration prononcee par les hommes et adressee a Dieu (v. 5), et se conclut par leur supplication ou imploration a Dieu (v. 6-7).
1. Une formule propitiatoire est une formule destinee a s'attirer Jes faveurs de la divinite. 2. Terme designant Jes actresses de louange ; plus specifiquement dans un contexte monotheiste, ii se refere a la louange adressee a la divinite dans de courtes formules (en general« gloire a» ; dans le Coran al-bamd OU sub/Jan) situees au debut OU ala fin d' actes de priere.
1 AL-FATI[fA (L'OUVRANTE) i 19
Plan 1 Formule introductive propitiatoire. 2-4 Doxologie. 5 Adoration.
6-7 Imploration.
Datation D'apres Noldeke et Schwally, il est difficile de determiner la date de la sourate, car etant depourvue de « particularite islamique », elle pourrait aussi bien etre une priere juive qu'une priere chretienne (Geschichte, vol. 1, p. 110). Selon eux, il est impossible qu'elle soit la toute premiere revelee comme le pensent certains orientalistes (comme Gustav Weil), ni meme qu'elle soit ancienne (comme le suggere William Muir). Ils preferent la dater, au plus tot, de la toute fin de la pretendue « premiere periode mecquoise ». Selon Richard Bell, si Muhammad a lui-meme choisi de placer la Fatiba en debut du corpus, c'est qu'elle doit dater du moment ou il a commence a composer le « Livre », soit a la fin de l'an 2/debut de l'an 3 de l'hegire (Qur'iin, vol. 1, p. 1). Regis Blachere propose une datation assez precise de la sourate, bien qu'il rapporte que les exegetes musulmans ont ete tirailles entre une datation medinoise et une datation mecquoise, certains, comme lbn Sharbabn (m. 63/682-83), allant meme jusqu'a dire qu'elle fut la premiere revelee - une idee immediatement rejetee par Blachere (Coran, p. 126). 11 convient toutefois d'insister sur le fait que les arguments de Blachere reposent entierement sur des considerations relevant de l'exegese ecrite a posteriori ainsi que sur des donnees speculatives: il s'accorde de ce fait avec Nbldeke et Schwally ainsi qu'avec
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Maurice Gaudefroy-Demombynes pour dire que la sourate doit dater d'une periode posterieure au moment ou Muhammad a mis en place une communaute autour de lui et a commence a organiser un culte. Il se fonde notamment sur l' emploi de la premiere personne du pluriel «nous», aux v. 5-7, qui attesterait de !'existence de cette « petite communaute » (ibid.). En outre, et par un raisonnement circulaire, il prend !'expression sab'an min al-mathiinz, qui apparait en Q 15: 87, comme une reference a la Fatil)a et en deduit que cette demiere ne peut etre que posterieure a la date de revelation de ce passage de « deuxieme periode mecquoise » (ibid., voir Zilio-Grandi, « Fatil)a », p. 97, pour le meme raisonnement). Blachere, qui se range in fine du cote de l'avis de Noldeke et Schwally, lui attribue le n°46 dans son ordre de reclassement de sourates (entre les sourates 109 et 113). Pour ajouter au flou concemant la datation de la premiere sourate, certains commentateurs musulmans ont affirme qu' elle a ete revelee a La Mecque une premiere fois et a Medine une seconde fois (Blachere, Coran, p. 126; Zilio-Grandi, « Fatil)a », p. 97-98).
Genre litteraire et place de la sourate dans le Coran La determination du Sitz im Leben 1 de la Fatil)a est liee a la definition de son genre litteraire. Les exegetes musulmans comme les orientalistes ont unanimement note qu'elle releve du genre de la priere, Bell la qualifiant de « priere courte » (Qur'iin, vol. 1, p. 1), Blachere de « priere » (Coran, p. 126; il rapporte en outre l'avis de Goldziher qui l' avait sumommee « le Pater Noster de l'Islam » ), et de Premare de « priere adressee a Dieu par les croyants » (Aux origines, p. 35). La tradition musulmane elle-meme parle de la sourate 1 comme d'une « priere » ($aliit) ou d'une « supplication » (du 'ii') (Zilio-Grandi, « Fatil)a », p. 97). 1. Expression allemande qui signifie litteralement « assise dans la vie » et qui cherche a definir le contexte socioculturel (situation juridique, liturgique, etc.) le plus probable d'une unite textuelle plus ou moins longue.
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Il apparait que la sourate 1 est une piece unique (de Premare, Aux origines, p. 35), dans la mesure ou elle n'est pas de meme nature que le reste du corpus coranique ; par ailleurs, elle a de fait un Sitz im Leben liturgique. On notera qu'a l'inverse des sourates 112-114, on n'y trouve pas d'imperatif « Dis ! » (qui) introductif venant mettre dans la bouche de Dieu des paroles enoncees par les hommes. La question du Sitz im Buch 1 de la sourate 1, c'est-a-dire de son emplacement au debut du corpus coranique, est quant a elle liee a sa fonction d' « Ouvrante de l'Ecriture » (Jatiba al-kitiib), puisque selon l' ordre d' agencement du corpus (qui classe les sourates dans un ordre decroissant de taille ), le Coran devrait s' ouvrir avec la sourate 2, qui est la plus longue du Coran. Pourquoi done « L'ouvrante » a-t-elle ete placee ici ? Plusieurs hypotheses ont ete avancees par les chercheurs. Selon Richard Bell, la Fati]:ia « a pu etre placee [au debut du Livre] par les redacteurs » (Qur'iin, vol. 1, p. 1), et « elle a probablement ete placee ici comme une priere introductive a l' ouvrage » (Bell, Commentary, vol. 1, p. 1). Dans le meme sens, Arthur Jeffery ecrit: « a l' origine, elle ne faisait pas partie du texte, mais elle etait une priere qui a ete composee pour etre placee en tete du volume tel qu'il a ete assemble, pour etre recitee avant de lire le livre, selon une pratique qui ne nous est pas inconnue d'apres ce que nous savons des autres livres sacres du Proche-Orient »(«Variant Text», p. 158). En suivant l'approche de la « rhetorique semitique » et en analysant la disposition des sourates au sein du Coran, Cuypers affirme qu' « avec les sourates 113 et 114, la sourate al-Fati]:ia forme un encadrement liturgique pour le texte du Coran » (Cuypers, dans Azaiez et al. [dir.], Qur'an Seminar, p. 48), fonction qu'il compare a celle du psaume 1 (« Analyse rhetorique », p. 238-244) qui a aussi un Sitz im Leben liturgique (voir Neuwirth et Neuwirth, « Surat al-Fatiba », p. 331-357; Neuenkirchen, « Fati]:ia », p. 81-100). 1. Expression allemande qui signifie litteralement « assise dans le livre » et qui cherche a definir le contexte dans l' ouvrage ou elle se trouve d'une unite textuelle donnee.
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Cette question de la fonction liturgique de la sourate renvoie aux debats au tour de l' inclusion ou non de la Fatil)a (ainsi que des sourates 113 et 114) dans les codex de certains Compagnons. En effet, certaines autorites musulmanes anciennes (Ibn 'Abbas et Ibn Mas 'ud, selon Blachere, Coran, p. 127, Ibn Mas'ud et Ubayy b. Ka'b, selon Graham, « Basmala », p. 158) l'auraient omise de leurs codex, ne l'ayant pas consideree comme une revelation mais comme une « oraison individuelle » (Blachere, Coran, p. 127). Selon Cuypers, cela refleterait son « introduction relativement tardive dans le Livre » (dans Azaiez et al. [dir.], Qur'an Seminar, p. 48). On notera enfin le rapport de la sourate 1 aux deux sourates « deuterocanoniques » intitulees al-Khat' (« Le reniement ») et al-lfafd («Lacourse») (voir Azaiez, dans ibid., p. 47). Le codex attribue a Ubayy b. Ka'b - et peut-etre aussi celui attribue a Ibn 'Abbas, selon Blachere - aurait contenu ces deux sourates-prieres que Blachere dit etre tres « proches de la Liminaire par le fond » (Introduction, p. 188-189, voir p. 189 pour la traduction de ces deux prieres ). Selon lui, elles auraient ete rejetees de !'edition finale du Coran justement parce qu'elles « faisaient double emploi avec la Liminaire », ou qu ' a l' ins tar de cette demiere elles etaient considerees, non comme des « revelations divines», mais comme des « oraisons personnelles » (ibid., p. 190). D'un point de vue thematique, la Fatil)a engloberait a elle seule tous les themes majeurs du Coran: l'unicite divine, la louange, l'eschatologie, !'adoration et la supplication, la guidance, et le gouffre entre les elus et les damnes (Pregill, dans Azaiez et al. [dir.], Qur'an Seminar, p. 52).
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COMMENTAIRE
1 Formule introductive propitiatoire Le premier verset de la sourate al-Fati]:ia est compose de la formule designee soit par le terme arabe tasmiyya ( « action de nommer » ), soit par le terme plus frequent basmala - une abreviation ou contraction des trois premiers mots du verset : bi-smi Lliih al-ral:,miin al-ral:,zm.
Statut de la basmala Toutes les sourates du Coran, a !'exception de la sourate 9 (voir commentaire ad. lac.), s'ouvrent par la basmala. La sourate al-Fati]:ia est la seule ou cette formule est generalement consideree comme un verset a part entiere (voir les Corans imprimes qui se fondent sur !'edition du Caire de 1923, par opposition a Richard Bell, Qur'iin, vol. 1, p. 1, qui ne la compte pas comme un verset). Les auteurs musulmans se sont generalement efforces de denombrer sept verse ts, afin de s' accorder ace qu'ils considerent etre une allusion a la Fati]:ia en Q 15 : 87 (sab 'an min al-mathiinz, les « sept que l' on repete » ), ceux d' entre eux qui ne comptent pas la basmala comme un verset divisant en deux soit le deuxieme verset, soit le dernier (Zilio-Grandi, « Fati]:ia », p. 98). Cela pose la question de la nature de la basmala et de sa place dans le corpus : fait-elle partie du texte divin ou non? Est-elle partie integrante de la revelation? Est-ce une parole divine ou une invocation de Muhammad? (Graham, « Basmala », p. 158) Deux traditions existent : les recitateurs et juristes de Medine, de Bassora et de Syrie, de meme que l'ecole juridique hanafite, considerent qu'elle n'est jamais un verset mais une maniere de marquer la division entre les sourates - raison pour laquelle les hanafites ne recitent pas la basmala a voix haute lors de la priere ; alors que les recitateurs et juristes de La Mecque, de Koufa d'Irak, ainsi que l'ecole juridique shafeite, la prennent toujours pour un verset lorsqu'elle
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debute une sourate - les shafeites recitant cette formule de maniere audible lorsqu'ils accomplissent la priere (Graham, « Basmala », p. 158-159). Ce desaccord concernant le statut de cette formule introductive trouve un reflet dans les plus anciens manuscrits du Coran qui nous sont parvenus : dans certains cas, la basmala s' y trouve sur la meme ligne que le premier verset, sans transition entre les deux ; dans d'autres cas, elle y occupe une ligne entiere au-dessus de la sourate, a l'instar de ce que l'on trouve dans les versions imprimees modemes (Deroche,« Basmala », p. 119).
Analyse grammaticale et semantique de la basmala La basmala peut etre divisee en deux parties : a) bi-smi Lliih et b) al-ral:,miin al-ral:,zm. a) La premiere partie debute par la preposition arabe bi- (« avec », «au»,« dans »,«en», etc.) suivie du terme ism(« nom »). En arabe, ism s'orthographie avec les lettres alif, s'fn et m'fm. Or nous avons avec la basmala le seul cas ou la premiere lettre, alif, tombe graphiquement, ne laissant plus apparaitre que sm dans le mot ism. Ainsi, dans la formule bi-smi rabbika, « au nom de ton Seigneur» (Q 56: 74, 96; 69: 52 et 96: 1), le alif est represente graphiquement (cette remarque vaut pour les Corans imprimes - la situation des manuscrits anciens est variable). On peut s'interroger sur les raisons de cette particularite orthographique dans la seule basmala. Comme le souligne Munther Younes, cela pourrait etre le reflet d' un heritage de la graphie hebraYque ou syriaque (Younes, dans Azaiez et al. [dir.], Qur'an Seminar, p. 56), un point sur lequel nous reviendrons plus loin en traitant des usages extra-coraniques de la formule. Le terme arabe pour « Dieu », Allah, qui apparait pres de mille fois dans le Coran, est ensuite annexe au « nom » (ism ; le i final dans la transcription bi-smi traduit le cas indirect induit par la preposition bi-), donnant a la partie presente le sens de« Au nom de Dieu ». Surles vingt-sept occurrences coraniques du terme « nom » (ism) au singulier, une seule (Q 49 : 11) ne l'utilise pas en annexion a« Dieu »
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ou «Seigneur». Ainsi, les vingt-six emplois de l'expression « nom de Dieu » precedee des verbes « mentionne(z) » (par exemple Q 5 : 4) ou « glorifie » (Q 87 : 1) ont-ils ete interpretes a posteriori par les exegetes musulmans comme des exhortations a prononcer la basmala (Graham, « Basmala », p. 157). Cette premiere partie de la basmala ne se trouve telle quelle qu'une seule fois dans le Coran, en Q 11 : 41, lorsque dans le recit relatif a l'arche de Noe, ce demier dit aux couples de chaque espece qu'il veut faire embarquer pour les sauver du Deluge: « Montez dans [l' Arche] ! Qu' au nom de Dieu se fassent sa course et son mouillage ! » (arkabu fiha bi-smiLlah majraha wa-mursaha). b) La deuxieme partie de la basmala - qui constitue aussi le troisieme verset de la Fatiba - est composee des deux epithetes divines, al-ra/:iman et al-ra/:ifm. On rencontre ici deux difficultes: l'une d'ordre syntaxique, l' autre d' ordre semantique. Dans la lecture vocalisee du Coran imprime, ces deux attributs sont annexes au nom « Dieu » (Allah). Au moins trois manieres de les comprendre ont ete proposees : 1. La solution preferee des exegetes musulmans et la plus courante dans les traductions en langues occidentales est de considerer al-raJ:iman et al-rabfm comme formant une paire en apposition a Allah (Graham, « Basmala », p. 157). C'est la comprehension qui ressort des traductions de Bell : « Au nom d' Allah, le Misericordieux, le Compatissant (In the Name of Allah, the Merciful, the Compassionate)» (Bell, The Qur'an, vol. 1, p. 1), et de Berque: « Au nom de Dieu, le Tout misericorde, le Misericordieux » (Coran, p. 23). 2. Une autre solution, proposee notamment par Rudi Paret, est de prendre al-ra/:iman et al-ra/:ifm non comme « des substantifs independants, mais comme des attributs » avec une valeur emphatique (Kommentar, p. 11 ; voir Graham, « Basmala », p. 157). Paret traduit done : « Au nom du Dieu misericordieux et bon [Im Namen des barmherzigen und giitigen Gottes] » (Koran, p. 7). 3. La demiere possibilite est de prendre al-ra/:iman comme un substantif (un nom divin) en apposition a Allah, qui est alors qualifie par
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l'epithete al-ral:(im (Graham, « Basmala », p. 157). C'est le choix de traduction de Blachere : « Au nom d' Allah, le Bienfaiteur misericordieux. » (Coran, p. 127). Selan Graham, c'est cette solution qui s'accorde le rnieux avec les quatre autres versets du Coran ou al-ra/:zmiin et al-ra/:zfm apparaissent conjointement (Q 1 : 3 ; 2: 163 ; 41 : 2; 59: 22) (« Basmala », p. 157-58, voir Gimaret, Noms divins, p. 376-377). Le premier terme de la formule - al-ra/:zmiin - se trouve dans le Coran a cinquante-sept reprises, toujours precede de l'article defini arabe al- ( « le Bienfaiteur » et jamais « bienfaiteur »). 11 derive de la racine trilitere r l:z m qui est notarnment employee six fois dans l'expression qualifiant Dieu de « meilleur des Bienfaiteurs » (khayr alra/:zimfn; voir Q 12 : 92) ou de « plus Bienfaisant des Bienfaiteurs » (ar/:zam al-ra/:zimfn; voir Q 7 : 151). Le second terme - al-ra/:zfm - derive de cette meme racine arabe et apparait le plus souvent (quatre-vingt-une fois) sans l'article defini, notamment pour qualifier Dieu de « misericordieux » (voir l'expression ghafar ra/:zfm ou « Absoluteur Misericordieux » ; voir Q 2 : 173). Elle apparait trente-deux fois avec l'article defini, comme en Q 1 : 1, ou dans l'expression al-ghafar al-ra/:zfm, « l'absoluteur, le misericordieux »I« l' Absoluteur misericordieux », voir Q 10: 107). Si al-raf:zman designe toujours Dieu, ra/:zfm (sans l' article defini) peut aussi etre employe comme adjectif applique a un homme, comme c'est le cas en Q 9: 128, ou il qualifie « un messager », que l'on considere en general etre Muhammad (Jornier, « Norn divin », p. 363). Outre la question de la construction syntaxique de la basmala, le probleme a ete de savoir comment traduire la formule al-ra/:zman alra/:zfm. Les traducteurs ont le plus souvent rendu les derives de la racine r l:z m par le champ semantique de la «clemence» ou de la « rnisericorde », qui connote la notion de pardon; cependant, selon Gimaret, ces notions sont absentes de la comprehension que les lexicographes musulmans ont pu avoir de cette racine, qu'ils associent a l'idee de « bienveillance » (Noms divins, p. 377). Des lors, plutot que traduire al-raf:zman al-ra/:zfm par « le Clement, le Misericordieux », Gimaret suggere de rendre la formule par « le Bienveillant, le Bienfaisant » (ibid., p. 379).
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Comme le resume Jacques Jomier, la formule al-rabman al-rabzm « met en relief l'idee profondement coranique (et biblique) de !'immense bonte divine ; la presence de deux adjectifs quasi-synonymes est la comme un moyen d'exprimer leur renforcement mutuel » (« Norn divin », p. 361). L 'etymologie d 'al-ralpniin et al-ral).im
La racine trilitere arabe r b m dont derivent a la fois al-rabman et al-ral:tzm donne la forme verbale rabima qui signifie « etre bienveillant, bienfaisant » et connait de tres nombreux equivalents dans les langues semitiques « sreurs » de l'arabe, depuis l'ougaritique rbm qui signifie « etre bienfaisant », au syriaque ettrabam dont le sens est « etre misericordieux », en passant par l'hebreu r'bem, « avoir de la compassion», le gueze mabara (avec metathese de r b m en m b r), « etre misericordieux », ou encore le sud-arabique epigraphique rbm (meme sens) (Zammit, Lexical Study, p. 191 ; Leslau, Comparative Dictionary, p. 336). Ces donnees permettent, du moins en partie, de remettre en question les considerations de Daniel Gimaret sur le fait que la formule al-rabman al-rabzm ne contient pas la connotation de « pardon » qui se trouve dans les traductions occidentales de« misericordieux ». Les premiers auteurs musulmans, notamment les lexicographes alMubarrad (m. 285/898-899) et Ab.mad b. Yabya Tha'lab (m. 291/904), ont note que si le mot rabzm est d'origine arabe (avec le sens du grec (fJZAo.v0pwnor:; pour « bon », « bienveillant » comme l'atteste le papyrus bilingue grec/arabe Heidelberg n° 21 ; voir Noldeke, Geschichte, vol. 1, p. 113 n. 1 ; Kropp,« Im Namen Gottes », p. 199), on ne peut pas en dire autant de rabman (Noldeke, Geschichte, vol. 1, p. 113 n. 1 ; Gimaret, Noms divins, p. 375). Ces lexicographes auraient vu en rabman un terme d' origine hebra"ique, tandis que les orientalistes ont eu tendance, dans un premier temps, a le considerer comme etant d'origine juive (talmudique), puis dans un deuxieme temps a pencher pour une derivation sud-arabique, sans pour autant arriver a decider pour une origine juive ou chretienne.
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Ainsi, dans une monographie parue en 1880, Sigmund Fraenkel remarquait que le terme raf:zmana, correspondant a l'arabe ra/:zman, apparait dans le Talmud (frequemment dans le Talmud de Babylone, moins souvent dans le Talmud de Jerusalem) comme nom de Dieu. 11 concluait a une origine juive (De Vocabulis, p. 23). Peu apres (en 1886), Hartwig Hirschfeld reprit la theorie de son predecesseur, constatant l'emploi du nom divin raf:zmana dans les Targums', mais aussi dans des inscriptions palmyreennes (Beitrage, p. 38). Ce sont Theodor Noldeke et Friedrich Schwally qui, apparemment les premiers, ont note que le terme sud-arabique ra/:zmanan etait utilise, dans des inscriptions saba'iques, comme une epithete designant differentes divinites. 11s constaterent que le terme etait peu present dans la litterature chretienne et conclurent que l'emploi frequent de raf:zmana pour designer Dieu dans les Talmuds donnait raison aux lexicographes arabes qui penchaient pour une origine hebra'ique du raf:zman coranique (Geschichte, vol. 1, p. 112-13, n. 1). Dans un article publie en 1925, Josef Horovitz, apres avoir rappele les discussions autour de l'origine juive d' al-raf:zman, indiqua que certaines inscriptions sud-arabiques mentionnant le mot ra/:zmanan etant chretiennes, le terme raf:zman pouvait tout aussi bien etre entre dans la langue arabe par une intermediaire chretien. 11 conclut sur l'impossibilite de trancher en faveur d'une origine juive ou chretienne (« Jewish Proper Names», p. 201-203). Arthur Jeffery opta pour une origine sud-arabique, ecrivant : « 11 ne fait guere de doute que c' est a partir de l' Arabie du Sud que le mot est entre en usage en arabe », tout en considerant que l'origine meme du terme sud-arabique raf:zmanan se trouve ailleurs. 11 rapporte ainsi les opinions divergentes d' Aloys Sprenger (origine chretienne), de Hirschfeld (origine juive), et enfin de Rudolph qui, tout comme Horovitz, ne peut decider entre les deux. Jeffery partage cette
1. Le terme targum, qui signifie « interpretation » ou « traduction » en arameen, designe Jes traductions (plus ou moins interpretatives) arameennes de l' Ancien Testament, dont les plus celebres sont le Targum Onkelos (r•' siecle de l'ere commune) et le Targum Jonathan (ca. n• siecle de !'ere commune)
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indecision, tout en penchant plutot pour une origine chretienne mais en concluant que « la question est incertaine » (Foreign Vocabulary, p. 140-141). Plus recemment, Christian Robin a note que, jusqu'au ve siecle de l'ere commune, le Dieu des juifs, tel qu'il est decrit dans les inscriptions sud-arabiques, est anonyme (il est nomme « Seigneur du ciel » ou « Seigneur du ciel et de la terre » ). A partir de 450-60, il re